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Séries de Fourier licence de mathématiques 2ème année Vincent Thilliez * 24 avril 2008 Introduction La théorie des séries de Fourier permet d’interpréter certains “signaux” (autrement dit, certaines fonctions définies sur un intervalle réel) comme résultant de la superpo- sition d’une infinité de signaux sinusoïdaux de fréquences différentes. L’idée d’une telle décomposition apparaît en 1807 dans une première communication de Joseph Fourier à l’Académie des Sciences de Paris, concernant la résolution de l’équation aux dérivées par- tielles qui régit la propagation de la chaleur dans les solides. En 1822, Fourier publie sur ce sujet un ouvrage devenu célèbre 1 , intitulé Théorie analytique de la chaleur. Cependant, c’est sous l’impulsion de Gustav Lejeune Dirichlet que la théorie de Fourier, jusqu’alors controversée, prend vraiment son essor : en particulier, Dirichlet publie en 1829 la pre- mière démonstration rigoureuse d’un résultat de convergence pour les séries de Fourier. Dès lors, le développement de l’analyse au XIXème siècle devient indissociable des pro- blèmes liés à ces séries, qui seront à l’origine de contributions monumentales de Riemann (sur l’intégration), d’Abel (sur la convergence des séries de fonctions), de Weierstrass (qui introduit la convergence uniforme et met les bases de l’analyse sous leur forme actuelle) et de Cantor (qui fonde la topologie générale). Nous sommes alors entre 1870 et 1880 ; plus d’un demi-siècle s’est écoulé depuis la publication de la Théorie analytique de la chaleur. Le lecteur à la recherche d’informations historiques plus détaillées sur cette période pourra se reporter au chapitre VI de [1] et à [3]. Au XXème siècle, le développement de la théorie de l’intégration et celui de l’analyse fonctionnelle ouvrent de nouveaux horizons à l’analyse de Fourier. Ces nouveaux points de vue ne peuvent être qu’effleurés dans le cours qui va suivre : ils le seront à travers l’approche hilbertienne des séries de Fourier, et à travers le théorème de convergence en moyenne démontré en 1900 par Lipót Fejér 2 . Cette époque voit la naissance de l’analyse harmonique, * Mathématiques, Bâtiment M2, Université des Sciences et Technologies de Lille, F-59655 Villeneuve d’Ascq Cedex ; e-mail : [email protected] 1 Le traité contient en effet d’importantes idées novatrices, parmi lesquelles se fait jour une conception très actuelle de la notion de fonction : pour les mathématiciens de l’époque, une fonction de la variable x est donnée par une expression explicite unique, par exemple y = exp(-x 2 ) cos x. Pour Fourier, il s’agit, bien plus généralement, de “valeurs données, assujetties ou non à une loi commune, et qui répondent à toutes les valeurs de x” comprises dans un intervalle : ceci autorise, en particulier, des définitions “par morceaux” dont on considérait jusqu’alors qu’elles ne correspondaient pas à de vraies fonctions... 2 alors âgé de 20 ans. 1

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Séries de Fourierlicence de mathématiques 2ème année

Vincent Thilliez∗

24 avril 2008

IntroductionLa théorie des séries de Fourier permet d’interpréter certains “signaux” (autrement

dit, certaines fonctions définies sur un intervalle réel) comme résultant de la superpo-sition d’une infinité de signaux sinusoïdaux de fréquences différentes. L’idée d’une telledécomposition apparaît en 1807 dans une première communication de Joseph Fourier àl’Académie des Sciences de Paris, concernant la résolution de l’équation aux dérivées par-tielles qui régit la propagation de la chaleur dans les solides. En 1822, Fourier publie surce sujet un ouvrage devenu célèbre1, intitulé Théorie analytique de la chaleur. Cependant,c’est sous l’impulsion de Gustav Lejeune Dirichlet que la théorie de Fourier, jusqu’alorscontroversée, prend vraiment son essor : en particulier, Dirichlet publie en 1829 la pre-mière démonstration rigoureuse d’un résultat de convergence pour les séries de Fourier.Dès lors, le développement de l’analyse au XIXème siècle devient indissociable des pro-blèmes liés à ces séries, qui seront à l’origine de contributions monumentales de Riemann(sur l’intégration), d’Abel (sur la convergence des séries de fonctions), de Weierstrass (quiintroduit la convergence uniforme et met les bases de l’analyse sous leur forme actuelle) etde Cantor (qui fonde la topologie générale). Nous sommes alors entre 1870 et 1880 ; plusd’un demi-siècle s’est écoulé depuis la publication de la Théorie analytique de la chaleur.Le lecteur à la recherche d’informations historiques plus détaillées sur cette période pourrase reporter au chapitre VI de [1] et à [3].

Au XXème siècle, le développement de la théorie de l’intégration et celui de l’analysefonctionnelle ouvrent de nouveaux horizons à l’analyse de Fourier. Ces nouveaux points devue ne peuvent être qu’effleurés dans le cours qui va suivre : ils le seront à travers l’approchehilbertienne des séries de Fourier, et à travers le théorème de convergence en moyennedémontré en 1900 par Lipót Fejér2. Cette époque voit la naissance de l’analyse harmonique,∗Mathématiques, Bâtiment M2, Université des Sciences et Technologies de Lille, F-59655 Villeneuve

d’Ascq Cedex ; e-mail : [email protected] traité contient en effet d’importantes idées novatrices, parmi lesquelles se fait jour une conception

très actuelle de la notion de fonction : pour les mathématiciens de l’époque, une fonction de la variablex est donnée par une expression explicite unique, par exemple y = exp(−x2) cosx. Pour Fourier, il s’agit,bien plus généralement, de “valeurs données, assujetties ou non à une loi commune, et qui répondent àtoutes les valeurs de x” comprises dans un intervalle : ceci autorise, en particulier, des définitions “parmorceaux” dont on considérait jusqu’alors qu’elles ne correspondaient pas à de vraies fonctions...

2alors âgé de 20 ans.

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discipline toujours active de nos jours après une immense effervescence dans les années1960. Mais c’est peut-être à travers la théorie des ondelettes, avatar contemporain dela théorie de Fourier, que celui-ci connaît un de ses plus grands triomphes posthumes.On pourra se reporter à [3] pour une introduction aux ondelettes dans une perspectivehistorique.

Notre but, bien plus modeste, est de présenter ici quelques résultats fondamentaux surles séries de Fourier. Ces résultats sont essentiellement ceux de [5], tome 2, chapitre XII,mis sous un habillage “moderne” (noyaux de convolution, formalisme Hilbertien) autantque le permet le bagage théorique réduit dont on dispose en 2ème année, en particulier pource qui concerne l’intégration. Le cadre adéquat étant indubitablement celui de l’intégralede Lebesgue vue en 3ème année, l’étude des séries de Fourier sera donc approfondie dansun module ultérieur, auquel le présent document peut être vu comme une préparation.Pour l’instant, afin d’éviter de gaspiller de l’énergie sur des difficultés liées à l’intégrale deRiemann de fonctions relativement irrégulières3, le cours sera délibérément placé dans lecadre très simple des fonctions continues par morceaux. Les résultats principaux (commele théorème de Dirichlet, ou celui de Fejér) ne sont donc pas présentés sous leur forme laplus générale. En revanche, les idées directrices de la théorie apparaissent déjà nettementet fournissent des applications substantielles.

Ce document a bénéficié de commentaires de Jean-François Burnol, que je remercie.Néanmoins, le texte est susceptible de comporter encore des erreurs typographiques ou depetites incohérences. Les remarques permettant de l’améliorer seront donc bienvenues.

1 PréparatifsL’étude des séries de Fourier requiert l’introduction préalable de quelques notions tech-

niques un peu fastidieuses. Afin de ne pas noyer les points réellement importants dans desconsidérations auxiliaires, il a semblé préférable de ne pas disperser ces notions au fil dutexte. C’est pourquoi elles ont été regroupées dans ce chapitre de préparatifs. Certainsparagraphes (comme celui sur la convolution) peuvent être omis en première lecture ; ons’y reportera au moment de leur utilisation.

1.1 Notation

Dans la suite, on notera systématiquement f(c−) (resp. f(c+)) la limite à gauche (resp.à droite) d’une fonction f en un point c donné de R. Autrement dit, on pose

f(c−) = limx→cx<c

f(x) et f(c+) = limx→cx>c

f(x)

lorsque cela a un sens.

1.2 Régularité par morceaux

Définition 1.2.1. Soit f une fonction définie sur un intervalle fermé borné [a, b], à valeursréelles ou complexes. On dit que f est continue par morceaux s’il existe une famille finie(xj)0≤j≤N de points de [a, b], avec a = x0 < x1 < · · · < xN = b, telle que, pour tout

3fonctions réglées, par exemple.

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j = 0, . . . , N − 1, on ait les deux propriétés suivantes :(i) la fonction f est continue sur chaque intervalle ouvert ]xj , xj+1[,(ii) la fonction f possède une limite à droite en xj et à gauche en xj+1.

Remarque 1.2.2. Il résulte de cette définition qu’aux points xj avec 1 ≤ j ≤ N − 1, lafonction f a une limite à gauche et à droite. Ces limites à gauche et à droite coïncident,et valent f(xj), si et seulement si la fonction f est en fait continue en xj .Remarque 1.2.3. On obtient la même notion en remplaçant les points (i) et (ii) de ladéfinition 1.2.1 par l’existence d’une fonction fj continue sur [xj , xj+1] dont la restrictionà ]xj , xj+1[ coïncide avec f .Exercice 1.2.4. Soit f une fonction continue par morceaux sur [a, b]. Montrer que f estbornée sur [a, b].

Définition 1.2.5. Soit f une fonction définie sur un intervalle fermé borné [a, b], à valeursréelles ou complexes. On dit que f est de classe C1 par morceaux s’il existe une famillefinie (xj)0≤j≤N de points de [a, b], avec a = x0 < x1 < · · · < xN = b, telle que, pour toutj = 0, . . . , N − 1, on ait les deux propriétés suivantes :(i) la fonction f est dérivable, à dérivée continue, sur chaque intervalle ouvert ]xj , xj+1[,(ii) la fonction f et sa dérivée f ′ possèdent une limite à droite en xj et à gauche en xj+1.

Remarque 1.2.6. Par définition, toute fonction de classe C1 par morceaux est continue parmorceaux (la réciproque est clairement fausse).Remarque 1.2.7. On ne suppose pas l’existence des f ′(xj). En effet, la fonction f n’est pasnécessairement continue en xj , et même si elle l’est, les conditions (i) et (ii) impliquentseulement l’existence de dérivées à gauche et à droite en ce point4 (voir l’exercice 1.2.9).Exercice 1.2.8. Montrer que l’on ne change pas la notion de fonction de classe C1 parmorceaux si l’on remplace la condition (ii) de la définition 1.2.5 par la condition (ii)bissuivante :(ii)bis la dérivée f ′ possède une limite à droite en xj et à gauche en xj+1.Autrement dit, montrer que (i) et (ii) équivalent à (i) et (ii)bis.Exercice 1.2.9. Montrer que l’on obtient encore la même notion en remplaçant les points(i) et (ii) de la définition 1.2.5 par l’existence d’une fonction fj de classe C1 sur l’intervalle[xj , xj+1] et dont la restriction à ]xj , xj+1[ coïncide avec f . En déduire que si f est continueen xj , elle y admet une dérivée à gauche et à droite (sauf aux bornes, où un seul type delimite intervient).

1.3 Intégration

Soit f une fonction continue par morceaux sur [a, b]. On considère une subdivisiona = x0 < x1 < · · · < xN = b associée à f par la définition 1.2.1. On sait que f est continuesur chaque intervalle ouvert ]xj , xj+1[ avec j = 0, . . . , N − 1. Soit fj la fonction définiesur l’intervalle fermé [xj , xj+1] par fj(x) = f(x) pour xj < x < xj+1, fj(xj) = f(x+

j ) etfj(xj+1) = f(x−j+1). Alors fj est continue sur l’intervalle fermé borné [xj , xj+1] et, à ce

4en ne considérant naturellement qu’un seul côté lorsque xj est une borne de l’intervalle.

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titre, Riemann-intégrable sur cet intervalle. On définit alors l’intégrale de f sur [a, b] par

∫ b

af(x)dx =

N−1∑j=0

∫ xj+1

xj

fj(x)dx. (1)

Remarque 1.3.1. Le lecteur dont les connaissances sur l’intégrale de Riemann s’étendentun peu au-delà de l’intégrabilité des fonctions continues sur un intervalle compact pourraconstater que f est elle-même Riemann intégrable sur l’intervalle [a, b] puisque, d’unepart, elle y est bornée – voir l’exercice 1.2.4 – et que, d’autre part, l’ensemble de ses pointsde discontinuité y est négligeable (il s’agit, au plus, de l’ensemble des points xj , qui estfini). Fort heureusement, l’intégrale ainsi obtenue est la même que celle de la définitionprécédente : en effet, les intégrales de f et fj sur [xj , xj+1] coïncident puisque f et fjdiffèrent en un nombre fini de points sur cet intervalle ; il suffit alors d’utiliser la relationde Chasles.Remarque 1.3.2. Dans la définition 1.2.1, le choix de la famille (xj)0≤j≤N n’est pas unique,mais l’intégrale définie par (1) ne dépend pas de ce choix. On peut le démontrer en utilisantla relation de Chasles (c’est ennuyeux mais sans difficulté), ou en se servant de la remarqueprécédente, puisque l’intégrale (1) n’est autre que l’intégrale de Riemann de f sur [a, b].

1.4 Une formule d’intégration par parties

Soit f une fonction de classe C1 par morceaux sur un intervalle [a, b]. On a vu (re-marque 1.2.7) que la dérivée f ′ peut ne pas exister aux points xj de la définition 1.2.5.Cependant, si l’on pose h(x) = f ′(x) en dehors de ces points et si l’on donne une valeurarbitraire à chaque h(xj), on obtient ainsi une fonction h qui est continue par morceauxsur [a, b] : c’est une conséquence immédiate des définitions. De plus, l’intégrale

∫ ba h(x)dx

ne dépend que de f ′ et non des valeurs que l’on a données aux h(xj). Pour cette raison,on dit qu’il s’agit de l’intégrale de f ′ sur [a, b] et on la note

∫ ba f′(x)dx. Elle vérifie les

propriétés usuelles de l’intégrale de Riemann : linéarité, relation de Chasles, majoration|∫ ba f′(x)dx| ≤

∫ ba |f ′(x)|dx, par exemple.

Nous aurons besoin du résultat suivant.

Proposition 1.4.1. Soient f et g des fonctions continues sur [a, b] et de classe C1 parmorceaux sur [a, b]. Alors on a la formule d’intégration par parties usuelle :∫ b

af(x)g′(x)dx = [f(x)g(x)]ba −

∫ b

af ′(x)g(x)dx, avec [f(x)g(x)]ba = f(b)g(b)− f(a)g(a).

Démonstration. : La définition 1.2.5 associe à f et g des familles respectives (xj)0≤j≤Net (yk)0≤k≤P de points de [a, b], avec a = x0 < x1 < · · · < xN = b et a = y0 < y1 < · · · <yP = b, pour lesquelles les propriétés (i) et (ii) sont vérifiées. En rangeant les points xjet yk par ordre croissant, et en renumérotant, on obtient une famille de points (zl)0≤l≤M ,avec a = z0 < z1 < · · · < zM = b, telle que f ′ et g′ soient continues sur chaque intervalle]zl, zl+1[ et admettent des limites à droite en zl et à gauche en zl+1. Les fonctions f et gétant en outre supposées continues sur [a, b], donc sur [zl, zl+1], il en résulte qu’elles sont declasse C1 sur cet intervalle (c’est une conséquence classique du théorème des accroissements

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finis ; voir le cours de 1ère année ou [5], tome 2, énoncé IV.4.4). On peut alors intégrer parparties sur [zl, zl+1] ; on obtient∫ zl+1

zl

f(x)g′(x)dx = f(zl+1)g(zl+1)− f(zl)g(zl)−∫ zl+1

zl

f ′(x)g(x)dx. (2)

En ajoutant ces égalités membre à membre pour l = 0, · · · ,M − 1, on obtient le résultatrecherché.

Remarque 1.4.2. Attention : la formule d’intégration par parties n’est plus vraie si l’onsuppose seulement que f et g sont de classe C1 par morceaux, en omettant l’hypothèse decontinuité5. La raison en est que l’égalité (2) devient, dans ce cas,∫ zl+1

zl

f(x)g′(x)dx = f(z−l+1)g(z−l+1)− f(z+

l )g(z+l )−

∫ zl+1

zl

f ′(x)g(x)dx.

et les termes intermédiaires f(z−l+1)g(z−l+1) − f(z+

l )g(z+l ) ne s’éliminent pas deux à deux

lorsque l’on additionne membre à membre.

1.5 Périodicité

Définition 1.5.1. Soit T un réel strictement positif. Une fonction f définie sur R, àvaleurs réelles ou complexes, est dite T -périodique si on a f(x+ T ) = f(x) pour tout réelx. On appellera alors intervalle admissible pour f tout intervalle de la forme [a, a + T [avec a ∈ R.

Une fonction T -périodique est entièrement déterminée par sa donnée sur un intervalleadmissible. En effet, pour tout réel x, il existe un unique entier relatif k tel que l’on aitx ∈ [a+kT, a+(k+1)T [. La périodicité assure que f(x) = f(x−kT ) ; or x−kT appartientà l’intervalle admissible [a, a+ T [.Exercice 1.5.2. Dessiner l’allure des graphes des fonctions 1-périodiques f et g définiesrespectivement par f(x) = |x| pour x ∈ [−1/2, 1/2[ et g(x) = |x| pour x ∈ [0, 1[.

Définition 1.5.3. Une fonction T -périodique est dite continue (resp. de classe C1) parmorceaux sur R si elle est continue (resp. de classe C1) par morceaux sur un intervalle[a, b] avec a ∈ R et b = a+ T .

Remarque 1.5.4. Il est facile de se convaincre que la définition précédente ne dépend pasdu choix de a. On pourrait aussi y remplacer la condition b = a + T par b − a ≥ T . Parpériodicité, il suffit que la fonction soit continue (resp. de classe C1) par morceaux sur untel intervalle pour qu’elle le soit sur tout intervalle [c, d].Exercice 1.5.5. Soit f une fonction T -périodique continue par morceaux. Montrer que fest continue sur R si et seulement si il existe un réel a tel que les deux propriétés suivantessoient vérifiées :(i) la fonction f est continue sur l’intervalle admissible [a, a+ T [,(ii) on a f(a+) = f((a+ T )−).

5Rappelons qu’une fonction C1 par morceaux est, en général, continue seulement par morceaux.

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Exercice 1.5.6. Démontrer que si f et g deux fonctions T -périodiques continues par mor-ceaux, alors, pour tout réel x fixé, la fonction t 7→ f(t)g(x − t) est aussi T -périodique etcontinue par morceaux.Exercice 1.5.7. Soit g une fonction T -périodique continue sur R. Montrer que g est unifor-mément continue sur R (le lecteur attentif verra que la preuve du théorème 5.3.1 contientla solution de cet exercice dans le cas T = 2π).

Lemme 1.5.8. Soit f une fonction T -périodique continue par morceaux. Alors l’intégrale∫ a+Ta f(x)dx ne dépend pas du choix du réel a.

Démonstration. La relation de Chasles permet d’écrire∫ a+T

af(x)dx =

∫ 0

af(x)dx+

∫ T

0f(x)dx+

∫ a+T

Tf(x)dx. (3)

Le changement de variable x = y+T , dx = dy, conduit à l’égalité∫ a+TT f(x)dx =

∫ a0 f(y+

T )dy =∫ a

0 f(y)dy, compte tenu de la relation de périodicité f(y+ T ) = f(y). Il en résulteque la première et la troisième intégrale au second membre de (3) s’éliminent. Il reste laseconde intégrale, qui est indépendante de a.

Remarque 1.5.9. En pratique, on choisira un intervalle [a, a+ T ] commode pour le calculde l’intégrale. À titre d’exemple, on pourra comparer, pour la fonction g de l’exercice 1.5.2,le calcul de

∫ a+1a (g(x))2dx avec a = −1/2 et avec a = 0.

Dans la suite, par commodité, les fonctions périodiques considérées seront 2π-périodi-ques. Bien sûr, ce choix est motivé par le fait que les fonctions trigonométriques usuelles(cos, sin, t 7→ eit...) sont 2π-périodiques6. Il ne restreint pas la généralité, puisque tous lesrésultats que l’on établit pour les fonctions 2π-périodiques se transposent très facilementaux fonctions T -périodiques avec T quelconque : il suffit en effet de remarquer que si fest une fonction T -périodique, alors x 7→ f(2π

T x) est une fonction 2π-périodique. C’est unsimple changement d’échelle.Remarque 1.5.10. Pour toute fonction g supposée 2π-périodique continue par morceaux,le lemme 1.5.8 donne en particulier la relation∫ 2π

0g(x)dx =

∫ π

−πg(x)dx.

Dans la suite, nous utiliserons souvent cette propriété sans la rappeler explicitement.

1.6 Convolution

Définition 1.6.1. Soient f et g deux fonctions 2π-périodiques continues par morceaux.On appelle produit de convolution de f et g la fonction f ∗ g définie sur R par

f ∗ g(x) = 12π

∫ π

−πf(t)g(x− t)dt.

6C’est d’ailleurs une des approches possibles pour définir rigoureusement le nombre π : voir [5], tome2, §VIII.8.

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Avant d’établir quelques propriétés du produit de convolution, il convient de remarquerque l’intégrale figurant dans la définition précédente a bien un sens puisque la fonctiont 7→ f(t)g(x− t) est elle-même continue par morceaux sur [−π, π] (exercice 1.5.6).

Proposition 1.6.2. Étant données deux fonctions 2π-périodiques continues par morceauxf et g, leur produit de convolution f ∗g est une fonction 2π-périodique et on a f ∗g = g∗f .De plus, si l’une des fonctions f ou g est continue sur R, alors f ∗ g est continue sur R.

Démonstration. On vérifie immédiatement, en utilisant la périodicité de g, que l’on a(f ∗ g)(x+ 2π) = (f ∗ g)(x). En faisant le changement de variable t = x− s, dt = −ds, ona par ailleurs

f ∗ g(x) =∫ π

−πf(t)g(x− t)dt =

∫ x+π

x−πf(x− s)g(s)ds.

En utilisant le lemme 1.5.8 et la périodicité de la fonction s 7→ f(x− s)g(s), on en tire

f ∗ g(x) =∫ π

−πg(s)f(x− s)ds = g ∗ f(x).

Il reste à établir la continuité de f ∗ g lorsque f ou g est continue. Compte tenu del’égalité f ∗ g = g ∗ f , les rôles de f et g sont symétriques et il suffit donc d’établir lapropriété lorsque la fonction supposée continue est g. La définition des fonctions continuespar morceaux associe à f une subdivision −π = x0 < x1 < · · · < xN = π et, pour chaquej = 0, . . . , N − 1, une fonction fj continue sur [xj , xj+1] qui coïncide avec f sur ]xj , xj+1[.Compte tenu de la définition de l’intégrale d’une fonction continue par morceaux, on aura,pour tout réel x,

f ∗ g(x) = 12π

∫ π

−πf(t)g(x− t)dt = 1

N−1∑j=0

∫ xj+1

xj

hj(t, x)dt (4)

avec hj(t, x) = fj(t)g(x − t). Puisque g est supposée continue sur R, la fonction (t, x) 7→hj(t, x) est continue sur [xj , xj+1]×R. La fonction x 7→

∫ xj+1xj

hj(t, x)dt est donc continuesur R en vertu des résultats classiques sur les intégrales dépendant d’un paramètre (voirpar exemple [5], tome 2, théorème XI.7.2). Compte tenu de (4), il en résulte bien que f ∗ gest continue sur R.

Exercice 1.6.3. Soit f une fonction 2π-périodique continue par morceaux et soit g unefonction 2π-périodique continue7. Donner une preuve directe de la continuité de f ∗ g enutilisant le fait que g est, en fait, uniformément continue (voir l’exercice 1.5.7).

7En fait, les hypothèses sur f et g pourraient être considérablement affaiblies. En particulier, on peutdéfinir f ∗ g en supposant seulement que f et g sont 2π-périodiques et intégrables au sens de Riemann sur[−π, π]. Avec quelques efforts supplémentaires, on peut montrer que dans ce cadre, f ∗ g est encore unefonction continue. Ce fait assez remarquable met en évidence le caractère régularisant de la convolution :le produit de convolution de deux fonctions a tendance a être plus régulier que celles-ci.

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2 Des polynômes trigonométriques aux séries de Fourier

2.1 Polynômes trigonométriques

Définition 2.1.1. On appelle polynôme trigonométrique toute fonction P définie sur Rpar une expression de la forme

P (x) =N∑

n=−Ncne

inx (5)

où N est un entier naturel et où c−N , . . . , c−1, c0, c1, . . . , cN sont des coefficients complexes.Lorsque l’un au moins des coefficients c−N ou cN est non nul, on dit que N est le degréde P .

Remarque 2.1.2. On verra plus loin (remarque 2.1.7) qu’étant donné un polynôme trigo-nométrique P , l’écriture (5), où N est le degré de P , est unique. En particulier, le degrélui-même est défini sans ambigüité. L’exercice ci-dessous propose une autre démonstrationde cette propriété d’unicité.Exercice 2.1.3.i. Soit M un entier naturel et soient b−M , . . . , b−1, b0, b1, . . . , bM des nombres complexes.On suppose que pour tout réel x, on a

∑Mn=−M bne

inx = 0. Montrer que tous les coefficientsbn sont nuls. On pourra ramener la condition précédente à une égalité Q(eix) = 0, où Qest un polynôme (au sens algébrique habituel) de degré 2M .ii. En déduire la propriété d’unicité annoncée dans la remarque 2.1.2.Exemple 2.1.4. Les fonctions cos et sin sont des polynômes trigonométriques de degré 1 :c’est une conséquence immédiate des formules d’Euler, puisque l’on a cosx = 1

2e−ix+ 1

2eix

et sin x = − 12ie−ix + 1

2ieix.

Étant donné un polynôme (au sens habituel) Q =∑Nn=0 anX

n à coefficients réels oucomplexes, on sait que la connaissance de la fonction x 7→ Q(x) détermine les coefficientsan via la relation an = 1

n!Q(n)(0). On va voir qu’une propriété analogue existe pour les

polynômes trigonométriques. Elle est basée sur le lemme suivant, dont la démonstrationest immédiate.

Lemme 2.1.5. Soient n et p deux entiers relatifs. On a∫ π

−πei(n−p)tdt =

{2π si n = p,0 si n 6= p.

Soit alors P le polynôme trigonométrique donné par la relation (5), et soit un entier pvérifiant −N ≤ p ≤ N . On a P (t)e−ipt =

∑Nn=−N cne

i(n−p)t. Compte tenu du lemme 2.1.5,on en déduit

∫ π−π P (t)e−iptdx = 2πcp. En changeant le nom des indices, on a donc établi

le résultat suivant.

Proposition 2.1.6. Soit P le polynôme trigonométrique donné par l’expression (5). Pourtout entier n avec −N ≤ n ≤ N , on a

cn = 12π

∫ π

−πP (t)e−intdt.

8

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Remarque 2.1.7. On montre de même que l’on a 12π∫ π−π P (t)e−intdt = 0 pour |n| > N . Ces

résultats établissent l’unicité de l’écriture (5) d’un polynôme trigonométrique, comme onl’avait annoncé dans la remarque 5.4.1. En effet, le degré peut être caractérisé comme leplus grand entier naturel N tel que l’une des intégrales

∫ π−π P (t)e−iNtdt ou

∫ π−π P (t)eiNtdt

soit non nulle. De là, les coefficients cn sont déterminés de façon unique par la proposition2.1.6.

2.2 Coefficients de Fourier

Par analogie avec les coefficients d’un polynôme trigonométrique, on est amené à ladéfinition suivante.

Définition 2.2.1. Soit f une fonction 2π-périodique continue par morceaux. On définitles coefficients de Fourier de f par

f(n) = 12π

∫ π

−πf(t)e−intdt pour tout n dans Z.

On a immédiatement quelques propriétés élémentaires des coefficients de Fourier.

Lemme 2.2.2. Soit f une fonction 2π-périodique continue par morceaux et soit g(t) =f(t+ a). Pour tout n de Z, on a g(n) = einaf(n).

Démonstration. En utilisant le changement de variable t = s − a, on obtient g(n) =1

2π∫ π−π f(t + a)e−intdt = eina

2π∫ a+πa−π f(s)e−insds. Il suffit alors d’appliquer le lemme 1.5.8

pour conclure.

Lemme 2.2.3. Soit f une fonction 2π-périodique de classe C1 sur R. Pour tout n de Z,on a f ′(n) = inf(n).

Démonstration. En intégrant par parties, on a facilement f ′(n) = 12π[e−intf(t)

]π−π +

inf(n). Le terme entre crochets est nul par périodicité, d’où le résultat.

Remarque 2.2.4. Les coefficients de Fourier f ′(n) ont encore un sens lorsque la fonctionf est seulement supposée 2π-périodique de classe C1 par morceaux, puisque l’intégrale∫ π−π f

′(t)e−intdt est parfaitement définie dans ce cadre (voir le début du paragraphe 1.4).Mais la conclusion du lemme 2.2.3 n’est alors généralement plus vérifiée. Toutefois, lelemme reste vrai pour une fonction f supposée 2π-périodique, de classe C1 par morceaux,et continue sur R. Il suffit en effet de remarquer que pour une telle fonction, la preuveprécédente peut être reproduite à l’identique, en utilisant la proposition 1.4.1.Exercice 2.2.5. On considère les fonctions f et g de l’exercice 1.5.2. Vérifier qu’elles sonttoutes deux de classe C1 par morceaux, mais que f est continue sur R tandis que g nel’est pas. Calculer les coefficients de Fourier f ′(n), g′(n) et les comparer respectivement àinf(n) et ing(n).

9

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2.3 Séries de Fourier

Définition 2.3.1. Soit f une fonction 2π-périodique continue par morceaux. Pour toutentier naturel N , on appelle N -ème somme de Fourier de f le polynôme trigonométriquePNf défini par

PNf(x) =N∑

n=−Nf(n)einx.

On dit que la série de Fourier de f converge simplement (resp. uniformément) sur unepartie X de R si la suite de fonctions (PNf)N≥0 converge simplement (resp. uniformément)sur X. La limite de cette suite est alors appelée somme de la série de Fourier de f ; savaleur en tout point x de X est notée

+∞∑n=−∞

f(n)einx.

Une partie de la suite du cours consistera à étudier diverses propriétés de convergencedes séries de Fourier. On en tirera diverses applications. Auparavant, on va conclure cechapitre en présentant une autre écriture couramment utilisée pour les séries de Fourier :cette écriture permet incidemment de voir que leur étude s’inscrit bien dans le cadregénéral de celle des séries de fonctions

∑n≥0 fn.

2.4 Écriture réelle de la série de Fourier

Soit f une fonction 2π-périodique continue par morceaux sur R. Pour tout entier n ≥ 1,on a

f(−n)e−inx + f(n)einx = 12π

∫ π

−πf(t)ein(t−x)dt+ 1

∫ π

−πf(t)e−in(t−x)dt

= 12π

∫ π

−πf(t)

(ein(t−x) + e−in(t−x))dt

= 1π

∫ π

−πf(t) cos

(n(t− x)

)dt.

En remarquant que cos(n(t− x)

)= cosnt cosnx+ sinnt sinnx, on obtient ainsi

f(−n)e−inx + f(n)einx = an cosnx+ bn sinnx

avecan = 1

π

∫ π

−πf(t) cosnt dt et bn = 1

π

∫ π

−πf(t) sinnt dt.

On convient de poser a0 = 1π

∫ π−π f(t)dt, ce qui est cohérent avec l’expression de an que

l’on vient d’obtenir pour n ≥ 1. On a alors

PNf(x) = a02

+N∑n=1

(an cosnx+ bn sinnx).

Posons f0(x) = a02 et fn(x) = an cosnx+ bn sinnx pour n ≥ 1. On voit donc que la suite

(PNf)N≥0 s’identifie à la suite des sommes partielles de la série de fonctions∑n≥0 fn,

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puisque l’on a PNf = f0 + · · ·+ fN . Les notions de convergence simple ou uniforme de lasérie de Fourier de f , telles qu’on les a définies dans le paragraphe précédent, correspondentdonc à la notion habituelle de convergence simple ou uniforme pour la série de fonctionsde terme général fn. En particulier, lorsque la série de Fourier de f converge simplementsur X, on a, en tout point x de X, la relation

+∞∑n=−∞

f(n)einx = a02

++∞∑n=1

(an cosnx+ bn sinnx).

Voici, pour terminer ce point du cours, un lemme utile pour le calcul des coefficientsan et bn.

Lemme 2.4.1. Si la fonction f est à valeurs réelles, on a an = 2<f(n) et bn = −2=f(n).

Démonstration. Puisque f est réelle, on a <(f(t)e−int) = f(t) cosnt et =(f(t)e−int) =−f(t) sinnt. Le lemme s’en déduit aisément.

Exercice 2.4.2. Montrer que si la fonction f est paire (resp. impaire) sur l’intervalle ]−π, π[,on a bn = 0 pour tout n ≥ 1 (resp. an = 0 pour tout n ≥ 0).

3 L’approche (pré)hilbertienneCe chapitre va placer la théorie des séries de Fourier dans une démarche d’analyse

fonctionnelle : plutôt que de considérer les fonctions individuellement, celles-ci serontvues commes les points d’un certain espace vectoriel, un espace fonctionnel, dans lequeldes considérations de géométrie ou d’algèbre linéaire peuvent jeter un éclairage nouveauet efficace sur les questions abordées. Bien sûr, ces aspects seront revus beaucoup plusen profondeur dans les cours de 3ème année8 et au-delà, quand l’appareillage théoriqueadéquat sera disponible. Ici, c’est l’occasion de découvrir dans un cadre simple une desidées maîtresses de l’analyse mathématique du XXème siècle.

3.1 Un espace préhilbertien

Soit E l’espace vectoriel des fonctions 2π-périodiques continues par morceaux. Pourtout couple (f, g) d’éléments de E, on pose

〈f |g〉 = 12π

∫ π

−πf(t)g(t)dt.

On définit ainsi une application sur E ×E, à valeurs dans C. Étant donnés trois élémentsf , g, h de E et λ, µ deux nombres complexes, on vérifie trivialement la propriété dite desesquilinéarité

〈f |λg + µh〉 = λ〈f |g〉+ µ〈f |h〉 et 〈λf + µg|h〉 = λ〈f |h〉+ µ〈g|h〉

et celle de symétrie hermitienne〈g|f〉 = 〈f |g〉.

8Voir par exemple les excellents polycopiés de J.-F. Burnol, disponibles à l’adressehttp ://jf.burnol.free.fr/ens.html.

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On a aussi la positivité 〈f |f〉 ≥ 0. Nous avons donc défini une forme sesquilinéaire hermi-tienne positive. En revanche, ce n’est pas un produit scalaire9. Il faudrait pour cela quela condition 〈f |f〉 = 0 implique que f soit nulle. Ce n’est pas vrai ici : on peut juste endéduire que f s’annule en tout point où elle est continue (on le démontre par contraposi-tion : supposons qu’il existe un point a où f est continue et tel que l’on ait f(a) 6= 0. Parpériodicité, on peut supposer a ∈ [−π, π[. La continuité de f en a implique qu’il existe unintervalle [a, a+ δ], contenu dans [−π, π[, dans lequel on a |f | ≥ 1

2 |f(a)|. On en tire alors〈f |f〉 = 1

2π∫ π−π |f(x)|2dx ≥ 1

2π∫ a+δa |f(x)|2dx ≥ δ|f(a)|2

8π et, en particulier, 〈f |f〉 > 0).

On considère à présent l’ensemble F des fonctions f appartenant à E et continues àdroite ; autrement dit, celles qui vérifient en outre l’égalité f(a+) = f(a) en tout point a deR. Cet ensemble F est évidemment un sous-espace vectoriel de E. De plus, en restriction àF , l’application (f, g) 7→ 〈f |g〉 devient un produit scalaire : pour le voir, il suffit de vérifierque pour f ∈ F , la condition 〈f |f〉 = 0 implique que f est nulle. On sait déjà que l’on af(a) = 0 en tout point a où f est continue. Si a est un point de discontinuité, la définitiondes fonctions continues par morceaux montre qu’il existe un intervalle I = [a − δ, a + δ]tel que f soit continue en tout point de I \ {a}, donc nulle sur I \ {a}. Il s’ensuit que l’ona f(a+) = 0, et donc f(a) = 0 par l’hypothèse de continuité à droite.

Muni du produit scalaire 〈 · | · 〉, l’espace F constitue ce que l’on appelle un espacepréhilbertien. C’est en particulier un espace vectoriel normé pour la norme associée auproduit scalaire :

‖f‖ = 〈f |f〉1/2 = 1√2π

(∫ π

−π|f(t)|2dt

)1/2.

Remarque 3.1.1. On appelle espace de Hilbert un espace préhilbertien qui est completpour la norme associée au produit scalaire. On peut montrer que ce n’est pas le cas del’espace F précédemment défini. En 3ème année, la théorie de l’intégrale de Lebesguepermet d’étudier les séries de Fourier dans le cadre d’un espace de Hilbert, plus généralet plus naturel que F .

Dans la suite, pour tout n de Z, on note en l’élément de F donné par en(x) = einx.On a alors deux lemmes élémentaires.

Lemme 3.1.2. La famille (en)n∈Z est orthonormale dans F , ce qui signifie que l’on a〈em|en〉 = 0 pour m 6= n et 〈em|en〉 = 1 pour m = n.

Démonstration. Pour m 6= n, on a∫ π−π em(t)en(t)dt =

∫ π−π e

i(m−n)tdt =[ei(m−n)t

i(m−n)

]π−π

= 0.

Pour m = n, on a∫ π−π em(t)en(t)dt =

∫ π−π dt = 2π. Le lemme s’ensuit.

Remarque 3.1.3. Attention : le lemme précédent ne parle pas de base orthonormale ! L’es-pace F n’est pas de dimension finie et la notion de base adaptée au type de questions quel’on étudié ici sera vue en 3ème année dans le cadre des espaces de Hilbert.

Lemme 3.1.4. Pour tout élément f de F et tout entier relatif n, on a f(n) = 〈f |en〉.

Démonstration. C’est immédiat à partir des définitions.9Pour toutes les notions d’algèbre linéaire qui apparaissent ici, nous renvoyons le lecteur au cours de

Math 205 ou à [5], tome 1, chapitre XIII.

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3.2 Interprétation des sommes de Fourier

Pour tout entier naturel N , on note FN le sous-espace vectoriel de F engendré pare−N , . . . , e−1, e0, e1, . . . , eN , autrement dit le sous-espace des polynômes trigonométriquesde degré inférieur ou égal à N . On a alors le résultat suivant.

Proposition 3.2.1. Pour toute fonction f de F et tout entier naturel N , la somme deFourier PNf est la projection orthogonale de f sur FN .

Démonstration. D’après le lemme 3.1.4, on a PNf =∑Nn=−N 〈f |en〉en. Clairement, PNf

appartient à FN . En utilisant les lemmes 3.1.2 et 3.1.4, on a aussi f − PNf ⊥ FN . Laproposition en résulte.

Corollaire 3.2.2. Soient f une fonction de F et N un entier naturel. Pour tout polynômetrigonométrique Q de degré inférieur ou égal à N , on a ‖f −Q‖ ≥ ‖f − PNf‖ et l’égalitéa lieu si et seulement si Q = PNf .

Démonstration. On a f−Q = g+h avec g = f−PNf et h = PNf−Q. On remarque que happartient à FN . Par conséquent, les fonctions g et h sont orthogonales et le théorème dePythagore donne la relation ‖f−Q‖2 = ‖g‖2+‖h‖2. Il en résulte que l’on a ‖f−Q‖2 ≥ ‖g‖2et que l’égalité a lieu si et seulement si h = 0, d’où le corollaire.

Remarque 3.2.3. Le carré de la norme d’une fonction de F représente la valeur moyenne ducarré de cette fonction sur une période. Pour cette raison, on énonce souvent le corollaire3.2.2 en disant que parmi les polynômes trigonométriques de degré inférieur ou égal à N ,la somme de Fourier PNf est celui qui réalise la meilleure approximation de f au sens del’écart quadratique moyen.

3.3 Inégalité de Bessel et égalité de Parseval

On commence par une considération simple sur les familles indexées par Z. Étantdonnée une famille (an)n∈Z de réels positifs, soit la suite (AN )N≥0 donnée par AN =∑Nn=−N an. Cette suite est croissante (on a AN+1 − AN = a−N−1 + aN+1 ≥ 0). On se

trouve donc dans l’un des deux cas suivants :(i) la suite (AN )N≥0 est majorée : dans ce cas, elle converge vers une certaine limite Adans R. On dit alors que la série

∑n∈Z an converge et que le nombre A est sa somme ; on

note A =∑+∞n=−∞ an.

(ii) la suite (AN )N≥0 n’est pas majorée : dans ce cas, on a limN→∞AN = +∞ et on ditque la série

∑n∈Z an diverge.

La terminologie ainsi introduite permet d’énoncer commodément le résultat principaldu chapitre 3.

Théorème 3.3.1 (égalité de Parseval). Soit f une fonction 2π-périodique continue parmorceaux. Alors la série

∑n∈Z |f(n)|2 converge et on a

+∞∑n=−∞

|f(n)|2 = 12π

∫ π

−π|f(t)|2dt.

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Démonstration. À ce stade de notre étude, nous pouvons seulement démontrer une partiedu résultat, à savoir la convergence de la série et la majoration

+∞∑n=−∞

|f(n)|2 ≤ 12π

∫ π

−π|f(t)|2dt.

Cette majoration est connue sous le nom d’inégalité de Bessel. L’égalité de Parseval né-cessite beaucoup plus de travail et sera démontrée complètement au paragraphe 5.5. Pourétablir l’inégalité de Bessel, on commence par le cas où f appartient à F . Dans ce cas, onapplique le théorème de Pythagore comme dans la preuve du corollaire 3.2.2, en prenantQ = 0 : on obtient ainsi ‖f‖2 = ‖f − PNf‖2 + ‖PNf‖2 ≥ ‖PNf‖2. Or, compte tenu deslemmes 3.1.2 et 3.1.4, on a facilement ‖PNf‖2 =

∑Nn=−N |f(n)|2. Il vient donc, pour tout

entier naturel N ,N∑

n=−N|f(n)|2 ≤ ‖f‖2.

En posant an = |f(n)|2, on voit que l’on se trouve ainsi dans le cas (i) décrit au début duparagraphe : on a en effet AN ≤ ‖f‖2 pour tout N . Par suite, la série

∑n∈Z an converge, et

sa somme limN→∞AN est majorée par ‖f‖2, c’est-à-dire par 12π∫ π−π |f(t)|2dt. L’inégalité

de Bessel est ainsi établie pour les fonctions f de F . Maintenant, supposons que f soit unélément quelconque de E. On définit un élément f0 de F en posant f0(x) = f(x) si f estcontinue en x, et f0(x) = f(x+) sinon. Sur [−π, π], les fonctions f et f0 diffèrent en unnombre fini de points : les points de discontinuité de f . Les considérations élémentairessur l’intégrale rappelées au chapitre 1 montrent donc que l’on a f(n) = f0(n) pour toutn de Z, et

∫ π−π |f(t)|2dt =

∫ π−π |f0(t)|2dt. L’inégalité de Bessel pour l’élément f de E se

ramène ainsi à l’inégalité de Bessel pour l’élément f0 de F .

Exercice 3.3.2. Montrer qu’étant données f et g deux fonctions 2π-périodiques continuespar morceaux, on a

limN→+∞

N∑n=−N

f(n)g(n) = 12π

∫ π

−πf(t)g(t)dt.

Corollaire 3.3.3. Soit f une fonction 2π-périodique continue par morceaux. On a

lim|n|→∞

f(n) = 0.

Démonstration. Avec les notations de la preuve précédente, si on pose A = limN→∞AN , ona limN→∞AN−AN−1 = A−A = 0. En remarquant que AN−AN−1 = |f(−N)|2 + |f(N)|2et que la somme de deux suites positives converge vers 0 si et seulement si chacune desdeux suites converge vers 0, on obtient le résultat annoncé.

Corollaire 3.3.4 (lemme de Riemann-Lebesgue). Soit g une fonction continue par mor-ceaux sur un intervalle [a, b]. On pose

In =∫ b

ag(t)eintdt, Jn =

∫ b

ag(t) cosnt dt et Kn =

∫ b

ag(t) sinnt dt.

On a alors lim|n|→∞ In = lim|n|→∞ Jn = lim|n|→∞Kn = 0.

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Démonstration. En écrivant cosnt = 12(eint + e−int) et sinnt = 1

2i(eint − e−int), on a

Jn = 12(In+I−n) et Kn = 1

2i(In−I−n). On voit donc qu’il suffit de savoir traiter l’intégraleIn pour obtenir les deux autres. On distingue alors deux cas.(i) Premier cas : on a b − a < 2π. Soit alors f la fonction 2π-périodique continue parmorceaux définie par f(t) = g(t) pour t ∈ [a, b] et f(t) = 0 pour t ∈]b, a + 2π[. Onremarque que l’on a In = f(n) et on conclut en appliquant le corollaire 3.3.3.(ii) Deuxième cas : on a b − a ≥ 2π. On découpe alors [a, b] en plusieurs intervallesde longueur strictement inférieure à 2π et on applique le premier cas sur chacun de cesintervalles.

Exemple 3.3.5. L’égalité de Parseval n’a pas qu’un intérêt théorique. Elle permet ausside calculer facilement la somme de certaines séries. À titre d’exemple, voici un calcul dunombre ζ(2) =

∑+∞n=1

1n2 . On considère la fonction 2π-périodique f définie par f(x) = x

pour x ∈ [0, 2π[. Il est facile de voir que f est continue par morceaux sur R. Calculons sescoefficients de Fourier. On a

f(0) = 12π

∫ 2π

0tdt = 1

[ t22

]2π0

= π

et, pour n 6= 0,

f(n) = 12π

∫ 2π

0te−intdt = 1

([ te−int−in

]2π0−∫ 2π

0

e−int

−indt

)= i

n.

On en tire facilement∑+∞n=−∞ |f(n)|2 = π2 + 2

∑+∞n=1

1n2 = π2 + 2ζ(2). Enfin, on a

12π

∫ 2π

0|f(t)|2dt = 1

∫ 2π

0t2dt = 1

[ t33

]2π0

= 4π2

3.

L’égalité de Parseval s’écrit donc π2 + 2ζ(2) = 4π2

3 , ce qui donne ζ(2) = π2

6 .Exercice 3.3.6. En appliquant l’égalité de Parseval à la fonction 2π-périodique g définiepar g(x) = x2 pour x ∈ [−π, π[, calculer le nombre ζ(4) =

∑+∞n=1

1n4 .

3.4 Séries trigonométriques

À une famille de coefficients complexes (cn)n∈Z, on peut associer une suite de polynômestrigonométriques (SN )N≥0 donnée par SN (x) =

∑Nn=−N cne

inx. En calquant la définitionde la convergence des séries de Fourier, on dit que la série trigonométrique

∑n∈Z cne

inx

converge simplement (resp. uniformément) sur une partie X de R si la suite (SN )N≥0converge simplement (resp. uniformément) sur R, la limite étant alors appelée somme dela série et notée

∑+∞n=−∞ cne

inx.Bien sûr, la série de Fourier d’une fonction 2π-périodique continue par morceaux est

une série trigonométrique. Réciproquement, il est naturel de se demander sous quellesconditions une série trigonométrique donnée est une série de Fourier. Plus précisément,étant donnée une série trigonométrique

∑n∈Z cne

inx, sous quelles conditions existe-t-il unefonction 2π-périodique continue par morceaux f telle que l’on ait cn = f(n) pour tout n ?La proposition 3.4.1 ci-après fournit une condition suffisante.

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Proposition 3.4.1. Si une série trigonométrique converge uniformément sur R, alors elleest la série de Fourier de sa somme.

Démonstration. Soit∑n∈Z cne

inx la série trigonométrique considérée et soit f sa somme.Soit n un entier relatif. Pour N ≥ |n|, on a cn = 1

2π∫ π−π SN (x)e−inxdx = SN , avec

SN (x) =∑Nn=−N cne

inx. En remarquant que |SN (x)e−inx − f(x)e−inx| = |SN (x) − f(x)|et en utilisant l’hypothèse, on voit que la suite de fonctions x 7→ SN (x)e−inx converge uni-formément vers x 7→ f(x)e−inx sur R, donc sur [−π, π]. On en déduit que limN→∞ SN =1

2π∫ π−π f(x)e−inxdx = f(n), d’où le résultat.

L’exercice suivant montre qu’en revanche, la convergence simple sur R ne suffit paspour qu’une série trigonométrique soit une série de Fourier.Exercice 3.4.2. On pose c−1 = c0 = c1 = 0, cn = 1

2iLogn pour n > 1 et cn = − 12iLog |n|

pour n < −1.i. Vérifier que pour tout réel x et tout entier N ≥ 2, on a

∑Nn=−N cne

inx =∑Nn=2

sinnxLogn .

ii. En déduire que la série trigonométrique∑n∈Z cne

inx converge simplement sur R.iii. Montrer qu’il n’existe pas de fonction 2π-périodique continue par morceaux f telle quel’on ait f(n) = cn pour tout n (on pourra procéder par l’absurde et utiliser le théorème3.3.1).

4 ConvergenceDans ce chapitre, on s’intéresse à la convergence des séries de Fourier en tant que séries

de fonctions. On va donc donner quelques conditions suffisantes de convergence simple ouuniforme. Le point de départ est une représentation des sommes de Fourier sous forme deproduit de convolution.

4.1 Une représentation des sommes de Fourier

Définition 4.1.1. Soit N un entier naturel. On appelle noyau de Dirichlet (pour le rangN) la fonction DN définie sur R par

DN (t) =N∑

n=−Neint.

Nous aurons besoin de deux lemmes élémentaires sur le noyau de Dirichlet.

Lemme 4.1.2. On a 12π∫ π−πDN (t) = 1.

Démonstration. Il suffit d’appliquer le lemme 3.1.2 en remarquant que l’on a DN =∑Nn=−N en et que la quantité à calculer n’est autre que 〈DN |e0〉.

Lemme 4.1.3. On a

DN (t) =sin((2N + 1)t/2

)sin(t/2)

pour t /∈ 2πZ et DN (t) = 2N + 1 pour t ∈ 2πZ.

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Démonstration. Le calcul pour t ∈ 2πZ est immédiat vu la définition deDN . Pour t /∈ 2πZ,on a

DN (t) = e−iNt(1 + eit + · · ·+ e2iNt) = e−iNt(1 + eit + · · ·+ (eit)2N).

On voit apparaître la somme des 2N + 1 premiers termes d’une suite géométrique, deraison eit 6= 1. On en tire

DN (t) = e−iNt(1− ei(2N+1)t

1− eit)

= e−iNt − ei(N+1)t

1− eit

=eit/2(e−i(2N+1)t/2 − ei(2N+1)t/2)

eit/2(e−it/2 − eit/2) =−2i sin

((2N + 1)t/2

)−2i sin(t/2)

,

ce qui démontre le lemme.

Le rôle clef que va jouer le noyau de Dirichlet dans l’étude de la convergence des sériesde Fourier est dévoilé par la proposition suivante.

Proposition 4.1.4. Soient f une fonction 2π-périodique continue par morceaux et N unentier naturel. On a

PNf = DN ∗ f.

Démonstration. Pour tout réel x, on a

PNf(x) =N∑

n=−N

( 12π

∫ π

−πf(t)e−intdt

)einx = 1

∫ π

−π

N∑n=−N

ein(x−t)dt = f ∗DN (x),

d’où le résultat puisque f ∗DN = DN ∗ f .

4.2 Le théorème de convergence ponctuelle de Dirichlet

Théorème 4.2.1 (Dirichlet). Soit f une fonction 2π-périodique de classe C1 par mor-ceaux. Alors la série de Fourier de f converge simplement sur R et on a, pour tout x deR,

+∞∑n=−∞

f(n)einx = 12(f(x+) + f(x−)

).

Démonstration. Remarquons d’abord qu’il suffit d’établir la convergence de la série, et demontrer que sa somme a bien la valeur annoncée, au point x = 0. Le cas général s’endéduit par translation10. On doit alors distinguer deux cas.

(i) Premier cas : la fonction f est continue 0. On a alors f(0−) = f(0+) = f(0) et12(f(0+) + f(0−)

)= f(0). Il s’agit donc de démontrer que l’on a limN→∞ PNf(0) = f(0).

Compte tenu du lemme 4.1.2 et de la proposition 4.1.4, on a

PNf(0)− f(0) = 12π

∫ π

−πDN (t)f(−t)dt− f(0) 1

∫ π

−πDN (t)dt

= 12π

∫ π

−πDN (t)

(f(−t)− f(0)

)dt.

10c’est-à-dire en appliquant le cas x = 0 à la fonction f définie par f(t) = f(x+ t).

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Posons g(t) = f(−t)− f(0), de sorte que

PNf(0)− f(0) = 12π

∫ π

−πDN (t)g(t)dt. (6)

D’après le lemme 4.1.3, on a par ailleurs

DN (t)g(t) = sin((2N + 1)t/2

) g(t)sin(t/2)

pour t ∈ [−π, π] \ {0}. (7)

Nous allons voir que la fonction t 7→ g(t)sin(t/2) apparaissant dans l’expression précédente a

une limite à gauche et à droite en 0. Pour cela, on observe d’abord que, puisque f estsupposée de classe C1 par morceaux et continue en 0, il existe un réel δ > 0 tel que f soitcontinue sur [0, δ] et de classe C1 sur ]0, δ]. En appliquant le théorème des accroissementsfinis entre 0 et un point t quelconque de [−δ, 0[, on a l’existence d’un réel ct ∈]− t, 0[ telque f(−t)− f(0) = −tf ′(ct), c’est-à-dire g(t) = −tf ′(ct). On obtient ainsi

g(t)sin(t/2)

= − t

sin(t/2)f ′(ct)

De l’inégalité −t < ct < 0 et du fait que f est de classe C1 par morceaux, on déduit quelimt→0+ f ′(ct) existe et vaut f ′(0−). Comme on a sin(t/2) ∼ t/2, on obtient finalement

limt→0+

g(t)sin(t/2)

= −2f ′(0−).

On montrerait de la même manière que limt→0−g(t)

sin(t/2) existe et vaut −2f ′(0+). Du faitque g est continue par morceaux sur [−π, π] et de l’existence de ces limites, on tire que lafonction h définie par h(t) = g(t)

sin(t/2) pour t ∈ [−π, π] \ {0} et h(0) = 0 (ou une quelconqueautre valeur) est continue par morceaux sur [−π, π]. De plus, les égalités (6) et (7) montrentque l’on a

PNf(0)− f(0) = 12π

∫ π

−πsin((2N + 1)t/2

)h(t)dt = 1

2π(XN + YN )

avec

XN =∫ π

−π(sinNt) cos(t/2)h(t)dt et YN =

∫ π

−π(cosNt) sin(t/2)h(t)dt.

Or, d’après le lemme de Riemann-Lebesgue 3.3.4, on a limN→∞XN = limN→∞ YN = 0. Ilen résulte bien que limN→∞ PNf(0) = f(0).

(ii) Deuxième cas : f est discontinue en 0. On définit deux fonctions f0 et f1 par

f0(x) =

12(f(x) + f(−x)

)pour x /∈ 2πZ

12(f(0+) + f(0−)

)pour x ∈ 2πZ

et

f1(x) =

12(f(x)− f(−x)

)pour x /∈ 2πZ

0 pour x ∈ 2πZ.

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Il est facile de voir que f0 et f1 sont 2π-périodiques, de classe C1 par morceaux. On rap-pelle maintenant que l’on a PNf(0) = 1

2π∫ π−πDN (t)f(−t)dt. Or, sur l’intervalle [−π, π],

la fonction f coïncide avec f0 + f1 sauf peut-être en un point (le point 0). Il en ré-sulte que

∫ π−πDN (t)f(−t)dt =

∫ π−πDN (t)(f0(−t) + f1(−t))dt =

∫ π−πDN (t)f0(−t)dt +∫ π

−πDN (t)f1(−t)dt. On constate par ailleurs que la fonction f1 est impaire, tandis queDN est paire, ce qui implique facilement

∫ π−πDN (t)f1(−t)dt = 0. Il reste donc

PNf(0) = PNf0(0). (8)

Pour conclure, il suffit maintenant d’observer que la fonction f0 est continue en 0 : c’estune conséquence immédiate de sa définition. Par le premier cas déjà traité, on peut alorsaffirmer que l’on a limN→∞ PNf0(0) = f0(0). Compte tenu de (8), nous avons ainsi obtenulimN→∞ PNf(0) = 1

2(f(0+) + f(0−)

), ce qui établit le deuxième cas.

Remarque 4.2.2. Si la fonction f possède des points de discontinuité, la convergence n’estpas uniforme sur R : en effet, la somme de la série est alors discontinue bien que ses sommespartielles soient continues11. En revanche, nous verrons au paragraphe 4.4 qu’en l’absencede points de discontinuité, la convergence est uniforme sur R.

4.3 Deux exercices corrigésExercice 4.3.1. Soit f la fonction 2π-périodique définie par f(x) = x pour x ∈ [−π, π[.i. Montrer que la série de Fourier de f converge simplement sur R et expliciter sa sommeen tout point x de ]− π, π].ii. En déduire un calcul explicite de

∑+∞n=1

sinntn pour tout t de ]0, 2π[.

iii. Pour tout n ≥ 1, soit fn la fonction définie sur ]0, 2π[ par fn(t) = sinntn . Soit x un réel

fixé dans l’intervalle ]0, 2π[. Montrer que la série∑n≥1 fn converge uniformément sur tout

intervalle [a, x] avec 0 < a < x. La convergence est-elle uniforme sur ]0, x] ?iv. À l’aide de ii, iii et du résultat de l’exemple 3.3.5, calculer explicitement

∑+∞n=1

cosnxn2

pour tout x de ]0, 2π[.

i. La fonction f étant 2π-périodique de classe C1 par morceaux sur R, la convergence de sa série deFourier s’obtient par application du théorème de Dirichlet. Les points de ]− π, π[ sont des points de conti-nuité de f et la somme de la série coïncide donc avec f sur cet intervalle.ii. Calculons les coefficients de Fourier de f . On a immédiatement f(0) = 0 et, pour n 6= 0,

f(n) = 12π

∫ π

−πf(t)e−intdt = 1

∫ π

−πte−intdt = 1

[te−int

−in

]π−π

+ 12inπ

∫ π

−πe−intdt

= −πe−inπ − (−π)einπ

2inπ = i(−1)n

n.

Adoptons l’écriture réelle de la série de Fourier de f : la fonction f étant à valeurs réelles, le lemme 2.4.1fournit les valeurs an = 0 et bn = −2=(i (−1)n

n) = 2 (−1)n+1

n. Compte tenu du résultat de la question i, on

a donc, en tout point x de ]− π, π[,

+∞∑n=1

(−1)n+1 sinnxn

= f(x)2 = x

2 .

11L’oscillation des sommes partielles au voisinage des points de discontinuité de f est décrite précisémentpar le phénomène de Gibbs, voir par exemple [2], chapitre IX, problème 34 ou le texte de J.-F. Burnol àl’adresse http ://jf.burnol.free.fr/0506L312annexeGibbs.pdf.

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Pour t ∈]0, 2π[, on a π− t ∈]− π, π[ et on peut appliquer l’égalité précédente avec x = π− t. Comme on asin(n(π − t)) = cosnπ sin(−nt) + sin(nπ) cos(nt) = (−1)n sin(−nt) = (−1)n+1 sinnt, on obtient donc

+∞∑n=1

sinntn

= π − t2 pour tout t ∈]0, 2π[.

iii. Appliquons le théorème d’Abel-Dirichlet (pour lequel on pourra se reporter au cours sur les séries defonctions, ou à [5], tome 2, §VIII.7). On écrit fn sous la forme εnvn où εn est la fonction (constante) t 7→ 1

n

et vn est la fonction t 7→ sinnt. Clairemement, la suite (εn)n≥1 est positive, décroissante et, en tant quesuite de fonctions, elle converge uniformément vers la fonction nulle sur [a, x]. De plus, pour tout n ≥ 1 ettout t ∈ [a, x], on a |v1(t) + · · ·+ vn(t)| = |=(eit + · · ·+ eint

)| ≤ |eit + · · ·+ eint|. Par un calcul similaire à

celui de la preuve du lemme 4.1.3, il vient

eit + · · ·+ eint = ein+1

2 t sin(nt2 )sin t

2

et par conséquent|v1(t) + · · ·+ vn(t)| ≤ 1

| sin t2 |.

Or, on a 0 < a2 ≤

t2 ≤

x2 < π et donc sin t

2 ≥ min(sin a2 , sin

x2 ) > 0 compte tenu des variations

de sin sur ]0, π[. Finalement, pour tout n ≥ 1 et tout t ∈ [a, x], on a |v1(t) + · · · + vn(t)| ≤ A avecA =

(min(sin a

2 , sinx2 ))−1. D’après le théorème d’Abel-Dirichlet, la convergence de la série

∑n≥1 fn est

uniforme sur [a, x].En revanche, la convergence n’est pas uniforme sur ]0, x] : en effet, si c’était le cas, le théorème de commu-tation de limites impliquerait que l’on ait limt→0

∑+∞n=1 fn(t) =

∑+∞n=1 limt→0 fn(t) = 0, alors que d’après

le résultat du ii, on a limt→0∑+∞

n=1 fn(t) = limt→0π−t

2 = π2 .

iv. Pour tout n ≥ 1, soit gn la fonction définie sur [0, 2π[ par gn(t) = cosntn2 . De la majoration |gn(t)| ≤ 1

n2 ,on déduit aussitôt que la série de fonctions

∑n≥1 gn converge normalement, donc uniformément, sur [0, 2π[.

S’agissant d’une série de fonctions continues, sa somme G est continue sur cet intervalle.Par ailleurs, on remarque que g′n(t) = −fn(t). Soient alors x dans ]0, 2π[ et soit a un réel vérifiant 0 < a < x.On a vu au iii que la série

∑n≥1 fn converge uniformément sur [a, x]. En appliquant le théorème d’inté-

gration terme à terme des séries de fonctions, on obtient alors∫ x

a

( +∞∑n=1

fn(t))dt =

+∞∑n=1

∫ x

a

fn(t)dt =+∞∑n=1

(gn(a)− gn(x)) = G(a)−G(x).

En utilisant le résultat du ii, on a donc G(a)−G(x) =∫ xaπ−t

2 dt. Compte tenu de la continuité de G en 0et de la valeur G(0) = π2

6 trouvée dans l’exemple 3.3.5, on peut alors faire tendre a vers 0, ce qui donneπ2

6 −G(x) =∫ x

0π−t

2 dt = πx2 −

x2

4 . Au final, on trouve, pour tout x ∈ [0, 2π[,

+∞∑n=1

cosnxn2 = x2

4 −πx

2 + π2

6 .

Exercice 4.3.2. Soit y un réel strictement positif. On considère la fonction 2π-périodiquefy définie par fy(x) = exy pour x ∈ [−π, π[.i. Montrer que la série de Fourier de fy converge simplement sur R et expliciter sa sommeen tout point x de ]− π, π].ii. De la relation obtenue au point π, déduire la valeur de

∑+∞n=1

1n2+y2 .

iii. Par un passage à la limite convenablement justifié, retrouver la valeur de∑+∞n=1

1n2 .

i. La fonction fy étant de classe C1 par morceaux, la convergence de sa série de Fourier est une conséquenceimmédiate du théorème de Dirichlet. Les points de ]−π, π[ sont des points de continuité de fy et la sommede la série coïncide donc avec fy sur cet intervalle. Au point π, la somme vaut 1

2 (fy(π−) + fy(π+)) =12 (eπy + e−πy) = chπy.

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ii. Le fait que la série ait pour somme chπy au point π signifie que l’on a

limN→∞

N∑n=−N

fy(n)einπ = chπy. (9)

Explicitons les coefficients de Fourier. On a

fy(0) = 12π

∫ π

−πfy(t)dt = 1

∫ π

−πeytdt = 1

[eyt

y

]π−π

= shπyπy

et, pour n 6= 0,

fy(n) = 12π

∫ π

−πfy(t)e−intdt = 1

∫ π

−πe(y−in)tdt = 1

[e(y−in)t

y − in

]π−π

= 12π

y + in

y2 + n2 (eπye−inπ − e−πyeinπ) = (−1)n y + in

y2 + n2shπyπ

.

En remarquant que fy(n)einπ = (−1)nfy(n), on a donc

PNfy(π) = shπyπ

(−1∑

n=−N

y + in

y2 + n2 + 1y

+N∑n=1

y + in

y2 + n2

).

Le changement d’indice m = −n donne la relation−1∑

n=−N

y + in

y2 + n2 =N∑m=1

y − imy2 +m2 .

En regroupant les parties réelle et imaginaire dans l’expression des sommes partielles, il reste doncN∑

n=−N

fy(n)einπ = shπyπ

(1y

+ 2N∑n=1

y

y2 + n2

).

En faisant tendre N vers l’infini et en tenant compte de la relation (9), on obtient+∞∑n=1

1n2 + y2 = 1

2y

(π chπyshπy −

1y

).

iii. On étudie le comportement de chacun des deux membres de l’égalité précédente quand y tend vers0. Pour le membre de gauche, on pose gn(y) = 1

n2+y2 et on remarque que pour tout n ≥ 1 et touty > 0, on a |gn(y)| ≤ 1

n2 . La série numérique de terme général 1n2 étant convergente, on voit ainsi que

la série de fonctions de terme général gn converge normalement, donc uniformément, sur ]0,+∞[. Lethéorème de commutation de limites s’applique et on a donc limy→0

∑+∞n=1

1n2+y2 = limy→0

∑+∞n=1 gn(y) =∑+∞

n=1 limy→0 gn(y) =∑+∞

n=11n2 .

Le membre de droite s’étudie à l’aide de développements limités élémentaires. On a d’abord shπy =πy + 1

6 (πy)3 + o(y3), d’où

π

shπy = 1y + 1

6π2y3 + o(y3)

= 1y· 1

1 +(

16π

2y2 + o(y2)) = 1

y

(1− 1

6π2y2 + o(y2)

)= 1y− π2

6 y + o(y).

On a ensuite chπy = 1 + 12 (πy)2 + o(y2), d’où

π chπyshπy =

(1y− π2

6 y + o(y))(

1 + 12(πy)2 + o(y2)

)= 1y

+ π2

2 y − π2

6 y + o(y)

= 1y

+ π2

3 y + o(y).

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On en tirelimy→0

12y

(π chπyshπy −

1y

)= π2

6et le passage à la limite dans l’égalité obtenue à la question ii permet donc bien de retrouver l’égalité∑+∞

n=11n2 = π2

6 .

4.4 Un résultat de convergence uniforme

On commence par un résultat préparatoire qui est intéressant en lui-même (voir laremarque 4.4.2 ci-après).

Proposition 4.4.1. Soit f une fonction 2π-périodique de classe C1 par morceaux et conti-nue sur R. Alors la série

∑n∈Z

∣∣f(n)∣∣ converge.

Démonstration. D’après le lemme 2.2.3 et la remarque 2.2.4, on sait que pour n 6= 0, on af(n) = 1

in f′(n) et donc |f(n)| = 1

|n|∣∣f ′(n)

∣∣. Étant donné un entier N ≥ 1, cette remarqueva nous permettre de relier la somme AN =

∑Nn=−N

∣∣f(n)∣∣ à un produit scalaire : pour

cela, on reprend les notations du chapitre 3 et on introduit les polynômes trigonométriques

QN =N∑

n=−N

∣∣f ′(n)∣∣en et RN =

∑{n : 1≤|n|≤N}

1|n|en.

On a alors précisément AN = |f(0)| + 〈QN |RN 〉. En appliquant l’inégalité de Cauchy-Schwarz, on obtient

〈QN |RN 〉 ≤ ‖QN‖‖RN‖ =

N∑n=−N

∣∣f ′(n)∣∣21/2 ∑

{n : 1≤|n|≤N}

1n2

1/2

.

On a par ailleurs, en utilisant12 le théorème 3.3.1,

N∑n=−N

∣∣f ′(n)∣∣2 ≤ +∞∑

n=−∞

∣∣f ′(n)∣∣2 ≤ 1

∫ π

−π|f ′(t)|2dt.

Enfin, on a ∑{n : 1≤|n|≤N}

1n2 = 2

N∑n=1

1n2 ≤ 2

+∞∑n=1

1n2 = π2

3.

En regroupant ces inégalités, on obtient que la suite (AN )N≥0 est majorée par la constante|f(0)|+

√π6( ∫ π−π |f ′(t)|2dt

)1/2. En particulier, on se trouve dans le cas (i) de l’alternativedécrite au début du paragraphe 3.3, ce qui établit le résultat annoncé.

Remarque 4.4.2. Soit `1(Z) l’espace vectoriel des familles (cn)n∈Z de nombres complexestelle que la série

∑n∈Z |cn| converge. Le lecteur peut alors vérifier, à titre d’exercice, que la

série trigonométrique associée à une telle famille (cn)n∈Z (voir le paragraphe 3.4) convergeuniformément sur R ; si f désigne sa somme, on a donc cn = f(n) pour tout n d’après la

12En fait, seule l’inégalité de Bessel est utilisée.

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proposition 3.4.1. Notons A l’espace des fonctions f ainsi associées à un élément (cn)n∈Z de`1(Z). La proposition 4.4.1 dit que les fonctions 2π-périodiques de classe C1 par morceauxet continues sur R appartiennent à cet espace13. Celui-ci est un des espaces fondamentauxen analyse harmonique ; il jouit de propriétés remarquables parmi lesquelles on peut citerici un théorème de Wiener aussi célèbre que spectaculaire14 : si un élément f de A nes’annule en aucun point de R, la fonction 1/f appartient aussi à A.

En dehors de cette digression, la proposition 4.4.1 est la clef d’un théorème de conver-gence uniforme.Théorème 4.4.3. Soit f une fonction 2π-périodique de classe C1 par morceaux et conti-nue sur R. Alors la série de Fourier de f converge vers f uniformément sur R.Démonstration. D’après le théorème de Dirichlet, on sait déjà qu’il y a convergence simplevers f , puisque l’hypothèse de continuité implique 1

2(f(x+) + f(x−)

)= f(x) pour tout x.

Posons maintenant f0(x) = f(0) et fn(x) = f(−n)e−inx + f(n)einx pour n ≥ 1, de tellesorte que, comme au paragraphe 2.4, la suite des sommes de Fourier (PNf)N≥0 s’identifieà la suite des sommes partielles de la série de fonctions

∑n≥0 fn. Pour tout entier n ≥ 1,

on asupx∈R|fn(x)| ≤

∣∣f(−n)∣∣+ ∣∣f(n)

∣∣et la série numérique

∑n≥1

(∣∣f(−n)∣∣ + ∣∣f(n)

∣∣) converge d’après la proposition 4.4.1. Parsuite, la série de fonctions

∑n≥0 fn converge normalement, donc uniformément, sur R.

Remarque 4.4.4. Le théorème 4.4.3 s’applique en particulier lorsque f est 2π-périodiquede classe C1 sur R. Notons aussi qu’il s’agit en fait d’un théorème de convergence normale.Exercice 4.4.5. Soit g la fonction considérée dans l’exercice 3.3.6. Montrer que la série deFourier de g converge uniformément sur R et préciser sa somme. En déduire la valeur de∑+∞n=1

(−1)nn2 et de

∑+∞p=0

1(2p+1)2 .

5 Convergence en moyenne et applicationsOn a vu que la série de Fourier d’une fonction 2π-périodique de classe C1 par morceaux

et continue sur R converge vers f uniformément sur R. Si l’hypothèse de régularité C1

par morceaux est omise, c’est-à-dire si la fonction est seulement supposée 2π-périodiqueet continue sur R, la situation se dégrade totalement : en effet, il peut alors arriver quela série de Fourier diverge en certains points15. Nous allons voir qu’il est pourtant pos-sible d’approcher uniformément une telle fonction par des polynômes trigonométriques

13Il s’agit en fait de cas très particuliers d’éléments de A, mais l’étude générale de ceux-ci dépasselargement le cadre de notre étude : voir [4], §I.6.

14On enseigne typiquement ce résultat dans un cours d’analyse fonctionnelle de 4ème ou 5ème année.Le lecteur aventureux pourra consulter [4], §VIII.2.

15Ce fait est classiquement étudié dans un cours d’analyse fonctionnelle de 4ème année. Dans la littéra-ture, on peut voir par exemple [4], Theorem II.2.1. Le premier exemple de fonction continue dont la sériede Fourier diverge en un point a été donné par Du Bois Reymond en 1873. Si l’on abandonne même lacontinuité, il existe d’autres résultats spectaculaires, mais beaucoup plus difficiles, dans cette direction.Par exemple, Kolmogorov a prouvé en 1926 (à l’âge de 22 ans) qu’il existe une fonction intégrable au sensde Lebesgue dont la série de Fourier diverge partout, tandis que Carleson a montré en 1966 que la sériede Fourier d’une fonction de carré intégrable converge presque partout, en un sens qui sera défini dans lecours d’intégration de 3ème année.

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déduits des sommes de Fourier par un procédé simple. Nous commencerons par le rappelde quelques faits élémentaires.

5.1 Convergence en moyenne d’une suite numérique

Définition 5.1.1. On dit qu’une suite (un)n≥0 de nombres complexes converge en moy-enne vers a dans C si l’on a

limn→∞

u0 + u1 + · · ·+ un−1n

= a.

Le résultat suivant devrait être bien connu depuis la première année d’université. Pourla commodité du lecteur, nous en rappellerons toutefois la preuve.

Proposition 5.1.2 (lemme de Cesàro). Soit (un)n≥0 une suite de nombres complexes quiconverge vers une limite a dans C. Alors (un)n≥0 converge aussi en moyenne vers a.

Démonstration. Soit un réel ε > 0. Par hypothèse, il existe un rang N(ε) tel que(n ≥ N(ε)

)=⇒

(|un − a| ≤ ε

).

On au0 + u1 + · · ·+ un−1

n− a = u0 + u1 + · · ·+ un−1 − na

n

= (u0 − a) + (u1 − a) + · · ·+ (un−1 − a)n

et donc, pour n ≥ N(ε) + 1,∣∣∣∣u0 + u1 + · · ·+ un−1n

− a∣∣∣∣ ≤ |u0 − a|+ |u1 − a|+ · · ·+ |uN(ε)−1 − a|

n

+|uN(ε) − a|+ · · ·+ |un−1 − a|

n

≤ A(ε)n

+(n−N(ε)

n

≤ A(ε)n

+ ε

avec A(ε) = |u0−a|+|u1−a|+· · ·+|uN(ε)−1−a|. Posons N ′(ε) = max(bA(ε)/εc, N(ε)

)+1,

où b·c désigne la partie entière. Pour n ≥ N ′(ε), on a A(ε)/n ≤ ε et, par ce qui précède,∣∣∣∣u0 + u1 + · · ·+ un−1n

− a∣∣∣∣ ≤ 2ε.

En posant N ′′(ε) = N ′(ε/2), on a donc établi

(n ≥ N ′′(ε)

)=⇒

(∣∣∣∣u0 + u1 + · · ·+ un−1n

− a∣∣∣∣ ≤ ε),

ce qui établit le lemme.

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Remarque 5.1.3. Il existe des suites qui ne convergent pas au sens usuel mais qui convergentquand même en moyenne : par exemple, ((−1)n)n≥0 converge en moyenne vers 0. Laconvergence en moyenne est donc une propriété plus faible que la convergence au sensusuel. L’idée sous-jacente est qu’en prenant les moyennes successives des premiers termesde la suite, on atténue les oscillations de celle-ci ; on peut donc espérer que la nouvellesuite ainsi formée ait un comportement plus régulier.

5.2 Sommes de Cesàro et noyau de Fejér

Définition 5.2.1. Soit f une fonction 2π-périodique continue par morceaux. Pour toutentier N ≥ 1, on appelle N -ème somme de Cesàro-Fejér de f la moyenne des N premièressommes de Fourier de f , c’est-à-dire le polynôme trigonométrique σNf défini par

σNf(x) = 1N

(P0f(x) + P1f(x) + · · ·+ PN−1f(x)

).

Comme on l’a fait au chapitre 4 pour les sommes de Fourier, nous allons étudier lecomportement de la suite (σNf)N≥1 à partir d’une représentation sous forme de produitde convolution.

Proposition 5.2.2. On a σNf = KN ∗ f , où KN est la fonction définie sur R par

KN (t) = 1N

N−1∑n=0

Dn(t).

Démonstration. En utilisant la proposition 4.1.4 et la linéarité du produit de convolu-tion par rapport à chaque facteur, on a σNf = 1

N

∑N−1n=0 Pnf = 1

N

∑N−1n=0 (Dn ∗ f) =(

1N

∑N−1n=0 Dn

)∗ f .

Définition 5.2.3. La fonction KN définie dans la proposition 5.2.2 s’appelle noyau deFejér (pour le rang N).

Les deux résultats qui suivent constituent, pour le noyau de Fejér, l’analogue deslemmes 4.1.2 et 4.1.3 sur le noyau de Dirichlet.

Lemme 5.2.4. On a 12π∫ π−πKN (t) = 1.

Démonstration. C’est une conséquence immédiate de la définition de KN et du lemme4.1.2.

Lemme 5.2.5. On a

KN (t) = 1N

(sin(Nt/2

)sin(t/2)

)2

pour t /∈ 2πZ et KN (t) = N pour t ∈ 2πZ.

Démonstration. On utilise le lemme 4.1.3.Pour t ∈ 2πZ, on a Dn(t) = 2n+1, d’où KN (t) = 1

N

∑N−1n=0 (2n+1) = 1

N

(2N(N−1)

2 +N)

=

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1N

(N(N − 1) +N

)= N .

Pour t /∈ 2πZ, on a Dn(t) = sin((2n+1)t/2)sin(t/2) , d’où

KN (t) = 1N sin(t/2)

N−1∑n=0

sin((n+ 1

2

)t)

= 1N sin(t/2)

=(N−1∑n=0

ei(n+ 1

2

)t). (10)

En procédant comme dans la preuve du lemme 4.1.3, on a de plus

N−1∑n=0

ei(n+ 1

2

)t = eit/2

N−1∑n=0

eint = eit/2 1− eiNt

1− eit

= eit/2 eiNt/2(e−iNt/2 − eiNt/2)eit/2(e−it/2 − eit/2) = eiNt/2 sin(Nt/2)

sin(t/2),

d’où

=(N−1∑n=0

ei(n+ 1

2

)t)

=(sin(Nt/2)

)2sin(t/2)

.

En reportant dans (10), on obtient l’expression annoncée.

5.3 Le théorème de convergence en moyenne de Fejér

Théorème 5.3.1 (Fejér). Soit f une fonction 2π-périodique continue sur R. Alors la suitedes sommes de Cesàro-Fejér (σNf)N≥1 converge vers f uniformément sur R.

Démonstration. Compte tenu de la proposition 5.2.2 et du lemme 5.2.4, on a, pour toutx de R,

σNf(x)− f(x) = 12π

∫ π

−πKN (t)f(x− t)dt− f(x) 1

∫ π

−πKN (t)dt

= 12π

∫ π

−πKN (t)

(f(x− t)− f(x)

)dt.

Soit alors un réel δ, avec 0 < δ < π. On va découper l’intervalle d’intégration [−π, π] entrois morceaux : [−π,−δ], [−δ, δ], [δ, π] et évaluer les trois intégrales ainsi obtenues.On a d’abord, en majorant le module de l’intégrale par l’intégrale du module et en tenantcompte du fait que KN est à valeurs positives,∣∣∣∣ 1

∫ −δ−π

KN (t)(f(x− t)− f(x)

)dt

∣∣∣∣ ≤ 12π

∫ −δ−π

KN (t)(|f(x− t)|+ |f(x)|

)dt. (11)

La fonction f est continue sur l’intervalle fermé borné [−π, π], donc bornée sur cet in-tervalle. Par périodicité, elle est aussi bornée sur R ; on posera m = supt∈R |f(t)|. Onremarque aussi que pour tout t ∈ [−π,−δ], on a 0 ≤ KN (t) ≤ 1

N(sin(t/2))2 . Compte tenude ces remarques et de la majoration grossière |f(x − t) − f(x)| ≤ |f(x − t)| + |f(x)|, ondéduit de (11) que l’on a∣∣∣∣ 1

∫ −δ−π

KN (t)(f(x− t)− f(x)

)dt

∣∣∣∣ ≤ C(δ)N

(12)

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avec C(δ) = mπ

∫−δ−π

dt(sin(t/2))2 . Les mêmes arguments fournissent une majoration identique

pour l’intégrale sur [δ, π].Il reste donc à évaluer l’intégrale sur [−δ, δ]. Sur cet intervalle, les majorations grossièresutilisées précédemment ne fonctionnent plus16. On procède en remarquant d’abord que,puisque f est continue sur le compact [−2π, 2π], elle y est uniformément continue en vertudu théorème de Heine17. Étant donné un réel ε > 0, il existe donc δ(ε) > 0 tel que pourtout couple (y, y′) de points de [−2π, 2π] vérifiant |y− y′| ≤ δ(ε), on ait |f(y′)− f(y)| ≤ ε.On peut évidemment supposer δ(ε) < π. Soient à présent x un point quelconque de R et tun point quelconque de [−δ(ε), δ(ε)]. On peut écrire x = y+2kπ où y appartient à [−π, π]et k est un entier relatif convenable. Si l’on pose y′ = y − t, la périodicité de f impliquef(y′)−f(y) = f(x− t)−f(x). De plus, on a y′ ∈ [−2π, 2π] compte tenu des encadrements−π ≤ y ≤ π et 0 < δ(ε) < π. Par ce qui précède, on a alors |f(x − t) − f(x)| ≤ ε. Ainsi,pour tout x de R, on a, en tenant compte encore une fois de la positivité de KN et dulemme 5.2.4,∣∣∣∣ 1

∫ δ(ε)

−δ(ε)KN (t)

(f(x− t)− f(x)

)dt

∣∣∣∣ ≤ 12π

∫ δ(ε)

−δ(ε)KN (t)

∣∣f(x− t)− f(x)∣∣dt

≤ ε

∫ δ(ε)

−δ(ε)KN (t)dt

≤ ε

∫ π

−πKN (t)dt = ε.

On pourra remarquer, plus précisément, que la positivité deKN intervient pour la premièreet la troisième inégalité.Au final, les majorations qui précèdent et l’inégalité (12) appliquée avec δ = δ(ε) donnent,pour tout entier N ≥ 1 et tout x de R,

∣∣σNf(x)− f(x)∣∣ ≤ A(ε)

N+ ε

avec A(ε) = C(δ(ε)). On procède alors comme à la fin de la preuve de la proposition 5.1.2pour trouver un entier N ′′(ε) tel que l’on ait

(N ≥ N ′′(ε)

)=⇒

(supx∈R

∣∣σNf(x)− f(x)∣∣ ≤ ε),

ce qui établit le théorème.

5.4 Deux applications

Théorème 5.4.1 (théorème d’unicité). Soit f une fonction 2π-périodique continue surR. Si on a f(n) = 0 pour tout n de Z, alors f est la fonction nulle.

Démonstration. La nullité des coefficients de Fourier implique que toutes les sommes deFourier de f , et donc toutes ses sommes de Cesàro-Fejér, sont nulles. Comme f est lalimite de ses sommes de Cesàro-Fejèr, elle est aussi nulle.

16L’une des raisons pour cela est que l’intégrale∫ δ−δ

dt(sin(t/2))2 diverge.

17Voir le cours de Math 203 ou [5], tome 2, théorème III.10.12.

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Remarque 5.4.2. Il en résulte que si deux fonctions 2π-périodiques continues sur R ontles mêmes coefficients de Fourier, alors ces fonctions coïncident (il suffit d’appliquer lethéorème d’unicité à leur différence).Exercice 5.4.3. Soit f une fonction 2π-périodique continue sur R et soit x un réel. Montrerque si la série de Fourier de f converge au point x, sa somme vaut f(x).

Théorème 5.4.4 (théorème d’approximation de Weierstrass). Toute fonction numériquecontinue sur un intervalle fermé borné est limite uniforme sur cet intervalle d’une suitede polynômes18.

Démonstration. Soit une fonction continue f : [a, b] → C. Le changement de variablelinéaire t 7→ a + (b − a) t

2π ramène le problème au cas a = 0, b = 2π. En remplaçant f(t)par f(t)+

(f(0)− f(2π)

)t

2π , on peut aussi supposer f(0) = f(2π). Dans cette situation, fse prolonge naturellement en une fonction 2π-périodique continue sur R, que l’on noteraencore f . Soit maintenant un réel ε > 0. Compte tenu du théorème de Fejér, il existe unrang N(ε) tel que (N ≥ N(ε)) =⇒

(supt∈[0,2π] |σNf(t)− f(t)| ≤ ε

). On pose gε = σN(ε)f ;

on a donc (∀t ∈ [0, 2π]

) (|f(t)− gε(t)| ≤ ε

). (13)

La fonction gε est un polynôme trigonométrique, donc une somme finie de fonctions t 7→cne

int. L’exponentielle étant développable en série entière de rayon de convergence infini,il en est de même pour gε. Or, une série entière de rayon de convergence infini convergeuniformément sur tout disque de rayon fini, donc sur toute partie bornée de C et enparticulier sur [0, 2π]. Par conséquent, il existe un polynôme Qε tel que l’on ait(

∀t ∈ [0, 2π]) (|gε(t)−Qε(t)| ≤ ε

)(14)

(il suffit en effet de prendre pour Qε une somme partielle de rang assez grand de la sérieentière de gε). Pour tout entier n ≥ 1, posons alors Pn = Q1/2n. En joignant (13) et (14),on obtient

supt∈[0,2π]

∣∣f(t)− Pn(t)∣∣ ≤ 1

n,

ce qui prouve que la suite de polynômes (Pn)n≥1 converge vers f uniformément sur [0, 2π].Le théorème est démontré.

5.5 Preuve de l’égalité de Parseval

Nous pouvons maintenant terminer la démonstration de l’égalité de Parseval qui étaitrestée en suspens au chapitre 3. Reprenant les notations de la preuve du théorème 3.3.1,nous considèrons une fonction f dans F , pour laquelle nous devons montrer que l’inégalitéde Bessel est en fait une égalité.

(i) Première étape : pour tout ε > 0, il existe une fonction gε 2π-périodique continue surR telle que l’on ait ‖f − gε‖2 ≤ ε/4.Pour le voir, on note t1, . . . , tp les points de discontinuité de f dans l’intervalle ] − π, π[,

18Il s’agit ici de polynômes au sens usuel (et non de polynômes trigonométriques). Plus exactement, ondevrait parler de fonctions polynômiales...

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rangés dans l’ordre croissant. Pour δ > 0 assez petit, on définit une fonction g continuesur [−π, π] de la manière suivante :• on pose g(t) = f(t) en dehors des intervalles [tj − δ, tj + δ] avec 1 ≤ j ≤ p et [π − δ, π],• on choisit g affine sur les intervalles [tj − δ, tj + δ] avec 1 ≤ j ≤ p et sur [π − δ, π], lessegments de graphe étant déterminés par les conditions de recollement g(tj−δ) = f(tj−δ),g(tj + δ) = f(tj + δ), g(π − δ) = f(π − δ) et g(π) = f(−π) = g(−π).Si l’on pose m = supt∈[−π,π] |f(t)|, il est alors facile de voir19 que l’on a |g(t)− f(t)| ≤ mpour tout t de [−π, π]. En tenant compte du fait que f et g diffèrent seulement sur uneréunion d’intervalles de longueur totale au plus égale à (2p+ 1)δ, on en déduit

‖f − g‖2 ≤ 12π((2p+ 1)δm2).

Comme g est continue sur [−π, π] et qu’elle vérifie g(−π) = g(π), elle se prolonge naturelle-ment en une fonction 2π-périodique continue sur R. Il suffit alors de prendre δ = πε

(4p+2)m2

et gε = g pour obtenir la première étape annoncée.

(ii) Deuxième étape : Soit gε la fonction construite à la première étape. Alors il existe unpolynôme trigonométrique Qε tel que l’on ait ‖gε −Qε‖2 ≤ ε/4.En effet, d’après le théorème de Fejér, la suite (σNgε)N≥1 converge uniformément vers gεsur R, a fortiori sur [−π, π]. On fixe un entier N assez grand pour que l’on ait |gε(t) −σNgε(t)| ≤

√ε/2 pour tout t de [−π, π]. On a alors

‖gε − σNgε‖2 = 12π

∫ π

−π|gε(t)− σNgε(t)|2dt ≤

12π

∫ π

−π(√ε/2)2dt = ε/4

et il suffit donc de poser Qε = σNgε.

(iii) Troisième étape : fin de la preuve. Soit N(ε) le degré du polynôme trigonométriqueconstruit à la deuxième étape. Pour N ≥ N(ε), on a ‖f −PNf‖2 ≤ ‖f −Qε‖2 en vertu ducorollaire 3.2.2. Or on a ‖f −Qε‖2 ≤

(‖f − gε‖+‖gε−Qε‖

)2 ≤ (√ε/2+

√ε/2)2 = ε. Nous

avons donc établi l’existence d’un entier N(ε) tel que (N ≥ N(ε)) =⇒(‖f − PNf‖2 ≤ ε

).

Autrement dit, on alimN→∞

‖f − PNf‖2 = 0. (15)

On rappelle enfin qu’en vertu de la proposition 3.2.1, on a

‖f − PNf‖2 = ‖f‖2 − ‖PNf‖2 = 12π

∫ π

−π|f(t)|2dt−

N∑n=−N

|f(n)|2.

La propriété (15) se lit donc

limN→∞

N∑n=−N

|f(n)|2 = 12π

∫ π

−π|f(t)|2dt,

ce qu’il fallait démontrer.19Il peut être utile de faire un dessin pour s’en convaincre immédiatement.

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6 Une application des séries de FourierC’est un problème de physique (la théorie de la chaleur) qui a motivé l’introduction

des séries de Fourier. Depuis lors, leur champ d’application s’est étendu à l’acoustique,l’électricité, le traitement du signal, etc. Mais il existe aussi, naturellement, des applicationspurement mathématiques de la théorie. Celle que nous avons choisi de présenter ici est larésolution d’un problème géométrique célèbre et très concret, appelé parfois problème desisopérimètres.

6.1 Position du problème

Dans le plan C, on considère une courbe Γ de classe C1, régulière, fermée et sans pointdouble. Ceci revient à dire que l’on a Γ = γ([a, b]) où γ : [a, b]→ C est une application declasse C1 vérifiant les propriétés suivantes :(i) on a γ′(t) 6= 0 en tout point t de [a, b] : cette hypothèse assure que la courbe Γ possèdeune tangente en chacun de ses points ;(ii) on a γ(a) = γ(b) et la restriction de γ à [a, b[ est injective : ainsi Γ se referme, maiselle ne passe pas deux fois par le même point du plan.On pose γ(t) = x(t) + iy(t). En géométrie différentielle élémentaire20, on associe à Γ unelongueur ` donnée par

` =∫ b

a|γ′(t)|dt =

∫ b

a

√(x′(t))2 + (y′(t))2dt.

Par ailleurs, la courbe Γ délimite une région bornée du plan, de périmètre `, à laquelle ilest possible21 d’attribuer une aire A donnée par

A = 12

∣∣∣∣ ∫ b

adet

(γ(t), γ′(t)

)dt

∣∣∣∣ = 12

∣∣∣∣ ∫ b

a

(x(t)y′(t)− y(t)x′(t)

)dt

∣∣∣∣.Un problème naturel et très ancien22 se pose alors : pour un périmètre ` donné, peut-ontrouver une courbe Γ qui réalise une aire A maximale ? Si oui, quelle est cette courbe ? Laréponse est positive ; l’aire maximale est atteinte lorsque Γ est un cercle. Bien qu’elle fûtconnue empiriquement depuis l’antiquité, il fallut attendre le XIXème siècle pour en avoirune justification complète et rigoureuse, due à Weierstrass.

20Voir le cours de Math 207 ou [5], tome 3, chapitre VI.21Voir par exemple [5], tome 4, théorème VI.3.1 et exemples.22Il est courant de l’évoquer à propos de la fondation mythique de Carthage par la reine Didon. Didon,

ou Élissa, était une princesse phénicienne (ca. 840 – ca. 760 av. J.-C.), première-née du roi de Tyr. Sasuccession fut entravée par son frère Pygmalion, qui assassina son mari et imposa sa propre tyrannie. Suiteà cet événement, et probablement pour éviter une guerre civile, elle quitta Tyr avec une suite nombreuse,s’embarquant pour un long voyage dont les principales étapes furent Chypre et Malte. Débarquée sur lescôtes tunisiennes vers 814 av. J.-C., elle demanda au souverain local, Syfax, un endroit où fonder unenouvelle capitale pour le peuple phénicien. Ironiquement, Syfax lui accorda pour s’établir “autant de terrequ’il en pourrait tenir dans la peau d’une vache”. Avec ingéniosité, elle choisit pour fonder sa ville unepéninsule qui s’avançait dans la mer et fit découper une peau de vache en fines lanières qui, mises bout àbout et disposées judicieusement, délimitèrent l’emplacement de ce qui devint plus tard la grande Carthage.

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6.2 L’inégalité de Wirtinger

En s’appuyant sur l’analyse de Fourier, Hurwitz donna en 1901 une preuve simple del’inégalité isopérimétrique : c’est celle que nous allons présenter ici. Le point de départ estune inégalité classique.

Proposition 6.2.1 (inégalité de Wirtinger). Soit f une fonction 2π-périodique de classeC1 par morceaux et continue sur R, vérifiant

∫ 2π0 f(t)dt = 0. On a alors∫ 2π

0|f(t)|2dt ≤

∫ 2π

0|f ′(t)|2dt

et l’égalité a lieu si et seulement si il existe des constantes α et β telles que l’on aitf(t) = αe−it + βeit pour tout réel t.

Démonstration. D’après le lemme 2.2.3 et la remarque 2.2.4, on a |f ′(n)|2 = n2|f(n)|2pour tout entier relatif n et donc

|f ′(n)|2 ≥ |f(n)|2 pour n 6= 0. (16)

L’hypothèse∫ 2π

0 f(t)dt = 0 équivaut à f(0) = 0 et l’inégalité (16) reste donc vraie pourn = 0. Il suffit alors d’appliquer l’égalité de Parseval à f et à f ′ (en se souvenant de laremarque 1.5.10) pour en déduire directement la majoration recherchée.On traite maintenant les cas d’égalité. Supposons f(t) = αe−it + βeit. De l’unicité dela série de Fourier d’une fonction continue (théorème 5.4.1 et remarque 5.4.2) découlentimmédiatement les relations f(n) = 0 pour |n| 6= 1, f(−1) = α et f(1) = β. On a de mêmef ′(n) = 0 pour |n| 6= 1, f ′(−1) = −iα et f ′(1) = iβ. En reportant ces informations dansl’égalité de Parseval, on obtient alors∫ 2π

0|f(t)|2dt = |α|2 + |β|2 =

∫ 2π

0|f ′(t)|2dt.

Réciproquement, supposons que l’on ait l’égalité∫ 2π

0 |f(t)|2dt =∫ 2π

0 |f ′(t)|2dt. En utilisantencore la relation f ′(n) = inf(n), l’égalité de Parseval conduit à la relation

+∞∑n=−∞

(n2 − 1)|f(n)|2 = 0.

Comme on a f(0) = 0 par hypothèse, la série ci-dessous ne comporte que des termespositifs. La nullité de la somme implique donc que chacun de ces termes soit nul. Nousobtenons ainsi (n2 − 1)|f |2 = 0 pour tout n, ce qui implique f(n) = 0 pour |n| 6= 1.Autrement dit, les coefficients de Fourier de f sont tous nuls, sauf peut-être f(−1) etf(1). Enfin, puisque f est de classe C1, elle est somme de sa série de Fourier en tout pointde R, comme on l’a vu au paragraphe 4.4. Il en résulte que l’on a f(t) = αe−it + βeit avecα = f(−1) et β = f(1).

6.3 L’inégalité isopérimétrique

Nous pouvons maintenant énoncer et démontrer le résultat principal.

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Théorème 6.3.1 (inégalité isopérimétrique). Avec les notations précédentes, on a

A ≤ `2

et l’égalité a lieu si et seulement si Γ est un cercle.

Démonstration. Une première étape consiste à effectuer quelques normalisations.(i) On observe d’abord que le problème est invariant par changement d’échelle : en effet, sil’unité de longueur est divisée par un facteur λ, les deux membres de l’inégalité à démontrersont multipliés par λ2 et l’on retrouve la même inégalité, après simplification. On peutdonc toujours se ramener au cas où ` = 2π ; on doit alors établir que l’on a A ≤ π, avecégalité si et seulement si Γ est un cercle (de rayon 1).(ii) On peut ensuite choisir de paramétrer la courbe Γ par l’abscisse curviligne, ce quiramène le problème au cas où a = 0, b = 2π et |γ′(t)| = 1 pour tout t de [0, 2π].(iii) Enfin, on remarque que l’inégalité à établir est invariante par translation. Si l’on posem = 1

2π∫ 2π

0 γ(t)dt, la translation z 7→ z −m permet de se ramener à une situation où l’ona∫ 2π

0 γ(t)dt = 0.Compte tenu de la normalisation (ii), on a

A = 12

∣∣∣∣ ∫ 2π

0

(x(t)y′(t)− y(t)x′(t)

)dt

∣∣∣∣ ≤ 12

∫ 2π

0

∣∣x(t)y′(t)− y(t)x′(t)∣∣ dtavec |xy′ − yx′| =

∣∣=((x+ iy)(x′ + iy′))∣∣ = |=(γγ′)| ≤ |γ||γ′| = |γ| puisque γ′(t) = 1 pour

tout t. Il vient doncA ≤ 1

2

∫ 2π

0|γ(t)| dt. (17)

En utilisant l’inégalité de Cauchy-Schwarz, on a par ailleurs

∫ 2π

0|γ(t)| dt ≤

(∫ 2π

0|γ(t)|2dt

)1/2(∫ 2π

012dt

)1/2=√

2π(∫ 2π

0|γ(t)|2dt

)1/2. (18)

On observe ensuite que la condition de fermeture γ(0) = γ(2π) permet de prolonger γ enune fonction 2π-périodique, de classe C1 par morceaux et continue sur R. Compte tenu dela normalisation (iii), on peut appliquer l’inégalité de Wirtinger 6.2.1 ; on obtient ainsi∫ 2π

0|γ(t)|2dt ≤

∫ 2π

0|γ′(t)|2dt = 2π. (19)

En reportant dans (17) et (18), on trouve finalement A ≤ 12√

2π√

2π = π. C’est l’inégalitérecherchée, compte tenu de la normalisation (i).Traitons maintenant les cas d’égalité. Il est clair qu’un cercle réalise l’égalité A = π.Réciproquement, celle-ci impose qu’il y ait égalité dans (19), ce qui, d’après la proposition6.2.1, implique γ(t) = αe−it + βeit pour des constantes complexes α et β convenables.On a donc γ′(t) = −iαe−it + iβeit, d’où |γ′(t)|2 = (−iαe−it + iβeit)(iαeit − iβe−it) =|α|2 + |β|2 + 2<(βαe2it). La relation |γ′(t)| = 1 pour tout t impose alors βα = 0 et il restedeux possibilités : β = 0 et γ(t) = αe−it, ou α = 0 et γ(t) = βeit. Dans les deux cas, Γ estun cercle.

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Joseph Fourier (1768-1830)23

Références[1] J. Dieudonné, Abrégé d’histoire des mathématiques, Hermann (1986).[2] J. Dieudonné, Calcul infinitésimal, Hermann (2ème édition 1986).[3] J.-P. Kahane & P.-G. Lemarié-Rieusset, Séries de Fourier et Ondelettes, Cassini

(1998).[4] Y. Katznelson, An introduction to harmonic analysis, Dover (1976).[5] J. Lelong-Ferrand & J.-M. Arnaudiès, Cours de Mathématiques - Classe prépa-

ratoires et premier cycle universitaire, Dunod (tome 1 : algèbre, 3ème édition 1978 ;tome 2 : analyse, 4ème édition 1977 ; tome 3 : géométrie et cinématique, 2ème édition1977 ; tome 4 : équations différentielles, intégrales multiples, 2ème édition 1977).

23Des détails sur la vie mouvementée et l’œuvre de Joseph Fourier sont disponibles à l’adressehttp ://www.academie-sciences.fr/membres/in memoriam/Fourier/Fourier oeuvre.htm

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