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Sepharade L a L ettre ISSN 1244 0604 31 Sept. 99 SOMMAIRE 31 Éditorial 1 Livres Itinerario del Varon L.de Barthema 2-5 Judéo-convers à Tolède 6 - 7 Evet, ben Selanikjiyim 7-8 Nous sommes 900 Français 8 Erase una vez Sefarad 9 La nation juive portugaise 10 Sépharades de Turquie en Israël 11 Maimónides el Sefardi 11 Amériques Sépharades aux Caraïbes 12-13 et à Recife 13 Revues Cronika & Lo Nishkach 14-15 Muestra lingua 16 Espertando el judeo-español 17 Antolojia de poetas sefaradis 17 Musique 18 Poésie 19 Actualités L’A.A.L.S. et communiqués 20 Éditorial Nous assistons ces temps-ci à un véritable déferlement d’objets culturels touchant au Séfardisme, livres, brochures, revues, disques, et la lecture de cette édition vous le prouvera. On peut légitimement se poser des ques- tions. Pourquoi autant ? D’abord, et pour mémoire, parce que la “Lettre Sépharade” a largement atteint son seuil de crédibilité, de notoriété, et que du monde entier lui parviennent ces objets cultu- rels. C’est dire que notre LS a pris sa place dans l’univers de l’écrit sépharade, mais surtout que le besoin en était fort, prégnant. Une preuve supplémentaire, s’il en était besoin, est apportée pour la seconde année consécutive par le grand succès de la “Fête de Djoha” qui a réuni quelques 500 personnes, fin juin, à la Cartoucherie de Vincennes. Le mérite en revient aux organisateurs qui se sont dépensés sans mesurer leur temps ni leur peine, et au vivier constitué par nos lecteurs, en région parisienne bien sûr, mais ailleurs dans le monde, éprouvant le même besoin de se rassembler, de se compter, de se connaître. Pourquoi maintenant ? Parce que le travail des pionniers, des confrères partout dans le monde, a ravivé chez chacun de nous une part de lui-même, souvent enfouie, voire occultée. Certains lecteurs, de France, de Turquie comme de Floride ou d’Israël, ne se connaissant pas, nous ont fait part ces temps derniers des mêmes réflexions : “… préoccupés d’intégration dans le milieu, dans le pays, nous avons privilégié une bonne connaissance de la langue locale, rejetant le judéo-espagnol comme un “dialecte” pauvre… alors que maintenant, bien intégrés aux USA comme en Turquie, en France ou ailleurs, pos- sédant le maniement aisé d’une ou plusieurs des grandes langues mondiales, le retour vers notre culture ancestrale, vers nos racines, apparaît tout naturel, nous est un besoin.” Et c’est ainsi que nombre de personnes étu- dient, témoignent, écrivent, publient, non seu- lement des monographies, mais des études approfondies. Vous prendrez connaissance de plusieurs d’entre elles dans ce numéro. Nous commentons, comme chaque fois, un superbe livre du fonds Nahmias - un récit de voyage des années 1500 - premier texte que nous avons choisi de rééditer. Lisez le commentaire de la spécialiste, regardez les illustrations et, si cet ouvrage vous intéresse, remplissez le bulletin de sous- cription… La Rédaction

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SepharadeLa Lettre

ISSN 1244 0604

N°31Sept. 99

SOMMAIRE N° 31

Éditorial 1

LivresItinerario del Varon L.de Barthema 2-5Judéo-convers à Tolède 6 -7Evet, ben Selanikjiyim 7-8Nous sommes 900 Français 8Erase una vez Sefarad 9La nation juive portugaise 10Sépharades de Turquie en Israël 11Maimónides el Sefardi 11

AmériquesSépharades aux Caraïbes 12-13et à Recife 13

RevuesCronika & Lo Nishkach 14-15

Muestra lingua 16Espertando el judeo-español 17Antolojia de poetas sefaradis 17

Musique 18

Poésie 19

ActualitésL’A.A.L.S. et communiqués 20

ÉditorialNous assistons ces temps-ci à un véritable

déferlement d’objets culturels touchant auSéfardisme, livres, brochures, revues, disques,et la lecture de cette édition vous le prouvera.

On peut légitimement se poser des ques-tions.

Pourquoi autant ?D’abord, et pour mémoire, parce que la

“Lettre Sépharade” a largement atteint sonseuil de crédibilité, de notoriété, et que dumonde entier lui parviennent ces objets cultu-rels. C’est dire que notre LS a pris sa place dansl’univers de l’écrit sépharade, mais surtout quele besoin en était fort, prégnant.

Une preuve supplémentaire, s’il en étaitbesoin, est apportée pour la seconde annéeconsécutive par le grand succès de la “Fête deDjoha” qui a réuni quelques 500 personnes, finjuin, à la Cartoucherie de Vincennes. Le mériteen revient aux organisateurs qui se sontdépensés sans mesurer leur temps ni leurpeine, et au vivier constitué par nos lecteurs,en région parisienne bien sûr, mais ailleursdans le monde, éprouvant le même besoin dese rassembler, de se compter, de se connaître.

Pourquoi maintenant ?Parce que le travail des pionniers, des

confrères partout dans le monde, a ravivé chezchacun de nous une part de lui-même, souventenfouie, voire occultée. Certains lecteurs, deFrance, de Turquie comme de Floride oud’Israël, ne se connaissant pas, nous ont faitpart ces temps derniers des mêmes réflexions :“… préoccupés d’intégration dans le milieu,dans le pays, nous avons privilégié une bonneconnaissance de la langue locale, rejetant lejudéo-espagnol comme un “dialecte” pauvre…alors que maintenant, bien intégrés aux USAcomme en Turquie, en France ou ailleurs, pos-sédant le maniement aisé d’une ou plusieursdes grandes langues mondiales, le retour versnotre culture ancestrale, vers nos racines,apparaît tout naturel, nous est un besoin.”

Et c’est ainsi que nombre de personnes étu-dient, témoignent, écrivent, publient, non seu-lement des monographies, mais des étudesapprofondies.

Vous prendrez connaissance de plusieursd’entre elles dans ce numéro.

Nous commentons, comme chaque fois, unsuperbe livre du fonds Nahmias - un récit devoyage des années 1500 - premier texte quenous avons choisi de rééditer.

Lisez le commentaire de la spécialiste,regardez les illustrations et, si cet ouvragevous intéresse, remplissez le bulletin de sous-cription… ❑

La Rédaction

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INTINERARIO DEL VENERABLE VARON…

En 1520, l’imprimeur allemand JacobCromberger, installé à Séville, publieun texte d’un grand intérêt histo-

rique et cosmographique. Il s’agit du voya-ge de Louis de Barthema, un Italien né àBologne et demeurant à Rome. Celui-cipassa sept ans de sa vie à voyager entrel’Afrique et l’Asie, au début du XVIèmesiècle. En 1503, il parvint à Damas et entre-prit le voyage à Médine, puis à la Mecque.Pour cela, il se fit passer pour un mame-louk récemment converti à l’islam.

Son itinéraire coïncide avec le parcours descaravanes maures qui contrôlaient encore laroute des épices. Sur cet itinéraire, il rencontreles Portugais. Ainsi, le texte s’inscrit dans uneépoque cruciale, celle de l’apogée de la puis-sance économique portugaise, possible grâce àla récente découverte par Vasco de Gama de laroute des Indes par le cap de Bonne Espérance(1497). L’intérêt de l’auteur pour cette nouvelledonne n’est pas gratuit. En effet, les capita-listes étrangers, les Italiens en particulier, pou-vaient obtenir des contrats commerciaux leur

attribuant le monopole du commerce de cer-tains produits. Il n’est par conséquent pas inno-cent que le voyageur s’associe aux Portugais etleur prête ses services dans leur entreprise dedomination des Indes, obtenant, grâce à sa col-laboration, la reconnaissance du roi du Portugal.

Ce texte publié d’abord en toscan (1510), futtraduit en latin (1511), puis en espagnol, à partirde la traduction latine dédiée par le traducteur aucardinal de la Sainte Croix de Jérusalem, donBernardino de Carvajal, qui joua un rôlediplomatique important sous le pontificatd’Alexandre VI. La traduction espagnole, nous ladevons au clerc Cristóbal de Arcos qui la dédie àson tour au chanoine de Séville, Diego López deCortegana. Le traducteur souligne la volonté del’auteur de ne consigner que les choses que anosotros eran ocultas (fol. IIv°)1. Séville, lieu depublication de l’Itinerario, se trouve située aucentre des échanges commerciaux entrel’Atlantique et la Méditerranée. C’est là qu’arri-vaient les marchandises venues du Nord del’Europe, d’Amérique ou d’Orient. Séville centra-lisait le commerce des épices. Le récit de cevoyageur ne pouvait que stimuler la curiositédes Sévillans.

Ce livre de voyage fut imprimé en caractèresgothiques, comme cela était usuel durant la pre-mière moitié du XVIème siècle en Espagne2. Letexte est disposé en deux colonnes, rappelant lesmanuscrits médiévaux, pour pouvoir mieux l’in-sérer dans la tradition des écrits de pèlerinage.

Louis le Romain (nom de voyage du protago-niste) s’incorpore à une caravane de marchandsmusulmans se rendant à la Mecque depuisDamas. L’itinéraire est parfaitement balisé par levoyageur qui décrit, souvent avec très grandsoin, les lieux qu’il visite. Il part de Venise, arriveen Égypte, traverse les villes d’Alexandrie et duCaire dont il parle peu, por ser cosas ya quasisabidas3. Il rectifie seulement l’informationpropagée en Europe à propos du Caire : la villen’est pas aussi grande que l’on croit. Il passepar l’actuel Liban, la Syrie, la Judée, l’Arabie,l’Éthiopie, l’Inde.

En Judée, à quinze jours à peu près deDamas, il décrit la vallée d’Araba, qu’il nommevalle de Sodoma y Gomorra, siège des deuxvilles bibliques détruites par la volonté divine. Levoyageur constate la véracité des faits racontésdans la Bible : E por cierto lo que la SagradaEscriptura dize hallé ser verdad, porque aúnay por allí muchos pedaços y paredes caydasque dan testimonio de la yra con que Dios des-truyó estas dichas ciudades […]. Y aún hastaoy ay por el suelo una cosa colorada a manerade sangre mezclada con la mesma tierra, quasicomo cera colorada ; y esto tres o quatro cobdosen hondo y no más abaxo (fol. VIv°) 4. Cetteterre est désertique. Pas un arbre, pas une plan-te n’y poussent. Elle n’est pas cultivée. Il n’ypleut jamais. L’auteur trouve une explication :

Livres1 que nous ignorions

2 Voici ce que note José María Díez Borque :Varios estudiosos (Dahl,Steinberg) apuntan paraEspaña la peculiaridad deque aunque en los comien-zos se utilizó la letra romanase pasó después à la gótica,para imitar los manuscritos,y de nuevo a la romana. Peroaquí este proceso no se llevóal mismo ritmo que en elresto de Europa, mantenién-dose con mayor vigor ypujanza la gótica durante laprimera mitad del XVI (Ellibro de la tradición oral à lacultura impresa, Barcelone,Montesinos, 1985, p. 80).Il ajoute que ceci corres-pond à la spécialisation des imprimeries pour ellibro nacional. Ceci expli-querait l’utilisation decaractères gothiques dansla production de livresespagnols, les romans dechevalerie. Au début, Crombergerpubliait les textes des classiques latins en lettreslatines et ajoutait le com-mentaire en lettresgothiques.(Díez Borque, p. 81)

3 s’agissant de chosesgénéralement connues.

Note généraleNous ajoutons les accents correspondantà l’espagnolcontemporain, et nous modifionsla ponctuation enfonction des règlesactuelles.

M.S.O.

4 J’ai constaté en effet quece que la Bible dit est vrai,parce qu’on y trouveencore de nombreux vestiges et pans de mursen ruine qui témoignentde la colère dont usaDieu pour détruire ces villes […] Et on voit encore aujour-d’hui une chose rouge,comme du sang mêlé à la terre elle-même :comme si c’était de la cirerouge, à deux ou troiscoudées de profondeurpas plus.

Curieuse destinée que celle de ce livre maintenantoublié que l’on s’arracha à l’époque ! On ne cessa de le rééditer et de l’étudier jusqu’au XIXème siècle.Publié à Rome en 1510, puis à Milan, le texte italienoriginal a d’abord été traduit en latin dès 1511, en espagnol (1520, édition dont nous disposons, puis de nouveau en 1523 avec des variantes mineures).Dès 1515 furent publiées des éditions en français(comme nous aimerions en rencontrer une !), puisen portugais, en allemand, etc. C’est dire l’impact de l’ouvrage !Les Cromberger, imprimeurs allemands de Nuremberg, installés à Séville au tout débutdu XVIème siècle, constituaient une véritable dynastie:Jacob, le père, Juan le fils, Jacome le petit fils.Jacob avait épousé Comincia de Blanquis,Napolitaine, elle-même veuve du célèbre imprimeurMeinardo Ungut. Les Cromberger ajoutaient à leuractivité d’imprimeurs celle de libraires et jouissaientd’un grand prestige, ayant composé les plus beauxouvrages en caractères gothiques jamais produits à Séville.En 1539, associé à Juan Pablos, Juan Crombergerexporta ses caractères typographiques à Mexico, yfondant la première imprimerie du Nouveau Monde.En 1558, on perd la trace professionnelle de la familleCromberger.Marie-Sol Ortola nous commente l’ouvrage.Spécialiste de la Renaissance, auteur de plusieurstravaux sur “El viaje de Turquía” dialogue anonymedu XVIème siècle, elle est actuellement professeurdes Universités au département d’espagnol et de portugais de Nancy. Elle a soutenu, en 1981,une thèse à la Brown University (Providence RI, USA), sur le même sujet.

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Illustration de la page de garde

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elle est le témoignage vivant du châtiment queDieu infligea aux pécheurs de Sodome etGomorrhe : "… para que tan gran milagro comoDios allí hizo no se olvidasse, quedan aúnhasta agora las señales de la destruición deaquellas ciudades." (fol. VIv°).1

Cette région est peuplée essentiellementd’Arabes. Sur la route menant à Médine, à deuxjours de là, se trouve une montagne où vit unecommunauté juive composée de cinq mille per-sonnes, des noirs de petite taille, qui parlentcomme des femmes, ne mangent que du boucchâtré, sont circoncis et ne cachent absolumentpas leur religion. Ces juifs éprouvent une haine

profonde envers les musulmans. Le voyageurraconte que ces habitants virent d’un très mau-vais œil que les mamelouks chargeassent leschameaux d’eau fraîche (fol. VIIr°). Il s’agit de laseule référence assez longue consacrée auxhabitants juifs de ces zones, l’auteur s’intéres-sant surtout aux musulmans et aux chrétiensconvertis à l’Islam. Il mentionne un juif demeu-rant à Calicut et mêlé à la fabrication des armeset au commerce des métaux pour le roi deCalicut : El que avía hecho una muy grande naoy muy hermosa, en la qual traya quatro tirosmuy grandes de hierro ; el qual judío, yendo undía a bañarse al río, cayó en un lugar muyhondo, en el qual por voluntad de Dios se ahogó(fol. XLVv°)2. Son implication anti-chrétienne estsévèrement punie par Dieu. Il est aussi questionde la Judée comme importatrice de produits tis-sés, coton et soie (fol. XXXVIIIr°).

Grâce aux mamelouks, il pénètre à LaMecque et visite Médine ; il peut observer del’intérieur les particularités des régions d’où

proviennent les pierres précieuses, les épices etles parfums. Au port de Djeddah, il abandonneles mamelouks et négocie auprès d’un marinmusulman son voyage vers la Perse. Là, il ren-contre un autre musulman qu’il avait connu à LaMecque et il part avec lui découvrir l’Inde.

Chaque description est structurée suivant unmodèle rhétorique préétabli qu’il suit d’assez près,correspondant aux laudibus urbium. Les pay-sages dont il est question ici sont urbains. La cam-pagne l’intéresse fort peu. Il présente les villes etsignale leur situation spatiale, leur taille, l’impor-tance de leurs échanges commerciaux dans l’éco-nomie locale, leur population, la couleur de peau

des habitants, leur religion, les mœurs, les cou-tumes, les vêtements, l’abondance de l’alimenta-tion, la qualité et la quantité des puits ; il indiqueaussi si elles sont fortifiées, le nom et la puissan-ce de leur roi, s’il s’agit d’un roi indépendant,contrôlant plusieurs territoires ou d’un roi vassaldépendant de plus puissant que lui.

Louis le Romain ne décrit que le présent desvilles qu’il traverse. À aucun moment, il n’est ques-tion de leur histoire. Toutes les informations duvoyageur sont placées sous le signe du témoigna-ge oculaire. Ainsi, lorsqu’il signale la gentillesse etla générosité des habitants qui l’accueillent, il s’ex-clame : … lo qual yo no osaria dezir si no looviesse visto por experiencia (fol. XXv°)3. Il men-tionne pourtant aussi des faits qu’il n’a pas vécus: … aquesto que yo aquí digo, lo digo de oydas yno de vista (fol. XXIr°)4. Tout ceci confère à sontexte une authenticité exemplaire, lui permet deprésenter ses aventures comme des momentsimportants de son itinéraire de chrétien.

Certaines d’entre elles sont très pittoresques.

3 Je n’oserais pas en parlersi je ne l’avais pas vude mes propres yeux.

4 ce que je dis maintenantm’a été rapporté.

1 et pour que ce grandmiracle accompli par Dieune sombre pas dans l’ou-bli, les marques de la des-truction de ces villes sonttoujours présentes.

2 celui qui avait construit un très grand et très beaunavire, sur lequel il trans-portait quatre énormespièces d’artillerie en fer ;ce juif, alors qu’il allait se baigner, tomba dans un endroit très profond et Dieu voulut qu’il senoyât.

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7 je remercie Dieu, car j’ai enfin trouvé un compagnon de routequi brûle du même désirque moi.

En Arabie, la blancheur de sa peau séduit l’épou-se du Sultan, qui ne se lasse pas de contemplerson corps nu. Il refuse cependant ses avances,non sans introduire dans la narration des scènesérotiques d’une saveur malicieuse. Ailleurs, on luidemande de dépuceler une jeune mariée, afinque son époux puisse coucher auprès d’elle.

Tout ceci est raconté dans l’ordre chronolo-gique de son expédition. Parfois, il privilégiel’itinéraire lui-même, au détriment de descrip-tions plus spécifiques. Il annonce toujours lamatière qu’il va abandonner et celle dont il vanous entretenir : Dexando agora de hablar delas cosas del soldán, y queriendo contar lascostumbres de los moradores, demos vueltahazia donde salimos (fol. XXIIr°)1. Parfoisaussi, pour maintenir la cohérence du récit, ilpromet de développer l’observation mentionnéebrièvement, au moment convenable. Parlant duroi de Narsinga, il écrit : … de quien haremosmención en su lugar (fol. XXXIIIr°)2. Il renvoieà plus tard le commentaire sur les habitants deCananore : … en otro lugar diremos de su ves-tir y costumbres (fol. XXIVr°)3, ou encore, ladescription de Sumatra : … de la qual contare-mos largamente quando llegaremos a lugaroportuno para ellos (XLr°).4

Au fil de l’ouvrage, le personnage s’investit deplus en plus dans la narration. Alors qu’au début,le héros s’intéresse surtout à ce qui l’entoure, à lafin, le récit se focalise sur sa personne. C’est sonparcours d’insertion parmi les Portugais qui nousest raconté avec précision. Il explique comment ils’y prend pour s’éloigner de son compagnon devoyage musulman, et pour reprendre sa véritableidentité de chrétien. Dès qu’il réussit à s’appro-cher du gouverneur de la place forte portugaise,il manifeste son intention d’entrer au service dela couronne portugaise. Il arrive à convaincre leschrétiens que ce qu’il sait peut leur être utile.L’aventurier met ses connaissances de cesmondes exotiques au service de deux causes : lareligion chrétienne et l’impérialisme portugais. Ilest fait chevalier par le roi du Portugal qui, pourle remercier, accepte de sauver deux traîtreschrétiens qui ont appris au roi de Calicut àconstruire des canons et à fondre de la poudre àcanon.

Le voyageur est très attentif à la richesse desvilles, aux foires, à leur situation stratégique dupoint de vue commercial et militaire. Nousavons d’ailleurs l’impression qu’il “défriche” leterrain pour les marchands portugais, leur signa-lant si l’accès à la ville est facile. L’auteur ren-contre les Portugais vers Calicut. Rappelonsqu’Alphonse de Albuquerque s’est emparéd’Ormuz en 1506 et de Goa en 1510, qu’en 1502,les Portugais bombardent Calicut et l’occupent.C’est le début de la puissance coloniale et éco-nomique portugaise, de son expansion en Indeet en Extrême-Orient. Les Portugais vont réussir

1 Laissons de côté pour le moment les affaires du sultan et revenons au point de départ pour parler des coutumes des habitants.

2 dont nous parlerons au moment opportum.

3 nous parlerons ailleursde leur façon de s’habiller et de leurs coutumes.

4 dont nous parleronslonguement au momentopportun.

5 Et voilà pourquoi je lui posais toutes ces questions, ne voulantpas lui dire que le roi du Portugal était respon-sable de leur déclin, car il était le maître depresque tout cet océan,comme de la merÉrythrée et du Golfe Persique.

6 voulant satisfaire mon désir de voir et de connaître de nouvelles choses.

à s’emparer du monopole du commerce desépices et à détrôner les Arabes et les Turcs.Louis de Barthema n’oublie d’ailleurs jamais designaler dans les villes qu’il visite la présence descommerçants arabes, indiquant ainsi les lieuxqu’ils occupent encore, et leur substitution parles marchands portugais. Au port de Djeddah, ilrencontre un musulman à qui il demande ce quesont devenus les échanges commerciaux de larégion. Louis veut lui faire déclarer ce qu’il saitdéjà et tient à souligner pour ses lecteurs : lapuissance commerciale portugaise. C’est encette occasion que l’auteur mentionne pour lapremière fois les Portugais : Y porque pre-guntándole yo todo aquesto nunca quise dezircómo el rey de Portugal era la causa dello porser señor de la mayor parte de todo aquel marocéano, y assí mesmo del mar Erítreo yPérsico(fol. XIv°).5

Pendant son voyage de retour jusqu’àLisbonne, il suit la route découverte par lesPortugais, par le cap de Bonne Espérance.

Tout au long de son voyage, il s’associe àd’autres explorateurs fascinés par les universexotiques, … teniendo gran voluntad de satisfa-zer a mi desseo en ver y conocer nuevas cosas6,ou encore, … doy muchas gracias a Dios , puesque ya he hallado compañero para mi caminoque tenga el mesmo desseo que yo (fol. XXv°).7Ce livre est une magnifique invitation au voyageet à la découverte d’univers insolites, de soi-même.

Le voyage de Louis de Barthema, Ludovico deVarthema en italien, fut publié de nombreuses foisau XVIème siècle (Rome 1510, Rome et Venise en1517, Milan en 1519 et 1523, Venise encore en1526 et 1535). Il est associé dans un même recueil,avec les Navigationi de Ramusio, en 1550, 1554,1563, 1588, 1606, et avec l’Itinerario de l’armatadel Re Catholico in India verso la Isola deLuchatan del anno 1518, en 1550. Il est traduit enlatin (1511, 1532, 1537, 1555), en espagnol (1520),en allemand dès 1515, en français, en néerlandais,en portugais, en anglais. Ceci témoigne de l’inté-rêt que portaient les lecteurs européens duXVIème siècle aux récits de voyage et de lacuriosité qu’éveillait à l’époque ce texte-ci.L’Itinerario de Louis de Barthema fut un véri-table best-seller. Cette popularité ne peut quenous inciter à vouloir connaître ce récit pleind’humour, de malice, au cours duquel l’auteurraconte ce qu’il voit, ce qui l’excite, et se raconte.Son itinéraire est bien plus qu’un voyage spatial.Louis renoue avec lui-même, avec sa foi et sesfrères chrétiens, représentés dans le texte par lesPortugais. Le regard qu’il porte sur les autres estoriginal et sans haine, même si parfois des cli-chés rejettent l’Autre.

Ce livre curieux et fascinant mérite d’êtreredécouvert. ❑

Marie-Sol Ortola

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Vincent Parello

LES JUDÉO-CONVERS TOLÈDE XVÈME-XVIÈME SIÈCLES

DE L’EXCLUSION À L’INTÉGRATION 1

I l s’agit d’une thèse de doctorat solide-ment structurée qui, certainement,apportera de précieux matériaux à

tous ceux qu’intéresse la sociologie desconversos de l’Espagne inquisitoriale.

J’avoue aussitôt mon malaise. Je n’ai certesrien contre la nuance, mais la préface deRaphaël Carrasco démarre comme une provoca-tion : le mythe de la tolérante “Espagne des troisreligions” médiévale a vécu. De même la visionapocalyptique des persécutions menées, à l’aubede la Renaissance, par des inquisiteurs racistesabreuvant de sang un peuple vindicatif et fanati-sé, n’a plus cours. La vérité historique s’est,comme toujours, frayé un chemin entre lesextrêmes.

Vers quel amalgame le professeur Carrascoentend-il nous mener ? Bien sûr, l’Espagnemusulmane n’était pas la France de Jules Ferry,mais elle accordait, sous certaines conditions, laliberté de conscience aux chrétiens et aux Juifs.La plupart des royaumes chrétiens de la pénin-sule, jusqu’au XIIIème siècle, connurent unesituation semblable. Quant aux inquisiteurs, nulbesoin de les caricaturer ; il suffit de les montrer.Lisons les consignes de Nicolas Eymerich en1320 – “La finalité des procès et de la condam-nation à mort n’est pas de sauver l’âme des accu-sés, mais de maintenir le bien public et de terro-riser le peuple. Je loue l’habitude de torturer lesaccusés.” – et de Ferrando Martinez en 1380 –“Un chrétien qui mettrait à mal ou tuerait un Juifne causerait aucun déplaisir au roi.”

Selon Raphaël Carrasco, “il fallait franchir denombreux obstacles, idéologiques, mentaux etmême politiques, pour parvenir à dépasser lepoint de vue résolument propagandiste (sic) etmanichéen ayant prévalu durant des lustres...”Et, quand il cite les “érudits”, il précise bien, ennote, qu’il veut parler des historiens non-juifs :“Les spécialistes juifs ont volontiers adopté uneattitude sympathique, pour ainsi dire militante,leurs écrits tenant davantage du martyrologeque de la critique positive.”

La pensée du maître se retrouve éclairée etdéveloppée par les commentaires du disciple.Vincent Parello voit, dans son introduction géné-rale, un clivage idéologique entre historiens pro-gressistes et conservateurs. L’important, selonlui est que les historiens juifs verraient les judéo-convers comme martyrs solidaires de la religionde leurs ancêtres, alors que pour les historienschrétiens cette solidarité sans faille tiendrait“plus du mythe que de la réalité”. Selon Parello ila fallu attendre “le Français Isaac Revah” pourque le débat sur les judéo-convers quitte la sphè-re de la politique et de la croyance, et retrouveenfin une certaine sérénité.

Je suppose qu’il n’y a pas à rechercher de

sens caché quand Parello qualifie de “juifs”essentiellement les américains Y. Baer et B.Netanyahu, et de “français” Israël SalvatorRevah2. Et il est vrai qu’il existe au sein de l’his-toriographie américaine du judaïsme une ten-dance apologétique, comme il en a existé, il n’y apas longtemps dans toute discipline historique,quelle que fût l’appartenance ethnique ou reli-gieuse des auteurs. Mais récuser un historienparce qu’il est présumé, par ses croyances ou sesorigines confessionnelles, sympathiser avec lepeuple étudié, serait une démarche dangereuse.Quel historien de l’Espagne, fût-il françaiscomme Braudel, anglais comme Elliot, a jamaiscaché sa sympathie pour le peuple espagnol ?Existe-t-il beaucoup d’anglicistes éprouvant del’antipathie pour l’Angleterre ? Faut-il exclure de l’historiographie de l’Espagne tous lesEspagnols, et de celle de l’Inquisition tous lescatholiques ? En tous cas prenons-en acte : nousne sommes pas sympathiques à M. Carrasco, sitel est à ses yeux le prix de la rigueur historique.

Que cache le clivage tracé par Parello etCarrasco entre “progressistes” et “conserva-teurs” ? L’histoire a donné, en Espagne, à l’eu-phémique “conservateur”, un contenu qui englo-be l’intégrisme et le franquisme. Selon lescanons de cette définition, les évêques français,dans leur courageuse déclaration de “repentan-ce” de 1998, auraient été plus “progressistes” que“conservateurs”.

Or, si nous essayons de comprendre Parello,lui-même ne se placerait ni dans un camp, nidans l’autre, ni avec les sympathisants del’Inquisition, ni avec ses victimes. Sa référenceserait plutôt l’équipe de recherche du professeurJaime Contreras qui s’orienterait vers “l’analysedes espaces de solidarité et de sociabilité mis enplace par les judéo-convers dans le temps etdans l’espace”3. C’est d’ailleurs dans la lignée decet historien qu’il situe Raphaël Carrasco, pourqui il faudrait distinguer l’époque des judéo-convers, antérieure aux années 1570-1580, decelle des Portugais, postérieure à ces dates, etselon lequel les judéo-convers espagnols auXVIème siècle ne poseraient “nullement un pro-blème religieux”. Parello voit même dans lecrypto-judaïsme “un phénomène minoritaireaux conséquences spirituelles pratiquementnulles”, n’envisageant dans les vestiges des pra-tiques religieuses à la fin du XVème siècle que“tradition et folklore”, signes d’une religionappauvrie, en voie d’acculturation. À ses dires“on ne peut nier qu’il existe dans l’Espagne duXVème siècle une majorité de convers qui ontembrassé sincèrement la cause du catholicis-me.” Il concède cependant l’existence, parmi lesélites intellectuelles converses, de traditions descepticisme et de rationalisme (de “matérialismeathée”). Nous sommes dans la tradition catho-lique intégriste et triomphante. Il n’y a qu’une foilégitime : la vraie. Il est absurde d’imaginer desconvers attachés à une religion atrophiée. S’ilss’écartent de la vraie religion, c’est par l’effet deleurs traditions culturelles matérialistes etathées, en un mot mauvaises et coupables. Celangage fut celui de l’Église officielle du XIXèmesiècle à propos des Juifs, et reste celui de seshéritiers intégristes du XXème.

1 1999Ed. L’Harmattan7 rue de l’EcolePolytechnique75005 ParisPréface de RaphaëlCarrasco.272 p.

2 Parello le prénomme “Isaac”, sans doute parce que les références bibliographiques le dési-gnent habituellement par l’abréviation “Is.”

3

3 Laissons à Contreras lesoin d’expliquer la notiond’espace mis en place dansl’espace.

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Nous nous rapprochons bien de ce que nousappellerions une sorte de révisionnisme debonne compagnie. Le problème marrane enEspagne proprement dite serait évacué. Lesconvers d’origine juive auraient perdu dès leXVIème siècle tout lien religieux ou affectif avecleur communauté d’origine. Ou plutôt ils n’au-raient conservé de leur appartenance juive queles réseaux familiaux de “solidarité”, en un motla fameuse entraide, au service d’une “stratégie”d’ascension sociale. Leur réussite au fil dessiècles dans cette ascension prouverait que lerégime inquisitorial n’a pas freiné leur intégra-tion. Les convers ont voulu “rester entre eux”,pour mieux réussir, sans se mêler aux vieux-chrétiens. Dès lors, l’amalgame étant réalisé, iln’y a plus ni victimes ni bourreaux, si ce n’estdans l’imagination des Juifs et des “progres-sistes”. On admet bien que les vieux-chrétiensrenâclaient généralement à toute alliance matri-moniale avec la caste “impure”, mais cela coïn-cidait avec le propre souhait des membres decette caste. Oui, l’on constate que cette volontéd’ascension se traduisit par des alliances matri-moniales au sein de l’aristocratie. Mais..mais...Ilfallait que ces convers fussent à la fois mus parune irrésistible volonté d’ascension sociale etpar l’auto-ségrégation. En somme ils ne seraientrestés fidèles qu’à eux mêmes.

Les évolutions sociales de ces famillesconverses sont intéressantes à suivre, mais leurstratégie est-elle si lointaine de celle de toutesles bourgeoisies ascendantes en Europe ?Quant à leur dimension morale, les analyses del’auteur sont rarement valorisantes parce que,tout en épinglant à juste titre la petitesse de cer-taines conversions de cour, et en constatantl’énorme pression politique, terroriste et éco-nomique conduisant à la conversion, il fait bonmarché de la forte résistance rencontrée chezceux qui préférèrent l’exil, ou sauvegardèrentun espace intérieur de liberté de penser et decroire. On sait par Revah, sorte d’aryen d’hon-neur de l’histoire des marranes, à en croire lebrevet de rigueur historique - exceptionnel, dit-on, pour un Juif - que lui délivre Parello, qu’unesynagogue fut créée à Madrid au milieu duXVIIIème siècle avec l’aide des Juifs deLivourne, ce qui montrait quelque persévéranceet combativité chez les exilés, et une belle sur-vivance de la fidélité chez ceux de l’intérieur.Cet événement insolite, mais révélateur, fut lesignal d’une série de procès et de bûchers enplein siècle des Lumières. On aurait aimé quel’auteur nous montrât, au milieu d’une humani-té banale, quelques échantillons de grandeurcomme celui-là. Fallait-il, pour l’honneur desconversos, des preuves plus récentes encore ?

Certes, rien ne résiste éternellement à l’usuredu temps. Comme l’écrivait déjà Montaigne surle même sujet, parlant des conversions forcées àLisbonne : … “quelques uns se firent Chrestiens ;de la foi desquels, ou de leur race, encore aujour-d’hui cent ans après peu de Portugois s’asseu-rent, quoy que la coustume et la longueur dutemps soient bien plus fortes conseilleres quetoute autre constreinte”. Mais faut-il souscrire àl’analyse socio-économique de Parello pour laseule raison qu’elle serait intéressante ? Pour lui,

en effet, le dynamisme économique et social dela minorité converse constitue la preuve que lesbarrages idéologiques ne tiennent pas face auximpératifs économiques. Et de constater le para-doxe d’une société qui, voulant exclure, n’en aque mieux intégré. Mais qu’est-ce qu’une inté-gration qui effacerait ? Est-ce l’économie qui aprovoqué l’effacement, ou la terreur sous laquel-le l’identité du groupe s’est dissoute dans les-réussites individuelles de certains de sesmembres ?

Ce que n’ont guère compris de savants ana-lystes s’interrogeant sur la nature profonde desmarranes, c’est que, bien au delà de la théologie,la source de leur résistance fut dans le sensjudéo-ibérique de l’honneur et que, dans leur cul-ture propre et millénaire, le premier honneur estcelui qu’on rend aux ancêtres. Il est vrai qu’on necomprend pas sans aimer. L’honneur de Dieu : laformule est dans les statuts des premiers maha-mad des Portugais d’Amsterdam. Mais on latrouvait chez Calvin. Elle a armé la résistancedes protestants des Cévennes. Le postulat selonlequel la majorité des conversions du XVèmesiècle aurait été sincère ne tient pas compte decette universelle règle de droit : tout consente-ment est vicié par la force. Le réalisme conduit àcroire que les conversions proprement spiri-tuelles, pour honorables qu’elles fussent, furentinfimes. Les religions conquérantes se répan-dent par le fer et le feu. Il existe, quelques fois enun siècle, une personnalité atypique ou d’excep-tion pour obéir au seul mouvement des spécula-tions métaphysiques. L’une d’elles bénéficia de laprésomption de sincérité : Bergson. Il jugeacontraire à l’honneur de rallier la religion majo-ritaire au moment même où la minoritaire étaitpersécutée. ❑

Lionel Lévy

Ilgaz Zorlu

EVET, BEN SELANIKLIYIM - TÜRKIYE SABETAYCILIGI -

MAKALELER1

Un des épisodes parmi les plus singu-liers du développement de la penséejuive à travers les temps est celui de

Sabbetaï Sevi, ce personnage énigmatiquedont l’exemple douloureux a conditionnépar la suite tout le développement du mys-ticisme dans le monde hébraïque.

Son apostasie entraîna dans l’islam un cer-tain nombre de ses adeptes, et bon nombre desdescendants de ces convertis se sont concen-trés à Salonique, dans la ville-mère du judaïsmeséfarade.

Bien que l’origine de ceux-ci soit indubita-blement hétéroclite, cette particule éloignée dujudaïsme, aux croyances décidément héré-tiques, est proche, tout au moins linguistique-ment, du monde séfarade, car au fur et à mesu-re que la connaissance de l’hébreu se perdaitparmi eux, la langue de la foi devenait le judéo-espagnol.

1 En turc - 1998Oui je suis un Salonicien -Sabbétaïsme turcArticle - Istanbul 174 pages.

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En 1923, à la fin des hostilités entre laGrèce et la Turquie, cette ethnie qui, juridi-quement, passait pour musulmane, a étécontrainte, ainsi que tous les autres musul-mans de la région, à un échange avec la popu-lation grecque orthodoxe d’Anatolie. Toutportait à croire que ce déracinement entraîne-rait inévitablement la perte d’identité de cegroupe dont les membres sont connus dansles territoires de l’ex-Empire ottoman sous lesnoms de Dönmé, convertis.

Les faits semblent toutefois démontrer quemême si la majorité de ceux-ci se sont de nosjours éloignés de leurs racines juives, une cer-taine composante a quand même conservéune fraction de ses attaches.

Ce livre récemment publié à Istanbul – etqui a connu à ce jour six réimpressions – estécrit par un Dönmé profondément attaché àson passé ; il rassemble des articles publiésdans des revues en langue turque, traitant desdivers aspects des traditions et de la culturedes descendants islamisés des adeptes deSabbétaï Sevi ; il ouvre une brèche dans lemur de silence qui entourait ce groupe. Parcequ’il traite d’un sujet jadis tabou, il sembleavoir perturbé quelque peu les esprits etinquiété bon nombre des membres du groupequi prennent leur distances avec l’auteur. Il nefaut donc pas s’étonner si plusieurs écrits, enTurquie1 comme en Israël2, contestent ce livreen détail.

L’auteur trace un portrait de Sabbétaï Sevicomme celui d’un grand maître de la Kabbaleet fait allusion à des textes qui seraient incon-nus des penseurs juifs mais aucune référencedocumentaire n’est fournie. Il considère lemonde des Dönmé comme une composantedu monde juif, faisant des rapprochementsavec les Caraïtes et les Falachas, tout en insis-tant sur leur contribution à la modernisationde l’Empire ottoman et de la Républiqueturque.

L’auteur voudrait que son groupe soitreconnu par les Juifs et les Turcs et il réclamepour les siens une place dans le judaïsmeavec un lieu de culte qui devrait, selon lui, luiêtre attribué par le Grand Rabbinat deTurquie. Il souhaite aussi le retour à sa com-munauté de tous les documents sur le sabbé-taïsme conservés à l’Institut Ben-Zvi deJérusalem.

Mais, en dehors des aspects quelque peufolkloriques de ces réclamations, il est inté-ressant, après des siècles de silence sur lemonde Dönmé, d’être confrontés à un texte,issu d’une fraction de ce groupement particu-lier, ô combien représentatif mais certaine-ment très minoritaire. Ces textes, quoique nenous révélant rien de vraiment neuf sur lesabbétaïsme, parlent clairement des Dönmé,des discriminations qu’ils ont subies et expri-ment un certain attachement à la souche juivedont ils sont issus. ❑

Giacomo Saban

Collectif

NOUS SOMMES 900 FRANÇAIS3

Ala mémoire des déportés du convoi 73ayant quitté Drancy le 15 mai 1944. Il s’agit d’un important et pieux

ouvrage collectif comportant, en secondepartie, des monographies, pour autant queles instigateurs aient pu les recueillir.

Des 878 hommes uniquement - et c’est une sin-gularité dans les convois de déportation - quifurent expédiés vers l’Est en wagons à bestiaux, 23seulement sont revenus. La sélection, à Drancy,s’effectua selon le critère : “hommes en pleineforce pour aller travailler à l’organisation Todt”,mais plus tard seulement on apprit que le convoiaboutit à Kaunas, au 9ème fort, et à Reval.

L’enquête de ces survivants et de leurs amisfut très bien menée lors de voyages successifssur les lieux, le premier en Estonie et Lituanie du16 au 24 mai 1993 avec le concours efficace deSerge Klarsfeld et les FFDJF, le suivant en mai1995 etc. jusqu’en août et septembre 1998, per-mettant chaque fois d’éclaircir des aspectsoccultés, voire oubliés des déportés eux-mêmes,toujours plus nombreux à se retrouver.

Sont évoquées diverses questions récurrenteset peu “politiquement correctes”, telles que lamassive collaboration de Lituaniens avec lesAllemands (95% des 230000 juifs de Lituaniefurent massacrés), le fait que partout dans lespays de l’Est les plaques commémoratives demassacres apposées sur murs et monumentsignorent le mot “juif” : “Citoyens polonais, ourusses, ou lituaniens… fusillés par les fascistes…”

A l’inverse, si on ose écrire, on découvre l’at-titude peu connue du consul japonais à Kaunas,Chiune Sugihara (1900/1986) qui délivra desvisas à 600 juifs polonais, leur permettantd’échapper à la Choah.

La seconde partie du livre est constituéed’une série – que les auteurs ont voulue aussiexhaustive que possible – de monographies,illustrées de photos lorsqu’on put en trouver.

Défilent aussi rappels édifiants et anecdotes,tels que l’allocution émouvante de BertrandPoirot-Delpech, le 28 octobre 1997, en mémoirede deux “enfants d’Izieu” et Sabine Zlatin, quifiguraient dans ce convoi.

Fernand Futerel raconte : un jour au camp deStutthof, près de Dantzig sur la Baltique,4 ins-pection programmée de la Croix-RougeFrançaise à la demande des Allemands : nourri-ture et propreté améliorées, châlits en ordre,conditions de vie “convenables”. Un détenu oses’avancer : “Mais ne sentez-vous pas que celan’est que mise en scène, que les conditions sontatroces…?” Réponse d’un inspecteur : “Vousêtes des juifs, vous pouvez crever…”. CroixRouge Française, oui !

Un émouvant livre, que l’on entreprend derééditer en l’augmentant de nouveaux témoi-gnages. ❑

Jean Carasso

3 S’adresser à Eve Line Blum, 26 ch. du Grand Buisson 25000 BesançonTél. 03 81 80 83 07Télécopie 03 81 53 36 94.

4 A ne pas confondre avec celui de Struthof, en Alsace.

NDLR

1 Voir par exemple : Rifat Bali “Evet, Ben Selanikliyim üstü-ne birkaç söz”dans Virgül du 26 mars 1999

2 Voir par exemple :Moshe TemkinShabbtai Tzevi would beproud, dans JerusalemReport du 24 mai 1999.Article du même auteurdans Yediot Aharonot,Jérusalem.

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Hélène Gutkowski

ERASE UNA VEZ SEFARADLOS SEFARADÍES DEL MEDITERRÁNEO, SU HISTORIA, SU CULTURA - 1880-1950 1

C’est d’Argentine que nous vient cesuperbe grand livre de format carré,imprimé avec un soin

extrême sur papier glacé,disposant d’une très belleiconographie originale etprésenté selon des normesscientifiques.2

L’exercice de socio-ethnolo-gie n’est pas nouveau : il s’agit, àpartir d’expériences person-nelles, individuelles, de mettre envaleur le général, la culture, lacivilisation que l’on veut décrire.

Ça n’est pas aussi simple qu’il yparaît : nous avons commenté,dans de récentes éditions, desmonographies qui n’accédaient jamais au géné-ral et, inversement, des compilations qui man-quaient de texture humaine, de la dimension etde la chaleur du vivant.3

Hélène Gutkowski exprime avec une grandehonnêteté son ignorance, il y a seulement dixans, de la culture sépharade. Mais sa découver-te, en Argentine et ailleurs, d’“informants” debonne mémoire lui a permis, après plus de huitans de travail de nous offrir ce livre remarqua-blement documenté, encadrant subtilement ses“récoltes” de textes et informations puisées chezles grands auteurs dans le domaine. Elle affirmes’être complètement investie dans ce travailauprès de soixante-trois informants - quin’étaient que quatre au début - dont les identitéset les itinéraires sont brièvement rapportés audébut du livre, n’y pouvant résister. On la croitvolontiers…mais la réussite est du grand art !

Chaque chapitre de son livre examine unecommunauté à travers un ou plusieurs infor-mants qui en sont originaires ou y vécurent. Elles’est efforcée de ne faire appel qu’à des immigrésde la première génération - très occasionnelle-ment de la seconde - qui parlaient volontiers deleurs parents, voire de leur grands-parents, d’oùles dates retenues : 1880/1950.

Hélène, en sociologue avertie, s’interroge surla fiabilité de sa méthode, affirmant qu’elle futfructueuse mais un enorme rompecabezas,confesse-t-elle. Elle conclut sa toute modesteintroduction par ce souhait : El Dyo ke dé vidaspara ver maraviyas.

Puis elle définit sa terminologie et proposeune judicieuse transcription du judéo-espagnolselon la méthode de Vidas Largas adaptée à seslecteurs hispanophones d’Argentine. Elle adoptedeux graphismes différents, l’un pour son propretexte et l’autre pour celui de ses informants. Onsait à tout instant qui s’exprime. Son rôle, trèssubtil, très doux, jamais normatif - et c’est là quesa formation de sociologue s’avère déterminante -est de ramener ses informants sur le sujet quil’intéresse, à l’intérieur d’une chronologie.

Autre aspect du livre : il peut aussi être consi-déré comme une étude des variantes locales devocabulaire. À Rhodes ou au Maroc, les mêmesmots de judéo-espagnol peuvent exprimer unsens différent. Hélène explique chaque nouveaumot de vocabulaire au bas de page, trouvantcette méthode plus fructueuse que le recours àun glossaire terminal, choix de nombreux autresauteurs. La lecture et la compréhension en sont

ainsi bien simplifiées, aux dépensde quelques redites inévitablesmais qui apportent des nuances.Au fil de cette reconstructiond’entrevues se succèdentpoèmes, textes de chansons,coutumes et pratiques civiles etreligieuses, arrangement desmariages, mesa franka (maiscomment trouver un mari poursa fille à Rhodes avant la guer-re, alors que tous les jeuneshommes de qualité sont partisen Afrique ou ailleurs cher-cher du travail ?).

Quoique ce ne soit pas son propos - c’est la viesous toutes ses formes qu’elle veut décrire, et pasla mort - l’auteur offre la parole à David Galantequi, après cinquante ans de silence, a besoin delui confier le récit de la déportation des Juifs deRhodes, une véritable catharsis pour lui.

Et défilent les communautés : la Yougoslavie, laBulgarie, Salonique après Rhodes, Chios en merÉgée, puis “Juifs italiens ou Italiens juifs ?” tantl’absence de discrimination dans ce pays a favori-sé l’intégration, voire l’assimilation, et biend’autres.

On est sans cesse frappé par la réussite destransitions entre le particulier et le général, cequi constitue l’un des grands mérites de ce livre.Un autre est que l’auteur laisse son interlocuteur(trice) s’exprimer et n’intervient pas à chaqueinstant pour se mettre en avant, comme malheu-reusement on l’entend et le voit quotidienne-ment… C’est ainsi qu’elle obtient des descrip-tions consistantes, plaisantes, prenantes, voirepoignantes, de la vie quotidienne, pleines ducharme et de la nostalgie d’un monde révolu.

On suit avec intérêt la rencontre avec les toutpremiers informants, à New-York en juillet 1991,Henri et Allegra (née Carasso) Algava.

Bien qu’ayant à deux reprises au moins expli-qué la signification première de “sépharade”dans son acception stricte (“culture hispanopho-ne ou qui s’y rattache”) Hélène, parce qu’elle atrouvé des informants fiables et intéressants,étend sa recherche, pour notre grand plaisir, auxJuifs de Syrie, Liban, Palestine/Israël, et mêmeSamarcande et les Philippines (communautéencore sépharade nous apprend-elle, au milieudu XIXème siècle), pour boucler son périple parl’Egypte et le Maroc, se rapprochant ainsi del’Espagne d’origine. Sentiment et symbole…

Tout cela est merveilleuse pédagogie : quoi deplus satisfaisant que d’apprendre, dans un livrequi dégage autant de charme ?

À quand une traduction française pour noslecteurs non-hispanophones ? ❑

Jean Carasso

1 En espagnol, citations nombreuses en judéo-espagnol“Il était une fois Sefarad,Les Séfarades de laMéditerranée, leur histoireet leur culture” Éditions Lumen Viamonte 1674, Buenos-Aires 1055,Argentine, fax 54 114 375 04 53.453 pages carrées de 24 cm.

Hélène Gutkowski,diplômée de sociologie et animatrice à Buenos-Aires d’ateliers de mémoire, essentiellement deculture achkénazetout comme elle-même, rencontraun jour sur son che-min une Sépharadequi lui confia avoiraussi beaucoup àraconter.Et de tant d’annéesd’études et d’entretiens qui s’ensuivirent, estné ce livre superbe.

2 On pourrait ajouter : “…et d’une auteure qui ne nous était pasconnue, mais ne va guèretarder à s’imposer au premier rang des spécialistes de notre culture.”

3 Le présent livre nous faitimmédiatement penser àune autre grande réussitede ces années dernières,tant pour la présentationparfaite que pour l’équi-libre subtil entre l’expé-rience vécue par l’auteuret le propos de l’ouvrage.

Claudia Roden The book of jewishfood, an odysseyfrom Samarkandand Vilna to the present day,dont nous exprimions : “il s’agit d’un livre mer-veilleux, mais de quelquechose de bien plus : uneencyclopédie, un roman,[…] une philosophie de la vie, une civilisation - des civilisations…- et quelques autres chosesinfiniment importantes…(LS 25 de mars 1998).

NDLR

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Nous avions, dans la LS 22 de juin 1997 informé noslecteurs que Lionel Lévy venait de soutenir unethèse, sous la direction de Gérard Nahon, portant letitre relaté dans l’article ci-dessous.Le livre ici commenté est tiré de cette thèse.

Lionel Lévy

LA NATION JUIVE PORTUGAISE 1

LIVOURNE, AMSTERDAM, TUNIS 1591-1951

Après avoir publié “La communautéjuive de Livourne - le dernier desLivournais”, Lionel Lévy nous per-

met, toujours chez le même éditeur, d'accé-der à sa thèse de doctorat soutenue le 13mai 1997. Cette thèse, intitulée“Itinéraires portugais de Tunis, deLivourne et d'Amsterdam au XIXème siècle: nation, communautés, familles, entre-prises”, prend comme point de départsoixante-quatorze familles de marchandsportugais d’origine marrane mentionnéesau XVIIème siècle dans les archives desconsuls de France à Tunis. A l’aide de ce filconducteur l’auteur réussit à reconstituerles circuits commerciaux et les réseauxfamiliaux qui pouvaient exister entre lestrois villes : Amsterdam, Livourne et Tunis.

Une autre originalité de cet ouvrage est denous proposer trois options de lecture : ou biennous adoptons la lecture traditionnelle dansl'ordre logique des chapitres, ou bien nous pou-vons sauter directement à l'annexe I intitulée “dictionnaire des soixante-quatorze familles”en guise de lecture préliminaire, ou encore aufur et à mesure que nous découvrons les nomsde ces familles nous pouvons nous reporter àcette annexe I. L'expérience personnellen'étant pas négligeable, je conseillerai pour mapart d’aborder ce livre par cette annexe, mêmesi en raison de la densité des informations qui ysont fournies le lecteur risque d’être quelquepeu dérouté. Mais ce qui pourrait paraîtrecomme une première difficulté devient, si l’onfait preuve de quelque opiniâtreté, une sourcede réflexions et d’informations mise à notre dis-position par les efforts conjugués du chercheur,et, ne l’oublions pas, la volonté de l’Harmattande porter à la connaissance du public les tra-vaux les plus pointus qui resteraient sinonconfinés sur les rayonnages des bibliothèquesspécialisées et à l’usage de quelques privilégiés.

Or le travail de Lionel Lévy met à notre por-tée des archives qui auraient pu nous resterinaccessibles : et si pour un lecteur “anonyme”cette étude fouillée sur l’histoire des famillesibériques, “aux facettes culturelles multiples”,révélant une “extraordinaire et profonde unité”qui “transcende l’événementiel”, est l’occasionde réfléchir à la complexité des civilisations duVieux Monde, qu’en sera-t-il pour les lecteursnommés Silvera, Pinto, Sasportas, directementconcernés par ce récit, dans lequel la nation

sépharade, du nord au sud et d’ouest en est,s’implante, se marie, commerce, voyage etmeurt en emmêlant à loisir l’écheveau généalo-gique selon toutefois des critères communau-taires que Lionel Lévy nous aide heureusementà décrypter avec un esprit d’analyse qui fait decet ouvrage non pas une compilation mais uneré-interprétation pénétrante de cette histoiredans le cadre des trois cités ?

C’est qu’avant de mettre en œuvre cet espritd’analyse et de critique historique, le chercheura réalisé un considérable travail de synthèse enpoursuivant à travers l’Europe et l’Afrique duNord et bien au-delà, jusqu’aux Antilles, lesAbravanel, Cardoso, Carvalho, Guttières etautres membres de cette aristocratie marchan-de qui ont contribué au développementd’Amsterdam, de Livourne et de Tunis, dansdes conditions de tolérance – même s’il faut évi-demment y apporter des nuances – favorables àleur propre épanouissement. La création, ledéveloppement et le déclin de ces communau-tés, principalement à Livourne et surtout à Tunisoù est étudiée la coexistence des Livournais ouGrana et des Tunisiens qui donne lieu à de longsdéveloppements socio-historiques, nous permet-tent de retrouver quelques personnages telGiacomo di Castelnuovo surnommé Castelnœufpar Victor Emmanuel II, dont la vie remplie etféconde méritait bien la place que Lionel Lévy luia accordée dans son travail.

L’étude de cet univers sépharade spécifiqueprend en compte une vision plus large de l’his-toire européenne sans laquelle il nous serait dif-ficile d'en saisir les évolutions. Aussi nul besoind’en être spécialiste pour se lancer à la suite duchercheur dans le labyrinthe des relations fami-liales : la signification de “Nation portugaise”, lastructure laïque et religieuse de la communauté,l’évolution des idées, les liens entre Juifs etMorisques, la politique des grands ducs deToscane, la naissance de l'Italie moderne, le rôlede l'Alliance Israélite Universelle, l'antagonismede l'Italie et de la France en Tunisie, tout nousest méthodiquement présenté pour nous faciliterune lecture qui cependant, il faut l'avouer, estparfois quelque peu ardue en raison de la densi-té des informations et de la complexité des liensde parenté avec lesquels Lionel Lévy jongle, sau-tant de certitudes en hypothèses et passant deMalki à Molco, de Sabourta à Sasportas, deDermoul à Darmon, voire de El Cheikh àAljaique, avec une assurance étayée de réfé-rences pour le moins convaincantes. ❑

Bernard Pierron

En lo ke estamos,bendizimos2

1 1999Ed. L’Harmattan7 rue de l’EcolePolytechnique75005 Paris425 pages.

2 Proverbe n° 204 du recueil de Michael Molho : Literatura sefardita de Oriente- Bénissons notre sort -

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Emmanuelle Simon

SÉPHARADES DE TURQUIE EN ISRAËL

ÉLÉMENTS D’HISTOIRE ET DE CULTURE DES JUDÉO-ESPAGNOLS1

Comme bien d’autres chercheursanxieux de recueillir des témoignagessur notre culture, très amoindrie par

la Choah et dispersée par la seconde diaspo-ra, Emmanuelle Simon, après avoir présentéà l’Université de Haute Bretagne à Rennes,en 1988, un mémoire sur le sujet, a poursui-vi son travail. Ce livre en est le fruit.

L’auteur a réussi à s’entretenir en judéo-espa-gnol, et en Israël même, en 1989, principalementau moshav (dit de los Turcos) de Burgata, avecnombre d’informants nés dans la région d’Edirné(Andrinople), berceau de sa propre branchematernelle. Elle définit sa problématique : “Y a-t-il aujourd’hui en Israël des éléments distinctifsreflétant une identité propre qui les distinguerait[ceux d’Edirné] des autres Juifs et des autrespeuples ?” (page 13)

Emmanuelle ajoute qu’elle a complété sadocumentation par diverses lectures dont, bienentendu, les bulletins de l’Alliance, la pressejudéo-espagnole qu’elle a pu consulter à l’InstitutBen Zvi2, et les publications actuelles.

Les noms des familles considérées sont :Barouh/Revah et Sides/Nahe.

Le cadrage historique sur “le passage desJuifs en Espagne” (énoncé plutôt curieux pourdix ou quinze siècles de présence… bien que lemot “passage” soit parfois écrit entre guille-mets…) est classique.

Les entretiens sont rapportés en judéo-espa-gnol, traduits à la suite en caractères typogra-phiques plus petits, ce qui facilite la lecture et lacompréhension.

L’auteur s’interroge sur ce qui forme l’identitéculturelle, puis en étudie chaque élément, lalangue bien entendu, mais aussi les habitudesscolaires, quotidiennes, sociales donc festives,professionnelles, alimentaires, ce qui nous vautquelques recettes énoncées de façon plaisantepar les interlocutrices concernées : voir les bur-muelos de ispinaca de Pesah.3-4

De façon générale, la langue des récits estvivante, comportant nombre d’inclusionsturques et autres, traduites, et françaises.

Les activités à Edirné, telles que rapportées,étaient fréquemment d’ordre agricole ou proche :élevage, boucherie, tricotage de la laine etc.

Deux remarques dans la conclusion attirentl’attention : dans la mémoire collective “il n’y aaucune attache sentimentale à l’Espagne”, et laformation d’un état unitaire centralisé en Israël abeaucoup fait pour la disparition de notre cultu-re… “au profit d’une culture commune àconstruire sur la base de tous les éléments queles immigrés apportaient”.

Voire… ❑

Jean Carasso

1 1999l’Harmattan.195 pages.

2 C’est là que se trouveprobablement la plusimportante collectionau monde de journauxjudéo-espagnols;(Correspondance : P.O.B. 7504 Jérusalem 91076).

3 Nous respectons la graphie de l’auteur.

4 L’auteur remarque aussi avec pertinence que,même si les Juifs, enEspagne, cuisinaient plusou moins comme les chré-tiens, ceux-ci le faisaient àla graisse de porc, et les Juifs à l’huile d’olive,d’où des différences marquées de saveur.

Solly Wolodarsky

MAIMÓNIDES EL SEFARDI 5

Quoique né à Buenos-Aires, l’auteurest très connu en Espagne, où il vitprésentement, tant pour son œuvre

littéraire, sa production cinématographiqueque ses émissions de télévision.

Ici, au travers d’une pièce de théâtre, il choi-sit de faire revivre la grande figure du RaMBaM(Moïse B. Maïmon), philosophe, médecin, hom-me de science, théologien, grand discipled’Aristote, dont les œuvres maîtresses sont :“Le Guide des Égarés” et le “Michné Torah”.

La pièce en 24 tableaux, écrite dans un stylealerte avec force détails, se passe dans diversendroits de Cordoue à l’époque brillante d’AlAndaluz, alors que juifs, musulmans et chrétienscohabitent encore à peu près en paix.

Moïse Maïmon, pour le moment, est encoreun jeune homme, un “surdoué” qui se cherche.Ira-t-il vers la voie rabbinique ? Tout l’y destinepuisque son père est un juge rabbinique trèsfameux. Fera-t-il une incursion dans la voiescientifique qui l’attire ? Grâce à ses maîtres il vadécouvrir les grands philosophes grecs et arabesainsi que les grands médecins dont on parle déjàavec respect. L’auteur imagine même un dia-logue entre lui et Ibn Ruchd (Averroes), d’unedizaine d’années son aîné .

Si la pièce commence dans la paix, elle se ter-mine dans la guerre. En 1148 en effet, la familleMaïmonide fuyant les persécutions religieusesqui accompagnèrent la prise de la ville par lesAlmohades, quittera Cordoue pour Fez, où leRaMBaM gagnera sa vie comme médecin.6

Il arrive à l’auteur de prendre quelques liber-tés avec l’histoire : il fait naître Moïse le 11 mars1135, alors que 1138 est généralement retenu parles chercheurs ; scène 19, il indique que Moïseétudie, dans les années 1158/1162, chez unmaître hostile à Averroes et que son compagnonarabe Abul lui dit : Yo creo in tí y en todos losque han aceptado al Corán.7

Je livre à votre méditation un dialogue entreMaïmonide et son maître le médecin Ibn Daud.Dans cette scène, il est question d’Avicenne,d’Hippocrate, de Galien, de Hasday ben Shaprut.• ID. : “La pensée humaine resplendit à touteheure, il est nécessaire de connaître les idées etles savoirs de tous les peuples et nations…• M., dubitatif : “Même la science des Grecs ?”• ID. : “Il n’y a pas de limite au savoir. C’est leplus grand partenaire de l’esprit humain, lesdoutes sont la plus grande force de l’homme.”• M. : “Mais si on passe des heures à étudier lessciences étrangères, qu’en sera-t-il de la Torah ?”• ID. : “Plus grande sera sa grandeur. L’histoirede la philosophie, de l’éthique jusqu’à la médeci-ne nous aide à mieux comprendre, pour nousrapprocher de l’idée de Dieu…”

Les hispanophones aimeront beaucoup cepetit livre. ❑

Claude-Andrée Saporta

7 “Je crois en toi et entous ceux qui ont acceptéle Coran”.Cette conversion “fait partie des rumeursde sources arabes”, mais ces rumeurs ont étérépandues par de nombreux savants juifs,comme le note déja Saadia Ibn Danan, philosophe du XVème siècle.

6 Par la suite, la famillerésidera (vers 1165) à Acre, au Caire puisfinalement à Fostat.

5 1998 García Verdugoc/ San Mateo 30E 28004 Madrid96 pages.

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AmériquesL’an dernier, dans notre livraison 26, nous avionsanalysé un bon livre de synthèse sur l’installationdans les Caraïbes des Juifs ayant fui l’Inquisition.Nous revenons dans le présent numéro sur ce sujet,avec trois documents :- Notre amie Béatrice Leroy vient de participer en mars 1999 à Fort de France à une habilitation à diriger des recherches, par Émile Eadie. Celui-ciétudie l’importance des Juifs sépharades dans le démarrage de l’activité sucrière au XVIIème siècledans quelques colonies des Antilles. Il nous offre ci-dessous quelques informations tiréesd’un article intitulé : “Le rôle des Juifs dans le démarrage de l’activité sucrière au XVIIème siècledans quelques colonies des Antilles”. En voici lesgrandes conclusions (colloque “Dialog in the Spirit”,Université de Toronto, 11 – 15 novembre 1998).- L’un des spécialistes israéliens des Caraïbes et deslignées de familles juives s’y étant installées est, sansconteste, Mordechai Arbell. Il vient de faire paraîtresur le sujet, sous l’égide du Congrès Juif Mondial, une brochure fort agréable à consulter et manier. - Le journal “Ilustrada” de Sao-Paulo, dans son édition du 12 avril nous raconte que la premièresynagogue de l’hémisphère occidental fut édifiée à Recife - d’où partirent les fugitifs qui fondèrentNew-Amsterdam, devenue New-York - et nous informe qu’un film est en préparation sur le sujet.

Émile Eadie

LES SÉPHARADESET L’EXPANSION

DES ACTIVITÉS SUCRIÈRES AUX CARAÏBES AU XVIIÈME SIÈCLE

En 1654, le Portugal reconquiert unepartie de sa colonie, le Brésil, unmoment occupé par la Hollande.

Aussitôt, des Sépharades installés auBrésil depuis le XVIème siècle1 quittent cepays pour s’installer dans des coloniesanglaises et hollandaises, ainsi qu’auxAntilles françaises.

C’est le point de départ d’un essor importantde l’industrie sucrière, car ces Sépharades véhi-culent avec eux des techniques déjà séculaires.Les registres de l’Inquisition installée au Brésilen 1617-1618 révèlent des noms sépharadesparmi les sucriers senhores de engenho qui yréussissaient depuis 1535 (Diego DiazFernandez est alors le premier propriétairesépharade, technicien de cette manufacture).Du Brésil, les Sépharades implantent leur tech-nique en Surinam, à Cayenne, en Guyane ; auSurinam, David Nassi, connu également sous lenom de Jose Nunes Fonseca, installe avec desesclaves la culture de la canne à sucre, dans lelieu-dit désormais “la Savane des Juifs” (on en

possède une gravure datant de 1790). En 1654,les Sépharades font souche en Martinique et enGuadeloupe où on les appelle longtemps les“Hollandais” ou les “Brésiliens”, ce qui dénoncebien leur lieu d’origine, ainsi que la protectionaccordée par la Hollande aux Holandeses eJudeus Portugueses. Par groupes de 300 ou plusà la fois, ces Juifs, qui portaient depuis lesannées 1 500 des noms de chrétiens espagnolset portugais et avaient fui l’Inquisition en s’ins-tallant dans les colonies du Nouveau Monde, sefixent dans les Iles Caraïbes. En 1654 à laMartinique, ces nouveaux arrivants providen-tiels aident le Gouverneur Duparquet à repous-ser une attaque des Indiens caraïbes ; en remer-ciement, le Gouverneur leur accorde uneconcession à Fort-Royal, dite depuis “le PetitBrésil”. En 1675, dix familles sépharades s’ins-tallent en Jamaïque.

Les Sépharades permettent l’essor, à Saint-Pierre, d’une sucrerie avec son équipementcomplet de moulin à eau et à bêtes, d’une pur-gerie. En 1671 un certain Jacob Louis est sucrierà la Martinique, et en 1680, on en recense 41 en15 familles, dont un Benjamin Da Costa, âgé de29 ans, avec sa femme et ses deux filles.

Partout où se fixent ces Sépharades (et oùprospère désormais l’industrie sucrière avec lavariété de canne à sucre dite Batavia) s’ouvrentdes synagogues et le judaïsme se pratique libre-ment; ainsi, en 1656 à la Barbade avec le rabbinEliahu Lopes venu d’Amsterdam, puis auXVIIIème siècle avec les rabbins Meir CohenBelinfante (1752), et Abraham Gabay Izidro(1753), ou à Nevis en 1688 ou Curaçao en 1659où Da Costa s’installe avec 70 fidèles. À laMartinique, Benjamin Da Costa d’Andrade reçoitd’Amsterdam en 1679 un Sefer Torah d’unevaleur de 400 Florins.2

Gabay, Fonseca, Nassi, Da Costa… des nomssépharades qui ne meurent pas, naviguent duPortugal au Brésil, à Curaçao, à la Martinique, àBordeaux… Le sucre des Antilles aurait-il pros-péré sans eux ? ❑

Émile Eadie

Mordechai Arbell

COMFORTABLE DISAPPEARANCE,LESSONS FROM THE CARIBBEAN JEWISH

EXPERIENCE 3

I ls se qualifiaient eux-mêmes : “Lanation juive hispano-portugaise desCaraïbes”, et en certaines localités ils y

ont constitué la majorité de la populationeuropéenne. Bien peu subsiste maintenantde ces implantations.

1 Arnold Wiznitzer a étudiéles communautés du Brésil àPernambouc ainsi que lesrabbins en charge des syna-gogues au XVIIème siècle. Os Judeus no Brazil colonial,Universidade de Sao-Paulo1966, p.189/190.

3 En anglais - 1998 “Une disparition douce,leçons à tirer de l’expé-rience juive aux Caraïbes.”Congrès Juif Mondial àJérusalem, 35 pages.

2 Cardozo Bethencourt,Notes on the Sephardic andPortuguese Jews in theUnited States, Guiana andthe Dutch and British WestIndies during theSeventeenth and EighteenthCenturies.American Jewish HistoricalSociety, 1925, vol 29, p. 7-23.

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1 Rappelons queMordechai Arbell futlongtemps ambassadeurd’Israël en divers pays et qu’il a eu à réfléchir sur ces questions !

NDLR

L’auteur se demande, pas tout à fait ingénu-ment : “Doit-on arriver à la conclusion que l’égali-té des droits, l’absence d’antisémitisme et de dis-crimination peuvent être aussi dangereux pourl’existence juive que la persécution et le meurtre ?”

Il s’agit d’un phénomène qui peut aussi affec-ter d’autres parties du monde et que pouvons-nous entreprendre, sinon pour l’enrayer, dumoins pour le retarder ? Il faut que les leçons dupassé nous servent !1

Mordechai Arbell reprend les documents dis-ponibles sur la date de l’installation de crypto-juifs portugais dans tels et tels sites (après 1530en Jamaïque par exemple) et expose que les gou-verneurs colonisateurs hollandais, anglais, fran-çais et danois voyaient d’un bon œil l’installationde ces Juifs qui fuyaient le Brésil où ils avaientappris la culture et l’exploitation de la canne àsucre. Ils furent rejoints par des Juifs deLivourne. Expulsions - souvent par les Anglais,“Code noir” des Français en 1683 - et bon accueilse succèdent. L’auteur analyse la situation danschaque territoire de façon claire et synthétique.Il raconte comment Curaçao devient un centreimportant de regroupement et rappelle l’arrivéede Salonique en 1674 du rabbin Josiau Pardo (lasynagogue actuelle date de 1732). Des crypto-juifs venant du Portugal s’y firent circoncire jus-qu’en 1821 ! Actuellement il reste 300 juifs àCuraçao, majoritairement des achkénazes quifondèrent leur Communauté en 1969.

Il nous rappelle qu’en Jamaïque, si les Juifsjouissaient en principe de l’égalité des droits, ilsétaient en fait soumis à des restrictions diverses,de telle sorte qu’ils apparaissaient comme “desmarchands de première classe et des citoyens dedeuxième classe…”

Pour chaque implantation qu’il recense, l’au-teur fait référence à la situation actuelle,concluant en général : “Il n’y a plus de Juifs”.C’est le cas dans les Caraïbes, par assimilation .Il conclut par des considérations sur “l’hispani-té” des mentalités dans ces implantations, mal-gré l’Inquisition et les persécutions.

Un très bon manuel bien illustré, exposantsimplement l’essentiel. ❑

Jean Carasso

FILME VAI MOSTRAR A FUGA DE JUDEUS NO RECIFE

DO SÉC. XVII 2

Ce journal de São-Paulo consacre unepage entière bien illustrée à la pério-de 1630-1654 durant laquelle les

Hollandais prirent la ville de Recife auxPortugais et l’administrèrent avantageuse-ment, en particulier sous le prince Mauricede Nassau, gouverneur du Brésil entre 1637et 1644. Ultérieurement l’administration sedélita et les Portugais récupérèrent la pro-vince de Pernambouc, sonnant la fin de latolérance pour les juifs qui eurent trois moispour quitter la région.

2 En portugaisIlustrada du 12 avril 1999“Un film va illustrer la fuitedes juifs de Recife auXVIIème siècle”.

Nous apprenons que Kátia Menzel prépareun film en trois parties retraçant l’épopée dequelques émigrés, fuyant Recife pour fonder cequi allait devenir la plus importante commu-nauté juive du monde : New-York.

La première partie traite de deux nouveauxchrétiens historiquement bien connus dans lesannées 1550 : Bento Texeira, professeur, poète,judaïsant en secret, et Branca Dias, mère deonze enfants qui se fit arrêter par l’Inquisition.

La seconde se déroule dans la période faste,autour du rabbin Isaac Aboab da Fonseca, jus-qu’au départ de 1654. Alors, nombre de juifsrestèrent et se cachèrent alors dans l’état dePernambouc, les autres quittèrent à bord de 26embarcations, dont le “Mayflower” qui arriva àla Nouvelle Amsterdam avec quelques dou-zaines de juifs dont on connaît les noms, fon-dant la première communauté en ce lieu.

Dans la troisième partie, à New-York en l’an2000, un rabbin (fictif) décide d’accomplir lepélerinage jusqu’à Recife pour retrouver l’origi-ne de ses ancêtres.

Kátia Menzel, financièrement soutenue parquelques grosses entreprises brésiliennes,recherche actuellement ses acteurs. Si vousvous sentez la vocation… ❑

Jean Carasso

REMARQUESet DÉCOUVERTES

à propos de notre édition précédente

Grâce à plusieurs lecteurs attentifs et obligeants, nous avons entretemps appris :

que le livre de Rosetta Loy La parola ebreopublié chez Einaudi en 1997, a été traduitpar Françoise Brun et publié en françaisfin 1998 sous le titre “Madame Della Seta aussi est juive”chez Rivages (Payot).

…et plus curieux, grâce à Henry Méchoulan :

que la Biblioteca españolapubliée à Madrid en 1781 a été rééditée,à l’initiative de l’Université de Pise et de Guido Mancini, par Georg Holm Verlagà Hildesheim-New-York en 1977 !

Merci !

La Rédaction

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Comme d’habitude Bernard Pierron étudie pour nousdiverses revues en langues étrangères :

• Cronica,1 dans son numéro 159 de janvier -février 1999. Soledad Fernandez-Paparsenou intituleson article (en grec) : Sépharade chante à Salonique, la capitale de la culture européennel’an dernier. (p. 16 à 23)

Soledad Fernandez-Paparsenou, animée dela nostalgie de son enfance, entreprend de pas-ser en revue l'histoire et la nature du chantsépharade en partant de l'Antiquité ibérique.C'est dans le cadre de la péninsule, véritablecreuset culturel, qu'apparaît entre les XIème etXIIème siècles le romancero qui n'appartientpas seulement à la mémoire juive mais égale-ment à celle des peuples des diverses provincesd'Espagne et des pays d'Amérique latine.Durant les 500 années de coexistence avec lesGrecs, le chant populaire des expulsés sépha-rades a subi l'influence de la chanson démo-tique et cette tradition s'est épanouie avec bon-heur dans la ville de Salonique. Dans une étudetrès détaillée Mme Fernandez-Paparsenou ana-lyse les différents thèmes de ces chansons quitout en ensoleillant la vie des Juifs saloniciensconstituaient également leur mémoire : mémoi-re de leurs errances, de leur nostalgie pourl'Espagne, mais aussi de leur vie quotidiennedans leur nouvelle patrie.

Elle souligne également l'importance del'amour et du personnage féminin : celui de lamère, de l'épouse et de la fille. La femme est enfait un élément fondamental de la culturesépharade : c'est elle qui dans le cadre du foyeroù elle règne en tant que mère et épouse, entre-tient les traditions, la langue et le chant, lestransmet de génération en génération. C'estdans cette optique féminine que l'auteur de l'ar-ticle reprend un à un les thèmes principaux duchant sépharade à Salonique : la berceuse(“Durme hermoso hijico”, “Durme, durme her-mosa doncella”, “Dotorico tu te heras”) le chantde mariage (“Ya salio de la mar la galana”, “Yatraemos la vaca”) , le chant d'amour (“Madre,madre que me matan”, “A la una yo naci”,“Caminando por la plasa” etc.), les chansonsde la femme en couches (“La parida”, “Oh, quemueve meses”) et les chants relatifs à la foijuive, à la gloire du Dieu d'Israël et des Pères.

En conclusion de son travail sur cette sortede miracle que constitue l'interpénétration decultures aussi différentes que les cultures juive,espagnole et grecque - et nous pourrions ajou-ter turque puisqu'elle est ici absolument passéesous silence alors que son influence sur lamusique balkanique n'est plus à démontrer -,Soledad Fernandez cite une phrase du musico-logue Markos Dragoumis qui résume parfaite-ment ce phénomène : “… ce qui est importantce n'est pas tant à qui a été fait l'emprunt et par

qui (habituellement celui qui donne reçoit éga-lement en échange), que le fait que la beauté(en particulier en musique) est plus forte que leparti pris et souvent parvient à rapprocher cequi semble ne pouvoir l'être.” ❑

Bernard Pierron

• Lo Nishkach ! - N’oublions pas ! Volume 14 - 1999 - (en hébreu)

Le 14ème bulletin de la publication“N’oublions pas !” éditée à Tel-Aviv par ShmuelRefael et qui traite du judaïsme grec nous offrecette année encore un riche éventail d’articlesculturels, historiques, sociologiques et litté-raires.

Le recueil s’ouvre, comme pour appeler àla vigilance, sur le compte-rendu d’uneréunion “secrète” de néo-nazis dans les envi-rons de Salonique en décembre 1998.L’ampleur de ce mouvement, mais aussil’ignorance apparente des autorités quant auxresponsables et aux motivations de cettegrande réunion peuvent inquiéter. Il s’agiraiten fait d’une manifestation mondiale, caroutre les représentants des organisationsgrecques de Trikala, Lamia, Xanthi, Kavala etAthènes, des membres de groupuscules fas-cistes espagnols, allemands, danois, italiens,américains et sud-africains y auraient partici-pé afin de préparer les activités néo-naziesdes années 2000. Quelques personnalités mar-quantes du mouvement dont les noms nousrestent inconnus auraient apporté leur contri-bution et leur charisme à cette fête essentiel-lement fréquentée par des jeunes gens arbo-rant des tenues sans équivoque - treillis mili-taires et chemises noires décorées de croixgammées - et acclamant le nom d’AdolpheHitler.2

Deux témoignages de la barbarie à laquelleest étroitement lié le nom de ce dernier noussont fournis parallèlement dans la publicationisraélienne. Il s’agit de deux brefs récits, l’und’une survivante sépharade yougoslave, NizaDori, et l’autre d’une grecque de Corfou, NattaGattegno-Osmo. Les parcours différents de cesdeux jeunes femmes aboutissent pour la pre-mière à Bergen-Belsen et pour la seconde àAuschwitz. Niza Dori, parlant le serbo-croate etle judéo-espagnol, part à la recherche de sonépoux dont elle a été séparée par les événe-ments. Elle le retrouvera en Albanie où sansargent ni papiers elle bénéficiera de l’aide de lapopulation “qui éprouvait une nette sympathiepour les Juifs”, avant d’être arrêtée par lesAllemands et déportée. Quant à Natta Gattegno-Osmo, déportée avec son père et sa mère depuisCorfou à travers la Bulgarie et la Hongrie, sonrécit est remarquable par la précision de la description qu’elle fait de son arrivée au camp

Revues

1 Χρονικα - Cronica,Revue de judaïsme grec,nouvelle adresse : odos Voulis 36 GR 105 57 Athènes.

2 P.6 Actualité : Néo-nazisme à Salonique par Raoul Saporta.

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d’Auschwitz. Et cette sobriété, malgré le reculque semble vouloir prendre la narratrice par rap-port à ce cauchemar, dissimule mal les blessureslaissées par cette longue détention et par la pertede ses proches.1

Shmuel Refael lui-même, dans ce numéro de“N’oublions pas !” nous offre un article intéres-sant sur le sionisme et l’émigration en Palestinedes Saloniciens. Parallèlement à l’histoire decette émigration à compter du XVIIème siècle, ilpropose un synopsis du développement de lacommunauté juive de la ville de Saloniqueconnue sous le nom de “Jérusalem des Balkans”ou même de “Palestine”, dans l’Empire ottomanpuis sous l’administration grecque, en soulignantles modifications des conditions de vie des Juifsavec pour résultat une importante émigration. Àpartir de 1912 il distingue trois vagues d’immi-gration en Palestine : 1912 - 1914 ; 1930 - 1939 ;1946 - 1948.

1912

Le mouvement sioniste s’implante solide-ment dans la ville alors que l’intérêt pour laPalestine s’accroît, intérêt auquel contribuent lesvisites de personnalités comme Ben-TsionMossinson ou Ben-Tsion Katz. En 1914 quatre-vingt-dix personnes environ émigrèrent enPalestine, pour la plupart des commerçants quieurent bien des difficultés à s’adapter dans cepays nouveau où primait l’agriculture. Notonségalement la tentative de Yitshak Ben-Zvi, lamême année, pour engager des marins deSalonique à venir exercer leur métier à Jaffa. Ilréussit à en convaincre une dizaine. Les formali-tés prirent plusieurs mois si bien que lorsque lapremière guerre mondiale éclata le projet tombaà l’eau et seulement deux Saloniciens sur les dixgagnèrent Jaffa. L’immigration organisée ne sem-blant guère être du goût des Saloniciens, cer-tains pensèrent qu’il valait mieux envoyer enPalestine des groupes d’étudiants afin qu’ils yparachèvent leurs études. Grâce aux efforts deYitshak Epstein, quelques élèves du Talmud-Tora allèrent compléter leur cursus au lycée deTel-Aviv. Quelques-uns de ces jeunes gens s’ins-tallèrent même définitivement en terre d’Israël.Cette vague d’immigration n’était certes pasimportante; les Saloniciens choisirent principa-lement les villes côtières sans créer de noyauxspécifiques : ils sont artisans, commerçants,intellectuels et restent très attachés à leur cultu-re sépharade.

Immigration des marins et pêcheurs (1930 - 1939)

En 1914 puis en 1925 des tentatives réitéréespour inciter les marins saloniciens à immigrer enPalestine se soldent par un nouvel échec. Il deve-nait pourtant urgent pour les sionistes de grossirla minorité juive de 56 000 âmes noyée dans unepopulation arabe de centaines de milliers de per-sonnes.2

À partir des années trente la montée de l’anti-sémitisme à Salonique va accélérer ce mouve-ment d’émigration. Le pogrom de Campbell desinistre mémoire, les attaques répétées de jour-

naux tels que la Makedonia qui exprime etdéfend des opinions extrémistes manifestéesprincipalement par des associations à colorationfasciste dont les Trois Epsilon (Union Nationalede Grèce), sont à l’origine de l’émigration de plusde 10000 personnes, parmi lesquelles de nom-breux marins, pour diverses destinations dont laPalestine. Ce sont ces hommes de la mer qui ontdonné vie au port de Tel-Aviv où ils se sont ins-tallés dans les quartiers sud “Chapiro”,“Florentin” etc. Les Juifs de Grèce fondèrentégalement, exemple rare, un moshav appelé“Tsour Moché” dont l’effectif fut grossi pard’autres immigrants en provenance de Bulgarieet de Turquie. Dans leur grande majorité lesSaloniciens optèrent pour la vie urbaine et lesquartiers qu’ils fondèrent à Tel-Aviv furent appe-lés “la Petite Salonique”.

Les survivants de la Choah de Saloniqueen route pour la Palestine

Au lendemain de la Choah les quelques survi-vants des camps de la mort ne retrouvèrent pasSalonique telle qu’ils l’avaient quittée. Leursbiens, quelle qu’en soit l’importance, étaient pas-sés entre des mains grecques, sans grand espoirpour eux de les récupérer. Entre 1946 et 1948quelques centaines d’entre eux décidèrent d’émi-grer en Palestine. Après ce qu’ils avaient vécu etdont la plupart se refusaient encore à parler, leurinstallation en terre d’Israël, dans une société quileur était étrangère ne fut pas des plus faciles.3

Citons également ici deux autres rubriquesintitulées “Folklore des Juifs de Grèce”4 et “Lapage des livres”.5 Dans la première, Y. Haguel serappelle certaines expressions judéo-espagnolesde son enfance : Kon los çikures en la mano :“avec les cordons à la main” c’est-à-dire “trèspressé” : les caleçons d’hommes s’attachaient àl’aide de cordons et dans les moments de grandehâte on n’avait guère le temps de les nouer6 ; Nokayo el asukar a la agua : “le sucre n’est pastombé à l’eau”, le malheur n’est pas si terrible. Ilarrivait, dans le port de Salonique que les porte-faix laissent tomber un colis à la mer et le dom-mage était d’autant plus grave que le colis conte-nait du sucre ; Tyene la kara fyel komo si leundyo la maona : il a le teint bilieux comme sisa barque avait coulé. Enfin, dans la revue biblio-graphique, Shlomo Marcus a sélectionné troisnouvelles parutions : un ouvrage d’Alberto Nar :Queen of the Worthy - Thessaloniki : Historyand Culture - Éditions Paratiritis 1997 - enanglais .“Une histoire de Salonique des originesà nos jours”. De Brakha Rivlin : “Chronique desCommunautés - Grèce” - Éditions Yad Va-Shem -en hébreu. “Une histoire des Communautésjuives de Grèce depuis leur fondation jusqu’àl’après-guerre” puis, d’Erika-Myriam Amariglio-Kounio : “Récit d’Erika : une survivante deSalonique”. 1ère édition en grec - traduit enhébreu Éditions “Eqed”7 - Récit d’uneSalonicienne déportée avec sa famille àAuschwitz et qui, parce qu’elle parlait allemand,a été employée aux archives du camp où elle aété témoin du terrible processus d’extermina-tion. ❑

Bernard Pierron

1 P. 16“Puisse Dieu ne pasm’enlever la vie avant quej’aie mangé une tranche de pain”.Récit d’une survivanteyougoslave de la Choah.Récit Niza Dori.

P. 23De Corfou la Belle à Auschwitz - extrait d’un livre à paraître auxéditions “Eqed” en Israëlpar Natta Gattenio-Osmo.

2 Voir Yitshak Raphaël Molho :Les marins saloniciens enIsraël : vision et réalisation.Jérusalem 1951 (en hébreu).

3 P. 26Immigration des Juifs de Grèce :“Allons en Palestine”(Vamos a Palestina)Nostalgie et immigrationdes Juifs saloniciens en Terre d’Israël, par Shmuel Refael.

4 P. 48Folklore des Juifs de Grèce Expressions en judéo-espagnol des Juifs de Salonique par YaakovHaguel.

5 P. 58Nouveaux livres surles juifs de Salonique et Grèce par ShlomoMarcus.

6 Nous sommes très dubitatifs sur l’interpréta-tion de cette expression…

NDLR

7 L’édition en français a été assurée, depuis l’édition en allemand, parla Fondation Auschwitz à Bruxelles - n° spécial 55d’avril-juin 1997.

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EL KANTONIKODE CHOCHANA

Jurnaliko amigo

Komo kada uno,deves de saver lo kees una gayina kot-cha.Portante, komo yote lo vo ekspiegar,esto segura ke tu nolo oyites nunka.

Es la gayina konraki…

Por empesar vas air merkar unabuena gayina byengodra i una redomade raki.Kuando yatornas en kaza laprimera koza ke vasa azer es de asen-tarte i bever doskupikas de rakipara deskansarte.Kuando ya te are-pozates, te ale-vantes, metes lagayina en la agua ien el sal, komo esde tradisyon andemozotros.Profitando de eltyempo ke se devede kedar la gayinaen la sal, vas abever otras doskupikas de raki.Asta agora, esperoke todo esta klaro !Ayde, koraje : esora de preparar lagayina. Patron delmundo, onde esta ?A Dio ! Dio ! Dio !se izieron dos !kuala es la buena ?Una kupika de rakii todo va ser klarode muevo !Benditcha gayina,porke estas enbasho ? Komo azerpor arekojerla ? Ah,ya te aferri ! Hok !hok ! esto mankava,un sangluto…Una ora despuesbeves dos kupikasde raki. Hok ! yaesta la gayina pron-ta. Es ora de meter-la a kuezer. Ah !Ande esta el orno ?Akavidate, no esmomento de kayerembasho. Loskibrites en la mano,deves asenderlos !Kon tantas flami-

LO KE KONTÁVA LA BAVÁ…UN PÓKO DE MIDRÁCH

A los tyémpos lechános, kuando el hahamemetíya un avízo, le dávan valór de djuzga-myénto. Áma, ántes de prononsyárse sóvre unkávzo, kalíya ke konsúlte dos ótros hahamím ike los tréis káygan d’akórdo. En vézes, no morá-van en la mízma sivdá. Un chalíyah syervíyade mesadjéro.Un díya, Harbi David, topándose delántre de unprobléma espinózo, fué a konsultár HahamAvrám. Avyéndo debatído óras entéras en djún-tos, kayéron sóvre una konkluzyón : sólo RavChelomó, Hahám Bachí de la sivdéyka vizínales puéde kitár el pyé del kányo.Ni una ni dos, Ham Avrám étcha un gríto a suvyéjo arabadjí grégo ke los syervíya désde ányos:- “Kósta !”Este, al syentír su nómbre aríva koryéndo,koryéndo.- “Kostámu, óy te vo a demandár un hatír.Es un hazmét urjénte : pichín toma la karrósa,va ánde Rabi Chelómo. Díle ke Harbí Davidestá akí i ke los dos lo estámos asperándo.”“Bach yustené sinyór efendí !”Esto fué. Kósta ízo su étcho sigún lo dezeó supatrón, dándo al uespéd el onór devído a surángo.A pénas yegó el davetlí ke se kyécha al balabáy :- “Ya te lo díche halochéntas vézes ke éste karro-séro no es para ti. Aróndjalo !”- “Kuále vos akontesyó en kamíno ?”- “Pasímos delántre de una kelísya sin ke sekyéde afilú un minúto para enkorvárse !”- “No impórta : el i su grado de emuná ! Espersóna de konfiyénsa.”- “Kómo puédes fiyárte a un ómbre ke no mani-fésta su rekonosénsya al Dyó ke le dyó vídasigún el ensenyamyénto de su féy ?”- “Koza ke no mos ínche ! No es mozótrosHahamím ke vámos a dar lisyónes a losPapazím.”- “El benadám se déve de admetír su tchikézdelántre del Tódo Poderózo. El Patrík, respektadode los súyos es el priméro ke béza la Panayá.”- “Décha estas espesúras pára los grégos. Ven,mos okuparémos de las muestras.”

Muestra linguaNous avons commencé, il y a quelques années maintenant et sur la demande de lecteurs, la publication

dans chaque livraison d’un court texte en judéo-espagnol d’Isacco Hazan qui, lu à haute voix par despersonnes n’ayant pas de pratique peut contribuer à les initier de façon plaisante. L’auteur s’est efforcéde restituer le plus fidèlement possible le climat dans lequel évoluaient les communautés juives del’Empire ottoman.

Nous ne publions pas de traduction intégrale mais quelques notes éclairantes. La graphie adoptée estcelle de Vidas Largas. Nous suggérons aux débutants de lire lentement et en scandant, profitant desmarques d’accentuation qui ne figurent communément pas.

La Rédaction

midrach (de l’hébreu) = parabole.áma = mais.kalíya = il fallait.chalíyah = envoyé, représentant.harbi = un sage.Hahám Bachí = chef rabbin, grand rabbin.kitár el pyé del kányo = tirer le pied du caniveau,

de la boue (expression déjà rencontrée).Ham = contraction de Hahám.étcha un gríto = pousse un cri.arabadjí = charretier (araba, charrette).grego = grec; par extension, non juif, chrétien.koryéndo (bis) = courant, la répétition renforce le sens.Kostámu = “mon” Kosta, familiarité affectueuse.hatír (du turc) = privilège, faveur.hazmét (du turc)= service, course.pichín (du turc)= de suite, immédiatement, on dit aussi hemén.bach yustené (du turc) = sur ma tête, à vos

ordres.sinyór efendí = monsieur, répété en espagnol

puis en turc, pour mieux marquer la déférence.

davetlí = invité.balabay (de l’hébreu) = maître de céans.halochéntas (turc et esp.) = cent fois, maintes

fois.aróndjalo arondjar = jeter, lancer. Ici, chasse-le.akonteser = survenir, arriver, s’être produit.kelisya = déformation de iglesia, église.kyéde de kedar = rester.afilú = même.enkorvárse = se courber, se prosterner.emuná = confiance.kóza ke no mos ínche = une chose qui ne nous

satisfait pas, ici, qui ne nous regarde pas.Papazím = pluriel hébraïsé de papáz, prêtre.tchikéz = enfance, ici petitesse.Patrík (du turc) = patriarche.panayá (du grec pan aghía) = Vierge Marie, pro-tectrice universelle. Ici, la croix des chrétiens.espesúras = pointillismes, bricoles.

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Sara Benveniste Benrey

ESPERTANDO EL DJUDEO ESPANYOLPOEMAS REALIDAS I PHILOSOPHIA, KANTES,

SKETCHES, PIESAS DE TEATRO1

L’auteur, née en 1920 à Izmir, nousexpose dans sa préface le sens de sadémarche.

Elle émigra avec mari et enfants en Israël en1939. Depuis, ayant beaucoup lu, étudié et écritdans diverses publications, elle a jugé utile deréunir dans un seul livre les travaux de toute unevie, poursuit ses recherches, et prépare un nou-vel ouvrage dont elle nous annonce la parution.

Les poèmes de la première partie sont trèsdivers, chantent les thèmes éternels mais aussicélèbrent l’actualité. Chacun d’eux illustre unproverbe repris après le texte.

Salvador Santa Puche, dans son Antolojiaprésentée ci-contre, en a retenu plusieurs.

Deux pages plus loin nous offrons nous-mêmes

Ansi el Dio kriyo a la mujer, plein d’humour et de gaité.

La section des poèmes est suivie d’une sériede sketches.

Voyez par exemple dans El ijo por kazarcomment sont accueillies les diverses tentativesdu fils pour présenter une “fiancée “ éventuelle àsa mère, et la chute jouant sur l’ambiguïté enjudéo-espagnol du terme etcharse : se coucher,mais aussi se jeter (ici, par la fenêtre).

Aussi bien, Roza la horoza qui va - présuma-blement croit-elle - devenir célèbre, et offre unepremière interview à une radio locale, hachée deconseils de cuisine à son époux maintenantpromu fée du logis ! La bande-son recueillie parle journaliste ne manque pas de… sel.

Viennent quelques piécettes de théâtre, sou-vent des vaudevilles bien troussés, comme Elsigundo kazamiento ou Todo bueno kon mari-do viejo. On dirait un Labiche pudique, et c’estun compliment !

Lisez la longue lamentation du chômeurAlfredo (un haragan… disent les bien-pensantsmauvaises langues) qui échoue piteusementdans tout ce qu’il entreprend et se voit licencierséance tenante dès que par hasard il trouve untravail, dans El gigoletto. Mais les choses s’ar-rangent bien dans la comédie de Sara qui montrebeaucoup de talent pour organiser des ren-contres… fortuites et retourner des situationsquelque peu compromises, dans le conformismeambiant.

Sara Benveniste-Benrey injecte avec beau-coup de métier son expérience de la vie dans sespièces et non seulement les personnages en pro-fitent, mais l’auteur en fait non sans humourbénéficier ses contemporains.

Elle a d’ailleurs traduit elle-même en françaiscette dernière pièce à 9 personnages “Le gigolo”.

Qui entreprendra de la mettre en scène ? Avous de jouer, enseignants de la lingua muestradans le monde ! ❑

JC

Son imagination est éclatante, son talent considérable,son audace étonnante, sa persévérance notoire,sa motivation superbe.Il étudie, il voyage en terres judéo-hispanophones, il écrit et il publie. Et il est jeune de surcroît, ce quiaugure bien de la suite ! Il est de ceux qui œuvrent aumaintien et à la prospérité de la “lingua muestra”,de ceux qui ont déjà pris la relève.Il s’agit bien entendu de

Salvador Santa Puche

ANTOLOJIA DE POETASSEFARADIS KONTEMPORANEOS2

C’est un tout petit livre d’un goûtexquis que nous offre cette foisSalvador, expliquant que cette nouvel-

le maison d’édition qui le publie est la pre-mière au monde se destinant à la diffusionexclusive de textes en judéo-espagnol, nousannonçant déjà les prochaines parutions.

Oui, il a assez d’imagination pour nous fairedécouvrir des poètes contemporains, qu’ils noussoient déjà connus ou non - encore plus deremerciements dans ce dernier cas - sous la hou-lette d’un conteur de rues aveugle vivant de peu,Yaakov el Vistozo, qui s’arrête le soir, raconte deshistoires ou récite des poèmes supposés pajinasdel defter. Son talent est connu à la ronde, et toutle monde le réclame; les femmes lui offrentquelque nourriture… et la vie de ce pauvre hèrese poursuit ainsi, en un équilibre précaire et per-sistant, hors du temps.

Défilent dans le livre, à la fantaisie (apparen-te, car bien étudiée par Salvador) du récitantYaakov, tant de poètes contemporains qui noussont familiers et que nous aimons, présentés defaçon si positive, si sympathique ! 3

La première soirée Yaakov nous rapproche,s’il en est besoin, (petits éléments biographiquespour débuter, juste une légère mise en ambian-ce…) d’Avner Pérez, ce chanteur poète séphara-de israélien à la si superbe et puissante voix debasse (qui l’a entendu une fois dire ou chantern’est pas près de l’oublier…) et nous proposeplusieurs de ses poèmes, dont le terrible et cou-rageux Saloniki.

Le talent de Salvador dans les enchaînementsentre les poèmes est éclatant.

La fête de famille continue, avec MatildaKoen Sarano, la spécialiste de Djoha que nousavons eu la joie de recevoir dernièrement àParis. 4

Avec Sara Benveniste-Benrey dont nouscommentons le livre dans la colonne à côté,avec Margalit Matitiahu qui écrit en judéo-espa-gnol et en hébreu. Avec notre très chère - etdepuis si longtemps - Rita Gabbaï dont nousavons maintes fois depuis le début de cettepublication présenté des poèmes. Et plus loinnotre amie proche, Matilde Gini de Barnatanavec Una palomba en mi ventana, poème quenous avons récemment publié.

Et d’autres, que nous sommes si heureux dedécouvrir ! Merci Salvador !

Précipitez-vous, lecteurs, enseignants, etœuvrons pour que ce recueil soit très bientôtdisponible en France ! ❑

Jean Carasso

kas, no te kemes losojos. Nunka seasiende este orno !Y otra vez esta mal-ditcha gayina kayoembasho.Para aresentarte elmeoyo toma laredoma de raki ieskapala ! Tirili, tirililay, i lagayina va baylar.Soltanto kayades !Kon tu boz de arin-ga vas arravyar losvezinos.Despues de estagrande kanseriya ikon akavido grandeya te topas en lakama.I la gayina ?amanyana el diyaavlara…

Chochana LucieMazaltove

1 En judéo-espagnol,1996chez l’auteur c/o Yossi Benbenisty 6 rehov TzamarotHerzliya. Israël316 pages.23$, port inclus

2 En judéo-espagnol 1999 Ediciones Capitelum, calle Carcaixent 14 28°E 46007 Valence80 pages.

3 Peut-on oser écrire : “si affectueuse” ?

4 Voir en page “Musique”le commentaire de sacomédie musicale.

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Winsome Evans and The Renaissance Players

THE SEPHARDIC EXPERIENCE 1

C’est ici une véritable encyclopédiesonore qui nous est présentée par unprofesseur de musique de l’Université

de Sydney ayant fondé en 1967 le groupeThe Renaissance Players.

Winsome mène toujours son groupe, depuisplus de trente ans, dont le répertoire s’étend duIXème siècle à la musique contemporaine. Cettefemme extraordinaire de talent et de persévé-rance accumule 2500 pièces musicales qu’elle arecueillies, arrangées, étudiées et/ou composéeselle-même. Elle est productrice de la série enre-gistrée à Sydney et diffusée depuis Tucson enArizona.

Il s’agit d’un luxueux coffret de quatredisques compacts, dont chacun comprend unsuperbe livret sur papier glacé, d’une extrêmerecherche, dans le fond et à la forme. Avantmême d’avoir écouté une seule plage d’un seuldisque les mots qui viennent à l’esprit sont : “élé-gance” ou “excellence”.

Chaque livret comprend une partie communede mise en perspective, car les disques peuventêtre acquis séparément, mais d’autres explica-tions se poursuivent d’un livret à l’autre…

Lequel de nos lecteurs serait surpris de liredans ces pages les noms - autant de références -d’Armistead et Silverman, de Menendez-Pidal,puis de Susana Weich-Shahak ? On se demandesi un seul texte important a échappé à WinsomeEvans… Trente trois ans de travail, ou l’éloge dela persévérance.

Pour chaque morceau présenté, le livretindique l’origine géographique (“tradition andalou-se”, ou “Balkans/Rhodes”), ou le compositeur s’ilest connu, puis les interprètes avec la spécialité dechacun : “voix de soprano”, harpe, pandero.

De telle sorte que les enregistrements vien-nent comme des illustrations d’un texte, commeune iconographie dans une encyclopédie.

Prenons la n° 8 du premier disque, bien connue:Puncha puncha, la rosa huele. L’exécution estsomptueuse, comme la voix de la sopranoMelissa Irwin, accompagnée au violon, à la gui-tare, à la harpe (Winsome Evans elle-même) etaux castagnettes.

La 9ème est un poème de Moïse Ben Ezra,suivi d’un autre, du Cantique des Cantiques(Return, O Shulammite) dit, plutôt que chanté,par un récitant à la belle voix claire : Geoff Sirmai,accompagné au psalterium et au baglama.

La n° 10 Morena me llaman, bien connue detous, est chantée en duo par deux sopranosadmirables accompagnées de sept instruments…

Pour chaque interprétation, le livret exposel’environnement historique et culturel, musical ettechnique, cite les paroles en judéo-espagnollorsqu’il y a lieu, (mais certaines mélodies sontseulement orchestrées avec goût, et non chan-tées2) leur traduction en anglais.

Un grand bravo pour la plage 14 du seconddisque Durme durme mi angelico. Exécution parsoprano et chœurs accompagnés à la seule harpe,et commentaires sont d’une extrême sensibilité.

Amusez-vous à l’écoute de la première plagedu disque 4 : Los guisados de la berenjena partrois soprani et un solide accompagnement…!

Les moyens mis en œuvre dans cette encyclo-pédie sont si incomparables à ceux que l’onconnait habituellement que l’on reste proprementstupéfait. Toute comparaison devient cruelle ! 3

Incroyable et enthousiasmant.

Musique

Mathilda Koen-Sarano & Hayim Tsur

SEFARADÍS DE DOR EN DOR,COMÉDIE MUSICALE EN LADINO 4

En avril 1997 Matilda nous avait faitparvenir un exemplaire hors com-merce, destiné à l’enseignement

en Israël, de sa comédie musicale entrois actes portant le même titre.

Le propos était de suivre entre 1907 à Smyrneet 1994 à Jérusalem, en passant par Rhodes, troisgénérations d’une famille typique. Il était indiquéque la musique était signée de Hayim Tsur, et lelivre portait effectivement en annexe les partitionsmusicales de quelques uns des textes chantés.

Voici maintenant le disque, avec un livret lereliant explicitement au texte précédent.

Défilent, mêlées, des chansons classiques durépertoire : Ir me kero, madre, a Yerushaláyim;Los bilbilikos, chantées par l’inimitable YehoramGaon que l’on reconnaît de suite, Arvolés yoranpor luvias, superbe interprétation de KerenHadar; Morenika. D’autres, créations originalescelles-là sur des paroles de Matilda Koen-Saranomises en musique avec un grand professionna-lisme par Hayim Tsur, et interprétées par desartistes réunis pour la circonstance, parfois deschœurs, dont les noms sont chaque fois cités.

On découvre alors les nouveautés, dont cer-taines deviendront des classiques : Durmedurme, kriatura, interprétée avec cœur parTami Adrian; les très amusants El karpus puisTrae una karafika (de raki bien sûr… “le rakiest sain, il me fait chaud, proche de moi il mesert de médecin”…) interprétés en superposi-tion play-back par le très bon Ofer Halaf; lesémouvants Ande stas, par Betty Klein et No lokero, (Avlo sólo en espanyol/kero un noviod’Estanbol…) par Kohava i Yasmín Levy, l’en-traînant Mazal-tov final par le chœur Ladino.

La succession d’interprètes différents appor-te beaucoup à l’ensemble. Même Matilda chanteune fois…; on regrette de ne rien savoir de l’ac-compagnement, très au point pourtant.

Tous les ingrédiens sont réunis pour que cettecomédie musicale et ce disque connaissent ungrand succès. L’avenir le confirmera ! ❑

pour toute la rubrique : Jean Carasso

1 Celestial Harmonies P.O. Box 30122 Tucson AR 85751 USA.

4 En France :Nessmusic 35 rue Petit,75019 Paris Tél. 01 42 45 10 30Fax 01 42 45 10 90Ailleurs dans le monde :Ataklit Ltd P.O. Box 32Pardesiya 42815 IsraëlFax 972 98 94 62 99

2 Ce sont celles quid’ailleurs entraînentle moins l’adhésion, car elles déroutent : deskantikas non chantées…

3 Imaginez seulement quele livret nomme et localisele fabricant de chaque instrument lorsqu’il estmoderne : l’ud a étéconstruit par Peter Biffinen Australie…etc.

Il est très probableque ce coffret nous serait restéinconnu sans la gentillesse de notre lectriced’Australie, Sophie Caplan qui nous l’a offert ! Merci beaucoupSophie !

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Nous proposons dans cette édition deux poèmes signés de deux auteurs différents, et qui n’ont en communque le nom de “poème”. Tant il est vrai que la poésie est multiforme, mode d’écriture permettant l’expression de chacun.Le premier est signé de Sara Benveniste Benrey, extrait du livre que nous commentons deux pages plus haut.Il est écrit en toute liberté, sur un ton humoristique, en vers de dix pieds, puis de onze.Le second est d’une certaine manière l’antithèse du premier. Signé de Salamon Bicerano, il est le fruit d’un long et minutieux travail d’élaboration et respecte scrupuleusement la prosodie la plus classique, on pourrait exprimer mieux :“de l’époque classique” Les vers sont de quatorze pieds rigoureusement, les rimes sont riches, sauf la chute en rupture, voulue évidemment, quand tombe l’ultime : “ …de la Muerte”.

Ansi el Dio kriyo a la mujer

Au concours organisé par notre confrère“Aki Yerushalayim” à l’occasion de ses vingt ans, ce poème de Salamon Bicerano a remporté le prix de poésie.

Tristeza krepuscular

Kuando oskurese el dia i s’eça el solAkarisiando de sus rayos la flor del arvol,Kuando la nueva estreya briya en el sielo,Porke una tristeza me envolta kom un velo ?

Se siente en estos momentos una nostalgia,Ke barre del dia el gozo i la alegriaI mos deça un espanto i ensiguridadEn prezensia de una Natura sin piadad.

No es la noçe la kulpavle de este temor,Ni de pensar a la pavor de bivir sin amor,Ma deve de ser, en nuestro fuerte enkonsienteDe sintirmos un dia mas serka de la Muerte

Salamon Bicerano, el 29 Enero del 1991

Poésie

En un esfuenio me aparesyoEl Santo Bendicho EL, muestro Dio.Le demandi “Komo pudo azerDe un guesso kriyar a la mujer ?”

Me disho :Te vo a deskuvrir mi sekretoKe lo digas al mundo enteroKe es muy falso este enventoUn guesso no da nada de bueno.

Kuando vide a Adam kayadoEn Gan Eden ke le di regaloDemandi kualo le atristavaSi alguna kosa le mankava ?

Sospirando disho “Esto solo !Nada de bueno no me da gozoEstas ermozuras, vistas anchasMe kovijan komo la mortaja !

Te rogo Dio ! dame un regalo,Ma no se ni yo demandar kualoKoza ke podre amar, abrasar,I al mi kerer, azer araviar”.

Ya entendi ke le manka su par.Tomando de las flores un petalDesini una facha ermozaLa sarpiki kon agua de rosa.

En su boka planti perlas finasSus ojos ize de dos safirasTomi espigos de la culturaIze de oro su kaveyadura.

Sus brasos kije lizos komo sedaSus manos blankas, sus dedos kandelasSus senos kome del mi verjel sus frutosDe eyos manara un sakro sumo.

A la hansh di linya de arte altoA sus piernas largas di muncho garboSus pies finos, i lo todo endjuntosDando a la vista grande enkanto.

Ma todo esto no me abastandoKije alma, korason palpitandoAlora meskli grasia i kompasionDulsor, amor, kerensia, poko bonhor

En kompletando esta maraviaKe yo mismo, Dio, no me la kreyiyaVer esta ovra de valor i plazerSupe ke trushe al mundo la mujer.

Sara Benveniste Benrey

On observera que la graphie est celle du journal “Salom”d’Istanbul, - duquel Salamon Bicerano est le responsable - et que nous avons respectée.

Ce prix de poésie lui sera remis solennellement à Jérusalem, le 18 octobre 1999, dans le cadre d’un colloque organisé par la Autoridad Nasionala del Ladino sur l’écriturede cette langue. Une autre lauréate est aussi notre amie : Zamila Kolonomos de Skopje pour son article“Monastir al anyo 1945”. Félicitations à tous les lauréats : “Aki Yerushalayim” a eu raison de lancer ce concours, les réponses montrent qu’on écrittoujours en “lingua muestra”, voire avec talent.

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Association des Amis de la Lettre Sépharade - Aqui estamos

Le présent numéro, tiré à 3550 exemplaires,a été saisi et composé par Jean Carasso qui en a assuré la mise en pagesavec l’aide de Sabine Locoge,sur une maquette de Paul Bertrand.Le fichier de la“Lettre Sépharade” est inscrit sous le n° 608403 à la Commission Nationalede l’Informatique et des Libertés (CNIL).

RECHERCHES GÉNÉALOGIQUES Moshe Faraggi, vivant en Israël, nous infor-

me qu’il tient à disposition de qui lui demande-ra un arbre généalogique de 500 membres decette famille (orthographes diverses) sur plusde deux siècles, à Istanbul, Salonique, Volos,Serres, Kastoria, Monastir, liste méthodiqueaccompagnée d’un commentaire, fruit de sesrecherches depuis de nombreuses années :

Moshe Faraggi14 rehov Yara - Omer 84965 Israël

e-mail : [email protected]

UNIVERSITÉ D’ÉTÉ À TOLÈDE

Comme chaque année, Tolède propose son Université d’été du 6 au 9 septembreavec, au programme :

Judíos en la literatura española.

S’adresser au Secrétariat,

c/Samuel Levi E 45002 Tolède

Fax 34 925 21 58 31

COMMUNIQUÉS

DEUX NOUVELLES REVUESPORTUGAISES BILINGUES

• Sigila, revue transdisciplinaire sur le secret21 rue St Médard

75005 Paris

• Latitudes, cahiers lusophones75 rue de Bagnolet

75020 Paris Tél/Fax 01 43 67 64 08

Toutes les deux proposent d’intéressants programmes éditoriaux.

L’un de vos amis serait peut-être heureux de connaître cette Lettre Sépharade trimestrielle

Communiquez seulement son nom et son adresse à l’éditeur responsable :

Jean Carasso

F - 84220 - GordesMerci.

SepharadeLa Lettre

Pour les uns, le 24 juin c’est le solstice d’été,pour d’autres les feux de la Saint-Jean, pour les judéo-espagnols de Paris et d’ailleurs etleurs amis, c’est la fête de Djoha.Fête qui est en passe de devenir une insti-tution. Bien avant l’été, au téléphone “C’est quand déjà ? Le 24 juin. C’est noté”.On écrit, on interroge : “Qui y aura-t-il ?on regrette. Dommage, je ne serai pas là.”500 en 1998, comment faire mieux ? on a largement fait mieux ! Comment ferons-nous l’an prochain ? Caminando i avlando !Longtemps avant on organise, on planifie,on téléphone, on informatise. Serons-nousprêts à temps ? On approvisionne, on cuisi-ne (guisar es yuch, comer es colay…) :

1500 borekitas, qui va les faire ? On apprend,on répète, on minute. Qui va présenter ?Jean-Philippe Lustyk, parfait ! Il y a ceux quiinforment : “La Lettre Sépharade” qui,comme toujours depuis le début, relaie ami-calement et efficacement nos communi-qués, les radios juives qui nous reçoivent, lebouche à oreille. Il y a ceux qui viendront deloin : de Jérusalem, Matilda la conteusemagnifique ou de Sarajevo le groupe Kamhi,mais aussi de Paris, Pierre Barouh de retouraux sources, et les amis de la chorale Zamir.Tout cela afflue, conflue, au théatre super-be de notre ami Antonio Diaz-Florian parune journée ensoleillée d’un mois de juinpluvieux. La fête, vous dis-je ! ❑

Sam Altabef

Notez les deux conférences pour connaître mieux nos racines (salle Jean Damme 17 rue Léopold Bellan 75001 Paris, à 14 heures 30) :Le 24 octobre 1999 Charles Leselbaum nous parlera des Juifs d’Espagne avant l’expulsion.Le 27 février 2000 Esther Benbassa nous entretiendra des Sépharades après l’expulsion et de leur installation dans l’Empire ottoman et les Balkans.

et aussi le déjeuner gréco-turc du dimanche 3 octobre pour les retrouvailles de la rentrée (s’inscrire auprès de Dolly 01 43 71 89 69, Mireille 01 43 79 96 84 ou Claire 01 43 20 47 82, nombre de couverts très limité).

Quelques places sont encore disponibles pour le voyage à Prague du 28 au 31 octobre (téléphoner à Claire : 01 43 20 47 82).

Ensemble pour la vie de la culture judéo-espagnole, Aqui estamos.AALS - 183 Bld Voltaire - 75011 Paris