saisine du conseil constitutionnel sur le pjl renseignement

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Saisine du Conseil Constitutionnel sur le PJL Renseignement

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  • Laure de LA RAUDIERE Pierre LELLOUCHE Dput dEure-et-Loir Ancien Ministre

    Dput de Paris

    SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

    Loi relative au renseignement

    Adresse Monsieur Jean-Louis DEBRE,

    Prsident du Conseil constitutionnel

    Dpose le 25 juin 2015

    En pice jointe : - Liste des dputs signataires

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    Monsieur le Prsident,

    Les signataires de la prsente saisine auprs de votre Conseil, sur la loi sur le renseignement, partagent naturellement lobjectif principal de ce texte qui est de donner un cadre lgal aux pratiques des services de renseignement, dans lespoir quil permette de renforcer la scurit des Franais face aux nouvelles menaces terroristes.

    Ce texte pose cependant la question trs difficile de lquilibre quil convient de trouver entre dune part, le renforcement des moyens et la protection de nos services de renseignement, et dautre part, la proportionnalit de leurs intrusions dans les liberts individuelles, et notamment la vie prive de chacun de nos concitoyens.

    Nous nous interrogeons notamment, comme cela est dvelopp dans les pages suivantes, sur la dfinition large et peu prcise des missions pouvant donner lieu enqutes administratives ; sur les moyens techniques considrables de collectes massives de donnes ; ainsi que sur la proportionnalit, par rapport aux objectifs recherchs, de la mise en uvre de ces techniques intrusives et attentatoires au respect de la vie prive, lre o le numrique est prsent chaque instant de notre vie. La concentration des pouvoirs aux seules mains de lExcutif est dautant plus proccupante, qu aucun moment il nexiste un vritable droit de recours du citoyen auprs du juge judicaire, garant des liberts individuelles selon notre Constitution. Au moment o les Etats-Unis viennent de voter le Freedom Act en juin 2015 et font ainsi marche arrire par rapport au Patriot Act , adopt suite aux attentats du 11 septembre 2001, il est tonnant de voir le gouvernement franais prsenter un projet de loi sur le renseignement, rdig dans lurgence, la suite des attentats de janvier 2015 et examin en procdure acclre. Ltude dimpact du projet de loi est dailleurs peu documente, voire pas du tout en ce qui concerne larticle 2 sur les algorithmes et les boites noires.

    La discussion lgislative a montr que ces inquitudes se sont manifestes dans tous les groupes politiques, sans esprit partisan. Il ny a pas dun ct ceux qui seraient dtermins dfendre la Rpublique et de lautre, le camp des nafs ou des mauvais patriotes, complaisants vis--vis du terrorisme. Notre dmarche est tout simplement celle dlus de la Nation, dtermins la fois se battre contre les terroristes et contre dventuelles drives qui pourraient menacer nos liberts.

    En application du second alina de larticle 61 de la Constitution, les 106 dputs soussigns ont lhonneur de vous dfrer lensemble de la loi relative au renseignement, telle quelle a t adopte par le Parlement le 24 juin 2015.

    Ils estiment que la loi dfre porte atteinte plusieurs principes et liberts constitutionnels. A lappui de cette saisine, sont dvelopps les griefs suivants.

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    1) SUR LARTICLE 2

    A) En ce qui concerne larticle L. 811-3 du code de la scurit intrieure

    Larticle 2 introduit au code de la scurit intrieure un nouvel article L. 811-3 qui dfinit de manire limitative encore que ce caractre limitatif aurait gagn tre exprim par la disposition en cause qui, la diffrence de lex-article L. 241-1 du code de la scurit intrieure, ne mentionne plus que les interceptions de correspondances peuvent tre autorises titre exceptionnel les finalits permettant de recourir aux techniques de renseignement prvues par ailleurs par la loi. Dans la mesure o ces techniques, quil nest pas ncessaire de dcrire pour linstant, portent une atteinte forte la vie prive et prsentent aussi la caractristique de recueillir des informations sur des personnes trangres la cible des services de renseignement (ex : IMSI-catcher), leur mise en uvre doit tre justifie par des motifs non seulement lgitimes mais encore noncs en termes suffisamment prcis.

    Ainsi quon le sait, il appartient au lgislateur, en vertu de larticle 34 de la Constitution, de fixer les rgles concernant les garanties fondamentales accordes aux citoyens pour lexercice des liberts publiques ; [] il lui appartient notamment dassurer la conciliation entre, dune part, la sauvegarde de lordre public et la recherche des auteurs dinfractions, toutes deux ncessaires la protection de principes et de droits de valeur constitutionnelle et, dautre part, le respect de la vie prive et des autres droits et liberts constitutionnellement protgs (Cons. const., dcision n 2003-467 DC, 13 mars 2003, cons. 20).

    En outre, il ressort de la jurisprudence constitutionnelle que la libert proclame par larticle 2 de la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie prive, de sorte que la collecte, lenregistrement, la conservation, la consultation et la communication de donnes caractre personnel doivent tre justifis par un motif dintrt gnral et mis en uvre de manire adquate et proportionne cet objectif (Cons. const., dcision n 2012-652 DC, 22 mars 2012, cons. 8).

    En vertu du droit au respect de la vie prive et des garanties fondamentales accordes aux citoyens pour lexercice des liberts publiques , il est dabord requis que les dispositions lgislatives relatives aux donnes personnelles comportent les garanties appropries et spcifiques rpondant aux exigences de larticle 34 de la Constitution (Cons. const., dcision n 2004-499 DC, 29 juillet 2004, cons. 11). En dautres termes, le Conseil veille ce quen ce domaine, le lgislateur ne prive pas de garanties lgales des exigences constitutionnelles (Cons. const., dcision nos 2012-652 DC, 22 mars 2012, cons. 7 et 2004-499 DC, 29 juillet 2004, cons. 12).

    Or, en loccurrence, latteinte porte au droit au respect de la vie prive est dpourvue des garanties adquates, raison mme de la smantique lgislative utilise qui conduit autoriser le recours ces techniques sans que cela rsulte dune ncessit publique avre et dans des conditions si imprcises que toute garantie devient, par l-mme, illusoire.

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    a) Il en va ainsi de lnumration qui figure larticle L. 811-3 du code de la scurit intrieure, lequel mentionne, non les intrts essentiels de la politique trangre de la France, ou encore les intrts conomiques, industriels et scientifiques de la France, mais les intrts majeurs en ces domaines (2 et 3).

    Or, quels sont-ils ? La disposition attaque est, sur ce point, si vague, quelle porte en elle un risque certain dvasement dans le recours aux techniques de renseignement, alors que seule la ncessit publique peut justifier quelles soient mises en uvre. La notion d intrts majeurs de la politique trangre ou les intrts conomiques, industriels et scientifiques majeurs nest dfini par aucune disposition constitutionnelle ou lgale, de sorte que son contenu ressort alors de larticle 20 de la constitution disposant que le Gouvernement dtermine et conduit la politique de la Nation . Cest donc le gouvernement qui dtermine seul des intrts majeurs de la politique trangre, celle-ci tant subordonne la politique de la Nation. Cest aussi le gouvernement qui va dterminer seul les intrts conomiques, industriels et scientifiques majeurs .

    Ainsi, en autorisant le recours aux techniques de renseignement pour la poursuite de ces finalits, le lgislateur a laiss le gouvernement dterminer arbitrairement les critres lui permettant de porter atteinte aux droits et liberts fondamentaux des citoyens, sans que le prsente loi ne le limite daucune faon, chouant prmunir les sujets de droit [] contre le risque darbitraire , tel que lexige pourtant le Conseil constitutionnel dans sa dcision n2006-540 DC du 27 juillet 2006 (et de faon constante cf :2007-5557 DC du 15/11/2007 ; 2008-564DC du 19/6/2008 ; 2008-567 du 24/7/2008 ; 2013-685 du 29/12/2013).

    Cette smantique, trop relche, conduit ainsi ce quil soit port atteinte de manire disproportionne au droit au respect de la vie prive.

    b) Il en va de mme du recours ces techniques en ce qui concerne lexcution des engagements europens et internationaux de la France (2).

    Cette finalit est nonce en termes tellement lches que les techniques de renseignement pourront loisir tre mises en uvre par les services au prtexte commode que ces engagements sont en cause.

    De mme, que recouvre lexpression la prvention de toute forme dingrence trangre (2) ? Cette formule encourt des critiques identiques.

    c) Cest, mutatis mutandis, galement le cas des atteintes la forme rpublicaine des institutions ou encore des violences collectives de nature porter gravement atteinte la paix publique (5). Ces notions sont extrmement vagues.

    La forme rpublicaine (du gouvernement), si elle est mentionne larticle 89 de la Constitution, signifie, tymologiquement, le contraire de la monarchie, et on voit mal quelle autre ralit juridique elle pourrait recouvrir. Tout adhrent ou sympathisant un parti politique se rclamant de la monarchie entrerait dans le champ dapplication de cette loi et pourrait tre lobjet des techniques de renseignement. Or, cest larticle 4 de la constitution qui seul restreint lactivit des partis politiques en ce sens qu ils doivent respecter les principes de la souverainet nationale et de la dmocratie . Il conviendrait, a minima, que le conseil constitutionnel prcise que cette notion sentend au sens du chapitre 2 du livre IV du code pnal intitul Des autres atteintes aux institutions de

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    la Rpublique ou lintgrit du territoire national (art. 412-1 412-8).

    De mme, les violences collectives dont sagit incluent, potentiellement, toute manifestation, dont il est au surplus difficile de dterminer lavance si elles porteront gravement atteinte la paix publique . Le renseignement stend en ralit toute manifestation, la notion datteinte la paix publique tant purement prventive et comportant, de ce fait, une part de subjectivit substantielle.

    cet gard, il importe de rappeler quaux termes de la dcision n 94-352 DC, la libert de manifester relve du droit dexpression collective des ides et des opinions ; quil appartient au lgislateur dassurer la conciliation entre, dune part, lexercice de ces liberts constitutionnellement garanties et dautre part, la prvention des atteintes lordre public et notamment des atteintes la scurit des personnes et des biens qui rpond des objectifs de valeur constitutionnelle (Cons. const., dcision n 94-352, 18 janvier 1995, cons. 16).

    d) la prvention de la criminalit et de la dlinquance organises , qui figure au 6 de la disposition en cause. Si lon saccorde sans mal sur la ncessit de lutter contre ces formes de criminalit et de dlinquance, la fin ne justifie pas tous les moyens, de sorte que latteinte qui en rsulte pour le respect de la vie prive est excessive.

    En effet, linstar de lensemble des droits et liberts que la Constitution garantit, le droit au respect de la vie prive peut faire lobjet de restrictions notamment au nom dautres impratifs et droits constitutionnels. Toutefois, de telles restrictions doivent tre justifi[e]s par un motif dintrt gnral et mis[es] en uvre de manire adquate et proportionne cet objectif (v. mutatis mutandis Cons. const., dcision n 2012-652 DC, 22 mars 2012, cons. 8).

    Surtout, le lgislateur ne saurait prive[r] de garanties lgales d[e telles] exigences constitutionnelles (v. Cons. const., dcision nos 2012-652 DC, 22 mars 2012, cons. 7 ; 2004-499 DC, 29 juillet 2004, cons. 12) et doit sassurer que ces dispositions comportent les garanties appropries et spcifiques rpondant aux exigences de larticle 34 de la Constitution (Cons. const., dcision n 2004-499 DC, 29 juillet 2004, cons. 11).

    cela sajoute que pour le conseil constitutionnel, le lgislateur tient de larticle 34 de la Constitution, ainsi que du principe de lgalit des dlits et des peines, lobligation de fixer lui-mme le champ dapplication de la loi pnale et de dfinir les crimes et dlits en termes suffisamment clairs et prcis. Cette exigence simpose non seulement pour exclure larbitraire dans le prononc des peines, mais encore pour viter une rigueur non ncessaire lors de la recherche des auteurs dinfractions (Cons. const. n 2004-492 DC, 2 mars 2004, cons. 5).

    Lutilisation de tels procds se caractrise manifestement, en ce qui concerne la prvention de la criminalit, par une rigueur non ncessaire en ce domaine et ds lors contraire larticle 9 de la Dclaration des droits de 1789.

    B) En ce qui concerne larticle L. 811-4 du code de la scurit intrieure

    Avec larticle L. 811-4, le lgislateur renvoie un dcret en conseil dtat le soin de dsigner les services, autres que les services spcialiss de renseignement qui peuvent tre autoriss recourir aux techniques spciales de renseignement, et de prciser, pour chaque

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    service, les finalits mentionnes larticle L. 811-3 et les techniques qui peuvent donner lieu autorisation .

    On voit ainsi que le lgislateur autorise, compte tenu du large pouvoir dorganisation quil concde ladministration, une forme de dissmination du recours des techniques qui devraient, en regard des atteintes la vie prive qui en rsultent, rester lapanage de services spcialiss.

    En outre, ladministration, dans le cadre de ce pouvoir dauto-organisation qui lui est reconnu largement, peut dterminer lesquelles des finalits peuvent tre poursuivies par ces services non spcialiss ainsi que les techniques quil leur sera loisible de mettre en uvre. Dans la mesure o ces techniques portent une atteinte forte la vie prive et prsentent aussi la caractristique de recueillir des informations sur des personnes trangres la cible des services de renseignement (ex : IMSI-catcher), le lgislateur aurait d le prciser dans la loi.

    On ne conoit gure dincomptence ngative plus prjudiciable la garantie des droits fondamentaux, alors mme que ceux-ci sont placs, traditionnellement, sous la protection de la loi et que le conseil constitutionnel, comme il a t dit, considre qu il appartient au lgislateur, en vertu de larticle 34 de la Constitution, de fixer les rgles concernant les garanties fondamentales accordes aux citoyens pour lexercice des liberts publiques ; [] il lui appartient notamment dassurer la conciliation entre, dune part, la sauvegarde de lordre public et la recherche des auteurs dinfractions, toutes deux ncessaires la protection de principes et de droits de valeur constitutionnelle et, dautre part, le respect de la vie prive et des autres droits et liberts constitutionnellement protgs (Cons. const., dcision n 2003-467 DC, 13 mars 2003, cons. 20).

    C) En ce qui concerne larticle L. 821-1 du code de la scurit intrieure

    Cet article concerne lautorisation de mise en uvre des techniques de renseignement. Le lgislateur fait de lavis de la commission nationale de contrle des techniques de renseignement une garantie de leur mise en uvre avant que le premier ministre, seul comptent cette fin, dcide de leur application dans un cas despce.

    Il importe ce stade de mettre en vidence les points suivants.

    Le renseignement, compte tenu des finalits mentionnes larticle L. 811-3 prcit, relve du champ de la police administrative (v. Cons. const., dcision n 2005-532 DC, 19 janvier 2006, cons. 5).

    Il nen reste pas moins que les techniques de renseignement en cause, en raison de leur caractre particulirement intrusif, appellent des garanties qui doivent aller au-del de celles qui encadrent habituellement la prrogative de police administrative.

    Ces techniques mettent en effet en cause, de manire radicale, la libert et le droit au respect de la vie prive, de sorte que lon voie mal comment ladministration pourrait lgitimement assurer un contrle de lutilisation de techniques qui sont son avantage. Cela conduirait, au sens propre, ce que soit en dfinitive mis en place un tat de police , sans que les garanties de sparation des pouvoirs les plus ncessaires soient institues. Celles-ci appellent

    - soit lintervention du juge judiciaire, de sorte que le conseil constitutionnel, prenant

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    acte du caractre intrusif des techniques en cause et nonobstant la finalit prventive du renseignement, transposera dans ce domaine les garanties normalement applicables la procdure pnale,

    - soit lautorisation (et non simplement lavis) de la commission nationale de contrle des techniques de renseignement

    Le conseil constitutionnel a, au demeurant, dj suivi un tel raisonnement dans un cas qui nest pas sans intrt ici. Sagissant de la libert de communication, le conseil a en effet censur les dispositions de la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la cration sur Internet, en ce quelles ont confr une autorit administrative (mme) indpendante le pouvoir de suspendre laccs Internet, alors que cette prrogative devait incomber au juge judiciaire :

    Considrant que les pouvoirs de sanction institus par les dispositions critiques habilitent la commission de protection des droits, qui nest pas une juridiction, restreindre ou empcher laccs internet de titulaires dabonnement ainsi que des personnes quils en font bnficier ; que la comptence reconnue cette autorit administrative nest pas limite une catgorie particulire de personnes mais stend la totalit de la population ; que ses pouvoirs peuvent conduire restreindre lexercice, par toute personne, de son droit de sexprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile ; que, dans ces conditions, eu gard la nature de la libert garantie par larticle 11 de la Dclaration de 1789, le lgislateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononc des sanctions, confier de tels pouvoirs une autorit administrative dans le but de protger les droits des titulaires du droit dauteur et de droits voisins ; (Cons. const., dcision n 2009-580 DC, 10 juin 2009, cons. 16).

    Par ailleurs, dans sa dcision Golocalisation qui certes concerne des techniques de police judiciaire, mais qui ne sont pas sans rapport avec les techniques de renseignement, le conseil a jug :

    14. Considrant que le recours la golocalisation ne peut avoir lieu que lorsque lexigent les ncessits de lenqute ou de linstruction concernant un crime ou un dlit puni dune peine demprisonnement dau moins trois ans, sagissant datteinte aux personnes, daide lauteur ou au complice dun acte de terrorisme ou dvasion, ou dau moins cinq ans demprisonnement, sagissant de toute autre infraction, ainsi qu des enqutes ou instructions portant sur la recherche des causes de la mort, des causes de la disparition dune personne ou des procdures de recherche dune personne en fuite ;

    15. Considrant que le recours la golocalisation est plac sous la direction et le contrle de lautorit judiciaire ; (Cons. const., dcision n 2014-693 DC, 25 mars 2014, cons. 14 et 15).

    On en dduit mutatis mutandis que compte tenu de ltendue des techniques de renseignement, de leurs caractristiques et des atteintes quelles portent au droit au respect de la vie prive, il y a tout lieu de les soumettre un rgime garantissant une protection effective des droits des citoyens, ce que le lgislateur a manqu de faire.

    Plusieurs points retiennent lattention :

    a) En premier lieu, la protection apporte par la consultation pralable de la Commission

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    nationale de contrle des techniques de renseignement, qui est une autorit administrative ft-elle indpendante , est trs en-de du standard de protection constitutionnellement qui doit tre exig en matire de renseignement.

    Le conseil constitutionnel a en effet dcid que : si le lgislateur peut prvoir des mesures dinvestigation spciales en vue de constater des crimes et dlits dune gravit et dune complexit particulires, den rassembler les preuves et den rechercher les auteurs, cest sous rserve que ces mesures soient conduites dans le respect des prrogatives de lautorit judiciaire, gardienne de la libert individuelle, et que les restrictions quelles apportent aux droits constitutionnellement garantis soient ncessaires la manifestation de la vrit, proportionnes la gravit et la complexit des infractions commises et nintroduisent pas de discriminations injustifies ; quil appartient lautorit judiciaire de veiller au respect de ces principes, rappels larticle prliminaire du code de procdure pnale, dans lapplication des rgles de procdure pnale spciales institues par la loi (Cons. const., dcision n 2004-492 DC du 2 mars 2004, cons. 6).

    Or, en loccurrence, le recours aux techniques spciales de renseignement, en particulier la collecte massive et non cible dinformations, relve exclusivement des services sans que lautorit judiciaire soit, dune manire ou dune autre, en mesure dexercer un contrle quelconque sur le bien-fond du recours ces techniques avant quelles ne soient effectivement mises en uvre.

    Compte tenu tant de la nature de ces techniques que de leurs consquences sur lexercice des droits individuels, il y a l une atteinte larticle 66 de la Constitution qui fait de lautorit judiciaire la gardienne de la libert individuelle ainsi qu larticle 16 de la Dclaration des droits, lesquels excluent que la libert et le droit au respect de la vie prive soit entirement placs sous le contrle de ladministration.

    En tout tat de cause, supposer mme que les mesures litigieuses ne relvent pas du champ de la libert individuelle au sens de larticle 66 de la Constitution, dautres droits et liberts constitutionnellement garantis peuvent imposer lexistence dun contrle juridictionnel, en lieu et place de celui-ci ralis par une autorit administrative indpendante.

    Ainsi, au titre de la libert dexpression et de communication, le Conseil constitutionnel a-t-il censur les dispositions de la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la cration sur internet, en ce quelles ont confr une autorit administrative mme si celle-ci tait indpendante le pouvoir de suspendre laccs internet, au motif que :

    Les pouvoirs de sanction institus par les dispositions critiques habilitent la commission de protection des droits, qui nest pas une juridiction, restreindre ou empcher laccs internet de titulaires dabonnement ainsi que des personnes quils en font bnficier ; que la comptence reconnue cette autorit administrative nest pas limite une catgorie particulire de personnes mais stend la totalit de la population ; que ses pouvoirs peuvent conduire restreindre lexercice, par toute personne, de son droit de sexprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile ; que, dans ces conditions, eu gard la nature de la libert garantie par larticle 11 de la Dclaration de 1789, le lgislateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononc des sanctions, confier de tels pouvoirs une autorit administrative dans le but de protger les droits des titulaires du droit dauteur et de droits voisins (Cons. const., dcision n 2009-580 DC, 10 juin 2009, cons. 16).

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    Ds lors, pour le Conseil constitutionnel, en raison tant de la protection constitutionnelle reconnue au droit la libert dexpression et de communication, que de la gravit de latteinte que les mesures litigieuses sont susceptibles demporter, seule une juridiction peut tre habilite dicter de telles mesures.

    Il est dailleurs particulirement rvlateur que, dans cette dcision du 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel ait expressment soulign que la mconnaissance de la libert constitutionnelle tait acquise du seul fait quun tel pouvoir de suspension de laccs internet soit ainsi confi une autorit administrative en lieu et place dune juridiction. Et ce, quelles que soient les garanties encadrant le prononc des sanctions et indpendamment mme du fait que lautorit concerne tait une autorit administrative indpendante.

    b) En deuxime lieu, la circonstance que la prrogative dcisionnelle appartienne au premier ministre est contraire aux garanties minimales qui rsultent de la Constitution.

    Il suffit de rappeler, cet gard, que selon le conseil constitutionnel, eu gard aux exigences de lordre public, le lgislateur peut prvoir la possibilit doprer des visites, perquisitions et saisies de nuit dans le cas o un crime ou un dlit susceptible dtre qualifi dacte de terrorisme est en train de se commettre ou vient de se commettre, condition que lautorisation de procder auxdites oprations mane de lautorit judiciaire, gardienne de la libert individuelle, et que le droulement des mesures autorises soit assorti de garanties procdurales appropries (Cons. const., dcision n 96-377 DC, 16 juillet 1996, cons. 17).

    Les techniques mises en uvre au titre du renseignement ne diffrent pas de celles mentionnes ci-dessus. Elles sont encore plus attentatoires la libert et au droit au respect de la vie prive.

    Ici encore, le lgislateur a enfreint les articles 66 de la Constitution et 16 de la Dclaration des droits de lhomme, ainsi que les articles 2 et 4 de la mme Dclaration.

    D) En ce qui concerne larticle L. 821-7 du code de la scurit intrieure

    Cet article exclut du recours aux techniques de renseignement les parlementaires, magistrats, avocats et journalistes raison de lexercice de son mandat ou de sa profession . A contrario, les professeurs duniversit et les matres de confrences y sont inclus. Or, cest mconnatre quils ne peuvent, pas davantage que les premiers, faire lobjet dune telle surveillance. Leur statut sy oppose, en ce que le lgislateur ne peut, peine de mconnatre la Constitution, porter atteinte la garantie de lindpendance des professeurs duniversit et, plus gnralement, des enseignants-chercheurs dont on sait quelle rsulte dun principe fondamental reconnu par les lois de la Rpublique (Cons. const., dcision n 83-165 DC, 20 janvier 1984, cons. 17 28).

    Par ailleurs, une telle exclusion du recours aux techniques de renseignement visant directement les magistrats, avocats ou journalistes ne suffit aucunement garantir une protection effective du droit au secret dont doivent bnficier ces professions.

    En effet, celles-ci bnficient dun droit constitutionnellement garanti au secret.

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    Sagissant dabord du droit de lavocat afin de garantir la confidentialit de ses changes et correspondances avec ses clients ou ses confrres, il importe de relever que celui-ci repose tant sur le droit au respect de la vie prive protg au titre de larticle 2 de la Dclaration des droits, que sur les droits de la dfense ainsi que sur le droit procs quitable chacun garanti par larticle 16 de la mme Dclaration (v. respectivement Cons. const., dcisions nos 2006-535 DC, 30 mars 2006, cons. 24 ; 2011-214 QPC, 27 janvier 2012, cons. 5 et 6 ; et Cons. const., dcisions nos 2006-540 DC, 27 juillet 2006, cons. 11 ; 2012-247 QPC, 16 mai 2012, cons. 3, 5 7 ; Sur la confidentialit des entretiens avocat-client, v. not. Cons. const., dcision n 2003-484 DC, 20 novembre 2003, cons. 49 53).

    Cette garantie constitutionnelle fait cho la forte protection europenne accorde la confidentialit des changes entre avocats et clients (v. not. Cour EDH, Anc. 5e Sect., 6 dcembre 2012, Michaud c. France, Req. n 12323/11, 117-119 ; Article 4 de la directive de lUnion europenne 2013/48/UE du 22 octobre 2013).

    Sagissant ensuite du droit au secret des sources dinformation journalistiques, il sagit de lun des corollaires les plus essentiels de la libert dexpression journalistique et qui est classiquement dfini notamment par la Dclaration des devoirs et des droits des journalistes du 24 novembre 1971, dite Dclaration de Munich comme le droit des journalistes de garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement . Or, en vertu tant de la libert de communication des penses et des opinions garantie par les dispositions de larticle 11 de la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789, laquelle protge le libre dbat public et la libre diffusion de linformation, que de larticle 34 de la Constitution relatif la libert, le pluralisme et lindpendance des mdias , ce droit au secret des sources dinformations est constitutionnellement protg.

    En outre, un tel droit au secret bnficie dune forte reconnaissance au plan international et europen (v. not. Cour EDH, G.C. 27 mars 1996, Goodwin c. Royaume-Uni, Req. n 17488/90, 39 ; Cour EDH, G.C. 14 septembre 2010, Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas, Req. n 38224/03, 88)

    Or, malgr lexclusion directe prvue larticle L. 821-7 du code de la scurit intrieure, le lgislateur a manqu dassortir le dispositif litigieux des garanties lgales aux fins dviter une atteinte indirecte ces secrets, en particulier via la surveillance de personnes ayant des contacts professionnels avec les avocats ou les journalistes.

    Faute dautres mcanismes spcifiques de protection susceptible de faire efficacement obstacle la rvlation, par cette voie, dune information caractre secret dont un avocat ou un journaliste est le dpositaire, lensemble des garanties prsentes au sein du droit franais sont vides de leur pertinence face la mise en uvre des techniques de renseignements.

    Certes, nul ne peut contester quau-del du seul code de la scurit intrieure, dautres dispositions lgislatives interdisent la rvlation dinformations relevant du secret professionnel (v. not. larticle 226-13 du code pnal ; larticle 66-5, alina 1er, de la loi n 71-1130 du 31 dcembre 1971 ; larticle 100-5, alina 3, du code de procdure pnale ; larticle 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la libert de la presse, telles quissues de la loi n 2010-1 du 4 janvier 2010 relative la protection du secret des sources des journalistes).

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    Toutefois, ces diffrentes interdictions ne sont assorties daucune sanction pnale. Plus encore, compte tenu des insignes particularits des techniques de renseignement, lensemble des diffrentes garanties destines garantir le droit au secret professionnel sont parfaitement inapplicables et ineffectives dans un tel cadre.

    En effet, et premirement, les garanties lgales existantes ont essentiellement pour vocation doffrir une protection ces secrets professionnels et leurs dpositaires uniquement dans le cadre dune procdure pnale (v. ainsi larticle 100-5, alinas 3 et 4 et les articles 326, alina 2, et 437, alina 2, du code de procdure pnale). Mais nulle protection nexiste donc pour des dispositifs administratifs tels que ceux prvus par les dispositions lgislatives contestes.

    Deuximement, compte tenu des modalits particulires des techniques de renseignement, lensemble des dispositions lgales protgeant le secret professionnel ne peut tre mobilis pour faire obstacle et rprimer dventuelles atteintes ce secret du fait de ces techniques.

    En particulier, lincrimination prvue larticle 226-13 du code pnal, laquelle rprime de faon gnrale la rvlation dune information caractre secret par une personne qui en est dpositaire soit par tat ou par profession, soit en raison dune fonction ou dune mission temporaire , ne saurait tre regarde comme suffisante, puisque ce sont les agents administratifs qui ont vocation mconnatre le secret professionnel, sans que les dpositaires initiaux du secret ne puissent eux-mmes sy opposer.

    Plus srement encore, lincrimination prvue larticle 226-13 du code pnal ne permet aucune poursuite et sanction pnales contre les agents ayant sollicit ces informations, puisque ce dernier texte rprime seulement la rvlation dune information caractre secret par une personne qui en est dpositaire soit par tat ou par profession, soit en raison dune fonction ou dune mission temporaire . Or, les agents administratifs dsigns larticle L. 246-2 du code de la scurit intrieure ne sont pas les auteurs de la rvlation, mais les bnficiaires de celle-ci.

    Dans ces conditions, il est manifeste que lensemble des garanties lgales ddies la protection du secret professionnel, en particulier ceux des avocats et journalistes, sont radicalement contournes.

    Au demeurant, de telles carences manifestes ne sauraient tre compenses par les seuls dispositifs de contrle et dautorisation prvus a priori, ceux-ci tant pour lessentiel assurs par des institutions administratives. Ds lors, la protection du secret professionnel, en particulier du droit au secret des sources dinformations journalistiques, nest aucunement garantie puisque ce nest pas un juge ou tout autre organe dcisionnel indpendant et impartial qui exerce le contrle avant la remise des lments rclams , mais un organe qui nest pas distinct de lexcutif et des autres parties intresses (en ce sens, v. not. Cour EDH, G.C. 14 septembre 2010, Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas, Req. n 38224/03, 88).

    E) En ce qui concerne les articles L. 831-1 et suivants du code de la scurit intrieure

    Ces articles portent sur lorganisation et les pouvoirs de la commission nationale de contrle des techniques de renseignement (CNCTR). supposer, compte tenu de ce qui a t dit plus haut, quil sagisse l dune garantie suffisante aux droits et liberts mis en cause par lutilisation des techniques de renseignement quelle a pour objet de contrler, cette

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    commission ne prsente pas les garanties requises pour tre conforme ces mmes droits et liberts constitutionnels.

    a) La CNCTR peut tre facilement contourn. Lalina 2 de larticle L. 821-4 dispose que Lorsque lautorisation est dlivre aprs un avis dfavorable de la Commission nationale de contrle des techniques de renseignement, elle indique les motifs pour lesquels cet avis na pas t suivi. Par ailleurs, larticle L 821-5 dispose qu En cas durgence absolue et pour les seules finalits mentionnes aux 1, 4 et au a) du 5 de larticle L. 811-3, le Premier ministre, ou lune des personnes dlgues mentionnes larticle L. 821-4, peut dlivrer de manire exceptionnelle lautorisation mentionne au mme article L. 821-4 sans avis pralable de la Commission nationale de contrle des techniques de renseignement. Il en informe celle-ci sans dlai et par tout moyen.

    b) Par ailleurs, la composition de la CNCTR prvue larticle L.831-1 est insuffisante pour permettre aux membres de saisir les enjeux et de protger ainsi la libert des individus. Sur 9 membres, un seul est qualifi pour sa connaissance en matire de communications lectroniques. Or les techniques de renseignement utiliss relvent de beaucoup de champs scientifiques distincts (rseaux de communication, informatiques, mathmatiques, analyse de bases de donnes) qui ne peuvent tre correctement apprhends par une seule personne qualifie. Cest pourtant la seule CNCTR qui est habilite contrler lusage de ces techniques, notamment les botes noires , conformment ce qui est prvu dans la loi Par ailleurs, le pouvoir lgislatif nest lui reprsent que par deux snateurs et deux dputs, sur 9 membres

    c) Surtout, les pouvoirs de la CNCTR sont trs insuffisants en ne permettent pas de garantir le droit au respect de la vie prive. En particulier, il rsulte de la combinaison des articles L. 833-4 al. 2, L. 833-6 et L. 833-8 quen cas dirrgularit dans la mise en uvre dune technique de renseignement, rien ne garantit que les donnes conserves illgalement ne soient pas utilises dans le cadre dune procdure pnale, de mme que la CNCTR ne peut en obtenir la destruction effective afin dviter toute atteinte subsquente au droit au respect de la vie prive qui viendrait sajouter lirrgularit de la collecte des donnes en cause.

    Pour toutes ces dispositions, les signataires de cette saisine demandent au conseil constitutionnel de juger cette disposition comme allant lencontre de larticle 16 de la dclaration des droits de lhomme et du citoyen qui nonce le principe de la sparation des pouvoirs, principe valeur constitutionnelle ayant pour finalit de garantir la libert des individus.

    2) SUR LARTICLE 5

    A) En ce qui concerne les articles L. 851-1 et L. 851-2 du code de la scurit intrieure

    Au titre des Des techniques de recueil de renseignement soumises autorisation les articles L. 851-1 et L. 851-2 permettent le recueil, auprs doprateurs et dhbergeurs, dinformations ou de documents portant sur les communications lectroniques.

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    a) Premirement, il importe de souligner que le lgislateur sest abstenu de dfinir les notions d informations et documents susceptibles dtre recueillis par les autorits administratives.

    Ainsi, les critiques qui ont t mises envers les dispositions de larticle L. 246-1 du code de la scurit intrieure, initialement issues de larticle 20 de la loi n 2013-1168 du 18 dcembre 2013 relative la programmation militaire pour les annes 2014 2019 et dsormais reprises au sein de larticle L. 851-1, nont aucunement perdu de leur pertinence :

    Le recours la notion trs vague "dinformations et documents " traits ou conservs par les rseaux ou services de communications lectroniques, semble permettre aux services de renseignement davoir accs aux donnes de contenu, et non pas seulement aux donnes de connexion (contrairement ce quindique le titre du chapitre du Code de la scurit intrieure cr par ces dispositions). Elle considre quune telle extension, ralise dans le cadre du rgime administratif du recueil des donnes de connexion, risque dentraner une atteinte disproportionne au respect de la vie prive (CNIL, Promulgation de la loi de programmation militaire : la CNIL fait part de sa position , Communiqu du 20 dcembre 2013 ; v. aussi CNIL, dlibration n 2014-484 du 4 dcembre 2014 portant avis sur un projet de dcret relatif laccs administratif aux donnes de connexion et portant application de larticle L. 246-4 du code de la scurit intrieure, JORF n 0298 du 26 dcembre 2014, texte n 251).

    A propos de ces mmes dispositions, la doctrine na pas non plus manqu de mettre en exergue cette insuffisance dfinitionnelle :

    La formulation retenue par le projet de loi de programmation miliaire vise non seulement les donnes de connexion, mais encore beaucoup plus largement les informations et documents stockes par lhbergeur (Claudine Guerrier, Les interceptions et la loi de programmation militaire , in Revue Lamy Droit de limmatriel, 2014, n 104, p. 95 ; en ce sens, lire aussi Willy Duhen, Limbroglio juridique de la conservation des donnes de connexion , in Revue Lamy Droit de limmatriel, 2014, n 103, p. 86 : La lecture ne laisse nul doute quant linterprtation : la rdaction de larticle [L. 246-1] considre que laccs aux donnes porte sur des documents et des informations, au sens large, au titre desquelles une partie est constitue des donnes de connexion ).

    Ds lors, en sabstenant dassortir la dfinition de la notion d informations ou documents de limitations et prcautions requises par le conseil constitutionnel (Cons. const., dcision n 2005-532 DC, 19 janvier 2006, cons. 10), le lgislateur a ncessairement autoris la collecte, lenregistrement, la conservation, la consultation et la communication de donnes caractre personnel (Cons. const., dcision no 2012-652 DC, 22 mars 2012, cons. 8) sans prvoir les garanties appropries et spcifiques rpondant aux exigences de larticle 34 de la Constitution (Cons. const., dcision n 2004-499 DC, 29 juillet 2004, cons. 11).

    Plus prcisment encore, le lgislateur a priv de garanties lgales des exigences constitutionnelles (Cons. const., dcisions nos 2012-652 DC, 22 mars 2012, cons. 7 et 2004-499 DC, 29 juillet 2004, cons. 12), faute davoir prcis explicitement et au sein mme des dispositions litigieuses la dfinition des donnes susceptibles de faire lobjet dun tel recueil administratif.

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    Ainsi, non seulement ces informations ou documents peuvent ncessairement aller au-del des seules donnes de connexion et viser le contenu mme des communications lectroniques. Mais en outre, faute de dfinition lgale univoque, les dispositions litigieuses en viennent ncessairement faire dpendre le champ dapplication des techniques de recueil de renseignement, en soi particulirement intrusives et attentatoires au droit au respect de la vie prive, de lapprciation des autorits administratives elles-mmes, ce qui mconnat ltendue de la comptence que le lgislateur tient de larticle 34 de la Constitution (v. mutatis mutandis Cons. const., dcision n 98-399 DC, 5 mai 1998, cons. 7).

    b) Deuximement, les finalits qui justifient un tel accs ayant connu un largissement sensible et, ce titre, hautement contestable, une telle prrogative porte ncessairement une atteinte disproportionne au droit au respect de la vie prive.

    Le conseil constitutionnel sest dailleurs montr pour le moins sensible cet gard, puisquil a considr, au sujet de la modification de larticle 9 de la loi du 6 janvier 1978 relative linformatique, aux fichiers et aux liberts par la loi du 29 juillet 2004, que :

    11. Considrant que le 3 de larticle 9 de la loi du 6 janvier 1978, dans la rdaction que lui donne larticle 2 de la loi dfre, permettrait une personne morale de droit priv, mandate par plusieurs autres personnes morales estimant avoir t victimes ou tre susceptibles dtre victimes dagissements passibles de sanctions pnales, de rassembler un grand nombre dinformations nominatives portant sur des infractions, condamnations et mesures de sret ; quen raison de lampleur que pourraient revtir les traitements de donnes personnelles ainsi mis en uvre et de la nature des informations traites, le 3 du nouvel article 9 de la loi du 6 janvier 1978 pourrait affecter, par ses consquences, le droit au respect de la vie prive et les garanties fondamentales accordes aux citoyens pour lexercice des liberts publiques ; que la disposition critique doit ds lors comporter les garanties appropries et spcifiques rpondant aux exigences de larticle 34 de la Constitution ;

    12. Considrant que, sagissant de lobjet et des conditions du mandat en cause, la disposition critique napporte pas ces prcisions ; quelle est ambigu quant aux infractions auxquelles sapplique le terme de fraude ; quelle laisse indtermine la question de savoir dans quelle mesure les donnes traites pourraient tre partages ou cdes, ou encore si pourraient y figurer des personnes sur lesquelles pse la simple crainte quelles soient capables de commettre une infraction ; quelle ne dit rien sur les limites susceptibles dtre assignes la conservation des mentions relatives aux condamnations ; quau regard de larticle 34 de la Constitution, toutes ces prcisions ne sauraient tre apportes par les seules autorisations dlivres par la Commission nationale de linformatique et des liberts ; quen lespce et eu gard la matire concerne, le lgislateur ne pouvait pas non plus se contenter, ainsi que le prvoit la disposition critique claire par les dbats parlementaires, de poser une rgle de principe et den renvoyer intgralement les modalits dapplication des lois futures ; que, par suite, le 3 du nouvel article 9 de la loi du 6 janvier 1978 est entach dincomptence ngative (Cons. const., dcision n 2004-499 DC, 29 juillet 2004, cons. 11 et 12).

    En loccurrence, compte tenu de lampleur des techniques de recueil de renseignement, la procdure particulire suivie devant la CNCTR nest pas suffisante pour que la conciliation entre lordre public et le droit au respect de la vie prive soit conforme la Constitution.

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    c) Troisimement, les informations collectes mentionnes larticle 5 (L851-1, L851-2, L851-3 et sq.) ont t qualifies par le gouvernement, tout au long des dbats parlementaires, comme des mta-donnes .

    Le chapitre Ier du titre V du nouveau livre VIII du code de la scurit intrieure sintitule Des accs administratifs aux donnes de connexion . Toutefois, plusieurs reprises dans ce titre est entretenu le flou sur le primtre des donnes collectes.

    La dfinition des mta-donnes voque par le gouvernement lors des dbats parlementaires, est la suivante dans le dictionnaire Larousse : Donne servant caractriser une autre donne, physique ou numrique : les mtadonnes sont la base de larchivage.

    Concrtement, prenons une lettre. La donne serait le contenu de la lettre, et les mtadonnes, lensemble des informations sy rapportant : la couleur et la taille de lenveloppe, le lieu et lheure laquelle elle a t poste, celle o elle a t reue par le centre de tri, mais si lon va plus loin, ce peut galement tre le lieu o lenveloppe a t achete, avec quelle carte de crdit lacheteur la paye, etc

    Dans le cadre dun appel tlphonique, les mtadonnes auxquelles on pense naturellement sont donc lheure et la dure de lappel, lidentifiant de lappelant et de lappel, ou encore la borne de rception utilise. Mais il existe dautres mtadonnes tout aussi intressantes pour les services de renseignement, qui peuvent tre concernes par cette dfinition imparfaite de larticle L 851-1. On peut rechercher le type dabonnement, les problmes de paiement, les diffrentes adresses du souscripteur du contrat

    Dans le cas dune connexion internet, les mtadonnes sont trs souvent plus informatives que le contenu dun message.

    Or, les dfenseurs du texte ont avanc durant les dbats, lide que les donnes relatives aux contenus taient moins intrusives que le contenu lui-mme, et ne permettaient pas lidentification dune personne. Ils disaient que cela permettait lanonymat des donnes collectes.

    Cette conception, qui tait recevable du temps des seules coutes sur des tlphones fixes, est aujourdhui parfaitement dpasse.

    Tous les experts confirment que la collecte des mtadonnes permette parfaitement didentifier une personne et que lanalyse des mtadonnes en dit autant, voire plus que le contenu mme des changes.

    Recueillir les mtadonnes dune femme qui se rend sur des sites pour les femmes souffrant dun cancer du sein, qui crit un courriel son mdecin, qui lui rpond, puis recherche le numro dun centre de radiologie proximit de son domicile, donne des informations trs personnelles sur cette femme. Il y a fort parier que cette femme pense souffrir dun cancer du sein, quelle en a inform son mdecin, et quelle souhaite aller faire une radiographie pour sen assurer

    Il nest pas ncessaire de regarder le contenu prcis de lchange quelle a eu avec son

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    mdecin pour avoir la quasi-certitude que cette femme pense souffrir dun cancer du sein. Les seules mtadonnes ont suffi.

    Prenons galement lexemple dune personne qui consulterait des sites libertins ou changistes, ou consulterait des sites religieux ou politiques, sans que jamais, au cours daucune conversation, il nvoque cette habitude Le mode de consommation dInternet (mtadonnes) en dit plus sur certains centres dintrt de cette personne que le contenu mme de ses conversations.

    En outre, le traitement des mtadonnes est beaucoup plus rapide et ais que le traitement des contenus. Dduire du traitement dun contenu (image ou texte) le mme nombre dinformations quoffrent les mtadonnes est donc illusoire.

    Ainsi, les mtadonnes sont bien plus intrusives et portent davantage atteinte la vie prive que les contenus eux-mmes.

    Enfin, les derniers dveloppements techniques vont jusqu remettre en cause la distinction entre mtadonnes et contenu.

    Or, larticle 2 de la Dclaration des droits de lHomme et du citoyen du 26 aot 1789 implique le respect de la vie prive, comme la affirm le Conseil constitutionnel plusieurs occasions, et notamment dans une dcision du 23 octobre 1990 rendu par la Premire Chambre Civile de la Cour de Cassation : toute personne, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions prsentes ou venir, a droit au respect de sa vie prive.

    Ce principe a t raffirm dans une dcision n 94-352 DC du 18 janvier 1995 dans laquelle il indiquait que : Considrant que la prvention datteintes lordre public, notamment datteintes la scurit des personnes et des biens, et la recherche des auteurs dinfractions, sont ncessaires la sauvegarde de principes et droits valeur constitutionnelle ; quil appartient au lgislateur dassurer la conciliation entre ces objectifs de valeur constitutionnelle et lexercice des liberts publiques constitutionnellement garanties au nombre desquelles figurent la libert individuelle et la libert daller et venir ainsi que linviolabilit du domicile ; que la mconnaissance du droit au respect de la vie prive peut tre de nature porter atteinte la libert individuelle

    A la lecture de cette dcision, il convient de sinterroger sur lexistence dune proportionnalit entre cette violation de la vie prive via la collecte massive de mtadonnes sur des personnes totalement trangres la cible recherche par les services de renseignement, prvue notamment larticle 5 (mais aussi larticle 6 et suivants) et les objectifs de scurit des personnes et des biens poursuivis par le projet de loi.

    B) En ce qui concerne larticle L. 851-3 du code de la scurit intrieure

    Cet article porte sur la mise en place de botes noires algorithmiques et constitue manifestement une mesure contraire aux droits et liberts constitutionnels. Quand bien mme le lgislateur a prcis dans le second alina de cet article que les traitements automatiss dont sagit ne permettent pas lidentification des personnes auxquelles les informations ou documents se rapportent , une telle garantie est illusoire car lidentification dcoule in fine de la nature de ces donnes.

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    Techniquement, cet article (et le prcdent L851-2) vise rendre obligatoire linstallation de botes noires algorithmiques sur les rseaux des oprateurs de tlcommunication situs sur le territoire national.

    Les services de renseignement seront habilits recevoir lensemble des informations transitant par ces infrastructures afin de pouvoir dtecter grce des algorithmes, des terroristes et leurs soutiens parmi la masse des internautes.

    Cette technique ne permet pas un avis pralable individualis de la part de la Commission nationale de contrle des techniques de renseignement. Dans sa dcision 2012-652 DC du 22 mars 2012 le Conseil constitutionnel a pourtant indiqu que La libert proclame par l'article 2 de la Dclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie prive. Par suite, la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de donnes caractre personnel doivent tre justifis par un motif d'intrt gnral et mis en uvre de manire adquate et proportionne cet objectif.

    Le texte prvoit de reprer des signaux faibles , en comparant les activits en ligne de terroristes connus avec lactivit quotidienne de lensemble de la population. La nature de ces dispositifs est de dtecter les comportements considrs comme anormaux par les concepteurs desdits algorithmes . On espre reprer ainsi ceux qui se cachent dans la masse. Ces quipements sont indubitablement des quipements de surveillance de masse, puisqu'ils ont vocation analyser l'ensemble du trafic qui transite par eux, de faon indiscrimine.

    Or, non seulement ce dispositif est disproportionn par rapport aux risque datteinte la vie prive ; mais il est galement totalement inefficace.

    Un certain nombre dexperts, et notamment ceux de lINRIA, institut national de recherche de rfrence dans les sciences de linformatique et du numrique ont dmontr le peu de pertinence dun tel dispositif, et la surveillance de masse quil autorisait (Cf note de lINRIA jointe, en annexe).

    La principale cause d'inefficacit de ces dispositifs est qu'ils gnrent trop de faux positifs , c'est--dire considrent tort des individus comme suspects. En supposant, de faon trs optimiste, un taux de 1 % de faux positifs, cela reprsenterait, l'chelle du pays, prs de 500.000 personnes, contre prs de 2.500 personnes que l'on voudrait cibler, soit un taux de russite infrieur 0,5 %.

    Or les chercheurs de lINRIA indiquent que les algorithmes prdictifs des comportements humains donnent aujourdhui plutt 99% de faux positifs.

    Il s'agit donc en fait de mettre en uvre une version numrique et aseptise de loi sur les suspects , comme ont pu en connatre les priodes les plus sombres de notre histoire. Rappelons que ces lois furent chaque fois abroges, au vu de leur inefficacit et des dommages collatraux qu'elles ont occasionns au sein de la population.

    Considrer au moins 1 % de la population comme suspecte, c'est faire en sorte que chacun de nous connaisse, parmi sa famille ou ses relations, au moins un suspect, sinon plusieurs. C'est instaurer une suspicion numrique gnralise.

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    Les Etats-Unis, qui avaient mis en place ce type de programmes, dans le cadre du Patriot Act, ont tir un constat dchec du dispositif dans la lutte contre le terrorisme. Au lieu de renouveler le Patriot Act pour quatre annes supplmentaires, le Congrs amricain a souhait faire passer une nouvelle loi, le Freedom Act, cense mettre un terme la collecte massive de donnes par la NSA.

    Il semble bien plus pertinent d'attribuer les moyens envisags pour ce programme au renseignement humain et aux surveillances cibles. Il ne faut pas oublier que les auteurs des attentats commis en France en 2012 et en 2015 taient clairement identifis par les services de renseignements, et que faute de moyens humains, il na pas t possible doprer une surveillance suffisante permettant danticiper leurs passages lacte.

    La disproportion qui existe entre cette surveillance de masse et lintrt quelle reprsente dans le cadre de la lutte pour la scurit des personnes et des biens est flagrante et contrevient aux principes noncs larticle 2 de la Constitution.

    Comme nonc prcdemment, ces botes noires algorithmiques traitent de manire indiffrencie toutes les donnes traites par les rseaux et cela inclut ncessairement des donnes caractre personnel.

    Il y a l une atteinte manifeste au droit au respect de la vie prive qui ne peut tre justifie par la sauvegarde de lordre public. Et cela dautant plus que le conseil constitutionnel apprcie latteinte inconstitutionnelle ce droit laune des garanties prvues par la loi.

    cet gard, il a t jug que la mconnaissance du droit au respect de la vie prive peut tre de nature porter atteinte la libert individuelle et que la mise en uvre de systmes de vidosurveillance doit tre assortie de garanties protectrices de son exercice . (Cons. const., dcision n 94-352 DC, 18 janvier 1995, cons. 3 et 4).

    Par ailleurs, le conseil constitutionnel a dcid, eu gard, dune part, aux garanties apportes par les conditions dutilisation et de consultation du fichier judiciaire automatis des auteurs dinfractions sexuelles et par lattribution lautorit judiciaire du pouvoir dinscription et de retrait des donnes nominatives, dautre part, la gravit des infractions justifiant linscription des donnes nominatives dans le fichier et au taux de rcidive qui caractrise ce type dinfractions, les dispositions de larticle 48 de la loi portant adaptation de la justice lvolution de la criminalit sont de nature assurer, entre le respect de la vie prive et la sauvegarde de lordre public, une conciliation qui nest pas manifestement dsquilibre (Cons. const., dcision n 2004-492 DC, 2 mars 2004, cons. 87 et 88).

    Enfin, il a considr que eu gard aux finalits du casier judiciaire, elle ne saurait, sans porter une atteinte non ncessaire la protection de la vie prive quimplique larticle 2 de la Dclaration de 1789, tre mentionne au bulletin n 1 du casier judiciaire que lorsque des mesures de sret ont t lorsque des mesures de sret prvues par le nouvel article 706-136 du code de procdure pnale ont t prononces et tant que ces interdictions nont pas cess leurs effets (Cons. const., dcision n 2008-562 DC, 21 fvrier 2008, cons. 31).

    Latteinte au droit au respect de la vie prive est dautant plus forte que le lgislateur na assorti larticle en cause daucune disposition venant garantir un traitement proportionn des faux positifs statistiques.

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    Aussi bien, en labsence de toute garantie adquate permettant dviter, notamment, les consquences arbitraires dune simple erreur ou dun calibrage insuffisant des algorithmes, larticle dont il sagit est contraire la Constitution.

    C) En ce qui concerne les articles L. 851-4, L. 851-5, L. 851-6 du code de la scurit intrieures

    Ces articles ont trait diffrentes techniques de renseignement qui portent une atteinte disproportionne au droit au respect de la vie prive compte tenu du caractre vague des finalits qui justifient leur mise en uvre. Ils sont donc galement contraires car disproportionns larticle 2 de la Dclaration des droits de 1789.

    D) En ce qui concerne larticle L. 852-1 du code de la scurit intrieure

    Cet article autorise les interceptions de correspondances mises par la voie des communications lectroniques et susceptibles de rvler des renseignements relatifs aux finalits mentionnes larticle L. 811-3. De mme que prcdemment, compte tenu du caractre vague des finalits qui justifient leur mise en uvre, elles portent une atteinte disproportionne au droit au respect de la vie prive. Ils sont donc galement contraires car disproportionns larticle 2 de la Dclaration des droits de 1789.

    3) SUR LARTICLE 6

    A) En ce qui concerne les articles L. 853-1 L. 853-3 du code de la scurit intrieure

    La surveillance des communications par les extrmits nuit gravement l'inviolabilit du domicile. Cest le cas de linstallation des logiciels espions permise par lalina 2 de larticle L853-2

    De nos jours, il est trs facile d'installer, sur son ordiphone et/ou son ordinateur, des logiciels gratuits et fiables de chiffrement des communications lectroniques, qui garantissent de bout en bout la confidentialit de celles-ci.

    Ces outils cryptographiques sont utiliss tant par les criminels que par les industriels et les simples citoyens dsireux d'chapper aux programmes de surveillance massive mis en place par certains rgimes, dmocratiques ou non. Face de tels outils, les services de police sont dmunis, car toute interception ralise en dehors du domicile ne permet que d'avoir accs au flux chiffr, impossible dcrypter par les technologies actuelles.

    Le seul moyen pour les services consiste donc intercepter ces flux avant qu'ils ne soient chiffrs, c'est--dire en les capturant la source sur l'ordinateur de l'un des participants. C'est pour cela qu'ont t incluses au projet de loi, au 2 de l'article L. 853-2, des dispositions permettant l'installation, sur les ordinateurs des suspects, de logiciels espions chargs d'intercepter les frappes au clavier et/ou les flux audio et vido issus des diffrents priphriques de l'ordinateur.

    Cependant, rien n'empche, une fois ces dispositifs installs, qu'ils puissent tre utiliss alors qu'une communication n'est pas en cours. Le recueil des frappes au clavier permet alors de

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    connatre ce que la personne crit dans son journal intime, et le micro et la camra de l'ordinateur captent l'ambiance du domicile pourtant rput inviolable. Ainsi, il faut bien comprendre que lutilisation de ces logiciels espions peut aboutir deux situations juridiques diffrentes :

    - sil est utilis pour couter par exemple ce que la personne va transmettre volontairement via son ordinateur (une conversation sur Skype par exemple) : juridiquement, cette interception nest pas considre comme une sonorisation du domicile.

    - sil est utilis de manire continue avec un branchement de camra qui intercepte tout ce qui se passe dans lenvironnement de la pice : juridiquement cest de la sonorisation de domicile.

    Il est donc essentiel qu'un horodatage prcis des transmissions de flux soit effectu, afin que ces dispositifs ne puissent pas tre utiliss en dehors de la captation de communications. Cela impose que les logiciels d'interception intgrent les fonctionnalits permettant de prendre en compte cette problmatique, et n'activent la capture des diffrents priphriques que lorsqu'ils sont effectivement employs dans le cadre d'une conversation avec un correspondant extrieur au domicile.

    Aujourdhui, on ne peut techniquement diffrencier les deux actions.

    Le dbridage de ces outils pour raliser la sonorisation d'un domicile doit tre encadr de la mme faon que la mise en uvre de dispositifs d'coute traditionnels ; au vu de son trs fort niveau d'intrusion, l'accord d'un juge judiciaire semble absolument ncessaire.

    Aussi, par principe, il faut appliquer le rgime le plus protecteur en matire de libert publique, cest--dire rendre la saisine du juge judiciaire obligatoire avant toute implantation de logiciel espion.

    En effet, depuis 1999, le Conseil constitutionnel, considre le droit au respect de la vie prive comme une composante de la libert personnelle proclame larticle 2 de la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen, dont rsultent galement le droit au secret des correspondances et le principe de linviolabilit du domicile.

    Dans sa dcision du 2 mars 2004 relative la loi portant adaptation de la justice aux volutions de la criminalit, le Conseil constitutionnel a invoqu les articles 2 et 4 de la Dclaration de 1789 en considrant qu il incombe au lgislateur dassurer la conciliation entre, dune part, la prvention des atteintes lordre public et la recherche des auteurs dinfractions, toutes deux ncessaires la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, dautre part, lexercice des liberts constitutionnellement garanties ; quau nombre de celles-ci figurent la libert daller et venir, linviolabilit du domicile priv, le secret des correspondances et le respect de la vie prive, protgs par les articles 2 et 4 de la Dclaration de 1789 .

    En lespce, latteinte linviolabilit du domicile priv est avre, et non proportionne aux risques datteintes lordre public. Par ailleurs, labsence totale dun contrle du juge judiciaire vient renforcer cette violation de larticle 2 de la dclaration des droits de lhomme et du citoyen, et des principes en dcoulant.

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    B) En ce qui concerne larticle L. 854-1 du code de la scurit intrieure

    Cet article concerne les mesures de surveillance internationale que les autorits franaises sont habilites mettre en uvre, lorsque les communications sont mises ou reues en dehors du territoire national.

    Le lgislateur met ainsi en place une possibilit de surveillance gnralise et non contrle, puisquil est nonc larticle L. 833-2 que pour laccomplissement de ses missions, la commission : 2 Dispose dun accs permanent, complet et direct aux relevs, registres, renseignements collects, transcriptions et extractions mentionns au prsent livre, lexception de ceux mentionns larticle L. 854-1 .

    Ici encore, latteinte au droit au respect de la vie prive est manifestement excessive en labsence de garanties qui sont, lorsquelles existent, insuffisantes.

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    4) REMARQUES TRANSVERSES SUR LA COLLECTE DES DONNEES ET SUR LA DUREE DE CONSERVATION DES DONNEES

    a) Collecte des donnes des personnes totalement trangres lenqute par lutilisation des IMSIcatcher

    Le rle des IMSIcatcher mentionns larticle L 851-6 III est de simuler le fonctionnement d'une borne relais de rseau de tlphone mobile, afin d'intercepter tous les appels des tlphones mobiles environnants se connectant cette borne. Il s'agit donc bien d'une interception de masse, indiscrimine. Comme pour une borne-relai, les captations des IMSIcatchers ne concernent que l'ensemble des tlphones situs proximit, et non pas seulement le tlphone de la personne vise par lenqute.

    Un premier point noter est que, pour que l'interception des contenus des conversations soit possible, l'IMSIcatcher doit exclusivement mettre en oeuvre une ancienne version du protocole de communication entre tlphones mobiles et borne relais. Cette ancienne version, la diffrence des suivantes, ne chiffre pas les informations transmises. En prtendant ne disposer que de ce protocole non chiffr, la borne IMSIcatcher impose aux tlphones environnants de ne pas chiffrer leurs contenus lorsqu'ils s'adressent elle. Ceci induit donc une faille de scurit dans toutes les communications passant par l'IMSIcatcher, puisque n'importe qui peut alors intercepter en clair les communications changes. De fait, si le projet de loi prtend protger certaines professions (parlementaires, journalistes, avocats notamment), elle dgrade le niveau de scurit de leurs communications et les rend vulnrables toute interception.

    La collecte indiffrencie des conversations porte d'un IMSIcatcher est potentiellement nuisible de nombreuses catgories de personnes protges par la loi (avocats, magistrats, journalistes, etc.), ainsi qu' leurs sources. Qui plus est, si une telle collecte de masse est considre comme illgale sur l'ensemble d'un territoire, rien ne peut non plus la justifier au sein d'une fraction de ce territoire

    C'est galement pour contourner le chiffrement mis en uvre par les nouvelles versions des protocoles 3G et 4G que le GCHQ et la NSA ont fait intrusion au sein des serveurs de la socit Gemalto, et ont pu siphonner les cls de chiffrement des cartes SIM de plusieurs millions d'usagers.

    Si l'utilit des IMSIcatcher n'est pas remise en cause, leur conception et leur mise en oeuvre doivent tre fortement encadres. Ainsi, ces dispositifs devraient tre brids par conception afin de ne pouvoir restituer leurs oprateurs que les communications issues d'une liste mmorise de numros de tlphones, aucune des autres conversations ne pouvant tre retranscrite. Si l'ajout des numros de tlphone peut se faire la vole , pour suivre certaines conversations, l'horodatage de ces ajouts (et suppressions) doit pouvoir tre une pice opposable en justice, afin de justifier qu'une interception tlphonique n'a pas eu lieu au moyen d'un appareil dbrid, mais bien de faon cible, pour des motifs devant tre ports aux rapports des missions d'interception. La responsabilit des fabricants doit tre engage sur l'absence de portes drobes permettant de dbrider temporairement et secrtement ces appareils.

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    Des dispositions relatives l'homologation de ces dispositifs devraient donc tre introduites au sein du projet de loi, dfinissant de faon explicite les limitations que le lgislateur entend appliquer ces dispositifs. Les modalits d'homologation pourraient, pour leur part, tre spcifies de faon rglementaire.

    b) Dure de conservation des donnes et mta-donnes

    Larticle 2 du projet de loi dispose :

    () Art. L. 822-2. I. Les renseignements collects par la mise en uvre dune technique de recueil de renseignement autorise en application du chapitre Ier du prsent titre sont dtruits lissue dune dure de :

    1 Trente jours compter de leur recueil pour les correspondances interceptes en application de larticle L. 852-1 et pour les paroles captes en application de larticle L. 853-1 ;

    2 Cent vingt jours compter de leur recueil pour les renseignements collects par la mise en uvre des techniques mentionnes au chapitre III du titre V du prsent livre, lexception des informations ou documents mentionns larticle L. 851-1 ;

    3 Quatre ans compter de leur recueil pour les informations ou documents mentionns larticle L. 851-1.

    Pour ceux des renseignements qui sont chiffrs, le dlai court compter de leur dchiffrement. Ils ne peuvent tre conservs plus de six ans compter de leur recueil.

    Dans une mesure strictement ncessaire aux besoins de lanalyse technique et lexclusion de toute utilisation pour la surveillance des personnes concernes, les renseignements collects qui contiennent des lments de cyberattaque ou qui sont chiffrs, ainsi que les renseignements dchiffrs associs ces derniers, peuvent tre conservs au-del des dures mentionnes au prsent I.

    II. Par drogation au I, les renseignements qui concernent une requte dont le Conseil dtat a t saisi ne peuvent tre dtruits. lexpiration des dlais prvus au mme I, ils sont conservs pour les seuls besoins de la procdure devant le Conseil dtat.

    Lors du vote de la loi relative la lutte contre le terrorisme et portant diverses mesures relatives la scurit routire et aux contrles frontaliers, (dcision n2005-532 DC du 19 janvier 2006) le Conseil constitutionnel a valid le principe suivant :

    Considrant que les enregistrements seront effacs au bout de huit jours si les caractristiques permettant l'identification des vhicules, ainsi collectes, ne figurent ni dans le fichier national des vhicules vols ou signals, ni dans la partie du systme d'information Schengen relative aux vhicules ; que les critres de cette recherche seront les caractristiques des vhicules et non les images des passagers ; que les donnes n'ayant pas fait l'objet d'un " rapprochement positif " ne pourront tre consultes pendant ce dlai, sous rserve des besoins rsultant d'une procdure pnale ; que seules les donnes ayant fait l'objet de ce rapprochement seront conserves ; que la dure de cette conservation ne pourra alors excder un mois, sauf pour les besoins d'une procdure pnale ou douanire ; que seuls

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    auront accs au dispositif, dans les limites ci-dessus dcrites, des agents des services de la police et de la gendarmerie nationales individuellement dsigns et dment habilits ; que les traitements automatiss des donnes recueillies seront soumis aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978 susvise ;

    Cette dcision peut tre interprte comme validant la conservation de donne pour une dure indtermine si elles sont ncessaires aux besoins dune procdure pnale ou douanire.

    Nanmoins, dans le communiqu de presse publi conscutivement cette dcision, il est prcis que :

    Le 19 janvier 2006 (dcision n 2005-532 DC), le Conseil constitutionnel a statu sur la loi " relative la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives la scurit et aux contrles frontaliers " dont il avait t saisi par plus de soixante snateurs.

    Ceux-ci en contestaient l'article 6 (rquisition administrative de "donnes de trafic" auprs d'oprateurs de communications lectroniques, de fournisseurs de services en ligne et de "cyber-cafs"), ainsi que l'article 8 (photographie automatique des vhicules et de leurs occupants sur certains axes routiers et enregistrement provisoire de ces photographies aux fins de rapprochement avec les fichiers de vhicules vols ou signals).

    Le Conseil constitutionnel n'a pas dclar ces dispositions contraires la Constitution eu gard, d'une part, leur utilit dans la lutte contre le terrorisme et la criminalit, d'autre part, aux limitations et prcautions dont elles taient assorties du point de vue de la protection de la vie prive.

    En 2006, le Conseil constitutionnel a donc valid le principe de la conservation des donnes, estimant que les garanties taient runies, et donc le principe de proportionnalit respect, entre lutte contre le terrorisme et la criminalit dun ct, et latteinte la vie prive de lautre.

    Mais nous sommes dans un contexte tout autre que celui de la dcision de 2006 du Conseil Constitutionnel.

    En premier lieu, nous avons pralablement dmontr que les moyens mis en uvre permettant la collecte de donnes dans le projet de loi faisant lobjet de cette saisine, sont massifs, peu clairs et inadapts par rapport aux objectifs poursuivis.

    En second lieu, latteinte la vie prive que peut reprsenter la collecte et la conservation de donnes est bien suprieure ce quelle pouvait tre en 2006, lors de la dcision prcite.

    En 2006, laccs Internet ntait pas utilis chaque moment de notre vie. Aujourdhui, on ne se connecte plus, on est connect en permanence Internet !

    Le taux dquipement en smartphone tait ngligeable, et cette technologie quasi confidentielle en France tait rserve un usage professionnel. Les temps de connexion taient beaucoup plus longs, les appareils nettement moins simples dutilisation et quasiment limits lenvoi/rception de courriels.

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    Dans une tude date de juin 2014, ralise par la Mobile Marketing Association (MMA) France, un Franais sur deux possde un smartphone (soit 27,7 millions de Franais) et un foyer sur trois est quip dau moins une tablette (soit 9,1 millions de foyers). 75% des Franais ont accs Internet haut dbit chez eux. En outre, trois tlphones mobiles sur quatre vendus en 2014 seront des smartphones (soit 17,5 millions dunits).

    65,2% des franais devraient tre quips d'un smartphone en 2017, estime eMarketer1.

    Dans les annes qui viennent, ce ne seront plus simplement les smartphones ou les tablettes qui seront connects, mais lensemble des objets qui nous entourent : montres, tlviseurs, rfrigrateurs, robots mnagers,

    Aussi, la progression du taux dquipement et des usages entre 2006 (date de la dcision du conseil constitutionnel) et 2015 vient considrablement augmenter le nombre de donnes susceptibles dtre recueillies, traces de chaque instant de notre vie personnelle et prive.

    Aujourdhui, lespace intime reste prserv des donnes susceptibles dtre interceptes. Mais demain, lorsque votre tlviseurs sera connect et capable danalyser votre conversation pour vous aider dans votre quotidien. Ce seront autant dinformations susceptibles dtre recueillies dans le cadre de lapplication de cette loi.

    Prenons lexemple dun couple qui discute dun futur voyage en Jordanie. Le tlviseur sera en mesure de leur proposer immdiatement des offres de vols et de circuits touristiques pour cette destination. Et les botes noires des oprateurs, denregistrer la consultation de sites de voyages vers la Jordanie.

    Dans cette hypothse, les comportements privs ne risquent-ils pas dtre affects par le risque encouru datteinte la vie prive ? La surveillance de masse autorise par ce texte nest-elle pas de nature restreindre la libert daction et de parole de tout chacun ? Et quen sera-t-il lorsque des donnes beaucoup plus prcises seront disponibles en matire de sant par exemple ?

    Le champ dhabilitation trs large permettant de rcolter des informations, et le nombre considrable de donnes susceptibles dtre collectes entrane une disproportion flagrante entre les moyens mis en uvre en matire de scurit des personnes et des biens, et la masse de conservation de donnes personnelles portant ainsi atteintes au respect de la vie prive.

    Le gouvernement a dailleurs bien conscience de la difficult de rendre conforme la Constitution la conservation de donnes cryptes puisque le Premier Ministre, lors de son audition devant la commission des lois du Snat, a parl de conservation de donnes anonymes . Ce terme est un non-sens technique, puisque la captation des donnes nest pas anonyme, que les mtadonnes permettent didentifier les individus et que la conservation de donnes cryptes anonymes naurait aucun intrt. Aussi, les articles 2, 5 et 6 du projet de loi est contraire larticle 2 de la Constitution, en ce quil porte atteinte au respect de la vie prive et la libert dexpression. Il doit donc ce titre tre censur.

    1 http://www.cbnews.fr/etudes/plus-de-la-moitie-des-francais-possederont-un-smartphone-en-2015-a109906

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    5) SUR LARTICLE 10

    En ce qui concerne les articles L. 773-1 L. 773-8 du code de justice administrative

    Ces articles dfinissent les modalits du contrle juridictionnel a posteriori du recours aux techniques de renseignement. En faisant la part belle au secret dfense, les rgles applicables cette voie de droit ouverte devant le conseil dtat mconnaissent une exigence pourtant inhrente toute procdure contentieuse : le respect du contradictoire.

    Celui-ci ne semble pas disparatre, puisque larticle L. 773-3 du code de justice administrative nonce : Les exigences de la contradiction mentionnes larticle L. 5 sont adaptes celles du secret de la dfense nationale .

    Mais cette adaptation nen est pas vraiment une, puisque tout contradictoire est purement et simplement vacu de la procdure en question.

    La procdure est en effet tout sauf quitable : le requrant ne sait pas quelles techniques de renseignement ont t utilises son sujet, mais lautre partie le sait. De mme, le requrant na pas accs lensemble des pices du dossier, alors que lautre partie en a connaissance. IL en va galement ainsi des arguments dvelopps par ladministration, auxquels il nest pas possible daccder.

    Aussi bien, selon larticle L. 773-3 du code de justice administrative, lintgralit des pices produites par les parties est communique la CNCTR mais pas au requrant lui-mme. En outre, selon cette mme disposition, les parties sont-elles entendu sparment lorsquest en cause le secret de la dfense nationale .

    La possibilit donne au juge, en vertu de larticle L. 773-5 de ce code ( La formation de jugement peut relever doffice tout moyen ) nest en rien suffisante pour pallier labsence de contradictoire.

    Au surplus, larticle L. 773-6 de ce mme code ne permet pas au citoyen qui souhaite vrifier quil ne fait pas lobjet dune surveillance den acqurir la certitude, tant donn que lorsque la formation de jugement constate labsence dillgalit dans la mise en uvre dune technique de recueil de renseignement ou du traitement faisant lobjet du litige, [] la dcision indique au requrant ou la juridiction de renvoi quaucune illgalit na t commise, sans confirmer ni infirmer la mise en uvre dune technique .

    Cette procdure est donc manifestement contraire au droit au procs quitable protg par larticle 16 de la Dclaration des droits, alors quil est constant que tant le principe de la sparation des pouvoirs que lexistence dautres exigences constitutionnelles imposent [au lgislateur] dassurer une conciliation qui ne soit pas dsquilibre entre le droit des personnes intresses exercer un recours juridictionnel effectif, le droit un procs quitable ainsi que la recherche des auteurs dinfractions et les exigences constitutionnelles inhrentes la sauvegarde des intrts fondamentaux de la Nation (Cons. const.,dcision n 2011-192 QPC, 10 novembre 2011, cons. 22).

    Une telle conciliation nexiste pas en loccurrence, puisque le principe du contradictoire

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    disparat sous les ncessits du renseignement. Cela est anormal en soi ; une telle ngation lest dautant plus en loccurrence que les motifs de la surveillance sont, on la vu, largement dfinis.

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    Souhaitant que ces questions soient tranches en droit, les dputs auteurs de la prsente saisine demandent donc au Conseil Constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux quil estimera pertinents eu gard la comptence et la fonction que lui confre la Constitution.