magazine greenpeace suisse 3/2011 fr

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40 ANS DE GREENPEACE p. 24 Décroissance p. 14 Ecopop: Le scénario de la peur p. 48 Greenpeace au Conseil des États p. 39 Rainbow Warrior III p. 54 Post-croissance: le bénévolat dans tous ses états p. 9 GREENPEACE MEMBER 2011, Nº 3

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Post-croissance: le bénévolat dans tous ses états

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40 ans de Greenpeace p. 24décroissance p. 14ecopop: Le scénario de la peur p. 48Greenpeace au conseil des États p. 39rainbow Warrior III p. 54

— post-croissance: le bénévolat dans tous ses états p. 9g r e e n p e ac e M e M B e r 2 0 1 1 , nº 3

Éditorial — nous n’avons pas pour habitude de cautionner les années officiellement dédiées à l’une ou l’autre cause. Le «bénévolat» actuellement célébré en europe semble tellement consensuel. Mais au-delà de la banalité apparente du phé-nomène, nous avons décidé d’explorer une dimension sociale plus explosive où les actions ne sont pas dictées par une morale bien-pensante, mais par un esprit de résistance.

La «décroissance», les «villes en transition» ou encore l’initiative «redémarrer la suisse» dessinent tout un horizon d’actions, de mouvements et de modèles de pensée. de nouvelles conceptions d’une «vie meilleure» émergent au détour du chemin. ces initiatives disent non au diktat capi-taliste de la croissance et de la consommation. elles misent sur l’engagement spontané et individuel entre voisinages. c’est là qu’intervient le travail bénévole: ne pas attendre que le «système» change de lui-même.

Greenpeace a soulevé de nombreuses questions brû-lantes ces dernières années. Mais l’organisation a plutôt laissé de côté les débats de fond sur nos valeurs et notre système économique. Or on ne peut faire l’impasse sur ces questions. L’enjeu devient en effet problématique lorsqu’il donne lieu à des dérives comme celle de vouloir arrêter l’immigration au nom de l’environnement. L’initiative ecopop veut limiter la croissance démographique en suisse et promouvoir le contrôle des naissances dans le sud. L’immigration ferait ainsi son entrée parmi les thématiques des écologistes et de la gauche, nous dit-on. Mais la question est bien plus vaste; elle porte sur une contradiction qui est probablement insurmon-table: l’être humain fait lui-même partie de la nature qu’il consomme et consume. c’est bien la place de l’être humain dans le monde qui est en jeu. Greenpeace est une organi-sation ouverte au monde et donc critique face à l’initiative ecopop, mais le débat lancé est à saluer.

La rédaction

P.-S.: Un grand merci pour vos réactions au nouveau format du magazine, presque toutes positives et encourageantes. À présent, soyez critiques! Greenpeace a besoin de contradiction et se réjouit de vos prochains courriels et lettres.

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Magazine GreenpeaceNº 3 — 2011

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EDossier: bénévolat LES BÉNÉVOLES 09 PLUS IMPORTANTS QUE JAMAISS’engager au lieu de compter sur l’État: en Suisse, une personne sur quatre s’engage pour la collectivité

INTERVIEW: DANIEL STRASSBERg 10Le psychanalyste souligne le besoin d’authenticité des citoyens

EN FINIR AVEC LA FOLIE DE LA CROISSANCE 14Des groupes en quête de solutions économiques alternatives et d’une vie sociale plus riche

ACTIVISME EN CHINE 21Le militant Greenpeace Tom Xiaojun Wang lutte contre les investissements non écologiques — et pour son paradis d’enfance

Ecopop LA SUISSE ET LE STRESS 48 DE LA DENSITÉ Les écologistes d’Ecopop cherchent le salut de la patrie dans le cloisonnement

ECOPOP — UNE FORMULE SIMPLISTE? 51 L’initiative contre la surpopulation et l’écologie profonde

Tournant énergétique LE NOUVEL ELDORADO? 34 Analyse d’un spécialiste financier des énergies renouvelables

THE STAR IS BORN 37 Portrait du militant antinucléaire Aernschd Born

L’AUTOMNE SERA CHAUD 39 Tournant énergétique: décision cruciale du Conseil des États RW III MISE à L’EAU DU RAINBOW WARRIOR 54

40 ans de GreenpeaceUN BILAN PERSONNEL 24 QUELQUES DATES CLéS 26

DiversAGROCARBUR ANTS POUR L’AVIATION 28PROJET SOLAIRE JEUNESSE AVEC AXPO 31

Essai photographiqueSCANDALE DE LA SURPÊCHE EN AFRIQUE 40

En action 02Courrier des l ecteurs 08La carte 32Chiffres surprenants 46Campagnes 58Brèves 60Mots fléchés écolos 64

Groenland, 4 juin 2011: Grand engagementDix-huit militants Greenpeace abordent la plateforme pétrolière Leiv Eiriksson pour exiger que l’exploitant Cairn Energy publie son plan d’urgence. Ils sont arrêtés. Fin juin, le directeur de Greenpeace Kumi Naidoo sera lui aussi inter pellé sur la même plateforme.

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Fukushima, 6 mai 2011: Grande prudenceAu jardin d’enfants de Soramame, un garçon se demande ce que fait Stan Vincent, de Greenpeace, sur son terrain de jeu. Des semaines après la catastrophe nucléaire, la radioactivité reste tellement élevée que les enfants ne peuvent pas sortir. Les mesures effectuées par Greenpeace restent les seules sources fiables pour quantité de ser-vices administratifs et de médias.

Amsterdam, 30 juin 2011: Grand espoirUne militante Greenpeace déguisée en Barbie, portant une tronçonneuse miniature rose. Avec d’autres militantes, elle dénonce un producteur de jouets qui emballe ses poupées dans des cartons issus de forêts anciennes.

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8Magazine GreenpeaceNº 3 — 2011

MENTIONS LÉgALESgREENPEACE MEMBER 3/2011éditeur/adresse de la rédactionGreenpeace SuisseHeinrichstrasse 147 Case postale 8031 ZurichTéléphone 044 447 41 41 Téléfax 044 447 41 99www.greenpeace.ch

DonsCompte postal: 80-6222-8Dons en ligne: www.greenpeace.ch/donsDons par SMS: envoyez GP et le montant en francs au 488 (par exemple pour CHF 10.–: GP 10)

équipe de rédaction: Tanja Keller (responsable), Matthias Wyssmann, Claudina Schmid, Jonas Scheu, Roland Falk, Marc RüeggerAuteurs: Thomas Niederberger, Tom Xiaojun Wang, Inga Laas, Claudio de Boni, Hannes Grassegger, Susan Boos, Philippe de RougemontPhotographes: Christophe Chammartin, Christian Åslund Traduction en français: Nicole Viaud et Karin VogtMaquette: Hubertus DesignImpression: Swissprinters, Saint-GallPapier couverture: Rebello recycling mat 150 g/m2

Papier intérieur: Ultralux semigloss UWS 70 g/m2

Tirage: 113 500 en allemand, 22 500 en françaisParution: quatre fois par année

Le magazine Greenpeace est adressé à tous les adhérents (cotisation annuelle à partir de CHF 72.–). Il peut refléter des opinions qui divergent des positions officielles de Greenpeace.

Courrier des l ecteursBonjour à tous,Félicitations pour le nouveau magazine – il est SUPER!!Meilleures salutations Urban Keller, Laupen

Chère équipe de rédaction,Mes compliments pour ce numéro du magazine. Le graphisme et le contenu sont particulièrement réussis. Je pense n’avoir jamais passé autant de temps à lire ou re-lire l’un ou l’autre article. Je suis fascinée par le choix et la diversité des thèmes, les récits très person-nels et la qualité de l’information. J’espère pouvoir diffuser autour de moi ce que je retiens de ma lec-ture. Merci beaucoup!Salutations amicales Charlotte Rutz, Zurich

Merci pour votre journal, très instructif!Cordiales salutations Wladyslaw Senn, Fribourg

Et bravo pour votre entretien avec Elsy Zulliger. J’ai 75 ans et suis tout à fait de son avis: on peut vi-vre très bien avec beaucoup moins. Ce qui compte dans la vie, c’est d’être, au lieu d’avoir et de paraître. Il y a encore un énorme gaspillage de matériel, d’eau et d’énergie partout! Anne-Marie Ramel, La Tour-de-Peilz

Chère rédaction,Il est vraiment très bien votre nou-veau magazine – et le timing est impressionnant: arriver au bon moment en présentant du nou-veau, alors que tout change très rapidement, y compris ce qui était prévu de longue date, quelle prouesse! Mais il est triste qu’il faille à chaque fois une catastrophe pour faire évoluer les mentalités. Marlis Rechsteiner, Riehen

Je trouve le nouveau magazine très réussi: beaucoup d’articles inté-ressants et d’informations de fond. Patrik M. Loeff, Frauenfeld

Chère rédaction,Le nouveau format de votre ma-gazine Greenpeace me convainc, aussi bien le graphisme que le contenu. Prière de transmettre mes com pliments à tous les responsables impliqués dans la réalisation du magazine! Cor-diales salutations Jürg Staub-Wolf, Hagendorn

Bonjour,J’ai lu le magazine 2/2011 avec grand intérêt (en vacances) et rempli la grille de mots fléchés à la fin. Je remercie et je félicite la rédaction de la grande variété des textes! Meilleures salutations Samuel Bürki, Burgdorf

Mes compliments pour la nou-velle mouture du magazine Greenpeace! Le «besoin de dis-tance et de réflexion» est réel et le

nouveau concept y répond très bien. Le format et la mise en page sont très concluants. Dorénavant, la pile de papier à recycler ne ver-ra plus le magazine Greenpeace, que je compte bien collectionner. Martin Sauter, Zurich

Bonjour aux membres de la rédaction,Je viens de terminer la lecture du magazine Greenpeace Member 2/2011, et je dois dire qu’il me plaît beaucoup au niveau du contenu. Mais ce que je trouve surtout remarquable, c’est la composition des auteurs, l’essai photographi-que et l’excellent graphisme! Des qualités qu’on trouve rarement dans le domaine de l’écologie, à mon avis. D’où un plaisir redoublé de vous lire!Peace Jan Hofer, Zurich

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Petites révolutionsLe travail bénévole gagne du terrain2011 décrétée «année du bénévolat» par l’Union européenne: cela sent la charité et les bons sentiments. L’idée est de renforcer et de valoriser l’engagement bénévole des citoyens, devenu depuis longtemps un facteur socio-économique de taille. En Suisse, une personne sur quatre s’engage dans sa commune ou son voisinage, dans une association, un club de sport ou un organisme d’utilité publique, dans les soins, l’édu cation ou encore l’assistance à autrui. Cela représente 1,5 million de bénévoles. En Europe, où l’on attend beaucoup de l’État, le bénévolat a bien besoin d’un peu de promotion. Le système libéral des États-Unis ne serait tout simplement pas viable sans le travail bénévole. Le «bénévolat» fait partie de l’engagement normal des élites, avec une forte reconnaissance sociale à la clé. Un effet secondaire du capitalisme? Les projets du mouvement de la décroissance (voir page 14) viennent confirmer cette thèse: une action spontanée, locale et bénévole développe de nouvelles formes de vie et d’économie pour un nombre croissant d’adeptes. Le psychanalyste Daniel Strassberg (voir page 10) défend une vision plus universelle et individuelle. Selon lui, les motivations du bénévolat résident dans un besoin de souveraineté. Il s’agit d’un acte «microrévolu-tionnaire» qui prend tout son sens, même dans la société euro-péenne structurée à l’excès. Tom Xiaojun Wang évoque quant à lui le militantisme citoyen dans un contexte non démocratique (voir page 21), où Greenpeace connaît un fort développement.

Photos de Christophe ChammartinChristophe Chammartin a reçu le Grand Prix au Concours de photoreportage sur les droits humains à Montréal et le Swiss Photo Award dans plusieurs catégories.

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ÉCHAPPER à LA MACHINE

ÉCONOMIQUEInterview avec

Daniel Strassberg

Greenpeace: 2011 est l’année du bénévolat et du volontariat. Quel est le lien entre le bénévolat et la liberté de la volonté ou le libre arbitre?Daniel Strassberg: J’estime que le débat autour du libre arbitre est dépassé. Une volonté libre est-elle possible ou est-on déterminé par son cerveau? Des expériences neurologiques conduites dans les années 80 ont abouti à des constats très intéressants. Quand une personne veut lever le bras, le signal est émis par le cerveau avant que la décision ne devienne consciente. Ces résultats ont provoqué des débats acharnés et certains en ont déduit que le libre arbitre n’existe pas.Cela veut-il dire qu’on est gouverné par autre chose?

C’est censé vouloir dire que le cerveau prend les décisions à notre place. Mais il s’agit d’un contresens, car quel est le «nous» dans ce cas? Ce débat s’est d’ailleurs calmé. Une autre ques-tion est plus intéressante: depuis l’époque des Lumières, la tradition connaît deux formes de liberté de la volonté. La première conçoit cette liberté comme l’autonomie. C’est de mon propre chef que j’agis en faveur d’une entité générale,

de la raison, de l’état ou de la société. Il s’agit en fait d’une soumission. Je me soumets de moi-même à quelque chose de plus grand.

La deuxième conçoit la liberté de la volonté comme la souveraineté ou l’autodétermination. On est plus proche de l’idée d’arbitraire: «Je fais ce que je veux.» J’agis donc contre la loi générale. Le terme est largement applicable: de l’artiste qui s’oppose à la société au criminel, en passant par le «fou» ou le héro de western. «Le colt est la loi. Je me saisis de la loi, quoi qu’en pensent les autres», dit ce dernier.

Voilà donc deux acceptions clairement différentes de la liberté de la volonté. Et il semble évident qu’on ne peut pas les recouper. Soit je me soumets librement à une volonté générale, soit je n’en fais qu’à ma guise.Mais il ne s’agit pas d’une opposition absolue?

Si. La société bourgeoise, la société actuelle, est marquée par cette contradiction depuis l’époque des Lumières.Une contradiction qui n’a pourtant rien de nécessaire.

C’est précisément le problème qui a occupé les philosophes, les penseurs et les respon-sables politiques: l’espoir de surmonter cette contradiction, la tentative de réconcilier les deux dimensions.Un individu peut pourtant se soumettre à la volonté générale et s’en écarter dans cer-tains domaines pour dire: «Là, je transgresse une frontière. Je lutte consciemment contre une limite imposée.»

C’est bien ce qui se pratique en permanence. Le week-end, on se permet des excès, tandis que la semaine, on se soumet aux règles. C’est une manière d’agir segmentée, cloisonnée.Comme pour le militant Greenpeace: il vit en harmonie avec la société et la nature, mais de temps en temps, il escalade la tour de réfrigération d’une centrale nucléaire…

Exactement. Et j’en arrive ainsi au béné-volat ou au volontariat. Je vois le bénévolat comme une tentative de concilier autonomie et souveraineté, de dépasser la contradiction entre les deux: «En escaladant une tour de réfrigé-ration, je fais quelque chose contre la société en général. Mais je le fais en faveur d’une idée supé-rieure, d’un intérêt encore plus général qui est la nature.» Le militant bénévole essaie de résou-dre la contradiction entre soumission et auto-détermination au sein de la société bourgeoise.

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Existe-t-il d’autres motivations de s’engager comme bénévole aujourd’hui?

Je crois qu’il s’agit toujours de reconquérir un sentiment d’authenticité qui s’est perdu dans la société bourgeoise. Être fidèle à soi-même, mais pas sous la forme atomisée du hors-la-loi ou du marginal qui rejette la société. Le béné-vole souhaite surmonter une contradiction. Chez Greenpeace, c’est au nom d’une nature abs-traite, mais qui est devenue un symbole de la vérité. Oui, je pense vraiment que le symbole de la vérité, c’est aujourd’hui «la nature», et non plus la raison.

J’estime que l’opposition entre la particula-rité individuelle et la vérité générale se résout partiellement par le travail bénévole. C’est un postulat que j’avance ici. Ce motif peut évidem-ment s’exprimer de différentes façons d’une personne à l’autre.Il existe aussi diverses formes de bénévolat. Faire la lecture à une personne aveugle n’est pas un acte qui s’oppose à la raison et à la société.

Mais si, car cela contredit la raison écono-mique dominante. Cela ne «rapporte» rien, ce n’est pas «rentable». Il n’y aurait pas de béné-volat sans cette forme de transgression.Les bénévoles sont souvent justement ceux qui ne peuvent pas vraiment se le permettre. C’est un comportement absurde du point de vue économique.

Et c’est cette absurdité qui est importante. C’est comme une petite révolte qui affirme: «Je ne me soumets pas complètement à la raison économique.»Le bénévolat est-il en ce sens un compor-tement subversif ? Un acte microrévolution-naire?

Oui. Le but n’est pourtant pas la révolte en soi, mais l’authenticité, l’épanouissement personnel.Associer le bénévolat à l’absurde – il fallait oser!

Absurde par rapport à la raison économique dominante.Et par rapport à l’ampleur monumentale des problèmes, le fait de vouloir, malgré l’impuissance, lutter contre une force supé-rieure qui paraît insurmontable?

C’est le mythe de David contre Goliath, d’ailleurs largement exploité par Greenpeace. La révolte de l’individu contre la force omnipotente.

Qu’advient-il lorsque ce genre d’action prend une forme organisée?

Pour l’individu comme pour le petit collectif, c’est le point de vue particulier qui l’emporte. Une attitude qui se retrouve d’ailleurs du côté du destinataire. Le bénévole dit: «Bien sûr, la pauvreté est immense dans le monde, mais j’ai au moins aidé cette personne-là.» Face à une machine surpuissante s’affirme la dignité de l’individu, de celui qui donne comme de celui qui reçoit.Le bénévole joue donc un rôle de hors-la-loi, tout en témoignant d’un fort engagement moral.

Cela ne me semble pas contradictoire. D’ailleurs, la tendance actuelle à réduire le com-portement moral à un moralisme étriqué me paraît dangereuse. Pourquoi ne devrait-on pas agir de façon morale?Sur un tout autre registre, on vous a récem-ment demandé: «Arrive-t-il à vos patients de regretter ce qu’ils n’ont pas fait plutôt que ce qu’ils ont fait?» Dans votre réponse, vous avez parlé de ceux qui cherchent le bonheur et de ceux qui cherchent à éviter le malheur. Ces catégories s’appliquent-elles à la figure du bénévole?

Notre société est à la recherche de sen-sations fortes. Il y a cette énorme machine qui nous encadre, nous impose la monotonie du «métro, boulot, dodo» et se traduit par un man-que d’expériences intenses. C’est cet état d’esprit qui conduit les individus à une quête du bonheur souvent associée à l’idée d’une prise de risques. Cela peut être un travail humanitaire en Afrique…… ou l’accompagnement des mourants.

Oui, la recherche de sensations fortes peut prendre ces formes. Nous vivons malheureuse-ment dans une société qui se met à gérer les expériences intenses. Celles-ci perdent alors leur caractère de transgression et ne permettent plus d’éprouver le sentiment d’authenticité.Quant à ceux qui cherchent surtout à éviter le malheur, ils miseraient davantage sur la raison économique ou l’État?

Exactement.Mais les militants écologistes ne cherchent-ils pas par excellence à éviter le malheur?

Très intéressant. Vous mettez le doigt sur une contradiction. C’est peut-être le principal problème de ce mouvement: le fait qu’il cherche

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à éviter le malheur, alors que ses militants sont précisément mus par la motivation contraire.À savoir la recherche du bonheur.

Chercher le bonheur, courir un risque, accomplir quelque chose d’extraordinaire, échapper à la machine économique.Mais peut-être cherche-t-on simplement à combattre sa propre peur du malheur? J’aide, donc on m’aidera aussi?

Pas si sûr. Ce n’est pas impossible, mais je pense que les bénévoles rejettent précisément ce genre de logique économique. Car ce que vous évoquez est aussi un calcul économique, n’est-ce pas? Je donne pour recevoir en retour.Celui qui accompagne un mourant ne lutte donc pas contre sa propre peur de mourir?

Non. La personne qui accompagne les mou-rants n’en mène souvent pas large à l’approche de sa propre mort, je l’ai vu de mes propres yeux.On trouve chez André Malraux ce passage très impressionnant où un combattant de la Résistance, un volontaire si l’on veut, doit tuer quelqu’un et ressent une émotion intense devant le cadavre: «Lui est mort et moi je suis en vie.» Il se sent incroyablement vivant. Justement parce qu’il a enfreint la loi de la vie.

Voilà une illustration de la contradiction évoquée …Et qui fait intervenir l’idée de pouvoir. Agir bénévolement, est-ce ressentir un pouvoir?

C’est un point important que je tiens à souligner: on est toujours tenté de dévaloriser un acte moral. On dit: «Cette personne n’agit pas pour des raisons pures, selon sa conscience, mais uniquement pour un pouvoir, une sensation forte, une authenticité…… ou pour donner un sens à une vie insipide.»

J’estime que c’est une voie trompeuse, à bannir. L’action ne peut jamais être pure. Kant a imaginé cet «impératif catégorique»: une action qui ne serait motivée que par des raisons pures et se trouverait dégradée dès que d’autres intérêts se mêlent à ses motivations.Donc si le militant prend plaisir à escalader sa tour de réfrigération …

… cela ne dégrade nullement le statut de son acte. Je m’oppose formellement à Kant sur ce point: une action n’est pas meilleure car elle est accomplie sans plaisir.Le plaisir est donc une dimension légitime du bénévolat. Ce n’est pas un sacrifice?

J’irais même plus loin. On peut déconstruire la notion de sacrifice et la rapporter à un intérêt secret. Et cela n’enlève rien à l’idée de sacrifice!À propos de la dépréciation: on accuse les bénévoles d’être des bien-pensants. Com-ment l’engagement bénévole est-il perçu à l’heure actuelle?

La bien-pensance a deux facettes. D’abord, la droite dénigre la gauche en lui attribuant un angélisme malvenu. Dans ce discours, les «gen-tils» sont perçus négativement. C’est l’expres-sion d’un étrange darwinisme social: le plus fort joue des coudes, lutte pour arriver au sommet, tandis que le bien-pensant serait un faible qui ne sait pas s’imposer, une lavette.S’il était fort, il habiterait probablement dans une belle villa à Herrliberg, comme Christoph Blocher …

C’est une vision que je trouve très problé-matique. Mais la deuxième facette de la bien-pensance, dans son sens négatif, ne me semble pas totalement fausse. Le bénévolat a un pro-blème: il se dépolitise. Le dramaturge et poète Bertolt Brecht pestait contre l’Armée du Salut. Il les voyait comme des bien-pensants qui se bornent à panser les plaies au lieu de s’attaquer à la misère au niveau politique et contribuent à la dépolitisation de la société. C’est une critique du bénévolat qui n’est pas totalement dénuée de fondement.Aux États-Unis, Obama et Clinton ont tenté de faire évoluer les mentalités sur la santé et l’édu cation: l’État devrait s’engager davan-tage dans ces domaines et ne peut se reposer sur la bienveillance des riches ou des orga-nisations religieuses pour réduire les inégali-tés sociales.

Cela correspond plutôt à notre vision euro-péenne de la politique et de la société. La vision américaine est davantage fondée sur la religion chrétienne, avec tous ses problèmes. Par exemple la question de l’arbitraire. En l’absence de règles qui déterminent l’accès aux ressources, ce sont les esprits charitables qui distribuent les biens. L’aspect sympathique est que cela privilégie un lien direct entre les personnes.Notre société est-elle en train de redécouvrir cette dimension? Par exemple avec le mouvement de la décroissance, les bourses d’échange et les réseaux de voisinage? Il y a bien sûr l’idée de se soustraire à la société de consommation, de bâtir autre chose, hors

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Notre société est en quête de sensations fortes: chercher le bonheur, courir un risque, accomplir quelque chose d’extraordinaire.

Construction d’un four sur la friche du Hardturm à Zurich.

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du «système», mais «l’altruisme réciproque» connaît aussi un réel essor. Un énorme travail bénévole est fourni dans ce contexte. Et vous dites que cela n’a rien à voir avec le statut social?

Le statut social est peut-être un élément annexe, mais pas le motif principal.Le statut social est pourtant important sur les réseaux comme Facebook, notamment lors des pétitions, des manifestations ou des dons. Sur les forums Internet, les gens pas-sent beaucoup de temps à expliquer aux autres le fonctionnement d’un appareil, les causes d’une maladie ou une recette de cuisine. Vous dites qu’il s’agit là d’une révolte: «Les modes d’emploi des fabricants ne sont pas suffisants. Pour faire durer un appareil, il faut prendre telle ou telle mesure.»

Oui, c’est ça. C’est toujours une astuce que l’on révèle. Comme chez Greenpeace. Une chose qui sort de l’ordinaire. Le statut social peut s’en trouver amélioré, mais il faut arrêter de chercher à identifier le gain qu’une personne peut retirer de son engagement bénévole.Le bénévole se dépense sans compter?

Le sociologue Marcel Mauss et le philo-sophe Georges Bataille parlent d’un besoin de se dépenser. On veut se dépenser, mais avec une sensation forte qui semble vide de sens, en tout cas par rapport à la raison dominante. L’aspect fascinant du travail bénévole est qu’il crée du sens en passant par le non-sens. Le bénévolat est absurde dans le contexte de la rai-son économique, mais c’est précisément en cela qu’il me donne un sens en tant qu’individu absolument unique.Cet entretien avec Daniel Strassberg a été réalisé le 16 juin 2011 dans son cabinet. Propos recueillis par Matthias Wyssmann.

Daniel Strassberg…

… est né à Saint-Gall en 1954. Médecin, psych-analyste et philosophe, il exerce à Zurich depuis 1985 et enseigne à l’Université de la même ville. Ses nombreuses publications et conférences abordent un large éventail de thèmes, souvent sous un angle interdisciplinaire. Dans ses prises de position médiatiques, il développe une vision surprenante et percutante de l’individu dans son contexte social, en lien avec des questions de morale, de politique et d’économie.

NON AUX CONTRAINTES

ET à LA SUB­ORDINATION

Par Thomas Niederberger

Davantage de croissance! Ce dogme économique atteint ses limites. Des voix s’élèvent contre l’obligation de produire toujours plus. Mais qui sont celles et ceux qui s’engagent pour la transition vers la société postfossile? Rêveurs roman-tiques, adeptes de la théorie pure ou militants pragma-tiques? Reportage sur l’agri-culture contractuelle à Zurich et à Genève, le mou-vement de la décroissance en Suisse romande et à Berne, la «permaculture» dans l’Emmental, les initiati-ves de transition à Winter-thour et à Bienne, ainsi sur le groupe «Neustart Schweiz».

«Vive les betteraves rouges!» Une douzaine de femmes et d’hommes sont réunis autour du feu de camp devant la ferme de Fondli à Dietikon dans le canton de Zurich. Ortoloco, leur coopé-rative d’agriculture contractuelle, compte e nviron 120 membres. Ils ont passé la journée à désherber un champ de légumes. Grâce à leur travail bénévole, les betteraves rouges pourront pousser.

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ceAujourd’hui, quelque 300 à 500 personnes

consomment la production d’Ortoloco qui n’était encore qu’une idée il y a deux ans. «Là, je participe au cycle économique, au lieu de l’étudier sur le papier», dit Christian Müller. Cet ancien étudiant en économie, dégoûté des cours magistraux, est membre du comité. Ortoloco a des projets de développement: production de champignons, de baies et ou encore de pain. Une autre idée est la fabrication de textiles et l’achat direct d’aliments non périssables.

Les légumes sont souvent le point de départ des concrétisations de la décroissance. La croissance des salades serait-elle un antidote à la tyrannie de la croissance? «Bien dit, répond Irène Anex en riant. Mais nos membres se voient souvent encore comme de simples clients qui veulent consommer localement et de manière responsable, sans prendre le temps de s’engager au-delà des quatre demi-journées demandées.» Agronome de formation, elle est l’une des trois jardinières de la coopérative maraîchère genevoise Le Jardin des Charrotons. La coopérative est née en 2007 de la liste d’attente des Jardins de Cocagne, organisation pionnière de l’agriculture contractuelle de proximité fondée en 1978. Irène ne se réfère pas à la décroissance. «Même si notre clientèle n’en est pas toujours consciente, nous avons bien une visée politique. L’enjeu est la souveraineté alimentaire.» Aux séances d’information qu’elle anime sur invitation, elle rencontre une popu-lation urbaine dans la trentaine qui souhaite reve-nir à la terre: «Nous faisons partie d’un mouve-ment plus vaste.» Selon l’organisation syndicale paysanne Uniterre, la Suisse compte près de quarante exploitations d’agriculture contrac-tuelle de proximité, avec plus de 7000 membres. Beaucoup se sont créées après 2005 dans les cantons de Genève et de Vaud. La culture des légumes connaît ainsi un vrai mouvement de relocalisation.

Non à la croissance«Relocalisation» est l’un des maîtres mots

du mouvement de la décroissance, né en France et passé en Suisse romande puis en Suisse alémanique ces dernières années. Une douzaine de personnes se retrouvent autour d’une table au bord du lac à Yverdon. Elles sont membres du Réseau objection de croissance (ROC) qui entend favoriser «l’échange, la sensibilisation et

l’action indépendante». Le ROC compte deux groupes d’une vingtaine de personnes à Genève et à Lausanne, ainsi qu’un collectif un peu plus petit à Neuchâtel. Un millier de sympathisants sont inscrits sur ses listes de diffusion. Le ROC mène une activité assez classique: soirées débat, stands d’informations, publications.

Marie Reiser raconte comment elle a décou-vert le réseau. Au chômage, elle se posait des questions sur son projet de vie: «J’ai compris qu’il était violent de juger les personnes unique-ment sur leur emploi. Au ROC, j’ai trouvé des gens qui rejetaient cette manière de catégoriser.» La seule solution de fond à la crise écologique est la décroissance, ajoute-t-elle. La petite réunion du ROC aborde maintenant le position-nement des partis politiques. Avec leur «ini-tiative pour une économie verte», les Verts enten-dent réduire l’empreinte écologique de la Suisse. Ce qui revient en fait à demander la décrois-sance. Mais le parti rechigne à mettre les mots sur les choses.

La différence entre les groupes de décrois-sance et les autres organisations écologistes, c’est peut-être l’insistance sur la nécessité de réduire la consommation et de rompre radicale-ment avec le système de la croissance écono-mique. La radicalité n’est pas qu’une attitude, mais la conséquence dernière de la crise écologi-que, climatique et sociale. «Oui, mais la rupture radicale est une orientation et non un but immé-diat. Cela ne se fera pas du jour au lendemain», confirme Thomas Schneeberger. Il est ingénieur et membre fondateur de Décroissance Berne. Ce réseau fondé en 2010 compte une soixan-taine de militants, sa vocation est surtout d’infor-mer le public. L’économie doit décroître, car les ressources sont limitées. Demander davantage de croissance à chaque crise économique, c’est tenter d’éteindre l’incendie avec de l’essence. L’enjeu est donc de susciter des initiatives comme les jardins communautaires, explique Thomas. Même si ce genre de projet risque de se replier sur un cercle restreint.

Les partisans de la décroissance s’attaquent aux grands problèmes. Leurs réponses ne sont pas encore affermies, mais la diversité des idées est l’une des forces du mouvement. Un des concepts les plus séduisants a été élaboré dès les années 70 par Ivan Illich: celui de convivialité. Selon cette façon de voir, la «vie bonne» ne dépend pas de l’accumulation de valeurs maté-

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Les légumes sont souvent le point de départ des concrétisations de la décroissance.

Centre de distribution du Panier bio à deux roues à Lausanne.

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rielles, mais de la qualité des relations humai-nes. Le groupe Décroissance Berne a formé un groupe de travail sur cette thématique.

Nouvelle énergie en EmmentalCulture de légumes, gloussements de

poules, drapeaux arc-en-ciel: nous sommes à 1000 m d’altitude, dans une petite ferme du Balmeggberg, au-dessus de Trub en Emmental. Six adultes et quatre enfants y vivent depuis quelques années. L’exploitation compte trois hectares de champs et presque autant de forêts. Elle est aussi un centre qui attire des bénévoles, des camps de jeunes et des adeptes du couch-surfing, cette façon de visiter un pays sur une base non commerciale. Les visiteurs rapporte-ront dans leur région ce qu’ils ont vu et pratiqué. Hébergés dans des yourtes mongoles, les béné-voles font l’expérience de l’agriculture durable en montagne. Le jardin modèle est un carrefour du mouvement mondial de la «permaculture». Toni Küchler explique le principe de la commu-nauté: «Selon les principes de la permaculture, nous n’utilisons que des produits disponibles localement. Cela demande plus d’efforts que l’agriculture industrielle, c’est pourquoi le travail bénévole nous est nécessaire. Et la présence des hôtes est une source d’animation.»

Autosuffisance sans exploitation abusive des ressources locales, voilà l’idée de la permacul-ture. Cela vaut également pour l’énergie. «Mais pour que le système fonctionne, il faut agir au niveau régional.» Diplômé de l’EPFZ en sciences naturelles de l’environnement, Toni Küchler entretient un bureau de planification durable dans la vallée. Il gère aussi la «Région énergéti-que Emmental». Avec des entreprises locales et des communes, le but est d’améliorer l’autosuf-fisance en exploitant le bois, le solaire et d’autres énergies durables. C’est une affaire de profes-sionnels. «Cela demande de vastes connaissances et beaucoup d’argent.» Ici, le bénévolat se limite donc à la décision des particuliers d’instal-ler des capteurs solaires sur leur toit.

Winterthour sur la voie du changement«Nous sommes au début d’un processus»,

dit Corinne Päper au téléphone, sur un ton d’excuse. Elle participe au lancement du groupe «ville en transition» de Winterthour. La deuxième séance d’information réunit une bonne vingtaine de participants dans une ferblan-

terie transformée en centre culturel. L’exposé est un peu aride: exploitation maximale du pétrole, changement climatique. L’essentiel: il est trop tard pour attendre que la grande poli tique résolve les problèmes. D’où la volonté de travailler pour le changement, d’initier la transition vers une société indépendante de l’énergie fossile. Une société «résiliente», c’est-à-dire résistante aux chocs et aux crises ex-térieures. Le mouvement de la «ville en transi-tion» a été lancé en 2005 dans la petite cité britannique de Totnes, qui s’inspire notamment de l’éthique de la permaculture: se soucier de la planète et des êtres humains, réduire la consommation et garantir une distribution équi-table. Aujourd’hui, 400 initiatives «officielles» de transition sont en place et un nombre équiva-lent en préparation.

Le tour de présentation prend l’allure d’un manifeste. Le potentiel de connaissances est impressionnant. Et les participants sont impa-tients de se lancer. Des réunions hebdomadaires sont rapidement convenues, des groupes d’ini-tiative et de travail sont mis sur pied.

Corinne est économiste d’entreprise, spécialisée dans la communication. Elle est très satisfaite de la soirée. C’est un film qui lui a fait connaître le mouvement de la transition. Mal à l’aise dans un poste décisionnel, elle a voulu changer de contexte. «Je veux maintenant réunir des gens avec qui tout cela est possible.» Les débuts sont prometteurs.

Visions à BienneÀ Bienne, le processus est plus avancé et

fait figure de modèle. L’idée a été lancée en sep-tembre 2010 par le biais d’un journal et d’une série de conférences intitulée «Vision 2035». Environ 70 militants travaillent aujourd’hui à la concrétisation du projet. Un jardin commu-nautaire existait déjà et la cuisine itinérante de «slow food» est désormais opérationnelle. D’ici à la fin de l’année, Vision 2035 ouvrira un centre proposant des repas pour les enfants et des cours d’allemand pour la population migrante. «Nous voulons tisser des réseaux de voisinage et impliquer davantage les couches défavorisées», explique Mathias Stalder. Libraire de formation, il fait partie des initiateurs. La coopérative d’agriculture contractuelle devrait commencer à produire au printemps prochain. Le groupe se penche également sur les questions complexes:

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monnaie régionale, coopérative énergétique, école libre. «Associer le plus possible de person-nes, pour créer le plus possible d’autonomie dans le plus grand nombre de domaines possi-bles», voilà le but de son engagement. Mathias est lui-même surpris du nombre de nouveaux intéressés. Beaucoup se disent inspirés par l’idée des «villes en transition», mais le cadre théo-rique n’est pas ce qui compte. «La plupart veulent concrétiser les idées au plus vite, sans perdre de temps dans les discussions de fond.» Mais tout n’est pas simple. Passer de l’idée à l’action et prendre sa propre vie en mains n’est pas si facile: «Normal; c’est une chose que l’on n’apprend nulle part ailleurs.»

Dans un tout autre cadre, près d’une route très fréquentée de Zurich-Oerlikon, une poi-gnée de femmes et d’hommes s’est réunie sur un terrain en friche. C’est le groupe de travail «voisinages» de l’association Neustart Schweiz. Il visite aujourd’hui une coopérative de construction de logement nommée «Mehr als Wohnen» qui veut édifier un important lotissement pour un millier de personnes d’ici à 2013: un nouveau quartier construit de manière écologique selon les critères de la société à 2000 watts. Brassage générationnel, mobilité sans voiture, achat direct d’aliments dans la région, bénévolat, ménages communautaires – tout ceci permettra de travailler, d’habiter, de manger et de vivre dans un cadre suffisamment diversifié pour éviter l’ennui. C’est aussi un laboratoire d’«innovation pour la construction de logements d’utilité publique» que s’est of-ferte la fédération zurichoise des coopératives de logement pour son centième anniversaire. C’est ici que pourrait se réaliser ce que Neu start Schweiz entend par «voisinages».

Un peu plus tard, au bureau de «Mehr als Wohnen», les membres de Neustart Schweiz examinent le modèle du lotissement. Où joue-ront les enfants? Comment sera traitée l’eau usée? Monika Sprecher, la cheffe de projet, ex-plique les détails du projet. D’ailleurs, elle aussi est membre de Neustart Schweiz. Le seul pro-blème de «Mehr als Wohnen», c’est qu’il s’agit d’une initiative «top-down», conçue au som-met sans la participation des futurs habitants. Qui seront-ils? Le projet répondra-t-il à leurs besoins? Monika compte beaucoup sur les échan-ges avec Neustart Schweiz pour cerner ces questions.

Joie de vivre contre consommationL’association Neustart Schweiz ou «Redé-

marrer la Suisse» a été créée en 2010. Elle emprunte son nom au petit livre visionnaire d’un auteur zurichois dont le pseudonyme est P. M. L’association compte aujourd’hui plus d’une centaine de membres et se veut une pla-teforme d’inspiration, de conseil et de mise en réseau. Elle entend relier les initiatives locales de «villes en transition» qui correspon-dent au principe du voisinage socialement et écologi quement durable. Le lobbying politique est un autre axe de travail. Il consiste à iden-tifier et à revendiquer les sites appropriés à la construction de logements dans l’esprit de la «vie bonne».

Agriculture contractuelle, décroissance, permaculture, transition, nouveau départ – autant d’approches et de concepts qui se recou-pent, se complètent et s’enrichissent, avec parfois quelques contradictions. Ce sont souvent de très jeunes initiatives. Au vu des énormes problèmes écologiques et sociaux à résoudre, on peut se demander si ces activités ne servent pas plutôt à lutter contre un sentiment d’impuis-sance. Une utopie commune se dessine à l’horizon. Mais au quotidien, c’est le pragmatisme qui l’emporte. La priorité va à l’information, à l’expérience concrète et visible – et non à la protestation et à la révolte. C’est un mouvement transgénérationnel dont les contenus sont en devenir. Il s’agit avant tout d’un état d’esprit: reconquête de la joie de vivre et du temps, rejet du salariat et de la consommation, amélioration des relations de proximité, refus de la course à la mobilité et à l’isolement. Un nouvel essor? Qui cherche, trouve.

Explication des termes: décroissance et

critique de la consommation

Le mouvement de la décroissance considère la croissance économique illimitée comme écolo-giquement impossible et socialement néfaste. Dans cette conception, la «croissance verte» est une illusion. L’alternative est une réduction vo-lontaire de la consommation. Le mouvement de la décroissance organise une série d’actions criti-ques envers la consommation, comme les journées sans achat ou les semaines sans écran.

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Priorité à l’expérience concrète et visible — et non à la protestation et à la révolte.

En route vers l’avenir: Raphaël Pfeiffer, distributeur de légumes au Panier bio à deux roues.

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Notre installation photovoltaïque produit deux fois plus d’électricité que nous n’en consommons. Uwe Burka et Isabelle Goumaz.

Pierre-Alain et Samuel Chevalley devant leur éolienne expérimentale et l’installation de biogaz avec laquelle ils chauffent leur maison.

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Les initiatives de transition, la permaculture et l’agriculture contractuelle de proximitéLes initiatives de transition partagent largement la critique formulée par le mouvement de la décroissance à l’égard d’un système économique axé sur la croissance. Mais elles travaillent da vantage sur le changement vers une «société postfossile» à l’échelon de la petite ville, du quartier ou du voisinage.

Neustart Schweiz défend une approche similaire mais se focalise davantage sur l’évolution des grandes villes et des régions.

La permaculture veut construire des cycles de production durable proches de la nature. Ses principes d’organisation sont un important repère pour les initiatives de transition.

L’agriculture contractuelle de proximité désigne diverses formes de coopération directe entre consommateurs et producteurs.

LES ENFANTS CHINOIS

S’APPELLERONT «VENT»

ET «ESPOIR»Par Tom Xiaojun Wang

Greenpeace East Asia, Pékin

Je m’appelle Tom Wang. Tom est le prénom que j’ai choisi lorsque j’apprenais l’anglais, car mon professeur n’arrivait pas à prononcer mon prénom chinois: Xiaojun. «Xiaojun» signi-fie «soldat né aux aurores». La plupart des gens qui entendent ce prénom aujourd’hui en Chine peuvent savoir que je suis né dans les années 70. Servir son pays en tant que soldat était alors considéré comme le plus grand honneur possible pour un jeune Chinois. Mes parents souhaitaient à l’évidence que leur enfant devienne soldat et les rende fiers.

Lorsque j’appris à ma mère, en 2005, que je quittais mon poste de journaliste pour travailler

chez Greenpeace, sa première réaction fut: «Qu’est-ce que c’est Greenpeace?» Puis: «Mais pourquoi?» Elle avait jusqu’alors toujours été fière de moi: je n’avais peut-être pas fait l’armée et je n’étais pas devenu soldat, mais j’avais au moins été professeur au collège, puis journaliste. Les deux activités lui paraissaient sensées et la remplissaient de fierté. Lorsque j’étais enseignant, elle pouvait dire à ses amis que son fils était le plus jeune et le plus talentueux professeur du collège, qu’il était respecté par ses élèves comme par ses collègues. Lorsque je suis devenu journaliste, elle se vantait que son fils interviewait de hautes figures de l’économie et de la politique.

Greenpeace? Une organisation non gouver-nementale? Qu’est-ce que c’est? Ma mère ne fut pas la seule à me poser ces questions. En 2005, peu de gens savaient alors ce qu’était une ONG et encore moins connaissaient l’existence de Greenpeace. Ceux qui avaient entendu parler des ONG pensaient qu’il s’agissait de bénévoles qui aident à déblayer les rues ou à planter des arbres le week-end, après avoir travaillé toute la se-maine dans un bureau. Et s’ils avaient entendu parler de Greenpeace, la seule image qui leur venait à l’esprit était celle d’un petit bateau ten-tant d’arrêter la flotte baleinière japonaise dans le Pacifique Sud. Greenpeace était pour eux une organisation occidentale d’excités et d’extré-mistes aux cheveux longs qui se jettent devant les bulldozers. Les gens voyaient d’un mauvais œil ces «perdants» et ces «fauteurs de troubles» qui compliquent la tâche des honnêtes responsables économiques et gouvernementaux.

Dans la Chine d’aujourd’hui, où le gouver-nement contrôle la plupart des ressources, «non gouvernemental» est plus ou moins syno-nyme d’«antigouvernemental». Les fonction-naires ne veulent pas avoir affaire à Greenpeace. En tant que chargé de communication pour l’Asie orientale, je suis quotidiennement confronté à la censure. Les journaux qui traitent des projets de Greenpeace sont interdits et l’organisation n’est jamais citée sur les sites Inter-net, même lorsque la photo qui accompagne l’article montre mes collègues brandir une ban-derole devant une centrale à charbon.

Lorsque je me rends à vélo au bureau de Greenpeace à Pékin, je réfléchis à la façon de faire comprendre mon travail. Nous sommes là pour protéger l’environnement de la Chine afin

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que ses habitants jouissent d’une meilleure qua-lité de vie et puissent léguer aux générations futures des sols fertiles, un air respirable et une eau propre à la consommation.

Le monde est impressionné par la croissance économique chinoise depuis trois décennies. Mais le prix payé par l’environnement est élevé. La pollution devient un fardeau qui pèse sur la croissance et alimente les troubles sociaux. Si le terme «environnement» fait partie du voca-bulaire commun en Chine, il est étroitement associé à «argent».

La notion la plus importante est celle de «croissance économique». L’amélioration des conditions de vie reste la priorité des priorités en Chine, car près de 10% de la population vit avec moins d’un dollar par jour. Tous les efforts en ce sens sont reconnus et estimés. Mais il est temps pour la Chine d’abandonner la mentalité du «développons et polluons d’abord, nous réparerons ensuite». Le pays ne peut plus se le permettre, ni économiquement ni socialement. Notre tâche est de veiller à ce que les responsa-bles politiques et l’opinion publique en prennent conscience. Pour que notre message trouve un écho auprès des planificateurs économiques et des groupes de réflexion, nous insistons sur les coûts de la destruction de l’environnement. Au lieu de dire: «L’extraction et la transformation du charbon polluent l’air, l’eau et les sols de la Chine», nous disons: «Les coûts économiques de l’extraction et de la transformation du char-bon représentent environ 7% du produit inté-rieur brut de la Chine.»

Le travail de Greenpeace en Chine a aussi une importance au niveau mondial, car tout ce que la Chine entreprend pour développer son économie accroît considérablement les émissions de gaz à effet de serre qui menacent les glaces arctiques, les glaciers en Europe centrale et le climat en Afrique. En tant que premier produc-teur et consommateur de charbon au monde, la Chine est le plus gros émetteur de gaz à effet de serre de la planète.

Lorsque je dis à mes amis de Pékin ou Shanghai qu’une partie de mon travail consiste à dissuader la Chine de consommer tant de charbon, ils pensent que nous voulons freiner le progrès. «Mais où la Chine trouvera-t-elle l’énergie dont elle a besoin pour les usines texti-les et électroniques qui ont tellement investi?» me demandent-ils.

Je leur raconte alors l’histoire de ma province natale du Shaanxi, au centre du pays, que de nombreux historiens considèrent comme le ber-ceau de la civilisation chinoise. Elle était aupa-ravant une mine pour les archéologues du monde entier. Aujourd’hui, la plupart des personnes qui la visitent sont des investisseurs qui ne s’inté-ressent qu’au charbon. Un tiers des gisements se trouve en effet dans la province du Shaanxi.

Quand j’étais enfant, ma sœur m’emmenait toujours avec elle à la rivière laver le linge de la famille. Avec mon grand-père, nous parcourions les montagnes en été pour rendre visite à ses amis. Je me souviens en particulier d’un pêcher jouxtant une maison où nous nous rendions parfois. Je m’asseyais contre l’arbre et me régalais de pêches pendant que mon grand-père et son ami bavardaient en prenant le thé.

Au milieu des années 80, le gouvernement a commencé à construire de larges routes pour permettre aux camions de transporter le charbon. Mes parents et leurs amis se sont d’abord réjouis de ces nouvelles perspectives d’emploi. Certains membres de ma famille travaillaient à la mine, d’autres dans des centrales électriques ou des cimenteries. Leurs salaires élevés fai-saient des envieux. Mes camarades et moi étions excités en voyant ces grosses machines, ces nouveaux visages et ces jouets exotiques. Mais tout cela ne dura pas. Les camions transportant du charbon dans d’autres régions étaient une source constante de poussière et de pollution malodorante. Des maisons et des temples se sont effondrés à cause des galeries creusées dans la montagne. Les centrales consommaient tant d’eau que la rivière s’assécha en cinq ans. Les cimenteries enveloppaient continuellement la ville d’un voile de poussière.

Alors que Pékin accueillait les Jeux olympi-ques en 2008, je suis retourné dans ma ville natale pour voir les changements causés par l’extraction du charbon depuis trente ans. J’ai rendu visite à l’ami de mon grand-père. Il faisait partie de la douzaine de personnes âgées vivant encore dans le village. Les autres étaient parties, car toutes les maisons sont fissurées et menacent de s’écrouler à tout instant. Il me conduisit au pêcher et me dit: «Cet arbre ne produit plus de pêche. Chaque printemps, la poussière de la centrale recouvre les fleurs et plus aucun fruit ne pousse.»

Quand je lui ai dit que je travaillais pour Greenpeace, une organisation de protection de

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La ville suffoque dans la poussière et la pollution — mais la plupart des fonctionnaires refusent d’avoir affaire à Greenpeace.

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UN RAINBOW WARRIOR

EN CARTONPar Inga Laas

Notre collaboratrice Inga Laas a 26 ans. Les 40 ans de Greenpeace lui évoquent toute une histoire de famille.

Lors de la fondation de Greenpeace Internatio-nal en 1971, mon père avait 19 ans et ma mère 17. Ils étaient déjà ensemble et luttaient pour la protection de la planète. Greenpeace allait jouer un grand rôle dans notre famille.

Quand je pense à cette organisation, je vois mon père assis dans un fauteuil. Je constate qu’il a vieilli: ses cheveux sont plus fins et sa tête dégarnie aux tempes. Il a aussi pris un peu de poids. Mais je pense que c’est normal … Il lit le journal, soupire de temps en temps, hoche la

l’environnement, il a souri et m’a dit: «C’est un bon travail qui promet un bon karma. De quoi les enfants vivront-ils demain si cela continue ainsi? Nous devons leur léguer quelque chose.»

J’entends cette voix chaque matin en me rendant au bureau. Lorsque je raconte cette histoire aux collégiens de Pékin et que je vois des larmes dans leurs yeux, j’ai l’espoir d’une génération plus sage que celle de leurs parents et plus responsable à l’égard de notre planète.

Ils diront à leurs parents d’économiser le courant ou de privilégier les transports en com-mun. Une fois adultes, ils travailleront comme ingénieurs pour une centrale éolienne, iront à l’étranger et diront aux investisseurs occidentaux d’investir dans des industries propres. Ils don-neront à leurs enfants des noms comme Vent, Espoir ou d’autres rêves qui deviendront un jour réalité si nous savons unir nos forces.

Des centaines de milliers de personnes en Chine voudraient recevoir notre bulletin d’informations, mais surtout parler directement avec Greenpeace, nous aider à diffuser nos rapports sur Internet et auprès d’un plus large public. Mes parents en font partie. Ils lisent mes blogs et me donnent des conseils pour m’adresser au peuple chinois.

Greenpeace Asie orientale soutient les collégiens qui veulent devenir journalistes afin qu’ils puissent faire part de leurs observations et de leurs préoccupations au sujet de l’envi-ronnement, mais aussi de leurs projets pour un avenir plus propre.

La vision de notre planète prônée par Greenpeace est similaire à celle exposée il y a 2500 ans par Lao Tseu, un des plus célèbres philosophes chinois. Lorsque je l’ai cité à ma mère en 2005 pour lui expliquer l’action de Greenpeace, elle m’a immédiatement compris. C’est simple: «Nous devons vivre en harmonie avec la nature; puisque nous ne devons pas exploiter la nature ni en abuser, nous devrions être son amie et non chercher à la conquérir.»Greenpeace a publié en juillet son rapport Linge sale. Ses analyses montrent comment les fournis-seurs de l’industrie du vêtement de sport polluent les rivières en Chine, avec de graves conséquen-ces pour l’environnement et la population qui doit consommer l’eau polluée des rivières. Greenpeace exige des fabricants d’articles de sport qu’ils ces-sent de polluer l’eau des pays du Sud.

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— DEPUIS 40 ANSUn cheminement difficile et ardu — et pourtant beaucoup de victoires 40 ans après la naissance de Greenpeace. L’organisation est active dans 40 pays et soutenue par 2,8 millions de personnes. Bilan personnel.

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tête. C’est le signe que l’article du journal ne lui plaît pas. Il hoche et grommelle.

Il n’est plus comme avant, quand il allait manifester le week-end avec ma mère et nous, les enfants. Pour mon père, manifester, c’était comme la promenade du dimanche. On n’allait pas au cinéma: on allait protester. Souvent contre le nucléaire, mais toujours pour l’environ-nement.

Tandis que les autres enfants allaient au zoo avec leurs parents, mon frère et moi mettions nos pulls siglés «Nucléaire? Non merci» et col-lions l’autocollant jaune sur la poussette. Aux cortèges de protestation, on rencontrait des amis et des connaissances. C’était vraiment des excursions familiales. La présence des autres enfants nous faisait oublier les couches lavables en laine qui piquaient. Les couches en laine, parlons-en! C’était une question cruciale pour les jeunes familles écolos. On ne voulait pas produire de déchets, on voulait vivre de façon plus responsable. C’était en 1987, une année après Tchernobyl et plus de quinze après la nais-sance de Greenpeace International.

Mon père était rempli d’admiration pour ce groupe encore peu connu. Ma mère appréciait l’indépendance des informations de Greenpeace. Mon grand-père trouvait que c’était «des cas-seurs dérangés de la tête». En mai 1986, mon frère a refusé de faire une promenade en disant: «La pluie est méchante et empoisonnée».

Mon grand-père était outré, c’était pour lui la preuve de la mauvaise influence de Greenpeace. Six mois après Tchernobyl, on nous donnait encore du lait en poudre ou condensé produit avant la catastrophe. «Complètement exagéré!» pestait-il. Pour lui, l’explosion de la centrale était simplement la preuve de l’incompé-tence des Russes. L’Occident l’avait d’ailleurs bien dit. «Chez nous, cela ne pourrait pas arri-ver», tranchait-il.

Et nous, les enfants? Pour mon frère et moi, Greenpeace, c’était le poster de baleine dans notre chambre commune, les bateaux aux couleurs de l’arc-en-ciel – et les rouleaux de papier de toilette.

Le Rainbow Warrior II était notre héros. Pendant que nos parents luttaient contre le conformisme bourgeois de leurs propres parents, mon frère et moi avions notre Rainbow Warrior à nous, fabriqué avec des rouleaux de papier de toilette. Nous le promenions dans le jardin, qui

était notre océan. Nous allions à la chasse aux navires baleiniers. C’est notre père qui avait réussi ce chef-d’œuvre en carton, entièrement composé de matériaux recyclés. Une opération réussie également du point de vue idéologique, car je me retrouve aujourd’hui à travailler pour Greenpeace.

Plus tard, nous y avons ajouté l’arc-en-ciel. Un bateau en carton, ce n’était pas vraiment ce dont rêvaient les enfants des années 80 – Barbie et Knight Rider – mais je n’ai pas vraiment le souvenir du manque. L’été, on se baladait dans les champs en criant: «Greenpeace! Sauvez les baleines!» Ces mots magiques fascinaient les enfants du voisinage. L’année suivante, chaque botte de paille qui tombait dans le char lors de la moisson déclenchait encore des hurlements: «Greenpeace! Sauvez les baleines!»

En grandissant, nous avons eu chacun notre chambre et le poster de baleine a disparu. Aller manifester avec les parents n’était plus de mise. Les rouleaux de papier de toilette sont passés aux oubliettes. Mon père a continué sa lutte contre la pollution sur le mode artistique, dans son atelier. Et ma mère s’est peu à peu tournée vers la question de la justice sociale.

Le souvenir de Greenpeace nous est pour-tant resté, à mon frère et moi, teinté d’admi-ration et de nostalgie enfantine.

Aujourd’hui, quarante ans après la fondation de Greenpeace International, après un quart de siècle de vie familiale sous le signe de l’écologie, et trois mois après la catastrophe de Fukushima, j’entends mon grand-père demander à ma mère: «Elle a déjà beaucoup travaillé pour Grün-Peace, ta fille, n’est-ce pas?» Et sur un ton admiratif! C’est la meilleure preuve que Greenpeace a vrai-ment changé les choses. Et je suis fière de Greenpeace, de mes parents et du Rainbow Warrior en carton.

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QUELQUES DATES CLÉS

Greenpeace a 40 ans: l’organisa-tion se sent jeune, performante et prête à de longues et âpres luttes. Beaucoup reste à faire, mais notre histoire est jalonnée de beaux succès. Rappel de quelques étapes importantes.

1971

Action «Greenpeace» contre les essais nucléaires près de l’île d’Amchitka, en Alaska. C’est la première action de Greenpeace. Les états-Unis cessent leurs essais en 1972.

1975

La France passe aux essais sou - t errains dans le Pacifique Sud. Greenpeace avait déjà mené plu-sieurs expéditions dans la zone des essais, souvent sous les atta-ques de la marine française.

1982

Au terme d’une longue campagne, la Communauté européenne interdit l’importation des four-rures de bébés phoques.

1982

Après plusieurs années de cam-pagne Greenpeace, la Commission baleinière internationale (IWC) décide l’arrêt de la chasse balei-nière à partir de 1986.

1985

L’équipage du Rainbow Warrior évacue les habitants de l’île irra-diée de Rongelap (conséquence des essais de bombe à hydrogène par les états-Unis).

1985

La nuit du 10 au 11 juillet, les agents des services secrets fran-çais font exploser une bombe sur le Rainbow Warrior dans le port d’Auckland en Nouvelle-Zélande. Le bateau coule, le photographe Fernando Pereira perd la vie.

1987

Greenpeace dénonce pendant des années l’incinération de déchets toxiques en Mer du Nord, finale-ment interdite en 1987.

1992

Après près d’une décennie d’ac-tions, la pêche au filet dérivant de grande surface est enfin interdite.

1993

Suite aux actions de Greenpeace, la Convention de Londres interdit l’immersion de déchets nucléaires dans l’océan.

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1994

De nombreuses campagnes abou-tissent à la Convention de Bâle qui interdit l’exportation de déchets toxiques des pays indus-trialisés dans les pays du Sud.

1995

Des militants Greenpeace arri-vent à empêcher l’immersion de la plateforme pétrolière de Brent Spar. L’immersion des platefor-mes pétrolières sera formellement interdite à partir de 1998.

1996

Les puissances nucléaires conviennent de l’arrêt des essais nucléaires.

1997

Tous les pays ratifient le protocole de protection de l’Antarctique.

2001

Grâce à Greenpeace, les droits des Deni sur 1,5 million d’hectares de forêt humide en Amazonie sont reconnus.

2004

Unilever et Coca-Cola adoptent le réfrigérateur sans CFC «Green-freeze» inventé par Greenpeace en 1992.

2005

Le Rainbow Warrior achemine des aliments, des médicaments et des spécialistes dans les régions les plus touchées par le tsunami.

2006

Succès d’une des plus longues campagnes de Greenpeace: la Colombie-Britannique crée une réserve permanente de 2,1 millions d’hectares dans la forêt pluviale du Grand Ours. Une autre zone de 700 000 hectares est interdite à l’exploitation minière et forestière. Cette forêt est l’un des plus impor-tants puits de carbone au monde.

2009

Kumi Naidoo devient directeur de Greenpeace International, un nouveau jalon de l’histoire de Greenpeace qui connaît un fort développement en Afrique et en Asie.

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Épuisement du pétrole, flam-bée du prix du kérosène, taxes sur les émissions en vue: l’industrie de l’aviation est sous pression. La seule alternative semble être le carburant végétal qui a néanmoins pour effet d’ac-centuer la lutte autour des terres cultivées au Sud. Un business pourtant convoité par Lufthansa et sa filiale Swiss.

Le 20 juin 2011, les responsables de l’industrie de l’aviation annoncent la traversée de l’Atlan-tique du premier avion de ligne aux réservoirs remplis de carburant végétal. Le moment est bien choisi. Parti de Seattle, lieu de naissance de Boeing, l’avion arrive juste à temps pour le salon du Bourget, plus grand rendez-vous mondial de la filière. Sur les quatre réacteurs du Boeing 747-8, un label vert bien visible précise «biokérosène durable». Boeing produit même un film pour présenter l’événement, au commentaire enthou-siaste: «C’est une étape cruciale pour la protec-tion de l’environnement.» Les jours suivants, sept compagnies d’aviation annoncent l’introduc-tion des agrocarburants, dont Lufthansa, pro-priétaire de Swiss.

Lufthansa tente depuis longtemps de jouer la carte de la durabilité. Elle prévoyait de com-mencer les essais de vols commerciaux au kéro-sène végétal dès la fin 2010. Subventionné à hauteur de 2,5 millions d’euros par l’état alle-mand, le projet a pourtant été reporté pour diverses raisons. Lufthansa se voit aussi confron-tée à une critique croissante à l’égard de l’agro-kérosène. Son fournisseur est la firme finlandaise Neste Oil qui s’approvisionne elle-même chez IOI, fabricant d’huile de palme. Or IOI est accu-sée d’expropriation de terres en Malaisie, de corruption des autorités locales, de coupe illégale de bois, de défrichage par le feu et de destruc-tion de l’habitat des orangs-outans. Neste Oil continue sans preuve de qualifier son biokéro-sène de «durable» et de développer son marché d’agrocarburant. À Singapour et Rotterdam, la multinationale entretient les deux plus gran-des raffineries d’agrocarburants au monde, transformant un million de tonnes d’huile de palme par année. Neste Oil rejoint les géants Unilever et Nestlé – sauf qu’il ne s’agit pas de remplir les estomacs, mais les réservoirs … Cette contre-performance a été décorée du «Public Eye People’s Award», prix décerné chaque année par Greenpeace et la Déclaration de Berne aux entreprises particulièrement irresponsables.

LE CRASH DE LA DURABILITÉ

Par Claudio de Boni

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Neste Oil a obtenu 17 385 voix lors du vote en ligne, 4000 de plus que BP, le responsable de la catastrophe pétrolière du Golfe du Mexique. Auparavant, Greenpeace avait déjà su convaincre Nordic Finnair de se retirer d’un projet pilote avec Neste Oil. Mais à la mi-juillet, Nordic Finnair commence néanmoins les vols au biokérosène sur la ligne Helsinki-Amsterdam. La compagnie évite l’huile de palme, mais estime que les graisses végétales issues du recyclage de l’huile comestible sont une alternative.

Neste Oil n’a pas réagi au prix du Public Eye, mais Lufthansa a tenté de remplacer l’huile de palme par l’huile de jatropha. Le rapport de dura-bilité de Lufthansa d’avril 2011 rapporte une déclaration de Joachim Buse, chef du projet d’agrokérosène intitulé «Burn Fair»: «Le biocar-burant utilisé par Lufthansa ne porte pas atteinte à la forêt humide. Et aucune concurrence n’est faite à la production de fourrages et d’aliments.» Comment le garantir? La porte-parole de Luft-hansa, Stefanie Stotz, déclare: «À Hambourg, nous stockons 800 tonnes de biocarburant pro-venant de Neste Oil. Ce stock comprend une certaine quantité d’huile de palme qu’il n’a pas été possible d’éviter. Mais nous achèterons suffisamment d’huile durable de jatropha et de cameline pour compenser l’huile de palme. Et nous avons personnellement visité nos fournis-seurs pour connaître leurs processus de produc-tion.» Stefanie Stotz n’est pas en mesure de citer des critères concrets de durabilité. Deux jours plus tard, après des demandes répétées, elle transmet tout de même les directives internes de Lufthansa. De manière surprenante, Neste Oil garantit dans ce document que l’huile de palme – que Lufthansa souhaite pourtant exclure pour «non-durabilité» – serait de production durable. Avec le lancement du projet «Burn Fair» à la mi-juillet, et pour une durée de six mois, un avion Lufthansa alimenté à l’agrocarburant relie donc Hambourg à Francfort. Il fait jusqu’à quatre allers-retours par jour sur une distance de 460 km. Un premier bilan sera fait au début 2012. «Nous collaborons avec la Table ronde sur les carburants durables, qui inclut plusieurs organisations de défense de l’environnement telle le WWF», conclut la porte-parole Stefanie Stotz.

1000 pages de directivesAlwin Kopse, secrétaire exécutif de la Table

ronde sur les carburants durables (Roundtable

on Sustainable Biofuels, ou RSB), est un homme affable. Qu’est-ce que l’agrocarburant durable? À cette question, il répond en riant: «Pour l’instant tout le monde se réclame de la durabilité dans ce domaine, mais il n’existe quasiment aucune méthode de certification qui garantisse la traçabilité du carburant jusqu’au cultivateur.» L’un des rares systèmes existants se réduit à un autocontrôle des producteurs. «Dernièrement, j’ai eu connaissance d’un cas où il n’a fallu que 30 minutes pour certifier une plantation, pause-café comprise.» La Table ronde a maintenant édicté des directives détaillées pour la produc-tion d’agrocarburants qui permettront de contrôler de manière impartiale toute la chaîne de production. Un document d’un millier de pages, capital si l’on veut améliorer la crédibilité des déclarations de durabilité. C’est le fruit de trois ans et demi de négociations entre Shell, BP et Neste Oil, d’une part, et des organisations telles que WWF, IUCN et Conservation Interna-tional, d’autre part. Kopse commente: «Certains compromis ont été difficiles. Mais je suis convaincu que nos directives exigent une produc-tion plus équitable que les réglementations actuelles.» L’agrocarburant certifié par la Table ronde n’est pas encore disponible sur le marché. Kopse espère mener les premières certifications dans l’année en cours. «Les producteurs certi-fiés pourront vendre un carburant labellisé RSB.» Aucun label «carburant durable» ne sera décerné, car la durabilité n’est pas un concept clairement défini mais un processus d’améliora-tion permanente.

Non aux subventionsC’est précisément la critique formulée

par de nombreuses organisations. Leur souci principal porte sur la compétition croissante pour les terres. Les terres cultivées achetées par les investisseurs en Afrique, Asie et Amérique latine ces cinq dernières années sont estimées à 80 millions d’hectares. C’est plus que la surface cultivée de la Suisse et de tous ses pays voisins. Si l’aviation se met elle aussi à consommer des carburants végétaux, la concurrence faite à la production alimentaire se renforcera et la pres-sion au déboisement augmentera. Selon Tina Goethe, spécialiste chez Swissaid et coordinatrice de la plateforme Agrocarburants, l’avenir n’est pas rose: «Pour l’instant, les conséquences indirectes de la production d’agrocarburants –

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comme la montée des prix des aliments, le déboisement des forêts tropicales et des savanes – ne sont pas prises en compte.» Elle ne pense pas grand bien du jatropha, la nouvelle plante miracle. «Il est faux de dire que les graines pous-sent même sur les sols impropres à la culture.» Plusieurs études concluent que pour obtenir un fort rendement sur un sol aride, une grande quantité d’engrais et une irrigation massive sont nécessaires. Un rapport actuel de l’organisation britannique Actionaid constate que, dans des conditions usuelles de production, l’agrocarbu-rant au jatropha implique des émissions de carbone multipliées par un facteur allant de 2,5 à 6 par rapport au kérosène conventionnel.

Les organisations non gouvernementales ont longtemps été les seules à mettre le doigt sur les problèmes liés à la production d’agrocar-burant. Mais aujourd’hui, de grands organismes internationaux – Banque mondiale, FMI, Orga-nisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et Organisation mondiale du commerce – demandent eux aussi l’arrêt de la promotion et du subventionnement des agro-carburants, pratiqués notamment par l’Union européenne. En Suisse, une pétition signée par 60 000 personnes est en suspens au Parlement. Elle demande un renforcement des critères éco-logiques et sociaux pour les agrocarburants. Car la Suisse subventionne elle aussi ces carbu-rants en les détaxant. Reste que les critères suisses actuels sont déjà plus exigeants que ceux de l’Union européenne, empêchant largement l’importation des agrocarburants pour l’instant. La compagnie aérienne Swiss a gardé son siège en Suisse et est donc plus discrète que sa maison mère Lufthansa. Gieri Hinnen est manager environnemental chez Swiss: «Concernant les agrocarburants, nous en sommes au stade de l’évaluation. Le potentiel est certes important,

mais ce n’est pas une panacée. Il faudra pendre encore d’autres mesures, notamment construire des avions moins gourmands en kérosène.» Pour l’instant, la seule vraie solution à long terme semble être la taxation et le renchérissement du trafic aérien. Pour un vrai progrès en faveur de l’environnement, il faudrait qu’une baisse réelle des émissions totales de carbone vienne com-penser les années d’augmentation de la pollution. Et même dans le cas favorable, on ne pourra probablement pas parler de trafic aérien durable.

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Pour un vrai progrès en faveur de l’environnement, il faudrait une baisse des émissions totales de carbone.

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LE CHEVAL DE TROIE

Par Matthias Wyssmann

Avec une centaine de jeunes en formation chez Axpo, Greenpeace a construit une énorme installation solaire à Spreitenbach. On parle d’éco-blanchiment. Quel bilan?

Une opération bien pensée: cent jeunes en formation chez Axpo, le géant énergétique et exploitant nucléaire, poseraient des pan neaux solaires sur le toit du nouveau stade «Arène de l’environnement» à Spreitenbach. Le Projet Solaire Jeunesse de Greenpeace prendrait sous son aile la relève d’Axpo pour monter la plus grande installation photovoltaïque intégrée en toiture de Suisse. L’occasion de procéder à un «lavage de cerveau» écologique des jeunes, de faire découvrir le potentiel du solaire au futur personnel dirigeant de l’entreprise en début de carrière. Et, effet secondaire non négligeable, Axpo verrait son avenir assuré sur la voie du tournant énergétique…

Plus sérieusement, car tout cela ne l’est pas vraiment, cette coopération a été vivement discutée à l’interne. Axpo pourrait-elle s’en servir pour se donner une image «verte» aux dépens de Greenpeace? Coïncidence, c’est jus-tement à ce moment-là que la télévision alle-mande diffusait le reportage dénonçant le WWF pour ses alliances avec des multinationales. L’indépendance de Greenpeace est au contraire largement reconnue comme l’un de ses prin-cipaux atouts. À juste titre. Greenpeace a-t-elle franchi une ligne rouge?

Après la présentation du projet commun de Greenpeace et d’Axpo sur notre site Internet et dans un bulletin d’information électronique, les commentaires ont fusé. À quelques exceptions près, les internautes se sont montrés favorables à ce projet, voire enthousiastes. «Je suis très heureuse de voir que c’est l’objectif qui prime, et

non l’appartenance à telle ou telle entité. L’horizon s’élargit pour tous», commente par exemple Martha.

Sur place, le magazine Greenpeace a inter-rogé Fabian Frei, apprenti polymécanicien, et Emanuel Egloff, employé de commerce en for-mation, tous deux âgés de 19 ans. Fabian tra-vaille à la centrale nucléaire de Beznau, Emanuel au siège principal d’Axpo à Baden. À les voir, on ne doute pas un instant de leur indépendance d’esprit. Et les tentatives d’endoctrinement de Greenpeace n’y changeront rien: ils restent favo-rables au nucléaire, mais saluent les énergies renouvelables et un style de vie écolo. Fukushima était certainement un choc pour eux. Surtout le fait que la catastrophe se soit produite au Japon, pays de haute technologie. «Mais le nucléaire reste le courant le moins cher et le plus efficace», assène Fabian.

«Consciemment ou inconsciemment», dit Fabian, les jeunes ont plutôt évité les discus-sions de politique énergétique avec Greenpeace. Mais Emanuel conçoit son avenir dans un contexte de sortie du nucléaire. De toute manière, Axpo encourage ses jeunes en fin d’apprentis-sage à travailler dans une autre entreprise avant de revenir éventuellement plus tard au sein du groupe. L’espoir de Greenpeace de placer un cheval de Troie, avec une centaine d’esprits sub-versifs, dans le camp adverse ne s’est pas vrai-ment réalisé. À la clé, il y a tout de même, par-delà les divergences idéologiques, la réalisation commune d’un fantastique projet énergétique d’ici à la fin octobre.P.-S.: Pour ce qui est des périlleux achats par Axpo de combustible nucléaire provenant du site contaminé de Mayak ou encore de la sortie du nucléaire, Greenpeace ne renoncera jamais à la confrontation la plus catégorique.

ÉNERgIE CATASTROPHIQUE

Chaque accident est un accident de trop.

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LE NOUVEL ELDORADO?Entretien avec Matthias Fawer,

directeur de Sarasin Sustainable Investment

Dix milliards de francs. C’est ce que le marché suisse de l’énergie rapporte en gains, intérêts et impôts. Serions-nous à l’aube d’une ruée vers l’or dans le domaine des éner-gies renouvelables? «Surtout ne nous embal-lons pas», nous met en garde Matthias Fawer, l’un des principaux analystes financiers de la branche. Aucun bénéfice boursier specta-culaire n’est envisageable à court terme. Mais ce marché arrive à maturité et ses perspec-tives de rendement à long terme sont excel-lentes. Pas étonnant, car les PME, les artisans et les paysans ont des idées de plus en plus écologiques et novatrices. Mais la Suisse doit s’accrocher si elle entend concrétiser ses chances au cours des prochaines décennies.

Greenpeace: Le marché des placements durables a-t-il changé depuis Fukushima?Matthias Fawer: Il y a eu une brève envolée à la Bourse, mais cela n’a pas duré. Les titres des énergies renouvelables se sont négociés à des prix très élevés juste après le 11 mars – à 5, 10, 20% de plus. Mais dès la fin avril, la plupart étaient retombés en dessous de leur valeur initiale.C’est étonnant. Comment l’expliquez-vous?

À mon avis, deux mouvements se sont annulés: d’un côté, Fukushima a suscité de nou-velles attentes; de l’autre, la réalité a peu changé: les énergies renouvelables dépendent toujours de la rétribution à prix coûtant (RPC) et des pro-grammes de soutien, donc du bon vouloir politi-que. Mais leur prix baisse et elles sont de plus en plus compétitives. Du côté des investisseurs, les marges bénéficiaires sont sous pression. La Bourse voit avant tout cet aspect négatif. De plus, il y a des surcapacités dans la chaîne de création de valeur, aussi bien dans le secteur du photo-voltaïque que des éoliennes. Cela a une incidence sur les prix et les marges.Pourquoi de telles surcapacités?

L’attente était énorme. Le marché est en plein essor. L’année dernière, les installations de panneaux solaires ont augmenté de plus de 150%. Il y a là un potentiel de croissance considé-rable. Mais cette industrie dépend encore fortement du système de subventions. L’Allema-gne et d’autres pays ont fait sérieusement baisser la RPC. En même temps, les entreprises ont investi – notamment les Chinois qui sont intervenus très tôt sur ce marché.Il ne faut donc pas espérer de gros bénéfices à court terme?

Certainement pas. Une nouvelle ligne de production coûte des millions. Il faut douze à dix-huit mois pour qu’elle soit opérationnelle. Cette démarche s’inscrit sur le long terme. Il y a encore trop d’entreprises sur les rangs. La conjoncture favorable a attiré de nombreux acteurs. Nous sommes aujourd’hui dans ce que les investisseurs appellent une phase de conso-lidation. Mis à part les changements liés à Fukushima, qu’en est-il des perspectives de placement à long terme?

Comme pour le secteur du renouvelable, je suis très confiant. Les facteurs qui parlent en faveur des énergies renouvelables et qui vont obliger les pays à agir sont de plus en plus mani-festes: changement climatique, diminution des ressources fossiles, hausse du prix du pétrole, centrales conventionnelles vieillissantes. Sur ce plan, Fukushima a servi de révélateur.C’est en Suisse que l’âge moyen des centrales nucléaires est le plus élevé, non?

En effet. Elles ont plus de 35 ans contre plus de 25 dans les autres pays occidentaux. Après Tchernobyl, on n’en a pas construit de nouvelles. C’est la poule aux œufs d’or: financièrement, elles sont amorties depuis longtemps et leur courant est bon marché. Mais ce ne serait pas forcément le cas avec de nouvelles centrales. Contrairement aux énergies renouvelables dont le prix baisse toujours, on constate dans le nucléaire ce qu’on appelle une courbe d’appren-tissage négative. Lorsqu’une technologie est au point, elle devient meilleur marché; dans le cas du nucléaire – même une étude française l’a montré – l’évolution des connaissances et des exigences de sécurité entraîne son renché-rissement.Existe-t-il un marché pour les plus petites entreprises, les start-up, les PME qui se

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profilent actuellement dans le secteur des énergies renouvelables en proposant des idées ou technologies et des produits nova-teurs? Où peuvent-elles obtenir des fonds sur le marché privé?

Le capital-investissement soutient les entre-prises qui ne sont pas cotées en Bourse. Nous rece-vons chaque semaine des plans d’entreprise, des demandes dans lesquelles des entreprises intéres-santes nous présentent leurs idées et leurs projets.Il existe des investisseurs idéalistes?

Oui. Parmi les clients privés, de plus en plus de gens se disent: «J’aimerais faire quelque chose de bien, soutenir des entreprises qui ont des idées durables, surtout dans le secteur des énergies renouvelables.» Peu importe que l’investissement ne rapporte que dans cinq ou dix ans.Et pourtant, on peut gagner de l’argent avec …

Les énergies renouvelables resteront d’actualité à long terme. Si cela correspond à l’horizon temporel d’investissement du client, on peut certainement cautionner les investis-sements correspondants.Ne nous fait-on pas miroiter un nouvel Eldorado avec des pronostics de croissance extrême?

Je ne voudrais surtout pas d’euphorie ni de bulles. Nous en avons connu avec les énergies renouvelables en 2006/2007. Les valeurs des titres ont explosé. Il y avait alors une surchauffe et les rendements boursiers étaient énormes. Puis un petit crash boursier s’est produit et les évaluations ont été revues à la baisse. La branche a mûri, les attentes de gains sont désormais plus réalistes…Revenons à la Suisse: le Conseil fédéral a décidé de sortir du nucléaire. Le National l’a suivi. La Suisse serait-elle soudain devenue un marché pour les énergies renou-velables?

Nous soutenons depuis longtemps la recherche et le développement à l’Ecole poly-technique fédérale (EPF) de Lausanne et à l’Université de Neuchâtel. Une entreprise connue est cotée en Bourse: Meyer Burger, spécialisée dans le découpage de blocs de silicium. Quant à la production de cellules solaires, je pense que la Suisse a déjà raté le virage.Que devraient faire nos responsables politiques pour créer des conditions plus favorables à l’industrie durable?

Je vois surtout des investissements au bout de la chaîne de création de valeur; il faudrait ainsi monter plus de panneaux solaires sur les toits, avec des installateurs et des développeurs locaux. Un environnement politique stable est nécessaire. Tout cela est directement lié à la rétribution à prix coûtant (RPC). Or il existe un déséquilibre entre la demande et les moyens financiers mis à sa disposition. Un marché local pour les énergies renouvelables pourrait s’éta-blir si on lâchait un peu de lest. Cela créerait des emplois pour les artisans, les installateurs et les développeurs d’installations photovoltaïques. Avec l’avantage de pouvoir produire une électri-cité au niveau local.La parité réseau, c’est-à-dire le moment où le coût du solaire sera égal aux prix d’achat sur le marché, sera-t-elle un jour une réalité?

C’est presque déjà le cas pour le courant provenant des éoliennes. La comparaison avec le courant produit par les centrales à gaz est positive. Pour le solaire, c’est surtout pour le consommateur que cette parité est importante.

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Croissance des capacités mondiales de production d’électricité

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C’est le moment où la production de courant solaire sera aussi bon marché que le courant fourni sur le réseau. Nous n’en sommes pas loin: si les prix des modules solaires continuent de baisser dans les deux ou trois prochaines années, produire son courant soi-même sera intéressant.Greenpeace plaide pour un approvisionne-ment énergétique décentralisé. Les firmes qui louent des surfaces de toits pour pro-duire du courant solaire ont-elles une chan-ce sur le marché de l’investissement?

Cela dépend des conditions politiques. L’investisseur veut pouvoir calculer son place-ment: il a besoin pour cela d’une RPC fiable. Si le contexte est stable, il investira. Je pense que, dans les deux ou trois prochaines années, nous serons obligés d’allouer plus de moyens à la RPC. Cela permettra de faire baisser le coût des énergies renouvelables et ces entreprises pourront bientôt voler de leurs propres ailes.À quoi ressemblent les scénarios quand on fait des évaluations sur 20 ou 30 ans?

Je pense que des possibilités d’investisse-ment intéressantes verront le jour dans les domaines du réseau de distribution d’électricité intelligent, notamment au niveau des mesures et du transport du courant.Donc pas de bulle ni de ruée vers l’or, mais plutôt un certain désenchantement … Fukushima aurait-il fait passer le marché de l’investissement dans les énergies renou-velables du spéculatif à la réalité?

Le fait est que les énergies renouvelables sont désormais une réalité. Elles produisent une part croissante de notre énergie. Quant aux entreprises, elles fabriquent des produits réels. À côté de cela, nous avons la Bourse. Les gains sont devenus plus réalistes. Les taux de croissance dans les énergies éolienne et solaire ont été fan-tastiques ces dix dernières années. Mais le point de vue de la Bourse va changer si les prix bais-sent. Une entreprise doit alors vendre presque le double de modules pour dégager chaque année le même chiffre d’affaires.La concurrence serait-elle plus forte? Y aurait-il de nouveaux acteurs, avec de nouvelles idées?

En effet. La concurrence sur le front des prix est énorme. Certaines entreprises essaient de se profiler avec des produits haut de gamme comme le Megaslate de 3S, un module solaire

qui est en même temps une toiture. Lors du Congrès Photovoltaïque Suisse ce printemps à Fribourg, un membre de l’Association des maîtres-couvreurs a pris la parole. Un type extra, très novateur. Il a dit: «Mon grand-père est passé du bardeau à la tuile. Et maintenant, à mon tour, je souhaite que les couvreurs montent des modules solaires sur les toits.»Ce n’est pas étonnant. Les associations d’artisans font face à un dilemme. Elles sont très à droite, mais se rendent compte des perspectives qui s’ouvrent à elles. Les paysans aussi, avec leurs vastes surfaces de toit, espèrent des revenus complémentaires. Que se passera-t-il sur ce front ces prochaines années?

On assistera à une véritable explosion. Avec les innovations énergétiques dans le bâtiment, mais aussi avec le réseau de distribution intelli-gent, les petites entreprises vont pouvoir faire d’énormes profits. Ce qui n’est pas le cas avec les centrales nucléaires … L’entretien avec Matthias Fawer a eu lieu le 23 juin 2011 et a été enregistré par Matthias Wyssmann.

Matthias Fawer …

… né en 1963, est analyste spécialisé dans le développement durable auprès de la Banque Sarasin depuis l’été 2000. Il est responsable du secteur Énergie qui inclut les fournisseurs d’énergie et les énergies renouvelables. Dans ce dernier domaine, il est chargé de l’observation et de l’évaluation du marché et de la technologie, dont les résultats sont notamment intégrés dans l’étude annuelle sur l’énergie solaire de la Banque Sarasin.

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Bâle, 2 mars (avant Fukushima). C’est donc cela, la cellule de la résistance: un sympathique bureau près de la frontière franco-suisse, à Bâle, entre la Voltaplatz, la Wattstrasse, la Gasstrasse, la Wasserstrasse et la Kraftstrasse. Pas de doute, nous sommes ici sur le terrain de l’énergie. Et, bien qu’il ait dépassé la soixan-taine, Aernschd Born a de l’énergie à revendre. Depuis les années 70, il est le porte-drapeau de la résistance aux centrales nu cléaires: jadis comme chan sonnier, aujourd’hui comme direc-teur de l’association NWA Schweiz (Nie wieder Atomkraft werke / Plus jamais de centrale nucléaire), l’un des pôles du mouvement anti-nucléaire.

Cette association est née il y a quarante ans. Elle est composée de membres des partis bourgeois et de la gauche, de hippies, de paysans de l’UDC, de professeurs alarmés et de parents inquiets qui voulaient tous briser les rêves nucléaires de Kaiseraugst. Eh oui, déjà à cette époque. Dans le Nord-Ouest de la Suisse, toute une génération a été marquée par le combat politique mené contre les centrales nucléaires qui a finalement débouché sur la décision de deux

cantons d’inscrire leur refus du nucléaire dans leur constitution ainsi que sur l’occupation du site de Kaiseraugst en 1975.

Des amitiés sont nées – certaines pour la vie – lors des dix semaines d’occupation. Beau-coup vécurent dans l’euphorie cette nouvelle influence politique. Aujourd’hui, le peuple suisse serait appelé aux urnes pour la construction de nouvelles centrales. Mais à l’époque, c’était impossible. Il a fallu se battre pour obtenir ce droit. Bien des années avant Greenpeace, diffé-rentes forces se décidèrent donc à mener une lutte non violente, mais illégale, contre le nucléaire. «Un cas de légitime défense», commente Born. Au début des années 70, le chansonnier sillonnait la Suisse, critiquant le système. Influencé par John Lennon et le mou-vement hippie, il avait sa propre vision du monde. «Puis un beau jour, tu chantes autour d’un feu de camp dans la neige d’avril et tu réalises: ces chansons personnelles ne fonction-nent pas. Le monde ne suit pas mes concep-tions. Seule une action commune est efficace.» C’est ainsi qu’il a commencé à écrire des chan-sons populaires que l’on pouvait fredonner en

THE STAR IS BORN

Par Matthias Wyssmann

Le chansonnier Aernschd Born était une véritable icône pour la génération des opposants à Kaiseraugst. Ceux-ci se mobilisent à nouveau contre les vieilles centrales nucléaires suisses et la centrale de Fessenheim en Alsace.

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groupe. Aernschd Born est devenu l’icône d’un mouvement. C’était l’époque héroïque – et ce n’est pas sans nostalgie que beaucoup l’évoquent.

L’opposition démocratique à la construction de nouvelles centrales ne pourra réussir que si la génération que représente aussi Aernschd Born y participe – une génération indépendante mais sédentaire, responsable et réfléchie mais pour-tant courageuse, «au cœur de la vie», comme dirait le chansonnier.

Bâle, 15 juin (Fukushima est toujours en crise). Trois mois plus tard, nous nous retrouvons dans le foyer de la salle de concerts du Pavillon de la culture, près de la douane d’Otterbach, que Born et sa compagne gèrent en privé. Le portrait de Sinatra orne les murs, des slammeurs sont au programme. Born s’accorde un peu de répit loin de son bureau du NWA. Le séisme au Japon a en effet déclenché un «tsunami de tra-vail» pour lui. Durant des semaines, il est resté pendu au téléphone, informant les membres de l’association ou les autorités, organisant des marches de protestation et continuant la lutte contre la centrale de Fessenheim en Alsace – une bombe à retardement dans le style de Fukushima ou de Mühleberg.

Outre les conséquences pour la Suisse de la fusion du cœur de la centrale japonaise, les inquiétudes du public portaient en effet aussi sur les risques posés par la centrale alsacienne. «Avant Fukushima, de nombreux Bâlois n’avaient pas conscience du danger», explique Born. Or Fessenheim est presque aussi âgée que la plus ancienne centrale du parc nucléaire le plus vieillissant d’Europe (Mühleberg); elle se trouve à dix mètres au-dessous du niveau du Rhin, en aval de deux barrages et, qui plus est, dans une zone sismique.

Mais la résistance s’organise dans cette région à la frontière entre le Nord-Ouest de la Suisse, le Bade-Wurtemberg et l’Alsace. L’Asso-ciation trinationale de protection nucléaire (ATPN), dirigée par Aernschd Born, mobilise les communes. Des procédures juridiques sont lancées. La population se réveille. En Alsace, de plus en plus de communes, dont la ville de Strasbourg, recourent contre Fessenheim. Il serait toutefois naïf de parler de dégel chez nos voisins français, toujours majoritairement favorables à l’atome. «Il n’empêche que le Parti socialiste a admis que l’énergie nucléaire ne

pouvait pas être la seule source d’énergie. C’est historique», s’amuse Born.

Et d’évoquer une issue possible, à savoir que le gouvernement français ferme Fessenheim, sacrifiant ainsi un pion sur l’échiquier de l’indus-trie nucléaire.

Par la fenêtre, à un jet de pierre de là, on aperçoit l’Allemagne, où souffle un vent nette-ment plus optimiste. Pour ce qui est de la Suisse, l’icône des militants se montre plus prudent que confiant: «Je ne crois pas que la sortie du nucléaire se fasse sans coup fourré. Nous avons ouvert une porte – mais il nous faut encore la franchir.»

Responsables politiques, opinion publique et mouvement écologiste devront tous faire des efforts prodigieux et revenir sans arrêt sur le sujet. Born énumère l’énorme arsenal d’instru-ments à disposition: demande d’installation de panneaux solaires aux propriétaires, systèmes d’économie d’énergie, campagnes de sensibili-sation. Born et Greenpeace prévoient dans ce contexte une plateforme d’information appelée MobilE. Depuis Fukushima, l’objectif n’est plus le lancement d’un référendum sur le nucléaire, mais le tournant énergétique. «S’accorder au lieu de voter, commente le musicien en souriant, ajoutant: c’est mieux.»

Aernschd Born, chanteur politique, militant antinucléaire professionnel, organisateur de concerts et, pour l’heure, rassembleur a l’air posé, tranquille et ouvert. Il ne se considère pas comme un fondamentaliste écologique. Il aime la technologie.

«Je suis absolument d’accord avec le Conseil fédéral. Nous pouvons laisser nos centrales nucléaires connectées au réseau tant qu’elles sont sûres, dit-il avant de conclure après une courte pause: mais en réalité nous devons TOUT DE SUITE les débrancher. Car elles ne sont pas sûres.»

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Fukushima marque un terrible point de rupture de la politique énergétique – dans un sens ou dans l’autre. Le Japon tire 30% de son énergie des centrales nucléaires, de même que la Suisse, et évoque sérieusement la sortie du nucléaire. L’Al-lemagne a décidé d’arrêter cette technologie d’ici à 2022, tandis que l’Italie confirme aux urnes son refus du nucléaire, avec 94% des suffrages! La France, de son côté, s’obstine sur cette voie.

En Suisse, deux organes ont fait preuve de sagesse: le Conseil fédéral annonçait la cou-leur dès le 25 mai, grâce à sa majorité féminine. Le Conseil national a suivi grâce à la solide conviction des Verts et du PS, à la position criti-que du Parti vert libéral, à la volte-face du PDC et du PBD – et au silence du PLR. Presque tous les Libéraux-Radicaux se sont abstenus lors du vote du 8 juin: même l’UDC compte davantage d’antinucléaires! La Vaudoise Alice Glauser et le Bernois Erich von Siebenthal – tous deux paysans – ont ainsi accepté la sortie du nucléaire.

Tout le monde attend désormais la décision du Conseil des états en septembre. Soutiendra- t-il le Conseil national et le gouvernement? Rien n’est moins sûr. La commission de l’environne-ment se perd en manœuvres dilatoires. Elle réflé-chit à une modification de la Constitution – le nucléaire ayant apparemment le statut d’une profession de foi nationale. Elle évoque une obli-gation des organisations de défense de l’envi-ronnement d’accepter sans mot dire tout nouvel ouvrage d’énergie hydraulique. Elle parle de supprimer le droit de recours des organisations pour les projets énergétiques.

Doris Leuthard nous soutient dans notre lutte. Du jamais vu, mais la conseillère fédérale semble convaincue. Elle a reconnu que le pas-sage à une énergie efficace et renouvelable ren-force l’économie. Les analyses financières d’Eveline Widmer-Schlumpf viennent confir-mer cette option.

Du côté de nos adversaires, certains ne veu-lent pas se rendre à l’évidence. En guise de me-nace, les consortiums de l’électricité demandent au Conseil fédéral d’être libérés du mandat d’approvisionnement si la Suisse renonce au nucléaire. Les groupements économiques veulent prendre le temps d’analyser la catastrophe – pour l’oublier au plus vite. Leur tactique est de gagner du temps, comme après la catastrophe de Tchernobyl. On va donc entendre des décla-rations bien connues: que la quatrième géné-ration de réacteurs serait sûre, que la fusion nu-cléaire serait la solution. Le mythe de la pénurie de courant nous sera resservi, tandis que les mêmes milieux feront tout pour combattre les mesures d’efficacité énergétique. Il n’y a qu’à voir les débats sur la révision totalement insuffi-sante de l’ordonnance sur l’énergie.

Chez Greenpeace, l’activité est intense. Nous avons soutenu la manifestation «Sortons du nucléaire» qui a attiré 20 000 personnes. Nous avons calculé les coûts économiques d’une sortie rapide du nucléaire. La sécurité doit pri-mer. Il faut donc arrêter au plus vite les centrales vétustes de Mühleberg et de Beznau I et II. Une alimentation en courant à 100% renouvelable est possible d’ici à 2025. Mais à condition de faire immédiatement les investissements qui s’imposent. Notre travail d’information et de campagne reste décisif pour faire avancer la révolution énergétique en Suisse, c’est pourquoi nous avons renforcé notre équipe. Le Conseil fédéral donne enfin le coup d’envoi. Nous reste-rons tenaces, promis.

Une date à retenir: les élections du 23 octobre 2011. Testez la conscience éco-logique des membres du Conseil national et du Conseil des États: www.ecorating.ch.

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TOURNANT ÉNERgÉTIQUE: LE CONSEIL DES ÉTATS

DOIT AgIRPar Kaspar Schuler

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Raoul Monsembula, responsable de campagnes auprès de Greenpeace, sonne l’alarme: «Il faut faire cesser ces razzias au large des côtes africaines.» ©

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UN PILLAgE AUTORISÉ

Les chalutiers européens au large de l’Afrique menacent

non seulement les stocks de poissons, mais aussi l’existence d’un grand nombre de personnes. Christian Åslund,

photographe suédois de Greenpeace, a suivi l’une de ces expéditions de pillage des fonds marins.

Photos de Christian Åslund

La situation est alarmante. Les militants de Greenpeace repèrent de plus en plus souvent des bateaux-usines européens dont les équipages pêchent au chalut au large de la côte occidentale de l’Afrique, menaçant les stocks existants. La plupart viennent d’Espagne ou des Pays-Bas – plusieurs centaines de tonnes de poissons sont traitées chaque jour à bord de ces chalutiers. Les pêcheurs autochtones n’ont pas la moindre chance face à ces flottes qui ne cherchent que le profit. Des siècles durant, ils ont vécu de la mer. Ce qu’ils arrivent aujourd’hui à pêcher sur leurs petites embarcations suffit tout juste à leur survie. Les seuls à profiter de l’accord sur la pê- che – absolument injuste – conclu avec l’UE sont les gouvernements d’Afrique occidentale. Greenpeace se bat sur place pour faire changer cette situation.

Christian Åslund vit à Stockholm. Il travaille comme reporter photographe et vidéojournaliste pour Greenpeace depuis 1998. Il aime son métier, «même s’il me conduit souvent dans les lieux les plus épouvantables de la planète». Christian Åslund a passé deux ans à photographier la surpê-che le long des côtes africaines. Pendant ces deux années, il s’est rendu en Mauritanie, au Sénégal, en Gambie et au Cap-Vert. Il a parlé av ec des pêcheurs indigènes de leurs conditions de vie qui se détériorent toujours un peu plus à cause des chalutiers européens.

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Un riche butin: les chalutiers européens pillent les zones de pêche et rejettent par-dessus bord ce qui ne leur convient pas.

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Modestes: les pêcheurs locaux utilisent des méthodes de pêche durables mais pénibles — les prises suffisent à peine à leur survie.

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Beaucoup de travail pour un maigre résultat: la surpêche empêche les poissons de se reproduire en nombre suffisant.

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Au rythme où la planète se réchauffe actuellement, le glacier du Kilimandjaro aura fondu d’ici à 2020.

Le sida aura fait plus de 27 millions d’orphelins d’ici à 2025.En 2009, 16 millions de per-sonnes ont souffert de la sécheresse en Somalie, en Éthiopie, au Kenya et en Ouganda. Une montée des eaux du Nil d’un mètre liée au réchauffement entraînerait le déplacement d’environ six millions de personnes. Le Nigeria est le deuxième pays producteur de films du monde après l’Inde et les États-Unis. «Nollywood» réalise 1200 films par an.

354 parcs nationaux protègent la faune et la flore exceptionnelles de l’Afrique. Aucun autre continent n’en compte autant.

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23 des 24 pays les moins développés du monde se trouvent en Afrique. La terre africaine est riche, elle recèle: 90% des gisements de platine du monde, 80% du chrome et du manganèse, 60% des diamants,50% de l’or et20% de l’uranium.

Plus de 4 millions d’hectares de forêt vierge sont détruits chaque année – en Suisse, les forêts représentent 1,2 million d’hectares.Jusqu’à 120 000 Africains essaient chaque année d’atteindre l’Europe. Les migrants envoient chaque année 17 milliards d’euros vers l’Afrique, plus que la somme de tous les investisse-ments directs étrangers. 44% des décès d’enfants de moins de cinq ans ont lieu en Afrique

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La Suisse se bétonne de plus en plus: l’équivalent d’une ville comme Saint-Gall est construit chaque année à cause du grand nombre d’immigrants. C’est ce qui a amené ecopop à lancer son initiative «Halte à la surpopulation – oui à la préservation durable des ressources naturelles» qui demande de limiter l’accroissement de la population à 0,2% par an, soit 16 000 personnes contre 110 000 actuel-lement. La Suisse ne peut pas continuer indéfi-niment à accueillir autant de monde. – Tel est le sentiment toujours plus répandu en Suisse. L’argumentation semble logique et exacte. Mais tout ce qui a l’air logique n’est pas forcément exact.

On reste en effet perplexe face à l’initiative et son argumentaire. Selon les initiants, «la population mondiale connaît la plus forte crois-sance de son histoire: une menace pour la planète.» Cette population a quadruplé depuis 1900. Les pays les plus pauvres sont «le plus durement touchés», les femmes ayant en moyenne cinq à six enfants. «Nombreuses sont celles qui aimeraient pratiquer la contracep-tion, mais n’y ont pas accès. La pauvreté et le chômage poussent les habitants à émigrer en Europe ou aux états-Unis, la Suisse faisant partie des destinations les plus attrayantes.» – Une chaîne causale osée: trop d’enfants dans les pays du Sud entraînent la pauvreté, donc les migra-tions et donc pour la Suisse «bouchons sur les routes, trains bondés, loyers en hausse, terres agricoles construites, disparition des espèces».

Outre une sérieuse limitation de l’immi-gration, l’initiative Ecopop demande que 10% de l’aide suisse au développement serve à l’avenir à financer un «planning familial volontaire». On procède à un amalgame pour faire croire que la démographie des pays pauvres menace notre existence.

«Faux, écrit Gérard-François Dumont, pro-fesseur de géographie à la Sorbonne, dans le Monde diplomatique: Depuis plusieurs décen-nies, les taux de natalité diminuent nettement et partout, sous l’effet de (...) la ‹transition démo-graphique›, période durant laquelle une popula-tion voit baisser une natalité et une mortalité auparavant très élevées.» Dumont souligne que «la» population mondiale n’existe pas. La population russe diminue, car les taux de natalité et l’espérance de vie ont baissé; au Mali, la population augmente, car les gens ont encore beaucoup d’enfants et l’espérance de vie aug-mente. L’initiative Ecopop persiste néanmoins avec aplomb dans sa logique: le monde irait mieux si nous arrivions à faire que les pauvres aient moins d’enfants. Une attitude colonialiste et fausse.

Des exigences plus élevéesCertes, le Nord s’achemine vers un «hiver

démographique»: le taux de natalité est de moins deux enfants par femme en Amérique du Nord, dans la plupart des pays européens, en Russie et en Chine; il est de 1,5 en Suisse. Or il faudrait 2,1 enfants par femme pour assurer le «remplacement des générations», estime l’Office fédéral de la statistique. Mais le nombre d’habitants ne dépend pas seulement de la natalité. Si nous sommes trop nombreux, c’est aussi parce que nous vivons plus vieux. Il y a un siècle, plus de 40% de la population avait moins de 20 ans contre 20% aujourd’hui.

Ecopop parle volontiers d’un «stress de la densité». Cela n’a rien à voir avec la surpopula-tion mondiale, mais résulte de l’urbanisation croissante. Celle-ci explose dans tous les pays, tandis que des territoires entiers se dépeuplent. En 1930, 36% de la population suisse vivait en

LA SUISSE ET LE STRESS DE LA DENSITÉ

Par Susan Boos*

L’initiative Ecopop joue sur les peurs: de nombreux problèmes en Suisse n’ont pourtant rien à voir avec l’immigration.

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ville contre 75% aujourd’hui. Les zones reculées se vident. En Allemagne, l’Institut für Bevölke-rung und Entwicklung du gouvernement fédéral a décidé, il y a deux ans, de laisser les régions de l’Est se débrouiller seules, estimant qu’il ne valait pas la peine d’entretenir une infrastructure pour toujours moins de gens.

Si nous regardons au-delà des frontières de la Suisse, comme cela est indispensable en matière d’environnement, la «surpopulation» apparaît comme un phénomène local.

Deux tiers des étrangers qui arrivent en Suisse sont issus de l’espace européen. Ils sont attirés par le travail et les salaires élevés. Or le produit intérieur brut (PIB) a progressé plus fortement que la population ces dernières années. Nos exigences elles aussi ont augmenté: la surface de logement occupée par une personne était de 44 m2 en 2000 contre 34 il y a 30 ans; elle a augmenté de 5 m2 ces dix dernières années. De quoi épargner pas mal de prairies.

Il faudrait aussi parler de notre rapport à l’espace, à la croissance économique, mais sur-tout à la répartition. Une étude récente de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) a montré que nous ne supportons pas nous- mêmes 60% de notre impact environnemental en raison des biens fabriqués à l’étranger: «Ce résultat met en évidence notre dépendance à l’égard des ressources naturelles et des proces-sus de production d’autres pays», écrit l’OFEV.

Sommes-nous trop nombreux ou consom-mons-nous trop? Nos services sociaux comptent sur une croissance continue pour garantir nos retraites. Les syndicats misent également dessus pour résoudre les problèmes de redistribution. L’économie menace de s’effondrer si elle ne croît pas. Ce cercle vicieux n’est toutefois pas lié à la soi-disant explosion démographique dans les pays du Sud.

La redistribution, une question refouléeLes Grecs de l’Antiquité se demandaient

déjà combien d’habitants l’état peut supporter. Car «beaucoup de monde, c’est beaucoup de pauvres, avec le danger qu’ils se révoltent», constate le démographe George Minois: «La pen-sée démographique grecque pose déjà les termes du débat tels qu’on les retrouve dans la période moderne et contemporaine. Elle est eugéniste, malthusienne et... xénophobe.»

Ecopop se targue d’être une «organisation écologique» indépendante de la mouvance droitière. Des Verts, des Libéraux-Radicaux, des UDC siègent au comité d’initiative. Ils n’aiment pas qu’on leur rappelle que Valentin Oehen, le fondateur de la très conservatrice Action natio-nale (aujourd’hui les Démocrates suisses), était l’un des pères fondateurs d’Ecopop. Associer surpopulation et pollution est problématique. «Ceux qui mettent en garde contre une ‹explo-sion démographique› détournent l’attention du public de la répartition inégale des ressources», écrit Marcel Hänggi, auteur du livre Ausge-powert, sur le site Infosperber. Un cinquième de l’humanité consomme quatre cinquièmes des ressources énergétiques disponibles: «C’est comme si on invitait dix enfants à un anniversaire: le premier mange la moitié du gâteau, le deuxiè-me un tiers, et ainsi de suite, ne laissant que des miettes aux deux derniers. Les partisans de la technique s’écrient: faisons un plus gros gâteau! Les donneurs de leçons répondent: invitons moins d’enfants! Ces deux réactions sont aussi cyniques l’une que l’autre, surtout que ce sont souvent les plus voraces qui réclament.»

Ecopop aurait mieux fait de lancer une ini-tiative contre la gloutonnerie en exigeant de limiter la consommation d’énergie à 2000 watts par personne – nous en consommons trois fois plus aujourd’hui. Une société à 2000 watts, c’est moins de routes, moins de bruit, moins de stress. Et que tous ceux qui trouvent l’idée épa-tante aient le droit de vivre ici. * Rédactrice à WOZ, Die Wochenzeitung

Les Grecs de l’Antiquité se demandaient déjà combien d’habitants l’État peut supporter.

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ECOPOP — UNE FORMULE SIMPLISTE?

Par Hannes Grassegger

Le thème est sur toutes les lèvres. En avril dernier, l’association Ecopop a lancé une initiative populaire censée faire prendre conscience de la relation entre écologie et population. Sous le titre «Halte à la surpopulation – Oui à la préservation durable des ressources naturel-les», l’initiative exige une limitation du solde migratoire en Suisse à 0,2% de la population par an et demande que 10% des dépenses d’aide publique au développement soient affectées à la promotion du planning familial volontaire au moyen de campagnes de sensibilisa-tion et d’un meilleur accès à la contraception dans les pays en voie de développement.

Ecopop, qui revendique 500 à 600 membres, diffuse son message sur toutes les chaînes. Benno Büeler, membre du comité d’initiative, a été qualifié de «messie vert» par la presse suite à son passage dans la célèbre émission Arena. Si les initiants puisent largement dans les idées du mouvement de la décroissance, Ecopop a aussi été confrontée à son passé droitier. La formule la pollution de l’environne-ment est le produit du nombre d’habitants multiplié par la con som-mation par tête, au cœur de la vision du monde d’Ecopop et citée par tous ses représentants, provient du jargon de l’Action nationale. Les membres actuels d’Ecopop refusent toutefois d’être catalogués à droite. Ils se considèrent comme une association qui brise des tabous et s’attaque au «sujet brûlant» de la croissance démographique en évitant toute polarisation politique gauche-droite.

Un aspect essentiel est toutefois négligé dans ce débat: la ressem-blance frappante entre les idées d’Ecopop et celles du mouvement de l’«écologie profonde» (deep ecology), la philosophie dont s’inspirent des associations radicales comme Earth First et Sea Shepherd.

Parallèles évidents avec l’écologie profondeLe père fondateur du mouvement deep ecology, le philosophe norvé-gien Arne Næss (1912–2009), a publié son essai The Shallow and the Deep en 1973. À l’époque, l’ouvrage de Paul Ehrlich, La Bombe P (1968), mettait en garde contre les conséquences d’une croissance exponentielle de la population. En 1972, le Club de Rome publiait son étude Halte à la croissance?, qui remettait au goût du jour l’idée de «limites naturelles». Les limites absolues de la croissance seraient atteintes en l’espace d’un siècle, ce qui conduirait à un effondrement sous la forme d’un brusque recul démographique ou d’une mortalité élevée. Ces ouvrages sont souvent cités par les représentants d’Ecopop.

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Arne Næss et son «écologie profonde» ne semblent officiellement pas intéresser Ecopop. Interrogés par le magazine Greenpeace, Sabine Wirth et Alec Gagneux, deux membres du comité, avouent ne pas bien connaître les ouvrages du philosophe norvégien. On constate pourtant des parallèles frappants entre les idées prônées par Ecopop et l’écologie profonde de Næss.

Arne Næss distingue deux formes d’écologie, l’une «superficielle», l’autre «profonde». La première place l’homme au centre de la Création; la seconde l’envisage comme une partie d’un écosystème. L’écologie superficielle se préoccupe uniquement du bien-être et de la santé des êtres humains des pays industrialisés, dénonce Næss, au lieu de développer une compréhension «profonde» du problème.

Il en va tout autrement de l’écologie «profonde» et de sa «vision globale»: l’être humain fait partie d’un biosystème dans lequel il n’a fondamentalement pas plus de valeur que tout autre élément. Il ne jouit pas d’une position privilégiée, n’est pas le maître de la Création. Le mouvement deep ecology s’oppose explicitement à l’anthropocen-trisme. Chaque être vivant, chaque espèce a pour Næss la même valeur morale.

La biodiversité a également une valeur en soi et l’homme ne peut y porter atteinte, estime-t-il, que pour défendre des «intérêts vitaux». Il est intéressant de noter que Næss attribue aussi une valeur propre à la diversité culturelle. Certaines frontières culturelles sont infran-chissables, estime-t-il. À partir de ce «pluralisme», il n’y a qu’un pas à franchir pour imaginer l’apparition de différentes écosophies «pro-fondes». Pour Næss, toute écosophie profonde est une «philosophie de l’harmonie écologique ou de l’équilibre».

équilibre, diversité – dans la lutte contre la détérioration rapide de la situation écologique, une diminution de la population mondiale peut être nécessaire, comme Næss le préconise à plusieurs reprises, «aussi dans l’intérêt de l’homme».

«Il y a dans ce mouvement un potentiel politique qu’il ne faut pas négliger», reconnaissait le philosophe en 1973. L’écologie profonde devait, selon lui, dépasser les clivages gauche-droite. Le plus impor-tant était l’autonomie locale comme forme d’indépendance, la concentration sur la qualité de la vie plutôt que sur un «standard de vie mesurable».

L’écologie profonde de Næss soulève nécessairement des questions relatives aux migrations. Næss refuse la migration à caractère éco-nomique des pauvres vers les pays riches: «Toute politique écologique responsable essaiera de la décourager ou de la minimiser.» Il lui préfère l’aide au développement sur place. Comme Ecopop.

Næss envisageait des mesures drastiques de contrôle des nais-sances: dans un texte sur les questions démographiques, il suggère une imposition plus lourde des familles parentales. L’idée est d’empêcher

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les gens de procréer pour réduire la population à long terme. Les enfants coûtent «autant, voire plus que les personnes âgées», note le philosophe, qui décédera à l’âge de 97 ans.

La conclusion de Walter Wobmann: la barque est pleineLes «deux grands objectifs» de Næss, à savoir la réduction de la consom-mation globale et la réduction de la population, ne sont pas les seuls éléments à se refléter dans la formule d’Ecopop citée au début de cet article. Ecopop véhicule aussi depuis des années l’idée que les enfants coûteraient plus cher à un état qu’ils ne lui rapportent. Cette «philo-sophie» a des relents d’eugénisme. Næss – son précurseur non officiel – s’est senti obligé de clarifier les choses sur ce point dans un essai, Le caractère antifasciste du mouvement de l’écologie profonde. Cette der-nière accorde à chaque être humain la même valeur et n’est pas compatible avec les idées fascistes, nationalistes ou racistes.

Mais dans le même essai, Næss reconnaît une rupture fondamen-tale avec l’idée des Lumières: pour l’écologie profonde, la maxime de Kant, connue sous le nom de «règle d’or», devrait être complétée pour refléter la valeur propre à chaque être: «Nul être vivant ne devrait jamais être utilisé seulement comme un moyen».

Si cela peut paraître plausible à première vue, cela signifie néan-moins que les intérêts de l’être humain sont échangeables avec ceux d’autres êtres vivants.

C’est exactement ce qui, selon Alec Gagneux, membre du comité d’Ecopop, rassemble les membres de l’association. Dans une inter-view, il a prôné une telle extension de la règle d’or. Lors d’une confé-rence à Zurich, après un long exposé sur les problèmes écologiques posés par la croissance démographique, il s’est emporté avec vigueur: «La philosophie de l’anthropocentrisme est répugnante! Le ver de terre pense aussi être plus important que moi.»

Walter Wobmann, des Démocrates suisses, partage ce point de vue. Ancien Vert, il a rejoint le parti nationaliste en qui il voyait les vrais opposants à la mondialisation. Il a déclaré un jour vouloir mettre fin à l’immigration pour protéger la patrie contre un avenir multiculturel. Wobmann distribue des prospectus et parle de «surpopulation». Sa conclusion: en Suisse, la barque est pleine.

Malgré l’orientation nationaliste d’Ecopop, son porte-parole Benno Büeler, explique que «les mesures prises à l’étranger sont plus importantes à long terme qu’une limitation de l’immigration». Il en va du monde entier en tant que biosystème. Et il n’y a pas qu’en Suisse qu’on pense cela. L’analyste américain Thomas Friedman – un libéral – a récemment écrit dans le new York Times un article âprement discuté au titre évocateur et sans appel: «The Earth Is Full».

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MISE à L’EAU DU RAINBOW

WARRIORPar Thomas Jucker

La construction du Rainbow Warrior III va bon train. Les mâts sont montés et quand on le voit sur le quai, on croirait que les amarres sont sur le point d’être larguées. Mais sous le pont, c’est encore un vaste et complexe chantier.

Le Rainbow Warrior III a été mis à l’eau le 4 juillet. Pas de marraine pour lancer une bou-teille de champagne contre la coque, pas de discours dans lequel on aurait souhaité bonne chance au navire pour son voyage inaugural, pas de fanfare. Même le temps n’était pas de la partie: le ciel était couvert, la bruine et le vent froid venaient de cesser; bref, l’été n’était pas au rendez-vous. Pourtant, la joie se lisait sur les visages des collaborateurs de Greenpeace et du chantier naval Fassmer lorsque l’élévateur a fait lentement descendre le nouveau vaisseau dans l’eau froide et que d’abord la quille, l’hélice et le gouvernail, puis la partie immergée de la coque – la carène – se sont enfoncés dans les eaux troubles de la Weser.

Beaucoup de journalistes étaient présents et des équipes de télévision ont filmé la scène sous tous les angles. La direction du chantier naval offrait du café et des gâteaux aux per-sonnes présentes. La procédure de mise à l’eau a été complexe, mais après une longue attente, le nouveau Rainbow Warrior flottait enfin, oscillant légèrement sous les rafales de vent et tirant sur les amarres. Ce navire de presque 60 mètres de long, qui était resté de nombreux mois dans la sombre halle du chantier, sortait enfin de sa léthargie.

Lorsque, peu avant 18 heures, la marée haute a atteint son niveau maximum, un remor-queur a tiré avec prudence le bateau par la poupe, du dock de l’élévateur au chenal. Au moyen d’un câble fixé à la proue, un deuxième remorqueur a tracté avec précaution le bateau orné de l’arc- en-ciel jusqu’au quai situé devant le chantier naval.

Uwe Lampe, responsable de la construction du navire chez Fassmer, était soulagé: «La ligne de flottaison est cinq centimètres plus haute que prévu, ce qui veut dire qu’il fait environ 23 ton-nes de moins que ce qui avait été calculé.» Uwe Lampe peut se réjouir, car s’il y a une chose que les constructeurs de bateaux redoutent, c’est qu’un navire se révèle plus lourd que prévu. Dans le contrat de construction, le chantier naval garantit la vitesse qu’un navire peut atteindre. S’il est trop lourd, il s’enfonce plus profondément dans l’eau et sa vitesse s’en trouve ralentie.

Le Rainbow Warrior sera baptisé – avec bou-teille de champagne et discours – le 14 octobre, date à laquelle le chantier naval doit officielle-ment le remettre à Greenpeace; une date butoir qui va bientôt devenir angoissante, vu la quan-tité de travail à terminer. Bien que le navire ait l’air déjà très imposant, l’aménagement inté-rieur est encore en chantier. Certes, les cabines sont déjà complètement aménagées, avec couchettes encastrées, lavabo et penderie, même la porte des douches est montée. Les matelas et les coussins sont en place – même s’ils sont encore protégés par du plastique. Dans la cuisine, la cuisinière est installée et comprend déjà une friteuse. Dans certaines pièces, en revanche, il faut beaucoup d’imagination pour deviner à quoi elles ressembleront le 14 octobre. L’équipement multimédia de la salle de conférence est par exemple soigneusement rangé au milieu d’une pièce vide qui a l’air immense. Bien que le fournisseur ait préfabriqué tous les éléments et déjà monté les charnières des portes, certains visiteurs se demandent si tout l’aménagement pourra être prêt à temps.

Dans les couloirs et les cabines, des ouvriers des corps de métier les plus divers sont à l’ouvrage. Des menuisiers transportent des revê-tements, des électriciens travaillent à la pose des fils – plus de 45 kilomètres de câbles –, tandis que des mécaniciens montent des tuyaux dans la salle des machines. Le moteur principal, d’une puissance de 2000 CV (1425  kW) est encore sous une bâche. Les deux générateurs de 380  kW

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Le Rainbow Warrior III sera baptisé et officiellement remis à Greenpeace le 14 octobre.

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chacun sont, eux aussi, en partie recouverts de plastique. Dans les entrailles du bateau, la salle des machines ressemble à une jungle. On ne peut s’empêcher de se demander combien de temps il faudra à la future équipe pour apprendre à entretenir et, au besoin, réparer cet enchevê-trement inextricable d’équipements. Car le Rainbow Warrior III est un bateau compliqué qui comprend de nombreux systèmes totale-ment nouveaux – comme le puissant moteur électrique capable d’accélérer jusqu’à dix nœuds (18,5 km/h) et qui servira à manœuvrer dans les ports ainsi qu’à pallier l’absence de vent.

1250 m2 de voiles qui se manœuvrent comme par magieQuelques jours après la mise à l’eau, les

deux mâts de 55 mètres de haut ont été montés sur le pont. Ils constituent une autre particu-larité du bateau: au lieu d’un long tuyau stabilisé latéralement par des filins d’acier, ces mâts présentent des profilés qui forment deux gigan-tesques «A» perpendiculaires à l’axe du bateau.

Les mâts ne sont maintenus que par quelques câbles, ce qui permet de transformer assez facile-ment le grand pont arrière en une piste d’atter-rissage où un hélicoptère peut décoller et atterrir en toute sécurité. De plus, on pourra aisément y fixer les innombrables antennes, projecteurs et caméras dont le nouveau navire amiral sera équipé. Quant au gréement, comment ne pas être impressionné par l’énorme surface de la voilure? 1250 m2 de voiles que l’équipage peut déployer en appuyant sur un bouton. Plus besoin de s’escrimer aux treuils pour régler l’écoute des cinq voiles, autrement dit leur angle d’inci-dence par rapport au vent. Il suffit d’appuyer sur le bouton et le système hydraulique tend la voile ou la relâche. Ainsi le Rainbow Warrior pourrait théoriquement être piloté par deux per-sonnes seulement.

Le voyage d’essai prévu en septembre mon-trera si toute cette technique tient ses promes-ses. Le Rainbow Warrior III descendra la Weser en direction de Bremerhaven et remontera jusqu’à la mer du Nord pour effectuer un long programme de tests. Ce sont des moments cru-

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Rien Achterberg, 62 ans: ce vétéran de Greenpeace était à bord du premier Rainbow Warrior lorsqu’il fut coulé dans le port d’Auckland en 1985.

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57Magazine GreenpeaceNº 3 — 2011

ciaux dans la vie d’un nouveau bateau. On tes-tera non seulement tous les systèmes, mais aussi les vitesses maximales avec les différents types de propulsion. Enfin le Rainbow Warrior devra naviguer à la voile dans les conditions météo-rologiques les plus diverses. Les voiles devront être déroulées puis enroulées; on mesurera quel est le degré de gîte du bateau par des vents de forces différentes, quelle est sa vitesse à chaque fois et quel angle de remontée il atteint «au près serré». Tout sera soigneusement testé, mesuré, noté, évalué.

Au cours de l’une de ces sorties, les experts de Germanischer Lloyd, la société de cer-tification, seront à bord. Ces messieurs sont fort redoutés dans la branche. Ce sont eux qui contrôlent minutieusement si un nouveau bateau est en tout point conforme aux prescriptions internationales. Ils mesurent le rayon de bra-quage du bateau, le temps dont il a besoin pour s’immobiliser; ils vérifient si tous les équipe-ments de sauvetage, les issues de secours et les dispositifs d’extinction d’incendie fonction-nent, si les portes automatiques se ferment vrai-ment en cas de danger, si l’éclairage de secours s’allume et si le moteur diesel de secours démarre au cas où les deux générateurs tombent en panne en même temps. Des tests, encore et encore – page après page, tout va être vérifié, des manuels entiers.

Rien à voir avec le navire des hippiesAvec le Rainbow Warrior III, c’est un nou-

veau chapitre qui s’ouvre dans l’histoire des activités de Greenpeace en mer. Un changement de style? Que sont devenus les hippies d’autre-fois qui larguaient les amarres sur des bateaux de pêche rafistolés à la va-vite? – Eh bien, ils sont emballés. Tout au moins selon Rien Achterberg, qui assistait à la mise à l’eau du nouveau bateau ce 4 juillet. À 62 ans, Rien est une véritable insti-tution chez Greenpeace. Il était à bord du pre-mier Rainbow Warrior lorsque celui-ci fut coulé par les services secrets français dans le port d’Auckland, le 10 juillet 1985. Rien Achterberg a navigué sur toute une série de navires de Greenpeace, travaillant pendant plusieurs dizai-nes d’années comme cuisinier de bord. Il est fier du nouveau Rainbow Warrior: «Quel superbe bateau! Regarde un peu la cambuse, magnifique non?» s’exclame-t-il. Cet homme affable, avec sa longue crinière grise nouée en catogan, a

conservé son allure de hippie. Le monde des éco-logistes a, en revanche, fortement évolué depuis 1973 lorsque notre cuisinier s’était embar-qué sur le premier Rainbow Warrior pour manifester contre les essais nucléaires au large de Muroroa dans le Pacifique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le nouveau bateau de Greenpeace est bien différent de celui des hippies d’alors. Le Rainbow Warrior III est une machine ultramoderne et très sophistiquée: c’est le premier bateau au monde à avoir été spécialement construit et conçu pour des cam-pagnes environnementales.

Aussi merveilleuses soient-elles, les his-toires des premières manifestations en mer de cet équipage de marginaux appartiennent au passé. Aujourd’hui, il serait impensable qu’une organisation écologique réalise une campagne de protestation avec un bateau de pêche sommai-rement aménagé, et dont le moteur diesel antédiluvien pollue l’atmosphère et les océans. Brigitte Behrens, directrice de Greenpeace Allemagne, a déclaré dans une interview à l’occa-sion de la mise à l’eau du nouveau vaisseau amiral: «Nous avons décidé de construire un nouveau bateau, car cela nous permet d’avoir les standards écologiques les plus élevés. Ce qui n’aurait pas été possible en transformant un vieux rafiot.» Il en est résulté un navire qui répond aux normes les plus strictes, mais surtout un mer-veilleux voilier qui effectuera la plupart de ses voyages à la force du vent.

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58Magazine GreenpeaceNº 3 — 2011

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© DAVID MCNEW / gREENPEACE

© VITALy RAgULIN

59Magazine GreenpeaceNº 3 — 2011

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60Magazine GreenpeaceNº 3 — 2011

Film à voir

Un road movie solaire

Le titre du film fait référence à l’ancien président américain Jimmy Carter, citant lui-même le poète Robert Frost. Réalisé par Christina Hemauer et Roman Keller, A Road not Taken na-vigue entre l’art et le docu mentaire. C’est l’histoire des capteurs solaires installés en 1979 sur l’aile ouest de la Maison-Blanche par le président Carter. Ce geste symbolisait une nou-velle politique énergétique qui sera enterrée six ans plus tard par son suc-cesseur Ronald Reagan. La voie du solaire ne sera donc jamais prise.Une trentaine d’années plus tard, les deux réalisateurs suisses intervien-nent dans l’histoire en acheminant deux des capteurs solaires dans un musée et en traversant les états-Unis par la même occasion. Chemin faisant, ils rencontrent les protago-nistes de la vision solaire de l’époque et notamment le grand Jimmy Carter. Un récit fait selon les meilleurs standards du journalisme américain, mais aussi un road movie personnel, léger et musical.Passé par les festivals, musées et chaînes TV, le film est maintenant disponible en un DVD en anglais sous-titré (voir aussi le prix des mots fléchés de la page 64).Christina Hemauer, Roman Keller, A Road Not Taken, livre/DVD, CHF 38.—, www.roadnottaken.info ou en librairie.

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Sortie du nucléaire

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Le courage politique doit être la règle

Le 8 juin dernier dans l’hémicycle du Palais fédéral, les parlementaires votaient sur la sortie du nucléaire. Sur l’écran affichant les votes nominaux, deux lumières vertes s’allumaient dans la marée rouge du groupe parlemen-taire UDC. Deux agriculteurs, Alice Glauser (VD) et Erich von Siebenthal (BE) approuvaient la sortie du nucléaire, à l’encontre du mot d’ordre du parti. Engueulés par Caspar Baader, leur chef de groupe, ils pourraient aussi être sanctionnés et perdre leur siège dans une commission fédérale. Alors pourquoi Alice Glauser ne s’est-elle pas abstenue comme les élus du PLR? «Je n’ai pas été élue pour m’abstenir», répond-elle dans 24 Heures, évoquant l’évacuation des populations 30 km autour des centrales et le retard de la Suisse sur le marché du solaire pour justifier son vote. Le 8 juin, ces élus ont fait preuve de courage politique, mais ils n’en ont pas le monopole. Avant Fukushima, le camp gauche-vert et certains PDC maintenaient le cap antinucléaire, lorsque l’incendie de Tchernobyl (1986) avait été passé sous silence, lorsque les slogans de «renaissance nucléaire» et de «nucléaire sans CO2» chahutés à coups de millions de francs de publicités par le lobby nucléaire faisaient vaciller une génération. Aujourd’hui notre problème à tous, c’est qu’il faudra que ces actes de courage politique deviennent la norme pour réellement sortir du nucléaire. Maîtriser la consom mation d’énergie et faire décoller les renou-velables nécessitera des majorités dans un Parlement où le conformisme et les liens d’intérêts empêchent beaucoup d’élus de penser et d’agir par eux-mêmes. Philippe de Rougemontwww.ecorating.ch

61Magazine GreenpeaceNº 3 — 2011

ble en 45 langues: japonais, arabe, hébreu et même groenlandais … Les organisations de défense de l’envi-ronnement peuvent acheter les droits d’utilisation pour un montant sym-bolique. Le sigle est protégé contre les abus commerciaux et politiques par un brevet déposé à l’Union euro-péenne.Motif à commander notamment sous la forme de badge, d’auto-collant, de drapeau ou de tee-shirt sur www.greenpeace.ch/soleil.

Trou d’ozone

Climat mis à mal

La couche d’ozone au-dessus de l’Arctique n’a jamais été aussi mince que ce printemps, affirme l’Orga-nisation météorologique mondiale (OMM). La production des chlo-rofluorocarbones (CFC) est interdite depuis longtemps, mais ces gaz qui attaquent l’ozone et le climat conti-nuent de dégrader le bouclier de pro-tection contre les ultraviolets dans la stratosphère. Les CFC sont encore présents dans les vieux appareils de réfrigération, d’où ils s’échappent très souvent en cas de non-recyclage ou d’élimination incorrecte.

Energy Academy

Surmonter la crise énergétique

Changement climatique et catas-trophes nucléaires exigent une étude sérieuse des énergies alter-natives. La meilleure occasion de se pencher sur le sujet: l’Energy Academy de Greenpeace qui se tient sur deux journées.Iris Frei milite depuis 35 ans dans le mouvement antinucléaire. Dernière action en date, sa participation à l’organisation de la manifestation «Sortons du nucléaire». Elle fait aus-si partie des 51 participantes et par ticipants à la première Energy Academy qui a eu lieu au printemps 2011 en compagnie de l’ancien conseiller national Ruedi Rechstei-ner. Iris Frei a beaucoup apprécié l’événement et le recommande chau-

Sigle antinucléaire

Un soleil contre l’irradiation

L’histoire du sigle antinucléaire ressemble à un conte de fées. Il y a plus de 35 ans, une jeune fille pensive griffonne un soleil souriant sur un bout de papier. Elle venait de créer le plus célèbre motif du mouvement antinucléaire. Par un après-midi plu-vieux de 1975, l’étudiante Anna Lund, 22 ans, et son collègue Sören Lisberg réfléchissaient à une illustration pour leur association locale nommée «Organisation d’information sur le nucléaire». Les deux jeunes gens entendaient protester contre l’intro-duction du nucléaire au Danemark. L’idée était de créer un graphisme positif et amical. L’illumination leur est venue sous la forme d’un soleil souriant. «Les premières esquisses étaient maladroites, car je n’ai ja-mais été une grande dessinatrice», se rappelle Anna Lund. Elle était convaincue qu’un symbole positif se-rait plus fort qu’un motif visant la peur. Son intuition ne la trompe pas. Le soleil souriant est devenu le sym-bole par excellence du mouvement contre le nucléaire. «C’est un sigle accueillant et amical», dit Lund. Les rayons du soleil rappellent aussi les énergies renouvelables. Et le slogan «Nucléaire? Non merci» n’est pas trop étroit au niveau du message poli-tique. Anna Lund souhaitait «qu’une dame de 40 ans puisse elle aussi épin-gler le sigle sur le revers de sa blouse». Souhait réalisé. Lors de la manifestation antinucléaire de cette année, le soleil était arboré par plus de la moitié des 20 000 participants, sous forme de bannière, de badge ou d’autocollant. Jusqu’à présent, plus de 20 millions d’articles portant ce sigle ont été vendus. Le slogan «Nucléaire? Non merci» est disponi-

dement: «C’est très encourageant de suivre la présentation des renou-velables par un expert aussi compé-tent.» La participation à l’Energy Academy lui a fourni de bons argu-ments notamment pour la récolte de signatures, dit-elle. Un autre parti-cipant renchérit: «La matière présen-tée était riche et m’a permis de me-ner des discussions à un haut niveau de complexité», relate Eckhard Wolff, militant Greenpeace de longue date et expert en communication. Il se prépare à un travail d’information sur l’énergie autour d’une plate-forme Greenpeace mobile qui circu-lera dans les villes suisses à partir de l’automne.La session «Energy Academy – 100% renouvelable» est reconduite cet automne. Sur deux journées de cours, Ruedi Rechsteiner présentera à nouveau les enjeux et les solutions de la politique énergétique suisse. L’accent sera mis sur la couverture des besoins en courant sans porter atteinte aux êtres humains et à l’envi-ronnement; l’énergie propre dans la circulation, l’habitat et le monde du travail; enfin les moyens d’action sur le plan privé et politique. L’Energy Academy est ouverte à toutes les per-sonnes intéressées par la thématique. Aucune connaissance particulière n’est exigée au préalable.Dates: samedi 19 novembre et samedi 26 novembre, de 9 h à 17 h, à Zurich. De nouvelles sessions sont prévues pour 2012. Frais de participation: 300 CHF, repas com-pris. Inscription et informations complémentaires: greenpeace.ch/energyacademy.

62Magazine GreenpeaceNº 3 — 2011

Sous un pont d’autoroute jeté au-dessus d’une vallée et soumis à des vents forts, 26 turbines permettent de produire de l’énergie couvrant les besoins de 15 000 ménages. Ce que le bureau d’architecture italien Coffice a concocté n’est encore qu’un photomontage utopique, mais serait tout à fait réalisable. L’étude, qui a déjà reçu le Prix de l’innovation, s’appelle «Projet vent solaire». Il s’agissait de trouver une nouvelle utilisation efficace sur le plan énergétique à une portion d’autoroute désaffectée, longue de 20 kilomètres, entre les villes de Bagnara et Scilla, en Calabre. Les turbines produiraient 36 000 MWh par an et les capteurs solaires installés sur la chaussée 14 000 MWh de plus. On trouverait en outre au bord de la route des serres fonctionnant à l’énergie solaire, permettant aux automobilistes de s’approvisionner en légumes frais. L’installation des turbines pourrait non seule-ment se faire progressivement, mais elle aurait aussi le caractère d’une œuvre d’art intégrée au bâtiment. Comme si un artiste de science-fiction avait mis la main à la pâte.

Projet énergétique

UN PROJET AUDACIEUX: UN PONT D’AUTOROUTE TRANSFORMÉ

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Livres

Imaginons l’impensable!

Un rapport du Pentagone, livré en 2003 mais longtemps tenu secret pour ne pas affoler la population, a été rendu public. La question n’est plus aujourd’hui de remettre en cause le nombre de degrés du réchauffement climatique, mais plutôt de se pen-cher sur les effets d’un changement brutal du climat entre 2010 et 2020.Les auteurs, Peter Schwartz et Doug Randall, dont l’un est consultant à la CIA, se penchent avant tout sur les conséquences d’une brusque modifi-cation du climat pour la sécurité nationale des états-Unis. Le réchauf-fement a d’ores et déjà provoqué des inondations, des sécheresses dans les plaines agricoles ou céréalières, des vagues de chaleur. Dès 2010, la glace flottante de la mer polaire du Nord a presque disparu en été. Pour l’Europe, cela pourrait signifier une baisse des températures de 3,3 degrés entre 2010 et 2020, avec des tempê-tes de neige et de vent, une eau plus rare et des zones agricoles durement touchées.Trois problèmes fondamentaux se poseront: pénurie de nourriture due à la baisse de la production agricole; baisse de la qualité et de la quantité d’eau douce; accès limité aux miné-raux stratégiques à cause de la glace et des tempêtes. Il en résultera des désordres économiques, sociaux et politiques. Le problème le plus aigu est la baisse de 10% de la quantité d’eau potable disponible, qui provo-quera une émigration de masse des pays les plus pauvres vers ceux qui

ont les moyens de produire de la nourriture et de gérer l’eau potable.Une énigme subsiste: combien d’années nous séparent d’un retour à un temps chaud en cas de reprise de la circulation thermohaline? Ce rapport a le mérite de présenter une autre approche que l’éternel débat sur l’hypothétique réchauffement gra-duel climatique. C’est avant tout un acte politique qui vise à anticiper pour mieux agir.Rapport secret du Pentagone sur le changement climatique, Peter Schwartz et Doug Randall, Éditions Allia, 2006, 70 p. Disponible en librairie.

Livres

Un scénario habile

Les débats passionnés autour de la sortie du nucléaire et de sa concré-tisation nous feraient presque oublier que nous allons également devoir dire adieu aux énergies fossiles telles que le pétrole ou le charbon. Dans son ouvrage Libérer la Suisse des énergies fossiles: des projets concrets pour l’habi-tat, les transports et l’électricité, Roger Nordmann, président de Swissolar et conseiller national PS, réfute l’idée fréquemment répandue qu’il serait impossible d’abandonner ces formes d’énergie. Sur 192 pages, l’auteur décrit, dans un langage accessible et illustré de nombreux gra phiques explicatifs, comment l’on pourrait passer à une ère énergétique pacifique et indépendante. Les principaux points de son scénario sont une mo-bilité intelligente, des maisons pro-

duisant de l’énergie et des investis-sements massivement accrus, mais ciblés dans les nouvelles énergies comme le solaire.Offre spéciale pour les membres de Greenpeace: CHF 27.— au lieu de CHF 36.— par exemplaire (frais de port en sus). Veuillez envoyer votre commande en indiquant votre numéro de membre à l’adresse: [email protected].

Helionauten

Le tournant énergétique en

actionLes choses bougent depuis Fukushi-ma. Le projet «Helionauten» aide à transformer les idées en actions. En se basant sur la solidarité et l’ini-tiative individuelle, la coopérative «Energie Genossenschaft Schweiz» conçoit, construit et exploite des peti-tes centrales solaires réparties sur les toits de plusieurs maisons indi-viduelles. Ceux qui souhaitent contri-buer au tournant énergétique sont les bienvenus. Renseignements en allemand sur: cooperativeenergie.ch.

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64Magazine GreenpeaceNº 3 — 2011

Gagnez l’un des six DVD de A Road not Taken(Lisez notre critique de film en page 60). Envoyez la solution jusqu’au 14 octobre 2011 par courriel à r [email protected] ou par poste à Greenpeace Suisse, rédaction magazine, mots fléchés écolos, case postale, 8031 Zurich. La date du timbre postal ou de réception du courriel fait foi. La voie juridique est exclue. Il ne sera échangé aucune correspondance.

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26.11.2011Journée sans

achat

La «journée sans achat» a lieu dans plus de 45 pays. elle est l’occasion de réfléchir à son propre mode de consommation. www.greenpeace.ch/sansachat