signe et sens-ricoeur

17
 SIGNE ET SENS Sommaire Introduction Histoire du problème L'Antiquité et le Moyen Âge Le XVII e  siècle et l'empirisme des Modernes La pensée contemporaine Signe et sens en linguistique structurale Signifiant et signifié Lois de structure Vers une sémiotique générale Sémiotique et sémantique Linguistique du discours Sémantique philosophique Sens et interprétation Bibliographie Les auteurs Paul RICŒUR, professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago , Étienne Bonnot de Condillac  Pour Étienne Bonnot de Condillac (1714-1780), le sens dérive du signe. Lithographie au crayon d'après un portrait d'époque, 1830.  Page 1 sur 17 Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print 2011-09-05 http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/index.php?id=21&tx_eu%5Bnr ...

Upload: etienne-marcoux

Post on 11-Jul-2015

192 views

Category:

Documents


3 download

TRANSCRIPT

5/11/2018 Signe Et Sens-Ricoeur - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/signe-et-sens-ricoeur 1/17

SIGNE ET SENS

Sommaire

Introduction•

Histoire du problème••

L'Antiquité et le Moyen Âge◦

Le XVIIe siècle et l'empirisme des Modernes◦

La pensée contemporaine◦

Signe et sens en linguistique structurale••

Signifiant et signifié◦

Lois de structure◦

Vers une sémiotique générale◦

Sémiotique et sémantique••

Linguistique du discours◦

Sémantique philosophique◦

Sens et interprétation◦

Bibliographie•

Les auteursPaul RICŒUR, professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur àl'université de Chicago

,•

Étienne Bonnot de Condillac Pour Étienne Bonnot de Condillac (1714-1780), le sens dérive du signe.

Lithographie au crayon d'après un portrait d'époque, 1830. 

Page 1 sur 17Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print

2011-09-05http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/index.php?id=21&tx_eu%5Bnr ...

5/11/2018 Signe Et Sens-Ricoeur - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/signe-et-sens-ricoeur 2/17

p p y p p _

Crédit :Erich Lessing/ AKG

Tous les documents proposés par Encyclopædia Universalis sont légalement autorisés pour l'usage pédagogique 

Prise de vueInterroger sur le rapport entre signe et sens, c'est poser un problème qui n'aguère été formulé dans ces termes avant le xviie siècle, plus précisément avantCondillac. C'est demander quel lien nos idées et nos pensées entretiennent avecles mots de notre langage et en général avec les moyens d'expression qui ontune certaine parenté avec les mots. Il s'agit donc de mettre en relation la sphèrede la pensée et la sphère du langage et de l'expression.

Se substituant à la problématique platonicienne de l'essence et de l'idée, celle dusigne et du sens oscille néanmoins, au cours de l'histoire, entre une théorie du

sens et une tradition empiriste qui tend à régler celui-ci sur le signe. En dépit dela manière dont elle renouvelle la question et de la priorité qu'elle semble conféreravec plus de rigueur encore à l'empire du signe, la linguistique contemporaine nefait pas disparaître l'enjeu philosophique qui a préoccupé les penseurs dessiècles précédents. Plusieurs approches, d'ailleurs, la diversifient, dont certainesappliquent les lois vérifiées pour l'unité signifié-signifiant à la phrase, à des unitésencore plus larges et même à des ensembles sémiotiques extérieurs au langage.En revanche, cette linguistique du discours conduit à une sémantiquephilosophique à l'intérieur de laquelle apparaît, à côté d'une perspectivesémiologique de type explicatif, une seconde notion du sens, corrélative d'uncomportement interprétatif soucieux de suivre celui-ci vers la « référence », c'est-à-dire vers le monde ouvert devant le texte.

Ainsi, cette dialectique entre les deux comportements à l'égard du texte paraîtbien être la forme moderne que prend le grand débat qui, au cours des siècles,n'a cessé de donner tour à tour la priorité au signe sur le sens, et au sens sur lesigne.

Histoire du problème

L'Antiquité et le Moyen Âge

Une longue histoire du problème du signe et du sens a plutôt enseigné à ne pasrelier les deux sphères de la pensée et du langage et même à les séparer. Dans leCratyle , Platon s'interroge longuement sur la « justesse » des mots ; il renvoie dosà dos les deux protagonistes dont l'un veut que les mots naissent de la« convention » et l'autre qu'ils tiennent leur signification du lien qu'ils ont conservéavec la « nature » ; refusant l'alternative, il conclut qu'il faut aller aux chosesmêmes « sans les mots » ; or, aller aux choses sans les mots, c'est méditer sur lesidées, c'est-à-dire sur les modèles intelligibles des choses empiriques, qui seuls

Page 2 sur 17Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print

2011-09-05http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/index.php?id=21&tx_eu%5Bnr ...

5/11/2018 Signe Et Sens-Ricoeur - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/signe-et-sens-ricoeur 3/17

p p y p p _

sont véritablement. Socrate avait déjà enseigné à « définir » les Idées (idéesmathématiques, idées morales, idées de choses, etc.) : ces définitions constituentnotre premier concept du sens ; le sens d'une notion, c'est le définissant que nouspouvons lui substituer. Mais, si Socrate avait « défini » les Idées, Platon les a« séparées », selon le mot fameux d'Aristote ; entendons qu'il les a séparées de laréalité sensible. La dialectique est alors la science de ces idées séparées et deleurs combinaisons. Ainsi avons-nous hérité de Platon une problématique du sens

où le sens est l'Idée, ou l'essence, c'est-à-dire le principe intelligible aussi bien dela réalité que de la pensée.

Mais l'Antiquité nous a transmis d'autres manières de poser le problème du sensqui sont moins éloignées de notre manière d'interroger sur signe et sens. Aristote,rejetant la transcendance des Idées platoniciennes, et lui substituant une notion de« forme » inhérente aux individus concrets, ouvre une autre tradition qui l'emporteau Moyen Âge, la tradition du concept . Le concept n'est pas quelque chose quenous contemplons par l'esprit, mais que nous tirons par abstraction de l'expériencesensible ; la pensée conceptuelle n'est pas un simple résultat de l'expériencesensible, mais elle dégage les formes abstraites, les universaux comme on dira au

Moyen Âge, de la gangue sensible qui les enveloppe.Une réflexion sur le travail actif de l'abstraction est plus propice à une interrogationsur le rapport entre le langage et la pensée, comme l'atteste la tradition médiévale.Cette interrogation se fait dans le cadre des disciplines qui ont, à l'égard de laphilosophie et de la théologie, le rôle d'initiation au discours : rhétorique,grammaire, logique. En particulier, la grammaire spéculative du xive siècle marqueune avance extraordinaire dans la théorie des signes. L'analyse des modi signandi  est déjà une véritable théorie des désignations ; elle comprend un inventaire deséléments, de ce qu'on appellerait aujourd'hui signe (vox et dictio annoncent nos« signifiant » et « signifié ») ; l'analyse des modi significandi ajoute aux puresdésignations un sens intentionnel que la grammaire enseigne à insérer dans laphrase. La grammaire est ainsi constituée en logique du discours humain. Lesmédiévaux, devançant les spéculations du xviiie siècle, conçoivent une grammaireuniverselle, une et la même, que le philosophe extrait des variations accidentellesdes grammaires naturelles. Le Moyen Âge n'a donc pas ignoré le problème dusigne et du sens.

Toutefois, dans les disciplines fondamentales de la philosophie et de la théologie,l'accent reste mis, pendant tout le Moyen Âge, moins sur le rapport du sens ausigne que sur le rapport des « modes de désignation » et de « signification » aux« modes d'intellection » et aux « modes d'être ». Et cela pour une raisonfondamentale : le conceptualisme, ayant rompu sur sa droite avec le réalisme des

Idées, veut se garder sur sa gauche de toute réduction des universaux, soit auximages sensibles dont ils sont extraits, soit au langage qui les véhicule ; la querelledes universaux prend ainsi la forme d'un combat sur deux fronts : les universauxsont-ils réels, au sens platonicien, ou seulement conçus ? Et s'ils sont seulementconçus, dérivent-ils du sensible ou ont-ils un mode d'être propre qui ne soit ni réelni mental, mais « objectif » ? De toutes les écoles de pensée médiévales, c'est lenominalisme seul qui, avant le xviiie siècle, établit un lien intime entre les

Page 3 sur 17Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print

2011-09-05http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/index.php?id=21&tx_eu%5Bnr ...

5/11/2018 Signe Et Sens-Ricoeur - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/signe-et-sens-ricoeur 4/17

p p y p p _

universaux et les nomina , c'est-à-dire les noms donnés à des complexesd'expérience ; ainsi le nominalisme est-il l'ancêtre de toutes les écoles quirapportent le sens au signe plutôt qu'à l'idée ou au concept.

Le XVIIe siècle et l'empirisme des Modernes

L'irruption des mathématiques et la réorganisation de la méthode philosophique surle modèle mathématique produisent au xviie siècle une rupture avec leconceptualisme trop lié à une vision du monde dominé par la physique d'Aristote.Une nouvelle ère est ouverte pour la philosophie des idées. Le choix du terme n'estpas fortuit : les concepts nouveaux de la physique mathématique, avec Galilée etDescartes, sont plus proches des idées mathématiques du platonisme que desconcepts qualitatifs d'Aristote. Avec l'idée revient aussi l'intuition intellectuelle ; ilfaut alors expliquer le fait que nos mots ont un sens par les significations quis'attachent aux idées. Ce sont donc les idées, directement saisies par la pensée,qui fondent les significations de nos mots. C'est ainsi que le mathématisme de laphilosophie cartésienne renverse le rapport du signe et du sens tel qu'il avait étéconçu par le nominalisme et même par le conceptualisme médiéval.

La position nominaliste réapparaît avec la critique empiriste des idées cartésienneset leibniziennes ; par « idée » Hume entend les impressions sensibles dont lesimages sont des expressions affaiblies. Du même coup, un écart se creuse qu'ilfaut combler entre, d'une part, ces impressions et ces images et, d'autre part, lesconcepts de la pensée abstraite et leur sens. L'empirisme est ainsi amené àconcevoir divers procédés, diverses genèses, destinés à dériver le « sens » du« sensible ». Parmi ces procédés et ces genèses, les signes de notre langagedevaient fournir l'appui décisif. C'est ainsi qu'on en vient à la position du problèmechez Condillac et ses successeurs. Le sens dérive du signe. Les signes ont eneffet un étonnant pouvoir substitutif : mis pour les choses, ils peuvent aussi être

mis les uns pour les autres. Ce pouvoir indéfini de substitution peut lui-mêmes'expliquer dans le cadre de l'associationisme : si deux choses ont été donnéesensemble, l'une peut être évoquée quand l'autre est donnée, puis évoquée en sonabsence, pour finalement la remplacer. Ainsi en est-il des signes, substitutsreprésentatifs des choses, puis d'autres signes. Dès lors, la théorie du sensbascule : au lieu que le sens prenne appui sur l'idée éternellement donnée dansl'entendement avant le sens des mots, la genèse du sens prend appui sur lagenèse des signes, qui sont les seules choses susceptibles de précéder le sens denos mots.

Étienne Bonnot de Condillac 

Page 4 sur 17Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print

2011-09-05http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/index.php?id=21&tx_eu%5Bnr ...

5/11/2018 Signe Et Sens-Ricoeur - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/signe-et-sens-ricoeur 5/17

p p y p p _

Pour Étienne Bonnot de Condillac (1714-1780), le sens dérive du signe.Lithographie au crayon d'après un portrait d'époque, 1830.

 Crédit :

Erich Lessing/ AKGTous les documents proposés par Encyclopædia Universalis 

sont légalement autorisés pour l'usage pédagogique 

Ainsi, le problème du signe et du sens a-t-il été conquis aux dépens d'une autreproblématique, celle de l'essence et de l'idée, à travers la grammaire spéculativedu haut Moyen Âge, le nominalisme du bas Moyen Âge, puis l'empirisme desModernes jusqu'à la théorie des signes de Condillac. Dans le rapport entre signe etsens, l'accent porte tour à tour sur le signe ou sur le sens, selon que le signe est leseul appui du sens, ou selon, au contraire, que la faculté d'appréhender par l'espritquelque chose comme un sens explique que les signes fonctionnent commesignes, c'est-à-dire comme capacité de valoir pour..., d'être mis pour...

La pensée contemporaine

Cette oscillation est très perceptible dans la philosophie contemporaine. La Critique de la raison pure ignore le langage ; sans aucunement revenir à l'intuitionintellectuelle, à la vision des idées, Kant constitue le sens de nos propositionsempiriques sur la base des opérations de jugement, qui sont elles-mêmesdirectement réglées par des structures de pensée : espace-temps, catégories dequantité, de qualité, de relation (cause), de modalité (réel, possible, nécessaire) ;ces catégories ne sont pas issues de la grammaire de nos langues, elles peuventêtre « déduites » directement, à titre de condition de possibilité de l'expérience etdes objets de l'expérience. La philosophie transcendantale offre ainsi un modèlepuissant où le sens ne dérive pas du signe. Au début du xxe siècle des théories du

sens ont fleuri qui, en réaction contre le psychologisme de la fin du siècleprécédent, ont conçu le sens des propositions logiques comme indépendant des« représentations » multiples du même sens (à différents moments du temps chezle même individu, ou chez des individus différents). Chez Frege, Meinong, Husserl,le premier Russell, le « sens » est « objectif », « idéal », distinct des contenusmentaux, et par conséquent des signes linguistiques. La théorie du sens serapproche alors à nouveau du platonisme, ou mieux de la conception de l'êtreobjectif de certains médiévaux, laquelle suppose que l'on reconnaisse à l'être unediversité de significations et que l'on conçoive d'autres modes d'être que l'existencedes choses perçues. Mais, même chez les penseurs les plus enclins à parler du« sens en soi » des énoncés ou des propositions, un certain rapport avec lessignes est rétabli. Ainsi Husserl, dans les Recherches logiques , tente-t-il derapporter le sens, qu'il a au préalable délié de toute dépendance à des contenusmentaux, à des actes intentionnels dont il devient le corrélat objectif. Ce rapportintentionnel, à son tour, est investi dans des « expressions linguistiques » tellesque le sens soit le sens de ces expressions ; d'où le titre de la première Recherche logique : « Expression et signification ». Ce titre ramène au rapport signe-sens ; carles « expressions » sur lesquelles travaille le logicien sont des signes de notrelangage et la signification des propositions est aussi le sens de ces signes. Ainsi lelogicisme, après s'être éloigné d'une considération des signes, y revient-il par lebiais d'une méditation sur le rapport des objets de pensée aux actes de pensée.

Page 5 sur 17Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print

2011-09-05http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/index.php?id=21&tx_eu%5Bnr ...

5/11/2018 Signe Et Sens-Ricoeur - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/signe-et-sens-ricoeur 6/17

p p y p p _

Mais, même alors, c'est la théorie du sens qui règne sur celle du signe. Les lois dusens sont les lois du signe. C'est l'identité d'un « même » sens qui permet au signede signifier. Plus fondamentalement, selon Logique formelle et logique transcendantale de Husserl, ce sont les trois logiques du « sens » qui gouvernentl'usage des signes : une première logique, celle des expressions bien formées,enseigne les règles de convenance mutuelle entre significations qui permettent deconstituer une grammaire logique, fondement de toutes les grammaires

empiriques ; une deuxième logique, celle de la cohérence, donne les règles quicommandent la conduite du discours ; une troisième logique, celle duremplissement ou de la vérification, commande toutes les démarches parlesquelles nous donnons des valeurs de vérité à nos énoncés, par conséquentdonc une référence à notre discours.

Mais la tradition proprement empiriste, qui tend à régler le sens sur le signe, n'a jamais été extirpée ; elle s'exprime vigoureusement dans les diverses formes dupositivisme logique, et en particulier dans le conventionnalisme, qui nous intéresseplus directement ici ; selon cette école, les lois de la pensée sont des conventionsauxquelles sont « commis » les membres de la communauté parlante. Il n'y a pas

d'essence derrière le sens ; mais les significations de nos mots sont des« étiquettes » (Nelson Goodman) dont la valeur est fixée par convention et parcoutume ; il est loisible de les changer, de les déplacer, de les étendre. Pour leconventionnalisme, non seulement les notions mais les principes fondamentaux dela science sont de nature conventionnelle et donc liés à l'institution du langage.Ainsi Max Black propose une solution purement sémantique du problème del'induction : si j'ai le droit de passer, dans l'énoncé des lois de la nature, de « trèssouvent » à « toujours », c'est parce que l'usage du langage présuppose cetteassomption. Toutes les fois donc qu'on entreprend de donner une solutionsémantique à des problèmes épistémologiques, le sens bascule à nouveau du côtédu signe. Les lois du signe gouvernent alors celles du sens.

Signe et sens en linguistique structurale

La petite histoire du problème philosophique du signe et du sens servira de toile defond à l'analyse proprement linguistique des mêmes concepts. Si, en effet, lanaissance de la linguistique marque une coupure importante dans l'histoire duproblème, elle n'abolit pas pour autant les enjeux philosophiques. On peut dire, enpremière approximation, que la linguistique structurale place à nouveau la notionde sens sous l'empire de celle du signe (nous disons : en première approximation,afin de réserver l'éventualité d'un renversement de priorité, similaire à ceux que lalongue histoire du problème révèle).

Signifiant et signifié

La possibilité de principe de subordonner la notion de sens à celle de signe estcontenue dans l'analyse, aujourd'hui classique, du signe par Ferdinand deSaussure dans le Cours de linguistique générale . Un signe est un phénomène àdouble face qui oppose et relie un signifiant (vocal, écrit, gestuel, etc.) à un signifiécorrélatif. Le signifié n'est aucunement une chose, c'est-à-dire une entitéextralinguistique, il est purement et simplement l'autre face du signe, donc uneentité proprement linguistique, la simple contrepartie du signifiant. Saussure lui-

Page 6 sur 17Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print

2011-09-05http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/index.php?id=21&tx_eu%5Bnr ...

5/11/2018 Signe Et Sens-Ricoeur - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/signe-et-sens-ricoeur 7/17

p p y p p _

même donnait une interprétation psychologique et sociologique de cettecorrélation : le signifiant est l'image acoustique d'un mot, le signifié est le conceptcorrespondant, c'est-à-dire une notion appartenant au trésor intellectuel de lacommunauté linguistique ; considéré du point de vue du sujet parlant, le signifié estun dépôt inscrit dans l'inconscient d'où il peut être évoqué à l'occasion d'un acteparticulier de parole. On peut abandonner cette transcription psychologique etsociologique ; l'essentiel demeure, à savoir que signifiant et signifié sont des

corrélatifs, comme le sont l'envers et l'endroit de la même feuille de papier ; ils sonttaillés ensemble, selon les mêmes découpures, par le ciseau de la conventionlinguistique. Ainsi compris, le rapport entre signifiant et signifié ne peut même pasêtre dit arbitraire, du moins au sens où le signe, pris globalement, l'est par rapportà la chose dénommée ; toutefois, ce rapport peut être dit arbitraire, si l'on veutsouligner que le caractère conceptuel du signifié n'est pas motivé par le caractèresonore, graphique ou gestuel du signifiant ; mais, par là, on rappelle seulement quesignifiant et signifié sont hétérogènes, qu'ils appartiennent à deux ordresdifférents ; ils n'en sont pas moins strictement corrélatifs.

Telle est la première analyse qui peut être faite du rapport entre signes et sens, si

l'on tient pour équivalents sens et signifié. Cette corrélation admise, il est permis dedériver une théorie du sens de l'analyse du signe proposée par l'analysestructurale. Disons d'abord qu'aucune question de sens n'est posée, du moinsdirectement, par l'articulation phonologique du langage ; les phonèmes ne sont pasencore des entités signifiantes, mais seulement distinctives ; sans doute, pourparler d'un phonème, faut-il parler du sens qu'il permet d'articuler, comme lemontre le maniement du critère de commutation (le remplacement d'un phonèmepar un autre suppose qu'un sens distinct est produit, mais seule l'existence oul'inexistence de ce sens importe, non son contenu propre). C'est donc l'autrearticulation, celle qui concerne le signifié, ou plutôt l'unité signifiant-signifié prise defaçon indivise, qui pose directement le problème du sens. L'analyse des mots enunités élémentaires de sens laisse entrevoir la possibilité d'appliquer aux unitéssignifiantes les mêmes lois que celles que la phonologie montre à l'œuvre au plandes unités simplement distinctives. La sémantique structurale est née de ceparallélisme entre l'analyse du signifié et l'analyse du signifiant. Pour la linguistiquestructurale, les lois du sens sont contenues dans les lois du signe.

Lois de structure

Rappelons quelques-unes de ces lois.

Comme les unités de signe, les unités de sens sont purement différentielles etoppositives ; de même qu'un phonème n'a pas d'existence physique fixe et n'est

défini que par son opposition à tous les autres, de la même manière un sens n'estqu'une différence dans un système lexical ; ce que nous appelons le sens d'un motest constitué par tout ce qui est « autour » de ce mot ; le signe lexical n'a pasd'autre sens que celui que sa place dans le système lui confère (qu'on évoquesimplement le découpage linguistique des couleurs dans les différentes languesnaturelles).

Un sens, dès lors, est une forme, non une substance (mentale ou sociale). Lafaçon dont il est effectué psychologiquement ou dans une situation de discours estinessentielle, comme est inessentielle la réalisation sonore d'un phonème.

Page 7 sur 17Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print

2011-09-05http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/index.php?id=21&tx_eu%5Bnr ...

5/11/2018 Signe Et Sens-Ricoeur - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/signe-et-sens-ricoeur 8/17

p p y p p _

En ce qui concerne les relations de temps, les unités de sens, comme les unitésd'articulation phonologique, entrent dans deux sortes de rapports : des rapports desynchronie dans une même coupe de présent, des rapports de diachronie entre unétat de système et un état suivant. Cette loi est d'une grande importance en raisonde son application à des réalisations de langage d'un ordre plus élevé, telles queles textes.

Si l'on ne peut mêler les deux points de vue, le point de vue systématique et lepoint de vue historique, l'analyse structurale du sens doit être distinguée de l'étudehistorique de ses origines et de son évolution ; et s'il est vrai que l'on comprendglobalement un système avant de comprendre comment il change pièce à pièce oudans son ensemble, l'analyse systématique a néanmoins priorité sur l'analysehistorique.

De cette loi il résulte qu'un système linguistique est un système fermé dont tous lesrapports sont de dépendance interne. Cette loi est d'une grande importance pour lanotion de sens. Parler du sens d'un mot, d'une phrase, d'un texte, tant qu'on restedans les limites du signifié corrélatif du signifiant, ce n'est aucunement impliquer un

renvoi du langage à quoi que ce soit d'extérieur à lui ; aucune transcendance aulangage n'est admise dans une conception du sens dérivée des lois d'immanencequi régissent les systèmes de signes. Par sens on ne désigne rien d'autre que lesrapports de distribution entre signes du même ordre et les rapports de hiérarchieentre signes de rang différent. On peut même décider d'appeler forme les rapportsde distribution à un même niveau et réserver le terme de sens pour des rapportsd'intégration entre unités de rang différent. Mais cette distinction entre forme etsens ne change rien à l'essentiel, à savoir que, pour une analyse structurale dusens, le sens n'est rien qui tire le langage à l'extérieur de lui-même et le rapporte àdes choses extralinguistiques. Elle est la conséquence la plus rigoureuse d'unedéfinition du signe d'où le rapport de transcendance à la chose a été banni aubénéfice d'un rapport du signifiant au signifié entièrement immanent au signe lui-

même. En même temps, cette exigence fait de la langue un objet homogène descience, puisque tous les éléments du problème sont situés à l'intérieur d'uneclôture instituée par la méthode linguistique elle-même.

Vers une sémiotique générale

Ces principes et ces axiomes sont d'une telle généralité qu'on a pu concevoir deles appliquer au-delà du signe linguistique. Et cela dans deux directions où se jouechaque fois le destin de la notion de sens.

La première direction conduit hors du langage ; c'est la voie ouverte par

C. S. Peirce, lorsque celui-ci conçut l'existence d'une science totale des signes qu'ilappelait la sémiotique et qui devait englober tous les signes autres que les signeslinguistiques, le langage devenant une province de cet empire des signes, tout engardant le rôle d'exemple privilégié, voire de paradigme pour tous les autressystèmes. Cette généralisation nous importe, car elle entraîne une extensionparallèle de la notion de sens à tous les autres ensembles sémiotiques (rituels,règles de politesse, modes vestimentaires ou de l'habitat, symbolique de l'échangemonétaire, classifications de tous ordres). La présupposition d'un modèlegénéralisé est que tous les ensembles sémiotiques sont homologues ; les lois dusigne et du sens peuvent donc leur être appliquées ; en outre, on peut former le

Page 8 sur 17Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print

2011-09-05http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/index.php?id=21&tx_eu%5Bnr ...

5/11/2018 Signe Et Sens-Ricoeur - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/signe-et-sens-ricoeur 9/17

p p y p p _

rêve de reconstruire le sens global d'une société sur la base des rapports destructure à structure reliant entre eux les multiples systèmes de signes fonctionnantdans cette société.

La seconde direction n'est pas moins intéressante : elle procède aussi de lagénéralisation du signe linguistique, mais à l'intérieur cette fois du langage lui-même ; la linguistique, en effet, ne travaille en principe que sur des unités plus

petites ou égales à la phrase. Il est alors légitime de supposer que les unités pluslongues que la phrase, celles qui constituent les ensembles tels que récits,poèmes, essais, obéissent aux mêmes lois que les unités plus petites que laphrase. C'est une autre façon de tenir pour homologues tous les arrangements quipeuvent se produire dans le langage, à tous les niveaux de son fonctionnement.L'analyse structurale des récits, des mythes, des poèmes repose sur cettehypothèse de travail. Le succès, partiel mais certain, de l'entreprise vérifiel'hypothèse. Aussi loin que peut être poussée l'analyse structurale d'un texte, aussiloin s'étend la fécondité de la méthode. Les implications pour la notion de senssont considérables : de la même façon que le sens d'un mot, dans un systèmelexical, n'est rien qui le rattache à une chose, il faut dire maintenant que le sens

d'un texte n'est rien qui le réfère à une réalité extérieure au langage ; il consistedans les articulations internes du texte et dans la subordination hiérarchique desparties au tout ; le sens est le lien interne du texte.

Sémiotique et sémantique

L'analyse précédente a été appelée une analyse en première approximation. On adû admettre, en effet, pour l'amener à ces deux extrêmes conséquences, que laquestion du sens ne se distinguait pas de celle du signifié des signes. Or cetteidentification du sens au signifié peut elle-même être interrogée. N'y a-t-il riend'autre dans le langage à quoi la question du sens puisse être rattachée ? Ce

serait le cas si l'on pouvait affirmer sans réserve que le langage repose sur uneseule sorte d'entités ou d'unités, les signes. Il ne semble pas que Saussure, de quidérive l'analyse antérieure, en ait douté. Et pourtant, la distinction qui précèdetoutes les autres dans son œuvre, celle de la langue et de la parole, laisse ouvertela question de savoir si la parole ne repose pas elle aussi sur des unités qui luisoient propres. Le Cours de linguistique générale côtoie ce problème à l'occasiond'une distinction qui vient vers la fin de l'ouvrage et qui concerne le mécanisme dela langue. Venant à considérer non plus les signes eux-mêmes, mais la manièredont ils se combinent, Saussure distingue deux sortes de rapports : les rapportssyntagmatiques (c'est-à-dire les combinaisons entre tous les termes présents dansla chaîne du discours et placés dans un rapport de continuité temporelle) et les

rapports paradigmatiques (qui régissent la sélection d'un terme présent par rapportaux termes absents qui constituent avec lui une sphère de ressemblance, unparadigme pour des opérations de substitution). Or ces deux types de rapportssont simultanément mis en œuvre, en chaque acte de parole, sur la base d'uneentité linguistique qui suffit à elle seule à différencier la parole de la langue ; cetteentité linguistique est la phrase. La question se pose alors de savoir si la phrase neconstitue pas une unité linguistique absolument irréductible aux unités de langue.Cette question est décisive pour la présente investigation portant sur les rapportsentre signe et sens ; ne peut-on supposer, en effet, que la notion de sens n'estaucunement réductible à celle du signifié, c'est-à-dire de corrélatif du signifiant,

Page 9 sur 17Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print

2011-09-05http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/index.php?id=21&tx_eu%5Bnr ...

5/11/2018 Signe Et Sens-Ricoeur - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/signe-et-sens-ricoeur 10/17

p p y p p _

mais qu'elle est plutôt un trait caractéristique de la phrase en tant qu'unité deparole ? C'est cette hypothèse qu'on va maintenant explorer. Elle implique quesigne et sens ne sont pas de simples corrélatifs, comme signifiant et signifié, maisqu'ils appartiennent à deux champs théoriques distincts, reposant sur des principesdistincts et demandant des descriptions distinctes.

Linguistique du discours

Cette analyse nouvelle relève encore pour une part de la linguistique ; mais alors ils'agit d'une linguistique du discours et non plus de la langue ; elle relève pour uneautre part de la sémantique philosophique, qui attaque la question du sensdirectement, sans considération de la diversité des langues naturelles et donc del'investigation des signes ; cette sémantique philosophique connaît un granddéveloppement dans les travaux de langue anglaise. Dans une première phase, lathéorie du meaning a procédé directement des tentatives de reformulation dulangage ordinaire selon les canons des « langues bien faites » construites parWhitehead et Russell à l'époque des Principia mathematica , par Wittgenstein àl'époque du Tractatus et par Carnap. Dans une deuxième phase, sous l'influence

de Ryle, du second Wittgenstein, de J. L. Austin et de P. F. Strawson, le langageordinaire est tenu pour un mode de signification, d'expression et decommunication, irréductible à tout modèle logico-mathématique et approprié à safonction d'information dans le cadre d'une expérience variée et virtuellementinépuisable. On dispose ainsi d'une immense littérature sur le meaning , qui nepermet plus d'affirmer que la théorie du sens se réduit à une théorie du signifiédans le cadre d'une linguistique de la langue.

On montrera ici comment une linguistique du discours peut fournir une transitionentre l'analyse antérieure, empruntée à la linguistique de la langue, et lasémantique philosophique.

Pour Émile Benveniste, dans Problèmes de linguistique générale , lefonctionnement du langage repose sur deux sortes d'unités irréductibles l'une àl'autre : les unités sémiologiques ou signes, les unités sémantiques, qui seramènent à une seule sorte, la phrase. Le sens est du côté de la phrase et non dusigne. Le sens n'est donc pas une annexe du signifié et du signe. Cette dichotomiepeut être poursuivie jusque dans ses dernières conséquences en suivant uncertain ordre de considérations.

Le discours a une existence temporelle qui fait défaut à tous les systèmes designes ; le discours existe comme instance de discours, qui paraît et disparaît ; unsystème de signes, en revanche, n'a pas de place dans le temps, même pas dans

le présent, car il est purement virtuel. Tous les traits suivants qui concernent laquestion du sens supposent cette première distinction entre système de signes etinstance de discours.

Le trait suivant introduit la première marque distinctive de la notion de sens parrapport à celle de signe : l'instance de discours repose sur une opération originale,la prédication ; celle-ci couvre non seulement la proposition attributive, mais touteproposition énonçant une relation ou une action ; en outre, elle se rencontre aussibien dans les énoncés déclaratifs que dans les impératifs, les expressions dusouhait, les exclamations, etc. La fonction du prédicat est une fonction aussi vaste

Page 10 sur 17Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print

2011-09-05http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/index.php?id=21&tx_eu%5Bnr ...

5/11/2018 Signe Et Sens-Ricoeur - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/signe-et-sens-ricoeur 11/17

p p y p p _

que l'opération de « dire quelque chose de quelque chose ». Elle suffit à elle seuleà donner un sens à l'instance de discours. Même réduite à un mot, la phrase estencore un prédicat ; privé de sujet, le mot-phrase suffit à porter une fonctionlogique distincte du simple signe, à savoir que quelque chose est dit de quelquechose.

Cette fonction logique du sens, portée par la phrase entière, ne saurait être

confondue avec le signifié d'aucun des signes mis en œuvre par la phrase. Eneffet, le signifié du signe est solidaire du système d'une langue donnée ; à ce titre,il ne peut être transposé d'une langue dans une autre ; au contraire, le sens de laphrase, que l'on appellerait mieux l'« intenté » que le signifié, est un contenu globalde pensée que l'on peut se proposer de dire autrement à l'intérieur de la mêmelangue, ou de traduire dans une autre langue ; alors que le signifié est intraduisible,l'intenté est éminemment traduisible.

Alors que les signes n'ont de rapport qu'entre eux, selon un système dedépendance interne, le discours se rapporte aux choses d'une manière spécifiquequ'on peut appeler dénotation ou référence. Alors qu'un signe n'est qu'une

différence dans un système, le discours fait référence à une réalitéextralinguistique à laquelle il prétend s'appliquer, qu'il veut atteindre, exprimer oureprésenter (la phénoménologie de ce trait de discours suscite de nombreux etintéressants synonymes). Ainsi, c'est la proposition entière qui élève cetteprétention à partir de laquelle le discours reçoit une valeur de vérité qui peut êtrepositive ou négative.

L'introduction du problème de la référence, en liaison avec celle du sens, constituele moment crucial de la présente discussion : la notion de sens, successivementdécrite comme le prédicat de la phrase, puis comme son intenté, s'écarte demanière décisive de la notion de signe, lorsque la référence la déplace vers ledehors du langage. Le langage paraît alors mû par deux mouvements : l'un qui

sépare le signe de la chose et le rapporte à d'autres signes dans la clôture d'unsystème linguistique, l'autre qui applique le signe à la réalité, le rapporte au mondeet ainsi ne cesse de compenser le mouvement de la différence par celui de laréférence. Ainsi, la notion de signe concerne le premier mouvement, et celle desens, inséparable de celle de référence, concerne le deuxième mouvement.

Sémantique philosophique

Cette linguistique du discours peut servir d'introduction à la sémantiquephilosophique de langue anglaise. Alors que la linguistique du discours a pour vis-à-vis la linguistique de la langue, la sémantique philosophique se situe face à la

logique propositionnelle. Les Investigations philosophiques de Wittgenstein ontdonné naissance à un puissant mouvement aux publications nombreuses ; lefameux aphorisme meaning is use (la signification est l'emploi) a lui-même plusd'un sens. Dirigé à l'origine contre toute hypostase du sens en essence, parconséquent contre tout retour sournois d'un platonisme des idées, il est devenu leslogan de la défense du langage ordinaire contre la réduction à un formalismelogique. En un sens, celui que souligne Ryle, c'est seulement des mots qu'il peutêtre dit que leur signification est leur emploi ; car seuls ils ont un emploi, dans laphrase précisément ; mais la phrase elle-même n'a pas d'emploi : « Les mots ontun emploi, la phrase est simplement dite. » La notion d'emploi sert donc à

Page 11 sur 17Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print

2011-09-05http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/index.php?id=21&tx_eu%5Bnr ...

5/11/2018 Signe Et Sens-Ricoeur - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/signe-et-sens-ricoeur 12/17

p p y p p _

souligner la totale subordination du sens des mots au sens global de la phrase.Mais il y a un sens, celui de Strawson, selon lequel il peut être légitime de joindrela notion d'emploi à celle du sens d'une proposition ; ainsi, la phrase fameuse quiest à la base des paradoxes de Russell : « le présent roi de France est chauve » a,d'une part, un sens qui est toujours le même, qu'il existe ou non un roi, et unemploi, selon que l'existence ou non d'un roi vérifie ou rend fausse la proposition ;le sens est alors une règle fixe pour des emplois variables. Enfin, il y a un sens où

l'on peut dire, avec Wittgenstein lui-même, que le sens de la phrase elle-même estson emploi ; si, en effet, on considère que le langage est fait d'une suiteindénombrable de « jeux de langage » (nommer, raconter une histoire,commander, souhaiter, prier, etc.), chaque jeu de langage a un emploi en tant qu'ilest relié à une « forme de vie », c'est-à-dire à un comportement effectif dans unesituation.

C'est cette interprétation qui est exploitée jusqu'à ses conséquences ultimes dansla théorie du speech-act , chez Austin et chez John Searle. Un acte de discourscomplet est l'ensemble constitué par un acte propositionnel (ou « locutionnaire »),qui est l'acte même de dire, par un acte « illocutionnaire », qui est ce que l'on fait

en parlant (assertion, promesse, commandement, souhait, etc.) et par un acte« perlocutionnaire » qui est ce que l'on produit par le fait de parler (intimider,effrayer, etc.). Chacun de ces niveaux de sens a fait l'objet de descriptionsdétaillées ; ainsi, Strawson établit que l'acte locutionnaire met lui-même en relationdeux actes, l'un d'identification singularisante, correspondant aux sujets logiques,l'autre de prédication universalisante, correspondant à la fonction logique duprédicat. La force logique de la phrase résulte de leur conjonction. Procédant àl'analyse des actes illocutionnaires, Austin oppose la force logique des performatifs(tels que « je promets ») à celle des constatifs ; les performatifs sont des actespour lesquels « dire, c'est faire ». Mais les performatifs ne sont pas les seuls àcomporter une dimension illocutionnaire : les constatifs eux-mêmes impliquent unengagement du locuteur sous forme de croyance. Ce caractère auto-implicatif detous les actes illocutionnaires, souligné par Searle, n'est pas sans évoquerl'instance de discours de Benveniste et son caractère autoréférentiel. Quant à ladifférence entre illocution et perlocution, elle paraît bien reposer sur la présence,dans l'illocution, de la reconnaissance par l'interlocuteur de l'intention du locuteurde produire tel acte illocutionnaire, comme le propose Paul Grice, dans uneanalyse qui joint « intention et signification » d'une manière très proche de laphénoménologie husserlienne. La théorie du meaning est ainsi l'occasiond'analyses très raffinées et très ramifiées, qui ne doivent rien à une linguistique dusigne et procèdent directement à la clarification des procédés impliqués dansl'usage même du discours.

Sens et interprétation

On a maintenu à dessein l'opposition entre sémantique et sémiotique dans leslimites de la plus petite unité de discours, la phrase. Qu'en est-il du sens lorsquel'on passe à des séquences plus longues de discours, à des textes , à des œuvresdotées d'une unité propre, marquées par un style original, rattachées à des genresdivers tels que récit, poésie, essai ? On avait évoqué plus haut une extensionsemblable du modèle sémiotique à des ensembles complexes ; l'extension dumodèle sémantique pose le problème d'un traitement double des mêmes entités.

Page 12 sur 17Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print

2011-09-05http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/index.php?id=21&tx_eu%5Bnr ...

5/11/2018 Signe Et Sens-Ricoeur - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/signe-et-sens-ricoeur 13/17

p p y p p _

Les mêmes œuvres, en effet, peuvent être considérées comme des extensions dudiscours. Deux concepts du sens d'une œuvre s'affrontent alors ; ces deuxconcepts relèvent de deux attitudes : l'explication et l'interprétation. Pourl'explication, on l'a dit, le sens d'une œuvre lui est immanent : c'est sonarrangement interne. Pour l'interprétation, une œuvre présente à une plus grandeéchelle, et avec des traits nouveaux liés au changement d'échelle, les caractèresde l'instance de discours : actualité de l'événement de parole, référence à son

locuteur, adresse à un destinataire, traductibilité de l'intenté, référence au réel oudénotation. À ces traits fondamentaux de l'instance de discours s'ajoutent des traitsnouveaux qui caractérisent le niveau de discours propre aux textes en général, et àla forme d'œuvre particulière que les textes prennent en entrant dans tel ou telgenre littéraire. Mais ces traits additionnels, même s'ils compliquent et altèrentprofondément les caractères primitifs du discours, ne les abolissent jamais.

Le passage à l'écriture constitue, pour le discours, le plus fondamentalchangement de plan. D'abord, elle fixe de façon durable l'événement de discours,dont on a marqué le caractère transitoire, corollaire de son actualité temporelle.Mais cette fixation ne détruit pas le caractère premier de l'instance de discours : ne

demande à être fixé que ce qui peut aussi s'évanouir. Or, si le discours peut êtrefixé, c'est parce que son sens, son intenté, peut être identifié et réidentifié commele même, et qu'il constitue, dans le discours oral lui-même, une objectivation parrapport à l'événement qui le porte. Le discours est un événement qui a un sens ; cesens, l'intenté de l'analyse antérieure, est l'objet intentionnel de l'acte de discours.Parce qu'il est polairement opposé à l'événement-acte, il peut être identifié,objectivé, inscrit, conservé et devenir archive.

Ensuite, l'écriture détache le texte de son auteur ; le sens du texte cesse alors decoïncider avec l'intention mentale du locuteur ; il acquiert ce genre d'autonomie quifait du texte l'objet de la lecture et non plus de l'écoute. Cette autonomie du sensest précisément ce qui rend le discours semblable aux faits de langue étudiés en

phonologie et en sémantique structurale. Mais cette autonomie reste en continuitéavec le caractère initial du discours ; la question « qui parle ? », qui n'a aucunelégitimité si on l'adresse à un fait de langue, demeure valide au plan des œuvresde discours. La notion de style, comme l'a montré G. G. Granger, ne vaut qu'auniveau d'œuvres singulières, produites par une activité individualisante de travail.Le style désigne ainsi une singularité opérante. La grande originalité de l'écritureest que le rapport au locuteur n'est plus donné à titre immédiat dans une relationd'expression, mais qu'il doit être lui-même interprété, reconstruit, à partir del'œuvre et des autres indices psycho-biographiques.

La référence pose le problème le plus aigu ; c'est à ce plan, comme on l'a dit, que

les deux manières, sémiotique et sémantique, de traiter le langage s'affrontent.Clôture des signes ou médiation vers le monde ? L'écriture compliqueconsidérablement le problème et, une fois encore, rend possibles les deuxattitudes. Si elle paraît couper le sens de la référence, c'est que la référence ne s'yrésout plus dans le geste de montrer, comme il est toujours possible de le fairedans un dialogue où les interlocuteurs ont une situation en commun ; mais lasuspension de la référence monstrative ou ostensive ne signifie pas l'abolition detoute référence. Au contraire, l'écriture a un pouvoir de désignation qui s'étend bienau-delà de toute situation déterminée ; elle ouvre véritablement un monde. Ce quicomplique encore le problème, c'est que certaines catégories de textes, les récits,

Page 13 sur 17Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print

2011-09-05http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/index.php?id=21&tx_eu%5Bnr ...

5/11/2018 Signe Et Sens-Ricoeur - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/signe-et-sens-ricoeur 14/17

p p y p p _

les poèmes, paraissent se fermer sur eux-mêmes et abolir tout réel. RomanJakobson définit le « poétique » par l'accentuation du message comme tel auxdépens de la référence. Mais, si la référence proprement descriptive, didactique,est abolie, une autre forme de référence est ouverte, qui s'adresse à des manièresd'être au monde plutôt qu'à des objets empiriquement déterminés. NelsonGoodman, dans The Languages of Art , s'emploie à démontrer que tous lessystèmes symboliques, verbaux ou non verbaux, doivent être traités sous l'angle

de la dénotation. Quand ils ne décrivent pas, ils « redécrivent », suscitant desallocations nouvelles de prédicats, d'« étiquettes », à de nouveaux sujets dediscours. Le cas le plus remarquable de redescription est la fiction , comme lemontre aussi bien l'usage des « modèles » dans les sciences que la fictionromanesque ou poétique. Mais la fiction n'est pas sans valeur dénotative :dénotation nulle n'est pas absence de dénotation. La preuve en est donnée parl'extraordinaire pouvoir que la littérature a de façonner le monde et de « refaire laréalité ».

Au terme de cette analyse, deux notions de sens sont susceptibles d'êtreappliquées à un texte. La première, issue de l'extension de l'analyse sémiologique

du plan phonologique et lexical à celui des œuvres de discours, ne désigne riend'autre qu'un jeu de dépendances internes, c'est-à-dire un jeu de structures. Cettenotion de sens règle le comportement explicatif à l'égard des textes. La secondenotion de sens, dérivée de l'analyse sémantique de la plus petite unité de discours,la phrase, tire le sens du côté de la référence, donc vers le dehors du langage ;cette seconde notion de sens règle le comportement interprétatif à l'égard destextes. Interpréter un texte, en effet, ce n'est pas chercher une intention cachée derrière lui, c'est suivre le mouvement du sens vers la référence, c'est-à-dire versla sorte de monde, ou plutôt d'être-au-monde, ouverte devant le texte. Interpréter,c'est déployer les médiations nouvelles que le discours instaure entre l'homme et lemonde.

Ces deux notions de sens s'excluent-elles ? On peut penser que, loin de s'exclure,elles se complètent. De quel usage, en effet, pourrait être une explication qui nepréparerait pas une interprétation, c'est-à-dire une nouvelle manière de voir leschoses sous l'égide du texte ? Inversement, quelle valeur pourrait avoir uneinterprétation qui n'aurait pas fait le patient détour par la sémantique profonde queseule une sérieuse explication structurale peut dégager ?

Les articles liés

ÉPISTÉMOLOGIE•ARISTOTE (~385 env.-~322)•BENVENISTE ÉMILE (1902-1976)•CONCEPT•CONDILLAC ÉTIENNE BONNOT DE (1714-1780)•DESCARTES RENÉ (1596-1650)•GALILÉE (1564-1642)•INTERPRÉTATION•KANT EMMANUEL (1724-1804)•LANGAGE PHILOSOPHIES DU•LOGIQUE•

Page 14 sur 17Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print

2011-09-05http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/index.php?id=21&tx_eu%5Bnr ...

5/11/2018 Signe Et Sens-Ricoeur - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/signe-et-sens-ricoeur 15/17

p p y p p _

NÉO-POSITIVISME ou POSITIVISME LOGIQUE•NOMINALISME•PEIRCE CHARLES SANDERS (1839-1914)•PLATON (~428 env.-env. ~347)•PRAGMATIQUE•QUINE WILLARD VAN ORMAN (1908-2000)•RÉALISME, philosophie •

RHÉTORIQUE•SÉMANTIQUE•SÉMIOLOGIE•SAUSSURE FERDINAND DE (1857-1913)•STRAWSON PETER FREDERICK (1919-2006)•STRUCTURALISME•STYLE•STYLISTIQUE•SYSTÈME, épistémologie •TEXTE THÉORIE DU•WITTGENSTEIN LUDWIG (1889-1951)•

Bibliographie

Aristote, De l'interprétation 

Rhétorique 

Les Topiques 

J. Austin, Quand dire, c'est faire (How to Do Things with Words , 1962), trad. G.Lane, Seuil, Paris, 1970

É. Benveniste, Problèmes de linguistique générale , t. I, Gallimard, Paris, 1966, t. II,ibid., 1974

M. Black, Models and Metaphors , Ithaca-New York, 1962

Language and Philosophy , Ithaca, 1949

R. Carnap, The Logical Syntax of Language , Londres, 1937

Meaning and Necessity , Chicago, 1947, 2e éd., 1957

H. D. Chenu, La Théologie au XII e 

 siècle , Vrin, Paris, 1957

La Théologie comme science au XIII e siècle , ibid., 1957

J. Cohen, Structure du langage poétique , Flammarion, Paris, 1966

É. de Condillac, Traité des sensations , Paris, 1754

J. Derrida, De la grammatologie , éd. de Minuit, Paris, 1968

Page 15 sur 17Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print

2011-09-05http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/index.php?id=21&tx_eu%5Bnr ...

5/11/2018 Signe Et Sens-Ricoeur - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/signe-et-sens-ricoeur 16/17

p p y p p _

G. Frege, Écrits logiques et philosophiques , trad. C. Imbert, Seuil, 1971

H. G. Gadamer, Vérité et méthode. Les grandes lignes d'une herméneutique philosophique (Wahrheit und Methode. Grundzüge einer philosophischen Hermeneudik , 1965), ibid., 1976

N. Goodman, The Structure of Appearance , Indianapolis-New York, 1966

The Languages of Art , New York, 1968

A. J. Greimas, Sémantique structurale , Larousse, Paris, 1966

Du sens , Seuil, 1970

P. Grice, « Meaning », in Philosophical Review , 1957

E. Husserl, Recherches logiques (Logische Untersuchungen , 1901), trad. H. Elie,L. Kelkel et R. Schérer, 3 t., P.U.F., Paris, 1958-1963, 2e éd. 1969

Logique formelle et logique transcendantale (Formale und transzendentale Logik ,1929), trad. S. Bachelard, ibid., 1957

R. Jakobson, Essais de linguistique générale (Preliminaries to Speech Analysis ,1952), trad. N. Ruwet, 1963, t. I, éd. de Minuit, t. II, ibid., 1973

J. Jolivet, Arts du langage et théologie chez Abélard , Vrin, 1969

C. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale , Plon, Paris, 1958

Mythologiques , 4 vol., ibid., 1964-1971

C. S. Peirce, Collected Papers , éd. C. Hartshorne, P. Weiss et A. W. Burks, 8 vol.,Cambridge (Mass.), 1931-1958

Platon, Le Cratyle 

Théétète 

Le Sophiste 

W. V. O. Quine, Le Mot et la Chose (Word and Object , 1960), trad. P. Gochet,Flammarion, 1978

B. Russell, Logic and Knowledge. Essays 1901-1950 , Londres, 1958

G. Ryle, « Systematically Misleading Expressions », in Proc. Aristotelian Soc.,vol. XXXII, 1931-1932

F. de Saussure, Cours de linguistique générale , Payot, Paris, 1915, rééd. 1968

J. R. Searle, Speech-Acts. An Essay in the Philosophy of Language , Cambridge(G. B.), 1969 (Les Actes de langage , Hermann, Paris, 1980)

Page 16 sur 17Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print

2011-09-05http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/index.php?id=21&tx_eu%5Bnr ...

5/11/2018 Signe Et Sens-Ricoeur - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/signe-et-sens-ricoeur 17/17

p p y p p _

P. Strawson, Les Individus. Essai de métaphysique description (Individuals , 1959),Seuil, 1977

P. Vignaux, « Nominalisme », in Dictionnaire de théologie catholique , Letouzey etAné, Paris, 1931

L. Wittgenstein, Investigations philosophiques (Philosophical Investigations , 1953),

trad. P. Klossowski, introd. B. Russell, Gallimard, 1961.

Page 17 sur 17Encyclopædia Universalis : encyclopedie_print

2011 09 05http://www universalis edu com ezproxy usherbrooke ca/index php?id=21&tx eu%5Bnr