rhr 7543 4 dieu est la vraie mesure de toute chose

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Revue de l’histoire des religions (2009) Varia ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ David Engels « Dieu est la vraie mesure de toute chose… ». Platon et le culte grec traditionnel ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique David Engels, « « Dieu est la vraie mesure de toute chose… ». Platon et le culte grec traditionnel », Revue de l’histoire des religions [En ligne], 4 | 2009, mis en ligne le 01 décembre 2012, consulté le 12 janvier 2013. URL : http://rhr.revues.org/7543 Éditeur : Armand Colin http://rhr.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://rhr.revues.org/7543 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. Tous droits réservés

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Revue de lrsquohistoire desreligions4 (2009)Varia

David Engels

laquo Dieu est la vraie mesure de toutechosehellip raquo Platon et le culte grectraditionnel

AvertissementLe contenu de ce site relegraveve de la leacutegislation franccedilaise sur la proprieacuteteacute intellectuelle et est la proprieacuteteacute exclusive deleacutediteurLes œuvres figurant sur ce site peuvent ecirctre consulteacutees et reproduites sur un support papier ou numeacuterique sousreacuteserve quelles soient strictement reacuteserveacutees agrave un usage soit personnel soit scientifique ou peacutedagogique excluanttoute exploitation commerciale La reproduction devra obligatoirement mentionner leacutediteur le nom de la revuelauteur et la reacutefeacuterence du documentToute autre reproduction est interdite sauf accord preacutealable de leacutediteur en dehors des cas preacutevus par la leacutegislationen vigueur en France

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Reacutefeacuterence eacutelectroniqueDavid Engels laquo laquo Dieu est la vraie mesure de toute chosehellip raquo Platon et le culte grec traditionnel raquo Revue delrsquohistoire des religions [En ligne] 4 | 2009 mis en ligne le 01 deacutecembre 2012 consulteacute le 12 janvier 2013 URL httprhrrevuesorg7543

Eacutediteur Armand Colinhttprhrrevuesorghttpwwwrevuesorg

Document accessible en ligne sur httprhrrevuesorg7543Ce document est le fac-simileacute de leacutedition papierTous droits reacuteserveacutes

DAVID EN GELSUni ver siteacute Libre de Bruxelles

laquo Dieu est la vraie mesure de toute chosehellip raquo

Platon et le culte grec tra di tion nel

Si Socrate condamneacute pour aseacutebie semble avoir fait preuve drsquoune cer -taine dis tance face au culte grec tra di tion nel la reli gion a pro fon deacute ment mar queacute lrsquoœuvre de son eacutelegraveve Platon Iro nique agrave ses deacutebuts vou lant ensuite reacutefor mer le culte pour lrsquoadap ter aux exi gences de sa phi lo sophie dans ses œuvres de matu riteacute il fi nira par se faire lrsquoardent deacutefen seur drsquoun conser -va tisme presque reacuteac tion naire livrant bon nombre de teacutemoi gnages sur ce que lui et les Grecs de son eacutepoque consi deacute raient comme les eacuteleacute ments essen tiels agrave lrsquoaccom plis se ment du culte reli gieux

laquo God is the true mesure of all thingshellip raquo Plato and the traditional Greek cult

If Socrates was condemned for Asebia and seemed to have been rather dis tant towards traditional Greek cult reli gion profoundly shaped the writings of his pupil Plato Ironical in his beginnings he later on during his intellectual maturity wanted to reform the cult in order to adapt it to the requirements of his philosophy and fi nally ended up as an ardent apologist of a nearly reactionary conservatism simultaneously providing us with numerous references to what he and his contemporaries considered the essential elements necessary to the exercise of religious cult

Revue de lrsquohis toire des reli gions 226 ndash 42009 p 547 agrave 581

INTRO DUC TION

Pour quoi une ana lyse du rocircle que tenait le culte grec tra di tion -nel dans la pen seacutee drsquoun phi lo sophe tel que Platon pourrait- on se demander alors que drsquoautres auteurs tels qursquoHeacuterodote ou Thucydide nous four nissent tant drsquoexemples his to ri que ment et artisti que ment autre ment inteacute res sants De faccedilon geacuteneacute rale il est cer tain que lrsquoon cher chera vai ne ment chez Platon des speacute ci fi ca tions exactes sur la nature de tel culte lrsquoeacutedi fi ca tion de tel temple ou les attri bu tions de tel precirctre Neacutean moins je crois que lrsquoon pour rait consi deacute rer Platon comme lrsquoauteur qui nous four nit gracircce agrave ses nom breux eacutecrits conser -veacutes jus qursquoaujourdrsquohui lrsquoexemple le plus par fait de la maniegravere dont un intel lec tuel extraor di naire il est vrai pou vait juger les tra di -tions rituelles de sa patrie grecque1 Car agrave la grande dif feacute rence

1 Compa rer agrave ce sujet Pierre Bovet Le Dieu de Platon drsquoapregraves lrsquoordre chro -no lo gique des dia logues Genegraveve 1902 Eduard Zeller Die Phi lo sophie der Griechen in ihrer geschichtlichen Entwicklung t 21 Leipzig 51922 p 925-936 Andreacute Bremond laquo De lrsquoA me et de Dieu dans la phi lo sophie de Platon raquo dans Archives de Philososophie 2 (3) 1924 p 24-56 Paul E More The Reli -gion of Plato Princeton 1929 George N Belknap Reli gion in Platorsquos States Oregon 1935 John Cornford laquo The ldquoPolytheismrdquo of Plato an Apology raquo dans Mind 47 1938 p 321-330 Alfred E Taylor laquo The ldquoPolytheismrdquo of Plato an Apologia raquo dans Mind 47 1938 p 180-199 Otto Kern Die Reli gion der Griechen t 3 Berlin 1938 p 14-27 Reginald Emerson The Religious Beliefs of Plato Londres 1939 Friedrich Solmsen Platorsquos Theology Ithaca (New York) 1942 Reneacute Schaerer Dieu lrsquoHomme et la Vie drsquoapregraves Platon Neuchacirctel 1944 Oli vier Reverdin La Reli gion dans la Citeacute pla to ni cienne Paris 1945 Ulrich von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben und seine Werke BerlinFrancfort 31948 et Platon Beilagen und Textkritik (auf Basis der 2 Aufl 1920 bearbeitet und mit einem Nachwort versehen von R Stark) Berlin3 1962 William Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo dans Entre tiens de la fon da tion Hardt 1 1954 p 241-283 Victor Goldschmidt La reli gion de Platon Paris 1949 Jean Luccioni laquo Platorsquos Religious Experience raquo dans Hermathena 96 1962 p 73-91 Philippe Mer lan laquo Reli gion and Philosophy from Platorsquos Phaedo to the Chaldaean Oracles raquo dans Jour nal of History and Philosophy 1 1963 p 163-176 Paul Friedlaumlnder Platon t 1-2 (1964) et t 3 (1975) BerlinNew York 1964 et 1975 Zdzisław Czarnecki laquo Filozofi czna religia Platona a religia w jego utopiach raquo dans Euhemer 9 1965 p 23-40 Klaus Schneider Die schweigenden Goumltter Eine Studie zur Gottesvorstellung des religioumlsen Platonismus Hildesheim 1966 Zdzisław Czarnecki Reli gion et socieacuteteacute dans la pen seacutee de Platon Varsovie 1968 Victor Goldschmidt Pla to nisme et pen seacutee contem po raine La reli gion de Platon Les que relles sur le pla to nisme Paris 1970 Kyriakos Katsimanis laquo Reli gion et meacuteta phy sique chez Platon Agrave pro pos de lrsquoApol lon du Cratyle 405a-e raquo dans Platon

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 549

drsquoAristophane reacuteduit au domaine comique il ne lui eacutetait non seule -ment pos sible de cri ti quer son patri moine reli gieux pour ce qursquoil consi deacute rait comme des per ver sions de la theacuteo logie ori gi nelle mais aussi drsquoassi mi ler de reacutein ter preacuteter et de trans cen der en un nou vel ideacuteal reli gieux les eacuteleacute ments qursquoil jugeait beacuteneacute fi ques pour lrsquohomme Mecircme si bien sucircr lrsquoatti tude que pre nait Platon face au culte tra -di tion nel est incom preacute hen sible sans lrsquoexpli ca tion des racines phi -lo sophiques et theacuteo lo giques de sa pen seacutee et nrsquoa drsquointeacute recirct qursquoen consi deacute rant la place qursquoelle tient face aux ori gi na li teacutes de sa phi lo -sophie je tiens agrave me consa crer ici uni que ment aux pas sages citant speacute ci fi que ment precirctres cultes ou temples sans me lan cer dans une reacuteeacuteva lua tion sys teacute ma tique de ques tions aussi dif fi ciles que mal pla -ceacutees dans le cadre de ce col loque que le sera notam ment la des crip -tion du rocircle des dieux homeacute riques dans la phi lo sophie de Platon2

23 1971 p 278-295 Andreacute Motte Prai ries et jar dins de la Gregravece antique De la reli gion agrave la phi lo sophie Bruxelles 1973 Luc Brisson laquo Du bon usage du deacuteregrave -gle ment raquo dans Jean- Pierre Vernant et al (eacuted) Divi na tion et ratio na liteacute Paris 1974 p 220-248 Jeannie Carlier laquo Science divine et rai son humaine raquo dans Jean- Pierre Vernant et al (eacuted) Divi na tion et ratio na liteacute Paris 1974 p 249-263 Arrigo Bortolotti laquo La religione nei dialoghi giovanili di Platone raquo dans Rivista critica di storia della fi losofi a 31 1976 p 3-40 Aegid Hoellwerth Reli gion und Phi lo sophie Studien zu Platon Salzburg 1977 Walter Burkert Griechische Reli gion der archaischen und klassischen Epoche Stuttgart 1977 p 489-496 Ernesto Valgiglio laquo Il concetto di divinitagrave in Platone e nella Nuova Accademia raquo dans Cristologia amp pensiero contemporaneo Genegraveve 1982 p 19-50 Gerard Naddaf laquo Platorsquos Theologia Revisited raquo dans Meacutethexis 9 1996 p 5-18 Georges Arabatzis laquo Enkalypsamenos La pieacuteteacute socra tique dans le Phegravedre de Platon raquo dans Kernos 16 2003 p 119-123 Aikaterini Lefka laquo Le regard ration nel de Platon sur les dieux tra di tion nels raquo dans Kernos 16 2003 p 125-132

2 Cette approche empi rique nrsquoest pas injus ti fi eacutee face aux sin gu la ri teacutes des œuvres de Platon bien au contraire Deacutejagrave James K Feibleman Religious Platonism Londres 1959 p 125 avait speacute ci fi eacute de faccedilon pro vo ca trice laquo On the whole where Plato was interested in religious ques tions it was inter est in everything religious except God raquo Voir aussi E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 925 de faccedilon sem blable W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 241 jugeait laquo Seine Theologie ist keine systematische Erforschung des Wesens Gottes sondern ein gelegentliches Sprechen uumlber das Goumlttliche raquo Compa rer aussi dans ce sens Heinrich Doumlrrie laquo Vom Transzendenten im Mittelplatonismus raquo dans Entre -tiens de la fon da tion Hardt 5 1957 p 192-223 p 203 laquo [hellip] ich moumlchte zur Diskussion stellen ob uumlberhaupt von einer Theologie bei Platon die Re de sein darf mir scheint wir duumlrfen nur von theologischen Aussagen bei Platon sprechen [hellip] raquo Bien que cette theacuteo rie doive ecirctre reacuteeacuteva lueacutee gracircce agrave la reconstruc tion de la pen seacutee eacuteso teacute rique de Platon par lrsquoeacutecole de Tuumlbingen lrsquoessen tiel en garde sa valeur pour lrsquoana lyse des dia logues Il est beau coup plus eacutevident et phi lolo gi que ment deacutefen dable drsquoana ly ser les pas sages concer nant concregrave te ment des cultes tra di tion -nels que drsquoessayer de dis tiller sur base des dif feacute rentes allu sions theacuteo lo giques eacutepar -

550 DAVID ENGELS

SOCRATE

Avant drsquoana ly ser les œuvres de Platon il me semble neacuteces saire drsquoen exclure les quelques pas sages qui semblent eacutema ner exclu si -ve ment du sou ve nir que gar dait Platon de son maicirctre Socrate3 et que nous ne sau rons donc attri buer aux convic tions de lrsquoeacutelegraveve mecircme srsquoil faut comp ter avec un rema nie ment cer tain et sou li gner qursquoil nrsquoaurait pas repris ces pas sages srsquoil nrsquoen avait pas appreacute cieacute le contenu4 Ayant eacuteteacute condamneacute entre autres pour aseacutebie5 et intro duc -tion de nou velles divi ni teacutes dans la citeacute curieux meacutelange de deux accu sa tions contra dic toires la posi tion que Socrate semble avoir prise face aux dieux telle qursquoelle nous est reacuteveacute leacutee chez Platon est sin gu liegrave re ment ambi va lente lrsquoiro nie6 srsquoy meacutelan geant agrave pre miegravere vue avec une pieacuteteacute osten ta toire Si nous fai sons abs trac tion des nom -breux endroits ougrave Socrate pro fesse sa croyance en les dieux olym -piens7 le pre mier eacuteleacute ment reacuteveacute la teur nous semble ecirctre ce fameux

pilleacutees agrave tra vers tous les dia logues une preacute sen ta tion des convic tions reli gieuses de Platon qui neacuteces sai re ment ne sau rait ecirctre que construite et inadeacute quate face agrave la varieacuteteacute des œuvres du phi lo sophe et agrave son eacutevo lu tion interne Une ana lyse de ses reacutefl exions agrave pro pos du culte par contre pourra per mettre drsquoana ly ser concregrave te -ment ses convic tions intimes face aux dieux et aux rituels et drsquoajou ter de nou veaux aspects agrave la recherche sur la theacuteo logie pla to ni cienne

3 Par rap port agrave la reli gio siteacute de Socrate compa rer Gregory Vlastos Socratic Piety Socrates Ironist and Moral Phi lo so pher Ithaca 1991

4 Crsquoest pour quoi je me bor ne rai ici prin ci pa le ment agrave la preacute sen ta tion que Platon fait de Socrate non celle de Xeacutenophon qui lui semble avoir gardeacute des convic tions reli gieuses assez naiumlves (Xeacutenophon Ana base 3 1 et 7 8) et a ten dance agrave dimi nuer lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee reli gieuse de Socrate pour mieux pou voir le pro teacute ger des attaques de ses enne mis (Cf Xeacutenophon Meacutemo rables I 3 3) En ce qui concerne drsquoautres auteurs cf Karl Joel Der echte und der xenophontische Sokrates t 1-3 Berlin 1893-1901 Friedrich Pfeffer Studien zur Mantik in der Phi lo sophie der Antike Meisenheim am Glan 1976 p 40-42 Michel Narc y laquo La reli gion de Socrate dans les ldquoMeacutemo rablesrdquo de Xeacutenophon raquo dans Gabriele GiannantoniMichel Narc y (eacuted) Lezioni socratiche Naples 1997 p 13-28

5 Le terme peut expri mer agrave la fois lrsquoatheacuteisme et la neacutegli gence cultuelle Cf Ernst Sandvoss laquo Asebie und Atheismus im klassischen Zeitalter der griechischen Polis raquo dans Saeculum 19 1968 p 312-329 Gabriele Marasco laquo I processi drsquoempietagrave nella democrazia ateniese raquo dans Atene amp Roma 21 1976 p 113-131 Marek Winiarczyk laquo Biblio gra phie zum antiken Atheismus raquo dans Elenchos 10 1989 p 103-192 Richard Bodeacuteuumls laquo Notes sur lrsquoimpieacuteteacute de Socrate raquo dans Kernos 2 1989 p 27-35

6 Qua li fi eacutee par Thomas Mann le grand iro niste du XXe siegravecle comme laquo das ohne Vergleich tiefste und reizendste [Problem] der Welt raquo

7 Compa rer sur tout Platon Euthydeacutemos 302 a- e Ici le sophiste Euthydeacutemos essaie de mener Socrate drsquoapo rie en apo rie par un habile jeu de contra dic tions

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 551

oracle que la Pythie aurait livreacute agrave Chaireacutephon selon lequel il nrsquoy avait point drsquohomme plus sage que Socrate (Platon Apo logie 21a) Platon nous deacutecrit Socrate comme pre nant tregraves au seacuterieux cet oracle et essayant de le contre dire ndash vai ne ment comme il lrsquoatteste non sans une cer taine satis faction Cette assis tance divine au pro jet phi -lo sophique de Socrate serait deacutejagrave suf fi sante pour nous per mettre de comprendre sa rete nue agrave lrsquoeacutegard de la divi na tion grecque et de sa croyance en lrsquoins pi ra tion par son deacutemon per son nel et en des recircves divi na toires (p ex Platon Apo logie 33c) Il ne serait cer tai ne ment pas hasar deux drsquoen deacuteduire eacutega le ment lrsquoexpli ca tion de la veacuteri table veacuteneacute ra tion que lrsquooracle drsquoApol lon semble avoir ins pi reacutee agrave son eacutelegraveve Platon (qui lui garda appa rem ment une grande estime pour la reconnais sance de la sagesse de son maicirctre) si nous pou vions ecirctre sucircrs de lrsquohis to ri citeacute de lrsquooracle Mais face au silence des sources et agrave celui de Socrate lui- mecircme pen dant de nom breuses anneacutees jus -qursquoagrave son pro cegraves cette his to ri citeacute semble bien dou teuse8 Si nous pas sons sur le recircve divi na toire du Pheacutedon ougrave Socrate empri sonneacute

logiques et de deacutefi ni tions seacuteman tiques agrave double sens Il nrsquoest pas sans inteacute recirct de remar quer qursquoun de ces jeux logiques consiste en la deacutefi ni tion de la pro prieacuteteacute et de la nature des ecirctres vivants Socrate avait acquiesceacute que tout ecirctre qui avait une acircme pou vait ecirctre compteacute parmi les ani maux et que la pos ses sion qursquoil exer -ccedilait lui- mecircme sur ces ani maux eacutetait deacutefi nie par la faculteacute de deacuteci der de leur sort Euthydeacutemos deacutemontre main te nant que Socrate puis qursquoil pro fesse drsquoecirctre reli gieux et donc drsquolaquo avoir raquo des dieux comme Zeus Atheacutena et Apol lon doit ecirctre drsquoaccord de conceacute der que ces dieux ayant une acircme sont des ani maux et puis qursquoil les laquo a raquo qursquoil a le pou voir de les vendre offrir ou eacutegor ger

8 Ceci a meneacute agrave croire agrave une inven tion for geacutee de toutes piegraveces par Platon qui aurait opposeacute dans ses dia logues socra tiques un Socrate mythique et aimeacute drsquoApol -lon agrave lrsquohomme reacuteel pro vo ca teur et condamneacute pour aseacutebie cf Mario Montuori Socrates Physiology of a Myth Amsterdam 1981 speacutec p 140 le mecircme laquo The Oracle Given to Chaerephon on the Wisdom of Socrates An Inven tion by Plato raquo dans Kernos 3 1990 p 251-259 (contre cette hypo thegravese cf Eacute mile De Strycker laquo The Oracle Given to Chaerephon about Socrates (Plato Apology 20e-21a) raquo dans Jaap MansfeldLambertus M de Rijk (eacuted) Kephalaion Studies in Greek Philosophy and its Conti nuation Offered to Prof CJ de Vogel Assen 1975 p 39-49 p 40) Mais drsquoun autre cocircteacute nous savons par Xeacutenophon que Socrate vieillis -sant serait alleacute jus qursquoagrave condam ner les speacute cu la tions sur la nature comme impieacute teacutes (Xeacutenophon Meacutemo rables I 1 7-8) ce qui ne semble pas impro bable Louis GernetAndreacute Bou lan ger Le geacutenie grec dans la reli gion Paris 1970 p 318 parlent drsquoune laquo reli gio siteacute trou blante rare sans doute en son temps qui reste grecque neacutean moins par une cer taine fi deacute liteacute agrave la reli gion civique et par la seacutereacute niteacute drsquoun opti misme sans fadeur et sans mol lesse raquo Pour lrsquoatti tude de Socrate et de Platon face agrave la divi na tion compa rer aussi David En gels Das roumlmische Vorzeichenwesen ( 753-27 v Chr) Quellen Ter mi no logie Kommentar historische Entwicklung Stuttgart 2007 p 759ndash762

552 DAVID ENGELS

explique qursquoil aurait sou vent recircveacute qursquoon lui ordon nait de faire de la musique ce qui lui fi t trans crire en poegravemes les fables drsquoEacutesope9 et compo ser un chant en lrsquohon neur drsquoApol lon10 nous avons sur tout agrave nous sou ve nir des fameux der niers mots de Socrate ougrave il conjure Criton drsquooffrir agrave Ascleacutepios un coq que lui- mecircme et Criton devaient au dieu (Platon Pheacutedon 118a) Ces quelques mots ont fait cou ler beau coup drsquoencre La pre miegravere et la plus simple des hypo thegraveses est qursquoil srsquoagit ici drsquoune phrase eacutenon ceacutee dans le deacutelire ou srsquoappli -quant effec ti ve ment agrave une vieille dette cultuelle vis- agrave-vis du dieu et fi degrave le ment rap por teacutee par Platon qui nrsquoaurait voulu que sou li gner lrsquoadheacute sion de son maicirctre (accuseacute pour atheacuteisme) au culte eacuteta bli hypo thegravese sup por teacutee par Wilamowitz11 qui tolegravere tout au plus un remer ciement de Socrate pour la mort agreacuteable et sans trop de dou leur qursquoil subis sait12 et attaque de faccedilon viru lente tous ceux qui cherchent agrave y trou ver un sens sym bo lique mys tique Ce refus drsquointer preacute ta tion sym bo lique eacuteton nant de la part du grand savant est en par tie compreacute hen sible si lrsquoon se sou vient que crsquoest avant tout Nietzsche ndash que Wilamowitz avait deacutejagrave vio lem ment atta queacute

9 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 85 nrsquoy voit pas drsquoiro nie au contraire

10 Platon Pheacutedon 60d-61b Sa fecircte reli gieuse dif feacute rait lrsquoexeacute cu tion du phi lo -sophe (Platon Pheacutedon 58a-c) car la cou tume vou lait qursquoon envoie annuel le ment un bateau (reacuteputeacute ecirctre le bateau de Theacuteseacutee agrave Deacutelos) pour y remer cier le Dieu pour lrsquoaide qursquoil apporta aux vic times du Minotaure Entre le deacutepart et le retour du bateau lrsquoEacutetat atheacute nien se devait de res ter rituel le ment pur en dif feacute rant toutes les peines capi tales mais puisque la fecircte eacutetait ceacuteleacute breacutee tra di tion nel le ment au deacutebut du prin temps lrsquoabsence du bateau se pro lon geait sou vent agrave cause du temps peu pro pice agrave la navi ga tion Puisque le precirctre drsquoApol lon (le ἱερεὺς τοῦ rsquoΑπόλλωνος) venait jus te ment drsquoorner par une cou ronne le bateau precirct au deacutepart le jour du pro -cegraves de Socrate celui- ci devait donc attendre le retour du navire Compa rer aussi Chieko Shinozuka laquo Theseusrsquo Ship raquo dans Mediterraneus 19 1996 p 37-64

11 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 135 laquo In dieses Wort ist alles Moumlgliche hineingeheimniszligt statt die einfache Wahrheit hinzunehmen daszlig Sokrates bis zu zuletzt daran denkt ob er seine Rechnung in diesem Leben ganz menschlich bereinigt hat Dabei faumlllt ihm ein daszlig fuumlr irgendein Geluumlbde an den Heilgott der erst vor zwanzig Jahren in Athen einen Kult erhalten hatte noch das uumlbliche Opfer ausstand Er selbst wird den Zauberdienst nicht in Anspruch genommen haben a ber er hatte Weib und Kin der Charakteristisch ist worauf seine letzten Gedanken gerichtet sind das Spezielle daran ist ganz ohne Belang raquo

12 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 57ndash58 en se fon dant sur Johan L Heiberg Sokrates sidste ord dans Oversigt over det kgl danske videnskabernes selskabs forhandlinger 1902 p 105-16 p 106

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 553

pour sa Geburt der Tragoumldie13 ndash qui pro po sait lrsquoexpli ca tion alter -na tive la plus popu laire Ascleacutepios eacutetant le dieu de la gueacute ri son qui fai sait jouer ses pou voirs pen dant le som meil des malades une offrande devait ecirctre en quelque rela tion avec une mala die dont souf -frait le phi lo sophe mais de laquelle il aurait gueacuteri si bien que le dieu meacuteri te rait sa reacutecom pense En pous sant la speacute cu la tion et en cher chant agrave deacutefi nir cette mala die Nietzsche conclut que crsquoest de sa vie elle- mecircme que le phi lo sophe se consi deacutera deacutesor mais gueacuteri et que la mort lui eacutetait eacutequi va lente au reacuteveil dans un monde meilleur apregraves le long som meil de mala die que serait la vie dans le monde mateacute riel speacute cu la tion drsquoautant plus pro bable que le coq est jus te -ment le sym bole par excel lence de la renais sance apregraves la mort14 Des recherches dans le cadre des cultes des dif feacute rents degravemes de la ville ont per mis reacutecem ment une troi siegraveme inter preacute ta tion le plu riel qursquouti lise Socrate en par lant de laquo notre raquo dette srsquoexpli que rait du fait qursquoil appar te nait tout comme Criton agrave qui il srsquoadresse au degraveme drsquoAlogravepeacutekeacute Le calen drier de cette commune pour rait avoir preacutevu pour la date du 8e Elapheacutebolion ndash donc quelques jours apregraves la mort de Socrate ndash en preacute lude aux Grandes Dionysies le sacri fi ce drsquoun coq comme offrande agrave Ascleacutepios pour les membres de ce degraveme15

PLATON

Il est eacutevi dem ment impos sible de nous pen cher sur lrsquoensemble des remarques rela tives16 agrave la reli gion dans lrsquoœuvre de Platon dans

13 Cf Karlfried Gruumlnder (eacuted) Streit um Nietzsches laquo Geburt der Tragoumldie raquo Die Schriften von E Rohde R Wagner U v Wilamowitz- Moellendorf Hilde-sheim 1969

14 Friedrich Nietzsche Die froumlhliche Wissenschaft (1887) dans G Col liM Montinari (eacuted) Friedrich Nietzsche Saumlmtliche Werke Kritische Studienaus-gabe in 15 Baumlnden t 3 Muumlnchen 1980 p 343-652 A ph 340 p 569 laquo Dieses laumlcherliche und furchtbare letzte Wortrsquo heisst fuumlr Den der Ohren hat sbquoOh Kriton das Leben ist eine Krankheit rsquo raquo Voir eacutega le ment John L Carafi des laquo The Last Words of Socrates raquo dans Platon 23 1971 p 229-232 qui inter pregravete les der niegraveres paroles de Socrate agrave la lumiegravere des doc trines orphico- pythagoriciennes de puri fi -ca tion et drsquoimmor ta liteacute de lrsquoacircme et qui remer cie donc Ascleacutepios de gueacute rir de la mala die de la vie Pour le sym bo lisme du coq cf Pierre Trotignon laquo Sur la mort de Socrate raquo dans Revue de Meacuteta phy sique et de Morale 81 1976 p 1-10

15 Jules Labarbe laquo Der niegraveres paroles drsquoanciens Grecs der niegraveres paroles de Socrate raquo dans Bul le tin de la Classe de lettres de lrsquoAca deacute mie royale de Belgique 6 s 1 1990 p 189-222

16 A Lefka laquo Le regard ration nel raquo [n 1] p 125 compte 76 men tions de divi ni teacutes agrave 1182 reprises dans les œuvres de Platon

554 DAVID ENGELS

le cadre de cet exposeacute Nous nous bor ne rons donc agrave dis tin guer plu sieurs thegravemes prin ci paux qui carac teacute risent lrsquoatti tude du phi lo -sophe17 Le pre mier eacuteleacute ment inteacute res sant est lrsquoana lyse des remarques geacuteneacute rales concer nant la pieacuteteacute et la reli gio siteacute le deuxiegraveme les eacuteleacute -ments reli gieux dans les sceacute na rios des dia logues le troi siegraveme le juge ment de lrsquooffi ce cultuel en tant que pro fes sion et les qua triegraveme et cin quiegraveme le rocircle qursquooccupent la reli gion et le culte dans les deux grands dia logues que sont la Reacutepu blique et les Lois

Remarques geacuteneacute rales

Consi deacute rons donc quelques remarques geacuteneacute rales de Platon sur la pieacuteteacute Drsquoabord il est inteacute res sant de consta ter que Platon cite Protagoras qui dans le dia logue du mecircme nom deacutefi nit lrsquohumain comme le seul ani mal capable de croire aux dieux et de leur eacutedi -fi er autels et sta tues et nous nrsquoavons aucune rai son de croire que le phi lo sophe vou lait ici contre dire le sophiste (Platon Protagoras 322a) De maniegravere sem blable Platon deacuteclare dans la Reacutepu blique que les Heacutellegravenes se deacutefi nissent entre autres par la veacuteneacute ra tion des mecircmes sanc tuaires (Platon Reacutepu blique V 470e) Ensuite crsquoest sur tout le dia logue Euthyphron18 qui meacuterite une atten tion par ti cu -liegravere car il est essen tiel le ment consa creacute agrave une deacutefi ni tion de la reli -gio siteacute et sert agrave reacutefu ter impli ci te ment lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie por teacutee agrave

17 Pour ecirctre complet citons encore Platon Lysias 206e ougrave le jeune Meacutenegravexegravene et ses amis habilleacutes festivement viennent de preacute sen ter des offrandes aux dieux et sont jus te ment en train de jouer aux deacutes avant que Socrate ne les inter pelle (le dia -logue por tant sur lrsquoami tieacute et lrsquoeacutedu ca tion) Platon Reacutepu blique I 328 ougrave le vieux Keacutephalos dont nous savons qursquoil a eacuteteacute inviteacute par Peacutericles agrave Athegravenes ougrave il fi nira sa vie 30 ans plus tard vient eacutega le ment de faire des offrandes dans la cour de sa mai son et ceint drsquoune cou ronne est assis sur un grand siegravege et explique aux inter lo -cuteurs du dia logue qursquoil se preacute pare agrave la mort mais nrsquoen a pas peur puis qursquoil a meneacute une vie cor recte et pieuse Platon Hippias Minor 363d ougrave le sophiste Hippias drsquoEacutelide est deacutecrit comme tenant des dis cours somp tueux agrave lrsquoocca sion de chaque fecircte olym pique devant le temple (de Zeus) et Platon Cratylos 401b-e ougrave Platon explique que les offrandes agrave Hestia doivent tou jours ecirctre faites en pre mier lieu en rai son de lrsquoeacutety mo logie drsquoHestia par οὐσία

18 Compa rer pour ce qui est des deacutefi ni tions de la pieacuteteacute et de la reli gion Joachim Klowski laquo Mythos und Logos in Platons Euthyphron raquo dans Anregung 33 1987 p 386-397 et Arno Schmidt laquo Euthyphron Sokratisches Erbe und der neue Weg des logos raquo dans Anregung 46 (2) 2000 p 83-91 Eacutevi dem ment Euthyphron est un dia logue de jeu nesse et pour rait donc refl eacute ter comme les autres dia logues de cette eacutepoque moins lrsquoavis de Platon lui- mecircme que celui de Socrate concer nant le culte et la reli gio siteacute

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Socrate par Meacuteleacutetos dont on apprend jus te ment au deacutebut du texte qursquoil vient de deacutepo ser son accu sa tion chez lrsquoArchon Poleacutemaios en prou vant au contraire la sin ceacute riteacute autant que le bien- fondeacute des sen ti ments reli gieux de Socrate Tan dis qursquoune appreacute cia tion sys -teacute ma tique de lrsquoargu men ta tion geacuteneacute rale du dia logue deacutepas se rait le cadre de cet exposeacute il est impor tant de sou li gner cer tains aspects des ten ta tives suc ces sives de Socrate pour eacuteta blir une deacutefi ni tion de la pieacuteteacute (ἡ ὁσιότης) Euthyphron lui- mecircme devin asserte dans un pre mier essai de deacutefi ni tion que la vraie pieacuteteacute consiste en lrsquoobeacuteis -sance aux lois des dieux et en la pour suite des impies dont les deux exemples prin ci paux sont le meurtre et le vol de biens des temples (Platon Euthyphron 5e) Si les deux pro chaines deacutefi ni tions refu -seacutees autant que la pre miegravere pour des rai sons de logique19 ne doivent pas nous concer ner ndash lrsquoune eacutetant que la pieacuteteacute consiste en ce que les dieux aiment lrsquoimpieacuteteacute ce qursquoils deacutetestent (Platon Euthyphron 9e) lrsquoautre que tout ce qui est pieux est aussi juste (Platon Euthyphron 11e) ndash la qua triegraveme pure ment empi rique meacuterite notre atten tion Socrate y pro pose que la pieacuteteacute soit la science de la priegravere et du sacri fi ce20 Un peu plus bas Socrate refor mule cette deacutefi ni tion car puisque la priegravere est une forme de demande et le sacri fi ce un cadeau (Platon Euthyphron 14d) la pieacuteteacute serait donc un commerce une ἐμπορικὴ avec les dieux plu tocirct qursquoune atti tude morale (Platon Euthyphron 14e) Se pose alors la ques tion de savoir si les sacri -fi ces que font les humains sont vrai ment utiles aux dieux ou srsquoils en appreacute cient seule ment le geste (Platon Euthyphron 15a-b) La der niegravere sup po si tion eacutetant la plus vrai sem blable la deacutefi ni tion de la pieacuteteacute se carac teacute ri serait donc agrave nou veau comme une action aimeacutee des dieux21 De maniegravere toute sem blable dans le Ban quet Platon laisse

19 Pour la struc ture logique de ces reacutefu ta tions voir Carla Carabba laquo I molti non sequitur dellrsquoEutifrone platonico raquo dans Sandalion 9 1982 p 91-95 qui sou -ligne de nom breuses entorses agrave la logique dont Socrate- Platon se rend cou pable pour reacutefu ter les thegraveses sou te nues par Euthyphron

20 Platon Euthyphron 14c Pour la deacutefi ni tion que sem blait avoir Platon de la priegravere cf Andreacute Motte laquo Deux expres sions du sen ti ment reli gieux dans la priegravere per son nelle en Gregravece II La priegravere du phi lo sophe chez Platon raquo dans Henri LimetJulien Ries (eacuted) Lrsquoexpeacute rience de la priegravere dans les grandes reli gions Actes du Col loque de Louvain- la-Neuve et Liegravege ( 22-23 novembre 1978) Louvain- la-Neuve 1980 p 173-204

21 Mais comme ceci avait eacuteteacute reacutefuteacute aupa ra vant le dia logue se ter mine en une apo rie comme de nom breux dia logues de jeu nesse de Platon mais une apo rie qui eacutemane moins de lrsquoincom peacute tence de Socrate que de lrsquoabsence drsquoune veacuteri table

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Eacuteryximaque reprendre impli ci te ment la deacutefi ni tion drsquoEuthryphon et deacutefi nir offrandes et divi na tion comme les deux seuls moyens qursquoont les humains drsquoentrer en contact avec les dieux de sau ve -gar der lrsquoamour entre humains et la pieacuteteacute envers les dieux (Platon Ban quet 188b-c) Le dis cours drsquoAristophane dans le Ban quet que lrsquoon connaicirct bien gracircce au mythe de creacutea tion de lrsquohomme et de la femme agrave par tir drsquoun Her ma phro dite22 reprend un autre eacuteleacute ment de lrsquoEuthyphron la moti vation prin ci pale de Zeus qui le porta plu tocirct agrave muti ler lrsquohomme aveu gleacute par lrsquoarro gance qursquoagrave le ter ras ser comme les Titans eacutema nait de sa volonteacute agrave srsquoassu rer aussi au futur hon neurs et offrandes (Platon Ban quet 190c)23

La mise en scegravene

Dans la mise en scegravene des œuvres de Platon24 le lieu du dia logue ou du moins le contexte geacuteneacute ral de lrsquoaction a sou vent un rap port indu bi table avec le culte reli gieux grec et meacuterite une atten tion par -ti cu liegravere puisque la mise en scegravene est indis so ciable du contenu du dia logue25 Dans le dia logue Ion le pro ta go niste du mecircme nom26 revient jus te ment drsquoEacutepidaure ougrave il a par ti cipeacute aux fecirctes don neacutees

eacutethique dans les convic tions du devin Euthyphron cf P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 82

22 Compa rer Jean Hani laquo Le mythe de lrsquoandro gyne dans le Ban quet de Platon raquo dans Euphrosyne 11 1981-82 p 89-101

23 Mecircme si Platon ne donne pas drsquoavis expli cite sur le contenu de ces deux dis cours nous savons que lrsquoordre des dis cours dans le Ban quet joue un rocircle cru -cial le dis cours jugeacute comme le trai te ment le plus appro fondi du thegraveme de la nature de lrsquoamour eacutetant le der nier celui de Socrate qui dit juste reprendre les termes de Diotimee precirc tresse agrave Mantineacuteia On serait donc tenteacute de voir dans les autres (dont le contenu nrsquoest cer tai ne ment pas abso lu ment contraire aux convic tions de Platon) de simples eacutetapes pro peacute deu tiques neacuteces saires pour atteindre le degreacute drsquoabs trac tion phi lo sophique de SocrateDiotime qui arrive agrave trans cen der la reli gio siteacute par la ratio na liteacute phi lo sophique qui seule per met trait drsquoacceacute der agrave la compreacute hen sion de la divi niteacute

24 Konrad Gaiser Protreptik und Paraumlnese bei Platon Untersuchungen zur Form des platonischen Dialogs Tuumlbingen 1959 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 164-181 cf Gasan C Gusejnov laquo Les per son nages de Platon Agrave la recherche du genre raquo dans BB Pietrovskij et al (eacuted) La civi li sa tion antique et la science moderne Moscou 1985 p 118-121 Marie- Laurence Desclos laquo La fonc tion des pro logues dans les Dia logues de Platon raquo dans Denis Vernant (eacuted) Du dia logue Grenoble 1992 p 15-29

25 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 17226 Cf sur le per son nage Allan H Gilbert (eacuted) Platorsquos Ion Comic and

Serious Studies in Honor of DWT Starnes Austin Univ of Texas 1967

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en lrsquohon neur drsquoAscleacutepios parmi les quelles fi gu rait un concours de rhap sodes dont Ion rem porta le pre mier prix27 Socrate invite Ion agrave par ti ci per aussi aux Pana theacute neacutees pour y obte nir un suc cegraves compa -rable La fonc tion de ces reacutefeacute rences dans le contexte geacuteneacute ral du dia logue nrsquoest pas dif fi cile agrave ana ly ser ces reacutefl exions donnent direc -te ment lrsquoagrave- propos agrave la dis cus sion qui suit et qui concerne prin ci pa -le ment la valeur de lrsquoart du rhap sode et la deacutemons tra tion qursquoIon se consi deacute rant comme speacute cia liste en la matiegravere est pour tant inapte agrave eacutemettre des juge ments phi lo sophiques sen seacutes sur le contenu des mythes qursquoil raconte28

Le dia logue Charmide œuvre de jeu nesse comme lrsquoIon a lieu dans la palestre de Taureacuteas en face du temple de la laquo Basilika raquo abreacute via tion cou rante pour le temple de Perseacutephone Basileacuteia29 Ici par contre crsquoest moins le temple de Perseacutephone que la palestre qui est signi fi ca tive pour le contenu du dia logue qui tourne prin ci pa le -ment autour des connais sances du jeune gar ccedilon Charmide

La des crip tion de la mise en scegravene du dia logue Phegravedre qui fait par tie des œuvres de matu riteacute du phi lo sophe peut ecirctre consi deacute reacutee comme le seul exemple de des crip tion poeacute tique de la nature chez Platon Socrate ren contre Phegravedre deacuteam bu lant le long des che mins qui megravenent agrave Athegravenes pour y cher cher un endroit ougrave lire un dis -cours de Lysias sur lrsquoamour et deacutecide de lrsquoaccom pa gner jus qursquoau fl euve Ilissos Apregraves srsquoecirctre rafraicirc chis les pieds dans lrsquoeau les deux inter lo cuteurs srsquoins tallent dans lrsquoombre drsquoun pla tane ougrave ils dis cutent drsquoabord de la tra di tion de lrsquoenlegrave ve ment drsquoOrithye celle- ci eacutetait la fi lle du roi atheacute nien Eacuterechtheacute et fut ravie par Boreacutee agrave mi- chemin entre cet endroit et le temple drsquoArteacutemis Agra30 De plus Socrate

27 Pl Ion 530a Compa rer Paul Bernard laquo Note eacutepidaurienne La data tion du temple drsquoAscleacutepios et lrsquoIon de Platon raquo dans Bul le tin de Cor res pon dance Hel leacute -nique 85 1962 p 400-402

28 Cf Egert Poehlmann laquo Enthusiasmus und Mimesis Zum platonischen Ion raquo dans Gymnasium 83 1976 p 191-208 Herbert Eisenberger laquo Sokratesrsquo Absichten im Ion raquo dans Christoff Neumeister (eacuted) Antike Texte in Forschung und Schule Festschrift fuumlr Willibald Heilmann zum 65 Geburtstag FrankfurtMain 1993 p 71-98

29 La palestre de Taureacuteas nrsquoa pas encore eacuteteacute loca li seacutee la laquo Basilika raquo se trouve au sud de lrsquoAcro pole non loin du mur drsquoenceinte de la ville (Platon Charmide 153a)

30 Terme qui srsquoapplique soit agrave un sur nom de la deacuteesse soit au degraveme Agrai ougrave se serait trouveacute ce sanc tuaire La loca li sa tion exacte du lieu de lrsquoenlegrave ve ment se situe rait agrave envi ron 2 ou 3 stades du pla tane et serait mar queacutee par un autel au dieu du vent du Nord (Platon Phegravedre 229a-c) mais Platon cite aussi lrsquoAreacuteo page comme

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deacutecrit qursquoil a lrsquoimpres sion drsquoaper ce voir non loin de leur lieu de repos quelques sta tues qui lais se raient sup po ser lrsquoexis tence drsquoun sanc tuaire de quelques nymphes et du dieu du fl euve Acheacuteloos (Platon Phegravedre 230b-c) le fi ls drsquoOceacutean et de Teacutethys le pegravere des Siregravenes La rai son de cette mise en scegravene est plus dif fi cile agrave ana ly -ser Socrate pro fesse drsquoabord ndash en contraste eacutecla tant avec sa des -crip tion buco lique de lrsquoendroit agrave laquelle il donne ainsi un accent drsquoiro nie ndash drsquoecirctre tout agrave fait deacutes in teacute resseacute par la nature et de nrsquoecirctre attireacute que par les villes car crsquoest lagrave qursquoil trouve les humains gracircce aux quels il peut conti nuer agrave apprendre (Platon Phegravedre 230d-e) Cepen dant suite agrave la dis cus sion sur la valeur de la rheacute to rique et la deacutefi ni tion de lrsquoamour31 Socrate srsquoemporte rapi de ment et livre tout un dis cours ins pireacute et mythologisant sur le des tin de lrsquoacircme humaine contras tant avec ses reacutefl exions objec tives et son rai son ne ment froid sur lrsquoart de la rheacute to rique Nous pou vons donc sup po ser que le cadre du dia logue ait eacuteteacute expres seacute ment choisi pour illus trer agrave la fois le pen -chant ration nel de Socrate contras tant avec le pai sible sanc tuaire des nymphes et son retour agrave la poeacute sie divine ins pireacute par la speacute cu -la tion phi lo sophique illus trant ainsi le che mi ne ment du phi lo sophe qui se deacutetourne des ten ta tions de la nature pour culti ver la pen seacutee logique qui le ramegravene de nou veau aux veacuteri teacutes natu relles32

Le Parmeacutenide assu reacute ment lrsquoun des dia logues tar difs de Platon se joue agrave Athegravenes lors des fecirctes panatheacuteennes et per met ainsi la mise en scegravene drsquoune ren contre fi c tive entre trois geacuteneacute ra tions de phi -lo sophes Parmeacutenide Zeacutenon et Socrate (Platon Parmeacutenide 127a) Il semble qursquoen dehors de cette fonc tion pure ment prag ma tique la men tion des Pana theacute neacutees ne puisse ecirctre inter preacute teacutee comme sym -

lieu pos sible (Platon Phegravedre 229c) Par rap port agrave la reli gion dans le Phegravedre cf les remarques de G Arabatzis laquo Enkalypsamenos raquo [n 1]

31 Cf Hubert Kesters laquo De ware redekunst volgens Platoonsrsquo Phaidros raquo dans Tijdschrift voor phi lo sophie 25 1963 p 651-687 et 36 1964 p 33-67 L Rossetti (eacuted) Understanding the Phaedrus Proceedings of the II Sym po sium Platonicum Sankt Augustin 1992 Jens Halfwassen laquo Bemerkungen zum Ursprung der Lehre vom Seelenwagen raquo dans Jahrbuch fuumlr Religionswissenschaft und Theologie der Religionen 2 1994 p 114-128 Gustav A Seeck laquo Schlechte und gute Liebe in Platons Phaidros raquo dans Wuumlrzburger Jahrbuumlcher 22 1998 p 101-121

32 Cette rela tion entre phi lo sophie et theacuteo logie se retrouve drsquoailleurs aussi dans la priegravere fi nale du Phegravedre ougrave Socrate prie les dieux de reacutecom pen ser les efforts du phi lo sophe par la sagesse Lrsquoon trou vera une ana lyse appro fon die de cette priegravere chez Konrad Haiser laquo Das Gold der Weisheit Zum Gebet des Philosophen am Schluss des Phaidros raquo dans Rheinisches Museum 132 1989 p 105-140

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bole preacute cis du contenu du dia logue dis cus sion pure ment for melle sur lrsquouniteacute et la mul ti pli citeacute qui nous livre peut- ecirctre lrsquoessence de la doc trine eacuteso teacute rique de Platon33 mais dont lrsquoana lyse deacutepas se rait lar -ge ment le cadre de la preacute sente recherche por tant uni que ment sur la place du culte grec tra di tion nel dans lrsquoœuvre de Platon

Le deacutebut de la Reacutepu blique est eacutega le ment carac teacute riseacute par une reacutefeacute -rence au culte deux des pro ta go nistes reviennent de la pre miegravere ceacuteleacute bra tion offi cielle drsquoune fecircte en lrsquohon neur de Bendis une divi -niteacute thrace nou vel le ment impor teacutee34 Platon deacutecrit ici les deux per -son nages des cen dus au Pireacutee ndash ougrave arri vait en bateau comme nous pou vons le sup po ser lrsquoimage de la deacuteesse ndash moti veacutes par deux rai -sons drsquoune part pour prier tout comme les autres spec ta teurs mais aussi drsquoautre part pour assou vir leur curio siteacute face agrave la pompe exteacute rieure des deux pro ces sions dont celle des Thraces est deacutecrite comme aussi impres sion nante que celle des Atheacuteniens Un peu plus tard nous appre nons aussi que les fes ti vi teacutes seront clocirc tu reacutees le soir par une pro ces sion eacutequestre ndash nou veauteacute reli gieuse comme le sou -ligne Platon ndash et des fecirctes noc turnes (Platon Reacutepu blique I 328a) Le cli mat de fes ti viteacute solen nelle qui implique lrsquoacti viteacute reli gieuse de la ville complegravete forme un cadre excellent pour la dis cus sion sur la nature de la jus tice et la deacutefaite intel lec tuelle de la posi tion des sophistes telle qursquoelle est sym bo li seacutee par les argu ments de Thrasymaque35 Il est eacutega le ment inteacute res sant de noter que Socrate mecircme srsquoil par ti cipe aux fes ti vi teacutes exprime son peu drsquoenvie drsquoy

33 Il est neacutean moins juste de sou li gner que laquo les Pana theacute neacutees refl egravetent lrsquouniteacute poli tique des citoyens atheacuteniens et lrsquoeacuteclat de leur citeacute Ren contre des geacuteneacute ra tions [hellip] dis cus sions entre phi lo sophes atheacuteniens et eacutetran gers concours divers [hellip] la citeacute ceacutelegravebre dans une effer ves cence poli tique reli gieuse et intel lec tuelle la deacuteesse qui la pro tegravege et patronne les mul tiples aspects de la vie en socieacuteteacute raquo (Catherine Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo dans Kernos 6 1993 p 225-243 p 241)

34 Elle eacutetait fecircteacutee annuel le ment le 19e20e Thargeacutelion (Platon Reacutepu blique I 327a donc deacutebut juin) Son intro duc tion offi cielle (pro ba ble ment en 430) qui avait semble- t-il des rai sons plu tocirct poli tiques que reli gieuses consti tuait une nou -veauteacute dans le sys tegraveme reli gieux clas sique drsquoAthegravenes cf J Jr Best laquo Bendis raquo dans Hermeneus 35 1964 p 122-128 Di miter Dopov laquo Essence ori gine et pro -pa ga tion du culte de la deacuteesse thrace Bendis raquo dans Dia logue drsquohis toire ancienne 2 1976 p 289-303 Claudia Montepaone laquo Bendis tracia and Atene lrsquointegrazione del nuovo attraverso forme dellrsquoideologia raquo dans A ION (Archeol) 12 1990 p 103-121

35 P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 47 par contre inter pregravete le cadre de maniegravere tout agrave fait dif feacute rente et y voit une allu sion agrave ce que la reli gio siteacute serait acces sible agrave tout le monde mais la theacuteo logie phi lo sophique aux seuls intel lec tuels cagraved sui vant le point de vue grec aux peuples hel leacute ni seacutes

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retour ner le soir seule la pro messe drsquoy deacutecou vrir des inter lo cuteurs poten tiels arrive agrave le faire fl eacute chir36

Dans le Timeacutee qui est la suite directe de la Reacutepu blique et commence avec une reacuteca pi tu la tion assez som maire des ideacutees de ce dia logue37 le cadre reli gieux de la Reacutepu blique est deacuteformeacute de faccedilon assez remar quable puisque la dis cus sion nrsquoa pas lieu le len de main de la fecircte pour Bendis mais lors des Pana theacute neacutees ceacuteleacute breacutees le 28e Heacutekatombaion (Platon Timeacutee 26e) La solen niteacute de la fecircte y est mise expres seacute ment en rela tion avec le thegraveme du dia logue la creacutea tion mys tique et la nature mateacute rielle du monde comme par ti cu liegrave re ment seyante agrave des speacute cu la tions aussi pro fondes (Platon Timeacutee 26e) De plus Critias le jeune qui relate le mythe de lrsquoAtlantide agrave Socrate y explique qursquoil a lui- mecircme appris cette tra di tion par Critias lrsquoancien lors de la ceacuteleacute bra tion des Apatouries38

Notons fi na le ment que mecircme les Lois dia logue inacheveacute et lourd peu compa rable avec la viva citeacute des œuvres de jeu nesse ont un cadre reli gieux le pre mier mot en est deacutejagrave laquo Dieu raquo et le sceacute -na rio ouvre sur une speacute cu la tion sur lrsquoori gine divine des lois des Laceacute deacute mo niens et des Creacute tois pro ve nant res pec ti ve ment drsquoApol -

36 Platon Reacutepu blique I 328a La suite de la dis cus sion qui concer nera la deacutefi ni tion de la jus tice agrave tra vers une deacutefi ni tion de lrsquoEacutetat ideacuteal peut eacutega le ment ecirctre inter preacute teacutee comme eacutetant en rap port eacutetroit avec la des crip tion des fes ti vi teacutes reli -gieuses de la citeacute atheacute nienne mais il ne faut pas oublier que le pre mier livre de la Reacutepu blique a pro ba ble ment preacute ceacutedeacute les livres sui vants de nom breuses anneacutees Nous ne savons donc pas preacute ci seacute ment si la fecircte deacutedieacutee agrave Bendis a eacuteteacute ajou teacutee plus tard au pro logue du pre mier livre en fonc tion de lrsquoeacuteco no mie glo bale de la Reacutepu -blique ou au contraire nrsquoa eacuteteacute des ti neacutee qursquoagrave intro duire le pre mier livre et nrsquoa donc qursquoun rap port acci den tel avec les livres II agrave X Alors que Pierre Javet laquo Ceacutephale et Platon sur le seuil de la vieillesse Reacutefl exions sur le pro logue de la Reacutepu blique raquo dans Revue Phi lo sophique de la France et de lrsquoeacutetran ger 1982 p 241-247 affi rme que la ren contre de Socrate avec Poleacute marque et sa dis cus sion avec Ceacutephale ont eacuteteacute compo seacutees en fonc tion de lrsquoensemble de la Reacutepu blique P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 46 sou tient la thegravese du rap port acci den tel en fai sant remar quer que ce dia logue devenu eacutenorme deacutebute seule ment dans la soi reacutee et ne peut donc fi nir rai son na ble ment quelques heures plus tard ndash un pro blegraveme que Platon aurait cer tai -ne ment eacuteviteacute srsquoil avait voulu degraves le deacutebut eacutecrire une œuvre tel le ment gigan tesque (et ce nrsquoest pas un hasard si les Lois eux deacutebutent le matin en rai son de la lon gueur impres sion nante de lrsquoœuvre)

37 Compa rer p ex Christopher J Rowe laquo Why is the Ideal Athens of the Timaeus- Critias not Ruled by Philosophers raquo dans Meacutethexis 10 1997 p 51-57

38 Celles- ci ougrave les jeunes hommes eacutetaient ins crits dans leur phra trie (Platon Timeacutee 21b) eacutetaient eacutega le ment preacute si deacutees par Atheacutena et Zeus et duraient trois jours

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lon pythique et de Zeus39 Plus tard nous appre nons que les inter lo -cuteurs se trouvent en Cregravete et sont sur le che min de Cnossos vers la grotte sacreacutee de Zeus40

Nous voyons donc que le choix de lrsquoeacuteleacute ment reli gieux tra di tion -nel nrsquoest pas acci den tel dans la mise en scegravene des dia logues de Platon et que au contraire la men tion des cultes a dans la plu part des cas un rap port phi lo sophique direct avec le thegraveme du dia logue qui srsquoen suit Crsquoest donc la reli gio siteacute tra di tion nelle qui oserions- nous dire ins pire sa propre trans cen dance par la dis cus sion meacuteta -phy sique et est eacutevo queacutee impli ci te ment comme base neacuteces saire agrave toute aven ture intel lec tuelle

La precirc trise comme pro fes sion

Un autre thegraveme reacutecur rent chez Platon est celui de la compeacute tence pro fes sion nelle des dif feacute rents precirctres Nous connais sons tous les exemples nom breux ougrave le phi lo sophe parle des timo niers des menui -siers et des meacutede cins mais il est eacuteton nant de voir que la men tion du devin (μάντις) comme exemple drsquoun meacutetier parmi drsquoautres est assez cou rante chez Platon41 Notons ici que Platon mecircme srsquoil parle en regravegle geacuteneacute rale des devins sans en speacute ci fi er en deacutetail les fonc tions theacuteo lo giques ou meacutethodes pro fes sion nelles leur attri bue (en theacuteo rie au moins) une vraie laquo connais sance du futur raquo (Platon Charmide 173c ἐπιστήμην τοῦ μέλλοντος) et les rap proche en fai sant eacutegard agrave leur ins pi ra tion commune par le souffl e divin des rhap sodes des chan teurs drsquooracles (Platon Ion 534c Apo logie 22c) et mecircme des poli ti ciens (Platon Meacute non 98c-d) De faccedilon sem blable dans le Poli -tique Platon les carac teacute rise comme tra duc teurs et voix des dieux (Platon Poli tique 290c) tan dis que les precirctres sont deacutefi nis comme ceux qui srsquooccupent drsquoorga ni ser le contact des humains avec les

39 Platon Lois I 624a-625a cf aussi 632d40 Platon Lois I 625a-b Lrsquoon peut soit lrsquoiden ti fi er comme le sanc tuaire

de la grotte dicteacuteenne ndash lrsquoopi nion geacuteneacute ra le ment admise cf commen taire Klaus Schoumlpsdau (eacuted trad et comm) Platon Gesetze Buch I- IV Darmstadt 21990 ndash ou celui du Mont Ida cf Glenn R Morrow Platorsquos Cretan City a Historical Interpretation of the Laws Princeton 1962 p 27ndash28 Par rap port agrave la signi fi ca tion reli gieuse de la Cregravete cf Jesuacutes Lens Tuero laquo La mitifi cacioacuten de Creta en la cultura griega del siglo IV raquo dans Actas del VIII congreso espantildeol de estudios claacutesicos (Madrid 23-28 de septiembre de 1991) t 3 Madrid 1994 p 219-222

41 Voir en dehors de lrsquoEuthyphron dont le pro ta go niste homo nyme est qua -li fi eacute de devin Platon Ion 531b Charmide 173c

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dieux par les sacri fi ces et les priegraveres (Platon Poli tique 290c-d) ayant annexeacute en ceci les attri bu tions des anciens rois42 Ce juge ment en somme posi tif pour rait ecirctre impu table au fait que Platon voyait beau coup de res sem blances entre le devin et le phi lo sophe43 Neacutean -moins il ne place les devins et precirctres qursquoau cin quiegraveme rang des formes de vie du Phegravedre (Platon Phegravedre 248d) et insiste sur le fait qursquoil ne veut par ler que des devins laquo seacuterieux raquo (τοὺς δὲ ὡςἀληθῶς μάντεις) qursquoil met en contraste avec les beaux- parleurs (τοὺς μὲν ἀλαζόνας) qui man que raient de σωφροσύνη (Platon Charmide 173c) Nous trou vons un exemple de ces devins laquo non seacuterieux raquo dans la Reacutepu blique Platon y deacutecrit par la bouche drsquoAdeacutemante que les char la tans et les devins (ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις) pro mettent aux riches de rache ter contre paye ment leurs fautes morales par des sacri fi ces et des for mules magiques et assurent mecircme pou voir infl u en cer les dieux par des incan ta tions magiques44 agrave faire du tort aux autres humains bons ou mau vais (Platon Reacutepu blique II 364b-365a) En ceci ils srsquoappuyeraient sur Hom egravere qui qua li fi ait deacutejagrave les dieux drsquoinfl u en ccedilables par des pro messes et des offrandes (Hom -egravere Iliade IX 497-501) et sur les eacutecrits mys tiques de Museacutee et drsquoOrpheacutee45 Ceux- ci auraient ensei gneacute que des hommes et mecircme

42 Platon prouve ce rai son ne ment en nom mant lrsquoArchon Basileacuteios drsquoAthegravenes res pon sable des offrandes les plus archaiumlques et veacuteneacute rables et cite aussi lrsquoini tiation obli ga toire des pha raons drsquoEacutegypte agrave lrsquoart des precirctres (Platon Poli tique 290e)

43 Cf Richard Bodeacuteuumls laquo ldquoJe suis devinrdquo (Phegravedre 242c) Remarques sur la phi lo sophie selon Platon raquo dans Kernos 3 1990 p 45-52 p 49 laquo La contem pla -tion phi lo sophique en effet nrsquoest pas sans ana logie avec la vision divi na toire [hellip] De mecircme que le devin voit sans lrsquointel li gence des signi fi ants le phi lo sophe voit par lrsquointel li gence des signi fi eacutes Crsquoest un vision naire dans lrsquoordre de lrsquointel li -gible raquo

44 Voir aussi Carlo A Viano laquo Retorica magia e natura in Platone raquo dans Rivista di Filosofi a 56 1965 p 411-453 qui sou ligne que Platon dans le livre X des Lois et dans le Phegravedre met la magie et la rheacute to rique sur le mecircme plan puis qursquoelles exercent toutes les deux une action psy cho lo gique sur lrsquoacircme et que lrsquohomme lui- mecircme est sujet agrave la rheacute to rique et agrave la magie en tant que par tie de la nature

45 Au sujet de la rela tion de Platon aux orphiques cf Paul Boyanceacute Le Culte des Muses chez les phi lo sophes grecs Paris 1937 p 21ndash24 le mecircme laquo Platon et les Cathartes orphiques raquo dans Revue des eacutetudes grecques 55 1942 p 217-235 Philippe Borgeaud (eacuted) Orphisme et Orpheacutee en lrsquohon neur de Jean Rudhardt Genegraveve 1991 Leacuteonid Zhmud laquo Orphism and grafi tti from Olbia raquo dans Hermes 120 1992 p 159-168 (confi r mant Platon Cratylos 400c) Alberto Bernabeacute laquo Una etimologiacutea platoacutenica soma- sema raquo dans Philologus 139 1995 p 204-237 Giovanni Casadio laquo El mito del laquo Poliacutetico raquo (268 D-274 E) y la his to ria de las religiones raquo dans Emerita 64 1996 p 65-77 Les frag ments orphiques conser veacutes

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 563

des citeacutes entiegraveres pou vaient rache ter leurs fautes preacute sentes et pas seacutees par des sacri fi ces et des jeux (διὰ θνσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν)46 Mecircme si Platon consi degravere geacuteneacute ra le ment les astres comme des divi ni -teacutes47 il explique dans le Timeacutee que les pheacute no megravenes astro no miques ne doivent pas ecirctre pris pour des preacute sages mais srsquoexpliquent par des rai sons pure ment matheacutema tiques (Platon Timeacutee 40c-d) ce qui peut ecirctre inter preacuteteacute comme une cri tique de la man tique astro lo gique Dans les Lois il deacutecrit que beau coup de magi ciens et de devins seraient mecircme en reacutea liteacute des a theacuteistes sou cieux de pro fi ter de la creacute du liteacute de leurs conci toyens (Platon Lois X 908d)48

chez Platon peuvent ecirctre consul teacutes main te nant dans Alberto Bernabeacute Poetae epici Graeci Testimonia et frag menta Pars II Fasc 1-2 Orphicorum et Orphicis similium frag menta MuumlnchenLeipzig 2004-2005

46 Un preacute jugeacute pla to ni cien qui reacutefl egravete le peu drsquoestime qursquoavaient les intel lec -tuels contem po rains pour la char la ta ne rie issue des speacute cu la tions gran dioses de lrsquoorphisme (pour tant extrecirc me ment popu laires agrave lrsquoeacutepoque cf Martin P Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion t1 Bis zur Weltherrschaft Muumlnchen 1941 p 684 et 800) et qui semble sur tout issue du pytha go risme (Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore de Gregravece en Palestine Paris 1927 p 81ndash82) Pour lrsquoinfl u ence de Pythagore sur Platon compa rer aussi Erich Frank Plato und die so genannten Pythagoreer Halle 1923 Pierre Boyanceacute laquo Lrsquoinfl u ence pytha go ri -cienne sur Platon raquo dans Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia Naples 1966 p 73-113 Bartel Leendert Van Der Waerden laquo Platon et les sciences exactes des Pytha go ri ciens raquo dans Bul le tin de la Socieacuteteacute Matheacutema tique de Belgique 21 1969 p 120-122 Maria Tortorelli Ghidini et al (eacuted) Tra Orfeo e Pitagora origini e incontri di culture nellrsquoantichitagrave atti dei seminari napoletani 1996-1998 Naples 2000 Leacuteonid Zhmud laquo Uumlberlegungen zur pythagoreischen Frage raquo dans Georg Rechenauer (eacuted) Fruumlhgriechisches Denken Goumlttingen 2005 p 135-151 David En gels laquo Geometrie und Phi lo sophie Zur Visualisierung metaphysischer Konzepte durch raumlumliche Darstellungen in der pythagoreischen Phi lo sophie raquo dans D GroszligS Westermann (eacuted) Vom Bild zur Erkenntnis Visualisierungskonzepte in den Wissenschaften Kassel 2007 p 113ndash129

47 Platon Timeacutee 401ndash402 Lois VII 821bndashc Voir agrave ce sujet p ex Hans Herter laquo Gott und die Welt bei Platon raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 158 1958 p 106-117 GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 399ndash402 et 445ndash448

48 En ce qui concerne lrsquoart divi na toire sou li gnons ici encore que Platon dans le Lachegraves laisse Socrate affi r mer que chaque pro fes sion confegravere agrave celui qui lrsquoexerce cor rec te ment une auto riteacute de speacute cia liste dans son domaine Ceci le conduit agrave demander agrave son inter lo cuteur un mili taire srsquoil est donc deacutecideacute en cas de guerre agrave faire plu tocirct confi ance agrave ses propres avis stra teacute giques qursquoaux conseils des devins que lrsquoon ne sau rait dif fi ci le ment regar der comme des auto ri teacutes compeacute tentes en matiegravere miliaire ce agrave quoi le stra tegravege atheacute nien acquiesce (Platon Lachegraves 199a) Si lrsquoon pense que ce stra tegravege nrsquoest autre que Nicias le poli ti cien atheacute nien qui notam -ment parce qursquoil avait accordeacute foi agrave des devins et des oracles dans ses deacuteci sions mili taires connaicirct en 413 une fi n tra gique en Sicile (ougrave il avait assieacutegeacute en vain la ville de Syracuse et ougrave il fut fait pri son nier par les habi tants qui le condam negraverent agrave mort) lrsquoendroit ne manque pas de piment et laisse per ce voir lrsquoiro nie de Platon qui

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La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

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Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

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la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 571

pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 573

de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

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pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 577

nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

DAVID EN GELSUni ver siteacute Libre de Bruxelles

laquo Dieu est la vraie mesure de toute chosehellip raquo

Platon et le culte grec tra di tion nel

Si Socrate condamneacute pour aseacutebie semble avoir fait preuve drsquoune cer -taine dis tance face au culte grec tra di tion nel la reli gion a pro fon deacute ment mar queacute lrsquoœuvre de son eacutelegraveve Platon Iro nique agrave ses deacutebuts vou lant ensuite reacutefor mer le culte pour lrsquoadap ter aux exi gences de sa phi lo sophie dans ses œuvres de matu riteacute il fi nira par se faire lrsquoardent deacutefen seur drsquoun conser -va tisme presque reacuteac tion naire livrant bon nombre de teacutemoi gnages sur ce que lui et les Grecs de son eacutepoque consi deacute raient comme les eacuteleacute ments essen tiels agrave lrsquoaccom plis se ment du culte reli gieux

laquo God is the true mesure of all thingshellip raquo Plato and the traditional Greek cult

If Socrates was condemned for Asebia and seemed to have been rather dis tant towards traditional Greek cult reli gion profoundly shaped the writings of his pupil Plato Ironical in his beginnings he later on during his intellectual maturity wanted to reform the cult in order to adapt it to the requirements of his philosophy and fi nally ended up as an ardent apologist of a nearly reactionary conservatism simultaneously providing us with numerous references to what he and his contemporaries considered the essential elements necessary to the exercise of religious cult

Revue de lrsquohis toire des reli gions 226 ndash 42009 p 547 agrave 581

INTRO DUC TION

Pour quoi une ana lyse du rocircle que tenait le culte grec tra di tion -nel dans la pen seacutee drsquoun phi lo sophe tel que Platon pourrait- on se demander alors que drsquoautres auteurs tels qursquoHeacuterodote ou Thucydide nous four nissent tant drsquoexemples his to ri que ment et artisti que ment autre ment inteacute res sants De faccedilon geacuteneacute rale il est cer tain que lrsquoon cher chera vai ne ment chez Platon des speacute ci fi ca tions exactes sur la nature de tel culte lrsquoeacutedi fi ca tion de tel temple ou les attri bu tions de tel precirctre Neacutean moins je crois que lrsquoon pour rait consi deacute rer Platon comme lrsquoauteur qui nous four nit gracircce agrave ses nom breux eacutecrits conser -veacutes jus qursquoaujourdrsquohui lrsquoexemple le plus par fait de la maniegravere dont un intel lec tuel extraor di naire il est vrai pou vait juger les tra di -tions rituelles de sa patrie grecque1 Car agrave la grande dif feacute rence

1 Compa rer agrave ce sujet Pierre Bovet Le Dieu de Platon drsquoapregraves lrsquoordre chro -no lo gique des dia logues Genegraveve 1902 Eduard Zeller Die Phi lo sophie der Griechen in ihrer geschichtlichen Entwicklung t 21 Leipzig 51922 p 925-936 Andreacute Bremond laquo De lrsquoA me et de Dieu dans la phi lo sophie de Platon raquo dans Archives de Philososophie 2 (3) 1924 p 24-56 Paul E More The Reli -gion of Plato Princeton 1929 George N Belknap Reli gion in Platorsquos States Oregon 1935 John Cornford laquo The ldquoPolytheismrdquo of Plato an Apology raquo dans Mind 47 1938 p 321-330 Alfred E Taylor laquo The ldquoPolytheismrdquo of Plato an Apologia raquo dans Mind 47 1938 p 180-199 Otto Kern Die Reli gion der Griechen t 3 Berlin 1938 p 14-27 Reginald Emerson The Religious Beliefs of Plato Londres 1939 Friedrich Solmsen Platorsquos Theology Ithaca (New York) 1942 Reneacute Schaerer Dieu lrsquoHomme et la Vie drsquoapregraves Platon Neuchacirctel 1944 Oli vier Reverdin La Reli gion dans la Citeacute pla to ni cienne Paris 1945 Ulrich von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben und seine Werke BerlinFrancfort 31948 et Platon Beilagen und Textkritik (auf Basis der 2 Aufl 1920 bearbeitet und mit einem Nachwort versehen von R Stark) Berlin3 1962 William Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo dans Entre tiens de la fon da tion Hardt 1 1954 p 241-283 Victor Goldschmidt La reli gion de Platon Paris 1949 Jean Luccioni laquo Platorsquos Religious Experience raquo dans Hermathena 96 1962 p 73-91 Philippe Mer lan laquo Reli gion and Philosophy from Platorsquos Phaedo to the Chaldaean Oracles raquo dans Jour nal of History and Philosophy 1 1963 p 163-176 Paul Friedlaumlnder Platon t 1-2 (1964) et t 3 (1975) BerlinNew York 1964 et 1975 Zdzisław Czarnecki laquo Filozofi czna religia Platona a religia w jego utopiach raquo dans Euhemer 9 1965 p 23-40 Klaus Schneider Die schweigenden Goumltter Eine Studie zur Gottesvorstellung des religioumlsen Platonismus Hildesheim 1966 Zdzisław Czarnecki Reli gion et socieacuteteacute dans la pen seacutee de Platon Varsovie 1968 Victor Goldschmidt Pla to nisme et pen seacutee contem po raine La reli gion de Platon Les que relles sur le pla to nisme Paris 1970 Kyriakos Katsimanis laquo Reli gion et meacuteta phy sique chez Platon Agrave pro pos de lrsquoApol lon du Cratyle 405a-e raquo dans Platon

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drsquoAristophane reacuteduit au domaine comique il ne lui eacutetait non seule -ment pos sible de cri ti quer son patri moine reli gieux pour ce qursquoil consi deacute rait comme des per ver sions de la theacuteo logie ori gi nelle mais aussi drsquoassi mi ler de reacutein ter preacuteter et de trans cen der en un nou vel ideacuteal reli gieux les eacuteleacute ments qursquoil jugeait beacuteneacute fi ques pour lrsquohomme Mecircme si bien sucircr lrsquoatti tude que pre nait Platon face au culte tra -di tion nel est incom preacute hen sible sans lrsquoexpli ca tion des racines phi -lo sophiques et theacuteo lo giques de sa pen seacutee et nrsquoa drsquointeacute recirct qursquoen consi deacute rant la place qursquoelle tient face aux ori gi na li teacutes de sa phi lo -sophie je tiens agrave me consa crer ici uni que ment aux pas sages citant speacute ci fi que ment precirctres cultes ou temples sans me lan cer dans une reacuteeacuteva lua tion sys teacute ma tique de ques tions aussi dif fi ciles que mal pla -ceacutees dans le cadre de ce col loque que le sera notam ment la des crip -tion du rocircle des dieux homeacute riques dans la phi lo sophie de Platon2

23 1971 p 278-295 Andreacute Motte Prai ries et jar dins de la Gregravece antique De la reli gion agrave la phi lo sophie Bruxelles 1973 Luc Brisson laquo Du bon usage du deacuteregrave -gle ment raquo dans Jean- Pierre Vernant et al (eacuted) Divi na tion et ratio na liteacute Paris 1974 p 220-248 Jeannie Carlier laquo Science divine et rai son humaine raquo dans Jean- Pierre Vernant et al (eacuted) Divi na tion et ratio na liteacute Paris 1974 p 249-263 Arrigo Bortolotti laquo La religione nei dialoghi giovanili di Platone raquo dans Rivista critica di storia della fi losofi a 31 1976 p 3-40 Aegid Hoellwerth Reli gion und Phi lo sophie Studien zu Platon Salzburg 1977 Walter Burkert Griechische Reli gion der archaischen und klassischen Epoche Stuttgart 1977 p 489-496 Ernesto Valgiglio laquo Il concetto di divinitagrave in Platone e nella Nuova Accademia raquo dans Cristologia amp pensiero contemporaneo Genegraveve 1982 p 19-50 Gerard Naddaf laquo Platorsquos Theologia Revisited raquo dans Meacutethexis 9 1996 p 5-18 Georges Arabatzis laquo Enkalypsamenos La pieacuteteacute socra tique dans le Phegravedre de Platon raquo dans Kernos 16 2003 p 119-123 Aikaterini Lefka laquo Le regard ration nel de Platon sur les dieux tra di tion nels raquo dans Kernos 16 2003 p 125-132

2 Cette approche empi rique nrsquoest pas injus ti fi eacutee face aux sin gu la ri teacutes des œuvres de Platon bien au contraire Deacutejagrave James K Feibleman Religious Platonism Londres 1959 p 125 avait speacute ci fi eacute de faccedilon pro vo ca trice laquo On the whole where Plato was interested in religious ques tions it was inter est in everything religious except God raquo Voir aussi E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 925 de faccedilon sem blable W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 241 jugeait laquo Seine Theologie ist keine systematische Erforschung des Wesens Gottes sondern ein gelegentliches Sprechen uumlber das Goumlttliche raquo Compa rer aussi dans ce sens Heinrich Doumlrrie laquo Vom Transzendenten im Mittelplatonismus raquo dans Entre -tiens de la fon da tion Hardt 5 1957 p 192-223 p 203 laquo [hellip] ich moumlchte zur Diskussion stellen ob uumlberhaupt von einer Theologie bei Platon die Re de sein darf mir scheint wir duumlrfen nur von theologischen Aussagen bei Platon sprechen [hellip] raquo Bien que cette theacuteo rie doive ecirctre reacuteeacuteva lueacutee gracircce agrave la reconstruc tion de la pen seacutee eacuteso teacute rique de Platon par lrsquoeacutecole de Tuumlbingen lrsquoessen tiel en garde sa valeur pour lrsquoana lyse des dia logues Il est beau coup plus eacutevident et phi lolo gi que ment deacutefen dable drsquoana ly ser les pas sages concer nant concregrave te ment des cultes tra di tion -nels que drsquoessayer de dis tiller sur base des dif feacute rentes allu sions theacuteo lo giques eacutepar -

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SOCRATE

Avant drsquoana ly ser les œuvres de Platon il me semble neacuteces saire drsquoen exclure les quelques pas sages qui semblent eacutema ner exclu si -ve ment du sou ve nir que gar dait Platon de son maicirctre Socrate3 et que nous ne sau rons donc attri buer aux convic tions de lrsquoeacutelegraveve mecircme srsquoil faut comp ter avec un rema nie ment cer tain et sou li gner qursquoil nrsquoaurait pas repris ces pas sages srsquoil nrsquoen avait pas appreacute cieacute le contenu4 Ayant eacuteteacute condamneacute entre autres pour aseacutebie5 et intro duc -tion de nou velles divi ni teacutes dans la citeacute curieux meacutelange de deux accu sa tions contra dic toires la posi tion que Socrate semble avoir prise face aux dieux telle qursquoelle nous est reacuteveacute leacutee chez Platon est sin gu liegrave re ment ambi va lente lrsquoiro nie6 srsquoy meacutelan geant agrave pre miegravere vue avec une pieacuteteacute osten ta toire Si nous fai sons abs trac tion des nom -breux endroits ougrave Socrate pro fesse sa croyance en les dieux olym -piens7 le pre mier eacuteleacute ment reacuteveacute la teur nous semble ecirctre ce fameux

pilleacutees agrave tra vers tous les dia logues une preacute sen ta tion des convic tions reli gieuses de Platon qui neacuteces sai re ment ne sau rait ecirctre que construite et inadeacute quate face agrave la varieacuteteacute des œuvres du phi lo sophe et agrave son eacutevo lu tion interne Une ana lyse de ses reacutefl exions agrave pro pos du culte par contre pourra per mettre drsquoana ly ser concregrave te -ment ses convic tions intimes face aux dieux et aux rituels et drsquoajou ter de nou veaux aspects agrave la recherche sur la theacuteo logie pla to ni cienne

3 Par rap port agrave la reli gio siteacute de Socrate compa rer Gregory Vlastos Socratic Piety Socrates Ironist and Moral Phi lo so pher Ithaca 1991

4 Crsquoest pour quoi je me bor ne rai ici prin ci pa le ment agrave la preacute sen ta tion que Platon fait de Socrate non celle de Xeacutenophon qui lui semble avoir gardeacute des convic tions reli gieuses assez naiumlves (Xeacutenophon Ana base 3 1 et 7 8) et a ten dance agrave dimi nuer lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee reli gieuse de Socrate pour mieux pou voir le pro teacute ger des attaques de ses enne mis (Cf Xeacutenophon Meacutemo rables I 3 3) En ce qui concerne drsquoautres auteurs cf Karl Joel Der echte und der xenophontische Sokrates t 1-3 Berlin 1893-1901 Friedrich Pfeffer Studien zur Mantik in der Phi lo sophie der Antike Meisenheim am Glan 1976 p 40-42 Michel Narc y laquo La reli gion de Socrate dans les ldquoMeacutemo rablesrdquo de Xeacutenophon raquo dans Gabriele GiannantoniMichel Narc y (eacuted) Lezioni socratiche Naples 1997 p 13-28

5 Le terme peut expri mer agrave la fois lrsquoatheacuteisme et la neacutegli gence cultuelle Cf Ernst Sandvoss laquo Asebie und Atheismus im klassischen Zeitalter der griechischen Polis raquo dans Saeculum 19 1968 p 312-329 Gabriele Marasco laquo I processi drsquoempietagrave nella democrazia ateniese raquo dans Atene amp Roma 21 1976 p 113-131 Marek Winiarczyk laquo Biblio gra phie zum antiken Atheismus raquo dans Elenchos 10 1989 p 103-192 Richard Bodeacuteuumls laquo Notes sur lrsquoimpieacuteteacute de Socrate raquo dans Kernos 2 1989 p 27-35

6 Qua li fi eacutee par Thomas Mann le grand iro niste du XXe siegravecle comme laquo das ohne Vergleich tiefste und reizendste [Problem] der Welt raquo

7 Compa rer sur tout Platon Euthydeacutemos 302 a- e Ici le sophiste Euthydeacutemos essaie de mener Socrate drsquoapo rie en apo rie par un habile jeu de contra dic tions

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oracle que la Pythie aurait livreacute agrave Chaireacutephon selon lequel il nrsquoy avait point drsquohomme plus sage que Socrate (Platon Apo logie 21a) Platon nous deacutecrit Socrate comme pre nant tregraves au seacuterieux cet oracle et essayant de le contre dire ndash vai ne ment comme il lrsquoatteste non sans une cer taine satis faction Cette assis tance divine au pro jet phi -lo sophique de Socrate serait deacutejagrave suf fi sante pour nous per mettre de comprendre sa rete nue agrave lrsquoeacutegard de la divi na tion grecque et de sa croyance en lrsquoins pi ra tion par son deacutemon per son nel et en des recircves divi na toires (p ex Platon Apo logie 33c) Il ne serait cer tai ne ment pas hasar deux drsquoen deacuteduire eacutega le ment lrsquoexpli ca tion de la veacuteri table veacuteneacute ra tion que lrsquooracle drsquoApol lon semble avoir ins pi reacutee agrave son eacutelegraveve Platon (qui lui garda appa rem ment une grande estime pour la reconnais sance de la sagesse de son maicirctre) si nous pou vions ecirctre sucircrs de lrsquohis to ri citeacute de lrsquooracle Mais face au silence des sources et agrave celui de Socrate lui- mecircme pen dant de nom breuses anneacutees jus -qursquoagrave son pro cegraves cette his to ri citeacute semble bien dou teuse8 Si nous pas sons sur le recircve divi na toire du Pheacutedon ougrave Socrate empri sonneacute

logiques et de deacutefi ni tions seacuteman tiques agrave double sens Il nrsquoest pas sans inteacute recirct de remar quer qursquoun de ces jeux logiques consiste en la deacutefi ni tion de la pro prieacuteteacute et de la nature des ecirctres vivants Socrate avait acquiesceacute que tout ecirctre qui avait une acircme pou vait ecirctre compteacute parmi les ani maux et que la pos ses sion qursquoil exer -ccedilait lui- mecircme sur ces ani maux eacutetait deacutefi nie par la faculteacute de deacuteci der de leur sort Euthydeacutemos deacutemontre main te nant que Socrate puis qursquoil pro fesse drsquoecirctre reli gieux et donc drsquolaquo avoir raquo des dieux comme Zeus Atheacutena et Apol lon doit ecirctre drsquoaccord de conceacute der que ces dieux ayant une acircme sont des ani maux et puis qursquoil les laquo a raquo qursquoil a le pou voir de les vendre offrir ou eacutegor ger

8 Ceci a meneacute agrave croire agrave une inven tion for geacutee de toutes piegraveces par Platon qui aurait opposeacute dans ses dia logues socra tiques un Socrate mythique et aimeacute drsquoApol -lon agrave lrsquohomme reacuteel pro vo ca teur et condamneacute pour aseacutebie cf Mario Montuori Socrates Physiology of a Myth Amsterdam 1981 speacutec p 140 le mecircme laquo The Oracle Given to Chaerephon on the Wisdom of Socrates An Inven tion by Plato raquo dans Kernos 3 1990 p 251-259 (contre cette hypo thegravese cf Eacute mile De Strycker laquo The Oracle Given to Chaerephon about Socrates (Plato Apology 20e-21a) raquo dans Jaap MansfeldLambertus M de Rijk (eacuted) Kephalaion Studies in Greek Philosophy and its Conti nuation Offered to Prof CJ de Vogel Assen 1975 p 39-49 p 40) Mais drsquoun autre cocircteacute nous savons par Xeacutenophon que Socrate vieillis -sant serait alleacute jus qursquoagrave condam ner les speacute cu la tions sur la nature comme impieacute teacutes (Xeacutenophon Meacutemo rables I 1 7-8) ce qui ne semble pas impro bable Louis GernetAndreacute Bou lan ger Le geacutenie grec dans la reli gion Paris 1970 p 318 parlent drsquoune laquo reli gio siteacute trou blante rare sans doute en son temps qui reste grecque neacutean moins par une cer taine fi deacute liteacute agrave la reli gion civique et par la seacutereacute niteacute drsquoun opti misme sans fadeur et sans mol lesse raquo Pour lrsquoatti tude de Socrate et de Platon face agrave la divi na tion compa rer aussi David En gels Das roumlmische Vorzeichenwesen ( 753-27 v Chr) Quellen Ter mi no logie Kommentar historische Entwicklung Stuttgart 2007 p 759ndash762

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explique qursquoil aurait sou vent recircveacute qursquoon lui ordon nait de faire de la musique ce qui lui fi t trans crire en poegravemes les fables drsquoEacutesope9 et compo ser un chant en lrsquohon neur drsquoApol lon10 nous avons sur tout agrave nous sou ve nir des fameux der niers mots de Socrate ougrave il conjure Criton drsquooffrir agrave Ascleacutepios un coq que lui- mecircme et Criton devaient au dieu (Platon Pheacutedon 118a) Ces quelques mots ont fait cou ler beau coup drsquoencre La pre miegravere et la plus simple des hypo thegraveses est qursquoil srsquoagit ici drsquoune phrase eacutenon ceacutee dans le deacutelire ou srsquoappli -quant effec ti ve ment agrave une vieille dette cultuelle vis- agrave-vis du dieu et fi degrave le ment rap por teacutee par Platon qui nrsquoaurait voulu que sou li gner lrsquoadheacute sion de son maicirctre (accuseacute pour atheacuteisme) au culte eacuteta bli hypo thegravese sup por teacutee par Wilamowitz11 qui tolegravere tout au plus un remer ciement de Socrate pour la mort agreacuteable et sans trop de dou leur qursquoil subis sait12 et attaque de faccedilon viru lente tous ceux qui cherchent agrave y trou ver un sens sym bo lique mys tique Ce refus drsquointer preacute ta tion sym bo lique eacuteton nant de la part du grand savant est en par tie compreacute hen sible si lrsquoon se sou vient que crsquoest avant tout Nietzsche ndash que Wilamowitz avait deacutejagrave vio lem ment atta queacute

9 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 85 nrsquoy voit pas drsquoiro nie au contraire

10 Platon Pheacutedon 60d-61b Sa fecircte reli gieuse dif feacute rait lrsquoexeacute cu tion du phi lo -sophe (Platon Pheacutedon 58a-c) car la cou tume vou lait qursquoon envoie annuel le ment un bateau (reacuteputeacute ecirctre le bateau de Theacuteseacutee agrave Deacutelos) pour y remer cier le Dieu pour lrsquoaide qursquoil apporta aux vic times du Minotaure Entre le deacutepart et le retour du bateau lrsquoEacutetat atheacute nien se devait de res ter rituel le ment pur en dif feacute rant toutes les peines capi tales mais puisque la fecircte eacutetait ceacuteleacute breacutee tra di tion nel le ment au deacutebut du prin temps lrsquoabsence du bateau se pro lon geait sou vent agrave cause du temps peu pro pice agrave la navi ga tion Puisque le precirctre drsquoApol lon (le ἱερεὺς τοῦ rsquoΑπόλλωνος) venait jus te ment drsquoorner par une cou ronne le bateau precirct au deacutepart le jour du pro -cegraves de Socrate celui- ci devait donc attendre le retour du navire Compa rer aussi Chieko Shinozuka laquo Theseusrsquo Ship raquo dans Mediterraneus 19 1996 p 37-64

11 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 135 laquo In dieses Wort ist alles Moumlgliche hineingeheimniszligt statt die einfache Wahrheit hinzunehmen daszlig Sokrates bis zu zuletzt daran denkt ob er seine Rechnung in diesem Leben ganz menschlich bereinigt hat Dabei faumlllt ihm ein daszlig fuumlr irgendein Geluumlbde an den Heilgott der erst vor zwanzig Jahren in Athen einen Kult erhalten hatte noch das uumlbliche Opfer ausstand Er selbst wird den Zauberdienst nicht in Anspruch genommen haben a ber er hatte Weib und Kin der Charakteristisch ist worauf seine letzten Gedanken gerichtet sind das Spezielle daran ist ganz ohne Belang raquo

12 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 57ndash58 en se fon dant sur Johan L Heiberg Sokrates sidste ord dans Oversigt over det kgl danske videnskabernes selskabs forhandlinger 1902 p 105-16 p 106

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pour sa Geburt der Tragoumldie13 ndash qui pro po sait lrsquoexpli ca tion alter -na tive la plus popu laire Ascleacutepios eacutetant le dieu de la gueacute ri son qui fai sait jouer ses pou voirs pen dant le som meil des malades une offrande devait ecirctre en quelque rela tion avec une mala die dont souf -frait le phi lo sophe mais de laquelle il aurait gueacuteri si bien que le dieu meacuteri te rait sa reacutecom pense En pous sant la speacute cu la tion et en cher chant agrave deacutefi nir cette mala die Nietzsche conclut que crsquoest de sa vie elle- mecircme que le phi lo sophe se consi deacutera deacutesor mais gueacuteri et que la mort lui eacutetait eacutequi va lente au reacuteveil dans un monde meilleur apregraves le long som meil de mala die que serait la vie dans le monde mateacute riel speacute cu la tion drsquoautant plus pro bable que le coq est jus te -ment le sym bole par excel lence de la renais sance apregraves la mort14 Des recherches dans le cadre des cultes des dif feacute rents degravemes de la ville ont per mis reacutecem ment une troi siegraveme inter preacute ta tion le plu riel qursquouti lise Socrate en par lant de laquo notre raquo dette srsquoexpli que rait du fait qursquoil appar te nait tout comme Criton agrave qui il srsquoadresse au degraveme drsquoAlogravepeacutekeacute Le calen drier de cette commune pour rait avoir preacutevu pour la date du 8e Elapheacutebolion ndash donc quelques jours apregraves la mort de Socrate ndash en preacute lude aux Grandes Dionysies le sacri fi ce drsquoun coq comme offrande agrave Ascleacutepios pour les membres de ce degraveme15

PLATON

Il est eacutevi dem ment impos sible de nous pen cher sur lrsquoensemble des remarques rela tives16 agrave la reli gion dans lrsquoœuvre de Platon dans

13 Cf Karlfried Gruumlnder (eacuted) Streit um Nietzsches laquo Geburt der Tragoumldie raquo Die Schriften von E Rohde R Wagner U v Wilamowitz- Moellendorf Hilde-sheim 1969

14 Friedrich Nietzsche Die froumlhliche Wissenschaft (1887) dans G Col liM Montinari (eacuted) Friedrich Nietzsche Saumlmtliche Werke Kritische Studienaus-gabe in 15 Baumlnden t 3 Muumlnchen 1980 p 343-652 A ph 340 p 569 laquo Dieses laumlcherliche und furchtbare letzte Wortrsquo heisst fuumlr Den der Ohren hat sbquoOh Kriton das Leben ist eine Krankheit rsquo raquo Voir eacutega le ment John L Carafi des laquo The Last Words of Socrates raquo dans Platon 23 1971 p 229-232 qui inter pregravete les der niegraveres paroles de Socrate agrave la lumiegravere des doc trines orphico- pythagoriciennes de puri fi -ca tion et drsquoimmor ta liteacute de lrsquoacircme et qui remer cie donc Ascleacutepios de gueacute rir de la mala die de la vie Pour le sym bo lisme du coq cf Pierre Trotignon laquo Sur la mort de Socrate raquo dans Revue de Meacuteta phy sique et de Morale 81 1976 p 1-10

15 Jules Labarbe laquo Der niegraveres paroles drsquoanciens Grecs der niegraveres paroles de Socrate raquo dans Bul le tin de la Classe de lettres de lrsquoAca deacute mie royale de Belgique 6 s 1 1990 p 189-222

16 A Lefka laquo Le regard ration nel raquo [n 1] p 125 compte 76 men tions de divi ni teacutes agrave 1182 reprises dans les œuvres de Platon

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le cadre de cet exposeacute Nous nous bor ne rons donc agrave dis tin guer plu sieurs thegravemes prin ci paux qui carac teacute risent lrsquoatti tude du phi lo -sophe17 Le pre mier eacuteleacute ment inteacute res sant est lrsquoana lyse des remarques geacuteneacute rales concer nant la pieacuteteacute et la reli gio siteacute le deuxiegraveme les eacuteleacute -ments reli gieux dans les sceacute na rios des dia logues le troi siegraveme le juge ment de lrsquooffi ce cultuel en tant que pro fes sion et les qua triegraveme et cin quiegraveme le rocircle qursquooccupent la reli gion et le culte dans les deux grands dia logues que sont la Reacutepu blique et les Lois

Remarques geacuteneacute rales

Consi deacute rons donc quelques remarques geacuteneacute rales de Platon sur la pieacuteteacute Drsquoabord il est inteacute res sant de consta ter que Platon cite Protagoras qui dans le dia logue du mecircme nom deacutefi nit lrsquohumain comme le seul ani mal capable de croire aux dieux et de leur eacutedi -fi er autels et sta tues et nous nrsquoavons aucune rai son de croire que le phi lo sophe vou lait ici contre dire le sophiste (Platon Protagoras 322a) De maniegravere sem blable Platon deacuteclare dans la Reacutepu blique que les Heacutellegravenes se deacutefi nissent entre autres par la veacuteneacute ra tion des mecircmes sanc tuaires (Platon Reacutepu blique V 470e) Ensuite crsquoest sur tout le dia logue Euthyphron18 qui meacuterite une atten tion par ti cu -liegravere car il est essen tiel le ment consa creacute agrave une deacutefi ni tion de la reli -gio siteacute et sert agrave reacutefu ter impli ci te ment lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie por teacutee agrave

17 Pour ecirctre complet citons encore Platon Lysias 206e ougrave le jeune Meacutenegravexegravene et ses amis habilleacutes festivement viennent de preacute sen ter des offrandes aux dieux et sont jus te ment en train de jouer aux deacutes avant que Socrate ne les inter pelle (le dia -logue por tant sur lrsquoami tieacute et lrsquoeacutedu ca tion) Platon Reacutepu blique I 328 ougrave le vieux Keacutephalos dont nous savons qursquoil a eacuteteacute inviteacute par Peacutericles agrave Athegravenes ougrave il fi nira sa vie 30 ans plus tard vient eacutega le ment de faire des offrandes dans la cour de sa mai son et ceint drsquoune cou ronne est assis sur un grand siegravege et explique aux inter lo -cuteurs du dia logue qursquoil se preacute pare agrave la mort mais nrsquoen a pas peur puis qursquoil a meneacute une vie cor recte et pieuse Platon Hippias Minor 363d ougrave le sophiste Hippias drsquoEacutelide est deacutecrit comme tenant des dis cours somp tueux agrave lrsquoocca sion de chaque fecircte olym pique devant le temple (de Zeus) et Platon Cratylos 401b-e ougrave Platon explique que les offrandes agrave Hestia doivent tou jours ecirctre faites en pre mier lieu en rai son de lrsquoeacutety mo logie drsquoHestia par οὐσία

18 Compa rer pour ce qui est des deacutefi ni tions de la pieacuteteacute et de la reli gion Joachim Klowski laquo Mythos und Logos in Platons Euthyphron raquo dans Anregung 33 1987 p 386-397 et Arno Schmidt laquo Euthyphron Sokratisches Erbe und der neue Weg des logos raquo dans Anregung 46 (2) 2000 p 83-91 Eacutevi dem ment Euthyphron est un dia logue de jeu nesse et pour rait donc refl eacute ter comme les autres dia logues de cette eacutepoque moins lrsquoavis de Platon lui- mecircme que celui de Socrate concer nant le culte et la reli gio siteacute

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Socrate par Meacuteleacutetos dont on apprend jus te ment au deacutebut du texte qursquoil vient de deacutepo ser son accu sa tion chez lrsquoArchon Poleacutemaios en prou vant au contraire la sin ceacute riteacute autant que le bien- fondeacute des sen ti ments reli gieux de Socrate Tan dis qursquoune appreacute cia tion sys -teacute ma tique de lrsquoargu men ta tion geacuteneacute rale du dia logue deacutepas se rait le cadre de cet exposeacute il est impor tant de sou li gner cer tains aspects des ten ta tives suc ces sives de Socrate pour eacuteta blir une deacutefi ni tion de la pieacuteteacute (ἡ ὁσιότης) Euthyphron lui- mecircme devin asserte dans un pre mier essai de deacutefi ni tion que la vraie pieacuteteacute consiste en lrsquoobeacuteis -sance aux lois des dieux et en la pour suite des impies dont les deux exemples prin ci paux sont le meurtre et le vol de biens des temples (Platon Euthyphron 5e) Si les deux pro chaines deacutefi ni tions refu -seacutees autant que la pre miegravere pour des rai sons de logique19 ne doivent pas nous concer ner ndash lrsquoune eacutetant que la pieacuteteacute consiste en ce que les dieux aiment lrsquoimpieacuteteacute ce qursquoils deacutetestent (Platon Euthyphron 9e) lrsquoautre que tout ce qui est pieux est aussi juste (Platon Euthyphron 11e) ndash la qua triegraveme pure ment empi rique meacuterite notre atten tion Socrate y pro pose que la pieacuteteacute soit la science de la priegravere et du sacri fi ce20 Un peu plus bas Socrate refor mule cette deacutefi ni tion car puisque la priegravere est une forme de demande et le sacri fi ce un cadeau (Platon Euthyphron 14d) la pieacuteteacute serait donc un commerce une ἐμπορικὴ avec les dieux plu tocirct qursquoune atti tude morale (Platon Euthyphron 14e) Se pose alors la ques tion de savoir si les sacri -fi ces que font les humains sont vrai ment utiles aux dieux ou srsquoils en appreacute cient seule ment le geste (Platon Euthyphron 15a-b) La der niegravere sup po si tion eacutetant la plus vrai sem blable la deacutefi ni tion de la pieacuteteacute se carac teacute ri serait donc agrave nou veau comme une action aimeacutee des dieux21 De maniegravere toute sem blable dans le Ban quet Platon laisse

19 Pour la struc ture logique de ces reacutefu ta tions voir Carla Carabba laquo I molti non sequitur dellrsquoEutifrone platonico raquo dans Sandalion 9 1982 p 91-95 qui sou -ligne de nom breuses entorses agrave la logique dont Socrate- Platon se rend cou pable pour reacutefu ter les thegraveses sou te nues par Euthyphron

20 Platon Euthyphron 14c Pour la deacutefi ni tion que sem blait avoir Platon de la priegravere cf Andreacute Motte laquo Deux expres sions du sen ti ment reli gieux dans la priegravere per son nelle en Gregravece II La priegravere du phi lo sophe chez Platon raquo dans Henri LimetJulien Ries (eacuted) Lrsquoexpeacute rience de la priegravere dans les grandes reli gions Actes du Col loque de Louvain- la-Neuve et Liegravege ( 22-23 novembre 1978) Louvain- la-Neuve 1980 p 173-204

21 Mais comme ceci avait eacuteteacute reacutefuteacute aupa ra vant le dia logue se ter mine en une apo rie comme de nom breux dia logues de jeu nesse de Platon mais une apo rie qui eacutemane moins de lrsquoincom peacute tence de Socrate que de lrsquoabsence drsquoune veacuteri table

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Eacuteryximaque reprendre impli ci te ment la deacutefi ni tion drsquoEuthryphon et deacutefi nir offrandes et divi na tion comme les deux seuls moyens qursquoont les humains drsquoentrer en contact avec les dieux de sau ve -gar der lrsquoamour entre humains et la pieacuteteacute envers les dieux (Platon Ban quet 188b-c) Le dis cours drsquoAristophane dans le Ban quet que lrsquoon connaicirct bien gracircce au mythe de creacutea tion de lrsquohomme et de la femme agrave par tir drsquoun Her ma phro dite22 reprend un autre eacuteleacute ment de lrsquoEuthyphron la moti vation prin ci pale de Zeus qui le porta plu tocirct agrave muti ler lrsquohomme aveu gleacute par lrsquoarro gance qursquoagrave le ter ras ser comme les Titans eacutema nait de sa volonteacute agrave srsquoassu rer aussi au futur hon neurs et offrandes (Platon Ban quet 190c)23

La mise en scegravene

Dans la mise en scegravene des œuvres de Platon24 le lieu du dia logue ou du moins le contexte geacuteneacute ral de lrsquoaction a sou vent un rap port indu bi table avec le culte reli gieux grec et meacuterite une atten tion par -ti cu liegravere puisque la mise en scegravene est indis so ciable du contenu du dia logue25 Dans le dia logue Ion le pro ta go niste du mecircme nom26 revient jus te ment drsquoEacutepidaure ougrave il a par ti cipeacute aux fecirctes don neacutees

eacutethique dans les convic tions du devin Euthyphron cf P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 82

22 Compa rer Jean Hani laquo Le mythe de lrsquoandro gyne dans le Ban quet de Platon raquo dans Euphrosyne 11 1981-82 p 89-101

23 Mecircme si Platon ne donne pas drsquoavis expli cite sur le contenu de ces deux dis cours nous savons que lrsquoordre des dis cours dans le Ban quet joue un rocircle cru -cial le dis cours jugeacute comme le trai te ment le plus appro fondi du thegraveme de la nature de lrsquoamour eacutetant le der nier celui de Socrate qui dit juste reprendre les termes de Diotimee precirc tresse agrave Mantineacuteia On serait donc tenteacute de voir dans les autres (dont le contenu nrsquoest cer tai ne ment pas abso lu ment contraire aux convic tions de Platon) de simples eacutetapes pro peacute deu tiques neacuteces saires pour atteindre le degreacute drsquoabs trac tion phi lo sophique de SocrateDiotime qui arrive agrave trans cen der la reli gio siteacute par la ratio na liteacute phi lo sophique qui seule per met trait drsquoacceacute der agrave la compreacute hen sion de la divi niteacute

24 Konrad Gaiser Protreptik und Paraumlnese bei Platon Untersuchungen zur Form des platonischen Dialogs Tuumlbingen 1959 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 164-181 cf Gasan C Gusejnov laquo Les per son nages de Platon Agrave la recherche du genre raquo dans BB Pietrovskij et al (eacuted) La civi li sa tion antique et la science moderne Moscou 1985 p 118-121 Marie- Laurence Desclos laquo La fonc tion des pro logues dans les Dia logues de Platon raquo dans Denis Vernant (eacuted) Du dia logue Grenoble 1992 p 15-29

25 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 17226 Cf sur le per son nage Allan H Gilbert (eacuted) Platorsquos Ion Comic and

Serious Studies in Honor of DWT Starnes Austin Univ of Texas 1967

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 557

en lrsquohon neur drsquoAscleacutepios parmi les quelles fi gu rait un concours de rhap sodes dont Ion rem porta le pre mier prix27 Socrate invite Ion agrave par ti ci per aussi aux Pana theacute neacutees pour y obte nir un suc cegraves compa -rable La fonc tion de ces reacutefeacute rences dans le contexte geacuteneacute ral du dia logue nrsquoest pas dif fi cile agrave ana ly ser ces reacutefl exions donnent direc -te ment lrsquoagrave- propos agrave la dis cus sion qui suit et qui concerne prin ci pa -le ment la valeur de lrsquoart du rhap sode et la deacutemons tra tion qursquoIon se consi deacute rant comme speacute cia liste en la matiegravere est pour tant inapte agrave eacutemettre des juge ments phi lo sophiques sen seacutes sur le contenu des mythes qursquoil raconte28

Le dia logue Charmide œuvre de jeu nesse comme lrsquoIon a lieu dans la palestre de Taureacuteas en face du temple de la laquo Basilika raquo abreacute via tion cou rante pour le temple de Perseacutephone Basileacuteia29 Ici par contre crsquoest moins le temple de Perseacutephone que la palestre qui est signi fi ca tive pour le contenu du dia logue qui tourne prin ci pa le -ment autour des connais sances du jeune gar ccedilon Charmide

La des crip tion de la mise en scegravene du dia logue Phegravedre qui fait par tie des œuvres de matu riteacute du phi lo sophe peut ecirctre consi deacute reacutee comme le seul exemple de des crip tion poeacute tique de la nature chez Platon Socrate ren contre Phegravedre deacuteam bu lant le long des che mins qui megravenent agrave Athegravenes pour y cher cher un endroit ougrave lire un dis -cours de Lysias sur lrsquoamour et deacutecide de lrsquoaccom pa gner jus qursquoau fl euve Ilissos Apregraves srsquoecirctre rafraicirc chis les pieds dans lrsquoeau les deux inter lo cuteurs srsquoins tallent dans lrsquoombre drsquoun pla tane ougrave ils dis cutent drsquoabord de la tra di tion de lrsquoenlegrave ve ment drsquoOrithye celle- ci eacutetait la fi lle du roi atheacute nien Eacuterechtheacute et fut ravie par Boreacutee agrave mi- chemin entre cet endroit et le temple drsquoArteacutemis Agra30 De plus Socrate

27 Pl Ion 530a Compa rer Paul Bernard laquo Note eacutepidaurienne La data tion du temple drsquoAscleacutepios et lrsquoIon de Platon raquo dans Bul le tin de Cor res pon dance Hel leacute -nique 85 1962 p 400-402

28 Cf Egert Poehlmann laquo Enthusiasmus und Mimesis Zum platonischen Ion raquo dans Gymnasium 83 1976 p 191-208 Herbert Eisenberger laquo Sokratesrsquo Absichten im Ion raquo dans Christoff Neumeister (eacuted) Antike Texte in Forschung und Schule Festschrift fuumlr Willibald Heilmann zum 65 Geburtstag FrankfurtMain 1993 p 71-98

29 La palestre de Taureacuteas nrsquoa pas encore eacuteteacute loca li seacutee la laquo Basilika raquo se trouve au sud de lrsquoAcro pole non loin du mur drsquoenceinte de la ville (Platon Charmide 153a)

30 Terme qui srsquoapplique soit agrave un sur nom de la deacuteesse soit au degraveme Agrai ougrave se serait trouveacute ce sanc tuaire La loca li sa tion exacte du lieu de lrsquoenlegrave ve ment se situe rait agrave envi ron 2 ou 3 stades du pla tane et serait mar queacutee par un autel au dieu du vent du Nord (Platon Phegravedre 229a-c) mais Platon cite aussi lrsquoAreacuteo page comme

558 DAVID ENGELS

deacutecrit qursquoil a lrsquoimpres sion drsquoaper ce voir non loin de leur lieu de repos quelques sta tues qui lais se raient sup po ser lrsquoexis tence drsquoun sanc tuaire de quelques nymphes et du dieu du fl euve Acheacuteloos (Platon Phegravedre 230b-c) le fi ls drsquoOceacutean et de Teacutethys le pegravere des Siregravenes La rai son de cette mise en scegravene est plus dif fi cile agrave ana ly -ser Socrate pro fesse drsquoabord ndash en contraste eacutecla tant avec sa des -crip tion buco lique de lrsquoendroit agrave laquelle il donne ainsi un accent drsquoiro nie ndash drsquoecirctre tout agrave fait deacutes in teacute resseacute par la nature et de nrsquoecirctre attireacute que par les villes car crsquoest lagrave qursquoil trouve les humains gracircce aux quels il peut conti nuer agrave apprendre (Platon Phegravedre 230d-e) Cepen dant suite agrave la dis cus sion sur la valeur de la rheacute to rique et la deacutefi ni tion de lrsquoamour31 Socrate srsquoemporte rapi de ment et livre tout un dis cours ins pireacute et mythologisant sur le des tin de lrsquoacircme humaine contras tant avec ses reacutefl exions objec tives et son rai son ne ment froid sur lrsquoart de la rheacute to rique Nous pou vons donc sup po ser que le cadre du dia logue ait eacuteteacute expres seacute ment choisi pour illus trer agrave la fois le pen -chant ration nel de Socrate contras tant avec le pai sible sanc tuaire des nymphes et son retour agrave la poeacute sie divine ins pireacute par la speacute cu -la tion phi lo sophique illus trant ainsi le che mi ne ment du phi lo sophe qui se deacutetourne des ten ta tions de la nature pour culti ver la pen seacutee logique qui le ramegravene de nou veau aux veacuteri teacutes natu relles32

Le Parmeacutenide assu reacute ment lrsquoun des dia logues tar difs de Platon se joue agrave Athegravenes lors des fecirctes panatheacuteennes et per met ainsi la mise en scegravene drsquoune ren contre fi c tive entre trois geacuteneacute ra tions de phi -lo sophes Parmeacutenide Zeacutenon et Socrate (Platon Parmeacutenide 127a) Il semble qursquoen dehors de cette fonc tion pure ment prag ma tique la men tion des Pana theacute neacutees ne puisse ecirctre inter preacute teacutee comme sym -

lieu pos sible (Platon Phegravedre 229c) Par rap port agrave la reli gion dans le Phegravedre cf les remarques de G Arabatzis laquo Enkalypsamenos raquo [n 1]

31 Cf Hubert Kesters laquo De ware redekunst volgens Platoonsrsquo Phaidros raquo dans Tijdschrift voor phi lo sophie 25 1963 p 651-687 et 36 1964 p 33-67 L Rossetti (eacuted) Understanding the Phaedrus Proceedings of the II Sym po sium Platonicum Sankt Augustin 1992 Jens Halfwassen laquo Bemerkungen zum Ursprung der Lehre vom Seelenwagen raquo dans Jahrbuch fuumlr Religionswissenschaft und Theologie der Religionen 2 1994 p 114-128 Gustav A Seeck laquo Schlechte und gute Liebe in Platons Phaidros raquo dans Wuumlrzburger Jahrbuumlcher 22 1998 p 101-121

32 Cette rela tion entre phi lo sophie et theacuteo logie se retrouve drsquoailleurs aussi dans la priegravere fi nale du Phegravedre ougrave Socrate prie les dieux de reacutecom pen ser les efforts du phi lo sophe par la sagesse Lrsquoon trou vera une ana lyse appro fon die de cette priegravere chez Konrad Haiser laquo Das Gold der Weisheit Zum Gebet des Philosophen am Schluss des Phaidros raquo dans Rheinisches Museum 132 1989 p 105-140

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bole preacute cis du contenu du dia logue dis cus sion pure ment for melle sur lrsquouniteacute et la mul ti pli citeacute qui nous livre peut- ecirctre lrsquoessence de la doc trine eacuteso teacute rique de Platon33 mais dont lrsquoana lyse deacutepas se rait lar -ge ment le cadre de la preacute sente recherche por tant uni que ment sur la place du culte grec tra di tion nel dans lrsquoœuvre de Platon

Le deacutebut de la Reacutepu blique est eacutega le ment carac teacute riseacute par une reacutefeacute -rence au culte deux des pro ta go nistes reviennent de la pre miegravere ceacuteleacute bra tion offi cielle drsquoune fecircte en lrsquohon neur de Bendis une divi -niteacute thrace nou vel le ment impor teacutee34 Platon deacutecrit ici les deux per -son nages des cen dus au Pireacutee ndash ougrave arri vait en bateau comme nous pou vons le sup po ser lrsquoimage de la deacuteesse ndash moti veacutes par deux rai -sons drsquoune part pour prier tout comme les autres spec ta teurs mais aussi drsquoautre part pour assou vir leur curio siteacute face agrave la pompe exteacute rieure des deux pro ces sions dont celle des Thraces est deacutecrite comme aussi impres sion nante que celle des Atheacuteniens Un peu plus tard nous appre nons aussi que les fes ti vi teacutes seront clocirc tu reacutees le soir par une pro ces sion eacutequestre ndash nou veauteacute reli gieuse comme le sou -ligne Platon ndash et des fecirctes noc turnes (Platon Reacutepu blique I 328a) Le cli mat de fes ti viteacute solen nelle qui implique lrsquoacti viteacute reli gieuse de la ville complegravete forme un cadre excellent pour la dis cus sion sur la nature de la jus tice et la deacutefaite intel lec tuelle de la posi tion des sophistes telle qursquoelle est sym bo li seacutee par les argu ments de Thrasymaque35 Il est eacutega le ment inteacute res sant de noter que Socrate mecircme srsquoil par ti cipe aux fes ti vi teacutes exprime son peu drsquoenvie drsquoy

33 Il est neacutean moins juste de sou li gner que laquo les Pana theacute neacutees refl egravetent lrsquouniteacute poli tique des citoyens atheacuteniens et lrsquoeacuteclat de leur citeacute Ren contre des geacuteneacute ra tions [hellip] dis cus sions entre phi lo sophes atheacuteniens et eacutetran gers concours divers [hellip] la citeacute ceacutelegravebre dans une effer ves cence poli tique reli gieuse et intel lec tuelle la deacuteesse qui la pro tegravege et patronne les mul tiples aspects de la vie en socieacuteteacute raquo (Catherine Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo dans Kernos 6 1993 p 225-243 p 241)

34 Elle eacutetait fecircteacutee annuel le ment le 19e20e Thargeacutelion (Platon Reacutepu blique I 327a donc deacutebut juin) Son intro duc tion offi cielle (pro ba ble ment en 430) qui avait semble- t-il des rai sons plu tocirct poli tiques que reli gieuses consti tuait une nou -veauteacute dans le sys tegraveme reli gieux clas sique drsquoAthegravenes cf J Jr Best laquo Bendis raquo dans Hermeneus 35 1964 p 122-128 Di miter Dopov laquo Essence ori gine et pro -pa ga tion du culte de la deacuteesse thrace Bendis raquo dans Dia logue drsquohis toire ancienne 2 1976 p 289-303 Claudia Montepaone laquo Bendis tracia and Atene lrsquointegrazione del nuovo attraverso forme dellrsquoideologia raquo dans A ION (Archeol) 12 1990 p 103-121

35 P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 47 par contre inter pregravete le cadre de maniegravere tout agrave fait dif feacute rente et y voit une allu sion agrave ce que la reli gio siteacute serait acces sible agrave tout le monde mais la theacuteo logie phi lo sophique aux seuls intel lec tuels cagraved sui vant le point de vue grec aux peuples hel leacute ni seacutes

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retour ner le soir seule la pro messe drsquoy deacutecou vrir des inter lo cuteurs poten tiels arrive agrave le faire fl eacute chir36

Dans le Timeacutee qui est la suite directe de la Reacutepu blique et commence avec une reacuteca pi tu la tion assez som maire des ideacutees de ce dia logue37 le cadre reli gieux de la Reacutepu blique est deacuteformeacute de faccedilon assez remar quable puisque la dis cus sion nrsquoa pas lieu le len de main de la fecircte pour Bendis mais lors des Pana theacute neacutees ceacuteleacute breacutees le 28e Heacutekatombaion (Platon Timeacutee 26e) La solen niteacute de la fecircte y est mise expres seacute ment en rela tion avec le thegraveme du dia logue la creacutea tion mys tique et la nature mateacute rielle du monde comme par ti cu liegrave re ment seyante agrave des speacute cu la tions aussi pro fondes (Platon Timeacutee 26e) De plus Critias le jeune qui relate le mythe de lrsquoAtlantide agrave Socrate y explique qursquoil a lui- mecircme appris cette tra di tion par Critias lrsquoancien lors de la ceacuteleacute bra tion des Apatouries38

Notons fi na le ment que mecircme les Lois dia logue inacheveacute et lourd peu compa rable avec la viva citeacute des œuvres de jeu nesse ont un cadre reli gieux le pre mier mot en est deacutejagrave laquo Dieu raquo et le sceacute -na rio ouvre sur une speacute cu la tion sur lrsquoori gine divine des lois des Laceacute deacute mo niens et des Creacute tois pro ve nant res pec ti ve ment drsquoApol -

36 Platon Reacutepu blique I 328a La suite de la dis cus sion qui concer nera la deacutefi ni tion de la jus tice agrave tra vers une deacutefi ni tion de lrsquoEacutetat ideacuteal peut eacutega le ment ecirctre inter preacute teacutee comme eacutetant en rap port eacutetroit avec la des crip tion des fes ti vi teacutes reli -gieuses de la citeacute atheacute nienne mais il ne faut pas oublier que le pre mier livre de la Reacutepu blique a pro ba ble ment preacute ceacutedeacute les livres sui vants de nom breuses anneacutees Nous ne savons donc pas preacute ci seacute ment si la fecircte deacutedieacutee agrave Bendis a eacuteteacute ajou teacutee plus tard au pro logue du pre mier livre en fonc tion de lrsquoeacuteco no mie glo bale de la Reacutepu -blique ou au contraire nrsquoa eacuteteacute des ti neacutee qursquoagrave intro duire le pre mier livre et nrsquoa donc qursquoun rap port acci den tel avec les livres II agrave X Alors que Pierre Javet laquo Ceacutephale et Platon sur le seuil de la vieillesse Reacutefl exions sur le pro logue de la Reacutepu blique raquo dans Revue Phi lo sophique de la France et de lrsquoeacutetran ger 1982 p 241-247 affi rme que la ren contre de Socrate avec Poleacute marque et sa dis cus sion avec Ceacutephale ont eacuteteacute compo seacutees en fonc tion de lrsquoensemble de la Reacutepu blique P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 46 sou tient la thegravese du rap port acci den tel en fai sant remar quer que ce dia logue devenu eacutenorme deacutebute seule ment dans la soi reacutee et ne peut donc fi nir rai son na ble ment quelques heures plus tard ndash un pro blegraveme que Platon aurait cer tai -ne ment eacuteviteacute srsquoil avait voulu degraves le deacutebut eacutecrire une œuvre tel le ment gigan tesque (et ce nrsquoest pas un hasard si les Lois eux deacutebutent le matin en rai son de la lon gueur impres sion nante de lrsquoœuvre)

37 Compa rer p ex Christopher J Rowe laquo Why is the Ideal Athens of the Timaeus- Critias not Ruled by Philosophers raquo dans Meacutethexis 10 1997 p 51-57

38 Celles- ci ougrave les jeunes hommes eacutetaient ins crits dans leur phra trie (Platon Timeacutee 21b) eacutetaient eacutega le ment preacute si deacutees par Atheacutena et Zeus et duraient trois jours

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 561

lon pythique et de Zeus39 Plus tard nous appre nons que les inter lo -cuteurs se trouvent en Cregravete et sont sur le che min de Cnossos vers la grotte sacreacutee de Zeus40

Nous voyons donc que le choix de lrsquoeacuteleacute ment reli gieux tra di tion -nel nrsquoest pas acci den tel dans la mise en scegravene des dia logues de Platon et que au contraire la men tion des cultes a dans la plu part des cas un rap port phi lo sophique direct avec le thegraveme du dia logue qui srsquoen suit Crsquoest donc la reli gio siteacute tra di tion nelle qui oserions- nous dire ins pire sa propre trans cen dance par la dis cus sion meacuteta -phy sique et est eacutevo queacutee impli ci te ment comme base neacuteces saire agrave toute aven ture intel lec tuelle

La precirc trise comme pro fes sion

Un autre thegraveme reacutecur rent chez Platon est celui de la compeacute tence pro fes sion nelle des dif feacute rents precirctres Nous connais sons tous les exemples nom breux ougrave le phi lo sophe parle des timo niers des menui -siers et des meacutede cins mais il est eacuteton nant de voir que la men tion du devin (μάντις) comme exemple drsquoun meacutetier parmi drsquoautres est assez cou rante chez Platon41 Notons ici que Platon mecircme srsquoil parle en regravegle geacuteneacute rale des devins sans en speacute ci fi er en deacutetail les fonc tions theacuteo lo giques ou meacutethodes pro fes sion nelles leur attri bue (en theacuteo rie au moins) une vraie laquo connais sance du futur raquo (Platon Charmide 173c ἐπιστήμην τοῦ μέλλοντος) et les rap proche en fai sant eacutegard agrave leur ins pi ra tion commune par le souffl e divin des rhap sodes des chan teurs drsquooracles (Platon Ion 534c Apo logie 22c) et mecircme des poli ti ciens (Platon Meacute non 98c-d) De faccedilon sem blable dans le Poli -tique Platon les carac teacute rise comme tra duc teurs et voix des dieux (Platon Poli tique 290c) tan dis que les precirctres sont deacutefi nis comme ceux qui srsquooccupent drsquoorga ni ser le contact des humains avec les

39 Platon Lois I 624a-625a cf aussi 632d40 Platon Lois I 625a-b Lrsquoon peut soit lrsquoiden ti fi er comme le sanc tuaire

de la grotte dicteacuteenne ndash lrsquoopi nion geacuteneacute ra le ment admise cf commen taire Klaus Schoumlpsdau (eacuted trad et comm) Platon Gesetze Buch I- IV Darmstadt 21990 ndash ou celui du Mont Ida cf Glenn R Morrow Platorsquos Cretan City a Historical Interpretation of the Laws Princeton 1962 p 27ndash28 Par rap port agrave la signi fi ca tion reli gieuse de la Cregravete cf Jesuacutes Lens Tuero laquo La mitifi cacioacuten de Creta en la cultura griega del siglo IV raquo dans Actas del VIII congreso espantildeol de estudios claacutesicos (Madrid 23-28 de septiembre de 1991) t 3 Madrid 1994 p 219-222

41 Voir en dehors de lrsquoEuthyphron dont le pro ta go niste homo nyme est qua -li fi eacute de devin Platon Ion 531b Charmide 173c

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dieux par les sacri fi ces et les priegraveres (Platon Poli tique 290c-d) ayant annexeacute en ceci les attri bu tions des anciens rois42 Ce juge ment en somme posi tif pour rait ecirctre impu table au fait que Platon voyait beau coup de res sem blances entre le devin et le phi lo sophe43 Neacutean -moins il ne place les devins et precirctres qursquoau cin quiegraveme rang des formes de vie du Phegravedre (Platon Phegravedre 248d) et insiste sur le fait qursquoil ne veut par ler que des devins laquo seacuterieux raquo (τοὺς δὲ ὡςἀληθῶς μάντεις) qursquoil met en contraste avec les beaux- parleurs (τοὺς μὲν ἀλαζόνας) qui man que raient de σωφροσύνη (Platon Charmide 173c) Nous trou vons un exemple de ces devins laquo non seacuterieux raquo dans la Reacutepu blique Platon y deacutecrit par la bouche drsquoAdeacutemante que les char la tans et les devins (ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις) pro mettent aux riches de rache ter contre paye ment leurs fautes morales par des sacri fi ces et des for mules magiques et assurent mecircme pou voir infl u en cer les dieux par des incan ta tions magiques44 agrave faire du tort aux autres humains bons ou mau vais (Platon Reacutepu blique II 364b-365a) En ceci ils srsquoappuyeraient sur Hom egravere qui qua li fi ait deacutejagrave les dieux drsquoinfl u en ccedilables par des pro messes et des offrandes (Hom -egravere Iliade IX 497-501) et sur les eacutecrits mys tiques de Museacutee et drsquoOrpheacutee45 Ceux- ci auraient ensei gneacute que des hommes et mecircme

42 Platon prouve ce rai son ne ment en nom mant lrsquoArchon Basileacuteios drsquoAthegravenes res pon sable des offrandes les plus archaiumlques et veacuteneacute rables et cite aussi lrsquoini tiation obli ga toire des pha raons drsquoEacutegypte agrave lrsquoart des precirctres (Platon Poli tique 290e)

43 Cf Richard Bodeacuteuumls laquo ldquoJe suis devinrdquo (Phegravedre 242c) Remarques sur la phi lo sophie selon Platon raquo dans Kernos 3 1990 p 45-52 p 49 laquo La contem pla -tion phi lo sophique en effet nrsquoest pas sans ana logie avec la vision divi na toire [hellip] De mecircme que le devin voit sans lrsquointel li gence des signi fi ants le phi lo sophe voit par lrsquointel li gence des signi fi eacutes Crsquoest un vision naire dans lrsquoordre de lrsquointel li -gible raquo

44 Voir aussi Carlo A Viano laquo Retorica magia e natura in Platone raquo dans Rivista di Filosofi a 56 1965 p 411-453 qui sou ligne que Platon dans le livre X des Lois et dans le Phegravedre met la magie et la rheacute to rique sur le mecircme plan puis qursquoelles exercent toutes les deux une action psy cho lo gique sur lrsquoacircme et que lrsquohomme lui- mecircme est sujet agrave la rheacute to rique et agrave la magie en tant que par tie de la nature

45 Au sujet de la rela tion de Platon aux orphiques cf Paul Boyanceacute Le Culte des Muses chez les phi lo sophes grecs Paris 1937 p 21ndash24 le mecircme laquo Platon et les Cathartes orphiques raquo dans Revue des eacutetudes grecques 55 1942 p 217-235 Philippe Borgeaud (eacuted) Orphisme et Orpheacutee en lrsquohon neur de Jean Rudhardt Genegraveve 1991 Leacuteonid Zhmud laquo Orphism and grafi tti from Olbia raquo dans Hermes 120 1992 p 159-168 (confi r mant Platon Cratylos 400c) Alberto Bernabeacute laquo Una etimologiacutea platoacutenica soma- sema raquo dans Philologus 139 1995 p 204-237 Giovanni Casadio laquo El mito del laquo Poliacutetico raquo (268 D-274 E) y la his to ria de las religiones raquo dans Emerita 64 1996 p 65-77 Les frag ments orphiques conser veacutes

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des citeacutes entiegraveres pou vaient rache ter leurs fautes preacute sentes et pas seacutees par des sacri fi ces et des jeux (διὰ θνσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν)46 Mecircme si Platon consi degravere geacuteneacute ra le ment les astres comme des divi ni -teacutes47 il explique dans le Timeacutee que les pheacute no megravenes astro no miques ne doivent pas ecirctre pris pour des preacute sages mais srsquoexpliquent par des rai sons pure ment matheacutema tiques (Platon Timeacutee 40c-d) ce qui peut ecirctre inter preacuteteacute comme une cri tique de la man tique astro lo gique Dans les Lois il deacutecrit que beau coup de magi ciens et de devins seraient mecircme en reacutea liteacute des a theacuteistes sou cieux de pro fi ter de la creacute du liteacute de leurs conci toyens (Platon Lois X 908d)48

chez Platon peuvent ecirctre consul teacutes main te nant dans Alberto Bernabeacute Poetae epici Graeci Testimonia et frag menta Pars II Fasc 1-2 Orphicorum et Orphicis similium frag menta MuumlnchenLeipzig 2004-2005

46 Un preacute jugeacute pla to ni cien qui reacutefl egravete le peu drsquoestime qursquoavaient les intel lec -tuels contem po rains pour la char la ta ne rie issue des speacute cu la tions gran dioses de lrsquoorphisme (pour tant extrecirc me ment popu laires agrave lrsquoeacutepoque cf Martin P Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion t1 Bis zur Weltherrschaft Muumlnchen 1941 p 684 et 800) et qui semble sur tout issue du pytha go risme (Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore de Gregravece en Palestine Paris 1927 p 81ndash82) Pour lrsquoinfl u ence de Pythagore sur Platon compa rer aussi Erich Frank Plato und die so genannten Pythagoreer Halle 1923 Pierre Boyanceacute laquo Lrsquoinfl u ence pytha go ri -cienne sur Platon raquo dans Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia Naples 1966 p 73-113 Bartel Leendert Van Der Waerden laquo Platon et les sciences exactes des Pytha go ri ciens raquo dans Bul le tin de la Socieacuteteacute Matheacutema tique de Belgique 21 1969 p 120-122 Maria Tortorelli Ghidini et al (eacuted) Tra Orfeo e Pitagora origini e incontri di culture nellrsquoantichitagrave atti dei seminari napoletani 1996-1998 Naples 2000 Leacuteonid Zhmud laquo Uumlberlegungen zur pythagoreischen Frage raquo dans Georg Rechenauer (eacuted) Fruumlhgriechisches Denken Goumlttingen 2005 p 135-151 David En gels laquo Geometrie und Phi lo sophie Zur Visualisierung metaphysischer Konzepte durch raumlumliche Darstellungen in der pythagoreischen Phi lo sophie raquo dans D GroszligS Westermann (eacuted) Vom Bild zur Erkenntnis Visualisierungskonzepte in den Wissenschaften Kassel 2007 p 113ndash129

47 Platon Timeacutee 401ndash402 Lois VII 821bndashc Voir agrave ce sujet p ex Hans Herter laquo Gott und die Welt bei Platon raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 158 1958 p 106-117 GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 399ndash402 et 445ndash448

48 En ce qui concerne lrsquoart divi na toire sou li gnons ici encore que Platon dans le Lachegraves laisse Socrate affi r mer que chaque pro fes sion confegravere agrave celui qui lrsquoexerce cor rec te ment une auto riteacute de speacute cia liste dans son domaine Ceci le conduit agrave demander agrave son inter lo cuteur un mili taire srsquoil est donc deacutecideacute en cas de guerre agrave faire plu tocirct confi ance agrave ses propres avis stra teacute giques qursquoaux conseils des devins que lrsquoon ne sau rait dif fi ci le ment regar der comme des auto ri teacutes compeacute tentes en matiegravere miliaire ce agrave quoi le stra tegravege atheacute nien acquiesce (Platon Lachegraves 199a) Si lrsquoon pense que ce stra tegravege nrsquoest autre que Nicias le poli ti cien atheacute nien qui notam -ment parce qursquoil avait accordeacute foi agrave des devins et des oracles dans ses deacuteci sions mili taires connaicirct en 413 une fi n tra gique en Sicile (ougrave il avait assieacutegeacute en vain la ville de Syracuse et ougrave il fut fait pri son nier par les habi tants qui le condam negraverent agrave mort) lrsquoendroit ne manque pas de piment et laisse per ce voir lrsquoiro nie de Platon qui

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La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 565

Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 567

la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 571

pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 573

de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 575

pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

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nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

580 DAVID ENGELS

dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 581

ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

INTRO DUC TION

Pour quoi une ana lyse du rocircle que tenait le culte grec tra di tion -nel dans la pen seacutee drsquoun phi lo sophe tel que Platon pourrait- on se demander alors que drsquoautres auteurs tels qursquoHeacuterodote ou Thucydide nous four nissent tant drsquoexemples his to ri que ment et artisti que ment autre ment inteacute res sants De faccedilon geacuteneacute rale il est cer tain que lrsquoon cher chera vai ne ment chez Platon des speacute ci fi ca tions exactes sur la nature de tel culte lrsquoeacutedi fi ca tion de tel temple ou les attri bu tions de tel precirctre Neacutean moins je crois que lrsquoon pour rait consi deacute rer Platon comme lrsquoauteur qui nous four nit gracircce agrave ses nom breux eacutecrits conser -veacutes jus qursquoaujourdrsquohui lrsquoexemple le plus par fait de la maniegravere dont un intel lec tuel extraor di naire il est vrai pou vait juger les tra di -tions rituelles de sa patrie grecque1 Car agrave la grande dif feacute rence

1 Compa rer agrave ce sujet Pierre Bovet Le Dieu de Platon drsquoapregraves lrsquoordre chro -no lo gique des dia logues Genegraveve 1902 Eduard Zeller Die Phi lo sophie der Griechen in ihrer geschichtlichen Entwicklung t 21 Leipzig 51922 p 925-936 Andreacute Bremond laquo De lrsquoA me et de Dieu dans la phi lo sophie de Platon raquo dans Archives de Philososophie 2 (3) 1924 p 24-56 Paul E More The Reli -gion of Plato Princeton 1929 George N Belknap Reli gion in Platorsquos States Oregon 1935 John Cornford laquo The ldquoPolytheismrdquo of Plato an Apology raquo dans Mind 47 1938 p 321-330 Alfred E Taylor laquo The ldquoPolytheismrdquo of Plato an Apologia raquo dans Mind 47 1938 p 180-199 Otto Kern Die Reli gion der Griechen t 3 Berlin 1938 p 14-27 Reginald Emerson The Religious Beliefs of Plato Londres 1939 Friedrich Solmsen Platorsquos Theology Ithaca (New York) 1942 Reneacute Schaerer Dieu lrsquoHomme et la Vie drsquoapregraves Platon Neuchacirctel 1944 Oli vier Reverdin La Reli gion dans la Citeacute pla to ni cienne Paris 1945 Ulrich von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben und seine Werke BerlinFrancfort 31948 et Platon Beilagen und Textkritik (auf Basis der 2 Aufl 1920 bearbeitet und mit einem Nachwort versehen von R Stark) Berlin3 1962 William Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo dans Entre tiens de la fon da tion Hardt 1 1954 p 241-283 Victor Goldschmidt La reli gion de Platon Paris 1949 Jean Luccioni laquo Platorsquos Religious Experience raquo dans Hermathena 96 1962 p 73-91 Philippe Mer lan laquo Reli gion and Philosophy from Platorsquos Phaedo to the Chaldaean Oracles raquo dans Jour nal of History and Philosophy 1 1963 p 163-176 Paul Friedlaumlnder Platon t 1-2 (1964) et t 3 (1975) BerlinNew York 1964 et 1975 Zdzisław Czarnecki laquo Filozofi czna religia Platona a religia w jego utopiach raquo dans Euhemer 9 1965 p 23-40 Klaus Schneider Die schweigenden Goumltter Eine Studie zur Gottesvorstellung des religioumlsen Platonismus Hildesheim 1966 Zdzisław Czarnecki Reli gion et socieacuteteacute dans la pen seacutee de Platon Varsovie 1968 Victor Goldschmidt Pla to nisme et pen seacutee contem po raine La reli gion de Platon Les que relles sur le pla to nisme Paris 1970 Kyriakos Katsimanis laquo Reli gion et meacuteta phy sique chez Platon Agrave pro pos de lrsquoApol lon du Cratyle 405a-e raquo dans Platon

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 549

drsquoAristophane reacuteduit au domaine comique il ne lui eacutetait non seule -ment pos sible de cri ti quer son patri moine reli gieux pour ce qursquoil consi deacute rait comme des per ver sions de la theacuteo logie ori gi nelle mais aussi drsquoassi mi ler de reacutein ter preacuteter et de trans cen der en un nou vel ideacuteal reli gieux les eacuteleacute ments qursquoil jugeait beacuteneacute fi ques pour lrsquohomme Mecircme si bien sucircr lrsquoatti tude que pre nait Platon face au culte tra -di tion nel est incom preacute hen sible sans lrsquoexpli ca tion des racines phi -lo sophiques et theacuteo lo giques de sa pen seacutee et nrsquoa drsquointeacute recirct qursquoen consi deacute rant la place qursquoelle tient face aux ori gi na li teacutes de sa phi lo -sophie je tiens agrave me consa crer ici uni que ment aux pas sages citant speacute ci fi que ment precirctres cultes ou temples sans me lan cer dans une reacuteeacuteva lua tion sys teacute ma tique de ques tions aussi dif fi ciles que mal pla -ceacutees dans le cadre de ce col loque que le sera notam ment la des crip -tion du rocircle des dieux homeacute riques dans la phi lo sophie de Platon2

23 1971 p 278-295 Andreacute Motte Prai ries et jar dins de la Gregravece antique De la reli gion agrave la phi lo sophie Bruxelles 1973 Luc Brisson laquo Du bon usage du deacuteregrave -gle ment raquo dans Jean- Pierre Vernant et al (eacuted) Divi na tion et ratio na liteacute Paris 1974 p 220-248 Jeannie Carlier laquo Science divine et rai son humaine raquo dans Jean- Pierre Vernant et al (eacuted) Divi na tion et ratio na liteacute Paris 1974 p 249-263 Arrigo Bortolotti laquo La religione nei dialoghi giovanili di Platone raquo dans Rivista critica di storia della fi losofi a 31 1976 p 3-40 Aegid Hoellwerth Reli gion und Phi lo sophie Studien zu Platon Salzburg 1977 Walter Burkert Griechische Reli gion der archaischen und klassischen Epoche Stuttgart 1977 p 489-496 Ernesto Valgiglio laquo Il concetto di divinitagrave in Platone e nella Nuova Accademia raquo dans Cristologia amp pensiero contemporaneo Genegraveve 1982 p 19-50 Gerard Naddaf laquo Platorsquos Theologia Revisited raquo dans Meacutethexis 9 1996 p 5-18 Georges Arabatzis laquo Enkalypsamenos La pieacuteteacute socra tique dans le Phegravedre de Platon raquo dans Kernos 16 2003 p 119-123 Aikaterini Lefka laquo Le regard ration nel de Platon sur les dieux tra di tion nels raquo dans Kernos 16 2003 p 125-132

2 Cette approche empi rique nrsquoest pas injus ti fi eacutee face aux sin gu la ri teacutes des œuvres de Platon bien au contraire Deacutejagrave James K Feibleman Religious Platonism Londres 1959 p 125 avait speacute ci fi eacute de faccedilon pro vo ca trice laquo On the whole where Plato was interested in religious ques tions it was inter est in everything religious except God raquo Voir aussi E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 925 de faccedilon sem blable W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 241 jugeait laquo Seine Theologie ist keine systematische Erforschung des Wesens Gottes sondern ein gelegentliches Sprechen uumlber das Goumlttliche raquo Compa rer aussi dans ce sens Heinrich Doumlrrie laquo Vom Transzendenten im Mittelplatonismus raquo dans Entre -tiens de la fon da tion Hardt 5 1957 p 192-223 p 203 laquo [hellip] ich moumlchte zur Diskussion stellen ob uumlberhaupt von einer Theologie bei Platon die Re de sein darf mir scheint wir duumlrfen nur von theologischen Aussagen bei Platon sprechen [hellip] raquo Bien que cette theacuteo rie doive ecirctre reacuteeacuteva lueacutee gracircce agrave la reconstruc tion de la pen seacutee eacuteso teacute rique de Platon par lrsquoeacutecole de Tuumlbingen lrsquoessen tiel en garde sa valeur pour lrsquoana lyse des dia logues Il est beau coup plus eacutevident et phi lolo gi que ment deacutefen dable drsquoana ly ser les pas sages concer nant concregrave te ment des cultes tra di tion -nels que drsquoessayer de dis tiller sur base des dif feacute rentes allu sions theacuteo lo giques eacutepar -

550 DAVID ENGELS

SOCRATE

Avant drsquoana ly ser les œuvres de Platon il me semble neacuteces saire drsquoen exclure les quelques pas sages qui semblent eacutema ner exclu si -ve ment du sou ve nir que gar dait Platon de son maicirctre Socrate3 et que nous ne sau rons donc attri buer aux convic tions de lrsquoeacutelegraveve mecircme srsquoil faut comp ter avec un rema nie ment cer tain et sou li gner qursquoil nrsquoaurait pas repris ces pas sages srsquoil nrsquoen avait pas appreacute cieacute le contenu4 Ayant eacuteteacute condamneacute entre autres pour aseacutebie5 et intro duc -tion de nou velles divi ni teacutes dans la citeacute curieux meacutelange de deux accu sa tions contra dic toires la posi tion que Socrate semble avoir prise face aux dieux telle qursquoelle nous est reacuteveacute leacutee chez Platon est sin gu liegrave re ment ambi va lente lrsquoiro nie6 srsquoy meacutelan geant agrave pre miegravere vue avec une pieacuteteacute osten ta toire Si nous fai sons abs trac tion des nom -breux endroits ougrave Socrate pro fesse sa croyance en les dieux olym -piens7 le pre mier eacuteleacute ment reacuteveacute la teur nous semble ecirctre ce fameux

pilleacutees agrave tra vers tous les dia logues une preacute sen ta tion des convic tions reli gieuses de Platon qui neacuteces sai re ment ne sau rait ecirctre que construite et inadeacute quate face agrave la varieacuteteacute des œuvres du phi lo sophe et agrave son eacutevo lu tion interne Une ana lyse de ses reacutefl exions agrave pro pos du culte par contre pourra per mettre drsquoana ly ser concregrave te -ment ses convic tions intimes face aux dieux et aux rituels et drsquoajou ter de nou veaux aspects agrave la recherche sur la theacuteo logie pla to ni cienne

3 Par rap port agrave la reli gio siteacute de Socrate compa rer Gregory Vlastos Socratic Piety Socrates Ironist and Moral Phi lo so pher Ithaca 1991

4 Crsquoest pour quoi je me bor ne rai ici prin ci pa le ment agrave la preacute sen ta tion que Platon fait de Socrate non celle de Xeacutenophon qui lui semble avoir gardeacute des convic tions reli gieuses assez naiumlves (Xeacutenophon Ana base 3 1 et 7 8) et a ten dance agrave dimi nuer lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee reli gieuse de Socrate pour mieux pou voir le pro teacute ger des attaques de ses enne mis (Cf Xeacutenophon Meacutemo rables I 3 3) En ce qui concerne drsquoautres auteurs cf Karl Joel Der echte und der xenophontische Sokrates t 1-3 Berlin 1893-1901 Friedrich Pfeffer Studien zur Mantik in der Phi lo sophie der Antike Meisenheim am Glan 1976 p 40-42 Michel Narc y laquo La reli gion de Socrate dans les ldquoMeacutemo rablesrdquo de Xeacutenophon raquo dans Gabriele GiannantoniMichel Narc y (eacuted) Lezioni socratiche Naples 1997 p 13-28

5 Le terme peut expri mer agrave la fois lrsquoatheacuteisme et la neacutegli gence cultuelle Cf Ernst Sandvoss laquo Asebie und Atheismus im klassischen Zeitalter der griechischen Polis raquo dans Saeculum 19 1968 p 312-329 Gabriele Marasco laquo I processi drsquoempietagrave nella democrazia ateniese raquo dans Atene amp Roma 21 1976 p 113-131 Marek Winiarczyk laquo Biblio gra phie zum antiken Atheismus raquo dans Elenchos 10 1989 p 103-192 Richard Bodeacuteuumls laquo Notes sur lrsquoimpieacuteteacute de Socrate raquo dans Kernos 2 1989 p 27-35

6 Qua li fi eacutee par Thomas Mann le grand iro niste du XXe siegravecle comme laquo das ohne Vergleich tiefste und reizendste [Problem] der Welt raquo

7 Compa rer sur tout Platon Euthydeacutemos 302 a- e Ici le sophiste Euthydeacutemos essaie de mener Socrate drsquoapo rie en apo rie par un habile jeu de contra dic tions

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 551

oracle que la Pythie aurait livreacute agrave Chaireacutephon selon lequel il nrsquoy avait point drsquohomme plus sage que Socrate (Platon Apo logie 21a) Platon nous deacutecrit Socrate comme pre nant tregraves au seacuterieux cet oracle et essayant de le contre dire ndash vai ne ment comme il lrsquoatteste non sans une cer taine satis faction Cette assis tance divine au pro jet phi -lo sophique de Socrate serait deacutejagrave suf fi sante pour nous per mettre de comprendre sa rete nue agrave lrsquoeacutegard de la divi na tion grecque et de sa croyance en lrsquoins pi ra tion par son deacutemon per son nel et en des recircves divi na toires (p ex Platon Apo logie 33c) Il ne serait cer tai ne ment pas hasar deux drsquoen deacuteduire eacutega le ment lrsquoexpli ca tion de la veacuteri table veacuteneacute ra tion que lrsquooracle drsquoApol lon semble avoir ins pi reacutee agrave son eacutelegraveve Platon (qui lui garda appa rem ment une grande estime pour la reconnais sance de la sagesse de son maicirctre) si nous pou vions ecirctre sucircrs de lrsquohis to ri citeacute de lrsquooracle Mais face au silence des sources et agrave celui de Socrate lui- mecircme pen dant de nom breuses anneacutees jus -qursquoagrave son pro cegraves cette his to ri citeacute semble bien dou teuse8 Si nous pas sons sur le recircve divi na toire du Pheacutedon ougrave Socrate empri sonneacute

logiques et de deacutefi ni tions seacuteman tiques agrave double sens Il nrsquoest pas sans inteacute recirct de remar quer qursquoun de ces jeux logiques consiste en la deacutefi ni tion de la pro prieacuteteacute et de la nature des ecirctres vivants Socrate avait acquiesceacute que tout ecirctre qui avait une acircme pou vait ecirctre compteacute parmi les ani maux et que la pos ses sion qursquoil exer -ccedilait lui- mecircme sur ces ani maux eacutetait deacutefi nie par la faculteacute de deacuteci der de leur sort Euthydeacutemos deacutemontre main te nant que Socrate puis qursquoil pro fesse drsquoecirctre reli gieux et donc drsquolaquo avoir raquo des dieux comme Zeus Atheacutena et Apol lon doit ecirctre drsquoaccord de conceacute der que ces dieux ayant une acircme sont des ani maux et puis qursquoil les laquo a raquo qursquoil a le pou voir de les vendre offrir ou eacutegor ger

8 Ceci a meneacute agrave croire agrave une inven tion for geacutee de toutes piegraveces par Platon qui aurait opposeacute dans ses dia logues socra tiques un Socrate mythique et aimeacute drsquoApol -lon agrave lrsquohomme reacuteel pro vo ca teur et condamneacute pour aseacutebie cf Mario Montuori Socrates Physiology of a Myth Amsterdam 1981 speacutec p 140 le mecircme laquo The Oracle Given to Chaerephon on the Wisdom of Socrates An Inven tion by Plato raquo dans Kernos 3 1990 p 251-259 (contre cette hypo thegravese cf Eacute mile De Strycker laquo The Oracle Given to Chaerephon about Socrates (Plato Apology 20e-21a) raquo dans Jaap MansfeldLambertus M de Rijk (eacuted) Kephalaion Studies in Greek Philosophy and its Conti nuation Offered to Prof CJ de Vogel Assen 1975 p 39-49 p 40) Mais drsquoun autre cocircteacute nous savons par Xeacutenophon que Socrate vieillis -sant serait alleacute jus qursquoagrave condam ner les speacute cu la tions sur la nature comme impieacute teacutes (Xeacutenophon Meacutemo rables I 1 7-8) ce qui ne semble pas impro bable Louis GernetAndreacute Bou lan ger Le geacutenie grec dans la reli gion Paris 1970 p 318 parlent drsquoune laquo reli gio siteacute trou blante rare sans doute en son temps qui reste grecque neacutean moins par une cer taine fi deacute liteacute agrave la reli gion civique et par la seacutereacute niteacute drsquoun opti misme sans fadeur et sans mol lesse raquo Pour lrsquoatti tude de Socrate et de Platon face agrave la divi na tion compa rer aussi David En gels Das roumlmische Vorzeichenwesen ( 753-27 v Chr) Quellen Ter mi no logie Kommentar historische Entwicklung Stuttgart 2007 p 759ndash762

552 DAVID ENGELS

explique qursquoil aurait sou vent recircveacute qursquoon lui ordon nait de faire de la musique ce qui lui fi t trans crire en poegravemes les fables drsquoEacutesope9 et compo ser un chant en lrsquohon neur drsquoApol lon10 nous avons sur tout agrave nous sou ve nir des fameux der niers mots de Socrate ougrave il conjure Criton drsquooffrir agrave Ascleacutepios un coq que lui- mecircme et Criton devaient au dieu (Platon Pheacutedon 118a) Ces quelques mots ont fait cou ler beau coup drsquoencre La pre miegravere et la plus simple des hypo thegraveses est qursquoil srsquoagit ici drsquoune phrase eacutenon ceacutee dans le deacutelire ou srsquoappli -quant effec ti ve ment agrave une vieille dette cultuelle vis- agrave-vis du dieu et fi degrave le ment rap por teacutee par Platon qui nrsquoaurait voulu que sou li gner lrsquoadheacute sion de son maicirctre (accuseacute pour atheacuteisme) au culte eacuteta bli hypo thegravese sup por teacutee par Wilamowitz11 qui tolegravere tout au plus un remer ciement de Socrate pour la mort agreacuteable et sans trop de dou leur qursquoil subis sait12 et attaque de faccedilon viru lente tous ceux qui cherchent agrave y trou ver un sens sym bo lique mys tique Ce refus drsquointer preacute ta tion sym bo lique eacuteton nant de la part du grand savant est en par tie compreacute hen sible si lrsquoon se sou vient que crsquoest avant tout Nietzsche ndash que Wilamowitz avait deacutejagrave vio lem ment atta queacute

9 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 85 nrsquoy voit pas drsquoiro nie au contraire

10 Platon Pheacutedon 60d-61b Sa fecircte reli gieuse dif feacute rait lrsquoexeacute cu tion du phi lo -sophe (Platon Pheacutedon 58a-c) car la cou tume vou lait qursquoon envoie annuel le ment un bateau (reacuteputeacute ecirctre le bateau de Theacuteseacutee agrave Deacutelos) pour y remer cier le Dieu pour lrsquoaide qursquoil apporta aux vic times du Minotaure Entre le deacutepart et le retour du bateau lrsquoEacutetat atheacute nien se devait de res ter rituel le ment pur en dif feacute rant toutes les peines capi tales mais puisque la fecircte eacutetait ceacuteleacute breacutee tra di tion nel le ment au deacutebut du prin temps lrsquoabsence du bateau se pro lon geait sou vent agrave cause du temps peu pro pice agrave la navi ga tion Puisque le precirctre drsquoApol lon (le ἱερεὺς τοῦ rsquoΑπόλλωνος) venait jus te ment drsquoorner par une cou ronne le bateau precirct au deacutepart le jour du pro -cegraves de Socrate celui- ci devait donc attendre le retour du navire Compa rer aussi Chieko Shinozuka laquo Theseusrsquo Ship raquo dans Mediterraneus 19 1996 p 37-64

11 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 135 laquo In dieses Wort ist alles Moumlgliche hineingeheimniszligt statt die einfache Wahrheit hinzunehmen daszlig Sokrates bis zu zuletzt daran denkt ob er seine Rechnung in diesem Leben ganz menschlich bereinigt hat Dabei faumlllt ihm ein daszlig fuumlr irgendein Geluumlbde an den Heilgott der erst vor zwanzig Jahren in Athen einen Kult erhalten hatte noch das uumlbliche Opfer ausstand Er selbst wird den Zauberdienst nicht in Anspruch genommen haben a ber er hatte Weib und Kin der Charakteristisch ist worauf seine letzten Gedanken gerichtet sind das Spezielle daran ist ganz ohne Belang raquo

12 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 57ndash58 en se fon dant sur Johan L Heiberg Sokrates sidste ord dans Oversigt over det kgl danske videnskabernes selskabs forhandlinger 1902 p 105-16 p 106

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 553

pour sa Geburt der Tragoumldie13 ndash qui pro po sait lrsquoexpli ca tion alter -na tive la plus popu laire Ascleacutepios eacutetant le dieu de la gueacute ri son qui fai sait jouer ses pou voirs pen dant le som meil des malades une offrande devait ecirctre en quelque rela tion avec une mala die dont souf -frait le phi lo sophe mais de laquelle il aurait gueacuteri si bien que le dieu meacuteri te rait sa reacutecom pense En pous sant la speacute cu la tion et en cher chant agrave deacutefi nir cette mala die Nietzsche conclut que crsquoest de sa vie elle- mecircme que le phi lo sophe se consi deacutera deacutesor mais gueacuteri et que la mort lui eacutetait eacutequi va lente au reacuteveil dans un monde meilleur apregraves le long som meil de mala die que serait la vie dans le monde mateacute riel speacute cu la tion drsquoautant plus pro bable que le coq est jus te -ment le sym bole par excel lence de la renais sance apregraves la mort14 Des recherches dans le cadre des cultes des dif feacute rents degravemes de la ville ont per mis reacutecem ment une troi siegraveme inter preacute ta tion le plu riel qursquouti lise Socrate en par lant de laquo notre raquo dette srsquoexpli que rait du fait qursquoil appar te nait tout comme Criton agrave qui il srsquoadresse au degraveme drsquoAlogravepeacutekeacute Le calen drier de cette commune pour rait avoir preacutevu pour la date du 8e Elapheacutebolion ndash donc quelques jours apregraves la mort de Socrate ndash en preacute lude aux Grandes Dionysies le sacri fi ce drsquoun coq comme offrande agrave Ascleacutepios pour les membres de ce degraveme15

PLATON

Il est eacutevi dem ment impos sible de nous pen cher sur lrsquoensemble des remarques rela tives16 agrave la reli gion dans lrsquoœuvre de Platon dans

13 Cf Karlfried Gruumlnder (eacuted) Streit um Nietzsches laquo Geburt der Tragoumldie raquo Die Schriften von E Rohde R Wagner U v Wilamowitz- Moellendorf Hilde-sheim 1969

14 Friedrich Nietzsche Die froumlhliche Wissenschaft (1887) dans G Col liM Montinari (eacuted) Friedrich Nietzsche Saumlmtliche Werke Kritische Studienaus-gabe in 15 Baumlnden t 3 Muumlnchen 1980 p 343-652 A ph 340 p 569 laquo Dieses laumlcherliche und furchtbare letzte Wortrsquo heisst fuumlr Den der Ohren hat sbquoOh Kriton das Leben ist eine Krankheit rsquo raquo Voir eacutega le ment John L Carafi des laquo The Last Words of Socrates raquo dans Platon 23 1971 p 229-232 qui inter pregravete les der niegraveres paroles de Socrate agrave la lumiegravere des doc trines orphico- pythagoriciennes de puri fi -ca tion et drsquoimmor ta liteacute de lrsquoacircme et qui remer cie donc Ascleacutepios de gueacute rir de la mala die de la vie Pour le sym bo lisme du coq cf Pierre Trotignon laquo Sur la mort de Socrate raquo dans Revue de Meacuteta phy sique et de Morale 81 1976 p 1-10

15 Jules Labarbe laquo Der niegraveres paroles drsquoanciens Grecs der niegraveres paroles de Socrate raquo dans Bul le tin de la Classe de lettres de lrsquoAca deacute mie royale de Belgique 6 s 1 1990 p 189-222

16 A Lefka laquo Le regard ration nel raquo [n 1] p 125 compte 76 men tions de divi ni teacutes agrave 1182 reprises dans les œuvres de Platon

554 DAVID ENGELS

le cadre de cet exposeacute Nous nous bor ne rons donc agrave dis tin guer plu sieurs thegravemes prin ci paux qui carac teacute risent lrsquoatti tude du phi lo -sophe17 Le pre mier eacuteleacute ment inteacute res sant est lrsquoana lyse des remarques geacuteneacute rales concer nant la pieacuteteacute et la reli gio siteacute le deuxiegraveme les eacuteleacute -ments reli gieux dans les sceacute na rios des dia logues le troi siegraveme le juge ment de lrsquooffi ce cultuel en tant que pro fes sion et les qua triegraveme et cin quiegraveme le rocircle qursquooccupent la reli gion et le culte dans les deux grands dia logues que sont la Reacutepu blique et les Lois

Remarques geacuteneacute rales

Consi deacute rons donc quelques remarques geacuteneacute rales de Platon sur la pieacuteteacute Drsquoabord il est inteacute res sant de consta ter que Platon cite Protagoras qui dans le dia logue du mecircme nom deacutefi nit lrsquohumain comme le seul ani mal capable de croire aux dieux et de leur eacutedi -fi er autels et sta tues et nous nrsquoavons aucune rai son de croire que le phi lo sophe vou lait ici contre dire le sophiste (Platon Protagoras 322a) De maniegravere sem blable Platon deacuteclare dans la Reacutepu blique que les Heacutellegravenes se deacutefi nissent entre autres par la veacuteneacute ra tion des mecircmes sanc tuaires (Platon Reacutepu blique V 470e) Ensuite crsquoest sur tout le dia logue Euthyphron18 qui meacuterite une atten tion par ti cu -liegravere car il est essen tiel le ment consa creacute agrave une deacutefi ni tion de la reli -gio siteacute et sert agrave reacutefu ter impli ci te ment lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie por teacutee agrave

17 Pour ecirctre complet citons encore Platon Lysias 206e ougrave le jeune Meacutenegravexegravene et ses amis habilleacutes festivement viennent de preacute sen ter des offrandes aux dieux et sont jus te ment en train de jouer aux deacutes avant que Socrate ne les inter pelle (le dia -logue por tant sur lrsquoami tieacute et lrsquoeacutedu ca tion) Platon Reacutepu blique I 328 ougrave le vieux Keacutephalos dont nous savons qursquoil a eacuteteacute inviteacute par Peacutericles agrave Athegravenes ougrave il fi nira sa vie 30 ans plus tard vient eacutega le ment de faire des offrandes dans la cour de sa mai son et ceint drsquoune cou ronne est assis sur un grand siegravege et explique aux inter lo -cuteurs du dia logue qursquoil se preacute pare agrave la mort mais nrsquoen a pas peur puis qursquoil a meneacute une vie cor recte et pieuse Platon Hippias Minor 363d ougrave le sophiste Hippias drsquoEacutelide est deacutecrit comme tenant des dis cours somp tueux agrave lrsquoocca sion de chaque fecircte olym pique devant le temple (de Zeus) et Platon Cratylos 401b-e ougrave Platon explique que les offrandes agrave Hestia doivent tou jours ecirctre faites en pre mier lieu en rai son de lrsquoeacutety mo logie drsquoHestia par οὐσία

18 Compa rer pour ce qui est des deacutefi ni tions de la pieacuteteacute et de la reli gion Joachim Klowski laquo Mythos und Logos in Platons Euthyphron raquo dans Anregung 33 1987 p 386-397 et Arno Schmidt laquo Euthyphron Sokratisches Erbe und der neue Weg des logos raquo dans Anregung 46 (2) 2000 p 83-91 Eacutevi dem ment Euthyphron est un dia logue de jeu nesse et pour rait donc refl eacute ter comme les autres dia logues de cette eacutepoque moins lrsquoavis de Platon lui- mecircme que celui de Socrate concer nant le culte et la reli gio siteacute

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 555

Socrate par Meacuteleacutetos dont on apprend jus te ment au deacutebut du texte qursquoil vient de deacutepo ser son accu sa tion chez lrsquoArchon Poleacutemaios en prou vant au contraire la sin ceacute riteacute autant que le bien- fondeacute des sen ti ments reli gieux de Socrate Tan dis qursquoune appreacute cia tion sys -teacute ma tique de lrsquoargu men ta tion geacuteneacute rale du dia logue deacutepas se rait le cadre de cet exposeacute il est impor tant de sou li gner cer tains aspects des ten ta tives suc ces sives de Socrate pour eacuteta blir une deacutefi ni tion de la pieacuteteacute (ἡ ὁσιότης) Euthyphron lui- mecircme devin asserte dans un pre mier essai de deacutefi ni tion que la vraie pieacuteteacute consiste en lrsquoobeacuteis -sance aux lois des dieux et en la pour suite des impies dont les deux exemples prin ci paux sont le meurtre et le vol de biens des temples (Platon Euthyphron 5e) Si les deux pro chaines deacutefi ni tions refu -seacutees autant que la pre miegravere pour des rai sons de logique19 ne doivent pas nous concer ner ndash lrsquoune eacutetant que la pieacuteteacute consiste en ce que les dieux aiment lrsquoimpieacuteteacute ce qursquoils deacutetestent (Platon Euthyphron 9e) lrsquoautre que tout ce qui est pieux est aussi juste (Platon Euthyphron 11e) ndash la qua triegraveme pure ment empi rique meacuterite notre atten tion Socrate y pro pose que la pieacuteteacute soit la science de la priegravere et du sacri fi ce20 Un peu plus bas Socrate refor mule cette deacutefi ni tion car puisque la priegravere est une forme de demande et le sacri fi ce un cadeau (Platon Euthyphron 14d) la pieacuteteacute serait donc un commerce une ἐμπορικὴ avec les dieux plu tocirct qursquoune atti tude morale (Platon Euthyphron 14e) Se pose alors la ques tion de savoir si les sacri -fi ces que font les humains sont vrai ment utiles aux dieux ou srsquoils en appreacute cient seule ment le geste (Platon Euthyphron 15a-b) La der niegravere sup po si tion eacutetant la plus vrai sem blable la deacutefi ni tion de la pieacuteteacute se carac teacute ri serait donc agrave nou veau comme une action aimeacutee des dieux21 De maniegravere toute sem blable dans le Ban quet Platon laisse

19 Pour la struc ture logique de ces reacutefu ta tions voir Carla Carabba laquo I molti non sequitur dellrsquoEutifrone platonico raquo dans Sandalion 9 1982 p 91-95 qui sou -ligne de nom breuses entorses agrave la logique dont Socrate- Platon se rend cou pable pour reacutefu ter les thegraveses sou te nues par Euthyphron

20 Platon Euthyphron 14c Pour la deacutefi ni tion que sem blait avoir Platon de la priegravere cf Andreacute Motte laquo Deux expres sions du sen ti ment reli gieux dans la priegravere per son nelle en Gregravece II La priegravere du phi lo sophe chez Platon raquo dans Henri LimetJulien Ries (eacuted) Lrsquoexpeacute rience de la priegravere dans les grandes reli gions Actes du Col loque de Louvain- la-Neuve et Liegravege ( 22-23 novembre 1978) Louvain- la-Neuve 1980 p 173-204

21 Mais comme ceci avait eacuteteacute reacutefuteacute aupa ra vant le dia logue se ter mine en une apo rie comme de nom breux dia logues de jeu nesse de Platon mais une apo rie qui eacutemane moins de lrsquoincom peacute tence de Socrate que de lrsquoabsence drsquoune veacuteri table

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Eacuteryximaque reprendre impli ci te ment la deacutefi ni tion drsquoEuthryphon et deacutefi nir offrandes et divi na tion comme les deux seuls moyens qursquoont les humains drsquoentrer en contact avec les dieux de sau ve -gar der lrsquoamour entre humains et la pieacuteteacute envers les dieux (Platon Ban quet 188b-c) Le dis cours drsquoAristophane dans le Ban quet que lrsquoon connaicirct bien gracircce au mythe de creacutea tion de lrsquohomme et de la femme agrave par tir drsquoun Her ma phro dite22 reprend un autre eacuteleacute ment de lrsquoEuthyphron la moti vation prin ci pale de Zeus qui le porta plu tocirct agrave muti ler lrsquohomme aveu gleacute par lrsquoarro gance qursquoagrave le ter ras ser comme les Titans eacutema nait de sa volonteacute agrave srsquoassu rer aussi au futur hon neurs et offrandes (Platon Ban quet 190c)23

La mise en scegravene

Dans la mise en scegravene des œuvres de Platon24 le lieu du dia logue ou du moins le contexte geacuteneacute ral de lrsquoaction a sou vent un rap port indu bi table avec le culte reli gieux grec et meacuterite une atten tion par -ti cu liegravere puisque la mise en scegravene est indis so ciable du contenu du dia logue25 Dans le dia logue Ion le pro ta go niste du mecircme nom26 revient jus te ment drsquoEacutepidaure ougrave il a par ti cipeacute aux fecirctes don neacutees

eacutethique dans les convic tions du devin Euthyphron cf P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 82

22 Compa rer Jean Hani laquo Le mythe de lrsquoandro gyne dans le Ban quet de Platon raquo dans Euphrosyne 11 1981-82 p 89-101

23 Mecircme si Platon ne donne pas drsquoavis expli cite sur le contenu de ces deux dis cours nous savons que lrsquoordre des dis cours dans le Ban quet joue un rocircle cru -cial le dis cours jugeacute comme le trai te ment le plus appro fondi du thegraveme de la nature de lrsquoamour eacutetant le der nier celui de Socrate qui dit juste reprendre les termes de Diotimee precirc tresse agrave Mantineacuteia On serait donc tenteacute de voir dans les autres (dont le contenu nrsquoest cer tai ne ment pas abso lu ment contraire aux convic tions de Platon) de simples eacutetapes pro peacute deu tiques neacuteces saires pour atteindre le degreacute drsquoabs trac tion phi lo sophique de SocrateDiotime qui arrive agrave trans cen der la reli gio siteacute par la ratio na liteacute phi lo sophique qui seule per met trait drsquoacceacute der agrave la compreacute hen sion de la divi niteacute

24 Konrad Gaiser Protreptik und Paraumlnese bei Platon Untersuchungen zur Form des platonischen Dialogs Tuumlbingen 1959 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 164-181 cf Gasan C Gusejnov laquo Les per son nages de Platon Agrave la recherche du genre raquo dans BB Pietrovskij et al (eacuted) La civi li sa tion antique et la science moderne Moscou 1985 p 118-121 Marie- Laurence Desclos laquo La fonc tion des pro logues dans les Dia logues de Platon raquo dans Denis Vernant (eacuted) Du dia logue Grenoble 1992 p 15-29

25 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 17226 Cf sur le per son nage Allan H Gilbert (eacuted) Platorsquos Ion Comic and

Serious Studies in Honor of DWT Starnes Austin Univ of Texas 1967

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 557

en lrsquohon neur drsquoAscleacutepios parmi les quelles fi gu rait un concours de rhap sodes dont Ion rem porta le pre mier prix27 Socrate invite Ion agrave par ti ci per aussi aux Pana theacute neacutees pour y obte nir un suc cegraves compa -rable La fonc tion de ces reacutefeacute rences dans le contexte geacuteneacute ral du dia logue nrsquoest pas dif fi cile agrave ana ly ser ces reacutefl exions donnent direc -te ment lrsquoagrave- propos agrave la dis cus sion qui suit et qui concerne prin ci pa -le ment la valeur de lrsquoart du rhap sode et la deacutemons tra tion qursquoIon se consi deacute rant comme speacute cia liste en la matiegravere est pour tant inapte agrave eacutemettre des juge ments phi lo sophiques sen seacutes sur le contenu des mythes qursquoil raconte28

Le dia logue Charmide œuvre de jeu nesse comme lrsquoIon a lieu dans la palestre de Taureacuteas en face du temple de la laquo Basilika raquo abreacute via tion cou rante pour le temple de Perseacutephone Basileacuteia29 Ici par contre crsquoest moins le temple de Perseacutephone que la palestre qui est signi fi ca tive pour le contenu du dia logue qui tourne prin ci pa le -ment autour des connais sances du jeune gar ccedilon Charmide

La des crip tion de la mise en scegravene du dia logue Phegravedre qui fait par tie des œuvres de matu riteacute du phi lo sophe peut ecirctre consi deacute reacutee comme le seul exemple de des crip tion poeacute tique de la nature chez Platon Socrate ren contre Phegravedre deacuteam bu lant le long des che mins qui megravenent agrave Athegravenes pour y cher cher un endroit ougrave lire un dis -cours de Lysias sur lrsquoamour et deacutecide de lrsquoaccom pa gner jus qursquoau fl euve Ilissos Apregraves srsquoecirctre rafraicirc chis les pieds dans lrsquoeau les deux inter lo cuteurs srsquoins tallent dans lrsquoombre drsquoun pla tane ougrave ils dis cutent drsquoabord de la tra di tion de lrsquoenlegrave ve ment drsquoOrithye celle- ci eacutetait la fi lle du roi atheacute nien Eacuterechtheacute et fut ravie par Boreacutee agrave mi- chemin entre cet endroit et le temple drsquoArteacutemis Agra30 De plus Socrate

27 Pl Ion 530a Compa rer Paul Bernard laquo Note eacutepidaurienne La data tion du temple drsquoAscleacutepios et lrsquoIon de Platon raquo dans Bul le tin de Cor res pon dance Hel leacute -nique 85 1962 p 400-402

28 Cf Egert Poehlmann laquo Enthusiasmus und Mimesis Zum platonischen Ion raquo dans Gymnasium 83 1976 p 191-208 Herbert Eisenberger laquo Sokratesrsquo Absichten im Ion raquo dans Christoff Neumeister (eacuted) Antike Texte in Forschung und Schule Festschrift fuumlr Willibald Heilmann zum 65 Geburtstag FrankfurtMain 1993 p 71-98

29 La palestre de Taureacuteas nrsquoa pas encore eacuteteacute loca li seacutee la laquo Basilika raquo se trouve au sud de lrsquoAcro pole non loin du mur drsquoenceinte de la ville (Platon Charmide 153a)

30 Terme qui srsquoapplique soit agrave un sur nom de la deacuteesse soit au degraveme Agrai ougrave se serait trouveacute ce sanc tuaire La loca li sa tion exacte du lieu de lrsquoenlegrave ve ment se situe rait agrave envi ron 2 ou 3 stades du pla tane et serait mar queacutee par un autel au dieu du vent du Nord (Platon Phegravedre 229a-c) mais Platon cite aussi lrsquoAreacuteo page comme

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deacutecrit qursquoil a lrsquoimpres sion drsquoaper ce voir non loin de leur lieu de repos quelques sta tues qui lais se raient sup po ser lrsquoexis tence drsquoun sanc tuaire de quelques nymphes et du dieu du fl euve Acheacuteloos (Platon Phegravedre 230b-c) le fi ls drsquoOceacutean et de Teacutethys le pegravere des Siregravenes La rai son de cette mise en scegravene est plus dif fi cile agrave ana ly -ser Socrate pro fesse drsquoabord ndash en contraste eacutecla tant avec sa des -crip tion buco lique de lrsquoendroit agrave laquelle il donne ainsi un accent drsquoiro nie ndash drsquoecirctre tout agrave fait deacutes in teacute resseacute par la nature et de nrsquoecirctre attireacute que par les villes car crsquoest lagrave qursquoil trouve les humains gracircce aux quels il peut conti nuer agrave apprendre (Platon Phegravedre 230d-e) Cepen dant suite agrave la dis cus sion sur la valeur de la rheacute to rique et la deacutefi ni tion de lrsquoamour31 Socrate srsquoemporte rapi de ment et livre tout un dis cours ins pireacute et mythologisant sur le des tin de lrsquoacircme humaine contras tant avec ses reacutefl exions objec tives et son rai son ne ment froid sur lrsquoart de la rheacute to rique Nous pou vons donc sup po ser que le cadre du dia logue ait eacuteteacute expres seacute ment choisi pour illus trer agrave la fois le pen -chant ration nel de Socrate contras tant avec le pai sible sanc tuaire des nymphes et son retour agrave la poeacute sie divine ins pireacute par la speacute cu -la tion phi lo sophique illus trant ainsi le che mi ne ment du phi lo sophe qui se deacutetourne des ten ta tions de la nature pour culti ver la pen seacutee logique qui le ramegravene de nou veau aux veacuteri teacutes natu relles32

Le Parmeacutenide assu reacute ment lrsquoun des dia logues tar difs de Platon se joue agrave Athegravenes lors des fecirctes panatheacuteennes et per met ainsi la mise en scegravene drsquoune ren contre fi c tive entre trois geacuteneacute ra tions de phi -lo sophes Parmeacutenide Zeacutenon et Socrate (Platon Parmeacutenide 127a) Il semble qursquoen dehors de cette fonc tion pure ment prag ma tique la men tion des Pana theacute neacutees ne puisse ecirctre inter preacute teacutee comme sym -

lieu pos sible (Platon Phegravedre 229c) Par rap port agrave la reli gion dans le Phegravedre cf les remarques de G Arabatzis laquo Enkalypsamenos raquo [n 1]

31 Cf Hubert Kesters laquo De ware redekunst volgens Platoonsrsquo Phaidros raquo dans Tijdschrift voor phi lo sophie 25 1963 p 651-687 et 36 1964 p 33-67 L Rossetti (eacuted) Understanding the Phaedrus Proceedings of the II Sym po sium Platonicum Sankt Augustin 1992 Jens Halfwassen laquo Bemerkungen zum Ursprung der Lehre vom Seelenwagen raquo dans Jahrbuch fuumlr Religionswissenschaft und Theologie der Religionen 2 1994 p 114-128 Gustav A Seeck laquo Schlechte und gute Liebe in Platons Phaidros raquo dans Wuumlrzburger Jahrbuumlcher 22 1998 p 101-121

32 Cette rela tion entre phi lo sophie et theacuteo logie se retrouve drsquoailleurs aussi dans la priegravere fi nale du Phegravedre ougrave Socrate prie les dieux de reacutecom pen ser les efforts du phi lo sophe par la sagesse Lrsquoon trou vera une ana lyse appro fon die de cette priegravere chez Konrad Haiser laquo Das Gold der Weisheit Zum Gebet des Philosophen am Schluss des Phaidros raquo dans Rheinisches Museum 132 1989 p 105-140

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bole preacute cis du contenu du dia logue dis cus sion pure ment for melle sur lrsquouniteacute et la mul ti pli citeacute qui nous livre peut- ecirctre lrsquoessence de la doc trine eacuteso teacute rique de Platon33 mais dont lrsquoana lyse deacutepas se rait lar -ge ment le cadre de la preacute sente recherche por tant uni que ment sur la place du culte grec tra di tion nel dans lrsquoœuvre de Platon

Le deacutebut de la Reacutepu blique est eacutega le ment carac teacute riseacute par une reacutefeacute -rence au culte deux des pro ta go nistes reviennent de la pre miegravere ceacuteleacute bra tion offi cielle drsquoune fecircte en lrsquohon neur de Bendis une divi -niteacute thrace nou vel le ment impor teacutee34 Platon deacutecrit ici les deux per -son nages des cen dus au Pireacutee ndash ougrave arri vait en bateau comme nous pou vons le sup po ser lrsquoimage de la deacuteesse ndash moti veacutes par deux rai -sons drsquoune part pour prier tout comme les autres spec ta teurs mais aussi drsquoautre part pour assou vir leur curio siteacute face agrave la pompe exteacute rieure des deux pro ces sions dont celle des Thraces est deacutecrite comme aussi impres sion nante que celle des Atheacuteniens Un peu plus tard nous appre nons aussi que les fes ti vi teacutes seront clocirc tu reacutees le soir par une pro ces sion eacutequestre ndash nou veauteacute reli gieuse comme le sou -ligne Platon ndash et des fecirctes noc turnes (Platon Reacutepu blique I 328a) Le cli mat de fes ti viteacute solen nelle qui implique lrsquoacti viteacute reli gieuse de la ville complegravete forme un cadre excellent pour la dis cus sion sur la nature de la jus tice et la deacutefaite intel lec tuelle de la posi tion des sophistes telle qursquoelle est sym bo li seacutee par les argu ments de Thrasymaque35 Il est eacutega le ment inteacute res sant de noter que Socrate mecircme srsquoil par ti cipe aux fes ti vi teacutes exprime son peu drsquoenvie drsquoy

33 Il est neacutean moins juste de sou li gner que laquo les Pana theacute neacutees refl egravetent lrsquouniteacute poli tique des citoyens atheacuteniens et lrsquoeacuteclat de leur citeacute Ren contre des geacuteneacute ra tions [hellip] dis cus sions entre phi lo sophes atheacuteniens et eacutetran gers concours divers [hellip] la citeacute ceacutelegravebre dans une effer ves cence poli tique reli gieuse et intel lec tuelle la deacuteesse qui la pro tegravege et patronne les mul tiples aspects de la vie en socieacuteteacute raquo (Catherine Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo dans Kernos 6 1993 p 225-243 p 241)

34 Elle eacutetait fecircteacutee annuel le ment le 19e20e Thargeacutelion (Platon Reacutepu blique I 327a donc deacutebut juin) Son intro duc tion offi cielle (pro ba ble ment en 430) qui avait semble- t-il des rai sons plu tocirct poli tiques que reli gieuses consti tuait une nou -veauteacute dans le sys tegraveme reli gieux clas sique drsquoAthegravenes cf J Jr Best laquo Bendis raquo dans Hermeneus 35 1964 p 122-128 Di miter Dopov laquo Essence ori gine et pro -pa ga tion du culte de la deacuteesse thrace Bendis raquo dans Dia logue drsquohis toire ancienne 2 1976 p 289-303 Claudia Montepaone laquo Bendis tracia and Atene lrsquointegrazione del nuovo attraverso forme dellrsquoideologia raquo dans A ION (Archeol) 12 1990 p 103-121

35 P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 47 par contre inter pregravete le cadre de maniegravere tout agrave fait dif feacute rente et y voit une allu sion agrave ce que la reli gio siteacute serait acces sible agrave tout le monde mais la theacuteo logie phi lo sophique aux seuls intel lec tuels cagraved sui vant le point de vue grec aux peuples hel leacute ni seacutes

560 DAVID ENGELS

retour ner le soir seule la pro messe drsquoy deacutecou vrir des inter lo cuteurs poten tiels arrive agrave le faire fl eacute chir36

Dans le Timeacutee qui est la suite directe de la Reacutepu blique et commence avec une reacuteca pi tu la tion assez som maire des ideacutees de ce dia logue37 le cadre reli gieux de la Reacutepu blique est deacuteformeacute de faccedilon assez remar quable puisque la dis cus sion nrsquoa pas lieu le len de main de la fecircte pour Bendis mais lors des Pana theacute neacutees ceacuteleacute breacutees le 28e Heacutekatombaion (Platon Timeacutee 26e) La solen niteacute de la fecircte y est mise expres seacute ment en rela tion avec le thegraveme du dia logue la creacutea tion mys tique et la nature mateacute rielle du monde comme par ti cu liegrave re ment seyante agrave des speacute cu la tions aussi pro fondes (Platon Timeacutee 26e) De plus Critias le jeune qui relate le mythe de lrsquoAtlantide agrave Socrate y explique qursquoil a lui- mecircme appris cette tra di tion par Critias lrsquoancien lors de la ceacuteleacute bra tion des Apatouries38

Notons fi na le ment que mecircme les Lois dia logue inacheveacute et lourd peu compa rable avec la viva citeacute des œuvres de jeu nesse ont un cadre reli gieux le pre mier mot en est deacutejagrave laquo Dieu raquo et le sceacute -na rio ouvre sur une speacute cu la tion sur lrsquoori gine divine des lois des Laceacute deacute mo niens et des Creacute tois pro ve nant res pec ti ve ment drsquoApol -

36 Platon Reacutepu blique I 328a La suite de la dis cus sion qui concer nera la deacutefi ni tion de la jus tice agrave tra vers une deacutefi ni tion de lrsquoEacutetat ideacuteal peut eacutega le ment ecirctre inter preacute teacutee comme eacutetant en rap port eacutetroit avec la des crip tion des fes ti vi teacutes reli -gieuses de la citeacute atheacute nienne mais il ne faut pas oublier que le pre mier livre de la Reacutepu blique a pro ba ble ment preacute ceacutedeacute les livres sui vants de nom breuses anneacutees Nous ne savons donc pas preacute ci seacute ment si la fecircte deacutedieacutee agrave Bendis a eacuteteacute ajou teacutee plus tard au pro logue du pre mier livre en fonc tion de lrsquoeacuteco no mie glo bale de la Reacutepu -blique ou au contraire nrsquoa eacuteteacute des ti neacutee qursquoagrave intro duire le pre mier livre et nrsquoa donc qursquoun rap port acci den tel avec les livres II agrave X Alors que Pierre Javet laquo Ceacutephale et Platon sur le seuil de la vieillesse Reacutefl exions sur le pro logue de la Reacutepu blique raquo dans Revue Phi lo sophique de la France et de lrsquoeacutetran ger 1982 p 241-247 affi rme que la ren contre de Socrate avec Poleacute marque et sa dis cus sion avec Ceacutephale ont eacuteteacute compo seacutees en fonc tion de lrsquoensemble de la Reacutepu blique P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 46 sou tient la thegravese du rap port acci den tel en fai sant remar quer que ce dia logue devenu eacutenorme deacutebute seule ment dans la soi reacutee et ne peut donc fi nir rai son na ble ment quelques heures plus tard ndash un pro blegraveme que Platon aurait cer tai -ne ment eacuteviteacute srsquoil avait voulu degraves le deacutebut eacutecrire une œuvre tel le ment gigan tesque (et ce nrsquoest pas un hasard si les Lois eux deacutebutent le matin en rai son de la lon gueur impres sion nante de lrsquoœuvre)

37 Compa rer p ex Christopher J Rowe laquo Why is the Ideal Athens of the Timaeus- Critias not Ruled by Philosophers raquo dans Meacutethexis 10 1997 p 51-57

38 Celles- ci ougrave les jeunes hommes eacutetaient ins crits dans leur phra trie (Platon Timeacutee 21b) eacutetaient eacutega le ment preacute si deacutees par Atheacutena et Zeus et duraient trois jours

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 561

lon pythique et de Zeus39 Plus tard nous appre nons que les inter lo -cuteurs se trouvent en Cregravete et sont sur le che min de Cnossos vers la grotte sacreacutee de Zeus40

Nous voyons donc que le choix de lrsquoeacuteleacute ment reli gieux tra di tion -nel nrsquoest pas acci den tel dans la mise en scegravene des dia logues de Platon et que au contraire la men tion des cultes a dans la plu part des cas un rap port phi lo sophique direct avec le thegraveme du dia logue qui srsquoen suit Crsquoest donc la reli gio siteacute tra di tion nelle qui oserions- nous dire ins pire sa propre trans cen dance par la dis cus sion meacuteta -phy sique et est eacutevo queacutee impli ci te ment comme base neacuteces saire agrave toute aven ture intel lec tuelle

La precirc trise comme pro fes sion

Un autre thegraveme reacutecur rent chez Platon est celui de la compeacute tence pro fes sion nelle des dif feacute rents precirctres Nous connais sons tous les exemples nom breux ougrave le phi lo sophe parle des timo niers des menui -siers et des meacutede cins mais il est eacuteton nant de voir que la men tion du devin (μάντις) comme exemple drsquoun meacutetier parmi drsquoautres est assez cou rante chez Platon41 Notons ici que Platon mecircme srsquoil parle en regravegle geacuteneacute rale des devins sans en speacute ci fi er en deacutetail les fonc tions theacuteo lo giques ou meacutethodes pro fes sion nelles leur attri bue (en theacuteo rie au moins) une vraie laquo connais sance du futur raquo (Platon Charmide 173c ἐπιστήμην τοῦ μέλλοντος) et les rap proche en fai sant eacutegard agrave leur ins pi ra tion commune par le souffl e divin des rhap sodes des chan teurs drsquooracles (Platon Ion 534c Apo logie 22c) et mecircme des poli ti ciens (Platon Meacute non 98c-d) De faccedilon sem blable dans le Poli -tique Platon les carac teacute rise comme tra duc teurs et voix des dieux (Platon Poli tique 290c) tan dis que les precirctres sont deacutefi nis comme ceux qui srsquooccupent drsquoorga ni ser le contact des humains avec les

39 Platon Lois I 624a-625a cf aussi 632d40 Platon Lois I 625a-b Lrsquoon peut soit lrsquoiden ti fi er comme le sanc tuaire

de la grotte dicteacuteenne ndash lrsquoopi nion geacuteneacute ra le ment admise cf commen taire Klaus Schoumlpsdau (eacuted trad et comm) Platon Gesetze Buch I- IV Darmstadt 21990 ndash ou celui du Mont Ida cf Glenn R Morrow Platorsquos Cretan City a Historical Interpretation of the Laws Princeton 1962 p 27ndash28 Par rap port agrave la signi fi ca tion reli gieuse de la Cregravete cf Jesuacutes Lens Tuero laquo La mitifi cacioacuten de Creta en la cultura griega del siglo IV raquo dans Actas del VIII congreso espantildeol de estudios claacutesicos (Madrid 23-28 de septiembre de 1991) t 3 Madrid 1994 p 219-222

41 Voir en dehors de lrsquoEuthyphron dont le pro ta go niste homo nyme est qua -li fi eacute de devin Platon Ion 531b Charmide 173c

562 DAVID ENGELS

dieux par les sacri fi ces et les priegraveres (Platon Poli tique 290c-d) ayant annexeacute en ceci les attri bu tions des anciens rois42 Ce juge ment en somme posi tif pour rait ecirctre impu table au fait que Platon voyait beau coup de res sem blances entre le devin et le phi lo sophe43 Neacutean -moins il ne place les devins et precirctres qursquoau cin quiegraveme rang des formes de vie du Phegravedre (Platon Phegravedre 248d) et insiste sur le fait qursquoil ne veut par ler que des devins laquo seacuterieux raquo (τοὺς δὲ ὡςἀληθῶς μάντεις) qursquoil met en contraste avec les beaux- parleurs (τοὺς μὲν ἀλαζόνας) qui man que raient de σωφροσύνη (Platon Charmide 173c) Nous trou vons un exemple de ces devins laquo non seacuterieux raquo dans la Reacutepu blique Platon y deacutecrit par la bouche drsquoAdeacutemante que les char la tans et les devins (ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις) pro mettent aux riches de rache ter contre paye ment leurs fautes morales par des sacri fi ces et des for mules magiques et assurent mecircme pou voir infl u en cer les dieux par des incan ta tions magiques44 agrave faire du tort aux autres humains bons ou mau vais (Platon Reacutepu blique II 364b-365a) En ceci ils srsquoappuyeraient sur Hom egravere qui qua li fi ait deacutejagrave les dieux drsquoinfl u en ccedilables par des pro messes et des offrandes (Hom -egravere Iliade IX 497-501) et sur les eacutecrits mys tiques de Museacutee et drsquoOrpheacutee45 Ceux- ci auraient ensei gneacute que des hommes et mecircme

42 Platon prouve ce rai son ne ment en nom mant lrsquoArchon Basileacuteios drsquoAthegravenes res pon sable des offrandes les plus archaiumlques et veacuteneacute rables et cite aussi lrsquoini tiation obli ga toire des pha raons drsquoEacutegypte agrave lrsquoart des precirctres (Platon Poli tique 290e)

43 Cf Richard Bodeacuteuumls laquo ldquoJe suis devinrdquo (Phegravedre 242c) Remarques sur la phi lo sophie selon Platon raquo dans Kernos 3 1990 p 45-52 p 49 laquo La contem pla -tion phi lo sophique en effet nrsquoest pas sans ana logie avec la vision divi na toire [hellip] De mecircme que le devin voit sans lrsquointel li gence des signi fi ants le phi lo sophe voit par lrsquointel li gence des signi fi eacutes Crsquoest un vision naire dans lrsquoordre de lrsquointel li -gible raquo

44 Voir aussi Carlo A Viano laquo Retorica magia e natura in Platone raquo dans Rivista di Filosofi a 56 1965 p 411-453 qui sou ligne que Platon dans le livre X des Lois et dans le Phegravedre met la magie et la rheacute to rique sur le mecircme plan puis qursquoelles exercent toutes les deux une action psy cho lo gique sur lrsquoacircme et que lrsquohomme lui- mecircme est sujet agrave la rheacute to rique et agrave la magie en tant que par tie de la nature

45 Au sujet de la rela tion de Platon aux orphiques cf Paul Boyanceacute Le Culte des Muses chez les phi lo sophes grecs Paris 1937 p 21ndash24 le mecircme laquo Platon et les Cathartes orphiques raquo dans Revue des eacutetudes grecques 55 1942 p 217-235 Philippe Borgeaud (eacuted) Orphisme et Orpheacutee en lrsquohon neur de Jean Rudhardt Genegraveve 1991 Leacuteonid Zhmud laquo Orphism and grafi tti from Olbia raquo dans Hermes 120 1992 p 159-168 (confi r mant Platon Cratylos 400c) Alberto Bernabeacute laquo Una etimologiacutea platoacutenica soma- sema raquo dans Philologus 139 1995 p 204-237 Giovanni Casadio laquo El mito del laquo Poliacutetico raquo (268 D-274 E) y la his to ria de las religiones raquo dans Emerita 64 1996 p 65-77 Les frag ments orphiques conser veacutes

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 563

des citeacutes entiegraveres pou vaient rache ter leurs fautes preacute sentes et pas seacutees par des sacri fi ces et des jeux (διὰ θνσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν)46 Mecircme si Platon consi degravere geacuteneacute ra le ment les astres comme des divi ni -teacutes47 il explique dans le Timeacutee que les pheacute no megravenes astro no miques ne doivent pas ecirctre pris pour des preacute sages mais srsquoexpliquent par des rai sons pure ment matheacutema tiques (Platon Timeacutee 40c-d) ce qui peut ecirctre inter preacuteteacute comme une cri tique de la man tique astro lo gique Dans les Lois il deacutecrit que beau coup de magi ciens et de devins seraient mecircme en reacutea liteacute des a theacuteistes sou cieux de pro fi ter de la creacute du liteacute de leurs conci toyens (Platon Lois X 908d)48

chez Platon peuvent ecirctre consul teacutes main te nant dans Alberto Bernabeacute Poetae epici Graeci Testimonia et frag menta Pars II Fasc 1-2 Orphicorum et Orphicis similium frag menta MuumlnchenLeipzig 2004-2005

46 Un preacute jugeacute pla to ni cien qui reacutefl egravete le peu drsquoestime qursquoavaient les intel lec -tuels contem po rains pour la char la ta ne rie issue des speacute cu la tions gran dioses de lrsquoorphisme (pour tant extrecirc me ment popu laires agrave lrsquoeacutepoque cf Martin P Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion t1 Bis zur Weltherrschaft Muumlnchen 1941 p 684 et 800) et qui semble sur tout issue du pytha go risme (Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore de Gregravece en Palestine Paris 1927 p 81ndash82) Pour lrsquoinfl u ence de Pythagore sur Platon compa rer aussi Erich Frank Plato und die so genannten Pythagoreer Halle 1923 Pierre Boyanceacute laquo Lrsquoinfl u ence pytha go ri -cienne sur Platon raquo dans Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia Naples 1966 p 73-113 Bartel Leendert Van Der Waerden laquo Platon et les sciences exactes des Pytha go ri ciens raquo dans Bul le tin de la Socieacuteteacute Matheacutema tique de Belgique 21 1969 p 120-122 Maria Tortorelli Ghidini et al (eacuted) Tra Orfeo e Pitagora origini e incontri di culture nellrsquoantichitagrave atti dei seminari napoletani 1996-1998 Naples 2000 Leacuteonid Zhmud laquo Uumlberlegungen zur pythagoreischen Frage raquo dans Georg Rechenauer (eacuted) Fruumlhgriechisches Denken Goumlttingen 2005 p 135-151 David En gels laquo Geometrie und Phi lo sophie Zur Visualisierung metaphysischer Konzepte durch raumlumliche Darstellungen in der pythagoreischen Phi lo sophie raquo dans D GroszligS Westermann (eacuted) Vom Bild zur Erkenntnis Visualisierungskonzepte in den Wissenschaften Kassel 2007 p 113ndash129

47 Platon Timeacutee 401ndash402 Lois VII 821bndashc Voir agrave ce sujet p ex Hans Herter laquo Gott und die Welt bei Platon raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 158 1958 p 106-117 GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 399ndash402 et 445ndash448

48 En ce qui concerne lrsquoart divi na toire sou li gnons ici encore que Platon dans le Lachegraves laisse Socrate affi r mer que chaque pro fes sion confegravere agrave celui qui lrsquoexerce cor rec te ment une auto riteacute de speacute cia liste dans son domaine Ceci le conduit agrave demander agrave son inter lo cuteur un mili taire srsquoil est donc deacutecideacute en cas de guerre agrave faire plu tocirct confi ance agrave ses propres avis stra teacute giques qursquoaux conseils des devins que lrsquoon ne sau rait dif fi ci le ment regar der comme des auto ri teacutes compeacute tentes en matiegravere miliaire ce agrave quoi le stra tegravege atheacute nien acquiesce (Platon Lachegraves 199a) Si lrsquoon pense que ce stra tegravege nrsquoest autre que Nicias le poli ti cien atheacute nien qui notam -ment parce qursquoil avait accordeacute foi agrave des devins et des oracles dans ses deacuteci sions mili taires connaicirct en 413 une fi n tra gique en Sicile (ougrave il avait assieacutegeacute en vain la ville de Syracuse et ougrave il fut fait pri son nier par les habi tants qui le condam negraverent agrave mort) lrsquoendroit ne manque pas de piment et laisse per ce voir lrsquoiro nie de Platon qui

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La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

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Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 567

la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 569

eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

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pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

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de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 575

pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 577

nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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drsquoAristophane reacuteduit au domaine comique il ne lui eacutetait non seule -ment pos sible de cri ti quer son patri moine reli gieux pour ce qursquoil consi deacute rait comme des per ver sions de la theacuteo logie ori gi nelle mais aussi drsquoassi mi ler de reacutein ter preacuteter et de trans cen der en un nou vel ideacuteal reli gieux les eacuteleacute ments qursquoil jugeait beacuteneacute fi ques pour lrsquohomme Mecircme si bien sucircr lrsquoatti tude que pre nait Platon face au culte tra -di tion nel est incom preacute hen sible sans lrsquoexpli ca tion des racines phi -lo sophiques et theacuteo lo giques de sa pen seacutee et nrsquoa drsquointeacute recirct qursquoen consi deacute rant la place qursquoelle tient face aux ori gi na li teacutes de sa phi lo -sophie je tiens agrave me consa crer ici uni que ment aux pas sages citant speacute ci fi que ment precirctres cultes ou temples sans me lan cer dans une reacuteeacuteva lua tion sys teacute ma tique de ques tions aussi dif fi ciles que mal pla -ceacutees dans le cadre de ce col loque que le sera notam ment la des crip -tion du rocircle des dieux homeacute riques dans la phi lo sophie de Platon2

23 1971 p 278-295 Andreacute Motte Prai ries et jar dins de la Gregravece antique De la reli gion agrave la phi lo sophie Bruxelles 1973 Luc Brisson laquo Du bon usage du deacuteregrave -gle ment raquo dans Jean- Pierre Vernant et al (eacuted) Divi na tion et ratio na liteacute Paris 1974 p 220-248 Jeannie Carlier laquo Science divine et rai son humaine raquo dans Jean- Pierre Vernant et al (eacuted) Divi na tion et ratio na liteacute Paris 1974 p 249-263 Arrigo Bortolotti laquo La religione nei dialoghi giovanili di Platone raquo dans Rivista critica di storia della fi losofi a 31 1976 p 3-40 Aegid Hoellwerth Reli gion und Phi lo sophie Studien zu Platon Salzburg 1977 Walter Burkert Griechische Reli gion der archaischen und klassischen Epoche Stuttgart 1977 p 489-496 Ernesto Valgiglio laquo Il concetto di divinitagrave in Platone e nella Nuova Accademia raquo dans Cristologia amp pensiero contemporaneo Genegraveve 1982 p 19-50 Gerard Naddaf laquo Platorsquos Theologia Revisited raquo dans Meacutethexis 9 1996 p 5-18 Georges Arabatzis laquo Enkalypsamenos La pieacuteteacute socra tique dans le Phegravedre de Platon raquo dans Kernos 16 2003 p 119-123 Aikaterini Lefka laquo Le regard ration nel de Platon sur les dieux tra di tion nels raquo dans Kernos 16 2003 p 125-132

2 Cette approche empi rique nrsquoest pas injus ti fi eacutee face aux sin gu la ri teacutes des œuvres de Platon bien au contraire Deacutejagrave James K Feibleman Religious Platonism Londres 1959 p 125 avait speacute ci fi eacute de faccedilon pro vo ca trice laquo On the whole where Plato was interested in religious ques tions it was inter est in everything religious except God raquo Voir aussi E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 925 de faccedilon sem blable W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 241 jugeait laquo Seine Theologie ist keine systematische Erforschung des Wesens Gottes sondern ein gelegentliches Sprechen uumlber das Goumlttliche raquo Compa rer aussi dans ce sens Heinrich Doumlrrie laquo Vom Transzendenten im Mittelplatonismus raquo dans Entre -tiens de la fon da tion Hardt 5 1957 p 192-223 p 203 laquo [hellip] ich moumlchte zur Diskussion stellen ob uumlberhaupt von einer Theologie bei Platon die Re de sein darf mir scheint wir duumlrfen nur von theologischen Aussagen bei Platon sprechen [hellip] raquo Bien que cette theacuteo rie doive ecirctre reacuteeacuteva lueacutee gracircce agrave la reconstruc tion de la pen seacutee eacuteso teacute rique de Platon par lrsquoeacutecole de Tuumlbingen lrsquoessen tiel en garde sa valeur pour lrsquoana lyse des dia logues Il est beau coup plus eacutevident et phi lolo gi que ment deacutefen dable drsquoana ly ser les pas sages concer nant concregrave te ment des cultes tra di tion -nels que drsquoessayer de dis tiller sur base des dif feacute rentes allu sions theacuteo lo giques eacutepar -

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SOCRATE

Avant drsquoana ly ser les œuvres de Platon il me semble neacuteces saire drsquoen exclure les quelques pas sages qui semblent eacutema ner exclu si -ve ment du sou ve nir que gar dait Platon de son maicirctre Socrate3 et que nous ne sau rons donc attri buer aux convic tions de lrsquoeacutelegraveve mecircme srsquoil faut comp ter avec un rema nie ment cer tain et sou li gner qursquoil nrsquoaurait pas repris ces pas sages srsquoil nrsquoen avait pas appreacute cieacute le contenu4 Ayant eacuteteacute condamneacute entre autres pour aseacutebie5 et intro duc -tion de nou velles divi ni teacutes dans la citeacute curieux meacutelange de deux accu sa tions contra dic toires la posi tion que Socrate semble avoir prise face aux dieux telle qursquoelle nous est reacuteveacute leacutee chez Platon est sin gu liegrave re ment ambi va lente lrsquoiro nie6 srsquoy meacutelan geant agrave pre miegravere vue avec une pieacuteteacute osten ta toire Si nous fai sons abs trac tion des nom -breux endroits ougrave Socrate pro fesse sa croyance en les dieux olym -piens7 le pre mier eacuteleacute ment reacuteveacute la teur nous semble ecirctre ce fameux

pilleacutees agrave tra vers tous les dia logues une preacute sen ta tion des convic tions reli gieuses de Platon qui neacuteces sai re ment ne sau rait ecirctre que construite et inadeacute quate face agrave la varieacuteteacute des œuvres du phi lo sophe et agrave son eacutevo lu tion interne Une ana lyse de ses reacutefl exions agrave pro pos du culte par contre pourra per mettre drsquoana ly ser concregrave te -ment ses convic tions intimes face aux dieux et aux rituels et drsquoajou ter de nou veaux aspects agrave la recherche sur la theacuteo logie pla to ni cienne

3 Par rap port agrave la reli gio siteacute de Socrate compa rer Gregory Vlastos Socratic Piety Socrates Ironist and Moral Phi lo so pher Ithaca 1991

4 Crsquoest pour quoi je me bor ne rai ici prin ci pa le ment agrave la preacute sen ta tion que Platon fait de Socrate non celle de Xeacutenophon qui lui semble avoir gardeacute des convic tions reli gieuses assez naiumlves (Xeacutenophon Ana base 3 1 et 7 8) et a ten dance agrave dimi nuer lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee reli gieuse de Socrate pour mieux pou voir le pro teacute ger des attaques de ses enne mis (Cf Xeacutenophon Meacutemo rables I 3 3) En ce qui concerne drsquoautres auteurs cf Karl Joel Der echte und der xenophontische Sokrates t 1-3 Berlin 1893-1901 Friedrich Pfeffer Studien zur Mantik in der Phi lo sophie der Antike Meisenheim am Glan 1976 p 40-42 Michel Narc y laquo La reli gion de Socrate dans les ldquoMeacutemo rablesrdquo de Xeacutenophon raquo dans Gabriele GiannantoniMichel Narc y (eacuted) Lezioni socratiche Naples 1997 p 13-28

5 Le terme peut expri mer agrave la fois lrsquoatheacuteisme et la neacutegli gence cultuelle Cf Ernst Sandvoss laquo Asebie und Atheismus im klassischen Zeitalter der griechischen Polis raquo dans Saeculum 19 1968 p 312-329 Gabriele Marasco laquo I processi drsquoempietagrave nella democrazia ateniese raquo dans Atene amp Roma 21 1976 p 113-131 Marek Winiarczyk laquo Biblio gra phie zum antiken Atheismus raquo dans Elenchos 10 1989 p 103-192 Richard Bodeacuteuumls laquo Notes sur lrsquoimpieacuteteacute de Socrate raquo dans Kernos 2 1989 p 27-35

6 Qua li fi eacutee par Thomas Mann le grand iro niste du XXe siegravecle comme laquo das ohne Vergleich tiefste und reizendste [Problem] der Welt raquo

7 Compa rer sur tout Platon Euthydeacutemos 302 a- e Ici le sophiste Euthydeacutemos essaie de mener Socrate drsquoapo rie en apo rie par un habile jeu de contra dic tions

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oracle que la Pythie aurait livreacute agrave Chaireacutephon selon lequel il nrsquoy avait point drsquohomme plus sage que Socrate (Platon Apo logie 21a) Platon nous deacutecrit Socrate comme pre nant tregraves au seacuterieux cet oracle et essayant de le contre dire ndash vai ne ment comme il lrsquoatteste non sans une cer taine satis faction Cette assis tance divine au pro jet phi -lo sophique de Socrate serait deacutejagrave suf fi sante pour nous per mettre de comprendre sa rete nue agrave lrsquoeacutegard de la divi na tion grecque et de sa croyance en lrsquoins pi ra tion par son deacutemon per son nel et en des recircves divi na toires (p ex Platon Apo logie 33c) Il ne serait cer tai ne ment pas hasar deux drsquoen deacuteduire eacutega le ment lrsquoexpli ca tion de la veacuteri table veacuteneacute ra tion que lrsquooracle drsquoApol lon semble avoir ins pi reacutee agrave son eacutelegraveve Platon (qui lui garda appa rem ment une grande estime pour la reconnais sance de la sagesse de son maicirctre) si nous pou vions ecirctre sucircrs de lrsquohis to ri citeacute de lrsquooracle Mais face au silence des sources et agrave celui de Socrate lui- mecircme pen dant de nom breuses anneacutees jus -qursquoagrave son pro cegraves cette his to ri citeacute semble bien dou teuse8 Si nous pas sons sur le recircve divi na toire du Pheacutedon ougrave Socrate empri sonneacute

logiques et de deacutefi ni tions seacuteman tiques agrave double sens Il nrsquoest pas sans inteacute recirct de remar quer qursquoun de ces jeux logiques consiste en la deacutefi ni tion de la pro prieacuteteacute et de la nature des ecirctres vivants Socrate avait acquiesceacute que tout ecirctre qui avait une acircme pou vait ecirctre compteacute parmi les ani maux et que la pos ses sion qursquoil exer -ccedilait lui- mecircme sur ces ani maux eacutetait deacutefi nie par la faculteacute de deacuteci der de leur sort Euthydeacutemos deacutemontre main te nant que Socrate puis qursquoil pro fesse drsquoecirctre reli gieux et donc drsquolaquo avoir raquo des dieux comme Zeus Atheacutena et Apol lon doit ecirctre drsquoaccord de conceacute der que ces dieux ayant une acircme sont des ani maux et puis qursquoil les laquo a raquo qursquoil a le pou voir de les vendre offrir ou eacutegor ger

8 Ceci a meneacute agrave croire agrave une inven tion for geacutee de toutes piegraveces par Platon qui aurait opposeacute dans ses dia logues socra tiques un Socrate mythique et aimeacute drsquoApol -lon agrave lrsquohomme reacuteel pro vo ca teur et condamneacute pour aseacutebie cf Mario Montuori Socrates Physiology of a Myth Amsterdam 1981 speacutec p 140 le mecircme laquo The Oracle Given to Chaerephon on the Wisdom of Socrates An Inven tion by Plato raquo dans Kernos 3 1990 p 251-259 (contre cette hypo thegravese cf Eacute mile De Strycker laquo The Oracle Given to Chaerephon about Socrates (Plato Apology 20e-21a) raquo dans Jaap MansfeldLambertus M de Rijk (eacuted) Kephalaion Studies in Greek Philosophy and its Conti nuation Offered to Prof CJ de Vogel Assen 1975 p 39-49 p 40) Mais drsquoun autre cocircteacute nous savons par Xeacutenophon que Socrate vieillis -sant serait alleacute jus qursquoagrave condam ner les speacute cu la tions sur la nature comme impieacute teacutes (Xeacutenophon Meacutemo rables I 1 7-8) ce qui ne semble pas impro bable Louis GernetAndreacute Bou lan ger Le geacutenie grec dans la reli gion Paris 1970 p 318 parlent drsquoune laquo reli gio siteacute trou blante rare sans doute en son temps qui reste grecque neacutean moins par une cer taine fi deacute liteacute agrave la reli gion civique et par la seacutereacute niteacute drsquoun opti misme sans fadeur et sans mol lesse raquo Pour lrsquoatti tude de Socrate et de Platon face agrave la divi na tion compa rer aussi David En gels Das roumlmische Vorzeichenwesen ( 753-27 v Chr) Quellen Ter mi no logie Kommentar historische Entwicklung Stuttgart 2007 p 759ndash762

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explique qursquoil aurait sou vent recircveacute qursquoon lui ordon nait de faire de la musique ce qui lui fi t trans crire en poegravemes les fables drsquoEacutesope9 et compo ser un chant en lrsquohon neur drsquoApol lon10 nous avons sur tout agrave nous sou ve nir des fameux der niers mots de Socrate ougrave il conjure Criton drsquooffrir agrave Ascleacutepios un coq que lui- mecircme et Criton devaient au dieu (Platon Pheacutedon 118a) Ces quelques mots ont fait cou ler beau coup drsquoencre La pre miegravere et la plus simple des hypo thegraveses est qursquoil srsquoagit ici drsquoune phrase eacutenon ceacutee dans le deacutelire ou srsquoappli -quant effec ti ve ment agrave une vieille dette cultuelle vis- agrave-vis du dieu et fi degrave le ment rap por teacutee par Platon qui nrsquoaurait voulu que sou li gner lrsquoadheacute sion de son maicirctre (accuseacute pour atheacuteisme) au culte eacuteta bli hypo thegravese sup por teacutee par Wilamowitz11 qui tolegravere tout au plus un remer ciement de Socrate pour la mort agreacuteable et sans trop de dou leur qursquoil subis sait12 et attaque de faccedilon viru lente tous ceux qui cherchent agrave y trou ver un sens sym bo lique mys tique Ce refus drsquointer preacute ta tion sym bo lique eacuteton nant de la part du grand savant est en par tie compreacute hen sible si lrsquoon se sou vient que crsquoest avant tout Nietzsche ndash que Wilamowitz avait deacutejagrave vio lem ment atta queacute

9 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 85 nrsquoy voit pas drsquoiro nie au contraire

10 Platon Pheacutedon 60d-61b Sa fecircte reli gieuse dif feacute rait lrsquoexeacute cu tion du phi lo -sophe (Platon Pheacutedon 58a-c) car la cou tume vou lait qursquoon envoie annuel le ment un bateau (reacuteputeacute ecirctre le bateau de Theacuteseacutee agrave Deacutelos) pour y remer cier le Dieu pour lrsquoaide qursquoil apporta aux vic times du Minotaure Entre le deacutepart et le retour du bateau lrsquoEacutetat atheacute nien se devait de res ter rituel le ment pur en dif feacute rant toutes les peines capi tales mais puisque la fecircte eacutetait ceacuteleacute breacutee tra di tion nel le ment au deacutebut du prin temps lrsquoabsence du bateau se pro lon geait sou vent agrave cause du temps peu pro pice agrave la navi ga tion Puisque le precirctre drsquoApol lon (le ἱερεὺς τοῦ rsquoΑπόλλωνος) venait jus te ment drsquoorner par une cou ronne le bateau precirct au deacutepart le jour du pro -cegraves de Socrate celui- ci devait donc attendre le retour du navire Compa rer aussi Chieko Shinozuka laquo Theseusrsquo Ship raquo dans Mediterraneus 19 1996 p 37-64

11 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 135 laquo In dieses Wort ist alles Moumlgliche hineingeheimniszligt statt die einfache Wahrheit hinzunehmen daszlig Sokrates bis zu zuletzt daran denkt ob er seine Rechnung in diesem Leben ganz menschlich bereinigt hat Dabei faumlllt ihm ein daszlig fuumlr irgendein Geluumlbde an den Heilgott der erst vor zwanzig Jahren in Athen einen Kult erhalten hatte noch das uumlbliche Opfer ausstand Er selbst wird den Zauberdienst nicht in Anspruch genommen haben a ber er hatte Weib und Kin der Charakteristisch ist worauf seine letzten Gedanken gerichtet sind das Spezielle daran ist ganz ohne Belang raquo

12 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 57ndash58 en se fon dant sur Johan L Heiberg Sokrates sidste ord dans Oversigt over det kgl danske videnskabernes selskabs forhandlinger 1902 p 105-16 p 106

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pour sa Geburt der Tragoumldie13 ndash qui pro po sait lrsquoexpli ca tion alter -na tive la plus popu laire Ascleacutepios eacutetant le dieu de la gueacute ri son qui fai sait jouer ses pou voirs pen dant le som meil des malades une offrande devait ecirctre en quelque rela tion avec une mala die dont souf -frait le phi lo sophe mais de laquelle il aurait gueacuteri si bien que le dieu meacuteri te rait sa reacutecom pense En pous sant la speacute cu la tion et en cher chant agrave deacutefi nir cette mala die Nietzsche conclut que crsquoest de sa vie elle- mecircme que le phi lo sophe se consi deacutera deacutesor mais gueacuteri et que la mort lui eacutetait eacutequi va lente au reacuteveil dans un monde meilleur apregraves le long som meil de mala die que serait la vie dans le monde mateacute riel speacute cu la tion drsquoautant plus pro bable que le coq est jus te -ment le sym bole par excel lence de la renais sance apregraves la mort14 Des recherches dans le cadre des cultes des dif feacute rents degravemes de la ville ont per mis reacutecem ment une troi siegraveme inter preacute ta tion le plu riel qursquouti lise Socrate en par lant de laquo notre raquo dette srsquoexpli que rait du fait qursquoil appar te nait tout comme Criton agrave qui il srsquoadresse au degraveme drsquoAlogravepeacutekeacute Le calen drier de cette commune pour rait avoir preacutevu pour la date du 8e Elapheacutebolion ndash donc quelques jours apregraves la mort de Socrate ndash en preacute lude aux Grandes Dionysies le sacri fi ce drsquoun coq comme offrande agrave Ascleacutepios pour les membres de ce degraveme15

PLATON

Il est eacutevi dem ment impos sible de nous pen cher sur lrsquoensemble des remarques rela tives16 agrave la reli gion dans lrsquoœuvre de Platon dans

13 Cf Karlfried Gruumlnder (eacuted) Streit um Nietzsches laquo Geburt der Tragoumldie raquo Die Schriften von E Rohde R Wagner U v Wilamowitz- Moellendorf Hilde-sheim 1969

14 Friedrich Nietzsche Die froumlhliche Wissenschaft (1887) dans G Col liM Montinari (eacuted) Friedrich Nietzsche Saumlmtliche Werke Kritische Studienaus-gabe in 15 Baumlnden t 3 Muumlnchen 1980 p 343-652 A ph 340 p 569 laquo Dieses laumlcherliche und furchtbare letzte Wortrsquo heisst fuumlr Den der Ohren hat sbquoOh Kriton das Leben ist eine Krankheit rsquo raquo Voir eacutega le ment John L Carafi des laquo The Last Words of Socrates raquo dans Platon 23 1971 p 229-232 qui inter pregravete les der niegraveres paroles de Socrate agrave la lumiegravere des doc trines orphico- pythagoriciennes de puri fi -ca tion et drsquoimmor ta liteacute de lrsquoacircme et qui remer cie donc Ascleacutepios de gueacute rir de la mala die de la vie Pour le sym bo lisme du coq cf Pierre Trotignon laquo Sur la mort de Socrate raquo dans Revue de Meacuteta phy sique et de Morale 81 1976 p 1-10

15 Jules Labarbe laquo Der niegraveres paroles drsquoanciens Grecs der niegraveres paroles de Socrate raquo dans Bul le tin de la Classe de lettres de lrsquoAca deacute mie royale de Belgique 6 s 1 1990 p 189-222

16 A Lefka laquo Le regard ration nel raquo [n 1] p 125 compte 76 men tions de divi ni teacutes agrave 1182 reprises dans les œuvres de Platon

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le cadre de cet exposeacute Nous nous bor ne rons donc agrave dis tin guer plu sieurs thegravemes prin ci paux qui carac teacute risent lrsquoatti tude du phi lo -sophe17 Le pre mier eacuteleacute ment inteacute res sant est lrsquoana lyse des remarques geacuteneacute rales concer nant la pieacuteteacute et la reli gio siteacute le deuxiegraveme les eacuteleacute -ments reli gieux dans les sceacute na rios des dia logues le troi siegraveme le juge ment de lrsquooffi ce cultuel en tant que pro fes sion et les qua triegraveme et cin quiegraveme le rocircle qursquooccupent la reli gion et le culte dans les deux grands dia logues que sont la Reacutepu blique et les Lois

Remarques geacuteneacute rales

Consi deacute rons donc quelques remarques geacuteneacute rales de Platon sur la pieacuteteacute Drsquoabord il est inteacute res sant de consta ter que Platon cite Protagoras qui dans le dia logue du mecircme nom deacutefi nit lrsquohumain comme le seul ani mal capable de croire aux dieux et de leur eacutedi -fi er autels et sta tues et nous nrsquoavons aucune rai son de croire que le phi lo sophe vou lait ici contre dire le sophiste (Platon Protagoras 322a) De maniegravere sem blable Platon deacuteclare dans la Reacutepu blique que les Heacutellegravenes se deacutefi nissent entre autres par la veacuteneacute ra tion des mecircmes sanc tuaires (Platon Reacutepu blique V 470e) Ensuite crsquoest sur tout le dia logue Euthyphron18 qui meacuterite une atten tion par ti cu -liegravere car il est essen tiel le ment consa creacute agrave une deacutefi ni tion de la reli -gio siteacute et sert agrave reacutefu ter impli ci te ment lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie por teacutee agrave

17 Pour ecirctre complet citons encore Platon Lysias 206e ougrave le jeune Meacutenegravexegravene et ses amis habilleacutes festivement viennent de preacute sen ter des offrandes aux dieux et sont jus te ment en train de jouer aux deacutes avant que Socrate ne les inter pelle (le dia -logue por tant sur lrsquoami tieacute et lrsquoeacutedu ca tion) Platon Reacutepu blique I 328 ougrave le vieux Keacutephalos dont nous savons qursquoil a eacuteteacute inviteacute par Peacutericles agrave Athegravenes ougrave il fi nira sa vie 30 ans plus tard vient eacutega le ment de faire des offrandes dans la cour de sa mai son et ceint drsquoune cou ronne est assis sur un grand siegravege et explique aux inter lo -cuteurs du dia logue qursquoil se preacute pare agrave la mort mais nrsquoen a pas peur puis qursquoil a meneacute une vie cor recte et pieuse Platon Hippias Minor 363d ougrave le sophiste Hippias drsquoEacutelide est deacutecrit comme tenant des dis cours somp tueux agrave lrsquoocca sion de chaque fecircte olym pique devant le temple (de Zeus) et Platon Cratylos 401b-e ougrave Platon explique que les offrandes agrave Hestia doivent tou jours ecirctre faites en pre mier lieu en rai son de lrsquoeacutety mo logie drsquoHestia par οὐσία

18 Compa rer pour ce qui est des deacutefi ni tions de la pieacuteteacute et de la reli gion Joachim Klowski laquo Mythos und Logos in Platons Euthyphron raquo dans Anregung 33 1987 p 386-397 et Arno Schmidt laquo Euthyphron Sokratisches Erbe und der neue Weg des logos raquo dans Anregung 46 (2) 2000 p 83-91 Eacutevi dem ment Euthyphron est un dia logue de jeu nesse et pour rait donc refl eacute ter comme les autres dia logues de cette eacutepoque moins lrsquoavis de Platon lui- mecircme que celui de Socrate concer nant le culte et la reli gio siteacute

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Socrate par Meacuteleacutetos dont on apprend jus te ment au deacutebut du texte qursquoil vient de deacutepo ser son accu sa tion chez lrsquoArchon Poleacutemaios en prou vant au contraire la sin ceacute riteacute autant que le bien- fondeacute des sen ti ments reli gieux de Socrate Tan dis qursquoune appreacute cia tion sys -teacute ma tique de lrsquoargu men ta tion geacuteneacute rale du dia logue deacutepas se rait le cadre de cet exposeacute il est impor tant de sou li gner cer tains aspects des ten ta tives suc ces sives de Socrate pour eacuteta blir une deacutefi ni tion de la pieacuteteacute (ἡ ὁσιότης) Euthyphron lui- mecircme devin asserte dans un pre mier essai de deacutefi ni tion que la vraie pieacuteteacute consiste en lrsquoobeacuteis -sance aux lois des dieux et en la pour suite des impies dont les deux exemples prin ci paux sont le meurtre et le vol de biens des temples (Platon Euthyphron 5e) Si les deux pro chaines deacutefi ni tions refu -seacutees autant que la pre miegravere pour des rai sons de logique19 ne doivent pas nous concer ner ndash lrsquoune eacutetant que la pieacuteteacute consiste en ce que les dieux aiment lrsquoimpieacuteteacute ce qursquoils deacutetestent (Platon Euthyphron 9e) lrsquoautre que tout ce qui est pieux est aussi juste (Platon Euthyphron 11e) ndash la qua triegraveme pure ment empi rique meacuterite notre atten tion Socrate y pro pose que la pieacuteteacute soit la science de la priegravere et du sacri fi ce20 Un peu plus bas Socrate refor mule cette deacutefi ni tion car puisque la priegravere est une forme de demande et le sacri fi ce un cadeau (Platon Euthyphron 14d) la pieacuteteacute serait donc un commerce une ἐμπορικὴ avec les dieux plu tocirct qursquoune atti tude morale (Platon Euthyphron 14e) Se pose alors la ques tion de savoir si les sacri -fi ces que font les humains sont vrai ment utiles aux dieux ou srsquoils en appreacute cient seule ment le geste (Platon Euthyphron 15a-b) La der niegravere sup po si tion eacutetant la plus vrai sem blable la deacutefi ni tion de la pieacuteteacute se carac teacute ri serait donc agrave nou veau comme une action aimeacutee des dieux21 De maniegravere toute sem blable dans le Ban quet Platon laisse

19 Pour la struc ture logique de ces reacutefu ta tions voir Carla Carabba laquo I molti non sequitur dellrsquoEutifrone platonico raquo dans Sandalion 9 1982 p 91-95 qui sou -ligne de nom breuses entorses agrave la logique dont Socrate- Platon se rend cou pable pour reacutefu ter les thegraveses sou te nues par Euthyphron

20 Platon Euthyphron 14c Pour la deacutefi ni tion que sem blait avoir Platon de la priegravere cf Andreacute Motte laquo Deux expres sions du sen ti ment reli gieux dans la priegravere per son nelle en Gregravece II La priegravere du phi lo sophe chez Platon raquo dans Henri LimetJulien Ries (eacuted) Lrsquoexpeacute rience de la priegravere dans les grandes reli gions Actes du Col loque de Louvain- la-Neuve et Liegravege ( 22-23 novembre 1978) Louvain- la-Neuve 1980 p 173-204

21 Mais comme ceci avait eacuteteacute reacutefuteacute aupa ra vant le dia logue se ter mine en une apo rie comme de nom breux dia logues de jeu nesse de Platon mais une apo rie qui eacutemane moins de lrsquoincom peacute tence de Socrate que de lrsquoabsence drsquoune veacuteri table

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Eacuteryximaque reprendre impli ci te ment la deacutefi ni tion drsquoEuthryphon et deacutefi nir offrandes et divi na tion comme les deux seuls moyens qursquoont les humains drsquoentrer en contact avec les dieux de sau ve -gar der lrsquoamour entre humains et la pieacuteteacute envers les dieux (Platon Ban quet 188b-c) Le dis cours drsquoAristophane dans le Ban quet que lrsquoon connaicirct bien gracircce au mythe de creacutea tion de lrsquohomme et de la femme agrave par tir drsquoun Her ma phro dite22 reprend un autre eacuteleacute ment de lrsquoEuthyphron la moti vation prin ci pale de Zeus qui le porta plu tocirct agrave muti ler lrsquohomme aveu gleacute par lrsquoarro gance qursquoagrave le ter ras ser comme les Titans eacutema nait de sa volonteacute agrave srsquoassu rer aussi au futur hon neurs et offrandes (Platon Ban quet 190c)23

La mise en scegravene

Dans la mise en scegravene des œuvres de Platon24 le lieu du dia logue ou du moins le contexte geacuteneacute ral de lrsquoaction a sou vent un rap port indu bi table avec le culte reli gieux grec et meacuterite une atten tion par -ti cu liegravere puisque la mise en scegravene est indis so ciable du contenu du dia logue25 Dans le dia logue Ion le pro ta go niste du mecircme nom26 revient jus te ment drsquoEacutepidaure ougrave il a par ti cipeacute aux fecirctes don neacutees

eacutethique dans les convic tions du devin Euthyphron cf P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 82

22 Compa rer Jean Hani laquo Le mythe de lrsquoandro gyne dans le Ban quet de Platon raquo dans Euphrosyne 11 1981-82 p 89-101

23 Mecircme si Platon ne donne pas drsquoavis expli cite sur le contenu de ces deux dis cours nous savons que lrsquoordre des dis cours dans le Ban quet joue un rocircle cru -cial le dis cours jugeacute comme le trai te ment le plus appro fondi du thegraveme de la nature de lrsquoamour eacutetant le der nier celui de Socrate qui dit juste reprendre les termes de Diotimee precirc tresse agrave Mantineacuteia On serait donc tenteacute de voir dans les autres (dont le contenu nrsquoest cer tai ne ment pas abso lu ment contraire aux convic tions de Platon) de simples eacutetapes pro peacute deu tiques neacuteces saires pour atteindre le degreacute drsquoabs trac tion phi lo sophique de SocrateDiotime qui arrive agrave trans cen der la reli gio siteacute par la ratio na liteacute phi lo sophique qui seule per met trait drsquoacceacute der agrave la compreacute hen sion de la divi niteacute

24 Konrad Gaiser Protreptik und Paraumlnese bei Platon Untersuchungen zur Form des platonischen Dialogs Tuumlbingen 1959 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 164-181 cf Gasan C Gusejnov laquo Les per son nages de Platon Agrave la recherche du genre raquo dans BB Pietrovskij et al (eacuted) La civi li sa tion antique et la science moderne Moscou 1985 p 118-121 Marie- Laurence Desclos laquo La fonc tion des pro logues dans les Dia logues de Platon raquo dans Denis Vernant (eacuted) Du dia logue Grenoble 1992 p 15-29

25 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 17226 Cf sur le per son nage Allan H Gilbert (eacuted) Platorsquos Ion Comic and

Serious Studies in Honor of DWT Starnes Austin Univ of Texas 1967

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 557

en lrsquohon neur drsquoAscleacutepios parmi les quelles fi gu rait un concours de rhap sodes dont Ion rem porta le pre mier prix27 Socrate invite Ion agrave par ti ci per aussi aux Pana theacute neacutees pour y obte nir un suc cegraves compa -rable La fonc tion de ces reacutefeacute rences dans le contexte geacuteneacute ral du dia logue nrsquoest pas dif fi cile agrave ana ly ser ces reacutefl exions donnent direc -te ment lrsquoagrave- propos agrave la dis cus sion qui suit et qui concerne prin ci pa -le ment la valeur de lrsquoart du rhap sode et la deacutemons tra tion qursquoIon se consi deacute rant comme speacute cia liste en la matiegravere est pour tant inapte agrave eacutemettre des juge ments phi lo sophiques sen seacutes sur le contenu des mythes qursquoil raconte28

Le dia logue Charmide œuvre de jeu nesse comme lrsquoIon a lieu dans la palestre de Taureacuteas en face du temple de la laquo Basilika raquo abreacute via tion cou rante pour le temple de Perseacutephone Basileacuteia29 Ici par contre crsquoest moins le temple de Perseacutephone que la palestre qui est signi fi ca tive pour le contenu du dia logue qui tourne prin ci pa le -ment autour des connais sances du jeune gar ccedilon Charmide

La des crip tion de la mise en scegravene du dia logue Phegravedre qui fait par tie des œuvres de matu riteacute du phi lo sophe peut ecirctre consi deacute reacutee comme le seul exemple de des crip tion poeacute tique de la nature chez Platon Socrate ren contre Phegravedre deacuteam bu lant le long des che mins qui megravenent agrave Athegravenes pour y cher cher un endroit ougrave lire un dis -cours de Lysias sur lrsquoamour et deacutecide de lrsquoaccom pa gner jus qursquoau fl euve Ilissos Apregraves srsquoecirctre rafraicirc chis les pieds dans lrsquoeau les deux inter lo cuteurs srsquoins tallent dans lrsquoombre drsquoun pla tane ougrave ils dis cutent drsquoabord de la tra di tion de lrsquoenlegrave ve ment drsquoOrithye celle- ci eacutetait la fi lle du roi atheacute nien Eacuterechtheacute et fut ravie par Boreacutee agrave mi- chemin entre cet endroit et le temple drsquoArteacutemis Agra30 De plus Socrate

27 Pl Ion 530a Compa rer Paul Bernard laquo Note eacutepidaurienne La data tion du temple drsquoAscleacutepios et lrsquoIon de Platon raquo dans Bul le tin de Cor res pon dance Hel leacute -nique 85 1962 p 400-402

28 Cf Egert Poehlmann laquo Enthusiasmus und Mimesis Zum platonischen Ion raquo dans Gymnasium 83 1976 p 191-208 Herbert Eisenberger laquo Sokratesrsquo Absichten im Ion raquo dans Christoff Neumeister (eacuted) Antike Texte in Forschung und Schule Festschrift fuumlr Willibald Heilmann zum 65 Geburtstag FrankfurtMain 1993 p 71-98

29 La palestre de Taureacuteas nrsquoa pas encore eacuteteacute loca li seacutee la laquo Basilika raquo se trouve au sud de lrsquoAcro pole non loin du mur drsquoenceinte de la ville (Platon Charmide 153a)

30 Terme qui srsquoapplique soit agrave un sur nom de la deacuteesse soit au degraveme Agrai ougrave se serait trouveacute ce sanc tuaire La loca li sa tion exacte du lieu de lrsquoenlegrave ve ment se situe rait agrave envi ron 2 ou 3 stades du pla tane et serait mar queacutee par un autel au dieu du vent du Nord (Platon Phegravedre 229a-c) mais Platon cite aussi lrsquoAreacuteo page comme

558 DAVID ENGELS

deacutecrit qursquoil a lrsquoimpres sion drsquoaper ce voir non loin de leur lieu de repos quelques sta tues qui lais se raient sup po ser lrsquoexis tence drsquoun sanc tuaire de quelques nymphes et du dieu du fl euve Acheacuteloos (Platon Phegravedre 230b-c) le fi ls drsquoOceacutean et de Teacutethys le pegravere des Siregravenes La rai son de cette mise en scegravene est plus dif fi cile agrave ana ly -ser Socrate pro fesse drsquoabord ndash en contraste eacutecla tant avec sa des -crip tion buco lique de lrsquoendroit agrave laquelle il donne ainsi un accent drsquoiro nie ndash drsquoecirctre tout agrave fait deacutes in teacute resseacute par la nature et de nrsquoecirctre attireacute que par les villes car crsquoest lagrave qursquoil trouve les humains gracircce aux quels il peut conti nuer agrave apprendre (Platon Phegravedre 230d-e) Cepen dant suite agrave la dis cus sion sur la valeur de la rheacute to rique et la deacutefi ni tion de lrsquoamour31 Socrate srsquoemporte rapi de ment et livre tout un dis cours ins pireacute et mythologisant sur le des tin de lrsquoacircme humaine contras tant avec ses reacutefl exions objec tives et son rai son ne ment froid sur lrsquoart de la rheacute to rique Nous pou vons donc sup po ser que le cadre du dia logue ait eacuteteacute expres seacute ment choisi pour illus trer agrave la fois le pen -chant ration nel de Socrate contras tant avec le pai sible sanc tuaire des nymphes et son retour agrave la poeacute sie divine ins pireacute par la speacute cu -la tion phi lo sophique illus trant ainsi le che mi ne ment du phi lo sophe qui se deacutetourne des ten ta tions de la nature pour culti ver la pen seacutee logique qui le ramegravene de nou veau aux veacuteri teacutes natu relles32

Le Parmeacutenide assu reacute ment lrsquoun des dia logues tar difs de Platon se joue agrave Athegravenes lors des fecirctes panatheacuteennes et per met ainsi la mise en scegravene drsquoune ren contre fi c tive entre trois geacuteneacute ra tions de phi -lo sophes Parmeacutenide Zeacutenon et Socrate (Platon Parmeacutenide 127a) Il semble qursquoen dehors de cette fonc tion pure ment prag ma tique la men tion des Pana theacute neacutees ne puisse ecirctre inter preacute teacutee comme sym -

lieu pos sible (Platon Phegravedre 229c) Par rap port agrave la reli gion dans le Phegravedre cf les remarques de G Arabatzis laquo Enkalypsamenos raquo [n 1]

31 Cf Hubert Kesters laquo De ware redekunst volgens Platoonsrsquo Phaidros raquo dans Tijdschrift voor phi lo sophie 25 1963 p 651-687 et 36 1964 p 33-67 L Rossetti (eacuted) Understanding the Phaedrus Proceedings of the II Sym po sium Platonicum Sankt Augustin 1992 Jens Halfwassen laquo Bemerkungen zum Ursprung der Lehre vom Seelenwagen raquo dans Jahrbuch fuumlr Religionswissenschaft und Theologie der Religionen 2 1994 p 114-128 Gustav A Seeck laquo Schlechte und gute Liebe in Platons Phaidros raquo dans Wuumlrzburger Jahrbuumlcher 22 1998 p 101-121

32 Cette rela tion entre phi lo sophie et theacuteo logie se retrouve drsquoailleurs aussi dans la priegravere fi nale du Phegravedre ougrave Socrate prie les dieux de reacutecom pen ser les efforts du phi lo sophe par la sagesse Lrsquoon trou vera une ana lyse appro fon die de cette priegravere chez Konrad Haiser laquo Das Gold der Weisheit Zum Gebet des Philosophen am Schluss des Phaidros raquo dans Rheinisches Museum 132 1989 p 105-140

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bole preacute cis du contenu du dia logue dis cus sion pure ment for melle sur lrsquouniteacute et la mul ti pli citeacute qui nous livre peut- ecirctre lrsquoessence de la doc trine eacuteso teacute rique de Platon33 mais dont lrsquoana lyse deacutepas se rait lar -ge ment le cadre de la preacute sente recherche por tant uni que ment sur la place du culte grec tra di tion nel dans lrsquoœuvre de Platon

Le deacutebut de la Reacutepu blique est eacutega le ment carac teacute riseacute par une reacutefeacute -rence au culte deux des pro ta go nistes reviennent de la pre miegravere ceacuteleacute bra tion offi cielle drsquoune fecircte en lrsquohon neur de Bendis une divi -niteacute thrace nou vel le ment impor teacutee34 Platon deacutecrit ici les deux per -son nages des cen dus au Pireacutee ndash ougrave arri vait en bateau comme nous pou vons le sup po ser lrsquoimage de la deacuteesse ndash moti veacutes par deux rai -sons drsquoune part pour prier tout comme les autres spec ta teurs mais aussi drsquoautre part pour assou vir leur curio siteacute face agrave la pompe exteacute rieure des deux pro ces sions dont celle des Thraces est deacutecrite comme aussi impres sion nante que celle des Atheacuteniens Un peu plus tard nous appre nons aussi que les fes ti vi teacutes seront clocirc tu reacutees le soir par une pro ces sion eacutequestre ndash nou veauteacute reli gieuse comme le sou -ligne Platon ndash et des fecirctes noc turnes (Platon Reacutepu blique I 328a) Le cli mat de fes ti viteacute solen nelle qui implique lrsquoacti viteacute reli gieuse de la ville complegravete forme un cadre excellent pour la dis cus sion sur la nature de la jus tice et la deacutefaite intel lec tuelle de la posi tion des sophistes telle qursquoelle est sym bo li seacutee par les argu ments de Thrasymaque35 Il est eacutega le ment inteacute res sant de noter que Socrate mecircme srsquoil par ti cipe aux fes ti vi teacutes exprime son peu drsquoenvie drsquoy

33 Il est neacutean moins juste de sou li gner que laquo les Pana theacute neacutees refl egravetent lrsquouniteacute poli tique des citoyens atheacuteniens et lrsquoeacuteclat de leur citeacute Ren contre des geacuteneacute ra tions [hellip] dis cus sions entre phi lo sophes atheacuteniens et eacutetran gers concours divers [hellip] la citeacute ceacutelegravebre dans une effer ves cence poli tique reli gieuse et intel lec tuelle la deacuteesse qui la pro tegravege et patronne les mul tiples aspects de la vie en socieacuteteacute raquo (Catherine Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo dans Kernos 6 1993 p 225-243 p 241)

34 Elle eacutetait fecircteacutee annuel le ment le 19e20e Thargeacutelion (Platon Reacutepu blique I 327a donc deacutebut juin) Son intro duc tion offi cielle (pro ba ble ment en 430) qui avait semble- t-il des rai sons plu tocirct poli tiques que reli gieuses consti tuait une nou -veauteacute dans le sys tegraveme reli gieux clas sique drsquoAthegravenes cf J Jr Best laquo Bendis raquo dans Hermeneus 35 1964 p 122-128 Di miter Dopov laquo Essence ori gine et pro -pa ga tion du culte de la deacuteesse thrace Bendis raquo dans Dia logue drsquohis toire ancienne 2 1976 p 289-303 Claudia Montepaone laquo Bendis tracia and Atene lrsquointegrazione del nuovo attraverso forme dellrsquoideologia raquo dans A ION (Archeol) 12 1990 p 103-121

35 P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 47 par contre inter pregravete le cadre de maniegravere tout agrave fait dif feacute rente et y voit une allu sion agrave ce que la reli gio siteacute serait acces sible agrave tout le monde mais la theacuteo logie phi lo sophique aux seuls intel lec tuels cagraved sui vant le point de vue grec aux peuples hel leacute ni seacutes

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retour ner le soir seule la pro messe drsquoy deacutecou vrir des inter lo cuteurs poten tiels arrive agrave le faire fl eacute chir36

Dans le Timeacutee qui est la suite directe de la Reacutepu blique et commence avec une reacuteca pi tu la tion assez som maire des ideacutees de ce dia logue37 le cadre reli gieux de la Reacutepu blique est deacuteformeacute de faccedilon assez remar quable puisque la dis cus sion nrsquoa pas lieu le len de main de la fecircte pour Bendis mais lors des Pana theacute neacutees ceacuteleacute breacutees le 28e Heacutekatombaion (Platon Timeacutee 26e) La solen niteacute de la fecircte y est mise expres seacute ment en rela tion avec le thegraveme du dia logue la creacutea tion mys tique et la nature mateacute rielle du monde comme par ti cu liegrave re ment seyante agrave des speacute cu la tions aussi pro fondes (Platon Timeacutee 26e) De plus Critias le jeune qui relate le mythe de lrsquoAtlantide agrave Socrate y explique qursquoil a lui- mecircme appris cette tra di tion par Critias lrsquoancien lors de la ceacuteleacute bra tion des Apatouries38

Notons fi na le ment que mecircme les Lois dia logue inacheveacute et lourd peu compa rable avec la viva citeacute des œuvres de jeu nesse ont un cadre reli gieux le pre mier mot en est deacutejagrave laquo Dieu raquo et le sceacute -na rio ouvre sur une speacute cu la tion sur lrsquoori gine divine des lois des Laceacute deacute mo niens et des Creacute tois pro ve nant res pec ti ve ment drsquoApol -

36 Platon Reacutepu blique I 328a La suite de la dis cus sion qui concer nera la deacutefi ni tion de la jus tice agrave tra vers une deacutefi ni tion de lrsquoEacutetat ideacuteal peut eacutega le ment ecirctre inter preacute teacutee comme eacutetant en rap port eacutetroit avec la des crip tion des fes ti vi teacutes reli -gieuses de la citeacute atheacute nienne mais il ne faut pas oublier que le pre mier livre de la Reacutepu blique a pro ba ble ment preacute ceacutedeacute les livres sui vants de nom breuses anneacutees Nous ne savons donc pas preacute ci seacute ment si la fecircte deacutedieacutee agrave Bendis a eacuteteacute ajou teacutee plus tard au pro logue du pre mier livre en fonc tion de lrsquoeacuteco no mie glo bale de la Reacutepu -blique ou au contraire nrsquoa eacuteteacute des ti neacutee qursquoagrave intro duire le pre mier livre et nrsquoa donc qursquoun rap port acci den tel avec les livres II agrave X Alors que Pierre Javet laquo Ceacutephale et Platon sur le seuil de la vieillesse Reacutefl exions sur le pro logue de la Reacutepu blique raquo dans Revue Phi lo sophique de la France et de lrsquoeacutetran ger 1982 p 241-247 affi rme que la ren contre de Socrate avec Poleacute marque et sa dis cus sion avec Ceacutephale ont eacuteteacute compo seacutees en fonc tion de lrsquoensemble de la Reacutepu blique P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 46 sou tient la thegravese du rap port acci den tel en fai sant remar quer que ce dia logue devenu eacutenorme deacutebute seule ment dans la soi reacutee et ne peut donc fi nir rai son na ble ment quelques heures plus tard ndash un pro blegraveme que Platon aurait cer tai -ne ment eacuteviteacute srsquoil avait voulu degraves le deacutebut eacutecrire une œuvre tel le ment gigan tesque (et ce nrsquoest pas un hasard si les Lois eux deacutebutent le matin en rai son de la lon gueur impres sion nante de lrsquoœuvre)

37 Compa rer p ex Christopher J Rowe laquo Why is the Ideal Athens of the Timaeus- Critias not Ruled by Philosophers raquo dans Meacutethexis 10 1997 p 51-57

38 Celles- ci ougrave les jeunes hommes eacutetaient ins crits dans leur phra trie (Platon Timeacutee 21b) eacutetaient eacutega le ment preacute si deacutees par Atheacutena et Zeus et duraient trois jours

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 561

lon pythique et de Zeus39 Plus tard nous appre nons que les inter lo -cuteurs se trouvent en Cregravete et sont sur le che min de Cnossos vers la grotte sacreacutee de Zeus40

Nous voyons donc que le choix de lrsquoeacuteleacute ment reli gieux tra di tion -nel nrsquoest pas acci den tel dans la mise en scegravene des dia logues de Platon et que au contraire la men tion des cultes a dans la plu part des cas un rap port phi lo sophique direct avec le thegraveme du dia logue qui srsquoen suit Crsquoest donc la reli gio siteacute tra di tion nelle qui oserions- nous dire ins pire sa propre trans cen dance par la dis cus sion meacuteta -phy sique et est eacutevo queacutee impli ci te ment comme base neacuteces saire agrave toute aven ture intel lec tuelle

La precirc trise comme pro fes sion

Un autre thegraveme reacutecur rent chez Platon est celui de la compeacute tence pro fes sion nelle des dif feacute rents precirctres Nous connais sons tous les exemples nom breux ougrave le phi lo sophe parle des timo niers des menui -siers et des meacutede cins mais il est eacuteton nant de voir que la men tion du devin (μάντις) comme exemple drsquoun meacutetier parmi drsquoautres est assez cou rante chez Platon41 Notons ici que Platon mecircme srsquoil parle en regravegle geacuteneacute rale des devins sans en speacute ci fi er en deacutetail les fonc tions theacuteo lo giques ou meacutethodes pro fes sion nelles leur attri bue (en theacuteo rie au moins) une vraie laquo connais sance du futur raquo (Platon Charmide 173c ἐπιστήμην τοῦ μέλλοντος) et les rap proche en fai sant eacutegard agrave leur ins pi ra tion commune par le souffl e divin des rhap sodes des chan teurs drsquooracles (Platon Ion 534c Apo logie 22c) et mecircme des poli ti ciens (Platon Meacute non 98c-d) De faccedilon sem blable dans le Poli -tique Platon les carac teacute rise comme tra duc teurs et voix des dieux (Platon Poli tique 290c) tan dis que les precirctres sont deacutefi nis comme ceux qui srsquooccupent drsquoorga ni ser le contact des humains avec les

39 Platon Lois I 624a-625a cf aussi 632d40 Platon Lois I 625a-b Lrsquoon peut soit lrsquoiden ti fi er comme le sanc tuaire

de la grotte dicteacuteenne ndash lrsquoopi nion geacuteneacute ra le ment admise cf commen taire Klaus Schoumlpsdau (eacuted trad et comm) Platon Gesetze Buch I- IV Darmstadt 21990 ndash ou celui du Mont Ida cf Glenn R Morrow Platorsquos Cretan City a Historical Interpretation of the Laws Princeton 1962 p 27ndash28 Par rap port agrave la signi fi ca tion reli gieuse de la Cregravete cf Jesuacutes Lens Tuero laquo La mitifi cacioacuten de Creta en la cultura griega del siglo IV raquo dans Actas del VIII congreso espantildeol de estudios claacutesicos (Madrid 23-28 de septiembre de 1991) t 3 Madrid 1994 p 219-222

41 Voir en dehors de lrsquoEuthyphron dont le pro ta go niste homo nyme est qua -li fi eacute de devin Platon Ion 531b Charmide 173c

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dieux par les sacri fi ces et les priegraveres (Platon Poli tique 290c-d) ayant annexeacute en ceci les attri bu tions des anciens rois42 Ce juge ment en somme posi tif pour rait ecirctre impu table au fait que Platon voyait beau coup de res sem blances entre le devin et le phi lo sophe43 Neacutean -moins il ne place les devins et precirctres qursquoau cin quiegraveme rang des formes de vie du Phegravedre (Platon Phegravedre 248d) et insiste sur le fait qursquoil ne veut par ler que des devins laquo seacuterieux raquo (τοὺς δὲ ὡςἀληθῶς μάντεις) qursquoil met en contraste avec les beaux- parleurs (τοὺς μὲν ἀλαζόνας) qui man que raient de σωφροσύνη (Platon Charmide 173c) Nous trou vons un exemple de ces devins laquo non seacuterieux raquo dans la Reacutepu blique Platon y deacutecrit par la bouche drsquoAdeacutemante que les char la tans et les devins (ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις) pro mettent aux riches de rache ter contre paye ment leurs fautes morales par des sacri fi ces et des for mules magiques et assurent mecircme pou voir infl u en cer les dieux par des incan ta tions magiques44 agrave faire du tort aux autres humains bons ou mau vais (Platon Reacutepu blique II 364b-365a) En ceci ils srsquoappuyeraient sur Hom egravere qui qua li fi ait deacutejagrave les dieux drsquoinfl u en ccedilables par des pro messes et des offrandes (Hom -egravere Iliade IX 497-501) et sur les eacutecrits mys tiques de Museacutee et drsquoOrpheacutee45 Ceux- ci auraient ensei gneacute que des hommes et mecircme

42 Platon prouve ce rai son ne ment en nom mant lrsquoArchon Basileacuteios drsquoAthegravenes res pon sable des offrandes les plus archaiumlques et veacuteneacute rables et cite aussi lrsquoini tiation obli ga toire des pha raons drsquoEacutegypte agrave lrsquoart des precirctres (Platon Poli tique 290e)

43 Cf Richard Bodeacuteuumls laquo ldquoJe suis devinrdquo (Phegravedre 242c) Remarques sur la phi lo sophie selon Platon raquo dans Kernos 3 1990 p 45-52 p 49 laquo La contem pla -tion phi lo sophique en effet nrsquoest pas sans ana logie avec la vision divi na toire [hellip] De mecircme que le devin voit sans lrsquointel li gence des signi fi ants le phi lo sophe voit par lrsquointel li gence des signi fi eacutes Crsquoest un vision naire dans lrsquoordre de lrsquointel li -gible raquo

44 Voir aussi Carlo A Viano laquo Retorica magia e natura in Platone raquo dans Rivista di Filosofi a 56 1965 p 411-453 qui sou ligne que Platon dans le livre X des Lois et dans le Phegravedre met la magie et la rheacute to rique sur le mecircme plan puis qursquoelles exercent toutes les deux une action psy cho lo gique sur lrsquoacircme et que lrsquohomme lui- mecircme est sujet agrave la rheacute to rique et agrave la magie en tant que par tie de la nature

45 Au sujet de la rela tion de Platon aux orphiques cf Paul Boyanceacute Le Culte des Muses chez les phi lo sophes grecs Paris 1937 p 21ndash24 le mecircme laquo Platon et les Cathartes orphiques raquo dans Revue des eacutetudes grecques 55 1942 p 217-235 Philippe Borgeaud (eacuted) Orphisme et Orpheacutee en lrsquohon neur de Jean Rudhardt Genegraveve 1991 Leacuteonid Zhmud laquo Orphism and grafi tti from Olbia raquo dans Hermes 120 1992 p 159-168 (confi r mant Platon Cratylos 400c) Alberto Bernabeacute laquo Una etimologiacutea platoacutenica soma- sema raquo dans Philologus 139 1995 p 204-237 Giovanni Casadio laquo El mito del laquo Poliacutetico raquo (268 D-274 E) y la his to ria de las religiones raquo dans Emerita 64 1996 p 65-77 Les frag ments orphiques conser veacutes

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des citeacutes entiegraveres pou vaient rache ter leurs fautes preacute sentes et pas seacutees par des sacri fi ces et des jeux (διὰ θνσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν)46 Mecircme si Platon consi degravere geacuteneacute ra le ment les astres comme des divi ni -teacutes47 il explique dans le Timeacutee que les pheacute no megravenes astro no miques ne doivent pas ecirctre pris pour des preacute sages mais srsquoexpliquent par des rai sons pure ment matheacutema tiques (Platon Timeacutee 40c-d) ce qui peut ecirctre inter preacuteteacute comme une cri tique de la man tique astro lo gique Dans les Lois il deacutecrit que beau coup de magi ciens et de devins seraient mecircme en reacutea liteacute des a theacuteistes sou cieux de pro fi ter de la creacute du liteacute de leurs conci toyens (Platon Lois X 908d)48

chez Platon peuvent ecirctre consul teacutes main te nant dans Alberto Bernabeacute Poetae epici Graeci Testimonia et frag menta Pars II Fasc 1-2 Orphicorum et Orphicis similium frag menta MuumlnchenLeipzig 2004-2005

46 Un preacute jugeacute pla to ni cien qui reacutefl egravete le peu drsquoestime qursquoavaient les intel lec -tuels contem po rains pour la char la ta ne rie issue des speacute cu la tions gran dioses de lrsquoorphisme (pour tant extrecirc me ment popu laires agrave lrsquoeacutepoque cf Martin P Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion t1 Bis zur Weltherrschaft Muumlnchen 1941 p 684 et 800) et qui semble sur tout issue du pytha go risme (Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore de Gregravece en Palestine Paris 1927 p 81ndash82) Pour lrsquoinfl u ence de Pythagore sur Platon compa rer aussi Erich Frank Plato und die so genannten Pythagoreer Halle 1923 Pierre Boyanceacute laquo Lrsquoinfl u ence pytha go ri -cienne sur Platon raquo dans Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia Naples 1966 p 73-113 Bartel Leendert Van Der Waerden laquo Platon et les sciences exactes des Pytha go ri ciens raquo dans Bul le tin de la Socieacuteteacute Matheacutema tique de Belgique 21 1969 p 120-122 Maria Tortorelli Ghidini et al (eacuted) Tra Orfeo e Pitagora origini e incontri di culture nellrsquoantichitagrave atti dei seminari napoletani 1996-1998 Naples 2000 Leacuteonid Zhmud laquo Uumlberlegungen zur pythagoreischen Frage raquo dans Georg Rechenauer (eacuted) Fruumlhgriechisches Denken Goumlttingen 2005 p 135-151 David En gels laquo Geometrie und Phi lo sophie Zur Visualisierung metaphysischer Konzepte durch raumlumliche Darstellungen in der pythagoreischen Phi lo sophie raquo dans D GroszligS Westermann (eacuted) Vom Bild zur Erkenntnis Visualisierungskonzepte in den Wissenschaften Kassel 2007 p 113ndash129

47 Platon Timeacutee 401ndash402 Lois VII 821bndashc Voir agrave ce sujet p ex Hans Herter laquo Gott und die Welt bei Platon raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 158 1958 p 106-117 GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 399ndash402 et 445ndash448

48 En ce qui concerne lrsquoart divi na toire sou li gnons ici encore que Platon dans le Lachegraves laisse Socrate affi r mer que chaque pro fes sion confegravere agrave celui qui lrsquoexerce cor rec te ment une auto riteacute de speacute cia liste dans son domaine Ceci le conduit agrave demander agrave son inter lo cuteur un mili taire srsquoil est donc deacutecideacute en cas de guerre agrave faire plu tocirct confi ance agrave ses propres avis stra teacute giques qursquoaux conseils des devins que lrsquoon ne sau rait dif fi ci le ment regar der comme des auto ri teacutes compeacute tentes en matiegravere miliaire ce agrave quoi le stra tegravege atheacute nien acquiesce (Platon Lachegraves 199a) Si lrsquoon pense que ce stra tegravege nrsquoest autre que Nicias le poli ti cien atheacute nien qui notam -ment parce qursquoil avait accordeacute foi agrave des devins et des oracles dans ses deacuteci sions mili taires connaicirct en 413 une fi n tra gique en Sicile (ougrave il avait assieacutegeacute en vain la ville de Syracuse et ougrave il fut fait pri son nier par les habi tants qui le condam negraverent agrave mort) lrsquoendroit ne manque pas de piment et laisse per ce voir lrsquoiro nie de Platon qui

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La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 565

Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 567

la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 571

pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 573

de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 575

pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

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nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

580 DAVID ENGELS

dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 581

ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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SOCRATE

Avant drsquoana ly ser les œuvres de Platon il me semble neacuteces saire drsquoen exclure les quelques pas sages qui semblent eacutema ner exclu si -ve ment du sou ve nir que gar dait Platon de son maicirctre Socrate3 et que nous ne sau rons donc attri buer aux convic tions de lrsquoeacutelegraveve mecircme srsquoil faut comp ter avec un rema nie ment cer tain et sou li gner qursquoil nrsquoaurait pas repris ces pas sages srsquoil nrsquoen avait pas appreacute cieacute le contenu4 Ayant eacuteteacute condamneacute entre autres pour aseacutebie5 et intro duc -tion de nou velles divi ni teacutes dans la citeacute curieux meacutelange de deux accu sa tions contra dic toires la posi tion que Socrate semble avoir prise face aux dieux telle qursquoelle nous est reacuteveacute leacutee chez Platon est sin gu liegrave re ment ambi va lente lrsquoiro nie6 srsquoy meacutelan geant agrave pre miegravere vue avec une pieacuteteacute osten ta toire Si nous fai sons abs trac tion des nom -breux endroits ougrave Socrate pro fesse sa croyance en les dieux olym -piens7 le pre mier eacuteleacute ment reacuteveacute la teur nous semble ecirctre ce fameux

pilleacutees agrave tra vers tous les dia logues une preacute sen ta tion des convic tions reli gieuses de Platon qui neacuteces sai re ment ne sau rait ecirctre que construite et inadeacute quate face agrave la varieacuteteacute des œuvres du phi lo sophe et agrave son eacutevo lu tion interne Une ana lyse de ses reacutefl exions agrave pro pos du culte par contre pourra per mettre drsquoana ly ser concregrave te -ment ses convic tions intimes face aux dieux et aux rituels et drsquoajou ter de nou veaux aspects agrave la recherche sur la theacuteo logie pla to ni cienne

3 Par rap port agrave la reli gio siteacute de Socrate compa rer Gregory Vlastos Socratic Piety Socrates Ironist and Moral Phi lo so pher Ithaca 1991

4 Crsquoest pour quoi je me bor ne rai ici prin ci pa le ment agrave la preacute sen ta tion que Platon fait de Socrate non celle de Xeacutenophon qui lui semble avoir gardeacute des convic tions reli gieuses assez naiumlves (Xeacutenophon Ana base 3 1 et 7 8) et a ten dance agrave dimi nuer lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee reli gieuse de Socrate pour mieux pou voir le pro teacute ger des attaques de ses enne mis (Cf Xeacutenophon Meacutemo rables I 3 3) En ce qui concerne drsquoautres auteurs cf Karl Joel Der echte und der xenophontische Sokrates t 1-3 Berlin 1893-1901 Friedrich Pfeffer Studien zur Mantik in der Phi lo sophie der Antike Meisenheim am Glan 1976 p 40-42 Michel Narc y laquo La reli gion de Socrate dans les ldquoMeacutemo rablesrdquo de Xeacutenophon raquo dans Gabriele GiannantoniMichel Narc y (eacuted) Lezioni socratiche Naples 1997 p 13-28

5 Le terme peut expri mer agrave la fois lrsquoatheacuteisme et la neacutegli gence cultuelle Cf Ernst Sandvoss laquo Asebie und Atheismus im klassischen Zeitalter der griechischen Polis raquo dans Saeculum 19 1968 p 312-329 Gabriele Marasco laquo I processi drsquoempietagrave nella democrazia ateniese raquo dans Atene amp Roma 21 1976 p 113-131 Marek Winiarczyk laquo Biblio gra phie zum antiken Atheismus raquo dans Elenchos 10 1989 p 103-192 Richard Bodeacuteuumls laquo Notes sur lrsquoimpieacuteteacute de Socrate raquo dans Kernos 2 1989 p 27-35

6 Qua li fi eacutee par Thomas Mann le grand iro niste du XXe siegravecle comme laquo das ohne Vergleich tiefste und reizendste [Problem] der Welt raquo

7 Compa rer sur tout Platon Euthydeacutemos 302 a- e Ici le sophiste Euthydeacutemos essaie de mener Socrate drsquoapo rie en apo rie par un habile jeu de contra dic tions

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oracle que la Pythie aurait livreacute agrave Chaireacutephon selon lequel il nrsquoy avait point drsquohomme plus sage que Socrate (Platon Apo logie 21a) Platon nous deacutecrit Socrate comme pre nant tregraves au seacuterieux cet oracle et essayant de le contre dire ndash vai ne ment comme il lrsquoatteste non sans une cer taine satis faction Cette assis tance divine au pro jet phi -lo sophique de Socrate serait deacutejagrave suf fi sante pour nous per mettre de comprendre sa rete nue agrave lrsquoeacutegard de la divi na tion grecque et de sa croyance en lrsquoins pi ra tion par son deacutemon per son nel et en des recircves divi na toires (p ex Platon Apo logie 33c) Il ne serait cer tai ne ment pas hasar deux drsquoen deacuteduire eacutega le ment lrsquoexpli ca tion de la veacuteri table veacuteneacute ra tion que lrsquooracle drsquoApol lon semble avoir ins pi reacutee agrave son eacutelegraveve Platon (qui lui garda appa rem ment une grande estime pour la reconnais sance de la sagesse de son maicirctre) si nous pou vions ecirctre sucircrs de lrsquohis to ri citeacute de lrsquooracle Mais face au silence des sources et agrave celui de Socrate lui- mecircme pen dant de nom breuses anneacutees jus -qursquoagrave son pro cegraves cette his to ri citeacute semble bien dou teuse8 Si nous pas sons sur le recircve divi na toire du Pheacutedon ougrave Socrate empri sonneacute

logiques et de deacutefi ni tions seacuteman tiques agrave double sens Il nrsquoest pas sans inteacute recirct de remar quer qursquoun de ces jeux logiques consiste en la deacutefi ni tion de la pro prieacuteteacute et de la nature des ecirctres vivants Socrate avait acquiesceacute que tout ecirctre qui avait une acircme pou vait ecirctre compteacute parmi les ani maux et que la pos ses sion qursquoil exer -ccedilait lui- mecircme sur ces ani maux eacutetait deacutefi nie par la faculteacute de deacuteci der de leur sort Euthydeacutemos deacutemontre main te nant que Socrate puis qursquoil pro fesse drsquoecirctre reli gieux et donc drsquolaquo avoir raquo des dieux comme Zeus Atheacutena et Apol lon doit ecirctre drsquoaccord de conceacute der que ces dieux ayant une acircme sont des ani maux et puis qursquoil les laquo a raquo qursquoil a le pou voir de les vendre offrir ou eacutegor ger

8 Ceci a meneacute agrave croire agrave une inven tion for geacutee de toutes piegraveces par Platon qui aurait opposeacute dans ses dia logues socra tiques un Socrate mythique et aimeacute drsquoApol -lon agrave lrsquohomme reacuteel pro vo ca teur et condamneacute pour aseacutebie cf Mario Montuori Socrates Physiology of a Myth Amsterdam 1981 speacutec p 140 le mecircme laquo The Oracle Given to Chaerephon on the Wisdom of Socrates An Inven tion by Plato raquo dans Kernos 3 1990 p 251-259 (contre cette hypo thegravese cf Eacute mile De Strycker laquo The Oracle Given to Chaerephon about Socrates (Plato Apology 20e-21a) raquo dans Jaap MansfeldLambertus M de Rijk (eacuted) Kephalaion Studies in Greek Philosophy and its Conti nuation Offered to Prof CJ de Vogel Assen 1975 p 39-49 p 40) Mais drsquoun autre cocircteacute nous savons par Xeacutenophon que Socrate vieillis -sant serait alleacute jus qursquoagrave condam ner les speacute cu la tions sur la nature comme impieacute teacutes (Xeacutenophon Meacutemo rables I 1 7-8) ce qui ne semble pas impro bable Louis GernetAndreacute Bou lan ger Le geacutenie grec dans la reli gion Paris 1970 p 318 parlent drsquoune laquo reli gio siteacute trou blante rare sans doute en son temps qui reste grecque neacutean moins par une cer taine fi deacute liteacute agrave la reli gion civique et par la seacutereacute niteacute drsquoun opti misme sans fadeur et sans mol lesse raquo Pour lrsquoatti tude de Socrate et de Platon face agrave la divi na tion compa rer aussi David En gels Das roumlmische Vorzeichenwesen ( 753-27 v Chr) Quellen Ter mi no logie Kommentar historische Entwicklung Stuttgart 2007 p 759ndash762

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explique qursquoil aurait sou vent recircveacute qursquoon lui ordon nait de faire de la musique ce qui lui fi t trans crire en poegravemes les fables drsquoEacutesope9 et compo ser un chant en lrsquohon neur drsquoApol lon10 nous avons sur tout agrave nous sou ve nir des fameux der niers mots de Socrate ougrave il conjure Criton drsquooffrir agrave Ascleacutepios un coq que lui- mecircme et Criton devaient au dieu (Platon Pheacutedon 118a) Ces quelques mots ont fait cou ler beau coup drsquoencre La pre miegravere et la plus simple des hypo thegraveses est qursquoil srsquoagit ici drsquoune phrase eacutenon ceacutee dans le deacutelire ou srsquoappli -quant effec ti ve ment agrave une vieille dette cultuelle vis- agrave-vis du dieu et fi degrave le ment rap por teacutee par Platon qui nrsquoaurait voulu que sou li gner lrsquoadheacute sion de son maicirctre (accuseacute pour atheacuteisme) au culte eacuteta bli hypo thegravese sup por teacutee par Wilamowitz11 qui tolegravere tout au plus un remer ciement de Socrate pour la mort agreacuteable et sans trop de dou leur qursquoil subis sait12 et attaque de faccedilon viru lente tous ceux qui cherchent agrave y trou ver un sens sym bo lique mys tique Ce refus drsquointer preacute ta tion sym bo lique eacuteton nant de la part du grand savant est en par tie compreacute hen sible si lrsquoon se sou vient que crsquoest avant tout Nietzsche ndash que Wilamowitz avait deacutejagrave vio lem ment atta queacute

9 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 85 nrsquoy voit pas drsquoiro nie au contraire

10 Platon Pheacutedon 60d-61b Sa fecircte reli gieuse dif feacute rait lrsquoexeacute cu tion du phi lo -sophe (Platon Pheacutedon 58a-c) car la cou tume vou lait qursquoon envoie annuel le ment un bateau (reacuteputeacute ecirctre le bateau de Theacuteseacutee agrave Deacutelos) pour y remer cier le Dieu pour lrsquoaide qursquoil apporta aux vic times du Minotaure Entre le deacutepart et le retour du bateau lrsquoEacutetat atheacute nien se devait de res ter rituel le ment pur en dif feacute rant toutes les peines capi tales mais puisque la fecircte eacutetait ceacuteleacute breacutee tra di tion nel le ment au deacutebut du prin temps lrsquoabsence du bateau se pro lon geait sou vent agrave cause du temps peu pro pice agrave la navi ga tion Puisque le precirctre drsquoApol lon (le ἱερεὺς τοῦ rsquoΑπόλλωνος) venait jus te ment drsquoorner par une cou ronne le bateau precirct au deacutepart le jour du pro -cegraves de Socrate celui- ci devait donc attendre le retour du navire Compa rer aussi Chieko Shinozuka laquo Theseusrsquo Ship raquo dans Mediterraneus 19 1996 p 37-64

11 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 135 laquo In dieses Wort ist alles Moumlgliche hineingeheimniszligt statt die einfache Wahrheit hinzunehmen daszlig Sokrates bis zu zuletzt daran denkt ob er seine Rechnung in diesem Leben ganz menschlich bereinigt hat Dabei faumlllt ihm ein daszlig fuumlr irgendein Geluumlbde an den Heilgott der erst vor zwanzig Jahren in Athen einen Kult erhalten hatte noch das uumlbliche Opfer ausstand Er selbst wird den Zauberdienst nicht in Anspruch genommen haben a ber er hatte Weib und Kin der Charakteristisch ist worauf seine letzten Gedanken gerichtet sind das Spezielle daran ist ganz ohne Belang raquo

12 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 57ndash58 en se fon dant sur Johan L Heiberg Sokrates sidste ord dans Oversigt over det kgl danske videnskabernes selskabs forhandlinger 1902 p 105-16 p 106

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pour sa Geburt der Tragoumldie13 ndash qui pro po sait lrsquoexpli ca tion alter -na tive la plus popu laire Ascleacutepios eacutetant le dieu de la gueacute ri son qui fai sait jouer ses pou voirs pen dant le som meil des malades une offrande devait ecirctre en quelque rela tion avec une mala die dont souf -frait le phi lo sophe mais de laquelle il aurait gueacuteri si bien que le dieu meacuteri te rait sa reacutecom pense En pous sant la speacute cu la tion et en cher chant agrave deacutefi nir cette mala die Nietzsche conclut que crsquoest de sa vie elle- mecircme que le phi lo sophe se consi deacutera deacutesor mais gueacuteri et que la mort lui eacutetait eacutequi va lente au reacuteveil dans un monde meilleur apregraves le long som meil de mala die que serait la vie dans le monde mateacute riel speacute cu la tion drsquoautant plus pro bable que le coq est jus te -ment le sym bole par excel lence de la renais sance apregraves la mort14 Des recherches dans le cadre des cultes des dif feacute rents degravemes de la ville ont per mis reacutecem ment une troi siegraveme inter preacute ta tion le plu riel qursquouti lise Socrate en par lant de laquo notre raquo dette srsquoexpli que rait du fait qursquoil appar te nait tout comme Criton agrave qui il srsquoadresse au degraveme drsquoAlogravepeacutekeacute Le calen drier de cette commune pour rait avoir preacutevu pour la date du 8e Elapheacutebolion ndash donc quelques jours apregraves la mort de Socrate ndash en preacute lude aux Grandes Dionysies le sacri fi ce drsquoun coq comme offrande agrave Ascleacutepios pour les membres de ce degraveme15

PLATON

Il est eacutevi dem ment impos sible de nous pen cher sur lrsquoensemble des remarques rela tives16 agrave la reli gion dans lrsquoœuvre de Platon dans

13 Cf Karlfried Gruumlnder (eacuted) Streit um Nietzsches laquo Geburt der Tragoumldie raquo Die Schriften von E Rohde R Wagner U v Wilamowitz- Moellendorf Hilde-sheim 1969

14 Friedrich Nietzsche Die froumlhliche Wissenschaft (1887) dans G Col liM Montinari (eacuted) Friedrich Nietzsche Saumlmtliche Werke Kritische Studienaus-gabe in 15 Baumlnden t 3 Muumlnchen 1980 p 343-652 A ph 340 p 569 laquo Dieses laumlcherliche und furchtbare letzte Wortrsquo heisst fuumlr Den der Ohren hat sbquoOh Kriton das Leben ist eine Krankheit rsquo raquo Voir eacutega le ment John L Carafi des laquo The Last Words of Socrates raquo dans Platon 23 1971 p 229-232 qui inter pregravete les der niegraveres paroles de Socrate agrave la lumiegravere des doc trines orphico- pythagoriciennes de puri fi -ca tion et drsquoimmor ta liteacute de lrsquoacircme et qui remer cie donc Ascleacutepios de gueacute rir de la mala die de la vie Pour le sym bo lisme du coq cf Pierre Trotignon laquo Sur la mort de Socrate raquo dans Revue de Meacuteta phy sique et de Morale 81 1976 p 1-10

15 Jules Labarbe laquo Der niegraveres paroles drsquoanciens Grecs der niegraveres paroles de Socrate raquo dans Bul le tin de la Classe de lettres de lrsquoAca deacute mie royale de Belgique 6 s 1 1990 p 189-222

16 A Lefka laquo Le regard ration nel raquo [n 1] p 125 compte 76 men tions de divi ni teacutes agrave 1182 reprises dans les œuvres de Platon

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le cadre de cet exposeacute Nous nous bor ne rons donc agrave dis tin guer plu sieurs thegravemes prin ci paux qui carac teacute risent lrsquoatti tude du phi lo -sophe17 Le pre mier eacuteleacute ment inteacute res sant est lrsquoana lyse des remarques geacuteneacute rales concer nant la pieacuteteacute et la reli gio siteacute le deuxiegraveme les eacuteleacute -ments reli gieux dans les sceacute na rios des dia logues le troi siegraveme le juge ment de lrsquooffi ce cultuel en tant que pro fes sion et les qua triegraveme et cin quiegraveme le rocircle qursquooccupent la reli gion et le culte dans les deux grands dia logues que sont la Reacutepu blique et les Lois

Remarques geacuteneacute rales

Consi deacute rons donc quelques remarques geacuteneacute rales de Platon sur la pieacuteteacute Drsquoabord il est inteacute res sant de consta ter que Platon cite Protagoras qui dans le dia logue du mecircme nom deacutefi nit lrsquohumain comme le seul ani mal capable de croire aux dieux et de leur eacutedi -fi er autels et sta tues et nous nrsquoavons aucune rai son de croire que le phi lo sophe vou lait ici contre dire le sophiste (Platon Protagoras 322a) De maniegravere sem blable Platon deacuteclare dans la Reacutepu blique que les Heacutellegravenes se deacutefi nissent entre autres par la veacuteneacute ra tion des mecircmes sanc tuaires (Platon Reacutepu blique V 470e) Ensuite crsquoest sur tout le dia logue Euthyphron18 qui meacuterite une atten tion par ti cu -liegravere car il est essen tiel le ment consa creacute agrave une deacutefi ni tion de la reli -gio siteacute et sert agrave reacutefu ter impli ci te ment lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie por teacutee agrave

17 Pour ecirctre complet citons encore Platon Lysias 206e ougrave le jeune Meacutenegravexegravene et ses amis habilleacutes festivement viennent de preacute sen ter des offrandes aux dieux et sont jus te ment en train de jouer aux deacutes avant que Socrate ne les inter pelle (le dia -logue por tant sur lrsquoami tieacute et lrsquoeacutedu ca tion) Platon Reacutepu blique I 328 ougrave le vieux Keacutephalos dont nous savons qursquoil a eacuteteacute inviteacute par Peacutericles agrave Athegravenes ougrave il fi nira sa vie 30 ans plus tard vient eacutega le ment de faire des offrandes dans la cour de sa mai son et ceint drsquoune cou ronne est assis sur un grand siegravege et explique aux inter lo -cuteurs du dia logue qursquoil se preacute pare agrave la mort mais nrsquoen a pas peur puis qursquoil a meneacute une vie cor recte et pieuse Platon Hippias Minor 363d ougrave le sophiste Hippias drsquoEacutelide est deacutecrit comme tenant des dis cours somp tueux agrave lrsquoocca sion de chaque fecircte olym pique devant le temple (de Zeus) et Platon Cratylos 401b-e ougrave Platon explique que les offrandes agrave Hestia doivent tou jours ecirctre faites en pre mier lieu en rai son de lrsquoeacutety mo logie drsquoHestia par οὐσία

18 Compa rer pour ce qui est des deacutefi ni tions de la pieacuteteacute et de la reli gion Joachim Klowski laquo Mythos und Logos in Platons Euthyphron raquo dans Anregung 33 1987 p 386-397 et Arno Schmidt laquo Euthyphron Sokratisches Erbe und der neue Weg des logos raquo dans Anregung 46 (2) 2000 p 83-91 Eacutevi dem ment Euthyphron est un dia logue de jeu nesse et pour rait donc refl eacute ter comme les autres dia logues de cette eacutepoque moins lrsquoavis de Platon lui- mecircme que celui de Socrate concer nant le culte et la reli gio siteacute

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Socrate par Meacuteleacutetos dont on apprend jus te ment au deacutebut du texte qursquoil vient de deacutepo ser son accu sa tion chez lrsquoArchon Poleacutemaios en prou vant au contraire la sin ceacute riteacute autant que le bien- fondeacute des sen ti ments reli gieux de Socrate Tan dis qursquoune appreacute cia tion sys -teacute ma tique de lrsquoargu men ta tion geacuteneacute rale du dia logue deacutepas se rait le cadre de cet exposeacute il est impor tant de sou li gner cer tains aspects des ten ta tives suc ces sives de Socrate pour eacuteta blir une deacutefi ni tion de la pieacuteteacute (ἡ ὁσιότης) Euthyphron lui- mecircme devin asserte dans un pre mier essai de deacutefi ni tion que la vraie pieacuteteacute consiste en lrsquoobeacuteis -sance aux lois des dieux et en la pour suite des impies dont les deux exemples prin ci paux sont le meurtre et le vol de biens des temples (Platon Euthyphron 5e) Si les deux pro chaines deacutefi ni tions refu -seacutees autant que la pre miegravere pour des rai sons de logique19 ne doivent pas nous concer ner ndash lrsquoune eacutetant que la pieacuteteacute consiste en ce que les dieux aiment lrsquoimpieacuteteacute ce qursquoils deacutetestent (Platon Euthyphron 9e) lrsquoautre que tout ce qui est pieux est aussi juste (Platon Euthyphron 11e) ndash la qua triegraveme pure ment empi rique meacuterite notre atten tion Socrate y pro pose que la pieacuteteacute soit la science de la priegravere et du sacri fi ce20 Un peu plus bas Socrate refor mule cette deacutefi ni tion car puisque la priegravere est une forme de demande et le sacri fi ce un cadeau (Platon Euthyphron 14d) la pieacuteteacute serait donc un commerce une ἐμπορικὴ avec les dieux plu tocirct qursquoune atti tude morale (Platon Euthyphron 14e) Se pose alors la ques tion de savoir si les sacri -fi ces que font les humains sont vrai ment utiles aux dieux ou srsquoils en appreacute cient seule ment le geste (Platon Euthyphron 15a-b) La der niegravere sup po si tion eacutetant la plus vrai sem blable la deacutefi ni tion de la pieacuteteacute se carac teacute ri serait donc agrave nou veau comme une action aimeacutee des dieux21 De maniegravere toute sem blable dans le Ban quet Platon laisse

19 Pour la struc ture logique de ces reacutefu ta tions voir Carla Carabba laquo I molti non sequitur dellrsquoEutifrone platonico raquo dans Sandalion 9 1982 p 91-95 qui sou -ligne de nom breuses entorses agrave la logique dont Socrate- Platon se rend cou pable pour reacutefu ter les thegraveses sou te nues par Euthyphron

20 Platon Euthyphron 14c Pour la deacutefi ni tion que sem blait avoir Platon de la priegravere cf Andreacute Motte laquo Deux expres sions du sen ti ment reli gieux dans la priegravere per son nelle en Gregravece II La priegravere du phi lo sophe chez Platon raquo dans Henri LimetJulien Ries (eacuted) Lrsquoexpeacute rience de la priegravere dans les grandes reli gions Actes du Col loque de Louvain- la-Neuve et Liegravege ( 22-23 novembre 1978) Louvain- la-Neuve 1980 p 173-204

21 Mais comme ceci avait eacuteteacute reacutefuteacute aupa ra vant le dia logue se ter mine en une apo rie comme de nom breux dia logues de jeu nesse de Platon mais une apo rie qui eacutemane moins de lrsquoincom peacute tence de Socrate que de lrsquoabsence drsquoune veacuteri table

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Eacuteryximaque reprendre impli ci te ment la deacutefi ni tion drsquoEuthryphon et deacutefi nir offrandes et divi na tion comme les deux seuls moyens qursquoont les humains drsquoentrer en contact avec les dieux de sau ve -gar der lrsquoamour entre humains et la pieacuteteacute envers les dieux (Platon Ban quet 188b-c) Le dis cours drsquoAristophane dans le Ban quet que lrsquoon connaicirct bien gracircce au mythe de creacutea tion de lrsquohomme et de la femme agrave par tir drsquoun Her ma phro dite22 reprend un autre eacuteleacute ment de lrsquoEuthyphron la moti vation prin ci pale de Zeus qui le porta plu tocirct agrave muti ler lrsquohomme aveu gleacute par lrsquoarro gance qursquoagrave le ter ras ser comme les Titans eacutema nait de sa volonteacute agrave srsquoassu rer aussi au futur hon neurs et offrandes (Platon Ban quet 190c)23

La mise en scegravene

Dans la mise en scegravene des œuvres de Platon24 le lieu du dia logue ou du moins le contexte geacuteneacute ral de lrsquoaction a sou vent un rap port indu bi table avec le culte reli gieux grec et meacuterite une atten tion par -ti cu liegravere puisque la mise en scegravene est indis so ciable du contenu du dia logue25 Dans le dia logue Ion le pro ta go niste du mecircme nom26 revient jus te ment drsquoEacutepidaure ougrave il a par ti cipeacute aux fecirctes don neacutees

eacutethique dans les convic tions du devin Euthyphron cf P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 82

22 Compa rer Jean Hani laquo Le mythe de lrsquoandro gyne dans le Ban quet de Platon raquo dans Euphrosyne 11 1981-82 p 89-101

23 Mecircme si Platon ne donne pas drsquoavis expli cite sur le contenu de ces deux dis cours nous savons que lrsquoordre des dis cours dans le Ban quet joue un rocircle cru -cial le dis cours jugeacute comme le trai te ment le plus appro fondi du thegraveme de la nature de lrsquoamour eacutetant le der nier celui de Socrate qui dit juste reprendre les termes de Diotimee precirc tresse agrave Mantineacuteia On serait donc tenteacute de voir dans les autres (dont le contenu nrsquoest cer tai ne ment pas abso lu ment contraire aux convic tions de Platon) de simples eacutetapes pro peacute deu tiques neacuteces saires pour atteindre le degreacute drsquoabs trac tion phi lo sophique de SocrateDiotime qui arrive agrave trans cen der la reli gio siteacute par la ratio na liteacute phi lo sophique qui seule per met trait drsquoacceacute der agrave la compreacute hen sion de la divi niteacute

24 Konrad Gaiser Protreptik und Paraumlnese bei Platon Untersuchungen zur Form des platonischen Dialogs Tuumlbingen 1959 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 164-181 cf Gasan C Gusejnov laquo Les per son nages de Platon Agrave la recherche du genre raquo dans BB Pietrovskij et al (eacuted) La civi li sa tion antique et la science moderne Moscou 1985 p 118-121 Marie- Laurence Desclos laquo La fonc tion des pro logues dans les Dia logues de Platon raquo dans Denis Vernant (eacuted) Du dia logue Grenoble 1992 p 15-29

25 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 17226 Cf sur le per son nage Allan H Gilbert (eacuted) Platorsquos Ion Comic and

Serious Studies in Honor of DWT Starnes Austin Univ of Texas 1967

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en lrsquohon neur drsquoAscleacutepios parmi les quelles fi gu rait un concours de rhap sodes dont Ion rem porta le pre mier prix27 Socrate invite Ion agrave par ti ci per aussi aux Pana theacute neacutees pour y obte nir un suc cegraves compa -rable La fonc tion de ces reacutefeacute rences dans le contexte geacuteneacute ral du dia logue nrsquoest pas dif fi cile agrave ana ly ser ces reacutefl exions donnent direc -te ment lrsquoagrave- propos agrave la dis cus sion qui suit et qui concerne prin ci pa -le ment la valeur de lrsquoart du rhap sode et la deacutemons tra tion qursquoIon se consi deacute rant comme speacute cia liste en la matiegravere est pour tant inapte agrave eacutemettre des juge ments phi lo sophiques sen seacutes sur le contenu des mythes qursquoil raconte28

Le dia logue Charmide œuvre de jeu nesse comme lrsquoIon a lieu dans la palestre de Taureacuteas en face du temple de la laquo Basilika raquo abreacute via tion cou rante pour le temple de Perseacutephone Basileacuteia29 Ici par contre crsquoest moins le temple de Perseacutephone que la palestre qui est signi fi ca tive pour le contenu du dia logue qui tourne prin ci pa le -ment autour des connais sances du jeune gar ccedilon Charmide

La des crip tion de la mise en scegravene du dia logue Phegravedre qui fait par tie des œuvres de matu riteacute du phi lo sophe peut ecirctre consi deacute reacutee comme le seul exemple de des crip tion poeacute tique de la nature chez Platon Socrate ren contre Phegravedre deacuteam bu lant le long des che mins qui megravenent agrave Athegravenes pour y cher cher un endroit ougrave lire un dis -cours de Lysias sur lrsquoamour et deacutecide de lrsquoaccom pa gner jus qursquoau fl euve Ilissos Apregraves srsquoecirctre rafraicirc chis les pieds dans lrsquoeau les deux inter lo cuteurs srsquoins tallent dans lrsquoombre drsquoun pla tane ougrave ils dis cutent drsquoabord de la tra di tion de lrsquoenlegrave ve ment drsquoOrithye celle- ci eacutetait la fi lle du roi atheacute nien Eacuterechtheacute et fut ravie par Boreacutee agrave mi- chemin entre cet endroit et le temple drsquoArteacutemis Agra30 De plus Socrate

27 Pl Ion 530a Compa rer Paul Bernard laquo Note eacutepidaurienne La data tion du temple drsquoAscleacutepios et lrsquoIon de Platon raquo dans Bul le tin de Cor res pon dance Hel leacute -nique 85 1962 p 400-402

28 Cf Egert Poehlmann laquo Enthusiasmus und Mimesis Zum platonischen Ion raquo dans Gymnasium 83 1976 p 191-208 Herbert Eisenberger laquo Sokratesrsquo Absichten im Ion raquo dans Christoff Neumeister (eacuted) Antike Texte in Forschung und Schule Festschrift fuumlr Willibald Heilmann zum 65 Geburtstag FrankfurtMain 1993 p 71-98

29 La palestre de Taureacuteas nrsquoa pas encore eacuteteacute loca li seacutee la laquo Basilika raquo se trouve au sud de lrsquoAcro pole non loin du mur drsquoenceinte de la ville (Platon Charmide 153a)

30 Terme qui srsquoapplique soit agrave un sur nom de la deacuteesse soit au degraveme Agrai ougrave se serait trouveacute ce sanc tuaire La loca li sa tion exacte du lieu de lrsquoenlegrave ve ment se situe rait agrave envi ron 2 ou 3 stades du pla tane et serait mar queacutee par un autel au dieu du vent du Nord (Platon Phegravedre 229a-c) mais Platon cite aussi lrsquoAreacuteo page comme

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deacutecrit qursquoil a lrsquoimpres sion drsquoaper ce voir non loin de leur lieu de repos quelques sta tues qui lais se raient sup po ser lrsquoexis tence drsquoun sanc tuaire de quelques nymphes et du dieu du fl euve Acheacuteloos (Platon Phegravedre 230b-c) le fi ls drsquoOceacutean et de Teacutethys le pegravere des Siregravenes La rai son de cette mise en scegravene est plus dif fi cile agrave ana ly -ser Socrate pro fesse drsquoabord ndash en contraste eacutecla tant avec sa des -crip tion buco lique de lrsquoendroit agrave laquelle il donne ainsi un accent drsquoiro nie ndash drsquoecirctre tout agrave fait deacutes in teacute resseacute par la nature et de nrsquoecirctre attireacute que par les villes car crsquoest lagrave qursquoil trouve les humains gracircce aux quels il peut conti nuer agrave apprendre (Platon Phegravedre 230d-e) Cepen dant suite agrave la dis cus sion sur la valeur de la rheacute to rique et la deacutefi ni tion de lrsquoamour31 Socrate srsquoemporte rapi de ment et livre tout un dis cours ins pireacute et mythologisant sur le des tin de lrsquoacircme humaine contras tant avec ses reacutefl exions objec tives et son rai son ne ment froid sur lrsquoart de la rheacute to rique Nous pou vons donc sup po ser que le cadre du dia logue ait eacuteteacute expres seacute ment choisi pour illus trer agrave la fois le pen -chant ration nel de Socrate contras tant avec le pai sible sanc tuaire des nymphes et son retour agrave la poeacute sie divine ins pireacute par la speacute cu -la tion phi lo sophique illus trant ainsi le che mi ne ment du phi lo sophe qui se deacutetourne des ten ta tions de la nature pour culti ver la pen seacutee logique qui le ramegravene de nou veau aux veacuteri teacutes natu relles32

Le Parmeacutenide assu reacute ment lrsquoun des dia logues tar difs de Platon se joue agrave Athegravenes lors des fecirctes panatheacuteennes et per met ainsi la mise en scegravene drsquoune ren contre fi c tive entre trois geacuteneacute ra tions de phi -lo sophes Parmeacutenide Zeacutenon et Socrate (Platon Parmeacutenide 127a) Il semble qursquoen dehors de cette fonc tion pure ment prag ma tique la men tion des Pana theacute neacutees ne puisse ecirctre inter preacute teacutee comme sym -

lieu pos sible (Platon Phegravedre 229c) Par rap port agrave la reli gion dans le Phegravedre cf les remarques de G Arabatzis laquo Enkalypsamenos raquo [n 1]

31 Cf Hubert Kesters laquo De ware redekunst volgens Platoonsrsquo Phaidros raquo dans Tijdschrift voor phi lo sophie 25 1963 p 651-687 et 36 1964 p 33-67 L Rossetti (eacuted) Understanding the Phaedrus Proceedings of the II Sym po sium Platonicum Sankt Augustin 1992 Jens Halfwassen laquo Bemerkungen zum Ursprung der Lehre vom Seelenwagen raquo dans Jahrbuch fuumlr Religionswissenschaft und Theologie der Religionen 2 1994 p 114-128 Gustav A Seeck laquo Schlechte und gute Liebe in Platons Phaidros raquo dans Wuumlrzburger Jahrbuumlcher 22 1998 p 101-121

32 Cette rela tion entre phi lo sophie et theacuteo logie se retrouve drsquoailleurs aussi dans la priegravere fi nale du Phegravedre ougrave Socrate prie les dieux de reacutecom pen ser les efforts du phi lo sophe par la sagesse Lrsquoon trou vera une ana lyse appro fon die de cette priegravere chez Konrad Haiser laquo Das Gold der Weisheit Zum Gebet des Philosophen am Schluss des Phaidros raquo dans Rheinisches Museum 132 1989 p 105-140

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bole preacute cis du contenu du dia logue dis cus sion pure ment for melle sur lrsquouniteacute et la mul ti pli citeacute qui nous livre peut- ecirctre lrsquoessence de la doc trine eacuteso teacute rique de Platon33 mais dont lrsquoana lyse deacutepas se rait lar -ge ment le cadre de la preacute sente recherche por tant uni que ment sur la place du culte grec tra di tion nel dans lrsquoœuvre de Platon

Le deacutebut de la Reacutepu blique est eacutega le ment carac teacute riseacute par une reacutefeacute -rence au culte deux des pro ta go nistes reviennent de la pre miegravere ceacuteleacute bra tion offi cielle drsquoune fecircte en lrsquohon neur de Bendis une divi -niteacute thrace nou vel le ment impor teacutee34 Platon deacutecrit ici les deux per -son nages des cen dus au Pireacutee ndash ougrave arri vait en bateau comme nous pou vons le sup po ser lrsquoimage de la deacuteesse ndash moti veacutes par deux rai -sons drsquoune part pour prier tout comme les autres spec ta teurs mais aussi drsquoautre part pour assou vir leur curio siteacute face agrave la pompe exteacute rieure des deux pro ces sions dont celle des Thraces est deacutecrite comme aussi impres sion nante que celle des Atheacuteniens Un peu plus tard nous appre nons aussi que les fes ti vi teacutes seront clocirc tu reacutees le soir par une pro ces sion eacutequestre ndash nou veauteacute reli gieuse comme le sou -ligne Platon ndash et des fecirctes noc turnes (Platon Reacutepu blique I 328a) Le cli mat de fes ti viteacute solen nelle qui implique lrsquoacti viteacute reli gieuse de la ville complegravete forme un cadre excellent pour la dis cus sion sur la nature de la jus tice et la deacutefaite intel lec tuelle de la posi tion des sophistes telle qursquoelle est sym bo li seacutee par les argu ments de Thrasymaque35 Il est eacutega le ment inteacute res sant de noter que Socrate mecircme srsquoil par ti cipe aux fes ti vi teacutes exprime son peu drsquoenvie drsquoy

33 Il est neacutean moins juste de sou li gner que laquo les Pana theacute neacutees refl egravetent lrsquouniteacute poli tique des citoyens atheacuteniens et lrsquoeacuteclat de leur citeacute Ren contre des geacuteneacute ra tions [hellip] dis cus sions entre phi lo sophes atheacuteniens et eacutetran gers concours divers [hellip] la citeacute ceacutelegravebre dans une effer ves cence poli tique reli gieuse et intel lec tuelle la deacuteesse qui la pro tegravege et patronne les mul tiples aspects de la vie en socieacuteteacute raquo (Catherine Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo dans Kernos 6 1993 p 225-243 p 241)

34 Elle eacutetait fecircteacutee annuel le ment le 19e20e Thargeacutelion (Platon Reacutepu blique I 327a donc deacutebut juin) Son intro duc tion offi cielle (pro ba ble ment en 430) qui avait semble- t-il des rai sons plu tocirct poli tiques que reli gieuses consti tuait une nou -veauteacute dans le sys tegraveme reli gieux clas sique drsquoAthegravenes cf J Jr Best laquo Bendis raquo dans Hermeneus 35 1964 p 122-128 Di miter Dopov laquo Essence ori gine et pro -pa ga tion du culte de la deacuteesse thrace Bendis raquo dans Dia logue drsquohis toire ancienne 2 1976 p 289-303 Claudia Montepaone laquo Bendis tracia and Atene lrsquointegrazione del nuovo attraverso forme dellrsquoideologia raquo dans A ION (Archeol) 12 1990 p 103-121

35 P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 47 par contre inter pregravete le cadre de maniegravere tout agrave fait dif feacute rente et y voit une allu sion agrave ce que la reli gio siteacute serait acces sible agrave tout le monde mais la theacuteo logie phi lo sophique aux seuls intel lec tuels cagraved sui vant le point de vue grec aux peuples hel leacute ni seacutes

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retour ner le soir seule la pro messe drsquoy deacutecou vrir des inter lo cuteurs poten tiels arrive agrave le faire fl eacute chir36

Dans le Timeacutee qui est la suite directe de la Reacutepu blique et commence avec une reacuteca pi tu la tion assez som maire des ideacutees de ce dia logue37 le cadre reli gieux de la Reacutepu blique est deacuteformeacute de faccedilon assez remar quable puisque la dis cus sion nrsquoa pas lieu le len de main de la fecircte pour Bendis mais lors des Pana theacute neacutees ceacuteleacute breacutees le 28e Heacutekatombaion (Platon Timeacutee 26e) La solen niteacute de la fecircte y est mise expres seacute ment en rela tion avec le thegraveme du dia logue la creacutea tion mys tique et la nature mateacute rielle du monde comme par ti cu liegrave re ment seyante agrave des speacute cu la tions aussi pro fondes (Platon Timeacutee 26e) De plus Critias le jeune qui relate le mythe de lrsquoAtlantide agrave Socrate y explique qursquoil a lui- mecircme appris cette tra di tion par Critias lrsquoancien lors de la ceacuteleacute bra tion des Apatouries38

Notons fi na le ment que mecircme les Lois dia logue inacheveacute et lourd peu compa rable avec la viva citeacute des œuvres de jeu nesse ont un cadre reli gieux le pre mier mot en est deacutejagrave laquo Dieu raquo et le sceacute -na rio ouvre sur une speacute cu la tion sur lrsquoori gine divine des lois des Laceacute deacute mo niens et des Creacute tois pro ve nant res pec ti ve ment drsquoApol -

36 Platon Reacutepu blique I 328a La suite de la dis cus sion qui concer nera la deacutefi ni tion de la jus tice agrave tra vers une deacutefi ni tion de lrsquoEacutetat ideacuteal peut eacutega le ment ecirctre inter preacute teacutee comme eacutetant en rap port eacutetroit avec la des crip tion des fes ti vi teacutes reli -gieuses de la citeacute atheacute nienne mais il ne faut pas oublier que le pre mier livre de la Reacutepu blique a pro ba ble ment preacute ceacutedeacute les livres sui vants de nom breuses anneacutees Nous ne savons donc pas preacute ci seacute ment si la fecircte deacutedieacutee agrave Bendis a eacuteteacute ajou teacutee plus tard au pro logue du pre mier livre en fonc tion de lrsquoeacuteco no mie glo bale de la Reacutepu -blique ou au contraire nrsquoa eacuteteacute des ti neacutee qursquoagrave intro duire le pre mier livre et nrsquoa donc qursquoun rap port acci den tel avec les livres II agrave X Alors que Pierre Javet laquo Ceacutephale et Platon sur le seuil de la vieillesse Reacutefl exions sur le pro logue de la Reacutepu blique raquo dans Revue Phi lo sophique de la France et de lrsquoeacutetran ger 1982 p 241-247 affi rme que la ren contre de Socrate avec Poleacute marque et sa dis cus sion avec Ceacutephale ont eacuteteacute compo seacutees en fonc tion de lrsquoensemble de la Reacutepu blique P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 46 sou tient la thegravese du rap port acci den tel en fai sant remar quer que ce dia logue devenu eacutenorme deacutebute seule ment dans la soi reacutee et ne peut donc fi nir rai son na ble ment quelques heures plus tard ndash un pro blegraveme que Platon aurait cer tai -ne ment eacuteviteacute srsquoil avait voulu degraves le deacutebut eacutecrire une œuvre tel le ment gigan tesque (et ce nrsquoest pas un hasard si les Lois eux deacutebutent le matin en rai son de la lon gueur impres sion nante de lrsquoœuvre)

37 Compa rer p ex Christopher J Rowe laquo Why is the Ideal Athens of the Timaeus- Critias not Ruled by Philosophers raquo dans Meacutethexis 10 1997 p 51-57

38 Celles- ci ougrave les jeunes hommes eacutetaient ins crits dans leur phra trie (Platon Timeacutee 21b) eacutetaient eacutega le ment preacute si deacutees par Atheacutena et Zeus et duraient trois jours

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lon pythique et de Zeus39 Plus tard nous appre nons que les inter lo -cuteurs se trouvent en Cregravete et sont sur le che min de Cnossos vers la grotte sacreacutee de Zeus40

Nous voyons donc que le choix de lrsquoeacuteleacute ment reli gieux tra di tion -nel nrsquoest pas acci den tel dans la mise en scegravene des dia logues de Platon et que au contraire la men tion des cultes a dans la plu part des cas un rap port phi lo sophique direct avec le thegraveme du dia logue qui srsquoen suit Crsquoest donc la reli gio siteacute tra di tion nelle qui oserions- nous dire ins pire sa propre trans cen dance par la dis cus sion meacuteta -phy sique et est eacutevo queacutee impli ci te ment comme base neacuteces saire agrave toute aven ture intel lec tuelle

La precirc trise comme pro fes sion

Un autre thegraveme reacutecur rent chez Platon est celui de la compeacute tence pro fes sion nelle des dif feacute rents precirctres Nous connais sons tous les exemples nom breux ougrave le phi lo sophe parle des timo niers des menui -siers et des meacutede cins mais il est eacuteton nant de voir que la men tion du devin (μάντις) comme exemple drsquoun meacutetier parmi drsquoautres est assez cou rante chez Platon41 Notons ici que Platon mecircme srsquoil parle en regravegle geacuteneacute rale des devins sans en speacute ci fi er en deacutetail les fonc tions theacuteo lo giques ou meacutethodes pro fes sion nelles leur attri bue (en theacuteo rie au moins) une vraie laquo connais sance du futur raquo (Platon Charmide 173c ἐπιστήμην τοῦ μέλλοντος) et les rap proche en fai sant eacutegard agrave leur ins pi ra tion commune par le souffl e divin des rhap sodes des chan teurs drsquooracles (Platon Ion 534c Apo logie 22c) et mecircme des poli ti ciens (Platon Meacute non 98c-d) De faccedilon sem blable dans le Poli -tique Platon les carac teacute rise comme tra duc teurs et voix des dieux (Platon Poli tique 290c) tan dis que les precirctres sont deacutefi nis comme ceux qui srsquooccupent drsquoorga ni ser le contact des humains avec les

39 Platon Lois I 624a-625a cf aussi 632d40 Platon Lois I 625a-b Lrsquoon peut soit lrsquoiden ti fi er comme le sanc tuaire

de la grotte dicteacuteenne ndash lrsquoopi nion geacuteneacute ra le ment admise cf commen taire Klaus Schoumlpsdau (eacuted trad et comm) Platon Gesetze Buch I- IV Darmstadt 21990 ndash ou celui du Mont Ida cf Glenn R Morrow Platorsquos Cretan City a Historical Interpretation of the Laws Princeton 1962 p 27ndash28 Par rap port agrave la signi fi ca tion reli gieuse de la Cregravete cf Jesuacutes Lens Tuero laquo La mitifi cacioacuten de Creta en la cultura griega del siglo IV raquo dans Actas del VIII congreso espantildeol de estudios claacutesicos (Madrid 23-28 de septiembre de 1991) t 3 Madrid 1994 p 219-222

41 Voir en dehors de lrsquoEuthyphron dont le pro ta go niste homo nyme est qua -li fi eacute de devin Platon Ion 531b Charmide 173c

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dieux par les sacri fi ces et les priegraveres (Platon Poli tique 290c-d) ayant annexeacute en ceci les attri bu tions des anciens rois42 Ce juge ment en somme posi tif pour rait ecirctre impu table au fait que Platon voyait beau coup de res sem blances entre le devin et le phi lo sophe43 Neacutean -moins il ne place les devins et precirctres qursquoau cin quiegraveme rang des formes de vie du Phegravedre (Platon Phegravedre 248d) et insiste sur le fait qursquoil ne veut par ler que des devins laquo seacuterieux raquo (τοὺς δὲ ὡςἀληθῶς μάντεις) qursquoil met en contraste avec les beaux- parleurs (τοὺς μὲν ἀλαζόνας) qui man que raient de σωφροσύνη (Platon Charmide 173c) Nous trou vons un exemple de ces devins laquo non seacuterieux raquo dans la Reacutepu blique Platon y deacutecrit par la bouche drsquoAdeacutemante que les char la tans et les devins (ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις) pro mettent aux riches de rache ter contre paye ment leurs fautes morales par des sacri fi ces et des for mules magiques et assurent mecircme pou voir infl u en cer les dieux par des incan ta tions magiques44 agrave faire du tort aux autres humains bons ou mau vais (Platon Reacutepu blique II 364b-365a) En ceci ils srsquoappuyeraient sur Hom egravere qui qua li fi ait deacutejagrave les dieux drsquoinfl u en ccedilables par des pro messes et des offrandes (Hom -egravere Iliade IX 497-501) et sur les eacutecrits mys tiques de Museacutee et drsquoOrpheacutee45 Ceux- ci auraient ensei gneacute que des hommes et mecircme

42 Platon prouve ce rai son ne ment en nom mant lrsquoArchon Basileacuteios drsquoAthegravenes res pon sable des offrandes les plus archaiumlques et veacuteneacute rables et cite aussi lrsquoini tiation obli ga toire des pha raons drsquoEacutegypte agrave lrsquoart des precirctres (Platon Poli tique 290e)

43 Cf Richard Bodeacuteuumls laquo ldquoJe suis devinrdquo (Phegravedre 242c) Remarques sur la phi lo sophie selon Platon raquo dans Kernos 3 1990 p 45-52 p 49 laquo La contem pla -tion phi lo sophique en effet nrsquoest pas sans ana logie avec la vision divi na toire [hellip] De mecircme que le devin voit sans lrsquointel li gence des signi fi ants le phi lo sophe voit par lrsquointel li gence des signi fi eacutes Crsquoest un vision naire dans lrsquoordre de lrsquointel li -gible raquo

44 Voir aussi Carlo A Viano laquo Retorica magia e natura in Platone raquo dans Rivista di Filosofi a 56 1965 p 411-453 qui sou ligne que Platon dans le livre X des Lois et dans le Phegravedre met la magie et la rheacute to rique sur le mecircme plan puis qursquoelles exercent toutes les deux une action psy cho lo gique sur lrsquoacircme et que lrsquohomme lui- mecircme est sujet agrave la rheacute to rique et agrave la magie en tant que par tie de la nature

45 Au sujet de la rela tion de Platon aux orphiques cf Paul Boyanceacute Le Culte des Muses chez les phi lo sophes grecs Paris 1937 p 21ndash24 le mecircme laquo Platon et les Cathartes orphiques raquo dans Revue des eacutetudes grecques 55 1942 p 217-235 Philippe Borgeaud (eacuted) Orphisme et Orpheacutee en lrsquohon neur de Jean Rudhardt Genegraveve 1991 Leacuteonid Zhmud laquo Orphism and grafi tti from Olbia raquo dans Hermes 120 1992 p 159-168 (confi r mant Platon Cratylos 400c) Alberto Bernabeacute laquo Una etimologiacutea platoacutenica soma- sema raquo dans Philologus 139 1995 p 204-237 Giovanni Casadio laquo El mito del laquo Poliacutetico raquo (268 D-274 E) y la his to ria de las religiones raquo dans Emerita 64 1996 p 65-77 Les frag ments orphiques conser veacutes

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 563

des citeacutes entiegraveres pou vaient rache ter leurs fautes preacute sentes et pas seacutees par des sacri fi ces et des jeux (διὰ θνσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν)46 Mecircme si Platon consi degravere geacuteneacute ra le ment les astres comme des divi ni -teacutes47 il explique dans le Timeacutee que les pheacute no megravenes astro no miques ne doivent pas ecirctre pris pour des preacute sages mais srsquoexpliquent par des rai sons pure ment matheacutema tiques (Platon Timeacutee 40c-d) ce qui peut ecirctre inter preacuteteacute comme une cri tique de la man tique astro lo gique Dans les Lois il deacutecrit que beau coup de magi ciens et de devins seraient mecircme en reacutea liteacute des a theacuteistes sou cieux de pro fi ter de la creacute du liteacute de leurs conci toyens (Platon Lois X 908d)48

chez Platon peuvent ecirctre consul teacutes main te nant dans Alberto Bernabeacute Poetae epici Graeci Testimonia et frag menta Pars II Fasc 1-2 Orphicorum et Orphicis similium frag menta MuumlnchenLeipzig 2004-2005

46 Un preacute jugeacute pla to ni cien qui reacutefl egravete le peu drsquoestime qursquoavaient les intel lec -tuels contem po rains pour la char la ta ne rie issue des speacute cu la tions gran dioses de lrsquoorphisme (pour tant extrecirc me ment popu laires agrave lrsquoeacutepoque cf Martin P Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion t1 Bis zur Weltherrschaft Muumlnchen 1941 p 684 et 800) et qui semble sur tout issue du pytha go risme (Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore de Gregravece en Palestine Paris 1927 p 81ndash82) Pour lrsquoinfl u ence de Pythagore sur Platon compa rer aussi Erich Frank Plato und die so genannten Pythagoreer Halle 1923 Pierre Boyanceacute laquo Lrsquoinfl u ence pytha go ri -cienne sur Platon raquo dans Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia Naples 1966 p 73-113 Bartel Leendert Van Der Waerden laquo Platon et les sciences exactes des Pytha go ri ciens raquo dans Bul le tin de la Socieacuteteacute Matheacutema tique de Belgique 21 1969 p 120-122 Maria Tortorelli Ghidini et al (eacuted) Tra Orfeo e Pitagora origini e incontri di culture nellrsquoantichitagrave atti dei seminari napoletani 1996-1998 Naples 2000 Leacuteonid Zhmud laquo Uumlberlegungen zur pythagoreischen Frage raquo dans Georg Rechenauer (eacuted) Fruumlhgriechisches Denken Goumlttingen 2005 p 135-151 David En gels laquo Geometrie und Phi lo sophie Zur Visualisierung metaphysischer Konzepte durch raumlumliche Darstellungen in der pythagoreischen Phi lo sophie raquo dans D GroszligS Westermann (eacuted) Vom Bild zur Erkenntnis Visualisierungskonzepte in den Wissenschaften Kassel 2007 p 113ndash129

47 Platon Timeacutee 401ndash402 Lois VII 821bndashc Voir agrave ce sujet p ex Hans Herter laquo Gott und die Welt bei Platon raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 158 1958 p 106-117 GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 399ndash402 et 445ndash448

48 En ce qui concerne lrsquoart divi na toire sou li gnons ici encore que Platon dans le Lachegraves laisse Socrate affi r mer que chaque pro fes sion confegravere agrave celui qui lrsquoexerce cor rec te ment une auto riteacute de speacute cia liste dans son domaine Ceci le conduit agrave demander agrave son inter lo cuteur un mili taire srsquoil est donc deacutecideacute en cas de guerre agrave faire plu tocirct confi ance agrave ses propres avis stra teacute giques qursquoaux conseils des devins que lrsquoon ne sau rait dif fi ci le ment regar der comme des auto ri teacutes compeacute tentes en matiegravere miliaire ce agrave quoi le stra tegravege atheacute nien acquiesce (Platon Lachegraves 199a) Si lrsquoon pense que ce stra tegravege nrsquoest autre que Nicias le poli ti cien atheacute nien qui notam -ment parce qursquoil avait accordeacute foi agrave des devins et des oracles dans ses deacuteci sions mili taires connaicirct en 413 une fi n tra gique en Sicile (ougrave il avait assieacutegeacute en vain la ville de Syracuse et ougrave il fut fait pri son nier par les habi tants qui le condam negraverent agrave mort) lrsquoendroit ne manque pas de piment et laisse per ce voir lrsquoiro nie de Platon qui

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La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

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Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

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la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

570 DAVID ENGELS

seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 571

pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

572 DAVID ENGELS

comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 573

de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

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pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

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nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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oracle que la Pythie aurait livreacute agrave Chaireacutephon selon lequel il nrsquoy avait point drsquohomme plus sage que Socrate (Platon Apo logie 21a) Platon nous deacutecrit Socrate comme pre nant tregraves au seacuterieux cet oracle et essayant de le contre dire ndash vai ne ment comme il lrsquoatteste non sans une cer taine satis faction Cette assis tance divine au pro jet phi -lo sophique de Socrate serait deacutejagrave suf fi sante pour nous per mettre de comprendre sa rete nue agrave lrsquoeacutegard de la divi na tion grecque et de sa croyance en lrsquoins pi ra tion par son deacutemon per son nel et en des recircves divi na toires (p ex Platon Apo logie 33c) Il ne serait cer tai ne ment pas hasar deux drsquoen deacuteduire eacutega le ment lrsquoexpli ca tion de la veacuteri table veacuteneacute ra tion que lrsquooracle drsquoApol lon semble avoir ins pi reacutee agrave son eacutelegraveve Platon (qui lui garda appa rem ment une grande estime pour la reconnais sance de la sagesse de son maicirctre) si nous pou vions ecirctre sucircrs de lrsquohis to ri citeacute de lrsquooracle Mais face au silence des sources et agrave celui de Socrate lui- mecircme pen dant de nom breuses anneacutees jus -qursquoagrave son pro cegraves cette his to ri citeacute semble bien dou teuse8 Si nous pas sons sur le recircve divi na toire du Pheacutedon ougrave Socrate empri sonneacute

logiques et de deacutefi ni tions seacuteman tiques agrave double sens Il nrsquoest pas sans inteacute recirct de remar quer qursquoun de ces jeux logiques consiste en la deacutefi ni tion de la pro prieacuteteacute et de la nature des ecirctres vivants Socrate avait acquiesceacute que tout ecirctre qui avait une acircme pou vait ecirctre compteacute parmi les ani maux et que la pos ses sion qursquoil exer -ccedilait lui- mecircme sur ces ani maux eacutetait deacutefi nie par la faculteacute de deacuteci der de leur sort Euthydeacutemos deacutemontre main te nant que Socrate puis qursquoil pro fesse drsquoecirctre reli gieux et donc drsquolaquo avoir raquo des dieux comme Zeus Atheacutena et Apol lon doit ecirctre drsquoaccord de conceacute der que ces dieux ayant une acircme sont des ani maux et puis qursquoil les laquo a raquo qursquoil a le pou voir de les vendre offrir ou eacutegor ger

8 Ceci a meneacute agrave croire agrave une inven tion for geacutee de toutes piegraveces par Platon qui aurait opposeacute dans ses dia logues socra tiques un Socrate mythique et aimeacute drsquoApol -lon agrave lrsquohomme reacuteel pro vo ca teur et condamneacute pour aseacutebie cf Mario Montuori Socrates Physiology of a Myth Amsterdam 1981 speacutec p 140 le mecircme laquo The Oracle Given to Chaerephon on the Wisdom of Socrates An Inven tion by Plato raquo dans Kernos 3 1990 p 251-259 (contre cette hypo thegravese cf Eacute mile De Strycker laquo The Oracle Given to Chaerephon about Socrates (Plato Apology 20e-21a) raquo dans Jaap MansfeldLambertus M de Rijk (eacuted) Kephalaion Studies in Greek Philosophy and its Conti nuation Offered to Prof CJ de Vogel Assen 1975 p 39-49 p 40) Mais drsquoun autre cocircteacute nous savons par Xeacutenophon que Socrate vieillis -sant serait alleacute jus qursquoagrave condam ner les speacute cu la tions sur la nature comme impieacute teacutes (Xeacutenophon Meacutemo rables I 1 7-8) ce qui ne semble pas impro bable Louis GernetAndreacute Bou lan ger Le geacutenie grec dans la reli gion Paris 1970 p 318 parlent drsquoune laquo reli gio siteacute trou blante rare sans doute en son temps qui reste grecque neacutean moins par une cer taine fi deacute liteacute agrave la reli gion civique et par la seacutereacute niteacute drsquoun opti misme sans fadeur et sans mol lesse raquo Pour lrsquoatti tude de Socrate et de Platon face agrave la divi na tion compa rer aussi David En gels Das roumlmische Vorzeichenwesen ( 753-27 v Chr) Quellen Ter mi no logie Kommentar historische Entwicklung Stuttgart 2007 p 759ndash762

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explique qursquoil aurait sou vent recircveacute qursquoon lui ordon nait de faire de la musique ce qui lui fi t trans crire en poegravemes les fables drsquoEacutesope9 et compo ser un chant en lrsquohon neur drsquoApol lon10 nous avons sur tout agrave nous sou ve nir des fameux der niers mots de Socrate ougrave il conjure Criton drsquooffrir agrave Ascleacutepios un coq que lui- mecircme et Criton devaient au dieu (Platon Pheacutedon 118a) Ces quelques mots ont fait cou ler beau coup drsquoencre La pre miegravere et la plus simple des hypo thegraveses est qursquoil srsquoagit ici drsquoune phrase eacutenon ceacutee dans le deacutelire ou srsquoappli -quant effec ti ve ment agrave une vieille dette cultuelle vis- agrave-vis du dieu et fi degrave le ment rap por teacutee par Platon qui nrsquoaurait voulu que sou li gner lrsquoadheacute sion de son maicirctre (accuseacute pour atheacuteisme) au culte eacuteta bli hypo thegravese sup por teacutee par Wilamowitz11 qui tolegravere tout au plus un remer ciement de Socrate pour la mort agreacuteable et sans trop de dou leur qursquoil subis sait12 et attaque de faccedilon viru lente tous ceux qui cherchent agrave y trou ver un sens sym bo lique mys tique Ce refus drsquointer preacute ta tion sym bo lique eacuteton nant de la part du grand savant est en par tie compreacute hen sible si lrsquoon se sou vient que crsquoest avant tout Nietzsche ndash que Wilamowitz avait deacutejagrave vio lem ment atta queacute

9 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 85 nrsquoy voit pas drsquoiro nie au contraire

10 Platon Pheacutedon 60d-61b Sa fecircte reli gieuse dif feacute rait lrsquoexeacute cu tion du phi lo -sophe (Platon Pheacutedon 58a-c) car la cou tume vou lait qursquoon envoie annuel le ment un bateau (reacuteputeacute ecirctre le bateau de Theacuteseacutee agrave Deacutelos) pour y remer cier le Dieu pour lrsquoaide qursquoil apporta aux vic times du Minotaure Entre le deacutepart et le retour du bateau lrsquoEacutetat atheacute nien se devait de res ter rituel le ment pur en dif feacute rant toutes les peines capi tales mais puisque la fecircte eacutetait ceacuteleacute breacutee tra di tion nel le ment au deacutebut du prin temps lrsquoabsence du bateau se pro lon geait sou vent agrave cause du temps peu pro pice agrave la navi ga tion Puisque le precirctre drsquoApol lon (le ἱερεὺς τοῦ rsquoΑπόλλωνος) venait jus te ment drsquoorner par une cou ronne le bateau precirct au deacutepart le jour du pro -cegraves de Socrate celui- ci devait donc attendre le retour du navire Compa rer aussi Chieko Shinozuka laquo Theseusrsquo Ship raquo dans Mediterraneus 19 1996 p 37-64

11 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 135 laquo In dieses Wort ist alles Moumlgliche hineingeheimniszligt statt die einfache Wahrheit hinzunehmen daszlig Sokrates bis zu zuletzt daran denkt ob er seine Rechnung in diesem Leben ganz menschlich bereinigt hat Dabei faumlllt ihm ein daszlig fuumlr irgendein Geluumlbde an den Heilgott der erst vor zwanzig Jahren in Athen einen Kult erhalten hatte noch das uumlbliche Opfer ausstand Er selbst wird den Zauberdienst nicht in Anspruch genommen haben a ber er hatte Weib und Kin der Charakteristisch ist worauf seine letzten Gedanken gerichtet sind das Spezielle daran ist ganz ohne Belang raquo

12 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 57ndash58 en se fon dant sur Johan L Heiberg Sokrates sidste ord dans Oversigt over det kgl danske videnskabernes selskabs forhandlinger 1902 p 105-16 p 106

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pour sa Geburt der Tragoumldie13 ndash qui pro po sait lrsquoexpli ca tion alter -na tive la plus popu laire Ascleacutepios eacutetant le dieu de la gueacute ri son qui fai sait jouer ses pou voirs pen dant le som meil des malades une offrande devait ecirctre en quelque rela tion avec une mala die dont souf -frait le phi lo sophe mais de laquelle il aurait gueacuteri si bien que le dieu meacuteri te rait sa reacutecom pense En pous sant la speacute cu la tion et en cher chant agrave deacutefi nir cette mala die Nietzsche conclut que crsquoest de sa vie elle- mecircme que le phi lo sophe se consi deacutera deacutesor mais gueacuteri et que la mort lui eacutetait eacutequi va lente au reacuteveil dans un monde meilleur apregraves le long som meil de mala die que serait la vie dans le monde mateacute riel speacute cu la tion drsquoautant plus pro bable que le coq est jus te -ment le sym bole par excel lence de la renais sance apregraves la mort14 Des recherches dans le cadre des cultes des dif feacute rents degravemes de la ville ont per mis reacutecem ment une troi siegraveme inter preacute ta tion le plu riel qursquouti lise Socrate en par lant de laquo notre raquo dette srsquoexpli que rait du fait qursquoil appar te nait tout comme Criton agrave qui il srsquoadresse au degraveme drsquoAlogravepeacutekeacute Le calen drier de cette commune pour rait avoir preacutevu pour la date du 8e Elapheacutebolion ndash donc quelques jours apregraves la mort de Socrate ndash en preacute lude aux Grandes Dionysies le sacri fi ce drsquoun coq comme offrande agrave Ascleacutepios pour les membres de ce degraveme15

PLATON

Il est eacutevi dem ment impos sible de nous pen cher sur lrsquoensemble des remarques rela tives16 agrave la reli gion dans lrsquoœuvre de Platon dans

13 Cf Karlfried Gruumlnder (eacuted) Streit um Nietzsches laquo Geburt der Tragoumldie raquo Die Schriften von E Rohde R Wagner U v Wilamowitz- Moellendorf Hilde-sheim 1969

14 Friedrich Nietzsche Die froumlhliche Wissenschaft (1887) dans G Col liM Montinari (eacuted) Friedrich Nietzsche Saumlmtliche Werke Kritische Studienaus-gabe in 15 Baumlnden t 3 Muumlnchen 1980 p 343-652 A ph 340 p 569 laquo Dieses laumlcherliche und furchtbare letzte Wortrsquo heisst fuumlr Den der Ohren hat sbquoOh Kriton das Leben ist eine Krankheit rsquo raquo Voir eacutega le ment John L Carafi des laquo The Last Words of Socrates raquo dans Platon 23 1971 p 229-232 qui inter pregravete les der niegraveres paroles de Socrate agrave la lumiegravere des doc trines orphico- pythagoriciennes de puri fi -ca tion et drsquoimmor ta liteacute de lrsquoacircme et qui remer cie donc Ascleacutepios de gueacute rir de la mala die de la vie Pour le sym bo lisme du coq cf Pierre Trotignon laquo Sur la mort de Socrate raquo dans Revue de Meacuteta phy sique et de Morale 81 1976 p 1-10

15 Jules Labarbe laquo Der niegraveres paroles drsquoanciens Grecs der niegraveres paroles de Socrate raquo dans Bul le tin de la Classe de lettres de lrsquoAca deacute mie royale de Belgique 6 s 1 1990 p 189-222

16 A Lefka laquo Le regard ration nel raquo [n 1] p 125 compte 76 men tions de divi ni teacutes agrave 1182 reprises dans les œuvres de Platon

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le cadre de cet exposeacute Nous nous bor ne rons donc agrave dis tin guer plu sieurs thegravemes prin ci paux qui carac teacute risent lrsquoatti tude du phi lo -sophe17 Le pre mier eacuteleacute ment inteacute res sant est lrsquoana lyse des remarques geacuteneacute rales concer nant la pieacuteteacute et la reli gio siteacute le deuxiegraveme les eacuteleacute -ments reli gieux dans les sceacute na rios des dia logues le troi siegraveme le juge ment de lrsquooffi ce cultuel en tant que pro fes sion et les qua triegraveme et cin quiegraveme le rocircle qursquooccupent la reli gion et le culte dans les deux grands dia logues que sont la Reacutepu blique et les Lois

Remarques geacuteneacute rales

Consi deacute rons donc quelques remarques geacuteneacute rales de Platon sur la pieacuteteacute Drsquoabord il est inteacute res sant de consta ter que Platon cite Protagoras qui dans le dia logue du mecircme nom deacutefi nit lrsquohumain comme le seul ani mal capable de croire aux dieux et de leur eacutedi -fi er autels et sta tues et nous nrsquoavons aucune rai son de croire que le phi lo sophe vou lait ici contre dire le sophiste (Platon Protagoras 322a) De maniegravere sem blable Platon deacuteclare dans la Reacutepu blique que les Heacutellegravenes se deacutefi nissent entre autres par la veacuteneacute ra tion des mecircmes sanc tuaires (Platon Reacutepu blique V 470e) Ensuite crsquoest sur tout le dia logue Euthyphron18 qui meacuterite une atten tion par ti cu -liegravere car il est essen tiel le ment consa creacute agrave une deacutefi ni tion de la reli -gio siteacute et sert agrave reacutefu ter impli ci te ment lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie por teacutee agrave

17 Pour ecirctre complet citons encore Platon Lysias 206e ougrave le jeune Meacutenegravexegravene et ses amis habilleacutes festivement viennent de preacute sen ter des offrandes aux dieux et sont jus te ment en train de jouer aux deacutes avant que Socrate ne les inter pelle (le dia -logue por tant sur lrsquoami tieacute et lrsquoeacutedu ca tion) Platon Reacutepu blique I 328 ougrave le vieux Keacutephalos dont nous savons qursquoil a eacuteteacute inviteacute par Peacutericles agrave Athegravenes ougrave il fi nira sa vie 30 ans plus tard vient eacutega le ment de faire des offrandes dans la cour de sa mai son et ceint drsquoune cou ronne est assis sur un grand siegravege et explique aux inter lo -cuteurs du dia logue qursquoil se preacute pare agrave la mort mais nrsquoen a pas peur puis qursquoil a meneacute une vie cor recte et pieuse Platon Hippias Minor 363d ougrave le sophiste Hippias drsquoEacutelide est deacutecrit comme tenant des dis cours somp tueux agrave lrsquoocca sion de chaque fecircte olym pique devant le temple (de Zeus) et Platon Cratylos 401b-e ougrave Platon explique que les offrandes agrave Hestia doivent tou jours ecirctre faites en pre mier lieu en rai son de lrsquoeacutety mo logie drsquoHestia par οὐσία

18 Compa rer pour ce qui est des deacutefi ni tions de la pieacuteteacute et de la reli gion Joachim Klowski laquo Mythos und Logos in Platons Euthyphron raquo dans Anregung 33 1987 p 386-397 et Arno Schmidt laquo Euthyphron Sokratisches Erbe und der neue Weg des logos raquo dans Anregung 46 (2) 2000 p 83-91 Eacutevi dem ment Euthyphron est un dia logue de jeu nesse et pour rait donc refl eacute ter comme les autres dia logues de cette eacutepoque moins lrsquoavis de Platon lui- mecircme que celui de Socrate concer nant le culte et la reli gio siteacute

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 555

Socrate par Meacuteleacutetos dont on apprend jus te ment au deacutebut du texte qursquoil vient de deacutepo ser son accu sa tion chez lrsquoArchon Poleacutemaios en prou vant au contraire la sin ceacute riteacute autant que le bien- fondeacute des sen ti ments reli gieux de Socrate Tan dis qursquoune appreacute cia tion sys -teacute ma tique de lrsquoargu men ta tion geacuteneacute rale du dia logue deacutepas se rait le cadre de cet exposeacute il est impor tant de sou li gner cer tains aspects des ten ta tives suc ces sives de Socrate pour eacuteta blir une deacutefi ni tion de la pieacuteteacute (ἡ ὁσιότης) Euthyphron lui- mecircme devin asserte dans un pre mier essai de deacutefi ni tion que la vraie pieacuteteacute consiste en lrsquoobeacuteis -sance aux lois des dieux et en la pour suite des impies dont les deux exemples prin ci paux sont le meurtre et le vol de biens des temples (Platon Euthyphron 5e) Si les deux pro chaines deacutefi ni tions refu -seacutees autant que la pre miegravere pour des rai sons de logique19 ne doivent pas nous concer ner ndash lrsquoune eacutetant que la pieacuteteacute consiste en ce que les dieux aiment lrsquoimpieacuteteacute ce qursquoils deacutetestent (Platon Euthyphron 9e) lrsquoautre que tout ce qui est pieux est aussi juste (Platon Euthyphron 11e) ndash la qua triegraveme pure ment empi rique meacuterite notre atten tion Socrate y pro pose que la pieacuteteacute soit la science de la priegravere et du sacri fi ce20 Un peu plus bas Socrate refor mule cette deacutefi ni tion car puisque la priegravere est une forme de demande et le sacri fi ce un cadeau (Platon Euthyphron 14d) la pieacuteteacute serait donc un commerce une ἐμπορικὴ avec les dieux plu tocirct qursquoune atti tude morale (Platon Euthyphron 14e) Se pose alors la ques tion de savoir si les sacri -fi ces que font les humains sont vrai ment utiles aux dieux ou srsquoils en appreacute cient seule ment le geste (Platon Euthyphron 15a-b) La der niegravere sup po si tion eacutetant la plus vrai sem blable la deacutefi ni tion de la pieacuteteacute se carac teacute ri serait donc agrave nou veau comme une action aimeacutee des dieux21 De maniegravere toute sem blable dans le Ban quet Platon laisse

19 Pour la struc ture logique de ces reacutefu ta tions voir Carla Carabba laquo I molti non sequitur dellrsquoEutifrone platonico raquo dans Sandalion 9 1982 p 91-95 qui sou -ligne de nom breuses entorses agrave la logique dont Socrate- Platon se rend cou pable pour reacutefu ter les thegraveses sou te nues par Euthyphron

20 Platon Euthyphron 14c Pour la deacutefi ni tion que sem blait avoir Platon de la priegravere cf Andreacute Motte laquo Deux expres sions du sen ti ment reli gieux dans la priegravere per son nelle en Gregravece II La priegravere du phi lo sophe chez Platon raquo dans Henri LimetJulien Ries (eacuted) Lrsquoexpeacute rience de la priegravere dans les grandes reli gions Actes du Col loque de Louvain- la-Neuve et Liegravege ( 22-23 novembre 1978) Louvain- la-Neuve 1980 p 173-204

21 Mais comme ceci avait eacuteteacute reacutefuteacute aupa ra vant le dia logue se ter mine en une apo rie comme de nom breux dia logues de jeu nesse de Platon mais une apo rie qui eacutemane moins de lrsquoincom peacute tence de Socrate que de lrsquoabsence drsquoune veacuteri table

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Eacuteryximaque reprendre impli ci te ment la deacutefi ni tion drsquoEuthryphon et deacutefi nir offrandes et divi na tion comme les deux seuls moyens qursquoont les humains drsquoentrer en contact avec les dieux de sau ve -gar der lrsquoamour entre humains et la pieacuteteacute envers les dieux (Platon Ban quet 188b-c) Le dis cours drsquoAristophane dans le Ban quet que lrsquoon connaicirct bien gracircce au mythe de creacutea tion de lrsquohomme et de la femme agrave par tir drsquoun Her ma phro dite22 reprend un autre eacuteleacute ment de lrsquoEuthyphron la moti vation prin ci pale de Zeus qui le porta plu tocirct agrave muti ler lrsquohomme aveu gleacute par lrsquoarro gance qursquoagrave le ter ras ser comme les Titans eacutema nait de sa volonteacute agrave srsquoassu rer aussi au futur hon neurs et offrandes (Platon Ban quet 190c)23

La mise en scegravene

Dans la mise en scegravene des œuvres de Platon24 le lieu du dia logue ou du moins le contexte geacuteneacute ral de lrsquoaction a sou vent un rap port indu bi table avec le culte reli gieux grec et meacuterite une atten tion par -ti cu liegravere puisque la mise en scegravene est indis so ciable du contenu du dia logue25 Dans le dia logue Ion le pro ta go niste du mecircme nom26 revient jus te ment drsquoEacutepidaure ougrave il a par ti cipeacute aux fecirctes don neacutees

eacutethique dans les convic tions du devin Euthyphron cf P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 82

22 Compa rer Jean Hani laquo Le mythe de lrsquoandro gyne dans le Ban quet de Platon raquo dans Euphrosyne 11 1981-82 p 89-101

23 Mecircme si Platon ne donne pas drsquoavis expli cite sur le contenu de ces deux dis cours nous savons que lrsquoordre des dis cours dans le Ban quet joue un rocircle cru -cial le dis cours jugeacute comme le trai te ment le plus appro fondi du thegraveme de la nature de lrsquoamour eacutetant le der nier celui de Socrate qui dit juste reprendre les termes de Diotimee precirc tresse agrave Mantineacuteia On serait donc tenteacute de voir dans les autres (dont le contenu nrsquoest cer tai ne ment pas abso lu ment contraire aux convic tions de Platon) de simples eacutetapes pro peacute deu tiques neacuteces saires pour atteindre le degreacute drsquoabs trac tion phi lo sophique de SocrateDiotime qui arrive agrave trans cen der la reli gio siteacute par la ratio na liteacute phi lo sophique qui seule per met trait drsquoacceacute der agrave la compreacute hen sion de la divi niteacute

24 Konrad Gaiser Protreptik und Paraumlnese bei Platon Untersuchungen zur Form des platonischen Dialogs Tuumlbingen 1959 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 164-181 cf Gasan C Gusejnov laquo Les per son nages de Platon Agrave la recherche du genre raquo dans BB Pietrovskij et al (eacuted) La civi li sa tion antique et la science moderne Moscou 1985 p 118-121 Marie- Laurence Desclos laquo La fonc tion des pro logues dans les Dia logues de Platon raquo dans Denis Vernant (eacuted) Du dia logue Grenoble 1992 p 15-29

25 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 17226 Cf sur le per son nage Allan H Gilbert (eacuted) Platorsquos Ion Comic and

Serious Studies in Honor of DWT Starnes Austin Univ of Texas 1967

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en lrsquohon neur drsquoAscleacutepios parmi les quelles fi gu rait un concours de rhap sodes dont Ion rem porta le pre mier prix27 Socrate invite Ion agrave par ti ci per aussi aux Pana theacute neacutees pour y obte nir un suc cegraves compa -rable La fonc tion de ces reacutefeacute rences dans le contexte geacuteneacute ral du dia logue nrsquoest pas dif fi cile agrave ana ly ser ces reacutefl exions donnent direc -te ment lrsquoagrave- propos agrave la dis cus sion qui suit et qui concerne prin ci pa -le ment la valeur de lrsquoart du rhap sode et la deacutemons tra tion qursquoIon se consi deacute rant comme speacute cia liste en la matiegravere est pour tant inapte agrave eacutemettre des juge ments phi lo sophiques sen seacutes sur le contenu des mythes qursquoil raconte28

Le dia logue Charmide œuvre de jeu nesse comme lrsquoIon a lieu dans la palestre de Taureacuteas en face du temple de la laquo Basilika raquo abreacute via tion cou rante pour le temple de Perseacutephone Basileacuteia29 Ici par contre crsquoest moins le temple de Perseacutephone que la palestre qui est signi fi ca tive pour le contenu du dia logue qui tourne prin ci pa le -ment autour des connais sances du jeune gar ccedilon Charmide

La des crip tion de la mise en scegravene du dia logue Phegravedre qui fait par tie des œuvres de matu riteacute du phi lo sophe peut ecirctre consi deacute reacutee comme le seul exemple de des crip tion poeacute tique de la nature chez Platon Socrate ren contre Phegravedre deacuteam bu lant le long des che mins qui megravenent agrave Athegravenes pour y cher cher un endroit ougrave lire un dis -cours de Lysias sur lrsquoamour et deacutecide de lrsquoaccom pa gner jus qursquoau fl euve Ilissos Apregraves srsquoecirctre rafraicirc chis les pieds dans lrsquoeau les deux inter lo cuteurs srsquoins tallent dans lrsquoombre drsquoun pla tane ougrave ils dis cutent drsquoabord de la tra di tion de lrsquoenlegrave ve ment drsquoOrithye celle- ci eacutetait la fi lle du roi atheacute nien Eacuterechtheacute et fut ravie par Boreacutee agrave mi- chemin entre cet endroit et le temple drsquoArteacutemis Agra30 De plus Socrate

27 Pl Ion 530a Compa rer Paul Bernard laquo Note eacutepidaurienne La data tion du temple drsquoAscleacutepios et lrsquoIon de Platon raquo dans Bul le tin de Cor res pon dance Hel leacute -nique 85 1962 p 400-402

28 Cf Egert Poehlmann laquo Enthusiasmus und Mimesis Zum platonischen Ion raquo dans Gymnasium 83 1976 p 191-208 Herbert Eisenberger laquo Sokratesrsquo Absichten im Ion raquo dans Christoff Neumeister (eacuted) Antike Texte in Forschung und Schule Festschrift fuumlr Willibald Heilmann zum 65 Geburtstag FrankfurtMain 1993 p 71-98

29 La palestre de Taureacuteas nrsquoa pas encore eacuteteacute loca li seacutee la laquo Basilika raquo se trouve au sud de lrsquoAcro pole non loin du mur drsquoenceinte de la ville (Platon Charmide 153a)

30 Terme qui srsquoapplique soit agrave un sur nom de la deacuteesse soit au degraveme Agrai ougrave se serait trouveacute ce sanc tuaire La loca li sa tion exacte du lieu de lrsquoenlegrave ve ment se situe rait agrave envi ron 2 ou 3 stades du pla tane et serait mar queacutee par un autel au dieu du vent du Nord (Platon Phegravedre 229a-c) mais Platon cite aussi lrsquoAreacuteo page comme

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deacutecrit qursquoil a lrsquoimpres sion drsquoaper ce voir non loin de leur lieu de repos quelques sta tues qui lais se raient sup po ser lrsquoexis tence drsquoun sanc tuaire de quelques nymphes et du dieu du fl euve Acheacuteloos (Platon Phegravedre 230b-c) le fi ls drsquoOceacutean et de Teacutethys le pegravere des Siregravenes La rai son de cette mise en scegravene est plus dif fi cile agrave ana ly -ser Socrate pro fesse drsquoabord ndash en contraste eacutecla tant avec sa des -crip tion buco lique de lrsquoendroit agrave laquelle il donne ainsi un accent drsquoiro nie ndash drsquoecirctre tout agrave fait deacutes in teacute resseacute par la nature et de nrsquoecirctre attireacute que par les villes car crsquoest lagrave qursquoil trouve les humains gracircce aux quels il peut conti nuer agrave apprendre (Platon Phegravedre 230d-e) Cepen dant suite agrave la dis cus sion sur la valeur de la rheacute to rique et la deacutefi ni tion de lrsquoamour31 Socrate srsquoemporte rapi de ment et livre tout un dis cours ins pireacute et mythologisant sur le des tin de lrsquoacircme humaine contras tant avec ses reacutefl exions objec tives et son rai son ne ment froid sur lrsquoart de la rheacute to rique Nous pou vons donc sup po ser que le cadre du dia logue ait eacuteteacute expres seacute ment choisi pour illus trer agrave la fois le pen -chant ration nel de Socrate contras tant avec le pai sible sanc tuaire des nymphes et son retour agrave la poeacute sie divine ins pireacute par la speacute cu -la tion phi lo sophique illus trant ainsi le che mi ne ment du phi lo sophe qui se deacutetourne des ten ta tions de la nature pour culti ver la pen seacutee logique qui le ramegravene de nou veau aux veacuteri teacutes natu relles32

Le Parmeacutenide assu reacute ment lrsquoun des dia logues tar difs de Platon se joue agrave Athegravenes lors des fecirctes panatheacuteennes et per met ainsi la mise en scegravene drsquoune ren contre fi c tive entre trois geacuteneacute ra tions de phi -lo sophes Parmeacutenide Zeacutenon et Socrate (Platon Parmeacutenide 127a) Il semble qursquoen dehors de cette fonc tion pure ment prag ma tique la men tion des Pana theacute neacutees ne puisse ecirctre inter preacute teacutee comme sym -

lieu pos sible (Platon Phegravedre 229c) Par rap port agrave la reli gion dans le Phegravedre cf les remarques de G Arabatzis laquo Enkalypsamenos raquo [n 1]

31 Cf Hubert Kesters laquo De ware redekunst volgens Platoonsrsquo Phaidros raquo dans Tijdschrift voor phi lo sophie 25 1963 p 651-687 et 36 1964 p 33-67 L Rossetti (eacuted) Understanding the Phaedrus Proceedings of the II Sym po sium Platonicum Sankt Augustin 1992 Jens Halfwassen laquo Bemerkungen zum Ursprung der Lehre vom Seelenwagen raquo dans Jahrbuch fuumlr Religionswissenschaft und Theologie der Religionen 2 1994 p 114-128 Gustav A Seeck laquo Schlechte und gute Liebe in Platons Phaidros raquo dans Wuumlrzburger Jahrbuumlcher 22 1998 p 101-121

32 Cette rela tion entre phi lo sophie et theacuteo logie se retrouve drsquoailleurs aussi dans la priegravere fi nale du Phegravedre ougrave Socrate prie les dieux de reacutecom pen ser les efforts du phi lo sophe par la sagesse Lrsquoon trou vera une ana lyse appro fon die de cette priegravere chez Konrad Haiser laquo Das Gold der Weisheit Zum Gebet des Philosophen am Schluss des Phaidros raquo dans Rheinisches Museum 132 1989 p 105-140

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bole preacute cis du contenu du dia logue dis cus sion pure ment for melle sur lrsquouniteacute et la mul ti pli citeacute qui nous livre peut- ecirctre lrsquoessence de la doc trine eacuteso teacute rique de Platon33 mais dont lrsquoana lyse deacutepas se rait lar -ge ment le cadre de la preacute sente recherche por tant uni que ment sur la place du culte grec tra di tion nel dans lrsquoœuvre de Platon

Le deacutebut de la Reacutepu blique est eacutega le ment carac teacute riseacute par une reacutefeacute -rence au culte deux des pro ta go nistes reviennent de la pre miegravere ceacuteleacute bra tion offi cielle drsquoune fecircte en lrsquohon neur de Bendis une divi -niteacute thrace nou vel le ment impor teacutee34 Platon deacutecrit ici les deux per -son nages des cen dus au Pireacutee ndash ougrave arri vait en bateau comme nous pou vons le sup po ser lrsquoimage de la deacuteesse ndash moti veacutes par deux rai -sons drsquoune part pour prier tout comme les autres spec ta teurs mais aussi drsquoautre part pour assou vir leur curio siteacute face agrave la pompe exteacute rieure des deux pro ces sions dont celle des Thraces est deacutecrite comme aussi impres sion nante que celle des Atheacuteniens Un peu plus tard nous appre nons aussi que les fes ti vi teacutes seront clocirc tu reacutees le soir par une pro ces sion eacutequestre ndash nou veauteacute reli gieuse comme le sou -ligne Platon ndash et des fecirctes noc turnes (Platon Reacutepu blique I 328a) Le cli mat de fes ti viteacute solen nelle qui implique lrsquoacti viteacute reli gieuse de la ville complegravete forme un cadre excellent pour la dis cus sion sur la nature de la jus tice et la deacutefaite intel lec tuelle de la posi tion des sophistes telle qursquoelle est sym bo li seacutee par les argu ments de Thrasymaque35 Il est eacutega le ment inteacute res sant de noter que Socrate mecircme srsquoil par ti cipe aux fes ti vi teacutes exprime son peu drsquoenvie drsquoy

33 Il est neacutean moins juste de sou li gner que laquo les Pana theacute neacutees refl egravetent lrsquouniteacute poli tique des citoyens atheacuteniens et lrsquoeacuteclat de leur citeacute Ren contre des geacuteneacute ra tions [hellip] dis cus sions entre phi lo sophes atheacuteniens et eacutetran gers concours divers [hellip] la citeacute ceacutelegravebre dans une effer ves cence poli tique reli gieuse et intel lec tuelle la deacuteesse qui la pro tegravege et patronne les mul tiples aspects de la vie en socieacuteteacute raquo (Catherine Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo dans Kernos 6 1993 p 225-243 p 241)

34 Elle eacutetait fecircteacutee annuel le ment le 19e20e Thargeacutelion (Platon Reacutepu blique I 327a donc deacutebut juin) Son intro duc tion offi cielle (pro ba ble ment en 430) qui avait semble- t-il des rai sons plu tocirct poli tiques que reli gieuses consti tuait une nou -veauteacute dans le sys tegraveme reli gieux clas sique drsquoAthegravenes cf J Jr Best laquo Bendis raquo dans Hermeneus 35 1964 p 122-128 Di miter Dopov laquo Essence ori gine et pro -pa ga tion du culte de la deacuteesse thrace Bendis raquo dans Dia logue drsquohis toire ancienne 2 1976 p 289-303 Claudia Montepaone laquo Bendis tracia and Atene lrsquointegrazione del nuovo attraverso forme dellrsquoideologia raquo dans A ION (Archeol) 12 1990 p 103-121

35 P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 47 par contre inter pregravete le cadre de maniegravere tout agrave fait dif feacute rente et y voit une allu sion agrave ce que la reli gio siteacute serait acces sible agrave tout le monde mais la theacuteo logie phi lo sophique aux seuls intel lec tuels cagraved sui vant le point de vue grec aux peuples hel leacute ni seacutes

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retour ner le soir seule la pro messe drsquoy deacutecou vrir des inter lo cuteurs poten tiels arrive agrave le faire fl eacute chir36

Dans le Timeacutee qui est la suite directe de la Reacutepu blique et commence avec une reacuteca pi tu la tion assez som maire des ideacutees de ce dia logue37 le cadre reli gieux de la Reacutepu blique est deacuteformeacute de faccedilon assez remar quable puisque la dis cus sion nrsquoa pas lieu le len de main de la fecircte pour Bendis mais lors des Pana theacute neacutees ceacuteleacute breacutees le 28e Heacutekatombaion (Platon Timeacutee 26e) La solen niteacute de la fecircte y est mise expres seacute ment en rela tion avec le thegraveme du dia logue la creacutea tion mys tique et la nature mateacute rielle du monde comme par ti cu liegrave re ment seyante agrave des speacute cu la tions aussi pro fondes (Platon Timeacutee 26e) De plus Critias le jeune qui relate le mythe de lrsquoAtlantide agrave Socrate y explique qursquoil a lui- mecircme appris cette tra di tion par Critias lrsquoancien lors de la ceacuteleacute bra tion des Apatouries38

Notons fi na le ment que mecircme les Lois dia logue inacheveacute et lourd peu compa rable avec la viva citeacute des œuvres de jeu nesse ont un cadre reli gieux le pre mier mot en est deacutejagrave laquo Dieu raquo et le sceacute -na rio ouvre sur une speacute cu la tion sur lrsquoori gine divine des lois des Laceacute deacute mo niens et des Creacute tois pro ve nant res pec ti ve ment drsquoApol -

36 Platon Reacutepu blique I 328a La suite de la dis cus sion qui concer nera la deacutefi ni tion de la jus tice agrave tra vers une deacutefi ni tion de lrsquoEacutetat ideacuteal peut eacutega le ment ecirctre inter preacute teacutee comme eacutetant en rap port eacutetroit avec la des crip tion des fes ti vi teacutes reli -gieuses de la citeacute atheacute nienne mais il ne faut pas oublier que le pre mier livre de la Reacutepu blique a pro ba ble ment preacute ceacutedeacute les livres sui vants de nom breuses anneacutees Nous ne savons donc pas preacute ci seacute ment si la fecircte deacutedieacutee agrave Bendis a eacuteteacute ajou teacutee plus tard au pro logue du pre mier livre en fonc tion de lrsquoeacuteco no mie glo bale de la Reacutepu -blique ou au contraire nrsquoa eacuteteacute des ti neacutee qursquoagrave intro duire le pre mier livre et nrsquoa donc qursquoun rap port acci den tel avec les livres II agrave X Alors que Pierre Javet laquo Ceacutephale et Platon sur le seuil de la vieillesse Reacutefl exions sur le pro logue de la Reacutepu blique raquo dans Revue Phi lo sophique de la France et de lrsquoeacutetran ger 1982 p 241-247 affi rme que la ren contre de Socrate avec Poleacute marque et sa dis cus sion avec Ceacutephale ont eacuteteacute compo seacutees en fonc tion de lrsquoensemble de la Reacutepu blique P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 46 sou tient la thegravese du rap port acci den tel en fai sant remar quer que ce dia logue devenu eacutenorme deacutebute seule ment dans la soi reacutee et ne peut donc fi nir rai son na ble ment quelques heures plus tard ndash un pro blegraveme que Platon aurait cer tai -ne ment eacuteviteacute srsquoil avait voulu degraves le deacutebut eacutecrire une œuvre tel le ment gigan tesque (et ce nrsquoest pas un hasard si les Lois eux deacutebutent le matin en rai son de la lon gueur impres sion nante de lrsquoœuvre)

37 Compa rer p ex Christopher J Rowe laquo Why is the Ideal Athens of the Timaeus- Critias not Ruled by Philosophers raquo dans Meacutethexis 10 1997 p 51-57

38 Celles- ci ougrave les jeunes hommes eacutetaient ins crits dans leur phra trie (Platon Timeacutee 21b) eacutetaient eacutega le ment preacute si deacutees par Atheacutena et Zeus et duraient trois jours

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lon pythique et de Zeus39 Plus tard nous appre nons que les inter lo -cuteurs se trouvent en Cregravete et sont sur le che min de Cnossos vers la grotte sacreacutee de Zeus40

Nous voyons donc que le choix de lrsquoeacuteleacute ment reli gieux tra di tion -nel nrsquoest pas acci den tel dans la mise en scegravene des dia logues de Platon et que au contraire la men tion des cultes a dans la plu part des cas un rap port phi lo sophique direct avec le thegraveme du dia logue qui srsquoen suit Crsquoest donc la reli gio siteacute tra di tion nelle qui oserions- nous dire ins pire sa propre trans cen dance par la dis cus sion meacuteta -phy sique et est eacutevo queacutee impli ci te ment comme base neacuteces saire agrave toute aven ture intel lec tuelle

La precirc trise comme pro fes sion

Un autre thegraveme reacutecur rent chez Platon est celui de la compeacute tence pro fes sion nelle des dif feacute rents precirctres Nous connais sons tous les exemples nom breux ougrave le phi lo sophe parle des timo niers des menui -siers et des meacutede cins mais il est eacuteton nant de voir que la men tion du devin (μάντις) comme exemple drsquoun meacutetier parmi drsquoautres est assez cou rante chez Platon41 Notons ici que Platon mecircme srsquoil parle en regravegle geacuteneacute rale des devins sans en speacute ci fi er en deacutetail les fonc tions theacuteo lo giques ou meacutethodes pro fes sion nelles leur attri bue (en theacuteo rie au moins) une vraie laquo connais sance du futur raquo (Platon Charmide 173c ἐπιστήμην τοῦ μέλλοντος) et les rap proche en fai sant eacutegard agrave leur ins pi ra tion commune par le souffl e divin des rhap sodes des chan teurs drsquooracles (Platon Ion 534c Apo logie 22c) et mecircme des poli ti ciens (Platon Meacute non 98c-d) De faccedilon sem blable dans le Poli -tique Platon les carac teacute rise comme tra duc teurs et voix des dieux (Platon Poli tique 290c) tan dis que les precirctres sont deacutefi nis comme ceux qui srsquooccupent drsquoorga ni ser le contact des humains avec les

39 Platon Lois I 624a-625a cf aussi 632d40 Platon Lois I 625a-b Lrsquoon peut soit lrsquoiden ti fi er comme le sanc tuaire

de la grotte dicteacuteenne ndash lrsquoopi nion geacuteneacute ra le ment admise cf commen taire Klaus Schoumlpsdau (eacuted trad et comm) Platon Gesetze Buch I- IV Darmstadt 21990 ndash ou celui du Mont Ida cf Glenn R Morrow Platorsquos Cretan City a Historical Interpretation of the Laws Princeton 1962 p 27ndash28 Par rap port agrave la signi fi ca tion reli gieuse de la Cregravete cf Jesuacutes Lens Tuero laquo La mitifi cacioacuten de Creta en la cultura griega del siglo IV raquo dans Actas del VIII congreso espantildeol de estudios claacutesicos (Madrid 23-28 de septiembre de 1991) t 3 Madrid 1994 p 219-222

41 Voir en dehors de lrsquoEuthyphron dont le pro ta go niste homo nyme est qua -li fi eacute de devin Platon Ion 531b Charmide 173c

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dieux par les sacri fi ces et les priegraveres (Platon Poli tique 290c-d) ayant annexeacute en ceci les attri bu tions des anciens rois42 Ce juge ment en somme posi tif pour rait ecirctre impu table au fait que Platon voyait beau coup de res sem blances entre le devin et le phi lo sophe43 Neacutean -moins il ne place les devins et precirctres qursquoau cin quiegraveme rang des formes de vie du Phegravedre (Platon Phegravedre 248d) et insiste sur le fait qursquoil ne veut par ler que des devins laquo seacuterieux raquo (τοὺς δὲ ὡςἀληθῶς μάντεις) qursquoil met en contraste avec les beaux- parleurs (τοὺς μὲν ἀλαζόνας) qui man que raient de σωφροσύνη (Platon Charmide 173c) Nous trou vons un exemple de ces devins laquo non seacuterieux raquo dans la Reacutepu blique Platon y deacutecrit par la bouche drsquoAdeacutemante que les char la tans et les devins (ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις) pro mettent aux riches de rache ter contre paye ment leurs fautes morales par des sacri fi ces et des for mules magiques et assurent mecircme pou voir infl u en cer les dieux par des incan ta tions magiques44 agrave faire du tort aux autres humains bons ou mau vais (Platon Reacutepu blique II 364b-365a) En ceci ils srsquoappuyeraient sur Hom egravere qui qua li fi ait deacutejagrave les dieux drsquoinfl u en ccedilables par des pro messes et des offrandes (Hom -egravere Iliade IX 497-501) et sur les eacutecrits mys tiques de Museacutee et drsquoOrpheacutee45 Ceux- ci auraient ensei gneacute que des hommes et mecircme

42 Platon prouve ce rai son ne ment en nom mant lrsquoArchon Basileacuteios drsquoAthegravenes res pon sable des offrandes les plus archaiumlques et veacuteneacute rables et cite aussi lrsquoini tiation obli ga toire des pha raons drsquoEacutegypte agrave lrsquoart des precirctres (Platon Poli tique 290e)

43 Cf Richard Bodeacuteuumls laquo ldquoJe suis devinrdquo (Phegravedre 242c) Remarques sur la phi lo sophie selon Platon raquo dans Kernos 3 1990 p 45-52 p 49 laquo La contem pla -tion phi lo sophique en effet nrsquoest pas sans ana logie avec la vision divi na toire [hellip] De mecircme que le devin voit sans lrsquointel li gence des signi fi ants le phi lo sophe voit par lrsquointel li gence des signi fi eacutes Crsquoest un vision naire dans lrsquoordre de lrsquointel li -gible raquo

44 Voir aussi Carlo A Viano laquo Retorica magia e natura in Platone raquo dans Rivista di Filosofi a 56 1965 p 411-453 qui sou ligne que Platon dans le livre X des Lois et dans le Phegravedre met la magie et la rheacute to rique sur le mecircme plan puis qursquoelles exercent toutes les deux une action psy cho lo gique sur lrsquoacircme et que lrsquohomme lui- mecircme est sujet agrave la rheacute to rique et agrave la magie en tant que par tie de la nature

45 Au sujet de la rela tion de Platon aux orphiques cf Paul Boyanceacute Le Culte des Muses chez les phi lo sophes grecs Paris 1937 p 21ndash24 le mecircme laquo Platon et les Cathartes orphiques raquo dans Revue des eacutetudes grecques 55 1942 p 217-235 Philippe Borgeaud (eacuted) Orphisme et Orpheacutee en lrsquohon neur de Jean Rudhardt Genegraveve 1991 Leacuteonid Zhmud laquo Orphism and grafi tti from Olbia raquo dans Hermes 120 1992 p 159-168 (confi r mant Platon Cratylos 400c) Alberto Bernabeacute laquo Una etimologiacutea platoacutenica soma- sema raquo dans Philologus 139 1995 p 204-237 Giovanni Casadio laquo El mito del laquo Poliacutetico raquo (268 D-274 E) y la his to ria de las religiones raquo dans Emerita 64 1996 p 65-77 Les frag ments orphiques conser veacutes

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 563

des citeacutes entiegraveres pou vaient rache ter leurs fautes preacute sentes et pas seacutees par des sacri fi ces et des jeux (διὰ θνσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν)46 Mecircme si Platon consi degravere geacuteneacute ra le ment les astres comme des divi ni -teacutes47 il explique dans le Timeacutee que les pheacute no megravenes astro no miques ne doivent pas ecirctre pris pour des preacute sages mais srsquoexpliquent par des rai sons pure ment matheacutema tiques (Platon Timeacutee 40c-d) ce qui peut ecirctre inter preacuteteacute comme une cri tique de la man tique astro lo gique Dans les Lois il deacutecrit que beau coup de magi ciens et de devins seraient mecircme en reacutea liteacute des a theacuteistes sou cieux de pro fi ter de la creacute du liteacute de leurs conci toyens (Platon Lois X 908d)48

chez Platon peuvent ecirctre consul teacutes main te nant dans Alberto Bernabeacute Poetae epici Graeci Testimonia et frag menta Pars II Fasc 1-2 Orphicorum et Orphicis similium frag menta MuumlnchenLeipzig 2004-2005

46 Un preacute jugeacute pla to ni cien qui reacutefl egravete le peu drsquoestime qursquoavaient les intel lec -tuels contem po rains pour la char la ta ne rie issue des speacute cu la tions gran dioses de lrsquoorphisme (pour tant extrecirc me ment popu laires agrave lrsquoeacutepoque cf Martin P Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion t1 Bis zur Weltherrschaft Muumlnchen 1941 p 684 et 800) et qui semble sur tout issue du pytha go risme (Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore de Gregravece en Palestine Paris 1927 p 81ndash82) Pour lrsquoinfl u ence de Pythagore sur Platon compa rer aussi Erich Frank Plato und die so genannten Pythagoreer Halle 1923 Pierre Boyanceacute laquo Lrsquoinfl u ence pytha go ri -cienne sur Platon raquo dans Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia Naples 1966 p 73-113 Bartel Leendert Van Der Waerden laquo Platon et les sciences exactes des Pytha go ri ciens raquo dans Bul le tin de la Socieacuteteacute Matheacutema tique de Belgique 21 1969 p 120-122 Maria Tortorelli Ghidini et al (eacuted) Tra Orfeo e Pitagora origini e incontri di culture nellrsquoantichitagrave atti dei seminari napoletani 1996-1998 Naples 2000 Leacuteonid Zhmud laquo Uumlberlegungen zur pythagoreischen Frage raquo dans Georg Rechenauer (eacuted) Fruumlhgriechisches Denken Goumlttingen 2005 p 135-151 David En gels laquo Geometrie und Phi lo sophie Zur Visualisierung metaphysischer Konzepte durch raumlumliche Darstellungen in der pythagoreischen Phi lo sophie raquo dans D GroszligS Westermann (eacuted) Vom Bild zur Erkenntnis Visualisierungskonzepte in den Wissenschaften Kassel 2007 p 113ndash129

47 Platon Timeacutee 401ndash402 Lois VII 821bndashc Voir agrave ce sujet p ex Hans Herter laquo Gott und die Welt bei Platon raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 158 1958 p 106-117 GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 399ndash402 et 445ndash448

48 En ce qui concerne lrsquoart divi na toire sou li gnons ici encore que Platon dans le Lachegraves laisse Socrate affi r mer que chaque pro fes sion confegravere agrave celui qui lrsquoexerce cor rec te ment une auto riteacute de speacute cia liste dans son domaine Ceci le conduit agrave demander agrave son inter lo cuteur un mili taire srsquoil est donc deacutecideacute en cas de guerre agrave faire plu tocirct confi ance agrave ses propres avis stra teacute giques qursquoaux conseils des devins que lrsquoon ne sau rait dif fi ci le ment regar der comme des auto ri teacutes compeacute tentes en matiegravere miliaire ce agrave quoi le stra tegravege atheacute nien acquiesce (Platon Lachegraves 199a) Si lrsquoon pense que ce stra tegravege nrsquoest autre que Nicias le poli ti cien atheacute nien qui notam -ment parce qursquoil avait accordeacute foi agrave des devins et des oracles dans ses deacuteci sions mili taires connaicirct en 413 une fi n tra gique en Sicile (ougrave il avait assieacutegeacute en vain la ville de Syracuse et ougrave il fut fait pri son nier par les habi tants qui le condam negraverent agrave mort) lrsquoendroit ne manque pas de piment et laisse per ce voir lrsquoiro nie de Platon qui

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La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

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Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

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la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 571

pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 573

de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

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pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

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nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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explique qursquoil aurait sou vent recircveacute qursquoon lui ordon nait de faire de la musique ce qui lui fi t trans crire en poegravemes les fables drsquoEacutesope9 et compo ser un chant en lrsquohon neur drsquoApol lon10 nous avons sur tout agrave nous sou ve nir des fameux der niers mots de Socrate ougrave il conjure Criton drsquooffrir agrave Ascleacutepios un coq que lui- mecircme et Criton devaient au dieu (Platon Pheacutedon 118a) Ces quelques mots ont fait cou ler beau coup drsquoencre La pre miegravere et la plus simple des hypo thegraveses est qursquoil srsquoagit ici drsquoune phrase eacutenon ceacutee dans le deacutelire ou srsquoappli -quant effec ti ve ment agrave une vieille dette cultuelle vis- agrave-vis du dieu et fi degrave le ment rap por teacutee par Platon qui nrsquoaurait voulu que sou li gner lrsquoadheacute sion de son maicirctre (accuseacute pour atheacuteisme) au culte eacuteta bli hypo thegravese sup por teacutee par Wilamowitz11 qui tolegravere tout au plus un remer ciement de Socrate pour la mort agreacuteable et sans trop de dou leur qursquoil subis sait12 et attaque de faccedilon viru lente tous ceux qui cherchent agrave y trou ver un sens sym bo lique mys tique Ce refus drsquointer preacute ta tion sym bo lique eacuteton nant de la part du grand savant est en par tie compreacute hen sible si lrsquoon se sou vient que crsquoest avant tout Nietzsche ndash que Wilamowitz avait deacutejagrave vio lem ment atta queacute

9 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 85 nrsquoy voit pas drsquoiro nie au contraire

10 Platon Pheacutedon 60d-61b Sa fecircte reli gieuse dif feacute rait lrsquoexeacute cu tion du phi lo -sophe (Platon Pheacutedon 58a-c) car la cou tume vou lait qursquoon envoie annuel le ment un bateau (reacuteputeacute ecirctre le bateau de Theacuteseacutee agrave Deacutelos) pour y remer cier le Dieu pour lrsquoaide qursquoil apporta aux vic times du Minotaure Entre le deacutepart et le retour du bateau lrsquoEacutetat atheacute nien se devait de res ter rituel le ment pur en dif feacute rant toutes les peines capi tales mais puisque la fecircte eacutetait ceacuteleacute breacutee tra di tion nel le ment au deacutebut du prin temps lrsquoabsence du bateau se pro lon geait sou vent agrave cause du temps peu pro pice agrave la navi ga tion Puisque le precirctre drsquoApol lon (le ἱερεὺς τοῦ rsquoΑπόλλωνος) venait jus te ment drsquoorner par une cou ronne le bateau precirct au deacutepart le jour du pro -cegraves de Socrate celui- ci devait donc attendre le retour du navire Compa rer aussi Chieko Shinozuka laquo Theseusrsquo Ship raquo dans Mediterraneus 19 1996 p 37-64

11 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 135 laquo In dieses Wort ist alles Moumlgliche hineingeheimniszligt statt die einfache Wahrheit hinzunehmen daszlig Sokrates bis zu zuletzt daran denkt ob er seine Rechnung in diesem Leben ganz menschlich bereinigt hat Dabei faumlllt ihm ein daszlig fuumlr irgendein Geluumlbde an den Heilgott der erst vor zwanzig Jahren in Athen einen Kult erhalten hatte noch das uumlbliche Opfer ausstand Er selbst wird den Zauberdienst nicht in Anspruch genommen haben a ber er hatte Weib und Kin der Charakteristisch ist worauf seine letzten Gedanken gerichtet sind das Spezielle daran ist ganz ohne Belang raquo

12 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Beilagen und Textkritik [n 1] p 57ndash58 en se fon dant sur Johan L Heiberg Sokrates sidste ord dans Oversigt over det kgl danske videnskabernes selskabs forhandlinger 1902 p 105-16 p 106

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pour sa Geburt der Tragoumldie13 ndash qui pro po sait lrsquoexpli ca tion alter -na tive la plus popu laire Ascleacutepios eacutetant le dieu de la gueacute ri son qui fai sait jouer ses pou voirs pen dant le som meil des malades une offrande devait ecirctre en quelque rela tion avec une mala die dont souf -frait le phi lo sophe mais de laquelle il aurait gueacuteri si bien que le dieu meacuteri te rait sa reacutecom pense En pous sant la speacute cu la tion et en cher chant agrave deacutefi nir cette mala die Nietzsche conclut que crsquoest de sa vie elle- mecircme que le phi lo sophe se consi deacutera deacutesor mais gueacuteri et que la mort lui eacutetait eacutequi va lente au reacuteveil dans un monde meilleur apregraves le long som meil de mala die que serait la vie dans le monde mateacute riel speacute cu la tion drsquoautant plus pro bable que le coq est jus te -ment le sym bole par excel lence de la renais sance apregraves la mort14 Des recherches dans le cadre des cultes des dif feacute rents degravemes de la ville ont per mis reacutecem ment une troi siegraveme inter preacute ta tion le plu riel qursquouti lise Socrate en par lant de laquo notre raquo dette srsquoexpli que rait du fait qursquoil appar te nait tout comme Criton agrave qui il srsquoadresse au degraveme drsquoAlogravepeacutekeacute Le calen drier de cette commune pour rait avoir preacutevu pour la date du 8e Elapheacutebolion ndash donc quelques jours apregraves la mort de Socrate ndash en preacute lude aux Grandes Dionysies le sacri fi ce drsquoun coq comme offrande agrave Ascleacutepios pour les membres de ce degraveme15

PLATON

Il est eacutevi dem ment impos sible de nous pen cher sur lrsquoensemble des remarques rela tives16 agrave la reli gion dans lrsquoœuvre de Platon dans

13 Cf Karlfried Gruumlnder (eacuted) Streit um Nietzsches laquo Geburt der Tragoumldie raquo Die Schriften von E Rohde R Wagner U v Wilamowitz- Moellendorf Hilde-sheim 1969

14 Friedrich Nietzsche Die froumlhliche Wissenschaft (1887) dans G Col liM Montinari (eacuted) Friedrich Nietzsche Saumlmtliche Werke Kritische Studienaus-gabe in 15 Baumlnden t 3 Muumlnchen 1980 p 343-652 A ph 340 p 569 laquo Dieses laumlcherliche und furchtbare letzte Wortrsquo heisst fuumlr Den der Ohren hat sbquoOh Kriton das Leben ist eine Krankheit rsquo raquo Voir eacutega le ment John L Carafi des laquo The Last Words of Socrates raquo dans Platon 23 1971 p 229-232 qui inter pregravete les der niegraveres paroles de Socrate agrave la lumiegravere des doc trines orphico- pythagoriciennes de puri fi -ca tion et drsquoimmor ta liteacute de lrsquoacircme et qui remer cie donc Ascleacutepios de gueacute rir de la mala die de la vie Pour le sym bo lisme du coq cf Pierre Trotignon laquo Sur la mort de Socrate raquo dans Revue de Meacuteta phy sique et de Morale 81 1976 p 1-10

15 Jules Labarbe laquo Der niegraveres paroles drsquoanciens Grecs der niegraveres paroles de Socrate raquo dans Bul le tin de la Classe de lettres de lrsquoAca deacute mie royale de Belgique 6 s 1 1990 p 189-222

16 A Lefka laquo Le regard ration nel raquo [n 1] p 125 compte 76 men tions de divi ni teacutes agrave 1182 reprises dans les œuvres de Platon

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le cadre de cet exposeacute Nous nous bor ne rons donc agrave dis tin guer plu sieurs thegravemes prin ci paux qui carac teacute risent lrsquoatti tude du phi lo -sophe17 Le pre mier eacuteleacute ment inteacute res sant est lrsquoana lyse des remarques geacuteneacute rales concer nant la pieacuteteacute et la reli gio siteacute le deuxiegraveme les eacuteleacute -ments reli gieux dans les sceacute na rios des dia logues le troi siegraveme le juge ment de lrsquooffi ce cultuel en tant que pro fes sion et les qua triegraveme et cin quiegraveme le rocircle qursquooccupent la reli gion et le culte dans les deux grands dia logues que sont la Reacutepu blique et les Lois

Remarques geacuteneacute rales

Consi deacute rons donc quelques remarques geacuteneacute rales de Platon sur la pieacuteteacute Drsquoabord il est inteacute res sant de consta ter que Platon cite Protagoras qui dans le dia logue du mecircme nom deacutefi nit lrsquohumain comme le seul ani mal capable de croire aux dieux et de leur eacutedi -fi er autels et sta tues et nous nrsquoavons aucune rai son de croire que le phi lo sophe vou lait ici contre dire le sophiste (Platon Protagoras 322a) De maniegravere sem blable Platon deacuteclare dans la Reacutepu blique que les Heacutellegravenes se deacutefi nissent entre autres par la veacuteneacute ra tion des mecircmes sanc tuaires (Platon Reacutepu blique V 470e) Ensuite crsquoest sur tout le dia logue Euthyphron18 qui meacuterite une atten tion par ti cu -liegravere car il est essen tiel le ment consa creacute agrave une deacutefi ni tion de la reli -gio siteacute et sert agrave reacutefu ter impli ci te ment lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie por teacutee agrave

17 Pour ecirctre complet citons encore Platon Lysias 206e ougrave le jeune Meacutenegravexegravene et ses amis habilleacutes festivement viennent de preacute sen ter des offrandes aux dieux et sont jus te ment en train de jouer aux deacutes avant que Socrate ne les inter pelle (le dia -logue por tant sur lrsquoami tieacute et lrsquoeacutedu ca tion) Platon Reacutepu blique I 328 ougrave le vieux Keacutephalos dont nous savons qursquoil a eacuteteacute inviteacute par Peacutericles agrave Athegravenes ougrave il fi nira sa vie 30 ans plus tard vient eacutega le ment de faire des offrandes dans la cour de sa mai son et ceint drsquoune cou ronne est assis sur un grand siegravege et explique aux inter lo -cuteurs du dia logue qursquoil se preacute pare agrave la mort mais nrsquoen a pas peur puis qursquoil a meneacute une vie cor recte et pieuse Platon Hippias Minor 363d ougrave le sophiste Hippias drsquoEacutelide est deacutecrit comme tenant des dis cours somp tueux agrave lrsquoocca sion de chaque fecircte olym pique devant le temple (de Zeus) et Platon Cratylos 401b-e ougrave Platon explique que les offrandes agrave Hestia doivent tou jours ecirctre faites en pre mier lieu en rai son de lrsquoeacutety mo logie drsquoHestia par οὐσία

18 Compa rer pour ce qui est des deacutefi ni tions de la pieacuteteacute et de la reli gion Joachim Klowski laquo Mythos und Logos in Platons Euthyphron raquo dans Anregung 33 1987 p 386-397 et Arno Schmidt laquo Euthyphron Sokratisches Erbe und der neue Weg des logos raquo dans Anregung 46 (2) 2000 p 83-91 Eacutevi dem ment Euthyphron est un dia logue de jeu nesse et pour rait donc refl eacute ter comme les autres dia logues de cette eacutepoque moins lrsquoavis de Platon lui- mecircme que celui de Socrate concer nant le culte et la reli gio siteacute

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 555

Socrate par Meacuteleacutetos dont on apprend jus te ment au deacutebut du texte qursquoil vient de deacutepo ser son accu sa tion chez lrsquoArchon Poleacutemaios en prou vant au contraire la sin ceacute riteacute autant que le bien- fondeacute des sen ti ments reli gieux de Socrate Tan dis qursquoune appreacute cia tion sys -teacute ma tique de lrsquoargu men ta tion geacuteneacute rale du dia logue deacutepas se rait le cadre de cet exposeacute il est impor tant de sou li gner cer tains aspects des ten ta tives suc ces sives de Socrate pour eacuteta blir une deacutefi ni tion de la pieacuteteacute (ἡ ὁσιότης) Euthyphron lui- mecircme devin asserte dans un pre mier essai de deacutefi ni tion que la vraie pieacuteteacute consiste en lrsquoobeacuteis -sance aux lois des dieux et en la pour suite des impies dont les deux exemples prin ci paux sont le meurtre et le vol de biens des temples (Platon Euthyphron 5e) Si les deux pro chaines deacutefi ni tions refu -seacutees autant que la pre miegravere pour des rai sons de logique19 ne doivent pas nous concer ner ndash lrsquoune eacutetant que la pieacuteteacute consiste en ce que les dieux aiment lrsquoimpieacuteteacute ce qursquoils deacutetestent (Platon Euthyphron 9e) lrsquoautre que tout ce qui est pieux est aussi juste (Platon Euthyphron 11e) ndash la qua triegraveme pure ment empi rique meacuterite notre atten tion Socrate y pro pose que la pieacuteteacute soit la science de la priegravere et du sacri fi ce20 Un peu plus bas Socrate refor mule cette deacutefi ni tion car puisque la priegravere est une forme de demande et le sacri fi ce un cadeau (Platon Euthyphron 14d) la pieacuteteacute serait donc un commerce une ἐμπορικὴ avec les dieux plu tocirct qursquoune atti tude morale (Platon Euthyphron 14e) Se pose alors la ques tion de savoir si les sacri -fi ces que font les humains sont vrai ment utiles aux dieux ou srsquoils en appreacute cient seule ment le geste (Platon Euthyphron 15a-b) La der niegravere sup po si tion eacutetant la plus vrai sem blable la deacutefi ni tion de la pieacuteteacute se carac teacute ri serait donc agrave nou veau comme une action aimeacutee des dieux21 De maniegravere toute sem blable dans le Ban quet Platon laisse

19 Pour la struc ture logique de ces reacutefu ta tions voir Carla Carabba laquo I molti non sequitur dellrsquoEutifrone platonico raquo dans Sandalion 9 1982 p 91-95 qui sou -ligne de nom breuses entorses agrave la logique dont Socrate- Platon se rend cou pable pour reacutefu ter les thegraveses sou te nues par Euthyphron

20 Platon Euthyphron 14c Pour la deacutefi ni tion que sem blait avoir Platon de la priegravere cf Andreacute Motte laquo Deux expres sions du sen ti ment reli gieux dans la priegravere per son nelle en Gregravece II La priegravere du phi lo sophe chez Platon raquo dans Henri LimetJulien Ries (eacuted) Lrsquoexpeacute rience de la priegravere dans les grandes reli gions Actes du Col loque de Louvain- la-Neuve et Liegravege ( 22-23 novembre 1978) Louvain- la-Neuve 1980 p 173-204

21 Mais comme ceci avait eacuteteacute reacutefuteacute aupa ra vant le dia logue se ter mine en une apo rie comme de nom breux dia logues de jeu nesse de Platon mais une apo rie qui eacutemane moins de lrsquoincom peacute tence de Socrate que de lrsquoabsence drsquoune veacuteri table

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Eacuteryximaque reprendre impli ci te ment la deacutefi ni tion drsquoEuthryphon et deacutefi nir offrandes et divi na tion comme les deux seuls moyens qursquoont les humains drsquoentrer en contact avec les dieux de sau ve -gar der lrsquoamour entre humains et la pieacuteteacute envers les dieux (Platon Ban quet 188b-c) Le dis cours drsquoAristophane dans le Ban quet que lrsquoon connaicirct bien gracircce au mythe de creacutea tion de lrsquohomme et de la femme agrave par tir drsquoun Her ma phro dite22 reprend un autre eacuteleacute ment de lrsquoEuthyphron la moti vation prin ci pale de Zeus qui le porta plu tocirct agrave muti ler lrsquohomme aveu gleacute par lrsquoarro gance qursquoagrave le ter ras ser comme les Titans eacutema nait de sa volonteacute agrave srsquoassu rer aussi au futur hon neurs et offrandes (Platon Ban quet 190c)23

La mise en scegravene

Dans la mise en scegravene des œuvres de Platon24 le lieu du dia logue ou du moins le contexte geacuteneacute ral de lrsquoaction a sou vent un rap port indu bi table avec le culte reli gieux grec et meacuterite une atten tion par -ti cu liegravere puisque la mise en scegravene est indis so ciable du contenu du dia logue25 Dans le dia logue Ion le pro ta go niste du mecircme nom26 revient jus te ment drsquoEacutepidaure ougrave il a par ti cipeacute aux fecirctes don neacutees

eacutethique dans les convic tions du devin Euthyphron cf P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 82

22 Compa rer Jean Hani laquo Le mythe de lrsquoandro gyne dans le Ban quet de Platon raquo dans Euphrosyne 11 1981-82 p 89-101

23 Mecircme si Platon ne donne pas drsquoavis expli cite sur le contenu de ces deux dis cours nous savons que lrsquoordre des dis cours dans le Ban quet joue un rocircle cru -cial le dis cours jugeacute comme le trai te ment le plus appro fondi du thegraveme de la nature de lrsquoamour eacutetant le der nier celui de Socrate qui dit juste reprendre les termes de Diotimee precirc tresse agrave Mantineacuteia On serait donc tenteacute de voir dans les autres (dont le contenu nrsquoest cer tai ne ment pas abso lu ment contraire aux convic tions de Platon) de simples eacutetapes pro peacute deu tiques neacuteces saires pour atteindre le degreacute drsquoabs trac tion phi lo sophique de SocrateDiotime qui arrive agrave trans cen der la reli gio siteacute par la ratio na liteacute phi lo sophique qui seule per met trait drsquoacceacute der agrave la compreacute hen sion de la divi niteacute

24 Konrad Gaiser Protreptik und Paraumlnese bei Platon Untersuchungen zur Form des platonischen Dialogs Tuumlbingen 1959 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 164-181 cf Gasan C Gusejnov laquo Les per son nages de Platon Agrave la recherche du genre raquo dans BB Pietrovskij et al (eacuted) La civi li sa tion antique et la science moderne Moscou 1985 p 118-121 Marie- Laurence Desclos laquo La fonc tion des pro logues dans les Dia logues de Platon raquo dans Denis Vernant (eacuted) Du dia logue Grenoble 1992 p 15-29

25 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 17226 Cf sur le per son nage Allan H Gilbert (eacuted) Platorsquos Ion Comic and

Serious Studies in Honor of DWT Starnes Austin Univ of Texas 1967

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en lrsquohon neur drsquoAscleacutepios parmi les quelles fi gu rait un concours de rhap sodes dont Ion rem porta le pre mier prix27 Socrate invite Ion agrave par ti ci per aussi aux Pana theacute neacutees pour y obte nir un suc cegraves compa -rable La fonc tion de ces reacutefeacute rences dans le contexte geacuteneacute ral du dia logue nrsquoest pas dif fi cile agrave ana ly ser ces reacutefl exions donnent direc -te ment lrsquoagrave- propos agrave la dis cus sion qui suit et qui concerne prin ci pa -le ment la valeur de lrsquoart du rhap sode et la deacutemons tra tion qursquoIon se consi deacute rant comme speacute cia liste en la matiegravere est pour tant inapte agrave eacutemettre des juge ments phi lo sophiques sen seacutes sur le contenu des mythes qursquoil raconte28

Le dia logue Charmide œuvre de jeu nesse comme lrsquoIon a lieu dans la palestre de Taureacuteas en face du temple de la laquo Basilika raquo abreacute via tion cou rante pour le temple de Perseacutephone Basileacuteia29 Ici par contre crsquoest moins le temple de Perseacutephone que la palestre qui est signi fi ca tive pour le contenu du dia logue qui tourne prin ci pa le -ment autour des connais sances du jeune gar ccedilon Charmide

La des crip tion de la mise en scegravene du dia logue Phegravedre qui fait par tie des œuvres de matu riteacute du phi lo sophe peut ecirctre consi deacute reacutee comme le seul exemple de des crip tion poeacute tique de la nature chez Platon Socrate ren contre Phegravedre deacuteam bu lant le long des che mins qui megravenent agrave Athegravenes pour y cher cher un endroit ougrave lire un dis -cours de Lysias sur lrsquoamour et deacutecide de lrsquoaccom pa gner jus qursquoau fl euve Ilissos Apregraves srsquoecirctre rafraicirc chis les pieds dans lrsquoeau les deux inter lo cuteurs srsquoins tallent dans lrsquoombre drsquoun pla tane ougrave ils dis cutent drsquoabord de la tra di tion de lrsquoenlegrave ve ment drsquoOrithye celle- ci eacutetait la fi lle du roi atheacute nien Eacuterechtheacute et fut ravie par Boreacutee agrave mi- chemin entre cet endroit et le temple drsquoArteacutemis Agra30 De plus Socrate

27 Pl Ion 530a Compa rer Paul Bernard laquo Note eacutepidaurienne La data tion du temple drsquoAscleacutepios et lrsquoIon de Platon raquo dans Bul le tin de Cor res pon dance Hel leacute -nique 85 1962 p 400-402

28 Cf Egert Poehlmann laquo Enthusiasmus und Mimesis Zum platonischen Ion raquo dans Gymnasium 83 1976 p 191-208 Herbert Eisenberger laquo Sokratesrsquo Absichten im Ion raquo dans Christoff Neumeister (eacuted) Antike Texte in Forschung und Schule Festschrift fuumlr Willibald Heilmann zum 65 Geburtstag FrankfurtMain 1993 p 71-98

29 La palestre de Taureacuteas nrsquoa pas encore eacuteteacute loca li seacutee la laquo Basilika raquo se trouve au sud de lrsquoAcro pole non loin du mur drsquoenceinte de la ville (Platon Charmide 153a)

30 Terme qui srsquoapplique soit agrave un sur nom de la deacuteesse soit au degraveme Agrai ougrave se serait trouveacute ce sanc tuaire La loca li sa tion exacte du lieu de lrsquoenlegrave ve ment se situe rait agrave envi ron 2 ou 3 stades du pla tane et serait mar queacutee par un autel au dieu du vent du Nord (Platon Phegravedre 229a-c) mais Platon cite aussi lrsquoAreacuteo page comme

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deacutecrit qursquoil a lrsquoimpres sion drsquoaper ce voir non loin de leur lieu de repos quelques sta tues qui lais se raient sup po ser lrsquoexis tence drsquoun sanc tuaire de quelques nymphes et du dieu du fl euve Acheacuteloos (Platon Phegravedre 230b-c) le fi ls drsquoOceacutean et de Teacutethys le pegravere des Siregravenes La rai son de cette mise en scegravene est plus dif fi cile agrave ana ly -ser Socrate pro fesse drsquoabord ndash en contraste eacutecla tant avec sa des -crip tion buco lique de lrsquoendroit agrave laquelle il donne ainsi un accent drsquoiro nie ndash drsquoecirctre tout agrave fait deacutes in teacute resseacute par la nature et de nrsquoecirctre attireacute que par les villes car crsquoest lagrave qursquoil trouve les humains gracircce aux quels il peut conti nuer agrave apprendre (Platon Phegravedre 230d-e) Cepen dant suite agrave la dis cus sion sur la valeur de la rheacute to rique et la deacutefi ni tion de lrsquoamour31 Socrate srsquoemporte rapi de ment et livre tout un dis cours ins pireacute et mythologisant sur le des tin de lrsquoacircme humaine contras tant avec ses reacutefl exions objec tives et son rai son ne ment froid sur lrsquoart de la rheacute to rique Nous pou vons donc sup po ser que le cadre du dia logue ait eacuteteacute expres seacute ment choisi pour illus trer agrave la fois le pen -chant ration nel de Socrate contras tant avec le pai sible sanc tuaire des nymphes et son retour agrave la poeacute sie divine ins pireacute par la speacute cu -la tion phi lo sophique illus trant ainsi le che mi ne ment du phi lo sophe qui se deacutetourne des ten ta tions de la nature pour culti ver la pen seacutee logique qui le ramegravene de nou veau aux veacuteri teacutes natu relles32

Le Parmeacutenide assu reacute ment lrsquoun des dia logues tar difs de Platon se joue agrave Athegravenes lors des fecirctes panatheacuteennes et per met ainsi la mise en scegravene drsquoune ren contre fi c tive entre trois geacuteneacute ra tions de phi -lo sophes Parmeacutenide Zeacutenon et Socrate (Platon Parmeacutenide 127a) Il semble qursquoen dehors de cette fonc tion pure ment prag ma tique la men tion des Pana theacute neacutees ne puisse ecirctre inter preacute teacutee comme sym -

lieu pos sible (Platon Phegravedre 229c) Par rap port agrave la reli gion dans le Phegravedre cf les remarques de G Arabatzis laquo Enkalypsamenos raquo [n 1]

31 Cf Hubert Kesters laquo De ware redekunst volgens Platoonsrsquo Phaidros raquo dans Tijdschrift voor phi lo sophie 25 1963 p 651-687 et 36 1964 p 33-67 L Rossetti (eacuted) Understanding the Phaedrus Proceedings of the II Sym po sium Platonicum Sankt Augustin 1992 Jens Halfwassen laquo Bemerkungen zum Ursprung der Lehre vom Seelenwagen raquo dans Jahrbuch fuumlr Religionswissenschaft und Theologie der Religionen 2 1994 p 114-128 Gustav A Seeck laquo Schlechte und gute Liebe in Platons Phaidros raquo dans Wuumlrzburger Jahrbuumlcher 22 1998 p 101-121

32 Cette rela tion entre phi lo sophie et theacuteo logie se retrouve drsquoailleurs aussi dans la priegravere fi nale du Phegravedre ougrave Socrate prie les dieux de reacutecom pen ser les efforts du phi lo sophe par la sagesse Lrsquoon trou vera une ana lyse appro fon die de cette priegravere chez Konrad Haiser laquo Das Gold der Weisheit Zum Gebet des Philosophen am Schluss des Phaidros raquo dans Rheinisches Museum 132 1989 p 105-140

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bole preacute cis du contenu du dia logue dis cus sion pure ment for melle sur lrsquouniteacute et la mul ti pli citeacute qui nous livre peut- ecirctre lrsquoessence de la doc trine eacuteso teacute rique de Platon33 mais dont lrsquoana lyse deacutepas se rait lar -ge ment le cadre de la preacute sente recherche por tant uni que ment sur la place du culte grec tra di tion nel dans lrsquoœuvre de Platon

Le deacutebut de la Reacutepu blique est eacutega le ment carac teacute riseacute par une reacutefeacute -rence au culte deux des pro ta go nistes reviennent de la pre miegravere ceacuteleacute bra tion offi cielle drsquoune fecircte en lrsquohon neur de Bendis une divi -niteacute thrace nou vel le ment impor teacutee34 Platon deacutecrit ici les deux per -son nages des cen dus au Pireacutee ndash ougrave arri vait en bateau comme nous pou vons le sup po ser lrsquoimage de la deacuteesse ndash moti veacutes par deux rai -sons drsquoune part pour prier tout comme les autres spec ta teurs mais aussi drsquoautre part pour assou vir leur curio siteacute face agrave la pompe exteacute rieure des deux pro ces sions dont celle des Thraces est deacutecrite comme aussi impres sion nante que celle des Atheacuteniens Un peu plus tard nous appre nons aussi que les fes ti vi teacutes seront clocirc tu reacutees le soir par une pro ces sion eacutequestre ndash nou veauteacute reli gieuse comme le sou -ligne Platon ndash et des fecirctes noc turnes (Platon Reacutepu blique I 328a) Le cli mat de fes ti viteacute solen nelle qui implique lrsquoacti viteacute reli gieuse de la ville complegravete forme un cadre excellent pour la dis cus sion sur la nature de la jus tice et la deacutefaite intel lec tuelle de la posi tion des sophistes telle qursquoelle est sym bo li seacutee par les argu ments de Thrasymaque35 Il est eacutega le ment inteacute res sant de noter que Socrate mecircme srsquoil par ti cipe aux fes ti vi teacutes exprime son peu drsquoenvie drsquoy

33 Il est neacutean moins juste de sou li gner que laquo les Pana theacute neacutees refl egravetent lrsquouniteacute poli tique des citoyens atheacuteniens et lrsquoeacuteclat de leur citeacute Ren contre des geacuteneacute ra tions [hellip] dis cus sions entre phi lo sophes atheacuteniens et eacutetran gers concours divers [hellip] la citeacute ceacutelegravebre dans une effer ves cence poli tique reli gieuse et intel lec tuelle la deacuteesse qui la pro tegravege et patronne les mul tiples aspects de la vie en socieacuteteacute raquo (Catherine Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo dans Kernos 6 1993 p 225-243 p 241)

34 Elle eacutetait fecircteacutee annuel le ment le 19e20e Thargeacutelion (Platon Reacutepu blique I 327a donc deacutebut juin) Son intro duc tion offi cielle (pro ba ble ment en 430) qui avait semble- t-il des rai sons plu tocirct poli tiques que reli gieuses consti tuait une nou -veauteacute dans le sys tegraveme reli gieux clas sique drsquoAthegravenes cf J Jr Best laquo Bendis raquo dans Hermeneus 35 1964 p 122-128 Di miter Dopov laquo Essence ori gine et pro -pa ga tion du culte de la deacuteesse thrace Bendis raquo dans Dia logue drsquohis toire ancienne 2 1976 p 289-303 Claudia Montepaone laquo Bendis tracia and Atene lrsquointegrazione del nuovo attraverso forme dellrsquoideologia raquo dans A ION (Archeol) 12 1990 p 103-121

35 P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 47 par contre inter pregravete le cadre de maniegravere tout agrave fait dif feacute rente et y voit une allu sion agrave ce que la reli gio siteacute serait acces sible agrave tout le monde mais la theacuteo logie phi lo sophique aux seuls intel lec tuels cagraved sui vant le point de vue grec aux peuples hel leacute ni seacutes

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retour ner le soir seule la pro messe drsquoy deacutecou vrir des inter lo cuteurs poten tiels arrive agrave le faire fl eacute chir36

Dans le Timeacutee qui est la suite directe de la Reacutepu blique et commence avec une reacuteca pi tu la tion assez som maire des ideacutees de ce dia logue37 le cadre reli gieux de la Reacutepu blique est deacuteformeacute de faccedilon assez remar quable puisque la dis cus sion nrsquoa pas lieu le len de main de la fecircte pour Bendis mais lors des Pana theacute neacutees ceacuteleacute breacutees le 28e Heacutekatombaion (Platon Timeacutee 26e) La solen niteacute de la fecircte y est mise expres seacute ment en rela tion avec le thegraveme du dia logue la creacutea tion mys tique et la nature mateacute rielle du monde comme par ti cu liegrave re ment seyante agrave des speacute cu la tions aussi pro fondes (Platon Timeacutee 26e) De plus Critias le jeune qui relate le mythe de lrsquoAtlantide agrave Socrate y explique qursquoil a lui- mecircme appris cette tra di tion par Critias lrsquoancien lors de la ceacuteleacute bra tion des Apatouries38

Notons fi na le ment que mecircme les Lois dia logue inacheveacute et lourd peu compa rable avec la viva citeacute des œuvres de jeu nesse ont un cadre reli gieux le pre mier mot en est deacutejagrave laquo Dieu raquo et le sceacute -na rio ouvre sur une speacute cu la tion sur lrsquoori gine divine des lois des Laceacute deacute mo niens et des Creacute tois pro ve nant res pec ti ve ment drsquoApol -

36 Platon Reacutepu blique I 328a La suite de la dis cus sion qui concer nera la deacutefi ni tion de la jus tice agrave tra vers une deacutefi ni tion de lrsquoEacutetat ideacuteal peut eacutega le ment ecirctre inter preacute teacutee comme eacutetant en rap port eacutetroit avec la des crip tion des fes ti vi teacutes reli -gieuses de la citeacute atheacute nienne mais il ne faut pas oublier que le pre mier livre de la Reacutepu blique a pro ba ble ment preacute ceacutedeacute les livres sui vants de nom breuses anneacutees Nous ne savons donc pas preacute ci seacute ment si la fecircte deacutedieacutee agrave Bendis a eacuteteacute ajou teacutee plus tard au pro logue du pre mier livre en fonc tion de lrsquoeacuteco no mie glo bale de la Reacutepu -blique ou au contraire nrsquoa eacuteteacute des ti neacutee qursquoagrave intro duire le pre mier livre et nrsquoa donc qursquoun rap port acci den tel avec les livres II agrave X Alors que Pierre Javet laquo Ceacutephale et Platon sur le seuil de la vieillesse Reacutefl exions sur le pro logue de la Reacutepu blique raquo dans Revue Phi lo sophique de la France et de lrsquoeacutetran ger 1982 p 241-247 affi rme que la ren contre de Socrate avec Poleacute marque et sa dis cus sion avec Ceacutephale ont eacuteteacute compo seacutees en fonc tion de lrsquoensemble de la Reacutepu blique P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 46 sou tient la thegravese du rap port acci den tel en fai sant remar quer que ce dia logue devenu eacutenorme deacutebute seule ment dans la soi reacutee et ne peut donc fi nir rai son na ble ment quelques heures plus tard ndash un pro blegraveme que Platon aurait cer tai -ne ment eacuteviteacute srsquoil avait voulu degraves le deacutebut eacutecrire une œuvre tel le ment gigan tesque (et ce nrsquoest pas un hasard si les Lois eux deacutebutent le matin en rai son de la lon gueur impres sion nante de lrsquoœuvre)

37 Compa rer p ex Christopher J Rowe laquo Why is the Ideal Athens of the Timaeus- Critias not Ruled by Philosophers raquo dans Meacutethexis 10 1997 p 51-57

38 Celles- ci ougrave les jeunes hommes eacutetaient ins crits dans leur phra trie (Platon Timeacutee 21b) eacutetaient eacutega le ment preacute si deacutees par Atheacutena et Zeus et duraient trois jours

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lon pythique et de Zeus39 Plus tard nous appre nons que les inter lo -cuteurs se trouvent en Cregravete et sont sur le che min de Cnossos vers la grotte sacreacutee de Zeus40

Nous voyons donc que le choix de lrsquoeacuteleacute ment reli gieux tra di tion -nel nrsquoest pas acci den tel dans la mise en scegravene des dia logues de Platon et que au contraire la men tion des cultes a dans la plu part des cas un rap port phi lo sophique direct avec le thegraveme du dia logue qui srsquoen suit Crsquoest donc la reli gio siteacute tra di tion nelle qui oserions- nous dire ins pire sa propre trans cen dance par la dis cus sion meacuteta -phy sique et est eacutevo queacutee impli ci te ment comme base neacuteces saire agrave toute aven ture intel lec tuelle

La precirc trise comme pro fes sion

Un autre thegraveme reacutecur rent chez Platon est celui de la compeacute tence pro fes sion nelle des dif feacute rents precirctres Nous connais sons tous les exemples nom breux ougrave le phi lo sophe parle des timo niers des menui -siers et des meacutede cins mais il est eacuteton nant de voir que la men tion du devin (μάντις) comme exemple drsquoun meacutetier parmi drsquoautres est assez cou rante chez Platon41 Notons ici que Platon mecircme srsquoil parle en regravegle geacuteneacute rale des devins sans en speacute ci fi er en deacutetail les fonc tions theacuteo lo giques ou meacutethodes pro fes sion nelles leur attri bue (en theacuteo rie au moins) une vraie laquo connais sance du futur raquo (Platon Charmide 173c ἐπιστήμην τοῦ μέλλοντος) et les rap proche en fai sant eacutegard agrave leur ins pi ra tion commune par le souffl e divin des rhap sodes des chan teurs drsquooracles (Platon Ion 534c Apo logie 22c) et mecircme des poli ti ciens (Platon Meacute non 98c-d) De faccedilon sem blable dans le Poli -tique Platon les carac teacute rise comme tra duc teurs et voix des dieux (Platon Poli tique 290c) tan dis que les precirctres sont deacutefi nis comme ceux qui srsquooccupent drsquoorga ni ser le contact des humains avec les

39 Platon Lois I 624a-625a cf aussi 632d40 Platon Lois I 625a-b Lrsquoon peut soit lrsquoiden ti fi er comme le sanc tuaire

de la grotte dicteacuteenne ndash lrsquoopi nion geacuteneacute ra le ment admise cf commen taire Klaus Schoumlpsdau (eacuted trad et comm) Platon Gesetze Buch I- IV Darmstadt 21990 ndash ou celui du Mont Ida cf Glenn R Morrow Platorsquos Cretan City a Historical Interpretation of the Laws Princeton 1962 p 27ndash28 Par rap port agrave la signi fi ca tion reli gieuse de la Cregravete cf Jesuacutes Lens Tuero laquo La mitifi cacioacuten de Creta en la cultura griega del siglo IV raquo dans Actas del VIII congreso espantildeol de estudios claacutesicos (Madrid 23-28 de septiembre de 1991) t 3 Madrid 1994 p 219-222

41 Voir en dehors de lrsquoEuthyphron dont le pro ta go niste homo nyme est qua -li fi eacute de devin Platon Ion 531b Charmide 173c

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dieux par les sacri fi ces et les priegraveres (Platon Poli tique 290c-d) ayant annexeacute en ceci les attri bu tions des anciens rois42 Ce juge ment en somme posi tif pour rait ecirctre impu table au fait que Platon voyait beau coup de res sem blances entre le devin et le phi lo sophe43 Neacutean -moins il ne place les devins et precirctres qursquoau cin quiegraveme rang des formes de vie du Phegravedre (Platon Phegravedre 248d) et insiste sur le fait qursquoil ne veut par ler que des devins laquo seacuterieux raquo (τοὺς δὲ ὡςἀληθῶς μάντεις) qursquoil met en contraste avec les beaux- parleurs (τοὺς μὲν ἀλαζόνας) qui man que raient de σωφροσύνη (Platon Charmide 173c) Nous trou vons un exemple de ces devins laquo non seacuterieux raquo dans la Reacutepu blique Platon y deacutecrit par la bouche drsquoAdeacutemante que les char la tans et les devins (ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις) pro mettent aux riches de rache ter contre paye ment leurs fautes morales par des sacri fi ces et des for mules magiques et assurent mecircme pou voir infl u en cer les dieux par des incan ta tions magiques44 agrave faire du tort aux autres humains bons ou mau vais (Platon Reacutepu blique II 364b-365a) En ceci ils srsquoappuyeraient sur Hom egravere qui qua li fi ait deacutejagrave les dieux drsquoinfl u en ccedilables par des pro messes et des offrandes (Hom -egravere Iliade IX 497-501) et sur les eacutecrits mys tiques de Museacutee et drsquoOrpheacutee45 Ceux- ci auraient ensei gneacute que des hommes et mecircme

42 Platon prouve ce rai son ne ment en nom mant lrsquoArchon Basileacuteios drsquoAthegravenes res pon sable des offrandes les plus archaiumlques et veacuteneacute rables et cite aussi lrsquoini tiation obli ga toire des pha raons drsquoEacutegypte agrave lrsquoart des precirctres (Platon Poli tique 290e)

43 Cf Richard Bodeacuteuumls laquo ldquoJe suis devinrdquo (Phegravedre 242c) Remarques sur la phi lo sophie selon Platon raquo dans Kernos 3 1990 p 45-52 p 49 laquo La contem pla -tion phi lo sophique en effet nrsquoest pas sans ana logie avec la vision divi na toire [hellip] De mecircme que le devin voit sans lrsquointel li gence des signi fi ants le phi lo sophe voit par lrsquointel li gence des signi fi eacutes Crsquoest un vision naire dans lrsquoordre de lrsquointel li -gible raquo

44 Voir aussi Carlo A Viano laquo Retorica magia e natura in Platone raquo dans Rivista di Filosofi a 56 1965 p 411-453 qui sou ligne que Platon dans le livre X des Lois et dans le Phegravedre met la magie et la rheacute to rique sur le mecircme plan puis qursquoelles exercent toutes les deux une action psy cho lo gique sur lrsquoacircme et que lrsquohomme lui- mecircme est sujet agrave la rheacute to rique et agrave la magie en tant que par tie de la nature

45 Au sujet de la rela tion de Platon aux orphiques cf Paul Boyanceacute Le Culte des Muses chez les phi lo sophes grecs Paris 1937 p 21ndash24 le mecircme laquo Platon et les Cathartes orphiques raquo dans Revue des eacutetudes grecques 55 1942 p 217-235 Philippe Borgeaud (eacuted) Orphisme et Orpheacutee en lrsquohon neur de Jean Rudhardt Genegraveve 1991 Leacuteonid Zhmud laquo Orphism and grafi tti from Olbia raquo dans Hermes 120 1992 p 159-168 (confi r mant Platon Cratylos 400c) Alberto Bernabeacute laquo Una etimologiacutea platoacutenica soma- sema raquo dans Philologus 139 1995 p 204-237 Giovanni Casadio laquo El mito del laquo Poliacutetico raquo (268 D-274 E) y la his to ria de las religiones raquo dans Emerita 64 1996 p 65-77 Les frag ments orphiques conser veacutes

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 563

des citeacutes entiegraveres pou vaient rache ter leurs fautes preacute sentes et pas seacutees par des sacri fi ces et des jeux (διὰ θνσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν)46 Mecircme si Platon consi degravere geacuteneacute ra le ment les astres comme des divi ni -teacutes47 il explique dans le Timeacutee que les pheacute no megravenes astro no miques ne doivent pas ecirctre pris pour des preacute sages mais srsquoexpliquent par des rai sons pure ment matheacutema tiques (Platon Timeacutee 40c-d) ce qui peut ecirctre inter preacuteteacute comme une cri tique de la man tique astro lo gique Dans les Lois il deacutecrit que beau coup de magi ciens et de devins seraient mecircme en reacutea liteacute des a theacuteistes sou cieux de pro fi ter de la creacute du liteacute de leurs conci toyens (Platon Lois X 908d)48

chez Platon peuvent ecirctre consul teacutes main te nant dans Alberto Bernabeacute Poetae epici Graeci Testimonia et frag menta Pars II Fasc 1-2 Orphicorum et Orphicis similium frag menta MuumlnchenLeipzig 2004-2005

46 Un preacute jugeacute pla to ni cien qui reacutefl egravete le peu drsquoestime qursquoavaient les intel lec -tuels contem po rains pour la char la ta ne rie issue des speacute cu la tions gran dioses de lrsquoorphisme (pour tant extrecirc me ment popu laires agrave lrsquoeacutepoque cf Martin P Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion t1 Bis zur Weltherrschaft Muumlnchen 1941 p 684 et 800) et qui semble sur tout issue du pytha go risme (Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore de Gregravece en Palestine Paris 1927 p 81ndash82) Pour lrsquoinfl u ence de Pythagore sur Platon compa rer aussi Erich Frank Plato und die so genannten Pythagoreer Halle 1923 Pierre Boyanceacute laquo Lrsquoinfl u ence pytha go ri -cienne sur Platon raquo dans Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia Naples 1966 p 73-113 Bartel Leendert Van Der Waerden laquo Platon et les sciences exactes des Pytha go ri ciens raquo dans Bul le tin de la Socieacuteteacute Matheacutema tique de Belgique 21 1969 p 120-122 Maria Tortorelli Ghidini et al (eacuted) Tra Orfeo e Pitagora origini e incontri di culture nellrsquoantichitagrave atti dei seminari napoletani 1996-1998 Naples 2000 Leacuteonid Zhmud laquo Uumlberlegungen zur pythagoreischen Frage raquo dans Georg Rechenauer (eacuted) Fruumlhgriechisches Denken Goumlttingen 2005 p 135-151 David En gels laquo Geometrie und Phi lo sophie Zur Visualisierung metaphysischer Konzepte durch raumlumliche Darstellungen in der pythagoreischen Phi lo sophie raquo dans D GroszligS Westermann (eacuted) Vom Bild zur Erkenntnis Visualisierungskonzepte in den Wissenschaften Kassel 2007 p 113ndash129

47 Platon Timeacutee 401ndash402 Lois VII 821bndashc Voir agrave ce sujet p ex Hans Herter laquo Gott und die Welt bei Platon raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 158 1958 p 106-117 GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 399ndash402 et 445ndash448

48 En ce qui concerne lrsquoart divi na toire sou li gnons ici encore que Platon dans le Lachegraves laisse Socrate affi r mer que chaque pro fes sion confegravere agrave celui qui lrsquoexerce cor rec te ment une auto riteacute de speacute cia liste dans son domaine Ceci le conduit agrave demander agrave son inter lo cuteur un mili taire srsquoil est donc deacutecideacute en cas de guerre agrave faire plu tocirct confi ance agrave ses propres avis stra teacute giques qursquoaux conseils des devins que lrsquoon ne sau rait dif fi ci le ment regar der comme des auto ri teacutes compeacute tentes en matiegravere miliaire ce agrave quoi le stra tegravege atheacute nien acquiesce (Platon Lachegraves 199a) Si lrsquoon pense que ce stra tegravege nrsquoest autre que Nicias le poli ti cien atheacute nien qui notam -ment parce qursquoil avait accordeacute foi agrave des devins et des oracles dans ses deacuteci sions mili taires connaicirct en 413 une fi n tra gique en Sicile (ougrave il avait assieacutegeacute en vain la ville de Syracuse et ougrave il fut fait pri son nier par les habi tants qui le condam negraverent agrave mort) lrsquoendroit ne manque pas de piment et laisse per ce voir lrsquoiro nie de Platon qui

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La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

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Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

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la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 571

pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 573

de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

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pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

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nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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pour sa Geburt der Tragoumldie13 ndash qui pro po sait lrsquoexpli ca tion alter -na tive la plus popu laire Ascleacutepios eacutetant le dieu de la gueacute ri son qui fai sait jouer ses pou voirs pen dant le som meil des malades une offrande devait ecirctre en quelque rela tion avec une mala die dont souf -frait le phi lo sophe mais de laquelle il aurait gueacuteri si bien que le dieu meacuteri te rait sa reacutecom pense En pous sant la speacute cu la tion et en cher chant agrave deacutefi nir cette mala die Nietzsche conclut que crsquoest de sa vie elle- mecircme que le phi lo sophe se consi deacutera deacutesor mais gueacuteri et que la mort lui eacutetait eacutequi va lente au reacuteveil dans un monde meilleur apregraves le long som meil de mala die que serait la vie dans le monde mateacute riel speacute cu la tion drsquoautant plus pro bable que le coq est jus te -ment le sym bole par excel lence de la renais sance apregraves la mort14 Des recherches dans le cadre des cultes des dif feacute rents degravemes de la ville ont per mis reacutecem ment une troi siegraveme inter preacute ta tion le plu riel qursquouti lise Socrate en par lant de laquo notre raquo dette srsquoexpli que rait du fait qursquoil appar te nait tout comme Criton agrave qui il srsquoadresse au degraveme drsquoAlogravepeacutekeacute Le calen drier de cette commune pour rait avoir preacutevu pour la date du 8e Elapheacutebolion ndash donc quelques jours apregraves la mort de Socrate ndash en preacute lude aux Grandes Dionysies le sacri fi ce drsquoun coq comme offrande agrave Ascleacutepios pour les membres de ce degraveme15

PLATON

Il est eacutevi dem ment impos sible de nous pen cher sur lrsquoensemble des remarques rela tives16 agrave la reli gion dans lrsquoœuvre de Platon dans

13 Cf Karlfried Gruumlnder (eacuted) Streit um Nietzsches laquo Geburt der Tragoumldie raquo Die Schriften von E Rohde R Wagner U v Wilamowitz- Moellendorf Hilde-sheim 1969

14 Friedrich Nietzsche Die froumlhliche Wissenschaft (1887) dans G Col liM Montinari (eacuted) Friedrich Nietzsche Saumlmtliche Werke Kritische Studienaus-gabe in 15 Baumlnden t 3 Muumlnchen 1980 p 343-652 A ph 340 p 569 laquo Dieses laumlcherliche und furchtbare letzte Wortrsquo heisst fuumlr Den der Ohren hat sbquoOh Kriton das Leben ist eine Krankheit rsquo raquo Voir eacutega le ment John L Carafi des laquo The Last Words of Socrates raquo dans Platon 23 1971 p 229-232 qui inter pregravete les der niegraveres paroles de Socrate agrave la lumiegravere des doc trines orphico- pythagoriciennes de puri fi -ca tion et drsquoimmor ta liteacute de lrsquoacircme et qui remer cie donc Ascleacutepios de gueacute rir de la mala die de la vie Pour le sym bo lisme du coq cf Pierre Trotignon laquo Sur la mort de Socrate raquo dans Revue de Meacuteta phy sique et de Morale 81 1976 p 1-10

15 Jules Labarbe laquo Der niegraveres paroles drsquoanciens Grecs der niegraveres paroles de Socrate raquo dans Bul le tin de la Classe de lettres de lrsquoAca deacute mie royale de Belgique 6 s 1 1990 p 189-222

16 A Lefka laquo Le regard ration nel raquo [n 1] p 125 compte 76 men tions de divi ni teacutes agrave 1182 reprises dans les œuvres de Platon

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le cadre de cet exposeacute Nous nous bor ne rons donc agrave dis tin guer plu sieurs thegravemes prin ci paux qui carac teacute risent lrsquoatti tude du phi lo -sophe17 Le pre mier eacuteleacute ment inteacute res sant est lrsquoana lyse des remarques geacuteneacute rales concer nant la pieacuteteacute et la reli gio siteacute le deuxiegraveme les eacuteleacute -ments reli gieux dans les sceacute na rios des dia logues le troi siegraveme le juge ment de lrsquooffi ce cultuel en tant que pro fes sion et les qua triegraveme et cin quiegraveme le rocircle qursquooccupent la reli gion et le culte dans les deux grands dia logues que sont la Reacutepu blique et les Lois

Remarques geacuteneacute rales

Consi deacute rons donc quelques remarques geacuteneacute rales de Platon sur la pieacuteteacute Drsquoabord il est inteacute res sant de consta ter que Platon cite Protagoras qui dans le dia logue du mecircme nom deacutefi nit lrsquohumain comme le seul ani mal capable de croire aux dieux et de leur eacutedi -fi er autels et sta tues et nous nrsquoavons aucune rai son de croire que le phi lo sophe vou lait ici contre dire le sophiste (Platon Protagoras 322a) De maniegravere sem blable Platon deacuteclare dans la Reacutepu blique que les Heacutellegravenes se deacutefi nissent entre autres par la veacuteneacute ra tion des mecircmes sanc tuaires (Platon Reacutepu blique V 470e) Ensuite crsquoest sur tout le dia logue Euthyphron18 qui meacuterite une atten tion par ti cu -liegravere car il est essen tiel le ment consa creacute agrave une deacutefi ni tion de la reli -gio siteacute et sert agrave reacutefu ter impli ci te ment lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie por teacutee agrave

17 Pour ecirctre complet citons encore Platon Lysias 206e ougrave le jeune Meacutenegravexegravene et ses amis habilleacutes festivement viennent de preacute sen ter des offrandes aux dieux et sont jus te ment en train de jouer aux deacutes avant que Socrate ne les inter pelle (le dia -logue por tant sur lrsquoami tieacute et lrsquoeacutedu ca tion) Platon Reacutepu blique I 328 ougrave le vieux Keacutephalos dont nous savons qursquoil a eacuteteacute inviteacute par Peacutericles agrave Athegravenes ougrave il fi nira sa vie 30 ans plus tard vient eacutega le ment de faire des offrandes dans la cour de sa mai son et ceint drsquoune cou ronne est assis sur un grand siegravege et explique aux inter lo -cuteurs du dia logue qursquoil se preacute pare agrave la mort mais nrsquoen a pas peur puis qursquoil a meneacute une vie cor recte et pieuse Platon Hippias Minor 363d ougrave le sophiste Hippias drsquoEacutelide est deacutecrit comme tenant des dis cours somp tueux agrave lrsquoocca sion de chaque fecircte olym pique devant le temple (de Zeus) et Platon Cratylos 401b-e ougrave Platon explique que les offrandes agrave Hestia doivent tou jours ecirctre faites en pre mier lieu en rai son de lrsquoeacutety mo logie drsquoHestia par οὐσία

18 Compa rer pour ce qui est des deacutefi ni tions de la pieacuteteacute et de la reli gion Joachim Klowski laquo Mythos und Logos in Platons Euthyphron raquo dans Anregung 33 1987 p 386-397 et Arno Schmidt laquo Euthyphron Sokratisches Erbe und der neue Weg des logos raquo dans Anregung 46 (2) 2000 p 83-91 Eacutevi dem ment Euthyphron est un dia logue de jeu nesse et pour rait donc refl eacute ter comme les autres dia logues de cette eacutepoque moins lrsquoavis de Platon lui- mecircme que celui de Socrate concer nant le culte et la reli gio siteacute

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Socrate par Meacuteleacutetos dont on apprend jus te ment au deacutebut du texte qursquoil vient de deacutepo ser son accu sa tion chez lrsquoArchon Poleacutemaios en prou vant au contraire la sin ceacute riteacute autant que le bien- fondeacute des sen ti ments reli gieux de Socrate Tan dis qursquoune appreacute cia tion sys -teacute ma tique de lrsquoargu men ta tion geacuteneacute rale du dia logue deacutepas se rait le cadre de cet exposeacute il est impor tant de sou li gner cer tains aspects des ten ta tives suc ces sives de Socrate pour eacuteta blir une deacutefi ni tion de la pieacuteteacute (ἡ ὁσιότης) Euthyphron lui- mecircme devin asserte dans un pre mier essai de deacutefi ni tion que la vraie pieacuteteacute consiste en lrsquoobeacuteis -sance aux lois des dieux et en la pour suite des impies dont les deux exemples prin ci paux sont le meurtre et le vol de biens des temples (Platon Euthyphron 5e) Si les deux pro chaines deacutefi ni tions refu -seacutees autant que la pre miegravere pour des rai sons de logique19 ne doivent pas nous concer ner ndash lrsquoune eacutetant que la pieacuteteacute consiste en ce que les dieux aiment lrsquoimpieacuteteacute ce qursquoils deacutetestent (Platon Euthyphron 9e) lrsquoautre que tout ce qui est pieux est aussi juste (Platon Euthyphron 11e) ndash la qua triegraveme pure ment empi rique meacuterite notre atten tion Socrate y pro pose que la pieacuteteacute soit la science de la priegravere et du sacri fi ce20 Un peu plus bas Socrate refor mule cette deacutefi ni tion car puisque la priegravere est une forme de demande et le sacri fi ce un cadeau (Platon Euthyphron 14d) la pieacuteteacute serait donc un commerce une ἐμπορικὴ avec les dieux plu tocirct qursquoune atti tude morale (Platon Euthyphron 14e) Se pose alors la ques tion de savoir si les sacri -fi ces que font les humains sont vrai ment utiles aux dieux ou srsquoils en appreacute cient seule ment le geste (Platon Euthyphron 15a-b) La der niegravere sup po si tion eacutetant la plus vrai sem blable la deacutefi ni tion de la pieacuteteacute se carac teacute ri serait donc agrave nou veau comme une action aimeacutee des dieux21 De maniegravere toute sem blable dans le Ban quet Platon laisse

19 Pour la struc ture logique de ces reacutefu ta tions voir Carla Carabba laquo I molti non sequitur dellrsquoEutifrone platonico raquo dans Sandalion 9 1982 p 91-95 qui sou -ligne de nom breuses entorses agrave la logique dont Socrate- Platon se rend cou pable pour reacutefu ter les thegraveses sou te nues par Euthyphron

20 Platon Euthyphron 14c Pour la deacutefi ni tion que sem blait avoir Platon de la priegravere cf Andreacute Motte laquo Deux expres sions du sen ti ment reli gieux dans la priegravere per son nelle en Gregravece II La priegravere du phi lo sophe chez Platon raquo dans Henri LimetJulien Ries (eacuted) Lrsquoexpeacute rience de la priegravere dans les grandes reli gions Actes du Col loque de Louvain- la-Neuve et Liegravege ( 22-23 novembre 1978) Louvain- la-Neuve 1980 p 173-204

21 Mais comme ceci avait eacuteteacute reacutefuteacute aupa ra vant le dia logue se ter mine en une apo rie comme de nom breux dia logues de jeu nesse de Platon mais une apo rie qui eacutemane moins de lrsquoincom peacute tence de Socrate que de lrsquoabsence drsquoune veacuteri table

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Eacuteryximaque reprendre impli ci te ment la deacutefi ni tion drsquoEuthryphon et deacutefi nir offrandes et divi na tion comme les deux seuls moyens qursquoont les humains drsquoentrer en contact avec les dieux de sau ve -gar der lrsquoamour entre humains et la pieacuteteacute envers les dieux (Platon Ban quet 188b-c) Le dis cours drsquoAristophane dans le Ban quet que lrsquoon connaicirct bien gracircce au mythe de creacutea tion de lrsquohomme et de la femme agrave par tir drsquoun Her ma phro dite22 reprend un autre eacuteleacute ment de lrsquoEuthyphron la moti vation prin ci pale de Zeus qui le porta plu tocirct agrave muti ler lrsquohomme aveu gleacute par lrsquoarro gance qursquoagrave le ter ras ser comme les Titans eacutema nait de sa volonteacute agrave srsquoassu rer aussi au futur hon neurs et offrandes (Platon Ban quet 190c)23

La mise en scegravene

Dans la mise en scegravene des œuvres de Platon24 le lieu du dia logue ou du moins le contexte geacuteneacute ral de lrsquoaction a sou vent un rap port indu bi table avec le culte reli gieux grec et meacuterite une atten tion par -ti cu liegravere puisque la mise en scegravene est indis so ciable du contenu du dia logue25 Dans le dia logue Ion le pro ta go niste du mecircme nom26 revient jus te ment drsquoEacutepidaure ougrave il a par ti cipeacute aux fecirctes don neacutees

eacutethique dans les convic tions du devin Euthyphron cf P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 82

22 Compa rer Jean Hani laquo Le mythe de lrsquoandro gyne dans le Ban quet de Platon raquo dans Euphrosyne 11 1981-82 p 89-101

23 Mecircme si Platon ne donne pas drsquoavis expli cite sur le contenu de ces deux dis cours nous savons que lrsquoordre des dis cours dans le Ban quet joue un rocircle cru -cial le dis cours jugeacute comme le trai te ment le plus appro fondi du thegraveme de la nature de lrsquoamour eacutetant le der nier celui de Socrate qui dit juste reprendre les termes de Diotimee precirc tresse agrave Mantineacuteia On serait donc tenteacute de voir dans les autres (dont le contenu nrsquoest cer tai ne ment pas abso lu ment contraire aux convic tions de Platon) de simples eacutetapes pro peacute deu tiques neacuteces saires pour atteindre le degreacute drsquoabs trac tion phi lo sophique de SocrateDiotime qui arrive agrave trans cen der la reli gio siteacute par la ratio na liteacute phi lo sophique qui seule per met trait drsquoacceacute der agrave la compreacute hen sion de la divi niteacute

24 Konrad Gaiser Protreptik und Paraumlnese bei Platon Untersuchungen zur Form des platonischen Dialogs Tuumlbingen 1959 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 164-181 cf Gasan C Gusejnov laquo Les per son nages de Platon Agrave la recherche du genre raquo dans BB Pietrovskij et al (eacuted) La civi li sa tion antique et la science moderne Moscou 1985 p 118-121 Marie- Laurence Desclos laquo La fonc tion des pro logues dans les Dia logues de Platon raquo dans Denis Vernant (eacuted) Du dia logue Grenoble 1992 p 15-29

25 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 17226 Cf sur le per son nage Allan H Gilbert (eacuted) Platorsquos Ion Comic and

Serious Studies in Honor of DWT Starnes Austin Univ of Texas 1967

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en lrsquohon neur drsquoAscleacutepios parmi les quelles fi gu rait un concours de rhap sodes dont Ion rem porta le pre mier prix27 Socrate invite Ion agrave par ti ci per aussi aux Pana theacute neacutees pour y obte nir un suc cegraves compa -rable La fonc tion de ces reacutefeacute rences dans le contexte geacuteneacute ral du dia logue nrsquoest pas dif fi cile agrave ana ly ser ces reacutefl exions donnent direc -te ment lrsquoagrave- propos agrave la dis cus sion qui suit et qui concerne prin ci pa -le ment la valeur de lrsquoart du rhap sode et la deacutemons tra tion qursquoIon se consi deacute rant comme speacute cia liste en la matiegravere est pour tant inapte agrave eacutemettre des juge ments phi lo sophiques sen seacutes sur le contenu des mythes qursquoil raconte28

Le dia logue Charmide œuvre de jeu nesse comme lrsquoIon a lieu dans la palestre de Taureacuteas en face du temple de la laquo Basilika raquo abreacute via tion cou rante pour le temple de Perseacutephone Basileacuteia29 Ici par contre crsquoest moins le temple de Perseacutephone que la palestre qui est signi fi ca tive pour le contenu du dia logue qui tourne prin ci pa le -ment autour des connais sances du jeune gar ccedilon Charmide

La des crip tion de la mise en scegravene du dia logue Phegravedre qui fait par tie des œuvres de matu riteacute du phi lo sophe peut ecirctre consi deacute reacutee comme le seul exemple de des crip tion poeacute tique de la nature chez Platon Socrate ren contre Phegravedre deacuteam bu lant le long des che mins qui megravenent agrave Athegravenes pour y cher cher un endroit ougrave lire un dis -cours de Lysias sur lrsquoamour et deacutecide de lrsquoaccom pa gner jus qursquoau fl euve Ilissos Apregraves srsquoecirctre rafraicirc chis les pieds dans lrsquoeau les deux inter lo cuteurs srsquoins tallent dans lrsquoombre drsquoun pla tane ougrave ils dis cutent drsquoabord de la tra di tion de lrsquoenlegrave ve ment drsquoOrithye celle- ci eacutetait la fi lle du roi atheacute nien Eacuterechtheacute et fut ravie par Boreacutee agrave mi- chemin entre cet endroit et le temple drsquoArteacutemis Agra30 De plus Socrate

27 Pl Ion 530a Compa rer Paul Bernard laquo Note eacutepidaurienne La data tion du temple drsquoAscleacutepios et lrsquoIon de Platon raquo dans Bul le tin de Cor res pon dance Hel leacute -nique 85 1962 p 400-402

28 Cf Egert Poehlmann laquo Enthusiasmus und Mimesis Zum platonischen Ion raquo dans Gymnasium 83 1976 p 191-208 Herbert Eisenberger laquo Sokratesrsquo Absichten im Ion raquo dans Christoff Neumeister (eacuted) Antike Texte in Forschung und Schule Festschrift fuumlr Willibald Heilmann zum 65 Geburtstag FrankfurtMain 1993 p 71-98

29 La palestre de Taureacuteas nrsquoa pas encore eacuteteacute loca li seacutee la laquo Basilika raquo se trouve au sud de lrsquoAcro pole non loin du mur drsquoenceinte de la ville (Platon Charmide 153a)

30 Terme qui srsquoapplique soit agrave un sur nom de la deacuteesse soit au degraveme Agrai ougrave se serait trouveacute ce sanc tuaire La loca li sa tion exacte du lieu de lrsquoenlegrave ve ment se situe rait agrave envi ron 2 ou 3 stades du pla tane et serait mar queacutee par un autel au dieu du vent du Nord (Platon Phegravedre 229a-c) mais Platon cite aussi lrsquoAreacuteo page comme

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deacutecrit qursquoil a lrsquoimpres sion drsquoaper ce voir non loin de leur lieu de repos quelques sta tues qui lais se raient sup po ser lrsquoexis tence drsquoun sanc tuaire de quelques nymphes et du dieu du fl euve Acheacuteloos (Platon Phegravedre 230b-c) le fi ls drsquoOceacutean et de Teacutethys le pegravere des Siregravenes La rai son de cette mise en scegravene est plus dif fi cile agrave ana ly -ser Socrate pro fesse drsquoabord ndash en contraste eacutecla tant avec sa des -crip tion buco lique de lrsquoendroit agrave laquelle il donne ainsi un accent drsquoiro nie ndash drsquoecirctre tout agrave fait deacutes in teacute resseacute par la nature et de nrsquoecirctre attireacute que par les villes car crsquoest lagrave qursquoil trouve les humains gracircce aux quels il peut conti nuer agrave apprendre (Platon Phegravedre 230d-e) Cepen dant suite agrave la dis cus sion sur la valeur de la rheacute to rique et la deacutefi ni tion de lrsquoamour31 Socrate srsquoemporte rapi de ment et livre tout un dis cours ins pireacute et mythologisant sur le des tin de lrsquoacircme humaine contras tant avec ses reacutefl exions objec tives et son rai son ne ment froid sur lrsquoart de la rheacute to rique Nous pou vons donc sup po ser que le cadre du dia logue ait eacuteteacute expres seacute ment choisi pour illus trer agrave la fois le pen -chant ration nel de Socrate contras tant avec le pai sible sanc tuaire des nymphes et son retour agrave la poeacute sie divine ins pireacute par la speacute cu -la tion phi lo sophique illus trant ainsi le che mi ne ment du phi lo sophe qui se deacutetourne des ten ta tions de la nature pour culti ver la pen seacutee logique qui le ramegravene de nou veau aux veacuteri teacutes natu relles32

Le Parmeacutenide assu reacute ment lrsquoun des dia logues tar difs de Platon se joue agrave Athegravenes lors des fecirctes panatheacuteennes et per met ainsi la mise en scegravene drsquoune ren contre fi c tive entre trois geacuteneacute ra tions de phi -lo sophes Parmeacutenide Zeacutenon et Socrate (Platon Parmeacutenide 127a) Il semble qursquoen dehors de cette fonc tion pure ment prag ma tique la men tion des Pana theacute neacutees ne puisse ecirctre inter preacute teacutee comme sym -

lieu pos sible (Platon Phegravedre 229c) Par rap port agrave la reli gion dans le Phegravedre cf les remarques de G Arabatzis laquo Enkalypsamenos raquo [n 1]

31 Cf Hubert Kesters laquo De ware redekunst volgens Platoonsrsquo Phaidros raquo dans Tijdschrift voor phi lo sophie 25 1963 p 651-687 et 36 1964 p 33-67 L Rossetti (eacuted) Understanding the Phaedrus Proceedings of the II Sym po sium Platonicum Sankt Augustin 1992 Jens Halfwassen laquo Bemerkungen zum Ursprung der Lehre vom Seelenwagen raquo dans Jahrbuch fuumlr Religionswissenschaft und Theologie der Religionen 2 1994 p 114-128 Gustav A Seeck laquo Schlechte und gute Liebe in Platons Phaidros raquo dans Wuumlrzburger Jahrbuumlcher 22 1998 p 101-121

32 Cette rela tion entre phi lo sophie et theacuteo logie se retrouve drsquoailleurs aussi dans la priegravere fi nale du Phegravedre ougrave Socrate prie les dieux de reacutecom pen ser les efforts du phi lo sophe par la sagesse Lrsquoon trou vera une ana lyse appro fon die de cette priegravere chez Konrad Haiser laquo Das Gold der Weisheit Zum Gebet des Philosophen am Schluss des Phaidros raquo dans Rheinisches Museum 132 1989 p 105-140

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bole preacute cis du contenu du dia logue dis cus sion pure ment for melle sur lrsquouniteacute et la mul ti pli citeacute qui nous livre peut- ecirctre lrsquoessence de la doc trine eacuteso teacute rique de Platon33 mais dont lrsquoana lyse deacutepas se rait lar -ge ment le cadre de la preacute sente recherche por tant uni que ment sur la place du culte grec tra di tion nel dans lrsquoœuvre de Platon

Le deacutebut de la Reacutepu blique est eacutega le ment carac teacute riseacute par une reacutefeacute -rence au culte deux des pro ta go nistes reviennent de la pre miegravere ceacuteleacute bra tion offi cielle drsquoune fecircte en lrsquohon neur de Bendis une divi -niteacute thrace nou vel le ment impor teacutee34 Platon deacutecrit ici les deux per -son nages des cen dus au Pireacutee ndash ougrave arri vait en bateau comme nous pou vons le sup po ser lrsquoimage de la deacuteesse ndash moti veacutes par deux rai -sons drsquoune part pour prier tout comme les autres spec ta teurs mais aussi drsquoautre part pour assou vir leur curio siteacute face agrave la pompe exteacute rieure des deux pro ces sions dont celle des Thraces est deacutecrite comme aussi impres sion nante que celle des Atheacuteniens Un peu plus tard nous appre nons aussi que les fes ti vi teacutes seront clocirc tu reacutees le soir par une pro ces sion eacutequestre ndash nou veauteacute reli gieuse comme le sou -ligne Platon ndash et des fecirctes noc turnes (Platon Reacutepu blique I 328a) Le cli mat de fes ti viteacute solen nelle qui implique lrsquoacti viteacute reli gieuse de la ville complegravete forme un cadre excellent pour la dis cus sion sur la nature de la jus tice et la deacutefaite intel lec tuelle de la posi tion des sophistes telle qursquoelle est sym bo li seacutee par les argu ments de Thrasymaque35 Il est eacutega le ment inteacute res sant de noter que Socrate mecircme srsquoil par ti cipe aux fes ti vi teacutes exprime son peu drsquoenvie drsquoy

33 Il est neacutean moins juste de sou li gner que laquo les Pana theacute neacutees refl egravetent lrsquouniteacute poli tique des citoyens atheacuteniens et lrsquoeacuteclat de leur citeacute Ren contre des geacuteneacute ra tions [hellip] dis cus sions entre phi lo sophes atheacuteniens et eacutetran gers concours divers [hellip] la citeacute ceacutelegravebre dans une effer ves cence poli tique reli gieuse et intel lec tuelle la deacuteesse qui la pro tegravege et patronne les mul tiples aspects de la vie en socieacuteteacute raquo (Catherine Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo dans Kernos 6 1993 p 225-243 p 241)

34 Elle eacutetait fecircteacutee annuel le ment le 19e20e Thargeacutelion (Platon Reacutepu blique I 327a donc deacutebut juin) Son intro duc tion offi cielle (pro ba ble ment en 430) qui avait semble- t-il des rai sons plu tocirct poli tiques que reli gieuses consti tuait une nou -veauteacute dans le sys tegraveme reli gieux clas sique drsquoAthegravenes cf J Jr Best laquo Bendis raquo dans Hermeneus 35 1964 p 122-128 Di miter Dopov laquo Essence ori gine et pro -pa ga tion du culte de la deacuteesse thrace Bendis raquo dans Dia logue drsquohis toire ancienne 2 1976 p 289-303 Claudia Montepaone laquo Bendis tracia and Atene lrsquointegrazione del nuovo attraverso forme dellrsquoideologia raquo dans A ION (Archeol) 12 1990 p 103-121

35 P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 47 par contre inter pregravete le cadre de maniegravere tout agrave fait dif feacute rente et y voit une allu sion agrave ce que la reli gio siteacute serait acces sible agrave tout le monde mais la theacuteo logie phi lo sophique aux seuls intel lec tuels cagraved sui vant le point de vue grec aux peuples hel leacute ni seacutes

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retour ner le soir seule la pro messe drsquoy deacutecou vrir des inter lo cuteurs poten tiels arrive agrave le faire fl eacute chir36

Dans le Timeacutee qui est la suite directe de la Reacutepu blique et commence avec une reacuteca pi tu la tion assez som maire des ideacutees de ce dia logue37 le cadre reli gieux de la Reacutepu blique est deacuteformeacute de faccedilon assez remar quable puisque la dis cus sion nrsquoa pas lieu le len de main de la fecircte pour Bendis mais lors des Pana theacute neacutees ceacuteleacute breacutees le 28e Heacutekatombaion (Platon Timeacutee 26e) La solen niteacute de la fecircte y est mise expres seacute ment en rela tion avec le thegraveme du dia logue la creacutea tion mys tique et la nature mateacute rielle du monde comme par ti cu liegrave re ment seyante agrave des speacute cu la tions aussi pro fondes (Platon Timeacutee 26e) De plus Critias le jeune qui relate le mythe de lrsquoAtlantide agrave Socrate y explique qursquoil a lui- mecircme appris cette tra di tion par Critias lrsquoancien lors de la ceacuteleacute bra tion des Apatouries38

Notons fi na le ment que mecircme les Lois dia logue inacheveacute et lourd peu compa rable avec la viva citeacute des œuvres de jeu nesse ont un cadre reli gieux le pre mier mot en est deacutejagrave laquo Dieu raquo et le sceacute -na rio ouvre sur une speacute cu la tion sur lrsquoori gine divine des lois des Laceacute deacute mo niens et des Creacute tois pro ve nant res pec ti ve ment drsquoApol -

36 Platon Reacutepu blique I 328a La suite de la dis cus sion qui concer nera la deacutefi ni tion de la jus tice agrave tra vers une deacutefi ni tion de lrsquoEacutetat ideacuteal peut eacutega le ment ecirctre inter preacute teacutee comme eacutetant en rap port eacutetroit avec la des crip tion des fes ti vi teacutes reli -gieuses de la citeacute atheacute nienne mais il ne faut pas oublier que le pre mier livre de la Reacutepu blique a pro ba ble ment preacute ceacutedeacute les livres sui vants de nom breuses anneacutees Nous ne savons donc pas preacute ci seacute ment si la fecircte deacutedieacutee agrave Bendis a eacuteteacute ajou teacutee plus tard au pro logue du pre mier livre en fonc tion de lrsquoeacuteco no mie glo bale de la Reacutepu -blique ou au contraire nrsquoa eacuteteacute des ti neacutee qursquoagrave intro duire le pre mier livre et nrsquoa donc qursquoun rap port acci den tel avec les livres II agrave X Alors que Pierre Javet laquo Ceacutephale et Platon sur le seuil de la vieillesse Reacutefl exions sur le pro logue de la Reacutepu blique raquo dans Revue Phi lo sophique de la France et de lrsquoeacutetran ger 1982 p 241-247 affi rme que la ren contre de Socrate avec Poleacute marque et sa dis cus sion avec Ceacutephale ont eacuteteacute compo seacutees en fonc tion de lrsquoensemble de la Reacutepu blique P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 46 sou tient la thegravese du rap port acci den tel en fai sant remar quer que ce dia logue devenu eacutenorme deacutebute seule ment dans la soi reacutee et ne peut donc fi nir rai son na ble ment quelques heures plus tard ndash un pro blegraveme que Platon aurait cer tai -ne ment eacuteviteacute srsquoil avait voulu degraves le deacutebut eacutecrire une œuvre tel le ment gigan tesque (et ce nrsquoest pas un hasard si les Lois eux deacutebutent le matin en rai son de la lon gueur impres sion nante de lrsquoœuvre)

37 Compa rer p ex Christopher J Rowe laquo Why is the Ideal Athens of the Timaeus- Critias not Ruled by Philosophers raquo dans Meacutethexis 10 1997 p 51-57

38 Celles- ci ougrave les jeunes hommes eacutetaient ins crits dans leur phra trie (Platon Timeacutee 21b) eacutetaient eacutega le ment preacute si deacutees par Atheacutena et Zeus et duraient trois jours

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lon pythique et de Zeus39 Plus tard nous appre nons que les inter lo -cuteurs se trouvent en Cregravete et sont sur le che min de Cnossos vers la grotte sacreacutee de Zeus40

Nous voyons donc que le choix de lrsquoeacuteleacute ment reli gieux tra di tion -nel nrsquoest pas acci den tel dans la mise en scegravene des dia logues de Platon et que au contraire la men tion des cultes a dans la plu part des cas un rap port phi lo sophique direct avec le thegraveme du dia logue qui srsquoen suit Crsquoest donc la reli gio siteacute tra di tion nelle qui oserions- nous dire ins pire sa propre trans cen dance par la dis cus sion meacuteta -phy sique et est eacutevo queacutee impli ci te ment comme base neacuteces saire agrave toute aven ture intel lec tuelle

La precirc trise comme pro fes sion

Un autre thegraveme reacutecur rent chez Platon est celui de la compeacute tence pro fes sion nelle des dif feacute rents precirctres Nous connais sons tous les exemples nom breux ougrave le phi lo sophe parle des timo niers des menui -siers et des meacutede cins mais il est eacuteton nant de voir que la men tion du devin (μάντις) comme exemple drsquoun meacutetier parmi drsquoautres est assez cou rante chez Platon41 Notons ici que Platon mecircme srsquoil parle en regravegle geacuteneacute rale des devins sans en speacute ci fi er en deacutetail les fonc tions theacuteo lo giques ou meacutethodes pro fes sion nelles leur attri bue (en theacuteo rie au moins) une vraie laquo connais sance du futur raquo (Platon Charmide 173c ἐπιστήμην τοῦ μέλλοντος) et les rap proche en fai sant eacutegard agrave leur ins pi ra tion commune par le souffl e divin des rhap sodes des chan teurs drsquooracles (Platon Ion 534c Apo logie 22c) et mecircme des poli ti ciens (Platon Meacute non 98c-d) De faccedilon sem blable dans le Poli -tique Platon les carac teacute rise comme tra duc teurs et voix des dieux (Platon Poli tique 290c) tan dis que les precirctres sont deacutefi nis comme ceux qui srsquooccupent drsquoorga ni ser le contact des humains avec les

39 Platon Lois I 624a-625a cf aussi 632d40 Platon Lois I 625a-b Lrsquoon peut soit lrsquoiden ti fi er comme le sanc tuaire

de la grotte dicteacuteenne ndash lrsquoopi nion geacuteneacute ra le ment admise cf commen taire Klaus Schoumlpsdau (eacuted trad et comm) Platon Gesetze Buch I- IV Darmstadt 21990 ndash ou celui du Mont Ida cf Glenn R Morrow Platorsquos Cretan City a Historical Interpretation of the Laws Princeton 1962 p 27ndash28 Par rap port agrave la signi fi ca tion reli gieuse de la Cregravete cf Jesuacutes Lens Tuero laquo La mitifi cacioacuten de Creta en la cultura griega del siglo IV raquo dans Actas del VIII congreso espantildeol de estudios claacutesicos (Madrid 23-28 de septiembre de 1991) t 3 Madrid 1994 p 219-222

41 Voir en dehors de lrsquoEuthyphron dont le pro ta go niste homo nyme est qua -li fi eacute de devin Platon Ion 531b Charmide 173c

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dieux par les sacri fi ces et les priegraveres (Platon Poli tique 290c-d) ayant annexeacute en ceci les attri bu tions des anciens rois42 Ce juge ment en somme posi tif pour rait ecirctre impu table au fait que Platon voyait beau coup de res sem blances entre le devin et le phi lo sophe43 Neacutean -moins il ne place les devins et precirctres qursquoau cin quiegraveme rang des formes de vie du Phegravedre (Platon Phegravedre 248d) et insiste sur le fait qursquoil ne veut par ler que des devins laquo seacuterieux raquo (τοὺς δὲ ὡςἀληθῶς μάντεις) qursquoil met en contraste avec les beaux- parleurs (τοὺς μὲν ἀλαζόνας) qui man que raient de σωφροσύνη (Platon Charmide 173c) Nous trou vons un exemple de ces devins laquo non seacuterieux raquo dans la Reacutepu blique Platon y deacutecrit par la bouche drsquoAdeacutemante que les char la tans et les devins (ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις) pro mettent aux riches de rache ter contre paye ment leurs fautes morales par des sacri fi ces et des for mules magiques et assurent mecircme pou voir infl u en cer les dieux par des incan ta tions magiques44 agrave faire du tort aux autres humains bons ou mau vais (Platon Reacutepu blique II 364b-365a) En ceci ils srsquoappuyeraient sur Hom egravere qui qua li fi ait deacutejagrave les dieux drsquoinfl u en ccedilables par des pro messes et des offrandes (Hom -egravere Iliade IX 497-501) et sur les eacutecrits mys tiques de Museacutee et drsquoOrpheacutee45 Ceux- ci auraient ensei gneacute que des hommes et mecircme

42 Platon prouve ce rai son ne ment en nom mant lrsquoArchon Basileacuteios drsquoAthegravenes res pon sable des offrandes les plus archaiumlques et veacuteneacute rables et cite aussi lrsquoini tiation obli ga toire des pha raons drsquoEacutegypte agrave lrsquoart des precirctres (Platon Poli tique 290e)

43 Cf Richard Bodeacuteuumls laquo ldquoJe suis devinrdquo (Phegravedre 242c) Remarques sur la phi lo sophie selon Platon raquo dans Kernos 3 1990 p 45-52 p 49 laquo La contem pla -tion phi lo sophique en effet nrsquoest pas sans ana logie avec la vision divi na toire [hellip] De mecircme que le devin voit sans lrsquointel li gence des signi fi ants le phi lo sophe voit par lrsquointel li gence des signi fi eacutes Crsquoest un vision naire dans lrsquoordre de lrsquointel li -gible raquo

44 Voir aussi Carlo A Viano laquo Retorica magia e natura in Platone raquo dans Rivista di Filosofi a 56 1965 p 411-453 qui sou ligne que Platon dans le livre X des Lois et dans le Phegravedre met la magie et la rheacute to rique sur le mecircme plan puis qursquoelles exercent toutes les deux une action psy cho lo gique sur lrsquoacircme et que lrsquohomme lui- mecircme est sujet agrave la rheacute to rique et agrave la magie en tant que par tie de la nature

45 Au sujet de la rela tion de Platon aux orphiques cf Paul Boyanceacute Le Culte des Muses chez les phi lo sophes grecs Paris 1937 p 21ndash24 le mecircme laquo Platon et les Cathartes orphiques raquo dans Revue des eacutetudes grecques 55 1942 p 217-235 Philippe Borgeaud (eacuted) Orphisme et Orpheacutee en lrsquohon neur de Jean Rudhardt Genegraveve 1991 Leacuteonid Zhmud laquo Orphism and grafi tti from Olbia raquo dans Hermes 120 1992 p 159-168 (confi r mant Platon Cratylos 400c) Alberto Bernabeacute laquo Una etimologiacutea platoacutenica soma- sema raquo dans Philologus 139 1995 p 204-237 Giovanni Casadio laquo El mito del laquo Poliacutetico raquo (268 D-274 E) y la his to ria de las religiones raquo dans Emerita 64 1996 p 65-77 Les frag ments orphiques conser veacutes

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 563

des citeacutes entiegraveres pou vaient rache ter leurs fautes preacute sentes et pas seacutees par des sacri fi ces et des jeux (διὰ θνσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν)46 Mecircme si Platon consi degravere geacuteneacute ra le ment les astres comme des divi ni -teacutes47 il explique dans le Timeacutee que les pheacute no megravenes astro no miques ne doivent pas ecirctre pris pour des preacute sages mais srsquoexpliquent par des rai sons pure ment matheacutema tiques (Platon Timeacutee 40c-d) ce qui peut ecirctre inter preacuteteacute comme une cri tique de la man tique astro lo gique Dans les Lois il deacutecrit que beau coup de magi ciens et de devins seraient mecircme en reacutea liteacute des a theacuteistes sou cieux de pro fi ter de la creacute du liteacute de leurs conci toyens (Platon Lois X 908d)48

chez Platon peuvent ecirctre consul teacutes main te nant dans Alberto Bernabeacute Poetae epici Graeci Testimonia et frag menta Pars II Fasc 1-2 Orphicorum et Orphicis similium frag menta MuumlnchenLeipzig 2004-2005

46 Un preacute jugeacute pla to ni cien qui reacutefl egravete le peu drsquoestime qursquoavaient les intel lec -tuels contem po rains pour la char la ta ne rie issue des speacute cu la tions gran dioses de lrsquoorphisme (pour tant extrecirc me ment popu laires agrave lrsquoeacutepoque cf Martin P Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion t1 Bis zur Weltherrschaft Muumlnchen 1941 p 684 et 800) et qui semble sur tout issue du pytha go risme (Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore de Gregravece en Palestine Paris 1927 p 81ndash82) Pour lrsquoinfl u ence de Pythagore sur Platon compa rer aussi Erich Frank Plato und die so genannten Pythagoreer Halle 1923 Pierre Boyanceacute laquo Lrsquoinfl u ence pytha go ri -cienne sur Platon raquo dans Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia Naples 1966 p 73-113 Bartel Leendert Van Der Waerden laquo Platon et les sciences exactes des Pytha go ri ciens raquo dans Bul le tin de la Socieacuteteacute Matheacutema tique de Belgique 21 1969 p 120-122 Maria Tortorelli Ghidini et al (eacuted) Tra Orfeo e Pitagora origini e incontri di culture nellrsquoantichitagrave atti dei seminari napoletani 1996-1998 Naples 2000 Leacuteonid Zhmud laquo Uumlberlegungen zur pythagoreischen Frage raquo dans Georg Rechenauer (eacuted) Fruumlhgriechisches Denken Goumlttingen 2005 p 135-151 David En gels laquo Geometrie und Phi lo sophie Zur Visualisierung metaphysischer Konzepte durch raumlumliche Darstellungen in der pythagoreischen Phi lo sophie raquo dans D GroszligS Westermann (eacuted) Vom Bild zur Erkenntnis Visualisierungskonzepte in den Wissenschaften Kassel 2007 p 113ndash129

47 Platon Timeacutee 401ndash402 Lois VII 821bndashc Voir agrave ce sujet p ex Hans Herter laquo Gott und die Welt bei Platon raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 158 1958 p 106-117 GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 399ndash402 et 445ndash448

48 En ce qui concerne lrsquoart divi na toire sou li gnons ici encore que Platon dans le Lachegraves laisse Socrate affi r mer que chaque pro fes sion confegravere agrave celui qui lrsquoexerce cor rec te ment une auto riteacute de speacute cia liste dans son domaine Ceci le conduit agrave demander agrave son inter lo cuteur un mili taire srsquoil est donc deacutecideacute en cas de guerre agrave faire plu tocirct confi ance agrave ses propres avis stra teacute giques qursquoaux conseils des devins que lrsquoon ne sau rait dif fi ci le ment regar der comme des auto ri teacutes compeacute tentes en matiegravere miliaire ce agrave quoi le stra tegravege atheacute nien acquiesce (Platon Lachegraves 199a) Si lrsquoon pense que ce stra tegravege nrsquoest autre que Nicias le poli ti cien atheacute nien qui notam -ment parce qursquoil avait accordeacute foi agrave des devins et des oracles dans ses deacuteci sions mili taires connaicirct en 413 une fi n tra gique en Sicile (ougrave il avait assieacutegeacute en vain la ville de Syracuse et ougrave il fut fait pri son nier par les habi tants qui le condam negraverent agrave mort) lrsquoendroit ne manque pas de piment et laisse per ce voir lrsquoiro nie de Platon qui

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La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

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Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

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la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

570 DAVID ENGELS

seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 571

pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

572 DAVID ENGELS

comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 573

de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

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pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

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nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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le cadre de cet exposeacute Nous nous bor ne rons donc agrave dis tin guer plu sieurs thegravemes prin ci paux qui carac teacute risent lrsquoatti tude du phi lo -sophe17 Le pre mier eacuteleacute ment inteacute res sant est lrsquoana lyse des remarques geacuteneacute rales concer nant la pieacuteteacute et la reli gio siteacute le deuxiegraveme les eacuteleacute -ments reli gieux dans les sceacute na rios des dia logues le troi siegraveme le juge ment de lrsquooffi ce cultuel en tant que pro fes sion et les qua triegraveme et cin quiegraveme le rocircle qursquooccupent la reli gion et le culte dans les deux grands dia logues que sont la Reacutepu blique et les Lois

Remarques geacuteneacute rales

Consi deacute rons donc quelques remarques geacuteneacute rales de Platon sur la pieacuteteacute Drsquoabord il est inteacute res sant de consta ter que Platon cite Protagoras qui dans le dia logue du mecircme nom deacutefi nit lrsquohumain comme le seul ani mal capable de croire aux dieux et de leur eacutedi -fi er autels et sta tues et nous nrsquoavons aucune rai son de croire que le phi lo sophe vou lait ici contre dire le sophiste (Platon Protagoras 322a) De maniegravere sem blable Platon deacuteclare dans la Reacutepu blique que les Heacutellegravenes se deacutefi nissent entre autres par la veacuteneacute ra tion des mecircmes sanc tuaires (Platon Reacutepu blique V 470e) Ensuite crsquoest sur tout le dia logue Euthyphron18 qui meacuterite une atten tion par ti cu -liegravere car il est essen tiel le ment consa creacute agrave une deacutefi ni tion de la reli -gio siteacute et sert agrave reacutefu ter impli ci te ment lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie por teacutee agrave

17 Pour ecirctre complet citons encore Platon Lysias 206e ougrave le jeune Meacutenegravexegravene et ses amis habilleacutes festivement viennent de preacute sen ter des offrandes aux dieux et sont jus te ment en train de jouer aux deacutes avant que Socrate ne les inter pelle (le dia -logue por tant sur lrsquoami tieacute et lrsquoeacutedu ca tion) Platon Reacutepu blique I 328 ougrave le vieux Keacutephalos dont nous savons qursquoil a eacuteteacute inviteacute par Peacutericles agrave Athegravenes ougrave il fi nira sa vie 30 ans plus tard vient eacutega le ment de faire des offrandes dans la cour de sa mai son et ceint drsquoune cou ronne est assis sur un grand siegravege et explique aux inter lo -cuteurs du dia logue qursquoil se preacute pare agrave la mort mais nrsquoen a pas peur puis qursquoil a meneacute une vie cor recte et pieuse Platon Hippias Minor 363d ougrave le sophiste Hippias drsquoEacutelide est deacutecrit comme tenant des dis cours somp tueux agrave lrsquoocca sion de chaque fecircte olym pique devant le temple (de Zeus) et Platon Cratylos 401b-e ougrave Platon explique que les offrandes agrave Hestia doivent tou jours ecirctre faites en pre mier lieu en rai son de lrsquoeacutety mo logie drsquoHestia par οὐσία

18 Compa rer pour ce qui est des deacutefi ni tions de la pieacuteteacute et de la reli gion Joachim Klowski laquo Mythos und Logos in Platons Euthyphron raquo dans Anregung 33 1987 p 386-397 et Arno Schmidt laquo Euthyphron Sokratisches Erbe und der neue Weg des logos raquo dans Anregung 46 (2) 2000 p 83-91 Eacutevi dem ment Euthyphron est un dia logue de jeu nesse et pour rait donc refl eacute ter comme les autres dia logues de cette eacutepoque moins lrsquoavis de Platon lui- mecircme que celui de Socrate concer nant le culte et la reli gio siteacute

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Socrate par Meacuteleacutetos dont on apprend jus te ment au deacutebut du texte qursquoil vient de deacutepo ser son accu sa tion chez lrsquoArchon Poleacutemaios en prou vant au contraire la sin ceacute riteacute autant que le bien- fondeacute des sen ti ments reli gieux de Socrate Tan dis qursquoune appreacute cia tion sys -teacute ma tique de lrsquoargu men ta tion geacuteneacute rale du dia logue deacutepas se rait le cadre de cet exposeacute il est impor tant de sou li gner cer tains aspects des ten ta tives suc ces sives de Socrate pour eacuteta blir une deacutefi ni tion de la pieacuteteacute (ἡ ὁσιότης) Euthyphron lui- mecircme devin asserte dans un pre mier essai de deacutefi ni tion que la vraie pieacuteteacute consiste en lrsquoobeacuteis -sance aux lois des dieux et en la pour suite des impies dont les deux exemples prin ci paux sont le meurtre et le vol de biens des temples (Platon Euthyphron 5e) Si les deux pro chaines deacutefi ni tions refu -seacutees autant que la pre miegravere pour des rai sons de logique19 ne doivent pas nous concer ner ndash lrsquoune eacutetant que la pieacuteteacute consiste en ce que les dieux aiment lrsquoimpieacuteteacute ce qursquoils deacutetestent (Platon Euthyphron 9e) lrsquoautre que tout ce qui est pieux est aussi juste (Platon Euthyphron 11e) ndash la qua triegraveme pure ment empi rique meacuterite notre atten tion Socrate y pro pose que la pieacuteteacute soit la science de la priegravere et du sacri fi ce20 Un peu plus bas Socrate refor mule cette deacutefi ni tion car puisque la priegravere est une forme de demande et le sacri fi ce un cadeau (Platon Euthyphron 14d) la pieacuteteacute serait donc un commerce une ἐμπορικὴ avec les dieux plu tocirct qursquoune atti tude morale (Platon Euthyphron 14e) Se pose alors la ques tion de savoir si les sacri -fi ces que font les humains sont vrai ment utiles aux dieux ou srsquoils en appreacute cient seule ment le geste (Platon Euthyphron 15a-b) La der niegravere sup po si tion eacutetant la plus vrai sem blable la deacutefi ni tion de la pieacuteteacute se carac teacute ri serait donc agrave nou veau comme une action aimeacutee des dieux21 De maniegravere toute sem blable dans le Ban quet Platon laisse

19 Pour la struc ture logique de ces reacutefu ta tions voir Carla Carabba laquo I molti non sequitur dellrsquoEutifrone platonico raquo dans Sandalion 9 1982 p 91-95 qui sou -ligne de nom breuses entorses agrave la logique dont Socrate- Platon se rend cou pable pour reacutefu ter les thegraveses sou te nues par Euthyphron

20 Platon Euthyphron 14c Pour la deacutefi ni tion que sem blait avoir Platon de la priegravere cf Andreacute Motte laquo Deux expres sions du sen ti ment reli gieux dans la priegravere per son nelle en Gregravece II La priegravere du phi lo sophe chez Platon raquo dans Henri LimetJulien Ries (eacuted) Lrsquoexpeacute rience de la priegravere dans les grandes reli gions Actes du Col loque de Louvain- la-Neuve et Liegravege ( 22-23 novembre 1978) Louvain- la-Neuve 1980 p 173-204

21 Mais comme ceci avait eacuteteacute reacutefuteacute aupa ra vant le dia logue se ter mine en une apo rie comme de nom breux dia logues de jeu nesse de Platon mais une apo rie qui eacutemane moins de lrsquoincom peacute tence de Socrate que de lrsquoabsence drsquoune veacuteri table

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Eacuteryximaque reprendre impli ci te ment la deacutefi ni tion drsquoEuthryphon et deacutefi nir offrandes et divi na tion comme les deux seuls moyens qursquoont les humains drsquoentrer en contact avec les dieux de sau ve -gar der lrsquoamour entre humains et la pieacuteteacute envers les dieux (Platon Ban quet 188b-c) Le dis cours drsquoAristophane dans le Ban quet que lrsquoon connaicirct bien gracircce au mythe de creacutea tion de lrsquohomme et de la femme agrave par tir drsquoun Her ma phro dite22 reprend un autre eacuteleacute ment de lrsquoEuthyphron la moti vation prin ci pale de Zeus qui le porta plu tocirct agrave muti ler lrsquohomme aveu gleacute par lrsquoarro gance qursquoagrave le ter ras ser comme les Titans eacutema nait de sa volonteacute agrave srsquoassu rer aussi au futur hon neurs et offrandes (Platon Ban quet 190c)23

La mise en scegravene

Dans la mise en scegravene des œuvres de Platon24 le lieu du dia logue ou du moins le contexte geacuteneacute ral de lrsquoaction a sou vent un rap port indu bi table avec le culte reli gieux grec et meacuterite une atten tion par -ti cu liegravere puisque la mise en scegravene est indis so ciable du contenu du dia logue25 Dans le dia logue Ion le pro ta go niste du mecircme nom26 revient jus te ment drsquoEacutepidaure ougrave il a par ti cipeacute aux fecirctes don neacutees

eacutethique dans les convic tions du devin Euthyphron cf P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 82

22 Compa rer Jean Hani laquo Le mythe de lrsquoandro gyne dans le Ban quet de Platon raquo dans Euphrosyne 11 1981-82 p 89-101

23 Mecircme si Platon ne donne pas drsquoavis expli cite sur le contenu de ces deux dis cours nous savons que lrsquoordre des dis cours dans le Ban quet joue un rocircle cru -cial le dis cours jugeacute comme le trai te ment le plus appro fondi du thegraveme de la nature de lrsquoamour eacutetant le der nier celui de Socrate qui dit juste reprendre les termes de Diotimee precirc tresse agrave Mantineacuteia On serait donc tenteacute de voir dans les autres (dont le contenu nrsquoest cer tai ne ment pas abso lu ment contraire aux convic tions de Platon) de simples eacutetapes pro peacute deu tiques neacuteces saires pour atteindre le degreacute drsquoabs trac tion phi lo sophique de SocrateDiotime qui arrive agrave trans cen der la reli gio siteacute par la ratio na liteacute phi lo sophique qui seule per met trait drsquoacceacute der agrave la compreacute hen sion de la divi niteacute

24 Konrad Gaiser Protreptik und Paraumlnese bei Platon Untersuchungen zur Form des platonischen Dialogs Tuumlbingen 1959 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 164-181 cf Gasan C Gusejnov laquo Les per son nages de Platon Agrave la recherche du genre raquo dans BB Pietrovskij et al (eacuted) La civi li sa tion antique et la science moderne Moscou 1985 p 118-121 Marie- Laurence Desclos laquo La fonc tion des pro logues dans les Dia logues de Platon raquo dans Denis Vernant (eacuted) Du dia logue Grenoble 1992 p 15-29

25 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 17226 Cf sur le per son nage Allan H Gilbert (eacuted) Platorsquos Ion Comic and

Serious Studies in Honor of DWT Starnes Austin Univ of Texas 1967

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en lrsquohon neur drsquoAscleacutepios parmi les quelles fi gu rait un concours de rhap sodes dont Ion rem porta le pre mier prix27 Socrate invite Ion agrave par ti ci per aussi aux Pana theacute neacutees pour y obte nir un suc cegraves compa -rable La fonc tion de ces reacutefeacute rences dans le contexte geacuteneacute ral du dia logue nrsquoest pas dif fi cile agrave ana ly ser ces reacutefl exions donnent direc -te ment lrsquoagrave- propos agrave la dis cus sion qui suit et qui concerne prin ci pa -le ment la valeur de lrsquoart du rhap sode et la deacutemons tra tion qursquoIon se consi deacute rant comme speacute cia liste en la matiegravere est pour tant inapte agrave eacutemettre des juge ments phi lo sophiques sen seacutes sur le contenu des mythes qursquoil raconte28

Le dia logue Charmide œuvre de jeu nesse comme lrsquoIon a lieu dans la palestre de Taureacuteas en face du temple de la laquo Basilika raquo abreacute via tion cou rante pour le temple de Perseacutephone Basileacuteia29 Ici par contre crsquoest moins le temple de Perseacutephone que la palestre qui est signi fi ca tive pour le contenu du dia logue qui tourne prin ci pa le -ment autour des connais sances du jeune gar ccedilon Charmide

La des crip tion de la mise en scegravene du dia logue Phegravedre qui fait par tie des œuvres de matu riteacute du phi lo sophe peut ecirctre consi deacute reacutee comme le seul exemple de des crip tion poeacute tique de la nature chez Platon Socrate ren contre Phegravedre deacuteam bu lant le long des che mins qui megravenent agrave Athegravenes pour y cher cher un endroit ougrave lire un dis -cours de Lysias sur lrsquoamour et deacutecide de lrsquoaccom pa gner jus qursquoau fl euve Ilissos Apregraves srsquoecirctre rafraicirc chis les pieds dans lrsquoeau les deux inter lo cuteurs srsquoins tallent dans lrsquoombre drsquoun pla tane ougrave ils dis cutent drsquoabord de la tra di tion de lrsquoenlegrave ve ment drsquoOrithye celle- ci eacutetait la fi lle du roi atheacute nien Eacuterechtheacute et fut ravie par Boreacutee agrave mi- chemin entre cet endroit et le temple drsquoArteacutemis Agra30 De plus Socrate

27 Pl Ion 530a Compa rer Paul Bernard laquo Note eacutepidaurienne La data tion du temple drsquoAscleacutepios et lrsquoIon de Platon raquo dans Bul le tin de Cor res pon dance Hel leacute -nique 85 1962 p 400-402

28 Cf Egert Poehlmann laquo Enthusiasmus und Mimesis Zum platonischen Ion raquo dans Gymnasium 83 1976 p 191-208 Herbert Eisenberger laquo Sokratesrsquo Absichten im Ion raquo dans Christoff Neumeister (eacuted) Antike Texte in Forschung und Schule Festschrift fuumlr Willibald Heilmann zum 65 Geburtstag FrankfurtMain 1993 p 71-98

29 La palestre de Taureacuteas nrsquoa pas encore eacuteteacute loca li seacutee la laquo Basilika raquo se trouve au sud de lrsquoAcro pole non loin du mur drsquoenceinte de la ville (Platon Charmide 153a)

30 Terme qui srsquoapplique soit agrave un sur nom de la deacuteesse soit au degraveme Agrai ougrave se serait trouveacute ce sanc tuaire La loca li sa tion exacte du lieu de lrsquoenlegrave ve ment se situe rait agrave envi ron 2 ou 3 stades du pla tane et serait mar queacutee par un autel au dieu du vent du Nord (Platon Phegravedre 229a-c) mais Platon cite aussi lrsquoAreacuteo page comme

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deacutecrit qursquoil a lrsquoimpres sion drsquoaper ce voir non loin de leur lieu de repos quelques sta tues qui lais se raient sup po ser lrsquoexis tence drsquoun sanc tuaire de quelques nymphes et du dieu du fl euve Acheacuteloos (Platon Phegravedre 230b-c) le fi ls drsquoOceacutean et de Teacutethys le pegravere des Siregravenes La rai son de cette mise en scegravene est plus dif fi cile agrave ana ly -ser Socrate pro fesse drsquoabord ndash en contraste eacutecla tant avec sa des -crip tion buco lique de lrsquoendroit agrave laquelle il donne ainsi un accent drsquoiro nie ndash drsquoecirctre tout agrave fait deacutes in teacute resseacute par la nature et de nrsquoecirctre attireacute que par les villes car crsquoest lagrave qursquoil trouve les humains gracircce aux quels il peut conti nuer agrave apprendre (Platon Phegravedre 230d-e) Cepen dant suite agrave la dis cus sion sur la valeur de la rheacute to rique et la deacutefi ni tion de lrsquoamour31 Socrate srsquoemporte rapi de ment et livre tout un dis cours ins pireacute et mythologisant sur le des tin de lrsquoacircme humaine contras tant avec ses reacutefl exions objec tives et son rai son ne ment froid sur lrsquoart de la rheacute to rique Nous pou vons donc sup po ser que le cadre du dia logue ait eacuteteacute expres seacute ment choisi pour illus trer agrave la fois le pen -chant ration nel de Socrate contras tant avec le pai sible sanc tuaire des nymphes et son retour agrave la poeacute sie divine ins pireacute par la speacute cu -la tion phi lo sophique illus trant ainsi le che mi ne ment du phi lo sophe qui se deacutetourne des ten ta tions de la nature pour culti ver la pen seacutee logique qui le ramegravene de nou veau aux veacuteri teacutes natu relles32

Le Parmeacutenide assu reacute ment lrsquoun des dia logues tar difs de Platon se joue agrave Athegravenes lors des fecirctes panatheacuteennes et per met ainsi la mise en scegravene drsquoune ren contre fi c tive entre trois geacuteneacute ra tions de phi -lo sophes Parmeacutenide Zeacutenon et Socrate (Platon Parmeacutenide 127a) Il semble qursquoen dehors de cette fonc tion pure ment prag ma tique la men tion des Pana theacute neacutees ne puisse ecirctre inter preacute teacutee comme sym -

lieu pos sible (Platon Phegravedre 229c) Par rap port agrave la reli gion dans le Phegravedre cf les remarques de G Arabatzis laquo Enkalypsamenos raquo [n 1]

31 Cf Hubert Kesters laquo De ware redekunst volgens Platoonsrsquo Phaidros raquo dans Tijdschrift voor phi lo sophie 25 1963 p 651-687 et 36 1964 p 33-67 L Rossetti (eacuted) Understanding the Phaedrus Proceedings of the II Sym po sium Platonicum Sankt Augustin 1992 Jens Halfwassen laquo Bemerkungen zum Ursprung der Lehre vom Seelenwagen raquo dans Jahrbuch fuumlr Religionswissenschaft und Theologie der Religionen 2 1994 p 114-128 Gustav A Seeck laquo Schlechte und gute Liebe in Platons Phaidros raquo dans Wuumlrzburger Jahrbuumlcher 22 1998 p 101-121

32 Cette rela tion entre phi lo sophie et theacuteo logie se retrouve drsquoailleurs aussi dans la priegravere fi nale du Phegravedre ougrave Socrate prie les dieux de reacutecom pen ser les efforts du phi lo sophe par la sagesse Lrsquoon trou vera une ana lyse appro fon die de cette priegravere chez Konrad Haiser laquo Das Gold der Weisheit Zum Gebet des Philosophen am Schluss des Phaidros raquo dans Rheinisches Museum 132 1989 p 105-140

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bole preacute cis du contenu du dia logue dis cus sion pure ment for melle sur lrsquouniteacute et la mul ti pli citeacute qui nous livre peut- ecirctre lrsquoessence de la doc trine eacuteso teacute rique de Platon33 mais dont lrsquoana lyse deacutepas se rait lar -ge ment le cadre de la preacute sente recherche por tant uni que ment sur la place du culte grec tra di tion nel dans lrsquoœuvre de Platon

Le deacutebut de la Reacutepu blique est eacutega le ment carac teacute riseacute par une reacutefeacute -rence au culte deux des pro ta go nistes reviennent de la pre miegravere ceacuteleacute bra tion offi cielle drsquoune fecircte en lrsquohon neur de Bendis une divi -niteacute thrace nou vel le ment impor teacutee34 Platon deacutecrit ici les deux per -son nages des cen dus au Pireacutee ndash ougrave arri vait en bateau comme nous pou vons le sup po ser lrsquoimage de la deacuteesse ndash moti veacutes par deux rai -sons drsquoune part pour prier tout comme les autres spec ta teurs mais aussi drsquoautre part pour assou vir leur curio siteacute face agrave la pompe exteacute rieure des deux pro ces sions dont celle des Thraces est deacutecrite comme aussi impres sion nante que celle des Atheacuteniens Un peu plus tard nous appre nons aussi que les fes ti vi teacutes seront clocirc tu reacutees le soir par une pro ces sion eacutequestre ndash nou veauteacute reli gieuse comme le sou -ligne Platon ndash et des fecirctes noc turnes (Platon Reacutepu blique I 328a) Le cli mat de fes ti viteacute solen nelle qui implique lrsquoacti viteacute reli gieuse de la ville complegravete forme un cadre excellent pour la dis cus sion sur la nature de la jus tice et la deacutefaite intel lec tuelle de la posi tion des sophistes telle qursquoelle est sym bo li seacutee par les argu ments de Thrasymaque35 Il est eacutega le ment inteacute res sant de noter que Socrate mecircme srsquoil par ti cipe aux fes ti vi teacutes exprime son peu drsquoenvie drsquoy

33 Il est neacutean moins juste de sou li gner que laquo les Pana theacute neacutees refl egravetent lrsquouniteacute poli tique des citoyens atheacuteniens et lrsquoeacuteclat de leur citeacute Ren contre des geacuteneacute ra tions [hellip] dis cus sions entre phi lo sophes atheacuteniens et eacutetran gers concours divers [hellip] la citeacute ceacutelegravebre dans une effer ves cence poli tique reli gieuse et intel lec tuelle la deacuteesse qui la pro tegravege et patronne les mul tiples aspects de la vie en socieacuteteacute raquo (Catherine Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo dans Kernos 6 1993 p 225-243 p 241)

34 Elle eacutetait fecircteacutee annuel le ment le 19e20e Thargeacutelion (Platon Reacutepu blique I 327a donc deacutebut juin) Son intro duc tion offi cielle (pro ba ble ment en 430) qui avait semble- t-il des rai sons plu tocirct poli tiques que reli gieuses consti tuait une nou -veauteacute dans le sys tegraveme reli gieux clas sique drsquoAthegravenes cf J Jr Best laquo Bendis raquo dans Hermeneus 35 1964 p 122-128 Di miter Dopov laquo Essence ori gine et pro -pa ga tion du culte de la deacuteesse thrace Bendis raquo dans Dia logue drsquohis toire ancienne 2 1976 p 289-303 Claudia Montepaone laquo Bendis tracia and Atene lrsquointegrazione del nuovo attraverso forme dellrsquoideologia raquo dans A ION (Archeol) 12 1990 p 103-121

35 P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 47 par contre inter pregravete le cadre de maniegravere tout agrave fait dif feacute rente et y voit une allu sion agrave ce que la reli gio siteacute serait acces sible agrave tout le monde mais la theacuteo logie phi lo sophique aux seuls intel lec tuels cagraved sui vant le point de vue grec aux peuples hel leacute ni seacutes

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retour ner le soir seule la pro messe drsquoy deacutecou vrir des inter lo cuteurs poten tiels arrive agrave le faire fl eacute chir36

Dans le Timeacutee qui est la suite directe de la Reacutepu blique et commence avec une reacuteca pi tu la tion assez som maire des ideacutees de ce dia logue37 le cadre reli gieux de la Reacutepu blique est deacuteformeacute de faccedilon assez remar quable puisque la dis cus sion nrsquoa pas lieu le len de main de la fecircte pour Bendis mais lors des Pana theacute neacutees ceacuteleacute breacutees le 28e Heacutekatombaion (Platon Timeacutee 26e) La solen niteacute de la fecircte y est mise expres seacute ment en rela tion avec le thegraveme du dia logue la creacutea tion mys tique et la nature mateacute rielle du monde comme par ti cu liegrave re ment seyante agrave des speacute cu la tions aussi pro fondes (Platon Timeacutee 26e) De plus Critias le jeune qui relate le mythe de lrsquoAtlantide agrave Socrate y explique qursquoil a lui- mecircme appris cette tra di tion par Critias lrsquoancien lors de la ceacuteleacute bra tion des Apatouries38

Notons fi na le ment que mecircme les Lois dia logue inacheveacute et lourd peu compa rable avec la viva citeacute des œuvres de jeu nesse ont un cadre reli gieux le pre mier mot en est deacutejagrave laquo Dieu raquo et le sceacute -na rio ouvre sur une speacute cu la tion sur lrsquoori gine divine des lois des Laceacute deacute mo niens et des Creacute tois pro ve nant res pec ti ve ment drsquoApol -

36 Platon Reacutepu blique I 328a La suite de la dis cus sion qui concer nera la deacutefi ni tion de la jus tice agrave tra vers une deacutefi ni tion de lrsquoEacutetat ideacuteal peut eacutega le ment ecirctre inter preacute teacutee comme eacutetant en rap port eacutetroit avec la des crip tion des fes ti vi teacutes reli -gieuses de la citeacute atheacute nienne mais il ne faut pas oublier que le pre mier livre de la Reacutepu blique a pro ba ble ment preacute ceacutedeacute les livres sui vants de nom breuses anneacutees Nous ne savons donc pas preacute ci seacute ment si la fecircte deacutedieacutee agrave Bendis a eacuteteacute ajou teacutee plus tard au pro logue du pre mier livre en fonc tion de lrsquoeacuteco no mie glo bale de la Reacutepu -blique ou au contraire nrsquoa eacuteteacute des ti neacutee qursquoagrave intro duire le pre mier livre et nrsquoa donc qursquoun rap port acci den tel avec les livres II agrave X Alors que Pierre Javet laquo Ceacutephale et Platon sur le seuil de la vieillesse Reacutefl exions sur le pro logue de la Reacutepu blique raquo dans Revue Phi lo sophique de la France et de lrsquoeacutetran ger 1982 p 241-247 affi rme que la ren contre de Socrate avec Poleacute marque et sa dis cus sion avec Ceacutephale ont eacuteteacute compo seacutees en fonc tion de lrsquoensemble de la Reacutepu blique P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 46 sou tient la thegravese du rap port acci den tel en fai sant remar quer que ce dia logue devenu eacutenorme deacutebute seule ment dans la soi reacutee et ne peut donc fi nir rai son na ble ment quelques heures plus tard ndash un pro blegraveme que Platon aurait cer tai -ne ment eacuteviteacute srsquoil avait voulu degraves le deacutebut eacutecrire une œuvre tel le ment gigan tesque (et ce nrsquoest pas un hasard si les Lois eux deacutebutent le matin en rai son de la lon gueur impres sion nante de lrsquoœuvre)

37 Compa rer p ex Christopher J Rowe laquo Why is the Ideal Athens of the Timaeus- Critias not Ruled by Philosophers raquo dans Meacutethexis 10 1997 p 51-57

38 Celles- ci ougrave les jeunes hommes eacutetaient ins crits dans leur phra trie (Platon Timeacutee 21b) eacutetaient eacutega le ment preacute si deacutees par Atheacutena et Zeus et duraient trois jours

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lon pythique et de Zeus39 Plus tard nous appre nons que les inter lo -cuteurs se trouvent en Cregravete et sont sur le che min de Cnossos vers la grotte sacreacutee de Zeus40

Nous voyons donc que le choix de lrsquoeacuteleacute ment reli gieux tra di tion -nel nrsquoest pas acci den tel dans la mise en scegravene des dia logues de Platon et que au contraire la men tion des cultes a dans la plu part des cas un rap port phi lo sophique direct avec le thegraveme du dia logue qui srsquoen suit Crsquoest donc la reli gio siteacute tra di tion nelle qui oserions- nous dire ins pire sa propre trans cen dance par la dis cus sion meacuteta -phy sique et est eacutevo queacutee impli ci te ment comme base neacuteces saire agrave toute aven ture intel lec tuelle

La precirc trise comme pro fes sion

Un autre thegraveme reacutecur rent chez Platon est celui de la compeacute tence pro fes sion nelle des dif feacute rents precirctres Nous connais sons tous les exemples nom breux ougrave le phi lo sophe parle des timo niers des menui -siers et des meacutede cins mais il est eacuteton nant de voir que la men tion du devin (μάντις) comme exemple drsquoun meacutetier parmi drsquoautres est assez cou rante chez Platon41 Notons ici que Platon mecircme srsquoil parle en regravegle geacuteneacute rale des devins sans en speacute ci fi er en deacutetail les fonc tions theacuteo lo giques ou meacutethodes pro fes sion nelles leur attri bue (en theacuteo rie au moins) une vraie laquo connais sance du futur raquo (Platon Charmide 173c ἐπιστήμην τοῦ μέλλοντος) et les rap proche en fai sant eacutegard agrave leur ins pi ra tion commune par le souffl e divin des rhap sodes des chan teurs drsquooracles (Platon Ion 534c Apo logie 22c) et mecircme des poli ti ciens (Platon Meacute non 98c-d) De faccedilon sem blable dans le Poli -tique Platon les carac teacute rise comme tra duc teurs et voix des dieux (Platon Poli tique 290c) tan dis que les precirctres sont deacutefi nis comme ceux qui srsquooccupent drsquoorga ni ser le contact des humains avec les

39 Platon Lois I 624a-625a cf aussi 632d40 Platon Lois I 625a-b Lrsquoon peut soit lrsquoiden ti fi er comme le sanc tuaire

de la grotte dicteacuteenne ndash lrsquoopi nion geacuteneacute ra le ment admise cf commen taire Klaus Schoumlpsdau (eacuted trad et comm) Platon Gesetze Buch I- IV Darmstadt 21990 ndash ou celui du Mont Ida cf Glenn R Morrow Platorsquos Cretan City a Historical Interpretation of the Laws Princeton 1962 p 27ndash28 Par rap port agrave la signi fi ca tion reli gieuse de la Cregravete cf Jesuacutes Lens Tuero laquo La mitifi cacioacuten de Creta en la cultura griega del siglo IV raquo dans Actas del VIII congreso espantildeol de estudios claacutesicos (Madrid 23-28 de septiembre de 1991) t 3 Madrid 1994 p 219-222

41 Voir en dehors de lrsquoEuthyphron dont le pro ta go niste homo nyme est qua -li fi eacute de devin Platon Ion 531b Charmide 173c

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dieux par les sacri fi ces et les priegraveres (Platon Poli tique 290c-d) ayant annexeacute en ceci les attri bu tions des anciens rois42 Ce juge ment en somme posi tif pour rait ecirctre impu table au fait que Platon voyait beau coup de res sem blances entre le devin et le phi lo sophe43 Neacutean -moins il ne place les devins et precirctres qursquoau cin quiegraveme rang des formes de vie du Phegravedre (Platon Phegravedre 248d) et insiste sur le fait qursquoil ne veut par ler que des devins laquo seacuterieux raquo (τοὺς δὲ ὡςἀληθῶς μάντεις) qursquoil met en contraste avec les beaux- parleurs (τοὺς μὲν ἀλαζόνας) qui man que raient de σωφροσύνη (Platon Charmide 173c) Nous trou vons un exemple de ces devins laquo non seacuterieux raquo dans la Reacutepu blique Platon y deacutecrit par la bouche drsquoAdeacutemante que les char la tans et les devins (ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις) pro mettent aux riches de rache ter contre paye ment leurs fautes morales par des sacri fi ces et des for mules magiques et assurent mecircme pou voir infl u en cer les dieux par des incan ta tions magiques44 agrave faire du tort aux autres humains bons ou mau vais (Platon Reacutepu blique II 364b-365a) En ceci ils srsquoappuyeraient sur Hom egravere qui qua li fi ait deacutejagrave les dieux drsquoinfl u en ccedilables par des pro messes et des offrandes (Hom -egravere Iliade IX 497-501) et sur les eacutecrits mys tiques de Museacutee et drsquoOrpheacutee45 Ceux- ci auraient ensei gneacute que des hommes et mecircme

42 Platon prouve ce rai son ne ment en nom mant lrsquoArchon Basileacuteios drsquoAthegravenes res pon sable des offrandes les plus archaiumlques et veacuteneacute rables et cite aussi lrsquoini tiation obli ga toire des pha raons drsquoEacutegypte agrave lrsquoart des precirctres (Platon Poli tique 290e)

43 Cf Richard Bodeacuteuumls laquo ldquoJe suis devinrdquo (Phegravedre 242c) Remarques sur la phi lo sophie selon Platon raquo dans Kernos 3 1990 p 45-52 p 49 laquo La contem pla -tion phi lo sophique en effet nrsquoest pas sans ana logie avec la vision divi na toire [hellip] De mecircme que le devin voit sans lrsquointel li gence des signi fi ants le phi lo sophe voit par lrsquointel li gence des signi fi eacutes Crsquoest un vision naire dans lrsquoordre de lrsquointel li -gible raquo

44 Voir aussi Carlo A Viano laquo Retorica magia e natura in Platone raquo dans Rivista di Filosofi a 56 1965 p 411-453 qui sou ligne que Platon dans le livre X des Lois et dans le Phegravedre met la magie et la rheacute to rique sur le mecircme plan puis qursquoelles exercent toutes les deux une action psy cho lo gique sur lrsquoacircme et que lrsquohomme lui- mecircme est sujet agrave la rheacute to rique et agrave la magie en tant que par tie de la nature

45 Au sujet de la rela tion de Platon aux orphiques cf Paul Boyanceacute Le Culte des Muses chez les phi lo sophes grecs Paris 1937 p 21ndash24 le mecircme laquo Platon et les Cathartes orphiques raquo dans Revue des eacutetudes grecques 55 1942 p 217-235 Philippe Borgeaud (eacuted) Orphisme et Orpheacutee en lrsquohon neur de Jean Rudhardt Genegraveve 1991 Leacuteonid Zhmud laquo Orphism and grafi tti from Olbia raquo dans Hermes 120 1992 p 159-168 (confi r mant Platon Cratylos 400c) Alberto Bernabeacute laquo Una etimologiacutea platoacutenica soma- sema raquo dans Philologus 139 1995 p 204-237 Giovanni Casadio laquo El mito del laquo Poliacutetico raquo (268 D-274 E) y la his to ria de las religiones raquo dans Emerita 64 1996 p 65-77 Les frag ments orphiques conser veacutes

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des citeacutes entiegraveres pou vaient rache ter leurs fautes preacute sentes et pas seacutees par des sacri fi ces et des jeux (διὰ θνσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν)46 Mecircme si Platon consi degravere geacuteneacute ra le ment les astres comme des divi ni -teacutes47 il explique dans le Timeacutee que les pheacute no megravenes astro no miques ne doivent pas ecirctre pris pour des preacute sages mais srsquoexpliquent par des rai sons pure ment matheacutema tiques (Platon Timeacutee 40c-d) ce qui peut ecirctre inter preacuteteacute comme une cri tique de la man tique astro lo gique Dans les Lois il deacutecrit que beau coup de magi ciens et de devins seraient mecircme en reacutea liteacute des a theacuteistes sou cieux de pro fi ter de la creacute du liteacute de leurs conci toyens (Platon Lois X 908d)48

chez Platon peuvent ecirctre consul teacutes main te nant dans Alberto Bernabeacute Poetae epici Graeci Testimonia et frag menta Pars II Fasc 1-2 Orphicorum et Orphicis similium frag menta MuumlnchenLeipzig 2004-2005

46 Un preacute jugeacute pla to ni cien qui reacutefl egravete le peu drsquoestime qursquoavaient les intel lec -tuels contem po rains pour la char la ta ne rie issue des speacute cu la tions gran dioses de lrsquoorphisme (pour tant extrecirc me ment popu laires agrave lrsquoeacutepoque cf Martin P Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion t1 Bis zur Weltherrschaft Muumlnchen 1941 p 684 et 800) et qui semble sur tout issue du pytha go risme (Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore de Gregravece en Palestine Paris 1927 p 81ndash82) Pour lrsquoinfl u ence de Pythagore sur Platon compa rer aussi Erich Frank Plato und die so genannten Pythagoreer Halle 1923 Pierre Boyanceacute laquo Lrsquoinfl u ence pytha go ri -cienne sur Platon raquo dans Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia Naples 1966 p 73-113 Bartel Leendert Van Der Waerden laquo Platon et les sciences exactes des Pytha go ri ciens raquo dans Bul le tin de la Socieacuteteacute Matheacutema tique de Belgique 21 1969 p 120-122 Maria Tortorelli Ghidini et al (eacuted) Tra Orfeo e Pitagora origini e incontri di culture nellrsquoantichitagrave atti dei seminari napoletani 1996-1998 Naples 2000 Leacuteonid Zhmud laquo Uumlberlegungen zur pythagoreischen Frage raquo dans Georg Rechenauer (eacuted) Fruumlhgriechisches Denken Goumlttingen 2005 p 135-151 David En gels laquo Geometrie und Phi lo sophie Zur Visualisierung metaphysischer Konzepte durch raumlumliche Darstellungen in der pythagoreischen Phi lo sophie raquo dans D GroszligS Westermann (eacuted) Vom Bild zur Erkenntnis Visualisierungskonzepte in den Wissenschaften Kassel 2007 p 113ndash129

47 Platon Timeacutee 401ndash402 Lois VII 821bndashc Voir agrave ce sujet p ex Hans Herter laquo Gott und die Welt bei Platon raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 158 1958 p 106-117 GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 399ndash402 et 445ndash448

48 En ce qui concerne lrsquoart divi na toire sou li gnons ici encore que Platon dans le Lachegraves laisse Socrate affi r mer que chaque pro fes sion confegravere agrave celui qui lrsquoexerce cor rec te ment une auto riteacute de speacute cia liste dans son domaine Ceci le conduit agrave demander agrave son inter lo cuteur un mili taire srsquoil est donc deacutecideacute en cas de guerre agrave faire plu tocirct confi ance agrave ses propres avis stra teacute giques qursquoaux conseils des devins que lrsquoon ne sau rait dif fi ci le ment regar der comme des auto ri teacutes compeacute tentes en matiegravere miliaire ce agrave quoi le stra tegravege atheacute nien acquiesce (Platon Lachegraves 199a) Si lrsquoon pense que ce stra tegravege nrsquoest autre que Nicias le poli ti cien atheacute nien qui notam -ment parce qursquoil avait accordeacute foi agrave des devins et des oracles dans ses deacuteci sions mili taires connaicirct en 413 une fi n tra gique en Sicile (ougrave il avait assieacutegeacute en vain la ville de Syracuse et ougrave il fut fait pri son nier par les habi tants qui le condam negraverent agrave mort) lrsquoendroit ne manque pas de piment et laisse per ce voir lrsquoiro nie de Platon qui

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La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 565

Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 567

la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 571

pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 573

de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 575

pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

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nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

580 DAVID ENGELS

dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 581

ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 555

Socrate par Meacuteleacutetos dont on apprend jus te ment au deacutebut du texte qursquoil vient de deacutepo ser son accu sa tion chez lrsquoArchon Poleacutemaios en prou vant au contraire la sin ceacute riteacute autant que le bien- fondeacute des sen ti ments reli gieux de Socrate Tan dis qursquoune appreacute cia tion sys -teacute ma tique de lrsquoargu men ta tion geacuteneacute rale du dia logue deacutepas se rait le cadre de cet exposeacute il est impor tant de sou li gner cer tains aspects des ten ta tives suc ces sives de Socrate pour eacuteta blir une deacutefi ni tion de la pieacuteteacute (ἡ ὁσιότης) Euthyphron lui- mecircme devin asserte dans un pre mier essai de deacutefi ni tion que la vraie pieacuteteacute consiste en lrsquoobeacuteis -sance aux lois des dieux et en la pour suite des impies dont les deux exemples prin ci paux sont le meurtre et le vol de biens des temples (Platon Euthyphron 5e) Si les deux pro chaines deacutefi ni tions refu -seacutees autant que la pre miegravere pour des rai sons de logique19 ne doivent pas nous concer ner ndash lrsquoune eacutetant que la pieacuteteacute consiste en ce que les dieux aiment lrsquoimpieacuteteacute ce qursquoils deacutetestent (Platon Euthyphron 9e) lrsquoautre que tout ce qui est pieux est aussi juste (Platon Euthyphron 11e) ndash la qua triegraveme pure ment empi rique meacuterite notre atten tion Socrate y pro pose que la pieacuteteacute soit la science de la priegravere et du sacri fi ce20 Un peu plus bas Socrate refor mule cette deacutefi ni tion car puisque la priegravere est une forme de demande et le sacri fi ce un cadeau (Platon Euthyphron 14d) la pieacuteteacute serait donc un commerce une ἐμπορικὴ avec les dieux plu tocirct qursquoune atti tude morale (Platon Euthyphron 14e) Se pose alors la ques tion de savoir si les sacri -fi ces que font les humains sont vrai ment utiles aux dieux ou srsquoils en appreacute cient seule ment le geste (Platon Euthyphron 15a-b) La der niegravere sup po si tion eacutetant la plus vrai sem blable la deacutefi ni tion de la pieacuteteacute se carac teacute ri serait donc agrave nou veau comme une action aimeacutee des dieux21 De maniegravere toute sem blable dans le Ban quet Platon laisse

19 Pour la struc ture logique de ces reacutefu ta tions voir Carla Carabba laquo I molti non sequitur dellrsquoEutifrone platonico raquo dans Sandalion 9 1982 p 91-95 qui sou -ligne de nom breuses entorses agrave la logique dont Socrate- Platon se rend cou pable pour reacutefu ter les thegraveses sou te nues par Euthyphron

20 Platon Euthyphron 14c Pour la deacutefi ni tion que sem blait avoir Platon de la priegravere cf Andreacute Motte laquo Deux expres sions du sen ti ment reli gieux dans la priegravere per son nelle en Gregravece II La priegravere du phi lo sophe chez Platon raquo dans Henri LimetJulien Ries (eacuted) Lrsquoexpeacute rience de la priegravere dans les grandes reli gions Actes du Col loque de Louvain- la-Neuve et Liegravege ( 22-23 novembre 1978) Louvain- la-Neuve 1980 p 173-204

21 Mais comme ceci avait eacuteteacute reacutefuteacute aupa ra vant le dia logue se ter mine en une apo rie comme de nom breux dia logues de jeu nesse de Platon mais une apo rie qui eacutemane moins de lrsquoincom peacute tence de Socrate que de lrsquoabsence drsquoune veacuteri table

556 DAVID ENGELS

Eacuteryximaque reprendre impli ci te ment la deacutefi ni tion drsquoEuthryphon et deacutefi nir offrandes et divi na tion comme les deux seuls moyens qursquoont les humains drsquoentrer en contact avec les dieux de sau ve -gar der lrsquoamour entre humains et la pieacuteteacute envers les dieux (Platon Ban quet 188b-c) Le dis cours drsquoAristophane dans le Ban quet que lrsquoon connaicirct bien gracircce au mythe de creacutea tion de lrsquohomme et de la femme agrave par tir drsquoun Her ma phro dite22 reprend un autre eacuteleacute ment de lrsquoEuthyphron la moti vation prin ci pale de Zeus qui le porta plu tocirct agrave muti ler lrsquohomme aveu gleacute par lrsquoarro gance qursquoagrave le ter ras ser comme les Titans eacutema nait de sa volonteacute agrave srsquoassu rer aussi au futur hon neurs et offrandes (Platon Ban quet 190c)23

La mise en scegravene

Dans la mise en scegravene des œuvres de Platon24 le lieu du dia logue ou du moins le contexte geacuteneacute ral de lrsquoaction a sou vent un rap port indu bi table avec le culte reli gieux grec et meacuterite une atten tion par -ti cu liegravere puisque la mise en scegravene est indis so ciable du contenu du dia logue25 Dans le dia logue Ion le pro ta go niste du mecircme nom26 revient jus te ment drsquoEacutepidaure ougrave il a par ti cipeacute aux fecirctes don neacutees

eacutethique dans les convic tions du devin Euthyphron cf P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 82

22 Compa rer Jean Hani laquo Le mythe de lrsquoandro gyne dans le Ban quet de Platon raquo dans Euphrosyne 11 1981-82 p 89-101

23 Mecircme si Platon ne donne pas drsquoavis expli cite sur le contenu de ces deux dis cours nous savons que lrsquoordre des dis cours dans le Ban quet joue un rocircle cru -cial le dis cours jugeacute comme le trai te ment le plus appro fondi du thegraveme de la nature de lrsquoamour eacutetant le der nier celui de Socrate qui dit juste reprendre les termes de Diotimee precirc tresse agrave Mantineacuteia On serait donc tenteacute de voir dans les autres (dont le contenu nrsquoest cer tai ne ment pas abso lu ment contraire aux convic tions de Platon) de simples eacutetapes pro peacute deu tiques neacuteces saires pour atteindre le degreacute drsquoabs trac tion phi lo sophique de SocrateDiotime qui arrive agrave trans cen der la reli gio siteacute par la ratio na liteacute phi lo sophique qui seule per met trait drsquoacceacute der agrave la compreacute hen sion de la divi niteacute

24 Konrad Gaiser Protreptik und Paraumlnese bei Platon Untersuchungen zur Form des platonischen Dialogs Tuumlbingen 1959 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 164-181 cf Gasan C Gusejnov laquo Les per son nages de Platon Agrave la recherche du genre raquo dans BB Pietrovskij et al (eacuted) La civi li sa tion antique et la science moderne Moscou 1985 p 118-121 Marie- Laurence Desclos laquo La fonc tion des pro logues dans les Dia logues de Platon raquo dans Denis Vernant (eacuted) Du dia logue Grenoble 1992 p 15-29

25 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 17226 Cf sur le per son nage Allan H Gilbert (eacuted) Platorsquos Ion Comic and

Serious Studies in Honor of DWT Starnes Austin Univ of Texas 1967

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 557

en lrsquohon neur drsquoAscleacutepios parmi les quelles fi gu rait un concours de rhap sodes dont Ion rem porta le pre mier prix27 Socrate invite Ion agrave par ti ci per aussi aux Pana theacute neacutees pour y obte nir un suc cegraves compa -rable La fonc tion de ces reacutefeacute rences dans le contexte geacuteneacute ral du dia logue nrsquoest pas dif fi cile agrave ana ly ser ces reacutefl exions donnent direc -te ment lrsquoagrave- propos agrave la dis cus sion qui suit et qui concerne prin ci pa -le ment la valeur de lrsquoart du rhap sode et la deacutemons tra tion qursquoIon se consi deacute rant comme speacute cia liste en la matiegravere est pour tant inapte agrave eacutemettre des juge ments phi lo sophiques sen seacutes sur le contenu des mythes qursquoil raconte28

Le dia logue Charmide œuvre de jeu nesse comme lrsquoIon a lieu dans la palestre de Taureacuteas en face du temple de la laquo Basilika raquo abreacute via tion cou rante pour le temple de Perseacutephone Basileacuteia29 Ici par contre crsquoest moins le temple de Perseacutephone que la palestre qui est signi fi ca tive pour le contenu du dia logue qui tourne prin ci pa le -ment autour des connais sances du jeune gar ccedilon Charmide

La des crip tion de la mise en scegravene du dia logue Phegravedre qui fait par tie des œuvres de matu riteacute du phi lo sophe peut ecirctre consi deacute reacutee comme le seul exemple de des crip tion poeacute tique de la nature chez Platon Socrate ren contre Phegravedre deacuteam bu lant le long des che mins qui megravenent agrave Athegravenes pour y cher cher un endroit ougrave lire un dis -cours de Lysias sur lrsquoamour et deacutecide de lrsquoaccom pa gner jus qursquoau fl euve Ilissos Apregraves srsquoecirctre rafraicirc chis les pieds dans lrsquoeau les deux inter lo cuteurs srsquoins tallent dans lrsquoombre drsquoun pla tane ougrave ils dis cutent drsquoabord de la tra di tion de lrsquoenlegrave ve ment drsquoOrithye celle- ci eacutetait la fi lle du roi atheacute nien Eacuterechtheacute et fut ravie par Boreacutee agrave mi- chemin entre cet endroit et le temple drsquoArteacutemis Agra30 De plus Socrate

27 Pl Ion 530a Compa rer Paul Bernard laquo Note eacutepidaurienne La data tion du temple drsquoAscleacutepios et lrsquoIon de Platon raquo dans Bul le tin de Cor res pon dance Hel leacute -nique 85 1962 p 400-402

28 Cf Egert Poehlmann laquo Enthusiasmus und Mimesis Zum platonischen Ion raquo dans Gymnasium 83 1976 p 191-208 Herbert Eisenberger laquo Sokratesrsquo Absichten im Ion raquo dans Christoff Neumeister (eacuted) Antike Texte in Forschung und Schule Festschrift fuumlr Willibald Heilmann zum 65 Geburtstag FrankfurtMain 1993 p 71-98

29 La palestre de Taureacuteas nrsquoa pas encore eacuteteacute loca li seacutee la laquo Basilika raquo se trouve au sud de lrsquoAcro pole non loin du mur drsquoenceinte de la ville (Platon Charmide 153a)

30 Terme qui srsquoapplique soit agrave un sur nom de la deacuteesse soit au degraveme Agrai ougrave se serait trouveacute ce sanc tuaire La loca li sa tion exacte du lieu de lrsquoenlegrave ve ment se situe rait agrave envi ron 2 ou 3 stades du pla tane et serait mar queacutee par un autel au dieu du vent du Nord (Platon Phegravedre 229a-c) mais Platon cite aussi lrsquoAreacuteo page comme

558 DAVID ENGELS

deacutecrit qursquoil a lrsquoimpres sion drsquoaper ce voir non loin de leur lieu de repos quelques sta tues qui lais se raient sup po ser lrsquoexis tence drsquoun sanc tuaire de quelques nymphes et du dieu du fl euve Acheacuteloos (Platon Phegravedre 230b-c) le fi ls drsquoOceacutean et de Teacutethys le pegravere des Siregravenes La rai son de cette mise en scegravene est plus dif fi cile agrave ana ly -ser Socrate pro fesse drsquoabord ndash en contraste eacutecla tant avec sa des -crip tion buco lique de lrsquoendroit agrave laquelle il donne ainsi un accent drsquoiro nie ndash drsquoecirctre tout agrave fait deacutes in teacute resseacute par la nature et de nrsquoecirctre attireacute que par les villes car crsquoest lagrave qursquoil trouve les humains gracircce aux quels il peut conti nuer agrave apprendre (Platon Phegravedre 230d-e) Cepen dant suite agrave la dis cus sion sur la valeur de la rheacute to rique et la deacutefi ni tion de lrsquoamour31 Socrate srsquoemporte rapi de ment et livre tout un dis cours ins pireacute et mythologisant sur le des tin de lrsquoacircme humaine contras tant avec ses reacutefl exions objec tives et son rai son ne ment froid sur lrsquoart de la rheacute to rique Nous pou vons donc sup po ser que le cadre du dia logue ait eacuteteacute expres seacute ment choisi pour illus trer agrave la fois le pen -chant ration nel de Socrate contras tant avec le pai sible sanc tuaire des nymphes et son retour agrave la poeacute sie divine ins pireacute par la speacute cu -la tion phi lo sophique illus trant ainsi le che mi ne ment du phi lo sophe qui se deacutetourne des ten ta tions de la nature pour culti ver la pen seacutee logique qui le ramegravene de nou veau aux veacuteri teacutes natu relles32

Le Parmeacutenide assu reacute ment lrsquoun des dia logues tar difs de Platon se joue agrave Athegravenes lors des fecirctes panatheacuteennes et per met ainsi la mise en scegravene drsquoune ren contre fi c tive entre trois geacuteneacute ra tions de phi -lo sophes Parmeacutenide Zeacutenon et Socrate (Platon Parmeacutenide 127a) Il semble qursquoen dehors de cette fonc tion pure ment prag ma tique la men tion des Pana theacute neacutees ne puisse ecirctre inter preacute teacutee comme sym -

lieu pos sible (Platon Phegravedre 229c) Par rap port agrave la reli gion dans le Phegravedre cf les remarques de G Arabatzis laquo Enkalypsamenos raquo [n 1]

31 Cf Hubert Kesters laquo De ware redekunst volgens Platoonsrsquo Phaidros raquo dans Tijdschrift voor phi lo sophie 25 1963 p 651-687 et 36 1964 p 33-67 L Rossetti (eacuted) Understanding the Phaedrus Proceedings of the II Sym po sium Platonicum Sankt Augustin 1992 Jens Halfwassen laquo Bemerkungen zum Ursprung der Lehre vom Seelenwagen raquo dans Jahrbuch fuumlr Religionswissenschaft und Theologie der Religionen 2 1994 p 114-128 Gustav A Seeck laquo Schlechte und gute Liebe in Platons Phaidros raquo dans Wuumlrzburger Jahrbuumlcher 22 1998 p 101-121

32 Cette rela tion entre phi lo sophie et theacuteo logie se retrouve drsquoailleurs aussi dans la priegravere fi nale du Phegravedre ougrave Socrate prie les dieux de reacutecom pen ser les efforts du phi lo sophe par la sagesse Lrsquoon trou vera une ana lyse appro fon die de cette priegravere chez Konrad Haiser laquo Das Gold der Weisheit Zum Gebet des Philosophen am Schluss des Phaidros raquo dans Rheinisches Museum 132 1989 p 105-140

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 559

bole preacute cis du contenu du dia logue dis cus sion pure ment for melle sur lrsquouniteacute et la mul ti pli citeacute qui nous livre peut- ecirctre lrsquoessence de la doc trine eacuteso teacute rique de Platon33 mais dont lrsquoana lyse deacutepas se rait lar -ge ment le cadre de la preacute sente recherche por tant uni que ment sur la place du culte grec tra di tion nel dans lrsquoœuvre de Platon

Le deacutebut de la Reacutepu blique est eacutega le ment carac teacute riseacute par une reacutefeacute -rence au culte deux des pro ta go nistes reviennent de la pre miegravere ceacuteleacute bra tion offi cielle drsquoune fecircte en lrsquohon neur de Bendis une divi -niteacute thrace nou vel le ment impor teacutee34 Platon deacutecrit ici les deux per -son nages des cen dus au Pireacutee ndash ougrave arri vait en bateau comme nous pou vons le sup po ser lrsquoimage de la deacuteesse ndash moti veacutes par deux rai -sons drsquoune part pour prier tout comme les autres spec ta teurs mais aussi drsquoautre part pour assou vir leur curio siteacute face agrave la pompe exteacute rieure des deux pro ces sions dont celle des Thraces est deacutecrite comme aussi impres sion nante que celle des Atheacuteniens Un peu plus tard nous appre nons aussi que les fes ti vi teacutes seront clocirc tu reacutees le soir par une pro ces sion eacutequestre ndash nou veauteacute reli gieuse comme le sou -ligne Platon ndash et des fecirctes noc turnes (Platon Reacutepu blique I 328a) Le cli mat de fes ti viteacute solen nelle qui implique lrsquoacti viteacute reli gieuse de la ville complegravete forme un cadre excellent pour la dis cus sion sur la nature de la jus tice et la deacutefaite intel lec tuelle de la posi tion des sophistes telle qursquoelle est sym bo li seacutee par les argu ments de Thrasymaque35 Il est eacutega le ment inteacute res sant de noter que Socrate mecircme srsquoil par ti cipe aux fes ti vi teacutes exprime son peu drsquoenvie drsquoy

33 Il est neacutean moins juste de sou li gner que laquo les Pana theacute neacutees refl egravetent lrsquouniteacute poli tique des citoyens atheacuteniens et lrsquoeacuteclat de leur citeacute Ren contre des geacuteneacute ra tions [hellip] dis cus sions entre phi lo sophes atheacuteniens et eacutetran gers concours divers [hellip] la citeacute ceacutelegravebre dans une effer ves cence poli tique reli gieuse et intel lec tuelle la deacuteesse qui la pro tegravege et patronne les mul tiples aspects de la vie en socieacuteteacute raquo (Catherine Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo dans Kernos 6 1993 p 225-243 p 241)

34 Elle eacutetait fecircteacutee annuel le ment le 19e20e Thargeacutelion (Platon Reacutepu blique I 327a donc deacutebut juin) Son intro duc tion offi cielle (pro ba ble ment en 430) qui avait semble- t-il des rai sons plu tocirct poli tiques que reli gieuses consti tuait une nou -veauteacute dans le sys tegraveme reli gieux clas sique drsquoAthegravenes cf J Jr Best laquo Bendis raquo dans Hermeneus 35 1964 p 122-128 Di miter Dopov laquo Essence ori gine et pro -pa ga tion du culte de la deacuteesse thrace Bendis raquo dans Dia logue drsquohis toire ancienne 2 1976 p 289-303 Claudia Montepaone laquo Bendis tracia and Atene lrsquointegrazione del nuovo attraverso forme dellrsquoideologia raquo dans A ION (Archeol) 12 1990 p 103-121

35 P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 47 par contre inter pregravete le cadre de maniegravere tout agrave fait dif feacute rente et y voit une allu sion agrave ce que la reli gio siteacute serait acces sible agrave tout le monde mais la theacuteo logie phi lo sophique aux seuls intel lec tuels cagraved sui vant le point de vue grec aux peuples hel leacute ni seacutes

560 DAVID ENGELS

retour ner le soir seule la pro messe drsquoy deacutecou vrir des inter lo cuteurs poten tiels arrive agrave le faire fl eacute chir36

Dans le Timeacutee qui est la suite directe de la Reacutepu blique et commence avec une reacuteca pi tu la tion assez som maire des ideacutees de ce dia logue37 le cadre reli gieux de la Reacutepu blique est deacuteformeacute de faccedilon assez remar quable puisque la dis cus sion nrsquoa pas lieu le len de main de la fecircte pour Bendis mais lors des Pana theacute neacutees ceacuteleacute breacutees le 28e Heacutekatombaion (Platon Timeacutee 26e) La solen niteacute de la fecircte y est mise expres seacute ment en rela tion avec le thegraveme du dia logue la creacutea tion mys tique et la nature mateacute rielle du monde comme par ti cu liegrave re ment seyante agrave des speacute cu la tions aussi pro fondes (Platon Timeacutee 26e) De plus Critias le jeune qui relate le mythe de lrsquoAtlantide agrave Socrate y explique qursquoil a lui- mecircme appris cette tra di tion par Critias lrsquoancien lors de la ceacuteleacute bra tion des Apatouries38

Notons fi na le ment que mecircme les Lois dia logue inacheveacute et lourd peu compa rable avec la viva citeacute des œuvres de jeu nesse ont un cadre reli gieux le pre mier mot en est deacutejagrave laquo Dieu raquo et le sceacute -na rio ouvre sur une speacute cu la tion sur lrsquoori gine divine des lois des Laceacute deacute mo niens et des Creacute tois pro ve nant res pec ti ve ment drsquoApol -

36 Platon Reacutepu blique I 328a La suite de la dis cus sion qui concer nera la deacutefi ni tion de la jus tice agrave tra vers une deacutefi ni tion de lrsquoEacutetat ideacuteal peut eacutega le ment ecirctre inter preacute teacutee comme eacutetant en rap port eacutetroit avec la des crip tion des fes ti vi teacutes reli -gieuses de la citeacute atheacute nienne mais il ne faut pas oublier que le pre mier livre de la Reacutepu blique a pro ba ble ment preacute ceacutedeacute les livres sui vants de nom breuses anneacutees Nous ne savons donc pas preacute ci seacute ment si la fecircte deacutedieacutee agrave Bendis a eacuteteacute ajou teacutee plus tard au pro logue du pre mier livre en fonc tion de lrsquoeacuteco no mie glo bale de la Reacutepu -blique ou au contraire nrsquoa eacuteteacute des ti neacutee qursquoagrave intro duire le pre mier livre et nrsquoa donc qursquoun rap port acci den tel avec les livres II agrave X Alors que Pierre Javet laquo Ceacutephale et Platon sur le seuil de la vieillesse Reacutefl exions sur le pro logue de la Reacutepu blique raquo dans Revue Phi lo sophique de la France et de lrsquoeacutetran ger 1982 p 241-247 affi rme que la ren contre de Socrate avec Poleacute marque et sa dis cus sion avec Ceacutephale ont eacuteteacute compo seacutees en fonc tion de lrsquoensemble de la Reacutepu blique P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 46 sou tient la thegravese du rap port acci den tel en fai sant remar quer que ce dia logue devenu eacutenorme deacutebute seule ment dans la soi reacutee et ne peut donc fi nir rai son na ble ment quelques heures plus tard ndash un pro blegraveme que Platon aurait cer tai -ne ment eacuteviteacute srsquoil avait voulu degraves le deacutebut eacutecrire une œuvre tel le ment gigan tesque (et ce nrsquoest pas un hasard si les Lois eux deacutebutent le matin en rai son de la lon gueur impres sion nante de lrsquoœuvre)

37 Compa rer p ex Christopher J Rowe laquo Why is the Ideal Athens of the Timaeus- Critias not Ruled by Philosophers raquo dans Meacutethexis 10 1997 p 51-57

38 Celles- ci ougrave les jeunes hommes eacutetaient ins crits dans leur phra trie (Platon Timeacutee 21b) eacutetaient eacutega le ment preacute si deacutees par Atheacutena et Zeus et duraient trois jours

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 561

lon pythique et de Zeus39 Plus tard nous appre nons que les inter lo -cuteurs se trouvent en Cregravete et sont sur le che min de Cnossos vers la grotte sacreacutee de Zeus40

Nous voyons donc que le choix de lrsquoeacuteleacute ment reli gieux tra di tion -nel nrsquoest pas acci den tel dans la mise en scegravene des dia logues de Platon et que au contraire la men tion des cultes a dans la plu part des cas un rap port phi lo sophique direct avec le thegraveme du dia logue qui srsquoen suit Crsquoest donc la reli gio siteacute tra di tion nelle qui oserions- nous dire ins pire sa propre trans cen dance par la dis cus sion meacuteta -phy sique et est eacutevo queacutee impli ci te ment comme base neacuteces saire agrave toute aven ture intel lec tuelle

La precirc trise comme pro fes sion

Un autre thegraveme reacutecur rent chez Platon est celui de la compeacute tence pro fes sion nelle des dif feacute rents precirctres Nous connais sons tous les exemples nom breux ougrave le phi lo sophe parle des timo niers des menui -siers et des meacutede cins mais il est eacuteton nant de voir que la men tion du devin (μάντις) comme exemple drsquoun meacutetier parmi drsquoautres est assez cou rante chez Platon41 Notons ici que Platon mecircme srsquoil parle en regravegle geacuteneacute rale des devins sans en speacute ci fi er en deacutetail les fonc tions theacuteo lo giques ou meacutethodes pro fes sion nelles leur attri bue (en theacuteo rie au moins) une vraie laquo connais sance du futur raquo (Platon Charmide 173c ἐπιστήμην τοῦ μέλλοντος) et les rap proche en fai sant eacutegard agrave leur ins pi ra tion commune par le souffl e divin des rhap sodes des chan teurs drsquooracles (Platon Ion 534c Apo logie 22c) et mecircme des poli ti ciens (Platon Meacute non 98c-d) De faccedilon sem blable dans le Poli -tique Platon les carac teacute rise comme tra duc teurs et voix des dieux (Platon Poli tique 290c) tan dis que les precirctres sont deacutefi nis comme ceux qui srsquooccupent drsquoorga ni ser le contact des humains avec les

39 Platon Lois I 624a-625a cf aussi 632d40 Platon Lois I 625a-b Lrsquoon peut soit lrsquoiden ti fi er comme le sanc tuaire

de la grotte dicteacuteenne ndash lrsquoopi nion geacuteneacute ra le ment admise cf commen taire Klaus Schoumlpsdau (eacuted trad et comm) Platon Gesetze Buch I- IV Darmstadt 21990 ndash ou celui du Mont Ida cf Glenn R Morrow Platorsquos Cretan City a Historical Interpretation of the Laws Princeton 1962 p 27ndash28 Par rap port agrave la signi fi ca tion reli gieuse de la Cregravete cf Jesuacutes Lens Tuero laquo La mitifi cacioacuten de Creta en la cultura griega del siglo IV raquo dans Actas del VIII congreso espantildeol de estudios claacutesicos (Madrid 23-28 de septiembre de 1991) t 3 Madrid 1994 p 219-222

41 Voir en dehors de lrsquoEuthyphron dont le pro ta go niste homo nyme est qua -li fi eacute de devin Platon Ion 531b Charmide 173c

562 DAVID ENGELS

dieux par les sacri fi ces et les priegraveres (Platon Poli tique 290c-d) ayant annexeacute en ceci les attri bu tions des anciens rois42 Ce juge ment en somme posi tif pour rait ecirctre impu table au fait que Platon voyait beau coup de res sem blances entre le devin et le phi lo sophe43 Neacutean -moins il ne place les devins et precirctres qursquoau cin quiegraveme rang des formes de vie du Phegravedre (Platon Phegravedre 248d) et insiste sur le fait qursquoil ne veut par ler que des devins laquo seacuterieux raquo (τοὺς δὲ ὡςἀληθῶς μάντεις) qursquoil met en contraste avec les beaux- parleurs (τοὺς μὲν ἀλαζόνας) qui man que raient de σωφροσύνη (Platon Charmide 173c) Nous trou vons un exemple de ces devins laquo non seacuterieux raquo dans la Reacutepu blique Platon y deacutecrit par la bouche drsquoAdeacutemante que les char la tans et les devins (ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις) pro mettent aux riches de rache ter contre paye ment leurs fautes morales par des sacri fi ces et des for mules magiques et assurent mecircme pou voir infl u en cer les dieux par des incan ta tions magiques44 agrave faire du tort aux autres humains bons ou mau vais (Platon Reacutepu blique II 364b-365a) En ceci ils srsquoappuyeraient sur Hom egravere qui qua li fi ait deacutejagrave les dieux drsquoinfl u en ccedilables par des pro messes et des offrandes (Hom -egravere Iliade IX 497-501) et sur les eacutecrits mys tiques de Museacutee et drsquoOrpheacutee45 Ceux- ci auraient ensei gneacute que des hommes et mecircme

42 Platon prouve ce rai son ne ment en nom mant lrsquoArchon Basileacuteios drsquoAthegravenes res pon sable des offrandes les plus archaiumlques et veacuteneacute rables et cite aussi lrsquoini tiation obli ga toire des pha raons drsquoEacutegypte agrave lrsquoart des precirctres (Platon Poli tique 290e)

43 Cf Richard Bodeacuteuumls laquo ldquoJe suis devinrdquo (Phegravedre 242c) Remarques sur la phi lo sophie selon Platon raquo dans Kernos 3 1990 p 45-52 p 49 laquo La contem pla -tion phi lo sophique en effet nrsquoest pas sans ana logie avec la vision divi na toire [hellip] De mecircme que le devin voit sans lrsquointel li gence des signi fi ants le phi lo sophe voit par lrsquointel li gence des signi fi eacutes Crsquoest un vision naire dans lrsquoordre de lrsquointel li -gible raquo

44 Voir aussi Carlo A Viano laquo Retorica magia e natura in Platone raquo dans Rivista di Filosofi a 56 1965 p 411-453 qui sou ligne que Platon dans le livre X des Lois et dans le Phegravedre met la magie et la rheacute to rique sur le mecircme plan puis qursquoelles exercent toutes les deux une action psy cho lo gique sur lrsquoacircme et que lrsquohomme lui- mecircme est sujet agrave la rheacute to rique et agrave la magie en tant que par tie de la nature

45 Au sujet de la rela tion de Platon aux orphiques cf Paul Boyanceacute Le Culte des Muses chez les phi lo sophes grecs Paris 1937 p 21ndash24 le mecircme laquo Platon et les Cathartes orphiques raquo dans Revue des eacutetudes grecques 55 1942 p 217-235 Philippe Borgeaud (eacuted) Orphisme et Orpheacutee en lrsquohon neur de Jean Rudhardt Genegraveve 1991 Leacuteonid Zhmud laquo Orphism and grafi tti from Olbia raquo dans Hermes 120 1992 p 159-168 (confi r mant Platon Cratylos 400c) Alberto Bernabeacute laquo Una etimologiacutea platoacutenica soma- sema raquo dans Philologus 139 1995 p 204-237 Giovanni Casadio laquo El mito del laquo Poliacutetico raquo (268 D-274 E) y la his to ria de las religiones raquo dans Emerita 64 1996 p 65-77 Les frag ments orphiques conser veacutes

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 563

des citeacutes entiegraveres pou vaient rache ter leurs fautes preacute sentes et pas seacutees par des sacri fi ces et des jeux (διὰ θνσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν)46 Mecircme si Platon consi degravere geacuteneacute ra le ment les astres comme des divi ni -teacutes47 il explique dans le Timeacutee que les pheacute no megravenes astro no miques ne doivent pas ecirctre pris pour des preacute sages mais srsquoexpliquent par des rai sons pure ment matheacutema tiques (Platon Timeacutee 40c-d) ce qui peut ecirctre inter preacuteteacute comme une cri tique de la man tique astro lo gique Dans les Lois il deacutecrit que beau coup de magi ciens et de devins seraient mecircme en reacutea liteacute des a theacuteistes sou cieux de pro fi ter de la creacute du liteacute de leurs conci toyens (Platon Lois X 908d)48

chez Platon peuvent ecirctre consul teacutes main te nant dans Alberto Bernabeacute Poetae epici Graeci Testimonia et frag menta Pars II Fasc 1-2 Orphicorum et Orphicis similium frag menta MuumlnchenLeipzig 2004-2005

46 Un preacute jugeacute pla to ni cien qui reacutefl egravete le peu drsquoestime qursquoavaient les intel lec -tuels contem po rains pour la char la ta ne rie issue des speacute cu la tions gran dioses de lrsquoorphisme (pour tant extrecirc me ment popu laires agrave lrsquoeacutepoque cf Martin P Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion t1 Bis zur Weltherrschaft Muumlnchen 1941 p 684 et 800) et qui semble sur tout issue du pytha go risme (Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore de Gregravece en Palestine Paris 1927 p 81ndash82) Pour lrsquoinfl u ence de Pythagore sur Platon compa rer aussi Erich Frank Plato und die so genannten Pythagoreer Halle 1923 Pierre Boyanceacute laquo Lrsquoinfl u ence pytha go ri -cienne sur Platon raquo dans Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia Naples 1966 p 73-113 Bartel Leendert Van Der Waerden laquo Platon et les sciences exactes des Pytha go ri ciens raquo dans Bul le tin de la Socieacuteteacute Matheacutema tique de Belgique 21 1969 p 120-122 Maria Tortorelli Ghidini et al (eacuted) Tra Orfeo e Pitagora origini e incontri di culture nellrsquoantichitagrave atti dei seminari napoletani 1996-1998 Naples 2000 Leacuteonid Zhmud laquo Uumlberlegungen zur pythagoreischen Frage raquo dans Georg Rechenauer (eacuted) Fruumlhgriechisches Denken Goumlttingen 2005 p 135-151 David En gels laquo Geometrie und Phi lo sophie Zur Visualisierung metaphysischer Konzepte durch raumlumliche Darstellungen in der pythagoreischen Phi lo sophie raquo dans D GroszligS Westermann (eacuted) Vom Bild zur Erkenntnis Visualisierungskonzepte in den Wissenschaften Kassel 2007 p 113ndash129

47 Platon Timeacutee 401ndash402 Lois VII 821bndashc Voir agrave ce sujet p ex Hans Herter laquo Gott und die Welt bei Platon raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 158 1958 p 106-117 GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 399ndash402 et 445ndash448

48 En ce qui concerne lrsquoart divi na toire sou li gnons ici encore que Platon dans le Lachegraves laisse Socrate affi r mer que chaque pro fes sion confegravere agrave celui qui lrsquoexerce cor rec te ment une auto riteacute de speacute cia liste dans son domaine Ceci le conduit agrave demander agrave son inter lo cuteur un mili taire srsquoil est donc deacutecideacute en cas de guerre agrave faire plu tocirct confi ance agrave ses propres avis stra teacute giques qursquoaux conseils des devins que lrsquoon ne sau rait dif fi ci le ment regar der comme des auto ri teacutes compeacute tentes en matiegravere miliaire ce agrave quoi le stra tegravege atheacute nien acquiesce (Platon Lachegraves 199a) Si lrsquoon pense que ce stra tegravege nrsquoest autre que Nicias le poli ti cien atheacute nien qui notam -ment parce qursquoil avait accordeacute foi agrave des devins et des oracles dans ses deacuteci sions mili taires connaicirct en 413 une fi n tra gique en Sicile (ougrave il avait assieacutegeacute en vain la ville de Syracuse et ougrave il fut fait pri son nier par les habi tants qui le condam negraverent agrave mort) lrsquoendroit ne manque pas de piment et laisse per ce voir lrsquoiro nie de Platon qui

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La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

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Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 567

la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 569

eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

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pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

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de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 575

pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 577

nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

578 DAVID ENGELS

jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 579

leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 581

ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

556 DAVID ENGELS

Eacuteryximaque reprendre impli ci te ment la deacutefi ni tion drsquoEuthryphon et deacutefi nir offrandes et divi na tion comme les deux seuls moyens qursquoont les humains drsquoentrer en contact avec les dieux de sau ve -gar der lrsquoamour entre humains et la pieacuteteacute envers les dieux (Platon Ban quet 188b-c) Le dis cours drsquoAristophane dans le Ban quet que lrsquoon connaicirct bien gracircce au mythe de creacutea tion de lrsquohomme et de la femme agrave par tir drsquoun Her ma phro dite22 reprend un autre eacuteleacute ment de lrsquoEuthyphron la moti vation prin ci pale de Zeus qui le porta plu tocirct agrave muti ler lrsquohomme aveu gleacute par lrsquoarro gance qursquoagrave le ter ras ser comme les Titans eacutema nait de sa volonteacute agrave srsquoassu rer aussi au futur hon neurs et offrandes (Platon Ban quet 190c)23

La mise en scegravene

Dans la mise en scegravene des œuvres de Platon24 le lieu du dia logue ou du moins le contexte geacuteneacute ral de lrsquoaction a sou vent un rap port indu bi table avec le culte reli gieux grec et meacuterite une atten tion par -ti cu liegravere puisque la mise en scegravene est indis so ciable du contenu du dia logue25 Dans le dia logue Ion le pro ta go niste du mecircme nom26 revient jus te ment drsquoEacutepidaure ougrave il a par ti cipeacute aux fecirctes don neacutees

eacutethique dans les convic tions du devin Euthyphron cf P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 82

22 Compa rer Jean Hani laquo Le mythe de lrsquoandro gyne dans le Ban quet de Platon raquo dans Euphrosyne 11 1981-82 p 89-101

23 Mecircme si Platon ne donne pas drsquoavis expli cite sur le contenu de ces deux dis cours nous savons que lrsquoordre des dis cours dans le Ban quet joue un rocircle cru -cial le dis cours jugeacute comme le trai te ment le plus appro fondi du thegraveme de la nature de lrsquoamour eacutetant le der nier celui de Socrate qui dit juste reprendre les termes de Diotimee precirc tresse agrave Mantineacuteia On serait donc tenteacute de voir dans les autres (dont le contenu nrsquoest cer tai ne ment pas abso lu ment contraire aux convic tions de Platon) de simples eacutetapes pro peacute deu tiques neacuteces saires pour atteindre le degreacute drsquoabs trac tion phi lo sophique de SocrateDiotime qui arrive agrave trans cen der la reli gio siteacute par la ratio na liteacute phi lo sophique qui seule per met trait drsquoacceacute der agrave la compreacute hen sion de la divi niteacute

24 Konrad Gaiser Protreptik und Paraumlnese bei Platon Untersuchungen zur Form des platonischen Dialogs Tuumlbingen 1959 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 164-181 cf Gasan C Gusejnov laquo Les per son nages de Platon Agrave la recherche du genre raquo dans BB Pietrovskij et al (eacuted) La civi li sa tion antique et la science moderne Moscou 1985 p 118-121 Marie- Laurence Desclos laquo La fonc tion des pro logues dans les Dia logues de Platon raquo dans Denis Vernant (eacuted) Du dia logue Grenoble 1992 p 15-29

25 P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 17226 Cf sur le per son nage Allan H Gilbert (eacuted) Platorsquos Ion Comic and

Serious Studies in Honor of DWT Starnes Austin Univ of Texas 1967

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 557

en lrsquohon neur drsquoAscleacutepios parmi les quelles fi gu rait un concours de rhap sodes dont Ion rem porta le pre mier prix27 Socrate invite Ion agrave par ti ci per aussi aux Pana theacute neacutees pour y obte nir un suc cegraves compa -rable La fonc tion de ces reacutefeacute rences dans le contexte geacuteneacute ral du dia logue nrsquoest pas dif fi cile agrave ana ly ser ces reacutefl exions donnent direc -te ment lrsquoagrave- propos agrave la dis cus sion qui suit et qui concerne prin ci pa -le ment la valeur de lrsquoart du rhap sode et la deacutemons tra tion qursquoIon se consi deacute rant comme speacute cia liste en la matiegravere est pour tant inapte agrave eacutemettre des juge ments phi lo sophiques sen seacutes sur le contenu des mythes qursquoil raconte28

Le dia logue Charmide œuvre de jeu nesse comme lrsquoIon a lieu dans la palestre de Taureacuteas en face du temple de la laquo Basilika raquo abreacute via tion cou rante pour le temple de Perseacutephone Basileacuteia29 Ici par contre crsquoest moins le temple de Perseacutephone que la palestre qui est signi fi ca tive pour le contenu du dia logue qui tourne prin ci pa le -ment autour des connais sances du jeune gar ccedilon Charmide

La des crip tion de la mise en scegravene du dia logue Phegravedre qui fait par tie des œuvres de matu riteacute du phi lo sophe peut ecirctre consi deacute reacutee comme le seul exemple de des crip tion poeacute tique de la nature chez Platon Socrate ren contre Phegravedre deacuteam bu lant le long des che mins qui megravenent agrave Athegravenes pour y cher cher un endroit ougrave lire un dis -cours de Lysias sur lrsquoamour et deacutecide de lrsquoaccom pa gner jus qursquoau fl euve Ilissos Apregraves srsquoecirctre rafraicirc chis les pieds dans lrsquoeau les deux inter lo cuteurs srsquoins tallent dans lrsquoombre drsquoun pla tane ougrave ils dis cutent drsquoabord de la tra di tion de lrsquoenlegrave ve ment drsquoOrithye celle- ci eacutetait la fi lle du roi atheacute nien Eacuterechtheacute et fut ravie par Boreacutee agrave mi- chemin entre cet endroit et le temple drsquoArteacutemis Agra30 De plus Socrate

27 Pl Ion 530a Compa rer Paul Bernard laquo Note eacutepidaurienne La data tion du temple drsquoAscleacutepios et lrsquoIon de Platon raquo dans Bul le tin de Cor res pon dance Hel leacute -nique 85 1962 p 400-402

28 Cf Egert Poehlmann laquo Enthusiasmus und Mimesis Zum platonischen Ion raquo dans Gymnasium 83 1976 p 191-208 Herbert Eisenberger laquo Sokratesrsquo Absichten im Ion raquo dans Christoff Neumeister (eacuted) Antike Texte in Forschung und Schule Festschrift fuumlr Willibald Heilmann zum 65 Geburtstag FrankfurtMain 1993 p 71-98

29 La palestre de Taureacuteas nrsquoa pas encore eacuteteacute loca li seacutee la laquo Basilika raquo se trouve au sud de lrsquoAcro pole non loin du mur drsquoenceinte de la ville (Platon Charmide 153a)

30 Terme qui srsquoapplique soit agrave un sur nom de la deacuteesse soit au degraveme Agrai ougrave se serait trouveacute ce sanc tuaire La loca li sa tion exacte du lieu de lrsquoenlegrave ve ment se situe rait agrave envi ron 2 ou 3 stades du pla tane et serait mar queacutee par un autel au dieu du vent du Nord (Platon Phegravedre 229a-c) mais Platon cite aussi lrsquoAreacuteo page comme

558 DAVID ENGELS

deacutecrit qursquoil a lrsquoimpres sion drsquoaper ce voir non loin de leur lieu de repos quelques sta tues qui lais se raient sup po ser lrsquoexis tence drsquoun sanc tuaire de quelques nymphes et du dieu du fl euve Acheacuteloos (Platon Phegravedre 230b-c) le fi ls drsquoOceacutean et de Teacutethys le pegravere des Siregravenes La rai son de cette mise en scegravene est plus dif fi cile agrave ana ly -ser Socrate pro fesse drsquoabord ndash en contraste eacutecla tant avec sa des -crip tion buco lique de lrsquoendroit agrave laquelle il donne ainsi un accent drsquoiro nie ndash drsquoecirctre tout agrave fait deacutes in teacute resseacute par la nature et de nrsquoecirctre attireacute que par les villes car crsquoest lagrave qursquoil trouve les humains gracircce aux quels il peut conti nuer agrave apprendre (Platon Phegravedre 230d-e) Cepen dant suite agrave la dis cus sion sur la valeur de la rheacute to rique et la deacutefi ni tion de lrsquoamour31 Socrate srsquoemporte rapi de ment et livre tout un dis cours ins pireacute et mythologisant sur le des tin de lrsquoacircme humaine contras tant avec ses reacutefl exions objec tives et son rai son ne ment froid sur lrsquoart de la rheacute to rique Nous pou vons donc sup po ser que le cadre du dia logue ait eacuteteacute expres seacute ment choisi pour illus trer agrave la fois le pen -chant ration nel de Socrate contras tant avec le pai sible sanc tuaire des nymphes et son retour agrave la poeacute sie divine ins pireacute par la speacute cu -la tion phi lo sophique illus trant ainsi le che mi ne ment du phi lo sophe qui se deacutetourne des ten ta tions de la nature pour culti ver la pen seacutee logique qui le ramegravene de nou veau aux veacuteri teacutes natu relles32

Le Parmeacutenide assu reacute ment lrsquoun des dia logues tar difs de Platon se joue agrave Athegravenes lors des fecirctes panatheacuteennes et per met ainsi la mise en scegravene drsquoune ren contre fi c tive entre trois geacuteneacute ra tions de phi -lo sophes Parmeacutenide Zeacutenon et Socrate (Platon Parmeacutenide 127a) Il semble qursquoen dehors de cette fonc tion pure ment prag ma tique la men tion des Pana theacute neacutees ne puisse ecirctre inter preacute teacutee comme sym -

lieu pos sible (Platon Phegravedre 229c) Par rap port agrave la reli gion dans le Phegravedre cf les remarques de G Arabatzis laquo Enkalypsamenos raquo [n 1]

31 Cf Hubert Kesters laquo De ware redekunst volgens Platoonsrsquo Phaidros raquo dans Tijdschrift voor phi lo sophie 25 1963 p 651-687 et 36 1964 p 33-67 L Rossetti (eacuted) Understanding the Phaedrus Proceedings of the II Sym po sium Platonicum Sankt Augustin 1992 Jens Halfwassen laquo Bemerkungen zum Ursprung der Lehre vom Seelenwagen raquo dans Jahrbuch fuumlr Religionswissenschaft und Theologie der Religionen 2 1994 p 114-128 Gustav A Seeck laquo Schlechte und gute Liebe in Platons Phaidros raquo dans Wuumlrzburger Jahrbuumlcher 22 1998 p 101-121

32 Cette rela tion entre phi lo sophie et theacuteo logie se retrouve drsquoailleurs aussi dans la priegravere fi nale du Phegravedre ougrave Socrate prie les dieux de reacutecom pen ser les efforts du phi lo sophe par la sagesse Lrsquoon trou vera une ana lyse appro fon die de cette priegravere chez Konrad Haiser laquo Das Gold der Weisheit Zum Gebet des Philosophen am Schluss des Phaidros raquo dans Rheinisches Museum 132 1989 p 105-140

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bole preacute cis du contenu du dia logue dis cus sion pure ment for melle sur lrsquouniteacute et la mul ti pli citeacute qui nous livre peut- ecirctre lrsquoessence de la doc trine eacuteso teacute rique de Platon33 mais dont lrsquoana lyse deacutepas se rait lar -ge ment le cadre de la preacute sente recherche por tant uni que ment sur la place du culte grec tra di tion nel dans lrsquoœuvre de Platon

Le deacutebut de la Reacutepu blique est eacutega le ment carac teacute riseacute par une reacutefeacute -rence au culte deux des pro ta go nistes reviennent de la pre miegravere ceacuteleacute bra tion offi cielle drsquoune fecircte en lrsquohon neur de Bendis une divi -niteacute thrace nou vel le ment impor teacutee34 Platon deacutecrit ici les deux per -son nages des cen dus au Pireacutee ndash ougrave arri vait en bateau comme nous pou vons le sup po ser lrsquoimage de la deacuteesse ndash moti veacutes par deux rai -sons drsquoune part pour prier tout comme les autres spec ta teurs mais aussi drsquoautre part pour assou vir leur curio siteacute face agrave la pompe exteacute rieure des deux pro ces sions dont celle des Thraces est deacutecrite comme aussi impres sion nante que celle des Atheacuteniens Un peu plus tard nous appre nons aussi que les fes ti vi teacutes seront clocirc tu reacutees le soir par une pro ces sion eacutequestre ndash nou veauteacute reli gieuse comme le sou -ligne Platon ndash et des fecirctes noc turnes (Platon Reacutepu blique I 328a) Le cli mat de fes ti viteacute solen nelle qui implique lrsquoacti viteacute reli gieuse de la ville complegravete forme un cadre excellent pour la dis cus sion sur la nature de la jus tice et la deacutefaite intel lec tuelle de la posi tion des sophistes telle qursquoelle est sym bo li seacutee par les argu ments de Thrasymaque35 Il est eacutega le ment inteacute res sant de noter que Socrate mecircme srsquoil par ti cipe aux fes ti vi teacutes exprime son peu drsquoenvie drsquoy

33 Il est neacutean moins juste de sou li gner que laquo les Pana theacute neacutees refl egravetent lrsquouniteacute poli tique des citoyens atheacuteniens et lrsquoeacuteclat de leur citeacute Ren contre des geacuteneacute ra tions [hellip] dis cus sions entre phi lo sophes atheacuteniens et eacutetran gers concours divers [hellip] la citeacute ceacutelegravebre dans une effer ves cence poli tique reli gieuse et intel lec tuelle la deacuteesse qui la pro tegravege et patronne les mul tiples aspects de la vie en socieacuteteacute raquo (Catherine Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo dans Kernos 6 1993 p 225-243 p 241)

34 Elle eacutetait fecircteacutee annuel le ment le 19e20e Thargeacutelion (Platon Reacutepu blique I 327a donc deacutebut juin) Son intro duc tion offi cielle (pro ba ble ment en 430) qui avait semble- t-il des rai sons plu tocirct poli tiques que reli gieuses consti tuait une nou -veauteacute dans le sys tegraveme reli gieux clas sique drsquoAthegravenes cf J Jr Best laquo Bendis raquo dans Hermeneus 35 1964 p 122-128 Di miter Dopov laquo Essence ori gine et pro -pa ga tion du culte de la deacuteesse thrace Bendis raquo dans Dia logue drsquohis toire ancienne 2 1976 p 289-303 Claudia Montepaone laquo Bendis tracia and Atene lrsquointegrazione del nuovo attraverso forme dellrsquoideologia raquo dans A ION (Archeol) 12 1990 p 103-121

35 P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 47 par contre inter pregravete le cadre de maniegravere tout agrave fait dif feacute rente et y voit une allu sion agrave ce que la reli gio siteacute serait acces sible agrave tout le monde mais la theacuteo logie phi lo sophique aux seuls intel lec tuels cagraved sui vant le point de vue grec aux peuples hel leacute ni seacutes

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retour ner le soir seule la pro messe drsquoy deacutecou vrir des inter lo cuteurs poten tiels arrive agrave le faire fl eacute chir36

Dans le Timeacutee qui est la suite directe de la Reacutepu blique et commence avec une reacuteca pi tu la tion assez som maire des ideacutees de ce dia logue37 le cadre reli gieux de la Reacutepu blique est deacuteformeacute de faccedilon assez remar quable puisque la dis cus sion nrsquoa pas lieu le len de main de la fecircte pour Bendis mais lors des Pana theacute neacutees ceacuteleacute breacutees le 28e Heacutekatombaion (Platon Timeacutee 26e) La solen niteacute de la fecircte y est mise expres seacute ment en rela tion avec le thegraveme du dia logue la creacutea tion mys tique et la nature mateacute rielle du monde comme par ti cu liegrave re ment seyante agrave des speacute cu la tions aussi pro fondes (Platon Timeacutee 26e) De plus Critias le jeune qui relate le mythe de lrsquoAtlantide agrave Socrate y explique qursquoil a lui- mecircme appris cette tra di tion par Critias lrsquoancien lors de la ceacuteleacute bra tion des Apatouries38

Notons fi na le ment que mecircme les Lois dia logue inacheveacute et lourd peu compa rable avec la viva citeacute des œuvres de jeu nesse ont un cadre reli gieux le pre mier mot en est deacutejagrave laquo Dieu raquo et le sceacute -na rio ouvre sur une speacute cu la tion sur lrsquoori gine divine des lois des Laceacute deacute mo niens et des Creacute tois pro ve nant res pec ti ve ment drsquoApol -

36 Platon Reacutepu blique I 328a La suite de la dis cus sion qui concer nera la deacutefi ni tion de la jus tice agrave tra vers une deacutefi ni tion de lrsquoEacutetat ideacuteal peut eacutega le ment ecirctre inter preacute teacutee comme eacutetant en rap port eacutetroit avec la des crip tion des fes ti vi teacutes reli -gieuses de la citeacute atheacute nienne mais il ne faut pas oublier que le pre mier livre de la Reacutepu blique a pro ba ble ment preacute ceacutedeacute les livres sui vants de nom breuses anneacutees Nous ne savons donc pas preacute ci seacute ment si la fecircte deacutedieacutee agrave Bendis a eacuteteacute ajou teacutee plus tard au pro logue du pre mier livre en fonc tion de lrsquoeacuteco no mie glo bale de la Reacutepu -blique ou au contraire nrsquoa eacuteteacute des ti neacutee qursquoagrave intro duire le pre mier livre et nrsquoa donc qursquoun rap port acci den tel avec les livres II agrave X Alors que Pierre Javet laquo Ceacutephale et Platon sur le seuil de la vieillesse Reacutefl exions sur le pro logue de la Reacutepu blique raquo dans Revue Phi lo sophique de la France et de lrsquoeacutetran ger 1982 p 241-247 affi rme que la ren contre de Socrate avec Poleacute marque et sa dis cus sion avec Ceacutephale ont eacuteteacute compo seacutees en fonc tion de lrsquoensemble de la Reacutepu blique P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 46 sou tient la thegravese du rap port acci den tel en fai sant remar quer que ce dia logue devenu eacutenorme deacutebute seule ment dans la soi reacutee et ne peut donc fi nir rai son na ble ment quelques heures plus tard ndash un pro blegraveme que Platon aurait cer tai -ne ment eacuteviteacute srsquoil avait voulu degraves le deacutebut eacutecrire une œuvre tel le ment gigan tesque (et ce nrsquoest pas un hasard si les Lois eux deacutebutent le matin en rai son de la lon gueur impres sion nante de lrsquoœuvre)

37 Compa rer p ex Christopher J Rowe laquo Why is the Ideal Athens of the Timaeus- Critias not Ruled by Philosophers raquo dans Meacutethexis 10 1997 p 51-57

38 Celles- ci ougrave les jeunes hommes eacutetaient ins crits dans leur phra trie (Platon Timeacutee 21b) eacutetaient eacutega le ment preacute si deacutees par Atheacutena et Zeus et duraient trois jours

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 561

lon pythique et de Zeus39 Plus tard nous appre nons que les inter lo -cuteurs se trouvent en Cregravete et sont sur le che min de Cnossos vers la grotte sacreacutee de Zeus40

Nous voyons donc que le choix de lrsquoeacuteleacute ment reli gieux tra di tion -nel nrsquoest pas acci den tel dans la mise en scegravene des dia logues de Platon et que au contraire la men tion des cultes a dans la plu part des cas un rap port phi lo sophique direct avec le thegraveme du dia logue qui srsquoen suit Crsquoest donc la reli gio siteacute tra di tion nelle qui oserions- nous dire ins pire sa propre trans cen dance par la dis cus sion meacuteta -phy sique et est eacutevo queacutee impli ci te ment comme base neacuteces saire agrave toute aven ture intel lec tuelle

La precirc trise comme pro fes sion

Un autre thegraveme reacutecur rent chez Platon est celui de la compeacute tence pro fes sion nelle des dif feacute rents precirctres Nous connais sons tous les exemples nom breux ougrave le phi lo sophe parle des timo niers des menui -siers et des meacutede cins mais il est eacuteton nant de voir que la men tion du devin (μάντις) comme exemple drsquoun meacutetier parmi drsquoautres est assez cou rante chez Platon41 Notons ici que Platon mecircme srsquoil parle en regravegle geacuteneacute rale des devins sans en speacute ci fi er en deacutetail les fonc tions theacuteo lo giques ou meacutethodes pro fes sion nelles leur attri bue (en theacuteo rie au moins) une vraie laquo connais sance du futur raquo (Platon Charmide 173c ἐπιστήμην τοῦ μέλλοντος) et les rap proche en fai sant eacutegard agrave leur ins pi ra tion commune par le souffl e divin des rhap sodes des chan teurs drsquooracles (Platon Ion 534c Apo logie 22c) et mecircme des poli ti ciens (Platon Meacute non 98c-d) De faccedilon sem blable dans le Poli -tique Platon les carac teacute rise comme tra duc teurs et voix des dieux (Platon Poli tique 290c) tan dis que les precirctres sont deacutefi nis comme ceux qui srsquooccupent drsquoorga ni ser le contact des humains avec les

39 Platon Lois I 624a-625a cf aussi 632d40 Platon Lois I 625a-b Lrsquoon peut soit lrsquoiden ti fi er comme le sanc tuaire

de la grotte dicteacuteenne ndash lrsquoopi nion geacuteneacute ra le ment admise cf commen taire Klaus Schoumlpsdau (eacuted trad et comm) Platon Gesetze Buch I- IV Darmstadt 21990 ndash ou celui du Mont Ida cf Glenn R Morrow Platorsquos Cretan City a Historical Interpretation of the Laws Princeton 1962 p 27ndash28 Par rap port agrave la signi fi ca tion reli gieuse de la Cregravete cf Jesuacutes Lens Tuero laquo La mitifi cacioacuten de Creta en la cultura griega del siglo IV raquo dans Actas del VIII congreso espantildeol de estudios claacutesicos (Madrid 23-28 de septiembre de 1991) t 3 Madrid 1994 p 219-222

41 Voir en dehors de lrsquoEuthyphron dont le pro ta go niste homo nyme est qua -li fi eacute de devin Platon Ion 531b Charmide 173c

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dieux par les sacri fi ces et les priegraveres (Platon Poli tique 290c-d) ayant annexeacute en ceci les attri bu tions des anciens rois42 Ce juge ment en somme posi tif pour rait ecirctre impu table au fait que Platon voyait beau coup de res sem blances entre le devin et le phi lo sophe43 Neacutean -moins il ne place les devins et precirctres qursquoau cin quiegraveme rang des formes de vie du Phegravedre (Platon Phegravedre 248d) et insiste sur le fait qursquoil ne veut par ler que des devins laquo seacuterieux raquo (τοὺς δὲ ὡςἀληθῶς μάντεις) qursquoil met en contraste avec les beaux- parleurs (τοὺς μὲν ἀλαζόνας) qui man que raient de σωφροσύνη (Platon Charmide 173c) Nous trou vons un exemple de ces devins laquo non seacuterieux raquo dans la Reacutepu blique Platon y deacutecrit par la bouche drsquoAdeacutemante que les char la tans et les devins (ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις) pro mettent aux riches de rache ter contre paye ment leurs fautes morales par des sacri fi ces et des for mules magiques et assurent mecircme pou voir infl u en cer les dieux par des incan ta tions magiques44 agrave faire du tort aux autres humains bons ou mau vais (Platon Reacutepu blique II 364b-365a) En ceci ils srsquoappuyeraient sur Hom egravere qui qua li fi ait deacutejagrave les dieux drsquoinfl u en ccedilables par des pro messes et des offrandes (Hom -egravere Iliade IX 497-501) et sur les eacutecrits mys tiques de Museacutee et drsquoOrpheacutee45 Ceux- ci auraient ensei gneacute que des hommes et mecircme

42 Platon prouve ce rai son ne ment en nom mant lrsquoArchon Basileacuteios drsquoAthegravenes res pon sable des offrandes les plus archaiumlques et veacuteneacute rables et cite aussi lrsquoini tiation obli ga toire des pha raons drsquoEacutegypte agrave lrsquoart des precirctres (Platon Poli tique 290e)

43 Cf Richard Bodeacuteuumls laquo ldquoJe suis devinrdquo (Phegravedre 242c) Remarques sur la phi lo sophie selon Platon raquo dans Kernos 3 1990 p 45-52 p 49 laquo La contem pla -tion phi lo sophique en effet nrsquoest pas sans ana logie avec la vision divi na toire [hellip] De mecircme que le devin voit sans lrsquointel li gence des signi fi ants le phi lo sophe voit par lrsquointel li gence des signi fi eacutes Crsquoest un vision naire dans lrsquoordre de lrsquointel li -gible raquo

44 Voir aussi Carlo A Viano laquo Retorica magia e natura in Platone raquo dans Rivista di Filosofi a 56 1965 p 411-453 qui sou ligne que Platon dans le livre X des Lois et dans le Phegravedre met la magie et la rheacute to rique sur le mecircme plan puis qursquoelles exercent toutes les deux une action psy cho lo gique sur lrsquoacircme et que lrsquohomme lui- mecircme est sujet agrave la rheacute to rique et agrave la magie en tant que par tie de la nature

45 Au sujet de la rela tion de Platon aux orphiques cf Paul Boyanceacute Le Culte des Muses chez les phi lo sophes grecs Paris 1937 p 21ndash24 le mecircme laquo Platon et les Cathartes orphiques raquo dans Revue des eacutetudes grecques 55 1942 p 217-235 Philippe Borgeaud (eacuted) Orphisme et Orpheacutee en lrsquohon neur de Jean Rudhardt Genegraveve 1991 Leacuteonid Zhmud laquo Orphism and grafi tti from Olbia raquo dans Hermes 120 1992 p 159-168 (confi r mant Platon Cratylos 400c) Alberto Bernabeacute laquo Una etimologiacutea platoacutenica soma- sema raquo dans Philologus 139 1995 p 204-237 Giovanni Casadio laquo El mito del laquo Poliacutetico raquo (268 D-274 E) y la his to ria de las religiones raquo dans Emerita 64 1996 p 65-77 Les frag ments orphiques conser veacutes

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des citeacutes entiegraveres pou vaient rache ter leurs fautes preacute sentes et pas seacutees par des sacri fi ces et des jeux (διὰ θνσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν)46 Mecircme si Platon consi degravere geacuteneacute ra le ment les astres comme des divi ni -teacutes47 il explique dans le Timeacutee que les pheacute no megravenes astro no miques ne doivent pas ecirctre pris pour des preacute sages mais srsquoexpliquent par des rai sons pure ment matheacutema tiques (Platon Timeacutee 40c-d) ce qui peut ecirctre inter preacuteteacute comme une cri tique de la man tique astro lo gique Dans les Lois il deacutecrit que beau coup de magi ciens et de devins seraient mecircme en reacutea liteacute des a theacuteistes sou cieux de pro fi ter de la creacute du liteacute de leurs conci toyens (Platon Lois X 908d)48

chez Platon peuvent ecirctre consul teacutes main te nant dans Alberto Bernabeacute Poetae epici Graeci Testimonia et frag menta Pars II Fasc 1-2 Orphicorum et Orphicis similium frag menta MuumlnchenLeipzig 2004-2005

46 Un preacute jugeacute pla to ni cien qui reacutefl egravete le peu drsquoestime qursquoavaient les intel lec -tuels contem po rains pour la char la ta ne rie issue des speacute cu la tions gran dioses de lrsquoorphisme (pour tant extrecirc me ment popu laires agrave lrsquoeacutepoque cf Martin P Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion t1 Bis zur Weltherrschaft Muumlnchen 1941 p 684 et 800) et qui semble sur tout issue du pytha go risme (Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore de Gregravece en Palestine Paris 1927 p 81ndash82) Pour lrsquoinfl u ence de Pythagore sur Platon compa rer aussi Erich Frank Plato und die so genannten Pythagoreer Halle 1923 Pierre Boyanceacute laquo Lrsquoinfl u ence pytha go ri -cienne sur Platon raquo dans Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia Naples 1966 p 73-113 Bartel Leendert Van Der Waerden laquo Platon et les sciences exactes des Pytha go ri ciens raquo dans Bul le tin de la Socieacuteteacute Matheacutema tique de Belgique 21 1969 p 120-122 Maria Tortorelli Ghidini et al (eacuted) Tra Orfeo e Pitagora origini e incontri di culture nellrsquoantichitagrave atti dei seminari napoletani 1996-1998 Naples 2000 Leacuteonid Zhmud laquo Uumlberlegungen zur pythagoreischen Frage raquo dans Georg Rechenauer (eacuted) Fruumlhgriechisches Denken Goumlttingen 2005 p 135-151 David En gels laquo Geometrie und Phi lo sophie Zur Visualisierung metaphysischer Konzepte durch raumlumliche Darstellungen in der pythagoreischen Phi lo sophie raquo dans D GroszligS Westermann (eacuted) Vom Bild zur Erkenntnis Visualisierungskonzepte in den Wissenschaften Kassel 2007 p 113ndash129

47 Platon Timeacutee 401ndash402 Lois VII 821bndashc Voir agrave ce sujet p ex Hans Herter laquo Gott und die Welt bei Platon raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 158 1958 p 106-117 GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 399ndash402 et 445ndash448

48 En ce qui concerne lrsquoart divi na toire sou li gnons ici encore que Platon dans le Lachegraves laisse Socrate affi r mer que chaque pro fes sion confegravere agrave celui qui lrsquoexerce cor rec te ment une auto riteacute de speacute cia liste dans son domaine Ceci le conduit agrave demander agrave son inter lo cuteur un mili taire srsquoil est donc deacutecideacute en cas de guerre agrave faire plu tocirct confi ance agrave ses propres avis stra teacute giques qursquoaux conseils des devins que lrsquoon ne sau rait dif fi ci le ment regar der comme des auto ri teacutes compeacute tentes en matiegravere miliaire ce agrave quoi le stra tegravege atheacute nien acquiesce (Platon Lachegraves 199a) Si lrsquoon pense que ce stra tegravege nrsquoest autre que Nicias le poli ti cien atheacute nien qui notam -ment parce qursquoil avait accordeacute foi agrave des devins et des oracles dans ses deacuteci sions mili taires connaicirct en 413 une fi n tra gique en Sicile (ougrave il avait assieacutegeacute en vain la ville de Syracuse et ougrave il fut fait pri son nier par les habi tants qui le condam negraverent agrave mort) lrsquoendroit ne manque pas de piment et laisse per ce voir lrsquoiro nie de Platon qui

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La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 565

Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 567

la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 571

pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 573

de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 575

pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

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nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 581

ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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en lrsquohon neur drsquoAscleacutepios parmi les quelles fi gu rait un concours de rhap sodes dont Ion rem porta le pre mier prix27 Socrate invite Ion agrave par ti ci per aussi aux Pana theacute neacutees pour y obte nir un suc cegraves compa -rable La fonc tion de ces reacutefeacute rences dans le contexte geacuteneacute ral du dia logue nrsquoest pas dif fi cile agrave ana ly ser ces reacutefl exions donnent direc -te ment lrsquoagrave- propos agrave la dis cus sion qui suit et qui concerne prin ci pa -le ment la valeur de lrsquoart du rhap sode et la deacutemons tra tion qursquoIon se consi deacute rant comme speacute cia liste en la matiegravere est pour tant inapte agrave eacutemettre des juge ments phi lo sophiques sen seacutes sur le contenu des mythes qursquoil raconte28

Le dia logue Charmide œuvre de jeu nesse comme lrsquoIon a lieu dans la palestre de Taureacuteas en face du temple de la laquo Basilika raquo abreacute via tion cou rante pour le temple de Perseacutephone Basileacuteia29 Ici par contre crsquoest moins le temple de Perseacutephone que la palestre qui est signi fi ca tive pour le contenu du dia logue qui tourne prin ci pa le -ment autour des connais sances du jeune gar ccedilon Charmide

La des crip tion de la mise en scegravene du dia logue Phegravedre qui fait par tie des œuvres de matu riteacute du phi lo sophe peut ecirctre consi deacute reacutee comme le seul exemple de des crip tion poeacute tique de la nature chez Platon Socrate ren contre Phegravedre deacuteam bu lant le long des che mins qui megravenent agrave Athegravenes pour y cher cher un endroit ougrave lire un dis -cours de Lysias sur lrsquoamour et deacutecide de lrsquoaccom pa gner jus qursquoau fl euve Ilissos Apregraves srsquoecirctre rafraicirc chis les pieds dans lrsquoeau les deux inter lo cuteurs srsquoins tallent dans lrsquoombre drsquoun pla tane ougrave ils dis cutent drsquoabord de la tra di tion de lrsquoenlegrave ve ment drsquoOrithye celle- ci eacutetait la fi lle du roi atheacute nien Eacuterechtheacute et fut ravie par Boreacutee agrave mi- chemin entre cet endroit et le temple drsquoArteacutemis Agra30 De plus Socrate

27 Pl Ion 530a Compa rer Paul Bernard laquo Note eacutepidaurienne La data tion du temple drsquoAscleacutepios et lrsquoIon de Platon raquo dans Bul le tin de Cor res pon dance Hel leacute -nique 85 1962 p 400-402

28 Cf Egert Poehlmann laquo Enthusiasmus und Mimesis Zum platonischen Ion raquo dans Gymnasium 83 1976 p 191-208 Herbert Eisenberger laquo Sokratesrsquo Absichten im Ion raquo dans Christoff Neumeister (eacuted) Antike Texte in Forschung und Schule Festschrift fuumlr Willibald Heilmann zum 65 Geburtstag FrankfurtMain 1993 p 71-98

29 La palestre de Taureacuteas nrsquoa pas encore eacuteteacute loca li seacutee la laquo Basilika raquo se trouve au sud de lrsquoAcro pole non loin du mur drsquoenceinte de la ville (Platon Charmide 153a)

30 Terme qui srsquoapplique soit agrave un sur nom de la deacuteesse soit au degraveme Agrai ougrave se serait trouveacute ce sanc tuaire La loca li sa tion exacte du lieu de lrsquoenlegrave ve ment se situe rait agrave envi ron 2 ou 3 stades du pla tane et serait mar queacutee par un autel au dieu du vent du Nord (Platon Phegravedre 229a-c) mais Platon cite aussi lrsquoAreacuteo page comme

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deacutecrit qursquoil a lrsquoimpres sion drsquoaper ce voir non loin de leur lieu de repos quelques sta tues qui lais se raient sup po ser lrsquoexis tence drsquoun sanc tuaire de quelques nymphes et du dieu du fl euve Acheacuteloos (Platon Phegravedre 230b-c) le fi ls drsquoOceacutean et de Teacutethys le pegravere des Siregravenes La rai son de cette mise en scegravene est plus dif fi cile agrave ana ly -ser Socrate pro fesse drsquoabord ndash en contraste eacutecla tant avec sa des -crip tion buco lique de lrsquoendroit agrave laquelle il donne ainsi un accent drsquoiro nie ndash drsquoecirctre tout agrave fait deacutes in teacute resseacute par la nature et de nrsquoecirctre attireacute que par les villes car crsquoest lagrave qursquoil trouve les humains gracircce aux quels il peut conti nuer agrave apprendre (Platon Phegravedre 230d-e) Cepen dant suite agrave la dis cus sion sur la valeur de la rheacute to rique et la deacutefi ni tion de lrsquoamour31 Socrate srsquoemporte rapi de ment et livre tout un dis cours ins pireacute et mythologisant sur le des tin de lrsquoacircme humaine contras tant avec ses reacutefl exions objec tives et son rai son ne ment froid sur lrsquoart de la rheacute to rique Nous pou vons donc sup po ser que le cadre du dia logue ait eacuteteacute expres seacute ment choisi pour illus trer agrave la fois le pen -chant ration nel de Socrate contras tant avec le pai sible sanc tuaire des nymphes et son retour agrave la poeacute sie divine ins pireacute par la speacute cu -la tion phi lo sophique illus trant ainsi le che mi ne ment du phi lo sophe qui se deacutetourne des ten ta tions de la nature pour culti ver la pen seacutee logique qui le ramegravene de nou veau aux veacuteri teacutes natu relles32

Le Parmeacutenide assu reacute ment lrsquoun des dia logues tar difs de Platon se joue agrave Athegravenes lors des fecirctes panatheacuteennes et per met ainsi la mise en scegravene drsquoune ren contre fi c tive entre trois geacuteneacute ra tions de phi -lo sophes Parmeacutenide Zeacutenon et Socrate (Platon Parmeacutenide 127a) Il semble qursquoen dehors de cette fonc tion pure ment prag ma tique la men tion des Pana theacute neacutees ne puisse ecirctre inter preacute teacutee comme sym -

lieu pos sible (Platon Phegravedre 229c) Par rap port agrave la reli gion dans le Phegravedre cf les remarques de G Arabatzis laquo Enkalypsamenos raquo [n 1]

31 Cf Hubert Kesters laquo De ware redekunst volgens Platoonsrsquo Phaidros raquo dans Tijdschrift voor phi lo sophie 25 1963 p 651-687 et 36 1964 p 33-67 L Rossetti (eacuted) Understanding the Phaedrus Proceedings of the II Sym po sium Platonicum Sankt Augustin 1992 Jens Halfwassen laquo Bemerkungen zum Ursprung der Lehre vom Seelenwagen raquo dans Jahrbuch fuumlr Religionswissenschaft und Theologie der Religionen 2 1994 p 114-128 Gustav A Seeck laquo Schlechte und gute Liebe in Platons Phaidros raquo dans Wuumlrzburger Jahrbuumlcher 22 1998 p 101-121

32 Cette rela tion entre phi lo sophie et theacuteo logie se retrouve drsquoailleurs aussi dans la priegravere fi nale du Phegravedre ougrave Socrate prie les dieux de reacutecom pen ser les efforts du phi lo sophe par la sagesse Lrsquoon trou vera une ana lyse appro fon die de cette priegravere chez Konrad Haiser laquo Das Gold der Weisheit Zum Gebet des Philosophen am Schluss des Phaidros raquo dans Rheinisches Museum 132 1989 p 105-140

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bole preacute cis du contenu du dia logue dis cus sion pure ment for melle sur lrsquouniteacute et la mul ti pli citeacute qui nous livre peut- ecirctre lrsquoessence de la doc trine eacuteso teacute rique de Platon33 mais dont lrsquoana lyse deacutepas se rait lar -ge ment le cadre de la preacute sente recherche por tant uni que ment sur la place du culte grec tra di tion nel dans lrsquoœuvre de Platon

Le deacutebut de la Reacutepu blique est eacutega le ment carac teacute riseacute par une reacutefeacute -rence au culte deux des pro ta go nistes reviennent de la pre miegravere ceacuteleacute bra tion offi cielle drsquoune fecircte en lrsquohon neur de Bendis une divi -niteacute thrace nou vel le ment impor teacutee34 Platon deacutecrit ici les deux per -son nages des cen dus au Pireacutee ndash ougrave arri vait en bateau comme nous pou vons le sup po ser lrsquoimage de la deacuteesse ndash moti veacutes par deux rai -sons drsquoune part pour prier tout comme les autres spec ta teurs mais aussi drsquoautre part pour assou vir leur curio siteacute face agrave la pompe exteacute rieure des deux pro ces sions dont celle des Thraces est deacutecrite comme aussi impres sion nante que celle des Atheacuteniens Un peu plus tard nous appre nons aussi que les fes ti vi teacutes seront clocirc tu reacutees le soir par une pro ces sion eacutequestre ndash nou veauteacute reli gieuse comme le sou -ligne Platon ndash et des fecirctes noc turnes (Platon Reacutepu blique I 328a) Le cli mat de fes ti viteacute solen nelle qui implique lrsquoacti viteacute reli gieuse de la ville complegravete forme un cadre excellent pour la dis cus sion sur la nature de la jus tice et la deacutefaite intel lec tuelle de la posi tion des sophistes telle qursquoelle est sym bo li seacutee par les argu ments de Thrasymaque35 Il est eacutega le ment inteacute res sant de noter que Socrate mecircme srsquoil par ti cipe aux fes ti vi teacutes exprime son peu drsquoenvie drsquoy

33 Il est neacutean moins juste de sou li gner que laquo les Pana theacute neacutees refl egravetent lrsquouniteacute poli tique des citoyens atheacuteniens et lrsquoeacuteclat de leur citeacute Ren contre des geacuteneacute ra tions [hellip] dis cus sions entre phi lo sophes atheacuteniens et eacutetran gers concours divers [hellip] la citeacute ceacutelegravebre dans une effer ves cence poli tique reli gieuse et intel lec tuelle la deacuteesse qui la pro tegravege et patronne les mul tiples aspects de la vie en socieacuteteacute raquo (Catherine Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo dans Kernos 6 1993 p 225-243 p 241)

34 Elle eacutetait fecircteacutee annuel le ment le 19e20e Thargeacutelion (Platon Reacutepu blique I 327a donc deacutebut juin) Son intro duc tion offi cielle (pro ba ble ment en 430) qui avait semble- t-il des rai sons plu tocirct poli tiques que reli gieuses consti tuait une nou -veauteacute dans le sys tegraveme reli gieux clas sique drsquoAthegravenes cf J Jr Best laquo Bendis raquo dans Hermeneus 35 1964 p 122-128 Di miter Dopov laquo Essence ori gine et pro -pa ga tion du culte de la deacuteesse thrace Bendis raquo dans Dia logue drsquohis toire ancienne 2 1976 p 289-303 Claudia Montepaone laquo Bendis tracia and Atene lrsquointegrazione del nuovo attraverso forme dellrsquoideologia raquo dans A ION (Archeol) 12 1990 p 103-121

35 P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 47 par contre inter pregravete le cadre de maniegravere tout agrave fait dif feacute rente et y voit une allu sion agrave ce que la reli gio siteacute serait acces sible agrave tout le monde mais la theacuteo logie phi lo sophique aux seuls intel lec tuels cagraved sui vant le point de vue grec aux peuples hel leacute ni seacutes

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retour ner le soir seule la pro messe drsquoy deacutecou vrir des inter lo cuteurs poten tiels arrive agrave le faire fl eacute chir36

Dans le Timeacutee qui est la suite directe de la Reacutepu blique et commence avec une reacuteca pi tu la tion assez som maire des ideacutees de ce dia logue37 le cadre reli gieux de la Reacutepu blique est deacuteformeacute de faccedilon assez remar quable puisque la dis cus sion nrsquoa pas lieu le len de main de la fecircte pour Bendis mais lors des Pana theacute neacutees ceacuteleacute breacutees le 28e Heacutekatombaion (Platon Timeacutee 26e) La solen niteacute de la fecircte y est mise expres seacute ment en rela tion avec le thegraveme du dia logue la creacutea tion mys tique et la nature mateacute rielle du monde comme par ti cu liegrave re ment seyante agrave des speacute cu la tions aussi pro fondes (Platon Timeacutee 26e) De plus Critias le jeune qui relate le mythe de lrsquoAtlantide agrave Socrate y explique qursquoil a lui- mecircme appris cette tra di tion par Critias lrsquoancien lors de la ceacuteleacute bra tion des Apatouries38

Notons fi na le ment que mecircme les Lois dia logue inacheveacute et lourd peu compa rable avec la viva citeacute des œuvres de jeu nesse ont un cadre reli gieux le pre mier mot en est deacutejagrave laquo Dieu raquo et le sceacute -na rio ouvre sur une speacute cu la tion sur lrsquoori gine divine des lois des Laceacute deacute mo niens et des Creacute tois pro ve nant res pec ti ve ment drsquoApol -

36 Platon Reacutepu blique I 328a La suite de la dis cus sion qui concer nera la deacutefi ni tion de la jus tice agrave tra vers une deacutefi ni tion de lrsquoEacutetat ideacuteal peut eacutega le ment ecirctre inter preacute teacutee comme eacutetant en rap port eacutetroit avec la des crip tion des fes ti vi teacutes reli -gieuses de la citeacute atheacute nienne mais il ne faut pas oublier que le pre mier livre de la Reacutepu blique a pro ba ble ment preacute ceacutedeacute les livres sui vants de nom breuses anneacutees Nous ne savons donc pas preacute ci seacute ment si la fecircte deacutedieacutee agrave Bendis a eacuteteacute ajou teacutee plus tard au pro logue du pre mier livre en fonc tion de lrsquoeacuteco no mie glo bale de la Reacutepu -blique ou au contraire nrsquoa eacuteteacute des ti neacutee qursquoagrave intro duire le pre mier livre et nrsquoa donc qursquoun rap port acci den tel avec les livres II agrave X Alors que Pierre Javet laquo Ceacutephale et Platon sur le seuil de la vieillesse Reacutefl exions sur le pro logue de la Reacutepu blique raquo dans Revue Phi lo sophique de la France et de lrsquoeacutetran ger 1982 p 241-247 affi rme que la ren contre de Socrate avec Poleacute marque et sa dis cus sion avec Ceacutephale ont eacuteteacute compo seacutees en fonc tion de lrsquoensemble de la Reacutepu blique P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 46 sou tient la thegravese du rap port acci den tel en fai sant remar quer que ce dia logue devenu eacutenorme deacutebute seule ment dans la soi reacutee et ne peut donc fi nir rai son na ble ment quelques heures plus tard ndash un pro blegraveme que Platon aurait cer tai -ne ment eacuteviteacute srsquoil avait voulu degraves le deacutebut eacutecrire une œuvre tel le ment gigan tesque (et ce nrsquoest pas un hasard si les Lois eux deacutebutent le matin en rai son de la lon gueur impres sion nante de lrsquoœuvre)

37 Compa rer p ex Christopher J Rowe laquo Why is the Ideal Athens of the Timaeus- Critias not Ruled by Philosophers raquo dans Meacutethexis 10 1997 p 51-57

38 Celles- ci ougrave les jeunes hommes eacutetaient ins crits dans leur phra trie (Platon Timeacutee 21b) eacutetaient eacutega le ment preacute si deacutees par Atheacutena et Zeus et duraient trois jours

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lon pythique et de Zeus39 Plus tard nous appre nons que les inter lo -cuteurs se trouvent en Cregravete et sont sur le che min de Cnossos vers la grotte sacreacutee de Zeus40

Nous voyons donc que le choix de lrsquoeacuteleacute ment reli gieux tra di tion -nel nrsquoest pas acci den tel dans la mise en scegravene des dia logues de Platon et que au contraire la men tion des cultes a dans la plu part des cas un rap port phi lo sophique direct avec le thegraveme du dia logue qui srsquoen suit Crsquoest donc la reli gio siteacute tra di tion nelle qui oserions- nous dire ins pire sa propre trans cen dance par la dis cus sion meacuteta -phy sique et est eacutevo queacutee impli ci te ment comme base neacuteces saire agrave toute aven ture intel lec tuelle

La precirc trise comme pro fes sion

Un autre thegraveme reacutecur rent chez Platon est celui de la compeacute tence pro fes sion nelle des dif feacute rents precirctres Nous connais sons tous les exemples nom breux ougrave le phi lo sophe parle des timo niers des menui -siers et des meacutede cins mais il est eacuteton nant de voir que la men tion du devin (μάντις) comme exemple drsquoun meacutetier parmi drsquoautres est assez cou rante chez Platon41 Notons ici que Platon mecircme srsquoil parle en regravegle geacuteneacute rale des devins sans en speacute ci fi er en deacutetail les fonc tions theacuteo lo giques ou meacutethodes pro fes sion nelles leur attri bue (en theacuteo rie au moins) une vraie laquo connais sance du futur raquo (Platon Charmide 173c ἐπιστήμην τοῦ μέλλοντος) et les rap proche en fai sant eacutegard agrave leur ins pi ra tion commune par le souffl e divin des rhap sodes des chan teurs drsquooracles (Platon Ion 534c Apo logie 22c) et mecircme des poli ti ciens (Platon Meacute non 98c-d) De faccedilon sem blable dans le Poli -tique Platon les carac teacute rise comme tra duc teurs et voix des dieux (Platon Poli tique 290c) tan dis que les precirctres sont deacutefi nis comme ceux qui srsquooccupent drsquoorga ni ser le contact des humains avec les

39 Platon Lois I 624a-625a cf aussi 632d40 Platon Lois I 625a-b Lrsquoon peut soit lrsquoiden ti fi er comme le sanc tuaire

de la grotte dicteacuteenne ndash lrsquoopi nion geacuteneacute ra le ment admise cf commen taire Klaus Schoumlpsdau (eacuted trad et comm) Platon Gesetze Buch I- IV Darmstadt 21990 ndash ou celui du Mont Ida cf Glenn R Morrow Platorsquos Cretan City a Historical Interpretation of the Laws Princeton 1962 p 27ndash28 Par rap port agrave la signi fi ca tion reli gieuse de la Cregravete cf Jesuacutes Lens Tuero laquo La mitifi cacioacuten de Creta en la cultura griega del siglo IV raquo dans Actas del VIII congreso espantildeol de estudios claacutesicos (Madrid 23-28 de septiembre de 1991) t 3 Madrid 1994 p 219-222

41 Voir en dehors de lrsquoEuthyphron dont le pro ta go niste homo nyme est qua -li fi eacute de devin Platon Ion 531b Charmide 173c

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dieux par les sacri fi ces et les priegraveres (Platon Poli tique 290c-d) ayant annexeacute en ceci les attri bu tions des anciens rois42 Ce juge ment en somme posi tif pour rait ecirctre impu table au fait que Platon voyait beau coup de res sem blances entre le devin et le phi lo sophe43 Neacutean -moins il ne place les devins et precirctres qursquoau cin quiegraveme rang des formes de vie du Phegravedre (Platon Phegravedre 248d) et insiste sur le fait qursquoil ne veut par ler que des devins laquo seacuterieux raquo (τοὺς δὲ ὡςἀληθῶς μάντεις) qursquoil met en contraste avec les beaux- parleurs (τοὺς μὲν ἀλαζόνας) qui man que raient de σωφροσύνη (Platon Charmide 173c) Nous trou vons un exemple de ces devins laquo non seacuterieux raquo dans la Reacutepu blique Platon y deacutecrit par la bouche drsquoAdeacutemante que les char la tans et les devins (ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις) pro mettent aux riches de rache ter contre paye ment leurs fautes morales par des sacri fi ces et des for mules magiques et assurent mecircme pou voir infl u en cer les dieux par des incan ta tions magiques44 agrave faire du tort aux autres humains bons ou mau vais (Platon Reacutepu blique II 364b-365a) En ceci ils srsquoappuyeraient sur Hom egravere qui qua li fi ait deacutejagrave les dieux drsquoinfl u en ccedilables par des pro messes et des offrandes (Hom -egravere Iliade IX 497-501) et sur les eacutecrits mys tiques de Museacutee et drsquoOrpheacutee45 Ceux- ci auraient ensei gneacute que des hommes et mecircme

42 Platon prouve ce rai son ne ment en nom mant lrsquoArchon Basileacuteios drsquoAthegravenes res pon sable des offrandes les plus archaiumlques et veacuteneacute rables et cite aussi lrsquoini tiation obli ga toire des pha raons drsquoEacutegypte agrave lrsquoart des precirctres (Platon Poli tique 290e)

43 Cf Richard Bodeacuteuumls laquo ldquoJe suis devinrdquo (Phegravedre 242c) Remarques sur la phi lo sophie selon Platon raquo dans Kernos 3 1990 p 45-52 p 49 laquo La contem pla -tion phi lo sophique en effet nrsquoest pas sans ana logie avec la vision divi na toire [hellip] De mecircme que le devin voit sans lrsquointel li gence des signi fi ants le phi lo sophe voit par lrsquointel li gence des signi fi eacutes Crsquoest un vision naire dans lrsquoordre de lrsquointel li -gible raquo

44 Voir aussi Carlo A Viano laquo Retorica magia e natura in Platone raquo dans Rivista di Filosofi a 56 1965 p 411-453 qui sou ligne que Platon dans le livre X des Lois et dans le Phegravedre met la magie et la rheacute to rique sur le mecircme plan puis qursquoelles exercent toutes les deux une action psy cho lo gique sur lrsquoacircme et que lrsquohomme lui- mecircme est sujet agrave la rheacute to rique et agrave la magie en tant que par tie de la nature

45 Au sujet de la rela tion de Platon aux orphiques cf Paul Boyanceacute Le Culte des Muses chez les phi lo sophes grecs Paris 1937 p 21ndash24 le mecircme laquo Platon et les Cathartes orphiques raquo dans Revue des eacutetudes grecques 55 1942 p 217-235 Philippe Borgeaud (eacuted) Orphisme et Orpheacutee en lrsquohon neur de Jean Rudhardt Genegraveve 1991 Leacuteonid Zhmud laquo Orphism and grafi tti from Olbia raquo dans Hermes 120 1992 p 159-168 (confi r mant Platon Cratylos 400c) Alberto Bernabeacute laquo Una etimologiacutea platoacutenica soma- sema raquo dans Philologus 139 1995 p 204-237 Giovanni Casadio laquo El mito del laquo Poliacutetico raquo (268 D-274 E) y la his to ria de las religiones raquo dans Emerita 64 1996 p 65-77 Les frag ments orphiques conser veacutes

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 563

des citeacutes entiegraveres pou vaient rache ter leurs fautes preacute sentes et pas seacutees par des sacri fi ces et des jeux (διὰ θνσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν)46 Mecircme si Platon consi degravere geacuteneacute ra le ment les astres comme des divi ni -teacutes47 il explique dans le Timeacutee que les pheacute no megravenes astro no miques ne doivent pas ecirctre pris pour des preacute sages mais srsquoexpliquent par des rai sons pure ment matheacutema tiques (Platon Timeacutee 40c-d) ce qui peut ecirctre inter preacuteteacute comme une cri tique de la man tique astro lo gique Dans les Lois il deacutecrit que beau coup de magi ciens et de devins seraient mecircme en reacutea liteacute des a theacuteistes sou cieux de pro fi ter de la creacute du liteacute de leurs conci toyens (Platon Lois X 908d)48

chez Platon peuvent ecirctre consul teacutes main te nant dans Alberto Bernabeacute Poetae epici Graeci Testimonia et frag menta Pars II Fasc 1-2 Orphicorum et Orphicis similium frag menta MuumlnchenLeipzig 2004-2005

46 Un preacute jugeacute pla to ni cien qui reacutefl egravete le peu drsquoestime qursquoavaient les intel lec -tuels contem po rains pour la char la ta ne rie issue des speacute cu la tions gran dioses de lrsquoorphisme (pour tant extrecirc me ment popu laires agrave lrsquoeacutepoque cf Martin P Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion t1 Bis zur Weltherrschaft Muumlnchen 1941 p 684 et 800) et qui semble sur tout issue du pytha go risme (Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore de Gregravece en Palestine Paris 1927 p 81ndash82) Pour lrsquoinfl u ence de Pythagore sur Platon compa rer aussi Erich Frank Plato und die so genannten Pythagoreer Halle 1923 Pierre Boyanceacute laquo Lrsquoinfl u ence pytha go ri -cienne sur Platon raquo dans Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia Naples 1966 p 73-113 Bartel Leendert Van Der Waerden laquo Platon et les sciences exactes des Pytha go ri ciens raquo dans Bul le tin de la Socieacuteteacute Matheacutema tique de Belgique 21 1969 p 120-122 Maria Tortorelli Ghidini et al (eacuted) Tra Orfeo e Pitagora origini e incontri di culture nellrsquoantichitagrave atti dei seminari napoletani 1996-1998 Naples 2000 Leacuteonid Zhmud laquo Uumlberlegungen zur pythagoreischen Frage raquo dans Georg Rechenauer (eacuted) Fruumlhgriechisches Denken Goumlttingen 2005 p 135-151 David En gels laquo Geometrie und Phi lo sophie Zur Visualisierung metaphysischer Konzepte durch raumlumliche Darstellungen in der pythagoreischen Phi lo sophie raquo dans D GroszligS Westermann (eacuted) Vom Bild zur Erkenntnis Visualisierungskonzepte in den Wissenschaften Kassel 2007 p 113ndash129

47 Platon Timeacutee 401ndash402 Lois VII 821bndashc Voir agrave ce sujet p ex Hans Herter laquo Gott und die Welt bei Platon raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 158 1958 p 106-117 GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 399ndash402 et 445ndash448

48 En ce qui concerne lrsquoart divi na toire sou li gnons ici encore que Platon dans le Lachegraves laisse Socrate affi r mer que chaque pro fes sion confegravere agrave celui qui lrsquoexerce cor rec te ment une auto riteacute de speacute cia liste dans son domaine Ceci le conduit agrave demander agrave son inter lo cuteur un mili taire srsquoil est donc deacutecideacute en cas de guerre agrave faire plu tocirct confi ance agrave ses propres avis stra teacute giques qursquoaux conseils des devins que lrsquoon ne sau rait dif fi ci le ment regar der comme des auto ri teacutes compeacute tentes en matiegravere miliaire ce agrave quoi le stra tegravege atheacute nien acquiesce (Platon Lachegraves 199a) Si lrsquoon pense que ce stra tegravege nrsquoest autre que Nicias le poli ti cien atheacute nien qui notam -ment parce qursquoil avait accordeacute foi agrave des devins et des oracles dans ses deacuteci sions mili taires connaicirct en 413 une fi n tra gique en Sicile (ougrave il avait assieacutegeacute en vain la ville de Syracuse et ougrave il fut fait pri son nier par les habi tants qui le condam negraverent agrave mort) lrsquoendroit ne manque pas de piment et laisse per ce voir lrsquoiro nie de Platon qui

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La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

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Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

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la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 571

pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 573

de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

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pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

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nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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deacutecrit qursquoil a lrsquoimpres sion drsquoaper ce voir non loin de leur lieu de repos quelques sta tues qui lais se raient sup po ser lrsquoexis tence drsquoun sanc tuaire de quelques nymphes et du dieu du fl euve Acheacuteloos (Platon Phegravedre 230b-c) le fi ls drsquoOceacutean et de Teacutethys le pegravere des Siregravenes La rai son de cette mise en scegravene est plus dif fi cile agrave ana ly -ser Socrate pro fesse drsquoabord ndash en contraste eacutecla tant avec sa des -crip tion buco lique de lrsquoendroit agrave laquelle il donne ainsi un accent drsquoiro nie ndash drsquoecirctre tout agrave fait deacutes in teacute resseacute par la nature et de nrsquoecirctre attireacute que par les villes car crsquoest lagrave qursquoil trouve les humains gracircce aux quels il peut conti nuer agrave apprendre (Platon Phegravedre 230d-e) Cepen dant suite agrave la dis cus sion sur la valeur de la rheacute to rique et la deacutefi ni tion de lrsquoamour31 Socrate srsquoemporte rapi de ment et livre tout un dis cours ins pireacute et mythologisant sur le des tin de lrsquoacircme humaine contras tant avec ses reacutefl exions objec tives et son rai son ne ment froid sur lrsquoart de la rheacute to rique Nous pou vons donc sup po ser que le cadre du dia logue ait eacuteteacute expres seacute ment choisi pour illus trer agrave la fois le pen -chant ration nel de Socrate contras tant avec le pai sible sanc tuaire des nymphes et son retour agrave la poeacute sie divine ins pireacute par la speacute cu -la tion phi lo sophique illus trant ainsi le che mi ne ment du phi lo sophe qui se deacutetourne des ten ta tions de la nature pour culti ver la pen seacutee logique qui le ramegravene de nou veau aux veacuteri teacutes natu relles32

Le Parmeacutenide assu reacute ment lrsquoun des dia logues tar difs de Platon se joue agrave Athegravenes lors des fecirctes panatheacuteennes et per met ainsi la mise en scegravene drsquoune ren contre fi c tive entre trois geacuteneacute ra tions de phi -lo sophes Parmeacutenide Zeacutenon et Socrate (Platon Parmeacutenide 127a) Il semble qursquoen dehors de cette fonc tion pure ment prag ma tique la men tion des Pana theacute neacutees ne puisse ecirctre inter preacute teacutee comme sym -

lieu pos sible (Platon Phegravedre 229c) Par rap port agrave la reli gion dans le Phegravedre cf les remarques de G Arabatzis laquo Enkalypsamenos raquo [n 1]

31 Cf Hubert Kesters laquo De ware redekunst volgens Platoonsrsquo Phaidros raquo dans Tijdschrift voor phi lo sophie 25 1963 p 651-687 et 36 1964 p 33-67 L Rossetti (eacuted) Understanding the Phaedrus Proceedings of the II Sym po sium Platonicum Sankt Augustin 1992 Jens Halfwassen laquo Bemerkungen zum Ursprung der Lehre vom Seelenwagen raquo dans Jahrbuch fuumlr Religionswissenschaft und Theologie der Religionen 2 1994 p 114-128 Gustav A Seeck laquo Schlechte und gute Liebe in Platons Phaidros raquo dans Wuumlrzburger Jahrbuumlcher 22 1998 p 101-121

32 Cette rela tion entre phi lo sophie et theacuteo logie se retrouve drsquoailleurs aussi dans la priegravere fi nale du Phegravedre ougrave Socrate prie les dieux de reacutecom pen ser les efforts du phi lo sophe par la sagesse Lrsquoon trou vera une ana lyse appro fon die de cette priegravere chez Konrad Haiser laquo Das Gold der Weisheit Zum Gebet des Philosophen am Schluss des Phaidros raquo dans Rheinisches Museum 132 1989 p 105-140

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bole preacute cis du contenu du dia logue dis cus sion pure ment for melle sur lrsquouniteacute et la mul ti pli citeacute qui nous livre peut- ecirctre lrsquoessence de la doc trine eacuteso teacute rique de Platon33 mais dont lrsquoana lyse deacutepas se rait lar -ge ment le cadre de la preacute sente recherche por tant uni que ment sur la place du culte grec tra di tion nel dans lrsquoœuvre de Platon

Le deacutebut de la Reacutepu blique est eacutega le ment carac teacute riseacute par une reacutefeacute -rence au culte deux des pro ta go nistes reviennent de la pre miegravere ceacuteleacute bra tion offi cielle drsquoune fecircte en lrsquohon neur de Bendis une divi -niteacute thrace nou vel le ment impor teacutee34 Platon deacutecrit ici les deux per -son nages des cen dus au Pireacutee ndash ougrave arri vait en bateau comme nous pou vons le sup po ser lrsquoimage de la deacuteesse ndash moti veacutes par deux rai -sons drsquoune part pour prier tout comme les autres spec ta teurs mais aussi drsquoautre part pour assou vir leur curio siteacute face agrave la pompe exteacute rieure des deux pro ces sions dont celle des Thraces est deacutecrite comme aussi impres sion nante que celle des Atheacuteniens Un peu plus tard nous appre nons aussi que les fes ti vi teacutes seront clocirc tu reacutees le soir par une pro ces sion eacutequestre ndash nou veauteacute reli gieuse comme le sou -ligne Platon ndash et des fecirctes noc turnes (Platon Reacutepu blique I 328a) Le cli mat de fes ti viteacute solen nelle qui implique lrsquoacti viteacute reli gieuse de la ville complegravete forme un cadre excellent pour la dis cus sion sur la nature de la jus tice et la deacutefaite intel lec tuelle de la posi tion des sophistes telle qursquoelle est sym bo li seacutee par les argu ments de Thrasymaque35 Il est eacutega le ment inteacute res sant de noter que Socrate mecircme srsquoil par ti cipe aux fes ti vi teacutes exprime son peu drsquoenvie drsquoy

33 Il est neacutean moins juste de sou li gner que laquo les Pana theacute neacutees refl egravetent lrsquouniteacute poli tique des citoyens atheacuteniens et lrsquoeacuteclat de leur citeacute Ren contre des geacuteneacute ra tions [hellip] dis cus sions entre phi lo sophes atheacuteniens et eacutetran gers concours divers [hellip] la citeacute ceacutelegravebre dans une effer ves cence poli tique reli gieuse et intel lec tuelle la deacuteesse qui la pro tegravege et patronne les mul tiples aspects de la vie en socieacuteteacute raquo (Catherine Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo dans Kernos 6 1993 p 225-243 p 241)

34 Elle eacutetait fecircteacutee annuel le ment le 19e20e Thargeacutelion (Platon Reacutepu blique I 327a donc deacutebut juin) Son intro duc tion offi cielle (pro ba ble ment en 430) qui avait semble- t-il des rai sons plu tocirct poli tiques que reli gieuses consti tuait une nou -veauteacute dans le sys tegraveme reli gieux clas sique drsquoAthegravenes cf J Jr Best laquo Bendis raquo dans Hermeneus 35 1964 p 122-128 Di miter Dopov laquo Essence ori gine et pro -pa ga tion du culte de la deacuteesse thrace Bendis raquo dans Dia logue drsquohis toire ancienne 2 1976 p 289-303 Claudia Montepaone laquo Bendis tracia and Atene lrsquointegrazione del nuovo attraverso forme dellrsquoideologia raquo dans A ION (Archeol) 12 1990 p 103-121

35 P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 47 par contre inter pregravete le cadre de maniegravere tout agrave fait dif feacute rente et y voit une allu sion agrave ce que la reli gio siteacute serait acces sible agrave tout le monde mais la theacuteo logie phi lo sophique aux seuls intel lec tuels cagraved sui vant le point de vue grec aux peuples hel leacute ni seacutes

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retour ner le soir seule la pro messe drsquoy deacutecou vrir des inter lo cuteurs poten tiels arrive agrave le faire fl eacute chir36

Dans le Timeacutee qui est la suite directe de la Reacutepu blique et commence avec une reacuteca pi tu la tion assez som maire des ideacutees de ce dia logue37 le cadre reli gieux de la Reacutepu blique est deacuteformeacute de faccedilon assez remar quable puisque la dis cus sion nrsquoa pas lieu le len de main de la fecircte pour Bendis mais lors des Pana theacute neacutees ceacuteleacute breacutees le 28e Heacutekatombaion (Platon Timeacutee 26e) La solen niteacute de la fecircte y est mise expres seacute ment en rela tion avec le thegraveme du dia logue la creacutea tion mys tique et la nature mateacute rielle du monde comme par ti cu liegrave re ment seyante agrave des speacute cu la tions aussi pro fondes (Platon Timeacutee 26e) De plus Critias le jeune qui relate le mythe de lrsquoAtlantide agrave Socrate y explique qursquoil a lui- mecircme appris cette tra di tion par Critias lrsquoancien lors de la ceacuteleacute bra tion des Apatouries38

Notons fi na le ment que mecircme les Lois dia logue inacheveacute et lourd peu compa rable avec la viva citeacute des œuvres de jeu nesse ont un cadre reli gieux le pre mier mot en est deacutejagrave laquo Dieu raquo et le sceacute -na rio ouvre sur une speacute cu la tion sur lrsquoori gine divine des lois des Laceacute deacute mo niens et des Creacute tois pro ve nant res pec ti ve ment drsquoApol -

36 Platon Reacutepu blique I 328a La suite de la dis cus sion qui concer nera la deacutefi ni tion de la jus tice agrave tra vers une deacutefi ni tion de lrsquoEacutetat ideacuteal peut eacutega le ment ecirctre inter preacute teacutee comme eacutetant en rap port eacutetroit avec la des crip tion des fes ti vi teacutes reli -gieuses de la citeacute atheacute nienne mais il ne faut pas oublier que le pre mier livre de la Reacutepu blique a pro ba ble ment preacute ceacutedeacute les livres sui vants de nom breuses anneacutees Nous ne savons donc pas preacute ci seacute ment si la fecircte deacutedieacutee agrave Bendis a eacuteteacute ajou teacutee plus tard au pro logue du pre mier livre en fonc tion de lrsquoeacuteco no mie glo bale de la Reacutepu -blique ou au contraire nrsquoa eacuteteacute des ti neacutee qursquoagrave intro duire le pre mier livre et nrsquoa donc qursquoun rap port acci den tel avec les livres II agrave X Alors que Pierre Javet laquo Ceacutephale et Platon sur le seuil de la vieillesse Reacutefl exions sur le pro logue de la Reacutepu blique raquo dans Revue Phi lo sophique de la France et de lrsquoeacutetran ger 1982 p 241-247 affi rme que la ren contre de Socrate avec Poleacute marque et sa dis cus sion avec Ceacutephale ont eacuteteacute compo seacutees en fonc tion de lrsquoensemble de la Reacutepu blique P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 46 sou tient la thegravese du rap port acci den tel en fai sant remar quer que ce dia logue devenu eacutenorme deacutebute seule ment dans la soi reacutee et ne peut donc fi nir rai son na ble ment quelques heures plus tard ndash un pro blegraveme que Platon aurait cer tai -ne ment eacuteviteacute srsquoil avait voulu degraves le deacutebut eacutecrire une œuvre tel le ment gigan tesque (et ce nrsquoest pas un hasard si les Lois eux deacutebutent le matin en rai son de la lon gueur impres sion nante de lrsquoœuvre)

37 Compa rer p ex Christopher J Rowe laquo Why is the Ideal Athens of the Timaeus- Critias not Ruled by Philosophers raquo dans Meacutethexis 10 1997 p 51-57

38 Celles- ci ougrave les jeunes hommes eacutetaient ins crits dans leur phra trie (Platon Timeacutee 21b) eacutetaient eacutega le ment preacute si deacutees par Atheacutena et Zeus et duraient trois jours

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 561

lon pythique et de Zeus39 Plus tard nous appre nons que les inter lo -cuteurs se trouvent en Cregravete et sont sur le che min de Cnossos vers la grotte sacreacutee de Zeus40

Nous voyons donc que le choix de lrsquoeacuteleacute ment reli gieux tra di tion -nel nrsquoest pas acci den tel dans la mise en scegravene des dia logues de Platon et que au contraire la men tion des cultes a dans la plu part des cas un rap port phi lo sophique direct avec le thegraveme du dia logue qui srsquoen suit Crsquoest donc la reli gio siteacute tra di tion nelle qui oserions- nous dire ins pire sa propre trans cen dance par la dis cus sion meacuteta -phy sique et est eacutevo queacutee impli ci te ment comme base neacuteces saire agrave toute aven ture intel lec tuelle

La precirc trise comme pro fes sion

Un autre thegraveme reacutecur rent chez Platon est celui de la compeacute tence pro fes sion nelle des dif feacute rents precirctres Nous connais sons tous les exemples nom breux ougrave le phi lo sophe parle des timo niers des menui -siers et des meacutede cins mais il est eacuteton nant de voir que la men tion du devin (μάντις) comme exemple drsquoun meacutetier parmi drsquoautres est assez cou rante chez Platon41 Notons ici que Platon mecircme srsquoil parle en regravegle geacuteneacute rale des devins sans en speacute ci fi er en deacutetail les fonc tions theacuteo lo giques ou meacutethodes pro fes sion nelles leur attri bue (en theacuteo rie au moins) une vraie laquo connais sance du futur raquo (Platon Charmide 173c ἐπιστήμην τοῦ μέλλοντος) et les rap proche en fai sant eacutegard agrave leur ins pi ra tion commune par le souffl e divin des rhap sodes des chan teurs drsquooracles (Platon Ion 534c Apo logie 22c) et mecircme des poli ti ciens (Platon Meacute non 98c-d) De faccedilon sem blable dans le Poli -tique Platon les carac teacute rise comme tra duc teurs et voix des dieux (Platon Poli tique 290c) tan dis que les precirctres sont deacutefi nis comme ceux qui srsquooccupent drsquoorga ni ser le contact des humains avec les

39 Platon Lois I 624a-625a cf aussi 632d40 Platon Lois I 625a-b Lrsquoon peut soit lrsquoiden ti fi er comme le sanc tuaire

de la grotte dicteacuteenne ndash lrsquoopi nion geacuteneacute ra le ment admise cf commen taire Klaus Schoumlpsdau (eacuted trad et comm) Platon Gesetze Buch I- IV Darmstadt 21990 ndash ou celui du Mont Ida cf Glenn R Morrow Platorsquos Cretan City a Historical Interpretation of the Laws Princeton 1962 p 27ndash28 Par rap port agrave la signi fi ca tion reli gieuse de la Cregravete cf Jesuacutes Lens Tuero laquo La mitifi cacioacuten de Creta en la cultura griega del siglo IV raquo dans Actas del VIII congreso espantildeol de estudios claacutesicos (Madrid 23-28 de septiembre de 1991) t 3 Madrid 1994 p 219-222

41 Voir en dehors de lrsquoEuthyphron dont le pro ta go niste homo nyme est qua -li fi eacute de devin Platon Ion 531b Charmide 173c

562 DAVID ENGELS

dieux par les sacri fi ces et les priegraveres (Platon Poli tique 290c-d) ayant annexeacute en ceci les attri bu tions des anciens rois42 Ce juge ment en somme posi tif pour rait ecirctre impu table au fait que Platon voyait beau coup de res sem blances entre le devin et le phi lo sophe43 Neacutean -moins il ne place les devins et precirctres qursquoau cin quiegraveme rang des formes de vie du Phegravedre (Platon Phegravedre 248d) et insiste sur le fait qursquoil ne veut par ler que des devins laquo seacuterieux raquo (τοὺς δὲ ὡςἀληθῶς μάντεις) qursquoil met en contraste avec les beaux- parleurs (τοὺς μὲν ἀλαζόνας) qui man que raient de σωφροσύνη (Platon Charmide 173c) Nous trou vons un exemple de ces devins laquo non seacuterieux raquo dans la Reacutepu blique Platon y deacutecrit par la bouche drsquoAdeacutemante que les char la tans et les devins (ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις) pro mettent aux riches de rache ter contre paye ment leurs fautes morales par des sacri fi ces et des for mules magiques et assurent mecircme pou voir infl u en cer les dieux par des incan ta tions magiques44 agrave faire du tort aux autres humains bons ou mau vais (Platon Reacutepu blique II 364b-365a) En ceci ils srsquoappuyeraient sur Hom egravere qui qua li fi ait deacutejagrave les dieux drsquoinfl u en ccedilables par des pro messes et des offrandes (Hom -egravere Iliade IX 497-501) et sur les eacutecrits mys tiques de Museacutee et drsquoOrpheacutee45 Ceux- ci auraient ensei gneacute que des hommes et mecircme

42 Platon prouve ce rai son ne ment en nom mant lrsquoArchon Basileacuteios drsquoAthegravenes res pon sable des offrandes les plus archaiumlques et veacuteneacute rables et cite aussi lrsquoini tiation obli ga toire des pha raons drsquoEacutegypte agrave lrsquoart des precirctres (Platon Poli tique 290e)

43 Cf Richard Bodeacuteuumls laquo ldquoJe suis devinrdquo (Phegravedre 242c) Remarques sur la phi lo sophie selon Platon raquo dans Kernos 3 1990 p 45-52 p 49 laquo La contem pla -tion phi lo sophique en effet nrsquoest pas sans ana logie avec la vision divi na toire [hellip] De mecircme que le devin voit sans lrsquointel li gence des signi fi ants le phi lo sophe voit par lrsquointel li gence des signi fi eacutes Crsquoest un vision naire dans lrsquoordre de lrsquointel li -gible raquo

44 Voir aussi Carlo A Viano laquo Retorica magia e natura in Platone raquo dans Rivista di Filosofi a 56 1965 p 411-453 qui sou ligne que Platon dans le livre X des Lois et dans le Phegravedre met la magie et la rheacute to rique sur le mecircme plan puis qursquoelles exercent toutes les deux une action psy cho lo gique sur lrsquoacircme et que lrsquohomme lui- mecircme est sujet agrave la rheacute to rique et agrave la magie en tant que par tie de la nature

45 Au sujet de la rela tion de Platon aux orphiques cf Paul Boyanceacute Le Culte des Muses chez les phi lo sophes grecs Paris 1937 p 21ndash24 le mecircme laquo Platon et les Cathartes orphiques raquo dans Revue des eacutetudes grecques 55 1942 p 217-235 Philippe Borgeaud (eacuted) Orphisme et Orpheacutee en lrsquohon neur de Jean Rudhardt Genegraveve 1991 Leacuteonid Zhmud laquo Orphism and grafi tti from Olbia raquo dans Hermes 120 1992 p 159-168 (confi r mant Platon Cratylos 400c) Alberto Bernabeacute laquo Una etimologiacutea platoacutenica soma- sema raquo dans Philologus 139 1995 p 204-237 Giovanni Casadio laquo El mito del laquo Poliacutetico raquo (268 D-274 E) y la his to ria de las religiones raquo dans Emerita 64 1996 p 65-77 Les frag ments orphiques conser veacutes

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 563

des citeacutes entiegraveres pou vaient rache ter leurs fautes preacute sentes et pas seacutees par des sacri fi ces et des jeux (διὰ θνσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν)46 Mecircme si Platon consi degravere geacuteneacute ra le ment les astres comme des divi ni -teacutes47 il explique dans le Timeacutee que les pheacute no megravenes astro no miques ne doivent pas ecirctre pris pour des preacute sages mais srsquoexpliquent par des rai sons pure ment matheacutema tiques (Platon Timeacutee 40c-d) ce qui peut ecirctre inter preacuteteacute comme une cri tique de la man tique astro lo gique Dans les Lois il deacutecrit que beau coup de magi ciens et de devins seraient mecircme en reacutea liteacute des a theacuteistes sou cieux de pro fi ter de la creacute du liteacute de leurs conci toyens (Platon Lois X 908d)48

chez Platon peuvent ecirctre consul teacutes main te nant dans Alberto Bernabeacute Poetae epici Graeci Testimonia et frag menta Pars II Fasc 1-2 Orphicorum et Orphicis similium frag menta MuumlnchenLeipzig 2004-2005

46 Un preacute jugeacute pla to ni cien qui reacutefl egravete le peu drsquoestime qursquoavaient les intel lec -tuels contem po rains pour la char la ta ne rie issue des speacute cu la tions gran dioses de lrsquoorphisme (pour tant extrecirc me ment popu laires agrave lrsquoeacutepoque cf Martin P Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion t1 Bis zur Weltherrschaft Muumlnchen 1941 p 684 et 800) et qui semble sur tout issue du pytha go risme (Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore de Gregravece en Palestine Paris 1927 p 81ndash82) Pour lrsquoinfl u ence de Pythagore sur Platon compa rer aussi Erich Frank Plato und die so genannten Pythagoreer Halle 1923 Pierre Boyanceacute laquo Lrsquoinfl u ence pytha go ri -cienne sur Platon raquo dans Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia Naples 1966 p 73-113 Bartel Leendert Van Der Waerden laquo Platon et les sciences exactes des Pytha go ri ciens raquo dans Bul le tin de la Socieacuteteacute Matheacutema tique de Belgique 21 1969 p 120-122 Maria Tortorelli Ghidini et al (eacuted) Tra Orfeo e Pitagora origini e incontri di culture nellrsquoantichitagrave atti dei seminari napoletani 1996-1998 Naples 2000 Leacuteonid Zhmud laquo Uumlberlegungen zur pythagoreischen Frage raquo dans Georg Rechenauer (eacuted) Fruumlhgriechisches Denken Goumlttingen 2005 p 135-151 David En gels laquo Geometrie und Phi lo sophie Zur Visualisierung metaphysischer Konzepte durch raumlumliche Darstellungen in der pythagoreischen Phi lo sophie raquo dans D GroszligS Westermann (eacuted) Vom Bild zur Erkenntnis Visualisierungskonzepte in den Wissenschaften Kassel 2007 p 113ndash129

47 Platon Timeacutee 401ndash402 Lois VII 821bndashc Voir agrave ce sujet p ex Hans Herter laquo Gott und die Welt bei Platon raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 158 1958 p 106-117 GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 399ndash402 et 445ndash448

48 En ce qui concerne lrsquoart divi na toire sou li gnons ici encore que Platon dans le Lachegraves laisse Socrate affi r mer que chaque pro fes sion confegravere agrave celui qui lrsquoexerce cor rec te ment une auto riteacute de speacute cia liste dans son domaine Ceci le conduit agrave demander agrave son inter lo cuteur un mili taire srsquoil est donc deacutecideacute en cas de guerre agrave faire plu tocirct confi ance agrave ses propres avis stra teacute giques qursquoaux conseils des devins que lrsquoon ne sau rait dif fi ci le ment regar der comme des auto ri teacutes compeacute tentes en matiegravere miliaire ce agrave quoi le stra tegravege atheacute nien acquiesce (Platon Lachegraves 199a) Si lrsquoon pense que ce stra tegravege nrsquoest autre que Nicias le poli ti cien atheacute nien qui notam -ment parce qursquoil avait accordeacute foi agrave des devins et des oracles dans ses deacuteci sions mili taires connaicirct en 413 une fi n tra gique en Sicile (ougrave il avait assieacutegeacute en vain la ville de Syracuse et ougrave il fut fait pri son nier par les habi tants qui le condam negraverent agrave mort) lrsquoendroit ne manque pas de piment et laisse per ce voir lrsquoiro nie de Platon qui

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La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

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Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 567

la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 569

eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

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pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

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de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 575

pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 577

nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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bole preacute cis du contenu du dia logue dis cus sion pure ment for melle sur lrsquouniteacute et la mul ti pli citeacute qui nous livre peut- ecirctre lrsquoessence de la doc trine eacuteso teacute rique de Platon33 mais dont lrsquoana lyse deacutepas se rait lar -ge ment le cadre de la preacute sente recherche por tant uni que ment sur la place du culte grec tra di tion nel dans lrsquoœuvre de Platon

Le deacutebut de la Reacutepu blique est eacutega le ment carac teacute riseacute par une reacutefeacute -rence au culte deux des pro ta go nistes reviennent de la pre miegravere ceacuteleacute bra tion offi cielle drsquoune fecircte en lrsquohon neur de Bendis une divi -niteacute thrace nou vel le ment impor teacutee34 Platon deacutecrit ici les deux per -son nages des cen dus au Pireacutee ndash ougrave arri vait en bateau comme nous pou vons le sup po ser lrsquoimage de la deacuteesse ndash moti veacutes par deux rai -sons drsquoune part pour prier tout comme les autres spec ta teurs mais aussi drsquoautre part pour assou vir leur curio siteacute face agrave la pompe exteacute rieure des deux pro ces sions dont celle des Thraces est deacutecrite comme aussi impres sion nante que celle des Atheacuteniens Un peu plus tard nous appre nons aussi que les fes ti vi teacutes seront clocirc tu reacutees le soir par une pro ces sion eacutequestre ndash nou veauteacute reli gieuse comme le sou -ligne Platon ndash et des fecirctes noc turnes (Platon Reacutepu blique I 328a) Le cli mat de fes ti viteacute solen nelle qui implique lrsquoacti viteacute reli gieuse de la ville complegravete forme un cadre excellent pour la dis cus sion sur la nature de la jus tice et la deacutefaite intel lec tuelle de la posi tion des sophistes telle qursquoelle est sym bo li seacutee par les argu ments de Thrasymaque35 Il est eacutega le ment inteacute res sant de noter que Socrate mecircme srsquoil par ti cipe aux fes ti vi teacutes exprime son peu drsquoenvie drsquoy

33 Il est neacutean moins juste de sou li gner que laquo les Pana theacute neacutees refl egravetent lrsquouniteacute poli tique des citoyens atheacuteniens et lrsquoeacuteclat de leur citeacute Ren contre des geacuteneacute ra tions [hellip] dis cus sions entre phi lo sophes atheacuteniens et eacutetran gers concours divers [hellip] la citeacute ceacutelegravebre dans une effer ves cence poli tique reli gieuse et intel lec tuelle la deacuteesse qui la pro tegravege et patronne les mul tiples aspects de la vie en socieacuteteacute raquo (Catherine Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo dans Kernos 6 1993 p 225-243 p 241)

34 Elle eacutetait fecircteacutee annuel le ment le 19e20e Thargeacutelion (Platon Reacutepu blique I 327a donc deacutebut juin) Son intro duc tion offi cielle (pro ba ble ment en 430) qui avait semble- t-il des rai sons plu tocirct poli tiques que reli gieuses consti tuait une nou -veauteacute dans le sys tegraveme reli gieux clas sique drsquoAthegravenes cf J Jr Best laquo Bendis raquo dans Hermeneus 35 1964 p 122-128 Di miter Dopov laquo Essence ori gine et pro -pa ga tion du culte de la deacuteesse thrace Bendis raquo dans Dia logue drsquohis toire ancienne 2 1976 p 289-303 Claudia Montepaone laquo Bendis tracia and Atene lrsquointegrazione del nuovo attraverso forme dellrsquoideologia raquo dans A ION (Archeol) 12 1990 p 103-121

35 P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 47 par contre inter pregravete le cadre de maniegravere tout agrave fait dif feacute rente et y voit une allu sion agrave ce que la reli gio siteacute serait acces sible agrave tout le monde mais la theacuteo logie phi lo sophique aux seuls intel lec tuels cagraved sui vant le point de vue grec aux peuples hel leacute ni seacutes

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retour ner le soir seule la pro messe drsquoy deacutecou vrir des inter lo cuteurs poten tiels arrive agrave le faire fl eacute chir36

Dans le Timeacutee qui est la suite directe de la Reacutepu blique et commence avec une reacuteca pi tu la tion assez som maire des ideacutees de ce dia logue37 le cadre reli gieux de la Reacutepu blique est deacuteformeacute de faccedilon assez remar quable puisque la dis cus sion nrsquoa pas lieu le len de main de la fecircte pour Bendis mais lors des Pana theacute neacutees ceacuteleacute breacutees le 28e Heacutekatombaion (Platon Timeacutee 26e) La solen niteacute de la fecircte y est mise expres seacute ment en rela tion avec le thegraveme du dia logue la creacutea tion mys tique et la nature mateacute rielle du monde comme par ti cu liegrave re ment seyante agrave des speacute cu la tions aussi pro fondes (Platon Timeacutee 26e) De plus Critias le jeune qui relate le mythe de lrsquoAtlantide agrave Socrate y explique qursquoil a lui- mecircme appris cette tra di tion par Critias lrsquoancien lors de la ceacuteleacute bra tion des Apatouries38

Notons fi na le ment que mecircme les Lois dia logue inacheveacute et lourd peu compa rable avec la viva citeacute des œuvres de jeu nesse ont un cadre reli gieux le pre mier mot en est deacutejagrave laquo Dieu raquo et le sceacute -na rio ouvre sur une speacute cu la tion sur lrsquoori gine divine des lois des Laceacute deacute mo niens et des Creacute tois pro ve nant res pec ti ve ment drsquoApol -

36 Platon Reacutepu blique I 328a La suite de la dis cus sion qui concer nera la deacutefi ni tion de la jus tice agrave tra vers une deacutefi ni tion de lrsquoEacutetat ideacuteal peut eacutega le ment ecirctre inter preacute teacutee comme eacutetant en rap port eacutetroit avec la des crip tion des fes ti vi teacutes reli -gieuses de la citeacute atheacute nienne mais il ne faut pas oublier que le pre mier livre de la Reacutepu blique a pro ba ble ment preacute ceacutedeacute les livres sui vants de nom breuses anneacutees Nous ne savons donc pas preacute ci seacute ment si la fecircte deacutedieacutee agrave Bendis a eacuteteacute ajou teacutee plus tard au pro logue du pre mier livre en fonc tion de lrsquoeacuteco no mie glo bale de la Reacutepu -blique ou au contraire nrsquoa eacuteteacute des ti neacutee qursquoagrave intro duire le pre mier livre et nrsquoa donc qursquoun rap port acci den tel avec les livres II agrave X Alors que Pierre Javet laquo Ceacutephale et Platon sur le seuil de la vieillesse Reacutefl exions sur le pro logue de la Reacutepu blique raquo dans Revue Phi lo sophique de la France et de lrsquoeacutetran ger 1982 p 241-247 affi rme que la ren contre de Socrate avec Poleacute marque et sa dis cus sion avec Ceacutephale ont eacuteteacute compo seacutees en fonc tion de lrsquoensemble de la Reacutepu blique P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 46 sou tient la thegravese du rap port acci den tel en fai sant remar quer que ce dia logue devenu eacutenorme deacutebute seule ment dans la soi reacutee et ne peut donc fi nir rai son na ble ment quelques heures plus tard ndash un pro blegraveme que Platon aurait cer tai -ne ment eacuteviteacute srsquoil avait voulu degraves le deacutebut eacutecrire une œuvre tel le ment gigan tesque (et ce nrsquoest pas un hasard si les Lois eux deacutebutent le matin en rai son de la lon gueur impres sion nante de lrsquoœuvre)

37 Compa rer p ex Christopher J Rowe laquo Why is the Ideal Athens of the Timaeus- Critias not Ruled by Philosophers raquo dans Meacutethexis 10 1997 p 51-57

38 Celles- ci ougrave les jeunes hommes eacutetaient ins crits dans leur phra trie (Platon Timeacutee 21b) eacutetaient eacutega le ment preacute si deacutees par Atheacutena et Zeus et duraient trois jours

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lon pythique et de Zeus39 Plus tard nous appre nons que les inter lo -cuteurs se trouvent en Cregravete et sont sur le che min de Cnossos vers la grotte sacreacutee de Zeus40

Nous voyons donc que le choix de lrsquoeacuteleacute ment reli gieux tra di tion -nel nrsquoest pas acci den tel dans la mise en scegravene des dia logues de Platon et que au contraire la men tion des cultes a dans la plu part des cas un rap port phi lo sophique direct avec le thegraveme du dia logue qui srsquoen suit Crsquoest donc la reli gio siteacute tra di tion nelle qui oserions- nous dire ins pire sa propre trans cen dance par la dis cus sion meacuteta -phy sique et est eacutevo queacutee impli ci te ment comme base neacuteces saire agrave toute aven ture intel lec tuelle

La precirc trise comme pro fes sion

Un autre thegraveme reacutecur rent chez Platon est celui de la compeacute tence pro fes sion nelle des dif feacute rents precirctres Nous connais sons tous les exemples nom breux ougrave le phi lo sophe parle des timo niers des menui -siers et des meacutede cins mais il est eacuteton nant de voir que la men tion du devin (μάντις) comme exemple drsquoun meacutetier parmi drsquoautres est assez cou rante chez Platon41 Notons ici que Platon mecircme srsquoil parle en regravegle geacuteneacute rale des devins sans en speacute ci fi er en deacutetail les fonc tions theacuteo lo giques ou meacutethodes pro fes sion nelles leur attri bue (en theacuteo rie au moins) une vraie laquo connais sance du futur raquo (Platon Charmide 173c ἐπιστήμην τοῦ μέλλοντος) et les rap proche en fai sant eacutegard agrave leur ins pi ra tion commune par le souffl e divin des rhap sodes des chan teurs drsquooracles (Platon Ion 534c Apo logie 22c) et mecircme des poli ti ciens (Platon Meacute non 98c-d) De faccedilon sem blable dans le Poli -tique Platon les carac teacute rise comme tra duc teurs et voix des dieux (Platon Poli tique 290c) tan dis que les precirctres sont deacutefi nis comme ceux qui srsquooccupent drsquoorga ni ser le contact des humains avec les

39 Platon Lois I 624a-625a cf aussi 632d40 Platon Lois I 625a-b Lrsquoon peut soit lrsquoiden ti fi er comme le sanc tuaire

de la grotte dicteacuteenne ndash lrsquoopi nion geacuteneacute ra le ment admise cf commen taire Klaus Schoumlpsdau (eacuted trad et comm) Platon Gesetze Buch I- IV Darmstadt 21990 ndash ou celui du Mont Ida cf Glenn R Morrow Platorsquos Cretan City a Historical Interpretation of the Laws Princeton 1962 p 27ndash28 Par rap port agrave la signi fi ca tion reli gieuse de la Cregravete cf Jesuacutes Lens Tuero laquo La mitifi cacioacuten de Creta en la cultura griega del siglo IV raquo dans Actas del VIII congreso espantildeol de estudios claacutesicos (Madrid 23-28 de septiembre de 1991) t 3 Madrid 1994 p 219-222

41 Voir en dehors de lrsquoEuthyphron dont le pro ta go niste homo nyme est qua -li fi eacute de devin Platon Ion 531b Charmide 173c

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dieux par les sacri fi ces et les priegraveres (Platon Poli tique 290c-d) ayant annexeacute en ceci les attri bu tions des anciens rois42 Ce juge ment en somme posi tif pour rait ecirctre impu table au fait que Platon voyait beau coup de res sem blances entre le devin et le phi lo sophe43 Neacutean -moins il ne place les devins et precirctres qursquoau cin quiegraveme rang des formes de vie du Phegravedre (Platon Phegravedre 248d) et insiste sur le fait qursquoil ne veut par ler que des devins laquo seacuterieux raquo (τοὺς δὲ ὡςἀληθῶς μάντεις) qursquoil met en contraste avec les beaux- parleurs (τοὺς μὲν ἀλαζόνας) qui man que raient de σωφροσύνη (Platon Charmide 173c) Nous trou vons un exemple de ces devins laquo non seacuterieux raquo dans la Reacutepu blique Platon y deacutecrit par la bouche drsquoAdeacutemante que les char la tans et les devins (ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις) pro mettent aux riches de rache ter contre paye ment leurs fautes morales par des sacri fi ces et des for mules magiques et assurent mecircme pou voir infl u en cer les dieux par des incan ta tions magiques44 agrave faire du tort aux autres humains bons ou mau vais (Platon Reacutepu blique II 364b-365a) En ceci ils srsquoappuyeraient sur Hom egravere qui qua li fi ait deacutejagrave les dieux drsquoinfl u en ccedilables par des pro messes et des offrandes (Hom -egravere Iliade IX 497-501) et sur les eacutecrits mys tiques de Museacutee et drsquoOrpheacutee45 Ceux- ci auraient ensei gneacute que des hommes et mecircme

42 Platon prouve ce rai son ne ment en nom mant lrsquoArchon Basileacuteios drsquoAthegravenes res pon sable des offrandes les plus archaiumlques et veacuteneacute rables et cite aussi lrsquoini tiation obli ga toire des pha raons drsquoEacutegypte agrave lrsquoart des precirctres (Platon Poli tique 290e)

43 Cf Richard Bodeacuteuumls laquo ldquoJe suis devinrdquo (Phegravedre 242c) Remarques sur la phi lo sophie selon Platon raquo dans Kernos 3 1990 p 45-52 p 49 laquo La contem pla -tion phi lo sophique en effet nrsquoest pas sans ana logie avec la vision divi na toire [hellip] De mecircme que le devin voit sans lrsquointel li gence des signi fi ants le phi lo sophe voit par lrsquointel li gence des signi fi eacutes Crsquoest un vision naire dans lrsquoordre de lrsquointel li -gible raquo

44 Voir aussi Carlo A Viano laquo Retorica magia e natura in Platone raquo dans Rivista di Filosofi a 56 1965 p 411-453 qui sou ligne que Platon dans le livre X des Lois et dans le Phegravedre met la magie et la rheacute to rique sur le mecircme plan puis qursquoelles exercent toutes les deux une action psy cho lo gique sur lrsquoacircme et que lrsquohomme lui- mecircme est sujet agrave la rheacute to rique et agrave la magie en tant que par tie de la nature

45 Au sujet de la rela tion de Platon aux orphiques cf Paul Boyanceacute Le Culte des Muses chez les phi lo sophes grecs Paris 1937 p 21ndash24 le mecircme laquo Platon et les Cathartes orphiques raquo dans Revue des eacutetudes grecques 55 1942 p 217-235 Philippe Borgeaud (eacuted) Orphisme et Orpheacutee en lrsquohon neur de Jean Rudhardt Genegraveve 1991 Leacuteonid Zhmud laquo Orphism and grafi tti from Olbia raquo dans Hermes 120 1992 p 159-168 (confi r mant Platon Cratylos 400c) Alberto Bernabeacute laquo Una etimologiacutea platoacutenica soma- sema raquo dans Philologus 139 1995 p 204-237 Giovanni Casadio laquo El mito del laquo Poliacutetico raquo (268 D-274 E) y la his to ria de las religiones raquo dans Emerita 64 1996 p 65-77 Les frag ments orphiques conser veacutes

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des citeacutes entiegraveres pou vaient rache ter leurs fautes preacute sentes et pas seacutees par des sacri fi ces et des jeux (διὰ θνσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν)46 Mecircme si Platon consi degravere geacuteneacute ra le ment les astres comme des divi ni -teacutes47 il explique dans le Timeacutee que les pheacute no megravenes astro no miques ne doivent pas ecirctre pris pour des preacute sages mais srsquoexpliquent par des rai sons pure ment matheacutema tiques (Platon Timeacutee 40c-d) ce qui peut ecirctre inter preacuteteacute comme une cri tique de la man tique astro lo gique Dans les Lois il deacutecrit que beau coup de magi ciens et de devins seraient mecircme en reacutea liteacute des a theacuteistes sou cieux de pro fi ter de la creacute du liteacute de leurs conci toyens (Platon Lois X 908d)48

chez Platon peuvent ecirctre consul teacutes main te nant dans Alberto Bernabeacute Poetae epici Graeci Testimonia et frag menta Pars II Fasc 1-2 Orphicorum et Orphicis similium frag menta MuumlnchenLeipzig 2004-2005

46 Un preacute jugeacute pla to ni cien qui reacutefl egravete le peu drsquoestime qursquoavaient les intel lec -tuels contem po rains pour la char la ta ne rie issue des speacute cu la tions gran dioses de lrsquoorphisme (pour tant extrecirc me ment popu laires agrave lrsquoeacutepoque cf Martin P Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion t1 Bis zur Weltherrschaft Muumlnchen 1941 p 684 et 800) et qui semble sur tout issue du pytha go risme (Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore de Gregravece en Palestine Paris 1927 p 81ndash82) Pour lrsquoinfl u ence de Pythagore sur Platon compa rer aussi Erich Frank Plato und die so genannten Pythagoreer Halle 1923 Pierre Boyanceacute laquo Lrsquoinfl u ence pytha go ri -cienne sur Platon raquo dans Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia Naples 1966 p 73-113 Bartel Leendert Van Der Waerden laquo Platon et les sciences exactes des Pytha go ri ciens raquo dans Bul le tin de la Socieacuteteacute Matheacutema tique de Belgique 21 1969 p 120-122 Maria Tortorelli Ghidini et al (eacuted) Tra Orfeo e Pitagora origini e incontri di culture nellrsquoantichitagrave atti dei seminari napoletani 1996-1998 Naples 2000 Leacuteonid Zhmud laquo Uumlberlegungen zur pythagoreischen Frage raquo dans Georg Rechenauer (eacuted) Fruumlhgriechisches Denken Goumlttingen 2005 p 135-151 David En gels laquo Geometrie und Phi lo sophie Zur Visualisierung metaphysischer Konzepte durch raumlumliche Darstellungen in der pythagoreischen Phi lo sophie raquo dans D GroszligS Westermann (eacuted) Vom Bild zur Erkenntnis Visualisierungskonzepte in den Wissenschaften Kassel 2007 p 113ndash129

47 Platon Timeacutee 401ndash402 Lois VII 821bndashc Voir agrave ce sujet p ex Hans Herter laquo Gott und die Welt bei Platon raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 158 1958 p 106-117 GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 399ndash402 et 445ndash448

48 En ce qui concerne lrsquoart divi na toire sou li gnons ici encore que Platon dans le Lachegraves laisse Socrate affi r mer que chaque pro fes sion confegravere agrave celui qui lrsquoexerce cor rec te ment une auto riteacute de speacute cia liste dans son domaine Ceci le conduit agrave demander agrave son inter lo cuteur un mili taire srsquoil est donc deacutecideacute en cas de guerre agrave faire plu tocirct confi ance agrave ses propres avis stra teacute giques qursquoaux conseils des devins que lrsquoon ne sau rait dif fi ci le ment regar der comme des auto ri teacutes compeacute tentes en matiegravere miliaire ce agrave quoi le stra tegravege atheacute nien acquiesce (Platon Lachegraves 199a) Si lrsquoon pense que ce stra tegravege nrsquoest autre que Nicias le poli ti cien atheacute nien qui notam -ment parce qursquoil avait accordeacute foi agrave des devins et des oracles dans ses deacuteci sions mili taires connaicirct en 413 une fi n tra gique en Sicile (ougrave il avait assieacutegeacute en vain la ville de Syracuse et ougrave il fut fait pri son nier par les habi tants qui le condam negraverent agrave mort) lrsquoendroit ne manque pas de piment et laisse per ce voir lrsquoiro nie de Platon qui

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La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

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Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

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la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

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pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

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de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 575

pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 577

nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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retour ner le soir seule la pro messe drsquoy deacutecou vrir des inter lo cuteurs poten tiels arrive agrave le faire fl eacute chir36

Dans le Timeacutee qui est la suite directe de la Reacutepu blique et commence avec une reacuteca pi tu la tion assez som maire des ideacutees de ce dia logue37 le cadre reli gieux de la Reacutepu blique est deacuteformeacute de faccedilon assez remar quable puisque la dis cus sion nrsquoa pas lieu le len de main de la fecircte pour Bendis mais lors des Pana theacute neacutees ceacuteleacute breacutees le 28e Heacutekatombaion (Platon Timeacutee 26e) La solen niteacute de la fecircte y est mise expres seacute ment en rela tion avec le thegraveme du dia logue la creacutea tion mys tique et la nature mateacute rielle du monde comme par ti cu liegrave re ment seyante agrave des speacute cu la tions aussi pro fondes (Platon Timeacutee 26e) De plus Critias le jeune qui relate le mythe de lrsquoAtlantide agrave Socrate y explique qursquoil a lui- mecircme appris cette tra di tion par Critias lrsquoancien lors de la ceacuteleacute bra tion des Apatouries38

Notons fi na le ment que mecircme les Lois dia logue inacheveacute et lourd peu compa rable avec la viva citeacute des œuvres de jeu nesse ont un cadre reli gieux le pre mier mot en est deacutejagrave laquo Dieu raquo et le sceacute -na rio ouvre sur une speacute cu la tion sur lrsquoori gine divine des lois des Laceacute deacute mo niens et des Creacute tois pro ve nant res pec ti ve ment drsquoApol -

36 Platon Reacutepu blique I 328a La suite de la dis cus sion qui concer nera la deacutefi ni tion de la jus tice agrave tra vers une deacutefi ni tion de lrsquoEacutetat ideacuteal peut eacutega le ment ecirctre inter preacute teacutee comme eacutetant en rap port eacutetroit avec la des crip tion des fes ti vi teacutes reli -gieuses de la citeacute atheacute nienne mais il ne faut pas oublier que le pre mier livre de la Reacutepu blique a pro ba ble ment preacute ceacutedeacute les livres sui vants de nom breuses anneacutees Nous ne savons donc pas preacute ci seacute ment si la fecircte deacutedieacutee agrave Bendis a eacuteteacute ajou teacutee plus tard au pro logue du pre mier livre en fonc tion de lrsquoeacuteco no mie glo bale de la Reacutepu -blique ou au contraire nrsquoa eacuteteacute des ti neacutee qursquoagrave intro duire le pre mier livre et nrsquoa donc qursquoun rap port acci den tel avec les livres II agrave X Alors que Pierre Javet laquo Ceacutephale et Platon sur le seuil de la vieillesse Reacutefl exions sur le pro logue de la Reacutepu blique raquo dans Revue Phi lo sophique de la France et de lrsquoeacutetran ger 1982 p 241-247 affi rme que la ren contre de Socrate avec Poleacute marque et sa dis cus sion avec Ceacutephale ont eacuteteacute compo seacutees en fonc tion de lrsquoensemble de la Reacutepu blique P Friedlaumlnder Platon 2 [n 1] p 46 sou tient la thegravese du rap port acci den tel en fai sant remar quer que ce dia logue devenu eacutenorme deacutebute seule ment dans la soi reacutee et ne peut donc fi nir rai son na ble ment quelques heures plus tard ndash un pro blegraveme que Platon aurait cer tai -ne ment eacuteviteacute srsquoil avait voulu degraves le deacutebut eacutecrire une œuvre tel le ment gigan tesque (et ce nrsquoest pas un hasard si les Lois eux deacutebutent le matin en rai son de la lon gueur impres sion nante de lrsquoœuvre)

37 Compa rer p ex Christopher J Rowe laquo Why is the Ideal Athens of the Timaeus- Critias not Ruled by Philosophers raquo dans Meacutethexis 10 1997 p 51-57

38 Celles- ci ougrave les jeunes hommes eacutetaient ins crits dans leur phra trie (Platon Timeacutee 21b) eacutetaient eacutega le ment preacute si deacutees par Atheacutena et Zeus et duraient trois jours

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lon pythique et de Zeus39 Plus tard nous appre nons que les inter lo -cuteurs se trouvent en Cregravete et sont sur le che min de Cnossos vers la grotte sacreacutee de Zeus40

Nous voyons donc que le choix de lrsquoeacuteleacute ment reli gieux tra di tion -nel nrsquoest pas acci den tel dans la mise en scegravene des dia logues de Platon et que au contraire la men tion des cultes a dans la plu part des cas un rap port phi lo sophique direct avec le thegraveme du dia logue qui srsquoen suit Crsquoest donc la reli gio siteacute tra di tion nelle qui oserions- nous dire ins pire sa propre trans cen dance par la dis cus sion meacuteta -phy sique et est eacutevo queacutee impli ci te ment comme base neacuteces saire agrave toute aven ture intel lec tuelle

La precirc trise comme pro fes sion

Un autre thegraveme reacutecur rent chez Platon est celui de la compeacute tence pro fes sion nelle des dif feacute rents precirctres Nous connais sons tous les exemples nom breux ougrave le phi lo sophe parle des timo niers des menui -siers et des meacutede cins mais il est eacuteton nant de voir que la men tion du devin (μάντις) comme exemple drsquoun meacutetier parmi drsquoautres est assez cou rante chez Platon41 Notons ici que Platon mecircme srsquoil parle en regravegle geacuteneacute rale des devins sans en speacute ci fi er en deacutetail les fonc tions theacuteo lo giques ou meacutethodes pro fes sion nelles leur attri bue (en theacuteo rie au moins) une vraie laquo connais sance du futur raquo (Platon Charmide 173c ἐπιστήμην τοῦ μέλλοντος) et les rap proche en fai sant eacutegard agrave leur ins pi ra tion commune par le souffl e divin des rhap sodes des chan teurs drsquooracles (Platon Ion 534c Apo logie 22c) et mecircme des poli ti ciens (Platon Meacute non 98c-d) De faccedilon sem blable dans le Poli -tique Platon les carac teacute rise comme tra duc teurs et voix des dieux (Platon Poli tique 290c) tan dis que les precirctres sont deacutefi nis comme ceux qui srsquooccupent drsquoorga ni ser le contact des humains avec les

39 Platon Lois I 624a-625a cf aussi 632d40 Platon Lois I 625a-b Lrsquoon peut soit lrsquoiden ti fi er comme le sanc tuaire

de la grotte dicteacuteenne ndash lrsquoopi nion geacuteneacute ra le ment admise cf commen taire Klaus Schoumlpsdau (eacuted trad et comm) Platon Gesetze Buch I- IV Darmstadt 21990 ndash ou celui du Mont Ida cf Glenn R Morrow Platorsquos Cretan City a Historical Interpretation of the Laws Princeton 1962 p 27ndash28 Par rap port agrave la signi fi ca tion reli gieuse de la Cregravete cf Jesuacutes Lens Tuero laquo La mitifi cacioacuten de Creta en la cultura griega del siglo IV raquo dans Actas del VIII congreso espantildeol de estudios claacutesicos (Madrid 23-28 de septiembre de 1991) t 3 Madrid 1994 p 219-222

41 Voir en dehors de lrsquoEuthyphron dont le pro ta go niste homo nyme est qua -li fi eacute de devin Platon Ion 531b Charmide 173c

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dieux par les sacri fi ces et les priegraveres (Platon Poli tique 290c-d) ayant annexeacute en ceci les attri bu tions des anciens rois42 Ce juge ment en somme posi tif pour rait ecirctre impu table au fait que Platon voyait beau coup de res sem blances entre le devin et le phi lo sophe43 Neacutean -moins il ne place les devins et precirctres qursquoau cin quiegraveme rang des formes de vie du Phegravedre (Platon Phegravedre 248d) et insiste sur le fait qursquoil ne veut par ler que des devins laquo seacuterieux raquo (τοὺς δὲ ὡςἀληθῶς μάντεις) qursquoil met en contraste avec les beaux- parleurs (τοὺς μὲν ἀλαζόνας) qui man que raient de σωφροσύνη (Platon Charmide 173c) Nous trou vons un exemple de ces devins laquo non seacuterieux raquo dans la Reacutepu blique Platon y deacutecrit par la bouche drsquoAdeacutemante que les char la tans et les devins (ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις) pro mettent aux riches de rache ter contre paye ment leurs fautes morales par des sacri fi ces et des for mules magiques et assurent mecircme pou voir infl u en cer les dieux par des incan ta tions magiques44 agrave faire du tort aux autres humains bons ou mau vais (Platon Reacutepu blique II 364b-365a) En ceci ils srsquoappuyeraient sur Hom egravere qui qua li fi ait deacutejagrave les dieux drsquoinfl u en ccedilables par des pro messes et des offrandes (Hom -egravere Iliade IX 497-501) et sur les eacutecrits mys tiques de Museacutee et drsquoOrpheacutee45 Ceux- ci auraient ensei gneacute que des hommes et mecircme

42 Platon prouve ce rai son ne ment en nom mant lrsquoArchon Basileacuteios drsquoAthegravenes res pon sable des offrandes les plus archaiumlques et veacuteneacute rables et cite aussi lrsquoini tiation obli ga toire des pha raons drsquoEacutegypte agrave lrsquoart des precirctres (Platon Poli tique 290e)

43 Cf Richard Bodeacuteuumls laquo ldquoJe suis devinrdquo (Phegravedre 242c) Remarques sur la phi lo sophie selon Platon raquo dans Kernos 3 1990 p 45-52 p 49 laquo La contem pla -tion phi lo sophique en effet nrsquoest pas sans ana logie avec la vision divi na toire [hellip] De mecircme que le devin voit sans lrsquointel li gence des signi fi ants le phi lo sophe voit par lrsquointel li gence des signi fi eacutes Crsquoest un vision naire dans lrsquoordre de lrsquointel li -gible raquo

44 Voir aussi Carlo A Viano laquo Retorica magia e natura in Platone raquo dans Rivista di Filosofi a 56 1965 p 411-453 qui sou ligne que Platon dans le livre X des Lois et dans le Phegravedre met la magie et la rheacute to rique sur le mecircme plan puis qursquoelles exercent toutes les deux une action psy cho lo gique sur lrsquoacircme et que lrsquohomme lui- mecircme est sujet agrave la rheacute to rique et agrave la magie en tant que par tie de la nature

45 Au sujet de la rela tion de Platon aux orphiques cf Paul Boyanceacute Le Culte des Muses chez les phi lo sophes grecs Paris 1937 p 21ndash24 le mecircme laquo Platon et les Cathartes orphiques raquo dans Revue des eacutetudes grecques 55 1942 p 217-235 Philippe Borgeaud (eacuted) Orphisme et Orpheacutee en lrsquohon neur de Jean Rudhardt Genegraveve 1991 Leacuteonid Zhmud laquo Orphism and grafi tti from Olbia raquo dans Hermes 120 1992 p 159-168 (confi r mant Platon Cratylos 400c) Alberto Bernabeacute laquo Una etimologiacutea platoacutenica soma- sema raquo dans Philologus 139 1995 p 204-237 Giovanni Casadio laquo El mito del laquo Poliacutetico raquo (268 D-274 E) y la his to ria de las religiones raquo dans Emerita 64 1996 p 65-77 Les frag ments orphiques conser veacutes

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des citeacutes entiegraveres pou vaient rache ter leurs fautes preacute sentes et pas seacutees par des sacri fi ces et des jeux (διὰ θνσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν)46 Mecircme si Platon consi degravere geacuteneacute ra le ment les astres comme des divi ni -teacutes47 il explique dans le Timeacutee que les pheacute no megravenes astro no miques ne doivent pas ecirctre pris pour des preacute sages mais srsquoexpliquent par des rai sons pure ment matheacutema tiques (Platon Timeacutee 40c-d) ce qui peut ecirctre inter preacuteteacute comme une cri tique de la man tique astro lo gique Dans les Lois il deacutecrit que beau coup de magi ciens et de devins seraient mecircme en reacutea liteacute des a theacuteistes sou cieux de pro fi ter de la creacute du liteacute de leurs conci toyens (Platon Lois X 908d)48

chez Platon peuvent ecirctre consul teacutes main te nant dans Alberto Bernabeacute Poetae epici Graeci Testimonia et frag menta Pars II Fasc 1-2 Orphicorum et Orphicis similium frag menta MuumlnchenLeipzig 2004-2005

46 Un preacute jugeacute pla to ni cien qui reacutefl egravete le peu drsquoestime qursquoavaient les intel lec -tuels contem po rains pour la char la ta ne rie issue des speacute cu la tions gran dioses de lrsquoorphisme (pour tant extrecirc me ment popu laires agrave lrsquoeacutepoque cf Martin P Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion t1 Bis zur Weltherrschaft Muumlnchen 1941 p 684 et 800) et qui semble sur tout issue du pytha go risme (Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore de Gregravece en Palestine Paris 1927 p 81ndash82) Pour lrsquoinfl u ence de Pythagore sur Platon compa rer aussi Erich Frank Plato und die so genannten Pythagoreer Halle 1923 Pierre Boyanceacute laquo Lrsquoinfl u ence pytha go ri -cienne sur Platon raquo dans Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia Naples 1966 p 73-113 Bartel Leendert Van Der Waerden laquo Platon et les sciences exactes des Pytha go ri ciens raquo dans Bul le tin de la Socieacuteteacute Matheacutema tique de Belgique 21 1969 p 120-122 Maria Tortorelli Ghidini et al (eacuted) Tra Orfeo e Pitagora origini e incontri di culture nellrsquoantichitagrave atti dei seminari napoletani 1996-1998 Naples 2000 Leacuteonid Zhmud laquo Uumlberlegungen zur pythagoreischen Frage raquo dans Georg Rechenauer (eacuted) Fruumlhgriechisches Denken Goumlttingen 2005 p 135-151 David En gels laquo Geometrie und Phi lo sophie Zur Visualisierung metaphysischer Konzepte durch raumlumliche Darstellungen in der pythagoreischen Phi lo sophie raquo dans D GroszligS Westermann (eacuted) Vom Bild zur Erkenntnis Visualisierungskonzepte in den Wissenschaften Kassel 2007 p 113ndash129

47 Platon Timeacutee 401ndash402 Lois VII 821bndashc Voir agrave ce sujet p ex Hans Herter laquo Gott und die Welt bei Platon raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 158 1958 p 106-117 GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 399ndash402 et 445ndash448

48 En ce qui concerne lrsquoart divi na toire sou li gnons ici encore que Platon dans le Lachegraves laisse Socrate affi r mer que chaque pro fes sion confegravere agrave celui qui lrsquoexerce cor rec te ment une auto riteacute de speacute cia liste dans son domaine Ceci le conduit agrave demander agrave son inter lo cuteur un mili taire srsquoil est donc deacutecideacute en cas de guerre agrave faire plu tocirct confi ance agrave ses propres avis stra teacute giques qursquoaux conseils des devins que lrsquoon ne sau rait dif fi ci le ment regar der comme des auto ri teacutes compeacute tentes en matiegravere miliaire ce agrave quoi le stra tegravege atheacute nien acquiesce (Platon Lachegraves 199a) Si lrsquoon pense que ce stra tegravege nrsquoest autre que Nicias le poli ti cien atheacute nien qui notam -ment parce qursquoil avait accordeacute foi agrave des devins et des oracles dans ses deacuteci sions mili taires connaicirct en 413 une fi n tra gique en Sicile (ougrave il avait assieacutegeacute en vain la ville de Syracuse et ougrave il fut fait pri son nier par les habi tants qui le condam negraverent agrave mort) lrsquoendroit ne manque pas de piment et laisse per ce voir lrsquoiro nie de Platon qui

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La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

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Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 567

la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

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pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

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de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

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pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

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nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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lon pythique et de Zeus39 Plus tard nous appre nons que les inter lo -cuteurs se trouvent en Cregravete et sont sur le che min de Cnossos vers la grotte sacreacutee de Zeus40

Nous voyons donc que le choix de lrsquoeacuteleacute ment reli gieux tra di tion -nel nrsquoest pas acci den tel dans la mise en scegravene des dia logues de Platon et que au contraire la men tion des cultes a dans la plu part des cas un rap port phi lo sophique direct avec le thegraveme du dia logue qui srsquoen suit Crsquoest donc la reli gio siteacute tra di tion nelle qui oserions- nous dire ins pire sa propre trans cen dance par la dis cus sion meacuteta -phy sique et est eacutevo queacutee impli ci te ment comme base neacuteces saire agrave toute aven ture intel lec tuelle

La precirc trise comme pro fes sion

Un autre thegraveme reacutecur rent chez Platon est celui de la compeacute tence pro fes sion nelle des dif feacute rents precirctres Nous connais sons tous les exemples nom breux ougrave le phi lo sophe parle des timo niers des menui -siers et des meacutede cins mais il est eacuteton nant de voir que la men tion du devin (μάντις) comme exemple drsquoun meacutetier parmi drsquoautres est assez cou rante chez Platon41 Notons ici que Platon mecircme srsquoil parle en regravegle geacuteneacute rale des devins sans en speacute ci fi er en deacutetail les fonc tions theacuteo lo giques ou meacutethodes pro fes sion nelles leur attri bue (en theacuteo rie au moins) une vraie laquo connais sance du futur raquo (Platon Charmide 173c ἐπιστήμην τοῦ μέλλοντος) et les rap proche en fai sant eacutegard agrave leur ins pi ra tion commune par le souffl e divin des rhap sodes des chan teurs drsquooracles (Platon Ion 534c Apo logie 22c) et mecircme des poli ti ciens (Platon Meacute non 98c-d) De faccedilon sem blable dans le Poli -tique Platon les carac teacute rise comme tra duc teurs et voix des dieux (Platon Poli tique 290c) tan dis que les precirctres sont deacutefi nis comme ceux qui srsquooccupent drsquoorga ni ser le contact des humains avec les

39 Platon Lois I 624a-625a cf aussi 632d40 Platon Lois I 625a-b Lrsquoon peut soit lrsquoiden ti fi er comme le sanc tuaire

de la grotte dicteacuteenne ndash lrsquoopi nion geacuteneacute ra le ment admise cf commen taire Klaus Schoumlpsdau (eacuted trad et comm) Platon Gesetze Buch I- IV Darmstadt 21990 ndash ou celui du Mont Ida cf Glenn R Morrow Platorsquos Cretan City a Historical Interpretation of the Laws Princeton 1962 p 27ndash28 Par rap port agrave la signi fi ca tion reli gieuse de la Cregravete cf Jesuacutes Lens Tuero laquo La mitifi cacioacuten de Creta en la cultura griega del siglo IV raquo dans Actas del VIII congreso espantildeol de estudios claacutesicos (Madrid 23-28 de septiembre de 1991) t 3 Madrid 1994 p 219-222

41 Voir en dehors de lrsquoEuthyphron dont le pro ta go niste homo nyme est qua -li fi eacute de devin Platon Ion 531b Charmide 173c

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dieux par les sacri fi ces et les priegraveres (Platon Poli tique 290c-d) ayant annexeacute en ceci les attri bu tions des anciens rois42 Ce juge ment en somme posi tif pour rait ecirctre impu table au fait que Platon voyait beau coup de res sem blances entre le devin et le phi lo sophe43 Neacutean -moins il ne place les devins et precirctres qursquoau cin quiegraveme rang des formes de vie du Phegravedre (Platon Phegravedre 248d) et insiste sur le fait qursquoil ne veut par ler que des devins laquo seacuterieux raquo (τοὺς δὲ ὡςἀληθῶς μάντεις) qursquoil met en contraste avec les beaux- parleurs (τοὺς μὲν ἀλαζόνας) qui man que raient de σωφροσύνη (Platon Charmide 173c) Nous trou vons un exemple de ces devins laquo non seacuterieux raquo dans la Reacutepu blique Platon y deacutecrit par la bouche drsquoAdeacutemante que les char la tans et les devins (ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις) pro mettent aux riches de rache ter contre paye ment leurs fautes morales par des sacri fi ces et des for mules magiques et assurent mecircme pou voir infl u en cer les dieux par des incan ta tions magiques44 agrave faire du tort aux autres humains bons ou mau vais (Platon Reacutepu blique II 364b-365a) En ceci ils srsquoappuyeraient sur Hom egravere qui qua li fi ait deacutejagrave les dieux drsquoinfl u en ccedilables par des pro messes et des offrandes (Hom -egravere Iliade IX 497-501) et sur les eacutecrits mys tiques de Museacutee et drsquoOrpheacutee45 Ceux- ci auraient ensei gneacute que des hommes et mecircme

42 Platon prouve ce rai son ne ment en nom mant lrsquoArchon Basileacuteios drsquoAthegravenes res pon sable des offrandes les plus archaiumlques et veacuteneacute rables et cite aussi lrsquoini tiation obli ga toire des pha raons drsquoEacutegypte agrave lrsquoart des precirctres (Platon Poli tique 290e)

43 Cf Richard Bodeacuteuumls laquo ldquoJe suis devinrdquo (Phegravedre 242c) Remarques sur la phi lo sophie selon Platon raquo dans Kernos 3 1990 p 45-52 p 49 laquo La contem pla -tion phi lo sophique en effet nrsquoest pas sans ana logie avec la vision divi na toire [hellip] De mecircme que le devin voit sans lrsquointel li gence des signi fi ants le phi lo sophe voit par lrsquointel li gence des signi fi eacutes Crsquoest un vision naire dans lrsquoordre de lrsquointel li -gible raquo

44 Voir aussi Carlo A Viano laquo Retorica magia e natura in Platone raquo dans Rivista di Filosofi a 56 1965 p 411-453 qui sou ligne que Platon dans le livre X des Lois et dans le Phegravedre met la magie et la rheacute to rique sur le mecircme plan puis qursquoelles exercent toutes les deux une action psy cho lo gique sur lrsquoacircme et que lrsquohomme lui- mecircme est sujet agrave la rheacute to rique et agrave la magie en tant que par tie de la nature

45 Au sujet de la rela tion de Platon aux orphiques cf Paul Boyanceacute Le Culte des Muses chez les phi lo sophes grecs Paris 1937 p 21ndash24 le mecircme laquo Platon et les Cathartes orphiques raquo dans Revue des eacutetudes grecques 55 1942 p 217-235 Philippe Borgeaud (eacuted) Orphisme et Orpheacutee en lrsquohon neur de Jean Rudhardt Genegraveve 1991 Leacuteonid Zhmud laquo Orphism and grafi tti from Olbia raquo dans Hermes 120 1992 p 159-168 (confi r mant Platon Cratylos 400c) Alberto Bernabeacute laquo Una etimologiacutea platoacutenica soma- sema raquo dans Philologus 139 1995 p 204-237 Giovanni Casadio laquo El mito del laquo Poliacutetico raquo (268 D-274 E) y la his to ria de las religiones raquo dans Emerita 64 1996 p 65-77 Les frag ments orphiques conser veacutes

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des citeacutes entiegraveres pou vaient rache ter leurs fautes preacute sentes et pas seacutees par des sacri fi ces et des jeux (διὰ θνσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν)46 Mecircme si Platon consi degravere geacuteneacute ra le ment les astres comme des divi ni -teacutes47 il explique dans le Timeacutee que les pheacute no megravenes astro no miques ne doivent pas ecirctre pris pour des preacute sages mais srsquoexpliquent par des rai sons pure ment matheacutema tiques (Platon Timeacutee 40c-d) ce qui peut ecirctre inter preacuteteacute comme une cri tique de la man tique astro lo gique Dans les Lois il deacutecrit que beau coup de magi ciens et de devins seraient mecircme en reacutea liteacute des a theacuteistes sou cieux de pro fi ter de la creacute du liteacute de leurs conci toyens (Platon Lois X 908d)48

chez Platon peuvent ecirctre consul teacutes main te nant dans Alberto Bernabeacute Poetae epici Graeci Testimonia et frag menta Pars II Fasc 1-2 Orphicorum et Orphicis similium frag menta MuumlnchenLeipzig 2004-2005

46 Un preacute jugeacute pla to ni cien qui reacutefl egravete le peu drsquoestime qursquoavaient les intel lec -tuels contem po rains pour la char la ta ne rie issue des speacute cu la tions gran dioses de lrsquoorphisme (pour tant extrecirc me ment popu laires agrave lrsquoeacutepoque cf Martin P Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion t1 Bis zur Weltherrschaft Muumlnchen 1941 p 684 et 800) et qui semble sur tout issue du pytha go risme (Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore de Gregravece en Palestine Paris 1927 p 81ndash82) Pour lrsquoinfl u ence de Pythagore sur Platon compa rer aussi Erich Frank Plato und die so genannten Pythagoreer Halle 1923 Pierre Boyanceacute laquo Lrsquoinfl u ence pytha go ri -cienne sur Platon raquo dans Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia Naples 1966 p 73-113 Bartel Leendert Van Der Waerden laquo Platon et les sciences exactes des Pytha go ri ciens raquo dans Bul le tin de la Socieacuteteacute Matheacutema tique de Belgique 21 1969 p 120-122 Maria Tortorelli Ghidini et al (eacuted) Tra Orfeo e Pitagora origini e incontri di culture nellrsquoantichitagrave atti dei seminari napoletani 1996-1998 Naples 2000 Leacuteonid Zhmud laquo Uumlberlegungen zur pythagoreischen Frage raquo dans Georg Rechenauer (eacuted) Fruumlhgriechisches Denken Goumlttingen 2005 p 135-151 David En gels laquo Geometrie und Phi lo sophie Zur Visualisierung metaphysischer Konzepte durch raumlumliche Darstellungen in der pythagoreischen Phi lo sophie raquo dans D GroszligS Westermann (eacuted) Vom Bild zur Erkenntnis Visualisierungskonzepte in den Wissenschaften Kassel 2007 p 113ndash129

47 Platon Timeacutee 401ndash402 Lois VII 821bndashc Voir agrave ce sujet p ex Hans Herter laquo Gott und die Welt bei Platon raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 158 1958 p 106-117 GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 399ndash402 et 445ndash448

48 En ce qui concerne lrsquoart divi na toire sou li gnons ici encore que Platon dans le Lachegraves laisse Socrate affi r mer que chaque pro fes sion confegravere agrave celui qui lrsquoexerce cor rec te ment une auto riteacute de speacute cia liste dans son domaine Ceci le conduit agrave demander agrave son inter lo cuteur un mili taire srsquoil est donc deacutecideacute en cas de guerre agrave faire plu tocirct confi ance agrave ses propres avis stra teacute giques qursquoaux conseils des devins que lrsquoon ne sau rait dif fi ci le ment regar der comme des auto ri teacutes compeacute tentes en matiegravere miliaire ce agrave quoi le stra tegravege atheacute nien acquiesce (Platon Lachegraves 199a) Si lrsquoon pense que ce stra tegravege nrsquoest autre que Nicias le poli ti cien atheacute nien qui notam -ment parce qursquoil avait accordeacute foi agrave des devins et des oracles dans ses deacuteci sions mili taires connaicirct en 413 une fi n tra gique en Sicile (ougrave il avait assieacutegeacute en vain la ville de Syracuse et ougrave il fut fait pri son nier par les habi tants qui le condam negraverent agrave mort) lrsquoendroit ne manque pas de piment et laisse per ce voir lrsquoiro nie de Platon qui

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La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

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Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

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la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

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pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

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de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

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pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 577

nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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dieux par les sacri fi ces et les priegraveres (Platon Poli tique 290c-d) ayant annexeacute en ceci les attri bu tions des anciens rois42 Ce juge ment en somme posi tif pour rait ecirctre impu table au fait que Platon voyait beau coup de res sem blances entre le devin et le phi lo sophe43 Neacutean -moins il ne place les devins et precirctres qursquoau cin quiegraveme rang des formes de vie du Phegravedre (Platon Phegravedre 248d) et insiste sur le fait qursquoil ne veut par ler que des devins laquo seacuterieux raquo (τοὺς δὲ ὡςἀληθῶς μάντεις) qursquoil met en contraste avec les beaux- parleurs (τοὺς μὲν ἀλαζόνας) qui man que raient de σωφροσύνη (Platon Charmide 173c) Nous trou vons un exemple de ces devins laquo non seacuterieux raquo dans la Reacutepu blique Platon y deacutecrit par la bouche drsquoAdeacutemante que les char la tans et les devins (ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις) pro mettent aux riches de rache ter contre paye ment leurs fautes morales par des sacri fi ces et des for mules magiques et assurent mecircme pou voir infl u en cer les dieux par des incan ta tions magiques44 agrave faire du tort aux autres humains bons ou mau vais (Platon Reacutepu blique II 364b-365a) En ceci ils srsquoappuyeraient sur Hom egravere qui qua li fi ait deacutejagrave les dieux drsquoinfl u en ccedilables par des pro messes et des offrandes (Hom -egravere Iliade IX 497-501) et sur les eacutecrits mys tiques de Museacutee et drsquoOrpheacutee45 Ceux- ci auraient ensei gneacute que des hommes et mecircme

42 Platon prouve ce rai son ne ment en nom mant lrsquoArchon Basileacuteios drsquoAthegravenes res pon sable des offrandes les plus archaiumlques et veacuteneacute rables et cite aussi lrsquoini tiation obli ga toire des pha raons drsquoEacutegypte agrave lrsquoart des precirctres (Platon Poli tique 290e)

43 Cf Richard Bodeacuteuumls laquo ldquoJe suis devinrdquo (Phegravedre 242c) Remarques sur la phi lo sophie selon Platon raquo dans Kernos 3 1990 p 45-52 p 49 laquo La contem pla -tion phi lo sophique en effet nrsquoest pas sans ana logie avec la vision divi na toire [hellip] De mecircme que le devin voit sans lrsquointel li gence des signi fi ants le phi lo sophe voit par lrsquointel li gence des signi fi eacutes Crsquoest un vision naire dans lrsquoordre de lrsquointel li -gible raquo

44 Voir aussi Carlo A Viano laquo Retorica magia e natura in Platone raquo dans Rivista di Filosofi a 56 1965 p 411-453 qui sou ligne que Platon dans le livre X des Lois et dans le Phegravedre met la magie et la rheacute to rique sur le mecircme plan puis qursquoelles exercent toutes les deux une action psy cho lo gique sur lrsquoacircme et que lrsquohomme lui- mecircme est sujet agrave la rheacute to rique et agrave la magie en tant que par tie de la nature

45 Au sujet de la rela tion de Platon aux orphiques cf Paul Boyanceacute Le Culte des Muses chez les phi lo sophes grecs Paris 1937 p 21ndash24 le mecircme laquo Platon et les Cathartes orphiques raquo dans Revue des eacutetudes grecques 55 1942 p 217-235 Philippe Borgeaud (eacuted) Orphisme et Orpheacutee en lrsquohon neur de Jean Rudhardt Genegraveve 1991 Leacuteonid Zhmud laquo Orphism and grafi tti from Olbia raquo dans Hermes 120 1992 p 159-168 (confi r mant Platon Cratylos 400c) Alberto Bernabeacute laquo Una etimologiacutea platoacutenica soma- sema raquo dans Philologus 139 1995 p 204-237 Giovanni Casadio laquo El mito del laquo Poliacutetico raquo (268 D-274 E) y la his to ria de las religiones raquo dans Emerita 64 1996 p 65-77 Les frag ments orphiques conser veacutes

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des citeacutes entiegraveres pou vaient rache ter leurs fautes preacute sentes et pas seacutees par des sacri fi ces et des jeux (διὰ θνσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν)46 Mecircme si Platon consi degravere geacuteneacute ra le ment les astres comme des divi ni -teacutes47 il explique dans le Timeacutee que les pheacute no megravenes astro no miques ne doivent pas ecirctre pris pour des preacute sages mais srsquoexpliquent par des rai sons pure ment matheacutema tiques (Platon Timeacutee 40c-d) ce qui peut ecirctre inter preacuteteacute comme une cri tique de la man tique astro lo gique Dans les Lois il deacutecrit que beau coup de magi ciens et de devins seraient mecircme en reacutea liteacute des a theacuteistes sou cieux de pro fi ter de la creacute du liteacute de leurs conci toyens (Platon Lois X 908d)48

chez Platon peuvent ecirctre consul teacutes main te nant dans Alberto Bernabeacute Poetae epici Graeci Testimonia et frag menta Pars II Fasc 1-2 Orphicorum et Orphicis similium frag menta MuumlnchenLeipzig 2004-2005

46 Un preacute jugeacute pla to ni cien qui reacutefl egravete le peu drsquoestime qursquoavaient les intel lec -tuels contem po rains pour la char la ta ne rie issue des speacute cu la tions gran dioses de lrsquoorphisme (pour tant extrecirc me ment popu laires agrave lrsquoeacutepoque cf Martin P Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion t1 Bis zur Weltherrschaft Muumlnchen 1941 p 684 et 800) et qui semble sur tout issue du pytha go risme (Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore de Gregravece en Palestine Paris 1927 p 81ndash82) Pour lrsquoinfl u ence de Pythagore sur Platon compa rer aussi Erich Frank Plato und die so genannten Pythagoreer Halle 1923 Pierre Boyanceacute laquo Lrsquoinfl u ence pytha go ri -cienne sur Platon raquo dans Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia Naples 1966 p 73-113 Bartel Leendert Van Der Waerden laquo Platon et les sciences exactes des Pytha go ri ciens raquo dans Bul le tin de la Socieacuteteacute Matheacutema tique de Belgique 21 1969 p 120-122 Maria Tortorelli Ghidini et al (eacuted) Tra Orfeo e Pitagora origini e incontri di culture nellrsquoantichitagrave atti dei seminari napoletani 1996-1998 Naples 2000 Leacuteonid Zhmud laquo Uumlberlegungen zur pythagoreischen Frage raquo dans Georg Rechenauer (eacuted) Fruumlhgriechisches Denken Goumlttingen 2005 p 135-151 David En gels laquo Geometrie und Phi lo sophie Zur Visualisierung metaphysischer Konzepte durch raumlumliche Darstellungen in der pythagoreischen Phi lo sophie raquo dans D GroszligS Westermann (eacuted) Vom Bild zur Erkenntnis Visualisierungskonzepte in den Wissenschaften Kassel 2007 p 113ndash129

47 Platon Timeacutee 401ndash402 Lois VII 821bndashc Voir agrave ce sujet p ex Hans Herter laquo Gott und die Welt bei Platon raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 158 1958 p 106-117 GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 399ndash402 et 445ndash448

48 En ce qui concerne lrsquoart divi na toire sou li gnons ici encore que Platon dans le Lachegraves laisse Socrate affi r mer que chaque pro fes sion confegravere agrave celui qui lrsquoexerce cor rec te ment une auto riteacute de speacute cia liste dans son domaine Ceci le conduit agrave demander agrave son inter lo cuteur un mili taire srsquoil est donc deacutecideacute en cas de guerre agrave faire plu tocirct confi ance agrave ses propres avis stra teacute giques qursquoaux conseils des devins que lrsquoon ne sau rait dif fi ci le ment regar der comme des auto ri teacutes compeacute tentes en matiegravere miliaire ce agrave quoi le stra tegravege atheacute nien acquiesce (Platon Lachegraves 199a) Si lrsquoon pense que ce stra tegravege nrsquoest autre que Nicias le poli ti cien atheacute nien qui notam -ment parce qursquoil avait accordeacute foi agrave des devins et des oracles dans ses deacuteci sions mili taires connaicirct en 413 une fi n tra gique en Sicile (ougrave il avait assieacutegeacute en vain la ville de Syracuse et ougrave il fut fait pri son nier par les habi tants qui le condam negraverent agrave mort) lrsquoendroit ne manque pas de piment et laisse per ce voir lrsquoiro nie de Platon qui

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La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

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Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

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la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

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pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

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de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

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pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

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nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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des citeacutes entiegraveres pou vaient rache ter leurs fautes preacute sentes et pas seacutees par des sacri fi ces et des jeux (διὰ θνσιῶν καὶ παιδιᾶς ἡδονῶν)46 Mecircme si Platon consi degravere geacuteneacute ra le ment les astres comme des divi ni -teacutes47 il explique dans le Timeacutee que les pheacute no megravenes astro no miques ne doivent pas ecirctre pris pour des preacute sages mais srsquoexpliquent par des rai sons pure ment matheacutema tiques (Platon Timeacutee 40c-d) ce qui peut ecirctre inter preacuteteacute comme une cri tique de la man tique astro lo gique Dans les Lois il deacutecrit que beau coup de magi ciens et de devins seraient mecircme en reacutea liteacute des a theacuteistes sou cieux de pro fi ter de la creacute du liteacute de leurs conci toyens (Platon Lois X 908d)48

chez Platon peuvent ecirctre consul teacutes main te nant dans Alberto Bernabeacute Poetae epici Graeci Testimonia et frag menta Pars II Fasc 1-2 Orphicorum et Orphicis similium frag menta MuumlnchenLeipzig 2004-2005

46 Un preacute jugeacute pla to ni cien qui reacutefl egravete le peu drsquoestime qursquoavaient les intel lec -tuels contem po rains pour la char la ta ne rie issue des speacute cu la tions gran dioses de lrsquoorphisme (pour tant extrecirc me ment popu laires agrave lrsquoeacutepoque cf Martin P Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion t1 Bis zur Weltherrschaft Muumlnchen 1941 p 684 et 800) et qui semble sur tout issue du pytha go risme (Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore de Gregravece en Palestine Paris 1927 p 81ndash82) Pour lrsquoinfl u ence de Pythagore sur Platon compa rer aussi Erich Frank Plato und die so genannten Pythagoreer Halle 1923 Pierre Boyanceacute laquo Lrsquoinfl u ence pytha go ri -cienne sur Platon raquo dans Atti del quinto Convegno di Studi sulla Magna Grecia Naples 1966 p 73-113 Bartel Leendert Van Der Waerden laquo Platon et les sciences exactes des Pytha go ri ciens raquo dans Bul le tin de la Socieacuteteacute Matheacutema tique de Belgique 21 1969 p 120-122 Maria Tortorelli Ghidini et al (eacuted) Tra Orfeo e Pitagora origini e incontri di culture nellrsquoantichitagrave atti dei seminari napoletani 1996-1998 Naples 2000 Leacuteonid Zhmud laquo Uumlberlegungen zur pythagoreischen Frage raquo dans Georg Rechenauer (eacuted) Fruumlhgriechisches Denken Goumlttingen 2005 p 135-151 David En gels laquo Geometrie und Phi lo sophie Zur Visualisierung metaphysischer Konzepte durch raumlumliche Darstellungen in der pythagoreischen Phi lo sophie raquo dans D GroszligS Westermann (eacuted) Vom Bild zur Erkenntnis Visualisierungskonzepte in den Wissenschaften Kassel 2007 p 113ndash129

47 Platon Timeacutee 401ndash402 Lois VII 821bndashc Voir agrave ce sujet p ex Hans Herter laquo Gott und die Welt bei Platon raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 158 1958 p 106-117 GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 399ndash402 et 445ndash448

48 En ce qui concerne lrsquoart divi na toire sou li gnons ici encore que Platon dans le Lachegraves laisse Socrate affi r mer que chaque pro fes sion confegravere agrave celui qui lrsquoexerce cor rec te ment une auto riteacute de speacute cia liste dans son domaine Ceci le conduit agrave demander agrave son inter lo cuteur un mili taire srsquoil est donc deacutecideacute en cas de guerre agrave faire plu tocirct confi ance agrave ses propres avis stra teacute giques qursquoaux conseils des devins que lrsquoon ne sau rait dif fi ci le ment regar der comme des auto ri teacutes compeacute tentes en matiegravere miliaire ce agrave quoi le stra tegravege atheacute nien acquiesce (Platon Lachegraves 199a) Si lrsquoon pense que ce stra tegravege nrsquoest autre que Nicias le poli ti cien atheacute nien qui notam -ment parce qursquoil avait accordeacute foi agrave des devins et des oracles dans ses deacuteci sions mili taires connaicirct en 413 une fi n tra gique en Sicile (ougrave il avait assieacutegeacute en vain la ville de Syracuse et ougrave il fut fait pri son nier par les habi tants qui le condam negraverent agrave mort) lrsquoendroit ne manque pas de piment et laisse per ce voir lrsquoiro nie de Platon qui

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La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

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Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

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la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

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pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 573

de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

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pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

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nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

580 DAVID ENGELS

dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 581

ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

564 DAVID ENGELS

La Reacutepu blique

Consacrons- nous main te nant agrave la leacutegis la tion reli gieuse telle que nous la trou vons dans la Reacutepu blique49 dont la reacutefeacute rence cultuelle de la mise en scegravene du dia logue par la men tion de la divi niteacute thrace

drsquoailleurs nrsquoeacutetait pas le seul agrave se moquer de la creacute du liteacute reli gieuse exces sive de Nikias cf Thucydide V 14ndash18 VII 86 Plutarque Nicias 9 et 28 Aristophane Che va liers (le per son nage du pre mier esclave)

49 Nous pas se rons sur lrsquoana lyse du mythe de lrsquoAtlantide (que nous trou vons dans le Timeacutee et le Critias) sur lequel existe comme on le sait un veacuteri table foi -son ne ment de recherches plus ou moins seacuterieuses (cf main te nant Pierre Vidal- Naquet LrsquoAtlantide Paris 2005 Pour une compa rai son des sources cf Barbara Pischel Die Atlantische Lehre Uumlbersetzung und Interpretation der Platon- Texte a us Timaios und Kritias Francfort 1982 un commen taire deacutetailleacute se trouve dans Jean- Francois Pradeau Le monde de la poli tique La phi lo sophie poli tique du reacutecit atlante de Platon Timeacutee ( 17-27) et Critias Paris 1997) Le mythe de lrsquoAtlantide ren ferme de nom breux eacuteleacute ments reli gieux le cadre geacuteneacute ral des dia -logues est deacutefi ni par les Pana theacute neacutees (Platon Timeacutee 26e) la tra di tion de lrsquohis -toire est mise en rela tion avec les Apatouries aux quelles preacute si daient Atheacutena et Zeus (Platon Timeacutee 21b sur le rap port de Platon agrave Atheacutena et Heacutephaistos cf C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]) et le mythe (Platon Timeacutee 22a) est censeacute avoir eacuteteacute recueilli en Eacutegypte dans la citeacute de Saiumls deacutedieacute agrave Atheacutena- Neith (cf Platon Critias 109b-c 112b 113b-e cf Julia Kerschensteiner Platon und der Orient Stuttgart 1945 Eric Voegelin laquo Platorsquos Egyptian Myth raquo dans Jour nal of Politics 9 1947 p 307-324 Whitney M Davies laquo Plato on Egyptian Art raquo dans Jour nal of Egyptian Archeology 65 1979 p 121-127 James McEvoy laquo Platon et la sagesse de lrsquoEacutegypte raquo dans Kernos 6 1993 p 245-275 Aikaterini Lefka laquo Pour quoi des dieux eacutegyp tiens chez Platon raquo dans Kernos 7 1994 p 159-168) Mais lrsquointeacute recirct reli gieux prin ci pal du mythe de lrsquoAtlantide reacuteside avant tout dans le concept drsquoarchi tec ture reli gieuse de Platon Ce der nier deacutepeint en deacutetail les eacuteta blis -se ments cultuels de la capi tale de lrsquoAtlantide (Platon Critias 115c 116c-117c cf pour une reconstruc tion preacute cise P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 327-333 et tabl IX qui neacuteglige mal heu reu se ment tout agrave fait les pro blegravemes poseacutes par lrsquoimpreacute -ci sion de la des crip tion de lrsquoarchi tec ture cultuelle par Platon) Ce sont sur tout les reacuteunions et rituels des dif feacute rents rois de lrsquoAtlantide et le sanc tuaire de Poseacuteidon qui doivent sur tout rete nir lrsquoatten tion du lec teur cf Hans Herter laquo Platons Atlantis raquo dans Bonner Jahrbuumlcher 133 1928 p 28-47 et le mecircme laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo dans Rheinisches Museum 109 1966 p 236-259 qui sou ligne le barba risme de ce rituel qui deacutemontre bien que si justes que soient les sou ve rains de lrsquoAtlantide il leur manque le fon de ment eacutethique et moral Agrave compa rer aussi avec les conseils noc turnes dans les Lois cf Glenn R Morrow laquo The Nocturnal Council in Platorsquos Laws raquo dans Ancient Greek Philosophy 42 1960 p 229-246 Bruno Cancamp laquo Col line drsquoAregraves et conseil noc turne un rap pro che ment entre les Lois de Platon et les Eumeacutenides drsquoEschyle raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 71 (1) 1993 p 80-84 Si les rites ren voient peut- ecirctre agrave des sou ve nirs de cultes minoeacuteens (Wilhelm Brandenstein Atlantis Wien 1951 p 90ndash93) la des crip tion deacutetailleacutee du temple de Poseacuteidon ndash la seule des crip tion drsquoun temple dans lrsquoœuvre de Platon ndash ren ferme sur tout des traits speacute ci fi que ment perses (Hans Herter laquo Das Koumlnigsritual der Atlantis raquo p 237)

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Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

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la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 569

eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

570 DAVID ENGELS

seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 571

pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

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de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

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pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 577

nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 579

leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 581

ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 565

Bendis a deacutejagrave eacuteteacute sou li gneacutee (Platon Reacutepu blique I 327a et 328a) Hor mis quelques deacutetails deacutemon trant bien qursquoil pro je tait de suivre eacutetroi te ment les cou tumes tra di tion nelles50 Platon ne donne presque pas de speacute ci fi ca tions sur le rituel mais pro pose que ces lois soient deacutecideacutees par lrsquoApol lon pythique51 Cette reacutefeacute rence ne doit pas nous eacuteton ner Apol lon pythique eacutetant connu dans tout le monde grec non seule ment comme ins pi ra teur de leacutegis la teurs mythiques tels que Lycourgue (Heacuterodote I 65) mais aussi de beau coup drsquoautres villes et colo nies grecques agrave lrsquoeacutepoque his to rique (drsquoougrave son sur nom ἀρχηγέτης κτίστης ou οἰκίστης)52 Ce contraste entre la pro lixiteacute au sujet de lrsquoorga ni sa tion pra tique de lrsquoEacutetat et le peu drsquoindi ca tions tou chant le domaine reli gieux est reacuteveacute la teur car les quelques commen taires sur la reli gio siteacute des gar diens et des rois- philosophes frocirclent tous le pan theacuteisme phi lo sophique et nrsquoont rien agrave voir avec le culte tra di tion nel mecircme si les diri geants sont eacutega le ment eacutedu queacutes sui vant les croyances popu laires et nrsquoaccegravedent que peu agrave peu agrave la pen seacutee libeacute reacutee de tout preacute jugeacute gracircce au sys tegraveme de for ma tion tregraves complexe qursquoa dresseacute Platon (Platon Reacutepu blique II 376e 377d)53

50 La reli gio siteacute tra di tion nelle inheacute rente agrave lrsquoEacutetat par fait se voit aussi dans quelques autres deacutetails dans la des crip tion de lrsquohomme juste Platon speacute ci fi e qursquoil serait inca pable de vol dans les temples (ἱεροσυλιῶν) ou de neacutegli gence face aux dieux (θεῶν ἀθεραπευσίαι) (Platon Reacutepu blique IV 443a) et il note eacutega le ment que les mariages seront contrac teacutes sous des offrandes et priegraveres (ὑπὸ θυσιῶν [hellip] ὑπὸ εὐχῶν) faites par les precirctres et precirc tresses (ἱέρειαι καὶ ἱερεῖς) (Platon Reacutepu -blique V 461a) Nous y appre nons eacutega le ment (Platon Reacutepu blique X 615andashe cf Lois IX 881a) que les bien faits et les pecirccheacutes commis sur terre seront reacutecom pen seacutes et punis de maniegravere au moins deacutecu pleacutee dans lrsquoau- delagrave

51 Platon englobe ici comme mesures leacutegis la tives celles qui touchent agrave lrsquoeacuterec -tion des temples aux sacri fi ces au culte aux dieux et aux heacuteros agrave lrsquoense ve lisse -ment (Platon Reacutepu blique IV 427b-c) De maniegravere sem blable les rois phi lo sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c) Ceci est peut- ecirctre aussi reacuteveacute la teur face agrave lrsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis des deacutemons (cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 932)

52 Cf pour lrsquoinfl u ence de lrsquooracle de Delphes dans la colo ni sa tion et leacutegis la -tion Arthur S Pease laquo Notes on the Delphic Oracle and Greek Colonization raquo dans Classical Philology 12 1917 p 1-20 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 629-632 et sur tout 637-644 William G Forrest laquo Colo ni sa -tion and the Rise of Delphi raquo dans His to ria 6 1957 p 160-175 LA Palrsquoceva laquo Delphes et la colo ni sa tion His toire de la ques tion raquo dans Egrave D Frolov (eacuted) La socieacuteteacute antique et lrsquoEacutetat Leningrad 1991 p 29-41

53 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 87 laquo Fuumlr den Stand der Waumlchter ist Reli gion gereinigte Uumlberlieferung fuumlr den der Philosophen ist Reli gion die Schau

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 567

la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

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pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

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de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

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pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

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nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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Remar quons aussi que le but du culte de la majo riteacute de la popu la tion est neacutean moins de suivre les formes de veacuteneacute ra tion tra di tion nelles bien que for te ment eacutepu reacutees sous un aspect eacutethique54 et de faire en sorte que les dieux soient aima ble ment dis po seacutes55 une atti tude qui contraste deacutejagrave remar qua ble ment avec le rejet de ce genre de deacutefi ni -tion de la pieacuteteacute par Socrate dans lrsquoEuthyphron ndash et il nrsquoest peut- ecirctre pas trop hasar deux de voir deacutejagrave ici un indice rela tif au chan ge ment drsquoatti tude de Platon vis- agrave-vis de la reli gio siteacute tra di tion nelle qui culmi nera dans le conser va tisme des Lois

En ce qui concerne main te nant la fameuse cri tique que Platon fait des mythes drsquoHom egravere il est inteacute res sant drsquoexa mi ner comment Platon vou lait uti li ser quelques- uns de ces mythes qui devaient ecirctre cen su reacutes Platon fait dire agrave Socrate que les mythes de la cas tra -tion drsquoOuranos et de Kronos ne doivent ecirctre ren dus publiques vu leur mora liteacute neacutefaste Neacutean moins il pro pose de les eacutele ver au rang de mys tegraveres ini tiatiques et de les expli quer seule ment agrave ceux qui font preuve de leur inteacute recirct pro fond par le sacri fi ce drsquoun ani mal tregraves grand ou tregraves inha bi tuel afi n de devoir ini tier seule ment un mini -mum de per sonnes agrave ces mythes56 Mais bien que nous per ce vions ici une cer taine appreacute cia tion du sym bo lisme phi lo sophique mecircme des mythes appa rem ment les plus immo raux nous voyons en mecircme temps la maniegravere dont Platon dif feacute ren cie la reli gion des citoyens diri geacutee et mani pu leacutee par les gar diens de la ratio na liteacute du phi lo -sophe lui- mecircme qui peut se per mettre de juger de lrsquooppor tu niteacute de

der houmlchsten Vollkommenheit selbst Da wir nun im mer wieder die Einzelseele [hellip] parallel mit dem groszligen Bau des Staates sehen sollen [hellip] so ist in ihr auch die uumlberlieferte Reli gion nicht ausgeloumlscht sondern in der houmlchsten Erkenntnis des Einen- Vollkommenen und der sie begleitenden Ehrfurcht aufgehoben raquo

54 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 93355 Platon Reacutepu blique IV 427b-c De maniegravere sem blable les rois phi lo -

sophes deacuteceacutedeacutes qui ont droit agrave des monu ments et des offrandes (μνημεῖα [hellip] καὶ θυσίας) de la part de lrsquoEacutetat ne peuvent ecirctre veacuteneacute reacutes comme bons deacutemons que si la Pythie donne son accord sinon on ne les consi deacute rera que comme des humains divins ou beacutea ti fi eacutes ὡς δαίμοσιν εἰ δὲ μή ὡς εὐδαίμοσί τε καὶ θείοις (Platon Reacutepu blique VII 539b-c)

56 Platon Reacutepu blique II 377e-378a Ceci consti tue agrave mon avis une preuve que Platon ne pen sait pas agrave sup pri mer complegrave te ment tous les mythes pour tant consi deacute reacutes comme dan ge reux agrave la for ma tion de lrsquoeacutethique col lec tive de lrsquoEacutetat mais agrave les confi er agrave des cultes ini tiatiques qui assu re raient agrave la fois leur peacuteren niteacute et leur igno rance de la part du grand public Et Platon nrsquoinventa- t-il pas lui- mecircme des mythes pour mieux mettre des mots sur ses ins pi ra tions phi lo sophiques lagrave ou le lan gage ration nel ne reacuteus sis sait plus agrave mettre des mots sur les ideacutees

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la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

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pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

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de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 575

pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 577

nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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la cir cu la tion de ces his toires reli gieuses preuve de la dis tance entre la reacutea liteacute ration nelle des convic tions phi lo sophiques et les veacuteri teacutes pure ment sym bo liques et tout au plus ini tiatiques des croyances popu laires Nous pou vons donc conclure avec Dimitri Mitta laquo [hellip] that Plato allowed the poet and myth- maker to enter his Re public provided they both used their craft to serve a specifi c ideology [hellip] We can similarly assume that he would allow enlightened priests and mystics to enter his Re public provided they would use their religious qua li fi ca tions as a means of ini tiation into the philosophy of ideas raquo57

Les Lois

Crsquoest sur tout dans les Lois tes tament poli tique du vieux Platon que le phi lo sophe deacutes illusionneacute srsquoest consa creacute agrave la leacutegis la tion reli -gieuse et donc agrave une reacute appreacute cia tion des cultes tra di tion nels mais sous un angle qui nrsquoest plus celui de la ratio na li sation et trans cen -dance des cou tumes ances trales mais bien celui du conser va tisme radi cal Bien que nous trou vions encore quelques remarques eacuteparses sur les deacutefauts moraux de cer tains mythes (p ex Platon Lois I 636c-e) lrsquoeacutepu ra tion phi lo sophique de la reli gion est reacuteduite au strict mini mum58 et il nrsquoy a rien de compa rable avec les remarques de la Reacutepu blique concer nant Hom egravere dont lrsquoappreacute cia tion est extrecirc me -ment adou cie59 LrsquoEacutetat des Lois se fait gar dien jaloux des tra di tions et ennemi de toute reacuteforme60 et le pas sage le plus reacuteveacute la teur des Lois consiste en la remarque que fait lrsquoAtheacute nien le pro ta go niste prin ci pal en deacutecri vant les humains comme de simples marion nettes pas sant leur vie en jeux agreacuteables mais futiles et ayant peu drsquoaccegraves

57 Dmitri Mitta laquo Reading Platonic Myths from a Ritualistic Point of View Gygesrsquo Ring and the Cave Allegory raquo dans Kernos 16 2003 p 133-141 p 141

58 Platon Lois VII 804andashb IX 870dndashe et 872dndash873c XI 903endashf Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 955

59 Platon Lois II 658d Cette appreacute cia tion drsquoHom egravere contraste avec lrsquoatti tude face agrave la tra geacute die grecque qui est glo ba le ment condam neacutee pour son indi vi dua lisme trop mar queacute (Platon Lois VII 817b) Cf Victor Goldschmidt laquo Le Pro blegraveme de la Tra geacute die drsquoapregraves Platon raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 61 1948 p 19-63

60 MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 laquo Der Gedanke an eine religioumlse Reform lag ihm voumlllig fern er steht durchaus auf dem Boden der alten Uumlberlieferungen raquo

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aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

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pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

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de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

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pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

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nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 581

ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

568 DAVID ENGELS

aux veacuteri teacutes pro fondes61 Mais lorsque lrsquoun de ses inter lo cuteurs se reacutevolte contre cette deacutepreacute cia tion de lrsquohomme lrsquoAtheacute nien concegravede de maniegravere presque deacutes illusion neacutee que son rap port avec la gran deur divine lui a cer tai ne ment trop deacutemon treacute le peu drsquoimpor tance qursquoa lrsquohumain face agrave la divi niteacute (Platon Lois 804b-c) ndash une expeacute rience qui ne peut ecirctre inter preacute teacutee que comme reacutefeacute rence auto bio gra phique au deacutesen chan te ment de Platon face au contraste entre son eacutechec en Sicile drsquoun cocircteacute et ses suc cegraves speacute cu la tifs et theacuteo lo giques de lrsquoautre Cette reli gio siteacute nrsquoest donc pas de faccedilade et uni que ment au ser vice des pro pos poli tiques mais sin cegravere et pro fonde62

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave men tionneacute le pre mier mot des Lois est laquo Dieu raquo et leur cadre est deacutefi ni par la reacutefeacute rence agrave un culte dans ce cas- ci le pegravele ri nage vers la grotte sacreacutee de Zeus sur lrsquoicircle de Cregravete (Platon Lois I 625a-b) LrsquoAtheacute nien y dresse avec lrsquoaide de ses inter lo cuteurs Clinias et Meacute gille de nom breuses lois reli gieuses des ti neacutees agrave la colo nie pan hel leacute nique fi c tive de Magneacute sie Deacutejagrave la pre miegravere de ces lois deacutemontre par fai te ment lrsquoesprit reli gieux du vieux Platon et son adheacute sion aux formes reli gieuses tra di tion -nelles Car en nette oppo si tion avec la phrase homo men sura de Protagoras63 il dit laquo Dieu est la vraie mesure de toute chose il lrsquoest beau coup plus qursquoun homme quel qursquoil soit raquo64 (ce qui laisse sup po ser que Platon aurait rem placeacute lrsquoideacutee du Bien et du Bon par la divi niteacute et ainsi eacutechangeacute la recherche intel lec tuelle par lrsquoapproche theacuteo lo gique65) Crsquoest pour cette rai son qursquoil faut selon Platon se rendre sem blable agrave Dieu par la vertu et la jus tice pour ecirctre aimeacute de lui car il ne peut y avoir de proxi miteacute qursquoentre des creacutea tures se res -sem blant Et crsquoest de cette maxime qursquoil qua li fi e de laquo la plus belle et la plus vraie de toutes raquo qursquoil deacuteduit la neacuteces siteacute pour lrsquohomme qui se veut juste de sacri fi er aussi aux dieux et de commu ni quer avec

61 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 550 a inter -preacuteteacute cette phrase comme laquo Sprache bitterster Entsagung raquo

62 Winfried Knoch Die Strafbestimmungen in Platons Nomoi Wiesbaden 1960 p 34

63 Cf Culbert G Rutenber The Doc trine of the Imi ta tion of God in Plato Pennsylvania 1946 W Verdenius laquo Platons Gottesbegriff raquo [n 1] p 273 Paul Van Litsenburg God en het Goddelijke in de Dialogen van Plato Nijmwegen 1955 p 199 K Schneider Die schweigenden Goumltter [n 1] p 23ndash37

64 Platon Lois IV 716c Ὁ δὴ θεὸς ἡμῖν πάντων χρημάτων μέτρον ἂν εἴη μάλιστα καὶ πολὺ μᾶλλον ἤ πού τις ὥς φασιν ἄνθρωπος

65 Hans M Wolff Plato Der Kampf ums Sein Bern 1957 p 303ndash304

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eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 571

pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

572 DAVID ENGELS

comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 573

de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

574 DAVID ENGELS

ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 575

pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 577

nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 569

eux par des priegraveres des offrandes et un culte assidu pour avoir une vie heu reuse La pieacuteteacute est donc une vertu neacuteces saire pour le bien de tout lrsquoEacutetat66 Tout comme lrsquohomme la citeacute entiegravere sui vra eacutega le -ment ces preacute ceptes en veacuteneacute rant les habi tants de lrsquoOlympe les dieux de la citeacute les divi ni teacutes sou ter raines et les deacutemons (Platon Lois IV 716c-717b) Rien ne per met mieux de comprendre le chan ge ment fon da men tal des vues reli gieuses de Platon concer nant le culte tra -di tion nel face aux posi tions de ses eacutecrits de jeu nesse que le pas sage ougrave il explique ndash en citant mecircme Hom egravere (Odys seacutee III 26-28) ndash que le but du culte est de srsquoassu rer lrsquoaide des dieux et la deacutefaite de ses enne mis (Platon Lois VII 803e) ndash la mecircme deacutefi ni tion qursquoavait jadis eacutenon ceacutee Euthyphron et qursquoavait reacutefu teacutee Socrate (Platon Euthyphron 5e)67 Quel contraste avec la reli gio siteacute abs traite et la pieacuteteacute ration nelle des diri geants de la Reacutepu blique atteintes seule -ment par lrsquoeacutedu ca tion scien ti fi que et la speacute cu la tion phi lo sophique Les habi tants de Magneacute sie par contre autant que leurs gar diens sous eacutetroite sur veillance intel lec tuelle de la part drsquoinnom brables ins -ti tutions censurantes nrsquoont jamais pu suivre une eacutedu ca tion intel lec -tuelle pous seacutee et doivent se contenter du culte tra di tion nel puisque mecircme lrsquoeacutedu ca tion phi lo sophique des diri geants est rem pla ceacutee par les matheacutema tiques dont lrsquoimpor tance dans les Lois teacutemoigne du pytha go risme crois sant du phi lo sophe acircgeacute68

Nous ne vou lons pas nous attar der agrave deacutecrire en deacutetail la theacuteo logie de Platon telle qursquoelle res sort du livre X des Lois69 mais reacutesu mer

66 Cf Klaus Doumlring laquo Antike Theorien uumlber die staatspolitische Notwen-digkeit der Goumltterfurcht raquo dans Antike amp Abendland 24 1978 p 43-56

67 Il faut neacutean moins sou li gner que la reli gio siteacute des Lois ne srsquoapplique qursquoaux hommes bons et que la mora liteacute est la conditio sine qua non de la vraie pieacuteteacute car la volonteacute drsquoecirctre simi laire aux dieux exclut du culte ceux qui nrsquoy par ti cipent pas de toute leur acircme GR Morrow Platorsquos Cretan City [n 40] p 400 en a conclu cor -rec te ment qursquoil ne srsquoagit donc pas drsquoun eacutechange de ser vices sui vant la maxime du do ut des mais drsquoun moyen drsquoauto- assimilation agrave divi niteacute veacuteneacute reacutee par lrsquoimi ta tion des qua li teacutes qui la carac teacute risent ce pour quoi la faveur divine ne concerne pas des exteacute rioriteacutes mateacute rielles mais plu tocirct un sup port moral

68 Cf E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 953ndash954 qui sou -ligne le rem pla ce ment de la vertu des rois- philosophes par la per fec tion impla cable des lois et des fon da tions phi lo sophiques de la citeacute de la Reacutepu blique par la reli gio -siteacute de celle des Lois Voir aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 551 laquo Die neuen Magneten haben denken nicht gelernt raquo

69 Platon Lois X 884a-910d Voir aussi Lois XII 966c-968b Cf Mar -tial Gueacuteroult laquo Le Xe livre des Lois et la der niegravere forme de la phy sique pla to ni -cienne raquo dans Revue des Eacutetudes Grecques 37 1924 p 27-78 Andreacute Bremond laquo La reli gion de Platon drsquoapregraves le Xe livre des Lois raquo dans Recherches de Sciences

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 571

pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

572 DAVID ENGELS

comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

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de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

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pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 577

nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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seule ment quelques eacuteleacute ments essen tiels de lrsquoargu men ta tion Platon y est avant tout occupeacute agrave fi xer les chacirc ti ments des crimes reli gieux et mecircme des convic tions non conformes agrave lrsquoeacutetat drsquoesprit de Magneacute -sie la theacuteo logie lui sert donc agrave jus ti fi er ses puni tions pro fanes et sacrales dra co niennes70 plu tocirct qursquoagrave fon der une nou velle eacutethique baseacutee sur la connais sance des dieux En effet Platon fonde la leacutegis -la tion de la nou velle colo nie sur des bases theacuteo lo giques per sonne qui croit aux dieux nrsquoest capable de faire du mal de faccedilon deacuteli beacute reacutee Le crime vient soit de lrsquoigno rance ndash drsquoougrave lrsquoimpor tance de lrsquoeacutedu ca -tion ndash soit pire de lrsquoimpieacuteteacute un crime est donc soit une preuve de mau vaise eacutedu ca tion soit le fruit de lrsquoimpieacuteteacute Platon dif feacute ren cie degraves lors trois eacutetats pos sibles dans les quels se trouve celui qui commet une action impie71 soit il est a theacuteiste soit il croit que les dieux ne srsquooccupent pas des humains soit encore il est per suadeacute que les dieux peuvent ecirctre ache teacutes par des sacri fi ces ou des priegraveres Il deacutemontre drsquoabord que la doc trine des a theacuteistes selon les quels chaque mou ve -ment naicirct drsquoune cause mateacute rielle nrsquoarrive pas agrave expli quer le pre mier mou ve ment72 Celui- ci serait neacute de lrsquoacti viteacute cineacute tique inheacute rente agrave lrsquoacircme en tant que par tie drsquoun ecirctre divin omni preacute sent lequel serait capable de bou ger sans ecirctre mis en mou ve ment et qui induit que tout est rem pli de dieux comme lrsquoavait eacutenonceacute Thalegraves (DK 11 A 22) et comme le repren dra la deacutemo no logie et la theacuteo logie des Stoiuml -ciens et des Neacuteo plato ni ciens qui pou vaient se fon der sur ce pas -sage73 Les doc trines selon les quelles les dieux ne srsquooccu pe raient

Reli gieuses 22 1932 p 26-128 Wauthier de Mahieu laquo La doc trine des atheacutees au Xe livre des Lois de Platon Essai drsquoana lyse raquo dans Revue Belge de Phi lo logie et drsquoHis toire 41 1963 p 5-24

70 Cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] Par rap port aux puni -tions reli gieuses cf Platon Lois V 742b VII 799b IX 871b IX 873b IX 881d-e (liste et dis cus sion complegravete chez W Knoch Die Strafbestimmungen p 129-133)

71 Cette dif feacute ren cia tion est par fois attri bueacutee agrave lrsquoinfl u ence pytha go ri cienne Isidore Leacutevy La leacutegende de Pythagore [n 46] p 82

72 Cf agrave ce sujet John B Skemp The Theory of Motion in Platorsquos Later Dia -logues Cambridge 1942 Il faut faire remar quer que Platon arrive admi ra ble ment agrave eacutevi ter mecircme dans ce pas sage le nom de Deacutemocrite que lrsquoon cher chera en vain dans tous ses eacutecrits

73 P Friedlaumlnder Platon 3 [n 1] p 406ndash407 a for muleacute un bel hom mage agrave ce retour aux sources du phi lo sophe laquo Am Anfang des naturphilosophischen Forschens hatte der Satz des Thales gestanden sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo Der Weg des Denkens war die Entgoumlttlichung Entseelung Entgeistigung des Alls [hellip] Erst Platons neues Seelenwissen vermag die alte Phy sio logie umzuschmelzen

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pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

572 DAVID ENGELS

comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 573

de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

574 DAVID ENGELS

ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 575

pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 577

nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 579

leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

580 DAVID ENGELS

dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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pas des humains ou seraient cor rup tibles sont ensuite reacutefu teacutees par lrsquoargu ment que lrsquoomni preacute sence et la per fec tion de la divi niteacute lui inter disent de ne pas ecirctre au cou rant de chaque action aussi petite ou insi gni fi ante soit- elle et que au contraire toute action au monde trouve sa source pri maire dans les volon teacutes divines Cha cune des trois impieacute teacutes pos sibles est divi seacutee ensuite en deux sous- groupes sui vant le cas la croyance per son nelle nrsquoinfl u ence pas lrsquohon necirc teteacute inneacutee du sujet ou agrave lrsquoinverse le megravene agrave commettre des meacutefaits74 Les puni tions75 seront fi xeacutees en fonc tion de ces deux eacutetats drsquoesprit les impies hon necirctes empri son neacutes pour au moins cinq ans les mal -hon necirctes condam neacutes agrave vie76 Quelle iro nie nous ne pou vons dou ter que la nou velle citeacute de Platon nrsquoeucirct agi dif feacute rem ment qursquoAthegravenes avec Socrate et lrsquoeucirct condamneacute agrave mort car puisque les fon de ments theacuteo lo giques de lrsquoEacutetat per met taient la toute- puissance des Lois lrsquoaseacutebie ne pou vait ecirctre que le pire des crimes Face agrave lrsquoinac ti viteacute for ceacutee des habi tants exclus du commerce comme du tra vail manuel (repris par des esclaves) sur veilleacutes eacutetroi te ment dans leurs opi nions intel lec tuelles et enfer meacutes dans un carcan col lec tif de la nais sance agrave la mort le culte reli gieux repreacute sente donc avec le domaine mili -taire et le sys tegraveme eacutedu ca tif (beau coup moins eacutevo lueacute que celui de la Reacutepu blique) le seul chan ge ment dans leur vie assez mono tone et devient presqursquoune neacuteces siteacute pour occu per les jour neacutees77

Degraves lors il nrsquoest pas eacuteton nant que le leacutegis la teur fi xe les deacutetails mecircme les plus infi mes du culte drsquoougrave le rocircle beau coup plus preacute cis de lrsquooracle de Delphes78 som mai re ment nommeacute dans la Reacutepu blique

[hellip] Hier in den Gesetzen a ber steht als Symbol dieses Sieges am En de des letzten Kampfes wiederum der Satz des Thales sbquoAlles ist voll von Goumltternrsquo raquo

74 Platon avait deacutejagrave opeacutereacute cette dis tinction dans le Sophistes (267 endashf)75 W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 90-93 Egil A Wyller

laquo Platons Gesetz gegen die Gottesleugner raquo dans Hermes 85 1957 p 292-31476 Et Platon fait encore abs trac tion des puni tions qui attendent le cou pable

dans lrsquoau- delagrave la jus tice divine eacutetant toute- puissante (Platon Lois X 905a-b cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 33ndash34) et agis sant de maniegravere cruelle gracircce agrave la reacutein car na tion (Platon Lois IX 870d-e 872dndash873e)

77 Cf agrave ce sujet aussi U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544

78 Lrsquooracle de Delphes ne deacutecide pas seule ment concregrave te ment de lrsquoins ti tution des prin ci pales fecirctes et cultes (Platon Lois VI 759d-e et Platon Lois VIII 828a) nous appre nons mecircme que si un citoyen perd ses pos ses sions agrave cause de sa culpa -bi liteacute dans un pro cegraves capi tal et nrsquoa pas drsquoheacuteri tier crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes de choi sir son suc ces seur parmi dix gar ccedilons choi sis par tirage au sort dans les familles ayant plus drsquoun fi ls drsquoau moins dix ans (Platon Lois IX 856d-e) De plus crsquoest eacutega -

572 DAVID ENGELS

comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

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de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 575

pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 577

nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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comme lrsquoins tance res pon sable pour lrsquoorga ni sa tion complegravete du culte Le leacutegis la teur deacuteci dera eacutega le ment des condi tions agrave la can di -da ture aux postes de precirctre si ceux- ci ne sont pas deacutejagrave reacutegle men teacutes par des cou tumes anciennes drsquoavant lrsquoarri veacutee des colons79 Puisque crsquoest lrsquooracle de Delphes qui est chargeacute de preacute ci ser les deacutetails cultuels il fau dra tout un corps de precirctres res pon sables de veacuteri fi er lrsquoappli ca tion des conseils du dieu pythique80 Nous appre nons plus loin que ces inter pregravetes sont res pon sables de fi xer les sacri fi ces agrave offrir avant les mariages (Platon Lois VI 774e-775a) les rites agrave accom plir lors de sui cides (Platon Lois IX 873d) la puri fi ca tion des meurtres (Platon Lois IX 865b-d) et drsquoautres crimes (Platon Lois VIII 845e) les priegraveres pour eacutepar gner agrave la citeacute drsquoautres maux sem blables (Platon Lois IX 871c-d) etc De plus on eacutelira des eacuteco -nomes (ταμίας) res pon sables des fi nances et des deacutetails pra tiques

le ment lrsquooracle qui deacutecide du sort du citoyen qui a deacutecou vert un treacute sor ou des biens cacheacutes et nrsquoa pas averti lrsquoEacutetat de sa trou vaille qui doit appar te nir leacutegi ti me ment agrave la commu nauteacute entiegravere (Platon Lois XI 914a)

79 Il ins ti tuera un sys tegraveme mixte sui vant lequel une moi tieacute du corps eccleacute sias -tique sera eacutelue en par tie deacutemo cra ti que ment en par tie par tirage au sort le man dat eacutetant drsquoun an comme en geacuteneacute ral agrave Athegravenes (O Reverdin La Reli gion [n 1] p 61 n 6 et 8) tan dis que lrsquoautre moi tieacute sera heacutereacute di taire afi n que comme le dit Platon deacutemo cra tie et aris to cra tie soient meacutelan geacutees et que toutes les couches de popu la tion soient satis faites du pro ceacutedeacute Les condi tions agrave lrsquoeacuteli gi biliteacute suivent les tra di tions hel -leacute niques typiques Ainsi le futur precirctre doit ecirctre sain de corps et de nais sance leacutegi -time drsquoune ascen dance aussi pure que pos sible ni lui ni ses parents ne doivent ecirctre souilleacutes par un meurtre ou une autre impieacuteteacute et il doit avoir moins de soixante ans les precirctres heacutereacute di taires ne rem plis sant pas ces condi tions deviennent seule ment des sacris tains (Platon Lois VI 759a-d)

80 Nous connais sons aussi ces laquo inter pregravetes raquo (ἐξηγητὰς) drsquoautres citeacutes grecques (MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 632-637) et avant tout drsquoAthegravenes ougrave exis tait un col legravege de trois exeacute gegravetes deacutesi gneacutes agrave vie Lrsquoun eacutetait eacutelu par le peuple un autre deacutesi gneacute par Delphes et le troi siegraveme par un membre de la famille des Eumolpides (F Jacoby Atthis Oxford 1949 p 8ndash9) En ce qui concerne les inter pregravetes chez Platon ils seront choi sis drsquoabord deacutemo cra ti que ment agrave lrsquointeacute rieur des dif feacute rents quar tiers de la citeacute (le pas sage deacutecri vant leur deacutesi gna tion eacutetant assez obs cure Marcel Pieacuterart Platon et la Citeacute grecque Theacuteo rie et reacutea liteacute dans la Consti tution des laquo Lois raquo Bruxelles 1974 p 327-344) avant que lrsquooracle de Delphes lui- mecircme ne fasse son choix parmi les can di dats Les condi tions agrave lrsquoadmis sion sont drsquoailleurs les mecircmes que pour les precirctres mais leur fonc tion sera exer ceacutee agrave vie (Platon Lois VI 759d-e) cer tai ne ment parce que lrsquoeacutetude des nom -breuses doc trines lois et usages demande du temps (L Brisson laquo Du bon usage raquo [n 1] p 246) Cf geacuteneacute ral sur les exeacute gegravetes de Platon MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 635ndash636 Herbert Bloch laquo The Exegetes of Athens A Reply raquo dans Harvard Studies in Classical Philology 62 1947 p 37-49 James H Oliver The Athenian Expounders of the Sacred and Ances tral Law Baltimore 1950 p 53ndash56

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de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

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pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

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nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

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leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

580 DAVID ENGELS

dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 581

ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 573

de pos ses sion des temples qui seront choi sis parmi ceux qui payent le cens le plus eacuteleveacute et assi gneacutes aux dif feacute rents temples de maniegravere agrave ce qursquoil y en ait trois pour les plus grands deux pour les moyens et un pour les plus modestes81 Fina le ment les Magneacute siens devront se ras sem bler une fois chaque anneacutee dans un temple deacutedieacute agrave Apol -lon et Heacutelios pour y eacutelire des εύθύνοι cagraved trois (dans la pre miegravere anneacutee de la citeacute douze) citoyens au- dessus de cin quante et au- dessous de soixante- dix ans qui semblent ecirctre les plus ver tueux et qui seront consi deacute reacutes comme deacutedieacutes au dieu du soleil Ils habi te ront dans lrsquoenceinte sacreacutee du temple dont ils consti tue ront les precirctres et leur grand- precirctre et precirctre eacutepo nyme de la citeacute sera celui qui chaque anneacutee a eacuteteacute eacutelu avec le plus de voix82 Les εὐθύνοι controcirc -le ront les magis trats seront char geacutes de sur veiller la leacutegis la tion et ren dront la jus tice Apregraves leur mort les plaintes seront inter dites et au contraire crsquoest avec des hymnes et des louanges chan teacutes par des chœurs de quinze fi lles et quinze gar ccedilons un grand cor tegravege de sol dats ceacuteli ba taires de jeunes hommes de femmes plus acircgeacutees et de precirctres (agrave qui il est nor ma le ment inter dit drsquoaccom pa gner un cor tegravege funegravebre) un enter re ment somp tueux dans une crypte commune et des fecirctes commeacute mo ra tives annuelles que lrsquoEacutetat les hono rera83 Le rocircle poli tique impor tant des εὐθύνοι en fait pra ti que ment les magis -trats suprecircmes de lrsquoEacutetat84 et mecircme si nous ne pou vons par ler de theacuteo cra tie dans le sens propre du mot le pou voir eacuteta tique srsquoenve -loppe agrave tel point de formes reli gieuses que les pou voirs reli gieux et poli tiques en viennent agrave ne plus for mer qursquoun tout

Platon explique qursquoun leacutegis la teur ne doit rien chan ger aux lois et rituels divins deacutejagrave eacuteta blis sur le ter ri toire avant lrsquoarri veacutee des colons (Platon Lois V 738b-c) et non obs tant la maniegravere dont ceux- ci

81 Leur eacutelec tion et leur exa men se feront comme pour les stra tegraveges (Platon Lois VI 759e-760a) cagraved par eacutelec tion entre des can di dats pro po seacutes par les gar -diens le droit de vote pou vant ecirctre exerceacute par tout homme adulte (Platon Lois VI 755c)

82 Nous connaicirc trons effec ti ve ment ce pheacute no megravene depuis le temps drsquoAlexandre dans maintes villes hel leacute niques ougrave le precirctre de Zeus devien dra precirctre eacutepo nyme

83 Platon Lois XII 945e-947e Cf agrave ce sujet P Boyanceacute Le Culte des Muses [n 45] p 269ndash273 O Reverdin La Reli gion [n 1] p 125ndash129

84 Aikaterini Lefka laquo Au ser vice des dieux et des hommes ecirctre precirctre dans la citeacute de Platon raquo dans Kernos 9 1996 p 129-143 Nous ne pou vons donc ecirctre drsquoaccord avec U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 546ndash547 pour qui toute cette mul ti tude de precirctres nrsquoavait aucun pou voir poli -tique effec tif ou drsquoinfl u ence pro fonde sur le peuple

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ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

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pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 577

nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 579

leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

574 DAVID ENGELS

ont vu le jour comme par exemple par les oracles de Delphes de Dodone drsquoAmmon ou par drsquoanciennes tra di tions (comme des appa ri -tions ou des ins pi ra tions divines) repre nant cer tai ne ment ici une tra -di tion bien eacuteta blie85 Lrsquoins ti tution des fecirctes reli gieuses86 est deacutecrite de maniegravere complexe drsquoune part Platon explique que les fecirctes et les sacri fi ces seront orga ni seacutes sui vant les conseils de lrsquooracle de Delphes (Platon Lois VIII 828a) mais drsquoautre part il sup pose que la speacute ci fi ca tion exacte de leur nombre et du moment de leur ceacuteleacute bra -tion devra ecirctre preacute ci seacutee par lrsquoEacutetat87 Plus tard Platon deacutecrit mecircme le nombre de ces fecirctes cha cune des douze tri bus de la citeacute sera mise sous la pro tec tion drsquoun dieu ou drsquoun heacuteros (duquel elles tire ront leur nom cf Platon Lois III 828b-c) et doit lui ceacuteleacute brer deux fecirctes par mois avec des offrandes des sacri fi ces des jeux des chœurs et des danses rituelles de jeunes fi lles et gar ccedilons nus pour lrsquoocca sion pour faire hon neur aux dieux et per mettre aux jeunes gens de se connaicirctre dans le but de contrac ter de futurs mariages88 Plus tard il speacute ci fi e eacutega le ment que le leacutegis la teur doit deacuteci der aussi du nombre de fecirctes reacuteser veacutees exclu si ve ment aux femmes eacutevi ter de meacutelan ger les fecirctes

85 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 640 Il est tregraves inteacute res sant que la pointe de doute ou de cri tique qui peut neacutean moins ecirctre per ccedilue dans la dis cus sion des formes de reacuteveacute la tion des cou tumes divines est eacutega le -ment sen sible dans le pas sage qui suit direc te ment Platon y explique lrsquouti liteacute des fecirctes reli gieuses et les consi degravere presque davan tage dans la pos si bi liteacute de commu -ni ca tion qursquooffrent ces ceacutereacute mo nies aux citoyens que dans lrsquointeacute recirct qursquoelles offrent aux dieux Il veut qursquoagrave chaque classe de citoyens et agrave chaque quar tier de la ville soit assi gneacute un dieu un deacutemon ou un heacuteros agrave qui lrsquoon reacuteser vera des enceintes sacreacutees et tout ce qui se rap porte agrave son culte afi n que chaque classe y tienne en des temps pres crits des assem bleacutees et que en fai sant des sacri fi ces ils se teacutemoignent entre eux de lrsquoami tieacute se rap prochent et apprennent agrave se connaicirctre agrave srsquoobser ver et agrave se controcirc ler mutuel le ment (Platon Lois V 738c-e)

86 Cf MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 819-820 Karl Albert laquo Metaphysik des Festes raquo dans Zeitschrift fuumlr Religions- und Geistesgeschichte 19 1967 p 140-152

87 Il pro pose drsquoorga ni ser 365 ceacutereacute mo nies par an pour ecirctre sucircr qursquoil y aura chaque jour une ins ti tution hono rant une divi niteacute ou un deacutemon mais pour ce qui est des deacutetails crsquoest aux inter pregravetes aux precirctres et precirc tresses aux devins et aux gar -diens des lois (ἐξηγηταὶ καὶ ἱερεῖς ἱέρειαί τε καὶ μάντεις μετὰ νομοφυλάκων) de trou ver un compro mis et de fi xer le rituel Ce chiffre des 365 jours est assez inteacute res sant car bien que les intel lec tuels grecs soient au cou rant de la dureacutee de lrsquoanneacutee solaire eacutegyp tienne et en aient demandeacute lrsquointro duc tion en Gregravece il fal lut attendre que Ceacutesar reacuteforme le calen drier de lrsquoempire avant que le sys tegraveme grec (qui preacute voyait un chan ge ment entre des anneacutees avec douze et avec treize mois lunaires) ne soit geacuteneacute ra le ment aboli Cf U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 544 n 1

88 Platon Lois VI 771d-772a (voir aussi Lois VIII 828c)

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 575

pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 577

nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

578 DAVID ENGELS

jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 579

leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

580 DAVID ENGELS

dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 581

ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 575

pour les divi ni teacutes sou ter raines avec celles des dieux ceacutelestes et reacuteser -ver agrave la fecircte de Plu ton le dou ziegraveme mois qui lui sera deacutedieacute89 Il speacute -ci fi e eacutega le ment que les guer riers ne doivent point eacutevi ter ou craindre ce dieu car comme il lrsquoexplique en phi lo sophe lrsquounion de lrsquoacircme et du corps nrsquoest cer tai ne ment pas meilleure que leur seacutepa ra tion (Platon Lois VIII 828c-d)90 En ce qui concerne main te nant le ceacutereacute -mo nial des fecirctes auquel Platon accorde une atten tion par ti cu liegravere91 celui- ci est agrave fi xer dans les dix ans apregraves la fon da tion de la ville par lrsquoins pi ra tion des par ti cipants (Platon Lois VII 804a-b) et sur tout par la sagesse du roi- philosophe (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a)92 Mecircme les rites dio ny siaques et lrsquouti li sation du vin ne sont pas inter dits93 Les fecirctes reli gieuses ont donc une place de choix dans lrsquoeacuteta blis se ment de lrsquoEacutetat et lrsquoon arrive agrave se demander si ce sont les fecirctes qui inter rompent le seacuterieux de la vie ou si crsquoest en elles que reacuteside jus te ment tout ce qursquoil y a de valable et de beau dans la vie de la citeacute orga ni seacutee autour de la veacuteneacute ra tion divine94

89 Il cor res pond agrave Athegravenes au mois Scirophorion qui se situe plus ou moins en juin

90 Cette deacutedi cace du dou ziegraveme mois agrave Hadegraves est une nou veauteacute qui relegraveve de lrsquoori gi na liteacute de la pen seacutee pla to ni cienne MP Nilsson Geschichte der griechischen Reli gion [n 46] p 820 en cherche les traces dans les tra di tions orphiques et nous ne pou vons dou ter que ces reacutefl exions phi lo sophiques ne soient pas insen sibles aux reacutesul tats des speacute cu la tions de ces mys tiques Cf aussi Ludwig Deubner Attische Feste Berlin 1932 p 40ndash44 Jon D Mikalson The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year Princeton 1975 Catherine Truumlmpy Untersuchungen zu den altgriechischen Monatsnamen und Monatsfolgen Heidelberg 1997

91 Les hymnes ou danses contraires au regravegle ment fi xeacute seront punis par une exclu sion des ceacutereacute mo nies et si le cou pable ne se sou met pas au juge ment par une pos sible condam na tion pour sacri legravege (Platon Lois VII 779a-b cf VII 800a) Ce ceacutereacute mo nial fera mecircme par tie de la matiegravere sco laire (Platon Lois VII 809d)

92 En cas de mort preacute ma tureacutee de ce der nier ce sont les dif feacute rentes admi nis tra -tions qui conti nue ront cette eacutela bo ra tion et apregraves le deacutelai des 10 ans le rituel pourra seule ment ecirctre changeacute par accord commun des diri geants du peuple et des oracles (Platon Lois VI 772a-772d) La pre miegravere repreacute sen ta tion de ces fes ti vi teacutes doit en outre ecirctre preacute ceacute deacutee drsquoun sacri fi ce commun aux Moires

93 Platon Lois II 653d VIII 844d-e Cf agrave ce sujet Marie- Pierre Noeumll laquo Vin ivresse et deacutemo cra tie chez Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 203-219 et Eacute manuelle Joueumlt- Pastreacute laquo Vin remegravede et jeu dans les laquo Lois raquo de Platon raquo dans Jacques JouannaLaurence Villard (eacuted) Vin et santeacute en Gregravece ancienne Athegravenes 2002 p 221-232 Cf John P An ton laquo Some Dionysian references in the Platonic Dia logues raquo dans Classical Jour nal 58 1962 p 49-55 qui sou ligne que Platon met tregraves consciem -ment en œuvre des tra di tions reli gieuses emprun teacutees notam ment au culte dio ny -siaque pour enri chir sa concep tion phi lo sophique de la vie ver tueuse

94 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 126

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Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 577

nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

578 DAVID ENGELS

jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 579

leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

580 DAVID ENGELS

dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 581

ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

576 DAVID ENGELS

Platon ne speacute ci fi e pas la forme des offrandes et sacri fi ces (il explique juste que crsquoest agrave lrsquooracle de Delphes drsquoen don ner les lignes direc trices cf Platon Lois VIII 828a) mais il dresse agrave un autre endroit un bref aper ccedilu his to rique de lrsquoeacutevo lu tion des offrandes en citant drsquoun cocircteacute la theacuteo rie selon laquelle les pre miers humains srsquoeacutegor geaient mutuel le ment comme sacri fi ce avant la deacutecou verte de la vigne mais drsquoun autre cocircteacute la tra di tion qui veut que les ancecirctres se nour rissent exclu si ve ment de plantes et nrsquoosent mecircme pas sacri fi er des bœufs de peur de souiller les autels95 Plus loin dans les Lois il explique qursquoil sera inter dit au chœur accom pa -gnant le rituel drsquoenton ner des chants tristes apregraves le sacri fi ce Ceci eacutetant devenu une cou tume agrave lrsquoeacutepoque de Platon les inter lo cuteurs du dia logue srsquoen plaignent vive ment et pour mieux encore ban nir tout genre de musique triste et amol lis sante de la citeacute pro posent mecircme de faire accom pa gner les funeacute railles par des musi ciens enga -geacutes de lrsquoexteacute rieur pour lrsquoocca sion afi n que les musi ciens locaux nrsquoaient jamais la ten ta tion drsquoexer cer leur art dans ce domaine96 Les sacri fi ces et offrandes doivent ecirctre faits en public agrave lrsquoaide des precirctres et sui vant les rituels eacuteta blis lrsquoeacutedi fi ca tion drsquoautels ou de cha pelles pri veacutes est for mel lement inter dite car comme lrsquoexplique lrsquoAtheacute nien les villes se rem plissent de plus en plus de lieux sacreacutes pri veacutes qui eacutetouffent les temples eacuteta blis97 Platon speacute ci fi e mecircme la

95 Platon Lois VI 872b-c Platon avait deacutejagrave eacutenonceacute des remarques sem blables dans Platon Mi nos 315b-d ougrave il parle des habi tudes sacri fi cielles des Car tha gi nois des habi tants de Lykaia et de Halos qui sacri fi aient des humains et de lrsquoancienne cou tume drsquoenter rer les morts agrave la mai son etc Effec ti ve ment Lykaia en Arcadie pas sait pour avoir conserveacute la cou tume de sacri fi ces humains agrave Zeus Lyceacuteon (cf Platon Reacutepu blique VIII 565d) tan dis que les habi tants de Halos avaient inter dit aux des cen dants de lrsquoancien roi Athamas de se rendre agrave la place des deacuteli beacute ra tions publiques sous peine drsquoecirctre sacri fi eacutes sur lrsquoautel de Zeus (Heacuterodote VII 197)

96 Platon Lois VII 800b-e Compa rer au thegraveme geacuteneacute ral de la res tric tion du deuil dans les funeacute railles Vittorio Tandoi laquo Le donne ateniesi che non devono piangere raquo dans Studi Italiani di Filologia Classica 42 1970 p 154-178

97 En cas de deacutecou verte les objets sacreacutes doivent ecirctre livreacutes aux auto ri -teacutes un deacutelai cau sant des amendes Si les pri veacutes concer neacutes se trou vaient dans un eacutetat rituel le ment impur agrave cause drsquoun crime capi tal la peine de mort peut mecircme ecirctre appli queacutee (Platon Lois X 909d-910d) En sont bien sucircr excep teacutes les foyers sacreacutes indi vi duels qui se trouvent dans les demeures pri veacutees de chaque famille (Platon Lois XII 955e) ainsi qursquoau milieu de leurs lots agri coles (Platon Lois V 741c et VIII 842endash f voir ici Paumlrtel Haliste laquo Zwei Fragen zum Katasterwesen in Platons ldquoGesetzenrdquo raquo dans Eranos 48 1950 p 131-135) car la veacuteneacute ra tion de ces sanc tuaires fami liaux est si impor tante qursquoil faut tou jours trou ver un heacuteri tier aux foyers et lots dont les pro prieacute taires dis pa raissent afi n drsquoassu rer la peacuteren niteacute

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nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

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jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 579

leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

580 DAVID ENGELS

dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 581

ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 577

nature des offrandes et pros crit le gas pillage inutile des richesses de lrsquoEacutetat98

Platon srsquooccupe eacutega le ment de lrsquoarchi tec ture99 reli gieuse en reacuteglant mecircme des deacutetails infi mes Il speacute ci fi e que les conduites drsquoeau devront ecirctre ameacute na geacutees afi n drsquoali men ter les bois sacreacutes des dieux (Platon Lois VI 761c) (comme crsquoeacutetait le cas pour le bois sacreacute de Poseacuteidon sur lrsquoAtlantide) et il conseille drsquoeacutedi fi er les sanc tuaires des dieux autour du mar cheacute de la ville et entou rant la ville elle- mecircme de preacute feacute rence sur des lieux eacutele veacutes pour des rai sons drsquohygiegravene et de seacutecu riteacute Les bureaux des magis trats et des juges devront ecirctre pla ceacutes pregraves de ces sanc tuaires afi n de confeacute rer leur digniteacute aux repreacute -sen tants de lrsquoordre et vice- versa (Platon Lois VI 778c-d) Les eacutelec -tions les plus impor tantes auront lieu dans des temples100 et au deacutebut de chaque anneacutee les juges sont cen seacutes eacutelire le meilleur membre de chaque deacutepar te ment dans un temple non speacute ci fi eacute et consi deacute rer cette eacutelec tion comme offrande rituelle agrave la divi niteacute (Platon Lois VI 767c-d) Nous avons deacutejagrave parleacute du rocircle qursquoavait le temple deacutedieacute agrave Apol lon et Heacutelios en tant que siegravege des εὐθύνοι qui sont agrave la fois les precirctres de ces divi ni teacutes et les controcirc leurs des magis trats (Platon Lois XII 945e-947e) Cepen dant les temples des autres dieux qui res tent geacuteneacute ra le ment assi gneacutes agrave leurs tacircches tra di tion nelles101

du culte (Platon Lois V 740b-c) Par rap port agrave la pro bleacute ma tique de lrsquoappa rente contra dic tion entre la deacutefense des cultes pri veacutes dans Platon Lois X 909d-910d et le culte du foyer et les rites funeacute raires visi ble ment toleacute reacutes cf W Knoch Die Strafbestimmungen [n 62] p 92ndash93

98 Lrsquoor lrsquoargent seront inter dits agrave cause de leur valeur lrsquoivoire puis qursquoil vient drsquoun corps mort le fer et le bronze parce qursquoils doivent ser vir uni que ment agrave la fabri -ca tion drsquoarmes Seuls les cadeaux en pierre ou en bois les tis sus blancs ne deacutepas -sant pas le tra vail men suel drsquoune femme les tableaux reacutea li seacutes en une jour neacutee et les oiseaux peuvent ecirctre offerts aux dieux (Platon Lois XII 955e-956b) Ceci refl egravete cer tai ne ment une cri tique des exa geacute ra tions contem po raines dans ce domaine

99 Une cri tique de la pra ti ca bi liteacute de lrsquoarchi tec ture uto pique de Platon et une compa rai son avec les modegraveles plus reacutea listes chez Aristote se trouvent chez Gennadi A Košelenko laquo Town Plan ning for the Ideal City raquo dans Vestnik Drevnej Istorii 131 1975 p 3-26

100 Platon Lois VI 766e Platon Lois VI 765b cite concregrave te ment le temple drsquoApol lon comme lieu appro prieacute pour lrsquoeacutelec tion du res pon sable pour lrsquoeacutedu ca tion

101 Zeus pro tegravege les eacutetran gers (Platon Lois XII 953e) et les parents (Platon Lois IX 881d XI 931andashe IV 717d) Heacutera les mariages (Platon Lois VI 774d) Hermegraves les envoyeacutes (Platon Lois XII 941a) Heacutephaistos et Atheacutena les arti sans paci fi ques Atheacutena et Aregraves les arti sans drsquoarmes (Platon Lois XI 920d-e) Sur lrsquounion Atheacutena- Heacutephaistos cf Marie Delcourt Heacutephaistos ou la leacutegende du magi -cien Paris 21982 p 193

578 DAVID ENGELS

jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 579

leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

580 DAVID ENGELS

dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 581

ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

578 DAVID ENGELS

jouent eacutega le ment un rocircle impor tant102 Mecircme les mar cheacutes (Platon Lois XI 917d) et le port (Platon Lois IX 871a) sont pla ceacutes sous la pro tec tion de divi ni teacutes speacute ci fi ques les νόμιμα tan dis que chaque humain est sous la direc tion drsquoun deacutemon103

CONCLU SION

Deacutejagrave Deacutemeacutetrios de Pha legravere et beau coup drsquoautres jugeaient comme nous lrsquoassure Denys drsquoHalicarnasse qursquoil y avait quelque chose drsquoun eacutecri vain reli gieux (τελετή) en Platon104 Bien que cette remarque soit drsquoordre sty lis tique nous avons constateacute qursquoelle comporte un fond de veacuteriteacute Si lrsquoon regarde de plus pregraves les dif feacute rentes remarques de Platon sur le culte nous pou vons en deacuteduire drsquoabord qursquoil ne fut jamais vrai ment opposeacute de quelque maniegravere que ce soit au culte tra di tion -nel Neacutean moins si lrsquoon essaie de retra cer lrsquoeacutevo lu tion interne de ses œuvres nous pou vons consta ter au moins au deacutebut de son acti viteacute phi lo sophique une rela tion ambi va lente face agrave la reli gio siteacute eacuteta blie dont lrsquoinfl u ence tra di tion nelle avait mecircme per mis la condam na tion agrave mort de Socrate Degraves lors les thegravemes lieacutes agrave la reli gio siteacute sont trai teacutes sous deux angles par fois contra dic toires Drsquoun cocircteacute il srsquoagis sait de dis culper Socrate de lrsquoaccu sa tion drsquoaseacutebie et de prou ver au contraire son atta che ment aux cultes tra di tion nels au moins afi n drsquoassu rer la

102 Pex Zeus Atheacutena et Hestia ont des sanc tuaires sur lrsquoacro pole de la ville (Platon Lois V 745b) et dans chaque Phyle (Platon Lois VIII 848d Nous appre -nons eacutega le ment de nom breux deacutetails quant aux dif feacute rentes fonc tions des temples celui de Heacutera sert de treacute sor aux amendes fi nan ciegraveres des ceacuteli ba taires (Platon Lois VI 774a-b) lrsquoautel drsquoHestia de deacutepocirct pour les dos siers juri diques lors de pro -cegraves de crimes capi taux (Platon Lois IX 856a) et les compeacute titions spor tives sont en eacutetroite rela tion avec les temples drsquoApol lon drsquoArteacutemis et drsquoAregraves (Platon Lois VIII 833a-b) La speacute ci fi ca tion de ces dieux srsquoexpli quant du fait que la pre miegravere de ces courses doit ecirctre faite par des ath legravetes en cui rasse drsquohoplite dont Aregraves est le dieu pro tecteur tan dis que la deuxiegraveme sera effec tueacutee par des cou reurs por tant un arc et des fl egraveches deacutedieacutes tra di tion nel le ment aux enfants de Leacuteto Les vols dans les temples consi deacute reacutes comme une forme de folie doivent ecirctre chacirc tieacutes seacutevegrave re ment (Platon Lois IX 853d-855a cf X 885a-b) lrsquoeffi ca citeacute asi laire des temples en cas de guerre est mise en doute (Platon Lois VII 814a-b) etc Lrsquoon trou vera une dis cus sion concise du rap port des dieux des Lois avec le culte tra di tion nel atheacute nien chez C Lecomte laquo LrsquoAtheacutena de Platon raquo [n 33]

103 Platon Lois V 732c 730a Platon explique dans le Pheacutedon que le deacutemon choi sit lrsquohumain dans la Reacutepu blique par contre que crsquoest lrsquoacircme humaine qui choi -sit son deacutemon Par rap port agrave cette contra dic tion cf P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 40ndash41

104 Denys drsquoHalicarnasse Lettre agrave Pom peacutee 2 (cf de Demosth 5) Cf par rap port agrave cette ana lyse P Friedlaumlnder Platon 1 [n 1] p 178ndash180

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 579

leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

580 DAVID ENGELS

dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 581

ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 579

leacutega liteacute et la res pec ta bi liteacute des ensei gne ments de Platon lui- mecircme Drsquoun autre cocircteacute Platon ne vou lait et ne pou vait rompre avec la tra di -tion rationalisante de son maicirctre ni renier ses propres convic tions Mecircme si celles- ci eacutetaient peut- ecirctre plus conser va trices que celles de Socrate elles ne furent cer tai ne ment pas moins abs traites et eacuteloi gneacutees du monde divin homeacute rique puisque Platon assure par exemple que nous ne savons rien des dieux (Platon Cratylos 400d) que nous les ima -gi nons seule ment (Platon Phegravedre 246c-d) et qursquoil faut srsquoen remettre aux poegravetes pour les deacutecrire (Platon Timeacutee 40e) Mais tan dis que cette ambi va lence reste encore eacutequi li breacutee et indeacute cise gracircce agrave la ten dance apo reacute tique des pre miers dia logues et gracircce agrave lrsquouti li sation de lrsquoiro nie comme moyen de commen taire impli cite des juge ments expli cites comme nous lrsquoont mon treacute les pas sages men tion neacutes de lrsquoEuthyphron et du Pheacutedon la ten dance orien teacutee vers une phi lo sophie posi tive et theacute tique telle que nous lrsquoobser vons dans les œuvres de la matu riteacute du phi lo sophe allait lrsquoobli ger agrave prendre une posi tion plus nette Degraves lors nous compre nons mieux les pre miers veacuteri tables essais drsquointeacute grer le culte eacuteta bli dans la pen seacutee poli tique et reli gieuse En effet dans la Reacutepu -blique les deacutetails du culte sont lais seacutes agrave lrsquooracle de Delphes reconnu comme auto riteacute phi lo sophi que ment accep table dans le domaine mais la reli gio siteacute des diri geants est deacutecrite de maniegravere assez eacuteloi gneacutee de la pieacuteteacute simple des couches infeacute rieures de la popu la tion et srsquoappa rente plus agrave de la speacute cu la tion meacuteta phy sique qursquoagrave de la croyance doc tri nale Dans le mythe de lrsquoAtlantide du Timeacutee et du Critias par contre crsquoest le contraire Platon nrsquoy expli cite que les deacutetails pra tiques du culte mais ne porte aucun juge ment sur ces eacuteleacute ments en lais sant devi ner au lec teur ce qursquoest le veacuteri table but phi lo sophique der riegravere la foule des des crip tions minu tieuses de la reli gio siteacute et des bacircti ments cultuels de lrsquoAtlantide Ce nrsquoest que dans les Lois que Platon deacutes illusionneacute par ses expeacute riences sici liennes et deacutesor mais leacutegis la teur plus seacutevegravere et oserons- nous dire plu tocirct tota litaire que bien veillant essaie drsquounir theacuteo rie et pra tique phi lo sophie theacuteo logie et leacutegis la tion en fon dant son nou vel Eacutetat sur une assise theacuteo lo gique dont deacutecoulent toutes les lois et la plu part des rites eacuteta blis Et crsquoest en rai son de ce retour aux sources sin cegravere je crois que je ne sous cri rai pas au juge ment de Louis Gernet sur la leacutegis la tion reli gieuse des Lois dans laquelle il croit deacutecou vrir laquo une dupli citeacute admi rable raquo105 Bien au contraire106 Agrave Magneacute sie le sus pens de la reli gio siteacute au pro fi t de la phi lo sophie

105 L GernetA Bou lan ger Le geacutenie grec [n 8] p 321106 V Goldschmidt La reli gion de Platon [n 1] p 124ndash125

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

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111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

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dia lec tique est lar ge ment et sin cegrave re ment aban donneacute au pro fi t drsquoune ideacuteo logie conser va trice qui preacute fegravere la sta bi liteacute mecircme dans lrsquoigno -rance la dic ta ture et la meacutedio criteacute agrave la luci diteacute presque matheacutema tique et agrave lrsquoavant- gardisme vision naire de la Reacutepu blique Lrsquoaris to cra tie nrsquoest plus une eacutelite de pen seurs phi lo sophes mais une couche de cen seurs moraux107 la nomocratie est iden ti fi eacutee sans reacuteti cences agrave la theacuteo cra tie108 En conseacute quence lrsquoEacutetat se fait le gar dien de la tra di -tion rechigne agrave toute reacuteforme et reacuteserve aux dieux tra di tion nels une place de choix dans la hieacute rar chie interne des balises morales Lrsquounion eacutetroite entre magis tra ture et precirc trise lrsquoaccen tua tion du culte eacuteta tique opposeacute agrave un culte priveacute agrave peine toleacutereacute et la vision eacutepu reacutee mais tout de mecircme for te ment tra di tio na liste de la mytho logie grecque pour raient nous enga ger agrave croire que Platon aurait reconnu une reacutea li sa tion exem -plaire de son propre ideacuteal reli gieux dans la reli gion romaine srsquoil en avait connu les par ti cu la ri teacutes

Le retour de Sicile semble avoir deacuteclen cheacute un retour aux sources reli gieuses chez Platon dans la sep tiegraveme lettre du moins si elle est authen tique Platon lui- mecircme deacutecrit la pro po si tion de Di on drsquoassem -bler autour drsquoeux leurs amis et de punir Denys de Syracuse Platon refuse et outreacute par son acircge avanceacute excuse sa non- participation agrave cette action ven ge resse par le fait qursquoil a par tageacute la table et le four neau saint avec le tyran et qursquoil a mecircme par ti cipeacute agrave ses offrandes aux dieux (Platon Lettres 7350c) Ainsi lrsquounion par les dieux et les res pon sa bi -li teacutes lieacutees au par tage du rituel semblent des rai sons non neacutegli geables au phi lo sophe pour refu ser drsquoaider son ami Di on qui par tira donc seul exer cer leur ven geance commune et peacuterira tra gi que ment Et Platon ne bacirctit- il pas son aca deacute mie autour du lieu de culte du heacuteros antique Heacutecadeacutemos (Diogegravene Laeumlrce III 20) qui exis tait deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque geacuteo meacute trique Nous savons eacutega le ment qursquoil nrsquoy veacuteneacute rait pas seule -ment Atheacutena Heacutephaistos et Promeacutetheacutee109 mais qursquoil y a aussi eacutedi -fi eacute de sa propre ini tiative un petit sanc tuaire des Muses (Diogegravene Laeumlrce IV 1) dont la base des sta tues a pu ecirctre mise en eacutevi dence par des fouilles archeacuteo lo giques110 Et ce nrsquoest cer tai ne ment pas agrave lrsquoinsu de

107 Voir E Zeller Die Phi lo sophie der Griechen [n 1] p 961 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 547ndash548

108 Cf Platon Lois IV 713a VI 762 e voir aussi Lettres VIII 354e-f (si elle est authen tique)

109 Cf Louis Seacutechan Le mythe de Promeacutetheacutee Paris 1951 p 4ndash5110 Lrsquoaca deacute mie comp tait en outre au niveau juri dique comme asso cia -

tion cultuelle orga ni seacutee autour des Muses drsquoApol lon et eacuteven tuel le ment drsquoEacuteros sous la guidance du fon da teur et preacute sident Platon Wol fram Hoepfner laquo Platons

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ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

Chaire drsquohis toire du monde romainUni ver siteacute Libre de BruxellesAve nue FD Roosevelt 50 CP 1751050 BruxellesBelgique

Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit

PLATON ET LE CULTE GREC TRADITIONNEL 581

ses doc trines que les eacutelegraveves de Platon le fecirctegraverent apregraves sa mort comme fi ls drsquoApol lon et pla cegraverent son anni ver saire le 7e Thargeacutelion le jour de lrsquoanni ver saire drsquoApol lon lui- mecircme111 Nous ne pou vons donc dou -ter de la reli gio siteacute pro fonde du phi lo sophe vieillis sant qui le menait mecircme agrave intro duire le culte des divi ni teacutes dans son pro gramme drsquoeacutedu -ca tion Ter mi nons donc cet exposeacute par les mots pro fonds et sen seacutes de Wilamowitz face au dilemme de la reli gio siteacute pla to ni cienne laquo La reli gio siteacute telle qursquoil lrsquoavait connue depuis son enfance lui res ta tou -jours sacreacutee jamais il nrsquoeacuteprouva une contra dic tion insur mon table entre celle- ci et la phi lo sophie [hellip] Mais il se garda tou jours de speacute ci -fi er la faccedilon par laquelle les per son nages divins eux- mecircmes devaient ecirctre inteacute greacutes dans les agis se ments du bon et de la nature [hellip] Mais deacutesor mais leur reconnais sance fut non seule ment ins ti tueacutee mais aussi impo seacutee [hellip] Le monde doit croire ainsi il doit agir comme cela ainsi le veulent les lois Nous devons accep ter et comprendre ceci mais nous devons aussi appreacute cier la maniegravere dont Platon serait au sein de sa concep tion per son nelle eacutega le ment des cendu des hau -teurs deacutega geacutees de sa croyance phi lo sophique raquo112

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Akademie Eine neue Interpretation der Ruinen raquo dans Wol fram Hoepfner (eacuted) Antike Bibliotheken Mainz 2002 p 56-62 p 57

111 O Kern Die Reli gion der Griechen [n 1] p 15112 U von Wilamowitz- Moellendorff Platon Sein Leben [n 1] p 549ndash550

laquo Heilig geblieben war ihm zu allen Zeiten die Religionsuumlbung wie er sie als Kind gelernt hatte einen unuumlberwindlichen Widerstreit mit der Phi lo sophie hatte er nie empfunden [hellip] A ber wie sich die Personen des Goumltterglaubens in dieses Wirken des Guten und der Natur einordneten hatte er weislich unbestimmt gelassen [hellip] Jetzt wird ihre Anerkennung nicht nur durchgesetzt sondern gefordert [hellip] Die Welt soll so glauben soll danach handeln das wollen die Gesetze Wir muumlssen es anerkennen und begreifen muumlssen dann a ber zusehen ob Platon auch innerlich von der freien Houmlhe seines philosophischen Glaubens herabgestiegen ist raquo

Ce tra vail a eacuteteacute preacute senteacute le 18 juin 2005 dans le cadre du col loque laquo Precirctres et Sanc tuaires dans lrsquoAnti quiteacute raquo agrave lrsquoUni ver siteacute de Clermont- Ferrand II Je tiens agrave remer cier ici les orga ni sa teurs M Gutsfeld et M Villard pour leur invi ta tion ainsi que tous les par ti cipants pour la dis cus sion ani meacutee qui srsquoen est sui vie Je remer cie eacutega le ment Mme Marlise Colloud (Eacutecole drsquoingeacute nieurs et drsquoarchi tectes de Fribourg Suisse) MM Philippe Buumlttgen (Centre natio nal de la Recherche scien ti -fi que Paris) et Jean- Michel Roessli (Uni ver siteacute de Sudbury Canada) pour leur tregraves preacute cieuse relec ture du texte eacutecrit