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STRESS ET HARCELEMENT MORAL AU TRAVAIL par le Dr Sophie NGUYEN (psychiatre à Argenton) La Châtre « Le Lion d’Argent » le 05/10/2010 La moitié des français passent une mauvaise nuit le Dimanche soir en songeant à la reprise du lendemain. Une étude du groupe Monster (Avril 2008) sur la « phobie du Lundi » révèle que : 52% des salariés français souffrent de troubles du sommeil dans la nuit du Dimanche au Lundi. Le phénomène est international : 70% aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, 50% en Italie ou en Espagne, 30% au Danemark et en Norvège.

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STRESS ET HARCELEMENT MORAL AU TRAVAIL

par le Dr Sophie NGUYEN (psychiatre à Argenton) La Châtre « Le Lion d’Argent » le 05/10/2010

La moitié des français passent une mauvaise nuit le Dimanche soir en songeant à la reprise du lendemain. Une étude du groupe Monster (Avril 2008) sur la « phobie du Lundi » révèle que : 52% des salariés français souffrent de troubles du sommeil dans la nuit du Dimanche au Lundi. Le phénomène est international : 70% aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, 50% en Italie ou en Espagne, 30% au Danemark et en Norvège.

Le coût du stress

Une enquête conduite en septembre 2000 indiquait que 72% des salariés français ressentaient du stress dans leur travail. 58% estiment ressentir plus de stress qu'il y a quelques années. Ce sont les charges de travail trop lourdes (pour 48% des sondés), les délais et consignes difficiles à respecter et les exigences des clients (pour 43%), les postures physiques et les manipulations fatigantes (39%), les objectifs difficiles à atteindre (35%) et les incertitudes sur l'avenir professionnel(35%) qui apparaissent être les principales sources de stress.

En ce qui concerne les cadres, en 2001, 85% d'entre eux éprouvaient du stress dans leur activité professionnelle.

Absentéisme et instabilité professionnelle vont souvent de pair. Lors d'une enquête effectuée en 1991 aux Etats-unis, une compagnie d'assurance a constaté que 14% des travailleurs de son échantillon avaient quitté leur emploi ou changé de poste au cours des deux années précédentes pour cause de stress dans leur travail. Parmi les autres, 34% avaient sérieusement envisagé de quitter leur emploi l'année précédente, et 33% estimaient qu'ils atteindraient bientôt leurs limites.

Les différents points de vue face au changement :

* Le changement vu par les décisionnaires : Ils ont eu le temps d'y réfléchir. Par ailleurs, ils ont une vision intellectuelle et stratégique du changement qui s'inscrit dans une politique globale. Enfin, ils ont une une vision à long terme, ce qui leur donne le sentiment de contrôler la situation. Bref, le changement est pour eux paré d'une auréole positive et bénéfique. * Le changement vu par les exécutants : Ils n'ont pas eu le temps d'y réfléchir et l'apprennent souvent à la dernière minute. De plus, ils ont une vision émotionnelle du changement. Enfin ils ont le sentiment de ne pas contrôler ce qui se passe. * Les gestionnaires du changement ou l'encadrement : Sont pris en sandwich entre les deux. Ils ne sont pas formés pour annoncer le changement, ni pour gérer les impacts humains. Ils n'ont pas droit aux états d'âme.

L'homme est un stresseur pour l'homme :

- la dictature du client - la montée de l'incivilité - l'ambiance au travail - les « personnalités difficiles » Anxieuse, paranoïaque, obsessionnelle, histrionique, narcissique, évitante, agressive. - le management par le stress - le harcèlement moral Selon certaines enquêtes (conduites aux Etats-Unis et en Europe), il pourrait concerner 3 à 10% des salariés selon les secteurs d'activité. Il y aurait moins de harcèlement dans les secteurs à forte technicité, plus dans les secteurs tertiaires, éducatifs et sociaux où le contenu des tâches est moins défini. Le secteur public serait particulièrement touché : Education Nationale, hôpitaux, fonction publique.

Le harcèlement moral :

Les processus qui conduisent un individu à harceler une victime sont multiples et se conjuguent : - le refus de l'atypicité, par rapport à un groupe, dans la manière de travailler et, surtout, dans la manière d'être (tenue, classe sociale, âge, orientation sexuelle, performance, etc.) - la rivalité, l'envie, la jalousie (concernant les diplômes, la vie privée, les rapports avec la hiérarchie) - la peur.

Le harcèlement moral se déroule généralement en plusieurs étapes : 1°) le choix de la victime; 2°) son conditionnement; 3°) sa déstabilisation; 4°) sa culpabilisation; 5°) sa destruction. Il n'existe pas de profil psychologique type des victimes, mais plutôt des situations de travail qui favorisent le harcèlement moral. Là où le stress est déjà important, où le système de management est peu respectueux des individus et où la solidarité entre les salariés est faible. 70% des victimes sont des femmes. 43% ont entre 46 et 50 ans. Elles sont atypiques quant à leur race, leur orientation sexuelle ou l'existence d'un handicap physique.

L'article L1152-1 du Code du Travail stipule « qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.» Il ne peut être ni sanctionné, ni licencié pour avoir témoigné ou relaté de tels faits.

L'article 222-33-2 du Code Pénal stipule que le fait de transgresser l'article précédent est punissable d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende.

Qui est visé?

Contrairement à ce que leurs agresseurs essaient de faire croire, les victimes ne sont pas au départ des personnes atteints d'une quelconque pathologie ou particulièrement faibles. Au contraire, très souvent le harcèlement se met en place quand une victime réagit à l'autoritarisme d'un chef et refuse de se laisser asservir. C'est sa capacité de résister à l'autorité malgré les pressions qui la désigne comme cible. Le harcèlement est rendu possible parce qu'il est précédé d'une dévalorisation , qui est acceptée puis cautionnée par le groupe, de la victime par le pervers. Pourtant les harcelés sont souvent des salariés perfectionnistes, très investis dans leur travail, n'hésitant pas à venir travailler le weekend ou quand ils sont malades.

Les manifestations du harcèlement :

- atteintes aux conditions de travail : Suppression de l'autonomie, contestation systématique des décisions, critiques injustes ou exagérées, suppression de l'accès aux outils de travail (téléphone, fax, ordinateur), retrait du travail qui lui incombe normalement, tâches nouvelles en permanence, attribution volontaire et systématique de tâches inférieures ou supérieures à ses compétences, pressions pour l'empêcher de faire valoir ses droits (congés, horaires, primes), pas de promotion, travaux dangereux, dégâts à son poste de travail, consignes impossibles à exécuter, absence de prise en compte de l'avis du médecin du travail, incitation à la faute. - atteintes à la dignité : Propos méprisants pour la qualifier, gestes de mépris, discréditation, rumeurs, attribution de problèmes psychologiques

, moqueries sur ses handicaps ou son physique, imitations ou caricature, critique de la vie privée, moqueries sur les origines ou la nationalité, attaques sur ses croyances religieuses ou ses convictions politiques, attribution de tâches humiliantes, injures. - Isolement et refus de communication : Interrompue sans cesse, ses supérieurs ou ses collègues ne lui parlent plus, communication uniquement par écrit, tout contact avec elle même visuel refusé, installée à l'écart, sa présence ignorée, interdiction à ses collègues de lui parler, ne peut plus parler aux autres, toute demande d'entretien avec la direction refusée. - Remarques déplacées dans le cadre du travail : Tenue vestimentaire critiquée, mode de vie ou physique tournés en dérision, réflexions désobligeantes, agissements hostiles, empêcher la personne de s'exprimer, critiquer systématiquement son travail, atteinte des conditions de travail, négation du sens du travail, destruction de l'image que la personne a d'elle même, isolement du salarié, oubli de lui transmettre des informations, négation, dérision de toutes les marques de souffrance du salarié.

- Violences verbales, physiques ou sexuelles.

Les conséquences sanitaires :

Les troubles anxieux :

- Trouble de l'adaptation : 5 à 13% en population générale, 2 femmes/1 homme - Anxiété généralisée : 5% en population générale à un moment ou à un autre de la vie - Trouble panique : 30 40% des individus ont connu un jour ou l'autre une attaque de panique. 3 à 5% de la population présente un trouble panique. Rappelons que la spasmophilie n'existe pas et que la crise de tétanie par manque de calcium est relativement rare.

- Le stress post-traumatique

Les troubles dépressifs :

- le syndrome anxio-dépressif mixte - le syndrome dépressif majeur - le trouble bipolaire - le karoshi ou la mort au travail : Chaque année, plus de 10.000 japonais meurent à cause du stress au travail. Il s'agit de morts liées à la dépression et au suicide, mais aussi à l'épuisement physique. Plusieurs facteurs se combinent : * Une charge de travail considérable, peu de vacances, des horaires épouvantables. * Des conditions de vie souvent exécrables. * Un investissement affectif considérable.

Lorsqu'on a essayé de comprendre ce qui avait provoqué le décès de ces individus, on s'est rendu compte qu'ils présentaient tous une « aplasie surrénalienne », c'est-à-dire que leurs deux glandes surrénales étaient complètement détruites. Autrement dit le déséquilibre était trop grand entre les demandes auxquelles étaient soumises ces deux glandes et les réponses biologiques qu'elles pouvaient fournir.

La surconsommation de psychotropes :

De 1995 à 2001, la consommation d'antidépresseurs a progressé de plus de 30%, celle des tranquillisants a au contraire connu une légère baisse de 5%. - Or un déprimé sur deux a été diagnostiqué comme tel. Parmi ceux qui l'ont été, un sur deux seulement se verra prescrire et suivra un traitement correct.

- A l'inverse, les psychotropes sont consommés aussi par des personnes qui ne présentent aucun trouble au sens médical du terme. Le succès médiatique du Prozac a eu pour conséquence de faire croire qu'un médicament pouvait aider à résoudre les difficultés de l'existence.

Les maladies somatiques :

- les maladies cardiovasculaires : Comportement de type A : * lutte contre le temps (impatience, rapidité dans l'action, plusieurs activités en même temps) * lutte contre les autres (ambition importante, compétitivité élevée, émotions d'hostilité)

* engagement dans l'action (forte implication dans l'action, énergie dans l'action, dépendance au travail) - les troubles musculo-squelettiques (TMS): Douleurs dorsales ou lombaires, inflammations des poignets, des coudes ou des genoux, tendinites variées, ces pathologies augmentent de 20% par an. Selon l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, les TMS représentent actuellement 70%des maladies professionnelles dans notre pays. La dimension purement « mécanique » de l'activité n'est pas seule en cause. Pour beaucoup de médecins du travail, il ne s'agit pas uniquement d'une maladie aux causes physiques, son origine est à trouver dans le contexte psychosocial du salarié : c'est la maladie des gestes et des tâches vides de tout sens et sans reconnaissance sociale.

Le stress peut-il être à l'origine d'un cancer ? * Une étude, conduite voici quelques années en Suède, sur un millier de salariés pendant 10 ans, sur le risque de développer un cancer digestif, montrait qu'avoir de sérieux problèmes à son travail multipliait par 5 le risque d'un cancer. Une période de chômage de plus de 6 mois doublait le risque. * Récemment au Danemark, plus de 7000 femmes âgées de 30 à 54 ans et ayant des horaires de travail irréguliers, et en particulier des heures de nuit, ont été étudiées. Chez celles dont le travail de nuit représente la moitié de leur temps de travail, le risque d'avoir un cancer du sein est augmenté de 50%. Plus le pourcentage du temps de nuit est important, et plus le risque augmente. * De fait, les recherches montrent que le stress a une action sur le système immunitaire et que, par ce biais, il influence le développement de la maladie cancéreuse.

Comment gérer son stress?

L'hygiène de vie :

1) Maintenir un niveau suffisant et régulier d'activité physique (marcher souvent, prendre les escaliers) 2) Pratiquer une activité sportive (3 fois 20 minutes ou une heure par semaine) 3) Limiter la consommation d'alcool 4) Arrêter de fumer 5) Adopter une bonne alimentation 6) Boire beaucoup d'eau 7) Faire des pauses régulières dans le travail 8) Préserver le sommeil

La relaxation :

Il existe des dizaines de techniques de relaxation. De façon schématique, il en existe trois types : - Les relaxations « physiologiques » ou physiques : Elles détendent les muscles, ralentissent le rythme cardiaque, diminuent la pression du sang dans les artères, etc. Ce sont elles qu'on utilise en gestion du stress. - Les relaxations « psychologiques » ont, outre leur objectif de détente du corps, des visées psychologiques, notamment la recherche de matériel inconscient. Il en est ainsi de la sophrologie et de l'hypnose. - Quant au troisième type de relaxation, on peut parler de relaxations « philosophiques », telles que dans le yoga.

Chimiothérapies :

- Penser à proposer de l'homéopathie ou de la phytothérapie. - Prescrire des anxiolytiques et des hypnotiques pour des périodes courtes, lors de passages difficiles (concours interne, mutation, etc), ou en début de traitement par un antidépresseur. Arrêter dès que possible afin d'éviter l'accoutumance. - Dès qu'un diagnostic de dépression, trouble bipolaire ou trouble anxieux avéré est porté, il faut traiter et ne pas attendre les complications. Aujourd'hui un arrêt maladie sur cinq l'est pour cause de dépression. En 2015, ce sera la première cause. - Donc selon le cas, mettre en route un antidépresseur ou un thymorégulateur +/- associé à un traitement symptomatique.

Autres conduites à tenir :

Dans un premier temps, il est souvent nécessaire de mettre la personne en arrêt maladie. La difficulté est quand la situation au travail a peu d'espoir de s'améliorer, notamment dans les cas de harcèlement moral. Tout dépend alors des capacités de résilience du patient et de la bonne volonté du médecin du travail. Les différentes possibilités sont : - la reprise dans les mêmes conditions - une demande d'aménagement de poste ou de licenciement pour inaptitude, selon la taille de l'entreprise, après contact avec le médecin du travail - la démission - le congé maladie longue durée - voire l'invalidité.