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15 samedi 17 février 2018 L’OLJ WEEK-END « L’imagination est plus importante que le savoir. » La phrase est signée Albert Einstein. Nombreux sont les enfants qui n’ont jamais aimé l’école et qui se sont avérés être brillants dans la vie. Tania el-Khoury en fait partie ! Née en 1982 dans la ville côtière de Jounieh, elle est la cadette de trois enfants d’une famille très conservatrice et profondé- ment attachée aux traditions. Son père est militaire et sa mère professeure de littérature arabe, tous deux originaires d’un petit village du Akkar, où toute la famille passe ses étés à l’ombre des oliviers qu’ils brossent. Manier le peigne ou la gaule pour la récolte des olives ou faire du fromage traditionnel (le chanklish) ou de la mélasse accouchaient de grands festins autour d’une table où l’on ne servait que de l’amour. Scolarisée chez les religieuses des Saints-Cœurs, elle avoue n’avoir jamais adhéré au système : « Enfant, mes parents se désespéraient : cette fille n’ira nulle part ! » Il faut croire que le nulle part se conjugue avec le très loin. Le fonctionnement de son cerveau et de sa mémoire ne s’est jamais adapté aux méthodes d’enseignement classique, et en classe, elle rêvait, elle s’ennuyait, elle n’était jamais dans son élément. Elle explique que l’autorité qu’elle subissait (porter un costume, se mettre en rang ou se soumettre à l’avenir que son père voulait lui imposer) se révélera plus tard comme le combat, le leitmotiv de sa vie. Quand Tania el-Khoury intègre le monde de la performance et du live art, elle n’aura de cesse de chercher à redéfinir les droits du citoyen, d’instaurer un rapport équilibré avec les es- paces urbains et de porter loin la voix des droits de l’homme. Ce sera son unique message quand elle fondera à Beyrouth, avec Abir Saksouk, le Dictaphone Group. Camille Claudel À l’âge où l’on prend son destin en main, où l’on peut faire fi de l’autorité des cornettes qui martyrisaient les lobes des oreilles ou celle des parents qui rêvent d’une progéniture en médecins, avocats ou ingénieurs, le théâtre se présente à elle comme TANIA EL-KHOURY, ARTISTE VISUELLE, 35 ANS Ce qu’elle préfère UN ACTEUR/UNE ACTRICE PRÉFÉRÉ(E) ? Tilda Swinton. UN CHANTEUR/UNE CHANTEUSE PRÉFÉRÉ(E) ? Nazem al-Ghazali. UN ÉCRIVAIN PRÉFÉRÉ ? Etel Adnan. UN PEINTRE PRÉFÉRÉ ? Saloua Raouda Choucair. UNE COULEUR PRÉFÉRÉE ? Le bleu. UN PLAT PRÉFÉRÉ ? Tarka Daal (un plat indien). UN TRAIT DE CARACTÈRE PRÉFÉRÉ ? La rapidité et l’efficacité. UNE VILLE PRÉFÉRÉE ? Lisbonne. UN ANIMAL PRÉFÉRÉ ? La gazelle. UN ÉMOTICON PRÉFÉRÉ ? La femme brune avec la paume sur le visage. UN ALCOOL PRÉFÉRÉ ? Le single malt whiskey. UNE TÂCHE MÉNAGÈRE PRÉFÉRÉE ? Remplir le lave-vaisselle. UN COMPLIMENT PRÉFÉRÉ ? Ton œuvre m’a marqué. UNE PARTIE DE L’ANATOMIE PRÉFÉRÉE ? Les épaules. UN OUTIL TECHNOLOGIQUE PRÉFÉRÉ ? À Beyrouth, les casques antibruit. William el-Khoury SON PÈRE Toute petite, Tania était déjà une meneuse. Elle avait le sens de l’organisation et de l’efficacité. À l’âge de 6 ans, un jour que je devais la ramener d’un anniversaire, la maman du petit garçon a tenu à venir jusqu’au parking où je l’attendais pour me félic- iter : « Dans le chaos des disputes d’enfants, votre fille a réussi à mettre tout le monde en rang pour un tour sur le toboggan, quel caractère ! » Elle ne s’in- téressait pas à l’école, mais elle était curieuse de la vie et on avait l’impression qu’elle était née en sachant déjà ce qu’elle voulait devenir. Nous sommes tellement fiers. Lara el-Khoury SA SŒUR Enfants, Tania et moi avions l’habitude de beaucoup nous disputer. J’empruntais ses vêtements sans permission et elle me faisait du chantage en me privant de mon chew- ing-gum préféré. Adultes, nous avons tissé des liens très forts et Tania m’a sou- tenue auprès de mes parents pour respecter mes choix de vie. Ma sœur peut être forte et déterminée en étant Dans le cadre de Génération Orient, et en partenariat avec la Société Générale de Banque au Liban (SGBL), L’Orient-Le Jour va braquer chaque mois tous les projecteurs (papier et web) sur un artiste (âgé de maxi- mum 35 ans), toutes disciplines confondues (cinéma, musiques, peinture, sculpture, photo, illustration, street art, danse, mode, design, architecture, cuisine, etc.), et lui faire sa campagne sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter, YouTube, Snapchat…) pendant 30 jours, jusqu’à la date de publication du prochain artiste. Chaque année, douze artistes seront en lice pour le prix L’OLJ-SGBL (5000 USD le 1er, 2000 USD le 2e et 1000 USD le 3e). Les lecteurs de L’OLJ voteront à 50%, et le vote d’un jury (L’OLJ, SGBL et grands noms/experts du monde artistique) comptera pour les 50% restants. Ce qu’en dit le mentor - Harriet Hawkins Lors de ma première rencontre avec Tania el-Khoury dans un café à Londres, j’ai été immédiatement fascinée par une certaine élégance, mais aussi par une intelligence qui défie toutes les connaissances intellectuelles, un désir de vouloir toujours aller au fond des choses et un dévouement sans limites pour ses engagements artistiques. J’avais très vite compris qu’elle était une artiste hors normes, fidèle à ses principes et à ses idées. La perspective de collaborer avec elle m’enchantait. Quand, avec le temps, j’ai appris à mieux la connaître, j’ai découvert une combinaison d’énergie débordante, de sensibilité esthétique et de générosité sans limites. C’est certes une battante, une acharnée de travail, qui était ca- pable de débattre de tous les sujets politiques avec férocité pour défendre ses opinions, mais elle restait une personne très ouverte aux autres, pleine de compassion et toujours prête à écouter. Tania el-Khoury ne fait jamais les choses à moitié. Je n’oublierai jamais cette période où, debout sur les toits de Tunis, en regardant son travail nuit après nuit avec un groupe de femmes traumatisées par la vie et en manque de confiance totale, elle réussit à les faire chanter, danser et jouer en public. Elle donne le meilleur d’elle-même et réussit à tirer le meilleur des autres. Son dévouement envers les communautés avec lesquelles elle travaille a vraiment un impact positif sur la vie des gens. Tania el-Khoury rêve grand, mais n’oublie jamais ceux avec qui elle collabore. Malgré un succès fulgurant et la reconnaissance des plus grands, elle reste une personne modeste, généreuse, drôle et très humaine. HARRIET HAWKINS EST UNE ENSEIGNANTE ET CHERCHEUSE BRITANNIQUE. ELLE A DIRIGÉ LA THÈSE DE DOCTORAT DE TANIA EL-KHOURY À LONDRES. la plus aimable. C’est une artiste exceptionnelle. Ses performances sont uniques, le spectateur est toujours partie prenante. À New York, par exemple, elle affichait complet. Cela m’a rendue incroyablement fière. Ziad Abu-Rish SON MARI J’ai rencontré Tania en juillet 2012 durant une conférence à Beyrouth. Quatre années plus tard, nous dansions à Ramlet el-Baïda sur une plage publique pour célébrer notre union. Tania est fière et loyale et refuse les com- promis. Je l’ai observée défendre son travail sur les cinq continents : Tania est respectueuse de l’autre, mais le pousse dans les recoins les plus intimes de sa vie pour l’aider à trouver ses propres réponses. Elle est pour moi l’artiste la plus courageuse, la plus innovante et la plus authentique. Abir Saksouk SON AMIE ET ASSOCIÉE J’ai rencontré Tania en 2007 à Londres. Elle préparait son master en performance et moi en urbanisme. Nous avi- ons de longues discussions, et sa façon d’appréhender le monde et de réfléchir m’a très vite séduite. Quelques années plus tard, nous fondions Dictaphone Group... Notre relation profession- nelle s’est transformée en une très belle et forte amitié. Tania est une fille sérieuse et appliquée, talentueuse et créative, qui s’implique dans tout ce qu’elle fait, et avec un humour incontestable. Helena Nassif SON AMIE J’ai rencontré Tania el- Khoury en 2009. En 2011, deux expériences nous ont rapprochées : les soulève- ments arabes et la perte d’une amie commune. Nous avons travaillé ensemble et j’ai découvert une artiste tendre, courageuse, exigeante et in- tègre, qui construit son monde avec une vision esthétique propre à elle. Tania déborde d’énergie et de créativité, elle n’arrête pas de créer : des plats, des vêtements ou des projets artistiques. Son génie tient à la fois de son caractère réfléchi et de sa dynamique créative. Son engagement est éthique et politique. Soucieuse de la condition de la femme et des causes perdues, elle défend l’amour et l’amitié, dans une pratique intellec- tuelle et artistique qui défie toutes les autorités. « Enfant, mes parents se désespéraient : cette fille n’ira nulle part ! » CE QU’EN DISENT LES PROCHES Page réalisée par Danny MALLAT une évidence. Et son père de lui répondre : « En famille, nous n’avons pas d’enfants qui font du théâtre, d’ailleurs on n’en a juste pas les moyens. » Tania el-Khoury opte pour l’Univer- sité libanaise, et quand son père s’informe, il est rassuré : le concours d’entrée était très difficile, « elle ne réussira jamais, laissons-la se présenter », chuchota-t-il à sa mère. Sauf que la jeune fille est parmi les élèves les plus brillantes : elle est plus que choisie, elle est désirée. À l’université, elle s’essaie à toutes les disciplines : la vidéo, la danse, la production, mais reste encore en décalage par rap- port au théâtre classique. Elle était surtout attirée par la per- formance corporelle, de l’extérieur vers l’intérieur, plutôt que par l’écriture des textes et le simple jeu sur scène. Ses parents commencent enfin à comprendre et s’investissent pour l’aider. Une fois son diplôme (sur Camille Claudel) obtenu, Tania el- Khoury décide d’aller à Londres (de ses propres moyens) pour rejoindre l’école de Jacques Lecoq, où l’acteur est contraint d’utiliser tout son corps et de le contrôler pour exprimer une émotion donnée, où l’acte de création est suscité de manière permanente à travers l’improvi- sation. Là encore, beaucoup plus que le jeu, c’est l’utili- sation de l’espace et l’interaction avec le public qui importent. Dès lors, plus rien ne l’arrête. Un MA au Goldsmiths College, un PHD au Royal Holloway, et des performances (dont Maybe If You Choreograph Me You Will Feel Better) qui feront le tour du monde et où elle récolte les prix les plus prestigieux : Inter- national Prize for Live Art (pour l’ensemble de son œuvre), the Total Theatre Innovation Award, Arches Brick Award, etc. Tania el-Khoury a oublié aujourd’hui le bonnet d’âne dont on l’avait affublée. Elle est désormais une référence dans le do- maine du live art, elle renverse les règles classiques du théâtre et prouve que l’intelligence abstraite de tout n’est rien : seuls le talent, la détermination et la persévérance comptent.

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Page 1: samedi 17 février 2018 TANIA EL-KHOURY, - s.olj.me elle travaille a vraiment un impact positif sur la vie des gens. Tania el-Khoury rêve grand, mais n’oublie jamais ceux avec qui

15samedi 17 février 2018L’OLJ WEEK-END

« L’imagination est plus importante que le savoir. » La phrase est signée Albert Einstein. Nombreux sont les enfants qui n’ont jamais aimé l’école et qui se sont avérés être brillants dans la vie. Tania el-Khoury en fait partie ! Née en 1982 dans la ville côtière de Jounieh, elle est la cadette de trois enfants d’une famille très conservatrice et profondé-ment attachée aux traditions. Son père est militaire et sa mère professeure de littérature arabe, tous deux originaires d’un petit village du Akkar, où toute la famille passe ses étés à l’ombre des oliviers qu’ils brossent. Manier le peigne ou la gaule pour la récolte des olives ou faire du fromage traditionnel (le chanklish) ou de la mélasse accouchaient de grands festins autour d’une table où l’on ne servait que de l’amour.Scolarisée chez les religieuses des Saints-Cœurs, elle avoue n’avoir jamais adhéré au système : « Enfant, mes parents se désespéraient : cette fille n’ira nulle part ! » Il faut croire que le nulle part se conjugue avec le très loin. Le fonctionnement de son cerveau et de sa mémoire ne s’est jamais adapté aux méthodes d’enseignement classique, et en classe, elle rêvait, elle s’ennuyait, elle n’était jamais dans son élément. Elle explique que l’autorité qu’elle subissait (porter un costume, se mettre en rang ou se soumettre à l’avenir que son père voulait lui imposer) se révélera plus tard comme le combat, le leitmotiv de sa vie. Quand Tania el-Khoury intègre le monde de la performance et du live art, elle n’aura de cesse de chercher à redéfinir les droits du citoyen, d’instaurer un rapport équilibré avec les es-paces urbains et de porter loin la voix des droits de l’homme. Ce sera son unique message quand elle fondera à Beyrouth, avec Abir Saksouk, le Dictaphone Group.

Camille ClaudelÀ l’âge où l’on prend son destin en main, où l’on peut faire fi de l’autorité des cornettes qui martyrisaient les lobes des oreilles ou celle des parents qui rêvent d’une progéniture en médecins, avocats ou ingénieurs, le théâtre se présente à elle comme

TANIA EL-KHOURY, ARTISTE VISUELLE, 35 ANS

Ce qu’elle préfère UN ACTEUR/UNE ACTRICE PRÉFÉRÉ(E) ?Tilda Swinton.

UN CHANTEUR/UNE CHANTEUSE PRÉFÉRÉ(E) ?Nazem al-Ghazali.

UN ÉCRIVAIN PRÉFÉRÉ ? Etel Adnan.

UN PEINTRE PRÉFÉRÉ ? Saloua Raouda Choucair.

UNE COULEUR PRÉFÉRÉE ? Le bleu.

UN PLAT PRÉFÉRÉ ?Tarka Daal (un plat indien).

UN TRAIT DE CARACTÈRE PRÉFÉRÉ ? La rapidité et l’efficacité.

UNE VILLE PRÉFÉRÉE ? Lisbonne.

UN ANIMAL PRÉFÉRÉ ? La gazelle.

UN ÉMOTICON PRÉFÉRÉ ? La femme brune avec la paume sur le visage.

UN ALCOOL PRÉFÉRÉ ? Le single malt whiskey.

UNE TÂCHE MÉNAGÈRE PRÉFÉRÉE ? Remplir le lave-vaisselle.

UN COMPLIMENT PRÉFÉRÉ ? Ton œuvre m’a marqué.

UNE PARTIE DE L’ANATOMIE PRÉFÉRÉE ? Les épaules.

UN OUTIL TECHNOLOGIQUE PRÉFÉRÉ ? À Beyrouth, les casques antibruit.

William el-KhourySON PÈREToute petite, Tania était déjà une meneuse. Elle avait le sens de l’organisation et de l’efficacité.À l’âge de 6 ans, un jour que je devais la ramener d’un anniversaire, la maman du petit garçon a tenu à venir jusqu’au parking où je l’attendais pour me félic-iter : « Dans le chaos des disputes d’enfants, votre fille a réussi à mettre tout le monde en rang pour un tour sur le toboggan, quel caractère ! » Elle ne s’in-téressait pas à l’école, mais elle était curieuse de la vie et on avait l’impression qu’elle était née en sachant déjà ce qu’elle voulait devenir. Nous sommes tellement fiers.

Lara el-KhourySA SŒUREnfants, Tania et moi avions l’habitude de beaucoup nous disputer. J’empruntais ses vêtements sans permission et elle me faisait du chantage en me privant de mon chew-ing-gum préféré. Adultes, nous avons tissé des liens très forts et Tania m’a sou-tenue auprès de mes parents pour respecter mes choix de vie. Ma sœur peut être forte et déterminée en étant

Dans le cadre de Génération Orient, et en partenariat avec la Société Générale de Banque au Liban (SGBL), L’Orient-Le Jour va braquer chaque mois tous les projecteurs (papier et web) sur un artiste (âgé de maxi-

mum 35 ans), toutes disciplines confondues (cinéma, musiques, peinture, sculpture, photo, illustration, street art, danse, mode, design, architecture, cuisine, etc.), et lui faire sa campagne sur les réseaux sociaux

(Facebook, Instagram, Twitter, YouTube, Snapchat…) pendant 30 jours, jusqu’à la date de publication du prochain artiste. Chaque année, douze artistes seront en lice pour le prix L’OLJ-SGBL (5000 USD le 1er, 2000

USD le 2e et 1000 USD le 3e). Les lecteurs de L’OLJ voteront à 50%, et le vote d’un jury (L’OLJ, SGBL et grands noms/experts du monde artistique) comptera pour les 50% restants.

Ce qu’en dit le mentor - Harriet HawkinsLors de ma première rencontre avec Tania el-Khoury dans un café à Londres, j’ai été immédiatement fascinée par une certaine élégance, mais aussi par une intelligence qui défie toutes les connaissances intellectuelles, un désir de vouloir toujours aller au fond des choses et un dévouement sans limites pour ses engagements artistiques. J’avais très vite compris qu’elle était une artiste hors normes, fidèle à ses principes et à ses idées. La perspective de collaborer avec elle m’enchantait. Quand, avec le temps, j’ai appris à mieux la connaître, j’ai découvert une combinaison d’énergie débordante, de sensibilité esthétique et de générosité sans limites. C’est certes une battante, une acharnée de travail, qui était ca-pable de débattre de tous les sujets politiques avec férocité pour défendre ses opinions, mais elle restait une personne très ouverte aux autres, pleine de compassion et toujours prête à écouter. Tania el-Khoury ne fait jamais les choses à moitié. Je n’oublierai jamais cette période où, debout sur les toits de Tunis, en regardant son travail nuit après nuit avec un groupe de femmes traumatisées par la vie et en manque de confiance totale, elle réussit à les faire chanter, danser et jouer en public. Elle donne le meilleur d’elle-même et réussit à tirer le meilleur des autres. Son dévouement envers les communautés avec lesquelles elle travaille a vraiment un impact positif sur la vie des gens. Tania el-Khoury rêve grand, mais n’oublie jamais ceux avec qui elle collabore. Malgré un succès fulgurant et la reconnaissance des

plus grands, elle reste une personne modeste, généreuse, drôle et très humaine.

HARRIET HAWKINS EST UNE ENSEIGNANTE ET CHERCHEUSE BRITANNIQUE. ELLE A DIRIGÉ LA THÈSE DE DOCTORAT DE TANIA EL-KHOURY À LONDRES.

la plus aimable. C’est une artiste exceptionnelle. Ses performances sont uniques, le spectateur est toujours partie prenante. À New York, par exemple, elle affichait complet. Cela m’a rendue incroyablement fière.

Ziad Abu-Rish SON MARI J’ai rencontré Tania en juillet 2012 durant une conférence à Beyrouth. Quatre années plus tard, nous dansions à Ramlet el-Baïda sur une plage publique pour célébrer notre union. Tania est fière et loyale et refuse les com-promis. Je l’ai observée défendre son travail sur les cinq continents : Tania est respectueuse de l’autre, mais le pousse dans les recoins les plus intimes de sa vie pour l’aider à trouver ses propres réponses. Elle est pour moi l’artiste la plus courageuse, la plus innovante et la plus authentique.

Abir Saksouk SON AMIE ET ASSOCIÉE J’ai rencontré Tania en 2007 à Londres. Elle préparait son master en performance et moi en urbanisme. Nous avi-ons de longues discussions, et sa façon d’appréhender le monde et de réfléchir m’a

très vite séduite. Quelques années plus tard, nous fondions Dictaphone Group... Notre relation profession-nelle s’est transformée en une très belle et forte amitié. Tania est une fille sérieuse et appliquée, talentueuse et créative, qui s’implique dans tout ce qu’elle fait, et avec un humour incontestable.

Helena Nassif SON AMIE J’ai rencontré Tania el-Khoury en 2009. En 2011, deux expériences nous ont rapprochées : les soulève-ments arabes et la perte d’une amie commune. Nous avons travaillé ensemble et j’ai découvert une artiste tendre, courageuse, exigeante et in-tègre, qui construit son monde avec une vision esthétique propre à elle. Tania déborde d’énergie et de créativité, elle n’arrête pas de créer : des plats, des vêtements ou des projets artistiques. Son génie tient à la fois de son caractère réfléchi et de sa dynamique créative. Son engagement est éthique et politique. Soucieuse de la condition de la femme et des causes perdues, elle défend l’amour et l’amitié, dans une pratique intellec-tuelle et artistique qui défie toutes les autorités.

« Enfant, mes parents se désespéraient : cette fille n’ira nulle part ! »

CE QU’EN DISENT LES PROCHES

Page réalisée par Danny MALLAT

une évidence. Et son père de lui répondre : « En famille, nous n’avons pas d’enfants qui font du théâtre, d’ailleurs on n’en a juste pas les moyens. » Tania el-Khoury opte pour l’Univer-sité libanaise, et quand son père s’informe, il est rassuré : le concours d’entrée était très difficile, « elle ne réussira jamais, laissons-la se présenter », chuchota-t-il à sa mère. Sauf que la jeune fille est parmi les élèves les plus brillantes : elle est plus que choisie, elle est désirée. À l’université, elle s’essaie à toutes les disciplines : la vidéo, la danse, la production, mais reste encore en décalage par rap-port au théâtre classique. Elle était surtout attirée par la per-formance corporelle, de l’extérieur vers l’intérieur, plutôt que par l’écriture des textes et le simple jeu sur scène. Ses parents commencent enfin à comprendre et s’investissent pour l’aider. Une fois son diplôme (sur Camille Claudel) obtenu, Tania el-Khoury décide d’aller à Londres (de ses propres moyens) pour rejoindre l’école de Jacques Lecoq, où l’acteur est contraint d’utiliser tout son corps et de le contrôler pour exprimer une émotion donnée, où l’acte de création est suscité de manière

permanente à travers l’improvi-sation. Là encore, beaucoup plus que le jeu, c’est l’utili-

sation de l’espace et l’interaction avec le public qui importent. Dès lors, plus rien ne l’arrête. Un MA au Goldsmiths College, un PHD au Royal Holloway, et des performances (dont Maybe If You Choreograph Me You Will Feel Better) qui feront le tour du monde et où elle récolte les prix les plus prestigieux : Inter-national Prize for Live Art (pour l’ensemble de son œuvre), the Total Theatre Innovation Award, Arches Brick Award, etc. Tania el-Khoury a oublié aujourd’hui le bonnet d’âne dont on l’avait affublée. Elle est désormais une référence dans le do-maine du live art, elle renverse les règles classiques du théâtre et prouve que l’intelligence abstraite de tout n’est rien : seuls le talent, la détermination et la persévérance comptent.