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GREENPEACE MEMBER 2011, Nº 4 DOSSIER: MATIèRES PREMIèRES p. 20–35 Made in California p. 12 Des poubelles à la table p. 49 Fukushima, le trou noir p. 64 Expédition en Arctique 2011: la grande fonte p. 43

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Magazine Greenpeace Suisse 4/2011 FR

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Page 1: Magazine Greenpeace Suisse 4/2011 FR

g r e e n p e ac e M e M B e r 2 0 1 1 , nº 4

DOSSIER: MATIèRES PREMIèRES p. 20–35Made in California p. 12Des poubelles à la table p. 49Fukushima, le trou noir p. 64

— Expédition en Arctique 2011: la grande fonte p. 43

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Editorial — Tout va s’écrouler, entend-on partout. Ce serait la fin de la croissance, la fin d’un système. Mais faut-il parler d’effondrement ou de l’amorce d’une reconversion tant souhaitée pour l’économie et la société globale?

A la croisée des chemins, Dr Jekyll et Mr Hyde pointent deux voies opposées. D’un côté, la (R)évolution éner gétique et les convictions écologiques sont en progression. D’un autre côté, la folle ruée vers les dernières gouttes de pétrole se poursuit. Comble de l’absurde, certains osent qualifier cette course d’envolée économique, alors qu’elle va sombrer dans l’abîme.

Cette édition du magazine Greenpeace dessine l’hori-zon des possibles, entre la débâcle totale et les visions por-teuses d’avenir. La Californie, terre d’innovations, nous inté-resse. C’est sur la côte occidentale du continent américain que naissent des mouvements cruciaux, mais aussi des entre-prises comme Apple ou Google. Le pays des miracles est-il à la hauteur de sa réputation? Pour le savoir, lisez notre repor-tage (pp. 12 à 19) et découvrez des paysages ensoleillés, mais aussi des zones dévastées.

L’exploitation des matières premières ressemble aujourd’hui à un véritable train fantôme, passant de monta-gnes décapitées en glaciers explosés à la dynamite. Et les poubelles de nos supermarchés révèlent un gaspillage inima-gi nable de «matières premières», heureusement recyclées par les courageux dumpster divers. L’auteure de notre texte s’est essayée avec succès à cette «fouille des poubelles». Ailleurs, le recyclage des matières premières se pratique à grande échelle, comme nous avons pu le voir en Chine. Et lors de ce passage en Asie, nous n’oublions pas Fukushima, où la catastrophe continue.

La lecture du magazine ne sera donc pas de tout repos… Mais comme vous le constaterez, Greenpeace ne passe pas non plus sous silence les bonnes nouvelles.

La rédaction

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Magazine GreenpeaceNº 4 — 2011

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EReportage CALIFORNIA DREAMIN’ 12Le berceau américain des mouvances et des technologies rêve la révolution verte.

Dossier: LE PILLAGE MINIER 20Guerres, trafic, destruction: l’extraction des matières premières pollue la planète. DU POISON POUR EXTRAIRE DU GAZ 28Le gaz de schiste: interdit dans certains pays, prisé dans d’autres. Et la Suisse?

LA BOURSE DE LA FERRAILLE 30A Shanghai, le recyclage devient un marché globalisé.

AUTOCRITIQUE NéCESSAIRE 33Les installations photovoltaïques comportent elles aussi des risques: à examiner de plus près.

Dumpster Diving DE PRéCIEUX DéCHETS 49Montagnes de nourriture aux ordures: des protestataires se fournissent dans les conteneurs plutôt qu’au supermarché.

InterviewsKIKI TAUFIK, CARTOGR APHE FORESTIER 38ECKHARD WOLFF ET JULIA RITSCHARD, MILITANT·E 40

ESSAISDéGEL: L’ARCTIQUE EN PHOTOS 43COMPRENDRE L’ARGENT ET LA CROISSANCE 58

Nouvelle campagneDROIT SANS FRONTIèRES 61

FukushimaLE TROU NOIR DE L’IGNOR ANCE 64

En mémoire deDOROTHY STOWE 67WANGARI MAATHAI 71

En action 02Courrier des lecteurs 10Avant-propos de la direction 11La carte 36Nouvelles technologies 54Climat: une fausse bonne idée 62Campagnes 68Brèves 70Mots fléchés écolos 72

MENTIONS LéGALESGREENPEACE MEMBER 4/2011Editeur/adresse de la rédactionGreenpeace SuisseHeinrichstrasse 147 Case postale, 8031 ZurichTéléphone 044 447 41 41, Téléfax 044 447 41 [email protected]

Equipe de rédaction: Tanja Keller (responsable), Matthias Wyssmann, Hina Struever, Roland Falk, Marc RüeggerAuteurs: Hannes Grassegger, Thomas Niederberger, Pascal Vinard, Léon Schneider, Kuno Roth, Marcel Hänggi, Urs Fitze, Inga Laas, Marc Ita, Susan Boos, Rex Wyler, Mathias Schlegel Photographes: Thomas Muscionico, Nick Cobbing, Olivia Heusser Traduction en français: Nicole Viaud et Karin VogtMaquette: Hubertus DesignImpression: Swissprinters, Saint-GallPapier intérieur et couverture: 100% recyclingEcritures: Lyon Text, Suisse BP Int’lTirage: 117 500 en allemand, 22 000 en françaisParution: quatre fois par annéeLe magazine Greenpeace est adressé à tous les adhérents (cotisation annuelle à partir de CHF 72.–). Il peut refléter des opinions qui divergent des positions officielles de Greenpeace.

Dons: Compte postal: 80-6222-8Dons en ligne: www.greenpeace.ch/donsDons par SMS: envoyez GP et le montant en francs au 488 (par exemple pour CHF 10.–: GP 10)

matières premières

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Pacifique occidental, 11 octobre 2011 Action de sauvetage en AsieDes militants Greenpeace libèrent un espadon de l’hameçon lancé par un navire de pêche taiwanais. Ils demandent à Taiwan d’épargner les espèces menacées dans le Pacifique.

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© PAU L H I L T O N / G R E E N P E AC E

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© B E N E D I C T E K U R Z E N / G R E E N P E AC E

Ort, 1. Mai 2000 Headline Blindtext: Adip euipis exercilit amconse quation henibh euguer si bla feugait, sequam, consenim venit ad dunt ent praese ex eugait, venit, vel er at eros nulla feu faci-nim dolum incipit, cortie

Afrique du Sud, 11 juillet 2011 Protestation en Afrique«Kusile tue le climat», proclament les banderoles sus-pendues à une grue de la centrale au charbon de Kusile. Ce site est la quatrième centrale la plus polluante au monde pour les émissions de gaz à effet de serre. Greenpeace exige l’arrêt de Kusile et des investissements dans les énergies renouvelables.

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© G R E E N P E AC E / A L E X A N D R E CA P P I

Rio de Janeiro, 31 août 2011 Manifestation en Amérique du SudAu siège principal de la firme pétrolière brésilienne OGX, un militant Greenpeace revendique la protection de l’archipel des Abrolhos, menacé par l’extraction du pétrole. Greenpeace demande un moratoire de 20 ans pour la région.

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Londres, 7 septembre 2011 Confrontation en EuropePendant EcoVelocity, le salon de l’automobile prétendu-ment verte, des militants Greenpeace en costume Star Wars dénoncent l’action maléfique de Volks wagen sur l’environnement: le constructeur automobile s’oppose dans les coulisses à des lois plus strictes de protection du climat.

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www.greenpeace.ch/debatten

Prise de position d’Ecopop

Le dernier magazine Greenpeace abordait dans deux articles l’initiative populaire «Halte à la surpopulation» de l’association Ecopop. A nos yeux, l’initiative crée un lien problématique entre la protection de l’environ-nement, l’immigration et la croissance démographi-que dans les pays du Sud. Elle demande une nette limitation de l’immigration en Suisse et un contrôle des naissances renforcé dans les pays en développement.

Les critiques ont été nombreuses et vives. Brefs messages ou longues prises de position, il n’est pas possible ici de présenter tous les aspects soulevés. Nous avons donc choisi de publier quelques objections fortes et de continuer le débat sur notre site internet: www.greenpeace.ch/debatten (en allemand seulement). Matthias Wyssmann

Dans sa prise de position, l’association Ecopop se dit «déçue de cette présentation biaisée et simpliste» de son initiative. La surexploitation de la planète par le nombre croissant de ses habitants est un problème «trop sérieux pour être balayé à l’aide du cliché abusif du colonialisme ou, pire, de l’eugénisme.» Eco-pop avance des données de croissance démogra-phique: «La population de la Terre s’accroît chaque jour de 220 000 personnes, cela fait 80 millions de plus par année! Un chiffre qui correspond justement à l’esti-

mation de l’ONU concernant le nombre annuel de grossesses non désirées.» En Suisse, «chaque seconde voit disparaître un m2 de précieuse terre ara-ble sous le béton! La progression du terrain bâti depuis 1994 est due pour 77% à la croissance démo-graphique!» Ecopop ne veut pas être associée à l’extrême droite et ses statuts «se distancient claire-ment de toute forme de xénophobie et de racisme.»Texte complet sur www.greenpeace.ch/debatten

A propos de l’écologie profondeTrès inquiet, je me demande

ce qui est arrivé à la rédaction du magazine. Pourquoi publier les élucubrations aussi confuses que contradictoires de Hannes Grass-egger? Sa visée est claire: l’auteur estime que l’écologie profonde est une vision dangereuse et pense avoir trouvé là un moyen de dis-créditer les promoteurs de l’initia-tive Ecopop. (…) La population de-vrait pourtant prendre conscience que les êtres humains ne sont pas les maîtres du monde, autorisés à piller la planète à volonté. (…) C’est sur le fond aussi la conviction philosophique prônée par Greenpeace. L’organisation Ecopop peut donc se féliciter d’être associée à l’écologie profonde.

Dieter Steiner, Zurich

Eco-fascisme?Il est déplorable que Susan

Boos tente d’assimiler Ecopop à une idéologie fascisante. C’est recourir au même procédé que ceux qui présentent les membres de Greenpeace comme des adeptes de l’éco-fascisme. Ecopop est une organisation qui a le courage de dénoncer des vérités qui dérangent. C’est aussi ce que fait Greenpeace. Est-ce déjà du fascisme que de vouloir d’abord changer la situa-tion en Suisse par une initiative populaire, sans prétendre du même coup assurer l’avenir de la planète?

Dieter Bachmann, par courriel

Adoucir le sort du tiers mondeSi l’initiative prévoit de soute-

nir le contrôle des naissances dans le tiers monde, c’est dans un souci

de responsabilité globale et en vue d’adoucir, pour certains pays en développement, les conséquences des freins à l’immigration que nous demandons.

Dr Friedrich Oelhafen, Rupperswil

Un miracle célesteHeureusement que l’on se

décide enfin à agir contre «l’hiver démographique» de l’hémisphère nord! Moins de deux enfants par femme, même en Chine! La popu-lation chinoise augmente néan-moins? Ce doit être le fait d’un mi-racle céleste. Une population en diminution, quelle horreur! Les ours, les loups et les lynx retrouve-raient un habitat en Suisse.

Hannes Zürrer, Zurich

Courrier des lecteurs

Ecopop — le débat est lancé

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David est là — n’attendons pas les guerriers de l’arc-en-ciel

Selon une légende publiée pour la première fois il y a 50 ans, «il était une fois une ancienne de la tribu des Cree, nommée ‹Œil de feu›. Dans une prophétie, elle annonça que l’avidité de l’homme blanc détruirait la Terre. Un temps viendra où les poissons mourront dans les rivières, les oiseaux tomberont du ciel, les eaux deviendront noires et les arbres n’existeront plus. Ce sera le temps où les gardiens des légendes et des mythes, des rituels et de la sagesse an-cestrale devront venir guérir le monde. Ils s’appelleront les ‹guerriers de l’arc-en-ciel› et se-ront la clé de la survie.» On croirait lire une description du monde actuel! L’objectif scientifique de limiter le réchauffement climatique à deux degrés semble déjà hors d’atteinte. Et même une limite de trois degrés exigerait des mesures immédiates et déterminées. Dans cette si-tuation, la politique internationale choisit la voie du fatalisme et étudie déjà les conséquences de ce qu’impliquerait un réchauffement de cinq degrés au lieu de trois… Si le monde de la fi-nance vit à crédit, la politique climatique n’est pas en reste. Même les dirigeants politiques les plus puissants ne parviennent pas à agir en fonction des constats scientifiquement établis. Comme si, tous réunis sur un radeau, ils dérivaient impuissants vers la cascade déchaînée…

Pourtant les signes ne manquent pas pour nous inciter à agir immédiatement. L’année 2011 a vu l’effondrement d’une centrale nucléaire japonaise, mais ce sont aujourd’hui des systèmes entiers qui menacent de s’écrouler. Nous assistons étonnés aux événements qui se précipitent. Et tous, nous sommes à la fois acteurs et observateurs. Parfois paralysés par un sentiment d’impuissance, parfois transportés par l’énergie du changement.

La décision fédérale de sortir du nucléaire est certes une formidable étape de ce chan-gement. Mais les promoteurs de l’ancien système se préparent déjà à imposer de grandes centrales au gaz pour remplacer le nucléaire. Ce serait une nouvelle dette écologique accu-mulée aux dépens des générations futures. Qui permettrait de continuer de gaspiller du courant tout en produisant d’inutiles rejets de CO2. Il faudra lutter de toutes nos forces pour empêcher cette nouvelle dérive! Soutenons les mouvements sociaux, les initiatives citoyen-nes et les politiques qui s’engagent pour un mode de vie durable et un monde plus juste! Produisons nous-mêmes notre courant, investissons dans les énergies renouvelables, limi-tons notre consommation! Prenons notre vie en main, faisons de la politique, que ce soit dans la rue ou à la maison. Poussons les instances publiques et privées à agir, afin que nos convictions se traduisent dans la réalité.

N’attendons pas les guerriers de l’arc-en-ciel. David est déjà là: c’est justement en cette année de crise que le nouveau Rainbow Warrior III a largué les amarres. Un navire de haute mer de cette taille, capable d’atteindre 15 nœuds (28 km/h) à la seule force du vent, une sensation! C’est un David bien déterminé à se battre contre Goliath. Car l’action de Greenpeace est plus nécessaire que jamais.

Mais Greenpeace sait que rien ne se fera sans les innombrables David qui s’engagent à travers le monde. Les guerriers de l’arc-en-ciel et vous, David et moi: toutes et tous, nous sommes partie prenante de cette lutte. C’est ensemble que nous devrons reprendre notre vie en main et défendre la survie de la planète. Car sans notre engagement commun, même la plus belle des légendes ne nous tirera pas d’affaire.

Markus Allemann, Verena Mühlberger, co-directeurs

P.-S. «Sortons du nucléaire», vous et nous en 2012; www.sortonsdunucleaire.ch.

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MADE IN CALIFORNIA

Par Hannes Grassegger

Peut-on encore espérer un avenir écologique «made in California»? Une invitation au voyage,

entre le lac agonisant de Salton Sea, l’imagerie brisée de Los Angeles et San Francisco

la florissante.

Niland, Sud-Est de la Californie. La chaleur et l’odeur d’ammoniaque provenant des cadavres de poissons sont difficile-ment supportables. Je suis dans le Sud-Est de la Californie, au pied de «Salvation Mountain», un amas de déchets recouvert d’argile et peinturluré de slogans et de références bibliques. Juste à côté, le plus grand lac de Californie agonise en silence. Le «Salton Sea» est pollué, salinisé, abandonné. Une ambiance d’apocalypse. En repartant à bord de ma Dodge, je me demande si la Californie, cette région où se mêlent Disneyland et les visions apocalyptiques du «Jour d’après», est vraiment le pays promis qui montrera la voie à l’Occident.

En route, Los Angeles. Depuis près de deux heures, je suis bloqué sur l’autoroute du centre-ville. Dix voies en parallèle, tout est engorgé, même la voie de dépassement réservée au covoitu-rage écologique. Aller d’Echo Park à Topanga Canyon me prendrait cinq heures en transports publics. Les réseaux de trains régionaux et de bus sont insuffisants, et la dégradation des finances de la ville contribue à les réduire encore davantage.

Los Angeles est le fer de lance du monde occidental. Entre Disneyland et Hollywood s’étend une agglomération de 12,8 mil-lions d’habitants, un des principaux pôles économiques de la planète. La Californie est la dixième économie au monde et la pre-mière des Etats-Unis.

On a longtemps pensé que l’avenir écologique des Etats-Unis ne pourrait venir que de la Californie et de ses entreprises. La ruée vers l’or, Berkeley et ses manifestations, Davis la ville écologique modèle, mais aussi HP, Google ou l’iPad sont immédiatement asso-ciés au nom de cette région. Et 34 des 100 principales entreprises de technologie propre sont basées en Californie.

La Californie est aussi le berceau de quelques-uns des princi-paux bouleversements que le monde occidental a traversés ces der-nières décennies: la Haight Street de San Francisco est le symbole de la génération hippie; Apple a changé notre quotidien et l’Etat a une législation environnementale parmi les plus sévères au monde.

En Californie, même l’ancien gouverneur Arnold Schwarzen-egger est devenu un écologiste convaincu. En juillet 2006, il surprend tout le monde en proposant d’introduire un office de pro-

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tection du climat et en élaborant un plan d’action contre le réchauffement de la planète. Le 27 septembre 2006, il signe la loi environnementale la plus stricte que la nation n’ait jamais vue. Mais au terme de son mandat, les finances publiques sont à sec et les crises se succèdent. Peut-on encore espérer une révolution verte venant de Californie?

Au début de l’automne 2011, des pans entiers du secteur de l’énergie verte s’effondrent. La bulle verte éclate avec la faillite de Solyndra, un fabricant de cellules solaires qui engloutit 500 millions de dollars de subventions dans sa chute. L’affaire devient un pro-blème pour la campagne électorale de Barack Obama. L’économie verte venait à peine de s’affirmer et voilà qu’elle implose.

La plupart des grands projets ne se sont pas réalisés. Selon une étude de la Brookings Institution, la Californie ne comptait que 320 000 emplois dans le secteur de l’écologie à la mi-2011, dont un peu moins de 90 000 pour la zone de Los Angeles. Et alors que l’économie américaine a progressé de 4,2% par année depuis 2003, la croissance du secteur vert s’est limitée à 3,4% en moyenne.

Topanga Canyon, Los Angeles. Le smog m’obstrue les pou-mons. Ramona Gonzalez m’attend depuis une heure. Cette musi-cienne de 27 ans incarne la génération bohémienne des quartiers d’Echo Park et de Silver Lake. Son nom de scène est Nite Jewel, ses productions entreraient dans la rubrique «Urban» sous iTunes

Salton Sea, près de Niland: pollué, salinisé et presque à sec, le plus grand lac californien agonise.

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Ramona «Nite Jewel» Gonzalez: «La nature, c’est pour les solitaires.»

Topanga Canyon: un refuge pour échapper à la ville — sans se couper de tout

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Radio. Après des études de philosophie, la fille de L.A. a récemment quitté la ville pour se «mettre au vert».

Partant de la route côtière en direction de Malibu, on bifurque vers Topanga Canyon et s’enfonce dans une vallée de plus en plus verte. Jouxtant Los Angeles, la région offre un refuge à ceux qui veulent échapper à la ville sans se couper de tout. On y trouve aussi bien des artistes que des hommes d’affaires. Neil Young, la rock-star qui voulait changer le monde avec son véhicule électrique Lincvolt, est un ancien habitant. Au restaurant Froggy’s, les maga-zines gratuits portent des titres comme Réveil à la nature.

Ramona affirme s’y sentir plus heureuse, plus légère, moins soucieuse qu’en ville. Le lieu est propice aux randonnées. «Vivre ici, c’est un luxe, dit-elle. On n’est pas confronté à la destruction de la planète. La seule chose qui unit les habitants est le respect mutuel: vivre et laisser vivre. La nature, c’est pour les solitaires.»

Ramona nous parle d’une de ses chansons Unearthy Delights: «Il y est question du hasard de la nature, de son arbitraire, de son chaos. La vraie nature, pas celle que l’on voit dans les parcs publics, ne se soucie pas des êtres humains.»

Elle enchaîne: «Ici à Topanga, je consomme la nature. Je ne lutte plus pour la protection de l’environnement. Il y a moins de gens qui m’inspirent de la haine en détruisant notre planète. Je m’oc-cupe moins des autres. Cela me permet de penser à moi-même et de me concentrer sur ma musique.»

Tandis que certains se regroupent dans de petites communes nostalgiques comme Arcata, la Mecque de la protection des arbres dans le Nord de la Californie, Nite Jewel a trouvé à Topanga le cadre idyllique pour pratiquer un mode de vie écologique qui lui est propre, dénué de tout romantisme, proche de la nature, sans être particulièrement responsable.

Big Sur, Highway One. Entre Los Angeles, la ville visionnaire, et San Francisco, le paradis de l’innovation, la nature reprend ses droits. Au volant de ma Dodge, je me dirige vers le nord. La Highway One longe la côte, l’Océan n’est parfois plus qu’à une dizaine de mètres. Je suis les méandres et les montées de l’autoroute jusqu’à Big Sur, avec ses collines boisées aux falaises abruptes. Pour les Californiens, l’expérience de la nature passe par la voiture. A deux heures de route de Los Angeles, vous pouvez observer des otaries sur le sable ou traverser des forêts de séquoias géants.

C’est à Big Sur que vécut l’écrivain Henry Miller dès 1942 et qu’il rédigea sa critique de la société américaine: Le cauchemar climatisé. Se réfugier dans la nature fait partie de la culture califor-nienne. C’est là qu’ont pris naissance les premières tentatives d’ancrer l’écologie dans le quotidien. Davis, ville universitaire près de Sacramento, est le paradis de la bicyclette. Alors que les Etats-Unis commençaient tout juste de combattre la ségrégation raciale dans les années 1960, émergeait à Davis un mouvement luttant contre le symbole de la vie américaine, la voiture. Dès 1966, les écologistes imposèrent au conseil municipal une politique favora-ble au vélo et Davis devint le modèle mondial de la politique urbaine verte.

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Fort Mason, San Francisco. A l’est de San Francisco, la ville universitaire de Berkeley a l’esprit écolo. Cette région de la Bay Area est le paradis des start-up qui y bénéficient d’importants sou-tiens. Le site «The Hub» offre des infrastructures de travail à louer. Une fois l’entreprise lancée, l’accélérateur «50 Startups» est là pour la faire décoller en offrant un appui en termes de conseil et de financement. A l’étape suivante, les «incubateurs» font le lien entre jeunes pousses et mentors. C’est ainsi que les futurs Google, Apple et autres Facebook peuvent germer: une véritable serre éco-nomique. Et l’impact social est dorénavant reconnu comme un investissement.

Socap11 est le salon des entreprises et des investisseurs défendant des visions écologiques et sociales. L’événement a lieu à Fort Mason, une caserne désaffectée de la baie de San Francisco. Il réunit des hommes en costume-cravate comme des étudiants en baskets provenant de plus de 50 pays. Les ateliers ont par exemple pour thème: «Création d’entreprises en changement: la perspec-tive écologique 3.0». Eric Schmidt, administrateur de Google, est présent, tout comme la Fondation Bill Gates ou Forbes Magazine.

Myshkin Ingawale, 29 ans, est venu de Bombay pour présenter son invention: un test sanguin électronique bon marché conçu pour le corps médical indien. Il cherche un investissement de 300 000 dollars, qu’il pourrait bien trouver ici, car il a été invité au salon par le Unreasonable Institute, favori de l’événement. Créé

Pour beaucoup de Californiens, l’expérience de la nature passe par la voiture.

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il y a seulement deux ans, cet institut ne soutient que les entrepri-ses capables d’améliorer la vie d’«au moins un million de person-nes». Les candidats doivent réussir un «camp d’apprentissage» de six semaines leur permettant de se perfectionner en communica-tion, recrutement de personnel et création de bénéfices. L’institut tisse un réseau choisi d’investisseurs, de mentors et de jeunes entreprises.

«Quand nous avons voulu créer une entreprise sociale, nous nous sommes heurtés aux obstacles typiques de la phase de lance-ment», explique Teju Ravilochan, 24 ans, cofondateur de l’ins-titut. «Nous avons compris qu’il n’y avait pas d’argent pour ces entreprises au départ: pour accéder aux crédits, il faut des gens qui vous font confiance. C’est pourquoi nous tissons un réseau au service des entreprises. Nos camps réunissent 25 jeunes entrepre-neurs et leurs mentors dans une maison. Le jeune fondateur de start-up se brosse les dents à côté d’un grand directeur de Hewlett Packard! Et la journée se passe dans des ateliers ou au travail.» C’est ainsi que se créent des liens de confiance pour la vie.

Unreasonable Institute annonce ses camps dans plus de 70 pays. Les participants ne viennent presque jamais d’Europe, un tiers sont originaires des USA. «Beaucoup viennent d’Inde, récemment du Kenya et de l’Ouganda, relate le jeune vice-président. Pour nous, le critère décisif est la capacité du projet à prendre de l’am-pleur.» La taille, l’optimisme et les perspectives mondiales sont les atouts de l’institut.

«La Silicon Valley, c’est une façon particulière de pratiquer l’économie, fondée sur des réseaux étroits et une vision égalitaire», écrit Margaret O’Mara, spécialiste en histoire économique. Depuis l’époque de la ruée vers l’or, la capacité à prendre des risques s’allie ici aux talents venus du monde entier. Les villes de Boulder au Colorado et d’Austin au Texas travaillent sur de nouveaux modèles d’affaires et tentent de surpasser la Silicon Valley pour devenir la nouvelle Mecque de l’écologie. Pour le professeur Michael Porter, l’entreprise réellement au service du monde est celle qui crée une «valeur partagée» (shared value), ce qui ne l’empêche pas de géné-rer des bénéfices conséquents.

Ferry Plaza Farmer’s Market. Peu avant le pont d’Oakland Bay, j’aperçois un marché paysan. Les fruits de bonne qualité sont rares en Californie. Les supermarchés ne vendent pratiquement que de la marchandise industrielle: calibrée, énorme, fade. Tout le contraire ici. Fréquenté par la classe moyenne écologiste de San Francisco, ce marché paysan sent bon les mets fraîchement cuisinés. La famille Bariani y vend son huile d’olive produite en Californie. La clientèle est invitée à goûter la saveur des fruits.

Jennifer, 21 ans, explique le sens des affichettes qui garnissent les stands. «Cela fait 50 ans que nous ne faisons pas attention à ce que nous mangeons, au point de trouver normal que la nourriture sorte des usines. Puis nous sommes tous tombés malades et nous devons aujourd’hui réapprendre ce que manger veut dire.»

En 2007, les coûts du diabète s’élevaient à 174 milliards de dollars aux Etats-Unis. Près de 30% des plus de 65 ans ont développé

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la maladie. Des centaines d’organisations s’engagent pour un vrai changement, qui semble déjà à l’œuvre en Californie. Les grands chefs deviennent des célébrités. Les restaurants végétaliens foi-sonnent. Même les «taco trucks», les buvettes itinérantes, misent sur l’alimentation de qualité et biologique.

L’alimentation est une piste intéressante pour créer un lien entre les populations urbaines de Californie et la nature. D’abord, il y a l’expérience du goût, suivie de la conscience écologique. «Faire l’expérience du goût, se relier au rythme de la nature», dit le tract distribué par Jennifer. Point 4: «Protéger l’environne-ment». Une démarche logique, dès lors que l’on comprend d’où vient ce que l’on mange.

Whole Foods, Santa Monica. Je quitte la Bay Area, le lieu rêvé des accros à la technique qui veulent lancer leur entreprise. De retour à Los Angeles, plutôt source de style de vie, je rencontre James Ferraro, un musicien de 26 ans, qui fait ses achats. Nous sommes au Whole Foods, à Santa Monica, un supermarché vert très prisé, à l’ambiance de défilé de mode.

«Whole Foods est un phénomène social», me dit James. Il vient de sortir un disque sur le mode de vie écolo à l’ère digitale. «Cela fonctionne comme Apple, comme toute autre chose en Californie. Le produit véhicule des valeurs symboliques. Whole Foods vend le sentiment de faire partie d’un mouvement populaire.»

En ces temps de monnaies virtuelles, le naturel devient une marchandise. «Local» est un slogan qui désigne le lien avec la campagne. La consommation de denrées locales crée une commu-nauté, explique une serveuse du restaurant précisément baptisé le «Local». Amelia est la bouchère préférée du lieu: «Nous achetons notre viande chez un seul fermier. La bête abattue est transportée au restaurant sous les yeux de la clientèle. La viande est dépecée, vous assistez à tout le processus.» Elle ne croit pas aux labels biologiques, mais plutôt à une économie «post-bio» basée sur les rapports de confiance.

Le besoin de nature est tellement fort que les branchés de Los Angeles vont désherber les jardins potagers communautaires urbains à la sortie de leur séance de yoga.

VELA Community Center, Los Angeles. Plus à l’est, à 20 mi-nutes de route, les boîtes aux lettres des maisons portent des noms espagnols. Au centre communautaire VELA, Reanne Estrada se bat pour apprendre l’alimentation saine à une poignée d’adolescents latinos. 40% des habitants de la ville sont originaires d’Amérique latine. Parmi eux, le diabète touche même les jeunes.

«Ma mère ne peut pas se payer une voiture. Pour acheter des fruits frais, le déplacement lui prendrait des heures. Quand je suis à l’école et que j’ai faim, je n’ai pas le temps d’acheter des légumes. De toute façon, on n’en trouve pas», relate Jocelyne, 17 ans. Le problème des «déserts alimentaires» devient tangible. Dans le quartier, il y a surtout des fast-foods et des magasins d’alcool.

Le projet de Reanne s’appelle «Market Makeovers». Il vise à informer la population pour créer une demande de produits frais.

La communauté VELA: des adolescents latinos apprennent l’alimentation saine.

James Ferraro au marché des produits frais à Silver Lake: «Le supermarché vert est un phénomène social.»

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Il s’agit aussi de convaincre les magasins du quartier de proposer ces produits. Ici, la révolution verte semble encore illusoire. Et pourtant.

Un nouvel Eden. «La Californie est le centre mondial de l’innovation technologique: on ne compte plus les inventions dans le domaine des technologies propres. C’est ici et maintenant que cela se passe», dit Jason Matlof, de la société de capital-risque Bat-tery. «Les technologies propres poursuivent leur envol. C’est le troisième champ d’investissement après les médias électroniques et le cloud computing.»

Le futurologue Jamais Cascio, 45 ans, passe pour le prophète de la technologie verte. Il voit sa région comme un champ expé-rimental: «Los Angeles est l’univers en petit. Ce qui réussit ici peut réussir partout.» Selon lui, c’est la politique de subventions de la Chine qui a détruit l’industrie californienne des cellules solaires. Mais il ne perd pas espoir et travaille sur un nouveau livre qui s’intitule A New Kind of Eden. Il y développe trois scénarios pour un avenir vert en Californie:

Indiscutablement vert: le modèle californien du développe-ment vert ne fonctionnera que si l’économie connaît une relance et si la population et la politique continuent d’orienter l’économie locale sur la voie écologique.

Vert sous contrainte: si l’économie continue de stagner et si la Californie se tourne vers des infrastructures bon marché, c’est- à-dire les importations chinoises, la région deviendra néanmoins plus écologique, car la Chine mise à fond sur les technologies vertes.

Vert par dépassement: malgré le déclin économique, la Californie prend son élan et devance ses concurrents par un effort de volonté. La nécessité de renouveler les infrastructures est perçue comme une chance pour la conversion écologique. La Cali-fornie reste à la pointe du progrès.

Pour Jamais Cascio, la capacité californienne à se réinventer en permanence est le principal atout sur la voie écologique: «La Californie, c’est l’évolution par excellence.»

Disneyland. Pour la première fois, je prends un train en Californie. Publicité en bordure de la voie ferrée: Agrifuture pré-sente un robot qui s’occupe d’un jardin plein d’énormes fruits. Coïncidence, les jardins communautaires robotisés sont justement l’une des visions écologiques de Jamais Cascio. Ici à Disneyland, Tarzan vit sur un arbre en plastique. Mickey, symbole du citoyen américain moyen, possède un poulailler, tout comme les pionniers d’Echo Park. Et le train à grande vitesse roule déjà à Disneyland, alors qu’il est tant attendu dans la réalité, le projet approuvé depuis des années restant toujours lettre morte. Le métro aérien est pres-que vide. Sous les voies, les gens font la queue pour visiter Autopia, attraction sponsorisée par Chevron. Les rires des enfants fusent des auto-tamponneuses dotées de vrais réservoirs à essence. A Tomorrowland, je me construis mon avenir virtuel durable sur un écran tactile, avant d’assister à la démonstration d’un véhicule équipé d’un bouton vert qui permet de passer au mode de fonction-nement écologique.

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Les besoins en matières premières, énergies et métaux sont énormes, tandis que les gisements fossiles faci-lement accessibles deviennent rares. Les multinationales exploitent donc des régions de plus en plus reculées. Décapitation de montagnes dans les Appalaches, explosion de glaciers dans les Andes, labourage des fonds marins dans le Pacifique, exploitation de gaz de schiste en Suisse et bientôt déglaçage des océans pour en ex-traire le méthane. Si le boom semble ne pas avoir de limites, c’est bien à nous de lui en imposer. Cinq exemples bien sombres — et une lueur d’espoir.

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Par Thomas Niederberger — Les conséquences de la ruée vers les matières premières sont catas-trophiques. Certaines font brièvement les grands titres des médias, comme la marée noire de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique ou la rupture du bassin de rétention de l’usine d’aluminium MAL en Hon-grie, les deux en 2010. La pollution rampante, la corruption quotidi enne et les violations des droits humains liées à l’extraction des matières premières sont en revanche peu connues. Les dimensions du désastre dépassent l’imagination. Nous avons pourtant en main les principaux éléments pour comprendre le problème, car la Suisse fait partie des pays les plus impliqués dans le business des matières premières.

Décapiter les montagnesDepuis la révolution industrielle, on brûle

du charbon pour produire de l’énergie. Une méthode aussi primitive que bon marché. Quand les réserves s’épuiseront-elles? Difficile à dire, les données se contredisent. Une chose est sûre: l’extraction devient de plus en plus destructrice, à mesure que les gisements facilement accessi-bles se raréfient.

Dans les Appalaches, aux Etats-Unis, plus de 500 sommets ont déjà été «décapités». Cette méthode d’extraction s’appelle «Mountain Top Removal» (MTR), ou rasage de montagnes. On commence par déboiser, puis on rase la couche supérieure de terre, avant de faire exploser la roche pour accéder au gisement de charbon, qui sera extrait par des pelles mécaniques spéciales. Ensuite, nouvelle explosion pour mettre au jour une couche inférieure de charbon. Les masses de roche, transformées en déblai, sont déversées dans les dépressions et vallées avoisinantes, puis recouvertes d’un semblant de verdure. Le lessivage du charbon produit des boues chargées d’arsenic et de métaux lourds, qui sont stockées dans d’énormes bassins de rétention. A la différence de l’extraction traditionnelle, la mé-thode MTR permet l’usage de grandes machines performantes. La production est donc plus élevée tout en demandant moins de personnel. Mais les coûts indirects pour les êtres humains et la nature sont gigantesques: dans les Appala-ches, 5000 km2 de forêt ont déjà été sacrifiés. Plus de 2000 km de cours d’eau ont été enterrés sous les décombres – une perte dramatique en biotopes naturels. La poussière des explosions

empoisonne l’air et pollue les eaux. Des études indiquent une augmentation des cancers, des maladies respiratoires et des malformations néo-natales dans la région.

La production de charbon s’envole. Les auto-rités déclarent vouloir agir contre le changement climatique, mais la hausse des prix de l’énergie entraîne un boom du charbon. Responsable de 45% des rejets mondiaux de CO2, c’est le principal fac-teur de nuisance pour le climat. La Chine et l’Inde comptent parmi les plus gros producteurs, mais importent néanmoins du charbon pour faire face à leur consommation en forte croissance. La moitié de l’électricité produite aux Etats-Unis provient du charbon et le pays n’a aucune intention de changer de cap. Au contraire, plus de 150 nouvelles centrales au charbon sont en cours de planification ou de construction.

Faire exploser les glaciersDans la cordillère des Andes, entre le Chili

et l’Argentine, environ 200 mines d’or, de cuivre ou d’argent sont prévues, en voie de réalisation ou en exploitation. La plupart sont des «méga-mines». Rien à voir avec l’industrie minière traditionnelle, où les mineurs descendaient dans les galeries, équipés de pioches et de dynamite. Les mégamines servent à extraire des minéraux sous forme de traces en faisant exploser d’énor-mes masses de roche qui sont ensuite moulues et dissoutes à l’aide de cyanure, opération qui dé-vore d’immenses ressources.

Un exemple est la mine de Veladero, exploi-tée par la multinationale canadienne Barrick Gold, à 5000 mètres d’altitude dans les Andes argentines. La «récolte» est de 1,5 g d’or par tonne de roche explosée. Dix fois moins que ce que l’on peut extraire d’une tonne de déchets électroniques! «L’or est invisible, il est détecté à l’aide de méthodes chimiques et géologiques», explique le journaliste Jesús Rodriguez, qui décrit la suite du processus: l’or brut est acheminé à Zurich et fondu en lingots d’or certifiés dans un atelier de fonte au Tessin. Ensuite, c’est l ’entrée sur le marché mondial et la transforma-tion en bijoux ou en placements sûrs en ces temps de crise.

La mine de Veladero se situe majoritaire-ment dans la zone de pergélisol. Une route a été tracée à travers un glacier pour permettre d’y accéder. Des géologues indépendants ont décou-vert une série de petits glaciers qui seront dé-

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Guyandotte, en Virginie-Occidentale (USA): l’un des 500 sommets rasés pour extraire le charbon.

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La place économique suisse

L’UBS a investi près d’un milliard de dollars dans des multinationales pratiquant le «Mountain Top Remo-val». Genève et Zoug comptent, avec Londres, Singapour et New York, parmi les principales places du négoce des matières premières. Glencore et Xstrata, les deux com-pagnies sœurs de Zoug, jouent en première division. Xstrata veut par exemple extraire 40 millions de tonnes de charbon par année de la mine de Cerrejón en Colombie. Cela implique de dévier la seule rivière de la région aride de La Gua-jira et de déplacer douze commu-nautés indigènes. L’entreprise Re-power, dont le canton des Grisons

détient 46% des actions, entend construire dans le Sud de l’Italie et dans le Nord de l’Allemagne deux méga-centrales alimentées en charbon bon marché, notamment en pro venance de Colombie. Xstra-ta exploite aussi la mine de cuivre et d’or de La Alumbrera, en Argenti-ne (voir ci-contre), et prévoit trois projets gigantesques qui soulèvent l’opposition de la population locale à El Pachón, Agua Rica et Filo Colo-rado. Deux tiers de la production annuelle en or transitent par des né-gociants et des ateliers de fonte suisses, tout cela dans le plus grand secret. La Déclaration de Berne vient de publier un livre à ce sujet: Swiss Trading SA: la Suisse, le né­goce et la malédiction des matières

premières (voir la rubrique «A lire», page 28). Les ingrédients du succès de la place économique suisse: un bas niveau d’imposition, ainsi que la discrétion et la complaisance des autorités. La loi sur le blanchi-ment d’argent n’est pas appliquée aux négociants de matières pre-mières, pourtant mentionnés dans le texte légal. Mais ces lacunes pourraient bien être comblées pro-chainement. Les Etats-Unis ont adopté une législation sévère sur la transparence des flux financiers du secteur des matières premières. L’Union européenne veut avancer sur la même voie. La Suisse devra bien se plier à ces exigences.

Le bilan de la mine argentine de Veladero: 1,5 g d’or par tonne de glacier explosé.

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truits par cette exploitation minière, ce qui est en principe contraire à la loi (voir ci-dessous). Comme Veladero, la plupart des mines prévues avoisinent des sources d’eau qui sont vitales pour la faune, la flore et la population vivant dans des sortes d’oasis au pied des montagnes. Comme dans la petite ville d’Andalgalá, en dessous de La Alumbrera: cette mine géante, exploitée depuis 1997, dévore 100 millions de litres d’eau par jour, pompés dans la nappe phréatique d’un haut plateau. Le niveau d’eau des fleuves a depuis lors connu une baisse dramatique. Les poussières des explosions et les substances utili-sées pour dissoudre les métaux contaminent l’air, le sol et l’eau de toute la région. Un militant du mouvement citoyen qui lutte contre la mine se rappelle: «La première chose qui nous a fait réfléchir a été de voir des renards sans fourrure près de la mine.» Depuis, enfants et adultes tombent plus souvent malades. Mais les statisti-ques manquent pour prouver scientifiquement la relation.

Une loi pour protéger les glaciers. Qu’est-ce qu’un glacier? Où finit-il? Que se passe-t-il s’il dis-paraît? Un débat d’une rare vigueur fait rage sur ces questions en Argentine. Une loi nationale inter-dit en effet depuis octobre 2010 l’exploitation minière dans les massifs glaciers. Un succès de plus pour les organisations écologistes et le mouvement citoyen Unión de Asambleas Ciudadanas après le rejet d’un projet de mine d’or par 81% de la popu-lation de la petite ville d’Esquel. Les compagnies minières tentent par tous les moyens de prouver que leurs projets n’empiètent pas sur le territoire d’un glacier, tout en continuant de faire pression sur les gouvernements provinciaux et les tribunaux pour bloquer la loi et son exigence de cartographier les massifs glaciers. Pour l’instant, il n’existe pas de registre officiel des glaciers, mais les organisations environnementales ont commencé à les recenser et ont découvert des dizaines de «glaciers rocheux» dans des zones visées par des projets miniers. Il s’agit de glaciers mélangés aux éboulis, qui sont passés sous silence dans les rapports environnemen-taux des multinationales. Ce type de glaciers joue pourtant un rôle important comme site de stockage dans le cycle de l’eau. Pour les compagnies minières, il ne s’agit pas de «vrais» glaciers. Où s’arrête la «zone périglaciaire» interdite aux exploitations? Des bataillons d’avocats et de juges étudient actuel-lement la glaciologie. Car les enjeux financiers de cette cartographie sont énormes.

Labourer les fonds marins…Cela fait un certain temps déjà que l’indus-

trie du pétrole s’intéresse aux grands fonds océaniques. Et voici que les compagnies miniè-res en font à leur tour un terrain de prospection. La première mine commerciale en eaux profon-des s’appelle Solwara 1. Elle se situe dans les eaux de Papouasie-Nouvelle-Guinée et sera mise en exploitation en 2013 au plus tôt. En janvier dernier, la firme canadienne Nautilus Minerals recevait l’autorisation d’exploiter une surface de 59 km2 de fonds marins pour l’extraction de sulfures polymétalliques, à environ 1600 m de profondeur. Ces sulfures se forment à la rupture des plateaux continentaux, où l’eau s’infiltre dans la croûte terrestre et se rapproche du mag-ma. Réchauffée au cours de ce processus, l’eau s’enrichit de métaux dissous. Lorsqu’elle remonte vers les fonds marins sous forme de source chaude, elle se refroidit brutalement en déposant une croûte métallique composée notamment de cuivre, de zinc, d’or et d’argent. C’est cette croûte que l’on veut raser à l’aide de véhicules à chenilles téléguidés. Les sulfures seraient en-suite mélangés à l’eau de mer pour former une

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boue à pomper sur un navire de production. L’eau résiduelle serait réinjectée vers les fonds marins après séparation de la masse métallique, laquelle serait acheminée vers la terre ferme pour subir des traitements chimiques produisant les diff érents métaux.

Nautilus Minerals soutient que les dégâts liés à l’exploitation seraient minimes. Mais les bio-logistes marins et les organisations écologistes s’inquiètent. L’écosystème extrêmement sen-sible des grands fonds reste très mal connu. Une chose est sûre: les organismes vivant dans les fonds marins seraient détruits. Leur rétablisse-ment prendrait des décennies. Les nuages de particules soulevés par le labourage du sol marin pourraient également étouff er la vie dans des zones plus éloignées. Craignant les impacts de cette production sur leur principale activité, la pêche, les populations indigènes des côtes s’op-posent au projet: «Nous ne sommes pas des cobayes», déclaraient-elles par voie de presse en juillet dernier. Leur méfi ance s’explique notam-ment par l’expérience catastrophique des activi-tés minières classiques en Papouasie-Nouvelle-Guinée: pollution de systèmes fl uviaux entiers, déplacement de populations indigènes, déclen-chement de confl its armés… Nautilus Minerals n’hésite pas à en tirer un argument en faveur de son procédé: «La production en eaux profondes n’implique pas de déplacement de population et n’entre donc pas en confl it avec l’usage tradi-tionnel du sol.» La multinationale oublie pourtant les créatures des grands fonds, pratiquement inconnues jusqu’à aujourd’hui et dont la dispari-tion passera inaperçue.

Outre Nautilus Minerals, nombre de multi-nationales se sont procuré des licences de prospection dans les grands fonds. Les Etats insulaires du Pacifi que sont les principaux concernés, leurs eaux étant soumises au droit national. Pour les eaux internationales, considérées comme un «patrimoine de l’humanité», c’est l’Autorité internationale des fonds marins qui sera compétente pour accorder des licences d’exploitation. Les règles d’octroi sont encore en discussion. Seules les agences publiques de recherche ont pour l’heure reçu une autorisation d’extraction de nodules de manganèse ou de sulfures polymétalliques dans le Pacifi que Nord et l’océan Indien. Les acteurs impliqués sont la Chine, la France, l’Allemagne, l’Inde, le Japon, la Russie, la Corée du Sud, un consortium d’Europe de l’Est et, depuis peu, la République de Nauru.

La population indigène de Papouasie-Nouvelle-Guinée craint de nouveaux conflits armés, après ceux de 1997 qui concernaient déjà les matières premières et la destruction environnementale.

L’extraction des nodules de manganèse

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1 Navire d’ache- minement2 Plateforme d’extract ion3 Canal d’extract ion4 Disp ositif de récupération

5 Nodules de manganèse6 Collect eur7 Inject ion d’eau résiduelle8 Nuages de particules

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…puis s’attaquer à la glace des océans?Les prophètes de l’énergie fossile prétendent

qu’avec la fin du pétrole, du gaz naturel et du charbon, il reste toujours la combustion de la glace. Appelé familièrement «glace qui brûle», l’hydrate de méthane est issu de la décompo-sition de matières organiques. Les gisements se trouvent dans les zones de pergélisol de l’hémi-sphère nord, à partir d’une profondeur de 150 m. Mais on en trouve aussi et surtout dans les océans des talus continentaux, à une profondeur variant de 100 à 300 m en fonction de la tem-pérature et de la pression. L’hydrate de méthane est la plus vaste réserve d’énergie fossile. Selon les estimations, celle-ci renfermerait trois fois plus de carbone que les réserves cumulées de pétrole, de gaz et de charbon.

Diverses entreprises développent des tech-niques d’injection d’eau chaude, de produits dégivrants ou de dioxyde de carbone (CO2) liquide dans les sites de stockage d’hydrate de méthane. Le but est de faire fondre la glace pour aspirer le méthane. Mais ce gaz nuit gravement au climat, étant 20 à 30 fois plus agressif que le CO2 pour l’atmosphère. Or son extraction du pergélisol, tant sur terre que dans l’océan, impli-que d’importants rejets incontrôlés de méthane dans l’air.

L’extraction de méthane se réalisera-t-elle, et à partir de quand? Cela dépend de l’évolution de la technique et des prix de l’énergie. Dans le pergélisol de l’Alaska, l’extraction pourrait com-mencer en 2015. Pour la production en milieu marin, rien ne se fera avant encore au moins dix ans. Comme le pergélisol dans les montagnes, l’hydrate de méthane joue en effet un rôle stabi-lisateur pour la roche des talus continentaux. L’extraction du méthane pourrait donc déstabi-liser les plateaux continentaux et déclencher des tsunamis.

Les multinationales pollueuses tentent de se donner une image «verte». Même dans le secteur des matières premières, elles ne peuvent plus se fermer aux critiques. Elles ont donc commencé à publier des rapports sur la durabilité et à faire des dons à des œuvres d’entraide locales ou à des parcs naturels. A l’échelle internationale, elles misent sur des codes de conduite facultatifs ou des systèmes de certification. Mais tant que les règles ne seront ni contraignantes, ni recevables en justice, tant qu’il n’y aura pas de contrôle indépendant, les belles déclarations de ce qui est probablement l’industrie

la plus sale de la planète se résumeront à une simple opération d’écoblanchiment.

La rébellion de la baseLes réserves d’énergies fossiles et de

métaux ne sont pas infinies. Les gisements faci-lement accessibles et bon marché sont plus ou moins épuisés.

Les nouvelles technologies et le cours élevé des matières premières permettent certes de produire dans des régions de plus en plus recu-lées et dans des concentrations de plus en plus faibles. Mais l’énergie et les coûts associés à ces productions augmentent. Le risque lié aux investissements s’accroît, notamment à cause des variations spéculatives de prix. La con cen-tration d’une matière première sur un site donné n’est souvent plus le critère décisif pour lancer un projet: les facteurs qui emportent la décision sont plutôt le taux d’imposition, les prix de l’énergie et de l’eau ou la faiblesse de la législation. C’est pourquoi la production s’est déplacée du Nord vers les pays du Sud, où les industries «sales» rencontrent souvent moins d’obstacles. Mais le monde devient plus petit, même pour les multinationales. Les populations locales étaient autrefois mal informées et n’in-tervenaient pas avant l’apparition des premiers dégâts. Aujourd’hui, suite aux mauvaises expé-riences de ces dernières années, les protesta-tions s’élèvent souvent dès la phase de planifica-tion. Et parfois avec succès: l’Argentine, le Mexique, le Pérou, le Bangladesh ou la Turquie ont vu de puissants mouvements citoyens empêcher des projets miniers, voire convaincre les Parlements d’interdire l’usage du cyanure ou même l’exploitation minière en tant que telle. A travers le monde, les populations indigènes insistent de plus en plus sur le «consentement libre, préalable et éclairé», un droit garanti par les Nations Unies en cas de projets sur leurs ter-ritoires ancestraux. Le monde prend progres-sivement conscience que l’époque des matières premières bon marché est révolue et que nous devons nous atteler sérieusement à la recherche de solutions alternatives.

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Le gaz de schiste est exploité depuis 1999 aux Etats-Unis. Depuis peu, on commence à s’y intéresser en Europe et en Suisse. Pascal Vinard, géologue et spécialiste de la géothermie profonde, nous offre un tour d’horizon de la question.

Le gaz de schiste est un gaz naturel stocké dans des roches sédimen-taires composées d’argiles, de cal-caires et de silicates. Il est bien plus difficile d’accès que le gaz naturel traditionnel.

Une exploitation déjà industrielle aux Etats-UnisLes Etats-Unis sont les cham-

pions en matière d’hydrocarbures et ceux-là restent leur priorité géostratégique. Alors que les réser-ves indigènes s’épuisent, la de-mande augmente, accroissant la dépendance envers l’étranger. Ces quinze dernières années, le gaz de schiste est apparu comme la pa-nacée à ce problème. Début 2011, on comptait 493 000 forages d’ex-ploitation actifs aux Etats-Unis.

Les dégâts environnementaux sont effarants en maints endroits, notamment à cause du recours à la fracturation hydraulique. Cette dernière consiste à envoyer de l’eau à très forte pression dans le sous-sol afin de briser les roches. Plus de 10 000 à 15 000 m3 d’eau sont consommés par forage. On y ajoute des substances chimiques, bioci-des, lubrifiants et autre détergents servant à empêcher les fissures et fractures de se refermer. Les risques sont connus: pollution des eaux

sou terraines et superficielles, et augmentation de la fréquence des tremblements de terre. D’autre part, le bilan CO2 mis en avant par les gaziers est biaisé: il faut y ajouter les émanations de CO2 liées à la construction et au fonction-nement des puits, au transport de l’eau et du gaz, ainsi que le méthane qui fuit dans l’atmosphère lors du processus. Les conséquences de l’extraction de gaz de schiste sont pires que celles de la production de gaz naturel conventionnel.

Le 21 juin 2011, l’Arkansas a décidé d’interdire le recours à cette technique, après avoir recensé 1220 séismes depuis le début de l’année. Malgré cela, l’administration Oba-ma maintient son cap en la matière.

De ce côté de l’Atlantique, le flou règneEn attendant de devenir un

exportateur net en ce qui concerne le gaz, les Etats-Unis sont d’ores et déjà partis à l’assaut des gisements de schiste outre-mer, en Europe notamment. Pour ce faire, ils si-gnent des accords de coopération avec des compagnies européennes et acquièrent des concessions d’exploration, en Suisse également.

La Suisse dispose d’un ap pro-visionnement diversifié en gaz naturel. Ce qui en fait l’un des pays les moins dépendants du gaz russe. Cependant, la totalité de notre consommation vient de l’étranger. Le forage de Noville VD ne chan-gera guère les choses.

Dans les années 1970 et 1980, bon nombre de campagnes d’ex-ploration furent effectuées. Du pé-trole fut trouvé à Essertines VD et du gaz naturel conventionnel à Hermrigen BE, mais leur ex-ploitation n’était pas rentable à l’époque. Or les concessionnaires reviennent à la charge depuis quelques années. A Hermrigen, un forage est en cours et les campa-

Matières premières

POLLUTION ET SéISMES –LA MENACE DU GAZ

DE SCHISTE

A lire

Swiss Trading SA: la Suisse, le négoce et

la malédiction des matières premières

Un livre qui s’attaque à un sujet brûlant: pour la première fois, la Déclaration de Berne (DB) étudie le rôle des multinationales suisses et l’importance de la plaque tour-nante suisse dans le commerce des matières premières. Elle met en lumière le contexte et les victimes de ce commerce, décrit le fonctionnement du négoce des matières premières et les conflits dans les pays producteurs, pré-sente les alternatives et formule des revendications. Commandez cet excellent ouvrage qui traite un sujet crucial de politique économique:www.evb.ch/fr.

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La position de Greenpeace Suisse

Les réserves de gaz de schiste potentielle-ment présentes sur le territoire suisse ne doivent en aucun cas être exploitées. La méthode de la fracturation hydraulique utilisée pour le gaz de schiste pose de graves problèmes environne-mentaux. L’injection d’eau chargée d’addi-tifs chimiques est susceptible de polluer les eaux souterraines et les sols. Les forages nécessitent d’énormes quantités d’eau et de produits chimiques. Il en résulte la formation de boues toxi-ques polluant les eaux de surface, le sol et l’air, et pour lesquelles il faut assurer le dépôt et le traitement. Pour chaque forage, l’acheminement des eaux et des additifs ainsi que l’évacuation des boues entraînent des dizaines de mouvements de camions par jour. L’exploitation du gaz de schiste va à l’encontre des objectifs de la Suisse en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Si cela peut réduire les importations d’hydrocarbures, notre dépendance aux énergies fossiles en serait renforcée. L’extraction de gaz de schiste risque en outre de créer des obstacles sérieux aux investissements dans les éner-gies renouvelables.

gnes de reconnaissance sismique se succèdent. Après le Tessin cet été, ce fut la région d’Obwald et de Nidwald dernièrement. Le Gros-de-Vaud est le prochain sur la liste. Les risques sont exacerbés en Suisse du fait de la forte densité de population et de l’importance des eaux souterraines pour l’appro-visionnement en eau potable.

Pour l’instant, les demandes de concession d’exploration pour le gaz de schiste sont en attente. La France a décidé un moratoire sur la fracturation hydraulique, et les refus fribourgeois d’avril et vau-dois de septembre 2011 freinent les ambitions en Suisse. Le fédéralisme suisse implique cependant des positions non coordonnées entre les différents cantons. Devant cette situation, la SSIGE (Société suisse de l’industrie du gaz et des eaux) réfléchit à une commission techni-que pour définir une «norme» sur le gaz de schiste, qui pourrait servir de base aux autorités cantonales compétentes dans le futur. Dans l’intervalle, il n’existe pas de posi-tion univoque et le risque de revi-rements est bien réel. Au moment où le Conseil des Etats a confirmé la sortie du nucléaire, le pire scé-nario possible serait bel et bien de se lancer dans l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste.

Géologue et hydrogéologue, Pascal Vinard est expert de la ques-tion des roches de schiste. Il a fait partie de la délégation suisse à l’ESA, l’agence spatiale européenne tra-vaillant sur les méthodes modernes d’observation de la Terre pour la gestion environnementale et des ca-tastrophes, et sur les technologies de navigation satellitaire (GPS, Ga-lileo). Pascal Vinard est actif dans le domaine des énergies renouvela-bles et de la géothermie profonde.

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A Shanghai, le recyclage devient un marché globalisé. Par Léon Schneider

La bourse chinoise des matières premières, le Shanghai Futures Exchange (SHFE), est une bourse un peu particulière. Si elle fonc-tionne sur le principe de l’offre et de la demande, les demandeurs – exclu sivement des entreprises chinoises – peuvent proposer des prix nettement supérieurs à ceux du marché mondial. Pour soutenir ce secteur, l’Etat chinois com-pense en effet le différentiel de prix. Selon le ma gazine économique allemand Wirtschaftswoche, le niveau des prix à Shanghai dépas-sait au premier semestre 2009 de 15% ceux de New York ou de Londres.

La Chine consomme-t-elle beaucoup de cuivre à une période donnée? Le prix de la tonne de cuivre pourra être supérieur de 1000 dollars par rapport aux deux grandes bourses concurrentes, le London Metal Exchange et le Comex à New York. Les marchands de ferraille en Europe en tirent les conséquences: en cas de hausse des prix en Chine, ils se tournent vers l’Extrême-Orient et délaissent les recycleurs locaux, quitte à les mettre en difficulté.

Stefan-Georg Fuchs est respon-sable des achats chez un recycleur de Westphalie, en Allemagne: «Les déchets de cuivre sont notre plus grande mine de cuivre en Europe», déclare-t-il. Son entre-prise stocke normalement jusqu’à

10 000 tonnes de cuivre de ré cu pération, une réserve de travail pour quatre semaines. Mais en janvier 2009, les matières premiè-res se raréfient sur le marché mondial: ses entrepôts se vident et le chômage technique menace. «Il est important que la collecte et le recyclage du cuivre restent en Europe», conclut Fuchs.

Pour l’aluminium, c’est la même histoire. Le secrétaire général de la fédération des recycleurs d’alu-minium européens (OEA), Günter Kirchner, affirme: «Les exporta-tions de déchets d’alu en Chine (et en Inde) sont un danger latent pour l’industrie du recyclage en Europe. Malgré des techniques plus modernes et une productivité élevée, les fonderies européennes sont souvent perdantes, car les conditions ne sont pas équitables.»

Les derniers chiffres de l’OEA sont alarmants: 2,2 millions de tonnes d’aluminium recyclées en 2009 contre 3 millions en 2007. Le résultat de 2,6 millions de ton-nes en 2010 est un peu meilleur, mais reste inférieur de 14% à celui de 2007. Si la baisse des dernières années est liée à la crise économi-que et financière, Kirchner sou-ligne que les exportations vers la Chine ont augmenté durant cette période. «Le recyclage reste garanti, mais pas en Europe.»

Douze millions de voitures sont envoyées à la casse chaque année. Un potentiel qui intéresse le recycleur chinois Huaren Resour-ces Recycling, qui entend importer deux millions de ces épaves euro-

péennes d’ici 2012. La collecte vise l’aluminium, l’acier, le lithium, le plomb, le plastique, le palladium et les terres rares.

Selon BlackRock, plus grande société de gestion d’investissement au monde avec près de 3650 mil-liards de dollars d’actifs, la Chine consomme 46% de la production mondiale d’aluminium, 48% de l’acier et même 58% du nickel. Pour couvrir cette demande, l’Etat chinois est prêt à payer un excédent de prix. Et comme l’extraction est chère, la Chine mise sur les déchets métalliques recyclés.

Le recyclage est une affaire en or. Une tonne de téléphones portables contient de 300 à 350 g d’or, pour une valeur de près de 15 000 francs. La Fondation suisse pour la pratique environnemen-tale (Pusch) écrit que 40% des matériaux d’un téléphone mobile pourraient être recyclés. La durée de vie d’un portable est en principe de sept ans, mais les Suisses en rachètent un nouveau tous les 12 à 18 mois en moyenne, ce qui repré-sente environ 2,8 millions d’unités vendues par année. Et seul un portable sur sept est confié à un organisme de recyclage. 1000 ton-nes de matériaux passent ainsi aux ordures ménagères ou restent stockées dans les ménages. Ceux-ci regorgent d’ailleurs de cuivre usagé: Swiss Recycling estime qu’on trouve 200 kg de cuivre par mé-nage, dans les conduites électri-ques, les tuyaux de chauffage et les gouttières.

Cette réserve aiguise les appé-tits en Chine. Les exportations suisses de métaux et de produits métalliques vers la Chine ont passé de 19 202 tonnes en 2006 à 24 771 en 2010. D’après l’Administration fédérale des douanes, la valeur de ces exportations a augmenté de plus de 55% entre 2009 et 2010. A l’inverse, les importations suisses

Matières premières

DES DéCHETS QUI vALENT DE L’OR

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La Chine achète à bon prix les déchets recyclables: les recycleurs européens sont les perdants.

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de métaux en provenance de Chine n’ont augmenté que de 15%, tant en quantité qu’en valeur. La Suisse ne produisant pratiquement pas de métal, l’essentiel des expor-tations correspond donc à du métal de récupération.

Le recyclage devient un enjeu économique, du moins en Europe. Dans un rapport sur les matières premières publié à la mi-septembre, l’Union européenne souligne l’importance de la récupération. Celle-ci est présentée, après l’extraction de matières premières et la «diplomatie des matières premières», comme le troisième pilier d’une stratégie visant à assu-rer l’approvisionnement de l’UE en matières premières. Ce docu-ment du Parlement européen rap-pelle que le recyclage fournit beau-coup d’emplois et pourrait en créer encore davantage: «Il faut donc le promouvoir et le renforcer.»

En Suisse, l’importance du recyclage n’a pas encore été pleine-ment reconnue. Le Département fédéral de l’économie (DFE), dirigé par le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann, se borne à déclarer: «L’instauration de systè-mes de recyclage systématique est maintenant un acquis que l’on ne remet plus en question.»

Même Swissmem hésite à pro-mouvoir le recyclage comme source de matières premières en Suisse. Présidée par Schneider-Ammann jusqu’à son élection au Conseil fédéral, l’association de l’industrie suisse des machines, des équipements électriques et des métaux a certes rédigé une analyse sur la «politique stratégique des matières premières». Mais le recy-clage y est passé sous silence au profit de lamentations sur les «pra-tiques protectionnistes» et de la revendication de «marchés ouverts et compétitifs». Seule une contri-bution du vice-président de Swiss-mem, Jean-Philippe Kohli, évoque le «renforcement de l’économie du recyclage». La conclusion du texte met toutefois uniquement l’accent sur la nécessité d’une ouverture des marchés.

Kohli est seul à pointer la question du recyclage. Le service SMD, à la fois banque de données et archives des médias suisses, ne contient pas une seule occur-rence pour la combinaison des termes «recyclage», «stratégie de matières premières» et «Suisse». Mais les choses commencent à bouger au niveau communal.

Le 11 février 2011, le chef du département des travaux publics zurichois, Markus Kägi (UDC), évoquait pour la première fois le «urban mining», l’extraction de matières premières à partir des déchets.

Le recyclage est encore perçu comme relevant de la protection

de l’environnement. C’est donc l’Office fédéral de l’environnement qui souligne l’importance des ré-serves de matières premières dans les matériaux usagés. Le soutien au secteur du recyclage correspond pourtant aussi à une tâche de politique économique. Grâce à la collecte systématique, l’économie suisse accédait en 2009 à une quantité d’aluminium d’une valeur de 135 millions de francs. Au prix actuel de près de 10 000 francs la tonne, les 7000 tonnes de cuivre collectées représentaient environ 70 millions de francs. En Allema-gne, le recyclage permet une écono-mie de plus de 5 milliards d’euros sur les importations de matières premières. Près de 14% de l’extrac-tion des matières premières relè-vent déjà du recyclage, une part qui n’était que de 2% il y a une quin-zaine d’années. Pour la Suisse, les données ne sont pas disponibles.

Le jour où la Suisse constatera, chiffres à l’appui, que ses déchets métalliques sont bradés en Chine au lieu d’être vendus à des entre-prises locales, elle risque bien de regretter sa passivité actuelle.

L’association patro-nale Swissmem ne tient pas compte du recyclage dans son analyse de la situation.

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Les installations de photovoltaïque comportent elles aussi des risques: à examiner de plus près. Par Marcel Hänggi

En septembre 2011, la ville chinoi-se de Haining a connu de violentes protestations. Des centaines d’habitantes et d’habitants criaient leur colère contre l’entreprise JinkoSolar. Pour la population, les émissions de fluorure de ce producteur de cellules solaires sont responsables d’un nombre élevé de cancers parmi la population et de la mort de nombreux poissons. Les auto rités ont commencé par arrêter le porte-parole des protes-tataires en l’accusant de répandre des calomnies. Mais le jour sui-vant, elles ont suspendu la produc-tion de l’usine.

Les techniques visant à favori-ser le tournant énergétique – cellu-les solaires, éoliennes, piles de

stockage du courant vert – posent en effet elles aussi des problèmes écologiques et sociaux. Un rapport récent* analyse ces problèmes, notamment liés aux besoins en matières premières pour les nou-velles technologies énergétiques. «Les auteurs du rapport préconi-sent un développement rapide de l’énergie éolienne et solaire», dit Peter Fuchs, directeur de l’associa-tion PowerShift. «Mais pour être crédible, l’économie verte ne peut se limiter à une reconversion tech-nocratique du Nord. Elle doit aussi conclure un nouvel accord équi-table avec les pays du Sud pour la fourniture des matières premières.»

L’exemple du photovoltaïqueLes technologies vertes se-

raient-elles les nouveaux pollueurs? Prenons le photovoltaïque (PV), actuellement la plus importante des nouvelles énergies renouvelables

en Suisse. «Pour les systèmes pho-tovoltaïques, c’est la forte consom-mation d’énergie nécessaire à leur production qui nuit à l’environne-ment», explique Mariska de Wild-Scholten, de SmartGreenScans, une agence spécialisée dans l’éco-bilan du PV. Il est toutefois faux de prétendre, comme on l’entend parfois, que les cellules solaires produiraient moins d’énergie que celle liée à leur production. Les installations PV du Sud de l’Europe mettent généralement entre 0,8 et 1,8 an pour compenser l’énergie consommée lors de leur fabrica-tion, et quelques mois de plus pour les installations plus anciennes. L’expérience manque encore pour quantifier la production nette du cycle de vie total des systèmes les plus récents. Mais Mariska de Wild-Scholten estime qu’une ins-tallation PV produira au moins trente fois l’énergie consommée pour sa production. De son côté, le pétrole ne contient que dix-sept fois l’énergie moyenne nécessaire à son extraction. Et à mesure que le pétrole facilement accessible se raréfie, le bilan se dégrade, tandis qu’il continue de s’améliorer pour le photovoltaïque grâce au progrès technique.

La fabrication des installations PV ne demande en outre pas beaucoup de matières premières. 90% des cellules solaires sont fabriquées en silicium, une subs-tance non toxique et aussi com-mune que le sable, d’ailleurs consti-tuée (le plus souvent) de quartz, donc de dioxyde de silicium. Le reste du marché correspond à des cellules solaires utilisant d’autres matériaux, en partie rares.

Selon Mariska de Wild-Scholten, les cellules solaires en couches minces à base de tellurure de cad-mium (CdTe) sont celles qui présentent le meilleur bilan écolo-gique. C’est étonnant, car le CdTe

Matières premières

LE TALON D’ACHILLE DE LA TECHNOLOGIE vERTE

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est nocif pour la santé humaine et le cadmium n’est autorisé qu’en toutes petites quantités dans les appareils électriques et électro-niques (les cellules solaires ne sont pas concernées par cette res-triction). Mais la spécialiste précise que le CdTe est nettement moins problématique que d’autres composés de cadmium facilement solubles. Et les cellules solaires ne dégagent que d’infi-mes quantités de cette substance. Par ailleurs, le cadmium et le tel-lurure étant des sous-produits de l’extraction de métal, il n’est pas nécessaire d’ouvrir des mines pour obtenir ces éléments. Quant au silicium, s’il est certes fréquent et inoffensif, l’extraction du quartz et la production de silicium pur consomment toutefois beaucoup d’énergie.

Production, recyclage et infrastructuresLa qualité écologique des cellu-

les solaires dépend dans une large mesure du mode de production et du recyclage. La firme JinkoSolar déjà mentionnée a manifestement renoncé à immobiliser (purifier) les ions fluorures issus de sa pro-duction. La production de PV peut en effet elle aussi nuire au climat: la fabrication de cellules solaires en couches minces à base de sili-cium (et celle des puces informati-ques) fait généralement intervenir des gaz de purification comme le trifluorure d’azote (NF3). Le NF3 est un gaz à effet de serre dévasta-teur dont l’impact est 17 000 fois supérieur à celui du CO2. Bien que le NF3 soit en principe facile à neutraliser, le protocole de Kyoto n’en fait pas mention et les pays signataires sont donc peu motivés à imposer l’élimination de ce gaz. Un sixième environ de la produc-tion mondiale de NF3 s’échappe ainsi dans l’atmosphère.

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La comparaison des sources d’énergie dépend de la pondération des facteurs. L’Institut Paul Scherrer (PSI) a développé une méthode tenant compte des divers aspects écologiques, sociaux et écono-miques. L’analyse retient les techniques qui seront probablement disponibles en 2050. Des progrès sont surtout escomptés pour la photovoltaïque et la fission nucléaire (4e génération). La pondération des critères se fonde sur un sondage réalisé auprès des acteurs concernés (représentants des consommateurs, producteurs d’énergie, organi-sations environnementales, scientifiques, politiques, etc.). Plus la barre est courte, et plus l’appréciation est positive.

* MCDA (Multiple Criteria Decision Aid)

Production d’électricité ⁄ points MCDA*

Centrale nucléaire type EPR ⁄ 13,90

Centrale nucléaire 4e génération ⁄ 10,80

Charbon sans captage de CO2 ⁄ 21,40

Charbon avec captage de CO2 ⁄ 21,90

Centrale à cycle combiné gaz-vapeur ⁄ 10,30

Centrale à cycle combiné gaz-vapeur avec capt. CO2 ⁄ 19,30

Pile à combustible au gaz naturel ⁄ 5,93

Biomasse de déchets (paille) avec couplage chaleur-force ⁄ 10,00

Photovoltaïque (toiture, couches minces) ⁄ 2,88

Solaire thermique ⁄ 1,02

Eolienne en mer ⁄ 6,95

Comparaison des productions d’électricité

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Le tournant énergétique ne se limite toutefois pas aux nouvelles techniques. Selon les scénarios les plus récents, l’augmentation de la part des énergies renouvelables implique une adaptation et un développement des réseaux de distribution du courant. Une opéra-tion qui nécessite beaucoup de cuivre, dont l’extraction, minière la plupart du temps, n’est pas sans conséquence sur les paysages, les réserves d’eau et la dissémination de substances chimiques. Il en résulte d’énormes quantités de boues toxiques stockées dans des bassins de rétention, qui ne sont souvent pas étanches. Les besoins en nouvelles lignes de courant dépendront de la stratégie qui sera choisie: un courant vert produit à grande distance, comme les éner-gies fossiles d’aujourd’hui, devra être acheminé par des lignes à haute tension de courant continu, par exemple du Sahara vers l’Europe en passant par la Méditerranée. Si le courant est au contraire décen-tralisé, les besoins supplémentaires seront sans doute moindres.

Autre problème: il faut savoir stocker la production irrégulière des sources renouvelables. Plu-sieurs techniques sont à l’étude. Une idée souvent mentionnée est qu’un parc de voitures électrifiées pourrait absorber les variations de la production en permettant de recharger les batteries au moment où la production de courant est plus importante.

Données incertainesMais pour stocker de grandes

quantités d’électricité, il faudrait recharger des millions de batteries. Actuellement à base de lithium, ces batteries contiennent aussi d’autres métaux, par exemple le cobalt ou des terres rares comme le néodyme et le dysprosium. Selon l’Institut de futurologie et d’études

techniques (IZT) de Berlin, les besoins en lithium dépasseront la production mondiale dès 2015.

Certains pronostics se veulent rassurants: la Bolivie aurait des réserves de 100 millions de tonnes de lithium, bien plus que les gise-ments actuellement accessibles, déclare la fédération minière boli-vienne. Néanmoins, le gouverne-ment des Etats-Unis ne chiffre les réserves boliviennes qu’à 9 mil-lions de tonnes, d’autres sources les estiment à 300 000 tonnes uniquement. L’an dernier, le Pen-tagone annonçait la découverte d’énormes gisements de lithium en Afghanistan, mais certains pen-sent que cette déclaration sert sur-tout à justifier la présence militaire états-unienne dans la région.

Le projet de convertir un parc mondial de voitures à l’électricité se heurtera sous peu au manque de matières premières. De plus, le stockage dans des millions de bat-teries n’est pas pertinent d’un point de vue énergétique et écologique. Selon l’Institut de recherche Empa, l’écobilan total des véhicu-les électriques n’est en effet pas meilleur que celui des voitures à basse consommation d’essence.

Le tournant énergétique ne se réduit pas à la techniqueComme l’éolien ou la géother-

mie, le solaire est nettement plus écologique que l’énergie fossile ou nucléaire, même en tenant compte des paramètres écologiques, éco-nomiques et sociaux (voir tableau ci-contre). Mais pour garantir la qualité des nouvelles énergies, il faut insister sur les normes envi-ronnementales et sociales tout au long de la chaîne de production: des matières premières à l’élimi-nation en passant par la transfor-mation. Le recyclage est favorable à l’environnement, surtout si cette dimension est intégrée dès la

conception du produit. Une produc-tion décentralisée de courant contribuera à réduire les infrastruc-tures utilisant de grandes quantités de matériel et donc à diminuer les nuisances environnementales qui y sont liées.

Le seul passage de l’énergie traditionnelle aux énergies renou-velables, sans remise en question des modes de production, de distribution et de consommation, ne permet donc pas de parler d’un véritable «tournant énergétique».*Rapport disponible en allemand: PowerShift / Forum Umwelt und Entwicklung: Oben hui, unten pfui? Rohstoffe für die «grüne» Wirtschaft: Bedarfe, Probleme, Handlungs­optionen für Politik, Wirtschaft und Zivilgesellschaft, Berlin 2011:http://power-shift.de/?p=624.

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L’APOCALyPSE DES BALEINESLes géants des océans: habitats, migrations et effectifs

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LES CARTES SONT

DES PREUvES»

Kiki Taufik, 36 ans, est né à Java, en Indonésie. Les cartes géographiques le fascinent depuis sa jeunesse. Spécialiste SIG (systèmes d’informa-tion géographique) chez Greenpeace, il montre la situation précaire des forêts primaires.

Greenpeace: Quand as-tu commencé à cartographier? Apprécies-tu ce travail?Kiki Taufik: Quand j’étais au collège, j’ai parti-cipé à un groupe qui s’intéressait aux forêts naturelles. J’adorais faire des randonnées et lire des cartes. Un ami m’a suggéré de choisir la géographie comme branche principale à l’uni-versité. Mon activité professionnelle tourne autour des cartes depuis 1996. Oui, ce travail est très gratifiant.Comment as-tu décidé de te consacrer professionnellement aux SIG?

J’ai trouvé passionnant d’apprendre à réali-ser des cartes à l’aide des systèmes d’informa-tion géographique. Surtout pour les forêts. C’est mon intérêt pour les cartes qui m’a amené sur cette voie.Connaissais-tu Greenpeace avant d’être en-gagé par l’organisation?

J’ai entendu parler de Greenpeace quand j’étais écolier, lorsque le Rainbow Warrior accostait à Jakarta dans les années 1990. Il était question d’une campagne contre l’exportation illégale de déchets chimiques, une affaire pas-sionnante pour l’adolescent que j’étais. Plus tard, je travaillais pour une organisation de car-tographie et Greenpeace passait de temps en temps pour demander des données sur l’inven-taire forestier ou le déboisement. Mais avant de travailler pour Greenpeace, la réalisation de cartes n’était pas ma tâche principale.

Les cartes sont pour Greenpeace la clé des campagnes. C’est cela qui est passionnant: je participe à quelque chose d’important. Greenpeace a besoin d’analyses et de rapports. Elle sollicite le savoir des spécialistes pour comprendre la réalité. C’est nécessaire pour démentir les informations fausses ou obsolètes.

Avais-tu déjà travaillé pour une organi sation non gouvernementale auparavant?

Mon ancien employeur était le consultant SarVision Indonésie, qui travaillait sur les cartes satellitaires. Il existait une coopération avec l’ONG Borneo Orangutan Survival Foundation (BOS). Je soutenais également d’autres orga-nisations d’utilité publique, notamment Walhi, la plus grande et la plus ancienne association de protection des forêts en Indonésie, en lui four-nissant des cartes d’inventaire forestier.

Deux raisons me semblent déterminantes pour accepter un poste. La première est que le travail doit être en lien avec ma formation; or, les SIG s’inscrivent très bien dans cette perspective. La seconde est que je ne travaillerais jamais pour un employeur qui nuit à l’environnement. Cela semble un grand principe abstrait, mais il vient du cœur.Que fais-tu exactement chez Greenpeace?

Je collecte les données importantes pour la cartographie: couverture forestière, forêts de tourbières, zones menacées, réserves forestières, régions déboisées ou concessions accordées aux entreprises. J’analyse les données et rédige un rapport pour l’une ou l’autre campagne Greenpeace.On te qualifie de «spécialiste SIG en chef», est-ce exagéré?

Un peu, oui. Mais les systèmes de géo-information sont une spécialisation importante pour la cartographie, c’est pourquoi on me considère comme un spécialiste. Pour la qualifi-cation «en chef», je suis moins sûr... Peut-être parce que j’ai quatre enfants? Je parais le plus âgé de mon équipe, c’est peut-être lié à cela.Les cartes sont-elles importantes pour les ONG et le secteur forestier?

Très importantes. Toutes les institutions qui travaillent sur l’espace ou les ressources de-vraient avoir un service de cartographie. Les ONG comme Greenpeace, qui mènent des campa-gnes, doivent pouvoir avancer des preuves. Et les cartes sont, avec les photos et les vidéos, les meilleures preuves qui soient.Tu travailles sur l’économie forestière depuis des années. Quel est l’état des forêts en Indonésie?

Nos forêts sont dans un état critique. C’est sur l’île de Sumatra que la situation est la plus

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grave. Les forêts de tourbières sont détruites au profit des plantations. Une catastrophe pour les forêts, mais aussi pour le climat mondial, car cette forêt stocke d’immenses quantités de carbone.

Le déboisement de Sumatra a commencé dans les années 1980, avec une accélération depuis les années 1990. L’évolution échappe à tout contrôle. Les gouvernements provinciaux et les autorités locales vendent des terres en-suite affectées à la production d’huile de palme, de papier ou de bois, ou encore à l’exploitation minière. Et les dégâts continuent.

Te souviens-tu des immenses incendies de forêt de 1997-1998? La fumée a même cou-vert la Malaisie et Singapour, qui nous en veulent encore.

Le déboisement et les atteintes à la forêt doivent cesser. Sinon ce trésor de la forêt sera perdu. Les 9 millions d’hectares de forêt de la province de Riau, à Sumatra, se sont aujourd’hui réduits à 931 000 hectares. Sur une échelle allant de 1 à 10 – 10 représentant la destruction totale – l’état des forêts pluviales d’Indonésie correspondrait à 8.

Es-tu optimiste pour l’avenir des forêts? Le moratoire demandé par le président indonésien peut-il aboutir?

Je suis pessimiste. Sauf si nous parvenons à faire pression sur le gouvernement. Les fonc-tionnaires sont encore nombreux à contourner les règles. Ils arrangent des marchés illégaux pour se remplir les poches, sans penser aux conséquences. Si les lois ne sont pas respectées, nous aurons tout perdu d’ici à 2050.

Je veux que mes enfants puissent encore profiter de la beauté des forêts quand ils seront grands. Qu’ils puissent apprécier la nature, comme leur père. Je suis souvent dehors avec eux pour qu’ils découvrent l’environnement.

Je souhaite remercier toutes les personnes qui soutiennent Greenpeace en Suisse. C’est grâce à ce soutien financier que nous pouvons poursuivre notre travail de sauvetage des forêts indonésiennes. Chaque contribution compte pour créer un avenir meilleur.

Kiki Taufik, expert en cartographie chez Greenpeace: «Mon travail peut réfuter les informations trompeuses.»

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Greenpeace: Julia, pourquoi t’es-tu engagée comme bénévole chez Greenpeace?

Je ne supporte pas de voir comment on est en train de ruiner la planète. Je préfère agir plutôt que rester sans rien faire. Depuis que je m’engage, je n’ai plus l’impression de subir les problèmes du monde sans pouvoir y remédier. Avec d’autres militants, je travaille sur différents projets, notamment pour empêcher le groupe énergétique grison Repower de prendre des par-ticipations dans des centrales à charbon. J’apprends beaucoup de choses en tant que béné-vole, de l’organisation à la façon de réagir à des situations critiques.Et toi, Eckhard?

Mon père luttait contre la rectification de cours d’eau dans le Nord de l’Allemagne, près de Brême, à la fin des années 1950. Il s’agissait déjà de sauver la flore et la faune, même s’il n’y avait pas encore de grandes organisations envi-ronnementales. Mai 68 et le mouvement antinu-cléaire des années 1970 n’étaient pas non plus encadrés par de telles organisations. J’étais sou-vent aux premières lignes, au cœur de l’action. Greenpeace n’est arrivée que plus tard, au début

des années 1980 en Allemagne et à partir de 1986 en Suisse. Longtemps, je n’ai été qu’un simple adhérent, car j’avais d’autres priorités dans ma vie professionnelle et dans mon engagement bénévole. Depuis douze ans, mon engagement s’est considérablement intensifié. Et cela ne faiblira pas quand je serai à la retraite. Ma moti-vation est inchangée: je ne supporte pas l’injustice et je me mobilise pour que les généra-tions actuelles et futures puissent vivre digne-ment dans un monde qui vaille la peine d’être préservé.N’êtes-vous jamais tentés d’abandonner face à l’ampleur des problèmes, ici et ailleurs?

Julia: Abandonner ne me viendrait jamais à l’idée, même si l’indifférence que j’observe, en particulier chez les jeunes, me préoccupe parfois. Nombreux sont ceux qui disent qu’on ne peut de toute façon rien changer. Or, vu le peu de temps qu’il nous reste pour empêcher le changement climatique, cette attitude me fait peur. Mais je sens aussi souvent combien mon travail est apprécié.

Eckhard: Abandonner? Cette idée ne me viendrait pas à l’esprit, car elle n’est pas justifiée.

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«ABANDONNER NE ME vIENDRAIT jAMAIS à

L’IDéE»Eckhard Wolff et Julia Ritschard s’engagent en faveur de l’environnement comme

militants bénévoles chez Greenpeace. Eckhard a 64 ans et Julia 21. Comment la mouvance écologiste a-t-elle évolué au cours des 40 dernières années?

Un entretien intergénération.

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Ce n’est pas vrai que nous allons dans le mur sans pouvoir agir. Les succès rapides sont sans doute rares, mais, à force de persévérance, nous avons beaucoup obtenu. Je me réjouis de la sortie du nucléaire. En même temps, je suis révolté d’entendre des politiciens dire que les connaissances ont changé. Cela fait déjà trente ans que nous savons tout cela. 2012 marquera les 20 ans du Sommet de Rio. Le monde entier s’était alors engagé à pren-dre enfin les questions environnementales au sérieux. Avec l’Agenda 21, des mesures devaient être mises en œuvre en faveur du développement durable. Julia, le Sommet de Rio a-t-il influencé ton engagement?

Julia: Lorsque j’étais jeune, mais aussi à l’âge adulte, je n’ai jamais vraiment réalisé que Rio balisait la voie qui allait conduire à une protection de l’environnement. Cela doit tenir au fait que, malgré les promesses et les bonnes intentions, il ne s’est concrètement pas passé grand-chose. Le débat sur le climat qui a suivi aura été une pre-mière étape déterminante, mais il est vraiment urgent de passer aux actes. Qu’a apporté le Sommet de Rio, Eckhard?

Eckhard: C’est l’éternelle question du verre à moitié plein ou à moitié vide. Pour le militant, il est quasiment vide, car il ne s’est pas passé grand-chose depuis. Mais il faut reconnaître que Rio a fait bouger les choses dans la recherche scientifique. De nombreux experts ont compris que leur engagement était nécessaire. Aujourd’hui, même les gens de la finance ne contestent plus que nous allons dans le mur. Le problème est qu’ils ne s’en soucient guère.Pouvez-vous sentir, en tant que militants, que l’opinion publique est plus réceptive à votre démarche?

Eckhard: Je me souviens d’une action contre les entreprises chimiques à Bâle: nous avions déversé de la terre d’une gravière devant leurs portes et placé symboliquement des fûts de pro-duits toxiques pour protester contre le retard dans l’assainissement des décharges. Un portier s’est montré compréhensif, les policiers qui étaient là par hasard n’ont pas bougé, mais les médias n’ont pas relaté l’événement. La même chose s’est produite lors d’une assemblée générale de Nestlé. Malgré les grands discours sur la durabilité et la responsabilité des entre-prises, on ne souhaite pas que nos initiatives aboutissent. Dans la rue, nous nous heurtons à la

résignation et à l’indifférence à l’égard des problèmes environnementaux ou de l’évolution politique.Vos actions vous conduisent-elles à parler directement avec vos opposants ou avec des passants?

Julia: Cela nous arrive régulièrement. Lors d’une manifestation publique sponsorisée par Repower à Samedan, nous avons introduit dans la salle la maquette d’une centrale à charbon pour manifester contre les projets de Repower dans ce domaine. La première réaction a été de nous expulser de la salle. Mais lorsque nous avons souligné qu’il était question de Repower et non de l’organisateur, nous avons pu entrer à nouveau et un débat passionnant a eu lieu.

Eckhard: De telles discussions peuvent se produire et nous les recherchons, mais elles peu-vent aussi déboucher sur une très grande hosti-lité à notre égard. Tout est possible. C’est dans l’ordre des choses pour moi. Même si on manifeste de manière pacifique, il faut être préparé à tout.Comment c’était autrefois?

Eckhard: A l’époque, parler signifiait surtout exploiter tous les moyens juridiques. Ce n’est

«En matière de climat, la première chose que nous devons faire, c’est agir.»

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qu’après que l’on manifestait. Nous n’avions pratiquement pas de contacts directs. Dans une bataille judiciaire, les points de vue sont clairs et les fronts clairement délimités. C’est encore vrai aujourd’hui.

Julia: Je partage ce point de vue. Dans un pays comme la Suisse, qui abrite tant de banques, de multinationales et d’entreprises énergéti-ques investissant au niveau mondial dans des activités qui détruisent la planète, il faut des actions et des manifestations. Il est souvent utile de discuter au préalable, mais la pression de l’action et du grand public sont nécessaires. Sinon, on n’arrive à rien. Dans les années 1970, la lutte contre le nucléaire avait la priorité. Aujourd’hui, la sortie du nucléaire est pratiquement acquise. Quels sont les sujets qui mobilisent les militants de Greenpeace en 2012?

Julia: Je n’ai pas connu cette période, mais il fut un temps où le nucléaire était vu comme la solution à nos problèmes énergétiques. Cette époque est assurément révolue. Mais l’énergie et les matières premières restent des sujets plus actuels que jamais. Quand des entreprises préten-dument durables comme Repower misent sur le charbon, je ne vois pas de vrai changement de paradigme. Aujourd’hui comme hier, on fait croire aux gens que de nouvelles technologies permettront de maîtriser la situation. Or, c’est précisément cette croyance dans la technologie qui pose problème.

Eckhard: Dans les années 1970, les rapports du Club de Rome attiraient l’attention sur les limites de la croissance. Aujourd’hui, il faudrait juste actualiser ces chiffres, car le message fon-damental reste le même. Ce qui nous préoccupe en plus, c’est le système financier libéralisé, y compris les places financières offshore. Cela ne fait qu’empirer la situation.Eckhard, vous avez manifesté presque sans moyens de communication modernes. Les médias sociaux sont aujourd’hui omni-présents. Quel rôle Facebook et les autres jouent-ils?

Eckhard: Chez les jeunes, il n’est plus pos sible de s’en passer. Je reste personnellement sceptique, pour des raisons de protection des données.

Julia: Les médias sociaux sont devenus des instruments essentiels si l’on veut que le grand public participe. Mais ce sont des instruments

utiles, rien de plus. Aucun outil électronique ne peut remplacer un entretien personnel.Vous travaillez ensemble dans le cadre de certaines actions. Comment la rencontre se fait-elle entre nouveaux et anciens militants?

Julia: Nous consultons des personnes comme Eckhard, car leur expérience est précieuse dans certaines situations délicates et leur parole a parfois plus de chances d’être écoutée. J’apprécie beaucoup cette collaboration. A travers son attitude, Eckhard me donne le sentiment d’agir comme il le faut.

Eckhard: Jeunes et moins jeunes peuvent se compléter parfaitement. A mon âge, je ne dois plus m’impliquer dans des situations où je pourrais atteindre mes limites physiques; cela ne me dit plus rien de passer des jours sous la tente. Mais je suis présent là où mon expérience est requise. Des cheveux gris peuvent parfois faire des miracles. Et en ce qui concerne Julia, cela fait du bien d’avoir des jeunes comme elle autour de soi. Son engagement est admirable. Entretien réalisé par Urs Fitze, bureau de presse Seegrund

Julia Ritschard est née en 1990 et participe depuis 2009 à différents groupes d’action de Green-peace. Elle travaille à mi-temps dans une auberge coopérative à Weinfelden.

Eckhard Wolff, né en 1947, est membre de Greenpeace depuis sa création, tout d’abord en Allemagne, puis en Suisse à partir de l’an 2000. Il vit en Suisse depuis 1986 et part à la retraite ces prochains jours.

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UN DANGEREUX DéGEL

En Arctique, la banquise disparaît et le climat menace de

basculer. Le photographe anglais Nick Cobbing a accompagné une équipe de chercheurs sur l’Arctic Sunrise,

le brise- glace de Greenpeace.

Photos de Nick Cobbing

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La mission que Greenpeace a effectuée cette année dans l’Arctique avec l’Université de Cam-bridge est arrivée à une conclusion effrayante: la banquise a encore fondu par rapport à 2007, où l’on avait pourtant enregistré l’épaisseur la plus faible jamais mesurée. Les scientifiques à bord de l’Arctic Sunrise, le brise-glace de Green-peace, n’ont pas caché leur inquiétude: sans cette couche de glace compacte qui réfléchit 80% des rayons solaires et régule le climat, notre planète risque de connaître un désastre ces prochaines décennies. L’artiste John Quigley a reproduit sur la glace le dessin de l’«Homme de Vitruve» de Léonard de Vinci, amputé de certaines parties du corps afin de symboliser l’érosion à proximité du Pôle.

L’Anglais Nick Cobbing, 44 ans, travaille depuis 20 ans comme photographe. Depuis 17 ans, il participe à des projets de Greenpeace dans le monde entier. Il s’est déjà rendu quatre fois dans L’Arctique dont il a su capter les changements avec sensibilité dans d’excellentes photos qui lui ont valu plusieurs prix internationaux. Nick Cobbing vit à Londres et est père d’une fille de 18 ans.

1 Ce guetteur sur le pont de l’Arctic Sunrise est chargé de prévenir, en cas de danger, les membres de l’équipage qui travaillent sur la glace.2 Equipés d’appareils spéciaux, les colla-borateurs de Greenpeace se préparent à étudier l’état de la glace à proximité de Svalbard.3 L’«Homme de Vitruve», représenté sur la glace par John Quigley d’après le dessin de Léonard de Vinci, illustre la fonte alarmante de la banquise.4 L’Arctic Sunrise, le brise-glace de Green-peace — il n’y a pratiquement plus de glace compacte; le bouclier de la Terre est en train de se briser.5 Un scientifique expertise un morceau de carotte de glace: chaque échantillon a été analysé dans le laboratoire du navire.

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«Plonger» dans des conteneurs, c’est faire des découvertes pour le moins inattendues. Il n’est pas question, en l’occurrence, de pêche sous-marine, mais de ce qu’on appelle en anglais le «trash diving» ou «dumpster diving», litté-ralement «plongée dans les bennes à ordures», autrement dit le «glanage» ou la récupération dans les poubelles.

Il suffit de jeter un œil sur les bennes à l’arrière des supermarchés pour en comprendre la raison: on y trouve de tout. Pas seulement des ordures, mais aussi du pain, du fromage, des bananes, des conserves, voire des appareils ménagers – ou pourquoi pas une plastifieuse (c’est arrivé!). Bref, presque tout ce que l’on trou-ve dans les rayonnages des grandes enseignes.

Ce soir, en fouillant dans les containers près du magasin Denner d’un village des bords du lac de Zurich, j’ai fait ma réserve de lessive pour l’année (boîtes aux coins déchirés), récupéré un pack de canettes de bière (une était cassée) et trouvé dix barquettes de tomates (un tiers étaient moisies). Comme souvent, il y avait plus que je pouvais emporter. Un tel gaspillage fait mal au cœur. La disparité entre famine et

opulence est choquante. Le glanage est une façon de répondre à ce gâchis. Certaines personnes font les poubelles par nécessité; les glaneurs, eux, le font par choix. Illustration d’un luxe para-doxal: nous ne somme pas pauvres au point de devoir faire les poubelles; nous sommes riches au point de nous le permettre.

Pas assez beaux pour le présentoirSelon l’Organisation des Nations Unies pour

l’alimentation et l’agriculture (FAO), un Européen produit en moyenne 280 kg de déchets alimentaires par année.

En Suisse, ce sont 765 000 tonnes de substances organiques par an qui finissent à la poubelle. On y trouve des aliments emballés, des restes de repas et des ordures ménagères, mais aussi des déchets provenant du jardin. Aucun chiffre récent ne permet de savoir quelle est la quantité de denrées alimentaires jetées. Ce qui a le plus surpris Markus Christen, res-ponsable de la dernière enquête sur la composi-tion des ordures, c’est la qualité de la mar-chandise jetée: «Nous aurions pu nous nourrir sans problème avec cela pendant une semaine.»

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DES POUBELLES QUI RECèLENT DES TRéSORS

par Inga Laas

Les grands distributeurs jettent chaque année des tonnes de denrées ali men taires — à cause de règles d’hygiène et de dates de péremption exagérées. Des per sonnes ont com-mencé à se rebeller contre cette culture du gaspillage. Elles se ravitaillent dans les poubelles. Pas par néces sité, mais en signe de pro testation.

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Pas étonnant quand on sait qu’il suffit d’une rupture dans la chaîne du froid lors du transport pour détruire des centaines de kilos de nour riture. Les règles d’hygiène imposent d’éli-miner les denrées alimentaires même si elles sont encore consommables. Pire, il arrive souvent que les produits alimentaires atterrissent dans les conteneurs simplement à cause de leur aspect extérieur – des pommes tavelées ou mâchées, par exemple. Si la marchandise est emballée, c’est tout le contenu qui ira à la poubelle.

Les bennes qui encombrent les cours des supermarchés témoignent de cette pratique. Les gros distributeurs ont réagi de manière différente lorsque Greenpeace les a contactés: Denner n’a pas répondu; Aldi jette dans des conteneurs verrouillés tout ce qui dépasse la date de consommation minimale – «pour que personne ne vienne voir s’il y a des restes de nourriture», explique Sven Bradke, porte-parole d’Aldi Suisse. La peur d’être tenu pour res-ponsable de la consommation de marchandise avariée est grande. Seuls quelques produits alimentaires comme le pain sont vendus à prix réduit, mais le personnel n’a droit à rien.

Sabine Vulic, porte-parole de Coop, affirme: «Chez nous, rien n’atterrit dans les conteneurs.» Pour ce qui est de la marchandise invendue, le règlement est clair: prix réduits pour les clients et les collaborateurs, et distribution à des institutions sociales comme «Table couvre-toi» ou «Table Suisse». Coop recycle aussi chaque année 12 000 tonnes de fruits et de légumes qui serviront de nourriture pour le bétail ou seront transformés en biogaz.

Urs Naef, porte-parole de Migros, ne souhaite «pas prendre position» au sujet du gla-nage. Migros s’efforce de ne rien jeter en ven-dant des produits dont la date de péremption est proche avec des rabais allant jusqu’à 50%. S’ils restent invendus, les collaboratrices et collabora-teurs peuvent les acheter avec un rabais de 75% jusqu’à la date limite de consommation. Le géant orange n’oublie pas non plus les réseaux sociaux qui redistribuent la marchandise encore consommable aux nécessiteux. Enfin, Migros utilise des tonnes de nourriture pour produire du biogaz.

Roland Schüren est le premier boulanger d’Allemagne à produire l’énergie nécessaire à son entreprise à partir de vieux pain. «Mieux vaut une utilisation énergétique que rien du tout», dit-il, même s’il reconnaît qu’il serait préférable de ne produire que les quantités nécessaires.

Ma cousine Mia, neuf ans, a une nouvelle passion: la «date limite de consommation». «13.09.2011», marmonne-t-elle en vérifiant la boîte de lait avant d’affirmer d’un ton pé-remptoire: «C’est aujourd’hui! C’est périmé, on ne peut plus le boire.» Et que faut-il donc faire avec ce lait? «Le jeter, bien entendu.» Mais après l’avoir senti et goûté, elle change d’avis: le lait ne finira pas dans l’évier. De fait, de nos jours, le consommateur se fie davantage à la date de péremption figurant sur l’emballage qu’à ses cinq sens.

Le yaourt se conserve des mois au fraisDes archéologues ont retrouvé du miel dans

des tombeaux égyptiens – il était encore bon. La teneur élevée en sucre et l’antibiotique naturel empêchent la formation de moisissure. Le miel se conserve au moins dix ans dans un lieu obscur à une température de dix degrés. Mais rares sont ceux qui le savent. Ce n’est qu’en 2006 que la Confédération a décidé de limiter la durée de consommation du miel. Les gens ne savent plus

Les glaneurs d’ordures agissent dans le flou juridique.

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comment se conservent les aliments. Y a-t-il encore quelqu’un aujourd’hui qui entrepose des pommes reinettes et des pommes de terre en-semble, parce que l’éthylène des premières ralen-tit la germination des secondes?

Dans de nombreux cas, nous pouvons faire confiance à nos cinq sens pour savoir si un pro-duit est encore bon. C’est d’ailleurs ce que nous faisons avec le vin. Qui aurait l’idée de chercher la date de péremption sur une vieille bouteille de Château Margaux? Il est étonnant que l’on ne se fie plus à son propre jugement pour les pro-duits laitiers. Rien qu’à l’odeur, on sait si le lait a tourné. Conservé au frais, le yaourt se conserve des mois avant que le couvercle ne se bombe. Certains fromages peuvent être consommés pen-dant des décennies s’ils sont entreposés comme il faut. Il paraît que les Valaisans conservaient autrefois du fromage et du vin dans leur cave pour leurs vieux jours!

La date de péremption, réglementée depuis 1967, joue un rôle capital dans notre attitude à l’égard de la nourriture. La loi distingue deux types de déclaration: la «date de durée de conser-vation minimale» et la «date limite de consom-

mation». Les mentions «emballé le...» ou «à ven-dre jusqu’au...» sont facultatives.

Les denrées rapidement périssables, qui doivent être conservées au réfrigérateur, doivent porter la mention «à consommer jusqu’au». Elles ne peuvent être vendues ou distribuées à des institutions sociales au-delà de cette date. La date de durée de conservation minimale est quant à elle indiquée sur les produits alimen-taires conservables. Les produits dont la date de conservation est dépassée ne doivent pas être jetés et peuvent être vendus à prix réduit. Le fabricant est cependant libéré de son obligation de garantie. Parallèlement, la Société suisse de nutrition (SSN) admet explicitement que ces produits peuvent, pour la plupart, être consom-més sans risque même si la date de conser-vation minimale est dépassée. C’est aussi le cas aux Pays-Bas, où la chaîne de supermarchés Jumbo invite ses clients à emporter gratuitement les produits ayant une durée de conservation de moins de deux jours. Si les magasins tendent généralement à éliminer la marchandise au lieu d’en faire cadeau, c’est moins par souci des risques potentiels pour la santé qu’en raison des

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profits qui leur échappent. Donc, tous aux conteneurs!

En Suisse, le glanage est plus répandu que l’on ne pense, bien qu’on en parle peu et que les informations soient rares. Tout le contraire aux Etats-Unis, où le glanage est à la mode. Chez nos voisins allemands, les glaneurs sont bien informés. Des sites comme dumpstern.de relaient l’indignation et le mécontentement contre le gaspillage des denrées alimentaires; on y trouve des explications sur la situation juridique des glaneurs et des petits tuyaux pour glaner sans problème.

Dans les grandes villes allemandes, le gla-nage a un caractère plus souvent existentiel qu’idéologique. Il est rare que l’on se rencontre; mais on échange et on partage.

En Suisse, il n’existe pas beaucoup de dépôts d’ordures accessibles et non verrouillés, mais il y en a. Là où j’habite, Aldi, Denner et Spar veillent à ce que ma table soit toujours bien garnie. Quand je fouille dans les containers, les regards sont braqués sur moi: certains, méprisants, s’accompagnent de commentaires du genre «Espèce de petite parasite!», mais d’autres sont

reconnaissants. Il n’est pas rare que l’on me dise: «La prochaine fois, je viendrai avec vous.» En plein jour et sans cagoule, j’attire plus l’attention qu’une révoltée en sweat noir à capuche.

Car «faire les poubelles» n’est pas un com-portement normal qui cadre avec notre mode de pensée. Nous refusons de voir que des denrées alimentaires finissent à la poubelle. Que se pas-serait-il si des mères de famille se mettaient à se servir dans les poubelles? Ou des employés de bureau sur le chemin du travail? Ce serait de l’acti-visme politique dans toutes les catégories sociales.

De retour chez moi, je contemple mon bu-tin: tomates, salade, oranges, yaourt (et même un grille-pain qui fonctionne parfaitement). De la marchandise de première catégorie! Et qui a une valeur énorme. Le boulanger Schüren évoque cette exigence d’avoir des présentoirs bien garnis jusqu’à la fermeture. Le vendeur s’attire les foudres du client si un produit n’est pas disponi-ble. Il faut offrir du pain frais et croustillant à toute heure, et donc produire trop.

C’est la faute aux clients qui «en veulent toujours plus».

D’après le psychologue Stephan Grünewald, nous n’achetons pas ce dont nous avons besoin sur le moment, mais ce que nous utiliserons un jour: «Nous essayons d’être armés pour faire face à toutes les situations, et c’est pourquoi, fina-lement, nous achetons toujours trop.» Et cela ne concerne pas seulement les achats du ménage.

La dimension anarchiste du glanageA la tête d’un service de traiteur, Maria

raconte comment elle a récemment dû jeter une pièce montée d’une valeur de 600 francs après un mariage. Un quart seulement avait été mangé et le reste est allé à la poubelle. «Nous ne pou-vons pas en faire cadeau. Car, selon le contrat, les aliments appartiennent désormais au client qui les a payés.» Elle ajoute: «Et même si le client est d’accord, l’office de l’hygiène s’y oppose – les denrées alimentaires qui n’ont pas été entrepo-sées dans des réfrigérateurs, mais servies à table, doivent être éliminées. Un vrai dilemme!»

Pour beaucoup de gens, le glanage flirte avec l’anarchisme. Les glaneurs se déplacent à la nuit tombante, lorsque les magasins sont fer-més – et ils sont, juridiquement, dans une zone grise. On a l’impression de faire quelque chose d’illégal, bien que cela ne soit pas interdit. Mais, au fond, à qui appartiennent les ordures?

Les producteurs devraient être obligés de donner leurs invendus aux institu-tions sociales.

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Markus Melzl, porte-parole du Ministère public de Bâle, nous renseigne: «Si quelqu’un jette des denrées alimentaires dans une benne à ordures pour les éliminer, n’importe qui peut en dispo-ser. Il ne s’agit pas d’un cadeau offert au service d’enlèvement des ordures. Le propriétaire des produits est d’accord pour qu’ils soient éliminés. Il renonce à l’objet et celui-ci n’a plus de nou-veau détenteur.»

En Allemagne, les limites sont nettement plus rigoureuses: les ordures peuvent être la propriété de quelqu’un. S’en emparer peut avoir des conséquences pénales. Toujours est-il que l’intérêt du public et de la police pour le vol de biens «sans valeur» reste modéré, même si le butin est aussi savoureux que précieux.

Bien que je sois la reine des glaneuses, je me sens toujours un peu en faute. J’ai l’impression que le monde marche sur la tête. On ne condamne pas le gaspillage et la destruction de denrées alimentaires, mais la volonté de leur assigner leur véritable fonction.

L’idée que l’on devrait «punir» fiscalement le gaspillage de denrées alimentaires n’est pas nouvelle. Les journalistes Stefan Kreutzberger et

Valentin Thurn la défendent dans leur documen-taire Taste the Waste: producteurs et commer-çants devraient selon eux être obligés de donner les aliments invendus à des institutions socia-les; les denrées périssables en surplus devraient être taxées. Cela permettrait d’éco nomiser des frais de recyclage et de préserver le climat.

Depuis juillet 2011, il est interdit en Suisse d’utiliser les restes de repas pour nourrir les porcs – par crainte des épidémies. Dans l’Union européenne, cette interdiction a entraîné une production supplémentaire d’environ cinq mil-lions de tonnes de céréales fourragères. Or, les restes de cuisine pourraient être traités à la chaleur avant d’être donnés au bétail.

A eux seuls, Migros et Coop produisent 30 000 tonnes de déchets organiques. Ce chiffre serait encore plus élevé si l’on tenait compte des denrées alimentaires qui n’arrivent pas sur les rayonnages des magasins faute de satisfaire aux critères esthétiques qui leur sont imposés. Les agriculteurs sont contraints de pratiquer une surproduction constante pour pallier les pertes occasionnées par les produits n’ayant pas la forme jugée souhaitable.

La liste des exigences est difficilement applicable La branche des fruits et légumes a édicté

des «dispositions en matière de qualité»: le dia-mètre des tomates charnues doit par exemple être compris entre 67 et 102 mm, le concombre doit présenter une courbure de 10 mm au plus pour une longueur de 10 cm et il existe une table des couleurs pour les degrés de maturité. La liste des instructions est longue et difficilement applicable. Encore plus absurde: elle s’applique même aux tomates en conserves, à la purée ou aux garnitures pour pizza.

Les aliments qui ne satisfont pas à ces exi-gences restent à pourrir sur place ou finissent dans le meilleur des cas au compost. Je me plais à imaginer à quoi ressemblerait un marché agricole pour ces fruits et légumes «difformes». Et si nous apprenions à considérer de nouveau notre nourriture comme quelque chose d’existentiel et, pourquoi pas, de sacré?

Carlo Petrini, fondateur du mouvement Slow Food, raconte qu’en Italie, lorsqu’un morceau de pain tombe par terre, certaines personnes âgées le ramassent et le baisent avant de le poser à nouveau sur la table.

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Trieuse de déchets en plastique Ménager les ressources — telle était l’intention du professeur Gunther Krieg, de Karlsruhe, lorsqu’il a com-mencé à développer son système Powersort 200. Grâce à la spectro-scopie laser à grande vitesse, ce système analyse les matières hétéro-gènes dans les granulés de PET (téréphtalate de polyéthylène) issus du recyclage. Le PET ne peut être retraité que sous une forme pure et sa fabrication requiert beaucoup d’énergie: 1,9 kg de pétrole brut par kilo de PET. Il doit donc être exempt de résidus plastiques renfermant des composés chlorés ou des métaux lourds. Ceux-ci ne pouvaient être détectés ni à l’œil nu ni au moyen de caméras ou d’autres méthodes. L’équipe de Gunther Krieg prévoit d’utiliser une technologie semblable pour éliminer les matériaux gênants provenant des déchets électroniques afin de pouvoir traiter les matières contenues dans le châssis des télé-viseurs et les appareils ménagers.

L’énergie des vaguesLa firme écossaise Pelamis (terme grec désignant un organisme marin) planche depuis sept ans sur un «ser-pent de mer» mécanique capable de générer de l’électricité. Cette struc-ture de 1300 tonnes et 150 mètres de long a été mise à l’eau en 2004 au large des îles Orcades. Elle produit 2,7 millions de kilowattheures par an et alimente 500 ménages. Le prin-cipe est relativement simple: les seg-ments du serpent se balancent au rythme des vagues et font tourner les générateurs intégrés dans le corps

du monstre. Selon les ingénieurs de Pelamis, 25 000 installations pour-raient couvrir 20 % des besoins en électricité de la Grande-Bretagne. Le gouvernement britannique soutient les recherches dans le domaine de l’énergie marine à hauteur de 75 mil-lions d’euros.

L’agriculture verticaleLe projet de l’Américain Dickson Des-pommier est pour le moins futuriste. En 2050, 80 % de la population mon-diale devrait vivre dans des méga-lopoles. D’où l’intérêt de produire les aliments sur place, car les terres cultivables seront toujours plus rares et la qualité des sols toujours plus mauvaise. Le projet The Vertical Farm prévoit de gigantesques tours dans lesquelles les légumes seront cultivés hors-sol, dans une solution nutritive (hydroponie) ou au moyen d’un air saturé de nutriments et de vapeur d’eau (aéroponie). Les besoins en eau pourraient diminuer de 90 %, les émissions de CO2 seraient quasi inexistantes, car il ne serait plus né-cessaire de convoyer la marchandise sur de longues distances. Autre avantage: les aliments seraient pro-duits en toute saison. Revers de la médaille: les agriculteurs se retrouve-raient pour la plupart au chômage. Mais ils pourraient être dédommagés par des subventions provenant d’une imposition systématique des émis-sions de CO2, estime Despommier. Les surfaces cultivables ainsi libérées feraient place à d’immenses forêts capables de filtrer les substances polluantes. Il existe déjà des projets et des clients intéressés par ces fermes verticales en Chine et au Pro-che-Orient.

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Du courant pro venant d’une sphère creuseHorst Schmidt-Böcking, professeur émérite de physique allemand, a imaginé une centrale de pompage d’un genre bien particulier. Dans une centrale classique, on utilise deux bassins pour créer une différence de pression à l’avant et à l’arrière de la turbine, ce qui permet de faire circu-ler l’eau et produit de l’électricité. Notre scientifique aimerait obtenir cette différence en mer. A 2000 mè-tres de profondeur, la pression est de 200 bar. L’idée est de créer une pression plus basse dans une sphère en acier de 100 mètres de diamètre et d’y faire circuler de l’eau pompée à la surface en utilisant du courant excédentaire de centrales éoliennes. Avec une sphère deux fois plus grosse plongée à 4000 mètres de profondeur et une pression de 400 bar, on pourrait «produire quatre gigawatts dix heures par jour et remplacer quatre centrales nucléai-res pendant les heures de pointe». Calculé sur une année, il serait possi-ble «de stocker 1,5 % des besoins allemands en électricité». Le profes-seur Schmidt-Böcking a déposé une demande de brevet pour son idée.

Désinfection de l’eauAshok Gadgil et Vikas Garud sont cette année les lauréats de l’Euro-pean Inventor Award. Une récom-pense méritée pour ces deux cher-cheurs américains qui travaillent depuis 1996 sur le UV Waterworks, un appareil de désinfection de l’eau qui pourrait sauver de la mort des

millions de nourrissons et de petits enfants dans les pays émergents. Leur invention, une petite machine de sept kilos, agit sur l’ADN des virus et des bactéries pour que les agents pathogènes ne soient plus un danger pour l’homme. Les chercheurs ont exploité la découverte du scientifique américain John Keys qui, en 1919, avait montré l’intérêt des ultraviolets pour la stérilisation — une irradiation de douze secondes suffit. L’appareil UV Waterworks peut traiter 1000 litres d’eau par heure. L’eau purifiée peut être bue sans risque. En l’absence de réseau électrique, le petit appareil fonctionne avec une batterie de voi-ture ou un module photovoltaïque. Il a déjà fait ses preuves lors de certaines catastrophes écologiques, comme après le terrible tsunami de 2004.

Le biocharLa société SunCoal, de Ludwigsfelde près de Berlin, est en train de peau-finer du biochar. Produit à partir de matériaux végétaux, celui-ci devrait être plus efficace que le combustible traditionnel. «L’année prochaine, nous le produirons à l’échelle indus-trielle», promet l’équipe de dix per-sonnes réunie autour de son directeur, Tobias Wittmann. Le procédé n’est pas très compliqué: des restes végé-taux sont hachés, puis lavés pour retirer pierres, sable et terre de la biomasse et «réduire ainsi la teneur en cendres de notre charbon». La carbonisation s’effectue à une tem-pérature de 200 °C dans un récipient sous pression de moins de 20 bar. Après quelques heures, on obtient une boue noire dont la teneur en eau est réduite à 8 % par séchage ther-mique. Une tonne de déchets végé-taux permet de produire jusqu’à 800 kg de pellets de charbon.

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contre Goliath,autant l’être avec

de

S’il faut être

L’histoire a montré à de multiples reprises comment chacune et chacun d’entre nous peut accomplir quelque chose de grand et d’apparemment impossible. C’est un combat inégal de ce type que Greenpeace livre au quotidien contre les Goliath de ce monde pour protéger durablement notre environnement. Plus nous se-rons nombreux à être des David, plus nous serons ef� caces dans notre lutte contre les Goliath.

Les principaux succès de David

Les succès les plus importants de l’histoire de Greenpeace:

Fin de la chasse commerciale à la baleine.Interdiction de l’exploitation minière dans l’Antarctique pour 50 ans à partir de 1998.Pas d’immersion de platefor-mes pétrolières, par exemple la plateforme Brent Spar. Interdiction mondiale de l’immersion de déchets radioactifs et industriels en haute mer. Nestlé, Unilever et Burger King renoncent à l’huile de palme provenant de la destruction des forêts anciennes.

Les prochains Goliath

La pêche pirate, notamment de l’Europe, au large des côtes de l’Afrique.L’abattage illégal de bois par les grandes entreprises dans les forêts anciennes. La lutte pour les matières premi-ères dans l’Arctique.

Offre le magazine Greenpeace pendant une année

Pour atteindre nos objectifs, nous avons besoin de soutiens encore plus nombreux, des David comme toi.

Fais connaître la campagne «Devenir David» à tes amies et amis. Il te suf� t de remplir la carte ci-jointe. Les nou-veaux David recevront en cadeaux le magazine Greenpeace pendant une année ainsi qu’un porte-clés «David».

Nous nous réjouissons de ton aide a� n que nous puissions, ensemble, protéger la planète contre de nouvelles exploitations.

PS: Participe à notre grand tirage au sort sur devenir-david.ch et gagne l’un des trois vélos électriques.

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contre Goliath,autant l’être avec

de

S’il faut être

L’histoire a montré à de multiples reprises comment chacune et chacun d’entre nous peut accomplir quelque chose de grand et d’apparemment impossible. C’est un combat inégal de ce type que Greenpeace livre au quotidien contre les Goliath de ce monde pour protéger durablement notre environnement. Plus nous se-rons nombreux à être des David, plus nous serons ef� caces dans notre lutte contre les Goliath.

Les principaux succès de David

Les succès les plus importants de l’histoire de Greenpeace:

Fin de la chasse commerciale à la baleine.Interdiction de l’exploitation minière dans l’Antarctique pour 50 ans à partir de 1998.Pas d’immersion de platefor-mes pétrolières, par exemple la plateforme Brent Spar. Interdiction mondiale de l’immersion de déchets radioactifs et industriels en haute mer. Nestlé, Unilever et Burger King renoncent à l’huile de palme provenant de la destruction des forêts anciennes.

Les prochains Goliath

La pêche pirate, notamment de l’Europe, au large des côtes de l’Afrique.L’abattage illégal de bois par les grandes entreprises dans les forêts anciennes. La lutte pour les matières premi-ères dans l’Arctique.

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Pour atteindre nos objectifs, nous avons besoin de soutiens encore plus nombreux, des David comme toi.

Fais connaître la campagne «Devenir David» à tes amies et amis. Il te suf� t de remplir la carte ci-jointe. Les nou-veaux David recevront en cadeaux le magazine Greenpeace pendant une année ainsi qu’un porte-clés «David».

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LA CROISSANCE ET L’ARGENT –

COURS ACCéLéRéDu fait des tensions croissantes entre économie, écologie et pétrole,

les crises se multiplient et se complexifient. Le «Crash Course» de Chris Martenson, disponible en libre accès, en explique les tenants et

les aboutissants et offre un point de vue inédit.

par Mark Ita

Les pays européens et les Etats-Unis, tout comme leurs systèmes bancaires, affichent un surendettement vertigineux. Depuis l’éclate-ment de la bulle immobilière américaine qui a précipité les banques du monde entier dans le chaos en 2008, les gouvernements doivent faire face à des crises successives. Des mesures désespérées ont été prises en Irlande, au Portugal, en Grèce, en Espagne et en Italie, mais sans traiter le mal à la racine. Les dettes sont financées par de nouveaux emprunts, avec la promesse implicite de les rembourser un jour avec les intérêts. L’hypothèse est qu’il y aura demain toujours plus de tout.

Quel rapport avec les problèmes urgents du réchauffement climatique, de la destruction des forêts tropicales, de la pollution des mers ou de la surpêche? Et avec le pic pétrolier, autrement dit la stag-nation de l’exploitation pétrolière, encore ignorée d’une vaste partie de la population? Beaucoup plus qu’on ne le pense.

Chris Martenson, docteur en neurotoxicologie de 49 ans, a occupé une fonction de cadre supérieur au sein du groupe pharmaceutique Pfizer jusqu’en 2005, date à laquelle il réalise que les prémisses écono-miques de notre société de services et de consommation reposent sur des illusions et que nous allons dans le mur. Martenson a vu venir la crise financière de 2008. Il démissionne, réduit son train de vie, se retire à la campagne avec sa famille et commence à étudier minutieu-sement les fondements de notre économie. Qu’est-ce que l’argent? Quelle est sa fonction? De quoi résulte-t-il? Comment se multiplie-t-il? Qui prend les décisions en matière financière? Quel est l’impact de l’argent? Qu’est-ce que la croissance?

Il poursuit sur sa lancée en se penchant sur d’autres problèmes majeurs de notre époque: destruction de l’environnement, raréfaction des matières premières, croissance exponentielle de la consom-mation mondiale et stagnation de l’exploitation pétrolière. Il fait le lien entre ces phénomènes. En partant de thèmes généralement consi-

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dérés isolément, il brosse un tableau d’ensemble très convaincant de la situation et avance une thèse qui prend le contre-pied des explications et des prévisions quelque peu fumeuses de nos élites économiques.

Chris Martenson s’est donné pour objectif d’informer le plus grand nombre possible de gens des tenants et des aboutissants du pro-blème et de les familiariser à l’idée que le monde «normal» dans lequel nous avons grandi et que nous supposons immuable est en train de se transformer radicalement. Si l’on ne veut pas être pris de court, il faut voir les choses en face: l’humanité est dans une situation iné dite et les vingt prochaines années seront fondamentalement différentes des vingt dernières.

Le «Crash Course» se compose de vingt brèves séquences vidéo sur l’économie, l’énergie et l’environnement, le tout librement accessible sur internet. Visionner le cours en ligne ne demande pas plus de quatre heures. Son contenu est dense, concis, aisément compréhensible et même divertissant.

Le cours nous introduit dans le monde de l’économie financière et expose le rôle de l’argent dans l’ordinaire de la vie quotidienne. L’argent doit se multiplier en raison de sa nature même. L’énergie que nous avons pu utiliser en quantité croissante grâce au pétrole est une clé de voûte de notre civilisation complexe, basée sur la division du travail. Sans énergie, la société ne peut se développer. Or cette énergie atteint ses limites, car l’exploitation pétrolière stagne dans le monde entier; les gisements exploitables sans trop d’efforts ni de risques sont en train de se tarir. Aucune solution de rechange n’est en vue.

C’est pourquoi l’ère de la croissance économique est arrivée à son terme. Les crises financières, énergétiques et conjoncturelles toujours plus violentes et rapprochées en sont l’expression.

Le temps presse et Martenson le montre de manière impression-nante en évoquant le caractère exponentiel de ce qu’il appelle l’«accroissement»: les quantités doublent à des intervalles de temps de plus en plus courts. Si l’on considère l’évolution de la population mondiale, de la masse monétaire, de la consommation d’énergie, de la disparition des espèces, de la pollution des mers au cours des cent dernières années, on constate une accélération très nette depuis la Seconde Guerre mondiale. Les graphiques de Martenson mettent en évidence des courbes en «crosse de hockey», avec des évolutions toujours plus marquées et des proportions inquiétantes au point de devenir incontrôlables.

La crise financière actuelle n’est pas une crise cyclique qui sera bientôt surmontée, comme les gourous de la conjoncture veulent nous le faire croire. Elle est l’expression d’un bouleversement fonda-mental, d’une régression économique aux conséquences profondes qui s’accompagnera de troubles. Le mouvement Occupy Wall Street

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traduit clairement une déception à l’égard de l’ordre établi. C’est un appel à tourner le dos aux illusions fatales de la croissance.

Chris Martenson a investi sa fortune et son talent dans cette entreprise, à savoir expliquer cette nouvelle donne aux personnes qui se sentent désorientées et proposer des solutions pour l’affronter. En 2008, il a lancé son site web en plusieurs langues où il anime des forums sur différents thèmes d’actualité. Il n’est pas un prophète de mauvais augure, qui se plaît à peindre le diable sur la muraille, mais une personne éclairée et optimiste qui voit dans l’instauration d’une économie ne reposant pas sur la consommation une chance à saisir. A une condition: que nous regardions la réalité en face et cessions de succomber aux sirènes de la consommation et à l’idée que tous les habitants de la planète pourront adopter notre mode de vie.

J’ai découvert Chris Martenson sur internet il y a deux ans. J’ai été convaincu et fasciné par ses points de vue non conventionnels, le lien qu’il fait entre la finance, l’énergie et l’environnement, ainsi que par ce cours simple et aisément compréhensible qui m’a permis de comprendre en peu de temps des questions complexes. Avec un petit groupe de gens en Suisse et en Allemagne, j’en ai proposé une ver-sion allemande. Je le recommande fortement à toutes celles et tous ceux qui souhaitent mieux connaître les développements actuels sans avoir le temps de les étudier à fond en se plongeant dans de gros pavés. Le cours est parfaitement indiqué pour les écoles et les uni-versités. C’est en effet aux jeunes générations qu’il incombera de poser de nouveaux jalons.

Les choses doivent changer, mais nous ne connaissons pas la marche à suivre. La situation est totalement inédite.

Le «Crash Course» de Chris Martenson est disponible gratuite-ment en anglais, français, allemand et espagnol sur le site www.chrismartenson.com.Mark Ita est avocat et consultant en santé. Il est actuellement à la tête de la délégation de la Croix-Rouge suisse au Pakistan.

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DES RèGLES CLAIRES POUR LES

MULTINATIONALES SUISSES

Nous avons un problème d’immigration: 269 grands groupes étrangers ont transféré leur siège social en Suisse entre 2003 et 2009. Souvent en raison d’avantages fiscaux et d’un système juridique qui permet aux multinationales de s’en tirer à bon compte en cas de violation des droits des personnes ou de l’environnement. Les choses doivent changer.

Selon l’Atlas du Monde diplomatique, les multi-nationales ont réalisé en 2010 plus d’un quart du produit intérieur brut mondial. Par le biais de leurs succursales, filiales et sous-traitants, elles contrôlent près des deux tiers du commerce mondial.

Alors que les grands groupes ne connais-sent pas de frontières, les réglementations aux-quelles ils sont soumis se limitent souvent à l’échelle nationale. Le contrôle démocratique est faible face à la puissance croissante des mul-tinationales. La responsabilité sociale des entreprises tient certes une place de choix dans les campagnes de relations publiques et les rapports annuels. Mais il s’agit généralement de belles paroles et de déclarations d’intention. Les multinationales ne sont pas tenues de respecter les droits humains et les normes envi-ronnementales. La liste des candidats retenus ces dernières années pour les Public Eye Awards organisés par Greenpeace et la Déclara-tion de Berne donne un aperçu édifiant de leurs méfaits (www.publiceye.ch).

Lancée début novembre par une cinquan-taine d’ONG, la campagne «Droit sans frontiè-res» entend imposer des règles juridiquement contraignantes en Suisse afin de pouvoir deman-der des comptes aux multinationales qui y sont domiciliées. Greenpeace soutient cette campa-gne. Dans notre lutte pour le respect des droits humains et de l’environnement, nous dénonçons les abus et exigeons des explications. Exemple:

Trafigura, géant du négoce des matières pre-mières qui réalise un chiffre d’affaires annuel de 80 milliards de dollars. En 2006, ce groupe a déversé le contenu d’un cargo rempli de déchets pétroliers hautement toxiques dans des décharges de Côte d’Ivoire, provoquant la mort de quinze personnes et des dizaines de milliers d’intoxications. Greenpeace a bloqué le bateau dans un port. Après d’âpres négociations et une forte pression populaire, la multinatio-nale s’est engagée à dédommager les victimes. Des milliers de personnes attendent toujours le respect de cet engagement. Une législation adéquate aurait permis de poursuivre Trafigura dès le départ.

Les exigences de l’alliance «Droit sans frontières»:L’alliance «Droit sans frontières» réclame que les sociétés ayant leur siège en Suisse soient tenues de respecter les droits humains et les normes environnementales partout dans le monde.

Des bases légales sont nécessaires• pour obliger les multinationales suisses à prendre des mesures afin d’éviter que leurs activi-tés ou celles de leurs filiales et sous-traitants violent les droits humains ou dégradent l’environ-nement, en Suisse et ailleurs (devoir de diligence);• pour que les personnes ayant subi des dommages liés aux activités de multinationales suisses, de leurs filiales et/ou de leurs sous- traitants puissent porter plainte en Suisse et exiger réparation.

Aidez-nous à donner plus de poids à la justice dans le secteur économique et signez la pétition sous www.droitsansfrontieres.ch.

Public Eye 2012A partir du 5 janvier prochain, une consultation sur le site www.publiceye.ch permettra d’élire l’entre-prise la plus irresponsable de l’année. Fin janvier, Greenpeace et la Déclaration de Berne désig ne-ront les «lauréats» lors du Forum de Davos. Des représentants de «Droit sans frontières» seront également présents. Leur objectif: réduire, grâce à de meilleures réglementations, le nombre effrayant de violations des droits humains et de délits environnementaux.

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Le 16 novembre 2011, Eco Energie Etoy organi-sait une conférence de presse réunissant Roland Martin, directeur de la coopérative, Isabelle Chevalley, conseillère nationale et membre des Verts Libéraux, Hans Björn Püttgen, de l’Energy Center de l’EPFL, ainsi que des responsables de Prométerre et de l’Union suisse des paysans. Le message de la présentation était clair: le nouveau modèle de calcul de l’écobilan est trop strict. «Les normes helvétiques en la matière sont tout simplement irréalistes», déclare Roland Martin. Isabelle Chevalley ajoute que «les parlementaires sont prêts à se battre pour revenir sur cette méthode de calcul», dénonçant ce qu’elle voit comme une «surinterprétation de la loi» par les fonctionnaires de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV).

La coopérative a été fondée en 1994 en tant qu’installation pilote et de démonstration. Grâce à ce statut, qu’elle conserve depuis 17 ans, elle bénéficie d’un allégement fiscal qui lui per-met d’être bénéficiaire. «Le Parlement qui avait accordé son soutien à quelques installations pilotes, dont celle d’Etoy, a décidé de renforcer les dispositions légales pour tenir compte aussi de leur impact global sur l’environnement. Cela afin d’éviter que le problème climatique ne soit reporté ailleurs», déclarait Christophe Rotzetter, de l’OFEV, à Terre et Nature. L’administration fédérale fixe une condition impérative à la pro-duction d’agrocarburant: la charge environ-nementale de cette production ne doit pas dépas-ser de plus de 25% celle des carburants fossiles. Ne respectant pas ce critère, Eco Energie Etoy devrait devenir dès 2012 une usine de production standard, soumise à la nouvelle loi sur l’imposi-tion des huiles minérales.

Pour sa défense, la coopérative met en avant son rôle de régulateur dans le marché du colza. Les excédents n’ayant pas trouvé preneur auprès de l’industrie alimentaire peuvent être valorisés par la production de carburant plutôt que d’être revendus à perte. On peut toutefois légitime-ment s’interroger sur la raison d’être de tels excé-dents dans un contexte marqué par une aug-mentation constante des importations d’huile de palme. L’huile de palme, dont la consommation

A l’origine, la société Eco Energie Etoy voulait simple-ment transformer les ex cédents de colza suisses en biodiesel. Or, entre-temps, elle importe son huile de France. Une absur-dité! Et Greenpeace n’est pas la seule à le penser. L’Office fédéral de l’environ-nement vient de lui sup-primer ses allégements fis-caux. Les Vaudois s’y opposent.

UNE FAUSSE BONNE IDéEpar Mathias Schlegel

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est mauvaise pour la santé, est un vecteur impor-tant de la déforestation (voir ci-contre). L’huile de colza est au contraire probablement une des meilleures en ce qui concerne la qualité nutritive.

Depuis deux ans, il n’y pas de surplus en Suisse et Eco Energie Etoy doit importer de France la totalité du colza qu’elle utilise pour répondre à la demande de ses clients. «Vu les nombreux aléas, il est difficile de prévoir la quan-tité d’une récolte», justifie Roland Martin. Afin de pouvoir effectivement jouer son rôle de régu-lateur dans les années avec surplus, la coopé-rative importe du colza de France les années où les récoltes sont moins bonnes. En 2010 et 2011, la Suisse a importé de l’huile de palme pour l’industrie alimentaire et du colza pour la fabrica-tion de carburant. Une situation ubuesque qui ne profite à personne, sauf peut-être au marché. Pour l’environnement et les agriculteurs, il serait bien plus efficace de défendre la culture du colza dans le cadre d’une agriculture vivrière et durable à laquelle elle s’adapte parfaitement. Même s’il faut pour cela faire une entorse à la logique du libre marché.

Ajoutons enfin que d’autres solutions s’offrent aux agriculteurs en matière d’énergie. La valorisation des déchets végétaux à travers la production de biogaz présente un bien meilleur écobilan que le biodiesel. Cette activité permet de produire de la chaleur et de l’électricité à moindre coût pour les agriculteurs qui y gagnent donc en productivité. La production d’huile végétale carburant à l’usage des seuls agricul-teurs est également une bonne solution.

Il existe d’autres voies pour défendre les producteurs de colza suisses et il est important que les instances publiques interviennent rapidement afin de donner aux agriculteurs les moyens de mettre en œuvre une production réellement durable.Mathias Schlegel est porte-parole des campagnes Climat et Energie de Greenpeace Suisse romande.

L’huile de palme: une importation dont on peut se passer

Selon une statistique de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les importations d’huile de palme ont doublé en Europe, essentiellement à cause de l’utilisation du colza comme agrocarburant, mais aussi à cause de l’aug-mentation de la demande de l’industrie alimentaire qui s’en sert pour remplacer les graisses hydro-génées. L’explosion de la culture des palmiers à huile a nécessité de dégager d’énormes surfaces agri-coles au détriment des forêts vierges. Avec l’élevage et la production de papier, c’est l’un des trois princi-paux vecteurs de la déforestation. En Indonésie, 40% des forêts primaires sont définitivement détruites et les trois quarts au moins des forêts restantes sont sérieusement menacés. La déforestation entraîne une augmentation des émissions de gaz à effet de serre qui fait de l’Indonésie le troisième plus gros émetteur de la planète.

Greenpeace lutte depuis des années pour dénon-cer les méfaits liés à l’explosion de la demande en huile de palme. En 2009, une campagne internationale avait été lancée contre Nestlé. L’entreprise vevey-sanne avait fini par plier et s’était engagée à prendre des mesures pour garantir que l’huile de palme qu’elle utilise provienne d’une production n’entraînant pas de déforestation. En 2011, Neste Oil avait été dé-signée «pire entreprise de l’année» par plus de 17 000 internautes à l’occasion des Public Eye Awards, soit 4000 voix de plus que BP moins d’un an après la catastrophe dans le golfe du Mexique. L’entreprise finlandaise produit des agrocarburants à base d’huile de palme indonésienne.

En Suisse, certains produits sont taxés, voire interdits, en raison de leurs effets néfastes sur l’envi-ronnement. L’huile de palme n’en fait malheureuse-ment pas partie. Son importation a triplé dans notre pays au cours de la dernière décennie. A propos de l’huile de palme, Roland Martin, d’Eco Energie Etoy, déclare que «son importation est autorisée et que son prix ‹attractif› en motive l’utilisation». Est-il ad-missible que l’huile de palme importée de pays en développement, où sa production est synonyme d’at-teintes graves à l’environnement et aux droits humains, soit concurrentielle par rapport aux oléagi-neux produits en suisse de façon durable?

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UN DéSASTRE QUI N’EN FINIT

PAS

par Susan Boos

Les dernières nouvelles de Fukushima datent de plusieurs semaines. On pourrait penser que la situa-tion est sous contrôle dans les réacteurs de la centrale. Or la seule chose qui ne change pas, c’est l’ignorance dans laquelle on nous tient.

Fukushima? Une catastrophe sans fin. Sur le site de la Société allemande pour la sûreté des installations et des réacteurs nucléaires (GRS), un tableau en couleurs permet de voir ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas. Pour les réac-teurs 1, 2 et 3, les champs en rouge indiquent: «Noyau fondu», «Système de refroidissement du réacteur hors d’usage». A la rubrique «Etat des éléments dans la piscine de désactivation», on peut lire «inconnu» ou « dégâts supposés». Les réponses «inconnu» ou «supposé» apparais-sent sur plusieurs champs en jaune ou en rouge. Le rouge symbolise une situation dramatique, le jaune une situation moyennement dangereuse et le vert une situation pas trop préoccupante. Mais aucune des rubriques consacrées à ces trois réacteurs n’est en vert.

La GRS a mis en ligne ce tableau à la mi-mars et tente de l’actualiser régulièrement. Il n’a pourtant guère changé ces derniers mois. Tout simplement parce que la GRS n’en sait pas plus. Et, apparemment, personne d’autre non plus en Occident.

Peut-être en sait-on plus à Fukushima... Mais presque rien ne filtre à l’extérieur. On ne

sait pas combien de gens y travaillent ni ce qu’ils y font. Plus de 10 000 personnes seraient inter-venues au cours des six premiers mois de l’année. Qui? Pour quoi faire? Tepco, l’exploitant de la centrale, a certes communiqué le nombre de tra-vailleurs irradiés et à quelles doses. Mais on sait aussi que Tepco a envoyé des travailleurs sans dosimètre dans le réacteur endommagé – im-possible donc de connaître leur degré d’irradia-tion. On n’en sait pas davantage sur l’état de santé de ces gens. Que sont devenus ceux qui se sont retrouvés à patauger dans de l’eau haute-ment radioactive? Sont-ils malades? Quelques-uns sont-ils déjà morts?

Les autorités refusent de laisser pénétrer des équipes étrangères dans l’installation. L’Agence internationale de l’énergie atomique ou le Programme des Nations Unies pour l’environnement auraient aimé envoyer leurs experts, mais sans succès pour l’instant.

Est-ce la fierté ou la honte qui motive les dirigeants japonais? Toujours est-il qu’un tel comportement est fatal pour les habitants des régions concernées. Car on ne dispose jusqu’à présent d’aucune donnée fiable. Il existe bien des cartes indiquant les zones contaminées au cé-sium: émetteur de rayons gamma très pénétrants et dotés d’une longue portée, le césium peut être mesuré depuis un hélicoptère. Mais ce n’est qu’un des nombreux radionucléides libérés dans l’atmosphère. Ce n’est pas non plus le pire, car sa demi-vie biologique est d’environ trois mois; autrement dit, la moitié du césium aura été éliminé dans l’urine par l’organisme en trois mois.

Les «points chauds» radioactifsLa fusion du cœur du réacteur à Fukushima

a aussi libéré du strontium et du plutonium. Le strontium est un émetteur de rayons bêta aux effets plus dévastateurs que le césium; comme il se fixe dans les os ou les dents, il reste presque à vie dans l’organisme. Quant au plutonium, c’est l’un des radionucléides les plus dangereux qui soient. En inhaler un milligramme suffit à provoquer un cancer du poumon. Comme le strontium, on ne peut le déceler qu’au moyen de prélèvements – un compteur Geiger n’est d’au-cune aide. La terre, l’herbe, le lait ou les poissons devraient donc être testés à grande échelle. C’est difficile, car lors d’un accident comme celui de Tchernobyl ou de Fukushima, les particules

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radioactives sont dispersées de façon inégale. Suivant les intempéries et le terrain, elles s’accu-mulent sur certains «points chauds» où le rayonnement est supérieur à la moyenne. Les points chauds ne sont bien sûr pas visibles et le terrain environnant peut être presque propre.

On ne sait pas exactement quelles régions sont contaminées, ni à quel degré: on découvre constamment de nouveaux points chauds. Certains se trouvent même à Tokyo, à 200 km des réacteurs endommagés. Il y a plus de 20 ans, après la catastrophe de Tchernobyl, réaliser des cartes de l’irradiation était encore une entre-prise fastidieuse. Il fallait presque deux semai-nes pour prouver la présence de plutonium dans un prélèvement. Aujourd’hui, des laboratoires spécialisés sont en mesure de pratiquer ces ana-lyses en deux jours et d’y déceler les quantités les plus infimes.

Le gouvernement minimise le dangerPour la population, il serait vital d’avoir

ces informations. Impossible en effet de se pro-téger sans savoir où se trouvent les lieux les plus contaminés. Mais il faudrait aussi s’assurer que les gens ne mangent pas des aliments contaminés. Ce phénomène avait été observé à Tchernobyl: les scans complets effectués par le Corps suisse d’aide en cas de catastrophe en collaboration avec le laboratoire AC de Spiez avaient montré que les femmes avaient ingéré nettement moins de radionucléides que les hommes. Elles s’étaient manifestement pliées plus strictement aux recommandations des autorités.

De tels scans prenaient beaucoup de temps dans les années 1990. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le laboratoire AC de Spiez aurait volontiers mis ses appareils mobiles à dispo-sition du Japon, mais ce dernier a refusé.

Le gouvernement réagit comme les Soviéti-ques: il minimise les risques. Fin septembre, il a levé les recommandations d’évacuation pour cinq communes – notamment Minamisoma et Naraha, deux villes qui ont été survolées par le nuage radioactif. Or on mesure encore 0,51 mi-crosievert par heure à l’entrée de l’hôpital de Minamisoma, et même 0,77 microsievert dans une école élémentaire de Naraha! Soit 4,5, voire 6,75 millisieverts par an. Le gouvernement a relevé la valeur limite à 20 millisieverts/an peu

après l’accident, soit la valeur appliquée partout dans le monde pour les travailleurs des centrales nucléaires. Mais au Japon, on prétend que de telles doses sont acceptables pour les enfants.

Dans certaines communes, on déblaie la terre contaminée pour faire baisser l’irradiation. Il y a peu de chances pour que cela ait de l’effet. A la fin des années 1980, les Soviétiques avaient fait la même chose dans plusieurs villages pro-ches de Tchernobyl, mais la radioactivité était rapidement revenue à son niveau antérieur. Entraînés par l’eau et la neige, les radionucléides s’infiltrent en effet dans le sol d’où on ne peut les extraire. La décontamination de zones aussi vastes est une tâche quasiment impossible. En outre, personne ne sait où mettre les quantités de terre radioactive. Actuellement, on creuse dans les cours des écoles contaminées de grandes fosses que l’on isole au moyen de bâches en plastique. On y déverse ensuite la terre que l’on recouvre de plastique, puis d’une couche de terre. Plus tard, on épandra à nouveau du sable sur la cour. Désormais, les cours des établisse-ments scolaires renferment de petites décharges de déchets nucléaires. Cela ne devrait être qu’une solution temporaire, mais personne ne sait combien de temps cela va durer.

De plus en plus de voix s’élèvent pour criti-quer ces mesures de décontamination qui semblent vouées à l’échec. Des radionucléides s’écoulent dans les canalisations, car les maisons contaminées sont souvent nettoyées au Kärcher. La décontamination ne revient qu’à déplacer et à disperser de façon absurde les par-ticules radioactives. Aucun moyen de décon-tamination efficace ne peut être utilisé à vaste échelle. La seule solution serait d’évacuer les habitants, mais les autorités veulent l’éviter, car le coût est exorbitant et cela concernerait également des grandes villes comme Fukushima.Susan Boos, rédactrice à WOZ, Die Wochen-zeitung. Auteure de Beherrschtes Entsetzen – Das Leben in der Ukraine zehn Jahre nach Tschernobyl.

Dernières informations sur Fukushima sous: www.greenpeace.ch

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DOROTHy STOWE, COFONDATRICE DE

GREENPEACE par Rex Weyler,

écrivain, journaliste et ancien directeur de Greenpeace

Dorothy Anne Rabinowitz est née le 22 décem-bre 1920 à Providence, dans l’Etat de Rhode Island (Etats-Unis). Son père Jacob, telle qu’elle le décrivait elle-même, était quelqu’un de poli-tiquement «engagé en faveur de la justice – pas seulement pour les juifs, mais pour tous les hommes.» Sa mère, Rebecca Miller, enseignait l’hébreu et éveilla en elle le désir d’apprendre. Dorothy étudie au Pembroke College, puis devient assistante sociale en psychiatrie et pre-mière présidente du syndicat local des employés du service public. En 1953, elle épouse Irving Strasmich, un défenseur des droits civiques. En hommage à Harriet Beecher Stowe, une fémi-niste américaine qui s’était battue pour l’abolition de l’esclavage, ils adoptèrent le nom de famille de Stowe. Leurs deux enfants, Robert, né en 1955, et Barbara, née en 1956, vivent à Vancouver.

Dans les années 1950, Dorothy et Irving Stowe commencent à lutter contre l’arme nucléaire. Ils s’inspirent d’idées du mouvement Quaker, comme celle de «porter témoignage» (bearing witness) et d’«opposer la vérité aux puissants» (speaking truth to power). Refusant de financer la guerre du Vietnam avec leurs

impôts, ils émigrent en Nouvelle-Zélande en 1961. Ils y organisent des manifestations devant l’ambassade américaine et protestent contre les essais nucléaires français en Polynésie. Lors-que la Nouvelle-Zélande envoie, elle aussi, des troupes au Vietnam en 1965, ils partent pour le Canada. A Vancouver, Dorothy travaille comme thérapeute familiale et permet à Irving de s’en-gager à plein temps comme militant de la paix. Ils font la connaissance des Quakers Jim et Marie Bohlen et de Zoe Hunter: ce groupe constitue le noyau d’une organisation pacifiste et écologiste dont les manifestations attireront bientôt l’at-tention dans le monde entier. Lorsque les Etats-Unis annoncent en 1968 une série d’essais nu-cléaires en Alaska, les Stowe fondent le comité «Don’t Make a Wave», en référence aux craintes que ces explosions ne déclenchent un tsunami. Dorothy Stowe mobilise des travailleurs sociaux et des groupes de femmes pour un boycott des produits américains qui devait durer jusqu’à ce que les tests soient suspendus. Lorsque Jim et Marie Bohlen proposent de pénétrer en bateau dans la zone des essais, Dorothy et Irving Stowe sont de la partie. Ils affrètent un chalutier qu’ils baptisent «Greenpeace». Ce bateau prend la mer en septembre 1971; intercepté par les garde-côtes, il n’atteindra jamais la zone des essais. Mais l’action fait sensation et, en février 1972, le gouvernement américain décide de mettre un terme aux essais nucléaires.

A partir de mai 1972, le groupe prend le nom de «Greenpeace». L’organisation a aujourd’hui des bureaux dans plus de 40 pays, y compris la Chine, l’Inde et, depuis peu, l’Afrique. «C’est étonnant ce que peuvent faire des gens rassem-blés autour d’une table de cuisine», faisait observer Dorothy récemment.

Dorothy Stowe s’est éteinte le 23 juillet 2010 à Vancouver, à l’âge de 89 ans. La meilleure chose que nous puissions faire pour sa mémoire, c’est de poursuivre notre travail en faveur de la paix, de la justice et de la planète.

Dorothy Stowe aura partagé jusqu’à la fin de sa vie les convictions de Greenpeace, l’organisation qu’elle avait contribué à créer. Dorothy a légué 5000 dollars canadiens à Greenpeace Internatio-nal. Cela nous honore et nous touche profondé-ment.

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2012: CONCRÉTISER LA SORTIE DU NUCLÉAIRE

Lorsque vous lirez ces lignes, le Conseil national aura, espérons-le, entériné la sortie du nucléaire. Même si cette étape devait échouer au Parlement, cela ne changerait rien au fait que le Conseil fédé-ral travaille d’arrache-pied à sa stratégie énergé-tique pour 2050. Cette derniére montrera com-ment il est possible d’assurer l’approvisionnement énergétique de la Suisse sans centrales nucléai-res. Greenpeace apporte son savoir-faire dans ce processus stratégique chapeauté par l’Office fé-déral de l’énergie. En discutant avec tous les ac-teurs impliqués — des fournisseurs d’électricité aux protecteurs de la nature et du paysage —, nous veillons à créer un cadre robuste pour la transition énergétique: rétribution à prix courant illimitée du courant injecté, processus d’autorisa-tion simplifié pour le développement des éner-gies renouvelables, taxe incitative sur la consom-mation électrique, ainsi que réseau électrique permettant l’injection d’énergies renouvelables en grande quantité et l’harmonisation intelligente entre l’offre et la demande. En plus du processus politique, Greenpeace veillera à ce que ce tournant énergétique prenne forme en Suisse. L’année prochaine, nous lançons une campagne sur la production et la valorisation des énergies renouvelables et nous pointerons du doigt les gaspillages les plus flagrants. Notre campagne contre le nucléaire est entièrement placée sous le signe de la sécurité des centrales existantes, dont certaines sont très anciennes. La catastrophe nucléaire du Japon, pays à haute technologie, a montré ce qu’il faut entendre par «risque résiduel». Nous exigerons que la protec-tion des êtres humains et de l’environnement contre le risque nucléaire soit prise au sérieux en Suisse.

LE LONG CHEMIN VERS LA JUSTICE

Le peuple indigène des Deni vit en harmonie avec la nature sur 1500 km2 de la forêt tropicale ama-zonienne. Dans les années 1980, l’habitat de ces Indiens a été menacé par les grandes exploita-tions forestières. Les Indiens ont réclamé la reconnaissance officielle de leur territoire et le droit à l’autodéter-mination. Mais le gouvernement brésilien n’a pas suivi, arguant que les frontières de ce territoire ne seraient pas clairement identifiables vues d’avion ou de bateau. Vingt ans seront nécessaires pour obtenir cette reconnaissance. Dans l’intervalle, le territoire a été illégalement vendu à des groupes forestiers, sans l’accord des Deni. C’est ainsi qu’a commencé la collaboration entre Greenpeace et les Indiens. Avec des militants de Greenpeace venus de huit pays, les Deni ont pratiqué des per-cées dans la jungle pour délimiter leurs frontiè-res. Le 9 octobre 2001, le gouvernement brésilien a dû reconnaître officiellement le territoire et les Indiens ont obtenu le droit de repousser les intrus. A l’occasion du dixième anniversaire de cette re-connaissance, les Deni ont décidé de mettre en place un plan de gestion de leur région pour conti-nuer d’en assurer la protection.

ÉPILOGUELa forêt tropicale amazonienne et le territoire des Deni sont à nouveau menacés par une possible modification du code forestier. La loi sur les forêts brésiliennes doit en effet être assouplie. Les pei-nes sanctionnant les coupes illégales pourraient être supprimées pendant cinq ans, les zones pro-tégées réduites et l’exigence légale d’un reboise-ment des surfaces déboisées ne serait conser-vée qu’à partir d’une certaine taille d’exploitation agricole.

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UN DIVORCE QUI FAIT DU BRUIT

Barbie et Ken: qui aurait pensé que le couple idéal volerait un jour en éclats? En juin dernier, Green-peace révèle que le producteur Mattel achète son matériel d’emballage auprès d’Asia Pulp & Paper (APP), une entreprise de cellulose et de papier largement responsable de la déforestation en Indonésie et donc de la disparition de l’habitat du tigre de Sumatra et de l’orang-outang, deux espè-ces menacées. Cette entreprise est considérée comme particulièrement agressive et sans scru-pule. Rien que dans les provinces indonésiennes de Riau et de Jambi, elle a détruit plus d’un million d’hectares de forêt tropicale. APP est en outre mêlée à des conflits fonciers au sujet desquels il lui est reproché de violer les droits humains. Une interview avec Ken, dans laquelle il envoyait pro-mener sa chère Barbie, a fait éclater la vérité au grand jour. 500 000 personnes ont réagi dans le monde entier et envoyé un courriel de protesta-tion à Mattel. Avec succès, car Mattel s’est enga-gé à donner l’ordre à ses fournisseurs de ne plus tolérer l’utilisation de fibres de bois provenant de sources controversées et d’entreprises connues pour détruire les forêts. Les nouvelles directives encouragent l’utilisation de papier recyclé et pri-vilégient les produits en bois certifiés FSC (Forest Stewardship Council).

GEL DE LA COMMER CIA-LISATION DE RIZ OGM

EN CHINELa Chine compte parmi les plus gros exportateurs de riz au monde. Pas étonnant donc si ce pays procède depuis 1999 à des essais de riz généti-quement modifié (GM). Il est en revanche inquié-tant de découvrir régulièrement en Europe du riz importé de Chine qui a été contaminé par des va-

riétés non autorisées de riz GM. D’après l’Econo­mic Observer, plus grand magazine économique chinois, le ministère chinois de l’Agriculture a pris la sage décision de cesser la commercialisation de riz GM. Cette décision nous concerne tous, car la culture de riz GM à large échelle rendrait impossible une production sans OGM, et ce du-rablement. Nous n’aurions plus la liberté de choi-sir. Un autre problème se poserait également à propos des brevets étrangers sur les variétés de riz GM qui pourraient menacer la sécurité alimen-taire de la Chine. Le riz constitue en effet le prin-cipal aliment pour 1,3 milliard de Chinois.

FINI LE LINGE SALE!

En juillet dernier, Greenpeace a publié le rapport Linge sale montrant que la plupart des textiles de marque testés dans le monde recèlent des traces d’éthoxylate de nonylphénole (NPE), une substan-ce toxique: ce perturbateur endocrinien a été dé-celé sur 52 produits sur 78. Des prélèvements d’eau et des analyses indépendantes effectuées près de deux usines textiles chinoises sur le Yangzi et la rivière des Perles ont révélé la pré-sence de nonylphénole, de colorants azoïques, de métaux lourds et d’autres substances toxi-ques. Or les habitants utilisent l’eau de ces riviè-res pour leur alimentation et l’irrigation de leurs champs. Un scandale qui a incité plus de 600 per-sonnes de dix pays à se débarrasser de leur «lin-ge sale» devant des magasins Nike et Adidas, établissant ainsi un record mondial de striptease. Dans les deux mois qui ont suivi, Puma, Nike, Adi-das et H&M se sont engagés à désintoxiquer tous leurs sous-traitants d’ici 2020. Ce ne sont pour l’heure que des déclarations d’intention, mais Greenpeace vérifiera si les actes suivent...

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Sortie du nucléaire

Posez les jalons!

Greenpeace Suisse soutient les deux initiatives populaires «Pour la sortie programmée de l’énergie nucléaire» («Sortir du nucléaire», au milieu de ce numéro) et «De nouveaux emplois grâce aux éner-gies renouvelables» («Cleantech»). L’initiative «Sortir du nucléaire» a aujourd’hui besoin de votre signa-ture.Le Conseil fédéral et le Parlement ont approuvé la sortie du nucléaire dans une déclaration d’intention assez vague. Dans les prochaines années, il faudra donner forme au futur énergétique d’une Suisse sans centrales nucléaires – même lorsque Fukushima ne fera plus la une des journaux. La Suisse a notamment besoin d’un calendrier pour la fermeture de toutes les centrales nucléaires, échéance que l’initiative «Sortir du nucléaire» fixe à 2029. Pour que le tournant énergétique devienne une réalité, il convient de renforcer la produc-tion et la valorisation des énergies renouvelables dans toutes les régions et de prendre des mesures fermes pour accroître l’efficacité énergétique. C’est ce qu’exige l’ini-tiative «Cleantech» lancée par le Parti socialiste.Si le PS a déjà pu déposer sa de-mande de référendum, la récolte des signatures pour la sortie du nucléaire est encore en cours. Veuillez utiliser les listes de signa-tures ci-jointes; vous aiderez ainsi à ce que le Conseil fédéral et le Parlement posent les jalons nécessaires.

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Energie

Le réacteur sous-marin Flexblue: risque maximal

DCNS, le fabricant français de sous-marins nucléaires, a annoncé son projet de petite centrale nucléaire sous-marine. Destinée à être arrimée par 100 m de fond, l’installation du nom de Flexblue est conçue pour alimenter en courant une ville côtière (de 100 000 à 1 million d’habitants). D’une puissance de 50 à 250 MW, la cen-trale mesurerait 100 m de long et 14 m de large. Mené en partena-riat avec Areva, EDF et le Commissariat à l’énergie atomique, le projet mobilise 150 ingénieurs. La décision de construire un proto-type devrait être prise en 2013 pour une mise en service en 2017. Construit aux chantiers navals de Cherbourg, Flexblue serait ache-miné par bateau.

DCNS est majoritairement en main de l’Etat français, dont un objectif stratégique est d’exporter des technologies nucléaires aux pays émergents, pourtant richement dotés en potentiel solaire. «Ce projet s’adresse à tous les pays qui ont une façade maritime, ce qui fait beaucoup de monde!» annonce Patrick Boissier, PDG de DCNS. «Sa réalisation n’est concevable que dans des pays qui n’ont pas trop de réticences vis-à-vis du nucléaire», ajoute Bruno Tertrais, de la Fondation pour la recherche stratégique. «Il y a un marché pour les pays qui n’ont pas les moyens de s’offrir les centra-les classiques», juge Tertrais. Un point de vue partagé par DCNS, qui table sur un marché potentiel de 200 unités.

Didier Anger, ancien membre du Parlement européen, sou-ligne: «En cas d’accident, il n’y a pas pire que l’eau, car la pollution radioactive s’y disperse plus vite que dans l’air. (...) Le réchauffe-ment brutal des eaux provoquerait un formidable choc thermique destructeur de vie, une évaporation et une dispersion d’un nuage d’aérosols toxiques.»

Le projet Flexblue est symptomatique de la course à la survie de l’industrie nucléaire qui, année après année, perd du terrain dans le marché mondial de l’approvisionnement en énergie. Une course qui menace la survie du reste du monde. Philippe de Rougemont

Annonce

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Arbre du souvenir

Hommage aux donateurs décédés

Le 15 septembre 2011, à l’occasion des 40 ans de Greenpeace et de la Journée internationale du testa-ment, un arbre commémoratif a été inauguré en présence du Conseil de fondation et de la direc-tion de Greenpeace Suisse. Cet arbre, placé à l’entrée du bureau de Greenpeace Suisse, est un hom-mage aux nombreuses personnes qui ont couché Greenpeace sur leur testament et ont ainsi laissé un signal positif pour l’avenir. Leur générosité est une contribution majeure à la protection de la nature et de l’environnement, et un ca-deau fait aux générations futures. La mémoire des donatrices et donateurs reste vivante à travers les succès de Greenpeace. Plus de 200 personnes ont déjà choisi de faire un legs à Greenpeace afin de pérenniser les valeurs qu’elles défendent de leur vivant. Nous aimerions rendre hommage à ces hommes et femmes au moyen de cet arbre du souvenir, symbole visuel simple de notre respect et de notre reconnaissance.

Projet Forêt de montagne

Chacun peut être un sauveteur

Vous avez envie d’accomplir un travail bénévole en forêt? Votre engagement contribuera à préser-ver les forêts de montagne. Le ma-gazine Greenpeace a accom pagné un projet et publie un reportage sur www.greenpeace.ch/bergwald (en allemand seulement).Commandez dès maintenant le programme de l’année 2012 sous: www.bergwaldprojekt.ch/fr

Energie solaire

Faire des gâteaux avec de

«l’électricité d’ici»Dans l’Emmental, il existe quel-ques centrales solaires qui ne reçoi-vent ni la rétribution à prix coûtant du courant injecté, ni une rétribu-tion de la plus-value écologique de la part des Forces motrices ber-noises (FMB). C’est la raison pour laquelle Franz Held, Markus Gis-ler et Anton Küchler, les initiateurs de «Strom von hier», se sont asso-ciés pour fonder leur organisation. En partenariat avec «Strom von hier», le Projet Solaire Jeunesse a collaboré à la construction d’une installation photovoltaïque. La Suisse a pratiquement entériné la sortie du nucléaire et les ressour-ces pétrolières tendent à se tarir. Il est donc plus important que jamais pour le pays de disposer d’un approvisionnement énergé-tique régional et décentralisé. L’énergie solaire est une évidence dans une région aussi ensoleillée que l’Emmental. L’un des plus gros clients de «Strom von hier» est le célèbre fabricant de biscuits Kambly, à Trubschachen. Celui-ci s’est engagé à acheter chaque année 100 000 kWh d’électricité solaire auprès de «Strom von hier». C’est plus du double de ce qu’il commandait auprès des FMB. L’électricité était alors produite sur le toit du Stade de Suisse. Le courant solaire de Kambly provien-dra désormais d’une centrale installée sur le toit d’une étable de Sumiswald.

Nécrologie

Wangari Maathai est décédée

La Kényane Wangari Maathai, prix Nobel de la Paix, n’est plus. Celle qui était surnommée la «maman des arbres» est morte des suites d’un cancer à Nairobi à l’âge de 71 ans, a annoncé l’organisation Green Belt Movement qu’elle avait créée. Pendant des dizaines d’années, elle avait fustigé les poli-ticiens corrompus et encouragé des milliers de personnes à planter des arbres. Dans sa lutte pour la protection de l’environnement et le respect des droits humains, la biologiste avait risqué maintes fois sa vie. Elle fut à plusieurs reprises battue et emprisonnée par les hommes de main de l’ancien potentat Daniel Arap Moi. L’orga-nisation Green Belt Movement s’est donné pour objectif de reboi-ser les surfaces forestières dé-truites. Presque 40 millions d’ar-bres ont été plantés depuis 1997. Cette femme qui a toujours dé-fendu la démocratie et la protec-tion de l’environnement était res-pectée dans le monde entier. Wangari Maathai a été la première femme africaine à recevoir le prix Nobel de la Paix, en 2004.

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