ROUTE DE LA

GUERRE CIVILE

D U M Ê M E A U T E U R

dans la collection « Espionnage »

Orages sur les pistes Griffes sur l'Ouest Zone militaire Sud...

Dossier Nord-Europe Démarcation Est Sirènes hurlantes Latitude 6° 49'

Le temps de la rage Pour non-exécution Frontières barrées

Échec à la défense Cyclone sur le Pacifique La gueule du monstre Contre-offensive « non-stop » Le festival des squales La fosse aux chacals « H » moins cinq Foncent les rapaces Croix sur l'objectif Six heures G.M.T. Alerte sur Peenemunde Tonnerre sur le Roc

Danger, pavillon rouge Les charognards Requins sous la banquise

Les provocateurs La marche noire Destruction d'un héros Signal au rouge Pont coupé sur le Holy-Loch La nuit des ouragans Guerre à la paix Nos assassins Le carnaval des vautours 3 fois 3 jours Sur fond d'orage Ouragan Force M Corrida pour un espion Bombes sur table Notre agent d'exécution Express pour Jobourg Trois hommes sans corde Duel de fauves La Libertad saute à Maracaibo Mirages pour une victoire La route de Corinthe Daïana de Gibraltar La renarde blonde Opération « Étoile du Nord »

dans la série Espionnage « Le monde en marche »

Le grand Rush Un homme nommé Trottner Un métier de salaud Jolie dynamite Benghazi, au diable Les batteries de Muizenberg Le soldat de La Aurora Allée des mitrailleuses L'école Bettina Viva la Revolucion Le comité de Tallin « E » sans mémoires Désertion L'an prochain à El Paso Il faut faire taire Alexa Les bières du Mississippi Carnaval d'octobre Mes femmes du Kilimandjaro Fort-Canal

Souviens-toi de Dallas Train de nuit pour Fortaleza Croix de fer, épées, diamants... La guerre des Trois Aux armes du Bengale Rendez-vous à Port Jackson Où courez-vous, samouraïs ? Force M. à Tahiti Le général Révolution Le camarade Le coup de Carthagène Les tueuses de Constance Les jolies bombes d'Okinawa Nous n'irons plus à Kampala Viêt-nam à vendre L'escadron rouge Les six gueules d'Amérique Les cages de Montevideo USS Potemkine

Mort d'un solitaire La bombe à l'heure du thé La petite femme du Cap Mourir en applaudissant La grande horde Il pleut des grenades La fille pendue Le 7 camion Les Incendiaires Le serment de Shannon Les sirènes de Kidderpore La reine des truies Hullabaloo ! Rio Merda La gloire de Sapporo La maréchale La guerre du Seigneur L'enfer pour demain Les fosses communes La Juive de Port of Spain Priorité rouge L'Ange du Missouri Que s'est-il passé au secteur K ? Requiem pour Managua Les loups en flammes Le complot de Panama Concorde, demain soir Samedi à l'aube... L'architraître Libéria, Libéria chéri... Pont de la Gitane noire Coups bas pour une grève L'ennemi de Séoul Un caillou pour la gloire Le Commando de Slovénie Les faucons sortent de l'ombre La petite hyène du soir Lola von Bismarck Trucks sur l'Orient-Express

L'Amiral noir

Danse des crabes à Chittagong Six phares d'acier Pour 10 000 chiens crevés Les canons du Takarazuka

Mission en Prusse rouge Néo-vampires à Stalinskaïa Huit bombes en or

Saga d'un tombeau de fer C.C.K., ou la gloire au sang Câble central interamerica

Les cercueils bulgares Les Jaguars Deux torpilles pour Bonnie Tumaco-du-Massacre

Hôtel des Vieux Aigles Listes noires Flammes de cuivre

La tanière grise La spirale Le pacte dynamité Discours du sang La cote des squelettes Execution Squad Le faucon arabe Feu, la loi martiale Darwin des cyclones Les Rescapés Opération Croc-d'Acier Quatre packs dans les nuages Java pour deux tsarines Le comité de défonce Les chiens de guerre La partie de Papous Wolf connection Bleu, blanc, sang La haute tombe

Chasse à la cosaque

dans la collection « Spécial-Police »

Les noyés sont aveugles Du sang dans la glace Tuez la haine

Plaidoyer pour l'assassin Dialogue aux enfers Les os du massacre Les eaux malsaines Du fond de la nuit Les rats au piège.

Tourbillon

Le sang et la cendre Pont-aux-Drames

Les anges noirs Les seigneurs écorchés La tombe des autres

La fosse Le tunnel Juste un drame

Rappelle-toi, Karen Treize femmes Tous les diamants du monde

Timm de Coronado ... A l'huile de hache! Le feu au train

dans la collection cartonnée

Les émigrants du purgatoire Le commando des torches Qui sème la terreur

La grande menace Les aigles et la proie Les lanciers de Bakwanga

dans la série « Le Temps des Hommes »

La grande traque Le dernier bus pour Matmara Timm de Coronado Chiens fous du mirage L'avion blanc pour Zurich The bluff Je quitte l'avenue Les petites filles de Mai

Si...

Quai des Typhons La nuit de cristal La calanque La route de Mandalay Les Barreaux L'arc-en-ciel du bout du monde Camarade la Mort

dans la nouvelle collection reliée

La Clinique L'Abattage

La petite mort d'Alsace Gamma du Centaure

dans la série « l'Axe » (en collaboration avec J.-G. Roehmer) :

Bourbon Royal L'Axe fait la bombe Descente aux Enfers État-major de la mort Les pourrissoirs Croisière rouge pour l'Axe

Raid en Ouganda Transamazonica Mission fantastique Duel de monstres Couronne de fer en Terre de Feu État-major de la mort

chez d'autres éditeurs :

SS. Le nu blond Les fanfares du Potomac Other Men's graves

The black March Le Président Carabine Retour à Diên Biên Phu Les Républiques carcérales

théâtre

L'Olympe de Hombourg L'Orénoque

La Nuit de Winterspelt

cinéma

La Route de Corinthe Mission spéciale Le Paria

Corrida pour un Espion Le Trèfle rouge Le Gentleman de Cocody

C L A U D E R A N K

ROUTE DE LA

GUERRE CIVILE « LE MONDE EN MARCHE »

É D I T I O N S F L E U V E N O I R 6, rue Garancière - PARIS V I

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'Article 41, d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1 de l'Arti- cle 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les Articles 425 et suivants du Code Pénal.

© 1983, « Éditions Fleuve Noir », Paris.

Reproduc t ion et t raduct ion , même partielles, interdites. Tous droits réservés pour tous pays, y

compris l'U.R.S.S. et les pays scandinaves.

ISBN 2-265-02358-2

LE PREMIER PAVÉ

Kreszentia, la bonne norvégienne, sursauta la première au long, insistant, bourdonnement en provenance du bloc d'entrée audio-vidéo. Dicta- teur du hall, trieuse des arrivants, œil aigu habitué à repérer le gêneur, le quêteur s'auto- sucrant, sans compter le marxiste qu'une insigne malchance perdait dans nos azimuts, elle fronça les sourcils à la vue, sur la cathode de renvoi, d'un homme de 30 ou 35 ans aux yeux cernés et aux traits fatigués.

Elle ne demanda pas « c'est pour quoi ?» ou de qui il s'agissait. Ses ordres étaient de ne pas répondre aux inconnus. Autre longue vibration nerveuse et elle revint à grands pas, irritée :

— Personne être dans le maison! Foutre camp, vous !

L'inconnu ne se formalisa pas. Il dit d'une voix lasse :

— Appelez Alexandra, je vous prie. Kreszentia courut vers le living. Anne Marston

et Alexandra s'y trouvaient; devant le premier feu d'olivier de la saison. Octobre était frais et humide, l'été bien mort, les arbres de l'avenue perdaient leurs feuilles.

— Madame, c'est être individu qui vous appe- ler par votre prénom ! L'insistance...

— C'est p'être ton amant, m'man? lança Marie-Diane tout heureuse... Elle avait près de 10 ans, le temps passait, blonde, nattée, Gret- chen de poche de l'avenue Paul-Doumer mâtinée de Lorraine et de Canada. Fine mouche, elle évita sans mal l'amorce de gifle qui lui était destinée.

Sandra courut vers la porte d'entrée où se trouvait l'écran TV.

— Mon Dieu ! Je... Oooh ! (Presque un soupir ante-évanouissement, et Anne se précipita; sur ses pas, couraient les enfants, Eric-James, le cadet, 3 ans braillant d'enthousiasme.)

— C'est un terroriste ! C'est un terroriste ! On va bien rigoler...

Alexandra appuyait déjà sur le bouton d'ou- verture de porte; ce qui ôtait beaucoup à la crédibilité d'un danger potentiel.

— Anne... Anne! Des années, des années... Alexandra pleurait tout contre la femme de Dex lorsque, cette fois, ce fut la sonnerie de la porte d'entrée qu'on entendit.

Sandra ouvrit elle-même, se jetant en sanglo- tant dans les bras d'un homme qu'Anne recon- nut à son tour avec stupéfaction.

— Marc . . . ( K r e s z e n t i a s ' en r e t o u r n a , méfiante, vers sa cuisine.)

— Qui c'est ? Qui c'est, maman ? Les enfants trépignaient. Même Marie-Diane. — Madia, toi tu l'as déjà vu, voyons... Anne

retenait les petits, turbulents, et Marc DeSam- bres referma doucement, restant adossé à la porte, l'air bien embêté, essayant tout douce- ment d'écarter sa sœur.

— C'est rien, c'est rien, ma petite vieille... Calme-toi, quoi.

— Mais pourquoi n'avoir pas écrit ! pas télé-

graphié... On... je n'ai même pas une seule lettre depuis plus d'un an !

— Des emmerdes, fit-il évasif... Anne entraîna doucement Alexandra. Les enfants étaient consternés. On leur expliquait qu'il s'agissait seulement de leur « oncle ». « E.-J. » paraissait extrêmement déçu. Dans cette ambiance cata- clysmique que distillaient les médias vidéo, il ne rêvait que de Palestiniens, de juifs, d'Iraniens, de Polonais éventrés — ou encore à opérer pour ce faire — lui et sa sœur jouant « aux attentats », parfois « aux scandales-de-mairies ». Ils en découvraient plus vite encore que Libération, Madia mairesse d'une ville inventée, grassement entretenue par un infâme fasciste, les billets de 500 F. (images Vache qui Rit) lui tombant dessus en honteux orages. Parfois, le coupable était Marchais lui-même et il fallait alors leur assurer que Marchais n'était pas fasciste — bien que la preuve manquât.

— Marc... Marc ! (Alexandra l'écartait de lui, le dévisageant des pieds à la tête. Il ne payait pas de mine ; costume avachi, chemise peu nette, et avec affolement elle nota les pupilles rétrécies.)

« Tu t'es remis au Valium ? — ... Non... non, fit-il avec lassitude... Il res-

tait immobile sur le seuil du salon, figure amère, découvrant le décor luxueux; il l'avait presque oublié. Anne le poussa presque, mais Marc avait une attitude inquiétante, il se raidissait. Tout à coup, il se dirigea vers la cuisine et se laissa pesamment tomber sur une chaise plastifiée, alluma une cigarette. Ses doigts tremblaient.

— Que se passe-t-il, Marc? murmura Anne... Kreszentia évacua la pièce en maugréant.

Il répondit à côté, rêveur. — J'arrive d'un peu partout, Anne... Ontario,

New York, Washington. J'ai... d'épouvantables ennuis.

Alexandra s'écroula face à son frère, s'essuyant les yeux. Elle n'était pas si étonnée : c'était la « poule noire » des DeSambres. Deux ans aupa- ravant, il avait fallu un conseil de famille : notification faite au notaire qui réglait la succes- sion des aciéries de Trois-Rivières — ex-pro- priété de leur père mort 15 ans auparavant — de limiter au strict nécessaire les « crédits sur héritage » accordés au frère cadet.

— Tu... as encore joué ? — Juste un peu... Bon. Autant être franc... Il

fixait le bout de sa cigarette... C'est pas toi que je suis venu voir.

— Pas moi ? — Non. Je... je veux parler immédiatement à

Eric et Dex. — Marc ! — C'est très grave. Ne me pose pas de ques-

tion... Il leva vers elle des yeux fiévreux, lui- sants... Elle se redressa, reculant. Brusquement, elle était bel et bien terrifiée.

« Dis-leur... que je suis chargé pour eux d'un truc... d'un machin... dis « message », si tu veux.

Colonel Prince

C'est Anne qui vient nous prévenir, au bunker- P.C. des communications. Elle entre à peine, après avoir fait jouer la porte de béton. Sur la terrasse, d'étranges « ouvriers » travaillent, pié- tinant le faux gazon de plastique made-in-Cali- fornie — près de 120 mètres carrés. Un instant elle examine l'avancement des travaux avec frayeur.

— Vous êtes complètement fous ! Derrière les canisses à la provençale, de l'autre

côté des gloriettes où, l'été, progressent les fleurs grimpantes, on installe du « contre-plaqué » épais. (Dans icelui, plaques d'acier au tungstène de 2 0 / 1 0

— Vous... blindez tout ? Vous... êtes malades ! Mais alors vraiment.

Un des travailleurs se retourne, narquois. Il émarge peu à la CGT. (Militaires très spéciaux venus en droite ligne du PC stratégique de Taverny, et qu'Heymann nous a envoyés.)

— Demain, ils attaqueront en bas, annonce Dex. Balcons, et fenêtres qui donnent sur la cour.

Anne Mars ton se passe une main sur le front, l'air égaré.

— Je veux foutre le camp, Dex... J'ai marre de cette ambiance. De... de vous aussi ! si vous voulez le savoir. Vous devenez tout à fait cinglés.

Dex hoche la tête, indulgent va prendre sa femme par un coude. Il l'a connue 20 ans et quelque auparavant sous le mur de Berlin. Anne est devenue une dame mûre encore très belle, bandeaux George Sand qui s'argentent, regard gris-bleu de Prusse comme son père, beaucoup de classe.

— Redescends, tu veux... C'est pas le moment, ici.

— Marc est là, annonce-t-elle et Dex en demeure saisi.

— Maaarc? Du coup, Lorrain apparaît aussi ; dans son dos,

toutes les petites bêtes apprivoisées par lui chantonnent, cliquettent, ronronnent. Transco- deurs, décodeurs, télécommandes d'aériens ou de paraboles miniaturisées, téléimprimeurs dont le fonctionnement s'est mis au goût du jour : feutré, prudent, hypocrite.

— Merde ! ça fait... 5 ans... 6... qu'on n'avait plus entendu parler de lui !

Il est revêtu de sa houppelande Habsbourg, toujours au régime « out » c'est-à-dire nourri- tures et vins exclusivement étrangers et « aryens » — l'appellation, cocasse, est de lui — (il fait tout analyser). Malgré tout, il a maigri : 18 kilos perdus en 18 mois, depuis le 10 mai de l'an dernier.

— Et qu'est-ce qu'il veut ? — A nous, il ne veut pas le dire... Anne nous

questionne longuement du regard, pense sans doute aux mystérieux « ouvriers ».

« Je présume qu'il ne peut pas monter, n'est-ce pas ? Tous vos petits mystères à la noix.

— A la noix, non, Anne, dis-je à mi-voix.

Personne n'entre au bunker, tu le sais. Même Kreszentia n'y a jamais mis les pieds.

— Vous... descendez? — On descend.

Il était là, vautré sur une chaise de la cuisine. Il ne voulait même pas, paraît-il, pénétrer dans le living.

— Vous... voulez bien m'écouter... me rece- voir?

— Te... « recevoir » ? Je me tournai vers Alexandra, interrogateur.

Elle dit : — Je crois qu'il a pris du Valium. — Fous le camp ! cria-t-il, et elle tournoya sur

elle-même, livide. — Après des années... tu me traites ainsi ? Anne l'attira par un bras. Même les enfants

n'avaient plus envie de rire. — J'ai une valise avec moi, reprit Marc

DeSambres à voix basse. Je savais pas même si vous me laisseriez entrer. Je... elle est dans une voiture, en bas. Je vais la chercher !

Il bondit vers le hall avant même que nous ayons pu le retenir. Alexandra revint, sanglo- tante.

— Il a dû jouer, à Atlantic-City, Reno ou ail- leurs ! L'an dernier le notaire de Trois-Rivières m'a envoyé un télégramme... Je n'ai même pas osé le montrer. Il avait perdu 182 000 dollars en 40 et quelques jours... Et même pas à Vegas! Dans un petit casino-troquet proche de la base

d'Edwards, en Californie... en plein bled. On a su, plus tard, qu'il n'avait pas bougé de là pendant plus d'un mois, ne mangeant que des sandwiches, des...

— Eric ! Je courus jusqu'au balcon où Dex se trouvait.

En bas, Marc claquait la portière d'une longue limousine noire Le Sabre. La voiture était assez loin, près de l'EDF/Possoz, tournée vers l'avant. Elle démarra bruyamment aussitôt, Marc recu- lant, une lourde valise métallisée à la main. Le véhicule s'éloignait à vitesse anormale, tournant dans un grand vrombissement vers une ruelle donnant sur la rue de Passy.

— ... Pu voir l'immatriculation ? — Non, fit-il. C'est... dingue, ce truc ! Voix nasillarde, grondante de Michel Lorrain

par l'intercom'. — Alors, ces micmacs, ces mystères... c'est

quoi, tout ce foutoir ! — On n'en sait encore rien, envoyai-je. La bonne alla rouvrir. Marc apparut. La

valise semblait lourde, il la tenait de travers, ayant du mal, respiration courte.

— Tes affaires, qui pèsent comme ça? s'étonna Alexandra.

— C'est une bombe, m'man ! C'est une bombe... « E.-J. » déjà dansait, trépignait, enthousiaste.

— Kreszentia, emmenez les enfants dans la salle de jeux.

— Bien. Marc laissa doucement tomber son bagage sur

le carrelage de la cuisine : il y était revenu. Il se rassit, en sueur, tremblant.

— J'en ai pris un peu, du Valium, mais pas beaucoup... Pas assez en tout cas.

Je le dévisageais, presque bouleversé : nous

avions connu un tout jeune play-boy brillant, jetant les dollars de son héritage par paquets de dix mille, raquette de tennis sous le bras courant vers des Jag' ou des Maserati. Pré-Catelan et Racing à Paris, golf de Palisades au nord-Man- hattan, piscines de milliardaires à Wilshire ou Bel Air, de L.A. (Il avait brusquement l'air d'un marginal raté sortant de cure de désintoxica- tion.)

— ... Qu'est-ce qui t'est arrivé, mon petit vieux ?

— Plein de trucs, beau-frère, fit-il amer... Il avait rallumé une cigarette... A propos, vous êtes mariés ou toujours pas ?

Je secouai négativement la tête. Il amorça un rictus :

— Tu as tort, Ric... Si tu attends trop, je suis tellement entêté et vicieux que je m'arrangerai à arnaquer les notaires canados. Il ne restera plus rien des aciers et des usines du papa DeSambres.

— C'est marre maintenant... Je m'installai en face de lui... Il regardait Anne et Sandra avec fixité, fumant avec un peu de vulgarité, cigarette entre deux doigts, air de gouape... (Il avait été un temps homo, puis nous avait présenté, plus tard, des tas de filles; heureuses : il couchait avec elles. Bien.)

— Sortez... J'ai à parler de choses ter... enfin disons « graves ».

Anne à son tour secoua la tête, aux bornes extrêmes de la stupéfaction. Alexandra disparut aussi. Marc se leva pour refermer la porte à plaque de verre martelé. Il vint se rasseoir, se renversant en arrière. Il jouait à papilloter des paupières.

— Bien pigé : je suis au trente-sixième des- sous. Bon... Il consentit à nous regarder en face... Autant ne pas y aller au bluff. Je suis venu

jusqu'à Roissy/Paris avec un billet de première, de Washington et par Concorde, faut en profiter, ce sont ses derniers vols.

— Washington? — Laisse-moi finir, Ric. Je... (Il examinait

tout avec attention autour de lui)... — Mais il est malade, s'énerva Dex. Tu cher-

ches quoi ? Des micros planqués ? Tu as lu ASS, dans Concorde ?

— J'ai lu des tas de trucs, Dex. Et même mes listings bancaires... Grimace sombre... Et c'était pas une joyeuseté de lire ça !

— Abrège. — On m'a remis le billet aller simple, puis

une aumône : 10000 tickets. Mais... si j'arrive à vous placer ça... il donne un petit coup de pied dans la valise... si j'arrive à vous actionner, j'en toucherai 290 000 autres.

— ... Répète ! — Oh ! attendez... Vous n'avez pas fini de

balancer des points d'exclamation... Dans l'avion, en réfléchissant, j'en fabriquais autant que de postillons, en éternuant... J'ai chopé un sacré rhume, à New York.

— Trois cent mille dollars ? Tu te fous de nous ?

— Non, fit-il calme. Et... Il écrasa sa cigarette dans une soucoupe pleine de crème au chocolat qui traînait... Et si vous voulez le savoir... plisse- ment de lèvres dégoûté... Ça ne me fera même pas plaisir. J'en dois les 8/10 : jeu. Et j'ai laissé des ardoises partout. Même utilisé une carte Amexco qu'on m'avait annulée. Le...

— Le merdier, quoi ! — Pire. Le silence retomba. De là-haut, parvenait le

grincement strident des perceuses... Elles lut-

taient dur dans le métal durci au tungstène. Il écouta longuement.

— Vous faites exécuter des travaux ? — Trois fois rien. Explique-toi. Il se baissa, saisit sa valise et je lui pris la

soucoupe de crème brune au moment où il allait carrément la balancer derrière lui. Il posa l'éton- nant bagage sur la table de la cuisine, fit jouer deux triples séries de chiffres-codes et l'ouvrit.

— Juste un magnétoscope... Il attendait un peu, nous surveillant... Oh! bien sûr, pas une marque du commerce, hein... Un comme ça, vous en avez déjà vu ?

— Jamais, fit Dex, commençant à s'énerver à son tour. On t'a dit d'a-bré-ger.

— Vous avez une TV portable ? Je suis sûr même que vous en avez une demi-douzaine ?

Dex amincit les lèvres et quitta la cuisine, claquant la porte... Nous l'entendîmes parler avec agacement à Anne et Alexandra. Je dis :

— Ça signifie quoi, tout ce déconnage, Marc ? — Ce n'en est pas du tout, beau-frère... Son

visage avait la teinte de la craie, ses lèvres exsangues comme celles d'un accidenté de la route. Je fixai le magnéto : pas de cassette, mais deux tambours format inhabituel de la bande, celle-ci très large, 2/3 de pouce au moins. Je commençais à entrevoir une vague lueur...

— D'où vient-il, ce tambour ? — Je suis sûr que tu as déjà un peu pigé. Dex réapparut avec un Hitachi de 36 cm.

C'était le genre de petit poste qu'on posait, au Japon, sur ses genoux, au breakfast. Les mêmes, en France, énigme insondable, pesaient 5 fois plus, pas question de les placer sur...

Dex brancha la TV, bricola un peu les courtes antennes, genre MF. D'où nous étions, à 1 000 mètres à vol d'oiseau de la Tour Eiffel, on

captait les émissions la plupart du temps avec une tige de métal quelconque. Deux individus à face gaucharde patibulaire discutaient en muet, sans doute sur la meilleure façon de trucider un « ennemi de classe » moins bête et raté qu'eux, mais ça ne nous intéressait que médiocrement.

Dex appuya sur la touche VCR. — Même ta sœur te fait dire que tu

commences à nous faire un peu suer, Marc. Moi, je pense un autre mot.

— Vous vous ferez une opinion vous-même... Il circuitait à son tour son appareil, intercalant un transfo. Dex ne me quittait pas des yeux.

— 110/District, je fais gaffe, annonçait Marc. — Dis-trict ? — Venus direct. Lui et moi... Il appuya sur

une touche, modifia au calage-canal, notre écran devint bleu, gris, rouge... Il coupa tout, nous faisant face :

« Quelques détails auparavant. Et avant eux, votre parole : après que vous ayez visionné les trois bricoles que je vais faire passer, vous ne les aurez pas vues. Jamais ! Promis ?

— N'insiste pas ou tu aurais droit à un coup de pied au cul, fit Dex, et Marc sourit, mélanco- lique.

— C'est drôle, j'aurais presque pu dire ça à votre place à tous les deux. Pour... vous, je suis toujours le petit pédé farfelu d'antan, qu'il fallait aller récupérer au commissariat Dauphine, pas vrai ? En cachant soigneusement le truc à Phi- lippe... Il était à Janson en 3 à l'époque, à propos... Maintenant ?

— Bac B, Droit, puis refusé d'entrer à l'ENA depuis qu'on la bourre de politicards incultes, prétendit Dex. Si... tu accouchais, Marc. Mais... alors... hein ! vraiment.

— Placenta, poche des eaux et tout, pas vrai...

Un complot... Un infernal, abracadabrant mais très sanglant «complot». De Madras et Pondichéry jusqu'au Nicaragua de la junte sandiniste trônant, dictatoriale au-dessus de Managua-la-Morte, en passant par le Madrid de la période préélectorale où les factions s'af- frontent à coups de bombes et de mitraille, la Force M. se demande vite qui actionne.

Et sommes-nous tous vraiment sur la «route de la guerre civile»?

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections

de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒

dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.