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Processus de 4 ème réexamen périodique de sûreté des réacteurs de 900 MWe d’EDF État des lieux et principaux enjeux Yves Marignac, Manon Besnard 31 mars 2019

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Page 1: État des lieux et principaux enjeux - Greenpeace France · Le vieillissement du parc nucléaire français, et le fait que ses réacteurs les plus anciens atteignent 40 ans de fonctionnement,

Processusde4èmeréexamenpériodiquedesûretédesréacteursde900MWed’EDF

Étatdeslieuxetprincipauxenjeux

YvesMarignac,ManonBesnard

31mars2019

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WISE-Paris Enjeuxdu4èmeréexamenpériodiquedesûretédesréacteurs900MWe 2

Sommaire

Introduction........................................................................................................................................................3

1.Enjeux.............................................................................................................................................................5/ Changementdestratégie/ Pressiondutemps/ Enjeuxdesûreté/ Miseenœuvre

2.Processus.....................................................................................................................................................10/ Champdelaparticipation/ Optionsretenues/ Décisionsstratégiques/ Modalitésgénériques/ Applicationparréacteur

3.Objectifs.......................................................................................................................................................19/ Objectifsgénéraux/ Définitiondesexigences/ Défenseenprofondeur/ Dispositionsmajeures/ Multiplicationdesécarts

4.Marges..........................................................................................................................................................28

/ Rôledesmarges/ Vieillissement/ Évolutiondesétudes

5.Conformité..................................................................................................................................................34

/ Enjeuxdeconformité/ Défautsdefabrication/ Tenueauxagressions/ Stresstestdeconformité

6.Délais............................................................................................................................................................40/ Glissementdansletemps/ Retardsd’exécution/ Stratégiedifférée

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IntroductionLe parc nucléaire compte 58réacteurs en exploitation et un réacteur en construction. Ces réacteurs, quiappartiennenttousàlamêmefilièredesréacteursàeaupressurisée(REP),sontrépartisparpaliersenfonctionde leur puissance et d’éléments spécifiques de conception. On dénombre ainsi six paliers successivementdéployéssurleparcexploitéparl’opérateurhistoriqueEDF(septavecl’EPRenconstructionàFlamanville).Lestroispremierspaliers,quicorrespondentàtroiscommandespubliques(CP),regroupentautotal34réacteursdont la puissance se situe autour de 900MWe, et qui sont comme l’indique la figure1 en fonctionnementdepuisplusde31à42années.

L’ensembledeceparcderéacteursde900MWefaitl’objetd’uneinstructiongroupéeenvuedesaquatrièmevisite décennale(VD) et de son quatrième réexamen périodique de sûreté(RPS). Àl’occasion de cetteinstruction, leHaut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire(HCTISN) amis enplaceune«concertationpublique»surlesdispositionsproposéesparEDFpouraméliorerleniveaudesûretéde ses réacteurs nucléaires de 900MWe dans le cadre de ce réexamen. C’est ce contexte, et les enjeuxattachésàceprocessus,quelaprésentenoteseproposed’éclairer.

Figure 1 Caractéristiquesetâgeduparcderéacteursenexploitation*Répartitionparpalier,nombred’annéesdefonctionnementetnombredevisitesdécennaleseffectuées

* Duréedefonctionnementmesuréeàpartirdelapremièredivergenceduréacteur,finmars2019.

Source:WISE-Parisd’aprèsEDFetASN,2018

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Lafigure2récapitulelesprincipalesétapesdelavietechniqueetréglementairedes34réacteursde900MWe,àdate de début 2019. Tous ont déjà franchi l’étape de la 3ème visite décennale, à l’exception des deux plusrécents,tousdeuxsituésàlacentraledeChinon.L’ASNn’apassystématiquementsanctionnélafindes3èmesRPSd’unedécisionrelativeàlapoursuitedefonctionnement:celàaétélecaspour13d’entreeuxàcejour,entre2,2et4,9annéesaprèslafindelavisitedécennale;les19autressemblentfonctionnerdepuislafindeceréexamensansdécisionformalisée,parfoisjusqu’à5ou6ansaprès.

Aucun n’a en revanche encore abordé la 4ème visite. Cet historique témoigne également de la durée trèshétérogène des intervalles entre deux visites décennales/ réexamens périodiques de sûreté avantl’introduction dans la loi d’un principe strict de périodicité de dix ans entre les réexamens périodiques desûreté, en 20061. Du fait des décalages observés, l’échéance de fin de 4ème réexamen périodique de sûretéintervient selon les réacteurs 900MWe après 40,0 à 47,1ans de fonctionnement, et 43,2ans enmoyenne.Ainsi,sansêtreleplusancien,Tricastin-1estlepremieràdevoirsubirsaVD4,dèsjuin2019,envued’unefinde4èmeRPSdébut2020.

Figure 2 Situationréglementaireduparcderéacteurs900MWePrincipalesétapesdelaviedes34réacteursdespaliersCP0,CP1etCP2,finmars2019

Source:WISE-Parisd’aprèsOPECST,ASN,EDF-2018

1. Article29delaloin°2006-686du13juin2006relativeàlatransparenceetàlasécuritéenmatièrenucléaire,Journalofficiel,14juin

2006.LesdispositionsdecetarticlesontdésormaisreprisesparlesarticlesL.593-18et19duCodedel’environnement.

1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 2025 2030

Fessenheim-1 Fessenheim-2

Bugey-2 Bugey-3 Bugey-4 Bugey-5

Gravelines-1 Dampierre-1

Tricastin-1 Tricastin-2

Gravelines-2 Dampierre-2 Gravelines-3 Dampierre-3

Tricastin-3 Le Blayais-1

Tricastin-4 Gravelines-4 Dampierre-4 Le Blayais-2 Le Blayais-4 Le Blayais-3 Gravelines-5 Gravelines-6

St-Laurent-B1 St-Laurent-B2

Chinon-B1 Cruas-1

Chinon-B2 Cruas-3 Cruas-2 Cruas-4

Chinon-B3 Chinon-B4

Exploita2onMSI>VD1

Exploita2onVD2>VD3

Exploita2onconstatéepost-VD3avantdécision

Exploita2onVD1>VD2

© WISE

-Paris

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CP2

CP1

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Miseenserviceindustrielle[divergence>MSI]

Construc2on[1erbéton>divergence]

Démarrage: Exploita1onjusqu’àlaVD3: Situa1onparrapportàlaVD4:

Exploita2onprojetée>VD4sansdécisionpost-VD3

Exploita2onprojetée>VD4avecdécisionpost-VD3

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1.Enjeux Laprolongationdefonctionnementdesréacteursde900MWeau-delàdel’échéanceditedes«40ans»estunsujetmajeurdupointdevuedelagouvernancedesrisquesnucléaires mais aussi, plus largement, de la politique énergétique nationale. Il estimportant, avantde s’intéresserplus spécifiquementauxenjeuxde sûretéassociésàce programme, de le replacer dans cette perspective plus globale. Celle-ci faitapparaîtreunrisquedepressionfortesurleprocessusdedécisiondeprolongation.

Levieillissementduparcnucléaire français,et le faitqueses réacteurs lesplusanciensatteignent40ansdefonctionnement,nesontunesurprisepourpersonne,puisquelespremiersontdémarréen1977.L’importancedecetteéchéance,quicorrespondàladuréedevielongtempsprésentéecommemaximaledesréacteurs,estidentifiéede longuedate.Ainsi,dès2003, lesconclusionsduDébatnational sur lesénergiesaffirmaientparexemple,ensoulignantleseffortsd’EDFpour«confirmersesprévisionsd’uneduréedeviede40anspoursestranchesnucléaires»,que«cetobjectifparai[ssait]atteignable»2.

Le gouvernement en concluait que «la mise àl’arrêt des centrales électronucléaires actuellement enexploitationpourraitdoncvraisemblablementinterveniràl’horizon2020,ensupposantuneduréedevievoisinede 40ans pour les installations les plus anciennes». L’échéance des 40ans s’est en effet d’abord imposéecomme celle de fin de vie du parc actuel. Ce n’est que plus tard qu’a été introduite par EDF l’idée d’unestratégiedeprolongationdefonctionnementduparcau-delàdecetteétape.

/ ChangementdestratégieIl n’est pas inutile, pour comprendre la manière dont est abordée aujourd’hui la question, de rappelercomment et pourquoi la stratégie d’EDF et du gouvernement a évolué sur ce point depuis une quinzained’années.Aprèsqueledébatde2003afaitémergerlaquestiondeschoixindustrielsnécessairesounonpourpréparerlapoursuitedunucléaire,unchoixclairaétéposé.Legouvernementsedonnaitainsien2005danslaloi comme priorité de «maintenir l’option nucléaire ouverte à l’horizon 2020 en disposant, vers 2015, d’unréacteurnucléairedenouvellegénérationopérationnelpermettantd’opterpourleremplacementdel'actuellegénération»3. Lamiseenchantierde l’EPRdeFlamanville,en2007, s’inscrivaitdoncofficiellementdansunestratégie industrielle d’anticipation du besoin de renouvellement des réacteurs actuels après 40annéesdefonctionnement.

EDF,devenueen2004unesociétéanonyme4,annonçaitpourtantdèslafin2008,lorsdesonopérationd’achatdu producteur d’électricité britannique British Energy, une stratégie nouvelle, basée au contraire sur laprolongation de 10à20ans du fonctionnement de ses réacteurs en France. La motivation première étaitclairement financière: l’objectif n’était plus de préparer le renouvellement du parc mais de différerl’investissement correspondant, l’écart de coût estimé entre la prolongation et la construction de nouvellescapacités se chiffrant, à l’échelle du parc de 58réacteurs, en dizaines de milliards d’euros 5 . Ainsi, laprolongationde fonctionnementdes réacteursestdevenue, avantmême toutedélibérationpublique sur cechoix,centraleetnécessairepourlamaîtrisedelatrajectoirefinancièred’EDF.

2. Ministèredel'économie,desfinancesetdel'industrie,LivreBlancsurlesénergies–PrésentationparNicoleFontaine,Ministre

déléguéeàl’Industrie,7novembre2003.3. Article4delaloin°2005-781du13juillet2005deprogrammerelativeàl’orientationdelapolitiqueénergétique,Journalofficiel,14

juillet2005(loiPOPE).Celle-ciprécisait,danssonannexe,autitredel’objectifde«maintiendel’optionnucléaireouverteàl’horizon2020»:«si,pourlescentralesnucléairesactuelles,uneduréedeviedequaranteanssembleplausible,cetteduréedevien'estpasgarantieetsonprolongementéventuell'estencoremoins.(…)Comptetenudesdélaisdeconstructiond'unenouvellecentralenucléaire,laFrancedevraêtre,vers2015,enmesurededécidersiellelanceunenouvellegénérationdecentralesnucléairesenremplacementdel'actuelle.(…)Laconstructiontrèsprochained'unréacteurdetroisièmegénérationEPRestdoncindispensablepouroptimisertechniquementetfinancièrementledéploiementultérieurdesnouvellescentralesetcomptetenudesprogrèstechnologiquesimportantsdecemodèlederéacteurenmatièredesûreté».

4. L’abandondustatuthistoriqued’Établissementpublicàcaractèreindustrieletcommercial(EPIC)aétéactéparlaloin°2004-803du9août2004relativeauservicepublicdel’électricitéetdugazetauxentreprisesélectriquesetgazières,Journalofficiel,11août2004.

5. EDF,Investors’Day,Londres,4décembre2008.Lecalculconsistaitalorsàcomparerl’investissementdanslaconstructiond’unréacteurEPRde1600MWe,évaluéàl’époqueà3milliardsd’euros(3,5foismoinsquelecoûtestiméactueldel’EPRdeFlamanville),etl’investissementdanslaprolongationdefonctionnementdedeuxréacteursde900MWe,soitdeuxfois400millionsd’euros.

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Ce choix stratégique, entériné par le gouvernement indépendamment de toute discussion sur la trajectoireénergétique,aprogressivementtransformélaperspectivedudébat.Bienqu’aucunegarantienesoitapportéesurlapoursuitedefonctionnementetquecelle-cineresteàcejourpasacquisesurleplanréglementaire,laprolongationau-delàdel’échéanceditedes«40ans»adeplusenplusétéprésentéecommelarègle,l’arrêtdéfinitifdesréacteursàcettedatenepouvantêtrequel’exception.EDFasuparfaitementjouer,depuisunedizained’années,del’effetd’auto-renforcementliéàl’absenced’anticipationd’uneautretrajectoire.

/ PressiondutempsCette situation contraste avec le changement d’orientation introduit en2012 dans la politique énergétiquefrançaise,avecl’engagementduPrésidentdelaRépubliquenouvellementélu,FrançoisHollande,deréduirelaproduction nucléaire pour porter sa part dans la fourniture d’électricité nationale de 75% environ à 50%en2025.Cetengagement,inscriten2015danslaloi6,etassortidelapromessedefermerenguisedepremièreétapelesdeuxréacteursdelacentraledeFessenheimen2016auplustard,n’apourtantdonnélieudepuisàaucunefermeturederéacteur,nimêmeàl’enclenchementd’uneprocédurerelativeàleurfermeture.

La Cour des comptes avait souligné dès 2012, à l’occasion de son premier rapport consacré aux coûts dunucléaire7, une forme de fait accompli dans les choix de politique énergétique. Elle notait «qu’à traversl’absence de décision d’investissement[dans de nouveaux réacteurs ou d’autresmoyens de production], unedécision implicite a été prise qui engage déjà la France»: celle de devoir prolonger au-delà des quaranteannéesinitialementprévuesunnombreimportantderéacteurs.Lesactionsnécessairesàlafermetureouàlaprolongationdefonctionnementmaîtriséedesréacteursnécessitent,dupointdevueindustriel,énergétique,économiqueousocial,uneformed’anticipationdecesdécisions.

Depuis lors, toutenprétendant laisser lesdécisionsouvertes, le faitaccomplin’a faitqueserenforcer.D’uncôté, l’absence de préparation d’alternatives à la prolongation de fonctionnement des réacteurs aimplicitement rendu cette perspective de plus en plus inévitable. De l’autre, EDF a de plus en plusexplicitementassumésonchoixdeprivilégierlaprolongationdel’ensembledesréacteurs,etpréparédeplusenplusactivementceprogrammeindustriel,désignéparletermecréépourl’occasionde«grandcarénage»8.

Cet effet est d’autant plus structurant que le traitement du choix entre prolongation et non prolongations’exerce sous lapressiondu temps.D’unepart, les annéesquiontpassénousont évidemment rapprochés,sans restaurer de marges de manœuvre, de l’échéance dite «des 40ans». D’autre part, la pyramide trèsresserréedesâgesduparcnucléaireconduitàceque letraitementdecetteéchéancese joueenréalitésurunepériodeassezcourte.

Figure 3 Pyramidedesâgesduparcnucléairefrançais*Répartitionparnombred’annéesdefonctionnementdesréacteursde900MWeetdesautrespaliers

* Duréedefonctionnementmesuréeàpartirdelapremièredivergenceduréacteur,au31décembre2018.

Source:WISE-Parisd’aprèsAIEAetASN,2018

6. Loin°2015-992du17août2015relativeàlatransitionénergétiquepourlacroissanceverte,Journalofficiel,18août2015.7. Courdescomptes,Lescoûtsdelafilièreélectronucléaire,Rapportpublicthématique,janvier2012.8. Cetermeestparexempleutilisédès2009parledirecteuradjointdelaDivisioningénierienucléaired’EDFdel’époque,voir

Miraucourt,J.-M.,«L’extensiondeladuréedefonctionnementdescentralesnucléairesd’EDFau-delàde40ans:unprogrammeindustrieldegrandeampleur»,Dossier-Lapoursuited’exploitationdescentralesnucléaires,Contrôle,n°184,juin2009,pp.53-57.

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Autres paliers Paliers 900 MWe

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Nb. de réacteurs

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Ainsi,commeindiquésur lafigure3, lesréacteursde900MWe,quicorrespondentauxtroispremierspaliersdu parc, ont dépassé pour les plus anciens 41années de fonctionnement,mais aussi pour les plus récents31années de fonctionnement– pour une moyenne de plus de 37ans de fonctionnement. Il s’agit nonseulementd’engageràtrèscourteéchéanceleprocessusdedécisionpour lespremiersréacteurs,maisausside se préparer à traiter l’ensemble des 34réacteurs sur une période de seulement dix ans, soit un rythmemoyen de 3,4 réacteurs par an9– en gérant qui plus est un pic lié à la distribution des âges, puisqu’unequinzainederéacteursseconcentreautourde37à38ans10.

/ EnjeuxdesûretéLechoixstratégiqueimposédepuis2008horsdetoutevéritableconcertationparEDF,outresesimplicationssur leplan industrielet financierpour l’opérateuretsur la trajectoireénergétiquedupays,porteégalementdesconséquencesdupointdevuedelasûreté.Leprojetétaitprécédemmentderemplaceràlafindecequiétaitalorsleurduréedevieprévue,soit40ans,lesréacteursduparcpardesréacteursdenouvellegénérationde typeEPR: ce réacteur, qui est le premier réacteur français conçu après la catastrophe deTchernobyl(26avril1986),intègreeneffetpourlapremièrefoisdèssaconceptiondespossibilitésd’accidentmajeurquin’ontpasétéprisesencomptedansledimensionnementdesréacteursactuellementenservice11.

L’éventuelle prolongation de fonctionnement des réacteurs de 900MWe se substitue ainsi à leurremplacement par des réacteurs réputés intrinsèquement plus sûrs. C’est pourquoi l’Autorité de sûreténucléaire(ASN),lorsqu’elleaprispositiondès2013surlechoixstratégiqued’EDF,aindiquésavolontéquececineconstituepasunreculdupointdevuedelasûretéparrapportauremplacementinitialementprévu:aprèsavoir noté que «dans les années à venir, les réacteurs actuels coexisteront, au niveau mondial, avec desréacteurs, de type EPRou équivalent, dont la conception répondàdes exigencesde sûreté significativementrenforcées»,elleaainsifixécommeobjectifquelesréacteursnucléairesactuelssoient«améliorés,auregarddecesnouvellesexigencesdesûreté,del’étatdel’artenmatièredetechnologiesnucléairesetdeladuréedefonctionnementviséeparEDF»12.

Cetteexigencereprésenteenpratiqueunsautmajeurpourleniveaudesûretédesréacteursexistants.Celui-cise double d’un autre saut, dont l’ASN a également souligné l’importance en relevant que la poursuited’exploitationau-delàdu4èmeréexamenpériodiquedesûretésortdudimensionnementinitialdecesréacteurs,au sens où leur conception s’est appuyée sur cette durée d’environ 40ans pour établir la démonstrationdesûreté13.

Enfin, le niveau de sûreté envisagé pour les réacteurs dans le cadre du projet de prolongation de leurfonctionnement doit également s’inscrire dans le contexte du retour d’expérience tiré de la catastrophe deFukushima(11mars2011).Celui-ci amisenévidence lanécessitédeprendreencomptedes situationsplusextrêmesd’agressionaccidentelle(enparticulierdeséismeetd’inondation)quecellesactuellementretenues,ainsi que la perte simultanée, pour une raison ou une autre, de l’ensemble des moyens d’alimentationélectriqueetderefroidissementexistants.

9. Làoùlerythme«naturel»,correspondantàunerépartitionégaledel’âgedes34réacteurssurunepériodede40ans,neseraitque

de0,85réacteursparan.10. Cettepyramidedesâgesnecorrespondtoutefoispasstrictementàlachroniqued’instructionréacteurparréacteurduréexamen

périodiquedesûreté,comptetenudesécartsquisesontcréésaufildesannéesentrelenombred’annéesdefonctionnementetlecadencementdécennaldesréexamens–voirplusloin.

11. LaconceptionduréacteurEPR,quiacommencéen1989,aprisencomptedèsl’originelerisquedefusioncomplèteducombustiblecontenudansleréacteur,quiavaitétéécartéedanslaconceptiondespremiersréacteursdelafilièreREP,etsurtouslespaliersdéveloppésjusquelà,quiconstituentleparcactuellementenservice.LeréacteurEPRestconsidérécommereprésentatifd’unsautespéréaveclesréacteursditsde«3èmegénération»enmatièred’objectifsdeprotectiondespopulationsetdel’environnementcontrelerisqued’accidentnucléaireparrapportauxréacteursactuels–voirplusloin.

12. ASN,LettredepositionrelativeauprogrammegénériqueproposéparEDFpourlapoursuitedufonctionnementdesréacteursenexploitationau-delàdeleurquatrièmeréexamendesûreté,CODEP-DCN-2013-013464,28juin2013.

13. ASN,Lettredepositionsurlesorientationsgénériquesduréexamenpériodiqueassociéauxquatrièmesvisitesdécennalesdesréacteursde900MWed’EDF(VD4-900),CODEP-DCN-2016-007286,20avril2016.L’autoritéypréciseque«quaranteannéesdefonctionnementcorrespondentàl’hypothèseinitialedeconceptiondecertainsmatérielsetéquipementsdesréacteurs».Lanotiond’uneduréeinitialementprévuede40ansnecorrespondpasàunobjectifexplicitementfixépourladémonstrationdesûreté,maisauxhypothèsesretenuespourdémontrerlatenuedansletempsdecomposantsnonoutrèsdifficilementremplaçables.C’estenparticulierlecasdelacuve,pourlaquelleladémonstrations’estappuyée,vis-à-visdelafatiguedûeàl’irradiationnotamment,surunehypothèsede30annéesdefonctionnementàpleinepuissanceduréacteur,quicorrespondpourunfacteurdechargemoyende75%à40annéesd’exploitation.

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L’analyseaégalementconcluàlanécessitéderenforcerlasûretédespiscinesdedésactivationducombustibleadjacentesauxréacteurspourtenircomptedesconséquencespotentiellementcatastrophiquesd’uneperteeneau prolongée. L’intégration de ces exigences constitue également un saut majeur: elle est en partieredondanteaveccelledeserapprocherdel’EPR,maisenpartieseulement,danslamesureoùcelui-ci,conçuavantcetaccidentmajeur,estlui-mêmesoumisàdesaméliorationsdanslecadredeceretourd’expérience.

/ MiseenœuvreLapossibilitédemettreeffectivementenœuvre cesorientations soulèvedenombreusesquestions. Il s’agittoutd’abordd’établiruneclairedistinctionentrelerenforcementdesexigencesdesûretéetlerenforcementde la sûreté elle-même. Il est pratiquement impossible d’objectiver simplement le niveau de sûreté en leramenantàunouquelquesparamètresquantifiables.Onpeuttoutefois,trèsschématiquementconsidérerqueleniveaudesûretéréeld’unréacteurest lacombinaisondetroisfacteurs:d’abord l’exigencequis’appliqueàlui,quifixeunniveauthéorique,ensuitelamargequ’ilprésente,danssaconceptionetsondimensionnement,vis-à-vis de cette exigence, et enfin l’écart qu’il présente en pratique vis-à-vis de cette marge visée parconception. Parallèlement au relèvement des exigences, la marge et l’écart que présente le réacteur parrapportàcettemargeàsonétat«conforme»évoluent.C’estlecumuldecesévolutionsquidéterminel’étatréeldesûretéduréacteuraufildutemps.Ilestdoncessentieldes’assurer,audelàdurelèvementd’objectifsdesûreté,quelesmargesetleniveaudeconformitésontsuffisantspouratteindrecesobjectifs.

Leproblèmeposé,dupointdevuedelasûreté,estbienceluidelacohérenceentrelesmoyensquiserontmisen œuvre et les objectifs affichés. Il s’agit à la fois de déterminer le niveau nécessaire en matière derenforcementsdesdispositionsdesûreté,deremplacementd’équipementsoudecomposantsvieillissants,ouencored’actionsdevérificationdelaconformité,maisaussidegarantirlabonnequalitédeleurréalisation.

Ces questions, qui peuvent être d’une grande complexité sur le plan technique, ne se posent pas que d’unpointdevueconceptuel.Enpratique,cesopérationsontuncoût,quipeutévidemmentvariertrèsfortementenfonctiondesoptionsretenues.Or,lechoixindustrield’EDFenfaveurdelaprolongationreposesurlepariquel’impactducoûtdu«grandcarénage»sur lecoûtdeproductiondesréacteursserasuffisammentfaiblepourengarantirlarentabilité14,enentretenantleflousurlecontenudeceprogrammeindustriel,susceptibledenepascouvrirl’ensembledescoûtsassociésàlaprolongation.Dès2014,uneétudedétailléedeWISE-Parisportant sur lesdifférentspostes susceptiblesde contribuer auxobjectifs de renforcementet de garantiedeconformité,etsur l’éventaildecoûtparréacteursusceptibled’endécouler,amisenévidence lerisqued’unarbitrageimpliciteentrel’atteintedesobjectifsfixésenmatièredesûretéd’unepart,etderentabilitéd’autrepart15.Cerisqueapparaîtd’autantplusgrandaujourd’huiquelapressionexercéevis-à-visdelarentabilitéserévèleforte,d’autantplusqu’EDF«embarque»danssonprogrammeunnombreélevéderéacteurs16.

Àcette question dupositionnement des actions àmettre enœuvre sur le plan industriel pour atteindre lesobjectifss’ajoutecelle,touteaussicruciale,delaqualitédemiseenœuvredecesactions.Danscedomaine,lessignauxd’alertesesontaccumuléscesdernièresannées, tantsur lechantierduréacteurEPRquesur lesopérationsderemplacementdegroscomposants,sur laqualitédefabricationmêmedecescomposants,ouencore sur la surveillance et la maintenance d’équipements vitaux pour la sauvegarde des réacteurs danscertainessituationsd’accident.

14. EDFaffirmeainsique«lenucléaireexistantestpluscompétitifquetoutautremoyenalternatifneuf»etque«saprolongationau-delà

de40ansestlemoyenlepluséconomiquecomparéàtoutmoyenneuf,quelqu’ilsoit»,voirEDF,LeparcnucléaireenFrance:exploitation,maintenanceetgrandcarénage,présentationpourl’atelier«filièrenucléaire»delaDirectiongénéraledel’énergieetduclimatpourl’élaborationdelaProgrammationpluriannuelledel’énergie,11janvier2018.L’exploitantsemblereteniraujourd’huiuncoûtmoyende800millionsd’eurosparréacteur(45milliardsd’eurospourl’ensembleduparc,àl’exceptiondeFessenheim–voirplusloin),pourun«coûtrestantàengager»,c’est-à-direnetenantcomptequedesdépensessupplémentairesgénéréesparlaprolongationde33€/MWhenmoyenne.

15. WISE-Paris,L’échéancedes40anspourleparcnucléairefrançais,RapportcommandéparGreenpeaceFrance,2014.Cetteétudeamontréquelafourchettedecoûtmoyendesopérationspouvaitvarierenvirondusimpleauquintupleenfonctiondudegrédegarantierecherchéparrapportaurapprochementaveclasûretédel’EPR.Leniveaud’environ800millionsd’euroscorrespondantàl’estimationactuelled’EDFreprésentaitdanscetteétudelebasdelafourchetteetcorrespondaitàuneinterprétationdégradéedesexigencesfixées.

16. WISE-Paris,Trajectoireduparcnucléaireettransformationdusystèmeélectrique–L’attentismecoupabledelaProgrammationpluriannuelledel’énergie(PPE),Rapportd’étude,25janvier2019.Laprolongationd’unnombreplusélevéderéacteursapourconséquenced’unepartd’exercerunepressionàlabaissesurlesprixdemarché(pareffetd’excédentdecapacitédeproduction),etd’autrepartd’augmenterlecoûtmoyendeproductionduparcprolongé(plusilfauttraiterderéacteurs,pluscelaconcernenécessairementdesréacteurspluscoûteuxàprolonger);cesdeuxeffets,combinésàd’autresfacteurs,risquentconcrètementderemettreencauselacapacitéd’EDFàrémunérerauniveaunécessairelesréacteursprolongéssurlemarché.

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D’une part, la capacité d’EDF à réaliser les opérations envisagées dans le cadre de la prolongation defonctionnementavecleniveaudequaliténécessairepeutêtremiseendouteauvudeceretourd’expérienceetdel’échelledecechantier.D’autrepart, l’apparitionnouvelledephénomènesdefalsificationetdefraudeauseindelafilièrenucléaireobligeàprendrecerisquesupplémentaireencompte.

Enfin, laqualitédemiseenœuvrenerésidepasquedans labonneréalisationdesopérations.S’agissantderéacteursnucléairesvieillissants,etsortantdeleurdomaineinitialdedimensionnement,laréalisationdanslesmeilleursdélaisdecesopérationsconstitueégalementunenjeuimportant.Orsurcepointaussi,EDFamontrécesdernières annéesdes signes inquiétants vis-à-visde sa capacité à respecter les échéancesprescritesparl’ASNouprévuesdanslecadredesespropresengagements.

RECOMMANDATIONSLaprolongationdefonctionnementdesréacteursde900MWeaudelàdeleur4èmeréexamenpériodiquedesûreté s’inscritdansune stratégieglobaledegestionduparcnucléairequidoit à la fois tenir comptedesenjeuxdepolitiqueénergétiquepourlacollectivité,depolitiqueindustrielleetdetrajectoirefinancièrepourEDF, et demaîtrise de la sûreté en toutes circonstances. Cette question s’aborde dans des conditions depression extrêmement fortes, dues à l’absence d’anticipation de toute alternative à la prolongation,considéréecommelarèglealorsquelafermetureseraitl’exception.

! Lagouvernanceduprocessusdedécisionsur lafermeturedesréacteurs900MWeà l’échéancede leur4èmeréexamenpériodiquedesûretéoulaprolongationdeleurfonctionnementdesréacteursdevraitenprioritéveilleràcequel’absenced’alternativeneconduisepasàuneprolongationparfaitaccompli.

! Leprocessusdedécisionsurlesmodalitéséventuellesdeprolongationdefonctionnementdoitpermettred’examiner les conditions de maîtrise de la sûreté indépendamment de toute considération sur lacapacitéindustrielleetfinancièred’EDF,etd’identifierlapressionqu’exercentcesconsidérationssurlesexigencesdesûreté.

! Danslaperspectived’uneéventuelleprolongationdefonctionnement,lamaîtrisedelasûretéauniveaujugé nécessaire passe par la combinaison d’une exigence de résultats, au sens d’objectifs de sûretérévisésàatteindreavecunecertainemargedeconfiance,etd’uneexigencedemoyenssurleniveaudeconformitéetdequalitédestravaux,etsurleursdélaisderéalisation.

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2.Processus Laprolongationéventuelledefonctionnementdesréacteurs900MWeau-delàdeleur4èmeréexamenpériodiquedesûretéconstitueunedécisionimportanteàlaquelle lepublicdevraitparticiper,qu’il s’agissed’enétablir leprincipeoud’en définir lesmodalités, à l’échelle générique comme de chaque réacteur.Pourtant,lesdispositifsdeconcertationmisenplaceouprévussemblentloinderépondreàcetenjeu.

Laquestions’estposée,depuisqu’EDFs’estengagédansunestratégiedeprolongationdefonctionnementdeses58réacteurs,delanatureduprocessusdedécisionassocié,del’informationdupublicsurceprogrammeetde la participation du public à cette décision, telle qu’elle est prévue par la Charte constitutionnelle del’environnement17,lesdispositionseuropéennesetdiversesconventionsinternationales,dontcelled’Aarhus18.Aucundispositifn’avaiteneffetétéexplicitementprévupourcela:aucontraire,lesréexamenspériodiquesdesûretédesréacteursont jusqu’iciétéconduitsdansuncadreréglementaireneprévoyantaucunedispositionpermettantl’informationetlaparticipationeffectivedupublicausensoùcestextesl’entendent.

Le projet de prolongation de fonctionnement des réacteurs est une décision complexe. D’une part, cettedécisionrelèveàlafoisd’enjeuxassociésàlapolitiqueénergétiqueetrenvoyantdoncauxdifférentsobjectifsqu’elle se fixe comme la sécurité d’approvisionnement, lamaîtrise des coûts, la lutte contre le changementclimatique ou la cohésion sociale et territoriale 19 , et d’enjeux associés à la maîtrise industrielle dufonctionnementdesinstallationsnucléaires,etauxconditionsdesûretéetdesécuritédecefonctionnement.D’autrepart, ladécisionarticuleunedécisiongénériqued’orientationrelativeà l’ensembleouunepartieduparc(parexemple,dans lecadrede lagestiondeceparcparpaliers, l’ensembledesréacteursde900MWe)avecdesdécisionsd’applicationparticulièreaucasdechaque réacteur.Cesdifférentesdimensionsdevaientdoncêtreprisesencompteavantdedéfinirlesmodalitésdeparticipationdupublicadaptées.

/ ChampdelaparticipationLe premier point appelle à distinguer la question de l’opportunité de prolongations au regard des enjeuxéconomiques,sociauxetenvironnementaux,parrapportàd’autresoptionsenvisageablesdanslecadredelapolitiqueénergétique,et laquestiondesmodalitésdemiseenœuvred’éventuellesprolongationsau regarddesrisquesetimpactsàmaîtriser,parrapportàdifférentesoptionstechniquesenvisageablesdanslecadredecette prolongation. La décision d’opportunité peut notamment être soumise au public via la procédure dedébatpublicconduiteparlaCommissionnationaledudébatpublic(CNDP),introduiteparlaloien199520pourles grands projets, et élargie progressivement aux politiques d’aménagement ou d’environnement duGouvernementen2002,puisauxplansetprogrammesen201021.

La nature structurante du projet de prolongation de fonctionnement des réacteurs pour la politiqueénergétique nationale, et la naturemixte de son portage par une entreprise détenue à 83,7% par l’État etagissant dans le cadre d’un Contrat de service public passé avec lui22, posent légitiment la question del’assimilation de ce projet à un plan et programme, au sens précédent. Plus largement, le soutien duGouvernement à une telle orientation pourrait être considéré comme inscrit dans une politiqued’environnement. En d’autres termes, la question pouvait être posée d’un débat public spécifiquementconsacréàceprojet,danssadimensiongénérique.

L’application d’une procédure de débat public peut également être envisagée au titre de chaque projet deprolongation,àl’échelled’unréacteuroud’unecentraleregroupantplusieursréacteurs.Lescritèresfixésparlaréglementationrestreignentcetteapplication,danslechampdesinstallationsnucléaires,àlacréationd’unnouveau site de production nucléaire, ou d’un autre site nucléaire pour un investissement supérieur

17. L’article7delaloiconstitutionnellen°2005-205du1ermars2005relativeàlaChartedel'environnementstipuleque«toutepersonne

aledroit,danslesconditionsetleslimitesdéfiniesparlaloi,d’accéderauxinformationsrelativesàl’environnementdétenuesparlesautoritéspubliquesetdeparticiperàl’élaborationdesdécisionspubliquesayantuneincidencesurl’environnement».

18. Conventiond’Aarhussurl’accèsàl’information,laparticipationdupublicauprocessusdécisionneletl’accèsàlajusticeenmatièred’environnement,signéele25juin1998partrente-neufÉtatsdontlaFrance.

19. ArticleL.100-1duCodedel’énergierelatifauxobjectifsdelapolitiqueénergétique.20. Loin°95-101du2février1995relativeaurenforcementdelaprotectiondel’environnement,Journalofficiel,3février1995.21. Loin°2002-276du27février2002relativeàladémocratiedeproximité,Journalofficiel,28février2002–puisloin°2010-788du12

juillet2010portantengagementnationalpourl'environnement,Journalofficiel,13juillet2010(diteloiGrenelle2).22. RépubliqueFrançaise/EDF,Contratdeservicepublicentrel’ÉtatetEDF,signéle24octobre2005pouruneduréeindéterminée.

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à300M€23.Auregarddel’assimilationintroduiteparl’ASN,entermesd’exigences,entrelesréacteurssoumisà cette prolongation au-delà de leur durée de vie initialement projetée et de nouveaux réacteurs quipourraientêtreconstruitspourlesremplacer,etcomptetenuduniveaud’investissementprévuparréacteur,laquestionpouvaitlàaussiseposerlégitimementd’uneadaptationdescritèresàceprojetinédit.

L’autre outil privilégié pour la participation du public est l’enquête publique. Celle-ci, par sa nature, seconcentre davantage sur la question desmodalités demise enœuvre que d’opportunité du projet. Elle estégalement,danssaformejuridique,attachéelocalementàunprojetparticulier,etnepermetpasdetraiterladimensiongénérique.Celle-cifaitpourtantpartieintégranteduprocessusd’instructiontechnique.Ainsi,le4èmeréexamenpériodiquedesûretédesréacteurs900MWefait l’objetd’undossierd’orientationquiestproduitdans lecadred’uneinstructiongénériqueassociant l’exploitantEDF, l’ASN, l’Institutderadioprotectionetdesûreté nucléaire(IRSN) dans son rôle d’évaluation technique, et les Groupes permanents d’experts pour lesréacteursnucléaires(GPR)etpour leséquipementssouspressionnucléaires(GPESPN)auprèsde l’ASN.Maisaucunedesétapesdeceprocessusd’instructionneprévoit,àtitreréglementaire,d’yassocierlaparticipationdupublic.Laquestionposéeétaitdoncicicelledel’éventuellecréationd’uneprocéduredédiée,ouentouscasadaptéeaubesoindeparticipationdupublicsurlesmodalitésdeprolongationdupointdevuedelamaîtrisedesrisques,dansleurdimensiongénérique.

Lederniervoletàenvisagerestceluidelaparticipationsurlesmodalitésdemiseenœuvredelaprolongation,dans leurapplicationàchaque réacteurconcerné.C’està ceniveauque laprocédurede l’enquêtepubliquepeut intervenir. Encore faut-il en définir précisément la forme: sur quel périmètre porte-t-elle, à quelledécision se rapporte-t-elle, sur quelle information se base-t-elle, à quel moment intervient-elle, etc.? Lesprocédures d’enquête publique spécifiques applicables aux installations nucléaires de base(INB) concernentquatre objets ou situations: l’autorisation de création de l’installation, la modification selon la mêmeprocédure de cette autorisation en cas de changement significatif de l’installation, les rejets d’effluents etprélèvements d’eau(qui est depuis 2007 intégrée lorsque c’est possible en une seule procédure avecl’autorisation de création), et la mise à l’arrêt définitif et le démantèlement de l’installation 24 . C’estévidemmentlamodificationdel’installationquiconstitueladispositionlaplusàmêmedecouvrirlecasdelaprolongationaudelàdu4èmeRPS,cequireviendraitàassimilerlesopérationsnécessairesàcetteprolongationàunemodification«substantielle»ausensdel’articleL.593-14-IIduCodedel’environnement25.

/ OptionsretenuesLa loi de2015 relative à la transition énergétique26a écarté, bien que cette option ait été débattue dans leprocessus législatif, toute procédure de participation dédiée au projet de prolongation de fonctionnement,dans sa dimension générique. En particulier, l’option consistant à rendre obligatoire un débat publicconsidérantcelle-cicommeunplanayantdesincidencessurl’environnementn’apasétéretenue.

Cettemêmeloiatoutefoisintroduitundispositifdeplanrelatifàlapolitiqueénergétique,ycomprissonvoletnucléaire, sous la formed’uneProgrammationpluriannuellede l’énergie(PPE), visantà«établir lesprioritésd’actiondespouvoirs publics pour la gestionde l’ensembledes formesd’énergie», en lien avec lesobjectifsgénérauxdelapolitiqueénergétiqueetlesobjectifschiffrésfixésparlaloi27.Cetteprogrammationestréviséetous les cinq ans, et porte sur une période prescriptive de cinq ans, et une période indicative de cinq anssupplémentaires.

Bienque celà n’ait pas étéprévupar la loi de 2015, la PPE est désormais soumise à la procédurededébatpublic, en application de l’ordonnance du 3août 2016 qui prévoit que la CNDP soit saisie de tout plan ou

23. ArticleR.121-2duCodedel’environnementrelatifauxcatégoriesd’opérationsrelativesauxprojetsd’aménagementoud’équipement

dontlaCommissionnationaledudébatpublicestsaisiededroit.OnpeuttoutefoissoulignerqueleprojetderéacteurEPR,bienqu’implantésurlesiteexistantdelacentralenucléairedeFlamanville,afaitl’objeten2005d’undébatpublic.

24. RespectivementintroduitesparlesarticlesL.593-8etL.593-28duCodedel’environnement.25. Celui-cistipuleque«unenouvelleautorisation[souslesmêmesformesquel’autorisationdecréation]estrequiseencasde

modificationsubstantielled’uneinstallationnucléairedebase,desesmodalitésd’exploitationautoriséesoudesélémentsayantconduitàsonautorisation.LecaractèresubstantieldelamodificationestappréciésuivantdescritèresfixéspardécretenConseild’Étatauregarddesonimpactsurlaprotectiondesintérêtsmentionnésàl’articleL.593-1[sécuritéetsantépubliques,protectiondel’environnement…]».L’articleR.593-47.-Idéfinitenapplicationunemodificationsubstantiellecomme«unchangementdesanatureouunaccroissementdesacapacitémaximale»,«unemodificationdesélémentsessentielsmentionnésàl'articleL.593-8»,ou«unajout,danslepérimètredel'installation,d'unenouvelleinstallationnucléairedebase».

26. Loin°2015-992du17août2015,op.cit.27. Article176delaloin°2015-992du17août2015,codifiéauxarticlesL.141-1etsuivantsduCodedel’énergie.

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programmedeniveaunational soumispar la loiàévaluationenvironnementale28.Àdéfautd’uneprocéduredédiéeauprojetdeprolongationdefonctionnementduparc,leprinciped’undébatpublicrelatifàlaPPEoffrepotentiellement un cadre pour soumettre au débat, dans sa dimension générique, l’opportunité de cetteprolongation.

Vis-à-vis de la dimension spécifique à chaque réacteur, la loi de 2015 a en revanche reconnu le caractèresingulier du 4èmeréexamen périodique de sûreté(et des éventuels suivants), par rapport aux précédents, etpréciséledispositifquidevraitluiêtreassocié:«lesdispositionsproposéesparl’exploitantlorsdesréexamensde sûreté au-delà de la trente-cinquième année de fonctionnement d’un réacteur électronucléaire sontsoumises,aprèsenquêtepublique,àlaprocédured’autorisationparl'Autoritédesûreténucléairementionnéeàl'articleL.593-15[duCodedel’environnement],sanspréjudicedel’autorisationmentionnéeauIIdel’articleL.593-14encasdemodificationsubstantielle.Lesprescriptionsdel’Autoritédesûreténucléairecomprennentdesdispositionsrelativesausuivirégulierdumaintiendansletempsdeséquipementsimportantspourlasûreté.Cinqansaprèslaremisedurapportderéexamen,l’exploitantremetunrapportintermédiairesurl’étatdeceséquipements,auvuduquell’Autoritédesûreténucléairecomplèteéventuellementsesprescriptions»29.

Malgré le caractère vertueux de ce principe, la question pratique de la forme de cette concertation sur lesmodalités de prolongation, au niveau de chaque réacteur reste entière. La loi ne définit en effet pas laprocédure d’enquête applicable. Elle tranche toutefois la question du rattachement à une procédured’autorisation assimilable à une modification substantielle, et devant par là même faire l’objet d’unemodification par décret du décret d’autorisation de chaque installation nucléaire. Mais en éliminant cetteoption, elle renvoie à un vide juridique, puisqu’il n’existe pas dans le droit actuel de procédure d’enquêtepubliqueapplicableàunedécisiondel’ASNdelanaturevisée(etmême,àquelquedécisiondel’ASNquecesoit).Desurcroît,enneprévoyantpasqu’undécretd’applicationviennedéfinirlesmodalitésdelaprocédured’enquêtepubliquequ’elleintroduit,laloinepermetpasdecomblercevide.

Figure 4 ParticipationdupublicauxdécisionssurlaprolongationdefonctionnementProcéduresdeconcertationretenuessurl’opportunitéetlesmodalités,auxniveauxgénériqueetparticulier

Opportunité Modalités

Gén

érique

Programmedeprolongation/objectifsdelapolitiqueénergétique

Débatpublicd’orientation

Programmed’actionssurleparc/exigencesdesûretédelaprolongation

Concertationgénérique?

DébatpublicsurlaPPE Concertationinformellesousl’égideduHCTISN

Particulier

Prolongationderéacteur/objectifsdelapolitiqueénergétique

Débatpublicsurleprojet(parréacteurousite)

Programmed’actionssurleréacteur/exigencesdesûretédelaprolongation

Enquêtepublique

Pasdeprocédure Enquêtepubliqueàdéfinir

Source:WISE-Paris-2019

28. Article2del’ordonnancen°2016-1060du3août2016portantréformedesprocéduresdestinéesàassurerl'informationetla

participationdupublicàl'élaborationdecertainesdécisionssusceptiblesd'avoiruneincidencesurl'environnement,Journalofficiel,5août2015.Cettedispositionestcodifiéeàl’articleL.121-8-IVduCodedel’environnement.

29. Cettedispositiondel’article126delaloin°2015-992du17août2015estinséréeàl’articleL.593-19duCodedel’environnement.Celui-ci,crééparl’ordonnancen°2012-6du5janvier2012,portesurdesmodalitésrelativesauxréexamenspériodiquesdesûretédesinstallationsnucléairesdebase,etprécisaitsimplementjusquelàquel’exploitantadresseàl’ASNetauministrechargédelasûreténucléaireunrapportdeconclusiondel’examen,quel’ASNpeutsurcettebaseimposerdenouvellesprescriptions,etqu’ellecommuniqueauministresonanalysedurapport.Onpeutaupassagenoterquelesprocéduresdedeuxièmeettroisièmeréexamenpériodiquesdesûreté,quiconcernentencorecertainsréacteursdespaliersplusrécentsquelesréacteursde900MWe,nesontpasaffectéesparcettedisposition:ainsi,l’absenced’enquêtepubliquerestepourcesréexamenslarègle.

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Ainsi que le résume la figure4, la question des modalités de mise en œuvre de la prolongation defonctionnementauniveauparticulierdechaqueréacteurestlaseulepourlaquelleleprinciped’uneprocéduredédiéeaétédécidé–sanstoutefoisfourniruncadred’applicationdecetteprocédure,quin’existepasdansledroitactuel.Cetteenquêtepubliquenepermetpasdetraiterdel’opportunitédelaprolongationaucasparcas,et aucuneévolution réglementairen’aétéprévuepourélargir les critèresdudébatpublic à cetteactionauniveaudechaqueréacteurousite.Si l’opportunitépeut théoriquementêtreabordéesous l’anglegénériquedanslecadredudébatpublicrelatifàl’élaborationdelaPPE,aucuncadren’estenrevanchedéfinipouruneconcertationauniveaunationalsurlesmodalitésdemiseenœuvredelaprolongation.

C’est de ces questions que s’est saisi enmars 2016 le HCTISN en constituant un groupe de travail sur laparticipation du public aux 4èmes RPS des réacteurs de 900 MWe, dont les travaux se sont achevés enoctobre201730.Cestravaux,initialementplutôtorientésverslanécessitédedéfinirlesmodalitésdel’enquêtepubliqueprévueparlaloi,sesontrapidementtournésverslaquestiond’uneconcertationauniveaugénériquepréalableàlatenuedecesenquêtespubliques.Àl’issuedecestravaux,leHCTISNaprisl’initiatived’engager,soussonégideetconjointementavecl’ASN,l’IRSN,l’Associationnationaledescomitésetcommissionslocalesd’information(ANCCLI)etEDF,cetteconcertationgénérique,ouvertedu3octobre2018au31mars2019.

/ DécisionsstratégiquesAvantcetteconcertation,l’année2018avusetenirsousl’égidedelaCNDP,danslecadredel’élaborationdelaPPEportantsur lapériode2019-2023/2024-2028,undébatpublicrelatifàcettePPE.Cetteconcertation,engagéedansdesconditionsdifficilesliéesnotammentaurefusduGouvernementdesoumettreaudébatunvéritable projet de PPE et à la relative faiblesse des moyens alloués à l’organisation du débat, n’a pasréellementfourni lecadrenécessaireàuneparticipationdupublicà ladécisionsurcetteprogrammation,ausensdel’effectivitédecetteparticipation,tellequeladéfinitnotammentlaConventiond’Aarhus.Àl’issuedudébattenuauprintemps2018,etdelaremiseparlaCNDPducompte-renduetdubilandudébat31,celle-ciad’ailleursdéplorédansuncommuniquél’absencederéponseprécisedansladécisionduGouvernementsurlessuites à donner au débat, ne «permett[ant] pas d’apprécier les enseignements que les autorités publiquestirentdudébatpublic»32.

Ce constat est encore plus valide concernant la participation effective sur l’opportunité de prolongation defonctionnementdes réacteurs.Hormisun«atelierdecontroverse»entreexperts consacréà laquestionduparcnucléaireactueletdesondevenir33,aucundispositifmisenplacedanslecadredudébatpublicPPEn’aspécifiquementétédédié à cettequestion. Toutefois, tout en sebornant à constaterdans sadécisionpost-débat que «la baisse de la place du nucléaire dans le mix électrique reste clivante», le Gouvernements’engageaitàceque«lecalendrierpermettantd’atteindrel’objectifderéductionà50%delapartdenucléairedanslaproductionélectrique[soit]précisé»danslaversionfinaledesaPPE.

Celle-ci a été présentée par leMinistère de la transition écologique et solidaire, dans une version qui restesoumise à l’avis de diverses instances et à une consultation par internet du public, le 25 janvier201934. Lecalendrier que cette PPE propose, loin d’être conforme à la loi, conduit au contraire à repousser à 2035l’horizond’atteintedecettebaisseà50%…etàprévoirdemodifierlaloienconséquence35.

30. HCTISN,Travauxdugroupedetravail«Participationdupublicaux4èmesréexamenspériodiquesdesréacteursde900MWe»,octobre

2017.31. CNDP,DébatpublicProgrammationpluriannuelledel’énergiedu19mars2018au30juin2018–Compte-renduétabliparleprésident

delaCommissionparticulièredudébatpublic,30août2018.CNDP,DébatpublicProgrammationpluriannuelledel’énergiedu19mars2018au30juin2018–BilandelaprésidentedelaCommissionnationaledudébatpublic,30août2018.

32. CNDP,Communiquédesdécisions-SéanceplénièredelaCommissionnationaledudébatpublic,5décembre2018.CetteréactionportesurlaDécisiondu30novembre2018consécutiveaudébatpublicsurlarévisiondelaprogrammationpluriannuelledel’énergieduMinistredelatransitionécologiqueetsolidaire,parueauJournalOfficieldu4décembre2018.

33. CNDP,DébatpublicProgrammationpluriannuelledel’énergiedu19mars2018au30juin2018–Atelierdecontroverse«NucléaireetPPE»,28mars2018(vidéomiseenlignele3avril2018),aveclaparticipationdeB.Laponche(GlobalChance),O.Lamarre(EDF),T.Veyrenc(RTE)etY.Marignac(négaWattetWISE-Paris).

34. Ministèredelatransitionécologiqueetsolidaire(MTES),Stratégiefrançaisepourl’énergieetleclimat–Programmationpluriannuelledel’énergie2019-2023-2024-2028,projetpourconsultation,25janvier2019.

35. MinistèredelaTransitionécologiqueetsolidaire(MTES),Projetdeloiénergieclimat,projetsoumisàconsultationpouravisduConseiléconomique,socialetenvironnemental(CESE)etduConseilnationaldelatransitionécologique(CNTE)enfévrier2019.

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Ceprojetentérine,alorsmêmequel’opportunitén’apasréellementétédébattue,etdemanièretotalementdéconnectéedesmodalitésdemiseenœuvredecetteprolongation,quinesontpasconnuesetsurlesquellesla concertationn’apas eu lieu, le principed’unepoursuitede fonctionnementmassive audelàdu seuil des«40ans».

Lafigure5présenteunesimulationdelatrajectoiredefermetureetdeprolongationdefonctionnementdesréacteurs conformément au rythme fixé par le projet de PPE36. Ce projet n’explicite en fait que le rythmeannueldefermeturede14réacteursentoutsurlapériodeallantde2020à2035,sansdésignerunordredefermeture– laPPEsecontentesurcepointde fournirune listedesitesprioritairesquicomprendtoutes lescentralesabritantlesréacteursde900MWe.Aucuneanalysedel’hétérogénéitééventuelledelasituationdesréacteurs900MWevis-à-visdesexigencesdu4èmeRPS,dufaitdesspécificitésqu’ilspeuventprésenter,deleurimplantationoudeleurhistoiren’estproposée.

Figure 5 TrajectoirenucléaireproposéeparlaProgrammationpluriannuelledel’énergie*Fermeturesetprolongationsderéacteursconformémentàlatrajectoirefixéepourlapériode2019-2035

* L’ordreretenupourcettesimulationest,après lafermetureprévuedesdeuxréacteursdeFessenheim,celuid’unordredefermetureintervenantparpalierdepuissance,puisauseindechaquepalierparordrecroissantd’échéancederéexamenpériodiquedesûreté.

Source:WISE-Parisd’aprèsASN,EDF,MTES,2019

Latrajectoireproposéeconduitpratiquementàprolongerlefonctionnementdetouslesréacteurs,hormislesdeux tranches de Fessenheim, au-delà de l’échéance de leur 4èmeRPS. Elle anticipe donc– et contraint, enregard des enjeux de sécurité d’approvisionnement, d’émissions de gaz à effet de serre ou de coûts– desdécisions systématiquement favorables de l’ASN. Elle prévoit même déjà le fonctionnement d’un grandnombre de réacteurs, dont une bonne dizaine avant l’horizon de 2035 auquel elle se projette, au delà du5èmeRPS.Danslatrajectoireproposée,mêmesiles14réacteursferméssontlesplusanciens,les44réacteursencoreenserviceen2035atteignentaumoins49,3annéesdefonctionnementenmoyenne.

Cettetrajectoire,bienqu’elles’éloignefortementdel’orientationfixéeparlaloien2015,resteen-deçadelastratégiequ’EDFsouhaiteetn’acessédechercheràimposer.

36. VoirpourplusdedétailsWISE-Paris,janvier2019,op.cit.

01/2015

01/2020

01/2025

01/2030

01/2035

Fess

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Fe

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19

4ème réexamen 5ème réexamen Avant le 4ème réexamen Entre 4ème et 5ème réexamens Après le 5ème réexamen

FinPPE

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DanssacontributionaudébatpublicsurlaPPE,EDFarappelésonobjectifdeprolongertoussesréacteursaumoinsjusqu’au5èmeRPS,renvoyanttoutefermeture(hormislecasparticulierdeFessenheim)au-delàde2029,et nemanquant pas de rappeler la nécessité de préparer la poursuite du fonctionnement et d’anticiper lesinvestissementsnécessairesàcetteprolongation37.

C’est d’ailleurs ce qu’EDF a fait non seulement sur le plan industriel et financier, en engageant bien avantl’échéancedesprocéduresdu4èmeRPS lespremièresactionsdesonprogrammede«grandcarénage»,maiségalement sur le plan comptable. Ainsi, «en 2016, EDF a considéré que toutes les conditions techniques,économiquesetdegouvernancenécessairesétaientréuniespourconsidérerdanssescomptesquelameilleureestimation de la durée d’amortissement des centrales du palier 900 MW (à l’exception de la centrale deFessenheim)étaitdorénavantde50ans»38.L’exploitantadonctotalementpréempté,exerçantpar lamêmeune pression politique et économique considérable, les décisions à venir sur la prolongation defonctionnementoul’arrêtdesréacteursde900MWe.

/ ModalitésgénériquesLe HCTISN n’a pas jugé utile d’interroger cette situation. Il a au contraire entériné, en préambule de saréflexionsurlesprincipespourl’organisationdelaparticipationdupublicauprocessusdedécisionsurlesujet,lefaitque«l’objetdelaparticipationdupublicportesurlesdispositionsproposéesparl’exploitant(…)envuede lapoursuitedu fonctionnementdes réacteursà l’occasionde leur4ème réexamenpériodique»,etdoncenaucun cas sur le principe même de cette prolongation39. C’est autour de cet objet qu’il a jugé qu’«uneparticipation continuedupublic est nécessaire», incluant une étapede concertation sur la phase génériquepuis des «consultations du public avant l’autorisation des modifications dans le cadre du réexamenpériodique»40,etenfinl’enquêtepubliquetellequeprévueparlaloide2015.

LaconcertationgénériquemiseenplaceparleHCTISNestenpratiqueorganiséeparuncomitéd’orientation,composédecinqpersonnalitésdésignéesparlui,etparuncomitéopérationnelrassemblantEDF,l’ASN,l’IRSNetl’ANCCLI.Aucuneinformationprécisen’estfourniesurlesrôlesetresponsabilitésrespectifsdecesinstances,etencoremoinssurlesrèglesdefonctionnementquis’appliquentàelles41.

CetteconcertationseconsacredoncauxdispositionsproposéesparEDF.Bienqu’elleporteainsisurunobjetqui,parsafermeturemêmeàtoutediscussionsursonopportunitéoumêmesursesalternatives,échappeauchampdelaprocéduredudébatpublic,cetteanalogieestrecherchéeparleHCTISN,quiasouhaitéàcetitrequedeuxpersonnalitéssoientdésignéesparlaCNDPpourêtrelesgarantesdecedispositif.

Bienqu’étantlargementpartieprenanteàl’organisationdudébat,c’estEDFquiestdoncplacé,suivantcetteanalogie,danslerôledumaîtred’ouvrage.Lanotederéponseauxobjectifsdu4èmeRPS(diteNRO)42,tientlieude dossier dumaître d’ouvrage: ni cette épaisse note technique, produite pour les besoins de l’instructionréglementaire du dossier, ni la synthèse qu’en a tirée EDF ne répondent pourtant vraiment à cet usage. Cedocumentestcomplétépardifférentesnotesetavisfournisparl’ASNetl’IRSN,ainsiqueparl’ANCCLI.

37. CNDP/EDF,DébatpublicProgrammationpluriannuelledel’énergiedu19mars2018au30juin2018–Cahierd’acteurd’EDF,cahier

d’acteurn°43,mai2018.EDFyexpliquedevoir«anticiperdesarrêtsavantl’échéancedes60ans,nécessairementàl’échéanced’unevisitedécennale,momentoùdesinvestissementsimportantssontengagéspourrépondreauxnouvellesexigencesdesûretéexpriméesparl’ASN»etdonc«envisag[er]certainsdesarrêtsdèsledébutdeséchéancesdescinquièmesvisitesdécennales,àpartirde2029».

38. EDF,Lettred’actualisation2018durapporttriennalsurlasécurisationdufinancementdeschargesnucléaires,27juin2018.Ledétaildecechangementderèglecomptableestprésentédanslesnotesannexesauxétatsfinanciersd’EDFSAau31décembre2016.

39. Annexe4relativeaux«Principespourl’organisationdelaparticipationdupublicàl’occasiondes4èmesréexamenspériodiquesdesréacteurs»,documentvalidéenséanceplénièredu27juin2017,inHCTISN,octobre2017,op.cit.

40. LeHCTISNsembleenréalitén’avoirdéveloppéaucunepropositionrelativeàcettedisposition,quirenvoieenréalitéauprincipedeconsultationsmenéesparl’ASNdanslecadrededécisionsliéesàdesmodificationsnonsubstantielles(c’est-à-direhorsenquêtepubliqueliéeàunerévisiondudécretd’autorisationdecréation),conformémentauxarticlesL.593-14et15duCodedel’environnement;cettedispositionapparaîtenfaitsansobjet.

41. Lesiteconsacréàlaconcertationsecontented’indiquerque«lecomitéd’orientation(…)définitleprocessusetorientelamiseenœuvredelaconcertation»,tandisque«lecomitéopérationnel(…)metenœuvrelaconcertationavecl’appuid’uneentreprisespécialiséedanslesdémarchesdecommunicationetdeconcertation».QuantauHCTISN,il«s’assur[e]notammentquelaconcertationsoitréaliséedanslerespectdesprincipesquiontétédéfinis[nota:parlui]pourassurerunebonneparticipationdupublic».

42. EDF,Notederéponseauxobjectifsduquatrièmeréexamenpériodiquedupalier900MWe,5septembre2018.

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Plus fondamentalement, aucunegarantie sérieusen’est apportée sur lapriseen comptedes contenusde laconcertation dans le processus d’instruction technique en cours. Le seul principe fixé est que «l’ASN et lesautrespartiesintéresséesrendentpubliquelafaçondontellesprennentencomptelebilandelaconcertationsur la phase générique, rédigé par le ou les garants de la CNDP»(aucune précision n’est apportée surl’établissementéventueld’uncompterendududébat).Ceprincipenefaittoutefoisl’objetd’aucuneobligationformelleetopposable.

Outreque cette concertation, par sonabsenced’assise juridique,n’est engageantepour aucunedespartiesprenantes, elleest formellementdissociéeduprocessusd’instruction,endehorsdeséventuellespasserellesque sont prêtes à faire les trois acteurs qui y participent– EDF, l’ASN et l’IRSN. Seul ce dernier a veillé, demanièreinédite,àapporterdanslecadred’uncertainnombredesesavistechniquessurdifférentespartiesdudossieren coursd’instructiondes réponsesnon seulementaux termesdes saisinesde l’ASN,maisaussidesquestionnementsissusdudialoguetechniqueengagédepuis2014surlesujet43.

L’instructiontechniqueaenréalitédébutédès2013,sicen’estplustôt,avecunepremièrelettredepositiontrèsgénéralede l’ASNsur le4èmeRPSpour leparc44,puis la remiseparEDFdesonDossierd’orientationduréexamenpériodiquepourlepalier900MWe,quiadansunepremièrephaseétécomplétéetamendéjusqu’àmi-2014. Plusieurs lettres de position spécifiques à ce dossier ou l’articulant avec d’autresthématiques(comme la prise en compte du retour d’expérience de Fukushima) ont été prises par l’ASNjusqu’en2018,avecunpremierpositionnementsurlaNROd’EDF;unepartied’entreellesseulementsembleaccessibleaupublic45.

La concertation voulue par le HCTISN n’intervient donc que très tardivement dans le processus. Et sil’instruction technique se poursuit à un rythme soutenu en vue de permettre à l’ASN de rendre son avisgénériquefinalpourlafindel’année2020(ilétaitinitialementattenduen2016),cen’estpluspouramenderles orientations générales mais pour approfondir l’instruction sur un certain nombre de sujets techniquessoulevant des difficultés spécifiques. Aucune information précise sur l’échange technique entre les acteursconcernésn’estverséeàlaconsultationencours.

Restreinteàl’enjeudesmodalitésprévuesparEDFpourseconformerauxorientationsquefixeral’ASNdanslecadre d’une prolongation de fonctionnement dont le principe est considéré comme acquis, et privéed’articulationidentifiableetprescriptiveaveclaprocédured’instructiontechniqueencours,laconcertationn’apasvéritablementtrouvédedimensionnationale.Siles13réunionspubliquesorganiséesparlesCommissionslocales d’information(CLI) des sites possédant des réacteurs de 900MWe ont rencontré un certain succèsauprèsdespopulations locales, laparticipationestrestéerelativementconfidentielleà l’échellenationaleauregarddel’enjeu46.

/ ApplicationparréacteurÀ l’issue de cette concertation générique sans réelle effectivité, la question se pose de l’effectivité et de laformedes enquêtespubliquesprévuespar la loi de2015. LeHCTISN semble avoir au final trèspeuexplorécettequestion.Deuxdifficultésmajeuresapparaissentpourtantàcesujet.

La première est que l’enquête publique n’est à ce jour une procédure qui ne s’applique aux installationsnucléairesdebasequedans lecadrededécisions relevantd’undécretsignépar leministreenchargede la

43. Cedialoguetechnique,co-organiséparl’IRSNetl’ANCCLIpuisàpartirde2017avecl’ASN,acomportéhuitréunionsetunséminaire

entre2014et2018.Lesquestionnementsretenusparl’InstitutetsesréponsessontsynthétisésdansIRSN,Concertationàl’occasiondu4èmeréexamenpériodiquedesréacteursde900MWeduparcélectronucléairefrançais–Foireauxquestions,octobre2018.

44. ASN,28juin2013,op.cit.45. Onpeutmentionnerleslettresdepositionsuivantes:

- ASN,Lettredepositionrelativeauxorientationsduréexamendesûretéassociéauxquatrièmesvisitesdécennalesdesréacteursdupalier900MWe,CODEP-DCN-2014-010622,10mars2014;

- ASN,20avril2016,op.cit.;- ASN,Lettredepositionrelativeauxréacteursélectronucléaires-EDF-Maîtrisedesaccidentsgraves:«noyaudur»post-Fukushimaetduréedefonctionnementdesréacteurs,CODEP-DCN-2017-014451,19juillet2017;

- ASN,Lettredepositionrelativeauxréacteursélectronucléaires−EDF–Notederéponseauxobjectifsduquatrièmeréexamenpériodiquedesréacteursde900MWe,28septembre2018.

46. Aucuneréunionpubliquen’aétéorganiséedansunautrelieuquecessitesfortementconcernésparl’enjeu,oùlegrosdesparticipantsaétéconstituédessalariésouretraitésd’EDFetdepublicsdéjàsensibilisés,telsquelesmembresd’associations.Laplate-formemiseenplaceparleHCTISNpouruneparticipationenlignen’aenregistré,au28mars2019,qu’untotalde230contributionssurlesdifférentssujetsouverts,pourunnombredeparticipantss’élevantàpeineàplusde300aumaximum(etsansdoutemoins,certainsparticipantsétantprobablementcommunsentrelesdifférentsthèmes).

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sûreténucléaire.Lechoixquiconsisteà introduirepour le4èmeRPSet lessuivants leprinciped’uneenquêtepublique, sans assimiler systématiquement la décision éventuelle de prolongation qui s’ensuit à unemodificationsubstantielleappelantrévisiondudécretd’autorisationdecréation,n’estdecepointdevuepascohérent avec le droit existant47. La conséquence est qu’aucune définition réglementaire des modalitésd’enquêtepubliqueapplicablesdanscettesituationnesembleexister.

Laseconde,corollairedelapremière,estquelaformeetlanaturedeladécisionàlaquelledoitserattacherl’enquête publique ne sont pas évidentes à définir. D’une manière générale, le processus de réexamenpériodiquen’appelle pas d’obligation de décision, au sens d’un acte prescriptif réglementaire, de la part del’ASN: si elle a le pouvoir de formuler des prescriptions attachées à la poursuite d’exploitation, la seuleobligationquiluiestfaiteestderendrecompte,dansunrapportremisauministre,desonanalysedurapportderéexamenremisparl’exploitant.Toutefois,commelesouligneunreprésentantd’EDF,«nilesprescriptionsémisesparl’ASN,nilerapporttransmisauministrenes’apparententàdesautorisations,mêmeimplicites,depoursuitedufonctionnementpourdixannéessupplémentaires»48.

Pour répondre à ce problème, la loi de 2015 a prévu que la prolongation au-delà du 4èmeRPS(etéventuellement,desréexamenssuivants)soitdemanièresystématiqueassimiléeàunemodificationnotable,soumiseàuneprocédured’autorisationparunedécisiondel’ASN.Cettedispositionintroduitdonclecaractèresystématique d’une décision post-RPS de l’ASN, qui ne s’applique pas pour les réexamens précédents, etl’applicationd’undélairéglementaired’instructiondelademanded’autorisation49.Ilfixeégalementlanaturedudossierdedemanded’autorisation,quidoitcontenir«lesmisesàjourrenduesnécessaires»desdifférentsdocumentsréglementairesremisautitredel’autorisationdecréationd’unepart,etdel’autorisationdemiseenserviced’autrepart50.

La question posée reste néanmoins celle du champ et de l’insertion des dispositions soumises à cetteprocédure d’autorisation. En effet, la loi se réfère aux «dispositions proposées par l’exploitant lors desréexamens de sûreté», que l’on peut légitimement comprendre comme les dispositions de contrôle deconformité,d’analyseduvieillissementouencorede renforcementdesdispositifsde sûretéque l’exploitantprojettedemettreenœuvre,àl’occasionnotammentdelavisitedécennale,danslecadredu4èmeRPS:cetteinterprétation, qui conduirait à placer l’autorisation avant le déploiement des principales actions jugéesnécessairesàlaprolongation,estévidemmentlapluslogique.

LeHCTISNatoutefoischoisiuneautreinterprétation,portantsurlesdispositionsproposéesparl’exploitantàl’issue du réexamen: ainsi, seules les dispositions relatives au suivi dans le temps de l’installation seraientsoumisesàlaconcertation,unefoistouteslesactionsdevérificationetderenforcementeffectuées…

Parailleurs, lesdécisionsde l’ASNrelativesàdesmodificationsnotablesnesontpasdans la réglementationactuelle soumises à enquêtepubliquemais àune simple consultation, sauf si lamodification considéréeestsoumiseàuneobligationd’évaluationenvironnementale51,cequ’aucunedispositionnesembleexplicitementprévoiràcejourpourlesdispositionsissuesduréexamenpériodiquedesûreté.

47. Ilfautsoulignericiquesilaloide2015neprévoitpasquelaprolongationsoitdemanièresystématiqueassimiléeàunemodification

substantielle,ellenel’exclutpasnonplus.48. Varescon,M.,«Laduréedefonctionnementdescentralesnucléairesaprès40ans:quelsenjeuxpourl’industrienucléaire»,in

Pontier,J.-M.,Roux,E.&Jaeger,L.(Dir.),Droitnucléaire–L’industrienucléaire,Pressesuniversitairesd’Aix-Marseille,2018,pp.107-120.Ilestsignaléque«lesproposémisdanscedocumentn’engagentquel’auteur»,quiestresponsableduPôledroitnucléaireauseindelaDirectionjuridiqueénergiesd’EDF.

49. L’article2dudécretn°2019-190du14mars2019codifiantlesdispositionsapplicablesauxinstallationsnucléairesdebase,autransportdesubstancesradioactivesetàlatransparenceenmatièrenucléaire,Journalofficiel,16mars2019,créeunarticleR.593-58duCodedel’environnementprécisantcettedisposition.Celui-ciestthéoriquementfixéàsixmois,quel’ASNpeuttoutefoisprorogersiellel’estimenécessairepourcompléterl’instructionouintroduiredesprescriptionscomplémentaires.Ilestportéàunandanslecasoul’autorisationviséefaitl’objetd’uneévaluationenvironnementale.

50. L’article2dudécretn°2019-190du14mars2019,op.cit.,codifiecesdispositionsàl’articleR.593-56duCodedel’environnement.Cesdocumentsincluentpotentiellementlerapportdesûreté,l’étuded’impact,l’étudedemaîtrisedesrisques,lesrèglesgénéralesd’exploitation,leplandedémantèlement,etc.

51. L’article2dudécretn°2019-190du14mars2019,op.cit.,créeunarticleR.593-57-IduCodedel’environnementportantcettedisposition.

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L’introduction de cette disposition laisse donc ouvertes un certain nombre de questions cruciales sur lesmodalitéspratiquesdel’enquêtepubliqueprévueparlaloi.Outrelaquestiondel’insertiondansleprocessusd’uneprocédured’évaluationenvironnementale,etdoncpotentiellementd’uneétuded’impactassociéequinesemblepasàcestadediscutéedanslecadredel’instruction,laquestionducontenududossierd’enquêtepublique,celledesonpérimètregéographiqueouencorecelledesoninsertiontemporelledansleprocessusde réexamenpériodique restent apparemment sans réponse. Ces questions ne se posent d’ailleurs pas quedans une perspective locale ou nationale: lorsque les incidences environnementales sont susceptibles deconcernerlapopulationd’autresÉtatsautitred’éventuellesconséquencestransfrontalières,laparticipationdecespopulationsauxdécisionsdoitêtregarantie,enconformitéaveclaConventiond’Espoo52.

RECOMMANDATIONSLesdispositionsdéployéespourpermettre laparticipationdupublicà ladécisionsur lesprolongationsdefonctionnement des réacteurs 900MWe, depuis qu’EDF s’est engagé dans cette stratégie, n’ont pas étésuffisantes.Aucundébatpublicn’avéritablementeu lieusur l’opportunitédeceprogrammeavantque leGouvernementn’entérine,danssonprojetdeProgrammationpluriannuelledel’énergie,unetrajectoiredepoursuite d’exploitation de tous les réacteurs autres que Fessenheim au-delà de leur 4èmeréexamenpériodique.Lesmodalitésgénériquesdecetteprolongationn’ontétéabordéesquedansuneconcertationsans aucune assise juridique, centrée sur les dispositions proposées par EDF plutôt que sur les exigencesd’objectifs et demoyens à lui fixer, et la procédure d’enquête publique prévue pour l’application de cesdispositionsàchaqueréacteurrestetrèsconfuse.

! L’absence de véritable concertation sur l’opportunité, conclue par une décision de prolonger lefonctionnement des réacteurs au-delà du 4ème réexamen périodique, ne doit pas empêcher deconditionnercetteprolongationaurespectd’exigencesfortesderenforcementdelasûreté.

! La concertation générique, consacrée aux dispositions prévues par EDF pour la poursuite defonctionnementau-delàdu4èmeréexamenpériodique,n’apassuffisammentéclairélesconditionsdanslesquelles ces prolongations doivent être autorisées.Un travail d’explicitation doit se poursuivre pourapporterlesgarantiesnécessairessurleniveaud’exigenceréellementmisenœuvre.

! Le processus d’enquête publique applicable au 4ème réexamen périodique doit être clarifié, en faisantporterlaconcertationlàoùelleestpertinente:ils’agitd’examinerlesdispositionsd’étude,decontrôleetderenforcementprévuesparEDFdanslecadredeceréexamenavantl’autorisationdeleurmiseenœuvre,plutôtquelesdispositionsdesuivienexploitationquis’appliquentaprèslaprolongation.

52. Conventiond’Espoosurl’évaluationdel’impactsurl’environnementdansuncontextetransfrontière,signéele25février1991par

trenteÉtatsdontlaFrance.

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3.Objectifs Lesexigencesdesûretéassociéesau4èmeréexamenpériodiquesontexpriméesen termes d’objectifs généraux, dont la formulation tend vers celle desobjectifsfixéspourlesréacteursdenouvellegénérationtelsquel’EPR,sanslarejoindre pour autant. Une véritable comparaison des exigences applicablespassetoutefoisparuneanalyseplusdétaillée,tantauniveaudesautorisationsréglementairesquedesdispositionstechniquesretenues.

Commelerappellel’exploitantdanslecadredelaconsultation,«EDFaretenucommeorientationgénéraledetendreverslesobjectifsdesûreténucléairefixéspourlesréacteursdedernièregénérationdontleréacteurderéférenceEDFestl’EPR-Flamanville3»53.EDFnefaitenréalitéparcettedéclarationqueseconformeràlalignedirectricefixéedès2013parl’ASN,quiadepuisrégulièrementparlédeserapprocher«aussiprèsquepossibleduniveaud’exigencedel’EPR»54.Depuisqu’EDFaannoncéen2008ladécisionstratégiqued’opterpourcetteprolongationafinderetarderl’investissementdansunnouveauparc,c’estbienainsiquel’enjeuaétéprésentéau grand public: du point de vue de la sûreté, la prolongation de fonctionnement des réacteurs existantsdevrait fournir à la population française(et aux populations concernées dans les pays voisins) une sûretééquivalenteàcelleatteinteparlaconstructiond’unnouveauparcderéacteursditsde«3èmegénération»55.

Toutaulongduprocessusetjusqu’àaujourd’hui,lesexpressions«aussiprèsquepossible»ou«tendrevers»n’ont cependant jamais été clairement définies: en l’absence de référentiel pour objectiver ce point,l’appréciationde lasuffisancedesmesuresproposéesestentièrement laisséeà l’ASN.Quelest l’espritd’unetelleattente?S’agit-ildedéfinirunécartminimalàrespecterpourobtenirl’autorisationdeprolongation,dansunelogiqued’obligationderésultat?Ous’agit-ild’alleraussiprèsqu’industriellementviable,dansunelogiqued’obligationdemoyen,cequi impliqueque laconditionnepeutêtrebloquante, l’ASNnepouvantalorspasdemander d’atteindre un objectif si ce n’est pas industriellement raisonnable? Dans le deuxième cas, lalogiquesuivieneseraitpassidifférentedesréexamensprécédents.

Cettequestionneseposepasseulementd’unpointdevuethéorique:elledoitsurtouts’apprécierentermesderéalisationsconcrètes.Indépendammentmêmedesconsidérationssurl’usure,lavétustéoul’obsolescencedes structures, des systèmes et des équipements qui composent les réacteurs actuellement en service parrapport à ceux que l’on peut intégrer dans de nouvelles constructions, la conception même des réacteursopposeunecertainerésistanceauchangement:adaptéeà l’atteintedesobjectifs fixésà l’époque,etmêmeoptimiséed’unecertainemanièreparrapportàcetteexigence,elleseprêtemalàunsautimportantdupointde vue de ces objectifs. Il est par exemple difficile, et en grande partie impossible, de revoir les principauxouvrages de génie civil pour les renforcer, ou d’introduire une redondance des principaux systèmes desauvegarde.D’autres typesdemodifications sontalorsnécessaires, cequi introduitnon seulementunécartinévitableparrapportàdenouveauxréacteursdupointdevuedesobjectifsatteints,maisaussidupointdevuedesmoyensmobiliséspouratteindrecesobjectifs.

/ ObjectifsgénérauxLes objectifs de sûreté visés pour les réacteurs au-delà du quatrième réexamen périodique de sûreté sonttoutefois présentés, en général, d’unemanière très globale qui ne permet pas de saisir pleinement ce typed’enjeu. Ils se concentrent sur une formulation quantitative du niveau de réduction du risque d’accidentespéré.Ils’agitparexemple,vis-à-visdurisqueposéparlecœurduréacteur,de«tendreversdesniveauxdeconséquencesradiologiquesnenécessitantpas lamiseenœuvredemesuresdeprotectiondelapopulation»pourlesaccidentssansfusionducœur,de«viserunrisquedefusionducœurglobalincluantlesagressionsdequelques10-5/année.réacteur»,ouencorede«rendrelerisquederejetsprécocesouimportantsextrêmementimprobable»et de prendre des mesures pour «éviter des effets durables dans l’environnement» pour lesaccidentsavecfusionducœur56.

53. EDF,4eréexamenpériodiquedescentrales900MWe-Synthèsedelanotederéponseauxobjectifs,octobre2018.54. ASN,28juin2013,op.cit.55. Cepointconcernebienlesobjectifsdesûretéassignésàcetypederéacteurs:onn’entrepasicidansladiscussionsurlacapacitéde

cesréacteurs,comptetenudeleurdesignpluscomplexe,deleurréalisationplusdifficileetdesproblèmesdecompétencemontrésparlafilièrenucléaire,àatteindreeux-mêmesdanslaréalitéunniveaudesûretéconformeàcesobjectifs.

56. EDF,5septembre2018,op.cit.

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L’ASNconsidéraitpourtantdès2016queladémarched’EDFn’étaitpassatisfaisante«auregarddel’exigencederechercher“unniveauderisqueaussifaiblequeraisonnablementpossible”»etdemandaitàEDFdejustifierque «l’impact radiologique de l’ensemble des accidents du domaine de dimensionnement, du domainecomplémentaireetliésauxagressionsestaussifaiblequeraisonnablementpossible»57.

Desexpressionsdemêmetypesontutiliséespourcaractériser la réductiondu risqued’accidentassociéà lapertederefroidissementducombustibleenpiscinededésactivation,potentiellementtoutaussigravequ’unaccidenttouchantlecœur.Ainsi,pourlesaccidentsconcernantlebâtimentcombustible,ils’agitde«viserunrisque de découvrement des assemblages de combustibles en piscine de quelques 10-6/année.réacteur, tousinitiateurs confondus»58, ou encore de «rendre le découvrement des assemblages de combustible lors devidangesaccidentellesetdepertederefroidissementextrêmementimprobable»59.En2013,l’ASNconsidéraitque «la possibilité d’étendre la durée du fonctionnement des réacteurs devra être examinée au regard de“l’éliminationpratique”durisquedefusionducombustibledanslebâtimentcombustible».Cettepositionétaitreprisedanssonavisde2016.

Si ces objectifs s’inscrivent dans une amélioration de la sûreté, ils rendent difficilement compte du progrèsqu’ils cherchent à atteindre par rapport à l’état actuel d’exigences applicables aux réacteurs existants.Ilfaudraitpourcelaindiquer–cequ’aucundesdocumentsrelatifsauxobjectifsdelaprolongationau-delàdu4ème réexamen périodique ne propose–, quel est par comparaison cet état actuel d’exigences. L’une desraisonspour lesquellescettecomparaisonn’estpasproposéeestpeut-êtrequ’elles’avèreenréalitédifficile,danslamesureoùlesexigencesapplicablesauxréacteurs900MWeenfonctionnementrestentfondéessurlesexigences introduites à leur conception, posées dans des termes très différents de ceux que l’on considèreaujourd’hui.Cesréacteursontétéconçus,etmisenservicepourcertainsd’entreeux,àuneépoqueoù l’onpensaitexcluelapossibilitéd’unaccidentdefusionducœurcommeceluisurvenuilyaprécisémentquaranteansàThreeMileIsland60,tandisqueleréacteurEPRdeFlamanville3estlepremierréacteurconçuenFrancepour tenir compte des enseignements de la catastrophe de Tchernobyl, survenue seulement sept ansplustard61.

/ DéfinitiondesexigencesCettedifférenceapparaîtnotammentdemanièretrèsnettedanslesdécretsd’autorisationdecréation(DAC)respectifdecesréacteursdegénérationdifférente.Ainsi,leDACdel’EPRénonceclairementuncertainnombred’exigencesdansdes termesprochesdesobjectifsgénérauxévoquésci-dessus. Ilprévoitnotammentque leréacteur«doitêtreconçu,construitetexploitédemanièreàempêcher lasurvenuedessituationssuivantes:(…) les accidents avec fusion du cœur pouvant conduire à des rejets radioactifs précoces importants»; ilprescritégalement,«encasdesituationd’accidentavec fusionducœuràbassepression,den’avoir recoursqu’àdesmesuresdeprotectionde lapopulationtrès limitéesenétendueetendurée»62.Aucunedispositionsimilaire n’apparaît dans lesDAC des réacteurs du palier 900MWe, dont les autorisations ont été délivréesdanslecadrederéférencedel’époque63.

Ces décrets énoncent plutôt l’objectif de protection vis-à-vis du risqued’accident de réacteur en termes detauxadmissibledefuite.LeDACdeTricastin,dontlatranche1seralapremièreàentrerdansleprocessusdu4èmeRPS,prescritainsique«l’enceintedeconfinementseraenparticulierconçuepoursupporter, sansperted’intégrité, les sollicitations résultant d’un accident consistant en la rupture circonférentielle complète etsoudained’unetuyauterieducircuitprimaireavecséparationtotaledesextrémités.Danslesconditionsdecet57. ASN,20avril2016,op.cit.58. EDF,5septembre2018,op.cit.59. EDF,octobre2018,op.cit.60. Lafusionpartielledecœur(environ45%)sansrupturedel’enceintesurvenuele28mars1979surleréacteurn°2delacentralede

ThreeMileIsland,auxÉtats-Unis,intervientalorsquelescinqpremiersréacteursdupalierCP0sontdéjàenfonctionnement,etque23autresréacteursde900MWesontdéjàenconstruction.

61. LeprojetderéacteurEPR(àl’époque,pourEuropeanpressurizedreactor)aétélancéconjointementparlaFranceetl’Allemagneàlafindesannéesquatre-vingtpourdévelopperunréacteurplusrobusteaurisquedefusioncomplèteducœur,suiteàlacatastrophesurvenuesurleréacteurn°4delacentraledeTchernobyl,enUkraine,le26avril1986.Touslesréacteurs900MWefrançais,àl’exceptiondeChinonB3etB4,avaientdéjàdémarréàcettedate;mêmelaconceptiondesréacteursdespalierssuivants,dontlesplusrécentsontétémisenfonctionnementàlafindesannéesquatre-vingt-dix,étaitdéjàtropavancéepourtenirsuffisammentcomptedeceretourd’expérience.

62. Décretn°2007-534du10avril2007autorisantlacréationdel'installationnucléairedebasedénomméeFlamanville3,comportantunréacteurnucléairedetypeEPR,surlesitedeFlamanville(Manche),Journalofficiel,11avril2007.

63. Lesdécretsd’autorisationdecréationdes34réacteurs900MWeontétéprisenàpeineplusdedixans,entrele3février1972(Fessenheim1et2)etle7octobre1982(ChinonB3et4).

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accident,letauxdefuitemaximaldel’enceinteserainférieurà0,3p.100parjourdelamassedegazcontenuedanscetteenceinte»64.

LeDACdel’EPR,au-delàdel’objectifgénéralrappeléci-dessus,porteégalementdesexigencesprécisessurcepoint.Ilimposeque«toutefuitedelaparoiinternedel’enceintedeconfinementestcollectéeetfiltréeavantrejetdansl’environnement».Parailleurs,l’enceintedel’EPRdoitêtre«conçueetréaliséedetellemanièrequeson étanchéité est assurée: -sans nécessiter à court terme d’évacuation de la puissance résiduelle hors del’enceinte, y compris après un accident de fusion du cœur; -en cas de déflagration globale de la quantitémaximale d’hydrogène qui pourrait être contenue dans l’enceinte de confinement au cours d’un accident defusion du cœur à basse pression». Il introduit donc, tant vis-à-vis de la gammedes situations à prendre encomptequedesobjectifsd’étanchéité,desexigencesspécifiquesetrenforcées,quin’existentpasactuellementpourlesréacteursduparc,dontlesobjectifsgénérauxnesuffisentpasàrendrecompte.

LeconstatsurlesécartsdanslaformulationdesexigencesauniveauduDACestencoreplusgrandpourcequiconcernelesbâtimentscombustible,quiabritentlapiscinededésactivationducombustibledontestéquipéechaqueréacteur.L’attentionétaiteneffet,àl’époquedudéploiementdesréacteurs900MWe,beaucoupplusportéeàlapréventiondesrisquesassociésauxphénomènesmettantenjeularéactivitéducombustibledansle cœur, et donc au bâtiment réacteur, qu’au problème associé à la chaleur résiduelle et au risqued’échauffementdescombustiblesaprèsdéchargement.

Ainsi,leDACTricastinsecontentesurcepointdepréciserque«lestockageettoutemanutentiondesélémentscombustiblesneufsouirradiésdevrontêtreréalisésdemanièreàexcluretoutrisquedecriticitéetàlimiterlesrisquesd’échauffementetdechutepouvantendommager lecombustible. Ilsdevrontenoutreêtreconçusetexploitésdefaçonàlimiterlesconséquencesd’accidentsoudedéfectuositésdesélémentscombustibles».Parcomparaison,leDACdel’EPRdeFlamanvilleimposeque«lebâtimentquiabritelerâtelierd’entreposagesouseaudu combustible dispose: -de systèmesde ventilationassurant son confinementdynamique en conditiond’exploitation normale et en cas d’accident de manutention d’un assemblage combustible; -d’un dispositifpermettant de détecter les fuites issues d’une perte éventuelle d’étanchéité du cuvelage de la piscine durâtelier.Cebâtimentestparailleursconçupourcollecter les fuiteséventuellesde lapiscinedurâtelieretdestuyauteriesconnectéesàlapiscine».

Danslecadredurelèvementdesexigencesenvisagédanslecadredu4èmeRPSdesréacteurs900MWe,etdel’objectifgénéralderapprochementaveclesexigencesapplicablesà l’EPR,certainesdispositionsprévuesparles décrets d’autorisation de ces réacteurs apparaissent clairement obsolètes. Ainsi, ces décrets nécessitentd’êtremodifiés,s’ils’agitd’amenerauniveauréglementairedeFlamanville3lesexigencesprécisantletypededispositionsàmettreenœuvrepouratteindrelesobjectifsgénérauxderéductiondurisqued’accidentetduniveaudeconséquencesdel’accidentpourlespopulationsetpourl’environnement.

Outrelesexigencesdecettenature,lesdécretspeuventégalementdéfinirdesexigencesrelativesauxmoyensde protection contre certaines agressions externes. Le décret EPR stipule notamment, vis-à-vis de la chuted’avion,que«lesbâtimentspouvantcontenirducombustiblenucléaire,deuxdivisionsabritantdessystèmesredondantspermettantd’assurerl’accomplissementdestroisfonctionsfondamentalesdesûreté(…),lasalledecommandeprincipaleet lastationderepliduréacteursontprotégésphysiquementparuneparoiexterneenbétonarmé».LesDACdesréacteurs900MWen’apportentaucuneprécisiondecetype,àl'imagedeceluideTricastin: «l’installation devra être protégée par des dispositions constructives suffisantes contre les chutesd’aéronefsquipourraientseproduiresurlesitedelacentrale».

L’introductiontardivedanslaconceptionetlamiseenplacedela«coqueavion»quiprotègenotammentlapiscinededésactivationducombustibleduréacteurFlamanville3obéitclairementàuneautrelogiquequeladémarchestrictementprobabilistequis’appliquepourlesréacteursexistants65.Celle-cin’aconduitenpratiqueà ne retenir qu’une exigence de protection contre les avions légers(aviation dite générale) d’une partieseulementdesbâtimentscritiques.

64. Décretn°76-594du2juillet1976autorisantlacréationparÉlectricitédeFrancedequatretranchesdelacentralenucléairedu

TricastindansledépartementdelaDrôme,Journalofficiel,4juillet1976.65. CettedémarcheestformaliséepourlesréacteursàeaupressuriséedanslaRèglefondamentaledesûretéRFSn°I.2.adu5août1980

relativeàlapriseencomptedesrisquesliésauxchutesd’avion.Celle-cidéfinittroisfamillesd’aviation(l’aviationgénérale,concernantlesaéronefslégers,demoinsde5,7tonnes,l’aviationmilitaireetl’aviationcommerciale,comprenantlesavionsdeligne),etdéfinitpourlesciblespotentielles(bâtimentréacteuretpiscinenotamment)unseuildecoupurede10-6/anparréacteurendessousduquellerisquen’apasàêtreprisencompte.

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Enparticulier, le seuildecoupureprobabilistepouvait conduireàécarter l’analysedece risquesur lapartiehautedesbâtimentscombustible.Aussi,l’ASNademandéen2016àEDFde«démontrerl’éliminationpratiquedurisquedefusiondesassemblagesdecombustibleentreposésdanslespiscinesdubâtimentcombustiblevis-à-vis du risque de chute d’aéronefs de l’aviation générale, sans écarter ces situations sur la seule base d’uneconsidérationprobabiliste»66.

Cettedispositionn’estévidemmentpasdutoutéquivalenteàladispositionretenuepourl’EPR.D’unepart,ils’agit dans le cas des anciens réacteurs de vérifier l’absence de conséquences inacceptables d’une chuteaffectantlebâtimentcombustible,aulieud’empêchercettechuted‘atteindrelebâtimentcombustibledanslecasde l’EPR.D’autrepart, lastructuredebétonmiseenplacepour l’EPRviseà leprotéger,bienaudelàdel’aviationgénérale,contretouslestypesd’avion,ycomprisdoncdel’aviationcommerciale.

C’estbienàcettegénéralisationquedoit conduire ledépassementde la logiquedecoupureprobabilisteenvigueur jusque là, au profit d’une démarche déterministe postulant le cas d’une chute d’avion,indépendammentdesaprobabilité,dèslorsoùcelle-ciestpossible.Ilfautégalementsoulignerquedanslecasdel’EPR,cettedémarcheconvergeaveclapréoccupationquereprésentelachuted’aviondupointdevuedelasécurité, c’est-à-dire de la protection contre les actes de malveillance: la cohérence exige que lerapprochement des exigences applicables aux réacteurs existants, dans le cadre de leur éventuelleprolongationdefonctionnement,aveclesexigencesenvigueurpourl’EPRs’exerceaussidanscedomaine67.

/ DéfenseenprofondeurL’analysequiprécèdeliaisonmetenévidencelelientrèsfortquirelielesexigencessurdesobjectifsgénérauxdesûreté,etlesexigencessurletypededispositionsquel’onpeutplusconcrètementmettreenœuvrepourlesatteindre.L’expressiond’objectifssouslaformetrèsgénéraleproposéedanslecadredelaconcertationsurle4èmeRPSdesréacteurs900MWeestévidemmentutilepoursituerl’ordredegrandeurdugaindesûreté,etdonc en toute logique des efforts attendus. Elle est cependant d’une portée très limitée pour apprécier leniveau réel de progrès qui pourra être associé aux renforcements mis en œuvre dans le cadre de laprolongationdefonctionnementaudelàdu4èmeréexamenpériodiquedesûreté,pourdeuxraisons.

Enpremierlieu,l’expressionglobalementprobabilistedesobjectifsrecherchésnereflèteintrinsèquementpasbien la démarche mise en œuvre pour renforcer la démonstration de sûreté, quand celle-ci reposeprioritairement,dansladoctrineenvigueurpourlesinstallationsfrançaises,suruneapprochedéterministe68.En d’autres termes, le gain observé d’un point de vue probabiliste n’est pas nécessairement une bonnemesure(voire, n’est nécessairement pas une bonne mesure) de l’évolution réelle de la démarche et de ladémonstrationdesûreté.C’estdoncbienl’articulationdesdifférentesdispositionsretenuespouraméliorerlasûreté et tendre vers les nouveaux objectifs fixés, dont une partie au moins reposent sur cette démarchedéterministe, avec l’atteinte de ces objectifs probabilistes qui doit être explicitée et expliquée si elle doitpouvoirêtrediscutée.

La seconde raison concerne, en lien avec la précédente, la question de la répartition de l’effort derenforcemententredifférentesdispositionsenvisageables. Ilesteneffetpossible,pouraboutiràunrésultatjugééquivalententermesdeniveauglobalderisque(ouplutôtdeprobabilitéd’accidentetdeconséquencesassociées), d’agir plus oumoins fortement sur les différents niveaux emboîtés participant à l’atteinte de cerésultat. La sûreté des réacteurs nucléaires est ainsi structurée par un principe de défense en profondeur,commelerésumeleschémade lafigure6: la logiquedecettedémarcheestquechaqueniveauassociedesmoyens nécessaires à la gestion d’une situation résultant de la défaillance ou de l’insuffisance desmoyensprévusauniveauinférieur.

66. ASN,20avril2016,op.cit.67. Lesecretqu’imposentdemanièretrèslargelesautoritéssurcesquestions,notammentsurleniveaudes«menacesderéférence»en

matièred‘actesdemalveillancecontrelesquelleslaprotectiondesdifférentesinstallationsseraitexigée,empêchetouteanalyseplusavancéesurcettequestion,quin’enrestepasmoinsmajeurenregardduniveaudevulnérabilitécomparédesréacteursexistantsetdel’EPR.VoirsurcepointBecker,O.,Besnard,M.,Boilley,Lyman,E.,MacKerron,G.,Marignac,Y.,&Zerbib,J.-C.,Résumédurapport–Lasécuritédesréacteursnucléairesetdespiscinesd’entreposageducombustibleenFranceetenBelgique,etlesmesuresderenforcementassociées,rapportcommandéparGreenpeaceFrance,octobre2017.

68. D’autrespays,commelesÉtats-Unis,fondentbeaucoupplusquelaFrancel’ensembledeleurdémarchedesûretésuruneapprocheprobabiliste,baséesurledéploiementd’étudesprobabilistesdesûreté(EPS).EnFrance,celles-cisontutiliséescommeunevérificationaposterioridubienfondédesoptionsdesûretéretenues,plutôtquecommeunguidepourlaconceptiondecesoptions.

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Figure 6 SûretéetdéfenseenprofondeurNiveaux1à5deladoctrinededéfenseenprofonfeurappliquéeàlasûretédesréacteursnucléaires

Source:WISE-Paris,2014(d’aprèsIRSN,2011)

Ladémarches’appliqueauniveaudelaqualitédeconceptionetderéalisationdel’installation(niveau1),delamaîtrisedes règlesd’exploitationpour limiter les situationsaccidentelles(niveau2),de lamiseenœuvredesauvegardepourempêcher les situationsaccidentelles retenuesaudimensionnementdedéboucher surdessituations d’accident grave(niveau3), des moyens de gestion des accidents graves pour en limiter lesconséquences(niveau4), et des moyens de gestion de crise et de protection des populations quand cesconséquencesnesontpaslimitées(niveau5).

Envertudecettedémarchededéfenseenprofondeur,lerisquedesetrouverdanslessituationsprévuesàunniveau donné est le produit du risque de sortir des situations prévues à chacun des niveaux inférieurs. End’autres termes, le même niveau de risque d’accident majeur, nécessitant la mise en œuvre de mesuresimportantesdeprotectiondelapopulation,peuts’atteindreaussibienenrenforçantlarobustesseintrinsèquede l’installation, qu’en renforçant les moyens destinés à gérer les accidents graves et à limiter leursconséquences(empêcherqu’ilsdeviennentdesaccidentsmajeurs).Toutefois,mêmesilerésultat,expriméentermesderisqueglobal,peutsembler identique, lesdeuxévolutionsnesontpaséquivalentes: larépartitiondesmoyenslelongdelachaînederisqueconstitueunfacteurd’appréciationimportant.

Àlaconception,unéquilibredesdifférentescouchesestrecherché:danslamesuredupossible,lasûreténedoitpasreposerbeaucoupplussurunecouchequesurlesautres.Lorsquel’onchercheàaugmenterlasûretéaposteriori, on va renforcer certaines couchesplutôtqued’autres, et créerunepondérationdifférentedesniveauxdedéfenseenprofondeur.Ainsi,mêmesi leniveaudesûretépeutêtrerenforcé, lasûretéobtenue,reposantsurunerépartitiondéséquilibréedesniveauxdedéfenseenprofondeurnesauraitêtreéquivalenteàla sûretéd’une installation conçue avecunpoids réparti équitablement entre chaqueniveaudedéfense enprofondeur.

Ainsi,lesobjectifsgénérauxfixéspourleréacteurEPRparrapportauxobjectifsenvigueurpourlesréacteursde 900MWe, et doncdésormais fixés aussi pour leur prolongationde fonctionnement au-delà du 4ème RPS,visent principalement à réduire significativement le risque de situations correspondant au niveau5, et dansunecertainemesurelerisquedesituationscorrespondantauniveau4(particulièrementcelleconduisantàdesrejetsconsentisetconsidéréscommefaiblesdansl’environnement).

DansleréacteurEPR,l’atteintedecetobjectifrepose,parrapportauxréacteursexistants,surunrenforcementrépartisurl’ensembledesniveauxdeladéfenseenprofondeur:uneinstallationsevoulantplusrobuste69,uneredondance et un niveau de fiabilité se voulant plus élevé des trains de secours(c’est-à-dire des systèmesdestinés à assurer la sauvegarde du réacteur en situation accidentelle), ou encore un dispositif inédit de

69. Cetaspectneconcernepasqueledimensionnementgénéraldel’installation,quisetraduitparexempledansleniveaude

renforcementdesgrandsouvragesdegéniecivil,maiségalementdansdesdétailsbeaucoupplusdiffus:c’estparexemplelecasdel’objectifdeconception,mêmes’iln'apuêtrequepartiellementtenusurlechantierdel’EPRdeFlamanville,delaréalisationdetouslesancragesdecheminsélectriquesoudecanalisationsparcoulageetferraillagedanslesvoilesdebétonpendantleurconstruction,plutôtqueparapositionetvissagesurlesmursunefoisceux-ciconstruits.

5 4 3 2 1

Accidents graves - Mitigation

Gestion de crise

Fonctionnement

Incidents - Retour à la normale

Accidents - Sauvegarde

MAINTIEN DANS LE DOMAINE AUTORISÉ

INSTALLATION FIABLE ET ROBUSTE

(CONFORMITÉ)

MAÎTRISE DU DOMAINE DE CONCEPTION (DIMENSION-

NEMENT)

LIMITATION DES CONSÉ-

QUENCES (HORS

DIMENSION-NEMENT)

PROTECTION DE LA

POPULATION (MOYENS DE

CRISE, PLANS

D’URGENCE)

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récupérateurdecorium,destinéàlimiterlesconséquencesd’unaccidentgrave,mêmeencasdefusiond’unepartieimportantevoiredetoutlecœur.

Encomparaison, lesoptionsdisponiblespour renforcer la sûretédes réacteursexistants sontbeaucouppluslimitées.Ilestenparticulierdifficilederenforcerdemanièresignificativeleniveaudefiabilitéetderobustesseintégré à la conception et dans la construction du réacteur. L’essentiel de l’effort se porte alors surdeuxniveaux.

Il s‘agitenpremier lieudurenforcementde lapréventiondesaccidentsgraves,c’est-à-direde la robustessedes moyens de sauvegarde à des aléas plus importants que ceux du dimensionnement initial: il s’agit derenforceràlafoislechampdessystèmes,structuresetcomposants(SSC)protégéspardesdispositionscontredes aléas ou des agressions externes, et le niveau d’aléas ou d’agressions externes contre lequel cesprotectionsvisentàêtreefficaces.L’augmentationdelaredondance,mêmesiellenepeutêtrequelimitée,estunmoyencomplémentairederenforcementàceniveau.

Le second levier est le renforcementdesmoyensde gestiondes accidents graves, qui reposeapriori sur lerenforcementde latenuedessystèmes,structuresetcomposantsnécessairesàcettegestionauxconditionsd’unaccidentgrave,maispeutaussis’appuyersurl’introductiondedispositionscomplémentaires.

C’est à ce niveau qu’intervient le concept de «noyau dur», introduit par l’IRSN à l’issue de l’examen desrapportsproduitsparlesexploitantsdanslecadredesévaluationscomplémentairesdesûreté(ECS)conduitesaprès la catastrophe nucléaire survenue à Fukushima-Daiichi, au Japon, le 11mars 201170. L’objectif est de«renforcer lacapacitédesopérateursàconserver lamaîtrisedes fonctionsvitalesdesûretédes installationssensibles afin d’éviter des rejets massifs» 71 . La mise en œuvre consiste à définir un nombre limitéd’équipements,dimensionnésàunniveausignificativementsupérieurd’aléasetd’agressionsquelessystèmesenplacedanslesréacteurs,afindeconservernotamment,mêmedansdessituationsfortementdégradées,descapacitésultimesd’alimentationélectriqueetderefroidissementeneauduréacteuretdelapiscine,ainsiquedesmoyensdegestiondecrise.

Ce principe et l’élaboration des moyens à déployer sur les réacteurs pour le mettre en œuvre relèventformellementd’unprocessusdistinctdeceluidu4èmeréexamen.Néanmoins, ledéploiementdesdispositions«noyau dur» est évidemment de nature à contribuer à l’atteinte des objectifs généraux qui orientent le4èmeRPSdesréacteursde900MWe,etilestàcetitrevalorisédansceprocessus.Ilconvienttoutefoisdenoterque,vis-à-visdel’équilibredesdispositionsentrelesdifférentsniveauxdeladéfenseenprofondeur,etdoncdelarobustessed’ensembledecettedémarche,l’introductiondecesdispositionsnepeutpasêtreconsidéréecommeéquivalenteàunrenforcementportantdavantagesurlespremiersniveaux.

/ DispositionsmajeuresDanslaperspectived’uneéventuelleprolongation,deschoixdoiventêtrefaitssurlatraductionconcrètesennouvelles dispositions des objectifs généraux qui forment depuis le début du processus les orientations du4èmeRPS. Certains points semblent faire encore l’objet de discussions entre EDF et l’ASN dans le cadre del’instruction techniquedudossier.Mais aucune indicationprécisen’est fournie aupublic sur les critèresquipermettrontdecaractériserinfinesurleniveaudesexigencesdesûretéappliquéesauxréacteurs900MWeàl’issueduréexamenetdestatuersurlefaitqu’ils’estsuffisammentrapprochéounondeceluidel’EPR.Sansexplicitationclairedecescritèresenamontdesdécisionsqueprendral’ASN,ilexisteunrisqueimportantquedesécartsimportantssoientfinalementacceptés.

Pour évaluer les écarts susceptibles de subsister entre les exigences de sûreté retenues à la fin du 4èmeréexamenetcellesapplicablesauxnouveauxréacteurs,ilestnécessaired’entrerplusdansledétail.Quelquesexemplessontdéveloppésici.

Unedesmodificationsmajeuresenvisagéesdanslecadredu4èmeRPSconsisteàmettreenplaceundispositifd’étalement et de refroidissement du corium, à l’image du récupérateur de corium installé sur l’EPR. LadescriptiondonnéeparEDFdanssanotederéponseauxobjectifsduréexamenesttrèssuccincte72.Enl’étatdel’informationpubliée,desinterrogationsdemeurentsurl’écartd’objectifentrecenouveaudispositifetcelui

70. IRSN,Évaluationscomplémentairesdesûretépost-Fukushima:comportementdesinstallationsnucléairesfrancaisesencasde

situationsextrêmesetpertinencedespropositionsd’améliorations,RapportIRSNn°679,tome1/2et2/2,RéuniondesGroupespermanentsd’expertspourlesréacteursetpourlesusinesdes8,9et10novembre2011.

71. IRSN,Renforcerlasûretédesinstallationsnucléairesfrançaisesàlasuitedel’accidentdeFukushima:leconceptde«noyaudur»desûreté,noted’information,22novembre2013.

72. EDF,5septembre2018,op.cit.

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quiestenplacepourl’EPRàFlamanville.L’ASNnotedanssalettredepositionsurcettenotequeledispositifprévu par EDF permettra de «réduire le risque de percement du radier»73. Par comparaison, le DAC deFlamanville3prescritqu’«afind’éviterlatraverséeduradierdel’enceintedeconfinementencasd’accidentdefusionducœur,undispositifpermettant la récupérationet lerefroidissementsur le longtermede lamatièreradioactive fondueprovenantdu réacteurnucléaireestmisenplace»74. L’écartestévident,etd’autantplusgrandquel’incertitudesurlapossibilitédedéployerefficacementundispositifdecettenaturedansl’enceintederéacteursquin’ontpasétéconçuspourcela,etsurlecomportementdecedispositifestimportante.

Encequiconcernelespiscinesd’entreposagedesbâtimentscombustibles,l’ASNarappeléàdiversesreprises,et notamment en2016, que pour les réacteurs actuels, «malgré les améliorations définies lors desréévaluations successives de sûreté(réexamens de sûreté et ECS), la conception de l’entreposage et de lamanutentionsouseauducombustibleuséenpiscinededésactivationestetresteraenécartnotableavec lesprincipesdesûretéquiseraientappliquésàunenouvelleinstallation»75.

Il est ainsi acté que les piscines des bâtiments d’entreposage du combustible du parc en exploitationn’atteindront pas le niveau de sûreté attendu pour l’EPR. Par contre, l’écart restant n’est pas quantifié niexplicité.Commeévoquéplushaut,unécartmajeurentrelesconceptionsdespiscinesduparcd’uncôté,etdel’EPRdel’autre,résidedanslegéniecivildubâtiment:contrairementauxpiscinesduparc,lapiscinedel’EPRestprotégéeparunecoqueavion.L’étudedelafaisabilitéd’une«bunkérisation»despiscinesduparc,seulesusceptible d’amener réellement les réacteurs existants aumêmeniveau que l’EPR sur ce point, ne sembleavoir été ni menée par EDF, ni demandée par l’ASN. Un autre écart notable concerne l’implantation desbâtiments:alorsquelebâtimentcombustibledel’EPRdeFlamanvilles’insèreentrelebâtimentréacteuretlafalaise, ces mêmes bâtiments sont extrêmement exposés à des agressions externes sur certains sitesactuellementenexploitation.

L’ASNstipulaitégalementen2016quedescomplémentsdedémonstrationsontnécessaires,notammententermede«limitationdeseffetsdesaccidentsnonmaîtrisés».OrEDFn’apportepasderéponsesurcepointdans sa note de réponse aux objectifs du quatrième réexamen périodique. La limitation des effets desaccidentsnonmaîtrisésnefaitd’ailleurspaspartiedesobjectifsfixésparEDFdanscettenote.

L’ASNindiqueégalementque«desétudesderéévaluationdelasûretédecespiscinesdoiventêtreconduitesauregarddesobjectifsdesûretéapplicablesauxnouveauxréacteurset[que]lapossibilitéd’étendreladuréedufonctionnementdesréacteursdevraêtreexaminéeauregardde“l’éliminationpratique”durisquedefusionducombustibledanslebâtimentcombustible».Aucunedémonstrationrelativeàcette«éliminationpratique»durisquenesembleavoirétépubliée.Danssanotederéponse,EDFnementionneunetelledémonstrationqueparrapportaurisquedechuted’aéronefsde l’aviationgénéralesur levoile leplusexposédelapiscine.Ceci ne paraît pas constituer une réponse suffisamment complète à la demande spécifique de l’ASN76, quiprécisaitqu’EDFdevaitdémontrer l’éliminationpratiquesansécarter«sur la seulebased’uneconsidérationprobabiliste» (ce que réintroduit indirectement la notion de voile le plus exposé) les situations de chuted’aéronefsdel’aviationgénérale.Surtout,l’éliminationpratiquedurisquedefusionducombustibleenpiscinedevraitêtreexaminéetoutescausesconfondues.

/ MultiplicationdesécartsOutre lesécartsmajeursqu’introduitainsi la transpositionà l’étatdesbâtimentsdes réacteurs900MWededispositions constructives intégrées dès la conception dans le réacteur EPR de Flamanville, de nombreusesautres sources d’écarts existent. Ces nombreux écarts ne sont en général pas explicités dans les élémentsfournisaupublicpourapprécierlesdispositionsproposéesdanslecadredu4èmeréexamentpériodique.

Detelsécartspeuventnotammentsurvenirdansleshypothèsesretenuesdanslesétudes,avecunimpactsurleniveaudemarge.Parexemple,undélaiopérateurde30minutesest retenudans lesétudesdesûretédel’EPR77.Danslecadredu4èmeréexamendesréacteursde900MWe,cedélaiestconservéauniveauenvigueur

73. ASN,28septembre2018,op.cit.74. Décretn°2007-534du10avril2007,op.cit.75. ASN,20avril2016,op.cit.76. DemandeSURn°29del’ASN,lettredepositiondu20avril2016,op.cit.77. Le«délaiopérateur»désigneledélaiconsidérépourl’interventiondel’opérateur:enrèglegénérale,pluscedélaiestlong,etplusla

démonstrationdesûretéestrobuste.Ledélaiconsidérédansladémonstrationdesûretéenvigueurpourleparcactuelestde20minutespouruneinterventiondepuislasalledecommande,etde35minutespouruneinterventiondansunlocallenécessitantdansl’installation.Cesdélaisontétérespectivementportésà30minuteset60minutesdansladémonstrationdesûretédel’EPR.

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jusquelàde20minutes,ledélaide30minutesestseulementregardéautitred’étudedesensibilité.Ilenestdemêmedesétudesderobustesse.Ainsi,enprenantundélaiopérateurpluslong,lesmargesprisessurl’EPRsontplusimportantesquepourleparc.

Desécartsdequalitésontégalementàattendre.C’estparexemplelecaspourcequiconcernelaprocéduredequalitéapplicableauxgroscomposantsetàl’ensembledeséquipementsrelevantdelaréglementationrelativeaux équipements sous pression nucléaire(ESPN). Suites aux importants changements sur les exigences dequalification issus de la réglementation introduite en200578, toute nouvelle installation est soumise à cesnouvellesrèglesalorsquelesréacteursduparccontinueront,encasdeprolongation,àfonctionneravecdescomposantsfabriquésselonl’ancienneréglementation,moinsexigeanteenmatièred’assurancequalité.

Cettedifférenceestapparuedans letraitementdesdifférentsproblèmesdequalitémisenévidencedans lafabricationdegroscomposantspar l’usinedeCreusot-Forge,après larévélationenavril2015d’unproblèmedeconcentrationtropélevéedecarbonedanslescalottessupérieureetinférieuredelacuveduréacteurEPRàFlamanville. Le cas de cette cuve, relevant des règles de qualification postérieures au changement deréglementation en 2015, a justement nécessité un dossier de justification en appui d’une demande dedérogation, la qualité insuffisante de fabrication ne permettant pas son homologation79. Aucune démarcheréglementairedecetypen’aétémiseenœuvrepourlescomposantsenservicedanslesréacteursduparcquise sont avérés présenter des taux de carbones trop élevés, ce qui concernait notamment des fonds degénérateurs de vapeur dans 16 réacteurs de 900MWe80. Leur qualité pouvant être affectée, une analysetechniqueaétémenée,maisleurqualificationselonlaréglementationenvigueuràl’époquedelafabricationdecescomposantsn’étaitpasremiseencause.

Unautrepointdevigilanceimportantconcernel’impactdesmodificationsréaliséesàpostériorisurlastratégiede défense en profondeur, qui doit être examiné de façon systémique. Un des principes essentiels de ladéfenseenprofondeurestque lesdifférentescouchesqu’ellemetenœuvredoiventêtre indépendantes lesunes des autres. Il ne s’agit pas seulement d’un principe de bon équilibre dans l’effort que fait porter ladémarche demaîtrise des risques sur chacun des niveaux,mais également de bonne articulation techniqueentre les dispositions introduites à chacun des niveaux. L’introduction de nouvelles dispositions, surtoutlorsqu’elles apparaissent structurantes, peut nuire à la cohérence, et rendre l’installation plus complexe ouplusfragile.

LessystèmesditsRIS/RRAde l’EPR,quimettenten jeu lecircuitd’injectiondesécuritéd’unepart(RIS),et lecircuitderefroidissementduréacteuràl’arrêt(RRA)sontconçuspourpouvoirévacuerlapuissancerésiduelledubâtimentréacteurensituationaccidentelle,sansdevoirfairefacecommedanslesréacteursactuelsàunetellemontée en pression de l’enceinte qu’un éventage est nécessaire. Celui-ci s’opère sur les réacteurs enserviceparunfiltreditU5,quilimitemaisn’empêchepaslerejetderadioactivitéaucoursdecetteprocédure.

Pouraméliorer la sûretéduparc, EDFprévoitdemettreenplaceunnouveaudispositif, appeléEAS-U(pour«ultime»),quiviseàremplirlamêmefonctiond’évacuationdelapuissancerésiduellesanséventageencasdefusion du cœur que RIS/RRA sur l’EPR. L’ajout d’un tel dispositif, non prévu à la conception, peut avoir unimpact sur le reste de l’installation. L’ASN indiquepar exemplequ’EDFpourrait«être amenéà déplacer ousupprimer certaines dispositions existantes sur les réacteurs afin de pouvoirmettre en place les dispositionsEASu»81.

Cesquelques sujetsmontrent lanécessitédedisposer,dans le cadredudébat,d’un tableaucomparatifdesécarts d’exigences subsistants, afin de faire apparaître clairement ce qu’il manquera aux réacteurs de900MWeensortiederéexamenpouratteindreleniveaud’exigencesapplicableàdenouvellesinstallations.Ilfaudraitégalementexpliquerpourquoicesécartsnesontpasrésorbésetenquoiuneprolongationau-delàdu4èmeréexamendel’exploitationdesréacteursseraitacceptablemalgrélapersistancedecesécarts.

VoirIRSN,Réacteursélectronucléaires–EDF–Paliers900et1450MWe-ImpactdesévénementsPCCetdesdélaisopérateurdel’EPRFA3appliquésauxréacteursduparcenexploitation,AvisIRSN/2018-00217,30juillet2018

78. Arrêtédu12décembre2005relatifauxéquipementssouspressionnucléaires,remplacéetabrogéparl’arrêtédu3septembre2018modifiantcertainesdispositionsapplicablesauxéquipementssouspressionnucléairesetàcertainsaccessoiresdesécuritédestinésàleurprotection,Journalofficiel,23septembre2018.

79. Àl’issued’unelongueinstructiontechnique,l’ASNaconclufavorablement,voirDécisionn°2018-DC-0643del’Autoritédesûreténucléairedu9octobre2018autorisantlamiseenserviceetl’utilisationdelacuveduréacteurEPRdelacentralenucléairedeFlamanville(INBn°167).

80. ASN,Certainsgénérateursdevapeurderéacteursd’EDFpourraientprésenteruneanomaliesimilaireàcelledelacuvedel’EPRdeFlamanville,noted’information,23juin2016.

81. ASN,19juillet2017,op.cit.

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RECOMMANDATIONSLesorientationsdu4èmeréexamenpériodiquedesûretédesréacteurs900MWes’appuientsurdesobjectifsgénérauxquis’approchent,sanslesatteindretotalement,desobjectifsfixéspourdéclinerlesexigencesdesûreté du réacteurEPR. Ce relèvement, très significatif par rapport aux objectifs fixés dans les décretsd’autorisation des réacteurs existants, nécessite leur modification pour trouver toute sa portéeréglementaire. L’écart restera toutefois important entre un réacteur de conception ancienne, renforcénotammentpardesmoyensdesauvegardeetdegestionultimes,etunréacteurintégrantdèssonorigineunniveau de robustesse et de protection sensiblement plus important. Àce titre, la déclinaison de cesexigencesdansl’évolutiondesdispositionstechniquesdoitparailleursfairel’objetd’uneexplicationprécise,depuis les choix en matière de nouveaux dispositifs(protection de la piscine, ralentisseur de corium)jusqu’auxdifférencesquisubsistentdanslesrèglesd’étude.

! Lechangementproposédupointdevuedesexigencesdesûretéàl’occasiondu4èmeRPSdesréacteurs900MWe vise un renforcement significatif par rapport aux dispositions réglementaires prévues dansleursdécretsd’autorisation(DAC),quidevraitdoncserefléterdansleurmodification.

! L’atteinted’objectifsgénérauxaussiprochesquepossibledeceuxdel’EPRpassenéanmoins,s‘agissantderéacteursconçusdansuntoutautreréférentiel,parunestratégietrèsdifférentedupointdevuedesmoyensmisenœuvreetdel’ensembledeladémarchededéfenseenprofondeur.Cettedifférence,etsesimplications,doiventêtreexplicitées.

! Ladéclinaisondesexigencesgénéralessetraduitenréalitépardenombreuxécarts,depuislaconceptionou les objectifs spécifiques assignés à certaines dispositions majeures, jusqu’au détail des niveauxd’exigence de conformité d’équipements importantes ou d’hypothèses importantes dans les règlesd’étude.L’ensembledecesécartsetleursimplicationsdoiventêtreexplicités.

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4.Marges Le relèvement des exigences de sûreté associé au 4ème réexamen ne peut êtreapprécié qu’en caractérisant également l’évolution des marges dont devraientdisposer lesréacteurs900MWevis-à-visdecesexigencesà l’issueduréexamen,par rapport aux marges dont ils disposaient vis-à-vis d’exigences précédentes.Cefacteur est d’autant plus important compte tenu de la perte inévitable decertainesmargesparrapportàl’étatdecesréacteursàl’origine.

L’améliorationdesobjectifsdesûreté, indépendammentde ladiscussionprécédentesur ladistancequipeutséparerlesobjectifsatteintsdanslecadredu4èmeRPSdesobjectifsviséspourunréacteurdetypeEPR,nedoitpas être mécaniquement comprise comme une amélioration réelle de la sûreté. C’est pourtant ce à quois’emploient différents acteurs, dont EDF qui fait régulièrement référence à sa démarche d’«améliorationcontinue de la sûreté»82, et affirme bien sûr que«le 4ème réexamen périodique des centrales nucléaires deproduction d’électricité des réacteurs 900MWe(…) s’accompagne de l’amélioration significative de la sûreténucléairedechacundesréacteursconcernés»83.

Ilestpourtantdifficiledeconsidérerquelasûretéd’uneinstallationnucléaire,àconditiondeluiappliquerunedémarche de réévaluation régulière de ses objectifs de sûreté et de renforcement, peut voir sa sûretés’améliorer indéfiniment au fil du temps. La raison pour laquelle cela n’est en réalité pas possible est qued’autresfacteursjouentcontrecesfacteursd’amélioration.Sidesdispositifsnouveauxpeuventeffectivementêtremisenplacepouraugmenterlacapacitéd’uneinstallationàfairefaceàdesaléas,d’autresphénomènespeuventréduirecettecapacité,àcommencerparsonvieillissement.Lebilanréelpourlasûretéestbienceluidel’effetcroisédecesdifférentsphénomènes,etl’améliorationthéoriquepeutn’êtrequefictive.

Danstouslescas,uneinstallationanciennen’estpasidentiqueàuneinstallationneuve.Cequiestenjeuici,cesontlesmargesdontdisposeunréacteurvis-à-visdesesexigencesdesûreté.Àl’heuredu4èmeRPS,lesmargesprisesà l’originedans la conception et la réalisationont été enpartie consommées. Comme l’écrivait l’ASNdès2009,«lefaitqueladémonstrationaitétéréaliséeinitialementpouruneduréede40ansnepermetpasdeprésumerdesmargesrestantesquipermettraientd’envisagerl’exploitationàpluslongterme»84.

/ RôledesmargesLaquestiondesmargesestdoncaussicentralequecelledesobjectifs.Pourtant,rienoutrèspeun’estprécisédans l’ensemblede ladémonstration techniquesur l’évolutionconstatéeetattenduedecesmargesdans lecadre du processus de 4ème réexamen. Au contraire, l’analyse technique semble souvent s’en remettre, defaçon binaire, au principe de conformité ou de non conformité: ainsi les systèmes, structures etcomposants(SSC)sontparexempledéclarésconformesdelamêmemanièrequ’ilssoientneufsetprésententd’importantesmarges,ouquel’usurelesfasses’approcherfortementdelalimitedeconformité.

L’appréciation de l’amélioration réelle de la sûreté impose, en plus d’établir une claire distinction entre lerenforcement des exigences de sûreté et le renforcement de la sûreté elle-même, de bien identifier– pourtenter d’en caractériser l’évolution– les différents facteurs . Il est pratiquement impossible d’objectiversimplementleniveaudesûretéenleramenantàunouquelquesparamètresquantifiables.Onpeuttoutefois,trèsschématiquementetcommel’illustrelafigure7,considérerqueleniveaudesûretéréeld’unréacteurestceluidel’exigencequis’appliqueàlui,pluslamargequ’ilprésentethéoriquementvis-à-visdecetteexigence,moins l’écart qu’il présente vis-à-vis de cet état théorique. Parallèlement au relèvement des exigences, lamargeetl’incertitudesurcettemarge,etl’écartqueprésenteleréacteurparrapportàcettemargeàsonétat«conforme»évoluent.

82. Ceterme,exprimédemanièreplusformelleparl’exploitantcomme«démarched’améliorationcontinuepourlamaîtrisedes

inconvénientsquesesinstallationsprésententpourlesintérêtsprotégés»,revientparexempleàdenombreusesreprisesdansEDF,5septembre2018,op.cit.

83. EDF,octobre2018,op.cit.84. Crombez,S.&Ménage,F.,«Laduréed’exploitationdescentralesnucléairesetlesconditionsdelapoursuitedeleurexploitation»,

Dossier-Lapoursuited’exploitationdescentralesnucléaires,inContrôle,n°184,juin2009.Lesauteursétaientàl’époquerespectivementadjointaudirecteurdeséquipementssouspression(DEP)etadjointaudirecteurdescentrales(DCN)del’ASN.

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Figure 7 Schémadeprinciped’évolutiondelasûretédesréacteursaufildutempsÉvolutiondesexigencesdesûreté,desmargesdesûreté,desincertitudesetdel’étatréel

Àtoutmomentdelavied’unréacteurnucléaire,sonniveaudesûretéestlarésultantedetroisprincipauxfacteurs:toutd’abord,leniveaud’exigencedesûretévis-à-visduquelilestconçu,entretenuetexploité;ensuite,lamargequ’apportethéoriquementparrapportàcetteexigenceleconservatismedeladémarchedesûretéetlaqualitéderéalisation;enfin,ladécotequ’introduittoutécartdeconformitéparrapportàcettemargethéoriquedontdisposeleréacteurdansunétatconformeàladémonstrationdesûreté.Aucoursdelavied’unréacteur,desexigencesdesûretécroissantespeuventêtre introduites,notammentpourtenircompteduretourd’expérience.Chaqueréexamenpériodiquedesûretéest l’occasiond’untelrenforcementdesexigences.Le4èmeréexamen,quimarqueparailleurs lafindeladuréedevie initialementprévuedesréacteurs, introduitunsautparticulièrementimportant,visantà lafoisàserapprocherdesexigencesd’unréacteurdetypeEPR,etàconcrétiserl’intégrationduretourd’expériencepost-Fukushima.Les renforcements correspondants à chaque relèvement des exigences apportent une amélioration du niveau théorique de sûreté duréacteur.Néanmoins,lamargequeprésentecetétatthéoriquevis-à-visdesexigencesestsusceptibled’êtreenpartieconsomméeaufildutemps,enmêmetempsquel’incertitudesurleniveaudecettemargeaugmente.Danslemêmetemps,l’écartcumulédeconformitéentrecettemargethéoriqueetl’étatréelduréacteurestluiaussisusceptibled’augmenter.

Source:WISE-Paris,2019

C’estlecumuldecesévolutionsquidéterminel’étatréeldesûretéduréacteuraufildutemps.Ildépendduniveaudemargeetdeconformitéaudépart,de lavitesseà laquelle ilssedégradentsous l’effetdefacteurscomme le vieillissement, le défaut demaintenance ou la perte de compétences, et de la façon dont on lesreconstitue au fil du temps, en particulier lors des réexamens périodiques de sûreté. Ainsi, ces évolutionspeuvent conduire l’état réel, tout en se maintenant voire en s’améliorant, à passer sous le niveau desexigences,voireàcequecetétatréelsedégrademalgrédesexigencesserenforçant.Ilestdoncessentieldes’assurer, au delà du relèvement d’objectifs de sûreté, que les marges et le niveau de conformité sontsuffisantspouratteindrecesobjectifs.

Lesmargessont,commel’expliqueleschémadelafigure8,soumisesàdifférentsfacteursd’érosion(cequinepréjugepasd’autresfacteurssusceptiblesdejouerpositivementsurlesmarges,notammentlesréparationsetremplacements d’équipements au titre de la maintenance ou l’implantation de nouvelles dispositions). Lesmarges peuvent être consommées par un relèvement des exigences, toutes choses égales par ailleurs dansl’installation:celle-ciprésentealorsdesmargesplusfaiblesvis-à-visd’exigencesplusfortes.Maisellespeuventégalement être consommées par des facteurs d’ordre technique, tels que l’inévitable vieillissement dessystèmes,structuresetcomposants,ounontechniques. Ilpeuts’agirparexempledefacteursexogènes,telsquel’augmentationdesrisquesd’agression(changementclimatique,évolutiondel’environnementindustriel),ou de l’augmentation des conséquences potentielles d’un accident(accroissement de la population dans lepérimètreconcernéparlesretombéeséventuellesd’unaccident).Ilpeuts’agirenfind’uneffetdelapressionéconomique,etdelarecherchecontinueparl’exploitantd’uneréductiondescoûts.

0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60

Post “40 ans”

Post-Fukushima

Exigence de sûreté

État conforme

Incertitude

État réel

Exigence

Marge

Écart

+

© WISE-Paris

- 20

19

Années

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Figure 8 Réductiondesmargesdesécuritéd’uneinstallationnucléaire*Principauxfacteursallantdanslesensd’uneréductionprogressivedesmargesdesécurité

* Lamargedesécuritécaractérisel’écartentreleseuildéfiniréglementairementetleniveauréeldesécuritédel’installation,lui-mêmeentachéd’uneincertitudesursacaractérisation.Lesphénomènessusceptiblesderéduirecettemargeportentàlafoissurlesfacteurspouvantconduireàreleverleseuilréglementaireetsurlesfacteurstechniques,économiquesetsociauxpouvantdégraderleniveauréel,dupointdevuedesprobabilitésd’occurrencecommedelagravitédesconséquences.Deplus,l’incertitudequientoureleniveauréeltendàaugmenterelleaussi,cequisetraduitparuneincertitudecroissantesurlamargedesécurité.

Source:WISE-Paris2004,actualisé2016

/ VieillissementSi l’ensemble de ces phénomènes doit être pris en compte pour quiconque veut caractériser et tracerl’évolutionaucoursdutempsdesmargesdel’installation,deuxmécanismesparticulièrementimportants,carliés àl’état de l’installation au fil du temps, méritent d’être considérés dans le cadre du 4ème réexamenpériodique.

Lepremierest levieillissementde l’installation.Cephénomène touche,à travers lesdifférentsprocessusdevieillissementquepeuventconnaîtrelesbétons,lesmétaux,lesplastiquesetc.,l’ensembled’uneinstallation:les structures, les gros composants, les tuyauteries, le câblage… Certains de ces éléments ne sont pasremplaçables, ou très difficilement. Il s’agit essentiellement des principaux ouvrages de génie civil, commel’enceintedeconfinement,etdelacuve.

Les cuves des réacteurs 900MWe atteignant l’échéance du 4ème RPS ont subi plus de 40années defonctionnement, ce qui correspond à la durée pour laquelle leur tenue mécanique avait été démontrée àl’origine.Ellesontdoncnécessairementconsomméunepartie importantede lamargedontellesdisposaientinitialementvis-à-visduvieillissementsousleseffetsthermique,hydrauliqueetsurtoutdel’irradiation.Surcedernier point, qui est le plus dimensionnant, l’introduction au fil de l’exploitation demodes de gestion ducombustible visant àminimiser l’irradiation des parois de la cuve a permis de réduire la fluence(irradiationcumulée)parrapportàcellequiavaitétéinitialementcalculée.

L’IRSNavaitnéanmoinsconcluen2010quelesmargesneseraientplussuffisantesavantmêmel’échéancedu4èmeréexamenpourunepartiedescuves:«àVD3+5ans,lerisquederupturebrutalen’estpasexclupourlescuves[de cinq] réacteurs», et «lesmarges à la rupture sont également insuffisantes àVD3+5ans pour lescuvesde[deuxréacteurs]quisontaffectéesdedéfauts»85.L’Institutrecommandaitenconséquenceque«pourles cuves ne respectant pas les critères réglementaires et par conséquent, ne présentant pas de margessuffisantes à l’égard du risque de rupture, (…) EDF prenne les dispositions nécessaires pour restaurer les

85. LesréacteursconcernésétaientrespectivementDampierre4,Cruas1,Cruas2,Saint-LaurentB1etChinonB2pourlepremiercas,et

Saint-LaurentB1etBugey5pourledeuxièmecas.IRSN,Avisdel’IRSNsurlatenueenservicedescuvesdesréacteursde900MWe–Réponsesauxdemandesdelasectionpermanentenucléairededécembre2005–Voletmécanique,avisDSR/2010-153,19mai2010.Desavissimilairesontétéproduitsen2009et2010parl’IRSNsurlesautresvolets:comportementdesmatériauxsousirradiation(avisDSR/2009-369du15décembre2009),surveillancedesmatériauxsoumisàirradiation(avisAvisDSR/2009-385du22décembre2009),aspectneutroniqueetthermohydraulique(avisDSR/2010-065du26février2010).

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marges». Outre le mode de répartition moins impactant du combustible dans la cuve, la parade retenueconsisteàéquiperlescircuitsdesécuritédesystèmesdepréchauffagedel’eauavantsonéventuelleinjectiondanslecircuitprimaire86.

Ilestévidentquel’introductiondecedispositif,siellereconstitueunecertainemarge,n’apportepasdupointdevuede ladéfenseenprofondeurunniveaudesûretééquivalentàceluiqueprésentait lacuve lorsquesaqualitémécaniqueluiprocuraitintrinsèquementcettemarge.Deplus,lamargeainsireconstituéeestentoutétatdecausesignificativementplusfaiblequecelledontlacuvedisposaitàl’origine.Ladiminutioninéluctablede la marge au fil des années de fonctionnement est d’autant plus problématique que l’incertitude sur lamarge restante augmente avec le temps, dans la mesure où l’évaluation du comportement de la cuves’approchepardesmoyensdemoinsenmoinsdirectsetpotentiellementdemoinsenmoinsreprésentatifs87.

Les marges sont également consommées au fil du temps au niveau de la tenue mécanique du béton del’enceinte.L’exempledel’enceintedeconfinementdeBugey5témoignedufaitquelesmargesprévuesvis-à-visducritèredetenuedel’enceinteàlapression,mesuréeparlecritèredetauxdefuiteévoquéplushaut88,peuvent de plus se dégrader demanière difficilement prévisible. L’enceinte avait montré lors de l’épreuveprévueàceteffetpendantsa troisièmevisitedécennaleuntauxprochedecette limite.L’exploitantcommel’ASNestimaientnéanmoinsquel’enceinteprésentaitsuffisammentdemargepourfonctionneraumoinscinqansaprèslaVD3.MaislesnouveauxessaisréalisésauboutdecinqansontmontréquelesmargesavaientétéconsomméesetqueleréacteurfonctionnaithorsducritèrefixéparsonDAC.Lafuiteaétésituéeauniveaudujointpériphériqueentreleradieretlesparoisdel’enceinte,sanspouvoirtoutefoisêtreprécisémentidentifiée,et la restauration du niveau souhaité d’étanchéité est assurée par l’injection de lait de chaux, qui semblefonctionnersansquel’originepréciseduproblèmenisonévolutionnesoientclairementexpliqués89.

Si ce dispositif permet à l’enceinte de Bugey5 de revenir au respect du critère d’étanchéité qui lui estréglementairementimposé,c’estparunmoyenquinerestaurepaslespropriétésmécaniquesattenduespourlerespectdececritère.Laquestiondesmargesdontdisposentlesenceintesdeconfinement,dontbeaucoupont vu leur taux d’étanchéité se dégrader au fil des ans, s’approchant sans le franchir toutefois du seuilréglementaire,nesemesuredurestepassurceseulcritère.Celui-cineserapporteeneffetqu’àleurtenueàla monter en pression lente envisagée dans le cadre des accidents de dimensionnement. La tenue desenceintes à des phénomènes plus violents d’explosion interne envisageables dans des scénarios plus gravesd’accidentdoitégalementêtreenvisagée.Aucuneinformationn’estfournieaupublicsurlesmargesdontlesenceintes des réacteurs 900MWedisposent vis-à-vis de ces phénomènes, par rapport à celles dont disposel’EPRdeFlamanville,etàlamanièredontcesmargesévoluentdansletemps.

D’autres éléments sont remplaçables ou en grande partie remplaçables,mais présents en grand nombre etrépartisdemanièreplusoumoinsdiffusedansl’installation.C’est lecasdestuyauteries,destableauxetdescâblesélectriques,ouencoredesancragesquimaintiennentcesdifférentséquipements.Leurgrandnombrerendirréalisteleurremplacementintégralpréventif,etmêmeleurcontrôlerégulier.L’exploitantestconduitàprocéder plutôt par une démarche de surveillance par sondage et de remplacement réactif en cas de nonconformité. Outre que cette pratique peut générer des situations problématiques de non conformités nondécelées, elle se traduit par une érosion progressive et relativement généralisée des marges qui n’estglobalementpasquantifiée.

86. Ils’agitderéduirelechocthermiquecrééparl’introductiond’unegrandequantitéd’eaufroidedanslacuvealorsquesesparoissont

chaudes,situationjugéelaplussollicitantepourlesparoisdelacuveetlaplussusceptibledeconduireàsaruptureencasdeprésenced’undéfaut,connuousupposé,lorsquelevieillissementafragilisésonacier,etfaitremonterlatempérature,initialementsuffisammentbasse,àlaquellesonacierperdsaductilitépourdevenirpluscassant.

87. Lacaractérisationpréciseducomportementdumétalreposesurlaréalisationdedifférentstestsmécaniquesderésistanceàlarupture,quinécessitentdedisposerd’échantillonsreprésentatifs.Lecomportementdumatériauneufdescuvesapuêtrecaractériséparlesacrificedepiècesforgéesdanslesmêmesconditions.Lecomportementdumatériauaufildel’exploitationnepeutques’approcherpardeséchantillonssimulantdesconditionsproches,notammententermesd’irradiation.Ils’agitessentiellementd’éprouvettes(échantillonsdumêmemétal)placéesendifférentspointsdelacuve.Plusl’irradiationaugmente,etplusl’incertitudesurlareprésentativitédel’acierdelacuveparceséprouvettesaugmenteégalement.

88. LetauxdefuiteadmissiblepourBugey5estfixéparsondécretd’autorisationdecréationà3%,voirledécretn°76-771du27juillet1976autorisantlacréationparElectricitédeFrancedesquatrièmeetcinquièmetranchesdelacentralenucléairedeBugeydansledépartementdel'Ain,Journalofficiel,17août1976.

89. IRSN,CentralenucléaireduBugey-INBn°89,Modificationtemporairedesspécificationstechniquesd’exploitationafinderéaliserunappointenlaitdechauxdanslejointpériphériquedubâtimentréacteurpendantlecycleencours,AvisIRSN/2017-00263,9août2017.

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D’unemanièregénérale,pluslesinstallationsvieillissentetpluslesmargesdontdisposentleurséquipementsnonremplacésseréduisent,cequenepermetpasdemesureretdesuivrecorrectementl’application,pourlasurveillance de cette évolution, d’un critère de vérification de la conformité. C’est au contraire lorsquel’installationvieillitquelaprésencedemargesestlapluscrucialepourlaisseràl’exploitantletempsdetraiterlesdégradationsavantl’arrivéedenonconformités.

/ ÉvolutiondesétudesLedeuxièmemécanismeimportantdeconsommationdesmargesest,àl’opposéduvieillissement,denatureimmatérielle.Bienqu’il soitplusdifficileà identifier, iln’enestpasmoins trèsprésentet significatif. Il s’agitd’uneconsommationintellectuelledesmarges,auniveaudesétudesdesûreté.

L’exploitantutiliseparfois lesmargesprises à la conceptionpour justifier la tenuede ses installations àdesaléassupérieursàceuxprisencompteinitialement.Ilpeutalorsdéclarerquesesinstallationsrépondentàunniveaud’exigenceaugmenté,sansavoirréalisélamoindremodificationréelledesesinstallations.L’installationn’estdoncpasplusrésistantequ’avant:sil’exploitantaffirmesouventdanscecasquelasûretéaaugmenté,ilfautplutôtconsidérerqu’elleprésenteunemargemoindreàuneexigencerenforcée.

L’exemple des études de résistance au séisme menées dans le cadre des Évaluations complémentaires desûreté après Fukushima illustre cette problématique. Dans de nombreux cas, EDF a valorisé des margesexistantesvis-à-visduniveau leplus importantdeséismeprécédemmentprisencomptepourdimensionnertelouteléquipement,pourjustifiersansaucuneactionderenforcementquecetéquipementpuissedésormaisêtre considéré comme robusteàunniveaude séismeplusélevé. Sansqued’importants travauxn’aientétéréaliséssursitespouraugmenter leniveauderésistance, les installationspeuventainsisetrouverdésormaisconsidérées comme résistantes à des séismes d’intensité plus forte. Contrairement à ce qu’a proposé àl’époque EDF, il est essentiel, dans un processus comme celui-là, d’identifier et de tracer clairement laconsommationdesmarges.

Le problèmeavec ce raisonnement est que l’installation considérée résistante à un niveaud’aléa augmentél’est avecmoinsdemarge.Or, lesmargesprises à la conception visaient d’unepart à s’assurer que les SSCseraient conformes tout au longde leurduréede vie envisagée, etd’autrepart à palier les incertitudes surcertainsparamètres,résultantparexempled’unmanquedeconnaissancesur leniveaud’agressionousur lecomportementd’unéquipementdansdifférentescirconstancespostulées.Danslecasduséisme,l’évaluationdu séismeà retenir sebase sur la sismologiede la région.Unegrande incertitudepèse sur l’estimationdesspectres sismiques des séismes anciens. Les études post-Fukushima n’ont pas particulièrement levé cesincertitudes.Les installationssontdoncconsidérées répondreàuncertainniveaud’exigence,avecmoinsdemarge,sanspourautantquelesincertitudesquijustifiaientlaprisedemargeinitialen’aientétélevées.Cettepertedemargen’estpascompensée.

Certaines règlespeuventêtremodifiéespour faire faceà l’usurede certainséquipements. Leséquipementssous pression sont conçus pour pouvoir résister à certaines situations de fonctionnement. Une liste dessituations est initialement établie pour chaque équipement, indiquant le nombre d’occurrence de chaquesituationquel’équipementestautoriséàrencontreraucoursdesonexploitation.Pourcertainessituations,lenombre d’occurrence réalisée approche, et parfois dépasse, le nombre d’occurrence initialement autorisé.Dans certains cas, au lieu de remplacer l’équipement, EDF choisit d’augmenter le nombre d’occurrenceautoriséespourunesituationdansledossierdessituationsoudemodifierlamanièredontsontcomptabiliséeslessituations,notammentenajoutantdenouvellescatégoriesdesituation.Parexemple,lessituations12Cet12Ddupalier900MWecorrespondentàdesfluctuationsdetempératured’amplitudeinférieureà30°C.

En2007,EDFavaitfaitunepremièrejustificationpourpouvoircontinueràexploiterendépassant lenombred’occurrencesautorisées. Il s’agissaitdeconsidérerque les fluctuationsd’amplitude inférieureà lamoitiédel’amplitude autorisée, donc les fluctuations d’amplitude inférieure à 15°C, comptait comme une demiesituation. Ainsi, le nombre d’occurrence repassait sous le seuil autorisé. EDF se justifiait par le fait que lesfluctuationsd’amplitude faibleontmoinsd’impact sur les composantsque les fluctuationsd’amplitudeplusélevée.Cesdépassementsd’occurrencesontensuiteété traitésdans la révisionVD2duDDSenaugmentantl’amplitudedessituations12Aet12Bde10°Cà20°C,cequipermetdefairepasserlessituationsd’amplitudecomprisesentre10°Cet20°C, initialementcomptabiliséesdans lessituations12Cet12D,dans lescatégories12A et 12B, et ainsi diminuer le nombre d’occurrences comptabilisées dans les situations 12C et 12D endépassement.Par ailleurs, lenombred’occurrencesautoriséespour chacunede ces situationspassede100initialementà200enrévisionVD2.

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Cet exemple montre comment, sans faire la moindre modification matérielle, l’exploitant peut poursuivrel’exploitationdesoninstallationavecdeséquipementsutilisésau-delàdecequiétaitinitialementprévu,grâceàdesmodificationsdocumentairesquiconsommentlesmarges90.

Il n’y a pas de suivi global de l’évolution des marges, et encore moins des incertitudes associées à leurestimation.Ellessontdoncconsomméesdediversesfaçons,sansqu’unevisiond’ensemblenesoitdisponible.Cette vision d’ensemble n’est par ailleurs pasnonplus disponible pour un suivi global de la conformité desinstallations.Levieillissementdesinstallationsconduitdoncàunfonctionnementavecplusdenonconformitéd’un côté, et moins de marge dans les études de l’autre, sans qu’il n’existe aucune vision globale de cesévolutionsetdeleursinteractions.

RECOMMANDATIONSLes marges dont dispose un réacteur vis-à-vis des exigences de sûreté, tenant compte d’un degréd’incertitude, formentune composante importantede sonniveaude sûreté.Desphénomènes tels que levieillissement et l’usure, qui ne peuvent être que partiellement compensés par la maintenance et leremplacement, consommentmatériellement cesmarges. Lesévolutionsdes règlesd’étude, demêmequetoutrelèvementdesexigencesnes’accompagnantpasd’unrenforcementvisantàrestaurerlesmarges,lesconsommentintellectuellement.L’étatdesmargesetleurévolutiondoiventfairel’objetd’uneffortconstantdeclarificationetd’explicitation,ycomprispourdéfiniràl’avance,làoùcelaestpertinent,desseuilsau-delàdesquelsleréacteurdoitêtrefermé.

! Les principalesmarges dont bénéficient les réacteurs vis-à-vis des exigences qui leur sont applicablesdevraient être systématiquement identifiées, quantifiées lorsque c’est possible, et leur consommationdanslecadreduréexamenpériodiquedesûretédevraitêtreexplicitée.

! Lesmargesquevisentàprésenterlesréacteurs900MWeaprèsprolongationparrapportauxexigencesdesûretédéfiniesprécédemmentdoiventêtrecomparéesauxmargesqueprésenteunréacteurdetypeEPRnouvellementconstruitvis-à-visdesexigencescomparables.

! Lorsque les marges portant sur des paramètres importants sont consommées par des phénomènesidentifiablesouprévisibles,descritèresd’arrêttemporaireoudéfinitifdoiventêtrefixésparrapportàunseuildéfiniàl’avance.

90. «Nucléaire:cessignesdevieillissementqu’EDFvoudraitfairedisparaître»,Mediapart,12septembre2018.

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5.ConformitéLaconformitédel’étatdesréacteurs900MWe,tellequ’elleestglobalementpostulée dans leur démonstration de sûreté, est une condition essentiellepour garantir l’existence de marges voulues par rapport aux exigences desûreté. Cette question de la conformité prend aujourd’hui une importancecroissante et doit faire l’objet, pour assurer la confiance nécessaire dansl’étatdel’installation,d’uneffortbeaucouppluspoussé.

Lors des réexamens périodiques, la réévaluation de la sûreté s’accompagne d’un volet important devérificationdelaconformité.Cettevérificationestréaliséeparrapportauréférentielapplicableenentréederéexamen, les renforcements liés à l’amélioration de la sûreté venant se superposer à ce contrôle deconformité. Ainsi, en sortie du 4ème réexamen, les réacteurs de 900MWe seront donc théoriquementconformesauréférentieldesûretéenvigueurdepuisleur3èmeréexamenpériodique,maisleurconformitéauréférentieldesûreté«tendantvers»leniveaud’exigenceapplicableauxnouvellesinstallationsn’aurapasfaitl‘objetd’uncontrôlesimilaire:celle-ciestréputéeêtreobtenueparlesprocéduresdequalitéapplicablesàlaréalisationdesrenforcementsprévus.

Àl’interfaceentrelesexigencesetlesmarges,laconformitédesinstallationsjoueunrôleessentielpourleursûreté.Cesujetrevêtdanslecontextedu4èmeréexamenpériodique,enlienavecledépassementdelapériodede fonctionnement envisagée dans le dimensionnement initial comme avec le renforcement élevé desexigences de sûreté, une importance cruciale. Cet enjeu intervient pourtant dans un contexte d’alerte sur«lenombreimportantd’écartsdeconformitédesinstallationsàleurréférentieldesûreté»,commelesoulignel’ASN,quiajouteque«lesexploitantssontconscientsdelanécessitéd’améliorer lamaîtriseduvieillissementdesinstallationsetdesopérationsdemaintenance»91.

/ EnjeuxdeconformitéLes non-conformités peuvent avoir diverses causes: vieillissement des matériels ou des structures,maintenancenonréaliséeoudemauvaisequalité,écartsderéalisationà laconstructionnondécelésdepuis,anomaliesdanslafabricationdecomposants…EDFacommencéàréaliserdes«cartesd’identitédudesigndetranches» qui «fournissent pour chacune des tranches un état de sa conformité vis-à-vis du design deréférence»92. Ces cartes devaient être finalisées fin 2018. Ces synthèses de l’état des connaissances d’EDF,tranche par tranche, des non conformités de ses installations, devraient être rendues publiques. Cesinformations ne concernent néanmoins que les non conformités déjà identifiées par l’exploitant.Malgré lesvérificationsdeconformitéréaliséesetprévues,desdoutespeuventsubsistersurl’étatréeldesinstallations.

D’une manière générale, compte tenu de la multiplication des systèmes, structures et composants(SSC),dispositions organisationnelles et équipements divers à surveiller d’une part, et des aléas et agressions àprendreencompted’autrepart, l’exploitantestconduitàprocéderplutôtparunedémarchedevérificationparsondageetderemplacementréactifencasdenonconformité.Cettepratiquepeutgénérerdessituationsproblématiques de non conformités non décelées, alors que les dégradations devraient au contraire êtresuffisammentanticipéespourquedesréparationsoudesremplacementssoientréalisésavantl’atteinted’unétatnonconforme.Dansdesinstallationsvieillissantes,onassisteàladégradationprogressived’équipementsprésentsengrandnombre.Lerisqueestquelavitessededégradationdeceséquipementssoitsupérieureàlacapacité industriellede l’exploitant à lesdétecter et à les traiter avantque lesmarges soient intégralementconsomméesetquel’équipemententredanslanonconformité.

Ladétectionet le traitementdesnon conformités, et leniveaude confianceatteignabledans l’étatplusoumoins conforme des réacteurs 900MWe au référentiel considéré, reposent sur l’intensité et la qualité despratiquesdesurveillance,demaintenanceetdecontrôle.Maisl’efficacitédecespratiquesdépendégalementdelasourcepotentielledesnonconformités.Lesévénementsrécentsmontrentquecelle-ci,outrel’usureliéeau fonctionnement et au vieillissement et les défauts éventuels de réalisation d’actions d’entretien ou derenforcement,peutaussitrouversescausesdansdesfacteursremontantàlaconceptionetàlaconstruction,voiredésormaisdansdespratiquesdenaturefrauduleuse.Cetteextensionduchampdescausesàconsidérerrend encore plus complexe et difficile l’exercice, déjà particulièrement lourd dans le cadre du 4èmeRPS, del’examendeconformité.

91. ASN,L’ASNformuletroisattentesàl’occasiondesesvœuxàlapresse,noted‘informationetvidéo,29Janvier2019.92. EDF,Rapportdel’InspecteurgénéralpourlasûretéNucléaireetlaradioprotection2017,24janvier2018.

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/ DéfautsdefabricationParmi ces facteurs nouveaux, l’apparition ces dernières années de phénomènes relatifs au non respect desprocédures prévues en matière d’assurance et de suivi de la qualité, assimilables dans certains cas à descomportementsfrauduleux,constitueleplusinédit.

Cephénomènes‘incarnedanslesinterrogationssoulevéessurlaqualitédescomposantsfabriquésparl’usineCreusot-Forge. De nombreux équipements n’ont pas été fabriqués tels qu’il était prévu, et les documentsdevantattesterde laqualitéde fabricationontsubidesmodificationspourcacher lesécartsde fabrication:une listedesanomaliesaétépubliéepour cesdossiersdits«barrés» (composant, trancheconcernée, typed’écart)93.Parlasuite,unerevueplusglobaledel’ensembledesdossiersaétéengagée,sansquedevéritablesgaranties soient toutefois apportées sur les conditions de conduite de cette revue et d’évaluation desesrésultats94.

La figure10 illustre l’ampleur totalement inéditedecedossier.Pour l’ensembledes réacteurs900MWe, lesdossiers de fabrication de 827pièces ont été examinés. Au total, cet examen a donné lieu à 3370 constatsrelatifsàdesélémentsmanquantsou inexacts sansécart toutefoisavec lesexigences(soitunemoyennede4,07parpièce),409fichesdenonconformité(FNC)relativesàdesécartsauxexigencesdufabricant(0,49parpièceenmoyenne),etsurtout1591fichesd’anomalie(FA)relativesàdesécartsauxexigencescontractuellesdufabricantouàlaréglementation(1,92parpièceenmoyenne)95.

Figure 10 Écartsdanslafabricationdecomposantsdes900MWe*ÉcartsconstatésdanslesdossiersdefabricationàCreusot-Forgedecomposantsenservicedanslesréacteurs

* Les constats dressés lors de l’examen des dossiers de fabrication concernent selon EDF«toute absence de document, toute copieinexacte, toute valeur manquante ou non respect des exigences». Sont classés sans écart les constats ne conduisant à mettre enévidence d’écart aux consignes internes, à la commande, au code de construction ou à la réglementation. Une fiche de nonconformité(FNC)interneestétablielorsqueleconstatmetenévidenceunécartsurunesimpleexigenceinterneaufabricant.Enfin,unefiche d’anomalie(FA) est établie lorsque le constat met en évidence un écart de conformité aux exigences contractuellesouréglementaires.

Source:WISE-Parisd’aprèsEDF,2018

93. ASN,ListedesirrégularitésdétectéesauseindeCreusotForge,22septembre2016.94. VoiràcesujetWISE-Paris,Courrierdedemandeàl’ASNrelatifauxirrégularitésdanslafabricationdecomposantsnucléairesfabriqués

auCreusot,21septembre2017.95. EDF,Dossiersdefabrication,pageinternet,nondatée.Cettepagerecenselesdonnéesrelativesauxconstatsetauxécartsrelevésau

coursdelarevuedesdossiersdefabricationdespiècesforgéesparl’usineduCreusotactuellementenservicedansles58réacteursenexploitationduparc.

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Fiches d’anomalie Fiches de non conformité Constats sans écart Nombre moyen d’écarts par pièce

© WISE-Paris

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CP0 CP1 CP2

153pièces(17à34parréacteur)

446écarts2,92écarts/pièce

459pièces(15à40parréacteur)

1023écarts2,23écarts/pièce

215pièces(15à38parréacteur)

531écarts2,47écarts/pièce

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EDFaccompagnelesinformationsbrutessurlenombredeconstats,FNCetFAparréacteurdecommentairestrès généraux, affirmantnotamment sansplusdeprécisionque«àce stadede l’audit, les écarts relevés neremettentpasencausel’intégritédespiècesconcernées».Aucuneinformationplusdétailléen’estfournie,niparEDFniparl’ASN,surl’importancedecesécartsdupointdevuedelaqualitéetdespropriétésmécaniquesdes composants concernés, et des marges dont ils disposent encore ou non vis-à-vis de cette intégrité.Pourtant,certainesdeces«anomalies»semblentreleverd’unenonconformitéauréférentieldefabrication,voireauxexigencesréglementaires.

L’ASNajusqu’icilaisséEDFpoursuivrel’exploitationdesréacteurs,estimantdoncquelesanomaliesdétectéesneposaientpasdeproblèmedesûreténécessitantleurarrêt.Celanesignifiepasquecesanomaliessontsansimpact sur les marges, et sur les conclusions des études de sûreté. Cet aspect doit être pris en compte,ycomprisdanssonpotentielcaractèrecumulatif,auvudesnombreuxconstatsetcomposantsconcernésdanschacun des réacteurs. Cette évaluation devrait être menée et communiquée au public dans le cadre du4èmeréexamenpériodique.

/ TenueauxagressionsUn sujet majeur, et récurrent de non conformité concerne le dimensionnement ou l’état de différentsdispositifsvis-à-visdeleurtenueauxaléasinternesouauxagressions,souventvis-à-visdurisqued’inondationetplusencoredeséisme.Ceconstatpeutallerjusqu’àceluidel’absencedudispositifenquestion:celaavaitété le cas lors d’un événement particulièrement alarmant révélé en 2012 à Cattenom, où les dispositifs decasse-siphon indispensablesà lapréventionde la vidange totaledespiscinesencasde rupturedecertainestuyauteriesducircuitderefroidissementmanquaientdepuisl’originesurdeuxdesréacteurs96.

Cesdernières années, une alerte importante est venuede lamultiplicationdesnon conformités génériquesrelativesàlatenueauséisme,dontlesprincipalessontrésuméesparlafigure9.Cesanomalies,dontcertainescauses étaient très anciennes, touchent à la disponibilité de systèmes essentiels pour la sauvegarde del’installationetlagestiondesaccidentsgraves–lesdieselsdesecours,censéspalieràlaperted’alimentationélectriqueparleréseauetlesautresmoyenslocaux,etlesstationsdepompagenécessairesàl’alimentationeneaudessystèmesderefroidissementduréacteuretdelapiscinededésactivationducombustible.L’unet/oul’autredeceséquipementsauraientpu,encasdeséismeduniveauduséismemajorédesécuritéenvisagésurchaquesite,voireduséismehistoriquementvraisemblable(SMHV)retenupour ledimensionnement,etsansquel’onsachedepuiscombiendetemps,s’avérerinopérants.

En 2017, des non conformités de tenue au séisme ont été découvertes sur des diesels de secours, ayantplusieursorigines;cesconstatsontétéétenduspar lasuiteàunnombrecroissantderéacteurs97.Certainesnon conformités étaient présentes depuis le début de l’exploitation des tranches. D’une part, ledimensionnementétaitparendroitinsuffisant,c’est-à-direquelaconceptionmêmedesstructuresn’étaitpasbonne. D’autre part, la réalisation n’était pas conforme aux plans. À cela, s’ajoutait une maintenanceinsuffisanteayantpermisundegréavancédecorrosiondesstructuresmétalliques.Alorsqueles installationsconcernéesavaientdéjàétésoumisesàdesprocessusderéexamenpériodique,etqu’ellesavaientfaitl’objetd’évaluationscomplémentairesdesûretéaprèsl’accidentdeFukushima,cesnonconformitésn’avaientpasétédécelées.Lesdieselsdesecours,etleurtenueauséisme,figuraientpourtantenbonneplacedanslepérimètredessujetsprioritairesàexaminerdanscecontexte.

96. ASN,L’ASNclasseauniveau2del’échelleINESunenonconformitéd’unetuyauteriedespiscinesdesréacteurs2et3delacentralede

Cattenom,communiquédepresse,6février2012.97. Ceproblèmen’aétéidentifiéqu’enplusieursétapes,donnantlieuàautantd’informationssuccessives:

- ASN,Incidentdeniveau2concernantlesgroupesélectrogènesdesecoursàmoteurdieseldescentralesnucléairesdeBelleville,Cattenom,Flamanville,Golfech,Nogent,Paluel,PenlyetSaint-Alban,noted’information,20juin2017;

- ASN,Incidentdeniveau2relatifauxgroupesélectrogènesdesecoursàmoteurdiesel:lescentralesnucléairesduBugeyetdeFessenheimconcernées,noted’information,30octobre2017;

- ASN,Ancragesdessystèmesauxiliairesdesgroupesélectrogènesdesecoursàmoteurdiesel,noted’information,19janvier2019;- ASN,Défautderésistanceauséismed’ancragesdessystèmesauxiliairesdesgroupesélectrogènesdesecoursàmoteurdieseldesréacteursd’EDF,noted’information,15mars2019.

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Unautreincidentgénériqueaétédéclarépeuaprès,concernantcettefoisdestuyauteries98:«ensituationdeséisme entraînant la rupture des tuyauteries affectées, le noyage des moteurs des pompes du circuit SECpourraitconduireàlapertetotaledel’alimentationeneauderefroidissementpour20réacteursetàsapertepartielle pour 9 réacteurs»99. Les tuyauteries étaient dans un état de corrosion avancée. Là aussi, ni lesprogrammes de maintenance, ni les réexamens périodiques n’ont permis de détecter en temps voulu ladégradationdeséquipementsetderéaliserlesréparationsouremplacementavantdeperdrelaqualificationauséismedecestuyauteries.

Figure 9 Nonconformitésgénériquesrelativesàlatenueauséisme*Principalesnonconformitésdenaturegénériqueidentifiéessurleparcd’EDFdejuin2017àmars2019

* Les anomalies génériques retenues sont celles qui ont donné lieu à un classement, pour une partie au moins des réacteurs, à unclassementauniveau2del’échelleINESdegravitédesincidentsetaccidentsnucléaires,quiencompte7.Cesanomaliesportentsurunenonconformitédelatenued’ancragesaffectantladisponibilitédesgroupesdieselsdesecours,surunenonconformitédetuyauteriesaffectantladisponibilitédespompesdescircuitsderefroidissement,ainsiqu’undéfautdetenuedeladiguedeprotectionconcernantspécifiquementlesitedeTricastin.

Source:WISE-Parisd’aprèsEDFetASN,2017-2019

98. ASN,L’ASNclasseauniveau2del’échelleINESunévénementconduisantàunrisquedepertedelasourcefroidede29réacteurs

nucléairesexploitésparEDF,noted’information,16octobre2017.99. IRSN,Non-conformitésrelativesàlatenueauséismedetuyauteriessituéesdanslastationdepompagede29réacteursduparcen

exploitation,noted’information,13octobre2017.

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UnproblèmespécifiqueàlacentraledeTricastin,maisgénériqueàsesquatreréacteurs,estvenucomplétercetableauen2017100.Aprèsdesannéesd’instructiontechnique,etdedivergenceavecEDF,l’ASNaconcluqueladigue construite pour protéger la centrale contre le risque d’inondation par le canal voisin de Donzère-Mondragonneprésentaitpas,surunepartiedesalongueur, leniveauderésistancerequiscontreleséisme.Concluantaurisqued’unepertetotaled’alimentationélectrique,derefroidissement,etdoncdemaintienenl’état sûr des réacteurs, l’ASN a ordonné demanière exceptionnelle l’arrêt provisoire des quatre réacteursjusqu’àlafindestravauxderenforcementdeladique,quiontprisquelquesmois.

/ StresstestdeconformitéCesconstats inquiètent l’ASN,quinoteque«lesévénementsrécents intervenussurvosréacteursconfirmentque les vérifications faites lors des précédents réexamens n’étaient pas suffisantes pour identifier certainsécarts»101.Ilestdèslorslégitimedesedemanderenquoilesvérificationsdeconformitéslorsdesquatrièmesvisitesdécennalesserontplusefficacespourgarantirl’absencedenonconformité,làoùlesprocéduresmisesenplace lorsdesprécédentesvisitesdécennalesoud’autresprocessusd’instructionontmontrédes lacunespréoccupantes.

Unedesexplicationsàcetéchecvientdeceque lesvérificationsnesontpasexhaustives,maisréaliséesparsondage,etcontrôléeségalementparsondageparl’ASN.L’absencedenonconformiténepeutdoncpasêtregarantie,puisqu’unepartieplusoumoinsimportantedessystèmes,structuresetcomposants(SSC)n’estpasvérifiée.Or,lesdémonstrationsdesûretéreposenttoutessurl’hypothèsedeSSCglobalementconformes,endehorsdesdéfaillancesponctuellespostuléespourétudierdifférentessituations.Pourgarantir le respectdecette hypothèse de base des démonstrations de sûreté, il faudrait réaliser une vérification beaucoup plusexhaustivedesSSC.

LePrésidentdel’ASNalorsenexerciceaexpliquéfin2018qu’unetelledémarcheseheurteraitrapidementàun problème de ressources: «nous sommes pugnaces, mais nous ne pouvons pas tout contrôler. Nousprocédons par sondage et dans la durée. Lors d’une visite décennale d’un réacteur, par exemple, nous neposonsquequelquesquestionsàl’opérateur,maisnousallonsjusqu’auboutdesaréponse.Sinousdevionstoutcontrôlerparnous-mêmes,ilfaudraitsensiblementaugmenterlesimpôtsdesFrançais»102.

Ces vérificationspar sondage sont d’autant plus insuffisantesqu’elles ne conduisent pas à uneétenduedesvérificationssystématiqueslorsquedesnonconformitéssontdétectées.Parexemple,s’ilestdécidédevérifierlaconformitédesancragesdansun local,etque l’examenmontredesnon-conformités, lesnon-conformitésdéceléesseronttraitées,maiscettedécouverteneconduirapasnécessairementl’exploitantàconclurequedesdéfauts d’ancrage existent dans ses installations et qu’il faut les vérifier demanière exhaustive. La logiqued’unevérificationparsondagevoudraitpourtantquelorsquelavérificationnemontrepasdenonconformité,on puisse se dispenser de vérifications approfondies, mais que lorsque en ne vérifiant qu’une partie deséquipements,desanomaliessonttrouvées,lecontrôlesoitétenduàtousleséquipementssimilaires.

Uneautreexplicationtientàl’accessibilitédesdéfauts.Certainesnon-conformités,datantdelaconstruction,ne sont plus visibles une fois la construction achevée. Il n’est dès lors plus possible de les détecter par unsimplecontrôlevisuel,voirepartoutmoyendecontrôlenondestructif.Ellespeuventalorsêtredétectéesparhasard,parexemplelorsdetravauxnécessitantladestructiondevoilesdebéton.C’étaitlecasdesdieselsdesecours:c’estlorsdetravauxintrusifsnécessitantdecasserdeschapesdebétonqu’ilaétépossibledevoircequ’ilyavaitsouslebétonetquecertainesnon-conformitésontpuêtredécouvertes.

Desnon-conformitéspeuventégalementêtredécouvertes involontairementencasdedégradations.C’est lecas de la centrale de Tihange en Belgique, où la dégradation du béton de locaux situés dans le bâtimentauxiliairealaisséapparaîtredesnon-conformitésdansleferraillage.Ledirecteurgénéraldel’Autoritéfédéraledecontrôledunucléaire(AFCN)afournicetteexplication:«lesproblèmesauxarmaturesdeTihange,quisontlàdepuisl’origine,nepouvaientpasêtredétectéssansinterventionsdestructrices.Quandvotremaisonsembleenbonétat,vousn’allezpaspercerlesplafondspourvoirsitoutvabien»103.

Pourtant,cetexemplemontrejustementqu’uneinstallationpeutsemblerêtreenbonétattoutenprésentantdesnonconformitésimportantesmaisnondécelables.Ilsembleainsiimpossible,mêmesiongénéralisaitles

100.ASN,Tenueinsuffisanteauséismed’unepartiedeladigueducanaldeDonzère-Mondragon:l’ASNimposelamiseàl’arrêtprovisoire

delacentralenucléaireduTricastin,noted’information,28septembre2017.101.ASN,28septembre2018,op.cit.102.«Pierre-FranckChevetdéposesonbilan»,Journaldel’environnement,16octobre2018.103.«Interview–“Encasdenouvelleprolongation,laquestiondel'absencedebunkersseposerait”»,L’Écho,11octobre2018.

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contrôlesactuellementeffectuésparvoiedesondage,defournirunebonneassurancedeconformité: ilfauteneffettenircomptedufaitquecertainesstructuresetcertainsdispositifsnepuissentêtrevérifiés,enraisonnotammentde leur inaccessibilité.Dès lorsqueleretourd’expériencemontrequedesnonconformitéssontsusceptibles d’affecter ces éléments non inspectables, et que les moyens de contrôle documentaires nepermettentpasd’écartersystématiquementcettehypothèsedenonconformité,celle-cidoitêtreenvisagée.

Fautedegarantiessur l’absencedetellesnonconformités, ilestnécessairederéaliserdesétudesdesûretétenantcomptedel’étatréeldesinstallations,enpostulantlàoùellessontpossiblesetnonvérifiablesdesnonconformités. Ces études pourraient s’inspirer de la logique de «stress tests» développée dans le cadredesÉvaluations complémentaires de sûreté (ECS). La logique retenue alors était de vérifier que lesinstallations(supposéesconformes,ceparamètreétantfigépourlesbesoinsdecetteévaluation)résistaientàunniveaud’agressiondedimensionnement,puisderegardercommentellesréagissaientàdesagressionsplusélevées,afind’identifierd’éventuelseffets falaisepourdesagressions légèrementsupérieuresàcellesprisesencomptejusqu’alors.

Ils’agiraiticidefairevarierleparamètre«conformité»pourunniveaufixéd’agression.Cesétudespourraientêtre réalisées pour évaluer l’impact de potentielles non conformités lorsque la conformité ne peut êtrevérifiée,ounel’estpasintégralement.Ainsi,larésistancedesinstallationsàunniveaufixédeséismepourraitêtreétudiéeenregardantcequ’ilsepasses’ilmanqueuncertainpourcentagedeferraillagedanslegéniecivil,ousiceferraillageprésenteuncertainniveaudecorrosion…Cesétudespourraientégalementêtreréaliséespour évaluer l’impact des non-conformités à la fabrication d’équipements forgés, notamment lesconséquences des anomalies du Creusot, par exemple sur les études justifiant les nombres d’occurrencesautoriséesdans lesdossiersdes situations.Ces«ECS inversées»permettraientd’identifierdeseffets falaiseliésàdesnonconformités.

Enfin,entermedetransparence,ilfaudraitqu’àl’issuedesvisitedécennales,lepublicpuisseavoirunevisionclaire de ce qui a été contrôlé intégralement, de ce qui a été contrôlé par sondage (et du taux de contrôlecorrespondant) et de cequi n’a pas été contrôlé. Il serait extrêmementdommageablepour la confiancedupublicdanslecontrôledesinstallationsquelacommunicationdesexploitantsoudel’ASNlaissepenserquelesinstallationsontétécontrôléesetsontconformes,etquedesnonconformitésimportantessoientdécouvertesaprès les VD4. Les études de sûreté des exploitants devraient être systématiquement accompagnées d’uneannexe listant l’ensembledesSSC importantsdont la conformitéestunehypothèsede l’étude,enprécisantpourchacun lesdatesdederniercontrôleainsique lecontenudétailléducontrôle réalisé. Laconclusiondel’étude devrait s’appuyer sur ces informations pour indiquer le degré de confiance dans d’applicabilité desrésultatsdel’étudeàchaqueréacteurconcerné.

RECOMMANDATIONSLe retour d’expérience récent alerte à la fois sur une difficulté croissante de l’exploitant à maintenir auniveau nécessaire les garanties de conformité indispensables à la concrétisation du niveau de sûretéthéoriquementassuréparladémonstrationdesûreté,etsurl’étenduecroissantedescausespotentiellesetduchampdesnonconformitésrencontréesnotammentsurlesréacteursde900MWe.Lesquestionnementsrelatifsà laqualitédesréalisationsdansuncontextedepertedequalitéetdefraude,à l’accumulationdenon conformités relativesà la tenueauxagressionsd’éléménts importants, et à l’existencepotentielledenon conformités sur des éléments non inspectables se cumulent pour interroger fortement le degré deconformitédesinstallations,etsusciterlerenforcementdesprocéduresd’examenprévuesdanscedomaine.

! L’étendueetlavariétédescausesdenonconformitéappellentàlamiseenplacedeprocessusouvertsettraçablesdesuividel’ensembledesactionsengagéesenmatièred’examendeconformité.

! Au vu des lacunes montrées par la démarche d’examen par sondage, une vérification exhaustive etcontrôléedetouslesélémentsimportantspourlasûretéaccessiblesàuneinspectionphysiquedoitêtreenvisagéedanslecadredu4èmeréexamen.

! Le risque de non conformité doit faire l’objet d’une couverture plus complète dans les études, enexaminantlesconséquencesducumuldesnonconformitésconstatéesd’unepart,etendéveloppantuneméthode de «stress tests» vis-à-vis du risque de non conformité sur les éléments importants nonaccessiblesàunevérificationphysiqued’autrepart.

! Des critèresd’arrêt temporaireoudéfinitifdoiventêtredéfinisparavanceenvuedegérer lamiseenévidencedenonconformitésimportantes,demanièreproportionnéeàleursconséquences.

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6.Délais Lamiseenœuvredesexamensdeconformité,desétudeset travauxprévusdanslecadre du 4ème réexamen périodique des réacteurs de 900MWe représente unechargesanséquivalentparrapportauxprécédentsréexamens,quiouvre lerisquederetardsimportantdanslaréalisationdecertainesopérations.Lesdélaisdemiseenœuvredesrenforcementsetd’atteintedesobjectifsdesûretévisés fontpartiedesexigencesassociéesauréexamen,doiventfairel’objetd’unevigilanceaccrue.

L’augmentation des exigences de sûreté associée au 4ème réexamen périodique de sûreté des réacteursde900MWe se traduit par la réalisation d’un certain nombre d’études et demodificationsmatérielles desinstallations visant à en renforcer la sûreté. La question se pose dès lors de la qualité d’exécution de cesrenforcements,etdudélaidanslequelcesmodificationspourrontêtreréalisées,enregarddel’avancementenâgedesréacteursd’unepart,etdesengagementssurl’améliorationdeleursûretéd’autrepart.

Le retourd’expérience incite àbeaucoupdeprudence, voired’inquiétude sur les capacitésd’EDFà tenir lesdélaisavancéspourréaliserlesmodificationsrequisesavecleniveaudeconfiancenécessairedanslaqualitédecesréalisations.Cettecapacitédel’exploitant,etdel’ensembledelafilièreindustrielle,à«fournir»constitueaujourd’huiunpointdepréoccupationmajeur,dontl’ASNafaitdelarestaurationl’unedesestroisprioritéspour la sûreté. Soulignant «les difficultés rencontrées dans la construction de nouvelles installations,notamment lors d’opérations industrielles classiques comme les soudures, les travaux électromécaniques ouencorelescontrôlesnondestructifs»,elleexprimeeneffetaujourd’hui«undoutesurlescapacitésdelafilièreàréaliserlesgrostravauxliésàlapoursuitedefonctionnementduparc,audémantèlementouàlaconstructiondenouveauxréacteurs»104,quiestd’autantplus légitimesi l’industriedoitmenerplusieursdeceschantiersdefront.

/ GlissementdansletempsL’enjeu des délais de réalisation est d’autant plus important que les actions relatives à l’éventuelleprolongationdefonctionnementdesréacteurs,censées intervenirà«l’échéancedes40ans»,seprésententenréalitédéjàavecquelquesannéesderetardsurcecalendrier.

Il est en effet important, pour analyser la chronique de fermeture du parc en regard du vieillissement, dedistinguer l’âgetechniqueet l’âgeréglementairedesréacteurs: lepremierdésigneleurnombred’annéesdefonctionnement(quipeutparexempleêtremesuréparrapportàleurpremièredivergence,ouàleurcouplageauréseauélectrique), lesecondseréfèreauxcalendrierde leursuiviréglementaire.La figure11représente,pourchacundes58réacteursactuellementenserviceduparcnucléairefrançais,leséchéancescorrespondantrespectivementàl’atteintedeses40annéesdefonctionnementrévolues(cequiestenfaitdéjàlecaspourlesplus vieux d’entre eux), et à l’échéance fixée pour la fin de son éventuel 4èmeréexamen périodique desûreté(RPS),comprisecommeladatemaximaleàlaquelleEDFdevraremettreàl’ASN,àl’issuedela4èmevisitedécennale,sonrapportderéexamenpourchaqueréacteur.

Lepremierconstatquis’imposeestceluid’unécartimportantenmoyenneettrèsvariableselonlesréacteursentrecesdeuxéchéances.D’unepart,lerythmed’exécutiondesréexamenspériodiquesdesûretéestcalésurdesétapestechniques,lesvisitesdécennales(VD),dontlepointdedépartdépendpourchaqueréacteurdelamanièredonts’estdéroulée,danslespremiersmoisvoirepremièresannées,samiseenservice.D’autrepart,l’échéance du réexamen est elle-même naturellement décalée par rapport à la visite décennale. Enfin, si lerythmedécennaladèsl’origineduparcétérèglementairementimposépourlesvisitesdécennales,ilnel’aétéqu’àpartirdelaloiditeTSNde2006105pourlesréexamenspériodiquesdesûreté.

Ainsi, alors que les58 réacteurs français fonctionnent en moyenne depuis 33,9années, l’échéance de4èmeréexamendes réacteursn’interviendraenmoyennepoureux, s’ils l’atteignent,quedans9,3années.Enfait,cetteéchéanceconcerneralesréacteursaprèsuneduréedefonctionnementtrèsvariable,quipeutallerde40annéesàpeine jusqu’àplusde48annéesets’établitenmoyenneà43,8ansde fonctionnement.Pourl’ensembledesréacteurs900MWe,ledécalages’étendd’unequasi-coïncidencepourTricastin1à5,8annéespourCruas2,ets’établità3ansenmoyenne.

104.ASN,L’ASNformuletroisattentesàl’occasiondesesvœuxàlapresse,noted‘informationetvidéo,29Janvier2019.105.Loin°2006-686du13juin2006.Avantquecelle-cin’introduiseleprinciped’uneéchéancemaximalededixansentredeuxréexamens

périodiquesdesûreté,cetteduréeétaitvariableetsouventglissante,entraînantdesdécalagesdanslesdélaisappliquésauxdifférentsréacteurs.

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Figure 11 Âgetechniqueetréglementaireduparcnucléaire*Dated’échéanceparréacteurdel’atteintede40ansdefonctionnementetdu4èmeréexamenpériodique

* Duréedefonctionnementmesuréeàpartirdelapremièredivergenceduréacteur.

Source:WISE-Parisd’aprèsAIEAetASN,2018

/ Retardsd’exécutionAudécalagevis-à-visdel’âgetechniquequ’aprogressivementintroduitleprocessusderéexamenpériodiques’ajouteuneinterrogationsurlesdélaisdanslesquelleslesrenforcementsattenduspouratteindrelesobjectifsd’amélioration significative de la sûreté seront réalisés. De nombreux facteurs s’avèrent, au vu du retourd’expériencedesdernièresannées,susceptiblesd’introduired’importantsretardsdanscedomaine.

Lapremièrecausepossibleesttechnique,dans lesensd’aléasdechantiersusceptiblesdevenircontrarier lamiseenœuvredesréalisations.L’exempleleplusemblématiqueestsansdoutefourniparleretardintroduitparlachuted’ungénérateurdevapeurdestinéàêtreremplacélorsdela3èmevisitedécennaledePaluel2106.Réputé impossible compte tenu du niveau de fiabilité supposé du pont utilisé pour ce levage, l’incident aconduit àétendredeplusdedeuxans l’arrêtdu réacteur. Il a surtout,du faitdu caractèrepotentiellementgénériquedesacause,etsachantquePaluel2étaitlepremieràsubirceremplacementprévudanslecadredela VD3 par anticipation d’une éventuelle future prolongation au-delà de la VD4, conduit à reporter leschangementsdegénérateursdevapeurprévusdansd’autresréacteursdupalier1300MWe.

AlorsmêmequelesVD4n’ontpasencorecommencé,EDFsembledéjàavoirdumalàtenirsesengagementsou à respecter les prescriptions de l’ASN. À Tricastin, EDF s’était engagée après Fukushima à fournir descompléments de justification de la tenue au séisme de la digue. Ces compléments n’ont pas été fournis auniveaudemandéetdanslestemps,etlasituationatraînépendantdesannéesavantquelescomplémentsnesoientfinalementtransmis.C’estsurlabasedecescomplémentsquel’ASNàprisladécisiondefairearrêteràeffetimmédiatlesréacteurs,letempsdeconsoliderladiguequis’avéraitfinalementpasassezrobuste107.

Leproblèmeicivientdel’incapacitédel’ASNàfairerespecterlesengagementsdesexploitantslorsqueceux-cinelestiennentpas.Cesengagementsprisparl’exploitantdanslecadredel’instructiontechniquedesdossiers,quiconstituentgénéralementunvolumed’étudesetdetravauxàentreprendrebeaucoupplusimportantquecelui couvert par des prescriptions explicites de l’ASN, ont une valeur réglementaire et d’opposabilitébeaucoupplus faible–sanscompterquecesengagements,échangésentre l’exploitantet l’autorité,nesontpasportésàlaconnaissancedupublic.

106.ASN,Chuted’ungénérateurdevapeurdanslebâtimentduréacteur2delacentraledePaluel(76):l’ASNadiligentéuneinspection

immédiate,noted’information,1eravril2016.107.ASN,28septembre2017,op.cit.

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40 ans de fonctionnement 900 MWe 40 ans de fonctionnement 1300 MWe 40 ans de fonctionnement 1450 MWe

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Ilsembleimportant,pouréviterouréduirelerisquedetellesdérivesdanslecadredelaprocédurede4èmeréexamen des réacteurs 900MWe, que les engagements d’EDF soient publiquement tracés et que les plusimportants,sicen’estlatotalité,soientretranscrissousformedeprescriptionsdel’autorité,demanièreàcequ’EDFsoittenuréglementairementderéaliserlestravauxdemandésdanslesdélaisprévus.

Unautreexemple,plusrécent,plusétenduetplusemblématique,montretoutefoisladifficultéd’EDFàtenirlesdélaisetdel’ASNàimposer lerespectdecesdélais,mêmequanduneprescriptionréglementaireforteaété prise. Il s’agit de la mise en place sur l’ensemble du parc en service des groupes diesels d’ultimesecours(DUS)prévusdanslecadredurenforcementpost-Fukushima,etreprésentantunedesdispositionslesplusimportantesdeladémarchede«noyaudur».

Alorsque l’ASNavaitprescritpourtous lesréacteurs lamiseenplacedeDUSavant le31décembre2018, ils’avère qu’aucun DUS ne sera opérationnel à cette date. L’ASN, alorsmême que les investigationsmenéescontinuaientderévélerdesdéfautsdetenueauséismedesgroupesdieselsquiconstituentactuellementdemoyendesecourspourl’alimentationélectrique,avalidélademandedereportducalendrierd’implantationproposéeparEDF,sansenvisagerlamoindresanction108.

L’ASN accepte dans sa décision l’explication d’EDF concernant «de[s] difficultés rencontrées dans lesopérationsdeconstructionetdemiseenservicedecesmoyensd’alimentationélectriquesupplémentaires;queces difficultés sont avérées et que certaines d’entre elles subsistent encore; que ces difficultés résultentnotammentdel’ampleur,delacomplexitédesopérationsetdesparticularitésdecertainssites».Pourtant,lestravauxencourssurleparcrestentaprioridemoindreampleurquelestravauxquedevraréaliserEDFpourpermettrel’exploitationdesesréacteursaudelàdu4èmeréexamen.

Figure 12 Chargeindustrielleassociéeauxréexamenspériodiquesdesûreté*Calendriermensuelindicatifdesréexamenspériodiquesprévusparpalierde2019àfin2033

* La charge correspondant à chaque réexamen périodique de sûreté de réacteur est représentée par une durée forfaitaireavantl’échéanceduréexamenpériodiquedesûreté.Cetteduréeestforfaitairementsupposéeicide6moisparréacteurpourles2èmeet3èmeréexamens, et de12mois par réacteur pour le 4ème réexamen. Conformément à la projection envisagée en application de laProgrammation pluriannuelle de l’énergie, tous les réacteurs à l’exception des deux unités de Fessenheim sont supposés soumisàleur4èmeréexamen.

Source:WISE-Parisd’aprèsASN,2018

108.ASN,Décisionn°2019-DC-0662del’AutoritédeSûretéNucléairedu19février2019modifiantlesdécisionsn°2012-DC-0274

àn°2012-DC-0283,n°2012-DC-0285àn°2012-DC-0290etn°2012-DC-0292du26juin2012fixantàÉlectricitédeFrance–SociétéAnonyme(EDF-SA)desprescriptionscomplémentairesapplicablesauxsitesélectronucléairesdeBelleville-sur-Loire,Blayais,Bugey,Cattenom,Chinon,ChoozB,Civaux,Cruas-Meysse,Dampierre-en-Burly,Flamanville,Golfech,Gravelines,Nogent-sur-Seine,Paluel,Penly,Saint-AlbanetTricastinauvudesconclusionsdesévaluationscomplémentairesdesûreté(ECS).

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Nb. de réacteurs

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La pression qui s’exerce sur la réalisation dans les meilleurs délais– et dans tous les cas dans les délaisprescrits–desétudes,vérificationsetrenforcementsprévusdanslecadredu4èmeRPSestd’autantplusforteque ces travaux doivent s’effectuer dans un planning très contraint par la pyramide des âges du parc.Lafigure12, qui projette le volume d’arrêt des réacteurs pour les opérations de réexamen périodique enfonctiondeséchéancesdecesRPSpourlesdifférentspaliersetd’uneduréemoyenneforfaitairepourchacun,illustretroisphénomènes.

Tout d’abord, le volume des travaux associés au 4ème RPS des 900MWe est dominant dans le programmeàvenir.EDFaainsiindiqué,lorsd’uneréuniondedialoguetechniqueen2018,qu’entermesdevolumétriedestravaux, son estimation était d’un «facteur4 entre le volume des travaux VD4 et le volume destravauxVD3» 109. Ensuite, le planning des 4èmes réexamens de sûreté des réacteurs 900MWe est pourl’essentiel resserré sur une période très courte, de 2021 à2026: le décalage différencié de réalisation desréexamensaufildutempsaeupourconséquence,aulieud’étalerceséchéancesparrapportàlapyramidedesâgesdesréacteursdupointdevuede leurduréedefonctionnement,deconcentrerdavantageencorecetteréalisation.Enfin,leplanningdesréexamensconsacrésauxréacteurs900MWeestalourdiparceluides2èmesou3èmes réexamensprévuspour lesautrespaliers,voirepour lesplus récentsdes900MWeeux-mêmes; cesurcroîtdechargeestd’autantpluspréoccupantqu’ilvapourl’essentielsemanifesteraudébutdu4èmeRPS.

Danscecontexte,desinquiétudessurgissentdéjàsurlescapacitésd’EDFàfairefaceàl’ampleurdelatâche.Avantmêmequelestravauxnedébutent,EDFadéjàrencontréduretarddanslatransmissiondesesétudesàl’ASN,cequiacontribuéàcequecettedernièrerepousseladatedepublicationdesonavisgénérique.Auvudesdifficultéspasséesetprésentesd’EDFàrespecterlesdélais,afind’éviterunedériveducalendrierdemiseenœuvre des travaux associés aux quatrièmes réexamens de sûreté, il est nécessaire d’une part de rendrepublic un calendrier présentant les échéances des travaux attendus et d’autre part de publier, au fur et àmesureque les échéances sont atteintes, l’état demiseenœuvredes travaux. L’incapacitéde l’ASNà fairerespecter les échéances par le passé interroge sur sa capacité à s’assurer de la capacité suffisante desexploitantsàfairelestravauxdemandés.

/ StratégiedifféréeAu vu de ces premières dérives, la question se pose vraiment de la manière dont le processus évolue parrapportàlacapacitéounond’EDFàréalisercertainstravauxsurunepartieduparcdansdesdélaisattendus.Lesmodifications de prescriptions pour repousser des délais qu’EDF s’avère incapable de tenir ne sauraientêtreunesolutiongénéralisablepourpalierlemanquedecapacitéindustrielledel’exploitant.

Danslecadredel’instructionencours,EDFaannoncésonintentionderéaliserlestravauxentroisphases.Lapremière consiste à anticiper en amont de l’arrêt pour VD4, sur 18 mois pour les premiers travaux derenforcement réalisablespendantque le réacteurestenmarche,etpour lesactions relativesà l’examendeconformité.Ladeuxièmeconsisteenunepremièrephasedegrostravaux,pendant laVD4pour laquelleEDFprévoitenmoyenne«plusde100joursd’arrêt»(phaseA).Latroisièmephaseinterviendraitpendantunarrêtpour visite partielle, quatre ans après la visite décennale, et nécessiterait «de l’ordre de 40joursd’arrêt»(phaseB)110.

EDF justifie la propositionde cette stratégie répartissant les gros travauxendeuxétapesenexpliquantquel’ampleur des travaux nécessite de prendre le temps, notamment pour que les opérateurs aient le tempsd’intégrer lesmodifications réalisées. InterrogéeparWISE-Paris sur ce choix, l’ASNavait, tout en soulignantquecelanevalaitpaspositionofficielleàcestade, indiquéquecelaneposaitaprioripasd’inconvénient,etquelaréglementationlepermettait.Questionnéesurlajustificationpossibleàsesyeuxd’untelreportd’unepartie des travaux, l’ASN répondait que celà lui semblait pertinent pour tenir compte des capacités del’exploitant à faire face aux travaux correspondants111. Quelques semaines plus tard, l’ASN reprenait à soncompteleprincipedecettesegmentationetsonexplication112.

109.EDF,Dispositionsdeprotectioncontrelesagressions,présentationàlaréuniondedialoguetechniquequatrièmeréexamenpériodique

du900MWe,11juin2018.110.EDF,11juin2018,op.cit.111.Échangelorsdelaréuniondedialoguetechniquequatrièmeréexamenpériodiquedu900MWe,11juin2018.112.ASN,Réexamenpériodiqueassociéauxquatrièmesvisitesdécennalesdesréacteursdupalier900MWe,présentationàlaréuniondela

Commissionlocaled’informationdesgrandséquipementsénergétiquesduTricastin(CLIGEET)du4juillet2018.

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WISE-Paris Enjeuxdu4èmeréexamenpériodiquedesûretédesréacteurs900MWe 44

Pourtant,lemanquedecapacitédel’exploitantnesauraitêtreunparamètredimensionnantpourlecalendrierdes travaux d’amélioration de sûreté. La réglementation en vigueur impose au contraire à l’exploitant dedisposerdescapacitéssuffisantespourassurerlamaitrisedesesactivités,notammentpourassurerlamaîtrisedesrisquesetinconvénientsdesoninstallation113.L’informationsurlescapacitéstechniquesetfinancièresdel’exploitantfiguredanslesinformationsdebaseattachéesàl’autorisationdecréationdetouteinstallation114,doncdemodification substantielle, àlaquelleonamontréprécédemmentque le4èmeRPSpourrait, par sonampleur,êtreassimilé.

Au-delà de cette inversion préjudiciable du rapport entre respect des exigences et capacité à lesmettre enœuvre, la stratégieproposéepar EDFouvreun autre risque.Dans lamesureoù EDFenvisaged’arrêterunepartiedesesréacteursàl’échéancedu5èmeRPS,laréalisationd’importantstravauxàsixansdeleurfermeture,voiresurtoutàmoinsencasderetarddemiseenœuvredecestravaux,pourraitnepasapparaîtrepertinentesurleplanindustriel.Leretourd’expériencedelagestionparEDFdelanonmiseenœuvredelaprescriptionrelative aux DUS à Fessenheim peut laisser craindre que l’approche de la date d’arrêt des réacteurs soitexploitéeparEDFpournepasréalisercertainstravauxquiseraientprévusàVD4+4ans.Eneffet,alorsqu’uneprescriptionimposaitàEDFdemettreenœuvrelesDUSàFessenheimavantlafindel’année2018,EDFafaitlechoixdenepasengagerlestravauxnécessaires,enraisondeladated’arrêtenvisagéeàl’époquepourcesdeux réacteurs,quidevait intervenir avant2018, cequ’EDFcontestaitparailleurs. Ladated’arrêtayantétérepousséeaudelàde2018,l’ASNachoisi,surdemanded’EDF,demodifiersaprescriptionpourautoriserEDFàpoursuivrepourplusieursannéesl’exploitationdecesréacteurssansDUS115.Demanièresimilaire,lastratégied’EDFderéaliserunepartiedestravauxàVD4+4anscomporteunrisqueélevédevoirEDFnégocierlanonréalisation ou la réalisation partielle de ces travaux pour les réacteurs que l’industriel envisagerait d’arrêterquelquesannéesaprèslaVD4+4ans.

RECOMMANDATIONSLesdifficultésmontrées cesdernières annéespar EDFà tenir lesdélaisd’étudesetde travaux, voire à seconformerauxprescriptions,commecellesmontréesparl’ASNàfairerespectercesdifférentsengagementsparl’exploitantfontcraindreunrisqueélevédedérivedansletempsdelamiseenœuvredesaméliorationsdelasûretéprévuesdanslecadredu4èmeréexamenpériodiquedesréacteurs900MWe.Cerisque,quin’estpasanodincomptetenuduglissementqu’observedéjàceprocessusparrapportà l’âgedesréacteurs,estrenforcéparlespréoccupationssurlescapacitéstechniquesetfinancièresd’EDFàfairefaceàcechantier.Ceconstat conduit déjà à envisager une dérogation très contestable pour repousser de quatre années unepartiedestravauxprévusthéoriquementàl’échéanceduréexamen.

! Face au constat de glissement continu des délais de mise en œuvre des études et travaux, il estnécessairededoterleréexamend’uncadreplusprécisetstrictd’obligationscalendaires.

! Cecadredoits’accompagner,pourlabonneinformationdetouslesacteursetdupublic,delamiseenplaced’untableaudebordpublicdesengagementsprisparl’exploitant,quidoiventautantquepossiblefairel’objetdeprescriptions,etdesuivideleurmiseenœuvre.

! Afin d’éviter les situations de fait accompli liés au constat a posteriori du non respect de délais, descritères techniques plus stricts d’information par l’exploitant et de justification de délais devraientêtredéfinis.

! Descritèresd’arrêt temporaireoudéfinitifpourraientalorsêtreélaboréspour traiter les situationsdeglissementinjustifiéparrapportàcescritèresd’appréciationdesdifficultéstechniquesàtenirlesdélais.

113.Voirparexemplel’article2.1.1.del’arrêtédu7février2012Arrêtédu7février2012fixantlesrèglesgénéralesrelativesaux

installationsnucléairesdebase,Journalofficiel,8février2012.114.Décretn°2019-190du14mars2019,op.cit.115.ASN,Décisionn°2019-DC-0663del’Autoritédesûreténucléairedu19février2019modifiantcertainesdécisionsapplicablesàla

centralenucléairedeFessenheim(INBn°75)exploitéeparÉlectricitédeFrance(EDF).VoirsurcesujetWISE-Paris,ContributiondeWISE-Parisàlaconsultationdupublicsurleprojetdedécisionn°2018-DC-0XXXdel’AutoritédesûreténucléairemodifiantcertainesdécisionsapplicablesàlacentralenucléairedeFessenheimexploitéeparEDF(INBn°75),5novembre2018;etWISE-Paris,ContributiondeWISE-Parisàlaconsultationdupublicn°2surleprojetdedécisionn°2018-DC-0XXXdel’AutoritédesûreténucléairemodifiantcertainesdécisionsapplicablesàlacentralenucléairedeFessenheimexploitéeparEDF(INBn°75),10janvier2019.