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TENNIS Le tournoi de Roland-Garros suscite toujours un fort engouement de la part des spectateurs, téléspectateurs, journalistes sportifs. Pour la « Revue EP.S » c'est l'occasion d'aborder l'activité tennis sous des angles différents en donnant la parole dans ces pages à trois personnalités. Le docteur Pierre Talbot médecin fédéral fait le point sur les évolutions physiologiques des meilleurs joueurs mondiaux. Jean-Paul Loth directeur de cabinet des relations extérieures de la fédération nous aide à com- prendre comment ce sport roi dans les années 80 perd ses licenciés tout en gagnant des pratiquants. Jean-Pierre Dartevelle, vice-président, parle enfin de véritable virage culturel amorcé par la fédération dans son approche de l'initiation et de la formation des jeunes joueurs. va le tennis ? PAR P. TALBOT Chaque joueur et chaque joueuse de tennis semble posséder une fourchette personnel- le du temps réel de jeu par heure (TRJ) au sein de laquelle ils développent leur meilleur tennis en se fatiguant le moins pos- sible. Le Docteur Pierre Talbot analyse l'évolution de ces aptitudes physiologiques individuelles. Nous avons déjà eu l'honneur de nous exprimer dans la revue ( 1 ) sur les temps réels de jeu par heure (T.R.J.) durant lesquels la balle est jouée par les adversaires, lors d'un match de tennis en simple. Les résultats sont pour le moins surprenants. Rappelons-en l'essentiel légèrement modifié par les mesures récentes : Sur terre battue (type Roland-Garros) : de 8 mn 45 sec à 28 mn. Moyenne : 12 mn 45 sec par heu- re. Sur surface synthétique : (type Flushing Mea- dow) : de 5 mn 45 sec à 13 mn 15 sec. Moyenne : 7 mn 45 sec par heure. Sur herbe (Wimbledon) : de 4 mn 26 sec (record absolu) à 10 mn 45 sec par heure. Moyenne : 6 mn 45 sec par heure. Pour les femmes, les différences des T.R.J. selon la surface sont atténuées. Terre battue : de 11 à 30 mn/h ; synthétique : de 6 à 20 mn/h : herbe : de 7 mn 30 sec à 14 mn/h. L'aptitude physiologique individuelle Outre leur intérêt de curiosité, ces mesures débouchent sur une conception physiologique nouvelle de la pratique du tennis. Plus de 400 observations sur des joueurs et joueuses de premier plan mondial ont été, à ce jour, réalisées. Certains joueurs ont été « mesu- res » plus de 20 fois. Nous écrivions, en 1990 : « Dans les limites décrites précédemment, liées à la surface, chaque joueur et chaque joueuse semblent pos- séder une fourchette personnelle de T.R.J. au sein de laquelle ils développent leur meilleur tennis en se fatiguant le moins possible ». C'est l'aptitude physiologique individuelle (A.P.I.). Cette A.P.I. est soit courte (adeptes du « service- volée ». échanges courts) soit longue (ren- voyeurs. en général lifteurs de fond de court). Les attaquants du fond de court Dans tous les sports, il existe de telles diffé- rences : en course à pied, par exemple, on a les « sprinters » et les « marathoniens ». Mais le tennis, est - sans doute - un des seuls sports où « sprinters » et « marathoniens » s'af- frontent souvent... directement. 11 ne s'agit plus alors de savoir, dans une discipline donnée, quel est. le jour J. le meilleur de deux spécialistes de cette discipline, mais quel est celui qui va faire triompher sa « manière de jouer », sa « concep- tion techno-physiologique ». en fait, son A.P.I. Du moins dans les matches longs (en 4 ou 5 sets) on peut dire que le vainqueur à toutes chances d'être celui qui a « imposé son jeu ». en une cer- taine mesure imposé son A.P.I. Les observations effectuées de 1990 à 1995 ont confirmé ces notions. Mais elles ont. de plus, mis en lumière ce qui était déjà ébauché : la survenue et la montée en puissance d'une « A.P.I. inter- médiaire » constituée par les « attaquants de fond de court ». Ces joueurs ne montent pas souvent au filet sur leur service, mais délivrent, du fond du court, des coups d'une violence inouie. Cela a pour conséquence d'engendrer un effort sub maximal qui peut faire le point à chaque frappe de balle et qui comporte une part de risque importante. Ces deux notions amènent à des échanges violents mais nécessairement plus brefs que ceux des « renvoyeurs ». Le « coup d'attente » n'existe plus. En tète de cette catégorie figurent A. Agassi et J. Courier. P. Sampras à notre avis, en fait égale- ment partie. Mais, pour lui. l'excellence de son service l'oblige - si l'on peut dire -. à faire, de temps en temps du « service-volée ». Cela lui permet, sinon de se reposer, du moins de changer la nature de son mouvement, ce qui est finale- ment « délassant » (au sens strict de ce terme). C'est évidemment parmi les adeptes de ce type de jeu que se recrutent et se recruteront désor- mais les champions. André Agassi, un attaquant de fond de court de la filière longue. Henri Leconte joueur service volée de la filière courte. PHOTOS : TEMPSPORT 56 Revue EP.S n°253 Mai-Juin 1995 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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Page 1: TENNIS - CERIMESuv2s.cerimes.fr/media/revue-eps/media/articles/pdf/70253-56.pdf · vrai, des modifications de structure de la balle utilisée). On ira sans doute assez rapidement

TENNIS Le tournoi de Roland-Garros suscite toujours un fort engouement de la part des spectateurs, téléspectateurs, journalistes sportifs. Pour la « Revue EP.S » c'est l'occasion d'aborder l'activité tennis sous des angles différents en donnant la parole dans ces pages à trois personnalités.

Le docteur Pierre Talbot médecin fédéral fait le point sur les évolutions physiologiques des meilleurs joueurs mondiaux. Jean-Paul Loth directeur de cabinet des relations extérieures de la fédération nous aide à com­prendre comment ce sport roi dans les années 80 perd ses licenciés tout en gagnant des pratiquants. Jean-Pierre Dartevelle, vice-président, parle enfin de véritable virage culturel amorcé par la fédération dans son approche de l'initiation et de la formation des jeunes joueurs.

Où va le tennis ? PAR P. TALBOT

Chaque joueur et chaque joueuse de tennis semble posséder une fourchette personnel­le du temps réel de jeu par heure (TRJ) au sein de laquelle ils développent leur meilleur tennis en se fatiguant le moins pos­sible. Le Docteur Pierre Talbot analyse l'évolution de ces aptitudes physiologiques individuelles.

Nous avons déjà eu l'honneur de nous exprimer dans la revue ( 1 ) sur les temps réels de jeu par heure (T.R.J.) durant lesquels la balle est jouée par les adversaires, lors d'un match de tennis en simple. Les résultats sont pour le moins surprenants. Rappelons-en l'essentiel légèrement modifié par les mesures récentes : Sur terre battue (type Roland-Garros) : de 8 mn 45 sec à 28 mn. Moyenne : 12 mn 45 sec par heu­re. Sur surface synthétique : (type Flushing Mea­dow) : de 5 mn 45 sec à 13 mn 15 sec. Moyenne : 7 mn 45 sec par heure. Sur herbe (Wimbledon) : de 4 mn 26 sec (record absolu) à 10 mn 45 sec par heure. Moyenne : 6 mn 45 sec par heure. Pour les femmes, les différences des T.R.J. selon la surface sont atténuées. Terre battue : de 11 à 30 mn/h ; synthétique : de 6 à 20 mn/h : herbe : de 7 mn 30 sec à 14 mn/h.

L'aptitude physiologique individuelle Outre leur intérêt de curiosité, ces mesures débouchent sur une conception physiologique nouvelle de la pratique du tennis. Plus de 400 observations sur des joueurs et joueuses de premier plan mondial ont été, à ce jour, réalisées. Certains joueurs ont été « mesu­res » plus de 20 fois. Nous écrivions, en 1990 : « Dans les limites décrites précédemment, liées à la surface, chaque joueur et chaque joueuse semblent pos­séder une fourchette personnelle de T.R.J. au sein de laquelle ils développent leur meilleur tennis en se fatiguant le moins possible ». C'est l'aptitude physiologique individuelle (A.P.I.). Cette A.P.I. est soit courte (adeptes du « service-volée ». échanges courts) soit longue (ren-voyeurs. en général lifteurs de fond de court).

Les attaquants du fond de court Dans tous les sports, il existe de telles diffé­rences : en course à pied, par exemple, on a les « sprinters » et les « marathoniens ». Mais le tennis, est - sans doute - un des seuls sports où « sprinters » et « marathoniens » s'af­frontent souvent... directement. 11 ne s'agit plus

alors de savoir, dans une discipline donnée, quel est. le jour J. le meilleur de deux spécialistes de cette discipline, mais quel est celui qui va faire triompher sa « manière de jouer », sa « concep­tion techno-physiologique ». en fait, son A.P.I. Du moins dans les matches longs (en 4 ou 5 sets) on peut dire que le vainqueur à toutes chances d'être celui qui a « imposé son jeu ». en une cer­taine mesure imposé son A.P.I. Les observations effectuées de 1990 à 1995 ont confirmé ces notions. Mais elles ont. de plus, mis en lumière ce qui était déjà ébauché : la survenue et la montée en puissance d'une « A.P.I. inter­médiaire » constituée par les « attaquants de fond de court ». Ces joueurs ne montent pas souvent au filet sur leur service, mais délivrent, du fond du court, des coups d'une violence inouie. Cela a pour conséquence d'engendrer un effort sub maximal qui peut faire le point à chaque frappe de balle et qui comporte une part de risque importante. Ces deux notions amènent à des échanges violents mais nécessairement plus brefs que ceux des « renvoyeurs ». Le « coup d'attente » n'existe plus. En tète de cette catégorie figurent A. Agassi et J. Courier. P. Sampras à notre avis, en fait égale­ment partie. Mais, pour lui. l'excellence de son service l'oblige - si l'on peut dire -. à faire, de temps en temps du « service-volée ». Cela lui permet, sinon de se reposer, du moins de changer la nature de son mouvement, ce qui est finale­ment « délassant » (au sens strict de ce terme). C'est évidemment parmi les adeptes de ce type de jeu que se recrutent et se recruteront désor­mais les champions.

André Agassi, un attaquant de fond de court de la filière longue.

Henri Leconte joueur service volée de la filière courte.

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56 Revue EP.S n°253 Mai-Juin 1995 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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Filière intermédiaire et filière longue Une interprétation d'ordre énergétique peut être donnée de ces phénomènes. Elle ne peut que fai­re appel à l'analogie avec des efforts plus ou moins similaires. Compte tenu de la part prépon­dérante que le mental prend dans ce genre de sport et à ce niveau de compétition, toute expéri­mentation valable ne pourrait se faire que durant les matches eux-mêmes. Or elles sont trop stres­santes, voire trop invasives pour pouvoir être simplement envisagées. 11 est tentant, donc, de trouver des points com­muns entre l'A.P.l. courte (service-volée, retour volée) et l'anaérobie alactique. Appelons la « filière courte ». Les « attaquants de fond de court » et leur débauche d'énergie limitée dans le temps font sans doute appel, de préférence à l'anaérobie lac­tique. C'est la « filière intermédiaire ». Enfin les inlassables renvoyeurs de fond de court, les « filières longues ». font manifeste­ment appel au mécanisme « aérobie ».

Diminution du temps de repos La suprématie actuelle des attaquants de fond de court de la filière intermédiaire est-elle définitive ? Sans doute pas. Le tennis a toujours montré qu'il recèlait en lui-même l'antidote de ses excès : le « lift » de B. Borg paraissait invicible jusqu'à l'arrivée du magicien du « toucher » .1. Mac Enroe. Les ser-\cuis à 200 km/h. et plus, semaient la terreur : les ébouriffants progrès actuels des « relanceurs » battent en brèche leur hégémonie (avec, il est vrai, des modifications de structure de la balle utilisée). On ira sans doute assez rapidement jusqu'à la limite de « l'attaque de fond de court ». Mais il existe des talents qui. tout en utilisant au moins partiellement cette manière - incontournable - de jouer y ajouteront une touche de fantaisie, un zeste de toucher, un renouveau de la volée, une soudaineté de rupture de rythme qui en feront les meilleurs. Et puis, il y a. Dieu merci, les surfaces diffé­rentes du synthétique. 11 est évident qu'à Roland

Garros, la terre battue donnera plus de variété au jeu. et qu'à Wimbledon. la « filière courte » reprendra ses droits. A propos de cette « filière courte ». il est intéressant de constater que la nouvelle réglementation abaissant à 20 secondes le temps de repos autorisé entre deux points ne les avantage pas. En effet, moins on se repose, plus le « temps réel de jeu par heure » est allon­gé. Or les serveurs volleyeurs ne respirent pas pendant l'effort mais seulement lorsque celui-ci cesse. Lors des matches très prolongés, cette diminution cumulative des temps de repos risque d'handicaper leur fin de match. A contrario, et surtout sur terre battue, cela pour­rait arranger les affaires des « filière longue » qui. s'ils parviennent à survivre à l'orage que les attaquants de fond de court leur font subir dans les premiers sets, pourraient - grâce à leur « aéro­bie » - dominer les fins de match prolongé.

Qualité de récupération immédiate Le tennis devient un sport de plus en plus « phy­sique ». Les filières énergétiques qui y président, après avoir été distinctes et même opposées, du temps où l'on jouait, soit « au fond ». en allon­geant l'échange, soit « au filet » en l'abrégeant.

semblent devoir être battues en brèche par les joueurs - et maintenant certaines joueuses -capables, grâce à la volonté de leurs coups, de raccourcir l'échange tout en restant au fond du court. La durée des repos octroyés entre les points ayant tendance à diminuer, la qualité de la récupération immédiate deviendra le paramètre essentiel. Or pour la perfectionner, il ne faut pas négliger l'aérobie. Ainsi nous orientons nous vers un sport où l'en­durance de fond gardera toute sa valeur, niais où un « entraînement fractionné » progressif, réno­vé ou original, entrepris après l'âge de 15 ans. sera sans doute un facteur d'amélioration de la performance. D'ailleurs, tel est parfois déjà le cas. Mais cela pourrait se généraliser davantage. La surveillance physiologique et médicale de l'entraînement n'en serait que plus indispensable encore.

Docteur Pierre Talbot Médecin fédéral.

Fédération française de tennis.

(1) Les filières énergetiques et temps réels de jeu EP.S n° 226.

De plus en plus de pratiquants De moins en moins de licenciés PAR J.-P. LOTH

Les pratiquants augmentent. Mais les licenciés s'en vont. Le tennis n'est pas, loin s'en faut, le seul sport confronté à ce phénomène. Après le boom spectaculaire des années 80, la fédé­ration française doit redéployer son organisation pour reconquérir les pratiquants qu'elle a suscités.

Le tennis, sport roi des années 80, est-il réellement sur le déclin ?

Le tennis n'a jamais été autant pratiqué qu'au­jourd'hui en France. La Fédération française de tennis (FFT) est forte actuellement d'environ un million de l icenciés contre guère plus de 200 000 voilà une vingtaine d'années. Et le nombre de pratiquants sans licence est esti­mé à près de 4 millions. Mais derrière ces chiffres une tendance se dessine depuis 1989-

1990 : la fédération perd de plus en plus de licen­ciés. Et le phénomène s'accélère, malgré les actions entreprises. La fédération compte aujourd'hui 250 000 licenciés de moins qu'au début de la décennie. C'est ce qui (ait dire une peu rapidement que le tennis est en baisse. Or. dans le même temps, la pratique du tennis hors du cadre fédéral continue de se développer.

Sergi Bruguera, joueur de fond de court monte parfois à la volée,

introduisant ainsi des séquences de filières courte dans un jeu de filière longue.

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Le central pendant les internationaux de Roland-Garros.

EPS N° 253 - MAI-JUIN 1995 5 7

Revue EP.S n°253 Mai-Juin 1995 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé