greenpeace magazine 2015/02

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Introduction Dossier «Sobriété» 8 Reportage La vraie vie n’est pas une marchandise 10 Portrait Une minimaliste se libère [ APP ] 21 Débat Sobriété ou croissance — quel avenir pour l’économie? 24 Économie La fin de l’abondance [ APP ] 31 Contexte Désinvestissement: le capital se retire des énergies fossiles [ APP ] 35 Consommation Faits et chiffres [ APP ] 38 Conseils Comment sortir de la consommation 40 Entretien Le design contre la surproduction? [ APP ] 46 Essai La publicité: glorification de l’inutile [ APP ] 50 À lire À propos de la sobriété [ APP ] 56 Essai Les plantes, ces génies du réseau 63 Entretien Amazonie: les autochtones tiennent tête aux pilleurs de la forêt [ APP ] 67 Reportage photo Le déboisement illégal détruit les espaces de vie du Congo [ APP ] 70 Mentions légales U2 Éditorial 1 En action 2 Campagnes 58 Mots fléchés écolos 80 GREENPEACE MEMBER 2015, Nº 2 * * La nouvelle application «Magazin Greenpeace Schweiz» (uniquement en allemand) peut être téléchargée gratuitement sur l’App Store pour iOS et sur Google Play pour Android. La sobriété — vers de nouveaux horizons

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Page 1: Greenpeace Magazine 2015/02

Introduction Dossier «Sobriété» 8Reportage La vraie vie n’est pas une marchandise 10Portrait Une minimaliste se libère [ APP ] 21Débat Sobriété ou croissance — quel avenir pour l’économie? 24Économie La fin de l’abondance [ APP ] 31Contexte Désinvestissement: le capital se retire des énergies fossiles [ APP ] 35Consommation Faits et chiffres [ APP ] 38Conseils Comment sortir de la consommation 40Entretien Le design contre la surproduction? [ APP ] 46Essai La publicité: glorification de l’inutile [ APP ] 50À lire À propos de la sobriété [ APP ] 56Essai Les plantes, ces génies du réseau 63 Entretien Amazonie: les autochtones tiennent tête aux pilleurs de la forêt [ APP ] 67Reportage photo Le déboisement illégal détruit les espaces de vie du Congo [ APP ] 70

Mentions légales U2Éditorial 1En action 2Campagnes 58Mots fléchés écolos 80

g r e e n p e ac e M e M B e r 20 1 5, nº 2

*

*

La nouvelle application «Magazin Greenpeace Schweiz» (uniquement en allemand) peut être téléchargée gratuitement sur l’App Store pour iOS et sur Google Play pour Android.

— La sobriété — vers de nouveaux horizons

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MenTIOnS LÉgaLeSgreenpeace MeMBer 2 / 2015

Éditeur / adresse de la rédaction:Greenpeace SuisseBadenerstrasse 171Case postale 93208036 ZurichTéléphone 044 447 41 41Téléfax 044 447 41 [email protected]

Changements d’adresse:[email protected]

Équipe de rédaction: Tanja Keller (responsable), Hina Struever, Barbara Lukesch, Samuel Schlaef li, Marc Rüegger,Roland FalkAuteurs: Esther Banz, Oliver Classen,Hannes Grassegger,Christian Hänggi, Florianne Koechlin, Inga Laas,Thomas Niederberger,Mathias Plüss, Samuel Schlaef liPhotographes:Anne Gabriel-Jürgens, Clément Tardif / GreenpeaceIllustrations: Julie PetterTraduction en français:Nicole Viaud et Karin VogtMaquette: Hubertus DesignImpression: Stämpf li Publikationen AG, BernePapier couverture et intérieur: 100% recyclé Tirage: 98 500 en allemand, 21 000 en français Parution:quatre fois par année

Le magazine Greenpeace est adressé à tous les adhérents (à par-tir d’une cotisation annuelle de 72 francs). Il peut ref léter des opi-nions qui divergent des positions officielles de Greenpeace.

Pour des raisons de lisibilité, nous renonçons à mentionner systé-matiquement les deux sexes dans les textes du magazine. La forme masculine désigne implicitement les personnes des deux sexes, et vice-versa.

Donscompte postal 80-6222-8

Dons en ligne:www.greenpeace.ch/dons

Dons par SMS:envoyer GP et le montant en francs au 488 (par exemple, pour donner 10 francs: «GP 10»)

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1Magazine GreenpeaceN° 2 — 2015

Éditorial

«Il y a assez sur Terre pour répondre aux besoins de tous, mais pas assez pour satisfaire l’avidité de chacun», disait Gandhi. C’est de cela que nous parlons quand nous évoquons la «sobriété» ou «sufficience». Personne ne contredirait Gandhi, mais la sobriété fait tout de même peur: peur de devoir renoncer, peur de la régression, peur de perdre sa liberté.

L’été dernier, Greenpeace Suisse emménageait sur le site de la coopéra-tive de Kalkbreite, à Zurich. Nous étions tous d’accord de consommer moins d’énergie, d’espace, de papier et de partager nos postes de travail. Avec un peu d’appréhension tout de même. Qu’en serait-il en pratique? Six mois plus tard, nous constatons que tout se passe à merveille. De taille raisonnable, les bureaux sont à la fois accueillants et modernes. Et puis, il y a le plaisir de découvrir tous les jours qui sera le voisin de travail pour la journée.

Mais le site de Kalkbreite reste pour l’instant une exception. Les condi-tions sociales ne sont pas réunies pour une limitation efficace de notre consom-mation de ressources. C’est à cela que Greenpeace travaille: demander aux entreprises de renoncer aux modes de production néfastes et aux gouvernements d’imposer des mesures de réduction des rejets de polluants. En privé également, il y aurait beaucoup à faire, à condition qu’une vie orientée vers la sobriété devienne une perspective attractive et atteignable. Il est vrai que les objections ne se font pas attendre: manger moins de viande, acheter moins, voyager moins en avion, tout cela ne suffira jamais. Et le credo économique de la croissance comme condition du bonheur ne manque pas de nous désorienter.

L’approche de la sobriété remet en question notre horizon de vie: l’idée du plein emploi, le confort, la liberté individuelle, la nourriture, les voyages, etc. Elle est source d’inquiétude, car il est difficile de penser un monde avec des valeurs totalement différentes.

Pourtant les contreprojets existent, même près de nous. Sous la rubrique «Sobriété», la plateforme en ligne de la ville de Zurich présente un document étonnant sur la réalisation de la société à 2000 watts. On y lit la description d’une ville porteuse d’avenir et pleine de joie de vivre: pistes cyclables financées par une fiscalité écologique, surface d’habitation par personne diminuée, jar-dins communautaires pour cultiver ses propres légumes, bourses d’échange et ateliers de réparation, partage de voiture ou d’autres objets du quotidien, «jour-nées sans achats»… Bien sûr, la plupart de ces mesures ne se réaliseront certai-nement pas sans luttes politiques, mais elles sont de l’ordre du possible!

Cette édition du magazine vous présente une série d’exemples d’une vie sobre. Le succès de cette approche repose sur une gestion sobre des res-sources naturelles, la valorisation de la dimension locale, la solidarité et la justice sociale. Les personnes qui ont fait le pas en se libérant de la contrainte à la consommation respirent la force et la sérénité. C’est là la puissance de la notion de sobriété.

Verena MühlbergerCo-directrice de Greenpeace Suisse

La sobriété est possible

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Îles Canaries, 15 novembre 2014 À la dure La marine espagnole tente la collision avec le canot pneumatique de Greenpeace qui proteste contre les forages pétroliers de la multinationale espagnole Repsol au large des îles Canaries. La riposte des autorités a fait deux blessés.

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© G r e e n p e ac e

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© Z h u J i e / G r e e n p e ac e

Wuhai, Chine, 12 décembre 2014 Eaux polluées Aux abords d’une mine de charbon à ciel ouvert de la région de Wuhai, en Mongolie-Intérieure, des mili- tants de Greenpeace déploient une bannière géante dénonçant la pollution du fleuve Jaune, bordé par des douzaines de sites industriels sur des centaines de kilomètres.

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Mersin, Turquie, 24 mars 2015 Protestation en altitude À Mersin, en Turquie, des militants de Greenpeace suspendent une bannière à un gratte-ciel de 117 mètres de haut pour protester contre la première centrale nucléaire turque, dont la construction est prévue près de la ville. Greenpeace Turquie a porté plainte contre le rapport d’impact environnemental lacunaire et demande au gouvernement de miser plutôt sur les énergies renouvelables.

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© D o r u k S a n / Y i G i t B e k i rov i ç / G r e e n p e ac e

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8Magazine GreenpeaceN° 2 — 2015

En écologie, la sobriété désigne l’effort de consommer le moins possible de matières premières et d’énergie. Il est donc ques-tion de juste mesure. Sur le plan individuel, la sobriété est sou-vent associée à la mauvaise conscience et à la morale.

En élaborant le dossier de ce magazine, l’équipe de la ré-daction a pourtant été surprise du bonheur que fait naître cette notion. Les approches liées à la sobriété sont multiples et ouvertes sur le plaisir, de la start-up créative à la bourse d’échange privée en passant par le projet de vie individuel. C’est aussi sous le signe de la sobriété que nous réduisons les dimensions de cette édition du magazine. Nous voulions voir par nous-mêmes comment faire aussi bien, ou mieux, avec moins de ressources. D’où un format plus petit, mais que nous espérons tout aussi intéressant pour nos lectrices et nos lecteurs.

La sobriété, bien plus que juste un peu moins

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9Magazine GreenpeaceN° 2 — 2015

Nous avons par conséquent choisi de diversifier nos ca-naux de distribution. La version redimensionnée attire l’atten-tion sur la nouvelle application dédiée au magazine. Vous pourrez retrouver sur smartphone ou tablette en iOS ou An-droid (disponible uniquement en allemand pour l’instant) ou sur notre site Internet tous les articles que nous n’imprimons pas. Vous y découvrirez, par exemple, comment le design in-dustriel s’ouvre à la sobriété ou comment la publicité in-fluence la société.

La sobriété doit-elle se construire sur la contrainte? Pas forcément. Notre grand reportage sur les minimalistes de Berlin illustre les variantes volontaires et ludiques du concept. Ces milieux ne correspondent pas au cliché de marginaux se retirant dans une ferme reculée pour trouver leur bonheur. Ce sont au contraire des personnes fermement ancrées dans l’urbanité, mais qui déploient des stratégies minimalistes très efficaces. Par exemple Sara, originaire d’Appenzell, qui ouvrait en septembre dernier avec une collègue le premier magasin sans déchets de la ville de Berlin. Leur label Original Unverpackt («Original sans emballages») est tout à fait dans l’air du temps.

Quand les promoteurs et les opposants s’affrontent sur la question de la croissance, le débat tourne généralement autour de la possibilité de concilier la sobriété avec une écono-mie centrée sur la croissance et la quête du bien-être matériel. Un débat mené dans ce magazine entre Niko Paech, leader reconnu de la critique de la croissance, et Wolf Lotter, éditoria-liste du magazine économique allemand brand eins.

Laissez-vous séduire par le sommaire en couverture du magazine et découvrez la richesse de la sobriété, que ce soit sur papier ou sur Internet!

La rédaction

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10Magazine GreenpeaceN° 2 — 2015

Une vie axée sur la sobriété est-elle possible en ville? Avec joie et créativité, une com-munauté grandissante dessine les contours d’une vie sans confort excessif. Son credo: moins, c’est plus – plus de liberté, plus d’ac-complissement personnel, plus de vie en communion avec la nature. Une visite chez trois minimalistes à Berlin.

Texte: Samuel SchlaefliPhotos: Anne Gabriel-JürgensLe terme allemand Stehrumsel ne se trouve

pas dans les dictionnaires. Il désigne tout ce qu’on accumule chez soi sans vraiment s’en ser-vir: cadeaux gentils mais inutiles, articles de loisirs achetés dans un élan de bonne volonté sans lendemain, gadgets électroniques dépassés, jouets vite délaissés… Quitter le domicile des parents, louer son propre appartement, se mettre en couple, fonder une famille: autant d’étapes qui ne manquent pas de faire grossir la montagne des objets superflus. Les maisons individuelles, les logements neufs et les vieux appartements

non rénovés ont une fâcheuse tendance à se remplir jusqu’à l’étouffement. Selon des estima-tions, un Européen moyen posséderait quelque 10 000 objets. J’ai fait le compte chez moi et j’en trouve déjà plus de 500 rien qu’à la cuisine. En fait, les gens n’apprécient pas ce déborde-ment matériel, source d’immobilisme, d’indo-lence et d’embarras. Au contraire, le lâcher- prise, l’ascèse, la vie réduite à l’essentiel font un nombre grandissant d’adeptes, de la Finlande aux États-Unis. Le sujet est récurrent dans les auditoires, les livres et les films.

My stuff est le titre du premier film de Petri Luukkainen, un jeune réalisateur finlandais qui est aussi le personnage principal de son docu-mentaire. Dans la scène d’ouverture, il est nu dans un appartement entièrement vide. Couvert seulement par un journal récupéré dans un conteneur, il erre ensuite dans les rues enneigées d’Helsinki avant de se procurer un manteau dans une halle de stockage pour se protéger du froid et en faire un sac de couchage sur le par-quet de son appartement. Petri Luukkainen s’est

Reportage

Je minimise, donc je suis

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11Magazine GreenpeaceN° 2 — 2015

Joachim Klöckner, 65 ans, un randonneur urbain berlinois qui ne possède que deux paires de pantalons et renonce à tout cadeau depuis une trentaine d’années.

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en effet séparé des objets en sa possession et a tout déposé dans un entrepôt. Le film raconte comment il reprend un objet par jour, durant toute une année. Comme s’il avait effacé sa vie passée pour la recommencer dans un état im-matériel.

Pourquoi les jeunes – réalisateurs, auteurs, blogueurs – sont-ils actuellement si nombreux à se défaire du superflu? Comment deux jeunes pionniers américains du minimalisme par-viennent-ils à susciter deux millions de visites par année sur leur site theminimalists.com? Comment en sont-ils venus à partir en tournée et à faire des émules dans le monde entier, grâce aux conférences TEDx? Et tout ceci avec un message des plus simples: débarrasse-toi des objets en ta possession, et tu seras libre et heureux.

Déménager avec un bagage à mainEn route pour Berlin, qui continue d’attirer

les jeunes à la recherche du sens de la vie. Avant de rencontrer Lisa, une blogueuse de 26 ans qui se réclame du minimalisme et refuse les em-ballages, nous passons chez Joachim Klöckner. Cet homme de 65 ans est un peu le père du mou-vement minimaliste dans l’espace germano-phone, bien qu’il ne tienne pas à cette étiquette. Il habite à Friedenau, un quartier tranquille et bourgeois de Berlin. «Sonnez à l’étage ‹atelier›», a-t-il écrit dans un courriel dont la signature est: «Vieillir, c’est avoir plus de choses dont on peut rire.» Il nous serre chaleureusement la main. Ses yeux gris sont cernés de rides, comme en ont les gens qui ont souffert dans la vie et ont progressé par ce cheminement. Avec ses pan-talons blancs en lin, son pull blanc et son fou-lard jaune clair, il a l’air d’un adepte de yoga. Sa tenue vestimentaire relève pourtant d’une démarche plus pratique que spirituelle: quand on ne possède que deux pantalons, cinq che-mises, quelques tee-shirts et sous-vêtements, une veste contre la pluie et une autre contre le froid, la couleur blanche est l’une des plus fa-ciles à assortir.

Depuis août dernier, Joachim Klöckner vit dans l’atelier de peinture d’un ami. Le parquet de ce spacieux appartement est couvert de maté-riaux de travail: toiles, tubes de colle et de pein-ture, troncs de bouleau, feuilles d’arbres et roses séchées. Un long corridor s’ouvre sur une

chambre claire d’un peu plus de 10 m2 de sur-face. Ce petit espace de vie ne comporte pas de meubles. Dans un coin en face de la porte du balcon, un hamac blanc est tout ce qu’il faut à Joachim pour rêver, surfer sur Internet et dormir. Pour s’alimenter, un petit panier lui suffit, avec un choix de noix et de müeslis, deux bananes, des oranges et deux bouteilles d’eau. Un sac à dos jaune et une pile d’habits d’à peine 20 cm de hauteur viennent compléter le tableau. Le minimaliste n’en demande pas plus.

Depuis quinze ans, Joachim déménage avec un simple bagage à main. Sans téléphone ni voiture, il se déplace surtout à pied, à vélo ou en métro. Il a renoncé aux voyages intercontinen-taux et découpé son passeport en petits mor-ceaux. Pour les vols en Europe, il n’est pas encore décidé. Élevé dans un village de 200 âmes dans le nord de la Hesse, il dirigeait avec son père une entreprise de construction mécanique avant de travailler dans le domaine du conseil éner-gétique. Alors que beaucoup se retirent à la campagne pour leur retraite, Joachim choisit au contraire la ville. «Goûter à l’ambiance des grandes villes européennes», c’est ce qui l’inté-resse actuellement. Berlin est le lieu idéal pour sa recherche du nouveau, de l’inspiration, de l’échange. Ce randonneur urbain visite les nou-veaux quartiers, rencontre dans des cafés les auteurs dont il commente les livres, entre en contact avec de jeunes créatifs et suit des Vision Talks pour découvrir de nouvelles idées de création d’entreprises.

Vivre avec 400 euros par moisIl fut un temps où Joachim Klöckner possé-

dait une Porsche et plusieurs motos. Il faisait des rallyes et vivait dans sa propre maison, avec femme et enfant. «Mais je n’ai jamais amassé les possessions matérielles», précise-t-il. Dès son enfance, il se contente de peu. Depuis une trentaine d’années, il n’accepte plus de cadeaux. «Pour me faire plaisir, rien de mieux que de m’inviter à manger ou de m’offrir un massage», dit-il. Cela fait quinze ans qu’il a réduit ses pos-sessions au volume d’un sac à dos. Quelle a été la réaction de son entourage? Joachim raconte l’histoire d’un ami qui avait rempli deux cha-riots pleins d’achats chez Ikea et qui, au moment de passer à la caisse, s’est demandé ce que lui-même ferait à sa place… Finalement, cet ami

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a tout laissé au magasin et est ressorti les mains vides. La plupart des gens aspirent à la clarté et à la légèreté, pense Joachim. «Au début, ils ne savent pas par où commencer, puis ils réalisent que chaque objet a un coût.» De fait, chaque objet demande une triple énergie: celle de l’achat, celle de l’entretien et celle de l’élimination.

Pour Joachim, le minimalisme ne se résume pas à se débarrasser des choses inutiles. C’est aussi un cheminement vers l’autonomie. «J’aime les magasins d’objets design et les beaux meubles ou vêtements. Mais je n’en ai pas besoin. C’est cela, la vraie liberté.» Le minimalisme serait aussi une issue à l’angoisse du déclasse-ment social qui hante les classes moyennes. Cette peur s’illustre actuellement dans les mani-festations xénophobes du mouvement PEGIDA («Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident») à Dresde. «En Allemagne, le seuil de pauvreté se situe à 1500 euros par mois. Ces trente-cinq dernières années, j’étais donc offi-ciellement pauvre, alors que je me sentais extrê-mement bien!» Joachim vit actuellement de sa

rente d’un peu plus de 400 euros. Assez pour le müesli du matin, un repas léger à midi ou le soir et pour payer un modeste loyer. «La pauvreté, c’est surtout une vue de l’esprit, un concept abs-trait. Posséder peu, c’est aussi avoir moins peur.»

Il y a tout de même une chose à laquelle Joachim ne voudrait pas renoncer: son iPad, à la fois instrument de travail et fenêtre ouverte sur le monde. Ce sont des centaines de livres et des milliers de chansons à sa disposition, la pos-sibilité de photographier et de scanner, condi-tion indispensable à une vie sans papier. Il lit Die Zeit et Spiegel, tandis que le courriel, Facebook et Twitter lui permettent de maintenir des contacts. La tablette et Internet sont-ils les fon-dements de son mode de vie? «Difficile à dire. La tablette est certainement un élément de cette manière de vivre. Imaginer une vie sans cet ins-trument me fait un peu peur.»

Comme Gandhi et SiddharthaLa sociologie de la consommation rappelle

que le minimalisme sous sa forme actuelle n’est pas une nouveauté. Le lâcher-prise et la vie ascétique ont toujours exercé une grande force d’attraction, à l’image du Mahatma Gandhi, le sage vêtu de lin blanc qui prêchait la réconcilia-tion, ou du livre Siddhartha de Hermann Hesse, un ouvrage que j’ai dévoré à l’âge de 21 ans lors d’un voyage en Inde. Dans mon imagination, j’étais un peu ce Siddhartha, un fils de brahmane qui fuit la ville, l’orgueil, le luxe et la décadence pour vivre une vie modeste au bord du fleuve. Le luxe, c’était la Suisse; mon fleuve, c’était mon sac à dos qui contenait tout ce qu’il me fallait pour les mois à venir, donc presque rien. Un sen-timent de liberté, de sublime, de romantisme.

Un demi-siècle après le roman de Hermann Hesse, les hippies et le mouvement de 1968 entraient en scène, créant des communautés sur des collines et se réclamant de l’autosuffisance. Alors, rien de nouveau sous le soleil? Pas tout à fait. Une différence de taille entre les minima-listes du XXIe siècle et leurs prédécesseurs, c’est que le mouvement actuel ne se retire pas de la société. Il ne coupe pas les ponts avec la civilisa-tion et ne mise plus sur l’autosubsistance. Ses protagonistes vivent généralement en ville, par-ticipent à la vie urbaine et sont connectés aux médias sociaux. Les blogueurs du minimalisme en Allemagne et en Suisse sollicités pour cet

«Pourquoi les jeunes – réalisateurs, auteurs, blogueurs – sont-ils si nom-breux à se défaire du superflu?»

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Lisa, 26 ans: pour lutter contre le gaspillage, l’étudiante renonce à tous les emballages en plastique.

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article répondent généralement en l’espace de quelques heures, même le dimanche. Ils com-muniquent volontiers, parlent de leur vie et de leur blog. Certains travaillent dans l’informa-tique ou le webdesign. Organiser une rencontre en chair et en os s’avère bien plus difficile: «j’ai trop de projets en cours», «je viens de créer ma propre entreprise», «je suis en déplacement à l’étranger ces prochains temps» sont les motifs les plus fréquents pour refuser un entretien. Pas vraiment l’image du solitaire dans sa cabane de bois.

L’armoire aux 33 vêtementsLisa, 26 ans, fait partie de cette nouvelle

génération de minimalistes qui se réveillent le matin à la lumière du smartphone et consultent immédiatement leurs posts et mes-sages. La journée, Lisa est en ligne dans le cadre de ses études en ingénierie des médias. Et le soir, elle rédige les articles de son blog whitespaceandchips.com. Ces derniers temps, elle s’essouffle pourtant un peu. Elle n’a pas

renouvelé son abonnement à Internet. «J’aime expérimenter de nouvelles choses», dit-elle. Nous sommes en visite dans la pièce qui lui sert d’appartement à Wedding, un quartier tran-quille de Berlin. Une chambre claire et aussi bien rangée que dans les catalogues de meubles. Ni radio ni musique ne viennent troubler le calme. Une table blanche avec une chaise et un ordinateur portable. Dans un coin, cinq boîtes en carton recueillent les pulls, la literie, les maga-zines et le film alimentaire que Lisa n’utilise plus. Elle propose ce matériel sur eBay, généra-lement gratuitement. Le principal est que les gens viennent chercher les choses chez elle.

C’est lorsqu’elle emménage dans cet appar-tement, il y a trois ans, que Lisa commence à réduire son inventaire. Inspirée par le mouve-ment minimaliste des États-Unis, elle s’inter-roge: «De quoi ai-je vraiment besoin? Et quelles sont les choses qui ne font que m’encombrer?» Lisa ouvre son armoire à glace. «Avant, j’avais deux armoires pleines de vêtements. Aujourd’hui, deux tiroirs et un portant suffisent.» Trente-trois vêtements – sans les habits de sport et les sous-vêtements. Un gain de temps le matin pour s’habiller. «Ce mode de vie me donne la sérénité», dit-elle. C’est important dans une grande ville pleine de distractions. Pour elle, le minimalisme n’équivaut pourtant pas à l’ab-sence de possession. «C’est se concentrer sur l’essentiel.» Le temps qu’elle passait au shop-ping, Lisa le consacre maintenant à son blog, au tricot ou aux études. Comme elle n’achète pratiquement plus que des aliments, la pression financière est nettement moindre. Six mois durant, elle n’a pas dû travailler pour vivre, ses économies suffisaient à ses besoins.

Au début de l’année, Lisa a entamé une nouvelle expérience: la vie sans déchets. «Le minimalisme, c’est aussi produire moins de déchets.» Deux fois par semaine, elle relate sur son blog comment elle évite l’emballage des noix, la brosse à dents jetable et le tube de shampoing en plastique. Les drogueries et les magasins biologiques où le moindre baume pour les lèvres est conditionné sous un film en plastique la dépriment. Dans sa cuisine, une planche de bois supporte les bananes, les kiwis et les bocaux de cacahuètes et de noix. À côté de la cuisinière, trois gros oignons, des pâtes complètes et des champignons dans un sachet

«Les minimalistes modernes ne se coupent pas du monde, ils restent connectés aux médias sociaux.»

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en tissu fait maison. Les verres sont rangés sous l’évier, dans un panier. On y trouve aussi de la soude pour remplacer les produits à lessive vendus dans des emballages en plastique. Pour les nettoyages, Lisa utilise du bicarbonate de soude et de l’acide citrique qui s’achètent sans emballage.

Et pour manger, comment faire sans em-ballages? Surtout quand on est souvent à l’exté-rieur, comme la génération de Lisa? Dans le train entre Bâle et Zurich, les pendulaires sans gobelet de café jetable sont rares et les pou-belles débordent. Mais Lisa boit son café à la maison ou alors elle utilise des tasses. Pour le repas de midi, elle emmène des pommes de terre de la veille dans un récipient isotherme en verre ou alors un pain qu’elle cuit elle-même. À l’université, elle s’achète une salade pour moins d’un euro. Végétarienne depuis toujours, elle est devenue pratiquement végétalienne depuis trois ans. «Avec ce mode alimentaire, c’est beaucoup plus simple d’éviter les em-ballages», dit-elle. Mais n’est-ce pas là un che-minement fastidieux, rébarbatif, austère? Non, répond Lisa. Même si elle n’a pas encore trouvé d’alternative aux produits de maquillage conditionnés, dont elle ne veut pas se passer. Mais les lectrices de son blog sont là pour lui signaler l’une ou l’autre astuce. «Je veux montrer aux gens qu’il n’y a pas besoin de se promener en hippie si l’on veut éviter les déchets.»

Lisa n’est pas seule dans sa quête de réduc-tion des déchets. Zero Waste est le signe de ralliement d’un mouvement à la recherche d’al-ternatives à la consommation de produits je-tables. Nombreux sont ceux qui se soucient du vortex de déchets du Pacifique Nord, dont la superficie serait deux fois plus grande que celle des États-Unis, ou des albatros et tortues géantes tués par les déchets de plastiques ingur-gités. Les conséquences du gaspillage sont largement reconnues. Les déchets sont une il-lustration frappante de la folie consumériste.

Pas d’emballages chez les hipstersUn jour, Sara en a eu assez. Cette jeune

femme à la frange coupée au carré est un bel exemple de confiance en soi et d’esprit d’ini-tiative. Née en Appenzell, elle est venue à Berlin pour ses études, il y a quatre ans. Avec son amie Milena, elle ouvre en septembre dernier

son propre magasin nommé Original Unver-packt, «Original sans emballages». C’est le pre-mier magasin berlinois pour les produits sans déchets. Il est installé dans les locaux d’une an-cienne boucherie de Kreuzberg, ce quartier à la mode parsemé de bars et de boutiques pour hipsters. Chez Sara et Milena, rien ne rappelle l’atmosphère renfermée des anciens maga- sins diététiques, dont la présentation des mar-chandises incitait plutôt à passer son chemin. Original Unverpackt est au contraire un espace illuminé, orné de catelles de terre cuite, avec un mandala en stuc au plafond et des chansons d’auteur en fond sonore. On y trouve tout ce qui fait un mode de vie végétarien ou végétalien: noix, copeaux, flocons, fruits secs, épices, tisanes, fines herbes, vinaigre, huile, vodka en bidon, en plus des incontournables fruits et légumes.

L’idée du magasin est née entre Sara et son amie lors d’une soirée bien arrosée, pendant leurs études en relations internationales. Les deux jeunes femmes établissent un business- plan avec le soutien de la ville. Au moment de notre visite, les quelques clients sont des per-sonnes bien habillées et attractives de 25 à 40 ans. La plupart apportent leurs propres récipients de type Tupperware pour acheter flocons, noix et autres copeaux proposés dans des colonnes de plexiglas. Certains viennent même avec une bouteille de whisky vide pour chercher leur müesli. «Acheter sans emballage, ça rend créa-tif», dit Sara en souriant. La scène est rafraî-chissante, l’achat devient événement. Avec un rien de grotesque, tout de même. Le tableau ressemble à ce qu’a dû être le quotidien de nos grands-mères dans l’entre-deux-guerres. Sont-elles devenues nos modèles pour une consom-mation porteuse d’avenir? Cela me rappelle Joachim Klöckner, qui m’avait parlé de la réac-tion réservée de sa mère à son mode de vie: «Elle était obligée de vivre ainsi, tandis que pour moi c’est un choix. Là est toute la différence.»

Le slow shopping, ce mode d’achat conscient et ralenti, n’est pourtant pas donné. Les spa-ghettis ouverts coûtent 0,75 euro les 100 g, le prix de 500 g dans les magasins habituels. Un grand bocal de müesli est vendu 9 euros. Ce n’est pas vraiment le Berlin à la réputation «pauvre, mais sexy». Combien de déchets le magasin per-met-il d’éviter? Sara n’a pas fait le calcul exact.

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Sara Wolf, 31 ans, Appenzelloise d’origine, est l’une des gérantes du magasin bio Original Unverpackt, qui propose 400 produits non emballés dans le quartier de Kreuzberg, à Berlin.

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la démocratie de la consommation, c’est qu’elle nous fait croire que les préoccupations socio- économiques et écologiques pourraient se ré-soudre à l’intérieur du paradigme de la consom-mation.» Jörn Lamla estime que le minimalisme et le refus de la consommation ne suffiront pas à induire des changements sociétaux. Il observe plutôt une «politique du mode de vie», c’est- à-dire des subcultures qui rendent publics leurs besoins individuels tout en croyant agir politi-quement. «Bien sûr, ces initiatives sont tout à fait sympathiques et l’expérimentation de nouveaux instruments est indispensable. Mais ces mou-vances ont tendance à surestimer leur propre démarche. Elles réfléchissent peu à la complexité du contexte et aux éléments paradoxaux.» Un exemple de question qui reste sans réponse? «Dans une perspective minimaliste, je ne dé-pense plus mon argent pour des choses inutiles. Mais cet argent reste déposé en banque et donc à disposition de la consommation d’autrui et des investissements.»

Raphael Fellmer fait justement partie des personnes qui tentent de penser le minimalisme jusqu’au bout. Cela fait cinq ans qu’il fait la «grève de l’argent». Nous le rencontrons au café Milch & Honig, un lieu confortable aux murs blancs, avec des coussins bleu clair et roses, à une demi-heure du centre de Berlin. Pour nous sa-luer, il nous donne l’accolade, ce qui provoque une certaine gêne quand on ne s’y attend pas. Il refuse de se faire payer un café et se contente de sa bouteille en verre remplie d’eau du robinet. Le gérant le connaît et semble l’apprécier, même s’il ne consomme rien. Cette bienveillance in-conditionnelle se reproduit tout au long de la vie de Raphael. À 31 ans, il vit avec sa femme et deux enfants dans un appartement «mis à dis-position par des personnes chaleureuses» qu’il connaît depuis peu et qui soutiennent la mis-sion qu’il s’est donnée. Il porte des habits d’oc-casion, son ordinateur portable lui a été offert par un ami suisse. Sinon il trouve ce qu’il lui faut pour vivre dans les conteneurs de déchets des supermarchés bio: nourriture, produits d’hygiène et tout ce dont sa famille a besoin. Cette dé-marche de «sauvetage des déchets» lui permet même de faire des cadeaux à ses amis et de donner de la nourriture à des personnes en dé-tresse. Pas étonnant, quand on sait qu’en Europe, les aliments jetés représentent environ

«Mais si nous achetons notre marchandise dans un sac de 25 kg, c’est l’équivalent de 100 sachets de 250 g en plastique.» L’idée rencontre en tout cas l’intérêt du public. Les nombreuses sollicita-tions des médias proviennent même du Japon ou de Corée du Sud. Et plusieurs personnes sou-haitent déjà ouvrir leur propre magasin fran-chisé en reprenant le concept d’Original Unver-packt.

Le bonheur sans argentLa consommation est aujourd’hui bien

plus qu’une nécessité ou un plaisir; elle devient une véritable plateforme politique. Les labels éthiques foisonnent: bio, commerce équitable, sans OGM, végétalien… «Depuis environ vingt ans, nous observons une politisation de la consommation», confirme Jörn Lamla. Ce pro-fesseur de sociologie à l’Université de Kassel travaille sur la société de consommation et étu-die en particulier la possibilité d’influencer la politique à travers les choix des consommateurs. Il se dit sceptique à cet égard: «Le problème de

Le premier magasin berlinois de pro-duits sans embal-lages offre tout ce qui fait un mode de vie végétarien ou végétalien.

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Raphael Fellmer, 31 ans, raconte dans son livre comment vivre heureux sans argent. Il souhaite construire en Espagne un village autosuffisant, sans matérialisme ni structures.

100 millions de tonnes par année. En Suisse, deux pommes de terre sur trois finissent aux ordures.

Pour Raphael Fellmer, la grève de l’argent est un acte politique «de résistance contre la société de l’abondance, le gaspillage des res-sources et l’injustice». Il est convaincu que les problèmes écologiques se résoudraient d’eux-mêmes dans une société sans argent. Parce que les activités destructrices n’auraient plus de base économique. «Tout achat ou non-achat induit un changement. Tout repas est une prise de position. Par mon exemple, je veux inciter les gens à se responsabiliser pour la situation de la planète», dit-il.

Raphael a commencé la grève de l’argent lors d’un voyage en auto-stop des Pays-Bas au Mexique. Manger et dormir chez d’autres per-sonnes, ne posséder que le nécessaire pour les visas au passage des frontières. «L’amour incon-ditionnel que j’ai rencontré était incroyable». Ce n’est pas de l’échange, c’est de don pur et simple qu’il bénéficie. En contrepartie, il pré-sente les thématiques écologiques dans des écoles. Et il explique que la réalisation des rêves ne dépend pas des valeurs matérielles et de l’argent, mais de l’attitude personnelle. Son livre récemment publié s’appelle Glücklich ohne Geld!, «Heureux sans argent!». Une partie du tirage a été distribuée gratuitement et le texte est en téléchargement libre sur son site. La plateforme foodsharing.de, qu’il anime avec des collè- gues, compte 4000 membres engagés dans la collecte et la distribution de denrées alimen-taires tirées des déchets. «Normalement, il faut un financement pour un tel projet. Mais nous sommes la preuve que cela peut fonctionner sans argent et que c’est même plus satisfaisant; les gens y participent parce qu’ils sont intrin-sèquement motivés», explique Raphael.

On lui a souvent reproché d’être un parasite. Sa réponse: «Oui, je suis un parasite, je fais par-tie de cette société parasitaire qui est en passe de détruire la Terre. Mais je me responsabilise et j’essaie de changer les choses. Gagner de l’argent n’est pas difficile. Il est beaucoup plus impor-tant de se demander: que puis-je faire pour la so ciété?» Raphael est optimiste: couchsurfing, booksharing, Wikipédia, foodsharing sont des phénomènes qui diffusent le fait de donner et de recevoir de manière inconditionnelle. Il est

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persuadé que l’économie basée sur l’argent ne survivra pas. Animé d’une inébranlable confiance, cet ancien élève d’une école Steiner- Waldorf a une image fondamentalement posi-tive de l’être humain. Son propre avenir, il ne le voit pas à Berlin, avec ses gaz d’échappement et ses murs gris. Il est donc à la recherche d’un coin de terre en Espagne ou en France pour y construire Ecotopia, un village autosuffisant sans argent, sans hiérarchies, sans école, sans échange, sans attentes et totalement végétalien. C’est donc tout de même un retour à l’utopie du mouvement de 1968? «Oui, dans une certaine mesure, répond-il, mais avec Internet et beau-coup d’échanges d’idées et de contacts avec l’extérieur.»

Être une source d’inspiration«Sois le changement que tu veux voir dans le

monde», disait Mahatma Gandhi. Une citation que l’on retrouve sur la page d’accueil du site de Raphael, comme sur beaucoup d’autres blogs minimalistes à travers le monde. Celles et ceux qui se nomment parfois les «minimalistes nu-mériques» cherchent à faire bouger les choses hors des voies classiques que sont le militan-tisme politique, les manifestations ou les grèves. Leur protestation est discrète, individuelle, mais partagée sur Internet. «Nous ne voulons pas être des missionnaires, mais simplement une source d’inspiration», comme le formule Lisa. C’est la protestation d’une génération qui ne se sent pas représentée par les partis politiques et leurs rituels caducs. Faire dix heures d’avion pour discuter de la réduction urgente de rejets de carbone dans un hôtel cinq étoiles? Les minimalistes ont choisi une autre voie. Ils com-mencent le changement là où il est possible: chez eux-mêmes.

C’est peut-être ce que Harald Welzer, spé-cialiste en psychologie sociale, appelle la «gym-nastique sociale», l’exercice en miniature des grands changements sociaux. Ou serait-ce sim-plement la recherche d’une nouvelle esthé- tique du quotidien, dénuée de toute force sus-ceptible de changer les rapports de pouvoir? Car en ces temps d’hyperconsommation, la réduc-tion devient peut-être un signe ultime de distinc-tion: en montrant que l’on peut se permettre de ne rien posséder, on signale que l’on dispose d’un certain capital social et culturel. La capa-

cité de persuasion du nouveau minimalisme est mise à rude épreuve lorsqu’une blogueuse du Zero Waste s’énerve au sujet des emballages de repas et de la couverture chauffante proposée en vol long-courrier sans remettre en question son propre comportement en termes de mobili-té, lorsqu’une personne se défait de ses livres pour les vendre sur Amazon, ou lorsqu’un célèbre minimaliste suisse se lance dans le commerce en ligne de sous-vêtements et jouets sexuels… Après tout, même les sex-toys risquent de se retrouver un jour au rang paradoxal d’objets in-désirables.

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Sarah Frei ne voulait pas rester enfermée dans le cercle sans fin de la consommation. Elle a donc changé ses habitudes et vendu presque tous ses biens. Une adepte de la communauté croissante du minimalisme, qui se débarrasse du superflu, avec un surplus de liberté à la clé.

Texte: Samuel SchlaefliÀ Dietikon, dans l’agglomération de Zurich,

les constructions se multiplient. Près de la gare, un gratte-ciel en devenir promet «un logement avec vue». Les visualisations sont parlantes: de grandes pièces au parquet sombre, des salons avec table en bois non traité, de vastes canapés en plusieurs éléments, des baignoires élégantes devant des baies vitrées avec vue sur la ville.

Tous les stéréotypes de l’urbanité moderne re-vendiqués par des milliers de jeunes bien formés et bien payés dans les villes de Zurich, Bâle ou Genève. Sarah Frei, 28 ans, habite avec trois colocataires juste en face du chantier. Après des études en tourisme, elle a travaillé dans une banque et pourrait donc faire partie de la clien-tèle visée par les promoteurs du nouveau bâ-timent. Mais elle ne le veut pas. Elle ne veut pas d’un appartement de 100 m2 plein de meubles design avec garage au sous-sol. Elle ne veut pas d’un écran plat surdimensionné ni d’une cuisine avec steamer de haute technologie. Sarah rejette le «ballast» de la société du bien-être matériel, terme inventé par Niko Paech, économiste de la post-croissance, pour désigner tout l’inutile dont on croit à tort qu’il nous rendra heureux.

Portrait

Pour Sarah, c’en est assez

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37 vêtements et une nouvelle libertéJeune femme vive et enjouée qui parle vo-

lontiers d’elle-même, Sarah possède une solide confiance en elle et semble consciente de ses possibilités. Mais contrairement à beaucoup d’autres qui font carrière et investissent leur sa-laire dans les autos, les habits et les vacances haut de gamme, Sarah a commencé en sep-tembre dernier à se défaire de ses biens. Après la bourse d’échange de vêtements organisée entre copines et le marché aux puces improvisé dans une colocation, elle annonce sur ronorp.ch et tutti.ch qu’elle invite tout le monde à venir vider son appartement un certain samedi. Une soixantaine d’intéressés emporteront tout, à l’exception de quelques pieds de table. Au-jourd’hui, tout ce qu’elle possède tient dans sa chambre de trois mètres sur trois, avec parquet clair, murs blancs sans décoration et fenêtre donnant sur le chantier. «Mais il me reste encore beaucoup de choses», dit-elle dans son dia-lecte argovien, en regardant les quatre coussins roses de décoration sur son lit blanc. Des habits

qu’elle entend donner à une amie sont pliés dans un carton près de la porte. Elle n’a gardé que cinq des 25 paires de chaussures qu’elle possé-dait. Et les 40 sacs à main se sont réduits à trois. «Avant, je ne pouvais pas passer à côté d’un sac sans l’acheter», avoue-t-elle. Il lui reste en tout 37 vêtements et accessoires, sans compter les sous-vêtements. Le tout rentre dans trois tiroirs d’une commode blanche située près de son lit. D’un autre tiroir, Sarah sort une fourre en plastique violet avec des contrats, des certificats, des fiches pour la déclaration d’impôt et des enveloppes. «C’est mon bureau. Avant, j’avais besoin de toute une étagère.» Disparus les rames de papier, les crayons et les enveloppes de forme fantaisiste dont elle ne se servait jamais.

De la «consommation durable» au minimalismeLa nouvelle vie de Sarah est la conséquence

de la maladie de son père. Celui-ci, cuisinier gourmet et bon vivant, fut amené à changer radi-calement son alimentation lors d’un séjour à l’hôpital. Une volte-face qui fit réfléchir sa fille. Sarah commence à remettre en question ses habitudes alimentaires, à s’intéresser aux ingré-dients et à mener des discussions sur la diété-tique. Elle s’ouvre ensuite aux produits cosmé-tiques biologiques. «Mais tout en achetant des produits durables et sains, je restais prisonnière de ma frénésie de consommation.» Crèmes, rouges à lèvres et autres produits de maquillage s’empilent dans sa salle de bain. Jusqu’au jour où un blog présentant de petits films sur les pro-duits cosmétiques naturels lui fait découvrir le minimalisme et les récits de personnes qui se libèrent du superflu, prenant des selfies dans des chambres enfin vides. «La démarche m’a d’abord semblé un peu extrémiste. Qui voudrait vivre ainsi? Puis je me suis rendu compte que je pensais devoir acheter toujours plus pour être heureuse.» La lecture de livres comme Miss Minimalist, Simplify ou The Joy of Less: A Mini-malist Living Guide, vendus pour certains à plus 100 000 exemplaires, l’incite à reconsidérer ce qu’elle possède et à donner ou vendre une grande partie de ses biens. Elle ressent un senti-ment d’ivresse grandissante chaque fois qu’elle se défait de quelque chose: «Avoir deux vernis à ongles qui me plaisent vraiment est bien plus agréable que d’en posséder quinze autres que je

«Elle n’a gardé que cinq des 25 paires de chaus-sures qu’elle possédait.»

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n’utilise presque pas.»Pas facile pour les amis et la famille de

Sarah de comprendre ce revirement. Sa mère s’inquiète, imaginant la voir disparaître dans un cloître ou mener une vie de marginale. Des soucis qui ne se dissiperont que lorsque Sarah acceptera un nouvel emploi. Dans un premier temps, Sarah est déçue de ne pas être suivie par son entourage, de voir les autres continuer d’acheter et de remplir leurs armoires et leur appartement de choses inutiles. Mais elle re-nonce vite à leur faire la morale. Avec Internet, Sarah ne se sent pourtant pas seule dans son cheminement. Comme des centaines de mini-malistes de par le monde, elle raconte les étapes de son parcours sur un blog. «Pour moi, il était important de documenter ce processus.» Et Internet lui permet de nouer des liens avec des personnes qui pensent comme elle. «Grâce aux blogs et à Facebook, j’ai constaté que je n’étais pas seule, que je faisais partie d’un grand mou-vement. Un peu comme une révélation.» La communauté sur Internet ne remplace toute-fois pas les amitiés réelles. Contrairement à ce qui se passe en Allemagne ou aux États-Unis, les quelques blogueurs minimalistes de Suisse ne forment pas de vrai réseau. Sarah n’en a à ce jour pas encore rencontré un seul en per-sonne.

Moins d’argent, moins de stress, plus de tempsSarah n’actualise plus son blog depuis un

certain temps. Elle réduit aussi le temps qu’elle passe sur Internet. «J’ai trouvé le degré de mi-nimalisme qui me convient», dit-elle. Quel est l’effet de ce changement de vie sur sa personna-lité? «Je ne crois pas avoir changé en tant que personne. Mais je m’organise différemment; je fais les choses plus consciemment et je prends plus le temps.» Avant, il lui arrivait de rencontrer plusieurs amies la même journée. Aujourd’hui, un seul rendez-vous par jour lui suffit. Depuis trois ans, elle travaille à temps partiel, d’abord à 60%, puis à 50%. Elle gagne 2300 francs par mois, ce qui la place statistiquement près du seuil de pauvreté. Elle parvient pourtant à économi-ser 150 francs par mois, malgré les coûts fixes, la nourriture et les acomptes pour les impôts. «Avant, je songeais à augmenter mon taux d’oc-cupation pour avoir plus d’argent. Cette question

ne se pose plus, car mes frais ont sensiblement diminué.» Au lieu de manger au restaurant, elle préfère inviter ses amis à manger à la maison. Le temps ne lui manque pas pour faire la cui-sine. Et avant d’acheter un café à emporter chez Starbucks, elle se demande ce que cela lui ap-portera dans sa vie. «Ce que je dépensais en café, muffins et autres Red Bull jusqu’à la pause de 10 heures me suffit désormais pour toute la journée.»

«C’est parce que tu peux te le permettre», lui rétorquent parfois ses interlocuteurs quand elle évoque son emploi à temps partiel. «Toi aussi, tu pourrais te le permettre si tu étais prêt à réduire ton train de vie», répond Sarah. Pour elle, c’est le «sentiment de manque» du toxi-comane qui maintient les gens prisonniers d’une logique infernale: plus de consommation, plus d’argent, plus de stress. Elle est heureuse d’être sortie de ce cercle vicieux: «Je suis plus calme, plus sereine». Aujourd’hui, elle s’accorde du temps le matin pour prendre sa douche et son petit-déjeuner. Cette liberté est aussi ce qui la motive pendant ses deux jours et demi de travail. Son ancien poste de spécialiste en cartes de crédit dans une banque ne lui manque pas. Elle est actuellement employée à l’adminis-tration du canton d’Argovie. Elle gagne deux fois moins, mais est bien plus satisfaite de sa nou-velle vie.

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Débat contradictoire

Plus ou moins, c’est toute la questionNiko Paech, l’un des principaux détracteurs de la croissance en Allemagne, confronte ses vues aux arguments de l’apôtre de la croissance Wolf Lotter. Alors que le premier voit dans la sobriété matérielle la seule issue vers l’avenir, le second mise tout sur la croissance économique et dénonce l’appel au renoncement que les pays occidentaux lancent aux pays émergents. Pour Niko Paech, même les sites Internet de partage comme Airbnb s’inscrivent dans une logique de croissance écologiquement problématique.Entretien conduit par Hannes Grassegger

Niko Paech (né en 1960) est la per-sonnalité la plus connue de la mouvance critique face à la crois-sance. Économiste et professeur à l’Université d’Oldenburg, il a publié un ouvrage intitulé Befreiung vom Überfluss: Auf dem Weg in die Postwachstumsökonomie. Il tient à mettre en pratique ce qu’il dé-fend: il n’a pris l’avion qu’une seule fois dans sa vie et échange des objets sur le «marché des cadeaux» d’Oldenburg qu’il a contribué à créer sur mandat de la ville.

Wolf Lotter (né en 1962) était li-braire et historien avant de partici-per à la création du magazine éco-nomique brand eins. Ses essais, notamment consacrés à la transi-tion de la société industrielle en une société du savoir, continuent de paraître dans cette publication. Le titre de son livre publié en allemand est tout un programme: Gaspiller: l’économie a besoin d’abondance.

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Greenpeace: Monsieur Paech, on m’a dit que vous n’avez encore jamais mis les pieds à New York. Vous avez quelque chose contre cette ville?

Paech: J’ai beaucoup lu à propos de New York et je suis sûr que c’est une ville intéressante. J’aime le jazz et le jardinage urbain. Simplement, je n’y suis jamais allé pour l’instant.

Vous y renoncez au nom de votre idée de la sobriété et de l’économie post-croissance. De quoi s’agit-il?

P: L’économie post-croissance est la science d’un monde d’après la croissance. Il s’agit d’analyser les limites de la croissance, d’identifier les contraintes à la croissance et de développer les conditions qui permettraient une économie sans croissance, donc une économie post-croissance.

Pouvez-vous donner un aperçu de ce que serait ce monde?

P: Il s’agit de déconstruire l’approvisionnement à une échelle industrialisée et de construire des structures économiques régionales et une subsis-tance urbaine, c’est-à-dire un approvisionnement qui puisse fonctionner sans argent, sans marché et sans État. Le quatrième élément est une culture de la sobriété.

En quoi la croissance pose-t-elle problème?

P: La simple observation thermodynamique dé-montre que, dans le cadre de la production indus-trielle basée sur le partage du travail, il est impos-sible de produire une chose sans en payer le prix écologique. Les notions de durabilité ou de crois-sance verte qui ont fleuri ces quarante dernières années se sont toutes heurtées à cette réalité et ont même aggravé la situation. Les limites à la croissance sont aussi psychiques, du syndrome du burn-out aux dépressions toujours plus nom-breuses.

La croissance économique signifie donc que la nature et les êtres humains souffrent…

P: Exactement.

Monsieur Lotter, pourquoi notre économie doit-elle croître?

Lotter: Parce que les êtres humains n’ont encore jamais été aussi nombreux à vivre dans une telle aisance. Parce que notre espérance de vie est plus élevée qu’avant le capitalisme industriel. Parce que ce

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système a créé un bien-être matériel accessible aux masses. Les populations des pays émergents vivent mieux aujourd’hui que par le passé. Il est vrai que les problèmes évoqués par Niko Paech se posent, mais c’est une autre question.

Quelle est donc la vraie question?

L: Qu’est-ce que signifie «assez» et pour qui? C’est cela qu’il faudrait se demander, au lieu de reven-diquer la fin de la croissance. J’ai l’impression que la construction d’une société post-industrielle moins gaspilleuse sert surtout à une petite mino-rité dans les pays riches qui veut dicter des limites aux autres. C’est un peu l’homme repu, âgé, blanc, riche qui dit aux jeunes gens affamés des pays en développement: «Contentez-vous de peu – moi j’ai déjà tout ce qu’il me faut!»

Mais alors, que faire?

L: Il s’agit de savoir comment tirer profit du divi-dende social dans un monde digitalisé et indus-trialisé pour développer les talents personnels. Historiquement, le renoncement a toujours été associé à la contrainte. Il y a là un aspect totalitaire.

Monsieur Paech vit pourtant sans contrainte. Il renonce par exemple au téléphone portable. Il a d’ailleurs failli manquer notre rendez-vous, car j’ai eu de la peine à le joindre. Trouvez-vous qu’il nuit à ses propres idées?

L: Non, je ne pense pas. Avoir davantage n’est pas forcément mieux. La jeune génération renonce à la voiture et pratique l’autopartage ou se déplace en transports publics. C’est d’ailleurs une bonne illustration de ma thèse: sans croissance, impos-sible de construire de telles infrastructures plus respectueuses des ressources.

Vous rencontrez un franc succès avec votre magazine économique brand eins, mais Niko Paech réussit tout aussi bien sans même posséder un téléphone mobile. Le re-noncement à la croissance au nom de la dimension sociale ou écologique se répand partout. En Occident, la croissance est pratiquement nulle. Nous vivons dans un monde à taux d’intérêt zéro. Tout le monde parle de l’économie du partage. Même les publicités des déodorants de la marque Axe ont pour slogan: «Less Is More».

L: Ce n’est qu’un phénomène de mode. Moins, ce n’est certainement pas plus. C’est devenu un slo-gan vide de sens, pour gonfler les ventes. La plupart de gens veulent davantage, et non moins. D’ail-leurs, historiquement, le capitalisme a profité aux

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masses populaires. La production de masse sert à la masse de ceux qui ont moins d’argent. Les riches n’achètent pas les objets produits à la chaîne.

Monsieur Paech, que pensez-vous de cette économie du partage, de ces sites qui, comme Airbnb, aident les gens à sous-louer leur appartement pour un temps limité, permettant de mieux utiliser les ressources disponibles?

P: C’est une absurdité. Les voyageurs Airbnb ont peut-être l’empreinte écologique la plus massive de l’histoire. Parce que ce système leur permet de voyager encore plus. Le séjour à l’étranger devient moins cher. Le partage peut même accélérer la croissance. Le bilan de l’autopartage n’est pas non plus reluisant, car ce système encense véritable-ment le transport individuel motorisé en lui don-nant un vernis écologique. Cela augmente le nombre d’adeptes de la voiture! C’est uniquement dans un contexte économique de non-croissance que les concepts de partage pourraient contribuer à dématérialiser notre mode de vie.

Monsieur Lotter, existe-t-il des limites à la croissance telles que celles affirmées par le Club de Rome ou le modèle de Niko Paech?

L: Les limites de la croissance définies en 1972 par le Club de Rome et sa figure de proue Dennis Meadows n’existent pas. Ce sont là les craintes d’une société de la consommation dépassée par son succès. On a ressorti une conception vieille de deux siècles: l’idée de la surpopulation et de l’apocalypse à venir formulée par le pasteur et économiste anglais Thomas Malthus. Les pronos-tics de Dennis Meadows ont été démentis par la réalité. Le monde n’a pas fait naufrage. Il existe toutefois des limites à la croissance des utopies politiques, du moins tant que l’on vit en démocra-tie. Votre future économie du partage, Monsieur Paech, ne serait réalisable que par l’intervention dure d’une élite. On se retrouve vite dans une vi-sion du «socialisme réellement existant», avec une instance habilitée à distribuer le bien com-mun de façon à faire fonctionner un tout. Cela, je n’y crois plus. On dériverait très vite vers une dis-tribution totalitaire qui répartirait les ressources en fonction de critères idéologiques.

P: Mais pensez donc à l’expérience historique des économies de marché, qui génèrent régulière-ment la violence lorsqu’elles touchent à leurs li-mites réelles et monétaires…

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L: La vie d’avant l’économie de marché était «pauvre, sale, brutale et courte», pour reprendre l’expres-sion de Thomas Hobbes…

P: Les structures d’échange autonomes fonc-tionnent parfaitement en petits réseaux, les exemples sont nombreux à cet égard. Ceci n’a rien à voir avec une contrainte que je rejette tout au-tant que vous. Mais Malthus avait raison sur un point, car il prévoyait une multiplication de crises de répartition. Dire que Malthus avait totalement tort, c’est se jeter dans le vide depuis le 80e étage d’un gratte-ciel et se dire au 40e étage: «Pour l’instant tout va bien. L’expérience démontre donc qu’on ne s’écrase pas sur le sol.» Prétendre que la réalité a démenti Meadows et Malthus, c’est aller un peu vite en besogne.

Monsieur Paech, l’idée de limitation de la croissance ne peut-elle pas avoir des effets pervers? Demander une gestion sobre du pétrole, n’est-ce pas aider l’industrie pétro-lière à exploiter cette ressource encore un peu plus longtemps? N’est-ce pas repousser le moment où il faudra de toute manière trouver d’autres sources d’énergie?

P: Ce prétendu progrès par le remplacement d’une énergie par une autre revient à une redistribution des chances et des risques. Les problèmes sont simplement reportés à plus tard. C’est pourquoi je ne pense pas que les prix sont la solution. Nous devons remplacer notre consommation des res-sources par la sobriété énergétique.

Monsieur Lotter, les revendications de Niko Paech sont-elles encore compatibles avec l’économie de marché? Au début, je pensais que ses idées collaient avec votre pers-pective d’un capitalisme civil constitué des capitalistes à consommation responsable, mais je commence à en douter…

L: Moi aussi. Et en défendant Malthus, Niko Paech fait fausse route. Comme si tout restait toujours constant, tel un gâteau à répartir, alors que la plupart des progrès sont le fruit de l’esprit humain et de notre capacité à automatiser les processus, à produire davantage que la substance de départ. Les enjeux sont importants: il en va de notre santé et de bien d’autres domaines. Il est aberrant de penser que tous les acquis de l’époque moderne seraient funestes. L’État social ne pourrait pas fonctionner sans les dividendes du progrès et de l’automation. En 1910, un paysan pouvait nourrir dix personnes; en 1990, il en approvisionnait 144! En 1990, 18,7% des êtres humains souffraient de famine, alors qu’ils n’étaient plus que 12% en

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2014. C’est la conséquence du développement de l’économie de marché en Chine et en Inde.

P: Le développement économique a produit le changement climatique et fait tarir les ressources, et ceci aussi est un enjeu de taille. On me reproche de défendre une vision réductrice et dépassée. Je vois dans ce reproche une attitude proprement religieuse: la croyance en la création d’une nou-velle physique. Wolf Lotter défend une vision qui peut engendrer le totalitarisme, les guerres ci-viles, les luttes pour les ressources. Nous devrions rechercher dès maintenant des pratiques compa-tibles avec la post-croissance ou même le post-ef-fondrement. C’est une question de responsabilité. La sobriété ne relève pas de la limitation, mais de l’information.

L: Je souhaite avancer sur une base optimiste et non alarmiste. Progresser dans la joie et non sous les menaces et les scénarios apocalyptiques. Ne pouvons-nous pas continuer de développer ce que nous avons? En pensant plus grand?

Monsieur Paech, que dites-vous aux populations d’Inde et de Chine qui luttent pour sortir de la pauvreté?

P: L’Asie aurait besoin de modèles à suivre, par exemple d’une économie de post-croissance joyeuse, démocratique et libre en Europe, dont elle pourrait s’inspirer. Je me répète: le soi-disant succès asiatique conduira au chaos. Les Chinois ne sont d’ores et déjà plus en mesure de maintenir leur modèle économique sans piller l’Afrique.

Monsieur Paech, vous reprochez à Wolf Lotter une attitude religieuse. Mais quand on regarde les orateurs invités dans les conférences sur la post-croissance, comme celle qui s’est tenue récemment à Leipzig, on cherche en vain les voix critiques. N’est-ce pas une attitude sectaire?

P: Non. Les divergences entre adeptes de la post- croissance sont légion, par exemple entre les penseurs plutôt marxistes et ceux qui sont plutôt conservateurs, comme moi. Hormis quelques fa-nas de l’écologie profonde, la post-croissance est une contre-théorie à la croyance religieuse en une croissance idéalisée. La sobriété libère de la contrainte à la croissance. Les ressources hu-maines sont elles aussi limitées, et les progrès loués par Wolf Lotter finissent par nous détruire, par la stimulation permanente des sens et le stress. La sobriété est le retour à des dimensions

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plus humaines, à une vie meilleure et plus vivable. Nous avons atteint un point où la simplicité appa-raît comme le vrai progrès révolutionnaire.

L: Une telle vision est pour moi une idéalisation reli-gieuse de sa propre opinion. Nous ne parviendrons pas à nourrir davantage de gens en réduisant notre bien-être matériel. Pour ce qui est des problèmes écologiques, il est inquiétant de voir émerger des personnalités comme Chandran Nair, qui n’hésite pas à dire que la Chine ne pourra pas résoudre ses problèmes environnementaux sans durcir sa dictature. C’est une évolution préoccupante.

P: Vous vous contredisez, Monsieur Lotter! Si les Chinois sont dans une impasse, c’est justement à cause du développement que vous préconisez!

L: Qui vous dit que la direction du Parti en Chine n’est pas en train de se servir de vos arguments pour renforcer son emprise sur la société? C’est vous qui leur fournissez des arguments…

P: Il est ridicule de promouvoir un capitalisme débri-dé en agitant la peur de la régulation. Même un enfant peut comprendre qu’une planète ne peut pas produire indéfiniment. Quant à l’augmenta-tion de l’espérance de vie, une meilleure alimen-tation et plus de mouvement physique sont bien plus profitables à la santé qu’une productivité sans cesse augmentée.

L: Je ne dis pas que la croissance ne soulève aucun problème. Mais nous devons développer nos connaissances pour mieux savoir répondre aux besoins sans nous heurter aux limites physiques du monde.

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31Magazine GreenpeaceN° 2 — 2015

Alors que la diversité culturelle et biologique est un fait reconnu, l’économie reste domi-née par le modèle d’une croissance écono-mique permanente. De moins en moins de gens comprennent les dérives économiques actuelles: qu’en est-il exactement du taux de change du franc suisse par rapport à l’eu-ro? Pas bon pour les exportateurs suisses, dit-on. D’un autre côté, le salami d’Italie et les vacances en Grèce sont encore meil- leur marché…

Texte: Thomas NiederbergerUn jour, l’idée s’est répandue que l’économie

serait une science exacte, capable d’analyser, de calculer et de piloter chaque situation à l’aide de modèles complexes assistés par ordinateur.

Les partisans de cette conception développent leur propre vocabulaire: optimisation des profits, analyse coût-bénéfice, pression à la réforme… Des voix critiques comme celle de Niko Paech, professeur d’économie en Allemagne, s’élèvent pour dénoncer la «dictature de la croissance» (voir notre débat contradictoire, page 24). Le ma-laise public se traduit par des formules ironiques pointant la versatilité des protagonistes: «Un économiste est une personne qui s’enrichit en expliquant aux autres pourquoi ils sont pauvres.» Ou encore: «Pour l’économiste, la vraie vie est toujours un cas particulier.» La mono-économie dominante est en crise, comme le système des monocultures agricoles, et elle est tout aussi fade. Il est temps de faire place à la diversité économique, riche en approches intéressantes.

Modèles économiques alternatifs

Contre la pensée unique en économie

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32Magazine GreenpeaceN° 2 — 2015

Pour une éco-nomie plurielle

L’objectif des défenseurs de l’économie plu-rielle est de rendre visible la diversité au sein des sciences économiques et de mettre en cause l’opinion dominante dans les facultés d’écono-mie. Les pionniers de cette démarche? Par exemple les étudiants de Paris lorsqu’ils créent en 2000 le mouvement pour une économie post- autiste. Ou encore le réseau allemand de l’éco-nomie plurielle avec son site pluralowatch.de, qui prépare un classement sur la diversité de l’enseignement dans les facultés d’économie. Les pluralistes de plus de 30 pays se sont réunis au sein de la International Student Initiative for Pluralism in Economics (ISIPE). Leur objec-tif est de remettre l’économie au service de la société. Dans leur manifeste, ils déclarent: «Nous ne prétendons pas apporter de solution parfaite, mais nous sommes convaincus que les étudiants en économie profiteront d’un accès à des perspectives et idées multiples.»

Solidarité et biens communs

Les formes d’économie durable datent de bien avant la victoire de l’économie de mar-ché. Dans la perspective des «biens communs» (commons), le but n’est pas la maximalisation des profits, mais la promotion du bien-être com-mun. Les exemples sont nombreux en Suisse, par exemple les terres communales agricoles. Outre la Migros et Coop, la structure de la coo-pérative est aussi celle choisie pour la Nagra, chargée de trouver un site pour le stockage défi-nitif des déchets nucléaires. Mais l’économie solidaire est plutôt un mouvement social, du commerce équitable à l’agriculture contractuelle, en passant par les cafés autogérés et les cercles d’échange. La mouvance se caractérise par des hiérarchies horizontales, la démocratisation des décisions de production et de distribution, la coopération au lieu de la concurrence, la solida-rité entre entreprises, l’engagement politique pour une société plus juste et la durabilité éco-logique. Une vision similaire est celle de l’alliance pour une économie du bien commun, avec sa plateforme ecogood.org. Cette initiative met l’accent sur le bilan en termes de bien commun, conçu pour les entreprises qui souhaitent pro-gresser au moyen d’une procédure participative. Plus de 1700 entreprises s’impliquent déjà dans cette démarche. À moyen terme, les com-munes et les régions pourront également sou-tenir le mouvement en passant commande chez les entreprises certifiées «bien commun». L’économie solidaire est souvent associée aux communautés hippies et aux assemblées géné-rales permanentes, une réputation qu’elle ne mérite pas. Le principe du bien commun est d’ailleurs devenu un élément essentiel du déve-loppement de logiciels de type Creative Com-mons. La production de biens physiques pourrait être gagnée par le mouvement dans un futur proche.

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Le peer-to-peer et l’économie du partage

Au début, il y avait l’échange de fichiers de musique, le covoiturage, le couchsurfing. Au-jourd’hui, c’est un business qui se chiffre en milliards de dollars. Airbnb, l’acteur le plus im-portant du domaine, met l’hôtellerie sous pres-sion, tandis que l’autopartage devient la norme dans les villes. Selon le magazine économique Forbes, l’économie du partage connaîtra une croissance supérieure à 25% en 2015, devenant une «force destructrice» pour l’économie tradi-tionnelle. Le modèle économique peer-to-peer ressemble à une utopie anticapitaliste. Pourquoi vouloir posséder en exclusivité quand on peut partager? L’accès à Internet avec une plateforme dédiée permet d’échanger et d’utiliser efficace-ment les ressources, les objets, les machines, les modes d’emploi et les capacités disponibles localement. La consommation et la produc- tion s’inscrivent alors dans une démarche de coopération, réduisant nettement la dépen-dance à l’égard des multinationales. La fonc-tion de plaque tournante peut toutefois devenir un business dès que l’argent entre en ligne de compte. On assiste alors davantage à la commer-cialisation du partage qu’à l’abolition du capita-lisme. Reste que le partage peut tout de même enrayer la course à la consommation et soutenir les cycles économiques locaux. Amasser des choses que l’on n’a pas le temps d’utiliser est de-venu ringard. L’essentiel est aujourd’hui de pouvoir accéder facilement à ce que l’on veut, au moment où on en a besoin. La sobriété n’est pas une conséquence nécessaire des modèles d’économie du partage, mais elle pourrait les compléter utilement.

L’économie du bonheur et le bien-vivre

Le bonheur et la satisfaction sont des dimen-sions subjectives qu’il est difficile de calculer comme le produit national brut. Cela ne veut pas dire que ces deux facteurs doivent être laissés de côté, car les êtres humains ne sont pas des machines. Les émotions, la protection sociale et la reconnaissance comptent souvent davantage que le profit maximal. Dans notre société du burn-out, la liberté de disposer de son temps et de se reposer est devenue un luxe. L’économie du bonheur étudie ces questions et soulève un intérêt croissant, par exemple chez Coca-Cola. Le plus gros fabricant de boissons sucrées mal-saines finance un institut qui produit des études sur le bonheur et organise des congrès lors des-quels des scientifiques et des sportifs de haut niveau posent devant le logo de la multinationale. Et si la politique commençait à se soucier du facteur du bonheur? À l’exemple du Bhoutan, qui calcule chaque année le «bonheur national brut». La population de cette monarchie boud-dhiste semble heureuse en comparaison inter-nationale, si l’on en croit les sondages. Les habi-tants n’ont toutefois pas leur mot à dire en politique et la minorité hindoue est victime de discriminations. Le Bhoutan ne saurait donc faire figure de modèle. Par contre, le buen vivir («bien vivre») d’Amérique latine s’exporte avec succès. L’Équateur et la Bolivie ont repris ce concept développé par les populations autoch-tones des Andes et l’ont inscrit dans leur Consti-tution. Contrairement à la conception hédo-niste du bonheur en Europe, le «bien vivre» latino-américain présuppose des relations har-monieuses avec la nature.

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34Magazine GreenpeaceN° 2 — 2015

L’économie verte: croissance durable ou décroissance joyeuse?

L’économie verte est un terme générique recouvrant diverses manières de lier l’écologie à l’économie dans un esprit de durabilité. Les tenants de l’économie de l’environnement vou-draient ainsi contraindre les entreprises à as-sumer, par exemple par le biais du commerce des droits d’émission de CO2, les coûts externali-sés que représentent la pollution et la destruction environnementale. La commission mondiale sur l’économie et le climat considère le change-ment climatique comme un problème de taille, mais aussi comme une chance pour réorienter l’économie vers l’efficience, l’innovation et la croissance durable. Au contraire, les esprits cri-tiques comme Niko Paech estiment qu’une croissance «durable» ou «verte» est une contra-diction dans les termes, car la croissance en-traîne toujours la consommation de ressources supplémentaires. Les partisans d’une économie écologique soulignent que les ressources de notre planète sont limitées. Dès 1977, le profes-seur américain Herman Daly demandait dans son ouvrage Steady-State Economics que l’éco-nomie se stabilise à un niveau supportable à long terme. Les défenseurs de la décroissance vont même jusqu’à exiger que l’économie des nations riches entame une régression contrôlée, étant donné la surconsommation de ressources en Oc- cident. Une perspective peut-être préoccupante, mais qui serait compensée par une meilleure qualité de vie grâce à un renforcement du senti-ment de communauté dans les petites villes et les quartiers. En Suisse, cette vision est défendue par le Réseau Objection de Croissance avec son magazine Moins! (www.achetezmoins.ch), ou les groupes Décroissance Bern, Vision 2035 à Bienne et Neustart Schweiz à Zurich et Bâle.

Comment as-sembler les pièces du puzzle?

Une blague racontée dans les rues de Moscou: «Tout ce que les communistes nous disaient sur le communisme était faux. Mal-heureusement, tout ce qu’ils nous disaient sur le capitalisme était vrai.» Le temps de la lutte entre systèmes de société semble révolu. Toute forme d’économie alternative doit d’abord faire la preuve qu’elle est viable dans le capita-lisme réellement existant. Les contraintes maté-rielles sont nombreuses, tandis que les espaces manquent pour expérimenter de nouveaux modèles à plus large échelle. C’est pourquoi les cuisines et les jardins sont des laboratoires im-portants. Veronika Bennholdt-Thomsen, ethno-logue et sociologue autrichienne, raconte dans un entretien comment la visite d’Anna, cuisi-nière de rue mexicaine, à la cantine de l’Univer-sité de Bielefeld fut un élément important dans le développement de la perspective de Bielefeld sur la subsistance, axée sur les besoins immé-diats des êtres humains. On trouve déjà dans cette démarche féministe du milieu des années 1970 nombre d’idées qui ressurgissent au-jourd’hui. Le terme «économie» provient bien du grec oikos, qui signifie «maison» ou «mé-nage». Qui pourrait mieux en parler qu’Anna, la cuisinière de l’isthme de Tehuantepec?

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35Magazine GreenpeaceN° 2 — 2015

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Contexte

Désinvestissement: pour un avenir sans charbon, pétrole ni gaz!

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Face à l’échec de la politique climatique, des militants américains lancent une campagne mondiale de désinvestissement. Leur objectif est de convaincre les investisseurs de retirer leurs capitaux du secteur du pétrole, du gaz et du charbon. Des actions sont également prévues en Suisse.

Texte: Oliver ClassenBill McKibben sera-t-il le Nelson Mandela

du mouvement écologiste? Si le charismatique fondateur de 350.org n’est pas incarcéré, il re-présente tout de même une figure de proue de la contestation et pourrait bien changer les règles du jeu. En lançant une nouvelle campagne de désinvestissement du secteur du pétrole, du gaz et du charbon, son alliance pour le climat a tapé dans le mille. Après la Journée mondiale du désinvestissement de la mi-février, coordonnée par 350.org, plus de 850 institutions se sont détournées des énergies sales pour leurs place-ments financiers. Les bons arguments ont su convaincre les bons acteurs. Une initiative qui arrive au moment où un nombre croissant de personnes sont lassées de l’échec des confé-rences sur le climat et des politiques environne-mentales hésitantes.

Une action majeure en faveur du climatSi ce sont les pollueurs invétérés qui sont

dans la ligne de mire de la campagne, celle-ci cherche à les atteindre en visant leurs sources de financement. Le message de Bill McKibben aux investisseurs – caisses de pension, fondations de placement ou hautes écoles – interpelle la double responsabilité de ces acteurs: à l’égard de la planète et de ses habitants, mais aussi à l’égard de leurs propres bailleurs de fonds. En fin de compte, l’argent provient des assurés et des petits investisseurs, c’est-à-dire de nous tous. La campagne de désinvestissement ouvre les yeux des institutions sur la «bulle du car-bone» et ses conséquences funestes pour les marchés financiers. Pour atteindre l’objectif d’un réchauffement climatique maximal de 2° C d’ici à 2050, il faudra en effet renoncer à exploi-ter les quatre cinquièmes des gisements de combustibles fossiles connus. Or ces gisements constituent le capital de Gazprom, Shell et consorts, dont la valeur boursière pourrait être réduite à néant si une interdiction d’exploiter

était décrétée. L’argument écologique se double d’un motif économique fort.

Il n’est donc pas étonnant que Hans Joachim Schellnhuber, spécialiste du climat et conseiller de la chancelière allemande Angela Merkel, voit dans cette campagne «l’action la plus impor-tante jamais menée contre le changement cli-matique». La démarche stratégique du désinves-tissement se situe à mi-chemin entre le boycott et la sanction politique. Les critères éthiques d’exclusion pour les investissements ne sont pas une nouveauté. Pour les puritains des deux cô- tés de l’Atlantique, la participation financière à une brasserie, une distillerie ou un salon éro-tique est un péché mortel. Quant au mouvement pacifiste des quakers, il excluait le financement d’entreprises du secteur de l’armement. Mais le succès le plus éclatant du désinvestissement est cer tainement le retrait des capitaux américains d’Afrique du Sud, doublé d’appels au boycott et de sanctions économiques. Selon l’archevêque Desmond Tutu, compagnon de route de Nelson Mandela, le monde est dans une situation ana-logue aujourd’hui: «Il est inadmissible d’investir dans une entreprise dont les activités détruisent notre avenir.»

Philipp Aeby, climatologue et PDG de RepRisk, s’interroge lui aussi sur les similitudes entre le mouvement actuel contre les énergies fossiles et la campagne des droits humains contre l’apartheid, qui connût son apogée dans les an-nées 1980. «Tout mouvement de masse se fonde sur une idée convaincante permettant de créer une pression économique et de mettre le sujet à l’ordre du jour de la discussion politique», rappelle Philipp Aeby. Son entreprise zurichoise RepRisk collecte et évalue des informations éthiques sur plus de 50 000 sociétés com-merciales. «Contrairement à l’Europe, où les institutions étatiques jouent un rôle prédomi-nant, c’est l’initiative privée de fondations et de leaders économiques qui est déterminante aux États-Unis», rappelle-t-il. C’est d’ailleurs un certain Stephen Heintz qui donnera un élan inédit à la campagne en déclarant récemment que la fondation Rockefeller, dotée de 860 mil-lions de dollars, entend liquider tous ses in-vestissements dans les combustibles fossiles. La force symbolique de cette décision ne résulte pas du montant concerné, mais du fait que la fortune de la dynastie Rockefeller est justement

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née de l’or noir. Rockefeller était à la tête de Standard Oil, entreprise pionnière du secteur qui a donné naissance aux géants pétroliers ExxonMobil et Chevron.

En finir avec l’économie du carboneLe tournant s’annonce également en Europe.

À l’occasion de la Journée mondiale du désinves-tissement, la ville de Münster, en Westphalie, a décidé de se défaire de toutes ses actions liées au carbone pour faire avancer la protection du climat. Le montant en tant que tel – 10 à 12 mil-lions d’euros investis par la caisse de pension de la ville – n’est pas énorme. Mais ce désinvestis-sement touchera principalement RWE, géant allemand du nucléaire et du charbon, qui peine à s’inscrire dans une dynamique de transition énergétique. Selon Tine Langkamp, coordi-natrice de Fossil Free en Allemagne, huit villes du pays ont pris des décisions similaires, dont Aix-la-Chapelle, Bochum et Cologne. Tout comme Örebro, en Suède, ou Oxford. L’acteur le plus important du désinvestissement en Eu-rope reste toutefois la caisse de pension de l’État norvégien, qui gère la somme colossale de 800 milliards de dollars. En 2014, cette insti-tution tournait la page de l’économie du carbone en revendant les parts qu’elle détenait dans 22 exploitants de pétrole et de sables bitumineux.

Églises suisses dans le viseurEt en Suisse? «Les choses se mettent en

route», dit Oliver Marchand, président de l’asso-ciation fossil-free.ch créée en septembre dernier. Lors de la Journée mondiale du désinvestisse-ment, cet expert financier zurichois coordonnait une smart mob à la Paradeplatz à Zurich, brandis-sant des bulles noires symboliques. En été 2014, alors qu’Oliver Marchand lui demandait la per-mission de reprendre en Suisse l’idée et le mou-vement en faveur du désinvestissement, Bill McKibben lui a répondu: «La Suisse est un pays clé. Allez-y, et bonne chance!» Depuis, l’associa-tion a réussi à trouver un financement. La cam-pagne est censée démarrer réellement ce prin-temps, d’abord en direction des Églises suisses. Quel est l’engagement financier de celles-ci dans l’économie fossile? Oliver Marchand l’ignore. Mais aux États-Unis, une soixantaine d’organi-sations religieuses s’impliquent déjà dans le désinvestissement. Les prochains destinataires

de la campagne seront les caisses de pension et les compagnies ferroviaires de montagne, sou-cieuses de se donner une bonne image écolo-gique. Pour Philipp Aeby, expert en renommée commerciale, le problème de la démarche est qu’elle n’est pas suffisamment ciblée: «Il est bien plus difficile de faire bouger un secteur tout entier que de s’attaquer aux seuls exploitants de charbon, ou même à une seule entreprise de la branche. Surtout dans le cas d’un secteur aussi important que l’énergie.»

Oliver Classen est porte-parole de la Déclaration de Berne (DB) et co-auteur du livre Swiss Trading SA – La Suisse, le négoce et la malédiction des matières premières.

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38Magazine GreenpeaceN° 2 — 2015

Texte: Mathias Plüss

1La planète compte à peu

près autant d’abonnements de téléphonie mobile que d’êtres humains.

2En Suisse, la consom-

mation de matériel est de 11,5 tonnes par personne et par année. Une grande partie est liée à la construction, à l’ali-mentation, aux carburants et aux combustibles. S’y ajoute une quantité au moins aussi importante liée à la production et au transport des produits d’importation.

3Un ménage européen

moyen possède 18 appareils électroniques.

4En 2014, la vente des voi-

tures de luxe a progressé de 28% en Suisse.

5La production de lumière

par personne est aujourd’hui 100 000 plus importante qu’il y a trois cents ans.

6La consommation mon-

diale de poisson a plus que doublé ces cinquante der-nières années, passant de 9 à 19 kg par personne et par an-née. Pour la viande, l’augmen-tation est également impres-sionnante, de 23 à 42 kg.

En Asie de l’Est, la quanti-té de viande consommée a même décuplé pour passer de 5 à 56 kg par personne et par année. En Europe de l’Ouest, la consommation de viande est en légère baisse, mais reste supérieure à celle d’Asie de l’Est.

Consom-mation: faits et chiffres

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7La vie nocturne est en

plein essor: au milieu des années 1990, Zurich comptait moins de 100 clubs ouverts toute la nuit; aujourd’hui, il y en a plus de 600.

8En seulement douze ans,

de 1995 à 2007, la part des familles possédant un réfrigé-rateur est passée de 7 à 95% dans les villes chinoises.

9 Avez-vous remarqué

qu’on ne voit presque plus de vélomoteurs? Leur nombre a fortement diminué. Mais les adeptes potentiels de la mo-bylette ne sont pas passés au vélo. En effet, plus de 700 000 motos sillonnent aujourd’hui les routes suisses. C’est près de huit fois plus qu’il y a qua-rante ans, et davantage que le nombre de vélomoteurs à l’époque.

10 En Suisse, un ménage de

quatre personnes dépense en moyenne 2000 francs par année pour des denrées ali-mentaires qui finiront à la pou-belle.

11 Les chiffres d’affaires du

commerce de détail pour l’électronique ont triplé entre 2003 et 2014 en Suisse.

12 Les géologues de l’avenir

risquent bien d’appeler l’époque actuelle le «Plasto-cène». Des 300 millions de tonnes de plastique produites chaque année, un tiers est jeté peu après l’usage. Une part non négligeable de ces déchets aboutit dans les eaux. Le Da-nube achemine chaque jour quatre tonnes de plastique dans la mer Noire. Et un mètre cube d’eau du Danube ren-ferme plus de bouts de plas-tique que de larves de poisson.

13 Le tourisme d’achat

des Suisses en Allemagne re-présente plus du double du volume d’il y a cinq ans, selon les certificats d’exportation délivrés par la douane alle-mande.

14 Un Européen achète en

moyenne 65 à 70 nouveaux vêtements par année.

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40Magazine GreenpeaceN° 2 — 2015

Cuisine des restes

ÜniqueZéro déchet Précyclage

Bourses d’échanges

Minimalisme

Grève de l’argent

Lieux de villégiature

Partage

Vélos en libre-serviceAutopartage

Covoiturage

Mobilité

Globe-trotters Voyages

Marche à pied

Partage local

Végétarisme

Alimentation bio

Jardins collectifs

Habitat groupé

Colocation

VéganismeFreeganisme / Déchétarisme

Journée sans achat

Grève du plastique

Bureaux partagés

Nomadisme numérique

Mouvement des micro-maisons

régional

Panier de légumes

saisonnier

Autant que nécessaire, aussi peu que possible!S’il y a un mot que les rétro-consommateurs utilisent souvent, c’est bien celui de «sobriété» ou de «sufficience». Petit tour d’horizon des possibilités et des conseils pour s’y retrouver et pratiquer la sobriété le cœur léger.

Surcyclage

Repair Cafés

Cradle to Cradle

Travail à domicileSociété à 2000 watts

Coopérative

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41Magazine GreenpeaceN° 2 — 2015

Texte: Inga Laas

Alimentation bioTu consommes surtout, voire exclusivement du bio. Ce qui compte pour toi, ce sont les va-leurs intérieures. Le dumping et le made in China ne sont pas ta tasse de thé. Consommer moins, mais de manière plus res-ponsable en achetant des pro-duits plus sains, telle est ta devise. La nature et l’environne-ment t’en seront reconnais-sants. Pourtant, le bio à lui seul ne suffit pas à concrétiser l’idée de sobriété. Si les fraises – bio naturellement – n’ont rien à faire sur ta table en hiver, alors tu es sur la bonne voie. En revanche, chou-rave, chou de Bruxelles ou chou frisé boostent ta créativité. Quant à renoncer aux pommes néo-zélandaises – même non traitées –, aucun problème pour toi. Le panier de légumes de la région est un bon début. Tu ne feras pas d’achats inutiles en choisissant des produits saison-niers cultivés par le paysan du coin. Mais pas nécessaire que tout soit bio!

VéganismeTu es végane et tu t’engages sur la voie de la sobriété la tête haute. Tu es ce que tu manges: moralement solide. En matière de motivation, ce qui te dis-tingue de ton petit frère le végé-tarien, c’est ton indignation devant l’énorme quantité de CO2

émise pour la production de denrées alimentaires d’origine animale. L’élevage bio n’ap-portant rien à cet égard, tu en tires l’ultime conséquence: tu n’en consommes plus. Aucune graisse animale dans le savon, pas de duvet d’oie dans l’édre-don et surtout pas de cuir. Le vé-gane ne se demande pas ce dont nous avons besoin, mais si nous pouvons nous en passer. Eh oui, on peut. Il n’a même jamais été aussi facile d’être vé-gane. La diversité des succé-danés de viande s’accroît aussi vite que la popularité de ce mouvement. Mais dans quelle mesure le véganisme est-il éco-sufficient si les saucisses de soja et l’émincé de tofu par-courent plus de distances en avion qu’un non-végane durant toute son existence?

Freeganisme /DéchétarismeSi le freeganisme (gratuivo-risme), le glanage alimentaire ou le dumpster diving (déchéta-risme) constitue une nouvelle étape de la sobriété, il requiert une certaine habitude. Il est en revanche particulièrement effi-cace, car le freegan essaie de ne rien acheter. Cela ne veut pas dire qu’il doive voler, mais se servir dans les poubelles des supermarchés. On y trouve presque tout ce que la clientèle habituelle dédaigne. C’est sur-tout recommandé à des tempé-ratures proches de zéro. Les fruits, les légumes et les yaourts restent longtemps frais. Mais attention! Pénétrer dans un es-pace clôturé et forcer le cou-vercle d’un conteneur sont considérés comme une «viola-tion de domicile» et ne sont

Voie circulaire: elle ne conduit pas simplement de A à B,

mais à toutes les formes de la sobriété.

Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es.

Un chemin varié et riche en bifurcations: le partage.

Immédiat et direct: (renoncer à) la consommation.

Chemins de traverse pour ins-pirer une vie nouvelle.

Voyager crée des liens, à tous les niveaux.

Notre vie sur orbite: se loger et travailler.

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42Magazine GreenpeaceN° 2 — 2015

pas recommandés. Mieux vaut chercher des poubelles à ciel ouvert, il y en a assez. Et n’oubliez pas des gants en caoutchouc!

Mouvement des micromaisonsLes roulottes de chantier et les caravanes ont fait leur temps, place aux micromaisons! Le mouvement a relevé le défi de réduire l’espace habitable au strict minimum. Pour la première fois, aux États-Unis, on a pu voir des maisons contemporaines en modèle réduit. Complètement équipées, elles sont non seule- ment hyperconfortables, mais aussi mobiles, car souvent dotées de roues. Espérons que la tendance traversera bientôt l’Atlantique!

Grève du plastiqueLa grève du plastique s’inscrit dans la même logique que le mouvement «Zéro déchet». Elle est intéressante du point de vue de la sobriété. Plus de vête-ments en matière synthétique ou de récipients Tupperware, de babyphone, de bouteille de dé-tergent, etc. Très laborieux, mais sans doute aussi très sain.

MinimalismePour rester dans le style de ce mouvement: autant que néces-saire, aussi peu que possible.

Grève de l’argent

Les adeptes de la grève de l’argent battent à plate couture les minimalistes les plus hip. Après tout, l’argent n’est que du papier. Il n’apporte d’ailleurs que des problèmes, provoque des guerres, suscite envie et jalou-sie. Il est temps de mettre le holà. Ceux qui refusent l’argent sont loin d’être paresseux, au contraire: ils sont toujours à la recherche de nouvelles pos-sibilités pour gagner quelque chose. Gagner? Parfaitement! Ils gagnent leur vie en faisant du troc. Tondre la pelouse une fois par mois contre de l’eau chaude. Effectuer une livraison contre du lait frais pour une semaine. Donner des cours de maths pour cinq kilos de farine d’épeautre. Une chose est sûre: pour vivre sans argent, il faut un réseau bien étoffé d’amis et de connais-sances. Or avoir des amis rend heureux. D’ailleurs, quiconque refuse l’argent a beaucoup de temps libre pour réfléchir à ce qui le rend vraiment heureux, mais aussi à la manière dont il va pouvoir mettre en œuvre ce qu’il a imaginé.

Partage Partager, c’est la formule secrète, la clé de la sobriété. Utiliser au lieu de posséder. Autant parta-ger ce dont je n’ai pas besoin personnellement (en dehors de ma brosse à dents et de mon laptop) ou que j’utilise rarement (la voiture ou un DVD d’un film déjà sorti en salles). Cela permet d’économiser de la place. Le partage fait école, notamment pour les voitures, les vélos, les films, les livres, et même les arbres fruitiers abandonnés.

Quiconque a décidé de ne plus utiliser seul son service à fondue ou son déshumidificateur peut les partager sur la plateforme suisse Sharely. Sur ce site, tout tourne autour de la location d’objets usuels, moyennant une faible contribution.

VégétarismeEn tant que végétarien, tu gravis le premier échelon de la sobrié-té – tu fais en quelque sorte ton entrée en scène dans le monde de la sobriété alimentaire. Lac-tovégétarien (les produits lactés sont permis), ovo-lacto-végé-tarien (les œufs aussi) ou pesco- végétarien (et de temps à autre le poisson), tu renonces à la viande. Ce qui te motive, c’est l’amour des animaux, le souci du climat ou, tout simplement, le désir d’une alimentation plus saine (bien que cela ne soit pas définitivement prouvé) – ou tout à la fois. Il y a maintes raisons de devenir végétarien. Ce choix délibéré t’amène à te poser la première quest ion: de quoi avons-nous vraiment besoin pour vivre? La viande n’en fait appa-remment pas partie.

ÜniqueLa sobriété se préoccupe de ce qui est essentiel. Avec Ünique, c’est la beauté intérieure qui compte. Les carottes, les concombres et les pommes de

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terre commercialisées par le tout nouveau label Coop (depuis 2013) peuvent par conséquent être tordus ou présenter des formes curieuses. Bien que ces légumes ne répondent pas aux critères usuels de l’esthétique, ils atterrissent dans nos as-siettes et sont vendus à des prix fort attrayants. Ils sont dispo-nibles dans les grands magasins Coop.

Zéro déchet Que l’on soit bio, végétarien ou végane, les denrées alimen-taires produisent une pléthore d’emballages. Si on ne peut sans doute pas s’en passer pour leur transport, on peut choisir des magasins qui appliquent le principe «zéro déchet», une nouvelle tendance qui consiste à acheter de manière sobre: les produits sont vendus sans em-ballage, le client apporte lui-même un sachet ou un récipient. Il décide de la quan tité dont il a besoin, et surtout, fini le fasti-dieux déballage de la marchan-dise! À Londres (Unpackaged) ou Berlin (Original Unverpackt), les premiers supermarchés vendant des produits sans em-ballage font fureur. En Suisse, quelques épiceries bio proposent de la marchandise au détail. Demandez si vous pouvez appor-ter votre propre récipient! Cela en vaut la peine.

Des restes? – surtout pas!

Ils s’appellent Äss-Bar à Zurich et à Berne, Buffet-Dreieck à Zurich ou Mein Küchenchef à Berne. Dans ces enseignes, on valorise les restes. Les éplu-chures sont transformées en sel aromatique; le pain servi est celui de la veille et le menu est chaque jour différent.

PrécyclageLe recyclage est important. L’upcycling ou surcyclage, qui consiste à revaloriser les pro-duits périmés, est une idée ma-gnifique réservant bien des surprises. Le précylage est quant à lui l’impératif suprême: sur-tout, ne plus créer de déchets!

Bourses d’échangesPrêter et échanger, c’est com-pliqué? Ça l’était autrefois. L’Internet, qui sert de médiateur, simplifie la communication. Il est rapide et, qui plus est, permet des échanges au-delà des fron-tières. Espérons qu’à l’avenir, il sera plus facile d’échanger, non seulement des vêtements, de la musique, des livres et même des lieux de villégiature, mais aussi du temps. Comment ça marche? Une personne remplit

une déclaration d’impôts pour une autre, fait les commissions pour elle ou lui fait la lecture. Avec le temps crédité, elle pour-ra s’acheter une prestation qui demande autant de temps auprès d’une autre personne.

Cradle to Cradle (C2C)Le principe «du berceau au ber-ceau» signifie le contraire de l’adage de notre société du gas-pillage, «du berceau au tom-beau». Le matériel doit être utili-sé et non pas consommé. Et surtout, toutes les matières pre-mières doivent être complète-ment recyclées. Les toilettes à compost en sont un exemple: les déjections humaines servent d’engrais. Le cycle naturel est ainsi bouclé.

Repair CafésLe verbe «renoncer» n’a pas sa place ici. Que ton smartphone ait des ratés ou que ton grille-pain n’éjecte que des tranches carbonisées, des petits génies du bricolage, et donc des répa-rateurs professionnels mais bénévoles, t’aideront à mettre un terme au cercle infernal «acheter-consommer-jeter». Le concept est simple: tu ap-portes la chaise cassée au Re-pair Café, tu recolles le pied de chaise avec un expert, tout en savourant un bon café. Bravo!

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Journée sans achatChaque dernier samedi de no-vembre, dans toute l’Europe, c’est la Journée sans achat. Les anti-consuméristes exigent que l’on fasse une pause dans la course à la consommation permanente. Calmons-nous – et pas seulement pour notre porte-monnaie... Cette journée de la sobriété a lieu peu avant que l’effervescence des fêtes de Noël ne se déchaîne et que, à force d’acheter, on en oublie qu’on avait décidé de ne rien of-frir cette année. Une in citation à réfléchir, et peut-être à conti-nuer de s’abstenir. Peut-être un premier pas vers moins de consommation?

Jardins collectifsL’autosuffisance est à nouveau à la mode dans les grandes ag-glomérations. Un mouvement alternatif quelque peu écolo-gique se rassemble sous les ap-pellations séduisantes de «jardinage urbain», «jardinage collectif» ou «locavorisme». L’idée du jardinage social et de l’agriculture écologique trouve aussi un sol fertile en Suisse.

Prenant le contrepied des jardins familiaux divisés en parcelles, une nouvelle esthétique urbaine est en train de voir le jour. Les jardins sont souvent situés entre des rues et des immeubles ou sur de nouvelles friches urbai-nes. Les terrains vagues se trans-forment en oasis de verdure, offrant un biotope et de la nour-riture aux abeilles sauvages et autres insectes.

Partage localPartager entre voisins est le b.a.-ba d’un quartier qui se res-pecte. L’association Pumpi-pumpe y arrive à moindres frais sur un plan strictement local. Entre voisins, on peut partager certains objets que l’on n’utilise pas souvent. Celui qui sou- haite prêter quelque chose le signale au moyen de superbes vignettes. La boîte aux lettres sert de tableau noir.

Nomadisme numériqueLe nom est déjà tout un pro-gramme. Tu es chez toi là où ton ordinateur est connecté à Inter-net. Tu travailles n’importe où et n’as pas besoin d’un poste fixe. D’ailleurs, tu n’en voudrais pas. Nomade des temps modernes, ta journée de travail commence là où d’autres passent leurs va-cances: Indonésie ou Las Vegas, Djakarta ou Mumbai, peu im-porte. Ton credo, c’est de te sen-tir bien partout dans le monde. Génial, non? Celui dont le bu-reau tient dans un laptop et qui transporte le reste de sa vie dans son sac à dos semble tota-lement éco-sufficient: le strict nécessaire et le strict minimum.

S’il n’y avait pas de considé-rables distances parcourues en avion et l’énorme empreinte CO2... Heureusement qu’il y a des digital natives qui restent dans leur pays et pratiquent le travail à domicile.

Habitat groupéQuand les investisseurs s’em-parent des friches et des espaces libres, le prix des loge-ments et des loyers atteint des sommets astronomiques. Ceux qui envisagent le dévelop-pement urbain différemment – et ils sont heureusement nombreux – s’associent à des personnes qui partagent les mêmes vues pour former une société civile immobilière et investir. D’abord de l’argent, mais aussi du temps et de l’énergie dans la planification et la réalisation de projets immo-biliers conformes à leurs idées. Collectifs, écologiques, auto-nomes et surtout d’un prix plus avantageux, leurs projets de logement ont le potentiel de dés-amorcer – en partie tout au moins – la crise du logement.

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Colocation

Ensemble, on est moins seul? Pour le meilleur ou pour le pire... À chacun de décider. Une chose est sûre: quand on vit en com-munauté, on partage plus et dépense moins: ustensiles de cuisine, meubles, téléphone, télévision et parfois même les animaux domestiques, pour ne citer que quelques exemples.

Société à 2000 watts / consommation d’énergieNotre mode de vie implique une consommation d’énergie consi-dérable. Les progrès techniques permettent de réduire cette consommation: on loue l’effica-cité énergétique de toutes sortes d’appareils. Mais seule la so-briété permet à l’éco-efficience d’atteindre ses objectifs: est-il nécessaire de chauffer la salle de bains? Dois-je prendre une douche tous les jours? Faut-il de l’eau chaude pour se laver les mains? Ai-je besoin de tous ces appareils électriques?

Bureaux partagésDans les bureaux partagés, le graphiste travaille à côté du psy-chologue qui, à son tour, est assis en face du biologiste, le-quel tourne le dos à un archi-tecte dont la partenaire est ingé-nieure de l’environnement. Ces bureaux rassemblent tous ceux qui souhaitent la plus grande flexibilité possible. Les débutants qui ne disposent pas de capital pour créer leur propre agence

ou aimeraient économiser l’argent pour autre chose par-tagent leur environnement avec des têtes bien faites – une mine d’or pour les créatifs! Les pauses café y sont interminables...

Globe-trottersPour le globe-trotter, «le chemin est le but». Ses pensées et ses rencontres suivent le rythme de ses pas. Il n’y a aucune ur-gence, pas d’objectifs précis. Le globe-trotter réduit son bagage à ce qu’il peut porter sur son dos. C’est un minimaliste indé-modable.

VoyagesLe voyageur autosuffisant ose quelque chose de nouveau: la randonnée urbaine vous promet l’aventure à votre porte. L’auteur René P. Moor propose une expé-rience: de votre point de départ, partez d’abord vers la gauche, puis, au premier croisement, vers la droite, puis à gauche, et ainsi de suite. Ce principe gauche-droite conduit à un voyage fas-cinant, dont l’issue est incer-taine et qui n’exige pas de plan de la ville.

MobilitéUne mobilité sobre, cela veut dire un mouvement maximal pour une consommation d’éner-

gie minimale. Les approches sont multiples: auto partage ou vélos en libre-service, utilisation opti-male des transports publics, transport partagé pour l’armoire, le lit ou la table – et naturelle-ment pour toi.

Marche à piedL’auto-mobilité est la méthode de déplacement la plus sobre. Gratuite, respectueuse de l’envi-ronnement, elle permet de tra-verser toutes les frontières. Elle est aussi silencieuse que saine. Les adeptes de l’auto-mobilité pédestre ne sont certainement pas des précurseurs. Il s’agit plutôt d’un retour aux sources. Comme le déclarait le poète alle-mand du XVIIIe siècle Johann Gottfried Seume: «Tout marche-rait mieux si l’on marchait plus».

Vous trouverez la liste des liens cor-respondant à ces conseils sur l’application du magazine (voir qua-trième de couverture).

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Entretien avec la chercheuse en design Ursula Tischner conduit par Esther Banz

«La plupart des designers sont des valets de l’industrie», déclare Ursula Tischner. Dans cet entretien, cette chercheuse et conseillère en design explique dans quels domaines le design durable a de l’avenir, comment le design de produits peut aller de pair avec la sobriété et pourquoi il pourrait révolution-ner le système dans son ensemble.

Greenpeace: Parler de sobriété avec un desi-gner de produits constitue une véritable gageure. L’entretien pourrait se terminer au bout de cinq minutes...

Ursula Tischner: Sûrement pas! Quelques-uns parmi nous – et j’en fais partie – se sont spécialisés dans le développement durable. Nous travaillons notamment depuis longtemps à des solutions qui permettraient d’éviter de créer certains produits.

Éviter de créer certains produits?Oui. Pour les éco-designers, la question

centrale est de savoir comment empêcher que certains produits ne voient le jour tout en faisant gagner de l’argent aux entreprises, car c’est bien pour cela qu’ils sont payés...

Et comment faites-vous?En misant plutôt sur les services. Nous ne

voulons pas faciliter la vie des gens en vendant des produits, mais au moyen de systèmes de partage. Cela existe déjà depuis longtemps pour les voitures. On pourrait faire encore mieux.

Pourriez-vous donner un exemple?Une entreprise de tapis américaine a com-

mencé, il y a déjà des années, à louer ses revête-ments de sol au lieu de les vendre. Elle offre un service appelé «Des sols plus beaux». Une autre garantit des récoltes abondantes aux paysans et veille à ce que les légumes cultivés en pleine terre poussent bien, en utilisant exclusivement des méthodes bio. L’agriculteur paie pour ce service.

Entretien

«Certains designers comparent leur métier à de la prostitution»

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Cela ne doit pas être facile pour certaines entreprises de changer leurs habitudes...

Pour les grosses entreprises qui ne ven-daient jusqu’à présent que des produits, c’est nettement plus difficile que pour des start-ups, parce qu’elles ont mis sur pied une vaste in-frastructure pour développer leurs capacités de production et leurs systèmes de distribution. Pour les jeunes entreprises, il est plus simple de se lancer dans l’économie du partage. Heu-reusement, elles sont nombreuses.

L’économie du partage est actuellement en plein essor...

Les choses bougent dans le secteur auto-mobile. En Allemagne, toutes les grandes entreprises proposent aujourd’hui des solutions d’autopartage, y compris Mercedes et BMW. On voit qu’elles ont compris où tout cela va nous mener. Elles achètent actuellement de petites start-ups et intègrent leurs services dans leur stratégie. Mais les consommateurs sont encore frileux. La plupart des gens se sentent toujours obligés d’acheter les choses qu’ils veulent uti-liser. L’idée de la propriété est fortement ancrée dans nos têtes. Mais on observe des change-ments à cet égard.

Avez-vous déjà réussi à convaincre une entreprise de changer radicalement de stra-tégie?

Oui, par exemple une entreprise qui ven-dait des conteneurs à des municipalités et à des sociétés de collecte des déchets. Ensemble, nous avons élaboré un modèle de location de ces conteneurs. Tout le monde y gagne: les villes et les communes ne sont plus obligées d’acheter des conteneurs, ce qui permet de faire des éco-nomies; les services de collecte ne doivent plus se préoccuper de l’entretien; l’entreprise récu-père à chaque fois son matériel et dispose d’un contrat de location garanti à long terme. Ce sont des exemples qui font plaisir, car ce sont des situations gagnant-gagnant. Au total, on consomme moins, le système fonctionne en circuit fermé et est donc plus efficace que la vente classique.

Votre activité, semble-t-il, s’est transformée au fil des ans. Vous êtes devenue une sorte de spécialiste du partage.

Oui, plus ou moins. Dans notre bureau, nous avons commencé par l’éco-design en décla-rant: nous concevons des produits, mais de ma-nière plus écologique. Puis nous nous sommes tournés vers le design de services. Nous avons réalisé que l’écoproduit ne suffisait pas, qu’il fal-lait concevoir le produit et le service ensemble, car cela nous permet de participer à la phase d’utilisation. Nous nous étions rendu compte que le design d’écoproduit ne résoudrait pas le problème auquel nous devons faire face. Notre approche devait être beaucoup plus systémique.

Et cela en tenant compte du fait que des produits meilleurs, plus efficaces, ne conduisent pas nécessairement à la sobriété, car l’effet de rebond – l’augmentation de la consommation – réduit aussitôt les écono-mies à zéro.

Exactement. La meilleure efficacité du pro-duit est souvent annulée, parce que les gens l’uti-lisent plus souvent et de manière irréfléchie. Il y a aussi plus de produits vendus, car plus de per-sonnes vivent seules. La croissance économique mondiale fait également que, dans l’ensemble, le nombre de produits fabriqués et la consom-mation des ressources ne cessent d’augmenter.

Sur quoi a débouché ce constat?Nous avons examiné des systèmes plus

vastes, qui jouent un rôle important pour la consommation d’énergie, par exemple la mobi-lité, le tourisme et l’agriculture. Nous nous sommes demandé comment on pourrait conce-voir ces systèmes de manière plus durable, produire de manière plus écologique et plus rai-sonnable d’un point de vue social.

Où en êtes-vous aujourd’hui?Nous avons lancé un grand projet européen

intitulé «innonatives», qui s’adresse aux native innovators. Nous l’avons présenté récemment sur le site www.innonatives.com. C’est une plate-forme d’innovation et de design ouverte. Des créatifs du monde entier peuvent élaborer en-semble des projets durables et des projets de design axés sur la durabilité. Nous avons aussi créé un financement participatif (crowdfunding)

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pour aider à lancer des projets prometteurs. Les premiers sont déjà terminés, les prochains sont en phase de planification. Nous voulons gérer cette plateforme sur le long terme.

De plus en plus de produits soi-disant éco-logiques arrivent sur le marché, avec des emballages souvent assez chics. Ils semblent vouloir séduire le client: «Achète-moi! Je suis un bon produit, je suis écolo». Mais en cas de doute, ne ferait-on pas mieux de renoncer à les acheter?

Non, je ne dirais pas cela. On peut créer un bon produit, qui dure par exemple si longtemps et est si précieux que les gens l’aiment et vou-dront peut-être l’utiliser toute leur vie. Certains designers arrivent à de tels résultats. Les biens de consommation dits de fast fashion fournissent l’exemple contraire: il s’agit uniquement de styler le produit afin qu’il ait l’air tendance, alors que son design n’a rien de nouveau. Le seul objectif est d’inciter le consommateur à jeter ses vieilles fringues, même si elles ne sont pas en-core usées, le convaincre qu’il doit acheter du neuf pour être heureux. C’est exactement le contraire de la durabilité.

La branche des téléphones mobiles et des ordinateurs fonctionne comme cela…

Cette tendance s’est malheureusement étendue de l’industrie du vêtement à de nom-breux autres segments, à commencer par les meubles. On pourrait citer une sympathique chaîne d’ameublement suédoise... Et puis, les téléphones mobiles: la toute nouvelle géné-ration a des bords arrondis, la prochaine aura à nouveau des bords droits. La technologie a certes été un peu améliorée, mais pas au point de justifier l’achat d’un nouveau smartphone chaque année. C’est de la pure idiotie et du design mal compris, qui sert uniquement à en-courager la consommation et le gaspillage.

Quel est le but d’un bon design?Aider à résoudre des problèmes. Par

exemple en concevant des objets qui font du bien aux gens et ne se contentent pas de générer des profits pour l’industrie. Depuis le Bauhaus, l’idée existe que le designer doit créer des ob-jets dotés d’une utilité sociale. Nombre de jeunes designers réfléchissent à cette question.

Malheureusement, cette prise de conscience n’est pas encore vraiment entrée dans les mœurs des designers de produits grand public et des designers industriels, en particulier dans les pays germanophones. Bien sûr, je comprends les craintes de mes collègues. Ils dépendent de l’industrie et font donc ce qu’on leur demande de faire, à savoir créer des produits...

... que l’on devra jeter au bout de six mois? Exactement. Certains designers comparent

leur métier à de la prostitution. Ils disent: «S’ils veulent cela, on le fait. Personne ne pose la question de la durabilité.» C’est ce que j’entends régulièrement. Et je leur réponds: «Vous ne pourrez pas continuer comme cela bien long-temps, les temps changent.» De plus en plus de lois imposent aux entreprises une plus grande responsabilité à l’égard de leurs produits. Les consommateurs sont toujours plus conscients et les ressources deviennent plus chères. Je crois que les designers qui ne comprennent pas cela ne pourront pas tenir longtemps sur le marché, même s’ils vivent aujourd’hui confortablement de leur travail.

Qu’est-ce qui vous donne des raisons d’espérer?

Il existe une jeune génération de designers qui ne veulent pas travailler comme on nous l’a enseigné. Ils disent: «Nous voulons faire quelque chose qui soit gratifiant.» Naturellement, ils souhaitent avoir un bon job et devenir célèbres – nous sommes tous pareils. Mais ils ne veulent pas passer toute leur vie à exécuter n’importe quelle activité qu’ils trouvent absurde. Et si ce changement de comportement ne vient pas des designers actuels, ce sera la prochaine géné-ration qui veillera peut-être à ce que les choses changent radicalement.

Où commence la politique en matière de sobriété?

Il y a peu de choses à ce sujet. Les politiciens ont peur de dire aux gens de se priver et de se restreindre. Certes, ils parlent de plus en plus de consommation durable, mais les lois ne sui- vent pas. Ils se préoccupent plutôt de questions du genre: comment pouvons-nous éduquer et former les consommateurs? Que faut-il pour changer les comportements? Comment fonc-

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tionne l’apprentissage social et que peut faire la politique pour y contribuer?

Dans vos conférences, vous parlez souvent d’efficience, mais vous ne mentionnez pas la sobriété. Pourquoi?

Je crois que nombre de personnes vont de toute façon bientôt réduire leur consomma-tion. Elles y seront bien obligées, car les condi-tions de travail deviennent malheureusement précaires. Certaines personnes n’arrivent pas à nourrir leur famille, même en cumulant trois ou quatre emplois. Il y a aussi les «laissés pour compte» de la société et de nombreux jeunes qui ont quitté l’école ou n’ont pas pu trouver de travail. Cette évolution des choses est très pré-occupante. Des experts prédisent que le système va s’effondrer, que nous allons connaître des situations anarchiques. Ensuite, ce sera la dégrin-golade. Je ne l’espère pas. Mais les styles de vie vont se transformer, c’est certain.

Le partage et la solidarité seront-ils demain des thèmes plus importants que l’efficience et la sobriété?

Oui, nous sommes dans une époque où la coopération joue un rôle majeur et cela va encore se renforcer. Si nous voulons surmonter les crises, nous devons réussir à juguler l’égoïsme et la loi du plus fort. Nous devons veiller à faire des projets intéressants. C’est ainsi qu’un nouveau mouvement naîtra à partir des nombreuses ten-tatives actuelles. Nous ne pouvons pas continuer à attendre des décisions du monde politique ou des entreprises. Nous devons prendre les choses en main. J’aimerais y contribuer, par exemple avec notre nouvelle plateforme d’innovation.

Que conseillez-vous aux gens qui ont peur de réduire leur consommation?

De mettre leur télévision à la cave, d’éteindre leur laptop une fois leur journée de travail ter-minée, et de partager avec des amis ou de la famille le temps ainsi libéré, en cuisinant ou en faisant du sport, d’essayer de succulentes re-cettes sans viande. Par beau temps, d’aller au travail ou de faire leurs courses à vélo, d’acheter sur les marchés locaux, de choisir des produits durables, qu’ils utiliseront encore dans deux ans. Et d’avoir plus souvent des conversations sympathiques avec leurs voisins.

Biographie — Chercheuse en design, Ursula Tischner a fait des études d’art, d’architecture et de design in-dustriel de produits. Après son master, elle a travaillé pendant plusieurs années à l’interface entre le design et la recherche environnementale auprès de l’Institut pour le climat, l’environnement et l’énergie à Wup-pertal. Depuis 1996, elle dirige une agence de design durable à Cologne, conseille des entreprises et des gouvernements, publie régulièrement des articles et enseigne dans des écoles supérieures, dont la Haute école des arts de Zurich (ZHdK).

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Essai

Les bobards de la publicité

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Le secteur de la publicité se vante volontiers d’être créatif. Le qualificatif ne paraît pourtant guère justifié lorsqu’on observe ce qui est diffusé sur les ondes et collé sur les panneaux d’affichage. Si l’humanité s’était développée au même rythme que la publicité, nous serions encore assis dans nos grottes à parler du temps qu’il fait ou du ragoût de buffle en poussant des grogne-ments. La créativité des publicitaires se situe plutôt dans l’image qu’ils donnent de leur importance sociale et donc économique.

Texte: Christian HänggiLorsqu’ils évoquent leur profession, les avocats de ce subtil mécanisme

qui vise à capter l’attention du public sur un produit nous racontent, suivant les cas, deux histoires totalement différentes. La première est que l’industrie publicitaire serait un moteur économique d’une importance cruciale. La publicité créerait des emplois et informerait les consommatrices et consommateurs des produits, sou-vent extrêmement novateurs, qui viennent de sortir sur le marché et dont on n’aurait, sinon, aucune idée. Elle permettrait d’augmenter le chiffre d’affaires des entreprises et contribuerait à la croissance, principal indicateur du bien-être capi-taliste, en stimulant la créativité de ses acteurs.

Comme les publicitaires savent très bien que tous les produits ne sont pas du goût de tout le monde – et notamment du monde politique –, ils ont colporté une seconde histoire. Selon celle-ci, la publicité n’aurait pas seulement pour effet d’encourager la consommation – Dieu nous en préserve –, elle se contenterait de déplacer les parts de marché: si un fumeur impénitent change soudain de marque de cigarettes, c’est parce qu’une agence vient de lancer une campagne particuliè-rement géniale.

Ces deux histoires sont sans doute séduisantes, mais ce sont des bobards. Je n’ai en tout cas jamais lu d’étude crédible prouvant de manière convaincante l’une ou l’autre de ces deux thèses. Les publicitaires s’en fichent éperdument, car ils n’aiment pas tellement se baser sur des faits scientifiquement attestés. Ils pré-fèrent les histoires salaces. Si la publicité dopait vraiment la vente de certains produits, elle serait largement responsable de l’exploitation des ressources natu-relles et de la main d’œuvre. Mais les publicitaires ne veulent bien sûr pas en en-tendre parler.

La pub fait de la pub pour elle-mêmeQuel est l’impact de la publicité? Pour reprendre les termes du gourou des

médias canadien Marshall McLuhan: «Le message, c’est le médium.» Tout pan-neau publicitaire, tout spot à la télévision, toute annonce dans les journaux, que ce soit pour Nestlé ou Greenpeace, est de l’autopublicité. La publicité cimente l’idée qu’elle serait quelque chose qui va de soi, qui a et doit avoir une place bien ancrée

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dans la société. Or la publicité a quelque chose de réconfortant, d’autosatisfaisant. Elle prône le statu quo. En Suisse, comme presque partout ailleurs, elle conforte le système capitaliste dans son attitude consumériste et son obsession de la crois-sance.

La publicité montre d’abord que seuls ceux qui ont suffisamment d’argent pour cela en font. Elle montre qu’il vaut mieux avoir beaucoup d’argent si l’on veut se faire entendre. La plupart des produits et des services dont elle fait la promotion ont d’ailleurs besoin de pub, car ils sont aussi futiles qu’interchangeables. Personne ne se soucierait d’eux sur le libre marché des idées si la publicité n’existait pas. À cela vient s’ajouter le fait que la pub favorise l’obsolescence et donc le remplace-ment prématuré des objets qui seraient encore utilisables ou pourraient être répa-rés. Nous jouons le jeu, parce que nous avons depuis longtemps intériorisé la pensée consumériste.

La publicité nous fait aussi croire que tout ce qui est important peut être formulé de manière concise et claire. Il n’y a pas de place dans la publicité pour les contenus complexes ou les points de vue différenciés: les mêmes slogans peuvent être utilisés aussi bien pour des voitures que pour des ordinateurs ou des sham-poings. Les réalités plus profondes n’existent pas.

Et chaque publicité – tout au moins celle à vocation commerciale – montre que la consommation est une bonne chose, qui apporte bonheur, beauté et recon-naissance sociale. C’est, à mon avis, la raison majeure pour laquelle la publicité est considérée comme un moteur économique: il s’agit de véhiculer une image du monde dans laquelle les gens ne sont pas avant tout des citoyens, des mères, des amoureux, des hurluberlus ou des rêveurs, mais des consommateurs.

Une insulte à l’intelligenceLes seules campagnes de pub qui font parler d’elles sont les affiches poli-

tiques, généralement celles de l’extrême droite. Elles sont tout aussi insultantes pour notre intelligence que les publicités pour tel ou tel magasin d’électronique ou telle pâte dentifrice. Mais elles sont souvent mieux conçues. Ma thèse, quelque peu osée, est que les campagnes politiques déclenchent des polémiques parce qu’elles se distinguent de la publicité commerciale sur deux points décisifs. D’abord, elles nous montrent que nous ne sommes pas seulement des consommateurs, mais aussi des citoyens. Elles nous obligent à une confrontation sociale, ce qui demande nettement plus d’efforts que d’acheter (ou non) un nouveau shampoing. Deuxiè-mement, elles nous permettent, si nous défendons l’opinion inverse, de nous dé-marquer de nos adversaires.

Dans la publicité commerciale, au contraire, nous faisons déjà partie du système. C’est la raison pour laquelle les affiches politiques sont déchirées, alors que celles des entreprises qui font du lobbying, éliminent les syndicats, tolèrent des

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conditions de travail inhumaines, provoquent des catastrophes environnemen-tales, collectent des données ou privatisent la sphère publique restent intactes au nom du respect des droits de propriété. Entraînés que nous sommes à être avant tout des consommateurs et à limiter notre liberté de choix dans nos achats, il ne nous viendrait même pas à l’idée de déchirer l’affiche d’une entreprise polluante.

Toute publicité est autopromotionnelle. Elle est d’ailleurs le produit pour lequel on fait, et de loin, le plus de publicité. Toute publicité pour un produit bio, une voiture «non polluante» ou une politicienne de gauche est en même temps un hymne à la publicité – et à la consommation. Peut-on y changer quelque chose? On m’a demandé une fois d’écrire un article donnant des conseils pour se protéger de la publicité, en toute légalité bien entendu. Après m’être battu pendant des années contre la publicité commerciale dans les espaces publics, avec un résultat plus que décevant, je suis arrivé à la conclusion que les structures sont tellement rigides qu’actuellement, il est impossible de changer quoi que ce soit.

Impossible? En hommage au grand publicitaire Howard L. Gossage, qui insérait toujours un bulletin-réponse dans ses annonces afin que chacun puisse donner son avis et gagner quelque chose de sympa, nous nous réjouissons d’ores et déjà des idées que vous voudrez bien nous soumettre. La meilleure sera récompen-sée par un exemplaire du manuel de Greenpeace.

Biographie — Spécialiste de l’écologie dans les médias et rédacteur indépendant, Christian Hänggi est coprésident du groupement d’intérêts Plakat | Raum | Gesellschaft, qui milite pour une réduction de la publicité dans les espaces publics à Zurich et dans le canton. Il donne des cours sur les médias et la communication à l’Université Ramkhamhaeng à Bangkok et sur la littérature américaine contemporaine à l’Université de Bâle. Son livre Gastfreundschaft im Zeitalter der medialen Repräsentation (Passagen Verlag, 2009) plaide pour une approche éthique face à la sollicitation excessive des messages publicitaires.

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L’âge de l’accès: la nouvelle culture

du capitalismePourquoi nous posséderons moins

et dépenserons plus à l’avenir

Par Jeremy Rifkin

La propriété matérielle, c’est du passé. L’avenir appartient aux biens virtuels… et au contrôle de l’accès à ces biens. Il y a quelques années, Jeremy Rifkin a résumé l’essentiel de cette tendance dans un ouvrage intitulé L’âge de l’accès. Il y analyse une rupture à ses yeux fondamentale: le passage d’une économie de marché fondée sur la propriété à une économie de ré-seaux fondée sur la location. Cette évolution a une conséquence iné-dite. L’économie de marché est discontinue: les agents vont sur le marché pour acheter des biens ou des services dont ils deviennent les propriétaires, ce qui leur per-met de se retirer du marché et de développer des activités non mar-chandes. Dans une économie de réseaux, au contraire, la propriété des biens matériels est remplacée par l’utilisation de services déma-térialisés. La conséquence est que l’ensemble des activités des individus se trouve progressive-ment intégré dans une dimension commerciale et marchande. C’est la question de la possibilité même de développer des rapports non marchands qui se trouve dès lors

posée. Les thèses développées par Jeremy Rifkin dans cet ouvrage sont plus actuelles que jamais. Traduit de l’anglais par Marc Saint-Upéry, Éd. La Découverte Poche, Paris, 2005.406 pages13,50 €ISBN: 9782707146083

La nouvelle société du coût marginal zéroL’Internet des objets, l’émergence

des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme

Par Jeremy Rifkin

Dans son dernier ouvrage, Jeremy Rifkin prédit que l’économie col-laborative viendra supplanter l’économie de marché. Après avoir bouleversé les médias, Internet s’apprête en effet à transformer de nombreux secteurs: l’éducation, le financement et même l’énergie. En réduisant quasiment à néant le coût marginal, les nouvelles technologies mettent à mal le mo-dèle capitaliste fondé sur la ren-tabilisation d’investissements massifs grâce aux profits dégagés par les économies d’échelle. Elles préparent l’émergence des com-munaux collaboratifs et l’avène-ment d’une économie du partage. Ces évolutions sont riches en promesses pour l’écologie: la pro-duction à un coût marginal zéro et le partage dans une économie circulaire présentent des avantages immenses pour la lutte contre la pollution et la dégradation de l’en-vironnement.Traduit de l’anglais parFrançoise et Paul ChemiaÉd. Les liens qui libèrent, Paris, 2014510 pages40.30 CHFISBN: 979-10-209-0141-5

À lire

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57Magazine GreenpeaceN° 2 — 2015

The Upcycle: Beyond Sustainability – Designing for

AbundancePar William McDonough et

Michael Braungart

L’époque des déchets est révolue; il n’y a désormais plus que des nutriments. Tous les produits cir-culent en permanence et l’on n’utilise plus que des matériaux sains, inoffensifs. Ce qui nous semble être la vision d’un avenir lointain est déjà une réalité dans de nombreux endroits. Et le concept a un nom : cradle to cradle.

Dans leur dernier livre, les créateurs de ce concept fran-chissent une étape supplémentaire. Ils ne se concentrent plus unique-ment sur le design ingénieux de certains produits. L’upcycling vise à un style de vie parfait: un loge-ment sain, un travail qui nous comble et des villes durables. L’ou-vrage esquisse un avenir extrê-mement positif. Il est une invita-tion convaincante à se joindre à ce «cercle vertueux de la vie».Avec une postface de Bill ClintonNorth Point Press, New York, 2013227 pagesISBN: 978-0865477483

Machines of Desire

Le monde chatoyant de la consommation nous entoure, nous séduit et nous dirige, en ce sens qu’il guide nos choix. C’est cet aspect de la circulation planétaire des marchandises que nous ne voulons pas voir et ne voyons pas. Personne ne se pose la question de savoir ce qu’il advient des objets de nos désirs, sans lesquels nous croyions ne plus pouvoir vivre, quand nous nous en débarrassons et les remplaçons par de nou-veaux. Les tonnes de déchets que nous produisons chaque jour dis-paraissent de notre vue et atter-rissent en Afrique, en Chine ou en Inde, où ils vont peu à peu se dés-intégrer, à moins qu’ils ne soient partiellement recyclés.

C’est là qu’intervient l’artiste Raphael Perret, à la recherche des rebuts de notre société de consom-mation. Il montre la désintégra-tion et la transformation de ce qui nous paraît si précieux pendant un laps de temps toujours plus court. Ses photos représentent ce qui se cache derrière les couleurs chatoyantes de ces gadgets tou-jours nouveaux qui garnissent les rayons de nos hypermarchés: la valeur qu’ils acquièrent ailleurs, la façon dont ils transforment les paysages et ce qu’ils signifient pour les habitants des pays dans les-quels nous nous débarrassons des

déchets de notre civilisation. Raphael Perret montre quel héri-tage nous laissons à ces pays. Il le restitue sous une autre forme et dans des images d’une beauté iné-dite et ambivalente.Textes en anglais et en allemandSous la direction de Raphael PerretAmsel Verlag, Zurich, 201448.00 CHFISBN: 978-3-9523960-7-0

À lire

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Une école congolaise forme des techniciens solairesL’École professionnelle du bâtiment (Eproba)

à Kinshasa peut désormais former des techniciens solaires grâce aux équipements photovoltaïques qu’elle a reçus pour son 25e anniversaire. Cette nouvelle formation n’aurait pas été possible sans l’aide de Solafrica, une association à but non lucra-tif bernoise soutenue par Greenpeace. Solafrica s’est spécialisée dans la diffusion de l’énergie so-laire en Afrique. Son objectif principal est d’amélio-rer la formation des populations locales.

Le Suisse Hans Greuter est l’un des fondateurs de l’Eproba. Jeune professeur d’école secondaire, il s’était rendu à Kinshasa en 1962 à la demande de l’Entraide protestante suisse. La ville comptait alors environ 500 000 habitants. Aujourd’hui, plus de neuf millions de personnes vivent dans la métro-pole congolaise, une croissance explosive que la ville a réussi à surmonter sans aménagement du territoire ni permis de construire, sans eau potable ni électricité. La plupart des gens sont venus ici dans l’espoir de trouver du travail et la sécurité. Tou-tefois, Hans Greuter explique que les habitants manquent de tout. Le pire pour lui, c’est le désespoir des jeunes.

Avec un entrepreneur local dont la femme, une Suissesse, avait déjà fondé une école à Kinshasa, Hans Greuter a mis sur pied à l’Eproba un système de formation professionnelle en alternance, simi-laire au modèle suisse. Grâce à cette formation axée sur la pratique, les élèves peuvent directe-ment s’intégrer dans la vie professionnelle. L’En-traide protestante des deux paroisses de Kilchberg

– une coopération dont Greuter a eu l’initiative – assure le financement de l’école.

Jusque-là, l’Eproba formait des maçons, des menuisiers, des plombiers, des électriciens et des dessinateurs en bâtiment. Grâce à la nouvelle cen-trale solaire, les futurs électriciens peuvent égale-ment étudier les technologies solaires. Les pan-neaux photovoltaïques ont été remis lors d’une grande manifestation à laquelle assistaient la presse locale, des représentants du ministère de l’Éducation et l’ambassadeur suisse Christian Go-bet. Ce dernier est enthousiasmé par ce projet, car l’école peut désormais mener ses activités sans se soucier des défaillances du réseau électrique congolais. Quant aux jeunes électriciens spéciali-sés dans le solaire, leurs perspectives profession-nelles sont optimales.

À Kinshasa, un raccordement électrique est un luxe inaccessible pour la plupart des habitants. L’énergie solaire a non seulement l’avantage d’être écologique, mais permet aussi de ne plus être sou-mis aux aléas du réseau électrique national et de bénéficier d’un approvisionnement illimité et stable en énergie propre.

Soutenez cette campagne sur www.solafrica.ch!

Sociétés suisses, assumez vos responsabilités!

À l’étranger, des grands groupes suisses sont régulièrement impliqués dans des scandales liés à la surexploitation des ressources naturelles ou à

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des violations des droits humains, surtout dans le tiers-monde. Juridiquement, il est pratiquement impossible de les poursuivre en justice. Jusqu’ici, le Conseil fédéral et le Parlement n’avaient pas vou-lu édicter de codes de conduite contraignants pour les sociétés ayant leur siège en Suisse. Une coali-tion de 50 ONG, dont Greenpeace, a décidé de faire bouger les choses. Grâce à l’initiative populaire «Pour des multinationales responsables – proté-geons les droits humains et l’environnement» (Ini-tiative multinationales responsables), elles veulent inscrire dans la loi un devoir de diligence pour toutes les entreprises suisses. Ce devoir comprend une évaluation des risques sur place, des mesures pour éviter et faire cesser d’éventuelles atteintes aux droits humains et à l’environnement, ainsi que la publication d’informations complètes sur les me-sures adoptées. Ce devoir de diligence, qui doit s’étendre à toutes les relations commerciales d’une entreprise, s’aligne sur les principes directeurs de l’ONU.

L’initiative aimerait en outre inscrire dans la loi que les entreprises suisses sont obligées d’assu-mer la responsabilité des préjudices que leurs fi-liales auraient causés en raison d’une violation des droits humains ou des standards internationaux en matière de protection de l’environnement.

Deux exemples prouvent la nécessité de l’ini-tiative: un matin d’août 2009, à Abidjan (Côte d’Ivoire), des dizaines de milliers de personnes furent soudain prises de malaises. Elles souffraient de maux de têtes et de nausées, d’irritations cuta-nées et de problèmes respiratoires. Elles ignoraient que, dans la nuit, le cargo Probo Koala avait illéga-lement déversé 500 tonnes de déchets pétroliers toxiques dans 18 décharges, sur ordre du grand groupe suisse Trafigura. Les dirigeants de la socié-té n’ont à ce jour pas été inquiétés en Côte d’Ivoire.

Lorsque, en mai 2011, les forces de sécurité de Yalisika (République démocratique du Congo) se rendirent coupables de graves violations des droits humains, un grand groupe suisse était impliqué: Siforco, filiale de Danzer, n’avait pas tenu ses pro-messes de dédommager la population locale pour l’abattage des arbres de la forêt. Elle s’était, en effet, engagée à construire une école et un centre médi-cal en contrepartie. Au lieu de cela, Siforco a fait

appel à l’armée lorsque des échauffourées ont écla-té. Un habitant du village a été tué, plusieurs femmes et jeunes filles violées. La multinationale n’assumera ses responsabilités que lorsqu’elle sera mise au ban par la communauté internationale à la suite de ces événements.

Dans les pays en développement en particulier, l’État est souvent incapable de protéger les popu-lations et l’environnement des activités des multi-nationales. Or bon nombre d’entre elles ont leur siège en Suisse. Notre pays compte le plus grand nombre de sociétés opérant à l’étranger par habi-tant et occupe la deuxième place pour ce qui est des investissements directs à l’étranger.

La récolte des signatures débute en mai. Vous pouvez télécharger des formulaires sous www.droitsansfrontieres.ch.

Les mers du globe bientôt protégées? Après des années de tergiversations politiques

et des jours de négociations fébriles à l’ONU, une percée décisive a eu lieu le 24 janvier dernier: des gouvernements du monde entier ont convenu de rédiger un traité contraignant permettant de pro-téger la vie marine au-delà des frontières de leurs eaux territoriales. Cette décision historique n’aurait pas été possible sans l’engagement passionné des défenseurs des océans. Juste une semaine avant le vote, les #oceanlovers avaient envoyé plus de 6000 tweets et des milliers de posts Facebook aux délégués de l’ONU pour leur signaler que le monde attendait d’eux des actes concrets.

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ESLa décision de l’ONU est une chance d’impo-

ser des normes internationales en matière de protection des océans. Des études d’impact en-vironnemental pourraient, par exemple, être obli-gatoires avant que le feu vert ne soit donné à un projet. La coopération entre les organisations de protection des océans et les autorités de régula-tion en charge de la pêche, de l’exploitation des ressources halieutiques, de la navigation et de la pollution constitue un défi majeur. Même si ce pro-cessus demandera beaucoup de temps, la «vague du changement» (#waveofchange) qui se mobilise en faveur de la protection de la biosphère com-mence à faire sentir ses effets.

En lançant sa Roadmap to Recovery, Green-peace avait appelé les gouvernements à mettre en place un cadastre global des réserves marines et à protéger 40% des océans de la planète. Depuis lors, plus d’une décennie s’est écoulée. Ce projet pionnier a abouti à la campagne pour le traité de l’ONU sur la protection de la biodiversité en haute mer (UN High Seas Biodiversity Agreement), un mouvement qui n’a cessé de s’amplifier et a séduit des milliers de sympathisants dans le monde. La pression internationale a finalement conduit à un changement de comportement de la part de grands pays, tels les États-Unis qui s’étaient opposés du-rant des années à un tel accord. Juste avant que ne s’ouvre la conférence Our Ocean à Washington, Greenpeace et de nombreuses autres organisa-tions avaient envoyé des milliers de tweets au se-crétaire d’État John Kerry, l’appelant à s’engager pour la protection des océans à cette occasion. Kerry a avoué que cette action ne l’avait pas laissé insensible: «Les défenseurs des océans sont un petit peuple tenace!» a-t-il commenté...

Shell poursuit son projet risqué dans l’ArctiqueShell courtise le gouvernement américain pour

que ce dernier lui accorde une licence l’autorisant à effectuer des forages pétroliers dans l’Arctique. L’entreprise risque bien de parvenir à ses fins. Cinq ans à peine après la catastrophe pétrolière dans le golfe du Mexique, un projet visant à promouvoir la production d’énergie de 2017 à 2022 prévoit des forages pétroliers dans deux des zones marines les plus sensibles de la planète: la mer de Beaufort et la mer des Tchouktches, au nord de l’Alaska.

Ces deux régions ne disposent ni d’un nombre suffisant de garde-côtes ni d’infrastructures ap-propriées pour réagir en cas de marée noire. Le gouvernement américain estime pourtant à 75% la probabilité qu’un, voire plusieurs accidents graves se produisent. «Il serait irresponsable, compte tenu de ces risques, d’autoriser l’exploitation pétrolière dans d’autres zones de l’Arctique», déclare Lisa Maria Otte, experte de l’Arctique auprès de Green-peace Allemagne. Une étude publiée récemment dans la revue scientifique Nature met en garde contre d’autres conséquences: si nous ne voulons pas que la hausse globale des températures soit supérieure à deux degrés Celsius, il faut renoncer à extraire le pétrole de l’Arctique.

En dépit de ces avertissements, Shell persiste dans ses intentions. Tout comme Gazprom: le grand groupe russe est jusqu’ici le premier et le seul à effectuer des forages pétroliers au nord de la limite des glaces arctiques. Les deux entreprises mettent en danger une région unique en son genre, qui com-prend plusieurs peuples autochtones et où vivent

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des espèces animales endémiques telles que l’ours blanc ou le narval. Tout espoir n’est cependant pas perdu: au large du Groenland, des sociétés pétro-lières quittent l’Arctique et restituent leurs licences de forage. Le groupe norvégien Statoil a récemment annoncé qu’il gelait ses projets dans l’Arctique au moins pour cette année.

Le Public Eye Lifetime Award décerné à ChevronChevron, l’un des plus grands groupes pétro-

liers de la planète, a deux sièges sociaux: l’un à San Ramon en Californie, l’autre à Fortaleza au Brésil. Cette multinationale américaine peut se targuer d’un triste privilège: elle s’est vue décerner le Public Eye Lifetime Award, le Prix de la honte. Dans la «Ga-lerie des horreurs» qui immortalise les lauréats des dix dernières années, le jury de spécialistes a choi-si une liste restreinte de candidats pour la dernière votation en ligne. Du 19 novembre 2014 au 22 janvier 2015, plus de 60 000 personnes du monde entier ont voté et élu Chevron vainqueur toutes catégo-ries. En 2006, le groupe avait obtenu le prix dans la catégorie «Environnement» pour avoir pollué de grandes surfaces de forêts vierges au nord de l’Équateur. L’entreprise refuse d’assumer ses res-ponsabilités pour l’une des pires catastrophes en-vironnementales jamais survenues. Malgré un combat juridique qui dure depuis plus de vingt ans, Chevron a jusqu’à présent pu échapper à toute condamnation.

Le 23 janvier, plus de cent personnes intéres-sées, des journalistes et des représentants d’ONG qui nous sont proches se sont réunies à l’hôtel Mon-tana de Davos pour assister à la dernière remise du Prix de la honte et à la cérémonie de clôture. Les légendaires Yes Men, champions de la satire, ont présenté en exclusivité leur Requiem pour le WEF. Sven Giegold, député allemand au Parlement eu-ropéen, a ensuite rendu hommage à Public Eye, qui, durant quinze ans, a jeté un œil critique sur les pra-tiques commerciales des entreprises et offert aux ONG une plateforme pour dénoncer publiquement la violation des droits de l’homme et du travail ain-si que la destruction de l’environnement et la cor-ruption. Lors de la table ronde qui a clôturé la ma-nifestation, les principaux orateurs ont discuté de l’avenir de la critique de la globalisation avec Anan-nya Bhattacharjee, militante du droit du travail, Adrian Monck, directeur de la communication du WEF, et Andreas Missbach, membre de la direction de la Déclaration de Berne.

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Essai

Le Wood Wide Web du règne végétal

Le monde des plantes n’est pas toujours aussi

harmonieux qu’on pourrait le croire. Il connaît la concurrence et le népotisme; certaines espèces

sont écartées, d’autres chassées. Les plantes sont aussi des championnes du réseautage, des échanges

et de la coopération. Ce serait toutefois une erreur de les comparer aux êtres humains. Tandis que nous

mettons la croissance au-dessus de tout et utilisons les ressources jusqu’à ce qu’elles soient épuisées pour

arriver à nos fins, les plantes ont la faculté d’adapter leur croissance aux ressources.

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Texte: Florianne Koechlin, illustration: Julie PetterUn pissenlit de mon petit jardin n’a rien à voir avec ses congé-

nères qui poussent un mètre plus loin, bien à l’ombre dans le pré. L’un est petit, avec des feuilles presque sans tige ayant l’aspect du cuir, et ses fleurs sont minuscules. L'autre est élancé, avec de larges feuilles vert foncé et des fleurs d’un jaune intense et délicatement parfu-mées. Pourtant, il est bien possible que ces deux plantes proviennent d’une graine de même souche. Quelle étonnante faculté d’adaptation! C’est cette propriété qui permet aux plantes de s’épanouir de ma-nière particulièrement efficace. Quand le terrain est pauvre, elles sont chétives mais survivent quand même. Un chat souffrant de carence alimentaire ne résisterait pas, car il lui serait im possible d’adopter la taille d’une souris. Les plantes étant sédentaires, elles sont bien obligées de s’adapter à leur environnement.

Une autre propriété qui aide les plantes est la relation étroite qu’elles entretiennent avec leur environnement et leur interconnexion. Une plante n’est pas simplement piquée dans le sol et ne pousse pas toute seule. Chaque plante crée sa propre oasis nutritive à l’intérieur de son rhizome. Elle «exsude» des substances précieuses à partir de ses racines, nourrissant ainsi des millions de micro-organismes – cham-pignons, bactéries ou virus. En échange, ces derniers l’aident à se pro-curer des substances nutritives dans le sol, la rendent résistante aux maladies, à la chaleur et à la sécheresse, favorisent la croissance des racines, neutralisent les toxines du sol et repoussent les parasites. Plantes et microbes sont des partenaires intimes dans pratiquement tout le processus vital, et ce depuis des millions d’années.

Wood Wide WebCette coopération va bien au-delà des racines. Une forêt semble

à première vue réunir différentes espèces d’arbres indépendantes les unes des autres: chênes, hêtres, épicéas et aulnes. Or, dans le sous-sol, ces arbres constituent, avec les champignons, un réseau dynamique parfaitement interconnecté. Ce réseau souterrain constitué de racines et de champignons est appelé mycorhize (du grec myko: champignon et rhiza: racine). Tous les arbres de la forêt et de nombreux champi-gnons, dont de célèbres espèces comestibles, comme la girolle, le bolet ou le cèpe, font partie de cet immense réseau, qui est beaucoup plus imposant que la partie visible de l’arbre. Dans la littérature scientifique contemporaine, on l’appelle du reste le Wood Wide Web.

Généralement, cette symbiose mycorhizienne est bénéfique aux deux partenaires. Les plantes fournissent aux champignons les sucres qu’elles produisent au moyen de la lumière solaire (photo-synthèse). Les champignons leur offrent en échange de l’eau et des

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substances nutritives qu’ils prélèvent dans le sol au moyen de leurs microscopiques filaments, les hyphes.

Les plantes utilisent aussi le réseau souterrain qu’elles par-tagent pour échanger des informations qui leur sont vitales. Le haricot vert infesté de pucerons commencera ainsi à se défendre en préve-nant ses voisines du danger qui les menace. Des expériences menées en Chine ont montré que les tomates font de même lorsqu’elles sont atteintes par l’oïdium. Les plantes alarmées peuvent réagir et se dé-fendre plus rapidement. On a donc là deux phénomènes: la symbiose du champignon et du rhizome et le réseau d’échanges des racines.

Si un plant de lin pousse à côté d’un plant de mil, et est donc re-lié à lui dans le sous-sol grâce à la mycorhize, il deviendra deux fois plus grand que s’il pousse à côté de ses congénères. Un groupe de chercheurs de l’équipe d’Andres Wiemken à l’Université de Bâle a pu prouver que le mil donne une grande part de ses sucres au lin par le biais du réseau commun de racines et de champignons. «On peut dire que le mil nourrit le lin», explique Wiemken, bien que ces deux plantes ne soient pas de la même famille.

Un troc souterrainApparemment, dans des cultures mixtes qui étaient jadis la

norme, les plantes pratiquent une sorte de troc, chacune transmettant aux autres les substances nutritives en excès en échange de celles dont elle a besoin. Le trèfle et d’autres légumineuses peuvent fournir de l’azote; les plantes à longues racines telles que les arbustes et les arbres peuvent, à leur tour, aller puiser de l’eau en profondeur et alimenter le réseau mycorhizien. D’autres peuvent injecter de grandes quantités de phosphore ou de sucres dans le Wood Wide Web. Les échanges y sont la règle. Les plantes adorent travailler en réseau. C’est d’ailleurs ce qui leur permet de survivre, même dans les conditions les plus défavo-rables, et de croître de manière particulièrement efficiente et suffi-ciente.

Mais, comme sur le web, la concurrence fait aussi rage dans cette vaste communauté souterraine. L’œillet d’Inde, par exemple, «ex-sude» par ses racines des substances toxiques pour les plantes – des thiophènes – et utilise le réseau mycorhizien pour les répandre dans son entourage et empêcher d’autres plantes de croître.

Mieux exploiter le potentielL’agriculture industrielle ne tire guère parti de ce potentiel

qu’offre le monde végétal. Au contraire, une plante de maïs produite en monoculture, par exemple, est irriguée et amendée de haut en bas. Elle est comme un autiste. Pas question pour elle de se connecter avec

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les micro-organismes que recèle le sous-sol, de faire partie d’un réseau et d’attirer les espèces utiles au moyen de substances odoriférantes. Elle dépend complètement des produits chimiques. Des études ont montré que, dans la monoculture intensive, les plantes produisent en-viron 40% de mycorhize en moins que celles de l’agriculture bio.

Mais l’agriculture bio et d’autres systèmes agro-écologiques pourraient exploiter encore mieux les facultés des plantes et devenir ainsi plus efficientes et sufficientes. Comment pourrait-on créer des conditions qui permettraient à une plante cultivée d’avoir une crois-sance optimale? Quelles cultures mixtes sont possibles en Suisse? Comment pourrait-on activer les défenses immunitaires d’une plante et intensifier sa communication avec les substances odoriférantes? Des agriculteurs auxquels l’expérimentation ne fait pas peur devraient coopérer avec des chercheurs pour répondre à toutes ces questions.

L’agriculture actuelle produit environ 40% de tous les gaz à ef-fet de serre. La fabrication d’engrais synthétiques et de pesticides demande énormément d’énergie et consomme beaucoup de ressources non renouvelables. Il est grand temps d’améliorer l'efficience et la sufficience dans ce domaine. Nous pourrions apprendre beaucoup des plantes. Leur évolution est une extraordinaire réussite: plus de 90% de la biomasse est composée de plantes.

Vous trouverez sur le site web de Florianne Koechlin des indications bibliographiques et une galerie de photos: www.floriannekoechlin.ch

Des situations gagnant-gagnantDeux exemples montrent comment on pourrait ac-croître le rendement des champs cultivés et lutter efficacement contre les insectes nuisibles au moyen de méthodes bio.

Dans l’agriculture traditionnelle de l’Amé-rique centrale, le maïs, les haricots et les courges sont cultivés ensemble. Le maïs fournit les hydrates de carbone et sert de tige aux haricots. Les haricots fournissent des protéines et de l’azote. Les courges prospèrent à l’ombre du maïs et des haricots, conservant l’humidité du sol et empêchant l’éro-sion. Dans cette forme de culture mixte, chaque plante produit davantage que dans la monoculture. Pour le célèbre spécialiste du maïs Garrison Wilkes, l’agriculture dite des «trois sœurs» est l’une des découvertes humaines les plus fructueuses qui soient.

En Afrique orientale et australe, le maïs est le principal aliment de base. Des ravageurs comme le foreur de tiges causent d’immenses dégâts dans les

cultures et détruisent jusqu’à 80% des récoltes. Mais les paysans connaissent une méthode efficace à base de substances odoriférantes pour lutter contre ces insectes. Ils plantent des haricots entre les rangs de maïs. Leur odeur fait fuir les foreurs. En même temps, une plante africaine, le desmodium, fournit un engrais précieux (azote) pour le sol et le protège de l’érosion. Mais ce n’est là qu’une partie du système. Les paysans entourent leurs champs de trois bandes d’«herbe à éléphants» (pennisetum purpureum). Attirés par son odeur, les foreurs de tiges désertent le champ de maïs. L’herbe à élé-phants produit en outre une substance visqueuse qui constitue un piège pour les larves des foreurs. Ainsi les récoltes de maïs sont-elles jusqu’à 300% plus abondantes – sans agrochimie ni génie géné-tique. Le desmodium et l’herbe à éléphants pro-duisent en outre un excellent fourrage. Environ 90 000 paysans misent actuellement sur cette mé-thode qui a fait ses preuves.

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Entretien

«Nous ne savons plus où trouver refuge»Entretien avec le

grand chef indien Benki Piyãko

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L’industrie forestière surexploite sans scru-pule la forêt amazonienne du Brésil et du Pérou. Les autochtones qui essaient de résis-ter sont assassinés. Mais pendant ce temps, les tribus Asháninka ont planté un million de nouveaux arbres...

Texte: greenpeace.deBenki Piyãko est le grand chef indigène

des Asháninka, une tribu amazonienne qui vit au Brésil et au Pérou. Lorsque nous l’accueillons dans les locaux de Greenpeace Allemagne à Hambourg, il est silencieux, distant, presque glacial. Mais lorsque l’entretien commence, son corps se tend, son regard devient vif. Il en va de son peuple, de son pays, le Brésil, mais surtout de la situation calamiteuse qui y règne et des dangers qu’il court. Il parle de manière engagée de la surexploitation de la forêt tropicale hu-mide, des politiciens corrompus et d’une véri-table mafia de bûcherons qui n’ont peur de rien. Début septembre, l’un de ses amis qui, comme lui, se battait pour la protection de l’environ-nement et le respect des droits humains, a été tué au Pérou, non loin de la frontière avec le Brésil. Trois autres activistes importants ont également péri dans cette attaque. «On les a abattus comme des animaux», constate Piyãko avec amertume.

Greenpeace: Votre collègue, le célèbre défen-seur de l’environnement Edwin Chota, est mort. Qu’est-ce qui a été à l’origine de cet as-sassinat?

Benki Piyãko: Edwin, qui, comme moi, appartenait à la tribu des Asháninka, vivait au Pérou. Il luttait depuis des années contre les coupes illégales. Il était désespéré, parce que l’industrie du bois menace les peuples indigènes et détruit la forêt tropicale. Ensemble, nous avons tenté d’obtenir des soutiens. Je me suis adressé à de nombreuses organisations de pro-tection de l’environnement, dont Greenpeace; j’ai fait des films et témoigné de la situation sur le terrain. Le problème est que le gouverneur de la région est aussi le plus grand négociant de bois du pays. Il n’a donc aucun intérêt à s’en-gager pour notre protection. Et puis, le gouver-nement péruvien est encore plus passif que celui du Brésil.

Vous aussi, vous recevez souvent des me-naces de mort. Pourquoi?

Le gouvernement péruvien me considère comme un danger, parce que j’ai créé un réseau avec la communauté des Asháninka au-delà de la frontière du Pérou et du Brésil et que je m’en-gage pour que les communes indiennes puissent rester en contact permanent. Nous devons être solidaires, pouvoir échanger nos expériences et nous rencontrer.

Que vous inspire cet assassinat?Cela me rend très triste, mais m’incite en-

core plus à lutter de manière non violente contre l’industrie du bois et pour les droits de mon peuple, tout en sachant que nous ne pouvons at-tendre aucune protection de la part des auto- rités brésiliennes.

Qui sont les Asháninka?1300 membres de notre ethnie vivent

au Brésil. Ils sont répartis dans quatre zones de l’État d’Acre, dans l’ouest de l’Amazonie. Ma communauté compte environ 600 personnes; nos terres s’étendent sur plus de 87 200 hec-tares. La région a été reconnue comme zone protégée par le gouvernement brésilien en 1992. Au Pérou, par contre, où vivent entre 60 000 et 100 000 Asháninka, le gouvernement ne veut pas entendre parler de réserves. Cela pro- voque régulièrement des conflits de propriété.

Comment se manifestent ces conflits?Depuis les années 1980, au Brésil et au

Pérou, de plus en plus d’entreprises forestières pénètrent sur nos terres pour pratiquer des coupes illégales. Lorsque nous protestons, il n’est pas rare que les bûcherons nous menacent. De nombreux Asháninka se sont retirés dans des régions moins accessibles, car ils ont peur. Mais aujourd’hui, nous n’avons pratique-ment plus d’endroit où nous réfugier.

Personne ne vous aide ou ne vous soutient?Quelques ONG importantes s’engagent

pour la protection de notre peuple et sont en contact avec le gouvernement brésilien. Elles ne connaissent toutefois pas très bien les problèmes qui se posent dans notre région et n’ont, jusqu’à présent, obtenu que de bien maigres résultats. On n’écoute pas la voix des petites communautés.

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Avez-vous déjà pu parler à des représen-tants du gouvernement?

Nous avons attiré l’attention sur l’illégalité de la déforestation sur nos terres au cours d’en-tretiens avec les autorités. Au Pérou, les délégués de mon peuple ont présenté des documents at-testant que les exploitants forestiers devaient construire des écoles et des centres médicaux en compensation de la coupe des arbres. Mais leurs promesses ne valent même pas le papier sur lequel elles ont été rédigées. Ni le gouvernement ni les industriels ne réalisent ces projets.

Vous-même, vous avez mis sur pied deux projets de formation.

Oui, car la formation et la mise en réseau sont les principaux piliers de notre communauté. Depuis 2007, nous enseignons la gestion en-vironnementale et des modèles de protection de la nature dans notre centre de formation de Yorenka Atame à Marechal Thaumaturgo, dans l’État d’Acre. Ces modèles se basent sur les sa-voirs indigènes traditionnels. Parallèlement, dans le cadre du projet «Beija Flor», nous travail-lons avec des enfants de Marechal Thaumaturgo afin qu’ils connaissent et utilisent le plus tôt pos-sible les moyens susceptibles de protéger l’éco-système exceptionnel de la forêt tropicale. Nous leur apprenons à gérer les ressources natu-relles et à développer la biodiversité locale. Les techniques de reforestation des surfaces dé-boisées sont également au programme.

La reforestation progresse-t-elle?Comme personne ne s’en souciait au ni-

veau officiel, nous avons pris nous-mêmes les choses en main. Depuis l’an 2000, nous avons planté plus d’un million de jeunes arbres. Pour le reboisement des immenses étendues de terres défrichées, nous avons besoin d’une grande variété d’espèces, qui garantisse la pé-rennité de la forêt tropicale. Entre-temps, nous collaborons avec le secteur agricole. Nous cultivons des arbres fruitiers du pays et renfor-çons ainsi l’économie locale.

Recevez-vous au moins une aide financière pour cela?

Nous ne recevons pas un réal de notre gou-vernement. Ce dernier préfère construire des barrages qui détruisent la nature. Des fonds

européens sont également affectés à ces projets. Or c’est la nature et les populations indigènes qui en paient vraiment le prix. Il existe néanmoins des projets internationaux d’encouragement à la reforestation au Pérou et au Brésil, soutenus notamment par le gouvernement allemand. Mais ce dernier devrait contrôler rigoureusement l’utilisation de ces fonds: ce soutien va-t-il vrai-ment aux projets en question et sert-il vraiment à protéger la nature?

Comment les personnes en Europe peuvent-elles vous soutenir?

Ce qui compte, c’est que nos projets et notre histoire soient connus. Cela permettra d’ac-croître la pression sur notre gouvernement et sur celui du Pérou. Cela les incitera peut-être un jour à agir...

Que souhaitez-vous pour l’avenir?Les grandes exploitations forestières et

les puissances économiques ferment les yeux devant nos problèmes. Elles se moquent des vies humaines et de l’environnement. Les politi-ciens, quant à eux, agissent uniquement dans l’intérêt de l’industrie. Je souhaite une politique qui ne finance pas seulement des barrages, mais aussi des projets durables. Une politique qui respecte la forêt tropicale et la protège.

Cet entretien fait écho à l’interview du spécialiste de l’Amazonie Jeremy Narby que nous avons publiée sous le titre «Les Lumières ont été un cauchemar pour la nature» dans le numéro d’octobre 2014. Jeremy Narby y parlait des Indiens Asháninka et de leur rapport à la vie sauvage. Ce numéro comportait également un ar-ticle illustré par des photos de Mike Goldwater, «La nature à l’état sauvage n’existe pas». Mike Goldwater avait réussi à saisir la relation harmonieuse que les Asháninka entretiennent avec la nature. Vous pouvez relire ces deux articles sur notre app.

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Photoreportage

Congo – des coupes de bois dévastatrices

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La destruction industrielle des arbres est la plus grave menace qui pèse sur la forêt tropicale dans le bassin du Congo. Actuelle-ment, des exploitants forestiers abattent des arbres sur une surface de plus de 10 mil-lions d’hectares, deux fois et demie la superficie de la Suisse.

Photos: Clément Tardif, texte: Greenpeace En Afrique, 60 millions de personnes dé-

pendent de la forêt du bassin du Congo, la plus grande forêt tropicale du monde après la forêt amazonienne. Elles y trouvent leur nourriture, un espace vital, des matériaux pour fabriquer leurs vêtements et même des plantes médicinales. La forêt tropicale est en outre le royaume des mam-mifères, comme le gorille – espèce menacée –, le chimpanzé ou le bonobo, ainsi que 39 autres espèces que l’on ne trouve que dans cette contrée du monde. Toutefois, les multinationales du bois pénètrent de plus en plus profondément dans des zones encore préservées. Le transport des géants de la forêt nécessite un réseau de routes qui, à son tour, permet aux nouveaux im-migrants et aux braconniers d’accéder à ces zones forestières. Les communautés villageoises, dont l’existence est liée à leur environnement primitif, sont touchées par ce pillage insensé. Et, de plus en plus, cette déforestation transforme aussi le climat.

La République démocratique du Congo (RDC) dispose de plus de 8% des réserves de car-bone de la planète. C’est même le quatrième plus grand réservoir de carbone au monde. Et il est peu à peu détruit.

Les forêts de la RDC sont menacées. L’abat-tage du bois est totalement arbitraire, complè-tement désorganisé et, la plupart du temps, illé-gal, même si les entreprises restent généralement impunies. Le précieux bois tropical est trans-porté vers l’Europe et la Chine où il ornera des bâ-timents luxueux sans que les êtres humains auxquels la forêt offrait jusqu’à présent tout ce dont ils avaient besoin pour vivre n’en tirent le moindre profit. Les écoles, les hôpitaux ou les routes promises par les exploitants forestiers ne sont, la plupart du temps, jamais construits.

Tout espoir n’est pas perdu pour au- tant. Une loi récemment adoptée permet aux communes de gérer elles-mêmes leur forêt. Reste que les représentants du gouvernement

eux-mêmes n’en ont jusqu’à présent pas été in-formés, comme a pu le constater Greenpeace en allant jeter un coup d’œil sur place en octobre dernier.

D’énormes intérêts sont en jeu. Ce pillage des ressources doit pourtant cesser. Greenpeace, en tout cas, mettra tout en œuvre pour montrer au monde entier et aux responsables cette situa-tion désastreuse et faire changer les mentalités.

p. 70 Impuissants: la société qui a pillé les forêts a laissé derrière elle de nombreux arbres abattus.

p. 72 Faussement idyllique: les coupes de bois incontrôlées le long du fleuve Congo détruisent l’espace vital des habitants de la région.

p. 73 Contrôle surprise: Leonardo Moindo Motumbe vérifie à Yambangia une licence d’abattage légalement accordée.

p. 74 Lieu de la collecte: quantité de troncs d’arbres abattus atterrissent au port de Kinkolé, à une vingtaine de kilomètres de Kinshasa.

p. 76 Un expédient: pour le transport sur le fleuve, les arbres abattus sont transformés en de gigantesques radeaux permettant de rejoindre le prochain port.

p. 77 Manutention: dans le port de Kinkolé, de gros tracteurs chargent les arbres abattus, pour la plupart illégalement, sur des bateaux à destination de l’Europe ou de la Chine.

p. 78 Un avenir angoissant: Lucie Poki, la veuve de l’ancien chef coutumier de Bokoweli, ne sait pas ce qu’il va advenir de son vil-lage.

p. 79 Assemblée villageoise: les habitants de Bokoweli sont en colère: les sociétés forestières avaient promis des infrastruc-tures, mais laissent surtout des ruines derrière elles.

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