tensions socio-politiques et religieuses à oka (kanesatake) dans la seconde moitié du xixème...

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LOUISON Yolène Sous la direction de Philippe Delisle (Université Jean Moulin Lyon 3) et de John A. Dickinson (Université de Montréal, Québec, Canada) TENSIONS SOCIO-POLITIQUES ET RELIGIEUSES A OKA (KANESATAKE) DANS LA DEUXIEME MOITIE DU XIXème SIECLE Séminaire de Saint-Sulpice de Montréal Mémoire de maîtrise d’Histoire Années universitaires 2003-2004 Juin 2004

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Mémoire de Maîtrise - Histoire contemporaine - Université Jean Moulin Lyon III / Université de Montréal (Québec, Canada) (2004)

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Page 1: Tensions socio-politiques et religieuses à Oka (Kanesatake) Dans la seconde moitié du XIXème siècle (2004)

LOUISON Yolène

Sous la direction de Philippe Delisle (Université Jean Moulin Lyon 3)

et de John A. Dickinson (Université de Montréal, Québec, Canada)

TENSIONS SOCIO-POLITIQUES ET RELIGIEUSES A

OKA (KANESATAKE) DANS LA DEUXIEME MOITIE

DU XIXème SIECLE

Séminaire de Saint-Sulpice de Montréal

Mémoire de maîtrise d’Histoire

Années universitaires 2003-2004

Juin 2004

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Introduction :

Oka, nom donné à ce village au bord du lac des Deux Montagnes en référence à un

chef amérindien et qui signifie « poisson doré ». Oka, lieu célèbre, depuis le XIXème siècle

grâce au fromage qui porte son nom, produit par les Trappistes Cisterciens, venus s’y réfugier

à partir des années 1880. Oka, nom célèbre, pour avoir connu un lourd passé, alternant crise

violente avec périodes d’accalmie aux tensions malgré tout palpables. Oka, devenu le siège

d’une crise qui fit grand écho en 1990. La « crise d’Oka » comme l’ont nommé les journaux,

eut des conséquences graves : des barricades élevées par les Mohawks dès le mois de mars, à

la mort d’un caporal de la Sûreté du Québec1. Le conflit avait opposé les Mohawks de la

réserve d’Oka, au gouvernement et à ceux qui voulaient agrandir le golf, sur des terres, qui

aux yeux des Amérindiens étaient sacrées. Mais le conflit à Oka, aujourd’hui Kanehsatake, ne

pouvait se résumer à une simple chicane de terrain de golf et de clôtures. Les faits démontrent

que ce litige prend sa source dans la question non résolue des revendications historiques des

Mohawks de Kanehsatake ou Iroquois du la mission du Lac des Deux Montagnes,

relativement à leurs droits sur la seigneurie du même nom que la mission.

Carte pour situer Kanehsatake. (ou Oka)

ALFRED, R. Gerald. Heeding the Voices of Our Ancestors : Kahnawake mohawk politics and the rise of native nationalism in Canada. Ann Arbor : UMI Dissertation Services, 1995, p.34.

1 LEPAGE, Pierre, « la genèse d’un conflit à Oka-Kanesatake », Recherches Amérindiennes au Québec, vol. XXI, n°1.2, 1991. p.107.

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Tous les auteurs qui se sont penchés sur la crise de 1990, se sont tous accordés pour

dire qu’il fallait remonter à un contexte ancien pour mettre à jour les vrais enjeux de

Kanehsatake. Il est avéré que le XIXème siècle a connu aussi une crise au Lac des Deux

Montagnes, une crise restée dans la mémoire des Amérindiens. Oka, plus qu’un lieu ou un

nom célèbre, est un symbole, celle de la lutte des Amérindiens pour faire valoir les droits

ancestraux sur les terres de l’Amérique du Nord.

Notre étude porte sur la crise d’Oka au XIXème siècle, dont nous situons le tournant

vers la fin des années 1860, plus exactement en 1869, au moment où les Iroquois de la

mission du Lac des Deux-Montagnes choisissent d’apostasier la foi catholique après plus de

deux siècles passés sous tutelle sulpicienne. Ce geste, qui comporte sans nul doute une part de

provocation, même s’il ne faut pas occulter la sincérité de cet acte, nous intéresse

particulièrement et servira de point de départ à notre étude. A travers cette apostasie, nous

verrons l’arrivée d’une nouvelle force religieuse : non pas seulement le méthodisme, et ses

quelques ministres qui viendront prêcher à la mission d’Oka, mais le protestantisme en

général, ainsi que ses disciples, prêcheurs ou pratiquants, qui vient se positionner en rival du

catholicisme. Cet antagonisme religieux prend une forme bien particulière à Oka : Sulpiciens,

missionnaires du Lac et Iroquois devenus protestants (rappelons-le encore une fois que ce

terme, employé pour plus de facilité, ne concerne pas la totalité de cette population iroquoise

de la mission du Lac des Deux-Montagnes). Mais, dans un contexte plus large, élargi à la ville

de Montréal, voire au Québec et au Canada, cet antagonisme est tout aussi présent, voire

pesant. A partir de ce constat, nous n’analyserons pas la crise d’Oka, d’un point de vue

« local », mais d’un point de vue plus global, en nous efforçant d’intégrer les troubles d’Oka

au XIXème siècle dans les conflits socio-culturels du Québec à la même époque.

Depuis qu’ils sont devenus apostats, les Amérindiens concernés ont adopté une

attitude beaucoup plus radicale par rapport aux époques précédentes. Elle s’installa d’abord au

flanc de la Montagne, tout proche de la ville. Mais les problèmes liés à l’alcoolémie qui se

banalisaient chez les Indiens de la mission, poussèrent les Sulpiciens à déménager au Sault-

au-Récollet. Malgré tout, la distance ne suffisait pas pour éradiquer ce problème. En 1721, le

site, aujourd’hui Oka, sur les bords du Lac des Deux Montagnes, fut alors choisi pour éloigner

plus encore les Amérindiens des vices de la ville. La mission, composée principalement

d’Iroquois et d’Algonquins (d’autres tribus y étaient attaché, comme les Nippissingues) s’y

fixa définitivement et pendant 150 ans, elle vécut dans une sérénité et une affection de

surface. Mais les relations entre les missionnaires et leurs ouailles se détériorèrent à partir du

XIXème siècle. Dans les années 1850, la mission connut une première vague de crise, qui

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s’estompa assez rapidement, notamment, grâce au contrecoup des sentences

d’excommunications prononcées par Monseigneur Bourget, en 1852. Puis, un climat

relativement calme s’installa de nouveau sur les rives du Lac. Cependant, les événements du

milieu du siècle ne furent que le souffle annonciateur de la tempête qui s’abattit sur Oka à la

fin des années 1860. Comme chacun reste sur ses positions, la situation ne peut que

s’envenimer, car l’idée d’établir un dialogue est définitivement abandonnée. Le fossé entre les

deux parties est d’ores et déjà creusé. Les tensions montent, les rapports deviennent de plus en

plus difficiles à gérer pour les Sulpiciens : ils ont en face d’eux des Iroquois, d’une ténacité

qui n’est plus à prouver quant à cette question de revendication territoriale. Pétitions et

recours aux ministres des Affaires indiennes se succèdent, sans que la requête des Indiens soit

satisfaite. En février 1869, une partie des Amérindiens de la mission, à savoir la majorité des

Iroquois, après s’être concertée lors d’une assemblée préalable, annonça aux prêtres leur

apostasie, leur renoncement à la foi catholique pour se tourner vers une religion protestante, la

religion des méthodistes. A partir de cette date, la situation à Oka dégénéra, et son histoire ne

sera qu’une longue suite interminable de querelles incessantes et la mission du Lac connaîtra

ses heures les plus tristes, heures qui se prolongent jusqu’à nos jours. Les événements

prennent alors une autre tournure après la conversion, synonyme d’un radicalisme affirmé et

assumé, par la majorité des Iroquois.

L’après 1869 est tellement riche en rebondissements et l’ampleur est telle que l’on

commence à s’intéresser à Oka et a ce qui s’y passe. « On » n’est pas employé de façon

anodine, il représente cette part d’opinion publique, que l’on retranscrit très souvent par ce

pronom personnel, qui s’exprime à travers, par exemple, les journaux : c’est de cette opinion

publique dont nous parlerons. Ainsi, d’autres acteurs, extérieurs à Oka, viennent se mêler à

l’affaire qui occupe désormais les colonnes des feuilles d’informations de l’époque. En effet,

les communautés religieuses, qu’elles soient catholiques ou protestantes, se sentent tout à

coup concernées par cette crise d’Oka, alors qu’au départ, rien ne semblait prévoir une telle

interaction. Derrière cette affaire se cache une motivation : Oka leur offre un nouveau terrain

non pas d’entente, mais justement de mésentente. Notre étude essaiera de démontrer comment

l’ « affaire d’Oka », comme l’ont nommé les journaux, a été repris à leur compte. Les

journaux au XIXème siècle, étant fortement et sans exception politisés (de façon modérée ou

radicale), ils sont le théâtre privilégié pour la diffusion des idées-forces des courants

politiques. Les événements d’Oka ne seraient-ils qu’un prétexte permettant de s’affronter sur

le plan idéologique et religieux en dehors de cette limite géographique, qu’est Oka ?

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La suite des événements, jusqu’à la fin des années 1880, au moins, sera une source

riche pour les journalistes. En effet, En 1872, émerge le projet de construire un temple

méthodiste, projet qui mit longtemps avant d’aboutir, devant les difficultés qui se dressèrent

irrémédiablement : la coupe de bois sur le domaine de la seigneurie était formellement

interdite aux Amérindiens pour l’usage autre que le bois de chauffage (et encore cette

permission, accordée par les seuls Sulpiciens, n’était applicable que sur les minuscules lots de

terre réservés aux Amérindiens). Or c’est avec ce bois, que les Iroquois comptaient construire

un temple méthodiste. En décembre 1875, les autorités judiciaires convoquées par le

Séminaire, envoyèrent des hommes conduits par le chef de police pour démolir en bonne et

due forme, le temple méthodiste, considéré, par voie de justice, comme illégal. Les

représailles ne se firent pas attendre, ou presque. En 1877, un incendie ravage l’église du

village. Cet incendie, sans aucun doute criminel, déclencha une suite de procès qui semblait

ne pas vouloir finir. Accident ou incendie criminel2 ? Les preuves recueillies sur cette affaire

ne laisse pas le moindre doute : elles convergent toutes vers les Indiens rebelles. A partir de

cette date, les procès se succédèrent sans aboutir à des verdicts conclusifs. En tout cas, ils

alimentèrent la presse de l’époque, car l’affaire d’Oka, transférée aux affaires judiciaires,

devenait par là, une affaire publique, dans le sens où l’opinion publique, autant francophone

qu’anglophone s’exprimait sur les procès dans la presse. Les journaux vont jouer le rôle de

relais dans cette affaire d’Oka où s’entre-déchirent non seulement certains Iroquois et

Sulpiciens, missionnaires au Lac des Deux-Montagnes, mais aussi catholiques francophones

et protestants anglophones, clivage religieux et culturel (sans rendre vraiment compte des

exceptions, pourtant existantes). Il est de plus en plus difficile de retrouver dans les articles de

journaux consacrés à Oka les références historiques et les raisons qui ont mené à ces troubles.

Le sujet principal est détourné : les Indiens n’apparaissent pas comme des acteurs autonomes,

avec une identité et des revendications propres, mais comme des représentants de la religion

protestante, victimes des turpitudes des catholiques, qui ont revêtu, dans ce cas précis, la robe

sulpicienne. Tous les caractères originaux d’Oka sont négligés : on ne cherche pas

véritablement à régler le problème initial, on cherche à détruire les arguments et les valeurs de

l’autre, de l’ennemi : c’est une véritable lutte qui s’engage entre les journaux, de bord

politique et religieux différents. Les offensives et les joutes verbales sont de rigueur.

Cependant, nous ne sommes pas en mesure de parler de parallèles entre la lutte qui confronte

les catholiques francophones, surtout orientés politiquement vers le conservatisme, et les

2 O’NEIL, J, Oka, Montréal, édition du Ginko, 1987, p.220.

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protestants anglophones, dont la tendance politique se rapproche du libéralisme (toutefois, est-

il nécessaire de remarquer que certains francophones y adhèrent également) et celle qui

oppose les Iroquois convertis, réclamant leur territoire, aux Sulpiciens qui refusent toute

forme de négociations sur le sujet des droits de propriété. Nous parlerons plutôt en ces

termes : le conflit de l’un a absorbé l’autre. Qui se préoccupe réellement de la cause

indienne ? Les journalistes l’occultent, préférant invectiver le journal adverse qui défend un

point de vue opposé, et le gouvernement ne semble pas vouloir prendre l’affaire en main,

puisqu’au fond il laisse l’affaire des revendications territoriales dans une situation de statu

quo : rien n’a bougé à ce niveau-là. Ce n’est pas non plus l’accord passé entre le

gouvernement, le Séminaire de Saint-Sulpice et les représentants des indiens concernés qui

réglera le problème : le déménagement des Indiens protestants, certes, sans obligation, dans

une réserve située à Gibson, dans le comté de Muskoka en Ontario3, ne sera pas une réponse

suffisante pour mettre fin aux troubles qui règnent et qui perdureront à Oka, car le problème

essentiel des revendications territoriales est passé aux oubliettes. Les journaux ne s’en sont

pas préoccupés, parce qu’à l’époque l’enjeu n’était pas là : il fallait avant tout, imposer son

point de vue, et par la même occasion écraser celui de l’autre, quelque soit le procédé ou le

sujet utilisé. Les antagonismes religieux et politiques monopolisaient toute la vie socio-

culturelle, et l’intérêt pour les problèmes autochtones n’était évidemment pas encore

né. Aujourd’hui, Oka reste un problème car et le gouvernement qui a « hérité » du rôle

assumé jusqu’en 1931 par les Sulpiciens, ne s’est pas encore décidé à lui donner un vrai

statut : elle est certes une réserve, mais pas une réserve à part entière. Aujourd’hui encore, la

revendication territoriale semble, pourtant, être indéniablement l’impératif à négocier, afin

d’adoucir le climat. Au XIXème siècle, elle n’a pas non plus été entendue : les journaux,

autant que les associations et le gouvernement sont restés sourds et opaques à ce conflit dont

ils n’ont pas voulu comprendre les raisons profondes, privilégiant leur propre combat.

Notre étude consistera donc à considérer la crise d’Oka par une « approche

journalistique ». Nous essaierons de voir dans quelle mesure Oka est un sujet-prétexte et nous

tenterons de mettre en évidence les véritables enjeux qui se cachent derrière les articles, dont

les titres, sensiblement identiques d’un article à un autre ou même d’un journal à l’autre,

(« Oka », « L’affaire d’Oka », « Les Indiens d’Oka »…)4 présupposent une analyse

3 LAMARCHE, J., L’été des Mohwaks, bilan des 78 jours, Montréal, Stanké, 1990, p. 50. 4 « L’affaire d’Oka », La Minerve, 4 octobre 1881, « The Oka Indians Question », The Montreal Gazette, October 18, 1881, « L’affaire d’Oka », La Patrie, 30 septembre 1881.

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normalement axée sur les seuls événements d’Oka. Avant tout, nous nous préoccuperons dans

un premier chapitre à reconstituer le contexte général du Québec au XIXème siècle : contexte

social, politique et religieux, afin de mieux cerner les enjeux qui se jouent au sein de la

province du Québec. Nous verrons d’abord les forces en présence à la mission du Lac, puis

nous nous pencherons sur les contrastes qui agitent Montréal et les alentours, dans le domaine

religieux notamment, mais qui déborderont sur le domaine politique. Pour compléter notre

aperçu sur le Québec du XIXème siècle et pour aborder dès le premier chapitre un point de

vue « journalistique », en abordant le monde la presse au Québec et en présentant les journaux

que nous avons consultés pour la suite de notre étude.

Dans un second chapitre, nous nous intéresserons de plus près aux événements d’Oka,

la trame historique ou la base sur laquelle nous nous appuyons pour construire notre analyse.

Nous ferons référence aux problèmes de départ, aux divergences à propos des revendications

territoriales concrètement présentes dès la fin du XVIIIème siècle, ainsi qu’aux prémices

d’une révolte qui éclatera violemment à la fin des années 1860. Ensuite, nous insisterons sur

le fait que l’apostasie de la majorité iroquoise en 1869 a bouleversé la situation à Oka, ouvrant

là une voie vers l’illégalité, multipliant les chamailles et installant définitivement un climat de

violence et d’insécurité. Par ailleurs, l’affaire d’Oka a basculé aux mains de l’opinion

publique, qui se sent soudain concernée. Nous verrons comment le débat opposant sulpiciens

et méthodistes glisse vers celui opposant catholiques et protestants. Cette opinion publique,

autant scindée dans les convictions et que dans les idéaux, va désormais participer à

l’évolution de la situation d’Oka et va exhorter le gouvernement à régler cette discorde.

L’enjeu prend une ampleur que personne à Oka n’aurait pu imaginer, d’autant plus que le

presse se mêle à la partie.

Dans un troisième chapitre, nous traiterons justement de ces journaux qui ont repris

cette affaire pour leur compte. Pour cela, nous tenterons d’extraire des articles que nous avons

pu consultés, des informations nous permettant de confirmer cette hypothèse. Nous

examinerons d’abord l’évolution de la presse au fur et à mesure que les tensions s’élèvent à

Oka. Nous pourrons ainsi observer comme celle-ci s’inquiète plus à mettre en place un débat

général qu’un débat axé sur les problèmes réels à Oka. Nous verrons aussi, que les querelles

quotidiennes à la mission cèderont le pas aux insultes que s’échangent les journaux. Enfin,

nous dévoilerons les véritables enjeux qui se jouent dans la presse dans la deuxième moitié du

XIXème siècle, et ainsi voir comment l’enjeu prétexte des Amérindiens d’Oka donne lieu à

des enjeux bien plus importants, comme l’enjeu religieux ou politique. Nous mettrons en

évidence que les vrais acteurs à Oka, ceux qui décideront de son avenir ne sont pas les

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sulpiciens, et encore moins les Amérindiens, mais bien l’opinion publique représentée par la

presse francophone et anglophone et par le gouvernement, bien obligé de s’impliquer dans

cette affaire, pour calmer les esprits trop enhardis. Ce chapitre nous permettra d’éclaircir le

fait que la presse manipule l’affaire d’Oka à sa guise, et que lassée, l’abandonnera quand elle

ne pourra plus servir ses intérêts et ses objectifs.

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1. Le contexte social, politique et religieux dans la deuxième moitié du XIXème siècle au

Québec

Il conviendra de commencer cette étude par une approche d’abord globale. Nous nous

appliquerons à présenter la période dans laquelle ont lieu les troubles d’Oka. Nous nous

permettons de revenir sur les contextes social, politique et religieux afin de mieux cerner les

enjeux que nous voulons mettre en évidence. Nous apporterons autant d’informations

possibles en ce qui concerne les différents corps religieux et les groupes amérindiens, présents

à la mission du Lac des Deux Montagnes. Nous mettrons en lumière aussi le monde de la

presse au XIXème siècle.

1.1 : Le contexte social à la mission du Lac des Deux Montagnes et ses

intervenants.

1.1.1. : Les Sulpiciens.

Aux origines du séminaire de Saint-Sulpice à Montréal, il faut considérer le fondateur

de la même institution à Paris, M. Olier de Casson, comme le maître d’œuvre, celui d’une

œuvre « à faces multiples (…), œuvre généreuse, œuvre de prêtres de grand style, œuvre

unique en ce pays, l’une des plus bienfaisantes dont la colonie ait à se louer »5, nous assure,

sur un ton emphatique Lionel Groulx. Eloge mise à part, il faut savoir que cette œuvre prit

forme à partir de 1657, lorsque des Sulpiciens sont envoyés à Ville-Marie pour assurer la

relève des prêtres jésuites. En 1663, la Société de Montréal en décadence cède l’Ile de

Montréal aux Sulpiciens par un contrat de donation, qui en deviennent alors les seigneurs.

L’historique de la compagnie rapidement retracé, il est nécessaire de présenter ce à quoi se

destinaient les prêtres de Saint-Sulpice en arrivant en Nouvelle-France. Ainsi, s’ouvre l’ère

des missions lointaines dont le but visait à évangéliser les Amérindiens. Kenté, dès le XVIIè

siècle, fut leur première expérience, une tentative qui, certes, échoua. Ce sera Montréal qui

verra l’installation d’une « véritable » mission, tout d’abord à la Montagne, ensuite au Sault-

au-Récollet et enfin au Lac des Deux Montagnes (comme nous avons pu le voir dans

l’introduction).

5 GROULX, Lionel, « Un seigneur en soutane », Revue d’Histoire de l’Amérique Française, XI, 1975, p. 213.

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La Montagne

Source : O’NEIL, Oka, Montréal, édition du Ginko, 1987, p.31.

Ces multiples déménagements suivent une ligne « politique » adoptée par les

Sulpiciens. Plusieurs raisons ont été invoquées avant que les Sulpiciens ne puissent obtenir

l’autorisation de s’installer autre part. Nous nous intéresserons particulièrement au dernier

déménagement de la mission qui eut lieu en 1721, puisqu’à cette date ; la mission du Sault-

au-Récollet se transplanta au Lac des Deux Montagnes. Le premier argument avancé par les

prêtres fut celui de l’éloignement bénéfique pour les Indiens des vices de la ville, notamment

de l’alcoolémisme. Ce problème avait déjà été observé alors qu’ils étaient installés au flanc de

la Montagne : un premier éloignement avait été décidé, mais apparemment sans succès,

puisque ce problème réapparaît quelques lieues plus loin6. Il fallait donc, pour satisfaire les

Sulpiciens, trouver un endroit assez éloigné de la ville pour empêcher tout échange

commercial de ce type de produits entre blancs et Amérindiens. Seulement, les Sulpiciens ont

dû faire valoir d’autres arguments pour obtenir les droits sur la seigneurie des Deux

Montagnes. En effet, l’endroit choisi permettait de protéger la population de l’Ile de Montréal

6 ROUSSEAU, Pierre, Saint Sulpice et les missions catholiques : la mission de Sault-au-Récollet vit la fondation d’une des paroisses de l’île de Montréal sur la Rivière-des-Prairies et fut l’objet d’une éloignement de trois lieux et demi. p. 105.

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et de la mettre à couvert d’incursions indiennes7. C’est, du moins, ce que prétendent les

Sulpiciens pour se justifier auprès de la cour puisque les raids Iroquois arrivaient par le

Richelieu (Ils habitent au sud) et non pas par l’Outaouais. Par conséquent, les Sulpiciens

devaient construire un fort en pierre, construction qui n’eût jamais lieu, après acceptation par

les autorités des doléances formulées par le Séminaire, qui se plaignait des coûts trop élevés

d’une telle construction et soulignait le fait que des dépenses considérables avait déjà été

versées pour la mission en elle-même8.

D’autre part, dès 1712, les Sulpiciens avaient perçu l’avantage économique d’un

nouveau déménagement : les terres seraient défrichés par les Indiens et donneraient d’un coup

lieu à la création d’une paroisse. Cette interprétation avancée par Louise Tremblay veut nous

convaincre de la prééminence de l’intérêt économique sur l’intérêt évangélique des Sulpiciens

au moment de la concession pour la seigneurie du lac des Deux Montagnes. Ceci pourrait être

une première piste pour expliquer en partie l’éclatement du mécontentement un siècle et demi

plus tard.

Quoiqu’il en soit, le « dossier » est examiné en 1716 par les membres du Conseil de la

Marine : Mr Belmont fait alors remarquer la nécessité de réserver une terre pour les Indiens

qui viendront habiter les lieux, mais que celle-ci sera donnée au Séminaire sous prétexte que

les Amérindiens ne pourront assumer une telle charge.9 A la suite de cette première étape dans

le processus de concession, le Roi délègue, la même année, à l’Intendant Bégon et gouverneur

de Vaudreuil le pouvoir de permettre le déplacement du Sault-au-Récollet au lac des Deux

Montagnes. Historiquement, la mission du Lac des Deux Montagnes n’est donc que la

continuation et le développement des missions précédentes10. Mais, elle sera la seule à

connaître des troubles aussi violents, même si, déjà, en 1684 et de nouveau en 1712, des

missionnaires sulpiciens avaient été pris à parti par des Indiens. Dans le premier cas, le Père

Mariet fut menacé avec une hache et dans le second, le Père Breslay fut agressé par un

Nippissingue et un Iroquois11.

L’histoire des Sulpiciens à Oka débute véritablement au printemps 1721, date

effective de ce dernier déménagement. Par actes de concession délivrés par le Roi de France

(en 1717 avec ratification en 1718, et en 1733 avec ratification en 1735, pour une

7 TREMBLAY, Louise, La politique missionnaire des Sulpiciens au XVII et XVIIIè : 1668-1735, ch.3.1. 8 Idem, ch. 3.3 9 Idem, ch.3.1. 10 ROUSSEAU, P, op.cit., p.105. 11 DICKINSON, J, « Native sovereignty and french justice in Early Canada », dans J. PHILIPS, T. LOO et S. LEWTHWAITE, éds., Crime and criminal justice, Toronto, Osgoude Society, 1994, pp.27-28.

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augmentation de trois lieues du domaine)12, et confirmés, ou du moins inchangés, sous le

régime anglais, les Sulpiciens deviennent, a priori légalement, les seigneurs du Lac des Deux

Montagnes. Mais leurs tâches ne doivent pas se restreindre à celles liées au rôle seigneurial,

elles tiennent en grande partie à la conversion des sauvages, à « l’entretien de l’œuvre

primitive » : une « tâche idéaliste »13, comme le veut bien décrire L.Groulx. Ainsi les

missionnaires se succèdent au Lac, sans rencontrer de difficultés au début. Mais les plaintes et

accusations incessantes lancées contre eux par leurs anciens protégés viendront perturber la

mission, sans pour autant réussir à faire fuir ces missionnaires. Ils ne fléchiront pas devant la

menace, et ils montreront une ténacité aussi vive que celle des Amérindiens en ce qui

concerne le territoire d’Oka. Sans vouloir apporter ici un élément d’interprétation, nous

voudrions souligner tout de même que cette attitude pour le moins intransigeante, a eu pour

seule conséquence d’aggraver la situation. Ce dialogue de sourds ne pouvait mener le conflit

autrement que sur la voie de la réconciliation et de la paix.

Lorsque la guerre avec les Anglais sévit, et malgré la défaite française, aucun

document de la capitulation ne révoqua les titres légaux de possession sur des biens

légalement amortis par le roi de France. Au contraire, les articles 34 et 35 du traité de Paris

garantissaient très explicitement au Séminaire de Saint-Sulpice son droit de propriété14.

L’article 34 est rédigé dans les termes suivants :

« Toutes les communautés et tous les prestres conserveront leurs

meubles, la Propriété, et l’usufruit des Seigneurs et Autres biens que les Uns

et Autres possèdent dans la colonie de quelque nature qu’ils soient et les dits

biens seraient conservés dans leur privilèges, droit, honneur, et exemption. »

Le changement de régime n’altère pas les actions des Sulpiciens à Montréal et aux alentours,

car la Conquête ne mit pas en danger la possession des terres et n’affecta pas la mission

comme ce fut le cas pour les missions jésuites. Toutefois, le faux espoir qui accompagnait

l’arrivée des anglais protestants, correspondit à une première revendication territoriale

explicite des Iroquois.

12 MAURAULT, Olivier, « Les vicissitudes d’une mission sauvage », Revue Trimestrielle Canadienne, juin 1930, p.129. 13 GROULX, Lionel, op.cit., p. 205. 14 GIGUERE, Georges-Emile, « Les Biens de Saint-Sulpice », Revue d’histoire de l’Amérique Française, XXIV, juin 1970, p. 54-55.

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1.1.2 : Les méthodistes.

Les Méthodistes ne sont pas, comme les Sulpiciens, à l’origine de la mission. Au

contraire ils viennent s’intégrer et s’implanter à Oka seulement à partir du XIXè siècle, quand

la majorité des Iroquois ont choisi d’adopter leur religion. 1869 est donc une date charnière

pour Oka, qui se voit confronté à un problème supplémentaire : le conflit religieux, même s’il

n’apparaît que de façon implicite. Mais nous développerons cet aspect plus spécifiquement

dans notre second chapitre. Nous voulons juste présenter ici les Méthodistes, d’une façon

générale d’une part, et d’une façon plus « locale » d’autre part.

L’église épiscopale méthodiste est une église d’origine britannique. Le succès de cette

nouvelle doctrine tient essentiellement de l’action menée par Wesley au XVIIIème siècle en

Angleterre. Influencé par les Moraves et le mouvement du Réveil, ce fils de pasteur anglican

vit en 1738 une expérience de conversion. Il fondit avec son frère une association qui reçoit le

sobriquet de « méthodiste », à cause de la régularité et de l’esprit méthodique apportés par ses

membres dans la pratique religieuse. Il souhaite s’adresser à tous et en particulier aux plus

défavorisés. Il s’entoure de prédicateurs laïcs et n’hésite pas à sillonner l’Angleterre,

préparant ses sermons, pour aller à la rencontre des paroissiens. Ses prédications rencontrèrent

un immense succès, d’autant plus que l’évangélisation méthodiste n’en restait pas à

l’expérience individuelle du salut, mais conduisait à une variété d’activités sociales : mission,

création de paroisses dans les quartiers populaires, composition d’un nouveau genre de

cantiques et création de chorales, diffusion de littérature chrétienne ... A la mort de Wesley,

en 1791, l’Eglise méthodiste compte 70000 membres en Angleterre15. Elle remporte un franc

succès et s’implante rapidement aux Etats-Unis. Les prêcheurs itinérants sont dans les

Cantons de l’Est dès les années 1790 et dans le Haut-Canada. La Guerre de 1812 rend suspect

les liens avec l’ennemi américain et c’est la branche d’origine britannique qui devient

dominante. Un siècle plus tard, le mouvement méthodiste apparut comme un des plus

dynamiques mouvements protestants16. En effet, les méthodistes ont montré un intérêt visible

pour les missions canadiennes françaises. En 1854, ils font part aux Méthodistes de France de

15 PIETTE, Maximin, La réaction wesleyenne dans l'évolution protestante, Bruxelles, La lecture au foyer, 1925, p. 308. 16 SMITH, Donald B., Sacred Feather, the Reverend Peter Jones (Kahkewaquonaby) and the Mississaugas Indians, Toronto University Press, 1987, p.55.

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leur désir de « s’occuper d’une manière beaucoup plus active que par le passé de la population

française du Bas Canada »17. Cependant les résultats concrets restent modestes.

C’est peut-être au Lac des Deux Montagnes, que la victoire des Méthodistes est la plus

éclatante au Bas Canada. Les événements de la mission se passent alors que les différentes

tangentes de ce mouvement sont en train de s’unir18. Ils réussissent néanmoins à convertir une

soixantaine d’Amérindiens en une dizaine d’années. Il faut savoir qu’avant la conversion de

ces derniers, un individu du nom de Peter Jones, méthodiste et Amérindien, était venu prêcher

à la mission quelques temps auparavant. Son discours est-il à l’origine de l’apostasie ? Il a

certainement dû, au moins, marquer les esprits, ou plutôt laisser des souvenirs vivaces : c’est

seulement la génération suivante qui a agi. Le fait est que certains indiens de la mission d’Oka

ont adopté le point de vue développé dans le discours du Révérend Peter Jones :

« He considered the Roman Catholic Indians to be held in the grips of

idolatry, witchcraft, and drunkeness. As he wrote in his history : I have never

discovered any real difference between the Roman Catholic Indian and the pagan,

except the wearing of crosses »19

Les Indiens ne considèrent peut-être pas les prêtres catholiques comme étant

apparentés à la sorcellerie, mais ils n’hésitent pas à voir en eux des voleurs, les voleurs de

leurs terres.

En ce qui concerne la doctrine, il faut repartir de la conception de Wesley, fondateur

du mouvement dissident (par rapport à l’anglicanisme) qu’est devenu le mouvement

méthodiste. Mais il serait trop long et trop fastidieux de retranscrire complètement les

éléments de cette doctrine. Nous nous bornerons à ne citer que les principes primordiaux,

pour mieux cerner ce que représente cette religion. Les mots clefs sont donc : amour de Dieu,

gospel, miséricorde, repentance qui est la première étape pour parvenir à la perfection

chrétienne. Les règles à respecter sont les suivantes : respecter le sabbath, éviter l’alcool, et

« the most important of all, they must participate in the weekly class meeting in which each

member gave personal testimony »20. Enfin, le principe de base pour la diffusion de la

doctrine méthodiste est le système de pasteurs itinérants, un système qui convient fort bien à

17 HARDY, René, Contrôle social et mutation de la culture religieuse au Québec 1830-1930, Montréal, Boréal, 1999, 284 p. 18 SEMPLE, Neil, The lord's dominion, Montréal, Mcgill Queen's University Press, 1996, 565 p. 19 SMITH, Donald B., op.cit., p.217. 20 SMITH, Donald, op.cit., p.55.

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15

des Indiens, principalement nomades au départ. Est-ce par cette façon de procéder que les

Méthodistes arrivent à conquérir les Amérindiens ? Cette hypothèse reste à vérifier, mais elle

semble plausible, d’autant plus que le méthodisme détient de sérieux atouts, comme

l’ordination de « sauvages ». L’exemple le plus célèbre est Peter Jones. Ce procédé n’existait

pas chez les catholiques. Ils auraient pu utilisé cet avantage pour se rapprocher des

populations autochtones, comme l’ont entrepris les méthodistes. Dans le cas d’Oka, il est

aussi très possible que cet élément combiné à la colère croissante des Iroquois envers les

Sulpiciens, fera pencher la balance du côté de la conversion. Après l’apostasie de 1869, les

Amérindiens font appel à un ministre méthodiste, pour qu’il s’occupe de leur instruction. Le

Révérend Rivet sera choisi, et rapidement remplacé par le charismatique et apprécié Amand

Parent, venu s’installer avec femme et enfants au village d’Oka, et qui sera alors le témoin

direct des troubles occasionnés pendant tout le temps qu’il occupera son poste de révérend de

la mission. Après lui, d’autres protestants se suivront mais ils n’obtiendront que dans une

moindre mesure la confiance et le dévouement que Parent avait su faire naître chez ces

nouveaux convertis.

1.1.3 : Les Amérindiens.

Après avoir vu les deux principaux groupes religieux qui prennent place à la mission,

il est temps désormais de présenter le groupe le plus important d’Oka : les Amérindiens. Ce

groupe, hétérogène dès le départ, transporté de lieux en lieux par leurs missionnaires, est

composé essentiellement de deux tribus : les Iroquois et les Algonquins. Cependant, ce

groupe ne se limite pas à ces deux seules ethnies et compte de nombreuses minorités telles

que les Tête de Boule, Renards ou Loups et autres nations de l’Ouest. La tribu d’origine

algonquine provenait entre autres de familles dispersées de Nipissingues et d’Algonquins

errants sur l’Ile de Montréal et îles adjacentes rassemblée autour par M.d’Urfé à la mission de

l’Ile aux Tourtes, dont il est le fondateur. Elle fusionna avec les familles déjà présentes à la

mission du Lac en 1721, lorsque Breslay, successeur d’Urfé, passa en Acadie21.

Mais ce sont surtout les Iroquois qui retiendront notre attention puisqu’ils choisiront

l’apostasie en 1869 et la voie de la revendication sous toutes ses formes. Avant de remonter

aux origines historiques de ce groupe amérindien, il nous semble important de revenir sur le

21 ROUSSEAU, P, op.cit., p.151.

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terme « iroquois » que nous emploierons tout au long de cette étude et de l’expliciter sans

vouloir tomber dans l’exagération détaillée. Ce terme nous a été transmis par les premiers

explorateurs français et signifierait « les tueurs ».22 Ce terme que nous employons est donc

une pure invention de l’homme blanc venu conquérir les terres de l’Amérique du Nord ; il

n’est que la traduction de l’appellation attribuée par ces hommes et le reflet d’une mentalité

de l’époque : le fait de désigner un peuple amérindien équivaut à designer l’autre, son voisin,

et même son ennemi comme c’est le cas ici. On distingue habituellement les Iroquois d’en

bas, c’est-à-dire les Agniers ou Mohawks (ceux que nous retrouverons essentiellement à Oka)

dont les villages étaient situés le long de la rivière Mohawk dans l’état de New York, des

Iroquois d’en haut localisés sur les rives des Finger Lakes au sud du lac Ontario ce qui

correspond à l’heure actuelle à l’ouest de l’état de New York contemporain23. Mais pour plus

de simplicité, nous garderons le terme « Iroquois », maintenant que nous avons mis au clair

toutes les subtilités autour de ce nom. Les Iroquois sont pour la plupart descendants des

dissidents chrétiens qui ont quitté les villages de la Ligue Iroquoise au XVIIème siècle pour

s’installer dans la région de Montréal près des Français catholiques. En effet, les Français (les

missionnaires jésuites) ont trouvé des oreilles attentives parmi les Iroquois et ont ainsi pu

réaliser bon nombre de conversions spécialement parmi cette population, appelés aujourd’hui

communément Mohawks et que l’on retrouve sur le bord du Saint Laurent à Kanhawake

(Caughnawaga) et Kanehsatake (Oka) et plus tard à Akwesasne (Saint Regis)24. Au cours du

XVIIè siècle, ces Iroquois, restés en termes amicaux avec leurs homonymes non convertis,

devinrent leurs ennemis suite à leur participation aux expéditions militaires (en particulier

celle de 1693 incluant des Iroquois du Sault et de la Montagne qui eut lieu dans la « Mohawk

Valley ») aux côtés des Français, contre leur pays d’origine, entre 1684 et 1696. Malgré tout,

cet affrontement en quelque sorte forcé n’empêcha pas par la suite le développement de la

traite, ou contrebande à en croire les autorités coloniales françaises, des fourrures sur le Saint

Laurent entre ces deux communautés, ni celui des étroites relations entre Iroquois qui

s’ensuivirent.

En remontant rapidement aux origines « générales », nous sommes plus à même de

saisir qui étaient les Iroquois d’Oka.

22 DELÂGE, Denys, « Les Iroquois chrétiens des réductions 1667-1770 », Recherches Amérindiennes du Québec, vol. XXI, n°1-2, 1991, p. 59 : le terme Iroquois peut avoir été emprunté aux langues algonquiennes, mais selon l’hypothèse la plus vraisemblable, il dériverait plutôt d’une langue qui, dans le Golfe, au XVIème siècle, était utilisée pour la compréhension entre marins européens et Amérindiens. 23 Idem, p.59. 24 Sous la direction de TRIGGER, B, TOOKER, E, Handbook of Northeast American Indian, Vol 15, 1975, p.449.

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17

1.1.4. Biographies sommaires de certains intervenants ayant joué un rôle

important durant les troubles d’Oka.

Nous commencerons par deux biographies sulpiciennes : celle de deux missionnaires à

Oka qui ont subi les épreuves liées aux troubles et qui ont marqué l’histoire des Sulpiciens

missionnaires : Jean-Isidore Tallet et Jean-André Cuoq. Le premier fut missionnaire au Lac

des Deux Montagnes de 1857 à 1862 et de 1869 à 1870. Selon le témoignage de M. Cuoq, il

joignait à la connaissance des langues sauvages « une rare intelligence des affaires

temporelles et un courage indomptable au milieu des plus grandes difficultés »25. Il est vrai

que ce missionnaire était sur place durant l’année fatidique 1869. Le second, né le 6 juin 1821

au Puy, France et décédé le 21 juillet 1898 à la mission de Lac-des-Deux-Montagnes (Oka,

Québec), fut missionnaire par trois fois à Oka de 1847 à 1858, de 1860 à 1877, de 1885 à

1898. Il connaît relativement bien la situation pour rédiger un historique de la mission. Ceux

qui ont approché Cuoq le décrivent comme un homme affable, modeste et excellent conteur.

Il s‘intéressa essentiellement aux langues amérindiennes, et apprit l’iroquois avec Joseph

Marcoux, curé à Caughnawaga, dès les années 185026.

Le missionnaire sulpicien Jean André Cuoq. Source : O’Neil, J, Oka, édition du Ginko, 1987, p.92.

25 CUOQ, J.A, Historique de la mission indienne du Lac, Archives du Séminaire de Saint-Sulpice (pour plus commodité, nous parlerons de ASSS°, 5ème cahier. 26 Sous la direction de Francess G HALPENNY et Jean HAMELIN, Dictionnaire biographique du Canada, Vol. 11, 1881-1891 et Vol.12, 1891-1900, Québec, Les Presses de l’Université de Laval, 1990.

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18

Ensuite, il nous est paru indispensable de présenter le méthodiste le plus important à la

mission. Amand Parent est né le 14 juillet 1818 à Québec, et décédé le 18 février 1907 à Troy,

New-York. Il fut tout d’abord journalier puis il devint ministre de l’Eglise méthodiste.

Partisan de la cause patriote, il se réfugia aux Etats-Unis après la défaite de ces derniers. Sous

l’influence d’un forgeron méthodiste, nommé Lyman, il se convertit à cette religion

protestante en 1840, pour ne consacrer sa vie qu’à la conversion de ses compatriotes. En

1843, il revient au Bas Canada, et en 1860, il devient le premier Canadien français à être

ordonné par l’Eglise méthodiste wesleyenne. En 1870, il se rendit à l’Assemblée de la

Conférence de l’Eglise méthodiste Wesleyenne tenue en Ontario, qui le nomma missionnaire

auprès des Amérindiens d’Oka. Parent oeuvra là-bas jusqu’en 1879 (avec une année

d’absence entre 1872 et 1873). A travers tous ces incidents, il restera le défenseur acharné des

Iroquois protestants de la mission, qu’il présentera comme les victimes de la persécution

perpétrée pendant un siècle et demi par les Sulpiciens et par la hiérarchie catholique. Mais en

1879, l’assemblée générale de la conférence de l’Eglise méthodiste wesleyenne, le déchargea

de ses fonctions à Oka, et il fut muté dans les Cantons de l’Est27.

Le missionnaire méthodiste Amand Parent

Source : O’NEIL, Oka, édition du Ginko, 1987 p. 102

27 Dictionnaire biographique du Canada, Vol.12.

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19

Pour représenter les Iroquois apostats, notre choix ne fut pas long pour s’arrêter sur

Joseph Onasakenrat, chef charismatique et emblème sans conteste de la révolte Iroquoise au

XIXème siècle, connu aussi sous le nom de Sose, Joseph Akwirente, Chief Joseph et

Le Cygne). Chef iroquois et missionnaire méthodiste, il est né le 4 septembre 1845 dans la

seigneurie de Lac-des-Deux-Montagnes, Bas-Canada et décédé le 7 février 1881 à Oka,

Québec. Les parents de Joseph Onasakenrat, Iroquois de foi catholique, firent élever Joseph –

ou Sosé, comme on l’appelait en iroquois – dans cette religion par les missionnaires. Les

sulpiciens, qui avaient un urgent besoin d’un porte-parole indien sympathique à leur cause,

virent en Joseph Onasakenrat un futur leader. Élève doué, il fut envoyé à l’âge de 15 ans au

petit séminaire de Montréal dirigé par les sulpiciens. Il y étudia pendant trois ans et retourna

ensuite à Oka pour être secrétaire des sulpiciens, sous les ordres de monsieur Antoine

Mercier*. Le 25 juillet 1868, les Iroquois élirent Onasakenrat, qui n’avait que 22 ans, leur

chef principal. À la surprise des sulpiciens, ce dernier devait manifester très tôt son

indépendance à leur égard en rédigeant une pétition destinée au gouverneur général, qui

dénonçait la mainmise qu’exerçait la compagnie sur le village. Le 18 février 1869, il abattit un

immense orme sans la permission des sulpiciens, défiant par ce geste leur privilège d’octroyer

les droits de coupe. Le 26 février, il marcha avec 40 Indiens de sa bande jusqu’à la résidence

des sulpiciens, les somma de quitter Oka dans les huit jours, sinon leur vie serait en danger.

Le 4 mars, il fut incarcéré avec deux autres chefs par la police de Montréal, mais, au bout de

quelques semaines, il recouvrait la liberté et menait de nouveau la lutte. À la fin du mois de

décembre 1869, il envoya une autre pétition au gouverneur général. Depuis 1868, le

gouvernement fédéral avait refusé de reconnaître les droits de propriété que revendiquaient les

Indiens d’Oka et avait confirmé les droits des sulpiciens à l’unique titre légal. Tout au long

des années 1870, le conflit persista à Oka. La police, appelée par les messieurs de Saint-

Sulpice, arrêta à maintes reprises des Iroquois parce qu’ils avaient coupé du bois dans la forêt

ou avaient arraché des clôtures érigées par les sulpiciens. Après l’incendie de l’église le 15

juin 1877, on lança des mandats d’arrêt à l’endroit d’Onasakenrat, de son père et d’une

douzaine d’autres. On rendit une ordonnance de non-lieu en 1881. Une fois libéré sous

caution, Onasakenrat retourna à Oka et servit d’interprète au missionnaire méthodiste

résidant. Un an avant son décès, Onasakenrat avait changé d’attitude à l’égard des sulpiciens

et commencé à prôner une solution pacifique au conflit28. Mais Sose restera malgré tout le

symbole de la révolte et de la lutte des Iroquois contre leurs prêtres au XIXème siècle.

28 Dictionnaire Biographique du Canada, Vol. XII.

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Sose Onasakenrat

Source : O’NEIL, J, Oka, édition du Ginko, 1987, p.99

1.2. Le monde socio politique et religieux au Québec du XIXème siècle.

Après avoir focalisé notre attention sur l’aspect social présent au Lac des deux

Montagnes, il nous semble logique de poursuivre en élargissant ce domaine à Montréal. A

travers ces deux synthèses, nous serons dès à présent en mesure d’établir certains points de

comparaison ou deviner vers quelles dérives verbales se dirigera l’affaire d’Oka. Mais sans

faire trop de zèle dans notre analyse, nous allons d’abord considérer la situation religieuse et

politique au Québec à partir de la deuxième moitié du XIXème siècle.

1.2.1. Rappel chronologique de l’évolution politique au Bas-Canada.

Il nous a semblé utile d’annexer en début de partie cette très rapide introduction à

l’évolution politique et institutionnelle au Bas Canada depuis la fin du XVIIIème, pour mieux

comprendre ensuite les conflits idéologiques et les valeurs revendiquées ou dénoncées par les

différents groupes ou partis que nous verrons plus en détail dans le développement de cette

partie. Nous nous sommes basés sur les dates clefs pour faire un compte rendu aussi précis

que concis de cette évolution.

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En 1760, la conquête du Québec par les britanniques change toute la donne et

engendre des problèmes dans les rapports entre la société québécoise et le nouveau pouvoir.

L’évolution est principalement marquée par la mise en place d’institutions parlementaires qui

ouvre la voie aux débats politiques et au développement de différents courants de presse

politique. Entre 1791 et 1867, les changements sont d’ordre institutionnels : 1791 voit

l’établissement du régime parlementaire, 1840 est la date de l’Acte d’Union et 1867 voit le

jour de la naissance de la Confédération, constitution donnant aux provinces des

responsabilités en matière d’éducation, de santé, de droit civil, protégeant ainsi le Québec

dans son identité ce qui n’est pas pour déplaire l’Eglise catholique qui voit là un moyen de

renforcer le nationalisme29. On est donc passé d’une monarchie de droit divin sous le régime

français à une monarchie constitutionnelle britannique. Mis à part les changements

constitutionnels, il est important de noter que les Rebellions des Patriotes de 1837-1838

jouèrent un rôle essentiel dans la société canadienne de l’époque. En effet, les tensions

religieuses et nationales sont issues de ces événements et profitent à l’établissement de la

suprématie de l’Eglise. Sans doute, ces tensions conditionneront les perspectives

journalistiques.

1.2.2. Les forces religieuses : catholiques et protestants.

La suprématie du catholicisme, au fur et à mesure que le XIXème siècle avance,

s’affirmera sans conteste et sans ennemi de poids assez lourd pour faire tomber l’institution

religieuse romaine de son piédestal. La période entre les années 1840 et 1890 est une des plus

importantes qui soit dans l’histoire de l’Eglise catholique québécoise, puisque les enjeux sont

d’autant plus grands qu’ils concernent la définition du Canada français en nation et le rôle que

doit endosser l’Eglise dans ce cadre encore en construction30. L’ascension rapide et éclatante

de l’Eglise catholique sur l’échelle du prestige amène celle-ci à exercer une influence dans les

sphères sociales : son but est de christianiser toutes les couches de la société et de faire

rayonner sa puissance. En effet, même dans une ville à majorité anglophone, comme Montréal

depuis 1830, les catholiques ne se cachent plus et, bien au contraire, ils affichent clairement

leurs convictions et clament haut et fort leurs tendances31. Grâce à leur hégémonie spirituelle

29 LAMONDE, Histoire sociale des idées au Québec, Saint Laurent (Québec), Fidès, 2000, vol.1. ? p.221. 30 VOISINE, Nive, Histoire de l’Eglise catholique au Québec, 1608-1970, édition Fidès, Montréal, 1971. p.22. 31 Sous la direction de VOISINE, Nive, HAMELIN, J, Les Ultramontains canadiens français, p.71-72.

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et sociale acquise et depuis, assise, les évêques s’installent dans les structures du pouvoir pour

y exercer une influence à tous les niveaux et jouer le rôle primordial à la limite de phagocyter

tous les autres. Mais cette apparence de victoire presque totale ne s’est pas conquise sans

obstacles à surmonter, ni batailles à livrer.

L’Eglise, au milieu du XIXème siècle, a vécu une période mise sous le signe du

combat contre l’émergence de certains groupes protestants, prêts à défier la puissance de

l’Eglise Catholique Romaine et justement ces tensions inter-religieuses au XIXème siècle

sont souvent des faits qu’on ignore. Il faut savoir pourtant que le clergé anglican, première

forme du protestantisme et proche de l’administration britannique n’opte pas pour une

position offensive et agressive contre les catholiques qui lui vaudrait plus de nuisances que de

résultats probants, et se contente des avantages dont il bénéficie grâce à sa proximité avec

l’Etat. Mais il n’en va pas de même pour les autres Eglises protestantes. Les Eglises réformées

se chargent de reprendre le flambeau de la lutte, qui pourrait d’ailleurs être un autre aspect de

leur dissidence. Les membres de ces Eglises dissidentes revendiquent un prosélytisme vif et

tranchant qui vise à convertir un maximum de Canadiens français catholiques afin de

consolider le pouvoir britannique au Québec, au sens où on entend pouvoir britannique et

surtout protestant. En effet, dans un contexte où les oppositions entre catholiques et

protestants deviennent de plus en plus agressives, la position de la papauté est contestée en

Italie même. Les protestants sont prêts à profiter de cette faiblesse pour gagner du terrain au

Bas-Canada. Leurs homologues laïques ne tergiversent plus à étaler publiquement leur

volonté de domination autant dans les domaines économiques et politiques que religieux,

désormais32. On pourrait parler d’un conflit opposant la pratique du protestantisme conférant

la supériorité des vertus civiles et celle du catholicisme permettant l’accès aux vertus

spirituelles prépondérantes. Le summum est atteint lorsque se met en place le leadership des

presbytériens dans les années 1870. En effet, en 1875, une nouvelle Eglise est créée, la

Presbyterian Church in Canada, rassemblant quatre Eglises de croyance presbytérienne. La

montée du protestantisme se fait sentir même si elle est encore discrète, et même si les

résultats immédiats dans le domaine des conversions chez les Canadiens francophones restent

maigres et sans réel poids. Les protestants sont de plus en plus vindicatifs et certains d’ente

eux, comme les membres du Conseil de l’évangélisation des Canadiens français, sont animés

d’une grande aversion pour le catholicisme, accusé d’être un frein pour l’économie et le

modernisme. Il faut retenir de cette période, du milieu du XIXème siècle au début du siècle

32 HARDY, René, op.cit., p. 22-23 et 38-39.

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suivant, une progression sans équivoque du protestantisme dans tous les domaines quels

qu’ils soient, et par conséquent la reprise d’une catholicisme combatif, qui sent venir la

menace. Dès lors, plus d’initiatives sont signées par l’Eglise catholique pour contrer le nouvel

ennemi, pour raviver la foi catholique et les pratiques catholiques, pour reconstituer

finalement leur monopole partiellement amoindri. Certes, l’influence des protestants est bien

réelle mais les moyens dont disposent les catholiques sont bien supérieurs en nombre :

l’encadrement paroissial des fidèles par des prêtres de plus en plus fidèles par exemple33.

Nous reviendrons un peu plus loin sur les autres formes de diffusion utilisées par les

catholiques et qui découlent d’une stratégie largement employée par les autres partis.

1.2.3. Les forces politiques : ultramontains et libéraux.

Plus qu’une lutte sur le seul plan spirituel contre les protestants, c’est une lutte pour la

pureté de la doctrine et pour la suprématie de l’Eglise sur l’Etat qu’entreprend l’Eglise

catholique au XIXème siècle. Ces luttes révèlent alors deux courants idéologiques au sein de

l’épiscopat : le groupe des « ultramontains », frappé d’un sobriquet plein d’humour : « les

ultramontains ultramontés » et caractérisé par un conservatisme et une intransigeance de

rigueur, et le groupe des « ultramontains libéraux », plus souples et modérés34. Ces derniers

ne doivent pas être englobés dans le même groupe de libéraux appartenant à un parti

politique, même si, au final, ils défendent une doctrine similaire. Nous nous proposons de

donner une définition de l’ultramontanisme formulée par Jean Hamelin : « le fond de

l’ultramontanisme se résume en une conviction fortifiée dans le fait que le pouvoir spirituel

l’emporte sur toutes les forces conjuguées contre lui et cela par le libre jeu de la vérité et des

institutions données par le Christ à son Eglise »35. La naissance de l’ultramontanisme est une

doctrine d’origine française qui soutient la position traditionnelle du Pape, c’est-à-dire le

pouvoir absolu de ce dernier. La doctrine arrive au Québec à l’époque de Monseigneur

Lartigue, premier évêque de Montréal entre 1836 et 1840. Déjà, la primauté du Souverain

Pontife et son infaillibilité sont avérées. Les directives à suivre sont d’empêcher toute forme

d’ingérence de l’Etat pour laisser libre cours à la position d’indépendance de l’Eglise par

rapport à l’Etat. L’épanouissement de ce mouvement est concomitant à l’épiscopat de

33 HARDY, R, op.cit., p.65-66. 34 VOISINE, N, op.cit., p. 21. 35 Sous la direction de VOISINE, N, HAMELIN, J, op.cit., p.27.

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24

Monseigneur Bourget, plus redoutable que son prédécesseur. Ce développement s’illustre

notamment par l’importation de nouveaux ordres français comme les oblats et frères des

écoles chrétiennes mais aussi le retour des jésuites en 1850. L’ecclésiastique qui reprendra le

flambeau de l’intolérance ultramontaine, à la mort de Mgr Bourget, sera l’abbé Louis-

François Laflèche. A partir de 1871, date de la mise en place du Programme catholique, la

radicalité croissante entame la scission sans concession entre les ultramontains pur et dur et

les ultramontains plus modérés, présentés en début de cette partie, comme Monseigneur

Taschereau, l’évêque de Québec et Monseigneur Laroque, évêque de Saint-Hyacinthe. Ce

programme dépasse le débat sur lequel se dépensent corps et âme les ultramontains, c’est-à-

dire celui de la primauté de l’Eglise sur l’Etat dans les questions dites mixtes (scolaires et

sociales) et réclame que les électeurs catholiques ne votent que pour des candidats qui

adhèrent pleinement et entièrement aux « doctrines catholiques romaines en religion, en

politique et en économie sociale »36. En résumé, la thèse soulevée et défendue évoque l’idée

que toute action politique doit être inspirée par les enseignements de Dieu. On n’est sûrement

jamais allé aussi loin dans le fondamentalisme.

Les ultramontains, à défaut de se quereller avec leurs congénères, se heurtent à un

ennemi plus redoutable : les libéraux. Qu’entend-on sous le terme « libéralisme ». Pour nous

éclairer sur cette notion, nous ferons confiance aux dires de Fernande Roy et nous admettrons

tout d’abord sa définition de l’idéologie comme étant un « ensemble coordonné de valeurs

légitimant un certain aménagement de la société globale. Définissant les attitudes, les

comportements et les rôles, l’idéologie exprime les besoins, les désirs et les objectifs de

développement, propose une intégration signifiante de l’action sociale »37. L’élément premier

à considérer, comme nous l’expose Fernande Roy, dans le libéralisme est celui de la liberté

qui a donné son nom à cette idéologie. Prérogative de la nature humaine, ce droit à la liberté

signifie à la fois autonomie et liberté d’expression et s’épanouit dans un corpus de libertés,

telles que la liberté économique, du commerce, de la presse, religieuse ou encore celle du

droit naturel à la propriété. L’Etat libéral fonctionnera toujours pour préserver un système

fondé sur l’ « individualisme possessif ». Le libéralisme ne s’oppose pas de soi au

conservatisme ni, au XIXème siècle, au catholicisme ou quelque autre religion bien qu’il

prône le principe de la séparation du temporel et du spirituel. Il existe deux sortes

d’idéologie : l’une cléricale et l’autre politique. Le refus de l’impérialisme religieux ne 36 LAMONDE, Yvan, Le Rouge et le Bleu, une anthologie de la pensée politique au Québec de la Conquête à la Révolution Tranquille, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1999, p.227. 37 ROY, Fernande, Progrès, harmonie, liberté : le libéralisme des milieux d’affaire francophone de Montréal au tournant du siècle, Montréal, Boréal, 1988, p.46.

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signifie pas pour autant le rejet de la religion. Les affaires spirituelles sont de l’ordre privé et

méritent aussi leur part de liberté38. Cependant, le libéralisme au Québec avant le discours de

Laurier, homme politique libéral, le 26 juin 1877, qui repend les derniers points que nous

venons de citer et qui dédramatise finalement le libéralisme en le rendant attribut de la nature

humaine, a connu antérieurement sa période de radicalisation, qui vient se greffer sur celle de

la radicalité ultramontaine. Le choc est frontal et entraîne les deux parties, Ultramontains et

Rouges, dans un enchaînement envenimé de querelles et de conflits Mais à partir de ce

discours fondateur, le ton libéral devient plus conciliant, et s’engage vers une voie plus

modérée : on parle alors de « libéralisme conservateur ». Le libéralisme « nouvelle

génération » se démarque du libéralisme européen révolutionnaire et sanguinaire pour mieux

s’identifier au libéralisme réformiste anglais. Le fait est que le libéralisme de la petite

bourgeoisie canadienne français de 1837 et plus tard celui radical et anti-clérical des Rouges

s’avouera vaincu devant une Eglise catholique de plus en plus présente, sans pour autant

annoncer la mort de tous les libéralismes. Il ne faut pas oublier que la foi catholique est un des

piliers, avec la langue française, de l’identité québécoise et qu’il sert avant tout un

nationalisme conservateur39. Le contexte fin de siècle, différent de la situation coloniale

précédente, et plus à même à défendre des valeurs démocratiques et parlementaires, a évolué

vers une plus grande autonomie où le fédéralisme a modifié le jeu politique et national40. Les

batailles s’essoufflent, les différends s’estompent entre ultramontains et libéraux radicaux

pour laisser place au libéralisme-conservateur dans les hautes sphères du pouvoir, et laisser

s’épanouir le nationalisme conservateur.

1.2.4. Idéologies et idées : les formes de diffusion.

Nous venons de voir que deux courants d’idées principaux avaient traversé le XIXème

siècle, le parsemant de crises, de polémiques et de conflits. Alors que le libéralisme d’après

l’Union (après 1840) avait repoussé dans ses retranchements le libéralisme radical d’avant

l’Union, le conservatisme avait commencé quant à lui à connaître sa propre forme de

radicalisation en 1871 dans le Programme Catholique, reflet d’un ultramontanisme outrancier.

Cet antagonisme libéral-ultramontain, qui grandit lors de la reconstruction religieuse, se

38 Idem, p.56. 39 LAMONDE, Yvan, Le Rouge et le Bleu, p.184. 40 ROY, F, op.cit., p.58-59-60.

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nourrit des polémiques sur l’éducation (apanage des catholiques ?), sur la démocratie et sur la

tolérance41 : autant de sujets que d’idées en circulation sur ces sujets. Le bouillonnement

intellectuel et idéologique était tel qu’il fallait des moyens de diffusion suffisamment adapté

pour éviter toutes formes de frustration. Les débats pouvaient alors avoir lieu, les échanges

d’idées circuler. Bien entendu, le principal outil de diffusion massive de cette époque était la

presse. Cependant, nous nous garderons d’en parler ici, puisque ce média fera l’entier objet de

notre troisième partie dans ce chapitre. Cependant, il existe d’autres formes de diffusion, tout

aussi efficaces et qui furent amplement utilisées au XIXème siècle, comme les associations

les bibliothèques et leurs salles de périodiques, les revues conférences ou romans. Il faut avoir

en tête les facteurs qui ont permis aux idées d’être au cœur d’un fonctionnement bien ficelé

mettant en place les échanges. Au début, le contexte colonial pèse sur la culture canadienne

française et par conséquent, le mimétisme et l’adoption de formes culturelles découlent du

pays colonisateur. Les années 1840 voient les reconstructions politique (échec des rebellions

des Patriotes, à l’image des Etats-Unis, en 1837 et 1838), religieuse (renforcement d’un

catholicisme vindicatif et émergence de groupuscules protestants) et la reprise économique

accompagnées d’une reconstruction culturelle tout à fait remarquable42. A partir des années

1860, le décollage culturel est effectif avec un régime constitutionnel, des échanges et un

marché qui favorisent la circulation des biens, mais aussi de l’information et des idées. Le

déclencheur de ce décollage intellectuel et culturel se trouve dans le nouveau phénomène

associatif. « L’association regroupe sur une base volontaire des gens partageant un intérêt

commun. Le modèle par excellence des associations, de convictions fondamentalement

libérales, est celui de L’Institut Canadien, et les instituts de ce type pulluleront au sein du

Québec : à Québec en 1848, Sainte Hyacinthe en 1855. Ce genre d’institution est formé par

les libéraux, dont la radicalisation poussée à son extrême les amènera en fin de compte à la

scission. L’Institut écopera d’une première condamnation épiscopale, puis une seconde

définitive en 1869. L’apparition d’associations catholiques dans l’optique de ne pas perdre du

terrain au niveau de la diffusion de masse, maintiendra et alimentera l’antagonisme libéral-

ultramotain entre 1848 et 1870. Mais les fonctions de l’association servent, plus qu’à

pourfendre l’ennemi, à mettre à contribution, non sans brio, les trois formes de la culture de

l’époque : la presse, le tribune et la bibliothèque43. L’union fait donc la force et génère tout

une effervescence culturelle autour d’elle. Les rhétoriciens deviennent indispensables à

41 LAMONDE , Yvan, Histoire sociale de idées au Québec, p.401. 42 Idem, p.430-431. 43 LAMONDE, Y, op.cit., p. 406-408.

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l’élaboration de tout ce réseau de communication des idées. L’association permet de faire des

comptes rendus des conférences publiques et des essais. Les activités associatives en appellent

donc à une bourgeoisie de professions libérales (les gens de droit sont l’exemple le plus

flagrant) qui s’épanouit dans ce genre d’exercice oral ou écrit, et qui aime à argumenter, ou

débattre.

Sans aucun doute, l’association joue un rôle important dans l’information, mais la

presse reste le parangon dans ce domaine. Il est à noter que tous ces organes nouveaux pour la

circulation des idées profitent de l’essor de l’un pour se développer, mais contribuent aussi à

l’essor de l’autre.

1.3. Le monde de la presse au Québec, au XIXème siècle.

La presse est, au XIXème siècle, le média le plus percutant, le cœur de tous les débats

et de toutes les controverses, le noeud de toutes les communications. Pour évaluer la

prépondérance de la presse à cette époque, nous avons préféré laisser parler ses

contemporains, retranscrits sous la plume de Yvan Lamonde : « Si Parent44 avait pu dire de la

presse qu’elle était la bibliothèque du peuple, le surintendant de l’instruction publique estime

qu’elle « avait remplacé le forum, la place publique qui étaient chez les anciens le seul moyen

pour parler au peuple ». Et un des contemporains de Parent de renchérir : « le journal, c’est un

pas en avant ; c’est plus qu’un livre, c’est le document grave et discret qui vous attend ... Le

journal c’est le missionnaire ardent, infatigable qui court après vous et ne vous laisse point de

repos. On peut bien ne pas aller au livre, on ne saurait échapper au journal »45. Autant dire que

le journal est une petite révolution en soi, le nouvel outil indispensable pour saisir le monde

de l’actualité, le papier dont personne ne peut se passer et qu n’échappe à personne.

44 Parent (1802-1874) est le premier des grands journalistes canadiens français. Il connaît jusq’en 1842, une période journalistique fastueuse et d’emblée, il s’impose. Ses articles sont sérieux, bien structurés, mais ternes et lourdement philosophiques. Malgré tout, aucun journaliste n’a exercé une aussi grande autorité sur ses contemporains et servit de guide aux hommes politiques de son temps et à plusieurs générations d’intellectuels. 45 LAMONDE, Y, op.cit., p.415.

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1.3.1. La presse : un organe du pouvoir servant les intérêts francophones

et anglophones.

La presse au Bas-Canada voit apparaître 222 nouveaux titres, dont 127 francophones

et 9 anglophones. Ceci équivaut respectivement à 57% et 40% des titres apparus, entre 1840

et 187946. Si les journaux augmentent de cette façon, c’est parce que les innovations

techniques en sont à l’origine. La presse à imprimer cylindrique se répand à Montréal et peu à

peu, chaque atelier en possède une à son propre compte. D’autre part, l’acheminement de

l’information se fait de plus en plus rapidement proportionnellement aux progrès liés au

système postal, au télégraphe national et international, au câble transatlantique et aux agences

de presse. La plupart des journaux sont encore hebdomadaires et seuls, les organes des partis

deviennent peu à peu bi-hebdomadaires puis tri-hebdomadaires. Mais ce phénomène a

tendance tout de même à se généraliser. Parallèlement à l’augmentation numérique des

journaux, se produit une mutation dans le style journalistique. Depuis que l’Angleterre a

octroyé à la province du Canada une chambre d’Assemblée, les partis se sont formés avec leur

kyrielle de disputes, et surtout, la presse, qui n’était que l’écho de la presse américaine et

européenne, se transforme47. Elle se politise. C’est la naissance de la presse d’opinion et de

combat. « Le monde journalistique baigne dans une atmosphère de chicanes perpétuelles : les

occasions et les sujets de querelles, de prises de bec, de disputes et de polémiques ne

manquent certes pas et tout le monde entend en profiter »48. Que ce soit les journaux de

langue française ou ceux de langue anglaise, tous adoptent un ton grinçant voire agressif, et la

concurrence est vive entre journalistes : c’est à celui qui montrera une verve des plus vives et

des plus emphatiques. En ce qui concerne le contenu des journaux, il est relativement

similaire entre les journaux francophones ou anglophones. La première page d’un journal

anglophone offre une foule d’articles consacrés au divertissement, et surtout de nombreuses

publicités pour les personnes du monde professionnel ou commercial. Elle regorge aussi

d’une information riche en petites nouvelles, débats parlementaires au Canada ou en Grande

Bretagne ou encore des lettres d’éditorialistes, anecdotes, etc... Sur la seconde page, on se

préoccupe de l’information avec un grand I : là, se concentrent les longs essais, les grands

46 Idem, p.415. 47BEAULIEU, A, HAMELIN, J, « Aperçu du journalisme québécois d’expression française », Recherches sociographiques, p.309 et p.312. 48 FELTEAU, Histoire de la presse, Montréal, La Presse, 1983-84, 2 volumes.

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sujets de la semaine49. Quant aux journaux francophones, leur contenu s’élargit. La politique

provinciale absorbe le plus clair de leur énergie pour écrire des commentaires, toujours dans

un style pamphlétaire et absorbe le plus clair de son espace pour publier les comptes rendus

des débats, les rapports des comités parlementaires. Cependant, des nouvelles rubriques

apparaissent, comme la nécrologie, le carnet mondain, la critique littéraire au encore les

nouvelles judiciaires, aux côtés des rubriques qui persistent, comme les nouvelles étrangères,

les lettres à l’éditeur... On voit que la presse se diversifie, et veut se libérer de son aspect terne

et monotone qu’elle arborait en début de siècle. Les nouvelles locales grossissent et cumulent

désormais plusieurs colonnes sous des titres comme les faits, divers, l’état des récoltes, le prix

du marché, la situation dans le Haut-Canada. Mais les annonces et les réclames occupent

toujours la majorité de l’espace50. Les journaux de langues différentes ne comportent que très

peu de divergences quant à leur contenu. Les nouvelles des Etats Unis, donnent lieu

constamment à des articles dans les journaux anglophones, alors que les journaux

francophones traiteront plus des nouvelles de l’Europe et spécialement celles de la France51.

Le nationalisme chez les canadiens français est exacerbé. Les francophones sont conscients de

constituer une collectivité minoritaire dans une mer anglo-saxonne, c’est pour cela, qu’ils

sentent le besoin d’exprimer leurs inquiétudes et leurs aspirations dans un presse qui se veut

aussi dynamique que la presse anglophone, plus imposante, tant en nombre qu’en réputation.

La branche ultramontaine du parti conservateur accaparera d’ailleurs la majorité des journaux

francophones, tandis que les journaux indépendants libéraux ou d’opposition auront une durée

de vie fort limitée52. Les journaux anglophones ont été les pionniers dans la presse qui

s’installe confortablement au XIXème siècle, et ont par conséquent une longueur d’avance

dans ce domaine, surtout au niveau des tirages, des contenus plus complets, plus développés.

Cependant, en matières de polémiques, les journalistes anglophones trouvent un ennemi de

taille dans les personnes des journalistes francophones. Avec l’avènement du gouvernement

responsable, la presse québécoise de langue française délaisse le terrain des revendications

politiques primaires en quelque sorte, pour aborder de nouveaux sujets de discussions … et de

querelles53. Le rôle des journaux a changé. La politique, de chaque bord, occupe autant les

esprits que les colonnes, au détriment de la teneur des articles, et des autres sujets, sur des

49 RUTHERFORD, W, A Victorian authority : the dialy press in tate ninetenenth-century Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1982, p. 65. 50 BEAULIEU, A, HAMELIN, J, op. cit., p.312. 51 RUTHERFRD, op.cit., p. 69. 52 BEAULIEU, HAMELIN, op.cit., p.315. 53 FELTEAU, op.cit., p. 91.

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feuilles de plus en plus nombreuses d’une mise en page savante et surtout accrocheuse. Les

journaux sont désormais le langage de la masse.

1.3.2. L’antagonisme ultramontain-libéral exacerbé : une division dans la

presse francophone.

La polarisation idéologique durant la période de l’Union est une polarisation partisane

accentuée par les journaux. La presse se confessionalise et les catholiques qui n’avaient pas

cru nécessaire de créer un papier pour soutenir leurs points de vue commencent à changer

d’avis. Ces derniers lancent à Montréal leur premier essai journaliste en 1840 sous le nom de

Mélanges religieux. Les évêques trouvent en ces laïcs, les journalistes, des partenaires d’une

extrême efficacité pour faire passer leur message. Le chef charismatique des ultramontains

Monseigneur Bourget, jusqu’à sa mort en est antre autres entouré des journalistes du

Nouveau Monde qui « veulent défendre la vérité, servir de champion aux droits et aux libertés

de l’Eglise »54. Ce journal aime à tenir des propos défiant toute concurrence en matière de

destruction verbale ; en voici un exemple : « il faut écraser le serpent libéral, nous entendons

le libéralisme sous quelque forme qu’il se montre »55. Le geste ne se fit pas attendre pour se

joindre à la parole. Des petites feuilles libérales comme La Lanterne sont bannies et

persécutées jusqu’à ce que « mort » s’ensuive (en 1869 dans ce cas-ci). La Lanterne est

remplacée par L’indépendant (1870) et le Réveil (1876), qui malheureusement connaîtront le

même sort56. La tolérance n’est pas de rigueur et on peut se demander où se trouve la liberté

de penser quand on voit une presse francophone libérale aussi bridée par la toute puissante

Eglise catholique. La lutte entre conservateurs et libéraux semble, à cette époque, inégale et

tourne à l’avantage des conservateurs, qui possédaient un avantage considérable c’est-à-dire,

qu’ils détenaient le pouvoir, les moyens financiers pour influencer directement les bonnes

personnes.

Toute une presse catholique se relaie à travers le Québec pour maintenir une pression

idéologique. Même après le discours de Laurier sur le libéralisme qui semblait devoir apaiser

les conflits à tous les niveaux, les journalistes continuent à écrire des articles aussi venimeux

les uns que les autres. La presse idéologique du libéralisme, représentée par L’Union (1837-

54 DE LA GRAVE, J.P, op.cit., p.174-175. 55 Le Nouveau Monde, 12 février 1876. 56 DE LA GRAVE, op.cit., p.219.

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1911) de Sainte-Hyacinthe, Le Progrès de Valleyfield (1878), l’Electeur (1880-1896), à

Québec, la Paix (1884-1887) et Le Clairon (18884) à Trois-Rivières est le lieu de

dénonciation de scandales causés par des membres du clergé. La rivalité entre cette presse

libérale et les journaux ultramontains comme la Vérité (1881-1923) ou La Croix (1893-1895)

de Montréal donne lieu à des procès57.

Enfin, les changements constitutionnels (le régime de l’Union de 1840 à 1867

fusionne le Québec et l’Ontario et en 1867, une vue plus réaliste de la situation conduira à la

mise en place d’un système fédéral englobant toutes les colonies anglaises de l’Amérique du

Nord), monopoliseront les éditoriaux. Mais les forces dans cette bataille sont encore et

toujours inégales, puisque le parti libéral-conservateur se concilie les feuilles politiques et

même la presse religieuse, alors que les journaux radicaux et libéraux se démènent pour

s’opposer et se faire entendre sur le sujet ardemment défendu par les libéraux conservateurs, à

savoir la confédération entre 1863 et 1867.

La presse vit à travers l’antagonisme ultramontain-libéral autant que celui-ci survit à

travers la presse.

1.3.3. Présentation des journaux consultés pour notre étude.

Nous nous sommes efforcés à ce que notre sélection, parmi les journaux de l’époque,

fassent référence à autant d’options politiques existant possible. Du côté des journaux

francophones, notre choix s’est donc arrêté sur La Minerve, actif de 1826 à 1899, qui compte

un tirage de 4500 exemplaires en 1892. Ce journal fut, à ses débuts, un journal dévoué au

parti patriote, où les journalistes étaient ardents à soutenir les intérêts des Canadiens58. Puis, il

devient l’organe respectable, à Montréal, du parti libéral-conservateur. Sur les 28 colonnes,

60% de l’espace sont consacrés aux annonces, un tiers, environ, traite de l’information en tant

que telle, et le reste encadre des articles de divertissement, la plupart du temps des feuilletons.

Les articles que La Minerve cautionne sont des articles s’intéressant à la politique locale, en

particulier celle de Montréal, en négligeant, par conséquent, les informations des autres

57 LAMONDE, Y, op.cit., p.438-439. 58 BEAULIEU, André, Hamelin, Jean, Les journaux du Québec de 1764 à 1964, Québec, les Presses de l'Université de Laval, 1965, 329 p.

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provinces. La Minerve, grâce à ses ressources techniques à la pointe, dues à son soutien au

parti conservateur, offre un nombre considérable de nouvelles télégraphiques59.

Nous évoquerons aussi les articles parus dans le Franc-Parleur, dont la durée de vie

s’inscrit dans l’intervalle de temps : 1870-1878 car ce journal représente une tendance très

marquée : il fut le porte-parole des ultramontains, en particulier de Mgr Bourget et Laflèche

entre 1871 et 187560. A l’égard de partis politiques, il mentionnait une totale indépendance, ce

qui ne voulait certainement pas dire qu’il jouait de neutralité. A la veille de chaque élection,

les journaux ultramontains ainsi que le Franc-Parleur, engageaient les citoyens à donner leur

suffrage en fonction des principes du conservatisme socio-religieux. Une attitude qui le range

aux côtés des journaux politique malgré tout : la politique et la religion au centre de tout. On

peut observer deux phases élaborées dans son contenu : de ses débuts à septembre 1872, le

Franc-Parleur existe plus par sa présence matérielle que par sa matière à lire, celle d’une

petite presse, en l’occurrence. Mais il reste un journal de combat. A partir d’octobre 1872, il

passe en format in folio, et même si les exposés doctrinaux conservent une large part, le

nouvelles sont plus diversifiées et les annonces plus nombreuses. Ces caractéristiques le

hissent au rang de la grande presse61. Il faudra désormais compter sur le Franc-Parleur, chez

« les grands ».

Toujours dans la presse francophone, nous avons choisi de lire le Courrier de

Montréal, un hebdomadaire distribué à Montréal entre le 14 octobre 1874 et le 6 octobre

1876. Même si le Courrier n’est pas un journal politique, l’idéologie libérale et nationaliste de

ses rédacteurs transparaît dans de nombreuses chroniques. Son but principal est son souci

d’informer ses lecteurs sur la situation politique et les courants littéraires du pays. Ses

principales chroniques s’intitulent « Revue été », « feuilletons », « faits divers », « commerce

et finance », « bulletin de la semaine »62. Un ton qui peut paraître un pu léger.

Enfin, nous finirons par La Patrie, considéré comme un journal de parti Rouge ou,

pour être plus explicite, est le représentant de l’aile gauche du parti libéral. Il tire 5000

exemplaires en 1879 et 5500 en 1892.63. La disparition du National, le 23 février 1879,

laissait le parti libéral sans voix à Montréal. Honoré Beaugrand, démocrate avancé, ressuscite

les courants de pensée du rougisme et crée alors la Patrie. Les libéraux modérés voient cette 59 RUTHERFORD, op. cit., p. 71. 60 BEAULIEU, André, HAMELIN, Jean, Les journaux du Québec de 1764 à 1964, Québec, les Presses de l'Université de Laval, 1965, 329 p. 61 BEAULIEU, HAMELIN, La presse québécoise des origines à nos jours, 1860-1879, Tome 2, Québec, les presses de l’université de Laval, 1975. 62 Idem 63 BEAULIEU, HAMELIN, Les journaux du Québec de 1764 à 1964, Québec, les Presses de l'Université de Laval, 1965, 329 p.

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naissance d’un mauvais œil64. En 1897, le Patrie déplorait que « la plupart des journaux

franco-canadiens ont jusqu’à présent marché clopin-clopant »65. Critique acerbe et gratuite ou

reflet d’une réalité ?

Du côté anglophone, les journaux sont assez nombreux, ils tiennent la part belle de la

presse montréalaise. Nous considérerons, d’abord The Gazette, dont la naissance date de

1778, et qui depuis 1844, a adopté un ton plus modéré (du parti Torry, il devient

conservateur). Il représente notamment l’organe d’expression anglaise de la coalition libérale-

conservatrice à partir des années 1850. Son tirage est un des plus abondants : 6221 en 1892 et

10223 en 190566. Ce journal pourra sûrement nous réajuster quelque peu par rapport aux

autres journaux qui souscrivent à des idéologies plus radicales.

C’est le cas du Montreal Daily Witness, qui défendait le libre-échange et les

principaux libéraux. Son fondateur, Dougall, savait ne pas mâcher ses mots, surtout quand il

était question de religion. : le langage est simple et direct. Ce journal est d’autant plus

intéressant qu’il entretint certaines polémiques avec des journaux catholiques et attaqua si

souvent l’Eglise, que l’Evêque de Montréal décida en 1875, d’interdire aux catholiques de lire

ou d’acheter ce journal67. Le Witness fournissait des sujets variés. Il couvrait les affaires

publiques, notamment les discussions au Parlement. Les colonnes commerciales se reportaient

sur le marché local et donnaient des statistiques pratiques. Une large part de l’information

(40%) était réservée à la vie et à la société : nouvelles au sujet des églises, du climat social et

des faits divers.

Le plus sérieux compétiteur du journal de Dougall, fut le Evening Star, débuté en

1869, couramment appelé Star, et qui deviendra le Montreal Star. Comme son collègue, le

patron du Star, revendique le fait que son journal aspire à être le seul quotidien religieux, et

qu’il est destiné pour la « working class ». Le Star sera le premier à utiliser systématiquement

la nouvelle à sensation, le commentaire-choc, les potins. Sur le plan politique, il analyse les

événements du point de vue de l’Empire d’abord puis du Canada par la suite, d’où son

antipathie pour les Etats-Unis, d’une part, et son mépris envers les Canadiens français, d’autre

part. En 1880, le Star comptera 36 colonnes dans ses pages, remplies par des nouvelles

diverses et par une foule de sujets riches et divertissants. Les journalistes, se servant du

64 BEAULIEU, HAMELIN, La presse québécoise des origines à nos jours. 1860-1879, Tome 2, Québec, les presses de l’université de Laval, 1975. 65 La Patrie, 24 février 1879. 66 BEAULIEU, HAMELIN, Les journaux du Québec de 1764 à 1964, Québec, les Presses de l'Université de Laval, 1965, 329 p. 67 Idem

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télégraphe pour communiquer leur reportage, présents au début du journal, devront désormais

partager la place avec des reporters locaux, dont les rubriques seront régulières68.

Moins provocateur que les deux derniers cités, mais tout aussi marqué par des

convictions politiques claires, le journal anglophone Montreal Herald, viendra compléter la

liste des journaux anglophones à Montréal. Ce journal, un des pionniers avec la Gazette, fera

ses débuts en 1811 et s’éteindra le 18 octobre 1859. Très proche de la facture de The Gazette,

le Herald s’évertuera à toucher toutes sortes de sujets, sauf ceux concernant uniquement la

province, où les événements « français » ont peu d’intérêt pour les « anglo » lecteurs69. Nous

aurons, à travers ses articles, particulièrement ceux d’un journaliste aussi reconnu

qu’important à l’époque, Penny, qui assura entre autres, la rédaction jusqu’en 1880, une

vision teintée d’un certain libéralisme70.

Cependant, ce clivage, assez frappant entre journaux francophone plutôt pro

catholique et journal anglophone, plutôt proche du protestantisme, n’est pas une règle

générale. Le True Witness & Catholic Chronicle, (1850-1910) par son titre évocateur, nous

prouve le contraire. Ce journal est l’édition hebdomadaire du Montreal Daily Post, organe des

catholiques anglais. Il tente de démontrer ce que sont réellement les doctrines de l’Eglise

catholique, sans les alourdir d’une appartenance à une nation précise ou à un bord politique

particulier. Afin de maintenir le journal, les évêques s’étaient engagés à le subventionner

annuellement, ce qui, dans la réalité, fut plus ou moins suivi71. C’est pour ces différentes

raisons invoquées, (particulièrement son statut catholique anglophone) que nous avons optées

pour lui. Avec ce genre de journal, nous sommes en mesure de nous rendre compte

concrètement des subtilités des mondes politique et journalistique. Il est par ailleurs

intéressant de noter que certains des articles de ce journal, sont conservés dans les Archives

du Séminaire de Saint-Sulpice, car la teneur de ses articles visait surtout à soutenir les

Sulpiciens, en particulier, et les Catholiques, en général.

Nous avons également cherché des titres dans la presse ontarienne, province voisine et

d’une importance capitale sur le plan politique, pour jauger le degré d’intérêt et d’éventuelle

déformation sur les informations en provenance du Québec, par exemple. Nous avons trouvé

intéressant de regarder ce pouvait penser le Globe de Toronto, sur l’affaire d’Oka. Ce

68 RUTHERFORD, op.cit., p. 77. 69 RUTHERFORD, op.cit., p.78. 70 BEAULIEU, HAMELIN, Les journaux du Québec de 1764 à 1964, Québec, les Presses de l'Université de Laval, 1965, 329 p. 71 BEAULIEU, HAMELIN, La presse québécoise, des origines à nos jours, 1860-1879, Tome 2, Québec, les presses de l’université de Laval, 1975.

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quotidien de huit pages au départ, verra son expansion grandir jusqu’à 12 pages et même plus

le samedi. Pendant, l’année 1886, ce papier devient le champion fanatique du protestantisme

anglophone, s’acharnant sur l’Eglise catholique et sur les canadiens français, afin de

dynamiser l’ascendant britannique dans le dominion.

Quant au journal le Mail, il mise sur le journalisme professionnel et gagne son pari :

avec une foule de nouvelles et d’articles, pouvant se vanter d’une page éditoriale de belle

facture dévouée à la cause et non au parti. De plus en plus, les journaux n’ont plus d’autres

choix que de souscrire à des formules propres à un journalisme de qualité, car la demande

« du meilleur » est désormais est sur toutes les bouches des lecteurs. Dans les années 1880, au

moins sept autres journaux au Canada anglais se sont convertis à la mode du format huit

pages. Parmi les deux poids lourds The Gazette et le Herald.72

En somme, les journaux de Toronto et de Montréal, ont perfectionnée un style du

sensationnel et tenu des propos radicaux sur des sujets déjà provocateurs de conflits mesquins.

La vie à Montréal au XIXème siècle bouillonne tant sur les plans politique et religieux

que sur le plan culturel. Au cours du XIXème siècle, les institutions changent, la

confédération est adoptée en 1867, le point de vue change. Les britanniques sont désormais

les guides économiques et ils tentent de s’imposer dans tous les domaines. Le nationalisme

canadien-français, frappé à vif, se réveille et se répand comme un traînée de poudre,

entraînant dans son sillage les valeurs catholiques Le catholicisme, quant à lui, affirme sa

supériorité face aux groupuscules de groupes protestants, qui commencent à peine à émettre

quelques signes d’une prochaine influence, et poussent leur ambition jusqu’à vouloir primer

sur l’Etat. Le catholicisme revêt l’habit politique sous l’appellation ultramontaine et se lance

dans les conflits d’opposition. Ils trouvent comme principal adversaire les libéraux, radicaux

en 1848. Les partis politiques se mettent en place, les débats font rage. Puis, peu à peu, le

libéralisme abandonne la ligne traditionnelle du libéralisme de type européen, révolutionnaire

et sanguinaire pour adopter le libéralisme anglais, plus modéré. Le libéralisme conservateur

s’impose. Parallèlement à ce bouillonnement des idées et des idéologies, s’installe un climat

tendu, régi par des conflits ouverts, véhiculés par les nouveaux moyens de diffusion et en

particulier par la presse. La presse est le premier relais de ces mesquineries politiques et

religieuses, elle attise les querelles et les entretient dans une presse plus friande d’histoires à

sensation et autres scandales que de vraie information concrète et précise. Elle se délecte en

72 RUTHERFORD, op.cit., p. 81.

Page 36: Tensions socio-politiques et religieuses à Oka (Kanesatake) Dans la seconde moitié du XIXème siècle (2004)

36

commentaires piquants et provocateurs sans tenir compte du fond du sujet. Le ton est agressif,

la volonté est polémique. La presse, politisée à l’extrême au XIXème siècle, nous montre, dès

à présent, comment elle traite les affaires qui se retrouvent entre ses mains. Nous avons pu

voir aussi que les sujets polititco-religieux faisaient l’objet d’une attention toute particulière

de cette presse, sans aucune exception. On peut dès à présent, deviner de quelle manière

pourra être traitée le conflit religieux qui apparaît dans la deuxième moitié du XIXème siècle

au lac des Deux Montagnes.

Page 37: Tensions socio-politiques et religieuses à Oka (Kanesatake) Dans la seconde moitié du XIXème siècle (2004)

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2. Les événements d’Oka au XIXème siècle et leurs perceptions : des divergence de

départ.

Entre 1869 et 1877 la communauté d’Oka est en crise et le paroxysme est atteint lors

de l’incendie des bâtiments sulpiciens. Comment en est-on arrivé à une telle violence dans

une mission qui semblait vivre dans la tranquillité et dans un climat de confiance entre

Amérindiens et Sulpiciens depuis sa fondation en 1721 ? Nous verrons à la suite de cette

partie comment les problèmes à Oka s’accumulent et comment, déjà, les opinions divergent

en prenant le chemin de la polémique, et s’incluent dans les problèmes soulevés à Montréal à

travers l’opinion publique qui prend, en quelque sorte, l’affaire en main.

2.1. La mission d’Oka : des origines à l’avènement des troubles.

La mission d’Oka, ou mission du Lac des Deux Montagnes, comme on l’appelle à

l’époque, sera le centre des revendications territoriales présentées de façon discrète au départ

par Iroquois et Algonquins réunis dans ce même combat, puis clamées haut et fort ensuite par

les Iroquois apostats seuls. Mais avant l’éclatement de cette révolte qui fera grand écho, nous

nous pencherons sur l’objet du conflit et nous mettrons en évidence les signes annonciateurs

d’un tel soulèvement. Le domaine du Lac des Deux Montagnes semble être très convoité,

mais à qui appartient-il? La question, encore aujourd’hui, n’est pas tranchée, et de

nombreuses études tentent d’élucider le problème, ou du moins contribuer à l’éclairer en

partie.

2.1.1. La question des terres : un problème à la taille du Canada.

La crise qui eut lieu à Oka, dans la deuxième moitié du XIXème siècle, fut déclenchée

pour une raison, non pas unique mais primordiale : celle des revendications territoriales du

domaine du Lac des Deux Montagnes par les Amérindiens. Nous voulons présenter ce

problème sous un angle non pas local qui se limiterait à la seule terre d’Oka, mais sous un

angle plus général, propre à l’ensemble du Canada, pour mieux évaluer l’importance du

problème. Nous avons préféré cette approche à celle déjà utilisée par d’autres auteurs qui ont

Page 38: Tensions socio-politiques et religieuses à Oka (Kanesatake) Dans la seconde moitié du XIXème siècle (2004)

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décortiqué les documents relatifs aux concessions, pour voir dans quelle mesure les droits et

les devoirs ont été réellement respectés. Nous mettrons ainsi en évidence l’ampleur du

problème avant de montrer qu’à Oka le problème s’est complexifié et envenimé.

La question des revendications territoriales sera soulevée à peu près à la même époque

dans tout le Canada. Les communautés amérindiennes sous la direction de missionnaires et

appelées « réductions » sont au nombre de six, dans l’Est du Canada avant la Conquête :

Odanak (Saint-François), Bécancour, Caughnawaga (Kahnawake), Saint-Régis (Akwesasne),

Oka, (Lac des Deux Montagnes, Kanehsatake), Ancienne Lorette (Wendake). Ces

communautés religieuses de la Nouvelle-France donnèrent naissance à ce qu’on appela

« réductions ». Elles suivirent le modèle déjà expérimenté en Amérique du Sud dans la

conversion des Amérindiens. Le modèle fut importé du Paraguay73. Ces communautés

devaient s’isoler pour rompre avec les pratiques païennes et pour atteindre l’âge d’or du

christianisme. Pour réussir à atteindre un tel but, les néophytes devaient se soumettre à

l’autorité de prêtres. Les Français n’ont jamais proposé de dédommager les indigènes pour les

territoires qu’ils avaient perdus74. Le Roi de France, au contraire, permit seulement la mise à

disposition de quelques terres pour les indigènes, mais sous certaines conditions, relativement

contraignantes. Ainsi, les terres ont été concédées aux missionnaires pour le bien-être des

Amérindiens, comme il est écrit sur les documents officiels. Les Amérindiens se retrouveront

donc démunis et sans moyen d’action quand leurs terres seront « envahies » par les colons.

Mais la « réserve », au sens moderne du terme, c’est-à-dire, territoire mis à part pour

être utilisé de façon continue par les Amérindiens contre l’abandon de la majeure partie de

leurs terres, n’apparaît pas avant le régime britannique. En effet, pendant tout le XIXème

siècle, la politique indienne du Canada reposait sur la protection, la « civilisation » et

l’assimilation. L’administration britannique cherchait à isoler les indiens dans des « réserves »

afin de pouvoir les contrôler75 : un processus logique qui les amènerait sur la voie de la

civilisation par l’assimilation. La position officielle du gouvernement charge les

missionnaires de forcer ces Indiens, nomades la plupart du temps, à s’établir sur des terres

agricoles, et de les éduquer en vue de cette assimilation prônée. Pendant les années 1830, une

enquête est menée à la demande des autorités britanniques afin d’évaluer la situation des

Amérindiens en Amérique du Nord britannique. Il s’avère alors que les Amérindiens, à

73 DELÂGE, D, op.cit, p.69. 74 DICKASON, O.P, Canada’s first nations : a history founding peoples from earliest time, p.231. 75 REID, G.F, « Un malaise qui est encore présent : les origines du traditionalisme et de la division chez es Kanien’kehaka de Kahnawake au XXème siècle », Recherches Amérindiennes au Québec, Vol.XXIX, n°2, 1999, p.38.

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l’instar d’autres populations tribales, sont injustement privés de leur terre. Cependant, on

n’arrive pas à s’accorder sur les mesures à prendre pour remédier au problème constitué de

deux points principaux : la présence de plus en plus fréquente d’intrus sur les propriétés et

l’aliénation des terres par les Indiens sous forme de bail. Les questions sont très délicates car

les opinions sont totalement divergentes entre les Européens et les Amérindiens. En effet,

selon les anglais, les réserves sont les seules institutions à prendre en compte, puisque le

Dominion les a héritées des différentes administrations coloniales, alors que les Amérindiens

soutiennent que le seul héritage valide est celui de l’usage traditionnel. Dans la seconde

moitié du siècle, le gouvernement tente de résoudre le problème en signant des traités. Or, ces

traités n’avaient pas la même valeur aux yeux des Amérindiens, ils n’étaient pas définitifs et

pouvaient être modifiés autant de fois que les conditions l’exigeaient. Ils pouvaient ainsi

s’adapter au monde contemporain, sans quitter le cadre de leurs propres traditions. Au

contraire, les Blancs voyaient là un moyen définitif pour éteindre les titres fonciers des

Indiens et s’emparer du sol pour l’exploiter selon leurs besoins et leur mode de culture76.

Autant dire qu’un dialogue de sourds était entamé.

Les « Affaires Indiennes » furent créées en 1868 pour s’occuper des gestions de terres

et des biens. Mais cette organisation ne régla aucun conflit en soi. L’Acte prévoyant

l’émancipation graduelle des Sauvage (Enfranchissement Act) de 1869 s’appliquait en

majeure partie aux Iroquois et autres nations ayant eu des contacts soutenus avec les

Européens. Cet acte permettait au gouvernement fédéral d’imposer un système de gestion

dans lequel le conseil de bande était élu. Officieusement, les conseils de bande serviraient à

briser toutes formes tribales de gouvernement sous prétexte qu’elles ne sont pas

responsables77. Cependant, la Loi sur Les Indiens de 1876 consolide et réorganise l’ensemble

de la législation des Deux Canadas d’avant la Confédération à l’intérieur d’un cadre national.

L’objectif fondamental de la loi reste l’assimilation. Cette loi impose des conseils de bande

partout mais ceux-ci n’ont presque pas pouvoir car tout est décidé par des agents locaux uqi

surveillent. D’après la loi, une bande est un ensemble d’Indiens à l’intention des quels le

gouvernement a mis de côté des terres pour leur usage commun et leur profit. Un membre

d’une bande est une personne dont le nom est inscrit sur une liste de bande. La réserve,

toujours dans l’esprit de cette loi, est une portion de terres dont la couronne possède

légalement le titre et qui a été mise de côté pour les bandes pour leur usage personnel. Les

responsabilités du chef de bande et de son conseil s’organisent autour des pôles suivants :

76 DICKASON, O.P, op.cit., p.274. 77 REID, G.F, op.cit., p.38.

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santé publique, entretien des routes, clôtures, construction et entretien des écoles et autres

édifices publics78. Mais il demeure que les Amérindiens la considèrent comme une entrave au

libre choix de former un gouvernement selon leurs traditions, d’autant plus que le pouvoir du

surintendant reste prépondérant. Le gouvernement ne reconnaît pas les leaders traditionnels et

encore moins l’héritage ancestral des terres indiennes. L’autre question à se poser est celle

concernant les concessions accordées par le Roi.

La question à Oka se trouve compliquée par la nature des concessions. Le Roi de

France possédait-il le Canada, ou du moins une partie du Canada, de droit divin ?79 Les

sulpiciens sont devenus seigneurs du Lac des deux Montagnes après la signature du premier

acte de concession accordé par le Roi de France en 1718. La région aurait constitué

originellement une partie des terres utilisées de façon extensive par les Iroquoiens du Saint-

Laurent, au moins jusqu’au XVIème siècle80. Mais la disparition de ces nations de la vallée

du Saint Laurent à partir de cette époque complique la revendication des Mohawks fondée sur

une occupation continuelle de peuples iroquoiens. D’autant plus qu’en 1717, lors de la

concession, il n’y avait aucun groupe résident d’Indiens sur ces terres. Si le cœur du pays

mohawk était alors la région de l’Albany aux Etats-Unis, les Iroquois chassaient dans toute

cette région alors que les Algonquins vivaient éparpillés un peu partout dans le Québec et

l’Ontario actuels81. D’autre part le cas du Lac des deux Montagnes est un cas exceptionnel

dans la mesure où le titre créant la mission ne reconnaissait aucun droit aux autochtones,

contrairement à ce qu’il s’est produit ailleurs. Les Amérindiens, à Oka, ne reçoivent que des

permis d’occupation, révocables en tout temps, alors que les colons français qui viendront

s’installer à la fin du XVIIIème siècle, obtiendront leur propriété en censive, dans la mesure

où ils la défrichent et s’acquittent de leurs redevances82.

Les Amérindiens ont beau eu le courage de protester devant de telles manœuvres, ils

n’ont pas eu la chance de bénéficier du soutien d’un gouverneur sympathique et de la

disparition du seigneur comme leurs congénères de Caughnawaga. En effet, les jésuites, qui

dirigeaient les autres réductions, furent interdits partout en Europe à cette époque. Le

conquérant protestant accepta qu’ils poursuivent leurs oeuvres religieuses au Canada, mais à

la mort du dernier jésuite canadien, toutes leurs possessions reviendraient à la couronne 78 DICKASON, O.P, op.cit, p.282-283. 79 DALLAIRE, François, Oka, la hache de guerre, Sainte-Foy (Québec), éditions La Liberté, 1991, p.27. 80 MILLER, J.R, Skyscrapers hide the heaven. A history of Indian White relations in Canada. Les Iroquoiens sont un groupe culturel différent des Iroquois mais chassaient dans la région de Montréal depuis le début du siècle, cependant. 81 MARINIER, René, « La mission du Lac des deux Montagnes fondée en 1721 » Cahiers d’Histoire de Deux Montagnes, p.36. 82 MORIN, M, L’usurpation de la souveraineté autochtone, p.255-256.

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britannique. Lorsqu’en 1761, les jésuites, seigneurs de Caughnawaga veulent vendre des

terres dans la seigneurie, les Iroquois se plaignirent au général Thomas Gage, gouverneur

militaire de Montréal entre 1760 et 1763. Cet homme évoqua les souvenirs des temps de la

guerre contre les Français et le soutien des Iroquois apporté aux Britanniques83. Après que fut

écoutée et appréciée ce panégyrique, les Jésuites furent privés de tout droit sur la réserve. Il

faut aussi se remettre dans le contexte de la Conquête, alors que les Anglais étaient prêts à

tout pour éradiquer chaque parcelle du pouvoir détenu encore par les Français. Ils étaient bien

déterminés à se débarrasser des Jésuites. Pourquoi n’ont-ils pas suivi cette démarche pour

renvoyer les Sulpiciens ? Malgré tout, ce genre d’initiative reste un cas très rare, voire même

exceptionnel.

Le sort des Iroquois reste entre les mains des Sulpiciens, dont les droits sur la

seigneurie du Lac des Deux Montagnes sont inattaquables sur le plan juridique. Les

documents sont trop clairs : même si l’on peut titiller sur le fait que l’expression employée

dans le document de la concession met en évidence la condition à la quelle doivent se plier les

Sulpiciens s’ils veulent obtenir les droits sur la seigneurie : les Sulpiciens deviendront

seigneurs du Lac des Deux Montagnes à la condition d’instruire et d ‘évangéliser les Indiens

de la mission. Peut-être pouvons nous ajouter, toute proportion gardée, puisque nous n’avons

trouvé aucune autre référence à ce sujet, une remarque de Germain Lalande dans un de ses

articles : celle que la seigneurie a été concédée en dépit des instructions de Colbert qui

interdisait toute concession de terre au-delà de l’Ile de Montréal, par raison de sécurité

préventive contre les incursions des Indiens. Or, cette politique ne fut abolie qu’en 1722, soit

un an après l’installation officielle de la mission au Lac84. Toujours est-il que nous pouvons

conclure que, dès le départ, l’histoire d’Oka est bien troublée et qu’elle mérite un plus grand

éclaircissement.

2.1.2. La conception du territoire : des divergences au départ.

Nous avons vu combien Oka était une exception et il est temps désormais de

s’intéresser plus précisément à son cas. Nous amènerons dans cette partie autant d’éléments

que nous jugeons nécessaires d’intégrer pour bien mettre en évidence les rapports entre 83 Ce prétexte est inspiré par la haine des jésuites. Les Mohawks de Kanehsatake s’étaient battus aux côtés eds Français ; les Mohawks de New York avaient soutenu les Britanniques. DICKASON, O.P, op.cit., p.242. 84 LALANDE, Germain, « Une histoire de bornage qui dure près d’un siècle », Cahiers d’Histoire des Deux Montagnes, p.54.

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Sulpiciens et Amérindiens. Nous pourrons voir comment, à long terme, ces relations se

dégraderont au point de déclencher un véritable conflit, un conflit d’une ampleur telle

qu’aucune des deux parties ne pouvaient prévoir son étendue médiatique. Les Amérindiens

n’avaient pas la même conception territoriale que les Européens lorsqu’ils débarquèrent sur le

continent. La version Mohawk des événements retenue est sûrement bien différente des

documents juridiques. Nous citerons pour l’occasion un passage tiré du livre de McLaine et de

Baxendale qui nous donnera une indication sur la perception et le sentiment d’un Mohawk du

XXème siècle à propos de l’installation des blancs sur le sol Nord-Américain :

« When the white man came to settle, he asked if he could use our land to build a

cabin for shelter and grow food for his sustenance. We saw he had need and we

said yes. We could not conceive that he would neither give it back nor

acknowledge us as owners »85

En effet, tout porte à croire que les Amérindiens défendent une conception différente de la

Terre face aux Européens qui ont tendance à survaloriser la propriété privée. Le rapport à la

Terre pour un Indien est quasi mystique, car elle regorge de tous les éléments vitaux pour

pouvoir vivre : elle donne la nourriture qu’ils mangent, l’air qu’ils respirent. Le temps même

est mesuré en termes se rapportant à la terre86. Cette conception métaphysique est bien loin de

celle des Européens et ne fut pas prise en compte par ces derniers, si jamais ils l’ont sue à

l’époque. Les autochtones ne s’attachent pas à la terre par un acte concret comme celui de la

propriété privée avec tout ce qu’elle englobe de frontières, de cadastres, de contrat. Au

contraire, ils ne s’aliènent pas à la Terre, ils en sont les garants, les gardiens. Plus qu’un droit

c’est un responsabilité qu’ils reçoivent : celle de transmettre cette terre à leurs descendants

aussi prospère que celle léguée par leurs ancêtres. Ils partagent la terre plus qu’ils ne la

possèdent véritablement87. Les Européens, quant à eux, ont une conception beaucoup plus

matérialiste, illustrant un rapport à la Terre concret et temporel et non pas spirituel, ni

surnaturel. Le Blanc capitalise, vend et acquiert des terres comme si elles étaient une

marchandise, un bien à acheter. La terre ne symbolise pas pour lui la source de toutes choses,

mais représente la puissance et le succès personnel. Pariseau proposera deux noms pour

caractériser ces deux notions : le getting pour le Blanc et le living pour l’Indien nomade. Le

85 McLAINE, BAXENDALE, This land is our land, p.20. 86 CIACCIA, J, La crise d’Oka : miroir de notre âme, Montréal, édition Lémeac, 2000, p.22. 87 LAMARCHE, L’été des Mohawks : bilan des 78 jours, Montréal, les éditions Alain Stanké, 1990, p.46.

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premier concept prône les valeurs telles que celles liées à la profession, la maison, et perpétue

le préjugé de l’Indien paresseux et indolent, tandis que le second concept reflète ce à quoi les

Indiens tiennent avant tout : devenir de bons chasseurs, d’habiles guerriers, des conseillers

sages et avisés au sein de leur tribu88. L’incompréhension semble être de taille. Mais au jeu

qui consiste à imposer son point de vue à autrui, les Européens gagneront sans rencontrer une

réelle résistance. Les indiens devaient être loin d’imaginer les conséquences à long terme de

leur acceptation des modes de pensée importées du vieux continent.

Les vues des Sulpiciens vont donc régir la vie à la mission du Lac des Deux

Montagnes. Leur pouvoir temporel, en tant que seigneurs sur le domaine du Lac des Deux

Montagnes, cumulé à leur pouvoir spirituel, en tant que missionnaire et évangélisateur, leur

confèrent le pouvoir d’exercer une tutelle morale, sociale et économique sur l’ensemble de la

communauté des Amérindiens89. Les sulpiciens seraient-ils indignes de leur rôle paternaliste ?

L’auraient-ils avili d’une marque de supériorité ? Dans le réquisitoire plutôt que le livre de

Gilles Boileau90, le Sulpicien apparaît comme le pire des hommes : profiteur économique,

spoliateur de terres, manipulant les Indiens grâce à une générosité mensongère. Bien que nous

convenions d’une incompréhension fortuite, au départ, entre les Amérindiens et les

Européens, en l’occurrence les Sulpiciens dans le cas d’Oka, sommes nous en mesure de

pouvoir en parler dans des termes aussi accusateurs ? Cependant, il est important de constater

que ce genre de relation de dominés/dominant génère souvent un climat de tensions,

susceptibles de s’aggraver et d’éclater en révolte. Parallèlement au comportement privilégié

par les Sulpiciens, les méthodes employées, pour conduire les Amérindiens à connaître les

principes du christianisme, ont été un facteur lourd de conséquences dans l’activation du

mouvement de résistance opéré par les Indiens. En effet, les Français n’ont jamais voulu

déceler chez les autochtones le moindre indice d’une structure civilisatrice91, alors qu’ils en

possédaient une. Elle ne fut seulement pas décryptée par les Européens, trop préoccupés à

vanter la leur. Cette réflexion vient corroborer et renchérir les travaux de Maurault et

Rousseau92, unanimes pour souligner le fait que la façon d’assimiler les indiens était vouée à

88 PARISEAU, C, Les troubles d’Oka 1860-1880 : choc de deux cultures, p.13. 89 DESSUREAULT, C, La seigneurie du Lac des deux Montagnes de 1780 à 1825. La conclusion de sa thèse veut montrer comment la seigneurie du Lac des deux Montagnes a contribué à donner aux Sulpiciens tous les indices poussant à croire à leur domination sur trois plans différents (économique, social et moral) sur les Amérindiens de la mission. 90 BOILEAU, Gilles, Le silence des Messieurs, Oka Terre Indienne, Montréal, édition de Méridien, 1991, 273 p. 91 QUEVILLON, Sylvain, « La mission du lac des Deux Montagnes (1717-1750) », Cahiers d’Histoire des Deux Montagnes, p. 23. 92 Olivier Maurault et Pierre Rousseau sont deux prêtres de Saint-Sulpice contemporains du XXème siècle qui ont écrit respectivement «Les vicissitudes d’une mission sauvage » dans la Revue Trimestrielle Canadienne,

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l’échec. Isoler les indigènes et les couper de tous rapports avec la population française au

XVIIème siècle fut une méthode désastreuse et les soins prodigués en vue de cette

francisation se révélèrent inefficaces. Le résultat obtenu fut aux antipodes du résultat souhaité.

Les autochtones furent incapables de comprendre la société et la civilisation au sens où

l’entendaient les Européens. Si assimilation il y a eu, elle ne fut que de surface.

Les conditions initiales ne sont pas propices à une évolution calme et sans

complications de la mission. Les tensions sont perceptibles car les points de vue ne peuvent

s’accorder par principe. Ce climat de pressions et d’incompréhension ne fera qu’accentuer les

résistances et les plaintes qui vont se développer et s’organiser en actions concrètes dès la fin

du XVIIIème siècle.

2.1.3. 1781 et 1788 : les premières grandes revendications.

Suite à cette description de la situation psychologique, pourrait-on dire, nous avons

choisi d’enchaîner avec les premiers événements trahissant le climat tendu et

l’incompréhension sous-jacente qui se forment à Oka dès la fin du XVIIIème siècle.

En 1781, se présenta un groupe d’indiens devant le Colonel Campbell, directeur des

Affaires Indiennes, à cette époque. Ils lui montrèrent un collier en porcelaine à plusieurs

rangées de perles. Ce collier, nommé wampum, reçoit la fonction de traité. Ce collier-traité fut

le témoin des accords entre les premières nations et les nouveaux arrivants européens, qui

stipulait que les Européens pouvaient rester et utiliser une certaine partie des Terres en

Amérique du Nord, tandis que les Amérindiens continueraient d’appliquer leurs propres lois

et de maintenir leurs propres constitutions et système de gouvernement93. Ce collier devait

signifier autant pour les Amérindiens qui en étaient convaincus que pour les Européens à

convaincre, le titre de propriété sur le domaine du Lac des Deux Montagnes acquis depuis de

très anciennes générations. Ce collier, dont le but unique était de montrer l’union entre les

deux nations, fut rejeté par le gouvernement qui n’y voyait là aucune valeur. L’argumentation

et l’explication n’y changèrent rien :

Montréal, 1930, et Saint-Sulpice et les missions catholiques, deux ouvrages dont nous nous servons dans ce passage. 93 ERASMUS, Georges, « Vingt ans d’espoir déçus », Recherches Amérindiennes au Québec, Vol XXI, n°1-2, 1991, p. 13.

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« Voici notre contrat : la ligne blanche que tu vois sur le collier montre la

longueur de notre terrain. Les figures qui se donnent la main près de la croix

représentent notre fidélité à la religion. Les deux chiens, placés aux extrémités,

gardent les limites. Et si quelqu’un veut nous troubler dans notre possession, ils

doivent nous avertir en aboyant : et c’est ce qu’ils font depuis trois ans. »94

Il est vrai qu’une histoire mettait en scène des chiens paraissait totalement incongrue pour la

mentalité européenne, surtout lorsqu’il était question de droits fonciers. L’affaire fut vite

conclue cette année-là. Par la suite, à chaque fois que les Amérindiens viendront déposer une

plainte, une revendication, ou encore une pétition, le gouvernement refusa de prendre en

considération ces revendications. Mais ce premier échec ne découragea pas les Indiens qui

revinrent à la charge sept ans plus tard, soit en 1788, le 8 février plus exactement. Ils

demandèrent audience auprès du surintendant des affaires Indiennes, Sir John Johnson. Le

même collier confectionné à l’époque de leur transport du Sault-au-Récollet au Lac des Deux

Montagnes et enterré pour que personne ne pût s’en servir selon la coutume dans de pareilles

circonstances fut exhibé devant le surintendant. La démonstration fut suivie d’une harangue,

comme dans le cas précédent :

« Alors selon notre coutume, nous fîmes un collier de perles, sur lequel nous

mîmes deux chiens pour veiller nos possessions et nous avertir si quelqu’un venait

nous troubler. Puis nous avons caché ce collier dans la terre, afin que personne ne

pût s’en saisir ; il y est demeuré tranquille jusqu’à il y a environ sept ans ; les

chiens n’eurent pas à aboyer à cette époque ; mais il y a environ sept ans, nous

voulûmes exiger une piastre95 pour chaque animal que les canadiens mettaient

dans la commune : consentant que le prêtre eut le surplus qui était un écu. Le

prêtre ne voulut pas consentir (...) et le prêtre me dit de ne pas insister parce que

cette terre ne nous appartient pas (...) Maintenant intercède pour nous auprès du

gouverneur en chef, Lord Dorchester, afin qu’il nous accorde un nouveau titre

pour les terres que nous habitons afin que nous les possédions comme d’autres

94 « Documents relatifs aux droits du Séminaire et aux prétentions des indiens sur la Seigneurie des Deux Montagnes : harangue de certains chefs indiens au Colonel Campbell en 1781 », Recherches Amérindiennes au Québec, Vol XXI, n°1-2, printemps 1991, (Archives du Séminaire de Saint-Sulpice, Cahiers Lafontaine n°9, p.1-12) 95 Unité de mesure de monnaie.

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sauvages en possèdent comme à la Grande Rivière96 et à la Baie de Quinté.

Délivré le grand collier de 27 rangs, fait à l’occasion du premier établissement des

Sauvages au Lac des Deux Montagnes.»97

Les Indiens n’obtinrent qu’une réponse reprenant les même termes, ou presque, de la

précédente : ce collier n’avait aucune valeur aux yeux du gouvernement. Le gouverneur resta

campé sur ses positions intransigeantes d’autant plus qu’il avait reçu entre 1781 et 1788, une

lettre de M. Mongolfier, le Supérieur de Montréal, lui faisant remarquer que si l’on acceptait

un tel titre, il serait facile aux Sauvages de s’emparer de n’importe quel domaine et de s’en

prétendre propriétaires sur la foi d’un collier98. Pourquoi le Supérieur de Montréal s’est vu

obligé d’écrire un lettre au gouverneur pour s’assurer de la réponse qu’il devrait faire devant

une nouvelle requête des Amérindiens si le collier n’avait véritablement aucune valeur,

comme voulaient bien le certifier les membres du gouvernement ? Quoiqu’il en soit, les

Européens ne considéraient pas le collier wampum de la même façon que les Indiens,

puisqu’ils l’utilisaient de façon rétrospective, c’est-à-dire de façon à rappeler les événements

passés. Le wampum n’avait de valeur que par sa fonction de mémoire concrète, alors que les

Iroquois concevaient ce collier de manière prospective, devenant ainsi un mécanisme servant

à organiser des événements présents et futurs99. Dans le premier cas, le wampum n’était qu’un

semblant de souvenir, dans l’autre, un élément déterminant dans l’évolution des choses. Pour

les Européens, le droit de propriété ne pouvait se substituer à un collier de perles à plusieurs

rangées, comme le croyaient les Amérindiens, mais devait être émis et écrit sur un parchemin.

Le document sacré ne pouvait correspondre au document papier. Cependant, les Indiens ne se

découragèrent pas et n’envisagèrent jamais d’abandonner ces actions légales. La lutte venait

de commencer. Les requêtes auprès du gouvernement se succéderont, sans succès pourtant,

tout au long de la première moitié du XIXème siècle.

96 Kahnawake ou Akwesasne ? sur le fleuve Saint-Laurent. 97 « le 8 février 1788, nouvelle harangue des principaux chefs du lac des deux Montagnes, réunis en conseil, au Chevalier Johnson, surintendant et inspecteur général des Affaires Indiennes », Recherches Amérindiennes au Québec, Vol. XXI, n° 1-2, 1991, 98 MAURAULT, O, op.cit., p.131. 99 JOHNSTON, Louise, « Onontio, le grand arbre et la chaîne d’alliance ; le discours du marquis de Beauharnois aux Kanehsata’kehr:non, août 1741, Recherches Amérindiennes au Québec, Vol.XXIX, n°2, 1999, p.12.

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2.1.4. Les années 1850 : les prémices d’une prochaine révolte et 1868 : les

menaces persistent.

Les années 1850 voient une évolution dans le cours de l’histoire à Oka, les

Amérindiens sont plus que décidés à obtenir justice dans leurs réclamations. Les Algonquins,

rejoignirent les Iroquois dans leur combat, leur prêtent main forte. En voici une illustration :

« Les incessantes cabales de nos prêtres et de leurs adhérents, leurs rapports

mensongers calomnieux qu’ils doivent avoir lancés contre nous (...) Nous sommes

décidés à nous adresser directement à son excellence pour obtenir justice contre

une oppression se prolongeant et si intolérable »100.

Cependant, les pétitions, qu’elles soient adressées au Surintendant des Affaires indiennes, au

Gouverneur Général, au Ministre de la Justice, ou encore au Secrétaire d’Etat101, reprenant

toujours les mêmes points, à savoir le mauvais traitement des Sulpiciens et leurs droits sur la

terre du Lac des Deux Montagnes, ne firent qu’accabler le moral des Indiens qui se voyaient

continuellement répondre que le domaine appartenait, le plus clairement possible, aux

missionnaires et que rien ne pouvait y changer.

Cette guerre de procédure donna suite à une guerre beaucoup plus active. Parallèlement

à leur démarche légale, les Indiens entreprirent une nouvelle forme de protestation qui leur

ouvrit la voie de l’illégalité : la coupe et la vente du bois sur les limites de leurs terrains sans

l’assentiment des Sulpiciens. En effet, le problème s’était aggravé dès les années 1830 quand

le gibier se faisant de plus en plus rare, la chasse ne réussissait plus à faire vivre les Indiens.

Ils se laissèrent alors tenter de la remplacer par la coupe et la vente du bois102. Ils prétendirent

que M. Quiblier, Supérieur des Sulpiciens, et le Gouverneur Sir John Colborne leur avaient

octroyé l’autorisation en bonne et due forme de couper du bois et d’en vendre, en 1839103.

Malgré tous les arguments avancés, les Sulpiciens ne voulurent rien savoir et engagèrent des

poursuites contre cette infraction, car selon eux, il y avait bien infraction, puisqu’ils ne leur

100 « Lettre de cinq chefs Algonquins et Nippissingues à l’Honorable Colonel Bruce », ASSS, 13 juin 1852. 101 Pour ne citer que quelques exemples : la requête adressée au gouverneur le 21mars 1848, la requête signée par les Algonquins et les Nippissingues aux « honorables communes de la province du Canada réunies au Parlement » et celle des Iroquois rédigée deux mois et quelques plus tard, à l’attention de Lord Elgin. Ces pétitions s’étaleront sur au moins deux décennies, puisque en 1868, on retrouve la trace d’une pétition Iroquoise du 8 août au gouverneur général Lord Monk et à la chambre des Communes, etc... 102 MARINIER, René, op.cit, p. 16. 103 LAURIN, Serge, « Les troubles d’Oka, ou l’histoire d’une résistance 1760-1946 », Recherches Amérindiennes au Québec, Vol.XXI, n°1-2, 1991, p.89.

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permettaient pas ce genre d’activité commerciale, qui leur était réservée. Ils leurs permettaient

seulement de couper du bois pour leur usage (le bois de chauffage en particulier), dans des

endroits marqués par le Directeur de la mission. Devant l’ampleur du mouvement et en dépit

des tentatives des missionnaires pour maintenir l’ordre bon gré mal gré, Monseigneur Bourget

prit l’affaire en main et prononça une sentence d’excommunication à l’encontre de onze

Iroquois et quatre Algonquins, le 15 août 1852, sous le prétexte que ceux-ci avaient manqué

de respect envers leurs prêtres104. Les victimes de l’excommunication durent faire amende

honorable, quelques semaines plus tard, ne pouvant survivre sans pain, ni bois, ni argent.

Cette sentence tomba telle une foudre et provoqua ce que les hautes sphères religieuses ne

pouvaient douter. Jean-Joseph Girouard, notaire à Saint-Benoît, patriote et catholique

convaincu, protesta auprès de l’évêque de Montréal, montrant tous les dangers d’une telle

décision :

« Je ne sais si votre Grandeur a été instruite de tout ce qui s’y passe ; mais l’état

d’exaspération où se trouve maintenant les Sauvages est extrême »105

Le harcèlement au quotidien, constitué de petits accrochages et autres mesquineries persista

jusqu’en 1869. Le gouvernement proposa de cette accalmie pour proposer aux différentes

tribus du village d’Oka, des territoires « découpés » pour eux : Maniwaki (Québec) pour les

Algonquins et les Nippissingues et le comté de Dorchester (Québec) pour les Iroquois. Tandis

que de nombreux Algonquins prirent le chemin de la réserve qu’on leur avait attribuée sans

leur demander leur avis, par dépit ou lassitude devant l’inertie du gouvernement à proposer

une autre solution, les Iroquois refusèrent de quitter Oka, trop préoccupés à vouloir affirmer

coûte que coûte leurs droits de propriété sur l’ancien domaine seigneurial106. A l’image de

Petit Cri, les Iroquois crient haut et fort leurs revendications et n’hésitent plus à affronter

directement leurs prêtres. Voici ce que rétorque Petit Cri à la menace d’être traduit en justice

que lui lance le missionnaire Mercier :

104 « Sentence d’excommunication par Monseigneur Bourget », ASSS, 15 août 1852. 105 O’NEIL, Jean, Oka, édition du Ginko, 1987, p.111. 106 Bien que le régime seigneurial fût aboli en 1854, les seigneurs conservaient les droits sur toute terre non-concédée.

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« - Que l’huissier vienne donc me mettre en prison ? Nous verrons lequel de nous

deux ira, car je suis chez moi ici – et frappant du pied, il répétait – oui nous

sommes chez nous. »107

A partir de 1868, la trêve, engagée par la force des choses, commence à montrer des

signes de faiblesse, surtout depuis que les colons blancs s’approchent leurs terres, ceux-là

même qui s’étaient installés dans la seigneurie dès le XVIIIème siècle et à qui les sulpiciens

vendront des terres faisant parti de l’ancien domaine seigneurial. De plus, leur requête du 31

juillet 1868 contre ce genre d’attitude et mettant en évidence leurs privilèges ancestraux, reçut

une réponse de M. Spragge, Surintendant Général des Affaires Indiennes tout à fait équivoque

et qui stimula les esprits frondeurs. Dans sa réponse, il comparait la concession de la

seigneurie du Lac aux Sulpiciens à celle faite aux Jésuites pour les Indiens au Sault Saint

Louis au XVIIème siècle. Or, cette concession était faite pour les Indiens aux Jésuites qui en

devenaient les administrateurs et non les propriétaires absolus. L’espoir pouvait donc renaître,

et la rumeur se répandit que la seigneurie appartenait aux Indiens. Cependant, les ardeurs

furent vites calmées par la réponse écrite de la main de Hector Langevin, Secrétaire d’Etat,

qui récapitula les droits et les devoirs valables sur le domaine du Lac. Les deux principaux

points de cette réponse sont les rappels des actes de ratification de 1718 et 1735 qui ne

permettent aucun doute sur l’appartenance, dans ses droits, du Séminaire sur la Seigneurie du

Lac et le droit de couper le bois dans certaines limites, sans le vendre, aux Amérindiens108.

La violence, quant à elle, monta d’un cran et les Sulpiciens ne cachent plus leurs inquiétudes.

Le climat s’alourdit en menaces de plus en plus visibles comme en témoigne ce prêtre :

« Les sauvages sont fort excités contre le Séminaire en particulier contre nos

Messieurs. Quelle ingratitude ! (...) De jours en jours, ils deviennent plus insolents

et plus grossiers. Les menaces les plus terribles sortent de leur bouche. »109

Malgré la réalité des faits, les prêtres ne semblent pas prendre au sérieux ces menaces, et

pensent que les Iroquois sont plus prolixes en paroles qu’en actes. C’est une manière bien

naïve de qualifier l’esprit iroquois : 107 « Défense aux sauvages de prendre du bois où ils veulent, légende de Petit cri » ASSS, lettre de Mercier datant du 18 janvier 1865. 108 PARISEAU, op.cit., p.48-49. 109 « Deux lettres d’un prêtre de Saint-Sulpice à J.A Baile, pss supérieur, relatives au comportement agressif des Indiens, à leurs récriminations et aux secours que le Séminaire leur accorde », ASSS, Section 8, Tiroir 1, 1, 3 octobre au 23 novembre 1868.

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« L’excitation est grande, plus grande du côté sud du Lac, il y a des menaces, ils

parlent de nous faire partir de force (...) Je crois qu’il y aura plus de menaces que

d’effets. Les chefs Iroquois tiennent à la légalité. »110.

En effet, les signes précurseurs d’une révolte étaient pourtant évidents. Les

missionnaires n’ont pas décrypté les signes annonciateurs ou n’ont pas voulu voir la

dégradation croissante de la situation. En octobre 1868, Sosé, accompagné de ses fidèles, fixe

des pieux sur le domaine des Messieurs, et distribue solennellement un bout de terrain à

chacun de ses congénères et dépose une pétition en décembre pour appuyer leurs prétentions.

Les Iroquois ne se sont jamais montré aussi vindicatifs et sous la conduite de leur chef

charismatique Sosé Onasakenrat, ils vont commettre l’acte irréparable et déclencheur d’une

longue insurrection constituée d’une alternance de phases critiques et d’accalmie.

2.2. 1869 : l’apostasie ou la fin d’une époque. Le tournant dans l’histoire d’Oka.

La lettre de M. Cuoq, juste avant que certains Iroquois n’apostasient nous laisse voir

que déjà, le missionnaire n’avait plus aucun espoir quant à replacer dans le droit chemin ces

anciens protégés, et que la donne était désormais changée. Les Iroquois avaient dans l’optique

de se soustraire de la tutelle des Sulpiciens. Ils le firent en apostasiant la foi catholique en

février 1869, pour se convertir au méthodisme. Les Sulpiciens doivent alors s’adapter à cette

situation inédite et inattendue.

« Nos Iroquois ont levé le masque, dimanche dernier, ils ont enterré [] sans le

présenter à l’église (...) Quelqu’un vient de m’apprendre qu’ils sont déterminés et

que la hache de guerre est toute prête. Rien de plus sinistre que leurs projets. Tous

mes beaux rêves se sont évanouis et je vois avec évidence que nous ne pourrions

plus gouverner les sauvages ni au temporel, ni au spirituel : leur place n’est plus

au Lac et notre situation, ici, doit nécessairement être considérablement

modifiée »111

110 « Mission du Lac, à Monsieur le Supérieur », ASSS, 24 février 1869. 111 « Lettre de M. Cuoq, pss, sur l’attitude menaçante des Iroquois d’Oka », ASSS, T.41, n°105, 24 février 1869.

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On voit dans cette confession que les Sulpiciens n’envisagent pas de quitter Oka, et

qu’ils ne remettent donc pas en question leurs titres tant contestés sur le domaine. Cependant,

ils voient leur influence s’amoindrir et devenir inefficace.

2.2.1. Conversion sincère ou action stratégique ?

En 1869, presque un siècle et demi s’est écoulé depuis la fondation de la mission au

Lac, sous tutelle catholique sulpicienne. En 1869, les Iroquois, une soixantaine, soit le quart

de la population adulte, (quand nous parlerons d’Iroquois, nous entendrons désormais

Iroquois apostats), se convertissent au protestantisme112. Dans quelle mesure a été prise cette

décision ? Est-ce une conversion sincère ou une preuve de plus qui illustre la détermination

des Iroquois à récupérer leurs terres. Les Sulpiciens n’ont pas voulu voir le danger se profiler,

quand le Révérend Amérindien Peter Jones ou Desagondensta, comme l’appelle Sose vint

prêcher et diffuser les bienfaits de sa religion à la mission du Lac, dans les années 1850. Son

passage a bien dû laisser des traces dans l’esprit des Iroquois, qu’ils ont transmises à la

génération suivante. Quoiqu’il en soit, les Iroquois ont bien été conscients, pour la plupart, de

la différence évidente entre la religion de Desagondensta et celle des Messieurs.

Desagondensta prêchait, chantait, lisait et expliquait la Bible, de façon moins rébarbative que

les Sulpiciens : la religion devenait, après leur écoute, un tout hétéroclite et ésotérique, selon

la vision qu’en avaient les protestants113. Le méthodisme était susceptible de les réconforter et

de les éloigner des contingences matérielles. Les méthodistes ne formulent pas des reproches

que les Sulpiciens ont tendance à leur répéter à savoir que la religion de leurs ancêtres n’en est

pas une et qu’ils sont païens et primitifs114. Avant le choc de l’apostasie, certains prêtres

avouent, de leur propre bouche, ou plutôt de leurs propres écrits, que les résultats de leur

évangélisation au sein de la population d’Oka ne sont pas aussi probants que ce qu’ils

espéraient ou ce qu’ils avaient projeté. L’ancrage du christianisme n’est pas aussi profond que

ce qu’il peut paraître. Il sera plus facile pour les Iroquois de s’en détacher. En effet, dans une

lettre d’un missionnaire :

112 « L’affaire d’Oka », La Minerve, 4 octobre 1881. 113 O’NEIL, J, op.cit., p.119. 114 SICOTTE-LETOURNEAU, Lorraine, « Tentere-hier, Kanesatake-Oka », Cahiers d’Histoire des Deux Montagnes,1980, p.41.

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« Il faut l’avouer, la religion n’est pas aussi bien pratiquée et les sacrements aussi

souvent fréquentés. Un pareil état des choses ne mérite-il pas la plus sérieuse

attention ? »115

Mais encore faut-il voir que dans l’agitation qui suivit l’apostasie des Iroquois, ceux-ci en

profitèrent pour exhorter les prêtres à abandonner les lieux, sous prétexte qu’ils n’avaient plus

besoin de leurs services puisqu’ils étaient désormais protestants. Leur instruction revenait

donc à un ministre protestant et les Sulpiciens devaient donc voir là la fin de leur

enseignement si longtemps perpétré ou subi. Le missionnaire Cuoq nous rapporte les faits de

cette sommation :

« Hier, à trois heures du matin, ils sont venus nous notifier de quitter la maison et

le village dans l’espace de huit, sans quoi... »116

Le fait d’adopter la religion de la reine apparaissait comme un stratagème bien ficelé pour

renvoyer, d’une part, les prêtres catholiques du domaine, et d’autre part, s’approprier les terres

d’Oka. Au lieu de voir une conversion stimulée par la sincérité et l’amour d’une religion qui

leur apporterait tout ce qu’ils n’ont pas trouvé dans la religion catholique, nous pouvons aussi

voir derrière ce geste, l’ombre des protestants. Les protestants auraient été les instigateurs de

cet acte. Une fois passés maîtres du Canada, ils n’auraient pas hésité à affirmer aux

Amérindiens :

« Vous, vous êtes traditionnellement nos amis et les ennemis des français. Les

prêtres n’ont aucun droit à la Seigneurie du Lac, et si le Roi de France l’a donnée,

c’est à vous seuls qu’il l’a concédée. Les prêtres vous ont volé vos terres reçues de

vos ancêtres où maintenant ils vous exploitent en vous contrôlant sur tout.

Abandonnez la religion catholique, adoptez la religion du Roi et de la Reine ;

renvoyez les prêtres et les Blancs catholiques. Le gouvernement de votre majesté

protestante vous soutiendra »117.

115 « Deux lettres d’un prêtre de Saint-Sulpice à J.A Baile, pss supérieur au comportement agressif des indiens, à leurs récriminations et aux secours que le séminaire leur accorde », ASSS, S8, T41, n°100D, 3 octobre-23 novembre 1868. 116 « Lettre de M. Cuoq, pss, sur l’attitude menaçante des Iroquois d’Oka », ASSS, T41, n°105, 24 février 1869. 117 MARINIER, René, op.cit., p.17.

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Ce discours découle de la propagande issue des tensions ethnico-religieuses suite à la

première affaire Riel118, alors que les Métis et les Indiens du Manitoba créent un

gouvernement provisoire pour négocier l’entrée de ce territoire dans le Dominion. Le métis

Louis Riel, marqué par ses années de controverse entre ultras et Rouges passées à Montréal,

se rallia à ceux qui s’opposaient à la vente, par la Compagnie de la Baie d’Hudson, du Nord-

Ouest au Canada, sans le consentement des habitants. Il organisa la résistance, forma un

gouvernement provisoire et obligea le Canada à traiter avec ce gouvernement. Il en résulta

l’Acte du Manitoba et la création de cette province. Il obtint des garanties pour les Métis et

l’Église catholique. Mais il n’en obtint pas pour lui-m8me. En s’opposant à l’établissement,

au Manitoba, des Canadiens d’Ontario qui avaient commencé d’y immigrer avant 1869, il

contraria les forces politiques ontariennes tant conservatrices que libérales. Quand Riel fit

exécuter l’orangiste ontarien, Thomas Scott, John A. Macdonald ne put remplir la promesse

qu’il avait faite à Riel, l’amnistie pour les événements de 1869-70. Macdonald pouvait aider

financièrement Riel à fuir aux États-Unis mais ne pouvait lui pardonner l’acte que tant

d’électeurs ontariens considéraient comme un meurtre. Cette affaire marqua les esprits de

certains Blancs qui firent renaître le préjugé du sauvage incapable de penser par lui-même au

même titre que tout autre individu.

Quoiqu’il en soit, des Indiens, qu’ils aient écouté les protestants ou non, étaient bien disposés

à se rebeller contre les Sulpiciens et à se libérer de leur état de servitude qui avait trop

longtemps duré. Ce geste spectaculaire était alors simplement guidé par les motivations

profondes d’un groupe extérieur au conflit : les protestants de Montréal, qui avaient envoyé

leur émissaire ou missionnaire pour convaincre les Iroquois d’adopter une telle attitude.

L’apostasie s’inscrirait alors dans un dessein religieux aux calculs stratégiques relativement

évidents. Cette conversion était une façon détournée pour inviter les Sulpiciens à céder du

terrain, tant au sens propre qu’au sens figuré, et ainsi marquer un point dans la lutte qui

opposait les catholiques et les protestants à Montréal et plus généralement au Québec. A partir

de cette date fatidique, les revendications cédèrent le pas aux enjeux religieux. La lutte, voire

la guerre contre les Sulpiciens était engagée non plus par les Iroquois mais par des Iroquois

protestants.

Le problème de l’apostasie soulève désormais la question de l’influence des

communautés religieuses dans des affaires où seul le gouvernement aurait dû intervenir,

encore faut-il être persuadé de la dimension stratégique de cette apostasie. Apostasie ou non,

118 Il y aura une seconde affaire Riel avec les Rebellions de Métis dans les territoires du Nord-ouest 1884-1885, dont on évoquera les traits principaux dans le troisième chapitre.

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les Iroquois maintinrent leur propre stratégie qui consistait à couper du bois sans permission

sur les terres du domaine en vue d’en faire le commerce et d’ériger un temple méthodiste pour

le ministre, M. Rivet, qu’ils avaient invité à venir s’installer au village. Le séminaire décida

de réagir et de faire appel à la justice. Les autorités donnèrent raison au Séminaire et

engagèrent des poursuites qui donnèrent lieu à trois arrestations et des condamnations de

quelques mois de prison :

« L’affaire a été jugée hier en séance extraordinaire de la paix (...) Les deux

avocats qui devaient assister les sauvages : le premier a disparu au moment de

l’action et l’autre n’a point paru du tout et s’est contenté d’envoyer une petite

feuille de papier où il disait : les accusés plaident non coupables parce qu’ils sont

propriétaires du domaine où ils ont bûché et d’ailleurs ils déclinent la compétence

de la cour. »119

Si les Iroquois ne peuvent pas construire de temple méthodiste, ils sont résolus à garder parmi

eux leur ministre. Si les Sulpiciens décident de renvoyer ce prédicant méthodiste, ils risquent

fort de déclencher l’ire des protestants, et d’être accusés de persécution et d’entorse à la

liberté religieuse. La situation devient délicate, et chaque décision définitive doit faire l’objet

d’un examen de conscience préalable pour ne choquer aucune personne. Désormais, les

événements d’Oka sont observés de l’extérieur et chaque faux pas peut être mal interprété ou

même fatal au crédit et à l’aura bienveillante qui entourait jusque là le Séminaire de Saint-

Sulpice. Dans cette affaire, le consentement des autorités permet aux Sulpiciens de se

dédouaner d’une responsabilité de plus en plus lourde de conséquence vis-à-vis d’une opinion

publique qui commence, à peine certes, à s’intéresser à la mission du Lac des Deux

Montagnes. On voit ainsi, au moment de l’apostasie, la justice entrer en scène. Les recours

aux tribunaux se feront de plus en plus fréquents. Les Sulpiciens ne sont plus capables de

maintenir eux-mêmes l’ordre. Les événements d’Oka ont dépassé le cadre de la mission, et les

affaires se règlent désormais par tribunaux des communes dans les communes alentour

(Sainte Scholastique en sera le plus fréquent exemple, puis plus tard Aylmer, pour les procès).

1869 est donc bien une date charnière dans l’histoire d’Oka. Les conséquences de ces

événements prendront une envergure jusque là insoupçonnée.

119 « Lettre du missionnaire Tallet à M. Baile, supérieur du Séminaire, sur les difficultés avec les Indiens », ASSS, S8, T41, n°107, 15 juin 1869.

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2.2.2. Scission chez les Amérindiens : Iroquois apostats contre Algonquins

restés fidèles au catholicisme.

On a pu constater que dans les années 1850, les Algonquins avaient partagé les vus des

Iroquois et les avaient soutenu dans leurs premières résistances. Ils avaient même rédigé des

pétitions. Cependant, il semble que la génération suivante ne compte pas suivre la même ligne

de conduite, et n’est pas disposée à servir les objectifs posés par les apostats. Contrairement

aux Iroquois qui se sont laissés séduire par le discours des révérends missionnaires, les

Algonquins se sont laissés convaincre, en 1869, par les paroles d’un Sauteur encore païen,

Kakikekapo, Le Docteur Kapway. Les Iroquois espéraient trouver en ce païen natif de Rice

Lake, un puissant appui de leur rêve d’indépendance, mais ils se trompaient. Ils se heurtèrent

au désir de cet Indien à embrasser la religion catholique :

« Cette religion que vous menacez d’abandonner, moi, je viens des pays infidèles

pour l’étudier et l’embrasser. Voilà le but de mon voyage » 120.

Les exemples de cet heureux converti avaient déjà produit certains effets visibles dans les

deux villages, principalement parmi les Algonquins. Les Algonquins ne sont plus séparés des

Iroquois par la barrière de la langue ni par la distance entre leurs villages dans la mission mais

par la religion.

120 CUOQ, Historique de la mission indienne du Lac, ASSS, 5ème cahier.

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La mission du Lac des Deux Montagnes était composée de deux village distincts : à l’ouest se

trouvaient les Iroquois et à l’est, les Algonquins avec les Nippissingues.

Nombreuses sont les lettres adressées aux missionnaires ou directement au Supérieur du

Séminaire qui dénotent une attache franche et loyale envers la religion catholique et les

prêtres de la mission. La lettre d’Atonkine (Dicker) nous prouve sa fidélité et sa croyance

inébranlées en la foi catholique :

« Car tous les jours je réfléchis et je comprends de plus en plus qu’il n’y a aucune

tromperie dans les assurances que vous donnez, que réellement vous êtes les

propriétaires du terrain. Je confesse également que je crois fermement et aime

sincèrement la religion catholique et que je mourrais plutôt que de l’abandonner.

Dans l’intime persuasion où je suis que vos paroles ne referment aucune fraude,

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aujourd’hui même je vous donne ma signature. J’espère que cette offrande que je

fais de mon nom me sera avantageuse ».121

Ce témoignage de fidélité nous montre à quel point le degré de dévouement est élevé. Le

vocabulaire utilisé dévoile une extrême ferveur, à la limite de la subordination : « donner son

nom en offrande » est sûrement une métaphore pour exprimer le vœu de se consacrer corps et

âme à la religion catholique mais dénote aussi une certaine tendance à consentir aveuglément

ce que disent et ordonnent les Sulpiciens. Mais déjà, l’on peut soupçonner le personnage

intéressé derrière cet Algonquin touché par la grâce divine, puisqu’il semble bien espérer

quelque chose en retour de son « offrande ». Notre soupçon sera vite confirmé par la suite de

sa lettre :

« Aujourd’hui encore et plus qu’auparavant nous sommes malheureux et nous

avons de la peine à vivre. Et pourtant, je suis fort et robuste pour le travail, mais je

suis sans ressources, que faire pour sortir de la misère ? »

Cette dernière phrase détournée, ne cache qu’à demi son véritable but : il demande aux prêtres

de l’aide pour subvenir à ses besoins. Il demande tout simplement que sa fidélité spirituelle

soit récompensée en biens matériels, selon un échange de bons procédés.

Cette réaction de la part des Algonquins n’est pas unique, bien au contraire. Nous avons

trouvé une autre lettre qui vient corroborer notre conclusion : celle d’une femme veuve

Nippissingue, qui demande explicitement des secours de la part du Séminaire. Elle se lit dans

les termes suivants :

« Non, jamais, ils ne réussiront à me séduire et à m’envoyer à les imiter, ceux qui

changent de religion : nous souffririons plutôt la mort moi et mes enfants ; notre

seul désir est d’accomplir la volonté de Dieu sur Terre afin qu’à notre mort, il

nous donne entrée au paradis. Là seulement se trouve le repos éternel, là auront

leur terme toutes les misères de la vie. (...) Mais qui me soutiendra, pauvre veuve

121 « Lettre de Atonkine (Dicker) du Lac des Deux Montagnes, à Monsieur le Supérieur du Séminaire de Montréal, pour lui demander la permission de se fixer à la mission du Lac avec sa famille ». ASSS, S8, T41, n°109, 11 mai 1869.

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toujours malade ? Sans doute que la Providence ne m’abandonnera pas et que

vous continuerez vos bontés comme de coutume. »122

La même procédure est utilisée que dans la lettre précédente. Tout est mis en œuvre pour

flatter le Séminaire de Saint-Sulpice afin d’être en droit de demander assistance. Les

Algonquins et les Nippissingues doivent bien se douter que leur appui est désormais plus que

bienvenu dans cette période de difficultés que rencontrent les Sulpiciens. On peut voir aussi

dans cette lettre, que plus une démonstration de sa dévotion sans faille, la veuve Misaki récite

plutôt une leçon dont elle aurait appris les termes par cœur. Une fois son devoir accompli, elle

essaie de prendre en pitié les Messieurs, pour se faire accorder une aide financière ou

matérielle qui est nettement stipulée en fin de la lettre. On est en droit de se demander, comme

nous l’avions fait dans la partie précédente, si le fait de rester catholique ne fait pas non plus

partie d’une stratégie. Les Algonquins choisissent une solution pacifique à une solution

belliqueuse, préférée par les Iroquois, afin de récolter les fruits de cet avantage et d’être en

bons termes avec leurs protecteurs. Mais le comportement fidèle des Algonquins ne s’arrête

pas à la seule intention de profiter d’une vie plus confortable. Il reflète l’antagonisme présent

et bien réel entre eux et les Iroquois qui ont osé renier la foi catholique. Le groupe amérindien

est complètement éclaté, chacun a choisi son camp, et les tensions sont palpables. Une lettre

écrite de la main du chef Dicaire au Supérieur nous montre l’étendue de leur ressentiment

contre les apostats, qui sont pour eux de simples marionnettes, simples exécutants des plans

imaginés des protestants :

« Terrible tentation pour des gens de la misère que l’appât de l’argent. (...) Ainsi,

bien loin de s’affaiblir, leur parti ne fait que s’accroître et vous pouvez vous

attendre à voir s’élever bientôt sur votre propre terrain un temple protestant. Des

gens riches les encouragent et les soutiennent et chaque dimanche, ils reçoivent

dans leur meeting quelque être qui les excite à persévérer dans le mauvais chemin.

Si vous ne vous hâtez pas d’appliquer le remède, le mal ira en empirant. (...)

N’est-il pas temps de mettre un terme à ces discours si méchants et si

nuisibles ? »123

122 « Lettre de la veuve Jacques Misaki, chef des Nippissingues, à M. le Supérieur du Séminaire de Montréal, pour lui demander du secours. » S8, T41, n°110, 16 mai 1869. 123 « Lettre du Chef Dicaire à M. le Supérieur », ASSS, T42, n°123, 14 juillet 1870.

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Les Algonquins, de leur côté, observent le poids des communautés religieuses derrière ce

conflit. Ils se refusent alors à participer à ce genre de manigance et de manipulation. Peut-être

sont-ils plus lucides que certains Iroquois à ce niveau là. Quoiqu’il en soit, les Iroquois

apostats deviennent des ennemis, l’emblème du mal. Ces Iroquois se sont précipités dans les

bas-fonds de la déchéance, aux yeux des Amérindiens catholiques. Malgré tout, il ne faut pas

oublier que la majorité des Iroquois s’est convertie, mais qu’il reste bien une minorité qui

compte bien faire entendre leur désapprobation et affirmer leur fidélité au Séminaire. Ils se

défendent d’être assimilés à de pareils êtres. La réaction iroquoise catholique est parfois

proportionnelle au coup spectaculaire porté par les Iroquois au moment de l’apostasie.

L’expérience de l’Iroquois Ononsakenrat en un terrible et malheureux exemple :

« J’ai honte vraiment ; Ces premiers imposteurs ne sont pas de ma nation car tous

méchants que nous sommes, nous autres iroquois, notre malice ne va pas si loin et

Sose Onasakenrat lui même a trouvé ailleurs que dans sa tête le triste moyen qui

ne peut tourner qu’à notre ruine et à notre malheur. Hâtez-vous de mettre un terme

à nos maux ! (...) Puisque vous êtes chez vous, vous avez le droit de les chasser,

usez de ce droit sans tarder, comme j’ai agi à l’égard des trois misérables enfants

restés à la maison paternelle, après avoir épuisé tous les autres moyens, je les ai

expulsés enfin de dessous de mon toit et me voilà seul, absolument seul, sans

autre consolation que celle d’avoir accompli mon devoir de père de chrétiens. »124

La radicalité des positions pousse les habitants d’Oka à des comportements extrêmes. Mais on

peut néanmoins déceler le profond désespoir et chagrin chez ce père de famille, qui, au nom

de la religion catholique, a dû renvoyer ses trois enfants, pour la seule raison qu’ils avaient

suivi une autre ligne de pensée. Par ailleurs, d’autres Iroquois restés fidèles tentent de

disculper les apostats de leur tribu, ou du moins diminuer leur part de responsabilité. La faute

est rejetée sur le dos des méthodistes en particulier ou sur celui des protestants en général. Les

sulpiciens ne se cachent pas pour tenir des propos dépréciatifs concernant la qualité

intellectuelle des Amérindiens :

124 « Lettre de Ononsakenrat à M. Baile (Supérieur) » ASSS, T42, n°128, après 1870.

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« Il faut vous dire aussi, mon père, qu’il en est parmi ceux de notre nation,

quelques uns qui doivent être pris en pitié, s’ils ont signé cette calomnieuse et

méchante requête, ils l’ont fait par ignorance, ignorant son contenu »125

L’attitude du Séminaire devant cette scission parmi leurs ouailles constituera, dans un premier

temps, à ne pas abandonner les fidèles. Cependant, le divorce entre Sulpiciens et la majorité

Iroquoise est d’ores et déjà entamée sans possible retour en arrière, même si les Sulpiciens

sont prêts de nouveau à accueillir dans leurs rangs les « traîtres » :

« Quelques sujets de plaintes et de mécontentements que ces sauvages nous aient

donnés par leur inconduite, nous ne demandons pas leur expulsion de la

Seigneurie du Lac. Nous sommes disposés à assister selon nos moyens et notre

discrétion ceux qui nous sont demeurés fidèles, ou qui voudraient rentrer dans le

devoir »126

Néanmoins, tous assistent, impuissants, à la guerre qui vient d’être déclenchée. La fin

d’une époque plus ou moins calme, du moins sans violences excessives, vient de s’achever.

Nous finirons par ces paroles de Cuoq, lorsqu’il revient sur l’époque de ces événements dans

une de ses notes :

« Une reprise des hostilités plus terribles encore a été celle de 1869, et nous

avons encore aujourd’hui sous les yeux les lamentables effets de cette dernière

révolte. »127

2.2.3. Montée des tensions et de la violence.

Les années 1870 voient une nouvelle ère s’annoncer dans l’histoire d’Oka. Les choses

prennent une toute nouvelle tournure. Les pétitions en règle et les petits méfaits occasionnels

125 « Lettre des iroquois catholiques du Lac des Deux Montagnes à Monsieur le Supérieur du Séminaire de Montréal pour protester contre l’hostilité des chefs infidèles à l’égard des missionnaires » , ASSS, S8, T41, n°108, 3 mars 1869. La pétition ferait-elle référence à celle envoyée le 8 février 1869 par les Iroquois prêts à se faire protestants se terminant en signifiant leur entière confiance au gouvernement et qui n’eut aucun résultat ? 126 « Lettre de M. Baile, Supérieur du Séminaire de Montréal, à l’Honorable H.L Langevin, secrétaire d’état, concernant les Affaires des Indiens du Lac des Deux Montagnes », ASSS, S8, T41, n°111, 2 juin 1869. 127 CUOQ, op.cit, ASSS, 5ème cahier.

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ne sont plus les maîtres mots de l’offensive, si l’on peut dire. A cette époque, des affiches sont

collées un peu partout dans la mission pour mettre en garde les Amérindiens sur le délit de

coupe de bois, qui reste un problème presque quotidien :

« Défense rigoureuse est par les présents faits aux Iroquois, Algonquins et

Canadiens, de quelque origine que ce soit, de couper du bois de chauffage, du bois

pour faire des cercles, ou tout autre espace de bois, sur le Domaine du lac des

Deux Montagnes appartenant à Messieurs les Ecclésiastiques du Séminaire de

Saint-Sulpice de Montréal, sous peine de confiscation du bois coupé et poursuites

judiciaires contre ceux qui le couperaient, le charroyeraient, le vendraient ou

l’achèteraient. »128

Le problème du bois, qui peut paraître secondaire, est en réalité d’une importance capitale. En

effet, il entraînera de nombreuses exactions de plus en plus graves. Malgré tout les efforts

rassemblés, les délits continueront et s’amplifieront, traînant les coupables devant les

tribunaux et ouvrant ainsi une suite effrénée de procès. Une lettre de M. Choquet nous

rappelle quelques uns de ces méfaits liés au problème du bois : en 1877, un sauvage a repris

possession d’un terrain qu’il avait rétrocédé moyennant considération qu’ils avait alors reçue.

Il fut absent de 1853 à 1877. Malgré les protestations du Séminaire, il reprit possession de son

ancienne terre, et coupa, en plus, du bois sur le domaine pour s’y construire une maison. Trois

constables spéciaux furent envoyés pour enlever le bois, quand arrivèrent une vingtaine de

sauvages menés par Louis Kanerakenweke, avec des haches et des bâtons. Un sauvage se jeta

à la gorge d’un constable. M. Choquet finit sa lettre en ses termes :

« Je me borne, très Honorable, à vous citer ces quelques faits puisés au milieu de

plusieurs autres à peu près de la même nature et qu’il serait trop long de relater. Il

suffira de vous signaler cet état des choses pour que vous y portiez votre sérieuse

attention et pour que vous preniez les moyens de faire cesser le plus tôt

possible. »129

128 « Affiche : Défense rigoureuse », ASSS, T42, n°148, août 187?. 129 « Lettre de M. Choquet au sous-ministre es Affaires Indiennes pour l’informer des déprédations » ASSS, T42, n°157. 21 juin 1880.

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L’état des choses semble clair : Oka est soumis au régime de la violence et de

l’anarchie. Les actes de violence sont rapportés dans les écrits des Sulpiciens, comme la

fameuse histoire des coups de ballet sur le missionnaire Tallet, venu en visite chez les

Iroquois (en août 1869). Au cours du procès qui s’ensuivit, les partis tenaient deux versions

totalement contradictoires. Le missionnaire assurait qu’il n’allait voir les personnes dans la

seule visée de les ramener à de meilleurs sentiments, alors que l’accusé répliquait qu’il était

persuadé, à en croire les paroles de M. Tallet, qu’il l’accusait de tout lui voler130.

L’incompréhension entre Iroquois et Sulpiciens est totale, et plus aucune confiance n’est

accordée à l’autre parti : parole contre parole. Et, puisque le gouvernement n’a pas voulu

reconnaître par écrit les droits des Amérindiens sur les terres d’Oka, ils se passeront

désormais de cette reconnaissance. Les Iroquois feront comme si les terres leur appartenaient.

« Ils [les Iroquois] se croient toujours lésés de leurs droits par les prêtres et ce

malgré les décisions sans cesse réitérées devant les tribunaux et ce malgré les

déclarations de tous les gouvernements de France et d’Angleterre. »131

Les Sulpiciens, alliés aux autorités, répondent alors à ces attaques par une politique

intransigeante et répressive, politique qui était déjà en vigueur. Rappelons à ce propos le

régime interdiction/permission auquel étaient soumis les Amérindiens dans leur vie

quotidienne. A Oka, les bons d’achat remplaçaient l’argent et s’échangeaient au magasin des

Messieurs. Ils étaient obtenus contre bonne conduite, contre services rendus ou contre mise en

valeur des lopins de terre qu’on concédait aux Indiens en censive. Mais jamais ces terres et les

maisons qu’ils pouvaient y construire dessus ne leur ont appartenu132. On comprend alors

pourquoi certains Iroquois ont décidé de se libérer du joug des Sulpiciens, de leur plein gré,

ou sous l’influence des méthodistes. Ces derniers, arrivés à Oka, lorsque le quart de la

population iroquoise apostasia, ne participèrent pas au retour de la paix à la mission. Bien au

contraire, ils alimentèrent les tensions, d’autant plus que les Iroquois étaient plus que

déterminés à vouloir construire un temple méthodiste, pour leur ministre Amand Parent, qui

récoltait bon nombre de suffrages chez les apostats. Le projet avait été abandonné au début

des années 1870, suite à l’intervention des autorités. Mais l’idée émergea de nouveau, étant

donnée que les tribunaux, sûrement las d’assister à des querelles incessantes, rendaient des

130 PARISEAU, op.cit., p.60. 131 LAFONTAINE, op.cit., p.15. 132 O’NEIL, op.cit., p.110.

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verdicts avec des peines légères ou même des acquittements133. Les Iroquois réussirent à

mener à bien leur projet : construire une chapelle méthodiste, avec du bois acheté à Montréal :

ainsi ils contournaient la loi sulpicienne sur la coupe de bois. Le problème persistant était le

fait que l’édifice religieux restait sur la propriété des Messieurs.

Le temple méthodiste sur le domaine d’Oka

Source : O’NEIL. J, Oka, édition du Gingo, 1987, p. 105.

Le séminaire fit servir un protêt par l’Honorable Felix Lemaire, notaire du Séminaire aux trois

chefs, dont Sose. Par ce protêt, la défense de continuer de bâtir fut décrétée. Les autorités

décidèrent de réagir et de faire de ce cas un exemple. Elles sanctionnèrent cette infraction et

cette décision eut des répercussions aussi néfastes que celle de l’apostasie. Le procès eut lieu

en octobre 1875 à la cour Supérieure de Sainte Scholastique et le jugement fut rendu le 16

octobre 1875 par le juge Berthelot qui prononça la sentences en ces termes : Il condamna les

133 O’NEIL, op.cit., p.120.

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Indiens « à déguerpir du dit terrain et à en laisser les demandeurs en possession »134. La

situation à Oka allait en empirant. En effet, dans la nuit du 7 au 8 décembre 1875, la chapelle

méthodiste fut démolie sous la vigilance des autorités policières. Les autorités envoyèrent le

shérif accompagné d’une vingtaine d’hommes à Oka afin de démanteler le bâtiment qui

« faisait défaut ». Une fois de plus, ils tombaient sous le coup de la loi qui ne voulait pas leur

donner raison :

« La démolition avait fait pousser des cris de rage aux apostats et à ceux qui les

avaient poussés à l’apostasie. »135

Les Iroquois ne se contentèrent pas d’exprimer leur désarroi en cris de rage, ils

passèrent à l’action. L’affaire du démantèlement érigée en cause exemplaire, « test case », ne

sembla pas raisonner plus que d’habitude les Iroquois. Au contraire, les représailles se firent,

certes, attendre mais elles firent basculer Oka dans le tumulte total. A la suite de l’épisode de

la démolition de la chapelle, les Sulpiciens se mirent à vendre leurs propriétés morceau par

morceau et peu à peu les Blancs envahirent la place. A partir de ce moment, des plaintes

furent émises par les colons Blancs contre les désordres occasionnés par les Amérindiens. Ces

derniers, révoltés par tant d’accusations accumulés réagirent en mettant le feu aux clôtures, en

coupant des arbres, en s’appropriant tout compte fait des terres dans la seigneurie sans la

permission des seigneurs le 11 juin 1877. Le 14 juin 1877, le Colonel Aymot débarqua à Oka

avec quinze hommes pour faire prisonnier huit Iroquois et le emmener à Sainte Scholastique.

Le juge Demontigny, chargé d’instruire l’affaire, eut peur pour sa maison, et renvoya cette

cause à la cour criminelle. Comme cette cause n’était pas vraiment criminelle, le jury acquitta

les accusés. Mais l’histoire de l’été 1877 ne s’arrêta pas sur cette fin heureuse pour les

Iroquois. Dans l’après-midi du jour où certains autochtones se virent arrêtés, le bruit courut

que les Indiens incendieraient les maisons des Canadiens français. Le séminaire mis trop de

temps pour avertir le Colonel Aymot qui était déjà reparti. Le 15 juin 1877, à quatre heures du

matin, retenti un coup de canon. Les villageois d’Oka se réveillèrent avec le triste spectacle

qui dansait devant leurs yeux : les flammes dévorant l’église du village, symbole de la toute

puissance catholique sur Oka. A dix heures du matin, le Colonel Aymot revint, et quatorze

Iroquois, dont Sose Onasakenrat et son père Lazare Ak8rente (Akwirente), furent arrêtés et

jetés en prison à Sainte Scholastique avant que ne s’ouvrit leur procès, alors que d’autres

134 PARISEAU, op.cit., p.79. 135 LAFONTAINE, ASSS, op.cit., p.209.

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s’enfuirent en forêt se cacher le temps que le calme soit rétabli136. Fin juin, le Juge Coursol fut

choisi pour mener l’enquête, mais déjà tous les soupçons convergeaient sur Sose, le seul

capable de tenir le rôle de leader et d’engager ses compatriotes dans une telle initiative.

Cependant, il ne cessa de proclamer son innocence, comme tous les autres, au cours des

procès qui se succédèrent jusqu’en 1880.

L’année 1869 a mis à nu les dissensions déjà présentes à Oka, et les problèmes se sont

accumulés tout en s’aggravant. L’apostasie fut l’événement le plus ahurissant aux yeux des

Sulpiciens, mais fut aussi le plus décisif, qu’il soit au centre d’un plan stratégique, ou mu par

une volonté sincère. Les partis pris sont étirés jusqu’à une radicalisation définitive et le

problème religieux sous-jacent devient le moteur des troubles qui sanctionnent chaque jour

l’histoire d’Oka. Le ton monte et l’église d’Oka se voit incendier huit ans plus tard. L’affaire

est beaucoup trop importante pour rester dans la seule sphère d’Oka et la justice sera forcée de

trancher. Les procès sont en quelque sorte le point d’orgue de l’agitation à Oka. Désormais,

querelles et luttes intestines entre Iroquois et Sulpiciens passeront à l’arrière plan. L’opinion

publique est appelée à se prononcer dans cette affaire par l’intermédiaire des procès (jurys) et

de leurs comptes rendus publiés dans les journaux.

2.3. Ouverture à l’opinion publique et à un débat généralisé.

L’heure n’est plus aux petits délits et aux petites sanctions. Les procès des

incendiaires d’Oka, comme on les appellera communément, feront grand bruit, autant

dans les journaux que dans l’opinion publique. Oka fait l’objet d’un débat généralisé

virulent et de plus grande ampleur regroupant les forces politiques et religieuses de cette

fin de XIXème siècle au Québec. Les protestants de Montréal sont bien conscients

qu’en défendant la cause des Iroquois du Lac, ils se feront les portes paroles des

opprimés et pourront mettre ainsi en difficulté l’Eglise Romaine Catholique. L’agitation

est aussi palpable à Montréal qu’à Oka, mais les enjeux ne sont pas vraiment les mêmes.

136 LAFONTAINE, op.cit., p.211.

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2.3.1. Regards confrontés entre Méthodistes et Sulpiciens.

Nous ouvrirons cette partie par les attitudes opposées des Sulpiciens et des

Méthodistes pour illustrer l’antagonisme initial dans la mission du Lac des Deux Montagnes,

avant que n’interviennent d’autres antagonismes, plus imposants encore.

Il nous semblait plus logique d’aborder le thème des considérations sur les

Amérindiens en premier, car, que ce soit les Sulpiciens ou les Méthodistes, leur tâche

principale consistait à venir en aide et à instruire les autochtones, à les instruire sur le plan

spirituel. Les deux instances religieuses deviennent donc, non plus seulement rivales sur le

plan idéologique, mais incontinent concurrentes dans l’espace restreint qu’est Oka : une

situation inédite ? Quoiqu’il en soit, les opinions divergent sur les Amérindiens selon qu’on

appartient aux Sulpiciens ou aux Méthodistes. Nous nous intéresserons d’abord aux

qualificatifs employés par les religieux qui ont côtoyé directement les Indiens « fauteurs de

troubles ». Pour Tallet, les Amérindiens ne sont finalement rien d’autres que de pauvres êtres

incapables d’un haut sentiment, réduits à un comportement propre à les mener au malheur, et

que tous les espoirs mis en eux n’est que temps perdu et efforts vains :

« … il n’est pas nécessaire, je pense de vous faire observer que leurs

sentiments si bons qu’on les suppose, ne s’élèvent guère au –dessus de l’intérêt

(...) Deux personnes dignes d’intérêt m’assurent avoir entendu Louis le Frisé dire

à Sosé à la suite de l’accident [Sosé, chef iroquois des insurgés, a failli se noyer

parce qu’il était ivre] : n’essaie pas de nouveau autrement cette fois-ci le Diable

t’emportera. Ils savent donc bien ce qu’ils font ces malheureux »137.

Tallet ne semble plus capable de leur faire confiance ni de leur accorder un soupçon de

compassion ; nous avons l’impression qu’il ne ressent que de la pitié, et que les regrets, qu’il

formule ne s’attardent que sur son propre échec.

Quant à Amand Parent, il fait passer les Amérindiens pour d’innocentes victimes, sans

défense et sans ressource :

« The Iroquois loved their home, and would not be induced to leave. Then,

privilege after privilege was taken away from them. (...) They grew poorer and

137 TALLET, J.I, Correspondance avec M. Baile, supérieur du Séminaire de Saint-Sulpice, ASSS, lettre du 24 mai 1869.

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poorer”138.

Entre Iroquois manipulateurs, prêts aux pires bassesses, et les victimes spoliées, où se

trouve la part de vérité?

D’autres qualificatifs employés pour désigner les événements de l’après 1869,

nous montrent combien les Amérindiens peuvent paraître comme des êtres capables

d’actes les plus répréhensibles tant sur le plan de la loi que celui de la morale. Cuoq y

va des ces qualificatifs dépréciatifs : « … ce sont les mêmes plaintes calomnieuses

adressées au gouvernement, les mêmes artifices se joignant maintenant non plus à de

simples déprédations mais à des violences et aux plus terribles menaces »139.

Enfin, nous voudrions nous attarder sur l’avis que donnent les Sulpiciens (nous

prendrons ici Lafontaine) et Méthodistes (représentés par Parent) à propos de la

comparaison entre Iroquois et Algonquins : alors que l’un déclare : « les Algonquins

comprenaient mieux leur situation que les Iroquois. Les Iroquois, eux, se cramponnaient

à la mission et pour s’emparer plus sûrement de la seigneurie… »140, (Phrase que nous

pourrions comprendre ainsi : les Algonquins sont plus lucides et moins bornés), Parent,

lui, inverse en quelque sorte les rôles (ou les remet en place) : « The Iroquois were

defiant, the Algonquins were more yielding and submitted »141. En effet, la quasi-

totalité des Algonquins est restée fidèle à la religion catholique…

Nous avons l’impression, au sortir de cette analyse, que les rapports avec les

Indiens apostats sont de nature complètement opposée selon qu’ils soient avec les

Sulpiciens et les Méthodistes : rapport tendu et accord rompu entre Iroquois et

sulpiciens, rapport amical et alliance rassurante entre Iroquois et Méthodistes.

2.3.2. Regards personnalisés ou visions déformées par la conviction

religieuse?

Sulpiciens et Méthodistes s’entretiennent plus volontiers sur leur condition qu’ils ne

s’intéressent à la condition des Amérindiens. L’opposition religieuse met en scène deux

138 PARENT, Amand, The life of Reverend Parent, forty seven years’ experience in evangelical work in Canada, eight years among the Oka Indians, Toronto, 1887, p.190. 139 CUOQ, op.cit., ASSS, 5ème cahier. 140 LAFONTAINE, op.cit., ASSS, p.132. 141 PARENT, op.cit., p.198.

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principaux adversaires. Il est frappant de constater dans les différents documents consultés

que « l’adversaire » est pris à parti, et qu’il devient le responsable de tous les malheurs à Oka.

Pour les Sulpiciens, la faute vient des méthodistes et de leurs amis protestants, d’autant plus

qu’ils veulent par tous les moyens justifier leurs conduites et leurs agissements envers les

Indiens. Pour les Méthodistes, les troubles ont été tout simplement causés par le régime

oppressif des sulpiciens. La situation est claire et dialectique : chacun rejette la faute sur

l’autre. Les exemples ne manquent pas. Pour plus de clarté, nous analyserons d’abord quelles

expressions et quel type de vocabulaire les Sulpiciens utilisent pour rendre responsables les

Méthodisme du chaos à Oka, nous passerons ensuite aux Méthodisme.

Nous examinerons en premier, les dires du Sulpicien sur place, M. Tallet. Finalement, le

missionnaire ne sait pas trop quoi penser de ces nouveaux arrivants. Il est vrai que M. Tallet,

écrit en 1869, au moment où le premier missionnaire méthodiste (Rivet) vient véritablement

s’installer au village. Le changement vient tout juste de commencer, et c’est surtout la

politique à tenir devant ce nouvel adversaire qui turlupine notre Sulpicien :

« Votre lettre, Monsieur le Supérieur, ne me dit rien de la conduite à tenir

à l’égard du ministre suisse qui s’est établi au Lac. »142

Au fur et à mesure que nous parcourons ses lettres, nous avons la nette impression, que M.

Tallet, est pris sous le coup de la surprise, et qu’il est au départ un peu dépassé par les

événements : il ne sait pas quelle attitude adopter devant de tels bouleversements : les

formulations « Que faire ?» en conclusion de plusieurs de ses lettres nous confirment dans

cette hypothèse. Cependant, lorsque l’on regarde les documents postérieurs à la date 1869,

(c’est-à-dire, quand la situation s’est déjà bien aggravée), Cuoq et Lafontaine adoptent un ton

plus assuré. Les méthodistes sont venus réveiller le soi-disant esprit malicieux des Iroquois,

ils doivent être considérés comme des fauteurs de trouble. Cuoq parle même d’une « menace

de l’envahissement des Méthodistes au Lac. »143

Ils sont désormais convaincus que le méthodiste n’est pas seulement un étranger mais il

est surtout l’ennemi à abattre, et leurs écrits pour les qualifier sont loin d’être tendres. Ils

insistent plus particulièrement sur le fait que les Méthodistes sont une source malveillante et

même diabolique pour les Amérindiens :

142 TALLET, op.cit., ASSS, 24 mai 1869. 143 CUOQ, Notes pour servir à l’histoire de la mission du Lac des Deux Montagnes, ASSS, p.33

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« Au lieu d’écouter leurs missionnaires et leurs bienfaiteurs, ils aiment

mieux écouter de faux amis, des étrangers et leurs anciennes croyances, des

prédicants apostats comme Chiniquy144 et autres au lieu d’écouter Nicloas

Dufresne et Joseph Marcoux, des hommes d’une si grande valeur et d’un

dévouement vrai inlassable au lieu d’écouter ces hommes de Dieu et autres tels

que André Cuoq, Mercier, Lacan, Tallet, ils aimaient mieux prêter l’oreille à ceux

de leur nation qui les induisaient en erreur, qui flattaient leur vanité et leurs

nouveaux instincts et les poussaient aux vols et aux déprédations. »145

Les Méthodistes sont donc ceux qui amènent la déchéance chez les Indiens, qui les poussent

aux vices et à commettre des délits. Ils auraient formé les chefs Iroquois pour que ceux-ci

exhortent, avec plus de confiance, leurs compatriotes. Ils sont là pour exciter la colère des

mécontents : « Que des Iroquois du Las des Deux Montagnes, mal conseillés par certains des

leurs, et chauffés à blanc par les méthodistes… »146. Plus Lafontaine avance dans ses écrits,

plus les méthodistes sont assimilés finalement à l’ensemble des protestants, mais nous

analyserons ce détail plus particulièrement dans une dernière partie : « C’est chose bien

avérée que les Indiens avaient été bien mal conseillés par certains anglais protestants (…) et

par de pauvres canadiens français apostats. Ces misérables leur avaient dit entre autre :

« Mettez-vous protestant pour trois mois : vous allez avoir votre seigneurie … vous

redeviendrez catholiques ».147 Pour le sulpicien catholique, l’apostasie est un élément d’une

stratégie offensive dont le seul but est de s’approprier le domaine du Lac, orchestré par les

protestants, qui veulent, quant à eux, la destruction de tout pouvoir catholique. Cette pensée

pourrait avoir été héritée d’un discours imaginé par les sulpiciens pour rendre les protestants

responsables.

Les critiques délivrées par les méthodistes contre les Sulpiciens ne sont pas moins

virulentes. La conduite adoptée des Sulpiciens à l’encontre des Amérindiens est vivement

dénoncée comme étant quasi inhumaine et cause du déclenchement du sentiment de révolte

chez les Iroquois, notamment. Parent, dans son autobiographie fait appel aux témoignages

pour illustrer ce qu’il veut prouver, à savoir que les Sulpiciens se sont comportés comme des

êtres despotiques à la mission du Lac :

144 CHINIQUY (1809-1899) : catholique qui se convertit au méthodisme. Prêchant d’une façon énergique, il devient la bête noire des catholiques. 145 LAFONTAINE, op.cit., ASSS, p. 133. 146 Idem, p.15 147 LAFONTAINE, op.cit., ASSS, p.210.

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« A daughter of the old chief previously referred to two years ago : They

never did us good. We left the priests because their oppression was insupportable

... They treated us like dogs.”148

Ce genre de témoignage est inséré afin de persuader les futurs lecteurs quant à l’aspect

autoritaire du régime sulpicien au Lac.

Borland, que ce soit en 1878 ou cinq ans plus tard, manœuvre autrement, sans pour autant

perdre en acerbité : il accuse directement les Sulpiciens :

« The change of the church’s relations with the Indians was caused by the

conduct of the Seminary toward them and not through any proselytizing efforts of

the Methodists or of any other section of the protestant church. »149

Quant à Scott, même s’il appartient au méthodisme, il ne fera pas d’objection sur la conduite

des Sulpiciens, vu que dans son rapport, il ne conteste pas leurs droits sur le domaine du Lac

des Deux Montagnes. Au contraire, il est même prêt à les soutenir.

On voit donc se dessiner dans chaque partie une remise en cause concernant l’origine

des troubles à Oka. Chacun se renvoie la balle. Sommes-nous en présence d’un dialogue de

sourds ? Comment à l’époque, pouvait-on penser à une éventuelle réconciliation alors que les

deux parties adverses avaient atteint leur paroxysme de fondamentalisme ?

Maintenant que nous avons pu observer les perceptions portées sur l’autre, il serait intéressant

de voir comment chacun se perçoit lui-même au sein des tumultes qui sévissent à Oka.

Les Sulpiciens s’attardent surtout à vouloir justifier tel ou tel acte, telle ou telle prise

de position devant tel ou tel fait : comme si, finalement, ils n’avaient pas eu le choix devant la

gravité de la situation, qu’il fallait bien sévir avant que tout se détériore. Ils voulaient avant

tout sauver ceux qui ne s’étaient pas perdu sur la voie déraisonnable du protestantisme. Cet

aspect-là est flagrant chez Tallet, et on peut suivre l’évolution de sa pensée :

Dans une affaire de coupe de bois interdite le 22 février 1869 : « Tout cela

m’a fait croire plus prudent de ne rien dire ». Apparemment la loi concernant le

bois n’était pas sans équivoque. Ensuite, le 27 février, devant la dégradation de la

148 PARENT, op.cit., p.191-192. 149 BORLAND, J, An appeal to the Montreal conference and Methodist Church generally, Lettre n°4.

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situation : « Je serai ferme à mon poste jusqu’au bout » et enfin le 1er avril, Tallet

se convertit, sûrement à l’image des supérieurs, à l’intolérance : « Je crois, M. le

Supérieur, qu’il est temps d’en finir avec les sauvages »

Cuoq est déterminé à justifier les actes de ses prédécesseurs, et ce n’est que par la force

des choses, que les Sulpiciens de cette période mouvementée se sont vus « à la fin obligé(s)

de sévir ». « Mais la rigueur qu’il [Lacan, directeur de la mission pendant une bonne partie

des troubles] n’employa qu’à la dernière extrémité », nous confirme encore Cuoq, « ne fit

qu’augmenter le mal, et la révolte des sauvages contre lui devint furieuse et menaçante »150.

Cuoq a trouvé l’art de faire passer M. Lacan du rôle de bourreau (contre sa propre volonté,

cela va sans dire), à celui de victime. Il devient en quelque sorte un martyr, prêt à affronter les

pires outrages et même les violences commises à son égard. En effet, ce fut contre lui que

Lazare, père du Chef Sosé, voulut porter un coup de hache, lors de l’incendie de l’église du

séminaire en 1877. Cet épisode est décrit dans plusieurs témoignages rapportés dans les

procès successifs à ce délit.

Tandis que les Sulpiciens se préoccupent à se justifier, les méthodistes se posent comme

les défenseurs attitrés des Amérindiens. Parent est d’ailleurs fier d’assumer ce rôle et s’en

gargarise : « And this year, 1869, Methodism took up the battle of the Red men, and fought

the powers of Rome”151. Et Borland de renchérir en faisant référence aux actions concrètes

effectuées par les comités méthodistes : “In a meeting, the committee was composed of the

leading ministers and protestants of churches of Montreal, the Oka case was under

consideration (...) [This] led the committee to conclude upon getting up a memorial to the

Queen.”152 Les Méthodistes et leurs amis sont prêts à faire bouger les choses pour venir en

aide aux Amérindiens, par le biais d’un soutien moral, d’une part, et verbal d’autre part. Ils les

entraînent à continuer leurs démarches pétitionnaires. Cependant, il ne faudrait pas croire ce

dont les Sulpiciens aimeraient convaincre le public, à savoir que les Méthodistes pousseraient

les Iroquois à commettre des actes répréhensibles, bien au contraire. Il s’en veut pour preuve

le témoignage de Parent lorsqu’il rapporte une anecdote dans son autobiographie :

« The chief came to me and said : we will shoot these dogs, we will suffer

no longer ( ...) It required all my influence to keep him from putting his threat into

150 CUOQ, Notes pour servir à l’historique de la mission du Lac, ASSS, 5è cahier. 151 PARENT, op.cit, ch.XIV. 152 BORLAND, An appeal to the Montreal conference and Methodist church generally..., Lettre n°4.

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execution.”153

On pourrait confronter à cet exemple de tempérance l’attitude adopté de Parent lors de

l’incendie de l’église en 1877 : selon son propre témoignage, il n’aurait pas bouger lorsqu’il

vit les premières flammes. Comment un homme d’une telle soi-disant aptitude pacificatrice

n’a pas eu l’idée de venir essayer d’éteindre le feu et de calmer les Indiens, pendant cette nuit

tumultueuse ? Mais note étude ne cherche pas à polémiquer, juste à rendre compte des écrits

laissés par les Sulpiciens et les Méthodistes dans les troubles d’Oka au XIXème siècle.

Pour conclure, il est facile de remarquer que toutes les attaques portées par ces avocats

officieux (les Méthodistes) visent en particulier les Sulpiciens et en général la religion

catholique. Sommes-nous en présence d’un conflit plus vaste que celui opposant Sulpiciens et

méthodistes au sujet des terres et des Iroquois d’Oka ?

2.3.3. Sulpiciens versus Méthodistes ou Catholicisme versus

Protestantisme ?

Il semblerait qu’aux vus de cette seconde sous partie, les méthodistes entretiendraient

une relation conflictuelle avec les Sulpiciens, une relation qui s’élargirait à la religion

catholique. On retrouve les marques de ce même conflit chez les Sulpiciens, à en croire les

propos tenus par Lafontaine quelques années plus tard :

« Ils [les méthodistes] avaient osé même envoyer au village le malheureux

Chiniquy pendant trois jours, il y avait débité devant ceux qui avaient voulu

l’entendre ses prétendus sermons »154

L’ingérence de Chiniquy, prédicant charismatique et controversé, montre combien le

conflit d’Oka a dérivé vers un conflit d’ordre plus général, puisque ce dernier n’avait a priori

rien à voir au départ, avec les Iroquois apostats d’Oka. Dans le cadre de cette lutte

« religieuse », il serait erroné de penser que les Sulpiciens ne seraient que sur la défensive.

Si l’on en croit les propos de M. Tallet, les Sulpiciens savent mettre sur pied un « plan

d’attaque », si nous osons cette expression. Devant la férocité des écrits et des paroles des

153 PARENT, op.cit. p.126. 154 LAFONTAINE, op.cit., ASSS, p.100.

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méthodistes, qui multipliaient les conférences, et les Assemblées, il fallait bien que les

sulpiciens réagissent. La politique du silence, habituelle chez ce corps religieux ne pouvait

plus longtemps survivre : il fallait s’adapter à une nouvelle confrontation. Tallet fait part de

ses craintes à M. Baile : « Cependant, on commence à se scandaliser de notre silence.

Comprendra-t-on enfin qu’il n’y a plus lieu à temporiser ? Je le crains beaucoup. Si le

séminaire ne fait rien, il perdra certainement une partie du domaine qui passera entre les

mains des Suisses »155. Il proposait auparavant : « Mais peut-être pourrait-on tourner quelques

articles contre nous directement ou indirectement, comme aussi nous pourrions, ce me

semble, en tourner d’autres en notre faveur. Tout cela a besoin d’être examiné sérieusement ».

Non seulement, il semblerait qu’une « guerre » religieuse est déclenchée, mais qu’en plus, elle

serait accompagnée d’une « guerre verbale ».

Cependant, les écrits des Méthodistes sont beaucoup plus explicites quant à leur

position face à la religion catholique. Ils englobent l’Eglise de Rome entière dans l’affaire

d’Oka. Ils veulent faire retomber la faute non pas seulement sur les Sulpiciens, mais sur la

religion catholique entière, afin de la mettre en difficulté, de la discréditer. Ils veulent mette à

mal la suprématie de l’Eglise romaine. Parent dénonce d’ailleurs cette suprématie qui

empêche toute initiative de la part des méthodistes pour régler le conflit :

« A large reserve had been selected for them in the Nipissing Region by

the Reverend Borland, the superintendant of the methodist French and Indian

Mission and they were preparing to remove to it, when word came from Ottawa

that it could not be obtained (...) Their influence [the methodists’ influence] was

as nothing compared with that of the gentlemen of the Seminary”156.

On pourrait faire remarquer aussi que les propositions de déménagement en accord avec le

Séminaire ont été acceptées, quelques années plus tôt : à Maniwaki au Québec.

Parent exprime son profond désarroi quant à l’ingérence de la religion catholique dans les

affaires qui mériteraient d’être regardées par le gouvernement, d’une façon la plus neutre

possible :

« The year 1875 confirmed me in my opinion regarding Rome’s influence on our

155 TALLET, op.cit., ASSS, 24 mai 1869, Suisse, ici, signifie méthodiste. 156 PARENT, op.cit. p.137.

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government »157

Les enjeux deviennent donc de plus en plus importants. Nous avons d’un côté des Sulpiciens

qui s’unissent au gouvernement pour contrecarrer les attaques des Méthodistes et de leurs

amis protestants, qu’ils considèrent comme étant la source des troubles à Oka, et d’un autre

côté, des Méthodistes qui alimentent une guerre contre les Sulpiciens et la Religion catholique

et qui aimeraient que le gouvernement assure son véritable rôle de protecteur des

Amérindiens. Le gouvernement sera-t-il capable de se placer comme juge impartial pour

régler l’affaire d’Oka et calmer les ardeurs des deux instances religieuses entrées dans une

guerre plus idéologique qu’axée sur la seule affaire d’Oka ?

Nous avons voulu surtout souligner la confrontation directe entre Sulpiciens et

Méthodistes et celle plus indirecte entre Protestantisme et Catholicisme. Cette dernière

remarque sera notre point d’entrée pour mettre en lumière le fait que l’affaire d’Oka, comme

on l’appelle au XIXème siècle, a dérivé et se retrouve au cœur d’un conflit plus vaste qui

sévit, à cette époque au Québec, entre catholiques et protestants, et ce par l’entremise des

Méthodistes qui réussissent à faire entrer dans leur jeu les Sulpiciens : chacun accuse l’autre

sous quelque forme que ce soit.

2.3.4. Intervention de l’opinion publique

L’apparition des protestants dans l’affaire d’Oka ne se limite plus aux seuls méthodistes

qui ont séjourné à la mission. Chaque personne de conviction protestante est maintenant

susceptible de donner son avis depuis que l’affaire a été rendue publique par les procès de

l’après 1878. Auparavant, des groupes protestants s’étaient engagés dans la lutte aux côtés des

Iroquois, pour appuyer leurs actions, pour se porter garants de leurs requêtes envoyées au

gouvernement, pour essayer de faire réagir l’opinion publique. Dès 1874, ces amis protestants

proche, en cœur et en lieu, des Amérindiens se sont concertés pour adresser une requête au

parlement fédéral :

157 Idem, 1875 fait référence à la démolition du temple méthodiste à Oka autorisée par la justice, qui fut convoquée par le Séminaire.

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“Your memorialists have perfect confidence that said Indians will receive justice

from and be established in the enjoyment of their just rights by the action of your

honourable house.”158

Le but des protestants n’est pas caché, il consiste, d’une part, à soutenir les Iroquois, et,

d’autre part, à faire pression sur le gouvernement pour que celui-ci agisse, en faveur des

Amérindiens. Ils recherchent finalement que les droits des terres ancestrales soient reconnues

pour déloger les catholiques de leur dernier fief :

“Your memorialists would humbly suggest that your Honourable House would

legislate in this matter and thereby define what are the rights of the Indians

regarding the domain of Oka”159

La fréquence des interventions et des actions de ces groupes va aller croissante : le 8 juillet

1875, la Société pour la Protection des Aborigènes (Aborigenes’ Protection Society) expédie

au Ministre de l’Intérieur une longue requête et publiera par la suite de nombreux autres

articles reprenant toujours les mêmes points160 : violation des droits des Indiens d’Oka, leur

maltraitance par les missionnaires… Ensuite, après la démolition du temple méthodiste, la

Civil Right Alliance de Montréal, reprend le flambeau de la défense de la cause amérindienne

à Oka. La semaine qui suivit la destruction dudit temple, cet organisme donna un concert

bénéfice au profit des Iroquois spoliés du Lac. Le but était de diffuser et de faire réagir les

gens de Montréal au maximum. Les protestants laisseront bon nombre de mémoires au sujet

de l’affaire d’Oka. Leur contenu est toutefois similaire. Le fait est qu’il faut défendre les

Iroquois qui n’ont pas d’autres recours que le leur et ainsi faire triompher non seulement les

droits et la dignité humaine mais aussi le protestantisme. Le premier coupable à passer entre

les griffes des organisations protestantes est bien entendu le Séminaire : son attitude envers

les Amérindiens est condamnée et ses soi-disant droits sur le domaine du Lac des Deux

Montagnes largement contestés. Ils mettent en évidence que la seigneurie a été concédée aux

Sulpiciens pour les Amérindiens, et cette seule condition doit faire admettre que les

Amérindiens méritent d’avoir des droits sur ce même domaine, contrairement à ce que veulent

158 « Requête présentée au Parlement Fédéral par un certain nombre de protestants du Comté des Deux Montagnes pour lui demander de régler les différends », ASSS, T42, n°132, 7 mars 1874. 159 Idem. 160 PARISEAU, op.cit., p.80.

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bien soutenir les Sulpiciens. Leurs exposés sont une longue suite de démonstrations reprenant

mot à mot les actes de concession émis au XVIIIème siècle :

“The concession was not asked nor granted for the benefit of the seminary but for

that of the Indians exclusively, as long as they would remain there. If a parallel be

sought, the Seminary holds the same position as the dominion Government

towards the Caughnawaga Indians and other tribes and are bound to deal with

their wards as the government are dealing with theirs, that as, to turn the whole

income and production of the Seminary ”161

Pour eux, les droits des Sulpiciens ne sont pas clairs. De plus, ils rappellent astucieusement la

situation de Kahnawake, où les jésuites durent abandonner leur rôle d’administrateurs, sur

décision du gouvernement. Alors pourquoi ce même gouvernement ne ferait-il pas la même

chose, un siècle et plus, plus tard ? L’interpellation dans ce genre de documents est très

présente : le gouvernement doit assumer son rôle de juge arbitraire et décider une fois pour

toutes de ce qu’il adviendra d’Oka. Or, le gouvernement ne propose pas de réelles solutions :

celle élaborée dans les années 1850, le déménagement vers de contrées éloignées ne fut pas

une franche réussite puisqu’elle précède la période la plus troublée dans l’histoire d’Oka au

XIXème siècle. D’autre part, ce genre d’écrit est emphatique et les rédacteurs ne lésinent pas

sur les formulations piquantes faisant référence, habituellement, à certains droits de l’Homme,

à la notion de justice et d’injustice, aux erreurs judiciaires et morales… :

“We would express no opinion as to the legality of the decision of the court, or as

to the manner in which it was carried out. Of its moral aspect, it was an outrage

against all the better feelings of humanity of which any nation, may well feel

ashamed and which is in no respect palliated by the circumstances that the victims

were the too often ill-treated aborigines of our country or that their religious creed

was different from that of the majority of the inhabitants o the province of

Quebec.”162

161 « To his excellency the right honorable the earl of Dufferin, governor general of the dominion of Canada », The memorialists of the undersigned Iroquois and Algonquins residing in the village of Oka, in the seigniory of the Lake of Two Mountains, and others, citizens of the coty of Montreal and elsewhere, in the Province of Quebec. 162 Idem.

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Les exemples pour illustrer cette façon de procéder pour émouvoir le gouvernement et tirer

les larmes des lecteurs sont multiples et parcourent le document. Le scénario est simple : il y a

les protagonistes victimes, démunies et persécutés par les bourreaux spoliateurs. Le résultat ne

peut être qu’outrageant : “It is observed, also, that this crowning outrage was only the

culminating act of a long series of injures inflicted on these unfortunate people”. Mais les

sulpiciens et le gouvernement ne sont pas les seuls mis en cause : la nation entière l’est: « The

practical question remains – what can be done to redress the wrongs of the sufferers, to

execute justice on the oppressors and to vindicate the outraged character of Canada as a

christian nation ? »163 La remarque finale reprend tout l’exposé en insistant sur le rôle

fondamental du gouvernement et de la religion.

“Every friend of civil and religious liberty can and should aid, not merely by

contributing to the necessary fund for the defence of the Indians, but by bringing

to bear upon the Government such a force of public opinion as shall make it

imperative to have justice done, at whatever expense of indignation on the part of

the ecclesiastics who wield so disastrous a sway in Quebec, but whose power,

owing to this and other acts of injustice and impolicy, may even how be reaching

a critical point …”164

On peut se douter alors que les amis de la liberté civile et religieuse « every friend of civil and

religious liberty » ne concernent que les protestants. Les catholiques ne sont pas admis dans

ce cercle très digne de la défense des droits et des libertés d’autrui et sont seulement capables

de répandre l’injustice sur tout le Québec. L’opinion publique est désormais un acteur

essentiel dans le déroulement de l’affaire d’Oka. Il est, selon les protestants, le groupe qui

saura et pourra revaloriser les droits amérindiens, faire triompher l’équité et la liberté :

« But if governments are not sufficiently resolute to perform their duties and

interests as much longer to let matters drift, as they now are drifting, to a fearful

revolutionary upheaval?”165

163 Idem. 164 Idem. 165 BETA : A contribution to a proper understanding of the Oka question and a help to its and speedy settlement, Montréal, [s.n], 1879, Montréal, Witness, p.62.

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L’opinion publique prend de la considération et commence à régir la moralité de la société.

Cette opinion publique n’est plus passive et muette mais bien active et porte-parole des

valeurs qu’elle veut bien défendre. Elle est le nouveau moteur de la diffusion des idées et le

nouvel organe de pression pour le gouvernement. On peut se demander, après de tels propos,

quel rôle effectif joue le gouvernement dans cette affaire, quelles sont ses démarches réelles.

Est-ce que, véritablement, il répond aux attentes formulées dans les mémoires des

protestants ? Est-il l’organe neutre et le juge arbitraire dans l’affaire d’Oka, ou laisse-t-il

catholiques et protestants se battre et débattre sur cette question sans pouvoir donner une

solution concrète à un problème cornélien ? Le gouvernement, en réalité n’ose pas trancher

car opter pour les sulpiciens contenterait le Québec et aliènerait l’Ontario, tandis que donner

raison aux Iroquois consolerait les méthodistes mais soulèverait pleins de problèmes avec

d’autres tribus.

2.3.5. Un quatrième acteur : le gouvernement, médiation nouvelle ou

démarches influencées ?

On vient de voir que le gouvernement est très sollicité par les protestants, pour qu’il

agisse dans l’affaire d’Oka. Sans aucun doute, les Sulpiciens font de même. Mais que fait le

gouvernement ? Il ne semble pas vouloir proposer une solution pour mettre fin à cette série de

procès qui défilent devant les tribunaux à un rythme effarant : il semble s’en remettre au statu

quo166. Le gouvernement, quelque soient les membres qui le constituent selon les périodes, ne

s’est jamais penchée d’une façon sérieuse sur l’affaire d’Oka, tout au plus voulait-il calmer les

ardeurs de chaque camp, en particulier et protestants, ultramontains et libéraux radicaux.

Encore une fois, ce sera une solution de déménagement qui sera proposée pour les Indiens

d’Oka mécontents : disperser pour affaiblir les rebellions et mieux les contrôler… Cependant,

une soixantaine d’Iroquois avait demandé dès l’été 1880 au gouvernement de leur trouver des

terres pour qu’ils puissent s’installer et quitter Oka et ses malheurs. Les exigences formulées

par le conseil des Indiens ne semblèrent pas convenir à M. Mousseau, ministre du

gouvernement fédéral, qui y vit encore une fois l’influence des protestants167. Le territoire de

Gibson, en Ontario, dans le comté de Muskoka, sera choisi, résultat de l’accord entre le

Séminaire et le gouvernement, sans prendre en compte les exigences amérindiennes.

166 PARISEAU, op.cit., p.77. 167 PARISEAU, op.cit., p.109.

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Situation géographique de Gibson (par rapport à Oka)

Source : MILLER, J.R. Skyscrapers Hide the Heavens : A History of Indian-White Relations in Canada, Toronto : Université of Toronto Press, 1991, p.259.

Le déménagement commença, mais en 1881, une quarantaine de familles indiennes

protestantes (sur les 80) restèrent à Oka 168. La nouvelle réserve de Gibson est présentée

comme un vaste terrain où les Indiens pourront s’adonner sans retenue à la pêche et la chasse :

« ils pourront sans obstacle donner libre carrière aux besoins de leur nature (…) Il importe

donc, avant tout, de viser à obtenir leur émigration »169. Pourquoi tant d’empressement dans la

fin de cette lettre écrite ? En effet, Gibson n’était pas le lieu qu’avait choisi une délégation

constituée de ministres méthodistes, comme Borland, et de quelques chefs Iroquois. La

polémique dure encore. De plus, nous avons retrouvé quelques lettres écrites de la main des

missionnaires au Lac pour presser le gouvernement à agir, du moins à contribuer fortement au

départ des Indiens de la mission :

168 « Memorandum of a proposal for closing finally the differents existing in the matter of the Oka Indians », ASSS, P1-8 A1 n°286, 10 juillet 1887. 169 Idem.

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« Je vous prie de communiquer ce fait au gouvernement afin de voir l’urgence

d’une protection active de a part du gouvernement ou bien du départ définitif des

sauvages. » 170

Sont-ce les réponses que souhaitaient entendre les protestants ? Le gouvernement est-il

finalement le protecteur des opprimées, comme le voudraient ces protestants, ou le protecteur

de la force religieuse catholique, présente sous le nom de Sulpiciens à Oka ? On peut

soupçonner ici l’accointance qui existe entre le Séminaire et le gouvernement.

Par ailleurs, certaines lettres nous montrent l’envers du décor dans les décisions prises

dans l’affaire d’Oka. Elles mettent à jour les manipulations et les accords officieux qui

soulignent la volonté du gouvernement d’étouffer l’agitation autour de l’affaire d’Oka, et

notamment l’agitation provoquée par les révérends méthodistes. La stratégie fine du

gouvernement consistait à se garantir le soutien d’un membre méthodiste, qui bénéficiera

d’office d’une confiance de la part des Amérindiens puis des protestants de Montréal pour

pouvoir calmer le jeu à Oka et empêcher tout débordement, nuisible pour la stabilité politique

et gouvernementale puisque l’incapacité à réduire cette agitation n’a jamais fait bonne

publicité auprès de l’opinion publique. Pour éviter les critiques, et notamment celles des

journaux, le gouvernement s’est adjoint les services du Révérend Scott, ami des Amérindiens

protestants d’Oka, dont le rôle consista finalement à défendre le Séminaire, reconnaître la

validité de ses droits, condamner les ardeurs des Iroquois à vouloir s’approprier une terre qui

ne leur appartient pas et à montrer que le protestantisme n’existe à Oka par le seul fait qu’il

s’y trouve des pratiquants. Le méthodisme ne peut revendiquer sa place à Oka. Une

correspondance de 1881, entretenue sous la protection d’une annotation marquée

« confidentielle », entre le ministre Mousseau et l’agent du séminaire Choquet dévoile les

manigances dans la gestion de l’affaire d’Oka :

« J’ai vu le révérend M. Scott qui avait reçu du révérend Dorion une lettre presque

incendiaire concernant un grand conseil qu’avaient tenu les sauvages toujours

naturellement pour se plaindre des empiètements et des persécutions du

Séminaire ? M. Scott s’en moque comme de l’an 40 (…) Il travaillera aussi pour

que Dorion parte et il partira très certainement au 1er mai prochain, il sera

170 « Lettre de Leclair, curé d’Oka, à Choquet : tentative d’incendie des chapelles du chemin de croix de l’amont du calvaire d’Oka », ASSS, P1 8A-1 n°237, 22 mai 1882.

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remplacé par un révérend ministre tout à fait conciliant (Leclair ?). D’ici là, pour

empêcher le mal que Dorion pourrait ou voudrait faire, M. Scott ira très souvent à

Oka… ». 171

Mais les accords secrets entre le Séminaire et le gouvernement ne s’arrêtent pas sur ce seul

exemple qui prouve que l’histoire d’Oka ne peut plus être écrite par les Amérindiens :

l’affaire a été reprise par une puissance bien plus grande et influente afin de ne pas alimenter

le conflit déjà très vivace entre catholiques et protestants. L’honnêteté des méthodes

gouvernementales au XIXème siècle est fortement mise en doute après la découverte de la

suite de la lettre précédemment citée :

« Voici le point : je suppose que le bonhomme [Scott] est pauvre… Il me dit qu’il

irait probablement toutes les semaines s’il avait une passe [générale pour le

chemin de fer du Nord]: il m’a glissé cela très finement et très délicatement…

Après tout, ce bon Scott va surtout à Oka pour faire du bien au gouvernement

fédéral et au Séminaire. Voici ce que j’ai imaginé : c’est que vous vous arrangiez

vous-même pour l’obtenir à tout prix même en payant s’il le faut de sorte qu’il

puisse aller de Montréal comme à Québec, il sera enchanté et travaillera dix fois

mieux. Je suis convaincu que si je voyais Chapleau172, il le ferait de suite comme

je suis convaincu qu’il vous la donnera également si vous le voyez. »173

Le passage ne mériterait presque pas de commentaire tellement le message semble clair… :

nous sommes en présence d’un indéniable trafic d’influence, voire même, financier. Tous les

moyens sont bons pour sauver la face du gouvernement et celle du Séminaire. Les accords

tacites entre membres influents et membres du gouvernement n’ont jamais été aussi visibles.

Enfin, force est de constater que les solutions préconisées par le gouvernement et les

arrangements conclus aboutissent sur un échec cuisant : les Amérindiens déménagés à Gibson

sont mécontents de leurs terres et surtout du traitement indifférent du gouvernement fédéral à

171 « Lettre de Mousseau à Choquet : très confidentiel », T42, n°214b, 15 décembre 1881. 172 Chapleau, sir Joseph-Adolphe, avocat, éditeur, homme politique, directeur de journal et fonctionnaire, né le 9 novembre 1840 à Sainte-Thérèse, Bas-Canada, et décédé le 13 juin 1898 à Montréal. Après la mort de Cartier en 1873, le nouveau chef du parti, Hector-Louis Langevin, lui confie la formation d’une ligue conservatrice dans la région de Montréal, et se charge lui-même d’une organisation semblable pour la région de Québec. Les conservateurs alors « hésitants » suivent Chapleau, surtout les jeunes qui, comme lui, penchent légèrement vers la gauche. Sans s’en douter, Langevin se tend un piège, puisque c’est ainsi que commence la longue rivalité qui marquera la carrière politique des deux hommes. 173 « Lettre de Mousseau à Choquet : très confidentiel »,ASSS, T42, n°214b, 15 décembre 1881

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leur égard : les plaintes se multiplient et la situation n’est guère mieux qu’à Oka, voire pire,

selon le témoignage de l’agent du séminaire M.Choquet :

« Je vous transmets une copie de la lettre du chef Louis Sanation reçu par l’ami

Greene. Comme vous pouvez le voir, les sauvages de Gibson ont absolument

besoin de vivres (…) Je n’ai cessé depuis un mois de presser le département de

pourvoir à l’approvisionnement. La conséquence de la négligence du Département

va être d’empêcher ceux qui sont restés à Oka de partir pou rejoindre leurs frères.

J’ai raison de croire que le Séminaire tiendra le gouvernement responsable des

dommages. Autre conséquence : le blâme que la presse méthodiste ne manquera

pas de jeter sur le gouvernement »174

Après de tels aveux, peut-on encore ne pas croire que l’affaire d’Oka est au centre des intérêts

montréalais et que les Iroquois ne sont que les pauvres pions sur l’échiquier politique et

religieux d’une sphère géographique qui n’est pas la leur ? Les dangers ne sont plus les

révoltes amérindiennes mais bien le « quand dira-t-on » qui plane sur chaque décision

gouvernementale. Les partis politiques et religieux sont radicalisés et chacun attend la faute

de l’autre pour la dénoncer haut et fort dans la presse.

Les Indiens d’Oka en acceptant l’aide des méthodistes, se sont ouverts à un monde

qu’ils ne connaissaient pas et se sont heurtés à de nouveaux adversaires. Peu à peu, la lutte

engagée seule contre le Séminaire s’estompe pour laisser s’étendre les conflits extérieurs. A

travers Oka, le problème amérindien ayant été insidieusement occulté, les tensions socio-

politiques et religieuses font rage et les partisans règlent leurs comptes sous couvert d’une

nouvelle autorité : l’opinion publique. Quant au gouvernement, il tente non pas de donner une

solution viable à long terme mais au moins à court terme. La réserve créée à Gibson ne

répond ni aux attentes des Amérindiens, et donc ni aux attentes des protestants qui voient

leurs considérations reléguées au second plan. Le Séminaire et le gouvernement essaient de

trouver une solution pour calmer une situation qui s’est déjà trop envenimée. Mais c’est sans

compter la participation des journaux qui ne laissent rien au hasard. La presse s’intéresse de

plus en plus près à l’affaire d’Oka, non pas pour remédier aux problèmes des revendications

territoriales, mais bien pour alimenter les tensions socio-politiques et religieuses.

174 « Lettre de Choquet à Mousseau : confidentiel », ASSS, T42, n°216, 30 décembre 1881.

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3. Oka : une affaire reprise par et pour la presse.

Tous les bruits autour d’Oka finirent par attirer l’attention. On se doutait bien qu’il se

passait quelque chose de palpitant dans cette mission. L’apostasie, les visites des prédicants

comme Chiniquy, la multiplication des requêtes, les démarches des protestants, les

arrestations, les condamnations, les procès étaient autant d’éléments perturbateurs dans une

presse qui cherchait à relater et à commenter les conflits et les débats. L’attention soutenue

des milieux journalistiques allait changer la conception du regard porté habituellement sur

Oka. Ce n’était plus une petite mission parmi tant d’autres, sous la bonne garde des prêtres

missionnaires, mais le nouveau nœud géographique des querelles qui faisaient rage dans les

sphères privées et publiques au Québec et au Canada. Oka n’appartenait plus aux

Amérindiens mais à l’opinion publique :

« Je compris à ce moment que l’affaire d’Oka nous avait glissé entre les mains et

qu’elle ne nous appartenait plus. Nous étions désormais les otages de l’opinion

publique, d’une part, et de la crainte et de la haine des Messieurs, d’autre part. »175

Iroquois, sulpiciens, méthodistes et protestants, ainsi que le gouvernement devaient

désormais compter sur un cinquième acteur : le média journalistique, et jouer son jeu.

3.1. La presse : reflet de l’opinion publique.

Nous verrons à travers cette partie, d’une part, le démarrage progressif de l’action

journalistique dès les premiers signes de révolte, ses différentes phases, et d’autre part, les

thèmes repris dans l’affaire d’Oka qui seront traités d’une manière très spécifique et assez

lointaine du sujet de fond. Mais avant d’analyser plus en détail ces aspects, nous nous

attarderons à considérer, à partir de la relation qu’entretiennent malgré eux les Sulpiciens avec

les journaux, le rôle tenu en général de cette presse dans l’affaire d’Oka.

175 O’NEIL, op.cit., p.120, citation attribuée à Sose Onasakenrat.

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3.1.1. Les rapports de la presse avec les Sulpiciens et les Méthodistes :

tentative de contrôle mais peur du scandale.

Le Séminaire a toujours suivi une politique de silence, voulant régler les problèmes

qu’il pouvait rencontrer d’une manière discrète et personnelle sans intervention extérieure. Il a

dû faire face à l’ingérence de l’opinion publique dans sa vie quotidienne à la mission du Lac

des Deux Montagnes. Il a dû s’habituer à être constamment « espionné » et critiqué par les

journalistes. Mais peu à peu, on peut voir que le Séminaire, à l’exemple des ultramontains qui

se sont mis à éditer des journaux pour diffuser leurs idéaux, n’ont pas eu trop de difficultés

pour se mettre au goût du jour. Le séminaire est bien décidé à contrôler, au moins une partie,

la presse et à vérifier le contenu des articles, soit pour rétablir la vérité selon la pensée

sulpicienne, soit pour assurer sa défense en cas de complication :

« Vous vous rappelez m’avoir parlé il y a quelques mois de l’intention qu’avait eu

le Séminaire d’employer un sténographe pour prendre les dépositions dans

l’affaire d’Oka pour que les journaux français puissent donner le texte exact de

ces dépositions, dont les Anglais font un résumé fantaisiste. »176

Le journal concerné dans cette affaire est le journal La Minerve, journal qui, à cette époque, a

abandonné tout radicalisme politique et se complaît désormais dans une neutralité relative.

Est-ce que le choix de ce journal est anodin ? Puisqu’il n’est plus vraiment marqué

politiquement, les Sulpiciens auraient eu tout intérêt de s’approprier son appui, mettant

l’accent sur le fait qu’étant un journal francophone, il devait, à l’instar d’autres feuilles

francophones, combattre les feuilles anglophones et protestantes. Cependant, il semblerait que

le résultat escompté ne soit pas vraiment à la hauteur des espérances :

« J’ai envoyé une quantité de copies du rapport du procès à la Minerve avec prière

de m’envoyer chaque numéro contenant le rapport. Je n’ai point reçu de Minerve

et je ne sais pas si mon rapport est publié. »177

176 « Deux lettres de M.J Monier à Choquet, agent du Séminaire de Montréal, cf procès d’Aylmer », ASSS, T42, n°158, 28 juin 1880. 177 Idem.

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On ne saurait dire pourquoi la Minerve se refuse apparemment à publier les articles d’un

homme engagé par le Séminaire. Peur de s’investir dans un engagement politique qu’elle a

dépassé depuis ? En effet, la Minerve n’hésitait pas, quelques années auparavant, à prendre la

défense du Séminaire et à dénigrer les informations des journaux anglais. Quoiqu’il en soit,

on peut retenir de cette manœuvre orchestrée par les Sulpiciens qu’elle vise plutôt à s’attirer la

bienveillance d’une presse en perpétuel combat. La peur du scandale plane, qu’il soit justifié

ou non, peu importe. Il faut éviter tout débordement de la presse et exercer un contrôle

pratiquement constant pour ne pas laisser libre cours à l’imagination ou l’interprétation

« extrapolisatrice » des journalistes. Ce danger, les Sulpiciens en ont pris conscience. Ils

savent qu’ils peuvent être pris de vitesse par la presse qui s’empresse de divulguer les

informations sans se préoccuper de vérifier ses sources. Mais parfois, les sources ne sont pas

aussi mensongères que l’on veut bien le croire… :

« Rien n’a été fait aujourd’hui par le gouvernement dans l’affaire de

l’approvisionnement des sauvages. La véritable difficulté est que le gouvernement

voudrait que le Séminaire ferait ces dépenses sans remboursements mais il n’ose

pas en faire cette demande officiellement et par écrit, la réponse que pourrait lui

faire serait trop écrasante, de là les tâtonnements, les délais. M. Mousseau fait tout

ce qu’il peut mais il est impuissant contre le fanatisme et approuve que la chose

soit amenée devant la chambre et le public. Déjà le travail est commencé. Demain,

le Courrier de Montréal en dira deux mots puis viendra ensuite La Minerve, Le

Globe… »178

Les secrets n’ont plus la chance d’être bien gardés et les nouvelles n’ont pas tôt fait d’exister

qu’elles se retrouvent sur les pages des journaux. Les agissements du gouvernement ne sont

plus à même d’être à l’abri des mauvaises oreilles : la presse cherche le moindre détail pour

alimenter ses colonnes en rebondissements, en scandales… Apparemment, il suffit qu’un

journal récupère l’information pour que celle-ci se répercute dans tous les autres, quelques

soient leurs bords religieux et politiques. Rien, pas même les membres du gouvernement, ne

peut empêcher la presse de faire état des informations qu’elle reçoit. On a l’impression que la

presse est le maître du jeu et qu’elle régit désormais les comportements de chacun face à

l’opinion publique :

178 « Lettre de Choquet à Colin, supérieur du Séminaire », ASSS, A6-C2, P1-8A1, n°226, 2 mars 1882.

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« Le Witness a dit que le Séminaire achetait les terres du gouvernement d’Ontario.

Cela déplaît aux sauvages qui craignent que nous les réclamions plus tard. Il est

bon que le séminaire paraisse le moins possible dans cette affaire et que tout se

fasse par le gouvernement »179

Autant chacun peut trouver le loisir de s’exprimer dans les journaux pour exposer

concrètement un point de vue à l’opinion publique ou pour contrer une offensive, autant il

semble que la discrétion soit parfois le meilleur moyen pour ne pas être confronté au débat

public, souvent vecteur d’une mauvaise publicité. Le jeu journalistique est dangereux et la

peur du scandale est bien présente dans les esprits des Sulpiciens qui veulent étouffer

certaines parties délicates de l’affaire d’Oka. Le fait est que la presse a tendance, non

seulement, à exagérer mais aussi, à déformer de temps en temps la vérité pour captiver

l’attention du lecteur. Les Sulpiciens, dans ces cas, ne semblent pas disposés à s’étendre sur le

sujet.

Le problème territorial à Oka est le principal thème sur lequel s’acharne la presse

protestante quand il s’agit de détruire l’image des catholiques : spoliateurs des terres

autochtones. Les Sulpiciens ont fait publier dans la Minerve le 26 janvier 1876 le texte

intégral leur mémoire sur les difficultés à Oka pour rétablir leur vérité, démolie par les

critiques des journaux protestants, repris par le Franc-Parleur trois jours plus tard seulement.

Il est intéressant de noter que le Herald avait décidé de le publier en partie seulement,

prétextant qu’il était trop long : « As the pamphlet is too long for our columns, we propose to

abridge it» Comment ce journal s’est-il procuré ces sources ?180 Même s’il s’avère plus

prudent de montrer une position réservée pour éviter un déballage dans les journaux, les

Sulpiciens ne sont pas tellement affecté par les multiples critiques plus acerbes les unes que

les autres lorsqu’elles viennent du Witness : le journal le plus sectaire en matière de religion.

Par conséquent, les Sulpiciens ne prennent pas en considération le contenu des articles. Le

Witness est par trop revanchard pour être considéré comme une feuille influente au sein de la

majorité de l’opinion publique, c’est du moins ce que semble penser le curé d’Oka à cette

époque qui se croit en droit de se moquer de ce journal, ne mesurant pas les possibles

179 « Lettre de Lacan sur l’attitude des Indiens d’Oka relative à leur départ pour le canton de Gibson », ASSS, T42, n°184. 180 « Mémoire sur les difficultés survenues entre les MM. Les ecclésiastiques du Séminaire de Saint-Sulpice de Montréal et certains Indiens de la mission d’Oka, Lac des Deux Montagnes », La Minerve, 26 janvier 1876, et « mémoire et Oka et les MM. Du Séminaire de Saint-Sulpice », Le Franc-Parleur, 29 janvier 1876.

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conséquences de ce genre d’articles sur des individus portés à être extrémistes dans leur

jugement :

« Green m’a écrit et envoyé un petit article du Witness au sujet d’une

conversation entre moi et les chefs : j’en ai ri de tout mon cœur et je vois de plus

en plus les gens du Witness tout aussi crédules et aussi sots que les sauvages eux-

mêmes. On leur dirait [des choses] les plus niaises, qu’ils publieraient tout sans

cérémonie et sans se douter que tout cela est de la farce. »181

Cependant, l’affaire d’Oka est loin d’être une farce dans ce contexte idéologique de cette fin

de siècle.

Il paraît clair que la presse manipule en grande partie l’opinion. Elle est devenue un

maillon indispensable dans la chaîne de l’information. Parfois, les Sulpiciens se demandent où

en sont les choses quand la presse reste muette :

« Où en sont les choses ? Les journaux ne disent rien, les membres du Parlement

ne disent rien… Que vont devenir les sauvages ? Va-t-on les faire partir ? (…)

Quelle entrave y a-t-il dans nos affaires et qui est ce qui a mis le trouble ? »182

Oka semble être dans un vase clos, opaque aux informations qui se baladent de journaux en

journaux à son sujet. L’apostasie n’a pas seulement changé la donne pour les habitants à Oka,

mais a donné l’occasion à une presse, médiateur principal avec l’opinion publique, d’ouvrir

un débat généralisé sur les questions de droits de propriété, mais surtout sur des questions

d’ordre religieux.

3.1.2. La presse s’en mêle : les répercussions de l’apostasie.

Dès les années 1850, au moment de la toute première révolte, qui conduisit à

l’excommunication de quatorze Amérindiens, la presse était sur le qui-vive, comme en

181 « Lettre de Leclair à Choquet sur l’attitude des Indiens d’Oka relative aux déprédations dans les bois », ASSS, P1-8A1, n°248, 13 décembre 1882, et « The case of the Seminary in connection with the affair of the Oka indians », Montreal Herald, 21 janvier 1876. 182 « Lettre de Leclair, curé d’Oka à Choquet lui demandant des renseignements sur l’affaire du départ des Indiens d’Oka et l’informant de leur inquiétude », ASSS, A6-C2-P1-8A1, n°231, 22 mars 1882.

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particulier, the True Witness et the Catholic Chronicle et le Montreal Witness. Mais déjà, les

polémiques grondaient. Le journal anglophone, mais pro catholique accuse son collègue tout

aussi anglophone, mais de conviction méthodiste pure et dure, d’avancer des inepties

concernant les termes utilisés dans les actes de concession :

“We would call the attention of the editor of the Montreal Witness, to the fact

that, in his last number, he has neither made good his accusations against the

gentlemen of Saint-Sulpice, nor yet apologized for the vile calumnies of his

anonymous correspondent. It is vain to say, that it was only meant to insinuate

that the Seigniory was granted to the Sulpicians, for the Indians”.183

Outre le fait que le ton est méprisant, c’est toujours la même rengaine qui anime les débats : à

qui appartient les terres ? Dans quelles mesures ? Et l’article devient un long déballage de

critiques déversées sur le compte du Witness :

“So much for the statement of the Montreal Witness, which we declare to be a

malicious and deliberate falsehood and we intend to make good our assertions.”184

Mais les articles ne sont pas aussi abondants que dans les années 1880. La presse commence à

s’intéresser à Oka, se doutant que l’affaire va prendre de l’ampleur. En 1871, quelques temps

après l’apostasie qui a fait grand bruit mais qui n’a pas encore de répercussions édifiante à la

Une, The Montreal Gazette préconisait une suite désastreuse si on ne réglait pas tout de suite

la question d’oka. Le journal, à cette époque, défendait sans retenue la cause amérindienne au

Lac des Deux Montagnes, et martelait sa plaidoirie d’un ton accusateur envers les Sulpiciens

ou autres catholiques. Même au début de la tragédie, Le ton n’a jamais été conciliant. Les faits

sont exposés selon un point de vue bien particulier, un point de vue protestant. D’où, les

accusations pointées sur les Sulpiciens, d’une part et les catholiques, d’autre part. Les

journalistes dénoncent à Oka une liberté de culte bafouée, une persécution morale sur le

peuple amérindien qui dure depuis plus d’un siècle et une terre qui n’est pas aux mains des

bons propriétaires :

183 The True Witness and Catholic Chronicle, 27 février 1851. 184 Idem.

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“Remembering only that the land was originally theirs [the Indians], remembering

that they were created, by the first grant, the wards of the soil land conceiving that

they should have at least some rights connected with it. (…) in this country, it

would be a serious blow at the religious liberty upon which we pride ourselves, if

it should turn out that the Indians are persecuted simply because they make free

choice of a religious faith. It is clear, however, that these difficulties existed

before the establishment of the protestant Mission in the neighbourhood.”185

A partir de cette date, les sujets que nous venons d’évoquer, seront sans cesse répétés dans les

colonnes des journaux. Les arguments ne changent pas, mais rien n’est laissé de côté. Chaque

micro événement est répertorié, donnant prétexte aux journalistes de revenir et d’argumenter

férocement sur les mêmes thèmes qui seront maintes et maintes fois développées par la suite.

Cependant, les articles restent maigres. L’engouement n’a pas encore tel pour que la quasi-

totalité des journaux de Montréal au XIXème siècle soient sur le qui-vive en ce qui concerne

l’affaire d’Oka. Les événements ne sont pas encore assez importants pour capter la totale

attention de l’opinion publique.

3.1.3. La presse s’emballe : les protestants sur le front journalistique.

Quelques jours après seulement après la démolition, par voie légale, du temple

méthodiste construit sans permission par les Iroquois, le Herald décide de lancer une

campagne pro méthodiste vindicative et surtout une compagne anticatholique. Le 15

décembre, ce même journal rapporte dans ses colonnes le grand concert organisé en faveur

des Iroquois lésés d’Oka, pour récolter des fonds et des partisans de cette cause qui se veut, en

apparence, juste et loyale, mais qui, officieusement, vise surtout à détruire le crédit de la

religion catholique :

“Last night, a grand concert (…) was held (…) in aid of the Methodist Indians of

the Oka district, who have suffered great privations consequent upon the recent

decisions in the courts in favour of the Seminary (…) the collection of the

amount promised on the slips, amounted to upwards of 1,600$.”186

185 « The Indians of Two Mountains », The Montreal Gazette, 9 octobre 1871. 186 « The protestant Indians of Oka », the Montreal Herald, 15 décembre 1875.

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Le Herald, qui ne cache pas ses convictions religieuses, fait de la publicité pour faire valoir le

pouvoir potentiel des protestants de Montréal qui se démènent pour soutenir leurs nouveaux

protégés, ou pour aboutir à une guerre religieuse. Tous les leaders du mouvement méthodiste

sont présent et se font entendre lors de ce grand rassemblement, qui ne peut être manqué par

la presse : les révérends prennent chacun à leur tour la parole ainsi que d’autres prédicants,

réputés pour leur force d’expression et leur charisme :

“The chairman [Reverend Borland] in his opening remarks traced the history of

the present trouble. (…) Reverend Parent described the manner in which the

Indians were oppressed. (…) reverend Chiniquy concluded his discourse very

much moved and in an almost inarticulate voice, from the depth of his

emotion.”187

Tous les moyens sont bons pour émouvoir le lecteur, en retranscrivant par exemple, avec un

vocabulaire approprié, une atmosphère lourde en vue d’attendrir chaque lecteur. Les méthodes

employées par les journaux anglophones sont appréciées par un auditoire qui recherche

l’émotion, l’aventure, les causes à défendre, l’implication dans la vie active et dans les débats

capables de pimenter leurs vies. Pour plus d’authenticité, le Herald préfère laisser parler les

intervenants dans les conférences, pour que le rendu à l’écrit soit plus vivant, plus percutant.

Si les protestants ont déjà leurs messagers, porteurs d’un discours propagandiste, pourquoi

vouloir leur faire de la publicité ? :

“Reverend Dumoulin said : « Did our living the midst of a large Roman Catholic

majority oblige us to be so meatly-mouthed ? (hear hear) Was it so in

Ireland?”(no, no)”188

Le journal fait comme si il rapportait intégralement les paroles sans oublier les apartés de la

foule qui les accompagnent (« no, no »). Dans ces journaux revendicatifs, chaque action des

protestants est relatée avec soin et minutie, la presse est devenue le mode de diffusion le plus

efficace de l’époque.

187 Idem. 188 « The Oka Indians and the Seminary », Montreal Herald, 20 décembre 1875.

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Le but est de prouver que l’union fait la force et que les protestants sont assez nombreux

et bien organisés (en association comme l’ « Agorigines Protection Society ») pour faire

tomber, du haut de son piédestal l’Eglise catholique qui croit posséder l’immunité:

“ …and the affair culminated in the organization of what is now known as the

protestants defence Alliance. (…) At the meeting in Mechanicals Hall, where the

engine of protestant warfare was ushered into existence, there were orators of

various shades…”189

Les protestants veulent montrer qu’ils sont présents en tout temps et en tout lieu. Ils

multiplient les interventions afin d’être proche des gens. La presse sert de preuve scripturale.

Le travail des journaux protestants consiste, non seulement, à diffuser les actions multiples et

diverses des organisations de même conviction religieuse, mais aussi, à colporter des rumeurs

pour affaiblir l’ennemi.

Tandis que cette époque voit le réveil des Sulpiciens dans la presse avec la publication

de leur mémoire, les protestants se font de plus en plus présents, de plus en plus pesants, de

plus en plus offensifs. Il n’est plus temps aux petits articles anecdotiques. La grande guerre

journalistique est en train de prendre forme. Les débats prennent corps dans des journaux

radicalisés à l’extrême.

3.1.4. Les procès ou intervention physique de l’opinion publique.

Pour pouvoir insérer des commentaires, la presse se voit obligée de s’appuyer sur des

faits concrets avant de les introduire. Les procès qui vont se succéder à partir de l’accident

involontaire ou volontaire (la justice n’aura jamais vraiment décidé) vont endosser ce rôle.

Les procès, parce qu’ils sont transférés à Sainte Scholastique, et par conséquent en dehors du

cadre du Lac des Deux Montagnes, vont concerner plus directement les gens.

189 « The Seminary and the Oka Indians », The True Witness, 28 janvier 1876.

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Situation géographique de Sainte-Scholastique (par rapport à Oka)

Source : BOILEAU, Gilles, Le silence des Messieurs, Oka, Terre Indienne, Montréal, édition de Méridien, 1991, 273 p.

En effet, Oka est devenue une affaire judiciaire, amenée à être discutée et jugée devant

les tribunaux, constitués d’une part par la population dans le cadre du jury. Oka ne peut plus

être inconnue, d’autant plus que la presse, quelque soit son bord, se régale à décrire chaque

semaine l’évolution de ces procès :

“At the former trials Judge Johnson had English and French jurors called

alternately, while Judge Bourgeois has intimated that since the Judge decided that

the Indians are not to have six English jurors, they have not a right to have

English and French called alternately. The seminary had expressed their intention

to keep off every English jury man, and it is feared the crown prosecutor will

yield. The Indians are unhappy.”190

190 « The Okas before the judge », The Daily Witness, 23 janvier 1880.

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La composition du jury est essentielle car la sentence dépend d’elle. En effet, dans la

jurisprudence anglaise, le jury décide de la culpabilité ou non sans que le juge n’intervienne.

Dans des cas comme celui qui nous intéresse, la politique détermine finalement le verdict. Le

séminaire voudrait que le jury soit composé de Français uniquement, pour s’assurer

l’unanimité des voies. Pour cela, il réussit à convaincre le juge sans réelles difficultés,

évinçant par cette occasion les jurys protestants, principaux soutiens des indiens. Tout est

question de stratégie, et ce n’est pas le juge qui rend le verdict, mais les jurés. L’avenir d’Oka

est passé entre les mains de l’opinion publique. Elle est plus qu’ « une question locale »,

comme en témoigne le Witness :

« The Oka question growing upon the people of this Dominion – for the Oka

question is more than a local question. »191

Tous les journaux sont à l’affût des moindres comparutions, des moindres témoignages. Mais

chacun les présente à sa façon. Le Montreal Daily Star opte pour amorcer cette affaire dans

un style plutôt lyrique, afin d’essayer d’adoucir les tensions qui se jouent dans ces procès :

« As the music floated out on the still air, a large crowd was attracted and listened

attentively. »192… A moins que le procédé dévoile le début d’un feuilleton à rebondissements,

comme les feuilletons que l’on peut suivre au fil des semaines dans les journaux. Cette

stratégie découle-t-elle d’une volonté d’inscrire ces procès parmi les plus grands de cette fin

de siècle, ou d’une volonté d’en faire un roman palpitant pour les lecteurs avides de

sensationnel ? En tout cas, en lisant les résumés des journaux anglophones et francophones,

les rebondissements ne manquent pas. Chaque analyse sert ses propres intérêts, sans jamais

revenir sur le fond du problème. L’objectif est de prouver le plus simplement possible que

soit, la défense de l’un ne tient pas debout, soit celle de l’autre est imparable. Le jeu verbal

des avocats tient en haleine les jurés et les lecteurs. Tandis que le Star met en évidence les

exploits tactiques de McLaren, avocat des Iroquois accusés, pour tourner le procès à son

avantage, « Mr McLaren here put in an authority for which he had been looking »193, le

Courrier de Montreal crie au scandale quant à la résolution ou plutôt à la non résolution de

ces procès et quant à la mauvaise foi des jurés et des journaux protestants :

191 Idem. 192 « Six o’clock PM The Oka Arson trial », The Montreal Daily Star, 10 juillet 1880. 193 « Six o’clock PM The Oka Arson trial », The Montreal Daily Star, 13 juillet 1880.

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« Le procès a d’abord été soumis à un juge anglais et protestant. Sa charge au jury

a été très forte contre les accusés. Cependant, trois fois de suite, grâce au

fanatisme des jurés protestants, les coupables ont pu jusqu’ici échapper au

châtiment. (…) Et ce sont maintenant ces journaux, qui de tout temps ont dénaturé

les faits afin de défendre les coupables, qui reprochent à la couronne les délais

entraînés par ce procès. »194

Ces procès resteront bloqués par une opinion trop partagée susceptible de les faire durer une

éternité. De plus, les informations lancées par les différents journaux n’arrêtent pas de se

contredire. Alors que l’on vient de voir que, selon le Courrier de Montréal, le statu quo est

provoqué par la seule faute des « jurés protestants fanatiques », le Daily Witness avance de

son côté, un an plus tard, que ces délais sont dus à la seule mauvaise volonté du Séminaire de

Saint-Sulpice :

“And for years M. McLaren, the advocate for the Indians has endeavoured to

prosecute a case to settle this question once for all, but has been blocked at every

step by the Seminary…” 195

Force est de constater que les divergences leur permettent de rebondir dès le lendemain ou le

surlendemain. Cependant, les deux journaux s’accordent à dire que si le procès n’avance pas,

il existe bien une raison, un élément boiteux. Chaque parti tente de dénoncer les faiblesses de

l’autre et d’en dévoiler les aspects ridicules, comme le fait le Star, en prenant soin de démolir

la crédibilité de l’avocat des Sulpiciens :

“As soon as M. McLaren said he had twenty more witnesses (…) M. Fleming

replied that he had but that he would not be ready until tomorrow. M. McLaren

said he could bring forward witness to occupy the rest of the day. The judge

smiled…”196

Les protestants veulent faire croire à leurs lecteurs, que les procès sont en bonne voie, et que

l’avocat qui représente leurs protégés est assez adroit pour gagner, puisqu’il a fait preuve de 194 « Deux poids, deux mesures », Le Courrier de Montréal, 14 juillet 1880. 195 « The present position of the Oka Case », The Montreal Daily Witness, 15 octobre 1881. 196 « Six o’clock PM The Oka Arson Trial, Close of the case for the defence », The Montreal Daily Star, 15 juillet 1880.

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réparties vives et déstabilisantes, dont le juge apprécie l’humour, apparemment. Les journaux

francophones, pour leur part, s’occupent plus à illustrer les défauts et les disfonctionnements

qui rendent ces procès odieux au nom de la vraie justice et de la morale. D’une part, Le

Courrier de Montréal se charge de mettre en évidence l’anomalie dans les procès de deux

individus accusés du même crime, soit l’incendie de l’église du village d’Oka, trois ans

auparavant. Dans le cas de l’accusé Mathias Akiweras alais Mathias Simon, il n’y eut pas de

verdict. La seule remarque à prendre en compte est que le jury était composé à moitié de

catholiques et à moitié de protestants. Dans le second cas, celui de Louis Larivière, les

avocats « au moyen d’une petite manœuvre qu’on ne qualifiera pas », réussirent la prouesse

de l’acquitter ; le jury était formé uniquement de protestants. Cette enquête, minutieusement

menée par les journalistes du Courrier leur fera terminer la démonstration sur une conclusion

qui soulève la question de la vraisemblance et de la qualité judiciaire de ces procès :

« Cela porte naturellement à réfléchir, la cause était la même, ils étaient tous les

deux accusés du même crime, commis dans les mêmes circonstances »197.

Le « silence » qui suit cette remarque, laisse entendre ce à quoi pense fortement le journal :

les procès sont manipulés et manquent de cohérence. De son côté, La Minerve entreprend de

relever les propos tenus par chaque témoin, pour souligner les inepties enchaînées dans le

procès des incendiaires et les contradictions évidentes des témoins : « Le prisonnier qui est

mentionné dans cette déposition n’est pas le même que celui qui est aujourd’hui à la

barre »198. Le Courrier de Montreal se lance quant à lui dans le même genre de relevé mais

avec des commentaires beaucoup plus développés et plus amers encore. La condamnation est

sans appel : les dés sont pipés dans cette longue série de procès :

« Le système de la défense paraît au premier abord équivoque irrésolu et hypocrite

et voici pourquoi : les témoins de la défense ou du moins quelques uns d’entre

eux, insinuent que l’incendie a dû être l’œuvre de partisans du Séminaire avec le

consentement de celui-ci, dans le but d’en faire porter la responsabilité aux

Indiens. Mais les avocats expliquent que le feu a dû être mis par un des

domestiques du Séminaire ; par inadvertance. Après avoir laissé tomber

197 « Procès des Indiens d’oka », le Courrier de Montréal, 4 août 1880. 198 « Procès des Indiens d’Oka, la reine versus Matthias Simon, Aylmer 9 juillet 1880 », La Minerve, 14 juillet 1880.

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l’insinuation odieuse dans l’oreille des jurés, leurs corréligionnaires, ils se gardent

bien d’y faire allusion dans leurs plaidoyers de peur de fournir à la couronne

l’occasion d’en démontrer l’impudente fausseté. L’impression est créée, cela leur

suffit. »199

La défense apparaît ici outrageusement truquée et le Courrier compte bien le divulguer dans

ces colonnes et se donner le beau rôle se faisant le dénonciateur de ces procédures

scandaleuses :

« C’est pourquoi nous avons cru pouvoir exposer au public cette cause célèbre

sous son véritable jour, quoiqu’elle soit encore sous la main de la justice, et nous

avons aussi cru qu’il était de notre devoir de le faire, pour répondre aux comptes

rendus partiaux et pleins de mauvaise foi, publiés par certains journaux anglais de

cette ville. »200

Les journaux se croient remplies d’une mission : celle de rétablir la vérité et la justice dans

ces procès trop influencés par une opinion publique poussée dans ses retranchements.

On peut constater à travers cette partie que les procès des incendiaires d’Oka reflètent

moins le fonctionnement judiciaire dans le Québec du XIXème siècle, que l’interférence

croissante des commentaires journalistiques qui réécrivent à leur façon le déroulement des

procès. La guerre journalistique engagée, l’opinion publique peut s’épanouir et prendre à son

compte l’affaire d’Oka, désigner à sa guise le « vainqueur » de ces procès : les Sulpiciens ou

les Iroquois.

3.2. La guerre journalistique : un ton viscéral et cassant.

A travers l’affaire d’Oka, les journaux ont trouvé un nouveau terrain d’entente, ou

plutôt de mésentente. Les journaux, plus que de défendre leurs convictions politiques et

religieuses, s’impliquent dans un combat inter journalistique. Cette guerre va prendre de plus

en plus d’importance et va occulter complètement le fond du problème de la mission du Lac.

Les tensions montent proportionnelles au ton et aux insultes. Les querelles journalistiques

199 « Le procès des Indiens d’oka », Le Courrier de Montréal, 6 août 1880. 200 Idem.

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vont bientôt évoluer en querelles personnelles, et la presse devient le miroir des tensions

sociales individuelles, comme celle opposant les révérends méthodistes Borland et Scott., sans

qu’elles ne se rattachent directement avec l’affaire d’Oka sauf par le nom de ces individus qui

se sont occupés un temps soit peu des Iroquois :

3.2.1. Disputes et calomnies : les répliques sous-entendues

Les journaux ne se gênent surtout pas pour s’envoyer des injures et l’affaire d’Oka

devient un nouveau support thématique pour exposer ces allers-retours purement gratuits de

paroles incendiaires. Mais avant de mettre en évidence les calomnies abondantes, nous allons

nous pencher dans un premier temps sur une histoire particulière qui s’est passée dans le

village d’Oka, dont deux journaux anglophones, rapportent les faits. Cependant, on constate

rapidement les divergences dans l’exposé de ces faits. Le journal The Globe publie un article

sur cette histoire en date du 24 octobre 1881, lui consacrant un quart d’une de ses colonnes et

l’intitulant : « The Oka Indians : a correct version of the ejectment affair. The Indians and the

Seminary ». Le journal, très virulent, The Witness, quant à lui, reprend la même histoire pour

constituer un article de la taille d’une colonne entière sous le titre « The Oka Disturbance : the

government investigate into Friday’s trouble – a ruffianly outrage – the seminary determined

to use force » dans son édition du 25 octobre 1881.

Au regard des seuls titres, il ne paraît pas évident que les deux journaux traitent du

même sujet, et pourtant il s’agit bien de la même histoire. La version donnée par Globe

semble vouloir corriger celle de la requête rédigée par les chefs Indiens d’Oka et télégraphiée

au Département des affaires indiennes à Ottawa. Ce rapport aurait, selon leur jugement,

dénaturé les faits :

« Your correspondent is able to give from one who was present the correct

version of the affair at Oka which seems to have been magnified into a collision

between the Indians and the French Canadians »201

L’ambition de ce journal est donc de rétablir une « version correcte » de cette histoire

qui s’est déroulée le 23 octobre 1881. Les rumeurs devaient déjà avoir franchi la frontière

201 « The Oka Indians », The Globe, 24 octobre 1881.

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entre le Québec et l’Ontario (The Globe est un journal ontarien). Cependant, le Witness

réplique très rapidement en présentant le lendemain sa version des faits différente. Le titre a

l’avantage d’être évocateur quant à la position choisie : le séminaire encore et toujours

coupable d’un outrage de trop. Quoiqu’il en soit, l’opinion publique se voit confrontés de

deux façons diamétralement opposées d’expliquer une même histoire. Afin de mieux évaluer

le degré de différence, nous allons nous attarder sur les détails de ces articles et montrer ainsi

systématiquement les points de divergence.

Tandis que le Witness rapporte les faits et les dialogues, le Globe se contente de

résumer de façon concise l’affaire. Cette première différence se rapporte sur la longueur

respective des articles. Le canevas de cette histoire se résume aux événements suivants : une

femme amérindienne vend sa maison au Séminaire car elle veut partir à Muskoka, dans la

réserve nouvellement créée. Cet acte de vente est ratifié en tout bien tout honneur par l’agent

McGuire. Cependant, la famille protestante de la vendeuse reste sur les lieux. Le problème va

s’aggraver lorsque cette maison sera vendue à des Canadiens français, bien décidés à habiter

la maison qu’ils viennent d’acheter au séminaire. Mais la famille iroquoise n’est pas facile à

déloger. Barricadée dans sa maison, qui bientôt ne sera plus la leur, elle refuse tout dialogue et

les policiers seront obligés de défoncer la porte pour pouvoir exproprier la famille. Dans la

description du déroulement de ces faits, The Globe insiste sur la longue négociation qui a

précédé l’infraction forcée du policier :

“Two policemen went to the house and found the Cree family there in possession,

the latter claiming that the woman had no right to sell the house without their

consent as it had been owned and built by the common father of the family. Two

hours later, the family barricaded the doors. The latter (policeman) aided by some

others burst open the door.”202

The Witness, quant à lui, fait intervenir directement le témoignage d’un Indien, le chef John

Tewasha, présent sur les lieux rapportant les mêmes faits :

“I saw the policeman and about then more french canadiens coming toward the

Cree house. I spoke to all and told them not to touch the house. Fauteux replied

that the house belonged to the French.”203

202 « The Oka Indians », The Globe, 24 octobre 1881. 203 « The Oka disturbance », The Montreal Daily Witness, 25 octobre 1881.

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Dans cette version, la focalisation est axée sur le témoignage de l’Iroquois. Le témoin apparaît

comme un médiateur (du moins essaie-il de le devenir) dans ce dialogue de sourds. Ainsi,

pour être simplistes, les Amérindiens sont présentés comme étant les gentils et les Canadiens

Français comme les méchants. D’autre part, le fait de rapporter des paroles donne plus

d’authenticité à l’histoire.

Mais les divergences seront concrètement visibles lorsque le cas de la femme Indienne,

blessée au cours de cette opération d’expropriation quelque peu musclée, sera abordé. The

Globe en fait état comme un détail supplémentaire de la scène :

“The French Canadians jumped in to help the policemen and in the melee some of

the Indian women were badly hurt. They were ejected, however.”204

Pour le Globe, il ne fait pas de doute que cette blessure est due à un accident, à la seule

précipitation de l’action. Par ailleurs, aucune indication ne mentionne la façon dont ces

femmes ont été blessées. La confusion de l’action aurait-elle déteint sur cet article ? Alors que

le Globe n’en fait qu’une brève allusion, le Witness emploie un vocabulaire assez clair pour

faire comprendre qu’il y a eu bavure: une femme indienne n’a pas été seulement blessée, elle

a été frappée intentionnellement. Le journal ne s’arrête pas en si bon chemin. Il déplore

ensuite la façon dont on a jeté hors de leur maison les propriétaires iroquois. Ils n’ont pas été

seulement « éjectés », comme le conclut rapidement le Globe, mais ils on été bel et bien

chassés d’une façon des plus irrégulières et des plus indélicates qu’il puisse exister :

“The door is broken up. He saw Fauteux strike Mary Ann Cree (…) Other

evidence was given concerning the rough manner in which the furniture was

thrown out, and to the effect that the attacking party were armed with clubs and

sticks and that they were under the influence of liquor”205

Pour le Witness, à en croire les témoins qu’il a interrogés, il n’a pas eu seulement « mêlée »,

mais bien violente bagarre avec des armes improvisées (bâtons…) aggravée par une

consommation abusive d’alcool de la part des Canadiens français. A partir de ce moment là,

on se demande s’il s’agit bien de la même histoire. En effet, le Globe soutient l’action du

204 « The Oka Indians », The Globe, 24 octobre 1881 205 « The Oka disturbance », The Montreal Daily Witness, 25 octobre 1881

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Séminaire qui a agi en se conformant aux règles, puisqu’elle ne fait que faire valoir ses droits

et la justice saura bien le reconnaître :

« The Seminary taking the ground that they if they can sue in the courts for the

recovery of their property »206

Pour le Witness, il est question d’une tout autre histoire. Les Indiens sont en droit de faire

appel à l’aide du gouvernement pour être protégés des persécutions infligées à ce peuple

faible et maltraité :

“The Indians then passed resolutions representing to the government that the

persecutions at Oka had gone so far that they could not stand them any longer and

could be responsible for anything that might follow a repetition of such a scene as

that of Friday that those who had ill-treated the Indians at the Cree house should

be proceeded against by law and punished as they deserved, that the sale of

intoxicating liquors at Oka should be prohibited because it was the cause of much

trouble.”207

Les conclusions de ces deux articles ne sont évidemment pas les mêmes. Dans le cas relaté

par le Globe, le Séminaire n’a rien à se reprocher et a été atteint dans ses droits par une

famille iroquoise protestante, qui ne voulait pas respecter les lois. Dans le cas rapporté par le

Witness, les Canadiens français ont commis un crime en frappant une femme et en provoquant

une rixe générale. Chaque journal assume une version différente et la publie pratiquement en

même temps. La guerre journalistique est bien installée, même si elle apparaît ici sans que les

journaux soient pris à parti.

3.2.2. Cabale lancée contre The Montreal Daily Witness.

Dans cette fin de XIXème siècle, les journaux n’ont pas peur de citer leurs collègues

ennemis et de les fustiger en public. La victime de ces attaques nominales tombe

généralement sur le Witness, dont le ton mordant et le radicalisme des propos ne convient plus

206 « The Oka Indians », The Globe, 24 octobre 1881 207 « The Oka disturbance », The Montreal Daily Witness, 25 octobre 1881

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aux autres journaux qui ont choisi la modération concernant l’affaire d’Oka, sauf s’il s’agit de

prendre à parti le Witness. La Minerve adopte alors un ton méprisant à l’encontre du Witness,

de ses combats. Le Witness serait-il le symbole le plus calomnieux et le plus mensonger de

toute la presse québécoise ? Ce journal est à ses yeux un ramassis d’inepties, de

revendications religieuses extrémistes et aveugles :

« Voici le Witness lancé en guerre de nouveau à propos de l’affaire d’Oka. (…) Il

enrage de voir ces aimables incendiaires et malfaiteurs quitter la province et partir

pour un pays où il n’y a ni église à brûler, ni clôtures à voler. C’est une injustice,

une infamie, et il faudrait retenir de force ces bons Iroquois qui veulent s’en aller

et qui se déclarent contents du nouveau sort qu’on leur fait. »208

La Minerve, employant l’ironie, se complaît à démontrer combien le Witness s’est acharné à

défendre malgré tout, des criminels. Il montre à quel point l’exagération transparaît à travers

ses articles cyniques et révoltants, tellement le mensonge est grand :

« Dans sa fureur, l’organe biblique, qui s’intitule lui-même le seul journal

religieux quotidien (quelle étrange religion !) du Canada va jusqu’à dire que les

Messieurs de Saint-Sulpice voudraient chasser tous les Anglais de la province et

qu’ils seraient prêts, dans ce but, à payer de la terre 50 centimes l’acre dans

n’importe quel pays perdu pour les y loger. Est-il possible, nous le demandons, de

pousser plus loin le fanatisme et la mauvaise foi ? »209

L’article se transforme en pamphlet, véritable réquisitoire contre le Witness. Ce dernier tombe

dans le ridicule sous les coups portés par la Minerve : tout crédit s’écroule devant ses

attaques : le Witness est pire que tout, et seuls les gens embrigadés et de mauvaise foi

protestante peuvent lire ce condensé de grossièreté :

« Allons, c’est un comble, le comble de l’impudence, de la malice et de la

malhonnêteté. Si c’est là la religion du Witness, elle est plutôt digne des âges

barbaresque que de notre époque. Les protestants de bonne foi, d’ailleurs, savent

ce qu’il faut penser de ces mensonges calculés et de ces appels à des préjugés que

208 « Fanatisme et mauvaise foi », La Minerve, 19 octobre 1881. 209 Idem.

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ce journal à double face voudrait faire servir en même temps à satisfaire et ses

haines religieuses et les intérêts politiques de son parti. »210

La conclusion ne peut être aussi claire. Le Witness sert des intérêts autres que le journalisme,

et par conséquent est prêt à tout, même aux pires entraves du métier de journaliste

(mensonges, malice…), pour mener à bien son entreprise politico-religieuse. Cependant, la

Minerve, en tenant de tels propos aussi odieux que méprisants, endosse pratiquement le même

rôle que son ennemi, celui d’un journal radical dans ses pensées et violent dans son propos.

N’est-on pas en train d’être témoin de ce qui fait vivre la presse à cette époque ? Les

incessantes querelles, les calomnies, alimentent le contenu d’articles, alimentent même les

journaux. La presse, à cette époque, vit continuellement dans cette atmosphère belliqueuse.

Les journaux francophones ne sont pas les seuls à déplorer le travail du Witness ; les journaux

anglophones modérés comme The Montreal Gazette ne cache plus leur mépris désormais

affiché contre leur collègue :

“Our contemporary the Witness published the following telegram from Alfred

Perry (2 November) who went to Gibson township to see the place where those of

the Oka Indians who have gone are settled. (…) Our contemporary persists in the

statement that the township of Gibson is unsurveyed and is a blank on the map of

the district. We can assure that the Witness that is mistaken in this.”211

L’accusation est moins brutale mais elle n’est pas moins porteuse de sens. Le Witness est dans

la plus complète erreur dans son jugement sur le projet de la nouvelle réserve à côté de

Gibson. La Gazette déplore l’opiniâtreté excessive de ce journal concernant les modalités

dans lesquelles ont été négociées les terres dans le conté de Muskoka :

“It tells us that the terms of removal which have been made public are not the true

terms. The exact terms are in the report of the Commissioner of Crown Lands of

Ontario. (…) We have not seen the document to which our contemporary

refers.”212

210 Idem. 211 « The Indians in Muskoka », The Gazette, 3 novembre 1881. 212 « The Oka Indian question », The Gazette, 18 octobre 1881.

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Au final, pour la Minerve, le Witness est un impardonnable menteur, capable de mentionner

dans ses articles des preuves qui n’existent même pas, comme ce fameux rapport que la

Minerve jure ne jamais avoir trouvé ni entendu parlé. Ou est-ce que cela tient aussi de la

mauvaise foi de la Minerve ?

Malgré tout, ces imputations sont bien visibles et une véritable cabale contre le

Witness se met en marche à partir des années 1880. Les journaux sont cruels entre eux et

n’hésitent pas à se détruire les uns les autres, surtout ceux dont le ton et les idées ne plaisent

pas à la majorité. La liberté de la presse est-elle à ce point exacerbée pour que chacun puisse

s’acharner sur un journal en particulier, comme on le ferait avec un bouc émissaire ?

3.2.3. A chaque journal son protégé

Il paraît évident, au regard de cette guerre inter journalistique, que chaque journal

possède sa conviction religieuse, ses certitudes politiques, sa ligne de pensée, et par

conséquent son protégé dans le conflit qui oppose Sulpiciens et Iroquois protestants sous l’œil

vigilent des révérends méthodistes. Les premiers seront défendus par une presse

essentiellement francophone, mais surtout de confession catholique, ou encore par une presse

dépendant du mouvement ultramontain. Les seconds trouveront appui sur une presse

anglophone et protestante, mais aussi quelque fois par une presse libérale radicale, qu’elle soit

anglophone ou francophone. L’exemple le plus frappant pour la défense des Iroquois

protestants est, nous venons de le voir, le Montreal Daily Witness, le principal publicitaire des

activités et des colloques méthodistes. A chaque édition, le lecteur peut retrouver une colonne

consacrée à l’Eglise méthodiste et se tenir au courant de leurs démarches, etc… Les articles

traitant de l’affaire d’Oka révèle sans faux semblant leur sensibilité protestante. Le Witness

met en valeur toutes les qualités et les avantages que présente cette religion, ainsi que les

apports pédagogiques et spirituels :

“The Reverend Dorion preached in french, his subject being the Temptation of

Jesus. His remarks were interpreted by the interpreter into Iroquois, not sentence

by sentence, but half the sermon at a time. At the conclusion of the preaching

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service a class meeting was held. In which there were evidences of much interest

and spirit. The singing was especially good.”213

Les pratiquants ne peuvent que ressentir sérénité et plénitude en se réfugiant dans cette

religion. Elle n’est pas une source de conflits, au contraire, elle est plus proche des gens, à

leur service ; les chants sont « spécialement bons » et créent une atmosphère plus chaleureuse.

Mais le méthodisme n’est pas seulement une religion de ces multiples bienfaits, elle est aussi,

toujours pour le Witness, une religion d’une importance et puissance capitales :

“The Methodist Church has almost as vigorous a solidarity as the Church of Rome

itself, and is likely to form a factor in this discussion, which it may prove to have

ignored.”214

Le Witness est convaincu que l’Eglise Méthodiste saura se mesurer à l’Eglise Catholique

Romaine. La lutte contre le catholicisme est poussée à l’exacerbation dans les colonnes de ce

journal au langage virulent et aux propos propagandistes. Le méthodisme occupe toute la

place. Quand il n’est pas question de méthodisme en tant que tel, dans les articles faisant

référence à l’affaire d’Oka, il est question de catholicisme. Le Witness ne se limite pas à

encenser la religion méthodiste et ses attributs, il tend à vouloir ruiner le prestige, depuis

longtemps acquis, du catholicisme et de ses représentants, comme les Sulpiciens de la mission

du Lac des Deux Montagnes :

“An answer to the question : “Can a young man get land from the Seminary to

work if he asks for it” one named Ignace replied : “I asked the Seminary for land

when I was a young man. They said get married, get a wife and we will give you

land ?” I went and got a wife and asked them again and they refused me, but they

have plenty of land to sell to the French.”215

Le journal cherche toujours à mettre en avant les exemples et les témoignages où les

Sulpiciens apparaîtraient sous un angle négatif et répréhensible. Ici, par exemple, les prêtres

sont montrés comme étant des gens sans parole : ils refusent systématiquement d’allouer des 213 “Bright days in Oka : a day among the Indians – the farming community –fulfilled promises”, The Montreal Daily Witness, 28 juin 1881. 214 « The Okas », Montreal Daily Witness, 11 avril 1881. 215 « Sqeezing out the Oka Indians, Montreal Daliy Witness, 5 avril 1881.

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terres aux autochtones mais préfèrent les vendre à des Canadiens français. En incluant dans

leurs articles sur Oka autant de références concernant la conduite inadmissible de ces prêtres,

en s’acharnant à tacher leur image de prêtres proches de leurs ouailles, le Witness s’est fait le

champion de la défense des Iroquois opprimés d’Oka. Ce journal a contribué à entretenir les

calomnies et la haine dans le domaine des questions religieuses.

Les Sulpiciens trouvent réconfort grâce à une presse catholique et ultramontaine, et par

la suite grâce à une presse anglophone dont ils n’avaient pas spécialement gagné la faveur au

départ. Des journaux de langue anglaise, comme la Gazette, optant pour un ton beaucoup plus

consensuel et modéré, sont devenus partisans du Séminaire dans le conflit qui les oppose aux

Iroquois au sujet des terres du domaine du Lac. Le 11 octobre 1881, la Gazette publie une

interview réalisée avec M. Choquet, l’agent du Séminaire pour qu’il se prononce sur

l’arrangement conclu entre le gouvernement et le Séminaire à propos du déménagement des

Indiens d’Oka. M. Choquet présente là un dossier où la participation des Sulpiciens est

exemplaire : paiement du coût du déménagement, le fait que cet exode est proposé en guise de

solution et de paix avérée, le fait que cet accord ait été accepté après que les Iroquois

protestants eurent donné leur approbation … :

“- Choquet : « It has been obtained from the Ontario Government by the Indian

Department but the Seminary are to pay for it… and have nothing further to do

with the land. (…)

- R : Do I understand you to say that the Indians are not obliged to accept this

arrangement

- Choquet: Not at all. (…)

- R : Are the catholic Indians anxious to go?

- Choquet : They are more indifferent. Those who have no farms will probably go:

but the desire for removal is chiefly among the protestants.”216

A l’heure où Montréal vit à travers les débats sur la tolérance et l’intolérance entre

Ultramontains et Libéraux, M. Choquet est chargé de montrer que, dans le règlement de

l’affaire d’Oka, le Séminaire sait montrer une grande indulgence envers des Indiens dont une

partie, relativement conséquente, a renié la foi catholique. Cependant, faut-il encore noter

dans les morceaux choisis de cette interview, Choquet se croit obligé d’ajouter une

216 “The Oka Indians : Interview with M. Choquet (who has been acting for the seminary in the matter), the details of the arrangement between the government and the Seminary”, The Montreal Gazette, 11 octobre 1881.

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information concernant les nouvelles terres attribuées aux Indiens d’Oka : les sulpiciens ne

feront rien de plus que de payer le déménagement sur les terres en Ontario : « and have

nothing futher to do with the land ». En bref, l’agent du Séminaire anticipe la question qui

brûle les lèvres des potentiels détracteurs : à qui appartiendra les terres ? Le Séminaire n’aura

aucun droit sur ce territoire qui sera sous la responsabilité du gouvernement fédéral. Tout est

orchestré pour éviter le moindre faux pas, la prudence est de rigueur. Et la Gazette compte

bien aider les Sulpiciens à rétablir leur réputation.

Quelques semaines plus tard, la Gazette réitère et publie une seconde interview avec M.

Choquet pour éclaircir certains points, accusés d’être obscurs selon le Witness :

“- R. : Referring to your former interview, published in the Gazette in which you

describe the township of Gibson as on Lake Muskoka, I see the Witness said it

was twenty miles from that lake.

- Choquet: I was mistaken. The township is on the Georgian Bay, not on Lake

Muskoka. The reservation is on the eastern side of the township (…)

- R. : Then the statement of the Witness that “the township of Gibson is some

twenty miles from Muskoka Lake is incorrect

- Choquet : quite incorrect.”217

Le journaliste pose les questions à M. Choquet dans le seul but de discréditer les informations

délivrées par le Witness. Comme on peut le voir dans cet extrait, la réponse de l’agent du

Séminaire à la première question que l’on pourrait résumer ainsi : « Est-ce que le Witness se

trompe quand il insinue que la réserve est située loin du lac218, et donc loin d’une zone de

pêche comme il avait été promis dans les déclarations ? », n’est pas assez convaincante. En

effet, sa réponse débute par l’aveu que, lui-même, M. Choquet s’est mal exprimé, c’est-à-dire

que la réserve n’est pas à proximité du Lac Muskoka, mais sur la baie géorgienne. Devant

cette explication quelque peu confuse, le reporter reformule sa question ou plutôt son

affirmation : le Witness est donc dans l’erreur. La réponse de M. Choquet ne se fait pas

attendre et confirme l’hypothèse avancée par le journaliste. On peut constater que l’interview

est rondement menée par le journaliste de la Gazette et on peut se demander si les questions

217 “The Okas at Muskoka, interview with M. Choquet – the new settlement”, The Montreal Gazette, 1 novembre 1881. 218 Le lac Muskoka est situé à 5 km de la frontière est alors que la baie Géorgienne à 13 km de la limite ouest. Le village est à plus de 10 km d’un grand lac, et on pas à 30 km comme le prétend le Witness. Par ailleurs, la réserve est située sur le bouclier canadien et n’est donc pas propice à l’agriculture.

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posées ne sont pas trop tendancieuses et orientées. La Gazette donne la parole aux gens de

l’entourage du Séminaire pour que ceux-ci puissent se défendre, s’exprimer librement et

s’expliquer. Par la même occasion, le journal en profite pour toucher ses adversaires et

disqualifier leur travail, quelque soit le moyen employé, comme l’utilisation de question-

affirmation…

Cette partie nous a permis de mesurer l’importance accordée par les journaux à leurs

protégés. Chaque partie a son espace d’expression, par conséquent la lutte verbale passe

d’Oka à Montréal, grâce à la diffusion de la presse.

3.2.4. Querelle dans la presse entre deux méthodistes d’ Oka : prétexte à

s’éloigner du problème originel.

Si la presse est habituée à s’affronter continuellement et individuellement, elle mise

aussi sur ses représentants pour alimenter les tensions. Les reportages à la mission du Lac, ou

plus tard à la réserve de Gibson s’effacent peu à peu pour laisser la place à une querelle

opposant le révérend méthodiste J. Borland, et le révérend non moins méthodiste W. Scott.

Cependant, il est à noter que les articles sont toujours publiés sous le titre faisant référence

aux Indiens d’Oka, même si le contenu n’est plus du tout centré sur les Iroquois et leurs

revendications. En 1883, durant presque deux mois, se succède dans la presse anglophone

littéralement un dialogue entre Borland et Scott. Chacun s’exprime, chacun répond aux

accusations avec une régularité édifiante. Le facteur déclencheur de cette dispute entre deux

hommes de même conviction religieuse fut le rapport rédigé par le révérend Scott qui fit

scandale dans le cercle méthodiste : ce rapport soutenait la thèse que les Sulpiciens avaient

tous les droits légaux pour être seigneurs du domaine du Lac des Deux Montagnes, annulant

de ce fait toutes sortes de revendications de la part des Iroquois. Cette trahison est un coup dur

pour le révérend Borland qui s’est investi corps et âme dans la défense des Amérindiens

spoliés. Sa réponse sera une longue série de lettres reprenant paragraphes par paragraphes

l’étude de son confrère, indubitablement exécutée sous influence sulpicienne. Cette querelle

sera retranscrite dans les journaux, à leur plus grande joie. En effet, les journaux pourront

étaler, pendant près de deux mois, les échanges de points de vue agrémentés par des railleries

et invectives, sans avoir peur des répétitions et des hors sujets : en effet, parle-t-on

véritablement du sort des Iroquois ?

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Le Star déclenche les hostilités en divulguant les grandes lignes du rapport rédigé par

le révérend Scott. A cette époque, Le Star a abandonné toute animosité à l’égard des

sulpiciens ou de quelconque ennemi des Amérindiens : les journaux ne cherchent plus à

s’affronter sur la question d’Oka : ils se sont tous ralliés à la même opinion, à la seule

exception du Witness: le déménagement à Gibson est la solution appropriée. Désormais, ils

s’engagent uniquement dans le but de contre attaquer le dernier journal récalcitrant. On pourra

donc avancer que le Star est devenu aussi modéré que son collègue la Gazette et que, par

conséquent, trouve dans le rapport de Scott la confirmation que la majorité de la presse a

raison tandis que le Witness se complaît dans l’erreur. Pour mettre en confiance ses lecteurs,

nouvellement acquis à la cause sulpicienne, le Star présente le révérend Scott comme étant un

homme respectable, dont la force réside à savoir départager le Bien du Mal : il est sans aucun

doute méthodiste, et assez lucide pour reconnaître les droits de ses traditionnels ennemis, les

catholiques Sulpiciens :

“M. Scott, who is a venerable and highly esteemed clergyman of the Methodist

Church, bears the reputation of a most just and honourable man.”219

Pour le Star et Scott, rendus à la même conclusion, les lettres de Borland n’ont fait

qu’aggraver la situation à Oka, et discréditer les revendications amérindiennes :

“In this letter the author expresses his difference in opinion from his predecessor

in office, The Reverend Borland, who wrote four letters, which were published in

1872, severely attacking the position of the Seminary in connection with this

matter, the effect of which, M. Scott, goes on to say, “has been to complicate the

affairs of Oka, and render difficult any fair and just settlement of the Indians’

claims”.220

Enfin, la conclusion du rapport de Scott vient affirmer la nouvelle ligne de conduite du Star :

pour mettre fin à l’agitation infinie d’Oka, la société se doit d’approuver les décisions du

gouvernement, c’est-à-dire, de se mobiliser pour faire valoir la future réussite du

déménagement des Indiens dans le comté de Muskoka :

219 « The Oka Indians : an important report regard their affairs by Reverend Scott », Montreal Daily Star, 6 mars 1883. 220 Idem.

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« He concludes by expressing the belief that it is the duty of the society to co-

operate with the government in carrying out its policy of removing the Indians,

and says he has god reason to know that further delay will not advance their

interests. »221

Article de journal

« The Oka Indians : an important report regard their affairs by Reverend Scott », Montreal Daily Star, 6 mars 1883.

221 Idem.

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Le Witness ne perd pas de temps pour répondre à cet article et faire face à la coalition

journalistique. Le Witness lève le voile sur la façon dont a été préparé un tel rapport, et par la

même occasion dénonce vigoureusement la trahison de Scott, rallié à la cause sulpicienne :

“On the second of February, 1882, M. Scott received a letter from M.

Vankoughnet, the Deputy Superintendent of Indians Affairs, informing him that

the Superintendent General (Sir John McDonald) thought that the views he might

be “free to express” on the Oka question “would aid him in arriving at a proper

solution of the difficulties surrounding this most intricate question”. (…) This

report was just what the Superintendent-General wanted, and with other

miscellaneous matter has been printed and distributed by the Government”.222

Pour le Witness, il ne fait aucun doute que le rapport de Scott est une pure supercherie, écrit

dans le seul but de servir les intérêts du gouvernement qui veut à tout prix étouffer les cris de

détresse des Iroquois. Par conséquent, ce rapport manipulé n’a aucune valeur. Mais le Witness

semble encore être bien seul à soutenir cette opinion. La Gazette, journal comptabilisant le

plus grand tirage, s’atèle aussi à la tâche pour défendre les propos de Scott : ce rapport est le

plus grand bien qui soit arrivé dans l’histoire d’Oka, et la Gazette se réjouit de cette initiative,

pour une fois sensée et concluante :

“The report is the response to his request and we are glad that it will serve to

“correct some errors or mistakes “which have existed respecting all parties who

have had to do with the Indians of the Lake of Two Mountains”. (…) Suffice is to

say that M. Scott proves very conclusively that the Department of Indian Affairs

has on all occasions exerted itself for the protection and welfare of the Indians”.223

La Gazette reprend les idées du Star, en soulignant le fait que la co-opération entre l’ensemble

de l’opinion publique et le gouvernement est la meilleure solution jusque là envisagée, afin de

ramener ordre et tranquillité à Oka :

222 « A remarke book », The Montreal Daily Witness, 7 mars 1883. 223 « The Oka Indian Question », The Montreal Gazette, 8 mars 1883.

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“He [Scott] is of opinion that it is the duty if the missionary authorities to adopt

the policy of the Government, and co-operate with it in endeavouring to persuade

the Indians to remove to the reserve set apart for them.”224

La Gazette, tout en félicitant publiquement le travail de Scott, ne se borne pas à ces simples

louanges, et participe à la cabale lancée contre le Witness. Le ton du journal devient alors

méprisant pour déplorer l’acharnement aveugle de son confrère. Le Witness reçoit tous les

qualificatifs dépréciatifs imaginables : il est le seul à ne pas reconnaître ses égarements à

propos des droits seigneuriaux des Sulpiciens, et il paraît lamentable pour la Gazette, d’être

aussi enfermé dans des préjugés crées par la seule haine des protestants envers les

catholiques :

“We reviewed yesterday the report by the Reverend Scott on the affairs of the Oka

Indians. We regret to find that his having made that report has brought down upon

the reverend gentleman the anathemas of a missionary meeting and the cruel

innuendoes of the Ottawa correspondent of our contemporary the Witness.”225

Pour la Gazette, il n’est même plus question de savoir dans l’affaire d’Oka quel parti a raison,

quel journal délivre la vérité. Il est question, désormais, de veiller à ce que le rapport de Scott

remporte l’unanimité : le dernier combat de la presse dans cette affaire est annoncé : il ne

reste plus qu’à faire plier le Montreal Daily Witness. Ce dernier est bien résolu à dévoiler

toutes les ambiguïtés liées à ce rapport (comme l’ingérence du Gouvernement dans la

conception d’un tel rapport), qui fait l’objet de vives réactions et de nombreux articles. Le

Star dénonce violemment ces insinuations déplacées et s’insurge contre les méthodes

calomnieuses dont se sert sans scrupules son collègue et ex-partenaire dans la lute menée

contre la suprématie catholique :

“The brief reference in your issue of Friday, 2nd inst., to M. Scott’s pamphlet on

the Oka question, has called forth an almost incessant fusillade of criticism from

an anonymous writer in the Witness. (…). It is a causeless and malignant attack

224 Idem. 225 « The Oka Indian question », The Montreal Gazette, 9 mars 1883.

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on a good man, whose chief crime is that he is an honest and ardent advocate of

his political principles.”226

Au fil du mois, défilent les mêmes accusations lancées par le même journal, démolies

quelques jours après par les mêmes journaux avec les mêmes termes : M. Scott est un honnête

homme, dont le devoir et les principes moraux conduiront à un règlement définitif pour Oka,

et une solution enviée par chaque partie. Mais la dispute entre les méthodistes Borland et

Scott, exagérée par la presse, atteindra un point culminant dans le journal Witness, où les deux

protagonistes sont invités à s’expliquer individuellement sur leur opinion. On peut dès à

présent se douter du genre de propos tenus par l’un et l’autre : chacun s’attarde à injurier

personnellement l’autre, en s’attaquant directement à la personnalité de l’individu :

« I do not accuse M. Borland of wilfully and maliciously misrepresenting

anything or thus misleading anybody. By his mental constitution and moral

prejudices, he is almost irresponsible for his lucubration on the grave and

momentous questions under consideration at the time.”227

La situation entre les deux hommes ne peut que se détériorer après ces injures. Les

qualificatifs sont cruels : Scott remet en cause l’intelligence de son confrère, ce qui

expliquerait ses élucubrations. Les mots sont lourds de sens. Borland, totalement humilié dans

cet article se voit obligé de répliquer et de jouer le jeu, ce jeu que le Witness affectionne : le

dialogue interposé … :

“Under such an allegation, having any regard for my character, I certainly should

not be content to lie ; especially having, as I am glad to say I have, abundant

material for repelling it.”228

Mais mises à part ces querelles enfantines et cruelles, où en est l’histoire d’Oka ? Qui

réellement s’en préoccupe ? Même le Witness, le champion de la défense de la cause

iroquoise, semble plus préoccupé à monter Scott et Borland l’un contre l’autre et à maintenir

un climat de tensions et de polémiques dans la presse. Qui a réellement lu le rapport de

226 « M. Scott’s critic criticized », The Star, 21 mars 1883. 227 « The Oka Indian Question », The Montreal Daily Witness, 17 avril 1883. 228 “The Oka Indians”, The Montreal Daily Witness, 2 mai 1883.

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Scott ? Le rédacteur se le demande profondément : “Quite a number of persons who read the

Witness have not read the report”229. Pourtant ce rapport, autant que les lettres de Borland

d’ailleurs, n’ont pas été communiquées dans leur intégralité dans la presse ; les lecteurs n’ont

pu avoir accès qu’à un résumé accompagné d’un commentaire intéressé. On peut donc voir à

travers cette partie la dénaturation du traitement de l’affaire d’Oka. Les journaux sont

beaucoup plus intéressés à régler d’une part leurs propres conflits et à généraliser, d’autre part

les thématiques du conflit d’Oka.

3.3. Quels sont les véritables enjeux ?

Il résulte de ces deux dernières parties un constat affligeant : l’intérêt glisse de la

situation des Iroquois face à leur adversaire officiels depuis 1869, les Sulpiciens, à celle de

l’opinion publique face à un problème qui ne la concerne que de loin, et à celle des journaux

défendant un opinion face à des journaux soutenant l’opinion opposée. Dans quelle mesure

ces glissements sont amenés à faire oublier l’affaire d’Oka en tant que telle, aux lecteurs de

cette presse engagée ? Quel est le but inavoué mais tellement évident de cette presse, qui sous

des articles intitulés « Affaire d’Oka », (ou variantes) introduit des réflexions hors du cadre

d’Oka ? Quels sont les véritables enjeux qui se forment à travers la presse du XIXème siècle

au Québec ?

3.3.1. L’enjeu prétexte : les Amérindiens persécutés.

La question d’Oka traite évidemment des Amérindiens spoliés de leurs terres par les

Sulpiciens, qui pourtant peuvent prouver juridiquement ses droits grâce à l’appui de

documents dont le contenu, clair et sans équivoque, est inattaquable. Malgré tout, le thème

des Amérindiens persécutés est bien présent dans les colonnes de journaux. Il suffit d’ouvrir

un page du Witness pour lire les malheurs des Iroquois et avoir compassion pour eux :

“And I was witness to two visits to M. Parent by some of these people, expressing

their sympathy with the persecuted people. For instance : “ he had been living

away from Oka for several years, but hearing of the trouble returned hoping to

229 « The Oka Indian Question », The Montreal Daily Witness, 17 avril 1883

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help” or “The Indians throughout Canada are greatly aroused about the

persecution against them”.”230

Le journaliste rapporte ce qu’il a vu de ses propres yeux : les Indiens ont subi bon nombre de

maltraitances. Le Witness présente les Amérindiens comme étant un groupe persécuté, réduit

à l’esclavage. Mais cela ne suffisait pas pour le Witness. Il fallait montrer aussi l’innocence de

ce peuple bafoué dans ces droits, victimes de l’injustice, lorsque par exemple, une dizaine

d’entre eux furent accusés d’avoir incendié l’église du village en 1877. Le Witness est prêt à

se faire l’avocat improvisé de ses nouveaux protégés et de les laisser s’exprimer dans leur

tribune pour que la vérité éclate au grand jour :

“In future, we want to be let alone. The catholic priests at Oka persecuted us, and

many of us suffered by imprisonment at Sainte-Scholastique for a crime we were

not guilty of, and we have been otherwise injured.”231

Dans cette presse qui leur est favorable, les Indiens apparaissent démunis et tourmentés, sans

aucun autre moyen que de se révolter pour se sortir de cette situation lamentable. Les dires du

Herald, à la fin des années 1870 et au début des années 1880, corroborent ceux du Witness.

Ce journal dresse, de son côté, un portrait de la situation des Amérindiens guère plus

reluisant : leurs conditions de vie sont déplorables, ils manquent de tout, même des choses les

plus vitales, comme la nourriture :

“We are told and truly believe it to be the fact, that there are some ten or twelve

families in absolute want ; and we further believe that if all the Indians Iroquois

and Algonquians, had land to cultivate for their needs, there would be no

necessity of asking assistance of their friends.”232

En effet, comme le préconise le Herald, si les Iroquois pouvaient recevoir une terre sur

laquelle ils puissent cultiver pour subvenir à leurs besoins, certains problèmes seraient dès à

présent résolus. Entre les lignes, il faudrait lire que, si les Indiens pouvaient bénéficier de

l’indulgence des Sulpiciens, leur vie serait plus simple, et plus autonome à défaut d’être

230 « Saturday an Sunday in Oka », The Montreal Daily Witness, 28 juin 1877. 231 « The Oka Indians », The Montreal Daily Witness, 14 décembre 1881. 232 « Aid wanted for the Okas », Montreal Herald, 6 novembre 1879.

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indépendant. L’atmosphère en serait davantage détendue. Seulement, les Sulpiciens n’en

firent rien, restant campés sur leur position. Mais si les Sulpiciens observent la même pensée

que les journaux francophones pro-catholiques comme par exemple le Courrier de Montréal,

il est évident qu’ils ne peuvent laisser les Indiens se débrouiller seuls, et surtout se débrouiller

comme tout autre individu blanc:

« Le caractère indien répugne au travail. (…) L’instinct paresseux et nomade des

sauvages saisit avec joie cette perspective d’un bien-être au prix d’une

apostasie. »233

Selon le Courrier, les Indiens sont des êtres incapables de se prendre en main, tout occupés à

vagabonder, et assez ignares pour croire qu’une apostasie, le sacrifice de leur âme, leur

apportera ce à quoi ils aspirent au plus profond d’eux-mêmes. On peut, malgré tout, convenir

que le Courrier exprime là un préjugé depuis longtemps ancré dans les esprits, à savoir le fait

que les Amérindiens sont paresseux, ce à quoi rétorque le Witness :

« People forget that the Indian is a man and a man of Honour and that he has been

kept almost in slavery by the Romish Church »234

En effet, la majorité des Blancs oublient que les Amérindiens, en tant qu’êtres humains, ont le

droit d’avoir la même dignité que n’importe quel individu sur terre. Or, ceci ne semble pas

être chose acquise, surtout pas pour des catholiques extrémistes, qui les considèrent encore

comme des êtres inférieurs.

Les Amérindiens sont donc persécutés moralement mais aussi physiquement. Il

semblerait que leur situation soit en constance dégradation. Ils doivent subir les assauts des

Canadiens français venus s’installer sur les terres achetées au Séminaire :

“I [the journalist] am able to prove from the lips of the present Indian Agent at

Oka that ever since his residence there the Indians have been a persecuted and

suffering people, and that persistent efforts are made at any cost to force these

233 «Procès des Indiens d’Oka », Le Courrier de Montréal, 4 août 1880. 234 « Saturday and Sunday in Oka », Montreal Daily Witness, 28 juin 1877.

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people off their lands. Lately, a conflict took place between the recent French

settlers and the Indians.”235

Les Iroquois doivent, non seulement, lutter contre le Séminaire pour récupérer les droits sur

leurs terres, mais en plus, faire face à l’invasion des colons blancs. Les journaux anglophones

pro protestants tentent de dénoncer cette pratique pour essayer de remédier à la situation

aggravante des Iroquois. Cependant, nous avons l’impression qu’ils ont simplement le

pouvoir de constater les choses sans avoir le pouvoir les faire bouger :

“The French people located here, of whom there are a great many, are a source of

constant annoyance and trouble to the Indians. They are continually trespassing on

their farms, cutting down and completely destroying their sugar bushes. (…) The

local whites go further and abuse in the most cruel way the horses, cows, and

other animals belonging to the band and execute their vengeance upon them in a

variety of forms.”236

Dans ce genre d’article, les rôles sont inversés : les Iroquois ne sont plus les terribles

incendiaires de l’église d’Oka, mais bien les victimes des déprédations commises dans leurs

champs et sur leurs bêtes. Les Amérindiens ne se laissent pas abattre pour autant et tentent de

réagir devant tant d’injustice. Mais, leur requête ne semble pas avoir été entendue

attentivement par les membres du gouvernement. Seul, le Witness tient à diffuser dans ses

colonnes leur lettre de mécontentements :

“Sir, We, the undersigned chiefs of the Iroquois band of Indians at Oka, held a

council on the 23rd with our people, for the purpose of taking some measures to

prevent the French Canadians from chopping the wood in our commons.”237

Cependant, le Witness a-t-il encore grand poids après 1881 ? N’est-il pas lui-même victime

d’une cabale, comme nous avons pu le remarquer dans une partie précédente ? La persécution

est totale et le Witness compte bien le dénoncer, comme il compte bien mettre en avant les

autres affronts que doivent supporter les Amérindiens, qu’ils soient à Oka, ou même dans leur

235 « The Oka question », The Montreal Daily Witness, 13 octobre 1881. 236 « The conditions of the Oka Indians », Montreal Daily Witness, 4 avril 1881. 237 « More persecutions at oka », Montreal Daily Witness, 26 novembre 1881.

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nouvelle réserve, sensée être un havre de paix selon les dires des autorités et du

gouvernement. Voici ce que rapporte un témoin en visite à Gibson en 1885, lorsque les

Indiens d’Oka sont d’ores et déjà installés depuis un certain temps :

“I visited Gibson last spring and observed that a number of families there were

actually homeless. I consider it an unpardonable crime for any person.”238

La situation ne s’est guère améliorée depuis la crise d’Oka dans les années 1860, à en croire

les dires de ce journal ontarien, qui, a priori, n’est embarqué dans aucune lutte ni aucun conflit

inter journalistique. Les Amérindiens sont toujours les victimes d’une persécution.

L’enjeu est de taille. Pourtant, aucun signe d’amélioration n’est repérable selon les

résultats de l’observation méticuleuse des journaux, en particulier du Montreal Daily Witness.

D’autres enjeux seraient-ils plus importants ? Nous allons voir, qu’en effet, l’espace réservé

au sujet de la condition des Amérindiens est bien réduit par rapport à celui d’autres sujets en

lien indirect avec l’affaire d’Oka.

3.3.2. L’enjeu primordial : guerre religieuse et fanatisme.

L’enjeu principal dans cette affaire d’Ok pour la presse est l’enjeu religieux. En effet,

derrière la lutte qui oppose Sulpiciens et Méthodistes se cache celle qui oppose les protestants

et les catholiques. En se faisant protestants, les Iroquois se sont attirés la sympathie des

protestants de Montréal, tandis que les Sulpiciens pouvaient compter, de toute évidence, sur le

soutien des catholiques. L’antagonisme à Oka se fond dans celui de Montréal et la presse

s’intéressera de plus près au second. Son cheval de bataille sera la religion, son maître mot le

fanatisme. La presse francophone sera très virulente à ce propos, qualifiant tous les protestants

de fanatiques, qu’ils soient Iroquois, Montréalais ou journalistes :

« … tellement est grand le nombre de ceux qui ont été faussé par le fanatisme. Ce

qu’il y a de certain, c’est que, malheureusement, leurs injustes préventions sont

partagées par une bonne partie de la population anglaise, et la conséquence de

cette espèce de maladie morale dont souffrent la plupart de nos compatriotes

238 « The Oka Indians on Gibson Reserve : lettre ouverte du Chef Angus Cooke à J. McGuire, agent du gouvernement », The Daily Citizen (Ottawa), 21 septembre 1885.

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d’origine britannique, c’est qu’il est extrêmement difficile de trouver un jury

anglais capable de se prononcer avec impartialité sur une question où les intérêts

d’un protestant se trouvent en conflit avec les intérêts d’un catholique. »239

Le Courrier de Montréal, responsable de ces paroles, ne semble pas être très tolérant : leur

religion n’est qu’une mystification, et même une « maladie morale », une déviation religieuse.

Le protestantisme apparaît là comme le pire ennemi du catholicisme, l’incarnation d’un mal,

voire du Mal. Pour les journalistes pro catholiques, les journalistes protestants cumulent,

quant à eux, deux terribles imperfections : être protestant et être un journaliste capable de

défendre des protestants criminels, à savoir les Iroquois incendiaires d’Oka :

« Il n’y a qu’au Canada où l’on puisse pousser le fanatisme aussi loin. Dans un

autre pays, un journaliste n’oserait se faire le défenseur de criminels aussi notoires

mis au banc de l’opinion publique. »240

Mais au Canada, le cas est possible, puisque les journalistes du Montreal Daily Witness ou

Montreal Herald sont très versés dans la défense de ce genre de criminels. Le Courrier de

Montréal fait référence au fanatisme à chaque fois qu’il est question d’articles rédigés par une

plume anglo-protestante :

« Sous ce titre, le Globe de Toronto publie un article au cours duquel il s’apitoie

sur le sort de ces pauvres incendiaires. (…), Mais que les victimes soient les

incendiaires et que les Sulpiciens soient les persécuteurs, c’est là une prétention

tellement absurde qu’il faut toute la foi robuste des lecteurs du Globe pour y

croire. Deux mots suffisent pour exposer la question. Les sauvages poussés par les

marchands de religion dont l’unique but est d’exploiter le fanatisme des masses.

(…) Le catholicisme avait civilisé les Sauvages : le fanatisme protestant veut les

replonger dans la barbarie. »241

Le protestantisme est, ici, vu d’une façon la plus méprisable possible, réduit à un

marchandage, comparé à une sorte de secte, dont l’engouement des masses rend compte de

239 « Deux poids, deux mesures », Le Courrier de Montréal, 14 juillet 1880. 240 Idem. 241 « La persécution d’Oka », Le courrier de Montréal, 5 août 1880.

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l’importance de la propagation de cette fausse religion, si l’on en croit les mots du Courrier.

De plus, le protestantisme équivaut, pour l’esprit catholique, à une régression pour les

sauvages, la dévastation de nombreuses années de labeur de la part des missionnaires

catholiques pour évangéliser les sauvages. On ne peut constater, après cette lecture, que le

seul lien avec les Amérindiens est relativement fragile, seule la religion et son influence

comptent. La presse francophone n’en finit pas avec le fanatisme, cette caractéristique du

protestantisme. La Minerve pourfend aussi cette religion comme étant un regroupement de

fanatiques, exaltés et prêchant une parole erronée :

« L’affaire en question a fortement agité notre population protestante dans ces

derniers temps. Elle a fourni à un certain nombre de fanatiques matière à

beaucoup de déclamations furibondes et mensongères. (…) Il y aurait à ce sujet un

beau thème à broder sur l’influence indue et perfide de ces prédicants fanatiques

qui ne craignent pas de paraître dans des Assemblées pour faire appel au

fanatisme, encourager leurs fidèles à déclarer la guerre aux catholiques et

conseiller même la révolte. »242

Le mot « fanatisme » revient quatre fois dans cet article pas plus long qu’une petite colonne.

Pas un seul paragraphe n’est consacré au Séminaire ou aux Sauvages d’Oka, comme le titre

nous en réfère. La presse francophone n’a que ce mot à la bouche, pourrait-on dire. Mais ne

paraît-elle pas plus fanatique, dans ce cas-là ? Ne paraît-elle pas intransigeante, avec ces mots

d’une violence extrême ? Enfin, nous finirons par un article du Franc-Parleur, le plus marqué

politiquement, peut-être le plus franc, aussi. Il est l’organe de diffusion du parti ultramontain

et lui aussi propage l’idée que le fanatisme est l’attribut du protestantisme :

« Depuis de longues années, le fanatisme protestant s’est exercé d’une manière

persistance contre l’administration des missionnaires du Séminaire dans la

desserte de la mission du Lac des Deux Montagnes. »243

La presse francophone a déclaré la guerre aux protestants sans oublier d’inclure les journaux

de même conviction religieuse. Le Franc-Parleur utilise des termes empruntés au vocabulaire

242 « Le Séminaire et les sauvages », La Minerve, 26 janvier 1876. 243 « Oka les Messieurs du Séminaire de Saint-Sulpice », Le Franc-Parleur, 29 janvier 1876.

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guerrier ou du moins formule des phrases proches de l’exhortation à la bataille, en vue

d’anéantir de l’ennemi :

« Si la presse catholique de cette province n’élevait pas la voix en cette

circonstance, nous la jugerions bien coupable. Ce n’est plus le temps de crier au

feu quand tout l’édifice est embrasé, c’est à la première éventualité qu’il faut

éteindre et anéantir. L’alarme est donnée, il appartient aux hommes de coeur à

faire face à cet élément destructeur dont les ravages sont incalculables. »244

On a l’impression que la presse catholique part en guerre contre la presse protestante pour

empêcher une sorte d’apocalypse. Quoiqu’il en soit, les positions sont radicales, et toutes les

forces sont concentrées pour faire triompher le catholicisme aux dépens des Amérindiens

d’Oka. Dans l’article que l’on vient de citer, comme dans les précédents, aucune allusion n’a

été faite à propos des conditions de vie à Oka. Le problème est complètement occulté.

La presse anglophone, quant à elle, même si elle a une certaine tendance à focaliser sur

le sort malheureux des Amérindiens, n’en est pas moins prête pour livrer bataille et plonge

tête la première dans cette guerre religieuse :

“He believed that a great struggle was now about to take place in Lower Canada

between the Roman Catholic and Protestant Churches – a great struggle for

freedom”245

La lutte religieuse se base sur le principe de la quête de la liberté au sein du Québec. Le but

final est d’atteindre la suprématie spirituelle dans cette province. Cette lutte engagée entre

deux grandes puissances spirituelles visent le seul objectif d’étendre son influence à

l’ensemble de la population du Bas-Canada : pour les catholiques, l’objectif est de maintenir

le monopole religieux qui jusque là n’avait jamais été bouleversé, et pour les protestants, le

vœu de conquérir le domaine spirituel serait le point d’orgue de toute la conquête anglophone.

L’offensive lancée contre les protestants est d’autant plus grave, aux yeux des journalistes

protestants, qu’elle attaque les droits humains, plus que les droits spirituels propres :

244 Idem. 245 « The Oka indians and the Seminary», Montreal Herald, 20 décembre 1875.

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“The cause of complaint in the present instance is not of an offence against

Protestant rights, but an offence against the rights of man.”246

L’enjeu religieux entraîne derrière lui un enjeu humain. Les enjeux dans l’affaire d’Oka

prennent des dimensions telles que les plus grands principes humains sont invoqués, les lois,

que ce soit dans la presse protestante, ou catholique anglophone, comme l’illustre cette phrase

tirée du True Witness :

“The fact is the Witness and everyone of the clique know full well that the

Seminary is simply contending for the maintenance of its rights. The only thing

that troubles these gentry is that the Catholic priesthood, or any catholic

community, should have rights which the bigots and fanatics whom they represent

are forced by the law of the land to respect”247

Ou celle tirée dans le Courrier de Montréal :

« Ces choses édifiantes se passent en plein XIXème siècle. Elles ont

l’approbation, l’appui même de cette partie de la population qui se vante d’être la

plus éclairée et la plus tolérante de l’Univers. Elles ont pour théâtre le Canada,

pays où la parfaite égalité devant la loi est une doctrine reconnue et approuvée par

tous. »248

Sur fond de troubles à Oka, la lutte religieuse fait rage au sein des journaux, prétextant ça et là

les droits humains bafoués par les uns, le fanatisme destructeur des autres. Oka a servi de

support pour étaler la crise idéologique qui agite Montréal à cette époque. Les journaux au

lieu de se concentrer sur la crise qui agite la petite mission du Lac des Deux Montagnes,

projettent leurs idéaux et contribuent à faire d’Oka une abstraction, un pure exemple de

l’antagonisme religieux : protestants fanatiques contre catholiques persécuteurs : voici la

vérité selon la presse québécoise au XIXème, et son aveu :

246 « The Oka indians », Montreal Herald, 20 décembre 1875 247 « The Seminary and the Oka Indians », The True Witness, 28 janvier 1876. 248 « La persécution d’Oka », Le Courrier de Montréal, 5 août 1880.

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“The question growing upon the people of the Dominion- for the Oka question is

more than a local question – is this : “Is the Government afraid”249

Cette phrase clé, extraite du journal The Gazette, est une sorte de lapsus : en effet, à travers,

cette partie, il a été aisé de constater combien l’enjeu religieux primait sur les enjeux réels

d’Oka. La presse est un outil employé pour envenimer les situations, pour délocaliser les

informations. La question d’Oka se retrouve prisonnière d’un problème qui ne la concerne pas

directement. Grâce, ou à cause de l’abondante publicité de l’affaire d’Oka véhiculée par la

presse anglophone et francophone, le gouvernement se retrouve devant le fait accompli :

sollicité des deux camps, pour qu’il intervienne, sera-t-il capable d’assumer le rôle que les

protestants lui réclament, c’est-à-dire le protecteur des Amérindiens ?

3.3.3. L’enjeu final : pour ou contre Gibson ? Une question politique.

L’ensemble des journaux, que nous avons consultés, exhorte, à partir des années 1880,

le gouvernement à agir rapidement pour régler l’affaire d’Oka, et ainsi mettre fin aux troubles.

Cependant, nous avons vu précédemment, les quelques preuves qui montrent les agissements

douteux du gouvernement à l’égard des Amérindiens : les accords passés avec le Séminaire,

par l’intermédiaire de leur agent, ont été mis en évidence. Mais l’opinion s’est prononcée, et

elle considère que la solution doit provenir du gouvernement qui saura lui seul juger :

“We have no decided opinion as to the guilt of the parties the evidence for and

against to them being of the most contradictory nature. It is plain, however, that

Provincial Government of Quebec, which bears the expense of the prosecution, is

moved by a determination to get a conviction if possible”250

Dans l’article du Globe, il est clair que le devoir du gouvernement québécois est de rétablir

l’ordre, ou du moins tenter de le faire. Les journaux, pour la plupart, reconnaissent la tâche

difficile qu’il doit accomplir. Mais la presse est tellement partagée, scindée en deux parties

totalement antithétiques, une fois l’euphorie des événements passée, elle s’en remet au

gouvernement pour décider du sort d’Oka :

249 “The Oka Indian Question”, The Montreal Gazette, October 26, 1881. 250 “The Oka persecution”, The Globe, 3 août 1880.

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“It seems to us that the Government is in this dilemma A decision of the courts

annulling the title of the Seminary would dispossess that institution not only of

millions of dollars of property at Oka, but of vastly larger properties in Montreal

(…). On the other hand, a decision of the courts confirming their claims would

place the Government in the position of having forty years ago wronged the

Indians in the most cruel manner, and render the redemption or the Indians’ land a

necessity.” 251

Le Witness essaye de nous exposer la situation à laquelle doit faire face le gouvernement au

début des années 1880, lorsque la conclusion de l’affaire des procès des incendiaires d’Oka se

révéla être un échec : le gouvernement se retrouve dans une posture délicate, puisque si les

tribunaux annulent les droits du Séminaire, il s’oppose alors aux décisions des gouvernements

précédents qui avaient donné raison aux Sulpiciens. Cette situation est trop lourde de

conséquences pour être envisagée. Mais, si le gouvernement reconnaît les droits des Indiens

d’Oka, cette décision signifie que depuis les premières pétitions envoyées par les chefs

Iroquois et même Algonquins, le gouvernement s’est trompé. A cause de son erreur, les

Amérindiens ont dû souffrir pendant tout ce temps là les pires injustices et les pires

humiliations. Le gouvernement ne peut assumer une telle responsabilité qui le mettrait en

défaut, et minerait sa crédibilité. Devant un tel embarras, le Gouvernement a opté pour une

solution de compromis qui lui permit de sauver la face : la proposition d’un déménagement a

été accepté par toutes les parties concernées. La démarche pour trouver la lieu adéquat a posé

toutefois des problèmes, et a occasionné de nouveaux préjudices aux Amérindiens : leur choix

d’emplacement géographique a été rejeté. Les négociations ont été réalisées en sens unique.

La confiance des Chefs des Indiens a encore été abusée, selon le Witness, qui tente de mettre

ces discordes au clair en interviewant un proche du principal négociateur amérindien :

“Chief Louis, as the negotiator between the tribe and the Government agent, had

promised them much and had never fulfilled anything. (…) So, they all blame

Chief Louis for their troubles, because he was at the head of the movement to go

there and influenced them.”252

251 « The Okas before the judge », The Monteal Daily Witness, 23 janvier 1880. 252 « The Okas in Gibson », The Montreal Daily Witness, 15 mars 1883.

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Le gouvernement et le Séminaire ont encore décidé seuls de ce qu’il pouvait convenir pour les

Amérindiens d’Oka. Leur choix s’est posé sur Gibson, comté de Muskoka, 25 582 acres

(contre 12000 à Oka), où quarante cinq familles des quatre vingt familles protestantes parmi

les cent vingt familles habitant à Oka ont décidé de s’installer, selon les statistiques de La

Minerve253 : « on voit que les émigrés, ou les exilés, comme on voudra les appeler, ne perdent

rien au change ». La Minerve ne réalise pas qu’en faisant ce commentaire, elle admet que les

Iroquois laissant derrière eux Oka seront des apatrides, des gens qu’on ne sait comment

qualifier, sans terre. Cependant, pour la presse anglophone, le problème de Gibson ne réside

pas en ces futilités théoriques. Elle se concentre plutôt sur des questions concrètes liées à la

situation géographique de Gibson :

“Gravenhurst may be considered as the end of cultivation where ample supplies

can be obtained. Now this town is situated on a high ridge overlooking a portion

of the Muskoka Lake.”254

L’endroit réservé pour les Iroquois est loin d’être ce à quoi ils espéraient. Selon le Witness,

l’endroit est perdu, loin de toute civilisation, et où l’agriculture s’avère inconcevable. On

croyait que le pire était arrivé pour les Iroquois, mais il semble que l’avenir réserve encore des

surprises à cette nation. La situation décrite dans le Witness est déplorable, pour ne pas dire

invivable. Il nous en donne quelques aperçus dans une interview réalisée avec le frère du Chef

Louis, revenu d’une expédition dans la nouvelle réserve :

« - R : How did you leave your people at Gibson - in what conditions? – good?

- Angus Correnthe : No, they are not

- R : What are they in need of?

- A. G : They lack of everything. (…) The land is not as good as Oka, because in

many places there is nothing but rocks while in Oka the stones are small and can

be removed. (…) Their condition is worse there than it was here. (…) There are

mountains and chills where there is no water, but I know that they cannot go from

place to place because there are swamps right in their way in many places.”255

253« L’affaire d’Oka », La Minerve, 4 octobre 1881. 254 « The Oka Indians », The Montreal Daily Witness, 14 décembre 1881. 255 « The oka Indians », The Montreal Daily Witness, 15 mars 1883.

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Les Amérindiens manquent de tout, et surtout de l’essentiel puisqu’ils ne peuvent pas

cultiver : les champs de pierres n’ont jamais été très fertiles. L’indignation gronde toujours

chez les journalistes du Montreal Daily Witness, qui mettent tout en œuvre pour démonter

pièce par pièce le projet gouvernemental. De plus, le déménagement a été prévu à une saison

inadaptée (à l’approche de l’hiver) pour ce genre d’entreprise à grande échelle :

“The reason why the Government should remove the Indians from Oka to

Gravenhurst at this season and house and feed them there, is incomprehensive.”256

Pourquoi ne pas attendre le printemps, ou une saison plus clémente ? Malgré tous les

témoignages rapportés avec soin et précision (les articles sont, dans l’ensemble, longs), le

Witness est le seul à affirmer que la réserve de Gibson est une fausse promesse, un cadeau

empoisonné pour des Iroquois trop naïfs. Quant à The Globe, dès le début du mouvement, il

se félicite de la réussite des négociations et de la satisfaction affichée sur les visages des

Amérindiens au sortir de celles-ci :

“Three of the Oka Indians had gone to the township of Gibson with Chief Louis

and others and had returned and reported most favourably to their people in

reference to making the Change.”257

Là encore, pour la dernière fois, se contredisent l’ensemble de la presse et le Witness. Tous les

thèmes abordés sont traités tout à fait différemment. Pour The Globe, Gibson n’a jamais été

aussi proche de la perfection :

« M. Alfred Perry is of the opinion that the change has greatly benefited the Oka

tribe, and that once settled in this new district, they will be more than comfortable

than they have ever been before. »258

The Globe et The Witness semblent être aussi loin de la vérité l’un que l’autre. D’autre part,

La Minerve, dans son édition du 4 octobre 1881, conclut son article d’une manière tout à fait

ambiguë : 256 « An unfortunate defence », The Montreal Daily Witness, 19 octobre 1881. 257 « The Oka Indians : a visit to their new hunting grounds in Muskoka Picturesque winter quarters », The Globe, 5 novembre 1881. 258 Ibid, Alfred Perry est un journaliste célèbre au XIXème siècle.

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« On comprend aisément qu’il y aura un bon nombre de détails à discuter mais les

principes et les bases du nouvel arrangement sont assez clairement établis pour

empêcher toute difficulté. » 259

Pourquoi tant de mystères ? Que cela cache-t-il ? Les principes et les bases sont certes bien en

place, mais qu’en est-il de leur application ? Quoiqu’il en soit, la solution du déménagement

est une fausse solution, elle ne fait que retarder l’échéance d’une nouvelle révolte. Les

Iroquois ne peuvent pas être satisfaits de recevoir des terres qu’ils ne réclament pas. Certes, le

problème avec les Sulpiciens s’estompera de lui-même, alors que le problème des droits

ancestraux sur les terres du Lac des Deux Montagnes, qui est sans aucun doute le problème

principal, mais non le sujet principal des articles de la presse québécoise, reste en suspens. Le

gouvernement, ne veut toujours pas s’investir, et assumer les responsabilités qui lui sont

pourtant attribuées. L’enjeu final ne met pas un terme aux troubles d’Oka. Le conflit stagne,

les troubles s’apaisent, mais restent présents, latents, prêts à resurgir.

3.3.4. La fin d’un intérêt pour Oka : la presse abandonne.

Gibson mettra le point final à l’histoire d’Oka au XIXème siècle, du moins dans la

presse, car les conflits, en réalité, sont loin d’être réglés. Le gouvernement a arraché une

bataille sans gagner la guerre. La presse abandonne la lutte et ne se sert plus d’Oka pour

exposer ses théories d’ordre religieux ou d’ordre politique. La presse s’accorde à dire que la

solution du déménagement proposée par le Gouvernement marquera la fin des troubles à Oka,

à son grand soulagement. A en croire la Patrie, le gouvernement a réussi là où tout le monde

avait échoué :

« L’éternelle affaire est enfin réglée. Ainsi se trouve réglée cette question, qui un

instant avait soulevé tant de passions et de préjugés. (…) Nous croyons que le

gouvernement McKenzie a largement contribué à cet heureux résultat. (…) Le

cabinet n’a eu qu’à suivre la politique du ministère McKenzie pour arriver à une

solution satisfaisante pour tous de cette longue dispute. »260

259 « L’affaire d’Oka », la Minerve, 4 octobre 1881 260 « L’affaire d’Oka », La Patrie, 30 septembre 1881.

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Le gouvernement libéral McKenzie (1873-1878) a donc négocié mais c’est le gouvernement

conservateur de MacDonald (1878-1892) qui voit à la mise en application d’où l’engouement

de la partie et de la presse. Cette presse semble être essoufflée devant tant d’épreuves, de

calomnies à affronter, d’injures à répondre, de commentaires acerbes à exposer. La Minerve

corrobore les dires de la Patrie, en expliquant que la solution envisagée par le gouvernement

obtient l’approbation de toute l’opinion publique :

« L’opinion publique, de son côté, a donné au plan une adhésion dont le caractère

n’est pas douteux. La presse est unanime à approuver le gouvernement et à

féliciter le Séminaire, qui a donné en cette circonstance une nouvelle preuve du

zèle qui l’a toujours animé pour le bien du pays et de sa sollicitude pour les

sauvages. »261

La Minerve a dévoilé le mot clé de cette fin d’époque : l’unanimité. La presse est pour une

fois unanime, rejetant loin derrière ses préjugés, ses tendances politiques, ses convictions

politiques. Malgré tout, comme son confrère La Patrie, La Minerve ne peut s’empêcher de

présenter ce début d’impartialité avec une touche personnelle : un petit éloge pour l’action du

Séminaire dans toute cette histoire et le comportement irréprochable des Sulpiciens marqués

par la générosité. Le Toronto Mail, au départ extérieur à cette histoire, puisqu’il est ontarien,

se verra ensuite concerné depuis le transfert du Lac à Gibson, Ontario. Il ne manquera pas de

souligner l’inespéré « happy end » de Gibson :

« If the settlement is carried out in perfect good faith, the general public will have

reason to be satisfied that a vexation has been settled happily at last »262

Tout est bien qui finit bien. L’accord parfait semble avoir été trouvé dans la presse au début

des années 1880 après tant de déchirements au sein de la presse québécoise du XIXème

siècle. On constate la nette diminution en fréquence des articles traitant d’Oka. Mais est-ce le

cas dans les faits réels ? N’est-ce pas plutôt la presse qui décide de mettre le terme à cette

affaire, alors qu’elle est en réalité, loin d’être réglée ? En effet, le Star soumet un article en

1890, où il dévoile les difficultés liées au déménagement dans le comté de Muskoka :

261 « Les Sauvages du Lac », La Minerve, 22 octobre 1881. 262 « The Oka Indians settlement », The Toronto Mail, 6 octobre 1881.

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“It seems some time ago the government anxious to put an end to the continuous

warfare and the disturbance between the Indians and Roman Catholic Seminary at

Oka offered the Indians new lands in Muskoka. This offer was refused by the

Indians but the Government allowed the offer to stand until the first of April when

it expired.”263

Le gouvernement tient pourtant à ce que le calme revienne à Oka et à favoriser l’exode des

Indiens vers la nouvelle réserve, créée de toute pièce. Tant que les Iroquois resteront sur les

Terres d’Oka, les troubles persisteront, d’où l’intérêt du gouvernement à inciter les Indiens à

laisser le terres qu’ils revendiquent pour des terres où ils mèneront une existence paisible :

« He then urged the Indians strongly to accept the offer to go to Muskoka and said

that so long as they remained at Oka there would be trouble, as the land did not

belong either to the government or to the Indians but to the Saint Sulpice

Order. »264

Le gouvernement répétera sans cesse que les Indiens, n’ayant aucun droit sur les terres d’Oka,

devront abdiquer dans cette lutte insensée, car rien ne pourra changer le fait que le domaine

du Lac a été concédé donnée aux Sulpiciens par voie légale. Cependant, les révoltes des métis

qui agitent le Nord Ouest feront grand écho dans la presse, à partir de 1885, et permettront à

quelques journaux indépendants de réveiller l’opinion publique lasse de l’affaire d’Oka. Le

Fidèle Messager, journal mensuel illustré, profite de l’euphorie entourant l’affaire des Métis

et de Riel en 1885, pour relancer l’affaire d’Oka, puisque les journaux, mis à part le Witness,

ont tendance à délaisser le problème :

« Il n’est pas dans nos habitudes de nous occuper de politique, mais la presse est

tellement agitée dans ce moment sur la question des métis du Nord-Ouest que

nous croyons attirer son attention sur la question des sauvages d’Oka. Les grands

et les petits journaux du parti libéral ont lancé à la face de MacDonald toutes les

expressions mal sonnantes. (…) L’inertie de gouvernement conservateur est un

crime impardonnable aux yeux des journalistes libéraux. Mais il nous semble que

263 « The Oka Indians », The Montreal Star, 9 avril 1890. 264 Idem.

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pour être conséquents, ces valeureux défenseurs des faibles devraient s’occuper un

peu des opprimés des Deux Montagnes. »265

Ce serait l’occasion pour les Iroquois d’Oka d’inclure leurs problèmes, refoulés par la presse,

dans ce nouveau contexte d’agitations. Pour le Fidèle Messager, l’enjeu du Nord Ouest est

similaire à celui d’Oka, et les deux problèmes doivent être dénoncés simultanément,

puisqu’ils concernent les fautes commises par le Gouvernement et le clergé :

« Mais que la presse libérale française s’obstine à garder le silence quand les

autorités gouvernementales et cléricales sont sur le point de commettre une

injustice analogue à celle commise au Nord Ouest, voilà ce dont nous pouvons

nous rendre compte. »266

La presse a abandonné son combat pour s’approprier une autre affaire, dont l’enjeu politique

paraît très clair : les libéraux soutiennent les métis du Nord Ouest surtout dans l’optique de

déstabiliser le gouvernement conservateur. C’est du moins ce que prétendent les journalistes

du Fidèle Messager, qui soupçonnent les journalistes de La Patrie de ne vouloir « faire que

du capital politique avec les troubles du Nord-Ouest » et « que toutes ses protestations en

faveur des métis ne sont que du chantage ».267 L’affaire d’Oka paraît avoir été oubliée et est

devenue une des dernières préoccupations des journaux. Le Fidèle Messager semble être le

seul à s’intéresser encore aux troubles d’Oka et à avoir le courage d’aller à l’encontre du

gouvernement et de la presse, depuis l’adoption de la solution de déménagement pour la

réserve de Gibson. De plus, la presse s’oriente vers un autre style de journalisme, à la toute fin

du XIXème siècle. Elle abandonne le style agressif qu’elle abordait au milieu du siècle pour

se consacrer désormais à d’autres sujets plus consensuels, dans un ton plus conciliant.

A partir de 1881, l’affaire d’Oka ne fait plus grand bruit, les journaux ne consacrent

plus leurs colonnes à cette « drôle d’affaire » où les thèmes de religion et de politique sont

plus présents que le thème du problème autochtone. Les journalistes entendent bien faire

passer leurs points de vue sur l’affaire, tout en se permettant des digressions, constituant la

plupart du temps les trois quart de l’article. Les journalistes ont-ils tout calculé, comme

265 « Les Okas », Le Fidèle Messager, ASSS, septembre 1885. 266 Idem. 267 Idem.

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l’avançait, dès le début de l’apparition de l’affaire dans la presse, La Minerve en janvier

1876 : « tout était calculé pour soulever les protestants contre nous et rallier au parti rouge les

électeurs parlant la langue anglaise sur le terrain brûlant des discussions religieuses »268, afin

d’encourager les dissensions déjà très présentes à Montréal au XIXème siècle entre

catholiques conservateurs et protestants libéraux ? « Tout était calculé » : l’expression est très

intéressante et plus que réaliste…Nous avons l’impression, après lecture de ces articles, que

les journaux sont plus des tribunes politiques que des organes d’information. L’affaire d’Oka

a été en quelque sorte manipulée par les journalistes, modelée selon leurs convictions, et

l’objectivité de cette histoire en a pâti obligatoirement. Les acteurs d’Oka ont été écartés de la

scène pour laisser les acteurs de Montréal déverser leur flot de paroles méprisantes. Il y aurait

dû avoir un débat entre Sulpiciens et Amérindiens, un débat excluant toute ingérence

extérieure. Les protestants sont venus se greffer sur l’affaire d’Oka, non pas pour améliorer la

situation des iroquois mais pour se positionner en tant que rival des catholiques sulpiciens. Au

lieu de cela, il y a eu un débat exacerbé d’idéologies, situé dans une perspective plus vaste,

celle du Québec et de ses clivages religieux, débat dans lequel le gouvernement n’a pas su ni

jouer un rôle de médiateur, ni trouver une solution à long terme pour régler le problème de

l’appartenance et des droits sur les Terres d’Oka. Le gouvernement a été incapable de trouver

une réponse adaptée aux revendications des Iroquois, exprimées depuis presque un siècle.

268 La Minerve, 26 janvier 1876.

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Conclusion :

A la fin du XIXème siècle, Oka est passé du stade où tous les intérêts du Québec

convergeaient à l’indifférence totale. L’affaire d’Oka disparaît sous le poids grandissant des

sujets nettement moins sulfureux. La presse ne se prête plus au jeu des polémiques, ne monte

plus ses lecteurs les uns contre les autres, elle se dépolitise. L’engouement des lecteurs pour

des affaires qui déchirent l’opinion publique n’est plus au goût du jour. Oka n’a plus sa place,

les enjeux autour de cette affaire ne sont plus prisés par la presse québécoise qui préfère

désormais les reportages et les informations, délaissant ainsi les commentaires acerbes dont ils

étaient fiers d’insérer sous les titres référant à l’affaire d’Oka.

Nous avons pu, au cours de cette étude, montrer différents points concernant cette

première crise d’Oka au XIXème siècle. Nous avons mis en évidence les parallèles existants

entre le contexte social à Oka et celui au Québec. L’antagonisme religieux qui naît à partir de

l’arrivée des méthodistes sur le domaine de la mission du Lac, dirigée par les sulpiciens, agite

le Québec opposant les catholiques généralement de langue française et les protestants, dans

l’ensemble anglophones. Ce contexte nous rappelle que les forces religieuses sont très

pesantes au XIXème siècle, et que les conflits qu’elles entraînent donnent lieu à des

déchirements idéologiques au sein de l’opinion publique. Les litiges se retrouvent notamment

dans la sphère politique à travers l’antagonisme ultramontain-libéral, qui n’est pas sans

raviver les querelles et les débats dans un Québec qui cherche, à cette époque, à se construire

politiquement et culturellement. Mais la mutation du libéralisme vers un ton plus modéré,

laissant le radicalisme à une minorité. De plus, les différends qui se développent au sein du

parti ultramontain verront les oppositions se calmer peu à peu, au moment où justement la

presse commence à réfréner ses élans quant au contenu des commentaires au sujet de l’affaire

d’Oka. La presse tient une grande place dans cette histoire. La presse est en effet l’organe de

diffusion principal dans le Québec du XIXème siècle. Cette presse, très politisée, se réjouit

d’interpréter les événements d’Oka à sa manière, et surtout selon ses convictions religieuses et

politiques. Les principaux sujets qui font vivre les journaux sont ceux concernant les tensions

qui animent la vie politique et religieuse du Québec : les journaux servent les intérêts soit

francophones, soit anglophones, selon le parti qu’ils ont choisi. Tout est question de politique

et de religion, et la presse est le principal outil pour alimenter lez chicanes, accroître les

divisions. Le monde au Québec du XIXème siècle bouillonne d’idéaux, d’idéologies,

d’orateurs emphatiques et de journalistes pamphlétaires.

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Dans le cas d’Oka, il ne semblait pas évident de constater une telle exploitation de la

part des médias. En effet, l’ensemble des Amérindiens de la mission puis les Iroquois d’Oka,

devenus apostats, n’ont jamais cessé d’invoquer le gouvernement, sous la forme de requêtes et

de pétitions, pour intervenir dans cette situation où les discordes à propos des terres d’Oka ne

permirent plus le retour de la tranquillité des premiers jours. La revendication territoriale des

Amérindiens est le seul vrai sujet de discorde entre eux et les sulpiciens : les autres motifs des

troubles ne font que découler de ce problème irrésolu. La coupe de bois par les Iroquois est

une forme violente et illégale pour résister à l’oppression sulpicienne, elle est une façon pour

prouver leur ténacité. Les événements de 1875 (démolition du temple méthodiste sous

l’injonction des autorités, appelés en renfort par les sulpiciens) et de 1877 (incendie de

l’église d’Oka) ne sont que les résultats des relations tendues entre Iroquois qui réclament les

droits sur la terre d’Oka et les sulpiciens qui ne démordent pas sur les leurs.

Cette montée de tensions était certes inévitable. Mais n’a-t-elle pas été influencée par

des groupes extérieurs ? L’apostasie n’a-t-elle pas ouvert une brèche dans le cercle fermé de

l’affaire d’Oka ? En effet, à partir du moment où la majorité des Iroquois ont renié la foi

catholique, les protestants de Montréal ont décelé là une occasion de prendre en main une

injustice qui ne les concernait, pourtant, que de loin. Oka devient leur cheval de bataille dans

la lutte menée contre la toute puissance de l’Eglise Catholique Romaine. Oka devient le

symbole de l’oppression générale exercée par le catholicisme. Certes, les Iroquois voient dans

cette alliance fortuite un espoir de conquérir enfin leurs terres, de faire changer l’avis du

gouvernement qui s’est toujours obstiné à refuser leurs arguments. Ils voient dans les

protestants, la protection et l’appui nécessaires pour convaincre l’opinion publique.

Néanmoins, ce qu’ils n’observent pas, c’est l’ambiguïté de ce cordial soutien. L’affaire d’Oka

s’est non pas intégrée dans les affaires de la sphère publique, mais s’est seulement greffée sur

celles-ci. Les Iroquois ne sont que des pions sur l’échiquier dressé par les protestants de

Montréal. Les discordes occasionnées lors des procès des incendiaires d’Oka à la fin des

années 1870, n’est que le décor de l’affrontement des jurys anglophones pro protestants et des

jurys francophones de conviction catholique. L’histoire d’Oka échappe aux Amérindiens, ils

n’ont plus le contrôle de son évolution. L’opinion publique en décide. Peu à peu, le sujet

principal des revendications territoriales s’efface, et personne dans l’opinion publique ne

prend vraiment part à ce débat. Le débat est situé à un niveau beaucoup plus général et

important : celui sur la suprématie religieuse et politique. En effet, ces deux intérêts ont

phagocyté les autres, comme le rappelle fort justement la Minerve dans l’affaire des procès

des incendiaires d’Oka :

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« Quelque soit le culpabilité ou la responsabilité des inculpés, le sentiment

politique et le sentiment religieux se sont combinés pour arriver à ce résultat qui a

été loin de satisfaire l’opinion publique ».269

Mais au moment où le débat exporté hors d’Oka s’enlise, (au moment où les procès des

incendiaires ne permettent pas aux jurés de délivrer des verdicts tranchés mais seulement des

non lieux) protestants et catholiques se mettent finalement d’accord pour exhorter de façon

véhémente le gouvernement à régler une affaire qui la concerne, dans la mesure où, comme le

signalent, en particulier, les protestants, le gouvernement est sensé symboliser l’équité et

prévenir toute forme d’injuste et de persécution. Mais on se rend compte, grâce à la

correspondance entretenue entre l’agent du séminaire et les membres du gouvernement, que

certaines manœuvres de ces derniers sont orchestrées dans le seul intérêt des sulpiciens. On

peut alors mettre en doute la qualité de la justice qui émane de la volonté gouvernementale.

Quoiqu’il en soit, les interventions de gouvernement seront timides. Le gouvernement ne

s’investira que le temps de calmer les esprits et éviter le chaos total à Oka. Pour ne froisser

aucune partie, il s’engage à proposer aux Amérindiens avec l’accord du séminaire, de

déplacer les Iroquois mécontents dans une réserve créée pour eux dans le territoire ontarien,

près de Gibson. La consolation semble bien maigre par rapport à l’attente des Iroquois. Leur

seul salut pour débloquer le statu quo, qui paralysait toutes discussions, fut alors déporté sur

la presse. Elle aurait pu être l’appui, le support efficace pour faire évoluer la situation. Au

contraire, celle-ci les a, en quelque sorte, aussi trahis.

La presse aurait pu être, au même titre que les protestants, le porte parole des

revendications iroquoises. Au lieu de cela, les journaux ont été les principaux déformateurs de

l’affaire d’Oka. Tous ont vu dans cette affaire, l’occasion de déballer tous les arguments

politico-religieux, sous couvert d’un événement réel. Sans aucun doute, Oka est devenu

célèbre pour les lecteurs de XIXème siècle : le lieu ou, plutôt, le terrain où se jouaient les

joutes verbales entre protestants et catholiques, entre libéraux radicaux et ultramontains

« ultramontés ». L’intérêt des journalistes pour Oka est croissant, et atteint son paroxysme

lorsque les procès des incendiaires ne semblent pas vouloir prendre fin. Les jurys s’expriment

dans les journaux. L’opposition est farouche de la part des protestants, alors que les journaux

catholiques se contentent de faire valoir leur supériorité et leur abjection envers tout ce qui a

269 « L’affaire d’Oka », La Minerve, 4 octobre 1881.

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trait au protestantisme. Les journaux s’engagent dans une lutte sans merci : dans une lutte qui

les oppose dans le domaine idéologique. A partir de là, s’ouvre une lutte, plus mesquine

encore, qui concerne directement les journaux en tant que tels. Oka sert, entre autres, de

support pour les affronts et les attaques dont sont victimes les journaux. Une véritable guerre

journalistique est née aux dépens de l’affaire d’Oka. Disputes et calomnies se succèdent au

gré des articles sans se préoccuper le moins du monde ni de la situation des Amérindiens, ni

de l’évolution de leurs revendications. Tous sont concentrés à dénigrer les propos du journal

adversaire, voire ennemi. Au fur et à mesure que s’enlise l’affaire d’Oka dans des procès sans

véritables conclusions, la presse, quant à elle, est toute occupée à se liguer contre un journal,

le seul qui ose encore défendre les Indiens, à qui pourtant, le gouvernement a donné la chance

de pouvoir recommencer une nouvelle vie dans une réserve où ils n’auront plus à se soumettre

aux autorités sulpiciennes, seulement celles fédérales… Le Montreal Daily Witness devient la

victime de la cabale lancée contre lui, au début des années 1880, de la part même de ceux qui,

au début de l’affaire d’Oka, partageaient ses idéaux : défense des opprimés (par conséquent

des Iroquois, bafoués dans leurs droits et dans leur honneur), lutte contre toute influence

catholique et publicité pour la force protestante, en particulier celle du méthodisme.

Cependant, les journalistes se sont autant préoccupés de leurs confrères que de diffuser leurs

commentaires révélant des enjeux autres que l’enjeu des terres à Oka.

A travers la crise d’Oka se révèle un enjeu primordial, celui de la religion où les

tensions sont poussées aux extrêmes. Guerre religieuse et fanatisme sont les mots clés : ils

reviennent constamment dans les articles liés à Oka. Plus qu’une guerre de religion, c’est une

guerre d’idéaux qui est déclenchée, avec pour armes, les mots. Pro protestants et pro

catholiques s’affrontent sur le papier, et le vainqueur sera celui qui saura le mieux dénigrer la

réputation de l’autre. Les offensives sont claires, précises et frontales, elles ne font que

refléter le climat de tensions qui règne au Québec.

Le second enjeu à Oka est plus particulier : il concerne la position du gouvernement

dans cette affaire. Celui-ci doit compter sur son habilité pour tenter de trouver une solution

convenable à tous. Or, la situation est trop délicate pour accepter une proposition à court

terme. Pourtant, le gouvernement maintiendra cette ligne de pensée, et au lieu de mettre un

terme à cette première crise d’Oka, elle ne fera qu’enliser la situation dans un problème sans

fin. Le gouvernement ne veut ni céder aux exigences des Amérindiens, ni paraître

intransigeant aux yeux de l’opinion publique. Pourtant, il est obligé de rétablir l’ordre dans

cette situation désastreuse où, non seulement, on a cessé tout dialogue, mais aussi occulté le

problème de la question principale : un simple déménagement, dans un réserve sous l’autorité

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du gouvernement fédéral, ne pouvait satisfaire des Iroquois qui réclamaient avec véhémence

les terres du domaine du Lac des Deux Montagnes. Le gouvernement, adoptant une attitude

équivoque, s’est abstenu de s’investir plus dans cette histoire. Il n’a joué qu’un rôle furtif dans

cette médiation. Cependant, il a répondu à l’opinion publique, dans la mesure où il s’est

décidé à faire quelque chose. Etait-ce suffisant ? Quoiqu’il en soit, les journaux ont trouvé

dans ce compromis réponse à leurs attentes. L’unanimité dans l’acceptation du déménagement

des Iroquois à Gibson efface tous les outrages et toutes les injures échangées dans la presse.

La crise d’Oka, selon les journalistes, a bien trop duré, et il est temps de passer à autre

chose. Il n’était pas, à cette l’époque, du devoir du journaliste d’analyser la viabilité de la

solution adoptée. Son travail se limitait à décider s’il était encore « rentable » de parler d’une

crise devenue désuète et lassante. Les journaux ont manipulé de bout en bout l’affaire d’Oka,

se servant d’elle pour pouvoir appuyer leur pensées et leurs idées, fustiger un adversaire

journaliste. La presse, comme le gouvernement, a occulté le fond du problème d’Oka, se

préoccupant de ses seuls intérêts, et une fois l’euphorie liée à cette affaire passée, elle finit par

l’occulter totalement. Tel un phénomène de mode, Oka passe du statut très prisé de

phénomène incontournable à celui de phénomène sans digne d’intérêt.

Si la presse a affirmé que la situation à Oka était résolue une fois pour toutes, il n’en va

pas de même dans la réalité. Les tensions n’ont jamais cessé d’exister, car tout n’était pas joué

pour les sulpiciens. En 1905, Sir Wilfried Laurier, premier ministre du Canada, fera savoir au

séminaire que le gouvernement considérait l’affaire d’Oka « étant encore pendante »270. Les

Sulpiciens entameront alors des démarches juridiques pour que l’on règle de façon définitive

jusqu’à ce que, le 30 décembre 1911, le jugement rendu soit sans équivoque : « les prétentions

des Indiens sont déboutées, les sulpiciens sont confirmés dans tous leurs droits sur la

seigneurie du Lac »271. Mais en 1936, après des transactions financières malheureuses, les

sulpiciens furent obligés de vendre presque tout ce qui restait de la propriété d’Oka à l’Institut

Agricole Belge. En 1945, le gouvernement racheta, à sont tour, les parcelles de terre occupées

par les Indiens, les sulpiciens ne s’occupent plus que du soin spirituel des autochtones.

Désormais, les obligations, jusque là assumées par le séminaire, seront transférées au

Ministère de Affaires Indiennes.

Malgré ce changement de tutelle, les Amérindiens refusèrent de le considérer comme un

règlement final de leurs revendications. Les terres achetées par le gouvernement fédéral ont

270 LAURIN, op.cit., p.90. 271 MARINIER, op.cit, p. 32.

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un statut de « Terres de la Couronne » où les Amérindiens sont autorisés à y demeurer et à y

exercer un certain nombre d’activités. En 1947, une partie des Terres non occupées par les

Amérindiens, mais néanmoins utilisées par eux à des fins communautaires, est vendue par le

gouvernement fédéral à la ville d’Oka pour la création d’un parc municipal. En 1958, la

municipalité d’Oka entame les démarches pour la construction d’un golf de neuf trous sur une

partie des terres communales. A partir des années 1970, le bureau des revendications des

Autochtones, mis sur pied par le gouvernement fédéral afin de contrer l’éveil du militantisme,

n’aura de cesse de faire valoir deux types de revendications : celles dites globales, fondées sur

l’utilisation et l’occupation traditionnelles des terres par les autochtones et celles particulières

portant sur l’administration des terres et d’autres biens des Amérindiens ainsi que sur le

respect des dispositions des traités272. Il serait trop long de retracer précisément toutes les

subtilités et tous les événements qui ont marqué l’intervalle entre les années 1970 et la crise

de 1990. Nous nous sommes contentés de repérer l’essentiel pour pouvoir constater les

tensions latentes qui traversent le XXème siècle. Elles conduiront à la crise de 1990, aux

tragiques conséquences.

Dès le milieu des années 1980, le litige territorial adoptait une nouvelle forme en

prenant racine au niveau local et régional (notamment, la création d’un centre de

désintoxication destiné à une clientèle autochtone soulèvera la controverse). A partir de ce

moment, tensions et méfiance s’accumulèrent pour donner naissance à une situation

étouffante273. Les Amérindiens ont été les témoins passifs d’un long processus de

dépossession et de réduction, que ce soit dans les terres ou dans les droits. Le rejet définitif en

1986, par le gouvernement du Canada, de la revendication territoriale déposée en 1977, n’a

fait qu’envenimer les choses, et le projet d’agrandissement du golf en 1989 ne fit que

précipiter la situation dans de nouveaux troubles, plus exceptionnels encore. La crise de 1990

se solda par un mort et un échec total dans les négociations.

272 LEPAGE, op.cit., pp. 100-101. 273 Idem, pp.102-103.

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La crise en 1990

Source : BOILEAU, Gilles, Le silence des Messieurs, Oka, Terre Indienne, Montréal, édition de Méridien, 1991, 273 p.

Les revendications territoriales, qui n’ont toujours pas été prises en compte, seront

toujours ce pour quoi les Mohawks de la « réserve » de Kanehsatake au XXème siècle et du

XXIème siècle, qui rappelons-le n’est pas une réserve au sens juridique du terme, mais appelé

ainsi pour plus de commodité, se battront, comme l’ont fait leurs ancêtres, les Iroquois de la

mission du Lac des Deux Montagnes au XIXème siècle. La crise du XIXème siècle, étalée sur

presque plus d’une décennie (1869-1880), n’aura été finalement qu’une répétition de la crise

de 1990 qui dura quelque mois : une répétition dont le gouvernement n’a pas su tirer les

leçons, et dont les journalistes n’ont pas vu l’importance crucial et n’ont pas su prévenir les

conséquences à long terme. Si la presse, dès le XIXème siècle, s’était intéressée davantage à

l’affaire d’Oka, en essayant d’être objective, aurait-elle été en mesure de rassembler l’opinion

publique autour du problème essentiel, celui du statut des terres d’Oka ? Quoiqu’il en soit,

force est de constater que cette presse a emprisonné le débat dans une masse d’informations

qui se rapportaient toutes aux enjeux socio-politiques et religieux du Québec. Oka, bien

malgré lui, est devenu, par l’intermédiaire des médias, l’emblème des tensions sociales,

politiques et religieuses, avant que celles-ci ne s’estompent dans les colonnes de la presse

québécoise du XIXème siècle.

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• HISTOIRE DE LA PRESSE BEAULIEU, André, Hamelin, Jean, Les journaux du Québec de 1764 à 1964, Québec, les Presses de l'Université de Laval, 1965, 329 p. BEAULIEU, André, Hamelin, Jean, La presse québécoise 1860-1879, des origines à nos jours, Tome 2, Québec, les Presses de l’Université de Laval, 1975. FELTEAU, Cyrille, Histoire de la Presse, Montréal, La Presse, 1983-84, 2 volumes. LAGRAVE (De), Jean-Paul, Liberté et servitude de l'information au Québec confédéré (1867-1967), Ottawa, éditions de Lagrave, 1978, 371 p. RUTHERFORD, A Victorian authority : the daily press in late nineteenth century Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1982, 292 p. ARTICLES : BEAULIEU, André, HAMELIN, Jean, « Aperçu du journalisme québécois d’expression française », Recherches Sociographiques, pp.305-347.

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

Carte pour situer Kanehsatake. (ou Oka).................................................................................p.1 (Source: ALFRED, R. Gerald. Heeding the Voices of Our Ancestors : Kahnawake mohawk politics and the rise

of native nationalism in Canada. Ann Arbor : UMI Dissertation Services, 1995, p.34)

La Montagne............................................................................................................................p.9 (Source : O’NEIL, Oka, Montréal, édition du Ginko, 1987, p.31)

Le missionnaire sulpicien Jean André Cuoq..........................................................................p.16 (Source : O’Neil, J, Oka, édition du Ginko, 1987, p.92.)

Le missionnaire méthodiste Amand Parent...........................................................................p.17 (Source : O’NEIL, Oka, édition du Ginko, 1987 p. 102.)

Sose Onasakenrat...................................................................................................................p.19 (Source : O’NEIL, J, Oka, édition du Ginko, 1987, p.99.)

Plan de Kahnesatake en 1753 : la mission du Lac des Deux Montagnes était composée de

deux village distincts : à l’ouest se trouvaient les Iroquois et à l’est, les Algonquins avec les

Nippissingues.........................................................................................................................p.55 (Source : TRIGGER, Northeast, vol.15 Handbook of North American Indians, Washington Smithsonian

Institute, 1978, p.472)

Le temple méthodiste sur le domaine d’Oka.........................................................................p.62 (Source : O’NEIL. J, Oka, édition du Gingo, 1987, p. 105)

Situation géographique de Gibson (par rapport à Oka).........................................................p.78 (Source : MILLER, J.R. Skyscrapers Hide the Heavens : A History of Indian-White Relations in Canada,

Toronto : Université of Toronto Press, 1991, p.259.)

Situation géographique de Sainte-Scholastique (par rapport à Oka).....................................p.91 (Source : BOILEAU, Gilles, Le silence des Messieurs, Oka, Terre Indienne, Montréal, édition de Méridien,

1991, 273 p.)

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Article de journal.................................................................................................................p.108 (« The Oka Indians : an important report regard their affairs by Reverend Scott », Montreal Daily Star, 6 mars

1883.)

La crise en 1990...................................................................................................................p.136 (Source : BOILEAU, Gilles, Le silence des Messieurs, Oka, Terre Indienne, Montréal, édition de Méridien,

1991, 273 p.)

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TABLES DES MATIERES Introduction : …………………………………………………………………………........p.1 Chapitre I : Le contexte social, politique et religieux au Québec, au XIXème siècle.....p.8 1.1. Le contexte social à la mission du Lac des Deux Montagnes et ses intervenants…........p.8

1.1.1. Les Sulpiciens………………………………………………………...…….....p.8 1.1.2. Les Méthodistes……………………………………………………………...p.12 1.1.3. Les Amérindiens……………………………………………………………..p.14 1.1.4. Biographies sommaires de certains intervenants ayant joué un rôle important dans les événements d’oka…………………………………………………………...……..p.16 1.2. Le monde socio-politique et religieux au Québec du XIXème siècle………………….p.19

1.2.1. Rappel chronologique de l’évolution politique au Bas-Canada…...………....p.19 1.2.2. Les forces religieuses : catholiques et protestants……………………...…….p.20 1.2.3. Les forces politiques : ultramontains et libéraux………...…………………..p.22

1.2.4. Idéologie et idées : les formes de diffusion…………………………………..p.24 1.3. Le monde de la presse au Québec, au XIXème siècle……………………...………….p.26

1.3.1. La presse : un organe du pouvoir servant les intérêts francophones et anglophones…………………………………………………………………………p.27 1.3.2. L’antagonisme ultramontain-libéral exacerbé : une division dans la presse francophone……………………………………………………………...………….p.29 1.3.3. Présentation des journaux consultés pour notre étude……………...…...…...p.30

Chapitre II : Les événements d’Oka au XIXème siècle et leurs perceptions : des divergences de départ………………………………………………………...…………...p.36 2.1. La mission d’Oka, des origines à l’avènement des troubles…………………………...p.36

2.1.1. La question des terres : un problème à la taille du Canada………...………...p.36 2.1.2. La conception du territoire : les divergences au départ………………………p.40 2.1.3. 1781 et 1788 : premières revendications………………………………...…...p.43 2.1.4. Les années 1850 : prémices d’une prochaine révolte et 1868 : les menaces

persistent……………………………………………………………………………………p.46

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2.2. 1869 : l’apostasie ou la fin d’une époque : le tournant dans l’histoire d’Oka……...….p.49

2.2.1. Conversion sincère ou action stratégique ?......................................................p.50 2.2.2. Scission chez les Amérindiens : Iroquois apostats contre Algonquins restés

fidèles au catholicisme……………………………………………………………………...p.54 2.2.3. Montée des tensions et de la violence…………………………………...…...p.59

2.3. Ouverture à l’opinion publique et à un débat généralisé………………………………p.64

2.3.1. Regards confrontés entre Méthodistes et Sulpiciens…………………...…….p.65 2.3.2. Regards personnalisés ou visions déformées par la conviction religieuse?.....p.66 2.3.3. Sulpiciens versus Méthodistes ou Catholicisme versus Protestantisme ?........p.71 2.3.4. Intervention de l’opinion publique…………………………………………...p.73 2.3.5. Un quatrième acteur : le gouvernement, médiation nouvelle ou démarches influencées ?...............................................................................................................p.77

Chapitre III : Oka : une affaire reprise pour et par la presse……………...………….p.82 3.1. La presse : reflet de l’opinion publique………………………………………………..p.82

3.1.1. Les rapports de la presse avec les sulpiciens et les méthodistes : tentative de contrôle mais peur du scandale………………………………………...…………...p.83 3.1.2. La presse s’en mêle : les répercutions de l’apostasie………………………...p.86 3.1.3. La presse s’emballe : les protestants sur le front journalistique………...…....p.88 3.1.4. Les procès ou l’intervention physique de l’opinion publique………………..p.90

3.2. La guerre journalistique ; un ton viscéral et cassant……………………...…………....p.95

3.2.1. Disputes et calomnies : les répliques sous-entendues……………………......p.96 3.2.2. Cabale lancée contre The Montreal Daily Witness…………………...……...p.99 3.2.3. A chaque journal son protégé…………………………………………...…..p.102 3.2.4. Querelle entre deux méthodistes d’Oka : prétexte à s’éloigner du problème

originel…………………………………………………………………………………….p.106 3.3. Quels sont les vrais enjeux ?.........................................................................................p.112

3.3.1. L’enjeu prétexte : les Amérindiens persécutés………………...…………...p.112 3.3.2. L’enjeu primordial : guerre religieuse et fanatisme………………...……....p.116 3.3.3. L’enjeu final : pour ou contre Gibson ? Une question politique……………p.121 3.3.4. La fin d’un intérêt pour Oka : la presse abandonne l’affaire………...……..p.125

Conclusion :........................................................................................................................p.130

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Bibliographie :....................................................................................................................p.137 Table des illustrations :......................................................................................................p.146 Table des matières :...........................................................................................................p.148