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Séquence ④ : L’Etranger, d’Albert CamusObjet d’étude : Le personnage de roman du XVII° siècle à nos jours

Lecture analytique n° ④LʼEtranger, CAMUS (1942) : lʼexcipit

La dernière page : “Lui parti, jʼai retrouvé le calme”... jusquʼà la fin

I) Introduction! - Situation générale : Ce texte constitue lʼexcipit du roman LʼEtranger dʼAlbert Camus, roman qui met en scène un petit

employé, Meursault, qui vit au jour le jour et refuse de faire semblant, comme le voudrait le conformisme social. Ce refus du conformisme social se double dʼune indifférence à sa propre vie (“Ça mʼest égal” est une phrase quʼil répète souvent) : même sʼil nʼen est pas encore conscient, il pressent lʼabsurdité du monde, et il vit chaque instant comme dénué de sens et de but. Un jeu de circonstances lʼa amené à tuer un Arabe. Le procès est maintenant terminé, Meursault a été condamné à mort. Non pas réellement pour son crime, puisque dans le contexte colonial dʼune Algérie contrôlée par la France, lʼassassinat dʼun Arabe par un Français nʼétait pas considéré à sa juste gravité, et Meursault aurait pu être facilement acquitté si par exemple il avait expliqué quʼil avait agi sous le coup dʼune insolation, ou sʼil avait plaidé la légitime défense (même si le fait dʼavoir tiré quatre fois était difficile à justifier). En vérité, la justice, au lieu de s'attacher à clarifier les circonstances du crime, sʼest concentrée sur la personnalité de Meursault, son caractère asocial. Et cʼest là que Meursault se fait “rattraper” par son caractère foncièrement différent, impossible à intégrer dans une société : sʼil est condamné à mort, cʼest pour son indifférence aux normes et aux valeurs de la société, indifférence dont on lui fait un crime parce quʼelle constitue un défi pour une société basée sur lʼambition et la domination.

- Situation particulière : Cʼest la dernière page du roman. Meursault doit être exécuté prochainement, lʼaumônier lui a rendu visite dans sa cellule, mais la consolation religieuse quʼil proposait à Meursault a mis celui-ci dans une étrange colère, mêlée de joie ; il sʼest précipité sur lʼaumônier, lʼa saisi au collet, lui criant que rien nʼa dʼimportance en soi puisque, de toutes façons, il nous faut tous mourir un jour : “un seul destin devait mʼélire moi-même, et avec moi des milliards de privilégiés”. On a “arraché” lʼaumônier des mains de Meursault. Celui-ci se retrouve maintenant seul.

II) Lecture!

III) Problématique et plan! Ce passage nous montre Meursault prenant conscience pour la première fois de lʼabsurdité de la vie. Cela va sʼopérer en deux temps : le retour au calme tout dʼabord, puis la découverte de sa propre vérité.

IV) Explication! A) Le retour au calme1) La coupure avec le monde des hommes- La coupure avec le monde des hommes sʼopère avec le départ du prêtre. Cʼest une rupture définitive, que marque nettement la subordonnée participiale “Lui parti...”, à la fois par sa brièveté (deux mots) qui marque bien la frontière entre le avant et le après, et par l'aspect accompli du verbe, qui suggère un fait révolu, une affaire classée dont on nʼa plus à sʼoccuper : cʼest comme si le prêtre nʼavait jamais existé.Dès lors Meursault retrouve le calme qui était le sien avant l'arrivée du prêtre, le calme foncier de celui qui sait quʼil a raison, de celui qui a trouvé SA vérité, comme il le dit dans un passage qui précède notre extrait : “Jʼavais eu raison, jʼavais encore raison, jʼavais toujours raison”.- Et cʼest, pour la première fois, la prise de conscience de son étrangeté au monde. Cette distance qui le séparait du monde des hommes, cette étrangeté, il ne se contente plus de la vivre au premier degré, dans une espèce dʼhébétude et d'engourdissement de la pensée, il la formule dans des mots : “un monde qui maintenant mʼétait à jamais indifférent”.Ce que perçoit Meursault de ce monde se trouve maintenant très loin, “à la limite de la nuit”, et en plus à travers la notation dʼun bruit désagréable (“des sirènes ont hurlé”) : ainsi ce monde est signalé comme agressif, par opposition avec le monde de la nature. 2) Lʼosmose avec le monde de la natureMeursault avait toujours fortement ressenti la nature (et notamment le soleil), il découvre maintenant que là est la vraie vie pour lui, à laquelle il sʼouvre entièrement après un sommeil purificateur qui est pour lui comme une nouvelle naissance : “Je crois que jʼai dormi parce que je me suis réveillé avec des étoiles sur mon visage”.- La nature est pour lui une fête des sens : y participent le toucher (“rafraichissaient, entraient en moi”), lʼodorat (“des odeurs de nuit, de terre et de sel”), lʼouïe (“des bruits de campagne”) et peut-être même le goût à travers le mot “sel”. Seule la vue nʼest pas représentée, peut-être du fait de la nuit ou encore de la présence des murs. Et Meursault, ce même Meursault qui avait tant de mal à établir des relations et une logique entre les choses (cf lʼusage du Passé

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Composé), cʼest lui maintenant qui va trouver des relations improbables et établir des correspondances proprement poétiques entre les différentes sensations (synesthésie de lʼodorat et du toucher : “Des odeurs rafraichissaient”) et entre lʼabstrait et le concret (métaphore de la paix comme une marée, nuit chargée de signes et dʼétoiles). De ces correspondances naît alors un sentiment dʼharmonie générale, renforcée par l'impression de durée quʼapporte lʼImparfait : “des bruits montaient / des odeurs rafraichissaient / la paix entrait”. On est loin de ce Passé Composé qui isolait chaque action lʼune de lʼautre et empêchait dʼy trouver une quelconque logique. Au lieu de placer le lecteur face à une succession de petits faits autonomes, lʼimparfait au contraire donne lʼimpression de baigner dans une sorte dʼintemporalité ou même dʼéternité. - Dʼautre part la nature semble être comme une compagne pour Meursault, ce que lʼon ressent à travers plusieurs personnifications : lʼété est “endormi” comme pourrait lʼêtre un être vivant, les éléments de la nature deviennent sujets de verbes dʼaction (“des bruits montaient, des odeurs rafraichissaient”). Parfois la personnification sʼopère au point dʼêtre ressentie comme une présence effective : “Je me suis réveillé avec des étoiles sur mon visage”, comme si lui et les éléments naturels étaient de la même essence, ce que rappelle un peu plus loin lʼexpression “un monde si pareil à moi, si fraternel”. Ce que Meursault ressent ici, cʼest une véritable communion avec la nature. Le monde certes est indifférent à lʼhomme. Mais cette indifférence est “tendre” car elle laisse à lʼhomme la possibilité de communier avec la nature, et donc dʼêtre heureux.Cette harmonie avec la nature sʼexprime dans un vocabulaire dont la poésie traduit un état dʼesprit tout nouveau chez Meursault. Finies les notations objectives et glacées du type “Aujourdʼhui maman est morte. Ou peut-être hier” que lʼon avait au début du roman, place au lyrisme et à la chaleur des sentiments, à la vision enchantée du poète (“merveilleuse paix, trêve mélancolique, nuit chargée de signes”)..

B) La découverte de sa vérité 1) Le souvenir de sa mèreLe roman se clôt par où il avait commencé, par lʼévocation de la mère, mais les choses sont maintenant bien différentes. Une solidarité nouvelle est apparue entre le fils et sa mère, née dʼune proximité des vécus :- Lʼexpérience commune de lʼattente de la mort : on notera la douceur nouvelle de lʼeuphémisme “des vies sʼéteignaient”, lʼutilisation de la métaphore montrant une prise de recul, un lâcher-prise, un détachement du fait brut de par la magie de la poésie, qui révèle un abandon serein à un destin que Meursault a désormais accepté.- La similitude des leçons tirées de cette imminence de la mort : la vie a une valeur en elle-même, et non pas par rapport à une hypothétique vie éternelle ou de hasardeuses récompenses ou punitions dans lʼau-delà. Cʼest pourquoi Meursault avait été si agressif envers le prêtre, qui “vivait comme un mort”, puisque tout entier tourné vers une supposée vie future. En niant la valeur de la vie ici-bas, le prêtre dépossédait Meursault de son unique richesse. Dʼoù la violence de la réaction de ce dernier. Meursault imagine sa mère “prête à tout revivre”, ce qui est une façon " - de vivre intensément lʼinstant présent sans le laisser être gâché par lʼidée de la mort (“si près de la mort, maman devait sʼy sentir libérée”), " - dʼassumer sa vie, cʼest-à-dire dʼaffirmer que, sʼil fallait la revivre elle nʼy changerait rien. Cʼest pourquoi “personne nʼavait le droit de pleurer sur elle”, puisquʼelle avait vécu pleinement et comme la vie doit être vécue, elle avait même “joué à tout recommencer”. Pleurer sur elle, cʼétait lui faire lʼinsulte de croire quʼelle nʼavait pas su employer sa vie comme il le fallait.Car la vie est belle quand on nʼespère plus, quand on est “vidé dʼespoir”, quand on a accepté quʼil nʼy avait rien dʼautre quʼelle sur terre : alors elle devient précieuse, puisquʼelle constitue toute notre richesse. Et la seule chose à faire est de la vivre le plus intensément possible, sans y chercher un sens improbable ou des buts imaginaires (comme le font les religions), qui ne font que nous détourner de la vivre pleinement et de lʼapprécier à sa juste valeur, dans lʼici et le maintenant de la sensation.

2) Le bilan personnelLa réflexion sur sa mère permet à Meursault de se comprendre lui-même : “Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre”. Il fait alors une double prise de conscience :- Il se rend compte de son bonheur : “Jʼavais été heureux et je lʼétais encore”.Son bonheur, Meursault lʼa trouvé dans la jouissance de lʼinstant présent, et dans la plénitude de la sensation : ainsi lʼesprit trouve sa raison dans le corps. Et les sensations les plus fortes naissent au contact avec la nature : si la nature revêt une telle importance pour Meursault, cʼest quʼil sent confusément quʼil nʼa pas dʼautre raison de vivre que dʼêtre en harmonie totale avec elle. Ainsi vivre au jour le jour sans se poser de questions puisque de toutes façons rien de tout cela nʼa de sens, se laisser aller en quelque sorte à la pleine expérience de lʼinstant présent, tel est le secret pour être heureux selon Meursault, cʼest-à-dire selon lʼhomme absurde. Mais ce bonheur ne peut être là quʼà partir du moment où la mort nʼest plus un scandale, cʼest-à-dire à partir du moment où elle est pleinement acceptée. Or cette acceptation va se faire que lorsquʼelle sera toute proche (“si près de la mort, maman devait sʼy sentir libérée”) : cʼest pourquoi Meursault ne prend conscience de tout cela quʼau moment où il sait quʼil va être exécuté.- Il ne subit plus lʼabsurdité de la vie, il l'assume.Ce quʼil a compris de lui-même maintenant lui permet d'assumer ce qui lʼattend en toute tranquillité. Il se projette même dans le futur (“il me restait à souhaiter...”) et cʼest la première fois quʼil est capable de dépasser le présent. Il fait même un bilan sur son passé (“jʼavais été heureux”), envisageant ainsi la vie de façon beaucoup plus large que précédemment. Cʼest quʼil a trouvé sa logique propre et se sent désormais justifié dʼavoir vécu le nez sur lʼinstant

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présent, sans chercher à déterminer les causes ou les buts de ses actions. Lʼabsurde quʼil mettait en application sans le savoir, maintenant il le prend en charge : cʼest dans lʼindifférence à tout que lʼhomme absurde trouve son bonheur. Désormais, il vivra (même si ce nʼest plus pour longtemps) en complète logique avec lui-même.- Il se veut en rupture totale avec le reste des hommes (“et quʼils mʼaccueillent avec des cris de haine”). Nous sommes loin de la vulnérabilité de celui qui se sentait toujours coupable (“il mʼa semblé quʼil me reprochait quelque chose” est en effet une idée qui revenait souvent dans son discours).Il se permet même de faire de lʼironie, voire de la provocation : “pour que je me sente moins seul... quʼils mʼaccueillent avec des cris de haine”, comme si la haine pouvait faire quʼon se sente moins seul, comme si cette haine allait lui tenir compagnie ! Mais il est arrivé à un tel détachement du reste des hommes et de ce quʼils peuvent penser de lui quʼil nʼa aucune envie dʼêtre apprécié dʼun monde quʼil refuse, et que la haine quʼil suscite lui est la confirmation quʼil a fait le bon choix : il ne veut rien avoir de commun avec cette société, il se veut irréductiblement hors normes. Et dans ce contexte, les cris de haine pourront effectivement lui sembler de bonne compagnie...Si le héros est celui qui va jusquʼau bout de lui-même, Meursault est un héros. En effet, il est allé jusqu'au bout de l'absurde : puisque tout est égal, tuer ou ne pas tuer est égal, jusquʼà lʼultime constatation : vivre ou mourir est égal. Ainsi Meursault a-t-il fait taire en lui tout réflexe vital, tout instinct de vie. Mais ce héros est en fait en anti-héros, puisquʼil va jusquʼau bout... de lʼabominable : sa façon de vivre en-dehors de tout sens et de tout jugement moral lʼa tout de même amené à enterrer sa mère sans émotion et à tuer sans état dʼâme... En ce sens, il représente bel et bien un danger pour la société.

V) Conclusion!

- Meursault est enfin parvenu à coïncider avec lui-même, à être logique avec lui-même. Son étrangeté à la société trouve son explication dans sa conception dʼun bonheur comme jouissance immédiate de lʼinstant présent après avoir renoncé à lutter contre lʼinévitable. Cʼest une sorte de stoïcisme moderne : ne pas sʼépuiser face à une chose contre laquelle on ne peut rien. En ce sens, LʼEtranger apparaît comme un roman dʼinitiation dont le héros prend progressivement conscience de lui-même. Il devient capable dʼexprimer sa logique propre et de lʼassumer face au monde : se tenir proche de la nature et éloigné des hommes.- “Philosopher, cʼest apprendre à mourir”, disaient les philosophes de lʼAntiquité (et après eux, Montaigne au XVI° siècle). Meursault dans ce sens, est un sage : il a accepté de mourir et il prend la vie comme elle vient. La particularité de cette dernière page, cʼest quʼil en prend enfin conscience, y puise une grande sérénité, et dès lors sera capable de lʼassumer envers et contre tous.- Pourtant, même si lʼunivers est privé de sens, lʼindividu peut agir. Meursault reste un personnage théorique, et son créateur nʼest pas allé aussi loin que lui sur le chemin de lʼabsurde. En effet, Camus ne sʼest pas désinvesti de la vie. Bien au contraire, il sʼest lancé dans lʼaction et a pris le parti des opprimés : il sʼest révolté contre les choses révoltantes. Pour lui, tout était loin dʼêtre égal...

Voir lʼadaptation filmée de lʼexcipit par des élèves dʼun lycée de Pontoise