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RÉSUMÉ Romantique jusqu’au bout des ongles, Natalie Fortune a cru toute sa

vie au grand amour. Un grand amour qu’elle a pensé, un temps, avoir trouvé, avant de s’apercevoir que l’homme qu’elle devait épouser n’avait fait que se servir d’elle. Cruellement déçue, elle a donc décidé de changer de vie, de ne plus penser qu’à elle-même et de s’offrir la luxueuse croisière dont elle rêve.

Avant cela, toutefois, il lui faut trouver un locataire. Aussi est-elle ravie quand elle rencontre Rick Dalton qui cherche une maison pour les vacances. Car non seulement Rick est un homme charmant, mais il est le père d’un adorable petit Toby, un enfant encore sous le choc de la mort de sa mère et auquel, en d’autres temps, elle n’aurait pas manqué de s’attacher. Mais Natalie a changé. Et elle n’a pas l’intention de céder à l’immense tendresse que lui inspire le petit garçon, pas plus qu’à la dangereuse séduction de son père.

Tous deux partiront, tôt ou tard, et ne doit-elle pas, elle-même, embarquer dans une semaine ? C’est alors qu’une terrible nouvelle vient bientôt bouleverser ses projets : Monica Malone, la célèbre star, est retrouvée assassinée. Et le premier suspect n’est autre que… Jake Fortune, le propre père de Natalie !

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Chères lectrices, Quand mon éditeur m'a proposé d'écrire l'un des épisodes de la

saga des Héritiers, j'ai tout de suite été séduite. Car ces livres racontent l'Histoire passionnante d'une famille. Une

grande famille faite de personnages forts et indépendants. Une famille très américaine avec, à sa tête, une femme à la fois redoutable et pleine de tendresse qui adore donner au destin un petit coup de pouce afin de réunir ceux qui sont faits pour s'aimer.

Très alléchant, aussi, m'a paru ce mystère qui rebondit de livre en livre et tourne autour de l'identité de ceux qui ont commandité l'attentat auquel Kate a, par miracle, échappé.

Voyant mon enthousiasme, mon éditeur m'a aussitôt nommé les autres auteurs qui allaient participer à la saga. Des écrivains fantastiques dont les livres précédents ont tous été des succès. J'allais donc me retrouver en très bonne compagnie !

Enfin, pour achever de me convaincre, il y avait ces êtres si sympathiques qu'on me chargeait de mettre en scène : un père célibataire ultra-sexy, un adorable petit garçon traumatisé par une terrible épreuve, un bon gros saint-bernard et une femme au grand cœur.

Sérieusement, qui aurait pu résister ? J'ai tout de suite dit oui, et l'écriture de ce livre a été pour moi un

véritable régal. J'espère que vous prendrez, vous aussi, beaucoup de plaisir à le lire,

de même que tous les autres livres de cette merveilleuse saga. Bien amicalement,

Christine Rimmer

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Si vous achetez ce livre privé de tout ou partie de sa couverture, nous vous signalons qu'il est en vente irrégulière. Il est considéré comme « invendu » et l'éditeur comme l'auteur n'ont reçu aucun paiement pour ce livre « détérioré ».

Cet ouvrage a été publié en langue anglaise sous le titre : WIFE WANTED

Traduction française de JULIETTE MOREAUX

HARLEQUIN® est une marque déposée du Groupe Harlequin et Amours d'Aujourd'hui® est une marque déposée d'Harlequin SA.

Originally published by SILHOUETTE BOOKS, division of Harlequin Enterprises Ltd. Toronto, Canada

Toute représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et

suivants du Code pénal, © 1997, Harlequin Books S.A. © 2000, Traduction française : Harlequin S.A. 83-85, boulevard Vincent-

Auriol, 75013 Paris — Tél. : 01 42 16 63 63 Service Lectrices — Tél : 01 45 82 47 47 ISBN 2-280-07701-9 — ISSN 1264-0409

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CHRISTINE RIMMER

L'empire menacé

AMOURS D'AUJOURD'HUI

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Les confidences de Kate Fortune « C'est épouvantable ! Les choses vont décidément de mal en pis.

Voilà maintenant mon fils Jake accusé d'avoir assassiné Monica Malone ! Jake ! Quel cauchemar! Que va faire la famille ?

» J'ai la conviction absolue que Jake est innocent. Cette femme diabolique ne nous aura décidément apporté que des ennuis. A vrai dire, je me méfie d'elle depuis le début. Je la soupçonne même d'être à l'origine de l'accident d'avion ou je suis censée avoir trouvé la mort... Bien entendu, elle n'a pas agi seule. Il va donc falloir que je continue à me cacher tout en essayant de découvrir les coupables. Mais, dans ces conditions... comment aider Jake ? »

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NEWS

ON EN PARLE CE MOIS-CI...

"Monica Malone assassinée ? "

Le corps sans vie de Monica Malone a été découvert ce matin à son domicile. Tout laisse penser qu'elle a été assassinée.

Par qui ? On l'ignore encore. Nous savons néanmoins, de source sûre, que la police s'intéresse de très près à l'emploi du temps de Jake Fortune qui aurait rendu visite la veille au soir à la star, et serait le dernier à l'avoir vue vivante. Jake et l'actrice ont été aperçus ensemble à plusieurs reprises, ces temps derniers, même si personne ne connaît la nature exacte des liens qui les unissaient. Tout le monde se rappelle que Monica Malone a longtemps prêté

son visage à la pro- motion des produits de Fortune Cosmetics avant d'être détrônée par la belle Erica, l'actuelle épouse de Jake. Monica a-t-elle fini par obtenir sa revanche et conquis le cœur du célèbre héritier ? Après le père, le fils. Certains vont jusqu'à prétendre que Jake lui aurait vendu à vil prix un joli paquet d'actions. Ce qui, quand on connaît la réputation d'habile financier du beau Jake, ressemble fort à un coup de folie. Quel était le vrai motif de sa présence chez Monica, ce soir-là ? Voulait-il récupérer son héritage sous la pression de sa famille ? Etait- il

l'amant de la star et s'est-il découvert un rival ? On peut tout supposer. Sa propre fille n'a-t-elle pas déclaré à la police que son père, ce même soir, était "ivre et totalement bouleversé"? Ce qui me surprend quelque peu, néanmoins, c'est qu'un homme sur lequel pèsent de tels soupçons soit encore en train de se promener dans la nature. A croire que les puissants de ce monde peuvent tout se permettre, y compris d'être suspects n°l, du moment qu'ils paient le meilleur avocat.

Heureusement, dans ce pays, personne — serait-il même un Fortune — n'est au- dessus des lois !

Liz Jones

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1.

Dernière minute ! A louer pour l'été, proche Minneapolis, maison de campagne spacieuse et confortable donnant sur le lac (terrain de 7 000 m'). Avec voilier de dix- huit mètres pour profiter à fond des beaux jours. Location et durée du séjour à débattre. Agence : Walleye Property Management : 555-897'.

Rick Dalton découvrit l'annonce dans le journal du vendredi et téléphona tout de suite. A l'agence, on lui apprit que le lac en question était le lac Travis, effectivement tout proche de Minneapolis, et que la maison « avait le charme de l'ancien avec tout le confort moderne ». Non, elle n'était pas encore louée. La propriétaire pourrait lui faire visiter les lieux ce dimanche 29 juin à 14 heures.

Le dimanche arriva, et Rick et son fils Toby quittèrent Minneapolis un peu après 13 heures. Suivant les instructions détaillées données par l'agence, ils abandonnèrent l'autoroute très vite pour s'engager sur de petites routes sinueuses.

La campagne était exactement ce que Rick avait espéré, très paisible et très belle. De magnifiques érables et des frênes touffus bordaient le chemin, formant, par moments, de véritables tunnels de verdure pleins de fraîcheur. Rick baissa sa vitre pour respirer l'air tiède qui sentait le foin. Les oiseaux et les cigales chantaient.

D'après l'homme de l'agence, le lac avait une forme très irrégulière, avec des bras d'eau qui s'enfonçaient par endroits très loin dans les terres. En tout, il devait y avoir soixante-quinze kilomètres de berges. La majeure partie appartenait à des particuliers et le coin restait très tranquille, même au plus fort de l'été. Pas de plages publiques, pas de centres de loisirs nautiques, peu de touristes. Effectivement,

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maintenant qu'ils s'étaient engagés sur la petite route du lac, ils ne croisaient quasiment personne.

— C'est beau, hein ? demanda Rick. Bien entendu, il n'y eut pas de réponse. Il jeta un regard rapide vers

Toby et sentit son euphorie retomber un peu. L'enfant regardait droit devant lui et son petit visage trop mince restait parfaitement inexpressif.

Rick s'interdit d'insister. Trop souvent, au cours des derniers mois, il n'avait pas pu s'empêcher de demander : « Tu m'entends, Toby ? » ou d'autres phrases de ce type. Le garçon ne répondait jamais et il se sentait, chaque fois, déçu et frustré par son silence.

La voiture filait entre des murets entrecoupés de haies et de rangées d'arbres. De loin en loin, on entrevoyait la nappe brillante du lac, au-delà de l'étendue verdoyante des pelouses qui descendaient jusqu'au bord de l'eau. A intervalles irréguliers, des boîtes à lettres marquaient l'entrée d'une allée. Il vérifia les numéros et annonça joyeusement :

— On y est presque. Aucune réaction. Il n'insista pas, se rappelant qu'il ne devait montrer aucune

contrariété quand son fils refusait de communiquer. Le Dr Dawkins, la psychiatre du petit, ne cessait de lui répéter qu'il devait parler à Toby et l'inclure dans ses conversations avec les autres même s'il semblait y rester tout à fait étranger. Selon elle, Toby entendait tout, comprenait tout et faisait des progrès sensibles. Il fallait seulement du temps, et beaucoup de soins ; quand le moment serait venu, il sortirait de son mutisme.

Rick faisait de son mieux pour suivre ses instructions, mais il ne partageait qu'à demi son optimisme.

La voiture ralentit devant une nouvelle boîte aux lettres, à demi enfouie dans une haie fleurie. Cette fois, elle portait le bon numéro.

— On y est ! s'écria Rick. En s'engageant dans l'allée de gravier, il entrevit un toit de bardeaux

entre les arbres. Deux cents mètres plus loin, il se garait devant une charmante maison à deux étages. Des fenêtres en mansarde se dressaient du toit pentu, des rosiers touffus encadraient l'allée de gravier et se pressaient jusqu'aux marches de la véranda — une véranda au toit ourlé d'une décoration de bois sculpté, spacieuse et ombragée, avec des fauteuils d'osier peints en blanc. Il y avait même une balancelle.

— C'est absolument parfait, dit Rick à Toby.

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Dans la maison, un occupant invisible choisit ce moment précis pour écouter du rock, à plein volume. Abasourdi, Rick se mit à rire malgré lui:

— Enfin, presque... Il reconnaissait le morceau. Pendant sa dernière année de fac, la fille

qui habitait au bout du couloir passait ses journées enfermée dans sa chambre à écouter de la musique. Elle adorait Janis Joplin et cette chanson, Piece of My Heart, était une de ses préférées. Rick jeta un coup d'œil à Toby et cette fois, il put rencontrer son regard bleu, si semblable au sien. Le visage du petit garçon restait parfaitement inexpressif mais c'était tout de même une amélioration. Il dut élever la voix pour se faire entendre :

— Reste là, d'accord ? Je vais voir ce qui se passe. Toby avait-il hoché la tête ? Tout de suite, il se dit qu'il avait dû

imaginer le geste. Il savait en tout cas qu'il pouvait parfaitement laisser le petit seul quelques minutes.

Même dans cet état de retrait profond, même totalement coupé du monde, l'enfant restait parfaitement bien élevé. Et comme il ne prenait jamais aucune initiative...

A l'intérieur de la maison, en compétition avec les plaintes sulfureuses de la chanteuse, on entendait maintenant un hululement terrifiant. Rick aurait juré qu'un chien hurlait à la mort là-dedans. Que se passait-il donc dans cette maison ?

Les yeux vides de Toby s'étaient détournés. Rick lui fit tout de même une petite grimace rassurante, grimpa les marches du perron et sonna à la porte. Il ne se trompait pas, il y avait bien un chien en train de hurler à l'intérieur. Il s'en donnait même à cœur joie. Rick tendit l'oreille... il lui semblait aussi entendre une autre voix, une voix de femme qui chantait la mélodie avec Janis et le chien. En tout cas, personne ne semblait entendre la sonnette. Personne n'aurait pu entendre le jugement dernier avec un vacarme pareil.

Rick se décida à tourner la poignée et la porte s'ouvrit. L'entrée ensoleillée sentait la cire. Maintenant qu'ils n'étaient plus filtrés par la porte, les cris déchirants des deux femmes et du chien semblaient encore plus assourdissants.

Il s'avança, un peu hésitant. La cacophonie semblait sortir d'une porte à deux battants qui s'ouvrait sur sa gauche. Résolument, il fit encore deux pas et s'arrêta sur le seuil d'un salon à l'ancienne.

La voix de Janis jaillissait d'une chaîne stéréo. Un saint-bernard énorme trônait sur un canapé, la tête renversée en arrière, les babines allongées dans une sorte de moue pour moduler son accompagnement.

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Entre la porte et le canapé, une brune extrêmement bien faite, moulée dans une sorte de long fourreau rétro couvert de strass, ondulait furieusement en vociférant les paroles de la chanson. Sur la tête, elle portait un abat-jour à franges. Très amusé (et assez soulagé de ne pas découvrir de situation plus dramatique), Rick s'appuya au chambranle de la porte. Il avait hâte de voir l'expression de la fille quand elle se retournerait enfin.

Il n'eut pas longtemps à attendre. La jeune femme était trop prise par son show pour s'apercevoir qu'elle avait un public, mais le chien, lui, ne tarda pas à repérer l'intrus. Sa tête massive reprit une position plus naturelle, son regard profond se braqua sur Rick et il émit un aboiement sourd. Puis, langue pendante, il descendit tranquillement du canapé, contourna la femme qui dansait toujours et vint lever son gros museau humide vers Rick. Enchanté, celui-ci gratta doucement le point sensible derrière ses énormes oreilles.

La femme chantait toujours de tout son cœur et Rick la contemplait. Il n'avait pas encore vu son visage mais elle avait vraiment une silhouette fantastique. Au bout de quelques secondes, elle dut remarquer que le chien ne chantait plus avec elle. Repoussant en arrière le couvre- chef qui l'aveuglait, elle se retourna en lançant une note aiguë et se figea brusquement. Elle venait de découvrir Rick.

— Oh ! Elle arracha l'abat-jour de sa tête et sa peau laiteuse vira au rouge

brique. — Ça fait longtemps que vous êtes là ? Elle criait pour se faire entendre. Au prix d'un gros effort, Rick

réussit à ne pas éclater de rire. — Suffisamment, cria-t-il en réponse. Elle fit une grimace éloquente. — J'en étais sûre. — J'ai sonné mais... Elle agita la main. — Oui, bien sûr. Je comprends. L'air penaud, elle se dirigea vers le lampadaire qui dressait son

ampoule nue dans l'angle de la pièce et remit l'abat-jour à sa place. Puis elle alla enfin éteindre la musique et se mit tout de suite à s'excuser.

— Vous êtes certainement le monsieur qui voulait voir la maison. Je vous prie de nous excuser. Bernie m'a suppliée de mettre ce disque, alors... Il adore cette chanson...

— Bernie, répéta Rick. C'est le chien ? — Oui.

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— C'est un chien qui sait parler ? — Pas tout à fait, mais il sait très bien se faire comprendre. Quand il

veut que je lui mette Janis, il m'apporte le disque. — Je vois. Un chien intelligent. — Extrêmement intelligent. Très à l'aise, le gros chien les quitta et se dirigea vers la porte en

agitant la queue. La jeune femme repoussa de son visage ses beaux cheveux au reflet fauve et s'approcha de Rick.

— Je suis Natalie. Natalie Fortune. Rick prit la main qu'elle lui offrait, une main douce, un peu échauffée

par l'effort qu'elle venait de fournir — une main qui s'imbriquait parfaitement dans la sienne. Elle sentait le savon et les fleurs.

— Rick D al ton. Le souffle encore un peu court, elle posa la main sur sa poitrine et

s'éclaircit la gorge avant de demander : — Et il y a aussi un petit garçon, non ? — C'est ça. Elle baissa les yeux pour considérer leurs mains et il s'aperçut à

retardement qu'il ne l'avait pas lâchée. Un peu gêné, il la libéra et elle recula tout de suite en levant vers lui ses grands yeux noisette — les plus beaux yeux qu'il ait jamais vus.

— J'avais... cru comprendre que vous arriveriez vers 2 heures. Il jeta un coup d'œil à sa montre. — Je... oui, je suis en avance de quelques minutes. — Et moi je n'ai pas vu l'heure tourner, répondit-elle en souriant. Un instant plus tard, son sourire changea, se fit tendre et enjôleur.

Interloqué, Rick mit un instant à comprendre qu'elle ne le regardait plus.

— Bonjour ! Toby se tenait sur le seuil, sa petite main posée sur l'encolure du

saint-bernard. Il n'osait pas entrer et gardait les yeux baissés, mais sa bouche pâle se retroussait timidement en réponse au sourire de la jeune femme.

Abasourdi, Rick mit plusieurs secondes à en croire ses yeux : son fils avait souri !

D'une démarche sportive qui offrait un contraste bizarre avec les chaussures d'avant-guerre qui complétaient son déguisement, la jeune femme alla s'agenouiller devant le petit garçon. Imitant sa maîtresse, le grand chien s'assit et Natalie se mit à le caresser.

— Je vois que tu connais déjà Bernie, dit-elle.

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Lentement, le petit se mit à frotter à son tour les épaules puissantes du gros chien.

— Je m'appelle Natalie. Et toi ? — Toby. Il s'appelle Toby, se hâta de dire Rick. Timidement, la main de Toby quitta la fourrure de Bernie, vint tâter

le strass qui constellait la robe de Natalie. Elle eut un petit rire charmant, et prit une voix grave de femme fatale pour lancer :

— Tu aimes ? Viens avec moi, beau brun. Elle sauta sur ses pieds, prit la main de Toby et l'entraîna dans le

salon, contournant pour la seconde fois Rick qui suivait la scène, bouche bée et les bras ballants. Le chien suivait le mouvement avec un plaisir évident.

Près du canapé trônait une grosse malle ouverte remplie de vieilles fripes.

— Cette malle était à ma mamie Kate, ma grand-mère, annonça fièrement Natalie. D'habitude, elle est au grenier.

Avec une petite grimace comique, elle fit mine de s'essuyer le front. — Ne me demande même pas comment j'ai réussi à la descendre.

C'était d'un lourd ! Un de ces jours, je trouverai sûrement un moyen de la remonter. En tout cas, on s'est bien amusés, avec Bernie. C'est là-dedans que j'ai trouvé cette robe fantastique.

Elle se jeta un regard très satisfait, lança un clin d'œil à Rick, s'agenouilla et se mit à fouiller dans la malle, sans cesser un seul instant de parler.

— Il y a aussi des affaires qui étaient à Ben, mon grand-père. Tu comprends, mes grands-parents ont passé leur deuxième lune de miel ici, dans cette maison. Ils étaient mariés depuis très longtemps, deux de leurs gosses avaient grandi, et ils ont acheté cette maison de l'autre côté du lac, en face de leur demeure habituelle.

Fasciné, Toby s'était rapproché d'elle insensiblement. La main toujours plongée dans la fourrure du gros chien, il contemplait le fatras de la malle.

— Tu sais pourquoi ils l'ont achetée ? reprit-elle. Tout en racontant son histoire, elle choisissait un foulard à fleurs, un

grand chapeau rose, un sac à main en similicuir. — Je vais te le dire. C'était parce qu'ils s'étaient aperçus qu'au fil des

années, ils se sentaient de moins en moins proches l'un de l'autre. Ils ont décidé qu'ils avaient besoin de se retrouver et que cette maison toute simple, tranquille et confortable était l'endroit idéal pour le faire. Ils ont tous les deux eu le coup de foudre en la voyant, et ils ont pensé

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qu'ils auraient un nouveau coup de foudre l'un pour l'autre en venant ici.

Elle baissa la voix, prit un ton de confidence. Maintenant, Toby ne la quittait plus des yeux.

— Et tu sais quoi ? Ça a marché. Neuf mois après avoir passé une semaine merveilleuse ici, ma grand-mère a eu un nouveau bébé.

Comme si elle avait deviné que les regards trop directs mettaient Toby mal à l'aise, Natalie ne se tournait plus vers lui, et s'amusait au contraire à déguiser le saint- bernard avec les oripeaux qu'elle venait de sortir de la malle.

— C'est vrai, je t'assure, dit-elle en inclinant le grand chapeau rose selon un angle plus seyant. Un seul petit séjour dans la maison et Mamie Kate a eu ma tante Rebecca, qui n'a que quelques années de plus que moi.

Elle noua le foulard autour du cou du chien et lui présenta le sac qu'il prit délicatement dans la gueule. Ravie, elle battit des mains en s'exclamant :

— Hein qu'il est beau ! Cette fois, il n'y avait pas d'erreur possible. Toby avait hoché la tête !

Enchanté, le chien battait le plancher de sa queue. Natalie leva la tête, croisa le regard de Rick et sauta sur ses pieds en glissant à Toby :

— Tu n'as qu'à continuer sans moi. Moi, je montre la maison à ton papa. D'accord ?

Le chien aboya pour marquer son enthousiasme, laissa tomber le sac et se hâta de le récupérer en regardant Toby par en dessous d'un air penaud parfaitement irrésistible.

Hypnotisé, Rick suivit la jeune femme qui l'entraînait de sa démarche athlétique, en vacillant toujours sur ses talons compensés. Un regard en arrière lui montra son fils en train d'essayer un casque de la Seconde Guerre mondiale tout en essayant d'échapper à la grosse langue râpeuse de Bernie. Devant lui, Natalie grimpait l'escalier avec entrain, tout en racontant quelque chose à propos des aménagements réalisés quatre ans plus tôt. On avait apparemment refait la cuisine, ajouté une salle de bains et une douche à l'étage.

— Il y a des doubles vitrages partout, expliqua-t-elle par-dessus son épaule. Vous aurez même la climatisation pour les journées de grosses chaleurs.

Machinalement, Rick l'écoutait faire l'article, mais toutes ses pensées se concentraient sur ce qui venait de se passer. Quand elle s'arrêta un instant sur le palier, il ne put s'empêcher de dire :

— Vous savez vraiment vous y prendre avec les gosses.

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Elle haussa les épaules et le strass de sa robe jeta des éclairs colorés dans le rayon couleur de miel qui entrait par la croisée de l'escalier.

— Les gosses, les chiens... c'est de naissance. J'en ai même fait mon métier.

— Ah bon ! Que faites-vous donc ? — Institutrice. CP et CEI. A l'école du village. — Le village ? — Vous arrivez de Minneapolis, c'est ça ? — Oui. — Si vous suivez encore la route que vous avez prise en venant, vous

arrivez à Travistown, tout au bout du lac. Population : 340 habitants. Nous avons notre propre école — même s'il faut combiner des classes —, et aussi un supermarché, une quincaillerie ainsi qu'un magasin de prêt-à-porter et cadeaux. Plus l'agence immobilière qui vous a envoyé ici, bien sûr.

— Oui, effectivement, j'ai parlé à l'un des employés. — Vous avez parlé à l'unique employé qui est en même temps le

patron. Sa femme l'aide un peu. Elle s'occupe de la comptabilité. — Je vois... Jamais il n'avait vu des yeux à la fois aussi sombres et aussi

lumineux. Et ce visage... il ne pouvait pas se débarrasser de l'impression curieuse de l'avoir déjà vu quelque part. Il le contemplait, perplexe, quand il vit le front de la jeune femme se plisser tout à coup.

— Est-ce que Toby va bien ? — Que voulez-vous dire ? demanda-t-il, instantanément sur la

défensive. Sans paraître remarquer son attitude, elle s'appuya contre la rampe

et chercha ses mots : — Il a des difficultés ? Il semble... plus que réservé. Il n'a pas dit un

seul mot depuis que vous êtes arrivés. Rick baissa la tête. Il venait juste de rencontrer cette femme, il ne la

connaissait pas et pourtant, il avait envie de lui parler de Toby. — Sachez que vous venez de réussir l'impossible, murmura-t-il. Il

vous a souri. Il fit un effort pour la regarder en face. — La mère et la grand-mère de Toby sont mortes il y a quelques mois.

C'était un accident et Toby était dans la voiture avec elles. Natalie eut un petit cri navré. — Il n'a plus dit un mot depuis l'accident. — Oh... Je suis désolée...

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— Sa mère et moi étions divorcés. Je... je n'avais pas vu Toby depuis un certain temps. Je dois rattraper le temps perdu. C'est d'ailleurs dans ce but que je me suis mis en tête de chercher une maison. La thérapeute qui le suit prétend que Toby progresse mais que ce serait mieux pour lui si nous pouvions passer plus de temps ensemble tous les deux. Pour faire connaissance, pour qu'il puisse décider de me faire confiance... Je ne sais pas si je m'explique bien...

Les grands yeux de la jeune femme débordaient de compréhension. — Vous vous expliquez très bien, dit-elle. Venez, je vous montre le

reste de la maison. Elle se redressa et s'engagea dans le couloir. Un peu déçu —

brusquement, il avait très envie de parler de ces sujets qu'il évitait toujours avec le plus grand soin — il la suivit pourtant sans protester.

Elle poussa l'une après l'autre la porte de deux jolies chambres mansardées et s'écarta pour lui permettre de les inspecter. Une salle de bains bien agencée avait été ajoutée récemment entre les deux pièces.

— Celles-ci font partie de la location... Deux autres portes s'ouvraient en face. Il se retourna machinalement

vers elles, mais elle s'interposa, l'air un peu gênée, en expliquant : — Là, il y a ma chambre, un salon et une autre salle de bains. Comme

vous pourrez également disposer d'une chambre et d'un bureau en bas, je préférerais ne pas louer mes propres pièces si ça ne vous ennuie pas. J'ai pensé que trois chambres...

— Oui, oui, bien sûr. Rassurez-vous : c'est amplement suffisant pour nous.

— J'en tiendrai compte dans le loyer, bien sûr. — Merci. Il n'y a pas de problème. Tout cela est parfait. Elle le précéda de nouveau dans l'escalier et lui fit faire le tour du

rez-de-chaussée. Un couloir partait du salon pour desservir le bureau, la grande chambre et encore une salle de bains. A l'autre bout, une arche donnait sur une cuisine spacieuse et claire, que prolongeaient encore un cellier et une buanderie équipée d'une cabine de douche. Décidément, pensa-t-il, on avait la religion des salles d'eau dans cette maison ! Dans la cuisine, une porte donnait sur l'arrière de la maison, et une autre communiquait avec une partie de la véranda qu'on avait vitrée pour former une charmante petite pièce remplie de plantes.

La visite terminée, ils s'installèrent dans cette véranda pour discuter. Natalie expliqua qu'elle cherchait un locataire qui prendrait la maison telle quelle, sans qu'elle soit obligée de retirer ses meubles.

— Ça m'arrange tout à fait, répondit-il. Je n'ai pas du tout envie de faire un vrai déménagement pour apporter les miens. Une chose, en

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revanche : est-ce que vous me permettriez de changer un peu l'aménagement des pièces, si nous nous mettons d'accord ? Je préférerais m'installer en bas, et je voudrais pouvoir transformer le bureau en chambre pour Toby. Il fait assez souvent des cauchemars et je souhaite être à portée de voix.

— Bien sûr. Vous pourrez descendre un lit de l'étage. — Fantastique. — Vous savez quoi ? dit-elle avec un sourire chaleureux. Je crois

qu'on va pouvoir se mettre d'accord. Elle le fixait de ses grands yeux lumineux, un coude appuyé sur la

table, le menton posé sur sa main. Il eut comme une illumination. Cette grande photo vue dans un magazine : une femme merveilleusement belle aux cheveux roux sombre, assise derrière une table, le menton dans la main, un sourire sur ses lèvres sensuelles — le regard du mannequin avait jailli du papier glacé pour happer le sien. Elle avait de grands yeux noisette très doux, exactement comme ceux de la femme assise en face de lui. Sous la photo, un slogan très familier : « Avec Fortune Cosmetics votre fortune devient votre visage — maintenant et pour toujours. »

— Vous êtes... Natalie Fortune ? s'écria-t-il. Vous avez bien dit que votre grand-mère s'appelait Kate ? C'était Kate Fortune ?

Elle soupira. — Ça finit toujours par se savoir. — La Kate Fortune ? De Fortune Cosmetics ? — C'est ça. — Vous savez que vous ressemblez un peu à... — Allison Fortune. Je sais, oui. En parlant du fameux top model, figure emblématique de la marque

familiale, elle prit un air un peu las et résigné. — C'est ma sœur, ajouta-t-elle. D'ailleurs elle s'appelle Stone,

maintenant. Ali Stone. Elle n'avait visiblement pas très envie de parler de sa famille et il

regretta d'avoir abordé le sujet. Il se souvenait maintenant que Kate Fortune avait trouvé la mort quelques mois auparavant, un an peut-être. L'avion qu'elle pilotait s'était abattu dans la jungle en Amazonie ; d'après la presse, le corps de la vieille dame était carbonisé, méconnaissable...

— Si vous décidiez de prendre la maison, reprit Natalie avec un peu de raideur, vous n'auriez pas à vous préoccuper de l'entretien du jardin. Les jardiniers du domaine de mes parents, de l'autre côté du lac,

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s'occupent de tout. Il y a aussi une dame qui vient toutes les semaines pour faire le ménage.

— Parfait. Elle baissa les yeux et se mit à contempler ses mains, nouées sur le

rebord de la table. — Il y a un problème ? demanda-t-il, surpris. Elle leva la tête et il vit qu'elle se mordillait la lèvre d'un air indécis. — Allez-y, suggéra-t-il cordialement. Je suis capable d'encaisser

beaucoup de choses. Elle eut un petit rire. — Je ne sais pas très bien comment vous dire ça... — Alors dites-le, c'est tout. — Très bien. Il y a une condition, si la maison vous intéresse. — Laquelle ? — Il faudrait vous occuper de Bernie pendant votre séjour. Là, elle l'avait vraiment pris au dépourvu. — Vous voulez que je m'occupe de votre chien ? Elle rougit. — Je sais, c'est idiot, mais Bernie est indissociable de la maison. — Mais pourquoi ? Elle détourna la tête. — Il tient beaucoup à rester ici... Elle n'avait visiblement pas envie de lui en dire plus. Il réfléchit à ce

qu'elle demandait. Tout à l'heure, Toby avait eu l'air heureux, planté sur le seuil, la main sur le cou de l'animal. Et puis, avec ce grand terrain, ils ne se sentiraient pas à l'étroit, même avec un très gros chien. Ce serait bon pour le gamin d'avoir un compagnon de jeux.

La jeune femme s'était lancée dans des explications un peu embarrassées.

— Voilà, je loue la maison pendant mes vacances. Je partirai le 28 juillet pour rentrer fin août, juste à temps pour préparer la rentrée. Si vous vouliez commencer votre séjour plus tôt, je pourrais m'installer de l'autre côté du lac, dans notre maison de famille. Mes parents sont séparés et mon père vit seul là-bas en ce moment. Il serait content de m'avoir.

Ses grands yeux se voilèrent un peu et il se demanda s'il y avait aussi une difficulté pour elle de ce côté-là.

Les Fortune étaient ce qu'on appelle une grande famille — riche, puissante, parfois tapageuse. Depuis la mort de Kate Fortune, on Usait souvent leur nom dans les journaux. A en croire la presse, les actions étaient même en chute libre. Il y avait aussi cette histoire de prétendu

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héritier, un enfant disparu qui avait brusquement refait surface, sans parler du tout dernier scandale : le matin même, Rick avait parcouru un article du Star Tribune dans lequel il avait beaucoup été question de Jake Fortune, P.-D.G. du groupe. Un article très hostile, il s'en souvenait maintenant. Ce Jake était-il le père de Natalie ? Ce ne serait pas surprenant, dans ce cas, qu'elle s'inquiète pour lui.

Il étudia la femme assise en face de lui en pensant combien c'était curieux qu'ils se croisent de cette façon alors qu'ils venaient d'horizons aussi différents. Né dans une famille ouvrière, parti de rien, décidé à faire quelque chose de sa vie, il avait travaillé d'arrache-pied pour réussir à s'imposer dans sa profession. D'ailleurs, la perspective de cet été en tête à tête avec son pauvre petit Toby l'effrayait un peu. Il n'avait jamais pris de véritables vacances, sa carrière étant toujours passée avant tout le reste. De plus, il connaissait mal les enfants, ne savait jamais comment ils allaient réagir. Que se passerait-il s'il ratait cette tentative, si Toby se murait encore plus solidement dans son refus du monde ?

Pourtant, tout à l'heure, il avait vu de ses propres yeux qu'on pouvait communiquer avec son petit garçon. Natalie Fortune avait établi le contact dès le premier sourire.

Il s'aperçut subitement qu'elle le regardait avec inquiétude, et comprit qu'il l'avait mise mal à l'aise avec ce long silence.

— Monsieur Dalton ? — Appelez-moi Rick, je vous en prie, corrigea-t-il machinalement. — Il y a un problème ? — Non. Aucun problème. L'arrangement a l'air parfait. Au fond, je

serai ravi de m'occuper du chien. J'arriverai dans une quinzaine de jours, le temps de finir d'organiser mon absence et de mettre mes affaires à jour. Si c'est possible, j'aimerais emménager le 12 juillet et rester jusqu'au 31 août. Ne vous donnez pas la peine de déménager de l'autre côté du lac à moins que vous n'en ayez vraiment envie. La maison est grande et vous pouvez parfaitement rester ici jusqu'à votre départ.

Elle lui lança un sourire qui lui coupa le souffle. — Ouf ! J'ai cru pendant un moment que vous cherchiez un moyen de

me dire poliment que ce n'était pas du tout ce que vous cherchiez. — Bien sûr que non ! C'est exactement ce que nous cherchons. — Bien ! Parce que vous et Toby, vous êtes exactement ce que nous

cherchions, nous aussi. Bernie va être si content ! — Bernie va être content ?

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Elle leva les yeux au ciel, secoua la tête et sembla prendre une décision.

— Je ne comptais pas vous en parler. — Me parler de quoi ? — Vous allez trouver ça bizarre. — Quoi donc ? Elle secoua encore ses épaules couvertes de brillants. — Très bien. Voilà la situation. Bernie était à ma grand-mère. Elle me

l'a légué en même temps que cette maison, en stipulant dans son testament que Bernie devrait toujours habiter ici. Et aussi que, tant que je ne serais pas mariée, la maison devrait toujours être occupée.

Rick comprit soudain pourquoi cette femme vraisemblablement très riche tenait tant à louer sa maison pendant son absence, et aussi pourquoi elle avait semblé si mal à l'aise en lui demandant de prendre le chien en charge. Sans réfléchir, il demanda :

— Mais qu'est-ce que votre mariage a à voir... Elle portait autour du cou une chaîne d'or très fine avec un pendentif

en forme de bouton de rose. Sa main se referma autour du collier. — Aucune idée. Si ma grand mère était en vie, je lui poserais la même

question... Rick secoua la tête. Les lubies des grands de ce monde étaient

souvent aussi gratuites que saugrenues. Aussi, pour l'heure préférait-il s'en tenir à la question qui les préoccupait.

— Vous ne m'avez pas parlé du prix de la location. Elle proposa un chiffre et il abattit joyeusement sa main sur le

plateau de la table. — Marché conclu. C'est plus que raisonnable ! s'écria-t-il. — Très bien ! Je vais chercher un formulaire, dit-elle en sautant sur

ses pieds. C'est seulement une formalité : en ce qui me concerne, si vous voulez la maison du 12 juillet au 31 août, elle est à vous.

— Je la veux. Elle lui apporta un contrat et alla retrouver Toby et le chien dans le

salon pendant qu'il le remplissait. — Vous avez terminé ? Il sortit de sa rêverie et la vit plantée sur le seuil, toujours vêtue de

son incroyable robe rétro, Toby et Bernie à côté d'elle. — Terminé, répondit-il en souriant. — Alors laissez ces paperasses et venez. Je veux vous montrer le Lady

Kate. Ils sortirent tous ensemble. Devant la maison, une large pelouse

descendait en pente douce vers le lac. Natalie les entraîna sur une petite

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jetée et leur ouvrit la porte d'un hangar à bateaux fraîchement repeint. Le voilier mentionné dans l'annonce était amarré à côté d'un hors-bord beaucoup plus petit.

— Le Lady Kate, annonça-t-elle avec un geste triomphal. L'un des jouets préférés de mon grand-père. Mamie Kate aimait la vitesse et l'aventure mais mon grand-père avait une nature beaucoup plus contemplative. Lui, son grand plaisir était de passer des journées entières sur le lac avec sa canne à pêche. Quelquefois, il m'emmenait avec lui. Quelquefois, aussi, il embarquait toute la famille, mon père, ma mère, mon frère et mes sœurs. On passait toute la nuit sur l'eau.

Son rire charmant éclata de nouveau. — Ce n'était pas vraiment ce qu'on peut appeler des nuits à la dure :

vous verrez comme il est confortable, ce bateau ! En tout cas, il est à votre disposition pendant votre séjour.

Il plongea son regard dans les immenses yeux rieurs et un éclair de désir le transperça. Cette réaction le stupéfia. Il se méfiait tellement des femmes depuis la débâcle avec Vanessa ! Or voilà que celle-ci entrait dans son cœur comme chez elle, comme si toutes les barrières qu'il avait dressées ne la concernaient pas.

Toby, qui tenait la main de Natalie, se dirigea subitement vers la porte du hangar. Le gros chien bouscula légèrement Rick au passage et ils suivirent tous le petit garçon dehors. Le vent fronçait la surface du lac, des vaguelettes bruissaient contre les supports de la jetée. Au loin, le cri sauvage d'un plongeur troua le silence de ce paisible après-midi d'été.

Brusquement, Rick eut envie de rester ici pour toujours. De planter là le cabinet d'architecture dans lequel il travaillait comme un possédé depuis près de dix ans. De tout abandonner, disparaître et venir s'installer pour toujours dans cette jolie maison, près du lac, avec le fils qu'il venait de voir sourire pour la première fois, ce grand chien si gentil et cette femme adorable qui chantait des chansons de Janis Joplin avec un abat-jour sur la tête.

Un rêve impossible, bien sûr — mais il aurait tout de même droit à six semaines au paradis. Il suffisait d'attendre encore quinze jours.

Il se pencha vers son fils pour lui sourire. — Viens, dit-il. On va rentrer à la maison tout préparer, et puis on va

revenir ici.

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2.

Natalie regarda s'éloigner la voiture de ses nouveaux locataires en agitant la main avec enthousiasme. Bernie, ravi, gambadait en rond autour d'elle. Elle se laissa tomber à genoux et pétrit affectueusement la fourrure épaisse de son cou.

— Ils te plaisent, hein, mon grand ? Bernie lui lança un grand coup de langue qu'elle esquiva en riant.

Quel soulagement ! Dans la seule journée d'hier, elle avait montré la maison à cinq personnes sans réussir à se mettre d'accord avec aucune. Maintenant, elle pouvait souffler. Les Dalton étaient parfaits, pour la maison et pour Bernie. Le petit garçon aux yeux tristes était adorable et son père semblait prêt à prendre soin de la maison et du chien comme s'ils étaient à lui. Un homme charmant et quel physique ! Elle craquerait facilement pour un sourire aussi chaleureux. Dire qu'elle allait habiter avec eux pendant deux semaines !

Qu'est-ce qui lui prenait ? Ses pensées s'engageaient sur une pente dangereuse ! Elle se remit sur pied avec un petit grognement mécontent. Il n'y avait que dans ses rêves les plus fleur bleue qu'un homme comme Rick Dalton pourrait s'intéresser à une femme comme elle. Dans la réalité, elle était bien trop quelconque pour lui et, de toute façon, il allait être bien trop occupé avec son petit garçon. La dernière chose qu'il chercherait serait un amour de vacances.

D'ailleurs, elle non plus ne cherchait pas ce genre de relation — sauf peut-être plus tard, pendant sa croisière, quand elle aurait réussi à changer de peau, quand elle serait prête à rencontrer quelqu'un d'exotique, de vraiment différent. Alors là, elle s'autoriserait peut-être un peu de légèreté amoureuse. D'accord, elle n'avait jamais été très

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portée sur la légèreté en amour, mais... il fallait bien une première fois pour tout.

— Allez, viens, Bernie. Elle se dirigeait vers la maison, perdue dans une rêverie assez

morose, quand elle entendit sonner le téléphone. Oubliant qu'elle portait toujours les escarpins de Kate, elle se mit à courir et faillit se tordre une cheville sur les marches du perron.

Elle entra dans la maison en trombe, décrocha juste avant le répondeur du bureau — mais quand elle entendit la voix à l'autre bout du fil, elle regretta de s'être tant dépêchée.

— Eh bien, tu y as mis le temps ! Joel Baines. Pendant cinq ans, elle s'était consacrée à lui exclusivement et, un

mois plus tôt, il lui avait annoncé que tout était fini entre eux. Effondrée, elle avait commencé par s'enfermer chez elle, errant d'une pièce à l'autre en robe de chambre, en proie à des crises de larmes subites. Tout était sa faute, bien sûr, se disait-elle : elle n'avait pas su le satisfaire, pas su garder son homme, elle ne valait rien... Mais, un beau matin, prise d'une colère salutaire, elle avait brusquement regardé les choses en face. En fait, Joel lui rendait un grand service en la quittant, et elle aurait dû se débarrasser de lui depuis longtemps ! Car, en réalité, il était sortie avec elle pour deux raisons : d'abord parce que c'était valorisant pour lui d'avoir une Fortune à son bras ; ensuite, parce qu'elle se montrait totalement et infiniment disponible — toujours là quand il avait besoin d'elle, toujours prête à faire les choses à sa façon. Il suffisait de repenser aux heures entières qu'elle avait passées à l'écouter narrer ses états d'âme...

Elle s'était sentie guérie d'un seul coup. Ou plutôt... guérie de son attachement pour Joel, mais pas de l'humiliation d'avoir accepté une telle situation si longtemps pour être ensuite jetée comme une vieille casserole. Cela, elle mettrait un certain temps à s'en remettre.

Malheureusement, depuis quelques jours, Joel commençait à regretter d'avoir rompu.

— Joel, je t'ai demandé de ne plus me téléphoner. — Mais, écoute... — Non, écoute, toi : Ne-me-té-lé-pho-ne-plus. — Natalie, j'ai été stupide. — Ce n'est pas moi qui vais te contredire. Il avait rompu sans le moindre égard, en lui apprenant incidemment

qu'il la trompait depuis un certain temps avec « une bonne copine ».

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— Je n'aurais jamais dû te parler de mes petites erreurs. Je le comprends maintenant.

— Je ne veux pas parler de tout ça. Je ne veux pas te parler, point. — Je t'aime, Natalie. Il y a un grand vide dans ma vie depuis que tu

n'es plus là. Si tu voulais seulement... — Au revoir, Joel. Elle raccrocha fermement et, pendant un instant, se sentit

merveilleusement bien. Dorénavant, elle ne se laisserait jamais plus marcher sur les pieds. Au fond, ce n'était pas très compliqué : il suffisait de fixer des limites ! A présent, elle se sentait libre et forte, capable de tout affronter... jusqu'au moment où elle se retourna pour fermer la porte, et vit la Mercedes blanche de sa mère arriver à toute allure le long de l'allée.

Elle soupira et sortit à sa rencontre. La voiture vira sèchement, s'arrêta pile dans une gerbe de gravier et

Erica Fortune émergea de la voiture. Elle portait un merveilleux tailleur de lin blanc qui aurait dû être complètement froissé — mais même le lin ne se fripait jamais sur cette femme exquise.

— Oh, Nat, tu es là. Je craignais... — Quelque chose ne va pas, maman ? D'un geste désemparé, Erica passa une main fine et soignée sur ses

cheveux cendrés et l'énorme émeraude à son doigt lança un éclair. La bague avait exactement la nuance de ses yeux.

— Tiens ! Regarde ! Natalie vint prendre le journal qu'elle lui tendait. — En bas de la page, murmura Erica. La jeune femme retourna le journal et découvrit le visage fin et

austère de son père, sous un gros titre : « Nouveau scandale dans le groupe Fortune. »

— J'ai besoin... de parler à quelqu'un, dit Erica d'une voix misérable. Près d'elle, Bernie attendait patiemment qu'elle veuille bien

s'apercevoir de sa présence. Elle lui tapota machinalement la tête et gémit :

— Oh, Nat, si seulement je comprenais ce qui se passe. Mais qu'est-ce qu'il a en tête, pourquoi est-ce qu'il ne veut rien nous dire ? Tu sais ce que raconte cet article ?

Natalie secoua la tête. — Il accuse ouvertement ton père de chercher à saboter le groupe. Il y

a tout un paragraphe sur la folie qu'il a faite en vendant ses actions personnelles à cette... Monica Malone.

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Monica Malone avait été la première à prêter sa beauté à Fortune Cosmetics. Pendant des années, le célèbre mannequin avait incarné la gamme prestigieuse des produits de beauté. Plus tard, Erica avait pris la relève, pour laisser ensuite la place à sa fille Ali. Le règne de Monica remontait donc à plusieurs décennies mais, en son temps, elle avait incarné à la perfection cet idéal de beauté féminine, tout en menant en parallèle une grande carrière au cinéma. La famille tout entière détestait cette femme qui semblait toujours rôder en marge de leur vie en ourdissant des complots obscurs. Depuis quelque temps — et notamment la mort de Kate —, la tension avait beaucoup augmenté. Monica rachetait systématiquement les actions du groupe, partout où elle en trouvait, et son poids relatif au sein du groupe n'avait cessé de grandir. Aussi cela avait-il fait l'effet d'une véritable bombe quand, six mois plus tôt, on avait appris que Jake Fortune en personne avait accepté de lui céder la quasi-intégralité de ses propres parts. Personne n'y comprenait rien et il refusait catégoriquement d'expliquer les raisons de son acte.

— Et ce n'est pas tout ! s'écria Erica. Ils ressortent toutes les autres histoires. Tout y passe : les incendies au laboratoire, les menaces contre Ali, les cambriolages du siège de la compagnie. Si tu tournes la page, tu auras même droit à un graphique montrant la chute des actions du groupe. Et, bien sûr, ils mettent tout sur le dos de Jake. Il faut dire que son attitude est inexplicable. Qu'est-ce qui lui a pris ? Lui qui a toujours défendu les intérêts de la famille !

Natalie s'abstint de répondre avant d'avoir parcouru l'article. Puis elle leva les yeux et dit sans emphase :

— Je ne vois rien de nouveau, c'est la même chose que d'habitude. Erica eut un petit reniflement dédaigneux. — Oui, mais maintenant tout le monde est au courant. Tu te rends

compte ? En première page de l'édition du dimanche ! Natalie prit le temps de choisir sa phrase et demanda : — Maman, qu'est-ce que tu comptes faire ? — Que veux-tu dire ? — Je veux dire : tu comptes aller voir papa ? — Non, non. Je ne peux pas faire ça. Tu sais bien que je ne peux pas.

C'est tout juste si on s'adresse la parole. — Alors c'est probablement inutile de te mettre dans tous tes états. Erica secoua la tête. — Je ne peux pas m'en empêcher. Ça fait très longtemps que je suis

en colère contre ton père mais, ces derniers temps, je... Nat, une femme

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ne peut pas tirer un trait du jour au lendemain sur l'homme avec lequel elle a passé trente ans de sa vie.

Sans se risquer à le suggérer ouvertement, Natalie croyait comprendre le problème. En fait, Erica aimait toujours Jake, et Jake l'aimait toujours aussi. Quand donc auraient-ils le courage de l'admettre et de chercher ensemble à résoudre leurs problèmes ? Au fond, ils mouraient d'envie de se retrouver !

En tout cas, elle ne se laisserait pas entraîner dans un nouveau drame familial. Cela faisait trop longtemps qu'elle servait de nounou et de père confesseur à toute la famille, sans compter son ex-petit ami. Mais elle avait changé. Tout serait différent maintenant:

— Nat... — Oui ? — Tu sais, s'il y a une personne qui pourrait lui faire entendre raison,

c'est bien toi. Tu as la tête sur les épaulés et tu sais toujours ce qu'il faut dire pour que les gens aient envie de se confier. Avec toi, on déballe tout!

Natalie réprima une grimace et croisa résolument le magnifique regard vert de sa mère.

— Maman, nous avons déjà parlé de ça. C'est terminé pour moi, je ne veux plus faire la navette entre vous. Je ne veux plus chercher à raccommoder le monde entier.

Dans les grands arbres derrière la maison, un oiseau lança un trille joyeux, puis le silence retomba. Enfin, Erica hocha la tête.

— Oui. Tu as raison. Je sais bien que tu as raison. Malgré sa détermination de ne pas se laisser fléchir, Natalie en eut le cœur serré. Il y avait toujours eu chez sa mère un

côté insatisfait, comme si malgré la richesse et la gloire, l'essentiel lui avait glissé entre les doigts. Le monde ne voyait que son masque de princesse de glace, superbe, lointain et admirablement contrôlé — mais la cadette de ses filles avait toujours eu conscience de son bouillonnement intérieur. Ces derniers temps, notamment, le masque se fissurait de plus en plus...

Oubliant toutes ses résolutions, Natalie passa le bras autour des épaules minces et droites de sa mère.

— Qu'est-ce qu'on fait à discuter sur le pas de la porte ? Viens, j'ai du thé glacé tout prêt.

— Tu me sauves la vie ! s'écria Erica en s'animant un peu. Si on pouvait juste s'asseoir et bavarder un peu, je suis sûre que je me sentirais mieux.

— Alors c'est exactement ce qu'on va faire. Viens.

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La visiteuse sembla brusquement remarquer la tenue de Natalie. Elle s'écarta un peu, pencha la tête sur le côté et s'exclama :

— Mais... à quoi est-ce que tu joues ? — Je me déguise, répondit Natalie, ravie de passer à un sujet plus gai. Elle pivota sur elle-même en minaudant. — Alors, j'ai l'air fabuleuse ou pas ? — Pas, grogna Erica. Natalie secoua ses épaules, ondula des hanches et les brillants de sa

robe lancèrent mille feux. — Tu es jalouse, c'est tout. Vous autres, les grandes élégantes, vous

n'en avez que pour la sobriété, la pureté de la ligne. Vous n'avez jamais l'occasion de porter des robes aussi rigolotes.

Erica pencha sa tête blonde sur le côté d'un air critique. — Tu sais, il y a cinquante ans, ça devait être une merveille. — Même aujourd'hui, j'adore. — Où l'as-tu trouvée ? — Dans une malle, au grenier. Erica éclata de rire, puis réfléchit un instant. — Elle n'était pas à Kate, décida-t-elle. Trop voyante. — C'est ce que je me suis dit aussi. Encore que. Il y avait peut-être des

côtés chez elle qui nous auraient surprises. En tout cas, je n'ai pas pu m'empêcher de l'essayer.

Le sourire des deux femmes s'effaça d'un seul coup et Natalie se sentit redevenir une petite fille qui se tourne vers sa mère quand elle a du chagrin.

— Elle me manque, tu sais. Pour une fois, ce fut Erica qui entoura sa fille de ses bras pour la

consoler. — Elle nous manque à tous, ma pauvre chérie. — C'est comme si le monde entier était devenu fou depuis qu'on ne l'a

plus. — C'est vrai. C'est exactement ça. — Je ne peux pas m'empêcher de penser que si elle était là, tout

reprendrait sa place. Elle aurait vite fait de remettre de l'ordre dans cette famille de fous. Elle tirerait au clair tout de suite ce... problème avec papa, et elle nous débarrasserait de la mère Monica. Et puis, elle saurait tout de suite, elle, si Tracey Ducet est sa fille ou un escroc comme on le pense tous.

Tout récemment, en effet, la dénommée Tracey venait de se présenter à la famille en affirmant être l'enfant de Ben et de Kate kidnappé au berceau. Son histoire aurait sans doute paru tout à fait

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invraisemblable si elle n'avait été le véritable sosie de Lindsay, la tante de Natalie, de qui elle était censée être la jumelle. Un fait d'autant plus troublant qu'un bébé avait effectivement été enlevé à Kate, peu de temps après sa naissance et, si elle disait vrai, elle pouvait réclamer une part considérable des biens des Fortune. Sterling Foster, depuis toujours le conseiller juridique de la famille, avait tout mis en œuvre pour découvrir la vérité. Persuadé qu'il s'agissait d'une imposture, il n'avait cependant pas encore réussi à le prouver. Car, pour corser encore l'affaire, des pièces semblaient avoir mystérieusement disparu du dossier que le FBI avait constitué à l'époque.

— Mais Kate n'est pas là, dit tristement Erica. Il faut bien l'accepter et essayer de nous débrouiller sans elle.

Appuyée contre sa mère, Natalie chercha à tâtons le pendentif à son cou. Kate avait laissé un porte-bonheur différent à chacun de ses enfants et petits-enfants, et Natalie avait eu le bouton de rose.

— Maman ? — Hmm ? — Tu sais, j'ai quelquefois l'impression qu'elle ne nous a pas vraiment

quittés. Tu comprends ce que je veux dire ? Comme si elle nous surveillait. Comme si elle s'employait toujours à faire en sorte que rien de grave ne puisse arriver à l'un de nous.

— Oh, Nat, murmura Erica avec tendresse. Tu as toujours été la plus sentimentale de mes bébés.

— Je sais, ça a l'air idiot. Mais il y a des moments, je t'assure... Erica fit un petit bruit réconfortant et l'écarta d'elle avec un sourire. — Allez, et ce thé glacé ? Je crois que tu en as bien besoin aussi. La mère et la fille remontèrent l'allée de rosiers, la main dans la

main, sans remarquer que Bernie ne les suivait pas. Le grand chien était descendu se poster sur la jetée. Pendant tout le temps que Natalie et sa mère bavardèrent sous la véranda, Bernie resta posé sur son arrière- train au bout de la jetée, contemplant au loin un bateau à l'auvent rayé bleu et blanc qui croisait lentement au large.

— C'est de la folie pure et simple, Kate, et vous le savez aussi bien

que moi. Sterling Foster lâcha le gouvernail et alla se planter à la proue du

bateau, en plein soleil. Sans rien dire, Kate le regarda faire un effort pour maîtriser son irritation. Un bel homme, pensa-t-elle, toujours aussi grand et mince. L'âge — il devait avoir dans les soixante-cinq ans — n'avait fait qu'augmenter sa prestance, et ses cheveux blancs

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n'avaient rien perdu de leur épaisseur. Kate avait toujours eu beaucoup d'affection pour lui et aussi une admiration sincère ; il était son meilleur et son plus ancien ami. Au cours des dix-huit derniers mois qui avaient suivi l'accident d'avion, il était même devenu plus que cela. Quoi donc ? Elle refusait d'y penser pour le moment. Certaines choses allaient devoir attendre que la situation soit tirée au clair.

Elle n'avait jamais prévu de rester « morte » aussi longtemps ! Et pourtant, comment refaire surface sans redevenir instantanément une cible à abattre, sans compromettre tout ce qu'elle avait accompli dans l'ombre jusqu'ici ?

Sterling se retourna d'un mouvement impatient et braqua sur elle son regard très bleu.

— Vous ne passez pas inaperçue, Kate. — Merci, Sterling, dit-elle ingénument. — Il faudrait plus que des lunettes de soleil et un grand chapeau pour

empêcher un de vos proches de vous reconnaître. Kate abaissa ses énormes lunettes de soleil sur son nez et lui adressa

un petit sourire de sous son large chapeau de paille. — Ne vous fâchez pas, Sterling. Il poussa un grognement excédé. — Dire que j'admirais autrefois votre réalisme ! Réfléchissez donc un

peu ! Vous avez vécu ici de longues années, la population entière de Travistown vous connaît. D'un moment à l'autre, nous pouvons très bien passer à proximité d'un bateau rempli de gens susceptibles de vous reconnaître.

Kate se contenta de hausser très légèrement les épaules en se détournant, le regard au loin. Quand elle faisait cela, on se sentait brusquement rayé de la carte, et cette arme lui avait beaucoup servi tout au long de sa carrière. « L'audience est close », avait alors coutume de dire Sterling à qui elle n'infligeait pourtant que très rarement ce traitement.

Silencieuse, elle se remit à contempler l'ancienne maison où Ben et elle avaient été si heureux, tant d'années auparavant. Depuis près d'une heure, son cher Bernie restait assis sans bouger au bout de la jetée. Cela lui serrait le cœur de le voir attendre là si patiemment, mais ce n'était pas encore aujourd'hui qu'il pourrait revoir sa vieille maîtresse.

Et Natalie, comment allait-elle ? Depuis la « mort » de Kate, plusieurs membres de la famille avaient trouvé le bonheur. En travaillant dans l'ombre, Kate s'était offert le luxe d'opérer quelques rapprochements, d'aider un peu le destin. Cela faisait quelques semaines maintenant que ses pensées se tournaient vers Natalie.

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Sterling, qui jouait en permanence les agents de liaison avec ses enfants et petits-enfants, lui avait appris qu'elle ne sortait plus avec Joel Baines. Une excellente nouvelle ! Kate avait rencontré Joel plusieurs fois et le garçon ne lui avait jamais plu. Maintenant, Natalie pourrait peut-être trouver un homme qui la mériterait !

La voix de Sterling interrompit ses pensées. — Kate, ne me faites pas le coup du silence. Vous avez décidé vous-

même que vous pourriez accomplir plus de choses en coulisses que sous les feux des projecteurs. Vous vouliez découvrir qui cherche à nuire à la famille. Si vous vous laissez reconnaître maintenant...

Cette fois, Kate consentit à lui répondre. — Je sais, Sterling, vous avez parfaitement raison. Ce serait une très

mauvaise chose qu'on apprenne que je suis encore en vie. Mais personne ne me reconnaîtra.

Un juron étouffé échappa à l'avocat et elle sourit. — Essayez de comprendre. J'avais besoin de venir ici aujourd'hui.

Une si grande partie de ma vie s'est déroulée sur ces lieux... Elle se tourna vers l'immense propriété que Ben et elle avaient créée

à partir de rien, aux temps euphoriques de leurs premiers grands succès. D'ici, on devinait à peine la maison entre les arbres, mais elle la voyait si clairement en pensée, fière et imposante avec son perron à colonnades et ses grandes salles aux plafonds peints. Autrefois, malgré son opulence, cette maison avait été son foyer.

Maintenant, c'était la maison de Jake, et il y vivait seul. — Kate ? murmura Sterling avec une douceur inhabituelle. — Pardonnez-moi. Je pensais... Les pensées de Sterling avaient visiblement suivi le même cours que

les siennes. — La réaction de Jake nous pose effectivement un problème,

murmura-t-il. Si on ne règle pas cette question des actions, il va mettre en péril tout ce que Ben et vous avez construit.

Kate leva la main pour l'interrompre. — Pas maintenant, je vous en prie... Une dernière fois elle se retourna pour contempler la plus petite des

deux maisons où vivait désormais Natalie. Son Bernie au grand cœur était toujours là, à l'attendre...

— Qu'est-ce que tu fabriques, mon grand ? Je t'ai cherché partout ! Le chien leva la tête, gémit un peu et se retourna vers le large.

Etonnée, Natalie mit la main en visière au-dessus de ses yeux. Il n'y

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avait rien sur le lac à part, assez loin au large, un bateau immobile. Elle reconnaissait l'un des bateaux de louage qu'on trouvait au petit port de Travis- Town. Elle tapota gentiment le flanc de Bernie.

— Désolée, mon gros, on ne les connaît pas. Viens, on rentre. Je veux enlever cette robe et essayer de remonter la malle au grenier.

Elle se dirigeait déjà vers la maison quand elle s'aperçut que le chien ne la suivait pas. Un peu agacée, elle s'appliqua une claque sonore sur la jambe en lançant :

— Viens ! Avec un dernier regard triste vers le large, le grand chien obéit. — Regardez, Sterling, c'est Natalie ! Vite, Kate saisit les jumelles posées sur le siège près d'elle. — Oh ! On dirait... Si vous la voyiez, Sterling ! Kate se mit à rire. Elle reconnaissait parfaitement la robe couverte de

strass et les escarpins assortis, déjà démodés depuis longtemps, qu'elle avait achetés pour un bal costumé, vingt ans plus tôt.

Côte à côte, les silhouettes lointaines de la jeune femme et du grand chien se dirigeaient vers la maison.

— Elle a besoin d'amour, dit Kate fermement, les jumelles toujours rivées à ses yeux. Un amour véritable, avec un homme qui saura enfin lui donner ce qu'elle a toujours donné aux autres. C'est pour ça que je lui ai laissé cette maison. Ben et moi avons été si heureux là- bas ! Ce serait bien le diable qu'elle n'y trouve pas aussi le bonheur. Bernie l'aidera, ce chien a un flair infaillible pour juger les gens. Il n'a jamais aimé ce Joel Baines.

Elle rit encore, un rire très jeune et très joyeux. — Vous vous souvenez de la première fois où Natalie l'a amené à la

grande maison pour nous le présenter ? Bernie l'a poursuivi jusque dans l'office. Il s'est barricadé à l'intérieur, et on a mis un bon quart d'heure à comprendre où il était passé !

En face d'elle, Sterling essayait de ne pas sourire. — Je ne me souviens pas de ça, dit-il sévèrement. — Oh, que si ! Vous étiez avec nous, ce soir-là, et vous faisiez même

de gros efforts pour ne pas rire. En tout cas, ce qui compte, c'est que Natalie est libre maintenant. Libre de rencontrer un homme qui saura passer sa vie à lui montrer combien il l'aime.

Sterling prit son air le plus désapprobateur.

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— Sérieusement, Kate, vous ne croyez pas que vous allez un peu loin ? Ma parole, vous êtes en train de vous recycler dans le métier de marieuse...

— Et puis après ? Voyez-vous, Sterling, cette longue retraite m'a au moins appris une chose : on est toujours trop timoré dans notre recherche du bonheur. Et c'est pourtant la seule chose qui compte !

Sterling ne semblait pas convaincu : — Mais pourquoi lui imposer tant de contraintes ? Tout ce dispositif

stipulant que le chien doit rester sur place, que la maison doit toujours être habitée jusqu'à son mariage ?

L'air très satisfaite d'elle-même, Kate lissa son pantalon de soie. — Oh, je n'avais pas l'intention de mourir avant un certain temps, et

vous savez comme j'adore peaufiner mes testaments ! Sur le moment, j'ai trouvé ces conditions plutôt amusantes.

— Vous lui avez compliqué la vie, voilà tout. Chaque fois que la pauvre petite a besoin de s'absenter, elle doit remuer ciel et terre afin de trouver quelqu'un pour occuper la maison.

— Elle s'en est plutôt bien sortie jusqu'ici, non ? murmura Kate avec un petit rire. Dites, je tiens vraiment à être au courant de tout. Vous garderez le contact avec elle et vous viendrez me raconter, n'est-ce pas ?

— C'est ce que je fais toujours...

* * *

Le lendemain, Natalie était en train de cueillir des roses pour le salon

quand Sterling Foster passa lui rendre visite à l'improviste. Depuis son enfance, l'avocat faisait quasiment partie de la famille et elle l'embrassa chaleureusement avant de l'entraîner vers la maison.

— Qu'est-ce que tu deviens ? demanda-t-il affectueusement en acceptant le verre qu'elle lui proposait.

Elle lui raconta ses projets de croisière et il approuva chaleureusement.

— Tout de même, n'oublie pas que selon le testament de ta grand-mère...

— Je n'ai pas oublié ! J'ai même trouvé des locataires fantastiques. Je n'aurais pas pu rêver mieux. Ils emménagent le 12, un peu avant mon départ, mais Rick dit que ça ne l'ennuie pas du tout que je reste ici au début de leur séjour.

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— Rick ? — Oui, Eric Dalton. Il est architecte chez Langley, Bates et Shears à

Minneapolis. Son petit garçon s'appelle Toby. — Tu lui as fait signer un contrat de location ? — Oui, bien sûr, dit-elle avec un sourire moqueur. Et j'ai même relu

ce qu'il avait écrit. C'est comme ça que j'ai appris qu'il était architecte. — Autrement dit, tu ne comptes pas vérifier ses dires. — Inutile. Je me fie à mon intuition, Sterling. Il la regarda quelques instants sans répondre, puis demanda : — Je peux jeter un coup d'œil ? — Oh... — Fais confiance à ton intuition, si tu veux, mais laisse-moi faire mon

travail en me renseignant un peu. Elle hésita un instant. Elle n'avait aucun doute. A ses yeux, Rick était

vraiment le locataire idéal — mais n'avait-elle pas cru, aussi, que Joel Baines était l'homme idéal ?

— Bon, d'accord. Elle passa dans le bureau et revint avec le formulaire rempli par

Rick. — Si quelque chose ne va pas, il faudra me le dire très vite. — C'est promis.

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3.

De l'autre côté du battant fermé à clé, la sonnerie stridente du téléphone résonnait. Malgré son chargement — plusieurs gros sacs frappés aux chiffres des boutiques les plus chics de Minneapolis — Natalie réussit à déverrouiller la petite porte de la cuisine et à se précipiter à l'intérieur. Elle laissa tomber ses paquets et décrocha en se disant que si Joel venait encore la tourmenter... Elle lança un « allô » crispé, puis se détendit tout de suite en reconnaissant la voix de Sterling. Il appelait pour la prévenir que ses recherches sur Rick Dalton n'avaient rien révélé de négatif.

— Il était temps de me le dire ! Ils emménagent dans deux jours. — Désolé. Je voulais faire les choses à fond. — Comme toujours. — Il n'y a aucun problème. Je suis sûr qu'il fera un locataire

exemplaire. — C'est ce que je vous ai dit, il y a une semaine. — D'accord, encore un point pour l'intuition. C'est tout de même

agréable de savoir que les faits te donnent raison, non ? — Oui. En tout cas, merci de prendre ainsi soin de nous. Il lui fit promettre de déjeuner avec lui, avant de partir pour sa

croisière, et ils se quittèrent. Elle s'apprêtait à déballer avec gourmandise ses somptueux achats —

de quoi se montrer à la hauteur de quelque chevalier servant rencontré entre la Grèce et Le Caire — quand le téléphone sonna de nouveau. Elle décrocha machinalement, et la voix redoutée retentit aussitôt à son oreille.

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— Natalie. J'ai téléphoné il y a trente secondes, c'était occupé. — Laisse tomber, Joel. — Il faut qu'on parle. — On n'a rien à se dire. Au revoir. Il la suppliait encore de lui parler quand elle raccrocha. Elle jeta un

coup d'œil à Bernie qui s'était allongé près de la porte et la contemplait, le museau posé sur les pattes.

— Je ne suis même plus en colère, lui assura-t-elle. Il est trop lamentable pour ça.

Bernie souleva sa grosse tête et bâilla. — Exactement, conclut-elle ! Avant d'aller chercher ses achats, elle décida de consulter son

répondeur. Elle s'était absentée toute la journée et quelqu'un — Joel mis à part — avait peut-être cherché à la joindre. Dans le bureau, le répondeur clignotait effectivement, mais il n'y avait qu'un seul message. Une voix de femme grave et douce, avec un accent anglais.

— Bonjour. Je m'appelle Jessica Holmes. La voix enregistrée se tut un instant, puis soupira. — Oh, c'est tellement difficile ! Je vous appelle parce que je suis à la

recherche de toutes les personnes qui pourraient être apparentées à un certain Benjamin Fortune. Je me permets de vous contacter parce que vous portez le même nom... C'est une question très urgente et j'apprécierais beaucoup que vous me rappeliez si vous avez une information, quelle qu'elle soit, au sujet d'un Benjamin Fortune qui aurait dans les soixante-dix ans et qui se serait battu en France pendant la Seconde Guerre mondiale.

L'inconnue laissait un numéro à Londres. Indécise, Natalie resta un moment immobile près du répondeur qui

rembobinait sa bande à grands renforts de bips et de clignotements. Elle n'avait jamais voulu mettre son numéro sur liste rouge, comme la plupart des membres de sa famille. Elle tenait, en effet, à rester accessible, même si elle recevait parfois des appels plutôt insolites. Plusieurs inconnus l'avaient déjà contactée avec des messages « urgents ». Il s'agissait le plus souvent de journalistes en mal de copie ou d'hommes d'affaires assez louches, persuadés que les Fortune allaient se précipiter pour investir dans leurs grands projets.

C'était la première fois, cependant, que quelqu'un mettait en avant le nom de son grand-père.

Natalie fit repasser le message et alla même jusqu'à composer les premiers chiffres du numéro de cette Jessica Holmes... Puis elle secoua la tête et raccrocha. Il y avait déjà eu trop d'appels de ce genre et elle

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savait exactement ce qui se passerait. Cette femme essaierait sûrement de lui soutirer quelque chose.

Mieux valait, dans l'immédiat, revenir aux choses sérieuses : ses robes neuves. La semaine précédente, elle avait passé trois jours à Chicago à acheter des monceaux de jolies choses. Aujourd'hui, elle avait arpenté Minneapolis au grand complet et visité tous ses magasins préférés. Elle avait, en effet, décidé de larguer pour de bon les amarres, d'abandonner son ancienne peau, de déplier largement ses ailes. Cette croisière verrait la naissance d'une nouvelle femme en elle. Elle voulait être éblouissante, ensorcelante. Et faire tout ce qu'elle n'avait jamais osé faire auparavant comme danser sur les tables des pittoresques restaurants de Grèce ou boire de la retsina jusqu'à l'aube...

Mais les vacances étaient encore loin, lui rappela l'ancienne Natalie — la Natalie raisonnable qui subsistait au fond d'elle-même. En attendant, il fallait qu'elle prépare la maison pour ses hôtes. Car ses nouveaux locataires arrivaient dans deux jours. Rick lui avait dit vouloir installer Toby ici même, dans le bureau, pour être près de lui s'il faisait des cauchemars : elle ferait donc bien de préparer la pièce.

Au vu de tout ce qui l'encombrait, toutefois, elle comprit vite qu'elle n'y arriverait pas toute seule. N'avait-elle pas eu mal au dos pendant deux jours, déjà, après avoir hissé l'énorme vieille malle jusqu'au grenier ? Elle reprit donc le téléphone et composa le numéro de la grande maison de l'autre côté du lac.

Quand le jour vint enfin de reprendre le chemin du lac Travis, Rick

mourait d'impatience. La route lui parut interminable, sans doute parce qu'il faisait plus chaud et plus lourd que la première fois, mais cela n'entama en rien son optimisme. Il se contenta de mettre la climatisation et de contempler la campagne charmante à travers les vitres bien closes.

Plus il approchait du but, plus il avait l'impression que quelque chose se gonflait dans sa poitrine. Il se sentait comme un gosse le soir de Noël, simplement parce qu'il allait revoir Natalie Fortune !

C'était complètement fou, bien sûr, mais il n'avait cessé de penser à elle tout au long des quinze derniers jours. Cette femme était si... charmante, joyeuse, généreuse, franche, directe et drôle — il débordait de qualificatifs enthousiastes. Sans parler de ses grands yeux noisette, de ses cheveux brillants et de ce parfum si subtil, à la fois fleuri et épicé. Toby ne s'y était pas trompé : il s'était aussitôt épanoui à son contact et à celui de ce bon gros chien si amical. Les jours d'après, en revanche, le

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petit garçon avait semblé, par contraste, encore plus fermé qu'auparavant.

Rick jeta un regard rapide à son fils, et faillit sursauter en croisant ce regard qui se dérobait si souvent.

— Tu es content ? demanda-t-il avec un sourire. Pas de réponse, mais il aurait juré que le coin de la bouche de Toby

s'était retroussé un instant. Il en était sûr maintenant : ces vacances seraient la meilleure chose qui leur soit jamais arrivée, à l'un comme à l'autre.

Quand ils s'engagèrent dans l'allée, Natalie était là, sur la pelouse. Elle portait un short et un T-shirt moulants, et elle riait aux éclats en lançant au loin un bâton que le gros Bernie lui rapportait en déboulant comme une avalanche.

Rick sentit soudain son cœur se livrer à une curieuse acrobatie dans sa poitrine. Sans se l'avouer tout à fait, il avait rêvé qu'ils la trouveraient là, à les attendre. Avec ses beaux cheveux attachés en queue-de-cheval, son visage rayonnant et un vernis de fine transpiration sur sa peau claire, elle était l'incarnation vivante de la fille saine et fraîche qui hantait autrefois ses rêves d'adolescent. Qui aurait pu deviner en elle la fille de l'une des familles les plus riches et les plus influentes des Etats-Unis ?

Elle agita joyeusement la main, lança encore le bâton et se dirigea vers eux au trot. Ravi, Rick baissa sa vitre.

— Vous êtes pile à l'heure ! lança-t-elle joyeusement. Elle haletait un peu, la sueur plaquait le fin coton de son T-shirt

contre ses seins et Rick crut goûter un instant le parfum sucré de sa peau. Le désir se réveilla brutalement en lui.

Sa raison, cependant, protesta. Il connaissait à peine cette femme ! Et puis son propre fils était assis à côté de lui ! S'obligeant à respirer lentement, il cherchait désespérément quelque chose à dire quand Bernie vola à son secours. Les yeux brillants, il fonça droit vers la portière de Toby, posa à terre le bâton serré dans ses bajoues et lança un petit aboiement amical. Toby ouvrit sa portière à la volée, se laissa tomber à genoux et noua ses bras trop maigres autour du cou du chien.

Toute gêne envolée, Rick leva alors les yeux vers Natalie. Elle lui fit un sourire très doux, un peu tremblant. Il sut qu'elle comprenait quel pas énorme Toby venait de franchir et qu'elle était aussi émue que lui.

Un instant plus tôt, il l'avait désirée furieusement ; maintenant, il se serait mis à genoux devant elle. Quelqu'un là-haut avait donc envoyé une bonne fée pour les sauver ? Cette femme et son chien avaient quelque chose de magique.

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Ensemble, ils suivirent des yeux Toby qui traînait déjà le gros bâton à travers la pelouse, Bernie bondissant autour de lui. Quand elle se retourna vers lui, le moment de grâce était passé, ils étaient retombés dans le monde ordinaire.

— Venez, dit-elle prosaïquement. On va rentrer vos affaires. Rick se pencha vers la boîte à gants pour faire jouer la manette qui

déclenchait l'ouverture du coffre. Quand il la rejoignit derrière la voiture, elle avait déjà pris dans ses bras deux grands sacs à provisions. Il sortit à son tour deux valises et la suivit le long de l'allée, lançant au passage à Toby :

— Tu ne t'éloignes pas, d'accord ? Reste là où on peut te voir. Toby se retourna pour lui lancer un regard inexpressif, mais Rick sut

d'expérience que cela signifiait qu'il avait entendu et compris ses instructions.

En entrant dans le bureau, il s'arrêta net, stupéfait de voir que Natalie avait déjà transformé la pièce en chambre à coucher. Une petite chambre vraiment douillette, et qui semblait faite sur mesure pour Toby. Il entendit le pas de la jeune femme dans le couloir et bientôt elle parut sur le seuil.

— J'ai demandé à deux jardiniers de mon père de venir me donner un coup de main, expliqua-t-elle. On a déménagé les meubles de la chambre qui se trouve en haut de l'escalier.

Rick posa la main sur le couvre-lit au joyeux motif d'avions multicolores.

— Je ne me souviens pas d'avoir vu ça là-haut... Les joues de la jeune femme rosirent et elle se mit à rire : — D'accord, j'avoue. J'ai acheté le couvre-lit pour Toby. La lampe

aussi. Elle fit un geste vers une charmante lampe de bois peint, également

en forme d'avion, posée sur la table de nuit. Machinalement, Rick effleura l'hélice qui se mit à tourner. Avec ensemble, ils levèrent les yeux vers le mobile suspendu au plafond de la chambre. Encore des avions.

— Oui, ça aussi. Il m'a semblé que ça lui plairait... Ils se regardèrent et Rick dut faire un effort pour ravaler la boule

d'émotion qui lui nouait la gorge. — C'est vraiment gentil à vous. Il va adorer cette chambre. — Je me suis bien amusée, je vous assure. — Naturellement je vais vous rembourser ces dépenses... — Pas question. Il voulut protester mais elle avait déjà tourné le dos et se dirigeait

vers la porte en lançant :

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— Allez, venez. On n'a pas encore fini de décharger la voiture. Elle disparut et il fut bien obligé de la suivre. Il s'attarda un court

instant à contempler les petits avions jaunes, verts, bleus et rouges du mobile qui tournaient lentement devant la fenêtre ouverte. Il sentait sa bouche s'étirer en un très large sourire.

Une demi-heure plus tard, Rick avait rangé toutes leurs affaires et

mis sa voiture au garage, près de celle de Natalie. Sa jeune hôtesse était en train de lui montrer où stocker les différentes provisions quand il lui dit qu'il aimerait sortir le Lady Kate et pique-niquer à bord.

— Quelle bonne idée ! s'écria-t-elle. La présence de Rick habitait déjà toute la maison. Elle le suivit du

regard tandis qu'il soulevait le dernier sac et l'emportait dans le cellier. « Il est mon locataire, seulement mon locataire », se répéta-t-elle mentalement. Il n'était pas un invité, et encore moins un ami, même si elle avait l'impression qu'il pourrait le devenir. Seulement un locataire.

Car Rick lui semblait encore plus irrésistible que lors de leur première rencontre, quinze jours plus tôt. Il avait les yeux encore plus bleus, les épaules encore plus larges et chaque fois qu'il lui souriait, elle sentait des frémissements curieux dans la région de son sternum...

Perdue dans ses pensées, elle ouvrit le frigo, sortit du jambon, de la moutarde aux épices, ainsi qu'un grand bocal de cornichons doux...

— Qu'est-ce que vous faites ? s'enquit la voix de Rick derrière elle. Elle se figea en contemplant, incrédule, les ingrédients disposés

devant elle. Elle était bel et bien en train de lui préparer ses sandwichs ! Elle était la propriétaire, lui le locataire mais il avait suffi qu'il prononce le mot « pique- nique » pour qu'elle se mette automatiquement à tout préparer.

Elle était vraiment un cas pathologique ! pensa-t-elle avec rage. Il suffisait de la mettre en présence d'un homme pour qu'elle se prenne aussitôt pour sa mère. Exactement comme avec Joel. Elle lui avait préparé ses repas, prêté de l'argent quand il se trouvait à court — sans qu'il pense toujours à le lui rendre, d'ailleurs. Elle avait corrigé ses copies, fait le ménage dans sa petite maison du bourg, acheté des provisions, et accepté néanmoins de le voir invariablement débarquer chez elle, soir après soir, son linge sale sous le bras et la phrase « qu'est-ce qu'on mange ? » à la bouche.

Heureusement, Rick ne pouvait pas deviner ce qu'elle pensait en ce moment... Avec un large sourire, il reprit :

— Le pique-nique est déjà prêt. Je l'avais commandé chez un traiteur.

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— Ah? — Oui, tout y est, même les assiettes en carton et les fourchettes. Ils

ont mis ça dans un joli panier. Je l'ai laissé sous la véranda, vous ne l'avez peut-être pas vu.

— Non, je ne l'avais pas vu, murmura-t-elle en sentant ses joues virer au rouge écrevisse.

Avec un peu de chance, il penserait peut-être qu'elle avait voulu préparer quelque chose pour elle...

Il croisa les bras et s'appuya contre le chambranle de la porte. — J'espérais que vous voudriez bien venir avec nous. — C'est vrai ? Une délicieuse sensation lui gonfla le cœur — une sensation

totalement absurde, se reprit-elle aussitôt. — Mais oui ! Il portait un polo bleu foncé et un pantalon de toile. Le polo moulait

les contours solides de ses épaules. Ses cheveux sombres, un peu bouclés, brillaient ; le genre de cheveux dans lesquels les femmes adorent plonger les mains. Et cette bouche, ferme et charnue à la fois...

— Natalie. — Mm. Oui ? — Vous ne m'avez pas répondu. Vous venez avec nous ? — Oh, je ne devrais pas. J'ai tant de choses à faire, vous savez ce que

c'est... — Mais c'est le premier jour que nous sommes là ! Il faut bien fêter

notre arrivée ! Incapable de résister, elle s'entendit aussitôt capituler avec une hâte

indécente. — Parfait ! Il se redressa, l'air content. Face à tant de virilité et d'assurance

tranquille, elle prit subitement conscience de son vieux short et de son T-shirt humide de transpiration...

— Me donnez-vous quelques minutes pour me rendre un peu plus présentable ? demanda-t-elle humblement.

— Bien sûr, prenez votre temps ! Il s'avança vers elle et elle recula, un peu affolée. Des pensées

incohérentes se bousculaient dans son esprit. C'était une folie d'aller à ce pique-nique avec lui, elle n'aurait jamais dû accepter. Il allait louer sa maison pendant deux mois, ils se côtoieraient pendant deux semaines et il ne se passerait rien de plus. Il ne devait rien se passer de plus.

— Quelques minutes, c'est tout, bredouilla-t-elle. Je reviens tout de suite.

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Il s'arrêta au milieu de la cuisine. — En attendant, je vais voir où en sont Toby et le chien. — Oui, allez-y. Bonne idée. Prise dans le faisceau de ses yeux, elle contourna l'îlot central qui

abritait la gazinière, et continua vers le couloir, toujours à reculons. Là, elle s'aperçut brusquement de l'absurdité de son propre manège. Faisant alors demi-tour aussi dignement qu'elle le put, elle rejeta les épaules en arrière et gravit l'escalier, tête haute.

Quand elle redescendit, vingt minutes plus tard, elle se sentait beaucoup mieux. Douchée de frais, vêtue d'un débardeur de soie rouge et d'un short blanc, elle avait recouvré une grande partie de son assurance. Il suffit pourtant que Rick lui lance un sourire admiratif pour qu'elle se sente de nouveau telle une adolescente à son premier rendez-vous.

Ce fut elle qui se chargea de sortir le Lady Kate du petit hangar. La manœuvre était un peu délicate et elle retrouva sa vivacité en expliquant à Rick les spécificités du bateau. Lui-même, cependant, avait quelques notions de navigation si bien que, une fois l'étrave pointée vers le large, elle lui passa très vite le gouvernail.

Il n'y avait pas de vent. Une fois arrivés au milieu de l'immense nappe scintillante du lac, ils coupèrent donc le gros moteur et se laissèrent dériver. Rick remonta son fameux panier de la cambuse et ils se mirent à dévorer un délicieux poulet rôti au citron accompagné d'une salade de pâtes multicolores. Joyeusement, Rick taquina Toby qui glissait à Bernie toutes sortes de bonnes choses.

— Regarde la taille qu'il a déjà, renchérit Natalie. S'il grossit encore, il va passer à travers le plancher.

— Il va faire couler le bateau ! s'écria Rick. Toby se contenta de les fixer de son regard impassible — et de tendre

à Bernie son dernier morceau de pain. Quand ils furent tous repus, le garçon et le chien s'allongèrent côte à

côte sur le pont tandis que Natalie et Rick s'installaient confortablement sur les banquettes aménagées à l'arrière. Les pieds calés contre le bastingage, ils contemplèrent en silence les berges lointaines et les maisons qu'on entrevoyait ici et là entre les arbres.

— Là-bas, regardez ! dit soudain Natalie. C'est la propriété de ma famille.

Elle montrait, au loin, une immense étendue de pelouses vert émeraude qui montaient en pente douce, depuis la plage, jusqu'à la balustrade sculptée d'une grande terrasse de pierre. Derrière la terrasse

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se dressait une imposante façade aux immenses fenêtres qui réfléchissaient comme autant de miroirs l'éclatant soleil de l'après-midi.

— Impressionnant, dit Rick. Une vague de tristesse envahit Natalie. Autrefois, du temps de Kate,

cette maison princière avait été comme un second foyer pour elle. Hélas, tout avait changé maintenant. A la place des hordes de cousins et d'amis, il ne restait plus là-bas que son père. Plus de cris, plus de rires, seulement Jake et la petite armée de domestiques qui entretenaient la maison.

Elle avait parlé à son père, deux jours plus tôt, et Jake s'était montré froid et distant. Malgré sa détermination de se tenir désormais à l'écart des problèmes de la famille, elle n'avait pas pu s'empêcher de lui demander si quelque chose n'allait pas. Il s'était mis à rire, un rire désagréable, un peu effrayant, puis il lui avait dit d'un ton assez condescendant de ne pas croire tout ce qu'elle lisait dans la presse. « Je sais ce que je fais et pourquoi je le fais », avait-il conclu d'un ton chargé de colère.

Brusquement, elle s'entendit dire à Rick : — Quand j'étais petite, on passait presque plus de temps là-bas que

chez nous à Minneapolis. On y allait le week-end et pendant les vacances, même en plein hiver quand tout était pris sous la neige et qu'on était obligés de rester à l'intérieur. L'été, on venait généralement plusieurs semaines d'affilée. Mes grands-parents ont vécu là ensemble jusqu'à sa mort à lui, il y a dix ans. Quand j'étais petite, ma tante Rebecca... vous avez peut-être entendu parler d'elle ?

— Rebecca Fortune, l'auteur de romans policiers ? — C'est ça, oui. Tante Rebecca vivait encore chez ses parents. Elle est

beaucoup plus jeune que mon père. Mon oncle Nathaniel venait lui aussi très souvent avec ses enfants, si bien que la maison était remplie de gosses en permanence. Ça débordait d'activités, on entendait rire et galoper dans tous les coins.

Rick la contemplait avec un petit sourire. — Vous avez combien de frères et sœurs ? — Trois sœurs et un frère. — Oh ! Mais c'est une grande famille ! — Vous avez presque l'air de nous envier. — C'est vrai, avoua-t-il. Je suis fils unique. — Vous auriez aimé avoir des frères et sœurs ? — Bien sûr ! — Eh bien, moi, il y a souvent eu des moments où j'aurais volontiers

donné certains des miens.

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— Lesquels ? — Quelle drôle de question ! — Indiscrète, je sais. Mais les questions indiscrètes ne sont-elles pas

les plus intéressantes ? — Sans doute. Bon, eh bien. Je dirais que ce sont surtout les jumelles,

Ali et Rocky, que je trouvais parfois encombrantes. — Ali, c'est la top model ? — Oui. C'est celle que tout le monde connaît. Mais Rocky est

exactement pareille. A mon avis, ce sont deux des femmes les plus spectaculaires du monde, même si Rocky, elle, n'a jamais cherché à émouvoir les foules. Elle est pilote, comme Kate.

— Pourquoi est-ce que vous vouliez vous en débarrasser ? — J'ai dit ça, moi ? — Allez, avouez. Elle éclata de rire. — Au point où j'en suis ! Parce que j'étais jalouse, bien sûr. Quoi qu'il

arrive, elles étaient toujours là l'une pour l'autre. Vous savez, ce contact spécial entre jumeaux ! Elles avaient un monde bien à elles, et elles semblaient toujours pouvoir lire dans les pensées de l'autre. Elles ont deux ans de moins que moi, ça aurait dû me donner un certain avantage, mais c'était toujours moi qui me sentais exclue.

— Vous étiez jalouse de leur complicité. — Oui. Et d'autres choses aussi. — Dites-moi tout. Comme c'était curieux ! Il l'écoutait avec beaucoup d'intérêt, comme

si ce qu'elle disait comptait réellement pour lui. Elle se sentit rougir. — Pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça ? — Parce que je vous l'ai demandé, bien sûr. Et que vous sentez que

cela m'intéresse. — Pourquoi ? Ce sont des histoires sans aucun intérêt. Sans rien dire, il la regarda bien en face et elle capitula. Oui, aussi

inexplicable que cela paraisse, il s'intéressait vraiment à ce qu'elle ressentait. Elle aurait dû changer de sujet, bien sûr. Tourner ça à la plaisanterie, parler d'autre chose. Au lieu de quoi elle passa à la partie la plus gênante de sa confession.

— Eh bien, il me semblait toujours qu'à elles deux, Ali et Rocky étaient parfaites.

— Comment ça ? — Elles étaient... tout ce que j'aurais voulu être et que je n'étais pas.

Belles et courageuses avec, dans leur vie, un merveilleux souffle de

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passion et d'aventure qui les suivait partout où elles allaient. Et vous savez quoi ?

— Quoi ? — Elles sont encore comme ça. Belles, intelligentes et pleines de

projets fabuleux. Caroline, notre sœur aînée, est une sacrée bonne femme, elle aussi. Et moi... Eh bien moi je suis la ratée du lot, une fille bien terne et ennuyeuse comparée à mes sœurs.

Il fit une grimace comiquement dégoûtée : — Est-ce que vous chercheriez des compliments, par hasard? Elle réfléchit un instant puis se mit à rire. — Peut-être. En tout cas, si j'avais voulu le faire, je ne m'y serais pas

prise autrement. Il se pencha et elle sentit soudain son eau de toilette — un parfum de

sous-bois très frais. Quand il n'y eut plus que quelques centimètres entre leurs visages, ii déclara :

— C'est faux ! Vous n'êtes ni terne, ni ennuyeuse. Vous êtes même exactement le contraire.

Elle eut un sourire ravi. Quel homme adorable ! « Trop adorable, intervint une petite voix acide dans sa tête. Bien trop adorable pour quelqu'un comme toi. »

Oui, il fallait à tout prix qu'elle reprenne ses distances et vite. Elle recula un peu en disant d'un air nonchalant :

— Il faudrait jeter l'ancre ou remettre le moteur en route. Nous sommes en train de nous approcher trop près de la rive.

Ils mirent le moteur en route. Rick prit la barre et Toby vint se planter fièrement près de son père. Ils firent route jusqu'à une petite crique tranquille que connaissait Natalie et où ils jetèrent l'ancre.

Une fois le bateau immobilisé, chacun reprit sa place et un silence paisible s'installa. Sur la berge toute proche, les feuilles bruissaient, les oiseaux chantaient. On entendait le clapotis tranquille de l'eau contre la rive.

— Vos parents sont encore en vie ? demanda subitement Natalie. Rick secoua la tête. — Non, ils sont morts quand j'avais quinze ans. Un accident idiot, un

court-circuit qui a mis le feu à la maison. C'est arrivé en pleine nuit, tout le monde dormait. Je me suis réveillé et j'ai réussi à sortir maman de sa chambre, mais je ne trouvais pas papa. Un voisin m'a sauvé, mais eux...

Le visage fermé, il jeta un coup d'œil vers le large. Spontanément (et sans se demander si un tel geste était bien prudent), elle posa la main sur la sienne.

— Quelle tristesse...

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Il baissa les yeux, contempla leurs mains jointes. — C'était il y a longtemps. Je suis allé vivre avec mon oncle et ma

tante qui n'avaient pas d'enfants. Je me suis toujours dit que j'aurais adoré avoir plein de frères et sœurs, mais si ça se trouve...

Il se tut, leva les yeux et plongea son regard dans le sien puis, très lentement, il retourna sa main et mêla ses doigts aux siens.

Abasourdie, Natalie resta prise dans son regard. C'était comme si jamais un homme n'avait eu avec elle un geste aussi intime que celui-là : retourner sa main pour prendre la sienne en la regardant au fond des yeux. Brusquement, le soleil semblait trop chaud, l'air terriblement moite. A partir de cette grande main qui serrait la sienne, une multitude de sensations rayonnaient dans son corps entier.

Puis elle s'aperçut que le regard de Rick s'était déporté. Il souriait en regardant quelque chose juste derrière elle. Elle se retourna et vit un tableau adorable : Ber- nie allongé sur le pont dormait profondément et Toby, endormi lui aussi, se servait du chien comme d'un oreiller gigantesque. Sa petite tête sombre reposait confortablement contre le flanc fauve et blanc et sa poitrine étroite se soulevait très légèrement.

Natalie se retourna vers Rick et il lui sourit en plantant son regard droit dans le sien. Pendant un instant, il lui sembla que rien ne pouvait être plus juste ou plus naturel que d'être là avec lui, main dans la main, pendant que l'enfant et le chien dormaient paisiblement tout près d'eux.

Puis la raison reprit ses droits. Que voulait-elle donc ? s'admonesta-t-elle aussitôt. Se retrouver de

nouveau sous la dépendance d'un homme et élever, en prime, un gamin qui n'était pas le sien ?

La réponse qui éclata spontanément en elle fut un assentiment de tout son être. C'est alors qu'elle sut que les choses étaient allées beaucoup trop loin. Pourtant, elle venait à peine de se débarrasser de Joel ! C'était bien trop tôt pour tomber amoureuse d'un autre, et surtout d'un homme comme celui-ci. Un homme trop beau pour être vrai.

Elle lui retira sa main. Il la lâcha tout de suite et il y eut un instant affreux pendant lequel

elle ne sut plus que faire ni que dire. Affolée, elle chercha l'inspiration au large. Il n'y avait rien à voir, pourtant. Seulement un bateau de louage à l'auvent bleu et blanc à tribord, ancré très loin de leur crique. Elle plissa les yeux pour mieux le distinguer — et éviter, surtout, de regarder Rick en face ! Il semblait y avoir deux personnes à bord et...

— Natalie ? Comme sa voix était douce ! — Mmm ?

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— Ça va ? — Oui, bien sûr, mentit-elle. Les yeux toujours rivés sur le bateau, au loin, pour échapper au

regard de Rick, elle sentait son corps entier vibrer de sa présence. Une pensée incohérente ne cessait de tourner dans sa tête comme un oiseau affolé : « Trop dangereux, trop dangereux ! » Car les yeux de Rick ne la quittaient pas.

Il faisait vraiment très chaud, ses jambes étaient humides partout où elles touchaient les coussins de cuir. Elle changea de position, souleva nerveusement les cheveux de son cou et sentit l'air rafraîchir un peu sa nuque moite.

Appuyé au bastingage, tout près d'elle, Rick ne bougeait pas. Elle rassembla tout son courage et lui adressa un sourire qu'elle espérait simple et sans tension.

— Il fait une chaleur terrible, non ? Il ne la quittait pas des yeux. — Terrible. — C'est drôle, continua-t-elle, quand on pense au Minnesota, on

pense surtout à la neige, et presque jamais à l'été. — C'est vrai. Elle fourra la main dans la poche de son short, trouva un élastique et

rassembla rapidement ses cheveux en queue-de-cheval. Puis elle arrangea son débardeur qu'elle avait un peu sorti de sa ceinture en levant les bras.

— Comme ça, ça va mieux, dit-elle. Elle se força, cette fois, à le regarder en face et comprit tout de suite

qu'elle venait de commettre une erreur. Dans les yeux de Rick, en effet, s'était allumée une flamme étrange, une sorte d'attente mêlée d'espoir. Instantanément, son cerveau lui dicta une attitude de refus tandis qu'au même instant, tout le reste en elle criait « oui » ! Que dire ? Que faire ? Elle savait qu'il suffirait d'une remarque prosaïque pour faire passer ce moment, mais elle ne trouva rien. Ce fut donc lui qui rompit le silence, et ce qu'il dit n'avait rien de prosaïque.

— Ça fait très longtemps que je suis... seul. Jetant de temps en temps un regard à son fils endormi, il se mit à lui

parler de son ex-femme, rencontrée à une fête chez un ami et épousée un an plus tard. Avec beaucoup de franchise, il expliqua qu'il n'avait pas été très disponible pour elle. A force de penser plus à son travail qu'à son mariage, à force d'investir toute son énergie dans sa carrière, il avait négligé Vanessa.

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De la même façon, il n'avait pas non plus été très présent pour Toby. Le petit n'avait qu'un an quand Vanessa avait demandé le divorce. Elle était retournée à Louisville, auprès de sa mère, emmenant leur fils avec elle. Au début, il avait rendu régulièrement visite au garçon, puis il avait fini par le voir de loin en loin, Vanessa lui ayant montré clairement qu'elle attachait beaucoup moins d'importance à ses visites qu'au versement régulier de sa pension alimentaire. Encore une fois, il ne s'était pas posé beaucoup de questions sur son rôle de père.

— Maintenant, dit-il un peu tristement, j'essaie vaille que vaille de rattraper le temps perdu.

— Vous êtes sur la bonne voie, il me semble. Il murmura un remerciement, puis demanda : — Et vous ? — Est-ce que j'ai été mariée, vous voulez dire ? — Oui, pour commencer. Elle secoua la tête. — Non, pas de mariage. — Mais des hommes tout de même ? Soudain, comme si c'était tout naturel, elle s'entendit se mettre à lui

raconter Joel, comment elle l'avait rencontré lors de sa première rentrée à l'école primaire de Travistown, comment ils étaient sortis ensemble pendant cinq ans. Puis elle lui avoua que Joel avait rompu un mois plus tôt et qu'elle s'était tout d'abord sentie très blessée.

— Maintenant, je suis vraiment contente d'avoir retrouvé ma liberté. — Et de pouvoir profiter pleinement de cette croisière luxueuse et

décadente ? — Exactement. Pour une fois dans ma vie, j'ai décidé de ne penser

qu'à moi et de me consacrer à quelque chose de parfaitement futile. Bref, de me faire plaisir en oubliant les enfants, les chiens ou les carences émotionnelles de mon prochain.

Rick l'écoutait en hochant la tête. Ils étaient tous deux si pris par leur conversation qu'ils ne s'aperçurent ni l'un ni l'autre de ce qui se passait autour d'eux.

Au même moment, en effet, Toby, cessant de prendre Bernie comme oreiller, s'était recroquevillé sur lui-même en une petite boule crispée. Libéré de son fardeau, Bernie se redressa sur son séant, s'étira et alla se planter à bâbord, les pattes avant sur la banquette, pour contempler le bateau bleu et blanc qui dérivait toujours au fil de l'eau, à quelques centaines de mètres.

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4.

— C'était risqué la première fois, Kate, martela Sterling, mais maintenant c'est de la folie pure et simple. Voulez-vous être gentille et poser ces jumelles ? Nous sommes beaucoup trop près, le soleil va se refléter sur les lentilles et les avertir de ce que vous faites.

Sans baisser les jumelles, Kate fit un petit geste vers l'auvent au-dessus de sa tête.

— Je suis à l'ombre, murmura-t-elle. Elle régla un peu mieux ses jumelles. Bernie semblait n'être qu'à

quelques mètres, à la regarder attentivement. Si elle se déplaçait un peu vers la droite, elle voyait l'arrière de la tête de Rick Dalton et le visage si doux de Natalie. Ils se penchaient l'un vers l'autre, absorbés par leur conversation.

— Kate ! Il lui prit les jumelles des mains et, sans se laisser impressionner par

son regard furibond, atteignit la poupe en deux longues enjambées et les fourra dans le coffre.

— Voilà, c'est réglé, dit-il en revenant s'asseoir près d'elle, l'air très satisfait.

— Bon, très bien ! jeta Kate en rattachant son foulard pour se donner une contenance. De toute façon, il fait bien trop chaud pour discuter.

— Vous ne devriez pas être ici. Elle se pencha vers lui pour lui tapoter gentiment la main. — Je sais, je sais, mais voilà, je ne peux pas résister. Il fallait

absolument que je voie cet homme et son petit garçon. Ils me plaisent

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beaucoup. Vous allez voir, d'ici peu ils seront bien plus que des locataires.

Sterling poussa un grognement. — Pour une fois, laissons les choses se faire toutes seules, voulez-vous

? Nous avons des problèmes autrement plus sérieux que de savoir si Natalie va se trouver un petit copain sympathique.

— Rien n'est plus sérieux que l'amour, Sterling. — Vous savez jusqu'où ont chuté les actions du groupe ? Hier à la

fermeture, elles cotaient à... — Je sais à combien elles cotaient. — Les actionnaires sont hystériques. Vos employés vivent dans la

terreur de ce qui risque d'arriver. Quelqu'un a réussi à déjouer nos mesures de sécurité. La formule chimique qui...

Kate agita la main et il se tut. — Je sais, répéta-t-elle. Kate s'était passionnée pour cette fameuse formule qui permettrait,

si on parvenait à la mettre au point, de ralentir le processus de vieillissement cutané grâce à des extraits de plantes et de vitamines. Quelque temps plus tôt, un inconnu avait réussi à s'introduire dans le laboratoire pour dérober la formule secrète. Ce voleur inconnu était-il la même personne que le pyromane qui avait ensuite déclenché toute une série d'incendies mystérieux chez Fortune Cosmetics ? Etait-ce lui, également, qui avait tenté de tuer Kate ? Lui qui avait envoyé un acolyte pour kidnapper Ali ? Ils ne savaient qu'une seule chose de façon certaine : qui que soit celui qui agissait ainsi, il ne s'arrêterait pas avant d'avoir totalement ruiné la famille.

— Pour l'instant, déclara Kate, nous tenons le coup. — Pour combien de temps ? Tout le monde est prêt à craquer. Vos fils

sont à couteaux tirés, et Nathaniel veut prendre le pouvoir, tout le monde le sait. Il a toujours pensé qu'il saurait gérer le groupe mieux que son frère et, quand on voit ce que fait Jake, je me demande s'il n'avait pas raison.

— Nous tirerons tout ça au clair. Tôt ou tard. — Il vaudrait mieux que ce soit très vite si nous voulons qu'il y ait

encore quelque chose à sauver. D'autant, je vous le rappelle, que nous avons sur les bras ces escrocs.

— Tracey Ducet et ses complices ? C'est un autre problème, c'est vrai. — Et pas un petit problème ! Le plus grave, à mon avis, c'est qu'en

plus de la confusion que ça crée, elle saborde notre image dans l'opinion publique chaque fois qu'elle ouvre la bouche. Elle n'arrête pas de se

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répandre dans la presse au sujet du mauvais accueil que lui fait la famille.

— Je ne vois vraiment pas pourquoi la famille devrait lui faire bon accueil puisque ce n'est pas ma fille.

— Oui, mais qui peut l'affirmer, à part vous ? Kate, en effet, était la seule à pouvoir dénoncer l'imposture. Car elle

savait, elle, fort bien pourquoi la femme qui prétendait être sa fille ne pouvait être qu'une étrangère : le jumeau disparu n'était pas une fille mais un garçon. Quand le bébé avait été kidnappé, le FBI avait ordonné à ses parents de ne pas diffuser l'information, afin de mieux contrôler l'enquête. Le public n'avait donc jamais appris le sexe de l'enfant. Quant aux proches, ils avaient toujours évité d'aborder ce sujet pénible, par la suite, afin de ne pas raviver la douleur de Kate.

Maintenant, Ben était mort, et l'information avait disparu du dossier du FBI. Personne, dès lors, à part Kate et les kidnappeurs eux-mêmes, ne pouvait réfuter les prétentions de la fausse héritière.

— Cette mauvaise presse nous fait du tort, insistait Sterling. — Peut-être, mais je veux que cette femme abatte toutes ses cartes

avant de la discréditer, répliqua fermement Kate. Je veux savoir ce qu'elle manigance, et aussi s'il y a un lien entre elle et tout ce qui nous est arrivé par ailleurs, depuis les incendies jusqu'à l'attentat dirigé contre moi.

— Je suis persévérant, vous êtes bien placée pour le savoir, mais j'avoue que je commence un peu à désespérer.

— Ce ne sera plus très long maintenant, Sterling. Je sais que ma disparition coûte très cher à l'entreprise, mais nous n'avons pas le choix : nous devons absolument découvrir qui tire les ficelles !

— J'en suis convaincu, moi aussi. Mais je suis très inquiet pour Jake. Vraiment inquiet. Il est en train de craquer.

— Alors, allez le voir. Très vite. Demain par exemple. Essayez de le mettre en confiance, voyez s'il veut bien vous parler.

— Vous connaissez Jake mieux que moi. Vous savez bien qu'il ne parle jamais à personne quand il a des ennuis.

— Faites néanmoins pour le mieux et prévoyez de me faire un rapport complet.

Le sujet étant clos, elle se leva et se dirigea vers la proue. Inquiet, il se dressa à demi.

— Kate, non... Ainsi qu'il l'avait craint, elle venait de ressortir les jumelles du coffre. — Vous prenez des risques insensés, gronda-t-il.

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Pour toute réponse, Kate se contenta de sourire et de lever ses jumelles vers l'homme et la femme assis côte à côte, là-bas, sur le Lady Kate.

A bord du voilier, on ne parlait plus. Assis tout près l'un de l'autre, Natalie et Rick savouraient le silence. Avec un petit soupir, la jeune femme se redressa soudain pour se pencher au-dessus du bastingage. Même ici, près de la berge, l'eau sous la coque semblait profonde et mystérieuse.

— Qu'est-ce que vous regardez ? — Rien, je cherche... Il se pencha à son tour pour scruter les profondeurs avec curiosité, si

proche d'elle que leurs hanches se frôlèrent. — On peut savoir quoi ? — Le gentil monstre du lac Travis, souffla-t-elle d'un air mystérieux. — Le quoi ? Les yeux toujours fixés sur l'eau verte, elle expliqua : — Quand j'étais petite, Ben, mon grand-père, m'emmenait

quelquefois avec lui sur le lac. Chaque fois, il regardait par-dessus bord et m'annonçait qu'il voyait un gentil monstre tout au fond.

Rick eut un petit rire. Elle leva les yeux, croisa son regard et ils échangèrent un long sourire. Quand elle vit son regard descendre vers sa bouche, elle sut qu'il allait l'embrasser. Elle désirait follement ce baiser dont elle sentait déjà à quel point il serait merveilleux, tendre et excitant...

Absurde et dangereux aussi, se rappela-t-elle tout à coup avec une sagesse non dénuée d'amertume.

Dégrisée, elle se figea un instant, puis s'écarta de lui. Rick fronça les sourcils. — Natalie, je... Elle leva la main et il se tut. — Nous devrions rentrer, dit-elle doucement. Il la regarda attentivement un instant, puis hocha la tête. — D'accord. C'est alors qu'ils s'aperçurent tous deux que Toby et le chien

n'étaient plus là. Oubliant instantanément tout le reste, Rick sauta sur ses pieds.

— Où est-il donc passé ? Il ne s'éloigne jamais... — Ils sont seulement descendus dans la cabine, murmura Natalie en

se levant à son tour. Rick soulevait déjà l'écoutille.

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En bas, ils trouvèrent Bernie assis d'un air soucieux devant la porte

d'un placard bas en face de la petite cambuse. En les voyant entrer, le chien leva la tête vers eux, gémit doucement puis leva une de ses grosses pattes pour gratter à la porte.

Rick se laissa tomber à genoux, ouvrit prudemment le placard. Oui, Toby était bien là — roulé en boule dans le noir, les genoux serrés contre sa poitrine, les bras noués autour de ses jambes.

— Toby, sors de là... Le garçon se blottit plus étroitement sur lui-même et cacha sa tête

contre ses genoux. — Allez, viens. Au lieu d'obéir, l'enfant se terra contre la paroi. Dépassé, Rick se retourna vers Natalie et elle vit l'angoisse

impuissante dans son regard. — Il fait ça de temps en temps, murmura-t-il. Il se trouve un tout petit

espace et il ne veut plus en sortir. Ça arrivait moins souvent depuis quelque temps, j'espérais...

Il secoua la tête. — Sa thérapeute dit que je ne dois pas en faire tout un plat. Natalie eut une inspiration subite. — Vous devriez le rejoindre. — Comment ? — En entrant là-dedans avec lui. Rick la regardait fixement, comme si elle venait de perdre l'esprit. — Allez-y ! Faites-moi confiance. Je suis sûre que je ne me trompe

pas. Elle croisa les bras et essaya de prendre un air très professionnel. En

fait, elle ne savait pas du tout si son idée allait marcher, mais son expérience d'institutrice lui avait permis de constater que les enfants troublés réagissaient parfois de façon très positive aux adultes qui acceptaient de s'aventurer dans leur monde.

— Je vous en prie, Rick, tentez le coup. Il parut hésiter pendant plusieurs secondes puis, se décidant d'un

coup, il fit une grimace et se mit à quatre pattes. Avec un dernier regard qui semblait dire « gare à vous si ça ne marche pas », il lança d'un ton léger :

— Pousse-toi un peu, Toby, fais-moi une petite place. Toujours lové frileusement sur lui-même, le garçon se tassa un peu

plus dans l'angle du placard. Bien entendu, Rick ne pouvait pas entrer

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tout entier dans un aussi petit espace, mais il réussit tant bien que mal à caser sa tête et ses épaules à l'intérieur.

Natalie considéra ses longues jambes étendues dans la cambuse et lança négligemment :

— Amusez-vous bien tous les deux. Je mets le Lady Kate en route et je nous ramène à la maison.

De l'intérieur du petit réduit, Rick l'entendit remonter sur le pont, suivie de Bernie. Quelques instants plus tard, l'ancre était relevée et le moteur se mit à gronder. Il croisa les bras sur sa poitrine — afin d'occuper le minimum de place — et fit de son mieux pour ne pas écraser le petit corps pressé contre la paroi du placard.

Sachant qu'il n'y aurait pas de réponse, il osa chuchoter : — Tu te sens en sécurité ici, Toby ? Le Dr Dawkins lui avait recommandé de ne pas s'inquiéter quand

Toby éprouvait le besoin de se cacher. Les espaces confinés le rassuraient, voilà tout. Chaque fois que cela arrivait, Rick se répétait religieusement les paroles de la thérapeute, mais il continuait à se sentir affreusement inquiet. Surtout cette fois, alors qu'il rongeait son frein dans cette position inconfortable et parfaitement ridicule. Comment Toby pouvait-il trouver le moindre réconfort dans ce trou ? Au contraire, il y avait de quoi faire une vraie crise de claustrophobie !

Pourtant, il tint bon. La suggestion venait de Natalie et elle semblait vraiment avoir une sorte de sixième sens au sujet de Toby. Avec un gros soupir, il se prépara à endurer le long trajet du retour.

Ils devaient être à mi-chemin quand il prit conscience d'une petite main qui tâtonnait dans ses cheveux. Il mit un instant à comprendre que son fils essayait de prendre sa tête entre ses mains. Le cœur battant, il s'efforça d'aller où Toby le poussait et se retrouva appuyé sur ses genoux maigres. L'effort qu'il faisait pour ne pas trop peser sur les jambes frêles du petit était éreintant et il attrapa très vite un bon torticolis, mais cela n'avait aucune importance. Toby avait fait un geste vers lui, il avait osé exprimer quelque chose !

Quand le bateau s'immobilisa enfin, Toby poussa un petit grognement et le repoussa. Rick se tortilla pour s'extraire du placard, s'écarta pour lui faire de la place et l'enfant sortit tout de suite de sa cachette, sans qu'on ait eu besoin de le lui demander. Bien sûr, son petit visage restait impassible, mais quelle importance ! Pendant quelques minutes, dans l'ombre de ce placard, Toby avait communiqué avec lui.

— Tout va bien ? demanda Natalie en passant la tête par l'écoutille. — Fantastique !

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Le ciel s'était couvert pendant le trajet du retour. Le temps d'amarrer le bateau et de remonter vers la maison, les premières gouttes s'écrasaient sur le sol. Tout heureux, Rick renversa la tête en arrière et offrit son visage à la pluie. Natalie Fortune était une bonne fée et il était fou de joie de savoir qu'elle serait avec eux pendant deux semaines.

Et puis pendant qu'il y était, il pouvait bien s'avouer la vérité. Elle ne l'intéressait pas seulement en tant que faiseuse de miracles. Tout en elle lui plaisait, il avait très envie de se rapprocher d'elle et cela le stupéfiait parce qu'il avait vraiment cru qu'il ne reprendrait pas le risque de tomber amoureux. Il y avait eu trop d'amertume, après Vanessa.

Seulement, Natalie n'était pas Vanessa. Natalie ne ressemblait à aucune femme qu'il ait jamais connue.

Tout à l'heure, quand il avait voulu l'embrasser, elle s'était écartée de lui. Il était allé un peu vite, il le comprenait maintenant. Dorénavant, il saurait prendre son temps, il lui laisserait plus d'espace. Après tout, il avait le temps pour lui. Pendant deux semaines, ils seraient ensemble tous les jours, du matin au soir. Qui sait ce qui pouvait arriver ?

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5.

Pendant que Rick décidait qu'il avait vraiment envie de se rapprocher d'elle, Natalie arrivait à la conclusion qu'elle allait devoir garder ses distances. Elle monta donc tout de suite dans les pièces qu'elle s'était réservées à l'étage, afin de téléphoner à sa tante Lindsay.

Lindsay Fortune Todd était pédiatre. Elle aussi vivait près du lac, dans une grande maison très confortable, avec son mari et ses deux enfants. Son travail à l'hôpital de Minneapolis l'accaparait beaucoup et Natalie parvenait rarement à la joindre au téléphone. Cette fois, pourtant, ce fut elle qui décrocha.

— Nat ! s'écria Lindsay affectueusement en entendant sa voix. Qu'est-ce que tu deviens ?

Natalie réprima un pincement de culpabilité. Effectivement, elle ne donnait plus de nouvelles depuis un bon moment — depuis, en réalité, qu'elle avait décidé de se tenir à l'écart de la famille et de ses drames. Si elle appelait ce soir, c'était uniquement parce que le poids de sa famille lui faisait désormais moins peur que la tendresse qu'elle lisait dans les yeux bleus de Rick...

— Que dirais-tu de venir à la maison ce soir ? proposa Lindsay. Frank nous fait des hamburgers au barbecue. Si la pluie cesse, on mangera sur la terrasse.

C'était exactement ce qu'espérait Natalie qui répondit joyeusement : — O.K. Ça me fera vraiment plaisir de vous voir ! J'arrive dans une

heure.

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Elle prit le temps de se préparer tranquillement, contente de profiter de ce moment de solitude dans cette pièce où elle se sentait si bien. Quand elle descendit, elle se sentait prête à affronter Rick.

Enfoncé dans un fauteuil du salon, il feuilletait un magazine. Toby, de son côté, regardait un dessin animé à la télévision, tout en caressant machinalement Bernie allongé près de lui.

— Je suis invitée à dîner chez ma tante Lindsay, lança-t-elle gaiement.

Rick leva la tête avec un sourire, et elle sentit son cœur bondir dans sa poitrine. C'était une sensation délicieuse et terrifiante à la fois,

— Amusez-vous bien. Il ne semblait pas le moins du monde contrarié de la voir sortir.

Pourtant, elle s'en voulait de le laisser seul. Décidément, songea-t-elle, il fallait vraiment qu'elle fasse attention, car elle avait un sacré problème. Il était grand temps qu'elle pense un peu à elle au lieu d'enquiquiner tout le monde avec son éternel dévouement.

Pendant le court trajet au bord du lac, la pluie cessa et le ciel se

dégagea. En se garant devant la maison de sa tante, Natalie remarqua une voiture de sport qu'elle n'avait jamais vue auparavant. Quelqu'un d'autre était donc invité ce soir chez son oncle et sa tante ?

Elle frappa à la porte, qui s'ouvrit instantanément, et Natalie stupéfaite se trouva nez à nez avec une sorte de clone de sa tante Lindsay. Un clone au rabais avec des cheveux desséchés par trop de permanentes, des ongles trop longs et trop rouges... Après le premier choc, elle reconnut Tracey Ducet, la femme qui affirmait être la jumelle disparue de Lindsay. Derrière elle, se tenait

Wayne, le petit ami de l'intruse, planté au milieu du vestibule avec son habituel air avantageux. Ses vêtements avaient dû coûter une fortune, mais ils ne lui donnaient pas l'air respectable pour autant.

— Nat, quel plaisir de te revoir ! s'exclama Tracey. A l'entendre, on aurait vraiment pu croire qu'elles se connaissaient

depuis toujours. Elle serra Natalie dans ses bras, et la jeune femme se sentit aussitôt cernée par les effluves capiteux d'un luxueux parfum dont elle émergea un peu hébétée sans avoir réussi à trouver la réplique qui convenait.

— Je suis passée faire un petit coucou à ma jumelle, disait Tracey de sa voix un peu canaille.

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Elle adressa un sourire douloureux à Lindsay, avant de se tourner vers Wayne. Le jeune homme s'avança, repoussa la mèche pâle qui tombait sur son front et dit d'un ton qu'il imaginait élégant :

— Absolument. Mais maintenant, nous sommes attendus ailleurs ! — Oui, oui, c'est comme si on était déjà partis. A bientôt ! chantonna

Tracey. Elle sortit aussitôt, en agitant négligemment la main, Wayne sur ses

talons. Un lourd silence retomba. — On peut savoir ce qu'elle est venue faire ? demanda enfin Natalie. — Tu ne t'en doutes pas ? Réfléchis, ironisa Frank. Quel petit service

une femme comme elle peut-elle bien avoir à demander à sa jumelle adorée ?

— Je ne sais pas. Tout est possible, j'imagine. — Elle voulait de l'argent, expliqua Lindsay. Juste un « petit prêt », le

temps que tout soit éclairci et qu'elle reçoive sa part d'héritage. — Ça alors ! Qu'est-ce que tu as répondu ? — Moi, j'ai dit non, rétorqua Frank avec fermeté. Les deux enfants, Carter, six ans, et Chelsea, huit ans, appelaient leur

mère de la pièce voisine. — J'arrive ! lança Lindsay. Elle passa un bras sous celui de Natalie et l'entraîna en disant : — Viens. On va ouvrir une bonne bouteille, faire griller nos

hamburgers et oublier tout ça. Sur la terrasse, Natalie aida sa petite cousine Chelsea à dresser le

couvert tandis que Frank mettait en route le gros gril au gaz. Ils dînèrent paisiblement en respirant la fraîcheur qui montait du lac. Aux coins de la terrasse, des pièges à moustiques crépitaient en répandant une légère odeur de brûlé.

Après le repas, Frank emmena Chelsea et Carter faire un tour à Travistown. Il avait perdu un pari avec eux et s'était engagé à leur offrir une glace. La femme de ménage étant de congé, Lindsay et Natalie se mirent ensemble à ranger la cuisine.

Comme Natalie s'y attendait, la conversation glissa bientôt vers leurs problèmes de famille. Lindsay se faisait beaucoup de souci pour son frère aîné.

— Ton père m'inquiète. Chaque fois que je l'appelle, ou que je veux lui rendre visite, il trouve un prétexte pour se défiler. Il est trop occupé, prétend-il, ou il allait justement sortir. Bref, toutes les excuses sont bonnes pour m'éviter. Mais le plus incroyable c'est que je l'ai vu hier à Travistown, et il est passé devant moi sans me voir.

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Lindsay se pencha pour glisser une assiette dans le lave-vaisselle et continua d'une voix plus basse :

— Il a fallu que je l'appelle trois fois avant qu'il ne m'entende, tu te rends compte ? Et même là, il m'a regardée pendant une minute comme s'il ne me reconnaissait pas. Il a une tête épouvantable, tu sais. Comme s'il n'avait pas dormi depuis des semaines.

Elle s'appuya contre le plan de travail et enroula les bras autour de sa taille fine.

— Je sais bien qu'il a eu beaucoup de mal à gérer la transition depuis la mort de maman. Les problèmes n'ont cessé de s'accumuler et il n'a pas toujours su prendre les bonnes décisions. Mais avoue que cette histoire avec Monica Malone est complètement folle...

Elle secoua la tête, réfléchit un instant. — De toute façon, tu connais ton père, conclut-elle. Aussi fermé

qu'une huître. Il croit qu'il doit tout régler seul. J'espère seulement que le fardeau n'est pas trop lourd pour lui.

— Moi aussi, murmura Natalie. Mais nous n'y pouvons rien. Avec tristesse, elle se mit à aligner les verres dans le casier du lave-

vaisselle. Elle avait entendu cette rengaine si souvent ! Pourquoi ne comprenaient-ils pas, tous, que cela ne servait à rien de ressasser ? Et qu'elle n'était pas sur cette terre uniquement pour écouter leurs éternelles doléances ? Ils venaient tous se plaindre à elle, alors qu'elle n'avait rien de positif à leur apporter. Elle avait déjà tant de mal, elle-même, à diriger sa vie !

— Et puis je me sens si... mal par rapport à cette... femme, reprit Lindsay avec un geste vers le vestibule où Tracey Ducet les avait quittés tout à l'heure.

Elle eut un petit rire douloureux. — Tu vois ? Je n'arrive même pas à l'appeler par son nom. Pourtant...

c'est vrai qu'elle me ressemble. Elle pourrait parfaitement être ma jumelle. Mais tout de même, Nat...

Natalie leva les yeux et croisa le regard tourmenté de sa tante. — Vas-y, dis-le, suggéra-t-elle doucement. — Elle est tellement... — Vulgaire ? proposa Natalie en pensant à sa coiffure affreuse et à

son vernis trop brillant. — C'est toi qui l'as dit, pas moi, soupira Lindsay. Est-ce que je suis

une affreuse snob à ton avis ? Elle fit une grimace et Natalie referma le lave-vaisselle très

fermement.

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— Non. Non, tu n'es pas snob, pas toi. Tu as tout de même le droit de ressentir ce que tu veux !

— En fait, c'est plus fort que moi. Je n'arrive pas à croire qu'elle soit ma sœur.

— Tu n'es pas toute seule. Personne d'autre ne croit à cette histoire, dans la famille. De toute façon, Sterling s'en occupe et papa a sûrement fait faire aussi des recherches.

— Oui, il me l'a dit. Natalie se souvint du détective que sa tante Rebecca avait lancé sur

la piste de l'accident de Kate. — Tu vois bien ! C'est Gabriel Devereax qui s'en occupe ? — Oui. Il fait de son mieux, mais cette Tracey Ducet ne lui facilite pas

la tâche. Les gens qui l'ont élevée sont morts tous les deux, prétend-elle, et Gabe n'a même pas réussi à trouver un acte de naissance. Elle dit qu'elle n'en a jamais eu. C'est ridicule ! Une femme de trente-sept ans a forcément dû montrer un acte de naissance au cours de son existence !

— Ecoute, on ne peut faire qu'une chose : attendre, dit Natalie. Tôt ou tard, on découvrira bien la vérité sur ton sosie. Entre-temps, évite de lui prêter de l'argent !

— Ça, sois tranquille. Tu peux compter sur Frank pour m'en empêcher.

— Bien. Maintenant, regarde. Natalie prit sa tante aux épaules et la tourna vers la table. — Ne reste-t-il pas un peu de vin dans cette bouteille ? — Mmm. Je crois bien que tu as raison. L'équivalent de deux verres, à

peu près. — Parfait. Alors verse-les-nous. On va retourner sur la terrasse,

regarder le lac, écouter les pièges de Frank occire les moustiques, et attendre tranquillement qu'ils rentrent à la maison tous les trois.

Lindsay lui lança un sourire. — En plus d'être ma nièce préférée, tu es aussi une super bonne

copine. On peut toujours te dire ce qu'on a sur le cœur ! — C'est tout moi, ça. Le monde entier adore venir pleurer sur mon

épaule. Lindsay sortit des verres propres et les remplit de vin. — Alors, ta chasse au locataire, ça avance ? — Je ne te l'ai pas dit ? C'est fait. Je l'ai trouvé. Elle n'avait plus eu le loisir de penser à Rick depuis le début de la

soirée, et de nouveau son image remplissait son esprit. Passait-il une bonne soirée dans la maison douillette de l'autre côté du lac ?

— Attends ! Tu as trouvé qui ?

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— Mon locataire. Il a déjà emménagé. Il s'appelle Rick Dalton et il a un adorable petit garçon de cinq ans qui s'appelle Toby. Bien sûr, Toby est fou de Bernie, et Bernie aussi est fou de lui.

— Bon, le gosse est adorable et il adore le chien. Mais tu ne parles pas du papa ! Est-il adorable, lui aussi ?

— Donne-moi mon verre. Le lac et les moustiques nous attendent. — Tiens, tiens ! On fait des mystères ! Serait-ce le commencement

d'une belle histoire ? — Arrête ! Inutile de te faire des idées. C'est totalement exclu ! — Mais enfin, Nat, pourquoi pas ? s'exclama Lindsay en lui tendant

son verre. Toi qui es la plus grande romantique que je connaisse ! Ne me dis pas que tu ne crois plus au grand amour !

— Toute ma vie, j'ai été abonnée à une éthique de roman-photo. Lindsay but une gorgée en la contemplant d'un air pensif. — Ce crétin de Baines t'a fait plus de mal que je ne croyais. — Non. Ce n'est pas seulement Joel. C'est... c'est tout le reste. — Mais quoi donc ? Natalie soupira. Comment expliquer à Lindsay que tous ses repères

l'abandonnaient, que sa vie entière semblait se désagréger ? La mort de Kate, puis la séparation de ses parents, la tourmente que traversait Fortune Cosmetics et la ruine qui les menaçait tous, le choc et la honte de ce qu'elle avait vécu avec Joel : tout chancelait autour d'elle. Son père lui-même, le pilier le plus solide de son existence, semblait prêt à s'effondrer.

— On va s'asseoir dehors et on se tait, tu veux bien ? Je t'en prie. — Tu ne veux vraiment pas en parler ? — Non. Vraiment. — D'accord. Mais sache que je suis là si tu as besoin de moi. La remerciant d'un regard, Natalie la précéda sur la terrasse. Lindsay devait être à l'hôpital très tôt le lendemain matin et Natalie

s'en alla peu après le retour de Frank et des enfants. Il n'était que 8 h 30.

L'idéal, à présent, songea-t-elle, était de trouver quelque chose à faire jusqu'à 10 ou 11 heures du soir. A ce moment-là, Rick serait probablement déjà couché. Mais où aller ? Dans un cinéma ? Dans un bar ?

Non, c'était absurde. Elle n'allait pas traîner dehors la moitié de la nuit ou s'inventer de faux prétextes pour ne pas rentrer chez elle. Soit elle s'organisait autrement pour les deux semaines à venir, soit elle mettait les choses au clair avec Rick.

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Oui, le mieux était qu'elle ait une bonne discussion avec lui. Enfin, façon de parler, car après un unique après-midi passé ensemble, ils n'en étaient tout de même pas au stade des bonnes discussions ! Quoique... ils s'étaient déjà dit des choses très intimes et puis il y avait cette électricité dans l'air dès qu'ils s'approchaient l'un de l'autre. N'avaient-ils pas été à deux doigts de s'embrasser aujourd'hui ? Il n'était donc pas inutile de faire une mise au point.

Quand elle rentra, il était en train de regarder la télévision dans le

salon. Elle s'arrêta sur le seuil de la pièce et il leva les yeux pour lui sourire.

— Vous avez passé une bonne soirée ? — Très bonne. Toby est couché ? — Oui. Il est tombé comme une masse. Il reporta son attention sur l'écran et elle resta plantée là, devant lui,

décontenancée, sans savoir si elle se sentait soulagée ou déçue. Car, manifestement, il ne se passait rien entre eux qui sorte de l'ordinaire !

Seul Bernie lui fit fête et abandonna pour l'accueillir la place qu'il occupait aux pieds de Rick. Machinalement, elle lui donna sa ration de caresses puis passa dans la cuisine pour consulter le répondeur qu'elle avait transféré là, en installant la chambre de Toby dans le bureau. Il y avait un message. Avec une dernière tape affectueuse sur l'épaule du chien, elle enfonça le bouton.

— Natalie, c'est d'accord, dit la voix de Joel. Si tu refuses de me donner une nouvelle chance, eh bien, tu es libre et il faudra bien que j'accepte ta décision. J'ai tout de même un petit problème. Tu te souviens de ma chemise bleue, celle qui avait un motif hawaïen ? Je ne la trouve nulle part et je me demandais si tu pourrais jeter un coup d'œil, voir si elle n'est pas chez toi. J'adore cette chemise, alors j'espère que tu voudras bien être sympa...

Vite, elle enfonça le bouton d'arrêt et effaça le message. Maudissant en silence Joel et sa chemise hawaïenne, elle jeta un regard furtif vers le salon. Enfoncé dans le canapé, Rick lui tournait le dos. Toute son attention se portait sur l'écran devant lui et il semblait n'avoir rien entendu. A moins qu'il ne se soit trouvé dans la cuisine au moment de l'appel. Il se servait pour ses communications de son propre portable, il n'avait donc aucune raison d'écouter ses messages, mais s'il s'était trouvé à côté du répondeur... Elle l'imagina, occupé à éplucher des légumes pour le dîner de Toby, tandis que la machine se mettait en

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marche, faisant retentir la voix de Joel... Elle ferma violemment les yeux et serra les poings.

Assez, il fallait en finir à présent ! se dit-elle fermement. Joel appartenait au passé et sa propre attitude devenait ridicule. Il était temps d'arrêter de se faire du cinéma —, et d'aller se coucher, pour commencer.

— Viens, Bernie, ordonna-t-elle en se tapotant le genou. Docile, le gros chien se leva et la suivit tandis qu'elle se dirigeait vers

l'escalier. — Bonne nuit, lança-t-elle, le pied sur la première marche. — Bonne nuit, répondit Rick sans tourner la tête. Quoique secrètement déçue, Natalie se dit que l'attitude de Rick

Dalton avait au moins ceci de bien qu'elle les dispensait tous deux de l'explication qu'elle envisageait un instant plus tôt.

Avant de dormir, résolue à se montrer magnanime envers Joel, elle fouilla son placard à la recherche de la chemise hawaïenne. Elle n'y était pas.

Le lendemain était un dimanche. Rick décida de faire de nouveau

une sortie avec le Lady Kate, après le petit déjeuner, et il invita Natalie à se joindre à eux. Elle refusa, tout en le remerciant pour sa gentillesse. Il lui demanda cependant la permission d'emmener Bernie — pour faire plaisir à Toby.

— Pas de problème. Bernie adore le bateau. — Parfait ! Merci beaucoup. Et ce fut tout. Natalie passa la journée seule à la maison à essayer de

ne pas penser à l'agréable balade dont elle venait bêtement de se priver. Dans l'après-midi, il se mit à pleuvoir et elle se surprit plusieurs fois, postée à une fenêtre, à guetter le retour du Lady Kate. Deux heures passèrent, la pluie cessa et le soleil revint, mais le voilier ne reparaissait toujours pas.

Vers 18 heures, elle décida de mettre en route son plat préféré, un gratin de poulet aux brocolis, rien que pour avoir accompli quelque chose dans sa journée. Le plat achevait de dorer au four quand le Lady Kate apparut enfin. Natalie surveilla discrètement la manœuvre d'amarrage puis retourna s'affairer dans la cuisine. Dix minutes plus tard, Rick apparaissait sur le seuil, la peau bronzée, les cheveux ébouriffés... Elle eut bien du mal à se convaincre que son cœur ne s'était pas accéléré en le voyant. Toby et Bernie entrèrent ensemble derrière lui et se dirigèrent droit vers le salon.

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— Lave-toi les mains ! lança Rick. Avec un sourire aimable à Natalie, il se mit à ranger les restes de leur

pique-nique. Elle le regarda faire quelques instants, puis proposa négligemment : — J'ai préparé à dîner, il y en a assez pour tout le monde, si ça vous

dit... — C'est très gentil ! s'écria-t-il. Puis il leva la tête, renifla et ajouta : — Ça sent délicieusement bon ! C'est prévu pour quelle heure ? — Dans une vingtaine de minutes, ça ira ? — Je monte juste me changer et débarrasser Toby des trois couches

de produits anti-moustiques dont je l'ai enduit, et je reviens mettre la table.

— Marché conclu. Il disparut à la suite de Toby et Bernie, et elle ne put s'empêcher de le

suivre d'un regard attendri. Le petit garçon revint le premier, suivi de près par le chien. Natalie

avait déjà préparé une salade très colorée, les petits pains attendaient la dernière minute pour passer au four. Plutôt que de s'arrêter sur sa lancée, elle décida de sortir les assiettes et les couverts. Quand Toby vint s'asseoir sur un tabouret près d'elle, elle lui sourit en lançant gaiement :

— Bon, il faut mettre la table maintenant. Ce n'était qu'un commentaire sur ce qu'elle était en train de faire,

mais il prit cela pour lui. Glissant de son tabouret, il vint prendre une assiette et se dirigea vers la table. Retenant son souffle, Natalie le regarda prendre soigneusement chaque assiette à deux mains pour aller la poser à sa place, sur la table.

— C'est parfait, dit-elle d'un air judicieux. Est-ce que tu sais aussi mettre les couverts, les verres et les serviettes ?

Très gravement, Toby secoua la tête. — Je te fais un modèle et tu termines, proposa-t-elle. Elle compléta une place en posant lentement chaque objet à sa place. — Tu vas pouvoir faire la même chose avec les autres ? Sans la regarder, il se mit au travail, les sourcils froncés, en se

référant souvent à son modèle. Quand il eut terminé, un ou deux ustensiles étaient à l'envers mais le résultat était globalement satisfaisant.

Natalie était en train de le féliciter quand Rick reparut. — Vous n'avez plus besoin de mettre la table, lança-t-elle avec un

grand sourire. Toby l'a déjà fait. — Quoi ? demanda Rick, stupéfait.

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— Il a mis la table, répéta Natalie. Comme pour s'assurer qu'elle disait vrai, il vint se planter près d'elle

afin de contempler l'œuvre de son fils. Elle essaya de ne pas remarquer combien il sentait bon, et l'irrégularité de son propre pouls dès qu'il s'approchait d'elle.

— C'est vraiment... Il secouait la tête, cherchant des mots capables d'exprimer sa joie.

D'un geste vif, Natalie posa la main sur son bras afin de l'interrompre, et il la regarda, surpris.

— C'est bien, dit-elle d'une voix posée. Toby a fait du bon travail. Il comprit qu'elle lui recommandait de ne pas montrer toute

l'importance qu'il attachait à l'exploit de Toby. — Oui, répéta-t-il. C'est du bon travail. Détournant les yeux avec un sourire timide et ravi, Toby leur tourna le dos et disparut dans le salon. Ils l'entendirent

allumer la télévision et se laisser tomber sur le tapis devant le poste. Derrière eux, Bernie se leva à son tour et alla le rejoindre.

— Décidément, vous faites des miracles, chuchota Rick à l'oreille de Natalie.

Elle frémit délicieusement. Son admiration la réchauffait, et son souffle près de son oreille levait en elle un tourbillon de frissons.

— Toby semble maintenant prêt à assumer certaines choses, murmura-t-elle aussi calmement qu'elle le put.

— On dirait bien ! Ils échangèrent un sourire de connivence et brusquement, elle

s'aperçut qu'elle lui tenait toujours le bras. Sans réfléchir, elle s'écarta de lui comme s'il l'avait brûlée et il la dévisagea, abasourdi, en demandant :

— Qu'est-ce qui se passe ? Rick n'avait peut-être pas besoin de l'explication à laquelle elle

songeait depuis la veille, mais elle, si. — Il faut qu'on parle. Voilà. Elle l'avait dit. Il ne semblait d'ailleurs pas du tout surpris. — D'accord. Quand ? — Ce soir. Quand Toby sera couché. — Vous vous intéressez à moi... en temps que femme, je veux dire ? Rick s'était installé en face d'elle. Il la contempla plusieurs instants

sans rien dire, puis répondit d'une voix neutre : — Oui. — C'est bien ce qu'il me semblait, soupira-t-elle.

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— Vous ne voulez pas que je m'intéresse à vous ? C'est ça que vous cherchez à me dire ?

« Oh, non, bien sûr que non ! » protesta aussitôt une petite voix en elle. Elle la fit taire, cependant, et se força à dire posément :

— Je ne veux pas entamer une relation en ce moment. Il la contempla encore pendant un long, très long moment, les

paupières mi-closes. — A cause du type à la chemise hawaïenne ? Elle eut une petite exclamation exaspérée. — Vous avez entendu son message ! — J'étais devant l'évier. — En train d'éplucher des carottes, c'est ça ? — Je crois bien que je lavais une laitue... Elle noua les mains sur ses genoux et les fixa : — En tout cas, oui, c'était Joel. — Votre ex, celui dont vous m'avez parlé et qui vient de rompre avec

vous. — C'est ça. Sauf que maintenant, il a changé d'avis et il aimerait bien

revenir. Et moi je ne veux pas. Je ne veux être avec personne. Je veux... un peu de temps pour moi.

— Je vois. Elle leva les yeux vers lui, soucieuse qu'il comprenne... — Oh, Rick, quand vous êtes venu visiter la maison, j'étais tellement

contente ! Vous me plaisiez tellement, vous et Toby. Je savais que j'avais trouvé les gens idéaux pour habiter ici avec Bernie pendant mon absence. Je n'avais pas réalisé...

Elle ne savait pas comment achever sa phrase mais il la tira d'affaire: — Que je vous plaisais à ce point ? — Je... Vous... — Allez, Natalie. Ça saute aux yeux chaque fois qu'on se regarde, tous

les deux. Car vous ne pouvez tout de même pas prétendre que ça ne vient que de moi !

Elle aurait aimé pouvoir l'affirmer, mais le mensonge était vraiment trop gros.

— Non... — Avouez-le. Vous aussi, vous ressentez quelque chose ! — Je... oui. — Mais vous ne voulez pas de moi pour autant. — Tout cela est beaucoup trop... rapide. Je ne suis pas prête. Ce n'est

pas ce que je cherche. — Qu'est-ce que vous cherchez ?

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Elle fit un grand geste exaspéré. — C'est bien là le problème ! Je ne sais pas. Le monde entier est en

train de devenir fou autour de moi. Et quand je dis le monde, je pense notamment à ma famille. Il suffit d'ouvrir un journal ou de regarder les informations pour voir que ça ne tourne pas rond chez nous, depuis que ma grand-mère est morte. Quant à ma vie privée... c'est pire que tout. J'ai cru aimer un homme et il n'était qu'une habitude. Comment ai-je pu être aveugle et lâche à ce point ?... Oh, mais je suppose que vous n'avez pas envie d'entendre tout ça.

Il étudiait son visage avec attention. — Si je comprends bien, vous n'avez pas besoin de complications

supplémentaires, dit-il d'une voix calme. — C'est le moins qu'on puisse dire ! Ce fut son tour à lui de soupirer. — En tout cas on ne peut pas vous reprocher de ne pas dire les choses

clairement. Que proposez-vous ? — Je pourrais... aller habiter de l'autre côté du lac jusqu'à mon

départ. — L'idée n'a pas l'air de vous enchanter. — Pas vraiment, non. L'ambiance est plutôt lourde là- bas, et j'essaie

de rester en dehors des problèmes de ma famille. Mais c'est envisageable et je veux bien y aller si vous préférez. Je peux aussi prendre une chambre d'hôtel pendant quelques jours.

— Il y a une autre possibilité : nous pourrions partir, Toby et moi. Elle le regarda bien en face. — Non. Ça, en revanche, il n'en est pas question. J'ai vraiment

l'impression que cet environnement est bon pour Toby. Et vous êtes parfait en tant que locataire, à part ce qui se passe... entre vous et moi.

— Je suis d'accord — pour Toby en tout cas. C'est vrai que son bien-être est une priorité pour moi, en ce moment.

— Alors vous restez ? — Oui. Mais cela m'ennuie de vous faire partir. D'autant que vous

n'en avez guère envie. — Je ne vois aucun autre moyen, à moins... — A moins ? — A moins de garder nos distances l'un et l'autre. — Autrement dit : plus de poulet-brocoli en gratin ! conclut-il avec

une ironie mêlée d'amertume. — En quelque sorte. Puisque c'est vous le locataire, vous aurez la

priorité, je m'organiserai en fonction de vos horaires afin de vous imposer ma présence le moins possible.

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Il secoua la tête, dubitatif. — Croyez-vous vraiment... — Nous verrons bien, l'interrompit-elle. Si ça ne marche pas, je me

trouverai une chambre quelque part.

Plus tard, dans son lit, Rick essaya de se consoler en se répétant qu'au moins, la franchise de Natalie lui avait évité de faux espoirs. Mieux valait, en effet, savoir tout de suite où il en était avec elle. Or, manifestement, la jeune femme n'avait pour l'instant aucune idée de ce qu'elle attendait de la vie — sauf que ce n'était pas lui.

En fait, il s'était trompé sur elle du tout au tout. Elle n'avait rien de la fille fraîche et énergique dont il avait rêvé tout au long de son adolescence. C'était une femme fragile et complètement déboussolée — elle l'avait dit elle-même. Pas du tout une femme pour lui.

Mais pourquoi, dans ce cas, ne parvenait-il pas à se débarrasser de certaines images ? Natalie dans un fourreau brillant de mille feux, en train de chanter Piece of my heart à tue-tête... Natalie et le sourire radieux qu'elle avait adressé à Toby, la toute première fois, un sourire auquel le petit garçon lui-même n'avait pu résister. Natalie courant à côté de son chien, sur la pelouse, sa queue- de-cheval en bataille et sa peau lisse brillante de fine sueur...

Rick poussa une plainte étouffée et se retourna dans son lit. Voilà qu'il recommençait à avoir envie d'elle. Quel imbécile ! Il n'allait tout de même pas faire du sentiment, et perdre le sommeil à cause d'une femme qui venait de lui dire poliment : « Bas les pattes ! »

Il serra les dents et se mit à visualiser le plan du centre commercial sur lequel il travaillait avant de partir en congés. Sur l'écran de son cerveau, il reconstitua chaque ligne de ce maudit plan, niveau par niveau, jusqu'à ce que son désir s'efface et qu'il ne ressente plus rien qu'une vague douleur à la mâchoire.

Tout fonctionnerait très bien, se dit-il. Il éviterait Natalie autant que possible, ils se croiseraient seulement de temps en temps. Et d'ici quelques jours, elle partirait pour sa fichue croisière. Il n'allait pas faire un drame à propos d'une gosse de riche qui ne savait même pas ce qu'elle voulait dans la vie.

Il était plus de 11 heures quand il réussit enfin à s'endormir. Il sombra aussitôt dans un puits sans fond. Ce fut l'instant d'après, lui sembla-t-il, que les hurlements terrifiés de Toby le propulsèrent d'une détente hors de son lit.

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6.

Rick se précipita vers la porte qui donnait dans la chambre de son fils, et actionna l'interrupteur. Toby poussa un hurlement affreux. Complètement aveuglé par la lumière brutale, Rick avança vers le lit, tâtonna fébrilement à la recherche du garçon. Le lit était vide, les draps tout entortillés. Il réussit enfin à ouvrir les yeux et découvrit Toby dans un angle de la pièce, roulé en boule, la tête cachée contre ses genoux.

— Toby. Il essayait de parler calmement, malgré son cœur emballé et le sang

qui ronflait dans ses oreilles. Les cris déchirants de son fils lui lacéraient les nerfs.

— Toby, écoute-moi. Toby, c'est papa. Tout va bien. Il s'approcha prudemment et Toby sembla encore se tasser sur lui-

même. On ne voyait plus qu'un petit tas pitoyable dans un pyjama Snoopy tout froissé, d'où ressortaient deux coudes pointus, deux chevilles trop maigres. Le visage caché, il secouait convulsivement la tête en tremblant.

— Oh, Toby..., murmura Rick. Une fois de plus, il ne savait comment s'y prendre pour rassurer le

petit. Les démons qui le tourmentaient étaient à l'intérieur de son esprit, comment pouvait-il le protéger de lui-même ?

Le Dr Dawkins lui répétait toujours : « Réconfortez-le. N'hésitez pas à lui parler quand les cauchemars frappent et, par-

dessus tout, mesurez votre réaction. Restez calme. Montrez-lui que tout va bien en lui prouvant que vous allez bien. »

C'était certainement le meilleur des conseils — à part que Rick ne se sentait pas calme du tout. Bien au contraire, il se sentait impuissant et

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plein de rage, il avait envie de combattre ces démons et de les écraser dans la poussière.

Il respira profondément et s'accroupit devant son fils. — Toby, appela-t-il doucement en tendant la main. Toby eut un cri effrayé et se pressa contre le mur. — Toby, mon petit... Toby osa enfin lever des yeux remplis de terreur. Tout crispé, il

montra quelque chose derrière Rick. Celui-ci se retourna vivement ; il n'y avait rien d'autre que la porte entrouverte du petit placard de la chambre.

C'est alors qu'il entendit la voix douce de Natalie. — Rick... Elle se tenait à la porte, enroulée dans un peignoir blanc, pieds nus,

les cheveux flous autour du visage. Sous la lumière du plafonnier, la chaîne ainsi que le pendentif en bouton de rose suspendu à son cou semblaient luire d'un feu intérieur. Le gros chien était planté juste derrière elle.

Rick oublia tout ce qu'elle lui avait dit dans la soirée pour ne plus ressentir qu'une reconnaissance éperdue. Natalie était là, elle allait tout arranger. Il ne la connaissait que depuis quelques jours mais il ne doutait pas un instant qu'elle saurait les tirer d'affaire.

Il se releva et s'écarta pour la laisser prendre sa place devant Toby. Elle s'agenouilla sans chercher à toucher l'enfant terrifié et se mit à lui parler avec douceur.

— Dis-moi, Toby. Dis-moi ce qui te fait peur. Toujours tremblant, Toby secoua la tête. — Dis-moi, répéta-t-elle paisiblement. Tu as vu un loup ? Un

monstre? Pendant un temps infini, le petit garçon se contenta de la regarder. — Où est-il ? demanda Natalie. Il jeta un coup d'œil rapide derrière elle, vers le placard. Bernie se mit à gronder. Interdit, Rick regarda ce chien toujours si

affectueux et vit qu'il montrait les crocs au placard. Puis il vit que Toby contemplait le chien avec une expression d'adoration totale. Impulsivement, il s'avança, notant du coin de l'œil que le chien marchait avec lui, et ouvrit la porte d'un geste belliqueux. Il n'y avait là que quelques boîtes de puzzles sur l'étagère, un fouillis de raquettes, de balles et de ballons sur le sol, quelques vêtements accrochés. Pas le moindre recoin d'ombre. Natalie choisit cet instant pour tendre les bras au gamin.

— Viens là. Allez, viens.

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Avec un petit cri affamé, Toby se jeta contre elle. Elle le serra bien fort tout en murmurant des paroles de réconfort, et se releva en le soulevant dans ses bras.

— Ecoute-moi bien. Il ne peut rien t'arriver. Ton papa est là. Bernie est là. Je suis là aussi. On ne laissera pas ce monstre t'attraper, jamais de la vie.

Elle lui tapotait le dos tendrement et murmurait des promesses en le portant vers le lit où elle s'assit, le petit sur ses genoux. Bernie s'approcha tout de suite et poussa de sa truffe le genou de Toby. L'enfant se pencha vers lui et Natalie en profita pour adresser à Rick un petit signe afin qu'il éteigne la lumière trop crue du plafonnier. Elle alluma la lampe-avion et cette douce lueur ambrée les soulagea tous.

Natalie fit glisser Toby de ses genoux et Rick vint s'asseoir près de lui, de l'autre côté. Quand ils se retrouvèrent tous trois en rang au bord du lit, Bernie à leurs pieds, elle demanda :

— Le monstre était dans le placard, Toby, c'est ça ? Le petit frissonna et s'appuya contre elle. Elle l'entoura de son bras

en lui caressant les cheveux et Rick le vit hocher affirmativement la tête. — Tu sais qu'il n'y a pas de monstres, pourtant, Toby ? Toby n'était pas du tout d'accord. Il se raidit furieusement. — Bon, supposons alors qu'il y en a, reprit Natalie. Pourquoi pas ?

Mon grand-père, par exemple, me disait toujours qu'il y avait un monstre au fond du lac Travis. Mais c'était un gentil monstre.

Cette fois, Toby la regarda, fasciné. — Tu ne savais pas qu'il y avait des gentils monstres ? Solennellement, il secoua la tête. Un tout petit mouvement, mais un

mouvement indiscutable. — D'après moi, pourtant, ce sont les seuls qui existent vraiment. Le petit la contemplait toujours et Rick avait l'impression qu'il avait

terriblement envie de la croire, sans oser le faire tout à fait. — Dis, reprit-elle, ça te plairait que Bernie dorme ici avec toi ? Elle leva les yeux vers Rick et ajouta : — Si ton papa est d'accord, bien sûr. Rick approuva sans hésiter : — Aucun problème pour moi. — Alors ? demanda Natalie à Toby. Il hochait la tête, hochait la tête sans pouvoir s'arrêter. — Alors c'est d'accord. Elle se leva et lui sourit gentiment. — Il reste avec toi et moi, je retourne dans mon lit. Bonne nuit, Toby.

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Toby baissa les yeux, mais il souriait maintenant. Elle se mit sur pied, resserra la ceinture de son peignoir et se pencha vers Bernie.

— Tu restes, lui dit-elle. Reste ici. Elle était déjà à la porte quand Rick dit brusquement : — Natalie... Surprise, elle se retourna vers lui et il planta son regard dans le sien

en essayant d'exprimer toute sa reconnaissance. L'idée l'effleura vaguement qu'il devait ressembler à Toby quand il avait jeté au gros saint-bernard un regard d'adoration, quelques minutes plus tôt — mais quelle importance ?

— Merci..., murmura-t-il. Elle hocha la tête avec un tout petit sourire et disparut. Rick borda Toby dans son lit et resta près de lui en attendant qu'il se

rendorme. Le cœur serré, il songeait à la jeune femme. Une telle sérénité se dégageait d'elle tandis qu'elle parlait au petit garçon ! Pourquoi s'obstinait- elle à refuser le lien qui se forgeait entre eux trois? En tout cas, quelle que soit la façon dont évoluerait leur relation, il lui vouerait toujours une gratitude immense pour le bien qu'elle faisait à Toby.

Natalie s'attarda un instant au pied de l'escalier, tentée d'attendre Rick pour discuter quelques instants avec lui quand il sortirait de la chambre de l'enfant. Puis elle se souvint de la façon dont il l'avait regardée, comme si elle venait de sauver le monde. Il ne portait qu'un caleçon et... Elle se détourna et grimpa l'escalier quatre à quatre. Parler avec Rick était vraiment la dernière chose dont elle ait besoin ce soir.

Le lendemain matin, Rick et Natalie échangèrent des bonjours

cordiaux. Personne en les regardant n'aurait deviné la tension subtile qui régnait entre eux. Toby dévora son petit déjeuner et Rick réalisa qu'en quelques jours, Toby s'était mis à ressembler de plus en plus à un petit garçon normal. Il mangeait mieux, souriait de plus en plus souvent. Son petit visage figé s'animait et le hâle donnait un ah de santé à sa peau diaphane. Bien sûr, il ne parlait toujours pas, il continuait à se cacher parfois dans des recoins étroits et il avait eu un gros cauchemar la nuit dernière mais, pour la première fois, Rick avait l'impression de voir le bout du tunnel. Le Dr Dawkins n'avait cessé de répéter que Toby faisait de gros progrès mais, sans se l'avouer tout à fait, Rick ne l'avait pas vraiment crue.

Maintenant, ils avaient dans leur camp un atout de taille, une véritable équipe gagnante : Natalie et Bernie. Seulement, cette idée

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n'était pas non plus totalement rassurante. En se remettant au lit la nuit dernière, il avait subitement pensé que sans Natalie et Bernie, ils pourraient parfaitement se retrouver à la case départ. Toby n'allait-il pas rentrer dans sa coquille quand il ne les aurait plus ? Dans deux semaines, Natalie partirait. Le chien ne serait là que jusqu'à la fin du mois d'août. Que se passerait-il quand ils rentreraient à Minneapolis ? Il décida de parler de ses craintes cet après-midi même, lors de la séance hebdomadaire chez la thérapeute.

En face de lui, Natalie mangeait son petit déjeuner sans rien dire. Sa peau lisse avait l'air très douce dans la lumière du petit matin, mais elle avait des cernes sous les yeux. Avait-elle dormi aussi mal que lui ?

Après le petit déjeuner, il emmena Toby à la jetée pour essayer de vieilles cannes à pêche trouvées dans le hangar à bateaux. Ils s'installèrent sur les rondins tièdes, jambes pendantes au-dessus de l'eau et passèrent un moment très agréable — sans rien attraper, bien sûr. Quand Toby sembla vouloir un peu de changement, ils jouèrent avec Ber- nie sur la pelouse, puis rentrèrent dans la maison. Rick montrait à son fils quelques raccourcis dans l'art d'assembler un puzzle quand le saint-bernard, tranquillement allongé près d'eux, leva soudain sa grosse tête et se mit à gronder — le même grondement qu'il avait lancé la nuit dernière vers le monstre du placard.

Quelques secondes plus tard, on frappait à la vitre de la porte d'entrée. Rick leva la tête, croisa le regard du visiteur et devina tout de suite qu'il s'agissait de Joel.

Natalie se trouvait à l'étage, ils l'avaient à peine entrevue depuis le petit déjeuner.

— Cherche encore des morceaux de la carapace de Rafaello, recommanda-t-il à Toby en se mettant debout.

En ouvrant la porte, il nota que le visiteur était à peine plus petit que lui. A part son menton, un peu trop mou, il avait un physique agréable.

— Bonjour, dit-il. — Est-ce que... Natalie est là ? Le fait de trouver un homme dans la place le mettait visiblement mal

à l'aise, et Rick prit un malin plaisir à ne pas le rassurer. — Elle doit être à l'étage, répondit-il tranquillement. — Je m'appelle Joel, dit l'autre abruptement en lui tendant la main.

Natalie ne m'avait pas dit qu'elle avait de la visite. Dans le salon, Bernie se remit à gronder et l'intrus lui lança un

regard hostile. Avec un large sourire, Rick lui serra la main, s'abstint de se présenter à son tour et s'écria cordialement :

— Je vais la chercher. Entrez donc !

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Bernie était maintenant dressé sur ses pattes. Tête basse, il couvait Joel d'un regard torve et Toby près de lui avait à peu près la même expression. Si ce type ne plaisait pas à Bernie, le petit garçon ne tenait pas du tout à faire connaissance.

— Euh, non. Non, merci, dit l'autre. Je vais l'attendre sous la véranda. — Comme vous voudrez. Il y eut un pas dans l'escalier et l'homme leva les yeux, l'air très

soulagé. — Oh, Natalie ! Ecoute, il faut vraiment qu'on parle. Je... Le temps que Rick se retourne, Natalie avait déjà dévalé l'escalier

comme une tornade, posé sur un meuble la tasse vide qu'elle tenait à la main et entraîné Joel vers la porte.

— On va parler, d'accord. Mais dehors. Elle ferma la porte en évitant tout juste de la claquer. Très satisfait,

Rick tourna le dos aux fenêtres et à la tentation qu'elles représentaient, et retourna vers son fils et Bernie — le fantastique et perspicace Bernie, terreur des soupirants éconduits.

A quelques mètres, sous la véranda, l'ambiance était nettement moins cordiale.

— Comment oses-tu venir ici ? disait Natalie d'une voix contenue, je n'ai pas ta chemise. Je n'ai rien qui t'appartienne alors je te prie de me laisser tranquille.

Son interlocuteur baissa la tête, les yeux fixés sur ses chaussures. — D'accord, je sais. En fait, je ne suis pas vraiment venu pour ma

chemise. Son front se plissa et il la regarda d'un air vaguement accusateur, en

montrant la porte du menton. — C'était qui, ça ? — Je ne vois pas en quoi ça te regarde pas mais « ça », c'est mon

locataire, et son fils. — Un locataire ? Pourquoi est-ce que tu as besoin d'un locataire ? — Joel. Je compte jusqu'à cinq. Dis ce que tu es venu me dire et... — Oui, bon. Je voulais juste que tu saches : je vais me marier. Natalie cligna des yeux, incrédule. Elle ne trouvait absolument

aucune réponse. Il profita de son silence pour continuer : — Tu te souviens des... petites infidélités dont je t'ai parlé ? — Joel, je ne vois vraiment pas... — En fait, la femme avec qui je t'ai... trompée n'a pas été très

prudente. Maintenant, il paraît que je vais être papa. Alors, bien sûr, je veux faire les choses comme il faut...

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Natalie comprit que si elle voulait endiguer ce torrent de confidences répugnantes, elle allait devoir dire quelque chose et vite.

— Tout ça ne me regarde pas, tout ça ne m'intéresse pas... — Oui, mais tu as toujours été tellement... tu sais écouter les autres,

Natalie. Ça m'a beaucoup manqué, tu n'as aucune idée à quel point c'était important pour moi. Je te disais tout et tu avais toujours quelque chose de positif à répondre. Melissa — c'est la fille que je vais épouser — elle est très jolie, on s'amuse bien ensemble, mais elle est très exigeante. Elle m'épuise, au fond. On partageait des moments vraiment paisibles, toi et moi. J'aimerais continuer, partager avec toi des moments tranquilles, des conversations, tout simplement...

— Attends une seconde, dit Natalie. Je voudrais comprendre. Cette femme est enceinte de toi et tu vas l'épouser, mais tu veux continuer à me voir. C'est ça ?

— Eh bien... Je ne sais pas exactement ce que je veux. Mais tu me manques, tu sais, tu me manques terriblement. Hier, quand Melissa m'a annoncé ça, pour le bébé, la seule chose qui me venait à l'esprit, c'était cette envie de t'appeler, d'en parler avec toi, pour voir ce que tu pourrais me dire. Je comprends bien que c'est fini entre nous à un certain niveau. C'est bon, c'est d'accord, je peux l'accepter. Si on pouvait juste être amis, Natalie. Amis, rien de plus, c'est tout ce que je te demande.

Natalie s'aperçut qu'elle avait la bouche ouverte et prit le temps de se composer une expression moins stupide. Elle aurait aimé se dire qu'elle avait mal compris, qu'il ne venait pas vraiment de dire...

Mais non. Elle ne s'était pas trompée. — Dis-moi, est-ce que je ressemble à un paillasson ? — Quoi ? Mais non, bien sûr, qu'est-ce que tu veux... — Alors pourquoi est-ce que tu éprouves le besoin de t'essuyer les

pieds sur moi ? — Ne sois pas ridicule. Je veux seulement te parler, te dire... — Joel, si jamais tu reviens ici, j'appellerai la police. C'est compris ? — Mais enfin... — Je rentre. Si tu ne pars pas immédiatement, j'appelle la police. Il prit une grande respiration, voulut se lancer dans un nouveau

discours. Mais quelque chose dans l'expression de la jeune femme dut enfin lui faire comprendre qu'il faisait fausse route. Il fronça les sourcils et la regarda attentivement.

— Tu parles sérieusement, alors ? — Oui. Il secoua la tête.

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— Tu ne veux jamais plus me revoir, dit-il d'une voix incrédule — et qui pourtant montrait qu'il la croyait enfin.

— Tout juste. — Très bien... Il cligna des yeux, repoussa ses cheveux châtains de son front. — J'ai compris. Alors je vais... m'en aller. — Merci. Elle le suivit des yeux tandis qu'il s'éloignait le long de l'allée et

remontait dans sa voiture, toujours avec cette expression abasourdie. C'était fini, il ne l'ennuierait plus maintenant. Pour cela, au moins, elle pouvait se réjouir.

En même temps, cependant, elle avait honte. Honte d'avoir jamais cru qu'elle aimait cet homme ou pire encore, honte de l'avoir réellement aimé. Honte de n'avoir pas su voir ce qu'il était, de n'avoir aucun jugement quand il s'agissait d'amour.

— Natalie ? Elle se retourna. Rick se tenait sur le pas de la porte, incroyablement

séduisant dans son vieux pantalon de jogging et son T-shirt noir. — Tout va bien ? demanda-t-il. Comme toujours, il avait l'air sincère, inquiet pour elle. Son cœur se

mit à battre plus vite... mais elle ne pouvait absolument pas se fier à son instinct quand il s'agissait de juger les hommes.

— Tout va bien, répondit-elle. Il restait un petit malentendu avec Joel, mais je crois que nous nous sommes compris maintenant.

— Parfait ! Ce mot si simple semblait receler plusieurs sens cachés, tous plus

dangereux les uns que les autres. Il lui souriait et cela aussi, c'était dangereux. « Souviens-toi de cette loque de Joel, se dit-elle sévèrement. Souviens-toi que tu n'as aucun sens commun face aux hommes qui te plaisent, souviens-toi que tu es censée l'éviter. »

— Je vais reprendre un peu de café, et remonter dans ma chambre, répliqua-t-elle d'un ton distant.

Elle vit son sourire s'effacer et il s'écarta sans un mot pour la laisser passer.

— Je vous en prie, murmura-t-il d'un ton aussi froid que le sien.

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7.

Cet après-midi-là, à la fin de la séance avec Toby, le Dr Dawkins invita Rick à passer dans son bureau. Elle semblait très satisfaite.

— Toby fait des progrès énormes. Il regarde son interlocuteur en face et il a même souri deux fois pendant la séance, aujourd'hui. Sa période de retrait me semble quasiment terminée. Attendez-vous à ce qu'il se remette à parler bientôt. Quand il le fera, essayez de ne pas en faire toute une histoire. Il va peut-être dire quelques mots, puis replonger dans le silence pendant un certain temps. Ne faites pas pression sur lui, laissez-le redécouvrir sa voix à sa façon.

Elle s'adossa confortablement dans son grand fauteuil de cuir et pressa ses mains l'une contre l'autre.

— Je pense aussi que nous pourrions espacer ses séances, maintenant, passer à une fois tous les quinze jours.

Une joie profonde s'empara de Rick. Il cherchait les mots pour l'exprimer quand il se souvint de Natalie et du chien.

— Qu'y a-t-il, monsieur Dalton ? demanda tout de suite la thérapeute. Il s'efforça d'expliquer ses craintes au sujet de sa propriétaire et du

chien que Toby aimait tant. — Il a souri dès qu'il l'a rencontrée et il est fou de ce chien. Elle va

partir en voyage dans moins de deux semaines. Nous garderons le chien pendant son absence, mais ensuite... il faudra bien rentrer chez nous.

— Vous craignez une régression à ce moment-là ? — Oui. C'est exactement ça. La thérapeute sourit. — Ne vous inquiétez pas. — Mais...

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— Monsieur Dalton, c'est vous qui comptez, ici. C'est avec vous que Toby doit bâtir une relation, et c'est votre investissement en temps et en disponibilité qui fait toute la différence. Tant que ses rapports avec vous restent stables, Toby continuera à progresser. Je suis parfaitement certaine que d'ici peu, votre fils sera tout à fait rétabli. Votre gentille propriétaire et son bon chien contribuent peut-être à ses progrès, et il n'est pas impossible que Toby manifeste quelques symptômes quand il perdra le contact avec eux. Mais ce ne sera pas bien profond, il surmontera ce problème. Tant que vous serez là pour lui donner l'amour et la tendresse dont il a besoin, il ira bien.

Rick se frotta les yeux et elle eut un petit rire. — Je sais, dit-elle gaiement, c'est une énorme responsabilité. Mais

vous vous débrouillez comme un chef. Il pensa à Natalie et à l'instinct si sûr qu'elle avait montré la nuit

précédente alors que lui-même se sentait complètement dépassé. — Je suis ravi de savoir que vous pensez ça, marmotta-t-il en

secouant la tête. Moi, il y a des moments où j'en doute. — N'en doutez pas. Vous vous en sortez très bien. — Parfois, je me dis que s'il y avait une femme à la maison... Les mots étaient sortis sans décision consciente de sa part. La

thérapeute se tut un instant, puis répondit : — Ce ne serait pas un remède miracle, monsieur Dal- ton. Pas en ce

qui concerne Toby en tout cas. Mais... Un sourire charmant illumina son visage d'ébène et elle conclut : — ... si vous, vous voulez une femme, c'est tout à fait autre chose. Elle se leva. — Je crois que c'est suffisant pour aujourd'hui. Rick se leva à son tour

et la thérapeute fit le tour de son bureau pour l'accompagner jusqu'à la porte, en lui recommandant de prendre rendez-vous à l'accueil pour la prochaine séance.

En rentrant, Toby et Rick trouvèrent une Mercedes blanche garée dans l'allée à leur place habituelle. Rick la contourna avec précaution et alla se garer devant la porte de la cuisine. Pendant qu'ils mettaient pied à terre, Natalie parut sur le seuil et Bernie, profitant de la porte ouverte, se faufila dehors et bondit joyeusement vers eux. Rick réussit à placer une caresse au passage, mais le chien n'avait d'yeux que pour Toby.

Rick leva les yeux vers Natalie. Etrange comme cela lui réchauffait le cœur de la voir plantée là sur le seuil, le visage encadré par les petites

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mèches qui s'échappaient, comme toujours, de sa queue-de-cheval. Il nota pourtant avec inquiétude l'expression tendue de son visage.

— Je voulais rentrer les courses par le plus court chemin, cette fois, expliqua-t-il pour dire quelque chose.

Le visage de la jeune femme se détendit un peu et elle s'écria en riant:

— Des courses ? Vous aviez déjà apporté une tonne de provisions en arrivant avant-hier !

Il lui sourit sans répondre. Avant-hier ! Comment cela avait-il pu arriver aussi vite ? Cela

existait donc, le coup de foudre ? Il n'avait rencontré Natalie que quinze jours plus tôt, et cela faisait seulement trois jours qu'ils vivaient sous le même toit.

Pourtant, chaque fois qu'il la regardait, il sentait son cœur fondre et mourait d'envie de la toucher malgré la promesse qu'il lui avait faite de garder ses distances !

Son regard dut exprimer un peu de ce qu'il ressentait car il vit son sourire s'effacer. Il ressentit une flambée d'exaspération. Pourquoi, de son côté, lui lançait-elle des messages aussi contradictoires ! Manifestement, elle avait autant de mal que lui à se souvenir des barrières qu'elle avait dressées entre eux.

— Je vous donne un coup de main, proposa-t-elle d'un ton un peu brusque.

Elle se dirigeait déjà vers le coffre. Il s'avança et lui barra le passage. — Non, merci. Je m'en occupe. Elle s'arrêta, un peu indécise. — Ça ne m'ennuie pas... — Je m'en occupe, répéta-t-il en achevant d'ouvrir le coffre. — Très bien. Elle recula. Il sentit que son ton l'avait blessée et se sentit coupable.

Il fallait tout de même qu'elle cesse de venir vers lui ! C'était insupportable de la sentir si proche et si inaccessible à la fois.

— Natalie ? s'enquit alors une voix exquise. Rick leva les yeux et crut voir Grace Kelly. Tout de blanc vêtue, une

femme venait d'apparaître sur le seuil, à l'endroit précis où Natalie se tenait un instant plus tôt. Il cligna les yeux, abasourdi, et comprit sa méprise. Le visage de cette femme était un peu plus émacié, son corps plus longiligne que celui de la princesse de Monaco, mais elle était aussi divinement belle. D'une beauté si parfaite qu'on aurait pu lui donner aussi bien trente-cinq que cinquante ans.

— Je suis dehors, maman, répondit Natalie sans se retourner.

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La belle apparition sourit à Rick. — Bonjour, je suis Erica, la maman de Natalie. — Rick Dalton, le nouveau locataire. — Je suis heureuse de vous rencontrer. Natalie passa son bras sous celui de sa mère et lui dit avec un peu de

gêne : — Viens, on va laisser Rick décharger ses affaires. — Un instant. Laisse-nous donc faire connaissance, protesta

doucement Erica. Votre petit garçon n'est pas l à ? Toby avait vu la belle dame et s'approchait prudemment, Bernie à

ses côtés. — Bonjour ! La vision en blanc descendit les marches d'un pas léger et

s'agenouilla dans l'herbe, sa jupe s'ouvrant autour d'elle en corolle. Elle sourit avec tendresse à l'enfant intimidé et, brusquement, Rick vit la ressemblance entre la mère et la fille.

Timidement, Toby lui rendit son sourire. — Il s'appelle Toby, dit Natalie à mi-voix. Erica ne sembla pas l'entendre. — J'ai eu un petit garçon, moi aussi, un seul, confia-t-elle à Toby.

Maintenant il est grand, il a ses propres enfants et, depuis peu, une femme adorable.

Toby leva la main et toucha la chevelure blond cendré qui brillait au soleil comme un filet de platine mêlé de fils d'or. Elle eut un rire qui ressemblait — malgré une note de nervosité douloureuse — à celui de Natalie, puis elle saisit Toby et le serra contre elle.

Inquiet, Rick fit un pas en avant. Toby allait peut-être s'effrayer... Mais il vit que l'enfant acceptait la caresse ; mieux, qu'il avait noué ses bras autour du cou d'Erica Fortune et qu'il lui tapotait gentiment le dos.

Ce fut Erica qui s'écarta la première. Avec un soupir, elle se leva d'un mouvement très léger.

— Tu es un amour, dit-elle à Toby. Puis elle se tourna vers Rick et il vit que ses yeux verts étaient

humides. — J'adore les enfants, dit-elle. Quelquefois, je regrette le temps où les

miens étaient petits. La vie semble tenir à si peu de chose, maintenant ! Tout était tellement plus simple avant — c'est du moins ce qu'il me semble !

Natalie tenta une nouvelle fois de mettre un terme au bavardage de sa mère.

— Viens, maman. On va monter et...

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— Non, non, je me sauve. Tu m'as assez écoutée me plaindre et je me sens beaucoup mieux. Merci à toi, ma chérie, je vais y aller, maintenant.

— Tues sûre ? — Tout à fait. Contente de vous avoir rencontré, Rick. Nat, tu

m'accompagnes jusqu'à ma voiture ? Elle adressa à Rick un sourire éblouissant et s'éloigna avec Natalie.

Pensif, celui-ci se mit à vider le coffre. Toby jouait avec le chien sur la pelouse. Pris d'une soudaine inspiration, il se dit qu'un gamin qui venait de se comporter de façon si naturelle avec une inconnue était probablement capable, à présent, de lui donner un coup de main pour décharger la voiture.

— Hé, Toby ! Le garçon se retourna. — Tu comptes me laisser transporter ces paquets tout seul ? Toby fit la grimace. — Allez, pas d'histoires. Viens m'aider. Tête basse et traînant les pieds exactement comme un petit garçon

ordinaire, Toby vint faire ce que son père lui demandait. Dans la cuisine, il voulut poser ses courses sur la table, mais la place

était déjà occupée par un journal grand ouvert. Un gros titre barrait la page et, tout de suite, le nom de « Fortune » lui sauta aux yeux. Intrigué, il posa son chargement et revint se pencher sur la page :

« Monica Malone et Ben Fortune — leur amour secret aura duré un quart de siècle ! » Au milieu de l'article, il y avait deux photos, l'une montrant la star de profil, et l'autre un bel homme aux cheveux gris. Les deux portraits avaient été agencés de telle sorte qu'on avait l'impression qu'ils allaient s'embrasser. En dessous de l'article, il y avait aussi une photo de Kate Fortune, les sourcils froncés. Sa réprobation s'adressait probablement au paparazzo qui avait pris le cliché, mais la légende l'appelait « l'épouse bafouée ». L'article était odieux de sensationnalisme vulgaire, et n'avançait rien de concret pour étayer ses affirmations.

Rick lisait encore quand un paquet de biscottes vint atterrir sur la table près de sa main. Il leva les yeux et croisa le regard impatient de son fils. « Voilà, je t'ai aidé, je peux aller jouer maintenant ? » semblait-il lui dire.

— Rapporte-moi le sac de pommes de terre et la lessive en poudre, et tu auras fait ta part.

Le petit fronça le nez, mécontent.

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— Tu m'as entendu. Au travail ! lui ordonna Rick avec un sourire encourageant.

Toby sortit, l'air résigné, et Rick acheva de parcourir l'article. Le texte n'était pas particulièrement convaincant. Cela commençait par : « Nous apprenons, de source bien informée, que... » mais le contenu se bornait ensuite à de simples variations sur le même thème, n'étayant en rien l'annonce fracassante du gros titre. Au final, l'article était plutôt creux, mise à part toutefois l'hypothèse avancée selon laquelle Monica Malone chercherait, en achetant le maximum d'actions du groupe Fortune, à se venger de la famille : « La belle Monica aura été le grand amour de Ben Fortune, mais il n'a jamais voulu quitter pour elle sa femme ou sa famille. Ainsi l'aura-t-il obligée à vivre leur amour dans l'ombre. Aujourd'hui, enfin, Monica Malone abat ses cartes et revendique sa place au soleil... »

Le reste retraçait tout ce que Kate et Ben Fortune avaient accompli au cours de leur longue et tumultueuse existence.

Toby reparut, traînant le sac de pommes de terre qu'il laissa choir sur le seuil. Avec un gros soupir, il fit demi-tour et ressortit.

— Attends-moi, lança Rick, très amusé par son manège. Il traversa la cuisine au trot pour le rattraper et Toby leva vers lui un

regard de martyr. Quand Natalie revint, Toby jouait sur la pelouse, mais Rick était

encore en plein rangement. Du coin de l'œil, il la vit marcher droit vers le journal et le replier. Leurs regards se croisèrent et elle fronça les sourcils.

— Vous l'avez lu, jeta-t-elle d'un ton accusateur. — Coupable, dit-il sans se troubler. Il porta un sachet de légumes vers le réfrigérateur, et s'accroupit

pour les ranger dans le bac. Comme elle demeurait silencieuse, il se retourna et la vit pétrir le journal avec des gestes nerveux.

— C'est ma mère qui l'a apporté, dit-elle enfin. Elle est très contrariée. Elle déteste ce genre de choses.

— On la comprend. D'autant que si ça se trouve cette pseudo-information est inventée de toutes pièces. Le journaliste ne donne aucune preuve de ce qu'il avance !

— Vous croyez que c'est faux ? Il lui jeta un nouveau regard. Son visage s'était éclairé et il sentit son

cœur faire un bond dans sa poitrine. — Je suis comme vous. Je n'en sais rien. Mais, à votre place, je dirais

à ma mère de ne plus se préoccuper de ce genre de ragots.

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Il se releva pour saisir une laitue, et arrêta son mouvement pour lui sourire. Un peu hésitante, elle lui rendit pourtant son sourire et il découvrit qu'il n'avait aucune envie de rompre le contact. Ils restèrent donc là tous les deux, les yeux dans les yeux, avec ce sourire vague et émerveillé, et probablement, se dit-il, un peu stupide...

Elle baissa les yeux la première, les mains serrées sur le journal, tandis qu'une vague de rougeur montait à l'assaut de ses joues.

— Bon, eh bien... je ferais bien de remonter. Sans répondre, Rick replongea dans les profondeurs du

réfrigérateur. Au même moment, installée à son bureau sous la grande verrière de

l'appartement que Sterling avait déniché pour elle, dix-huit mois plus tôt, Kate était, elle aussi, en train de lire l'article en question, tandis que son vieil ami arpentait la pièce en attendant qu'elle ait terminé.

Quand enfin elle leva les yeux, il s'arrêta net et leurs regards se croisèrent.

— Kate... Il semblait ne pas savoir comment achever sa phrase. La vieille dame contemplait maintenant les photos reproduites au

centre de la page. Tout cela appartenait au passé, désormais. Au cours des années, elle avait parfois eu l'impression d'un lien secret entre Ben et Monica. Surtout pendant cette période difficile qu'avait traversée leur couple, à l'époque où son éclatante réussite personnelle avec Fortune Cosmetics avait donné à Ben un sentiment d'infériorité. Leur mariage avait tenu bon, pourtant, et elle savait que Ben l'avait aimée profondément.

Il y avait eu, en effet, certains indices pour nourrir ses soupçons. Des petites choses, si infimes que seule une femme qui connaît son homme comme elle connaissait Ben pouvait les remarquer. Un sujet qu'on évite, un visage qui se détourne, un regard entendu lancé à travers un salon plein de monde...

Pourtant, Kate n'avait jamais rien entrepris pour savoir si son mari la trompait réellement avec la femme qu'elle- même avait choisie pour incarner sa prestigieuse marque de produits de beauté. Sans doute parce qu'elle préférait ne rien savoir.

Tout à coup elle songea que si quelqu'un — à part Monica elle-même — était susceptible de savoir la vérité, c'était bel et bien Sterling. Comme elle, Ben avait donné à celui-ci toute sa confiance.

— Vous croyez que c'est vrai ? osa-t-elle demander. Le regard de Sterling ne changea pas.

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— Je ne sais pas. — Mais vous avez bien, vous aussi, entendu les rumeurs qui

circulaient à l'époque ? Vous avez certainement eu des doutes, de temps en temps ?

Il toussa. — Oui, marmonna-t-il d'un ton réticent. — Très bien, dit-elle fermement. Cette fois, en revanche, je veux

savoir qui a lancé la rumeur, et pourquoi. La personne « bien informée» qui renseigne ce torchon dispose peut-être d'autres informations dont nous aurions besoin en ce moment.

— Vous avez raison. Je m'en occupe tout de suite. Malheureusement, le champ des possibilités est large. Ça peut être n'importe qui : un employé mécontent dans l'une des sociétés du groupe, un journaliste prêt à inventer n'importe quoi pour faire parler de lui. Ou même quelqu'un de tout à fait extérieur, un serveur ou un commerçant, qui a vu un jour Ben avec l'actrice.

— Je vois. Et si c'était Tracey Ducet et son petit ami ? — C'est possible. On va vérifier. — Ou Monica elle-même ? — Il faut également chercher de ce côté-là... Nous allons tout

examiner. J'appelle Gabe Devereax aujourd'hui même. — Très bien. Kate se leva de son bureau et fit quelques pas dans la pièce : — A présent, parlons de Jake, voulez-vous ? L'expression de Sterling se fit sévère. — Je suis allé le voir comme vous me l'aviez demandé. Hier, à 9

heures du matin, à la propriété. — Alors ? — Alors ça s'est passé exactement comme je l'avais prédit. Il a été très

poli et très distant, et il s'est débarrassé de moi aussi vite qu'il l'a pu. Sans manquer un seul instant de courtoisie, bien sûr.

— Avez-vous appris quoi que ce soit au sujet de Monica et la façon dont elle s'y prend pour faire pression sur lui ?

Sterling lui jeta un regard patient. — Il ne m'a pas laissé aborder le sujet. — Mais... comment va-t-il ? Comment est-ce qu'il vous a semblé ? — Kate... — Il y a quelque chose, je le vois dans vos yeux. Dites-moi. Sterling hésita encore quelques secondes avant d'avouer : — Il avait bu. — A 9 heures du matin ?

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— Oui. Il avait l'air très mal, Kate. A pas lents, elle se dirigea vers la fenêtre. La vitre immense avait été

traitée avec un revêtement qui permettait de voir au-dehors sans être vu. Longtemps, elle regarda au loin.

— Il y a quelque chose qui nous échappe, mais il va forcément se passer quelque chose, je le sens. Nous devons rester vigilants, Sterling, car à mon avis nous ne sommes plus très loin du dénouement.

— Vous avez eu si souvent raison ! J'espère seulement que vous ne vous tromperez pas, cette fois encore...

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8.

En rentrant de Minneapolis, Natalie ne portait, cette fois, qu'un seul petit paquet, mais il contenait des dessous absolument étourdissants. La journée avait été étouffante, elle se sentait éreintée et rêvait par-dessus tout d'une bonne douche.

Elle était partie tôt ce matin dans la ferme intention d'user ses semelles à force de faire les boutiques — pour découvrir très vite que le cœur n'y était pas. Voilà pourquoi, après avoir acheté les sous-vêtements, elle s'était installée à une terrasse pour regarder les passants. L'heure du déjeuner approchant, elle avait commandé une salade puis, cédant à une impulsion, elle était entrée dans un cinéma qui donnait Pocahontas de Disney, une bande dessinée qu'elle n'avait jamais vue, mais qu'adoraient ses petits élèves. Le film lui avait un peu remonté le moral et elle était ressortie en chantonnant la musique.

Sa bonne humeur s'envola vite, cependant, dans les embouteillages du retour. Pourquoi n'était-elle pas plutôt restée chez elle, aujourd'hui, au lieu de s'imposer pareille épreuve ? Mais elle savait bien que c'était là une fausse question. Car, à la maison, il y avait Rick. Et avec Rick, elle n'avait plus aucune tranquillité chez elle. Bien sûr, elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même. N'était-ce pas elle qui avait choisi pour eux deux ce modus vivendi ? Heureusement, elle serait bientôt partie...

Le plus curieux était que si elle n'avait pas fait la connaissance de Rick, elle aurait sans doute choisi d'aller faire les boutiques aujourd'hui. N'avait-elle pas décidé de se montrer frivole et futile pour la première fois de son existence ? Si rien ne s'était opposé à ce qu'elle rentre chez elle, elle aurait même, probablement, pris beaucoup de plaisir à se promener en ville. Alors que sa sortie d'aujourd'hui...

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Décidément, songea-t-elle, tout devenait de plus en plus confus dans sa tête et les seules pensées qui surnageaient ressemblaient un peu trop à des idées noires.

En entrant, elle entendit la voix de Rick dans le salon. Une voix profonde et tellement chaleureuse !

Elle resta un instant immobile dans l'entrée et tendit l'oreille. Il était en train de lire une histoire à Toby. Malgré elle, elle se faufila dans la cuisine et vint à pas de loup se poster sous l'arche qui menait dans le salon. Le petit garçon et son père étaient assis côte à côte sur le canapé, un gros livre de contes ouvert sur leurs genoux. Effondré à leurs pieds, le museau sur les pattes, Bernie semblait écouter avec autant d'attention que l'enfant. Un tableau charmant et paisible — d'autant plus réconfortant qu'il régnait vraiment une fraîcheur exquise dans la maison après la canicule de cette journée d'été. Natalie soupira. Pourquoi fallait-il qu'elle soit exclue de cette scène idyllique, pourquoi ne pouvait-elle pas écouter, elle aussi, cette histoire qu'elle adorait ?

L'homme, le garçon et le chien tournèrent la tête vers elle en même temps, et elle se plaqua un grand sourire sur le visage.

— Bonjour, tout le monde ! Bernie se leva lourdement et vint vers elle pour l'accueillir. — On est en train de lire Aladin, dit Rick, tandis que Toby lui souriait,

les yeux brillants. De sa place près de la porte, elle entrevoyait les illustrations. — La version Disney ? demanda-t-elle avec un peu de nostalgie. — Oui. Dites, vous avez eu un message tout à l'heure. Ça avait l'air

important. Vous devriez... — Merci, lança-t-elle d'une voix sans timbre. Elle se dirigea très vite vers le répondeur, le cœur battant. Etait-il

arrivé quelque chose à son père, si instable en ce moment ? A sa mère, que toutes ces histoires bouleversaient ? Y avait-il eu, encore, un de ces accidents bizarres qui se multipliaient ces derniers mois ?

Le répondeur clignotait doucement. Elle laissa tomber ses achats sur le plan de travail, contourna l'îlot central pour l'atteindre et enfonça le bouton.

La voix douce à l'accent anglais qu'elle avait déjà entendue s'éleva dans la pièce :

— Bonjour. Ici Jessica Holmes, je vous avais téléphoné il y a quelques jours. J'espérais vraiment un appel de votre part. Comme je vous l'avais expliqué, je suis à la recherche d'un certain Benjamin Fortune qui aurait aujourd'hui entre soixante-dix et quatre-vingts ans, et qui a fait la guerre en France... la Seconde Guerre mondiale, je veux dire. Au cas où

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vous n'auriez pas eu mon premier message... Je vous en prie, si vous ou quelqu'un de votre connaissance fait partie de la famille de cet homme, il est absolument vital que nous nous parlions. Je ne veux pas vous inquiéter et je me sens incapable d'expliquer cela au téléphone, mais c'est réellement une question de vie ou de mort. Merci.

Une fois de plus, elle laissa un numéro de téléphone à Londres avant de raccrocher.

— Alors ? Rick l'avait suivie dans la cuisine et guettait sa réaction avec

inquiétude. Sans répondre, elle enfonça le bouton qui remettait la bande au point de départ. Interdit, Rick demanda :

— Vous n'allez même pas la rappeler ? Les yeux fixés sur la machine qui ronronnait doucement, elle

attendait en silence. Il traversa la pièce et se planta en face d'elle, de l'autre côté du plan de travail.

— Elle a dit que c'était une question de vie ou de mort. Natalie compta mentalement jusqu'à dix. Rick ne faisait pas partie

d'une famille riche et célèbre, il n'avait aucune idée des manœuvres éhontées auxquelles se livraient les journalistes à la recherche d'un scoop.

— Natalie, rappelez-la. — Ce n'est pas votre affaire, dit-elle en faisant un effort pour parler

calmement. — Bien sûr que si. Une question de vie ou de mort concerne tout le

monde. — Ce n'est pas vraiment une question de vie ou de mort. — Vous voulez dire que vous la connaissez ? — Non, je ne la connais pas. — Alors comment est-ce que vous pouvez en être aussi sûre ? — Je le sais, c'est tout. Toutes les caractéristiques y sont. — Quelles caractéristiques ? — Oh, Rick... — Ne levez pas les yeux au ciel, expliquez-moi, tout simplement :

quelles caractéristiques ? Natalie n'avait vraiment pas envie d'en parler. — Où sont passés Toby et Bernie ? — Ils m'attendent à côté. Quelles caractéristiques ? Elle céda enfin en poussant un profond soupir. — Vous avez pourtant vu cet article hier. L'article sur mon grand-père

et sa prétendue maîtresse ? — Et alors ?

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— Mais enfin, ça saute aux yeux ! — Qu'est-ce qui saute aux yeux ? Elle le foudroya du regard. Comment un homme aussi intelligent

pouvait-il avoir tant de mal à saisir une chose aussi simple? — La coïncidence est un peu grosse, vous ne trouvez pas ? Une

femme qui s'intéresse d'un seul coup à un homme mort depuis dix ans ! Que cherche-t-elle à votre avis ? Vous ne voyez pas ? Eh bien moi, je sais. Elle cherche un scoop. Parce que c'est une journaliste, Rick. Une sale petite journaliste ambitieuse et sans scrupules qui est en train de me faire son grand numéro en espérant piquer suffisamment ma curiosité pour que je la rappelle. Mais je ne vais pas le faire.

— Si c'est une journaliste, vous n'aurez qu'à raccrocher. — Vous ne savez pas comment ça se passe. Ce sont de véritables

piranhas : vous n'avez rien vu venir et ils vous ont déjà dévoré. Toute son histoire de vie ou de mort ne tient pas debout. Elle veut des informations sur mon grand-père pour écrire encore de nouveaux mensonges sur lui. C'est tout.

Rick la regardait toujours, les sourcils froncés et le regard dur — puis son expression et sa voix se radoucirent subitement.

— Je pense que vous aimiez beaucoup votre grand- père et que ce doit être très dur pour vous de le voir ainsi insulté.

— Bien sûr que je l'aimais. C'était un homme merveilleux. — Sûrement. Mais je pense aussi que la peine que vous a faite cet

article est en train de fausser votre réaction. — Je réagis comme je dois réagir. — Tout de même, si vous aviez raison, ce serait une journaliste

américaine. Pas une Anglaise ! — Et alors ? Il y a des journalistes partout. — Ne faites pas semblant de ne pas me comprendre ! Vous ne trouvez

pas ça bizarre qu'elle vous demande de la rappeler à Londres ? Si elle voulait faire un papier sur la famille, elle serait au moins aux Etats-Unis!

— Avec ces gens-là, tout est possible. Il leva les mains dans un geste apaisant. — Très bien ! Très bien. Vous avez peut-être raison. Cette femme

n'est peut-être qu'une petite garce avide de secrets de famille. Mais... si elle était sincère ? Si vous vous trompiez, rien que cette fois ?

Il se penchait vers elle par-dessus le plan de travail, toute sa volonté tendue pour la convaincre. Mal à l'aise, elle recula d'un pas. Il y avait eu une véritable angoisse dans la voix de l'inconnue, les termes qu'elle utilisait étaient mesurés, mais semblaient suggérer une hâte réelle...

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Puis elle repensa à son grand-père, mort depuis longtemps, incapable de répondre aux accusations que des journalistes sans vergogne lançaient maintenant contre lui. Si jamais elle rappelait cette femme, si elle laissait échapper quoi que ce soit, et qu'elle retrouvait ensuite cette information anodine, exploitée et déformée dans une feuille à scandales...

Le problème était qu'elle avait toujours cru ce qu'on lui racontait. Il était très facile de l'abuser parce qu'elle réagissait toujours comme si les autres avaient les mêmes valeurs qu'elle. A l'école, beaucoup de filles avaient voulu être son amie parce qu'elles espéraient entrevoir sa célèbre mère, ou se retrouver face à face avec Kate Fortune. Au lycée, les garçons sortaient avec elle parce qu'elle s'appelait Fortune, mais il suffisait qu'ils croisent Erica ou Ali pour l'oublier totalement. Combien d'entre eux l'avaient plantée sur place pour aller grossir la foule de soupirants qui ne cessaient de bégayer avec les autres des compliments stupides à ses sœurs ! Au moment de partir en fac, elle avait choisi d'aller à l'Université du Minnesota plutôt que dans l'un des grands établissements privés que fréquentait sa famille, mais chacun de ses amis, tôt ou tard, avait fini par lui demander de l'argent ou son appui pour décrocher un poste dans le groupe Fortune Cosmetics.

Et pourtant, malgré toutes ces déconvenues, elle avait continué à faire confiance aux autres et à les prendre tels qu'ils se présentaient.

Mais tout cela était fini maintenant ! Ses yeux s'étaient ouverts. Mûrie par toutes les épreuves qu'avait traversées sa famille depuis près de deux ans, blessée et humiliée par la conduite de Joel, elle s'était mise à regarder le monde autrement. Désormais, elle ne serait plus la petite Natalie trop confiante et incurablement romantique.

— Non, dit-elle fermement. Je sais ce que j'ai à faire et je le fais. — Mais, Natalie... — Je ne veux plus parler de cette histoire. Elle regrettait de lui avoir parlé aussi brutalement, mais il fallait bien

qu'il comprenne qu'elle ne changerait pas d'avis. Elle reprit le sachet jeté sur le plan de travail et se détourna.

— A tout à l'heure peut-être. Je monte. Elle avait presque atteint l'escalier quand elle entendit sa voix

derrière elle : — En tenant ainsi tous les gens à distance, vous ne vous mettez pas

pour autant à l'abri. En plus, vous ne leur donnez même pas leur chance...

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Elle se retourna. Il avait une expression curieuse et un véritable ressentiment couvait au fond de ses yeux. Elle avait déjà compris, bien sûr, qu'il ne parlait pas seulement du message sur le répondeur.

— Je ne veux plus être celle qui se fait toujours marcher sur les pieds, dit-elle froidement. Je ne suis plus une petite fille.

Après cette discussion, tout devint beaucoup plus facile. Natalie n'avait plus de mal à se tenir à distance parce que, maintenant, Rick ne cherchait plus à l'approcher. Il faisait même tout son possible pour l'éviter.

Sans comprendre exactement pourquoi, elle sentait qu'elle l'avait déçu. Elle souffrait de se sentir jugée, elle regrettait l'approbation chaleureuse avec laquelle il la regardait aux premiers jours de son séjour.

Evidemment, cela simplifiait beaucoup les choses. Maintenant que Rick était si distant, ils réussiraient certainement à s'en tenir à leur accord initial et à n'être que propriétaire et locataire.

Les jours passèrent et ils trouvèrent tacitement une sorte de compromis. Ils se croisaient sans jamais se gêner. La deuxième pièce de Natalie, à l'étage, était également équipée d'un téléviseur et d'un magnétoscope, ainsi que d'une chaîne stéréo. Le salon devint donc le territoire exclusif de Rick. Le partage de la cuisine fut plus délicat mais ils trouvèrent la solution sans avoir à se concerter. Rick et Toby prenaient leur petit déjeuner vers 7 heures. Le temps de faire ses exercices et de prendre sa douche, Natalie descendait rarement avant 9 heures. Les jours où le père et le fils ne sortaient pas sur le Lady Kate, ils préparaient leur déjeuner dès 11 h 30 ; Natalie, elle, ne déjeunait jamais avant 13 heures, et elle ne préparait son dîner que vers 7 heures, quand les autres avaient déjà terminé.

Le plus pénible était de voir Rick si ouvert et chaleureux avec son fils et même avec sa propre mère (qui leur rendait visite presque tous les jours) — et si froid avec elle. Il avait également beaucoup plu à Lindsay, qui passait parfois en rentrant de l'hôpital, ainsi qu'à Sterling Foster. Avec eux, il se montrait absolument charmant, parlant facilement et racontant toutes sortes de choses passionnantes. Mais pas avec elle.

Avec elle, il fut affreusement poli pendant une semaine, puis l'ambiance se détériora et il devint franchement hostile.

Cela commença d'une façon assez subtile. Un après- midi, il s'écria subitement qu'il en avait assez de trouver ses affaires qui traînaient. Un autre jour, il s'énerva parce qu'elle lui avait pris son Newsweek. En fait, il s'agissait d'une erreur très compréhensible : elle-même était abonnée

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à Newsweek depuis plusieurs années. Comment aurait-elle pu deviner qu'il recevait aussi l'hebdomadaire avec son courrier ?

Cette scène eut lieu un lundi, une semaine et deux jours après l'arrivée de Rick et Toby. Rick était installé sous la véranda quand Natalie revint de la boîte aux lettres. Elle lui tendit son courrier, il demanda le Newsweek qu'elle tenait encore à la main et elle répondit que le magazine était à elle.

— Jetez un coup d'œil au nom du destinataire, dit-il d'un ton plutôt désagréable.

Sans montrer d'agacement, Natalie expliqua qu'elle n'avait pas besoin de jeter un coup d'œil. Cela faisait des années qu'elle recevait Newsweek.

— Et voilà, s'exclama-t-il. Et vous sautez aux conclusions, une fois de plus.

Elle lut donc le nom du destinataire et découvrit que le magazine était effectivement pour lui.

— Excusez-moi, dit-elle en le lui donnant. J'ai cru... — Je sais bien ce que vous avez cru mais vous vous êtes trompée. Il se leva et rentra à grands pas dans la maison et elle resta là, vexée

et furieuse. Trop vexée et trop furieuse pour oublier un incident qui n'avait au fond pas une grande importance.

Puis, le lendemain matin, au milieu de sa séance de step-aérobic, il revint à la charge. Elle venait juste d'entamer une série d'exercices assez délicats quand on tambourina subitement à la porte de son salon. Surprise, elle sursauta, se reçut mal et se tordit la cheville.

Le temps de vérifier l'état de son pied, les coups à la porte avaient redoublé. Elle décida qu'elle pouvait marcher, essuya la sueur sur son front, mit son magnétoscope sur « pause » et se dirigea vers la porte en boitant un peu.

Rick se tenait dans le couloir, l'air furieux, une serviette de bain roulée sous le bras. Natalie reconnut tout de suite la serviette : la veille au soir, elle avait lavé ses petites culottes de dentelle, celles-là même qu'elle avait achetées dans l'espoir de se sentir enfin audacieuse et provocante. Et elle les avait mises à sécher sur cette serviette, dans la buanderie.

Rick lui tendit le paquet d'un air hautain. — Vous avez laissé ça en bas, accusa-t-il. Cette fois encore, elle fît de son mieux pour désamorcer le conflit. — C'est vrai. Je suis désolée. Il semblait déterminé à ne pas se laisser adoucir.

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— Ne faites plus jamais ça. Toby habite ici, en ce moment, au cas où vous l'auriez oublié. Un gamin de cinq ans n'a pas besoin de savoir que des dessous comme ça existent, pas avant des années.

Elle savait parfaitement qu'elle devrait s'excuser encore une fois et refermer la porte. Tout de même, cela devenait ridicule ! Et franchement horripilant. D'une voix parfaitement neutre, elle demanda:

— Est-ce que Toby a vu ces dessous, en fait ? Il la jaugea du regard et elle lui en voulut. Elle savait très bien que la

sueur collait ses cheveux sur son front, que son justaucorps était humide et qu'elle portait son vieux short effrangé à l'ourlet. Pourquoi respirait-il si vite ? Etait-il vraiment en colère à ce point ? Elle respirait trop vite, elle aussi, mais elle au moins avait une excuse puisqu'il avait interrompu ses exercices. Alors, que voulait-il ? Et qu'avait-il, surtout, à la regarder sans rien dire ?

— Toby a vu mes sous-vêtements ? répéta-t-elle avec impatience. Il se secoua et répondit d'une voix brève : — Non. Pas que je sache. — Très bien. Alors il n'y a pas de problème. D'ailleurs, même s'il avait

vu des petits tissus ajourés étalés sur la table de la buanderie, il n'aurait probablement pas su ce que c'était.

Rick poussa un petit grognement supérieur qu'elle trouva absolument insupportable.

— Certains petits garçons savent plus de choses que vous ne le pensez. — Pas Toby. C'est un chou. — Qu'il soit un chou ou non n'a rien à voir, en l'occurrence. Elle se retint de dire qu'elle connaissait les enfants beaucoup mieux

que lui. Il avait raison, bien sûr, et d'ailleurs Toby n'avait rien à voir avec la colère de Rick. Ils parlaient au fond de tout autre chose.

Et tous deux respiraient bien trop fort. Il était temps de mettre fin à cette discussion dangereuse, même s'il

fallait pour cela s'humilier un peu. — Je vous fais toutes mes excuses. Je n'ai pas réfléchi. Voilà, se dit-elle avec satisfaction. Elle avait repris l'avantage en

restant si raisonnable et en le laissant s'énerver tout seul. Seulement, il ne s'était apparemment pas aperçu qu'il venait de perdre des points : il répéta son grognement supérieur avec une nuance de satisfaction. Elle serra les dents et parla d'un ton encore plus courtois :

— Je ne laisserai plus mes dessous dans la buanderie. — Parfait, grogna-t-il. Puis, sans un mot de plus, il tourna les talons et dévala l'escalier.

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Une demi-heure plus tard, quand Natalie descendit, Toby vint la prendre par la main.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Il la tira vers le salon et elle se laissa entraîner jusqu'à la table basse.

Une construction bizarre trônait sur la table basse, un assemblage de cubes monté avec beaucoup de soin.

— Tu as fait ça tout seul ? Il hocha la tête fièrement. Elle se mit à genoux et regarda à l'intérieur. Trois petites voitures

étaient garées côte à côte. — C'est fantastique, il y a même les voitures ! C'est un beau garage, tu

sais ! Elle s'assit sur ses talons et lui lança un sourire admira- tif. Il

rayonnait littéralement. Brusquement, elle sentit une présence, se retourna... et découvrit

Rick, debout juste derrière elle. Les bras croisés sur sa large poitrine, il la contemplait d'un air grave et pensif. Décontenancée, elle sauta sur ses pieds en demandant :

— Je... Qu'est-ce qu'il y a ? — Rien. — Rien, vraiment ? Il la regardait toujours en silence et elle finit par hausser les épaules

en se détournant. Il lui saisit le bras. Elle se figea et son cœur se mit à battre, son corps entier réagit

puissamment au contact de sa main. — Quoi ? répéta-t-elle d'une voix tremblante. Il baissa les yeux, contempla sa propre main comme s'il n'avait

aucune idée comment elle était arrivée là, puis la lâcha. — Dites, Toby et moi allons sortir sur le lac aujourd'hui. Ça vous

ennuie si on emmène le chien ? — Bien sûr que non. Pourquoi donc demandait-il cela ? Bernie et Toby étaient quasiment

inséparables, le chien dormait chaque soir dans la chambre du petit et restait sur ses talons toute la journée. Il y avait eu cinq ou six sorties en bateau depuis le premier jour et Bernie les avait toujours accompagnés.

— Je voulais être sûr que ça ne vous ennuyait pas, dit-il d'une voix totalement inexpressive.

— Pas de problème. — Alors c'est bien.

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Il tourna les talons et s'éloigna, laissant Natalie bouche bée d'indignation. Une fois de plus !

Une heure plus tard, ils étaient partis. Natalie aurait dû se sentir soulagée de se retrouver seule. Elle se sentait effectivement moins tendue mais il faisait gris ce jour-là et son humeur s'en ressentait. La maison lui semblait très silencieuse sans les galopades de Toby et de Bernie, sans la musique que Rick aimait écouter en sourdine. Elle s'ennuyait...

A 10 h 30, la voiture d'Erica s'engouffra dans l'allée. Dans sa chambre, Natalie entendit la voiture s'arrêter dans un

crissement de pneus. Elle dévala l'escalier et ouvrit la porte à l'instant où sa mère levait la main pour frapper.

— Natalie, tu es là ! Erica semblait toute pâle. Erica l'entraîna dans la cuisine, lui versa

un jus de fruits et attendit ses explications. — Nathaniel m'a appelée il y a une heure. — Mais il ne te téléphone jamais, si ? — Il voulait me demander de parler à Jake et c'est exactement ce que

je vais faire. — Pourquoi donc ? — Pour le bien de la famille. Natalie soupira et chercha comme toujours à introduire un élément

de raison dans ce tourbillon d'émotions. — Je ne comprends pas. Tu m'avais bien dit que les choses étaient très

difficiles entre toi et papa. — C'est vrai. Mais Jake reste mon mari. — Mais si vous êtes incapables d'échanger trois phrases sans vous

disputer, comment est-ce que tu comptes arranger les choses ? Il ne t'écoutera pas.

— Il faut que je le voie, que je m'assure qu'il va bien. — Et qu'est-ce que tu feras s'il ne va pas bien ? — Je ne sais pas. Je trouverai quelque chose. — Maman, attends un petit peu. Avant de te mettre dans tous tes

états, pense à qui tu viens de parler. Tu connais oncle Nate, non ? Il a toujours plusieurs idées derrière la tête quand il fait quelque chose. Il pourrait parfaitement t'envoyer voir papa parce qu'il sait exactement ce qui se passera.

— Comment ça, ce qui se passera ? — Vous allez vous disputer. — Non, je te jure. Nate avait l'air sincèrement ennuyé. — Papa l'a toujours ennuyé.

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— Non, cette fois-ci, il y a autre chose que leur vieille rivalité, autre chose que la jalousie de Nathaniel parce que son grand frère a pris la tête du groupe. Cette fois, il avait peur.

— Peur de quoi ? — Peur que ton père soit réellement en train de craquer. — Maman, tu es sûre ? — Nathaniel dit que Jake ne passe plus au bureau que deux fois par

semaine, maximum. Le reste du temps, il est injoignable. Nate lui a téléphoné ce matin même pour lui dire qu'il y avait une foule de documents qui attendaient sa signature. Jake a répondu qu'il y serait avant midi, mais comment savoir s'il va vraiment y aller ? Nate dit aussi que la dernière fois qu'il s'est montré là-bas — c'était vendredi dernier...

Erica ferma les yeux et respira profondément. Inquiète malgré elle, Natalie lui prit la main

— ... et, en plus, paraît-il, il était ivre, acheva Erica d'une voix sans timbre.

Natalie prit le temps de réfléchir à cette information. Nate n'aurait pas osé lancer un mensonge aussi gros, cela devait donc être vrai. Pourtant cela ne cadrait pas du tout avec le personnage de son père. Jake Fortune était un homme extrêmement contrôlé, jamais il n'aurait envisagé de se montrer en public sous l'empire de l'alcool.

Quelque chose était en train de faire plier cette implacable volonté — mais quoi ?

— Natalie, il faut que j'y aille. Erica leva des yeux implorants vers sa fille et celle-ci soupira. Elle

savait exactement ce qui allait suivre. — Si j'y vais toute seule, tu as dit toi-même ce qui va se passer. Une

dispute. Peut-être une dispute très grave. — Tu veux que j'y aille avec toi. — Oh, Nat, si tu voulais bien... Je t'en prie. — Maman... — Je t'en prie ! Natalie se remémora une fois de plus qu'elle était déterminée,

absolument déterminée, à ne plus se laisser attirer dans les psychodrames de sa famille. Plus jamais.

Tout de même, si même oncle Nate s'inquiétait pour son père, c'est que les choses étaient réellement allées trop loin.

— Nat, tu veux bien ? Natalie avala sa salive. — Tu veux dire... tout de suite ?

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Erica se pencha en avant pour repousser une petite mèche égarée sur la joue de Natalie.

— Oui, allons-y tout de suite. Je me sens si... si bouleversée. Je ne crois pas que je pourrai me calmer avant de l'avoir vu. Il faut que je lui parle, que je puisse mesurer la gravité de la situation. Le pire, c'est de ne pas savoir...

Natalie se sentait faiblir. Comment résister alors que sa mère la regardait avec ces yeux suppliants ?

— On ne devrait pas téléphoner d'abord ? demanda-t-elle. S'il n'est pas là...

— Si on téléphone, il dira peut-être qu'il ne veut pas nous voir. Alors que s'il n'est pas là, on aura simplement fait le tour du lac pour rien. Si on y allait, tout simplement ? S'il te plaît.

— Maman... — S'il te plaît. Natalie sut alors qu'elle était battue. — Très bien, dit-elle d'une voix résignée. Allons-y.

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9.

Elles auraient pu prendre le hors-bord dans le hangar à bateaux mais Erica préféra continuer en voiture. Elles empruntèrent donc la petite route qui serpentait entre des bosquets de chênes et les érables.

Elles ne parlaient guère. A la dérobée, Natalie observait le profil parfait de sa mère, ses longues mains pâles et nerveuses posées sur le volant. Des expressions fugaces se succédaient sur son visage, elle se jouait la confrontation à l'avance, rassemblait ses forces, tout entière plongée dans cette passion qui avait viré au drame. Si c'était à ça que devait aboutir l'amour, pensa la jeune femme, désabusée...

Le temps d'atteindre les grilles de la propriété, une pluie douce s'était mise à tomber. Erica baissa sa vitre pour actionner l'Interphone et une voix que Natalie ne reconnut pas répondit :

— Oui, qui est là, je vous prie ? — Erica et Natalie. Nous venons voir M. Fortune. — Un instant, s'il vous plaît. Quelques minutes plus tard, la même voix les pria d'entrer. Les

grandes grilles de fer forgé pivotèrent, puis se refermèrent automatiquement derrière la voiture. Bientôt, elles se garaient devant le monumental perron aux colonnes.

Rien n'avait changé. Sous le voile léger tendu par la pluie, les pelouses déployaient toujours leurs larges courbes d'émeraude, arbres et buissons étaient comme toujours parfaitement entretenus. Quelle que soit la crise que traversait le maître des lieux, les jardiniers continuaient à faire leur travail avec la même minutie.

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A l'instant où la Mercedes s'arrêtait, le chauffeur de Jake parut, déployant cérémonieusement un immense parapluie. Il vint ouvrir la portière d'Erica et s'inclina vers elle en l'abritant.

— Comment allez-vous, Edgar ? demanda-t-elle en lui tendant les clés de la voiture.

— Très bien, madame, je vous remercie. Tandis qu'il l'escortait à l'abri des colonnes, elle recommanda d'un

ton tranquille dans lequel ne subsistait aucune trace d'angoisse : — Ne garez pas la voiture trop loin. Nous n'en avons probablement

pas pour très longtemps. Absurdement encouragée — tout cela ressemblait tant à l'ambiance

d'autrefois, quand la maisonnée fonctionnait normalement ! —, Natalie ouvrit sa propre portière sans attendre le retour du domestique et courut légèrement jusqu'à la porte. Elle arriva en trombe à l'instant où Edgar se retournait pour revenir la prendre et il lui lança un regard de reproche.

— Contente de vous voir, Edgar, dit-elle avec un sourire taquin. — Oui, mademoiselle, répondit-il. Il tenait maintenant le parapluie au-dessus de sa propre tête et son

ton était, comme toujours, terriblement formel et réservé. Natalie se hâta de rejoindre sa mère qui lui jeta un regard rapide

avant de sonner. Le carillon n'avait pas cessé de retentir que la porte s'ouvrait, révélant une femme aux cheveux gris vêtue d'un ensemble sévère.

— Bonjour, madame Fortune. C'était la même voix que celle de l'Interphone. — Bonjour. Je ne crois pas vous avoir déjà rencontrée ? — Je suis Mme Laughlin, la nouvelle gouvernante. — Très bien. Mon mari peut-il nous recevoir maintenant ? — Bien sûr. M. Fortune m'a demandé de vous faire entrer dans la

bibliothèque. Elle referma la grande porte et se détourna. — Par ici, je vous prie. — Je connais le chemin de la bibliothèque, dit Erica un peu

sèchement. La gouvernante s'arrêta net. — Vous voulez dire que vous... ne souhaitez pas être annoncée ? — Je suis capable de m'annoncer moi-même. De façon très efficace. Natalie en resta presque bouche bée. Où était passée la femme

anxieuse et vulnérable qui était arrivée chez elle une demi-heure plus tôt ? Cette Erica-là, épaules droites et tête haute, ses hautes pommettes

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teintées de rose, s'apprêtait à livrer bataille à son adversaire de toujours, la grande passion de son existence : son mari.

— Vous pouvez retourner à vos occupations, ajouta-t-elle à l'adresse de la gouvernante.

Celle-ci hésita un court instant. Visiblement, elle avait reçu l'ordre de les escorter jusqu'à la librairie et cela ne lui plaisait guère d'être ainsi écartée. Elle pensa peut-être à protester mais y renonça quand elle croisa le regard d'Erica. En silence, elle inclina la tête et s'éloigna dans un glissement de semelles de crêpe.

Dès qu'elle eut disparu, Erica se tourna vers Natalie. — D'où sort-elle, celle-là ? — C'est la première fois que je la vois. La main d'Erica se leva vers sa gorge. A son cou, l'émeraude que Jake

lui avait offerte des années auparavant jetait un reflet vert dans la pénombre de l'entrée.

— Si le personnel est en train de partir... — Non, maman, ne saute pas à des conclusions tant que tu ne sais

pas ce qui se passe. Le fait que papa ait pris une nouvelle gouvernante n'est pas obligatoirement une catastrophe.

— Tu as raison, bien sûr. Excuse-moi. — Allons voir papa. — Oui. Allons-y. Côte à côte, la mère et la fille se dirigèrent vers la haute porte à deux

battants qui menait à la bibliothèque. Erica respira profondément, saisit les deux poignées de cuivre luisant et entra la première.

Jake Fortune était installé dans le grand fauteuil de cuir derrière son bureau. De cette place, sa présence dominait toute la pièce. Malgré elle, Natalie se souvint des fois où elle avait dû se présenter devant lui de cette façon, à la suite d'une grosse bêtise. Il portait l'un de ses complets Armani et se tenait très droit, ses mains élégantes posées devant lui sur le sous-main de cuir. Il leva les yeux vers elles et quelque chose sembla se figer dans leurs profondeurs quand il reconnut sa femme.

— Bonjour... mon cher. La petite pause avant ce terme affectueux le transformait presque en

insulte. — Erica. Là encore, il y avait tant de choses dans ce mot si simple. Dans la

voix de son père, Natalie entendait de l'amour et de la haine, du désespoir... et aussi beaucoup de tendresse.

Ses parents se contemplèrent en silence pendant un instant qui lui sembla interminable. Natalie se sentait affreusement de trop. Pourquoi

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avait-elle donc laissé sa mère l'entraîner encore une fois dans son sillage ? Elle n'avait rien à faire ici. Erica était parfaitement capable de mener ses propres combats, surtout face à Jake. Oui, elle aurait donné beaucoup pour ne pas se trouver là en ce moment mais curieusement, ce fut l'image de Rick qui s'imposa à elle. La façon dont son père regardait sa mère en ce moment ressemblait tellement à la façon dont Rick la regardait depuis quelques jours ! Elle se secoua abrupte- ment. C'était parfaitement ridicule. Il n'y avait pas de grande passion blessée entre elle et Rick Dalton. Elle n'était que Natalie, la gentille et terne Natalie, celle qui ne bouleversait personne. Les hommes l'aimaient bien, ils se sentaient à l'aise avec elle : elle était pour eux une bonne camarade et un appui quand tout allait mal. Généralement, tôt ou tard, ils se servaient d'elle. En tout cas, ils ne la regardaient pas comme si elle avait brisé tous leurs rêves.

— Entre, fais comme chez toi, dit enfin Jake avec une ironie coupante.

— Merci, répondit tranquillement Erica en s'avançant royalement dans la pièce.

— Bonjour, Nat, continua son père avec beaucoup plus de chaleur. Les conflits étaient fréquents entre Jake et ses autres enfants, mais il

s'était toujours bien entendu avec elle et elle pensait comprendre pourquoi. Après tout, elle n'était ni particulièrement belle, ni particulièrement brillante. Elle n'était pas un fils voué à endosser les ambitions du père, elle n'avait aucune place dans les rêves conquérants de Jake, il pouvait donc l'aimer sans conditions, telle qu'elle était, et la laisser faire ses propres choix.

Elle lui sourit affectueusement mais avec une certaine gêne. — Bonjour, papa. Il se retourna vers sa femme et son visage aristocratique reprit son

expression amère. — Je ne sais pas ce que tu manigances mais tu n'aurais pas dû traîner

la pauvre Nat ici. Le menton parfait d'Erica se releva. — J'avais besoin d'un peu de soutien. Il émit un petit sifflement ironique et se leva enfin pour s'approcher

d'elles. — Asseyons-nous, dit-il avec un geste impatient vers le canapé. Natalie allait obéir quand la voix de sa mère l'arrêta : — Non, merci. Nous ne restons que quelques minutes. Les sourcils froncés, elle détaillait Jake des pieds à la tête. — Tu as l'air... relativement bien.

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C'était à peu près ça, pensa Natalie. Pas vraiment bien : pas avec ces cernes sombres et les nouveaux plis qui se creusaient aux coins de sa bouche. Non, il n'avait pas l'air bien, mais relativement bien.

Jake haussa un sourcil. — C'est donc ça ? Tu es venue pour voir dans quel état je suis. — Exactement, répondit Erica sans se troubler. — Et qu'est-ce qui te fait penser que j'ai besoin qu'on me surveille ? — Beaucoup de choses. La dernière en date étant une conversation

avec Nathaniel. — Ce cher Nathaniel et ses petites manœuvres. Il ouvrit les bras et s'offrit à leurs regards — avec son veston

impeccable, le pli parfait de son pantalon et ses chaussures brillantes comme des miroirs.

— Comme vous le voyez, je me porte très bien. — Je lis les journaux, tu sais, dit Erica d'une voix froide. Les mains de Jake retombèrent et le regard qu'il lança à sa femme

aurait fait trembler ses adversaires les plus endurcis. — N'imagine surtout pas que tu es capable de comprendre les choix

que je fais pour le groupe Fortune Cosmetics, articula-t-il. Erica lui sourit, un sourire si glacial que Natalie frémit. — Non, Jake, ne t'inquiète pas. Je n'imaginerai plus être capable de

comprendre quoi que ce soit en ce qui te concerne. Plus jamais. Elle se tourna vers sa fille. — Je crois qu'il est temps de partir. J'ai perdu mon temps en venant

ici. — Et ton temps est si précieux, n'est-ce pas, Erica ? Il parlait à mi-voix, mais sa phrase était parfaitement

compréhensible. Atterrée, Natalie se retourna involontairement vers sa mère. Pendant un instant, le beau visage d'Erica se décomposa dans une expression de rage et de désespoir. Jake avait exigé de sa femme qu'elle se voue entièrement à sa famille, à lui et à leurs enfants ! C'était un véritable coup bas de lui jeter aujourd'hui au visage son existence oisive alors qu'il lui avait lui-même interdit tout projet personnel !

Erica se retourna furieusement. — Comment oses-tu... ! Vite, Natalie lui saisit le bras, la secoua doucement. — Non, maman, murmura--t-elle. Non... Erica se figea, lui lança un regard de reproche. — Elle a raison, intervint Jake. Je n'aurais pas dû dire ça. Erica ne répondit pas, tourna vers lui son regard blessé. — Je... te fais mes excuses, dit Jake.

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Venant d'un homme comme lui, la concession était de taille. Près d'elle, Natalie sentit le corps rigide de sa mère se relâcher un peu.

— Très bien, dit-elle en hochant la tête. Au revoir. Le feu de ses yeux s'était transformé en glace. Pendant un instant,

Jake la contempla, immobile... puis son regard se détourna. — Oui, je crois que cela vaut mieux. Erica ne bougea pas et Natalie finit par tirer doucement le bras

qu'elle tenait toujours. — Viens, maman. En silence, Erica la suivit et les portes monumentales se refermèrent

derrière elles.

* **

Resté seul, Jake attendit quelques instants, parfaitement immobile. Quand il fut sûr qu'elles ne reviendraient pas, il marcha jusqu'à la porte, tourna la clé dans la serrure. A l'abri maintenant de toute interruption, il se dirigea droit vers le petit bar installé dans une vitrine, et se versa une rasade généreuse de scotch qu'il avala en deux gorgées brûlantes. Le deuxième verre descendit plus lentement, et le nœud dans ses entrailles se relâcha un peu.

Il n'y avait aucune raison de s'inquiéter, se dit-il. Il s'en était très bien sorti. Erica et Natalie repartaient persuadées qu'il allait bien. Nate les avait envoyées en espérant faire peser sur lui une pression supplémentaire, mais il avait eu le dessus, une fois de plus.

Il croisa son propre regard dans le reflet sombre de la vitrine et se détourna vivement. Quand il se regardait, depuis quelque temps, il n'aimait pas beaucoup ce qu'il voyait. Pas du tout. Par moments, il se demandait d'ailleurs qui il était — puisque, comme cette garce de Monica Malone lui avait démontré avec tant de plaisir, il n'était pas l'homme pour lequel tout le monde le prenait.

Avec un grondement d'animal pris au piège, il se laissa tomber dans son grand fauteuil et contempla sombrement les portes qui menaient au vestibule désert.

Monica, Cette femme l'obsédait. Son visage et sa voix hantaient ses jours et ses nuits. Par moments, il se demandait si elle n'était pas à l'origine de tout ce qui était en train de déchirer sa famille, son univers tout entier. La mort de Kate, les incendies au labo, le fou qui s'était acharné sur Ali. Toutes les difficultés insurmontables qui se dressaient

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devant lui, qui l'étouffaient et l'empêchaient de vivre n'étaient-elles pas imputables à Monica Malone ?

Et voilà maintenant que la presse à scandale claironnait que Ben Fortune l'avait aimée. Cela pouvait expliquer beaucoup de choses. Un amour frustré, transformé au fil du temps en haine tenace... Si elle avait aimé Ben, il comprenait mieux comment elle avait pu apprendre tant de secrets. Les amants se confient parfois des choses qu'ils feraient mieux de garder pour eux. Monica Malone savait des choses qu'elle n'avait aucun droit de savoir... comme le fait que Jake n'était pas réellement le fils de Ben.

Quel plaisir pervers elle avait pris à lui apprendre la nouvelle ! A lui faire remarquer qu'il était né six mois seulement après le mariage de Ben et Kate, un gros bébé, qui n'avait rien d'un prématuré... A lui expliquer que son véritable père, un petit soldat de rien du tout appelé Joe Stover, avait été tué sur les champs de bataille de France avant sa naissance, et que Ben, amoureux fou de Kate, s'était engagé à élever le bâtard comme son propre fils.

Oh, il avait tenu parole ! Jake n'avait jamais rien su de l'homme qui l'avait réellement conçu, il avait toujours été traité comme l'héritier de Ben — sauf qu'au fond de son cœur, il avait parfois eu l'impression d'être un étranger dans son propre foyer. Le mensonge avait été trans-mis à la génération suivante et les enfants de Jake avaient grandi dans l'adoration de leur merveilleux grand-père.

Ben et Kate avaient emporté le secret dans leur tombe, certains sans doute qu'il ne serait jamais révélé... Mais c'était compter sans Monica Malone. Six mois plus tôt, elle s'était arrangée pour que Jake apprenne la vérité, et maintenant elle le saignait à blanc, lui et le groupe. Du chantage pur et simple : tant qu'il lui donnait ce qu'elle demandait, personne ne saurait rien.

Jake desserra sa cravate et se renversa dans son fauteuil avec un soupir. Le verre de cristal taillé qu'il tenait à la main était vide, et il avait furieusement besoin de s'en verser un autre. Non. Pas question. Il se présenterait au bureau avant midi, il signerait toutes leurs paperasses, il montrerait à son sournois de frère — non, de demi-frère— qu'il contrôlait encore la situation. Monica pouvait sortir de nouveaux atouts de sa manche, mais il trouverait une solution. Il tenait la barre du groupe Fortune Cosmetics et il n'avait pas l'intention de céder la place.

Des années auparavant, il avait renoncé à ses propres rêves pour prendre la suite de Ben Fortune. Cette décision lui avait coûté cher et il n'allait pas faiblir maintenant. C'était... tout ce qui lui restait.

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Il ferma les yeux et, sur l'écran noir de ses paupières, il trouva une fois de plus l'image lumineuse d'Erica. Elle souriait, ses bras lisses tendus vers lui comme autrefois, avant que tout ne déraille entre eux. Puis la vision heureuse disparut et il n'y eut plus que Monica Malone et son sourire diabolique. Cette femme était capable de tout. Capable de tout.

Avant de le faire chanter, elle avait tenté de le séduire. Il eut un sursaut de dégoût. Elle avait au moins soixante ans, sans doute même beaucoup plus ! Et pourtant elle restait belle, merveilleusement belle et totalement sans cœur. On n'était pas plus méchant, plus manipulateur que Monica Malone.

Il se mit à jurer à voix basse et jura longtemps, vomissant des obscénités pour soulager un peu la haine qui l'étouffait. Il allait devoir faire quelque chose au sujet de cette femme. Bientôt. Sa main se crispa sur son verre vide.

Un dernier verre, un seul. Puis il demanderait la voiture et il irait au bureau.

Erica déposa sa fille chez elle et refusa de s'attarder. Après un baiser

rapide, elle remercia Natalie d'être venue avec elle. — Je n'aurais pas pu faire ça sans toi. — Mais si, maman, bien sûr que si. — Pas sans dire des choses que j'aurais regrettées ensuite. Là, Natalie ne chercha pas à la contredire. — En tout cas, c'est fait maintenant. — Oui, et je me sens vraiment un peu mieux, de savoir que Jake n'est

pas si mal que ça. Je t'assure, à entendre Nathaniel, je pensais qu'il était en train de devenir alcoolique ou pire encore !

Elle eut un petit rire nerveux. — C'est ridicule, non ? Natalie l'admit et resta debout au bord de l'allée en agitant la main

pendant que la voiture de sa mère s'éloignait. Cette fois, la Mercedes prit le tournant à une allure raisonnable, sans déraper.

Il ne pleuvait plus. Pensive, la jeune femme se dirigea lentement vers la maison, et parcourut les pièces vides. Toby, Bernie et Rick ne rentreraient probablement pas avant le soir. Elle essaya de se plonger dans un livre traitant d'une nouvelle méthode d'enseignement qui l'inté-ressait, mais ne réussit pas à se concentrer. Pourquoi se sentait-elle si nerveuse ?

A cause de son père, bien sûr.

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Elle n'avait rien dit pour ne pas inquiéter Erica, mais elle était revenue de cette entrevue avec Jake bien plus inquiète qu'avant. Il avait beau répéter que tout allait bien, quelque chose dans son regard clamait le contraire. Elle fronça les sourcils et, les yeux fixés dans le vide, se repassa le film de leur visite. Elle en était sûre maintenant, toute cette assurance hautaine n'était qu'une imitation de son attitude habituelle. Comme s'il... comme s'il jouait son propre rôle, comme s'il imitait les gestes et les paroles de Jake Fortune tel que sa femme et sa fille l'avaient connu.

— C'est ridicule ! lança-t-elle tout haut. Sa mère avait employé le même mot. De toute façon, toutes ces

suppositions ne menaient à rien, à moins qu'elle ne décide de découvrir ce qui troublait réellement son père. Et cela la jetterait, une fois de plus, au milieu des problèmes de la famille, alors qu'elle avait décidé de s'échapper une fois pour toutes, non ? En plus, Jake serait certainement furieux de la voir intervenir. L'un des plus gros problèmes entre lui et Erica était son incapacité à s'ouvrir à sa femme, à partager avec elle ses sentiments et ses pensées. S'il refusait de communiquer avec Erica, il n'allait certainement pas le faire avec Natalie.

Non, elle ne pouvait pas agir. Elle ne savait pas ce qui tourmentait son père et elle n'avait aucun moyen de le découvrir. Elle allait devoir accepter cela, et cesser de s'inquiéter en pure perte.

Plantée devant les fenêtres du salon, elle contempla le lac et se demanda un peu tristement quand le Lady Kate rentrerait enfin. Tout de suite, elle se méprisa pour cette pensée. Avait-elle déjà oublié la scène de ce matin, quand il était venu cogner à sa porte pour lui reprocher de façon ridicule d'avoir mis ses dessous à sécher dans la buanderie ? Et ensuite, quand il avait transformé le simple fait de demander s'il pouvait emmener le chien pour la journée en un véritable affrontement ? Elle serait vraiment la reine des carpettes, la reine des serpillières si elle souhaitait le retour d'un homme qui lui lançait des regards torves chaque fois qu'il la croisait dans le couloir et qui ne lui adressait la parole que pour lui faire des reproches !

Le mieux était encore de déménager. Pas pour aller chez son père : après la visite d'aujourd'hui, elle voyait bien que ce serait une erreur. Mais elle pourrait aller s'installer chez sa mère... Machinalement, elle secoua la tête. C'était impossible. De même que chez Lindsay et Frank. Certes, elle savait qu'elle serait toujours la bienvenue chez eux, mais ils avaient une vie si pleine et mouvementée qu'elle aurait l'impression d'être de trop. La meilleure solution était probablement d'aller à l'hôtel. Il restait moins d'une semaine avant son départ, ce serait vite passé.

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Elle se détourna de la fenêtre et son regard tomba sur le garage de Toby resté sur la table basse. Elle sourit un peu tristement. Toby allait lui manquer énormément.

Pour être juste, il fallait avouer que Rick et elle ne se gênaient pas beaucoup. La maison était grande, il suffisait de faire un effort pour l'éviter pendant quelques jours encore et tout se passerait très bien. Elle partirait voir le monde et quand elle reviendrait, Rick et son adorable petit garçon seraient rentrés chez eux, à Minneapolis.

Résolument, elle se dirigea vers le téléphone et composa le numéro d'une amie qui habitait à Travistown. Elles décidèrent de se retrouver pour dîner le soir même, à l'auberge locale. Natalie serait sortie avant même que les autres ne rentrent de leur promenade sur le lac.

Pendant que Natalie faisait ses projets, Sterling rendait visite à Kate

dans son appartement à Minneapolis. — Nous avons découvert qui a donné au journal cette histoire sur Ben

et Monica Malone. — Qui donc ? — Monica elle-même. Gabe a parlé avec une petite bonne que celle-ci

venait de mettre à la porte. — Et...? — Elle a donné le nom du journaliste et le jour où il s'est présenté

chez Monica : deux jours avant la publication de l'article. Lui n'a rien voulu admettre. Monica lui a probablement demandé de ne pas nommer ses sources.

Parfaitement immobile, Kate laissa cette information faire son chemin en elle. Puis elle dit, très doucement :

— Si jamais nous avions pu en douter, tout est clair maintenant. Elle cherche à nous nuire. Et cela lui est d'autant plus facile qu'elle est bien informée. Qui sait ? Si ça se trouve, elle en sait autant que moi sur ma propre famille.

Sterling ne répondit pas. Aucune réponse n'était nécessaire. Soudain Kate pensa à Jake. Ben avait promis de l'élever comme s'il

était le sien et il avait tenu parole. Il s'était bien occupé de Jake et personne n'avait jamais rien su. Mais si Ben avait pu la trahir, n'était-il pas aussi capable de... L'idée même la blessait affreusement, mais Ben n'avait-il pas pu commettre cette seconde trahison ? Pendant un moment d'intimité furtive, avait-il chuchoté à Monica la vérité sur la naissance de Jake ?

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Dans ce cas, Monica pouvait parfaitement se servir de cette information aujourd'hui pour obliger Jake à se plier à ses volontés.

— Il va falloir nous occuper d'elle, dit Kate. — Oui, répondit tout de suite Sterling. Mais comment ?

Quand Rick, Toby et le chien rentrèrent de leur promenade, ils trouvèrent la porte close. Toby leva vers son père un regard interrogateur.

— On dirait qu'elle est sortie, répondit ce dernier en fouillant sa poche à la recherche de la clé.

Dès que la porte fut ouverte, Toby se glissa à l'intérieur et Rick lança très vite :

— Ne file pas dans ta chambre, toi. D'abord un bain, ensuite le dîner. Le petit garçon fleurait en effet l'odeur forte des poissons de vase

qu'il aimait attraper pour les remettre à l'eau. Il se retourna afin de jeter à son père un de ces regards patients qui veulent dire : « Mais je sais ce que j'ai à faire ! » Puis il se dirigea vers la salle de bains, le chien sur ses talons.

Décidément, le temps du comportement passif et du refus de communiquer était bien révolu ! Content, Rick traîna la glacière dans la cuisine, la vida et la nettoya rapidement. Avant de s'atteler à la préparation du dîner, il saisit la télécommande et mit en route la télévision du salon, comptant suivre les informations de loin tout en faisant la cuisine. Il zappait d'une chaîne à l'autre à la recherche d'un journal télévisé quand il tomba sur une émission locale qui exploitait le filon des petits scandales entre célébrités. Bien entendu, on parlait des Fortune. Prêt à passer à la chaîne suivante, Rick écouta cependant le bref récapitulatif — qui passait en revue tout ce qu'il savait déjà —, avant que le journaliste n'aborde le sujet du jour, à savoir l'interview de celle qui affirmait être l'enfant des Fortune, disparue trente-sept ans plus tôt : Tracey Ducet.

En la voyant, Rick ne put que constater qu'elle ressemblait comme deux gouttes d'eau à la tante de Natalie.

— J'espère que la famille finira par me regarder d'un autre œil, disait-elle.

Rick eut presque pitié d'elle. Si elle cherchait réellement à tromper son monde, elle s'y prenait très bien. Elle avait un sourire plein de gentillesse, et son accent du peuple et ses vêtements vulgaires la rendaient sympathique. Face au clan Fortune, elle paraissait désarmée, telle une gamine des rues lancée à l'assaut d'une citadelle.

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On passa ensuite aux rumeurs de mésentente entre Jacob, le P.-D.G. du groupe, et son frère Nathaniel, puis à la crise de confiance qui ébranlait leur empire. Un montage photographique clôtura le reportage, s'ouvrant sur des photos de Kate et Ben jeunes mariés, et se terminant sur des vues aériennes de l'épave de l'avion dans lequel Kate avait trouvé la mort. Il y avait même une image de Natalie, toute petite, entre ses frère et sœurs au pied d'un énorme sapin de Noël. On ne citait pas son nom mais Rick reconnaissait ses grands yeux tendres...

Il y eut ensuite une page de publicité et Rick changea enfin de chaîne. Il ne pensait plus à ses préparatifs, mais restait immobile, les yeux fixés sur l'écran qu'il ne voyait plus.

Natalie... Quand il repensait à la façon dont il était venu marteler sa porte le matin même, pour l'accabler de reproches idiots...

Il s'en voulait terriblement de son attitude, à présent, mais le problème était tout simple : elle le rendait fou. Le désir le tourmentait en permanence depuis qu'il vivait sous le même toit qu'elle ! Il pensait à elle constamment, même quand ce n'était que pour se répéter qu'il n'avait pas le droit de penser à elle. Alors, quand il était entré ce matin dans la buanderie pour aller chercher des céréales pour Toby, et qu'il était tombé sur ces petits morceaux de soie et de dentelle étalés sur cette maudite serviette, il avait eu comme un éblouissement. La bouche sèche, le souffle court, il n'avait pu s'empêcher d'imaginer à quoi elle devait ressembler quand elle ne portait que ça. Et il cherchait en vain à se débarrasser de cette vision quand, brusquement, il s'était demandé quel immonde veinard avait eu la chance de la voir dans cette tenue. Et là, quelque chose avait craqué en lui : il avait replié avec rage la serviette, et s'était rué à l'étage pour lui dire ce qu'il pensait d'une femme capable de laisser de pareilles choses traîner là où on pouvait les voir.

Mais quand elle avait ouvert sa porte dans son juste-au-corps moulant, il avait eu une envie folle de la serrer contre lui, de l'embrasser de toutes ses forces. Il ne le pouvait pas, bien sûr. Elle lui avait montré clairement qu'il n'était pas question de ça entre eux. Alors il s'était mis à l'insulter...

Plus tard, quand elle était descendue et que Toby l'avait emmenée voir son garage, il n'avait pas pu s'empêcher de les observer tous les deux. Elle était... parfaite avec Toby, si gentille et si tendre. Mais, comme il l'avait noté dès le premier instant, elle était vraiment trop sexy, vue de dos.

Elle s'était retournée trop vite et l'avait surpris en train de la dévorer des yeux comme un adolescent devant son premier béguin. Humilié, il

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s'était rabattu sur la première idée qui lui venait à l'esprit et lui avait demandé avec rudesse s'ils pouvaient emmener le chien...

Il n'y avait pourtant aucune raison qu'il se montre aussi odieux avec elle. C'était quelqu'un de bien et son petit copain venait de porter un sacré coup à l'image qu'elle avait d'elle-même. Il n'avait absolument pas le droit de lui en vouloir si elle préférait ne pas entamer tout de suite une relation avec un autre homme.

Il n'avait pas le droit... mais il lui en voulait tout de même. Parce qu'il avait trop envie d'elle et que cette envie semblait devenir plus intense chaque jour. Et qu'il ne parvenait pas à communiquer avec elle.

A croire qu'il ne s'y prenait jamais comme il fallait avec les femmes auxquelles il s'attachait.

Car avec Vanessa, déjà... Oui, il avait tout fait de travers avec Vanessa. Elle était belle, gâtée, elle avait l'habitude d'avoir tout ce qu'elle voulait. Dès le premier soir, elle lui avait montré clairement qu'elle le voulait, lui. Il venait juste de commencer chez Langley, Bates & Shears, et n'était alors qu'un tout jeune architecte qui brûlait de dessiner des immeubles de bureaux qui domineraient la ville.

Vanessa, elle, était d'une bonne famille. Elle avait grandi dans un quartier aisé de Louisville et sa mère faisait partie du comité de toutes les œuvres de la paroisse. Son père, déjà décédé au moment de leur rencontre, avait possédé une petite chaîne de pharmacies. Elle était exactement l'épouse qu'il lui fallait — ou du moins était-ce ce que Rick avait pensé en la demandant en mariage.

Effectivement, il avait été fou d'elle la première année. Ou peut-être avait-il pris seulement le désir qu'il ressentait alors pour de l'amour. Avec le recul, il ne savait plus très bien. Car tout s'était désagrégé si vite entre eux ! Vanessa voulait être le centre du monde et il ne pouvait pas se permettre de lui consacrer assez de temps. La grossesse était arrivée très vite, bien plus vite qu'ils ne l'avaient prévu ; après une première réaction de joie, Vanessa lui avait reproché de l'avoir piégée dans ce corps grotesque. Au moment de la naissance de Toby, ils s'adressaient à peine la parole, et quand le petit avait eu un an, elle était partie en l'emmenant avec elle, pour retrouver la seule personne qui savait l'aimer et s'occuper d'elle autant qu'elle pouvait le désirer : sa mère.

Rick s'était alors plongé à corps perdu dans son travail. Pendant les quatre années qui avaient suivi, il n'avait permis à aucune femme de l'approcher véritablement, se cantonnant avec elles à des relations éphémères. Si l'une d'elles, en effet, lui manifestait l'intention de s'attacher, il la détrompait aussitôt, exprimant clairement qu'il entendait rester célibataire. Elle acceptait alors de continuer à le voir

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selon ses propres termes ou elle s'en allait. Si elle restait, cela durait le temps que cela durait mais il ne voyait aucune raison de s'attacher à elle.

Puis il y avait eu l'accident, et l'arrivée de Toby. Un bouleversement total de sa vie, une métamorphose radicale. L'amour qu'il ressentait pour le petit garçon l'avait pris par surprise et il s'était lancé avec passion dans le difficile parcours qui le ramènerait dans le monde des vivants. Comme sa vie passée lui semblait vide, par comparaison !

Quelque chose lui manquait pourtant, encore, sans qu'il sache très bien quoi. Il avait trouvé la réponse, il y a près d'un mois, en entrant dans cette maison et en voyant Natalie pour la première fois. Dès cet instant, il avait eu envie d'elle, envie qu'elle fasse partie de sa vie. Le simple fait de l'entendre rire le faisait frémir, la vue de sa tasse de café dans l'évier lui coupait les jambes. Elle avait une façon de sourire à Toby, de gratter Bernie derrière les oreilles... Son parfum hantait la maison même quand elle n'était pas là et le simple fait de la voir traver-ser la pelouse dans son vieux jean coupé à mi-cuisses, les cheveux flottant dans une auréole de mèches folles, éveillait en lui un désir plus fou que la plus habile de ses amantes passées.

Seulement... il n'était pas arrivé au bon moment pour elle. Dès le premier instant, il avait compris qu'il était enfin prêt à prendre des risques et à oser aimer. Mais pas elle.

Rétrospectivement, il était obligé d'admettre que cette frustration avait modifié beaucoup de ses réactions. Par exemple, il aurait dû se montrer beaucoup plus nuancé au sujet du coup de fil de l'inconnue à l'accent anglais. Il ne croyait toujours pas que la femme au téléphone ait cherché à tromper qui que ce soit, mais son opinion reposait seulement sur une impression, comme celle de Natalie. Et il ne connaissait pas toutes les données du problème. Il n'avait pas grandi dans une famille célèbre, perpétuellement harcelée par la presse ou toutes sortes d'aigrefins. Il n'avait aucune idée de ce qu'on ressentait quand on devait soupçonner chaque nouveau venu de chercher à vous soutirer quelque chose.

C'est pourquoi il devait absolument se montrer plus gentil avec elle. Dès leur prochaine rencontre, il lui montrerait qu'il renonçait à la harceler. Il ne lui ferait plus payer le fait d'avoir refusé de lui donner ce qu'il lui demandait. Elle avait le choix, tout de même ! Et il lui prouverait qu'il était capable de respecter le choix d'une femme.

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Lorsque Natalie rentra, un peu avant 11 heures, les fenêtres du salon étaient éclairées. Contrariée de trouver Rick encore debout et déterminée à l'éviter, elle alla se garer derrière la maison et entra par la porte de derrière.

Elle posait le pied sur la première marche de l'escalier quand une voix virile retentit derrière elle.

— Natalie... Elle s'arrêta net et se retourna avec appréhension. Il se tenait devant

la porte du salon, vêtu d'un vieux jean et d'un sweat gris qui moulait la forme puissante de ses épaules. Prête à un nouvel affrontement, elle le regarda bien en face en attendant la suite.

— Bonsoir, dit-il. Il souriait. Un instant, elle se demanda si elle ne rêvait pas : cela

faisait plusieurs jours qu'il ne décolérait pas ! Son cœur se mit à battre plus vite et elle s'en voulut de cette réaction.

— Bonsoir, répondit-elle, attendant la suite. Mais il ne semblait rien avoir d'autre à lui dire. Elle se décida donc à

lancer un « bonne nuit » cordial et se mit à gravir l'escalier. — Natalie, je... La fin de la phrase ne venait pas. De plus en plus perplexe, elle

s'arrêta de nouveau et demanda prudemment : — Oui ? Il croisa les bras sur sa poitrine et son regard vacilla un peu. — Je me demandais si on pourrait parler. Juste quelques minutes. Natalie sentit aussitôt son appréhension s'intensifier. Vu la façon

dont il la traitait ces derniers temps, ce qu'il avait à dire n'allait

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sûrement pas lui plaire. Mais si elle refusait la discussion, il allait sûrement se mettre en colère et cela, elle ne le voulait à aucun prix. Sans enthousiasme, elle hocha la tête et redescendit. Elle vit alors le sourire de Rick changer, comme s'il était partagé entre la gêne et l'amusement. Un peu agacée, elle comprit qu'elle se comportait exactement comme un enfant qui sait qu'il va se faire gronder.

Reculant d'un pas, il fit un geste vers le canapé qui se trouvait dans la pièce contiguë.

— Venez vous asseoir un petit moment. Elle fronça les sourcils. Cette fois, il exagérait ! Non seulement ils

étaient convenus de garder leurs distances, mais il s'était montré terriblement désagréable ces derniers jours... Elle ne savait pas très bien comment prendre sa nouvelle attitude.

D'autant qu'il avait toujours ce sourire charmant et penaud à la fois. — Je vous en prie. Je ne mordrai pas, c'est promis. Elle rit un peu nerveusement et passa devant lui pour prendre le

siège qu'il lui indiquait. Il la suivit, puis se laissa tomber sur un siège en face d'elle... avant de retomber dans son mutisme. Confortablement avachi dans son fauteuil, il examinait ses mains avec beaucoup d'attention. Natalie se mit à les étudier aussi. Des mains puissantes, avec des doigts longs et des ongles bien coupés. De belles mains.

— En fait... j'ai réfléchi à certaines choses... — Ah? Elle se détesta d'avoir répondu si vite, de s'être penchée en avant

comme elle venait de le faire. Posément, elle se carra dans son siège et se força à compter jusqu'à cinq avant d'ouvrir la bouche.

— Quelles choses ? — Je sais que j'ai été... désagréable avec vous. Très gênée, elle baissa les yeux et l'entendit prononcer son nom

d'une voix un peu inquiète : — Natalie ? Elle décida de le regarder en face. — Oui, c'est vrai. Vous avez été désagréable avec moi. Il remua dans son fauteuil, mal à l'aise. — Je n'avais pas à vous juger comme je l'ai fait quand vous n'avez pas

voulu rappeler la femme qui vous a laissé ce message. Après tout, vous aviez vos raisons d'agir ainsi.

— C'est vrai, répéta-t-elle. — Et je n'ai pas arrêté de me montrer agressif à tout propos. Comme

cette histoire idiote à propos de mon, ou plutôt de votre Newsweek, ou

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encore des reproches ridicules que je vous ai faits pour avoir laissé traîner votre...

L'air un peu perdu, il chercha un mot poli pour désigner ses sous-vêtements.

— Ma lingerie, acheva-t-elle à sa place. Il hocha la tête, toussota avec gêne. — Je crois que le fond du problème, c'est que vous me plaisez, et que

vous m'avez fermé la porte au nez. Alors je... — Vous boudez ? Il poussa un grognement. — Les hommes ne boudent pas. Elle eut la sagesse de ne pas le contredire et il acheva d'une traite : — Enfin, bref ! Je voulais vous demander pardon de m'être montré

aussi odieux. Ça alors ! Il avait exactement la même voix que son père quand il

s'était excusé auprès d'Erica ce matin. Comme Jake, Rick transformait de simples excuses, des excuses nécessaires et méritées, en une concession énorme. Natalie se sentit brusquement très irritée contre le genre masculin dans son ensemble.

Rick dut lire cet agacement sur son visage car il demanda : — Qu'est-ce qu'il y a ? Vous n'acceptez pas mes excuses ? Maintenant, il se sentait incompris, c'était visible. Elle eut très envie

de lui dire quelque chose de sec et de blessant, rien que pour se venger de la façon dont il l'avait traitée. Mais elle savait que c'était inutile et qu'elle n'en aurait retiré aucune satisfaction.

— Mais si ! Il eut une petite exclamation incrédule et cela aussi lui rappela son

père. Brusquement très fatiguée, elle détourna la tête pour contempler la nuit qui se pressait aux fenêtres. Le silence retomba.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Rick. — Que voulez-vous dire ? — Je sens que quelque chose vous ennuie... Il lui fit encore ce sourire si gentil et acheva : — ... à part moi, je veux dire. Une envie soudaine la saisit de tout lui dire — ce qui se passait entre

son père et sa mère, et la façon bizarre et assez effrayante dont Jake se comportait. Oui, c'était étrange, ce besoin qu'elle avait de se confier à lui. Ne s'était-elle pas juré de ne plus jamais faire confiance à un homme?

Et pourtant, le tout premier jour, déjà, elle lui avait parlé à cœur ouvert pendant leur sortie sur le lac. Elle lui avait raconté beaucoup de

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choses sur son enfance, sur ses sœurs, sur Joel et leur rupture. Beaucoup trop de choses. Cela ne lui ressemblait pas, elle ne s'épanchait jamais, c'étaient les hommes qui venaient lui raconter leurs problèmes.

— Dites-moi ce qui se passe, Natalie. Son regard bleu était si chaleureux, si plein de gentillesse et

d'inquiétude ! Il semblait vraiment avoir envie de savoir. Pourtant, les problèmes des Fortune n'avaient rien à voir avec lui, cela n'avait aucun sens d'en faire le récit une fois de plus. Elle secoua la tête.

— Je préfère ne pas en parler. — Très bien. Comme vous voudrez, murmura-t-il. Il baissa les yeux quelques instants, puis la dévisagea avec attention. — Ecoutez, dit-il lentement, il ne reste plus que quelques jours avant

votre départ. — Cinq jours. — Oui. Pendant ce temps, j'aimerais que nous... — Qu'on reste amis ? Il fit la grimace. — Quelle phrase épouvantable ! — Alors : qu'on adopte des relations franches et cordiales ? Il considéra la phrase un instant puis approuva de la tête. — C'est mieux, oui. Vous n'avez pas l'air convaincue ? — Pas tout à fait, c'est vrai. — Pourquoi ? — C'est ce que j'avais proposé moi-même, et ça n'a pas l'air d'être

aussi simple que je l'avais cru. Elle lui jeta un regard de biais et il se mit à rire. — Etes-vous en train de suggérer que c'est moi qui suis compliqué ? — Un peu, oui. — Non, c'est simplement que je n'étais pas d'accord avec la règle du

jeu. Maintenant, je l'accepte, et il y aura juste à faire un effort de part et d'autre pour nous entendre. Sans aller jusqu'à partager nos repas ou sortir sur le Lady Kate tous ensemble...

Elle se sentit déçue — et se détesta pour ce sentiment. — On pourrait... échanger quelques mots agréables quand on se

croise. Bavarder un peu quand on se retrouve ensemble dans la même pièce. Qu'est-ce que vous en pensez ?

Il la regardait très attentivement. Qu'est-ce qu'elle en pensait ? Que du bien, bien sûr ! Car elle avait détesté le silence hostile de ces derniers jours. Pourtant, elle n'osait pas tout à fait baisser sa garde. Elle trouvait Rick tellement attirant, et il était de son côté si franc sur le fait qu'elle l'attirait aussi. Est-ce que tout cela ne pouvait pas être un piège ?

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Non. Elle était ridicule. Encore un peu et elle allait croire qu'il cherchait à la séduire pour son argent ou pour profiter de l'influence de sa famille.

— C'est très simple, en réalité, Natalie : je vous apprécie et j'aime beaucoup les moments que nous passons ensemble.

Elle le crut — tout en se disant qu'elle ne devrait pas le croire. N'avait-elle pas prouvé qu'elle ne savait pas juger les hommes ?

D'un geste un peu las, Rick passa les mains dans ses cheveux. Il y avait tant de séduction inconsciente dans le moindre de ses gestes ! Cela aussi faisait partie du problème. Il lui plaisait, qu'elle le veuille ou non. Ce n'était pas seulement une question de beauté physique, même si son corps était grand et bien proportionné et les traits de son visage harmonieux. Il y avait aussi quelque chose dans son regard et dans sa façon de se tenir, quelque chose de solide et de déterminé ; quelque chose de très viril.

Jusqu'alors, les quelques hommes de sa vie avaient tous ressemblé à Joel : ils cachaient tous une faille, une faiblesse. Rick Dalton, lui, n'était pas faible.

Il fronçait de nouveau les sourcils. Elle avait attendu trop longtemps avant de lui répondre et il s'inquiétait visiblement de ce qui lui passait par la tête, en ce moment. Soucieuse d'échapper à son regard scrutateur, elle se leva.

— Moi aussi, je vous apprécie. Il leva le visage vers elle et sa bouche bien dessinée se retroussa un

peu. — Merci. Voyez, nous faisons des progrès ! — Et j'aimerais que nous gardions des rapports cordiaux. Jusqu'à

mon départ.

Le lendemain matin, quand Natalie descendit, Rick lui sourit et lui dit que le café était chaud. Elle se versa une tasse et s'assit dans le rocking-chair du salon près de Toby. Le garçon regardait des dessins animés à la télé tout en construisant une espèce d'aérogare spatiale avec des Lego. Bernie vint s'affaler près d'elle et elle but son café tout en se balançant paisiblement et en contemplant les progrès de la construction. A la table de la cuisine, Rick lisait son journal.

Quand sa tasse fut vide, elle se fit pocher un œuf et s'assit en face de Rick pour le manger. En tournant les pages de son journal, il faisait de temps en temps un commentaire sur les nouvelles du jour. Soudain, toujours sans lever les yeux, il murmura avec un demi-sourire :

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— Le grand magasin Dayton's propose des soldes à partir de dimanche. Il ne faudra pas rater ça.

— Je le noterai sur mon agenda. — Vous pourriez faire des affaires sur les escarpins vernis. Elle ne put s'empêcher de sourire : il parlait du jour de son arrivée,

quand il l'avait surprise en train de chanter avec Bernie et Janis ! — Ils auront des abat-jour aussi ? demanda-t-elle. — Sûrement. Ça doit être lassant de porter toujours le même. Elle approuva de la tête et il lui apprit que tous les luminaires

seraient à moitié prix. — Je ferai l'ouverture, promit-elle. Ils parlèrent un peu de sport et des équipes de Minneapolis qui

semblaient traverser une mauvaise passe. Tous deux étaient d'accord que le base-ball amateur était bien plus passionnant que les grandes rencontres professionnelles.

— Il y a trop d'argent en jeu, on n'a plus l'impression qu'ils font ça pour le plaisir.

— C'est vrai qu'il y a souvent bien plus de passion chez les joueurs amateurs, approuva Rick.

Natalie leva machinalement les yeux et s'aperçut que Toby les surveillait. Déconcertée, elle se demanda si elle n'allait pas trop loin dans ce nouveau système d'entente cordiale. Elle se leva et emporta la vaisselle sale vers l'évier. Tout en la rinçant et en la rangeant dans le lave- vaisselle, elle s'aperçut qu'elle fredonnait une chanson du film « Pocahontas ». « Tu crois que la terre t'appartient tout entière... » Elle leva vivement la tête vers Rick mais il avait de nouveau disparu derrière son journal. Visiblement, il n'avait rien entendu. Et même s'il avait entendu, quelle importance ? Après tout, ce n'était qu'une chanson...

Le même soir, elle apprit à Toby un nouveau jeu. Il s'agissait d'étaler tout un jeu de cartes sur le tapis, les figures étant cachées. Tour à tour, ils devaient retourner deux cartes pour essayer de constituer des paires. Les cartes qui ne s'accordaient pas reprenaient leur place et il fallait se souvenir de leur emplacement la prochaine fois qu'on aurait besoin d'elles. Toby se révéla très doué et réussit à faire plusieurs paires après n'avoir vu la carte correspondante qu'une seule fois.

Quand le petit garçon fut couché, cela sembla tout naturel à Natalie de rester dans le salon quelques minutes pour discuter avec Rick. Ils ne parlèrent de rien de particulier : il la prévint que le plancher du hangar à bateaux avait du jeu dans un angle et elle promit de demander à un employé de son père de venir faire la réparation. Rick emmenait Toby en ville, le lendemain, et il voulait savoir si elle avait besoin de quoi que

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ce soit. Non, elle avait aussi des courses à faire et Bernie avait rendez-vous pour un toilettage avant son départ. Elle allait proposer qu'ils y aillent tous ensemble quand elle se retint, juste à temps. Ce n'était pas parce qu'ils avaient trouvé un semblant d'équilibre qu'il fallait maintenant tomber dans l'autre extrême.

Le lendemain soir, Rick était en train de coucher Toby quand Erica téléphona. Elle recommençait à s'inquiéter pour Jake. Avec un temps de retard, elle se posait maintenant des questions qui ressemblaient beaucoup à celles qui tourmentaient Natalie.

— Plus j'y pense, plus l'entrevue tout entière me semble bizarre. Ça ne t'a pas fait le même effet ?

Comment répondre ? Natalie n'avait pas envie de mentir mais elle ne voulait pas non plus faire peur à sa mère. Elle se contenta d'émettre un son vaguement approbateur.

— Il avait les cheveux mouillés, tu as remarqué ? continuait Erica. Comme s'il venait de prendre une douche. Il ne s'était tout de même pas levé à 11 heures du matin ? C'est peut-être ça qui m'effraie le plus, quand j'y pense vraiment. Qu'il ait été là, à la maison, et pas au bureau, à 11 heures, un jour de semaine. Ce n'est pas le Jake que j'ai connu. Et puis ses yeux n'étaient pas normaux du tout, ils avaient l'air tourmentés, tu ne trouves p a s ?

Natalie fit de son mieux pour la réconforter, répétant pour la centième fois que même si quelque chose tracassait Jake en ce moment, personne ne pouvait lui venir en aide tant qu'il refusait d'être aidé.

— Oui, ça a toujours été le même problème, avec lui, répondit tristement Erica. Il garde tout à l'intérieur. C'est quasiment impossible de savoir ce qu'il ressent vraiment.

— Ne t'inquiète pas trop, maman. Je suis sûre qu'il s'en sortira, comme toujours.

Si seulement elle avait pu le croire elle-même ! Quelques minutes plus tard, sa mère se déclara un peu rassurée et lui souhaita bonne nuit. Elle raccrochait le combiné quand Rick revint de la chambre de Toby.

Il vit son expression et vint tout de suite vers elle en demandant : — C'était qui, au téléphone ? — Ma mère. — Qu'est-ce qu'elle a bien pu dire pour vous faire cet effet ? L'autre soir, elle avait repoussé la tentation de lui faire des

confidences mais cette fois, elle n'essaya même pas de résister. Elle parla longtemps et Rick l'écouta en silence.

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— Oui, dit-il quand elle se tut enfin. Pris tout ensemble, ça fait quelque chose d'assez inquiétant. En même temps, je ne vois pas très bien ce que vous pouvez faire.

— Je ne crois pas que je puisse faire quoi que ce soit. Sauf être là s'il a besoin de moi, et essayer de ne pas me faire trop de souci.

Avec un petit soupir, elle replia ses jambes sous elle et sourit à Rick. — Merci de m'avoir écoutée, en tout cas. Les choses semblent moins

dramatiques quand on en parle à quelqu'un qui n'est pas partie prenante.

— Ce sera quand vous voudrez. Ils échangèrent un long regard. Natalie sentait fondre sa méfiance :

pourquoi se compliquer la vie alors que c'était tellement agréable de passer ainsi un moment avec Rick ? Brusquement, il détourna les yeux et sauta sur ses pieds.

— Je vais sortir sous la véranda, dit-il. Pour écouter les cigales. — Et vous faire dévorer par les moustiques ? demanda-t-elle, un peu

surprise par cette volte-face. Son rire sembla un peu forcé. — Pourquoi pas ? Il ne l'avait pas invitée à le suivre. Elle supposa donc qu'il préférait

être seul. Elle poussa un petit soupir en se disant que la partie de la soirée qu'ils s'autorisaient à passer en commun s'était terminée bien vite. A présent, elle n'avait plus qu'à monter. Comme il était encore tôt, elle avait tout le temps de regarder le film loué cet après-midi à Travistown. Du reste, pourquoi monter ? Rick serait peut-être content de le regarder avec elle.

Elle se leva, monta à l'étage pour aller chercher la cassette et resta un bon moment indécise, à contempler la photo du boîtier. Rick aimait-il les comédies romantiques ? Elle pouvait toujours le lui proposer et voir sa réaction...

Quand elle redescendit, il n'était toujours pas rentré. Elle s'apprêtait à aller le rejoindre quand un brusque accès de timidité la paralysa. Il n'apprécierait peut-être pas qu'elle vienne le déranger. Et s'il allait recommencer à lui faire des remarques blessantes...

Elle était stupide et elle le savait. Pourquoi faire toute une histoire d'une chose aussi simple ? Ce n'était tout de même pas bien compliqué de lui demander s'il avait envie de regarder un film avec elle !

Une idée lui vint tout à coup : elle allait faire du popcorn. Cela donnerait à Rick quelques minutes supplémentaires, et elle aurait un prétexte pour continuer à s'affairer en bas en attendant qu'il rentre. Elle

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posa sa cassette à portée de main et passa dans le cellier afin d'aller chercher un sachet de pop-corn pour micro-ondes.

Quelques minutes plus tard, tout était prêt. Elle beurra généreusement le contenu de la grande jatte et alla la poser sur la table basse du salon, à côté de la dernière réalisation de Toby : un modèle réduit de voiture du course.

A présent, elle ne pouvait vraiment plus repousser le moment de lancer son invitation. Néanmoins, elle en était encore à essayer de rassembler son courage quand Rick rentra enfin.

— Qu'est-ce que c'est ? Du pop-corn ? — Euh, oui... Dites, j'ai loué un film, une comédie, enchaîna-t-elle

très vite. J'ai pensé que peut-être... — Bonne idée ! Vous voulez un Coca ? — Un Coca. Oui. Merci. Rick alla donc chercher deux Cocas et Natalie glissa la cassette dans

le magnétoscope. Ils s'installèrent par terre près de la table basse, la jatte de pop-corn à portée de main, et le film commença. La tension entre eux semblait s'être volatilisée. Natalie enchantée remarqua qu'ils riaient aux mêmes endroits tous les deux. Un reste de prudence lui interdit toutefois de regarder son compagnon, quand le héros du film réussit enfin à embrasser sa belle. De même, quand la main de Rick toucha la sienne au fond de la jatte, elle ignora scrupuleusement le délicieux petit frisson qui remontait le long de son bras.

Dès la fin du film, cependant, elle veilla à ne pas s'attarder. Se levant aussitôt, elle prit la jatte de pop-corn et les boîtes de Coca vides qui encombraient la table basse, et souhaita à Rick une bonne nuit.

Lorsqu'elle s'éveilla le lendemain matin, un sourire flottait sur ses lèvres, et elle s'aperçut avec surprise que sa première pensée avait été pour lui. Ce constat l'effraya quelque peu. A cause du faible absurde qu'elle avait pour cet homme, elle risquait de voir une fois de plus la situation lui échapper. Ce n'était pourtant pas le moment, alors que tout semblait s'arranger entre eux. C'est pourquoi, aujourd'hui, il fallait à tout prix qu'elle se montre plus vigilante, le mieux étant encore de s'arranger pour mettre le maximum de distance entre eux.

Quand elle descendit, cependant, un moment plus tard, Rick était déjà à table, occupé à lire son journal — et Natalie trouva tout naturel de se verser un café et de s'installer en face de lui pour écouter ses commentaires et répondre à ses questions sur l'itinéraire de sa croisière en Méditerranée.

Après tout, se dit-elle, même si le risque existait, il était limité. Il leur restait si peu de temps à passer ensemble ! Leur cohabitation bizarre

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était quasiment terminée. On était vendredi. Lundi, très tôt, elle prendrait un premier avion pour New York, puis un autre pour Venise où elle rejoindrait son paquebot. Cela n'avait donc plus aucun sens de faire toutes sortes de manœuvres oiseuses pour éviter Rick. Au fond, ils ne faisaient que respecter l'accord pris l'autre soir de se montrer « cordiaux », et il n'y avait aucune raison de se priver du plaisir de sa compagnie — et de celle de Toby ! — jusqu'au moment de son départ.

Ce jour-là, Rick et Toby traînèrent à la maison et Natalie resta avec eux. Elle avait bien prévu de se rendre à Travistown pour une dernière visite à sa salle de classe qui lui permettrait de nettoyer ses placards et prendre un peu d'avance dans ses préparatifs pour la rentrée... Mais il n'y avait pas grand-chose à faire, et elle se dit qu'elle pourrait tout aussi bien s'en occuper à son retour. Par ailleurs, elle n'avait plus besoin de faire les boutiques, sa garde-robe étant maintenant suffisamment pourvue de tenues fabuleuses. A moins d'un hasard bizarre qui mettrait Ali en travers de sa route, on n'aurait d'yeux que pour elle pendant toute la croisière.

Elle passa donc la matinée sur la jetée à pêcher en compagnie de Toby et Bernie. Elle attrapa deux truites minuscules que Toby retira de son hameçon avec beaucoup de calme pour les remettre à l'eau. Puis ils déjeunèrent ensemble — un repas exquis qui ne ressemblait à rien, composé exclusivement de restes et de friandises, et qu'ils prirent à demi allongés sur la pelouse en compagnie de Bernie qui adorait les bonbons. Ensuite, ils sortirent le très vieux jeu de croquet du garage, plantèrent dans l'herbe les arceaux tordus et passèrent deux heures hilares à taper dans les vieilles boules écaillées avec les vieux maillets de bois.

Il était presque l'heure du dîner quand Frank téléphona. La bonne était de congé, Lindsay encore à l'hôpital et il avait absolument besoin de faire un saut à Minneapolis. Est-ce que ça n'ennuierait pas trop Natalie s'il lui laissait Chelsea et Carter une heure ou deux ?

— Bien sûr que non, amène-les tout de suite ! Un quart d'heure plus tard, Frank déposait les enfants. Après cette

journée passée en plein air, Rick et Natalie avaient envie de prolonger le plaisir. Eh bien, soit ! On dînerait dehors, décidèrent-ils : des hot dogs, des chips et du jus de raisin — le menu d'été idéal pour les enfants. Rick proposa de cuire les saucisses sur le vieux barbecue de pierre que Ben avait construit de ses propres mains, bien des années auparavant.

— J'adore les hot dogs ! s'écria Chelsea. — Moi aussi, renchérit Carter. Même Toby souriait largement.

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Carter se montrait presque aussi réservé que Toby mais, heureusement, Chelsea avait le don de meubler sans difficulté tous les silences.

Après quelques minutes de bavardage continu, elle finit par se tourner vers Toby, les poings sur les hanches.

— Mais tu ne parles jamais, toi ? Toby la contemplait un peu comme un voyageur en terre étrangère

qui ne comprend qu'un mot sur dix des commentaires volubiles qu'on lui adresse.

— Enfin, réponds ! exigea la petite fille. Rick se redressa, prêt à intervenir — mais la main de Natalie vint se

poser sur son bras et il se tut. — Tu entends ce que je te dis ? articula Chelsea, très lentement et

clairement. Toby hocha la tête gravement. — Alors ? Tu parles ou tu ne parles pas ? Toby secoua la tête, faisant signe que non. — Ah, bon, dit Chelsea, tout à fait satisfaite. Elle prit la main de Toby. — Tu vois l'arbre, là-bas ? Elle montrait le noyer qui ombrageait le garage. Toby fît encore oui

de la tête. — Viens, on l'escalade. Tu viens, Carter ? Ils partirent au galop à travers la pelouse, Bernie bondissant sur

leurs talons. Natalie les suivit des yeux avec un grand sourire, puis se retourna vers Rick.

— Il valait mieux qu'il réponde tout seul, non ? — Tu avais... vous aviez raison, comme d'habitude. Il souriait aussi, et elle avait toujours la main sur son bras. Elle savait

bien, pourtant, qu'elle aurait dû s'écarter de lui, mais c'était tellement agréable de le toucher ! Tellement agréable que ce qu'elle aurait dû faire ne pesait pas très lourd en ce moment.

Près du garage, les enfants riaient. Un vent léger faisait bruire les feuillages ; un peu plus loin, un oiseau chantait. Natalie sentait une douce euphorie l'envahir. Tous ces sons lui parvenaient de très loin, un peu voilés ; seul le visage de Rick lui semblait proche et réel, chaque trait incroyablement présent et plein de vitalité.

Elle vit sa poitrine se gonfler sous le polo qu'il portait, puis retomber lentement.

— Natalie. — Oui.

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— Il faut que je m'occupe du feu. — Oui. Oui, bien sûr. Elle le lâcha, recula de deux pas, affreusement gênée maintenant que

le charme était rompu. Il allait penser... qu'est-ce qu'il allait penser, au juste ? Qu'elle était complètement folle ? A moins qu'il n'ait rien remarqué. Car ce qui venait de se produire n'était peut-être qu'un de ces moments où une seconde semble s'étirer à l'infini.

Peut-être n'était-elle restée qu'un instant les yeux dans les siens, la main sur son bras.

Rick, en tout cas, ne semblait pas du tout embarrassé. L'air parfaitement tranquille, il s'était remis à souffler sur les braises. S'il ne trouvait pas son attitude bizarre, c'était sans doute qu'elle ne l'avait pas été, se raisonna-t-elle. En tout cas, pas suffisamment pour qu'on y attache de l'importance. Elle l'avait uniquement touché pour l'empêcher de répondre à la place de Toby — et elle n'avait pas tout de suite retiré sa main, voilà tout.

Non, rien d'important, se répéta-t-elle. De toute façon, ça ne se reproduirait plus.

Quand Rick arriva avec les saucisses grillées à point, les gosses se mirent à dévorer comme s'ils n'avaient rien mangé depuis trois jours. Natalie ensuite ouvrit un grand bac de glace au chocolat et ils se régalèrent tous tandis que le soir tombait.

Il faisait presque nuit lorsque Frank vint chercher les enfants. — La prochaine fois, c'est nous qui inviterons Toby, déclara Chelsea à

Rick avec beaucoup d'autorité. Tu l'emmèneras ? Rick jeta un coup d'œil à Toby qui hocha la tête avec enthousiasme. — Je vous téléphone la semaine prochaine, on organisera quelque

chose, proposa Frank. — Avec plaisir. Natalie réalisa brusquement qu'elle ne serait pas de la fête. La

semaine prochaine, elle serait partie. Mais pourquoi cette brusque tristesse ? Tout n'était-il pas parfait ?

Au moins, Rick et Toby ne se trouveraient pas isolés après son départ. Les gosses s'entendaient bien, Frank et Rick avaient semblé s'apprécier d'emblée, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pour elle aussi puisqu'elle partait pour les rivages antiques de la Méditerranée où elle allait s'amuser comme une folle.

Alors pourquoi ne se réjouissait-elle pas ? Mais non, c'était idiot, elle était ravie, bien sûr. En fait, tout se

passait exactement comme elle l'avait voulu, non ?

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Chelsea et Carter partis, Natalie et Rick aidèrent Toby à terminer le puzzle commencé avec ses nouveaux amis. Puis ce fut l'heure pour lui de prendre son bain et d'aller au lit.

Tandis que Rick bordait le gamin dans sa chambre, Natalie resta seule dans le salon. Elle se laissa tomber sur le canapé, prit machinalement la télécommande. Elle en avait assez de s'enfermer à l'étage ; ce soir, elle resterait volontiers ici, pour changer, si ça n'ennuyait pas Rick. Elle était en train de zapper entre une série amusante et une sombre histoire de meurtre quand elle l'entendit l'appeler par son nom.

Elle se retourna avec un sourire — qui s'effaça tout de suite quand elle vit son visage. Il la regardait d'un air hagard, comme s'il venait d'éprouver un choc terrible. Elle bondit sur ses pieds, s'approcha de lui.

— Qu'est-ce qui se passe ? — Il te demande. — Qui, Toby ? Rick fît oui de la tête et elle fronça les sourcils sans comprendre. — Bon, très bien, je vais aller lui dire bonne nuit... — Natalie, coupa Rick d'une voix brusque, tu... vous ne comprenez

pas. Il vous a vraiment demandée. Elle mit un moment à assimiler ce qu'il venait de dire. — Vous voulez dire... avec des mots ? Il hocha encore la tête. — Brusquement, je l'ai entendu chuchoter. Il a dit : est-ce que Natalie

peut venir m'embrasser ? La jeune femme retint son souffle. Derrière elle, la télévision égrenait

une série de publicités criardes. Elle saisit la télécommande, éteignit l'appareil et se retourna vers Rick. Son air bouleversé avait fait place à un large sourire.

— Vous y allez ? L'embrasser ? D'un grand geste joyeux, elle lança la télécommande sur le canapé. — Et comment ! s'écria-t-elle. La veilleuse jetait une douce lueur dans la chambre du petit. Bernie

était déjà allongé à sa place près du lit, Toby blotti sous le couvre-lit aux avions. Natalie alla s'asseoir près de lui.

— Ton papa m'a dit que tu voulais que je vienne. Toby approuva de la tête. — Il dit que tu veux un baiser. Encore un petit signe pour dire oui. Natalie se pencha et posa

tendrement ses lèvres sur son front. Avant qu'elle ne puisse se

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redresser, deux petits bras se nouèrent autour de son cou. Toby la serra contre lui, pressa sa joue douce contre la sienne.

— Je me suis bien amusée aujourd'hui, chuchota-t-elle. Pour toute réponse, il la serra encore plus fort. Quand il la lâcha, elle remonta la couverture autour de lui. — Dors bien, d'accord ? Il se tourna de l'autre côté et ferma les yeux. Rick l'attendait sur le seuil. Quand elle sortit, il ferma doucement la

porte, puis se retourna vers elle avec un sourire rayonnant. — Il faut fêter ça, murmura-t-il. Vous voulez bien fêter ça avec moi ? Comment ne pas partager cette joie en sa compagnie ? Elle accepta

en souriant et le suivit dans le salon. — Le Dr Dawkins (c'est la thérapeute de Toby) m'avait prévenu que

cela risquait d'arriver ! expliqua-t-il tout bas pour ne pas être entendu de l'enfant. A la dernière séance, elle m'avait même dit que cela risquait de se produire assez vite. Et que je ne devais pas en faire toute une histoire quand cela arriverait. Qu'il fallait le laisser prendre son temps, se taire de nouveau s'il en avait envie. Pas mettre la pression, vous comprenez ?

Ils étaient de retour dans le salon et le petit ne pouvait plus les entendre mais il chuchotait toujours. Il s'en aperçut et éclata de rire.

— Je comprends, oui, souffla Natalie sur le même ton. Ils se retrouvèrent nez à nez, en train de se regarder et de se sourire.

Un long instant passa puis Rick se secoua abruptement. — Du Champagne, s'écria-t-il. Il nous faut du Champagne. Elle hocha la tête, ravie, et il tourna sur les talons, se précipita vers la

cuisine... et s'arrêta net avec un grand geste de dépit. — Je n'ai pas de Champagne. Incroyable, non ? Mon fils vient de

prononcer ses premiers mots après des mois de silence, et je n'ai pas la moindre bouteille de Champagne pour arroser ça !

— Du cognac, alors ? hasarda-t-elle. Je dois en avoir une bouteille. Il fit une petite grimace. Visiblement, le cognac ne correspondait pas

à l'idée qu'il se faisait d'une boisson pour jour de fête. Très bien ! Au moins il différait en cela de Joel qui jouait au fin connaisseur et prétendait qu'il n'y avait pas meilleur breuvage. Pour son cadeau de Noël deux ans auparavant, il lui avait même offert des verres ballon, pour qu'elle puisse enfin le lui servir correctement... Elle repoussa Joel de ses pensées et proposa :

— Du vin blanc, alors ? J'ai une bouteille au frais. Je ne peux pas vous dire le nom du vin, mais je crois bien qu'il vient d'Allemagne — ou d'Alsace, je ne sais plus.

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Il éclata de rire. — C'est un vin sans nom ? — Certainement pas. D'autant que c'est tante Lindsay qui me l'a

apporté, et elle s'y connaît, paraît-il. — Alors vive tante Lindsay ! Il trouva la bouteille et l'ouvrit tandis que Natalie sortait des verres. Après les avoir remplis, Rick leva le sien. — A ma propriétaire préférée ! lança-t-il. Il but, puis resta un instant tout saisi, à savourer sa première gorgée. — Dites donc, vous aviez raison, il est vraiment bon ! s'écria-t-il avec

un coup d'œil surpris dans son verre. Elle prit une gorgée à son tour et trouva elle aussi le vin excellent. — Je vous avais bien dit que ma tante s'y connaissait, dit-elle en

souriant. — Eh bien, à tante Lindsay ! dit-il en levant une nouvelle fois son

verre. Ils burent ensemble et il se renversa contre le canapé en poussant un

soupir de bonheur. — Qui d'autre ? Je suis tellement heureux que j'ai envie de boire à la

santé de tout le monde. — Je vous rappelle qu'on n'a qu'une bouteille de vin. — Elle ne va pas faire long feu, croyez-moi. Ah ! D'abord la

merveilleuse Mme Dawkins, et ensuite, votre mère. Il faut vraiment boire à la santé de votre mère. C'est une femme adorable.

Natalie le regarda, sincèrement surprise. La beauté d'Erica créait généralement une sorte d'écran qui l'isolait des autres. La plupart des gens qui la rencontraient ne conservaient d'elle qu'une impression d'élégance et de froideur. Peu d'entre eux pouvaient dire « c'est une femme adorable » avec cette simplicité.

— C'est vrai ? — Oui, répondit-il en hochant vigoureusement la tête. Non seulement

elle est belle, mais elle a du cœur. Tu as vu comme elle était avec Toby ? Il ne cessait dans son euphorie de glisser vers le tutoiement, et

Natalie finissait par trouver absurde cette façon de danser d'un pied sur l'autre. Ils ne se connaissaient pas depuis longtemps, sans doute, mais ils se connaissaient tout de même très bien. Elle n'avait plus envie de s'adresser à lui de cette façon trop formelle...

— Elle aime les enfants, c'est vrai. — Je crois aussi que, malgré une extrême sensibilité, c'est une femme

très équilibrée. Et forte. Ce qui n'empêche pas que vous vous inquiétiez beaucoup pour elle.

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Accoudé au canapé, il se tourna vers elle et plongea son regard dans le sien. Natalie frémit et but une nouvelle gorgée de vin pour se donner une contenance.

— La plupart des gens ne voient pas son côté vulnérable, dit-elle. Elle est tellement belle que ça leur cache tout le reste.

— Vous changez de sujet. — Moi ? Mais... — J'ai dit que vous vous inquiétiez pour elle. C'est vrai ? — Oui, je m'inquiète, c'est vrai, concéda-t-elle. J'ai pris l'habitude de

la protéger. Il me semble quelquefois qu'elle n'est pas capable d'affronter la vie toute seule. Elle était très jeune quand mon père l'a emmenée dans sa tour d'ivoire et depuis, il a toujours dominé tous les aspects de son existence. Jusqu'à ces derniers temps.

— Elle se débrouille fort bien, pourtant. — Oui, elle se débrouille, c'est vrai. Par moments, elle peut même se

montrer assez redoutable. Est-ce que vous seriez en train de me faire la leçon, par hasard ? Je dois arrêter de me faire du souci pour elle, c'est ça?

Il leva les mains d'un geste rassurant. — Pas de leçon, c'est juré. Seulement un commentaire, une

observation. — D'accord. Observation acceptée. Il rit, la tête renversée en arrière, avec sur le visage un air de bonheur

incrédule. Puis il revint à Toby, racontant encore la façon dont le petit s'était éclairci la gorge avant de parler tout à l'heure, et ce qu'il avait ressenti en entendant pour la première fois ce petit filet de voix. Autour d'eux, la lumière même semblait scintiller, plus vive que d'ordinaire. C'était un moment magique et merveilleux.

Rick leva encore son verre. — A Erica Fortune. — A maman. Ils burent et il remplit leurs verres. — A vous maintenant. — A moi quoi ? — A vous de proposer un toast. — Mais je... — Allez ! Elle leva son verre. — Très bien. A Toby, alors ! — A Toby ! Un autre maintenant !

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Brusquement, elle pensa à sa grand-mère. Comme elle lui manquait, comme cela faisait mal de savoir que toute sa force, toute sa sagesse les avaient quittés pour toujours ! Elle chercha à tâtons le pendentif caché sous le col de son corsage, serra le bouton de rose au creux de sa main. Rick se pencha vers elle et lui souleva le menton.

— Dites donc, dit-il doucement. On est en train de faire la fête. Elle essaya de se dégager, sans beaucoup de conviction. — C'est le vin, marmonna-t-elle. Il sourit, amusé, sans lui lâcher le menton. — Il est trop tôt pour sentir l'effet du vin. Sa main était réconfortante et il y avait tant de gentillesse dans ses

yeux... Elle ne pouvait pas lui résister, n'avait aucune volonté pour lui résister.

— Ma grand-mère me manque... Elle reconnaissait à peine cette toute petite voix. La main de Rick

glissa sur sa joue. Elle sentit ses doigts effacer une trace d'humidité, sut qu'une larme lui avait échappé.

— Je suis bête, dit-elle — mais elle se pencha un peu plus près de lui. Le mouvement de sa main sur sa joue se transforma en caresse. — Mais non, vous n'êtes pas bête. Votre grand-mère vous manque,

tout simplement. — Oh, Rick... Elle sentit la main virile glisser vers sa nuque. L'avait-il attirée vers

lui ou s'était-elle penchée d'elle- même ? Elle ne le savait pas très bien, probablement un peu des deux... Leurs bouches étaient si proches l'une de l'autre qu'elle sentait son souffle tiède sur ses lèvres. Sans réfléchir, elle franchit la distance minuscule qui les séparait encore.

La bouche de Rick était sur la sienne, elle passait et repassait tendrement sur ses lèvres. Sa main lui pétrissait doucement la nuque et tout cela était inévitable, juste et bon.

— Rick, murmura-t-elle contre ses lèvres, je ne... — Si..., souffla-t-il. Natalie entendit un petit gémissement et comprit qu'il venait de sa

propre gorge. Sa bouche s'entrouvrit et la pointe de la langue de Rick se glissa à l'intérieur, juste assez pour goûter l'intérieur de ses lèvres. Elle sentit une chaleur subite exploser dans son ventre. C'était merveilleux, elle voulait que ça ne s'arrête jamais...

Cela s'arrêta pourtant à cet instant précis. Avec un petit soupir de regret, il s'écarta d'elle, sa main retomba et il la regarda — un long regard qui semblait la jauger.

— Alors, ce toast ?

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Natalie comprit que, cette fois, ils étaient vraiment allés trop loin. La seule façon de sauver la situation maintenant serait de poser son verre, se lever du canapé et lui souhaiter bonne nuit. Mais oh, ce baiser... Jamais de sa vie on ne l'avait embrassée de cette façon, avec tant de désir et en même temps tant de retenue. C'était irrésistible, elle en voulait encore, elle voulait beaucoup plus. Pourquoi s'était-il arrêté au moment où elle était prête à se laisser emporter où il voudrait ?

Seulement, il ne fallait pas. Elle devait penser à la suite. Elle s'était juré de ne plus jamais se laisser coincer dans une situation humiliante avec un homme — et qu'est-ce qui se préparait ici, sinon une redite de toutes les humiliations précédentes ? Ils n'avaient plus que deux jours à passer ensemble sous le même toit. A quoi ressembleraient ces deux jours s'ils faisaient ce soir quelque chose... d'irrévocable ?

Dire que tout se passait si bien depuis qu'ils avaient conclu leur fameux accord !

— Porte ton toast, Natalie. Les yeux de Rick avaient changé, ils n'étaient plus remplis de

gentillesse, ils brûlaient d'un feu capable de la consumer — délicieusement.

— Porte ton toast... ou va-t'en. Elle ouvrit de grands yeux, stupéfaite de l'entendre formuler

l'alternative qu'elle venait de s'imposer à elle- même. D'une voix basse et très intense, il continua de dire tout haut ce qu'elle pensait tout bas :

— Tout a été parfait depuis l'autre soir, n'est-ce pas ? Tout a été exactement comme tu le voulais. On s'est bien entendus, j'ai fait ce que tu me demandais, je suis resté de mon côté de la barrière. Mais je n'ai pas vraiment envie d'y rester, et je ne l'ai jamais caché.

Elle avala sa salive. — N'est-ce pas ? répéta-t-il. Elle secoua la tête en silence. — A l'instant, c'est toi qui as fait le premier geste vers moi. — Je... — Admets-le. Tu avais envie de m'embrasser et tu l'as fait. Lentement, elle hocha la tête. — Tu as franchi la barrière toi-même. C'est moi qui ai arrêté.

Maintenant, je suis de nouveau là où tu m'as mis : de l'autre côté. Mais si tu me donnes encore une miette d'encouragement, je ne vais pas y rester. Je vais te faire l'amour.

Sa voix s'était faite douce et dangereuse, elle s'insinuait en elle, la faisait frissonner.

— Tu comprends ?

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Si elle comprenait ! — Oui... — Le choix t'appartient maintenant. Vas-y, décide. — Je... — Décide. Tout était si difficile ! D'un côté elle se sentait bien avec Rick, en

confiance. Jamais elle n'avait ressenti cela avec un homme — et surtout pas avec Joel ! Rick et elle semblaient voir la vie de la même façon, être d'accord sur les choses les plus importantes. Ces deux derniers jours avaient été tellement agréables... La vie était si simple quand il était là !

D'un autre côté, Rick avait quelque chose de déroutant. Il semblait la pousser à sortir de sa coquille, à se dépasser d'une façon qu'elle n'aurait pas su définir. C'était dérangeant, effrayant. Son charme, sa gentillesse même portaient la menace d'un danger imprécis.

Ou plutôt, d'un danger qu'elle ne comprenait que trop bien. Ce serait si facile de le laisser prendre la première place dans sa vie. Joel Baines lui avait fait beaucoup de mal, mais Rick Dalton était capable de la briser.

Elle vit dans ses yeux le moment où il décida de ne plus attendre sa réponse.

— Très bien, dit-il. Alors c'est moi qui m'en vais. Il posa son verre sur la table basse, fit un mouvement pour se lever.

Impulsivement, elle posa la main sur son bras, faillit sursauter en sentant sous sa paume tant de chaleur, tant de tension.

— Non, jeta-t-elle. Non. Il s'immobilisa, aussi complètement que si on venait de le

transformer en pierre. — Je t'en prie, chuchota-t-elle. La statue s'anima un peu, relâcha sa pose rigide. — Si je reste..., dit-il. — Je sais. Elle avala sa salive et acheva, stupéfaite par sa propre audace : — Nous allons faire l'amour. Sa voix n'était guère qu'un chuchotement mais elle sut qu'il l'avait

entendue. Elle leva son verre. — A ma grand-mère Kate. Sans la quitter des yeux, il tâtonna, trouva son propre verre et le leva

à son tour. — A Kate ! Et à nous ! Ils burent en même temps.

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11.

Rick lui prit son verre et le posa près du sien sur la table basse. Il savait que, malgré l'audace de ses paroles, elle n'était pas du tout sûre de ce qu'elle était en train de faire : il lisait son incertitude dans ses yeux. Il ferait mieux, sans doute, de renoncer pour ce soir, de lui laisser un peu de temps, de leur épargner à tous deux les conséquences d'un échec possible s'il lui faisait l'amour trop vite.

Seulement... il avait tellement envie d'elle ! Il l'avait désirée dès le premier instant, avec une intensité et une certitude stupéfiantes. Dans quelques jours, elle serait partie. Ce soir représentait peut-être son unique chance...

Il n'était pas question de la laisser échapper. Il y avait toutefois un dernier obstacle, celui qu'un homme

responsable ne peut pas ignorer, même si cela doit lui coûter ce qu'il tient tant à obtenir.

— Je n'ai rien prévu, avoua-t-il avec effort. Je n'ai pas de... Elle rougit violemment et répondit sans lui laisser le temps de finir. — Pas de problème. J'ai ce qu'il faut, à l'étage. Joel en avait laissé

quand... Elle rougit encore et ferma les yeux. — Oh... Il lui prit la main, très vite, pour ne pas lui laisser le temps de

réfléchir. — Ne t'en fais pas. C'est parfait. — Je me sens tellement... — Tout va bien, Natalie.

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Elle ouvrit les yeux, considéra un instant leurs mains nouées puis leva les yeux vers lui.

— Vraiment ? Il hocha la tête. Lentement, pour ne pas l'effaroucher, il effleura de

sa main libre les contours de son visage, suivit du bout des doigts la ligne de ses pommettes, de ses sourcils, de ses lèvres. Une joie sauvage s'empara de lui en sentant que son souffle était un peu heurté, que sa bouche frémissait sous sa main. Il se pencha vers elle, ferma les yeux pour respirer son parfum, puis posa sa bouche à l'endroit où ses doigts l'avaient caressée un instant auparavant.

Leur second baiser fut long et tranquille. Il explora sa bouche et elle sembla fondre contre lui. Il referma ses bras autour d'elle, sentit la douceur de ses seins contre sa poitrine. Le désir se tordit en lui, si brutal qu'il préféra rompre le contact. La prenant aux épaules, il l'écarta un peu de lui, l'obligea à le regarder.

Son visage doux était rose, ses yeux remplis de désir et de confusion. Au lieu de le calmer, le trouble qu'il sentait chez elle décupla son désir. Une plainte rauque lui échappa et il l'attira brusquement contre lui, reprit sa bouche. Qu'elle était tendre et souple contre lui !

Les mains tremblantes, il s'attaqua aux boutons de son corsage. Dire qu'il avait passé tant de nuits au bord de la folie à force de s'imaginer en train de faire exactement ce qu'il faisait en ce moment ! A présent, il écartait les pans de son chemisier, passait et repassait les mains sur le tissu pour repousser encore le moment où il allait la toucher, elle. Elle portait un soutien-gorge de soie rose, qui ajoutait une note suave aux reflets nacrés de sa peau tendre. Incapable de résister plus longtemps, il inclina la tête, trouva un mamelon à travers l'étoffe et l'embrassa.

Elle gémit, se tordit entre ses bras. Il la serra convulsivement, puis s'obligea à relâcher un peu son étreinte, à compter mentalement jusqu'à dix.

— Rick..., supplia-t-elle, le souffle court. Ce petit écran de soie rose l'attirait comme un aimant. Il trouva la

minuscule attache entre les seins, savoura la façon dont elle frémissait pendant qu'il la défaisait. Ses lèvres douces entrouvertes, elle respirait vite, se tendait vers lui. Profondément heureux, il écarta le tissu soyeux et prit ses seins nus entre ses mains. Si doux, si tendres ! Il baissa la tête et les prit l'un après l'autre dans sa bouche.

Elle poussa un petit cri, s'arqua contre lui. Il la renversa en arrière, l'allongea sur le canapé et vint sur elle, ivre de douceur, frottant sa bouche, son nez, son visage sur sa peau. Elle ondulait sous lui et il sut qu'il allait réellement devenir fou s'il ne la possédait pas tout de suite.

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Il glissa une main entre eux, cherchant l'endroit le plus secret entre ses cuisses. Il sentait sa chaleur, même à travers son short de coton. Il cherchait fébrilement sa fermeture Eclair... quand elle lui saisit le poignet.

Il se rejeta en arrière, haletant, une déception atroce figeant son désir. Si elle changeait d'avis maintenant...

Elle se mordait la lèvre. — Toby..., souffla-t-elle. Il ferma les yeux un instant. Elle avait raison. Ils étaient fous de faire

l'amour ici, devant la rangée de fenêtres donnant sur le lac, avec le petit juste au bout du couloir.

— Ta chambre ? demanda-t-il. Elle hocha la tête. — On devrait d'abord jeter un coup d'œil à Toby. Elle avait raison, là encore. Il s'obligea à s'écarter d'elle et la regarda,

une douleur sourde dans ses entrailles, rabattre sur sa nudité exquise l'écran de ses vêtements.

A pas de loup, ils se glissèrent le long du couloir, risquèrent un œil dans la petite chambre. Toby dormait profondément, le visage tourné vers eux. Ils entendaient son souffle léger et parfaitement calme.

Au pied du lit, Bernie leva la tête, oreilles dressées, ses yeux sombres et sages passant de Rick à Natalie. Il dut décider qu'ils n'attendaient rien de lui car il laissa retomber sa grosse tête, posa le museau sur ses pattes et ferma les yeux.

Avec précaution, Rick referma la porte. Tout près de lui, Natalie fleurait bon les fleurs et l'ambre. Quand il l'attira contre lui, elle ne résista plus, s'offrit à lui avec un petit soupir de contentement. Il la saisit aux hanches, la pressa contre lui comme s'il voulait imprimer l'image de son corps sur le sien. Elle gémit très bas. Il but le son sur ses lèvres et, plongeant les doigts dans la soie sombre et parfumée de ses cheveux, il prit son visage entre ses paumes pour l'embrasser plus profondément.

Elle s'abandonna pendant un instant infini, puis s'arracha de nouveau à son étreinte en lui saisissant les poignets. Il laissa échapper un son rauque, et essaya de la retenir.

— Non, là-haut, murmura-t-elle. Viens. Il la suivit comme dans un rêve tandis qu'elle marchait jusqu'à sa

chambre, puis l'attirait à l'intérieur. A travers le brouillard de son désir, il reçut une impression vague de jolis meubles anciens, de tapis charmants un peu usés, d'un grand lit de noyer avec une courtepointe jaune pâle. Elle alluma une petite lampe sur une commode, se mit à

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fouiller dans un tiroir. Il comprit ce qu'elle cherchait et s'obligea à attendre. Enfin, elle se retourna vers lui, plusieurs petits sachets à la main, adorablement indécise. Il s'approcha d'elle, l'entoura de ses bras et la serra tendrement contre lui.

Un peu raide tout d'abord, elle se mit à fondre dès qu'il couvrit ses lèvres de baisers. Alors il l'entraîna vers le lit sans cesser un seul instant de l'embrasser. D'autorité, il défit tous les boutons, tous les crochets, toutes les fermetures qui séparaient encore son corps du sien.

Dès qu'elle fut nue, elle chercha à se dérober à sa vue. Avec tendresse il lui écarta les bras dont elle se couvrait les seins et le ventre, puis il lui captura doucement les mains, les retourna, embrassa ses paumes.

— Rick... — Ne te cache pas. Il n'y a aucune raison de te cacher. Pas de moi en

tout cas. Tu es belle. Je te désire. J'ai tant rêvé de te voir ainsi. — Aucun homme ne m'a jamais regardée comme ça. — Bien ! Il serra ses mains, recula d'un pas. Pendant un instant, il se remplit

du spectacle de ses seins haut perchés, de la douceur de son ventre, des boucles sombres à la jonction de ses cuisses. Puis il se mit à arracher ses propres vêtements.

Elle le regardait faire, le souffle suspendu. Dès qu'il fut nu, il lui tendit les bras. Elle vint se plaquer contre lui d'un mouvement souple et, au plaisir aigu qui lui incendia les reins, il comprit que leur première fois n'aurait pas toute la délicatesse qu'il avait espérée.

Il arrivait de moins en moins à se contrôler. Murmurant son nom, il l'embrassa presque brutalement. Elle lui rendit son baiser et ils s'abattirent en travers du lit. Avec impatience il lui ouvrit les jambes, pour la plus intime des caresses, et elle cria de désir, le corps tendu comme un arc. Il ne pouvait plus attendre. A tâtons, il chercha un préservatif, réussit par une sorte de miracle à l'enfiler et enfin, il put s'allonger sur elle, chercher son chemin entre ses cuisses. Puis, plongeant son regard dans ses grands yeux sombres, il la pénétra.

Elle gémit et enroula autour de lui ses longues jambes, se souleva dans un mouvement de vague incroyablement doux et enveloppant. A partir de cet instant, toute pensée s'évanouit en lui, et il n'y eut plus que des sensations : la peau de Natalie, son parfum, et ce point en elle qu'il cherchait à atteindre tandis qu'il se précipitait, encore et encore, au plus profond de son corps.

Une éternité passa dans un instant et il la sentit bientôt entrer dans la spirale du plaisir. De petits muscles contractèrent leurs doigts de soie autour de lui. Il entendit son cri, fait de surprise et de joie mêlée, puis il

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bascula à sa suite, perdu, désorienté, d'abord dans le creux de la vague puis vers la crête, plus haut, encore plus haut vers l'explosion qui lui arracha à son tour un cri triomphant.

Quelques pulsations brutales et il ne resta plus qu'un océan de douceur. Niché en elle qui le serrait dans ses bras, il se sentit envahi d'une paix merveilleuse.

Longtemps, il resta inerte, vidé de sa substance, comme assommé sur son corps tendre. Puis le sens des réalités commença à lui revenu.

— Je ne suis pas trop lourd ? demanda-t-il à voix basse. Elle soupira, secoua la tête. Il se souleva avec effort, repoussa les

cheveux humides du front de la jeune femme. Elle le regarda et il ne put s'empêcher de l'embrasser, un baiser très doux parce qu'elle y mettait elle-même tant de douceur.

Il se glissa de côté, content de la sentir s'accrocher à lui, et posa la main sur son sexe — à moitié pour la rassurer, à moitié parce qu'il voulait voir si elle se soulèverait à sa rencontre. Et elle le fit, haussant les hanches, lançant ce petit cri surpris qu'il aimait tant, comme si elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait, comme si elle était incapable de lui résister.

A l'instant où elle explosait pour la deuxième fois, il alla poser sa bouche à la place de sa main, au cœur secret de son plaisir. Convulsivement, elle crispa les doigts dans ses cheveux, se pressa contre lui, tremblant, tremblant encore. Il aurait voulu rester comme cela pour toujours, à lui offrir ce plus intime des baisers.

Après un dernier sursaut tremblant, elle lui lâcha la tête. Il s'attarda, l'embrassa encore jusqu'à ce qu'elle le repousse doucement. Frottant ses lèvres au passage sur la peau pâle de son ventre, il la quitta le temps de se débarrasser de son préservatif. Puis il s'allongea contre elle, la prit dans ses bras et ils s'abandonnèrent l'un contre l'autre.

Il sentait son dos lisse contre sa poitrine, ses cheveux lui chatouillaient le nez. Il les caressa et l'attira plus près encore avant de fermer les yeux. Il sentit un long soupir quitter le corps abandonné entre ses bras, et il sut qu'elle venait de baisser les paupières, elle aussi. Ils flottèrent ainsi longtemps entre deux eaux, proches du sommeil sans y plonger tout à fait.

Plus tard, ses mains se remirent d'elles-mêmes à se promener sur le corps de Natalie et ils refirent l'amour sans hâte. Cette fois, il entra en elle doucement, comme on rentre au foyer. Ils ondulèrent ensemble longuement, lentement et, cette fois, le plaisir les saisit ensemble, exactement.

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Quand leur respiration se calma, il se leva, la quitta quelques minutes et la trouva sous les draps en revenant. Sans un mot, il se glissa auprès d'elle et la reprit dans ses bras.

Serrée entre les bras de Rick, Natalie remua. Encore endormi, il

l'attira contre lui, émit un son vague et un peu interrogateur. — Je veux juste... je me lève une minute, murmura-t-elle. Les bras qui l'immobilisaient se relâchèrent et elle se glissa hors du

lit. Elle crut sentir son regard sur elle mais n'osa pas se retourner pour voir s'il la suivait des yeux.

Dans la salle de bains au carrelage bleu, elle alluma la lumière et se pencha vers le grand miroir. Longtemps, elle contempla le visage qui lui faisait face, avec ses cheveux emmêlés, ses joues rouges, la trace de mascara qui tachait sa peau sous les yeux.

Elle pensait à ce qu'elle venait de faire avec Rick et son corps entier vibrait au souvenir de leur plaisir. Que c'était bon ! Jamais jusqu'ici elle n'avait crié de cette façon, jamais le plaisir n'avait continué si longtemps, pour se rallumer alors qu'elle le croyait éteint. Jamais un homme ne l'avait embrassée d'une façon aussi intime et avec tant de fougue : au point de vouloir continuer à l'embrasser alors qu'elle avait déjà pris son plaisir.

Plantée là sous la lumière un peu crue de la salle de bains, elle revit la scène et brusquement l'angoisse l'assaillit. Assurément tout cela était trop beau pour être vrai.

Avec un petit gémissement inquiet, elle pressa les mains sur ses joues. Qu'avait-elle fait ? Et qu'allait-elle devenir maintenant que ça ne pouvait plus être défait ?

Le jour même de son arrivée, sur le bateau, Rick avait failli l'embrasser. Cette fois-là, elle avait reculé juste à temps. Avait-elle déjà deviné qu'il suffirait d'un seul baiser... ?

Effectivement, ce premier baiser longtemps repoussé avait pulvérisé toutes ses résolutions, balayé tout son bon sens. Dans son cerveau en déroute, il n'était plus resté qu'une seule idée : faire l'amour avec Rick, savoir comment ce serait de fondre entre ses bras.

Eh bien maintenant, elle le savait. C'était merveilleux, tout à fait merveilleux, meilleur que tout ce qu'elle avait jamais vécu, dans son expérience d'ailleurs assez limitée des hommes. Mais au fond, connaissait-elle vraiment Rick ? Il savait être charmant, oh, oui ! — mais il savait aussi se montrer extrêmement désagréable. Qu'est-ce qui lui permettait de penser que le plus agréable des deux était le vrai Rick

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Dalton ? Il lui avait montré tant de visages qu'il était bien difficile de se forger une image de lui ! D'autant qu'au fond d'elle-même elle n'avait pas du tout envie de voir les choses clairement...

Elle n'avait pas oublié les paroles de Joel, le soir de leur rupture. « Tu es quelqu'un de bien, tu es très gentille et on peut toujours compter sur toi mais... franchement, ce n'est pas ma faute si tu ne fais rien pour exciter les hommes. C'est bien normal que j'aie envie de mettre un peu d'aventure dans mon existence... »

Tout à l'heure, Rick avait bien semblé la trouver excitante, lui, mais... comment le croire tout à fait ?

Joel et elle n'avaient pas fait l'amour avant d'être sortis ensemble pendant plusieurs mois. Rick n'habitait chez elle que depuis quelques semaines, et il avait passé le plus clair de son temps à lui faire la tête. Depuis trois jours maintenant — trois seulement ! —, il avait recouvré le sourire et la gentillesse des débuts. Et maintenant il était à côté, couché dans son lit...

Ses joues flambaient. Elle fit couler de l'eau froide, s'aspergea le visage, se passa un coton sous les yeux pour effacer les traces du mascara. Puis, après s'être séchée vigoureusement, elle saisit une brosse et se démêla les cheveux.

Elle se comportait comme une imbécile et elle le savait. Elle ne pouvait pas revenir en arrière. Oui, elle avait couché avec Rick et c'était absolument merveilleux. Pourquoi tout gâcher maintenant ? Il était un peu tard pour se demander si elle le connaissait vraiment. La seule chose à faire était de se reprendre en main et de retourner dans la chambre.

Seulement, elle n'y arrivait pas. Elle marchait de long en large sur le carrelage bleu, se dirigeait résolument vers la porte de la chambre puis repartait dans l'autre sens, incapable de tourner le bouton. Enfin, avec un soupir désolé, elle se laissa tomber sur le rebord de la baignoire et se prit la tête à deux mains.

Quelques instants plus tard, on frappa à la porte. — Natalie ? Elle dut se retenir de crier : « Laisse-moi tranquille ! » Lentement, la porte tourna sur ses gonds et Rick parut, aussi nu

qu'elle, un pli inquiet entre les sourcils. Malgré elle, son regard parcourut ce corps puissant et bien bâti avec sa poitrine solide, ses épaules larges et ses longues jambes musclées. Puis elle croisa son regard et détourna les yeux, affreusement gênée. Que faisait-elle dans sa propre salle de bains, face à cet homme nu ? Cela ne lui ressemblait pas du tout !

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Chaque seconde de ce silence effaçait un peu plus ce qui venait de se passer dans l'autre pièce. D'instant en instant, le beau rêve s'estompait. Elle était réveillée maintenant, et elle allait devoir affronter les conséquences.

« Je n'aurais pas dû... », pensa-t-elle stupidement. — Rick, je... L'inquiétude resserra sa main froide autour du cœur de Rick.

Pourquoi le regardait-elle comme ça ? Il la vit jeter un regard effaré sur son propre corps nu, croiser les bras sur sa poitrine pour se cacher. Tout à l'heure, il lui avait demandé de ne plus le faire et elle avait accepté.

— Tu veux bien... me passer mon peignoir ? Il est derrière la porte. Il écarta la porte, trouva le peignoir blanc qu'il avait déjà vu, le lui

lança. Elle se leva pour l'attraper, murmura un mot de remerciement et

s'enveloppa vite dans l'étoffe moelleuse. Et toujours cette expression trop sérieuse, solennelle... Il ne savait pas ce qu'elle allait lui dire mais il sentait bien que cela ne lui plairait pas. Lui non plus ne se sentait plus à l'aise dans sa nudité. Il tourna les talons, retourna dans la chambre, ramassa son jean qui gisait sur le plancher et l'enfila. Il boutonnait la braguette quand elle s'encadra dans la porte de la salle de bains.

— Rick... Encore une fois, elle ne put achever sa phrase. Quelques instants plus tôt, il se sentait profondément heureux, et

parfaitement sûr que tout serait simple entre eux désormais. Où était passée cette belle certitude ?

— Qu'est-ce qui se passe ? dit-il enfin. Dis-le, c'est tout. — Rick, je... Nous... Elle le regarda d'un air éploré puis respira profondément et laissa

échapper les mots qu'il redoutait le plus. — On n'aurait pas dû faire ça... Il sentit ses poings se fermer, s'ordonna de rester calme. — Il me semblait qu'on l'avait décidé. Je t'ai posé la question et tu as

décidé. — Oui. Oui. Mais, tu comprends, j'ai beau me dire que je vais changer,

que je vais essayer d'être libre et délurée, je ne suis vraiment pas douée pour les liaisons dangereuses.

Il respira profondément, s'interdit de répondre tout de suite. Quand il fut sûr de pouvoir parler calmement, il articula avec précaution :

— C'est comme ça que tu vois ce qui vient de se passer ? Une liaison, une passade ?

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Elle fourra les mains dans les poches de son peignoir, le regarda de biais.

— Et pour toi ? Il s'abstint de lui crier de répondre à sa question, secoua la tête en

réponse, un mouvement furieux. — Oh. Elle ne semblait pas soulagée pour autant. Il comprit que le pire était

encore à venir et serra les poings. — Tu devais bien savoir que ça ne pouvait pas être autre chose... — Pourquoi ? s'enquit-il, estomaqué. Elle se mordit la lèvre. — Je t'ai déjà expliqué que je ne suis pas... à même de commencer une

relation en ce moment. Surtout avec quelqu'un comme toi. Il savait bien que la dernière chose à faire serait de lui demander ce

qu'elle pouvait vouloir dire par là. Il entendit pourtant sa propre voix répéter, avec un calme surprenant :

— Quelqu'un comme moi ? Elle avala sa salive nerveusement. — Oui, quelqu'un de... si bien, si beau gosse. Ça ne tient pas debout, il

y aura forcément un moment où je me ferai avoir. Il secoua la tête, outré, incrédule. — Avoir... Elle hocha la tête et enchaîna d'un ton affreusement logique. — On peut être francs, d'accord ? Je sais parfaitement qu'il doit y

avoir quelque chose : tu devais avoir une autre raison de me faire l'amour. Enfin, quand même...

Elle écarta les bras dans un grand geste, comme si elle se présentait à son regard — mais son peignoir était fermé et bien fermé et il ne voyait plus son corps.

— ... regarde-moi ! Il lui obéit et la regarda, longuement, attentivement, en essayant de

rester neutre. Incapable de supporter son regard, elle se détourna brutalement et baissa la tête.

— Tu sais comme moi que je ne suis pas le genre de femme qui fait perdre la tête aux hommes.

Que pouvait-il répondre à une ânerie pareille ? se demanda-t-il, indigné. Elle le mettait dans une situation intenable. S'il la contredisait, s'il soutenait qu'il était fou d'elle, elle le traiterait de menteur. Ce n'était pas comme ça qu'il voulait lui parler de ses sentiments, pas en plein milieu de cette dispute incompréhensible...

— Natalie...

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Les yeux toujours rivés au plancher, elle leva la main. — Non. Arrête. Redescends sur terre. Tu pourrais avoir n'importe

quelle femme et... Elle se mordit encore la lèvre, se força à le regarder en face. — C'est pour Toby ? Tu as besoin de quelqu'un qui serait une bonne

mère pour lui ? C'était trop. Elle semblait déterminée à se dévaloriser et à faire de lui

le méchant du mélodrame. La colère de Rick enflait de plus en plus, il faisait des efforts terribles pour la contrôler, pour rester logique et raisonnable. Lentement, il s'assit sur le bord du lit.

— C'est vraiment ça que tu penses : que je cherche une femme capable de s'occuper de Toby ?

— Je ne sais pas. J'essaie de comprendre. — J'en doute. — Si, bien sûr. Elle fronça les sourcils, réfléchit un instant. — Est-ce à cause de qui je suis ? Une Fortune, je veux dire. Tu as

besoin de quelque chose que je pourrais t'obtenir ? Ecoute... si c'est ça, dis-le-moi. J'ai vraiment besoin de savoir la vérité.

Et voilà, elle le traitait maintenant de fourbe et de menteur. La furie de Rick augmenta encore. D'un air nonchalant, il se renversa sur un coude, fit jouer ses pectoraux.

— Mais oui, voyons, réfléchissons. Je n'ai pas besoin d'argent et je me moque totalement de ton nom de famille. En revanche, c'est vrai, j'adore la façon dont tu es avec Toby. Alors c'est sûrement ça : je cherche une nounou, une fille au pair modèle, et tu serais parfaite. Alors je t'ai fait l'amour pour t'embobiner.

Il la vit pâlir. Elle se tenait à quelques pas de lui, un peu voûtée, les bras croisés frileusement sur sa poitrine.

— Plaisante tant que tu veux ; moi j'ai besoin de savoir. C'est ça, vraiment ?

Il la regarda au fond des yeux et sentit l'amertume l'envahir. Oui, bien sûr, elle manquait de confiance en elle, et elle avait été blessée tout récemment par ce crétin de Joel. Il fallait donc lui parler doucement, essayer de la rassurer. Mais, pour l'amour du ciel, ce qui s'était passé entre eux tout à l'heure avait tout changé pour lui. Son univers entier venait de basculer. Lui aussi, à présent, se sentait vulnérable — et absolument incapable de chercher un moyen de la convaincre qu'il n'était pas le gigolo pervers pour lequel elle le prenait. Si elle pensait vraiment qu'il fallait être totalement dégénéré pour s'intéresser à elle...

— Rick, réponds-moi.

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C'était grotesque. Il allait finir par dire quelque chose qu'il regretterait amèrement ensuite. Il essaya de se souvenir comment c'était un instant plus tôt — si bon, si juste, si merveilleux. Mais c'était encore pire de se souvenir de cet émerveillement et de constater qu'elle pouvait nier tout cela, juste après...

Il se leva, la domina de sa haute taille. — Ecoute. Tu as peut-être raison. On a sûrement fait une erreur. Elle se blottit plus étroitement dans son peignoir. Elle avait l'air

toute petite, perdue dans les plis de l'épais tissu-éponge. — Probablement, oui..., souffla-t-elle. Il réprima une envie brutale de la secouer, ravala les paroles brutales

qu'il avait tellement besoin de dire. Elle leva vers lui ses grands yeux blessés. — Je ferais mieux de m'en aller. Je vais m'installer chez mon père

pour un jour ou deux. Ce serait trop difficult de rester ici. Il pensait à Vanessa, avec qui il était absolument impossible de

discuter. Quand elle se mettait une idée en tête, il pouvait dire n'importe quoi : ni les argumentations logiques ni les déclarations passionnées ne parvenaient jamais à l'en détourner. Après les premiers mois, leur vie avait été, littéralement, infernale. Il croyait avoir appris la leçon une fois pour toutes. Mais voilà que tout recommençait. Pourtant, en rencontrant Natalie, il avait eu la certitude qu'elle était aussi différente de Vanessa que le jour et la nuit. Et il avait tout fait pour la conquérir.

Bravo, pensa-t-il avec amertume. Un bel effort, suivi d'une très belle désillusion !

— Rick, tu m'entends ? Il hocha la tête. — Je dis que je vais aller chez mon père... — Comme tu voudras, rétorqua-t-il d'une voix brève. Il ramassa le

reste de ses vêtements et sortit à grands pas.

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12.

Avec un claquement sourd, la porte se referma derrière Rick. En un sursaut tardif, Natalie bondit en avant avec une petite exclamation de détresse. Mais que faire, que dire ? Ses genoux tremblaient et elle se laissa tomber sur un tabouret.

Elle avait dit à Rick qu'elle partait et elle allait le faire, dès qu'elle se serait un peu calmée. Calmée ou secouée, elle ne savait plus très bien : son corps lui faisait l'effet d'une boule de nerfs mais elle se sentait en même temps paralysée par une inertie profonde. Elle ferma les yeux, respira profondément et crut qu'elle allait retrouver un semblant de paix quand, sur l'écran noir de ses paupières, parut le visage de Rick tel qu'elle l'avait vu pendant qu'ils faisaient l'amour. En train de la regarder comme si elle était la femme la plus belle et la plus désirable du monde entier.

Avec un cri étouffé de souffrance, elle sauta sur ses pieds, ouvrit la penderie à la volée, sortit une valise de cuir. Vite, vite, elle ouvrit ses tiroirs, sortit en vrac des sous-vêtements, des chaussettes, quelques vêtements décontractés.

Bien sûr, elle serait obligée de revenir pour prendre les tenues habillées dont elle aurait besoin lors de la croisière, mais cela pouvait attendre le dernier jour. Elle passerait dimanche, en fin de journée. En montant tout droit ici et en y restant jusqu'à ce qu'elle ait terminé, elle n'aurait même pas besoin d'adresser la parole à Rick.

Mais Toby... Le cher petit Toby, qui avait parlé ce soir pour la première fois depuis son traumatisme ! Ses premières paroles avaient été pour la demander, elle, et ses petits bras l'avaient serrée si fort ! Comme il allait lui manquer !

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Elle se laissa tomber sur le lit, enfouit sa tête dans ses mains et, cette fois, elle se mit à pleurer. Elle pleura sur le gâchis des rapports humains, sur sa propre incapacité à les vivre, sur les malheurs qui s'abattaient sur les innocents comme Toby. Puis, brusquement, sa propre attitude la dégoûta. Elle ne voulait plus être cette victime éperdue qui pleurait, effondrée sur son lit. Elle voulait prendre sa vie en main. Si elle ne se respectait pas elle-même, comment parviendrait-elle jamais à se faire respecter ?

Au prix d'un violent effort, elle réussit à se ressaisir. Délibérément, lentement, elle releva la tête, redressa ses épaules. D'ici dimanche, elle aurait retrouvé le contrôle de ses émotions. Elle dirait au revoir à Toby tranquillement et joyeusement.

Ce qui était arrivé entre Rick et elle, ce soir, ne changeait rien, décida-t-elle. Rien d'important en tout cas. Tout se passerait comme prévu : elle partirait en croisière, Rick et Toby prendraient soin de la maison et du chien. Elle allait simplement passer deux jours auparavant chez son père, voilà tout.

Elle se remit sur pied et contempla le contenu de sa valise. Oui, elle avait tout ce qui lui fallait. Une fois douchée et habillée, elle partirait.

Sous le ruissellement apaisant de l'eau chaude, elle décida qu'elle aurait bientôt oublié ce qui s'était passé ce soir. Ces choses-là étaient monnaie courante. Elle venait de traverser une sale période. A présent, il fallait qu'elle prenne le temps de décider ce qu'elle voulait faire et être, désormais. Dans cet état de transition étrange, tout pouvait arriver. C'est pourquoi, les récents événements n'avaient rien en eux-mêmes de surprenant. Ne se trouvait-elle pas dans l'état d'esprit où l'on fait des choses stupides et risquées comme celle de tomber amoureuse de son beau locataire ? Ensuite, il n'y avait plus qu'à assumer les conséquences.

Quelles conséquences d'ailleurs ? Une blessure d'amour-propre de plus.

Elle se sécha, enfila un jean et un chemisier propres. Il était temps de partir. Le trajet serait plus vite fait en bateau, mais elle décida de prendre sa voiture. Après tout, le voilier faisait partie de l'accord de location.

La maison était noire et silencieuse. Elle sortit sans bruit, monta dans sa voiture et partit très vite en essayant de ne pas penser à Rick qui tendait peut-être l'oreille dans les ténèbres de sa chambre... Une idée absurde ! Et ridiculement sentimentale ! Elle repoussa cette image et se concentra sur sa conduite.

Cette fois, l'attente au portail de la propriété lui sembla interminable. La gouvernante finit pourtant par lui ouvrir et elle remonta l'allée. Les

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projecteurs étaient allumés et ils inondaient de lumière la façade élégante de la maison. En coupant le moteur, elle se promit de ne pas décevoir Edgar, cette fois, et d'attendre bien sagement qu'il vînt lui ouvrir sa portière.

Mais Edgar ne se montra pas. Bien sûr, pensa-t-elle, amusée. A cette heure tardive, il dormait probablement depuis longtemps. Du reste, il n'était peut-être même pas de service le lendemain puisque la voiture de sport noire était garée près du perron — la voiture que prenait généralement son père quand il conduisait lui-même.

Elle sonna et la nouvelle gouvernante la fit entrer. Ses cheveux gris lui pendaient dans le dos dans une longue natte et elle serrait les revers d'une austère robe de chambre de tweed.

— Je suis désolée de vous avoir réveillée, s'excusa Natalie. — Aucune importance, mademoiselle. — Mon père est là ? — Je ne saurais vous le dire. Il est sorti en début de soirée et je ne l'ai

pas entendu rentrer. Il m'a dit en partant qu'il n'aurait plus besoin de moi ce soir.

Natalie posa son sac et réfléchit un instant. — Permettez-moi de prendre votre valise, dit la femme en se

penchant. Natalie secoua la tête, un peu agacée par l'attitude distante de cette

inconnue qui lui donnait l'impression d'être une intruse dans la maison de son père.

— Non, merci. Je vais aller m'installer dans une des chambres d'amis. — La chambre bleue a été aérée aujourd'hui. — Très bien. Va pour la chambre bleue. — Je vais vous aider. — Non, vraiment, ce n'est pas nécessaire. Je vous ai assez dérangée. — Cela ne me dérange pas du tout. — Merci, vraiment, non. — Comme vous voudrez. Bonne nuit, mademoiselle. — Bonne nuit, murmura Natalie. La femme s'éloigna en silence le long du couloir et disparut dans

l'aile réservée au personnel. Natalie se dirigea lentement vers l'escalier monumental et hésita, le

pied sur la première marche. Elle n'arriverait pas à dormir, elle le savait. Elle allait rester allongée toute raide à contempler le plafond et à se souvenir des mains de Rick sur sa peau, tout en se demandant, sans doute, si elle ne venait pas de tourner le dos au plus grand cadeau de son existence...

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Non, elle n'arriverait certainement pas à dormir. Elle posa sa valise et son sac à main sur le dallage luisant et se dirigea vers la bibliothèque. Le mieux serait de trouver un bon livre qui l'aiderait à tuer le temps jusqu'à l'aube.

Elle fut surprise de voir un rai de lumière filtrer sous la porte à deux battants : le personnel éteignait généralement dans les pièces où il n'y avait personne. Puis elle haussa les épaules. La gouvernante était nouvelle et son père avait certainement trop de soucis pour se montrer aussi exigeant que Kate. Elle poussa les portes et entra dans la pièce.

La pièce, cependant, n'était pas vide. Elle vit tout de suite l'homme effondré dans le grand fauteuil du bureau, mais son cerveau engourdi de fatigue refusa tout d'abord d'admettre qu'il s'agissait de son père. Il leva la tête en entendant la porte, et elle le dévisagea, les yeux ronds, avec une sensation d'incrédulité totale. Non ! Cet homme au visage gris, aux yeux rougis et profondément cernés ne pouvait pas être son père ! Ses cheveux toujours si soignés se hérissaient en épis sur sa tête, il avait une ecchymose au menton et de longues griffures rouges au cou. Son veston était jeté de guingois sur le dossier de son siège et sa chemise de soie blanche était non seulement chiffonnée, mais déchirée à l'épaule... avec des taches qui ressemblaient curieusement à du sang séché. Sur le sous- main devant lui, une bouteille à demi vide de Chivas était posée près d'un large verre de cristal.

Il se pencha vers elle d'un mouvement abrupt, en plissant les yeux comme s'il n'arrivait pas à distinguer son visage.

— Nat ? Elle mit un instant à retrouver sa voix. Son grand-père mis à part,

Jake Fortune était l'homme le plus solide, le plus inébranlable qu'elle ait jamais connu. Le voir dans un tel état la terrifiait.

Il marmonna son nom encore une fois et elle répondit prudemment : — Oui, papa. C'est moi. — Ah ! Bien ! Entre donc ! Il prit la bouteille de scotch, s'en versa maladroitement une nouvelle

rasade, et l'avala d'un trait avec une grimace. « Qu'est-ce que je peux faire, dans ces conditions ? » se demanda Natalie.

— Ne me regarde pas comme ça, grogna-t-il. Malgré les apparences, je sais ce que je fais. Tu me connais, je sais toujours ce que je fais.

Il étudia son verre comme s'il découvrait un objet totalement inattendu et fascinant, puis il se tourna de nouveau vers Natalie, les yeux à demi plissés comme s'il était myope.

— Bien ! répéta-t-il. Qu'est-ce qui se passe ? Il est tard, non ? Qu'est-ce que tu fais là ?

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— Je... Je suis venue passer la nuit. Enfin, jusqu'à lundi matin, en fait. Tu veux bien ?

Il cligna solennellement des yeux tout en fourrageant d'un air distrait dans ses cheveux gris.

— Bien sûr que je veux bien. Tu as toujours ta place ici. Il sembla faire un effort énorme de concentration et ajouta : — Mais tu ne m'as toujours pas dit ce que tu faisais là. Natalie sentit une douleur sourde peser sur sa poitrine : elle avait

mal pour lui. Qu'avait-il pu lui arriver pour qu'il se retrouve assis là, dans une chemise déchirée et sanglante, en train de se soûler au milieu de la nuit ? Elle avait beau s'être résolue à ne plus se mêler des perpétuels problèmes de la famille, il ne s'agissait plus cette fois d'un simple problème. Il se passait réellement quelque chose de grave.

— Tu vas rester toute la nuit à la porte à me regarder avec tes grands yeux tristes ?

— Non, papa. Bien sûr que non. Elle ferma la porte derrière elle, et s'avança dans la pièce. D'un geste

vague, il lui proposa un siège. — Assieds-toi. Bois quelque chose. Tu veux un scotch ? Il était déjà en train de se verser un autre verre. — Non, merci. — Bien ! Les bouteilles sont là-bas. Vois si tu trouves quelque chose

qui te plaît. Prends ce que tu veux ! — Non, merci. Il haussa une épaule — celle qui n'était pas tachée de sang. — Comme tu voudras. Prudemment, elle s'approcha du bureau. — Papa, je crois que tu as ta dose. Il renifla d'un air de dérision et avala encore une lampée de scotch.

Brusquement décidée, elle fit le tour du bureau, saisit l'accoudoir du siège où il était assis, et le fit pivoter vers elle. Pris par surprise au moment où il posait son verre, il cligna des yeux comme si le mouvement lui avait donné le vertige, puis braqua sur elle ses yeux flous en une pitoyable imitation du regard qui paralysait d'ordinaire ses adversaires.

— Nat. Fais attention. Sous la chemise déchirée, elle voyait maintenant une profonde

coupure. — Papa, tu t'es fait mal...

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Instinctivement, elle tendit la main. Il eut un mouvement de recul, tourna sa tête dodelinante pour étudier son épaule, puis agita la main d'un air désinvolte.

— Rien du tout. Juste une égratignure. Il essaya de reprendre son verre, mais elle s'accrocha aux accoudoirs,

s'agenouilla devant lui. — Papa, qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qui t'est arrivé ? Il chercha son visage des yeux, désorienté. D'un seul coup, son

expression se relâcha et il respira profondément. — Ce n'est pas ton problème. Tu n'as pas à savoir. Il eut un sursaut, comme s'il cherchait à lui arracher son fauteuil.

Mais elle ne lâcha pas prise. Il n'avait d'ailleurs pas mis beaucoup de conviction dans son mouvement.

— Si, papa. C'est aussi mon problème. Je veux savoir. Il tendit la main, lui effleura maladroitement la joue. — Ma petite Nat, mon innocente. Avec son grand cœur qui voit le

monde en rose. — Parle-moi, je t'en prie. — Tu aimes toujours tes films de Disney ? — Papa... — Il paraît que tu as jeté ce crétin avec qui tu sortais. — Oui, je l'ai jeté. — C'est bien. Tu mérites mieux que lui. — Papa, dis-moi ce qui t'est arrivé. Il détourna les yeux. — Papa, dis-moi. Il secouait la tête. — Tu n'as pas à être... mêlée à ça. — Si, dit-elle avec une conviction qui la stupéfia. Si, je veux y être

mêlée. Après tous ces mois passés à se répéter le contraire, cela lui semblait

tout à coup une évidence lumineuse. — J'ai besoin d'y être mêlée. Jake passa la main sur son visage. — Non. Pas toi. Devrais pas... Nom de Dieu... Elle sentit qu'il cédait peu à peu à l'envie de se confier à quelqu'un. — Dis-moi, papa. Tu peux me le dire. Il va bien falloir en parler à

quelqu'un et je suis là, tu peux me faire confiance. — Oh. Nat... — Je t'écoute. Il marmonna un nom.

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— Qui donc ? — Monica, articula-t-il à voix basse. Cette garce de Monica Malone. Natalie avala sa salive et se demanda si elle avait bien fait de le

pousser à se confier à elle. Il restait, quelque part au fond d'elle, une petite fille qui voulait que son père soit un homme fort et que sa famille soit parfaite. Celle-là voulait à toute force retrouver son innocence, et que tout redevienne comme avant. Seulement, rien n'était plus comme avant et il fallait regarder les choses en face.

— Monica, oui, dit-elle doucement. Qu'est-ce qu'elle a fait ? — Du chantage, marmotta-t-il. Puis il se couvrit le visage à deux mains. Elle saisit doucement ses poignets, écarta les mains du visage

décomposé de son père. Dans la famille, tout le monde avait fini par penser que cette femme avait trouvé un moyen de pression sur Jake, mais celui-ci ne l'avait jamais admis — jusqu'à cet instant.

— Monica Malone te fait du chantage ? — Elle veut les actions, gémit-il. Toutes les actions... — Elle t'a obligé à lui céder ta part ? Il pressa un poing contre ses lèvres, hocha la tête. — Et tu dis que c'est du chantage ? Mais qu'est-ce qu'elle peut bien

savoir sur toi... Il cligna des yeux, la regarda attentivement, puis détourna la tête. — J'ai besoin de boire un verre. — Non, tu as assez bu comme ça. Dis-moi... Mais il était déjà en train de parler, racontant son histoire à sa façon,

à petites phrases décousues. — M'suis dit que j'allais lui dire que je ne jouais plus. Lui dire en face.

Lui tenir tête. — Tenir tête à Monica ? — Oui. La garce. Il fallait lui dire que ça s'arrêtait là. Marre de passer

par où elle voulait. Et cette histoire de délégation de pouvoir, ça, c'était trop.

— Délégation...? — Elle vise le conseil d'administration. — Le conseil d'administration du groupe ? — Oui. Mais trop c'est trop. Il fallait lui dire que tout s'arrêtait là.

Alors je suis allé la voir. — C'est là que tu es allé ce soir ? — Oui. C'est là. Tu es déjà allée chez elle ? — Non.

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— Un triomphe... du mauvais goût, dit-il, la voix pâteuse en secouant la tête. Aussi bidon que les séries « B » dans lesquelles elle jouait. Parfait pour elle.

Il frémit et se tut. — Qu'est-ce qui s'est passé là-bas ? — Chez Monica ? Elle hocha la tête et il baissa les yeux. — Ce qui s'est passé chez Monica... Il réfléchit gravement quelques instants, le regard perdu dans le

vide. Elle attendait patiemment, à genoux devant lui. Enfin, il abaissa son regard vers elle et dit d'une voix presque normale :

— Je lui ai tenu tête. Je lui ai dit que j'en avais assez de ses exigences. Elle pouvait tout dire, grand bien lui fasse. A partir de maintenant, c'était la guerre et je n'allais plus me laisser faire.

— Mais qu'est-ce qu'elle pourrait dire sur toi ? Tu ne m'as toujours pas expliqué...

Il agita la main d'un geste las. — Aucune importance. Elle est devenue comme folle. Il cligna encore des yeux, se frotta les paupières. — Qu'est-ce qu'elle a fait ? Il secoua la tête. — J'ai besoin d'un verre. Natalie s'accrocha fermement aux accoudoirs en secouant la tête. — J'essaie de comprendre. Qu'est-ce qui s'est passé ? — Elle est tombée, gémit-il brusquement. — Tombée ? Papa, regarde-moi. Ecoute-moi. — Je t'écoute, Nat. — Est-ce qu'elle va bien ? — Bien ? répéta-t-il d'un air incertain. — Tu dis qu'elle est tombée... Il semblait toujours aussi perplexe. — Quoi ? Non. Non, ne t'occupe pas de ça. On a discuté, c'est tout. — Vous avez discuté ? Ce n'était pas plutôt une engueulade ? Il hocha la tête d'un air un peu distrait, puis poussa un gros soupir. — Et ensuite ? Il se frotta encore les yeux, les joues. — C'est tout. J'ai bien vu que je n'arriverais à rien avec elle. J'avais dit

ce que j'étais venu dire. Alors je suis parti. Elle me crachait toujours des menaces dans le dos quand je suis parti.

Il soupira de nouveau, un long soupir qui se transforma en hoquet. — Maintenant, on peut prendre un verre, tous les deux ?

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— Mais... et ton épaule, alors ? — Hein ? — Comment est-ce que tu t'es fait mal à l'épaule ? Il jeta un coup d'œil de biais vers sa coupure. — Oh... ça. Il contempla sa fille un instant, l'air un peu hébété. — Je sais pas, Nat. Je sais pas du tout. Mais je peux te dire que j'ai

vraiment besoin de boire un verre. Natalie tendit le bras, remit prestement le bouchon sur la bouteille. — Non, papa. Elle ne savait toujours pas vraiment ce qui s'était passé, mais elle

comprit qu'il ne lui dirait rien de plus dans son état actuel. Il y avait eu un affrontement entre lui et Monica Malone et cela semblait l'avoir beaucoup ébranlé. En ce moment, il avait surtout besoin de repos.

— Viens, tu seras mieux dans ton lit. Elle sauta sur ses pieds, lui prit les deux mains. — Oh, Nat... allez... Elle faillit sourire tant il ressemblait à un gamin déçu qu'on lui refuse

une gâterie. La scène perdait toute réalité. D'ailleurs, rien dans cette soirée ne lui semblait réel.

— Viens, on va monter. Tu pourras te nettoyer un peu et je jetterai un coup d'œil à ton épaule.

— Je t'ai dit, c'est rien du tout... — Tu vas prendre une douche et je vais soigner ton épaule, dit-elle du

ton ferme qu'elle adoptait avec les enfants récalcitrants. Ensuite, tu pourras aller au lit.

Stupéfaite, elle vit sa lèvre inférieure ressortir, boudeuse. — Je veux boire un verre. — Non, papa. C'est assez. Elle tira doucement sur ses mains et, curieusement, il ne résista plus.

Il se mit sur ses pieds, vacilla un peu et s'appuya contre elle. — Oh, Nat, j'ai l'impression que le monde tourne un peu plus vite que

d'habitude... — Avec ce que tu as bu, cela n'a rien d'étonnant ! Allez, viens. Je te

tiens. Elle prit son bras indemne et le passa autour de ses propres épaules. — Mon veston..., demanda-t-il vaguement. Tout en le soutenant, elle réussit à tendre la main pour attraper le

vêtement jeté sur le dossier. — Il est là. Je l'ai. Il s'appuya plus lourdement sur elle.

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— Tu es une gentille fille, Natty. Gentille avec ton papa. Si ta mère avait été à moitié aussi compréhensive...

Elle le guida vers la porte sans répondre. Le temps d'arriver à l'étage, son humeur avait encore changé et il

était redevenu récalcitrant. Elle réussit pourtant à le convaincre de prendre une douche. Pendant qu'il était dans la salle de bains, elle trouva un pyjama qu'il refusa catégoriquement d'enfiler. A travers la porte de la salle de bains, il beugla qu'il n'avait aucune intention d'aller au lit. Elle lui passa donc des sous-vêtements propres et un pantalon. Quand il émergea enfin, elle l'assit pour examiner sa coupure. Ce n'était effectivement pas grand-chose, comme il n'avait cessé de le répéter. La coupure était longue mais moins profonde qu'elle ne l'avait cru tout d'abord. Elle la désinfecta pourtant, fit un pansement et aida Jake à passer un polo confortable.

— Ça suffit, maintenant, jeta-t-il brusquement. Arrête de faire la nounou.

Il se leva maladroitement, ramassa son costume fripé et sa chemise déchirée et les fourra dans le panier de linge sale.

— Voilà. Ni vu ni connu ! Au prix d'un dernier effort, elle réussit à le convaincre d'avaler deux

comprimés d'aspirine et à lui faire promettre, bien à contrecœur, qu'il ne boirait plus une goutte d'alcool pendant le reste de la nuit. Quand elle le quitta, il était installé dans le petit salon qui communiquait avec sa chambre, en train de regarder la télévision. Elle avait fait de son mieux, se dit-elle sans grande conviction en refermant la porte derrière elle.

Avant de s'installer dans sa propre chambre, elle redescendit chercher sa valise et retourna dans la bibliothèque pour prendre enfin un livre pour la nuit.

Il était près de 3 heures du matin quand elle se blottit dans le grand lit de la chambre bleue et ouvrit le roman à la première page.

Dans sa propre chambre, Jake regardait les informations sur le câble

quand il entendit : — Comme nous l'avions annoncé au moment où l'information nous

est parvenue, l'actrice Monica Malone a été retrouvée morte dans sa demeure de Minneapolis...

Jake cligna stupidement des yeux. Son esprit embrumé ne parvenait tout simplement pas à assimiler ce qu'il venait d'entendre. Il se pencha en avant et se concentra de toutes ses forces pour ne rien manquer.

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— La police n'a fourni aucun détail, mais les inspecteurs chargés de l'enquête indiquent que la star aurait été victime d'un geste criminel...

Une plainte rauque échappa à Jake. Il se souvenait de tous les détails de son affrontement avec Monica — tout ce qu'il avait réussi à ne pas dire à Natalie.

— Je verrai mon fils à ta place ! avait-elle hurlé. Brandon à la tête du groupe Fortune Cosmetics ! Je verrai ça avant de mourir !

En entendant cela, Jake avait ri à gorge déployée. Il avait rencontré plusieurs fois Brandon Malone, le fils adoptif de Monica. Quoi que puisse en penser sa mère, celui-ci n'avait vraiment pas l'étoffe d'un P.-D.G. !

— Je t'interdis de te moquer de mon fils, espèce de bâtard ! Et elle s'était jetée sur lui, les yeux fous, en brandissant un coupe-

papier. Il l'avait immédiatement repoussée, sans réussir à l'empêcher de le frapper. Sous le coup de la douleur, il avait vu rouge. Le souvenir ressemblait à un cauchemar : d'un seul coup, ils se battaient tous les deux comme des furieux, Monica lui hurlait des obscénités à l'oreille, il la repoussait violemment et elle s'abattait à la renverse comme un pantin grotesque. Contre cette cheminée ridicule en marbre rose, couverte de cupidons...

Elle s'était cogné la tête. Violemment. Et elle était restée inerte à ses pieds.

Incapable de bouger, il l'avait regardée, regardé le sang dans ses cheveux. Qu'elle semblait donc vieille, tout à coup ! Et qu'elle lui paraissait laide, allongée là, ses légendaires yeux couleur de violettes cachés sous ses paupières fripées, la bouche flasque, du sang dans ses opulents cheveux blonds. Une pensée stupide et revancharde lui était venue : « Eh bien, on ne dirait pas que tu as été une reine de beauté ! »

Un instant plus tard, elle s'était mise à gémir. Malgré son envie de la laisser se débrouiller seule, Jake l'avait aidée à se redresser et soutenue jusqu'au canapé.

Elle n'avait pas fait trois pas que les mots orduriers s'étaient remis à se déverser de ses lèvres rouges. Ne voyant pas l'intérêt de rester plus longtemps, il était parti en la laissant parfaitement vivante et toujours en train de l'injurier. Et c'était tout. C'était exactement comme cela que ça s'était passé, il en était tout à fait sûr.

Mais oui, il en était certain. Son estomac se convulsa. Soudain, il avait un furieux mal de tête et

une angoisse affreuse le taraudait.

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Oui, d'accord, il buvait pas mal depuis quelque temps, mais il n'avait pas encore perdu la tête ! Il n'en était tout de même pas à avoir des... absences, ou des hallucinations.

Ou alors, c'était... Mais non ! Sûrement pas ! En tout cas, pas ce soir ! Il tenait à garder

la tête froide et n'avait presque rien pris avant d'aller voir Monica. — Pour les spectateurs qui viendraient de nous rejoindre, répétait le

commentateur, je rappelle que Monica Malone, star légendaire du grand écran, nous a quittés cette nuit...

Jake se dressa sur ses pieds, vacilla un instant. Son estomac se serra, un jet acide lui envahit la gorge. Sa tête battait comme un marteau-piqueur. Il s'accrocha au dossier du canapé, réussit à garder son équilibre.

On allait venir le chercher. Quelqu'un l'avait certainement vu là-bas, un domestique de Monica ou un passant dans la rue. Il avait dû laisser des empreintes digitales partout, sans parler de son propre sang sur ce coupepapier ! Monica avait lutté avec lui, elle l'avait griffé, il y aurait sûrement des fragments de sa peau sous ses longs ongles rouges.

Toutes les apparences seraient donc contre lui. Il était condamné d'avance parce qu'ils seraient sûrs de tenir leur coupable et ne perdraient pas une seconde à suivre d'autres pistes.

Bon sang, il fallait absolument réfléchir. Plus que jamais, il avait besoin de penser clairement, de considérer tous les aspects du problème. Il ferma les yeux, essaya de respirer lentement et régulièrement. Son cœur s'emballait et son cerveau ne savait plus que répéter une phrase à l'infini : « Sauve-toi, sauve-toi vite avant qu'"ils" n'arrivent... »

Il n'aurait même pas besoin d'appeler Edgar. La Porsche attendait devant la porte, là où il l'avait laissée en rentrant de chez Monica. Personne ne le verrait partir...

Lorsque Natalie émergea d'une nuit trop courte, peuplée de trop de

rêves, l'aube commençait juste à poindre. Un instant, elle crut qu'elle réussirait peut-être à se rendormir.

Mais non. Elle était bien réveillée et trop troublée par les événements de la nuit pour réussir à se détendre. Elle enfila un caleçon et une tunique ample, et descendit pieds nus dans l'immense cuisine. La cafetière, bien sûr, était prête. Elle la mit en route et alla s'appuyer à la fenêtre qui donnait sur l'arrière de la propriété. Quelques oiseaux

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chantaient déjà dans la fraîcheur du petit matin. L'odeur du café commençait à emplir la pièce quand la sonnerie du portail retentit.

L'un des panneaux de contrôle avait été monté sur la cloison à côté d'elle. Elle s'en approcha, enfonça le bouton de l'Interphone.

— Oui ? Qui est là, je vous prie ? demanda-t-elle selon la formule utilisée depuis toujours par le personnel.

— Les inspecteurs Harbing et Rosczak, de la police de Minneapolis. Nous aimerions parler à M. Fortune.

Natalie eut l'impression que son cœur s'arrêtait un instant... pour repartir tout de suite à une vitesse vertigineuse. Elle avait pu constater, la veille au soir, que son père était dans un état réellement critique. Et maintenant la police voulait lui parler... ?

— Madame ? reprit la voix un peu plus sèchement. Voulez-vous ouvrir la grille, je vous prie ?

Elle réfléchit à toute vitesse. Il semblait bien qu'elle n'ait pas le choix. De toute façon, elle ne gagnerait rien en leur refusant l'accès à la propriété.

— Oui, dit-elle le plus calmement qu'elle put. Bien sûr. Entrez. Elle pressa le bouton qui ouvrait le grand portail. L'homme à l'Interphone la remerciait encore poliment quand elle se

précipita vers l'escalier. L'angoisse lui serrait la gorge quand elle atteignit la porte de son

père. Elle tambourina au battant, attendit un instant. Pas de réaction. Elle plaqua son oreille contre la porte, crut entendre un murmure de voix.

Pourquoi mettait-il tant de temps à venir lui ouvrir ? Elle l'avait laissé dans un tel état tout à l'heure... Il était peut-être inconscient, dans une espèce de coma éthylique. Mais alors, qui était en train de parler ?

Elle tourna la poignée et la porte s'ouvrit. — Papa? Il n'était pas dans le salon, mais elle découvrit la source de ce

murmure de conversation : la télévision était restée allumée. — Papa ? répéta-t-elle en passant la tête par la porte de la chambre. Il n'était pas là non plus et le couvre-lit était impeccablement thé. Il

ne s'était pas couché. Elle frotta ses yeux fatigués. Il fallait réfléchir, réfléchir... La bibliothèque. Etait-il redescendu prendre ce fameux dernier verre

auquel il lui avait promis si solennellement de renoncer ? S'était-il effondré sur place ? Elle tourna les talons et sprinta vers l'escalier.

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Mais la bibliothèque était exactement telle qu'elle l'avait laissée. Déserte. Pensive, elle contemplait toujours le verre vide et la bouteille de Chivas quand on sonna à la porte d'entrée.

Elle ne pouvait rien faire d'autre qu'aller ouvrir. Elle déboucha dans le vestibule et vit que Mme Laughlin avait atteint

la porte avant elle. La main sur la poignée, la gouvernante se retourna vers Natalie.

— Est-ce que je dois ouvrir, mademoiselle ? Natalie se redressa, leva le menton. — Oui, dit-elle. Allez-y.

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13.

De l'autre côté du lac, Rick et Toby terminaient leur petit déjeuner quand le téléphone sonna. Habituellement, à cette heure, Natalie aurait cessé de sautiller sur place, au rythme d'une de ses vidéo de gym, pour prendre l'appel sur son propre poste, à l'étage. Ce matin, la sonnerie persista et Toby leva vers son père un regard interrogateur.

Rick haussa les épaules comme pour dire que ce n'était pas leur affaire. Il savait parfaitement que Natalie n'était pas là. Le répondeur prendrait le message, voilà tout.

A la quatrième sonnerie, ils entendirent l'appareil se mettre en route et la voix de Natalie demanda gentiment qu'on lui laisse un message. Puis ce fut Erica :

— Natalie ? Natalie, je t'en prie, décroche. Une pause, puis : — Natalie, c'est sérieux. C'est urgent, vraiment... Les sourcils de Toby se froncèrent. — Papa ? Ce n'était qu'un souffle, mais il contenait une inquiétude réelle : « Il

se passe quelque chose, papa. Il faut que tu répondes. Il faut que tu arranges tout. »

— Natalie. Oh, Nat, s'il te plaît... Incapable de supporter l'angoisse dans la voix d'Erica — et les yeux

soucieux de son fils braqués sur lui —, Rick se leva. Par le truchement du répondeur, Erica soupirait :

— Bon, je vois que tu n'es pas... Vite, il prit le téléphone avant qu'elle ne puisse raccrocher. — Madame Fortune, bonjour. Ici...

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— Rick ? C'est vous ? — Oui. — Oh, Dieu merci ! Il faut absolument que je parle à Natalie. Elle est

là ? — Non, je suis désolé... — Vous savez où je pourrais la trouver ? Il hésita un instant, pensant à la nuit dernière, craignant de révéler

quelque chose que Natalie n'aurait pas envie de dire à sa mère. — Rick? — Elle est allée chez votre mari cette nuit. — Elle a passé la nuit là-bas ? Il ne voyait pas ce qu'il pourrait lui dire d'autre que la vérité. — Elle est partie en fin de soirée, oui. — Est-ce qu'elle a vu Jake ? — Je ne sais pas du tout. Je ne lui ai pas parlé depuis son départ. Toby le regardait toujours. Il lui tourna le dos et baissa la voix. — Madame Fortune, qu'est-ce qui se passe ? Il y eut un silence, puis Erica murmura : — Je ne devrais pas vous ennuyer avec nos problèmes. — J'aimerais vous aider, si je le peux. Elle hésita encore un long instant avant d'avouer : — C'est Jake. — Votre mari ? — Oui. La police est venue chez moi, c'est lui qu'ils cherchaient. Ils

ont dit qu'ils étaient déjà passés à la propriété. Il n'y était pas. Bien entendu, j'ai tout de suite contacté Sterling Foster, qui s'occupe des questions légales de la famille depuis toujours...

— Oui, je l'ai rencontré. — Il a dit qu'il s'occupait de tout. Tout de même, je suis incapable de

me calmer, je ne sais plus où donner de la tête. J'ai vraiment essayé de ne pas trop ennuyer Nat, je sais bien qu'elle a sa vie... Et puis chaque fois, je finis toujours par me tourner vers elle. Si seulement je pouvais lui parler quelques minutes, je me sentirais mieux. Elle réussit toujours à me faire voir les choses autrement.

— Je comprends. — Avec ce que vous venez de me dire, c'est encore pire. Elle était

sûrement là ce matin, quand la police... — Du calme, je vous en prie. Expliquez-moi pourquoi la police veut

parler à votre mari. — Oh, mon Dieu... — Tout ira bien, vous verrez.

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— Je sais. Je sais. Ils... ils veulent lui demander où il était la nuit dernière.

— Pourquoi ? — Parce que quelqu'un a assassiné Monica Malone cette nuit. Et ils

croient... Sa voix s'éteignit et Rick atterré ne sut que murmurer : — Je comprends. Comme il aurait aimé ne pas si bien comprendre ! Mais il connaissait

suffisamment la situation pour comprendre que Jake Fortune faisait le suspect idéal !

— Mon mari n'est pas un assassin. Mais où est-il, où peut-il bien être? — Madame Fortune... — Oh, je n'aurais pas dû vous dire tout ça, vous avez vos propres

soucis... — Je suis content que vous l'ayez fait. — Vous me pardonnez ? — Bien sûr. — Je vais téléphoner à Natalie tout de suite, à la propriété. Je me

sentirai mieux quand je lui aurai parlé. Il pensa à Natalie, toute seule de l'autre côté du lac, obligée de

répondre aux questions de la police et de rassurer sa mère alors qu'elle était probablement elle- même folle d'inquiétude. Même après la scène odieuse de cette nuit, il ne pouvait pas s'empêcher de se demander vers qui elle pouvait se tourner, elle, pour être rassurée. Erica parlait toujours :

— Si je la manque là-bas, si elle rentre, vous lui demanderez de m'appeler tout de suite ?

— Bien sûr. — Merci ! Au revoir ! Elle raccrocha. Il se retourna pour remettre le combiné à sa place et

croisa le regard de son fils. Le petit prononça encore un mot : — Nat'lie ? Rick se hâta de le rassurer. — Pas de problème. Elle va bien. C'était... pour un autre problème. Toby n'avait même pas besoin de demander : quel problème ? La

question était inscrite sur son petit visage. Comment s'y prenait-on pour rassurer quelqu'un sans rien lui dire ?

Rick fit de son mieux. — C'est quelqu'un de sa famille qui a des difficultés. Ils sont inquiets

mais ça ne sera pas grave. En tout cas, on n'a pas besoin de se faire du souci, nous.

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Le regard de Toby resta braqué sur son père sans fléchir. — Je t'assure, il n'y a rien qu'on puisse faire. Le gamin ne semblait pas très convaincu : toujours ces sourcils

froncés, ce regard fixe et accusateur. Et voilà que le chien s'y mettait aussi, levant sa grosse tête, gémissant en sourdine. Un gémissement inquiet, un regard de reproche. Le tout dirigé sur Rick.

— Toi, ne t'en mêle pas, dit Rick. Le grand regard doux resta fixé au sien et ce fut Rick qui détourna les

yeux... pour se heurter encore une fois à l'expression sévère de Toby. Même le chien avait l'air réprobateur, maintenant. Il essaya de se dire que c'était lui le patron, que son jugement était tout de même plus développé que celui d'un gamin de cinq ans ou d'un saint-bernard. Comme si l'animal pouvait avoir la moindre idée de ce qui se passait !

— Elle ne sera pas contente si on se mêle de ce qui ne nous regarde pas.

L'enfant et le chien se contentèrent de l'observer. — Elle ne court aucun danger, je t'assure. Ils n'avaient toujours pas l'air convaincus. Rick leva les mains dans un grand geste théâtral. — Très bien ! D'accord ! On y va !

Ils prirent le bateau, se contentant du moteur pour aller plus vite. Rick avait pensé laisser le chien, mais Bernie embarqua d'autorité avant qu'il ne puisse lui ordonner de rester. Une fois installé, il semblait plutôt difficile de l'éjecter.

— Je suppose que tu te promènes tout le temps dans ce petit bolide. Le chien lui jeta un regard blasé. — Ne bouge pas, tu m'entends ? Le chien haleta et Rick crut lire une expression satisfaite sur sa large

figure. — Bon, très bien. Tu peux venir. Rick enfila un gilet de sauvetage à Toby et lui ordonna de rester

tranquille, exactement sur le même ton qu'il avait pris pour le chien. Il dut s'y reprendre à plusieurs fois pour faire démarrer le moteur mais, bientôt, l'engin filait droit sur l'autre rive.

La propriété des Fortune n'était pas difficile à retrouver. Natalie l'avait montrée à Rick le jour de son arrivée, et il l'avait revue plusieurs fois au hasard de leurs sorties sur le lac. Elle se trouvait d'ailleurs presque directement en face de la maison de Natalie. Dix minutes plus tard, il mettait le moteur au ralenti et se rangeait contre la jetée. Il

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s'amarra solidement, aida Toby à descendre. Bernie avait déjà sauté à terre et les attendait, les yeux brillants d'enthousiasme et la langue pendante.

La pelouse s'élevait en pente douce vers la maison, dressée derrière la balustrade de pierre de sa large terrasse. Plusieurs portes-fenêtres donnaient sur cette terrasse et il eut tout d'abord l'intention de se diriger vers elles. Au risque de faire peur à quelqu'un en apparaissant brusquement derrière les carreaux ? Ou de perdre du temps à frapper alors qu'il n'y avait personne dans ces pièces pour le faire entrer ? Non, il valait mieux se présenter de façon plus conventionnelle en faisant le tour de la maison pour sonner à la porte d'entrée.

— Vous venez ? lança-t-il. Toby et Bernie lui emboîtèrent le pas. La maison était grande et ils mirent plusieurs minutes à trouver la

porte principale. Bientôt, ils prirent pied sous la colonnade et Rick sonna.

Une femme aux cheveux gris et à l'expression grave leur ouvrit. — Oui ? dit-elle. — Je suis Rick Dalton, le locataire de Mlle Fortune, de l'autre côté du

lac. Elle est venue ici hier soir, je crois, et j'aimerais lui parler. Le regard de la femme tomba sur Toby, Bernie, puis revint vers lui. — Excusez-moi, mais comment avez-vous franchi le portail ? — Nous sommes venus par le lac. Le visage de la femme se détendit un peu, sans qu'elle se mette pour

autant à sourire. — Attendez un instant, je vous prie. Je vais prévenir Mlle Fortune. — Merci. Elle les quitta en prenant soin de refermer la porte. L'enfant et le chien gardaient les yeux fixés sur Rick. Il leur fit un

sourire qu'il s'efforça de rendre rassurant, ajouta un petit geste nonchalant qui voulait dire qu'il contrôlait la situation. Bientôt, la porte s'ouvrit de nouveau.

— Mlle Fortune va vous recevoir, soupira la gouvernante. Le chien aussi. Par ici.

Ils traversèrent à sa suite un vestibule immense, puis s'engagèrent dans un large couloir. Les griffes de Ber- nie cliquetaient sur les parquets luisants. Enfin, ils passèrent une porte et se retrouvèrent dans un salon aux plafonds très hauts, avec une rangée de portes-fenêtres donnant sur la terrasse dallée de tout à l'heure. Natalie était blottie sur un canapé, pieds nus, l'air assez perdue dans ce décor de musée. Toby et Bernie se précipitèrent vers elle.

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— Y a-t-il autre chose, mademoiselle ? demanda la gouvernante. — Non, je vous remercie, répondit machinalement la jeune femme. La gouvernante quitta la pièce et Natalie se tourna vers le petit

garçon et le chien. — Bonjour, mes chéris, murmura-t-elle d'une voix tremblante. Le cœur de Rick fit des acrobaties étranges dans sa poitrine en la

voyant ouvrir les bras. Toby se blottit contre elle et elle le serra tendrement, le calant ensuite étroitement contre une épaule afin de faire de la place pour le chien. Puis elle leva les yeux vers Rick.

— Vous n'auriez pas dû venir, dit-elle à mi-voix. — On s'inquiétait pour toi. Les épaules minces de la jeune femme se soulevèrent dans un

mouvement très las. — Ma mère a téléphoné il y a un petit moment. Elle m'a dit qu'elle

t'avait... tout raconté. — Oui. Elle le fixa un instant d'un air vague, puis se secoua un peu. — Je ne sais plus très bien ce qu'il faut faire... Sentant sa détresse, le garçon et le chien entreprirent de la

réconforter. Toby lui tapota gentiment le bras, Bernie lui balaya la main de sa grosse langue baveuse. Voulant épargner leurs oreilles sensibles, Rick prit le temps de choisir ses mots avec soin.

— Ta mère dit que personne ne sait où se trouve ton père en ce moment.

— Oui. Il est parti dans la nuit... J'essaie de joindre Sterling. Tu te souviens de Sterling ?

Rick dut lutter un instant contre un sentiment d'irréalité. Ils se parlaient de façon si naturelle, si intime, et pourtant, il y avait eu cette nuit incroyable au cours de laquelle ils étaient passés sans transition de l'amitié à l'amour puis de l'amour à la colère... Cela lui serrait le cœur de la voir si pâle et grave devant lui, à essayer de faire face à cette nouvelle tempête.

— Oui, bien sûr. — Il n'était pas chez lui ni à son bureau. J'ai dû me contenter de

laisser des messages. — Ta mère m'a dit qu'elle avait déjà parlé avec lui. — Oui, mais je dois le mettre au courant de certains... faits. Ma mère

ne sait pas tout. — Quels faits ? Elle jeta un coup d'œil rapide vers Toby, et il n'insista pas.

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— Ecoute, reprit-il, je crois que tu ferais mieux de venir avec nous. Rentre à la maison. Tu seras mieux qu'ici.

Elle cligna des yeux, et il vit tout ce qui s'était passé entre eux, la nuit précédente, se refléter sur son visage si expressif.

— A la maison... Mais je... — Tu as apporté une valise ? coupa-t-il. — Oui. Elle est dans ma chambre. Tout de même, Rick... — Je vais la chercher. Il jeta un coup d'œil à ses pieds nus et enchaîna : — Et mets-toi quelque chose aux pieds. — Mais il faut absolument que je parle à Sterling. — Tu le rappelleras de chez toi. — Tu crois vraiment que c'est une bonne idée de retourner là-bas ? Il la regarda bien en face. — Tu seras mieux chez toi et tu le sais très bien. Ici, c'est trop grand et

trop vide, ce n'est pas bon pour toi d'être toute seule en ce moment. — Mais nous... Elle jeta un regard un peu désespéré à Toby et ne sut comment

terminer sa phrase. Rick le fit pour elle, en espérant que son fils ne chercherait pas trop à comprendre.

— Hier soir, nous avons exprimé chacun notre point de vue. Pour moi, rien n'a changé, mais en ce moment tu as des ennuis et tu as besoin d'un coup de main. C'est ce que je te propose et tu peux l'accepter sans chercher des intentions cachées derrière mes actes ou mes paroles.

Elle le regarda bien en face, puis hocha la tête. — Je vais chercher mes affaires. Elle revint en voiture par le chemin le plus long, tandis que Rick,

Toby et Bernie retraversaient le lac en sens inverse. Dès qu'elle se gara devant la charmante maison de bois, elle se sentit réconfortée. Rick avait eu raison : sa place était ici, pas dans l'immense coque vide de la propriété de ses parents.

Les autres l'attendaient déjà à l'intérieur. Elle téléphona encore chez Sterling et laissa un nouveau message demandant qu'il la rappelle d'urgence, chez elle cette fois.

Elle ne pouvait rien faire de plus. Tendue, elle se mit à marcher de long en large mais Rick l'intercepta, l'entraîna vers la table de la cuisine, posa devant elle du pain grillé et une tasse de café.

— Allez, mange. — Je n'ai pas faim. — Mange.

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A contrecœur, elle prit un morceau de pain, le plus petit possible, et le fourra dans sa bouche.

L'attente sembla très longue, mais il n'était que 9 h 15 quand Sterling téléphona enfin. En quelques mots, elle lui apprit qu'elle avait vu Jake hier soir et qu'elle voulait lui parler de certains détails. Trente et une minutes plus tard, il sonnait à la porte d'entrée.

Rick glissa une cassette dans le magnétoscope, installa Toby et Bernie devant le téléviseur, et rejoignit les deux autres dans la véranda vitrée. Natalie et Sterling étaient assis face à face à la petite table. Rick se plaça debout près de la jeune femme et soutint tranquillement le regard austère de l'avocat. Un instant, il crut qu'on allait lui demander poliment de quitter la pièce. Pourtant, Sterling se contenta de dire :

— Je crois comprendre que Natalie vous fait confiance. Il la consulta du regard, hocha la tête et se pencha en avant. — Très bien. Allons-y. D'une voix basse et tendue, Natalie décrivit l'état dans lequel elle

avait trouvé son père la veille au soir. — Tu dis que sa chemise était déchirée et tachée de sang ? Elle hocha la tête. — Il a dû se blesser, je ne sais pas comment... — Il ne t'a pas dit comment ? — Non. Elle détourna les yeux un instant avant de continuer : — En fait, il ne m'a pas dit grand-chose. Il était assez... incohérent. Je

lui ai dit qu'il avait assez bu et j'ai réussi à l'emmener dans sa chambre. — Et c'est tout ? — Je me suis occupée de son épaule. Ce n'était pas grave du tout, j'ai

désinfecté la coupure et mis un pansement. — Et ensuite ? — Je l'ai laissé seul. Natalie soupira, se frotta machinalement les tempes. Spontanément,

Rick tendit la main vers elle, puis se ressaisit juste à temps. — Bien, dit Sterling après un instant de méditation. Maintenant, dis-

moi ce qui s'est passé quand tu as parlé à la police. La jeune femme expliqua que les deux inspecteurs de la police de

Minneapolis avaient sonné au portail à 6 h 30 du matin. — Est-ce qu'ils avaient un mandat ? — Je ne crois pas. Ils n'en ont pas parlé. Je n'ai pas demandé, il m'a

semblé que ce serait idiot de refuser de coopérer. — Tu as bien fait. Tu les as donc fait entrer...

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— Oui, j'ai ouvert le portail à partir du panneau de contrôle de la cuisine, puis j'ai couru jusqu'à la chambre de papa pour le prévenir.

Elle respira profondément et reprit : — Il n'était pas là. La télévision du petit salon était allumée et son lit

n'était pas défait. Je suis descendue jeter un coup d'œil dans la bibliothèque, là où je l'avais trouvé en arrivant. Il n'y était pas non plus.

— Ensuite ? — Les deux inspecteurs étaient à la porte. Il y a une nouvelle

gouvernante, c'est elle qui les a fait entrer. Ils ont demandé s'ils pouvaient jeter un coup d'œil dans la maison et j'ai dit oui. Ensuite ils m'ont demandé ce qui s'était passé la veille au soir, et je leur ai dit la même chose qu'à vous. Quand ils sont partis, j'ai compris que papa avait dû prendre sa voiture de sport noire : elle était garée devant la maison quand je suis arrivée en fin de soirée et elle n'y était plus.

— Tu as répété à l'inspecteur ce que ton père t'avait dit dans la bibliothèque ?

Natalie fixa son regard sur les fenêtres. — Non, pas vraiment. Cela n'aurait fait qu'alimenter leurs soupçons.

De toute façon, il n'y avait rien de précis à dire. J'ai seulement expliqué qu'il avait bu et qu'il était incohérent — je me suis donc contentée de l'aider à monter dans sa chambre et je l'ai laissé en train de regarder la télévision. Ils m'ont demandé si j'avais relevé quelque chose de bizarre dans son comportement, s'il avait dit quelque chose d'inhabituel, s'il avait par exemple mentionné le nom de Monica Malone. Et moi, je...

Sa voix trembla et Rick sentit ses poings se serrer. Sterling se pencha en avant.

— Natalie, tu as fait de ton mieux dans une situation difficile. Ne t'inquiète pas pour ça, et dis-moi exactement ce que tu as dit.

— Attendez, dit-elle d'une toute petite voix. En fait, il avait bien dit quelque chose. A propos de Monica Malone et d'un chantage qu'elle lui fait. Il a dit qu'il était allé la voir en début de soirée et qu'il s'était disputé avec elle. Si j'ai bien compris, parce que rien de tout ça n'était très clair.

— Tu as dit ça à la police ? Elle fixa Sterling un instant, puis frissonna un peu malgré la tiédeur

du salon. — Alors ? demanda l'avocat très doucement. Elle leva le menton et retrouva une voix ferme pour dire : — Non. J'ai dit à la police que je ne comprenais rien de ce qu'il disait. — Je vois.

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— Je sais que je n'aurais probablement pas dû. En somme, je leur ai menti, par omission au moins. Pourtant, si c'était à refaire, je recommencerais sans doute. Je... j'ai été assez déboussolée ces derniers temps mais, hier soir, quand j'ai vu papa dans cet état, j'ai compris qu'on ne se débarrasse pas de sa famille.

Sterling étudia attentivement son visage, puis hocha la tête. — Je comprends ça. Seulement, il n'empêche qu'ils vont avoir une

montagne d'éléments contre lui. Tu m'as vraiment tout dit, cette fois ? — Attendez... de quoi parlez-vous ? Le regard bleu de Sterling était devenu très pénétrant. — Que s'il t'a fait une révélation qui te fasse penser qu'il a fait autre

chose que se disputer avec Monica, il vaut mieux me le dire tout de suite.

Elle ne comprenait pas où il voulait en venir, mais elle chercha tout de même instinctivement à défendre son père.

— Non, Sterling, c'est bien ce qu'il m'a dit ! Il est allé lui dire qu'il ne céderait plus à son chantage, ils se sont disputés et elle l'insultait encore quand il est parti.

— Il n'a pas dit à quel sujet Monica lui faisait du chantage ? — Non. J'ai demandé plusieurs fois, mais il a toujours répondu à côté. — Dis-moi, tu as écouté les informations ou lu le journal ce matin ? Natalie eut un petit rire un peu hystérique. — J'étais assez occupée ce matin, vous savez. Cette fois, Rick ne put s'empêcher de poser la main sur son épaule. Il

venait de comprendre, bien après Sterling, que la police ne lui avait rien dit. Elle n'avait donc rien su de l'assassinat de Monica !

Sentant la qualité chargée de leur silence, elle se raidit un peu, leva la tête vers lui.

— Doucement, murmura-t-il. Il la sentit se détendre un peu, et elle tourna la tête vers Sterling en

demandant : — Si vous me disiez ce qui se passe ? — On ne parle que de ça aux informations. Monica est morte. Elle a

été poignardée cette nuit. Plusieurs fois, avec un coupe-papier. Natalie poussa un gémissement d'horreur et Rick jeta à l'avocat un

regard furieux. Celui-ci semblait assez confus, conscient tout à coup de la façon brutale dont il venait de lui assener la nouvelle.

— Et vous pensez, balbutia Natalie, qu'on va accuser... papa ? Elle ouvrait des yeux démesurés et son visage était réellement très

pâle. Sterling sauta sur ses pieds, se pencha vers elle, lui prit les mains.

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— Je suis désolé, Natalie. Je pensais surtout à Jake, je n'ai pas réfléchi. Je suis une brute, pardonne-moi.

Natalie secouait la tête sans l'entendre. — Papa..., murmura-t-elle, atterrée. Puis, sur un ton très différent : — Et maman ! Ça va être un choc terrible ! — J'ai déjà parlé à ta mère, dit Sterling. Elle est effectivement

bouleversée. Dès que tu t'en sentiras capable, ce serait bien de lui téléphoner.

Elle hocha la tête, toujours perdue dans ses pensées ; avec beaucoup de douceur cette fois, l'avocat demanda :

— Jake ne t'a pas dit comment il s'était blessé ? — Non, dit-elle d'une voix tremblante. Il n'a pas voulu me le dire. Il a

haussé les épaules en disant qu'il ne se souvenait pas. Il était vraiment soûl, vous savez... C'était tellement difficile de comprendre quoi que ce soit à ce qu'il disait.

— D'accord. Tu es bien sûre que c'est tout ? Il n'y a rien d'autre que je devrais savoir ?

Elle leva vers lui ses grands yeux pleins d'inquiétude. — Non. C'est tout. — Alors il faut que je me mette au travail. Il y a beaucoup à faire. Si

d'autres inspecteurs viennent te poser des questions, tu dois leur dire que tu préfères que ton avocat soit présent quand tu leur répondras. Ensuite, téléphone-moi. Surtout, n'en démords pas !

Il leva brièvement les yeux vers Rick, et celui-ci hocha imperceptiblement la tête. Il ressentait une impression curieuse. Le vieil homme venait de lui demander son aide et il avait acquiescé, alors qu'en réalité, il n'était rien pour Natalie !

L'avocat sourit au jeune homme et lui lança amicalement : — Je m'en vais. Prenez bien soin d'elle. Interdite, Natalie le regarda, puis leva les yeux vers Rick. — Non, balbutia-t-elle. Vous ne comprenez pas... — Quoi donc ? demanda Sterling en levant un sourcil blanc. Elle rougit violemment, et sauta sur ses pieds. — Rien ! Rien du tout. Je vous raccompagne. Rick resta où il était tandis que Natalie disait au revoir à son vieil

ami. Dans l'entrée, il l'entendit dire : — Si vous apprenez quoi que ce soit, vous me le direz ? — Bien sûr.

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Dès qu'il arriva chez lui, Sterling se précipita sur le téléphone pour

mettre Kate au courant. Tôt dans la matinée, après le coup de fil d'Erica, il avait filé droit chez elle et ils avaient passé une bonne heure à étudier la situation sous tous ses angles. C'était elle qui l'avait renvoyé chez lui, pour être sur place au cas au Jake appellerait.

— Des nouvelles de Jake ? demanda-t-elle tout de suite. — Pas encore. Mais je suis allé voir Natalie. — Natalie ? Pourquoi ? Il lui expliqua rapidement tout ce que la jeune femme lui avait

raconté et elle eut un profond soupir. — Il est en mauvaise posture... — Très mauvaise. Puis, cherchant une idée qui pourrait la consoler un peu, il enchaîna: — En tout cas, je crois que vous aviez raison. Au sujet de Natalie et de

son architecte. Il l'entendit retenir son souffle. — C'est vrai ? Racontez vite ! — Je ne peux pas en être sûr. C'est juste une impression. — Une impression m'ira très bien. — Il s'est tenu près d'elle, tout le temps que j'étais là-bas. — Ah? — Et il avait l'air prêt à exploser — dès que l'entretien devenait

déplaisant pour elle. — Bien. Très bien. Elle se tut quelques instants, puis reprit gravement : — Téléphonez-moi dès que vous saurez quoi que ce soit. — Vous savez bien que je le ferai. Natalie tint absolument à lire l'article qui racontait la mort de

Monica. Ce que Sterling lui avait appris semblait encore plus sordide sous la plume des journalistes déchaînés.

Ensuite commença l'attente. Quand auraient-ils dés nouvelles ? La vie semblait s'être arrêtée. Heureusement, Toby était là et, pour lui, il fallait faire bonne figure...

Une heure plus tard, Sterling téléphona. — Natalie, je viens d'avoir un coup de fil de ton père. Natalie serra l'écouteur de toutes ses forces. — Comment est-il ? Est-ce que ça va ? — Il va... bien.

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Son hésitation fit glisser un frisson glacial sous les côtes de la jeune femme. Sans lui laisser le temps de l'interroger, l'avocat reprit :

— Il faut que je parte tout de suite, je dois m'occuper de tout. Tu comprends ?

Elle ne comprenait rien, mais elle s'entendit dire « oui » tout de même.

— Est-ce que tu peux te charger d'appeler ta mère pour moi, pour lui dire que Jake va bien ?

— Oui, bien sûr. Mais dites-moi... — Je n'ai pas le temps. A bientôt. Il raccrocha. Natalie contemplait l'appareil, incrédule, quand Rick

vint lui prendre le combiné des mains. — Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il. Elle leva les yeux vers lui, et son regard grave et direct lui rendit un

peu de force. — Je ne sais pas très bien, murmura-t-elle. Apparemment mon père a

refait surface. En tout cas, il a contacté Sterling, et Sterling est en route pour le rejoindre.

— Alors c'est une bonne nouvelle ! Elle secoua la tête avec inquiétude. — Je ne sais pas du tout ! Il n'a rien voulu dire de plus. Il était très

pressé. — Tu sais, je crois que ton Sterling est vraiment top, au niveau de la

compétence. — Oui. Oui, je sais. Elle se secoua et reprit d'une voix plus énergique : — Il m'a demandé de téléphoner à ma mère. Je ferais bien de le faire

tout de suite. — Tu veux que je le fasse, moi ? Elle le regarda, abasourdie. Non pas par sa proposition, mais parce

qu'elle avait tellement envie d'accepter. Elle dut s'éclaircir la gorge pour réussir à articuler :

— Non. Merci beaucoup mais non, je vais le faire. Elle composa le numéro d'Erica. Celle-ci devait attendre juste à côté

du téléphone, car elle décrocha avant la fin de la première sonnerie. Les yeux braqués sur Rick, Natalie se mit à parler. — Maman, c'est Natalie. — Oh, Nat, murmura la voix fêlée d'Erica. Je suis tellement contente

de t'entendre... Rick lui faisait des signes. Vite, Natalie plaqua la main sur l'écouteur,

chuchota :

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— Quoi ? — Invite-la à venir ici. Je parie qu'elle est en train de devenir folle

toute seule chez elle. Stupéfaite, elle se demanda quand Rick Dalton avait appris à

connaître sa mère encore mieux qu'elle. — Natalie ! Natalie, tu m'entends ? — Euh, oui, maman. Je suis là. Ecoute, tu devrais venir ici. On serait

ensemble et on pourrait discuter tranquillement de tout ça. — Bonne idée, ma chérie ! J'arrive tout de suite ! Elle fit la route en un temps record et, dès son arrivée, Natalie

l'entraîna à l'étage, là où Toby ne pouvait pas les entendre. — J'ai des nouvelles. Erica prit une inspiration rapide. — Dis-moi ! En quelques mots, Natalie lui raconta le coup de fil de Sterling. — Mais où est Jake ? s'exclama Erica. — Je ne sais pas. Sterling m'a seulement demandé de te téléphoner

pour te dire qu'il allait bien. — Mais qu'est-ce que ça veut dire « bien »? Comment est-ce qu'il

pourrait aller bien ! — Je me suis demandé la même chose. Elles discutèrent encore un certain temps. Quand elles descendirent,

Rick avait préparé le repas et Toby mettait le couvert pour quatre personnes.

— Vous allez manger avec nous, lança Rick cordialement. Ils s'assirent ensemble et avalèrent la salade et l'omelette qu'il avait

préparées. Ils ne parlaient guère et, dans le silence, Natalie se prit à oublier un peu son père pour penser à Rick et à la façon formidable dont il la soutenait dans ce cauchemar.

A ce moment précis, il leva les yeux de son assiette pour lui lancer un sourire rapide et elle sentit son cœur fondre dans une boule de chaleur. Vite, elle baissa les yeux. Les choses affreuses qu'elle lui avait dites la nuit précédente se mirent à défiler dans son esprit. Depuis le commencement, elle ne cessait de se dire qu'il était en demande, prêt à se servir d'elle si elle baissait sa garde un seul instant. Mais au fond, qui était en demande ici ? Certainement pas lui !

— Mange, Nat'lie, dit Toby à mi-voix. Natalie sentit sa mère qui retenait son souffle. Erica savait que le

petit était muet depuis plusieurs mois, et elle n'avait pas appris le grand événement de la veille au soir, escamoté par tant de drames.

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— C'est bon pour la santé, chuchota encore le petit garçon avec un sourire.

Natalie lui rendit son sourire avec tendresse et se remit à manger. Erica dut partir assez rapidement après le repas. Bientôt, les coups

de fil commencèrent. Le frère de Natalie, ses sœurs, ses tantes Lindsay et Rebecca. Tous avaient appris aux informations qu'elle avait été la dernière à voir son père, et tous la suppliaient de leur donner des nouvelles. Elle répéta à chacun son histoire, sans jamais parler des paroles étranges de Jake, ou de son épaule blessée.

Plus tard dans l'après-midi, Rick annonça qu'il devait faire un saut à Travistown pour aller acheter du lait. Depuis quelques jours, Toby en faisait une consommation impressionnante. Le jeune homme proposa à Natalie de l'accompagner, mais elle ne voulut pas s'éloigner du téléphone, au cas où il y aurait des nouvelles pendant son absence !

— Tu peux aussi bien laisser Toby ici avec moi, suggéra-t-elle avec espoir. Il me tiendra compagnie.

Rick partit donc seul, promettant de revenir très vite. Le téléphone de Natalie à l'étage était un sans-fil. Elle alla le

chercher et s'installa dehors à l'ombre pour regarder Toby jouer avec Bernie. Au bout de quelques minutes, le petit garçon rentra dans la maison au grand galop et revint avec une batte et une balle de plastique.

— Base-ball, dit-il. Tous les soucis du monde n'auraient pu empêcher Natalie de fondre

devant le regard heureux de ces yeux bleus si semblables à ceux de Rick, et ce sourire adorable qui n'était qu'à Toby. Elle le suivit vers le centre de la pelouse et se mit à lui lancer la balle. Le jeu était assez laborieux : il s'escrimait comme un beau diable mais réussissait assez rarement à taper dans la balle.

— Toi, dit-elle très sérieusement, tu as besoin d'une petite démonstration.

Il pencha la tête sur le côté, l'air sceptique. — Tiens, dit-elle en lui tendant la balle. Vas-y, lance pour moi. Ils échangèrent leurs jouets, mais le problème ne fut pas réglé pour

autant, car Toby avait autant de mal à lancer qu'à se servir de la batte. Elle revint donc vers lui et s'attela très sérieusement à la tâche, décomposant pour lui tous les mouvements nécessaires. Après dix minutes d'entraînement intensif, il fut à même de lancer assez bien pour qu'elle puisse espérer frapper la balle de loin en loin. Elle s'aperçut avec surprise qu'elle s'amusait énormément.

— Ton papa va être très impressionné, lui dit-elle. Très fier de lui, Toby gonfla sa petite poitrine grêle.

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Et au lancer suivant, il réussit une balle extraordinaire. Celle-ci alla tout droit vers la batte de plastique et Natalie se détendit comme un ressort bien huilé. Le claquement résonna jusqu'au lac. Dans le même mouvement, leurs trois têtes, la sienne, celle de Toby et celle de Bernie, se levèrent, pour suivre la trajectoire de la balle qui s'envolait par-dessus le toit de la maison. Encore mal remis de leur surprise, ils l'entendirent rebondir sur les bardeaux de l'autre versant.

— Viens, on va la chercher ! lança Natalie. Ils contournèrent la maison au galop. La balle avait disparu. Après

l'avoir cherchée en vain sur la pelouse et dans les buissons, ils finirent par la découvrir coincée dans la gouttière au-dessus des fenêtres en mansarde du premier étage.

— Ah, zut, marmonna Toby. — Comment ça, ah, zut ? protesta Natalie. J'ai parfaitement compris

ce que tu penses. Tu penses qu'on va être obligés d'attendre que ton papa soit rentré pour la récupérer, c'est ça ?

Il hocha la tête très sérieusement. — Parce que tu crois qu'à nous trois, on n'est pas capables de

récupérer une balle sur un toit, c'est ça ? Tu crois qu'il faut un homme pour réussir un truc pareil ?

Toby hocha encore la tête. — Eh bien, tu vas voir. Le gamin lui fit un large sourire. Très contente d'elle, elle alla

chercher sa grande échelle dans le garage, l'appuya contre le toit de la véranda et s'assura qu'elle ne risquait pas de glisser avant de se mettre à grimper. Le toit de la véranda n'était pas très incliné. Elle le remonta prudemment, de profil, et atteignit la rangée de fenêtres du premier étage. La gouttière était juste à portée de main, mais elle ne voyait plus la balle. Elle s'accrocha pour assurer son équilibre et lança :

— Maintenant, tu me guides. Elle est plus par là ? Le petit garçon dansait littéralement sur la pelouse, surexcité, en la

dirigeant dans un moulinet de grands gestes. Un instant plus tard, elle se retournait en brandissant triomphalement la balle.

Toby applaudit avec enthousiasme et même Bernie lâcha un bref aboiement. Natalie se sentait absurdement fière d'elle. Pour la première fois, elle remarqua à quel point le ciel était limpide aujourd'hui. C'était une journée magnifique ! Maintenant, elle n'avait plus qu'à reprendre pied sur la terre ferme et ranger l'échelle avant que Rick n'arrive. Sinon, il serait bien capable de l'enguirlander parce qu'elle ne l'avait pas attendu.

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Elle tâtonna du pied pour reprendre appui sur l'échelle, tout en souriant à l'idée de la tête qu'il ferait quand il verrait les progrès du petit au base-ball. Encore quelques semaines d'entraînement et Toby deviendrait un joueur redoutable ! D'ailleurs, est-ce que ce ne serait pas encore mieux de ne rien dire du tout à Rick ? D'attendre encore un peu en entraînant le gamin en cachette et ensuite...

Elle s'arrêta net, désemparée. A quoi pensait-elle donc ? Elle avait l'air de croire que Rick et son fils seraient toujours là avec elle. Alors que ce n'était pas le cas, hélas ! Car si jamais elle avait eu une chance de les retenir, elle l'avait bel et bien gâchée.

En cet instant, elle comprit réellement quelle folie elle venait de commettre. Et comme elle pensait plus à Rick qu'à l'endroit où elle mettait les pieds, l'inévitable arriva. Elle glissa, tomba et bascula dans le vide.

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14.

Natalie entendit le cri de frayeur de Toby. A l'instant où elle basculait dans le vide, elle réussit à donner une poussée suffisante pour se projeter au-delà des épais buissons fleuris qui bordaient la véranda. Elle atterrit donc dans l'herbe et le choc fut moins violent qu'elle ne s'y attendait. Seulement, sa jambe gauche s'était repliée sous elle selon un angle inhabituel et elle avait entendu, très clairement, un craquement bref.

Elle roula sur le dos puis se souleva sur un coude pour contempler sa jambe. Elle semblait bien droite, mais il se passait tout de même quelque chose de bizarre. De très bizarre. Elle voulut frotter l'endroit, juste en dessous du genou, d'où partait cette pulsation étrange ; une douleur affreuse la transperça tout entière. Elle grogna et se rejeta en arrière, les deux mains crispées dans l'herbe — et le mouvement déclencha aussitôt une nouvelle douleur.

Bernie soufflait son haleine tiède dans son cou et gémissait en la poussant doucement de sa truffe. Toby était là aussi, tout près, son petit visage plein d'effroi.

— Nat'lie ? chuchota-t-il. Il fallait absolument le rassurer. — Ça va, pas de problème. Je me suis fait mal à la jambe, mais ce n'est

pas grave. Elle aperçut la balle de plastique dans l'herbe et tendit la main avec

précaution pour la ramasser. — Tiens ! Toby la prit, la contempla un instant et releva les yeux vers elle. Elle

lui offrit ce qu'elle avait de mieux en guise de sourire et proposa :

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— Tu veux bien me rendre service ? Retourne de l'autre côté de la maison pour me rapporter mon téléphone. Il doit être sous l'arbre, là où j'étais assise tout à l'heure.

Serrant toujours sa balle, il partit en courant et revint très vite, le téléphone à la main. Elle composa le numéro des secours d'urgence, donna son adresse et demanda une ambulance. Maintenant, il ne restait plus qu'à attendre.

Un instant, elle se demanda si elle ne devrait pas se traîner à l'intérieur de la maison, mais renonça dès la première tentative. La douleur était supportable, du moment qu'elle n'essayait pas de bouger.

— Je crois que je vais rester allongée là, d'accord ? Je vais me reposer un petit moment en attendant que le médecin arrive.

Serrant les dents pour résister aux élancements furieux de sa jambe, elle parvint à s'allonger dans l'herbe. A genoux près d'elle, Toby lui caressait doucement les cheveux.

— Aie pas peur, souffla-t-il. Papa va venir. En guise de réponse, Natalie se força à lui sourire. Ber- nie vint

s'allonger contre elle, de l'autre côté — présence chaude et rassurante —, et ils attendirent ensemble. En silence, Natalie contemplait le bleu du ciel et essayait de respirer lentement pour apprivoiser la douleur.

Elle finit par jeter un regard en coin à Toby. — Ma croisière est fichue, murmura-t-elle. L'enfant lui jeta un regard interrogateur et elle expliqua : — Je devais prendre l'avion lundi et ensuite un gros bateau qui allait

m'emmener dans plein de pays exotiques. — Exotique ? — Ça veut dire différent, étrange. Le gamin lui tapota l'épaule. — Tu ferais mieux de rester ici. — Oui. Oui, je crois que tu as raison. Car plus ça va, plus je me dis que

j'ai mal choisi mon moment pour partir en croisière. Sa décision prise, elle prit la petite main de Toby dans la sienne, et

ferma les yeux avec un soupir. — Qu'est-ce qui se passe ici ? Elle ouvrit les yeux et vit la silhouette de Rick qui se découpait sur le

ciel. — Nat'lie s'est fait mal, dit Toby. — C'est ma jambe, expliqua-t-elle, assez gênée. Je crois bien que je

me suis cassé quelque chose. Rick s'agenouilla, effleura sa jambe. Elle dut se mordre les lèvres

pour ne pas hurler. La petite main de Toby serra la sienne, bien fort.

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— Je ne vais même pas demander comment c'est arrivé, dit Rick. — Très bien ! grogna-t-elle. — Je crois que je ferais mieux de ne pas te déplacer. Je vais aller

appeler une ambulance. Elle tâtonna dans l'herbe, trouva son téléphone et le brandit avec une

grimace moqueuse. — Trop tard, c'est déjà fait. — Bon ! Alors on n'a plus qu'à attendre. — Je crois effectivement que je n'ai pas le choix. Elle essaya de se redresser, mais la douleur fut si violente qu'elle se

laissa de nouveau aller en arrière sans pouvoir retenir un gémissement. — J'espère seulement que ce ne sera pas trop, trop long... Quand l'ambulance arriva enfin, Rick voulut absolument

l'accompagner à l'hôpital. Il était déjà monté à l'étage remettre le téléphone de Natalie sur son socle et fourrer des vêtements de rechange dans un sac de sport. L'ambulancier lui dit qu'on ne la garderait probablement pas à l'hôpital, mais qu'on devrait découper son pantalon pour la plâtrer. On allongea la jeune femme à l'arrière de l'ambulance qui repartit très vite, suivie de Rick et de Toby dans leur voiture.

Une fois arrivée, Natalie ne fut pas longue à s'apercevoir que le petit hôpital local ne ressemblait en rien au grand centre hospitalier où sa tante Lindsay était pédiatre. L'équipe des urgences ne comptait qu'un médecin et une infirmière, et la salle d'attente était pleine. Visiblement, il se passerait un certain temps avant qu'on ne puisse même lui faire une radio !

Cramponnée aux accoudoirs de son fauteuil roulant, elle essaya de tromper l'attente en posant des devinettes à Toby. Le gamin participait avec entrain, mais jetait tout de même des regards furtifs vers les malades qui l'entouraient.

— Ce n'est pas un endroit pour lui, glissa-t-elle à Rick. Ramène-le à la maison ! Si tu y tiens, je te passerai un coup de fil quand ils en auront terminé avec moi, et tu pourras venir me chercher.

— On ne va pas te laisser toute seule ! Toby entendit la voix de son père et secoua, lui aussi, la tête avec

indignation. Touchée malgré elle, elle fit encore un effort : — Je peux appeler ma mère, elle sera là tout de suite. — Ta mère a déjà assez de soucis comme ça, répliqua Rick. C'était exactement ce que pensait Natalie elle-même. — Au lieu de l'inquiéter encore plus, enchaîna-t-il, on l'appellera

quand tout sera terminé.

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Il n'avait pas tort, mais elle se sentait tout de même coupable de les faire attendre si longtemps tous les deux. Elle tenta une autre stratégie :

— Je crains qu'il y ait du nouveau pour mon père, et qu'on cherche à me joindre. Si tu étais à la maison, tu pourrais faire ce qu'il faut.

Il lui jeta un regard sceptique. — Je ne vois pas ce qui pourrait arriver. Au mieux, quelqu'un

téléphonera pour donner des nouvelles, ils laisseront un message et on pourra rappeler à ce moment-là. Allez, laisse tomber. On rentrera tous ensemble.

Elle le regarda. Si elle l'avait pu, elle se serait jetée à son cou pour lui dire qu'il était un type absolument merveilleux. Mais, bien sûr, elle n'en avait plus le droit. Elle soupira, cessa de discuter. L'injection qu'on lui avait faite à son arrivée commençait à faire son effet, et elle se sentait à la fois engourdie et euphorique. Pas du tout l'état d'esprit nécessaire pour une discussion.

— On reste là, répéta doucement Rick en plantant son regard dans le sien. Ne discute plus et dis merci.

Elle ne discuta pas. Quand ils prirent enfin la route du retour, en début de soirée, la

jambe de Natalie était protégée par un plâtre de couleur, fait en résine très légère. Le médecin lui avait promis que ce serait bien plus confortable qu'un plâtre traditionnel. On lui avait aussi donné une paire de béquilles et un gros flacon de comprimés analgésiques.

— Vous avez eu de la chance, affirma le médecin. Une bonne petite fracture bien propre et sans complications. Reposez-vous beaucoup, ne vous appuyez pas sur votre jambe et, dans six semaines, vous serez comme neuve.

On lui rendit sa liberté après une dernière injection qui permit un trajet de retour fort agréable. Sa jambe étendue sur le siège arrière, elle s'assoupit même un moment, dans l'atmosphère feutrée de la voiture.

A leur retour, plusieurs messages les attendaient sur le répondeur. La famille voulait savoir si Natalie avait du nouveau au sujet de Jake, et deux journalistes demandaient une interview. En revanche, Sterling n'avait donné aucune nouvelle. Elle rappela rapidement la famille, ignora les journalistes et essaya de se convaincre que rien d'ennuyeux n'était arrivé entre-temps à son père. En fin de compte, elle décida de ne pas téléphoner à Erica du tout. Celle-ci avait vraiment assez de sujets d'inquiétude.

Epuisée, elle raccrocha le téléphone pour la dernière fois et aperçut Rick, flanqué de sacs et de ballots divers, en train de gravir l'escalier.

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— Ne discute pas, dit-il tout de suite. Il n'est pas question que tu t'amuses à monter et descendre l'escalier vingt fois par jour avec tes béquilles. Tu vas prendre ma chambre et je dormirai dans une des pièces vides, au premier.

— Mais enfin, je ne vais tout de même pas... ! — Chhh ! Tu n'es pas en état de discuter et ta le sais très bien. Elle se sentit très inutile et encombrante en le regardant changer les

draps, achever de transporter ses affaires à l'étage et de descendre tout ce dont elle aurait besoin. Ensuite, il passa dans la cuisine pour leur préparer à dîner. Quand elle vint le rejoindre à cloche-pied, il refusa son aide et la renvoya dans le salon.

Cependant, en le voyant nettoyer la cuisine, tout seul, après le repas, elle décida que cette situation ne pouvait plus durer. Ils allaient donc devoir parler. Dès que Toby fut au lit, elle avala encore un comprimé et se traîna laborieusement vers le salon sur ses béquilles neuves.

— Rick, il faudrait qu'on parle... Il feuilletait Newsweek, confortablement affalé sur le canapé. La télé

était allumée en sourdine. Ils ne l'éteignaient plus, à présent, dans l'attente permanente d'un éventuel rebondissement de l'enquête.

Rick saisit la télécommande pour couper le son tout à fait, puis jeta sa revue sur la table basse.

— Tu es censée garder cette jambe à l'horizontale, dit-il en se levant. — Oui, oui, je sais. Tout va bien. Il poussa un pouf devant un fauteuil, jeta quelques coussins dessus. — Allez, viens te mettre là. Elle sautilla lourdement vers le fauteuil. Il attendait patiemment près

du siège, prêt à l'aider à s'asseoir. — Merci, je peux me débrouiller, dit-elle sèchement. — Comme tu voudras ! Bien qu'un peu agacé, il s'écarta sans discuter. Retournant au

canapé, il se laissa tomber à sa place avec une aisance qu'elle lui envia furieusement. A elle de s'asseoir maintenant. A grand renfort de grimaces et de grognements peu séduisants, elle s'installa dans le fauteuil, posa ses béquilles sur le sol à portée de main, empoigna à deux mains sa jambe douloureuse et la cala sur le pouf et sa pile de coussins.

— Bon ! dit-il quand elle fut enfin installée. Eh bien, vas-y, je t'écoute! La façon dont il prononçait le mot lui rappelait toutes les autres

discussions qu'ils avaient eues, ces temps derniers. La fois où elle lui avait dit qu'elle ne voulait pas de lui, la fois où il lui avait demandé s'ils pouvaient au moins être cordiaux l'un envers l'autre. Le sommet avait cependant été atteint la nuit précédente, quand elle l'avait accusé

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d'avoir toutes sortes de raisons malhonnêtes de lui faire l'amour. Tant et si bien qu'il avait fini par admettre que ce qu'ils venaient de partager avait été une grosse erreur...

— Alors ? s'enquit-il en levant un sourcil. Elle fit un effort pour amener son cerveau embrumé par les

tranquillisants à se concentrer de nouveau sur l'instant présent. Mais comment lui exprimer ce qu'elle ressentait ?

— Tout ça, dit-elle avec un geste vague, ce n'est pas normal. C'est trop pénalisant pour toi.

Il attendit un instant avant de demander : — Qu'est-ce qui est pénalisant ? — Tu passes tout ton temps à t'occuper de moi. — Je n'ai pas dit que ça me pesait. — Peut-être, mais tu es venu ici pour passer du temps avec ton fils,

par pour jouer les infirmières. Il bâilla et elle se sentit irritée brusquement. Pourquoi ne faisait-il

rien pour lui faciliter les choses ? — Pardon de t'imposer ce pensum, lança-t-elle avec ironie. Tu

voudrais peut-être dormir ? — Il est tard, répondit-il tranquillement. Il se leva, s'étira, et il lui sembla si beau, si séduisant, tout à coup,

que même avec la douleur sourde de sa jambe et l'emprise des médicaments, son esprit ne put s'empêcher de se souvenir de la nuit précédente. De la façon dont Rick l'avait regardée, touchée, de la masculinité brute de son corps nu, puis de l'arc-en-ciel de sensations quand il...

Elle ferma les yeux pour tenter de stopper la ronde des souvenirs. — Natalie, toi aussi tu as besoin de dormir. Laisse- moi t'aider à te

mettre au lit. Elle ouvrit les yeux et le trouva planté juste devant elle. — Une seconde. Attends au moins que j'aie fini de te dire ce que j'ai à

dire. — Très bien, soupira-t-il en glissant ses pouces dans sa ceinture. Vas-

y... Irritée par la nonchalance de son attitude, elle releva le menton. — Bon. Voilà. Je crois que je devrais aller passer quelques jours chez

ma mère. — Tu as vraiment envie d'aller chez ta mère ? Que lui répondre ? — C'est bien ce qui me semblait, dit-il avec un sourire un peu

condescendant.

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Furieuse, humiliée, elle marmonna : — Quoi qu'il en soit, je ne veux pas que tu t'occupes de moi. Je suis

parfaitement capable de me débrouiller seule. — Je sais, dit-il d'un ton plus doux. Tu es seulement en train de

traverser une sale période, voilà tout. Tu as eu trop de choses à encaisser en quelques jours. Allez, viens. Au lit.

Les béquilles dans une main, il lui tendit l'autre main avec un sourire à la fois si tendre et si dévastateur qu'elle sentit, malgré elle, une émotion profonde l'envahir. Les yeux fixés sur cette main tendue, elle murmura :

— Rick. — Quoi ? — Je regrette. Je regrette tellement ! Il laissa retomber sa main, recula d'un pas. Elle se força à lever les

yeux jusqu'à son visage, toussota pour retrouver sa voix. — Je suis désolée pour toutes les choses épouvantables que je t'ai

dites cette nuit. Je... je ne voyais pas les choses très clairement. Et je me trompais, j'en suis sûre à présent. Après... après tout ce que tu as fait pour moi et pour ma famille aujourd'hui, je vois bien que tu n'es pas... enfin... que tu es parfaitement capable de t'occuper de Toby sans mon aide.

Il la regardait toujours et elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'il pouvait bien penser. Elle se força à continuer :

— D'ailleurs, si tu avais été un escroc ou un profiteur quelconque, je l'aurais su. Sterling a absolument tenu à prendre des renseignements sur toi avant que tu ne viennes habiter ici. Ses collaborateurs font ça très bien. Je n'avais donc aucune raison de t'insulter comme je l'ai fait. Je ne peux pas reprendre ce que j'ai dit, mais j'espère que tu voudras bien croire que je regrette sincèrement et que tu accepteras mes excuses. Je t'en prie.

Il la regardait toujours. Elle avala péniblement sa salive, s'interdit d'ajouter quoi que ce soit. Les secondes s'étiraient les unes après les autres, un siècle de secondes et il ne disait toujours rien. Brusquement, elle renonça.

— Très bien. Je comprends. Tu ne veux pas de mes excuses. Elle commença à se hisser hors de son fauteuil. Il fît un pas vers elle

et elle se laissa retomber en arrière avec un petit hoquet de saisissement. Ses yeux ressemblaient à des rayons laser, ils semblaient fouiller tout au fond d'elle.

— Dis-le ! s'exclama-t-elle. Je t'en prie, dis quelque chose ! — J'accepte tes excuses. Maintenant, viens. Il est l'heure d'aller au lit.

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Un quart d'heure plus tard, elle se retrouva allongée dans le lit de

Rick, vêtue du T-shirt immense qui lui servait parfois de chemise de nuit, sa jambe surélevée sur un gros oreiller. La douleur la tourmentait encore mais elle n'y pensait guère. Où pouvait être son père, comment allait-il faire front à cette situation épouvantable ? Elle pensait aussi à Rick et au gâchis terrible de ses rapports avec lui. Il s'était montré merveilleux aujourd'hui ! Et pas seulement aujourd'hui ! Dire qu'elle avait été trop stupide pour s'en apercevoir pendant qu'il en était encore temps. Tout aurait pu être si simple ! En ce moment, elle aurait donné n'importe quoi pour avoir une nouvelle chance avec lui.

Si seulement elle pouvait savoir ce qu'il pensait ! Il aurait au moins pu dire quelque chose quand elle avait bafouillé ses excuses maladroites. Mais il n'y avait eu que ce visage parfaitement inexpressif, sans réaction... Sans doute devait-il penser que rien n'était plus possible entre eux. Et elle ne pouvait même pas lui en vouloir : depuis le début, elle ne cessait de lui répéter qu'elle ne souhaitait pas nouer une relation avec lui. Il ne faisait que lui donner ce qu'elle réclamait depuis le premier jour.

Oh, mais il y avait eu tant de douceur dans sa façon de la soutenir tout au long du couloir, vers la chambre qu'il lui avait libérée (une location de tout repos et sans surprises, vraiment !). Claudiquant avec le poids mort de sa jambe, elle n'avait alors rien d'une nymphe gracieuse et elle le savait. D'autant que, sans être sale, elle n'était pas non plus toute fraîche et ses cheveux auraient eu besoin d'un bon shampooing. Avec son plâtre, le premier bain allait être épique et elle n'avait pas eu le courage de se lancer dès ce soir. En tout cas, elle devait être aussi atti-rante qu'une serpillière, mais cela ne l'avait pas empêchée de savourer la force du bras qui la soutenait. Elle avait même osé imaginer comment ce serait s'il l'embrassait, ne serait-ce qu'une seule fois. Pas un baiser passionné, non, ce serait trop beau, mais un baiser rapide et amical, pour lui dire bonne nuit.

Il ne l'avait pas fait, bien sûr. Alors qu'elle brûlait, appuyée contre lui, alors qu'elle n'avait conscience que de sa présence, il l'avait traitée avec gentillesse, avec fermeté... exactement comme on traite une pauvre éclopée qui a besoin d'un coup de main pour aller au lit.

Elle laissa échapper un long soupir désolé. Il fallait regarder les choses en face : Rick était un homme généreux

et serviable, prêt à venir en aide à son prochain dans un moment difficile. Pour le reste, s'il avait jamais attendu quelque chose d'elle... il y

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avait manifestement renoncé. Et le plus vite elle l'accepterait, mieux elle se porterait.

Très tard dans la nuit, le téléphone sonna. Trop préoccupée des

excuses qu'elle voulait faire à Rick, trop bouleversée ensuite pendant qu'il la mettait au lit, elle n'avait pas pensé à brancher un téléphone dans sa nouvelle chambre.

Mais comme toujours, Rick était là pour régler le problème. Elle l'entendit, à l'étage du dessus, traverser le palier pour aller répondre dans sa chambre à elle. Vite, elle sortit du lit, s'accrocha aux meubles et aux murs pour se traîner jusqu'à l'escalier en haut duquel elle le vit bientôt apparaître, le téléphone sans fil à la main.

Il ne portait en tout et pour tout qu'un pantalon de jogging noir. Elle essaya de ne pas trop le dévorer des yeux tandis qu'il dévalait l'escalier, torse nu, les sourcils froncés. En la voyant, son expression se fit encore plus réprobatrice. Bien sûr, elle devait ressembler à un épouvantail avec son vieux T-shirt et ses cheveux en bataille !

— Tu n'aurais pas dû te lever... Elle prit brusquement conscience de la douleur dans sa jambe. Elle

n'avait rien senti pendant qu'elle se précipitait de son mieux vers le téléphone, mais c'était bien pire que dans la soirée. Elle se cramponna encore plus étroitement à la rampe.

— J'ai entendu le téléphone. J'ai pensé que c'était peut-être... — C'est ta mère. Elle dit qu'elle vient de parler à ton père. Elle se redressa un peu, tendit fébrilement la main vers le téléphone. — Attends, il faut déjà qu'on t'installe un peu mieux. Erica ? Pouvez-

vous attendre encore un instant ? Merci, ce ne sera pas long. Il posa l'appareil sur une marche, s'approcha d'elle et, tout

simplement, l'enleva dans ses bras. — Au lit ! lança-t-il gaiement. Quelques secondes plus tard, il la déposait doucement sur son lit,

positionnait sa jambe sur l'oreiller et retournait au trot chercher le combiné. Quand il le lui tendit, son expression était grave. Elle échangea un regard avec lui, mit le téléphone à son oreille et força un sourire, espérant que cela s'entendrait dans sa voix.

— Salut, maman, c'est moi ! — Oh, Nat, comment est-ce que tu te sens ? Rick dit que tu as eu un

accident. — Ce n'est pas grave, je t'assure. — Qu'est-ce qui s'est passé ?

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— Je me suis cassé la jambe, une fracture simple et sans complications, dit le médecin. J'ai un plâtre mais tout sera fini dans six semaines.

Erica poussa un petit gémissement désemparé. — Je devrais être avec toi... — Mais non, voyons, je vais bien. Le pire est passé et de toute façon tu

n'aurais rien pu faire. Ecoute, ne parle plus de moi, je suis morte d'impatience : Rick dit que tu as parlé à papa.

— Oui... — Alors ! Comment va-t-il ? — Je ne sais pas très bien, en fait. Il m'a dit de ne pas m'inquiéter. Un rire aigu, un peu hystérique, lui échappa. — Tu peux le croire, ça ? Tout le monde pense qu'il a assassiné

Monica Malone et moi, je ne dois pas m'inquiéter. — Où était-il quand tu lui as parlé ? — De retour à la maison. Sterling est allé le chercher quelque part,

dans le Wisconsin, je crois. C'est lui qui l'a convaincu de revenir et de se manifester auprès de la police.

Le ventre de Natalie se noua. — Il a parlé à la police ? — Oui, il est allé se présenter aux inspecteurs chargés du dossier. On

l'a interrogé. Pendant plusieurs heures. — On l'accuse officiellement de quelque chose ? — Non. Pas encore en tout cas. Après l'interrogatoire, Sterling l'a

ramené à la propriété. Il m'a appelée de là-bas, pour me dire que Jake était en sécurité. J'ai insisté pour qu'il me le passe, mais quand je l'ai eu au bout du fil... je n'ai pas compris grand-chose à ce qu'il disait. Il ne faisait que répéter qu'il n'avait tué personne, même si tout semblait le désigner. Il m'a demandé de vous appeler tous, les enfants, pour vous dire qu'il était innocent. Ensuite il m'a... parlé de toi, me demandant ce que tu avais dit à la police. Qu'est-ce qu'il voulait dire par là ?

— Rien de particulier, maman. Ne t'inquiète pas. — Tu t'y mets aussi ! — Je veux dire, tu ne peux rien faire pour l'instant, alors essaie de te

calmer. Je vais l'appeler et tirer ça au clair avec lui, tout de suite. — Je ne vois pas ce que tu pourrais tirer au clair. — Ecoute, je vais voir ça avec lui, d'accord ? — Bon. Très bien. Tout de même, tu es sûre que tu ne veux pas que je

vienne ? Tu ne serais pas mieux si j'étais auprès de toi ? — Maman, je vais bien ! Reste donc tranquille et essaie de te reposer

un peu. Je t'appellerai demain, c'est promis.

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Sans lui laisser le temps de protester, elle lui dit au revoir et coupa la communication. Puis, sous le regard sévère de Rick, elle composa le numéro de la propriété de l'autre côté du lac. Personne ne répondit. Dès la première sonnerie, le répondeur s'enclencha et la voix de Jake, courtoise et distante, lui demanda de laisser un message.

— Papa, dit-elle, c'est moi, Nat. Je viens de parler à maman. Je sais qu'il est tard mais si tu es là...

Elle attendit un instant, soupira : — Rappelle-moi, papa. J'attends ton appel. Elle coupa une nouvelle fois la communication et posa l'appareil

dans la main tendue de Rick. — Que se passe-t-il ? demanda-t-il. Elle lui expliqua rapidement ce que sa mère venait de lui dire. — Je devrais peut-être aller le voir... Elle n'avait pas encore terminé sa phrase que Rick l'interrompait. — Pas question ! Tu as la jambe cassée, il est 2 heures du matin. Tu as

besoin de repos et tu vas aller dormir. Tout de suite. — Mais s'il... — Tu ne vas pas voler sans arrêt au secours de ton père, Natalie. Pas

cette nuit, en tout cas. Cette nuit, il faut absolument... A cet instant, la sonnerie de la porte d'entrée retentit, et il poussa un

juron impatient. — Reste là ! lança-t-il à Natalie qui s'apprêtait à sortir de nouveau de

son lit. — Mais il faut que je... — Reste là. Je vais ouvrir. Il était déjà sorti de la chambre, en refermant la porte derrière lui.

Elle resta où elle était en tendant l'oreille de toutes ses forces, prête à bondir sur ses béquilles au premier appel. Quelques instants plus tard, Rick était de retour.

— Tu as une visite, dit-il d'un air réprobateur. Avant qu'elle puisse demander de qui il s'agissait, il ouvrit la porte

toute grande. Jake se tenait près de lui.

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15.

Jake passa devant Rick et entra dans la chambre. — Bonsoir, Nat. — Papa, murmura-t-elle doucement. Ses vêtements étaient propres et nets, il était douché et rasé de frais,

mais il avait vraiment une mine effrayante. Ses yeux étaient rouges et gonflés, sa peau grise et ses cheveux desséchés. Il se tourna vers Rick et tenta de ressusciter lé fantôme de son ancienne autorité.

— J'aimerais parler à ma fille en particulier. Rick croisa les bras sur sa large poitrine. — Je comprends, mais je crois néanmoins que je pourrais vous être

utile, dit-il courtoisement. Jake essaya de braquer sur lui son regard le plus glacial, mais Rick

resta où il était, en le regardant d'un air poliment attentif. Natalie se hâta d'intervenir :

— Il n'y a pas de problème, papa. Rick sait... tout ce que je sais. Il était là quand j'ai parlé à Sterling.

Jake marmotta un juron, puis lança : — Très bien. De toute façon, ça n'a aucune importance. Il tourna le dos à Rick et s'approcha du lit. — Qu'est-ce qui est arrivé à ta jambe ? — Elle est cassée. Je suis tombée du toit de la véranda, une chute

idiote. J'en ai pour un mois et demi. — Décidément, nous enchaînons les catastrophes ! Il la regarda d'un air assez dépassé, puis soupira et se laissa tomber

lourdement sur le bord du lit, heurtant sa jambe sans même s'en apercevoir.

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— Nat, soupira-t-il, je sais que tu as quelques raisons de te poser des questions. Mais je ne l'ai pas tuée, je te jure que je ne l'ai pas tuée. Tu me crois ?

— Oui, dit-elle. Elle était parfaitement sincère. Son père n'avait tué personne, elle en

avait la certitude absolue. — Je ne me souviens pas très bien de ce que je t'ai dit hier soir. Je

n'étais pas... dans mon état normal. — Je sais, papa. Ce n'est pas grave. — D'après Sterling, tu as simplement dit à la police que tu m'avais

trouvé ivre dans la bibliothèque, et que tu m'avais aidé à monter dans ma chambre.

— Oui, c'est ce que je leur ai dit. — Bien. Il lui tapota la main avec un sourire et se pencha vers elle. Son

haleine empestait le whisky et elle dut contrôler un mouvement de recul.

— J'ai dit à la police que j'avais eu une discussion orageuse avec Monica la nuit dernière. C'est tout ce qui est arrivé, Nat.

— Je sais. Tu me l'as dit et je te crois. — Alors si la police revient t'embêter, ce serait bien que tu dises la

même chose. Et rien de plus. Elle le regarda bien en face. — Bien sûr que c'est tout ce que je dirai. De toute façon, c'est tout ce

que je sais. Les yeux rougis en face des siens clignèrent lentement. — Oui. C'est ça. C'est tout. J'étais soûl, je t'ai dit que je m'étais

disputé avec Monica et tu m'as fait monter dans ma chambre. — Exactement. — Bon. Très bien, alors. Il fit un mouvement comme pour se lever mais elle saisit sa main. — Papa, tu as l'air complètement à bout. — Mais non. Un peu surmené, seulement. Elle essaya de parler gaiement, comme si cela n'avait pas grande

importance : — Ecoute, pourquoi rentrer chez toi ? Ce n'est pas très gai là-bas, en

ce moment. Prends ma chambre à l'étage, repose-toi un peu... Il s'écartait déjà, se remettait sur pied, l'obligeait à lâcher sa main. — Non, non. Il faut que j'y aille. — Papa...

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— Désolé, Nat. Quelle fichue histoire ! Je regrette de ne pas avoir réussi à vous éviter ça. Bonne nuit ! Il faut que j'y aille.

Il tourna les talons et sortit sans un mot de plus. Natalie entendit son pas lourd s'éloigner le long du couloir. Affolée, elle serra les poings, jeta un regard suppliant à Rick.

— Il n'est pas en état de conduire... — Ne bouge pas. Je m'en occupe. Natalie tendit l'oreille de toutes ses forces. Une minute passa, deux

peut-être, puis elle entendit une voiture démarrer. Inquiète, elle s'apprêtait à sortir du lit quand Rick revint. Dès qu'il vit ce qu'elle faisait, il fut près d'elle en trois longues enjambées.

— Qu'est-ce que tu fabriques encore ! s'exclama-t-il. — J'ai entendu la voiture. Est-ce qu'il... Doucement, il la repoussa contre son oreiller. — Ne t'inquiète pas, ce n'est pas lui qui conduisait. Il est monté à

l'arrière d'une limousine longue comme un train de marchandises. — Il s'est fait conduire par Edgar ? — A voir sa tête, il devait bien s'appeler Edgar. Un type en uniforme,

comme dans les films. En tout cas, rassure-toi, ce n'est pas encore ce soir que ton père provoquera une hécatombe sur la route.

— Il avait une tête tellement épouvantable... — Oui... — Si seulement... — Quoi donc ? Elle secoua la tête, impatiente. — Je ne sais pas. Si seulement je pouvais l'aider ! Il étendit le drap sur elle. — Seulement, tu ne peux pas. — Non, je ne peux pas. — Je reprends ton téléphone. — Non ! Elle s'en empara la première, le serra contre sa poitrine. — Non, laisse-le-moi. Comme ça, si ça sonne, tu ne seras pas dérangé. — Le combiné va se décharger sans son socle. — Rick, laisse-le-moi. — Non. Je veux que tu dormes tranquillement. — Je ne suis pas d'accord. C'est toi qui dois dormir tranquillement. Je

te rappelle que c'est ma famille, pas la tienne ! Ils échangèrent un regard furieux, puis se sourirent en même temps.

Désarmé, Rick n'insista plus et se dirigea vers la porte. — Bonne nuit, murmura-t-il.

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Il sortit de la chambre, referma la porte derrière lui et elle resta immobile, le regard fixé sur le battant clos.

— Bonne nuit, murmura-t-elle à son tour.

Le lendemain matin, avant toute autre chose, Natalie s'enferma dans la salle de bains du rez-de-chaussée, décidée à ne pas en sortir tant qu'elle n'aurait pas réussi à se rendre parfaitement présentable. Elle faisait couler l'eau dans la baignoire quand Rick tapota à la porte.

— Tu as besoin d'un coup de main ? lança-t-il. — Non, merci. Cela prit une bonne heure, mais lorsqu'elle émergea enfin, elle se

sentait parfaitement propre et fraîche. Ils terminaient leur petit déjeuner quand Rebecca, l'intrépide tante

de Natalie, arriva, accompagnée de Gabe Devereax, le détective privé qu'elle avait embauché pour tirer au clair l'accident d'avion de sa mère. Depuis, les incidents s'étaient multipliés et le détective n'avait cessé de mener des enquêtes pour le compte des Fortune !

Ils arrivaient tout droit de chez Jake qu'ils n'avaient pas pu voir car ce dernier n'était pas levé. Gabe, un homme trapu et carré avec un air d'autorité naturelle, se mit tout de suite à parler du système de sécurité qu'il fallait faire installer dans la propriété familiale.

— Cette maison est ouverte à tous vents. Les journalistes s'agglutinent déjà devant le portail, ils ne mettront pas longtemps à comprendre que rien ne les empêche de passer par le lac.

Rebecca secoua ses cheveux roux sombre et leva les yeux au ciel. — Gabe est un peu obsédé par la sécurité, murmura-t-elle. La

déformation professionnelle, sans doute ! Le détective lui lança un regard sévère, puis se tourna vers Natalie

qui trônait dans un grand fauteuil, sa jambe posée sur une montagne de coussins.

— Votre père ne sera pas particulièrement heureux quand ils commenceront à forcer ses fenêtres. Dites-moi, j'ai cru comprendre que vous vous trouviez là-bas, la fameuse nuit où Monica a été tuée.

Natalie comprit alors la raison de cette visite inhabituelle. Gabe et Rebecca menaient leur propre enquête. Et ils voulaient manifestement savoir ce qu'elle savait au sujet de la nuit du meurtre.

— J'étais là, oui. — Vous avez parlé avec Jake cette nuit-là ? Natalie leur répéta la même histoire que celle qu'elle avait racontée à

la police. Elle n'appréciait pas qu'on essaie de lui tirer les vers du nez de

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cette façon, même si elle n'était pas mécontente que le détective cherche à découvrir qui d'autre avait pu se présenter, ce soir-là, chez Monica. Quoi qu'il en soit, le récit de la dispute et la mention d'un chantage imprécis ne risquaient guère de l'avancer.

— Rien de plus ? demanda Gabe. Natalie soutint son regard sans broncher. — Non, rien d'autre. A cet instant, la sonnette de la porte d'entrée retentit. Gabe et

Rebecca échangèrent un regard appuyé, puis Gabe se pencha vers Natalie en insistant :

— Vous êtes sûre de n'avoir rien oublié ? — Rien, répéta Natalie sereinement. Erica parut à son tour sur le seuil en lançant à la cantonade : — Je suis venue gâter un peu ma pauvre petite fille ! Elle vint embrasser Natalie, et Rick lui apporta une tasse de café,

avant de l'installer avec gentillesse dans l'autre grand fauteuil. Sans en avoir l'air, Natalie les observait tous les deux. Rick avait un véritable don pour mettre les autres à l'aise mais, malgré tout, elle était surprise de voir la famille au grand complet l'accepter si spontanément, comme s'il avait sa place parmi eux depuis toujours. D'habitude, les Fortune n'étaient pas si accueillants, et on ne pénétrait pas facilement dans le groupe. Jusqu'à Erica, d'ordinaire si distante avec les inconnus, et qui d'emblée s'était confiée à Rick. Dans ce moment si difficile pour elle, elle s'en remettait à lui exactement... eh bien, exactement comme le faisait Natalie elle-même.

Une rougeur subite monta aux joues de Natalie qui se demanda pour la centième fois comment elle avait pu confondre Nick avec l'un de ces hommes fragiles et arrogants qu'elle avait connus jusqu'ici, alors qu'il endossait les fardeaux des autres au moins aussi bien qu'elle-même. Elle avait tellement honte de l'avoir mal jugé, à présent, et d'avoir été si stupide dans son attitude envers lui !

Les visiteurs partirent enfin et le silence retomba sur la maison.

Natalie s'abandonnait avec délice au calme retrouvé quand Rick passa la tête dans le salon pour demander :

— Tu n'as pas vu Toby ? — Ça fait bien une heure qu'il est sorti. Il secoua la tête et ressortit sans un mot.

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Il fit un circuit complet du jardin sans voir personne, puis descendit sur la jetée. Là, il entendit un murmure, qui se précisa quand il s'approcha du hangar à bateaux.

— Et tout va bien ici, même s'il fait vraiment très humide et très sombre, tout au fond de l'eau..., disait la voix de Toby.

Rick risqua un coup d'oeil à l'intérieur. Le hangar était un endroit paisible, plein de clapotis, de fraîcheur et de reflets. Toby était assis en tailleur sur le plancher devant une petite pile de vieilles lettres, une feuille de papier jaunie ouverte sur les genoux. Il faisait semblant de lire la page froissée et, devant lui, Bernie écoutait attentivement, une oreille dressée.

Pendant quelques instants, Rick le contempla sans rien dire en écoutant son improvisation pleine de fantaisie. Depuis que le petit garçon s'était remis à parler, il savait que ce n'était plus qu'une question de temps avant qu'il ne retrouve une vie normale. A chaque nouveau progrès, pourtant, il se sentait bouleversé.

N'y tenant plus, il entra dans le hangar. — Qu'est-ce que tu as là ? Toby leva la tête avec un sourire. — Des lettres du gentil monstre du lac. Viens voir. Rick s'accroupit près de son fils et prit une des enveloppes. Elle était

adressée à Benjamin Fortune et provenait d'une adresse dans le Sussex, en Angleterre. Elle avait été envoyée vingt ans auparavant.

Rick s'assit en tailleur à son tour et feuilleta toute la pile. Les lettres étaient toutes écrites de la même main et les envois s'échelonnaient sur de nombreuses années.

— Où as-tu trouvé ça, Toby ? Ravi de capter ainsi l'intérêt de son père, Toby le tira vers le mur du

fond. A l'endroit où il avait noté du jeu dans le plancher, une latte s'était descellée, révélant une sorte de casier métallique.

— Tu les as trouvées là-dedans ? Toby hocha la tête avec enthousiasme. — C'est sûrement la cachette du gentil monstre. Rick eut un petit rire. — Je ne sais pas très bien si les monstres écrivent des lettres... — Les gentils monstres, oui, dit fermement Toby. Rick décida de ne pas le contredire. — En tout cas, il faut absolument les montrer à Natalie. Enchanté, le petit ramassa la pile à la hâte et partit en courant vers la

maison. Rick dut se mettre au trot pour ne pas se laisser distancer. Quand ils entrèrent, Natalie les accueillit avec soulagement.

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— Dites donc, je commençais à me faire du souci... Puis elle vit le visage de Rick et son expression changea. — Que se passe-t-il ? Fièrement, Toby vint lui tendre la pile de lettres. Médusée, la jeune femme regarda d'abord sans comprendre le

paquet de lettres que l'enfant lui tendait. Puis, en reconnaissant le nom de son grand-père, elle se mit à lire, troublée. De longues minutes s'écoulèrent, si bien que Toby finit par se lasser. Le gentil monstre du lac Travis et sa correspondance attendraient. Pour l'instant il préférait ressortir pour jouer avec Bernie.

Sa lecture enfin achevée, Natalie jeta un coup d'œil à Rick, installé sur le canapé.

— Alors ? demanda-t-il. — Eh bien... Elle avait vraiment du mal à assimiler ce qu'elle venait d'apprendre. — Je t'écoute, dit-il d'un ton encourageant. — Eh bien, voilà. C'est un peu fou, mais c'est ainsi : ces lettres

viennent d'Angleterre et c'est une certaine Celia Simpson qui les a écrites. Elles parlent d'une gamine appelée Lana, que mon grand-père aurait eue avec cette Mme Simpson. D'après ce que je crois comprendre, Celia a élevé Lana comme la fille de son mari Georges. Apparemment, mon grand-père a cherché à rencontrer Lana, mais Celia ne voulait pas qu'il vienne troubler leurs vies. Alors elle l'a tenu à distance.

Elle baissa la tête et contempla les lettres. — Il est aussi question, dans la dernière lettre, d'une petite-fille :

Jessica. Celle-là date d'une quinzaine d'années avant la mort de mon grand-père. La petite-fille n'aurait que quelques années de moins que moi.

Rick se mit debout, une expression curieuse sur le visage. — Jessica? — Oui. — Tu te souviens de la femme qui t'a téléphoné il y a quinze jours ? — Jessica Holmes. — Elle téléphonait d'Angleterre. Natalie se mordit la lèvre. — Ce serait tout de même... Tu ne crois pas que c'est une coïncidence? Visiblement, Rick ne le croyait pas un seul instant. — Est-ce que tu as noté son numéro ?

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Natalie secoua la tête sans rien dire. Cherchant visiblement à ne pas relancer la polémique, il suggéra prudemment :

— On pourrait essayer les Renseignements, à Londres. Elle hésita un instant, puis hocha la tête. — D'accord. Il se dirigea à grands pas vers le téléphone. Natalie se mit à ranger

les lettres en les classant par ordre chronologique. Tout en s'affairant, elle tendait l'oreille pour essayer de saisir des bribes de conversation.

— Voilà, lança enfin Rick de la cuisine. Il y a une Jessica Holmes et un J. Holmes. J'essaie ?

Réticente mais sachant bien qu'il avait raison, elle acquiesça. Dix minutes plus tard, ils avaient découvert que J. Holmes était un

homme et que Jessica n'était pas chez elle actuellement. Il n'y avait qu'un répondeur sur lequel Rick laissa un bref message.

— On ne peut rien faire de plus pour l'instant, dit-il en raccrochant. Il revint vers Natalie et regarda la pile d'enveloppes, soigneusement

nouées dans leur ruban passé. — Qu'est-ce que tu comptes en faire ? — Je crois que je vais les donner à Sterling, la prochaine fois que je le

verrai. Il fera quelques vérifications. Elle les posa sur la table en les poussant aussi loin d'elle que

possible. Quand elle se retourna vers Rick, elle vit qu'il étudiait son visage.

— Pourquoi faire une tête pareille ? demanda-t-il gentiment. — Je ne sais pas... — Mais si, dit-il en se laissant tomber sur le canapé. Dis-moi. Elle ne résista plus. — Tu te rends compte ? Ces lettres disent clairement que mon grand-

père a trompé ma grand-mère. — Et tu n'as pas envie de le voir dans ce rôle-là. — Bien sûr que non. Et c'est encore pire, en ce moment, parce que ça

sème le doute et que ça donne du crédit à ces histoires répugnantes qui courent à propos de lui et de Monica Malone. Si c'est vrai pour Celia Simpson, pourquoi pas pour elle aussi ?

— L'un ne prouve pas l'autre. Tu ne peux pas tirer des conclusions comme ça.

— Je sais, mais comprends-moi... Pour moi, Ben était un demi-dieu, un homme adorable qui m'emmenait à la pêche et avait toujours des histoires passionnantes à raconter. C'était une des rares personnes pour qui je sentais que j'avais de l'importance.

— C'était un merveilleux grand-père.

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— Oui. — Et pourtant, il n'était pas parfait. — On dirait bien que non ! Elle contempla les lettres et dit sans relever la tête : — J'ai un sacré problème, Rick. — Quoi donc ? — Je n'ai jamais eu les yeux en face des trous. Ou, plus exactement,

j'ai toujours vu le monde en rose au lieu de le voir tel qu'il est. Tout le monde m'a toujours taquinée pour ça. Tant et si bien que, depuis quelque temps, je fais de mon mieux pour me montrer plus réaliste, tu comprends ?

Il fit un petit grognement affîrmatif. — Seulement, on ne peut pas dire que ça me réussisse beaucoup plus. — Qu'est-ce que tu veux dire ? — Eh bien... — Vas-y, lance-toi... — Avec toi, par exemple. J'ai voulu voir les choses de façon objective,

ne pas me payer d'illusions, comme on dit, et j'ai complètement débordé du côté négatif. Je me suis trompée du tout au tout... Et j'ai tout gâché entre nous.

Elle se tut, espérant malgré elle qu'il allait se précipiter dans la brèche, l'assurer que tout n'était pas perdu, qu'il y avait encore de l'espoir pour eux... Mais il ne bougea pas, ne dit rien, attendant seulement qu'elle poursuive... Déçue, elle se mordit la lèvre et s'ordonna pour la millième fois de cesser de rêver.

— Sur mon grand-père aussi, je me suis trompée, conclut-elle. — Est-ce que tu penses sincèrement, demanda-t-il, que ton grand-

père t'aimait ? — Oui. J'en suis sûre. — N'est-ce pas ça, finalement, le plus important ? Après, il va falloir

que tu essaies d'accepter le fait que ce demi-dieu était humain. Et donc faillible, comme nous tous.

La matinée se traîna, interminable. Vers 10 heures, Natalie tenta de joindre son agence de voyages, pour voir s'il y avait moyen de se faire rembourser une partie de la somme qu'elle allait perdre en annulant sa croisière au dernier moment. Bien entendu, l'agence était fermée le dimanche. Il faudrait donc attendre le lendemain pour faire quelque chose, c'est-à-dire le jour même où elle aurait dû s'envoler...

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Comme ils l'avaient fait la veille, ils laissèrent la télévision allumée en permanence, dans l'attente de quelque fait nouveau. Sans trop oser y croire, Natalie espérait toujours secrètement un coup de théâtre. On allait arrêter quelqu'un d'autre, le vrai coupable allait se rendre, son père serait innocenté ! Mais rien de tel ne se produisit. Au lieu de cela, ce fut le visage de Tracey Ducet que Natalie vit soudain apparaître sur l'écran. L'héritière prétendue des Fortune avait apparemment accordé une interview à l'équipe du journal télévisé de 12 heures. Ses lèvres trop rouges boudaient, ses faux cils battaient et elle parvenait encore à avoir l'air d'une petite fille perdue.

— Ça me fait vraiment de la peine de le dire, assura-t-elle. Vraiment. Mais tout le monde sait qu'il y a eu de graves désaccords entre Monica Malone et ma famille.

Elle soupira théâtralement. — La police sait sûrement déjà qui est le coupable. En tout cas, c'est

une affreuse tragédie pour nous, je vous assure... Exaspérée, Natalie s'empara de la télécommande et éteignit le poste.

Entendre cette étrangère dénigrer sa famille en faisant mine d'être des leurs la mettait hors d'elle.

— Ça suffit ! décréta brusquement Rick en bondissant sur ses pieds. Viens, on se tire.

— Comment ça, on se tire ? — On prend Toby, Bernie et des sandwichs, et on va faire un tour sur

le lac. Natalie ouvrit la bouche pour refuser, mais il ne lui en laissa pas le

temps. — Il y a une radio à bord du Lady Kate, et je vais appeler ta mère

pour lui donner le numéro de mon portable, au cas où quelqu'un aurait besoin de te joindre.

Une demi-heure plus tard, ils appareillaient, et Natalie se retrouva

bientôt installée sur le pont du voilier, sa jambe étendue sur le banc, en train de dévorer un délicieux pique-nique improvisé. La journée était chaude, le soleil allumait des paillettes aveuglantes à la surface de l'eau. Les yeux perdus au large, elle songea à leur première sortie tous ensemble sur le lac. Dire qu'il ne s'était passé que trois semaines depuis l'arrivée de Rick et de son fils ! N'avait-elle pas l'impression de les connaître depuis toujours ?

Leur repas achevé, Toby et Bernie finirent par s'endormir, comme la première fois, sur le pont.

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Ils avaient jeté l'ancre, et tout était très tranquille. Bien calée contre les coussins que Rick avait disposés tout autour d'elle, sa mauvaise jambe étendue devant elle, Natalie écoutait le doux clapotis de l'eau contre la coque, tout en jouant avec son pendentif en forme de bouton de rose. Sortant de la cabine, Rick vint s'asseoir derrière elle.

Elle s'agrippa au bastingage et se tourna à demi vers lui. Il semblait perdu dans la contemplation des profondeurs vertes.

— On peut savoir ce que tu regardes ? demanda-t-elle en souriant. Elle savait exactement ce qu'il allait dire et il ne la déçut pas : — Le gentil monstre du lac Travis. Bouleversée, elle le contempla quelques instants sans répondre. Elle

avait l'impression que son cœur se brisait, car la vérité venait de lui apparaître dans toute son évidence : elle l'aimait, de tout son cœur et de toutes ses forces. Et elle avait beau ne le connaître que depuis quelques semaines, elle avait le plus grand mal à supporter l'idée qu'elle allait bientôt devoir réapprendre à vivre sans lui et Toby.

Il faudrait pourtant bien qu'elle trouve un moyen, car leur séjour chez elle aurait nécessairement une fin...

— Regarde, murmura Rick. Tu le vois ? Furieusement, elle cligna des yeux, et se mordit la lèvre pour retenir

ses larmes. Ignorant la douleur dans sa jambe, elle s'agrippa plus fort au bastingage pour se pencher à son tour.

— Tu le vois ? répéta-t-il. — Je... non... — Mais si... Elle arracha son regard de l'eau verte et le tourna vers lui. Il était

tout près d'elle et il la regardait. — Oh, Rick, sanglota-t-elle. Il lui tendit les bras et elle voulut se détourner. Mais il referma ses

bras tout autour d'elle. — Viens là, dit-il avec une tendresse infinie. Cette fois, elle renonça à lutter. Il sortit un mouchoir et elle le lui

arracha, tamponna ses yeux, se moucha. Puis elle s'abandonna et se laissa aller là où elle voulait être : dans les bras de Rick.

— J'ai été stupide, dit-il. — Toi, stupide ? Non... — Si. Moi aussi j'ai des reproches à me faire sur ce qui s'est passé

l'autre nuit. Je me suis montré cassant, intransigeant avec toi, reprit-il. Je savais bien pourtant que tu avais été trahie, et que tu avais des excuses. Mais je n'ai pas voulu en tenir compte. J'avais tellement envie

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de toi ! Je voulais tout, tout de suite. Je n'ai pas tenu compte de ton désir à toi...

— Mais si, je t'assure... — Je n'ai pas fini. — Bon. Continue. — Après, c'est pareil. J'aurais dû chercher à t'apaiser quand tu as eu

des doutes, au lieu de m'emballer comme je l'ai fait. Seulement, j'ai quelques mauvais souvenus aussi, de mon côté, et ils ont été les plus forts.

— Tu veux dire... ta femme ? Elle le sentit hocher la tête. — Il a toujours été impossible de la faire changer d'avis une fois

qu'elle avait une idée en tête. — Comme moi... Il repoussa les cheveux de son front d'un geste caressant. — Ce n'est pas tout à fait pareil, je le sais à présent, et je m'en veux de

ne pas avoir été plus compréhensif avec toi. Hier soir, quand tu m'as dit que tu regrettais de m'avoir dit ces choses, j'ai compris que je ne voulais pas que ce soit fini entre nous.

Natalie retint son souffle. Elle sentait un bonheur fou lui gonfler la poitrine, mais elle n'osait pas encore tourner la tête pour le regarder. Il n'avait pas terminé.

— Je me suis juré de tout faire pour que ça marche, désormais. — Rick... — Attends. Tremblante de joie, elle se pressa les lèvres du bout des doigts. — Oui, murmura-t-elle. Pardon. Continue. — Je me suis juré de t'apprivoiser lentement, de te donner tout le

temps qu'il te faudra pour être aussi sûre de moi que je le suis de toi. Que tu sois certaine que je suis quelqu'un sur qui tu peux compter.

Incapable de se taire un instant de plus, elle s'écria : — Mais tu me l'as montré ! Crois-moi, j'ai confiance en toi

maintenant. — Je te l'ai dit, je peux attendre. — Mais non, non ! Pas du tout ! Moi je ne veux pas attendre. Je veux

seulement t'entendre dire que tu m'aimes. Il secoua la tête. — Je t'aime. Je t'aime comme un fou. Je suis tombé amoureux de toi à

l'instant où je t'ai vue. De dos, avec un abat-jour sur la tête. Mais toi, es-tu vraiment sûre de...

Natalie lui saisit la main, pressa ses lèvres contre sa paume.

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— Je peux parler, moi aussi ? Il éclata de rire. — Vas-y, c'est à toi. Elle mêla ses doigts aux siens et chercha ses mots : — En fait, j'ai l'impression d'avoir passé ma vie entière à t'attendre.

Seulement, l'attente a été longue et j'ai fini par... ne plus y croire. Alors je me suis résignée, et j'ai fini par me convaincre que je pouvais me contenter d'un Joel, tu comprends ?

— Il me semble, oui. — Et puis, au moment où je n'espérais plus rien du tout, tu es arrivé.

J'ai tout de suite compris que je risquais de m'attacher. Et j'ai eu peur. Cela représentait un trop gros risque de me remettre à espérer. Et c'était un peu trop beau pour être vrai.

Il pencha la tête sur le côté. — Tu sais, si tu m'épousais, ta vie serait beaucoup plus simple. Natalie bascula dans le regard bleu fixé sur elle, et elle se sentit

soudain aussi légère et brillante que les reflets du soleil sur le lac. Même l'angoisse qu'elle ressentait au sujet de son père ne suffisait plus à ternir la beauté de ce moment. Elle sourit et entra dans le jeu :

— Pourquoi est-ce que ma vie serait plus simple si je t'épousais ? — Si tu m'épousais, reprit-il en lui serrant très fort la main, on

pourrait partir en lune de miel sans être obligés de trouver un locataire qui veuille bien prendre soin du chien.

Elle chercha à tâtons le pendentif autour de son cou. Finalement, sa grand-mère savait peut-être ce qu'elle faisait en ajoutant cette clause bizarre dans son testament !

— Tu as raison. Il embrassa le bout de son nez et murmura : — Tels que je nous connais, on trouvera sûrement un moyen

d'emmener Bernie avec nous. — Et Toby aussi. — Bien sûr. Qu'est-ce qu'on deviendrait, sans le gosse et le chien ? — On est si heureux tous les quatre ! — Alors, tu acceptes de m'épouser ? — Bien sûr que oui. — Je t'aime. — Moi aussi. — Je peux t'embrasser ? — Oh, oui. Tout de suite.

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Les lèvres de Rick se posèrent avec passion sur les siennes. Nouant alors étroitement les bras autour de son cou, elle lui rendit son baiser, dans un délire de bonheur.

Kate abaissa ses jumelles. La joie qu'elle venait de voir flamber dans

les yeux de sa petite-fille lui insufflait un nouveau courage. L'accumulation de tant d'épreuves et de trahisons en quelques mois avait presque fini par avoir raison de son moral. Mais des moments comme celui-là lui redonnaient la force de se battre.

Sa chère petite Natalie avait enfin trouvé le bonheur. N'était-ce pas là l'essentiel ?

Bien entendu, Sterling serait furieux s'il savait qu'elle avait pris le risque de revenir ici. Mais il n'en saurait rien. Elle avait eu un urgent besoin d'être là, de voir triompher l'amour en ces jours si sombres pour toute la famille. Car ce qu'ils venaient tous de vivre n'était rien comparé à la tempête qui s'annonçait. Jake — elle n'en doutait plus, hélas — risquait bientôt d'être arrêté et accusé du meurtre de Monica Malone. La famille résisterait-elle à pareil orage ?

D'une main raffermie, elle rangea ses jumelles et dirigea le bateau vers une petite crique cachée qu'elle connaissait bien. Il était temps de rentrer à Minneapolis afin de se préparer à affronter l'avenir.