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Revue du Droit de la PROPRIETE INTELLECTUELLE Directeur de la Publication YVES MARCELLIN Avocat à la Cour de Paris N° 83 Janvier 1998 Revue mensuelle

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Revue du

Droit de la

PROPRIETE INTELLECTUELLE

Directeur de la Publication YVES MARCELLIN

Avocat à la Cour de Paris

N° 83 Janvier 1998 Revue mensuelle

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ETUDE N° 83 - Janvier 1998

Documents confidentiels appréhendés lors d'une saisie-contrefaçon

Note sous Tribunal de Grande Instance de PARIS :

Jugement du 6 décembre 1996 et ordonnance de Mise en Etat du 2 octobre 1997, BARKATS / FRANCE TELECOM

Ordonnance de référé du 24 novembre 1997, Laboratoires MERCK SHARP & DHOME-CHIBRET/ SEARLE et MONSANTO

Trois décisions récentes invitent à la réflexion sur le sort à réserver aux documents confidentiels appréhendés lors d’une saisie-contrefaçon.

Venant compléter la jur isprudence élaborée depuis une dizaine d’années pour la préservation du secret des affaires de l’entreprise au détriment de laquelle est pratiquée une saisie-contrefaçon (1), ces décisions statuent sur :

- la détermination des documents à préserver (I.),

- les modalités d’accès à ces documents (II.).

I. Critères de détermination des documents à préserver

La question est de savoir comment assurer l’équilibre entre la nécessité de sanctionner l’atteinte au droit de propriété exclusive que confère le brevet d’invention, d’une part, et la nécessité de préserver les secrets d’affaires de la partie saisie, d’autre part.

Aucune hésitation ne s’était jusqu’ici manifestée pour considérer que le secret des

affaires, notion aux contours flous et quelquefois subjectifs, devait céder devant la nécessité de la preuve de la saisie-contrefaçon.

Un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris (2), du 4 juillet 1997 avait parfaitement résumé le droit positif en énonçant :

«En application de l’article L 615 du Code de la Propriété Intellectuelle, le saisissant doit avoir accès à tous les documents susceptibles de contribuer à la preuve de la contrefaçon, et uniquement à ceux-là.

Il ne saurait, sous prétexte de confidentialité, être laissé à la seule latitude du saisi le soin de qualifier de confidentiels ou non les documents trouvés dans son usine.»

Deux garde-fous devaient d’ailleurs cantonner la prééminence de la nécessité de la preuve de la contrefaçon dans des limites acceptables :

- le secret conservé sur les documents confidentiels mais inutiles pour la preuve de la contrefaçon,

- le régime classique de la responsabilité civile, au cas (rarissime en pratique) où le saisissant aurait dévoyé le recours à la saisie-contrefaçon en la faisant pratiquer sans évaluation raisonnable de la solidité de son droit de brevet et sans soupçons sérieusement étayés de la matérialité de la contrefaçon.

Jusqu’ici, toutes les décisions in te rvenues avaient adop té , pour déterminer les documents à préserver, le critère posé, pour la première fois, par une

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ordonnance du 22 novembre 1988 du Président du Tribunal de Grande Instance de LYON en distinguant trois catégories de pièces :

- les pièces qui sont utiles à la preuve de la contrefaçon et qui contiennent des informations confidentielles (auxquelles le saisissant pourra avoir accès, selon des modalités à préciser),

- les pièces qui ne sont pas utiles à la preuve de la contrefaçon et qui contiennent des informations confidentielles (auxquelles le saisissant n’aura pas accès),

- à titre résiduel, les pièces qui ne sont pas utiles à la preuve de la contrefaçon et qui ne cont iennent pas d’informations confidentielles (qui , à dire vrai , n’intéressent ni le saisissant - à qui elles sont inuti les - ni le saisi - pu i sque leur communication au saisissant ne le gène en rien).

Le critère posé était donc celui de l’utilité pour la preuve de la contrefaçon.

Le jugement rendu le 6 décembre 1996 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS dans l’affaire Barkats / France Telecom parait remettre en cause ce critère.

En effet, ce jugement adopte un critère de sélection différent en s’exprimant comme suit :

«Attendu qu’il importe pour la clarté des débats que les pièces qui ont été saisies et qui sont conservées au greffe puissent être examinées par un expert chargé de faire le tri entre celles qui revêtent un caractère confidentiel et celles qui ne présentent pas ce caractère ;

Attendu que le Tribunal appréciera alors au vu notamment du rapport de l’expert qui devra également apporter les précisions indiquées au dispositif, l’existence de la contrefaçon alléguée ;»

Ce n’est donc plus , apparemment , l’utilité pour la preuve de la contrefaçon, qui serait le critère de mise à disposition du

demandeur - et de la Justice - des pièces arguées de confidentialité, ce serait le caractère confidentiel.

Nous ne pouvons dissimuler que la généralisation d’une telle solution ne saurait être acceptée parce qu’aucune disposition légale ne la justifie.

Certes, une importante jurisprudence est venue reconnaître la valeur substantielles des informations qui ne sont pas connues de tous (3).

Certes, les ADPIC (en anglais TRIPS) annexes aux accords de Marrakech constitutifs de l’Organisation Mondiale du Commerce sont venus confirmer la nécessité de préserver de telles informations dans le cadre des procès en contrefaçon (4).

Il reste cependant que, en l’état actuel du droit français, l’information confidentielle n’est pas le siège d’un quelconque droit privatif : elle n’est préservée que par les mécanismes contractuels (accords de secret ou de confidentialité) ou par ceux de la responsabilité civile (en cas de divulgation abusive).

Nous ne voyons donc aucune base légale permettant de soustraire à la Justice la connaissance d’une pièce utile à la preuve de la contrefaçon d’un brevet d’invention au motif que cette pièce n’est pas accessible au public (car c’est à cela que se réduit la notion de confidentialité).

Tout au contraire, nous pensons que la saisie-contrefaçon a été précisément instituée pour permettre l’accès à des informations qui ne sont pas à disposition du public.

Ce serait donc l’énerver (au sens étymologique de «lui ôter son nerf») que de lui interdire la collecte des documents a rgués , même à bon droi t , de confidentialité.

En d’autres termes, nous ne pouvons accepter l’idée qu’un contrefacteur échappe

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à la sanction qu’il encourt en affirmant -même si cela est exact - que les documents d’où pourrait résulter la preuve de la contrefaçon cont iendra ient des informations inaccessibles au public.

On peut fort bien imaginer le cas d’une entreprise qui aurait mis au point une invention significative qu’elle aurait choisi de garder secrète, mais qui se trouverait dans la dépendance au sens du droit des brevets , d’un brevet d’ invention appartenant à un tiers.

Sans doute cette entreprise va-t-elle se trouver lésée par la révélation de cette invention de perfectionnement au titulaire du brevet dominant : mais vaut-il mieux cette solution que l’inverse ?

Nous ne le pensons véritablement pas et ne pouvons donc approuver la solution du jugement du 6 décembre 1996 qui pourrait avoir comme conséquence de faire prévaloir la notion de confidentialité sur les nécessités de la preuve de la contrefaçon.

Nous devons d’ailleurs observer que le Tribunal ne paraît avoir statué de la sorte que parce le problème lui avait été posé en ces termes : la lecture du jugement laisse penser que le breveté - qui aurait eu intérêt à le faire - n’a pas cherché à discuter le critère de sélection proposé par le défendeur accusé de contrefaçon.

Le Tribunal a donc, sans nul doute, apporté une réponse circonstanciellement correcte... à une question mal posée !

Il était nécessaire de le dire pour éviter que, par une lecture inat tent ive du jugement du 6 décembre 1996, on puisse penser que le Tribunal de Grande Instance de PARIS n’a pas fait prédominer le droit du breveté sur une notion de confidentialité aux contours incertains.

Il faut donc espérer que, mieux sollicitée, la jur isprudence sera prochainement amenée à revenir au critère d’utilité pour la preuve de la contrefaçon pour distinguer les

pièces à retenir pour la suite de la procédure de celles qui doivent être conservées sous le sceau du secret ou restituées à la partie saisie.

Tous les problèmes ne seront pas réglés pour autant, loin s’en faut, car il ne saurait être question de permettre au breveté d’avoir accès, fût-ce seulement à l’occasion des opérations d’expertise, à des documents qui ne lui sont pas utiles pour la preuve de la contrefaçon : admettre que le saisissant puisse consulter, même sur la table de l’expert, des documents qui peuvent avoir une très grande valeur industrielle, mais qui ne sont peut-être pas nécessaires à la preuve de la contrefaçon serait méconnaître les intérêts légitime de la partie saisie.

C’est donc dans les modalités d’accès aux documents saisis que gisent les problèmes théoriques et pratiques les plus délicats.

II. Les modalités d’accès aux documents saisis

Une fois le critère à l’aune duquel l’expert va devoir distinguer les documents qui seront rendus accessibles au saisissant pour être versés aux débats, il reste à préciser les modalités pratiques des opérations de l’expert.

Il s’agit, bien sûr, d’éviter que l’expertise ne permette que le secret des affaires du défendeur soit tourné en secret de Polichinelle : c’est ce qui risque d’advenir si, durant les opérations d’expertise, les pièces confidentielles saisies sont mises à disposition du saisissant... pour savoir s’il pourra les utiliser ou non.

A l’image de l’honneur selon Marcel Pagnol, et comme les allumettes, le secret ne sert qu’une fois et, même remis en boite, perdrait toute valeur s’il était révélé au saisissant.

Jusqu’ici, la pratique avait résolu, sans trop de difficultés pratiques, ce problème délicat : dans la plupart des cas, en effet, les

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parties avaient donné leur accord pour que les pièces soient examinées en réunion d’expertise restreinte par l’expert et les conseils des parties (avocats et conseils en propriété industrielle) et pour que les pièces estimées par l’expert, après discussion pleinement contradictoire, utiles à la preuve de la contrefaçon, soient ensui te communiquées au breveté (éventuellement après occultation des passages inutiles à la preuve de la contrefaçon).

Force est d’ailleurs de reconnaître que, dans la pratique, il s’est avéré rare que des informations réellement confidentielles aient été saisies et qu’il existe une discussion sérieuse sur l’utilité des pièces, pour la preuve de la contrefaçon : la demande de désignation d’un expert dans ce domaine relève quelquefois plus d’un réflexe d’irritation du saisi que du souci de préserver d’authentiques secrets...

Mais la sophistication du contentieux de la propriété industrielle n’a pas épargné cette question comme en témoignent deux décisions - d ivergentes - r endues respectivement par un Juge de la Mise en Etat du Tribunal de Grande Instance de PARIS le 2 octobre 1997 et par un délégataire du Président de ce Tribunal, statuant en référé, le 24 novembre 1997.

La première aborde la conduite des opérations d’expertise (II.1.).

La seconde aborde le sort des documents estimés par l’expert utiles à la preuve de la contrefaçon (II.2.).

II. 1. La conduite des opérations d’expertise

L’ordonnance du Juge de la Mise en Etat du 2 octobre 1997 est intervenue dans la même affaire Barkats / France Telecom qui avait donné lieu au jugement du 6 décembre 1996 du Tribunal de Grande Instance de PARIS.

Mais il ne s’agissait p lus , ici, de déterminer le critère de sélection des pièces à communiquer au saisissant.

Il s’agissait de régler les modalités pratiques de l’expertise et plus précisément de décider qui aurait accès à la «table de tri» sur laquelle allaient être disposés les documents saisis.

Le breveté d e m a n d e u r avait , apparemment, admis qu’il ne pourrait pas y prendre place personnellement.

Mais il demandait que son conseil en propriété industrielle puisse examiner avec l’expert les documents saisis.

Le défendeur à l’action en contrefaçon s’y opposait.

Et l’ordonnance donne raison à ce dernier en décidant que le conseil en propriété industrielle du demandeur ne pourra examiner les pièces arguées de confidentialité pour les motifs suivants :

«Attendu que l’expert a une obligation de probité et d’impartialité dans l’exécution de ses opérations ; que la qualité et la rigueur du tri opéré par l’expert entre les pièces confidentielles et celles qui ne le sont pas n’ont pas lieu d’être mises en doute ;

Attendu qu’admettre la présence des conseils en propriété industrielle à ces opérations de tri de pièces reviendrait à vider celles-ci de tout caractère protecteur de la confidentialité desdites pièces ; que les conseils sont mandatés par les parties et doivent de ce fait en vertu des dispositions générales du code civil faire rapport à leurs mandants ; qu’ils seraient donc amenés à communiquer à ceux-ci la teneur de tous les documents examinés y compris ceux pouvant être qualifiés de confidentiels ;

Attendu que le demandeur ne saurait tirer argument de l’absence de respect du principe du contradictoire de ce fait ;

Attendu qu’en effet, le Tribunal ne statuera sur les demandes présentées par Monsieur Barkats qu’à partir des pièces non confidentielles communiquées et discutées entre les parties ; que

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le principe du contradictoire sera ainsi pleinement respecté».

Pareille motivation ne peut cependant pas recueillir l’approbation.

Certes, comme l’écrit l’ordonnance, l’expert a une obligation de probité et d’impartialité dans l’exécution de ses opérations et, en pratique, la plupart des experts accomplissent effectivement leurs opérations avec probité et impartialité.

Il n’empêche que, en matière civile, il n’est pas pensable que l’expert puisse exécuter le coeur de ses opérations hors de tout contrôle des parties.

Sans doute, est-il admis que certaines des investigations de l’expert ne soient pas menées de façon contradictoire pour différentes ra isons , techniques ou juridiques.

Mais, ici, le classement des documents entre les corbeilles «à verser aux débats» et «à garder au secret» est l’essentiel, LA mission de l’expert.

On ne peut donc admettre qu’il s’y livre sans que le principe du contradictoire soit respecté.

D’abord, parce qu’aucune démocratie moderne ne peut s’en remettre à la seule probité et impartialité d’un homme ou d’une femme pour lui remettre un pouvoir de décision qu’il exercerait sans contradiction, ni recours.

Ensuite, parce qu’il n’est pas possible de demander à l’expert d’identifier sans le concours actif des part ies ce qui est réel lement uti le à la p reuve de la contrefaçon.

Certes, l’expert peut, avant d’examiner les documents à tr ier , recevoir des informations complètes des parties sur ce qu’il doit rechercher et ces explications seront, dans certains cas, suffisantes.

Mais ce ne sera pas toujours le cas : l’expérience montre que la preuve de la

contrefaçon peut résulter d’une série d’informations d’apparence anodine , lorsqu’elles sont considérées isolément et qui ne prennent leur sens que lorsqu’elles sont rapprochées.

De plus, l’expert est un homme ou une femme, donc faillible : or la particularité de la mission qu’il exerce ici (décider qu’une pièce sera ou non communiquée au demandeur) est que son accomplissement correct est invérifiable a posteriori.

Si l’expert a omis de sélectionner une pièce utile pour la preuve de la contrefaçon, le breveté n’aura aucun moyen de le savoir s’il n’a pas été, d’une manière ou d’une autre, représenté aux opérations de l’expert.

Le Juge lui-même sera désarmé en cas d’erreur de l’expert.

Un tel système n’est donc pas, de notre point de vue, compatible avec le caractère contradictoire des opérations d’expertise (problème distinct de celui, évoqué par l ’ordonnance d u 2 octobre 1997, du caractère contradictoire de la procédure subséquente, qui ne sera pas affecté : mais à quoi sert-il de mener une procédure contradictoire sur des documents qui n’ont pas été sélectionnés de façon contradictoire ?).

C’est pourquoi nous pensons nécessaire que les conseils des parties (avocats et conseils en propriété industrielle) aient connaissance de tous les documents saisis et puissent s’exprimer, en connaissance de cause, sur leur utilité pour la preuve de la contrefaçon.

Mais admettre la présence des conseils en propriété industrielle revient-il, comme l’indique l’ordonnance du 2 octobre 1997, à vider les opérations de tri de pièces de tout caractère protecteur de la confidentialité de celles-ci ?

L’ordonnance l’affirme en se référant aux dispositions du Code Civil relatives au mandat qui obligeraient le mandataire à

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faire rapport à son mandant (l’article 1994 du Code Civil parle, plus exactement, de «rendre compte de sa gestion», ce qui est moins méticuleux).

C’est, à notre sens, négliger le caractère particulier de la mission confiée au conseil en propriété industrielle (est-ce d’ailleurs, réellement, ici un mandat ou plutôt une mission d’assistance relevant davantage du contrat d’entreprise ?) qui exerce une profession réglementée.

Les obligations qui pèsent, à ce titre, sur lui, in terdisent de l’assimiler à un mandataire qui serait tenu de «faire rapport» à son mandant de tout ce qu’il a vu dans l’exercice de sa mission.

La déontologie élémentaire veut au contraire que le conseil en propriété industrielle, comme l’avocat, ne rende compte à son cliente que de ce qui est utile à la défense de ses intérêts légitimes : elle ne lui permet pas de se transformer en agent de renseignement pour glaner, au fil des saisies-contrefaçon, des informations confidentielles étrangères à la preuve de la contrefaçon.

Que ceci mette quelquefois les conseils en propriété industrielle dans une position délicate est certain : mais la force de caractère est nécessaire à l’exercice de cette profession.

Que des abus puissent survenir ne peut être exclu : mais leur sanction sera possible.

Et, à tout prendre, il est sans doute préférable de prendre le risque de la fuite d’une information que son détenteur n’a pas pris soin de protéger par brevet que celui de l’absolution d’un contrefacteur qui aura su dissimuler, même à un expert, une preuve de la contrefaçon.

Cette analyse est, d’ailleurs, celle adoptée par une autre formation du Tribunal de Grande Instance de PARIS dans une décision du 24 novembre 1997 statuant, en

outre, sur le sort à réserver aux documents jugés utiles à la preuve de la contrefaçon.

II. 2. Le sort des documents estimés par l’expert utiles à la preuve de la contrefaçon

L’ordonnance de référé rendue le 24 novembre 1997 par le magistrat délégataire du Tribunal de Grande Instance de PARIS dans l’affaire Laboratoires MERCK SHARP & DHOME-CHIBRET / SEARLE et MONSANTO statue non seulement sur l’organisation des opérations d’expertise -en prenant le contre-pied de l’ordonnance de Mise en Etat du 2 octobre 1997 - mais aussi sur le sort des documents à l’issue des opérations d’expertise :

«Pour préserver les droits de chacune des parties, il convient de désigner un expert avec mission d’examiner, sous le sceau de la confidentialité, les documents placés sous enveloppe scellée par l’huissier saisissant, et de fournir tous renseignements de nature à permettre au Tribunal de distinguer les documents nécessaires à la preuve de la contrefaçon alléguée du brevet SEARLE et MONSANTO d’avec ceux étrangers à cette preuve.

Afin de préserver l’éventuel caractère confidentiel des pièces saisies, l’expert ouvrira l’enveloppe et fera le tri des documents en présence uniquement des avocats de parties et du conseil en propriété industrielle de chacune d’elle dont l’identité devra être communiquée avant la première réunion d’expertise à l’expert et aux parties, toutes ces personnes étant tenu à une obligation de confidentialité.

Si des documents retenus par l’expert comme étant nécessaires à la preuve de la contrefaçon alléguée, présentent un caractère confidentiel, seules les personnes énoncées précédemment pourront y avoir accès sans qu’il soit nécessaire d’ordonner une astreinte.

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Les autres documents pourront être librement échangés et seront dès lors à la disposition des personnes en charge de la défense des intérêts de SEARLE et MONSANTO sans qu’il soit possible de limiter leur emploi à la procédure initiée en FRANCE.

En effet, il ne saurait être question de priver les défenderesses de leur droit, organisé par la loi, d’aménager la preuve de la contrefaçon alléguée par la saisie autorisée le 22 octobre 1997.»

On relèvera, au passage, avec satisfaction que l’ordonnance pose, comme critère de tri, l’utilité pour la preuve de la contrefaçon.

Et qu’elle autorise expressément - au contraire de l’ordonnance de Mise en Etat du 2 octobre 1997 - la présence des conseils en propriété industrielle des parties aux opérations d’expertise.

Toutefois, elle innove de façon sensible en prévoyant que les parties n’auront pas, après l’expertise, accès directement aux documents estimés confidentiels par l’expert, cet accès étant réservé aux avocats et conseils en propriété industrielle des parties.

La justification de cette précision, tout comme ses conséquences pra t iques , méritent réflexion.

On appréciera , tout d’abord, que l’ordonnance justifie la restriction d’accès durant les opérations d’expertise aux documents confidentiels aux avocats et conseils en propr ié té industr iel le en énonçant que «ces personnes (sont) tenues à une obligation de confidentialité».

En effet, certains ont tenté de justifier ce type de restriction d’accès par la notion de secret professionnel, ce qui peut laisser perplexe dans la mesure où le secret professionnel est généra lement vu davantage comme l’obligation de ne pas révéler ce que le client confie à un professionnel que comme l’obligation de ne pas révéler ce que ce dernier apprend de l’adversaire ou à son sujet.

La référence à l’obligation de confidentialité (mais on aurait pu aussi évoquer l’obligation de délicatesse, voire de dignité , qui pèse sur les professions réglementées) est donc fort bien venue.

Les modalités de mise en oeuvre d’une telle décision ouvrent un champ de réflexion tout à fait nouveau, du moins en France.

En effet, il semble que la restriction d’accès aux documents confidentiels aux seuls conseils des parties édictée par l’ordonnance commentée, ne soit pas limitée aux opérations d’expertise mais qu’elle puisse s’étendre aux phases ultérieures de la procédure, donc à la procédure au fond.

Si cette interprétation prévalait, elle instituerait un système similaire aux protective orders rendus ou acceptés dans les procès américains en vertu de l’article 26,c des Rules of Civil Procedure, selon lesquels les documents sont classifiés en fonction de leur degré de confidentialité, l’accès aux documents de plus haut niveau étant réservé aux seuls avocats (voir par exemple Patricia BRANTLEY Patent Law Handbook, 1996-97, Clark Boardman Callaghan, p.440), ceux du niveau suivant étant réservés aux juristes de l’entreprise, d’autre pouvant, ensuite, être de diffusion restreinte à certaines personnes nommément désignées dans l’entreprise.

Ce système s’inscrit dans le cadre plus général de l’administration de la preuve par la discovery, tout à fait différent du régime français d’administration de la preuve.

Nous ne pensons pas, toutefois, qu’un tel système soit compatible avec les règles de la procédure civile française, notamment avec le principe d u contradictoire qui en constitue la clé de voûte, et qu’il soit concevable, en France, qu’une pièce puisse être utilisée en justice sans que l’une des

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partie ait eu la possibilité de l’examiner elle-même.

Peut-on imaginer qu’une pièce soit remise aux Juges sans qu’elle ait pu être étudiée par la partie qui s’en prévaut ?

Peut-on imaginer qu’une pièce soit discutée à l’audience, et même qu’elle y soit lue, sans que les parties en aient eu elles-mêmes connaissance auparavant ?

Tout cela est peut-être compatible avec les systèmes procéduraux de common law qui ne connaissent pas le principe du contradictoire (l’expression «principe du contradictoire» est, d’ailleurs, pratiquement intraduisible en langue anglaise).

Mais nous ne pensons pas que ce le soit avec le droit français.

Les seules restrictions d’accès aux documents confidentiels appréhendés lors d’une saisie-contrefaçon devraient s’articuler comme suit :

durant les opérations de tri des pièces utiles à la preuve de la contrefaçon, l’accès aux pièces litigieuses devrait être réservé aux avocats et conseils en propr ié té industrielle,

après ces opérations, les pièces estimées par l’expert, sous le contrôle éventuel du Juge, utiles à la preuve de la contrefaçon, devraient être accessibles aux parties elles-mêmes ; la seule restriction envisageable, dans le cas de documents particulièrement confidentiels, pourrait consister à prévoir que, lorsque l’une ou l’autre des parties est une entreprise, l’accès à de tels documents soit limité aux membres de l’entreprise que leurs fonctions appellent à suivre la procédure et que des mesures appropriées soient prescrites pour éviter la divulgation à d’autres personnes.

Un tel système nous paraît assurer l’équilibre nécessaire entre les nécessités de l ’adminis t ra t ion de la p reuve de la contrefaçon et la préservation du secret des

affaires de l’entreprise accusée de contrefaçon.

Pierre VÉRON Avocat à la Cour

Notes :

(1) TGI LYON, ord. réf., 22 novembre 1988, PIBD 1989 n° 450, III-106 ; TGI PARIS ord. réf., 22 décembre 1989, PIBD 1990 n° 173, III-134 ; TGI BOURGOIN-JALLIEU, ord. réf. 19 avril 1994 POLYCONCEPT / ELF ATOCHEM DEUTSCHLAND, inédit, résolution de l’Association des Avocats de Propriété Industrielle du 26 mai 1994 ; adde, statuant sur l’ouverture des plis scellés, TGI PARIS 14 décembre 1994 RDPI, n° 58, p.31 ; TGI PARIS, ord. JME 26 mai 1995, PIBD 1995 N° 595,III-420 ; sur l’ensemble du problème, voir P. VÉRON, Le secret dans les procédures juridictionnelles en matière de propriété industrielle, in La propriété industrielle et le secret, coll. CEIPI n° 40 LITEC, 1996, p.63 ; A. CASALONGA, Le secret dans les professions de la propriété industrielle, ibid. loco, p.30 ; Y. MARCELLIN, La saisie-contrefaçon, éditions CEDAT 1996, p.34.

(2) TGI PARIS, 4 juillet 1997, PIBD 1997 n° 644, III-639

(3) voir, par exemple, sur ce point, les t ravaux du colloque «L’entreprise, l’information et le droit» tenu à Montpellier les 25 et 26 juin 1987, in JCP, Ed. Entreprise, n° 11, 17 mars 1988, supplément.

(4) voir notamment l’article 39 qui édicte l’obligation, pour les Etats Membres, d’assurer la protect ion des «renseignements non divulgués» et l’article 42 sur les procédures qui dispose, in fine : «La procédure comportera un moyen d’identifier et de protéger les renseignements confidentiels, à moins que cela ne soit contraire aux prescriptions constitutionnelles existantes».

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ETUDE SAISIE-CONTREFACON

ANNEXE

Tribunal de Grande Instance de Paris (3ème ch., 2ème Section),

6 décembre 1996. Monsieur Gérard BARKATS c / la Société FRANCE TELECOM, la Société MATRA MARCONI SPACE FRANCE et le CNES

Me Dartevelle, Stenger, Combeau et Benoit, Avocats

Monsieur Gérard BARKATS est propriétaire d’un brevet intitulé «Système propulsif bi-liquide d’un satellite artificiel et utilisation dudit système pour assurer l’éjection du satellite», enregistré sous le n° 85 11 964 et publié sous le n° 25 85 669.

Il est en outre titulaire de brevets assurant la protection de l’invention et notamment du brevet européen n° E P O 232 349 B1 du 3 mai 1989.

Or, il apprit à la fin de l’année 1991, que trois satellites de la série TELECOM 2, propriété de la Société FRANCE TELECOM, produi t s et commercialisés par la Société MATRA, mettaient en oeuvre les enseignements de ses brevets et que FRANCE TELECOM avait acquis la propriété des satellites après contrat passé par l’intermédiaire du Centre National d’Etudes Spatiales, agissant en qualité de mandataire, avec la Société MATRA MARCONI SPACE.

Autorisé par ordonnance du 5 décembre 1991 du Président du Tribunal de Grande Instance il a fait procéder à des saisies de documents dans les locaux du CNES et de la Société MATRA MARCONI SPACE TOULOUSE ; cependant, la nullité desdites saisies fut prononcée par jugement du 10 mars 1994 du Tribunal de Grande Instance de PARIS lequel ordonna la restitution desdits documents.

Les pièces initialement saisies avaient été déposées le 17 juin 1993 au greffe du Tribunal de Grande Instance de PARIS en ver tu d’une ordonnance de référé du Président du Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE du 20 janvier 1993 rendue à la suite de la saisie intervenue en vertu de l’ordonnance précitée du 6 décembre 1991.

Toutefois les documents litigieux n’ayant pas encore été restitués, Monsieur BARKATS fut autorisé par ordonnance du 8 avril 1994, à pratiquer une nouvelle saisie des documents restés au greffe.

Puis, par acte des 29 avril et 3 mai 1994, Monsieur BARKATS fit assigner la Société FRANCE

TELECOM, la Société MATRA MARCONI SPACE FRANCE et le Centre National d’Etudes Spatiales aux fins, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, de constatation judiciaire de la contrefaçon et de désignation d’un collège d’experts avec pour mission, après avoir pris connaissance des documents saisis et de ses brevets de :

- décrire les similitudes existant entre la méthode employée dans la plate-forme EUROSTAR 2000, supportant le satellite n° 4 TELECOM 2 et la revendication n° 1 du brevet français et de déterminer le gain de durée de vie du satellite procuré par la mise en oeuvre de son invention.

Monsieur BARKATS sollicite, en outre, une expertise comptable afin de déterminer notamment au regard des chiffres d’affaires résultant de l’exploitation du satellite TELECOM 2, les ventes de celui-ci.

En réparation, il demande la condamnation solidaire des défenderesses à lui verser une provision de 10 millions de francs et une somme de 50.000 F en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Au soutien de ses demandes , Monsieur BARKATS expose que son invention est relative à des satellites artificiels de la terre et p lus part icul ièrement à des satellites sur orbites géosynchrones. Elle implique que ceux-ci soient dotés d’un système de propulsion à bi-ergols liquides dotés de quatre réservoirs d’ergols dont deux au moins pour chacun des ergols, utilisés de façon alternée deux à deux pendant une partie de la vie du satellite.

Cette invention a pour avantage de :

- préserver une marge d’ergols suffisante pour réaliser à la fin de vie du satellite sa sortie de l’orbite afin de le propulser vers une orbite dite «cimetière» et ainsi éviter de laisser en orbite opérationnelle un satellite incontrôlable du fait de l’extinction imprévue des ergols ce qui représenterait alors un risque de collision dangereux pour les satellites localisés sur des positions voisines,

- réduire les provisions à embarquer pour compenser les méconnaissances de consommation d’ergols au cours de la vie orbitale du satellite et ainsi de prolonger la vie du satellite ou encore de permettre l’emport d’une charge utile plus lourde pour un satellite dont la masse au lancement et la durée de vie seraient alors inchangées.

La cause la plus fréquente de la fin de vie d’un satellite, explique-t-il, réside dans la consommation de la totalité du propulsif bi-liquide embarqué composé de deux ergols servant respectivement de carburant et de comburant. Ces deux ergols sont

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SAISIE-CONTREFACON ETUDE

contenus dans deux réservoirs mais l’un des ergols s’épuise en général légèrement avant l’autre par dispersion rendant alors impossible l’éjection orbitale.

L’objet de l’ invention déve loppé en dix revendications - quatre ayant trait au système de propulsion, les six autres étant relatives à l’utilisation du système - consiste donc, selon le demandeur, à fournir une information prévisionnelle sur la fin de vie du satellite.

Elle réside, pour l’essentiel, dans la mise en oeuvre de quatre réservoirs fonctionnant par couple :

Dans un premier couple, un réservoir contient un ergol A et l’autre contient un ergol B, en excès par rapport à l’ergol A.

Dans un second couple, un des deux réservoirs contient un ergol A en excès par rapport à l’ergol B et l’autre contient un ergol B.

Lorsque l’on détecte l’épuisement de l’ergol A dans le premier couple et celui de l’ergol B dans le second, l’opérateur utilisera l’excès d’ergol B du premier couple de réservoirs et le réservoir qui contient l’excès d’ergol A du second couple pour permettre la sortie d’orbite de satellite.

La preuve de la contrefaçon est rapportée, avance-t-il, au vu :

- d’une lettre du 16 octobre 1991 par laquelle FRANCE-TELECOM reconnaît avoir installé sur les satellites quatre réservoirs pour deux ergols et un ensemble de vannes permettant la mise en oeuvre alternée des réservoirs pour déterminer le contenu résiduel des réservoirs,

- d’un compte-rendu de conférence tenue aux U.S.A. en juillet 1990 au cours de laquelle un employé de la société MARCONI SPACE SYSTEM filiale de MARCONI SPACE déclare que les plates-formes EUROSTAR sont équipées d’un système de valves permettant l’alternance et le contrôle des réservoirs,

- de l’impossibilité pour la société MATRA MARCONI SPACE de mettre exclusivement en oeuvre un brevet déposé par la société BRITISH AEROSPACE lequel est caractérisé par un système alimenté par un mono ergol.

Le CNES oppose en premier lieu que la saisie pratiquée au greffe du Tribunal de Grande Instance de PARIS est nulle aux motifs que les documents saisis avaient fait l’objet d’une précédente saisie annulée le 10 mars 1994 par jugement devenu définitif. Cette nullité affectait donc l’ensemble des pièces déposées au greffe et Monsieur BARKATS ne pouvait donc régulièrement faire procéder à la saisie de ces pièces.

Le CNES sollicite que soit prononcée la nullité de cette dernière et que soient restitués à lui-même et à la Société MATRA MARCONI SPACE, l’ensemble des pièces irrégulièrement saisies d’autant que celles-ci ne peuvent venir justifier l’allégation de faits nouveaux résultant de la fabrication d’un quatrième satellite de la série TELECOM 2 puisqu’elles ont trait à la procédure précédente.

Le CNES soutient, par ailleurs, que le brevet ne saurait s’appliquer au dispositif de propulsion dit «système propulsif bi-liquide» lequel était connu au moins depuis 1978.

Il soutient que l’objet de la revendication principale ne peut être qu’un procédé. Toutefois, la description ne comporte aucune valeur ni mesure de la répartition inégale de la réserve d’ergols dans les réservoirs pas plus qu’elle n’indique le moyen de calculer la durée de vie normale résiduelle du satellite.

La descr ipt ion n’explicite pas davan tage comment après l’épuisement du premier ergol, il est possible de garder le contrôle du satellite.

Il en conclut que la revendication n° 1 doit être nulle en application de l’article 49 b de la loi du 2 janvier 1968 modifié et que les revendications 2 à 10, dépendantes de la première, doivent subir le même sort.

Subsidiairement, il offre de démontrer que le procédé de gestion de la durée de vie utile d’un satellite qu’il met en oeuvre ne constitue pas la contrefaçon du procédé breveté et sollicite une expertise destinée à apporter au Tribunal les é léments nécessaires à l ’appréciat ion de la contrefaçon alléguée. Sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, il sollicite la somme de 50.000 F.

Dans des conclusions ultérieures le CNES maintient que le brevet de Monsieur BARKATS revendique un résultat et non pas les moyens propres à l’obtenir ; or, en droit des brevets seuls des moyens peuvent faire l’objet de revendications.

Il retire sa demande subsidiaire d’expertise estimant que les parties produisent aux débats les pièces propres à démontrer que le procédé incriminé ne reprodui t pas les caractér is t iques des revendications du brevet de Monsieur BARKATS.

La Société FRANCE TELECOM oppose pour sa part que le satellite n° 4 de la série TELECOM 2 n’est pas encore construit et qu’il ne peut donc être incriminé de contrefaçon.

Subsidiairement, elle souligne également que les organes du dispositif de propulsion étaient déjà connus avant le 5 août 1985, date de dépôt de la

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demande de brevet et que ce qui caractérise l’invention est u n procédé consistant à la combinaison de deux moyens relatifs l’un à la répartition inégale de la réserve d’ergols dans deux couples de réservoirs associés, l’autre à l’alimentation des tuyères, pendant la vie du satellite, par puisage alterné dans chacun des couples de réservoirs pendant une même période de temps.

La combinaison de ces deux moyens permet alors de savoir lors de l’épuisement d’un réservoir d’un premier couple, la vie résiduelle du satellite.

FRANCE TELECOM relève que selon la description du brevet, le remplissage inégal des réservoirs précède la phase de mise en orbite.

Si le satellite incriminé (n° 4) reproduit les mêmes caractéristiques de celles de la série TELECOM 2, il mettra en oeuvre un dispositif d’alimentation en ergol des tuyères du satellite, entièrement différent de celui revendiqué : notamment, avant le lancement les réservoirs sont remplis au maximum, au cours de la vie du satellite la règle est de puiser alternativement dans les réservoirs pour réaliser un équilibre des masses et d’éviter qu’aucun des réservoirs ne viennent à épuisement comme le prescrit les documents de BRITISH AEROSPACE versés aux débats.

Elle décrit le procédé d’alimentation d’ergol des satellites précédents avant de conclure au rejet des prétent ions de Monsieur BARKATS et de la demande d’expertise devenue sans objet puisqu’elle déclare produire spontanément les pièces qui permettront au Tribunal de trancher le litige. Elle sollicite la restitution des documents saisis et ce, en application de notre jugement du 10 mars 1994 et à la condamnation du demandeur à lui verser la somme de 30.000 F en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Société MATRA MARCONI SPACE FRANCE fait valoir également que toutes les caractéristiques «constructives» du système mis en oeuvre selon la revendication n° 1 avaient été précédemment divulguées avant la date du dépôt du brevet, notamment par une communication scientifique présentée au Congrès de MONTEREY du 8 au 10 juillet 1985 qui décrit précisément la plate-forme EUROSTAR dotée de deux couples de réservoirs susceptibles d’être mis en oeuvre successivement ou en alternance.

En revanche, demeure nouvel le dans la revendication n° 1 la caractéristique à la détection de l’épuisement d’ergol dans un réservoir de chaque couple et à l’association finale des deux réservoirs appartenant à des couples différents et contenant

chacun un ergol en excès, afin de fournir au satellite l’impulsion nécessaire à son extraction de l’orbite opérationnelle.

Tout ce mode d’exploitation est prescrit dans le cas des satellites TELECOM 2 comme le montrent les pages du manuel d’opération de ces satellites qui ont été versées aux débats. Ces satellites mettent en oeuvre la méthode du «boost heating» qui est celle décrite par le brevet britannique 89 10 999 et par son correspondant européen 0 897 480 et qui permet de mesurer de façon régulière et précise la quantité résiduelle d’ergol bien avant son épuisement.

Elle conclut au rejet des prétentions de Monsieur BARKATS et à la condamnation de ce dernier à lui verser la somme de 20.000 F en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

DECISION

Attendu qu’en accord avec l’ensemble des parties, il a été fait droit à la demande de FRANCE TELECOM qui en raison de la confidentialité de certaines pièces versées aux débats, a sollicité que ceux-ci se tiennent hors la présence du public ;

Sur la nullité de la saisie

Attendu que par ordonnance du 8 avril 1994 rendue par Madame le Président de cette juridiction, Monsieur BARKATS a été autorisé à pratiquer la saisie des pièces déposées au greffe de notre Tribunal en exécution d’une ordonnance de référé du Président du Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE, en date du 20 janvier 1993 ;

At tendu qu’il est constant que ces pièces proviennent des opérations de saisie-contrefaçon effectuées au CNES le 6 décembre 1991 et dans les locaux de la Société MATRA MARCONI SPACE le 5 mars 1992 ; que ces saisies ont été autorisées par ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE ;

Attendu que par jugement du 10 mars 1994, la nullité des saisies précitées a été prononcée par jugement de notre Tribunal, en date du 10 mars 1994, signifié le 20 mai 1994 et dont il n’a pas été fait appel ;

Attendu cependant que, selon ordonnance du 8 avril 1994, Monsieur BARKATS fut autorisé à faire procéder, hors sa présence, à la saisie, de l’ensemble des pièces précédemment saisies entre les mains de la Société MATRA MARCONI SPACE et du CNES à TOULOUSE pour les déposer au greffe du Tribunal de Grande Instance ;

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Attendu que l’huissier a ainsi procédé le 21 avril 1994 à la saisie, au greffe du Tribunal de Grande Instance où ils étaient encore déposés en attente de restitution, de quatre cartons dont il a dressé l’inventaire de leur contenu en mentionnant le titre ou les références figurant en page de garde des documents ;

Attendu que le CNES soutient que cette saisie est nulle dès lors que Monsieur BARKATS ne pouvait exciper des faits nouveaux pour la fonder et que la nullité de la précédente saisie prononcée par jugement de ce siège implique que la matérialité des saisies, ju r id iquement inexistantes pu isque annulées, ne pouvait procurer au saisissant un quelconque avantage d’autant que le Tribunal avait ordonné la restitution des documents ;

La nouvelle saisie de ceux-ci rend impossible leur restitution et vide d’effet l’autorité due à la chose jugée par la décision du 14 mars 1994 ;

Mais attendu que le propriétaire d’un brevet a, aux termes de l’article L. 615-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, la possibilité de faire la preuve par tous moyens de la contrefaçon dont il se prétend victime ; que ce même texte lui confère le droit de faire procéder, sur ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance, à la saisie réelle des documents et pièces susceptibles d’apporter la preuve de la contrefaçon qu’il présume ;

Attendu qu’il est indifférent à ce stade que la portée du brevet revendiqué soit limitée à un procédé dès lors que la fabrication en vue de sa livraison du dispositif incriminé est présumée par le titulaire du brevet reproduire les moyens mis en oeuvre par son invention ;

At tendu qu’il n’est pas contesté par les défendeurs qu’un quatrième satellite a été mis en construction à la fin de l’année 1993 ou au début de l’année 1994 ;

Attendu que la construction de ce satellite constitue un fait nouveau ; qu’appartenant à la même génération dénommée «TELECOM 2», il pouvait être présumé que celui-là mette en oeuvre un dispositif décrit par les documents précédemment saisis dans les locaux de la Société MATRA MARCONI SPACE et dans ceux du CNES ;

Attendu par ailleurs qu’il était loisible au CNES de solliciter la rétractation de l’ordonnance du 8 avril 1994 par laquelle Monsieur BARKATS a été autorisé à procéder à la saisie critiquée, ce qu’il ne fit pas

Attendu que contrairement à ce qu’avance le CNES, la nullité des saisies pratiquées au CNES et chez MATRA MARCONI SPACE, prononcée par jugement définitif de notre Tribunal , n’a

aucunement pour effet d’interdire au saisissant de solliciter l’autorisation de procéder à une nouvelle saisie, quel que soit le lieu où se trouvent les pièces à saisir ; qu’en effet, dès lors que le titulaire du brevet invoque la survenance de faits nouveaux consistant comme en l’espèce en de nouveaux actes présumés de contrefaçon sur le mérite desquels il n’a jamais été statué, la nullité d’une saisie ne fait pas obstacle à une nouvelle saisie des mêmes documents, dûment autorisée par une ordonnance du Président du Tribunal ;

Qu’ainsi, le CNES ne peut qu’être débouté de l’ensemble de ses prétentions relatives à la validité de la saisie ;

Sur la portée du brevet :

Attendu que l’invention, aux termes de la description du brevet, concerne tant un système propulsif bi-liquide d’un satellite artificiel destiné à fournir une information prévisionnelle relative à la fin de vie normale du satellite et à permettre l’extraction de ce dernier de son orbite opérationnelle, que l’utilisation d’un tel système propulsif bi-liquide afin de prévoir l’instant où les ergols embarqués viennent à s’épuiser tout en ménageant une réserve d’ergols suffisants pour assurer la manoeuvre d’éjection du satellite de son orbite des satellites géostationnaires vers une orbite non opérationnelle ;

Qu’il est précisé que l’utilisateur d’un satellite auquel est allouée une portion d’orbite de plus en plus réduite en raison de l’augmentation du nombre de satellites opérant sur cette orbite, se doit d’une part de renvoyer un satellite arrivé au terme de son fonctionnement sur une orbite où il ne risque pas de gêner le nouveau satellite et d’autre part de n’éjecter le satellite atteint d’obsolescence que lorsqu’il est certain de l’imminence de son terme afin d’optimiser la rentabilité du système mis en place ; un satellite devient en effet inutilisable lorsque des ergols embarqués, qui lui permettent de maintenir sa position et de se pointer correctement vers la terre, viennent à s’épuiser ; les satellites utilisent des systèmes de propuls ion bi- l iquide avec des réservoirs de carburant et de comburant séparés ;

Que des satellites de masse de plus en plus importante sont équipés non plus de deux mais de quatre réservoirs identiques d’ergols, deux pour les comburants, deux pour les carburants ;

Que la présence d’ergols en apesanteur à l’intérieur des réservoirs rend tout moyen de mesure de la quantité résiduelle d’ergols très imprécis ;

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Que l’invention propose de répartir la réserve d’ergol inégalement dans au moins deux couples de réservoirs associés selon les modalités décrites dans la revendication n° 1 reproduite ci-après ; que les réservoirs associés sont aptes à être mis en service successivement de manière à ce que , après épuisement d’un des deux réservoirs de chaque couple, les deux réservoirs appartenant à des couples différents et contenant chacun un ergol en excès sont associés par commande appropr iée des électrovannes pour alimenter les tuyères en vue de fournir au satellite l’impulsion nécessaire à son extraction de l’orbite ;

Que le système propulsif comporte notamment une unité de commande de pressurisation laquelle; de façon classique incorpore un réservoir de gaz neutre sous pression, des électrovannes, des valves anti-retour, des pressostats et des filtres ;

Qu’au cours de la vie normale du satellite, l’alimentation en ergols des tuyères de commande d’orientation et d’orbite est obtenue par commande appropriée des électrovannes de façon à puiser les ergols successivement et pendant une période déterminée dans les différents couples de réservoirs associés, période qui pourra être avantageusement de l’ordre d’environ six mois ;

Attendu que la revendication n° 1 est ainsi libellée :

1 - Système propulsif à deux ergols d’un satellite artificiel, en particulier d’un satellite géosynchrone, destiné à fournir une information prévisionnelle relative à la fin de vie normale du satellite de son orbite opérationnelle, du type comportant une unité de pressurisation d’ergols contenus dans des réservoirs d’alimentation d’une tuyère d’apogée et d’une pluralité de tuyères de faible poussée de commande d’orientation et d’orbite du satellite, l’alimentation des différentes tuyères en ergols s’effectuant par l’intermédiaire d’électrovannes, caractérisé en ce que la réserve d’ergols est répartie inégalement dans au moins deux couples de réservoirs associés (12, 16) et (14, 18), chaque couple comprenant un réservoir de comburant et un réservoir de carburant, en ce qu’un premier couple de réservoirs (12, 16) contient un excédent du premier ergol par rapport au volume du second ergol contenu dans le réservoir associé (16), alors qu’un second couple de réservoirs (14,18) contient un excédent du second ergol par rapport au volume du premier ergol contenu dans le réservoir (14) associé, et en ce que les réservoirs associés des différents couples sont aptes à être mis en service successivement pendant une période déterminée durant la vie normale du satellite de telle sorte que la

détection de l’épuisement d’un premier ergol dans un réservoir (14 ou 16) associé à un réservoir (18 ou 12) contenant un excès du second ergol indique que la durée de vie normale résiduelle du satellite est au plus approximativement égale à ladite période déterminée des mises en service successives des différents couples de réservoirs, et qu’après épuisement du second ergol du réservoir (16 ou 14) associé au réservoir (12 ou 18) contenant un excès du premier ergol, les deux réservoirs (12 et 18) appartenant à des couples différents et contenant chacun un ergol en excès sont associés par commande appropriée des électrovannes pour alimenter les tuyères de faible poussée (44 ou 50) en vue de fournir au satellite l’impulsion nécessaire à son extraction de l’orbite opérationnelle ;

Attendu que ce qui caractérise la revendication précitée n’est pas un système de propulsion d’un satellite au moyen de deux ergols répartis dans deux batteries de réservoirs, mettant en oeuvre un moteur principal dit d’apogée et deux séries de moteurs plus faibles destinés au maintien en poste du satellite une fois placé sur orbite ;

Qu’en revanche l’invention revendiquée est un procédé qui repose sur deux moyens : d’une part, une répartition inégale des réserves d’ergols dans deux couples de réservoirs associés selon les indications précisément mentionnées dans la revendication, d’autre part une alimentation des tuyères à partir de réservoirs associés des différents couples, lesquels sont aptes à être mis en service successivement pendant une période de temps déterminée ;

Attendu que la répartition inégale des ergols, objet du premier moyen, ne peut être réalisée, comme d’ail leurs l’envisage la descr ipt ion, qu’antérieurement à la mise en orbite ;

Attendu, en effet, que l’objet du brevet est de pallier l’incertitude de la mesure des réserves d’ergols pendant la vie du satellite ; que cela suppose nécessairement , pendan t la vie de celui-ci, l’existence d’un obstacle à la création et au maintien d’un différentiel d’ergols suffisant et précis dans les réservoirs considérés pour obtenir le résultat recherché ;

Attendu que la mise en oeuvre des deux moyens précités permet de déterminer approximativement la durée de vie résiduelle du satellite et de préserver la quantité de chaque ergol nécessaire pour que, en associant les deux réservoirs qui les contiennent, le satellite dispose de l’impulsion nécessaire à son extraction de l’orbite opérationnelle ;

At tendu que cette revendicat ion, ainsi circonscrite, n’est nullement antériorisée ; que le

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document A I AA 85. 1376 HOBBS et LUKEY de BRITISH AEROSPACE ne divulgue pas, du moins dans sa partie traduite fournie aux débats, la combinaison des deux moyens ci-dessus décrits ;

Sur la nullité du brevet :

Attendu que le CNES conclut à la nullité de la revendicat ion n° 1 et des revendicat ions dépendantes de celle-ci aux motifs que le brevet n’a pas décrit les moyens constitutifs de l’invention mais revendique un résultat et que le caractère lacunaire de la description ne permet pas d’obtenir le résultat escompté ;

Attendu que si la revendication ne décrit pas de quelle manière est réalisée la répartition inégale des ergols, il demeure que le différentiel recherché doit être suffisant pour permettre la sortie d’orbite du satellite vers une orbite «cimetière» ; qu’il appartient à l’homme de l’art de déterminer, eu égard à une série de paramètres tels que les performances des tuyères et la distance à parcourir pour atteindre l’orbite «cimetière», le différentiel à créer ;

Attendu qu’il n’est pas non plus pertinent de tirer argument de l’absence de moyen de calcul de la durée de vie résiduelle dès lors que l’objet du brevet est de pallier une absence de mesure suffisamment précise par la mise en oeuvre de deux moyens, qui renseignera le moment venu l’opérateur sur la période de vie résiduelle du satellite ;

Attendu que le CNES soutient en outre que le passage de la description relatif à «la période des branchements successifs des différents couples de réservoirs inégalement remplis de façon que l’information recueillie corresponde à une durée la plus grande possible de la période de commutations successives des différents couples de réservoirs» est incompréhensible ;

At tendu cependant que, comme le relève Monsieur BARKATS, ce grief est inopérant dès lors qu’il ne concerne qu’un passage de la description qui n’est pas utile à l’appréhension de la revendication ;

Attendu que le CNES soutient encore que la description n’indique pas comment reprendre le contrôle d’un satellite devenu incontrôlable du fait de l’épuisement d’ergol ;

Attendu qu’il ressort de la lecture même de la description et de la revendication que le procédé consiste à mettre en oeuvre les moyens propres notamment à éviter que par l’effet de l’épuisement d’ergol, le satellite devienne incontrôlable et non pas de reprendre le contrôle d’un satellite ;

Attendu que le CNES n’est pas mieux fondé à soutenir que l’objet du brevet n’est qu’un résultat ;

qu’en effet, comme il l’a été indiqué au chapitre précédent, le brevet ne décrit pas un résultat mais la combinaison de deux moyens destinés à produire ce dernier ;

At tendu qu’en ce qui concerne les autres revendicat ions , elles sont placées dans la dépendance de la première ; que la demande tendant à voir prononcer leur nullité sera donc rejetée ;

Sur la contrefaçon :

Attendu que dans ses dernières conclusions, Monsieur BARKATS prétend que le CNES et la Société MATRA MARCONI SPACE n’ont fait que perfectionner les caractéristiques en lui ajoutant un système complémentaire de mesure des quantités d’ergols ;

Qu’il sollicite que soit ordonné aux défenderesses de produire l’intégralité des pièces qu’elles versent par extraits ;

Attendu en premier lieu qu’il appartient aux défenderesses de produire aux débats les pièces qui, selon elles, permettent d’établir l’inexistence de la contrefaçon alléguée sans que le Tribunal n’ait à ordonner la production des documents en entier ou par extraits dont certains se trouvent dans les pièces saisies ;

Attendu en second lieu qu’il importe pour la clarté des débats que les pièces qui ont été saisies et qui sont conservées au greffe puissent être examinées par un expert chargé de faire le tri entre celles qui revêtent un caractère confidentiel et celles qui ne présentent pas ce caractère ;

Attendu que le Tribunal appréciera alors au vu notamment du rapport de l’expert qui devra également apporter les précisions indiquées au dispositif, l’existence de la contrefaçon alléguée ;

Attendu qu’il y a lieu de surseoir sur toute autre demande ;

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement, en chambre du Conseil,

Rejette la demande de nullité des opérations de saisie effectuées le 21 avril 1994 au greffe du Tribunal,

Rejette la demande de nullité de la revendication n° 1 du brevet intitulé : «système propulsif bi-liquide d’un satellite artificiel et utilisation dudit système pour assurer l’éjection du satellite» enregistré sous le n° 85 11 964, publié sous le n° 1 585 669 ainsi que celle des autres revendications de ce brevet ;

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ETUDE SAISIE-CONTREFACON

- Sur la contrefaçon :

Vu la consultation de l’INPI effectuée en application de l’article 1er du décret n° 65-464 du 10 juin 1965,

Ordonne une mesure d’expertise confiée à :

Monsieur Michel DALSACE

1, rue du Pont Louis Philippe

75004 PARIS

Tél. 01 69 53 10 37

avec mission de :

- prendre connaissance des pièces saisies,

- de faire le départ entre celles qui revêtent un caractère confidentiel et celles qui peuvent être librement échangées,

- de fournir au Tribunal, au vu de ces pièces et de celles que pourront lui communiquer les parties, tous éléments techniques relatifs au satellite n° 4 TELECOM 2 qui lui permettront d’apprécier les moyens mis en oeuvre par celui-ci pour assurer, au moment le plus approprié , sa sortie d’orbite opérationnelle,

- fournir en outre tout élément relatif à la commercialisation de ce satellite,

Dit que l’expert devra déposer son rapport avant le 15 mai 1997 au service des expertises de ce Tribunal.

Dit que Monsieur BARKATS devra consigner à titre de provision sur les frais et honoraires de l’expert, la somme de VINGT MILLE FRANCS (20.000 F).

Dit que faute de consignation de cette somme au greffe du Tribunal, service des expertises, escalier P - 3ème étage, avant le 15 janvier 1997, la mesure sera caduque.

Renvoie l’affaire à l’audience de mise en état du jeudi 20 janvier 1997 pour vérification de la consignation.

Sursoit à statuer sur les autres demandes.

Ordonne l’exécution provisoire.

Réserve le sort des dépens.

Tribunal de Grande Instance de Paris (3ème ch., 2ème Section),

Ordonnance de mise en état 02 octobre 1997

Monsieur Gérard BARKATS c / la Société FRANCE TELECOM, la Société MATRA MARCONI SPACE FRANCE et le CNES

Me Merlet, Stenger, Combeau et Benoit, Avocats

Nous, Sylvie MAUNAND, juge de la mise en état et du contrôle de l’expertise,

Après avoir en tendu les part ies d û m e n t convoquées à l’audience du 18 septembre 1997,

Par jugement du 6 décembre 1996 auquel il convient de se référer en ce qui concerne les faits et les prétentions des parties, le Tribunal a ordonné une expertise,

La mission de l’expert est la suivante :

- prendre connaissance des pièces saisies ;

- faire le départ entre celles qui revêtent un caractère confidentiel et celles qui peuvent être librement échangées ;

- fournir au Tribunal, au vu des pièces et de celles que pourront lui communiquer les parties, tous les éléments techniques relatifs au satellite n° 4 TELECOM 2 qui lui permettront d’apprécier les moyens mis en oeuvre par celui-ci pour assurer au moment le plus appropr ié sa sortie d’orbite opérationnelle ;

- fournir en outre tout élément relatif à la commercialisation de ce satellite,

Monsieur DALSACE, initialement désigné par le Tribunal, a été remplacé par Monsieur GENDRAUD.

Par conclusions en date du 18 septembre 1997, Monsieur BARKATS a souhaité voir dire que l’expert devrait procéder à la distinction entre pièces confidentielles et non confidentielles en présence des conseils en propriété industrielle des parties.

La Société FRANCE TELECOM s’oppose à la présence du conseil en propriété industrielle du demandeur si elle ne connaît pas préalablement l’identité de celui-ci.

La Société MATRA MARCONI SPACE TOULOUSE sollicite le rejet de la prétention adverse estimant que cela reviendrait à communiquer des informations confidentielles à l’adversaire.

Le CNES estime que le juge du contrôle des expertises n’est pas compétent pour connaître de la difficulté qui relève de l’interprétation du jugement

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par le Tribunal. En tout état de cause, il s’oppose à la demande.

Monsieur BARKATS suggère d’admettre les conseils en propriété industrielle qui seraient tenus à la confidentialité à l’égard de leurs clients.

MOTIFS DE LA DECISION

Attendu que la demande est de la compétence du juge du contrôle de l’expertise qui peut statuer sur toutes les difficultés apparaissant au cours des opérations d’expertise ;

Attendu qu’en l’espèce, la qualification du caractère confidentiel des pièces saisies dans les locaux des défendeurs a été confiée à l’expert par le Tribunal dans son jugement du 6 décembre 1996 ; que la juridiction n’a pas prévu que le technicien devait s’adjoindre les conseils en propr ié té industrielle des parties pour ce faire ;

Attendu que l’expert a une obligation de probité et d’impartialité dans l’exécution de ses opérations ; que la qualité et la rigueur du tri opéré par l’expert entre les pièces confidentielles et celles qui ne le sont pas n’ont pas lieu d’être mises en doute ;

Attendu qu’admettre la présence des conseils en propriété industrielle à ces opérations de tri de pièces reviendrait à vider celles-ci de tout caractère protecteur de la confidentialité desdites pièces ; que les conseils sont mandatés par les parties et doivent de ce fait en vertu des dispositions générales du code civil faire rapport à leurs mandants ; qu’ils seraient donc amenés à communiquer à ceux-ci la teneur de tous les documents examinés y compris ceux pouvant être qualifiés de confidentiels ;

Attendu que le demandeur ne saurait tirer argument de l’absence de respect du principe du contradictoire de ce fait ;

Attendu qu’en effet, le Tribunal ne statuera sur les demandes présentées par Monsieur BARKATS qu’à partir des pièces non confidentielles communiquées et discutées entre les parties ; que le principe du contradictoire sera ainsi pleinement respecté ;

Attendu que Monsieur BARKATS est donc débouté de sa prétention ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort :

- Rejetons la demande présentée par Monsieur BARKATS de voir les conseils en propr ié té industrielle des parties assister aux opérations de tri

entre pièces confidentielles et non confidentielles effectuées par l’expert ;

- Réservons les dépens.

Tribunal de Grande Instance de Paris Ordonnance de référé

24 novembre 1997 Société Laboratoires Merck Sharp & Dhome-

Chibret c / Société G. D. Searle & Co et Société The Monsanto Company

Me Lenoir et Mollet-Vieville, Avocats.

Nous, Président,

Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil,

Vu l’assignation introductive de la présente instance, délivrée le et les motifs y énoncés,

Les sociétés SEARLE et MONSANTO COMPANY copropriétaires d’une demande PCT visant un brevet européen désignant la FRANCE publiée le 21 juillet 1994 sous le n° E.P.A. 679.157 ayant pour objet de nouveaux agents anti­inflammatoires ayant une action d’inhibition sur l’enzyme cyclooxygenase II (ou Cox II) ont fait pratiquer une saisie-contrefaçon le 31 octobre 1997 dans les locaux de la société laboratoires MERCK SHARP ET DHOME-CHIBRET au 3 avenue Hoche à PARIS en exécution d’une ordonnance sur requête du 22 octobre 1997.

La société MERCK SHARP ET DHOME-CHIBRET qui invoque la caractère hautement confidentiel des 156 documents saisis et placés par l’huissier sous enveloppe fermée à son sceau, a assigné en référé le 7 novembre 1997 les sociétés SEARLE et MONSANTO COMPANY après y avoir été autorisée par ordonnance du même jour, pour obtenir la désignation d’un expert avec mission de :

- entendre les avocats et conseils des parties,

- se faire remettre l’enveloppe contenant les documents saisis qui est entre les mains de Me BUNEL, huissier de justice,

- en la présence des avocats et conseils des parties, procéder à l’ouverture de ladite enveloppe et à l’examen des documents contenus,

- dire s’il y a des documents nécessaires, et, dans l’affirmative lesquels, pour rapporter la preuve de la contrefaçon alléguée par les sociétés SEARLE et MONSANTO COMPANY,

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ETUDE SAISIE-CONTREFACON

- de ces documents dresser une liste pour servir et valoir ce que de droit,

- procéder à l’examen du procès-verbal de saisie-contrefaçon et dire s’il contient des éléments nécessaires, et, dans l’affirmative, lesquels, pour rapporter la preuve de la contrefaçon alléguée.

Elle d e m a n d e aussi d’enjoindre aux défenderesses sous astreinte de 1 million de francs par infraction, de ne communiquer les documents reconnus nécessaires pour établir la matérialité de la contrefaçon alléguée, qu’aux personnes qui sont dans la nécessité de les connaître pour la défense de leurs droits de brevet en FRANCE et dont la liste devra être communiquée par lesdites sociétés.

Les sociétés SEARLE et MONSANTO COMPANY concluent au débouté de la société MERCK SHARP ET DHOME-CHIBRET et au paiement de 50.000 francs par application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile aux motifs que les documents saisis n’ont pas été recherchés ni sélectionnés par l’huissier mais remis par MERCK ; qu’aucun document n’est si tué hors de la contrefaçon alléguée à l’exception de l’identité des médecins inves t igateurs qu’elles acceptent d’occulter ; que MERCK n’articule aucun moyen permet tan t d’identifier les rense ignements confidentiels invoqués ; et qu’enfin le contenu des documents n’est pas confidentiel dès lors que MERCK a publié à plusieurs reprises sous sa référence MK0966 la mise au point de son inhibiteur de la cyclooxygenase II pour montrer son activité anti-inflammatoire.

Les sociétés SEARLE et MONSANTO COMPANY demandent de dire que les documents et informations contenus dans l’enveloppe scellée, le procès-verbal et l’assignation du 12 novembre 1997 sont à la disposition de SEARLE et de MONSANTO qui en useront à leurs risques et périls sous leur responsabil i té , le Juge du fond restant seul compétent pour apprécier la teneur de ces documents et informations comme étant susceptibles de contribuer à la preuve de la contrefaçon alléguée, et la manière dont SEARLE et MONSANTO auront utilisé ces documents et informations pour défendre leurs droits de brevets.

Les sociétés SEARLE et MONSANTO COMPANY ne s’opposent pas subsidiairement à la désignation d’un expert et sollicitent que :

- les documents et informations retenus par ce dernier seront à la disposition des seules personnes en charge de la défense des intérêts de SEARLE et MONSANTO relatifs à la défense de leur invention et aux contrefaçons éventuelles ;

- les documents et informations seront à la disposition de SEARLE et MONSANTO tant devant les juridictions françaises que devant les juridictions étrangères ;

- les dispositions prévues ci-dessus seront respectées également par MERCK à titre de réciprocité.

MOTIFS

Il n’est pas sérieusement contesté que la d ivulgat ion de secrets de recherche ou de fabrications à l’occasion d’une saisie et étrangers à la preuve de la contrefaçon alléguée constituerait pour leurs titulaires un préjudice irrémédiable qu’il appartient au juge des référés de prévenir.

Sans se prononcer sur le fond du litige opposant les parties, il convient cependant de relever que les pièces produites établissent l’existence, depuis plusieurs années, d’une proximité de recherches des sociétés SEARLE et MONSANTO d’un part et de la société MERCK SHARP ET DHOME-CHIBRET d’autre part sur les nouveaux agents anti­inflammatoires ayant une action d’inhibition sur le COX II.

Cont ra i rement aux affirmations des défenderesses, la société MERCK SHARP ET DHOME-CHIBRET décrit dans son assignation et à son dossier les pièces saisies dont elle invoque le caractère confidentiel. Les sociétés SEARLE et MONSANTO COMPANYne le contestent pas sérieusement dès lors qu’elles ont convenu de concert avec la société MERCK SHARP ET DHOME-CHIBRET au cours de la saisie-contrefaçon de placer sous enveloppe scellée tous les documents saisis et de désigner l’huissier instrumentaire séquestre provisoire.

Pour préserver les droits de chacune des parties, il convient de désigner un expert avec mission d’examiner, sous le sceau de la confidentialité, les documents placés sous enveloppe scellée par l’huissier saisissant , et de fournir tous renseignements de nature à permettre au Tribunal de distinguer les documents nécessaires à la preuve de la contrefaçon alléguée du brevet SEARLE et MONSANTO d’avec ceux étrangers à cette preuve.

Afin de préserver l’éventuel caractère confidentiel des pièces saisies, l’expert ouvrira l’enveloppe et fera le tri des documents en présence des avocats des parties et du conseil en propriété industrielle de chacune d’elles dont l’identité devra être communiquée avant la première réunion d’expertise à l’expert et aux parties, toutes ces

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SAISIE-CONTREFACON ETUDE

personnes étant confidentialité.

tenues à une obligation de

Si des documents retenus par l’expert comme étant nécessaires à la preuve de la contrefaçon alléguée, présentent un caractère confidentiel, seules les personnes énoncées précédemment pourront y avoir accès sans qu’il soit nécessaire d’ordonner une astreinte.

Les autres documents pourront être librement échangés et seront dès lors à la disposition des personnes en charge des intérêts de SEARLE et MONSANTO sans qu’il soit possible de limiter leur emploi à la procédure initiée en FRANCE.

En effet, il ne saurait être question de priver les défenderesses de leur droit, organisé par la loi, d’aménager la preuve de la contrefaçon alléguée par la saisie autorisée le 22 octobre 1997.

Monsieur le Directeur de l’INPI a été consulté sur le choix de l’expert le 18 novembre 1997 conformément à l’article R615-5 du CPI.

L’équité ne commande pas d’allouer aux défenderesses une indemnité sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant en référé, pub l iquement , contradictoirement et en premier ressort,

Vu la consultation de l’INPI effectuée le 18 novembre 1997 ;

Ordonnons une mesure d’expert ise et commettons pour y procéder Mr Michel DALSACE demeurant 1 rue du Pont Louis Phillippe 75004 PARIS tel : 01.42.89.50.03 avec mission de :

1° - Recueillir les explications des parties, de leurs avocats et des conseils en brevet de leur choix respectif ;

2° - Se faire remettre l’enveloppe contenant les 156 documents saisis le 31 octobre 1997 dans les locaux de la société MERCK SHARP ET DHOME-CHIBRET, scellée le même jour par Me BUNEL huissier, qui est le séquestre provisoire ; procéder à son ouverture en présence des avocats des parties, du conseil en propriété industrielle de chacune d’elles dont l’identité devra être communiquée avant la première réunion d’expertise à l’expert et aux parties ;

3° - Rechercher ceux des documents qui contenant des renseignements susceptibles de nature confidentielle de venir au soutien de la contrefaçon al léguée ; effectuer les mêmes recherches pour les informations contenues dans le

procès verbal de saisie-contrefaçon dressé le 31 octobre 1997 ;

4° - Dresser une liste de ces documents et informations ;

Disons que seuls les avocats et les conseils en propriété industrielle susvisés pourront accéder aux documents retenus par l’expert et présentant un caractère confidentiel ;

Disons que tous les autres documents (non confidentiels et nécessaires à la preuve de la contrefaçon alléguée) pourront être librement échangés et seront donc à la disposition des personnes en charge de la défense de SEARLE et MONSANTO ;

Disons que l’expert procèdera à sa mission dans un délai de 4 mois à compter de sa saisine et devra déposer son rapport avant le 30 avril 1998 ;

Disons que les sociétés SEARLE et MONSANTO COMPANY verseront une provision de 20.000 francs à valoir sur la rémunération de l’expert au greffe du Tribunal de Grande Instance de Paris avant le 31 décembre 1997 (escalier D 2ème étage) ;

Disons que faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l’expert sera caduque et de nul effet ;

Disons n’y avoir lieu à référer sur le surplus des demandes ;

Déboutons les sociétés SEARLE et MONSANTO COMPANY de leur demande fondée sur l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Condamnons les sociétés SEARLE et MONSANTO COMPANY aux dépens.

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