rhr 5351 4 le serpent guerisseur et l origine de la gnose ophite

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  • Revue de lhistoire desreligionsNumro 4 (2007)Varia

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    Annarita Magri

    Le serpent gurisseur et lorigine de lagnose ophite................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    AvertissementLe contenu de ce site relve de la lgislation franaise sur la proprit intellectuelle et est la proprit exclusive del'diteur.Les uvres figurant sur ce site peuvent tre consultes et reproduites sur un support papier ou numrique sousrserve qu'elles soient strictement rserves un usage soit personnel, soit scientifique ou pdagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'diteur, le nom de la revue,l'auteur et la rfrence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord pralable de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislationen vigueur en France.

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    Rfrence lectroniqueAnnarita Magri, Le serpent gurisseur et lorigine de la gnose ophite, Revue de lhistoire des religions [Enligne],4|2007, mis en ligne le 01 dcembre 2010. URL : http://rhr.revues.org/5351DOI : en cours d'attribution

    diteur : Armand Colinhttp://rhr.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur : http://rhr.revues.org/5351Ce document est le fac-simil de l'dition papier.Tous droits rservs

  • Revue de lhistoire des religions, 224 - 4/2007, p. 395 434

    ANNARITA MAGRIUniversit de Fribourg (Suisse)

    Le serpent gurisseuret lorigine de la gnose ophite

    La branche de la gnose ophite senracine probablement dans la sectedes Prates, qui se situe au milieu du IIe sicle de notre re et dont parlelElenchos 5,12-18, ouvrage attribu a Hippolyte de Rome. Ce groupe est,avec les Naassnes, le seul adorer le serpent, considr comme la mani-festation du Logos. Cette quivalence Logos = serpent est tire son tourde lexgse de Nb. 21, 8-10 (le serpent dairain). Cette tude sefforce deretracer le noyau fondamental du rcit des hrsiologues sur les Ophiteset de le comparer celui consacr aux Prates ; paralllement, il seradmontr que le IIe sicle est lpoque idale pour y situer le dbut delophitisme, car cest cette poque que limage du serpent atteignit lacmde sa diffusion grce aux cultes mystres et, surtout, la vnration pourAsclpios. Les Prates eux-mmes sont issus dun mlange syncrtisteentre christianisme et culte dAsclpios.

    The healing serpent and the origin of Ophite Gnosticism

    The branch of the Ophite gnosticism takes its origin likely with the sectof the Perates, which is dated around the half of the IInd century C.E. andwhich is described by Elenchos 5,12-18, a work attributed to Hippolytusof Rome. This group is, together with the Naassenes, the only one thatactually adores the serpent, which is considered as the epiphany of theLogos. This equivalence Logos = serpent is taken from the exegeticalinterpretation of Num. 21, 8-10 (the bronze serpent). This study tries torecover the basic chore of the heresiologists reports about the Ophitesand to compare it with the one concerning the Perates. It also shows thatthe IInd century was ideal for the beginning of the Ophite Gnosticism: infact, during this period, the image of the serpent reached the peak of itsdiffusion, thanks to the mystery cults and to the adoration of Asclepius.The Perates, in fact, take origin from a syncretistical mix of Christianismand Asclepius cult.

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    Zu meiner lieben deutschen Freundin Frau Annelies.Parmi les hrsies les plus surprenantes regroupes sous ltiquette

    de gnostiques figure la branche des Ophites, censs honorer leserpent1. premire vue, il est tonnant quun groupe probablementinfluenc par la culture judo-chrtienne pt vnrer un animal quecelle-ci associait couramment rien moins que le diable2, mais, ma connaissance, personne ne sest souci de faire une analyse appro-fondie du contexte do pouvait dcouler une pareille valorisation3.Tel sera le propos de cette contribution : un travail de comparaison

    1. Clment dAlexandrie, Stromates 7,17,108, 2.2. Lidentification du serpent avec le diable procde videmment de la

    scne de Gen. 3; Sg. 2,14 est le premier texte la poser explicitement, mais ilne faut pas oublier les quivalences entre reptile et diable prsupposesensuite par les targumim, comme Targum Ps. Jonathan 3, 6 et 4,1. Sur lavaleur du serpent dans la culture juive et chrtienne, voir, par exemple, WernerFoerster, Ophis , dans Gerhard KittelGerhard Friedrich dd., GrandeLessico del Nuovo Testamento (trad.it), vol. 9, Paideia, Brescia, 1974 (d.originale allemande, Stuttgart, 1954), 23-66.

    3. On ne regrettera jamais assez la disproportion entre limposante biblio-graphie sur les problmes gnraux du gnosticisme, comme lorigine de cemouvement, et la pnurie dtudes cibles sur certaines hrsies. En fait, les titresconcernant les Ophites sont assez rduits et runissent de nombreux articlesdencyclopdies: voir, par exemple, Hans Leisegang, La Gnose (trad. fr.),Paris, Payot, 19712 (dition originale allemande 1924), 81-129 ; GntherBornkamm, Ophiten , dans Paulys Realencyclopdie der classischen Alter-tumswissenschaft (neue Bearbeitung von G. Wissowa), vol. 18,1, Stuttgart,1939, 654-58 ; Andrew J. Welburn, Reconstructing the Ophite diagram ,Novum Testamentum 23 (1981), 261-287 ; Jean-Daniel Kaestli, Linterprtationdu serpent de Gense 3 dans quelques textes gnostiques et la question de la gnoseOphite , dans Julien Ries et alii d., Gnosticisme et monde hellnistique.Actes du Colloque de Louvain-la-Neuve (11-14 mars 1980) (Publications delInstitut Orientaliste de Louvain 27), Louvain-la-Neuve, Universit Catholiquede Louvain-Institut Orientaliste, 1982, 116-30 ; Claudio Gianotto, Ofiti-Naasseni , dans Angelo Di Berardino d., Dizionario Patristico e di Antichitcristiane, vol. II, Casale Monferrato, Marietti, 1984, 2458-60 (cf. aussi lditionfranaise publie par F. Vial dans le cadre du Cerf, Paris, 1990, vol. II, 1807-8) ;Deirdre J. Good, Naassenes, Ophites , dans Everett Ferguson et alii d.,Encyclopaedia of Early Christianity, New York-Londre: Garland, 1990, 635-36 ;Antonio Orbe, Apuntes sobre el pecado original gnstico et El bautismode Jess entre los Ofitas y los Valentinianos , dans Estudios sobre la teologacristiana primitiva (Fuentes Patrsticas Estudios 1) Madrid-Rome, CiudadNueva-Pontificia Universit Gregoriana, 1994, 271-85 et 441-90.

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  • LE SERPENT GURISSEUR 397

    historique entre lophitisme et la ralit socioculturelle de lantiquittardive peut amener expliquer lorigine de ce phnomne religieux.

    LES SOURCES SUR LA GNOSE OPHITE

    Les hrsiologues nous ont livr plusieurs rsums sur la gnoseophite, parfois contradictoires entre eux, souvent rptitifs : le premierest celui trac par Irne de Lyon en Haer. I, 30,1-14. Un second,diffrent, en Haer. 1, 30,15, est une courte notice qui prsente desgnostiques anonymes, mais clairement intresss au serpent. Puisnous disposons dun autre passage bref, Ps.Tertullien, Haer. 2,1-4,du long rcit dpiphane, Haer. 37 et des rsums de Philastre,Haer. 1 et Thodoret, Haer. 1,14. Dans sa polmique avec Celse,Origne nous livre un long passage ax sur le clbre diagrammedes Ophites , en Cels. 6, 24-38. Enfin, il y a surtout le Ve livrede llenchos attribu Hippolyte, tout entier consacr, selon lesintentions de lauteur, aux gnostiques adorateurs du serpent. Dansla ralit, les hrsies regroupes dans ce livre montrent une consid-ration trs variable pour le reptile : dans cet article, on fera surtoutmention des deux premiers groupes, les Naassnes (ib. 5, 7-11) et lesPrates (ib. 5,12-18), les seuls manifester une vritable vnrationpour cet animal. Les Naassnes, selon lenchos 5, 7, driveraientmme leur nom de lhbreu nahas, serpent 4.

    LE POINT DE VUE DE JEAN-DANIEL KAESTLI

    Dans son prcieux article sur lophitisme, Jean-Daniel Kaestliremarquait justement que, parmi tous ces candidats, les uniques,

    4. Plusieurs crits de Nag Hammadi, comme lOrigine du monde, lHypo-stase des Archontes et lApocryphe de Jean ont t souponns dappartenir la branche ophite et Kaestli en tient compte dans son article : Linterprtationdu serpent de Gense 3 . Pour le moment je ne les prends pas en considra-tion, en raison des nombreux problmes poss par la bibliothque de NagHammadi. Mais il est clair que les rsultats de cette tude pourraient donnerdes pistes nouvelles aussi dans ce domaine.

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  • 398 ANNARITA MAGRI

    vritables adorateurs du serpent sont les Prates et les Naassnes,et les Prates plus encore que les Naassnes5. Dans les rfrences Gn. 3 des crits de Nag Hammadi (Origine du monde, Hypostase desArchontes et Apocryphe de Jean), le savant identifiait une tendance doctique : le serpent y tait donc habit temporairement parSophia6 afin que les protoplastes puissent transgresser la prohibitionimpose par le Dmiurge ; mais cette identification temporaire avecSophia na rien voir avec une vritable vnration du serpent. Lechercheur inclut aussi dans cet horizon les tmoignages dIrne etaffirme :

    Plus un texte est marqu par linfluence du christianisme, plus lafigure du serpent est nettement spare de celle de linstructrice divinede Gen. 3 et plus elle est clairement associe lorigine du mal7.

    Les uniques vritables adorateurs du serpent seraient ainsi, ct des Naassnes, les Prates. On aurait donc une premire phasegnostique a-chrtienne de valorisation du serpent, suivie par uneprogressive christianisation des groupes et, en parallle, dmoni-sation du reptile.

    Larticle de Kaestli est trs important, en premier lieu parce quilisole les vritables adorateurs du serpent ; de plus, il souligne de faontrs approprie que limportance de cette image parmi les Pratesest due lexgse de lpisode du serpent dairain, en Nombres 21, 8et Jean 3,14. En deuxime lieu, il essaie de retracer un parcourscohrent du motif. En revanche, il naborde pas la question de sagense, ni des relations gntiques parmi les diffrents groupesdcrits. En fait, mme si linfluence judo-chrtienne a srementconduit dmoniser cet animal, on peut dmontrer que le dvelop-pement de lophitisme et de la vnration du serpent nest pastranger au christianisme mme, comme le montre lexgse de Nb.21, 8 par les Prates. Cest donc partir de l quil faut reprendre laquestion.

    5. Jean-Daniel Kaestli, Linterprtation du serpent de Gense 3 ,128-30.

    6. Ou Prounikos ou tout autre on fminin porteur de ltincelle desagesse pneumatique.

    7. Ibid., cit. 126.

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  • LE SERPENT GURISSEUR 399

    LE TMOIGNAGE DES PRATES SUR LE SERPENT : NB. 21, 8 ET JN. 3,14.

    Comme nous lavons dj remarqu, le dossier exgtique desPrates (cf. Hipp. El. 5,16, 6-8)8 est ax sur lpisode de Nb. 21,8dans la perspective de Jn. 3,14 : le serpent dairain lev sur la hampepar Mose nest rien dautre que le Logos. Mais l o le Quatrimevangile voque une typologie, les gnostiques songent plutt unevritable incarnation du Logos, prcdant lapparition du Christ surterre. Le texte opre aussi une distinction entre le serpent vritable ,le Logos, et les faux serpents, ceux qui mordaient les Hbreux audsert : ils seraient ainsi les dieux de la destruction , les astres ouarchontes plantaires. En accord avec une conception trs rpandueau IIe sicle, lordre astrologique emprisonne donc lhomme dans lancessit et le destin, dont la gnration est lexpression la plusaccomplie. Pour cela, le Logos-serpent sauve les hommes de lordredici-bas : il protge ceux qui se sont loigns du corps et de cemonde allgoris par lgypte et il les ramne au salut. Cetteconstruction se fonde, en fait, sur une allgorie de lExode, dont ontrouvera les traces jusqu Origne et qui est implicite dans le nommme de la secte : Prates, ceux qui traversent (la Mer Rouge,videmment)9.

    La citation exacte du Prologue de Jn. 1,1-4 et les nombreusesallusions au texte johannique prsupposent la rdaction finale decelui-ci, traditionnellement date la fin du Ier sicle de notre re10,tandis que llenchos est datable du dbut du IIIe sicle11. Lhrsio-logue laisse entendre que la secte est assez ancienne (cf. ib. 5,12,1).

    8. Pour le texte, voir Miroslav Marcovich d., Refutatio omnium haeresium(Patristische Texte und Studien 25), Berlin-New York, de Gruyter, 1986, 183,mme si cette dition reconstruit souvent lcrit de faon arbitraire.

    9. Sur lhistoire de ce concept, voir mon tude Il nome dei Perati, paratredans Orpheus 2006.

    10. Claudio Moreschini-Enrico Norelli, Storia della letteratura cristianaantica. I. Da Paolo allet costantiniana, Brescia, Morcelliana, 1995, 131-132.Louvrage (au moins le premier volume) a t traduit et enrichi en franais :cf. Claudio Moreschini-Enrico Norelli, Histoire de la littrature chrtienneantique grecque et latine, Genve, Labor et fides, 2000.

    11. Claudio Moreschini-Enrico Norelli, Storia della letteratura cristianaantica, 340-341.

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    Donc, le groupe doit tre situ sans aucun doute dans le cours duIIe sicle ; la comparaison avec Justin, qui, nous allons le voir, utiliseles mmes testimonia aux alentours du 160, nous permet de prfrerune datation vers le milieu du sicle.

    En fait, le noyau du dossier exgtique de El. 5,16 consiste dansune liste de testimonia du bois et de la croix, emprunts la Grandeglise12. ct de Nb. 6-8 et de Jn. 3,14, on peut y retrouver unerfrence au bton de Mose, que le prophte transforma miracu-leusement en serpent (cf. Ex. 4, 2-3 et 17, 7-15) et qui fut le moyendu passage de la Mer Rouge (cf. Ex. 14, 6) ; on peut y reprer uneallusion aux arbres de lEden (cf. Gn. 2, 8-10), tandis que El. 5,14laisse entrevoir une allusion lpisode des douze sources dElim(cf. Ex. 15, 22-25) ; El. 5,17, par contre, utilise le rare Gn. 30, 37-39,o le patriarche Jacob fait multiplier son troupeau bigarr en lexpo-sant la vue des branches darbres bigarres. Ce dernier passagebiblique est trs important, car il est rarement cit dans la littraturechrtienne ancienne.

    Ces testimonia chrtiens tournent autour des images du serpentet du bton ou baguette (en grec, rhabdos) : le bton, comme toutobjet de bois, tait associ par les premiers chrtiens la croix et auChrist. Surtout le motif du serpent dairain possdait, partir delvangile de Jean, une profonde valeur christologique : il fait ainsison apparition dans plusieurs listes de testimonia ligni, par exemple,Barn. 12, 5, Just. IApol. 60, 3 et Dial. 91, 4, ib. 94,1, ib. 112,1-2 et131, 4, Tert. Iud. 10,10, Marc. 3,18, 7 et Idol. 5, 3-4, Cipr. Test. 2, 20.Parmi les crits gnostiques, on doit citer le passage analogue de Test.Ver. 48,19-49,10, o le serpent est identifi au Christ13. De plus, denombreuses rfrences bibliques du dossier des Prates apparaissentdans Just. Dial. 86, 2, un morceau srement fond sur les testimonialigni ; le serpent dairain est nomm seulement au paragraphe 91,

    12. Voir ma contribution Lesegesi della setta ofitica dei Perati. Analisidi Ippolito, Haer. V,16 , Apocrypha 14 (2003), 193-223.

    13. Voir Annie et Jean-Pierre Mah d., Le Tmoignage vritable (NH IX,3).Gnose et martyre (Bibliothque copte de Nag Hammadi, section Textes 23),Qubec, Presses de lUniversit Laval-Louvain/Paris, Peeters, 1996, 114-17 ;les Prates sont mentionns dans le commentaire, 195, note 162.

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  • LE SERPENT GURISSEUR 401

    mais celui-ci, aprs une digression, dcoule de la mme liste destestimonia qui inspirait le 8614.

    On peut donc affirmer que les Prates ont puis des testimoniasur la croix trs semblables ceux utiliss par Justin : mais, parrapport au Dialogue avec Tryphon, les gnostiques semblent avoirprivilgi limage du serpent et celle du bton (en fait, celui de Moseavait la tendance se transformer en serpent). On remarque labsencedautres passages presque omniprsents dans les testimonia sur lacroix, surtout celui de la bataille avec Amaleq (cf. Ex.17, 8-13),pisode couramment associ au serpent dairain : Josu remporta lavictoire grce lattitude de prire, avec les bras tendus, de Mosesur la montagne. En tout cas, lquivalence entre Logos et serpent(ou rhabdos) est clairement prsuppose : ici on a vraiment ungroupe gnostique pour lequel serpent = Logos. Jaimerais soulignerque mme les Naassnes ne posent pas ainsi explicitement cetteidentit. En fait, si on oublie ltymologie propose pour le nom dugroupe, le reptile disparat dans le reste de la notice de llenchos :quelquefois on a mme du mal comprendre la raison de limportancede cet animal pour ces gnostiques.

    Il faut maintenant comparer les Prates avec les autres Ophites.

    LES AUTRES OPHITES

    Pour ce qui concerne les autres notices sur les Ophites, je meborne donner ici des indications rapides, mais on en tirera dj desconclusions provisoires.

    14. Cette connexion a t dmontre par Pierre Prigent, Justin et lAncienTestament. Largumentation scripturaire du trait de Justin contre toutes leshrsies comme source principale du Dialogue avec Tryphon et de la premireApologie, Paris, Gabalda, 1964, 194-202 ; louvrage soccupe aussi des testimoniacrucis, pour lesquels voir Oskar Skarsaune, The Proof from Prophecy. A Studyin Justin Martyrs Proof-Text Tradition: Text-Type, Provenance, TheologicalProfile (Suppl. Novum Testamentum 56), Leyde, E. J. Brill, 1987, particuli-rement 215 et 374-378 ; Martin Albl, And Scripture cannot be broken . TheForm and Function of the Early Christian Testimonia Collections (Suppl. NovumTestamentum 96), Leyde-Boston-Cologne, Brill, 1999, 101-106 et 155-157.

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  • 402 ANNARITA MAGRI

    Il est prfrable de laisser de ct Irne Haer. 1, 30,1-14 : sonvaluation trs ngative du serpent, qui est simplement utilis parProunikos comme canal de communication avec Adam et ve, puisdevient la source de tout mal, semble loigner ce groupe des Prates.Kaestli a raison daffirmer que la vision chrtienne du serpent apes lourdement sur cette perspective.

    Toutefois, ce long passage, une vritable histoire du salut du pointde vue gnostique, contient la version la plus accomplie du mythe deProunikos : lon fminin le plus extrieur, plong dans les eauxden bas et dans la matire, nest plus capable de remonter, raisonpour laquelle il se libre de la matire acquise et donne ainsi origineau ciel et au Dmiurge. Ce dernier gnre sept fils, les archontesplantaires, qui, leur tour, essaient de modeler lhomme. Mais cettecrature est incapable, sans ltincelle den haut, de se tenir debout :le mythe se prsente donc dans des termes semblables Origine dumonde 114, 29-116, 5, Hypostase des archontes 87, 23-88,17 et laversion des Naassnes (cf. El. 5, 7, 3-8). Dans ce cadre, le serpentest plutt une image serpentiforme, le Nun, conue par le DmiurgeIaldabaoth : il est lorigine de tout mal, mais Prounikos se sertde lui pour rendre possible le pch de lden, cest--dire,daprs linterprtation gnostique, laccs des protoplastes lagnose suprieure. Aprs cette utilisation , le Dmiurge jette Nundu ciel.

    Parmi les autres notices, Irne Haer. 1, 30,15 offre un rsumtrs concis sur une hrsie anonyme selon laquelle Sophia auraitassum la forme du serpent (Quidam enim ipsam Sophiam Serpentemfactam dicunt) : elle russit ainsi communiquer la vritable sagesseaux hommes grce la transgression de lEden. Kaestli a raison desouligner le doctisme fondamental de cette conception ; maison pourrait songer aussi une incarnation de Sophia dans le serpent,dune faon analogue ce qui arrive au Logos des Prates, linfinitiffactam esse demeurant ambigu. En tout cas, si lophitisme avaitdbut comme adoration authentique de cet animal, ce doctismepourrait tre d une attnuation de laperu positif original.

    Lipsius faisait driver les renseignements du Ps.Tertullien, dePhilastre et dpiphane du Syntagma dHippolyte, aujourdhui

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  • LE SERPENT GURISSEUR 403

    perdu15 : dans le Pseudo-Tertullien on trouve, pour la premire foisaprs les Prates, une rflexion axe sur le serpent dairain, quiaurait mme donn aux hommes la connaissance du bien et du mal(une claire allusion Gn. 3). Lauteur ajoute que les Ophites enquestion utilisaient le serpent pour consacrer lEucharistie, ce quiest tout fait compatible avec lquation Logos = serpent.

    Le reste du bref passage du Pseudo-Tertullien parle du Dmiurge,qui donna origine de nombreux ons : cela pourrait correspondre El. 5,14 (Prates). En outre, le rdacteur ajoute le mythe de lacration de lhomme dans les mmes termes quIrne, Haer. 1, 30, 6et les Naassnes. Les pages sur les Prates nen portent aucune trace :or, on ne peut savoir si le Ps. Tertullien ignore le mythe de Prounikosou non, car son rsum est bien court. Sil partage ses sources avecpiphane, il est bien possible que sa version de la cration de lhommeprsuppose le mythe de Prounikos, car les deux sont strictementlis. Dans lElenchos, par contre, les Prates sont immdiatementprcds par les Naassnes, qui dcrivent la cration de lhommedans des termes semblables. On pourrait donc supposer uneconfluence des sources et des sectes, car les Ophites dIrne neconnaissent pas limportance du serpent dairain, ni une vritableidentification Logos = serpent. En revanche, le Ps.Tertullien semblefaire rfrence un groupe analogue celui des Prates, mais il ymle un autre, proche des Ophites dIrne. On pourrait en tout casproposer lhypothse que le Ps.Tertullien dcrive les Prates sous lenom dOphites.

    Je ne moccupe pas ici de la description du clbre diagrammedes Ophites donne par Origne : cela requiert une analyse trsdtaille tant des possibles reconstructions du dessin que de laconception plantaire qui en dcoule. De plus, cette reconstructiondemande une comparaison avec la liste des ons, El. 5,14. En toutcas, Origne nous livre une information dimportance capitale : selonCels. 6, 28, le fondateur des Ophites ne serait autre quEuphrate.On sait trs bien quun des deux fondateurs des Prates est Euphrate

    15. Claudio Moreschini-Enrico Norelli, Storia della letteratura cristianaantica greca e latina, 355-356. Louvrage de Lipsius nest pas indiqu dansla bibliographie.

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    le Pratique (cf. El. 5,12-13) : il est donc possible que les Pratessoient le groupe fondateur de lophitisme. Birger Pearson avait djeu cette ide16. Mais avant de formuler cette hypothse dunefaon plus complte, jaimerais dire quelques mots sur la noticedpiphane :

    1. La secte des Ophites serait fort ancienne et aurait eu descontacts avec le Nicolas blm par lApocalypse (cf. Ap. 2, 6 et 15).

    2. Les Ophites vnrent le serpent comme dieu et principe desagesse (rfrence implicite au pch de lEden).

    3. Mythe de Prounikos, naissance de Ialdabaoth, gnration parlui des sept archontes, cration de lhomme : par hargne contreProunikos et lhomme, qui avait reu de lon fminin ltincellespirituelle, Ialdabaoth ragit en envoyant contre lui son fils, leSerpent, qui trompe ve. La dfinition de ce Serpent concide aveccelle donne par Ir. Haer. 1, 30, 5.

    4. Ils ajoutent que nos intestins ont la forme du serpent (= Irne,Haer. 1, 30,15).

    5. Le serpent apporte la connaissance aux hommes dans lEdenet est rejet par Ialdabaoth.

    6. Ils consacrent lEucharistie en faisant sortir un serpent de sakyste et en le faisant senrouler autour des pains ; ils lembrassentaussi sur la bouche.

    7. Ils introduisent le serpent dairain, ct de Mt. 10,16, commepreuve dun enseignement positif sur le serpent.

    Il faut remarquer la contradiction sur le rle du serpent dans lepch de lEden : prsent dun ct comme garant de la gnose, ilest dit aussi avoir tromp ve par ordre de Ialdabaoth, ce qui nepeut avoir quune signification ngative ; piphane mme saperoitde la contradiction (voir Haer. 37, 6, 5-7).

    Si on fait la comparaison avec les sources prcdentes, on peuttre sr qupiphane reprend la source du Ps. Tertullien (serpentdairain, conscration de lEucharistie avec le reptile, serpent commedispensateur de la gnose, cration des hommes par les archontes). Ilajoute que les Ophites drivaient partiellement de Nicolas, ce qui

    16. Birger A. Pearson, Did the Gnostics Curse Jesus? , Journal ofBiblical Literature 86 (1967), 301-305.

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  • LE SERPENT GURISSEUR 405

    nest pas incompatible avec le cadre donn par le Ps. Tertullienou avec les Prates17; il intgre aussi le dtail rapport par Irne,Haer. 1, 30,15, sur les intestins humains forme de reptile. Cetteinformation anatomique pourrait tre compare avec Hippolyte, El.5,17,11-13, o limage du Logos-serpent est devine dans la formede lappareil nerveux. Mais toutes ces donnes, sauf la cration delhomme, ne saccordent pas avec la premire partie de la notice,o lvque de Salamine relate le mythe de Prounikos et ses annexes,dune faon gale aux Ophites dIrne : il sagit probablementdun tlescopage entre deux sources diffrentes, sources qui taientencore bien distingues chez Irne, mais situes lune derrirelautre. Cette fusion est observable dj chez le Ps. Tertullien etexpliquerait aussi la contradiction sur le rle du reptile dans lEden18.

    Je propose donc que les deux descriptions donnes par Irnecorrespondent deux phases diffrentes du dveloppement delophitisme : une, plus audacieuse et ancienne, axe sur lexgsedu serpent dairain et sur lidentification Logos = serpent ; lautre,postrieure et doctique , dans les termes de Kaestli, qui auraitprogressivement vid de sa positivit le serpent du Paradis terrestre,pour le ramener une dmonisation typiquement chrtienne et plustraditionnelle. Au premier systme appartiendraient limportanceaccorde au serpent dairain, son identification avec le Logos, laclbration de lEucharistie avec le reptile, le dtail anatomique surles intestins serpentiformes, le concept de serpent donneur de gnose,une conception positive du pch de Gense ; au deuxime systmeil faudrait ramener, par contre, le mythe de Prounikos, les fils deIaldabaoth, la cration de lhomme. Dans ce dernier systme, onobserve quve crut au serpent envoy par Ialdabaoth comme siltait le fils de Dieu (Eva autem quasi a Filio Dei hoc audiens,facile credidit) : donc le serpent donneur de gnose, le discours

    17. Voir infra.18. Cette contradiction pourrait tre explique en rappelant que le Serpent

    agit sous limpulsion de Sophia-Prounikos ; mais, en tout cas, on ne voit pasdans quel but le Dmiurge laurait envoy tromper ve. Le problme resteet sagrandit si on prend en considration lensemble des renseignements, quidonnent le portrait, dun ct, dun systme ax sur le serpent et sur le Logos,de lautre sur Sophia et sur son intromission dans le reptile.

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  • 406 ANNARITA MAGRI

    de sagesse , le sophos Logos dve (cf. notice sur les Prates,El. 5,16, 8), expression de la ralit pneumatique dans le premiersystme, devient ici un tre psychique et driv du Dmiurge, deniveau infrieur. On a limpression que ces Ophites ne se sont passeulement rallis une exgse plus conformiste de cet animal, maisquils adressent aussi une polmique voile leurs prdcesseurs,coupables davoir identifi le Logos avec le serpent. Par contre, les prdcesseurs pourraient concider avec les Prates19.

    Pour ce qui concerne le mythe de Prounikos, il est absent de lanotice sur les Prates, mais il reflte aussi une phase postrieure dudveloppement thologique. En fait, la triade pratique, en accordavec un modle binaire archaque, oppose le Pre et le Logos la matire (cf. El. 5,12). Prounikos-Sophia, au contraire, procdedune volution de la pense qui ajoute une rflexion sur la troisimePersonne de la triade, la Premire Femme, vritable essai embryon-naire de pneumatologie20.

    Philastre sexprime en des termes qui rappellent Irne, Haer.1, 30,15 : le serpent serait vnr par les Ophites, car il a donn lasagesse la femme. Thodoret enfin (Haer. 1,14) poursuit louvragede conflation des sources et identifie les Sthiens avec les Ophites :il donne de nouveau le rcit de Prounikos, de la cration de lhomme(information coupe partiellement) et de la gnration de ltreserpentiforme par le Dmiurge, ct de la conscration de lEucha-ristie grce au serpent et de lide que les intestins ont la forme dunreptile. Il reprend donc le mme rcit que le Ps.Tertullien et piphane.

    On peut en tirer les conclusions provisoires suivantes :1. Les Prates sont probablement les premiers Ophites. Daprs

    lElenchos, en fait, leur fondateur est Euphrate, homonyme de celuide toute la branche ophite.

    19. Lide que les Prates pouvaient tre identifis avec les Ophitesdpiphane avait dj effleur Hans Leisegang, La Gnose, 107.

    20. Suggestion orale faite par Josip Montserrat-Torrents; voir surtoutAntonio Orbe, La teologia dei secoli II e III: il confronto della Grande Chiesa conlo gnosticismo (trad. it.), Casale Monferrato, Piemme-Rome, Editrice Pontificia,1995 (d.originale espagnole Rome, Pontificia Universit Gregoriana, 1987),139-144.

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  • LE SERPENT GURISSEUR 407

    2. De plus, ils sont les uniques Ophites auxquels on attribue unfondateur quelconque. Mme les Naassnes, dont on a cru souventque les Prates dcoulaient21, ne partagent pas ce privilge.

    3. Ils sont les uniques Ophites qui adorent le serpent vridiquementet qui lui attribuent une importance centrale dans leur conceptionreligieuse ; et cela, sur la base du passage fondamental du serpentdairain, en dveloppement libre dune ligne thologique issue delcole johannique.

    4. Selon cette perspective, le serpent est identifier avec le Logos,descendu sur terre pour le salut des hommes ; chaque apparition duserpent dans lAncien Testament lannonce et le rvle.

    5. Pour cela, et selon une ligne de pense antijuive, on a pu voirdans le serpent du Paradis terrestre une figure positive, le Logosmme qui donnait la sagesse aux protoplastes ; le Dieu de lAncienTestament, le Dmiurge, serait donc apparu mchant et autoritaire.Sur la base de Jn. 3,14 la transgression de Gn. 3 doit tre ainsiconsidre comme un moment de rvlation du Logos et de rbellionau Dmiurge22.

    6. Pour tablir ce lien, les Prates se sont fonds sur un testimoniumqui associait la croix, le bois, le bton et le serpent : il sagit dunrecueil dorigine juive, certes, mais qui a d passer par le christianisme,comme on le voit par limportance centrale de Jn. 3,14. Les Pratestaient des chrtiens ou pouvaient se considrer comme tels.

    7. Le Ps.Tertullien, qui nous dcrit un groupe ax sur le serpentdairain, parle vraisemblablement des Prates. Il nous offre aussilinformation, trs cohrente avec cet ensemble, que ces gnostiquesutilisaient le serpent pour consacrer lEucharistie. Cela est possibleseulement si serpent = Logos.

    8. piphane dcrit le mme groupe. Pour lui aussi les Ophitesconsacrent lEucharistie avec le serpent et identifient ce dernier avecle Logos.

    21. Voir par exemple Robert P. Casey, Naassenes and Ophites , Journalof Theological Studies 27 (1926), 374-387.

    22. Il ne faut pas oublier que les deux pisodes taient dj en antithsedans lexgse de Philon : cf. Agric. 94-99 et Leg.all. 3, 78-81.

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  • 408 ANNARITA MAGRI

    9. Le Ps.Tertullien et piphane (sans oublier Thodoret) rappor-tent aussi lensemble sur Prounikos et la cration de lhomme, quiappartient par contre un autre systme, celui dcrit comme ophitepar Irne, Haer. 1, 30,1-14.

    10. Personne ne russira plus, mme dans le gnosticisme ophite, galer laudace dEuphrate : les autres notices montrent quuneconception docte a progressivement vid le serpent de son rle deLogos. Mme les hrtiques les plus tmraires nont pas t capa-bles daccepter longtemps lidentification du Christ avec limageprincipale de son ennemi direct, le diable.

    11. On pourrait donc supposer que les Ophites dIrne appar-tiennent une phase ultrieure du dveloppement de la branche :toutefois, il ne faut pas oublier que les renseignements sur cesgroupes taient rarement directs, et restent assez vagues.

    12. Le dveloppement doctique pourrait avoir abouti unevritable dmonisation du serpent, en alignement avec la traditionchrtienne ; on en a un souvenir dans le rcit des Ophites dIrneet, probablement, dans la contradiction dans laquelle tombe la noticedpiphane.

    Le parcours envisag par Kaestli se rvlerait donc trop simple :lophitisme pourrait tre issu, en premier lieu, depuis un courantdascendance johannique ; mais, cette identification du serpent avecle Logos aurait t ensuite mitige, par influence dautres concep-tions chrtiennes plus traditionnelles, qui voyaient dans cet animalsimplement le symbole du mal.

    Dans ce cadre, J. Charlesworth a probablement raison, lorsquilpropose, dans son interprtation de Jn. 3,14, lexistence duneophidian christology : une christologie ophite fonde sur lidenti-fication de Jsus avec le serpent dairain, issue de lcole johannique,mais qui atteignit son paroxysme parmi les Ophites23. Toutefois,Euphrate est rest seul avec son audace tmraire, ce qui laisse

    23. James H. Charlesworth a expos sa conception de la ophidian christologylors dune trs rcente journe dtudes bibliques lUniversit de Genve(Ophidian Symbology and Biblical Theology, le 16 avril 2005) et dans unouvrage encyclopdique, The Good and Evil Serpent, Anchor Bible, en coursdimpression et dont la parution est prvue pour le mois de juin 2008.

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  • LE SERPENT GURISSEUR 409

    supposer que lophitisme est n avec les Prates, autour du milieudu IIe sicle ou mme auparavant.

    Je nai pas mentionn jusquici les Naassnes. Une simple lecturede leur notice laisse entrevoir leur parent troite avec les Prates.Je suppose, sur la base des arguments exposs plus haut, quils driventde lautre groupe : et jajoute un autre dtail. Il est vrai que leur nomprovient directement du serpent : selon le rdacteur de llenchos,il drive de lhbreu nahas, serpent (cf. 5, 6, 3-4) ; mais le jeude mots avec le grec naos, temple , leur permettrait daffirmerque tous les temples et les religions du monde existent grce auserpent et lui sont ddis, car il ny a pas de religion sans temples niserpents (cf. 5, 9,12)24. Le jeu de mots entre nahas et naos sembleimpliquer la procdure juive du maal, une sorte de paronomase,dj observe pour les Prates25. Cela, comme dailleurs toute lanotice, confirme la stricte parent entre Naassnes et milieu juif.Malgr les dclarations dEl. 5, 6, 3, selon lesquelles les Naassnesauraient t les premiers vnrer les serpents, je prfreraisdonner cette affirmation une valeur relative. En fait, je crois que

    24. Mark J. Edwards, The Naming of the Naassenes : Hippolytus,Refutatio V.6-10 as Hieros Logos , Zeitschrift fr Papyrologie und Epygraphik112 (1996), 74-80, refuse cette tymologie et propose de voir dans le nomNaassnes le rsultat de naos, temple , et nous, cerveau, esprit : mais ilnest pas en mesure de prouver ce passage au niveau phontique. De plus, ilsuppose gratuitement que cette tymologie est le produit de la hargne deshrsiologues, car le serpent serait un perverse object of worship (cit. 75) : cestignorer ainsi limportance universelle du reptile dans les religions anciennes.Cette perspective sappuie en outre sur la reconstruction du texte jadis avancepar Reitzenstein et sur lide que les Naassnes dcouleraient dun pr-gnosticisme : pour cela, les insertions chrtiennes devraient tre considrescomme postrieures. Un simple regard la notice suffit pour confirmer les lienstroits existant entre Naassnes et judo-chrtiens, sans oublier que, lElenchosle dit clairement, leur nom vient de nahas.

    25. Cette procdure souligne lidentit phontique et la divergence sman-tique de deux mots, pour tablir des significations nouvelles : Annarita Magri, Lesegesi della setta ofitica dei Perati. Analisi di Hipp.Haer. V,16 , Apocrypha14 (2003), 193-223, surtout 218 ; Lou H. Silberman, A Note on 4Q Flori-legium , Journal of Biblical Literature 78 (1959), 158-9 et Wilhelm Bacher,Die Exegetische Terminologie der jdischen Traditionsliteratur, Leipzig,J. C. Hinrichschen Buchhandlung, 1905, 111-112.

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  • 410 ANNARITA MAGRI

    cette focalisation sur lanimal a t progressive : les Naassnespourraient avoir t les premiers assumer une dnominationexplicite tire du serpent et apparatre ainsi comme ses adorateursofficiels, mais lide pourrait tre ne dans un autre groupe. Entout cas, leur notice est trop longue et dtaille pour tre analyseici, raison pour laquelle je me propose daborder le problmeailleurs.

    Toutefois, limportance accorde au serpent par les Prates et lesOphites ne peut pas tre explique seulement sur la base des donnesjudo-chrtiennes : dans cet horizon, une vision fortement ngativedu reptile prvalait depuis longtemps. Il faut donc chercher danslenvironnement o ces groupes vivaient pour comprendre si la cultureet la religion contemporaines proposaient quelque chose danalogue.Or, il se trouve que justement pendant le IIe sicle le serpent taitdevenu une figure extrmement populaire, presque la mode .Cela nous met dans la condition de pouvoir expliquer lorigine desPrates et de lophitisme.

    LE SERPENT LA MODE AU IIE SICLE

    Si on passe en revue la documentation archologique contempo-raine des Prates, on est tonn par la frquence avec laquelle lemotif du serpent apparat sur les objets les plus divers : dcorationsarchitecturales, joyaux, monnaies, objets de culte. Jen donneraiseulement quelques chantillons.

    P. Romanelli a identifi sur un chapiteau ionique une dcorationtrs rare qui consistait en deux serpents entrelacs : il la date entrela deuxime moiti du IIe sicle et le dbut du IIIe 26.

    D. Alicu a constat lomniprsence de la vaisselle sacre dcorede serpents en Dacie, rgion qui fut colonise, on le sait, pendant leIIe sicle.

    26. Pietro Romenelli, Un Modiglione di Leptis Magna con decorazionedi nodo di serpenti , American Journal of Archaeology 66 (1962), 313-315.

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  • LE SERPENT GURISSEUR 411

    La prsence de ces vases dans des milieux si divers, dans des templesdiffrents, ddis des divinits qui ne se trouvent pas en rapport directavec Mithra et Sabasius, indique lutilisation de ces vases sur un largeterritoire, partir de la seconde moiti du IIe sicle27.

    Il ne sagit pas dun motif artistique spcialement li une divi-nit particulire, mais dun thme rpandu parmi de nombreux cultestrs divers, si rpandu que J. Collins-Clinton a mme forg un termead hoc, snakeware 28. On en voit les reflets, la mme poque,aussi dans la fabrication de bijoux29.

    La popularit du serpent dans la vaisselle cultuelle nous conduit la vritable raison de sa renomme cette poque : sa prsenceextrmement frquente dans les cultes, surtout mystres, do lafacies ainsi caractristique de cette priode.

    Le serpent est un animal avant tout chthonien, li la terre etaux rites archaques des desses mres ; il apparat dans la phase laplus ancienne du dveloppement des religions de la Mditerrane,au Moyen Orient et dans lge. Son regard aigu, perant, a donnune rputation considrable ses capacits visuelles et, en cons-quence, a forg le mythe de sa ruse ; il est donc devenu lanimalmantique par excellence et un symbole prgnant de sagesse. Pendantle IIe sicle, par contre, cest une autre de ses qualits qui excitaitlintrt : la mue, donc sa possibilit de renatre chaque anne et dechanger sa peau aprs la phase de lthargie en hiver. Cette caract-ristique a fait du reptile lanimal sacr de maints cultes mystres,qui promettaient, justement au IIe sicle, limmortalit de lme etle salut dans lAu-del. Cest lpoque dune vritable rvolutionreligieuse , qui vit grandir les proccupations spirituelles : dans cecadre, lanimal considr depuis longtemps comme porteur de vie,

    27. Dorin Alicu, Vases dcors de serpents, dcouverts Sarmizegetusa ,Latomus 39, (1980), 717-725, cit. 725.

    28. Voir Jacquelyn Collins-Clinton, A Late Antique Shrine of Liber Paterat Cosa (tudes prliminaires aux religions orientales dans lEmpire Romain64), Leyde, Brill, 1977, 24.

    29. Hilary E. M. Cool, The Significance of Snake Jewellery Hoards ,Britannia 31 (2000), 29-40.

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  • 412 ANNARITA MAGRI

    jeunesse et renaissance, devint un des symboles religieux les pluspuissants30.

    LE SERPENT DASCLPIOS

    Tracer une liste des cultes qui ont utilis le symbole du serpentdemanderait une vritable encyclopdie. La stratification de sessignifications religieuses le rend prsent, soit comme animalchthonien, soit comme symbole mantique, ou encore de renaissanceet dimmortalit, dans presque tous les rituels des divinits anciennes.Mais lun deux tait probablement plus populaire que les autres :cela aiderait ainsi expliquer lidentification par les Prates duLogos et du reptile. Il sagit du culte dAsclpios, le dieu gurisseurle plus connu de la culture grco-romaine, qui atteint le sommet desa popularit prcisment au IIe sicle.

    Figure originaire de la Thessalie, reconnue comme divinit entrele VIe et le Ve sicle avant Christ, Asclpios devint le dieu gurisseurpar excellence du Panthon grco-romain31. Il passait pour le fils

    30. La bibliographie sur les valeurs symboliques attribues cet animal, soitdans les critures juives et chrtiennes, soit dans la littrature paenne, est trsvaste : je me borne ici indiquer Edgar Kster, Die Schlange in der griechischenKunst und Religion (Religiongeschichtliche Versuche und Vorarbeiten 13),Giessen, Tpelmann, 1913 ; Maria Lucia Sancassano, Il Serpente e le sue imma-gini. Il motivo del serpente nella poesia greca dallIliade allOrestea (Bibliotecadi Athenaeum 36), Cme, New Press, 1997, et surtout James H. Charlesworth,The Good and Evil Serpent, en cours dimpression.

    31. Pour un recueil des sources, Emma Jeannette Edelstein, LudwigEdelstein, Asclepius. A Collection and Interpretation of the Testimonies, Balti-more, The Johns Hopkins Press, 1945 ; aussi Gregory Vlastos, Religion andMedicine in The Cult of Asclepios: A Review Article , Review of Religion 13(1948), 269-290, qui corrige Edelstein. Pour le dieu et sa vnration, EduardThrmer, Asklepios , dans Paulys Realencyclopdie der classischen Alter-tumswissenschaft (neue Bearbeitung), vol. 2, 2, 1896, 1642-1697 ; Ulrich vonWilamowitz-Moellendorff, Der Glauben der Hellenen, vol. I, Darmstadt,Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1994, rimpression de 19552, 220-230,qui considre le serpent comme un trait trs archaque. Ltymologie du nom dudieu serait plasgique selon Vladimir I. Georgiev, Aiskalapios-Asklepios ,Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae 25 (1977), 317-319 ; on apropos par ailleurs une drivation de askalabos, lzard , en Eduard Thrmer,

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  • LE SERPENT GURISSEUR 413

    dApollon et de la princesse mortelle Coronis : initi par le centaureChiron lart mdical et devenu expert au point dtre capable deressusciter les morts, il fut pour cela foudroy par Zeus32.

    Comme on la dit, la popularit dAsclpios a atteint son acmau IIe sicle, lorsquil fut mme identifi avec Zeus33 : cette poque,

    32. Voici une petite liste des sources principales sur le mythe : Homre, Il.4,192-219; Hymne 16,1-5 ; Hymne orphique 67, Pindare, Pyth. 3,1-58 ; Platon,Rp. 407-8, Diodore 4, 71 ; ib. 5, 74 ; Paus. 2, 26, 3-10 et 8, 25,11 ; ApollodoreBibl. 3,10, 3 ; Vergile n. 7, 760-83 ; Ovide, Mt. 2, 542-48 ; ib. 15, 531-46 et622-744 ; Fas. 6, 743-54 ; Hygin, Fab. 49 et Astr.14, 5, etc.

    33. Ren Josef Ruettimann, Asclepius and Jesus ; Ulrich von Wilamowitz-Moellendorff, Der Glauben der Hellenen, vol. I, 497-500 ; Howard Clark Kee, Self-Definition in the Asclepius Cult , dans Ben F. Meyer and Ed P. Sandersd., Self-Definition in the Graeco-Roman World, vol. III, Londre, SCM Press

    Asklepios , 1643. Les savants sont partags propos de lorigine de cettedivinit : il sagit ou bien dun hros divinis ou dune divinit archaquechtonienne. Pour lhistoire du mythe, voir Gregory Vlastos, Religion andMedicine ; Ren Josef Ruettimann, Asclepius and Jesus: The Form,Character and Status of The Asclepius Cult in The Second-Century CE and itsInfluence on Early Christianity, Dissertation discussed at the Harvard University,1987, Ann Arbor, Michigan, University Microfilm International, 1989, 12-21 ;Alice Walton, Asklepios. The Cult of the Greek God of Medicine, Chicago,Ares Publishers Inc., 1979, 1-35 (avec une liste des sources aux pages 85-95);Jan Schouten, Serpent of Asklepios. Symbol of Medicine (trad. anglaise deloriginal nerlandais), Amsterdam-Londre-New York, Elsevier PublishingCo., 1967, 7-22 ; Vincenzo Cilento, Asclepio , La Parola del Passato 21(1966), 449-459 ; Kroly Kerenyi, Asklepios. Archetypal Image of the PhysiciansExistence (trad. anglaise) (Bollingen Series 65.3), New York, BollingenFoundation-Pantheon Books, 1959 (d. originale allemande Ble, Ciba Ldt.,1947), 87-101. Pour une rflexion sur les origines de ce mythe, GianninaSolimano, Asclepio. Le aree del mito (Pubblicazioni dellIstituto di FilologiaClassica e Medievale 46), Gne, Facolt di Lettere, Istituto di Filologia Classicae Medievale, 1976 ; Christa Benedum, Asklepiosmythos und archologischerBefund Medizinhistorisches Journal 22 (1987), 48-61 et Christa Benedum, Asklepios-Der homerische Artz und der Gott von Epidaurus , RheinischesMuseum fr Philologie 133 (1990), 210-226. Selon Giannina Solimano, lestatus divin ou hroque dpend surtout de la phase dvolution religieuse dunecroyance: Asclpios aurait donc t, lorigine, un dieu-serpent de la Thessalie,anthropomorphis par la suite. Cet avis est partag par Peter Robert Franke, Asklepios Aesculapius auf antiken Mnzen , Medizinisches MonatsspiegelMERCK 14 (1969), 60-67, surtout 61-62. Christa Benedum situe, par contre,la divinisation dun hros homrique, toujours thessalien, pas avant le VIe sicle :par la suite, le dveloppement du culte dpidaure aurait signifi une nouvelleorganisation de cette vnration partir du Ve-IVe sicle.

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  • 414 ANNARITA MAGRI

    il comptait, autour de la Mditerrane, plus de 500 sanctuaires34.Son temple principal se trouvait pidaure : ctait un ensemblearchitectonique restaur par Hadrien35. Dans le naos, on pouvaitadmirer une statue du dieu, appuy sur son bton autour duquel unserpent tait enroul36. Le dieu tait trs vnr aussi en AsieMineure : le centre le plus fameux tait Pergame, restaur lpoquedHadrien37; l aussi, il existait une sculpture du dieu, ralisepar Phyromachos, avec le bton serpent38, motif reproduit sur les

    34. Eduard Thrmer, Asklepios , 1662-77, o on nomme 186 sanctuaires,et la liste de Alice Walton, Asklepios, 95-121 ; Alessandra Semeria, Per uncensimento degli Asklepieia della Grecia continentale e delle isole , Annalidella Scuola Normale di Pisa, III serie 16 (1986), 931-958 contient les sourcesconcernant seulement 59 sanctuaires de la Grce continentale et insulaire.

    35. Ren Josef Ruettimann, Asclepius and Jesus, 44 et 55 ; sur le templedpidaure, 21-27, ib. 46-54 et Kroly Kerenyi, Asklepios, 18-46.

    36. Pausanias 2, 27, 2 : la statue, chryslphantine, avait t sculpte parThrasymde autour de 370 a.c. ; Peter Robert Franke, Asklepios Aesculapiusauf antiken Mnzen , 61-62, qui en offre limage reproduite sur les monnaiesde la ville.

    37. Ren Josef Ruettimann, Asclepius and Jesus, 32 ; sources sur lesanctuaire : 4-5 et 98-101 ; louvrage de Ruettimann est focalis sur le IIe sicleet lAsie Mineure, o la prsence des chrtiens saffirma trs tt. Un nouveautemple fut bti grce au soutien de L. Cuspius Pattumeius Rufinus en 150 surle modle du Panthon : voir Hans-Joachim Schalles, Pergamon , dansJane Turner d., The Dictionary of Art, vol. 24, Londre, Macmillan PublishersLimited, 1996, 410-416, surtout 413 ; Adolf Hoffmann, Zum Baumplan desZeus-Asklepios-Tempels im Asklepieion von Pergamon , dans DeutschesArchologisches Institut, Bauplanung und Bautheorie der Antike (Diskussionenzur archologischen Bauforschung 4), Drckerei Hellmich KG, 95-103. Legrand nombre dinscriptions tmoigne aussi de la renomme internationale dece lieu depuis Hadrien.

    38. Voir Ren Josef Ruettimann, Asclepius and Jesus, 30. Sur la clbrestatue de Phyromachos, voir Bernard Andreae, Der Asklepios des Phyro-machos , dans Bernard Andreae et alii d., Phyromachos Probleme. Mit einemAnhang zur Datierung des grossen Altares von Pergamn (Mitteilungen desDeutschen Archaeologischen Instituts Rmische Abteilung 31), Mayence,Verlag P.von Zabern, 1990, 45-100 (elle remontait aux annes 167-156 a.c.).

    Ltd, 1982, 118-36. Au IIe sicle remontent, par exemple, les inscriptions tudiespar Kent J. Rigsby, A Roman Epigram for Asclepius , Zeitschrift fr Papyro-logie und Epygraphik 134 (2001), 107-108 et par Lothar Schwinden, DieWeihinschrift fr Asclepius CIL XIII 3636 aus Trier , Trierer Zeitschrift 57(1994), 133-145 (priode de lpidmie de peste de 165-80).

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  • LE SERPENT GURISSEUR 415

    monnaies de la ville asiatique39. Les autres sanctuaires importantstaient Cos, restaur aussi par les Antonins40, et Rome, pareillementtrs frquent, daprs les inscriptions et les monnaies, pendant lamme priode41 : Christa Benedum lie cet intrt grandissant auflau qui ravagea lEmpire sous Marc-Aurle, entre 165 et 18042 ;en outre, depuis Hadrien, le dieu tait le protecteur officiel de la santde lempereur43. Le culte sadressait avant tout aux malades etimpliquait la pratique de lincubation et loniromancie44 ; il pouvait y

    39. Ren Josef Ruettimann, Asclepius and Jesus, 72-73 et 89.40. Francesco Sirano, Considerazioni sullAsclepio Tipo Nea Paphos .

    Ipotesi su di un gruppo di sculture di et imperiale , Archeologia Classica 46(1994), 199-232, surtout 226-228.

    41. Ren Josef Ruettimann, Asclepius and Jesus, 19-20 et 57-64 ; ChiaraDe Filippis Cappai, Il culto di Asclepio da Epidauro a Rome : medicina deltempio e medicina scientifica , Civilt classica e cristiana 12 (1991), 271-84 ;Christa Benedum, Betrachtungen zu Asklepios und dem Aesculapius derRmer , Wrzburger Jahrbcher fr die Altertumswissenschaft, Neue Folge25 (2001), 187-207. Pour les sources littraires principales, cf. Ovide, Mt. 15,622-744, Live, 10, 47, 7, Valre Maxime, 1, 8, 2 et Augustin, Cit de Dieu,3,17, ib. 10,16. Franke reproduit le mdaillon command par Antonin le Pieuxen mmoire de larrive du serpent sacr sur lle Tibrine en Asklepios Aesculapius auf antiken Mnzen , 65-66.

    42. Christa Benedum, Betrachtungen zu Asklepios , surtout 199 :selon elle, les monnaies avec les images du dieu pourraient permettre dereconstruire le parcours de lpidmie.

    43. Voir Chiara De Filippis Cappai, Il culto di Asclepio , 279-80 ;Francesco Sirano, Considerazioni , en particulier 227.

    44. Pour la pratique cultuelle et mdicale, voir Rudolf Herzog, DieWunderheilungen von Epidauros. Ein Beitrag zur Geschichte der Medizin undder Religion , Philologus Suppl. 22, 3, 1-164 (Leipzig, Dieterich, 1931), encoretrs valable et qui introduit une diffrence entre la pratique dpidaure, plusencline au merveilleux, et celle de Cos, de tendance plutt scientifique; Fritz Graf, Heiligtum und Ritual. Das Beispiel der griechisch-rmischen Asklepieia ,dans Albert Schachter d., Le sanctuaire grec (Entretiens sur lAntiquitClassique 37), Genve, Fondation Hardt, 1992, 159-203 ; Alice Walton,Asklepios.., 57-67 et 76-82 ; Jan Schouten, Serpent of Asklepios, 49-55 ;Gregory Vlastos, Religion and Medicine , 286-288 ; et surtout GuidoGuidorizzi, Sogno, malattia, guarigione : da Asclepio a Ippocrate , dansIstituto di Filologia Classica, Graeco-Latina mediolanensia (Quaderni di Acme 5),Universit degli Studi di Milan-Facolt di Lettere e Filosofia, Milan, Cisalpino-Goliardica, 1985, 59-74, retravaill dans Guido Guidorizzi, Sogno, diagnosi,

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  • 416 ANNARITA MAGRI

    avoir un rapport assez troit avec la mdecine45. Le culte dAsclpiosrsista jusquau Ve sicle46.

    Avant de poursuivre, jaimerais attirer lattention sur un aspectimportant de cette dvotion, surtout dans lAsie Mineure du IIe sicle :le syncrtisme avec dautres dieux, en premier lieu Zeus. Kranz admontr que des traits syncrtistes entre les deux divinits existaientdj la fin de l'poque classique, mais le phnomne toucha sonsommet dans lambiance asiate, en particulier Pergame, au IIe sicle47.Cette thocrasie , comme la dfinit Bonner, permit Asclpiosdabsorber les qualits de Zeus et Dionysos et sinscrit dans la

    45. La connexion entre culte et mdecine reste obscure pour les modernes :elle variait selon la tradition des sanctuaires (pour cette ide, voir Rudolf Herzog, Die Wunderheilungen von Epidauros ) ; mais il faut rappeler que lesanciens ny voyaient pas la contradiction aperue aujourdhui, surtout parceque les miracles taient censs appartenir au cours naturel des choses : RenJosef Ruettimann, Asclepius and Jesus, 18-19, ib. 85 et 115-121 et la biblio-graphie cite dans la note prcdente. Kee, par contre, insiste sur le ctirrationnel de ces dvotions, un trait vraisemblablement adapt au IIe sicle :Howard Clark Kee, Self-Definition in the Asclepius Cult , 129 et 136.

    46. Ren Josef Ruettimann, Asclepius and Jesus, passim ; ChristaBenedum, Betrachtungen zu Asklepios und dem Aesculapius der Rmer ,202-204.

    47. Peter Kranz, Die Asklepiosstatue im Schlosspark von Klein-Glienicke.Ein neuer Typus und sein kulturgeschichtlicher Hintergrund , Jahrbuch desDeutschen Archologischen Instituts 104 (1989), 107-155. Il faut remarquerque, dans ce processus, le bton du dieu est souvent assimil un objet appar-tenant une autre divinit, comme le sceptre. En gnral, voir Rudolf Herzog, Asklepios , dans Theodor Klauser d., Reallexikon fr Antike und Christentum,vol. I, Stuttgart, Hiersemann Verlags-GMBH, 1950, 795-799, surtout 796. Christa

    guarigione : da Asclepio a Ippocrate , dans Guido Guidorizzi d., Il sogno inGrecia, Rome-Bari, Laterza, 1988, 87-102 ; Luciano Bonuzzi, Angoscia emalattia nei santuari di Asclepio e alle origini del pellegrinaggio cristiano , dansAntje Krug d., From Epidaurus to Salerno. Symposium held at the EuropeanUniversity Centre for Cultural Heritage, Ravello, April 1990, Conseil delEurope-Division de la Coopration scientifique, PACT 34 (1992), Rixensart,PACT Belgique, 1992, 51-59. Pour un essai dinterprtation moderne de cespratiques, voir Rudolf Herzog, Die Wunderheilungen von Epidauros ; EmmaJeannette Edelstein-Ludwig Edelstein, Asclepio: la medicina del tempio , dansGuido Guidorizzi d., Il sogno in Grecia, 67-86, synthse tire de leur ouvragemajeur ; Vincenzo Longo, I segreti del tempio di Asclepio in Epidauro :tradizione religiosa e tradizione laica , Atti dellAccademia Ligure di Scienzee Lettere 48 (1992), 437-446, dont les conclusions ne sont pas convaincantes.

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  • LE SERPENT GURISSEUR 417

    religiosit hnothste de lpoque48. Cela est trs important pourcomprendre comment le dieu gurisseur put rejoindre le niveau dela divinit suprme.

    la mme priode on assista un autre changement : le dieu, ct de son rle de gurisseur, devint pour ses fidles un guidespirituel dans toutes les situations de la vie49.

    It can be shown that in the cult of the Divine Healer there was developedto a high point a faith in a providence which did not disdain to concernitself with the intimate life of the individual not only his bodyailments but also his spiritual well-being50.

    Asclpios tait donc : a personal Savior with far-reachingattributes, and the object of the most devout adoration51 . Celaentrana une dure raction de la part des chrtiens.

    Parmi les divinits paennes, Asclpios tait srement la plusproche de la figure de Jsus. Dj Dlger, il y a plusieurs dcennies,a tudi ce conflit : les sources de la polmique chrtienne contre cedieu remontent souvent aux discussions des coles philosophiquesclassiques52. Ruettimann a numr les traits daprs lesquels le filsdApollon ressemble Jsus :

    1. Les deux sont des dieux gurisseurs et sauveurs.2. Ils sont envoys par la divinit suprme sur la terre, pour

    accomplir leur mission.3. Ils sont engendrs par un dieu et une femme mortelle.

    48. Campbell Bonner, Some Phases of Religious Feeling in Later Paga-nism , Harvard Theological Review 30 (1937), 119-40 ; Howard Clark Kee, Self-Definition in the Asclepius Cult , 134.

    49. Voir Howard Clark Kee, Self-Definition in the Asclepius Cult ,et Alice Walton, Asklepios, 66-67. Aristide en est un cas emblmatique.

    50. Campbell Bonner, Some Phases of Religious Feeling , cit. 123.51. Ibid., cit. 124.52. Franz Dlger, Der Heiland , Antike und Christentum 6 (1940-1950),

    241-272. Dlger, en revanche, ne reconnat pas le rle de sauveur spirituel auquelAsclpios parvint au IIe sicle : 253.

    Benedum ajoute que ce syncrtisme pourrait avoir volu depuis lassociation,vivante Athnes, entre Asclpios, Zeus Ktesios, Meilichios et Philios, troispiclses du dieu suprme associes lattribut du serpent et la protection delindividu : Christa Benedum, Asklepiosmythos .

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  • 418 ANNARITA MAGRI

    4. Leur mission consiste dans une aide philanthropique aux treshumains.

    5. Ils sont capables de gurir.6. Ils accomplissent mme des rsurrections de morts.7. Leur abngation les pousse soccuper surtout des plus

    dlaisss.8. Ils sont caractriss par un sens lev de la moralit.9. Ils sont tus cause de leur mission (Asclpios, parce quil

    avait troubl lordre naturel en ressuscitant des dfunts ; Jsus, causede la rsurrection de Lazare).

    10. Aprs leur mort, ils apparaissent leurs disciples53.11. Puis ils sont levs au ciel.12. Ils sont donc considrs comme des divinits.13. Ils laissent des disciples pour poursuivre leur mission.14. Ces derniers continuent utiliser les mmes pouvoirs que

    leurs matres et accomplir des gurisons54.Jajouterai aussi que lthique tait au cur des proccupations

    des adeptes des deux religions et que plusieurs sanctuaires ddis Asclpios furent ensuite transforms en lieux de culte chrtien55.

    53. Les apparitions dAsclpios sont celles rappeles dans les documentspigraphiques dpidaure du IVe sicle a.c.

    54. Ren Josef Ruettimann, Asclepius and Jesus, 194-208. La ressem-blance tait telle que les humanistes, pour viter des noms smitiques dansleurs ouvrages, appelaient Jsus Asclpios : voir Eduard Norden, La prosadarte antica dal VI secolo a.C. allet della Rinascenza (trad. it.), Rome,Salerno ed., 19862 (d. originale allemande Leipzig, 1898), 779, note 26.

    55. Jan Den Boeft a ni rcemment le caractre exclusif de loppositionentre Jsus et Asclpios, mais dune faon peu convaincante : Jan Den Boeft, Christ and Asklepios , Euphrosyne NS 25 (1997), 337-342. Il est clair quetous les dieux paens taient considrer, par les chrtiens, comme des ennemis,mais Asclpios dut avoir un rle particulier dans cette opposition. La compa-raison entre Jsus et Asclpios est admise en revanche par dautres savants,comme Van Staden, qui donne ces analogies: naissance dun dieu et dunefemme mortelle, risque de mourir aprs la naissance, philanthropie, mort tragique,piphanie post mortem, ascension au ciel et divinisation. Le savant, toutefois,ajoute des arguments discutables, comme une rduction excessive de la figurede Jsus un mythe et la psychologisation dAsclpios. De plus, il soutient quelhistoire de Jsus dpendrait de celle dAsclpios (cf. 102), ce qui mconnat

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  • LE SERPENT GURISSEUR 419

    Jsus et Asclpios, dieux bienfaiteurs et sauveurs de lhumanit,salus tous les deux comme soteres56, pouvaient donc tre considrspresque quivalents. propos de ce titre, la recherche la plus appro-fondie demeure celle de Dlger : il rappelle que Justin connaissaitla signification du prnom Jsus = Sauveur (I Apol. I, 33, 7) etsuppose que cet attribut se rpandit dans sa forme absolue parmichrtiens, orthodoxes et hrtiques, autour du milieu du IIe sicle57.En fait, la mdecine tait alors comprise parmi les tches de lareligion et le salut de lme impliquait celui du corps58.

    Jaimerais souligner ici limportance du milieu asiate cet gard.Pergame, deuxime patrie dAsclpios, tait aussi un centre dedveloppement de lglise, au moins depuis la fin du Ier sicle : nouspouvons nous en rendre compte grce lApocalypse et par Eusbe,qui signale plusieurs martyrs provenant de cette ville (cf. HE 5,1,17, 37-52)59. De plus, Ruettimann suppose quIgnace dAntioche,le premier appeler Jsus iatros en Eph. 7,1-2, y conteste des fidlesdu dieu grec. phse tait en fait un centre important du culte

    56. Pour ce titre, voir Ren Josef Ruettimann, Asclepius and Jesus, 82et 146-51. Daprs Georgiev, il est le plus frquemment utilis pour la divinitdpidaure: Vladimir I. Georgiev, Aiskalapios-Asklepios , 318 ; cela estconfirm par le specimen de Alice Walton, Asklepios, 84 ; voir aussi Ulrichvon Wilamowitz-Moellendorff, Der Glauben der Hellenen, vol. II, 464.

    57. Franz Dlger, Der Heiland . Ce titre semble plus diffus parmi lesgnostiques, Naassnes, Prates (1 occurrence), dans lptre Flora de Ptolme(11 fois), dans le commentaire de Jean dHraclon (23 fois) ; aussi Valentinen Irne, Haer. 1,1, 3 et 9 et Clment dAlexandrie, Stromates 3,13, 92,1, propos de Jules Cassien. Il pourrait donc sagir dune innovation gnostique, oudun usage plus diffus dans ces ambiances. Du ct orthodoxe on peut mentionnerQuadratus (cf. Eusbe, HE 4, 3,1-2), Ignace, Phil. 9, 2 (mais lattribut manquedans la version brve), Justin, Mliton, Tatien, etc. LAsie semble donc lamieux reprsente.

    58. Voir Ren Josef Ruettimann, Asclepius and Jesus, 5.59. Voir Id., ibid., 91.

    les racines juives du christianisme. En fait, les fouilles effectues Jrusalemsur le lieu suppos de la Piscine Probatique (cf. Jn. 5) ont rvl lexistencedun probable sanctuaire de gurison smitique, dont la place fut prise, aprs70 (phase dAelia Capitolina) par un temple dAsclpios-Srapis : voirAntoine Duprez, Jsus et les dieux gurisseurs. propos de Jean, V (Cahiersde la Revue Biblique 12), Paris, Gabalda, 1970 ; P. J. Van Staden, Jesus andAsklepios , Ekklesiastikos Pharos 80 (1998), 84-111.

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    dAsclpios, comme on le voit par les monnaies et par lexistencedun concours annuel pour les mdecins60 : la dfinition de Jsusiatros aurait donc une allure polmique61. Mais, mme sans cetterfrence, de nombreux autres tmoignages confirment une oppo-sition chrtienne aigu62 : cette opposition laisse comprendre quellesorte de danger Asclpios reprsentait pour le christianisme, undanger syncrtiste rel.

    Enfin, il est possible de reprer une certaine continuit icono-graphique entre Asclpios et des figurations de Jsus datables entrela fin du IIIe et le dbut du IVe sicle : il sagirait surtout du portraitdu Christ barbu, reprsent la faon dun philosophe63. Daprs lespcialiste de liconographie J. Schouten, le rapport entre les deuxtypes demeure une possibilit indmontrable : en fait, cette poquela barbe tait courante, en tant que synonyme de pouvoir64. Toute-fois, des recherches plus rcentes ont apport des lments plus srs,surtout la lumire de lquivalence formelle entre le salut chrtienet celui donn par Asclpios et de limportance accorde la gurisonpendant lpoque impriale65.

    Le symbole iconographique le plus commun du dieu est le btonavec un serpent enroul autour : le bton appartenait en fait auxmdecins ambulants, mais il possdait srement des significations

    60. Voir Dieter Knibbe, Ephesos- nicht nur die Stadt der Artemis ,dans Sencer Sahin, Elmar Schwertheim d., Studien zur Religion und KulturKleinasiens : Festschrift fr Friedrich Karl Drner zum 65. Geburtstag am28. Februar 1976 (tudes prliminaires aux religions orientales dans lEmpireRomain 66, 2), Leyde, E. J. Brill, 1978, 489-503, surtout 494.

    61. Voir Ren Josef Ruettimann, Asclepius and Jesus, 164-72.62. Voir par exemple Tertullien, Adversus Nationes. 2,14 et Lactance,

    Divinae Institutiones 1,19, 3-4 ; ib. 2, 6,11 ; ib. 4, 27,12.63. Ren Josef Ruettimann, Asclepius and Jesus, 180.64. Jan Schouten, Serpent of Asklepios, 70 : le type du Christ barbu, avec

    les cheveux partags au milieu, a survcu jusqu aujourdhui.65. Voir Erich Dinkler, Christus und Asklepios. Zum Christustypus der

    polychromen Platten im Museo Nazionale Romano (Sitzungberichte derHeidelberger Akademie der Wissenschaften, Philosophisch-historische Klasse1980/2), Heidelberg, C.Winter-Universittsverlag, 1980 ; Christa Benedum,Betrachtungen zu Asklepios, 203. Dinkler cite aussi le cas dune tte du dieugrec, qui fut rutilise comme portrait du Christ dans une glise de Gerasa audbut du Ve sicle et aujourdhui conserve au Muse National dAmman : 33.

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  • LE SERPENT GURISSEUR 421

    plus complexes66. Thrmer y voit une valeur religieuse67 ; selonG. Solimano, il pourrait correspondre un sceptre, donc tre unemblme de pouvoir68. Kerenyi observe :

    (The staff) does not differ essentially from a Greek Kings scepter, whichis nothing other than a staff that was handed down from generation togeneration in noble- in Homeric times royal-families. The snake twinedround the staff of Asklepios is a second attribute whose symbolism,pointing to the origin of the family in question (the Asclepiads), coincideswith that of the staff itself69.Et C. De Filippis Cappai ajoute :(Il bastone) non solo limmagine concreta del mezzo di sostegno delviandante, ma adombra un significato sacrale : la verga usata confunzione divinatoria o magica sin dai tempi pi antichi, e non solopresso i Greci ; ad Asclepio, quindi, viene riconosciuta la funzioneiatromantica che gi era del padre70. Cos, sige dun sanctuaire trs important et dune ancienne

    cole mdicale, on clbrait le dieu avec lanalepsis tou rabdou :une procession solennelle, guide par les Asclpiades, rejoignait lebosquet sacr des cyprs du dieu et lui donnait un nouveau bton71.On en a une attestation unique en Ps.Hippocrate, Ep. 9 : le ritueldevait tre trs ancien, car la ligue des Asclpiades disparut la findu IVe sicle. Daprs S.M.Sherwin-White il sagissait dun rite depassage, tandis que le bton symbolisait le pouvoir de la divinit72.

    66. Voir Chiara De Filippis Cappai, Il culto di Asclepio , 273.Tmoignages anciens : Pausanias, 2, 27, 2 ; Eusbe, P.E. 3,11, 26 ; Eudocia,Aug. Viol. 11 ; Ovide, Mt. 15, 655 ; Cornutus, Theol.Gr.Comp 33 (le btonreprsente le salut) ; Arnobe, Adv.Nat. 6, 25.

    67. Eduard Thrmer, Asklepios , dans Wilhelm H. Roscher, AusfhrlichesLexikon der Griechischen und Rmischen Mythologie, vol. I, Leipzig, Teubner,1884-86, 615-41 ; liconographie du serpent et du bton est tudie aux pages628-629.

    68. Giannina Solimano, Asclepio, 141.69. Kroly Kerenyi, Asklepios, cit. 54.70. Chiara De Filippis Cappai, Il culto di Asclepio , cit. 274-275.71. Voir Alice Walton, Asklepios, 71-72 : selon elle, il sagirait dun acte

    symbolique de larrive du dieu Cos ou dun de ses voyages ; FrancescoSirano, Considerazioni , 225. Pour Cos, Kroly Kerenyi, Asklepios, 47-69.

    72. Voir Susan M. Sherwin-White, Ancient Cos. A Historical Study fromthe Dorian Settlement to the Imperial Period (Hypomnemata. Untersuchungenzur Antike und zu ihrem Nachleben 51), Gttingen, Vandenhoeck & Ruprecht,339-340 et 356-357.

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    J. Schouten souligne le symbolisme de la gurison et de la rsurrec-tion, de lnergie de la vie qui se dgage du monde vgtal et delunivers chthonien : pour cette raison, le bton serait quivalentdu serpent73. Dailleurs, ce symbole est trs riche et il est brandiconstamment par magiciens et prtres, comme expression de pouvoir,surtout surnaturel74.

    Le reptile, en revanche, est lanimal qui manifeste par excellencele dieu gurisseur : Indeed, the serpent and the god are alternateforms of one kind of epiphany 75.

    Il devait incarner laspect chthonien de cette divinit, reconnais-sable aussi dans la pratique oniromantique, les rves venant de la terreo sont enterrs les dfunts ; de plus, la terre donnait les principauxmdicaments et les esprits aidaient le processus de gurison76. Dans

    73. Jan Schouten, The Serpent of Asklepios, 41-42.74. Pour une histoire des connotations de ce symbole, voir Ferdinand

    Jozef M. De Waele, The Magic Staff or Rod in Graeco-Italian Antiquity, Erasmus,Gent, 1927.

    75. Voir Howard Clark Kee, Self-Definition in the Asclepius Cult ,cit. 123. Sources littraires principales sur la connexion entre cet animal et ledieu: Hippocrate Ep. 15 ; Aristophane, Plutus 690 et-733-741 (les serpentssacrs lchent les yeux de Ploutos) ; Hronde 4, 91 ; Pausanias 2, 27, 2 ; ib.2, 28,1 ; ib. 9, 39, 3 ; Artmidore, 2,13 ; lien, N.A. 8,12 ; Eusbe, P.E.3,11, 26 ; Pline NH 29, 72 ; Stace, Silv. 3, 4, 25 ; Macrobe, Saturn. 1, 20,1ss, etc.

    76. Voir Alice Walton, Asklepios, 8-11 et 16-17. Eduard Thrmer, Asklepios , 1655 et 1681-82 croit fermement au caractre chthonien de cetattribut. Selon Christa Benedum, Asklepios Der homerische Artz, 214, nile serpent, ni le bton, napparaissent dans liconographie avant la fin duVe sicle, et, pour cette raison, il ne suffirait pas pour prouver le caractrechthonien du dieu. Des aspects typiques du culte chtonien, comme loniro-mantique, les incubations, le reptile, etc. seraient donc anciens, mais issus dela rorganisation du culte pidaure et trangers la nature primitivementhroque dAsclpios. Par contre, Alice Walton dfend lorigine chthoniennede ce complexe dlments et explique que luvre homrique, en tant queionienne, ntait pas familiarise avec ces croyances, plus diffuses dans laGrce continentale; aussi, Homre aurait-il reprsent Asclpios comme unsimple hros. Jajoute que la dense polysmie des images du serpent et dubton et la richesse de la composante chthonienne fait songer, mme en absencedune documentation trs ancienne, un lien archaque avec ce culte. Audemeurant, Christa Benedum nexplique pas lorigine du serpent et de lincuba-tion, traits chthoniens : mme le lien quelle postule entre Asclpios et lesdesses mres la dment (voir Christa Benedum, Asklepiosmythos , 55).

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  • LE SERPENT GURISSEUR 423

    les temples, le serpent tait cens lcher les membres malades77; maisil se nourrissait aussi de rongeurs, ce qui assurait une meilleurehygine aux tablissements cultuels78. La fondation dun nouveausanctuaire impliquait souvent larrive du serpent sacr79, et leprnom Drako apparat couramment parmi les Asclpiades deCos (mme le fils dHippocrate sappelait ainsi)80.

    Le bton avec un serpent enroul apparat constamment dansles statues du dieu81. Les tmoignages crits sont concordants : un

    77. Voir Rudolf Herzog, Die Wunderheilungen von Epidauros ,passim, qui illustre les Iamata dpidaure et nomme le serpent plusieurs foiscomme protagoniste du culte. Selon cet auteur, le reptile et lincubation sontdes lments indiscutables du culte chthonien.

    78. Voir Kroly Kerenyi, On Snakes and Mice in the Cults of Apolloand Asklepios , dans Asclepios, 102-107. Les zoologues ont identifilanimal dans lElapha longissima, qui nest pas venimeuse et habite les lieuxdes anciens temples du dieu: Gerald M. Hart, Asclepius, God of Medicine ,Canadian Medical Association Journal 92 (1965), 232-236. Herzog y voit parcontre le Coluber longissimus, ou Coluber Aesculapii (voir Die Wunderheilungenvon Epidauros, 87-88, note 44). La tholos dEpidaure pourrait avoir t unlieu dablutions ou le sige des serpents sacrs : Howard Clark Kee, Self-Definition in the Asclepius Cult , 123 ; mais voir la critique de Ren JosefRuettimann, Asclepius and Jesus, 21-27.

    79. Voir par exemple Giulia Sfameni Gasparro, Alessandro di Abonutico,lo pseudo-profeta ovvero come costruirsi un'identit religiosa , Studi eMateriali di Storia delle Religioni 20 (1996), 565-590, surtout 571-572(rproduit dans Id., Oracoli, profeti, sibille. Rivelazione e salvezza nel mondoantico, Rome, 2002, 149-202), qui mentionne Athnes, Sicion, Halieis, pidaureLimera et Rome.

    80. Voir Kroly Kerenyi, Asklepios, 55-56. Selon ce savant, le reptileaurait t le totem de la famille.

    81. On peut en trouver un catalogue presque complet des types chezBernard Holtzmann, Asklepios , et Zlatozara Goceva, Asklepios (inThracia) , dans Lexikon Iconographicum Mythologiae Classicae, vol. II,1 et II, 2(photographies), Zurich-Munich, Artemis Verlag, 1984, 863-901 et 631-669 ;un bon panorama est offert aussi par Gnther Heiderich, Asklepios (Inaugural-Dissertation zur Erlagung der Doktorwrde der Philosophischen Fakultt derAlbert-Ludwigs-Universitt zu Freiburg in Breisgau), Giessen, Schreib-Druck,1966 ; Eduard Thrmer, Asklepios , 1690-97 ; Jan Schouten, Serpent ofAsklepios, 23-48. 71-99 et 133-219, Schouten prsente en outre une richesrie dexemples de la survivance du motif dans lart mdival et moderne :lauteur dmontre que le bton dAsclpios sest progressivement mancipde la figure du dieu, pour acqurir une vie iconographique propre, commesymbole de la mdecine. Pour liconographie moderne, voir aussi Jane Davidson

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    passage de Galien, un commentaire au serment hippocratique (donton possde seulement la traduction arabe, faite partir du syriaque)dcrit le dieu avec son bton serpent82, peut-tre en relationavec liconographie rpandue dans les coles mdicales asiates duIIe sicle83. Les monnaies frappes dans les villes doues dunAsclepieion rptent un motif identique84, qui tait devenu lemblmede Cos85. Mme la fille du dieu, Hygieia, tait couramment figureen train de nourrir les serpents sacrs (Paus. I, 23, 5)86.

    Enfin, il faut rappeler que le dieu tait identifi aussi avec uneconstellation. Au ciel, Asclpios tait le Serpentarius (Ophioukos ;cf. Hygin, Astr. 14, 5) : cette constellation soutient la Couronneet se trouve ct du Serpent. En fait, Serpentarius et Serpens sontvus souvent comme une formation unique, figurant le dieu Asclpiosavec son animal87. Or, dans cette partie du ciel les toiles ne dispa-raissent jamais compltement derrire lhorizon, raison pour laquelleleur lever se confond avec leur coucher : il sagit du cercle arctique,fix, dans lantiquit, 36 du ple. Sa position avait t fixe artificiel-lement par les astronomes comme unique pour la Grce et lItalie etcorrespondait lle de Rhodes, la patrie dadoption dHipparque.

    82. Voir Gotthard Strohmaier, Asklepios und das Ei. Ikonographie ineinem arabisch erhaltenen Kommentar zum hippokratischen Eid , dansR. Stiehl et H. E. Stier d., Beitrge zur alten Geschichte und deren Nachleben :Festschrift fr Franz Altheim zum 6.10.1968, vol. II, Berlin, De Gruyter, 1970,143-153, surtout 146-147.

    83. Francesco Sirano, Considerazioni , 224.84. Jan Schouten, The serpent of Asklepios, 33 et, surtout, Peter Robert

    Franke, Asklepios Aesculapius ; des nombreuses monnaies remontentau IIe sicle et la rgion asiate.

    85. Voir Rudolf Herzog, Die Wunderheilungen von Epidauros , 147-148.

    86. Gioia De Luca, Asklepios in Pergamon , dans Bernard Andreae etalii d., Phyromachos Probleme, 25-40 ; Kroly Kerenyi, Asklepios,passim et Peter Robert Franke, Asklepios Aesculapius , passim.

    87. Wilhelm Gundel, Ophis , dans RE 18,1, 649-654.

    Reid, The Oxford Guide to Classical Mythology in the Arts, 1300-1990s, vol. I,New York-Oxford, Oxford University Press, 1993, 234-235. Pour des tudesplutt focalises sur des types ns ou rpandus lpoque considre ici etdans la zone microasiatique, voir Francesco Sirano, Considerazioni. ; PeterKranz, Die Asklepiosstatue im Schlosspark. ; Kazimierz Michalowski, Les deux Asclpios de Na Paphos , Revue Archologique 61 (1968), 355-358.

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    Selon Strabon, 2,1,1 (qui cite, peut-tre, Eudoxe) cette latitude coupele monde en deux moitis88.

    En revanche, Aristide, 4, 56, dcrit une apparition du dieu enrve, o il se manifeste au centre du ciel, linstar de lAnima mundi.Il existait en fait une tradition philosophique, qui avait conduit une interprtation mdio-platonicienne dAsclpios comme animamundi. G. Sfameni Gasparro commente ainsi le texte dAristide89 :

    LAsclepio pergameno, dio medico e oracolare, cui i fedeli di ogni cetosociale si rivolgevano per ottenere soprattutto la guarigione dalle malattiee comunque garanzie per lesistenza terrena, cos recuperato in unavasta prospettiva teologica di marca platonica, proponendosi la suaidentificazione con il principio animatore del grande Tutto.

    Cela nous ramne finalement aux Prates. En effet, daprs lanotice de El. 5,16,15-16, en regardant le ciel on pourra voir la belleimage du serpent , qui serait le commencement de tout mouve-ment pour tous les tres ; cest pourquoi, tout existerait grce lui. Cela laisse entendre sa fonction danima mundi. Prs de sa tte,de plus, on pourrait observer lunion du lever et du coucher. cemoment, le rdacteur de la notice emploie des mots provenant delignorance , cest--dire, de la sagesse paenne, et il cite les versdAratos concernant le Draco et le groupe des constellations autourdu Serpens et du Serpentarius (cf. Ar. 40-85). Selon les Prates, leLogos ador par le groupe, le serpent, est visible aussi sous laforme du Draco dans le ciel : mais lantiquit le confondait souventavec le serpent de la constellation qui quivaut Asclpios. Cela vadans le mme sens que le tmoignage fourni par Aristide : Asclpiospeut tre considr comme lanima mundi, le principe animateur duTout de la pense mdio-platonicienne. La thologie des Apologistesavait donn ce rle au Fils, qui transmettait ainsi la pense du Preau kosmos, en accomplissant sa propre fonction cratrice90.

    88. Cf. aussi ratosthne, Catast. 1, 6 ; Servius, Comm.in Aen. 9, 259.89. Giulia Sfameni Gasparro, Oracolo, divinazione, profetismo nel mondo

    greco-romano da Augusto alla fine del II sec. , Ricerche Storico-Bibliche 5(1993), 11-42, cit. 36.

    90. Voir Jean Danilou, Message vanglique et culture hellnistique auxIIe et IIIe sicles, Paris, Descle/Cerf, 1961, 317-353.

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    Un passage en particulier confirme cette perspective par le recours limage du serpent dairain : il sagit de Justin, Apol. 60. Dans laconception du philosophe chrtien, le Christ est lanima mundi, Filsde Dieu, qui se manifeste, selon la vision platonicienne, dans le Xqui traverse le ciel (Platon, Tim.36b-c). Pour expliquer ce conceptau moyen des critures, Justin relate lhistoire du serpent dairain ;il ne mentionne pas cependant le serpent, hiss sur la hampe, mais ungnrique typos staurou, une image de la croix . On peut supposerque cette ngligence est voulue et cache le rejet dune interprtationqui pouvait aller dans le sens du syncrtisme et dun syncrtismeque Justin connaissait vraisemblablement trs bien, car il avait vcuun certain temps phse : cela signifie que le serpent, notammentcelui dAsclpios, pouvait tre considr comme anima mundi. Ilne faut pas oublier non plus que les Prates utilisent des testimoniaanalogues ceux de Justin.

    On doit donc en venir maintenant ltonnante concidence entrele bton dAsclpios et le serpent dairain : une concidence double,de forme (car les deux symboles sont reprsents de la mme faon)et de contenu (car les deux sont des serpents gurisseurs). Il ne fautpas une grande fantaisie pour se rendre compte que le serpentdAsclpios, enroul autour de son bton, est iconographiquementidentique au serpent dairain biblique, type, selon lvangile de Jean,du Christ lev et crucifi. J. Schouten avait dj remarqu cetteidentit il y a plusieurs annes91. Pour les Prates, le serpent dairainest au cur de leur dossier exgtique : il est le Logos ; il est iden-tique la constellation dAsclpios et au symbole iconographiquede cette divinit, qui, son tour, est considre comme le Logos,anima mundi, en accord avec une ligne de pense trs vivante parmiles Apologistes et dans le mdio-platonisme92. Bref, il est vraisem-blable que les Prates aient conu une forme de syncrtisme entrele christianisme et le culte de ce dieu grec, origine de lophitisme.

    Mais le lien entre serpent dairain et cultes de gurison pourraittre bien plus ancien. Vernes en a repr les traces lorigine dupassage vtro-testamentaire de Nb. 21, 8-10 : peut-tre les Hbreux

    91. Jan Schouten, The Serpent of Asklepios, 99-106.92. Jean Danilou, Message vanglique et culture hellnistique, loc. cit.

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    entrrent-ils en contact avec un sanctuaire dEshmoun, un pisodeque la version biblique essaya de lgitimer en attribuant la construc-tion de lobjet linitiative divine et de Mose93. On aurait donc ici unepremire trace didentification entre Asclpios (= le dieu Eshmoun)et Yahv94. En fait, selon une recherche rcente, lunique vritabledieu gurisseur de la zone smitique occidentale tait justement Yahv,car aucune autre divinit ne possdait ces qualits dune faon ainsiforte ; cest seulement lpoque hellnistique que le syncrtismeentre Asclpios et Eshmoun aurait pris la relve95. I. Benzingermentionne lassociation traditionnelle entre serpent et eau, surtouteau sacre et gurisseuse, sans oublier sa connexion avec lau-del,la sagesse et la divination : dans son ouvrage, il montre le dessindun petit serpent dairain, retrouv dans le sanctuaire de Gezer. Ila donc lanc lhypothse que le Nehustan, le serpent dairain garddans le temple de Jrusalem jusqu sa destruction par ordre du roiEzchias, tait considr comme rien moins quune reprsentationde Yahv96. Hypothse plausible : le dni exprim par Vernes,qui dcrit le Nehustan comme une simple relique , pour laquelleles Hbreux auraient brl de lencens en simple et anodin actedhommage, ne semble gure convaincant.

    Les Prates avaient donc identifi le Christ Asclpios, vraisem-blablement considr comme son incarnation paenne ante litteram.Les deux divinits possdaient des attributs presque identiques, leuractivit tait analogue et mme leur vie sur terre comportait des

    93. Maurice Vernes, Le serpent dairain fabriqu par Mose et les serpentsgurisseurs dEsculape , Revue Archologique 7 (1918), 36-49.

    94. Lidentification est ancienne comme le montre linscription trilingueCIS I,143 (en latin, grec et punique) ; elle devint plus courante lpoquehellnistique. Voir aussi Eduard Thrmer, Asklepios , 1679-1680.

    95. Voir Micheal L. Brown, Was there a West Semitic Asclepios? , Ugarit-Forschungen 30 (1998), 133-154. Le syncrtisme entre les deux divinits,lune grecque, lautre phnicienne, est illustr par une monnaie de 145-147, enlhonneur de Marc-Aurle, alors prince hritier, o les serpents dresss ctdu trne sont un attribut iconographique dEshmoun : voir Peter Robert Franke, Asklepios Aesculapius auf antiken Mnzen , 67.

    96. En tout cas, il propose aussi lidentification alternative avec la divinitfminine Ishtar : Immanuel Benzinger, Hebrische Archologie, Leipzig,E.Pfeiffer Verlag, 19273, 327.

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    analogies. Pour un paen rcemment converti, un syncrtisme de cetype naurait rien eu de suspect. En outre, linsistance des Pratessur les testimonia ligni et crucis trouve son explication naturelledans la fusion syncrtiste quils ont opre entre la croix du Christet le bton dAsclpios : il nest pas hors de propos de rappeler quemme liconographie des miracles vangliques attribue la virgathaumaturgica Jsus sur les sarcophages du IVe sicle, comme dansla scne de la rsurrection de Lazare sculpte sur un sarcophage exposaux Muses Capitolins97. On peut donc clore le dbat sur la vexataquaestio du rapprochement entre le Christ et Asclpios : celui-ciexistait et tait dangereux. Enfin, on peut confirmer une datation de lasecte des Prates au milieu du IIe sicle et supposer raisonnablementson enracinement dans lenvironnement asiate.

    SABAZIUS ?

    Avant de conclure, jaimerais ajouter de brves rfrences dautres cultes, trs rpandus au IIe sicle et qui tmoignent de larenomme du serpent cette poque : celui du dieu Sabazius etcelui introduit par Alexandre dAbounotichos pour le serpent Glykon.Commenons par Sabazius.

    Dorigine thrace ou anatolienne, Sabazius tait connu dans toutela Mditerrane98. Rapidement associ aux mystres de Cyble99,

    97. Voir Erich Dinkler, Christus und Asklepios, 13, 35 et FerdinandJozef M. De Waele, The Magic Staff or Rod.

    98. Voir Sherman E. Johnson, The Present State of Sabazios Research ,dans ANRW II,17, 3, 1583-1613 (avec une riche bibliographie) ; Charles Picard, Sabazios, dieu thraco-phrygien: expansion et aspects nouveaux de son culte ,Revue Archologique 54 (1961), 129-176. Theodossiev a rcemment proposune tymologie thrace du nom, qui tmoignerait de lunion du dieu solairepaternel avec la desse mre-montagne, union typique dans ce milieu religieux :Nikola Theodossiev, Semantic Notes on the Theonyms Orpheus, Sabaziosand Salmoxis , Beitrge zur Namenforschung 29/30 (1994/95), 241-246. SelonIsabelle Tassignon, ce dieu tirerait son origine du mythe hittite dIlluyanka, leserpent-dragon vaincu par le dieu de la tempte: Isabelle Tassignon, Sabazios,dans le panthon des cits dAsie Mineure , Kernos 11 (1999), 189-208.

    99. Voir Charles Picard, Sabazios, dieu thraco-phrygien , 159.

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    il subit de frquentes contaminations avec des rituels de caractreextatique et lis la fertilit ; en Asie Mineure, en plus, on gardaitaussi la connexion avec le niveau cleste, ce qui permit son identi-fication progressive avec Zeus (depuis le IIe sicle a.c. au moins).Ce dieu tait trs populaire parmi les esclaves, souvent dorigineasiatique100 : lpoque impriale, sa renomme sera largementdiffuse par les soldats, surtout en Dacie.

    Les sources apportent de nombreux lments sur limportancedu serpent dans ce culte, o il aurait incarn le dieu mme101. Lesauteurs chrtiens soulignent quon laissait glisser le serpent sur lecorps des initis : il sagirait l, selon plusieurs savants, dun mariagesacr. Dmosthne parle aussi avec dgot des serpents manisdans le culte (cf. De corona, 260). La valeur chthonienne est trsprobable, car elle est confirme par lautre attribut du dieu, la pommede pin102. Parmi les objets cultuels, on comptait aussi la kyste conte-nant un reptile103. Diodore, 4, 4, explique cette prsence de lanimalgrce au mythe : Zeus aurait engendr sous forme de reptile le dieuDionysos-Zagreus-Sabazius de Kor ; mais ce mythe laisse aperce-voir clairement une rationalisation postrieure. Enfin, le serpentdomine dans liconographie du dieu104 : il apparat dans les inscrip-tions qui lui sont ddies ; dans deux cas, lanimal entoure un arbre105.

    100. Sherman E. Johnson, The Present State of Sabazios Research ,1588-1590 ; Charles Picard, Sabazios, dieu thraco-phrygien .

    101. Cf. Clment dAlexandrie, Protr. 2,16, 2 et Arnobe, Adv.Nat. 5, 20-21.102. Voir Youssef Hajjar, propos dune main de Sabazios au Louvre ,

    dans Margreet B. de Boer et alii d., Hommages Maarten J.Vermaseren.Recueil dtudes offert par les auteurs de la Srie tudes prliminaires auxreligions orientales dans lEmpire Romain Maarten J. Vermaseren loccasionde son soixantime anniversaire le 7 Avril 1978 (tudes prliminaires aux reli-gions orientales