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RLn° 1222 Regius GLDFà l’Ode MarsRecueil des travaux 6008 - 6009 1 er , 2 nd & 3 e degrés symboliques Juillet 2009 1

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R∴ L∴ n° 1222 RegiusG∴L∴D∴F∴ à l’O∴ de Mars∴

Recueil des travaux 6008 - 60091er, 2nd & 3e degrés symboliques

Juillet 2009

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Présentation du programme

Notre passé V∴ M∴ nous avait fait la promesse de nous faire cultiver l'esprit du Rite, de déambuler dans le doute, de tâcher d'entendre l'inouï, de voir l'invisible, et de pulvériser le matériel. Il a réussi. La preuve, c’est que nous allons poursuivre dans cette direction. C’est pourquoi je vous invite à un travail de curiosité pour les différents sentiers de la Connaissance, je vous invite à un devoir d'audace de pensée dans l'exploration et la découverte de voies inattendues, et je vous invite à oser un souffle de liberté de penser, par soi-même, sans peur, sans reproche.Nous allons persister dans la difficulté, non pour satisfaire un quelconque masochisme ni pour céder à un fu-neste manque de confiance, tout au contraire. Nous poursuivrons la quête des flamboyances qui ouvrent le cœur, la quête des découvertes qui donnent le bonheur à l'esprit, la quête des paradoxes qui nourrissent l'âme. Nous aider à aller plus loin, c’est exactement la fonction, et l'ambition même, du R∴E∴A∴A∴ Nous persévé-rerons dans notre curiosité pour les larges domaines de la Connaissance, dans le sillage de nos passés VV∴ MM∴ Ils nous ont donné confiance, ils ont cru en nous, ils ont cru en Regius, et regardez ce qui est arrivé : notre loge a travaillé, elle a eu peur, elle a craqué et gémit, elle a cultivé ses forces et son authenticité, et nous voilà, plus forts que jamais, ayant appris quelques rudiments solides. Nous nous sommes éprouvés, nous pou-vons aller plus loin.Regius est comme une grappe dont les raisins mûrissent en se regardant l'un l'autre, en s'appuyant l'un sur l'au-tre, sous la Lumière partagée. Un brin d'acidité ici ou là n'en altère pas la saveur ni la valeur. Nous travaillerons aussi sur les outils maçonniques qui ne sont pas doués du pouvoir de transformer celui qui reste assis à les re-garder, pour paraphraser notre F∴ Député P∴-H∴ Nous allons continuer à les utiliser au mieux, à en perfec-tionner l’usage et le sens. Nous savons bien maintenant que nous pouvons, que nous devons, nous tromper, nous égarer, nous confronter à nos limites, à nos peurs, pour espérer un jour poser une clé de voûte.Je vous propose donc un programme composé avec le confort de l'incertitude, avec le calme de l'aventure, avec la paix du combat, avec la vérité de la diversité, avec l'équilibre du mouvement, bref, un programme fait avec des vrais morceaux de paradoxe et de vivant, sans ersatz, où chacun trouvera matière à repartir avec plus de questions que nous n'en avions en arrivant, en nous souvenant que l'Eveillé interroge également le visible et l'invisible, au dedans et au dehors. Vous l’avez bien compris, nous privilégions les travaux personnels, en évi-tant les compilations et les citations, dans la recherche constante de l’authenticité de la pensée, dans l’audace de la prise de risque et dans le partage sincère. Comme nous avons appris à le faire.La matière première de nos travaux cette année est issue des différents auteurs ci-dessous (classés alphabéti-quement) : Léon Askenazi - Henri Bergson - Bouddha - André Breton - René Char - Paul Claudel - Khalil Gibran - Tenzin Gyatso - Krishnamurti - Lao-Tseu - Claude Levenson Miyamoto Musashi - Friedrich Nietzsche - Rainer Maria Rilke - Rabindranath Tagore - Léon Tolstoï - Jean-Pierre Vernant - Léonard de Vin-ci - Swami Vivekananda Marguerite Yourcenar, ainsi que de divers textes : le Yi King, ou Livre des transforma-tions, le plus ancien livre de Chine, la Bhagavad Gita, partie du Mâhâbâratha, écrit central de l’hindouisme, des travaux contemporains de F∴M∴, et diverses lectures ou conférences, dont j’ai parfois perdu la trace mais gardé les notes. Mais la source de chaque sujet n’est pas indiquée à l’avance, volontairement ; ils pourront l’être après la présentation de la planche, mais là n’est pas l’essentiel.Ce recueil des travaux reprend une pratique en vigueur pendant les premières années de Regius. Il a l’ambition de contribuer à la transmission du fruit de nos efforts, de nos échanges, de nos aspirations, parce que nous ne nous fixons pas de limite à la recherche de la Vérité.

Je vous souhaite d’heureuses lectures, de fertiles recherches, de belles découvertes.

Michel Lec∴V∴M∴

16 Septembre 2008

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30 SEPTEMBRE 2008

Raymond Jol∴

On ne va pas d’un seul coup à la lumière. On y va par le chemin de l’obscurité. On ne quitte pas l’obscurité une fois pour toutes, c’est un va et vient continuel de l’une à l’autre.

La lumière dans notre monde profane est ce « phénomène spontanément perçu par l’œil et susceptible d’éclai-rer et de permettre de voir ». Au sens figuré c’est ce qui va permettre de comprendre et de savoir. Pour le reli-gieux Dieu est lumière et le croyant peut la recevoir simplement en la désirant et en suivant une voie préala-blement tracée. Il n’y a pas de mystère, son rôle est passif (comme d’ailleurs celui du mystique), le domaine dans lequel les relations se forment est purement d’ordre exotérique. Quelle serait donc cette lumière dont traite le sans doute célèbre mais inconnu auteur de la citation et qui correspond à la première demande que nous faisons lors de notre installation dans le temple … ? Je vous propose d’essayer de la définir avant de tenter de voir comment l’approcher. Définition : dans la tradition islamique la première création est celle de la lumière ; elle procède immédiate-ment de l’ordre, du commandement divin et elle se situe dans l’état d’existence qui est désigné par le mot Ala-mulamr et qui constitue à proprement parler le monde spirituel pur. La lumière intelligible est donc l’essence de l’esprit et celui-ci dans son sens universel s’identifie à la lumière elle-même. C’est ce que qualifie René Gué-non de cœur du Monde en notant que son expansion produit la manifestation de tous les êtres tandis que sa contraction les ramène à leur principe. Ce cœur est à la fois le premier et le dernier par rapport à la création dans son sens absolu. Et lorsqu’il considère notre monde c'est-à-dire le qui il prend en compte, le degré d’exis-tence auquel appartient l’état humain, il y trouve comme centre un principe correspondant à ce cœur univer-sel. La doctrine hindouiste y voit également un aspect de Brahma c'est-à-dire du verbe producteur de la mani-festation et qui est en même temps lumière. La lumière ne serait-elle pas simplement pour nous le seul attrait, la seule possibilité de compréhension, la seule correspondance possible entre notre univers aux dimensions réduites, limités par l’espace et le temps avec l’in-mesurable immensité et la jeunesse éternelle du monde ? Ne serait-ce pas elle qui – seule – pourrait donner un sens à notre vie en nous aidant à en comprendre le mystère ? Ne brille-t-elle pas pour nous signifier que nous sommes partie prenante de l’univers et qu’il est urgent de prendre notre place dans l’édifice universel ? Le mot « sens » revêt un double intérêt : il veut dire à la fois signification mais aussi direction et celle que nous propose l’auteur est celle de l’obscurité. Que comprendre et vers où aller ?

L’OBSCURITE - LE RETOUR VERS SOI Les gens qui composaient le peuple d’Abraham lassés, fatigués et surtout ne comprenant pas où menait leur errance, décidèrent d’élire un représentant qui aurait pour mission d’oser demander au Maître où tout cela menait et quel était le but de ce long voyage. Celui-ci, on l’imagine fébrile, posa la question et tous attendirent et entendirent la réponse : « marche vers toi » c’est le pays que Dieu m’indique. Alors, la légende veut qu’ils perçurent le signe, l’appel et comme une voix chaleureuse qui leur disait « va - va - va pour toi, quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père pour le pays que je t’indiquerai ». On peut imaginer que c’était la nuit - qu’elle était calme et immobile – comme suspendue dans le temps et qu’elle marquait le point du vrai départ. Ils allèrent donc, déambulant dans le mystère guidé par Abraham, pour leur lumière comme s’il était une par-celle de vérité en sommeil et que celle-ci allait éclore. Ce n’était pas une grâce qui leur tombait du ciel par ha-sard, mais une récompense en remerciement de leur audace, de leur droiture, de tant d’années de sacrifices, de luttes et d’attentes. « Connais-toi, toi-même et tu connaîtras le secret de la vie et celui de l’univers et des Dieux » peut-on lire sur le fronton du temple de Delphes et en un autre siècle, dans un autre lieu. Saint Au-gustin semble plagier Socrate en affirmant à l’adresse du ciel « Oh Dieu si je me connaissais, je te connaî-

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trais ». Maître Eckart au Moyen-Âge leur fait aussi écho « Que Dieu soit Dieu, j’en suis une cause », et sur la table d’émeraude chacun peut lire « il est vrai hors de doute, certain, authentique que le supérieur vient de l’inférieur et l’inférieur du supérieur ». Alors et à l’évidence il nous faudra plonger dans l’obscurité pour tenter de découvrir le caché, le plus caché de tous, celui qui se cache derrière nos yeux, celui que nous avons regardé en face dans le miroir : nous-mêmes et qui est la seule chose que nous pouvons connaître du dedans.

POINT DE DEPART - PRISE DE CONSCIENCERegarder et ressentir ce nous-mêmes c’est en prendre conscience et dans la racine du mot conscience il y a com, le cum latin qui signifie avec. Il nous faut donc utiliser cette science qui est avec nous, en nous. Notre opposi-tion étant toujours binaire, l’objet devra être différencié de son milieu pour pouvoir être approché. Aller dans notre dedans c’est aller aussi vers une dimension du réel en son tout, c’est ouvrir la seule voie possible pour découvrir le reste.

LE CHEMIN - LA CONNAISSANCECar il ne s’agit pas seulement de se connaître en tant qu’individu mais aussi et surtout en tant que partie pre-nante de l’univers puisque nous sommes un, que la vérité est une et que notre quête est celle de l’unité. Notre initiation doit nous permettre de porter un autre regard sur le monde : à chercher la lumière dans les ténèbres, l’ordre dans le chaos, l’unité dans la diversité et à nous rendre propriétaire de notre vie. Nous sommes tous dans l’état de celui qui dans la nuit guette les premières lueurs de l’aube et aspire au voyage. Ma prise de con-science est seulement le point de départ, encore faut-il que je puisse l’éclairer, que je puisse sortir de l’obscurité, de ma propre caverne pour tenter de comprendre le monde et les hommes. Comprendre a d’ailleurs la même racine que conscience. com - cum - avec. Je prends avec - avec moi - en moi. Je me pénètre, je fais mien et en même temps je pénètre l’objet de ma compréhension pour ne faire plus qu’un avec lui. Comprendre ressemble à un acte d’amour à qui il manquerait cependant la possibilité de création. Le 1 et le 2 ne donnent pas le 3 mais permettent pourtant le retour vers l’unité. Je n’ai rien créé mais j’ai la sensation de me créer moi-même, de me compléter, d’être le même mais différent, d’ajouter une pierre à mon propre édifice et d’avancer pour intégrer un tout toujours mystérieux. Comprendre le Monde avec les outils qui m’ont été remis comme en cadeaux, avec cette science que j’utilise mais aussi comprendre l’homme. Cet homme que Baudelaire dans l’avertissement au lecteur et qui est le premier poème des Fleurs du Mal qualifie d’« hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère. » Cet autre moi-même que je connais car quand il pleure ou qu’il rit, je ressens ses pleurs et ses rires ayant pleuré et rit et puis je partage avec lui ma condition, mes angoisses, mes espoirs et je constate que comme moi – et même s’il est plus avancé sur le chemin de la lumière – il revient toujours vers lui-même, retrouve son obscurité dont il lui faudra à nouveau répartir. Tout doit toujours être reconquis et même la foi. Notre opposition naturelle ne peut pas se résoudre par une synthèse, nous oscillons d’un pôle à l’autre.

Le soleil, cette grande lumière, qui se lève tous les matins, renouvelle l’acte de création en permanence et à son image comment pourrions-nous faire de tous nos jours pour ne commettre aucun acte ordinaire ? Nous ne pouvons que lutter et témoigner, ne pas avoir l’utopie de penser qu’il est possible d’éterniser l’éphémère et que face à notre éclatante banalité nous pouvons allumer nos petites lumières du cœur et de l’esprit pour atténuer son éclat. Nous sommes ici, je crois, avec l’ambition d’être mieux éclairé par la lumière de la connaissance et de celle de la fraternité dont nous voulons un jour être capable de rayonner. Quel long et difficile chemin : mais qu’importe que le chemin soit court ou long, aisé ou difficile, il commence toujours par l’obligation de faire le premier pas.

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Bernard Flo∴

Les Brâhmana, à travers leur réflexion sur l’essence et le mécanisme du sacrifice, en étaient arrivés à faire de ce dernier une structure médiatrice entre l’homme et le cosmos – mouvement de pensée assez logique dans la mesure où, originelle-ment, la cosmogonie s’était exprimée en terme de « dépècement sacrificiel » d’un Homme primordial. La signification du terme Upanishad est probablement quelque chose comme « science secrète des correspondances entre microcosme et macrocosme », faisant toutefois, progressivement l’économie du rôle médiateur du sacrifice pour réfléchir directement sur l’équivalence ou « l’équipotentialité » de l’homme et du cosmos.

Ce texte réunit plusieurs concepts qu’il est nécessaire de clarifier : outre les « brahmanes » et les Upanishads, dont je parlerai brièvement, on y trouve les concepts de sacrifice, de cosmos, de cosmogonie, de dépècement sacrificiel, d’homme primordial, de science secrète de correspondance entre microcosme et macrocosme et enfin d’équivalence ou d’équipotentialité entre l’homme et le cosmos. Si vous le voulez bien, je me propose de traiter ce sujet en deux parties. Tout d’abord éclaircir cette notion de structure médiatrice du sacrifice entre l’homme et le cosmos. Et ensuite aborder la transposition de ce mécanisme dans notre espace maçonnique.

Je reprends la première partie de notre texte : les brâhmana, à travers leur réflexion sur l’essence et le méca-nisme du sacrifice, en étaient arrivés à faire de ce dernier une structure médiatrice entre l’homme et le cosmos –mouvement de pensée assez logique dans la mesure où, originellement, la cosmogonie s’était exprimée en terme de « dépècement sacrificiel » d’un homme primordial. Toutes les civilisations procèdent de mythes fondateurs, de cosmogonies et de théogonies et la plupart de ces récits sont des histoires sanglantes où souvent il y a meurtre ou sacrifice suivi de dépècement des victimes et de dispersion de leurs membres, à l’instar du démembrement de Purusha, l’Homme cosmique primordial de la légende védique, homme primordial aux mille têtes, yeux et pieds. Son épouse est Prakriti. Les dieux et les sages naquirent de sa chair et immobilisèrent son corps pour le sacrifier. Purusha fut ensuite débité en plusieurs parties destinées à créer l’univers : le ciel à partir de sa tête, la terre de ses pieds, et l’air de son nombril. La lune naquit de son âme et le soleil de ses yeux. Sa bouche engendra Indra, roi des Dieux, et Agni, Dieu du feu sacrificiel, et son haleine, Vayu, Dieu du vent. Ensuite de sa bouche sortirent les Brahmanes, de ses bras naquirent les Ksatriyas (la caste des guerriers), de ses jambes les agriculteurs et paysans et de ses pieds les intouchables. Le mythe védique du “dépècement de l’homme primordial” a été abordé par René Guénon dans une étude tirée des Symboles de la science sacrée. Et cette étude est d’autant plus intéressante qu’elle relie directement ce mythe avec notre propre tradition ma-çonnique. Je cite : « l’essentiel dans le sacrifice est en premier lieu de diviser et en second lieu de réunir ; il comporte donc les deux phases complémentaires de désintégration et de réintégration qui constituent le pro-cessus cosmique dans son ensemble ; le Purusha étant un, devient plusieurs, et étant plusieurs, redevient un. La reconstitution du Purusha est opérée symboliquement, en particulier, dans la construction de l’autel védi-que […] On voit que ceci est en rapport direct avec un symbolisme constructif comme celui de la maçonnerie ; et d’ailleurs, même au sens le plus immédiat, le constructeur rassemble bien effectivement des matériaux épars pour en former un édifice qui, s’il est vraiment ce qu’il doit être, aura une unité organique comparable à celle d’un être vivant, si l’on se place du point de vue microcosmique, ou à celle d’un monde, si l’on se place au point de vue macrocosmique. On voit bien ici la relation entre l’un et le multiple, entre le principe et la mani-festation, entre le microcosme, l’homme, et le macrocosme, la création. Ce thème est récurrent dans toutes les traditions. Le sacrifice devient une mise en scène de cette thématique, et on retrouve chez nous cette idée de destruction/reconstruction, non seulement dans le processus initiatique, mais aussi dans des notions telles que “la parole perdue” et “rassembler ce qui est épars”, autrement dit la délivrance du multiple et du brouhahas de la manifestation afin d’opérer un retour vers le principe et l’Unité primordiales. En latin sacrifier veut dire

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faire passer dans le monde du sacré un objet profane, généralement par une forme de destruction, (mais pas nécessairement, que l’on songe aux dédicaces, objets votifs et ex-voto de toutes sortes). Cette définition peut être généralisée mais n’oublions pas qu’en grec, thysia, le sacrifice est un mot de même racine que thyein, brûler et thyo, encens, parfum. Il n’a un sens « technique » et religieux que secondairement. Sacrifier, c’est faire monter une fumée d’agréable odeur vers les Dieux, idée qu’on retrouve également dans la Bible. En termes de récits des origines et de meurtres fondateurs, on connaît entre autres (je cite en vrac vous m’en excuserez) la théogonie du poète Hésiode, l’épopée de Gilgamesh, la Genèse, le Déluge, le mythe d’Isis et d’Osiris, les tra-vaux d’Hercule, mais aussi les meurtres rituels d’Abel et de Caïn, de Rémus et de Romulus, le sacrifice d’Iphi-génie, et évidemment celui d’Abraham où un bouc est substitué à Isaac, signe de l’entrée progressive, dans l’his-toire des civilisations, du sacrifice sanglant dans une dialectique beaucoup plus symbolique qui conduit à la constitution des rites et des liturgies. Dans la sphère judéo-chrétienne, l’eucharistie désigne la célébration ou le mémorial de la mort et de la résurrection de jésus de Nazareth, à travers la proclamation de la Bible et à travers une action de grâce qui culmine avec le partage des éléments eucharistiques –le pain et le vin- qui sont pour les chrétiens le corps et le sang du christ offert en sacrifice sur la croix et ressuscité. À noter au passage la sym-bolique de la croix et du calice qui se retrouve en maçonnerie à travers d’autres symboles tels que l’écu, le bla-son, l’épée, la truelle, ainsi que la figure emblématique du graal. Donc “structure médiatrice entre l’homme et le cosmos”, ainsi peuvent être définies les pléthores de rites et de liturgies qui recouvrent dans tous les sens les activités humaines depuis l’aube des temps. Il s’agit bien d’activités médiatrices, supports sanglants ou non de communication entre l’homme et le monde qui l’entoure, moyens également pour lui de valider son existence et d’amplifier celle-ci aux dimensions cosmiques. Reconstituer l’épopée de l’homme primordial, qu’il s’agisse du christ, de Purusha, d’Osiris ou de Gilgamesh, constitue l’acte fondateur qui permet à l’homme religieux de nouer et de perpétuer les liens indispensables à sa survie. De cet acte fondateur découlent les développements des civilisations et de leurs fondamentaux, l’état de droit, le partage des territoires et des richesses, les structu-res sociales, judiciaires, militaires et religieuses, mais aussi leur destruction par la guerre et la conquête san-glante, qui elles-mêmes produisent de nouvelles légendes, des massacres, des sacrifices monstrueux d’hommes et de bêtes égorgés côte à côte, des holocaustes et des apothéoses. La roue tourne, les cycles cosmiques et les ères se succèdent, l’homme lui-même passera peut-être la main. Je reprends la deuxième partie de notre texte : la signification du terme Upanishad est probablement quelque chose comme “science secrète des correspondances entre microcosme et macrocosme”, faisant toutefois pro-gressivement l’économie du rôle médiateur du sacrifice pour réfléchir directement sur l’équivalence ou “équi-potentialité” de l’homme et du cosmos. Tout d’abord quelques mots sur les Upanishads : ce sont de courts tex-tes datant originellement de –500 à –200. Le terme signifie “communication confidentielle” ou “leçon ésoté-rique”. Ces écrits ont pour objet d’établir une métaphysique basée non sur le raisonnement logique mais sur l’intuition intellectuelle. Les Upanishads utilisent l’analogie, posant en principe que « tout ce qui est en bas est comme ce qui est en haut » ou encore « tout est un et l’Un est tout », ce qui aboutit à l’équation finale de l’Atman et du Brâhman. Notons au passage une parenté évidente avec la Table d’émeraude et les sentences prêtées au légendaire Hermès Trismégiste qui est à l’origine de la tradition alchimique, et plus loin de la tradi-tion maçonnique. Parler d’équivalence de l’homme et du cosmos c’est s’affranchir des règles de la pensée discursive pour accéder à un type de production mentale qui fait appel à la connaissance intuitive, l’intelligence du cœur et non plus seulement celle du cerveau, grâce notamment à l’analogie et au décryptage des symboles. Dans le même do-maine, parler d’équipotentialité entre l’homme et le cosmos va plus loin encore puisqu’il s’agit maintenant non seulement de correspondances symboliques entre des notions d’apparence différentes, mais d’équivalence de potentiels, c’est à dire de possibilité de permutations entre des forces qui peuvent sembler totalement décon-nectées dans la réalité profane, mais qui en fait se chevauchent mutuellement, s’interpénètrent dans une même soupe cosmique, l’un étant le résultat du multiple et vice versa. Et qu’est-ce que la réalité d’ailleurs, sinon un ensemble de perceptions et d’interprétations aussi multiples que le nombre d’individus qui peuplent la terre? Et notre réalité maçonnique, celle qui est sous vos yeux ce soir, dans la magnificence de ce temple et de cette reconstitution sacrée du monde, cette construction a-telle moins de poids que tout ce que vous connaissez par ailleurs et qui constitue le monde profane, ces lourds métaux qui nous enchaînent heure après heure, comme les chaînes qui maintiennent Prométhée sur son rocher ? Certes le consensus qui confère au monde profane sa tangibilité, sa réalité, j’allais dire sa lourdeur, ce consensus est-il extrêmement solide, ce qui semble lui donner l’avantage sur nos (excusez-moi du terme) élucubrations maçonniques. Ce qui est solide, évidemment, c’est ma

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voiture, mon bureau, mon ordinateur, les rayons du soleil à travers la fenêtre, l’impact de la crise financière, le dérèglement climatique, les discours de nos hommes politiques, le goût caractéristique d’une pomme, la saveur d’une cigarette, et toute l’étendue de nos problèmes et de nos difficultés. En plus, le monde profane dispose d’une cosmologie, voire même d’une astronomie et d’une astrophysique, et n’a que faire des cosmogonies poussiéreuses que nous venons d’évoquer. Et pourtant, si l’on gratte un tant soit peu cette réalité si solide, si évidente, si puissante, que se passe-t-il ? Des failles apparaissent, des brèches s’entrouvrent au milieu desquelles la nuit et ses démons s’insinuent, nous plongeant dans une autre réalité peuplée d’ombres et de silhouettes incertaines, comme dans la caverne de Platon ; une autre réalité fugitive et pour l’exploration de laquelle nous nous sentons démunis. Mais parfois des signes nous y sont adressés, d’étranges correspondances s’imposent à nos sens débordés, des coïncidences inattendues se produisent, des phénomènes inexpliqués, des apparitions, des sentiments de déjà-vu, des flottements dans notre espace intérieur, et parfois des visions, des intuitions soudaines, parfois des miracles, parfois des éclairs de génie, parfois la lumière, cette lumière justement que nous sommes venus chercher ici. Cette autre réalité qui relève du rêve, de l’imaginaire, mais aussi de notre ex-périence initiatique, nous entraîne dans un monde qui n’est plus seulement une collection d’objets inanimés mais un monde qu’on pourrait qualifier de global, à l’instar du cercle qui entoure l’homme de Vitruve, qu’on peut interpréter comme un symbole de cette relation microcosme/macrocosme. À mi-chemin entre le visible et l’invisible, le manifesté et le non manifesté, ce monde est la somme de toutes les réalités. Et lorsque nous dressons le Temple, c’est ce monde auquel nous nous proposons d’accéder. Pour conclure, je voudrais citer un auteur profane qui a lu Guénon : il s’agit d’André Breton qui écrivait dans le Second manifeste du surréalisme, je cite : « Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement. Or, c’est en vain qu’on chercherait à l’activité surréaliste un autre mobile que l’espoir de détermination de ce point. »Pour ma part cet espoir me paraît constituer la seule et unique raison de notre présence ici.

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Hervé Bab∴

Aimez votre solitude, supportez-en la peine, et que la plainte qui vous en vient soit belle. Vous dites que vos proches vous sont lointains ; c'est qu'il se fait un espace autour de vous. Si tout ce qui est proche vous semble loin, c'est que cet espace tou-che les étoiles, qu'il est déjà très étendu. Réjouissez-vous de votre marche en avant  ; personne ne peut vous y suivre. Soyez bon envers ceux qui restent en ar-rière, sûr de vous et tranquille en face d'eux. Ne les tourmentez pas avec vos dou-tes. Ne les effrayez pas par votre foi, par votre enthousiasme : ils ne pourraient comprendre. Cherchez à communier avec eux dans le simple et le fidèle.

Quand la matière engendre l’esprit, apparaît alors la possibilité d’éprouver la solitude, et la peine et la plainte qui en vient. Curieusement, là où l’esprit paraît le plus élaboré, chez l’homme, c’est là que ce sentiment de soli-tude est le plus redouté et, pour l'éviter, de nos jours il y a tant de moyens... Solitude… Parfois tu te devines dans le regard du singe, ou du chat ou du chien, lorsque une étrange mélancolie le traverse comme un nuage qui passe ... Ecoutons Marguerite Duras la décrire dans son commentaire du film Koko, la gorille qui parle : « Quand le matin on lui demande « comment ça va ? », il arrive qu’elle réponde « triste ». On lui demande pourquoi « triste », elle dit qu’elle ne sait pas pourquoi elle est « triste » aujourd’hui. Elle trace « triste » sur son visage en langage sourd-muet, les deux doigts sur le chemin des larmes. Elle est triste d’une tristesse qui nous est commune à elle et à nous, elle est triste de tristesse mélancolique, de mélancolie au-delà de tout savoir … ». Ce que Duras vient de nous décrire, c’est la mélancolie de la solitude qu’éprouve l’être parmi les dix mille êtres … Et c’est ce sentiment que l’auteur nous suggère de transmuter en amour et en beauté car ce serait la voie de la sagesse. Il nous invite donc manifestement à une démarche initiatique.Donc le cheminement ne consisterait pas à nier ou à refouler cette émotion. Ce serait s’aveugler, fuir la lu-mière qu'ici notamment nous réclamons. Les sages justement, les saints, les « grands spirituels » quelle que soit leur tradition religieuse ou philosophique, ne recherchent-ils pas, à un moment de leur parcours, le désert, la forêt ou la montagne ? Et ne connaissent-ils pas alors transformation profonde de leur être ? Ne revien-nent-ils pas de ces retraites plus forts et plus doux, plus affermis dans leur quête et plus compassionnels avec leurs frères ? La solitude nous est consubstantielle puisqu’elle naît avant notre naissance, elle est là dès que les gamètes parentaux fusionnent, dès que notre première cellule est formée. Et là, contemplons un instant ce mystère que la nature ici nous livre, à savoir que ma véritable génitrice est la matière et mon géniteur, pour le moins, cet étrange pouvoir qu’elle contient d’engendrer l’esprit… Surprenant paradoxe : sans l’apparition de ce sentiment de solitude, nous ne serions pas. Et c’est en effet la première grande épreuve qu’affrontera notre psy-ché, “l’angoisse du huitième mois”, quand nous découvrirons que nous sommes “un” et que notre mère est “au-tre” et que nous pouvons être séparés. Certains de nos frères humains ne supportent pas l’épreuve, ils som-brent dans la folie, l’autisme. Ils sont parmi les premiers à rester en arrière. Ce sont nos enfants trop fragiles pour oser les questions et les peurs de la vie et avec eux, en général, nous nous conduisons avec douceur et bienveillance. Il faudrait faire de même avec ceux qui s’arrêteront plus tard, plus grands, et qui nous agacent par leur incompréhension volontaire, leur choix de modes de vie frileux ou végétatifs ou bien leurs quolibets voire leur agressivité. Et, en effet, avec ceux-là, la majorité de nos frères humains adultes, la bienveillance ferme et tranquille est un exercice de tous les jours …Mais revenons à notre paradoxe et développons un peu : plus j’affronte la solitude, davantage je suis et mieux je peux me tourner vers autrui. Moins j'en ai peur, plus je tente de l'apprivoiser, plus je mesure mon unicité, alors la distance qui me sépare des autres, objets ou sujets, s'accroît dans un premier temps -angoisse- et s'éva-nouit dans un second temps -communion-. Et ce n’est pas seulement dans le monde des humains que cette loi se vérifie mais dans le monde même de la matière laquelle, à mesure qu’elle se diversifie, à partir de l’énergie primordiale et uniforme, évoluant en protons, électrons, atomes, molécules, ne cesse alors d’interférer et de se re-combiner en des structures toujours nouvelles et de plus en plus complexes, comme mue par quelque

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étrange force que Dante Alighieri nommait Amour : « et c’est l’Amour qui fait se mouvoir le soleil et les as-tres » ( l’Amor che muove il Sole e l'altre stelle ) …Notre destinée serait-elle de conquérir notre identité ?Alors la solitude en est l’outil et c’est pour cela qu’il ne faut pas la redouter mais au contraire l’utiliser. Je l’évo-quais déjà plus haut : combien de gens ont si peur de la solitude, surtout à notre époque, qu’ils en renoncent à essayer d’être et vivent alors par procuration. Et, dans ce but, de combien d’opiums disposent désormais les puissances consuméristes qui nous gouvernent ! Nous Francs-maçons, au contraire, comme les ouvriers qui tissent un lien affectif, amoureux, avec les outils qu’ils apprennent à manier, nous devons dépasser cet effroi, expérimenter avec confiance l’épreuve de la solitude et rassurer nos contemporains désorientés. Car la peur de la solitude n'est autre chose que le mur de ronces donnant accès au château de l'endormie. Alors devenons chevalier, confiants et courageux, tranchons notre propre crainte avec l'épée de notre volonté et nous réveille-rons la belle qui nous attend au centre de nous-même, notre conscience élargie, notre Soi, notre part divine peut-être, ce sentiment d'universalité qui nous fera passer progressivement d'Eros à Philia et peut-être à Aga-pè  ... Eros, énergie brute, primitive qui nous lie à l'autre pour le plaisir que celui-ci nous procure, matériel et dont le revers est justement le manque, la privation, la dépendance. Philia, énergie plus subtile, où mon bon-heur vient de ce l'autre existe et dans le partage possible avec lui. Agapè, enfin, énergie très fluide et intense, où l’être de l'autre, quel qu’il soit, vaut qu’éventuellement j'y sacrifie ma vie.Mes FF∴, rappelons-nous que le jour de notre initiation, nous avons subi l’épreuve de la Terre. Que subissons-nous, en effet, dans le cabinet de réflexion, sinon les affres de la solitude ? Et quand le F∴ Expert accompagne le postulant à la porte du Temple et annonce qu’il a subi avec succès cette épreuve, il informe alors les FF∴ de la capacité de celui qui veut les rejoindre à s’ouvrir à l’altérité, de cette aptitude qui, selon Emmanuel Levinas, nous permet de surmonter la séparation d’avec les autres et aussi d’avec nous-mêmes ... V∴I∴T∴R∴I∴O∴L∴ : la rectification demandée est cet éveil de conscience qui va nous libérer de l’enferme-ment stérile sur notre moi craintif et nous permettre de rejoindre la communauté. La solitude est ce passeur qui peut nous conduire d’une rive à l’autre si nous nous acquittons de l’obole. La philosophe Simone Weil avait perçu cette rétribution nécessaire, écrivant cette note dans un de ses cahiers : « Solitude. En quoi con-siste donc le prix ? Il en consiste dans la possibilité supérieure d’attention. » Cette attention confiante que je vais porter à l’autre et à moi-même va évidemment me faire découvrir la complexité de celui-ci et de celui-là. Complexité de l’autre dont je vais devoir appréhender et accepter la différence. Cette différence, elle va m’agrandir car je vais l’incorporer à mon être. Incorporer ? Ou retrouver ce qui était latent, potentiel, puisque nous l’avons déjà vu, nous sommes tous issus de la même Mère, le même Père, la Materia Prima Mysteriosa … Ainsi quand né garçon et devenu homme, je rencontre la fille et la femme, est-ce à l’extérieur de mon enve-loppe corporelle, en la touchant, en la connaissant au sens biblique du terme, que cette rencontre devient éventuellement féconde ou est-ce parce qu’à l’intérieur de mon être est réveillée Anima, la part féminine du monde qui sommeillait dans ma chair masculine ? Ainsi, quand né humain et devenu plus humain, je rencon-tre l’animal, ou le végétal, ou le minéral, l’atome d’hydrogène et l’étoile lointaine, ne retrouverais-je pas finale-ment quelques parties oubliées de moi-même ? Mais toutes ces rencontres possibles que je viens d’évoquer ne seront des rencontres véritables que si, du calice de la solitude, la peur a été décantée pour n’en garder que l’amour et en découvrir les limites sans cesse repoussées. Car, hélas, dans l’histoire de l’humanité il est aussi trop souvent des « rencontres » qui sont viols et prédations … Ma solitude va donc me constituer. Plus j’en mesurerai la profondeur, plus je vais m’agrandir. Et comme cette profondeur est en puissance insondable, je peux potentiellement m’étendre à l’infini. Mais n’oublions pas que cette grandeur est petitesse et que cette puissance est humilité car nous parlons ici toujours sous le régime de l’amour où doivent s’inverser nos repré-sentations communes et profanes car dans ce régime, le règne, la puissance et la gloire n’appartiennent pas au Très-Haut mais au Très-Bas … Je vais donc d’abord me reconnaître enfant d’un homme et d’une femme, puis membre d’une famille, citoyen d’une cité, vivant parmi les vivants issu d’une longue lignée de vivants, matière consciente né de l’inerte, partie prenante d’un Univers. Et si je n’ai pas peur de suivre ma solitude, mon initia-trice, dans cette prise de conscience extensive et responsabilisante, alors ce sera jusqu'à la nuit étoilée qui de-viendra mon épiderme cosmique. Et c’est pour cela aussi que notre Temple est défini comme une représenta-tion symbolique de l’Univers. Car, ayant subi victorieusement l’épreuve de la Terre, il ne s’agit pas seulement de rejoindre la communauté des hommes, des Frères, mais d’aller plus loin, d’apprendre à fraterniser avec tout le cosmos. Et puisqu’il nous faut conclure, évoquons la finitude et écoutons le poète chantant sa solitude :

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« Par elle, j'ai autant appris Que j'ai versé de larmes Si parfois je la répudie Jamais elle ne désarme Et si je pré-fère l'amour D'une autre courtisane Elle sera à mon dernier jour Ma dernière compagne »(Georges Moustaki) Alors, comme nous venons de le voir, si la solitude n’est plus à craindre mais à rechercher, si elle doit non pas nous réduire mais au contraire nous augmenter, pourquoi craindre ce moment à venir où nous ferons l’expé-rience de la plus extrême solitude ? Est-ce à cela que songeait St François d’Assise, lorsque après de longues méditations, il se décida à ajouter à son cantique des créatures : « Loué sois-tu aussi, Seigneur, pour notre sœur la mort ... » ?

Références :Marguerite DURAS ( À propos du film de Barbet Schrœder, Koko, la gorille qui parle)Dante ALIGHIERI ( Paradis, Chant XXXIII )Emmanuel LEVINAS ( Totalité et Infini )Simone WEIL ( Cahier I )Georges MOUSTAKI ( Ma Solitude )St François d’Assise ( Cantique des Créatures ).

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Conclusion du F∴ Orat∴

De la gravité ce soir pour les débuts de notre nouveau V∴M∴ et de son Collège mais de la fermeté et de l’ai-sance déjà dans le maniement des outils. Car des outils, ici dans ce Temple, nous en avons une infinité à notre disposition, de la chaîne d’union qu’a évoquée le V∴M∴ en préambule, de la lumière et de l’obscurité utilisées par notre F∴ Raymond pour explorer l’extériorité et l’intériorité, du sacrifice métaphysique décrit par notre F∴ Bernard pour relier le Ciel et la Terre, le microcosme et le macrocosme, re-sacraliser le monde et l’étendre à sa vraie mesure, infinie probablement, jusqu’à la solitude que notre F∴ Hervé a également développée comme un outil possible de travail sur nous-mêmes. De l’outil, donc, Hans Jonas note : « l’outil relève de l’humain du fait précisément qu’il n’a en soi rien à voir avec l’homme, ne découle d’aucune fonction organique et n’est soumis à aucune programmation biologique. » (Evolution et liberté).

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7 OCTOBRE 2008

Gilles Del∴

Il faut porter encore en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante.

Je vous propose d’explorer cette phrase ensemble selon le point de vue du passionné de sciences physiques que je n’ai pas cessé d’être. Dans cet esprit, nous allons mettre en parallèle la naissance d’une étoile au sens astro-physique du terme et la démarche initiatique qui nous réunit. Pour ce faire, je vous ferai d’abord part de ce que m’évoquent les images de “chaos” et d’“étoile dansante”, puis je décortiquerai le processus – ou plus précisé-ment un des processus existants – de création des étoiles que je mettrai en perspective avec le déroulement de la démarche, puis je conclurai sur en tirant des enseignements sur la manière la plus profitable pour moi d’aborder celle-ci. Chaos ? Ce que l’on appelle communément le chaos est un ensemble désordonné et sans logique apparente. Toutefois, au-delà d’une définition mathématique rigoureuse qui ne revêtirait qu’un intérêt limité dans mon propos, nous pouvons définir plus raisonnablement le chaos comme un système tellement sensible aux condi-tions initiales qu’il adopte un comportement imprévisible sur une échelle de temps suffisamment étendue. C'est-à-dire que contrairement aux systèmes dits déterministes, une légère variation sur une des propriétés du système engendre des conséquences radicalement différentes. C’est ce que le météorologue américain Edward Lorenz a mis en évidence dans les années 1960 concernant la météorologie. Cette science décrit des systèmes chaotiques, ce qui a été rendu célèbre par le fameux “effet papillon” qui stipule qu’un battement d’aile de pa-pillon au Brésil peut provoquer une tornade au Texas. Cet effet papillon signifie seulement que les équations décrivant un système météorologique sont tellement instables – tellement chaotiques – qu’une variation de pression aussi infime que celui dû à un battement d’aile de papillon à plusieurs centaines de kilomètres peut altérer profondément le résultat final. Etoile dansante ? L’étoile en tant que telle ne pose pas de problème, elle véhicule la notion de lumière, de cha-leur, de vie, car n’oublions pas que quasiment toute forme de vie sur Terre doit son salut plus ou moins direc-tement à la photosynthèse, donc à la lumière. L’adjectif “dansante” accolé à l’étoile mérite qu’on s’attarde quel-ques instants dessus. Il me semble que cet adjectif est là pour ajouter une teinte de noblesse quant aux desseins de l’homme à qui s’adresse la phrase du sujet. Il lui est demandé de mettre au monde quelque chose de lumi-neux, de beau, de fort, de sage, de noble, de vivant, de joyeux et de porteur d’espoir. Maintenant, la question est la suivante : Qu’est ce qui, à mon sens, dans la démarche initiatique, compose le chaos et l’étoile dansante. Comme la métaphore de l’étoile le laisse supposer, j’y mettrai la lumière, celle de la vérité, de la connaissance, de la justice, de l’amour, de l’émerveillement. J’y mettrai donc celle que j’ai demandée il y a un an, et par là même celle que nous poursuivons tous. En ce qui concerne le chaos, je considère qu’il doit contenir tout ce qui peut s’entrechoquer dans mon esprit dans le but de donner naissance à une étoile dansante : il contient donc – pour moi – ce que je pense, ce que je sais, ce que je crois savoir, ce que je tiens pour acquis, ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, ce qui se dit et ce qui ne se dit pas, ce dont je me crois capable ou incapable, ce que j’estime prioritaire, ce que j’assume, ce que je regrette, ce que j’aime et ce que je déteste, ce qui m’intéresse et ce qui m’indiffère. Voici mon chaos. Voici le Chaos de Gilles Del∴. Bien qu’il paraisse ordonné, rangé, hiérarchisé, cet ensemble est chaotique puisque sur une simple variation d’un de ces paramètres – tel que “ce que je tiens pour acquis”, l’ensemble peut être boule-versé et donner lieu à des conséquences foncièrement imprévisibles. De la naissance des étoiles L’astrophysique, au stade des connaissances actuelles, est capable de décrire le che-minement qui existe entre un chaos initial et une étoile rayonnante. Ce cheminement comporte quatre éta-

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pes ; la première consiste en ce que l’on appelle une proto-étoile, c'est-à-dire un amas de gaz et de poussières en équilibre. Par équilibre, je veux dire que cet amas ne s’effondre pas sur lui-même ni ne se disperse dans l’espace environnant. Je reviendrai sur cette notion d’équilibre dans ma conclusion. Cet amas est donc notre chaos initial, celui que j’ai décrit un peu plus haut. Durant cette première étape, la proto-étoile, le chaos initial est confiné dans une enveloppe qui empêche la lumière de jaillir. Tel est l’état de l’esprit, à l’état de chaos : La lu-mière est inaccessible, impalpable, indécelable à celui qui n’en est pas conscient. Comme la pierre brute – Le symbole chaotique du tableau d’apprenti – contient en son sein la pierre taillée, sans que personne ne puisse la voir, si ce n’est un initié. Lors de la deuxième étape, les particules du chaos s’agglomèrent par gravité, augmen-tant progressivement de fait la pression, donc la température et finalement la lumière rayonnée. Comme dans le même temps l’enveloppe opaque s’amenuise, la lumière commencer à percer difficilement. Par analogie, dans l’esprit, les éléments du chaos – ce que je sais, ce que je tiens pour acquis, etc ... - commencent à s’organi-ser naturellement en formant de nouvelles notions, de nouvelles questions, de nouveaux axes de réflexion, de nouvelles expériences … Certaines vérités disparaissent, sont englouties par de nouvelles idées, de nouvelles références plus personnelles, plus puissantes, plus lumineuses. Ce qui me pousse à penser et agir comme tous les autres commence à s’effacer au profit de ce qui est le fruit de mon esprit, le cœur de l’étoile que je mets au monde. La troisième étape n’est que la continuité de la précédente, réduisant à néant l’enveloppe opaque, et libérant de ce fait toute la lumière émanant de l’étoile nouvelle. La dernière étape voit la formation d’éventuel-les planètes dans le voisinage de l’étoile. Les planètes sont des entités capables de tirer parti de la lumière qui leur est offerte … Lumière, étoile dansante et fraternité : voici l’espoir. Qu’adviendrait-il sans ce chaos initial ? Si tout ce qui constitue ma manière de penser, d’appréhender l’univers était figée ? Si tous ces éléments étaient immuables ? Si je tenais pour sûr et pour unique vérité ce qu’on m’a appris ou ce que j’ai déjà vu ou entendu ? Sans le chaos initial, le nuage de gaz et de poussières s’effondre et forme un simple « caillou » flottant, une masse inerte incapable de rayonner sa propre lumière et forcé de se contenter de véhiculer celle des autres sans rien en reti-rer en retour. Je reviens maintenant sur la notion d’équilibre du chaos que j’ai abordé précédemment. Lors de la phase de création d’une étoile, la seule des quatre forces qui régissent l’Univers (gravité, électromagnétique, nucléaire forte et nucléaire faible) qui a de l’importance est la gravité. La propension naturelle d’un amas de poussières de et de gaz et de s’effondrer sur lui-même sous l’effet de sa propre gravité. Un moyen de le mainte-nir stable est de lui apporter suffisamment d’énergie pour contrer l’effondrement par le biais d’une agitation thermique importante. Cette énergie provient des étoiles voisines, dont la lumière - par la chaleur qu’elle ap-porte – permet de remplir les conditions de la constitution d’une nouvelle étoile. Si je m’emploie à porter en-core en moi un chaos, c’est votre présence à mes côtés mes FF∴ qui contribue à réunir les conditions d’un bouillonnement propice à l’émergence d’une nouvelle lumière.

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Gilles Cor∴

… la quintessence de la vie s’exprime par les mouvements du feu céleste tels que les a décrits, dans la crainte et le tremblement, le prophète Ezéchiel. Il s’agit d’un mouvement incessant d’aller et retour, qui constitue le mouvement même de la vie, et qui est exactement le même que le rythme de la respiration, de la circula-tion du sang, des battements du cœur. La vie, qu’il s’agisse de la vie biologique ou celle de l’âme, c’est le mouvement perpétuel, et son arrêt signifie la mort.

À la lecture de cet extrait, outre les interrogations, les craintes ou les tremblements qui restent des émotions, mes premières paroles, puisqu’il s’agit de parole et de transmission comme c’est souvent le cas pour les prophè-tes, seraient les suivantes : je suis d’accord et sincèrement comment ne pas l’être. En effet, afin de débuter une esquisse de recherche, je me plonge dans une lecture sur le prophète Ezéchiel et mon appropriation et mon accordance se synchronisent avec le prophète lui-même car Ezéchiel se trouve lui aussi accablé par sa mission au point de se taire dans les premiers temps. Notons qu’il ne retrouvera la parole qu’au travers de la parole de Dieu et ici dans un travail symbolique un accès au divin, une transcendance. Maintenant je m’interroge sur le principe et le sens initiatique d’une telle maturation. Humblement, peut être trop d’ailleurs, je me hasarde dans une lecture du livre du prophète dans la Bible et malgré un récit riche en image et symbole, peu d’éléments m’ont aidé dans cette compréhension, dois je alors m’en extraire ? Je n’ai pu poser un regard attentif notamment sur les notions en références à savoir cette quintessence de la vie qui s’exprime par les mouvements du feu céleste qu’Ezéchiel, (d’ailleurs peut être que je devrais dire Dieu puisque le prophète nous a communiqué la parole de Dieu), donc qu’Ezéchiel aurait décrit par ces termes de crainte et le tremblement. Est-ce un état de conscience ou de fait ou des deux pourquoi pas ? En réalité et en d’autre terme je n’ai pas perçu de titre spécifiant ces deux notions de crainte et de tremblement dans les qua-rante huit chapitres par ailleurs le texte révèle un contexte et des émotions relativement violentes et peut être qu’à ce titre ces deux notions loin d’être exprimées par des paroles, seraient un état de chose, une émotion constante et sous-jacente et qu’il serait présomptueux alors de nier, voire de juger en dehors d’un contexte très précis. En effet cet écrit nous explique que les prophéties d’Ezéchiel définissent l’exil, rappellent le triste état du peuple apostat, annoncent la chute du royaume de Judas et la destruction de Jérusalem, mais aussi sa res-tauration finale. Nous sommes ici par cette référence dans l’expression de la vie, comme le mouvement d’aller et de retour présent dans ce sujet, comme la respiration ou je gonfle et je dégonfle, comme les battements du cœur qui provoquent les mêmes effets avec un mouvement perpétuel dont l’arrêt signifie bien la mort. Je re-trouve et retombe, sans me blesser, sur le thème de la construction et de la dé-construction, sur mon propre voyage initiatique. Vous le comprendrez mes frères, la crainte et le tremblement ne sont pas superflus pour balayer devant la porte de mon temple intérieur, pour y pénétrer sur les bases de ce sujet et d’en sortir l’essen-tiel, la quintessence. Toujours en référence à Ezéchiel, je lis que le prophète se tait et se tait encore pour autant Dieu accepte son silence et fait de se silence sa parole je vous cite la référence : « je ferai coller ta langue à ton palais, tu seras muet et tu ne seras plus pour eux celui qui réprimande, car c’est une engeance de rebelles ». Dans ce cas, Ezéchiel se trouve face à l’initiation, il va chercher une liberté nécessaire mais impossible, exprimé par un comportement mais dépassé seulement dans une intériorité. Nous sommes tous à un moment ou à un autre durant notre parcours initiatique et pour certains dans notre existence, notre vie confrontés à cette ren-contre, à ce miroir, à ce rendez-vous avec notre moi. C’est le processus de construction/ dé-construction. Ce-lui de l’ascension et de la descente, de l’accession et de l’abandon. Pour cela, je dépasse alors les conceptions basiques et souvent binaires issues d’une culture et d’une morale ancrée sur le bien et le mal. Je comprends que cette recherche ne peut être figée dans ces deux concepts mais se situe plutôt à son interstice, ainsi que dans son questionnement perpétuel. Pour cela, l’essentiel de mon travail va se situer dans la connaissance de mon moi intérieur. À ce titre, si je peux dire, il s’agit de percevoir qu’une disponibilité envers les autres se situe dans un premier temps par une disponibilité de ses compétences par la connaissance de soi, et même si cela peut paraître banal, je me rends compte que le chemin pour y parvenir

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n’est pas aussi linéaire que l’affirmation d’une phrase. Que le quotidien et les actes que je pose demandent une attention de tous les moments et un travail incessant. En énonçant tout ceci, je garde tout de même une réelle insatisfaction car je mesure le travail qui demeure en attente ainsi que la force qu’il est nécessaire d’y appliqué. Car pour revenir à Ezéchiel ce prophète, le travail va plus loin, il porte la parole de Dieu qui n’est plus liée à un lieu mais à un peuple, à des individus, outre la notion de dépassement ou de déplacement, l’espace élargie ses dimensions. Une double contrainte apparaît. Un travail intérieur d’accord mais aussi la nécessité de transmet-tre et de communiquer aux autres. Je vous cite Ezéchiel 3-20 et 3-21 : « Lorsque le juste se détournera de sa justice pour commettre le mal et que je mettrai un piège devant lui, c’est lui qui mourra ; parce que tu ne l’au-ras pas averti, il mourra de son péché et on ne se souviendra plus de la justice qu’il a pratiquée, mais je te de-manderai compte de son sang. Si au contraire tu as averti le juste de ne pas pécher et qu’il n’a pas péché, il vivra parce qu’il aura été averti, et toi, tu auras sauvé ta vie ». C’est peut être dans ce cadre que la plus grande crainte et les plus grands tremblements me secouent. Il s’agit alors de vie et de mort. Je ne me confronte plus à ma seule introspection, et à son auto-évaluation, mais à celle de l’autre. Quelles res-ponsabilités, quels doutes, je dois dépasser. Outre les difficultés à accompagner l’autre dans la voix la plus juste, je dois redéfinir toutes mes références dans le cadre du bien et du mal, je dois définir si l’autre dans son par-cours est prêt à entendre. Mais au-delà de ces considérations les mots ont une obligation que la justice ne dés-engage pas. Y-a-t-il un chef d’orchestre ou que des musiciens. L’harmonie révèle-t-elle la justesse ou de la jus-tice ou des deux. Comme souvent lorsque les doutes sont trop forts ou trop complexes le travail dans notre temple intérieur, dans notre loge, à l’extérieur est jalonné et étalonné d’un cadre qu’il est nécessaire d’aller chercher. L’article dix du Regius nous dit en son introduction que « nul maître ou compagnon de ce métier ne devra jamais se permettre de supplanter sur un chantier autre artisan, qui le précède, car tous maçons, tels frère et soeur, doivent s’unir, s’offrir leur aide et n’évincer point l’un des leurs. Chaque ouvrier a doit de vi-vre … »J’espère alors et pour conclure en appliquant à ce travail la dernière chose indispensable à la communication m’être bien fait comprendre pour que vivre entre nous et au travers de nous la liberté, la fraternité et l’égalité.

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Conclusion du F∴ Orat∴

Ainsi que notre F∴ Visiteur l’a ressenti, il y a eu ce soir comme des poupées russes qui s’emboîtaient, sembla-bles à différentes réfractions de la Lumière …Nous avons tout d’abord entendu un profane qui se trouve dans le monde intermédiaire, dans une stase avant de bientôt rejoindre ici ce rythme vivant qui nous fait osciller entre obscurité et luminosité. La lumière stel-laire qui naît de l’obscurité cosmique, notre F∴ Apprenti Gilles (D∴) l’a mise en parallèle avec la lumière de l’étoile intérieure que nous cherchons ici à allumer ensemble à partir des éléments profanes et chaotiques qui nous constituent et qu’il faut réorganiser.Et c’est ce processus que notre F∴ Maître Gilles (C∴) a ensuite prolongé et sublimé, rallumant dans nos cœurs, les interventions l’ont montré, le désir de la lumière du feu spirituel qu’on découvre peu à peu, non sans crainte et tremblement, et qu’on pourrait aussi bien nommer Amour …

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21 OCTOBRE 2008 Travaux au 3e degré symbolique

Pierre-Henri Lan∴

Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et l’avenir, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas, cessent d’être perçus contradictoirement.

« Un archétype est quelque chose de semblable à une vielle gorge encaissée, dans laquelle les flots de la vie ont longtemps coulé. Plus ils ont creusé ce lit, plus ils ont gardé cette direction, plus il est probable que tôt ou tard ils y retourneront. » C.G. JungQu’est-ce que la Franc-maçonnerie du point de vue du R∴E∴A∴A∴ tel que nous le connaissons ?À mon sens, c’est la rencontre entre deux postulats fondateurs : l’existence d’un principe créateur, voire ordon-nateur, et la quête de la vérité.Ma position personnelle en découle, même si elle est incomplète, imparfaite, discutable etc ... : la quête de la vérité dont il s’agit, c’est notre vérité intérieure, personnelle, individuelle. Et si nous décidons d’entreprendre cette quête, c’est bien en raison de cette foi en ce principe créateur et ordonnateur car à défaut, il nous serait loisible de considérer que les simples en esprit sont finalement bien plus heureux que nous … Mais qu’en est-il en pratique ? Chacun de nous avons plus ou moins appris à “maçonner” ; nous connaissons l’art de la rhétori-que, nous pouvons disserter et philosopher. Nous pouvons nous intéresser aux grandes questions de la société et de l’humanité, nous impliquer dans une réflexion éthique. Nous battre pour l’expansion de l’Ordre, discuter l’opportunité de la mixité, des inter-reconnaissances diverses et variées. Nous pouvons souhaiter “faire car-rière” au sein de l’obédience ou de la Juridiction. Nous pouvons organiser de belles cérémonies auxquelles nous nous inviterons mutuellement, donnant lieu à de superbes échanges de félicitations, à l’instar de cette “maçonnerie de salon” dont sont friands les anglo-saxons … mais pas seulement eux. Sans parler de la maçon-nerie “ alimentaire”, au travers de ses réseaux plus ou moins visibles.Tous cela est commun à l’ensemble de la maçonnerie à la surface de cette planète, avec des penchants plus ou moins marqués. Tout cela peut concerner ou a déjà concerné chacun de nous, d’une manière ou d’une autre. Alors, quelle spécificité pour le Maître Maçon Ecossais de Regius, en quête de spiritualité au sein de cet atelier de la G∴L∴D∴F∴ ?Je confirme ma réponse : la Franc-maçonnerie n’initie personne, elle fournit le moyen à l’adepte de s’initier lui-même en acceptant de descendre en lui, à la recherche de sa propre vérité, puis de rendre vivant et permanent ce processus en le confrontant aux autres vérités individuelles que chacun de nous constitue, par la pratique de la tolérance et de la fraternité. Un programme ambitieux qu’aucune vie ne permettra de mener à son terme, car le centre le plus intime de notre Soi restera toujours hors de portée de notre conscience. Nous sommes en plein paradoxe : nous vivons une époque d’une exceptionnelle dangerosité pour l’humanité, la quête de racines et de spiritualité s’affirme avec force sous de multiples formes, le dogmatisme des religions se renforce, les sec-tes se multiplient et s’enrichissent, alors que nous restons bloqués sur notre peur d’affronter notre propre mé-thode. Depuis l’aube des temps, l’homme a cherché à accéder à autre chose que sa conscience commune ; que l’on appelle cela le sacré, la spiritualité, le divin, d’autres états de conscience ou l’inconscient, peu importe. Et peu importaient les moyens : tous les alcools, toutes les drogues, ou au contraire toutes les privations matériel-les et sensorielles ont été utilisées. Au plus près de nous et du R∴E∴A∴A∴, les alchimistes ont voulu percer les secrets de l’union entre l’esprit et la matière. Bien plus tard est venu Sigmund Freud, dont la théorie psychana-lytique est trop souvent réduite dans le grand public au lien à la petite enfance et à la pulsion sexuelle. C’est sans doute la raison pour laquelle un siècle plus tard, le mot « psychanalyse » déclenche l’horreur dans nos ateliers, tant il est caricaturalement entré dans l’imaginaire collectif comme le démasquage du malade et per-vers sexuel que nous serions tous. D’autant qu’il est sans doute difficile d’admettre qu’il puisse y avoir un con-

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tinuum entre le bien-être, le malaise, le mal-être et la maladie psychique. Lacan avait bien mieux compris les rapports entre psychanalyse et maîtrise traditionnelle, mais il est resté essentiellement axé dans son rôle de thérapeute des névroses. J’ai cherché une autre voie, et j’ai trouvé certaines réponses en particulier chez C.G . Jung pour qui la libido représente plus globalement le mouvement de la vie, comme l’entéléchie d’Aristote. Et qui m’a donné, par ce qu’il est convenu d’appeler la Psychologie des profondeurs, le moyen de me représenter un schéma du psychisme normal, celui sur lequel peut s’opérer le processus initiatique. Le document que je vous distribue constitue donc l’aboutissement provisoire de plusieurs années de réflexions à ce sujet. Il n’y a aucun hasard dans la manière dont j’ai articulé les concepts, ce qui n’empêche pas que cela soit critiquable. C’est un mandala. Ce sujet m’a conduit essayer de traduire concrètement ce que mon esprit engrange depuis si longtemps.Bien plus que cette planche, c’est donc le travail le plus intime que je puisse partager avec vous à ce jour.

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Ma représentation des instances du psychisme normal

P-H. Landrieau, largement inspiré par CG Jung et d!autres...

CENTRE

Centre

SOI PERSONNEL

MOI

OMBRE

L!autre

SOI COLLECTIFInconscient collectif

Projections

PERSONA (Masque social)

Archétypes

MoraleEstime de soiDialogue avec soi-même

ANIMUS

ANIMA

Estime de soi

ENFANTINTERIEUR

TricksterTransgression

Crise de milieu de vie

Inconscient personnel

Conscience

Crise de milieu de vieConfrontationau Soi collectif

l!Autre

Archétypes

intériorisés

REPRESENTATIONSPensée symbolique Figures symboliquesObjets symboliques

PULSIONS

FORMES SIMPLES

Les Nombres

MYTHESLes Dieux

Principe CréateurEnergies archaïques

Unité PrimordialeForces antagonistes

CosmogonieLa Terre MèreLe Vieux Sage

Homme PrimordialInceste & InterditsDéluge, dispersion

Violence & SacrificeQuêtes, épopéesCombats et Héros

EMOTIONS

Z

Z

DOUBLE

Rêves

Structure de la Parentalité

Désir

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Nous n’allons pas le disséquer, c’est justement l’objet du chemin initiatique de toute une vie. Vous prendrez le temps de le méditer si cela vous intéresse.Mais tout de même quelques pistes. Le travail de l’Apprenti, après un retour symbolique à la case “naissance et enfance”, est de bien comprendre que l’homme ne se résume pas à la bulle consciente de son Moi, petite partie émergée de l’iceberg qui nous constitue, nous anime, source de toutes nos peines et toutes nos joies. C’est uni-quement en ce que sens que chaque Franc-maçon doit rester un éternel apprenti : en considérant le petit crois-sant de Lune en tête du Septentrion. Pour le Compagnon, il s’agit de comprendre comment fonctionnent les moyens de ses interactions avec l’extérieur, puis de les mettre à profit pour réaliser l’équilibre de l’homme réali-sé, symbolisé par l’étoile à cinq branches. Pour le Maître au 3e degré, il s’agit d’approfondir l’exploration du Soi et l’essentiel du travail à ce degré se concentre sur l’Ombre, à la fois un filtre et un rempart circulaire entre le Moi et le Soi, mais surtout le lieu où viennent s’accumuler toutes les émanations du Soi qui sont refusées par le Moi. Comme en Chambre du Milieu, on pénètre dans cette ombre à reculons, avec réticence, avec les larmes et la peur de perdre le contrôle de sa propre conscience sur ce que l’on est. C’est pourtant bien là qu’il faut commencer à porter la Lumière, c’est le tout premier lieu actif de l’initiation dont le dialogue avec soi-même est le moyen. Un dialogue qui doit s’affranchir de tous les dogmes et idées préconçues car ceux-ci ne relèvent que de la sphère du conscient. L’inconscient n’a aucune morale, le bien et le mal y sont inconnus. L’idéal ini-tiatique serait néanmoins de pouvoir idéalement arriver à faire coïncider le centre du Moi avec le centre du Soi, de réunir ultimement ce qui est épars …

Quelques autres pistes de réflexions sur le schéma.Par exemple, l’Anima représente la part féminine de l’homme alors que l’Animus correspond à la part mascu-line de la femme. Si l’on intègre cela à la complexité globale de mon mandala, la mixité est-elle compatible avec le travail initiatique en loge, en termes d’accouchement et de révélation du Soi ?Êtes-vous intrigué par l’Enfant intérieur, que nous conservons tous au fond de nous. Il contient le trickster, que je traduirais en français par le petit lutin qui vient régulièrement perturber le bel agencement de notre personnalité, y compris dans les compromis que nous avons fait avec nous même. Alors, quand vient l’heure du bilan de milieu de vie, quand nous confrontons ce que nous sommes à ce dont nous avions rêvé, le lutin peut se transformer en un redoutable typhon. C’est le sens de l’individuation, l’injonction de Gœthe : devient ce que tu es, dont la première étape se situait lors du passage de l’adolescence à l’adulte (concession à la résolu-tion freudienne de l’Œdipe). Parvenir à l’équilibre du Moi grâce à des échanges incessants avec le Soi. Mettre chaque chose à sa place. Accepter la réalité car s’obstiner à la refuser, c’est risquer qu’elle ne s’impose avec d’au-tant plus de violence. Alors que réfléchi et mûri, le midi de la vie est le moment idéal pour passer de la période de réalisation des désirs, décrite par Freud, à la réalisation de soi – inhérente à Jung. Et ce peut être un vérita-ble renversement, car la réalisation de soi impose le renoncement à certains désirs. Le dialogue intérieur, dans la retraite en solitude, est le seul véritable moment de l’initiation à soi même. Le travail en loge n’en est que l’extériorisation dans une enceinte qui en garantit l’expression et l’écoute tolérante, afin d’y puiser de nouveaux tremplins de réflexion. Ce n’est pas une psychothérapie de groupe. Le double, à la fois l’idéal et la projection de ce nous voudrions être ou rencontrer, ce qui en fait la source de la plupart de nos angoisses et névroses. La parentalité : la manière dont nous avons compris et ressenti la nature et la structure de ce qui a uni nos géni-teurs. Il en restera une trace indélébile qui, surtout si elle n’est pas vécue comme satisfaisante, marquera à ja-mais notre comportement vis à vis de notre sexualité, de notre identité sexuelle, et de notre capacité à vivre et faire évoluer notre propre conjugalité.Quant au thème qui m’a été confié, à chacun de trouver ce point de l’esprit ou tout cesse d’être contradictoire. Le problème est que ce point existe en permanence, mais que sa localisation change au gré de l’évolution de chacun … La grande Lumière est peut-être en nous … ou pas. Mais nous sommes porteurs d’une lumière qui permettra de mieux dévoiler notre Être et d’en rechercher l’harmonie. Le R∴E∴A∴A∴ permet d’en dévoiler graduellement la dynamique, et vouloir brûler les étapes comporte bien des risques, dont le premier est de “louper le coche”. Les alchimistes avaient déjà bien différencié la voie humide, lente et progressive, de la voie sèche, rapide mais périlleuse.Alors prenons le temps de bien explorer ce que recèle chaque grade, afin de le mettre en adéquation avec le degré de maturité auquel nous pourrions parvenir.

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François Mar∴

La mythologie grecque antique parle tantôt des deux fontaines de Mémoire et d’oubli, tantôt du fleuve Styx et de la source Alussos. Mais peut-on pour autant rapprocher l’exercice de mémoire de la double signification de la conservation de la connaissance intellectuelle et d’une discipline de salut apportant la victoire sur le temps et sur la mort ?

Je ne connais pas depuis bien longtemps le sujet de ma planche, et ce que je vais vous livrer ce soir pourrait, devrait, être encore travaillé. Cependant je dois dire qu’il y a déjà longtemps que j’ai été amené à réfléchir et à méditer sur ce sujet essentiel, sur la mémoire, autant que je m’en souvienne !

Le Styx, le Léthé, les Enfers, depuis toujours : les “mortels”, pour parler comme les anciens grecs s’interrogent sur leur origine, sur la mort, sur ce qui doit se passer après. Avant, Après ! Toutes les religions ont leur paradis, leurs Enfers, singuliers ou pluriels. Notre sujet cependant nous invite tout particulièrement à revisiter la my-thologie grecque, les deux fontaines de Mémoire et d’oubli, le fleuve Styx, le nom Styx évoquait l’horreur et la mort, il évoquait à la fois un petit torrent d’Arcadie où les grecs situaient l’entrée des Enfers, mais plus généra-lement la barrière entre la vie et la mort  ; les Dieux eux-mêmes, selon Homère, juraient sur le Styx  : en em-pruntant son cours les âmes oubliaient leur vie passée ! Mais nous savons que chez les grecs il y avait une reli-gion exotérique, pardonnez ce pléonasme, une interprétation à la lettre des mythes ! Et une Tradition ésotéri-que qui nous retiendra vous l’entendez bien. Et nous redécouvrirons que l’Enfer et le Paradis des religions ne sont pas l’enfer et le Paradis des initiés. De même que notre sujet rappelle une autre dualité : la mémoire est essentielle à la conservation de la connaissance intellectuelle, mais nous allons voir rapidement que ce n’est point ce qui nous retiendra ce soir et ici. De même si notre sujet nous invite à chercher du côté d’une disci-pline de salut, apportant la victoire sur le temps et sur la mort, il nous faut cependant à l’instar de René Gué-non prendre la précaution de ne pas confondre le salut avec un petit s qui est plutôt la fin des religions avec la Délivrance avec un D majuscule qui est le privilège réservé aux seuls initiés. La difficulté de ma tâche ce soir est quasiment insurmontable, je ne suis pas sûr, loin s’en faut, de pouvoir vous faire comprendre ce que j’ai moi-même eu la plus grande difficulté à entrevoir ! Non point que je doute de vos possibilités, mais vous savez qu’il est difficile de concevoir ce que nous n’arrivons pas à imaginer ! Et ce parce que précisément nous som-mes conditionnés dans l’espace et dans le temps. Mais les efforts que nous faisons, sont bien le prix à payer si l’on veut remporter la victoire sur le temps et sur la mort. Entrons donc prudemment dans les voies qui nous sont tracées, sur les chemins de la mémoire.Nous avons vu que nous allions trouver un premier carrefour, d’un côté : la voie de la mémoire qui permet la conservation de la connaissance intellectuelle, et de l’autre la voie vers le salut et la Délivrance.Nous tournerons bien entendu, comme il est dit dans nos rituels, à droite.

Rappelons simplement concernant la voie de gauche que nous ne prendrons pas, que cette fonction de la mé-moire de conservation, aussi bien de la connaissance profane que de l’espèce humaine, est absolument essen-tielle, c’est un lieu commun de le dire. Un individu qui n’aurait pas de mémoire, qui présenterait des troubles de la mémoire, serait bien entendu gravement handicapé. En inversant la formule, je dirai que la mémoire est aux individus ce que l’histoire est aux peuples ; un peuple qui n’aurait pas d’histoire, n’aurait non plus aucun avenir. Seuls ceux qui ont l’esprit de contradiction, comme Paul Valéry qui s’inscrivait contre l’histoire, ont pu écrire : « qu’il ne faut pas entrer dans l’avenir à reculons ». Valéry n’avait semble t-il, malgré tout ce qu’il a pu faire dire à son Eupalinos, pas été initié au 3e degré du R∴E∴A∴A∴, car chacun d’entre vous se souvient du soir, où éclairé par les lumières du passé, il est entré à reculons dans le Temple.Ce qu’il nous faut quand même retenir de ce chemin que nous ne prendrons pas, c’est l’idée qu’il est possible d’être exposé à des troubles, à des pertes de mémoire. Au moment où je commençais à entreprendre la rédac-tion de ma planche, je suis tombé par hasard, sur un livre d’un neurologue américain  : Oliver Sacks, j’ose à peine vous donner son titre : L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau … Mais en réalité l’auteur y évo-

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que, comme on dit, des cas cliniques de patients qu’il a soigné, certains avaient perdu le sens de la continuité du temps, plus gravement et là j’ai été troublé, presque dissuadé de poursuivre ma recherche, il évoque des cas de « fausses réminiscences » des sortes « d’hallucinations mémorielles »  ! Au moment où je m’apprêtais à vous parler de celles de Platon, vous imaginez qu’elle a pu être ma perplexité ! Ce qui cependant m’a redonné le cœur à l’ouvrage, c’est cette pensée de Becket : « Nous naissons tous fous, quelques-uns le demeurent … ». Nous sommes entre nous ! Ce qui m’a aussi gravement perturbé c’est un article que j’ai lu dans Le Monde du 17 Juillet 2008, intitulé, te-nez-vous bien Tous les souvenirs sont faux. Pour faire court, il était question dans cet article de techniques utili-sées par certains expérimentateurs qui sont parvenus à transformer les souvenirs de leurs cobayes humains. Ainsi un quart des participants à une certaine expérience ont été persuadés qu’alors qu’ils étaient enfants, ils s’étaient perdus dans un centre commercial ; un bon nombre d’entre eux a assuré, avoir vu à Disneyland : Bugs Bunny le lapin, appartenant pourtant à la firme concurrente la Warner Bros. D’autres ont cru qu’ils avaient été intoxiqués par des aliments qu’ils refusaient d’inclure dans un menu qu’ils devaient composer ! « Quand vous changez un souvenir, » résume Elizabeth Loftus, citée dans cet article, « cela vous change ». Et poursuit-elle : « Les souvenirs ne sont pas la somme de ce qu’une personne a fait, mais bien plus la somme de ce qu’elle a pensé, de ce qu’on lui a dit et de ce qu’elle croit ». J’ajouterai de ce qu’on lui a fait croire.Il est facile de façonner la mémoire, et même d’y introduire des éléments faux ! Les fameux « faux souvenirs induits  » … Tout cela, vous l’entendez bien, ne peut que nous inciter à la plus grande prudence, à la plus grande humilité. Mais l’article se terminait sur une note d’espoir, on donnait le soin de conclure à un neuro-psychologue, Francis Eustache, qui déclarait  : « Le souvenir est création, lisez Bergson dans Matière et Mé-moire : « pour évoquer le passé il faut savoir rêver ». Nous y reviendrons.Ces précautions ayant été prises, retrouvons nos anciens grecs, ils avaient un mot bien étrange pour désigner la Vérité. Le mot Vérité : vient du Latin Veritas, Verus, vrai : la vérité c’est ce qui est conforme à ce qui est vrai ! Avec cela on ne va pas loin, car il nous faut encore chercher ce qui est vrai. Descartes qui n’était pas seulement un philosophe, disait, et certains ici ont ré-entendu la formule : « Vous n’admettrez aucune pensée que vous n’aurez vous-même reconnue comme vraie ». Avant lui nos anciens grecs avaient recherché la vérité en eux-mêmes, au fond d’eux-mêmes. Pour eux, vous le savez, la Vérité se dénommait Aletheia de a privatif et du Léthé le fleuve de l’oubli. La vérité c’est ce que nous pouvons retrouver en nous, si nous arrivons à vaincre l’oubli, car nous l’avons en nous, il nous faut retrouver la parole perdue : « La vérité et la Parole perdue ». Or de nom-breux, de très nombreux grecs, nous le savons malgré l’obligation au secret, sévèrement sanctionnée, furent initiés aux mystères d’Eleusis. Pindare disait de ces mystères  : « Heureux celui qui a vu ces choses avant de descendre sous la terre ; il connaît la fin de la vie ; il en connaît aussi le commencement … ». Isocrate rappelle aussi : « Ceux qui y ont participé, nourrissent de plus douces espérances, non seulement pour la fin de la vie, mais encore pour toute la durée des temps ». Nous avons il y a un instant évoqué Bergson et l’une de ses œu-vres majeures Matière et Mémoire, on pense aussitôt à “Matière et Esprit”. Bergson nous intéresse à plus d’un titre, il a en son temps prolongé la pensée de Maine de Biran fondée sur le « sens intime », l’intériorité, il a restauré une métaphysique qui ne veut plus être une simple synthèse de la totalité de l’Être, mais qui veut être la saisie intuitive et progressive de la vie de l’esprit ; métaphysique intérieure qui loin de la seule analyse « ra-tionalisante de la matière », de la physique, est au-delà, une recherche spiritualiste, une métaphysique au sens grec. Certes dans Matière et Mémoire il a dû s’embarrasser des travaux des médecins et des psycho-biologistes qui venaient de découvrir les localisations cérébrales, les zones et siège des fonctions psychomotrices ou psy-chiques, mais il a su dépasser les travaux, certes essentiels des découvreurs du cerveau, pour aller vers ce qui nous intéresse, à la découverte de l’esprit. Il nous a laissé une analyse de la Mémoire révélatrice de la dualité Bergsonienne qui n’est pas éloignée des deux Mémoires que nous propose notre sujet la profane, et l’ésotéri-que. En effet la Mémoire, comme le temps, comme le moi, comme la perception, tout simplement comporte un aspect superficiel, anonyme, qui est identique aux mécanismes de l’habitude comme la récitation d’une leçon apprise … Mais elle renferme aussi un domaine profond, personnel qui est la mémoire des événements, des moments uniques irréversibles. De l’un à l’autre de ces plans se présentent des transitions infinies, un mou-vement continu, constituant, instituant, des progressions qui pourraient ressembler à des degrés de progres-sion ! Comme les degrés d’une initiation.La différence entre ces deux mémoires n’est point située sur un plan quantitatif, car entre la perception et le souvenir, entre le sentir et le ressentir qui est plus profond, entre les deux mémoires, bien qu’il y ait, nous l’avons vu une infinité de points de passage, il y a une différence de nature. La mémoire essentielle témoigne

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de l’Esprit au-delà de la perception existentielle qui témoigne de la Matière. Matière et Esprit avons-nous dit et comme le suggérait notre sujet : nous avons d’un côté : la mémoire profane, fonction de conservation de la connaissance expérimentale, et de l’autre plus profonde, la recherche intérieure, de l’Aletheia qui est bien la recherche de la Vérité et de la Parole perdue. Et s’il y a des points de passage entre Matière et Mémoire, entre Matière et Esprit, entre la science, la physique et la métaphysique au sens grec, il y a un changement de plan, nous ne sommes pas plus loin, mais au-delà. Il va nous falloir, nous aussi, changer de plan.Il va nous falloir, il va vous falloir vous accrocher.Et puisqu’il s’agit de la mémoire essentielle, primordiale, je vous propose de remonter le plus loin possible dans le temps et même au-delà du temps ! L’an dernier, alors que j’entreprenais une recherche particulière, je suis tombé sur un article du Monde daté du 10 Juillet 2007 qui s’intitulait : « Les Cosmologistes s’aventurent de l’autre côté du big bang ». Cet article évoquait ce qui s’était passé avant la déflagration primordiale, dont se-rait issu il y a 13,7 milliards d’années, l’univers que nous connaissons ! Si on peut dire ! Des modèles mathéma-tiques combinant les équations de la relativité générale d’Einstein, valide à l’échelle de l’infiniment grand, et celles de la mécanique quantique décrivant l’infiniment petit ont permis aux Cosmologistes de remonter au-delà du “big bang” limite théorique jusque là infranchissable. Avant qu’il y ait quelque chose, existait, selon ces modèles, un univers physique semblable au nôtre. Au lieu d’être en expansion, il se serait rétracté sur lui-même, avant de « rebondir » vers celui où nous vivons. Cet autre monde pourrait toutefois nous rester à ja-mais inconnu en raison de : tenez-vous bien : je cite l’article : « l’oubli cosmique » car espace, temps, avant et après, se diluent aux confins du “big bang”, là où l’investigation scientifique rejoint le questionnement “philo-sophique” ». « L’oubli cosmique », les savants eux-mêmes parlent de confusion d’obscuration, de perte, d’une parole, d’un logos perdus  : la vérité et la Parole perdue. L’article précité évoquait également les travaux de chercheurs qui oeuvrent très près de nous, à Luminy, en particulier des travaux de l’un d’entre eux, Carlo Ro-velli qui met en garde ses collègues chercheurs : attention disait-il, les notions d’avant et d’après deviennent incertaines quand on s’approche du big bang … Il en veut pour image quelqu’un qui marcherait en ligne droite vers le nord et qui ayant atteint le Pôle, continuerait dans la même direction, mais qui ne progresserait pas pour autant plus au nord ; et s’interroge Carlo Rovelli : « De l’autre côté du big bang, le temps va-t-il en ar-rière ou en avant, les deux univers se succèdent-ils, où sont-ils comme deux jumeaux, partant dans deux direc-tions différentes, sans que l’on puisse dire que l’un précède l’autre ? »Plus qu’il n’éclaire sur l’univers antérieur, le récent travail de Martin Bojowald incite lui aussi à la prudence. Selon son modèle associant équations de la relativité générale et de la mécanique quantique, il est mathémati-quement possible de remonter au-delà du « big bang ». Il est en revanche impossible d’en connaître toutes les caractéristiques. Tout simplement parce que le big bang a agi comme un “Mélangeur”, un état transitionnel au cours duquel sont irrémédiablement perdus certains aspects de l’univers précédent, ce que le chercheur nous l’avons vu, a baptisé : « l’oubli cosmique ».Il est possible que d’autres univers aient existé ou existent avant où en même temps que celui que j’appellerai le nôtre. Avant, après  : « après la plaine blanche une autre plaine blanche »   : À l’inverse, avant notre univers, nous pouvons en imaginer un autre ! C’est un peu reculer, car on ne peut le sauter, pour finalement le retrou-ver, l’instant de la création. Or il n’y a pas d’instant avant le temps, il y a le principe même de la création, le principe créateur. Avant les savants, un humoriste s’était posé la question  : « mais que fichait Dieu avant la création ?   ». Saint Augustin avait répondu par avance à cette question. Avant la création, il n’y avait pas d’avant, car Dieu en créant le monde a créé tout ce qui allait avec, le temps précisément, l’espace. Les orientaux préfèrent parler, non pas de création, mais de manifestation. Les Chinois appellent le monde visible : l’“Espace Temps” ; la manifestation du principe qui lui est illimité, infini et éternel.Je ne m’éloigne pas du tout de mon sujet, je sors seulement, comme à un certain degré de notre rite, où il est dit : « il n’y a plus de temps », du monde de la matière, du monde de la manifestation, pour retrouver celui de la mémoire, de l’esprit en remontant contre « l’oubli cosmique » en me libérant de la confusion créée par l’en-fermement de notre âme dans ce monde contingent, limité, conditionné qui correspond pour les religions à la chute et pour les initiés à l’enfermement dans le monde matériel, visible, prison aveugle dont il faut se libérer, se délivrer. Rappelez-vous les propos du Talmud cités par Umberto Ecco : « Quiconque se préoccupe de qua-tre choses – ce qui est dessus, ce qui est dessous, ce qui est avant, ce qui est après, mieux vaudrait qu’il ne soit jamais né ». Ce qui signifie vraisemblablement : que celui qui est enfermé dans le temps et l’espace n’est pas né à la connaissance. Certes dans les petits mystères, la Table d’Emeraude semble nous enseigner que ce qui est dessous est comme ce qui est dessus ; mais pour les adeptes des grands mystères, cela peut aussi signifier « Ce

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qui est en haut est comme ce qui est en bas » à savoir qu’il n’y a pas de différence entre ce qui est en haut et ce qui est en bas car c’est la même chose. De même que ce qui est avant est comme ce qui est après, et constitue la même chose, « le miracle d’une seule chose ».Le grand initié dans la Tradition primordiale, Melchisédech, était suivant ce qu’il en était dit dans la Genè-se «  Celui qui est sans père, sans mère, sans généalogie, qui n’a ni commencement de jours, ni fin de vie », libéré du temps, mieux en dehors du temps. Tout à l’heure Pierre-Henri a bien médité sur la lumineuse intui-tion d’André Breton « Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit où la vie et la mort … cessent d’être perçus contradictoirement ». Melchisédech est généralement évoqué lorsque nous abordons la Tradi-tion Primordiale. Mais attention vous le savez la Tradition Primordiale n’est pas, comme on pourrait être ten-tés de le croire, la Tradition qui remonterait au plus ancien des temps. Mircea Eliade a bien rappelé que l’ob-session des origines n’est que la marque d’une pensée archaïque ! Notre conception de la Tradition primordiale ne saurait être emprisonnée dans le Temps. Le mot primordial a le sens certes de premier, mais ce sens signifie, aussi et surtout, ce qui est premier, qui est plus important, plus profond, plus essentiel. Il ne faut pas confon-dre ce qui pourrait paraître archaïque avec ce qui en réalité a toujours été, ce qui est toujours sous-jacent, ce qui jaillit, la Tradition primordiale est la fontaine de lumière qui jaillit en nous. Elle correspond à la fontaine Eunoia que Dante évoque aux chants XXVIII et XXXIII de son Purgatoire. Au chant XXVIII le poète évo-que le Paradis terrestre, la divine forêt, la rivière de Léthé et Matelda qui lui fait se souvenir de Proserpine Co-rée la fille de Déméter ; l’eau qui d’un côté est le Léthé qui enlève à l’esprit la mémoire du péché, et de l’autre Eunoia qui de sa saveur dépasse toutes les autres, cette eau qui est le nectar dont chacun parle, « Eunoé » est un mot créé par Dante qui signifie “la mémoire du bien”. Dante a bien précisé dans ses lettres à Cangrande della Scala que son Enfer, son Purgatoire, son Paradis sont polysèmes c'est-à-dire qui ont plusieurs sens. Le sujet aurait pu être l’étude du sort des âmes après la mort, mais Dante a pris soin de préciser qu’il était descen-du aux Enfers, puis qu’il était monté au Purgatoire avec son corps, comme dans un voyage chamanique, « mes membres dit-il ne sont pas restés là bas, ils sont là avec leur sang, avec leurs jointures, je vais là haut » dit Dante « pour n’être plus aveugle. » Car sont aveugles « ceux qui sont enfermés dans la prison obscure de l’erreur » dans la manifestation. Il est descendu tout vif dans son Enfer, le poids du corps l’a tout d’abord attiré vers le bas, le poids de la matière, « tu t’alourdis toi-même avec tes idées fausses » a rappelé Béatrice. Et il lui faudra traverser les trois mondes, après s’être retourné, au fond de l’enfer, au terme de l’épreuve de la terre, en rectifiant. Et la fin, la finalité de l’œuvre, pourrait être, nous dit Dante, non pas d’évoquer l’Enfer, le Purga-toire, le Paradis des Religions, des tenants du salut, mais bien plutôt la Délivrance. « Délivrer » nous dit-il, « de l’état de misère, les vivants exilés dans cette vie et les conduire jusqu’à l’état de félicité » et cela est-il dit à Dante au chant XXXIII du Purgatoire annonce le « aux vivants dont la vie n’est qu’une course à la mort ». Cela nous rappelle les livres Egyptiens : « Et si c’étaient les vivants qui étaient morts » et qui doivent renaître à la vie éternelle.Le Léthé, la fontaine de l’oubli, la Fontaine Eunoia de la mémoire, Dante, reprend les rituels d’Eleusis.Bien que les secrets sur les mystères aient été bien gardés, certains auteurs, tels Paul Foucart se sont livrés à des recherches minutieuses de tous les textes qui ont évoqué à mots couverts les rituels anciens. Nous savions que Plutarque était grand Prêtre d’Apollon, mais nous découvrons que Platon, Aristote, Aristophane, ont tous été initiés, leur doctrine est cachée « sous le voile de leurs écrits étranges». De même une inscription retrouvée sur une lamelle d’or à Pétilia décrit les deux fontaines, je la cite  : « Dans la demeure d’Hadès tu trouveras à gauche une source et près d’elle, un cyprès blanc, garde toi-même d’approcher de cette source, tu en trouveras une autre à droite, où coule l’eau fraîche qui vient du lac de mémoire. Devant sont les gardiens, leur dire : « Je suis le fils de la terre et du ciel étoilé » et ils te donneront à boire de la source divine et tu régneras désormais parmi les autres héros ».À droite tournez, à droite disent les rituels  ! N’oublions pas qu’au chant I de l’Enfer, Dante comme au R∴E∴A∴A∴, est entré en ayant le pied gauche déchaussé (Enfer. 30), nous sommes comme Dante et les ini-tiés d’Eleusis « les fils du Ciel et de la Terre », la terre mère. Dea mater, materia, la matière.Platon ne pouvait dévoiler les secrets, mais il a bien évoqué dans son Phèdre et dans son Phédon la réminis-cence, la mémoire des vérités que l’âme a contemplé avant d’être enfermée dans le corps, dans la matière. Dans le Gorgias, il a parlé du carrefour d’où partent les deux voies, l’une vers l’île des bienheureux, l’autre vers le Tar-tare : l’Enfer. On se souvient du Y des pythagoriciens, de la croisée des chemins à la lame VI du Tarot. Ainsi l’homme doit se souvenir, se ressouvenir de son existence céleste, il n’est pas une créature déchue, perdue, tombée dans la manifestation mais une créature divine qui doit remonter vers les étoiles, le ciel, vers la lu-

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mière. L’homme est né une première fois dans le monde matériel. Or il doit se retrouver dans le ventre de sa mère, de la déesse mère, la Dea mater et renaître une deuxième fois, de manière libre et consciente  ; la deuxième naissance n’est plus chimique, organique, mais alchimique, spirituelle.Dante a évoqué la Vita nova, la nouvelle vie de l’initié. Au sortir du Purgatoire, après avoir subi les épreuves, Dante au sortir de l’eau du “lac de mémoire” s’est retrouvé régénéré « comme une jeune plante ». Mais atten-tion dans la symbolique, le Paradis, le Purgatoire, l’Enfer ne sont pas des lieux où il nous faut aller, mais des états. L’Enfer est l’état dans lequel se mettent les âmes perdues. Le Paradis n’est pas la fin vers laquelle nous tendons, c’est le lieu d’où nous venons. Rappelez-vous Paul Ricœur : « Nous entrons dans la symbolique lors-que nous tournons le dos à notre mort et que nous avons notre enfance devant nous ». Notre enfance devant nous, rappelez-vous le film de Fellini Armacord, le titre était un borborygme évoquant dans le patois de sa province, l’Emilie Romagne, les mots A-ma-ricordu je me souviens – Il s’est re-souvenu du Paradis de son en-fance, de sa vraie nature, il a retrouve son Être. Attention le Paradis n’est ni avant, ni après, car l’avant ou l’après, comme le haut et le bas n’existent que pour « les vivants qui courent après leur mort ». Pour ceux qui se retournent et commencent à se relever, à s’élever, le Paradis est en eux, comme un état auquel il faut parve-nir, en soi même un état où comme l’évoque Dante, on ne voit plus les choses comme dans un miroir mais où on les voit pleinement directement et où on les vit. « Pour évoquer le passé », rappelez-vous ce que disait Francis Eustache, « il faut savoir rêver ». Jacques Bergier dans un ancien numéro de la revue Planète (n°23 page 93) proclamait : « Jusqu’à présent, dans les religions à incarnation, les adeptes prétendaient se souvenir de leurs vies antérieures, nous permettrons à nos lecteurs de se souvenir de leur vie future ».Il est un point sur lequel il nous faut revenir, celui de René Breton, celui de Pierre-Henri, celui qui est en nous.Rappelez-vous que nous devons dépasser les contradictions, les limites du monde de la manifestation. Ce point est en nous, hors du temps, hors de l’espace. Le principe d’Entropie régit le monde de la matière et non celui de l’Esprit, ce principe qui veut que tout ce qui a un commencement doit avoir une fin, ne vaut que pour, que dans, un système fermé ! Rappelez-vous nos rituels : « Tout est vie, rien ne meurt, tout renaît ». Isocrate le proclamait, nous l’avons évoqué il y a un instant  : « Ceux qui ont participé aux Mystères nourrissent les plus douces espérances, non seulement pour la fin de la vie, mais pour toute la durée des temps ». René Gue-non dans ses Etudes sur l’Hindouisme (Editions Traditionnelles p. 25) nous rappelle : « L’action destructrice du temps ne laisse subsister que ce qui est supérieur au temps : elle dévorera tous ceux qui ont borné leur hori-zon au monde du changement et placé toute réalité dans le devenir, ceux qui se sont fait une religion du con-tingent et du transitoire, car « celui qui sacrifie à un dieu deviendra la nourriture de ce dieu », mais que pour-rait-elle, contre ceux qui portent en eux-mêmes la conscience de l’Eternité ?»Le temps qui dévore ses œuvres, Cronos dévorant ses enfants, nous retrouvons la mythologie grecque. Il nous faut ici évoquer les travaux d’Ananda Coomaraswamy aussi bien sur les mythes, que sur la conscience de l’Èternité. Il précise que les mythes doivent se concevoir comme essentiellement valables en dehors de toute condition particulière de temps et d’espace. Ainsi des mythes de la création : Agre en sanscrit au commence-ment, signifie encore plus exactement “au sommet”, c'est-à-dire, au dessus “dans sa cause première” ou dans le Principe comme en grec arché et en latin in principium. Le Mythe reproduit une imitation symbolique de ce qui fut fait par les Dieux au commencement, il est donc comme un reflet de ce qui a été fait. Il s’agit pour l’ini-tié de procéder à une récréation. On n’a pas le temps d’examiner ce point, l’initiation permet une anabase, une remontée de l’esprit à ses origines. Dans un ouvrage posthume, Time and Eternity, Ananda Coomaraswamy nous rappelle ce que toutes les traditions ésotériques ont en commun. Tout cela est difficile à résumer, mais nous rappellerons pour l’essentiel : « Le temps qui comprend le passé et le futur est dans son ensemble abso-lument continu, et ce n’est que logiquement et non réellement qu’il peut être divisé en parties, par cette conti-nuité qui constitue la durée, il contraste avec l’Eternité, qui est au contraire “l’instant” intemporel et sans du-rée, le véritable présent dont aucune expérience temporelle n’est possible. L’Eternité se reflète ou s’exprime dans le “maintenant” qui en tout temps sépare et unit à la fois le passé et le futur : et même ce “maintenant” en tant qu’il est réellement sans durée, et par conséquent invariable et immuable, en dépit de l’illusion de “mou-vement” due à une conscience soumise aux conditions de temps et d’espace, ne se distingue pas de l’Èternité elle-même, à laquelle l’ensemble du temps est toujours présent dans la totalité de son extension. È-ter-nité, le ter évoque le passé, le présent et le futur.Rappelez-vous le Dieu de l’initiation Janus ; le dieu à deux faces, l’une tournée vers le passé, l’autre vers l’avenir. Mais attention ces deux faces signifient que c’est seulement le regard du dieu qui est tourné vers le passé d’un côté, et vers l’avenir de l’autre. Mais le dieu à un troisième visage qui est invisible, car entre le passé qui n’est

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plus et le futur qui n’est pas encore, le dieu vit dans le présent, mais ce présent est dans l’espace temps un ins-tant insaisissable et ce serait pour cette raison que certaines langues comme l’hébreu et l’arabe, nous dit René Guénon, n’ont pas de forme verbale correspondant proprement au présent. Or précisément le troisième regard du Dieu est tourné vers le présent intemporel et éternel, dans un processus graduel de l’extérieur vers l’inté-rieur, jusqu’au centre même de son être qui permet la connaissance du soi et la réalisation de sa vraie nature ainsi que la Délivrance. Ainsi au point qui est le plus profond et le plus élevé en nous, comme au centre du cercle de la manifestation, l’initié s’est libéré de l’espace et du Temps. Une autre conséquence est celle qui con-cerne la création : Dieu, par là même qu’il n’est pas dans le temps, crée le monde “maintenant” tout aussi bien qu’il l’a crée ou le créera, l’acte créateur est réellement intemporel et c’est nous seulement qui le situons à une époque que nous rapporterons au passé, ou qui nous représentons illusoirement sous l’aspect d’une succession d’événements, ce qui est essentiellement simultané dans la réalité principielle. Dans le Temps toutes choses se déplacent incessamment, paraissent, changent ou disparaissent, dans l’éternité au contraire toutes choses de-meurent en un état de constante immutabilité, c’est ici qu’il faut rappeler la différence de nature entre l’Être et le devenir. To be or not to be. Être ou ne pas être !

Toujours dans ses « Comptes rendus » qui font suite à ses Ètudes sur l’Hindouisme René Guenon rappelle qu’il ne faut pas confondre to be qui signifie Être avec to be come qui signifie devenir, exister, nous pourrions aller jusqu’à dire subsister ! Être ! Et René Guénon rappelle : « Comment pourrait-on comprendre l’unité véritable quand on ne conçoit rien au-delà du devenir ? ». Or au-delà du devenir, il y a l’Être.Ici et maintenant rappelez-vous, souvenez-vous, que dans l’agré, dans l’arché, au Bereschit, in principium, au commencement, au commencement il y a la mémoire.

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Conclusion du F∴ Orat∴

Ce soir, T∴ V∴ M∴ et vous tous mes FF∴ VV∴ MM∴, nous avons avancé vers le Centre du Cercle, le lieu idéal que doit essayer d’approcher le M∴ Maç∴ afin de contempler, comme nous l’ont rappelé nos FF∴ VV∴ MM∴ Surv∴, dans l’instruction au 3e Degré, « les mystères indicibles ».Ce Centre du Cercle, notre F∴ V∴ M∴Pierre-Henri l’a rapproché du Centre inaccessible de notre être et il a illustré le cheminement vers celui-ci sous forme d’un mandala maçonnique, cadeau précieux car fruit de l’in-timité de nombreuses années de travail initiatique.En approchant ce Centre à son tour, notre F∴ V∴ M∴ François nous a fait cheminer à proximité des eaux des fleuves infernaux et des fontaines de mémoire et de vie, parfois mêlées d’une manière apparemment inextrica-ble, comme physique et métaphysique sembleraient le faire à l’origine de l’Univers, origine d’ailleurs toujours actuelle.Le Centre du cercle, le Centre de l’Être pourraient donc être rapprochés de la fontaine d’eau vive dont le Christ disait « celui qui boit de cette eau ne mourra jamais » et la devise du M∴ Maç∴pourrait alors se for-muler de manière héraldique sic cervus ad fontes desiderat (« comme le cerf court et aspire à la fontaine »)

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4 NOVEMBRE 2008

Gérard Gal∴

Comme un vers à soie, tu as tissé un cocon autour de toi. Qui peut te sauver ?Brise ton cocon et sors-en tel un magnifique papillon, telle une âme libre.

Ce sujet, évoque chez moi un souvenir tenace, même s’il parait être sans importance. Je voudrais vous le faire partager, parce qu’il symbolise, je pense, la réflexion que m’inspirent tout de suite, les phrases que je viens de lire devant vous. C’était en Afrique du nord, j’attendais une personne sur le bord d’une route de campagne. (On attend beaucoup là bas, le temps ne s’écoule pas partout de la même façon). Je regardais une dizaine d’en-fants, plutôt turbulents, qui jouaient sur un terrain vague. Au bout de quelques minutes, un vieillard est venu s’adosser contre un arbre à quelques mètres de nous. Les enfants ont tous cessé de jouer et sont venus le saluer presque religieusement. En fait, ils ne sont pas venus le saluer, j’avais le sentiment qu’ils venaient le remercier d’être là. Ils lui témoignaient leur gratitude, comme s’ils soutiraient une nourriture par la simple proximité de ce vieil homme. Il représentait un exemple en quelque sorte, un aboutissement. Personnellement, je l’ai trouvé bien aussi beau qu’un papillon, et je le remercie encore pour cet instant éphémère. Il a du falloir du temps à ce vieillard pour qu’émane de lui ce sentiment de quiétude, de sérénité et de sagesse ! Nous formons un cocon autour de nous au fil des ans, je dirais aussi que la vie nous enveloppe d’une écorce peut être protectrice mais bien trop étanche. Au début de notre vie en tout cas. Nous fabriquons le fil de notre cocon avec notre propre substance. Chaque pensée que nous avons, chaque acte que nous faisons deviennent au bout d’un certain temps plus subtils, ils retournent à la forme de semence et vivent sous forme potentielle. Ce sont aussi, autant de pierres plus ou moins polies qui forment une carapace qui nous emprisonne, nous sommes prisonniers de pensées que nous n’aimons pas toujours, elles ne sont pas toutes de nous, nous les refu-sons souvent afin de desserrer les liens de ce cocon qui nous oppresse. Parfois une lumière semble poindre au plus profond de nous, à peine sensible, mais elle s’estompe trop rapidement … Il s’agit d’une contrainte réelle que nous percevons tous les jours. Nous avançons dans l’obscurité, aveuglés par nos problèmes matériels ; au point de ne plus voir ce qui est beau, ce qui mérite que l’on oublie parfois, quelques heures, nos préoccupa-tions pour apprécier de courts instants de bonheur. Au point d’oublier ses amis pour constater un jour que le temps qui passe nous a séparés, comme s’il s’agissait d’une fatalité. Au point d’oublier d’aimer les siens parfois, trop souvent. Qui peut te sauver ? demande le sujet qui m’est proposé. Comment se convaincre qu’il n’est plus temps de disserter sur la vie, qu’il faut l’apprécier dans toute sa plénitude. Que la chrysalide que nous avons tissée autour de nous n’a plus lieu d’être. Il ne s’agit pas de devenir naïf, de s’exposer à tout et à tous, mais de comprendre que nos protections sont illusoires et mentales. Qu’il est temps de passer une initiation majeure. De se tenir debout pour faire face à nos propres obstacles. L’initiation est davantage qu’un simple processus psychologique ou une révolution spirituelle, Elle constitue une tentative de changer le monde et tous les mondes, par le biais, notamment, de la transmutation du passé. « La transmutation du passé » c’est l’un des sujets de réflexion qui m’a été proposé précédemment. Faire de tous les actes et de tous les actes manqués qui ont forgé notre expérience, une énergie positive. Ne plus agir en réaction avec les autres, prendre le temps d’écouter, d’essayer de comprendre, de faire la part des choses, de communiquer. Utiliser ses propres erreurs passées afin de ne plus en commettre. Savoir pardonner aussi. Changer le plomb en or en quelque sorte. J’ai oublié dans quel pays j’ai rencontré le vieil homme dont je par-lais plus haut. Je ne sais plus qui j’attendais impatiemment ce jour là. Je ne sais plus ce que j’étais venu faire dans ce pays. Peu importe le lieu, ce jour là j’ai reçu une leçon. Depuis, j’essaie de distinguer ce qui est impor-tant, de ce qui est essentiel. Les ordinateurs peuvent bien doubler leurs capacités tous les 18 mois, ils ne seront jamais une référence pour accéder à la sagesse. Personne ne peut trouver la lumière tout seul, la graine de séne-vé doit pousser dans un terreau fertile. Qui peut te sauver ? demande le sujet qui m’est proposé ? Visite l’inté-

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rieur de la terre, et en rectifiant, tu trouveras la pierre cachée. Nous vivons, nous agissons tous en interaction. L’initiation est connaissance, elle confère à chacun le droit d’être unique, mais relié à tout. La métamorphose, doit conduire à plus de sérénité, à la sagesse, elle nous rend responsable. Pourquoi certains jeunes viennent ils, en réunion, huer un hymne national quand il s’agit de faire la fête ? Si ce n’est pour nous faire part de leur in-quiétude, inconsciemment, dans une société sans réels échanges, sans repères, ou les différentes générations ne communiquent plus ? Comment peut-on s’étonner de la soudaineté de la crise économique que nous traver-sons, de constater des effondrements, alors que nous érigeons des ouvrages sans fondations ? N’ayez pas peur ! disait le pape Jean-Paul II, et d’autres avant lui. Peut être avaient ils réalisé leurs métamorphoses, s’étaient il suffisamment rapproché de la réalisation spirituelle, pour devoir insuffler ce message empreint de sérénité et de quiétude. Pour ma part, sans doute parce que le chemin qui me reste à parcourir est encore bien long, je préfère vous rapporter cette histoire. Un jour, apparut un petit trou dans un cocon. Un homme, qui passait à tout hasard, s'arrêta de longues heures à observer le papillon qui s'efforçait de sortir par ce petit trou. Après un long moment, c'était comme si le papillon avait abandonné, et le trou demeurait toujours aussi petit. On au-rait dit que le papillon avait fait tout ce qu'il pouvait, et qu'il ne pouvait plus rien faire d'autre. Alors l'homme décida d'aider le papillon. Il prit son canif et ouvrit le cocon, le papillon sortit aussitôt. Mais son corps était maigre et engourdi. Ses ailes étaient peu développées et bougeaient à peine. L'homme continua à observer pensant que d'un moment à l'autre les ailes du papillon s'ouvriraient et seraient capables de supporter le corps du papillon pour qu'il prenne son envol. Il n'en fut rien. Le papillon passa le reste de son existence à se traîner par terre avec son maigre corps et ses ailes rabougries. Jamais il ne put voler. Ce que l'homme, avec son geste de gentillesse et son intention d'aider ne comprenait pas, c'est que le passage par le trou étroit du cocon était l'ef-fort nécessaire pour que le papillon puisse transmettre le liquide de son corps à ses ailes, de manière à pouvoir voler. C'était le moule à travers lequel la vie le faisait passer pour grandir et se développer. Qui peut te sauver ? demande le sujet qui m’est proposé ? Je ne sais pas encore, je n’ai pas fourni les efforts nécessaires. J'ai demandé la force ... Et la vie m'a donné des difficultés pour me rendre fort. J'ai demandé la sagesse ... Et la vie m'a donné des problèmes à résoudre. J'ai demandé la prospérité ... Et la vie m'a donné un cerveau et des muscles pour travailler. J'ai demandé de pouvoir voler... Et la vie m'a donné des obstacles à surmonter. J'ai de-mandé l'amour ... Et la vie m'a donné des gens à aider. J'ai demandé des faveurs... Et la vie m'a donné des poten-tialités. Je n'ai rien reçu de ce que j'ai demandé ... Mais j'ai reçu tout ce dont j'avais besoin. Je mesure tout ce que la vie m'a apporté, ses leçons, ses épreuves parfois, ses beautés. J'étais par le passé si absorbé par ce que je n'avais pas, que je ne pouvais ni voir, ni apprécier, ni recevoir tout ce qui m'était donné. Et pourtant, j'ai beaucoup reçu. Changer de regard a changé beaucoup de choses pour moi. Mais comme le papillon, j'ai dû faire des efforts, grandir, me transformer, passer parfois par des épreuves. Et je sais qu'il y en aura encore ; mais je sais aussi que j'ai en moi, au fond de moi, la force et la confiance nécessaires pour les surmonter. Quand on a trouvé cela en soi, personne ne peut plus nous l'enlever, et c'est à ce moment que l'on devient, comme le papillon sorti de son cocon, libre.

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Albert Ben∴

« Ils étaient prudents et avisés,Comme au passage à gué d'un fleuve en hiver ;Circonspects et vigilants,Comme par crainte de tous leurs voisins à la ronde ;Graves et réservés comme des invités ;Froids et détachés comme de la glace qui fond ;Simples et naturels comme du bois brut ;Vides et ouverts d'en haut comme une vallée ;Troubles et opaques comme une eau limoneuse.Grandeur solitaire, obscure et sans écho.Qui peut éclaircir lentement par le repos,Ce qui est agité, trouble et opaque ?Le cœur et les pensées.Qui peut animer par un long entraînement,Ce qui est inerte, immobile et bouché ?Les sept ouvertures du cœurEt les neuf canaux intérieurs.Celui qui prend cette Voie ne peut être plein et encombré.Ce qui est plein ne peut plus recevoir et déborde,Ce qui est vide aspire les êtres.Ainsi libre et débarrassé,Dix veilleuses ne valent pas une lampe,Il peut rester obscur et en retrait,N'ayant plus rien à reprendre ou renouveler.Il s'agit non de se mortifier, mais de se vivifier,Non de s'émacier mais de s'entraîner. »

PREAMBULE Caverne de Platon, mardi 4 novembre 2008 : énième rendez-vous. Rémouleur du regard, vestale du feu de la créativité, pédalier de la pompe à vide, j’en appelle à la concentration et à l’ouverture des portes de l’oubli. Ecrivain devant sa page blanche, peintre face à sa toile vierge, paradoxalement tout en retenue, de quelle na-ture sera le prochain fruit de mon arbre de vie ? Obsession de ne livrer que l’essentiel … Mais, qu’est-ce vrai-ment que l’essentiel ? Est-il compatible avec la fulgurance de la spontanéité ? Compositeur, habité par cette inspiration mystérieuse (divine?). Emprisonner derrière les barreaux de la portée les notes répondant à cet appel pour former une chaîne d’union. Le sujet ? Quel sujet ? Qu’importe le sujet. Conditionnés, chacun à des degrés d’(hiver), la même ritournelle est chantée inlassablement : qu’est-ce que la démarche initiatique ? Où en sommes-nous de cette évolution (révolution ?) au moment où nous en parlons ? Et cette impression d’un Rubicon toujours à franchir alors que, secrètement, naïvement, la chose semble déjà ancienne. Le bandeau a été ôté, la vue a été greffée, l’Esprit se serait soudain ouvert et nous aurait recouvert de son manteau de Lumière, comme par enchantement. Maî-tre sachant, plus rien n’est à craindre. Et pourtant … alea jacta est.

« ILS ETAIENT PRUDENTS ET AVISES »Capitaine Kirk, Vaisseau Enterprise, en route pour l’inaccessible Etoile. Quand il est temps de se jeter à l’eau, est-on jamais assez prudents ? Comme dans un vieux film en noir et blanc, le plongeur répète inlassablement son geste. Permanence du plongeon, permanence du commencement. Faire avec l’acquis et décider à tous les instants de s’engager sur une voie nouvelle dont on ignore l’issue (est-on seulement capable d’imaginer une

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issue ?). Avec son barda d’expériences, de sagesse acquise et un seul mot d’ordre : confiance en soi, maîtrise de soi dans cette aventure pour braver l’inconnu. Pensez au joueur de cartes dont le jeu se modifie au fil des dis-tributions et le confronte à tous instants à un paysage différent. Il lui faut pourtant jouer : the show must go on. Jouons au jeu de l’initié, au funambule, prudent et avisé.

« COMME AU PASSAGE À GUÉ D’UN FLEUVE EN HIVER »Cheval de Troie. Machine à remonter le temps. Chercher et trouver le gué, le délicat point de passage, la porte étroite d’André Gide, le chas de l’aiguille des Kabbalistes, minuscule orifice mental par lequel la lumière s’infil-tre. Le gué, point rare d’apaisement pour en finir avec l’étape précédente et passer le cap de la suivante, pour passer d’un bord à l’autre, parce qu’il le faut. Le passage, souterrain, qu’on ne peut trouver qu’en visitant l’inté-rieur de la terre en se frayant un chemin à coup de vitriol. Le passage secret. La Pâque (traduction : passage), pour une résurrection. Tout ceci sans garantie aucune. Permanence du danger. Circonspection et vigilance sont de mise, malgré l’expérience, malgré la foi, malgré le pont, malgré le gué.

« COMME PAR CRAINTE DE TOUS LEURS VOISINS À LA RONDE »Tapis volant pour un vol au dessus d’un nid de coucou Les voisins sont ignorants. Ce sont des profanes dont l’ignorance est à craindre, tellement elle est source de tous les maux. Allusion aux ténèbres qui nous entourent et qui n’ont de cesse que d’étouffer la flamme qui nous anime. Leurs préjugés sont si forts qu’ils ne peuvent concevoir qu’une source de lumière leur soit étrangère. Mais Lumière et Ténèbres coexistent, et l’une n’est rien sans l’autre, contre l’autre. Oppositions universelles. Jamais lumière n’a pu dissiper totalement les ténèbres. Lumière ne peut que poindre dans l’océan des ténèbres, noir voisinage enveloppant. C’est ainsi. La rose est sans pourquoi.(Angelus Silesius : La rose est sans pourquoi. Fleurit parce qu'elle fleurit. N'a souci d'elle-même. Ne désire être vue).

« GRAVES ET RESERVES COMME DES INVITES »Voyages de Gulliver, au pays des géants. Vouloir passer le gué, vouloir passer d’un état à un autre, de l’ancien monde au nouveau monde, c’est pénétrer en territoire inconnu, régi par d’autres lois, d’autres us et coutumes. On s’invite : il faut donc rester grave, réservé, parce que postulant, quémandant l’admission aux nouveaux pri-vilèges, réclamant une place au sein du peuple élu. Toute admission est partie intégrante du processus de sanc-tification de ce nouvel espace-temps. Mais même graves et réservés, en quoi l’avons nous mérité ? Et comment osons-nous donc l’espérer ?

« FROIDS ET DETACHES COMME DE LA GLACE QUI FOND»Titanic. Mais qui donc sont-ils, tout de glace et de sang froid, impénétrables ? La glace fondante s’infiltre et devient pénétrante. Ainsi détachés, ils restent froids. Le guide du détachement, le traité de l’esseulement, le traité du puits (David et Ovadia Maïmonide - 15e siècle) sont des ouvrages aux titres fortement évocateurs du nécessaire détachement initiatique. Plus l’homme est grand, plus il est de glace. Plus l’homme est grand, plus grandes sont ses passions. Les passions, comme la glace, doivent fondre. Glace fond pour se confondre, pour rabaisser, voire supprimer le piédestal. La Tour de Babel est de glace. Elle n’a pas encore fondu.

« SIMPLES ET NATURELS COMME DU BOIS BRUT »Chevaux de bois. L’arbre perd de sa superbe et s’agenouille d’abord, pose ensuite chacune de ses extrémités sur le bord des deux rives du voyage pour permettre le passage à sec, naturellement. Piétiné il conserve pourtant sa grandeur, sa noblesse, sa beauté. De tous temps, à toutes les époques, dans toutes les cultures, c’était une règle de l’hospitalité que de recevoir les voyageurs, et il appartenait à l’hôte, quelle que fût sa condition, de leur laver les pieds. Nullement humilié, nullement piétiné, il s’en retrouvait grandi. Ou peut-être bois brut servant d’embarcation pour voyager sur le fleuve de la vie, ou pour emprunter le Styx pour un dernier voyage.

« VIDES ET OUVERTS D’EN HAUT COMME UNE VALLEE »Pégase. Vides et ouverts pour recevoir les rayons de la source irradiante, à l’abri de la bienveillance maternelle et lunaire, pour recevoir les préceptes fondamentaux de la poésie, pour permettre au prophète d’arrêter le so-leil dans sa course, alors même que le mouvement des sphères est perpétuel, pour éveiller chez nous des trou-bles grandissants, nous laissant ballotter entre renoncement à la foi et acquisition de la science. Ils sont vides et

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ouverts d’en haut, prêts à recevoir l’épanchement de l’intellect divin sur les facultés imaginatives, de sorte que ces facultés ainsi stimulées arrivent à connaître intuitivement l’être réel des choses, comme si elles en avaient acquis la connaissance par une démarche spéculative. C’est pour cette raison que, autrefois rationaliste con-vaincu, je nie maintenant le déterminisme qui élude ma responsabilité - et celle de l’homme en général - sur l’ordre des choses.

« TROUBLES ET OPAQUES COMME UNE EAU LIMONEUSE »Nautilus, capitaine Nemo à la barre. Troublés intérieurement par la pratique ardente de l’ascèse permettant progressivement de se libérer du monde sensible et de se préparer à l’écoute de l’ineffable musique. Monde des émotions, force troublée et pulpeuse des limons encore épars. La volonté créatrice met en mouvement toutes les substances spirituelles et corporelles et les transforme en une eau limoneuse dont les reflets parallèles, on-des maintenant perceptibles mais nées d’une source invisible, sont comme des marches émergeant de l’eau et qui montrent le chemin vers le « plouf » initial. Car les mondes sont parallèles. Le parallélisme des mondes constitue l’essentiel de la Kabbale, doctrine secrète transmise d’initiation en initiation et d’âge en âge. L’ana-lyse du texte proposé à l’étude selon le mode kabbalistique cherchant à découvrir le sens littéral, le sens allusif, le sens symbolique et le sens secret, sens isolés ou différemment combinés de chacun des mots, permet l’audace de l’interprétation (soyons audacieux a dit notre V∴M∴). Seule l’audace permet de flirter avec la vérité, avec l’erreur, avec le bien, avec le mal, conduisant en tous cas à la juxtaposition de l’infini et du fini. En faisant re-traite pour cette exégèse du texte, je suis en mode kabbalistique (mineur). Il sous-tend que l’Être suprême in-connaissable et infini qui est en moi (mon Ein-Sof intérieur) s’est, par un acte de ma libre volonté -et d’amour-, contracté, retiré (mon Tsim-Tsoum intérieur) pour créer ce qui ne l’est pas encore, et qui sera néces-sairement limité, la limite étant la condition nécessaire et indispensable de l’exercice de nos facultés de percep-tion. Par cette opération de retrait-contraction-expulsion l’eau trouble irriguera, le limon fertilisera. Le soleil fera le reste. L’eau trouble et troublante revitalisera les canaux empruntés par les vents de la démarche initiati-que; canaux encombrés par les bagages des faux initiés en tous genres (des leurres), bagages emprisonnant l’initiation dans les routines d’un ritualisme vidé de toute chaleur spirituelle. Cette eau trouble et limoneuse contient le ferment de la révolution spirituelle capable de vaincre le dessèchement que connaissent les esprits sous les torpeurs de la lettre.

« GRANDEUR SOLITAIRE, OBSCURE ET SANS ECHO »Vaisseau fantôme. Grandeur solitaire, obscure et sans écho de ceux qui, conscients et insatisfaits, attendent la projection de leurs rêves sur l’écran du quotidien. Il leur faut rallumer les veilleuses éteintes, soufflées par les vents d’ignorance, et remonter ainsi, de témoin en témoin, au foyer primordial. Et cela dans la joie. On objecta au sage (le BECHT, le Tsadik Baal Chem Tov) préconisant la démarche dans la joie que « toutes les portes du ciel sont fermées, sauf celle des larmes ». Il répondit : « La porte des larmes est toujours ouverte parce qu’au-cune larme n’ouvre jamais aucune porte; toutes les autres sont closes parce que seule la joie les ouvre ». La joie ouvrant les portes mettra fin à l’obscurité ambiante et colportera l’écho de la parole (elle n’est pas perdue, elle attend devant une porte fermée).

« QUI PEUT ECLAIRCIR LENTEMENT, PAR LE REPOS, CE QUI EST AGITE, TROUBLE ET OPAQUE ? LE CŒUR ET LES PENSEES »Retraite, Tsim-Tsoum, arrêt sur image, recul, stop chorus. Laisser reposer le limon, le laisser reprendre sa den-sité, refaire corps. Laisser opérer par l’écoute du chœur la réunion de ce qui est épars. Chant des sirènes ?

« QUI PEUT ANIMER PAR UN LONG ENTRAINEMENT CE QUI EST INERTE, IMMOBILE ET BOUCHE ? LES SEPT OUVERTURES DU CŒUR ET LES NEUFS CANAUX INTERIEURS »Enola Gay. Les 7 séphirot inférieures et ses 9 canaux de communication. Passons les 3 séphirot supérieures qui sont HOKHMA, BINAH et DAAT/KETER, lesquelles désignent les éléments fondamentaux de la connaissance.[Intellect) Les 7 ouvertures du cœur sont les 7 séphirot inférieures, groupées en : - trois Séphirot des émotions supérieures (émotif )- trois Sephirot constitutives de ces éléments de l'âme qui sont en prise directe avec la réalité. (Instinctif )- La dernière, Malkhout (Royauté) lieu de passage a l'acte. “Malkhout” (Royauté) C'est le lieu de passage a l'acte, lorsque les potentialités de l'âme s'expriment vers le dehors sous forme de pensée, parole et action.

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“Malkhout” permet a la conscience de retourner a “Keter” (Couronne), la toute première et suprême Sephira, celle de la volonté suprême source de toute volonté et des diverses forces qui font agir l'âme de manière incon-sciente. L’arbre des Sephiroth représente, selon la Kabbale, la structure de l'homme et de l'univers. Il symbolise à la fois les forces à l’œuvre dans le manifesté - les voiles placés entre l'homme et la connaissance pure, et les interactions entre ces forces. C’est par ce fonctionnement des 7 ouvertures du cœur et des 9 canaux intérieurs que peut être animé ce qui est inerte, immobile et bouché. Le paroxysme de ce fonctionnement, c’est la lé-gende du Golem. Animer nos âmes qui ne vivent que le temps d’un souffle. D’où la respiration, qui redonne le souffle, et conséquemment animer la matière.

« CELUI QUI PREND CETTE VOIE NE PEUT ETRE PLEIN ET ENCOMBRE. (CAR) CE QUI EST PLEIN NE PEUT RECEVOIR ET DEBORDE, (MAIS) CE QUI EST VIDE ASPIRE LES ETRES »Pinta, Niña et Santa Maria. Faire le vide des préjugés, de l’inutile, du superflu. Se mettre dans l’état d’esprit du Noé Antédiluvien, celui qui se prépare au voyage purificateur n’embarquant que l’essentiel dans sa minuscule arche coquille de noix. Seul compte le re-commencement. Rien n’est nécessaire pour recommencer, l’acquis doit totalement disparaître pour laisser place à l’inné ainsi purifié. Mais aussi vacuité. « La vacuité ne vide pas les choses de leur contenu, elle est leur véritable nature » . « La meilleure définition est “interdépendance”, ce qui signifie que toute chose dépend des autres pour exister. [...] Tout est par nature interdépendant et donc vide d'existence propre. » Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant, Il n'est rien qui ne soit vide.

« AINSI LIBRE ET DEBARRASSE, DIX VEILLEUSES NE VALENT PAS UNE LAMPE »Allusion aux Veilleurs de l’Aube ? Don Quichotte Rumi (maître soufi) « Quelques mots qui transmettent une leçon sont comme une lampe allumée qui a donné un baiser à une lampe qui ne l’était pas encore. Cela suffit et le but est atteint ». Rabbi Shimon Bar Yokhaî, premier siècle après J.C, auteur présumé du Zohar (Le livre de la splendeur), livre fondateur de la Kabbale, n’ est-il pas appelé « la lampe sainte ».

« IL PEUT RESTER OBSCURE ET EN RETRAIT, N’AYANT PLUS RIEN À REPRENDRE OU RE-NOUVELER »La passoire … La passoire ne bloque sur rien, ne prend rien, ne renouvelle rien. Tout la traverse. Elle reste im-perturbable. Cela n’exclut pas la prise de conscience permanente du flux qui la transperce.

« IL S’AGIT NON DE SE MORTIFIER MAIS DE SE VIVIFIER, NON DE S’EMACIER MAIS DE S’ENTRAINER »Être toujours prêts à …. L’exercice est permanent, tel le musicien répétant inlassablement, prêt à tout instant à faire face avec brio au concert imprévu. Et comme la rose : belle, odorante, sans pourquoi, et dans la joie. Alors, Mazel Tov !

P.S : Aux FF∴ qui peuvent penser que je vais trop souvent puiser aux sources du judaïsme, qu’ils veuillent bien m’excuser d’être resté - sur ce strict point - obscur et en retrait ; de n’avoir rien pris, ni repris, ni renouvelé de l’Islam qui a bercé ma terre nourricière, ni du Christianisme qui a constitué le corpus de mon éducation, ni de la F∴-M∴ qui a été le véritable moteur à explosion de ma démarche. Je suis resté passoire. Mais si l’on se réfère à la théorie de la physique de l’Intrication à laquelle je crois fermement (pour l’instant), et selon laquelle dès lors que deux particules ont interagi elles demeurent indéfectiblement liées l’une à l’autre, je n’ignore pas tout cela, je comprends tout cela, j’aime tout cela, j’assume tout cela, qui m’a permis de devenir ce que je suis, sans pourquoi.

DEVELOPPEMENT éventuel, si on a le temps, si on a envie, si besoin était … Relisant Le Pendule de Foucault (Umberto Eco), je notais, page 227, Diotallevi : « La création est un proces-sus d’inspiration et d’expiration divines, comme une haleine anxieuse, ou l’action d’un soufflet ……… Dieu, pour souffler le monde comme on souffle une fiole de verre, a besoin de se contracter en lui-même, pour prendre sa respiration, et puis il émet le long sifflement lumineux des 10 séphirot.

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Sifflement ou lumière ? demandais-je.Dieu souffle et la lumière fut. Mais il est nécessaire que les lumières des sephirot soient recueillies dans des récipients capables de résister à leur splendeur. Les vases destinés à accueillir KETER, KHOKHMA et BI-NA, résistèrent à leur éclat, tandis qu’avec les sephirot inférieures, depuis HESED jusqu’à YESSOD, lumière et soupir se dégagèrent d’un seul coup et avec trop de vigueur, et les vases se brisèrent. Les fragments de la lu-mière se dispersèrent à travers l’univers, et il en naquit la matière grossière. Le bris des vases (la brisure des va-ses) est une catastrophe sérieuse, rien de moins vivable qu’un monde avorté. Il devait y avoir un défaut dans le cosmos dès les origines, et les rabbins les plus savants n’avaient pas réussi à l’expliquer tout à fait. Peut-être qu’au moment ou Dieu expire et se vide, il reste dans le récipient originaire des gouttes d’huile, un résidu ma-tériel, le reshimu, et Dieu déjà se propage en même temps que ce résidu. Ou bien quelque part les coquilles, les kelipot, les principes de la ruine, attendaient, sournois. Et puis à la lumière du Jugement Sévère de GEBURA, dite aussi PACHAD, ou Terreur, la sephira où, selon Isaac l’Aveugle, le Mal s’exhibe, les coquilles prennent une existence réelle. Tout émane de Dieu, dans la contraction du TSIMT-SOUM. Notre problème, c’est de réaliser le retour, la réintégration de l’Adam Quadmon. Alors nous reconstruirons le tout dans la structure équilibrée des PARTSUFIM, les visages, autrement dit les formes qui prendront la place de séphirot. L’ascen-sion de l’âme, tel un cordon de soie, permet à l’intention dévote de trouver comme à tâtons, dans l’obscurité, le chemin vers la lumière. Ainsi le monde à chaque instant, combinant les lettres de la Torah, s’efforce de retrou-ver la forme naturelle qui le fasse sortir de son effroyable confusion. »

Les 7 séphirot inférieures et ses 9 canaux de communication. Passons les 3 séphirot supérieures qui sont HOKHMA, BINAH et DAAT, lesquelles désignent les éléments fondamentaux de la connaissance.[Intellect).

Rappel : Hokhmah : Sagesse, Roch Ha ChanaC'est la vision première, ce qui distingue et crée, source de la compréhension intuitive. Binah : Discernement, Kippour exprime la faculté d'analyse et de synthèse de l'intelligence, c'est ce qui cherche a découvrir la signifi-cation de ce qui lui vient de la Sephirah Hokhma. Daat Keter : Connaissance. Concrétise la prise de con-science en termes de conclusions et vérifie dans l'abstrait les faits. C'est elle qui permet a la conscience d'effec-tuer le passage d'une forme d'existence a une autre, tout en s'assurant par la même de sa propre continuité. Les 7 ouvertures du cœur sont les 7 séphirot inférieures, groupées en :- trois Séphirot des émotions supérieures (émotif )- trois Sephirot constitutives de ces éléments de l'âme qui sont en prise directe avec la réalité. (Instinctif )- La dernière, "Malkhout" (Royauté) lieu de passage a l'acte.Trois Séphirot des émotions supérieures (émotif ) Hessed (Générosité) Abraham, Pessah. C'est la grâce et l'amour, c'est notre capacité d'être attire par les choses et de les désirer. C’est le flux qui se donne tout entier en s'épanchant sur le monde, le don de soi, que ce soit en termes de volonté, d'affection ou de relation, et qui en se donnant, s'ouvre sur la Sephirah de Gevourah. Din, Gevourah (Rigueur) Isaak, Chavouot. C'est la capacité de contracter sa force et de l'intérioriser: une con-centration de puissance qui fournit une source d'énergie alimentant la haine, la crainte mais aussi la justice, la retenue et la maîtrise. Tipheret (Harmonie, beauté) Jacob, Soukot. C'est la Sephira de l'harmonie, source de la compassion d'une part, de la beauté de l'autre. Ce double aspect peut surprendre. Mais Tipheret étant la syn-thèse, ou l'équilibre, des forces supérieures d'attraction et de rejet, elle inclut tout naturellement l'éthique et l'esthétique, qui toutes deux se nourrissent de la dialectique des deux "Sephirot" précédentes ; "Hessed" l'at-traction, et "Gevourah" le rejet. Trois "Sephirot" constitutives de ces éléments de l'âme qui sont en prise directe avec la réalité. (Instinctif ) Netsah (Victoire) Moise, Simkha Thora. C'est la volonté de surpasser ou d'imposer, qui informe le désire ardent que l'on peut avoir d'atteindre son but. Hod (Gloire) Aharon, Hanouka Mue par cette volonté de réussir, c'est la capacité de ne pas se laisser arrêter par les obstacles: l'obstination et la persévé-rance. À nouveau, comme pour les deux triades précédentes, Netsah et Hod aboutissent a une sephira média-trice : Yessod (Fondation) Joseph, Pourim. La force qui permet de relier les choses, d'établir des passerelles en-tre elles, la communication avec autrui, la transmission. Quant à la dixième Sephira Malkhout (Royauté) Da-vid, Shabat et l'avènement du Messie, c'est le lieu de passage a l'acte, lorsque les potentialités de l'âme s'expri-ment vers le dehors sous forme de pensée, parole et action. Malkhout permet à la conscience de retourner a Keter (Couronne), la toute première et suprême Sephira, celle de la volonté suprême source de toute volonté

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et des diverses forces qui font agir l'âme de manière inconsciente. L’arbre des Sephiroth représente, selon la Kabbale, la structure de l'homme et de l'univers. Il symbolise à la fois les forces à l’œuvre dans le manifesté - les voiles placés entre l'homme et la connaissance pure, et les interactions entre ces forces. Les neuf canaux inférieurs, les sentiers qui relient les Sephiroth représentent leurs interactions. Ils peuvent être perçus comme des combinaisons de forces, des zones de transition, des canaux ou encore des chemins. Il n'y a pas de discontinuité entre les chemins qui sillonnent l'Arbre. Ainsi les Sephiroth elles-mêmes font partie du parcours initiatique de l'Arbre. En ce sens, la Kabbale considère qu'il existe 32 sentiers : les 10 Sephiroth et les 22 voies qui les relient. Il est utile de représenter les sentiers par des canaux et non pas par de simples lignes ténues. Cela permet d'introduire dans l'Arbre la notion d'écoulement, de flux alimentant notre réalité.

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Conclusion du F∴ Orat∴

V∴ M∴ et vous tous mes FF∴, et membres d’équipage et passagers ce soir de l’United Stars Ship « Regius ». Ce soir, je ne peux m’empêcher de vous raconter la fameuse histoire de Tchouang Tseu et du papillon, que ceux qui la connaissent déjà m’en excusent mais nous essayerons ensuite d’aller plus loin : « Tchouang Tseu, s’étant endormi, rêva qu’il était un papillon et, étant ce papillon, celui-ci rêvait qu’il était Tchouang Tseu …Aussi, au réveil, Tchouang Tseu ne put que se demander : suis-je Tchouang Tseu ou suis-je le papillon qui rêve qu’il est Tchouang Tseu ? »Et bien, ce soir, V∴ M∴ et vous tous mes FF∴, grâce à nos FF∴ Gérard et Albert et aux commentaires des FF∴ qui ont ensuite pris la parole, nous pouvons dire, je crois, que l’on soit Tchouang Tseu ou le papillon n’a fina-lement aucune importance. Car ce qui importe c’est tout simplement vivre, et oser, et avancer avec audace et enthousiasme « toujours plus loin vers l’inconnu »…

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18 NOVEMBRE 2008

Olivier Gen∴

« Les hiéroglyphes égyptiens désignent le nom d’un homme, c’est à dire l’existence distincte de l’individu, par une corde nouée, qui est aussi le symbole du cordon ombilical, nourricier. Dans la chaîne d’union, le nœud n’est pas seul, isolé, il est relié au Principe Universel par la corde comme les Frères sont reliés par les bras. La tradition védique dit de la corde d’argent qu’elle est la voie sacrée qui relie l’es-prit de l’homme à l’essence universelle. Nous retrouvons ce canal éclairant, rassu-rant et nourricier, dans le vocabulaire courant qui a de ces raccourcis fulgurants quand cordial signifie qui part du cœur. La concorde, cet état des hommes en paix, nous désigne comme étant ensemble, cum cordem, avec la corde. »

Ce sujet m’invite à m’interroger et travailler sur la symbolique de la corde en général et sur le lien en particu-lier. Fœtus et donc dépendant, nous sommes blottis bien douillettement dans le ventre nourricier de notre maman et nous la reconnaissons. En effet, nous communiquons avec elle, faisant la joie de nos parents par des petits coups de pieds et ainsi nous manifestons. Les échanges, se manifestent également par l’intermédiaire du cordon ombilical qui nous nourrit et par lequel notre sang se purifie. Cette attache à la mère nourricière est fondamental pour notre vie. Les Bambaras l’appellent d’ailleurs “la corde de la gourde de l’enfant”. Ils le consi-dèrent comme la “racine” par laquelle l’être humain en gestation et relié à la Terre Mère. Et puis la naissance … La corde relève en général de la symbolique de l’ascension, nouée elle représente toutes formes de liens et pos-sède des vertus secrètes et/ou magiques. Dans beaucoup de civilisation existe la symbolique de la corde et je vais vous en citer quelques-unes : chez les mayas, elle représente la pluie, chez les chortis, les défunts sont en-terrés avec une corde qui doit servir à combattre les monstres terribles qu’ils rencontreront sur le chemin des Mondes du dessous, En Afrique, les sorciers l’utilisent comme « un instrument de magie censé devenir un serpent, un bâton, une source de lait » nous dit Holk. Dans le Coran comme dans la religion hindoue la corde sert à gravir les échelons du ciel. Enfin pour les indiens Hopis, elle est la maison de l’âme de l’enfant. J’ai trouvé très intéressant et figuratif l’image employée par le chef Hopi Talayesac qui dit « Lorsque mon cordon est tombé, on l’a attaché à une flèche et accroché à une poutre de la maison pour que je sois un bon chasseur et donner à la maison mon âme d’enfant. Si bébé il mourait, son âme pourrait rester à côté de la flèche et vite revenir dans la matrice mère et renaître. » La corde à nœuds se retrouve consacrant un espace sacré est ouvert seulement d’un coté vers l’occident et donc à l’interface du monde profane. Voici une explication donnée par Jules Boucher. Ce symbole est directement tiré de la maçonnerie opérative et c’est entre autres un outil de me-sure pour les apprentis qui ne savent ni lire, ni écrire. Tous en disposent pour tracer et mesurer sur la base d’un même étalon. Elle permet en outre de fixer le temple, de le construire et de lui donner corps. Je crois que nous pouvons dire qu’elle représente la chaîne d’union fraternelle formant un espace sacré nécessaire à la construc-tion de notre propre chantier, avec harmonie et tolérance ainsi que notre prise de conscience de notre appar-tenance à l’univers. En cette période du quatre-vingt-dixième anniversaire de la première guerre mondiale, une image m’a frappé et c’est la raison pour laquelle j’ai réorienté mon travail tardivement et provoqué un retard pour la remise à notre V∴M∴ et notre 2e Surv∴ et je m’en excuse. Le 11 novembre, je regardais les fêtes de commémorations. La configuration de lieux que je connais pour les avoir visités et ces images vues du ciel, une haie d’arbre, des milliers de tombes, des défunts de multiples nations, innocents de la guerre acteurs le plus souvent malgré eux, des millions de téléspectateurs émus dans un esprit de concorde et de miséricorde. Ces populations du monde qui voulait absoudre les absurdités de ce conflit. Ce besoin de mémoire, de recueillement qui nous pousse à relativiser, à oublier pour quelques instants, les besoins matériels et avoir une démarche d’introspection. Ce glaive, symbole de la guerre érigé sur le monument et dont la pointe tel le fil à plomb nous invite à aller en

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dedans de nous même ironie de la situation. J’ai été touché de ce que cela à fait émergé en moi, de cette souf-france ressentie mais également de la sérénité des lieux malgré la gravité des actes qui s’y sont déroulés. Ce fil à plomb qui invite l’esprit à descendre et à monter. « En approfondissant, nous découvrons donc nos propres défauts et en nous élevant au-dessus de la platitude commune nous excusons ceux des autres » nous dit Wirth. Je suis d’accord mais que c’est difficile voire compromettant … Les cordes célestes ne peuvent que venir et non pas monter d’elles même de la terre. Malgré tous les efforts des hommes, l’Ascension n’est donc possible que par la grâce et une recherche d’intériorité. Je formule modeste-ment les vœux que nos vies, nos sociétés s’inspirent de la symbolique de la corde dans toutes ses dimensions. L’idée de regroupement fraternel, d’amitié, de concorde, de richesse de cœur, d’amour, de reconnaissance par les nœuds et donc de respect des identités des uns par rapport au autres me ravi.

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Gilles Cor∴

Comme tout le monde, je n'ai à mon service que trois moyens d'évaluer l'existence humaine : l'étude de soi, la plus difficile et la plus dangereuse, mais aussi la plus féconde des méthodes ; l'observation des hommes, qui s'arrangent le plus souvent pour nous cacher leurs secrets ou pour nous faire croire qu'ils en ont ; les livres, avec les erreurs particulières de perspectives qui naissent entre leurs lignes.

Evaluer l’existence humaine, quel chantier ! Le sujet nous propose trois moyens : L’étude de soi. L’observation des hommes. La lecture entre les lignes. L’étude de soi, la plus difficile et la plus dangereuse. Certes, la démar-che initiatique par l’approche symbolique que nous propose la Franc-maçonnerie foisonne d’exemples, nous connaissons ce procédé, ce processus alchimiste de transformation éprouvé dans cette rencontre avec “les pro-fondeurs” voire les limites de ce que je suis, de ce que nous sommes. Alors, difficile oui, dangereuse oui encore. Où se situe la difficulté ? À-t-elle un lien avec le danger ? Est-ce cette difficulté qui me met en danger ? Pour-quoi y va t-on ? Quel sens cela a-t-il ? Lors d’une lecture de point de vue initiatique en 2004 Guy Piau dans le texte nous dit « Platon qui suggère que la pensée n’a de prix que si l’on peut enseigner des élèves pour penser. La pensée ne peut être égocentrique ; toute pensée enfermée devient néant. On peut en déduire que la pensée est d’abord tradition. Elle s’exprime pour faire durer ce qui se perd, pour rendre réel ce qui ne fait qu’exister. La pensé est dépositaire d’un sens » Nous sommes bien ici dans le pourquoi de l’étude, le sens et non la finalité simplement énoncé, libre, respecté, écouté. Pourtant, l’émotion en face, c’est l’amertume qui envahit le cher-chant, le goût de l’inachevé, le pourquoi du comment, le comment dans le pourquoi. L’imbrication du proces-sus dans le processus dans le processus de l’existence. Le comment ma pierre prend sa place dans l’édifice, l’harmonise, le consolide. L’observation de l’édifice, l’observation des hommes pourquoi ? Pour qui ? Attaché à mes convictions, à mes engagements, je tremble. Les hommes sont ils tous identiques ? S’arrangent ils pour cacher leurs secrets voir pire ils nos mentent pour nous faire croire qu’ils en ont. Par provocation je dirai et alors, le seul constat, le seul jugement témoigne quoi d’autre que la dangerosité et la difficulté de n’être que soi même. De ces fêlures qui lézardent l’édifice, qui en aucun cas le mette à terre et dans tous les cas seront pour la mise en terre un terme équitable en un temps et un lieu donné. Les livres à présent, avec « les erreurs de pers-pectives qui naissent entre les lignes. » Et bien dit donc, et puis quoi encore. On nous met dans la difficulté, en danger, on nous cache les choses, on nous ment. La boucle est-elle bouclée ? Non je m’y refuse, je ne veux pas, je me débats tout comme je l’espère je ferai débat. Car après tout n’est ce pas ici dans le temple et cette loge en particulier que j’ai rencontré le thème suivant lequel « la connaissance est le début de la souffrance » entre parenthèse on ne m’avait auparavant pas menti en me disant « bien heureux les simple d’esprit ». Et si au final, le regard que nous portons sur nous même, sur l’être humain soit modifié en fonction des concepts qui nous permettent de regarder le monde nous explique A. Jacquard lorsqu’il définit l’existence. Cela me conduit directement à ce qui définit le propre de l’humain qui malgré ses faiblesses et ses peurs a su évoluer et demeurer dans le temps et au travers du temps, par le partage et la communication avec l’autre. Pour A. Jac-quard ce qui « est magnifique, c’est l’intelligence, c’est la capacité à s’interroger, à comprendre, à s’angoisser … » C’est très bien mais à mon avis on peut faire mieux. Mieux c’est à dire créer un outil de connexion non plus à l’intérieur de nous, entre nos propres neurones, mais avec les autres. Pour ce faire nous avons inventé le lan-gage : des mots bien sûr, mais aussi des grimaces, des sourires, des clins d’yeux, etc. nous sommes les champions de la complexité et de l’intelligence, mais aussi et surtout de la mise en commun : avec le langage, je peux re-garder l’autre, lui transmettre non seulement des informations mais tout ce que j’aide plus intime en moi : je peux l’évoquer, le faire comprendre, créer dans le regard de l’autre quelque chose qui me fait comprendre qu’il m’a compris etc ... bref lui est moi avons créé un ensemble … un nous, beaucoup plus complexe que lui et moi et qui a par conséquent des performances que je n’ai pas, qu’il n’a pas mais que nous avons … en fait, au bout de quinze milliards d’années, le véritable aboutissement de ce cosmos est celui que nous avons créé, nous les hommes, en faisant en sorte de nous rencontrer … cette capacité de rencontrer est, selon moi, la vérité de l’être humain. Si l’humanité n’a de sens que dans le partage cela met en perspective la responsabilité de chaque homme dans la transmission voir l’éducation. Par contre le danger serait alors de transformer dans la société le

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partage en compétition. Pour rester dans la veine de Jacquard, mais en le transposant à notre démarche, notre place et notre rôle en franc-maçonnerie, j’ai la profonde conviction que nous sommes dans le lieu ou se fait « l’apprentissage des biens, très particulier, ceux que l’on multiplie en les partageant, c’est là que chacun devient un humain en se sentant le partenaire de tous ceux qui ont enrichi notre collectivité. » C’est un sujet qui me tient à cœur, une fois évaluée ma petite existence, comment je m’implique ? Comment je m’engage dans cette existence humaine ? Un de mes engagements, c’est ma famille et mes enfants, je vous fais part d’une anecdote de notre vie familiale : je surprends une conversation entre mes enfants et les enfants de mes amis/ voisins. J’apprends, que pour eux, la pire des insultes dans les cours de récréation est “intello”, ils ne veulent pas être des “intellos”. Je me mêle à la conversation et je leur demande de m’expliquer, de donner du sens à cela, de définir. Ils m’expliquent que les intellectuels sont des gens seuls, qui réfléchissent tout le temps, ne jouent pas, je ra-joute « sauf avec des concepts », qui s’isolent, qui ne sont pas dans le groupe, qui ne vivent pas dans le groupe et le méprisent presque à ce titre ceux sont des individus incompris. L’enjeu est donc ici de revenir à je que je vous énonçais précédemment en citant A. Jacquard à savoir qu’ils comprennent à quel point la pensée quand on est capable de la transmettre demeure un outil formidable qui est la base de notre richesse et de notre évo-lution. Pour conclure et pour illustrer en un point final mon propos, je vous fais lecture d’une partie d’un dis-cours de V. Hugo sur la peine de mort qui représente pour moi la puissance de la réflexion, de l’observation des hommes et de la connaissance : « Ah ! Vous avez là devant vous, face à face, l’ignorance et la misère, ces pourvoyeuses de l’échafaud, et vous n’avez plus l’échafaud ! Qu’allez-vous faire ? Pardieu, combattre ! Détruire l’ignorance, détruire la misère ! C’est ce que je veux. Oui, je veux vous précipiter dans le progrès ! Je veux brû-ler vos vaisseaux pour que vous ne puissiez revenir lâchement en arrière ! Législateurs, économistes, publicis-tes, criminalistes, je veux vous pousser par les épaules dans les nouveautés fécondes et humaines comme on jette brusquement à l’eau l’enfant auquel on veut apprendre à nager. Vous voilà en pleine humanité, j’en suis fâché, nagez, tirez-vous de là ! »

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Edouard Bot∴

« Perfectionnez le toucher jusqu’à en faire un tact, alors l’intelligence remontera de vos mains jusqu’à votre cerveau. »

L’auteur de ces lignes considère le toucher, l’un des cinq sens qui permet de connaître, par le contact de cer-tains organes, la forme et l’état extérieur des choses, comme le passage obligé pour arriver au tact, qui devient alors le véritable sens du toucher ; un peu comme deux mondes, deux cercles concentriques, où il faut attein-dre au limites du premier pour pouvoir entrer dans l’espace infiniment plus grand du second … Ce qui semble dire que si dans le premier cercle mon cerveau, par l’intermédiaire du toucher, me permet de reconnaître et de classer les choses, me perfectionner dans ce toucher peut me faire entrer dans le second cercle, infini, où l’in-telligence remontera de mes mains jusqu’à mon cerveau. Est-ce dire que dans ce premier cercle, à ce premier stade, je ne vois et ne touche pas les choses mêmes, mais que je me borne le plus souvent à lire des étiquettes collées sur elles ? Se peut-il que les mots, issus du besoin et qui désignent tous des genres, ne notent des choses, en fait, que leur fonction la plus commune et leur aspect le plus banal ? Peut-être s’insinuent-ils entre elles et moi et en masqueraient même la forme à mes yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont crée les mots eux-mêmes : une équerre n’est-elle pas un instrument en bois ou en métal permettant de tracer des angles droits ou tirer des perpendiculaires ? Un com-pas un instrument à deux branches mobiles servant à tracer des circonférences ou à transposer des longueurs ? et la Bible un livre … même s’il est le recueil des Saintes Ecritures ? Je peux me demander même, avec une certaine inquiétude, si les sentiments personnels et intimes que j’éprouve, que j’ai originalement vécus, arrivent à ma conscience avec toutes les résonances profondes qui en feraient quelque chose d’absolument mien, ou si je ne perçois finalement de mon âme que son coté extérieur et de mes sentiments que leur aspect impersonnel, que le langage a fixé une fois pour toutes, parce qu’il est à peu près le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Je peux me demander aussi si entre géné-ralités et symboles, je ne vis pas finalement dans une zone mitoyenne entre les choses et moi, à la fois à l’exté-rieur des choses et à la fois à l’extérieur de moi-même, mon individualité m’échappant quelque peu. Serais-je en train de me regarder vivre plutôt que de vivre vraiment ? Mais d’un autre côté, si je suis à même de me regarder vivre c’est aussi que j’ai franchi ce premier cercle des conventions interposées entre les choses et moi ; que je me sais évoluer suivant des normes établies, ma force se mesurant avec d’autres forces, et que je suis donc capable de m’affranchir de ces signes conventionnels, utiles uniquement à la commodité de la vie ; que je suis apte à voir la réalité nue et sans voiles, sans rien interposer entre elle et moi ; enfin que je peux es-sayer de voir le côté caché des choses. Mais essayer de voir le côté caché des choses, c’est demander à mon intel-ligence d’aller au-delà de la faculté de connaître et de comprendre par l’intermédiaire du raisonnement, où il est à prévoir que ce qu’il y a de fluide dans le réel lui échappera en partie, et ce qu’il y a de vital dans le vivant lui échappera peut-être tout à fait. Je sais que je suis enchaîné dans une profonde caverne, dans la nuit et les ténèbres, ne voyant qu’à peine la lumière du jour et ne percevant sur les murs que des ombres, des simulacres, que je prend pour la réalité. Je sais que je suis prisonnier de ce que je crois être le savoir véritable, celui de mes sens, de mes intérêts ; en fait des jeux d’ombre illusoires. Comment entamer une remontée vers le jour, vers la lumière, sans entamer une conversion, sans passer justement du toucher au tact ? Changer de mode de percep-tion c’est me voir moi-même autrement et voir le monde et les autres autrement. « Le seul véritable voyage ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux. » écrit Marcel Proust dans la Recher-che. Avoir d’autres yeux c’est entrer dans un mode de connaissance indépendant de la raison ; c’est entrer dans le monde de l’Intuition. Le mot latin intuitio, désigne l’action de voir une image dans un miroir, et le mot intuitus a le même sens que le français intuition = il s’agit de “voir à l’intérieur”, se représenter par la pensée : c’est une vision directe de l’esprit par l’esprit, qui procède de façon immédiate, sans médiation, en intégrant l’ensemble des informations que j’ai mémorisées, y compris les perceptions que je n’ai pas eu conscience d’enregistrer ; dans un temps qui se situe hors du temps, qui ne sera plus une juxtaposition, un empilement, mais un prolongement ininterrompu

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du passé dans un présent qui empiète sur l’avenir = une vision directe, sans la réfraction à travers un prisme dont une face serait l’espace et l’autre le langage. Pour Jean-Paul Sartre « La déduction et le discours ne sont que des instruments qui conduisent à l’intuition ». C’est cette intuition qui me donne à penser qu’il y a cer-tainement un autre type de vérité que la vérité scientifique et une autre connaissance que celle que me propose les sciences. Dans son ouvrage “L’Idée Maçonnique”, Henri Tort-Nouguès se demande même si les méthodes utilisées dans les sciences n’auraient pas, d’un certain point de vue, bloqué la connaissance dans certains do-maines, en particulier dans celui de l’homme lui-même. Il se pourrait alors que passer du toucher au tact, que j’assimile au passage de la pensée première à la pensée symbolique, me permette de retrouver ce sens de l’être que j’ai perdu, me révélant une réalité inaccessible aux autres moyens de connaissance, car tout symbole dési-gne autre chose que lui-même ; il renvoie à une autre forme de chose : il est le “signifiant” qui renvoie au “si-gnifié” comme le toucher renvoie au tact. Mais si tout symbole a une signification, je ne perçois pas celle-ci immédiatement car elle m’est seulement suggérée et le but de ma recherche est justement de la découvrir. Ce “signifié” m’apparaît comme une énigme, mais je crois que cette énigme, au lieu de bloquer mon intelligence au contraire la réveille, la provoque et la fait remonter de mes mains de cherchant jusqu’à mon cerveau. Cette quête de signification et ce perpétuel va et vient entre signifiant et signifié ne sont jamais terminés et je dé-couvre au-delà d’un sens un autre sens, une autre signification encore plus profonde et plus juste, à l’écart de tout dogmatisme et dans un libre processus d’essai de compréhension de l’être même des choses et de mon être lui-même. Comment transposer ce que je crois avoir compris de la pensée symbolique sous une forme qui me permette à la fois de la voir plus clairement dans mon esprit et à la fois de mieux comprendre ce processus de fragment qui renvoie à un complément, de l’être visible qui renvoie à l’être invisible ? C’est l’essai de compré-hension du processus de la naissance d’une oeuvre musicale, sa compréhension, puis son interprétation qui m’a permis d’y voir un peu plus clair : Nous nous trouvons placés, dans l’univers, devant l’œuvre d’un Architecte, d’un Démiurge, comme l’artiste devant une partition qu’il doit déchiffrer. L’artiste a atteint les limites de la perfection dans l’art du toucher de son instrument, mais il sait au plus profond de lui-même que ces notes qu’il voit ne sont que des étiquettes, qui une fois transposées sur les touches n’exprimeront que la face la plus commune et la plus banale de tout l’amour, le bonheur, le mystère, toute l’émotion, la beauté, la noblesse, la passion, la déchirure, la sérénité que leur créateur a mis en elles. Pour passer de l’autre côté du rideau, de l’autre côté du miroir de la partition, il lui faudra entrer dans le second cercle, celui de l’intuition : il lui faudra dé-clencher en lui “l’instinct d’interprétation”. Pour Alessandro Baricco « … une œuvre est le spectacle rare du moment où une idée surgit du néant et devient. C’est le miracle de “la première fois”, quand l’énigme d’un événement nécessite l’apparition d’un nom … » Mais je crois que cet instant de vérité pâlit à mesure qu’on s’éloigne du moment de son authenticité originelle, et le fait que cette vérité se mythifie fait qu’elle meurt et que meurent avec elle tous les désirs et les espoirs qu’elle incarnait au moment où elle naquit. Cette vérité ori-ginelle qui s’est diluée dans le temps, les conventions et les mots qui la masquent a fait naître la nostalgie, cette nostalgie des origines qui nous marque à jamais. La nostalgie peut-être de la Parole perdue. C’est à l’instinct d’interprétation de l’artiste, à l’intuition ou le tact pour nous qu’il est donné de faire en sorte que cette vérité redevienne une idée qui surgit et qui devient, et que la force qui se trouve cachée en elle nous permette de la découvrir chaque fois comme si c’était la première fois. C’est à nous qu’il incombe de libérer cette puissance qui se trouve en elle, de la réinventer. De devenir en quelque sorte le “médium” entre cette œuvre et notre monde, et la réaction chimique qui s’ensuivra fera remonter l’intelligence jusqu’à notre cerveau.En guise de conclusion, j’aimerais vous lire les dernières lignes du livre de l’astrophysicien d’origine vietna-mienne Trinh Xuan Thuan, Le Chaos et l’Harmonie, qui conclut, parlant de l’Univers : « Hasard ou nécessité ? La science ne peut trancher. Les deux options sont possibles. Soit l’homme a surgi dans un Univers dépour-vu de sens, qui lui est complètement indifférent ; soit sa venue a été programmé dès le début afin qu’il donne un sens à l’Univers en le comprenant. Je rejette l’hypothèse du hasard, car, en dehors même du non-sens et de la désespérance qu’il entraîne, je ne puis concevoir que l’harmonie, la symétrie, l’unité et la beauté que nous percevons dans le monde, des contours délicats d’une fleur à l’architecture majestueuse des galaxies, mais aussi de manière beaucoup plus subtile et élégante, dans les lois de la Nature, soient le seul fait du hasard. Si nous acceptons l’hypothèse d’un seul univers, le nôtre, nous devons postuler l’existence d’une Cause Première qui a réglé d’emblée les lois physiques et les conditions initiales pour que l’Univers prenne conscience de lui-même. La science ne pourra néanmoins jamais distinguer entre ces deux possibilités. Jamais elle ne pourra aller jus-qu’au bout du chemin. Il nous faut donc faire appel à d’autres modes de connaissance, comme l’intuition mys-tique ou religieuse, informés et éclairés par les découvertes de la science moderne. »

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Conclusion du F∴ Orat∴

Le philosophe Karl Marx avait constaté « le travail est l’essence de l’homme » et il développait cette idée, confirmée par la neurophysiologie et la psychologie contemporaines, que le maniement des outils modèle notre psyché. Notons que la démarche maçonnique affirme depuis toujours la même idée et c’est pour cela que nous glorifions le travail comme l’ont glorifié ce soir nos FF∴ Olivier, Gilles et Edouard.Ces dernières années, la frontière entre l’homme et l’animal s’est estompée : nos cousins primates n’utilisent-ils pas à l’occasion des outils et n’ont-ils pas des tactiques collectives de guerre élaborées ?Aussi ce soir, les travaux et les commentaires nous ouvrent-ils peut-être à cette notion, très maçonnique encore une fois, que le travail symbolique, rythmé, encadré, personnel et collectif, douloureux parfois par l’effort qu’il impose sur nous-mêmes, exaltant aussi par la découverte de soi et de l’autre, le travail donc sera le moyen de notre humanisation. Et cette humanisation va produire, comme nous l’avons vécu ce soir, par les mots, par la gestuelle, par la musique, de l’Intelligence, de la Beauté et de l’Amour.

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16 DECEMBRE 2008

Laurent Gal∴

« Le développement naturel de votre vie intérieure vous conduira lentement, avec le temps, à un autre état de connaissance. Laissez à vos jugements leur dévelop-pement propre, silencieux. Ne le contrariez pas, car, comme tout progrès, il doit venir du profond de votre être et ne peut souffrir ni pression ni hâte. Porter jus-qu'au terme, puis enfanter : tout est là. Il faut que vous laissiez chaque impression, chaque germe de sentiment, mûrir en vous, dans l'obscur, dans l'inexprimable, dans l'inconscient, ces régions fermées à l'entendement. Attendez avec humilité et patience l'heure de la naissance d'une nouvelle clarté. »

Mes Frères, je découvre ce sujet lors de notre rentrée maçonnique. À sa lecture, je me fais une réflexion immé-diate : notre nouveau V∴ M∴ continue sur la lancée de notre passé V∴ M∴ … je n’aurai décidément pas de répit … Et ça me plaît ! Je laisse passer du temps, je digère cette première impression, puis me lance dans une relecture. Des idées naissent en moi, mais je n’en reste pas moins circonspect. Une nouvelle fois, je vais devoir me pencher sérieusement sur un sujet, qui ne m’inspire de prime abord pas plus que ça. En tout état de cause, le moment n’est pas encore venu où je vais pouvoir laisser filer ma plume pendant deux heures, afin de rédiger une planche avec facilité. Mais le temps passe et la vie fait son chemin … quelques petits mois, pendant les-quels certaines étapes de mon existence ont suffi à changer la donne, jusqu’à apporter un éclairage nouveau sur mon sujet de réflexion. Une révélation providentielle. Deux, trois mois, dans la vie d’un homme semblent pourtant bien peu. Et pourtant ! Albert nous l’a enseigné (Einstein pas Benhamou !) : le temps est relatif. Et les mois qui viennent de s’écouler m’ont semblé une éternité. Je viens de vivre, et vis d’ailleurs toujours un peu de manière diluée, une période obscure ou mon cortex m’a entraîné vers des abysses dont j’ignorais jusqu’à l’existence. C’est tout proche mais j’en tire déjà une leçon : l’Expérience. Sans elle, on pense comprendre, on pense saisir le ou les sens, mais on passe à côté de l’essentiel. Sans avoir vécu, on ne peut comprendre. On se contente du vernis. J’ai parfois eu l’impression d’assimiler correctement le sens d’un symbole, le sens d’une réflexion d’un frère en tenue … mais j’étais pourtant à ce moment précis bien loin du compte. Tiens ! ... le V∴I∴T∴R∴I∴O∴L∴ par exemple. J’ai toujours eu le sentiment de comprendre son sens allusif. Je me trom-pais ! Pour vivre aujourd’hui une douloureuse introspection, je comprends désormais toute sa symbolique et je récolte une volée de bois vert, je dois rectifier ! Sans cette rectification je risque l’écroulement ! La maçonnerie prend son sens et je la redécouvre alors même que je suis Compagnon. Par l’intermédiaire de flashs je me re-mémore certains songes de frères, certaines prises de parole qui m’ont parfois laissé un goût étrange, parce qu’au final je n’étais pas prêt à les entendre, je passais à côté de leur essence. L’Expérience ! Ou plutôt certaines expériences de la vie, et de la mort aussi, j’y ai tellement pensé ces dernières semaines, j’ai eu l’impression d’y goûter parfois. Je ne comprenais pas notre frère Eric, qui nous répétait à l’envi descendre dans les ténèbres, et se regarder dans le miroir ; je ne comprenais pas notre Frère Pierre-Henri qui soutenait que la maçonnerie se vit idéalement à quarante ans, je ne comprenais pas la verticalité du fil à plomb qui plus qu’une direction nous indique finalement un sens. Quel constat accablant, trois ans de maçonnerie et je n’ai rien compris, je réclame un bonnet d’âne ! Mais il n’est jamais trop tard et je profite a posteriori de ses enseignements. Ce sujet de ré-flexion arrive d’ailleurs à point nommé. Exit les références bibliographiques, les déballages d’érudition, au-jourd’hui je ne veux pas séduire, je ne veux rien apprendre à personne, je souhaite simplement témoigner. Faire part aux frères qui m’écoutent (ou qui somnolent peut être déjà ?) de mon expérience, de ma façon de vivre l’arrivée à un carrefour de ma vie. La vie justement, elle n’est pas un long fleuve tranquille, et le sujet nous le rappelle, il existe en nous bien des « régions fermées à l’entendement ». Toutes ces années, je les ai occul-tées, fort d’un mental que je pensais à toute épreuve, je toisais intérieurement ceux dont les épaules s’affais-

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saient, je ne comprenais pas comment certains n’arrivaient plus à avancer … Aujourd’hui un éclairage nouveau s’est fait sur ma vie ou plutôt sur notre existence : toutes ces années j’ai manqué de courage (ou peut être de maturité ?), je n’ai regardé que la lumière et ne me suis pas aventuré dans l’obscurité. Je comprends pourquoi ! Il faut être armé, structuré à outrance pour affronter les ténèbres ! Mais comment y arriver seul ? Ici encore, le sujet de réflexion que m’a proposé notre Vénérable Maître est empreint de sagesse, il distille avec pudeur des enseignements ou plutôt des voies de recherche … « Attendez avec humilité et patience l'heure de la naissance d'une nouvelle clarté » … La patience justement … Quelle souffrance ! Quelle étape, quel cap dans une vie que de devoir, par la force des choses, apprendre à devenir patient ! Prendre le temps, quel bel enseignement se-rions-nous tenté de penser ? ... Mais prendre son temps dans le bonheur est une chose, prendre son temps pour laisser passer un orage en est une autre ! Il existe des méthodes pour se forger soi-même, pour apprendre à y voir plus clair dans l’obscurité, et la maçonnerie en est une. La maçonnerie a du bon, elle est un édifice so-lide, fort des expériences de milliers de frères au travers les âges. J’y ai rencontré, et y rencontre encore des Frè-res magnifiques pour qui tendre la main n’est pas qu’un vague concept. J’y rencontre l’amitié, la fraternité, la générosité, la bienveillance. Tout ce qui fait tellement défaut au monde profane. Elle apporte des enseigne-ments, et est souvent la voie de la sagesse … Elle m’aide en ces instants de doute en m’apportant des axes de recherche, des méthodes d’apaisement. Mais, et je le comprends seulement aujourd’hui, il faut la vivre avec prudence. Et je m’adresse à nos plus jeunes apprentis, je me permets de les mettre en garde : la maçonnerie n’est pas à mettre entre toutes les mains. J’en suis même à me demander si les gants que nous portons ne sont d’ailleurs pas là pour nous les protéger ? Une facette du symbole à laquelle je n’avais jamais songé. La méthode maçonnique qui consiste en une déstructuration perpétuelle pour rebâtir après avoir rectifié me donne à réflé-chir. Il faut avoir du courage pour vivre cette aventure, les journées sont longues et fastidieuses et remettre sa vie en chantier en tenue est un exercice fastidieux, qui réclame d’être bien dans sa peau et solide dans sa tête. Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie, Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir … C’est donc ça être un Homme … J’entends mieux le poids des mots ! Être un Homme, au sens noble du terme, se mérite. Je pensais la maçonnerie universelle, voire idéale, je mesure désormais mon sentiment et aborde mes nouvelles années maçonniques avec plus de prudence. Déstructurer est dangereux. L’introspection est dangereuse. Certains aînés, certains frères m’ont mis en garde, je comprends mieux aujourd’hui l’avertissement, vous comprenez mieux mes dernières absences. J’ai souffert en tenue, souffert de me forcer à réfléchir sur mon sort, souffert de ne pas pouvoir m’aérer l’esprit, souffert de devoir rester au combat dans cette obscurité suffocante. Souffert finalement de « porter jusqu’au terme, puis enfanter ». Je n’en suis aujourd’hui à peine qu’à l’instant t+1, je n’arrive donc pas à réfléchir avec assez de recul à cet épi-sode, j’imagine que la parole circulera sur le sujet et que mon idée s’éclaircira sous peu. Toujours est-il qu’il ne faut pas voir à mes propos une critique acerbe de la maçonnerie, je ne serais pas ici ce soir sinon, mais plutôt une partie de l’antithèse de sa compréhension. J’ai connu en étant apprenti le premier degré, en quelque sorte la thèse, je suis aujourd’hui compagnon et naturellement je visite l’antithèse. C’est un passage obligé vers la synthèse. « Porter jusqu’au terme, puis enfanter : tout est là »… Quel beau sujet de réflexion alors que ma femme porte en elle ma fille. C’est elle qui est enceinte, et c’est moi qui souffre, quel paradoxe ! J’ai poussé l’en-fantement jusqu’à l’expulsion de mon appendice ! La vie est décidément fascinante … Il faut être patient, ne pas craindre de naviguer en eaux troubles. Il ne faut pas craindre de s’appuyer sur sa famille, il ne faut pas avoir honte d’être à un instant précis le maillon faible de cette immense chaîne d’union. Il faut mettre de côté cet orgueil mal placé, pour s’inscrire à nouveau dans le mouvement cosmique sans en être expulsé ou sans s’en ex-pulser soi même. « Attendez avec humilité et patience l'heure de la naissance d'une nouvelle clarté. » L’humi-lité, je ne la connaissais pas, je la découvre, la vie m’y oblige. C’est grâce à elle que l’on peut aller au bout. Elle permet de se remettre à sa place, autant dire une infime poussière d’étoile, nous ne sommes rien de plus, quel soulagement ! Pour en terminer, je rends hommage à l’auteur de mon sujet, Rainer Maria Rilke, un poète au-trichien né en 1875, en lui laissant les dernières lignes de cette planche : « Le temps, ici, n’est pas une mesure. Un an ne compte pas : dix ans ne sont rien. Il faut croître comme l’arbre qui ne presse pas sa sève, qui résiste, confiant, aux grands vents du printemps, sans craindre que l’été ne puisse pas venir. L’été vient. Mais il ne vient que pour ceux qui savent attendre, aussi tranquilles et ouverts que s’ils avaient l’éternité devant eux. Je l’ap-prends tous les jours au prix de souffrances que je bénis : patience est tout. »

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Raymond Jol∴

« La seule méthode, pour accéder à la connaissance, est la concentration sur le physique, le mental et le spirituel. La concentration sur les pouvoirs de l’esprit pour découvrir l’unité dans la diversité s’appelle la connaissance.Est-ce cela « être en tenue » ?

Au lieu de taper à la porte de la connaissance, qui n’est pas prête de s’ouvrir malgré notre vacarme, l’auteur nous désigne une clef et nous invite à l’essayer. La clef, c’est la concentration. C'est-à-dire l’obligation de s’allé-ger de tout ce qui n’est pas l’objet de notre étude pour pouvoir nous retrouver en notre CENTRE, lieu où se focalisent nos énergies. Tel un tireur ou un archer qui pour mieux atteindre sa cible se prive d’un œil devenu inutile et gênant, privons-nous de nos deux yeux puisque la cible est invisible et cachée à l’intérieur de nous-même. I ] LA CONCENTRATION SUR LE PHYSIQUE, LE MENTAL ET LE SPIRITUELLe premier EFFORT portera sur le physique, le mental et le spirituel. Il s’agit de notre être considéré en son entier où l’ensemble des éléments qui le composent sont solidaires et harmonieux. Qu’importe en fait, que l’esprit puisse être considéré comme supérieur à la chair puisqu’il a besoin de celle-ci, qui dès lors ne sera plus seulement un corps physique, mais fondue dans notre être, sera ce qui s’oppose à la nature de Dieu, à son esprit, à sa pensée. St Paul est AFFIRMATIF « la chair convoite l’esprit et l’esprit convoite la chair ». Dans cette corrélation, on peut noter que la racine des mots issus du terme SPIRITUEL donne RESPIRER, INS-PIRER, EXPIRER, ASPIRER, ESPERER etc, et que cet ensemble a majoritairement besoin d’un corps pour alliance. Si le spirituel est dynamique, transcendance, ouverture, il habite un corps auquel il donne un sens nouveau : celui de la connaissance des choses et des êtres, mais aussi celui de l’amour. Une image signifiante de cette relation pourrait être celle du pèlerinage qui est avant tout un dépassement spirituel mais qui doit comp-ter avec un défi physique. Ainsi cet être rassemblé, centré en lui-même, ne se dirigeant que vers son but, pour-rait-il prétendre approcher la connaissance ? Si c’est le cas, alors il s’agit d’une connaissance à mi-chemin du savoir, d’un stade préliminaire, purement d’ordre individuel où nous avons découvert et identifié ce qu’il était possible de découvrir et de connaître, mais en plaçant l’objet de cette connaissance dans le même plan que nous-mêmes. Notre découverte ne nous lie pas à son objet et il s’agirait plutôt d’une connaissance par reflet comme celle dont parle GUENON lorsqu’il observe les prisonniers de la caverne de Platon qui voient défiler les images sur le mur. En aucun cas, on ne pourrait prétendre véritablement connaître dans le sens étymologi-que du mot c'est-à-dire NAITRE AVEC. La différenciation étant toujours établie. Nous restons dans l’esprit du même monde que celui du thème Platonicien du MEME et de l’AUTRE. Ces deux faces du monde sont comme le revers et l’avers, le dedans et le dehors. Le MEME est le même partout, c’est l’AUTRE qui sépare et qui est séparé. MOI-MEME, TOI-MEME, LUI-MEME, MEME est le même pour les trois et l’étymologie du MOT MEME mérite une méditation : MET est une particule intraduisible, invariable, inséparable et mys-térieuse. MET contient le M de MOI et le T de TOI comme pour dire que l’un n’a de sens que dans l’autre, comme une obligation à relier ce qui est distant, à trouver un passage ou plutôt comme nous sommes maçons, à ériger un pont en nous concentrant plus particulièrement sur les « pouvoirs de l’esprit ».

II ] LES POUVOIRS DE L’ESPRITLa concentration est aussi une force, une sorte de force de pénétration, et avant de l’utiliser pour tenter de pas-ser du mental au spirituel, ne conviendrait-il pas au préalable de s’interroger sur nous-même, sur la manière dont nous fonctionnons ? Si je décide de conduire mon véhicule automobile en un tel point c’est parce que je connais le fonctionnement des pièces principales et que je les utilise en fonction de cette connaissance. Qu’en est-il de moi-même, de nous-même et quels sont nos rapports avec le monde qui nous entoure. Des ingénieurs ont créé mon véhicule, suis-je capable de me créer moi-même ? La réponse est évidemment NON, je ne peux que découvrir. Si je prends l’exemple des nombres : ceux-ci sont préconscients, ils existent en dépôt dans notre

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psyché profonde et leur découverte va structurer notre pensée. Ainsi, la fonction archétype essentielle du nombre est d’être un élément d’ordre : Le UN se réfère à une totalité. Le DEUX divise, répète et engendre. Le TROIS centre les symétries et construit les synthèses, etc, etc. Nous sommes donc dépendants d’éléments pré-existants qui s’imposent, qui modèlent notre pensée et orientent notre compréhension du monde. Et quel est donc ce monde ? Celui à trois dimensions des Grecs, celui de Newton ou encore le monde quantique que j’ai beaucoup de mal à approcher ? Il y a un terrible doute. Je ne me crée pas, donc je peux douter de la réalité de ma liberté – elle m’apparaît tout au mieux comme conditionnelle – et par voie de conséquence, je vais douter également de ma propre existence et du sens de ma vie – qui est un sens obligatoire. Un plus un font un disait SARTRE. Nous serions donc les mêmes spectateurs d’une pièce que nous voulions jouer et dont nous redou-tons pourtant la fin. À quoi nous servirait-il de poursuivre nos efforts, de nous centrer sur un objet devenu illusoire, sur ce leurre, que serait la connaissance ? À moins de pousser le plaisir du jeu intellectuel jusqu’à son extrême limite de pratiquer comme pendant la période Hellénistique, la géométrie pour la géométrie, ou comme à notre époque l’art pour l’art et rechercher uniquement ce qui enivre, mais nous éloigne en même temps des réalités profondes de la vie. Tous les chemins finissent en impasses – pourtant l’auteur nous alerte et agite un flambeau vers un panneau indicateur : la recherche de l’unité dans la diversité suivi d’une question : est-ce cela être en loge ?

III ] L’UNITE DANS LA DIVERSITE – ETRE EN TENUELorsque nous entrons dans le temple la première chose que nous faisons est d’abandonner nos métaux – ce qui ne signifie pas seulement nous détacher de ce qui est précieux, d’autres le font mieux et moins symbolique-ment que nous, - mais surtout de nous défaire, de nous délester de tout ce qui n’est pas essentiel. En ce sens, nous nous concentrons. Nous nous mettons en condition pour un voyage : - un de ces voyages qui permet de se tourner vers l’intérieur de soi-même, non pour se détourner du monde, mais pour mieux le redécouvrir. – Certains auteurs parlent d’une conversion du regard qui est la recherche de l’unité de soi en soi et en relation avec les autres. Ce savoir et ces concepts qui sont en nous, qui préexistent, sont autant de cadeaux et de signes de notre appartenance à l’ordre du monde. Les découvrir et se redécouvrir, c’est aller dans le sens de cet ordre, de l’unité. – C’est exercer notre liberté et donner un sens à la vie. La con-naissance métaphysique d’ordre universel « serait donc impossible à atteindre s’il n’y avait en notre être, une faculté du même ordre, donc transcendance par rapport à l’individu. On peut l’appeler : intuition intellec-tuelle, âme, et pour l’éprouver - c’est je crois le sens de notre initiation et de notre présence en loge. – Il nous faut établir cette communication qui est proprement individuelle, donc incommunicable et inexprimable, avec cet état supérieur. Le paradoxe et la difficulté consisteront dans le déchirement de notre pensée entre l’unité - objectif permanent de l’esprit humain - et la multiplicité.- détour inévitable de notre démarche. « Au commencement était le LOGOS », préambule de l’évangile de St Jean qui semble indiquer que la seule démarche dont dispose l’homme pour accéder à la connaissance, con-siste à prendre conscience d’un ORDRE. Ce LOGOS était près de Dieu. Jean montre un processus possible, permettant de passer de cet ordre logique des choses à un principe créateur de cet ordre. » N’est-ce pas ce que représente pour nous “le Grand Architecte de l’Univers ?” - Il est architecte et donc porteur du plan qui indi-que le sens du monde ; mais il est architecte et non pas Dieu, ce qui laisse à chacun, la liberté de retrouver ce sens dans sa propre voie.C’est, je crois, cela être en loge : remplacer le non sens de la vie par une métaphysique de libre recherche spiri-tuelle, se construire et construire dans la fraternité des hommes – se réconcilier avec le monde et son destin – se réconcilier avec la vie afin d’aboutir, peut être, à une réconciliation avec la mort. En conclusion, je voudrais citer deux phrases d’André GIDE. La première s’adressant au lecteur : « LIS-MOI et quand tu m’auras lu, jette ce livre et sors. Je voudrais qu’il t’eût donné le désir de sortir ». Et la deuxième : « Que l’importance soit dans le regard et non dans la chose regardée ».

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Conclusion du F∴ Orat∴

La dialectique du Maître et de l’Esclave, développée par Hegel si j’ai bonne souvenance, traite de ce paradoxe apparent qui explique que l’esclavage peut être plus confortable que la liberté surtout si le Maître est plutôt bienveillant … Pourquoi alors s’encombrer de la liberté, des responsabilités et des devoirs qui en découlent ? Pourquoi effectuer ce retournement, ce détournement des ombres hypnotiques projetées sur le mur de la Ca-verne et entamer une lente et parfois pénible remontée vers la Lumière ? La réponse nous a été donnée ce soir par le désir de Liberté exprimé tour à tour et chacun à sa façon et de l’endroit du chemin où il se trouve, par nos FF∴ Pascal, Nicolas, Michel, Laurent, Raymond et tous les FF∴ étant intervenus. Ce désir de Liberté, et pensons à notre devise républicaine et maçonnique, ce désir donc qui nous conduit à apprendre ici l’Amour et la Fraternité est probablement ce qui fonde le meilleur de notre humanité.

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6 JANVIER 2009

Christophe Bea∴

J'ai voyagé vers le centre de la Terre.

Ce qui me ramène à re-parler de mon initiation. Donc, ce soir là … Je fus complètement dépassé. Trop de nouveautés. Impossible de digérer cette densité. La soirée s'est terminée. Profane la veille, en quoi étais-je si différent ? Petit à petit, avec le temps, de cérémonie d'initiation en cérémonie d'initiation, j’ai creusé et les sensations, les images et les symboles ont pris forme et densité. Si je devais n'en garder qu'une, l'image la plus présente de mon initiation demeure la vision de la des-truction par les flammes de mon testament philosophique. Cette image vient pour moi s'accorder à cette de-vise des alchimistes qui nous accompagne, V∴I∴T∴R∴I∴O∴L∴, ou la descente dans les entrailles de la terre s'accompagne graduellement de l'abandon des certitudes profanes. Étape par étape, chaque certitude aban-donnée laisse la place à un doute, sorte de porte qui s'ouvre sur un horizon plus lointain. Le mot “liberté” prends ici un nouveau sens. Le symbole va évidemment plus profond : Quand on descend en soi, c'est un véri-table voyage vers le pays originel, une sorte de “retour au bled” vers son propre jardin d'Eden personnel au fond duquel le “moi primordial” hiberne. C'est un exercice qui consiste à arracher de soi successivement les uns après les autres tous ses attributs, comme les pelures successives d'un oignon. Mais quid de mon expérience personnelle de spéléologue ou d'éplucheur d'oignon ? C'est comme vous voulez … je pense que c'est un peu pareil. Ces expériences furent aussi bouleversantes qu'in-volontaire la première fois qu'il me fut donné de les vivre. Elle se déroulèrent à la suite de chocs émotionnels mal digérés. Il y a des moments ou la vie est un poison violent. Bref, une certaine souffrance est à l'origine de ce voyage vers le centre de la terre. Il m'arrive de tourner en boucle comme un vieux disque rayé. Je pense par-tager cette particularité avec quelques milliards d'être humains - du moins ceux qui ont le loisir - la possibilité ? - la volonté ? de se poser des questions. Donc lorsque je tourne en boucle sans trouver ni solution ni issue à ce moulinage permanent qui est lui même source de souffrance, c'est naturellement qu'une trappe s'ouvre au dessus d'un précipice et que la soupape de la cocotte minute laisse s'échapper la pression. La descente s'amorce, la pesanteur s'amoindrit. Quand je descend au fond de mon gouffre vers mon île originelle, le voyage prends une trajectoire vertigineuse et verticale. Il y a des paliers, des étapes de ci de là ou j'aperçois tel fait ou tel évé-nement vécu. Ils trouvent leur origine éclairée, les choses s'expliquent naturellement et sans passion. Les autres acteurs de la comédie de ma vie s'y trouvent pardonnés, excusés, justifiés. Des états de conscience et quelques préjugés sont abandonnés sur le bord de la route. Certaines de ces étapes sont liées par un enchaînement de causalité. Divers embranchements horizontaux mènent à ce qui semble en être la l’origine de ces enchaîne-ments. Niveau après niveau, je me sépare de mon uniforme social. Le temps, l'espace et la matière font partie de ce voyage mais le mécanisme de leur imbrication est difficile à verbaliser. La vitesse de la descente semble très rapide - une sorte de retour en arrière. Une fois que l'oignon est quasi épluché, j'arrive dans un pays, un état, ou tout est simplifié à l'extrême. Il semble ne demeurer ici que des notions strictement nécessaires. La dualité y est installée comme l'état ordinaire de ma conscience. Je perçoit une image de moi différente de mon image de surface. Cette image est beaucoup plus simple et facile à percevoir pour moi car elle est libérée de tout un fatras d'inhibitions et de peurs qui se sont évaporées au fur et à mesure qu'elles trouvaient leurs sour-ces. Si c'est bien là le chemin de la connaissance de soi, Il me devient évident que j'en suis moi même l'outil incontournable. La connaissance DE soi est donc la connaissance PAR soi. Ce chemin est bien vertigineux - tout ce que l'homme peut inventer d'artificiel pour procurer des sensations fortes est distancé de très loin. Au cours de ce voyage, je me vois : Aussi petit que grand, aussi génial que nul, aussi laid que beau, aussi fort que faible, aussi sage que fou, aussi féminin que masculin, aussi noir que blanc … comme le pavé mosaïque.

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Séparé de mon rôle d'acteur de la comédie profane, je tolère ici facilement ce que je suis. Je découvre en toute humanité ma véritable originalité. C'est un pays d'indulgence et un tombeau pour la vanité. Lors de ce voyage, les choses s'ordonnent et s'équilibrent, leurs importances se relativisent, se mesurent et se clarifient. Les con-traires, sans s'annuler, s'unissent et prennent la direction d'une troisième dimension. La dualité tends vers l'unité. Une certaine androgynie flotte dans ce noyau. Tout s'accepte sans efforts dans mon jardin d'Eden per-sonnel. À ce stade du voyage, j'entrevois la possibilité d'une reconstruction de mon image débarrassée de ces divers degrés d'inconscience, d'ignorance, de préjugés et de peurs. De nouvelles portes, jamais ouvertes se des-sinent. Plus que je ne pétris la terre, je sens que c'est elle même qui me façonne et est susceptible de m'équiper pour progresser. Accidentelles et fortuites pour certains ces expériences de descente en soi sont à la fois si bou-leversantes et si apaisantes (pour ma part) qu'on ne peut que chercher à les cultiver et à pratiquer cet éplu-chage à la manière d'un exercice qui est un appel permanent à creuser plus profond et je m'en aperçoit aussi - d'une certaine manière, à monter plus haut. En pratique, chacun est libre de partir en expédition vers son cen-tre de la terre personnel de la manière qui lui convient le mieux. il n'es pas forcément nécessaire de se plonger dans les fins fonds des bibliothèques, de se perdre dans les déserts ou d'arpenter l'océan à la poursuite de l'ho-rizon. En ce qui me concerne, un certain isolement -pas obligatoirement la solitude - est souvent propice à des retrouvailles intimes, mais il suffit souvent de simplement s'autoriser un peu de distance pour faire le silence en soi. La connaissance de soi est une mise en lumière de ce que l'on est vraiment. Elle nous permet d'avoir conscience de nos potentialités pour en tirer parti, sans aucun jugement systématiquement négatif, et avec bienveillance. Avancer sur le chemin difficile de la connaissance de soi, libère des illusions, souvent néfastes, que l'on peut se faire sur soi-même. Cette introspection est, il me semble, une des bases de la démarche ma-çonnique. Quand notre F∴ second S∴ m'a communiqué ce sujet de travail, cela m'a remis en mémoire Vendre-di ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier. On y voit Robinson descendre cycliquement au fond de sa grotte qui se trouve au centre de l'île et y séjourner, encastré nu dans une alvéole qui épouse parfaitement la forme de son corps en position fœtale. Là, dans les profondeurs de la terre, il parvient à une connaissance per-sonnelle qui lui permet de se supporter lui même ainsi que sa solitude. Il y parvient également à porter un re-gard neuf sur le monde dont il est séparé. Vendredi qui incarne une sorte d'homme originel vient par la suite accidentellement faire exploser la grotte (avec de la poudre). Les débris de la colline qui abritait la grotte se retrouvent projetés et libérés dans l'atmosphère. Ce sont ces débris qui sont en fait “les limbes du Pacifique”. Je trouve que l'image est très parlante pour illustrer une sorte d'initiation porteuse d'un rayonnement. Peu versé à l'époque dans la littérature ésotérique, j'ai découvert ici que toutes les traditions initiatiques, d'Orient, d'Occi-dent et peut-être d'ailleurs véhiculaient cette même démarche de connaissance DE soi PAR soi. De Rama à Jésus en passant par Orphée, Pythagore, Hermès, Moise et je ne vais pas les citer … tous sont allé chercher la connaissance de l'intérieur. Les exemples sont innombrables. Cela rassura l'éplucheur spéléologue qui se trouve devant vous car à l'époque de ses premières immersions il fut tenté de frapper à la porte du psy. Non que cela soit une démarche inutile, mais finalement il frappa à la porte du Temple ou il fut reçu par une joyeuse bande d'éplucheurs spéléologues qui étaient tous, il s'en aperçut par la suite, également de grands voyageurs.

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Stéphane Cai∴

« Le feu est l’un des cinq éléments avec le métal, la terre, l’eau et le bois : La terre est l’enfant du feu, son écorce ; Le feu est l’enfant du bois qu’il consume ; Le feu contrôle le métal , réchauffe et élève l’énergie. Si le feu est faible, le métal devient rigide. Si le feu est trop puissant le métal n’est pas capable de se concentrer vers l’intérieur, il perd sa forme et sa densité. La maîtrise du feu sublime le métal profane, et fait du forgeron un alchi-miste, ou, s’il échoue, un Icare repoussé loin du feu de la connaissance … »

Ainsi donc avec ce sujet notre V∴ M∴ me permet donc de jouer avec le Feu. Nombreuses sont les expressions de la langue française où l’on peut trouver le mot feu ; le feu de l’action, le feu de l’amour, faire feu de tout bois, se trouver entre deux feux, il n’y a pas de fumée sans feu, être tout feu tout flamme, même les suisses nous rap-pellent qu’il n’y a pas le feu au lac, … mais j’arrêterai là mon inventaire à la Prévert, ma planche pourrait faire long feu. La valeur du feu est ambiguë. Elle est à la fois le symbole de la combustion purificatrice lumineuse et vivificatrice. Le feu est souvent associé au divin. Il est le principe de l’univers chez Héraclite et pour les Stoï-ciens tout se terminera dans un grand feu d’où sera engendré le monde suivant. Mais il représente aussi la guerre, la destruction, la violence. Dans la religion chrétienne il est associé à l’ardeur des passions, au péché, il est associé aux enfers et à Satan. Tout d’abord, je m’attarderai sur la notion de feu dans son sens premier, celui de combustion. Le feu est la production d’une flamme par une réaction chimique exothermique d’oxydation appelée combustion. Pour qu’il y ait combustion, on doit réunir trois facteurs : deux composés chimiques (un combustible et un comburant) et une source d’énergie que nous nommerons énergie d’activation. Sous l’effet de cette dernière (notamment de la chaleur), le combustible se décompose (pyrolyse), le produit de cette dé-composition est un gaz qui réagit avec le comburant (en général le dioxygène de l’air). Nous sommes alors en présence de combustion et donc de feu. Je vous le confesse bien volontiers, j’ai recopié cette belle définition. Mais quoi de plus fascinant qu’un feu ? La domestication du feu par l’Homo erectus a marqué le tournant déci-sif dans son évolution. À bien y réfléchir depuis que ce sujet m’a été confié, le feu est très certainement la dé-couverte qui transforma fondamentalement l’homme et le distingua du reste du règne animal. Nombreuses sont les inventions qui infléchirent son évolution. On peut penser à l’invention de la roue, à l’électricité, à la découverte de la pénicilline. Mais au bout du compte toutes ces créations et autres avancées ne sont que des améliorations (parfois aux conséquences perverses) de sa condition humaine. Mais le feu …, par sa faculté d’observation et d’analyse, l’homme a pu apprendre à conserver et à recréer ce qui n’était au départ qu’un phé-nomène naturel. Il est aujourd’hui encore, le seul animal qui a non seulement domestiqué le feu mais a su aussi le reproduire à volonté. Le feu a été un formidable moteur d’hominisation. Une vie sociale s’est organisée au-tour des feux. Le feu a apporté la lumière prolongeant le jour aux dépens de la nuit, repoussant les ténèbres, source de toutes les terreurs. Cette lumière lui a permis de pénétrer dans les cavernes modifiant ainsi son habi-tat. Le feu réchauffe et lui a permis de se déplacer et d’explorer d’autres territoires au climat moins clément. Il lui a ainsi permis de se déployer sur la terre. Il a amélioré la fabrication des outils en permettant de durcir, à la flamme, la pointe des épieux, optimisant leur performance. Le feu a permis de cuire la nourriture et en consé-quence de faciliter la mastication, la digestion, lui faisant découvrir de nouvelles saveurs, évitant un certain nombre de parasitoses. Le feu est et fut surtout et avant tout un facteur de convivialité. De cette découverte qui positionna l’homme au dessus de l’animal, de la transmission de ce savoir à sa descendance, se justifie cer-tainement le fait qu’il fût divinisé dans de nombreuses cultures et a été l’objet de l’adoration d’un grand nom-bre de peuples et de tribus. Dans la mythologie grecque Prométhée n’a-t-il pas volé le feu aux Dieux et ne l’a-t-il pas rapporté aux hommes ? Un feu brûlait sans cesse à Athènes et dans le temple de Delphes. À Rome les prêtresses de Vesta entretenaient un feu continu. Catholiques et orthodoxes marquent des temps liturgiques en brûlant des cierges (le cierge pascal allumé à Pâques doit brûler durant toute l’année liturgique). Hin-douisme et Bouddhisme incitent à brûler des offrandes dans le cadre de leur culte. Nous-mêmes, en ce lieu, illuminons le temple par la flamme de la Sagesse, de la Force et de la Beauté. La toute première tenue d’une nouvelle loge ne s’appelle-t-elle pas l’allumage des feux. Ainsi donc de ce savoir primordial nous associons au-

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jourd’hui la lumière au savoir. Qui dit feu, dit flamme, qui dit flamme dit lumière. Or qu’elle fut la première chose que nous avons demandé lors de notre initiation ? Je ferai remarquer aux jeunes apprentis que l’on re-trouve à l’Orient le soleil et la lune. Le soleil, ou chaleur radicale est le dispensateur de lumière dont les rayons sont reçus et renvoyés polarisés par la lune,ou humidité radicale. Ces deux influences participent à la transmu-tation de l’homme. « Si le feu est faible, le métal devient rigide. Si le feu est trop puissant le métal n’est pas capable de se concentrer vers l’intérieur, il perd sa forme et sa densité. La maîtrise du feu sublime le métal pro-fane, et fait du forgeron un alchimiste, ou s’il échoue, un Icare repoussé loin du feu de la connaissance. » Ceci me rappelle mes premières tenues d’apprenti, ce bouillonnement inextinguible qui perdurait en moi une fois rentré à la maison. Cette impression confuse, cette sensation mal appréhendée d’ouverture, je vous souhaite de la connaître à votre tour. La force du feu, c’est par notre travail que nous l’entretenons. C’est par le fruit de nos recherches, de nos connaissances conjuguées et concentrées en ce lieu que nous l’alimentons. Une partie de notre travail est de toujours rester en éveil. On vous l’a dit lors de votre initiation, vous devez travailler pour cheminer, pour avancer toujours plus loin. L’erreur serait de croire que l’on en a atteint la maîtrise à un instant donné ou à un grade reconnu. On risque effectivement alors de devenir « un Icare repoussé loin du feu de la connaissance ». En effet si le mythe d’Icare aborde entre autres thèmes celui de la filiation, il aborde aussi le désir de l’homme d’aller toujours plus loin, au risque de devoir se retrouver face à face avec sa condition de simple être humain. Les points primordiaux du mythe que je retiendrai, sont les suivants. C’est Dédale le père d’Icare qui réalise les ailes semblables à celles des oiseaux. Il les donne telles quelles à Icare avec pour seule con-signe de ne pas s’approcher trop près du soleil. Icare grisé par le vol et ce nouveau pouvoir oublie l’interdit et prenant trop d’altitude, s’approche du soleil qui fait fondre la cire des ailes et précipite ainsi Icare dans la mer où il meurt. Ne peut-on pas considérer que sa mort est due à l’absence de maîtrise de sa nouvelle connaissance ? Et cette absence de maîtrise n’est elle pas due à un manque de travail ? Dédale, en fabriquant les ailes, prend conscience de leurs forces et de leurs faiblesses. Icare, en se limitant à leur utilisation, croit par son élévation soudaine pouvoir prétendre à la connaissance. Son erreur le plongera dans les flots et le tuera. Je dirai en syn-thèse que la qualité de notre travail peut nous faire progresser plus ou moins vite. Certaines paliers pourront être franchis plus ou moins vite, mais on ne doit jamais oublier qu’ils doivent toujours rester des marches sur le chemin de la connaissance. Cette remarque s’applique à votre statut de franc maçon mais il doit également s’appliquer dans votre vie profane. Afin de vous éviter le feu d’un rasoir, je finirai mon travail en vous rappor-tant une expérience récente sur la lumière au travers des propos d’un rabbin. Mes mots resteront pauvres face aux émotions que cet homme de foi a su me transmettre au travers de son discours. À l’occasion de la fête d’Hanoucca, les juifs ont coutume d’allumer un hanoukkia. Cette année, en accord avec la ville de Marseille, il a été allumé un grand chandelier à neuf branches sur la place Castellane, autant dire sous mes fenêtres. Plus que l’effervescence de la manifestation, ce sont les propos du religieux qui me touchèrent. Il donna dans son extrême sagesse une définition de la lumière que l’on devait être pour les siens, du savoir que l’on devait trans-mettre quand on en est détenteur. Il rappela enfin la raison du choix de l’huile pour combustible. La combus-tion de l’huile est totale et pure ne laissant aucun résidu ni déchet, à l’image de la lumière que l’on doit s’effor-cer d’acquérir et de renvoyer.En conclusion si l’on ne doit retenir qu’une seule chose sur le feu, je rappellerai :

Combustible Oxygène Chaleur

C’est ce que l’on appelle le triangle du feu.

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Conclusion du F∴ Orat∴

Les travaux de ce soir ont été marqués par les notions de travail, d’effort, de rigueur, de patience … Notion donc de progression. Une progression qui ne s’arrête jamais pour tous les FF∴ ici présents, chacun cheminant à la place où il se trouve sous la supervision de ceux qui sont plus avancés …Aussi, tous nous pouvons nous approprier ces vers de Tchouang-Tseu« Maîtres, m’étant mis sous votre enseignement : Après un an, je retrouvais l’état sauvage,Après deux ans, je pus me contenter de suivre,Après trois ans, je pénétrais les choses,Après quatre ans, je devins quelque chose, … »

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20 JANVIER 2009

Georges Col∴

« Qu’appelons nous transformation ? Elle n’est pas dans l’avenir, elle ne peut ja-mais être dans l’avenir. Elle ne peut être que «maintenant », d’instant en ins-tant. Mais qu’appelons-nous transformation ? C’est extrêmement simple, c’est voir que le faux est faux, et que le vrai est vrai. Voir le faux comme étant une erreur, et le vrai comme étant la vérité est une transformation, parce que lorsque vous voyez très clairement une chose comme étant la vérité, cette vérité libère. Lorsque vous voyez qu’une chose est fausse, elle se détache de vous. »

J’ai, encore une fois, comme un mauvais élève, attendu le dernier moment pour “rendre ma copie”, peut être pour me presser moi-même, me mettre devant la nécessité pressante, qui contraint et prend au ventre et à la gorge … une manière d’émotion … pour tirer de moi, mon ressenti vrai, car c’est bien le vrai et le faux qui res-sort de l’interrogation contenue dans ces quelques mots que je viens vous livrer ce soir, mais aussi des moyens d’accéder au discernement du vrai et du faux. Non pas de la Vérité avec un grand V, simplement le vrai, que j’aimerais appeler la vérité intérieure. Mon travail, je précise, n’est qu’une simple planche d’appel, et j’espère que nombreux seront ceux qui y poseront le pied, dans quelques instants. Le texte que Le V∴ M∴ propose à notre réflexion commune, ce soir est extrait du Yi King, connu encore sous le nom du Livre des Transforma-tions. Il m’est apparu nécessaire, tout d’abord, de vous donner quelques précisions sur cet ouvrage, sans avoir fait cependant un travail d’érudition qui aurait nécessité un temps considérable, et il aurait été très présomp-tueux de ma part de tenter de le faire vu l’étendue de l’ouvrage. Cela c’est pour la bonne compréhension de mon texte qui constitue, seulement quelques bases de travail.Selon certains auteurs le Yi King, ou Livre des transformations, appartiendrait incontestablement aux livres les plus importants de la littérature universelle. Ses origines remontent à une antiquité mythique. Lorsque Con-fucius le découvre, c’est l’instrument d’un art divinatoire qu’il va transformer par son étude assidue et la rédac-tion (probable) du Commentaire sur la décision, D’autres commentaires lui sont attribués ainsi qu’à ses disci-ples. Presque tout ce qui a été pensé de grand et d'essentiel pendant plus de 4 000 ans d'histoire de la Chine a été inspiré par ce livre, ou bien, inversement, a exercé une influence sur son interprétation, au point que l'on peut affirmer sans grands risques que le Yi King contient le fruit de la sagesse la plus achevée de plusieurs mil-lénaires. Il ne faut donc pas s'étonner si, en outre, les deux branches de la philosophie chinoise, le confucia-nisme et le taoïsme, ont ici leurs communes racines. À partir des dynasties Tsin et Han, est née et a progressé une philosophie formelle de la nature qui a enserré l'univers intellectuel tout entier dans un système de symbo-les numériques, et enclos toujours plus étroitement la vision chinoise du monde tout entière dans des formes rigides, en combinant la doctrine, développée avec rigueur, du Yin et du Yang où l'on discerne l'empreinte d'un dualisme, avec les « cinq états de transformation » dont de F∴ Stéphane nous a parlé au cours de sa planche, lors de notre dernière rencontre. Des spéculations de toutes ont toujours enveloppé le Livre des Transformations d'un nuage de mystère. Enfermant le passé et l'avenir tout entiers dans leur schéma numéri-que, elles ont conféré au Yi King, toujours certains auteurs, la réputation d'un livre d'une profondeur totale-ment incompréhensible. Très simplement, le Livre des Transformations était à l'origine une collection de si-gnes à usage d'oracles. Puis il est devenu une sorte de “carte du monde” qui tente de rendre compte à la fois de la nature, de ses changements, des humains et de leurs relations, changeantes elles aussi. Mais avant d’aller plus loin dans les quelques notions entourant une compréhension simplifiée de ce type de pensée, je tenais à rappe-ler quelque chose qui nous est plus familier, à savoir les traditions occidentales ou médio-orientales adoptées par l’Occident gréco-romain, traditions qui forment le substrat culturel de la pensée de notre ordre. Le maître mot est bien sûr la transformation. La question est posée deux fois dans le texte que je vous ai lu en préambule de ma planche, et donc avec insistance, avant d’en donner une réponse déconcertante à priori : « C’est extrê-

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mement simple ». Pour ma part, j’aurais plutôt pensé le contraire, avec mon cerveau occidental formaté par ma culture judéo-gréco-romaine. Trans-formarer : (appel au latiniste de Regius) “prendre forme en traversant, quelque chose” ? “adopter une autre forme” ? ce qui semble impliquer un changement de forme (visible) du sujet ou de l’objet de l’étude, et/ou un changement d’état (pas ou peu visible). Cette notion de transformation, est une constante dans la pensée des ‘‘cherchants’’, des hommes en quête, dont nous faisons partie. Je voudrais rappeler la tradition alchimique, avec la Table d’Emeraude, qui peut être considérée comme la base du travail de l’alchimiste. Celui-ci, penché sur son athanor, surveillant sans cesse et avec attention, le fourneau duquel doit éclore l’œuf philosophique, ou encore sortir la pierre philosophale. On est au cœur de la démarche de transformation, selon une méthode physique. Bien sûr, la transformation qui nous intéresse n’est pas de cet ordre, bien que celle-ci puisse attirer la curiosité intellectuelle. La transformation alchimique est décrite dans les commandements de la Table d’Emeraude. Je l’ai déjà dit ; premier commandement : « Il est vrai, sans men-songes et très véritable » (L’Hermès Trismégiste) ; septième commandement : « Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l’épais, doucement, avec grande industrie ».Les objectifs sont les mêmes, les moyens différents. Dans la Tradition médio-orientale, hellénisée et romani-sée, le culte de Mithra nous suggère cette démarche de transformation dans son corpus rituélique, pour le peu de traces que cette religion à mystères nous a léguées, à cause sans doute du zèle des premiers chrétiens. Rete-nons que l’un des sept grades, le second, contient cette notion de transformation. Il s’agit du Nymphus, ou en grec Chryphios, c’est à dire occulte : la traduction française est Chrysalide, cet état intermédiaire, pour un insecte, entre l’état larvaire, chenille généralement, et l’insecte parfait (imago), dont on aime à donner comme image le papillon. Il est indispensable que cette transformation soit cachée, secrète, voilée aux regards profa-nes. Un travail s’opère dans la substance charnelle de l’animal, comme un changement s’opère dans l’intériorité du myste, pour le préparer à l’accession à un état supérieur de connaissance et/ou de conscience. Dans l’atha-nor de l’alchimiste, s’opère la transformation, dans le secret de son atelier. Ne prenons pas au premier sens la transformation dont il est question. L’alchimiste c’est nous, l’athanor, notre être intérieur, le feu, celui de notre cœur, ce qui nous anime dans notre désir de connaissance et de perfection. Ecoutons ce qui dit Ibn Arabi : « Le monde est l’apparent et le représentant [de Dieu] est caché. C’est à l’instar de cela que le sultan reste invisi-ble et c’est en ce sens que Dieu lui même dit qu’Il se cache derrière des voiles de ténèbres que sont les corps naturels, et les voiles de la lumière que sont les esprits subtils ; car le monde est fait de substance grossière et de substance subtile. » La démarche maçonnique recommande la rectification, c’est à dire la transformation par le V∴I∴T∴R∴I∴O∴L∴, c’est à dire la transformation au moyen, non d’un athanor, mais d’une plongée au sein de la Terre. Cette Terre, élément épais, ne peut-elle pas représenter le faux, ces scories qui entourent encore le métal pur que le Feu fait naître ? La transformation se fait au présent, dans le quotidien du feu de l’athanor que l’alchimiste entretient jour et nuit. Celui-ci vit son acte de transformation dans un présent qui se prolonge vers un but. But vers lequel il tend mais qui est conditionné par l’accomplissement de l’indispensable tison-nement quotidien du feu. Le maçon lui aussi, doit activer son feu quotidiennement, et ne pas être maçon deux fois par mois, quelques heures dans une année, quelques jours dans une vie, s’il veut se transformer, et accéder au vrai, savoir le distinguer du faux … Un passage des rituels, à l’adresse des nouveaux initiés ne parle-t-il pas déjà de cette nécessité de séparation des choses fausses et des choses vraies et de la méthode à employer ? Mais revenons au Yi king et au mode de pensée qu’il met en place ou bien dont il est issu, tant les interactions entre les deux étant constantes et dans les deux sens. Ce que le Yi King a en vue, ce ne sont pas les choses dans leur essence – comme en Occident –, mais les mouvements des choses dans leur transformation. Le Livre des Transformations était à l'origine une collection de signes à usage d'oracles. Les oracles étaient partout en usage dans l'antiquité et les plus anciens d'entre eux se limitaient aux réponses “oui” et “non” à une question qui était posée par une personne consultante, désireuse d’obtenir des éléments pour résoudre un problème, adopter une attitude, prendre une décision, dans toutes les circonstances de la vie. Cette pratique divinatoire est toujours en usage, dans certains lieux, sous des formes plus ou moins altérées. J’en ai fait moi-même l’expérience. Le “oui” était exprimé par un simple trait plein et le “non”, par un trait brisé. Cependant la nécessité d'une diffé-renciation plus grande dans les réponses de l’oracle s'étant sans doute faite sentir très tôt, les traits simples donnèrent naissance à des combinaisons par redoublement auxquelles un troisième élément vint encore s'ajouter, produisant ainsi une série des huit trigrammes. Ainsi les huit trigrammes de base que vous voyez sur les documents que je vous ai remis ne sont pas les figures des choses qui sont représentées, mais celles des tendances de leur mouvement. Les trigrammes furent redou-

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blés en les superposant et donnèrent naissances à des hexagrammes au nombre de 64, dans le système complet. Les diverses combinaisons obtenues permettent de donner un sens aux relations entres les diverses représenta-tions naturelles et les propriétés qui leurs sont attribuées. Quelques mots de la pratique divinatoire : celle-ci se pratiquait avec des pièces de monnaie au nombre de 3 . La valeur 2 est attribuée à une face, la valeur 3 à l’autre. Le jet des pièces fait apparaître des combinaisons numériques comprises entre 6 et 9, chaque résultat étant noté par un trait continu ou discontinu(brisé) de bas en haut. Au bout de six jets de pièces, le résultat est un hexagramme complet que l’on reporte à la table de 64 hexagrammes pour connaître le nom de l’hexagramme obtenu et les conseils de conduite relatifs à la question que l’on avait préalablement posée par écrit. Une va-riante se pratique aussi avec les bâtonnets au nombre de 50 ; c’était autrefois les tiges d’une plante, l’Achillée mille-feuilles. C’est la plus connue en occident. Maintenant, appliquons à notre question ; « qu’appelons-nous transformation ? » la méthode du Yi King. Si la transformation a eu lieu, selon la réponse donnée par le Livre des Transformations, c’est parce que l’on a acquis faculté « de clair-voyance », c’est parce l’on peut, à un moment donné, distinguer le vrai du faux. La réponse me semble sibylline et mérite d’être affinée, afin de sa-voir comment se manifeste l’état d’une chose, de fausseté, ou bien de véracité. Le faux se détache de nous, alors que vrai nous libère, est-il dit. La vérité, c’est la vérité intérieure, celle qui est éclose en nous et que nous avons faite nôtre, après l’avoir soumise à l’analyse de notre entendement. La vérité ne peut nous être imposée de l’ex-térieur, ni la transformation. Se transformer c’est possible à tout homme qui le souhaite, et qui dispose des outils et de l’environnement nécessaire à cette transformation. La Loge et la méthode maçonnique semblent répondre à cette démarche, mais elles ne sont pas les seules … Être transformé par une volonté extérieure à la sienne, cela peut marcher un temps, mais cela ne peut aboutir, à terme, qu’à l’échec, la souffrance, la destruc-tion et la mort. L’Histoire est là pour témoigner des tentatives des régimes et des théocraties pour créer un “homme nouveau”. L’hexagramme du Yi King qui figure la vérité intérieure est désigné par l’idéogramme chi-nois appelé Chung Fu. Il est composé de deux trigrammes disposés en ‘‘miroir’’ : le trigramme du bas et celui du haut comportent deux traits pleins à leurs extrémités supérieures et inférieures, et deux traits discontinus, là où ils sont en contact l’un l’autre, ménageant ainsi un espace libre au centre. Le trigramme du haut est ratta-ché à l’image du Vent, le trigramme du bas est rattaché à l’image du Lac. Le texte dit quelque chose qui signifie « le vent souffle sur le lac et meut le surface de l’eau. Ainsi se manifestent les effets visibles de l’invisible ». L’espace libre au centre de l’hexagramme indique qu’il faut avoir un cœur libre de préjugés pour accueillir la vérité qui ne peut être qu’intérieure. D’autres interprétations sont possibles, comme le permet le Yi King, ce qui en fait l’extrême richesse et l’extrême souplesse d’adaptation. mais je m’arrêterai à celle-ci. L’espace libre au centre de l’hexagramme, c’est ce qui permet de retenir la vérité, la vérité en nous. Ce qui est en dehors de nous ne peut que se détacher de nous et nous être étranger. L’apparent et le caché, le visible et l’invi-sible sont encore là, L’espace libre au sein de l’hexagramme, le vide entouré de plein, mais plein lui aussi … de la vérité, œuf primordial contenant germe qui donne naissance à celle-ci. Le vide et le plein … mais cela c’est une autre planche …

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Bernard Flo∴

Par le vide on peut tenir tout ce qui est plein et donc tout diriger, maintenir. On pétrit et tourne l’argile pour faire un vase, c’est son creux qui permet de s’en servir. Ce n’est pas l’aspect du vase qui importe, ce qui importe, c’est le creux qui contient. On perce des portes et des fenêtres pour faire une salle, ce sont ses ouvertures qui en permettent l’usage. Ce n’est pas le corps du logis qui compte, ce qui compte ce sont ses espaces vides. Ainsi la forme est faite pour disposer, la non forme pour servir. Tout efficace sort du vide, rien n’est efficace sans vide.

Ce texte est issu manifestement du Tao Te King, fondement essentiel de la pensée et de la civilisation chinoi-ses. Je vais donc placer un petit peu les choses dans leur contexte. Héritier direct du Yi-King, le Tao Te King remonterait à peu près au VIe siècle avant notre ère et aurait pour auteur Lao-Tseu, terme qui signifie « vieil homme » en chinois, particularité linguistique qui accréditerait la thèse d’un anonymat voulu et soigneuse-ment entretenu. Les historiens chinois prétendent que Lao-Tseu, au soir de sa vie, serait parti dans le plus grand dénuement en direction de l’ouest en chevauchant un buffle, et que ce serait en franchissant la frontière ouest de la Chine, peut-être en direction de l’Himalaya, qu’il aurait rédigé les deux livres du Tao Te King. Puis il aurait définitivement disparu. Ce récit me fait aussitôt penser aux étranges voyageurs, jongleurs et saltim-banques mentionnés à plusieurs reprises par René Guénon dans son oeuvre. Voyageurs volontairement ano-nymes qui ont traversé les siècles et derrière lesquels on a parfois décelé la présence de grands Initiés, rose-croix notamment, ou de Supérieurs Inconnus, suivant une expression controversée et empruntée à Serge Hu-tin, historien de l’Alchimie. Le taoïsme est plus ou moins contemporain du confucianisme, et d’ailleurs les historiens chinois relatent une hypothétique rencontre entre Lao-Tseu et Confucius. Pour reprendre les classi-fications de Guénon, le Taoïsme relève de la métaphysique, tandis que le Confucianisme relève de la philoso-phie morale et sociale. À l’instar du catholicisme et de la franc-maçonnerie, Le taoïsme appartient à l’ésoté-risme et le confucianisme à l’exotérisme. Mis à part cette classification, le taoïsme dans son développement historique, est considéré comme une religion qui s’entrecroise étroitement avec le confucianisme mais aussi avec le bouddhisme chinois. Ceci dit, quelles sont les caractéristiques principales du Tao Te King ? Tout d’abord le titre, qui signifie la voie et la vertu. Ensuite la forme : deux livres, et une succession d’aphorismes plus ou moins brefs, plus ou moins imagés qu’il est intéressant de rapprocher de textes issus de la même pé-riode historique, notamment ceux des pré-socratiques, comme Héraclite et Parménide. On pourrait égale-ment mentionner l’œuvre d’Hermès Trismégiste et notamment la Table d’Emeraude dont je cite l’essentiel : « ce qui est en bas est comme ce qui est en haut ; et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une seule chose. » Et enfin le contenu : de quoi s’agit-il ? Ou plutôt et tout d’abord, de quoi ne s’agit-il pas ? Le Tao Te King n’est pas un récit de la création, à l’instar de l’Epopée de Gilgamesh ou de la Genèse hébraïque. Ce n’est pas non plus une théogonie, à l’instar de la théogonie d’Hésiode. Ce n’est pas un texte reli-gieux, évangile ou récit prophétique, dans la mesure où aucune mention n’est faite d’une quelconque divinité. Alors, de quoi s’agit-il ? Du Tao, justement, en tant qu’unité principielle régissant la manifestation, le « tor-rent des phénomènes » suivant l’expression bouddhiste. Le Tao n’est pas nommable et ne relève donc pas du logos, de la connaissance. Lao Tseu disait « Le Tao que l’on peut nommer n’est pas le Tao ». Quelques centai-nes de siècles plus tard, Krishnamurti dira quelque chose de similaire : « Il est un sacré qui ne provient pas de la pensée ni d’un sentiment ressuscité par la pensée. La pensée ne peut ni le reconnaître ni l’utiliser. Elle ne peut pas non plus le formuler. Mais ce sacré existe, qui n’a jamais été effleuré par le symbole ou le mot. Il n’est pas communicable. Il est un fait. Ce sacré n’a point d’adorateurs, point d’observateur qui médite sur lui. Sa présence est ici, emplissant la pièce, se répandant sur les collines, au-delà des eaux, recouvrant la planète. » Le Tao Te King traite également de la Vertu au sens ésotérique du mot et particulièrement du « non-agir » qui est la vertu principale du sage. Agir, c’est déterminer, catégoriser, faire un choix plutôt qu’un autre. Ne pas agir, dans le sens taoïste, ne signifie pas que rien ne soit fait. Ainsi Lao Tseu peut-il écrire : « ne faites rien ; et il n’est rien qui ne sera fait. » En s’appuyant sur le renoncement, l’adepte du tao prend les choses à contre-pied :

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il renonce pour obtenir, et se fait faible pour être fort. Mais revenons à notre texte dont vous avez sûrement déjà oublié le contenu. Ce texte pourrait être l’occasion de partir un peu dans tous les sens. On pourrait par exemple s’emparer du thème du vase et l’appliquer à nos travaux maçonniques en évoquant le Graal et son contenu sacré et hautement symbolique dans l’hermétisme chrétien : le sang du Christ s’écoulant des blessures occasionnées par la lance du centurion Longin et recueilli dans un vase par Joseph d’Arimatie directement sur la croix avant d’être transféré d’après certaines sources jusqu’aux rivages de l’Angleterre, ce qui donnera lieu à toutes les légendes celtiques bâties autour de la recherche du Graal, ainsi qu’au mythe de la Table Ronde et au riche symbolisme lié à la Chevalerie. En partant du vase, qui est aussi blason, écu, triangle inversé, et en ren-versant l’image pour en faire un temple surmonté d’un dôme, on pourrait évoquer la conjonction du carré (la terre) et du cercle (le ciel), de l’équerre et du compas. À partir de là on pourrait s’arrêter sur le thème du logis taoïste dont seules les fenêtres et les portes lui confèrent une existence, et considérer le Temple maçonnique comme une sorte de machinerie de théâtre pourvue de portes, de colonnes, de fenêtres grillagées, d’une voûte étoilée, d’un sol en damier, d’une corde à nœuds, d’un tapis de loge autour duquel se forme une spirale ascen-dante, de luminaires, d’un orient et d’un occident, d’un midi et d’un septentrion et encore de tout un tas de symboles matérialisés ou non lui conférant la qualité d’une espèce de « moteur immobile » pour reprendre l’expression d’Aristote, un moteur ou bien un vortex au sein duquel dialogueraient sans cesse le haut et le bas, la gauche et la droite, le dedans et le dehors, l’envers et l’endroit, le plein et le vide, l’ouvert et le fermé, le visible et l’invisible, la parole et le silence. Ce silence justement qui est l’apanage de nos FF∴ Apprentis et qui à l’ins-tar du vide quantique se laisse encore traverser par de multiples faisceaux d’ondes et de particules pour consti-tuer cette force qui peu à peu va remonter du nord vers le midi, de la clarté lunaire vers la lumière solaire, du royaume du vieil homme vers celui de la Connaissance. Ce silence dont parle aussi Krishnamurti, je cite : « au cœur de ce silence, il se peut qu’advienne cette extraordinaire sensation d’une présence de quelque chose d’in-commensurable et qui n’a pas de nom. » Ce qui nous ramène immédiatement au Tao, l’Innommable, et à la célèbre citation de Lao Tseu : « le Tao a engendré l’Un, l’Un a engendré le Deux, le Deux a engendré le Trois, le Trois a engendré dix mille êtres. » Cette citation pourrait nous permettre d’aborder directement cette suc-cession très maçonnique des nombres 1, 2 et 3, ce dernier étant le nombre de nos FF∴ Apprentis. Le Tao, nous l’avons vu, est l’Unité principielle en opposition à l’unité individuelle qui relève de la manifestation. C’est le un métaphysique, ou si l’on veut le tout, aussi appelé le non-être, l’Incréé, l’innommable, le sans-nom. À rapprocher également de termes comme non-dualité, non-être, néant, infini, transcendance, Dieu, Nature, Soi (par opposition au Moi). L’Unité, dans le Tao comme dans la plupart des métaphysiques orientales, est la source et en même temps l’aboutissement. Décrite négativement, l’unité se dégage comme un creux, un vide, comme ce vide, cette non-forme qui constitue le vase : elle n’est pas là, et en même temps tout est imprégné de sa présence ; un peu comme ce vide quantique qui nous constitue principalement et dont nous ne sommes nullement conscients, persuadés d’être des entités pleines et distinctes les unes des autres. Sur le plan cosmi-que, le deux est représenté par le yin et le yang, par le ciel et la terre. À la suite de l’unité, le 2 figure l’opération qui met en œuvre les oppositions : c’est le monde binaire, duel, le monde de l’altérité et de la différenciation. C’est aussi la scission du 1 en 2, ou du souffle unique et primordial en deux modalités, qui est la condition de l’émergence du monde. La dualité, on le sait, est source de malheur et personne mieux que K a parlé de cette tragédie humaine, je cite : « notre existence quotidienne est une série de contradictions. Nous parlons de paix, nous essayons de vivre en paix, mais nous préparons la guerre ; nous parlons de liberté, mais l’enrégimen-tement a lieu de tous temps ; il y a la pauvreté et les richesses, du mal et du bien, de la violence et de la non-vio-lence ; notre vie entière est une série de contradictions. Nous voulons être heureux et nous faisons tout pour engendrer le malheur. » La tradition judéo-chrétienne, totalement étrangère à l’esprit du Tao Te King, a mis en place cette tragédie dans la Genèse hébraïque : la faute originelle, suivie par la chute de l’homme hors du pays d’Eden et sa nécessaire rédemption qui doit s’effectuer par un mouvement ascendant vers Dieu. Ne l’ignorons pas, notre civilisation occidentale est totalement imprégnée par cette logique implacable. Et tout vient du deux, de la séparation. Or, ce que martèlent inlassablement les traditions initiatiques, c’est qu’il n’y a pas d’existence séparée, car dans l’unité primordiale, tout est relié, et l’objet de toute connaissance authentique est justement de surmonter cette séparation. Malheureusement le Logos et la pensée sont encore dans la con-tradiction et le domaine de l’opposition des termes. La pensée discursive classifie, sépare, disjoint et multiplie à l’envi les ombres de la caverne platonicienne. Pascal écrit dans ses pensées « les parties du monde ont toutes un tel rapport et un tel enchaînement l’une avec l’autre que je crois impossible de connaître l’une sans l’autre et sans le tout. » Ce qui montre bien que toute entreprise de connaissance authentique se doit d’être globale,

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holistique. L’accès à la non-dualité impose à la pensée un changement radical de perspective. Citons Héracli-te : « la sagesse consiste en une seule chose, à connaître la pensée qui gouverne tout et partout. » Ce qui nous conduit au nombre 3. « Le deux a engendré le trois », dit Lao Tseu. « le Trois a engendré dix mille êtres. » Dans le Tao, tandis que le deux est la dualité, représentée par le yin et le yang, le Trois est leur harmonie fertile, leur croisement-conjonction dont naissent tous les êtres et qui est symbolisé par l’Homme en tant que sum-mum de la création. Le un est le fondement, le Deux son opération, et le trois la Création. Le trois représente aussi l’unité en ceci qu’il s’agit moins de l’addition du 1 et du 2 que de leur conjonction et donc du reflet de l’unité comme origine du deux, et du deux comme renvoyant à l’un. Le nombre trois a donné lieu à travers l’histoire de l’humanité à un grand nombre de ternaires, dont certains interviennent régulièrement dans les rituels de la Franc-maçonnerie. Citons en passant les trois coups de maillet qui rythment les ouvertures et les fermetures de nos travaux : ici le nombre trois évoque une idée d’ordre et de loi. Le trois est aussi appelé nom-bre triangulaire parce que trois points disposés au hasard ne peuvent former qu’un triangle, figure géométri-que qui est dans toutes les traditions le symbole du ternaire et de l’unité retrouvée. Outre la Triade chinoise du Ciel, de la Terre et de l’Homme, coexistent dans les traditions initiatiques différents autres ternaires : chez les grecs : soma, psyché, pneuma ; chez les latin : spiritus, anima, corpus ; chez les hébreux : Bassar, Nefesh, Rouah ; dans le Bouddhisme, le ternaire est exprimé par Bouddha, dharma et Sangha ; Saint Jean parle de Vie, de Pa-role et de Lumière ; la Trinité Chrétienne du Père, du Fils et du Saint-esprit, et la Tradition Alchimique du Soufre, du Mercure et du Sel. Dans les traditions initiatiques, l’homme est désigné comme l’Invariable Milieu, le Médiateur qui figure également l’image du centre et de l’Axe du monde. Et cette image est remarquable-ment représentée en FM par la figure de l’équerre et du compas entourant l’étoile à cinq branches, c’est à dire le microcosme qui est le lieu de la manifestation universelle. Dans le domaine de la connaissance, on a déjà vu que le Logos entendu comme faculté raisonnante était prisonnier de la dualité et que ni la distinction carté-sienne entre l’esprit et la matière, ni la synthèse hégélienne n’étaient susceptibles de développer une connais-sance authentique, c’est à dire un retour au centre et à l’unité principielle. Dans la conclusion de son livre Le chaos et l’harmonie, l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan écrit « jamais la science ne pourra aller au bout du chemin. Il nous faut donc faire appel à d’autres modes de connaissance, comme l’intuition mystique ou reli-gieuse, informés et éclairés par les découvertes de la science moderne ». Au-delà de l’expérience mystique qui appartient au domaine de l’illusion, la tradition maçonnique, et notamment celle qui relève du R∴E∴A∴A∴, se propose de conduire l’initié sur la voie de l’Art Royal sous le signe de l’équerre et du compas. En conclusion, je voudrais insister sur quelques points essentiels. Tout d’abord sur le fait qu’en dépit des apparences, les gran-des traditions initiatiques de l’humanité se rejoignent toutes et proclament toutes à peu près la même chose, quelle que soit l’époque à laquelle elles ont été élaborées. Remarquable unité donc, par opposition aux systè-mes de pensée philosophiques ou autres qui ont été développés parallèlement au cours des siècles dans le monde profane. Mais il ne s’agit pas de pensée unique comme on en entend parler à propos des systèmes poli-tiques modernes. Il ne s’agit pas de pensée non plus, d’ailleurs, mais de ce que constitue véritablement l’initia-tion, qu’elle soit maçonnique ou autre, et que la formule vitriol résume parfaitement : « visite l’intérieur de la terre, en rectifiant, tu trouveras la pierre cachée ». Art Royal donc, telle est la direction dans laquelle nous nous sommes volontairement placés, nous, maçons, mais, et là vient le deuxième point sur lequel je voudrais insister : la route est longue, semée d’embûches, et il n’est même pas certain que nous puissions en voir un jour le bout. Peut-être d’ailleurs que le bout de ce chemin n’en est que son commencement. Peut-être que le bout de ce chemin n’existe pas. C’est pourquoi nous restons tous d’éternels apprentis. Et il ne faut pas se leurrer. Moi-même, j’ai souvent l’impression de vaciller, de reculer, de me perdre même et de me gargariser en perma-nence de mots. Tout ce qui vient d’être dit, ce ne sont que des mots. Et, comme dit Krishnamurti, « le mot n’est pas la chose ». En plus, tout à l’heure, je vais chevaucher mon scooter et rentrer à la maison, retrouver cette vie ordinaire dont parle Guénon et qui est notre vie à tous. Alors, faut-il mettre de la force, de l’endu-rance, une volonté surhumaine ? Ou bien une application aveugle du rituel ? Ou alors justement un “non agir” taoïste qui permettrait de remonter à la source par le biais du vide ? Je ne sais pas. Et j’aurais même tendance à être un peu pessimiste, ce qui n’enlève absolument rien d’ailleurs à l’enthousiasme initial, toujours intact. Et j’ajouterai ceci, à l’attention de nos FF∴ Apprentis : mes FF∴, vous êtes au bon endroit, vous avez pris la bonne décision, et maintenant tout dépend de vous. Mais ce vous ne comprend pas votre intelligence, ce vous ne comprend pas votre culture, ce vous ne comprend même pas votre innocence, ni votre volonté de réussir, ce vous renvoie au cœur, et il faut lire ce que Guénon dit à propos du cœur. Souvenez-vous du cabinet de ré-flexion, et de ce qu’il sous-entendait en termes de caverne, d’enfoncement dans la terre, la Matéria Prima : c’est

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à partir de là que le cœur, et non pas l’esprit, et non pas l’intelligence, c’est à partir de là que ce qui vous consti-tue peut s’embraser et peut rejoindre l’unité et la Lumière. Souvent, lorsque j’était beaucoup plus jeune, mon père me disait : « mais nom d’un chien, quand est-ce que tu deviendras un homme ? »Mes FF∴, cette question me hante toujours aujourd’hui.

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Conclusion du F∴ Orat∴

La transformation, qu’on l’approche par la voie taoïste, alchimique ou autre pourvu qu’elle soit initiatique, nous invite à nous délester de nos métaux, de nos écorces, de nos erreurs … Tendre vers l’Être et abandonner l’Avoir, tendre vers le Vide pour approcher la Plénitude … S’il existe un plan invisible, nous pouvons l’appré-hender par analogie avec le plan visible. La mise en évidence dans ce dernier, par l’effet Casimir notamment, de ce que le vide physique n’est pas vide justement mais débordant d’énergie, peut donc nous laisser supposer que le Vide vers lequel nous devons tendre est celui du trop-plein d’amour, cet Amour dont Dante Alighieri soupçonnait qu’il faisait même mouvoir le soleil et les étoiles.

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17 FEVRIER 2009

Bruno Riq∴

« Le vrai confort est inconfortable. Le vrai calme est aventureux. La paix est un combat, la vérité un débat, le droit une lutte. Tout n'est que mouvement. L'oublier c'est mourir, mourir au monde et à sa propre vie. »

La lecture de cet énoncé provoque dans mon esprit une bousculade, une bousculade beaucoup plus impor-tante de questions que de réponses. La première qui me viens à l'idée. Pourquoi va t-on à l'école ? Premier élément de réponse selon Kant pour apprendre à rester tranquilles et à devenir ponctuels. Le bon usage des jours et des heures, voilà ce que l'on inculque en premier à nos têtes blondes ou brunes. Intériorisée dès l'enfance, cette acclimatation à la régularité ne nous quittera plus. Nous étions turbulents et fantasques nous deviendrons assis et assidus. Serions-nous conditionnés ? Ce découpage horaire rassure aussi et permet de dominer le temps, d'encadrer les jours, de canaliser notre instinct d'éparpillement. Il offre ce plaisir très particulier de convertir le vide en plein ; regardons nos agendas : je me suis surpris la semaine dernière à ressentir une angoisse à la suite d'une annula-tion d'un rendez-vous qui devait me prendre la moitié de l'après-midi, j'étais tout à coup désorganisé alors qu'habituellement je cherche désespérément un petit créneau horaire afin de vaquer à des occupations que je n'ai jamais le temps de réaliser. Car occuper les heures est difficile ; à défaut on peut prévoir de les quadriller à la minute prés. « La construction d'un tableau pour l'emploi de mon temps cet hiver m’a pris près de huit heures d'affilée » écrivait le velléitaire Amiel (Henri Frédéric), écrivain suisse d'expression française (1821-1881). Son journal intime analyse avec minutie son inquiétude et sa timidité fondamentale devant la vie. Pro-jet pervers de prévoir la vie pour s'abstenir de la vivre. L'anticipation épuise l'acte tout entier. On incarcère les semaines dans le corset rigide d'un programme pour s'assurer au moins qu'on y a une place qu'on est utile est attendu quelque part. C'est à l'intérieur de la contrainte horaire, notre nouvelle table des lois que fleurissent désormais les pathologies. Il y a ceux qui sont toujours en avance ou toujours en retard : deux façons de dé-jouer la règle. Il y a ces faux décontractés qui vivent l'oeil fixé sur la montre et semblent requis en permanence par des tâches impératives. sans oublier ces retraités qui sont debout aux aurores, errent ensuite désoeuvrés, rivés aux réflexes d'une vie de labeur, ou la pose du surmenage chez certains oisifs qui ne peuvent vous accor-der un quart d'heure sans éplucher frénétiquement leur agenda. Dans l'élaboration précise d'un emploi du temps, il ne faut pas lire seulement une formalité de type obsessionnel. Au coeur de la subdivision la plus ri-gide des jours gît l'espoir d'un coup de théâtre : comme si on se protégeait de l'aléas tout en l'espérant, tout en rêvant qu'il fasse exploser les mailles trop serrées de la durée. Ce cérémonial compulsif nourrit deux projets contradictoires : le refus maladif du spontané ou le désir d'une apocalypse bénéfique qui balayera d'un coup notre accablement. On peut rêver sur un calendrier comme sur le mécanisme d'une montre : ils sont les bar-reaux de la prison mais aussi la promesse de l'évasion. Une vie réussie, disait Vigny (écrivain français du XIX e 1797-1863 auteur de recueils de poèmes et d'ouvrages à thèses dans lesquels il exprime sa vision de la solitude à laquelle condamne le génie) est un rêve d'adolescent réalisé à l’âge mûr. Les Grecs la voyaient plutôt comme une vie réfléchie, vouée à l'exercice de la pensée, une vie qui s’épanouit à travers des fins plus vastes et peut s'of-frir en exemple à tous. De nos jours nous pourrions dire qu'une vie réussie est une vie dont la richesse va de soi, qui s'impose dans l'évidence de son accomplissement et dont on ne voudrait changer pour aucune autre, si modeste soit elle, parce quelle nous appartient en soi. Mais de ce que tous les destins ne se valent pas, faut-il en déduire que certains ne valent rien ? Bannir ceux qui ne répondent pas à nos critères. J'avoue parfois être tenté par cette vision des choses, avec se sentiment de détenir une part de vérité et être tenté d'exclure celui qui ne va pas dans mon sens, mais moi même suis je dans le vrai ? Car les bilans sont sinistres même les positifs, car ils demandent de prendre sur soi le point de vue de la mort c'est elle qui soldera les comptes et fera de nous la proie du jugement d'autrui ; « un homme ne peut être dit heureux qu'aux tous derniers instants de sa vie »

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disait Solon (homme d'état Athénien 640-558 avant J.C. il figure au nombre des sept sages de la Grèce). Mais tant que nous respirons il est injuste de nous soumettre à l'alternative de la victoire ou de la défaite. C'est parce que toute vie est une cause perdue qu'elle peut être à la fois bonne et noble dans un alliage indissoluble de gloire et de défaites. N'étant pas nécessaire, elle n'a pas besoin de réussir ou d'échouer, elle peut se contenter d'être agréable. Je serais tenté de dire que le principal enjeu se situe dans la quête du bien. Dans certains échecs réside une grandeur, une bonté inavouée, alors que d'admirables réussites peuvent charrier sécheresse et déso-lation. Nos certitudes en la matière sont négatives, je ne sais pas ce qu'est une bonne vie, mais je sais ce qu'est une mauvaise, celle dont je ne veux en aucun prix, une vie sans amour. Ne me dite pas ce que doit être une exis-tence réussie racontez-moi la vôtre, racontez-moi la transfiguration de vos échecs en une entreprise qui ait du sens pour tous. Je fais partie de ceux qui préfèrent entreprendre au risque d'échouer plutôt que de ne rien faire en se valorisant de ne pas avoir subit d'échec. Si l'on ne peut s'empêcher de poser la question, il est préférable de s'empêcher d'y répondre, de peur de fermer l'éventail et de stériliser les possibles. Ils ne savaient pas que s'était impossible alors ils l'ont fait. Gardons-nous de juger, laissons à chacun la possibilité de tomber, de se relever, de s'égarer sans l'emprisonner dans un jugement. Il y a une vérité dans la théorie de la réincarnation : c'est bien ici bas que nous pouvons égarer plusieurs existence, renaître, recommencer, bifurquer. L’essentiel est de pouvoir dire j'ai vécu, et non pas j'ai végété.

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Eric Ale∴

Que veut dire travailler avec amour : c’est tisser une étoffe avec un fil tiré de votre cœur comme si votre bien aimée devait porter cette étoffe …. C’est semer le grain avec tendresse et récolter la moisson comme si votre bien aimée devait en manger le fruit. C’est insuffler dans toutes les choses que vous fabriquez l’essence de votre esprit.

Le travail que je vais vous proposer ce soir s’effectuera en plusieurs points : Que veut dire travailler avec amour et quelle est ma définition du mot et du sens amour ?Quelle est la relation de partage entre moi et ma bien aimée où nous tissons ensemble le fil de notre cœur ?Pourquoi faut-il semer le grain avec tendresse et comment aboutir à une fusion pour que deux êtres arrivent à ne faire qu’un et un tout ?Qu’est ce qui me pousse à fabriquer l’essence de mon esprit ?

Que veut dire travailler avec amour ? Le travail peut se définir par plusieurs mots le tout premier est la pas-sion, je suis un être passionné d’amour avec mes proches et ma compagne, je vis tout avec intensité et récipro-cité, je suis passionné du travail que j’exerce dans le cadre de ma vie professionnelle et gère les situations et dif-ficultés avec ténacité combativité et courage. Cependant je me rend compte que vivre tout avec passion peut engendrer du désordre et de l’incompréhension puisque les individus qui m’entourent sont différents. Je sais accepter les différences et n’essaie pas de changer autrui, seulement apporter un point de vue autre. Je vis ma vie personnelle et professionnelle comme une sorte de challenge permanent afin que l’on m’aime pour ce que je suis et non pas pour ce que je représente. J’essaie de rester naturel sans me prendre la tête et je m’accepte comme tel. Je pense avoir acquis depuis plusieurs temps déjà, la force nécessaire et la maturité pour réagir de la sorte. Travailler avec amour c’est aussi apporter de la rigueur permanente, avec soi- même, pour vouloir tou-jours s’améliorer, c’est être tenace pour convaincre. Travailler avec amour c’est aussi douter, c’est trouver les moyens et outils pour effectuer le meilleur rééquilibrage possible. Travailler avec amour c’est surtout être à l’écoute le plus souvent possible, ne jamais fuir ses responsabilités et, bien au contraire les accepter en perma-nence. C’est aller de l’avant afin de pouvoir en extraire le miel qui coule dans mes veines. Travailler avec amour c’est donner un but et un sens à ma vie. Mais travailler avec amour ne suffit pas car l’amour c’est aussi donner sa vie à ses proches, si cela est nécessaire. C’est aimer avec tendresse son ou ses enfants, l’amour est incommen-surable. Aimer avec un grand A c’est apporter compréhension, tendresse, sensibilité, romantisme, à sa bien aimée et si son cœur bât, le mien aussi ; c’est fusionnel. La fusion c’est l’authenticité dans les mots, le regard, la sensualité et la sexualité. Tout simplement c’est se donner le moyen de faire que la relation de partage qui existe entre moi et ma bien aimée se construit dans le dialogue, la confiance, l’amour et la fidélité se sont des valeurs essentielles qui ont un sens pour tous les deux, c’est ni plus ni moins la base du couple. C’est surtout le tissage permanent d’une étoffe commune où tout se construit dans l’harmonie la plus parfaite avec des hauts, des bas, des rires, des pleurs, bref la vie tout simplement. Il suffit d’en accepter les contraintes et d’avoir l’intel-ligence de progresser ensemble. Il est impératif de corriger ses défauts pouvoir les accepter et dire « OK » je comprends ou j’ai compris, c’est encore regarder à nouveau l’intériorité de son miroir afin de s’améliorer sans cesse plutôt que dire “j’ai raison”, “tu as tort” ou vice-versa. Sortons de ces querelles de bassesse et d’école pri-maire, avançons, soyons en fusion, libérons-nous, semons le grain avec tendresse pour notre devenir, bâtissons le couple sur des valeurs essentielles et je le répète encore respect amour confiance et fidélité, car les erreurs du passé me permettent à ce jour d’avoir la certitude qu’un couple ne peut réussir que si tous ces paramètres sont réunis. Notre société est en pleine dérive toutes ces valeurs sont bafouées ; la transmission de nos anciens a du mal à se relayer pour les générations qui arrivent. Le manque de dialogue et de communication est réel ; cha-cun vie sa propre vie dans son coin, un peu replié sur lui-même, et n’est partisan du moindre effort. Le dialo-gue se fait par internet par le biais de la webcam et d’autres sites de rencontre et j’en passe … La technologie c’est bien mais a ses limites ; la fusion ne peut aboutir entre deux êtres que si tous deux ont l’intelligence de faire abstraction du superficiel pour se consacrer à l’essentiel ; ça passera à nouveau par le dialogue et la con-

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fiance, deux éléments incontournables d’une réussite absolue. Cependant le travail du corps et de l’esprit ne doit pas s’arrêter là, mais bien au contraire continuer à progresser sans cesse. J’ai l’intime conviction que la compréhension de mon intériorité a eu pour but à un certain moment de ma vie à faire voler en éclat la pierre brute qui m’enveloppait et fort heureusement je suis sorti de ma carapace qui me protégeait et me convenait à cette période. Être sans carapace s’est être à vif ; c’est se trouver dans une position d’inconfort, de mal être, c’est accepter de regarder devant soi pour en admettre les conséquences, c’est errer dans l’inconnue puisque l’in-connue effraie, ne rassure pas, procure du doute et pourtant au rite écossais ancien accepté, il existe une mé-thode celle de la compréhension des symboles, et c’est bien dommage que je ne puisse pas m’exprimer ce soir sur certains symboles des trois grades, dont un en particulier, au second degré, m’a permis à une certaine pé-riode de ma vie de m’orienter, de me guider, de faire le pas de coté, ce symbole est toujours présent et très fort dans mon cœur. Comme nous sommes au premier degré je parlerai donc que du ciseau et du maillet ; deux outils nécessaires pour aider à aller plus loin à la recherche de soi même. Tape, creuse, fouille, cherche, et tu verras qui tu es vraiment ; n’est pas peur, accepte toi de te voir comme tel, regarde toi à nouveau dans ton mi-roir la peur s’efface et la force fait partie de toi. Tu n’as plus peur tu as grandi, tu maîtrises énormément, ton mental est fort, tu es solide comme un roc, tu colmates les brèches, tu te prends des piques, ça te fait mal mais tu as la maîtrise instantanée de rebondir et d’avancer. Symboliquement parlant, j’ai ce sentiment étrange d’être entre la colonne que représente la force et celle de la beauté ; beauté du cœur et de l’esprit d’avoir compris le but et le sens à donner à ma vie, la beauté me permet de voir et non plus d’entrevoir la lumière qui brille au centre de mon intériorité et qui me dégage force et puissance. J’éprouve des sensations différentes, je vais vous exprimer ce que je ressens : après que nous ayons terminé nos tenues, lorsque je rentre à mon domicile, le sommeil étant plus ou moins court, le matin au réveil j’ai cette sensation étrange que le monde est à mes pieds et que rien ne peut m’arriver et cela dure au moins jusqu’à la majeure partie de la journée. J’ai l’intime convic-tion aujourd’hui que la descente au centre de la terre procure une alchimie qui bouleverse très positivement le corps et l’esprit. Au tout début du rituel, le Vénérable Maître nous informe et je cite : « mes Frères nous ne sommes plus dans le monde profane nous avons laissé nos métaux à la porte du temple élevons nos cœurs en fraternité et que nos regards se tournent vers la lumière » tout est là, nous ne sommes plus dans le monde pro-fane et nous avons laissé nos métaux à la porte du temple. Je traduis à mon sens : oublie qui tu es, oubli d’où tu viens, regarde toi, apprend, cherche, entre dans tes entrailles et fouilles, laisse toi guider vers la lumière, prend des chemins tortueux et n’ai pas peur de les prendre, regarde bien devant toi et, lorsque tu verras, tu compren-dras que tu es encore au début et que ton chemin est long très long mais tu as déjà beaucoup appris et gagné. Tu as appris que tu peux naviguer seul, sans bouée, tu sais regagner le rivage tu arrives à faire abstraction de l’extérieur car tu commences à comprendre la complexité de ton intériorité. Vous voyez mes Frères, j’appelle cela l’accélération ; j’arrive le temps d’une tenue à me régénérer avec rapidité car je pense avoir su regarder énormément plusieurs facettes de mon miroir et accepte les bonnes comme les mauvaises faces, je me suis libé-ré aussi d’une partie de mon inconscient et arrive de plus en plus fréquemment à chasser mes vieux fantômes ne serait ce plus la parole perdue mais tout au contraire la parole retrouvée. Cependant, malgré tous ces pro-grès accomplis, il me manque quelque-chose ; il y a un vide que je ne peux pas combler pour le moment. Il faut que je franchisse un palier supplémentaire, il est nécessaire et souhaitable que je le fasse, je n’ai pas le choix si je veux comprendre une partie des mystères de la franc-maçonnerie m’échappent à grande vitesse, j’entends sou-vent parler de kabbale je ne connais rien mais j’ai envie de savoir, je m’intéresse à l’irrationnel, je cherche, je ne vois rien, je m’obstine j’essaie de comprendre la complexité de l’univers et ça m’excite. Je pense être sur la bonne voie à vouloir savoir mais j’ai du mal à parcourir des auteurs ou des livres qui pourraient me donner des répon-ses qui ne sont pas ma vérité, leurs points de vue donnés font partie de leur expérience personnelle. Je pense qu’en affirmant sa propre personnalité on peut tout aussi bien apporter ses propres points de vues et pourtant je ne dois pas nier que ma progression passera inévitablement par le biais de la connaissance de certains ouvra-ges qui pourraient élargir ma vision pour mieux me comprendre. Je n’oublie pas lorsque notre passé Vénérable Maître Albert m’a fait travailler sur la métamorphose de Frantz Kafka ainsi que sur le Tao de Lao Tseu mon esprit s’est ouvert à une réflexion et à une approche différente de la vie. Aujourd’hui je peux dire j’ai trouvé ma place, ma personnalité est affirmée et je bâtis mon avenir avec rigueur. J’ai la certitude que j’effectue avec force et ténacité le travail du dedans au dehors. Et je mesure l’inté-rêt à vouloir agir de la sorte.Mais je terminerai vraiment mon travail en écoutant toujours cette petite voix qui me dit cherche encore, améliore-toi, va toujours plus loin mais n’essaie plus, fais-le.

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Dominic Lea∴

Et je vous dis que la vie est en effet obscure sauf là où il y a élan, et tout élan est aveugle sauf là où il y a la connaissance, et toute connaissance est vaine sauf là où il y a le travail, et tout le travail est futile sauf là où il y a l’amour … et quand vous travaillez avec amour, vous attachez votre être à votre être, et vous aux autres et vous à Dieu …

Cette phrase nous entraîne dans une spirale ascendante, vers le centre. Du chaos initial, à l’ordre en devenir, de notre condition subie, à notre idéal entrepris, nous cheminons, pour trouver la combinaison, la juste superpo-sition, qui laissera place à l’harmonie et à la paix intérieure rayonnante. Mais nous en sommes loin. Il ne suffit pas d’être mis en présence de la Vérité pour qu’elle nous soit intelligible. La vie est en effet obscure et l’obscuri-té règne autour de nous. La naissance amorce l’érosion, le temps martèle, secondes après secondes, notre con-damnation à mort. Nous sommes sortis du néant pour entrer dans l’obscurité. À quoi bon ? C’est un échec annoncé. Bâtir le temple c’est le vouer à la destruction. Les civilisations s’empilent sur les gravats. La gravita-tion gagne à tous les coups. La mort, ça n’est qu’une question de temps, alors on se débat, on essaie de combler le vide, combler la vie pour trouver des points d’appuis. Un élan de survie ? Oui, un élan aveugle, une impul-sion réflexe qui nous maintient à flot, à la surface des choses, mais pas plus. C’est le monde profane, le monde de l’ignorance, de la superstition, dominé par les préjugés. Alors, on fait comme on peut, on trouve même du bonheur dans cette ignorance, on s’inscrit au mieux dans ce monde et pour ne pas souffrir d’un trop grand décalage, on se met au diapason de notre monde, au rythme de notre temps. Réceptacle en quête de plein, on prends, on se remplie, et notre environnement qui ne demande qu’à alimenter, nous sature, nous gave de bon-heur le plus souvent immédiat, superficiel, voire artificiel et malheureusement, cela ne dure pas, cette nourri-ture ne nourrit que peu, c’est la stagnation, le besoin profond d’être relié à soi est caché, car l’avoir domine. Dans notre monde visible, règne l’ordre de l’obscurité, qu’il faut venir déstabiliser par un chaos fondateur. La sagesse passe par la lucidité. La vie est en effet obscure sauf là où il y a élan.En entrant en L∴, un voile épais me couvrait les yeux. Ce voile est une frontière binaire entre l’ignorance et la connaissance. La première étape pour sortir de l’ignorance est de vouloir connaître. Au delà d’un élan de sur-vie, c’est bien l’élan de vie, l’impulsion initiale qui enclenche la démarche initiatique par la volonté d’aller au delà du connu, vers le caché qu’il faut aller chercher en rappel, vers soi-même. La coupure est nécessaire lors-que naît l’ambition d’être. Chez nous, la symbolique du voile est opérée par le bandeau, qui sépare physique-ment l’accès à des réalités encore inintelligibles au récipiendaire. Ressentir plutôt que regarder et découvrir les deux aspects de la vie : l’union et l’affrontement. Le bandeau au 1er degré symbolique est un révélateur de la dualité et du choix des possibles qui appelle à lutter contre l’adversité pour s’inscrire sur la voie de la réconci-liation. Tout élan est aveugle, sauf là ou il y a la connaissance. Perdre connaissance, c’est s'évanouir à la capacité de croître. L’élan dont parle l’auteur est l’étincelle qui fait passer du passif à l’actif. Rompre l’immobilisme et la fatalité, s’inscrire dans le changement, non pas de soi, mais par l’acte de vouloir aller vers soi. Il est question d’énergie : Aller à sa recherche, pour la capter. Elle est là, au centre. Souvenez-vous de cette bougie que l’on découvre dans la cabinet de réflexion, très faible au commencement de l’aventure, cette source d’énergie per-met d’amorcer le processus initial et incite au réveil, en éclairant une nouvelle direction : la verticalité. Bien sur, une seule étincelle ne suffira pas, mais elle est le premier éclair de lumière dans le chaos initial. Ensuite, tel un moteur à explosion, à chaque cycle, une nouvelle révolution. À chaque intervalle, il faut trouver du carbu-rant, de l’essence en nos semblables et en soi, gagner en densité pour faire grandir cet élan moteur en avançant dans la connaissance, dans et pour le perfectionnement progressif de nous même. Toute connaissance est vaine sauf là où il y a le travail. Nous savons que notre vie est bornée et que nous ne sommes pas immortels. Nous avons conscience de notre propre existence. En effet, ex-sistere c’est se tenir, se placer en dehors de la vie pure et simple, de la vie animale passivement vécue. Nous savons et nous voyons aussi qu’il y a tant de beauté acces-sible et de réalisations possibles. Tout est possible, l’éternité est accessible. Alors, après avoir fermé les écou-tilles, afin de mieux plonger en nous, pour rectifier notre perception du monde, nous rouvrons les vannes, munis d’un tamis d’initié, et tentons de ne laisser passer et de ne capter que l’essence des choses, car elle est

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notre nouvelle nourriture. La Loge est un merveilleux garde-manger, ou la richesse de diversités et la dynami-que de brassage permettent de couvrir un spectre étendu. Les tenues se succèdent et nous nous rassemblons dans notre quête d’idéal, nous connaissons la direction, même si la destination reste incertaine. Nous voya-geons, explorons, travaillons pour emmagasiner la connaissance qui est notre bagage dans notre voyage d’ini-tiation à la vie, mais n’en est pas la destination. Ce bagage, qui demande tant d’efforts à constituer peut deve-nir encombrant, voire inutile. Il n’y a pas un seul tamis. Notre travail est multiple : il faut savoir certes ingérer, mais aussi digérer et expulser comme le dit si bien un F∴. qui se reconnaîtra. Nous travaillons sur la densité. Travailler à dégrossir la pierre brute afin de la dépouiller de ses aspérités et à la rapprocher d’une forme en rap-port avec sa destination. Voilà le premier travail qui nous a été demandé. Sans le travail, rien ne se fait. Elan et travail sont des principes actifs et constructif. Tout comme la vie est obscure sans élan, la connaissance n’est pas fécondée en soi sans le travail. Quelques définitions du travail : activité contraignante qui occupe, beso-gne, tâche. Activités ou ensemble d'activités utiles qu'il est nécessaire d'accomplir. Effort, exercice physique ou intellectuel, réalisé en vue de l'acquisition, de l'apprentissage ou de la réussite de quelque chose. Activité hu-maine exigeant un effort soutenu, qui vise à la modification des éléments naturels, à la création et/ou à la pro-duction de nouvelles choses, de nouveau biens, de nouvelles idées. Le travail comme devoir, intéressant … En-fin, en obstétrique, c’est l’ensemble des phénomènes mécaniques de l'accouchement qui permettent la dilata-tion du col de l'utérus et l'expulsion du fœtus. Travail d'enfantement. Le travail est une nécessité. En premier lieu, le travail, permet de “gagner sa croûte”, “gagner son pain”, des expressions très explicites qui renvoie au labeur et à la dureté de la vie. “Gagner sa vie” implique une réalisation sociale et rien n’est jamais acquis. Plon-geons à l’intérieur de nous -même. Pas d’accouchement sans travail, il faut en passer par là pour s’enfanter soi-même et croître. Le cœur de notre symbolisme est intimement lié au travail. Récréation et travail intimement liés pour retirer profit et joie. Travailler dans la liberté, la ferveur et la joie. Il nous est demandé de prendre la ferme résolution de travailler sans relâche à notre perfectionnement intellectuel et moral, ce travail est pénible et demande des sacrifices. Aimer son semblable, travailler sans relâche au bonheur de l'Humanité et poursui-vre son émancipation progressive et pacifique. Travailler à la prospérité de notre Respectable Loge, d'en suivre régulièrement les Travaux, d'aimer nos Frères et de les aider par nos conseils et nos actions. Le tablier, c’est le symbole du Travail. Travailler en commun au perfectionnement intellectuel et moral de l’humanité. Travailler sans relâche au bonheur commun ! Travailler et persévérer ! Enfin travailler sans relâche à notre amélioration, pour donner à son âme ce juste équilibre qui constitue la Sagesse, c'est-à-dire l'Art de la Vie. Et tout le travail est futile sauf là où il y a l’amour. Nous l’avons entendu, mais aussi vécu, le travail en Maçonnerie passe par la joie, la liberté, la ferveur, le sacrifice, l’amour, le bonheur, l’émancipation, la prospérité, l’aide, l’amélioration, la persévérance, l’équilibre, la sagesse, l’art, la vie. Nous sommes aux antipodes de la contrainte et de la survie et du travail subi. L’Art de la vie. Travailler avec amour. Quand chaque acte a du sens, quand chaque geste est un don, l’inertie disparaît. Plus besoin de lutter pour créer. Nous expérimentons cette quête de sagesse dans notre laboratoire Maçonnique, mais l’objectif est bien d’harmoniser nos vies, dites personnelle, professionnelle, fa-miliale, associative, jusqu'à la plus secrète et intime. Être en accord avec soi-même c’est bien cela, c’est trouver sa place, tout en harmonisant ses plusieurs, tendre vers l’unité intérieure. Cela rejoint l’idée qu’il n’y a pas de monde profane et de monde sacré. Tout est potentiellement sacré, ou profane d’ailleurs. Cela dépend de l’état d’esprit, voire de l’état d’âme. Travailler sans en attendre rien en retour, ni récompense, ni réprimande. Pas de jugement. La confiance en soi, bien au-delà de savoir et pouvoir s’imposer aux autres, c’est un état de relation intime avec soi-même. Chacun d’entre nous est acteur de sa propre transformation par le travail, rien ne s’op-pose à notre évolution, sauf nous-même. Cet autre moi contre qui je lutte, je dois en faire un allié. Le bonheur ne viens pas de l’extérieur, il émerge du plus profond de notre être, au cœur de notre unité. Se donner, s’unir a soi même pour s’enfanter soi même. J’ai noté dans un texte a propos de souffrance : « Il est impossible d’échapper à soi, car précisément être soi est ce qui constitue la Vie elle-même. Dès lors, l’échappement à soi, la fuite hors de soi est toujours vouée à l’échec. » Dans le prolongement, un texte de notre auteur : « Il est en moi un ami qui me console à chaque fois que les maux m’accablent et que les malheurs m’affligent. Celui qui n’éprouve pas d’amitié envers lui-même est un ennemi public et celui qui ne trouve pas de confident en lui-même mourra de désespoir. » L’Art de la vie, c’est s’inscrire soi-même dans la pierre lorsqu’elle est taillée, pour mieux construire notre temple intérieur, qui aura sa place dans le Royaume que nous ne maîtrisons pas. Notre devoir est d’aller chercher en soi, dans notre nature profonde et mettre à jour les désirs enfouis et les réaliser pour s’aligner au mieux sur sa propre trajectoire. Ce qui part du centre s’accorde parfaitement. Le don, c’est une alliance dans le cœur et quand vous travaillez avec amour, vous attachez votre être à votre être, et vous aux

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autres et vous à Dieu. Bien entendu, s’attacher est aux antipodes de la contrainte et de la domination, c’est créer un lien, une alliance avec la dualité et par extension, l’infinie multiplicité. En soi, avec les autres et avec l’univers. Mes FF ∴, je n’ai fait que donner un peu d’écho à un passage du Prophète de Khalil Gibran. Le texte complet, certains d’entre vous le connaissent. À chaque lecture, je me sens à nouveau transporté, glissant sur l’évidence, assis sur une flèche qui part justement du cœur.

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Conclusion du F∴ Orat∴

Combat, Travail, Amour. À travers les réflexions de ce soir, n’aurions-nous pas traité de la voie chevaleresque ? Combattre le désespoir, les préjugés, la peur, oui mais pour quoi, pour qui ? Travailler avec rigueur, avec ar-deur, avec bonheur, oui mais pour quoi, pour qui ? Aimer la connaissance, la beauté, la vie, oui mais pour quoi, pour qui ? Les Chevaliers du Temple, adoptant un psaume, répondaient : « pas pour nous, Seigneur, pas pour nous mais pour la gloire de ton Nom ». Alors devenons chevaliers, prenons l’Amour comme Seigneur, appre-nons l’Amour, glorifions l’Amour et nous pourrons dire avec Louis Armstrong « et je pense en moi-même, quel monde merveilleux ! »

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3 MARS 2009

Pascal Cons∴

« Pour bien vivre, il faut se lancer, s'égarer, se débattre, se tromper, commencer et abandonner, recommencer et abandonner de nouveau, et lutter éternellement et se priver. Quant à la tranquillité, c'est de la bassesse. »

Depuis la nuit des temps, l'Homme, indépendamment de sa condition, de sa formation ou de sa culture, a toujours été à la recherche du Bonheur. L'Homme a toujours tenté de donner un sens à sa vie. Tolstoï semble nous inviter à rechercher le Bonheur, à donner un sens à notre vie. Qu’est ce que “ bien vivre” ?Pour l’auteur il s’agit d’une quête propre à chaque individu, longue et complexe. Existe-t-il une définition de cette quête ? Cette définition est-elle universelle ? La recherche du Bonheur est elle la même pour tout le monde ? Comment y arriver ? Toutes ces questions méritent des réponses. Afin de donner un sens à sa vie, l'Homme va tout tenter, tout essayer, empruntant les voies les plus diverses, les plus étranges, pour se convain-cre d'avoir bien vécu. Il s'agit là, pour lui, d'une nécessité. Je dirai même d'une fuite en avant plutôt que d'une quête. Pascal a écrit « Tout homme, sans exception, cherche le bonheur, et même celui qui va se pendre le cherche encore. » Selon Tolstoï, le bonheur ne s’acquiert qu’avec beaucoup d’effort, de la souffrance, du la-beur, des échecs et des doutes. Mais le Bonheur, n'est ce pas tout simplement l'idée que l'on se fait d'un Eden terrestre? À moins que ce ne soit qu'un plaisir éphémère et fugace ? Nos sociétés modernes ont permis aux hommes de répondre de manière immédiate à leur besoin de Bonheur, leur offrant de multiples moyens de s'évader et de fuir le stress de la vie profane. De nos jours, le Bonheur ne se mérite pas, il se vend, il s'achète. Cependant, cette course vers le Bonheur, cette envie indescriptible de "bien vivre", cette recherche incessante, intarissable, motive le profane mais ne saurait duper les francs maçons que nous sommes car accepter cette conception du Bonheur reviendrait finalement à imaginer que chaque homme prévoit d'être heureux, de ma-nière très égoïste, comme si le sens de la vie, avait été préalablement programmé. Le Bonheur profane ne serait finalement qu’une recherche de reconnaissance dans le regard des autres. Quant à Tolstoï, il développe l’idée d’un investissement personnel durable et sincère fait de persévérance et de ténacité. Si l’on s’attarde sur certai-nes pratiques religieuses, il est frappant de constater que c'est également l’idée que l'on se fait du Paradis. Sans effort, on s'accroche à l'idée que le Divin saura reconnaître notre grandeur, notre dévouement, notre véritable valeur, alors qu'en ce bas monde, nous sommes incompris. La Foi semble donc avoir perdu de son authenticité, tout comme elle semble avoir perdu de son pouvoir d'attraction. La Foi est devenue bien fade. Puisqu'il m'est donné l'occasion de plancher sur Tolstoï, je ne peux m'empêcher de faire un parallèle historique et de revenir quelques décennies en arrière à une époque où le marxisme pouvait également apparaître, pour certains, comme une forme de Bonheur. Le Bonheur proposé par le marxisme, d'une société sans classe sociale et l'idée du Bonheur proposé par la Foi chrétienne, d'un Paradis, je dirais “bourgeois”, afin de rester dans le contexte historique, ne présentait finalement que peu de différence. L'un et l'autre prônaient un égoïsme conduisant au mépris d'autrui. Tout le contraire de ce que propose la Franc-maçonnerie. Mais revenons à nos moutons. Je vous indiquais tout à l’heure qu’aujourd'hui, nos sociétés libérales proposent aux hommes une accession au Bonheur à la portée de tous. Le Bonheur n'est plus élitiste, il est devenu populaire. Les biens et les services coulent à flot. Le développement de la société de consommation semble nous promettre le Bonheur sans investissement personnel, sans effort. Mais la réalité est rude. Elle est douloureuse car ce jour n'arrive jamais. La promesse du Serpent est un mensonge et c'est ce qu'enseigne depuis 3 000 ans la Tradition qu'elle soit juive, chrétienne, musulmane, alchimique ou Pythagoricienne. Peut on dès lors espérer sérieusement et raisonnablement trouver le Bonheur ? Le Bonheur se cherche-t-il ? Est-il possible de donner un sens à sa vie ? Vaste débat qui nous agite depuis des siècles. À défaut de posséder une définition universelle du Bonheur, je considère que chacun d'entre nous ressent son état de satisfaction, de frustration intérieure. Chacun sait s'il est heureux ou malheureux. Chacun devrait donc être en mesure de reconnaître ou

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de ressentir son état d'être par le sentiment qu'il a d'être bien ou mal dans sa peau. Evidemment il n'existe pas de définition unanime du Bonheur. Il existe, selon moi, autant de définition qu'il y a d'humains sur terre. Cette question me taraude, comment accéder au Bonheur ? que faut-il faire pour bien vivre ? où trouver cet idéal ?, existe-t-il une voie à suivre pour y parvenir ? le Bonheur a-t-il un prix et quel est ce prix ? Répondre à toutes ces interrogations serait de ma part très présomptueux. La recherche du Bonheur, est, pour la plupart d'entre nous, une raison de vivre voire notre raison de vivre. Il s'agit là d'une préoccupation éternelle pour l'Homme. Le monde profane ne peut nous apporter le Bonheur. Du plaisir certainement mais sans dimension spirituelle point de salut. Le travail en loge doit ainsi nous permettre de donner une dimension ésotérique au Bonheur. La pierre brute doit être travaillée. Mais ne nous trompons pas, il s’agit là d’un long et difficile tra-vail. Hors du temple, cette quête a disparu au profit d'une recherche de jouissance immédiate, d'une recon-naissance par l'acquisition de privilèges futiles constituant la négation même du Bonheur. Or le Bonheur est à la portée de chacun d'entre nous. Il nous tend les bras. Le Bonheur est simple comme bonjour. Mais attention, le Bonheur se mérite. Si le Bonheur est en chacun de nous, potentiellement, il demande certains efforts pour se révéler. Selon le Larousse, le bonheur est défini comme "la plénitude de sa satisfaction intérieure". Cela me renvoi inévitablement au V∴I.∴T∴R∴I∴O∴L∴ « Visite l'intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la Pierre cachée. » Une véritable course au trésor, sans gagnant, ni perdant. On ne change pas la réalité, on s'en accommode, on l'agrémente. Il faut donc accepter la réalité telle qu'elle est et non telle que l'on voudrait qu'elle soit. C'est notamment à cela que tend l'initiation maçonnique. S’accepter tel que l’on est. S’aimer avant d’ai-mer les autres. La vie maçonnique est synonyme de lutte, de travail, d'efforts, d'oppositions, de confrontations, de déceptions. C'est la richesse de toute initiation. C'est ce qui nous permet de nous reconstruire. Pourtant, cette constante loin d'être une limitation, un frein à l'effort, peut et doit devenir la base, le fondement du dé-veloppement de l'être. Il doit s'agir d'un tremplin. Tolstoï semble nous indiquer que la persévérance est une qualité indéniable, qu’elle est indispensable à la recherche du Bonheur maçonnique. Mais le chemin est long et semé d'embûches. Au bout du compte, l'Homme en sortira grandit, libéré de ses scories. « La tranquillité c’est de la bassesse » nous dit l’auteur. Ne pas agir ce n’est pas accepter ce que l’on est, c’est refuser d’être ce que l’on est pas. L'initiation maçonnique doit permettre à chacun d'entre nous de trouver sa place dans le cosmos. L'initiation du profane que j'étais il y a encore quelques semaines, doit me permettre de rechercher en moi-même afin de savoir qui je suis vraiment où qui je veux être. Cette introspection, peut être douloureuse, et ne se fera pas sans aide fraternelle. Comme l'écrivait le poète Edmond Jabes « On ne peut ni s'épanouir, ni évo-luer, si l'on n'accepte pas sa condition, qu'elle qu'elle soit, comme un fait accompli. »La fuite vers n'importe quelles promesses d'un bonheur programmé est inutile. Il s’agit là d’un leurre. La Franc-maçonnerie n'a pas la prétention de détenir la vérité absolue. Chacun d'entre nous doit découvrir qui il est réellement et se donner ensuite la possibilité d'évoluer. Le travail en Loge doit nous y aider. Il est écrit que la Franc maçonnerie doit nous permettre de devenir des hommes libres. Si je suis libre lors des Tenues, en revan-che je suis, pour l’instant, esclave à l’extérieur du Temple. Je ne suis donc qu’un homme, il faut que je l’admette. Être un homme exige beaucoup de volonté, de sacrifices. C'est ce que nous rappelle Tolstoï. L'Homme est per-fectible. Il ne peut donc que s'améliorer. Il suffit de le vouloir. Guillaume de Nassau écrivait « Il n'est point nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. » La mission du maçon que je suis est donc de me mettre en route pour trouver en moi et avec votre aide, le sens que je veux donner à mon exis-tence. La Franc-maçonnerie propose ainsi non pas un bonheur artificiel pour tous les hommes, mais le bon-heur de chacun, de chaque être qui veut tenter d’y parvenir. Pour cela, et bien qu'il s'agisse d'un travail person-nel, la Franc maçonnerie brise les égoïsmes par la reconnaissance de l’autre, en acceptant les différences et en sachant que l’échange vrai et sincère est l’un des plus puissants moyens sur la voie de l’évolution. La Franc-ma-çonnerie correspond ainsi à une quête, à la recherche de quelque chose qu’il n’est aujourd’hui presque plus possible de trouver ailleurs. Elle donne le moyen d’utiliser son temps et de penser à soi, en travaillant sur soi-même, non pas égoïstement dans son coin, mais à la rencontre des autres, par échange avec d’autres hommes, différents de soi-même par essence et que l’on a pas obligatoirement choisis. Ces échanges aident à porter sur la vie un certain regard, un autre regard. Chacun doit vivre la Franc maçonnerie pour y trouver la voie qui lui est propre. Cette voie est d’une richesse inestimable pour ceux qui pensent que la Vie vaut l’effort de tenter d’y donner un sens, un sens qui privilégie l'ÊTRE sur l’AVOIR. En tant que Maçon, je ne pense pas être différent des autres hommes. Mais j'ai, si je le désire et si je le peux, le moyen de savoir pourquoi je suis sur terre. C’est peut être cela le bonheur.À moi de faire l’effort de le découvrir, pour mon plus grand bien et pour celui de tous les hommes.

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Gilles Del∴

Libère toi de la colère et du désir, qui sont les sources du pêché et du conflit, pour réaliser l’unité en toi. C’est l’essence du yoga; c’est le moyen par lequel tu apprends à connaître l’âme et à atteindre le degré de spiritualité le plus élevé. Apprends à méditer. Ferme les yeux; calme ta respiration; concentre ton attention sur le centre de la conscience.Tu maîtriseras ainsi les sens, les émotions et le mental - et tu te libéreras du désir et de la colère.Est ce déjà cela se mettre à l’ordre ?

Pour répondre à cette question, je vous propose d’explorer la signification du signe d’ordre, en se posant quelques questions simples mais essentielles :Qu’est ce que c’est, concrètement, se mettre à l’ordre ?Quand, et en quelles circonstances se met-on à l’ordre ?Quels sont les symboles invoqués par le fait de se mettre à l’ordre ?Surtout, pourquoi nous mettons nous à l’ordre ?Une fois que j’aurai répondu - ou essayé de répondre - à ces questions, je reviendrai vers la question initiale pour déterminer dans quelle mesure le parallèle avec le yoga a du sens.Se mettre à l’ordre : une définition ...J’ai commencé mon travail par chercher une définition précise voire académique si possible de ce que c’est que se mettre à l’ordre. J’ai à ma disposition un exemplaire de La symbolique maçonnique de Jules Boucher, un Livre de l’apprenti d’Oswald Wirth, le Mémento de l’apprenti qui m’a été remis peu après mon initiation et Internet. Paradoxalement, c’est l’ouvrage le plus simple qui s’est révélé le plus utile. J’y ai trouvé la définition que je cherchais, et je vous la livre : « Etant debout, pieds en équerre à angle droit, le gauche devant, orienté Ouest - Est, talon contre talon, porter la main droite étendue (quatre doigts joints et pouce écarté formant équerre) placée en équerre sous la gorge, main, bras et avant bras droits dans un plan horizontal dans le prolongement de l’épaule, bras gauche allongé normalement le long du corps. Lorsqu’on est dans cette position, on est à l’ordre. On quitte cette position par le signe pénal. » Le rappel de cette définition n’est pas vain, en tout cas pour moi, puisqu’il m’avait complètement échappé que le pied gauche devait être dirigé vers l’Orient. J’en prends note. Quitte à appliquer un rite, autant l’appliquer rigoureusement. Surtout que si nous le faisons, c’est que cela a un sens précis, comme tout ce qui se trouve, tout ce qui est fait et tout ce qui est dit au sein du temple. Cependant, cette définition est peut-être un point de départ correct pour ma réflexion, mais je ne suis pas spécialement avancé vis à vis de la question qui m’est posée : « Est ce cela se mettre à l’ordre ? », là pour l’instant, je suis tenté de répondre par la négative. En fait, la véritable question est « Est ce déjà cela se mettre à l’ordre ? ». Ce n’est pas tout à fait pareil, je continue à chercher. J’aurais pu demander la signification du signe d’ordre à un frère plus ancien de l’atelier. J’aurais pu, mais je ne l’ai pas fait. Par rapport à ma dernière planche de l’année maçonnique dernière, dont l’intitulé commençait par cette citation de Rabbi Nachman de Breslau : « Ne demande jamais ton chemin à quelqu’un qui le connaît car tu ne pourrais pas t’égarer. »Je ne pouvais décemment pas demander à un frère de m’expliquer sa perception du signe d’ordre, je n’aurais pas travaillé, je n’aurais rien recherché, et finalement je n’en aurais rien retiré. J’aurais juste pu prétendre bien avoir appris ma leçon. Mais ce n’est pas pour apprendre des leçons que je suis venu dans cet atelier. Je suis venu m’égarer pour retrouver mon chemin, alors autant m’égarer tout de suite. J’aurais pu chercher la signification du signe d’ordre dans des livres. J’aurais pu, mais là, je l’ai fait. Dans La symbolique maçonnique, Jules Boucher cite Oswald Wirth, qui lui même paraphrase le mémento de l’apprenti en ces termes : « La main droite, placée en équerre sous la gorge, paraît contenir le bouillonnement des passions qui s’agitent dans la poitrine et préserver la tête de toute exaltation fébrile susceptible de compromettre notre lucidité d’esprit. Le signe d’apprenti signifie de ce point de vue Je suis en possession de moi même et je m’attache à juger de tout en toute impartialité. » Cette interprétation, qui bénéficie de fait d’un consensus quant à sa validité est certes

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élégante, comme de nombreuses interprétations de symboles, mais ne me paraît pas à sa place. Car cela signifierait que lorsqu’un frère n’est plus à l’ordre - et cela arrive souvent en tenue, ne serait-ce que lorsqu’un autre frère planche - il est susceptible de se laisser submerger par “le bouillonnement des passions” ou bien par “la colère et le désir”. À mon sens donc, cette interprétation n’est pas adaptée à une gestuelle ponctuelle telle que le fait de se mettre à l’ordre, mais à un état qui s’étend sur toute la durée de la tenue. Cela me semble plus correspondre aux métaux que nous laissons à la porte du temple.La symbolique du signe d’ordre.Outre cette signification de séparation de la tête du reste du corps, que l’on préserve des passions, nous pouvons chercher un autre sens en reprenant la définition initiale de l’ordre. J’y vois trois équerres complémentaires, qui rendent l’ensemble du signe cohérent :L’équerre formée par la main, entre le pouce et le quatre autres doigts ; l’équerre formée entre le bras et le tronc, au niveau de l’épaule ; l’équerre formée entre les pieds.L’équerre est un outil fascinant qui peut donner lieu à de multiples interprétations, équité, rectitude, verticalité et horizontalité, etc. Pour ma part, je préfère ici m’arrêter sur une notion que j’ai trouvée dans le livre de l’apprenti de Wirth et qui m’a séduit. Elle concerne le symbolise rattaché à l’équerre en notant que l’équerre offrant la possibilité de garantir des angles droits, est utilisée pour rendre les pierres cubiques afin que celles ci puissent être empilées au sein d’un édifice en cours de construction. Cette première équerre est représentée par ma main droite : je suis ici pour travailler sur moi même, je suis mon propre matériau. Je m’attache à dégrossir la pierre brute au sein de laquelle se trouve une pierre taillée, qui sera à même d’apporter sa contribution à la construction de l’édifice.La deuxième équerre, formée au niveau de l”épaule assure le rapport vertical horizontal. Cela permet de bâtir un mur bien droit, qui ne penche ni d’un côté, ni de l’autre, s’appuyant sur les pierres déjà présentes, et surtout capable d’en supporter de nouvelles. Ce sont ces nouvelles pierres qui donnent du sens à la pierre qui vient d’être taillée.La troisième et dernière équerre, entre les pieds, a pour rôle de surveiller l’orientation des murs entre eux, afin que le temple construit soit bien orienté et qu’il ait la bonne forme. Qu’il soit conforme aux plans, simplement.Ces trois équerres me rappellent un autre ternaire présent au sein du temple :la sagesse : l’équerre de la main : la force : l’équerre de l’épaule, qui assure la stabilité de l’ensemble ; la beauté : l’équerre au niveau des pieds, qui assure l’harmonie de l’ensemble.Peut être que se mettre à l’ordre, cela signifie : “Je suis ici pour travailler, travailler sur moi même, apporter ma pierre à l’édifice, veiller à ce qu’il soit stable et conforme à ce que nous souhaitons.”La question Pourquoi ?Si je devais expliquer à un profane comment se mettre à l’ordre, je n’aurais aucune difficulté : soit je lui montre, soit je lui explique avec globalement les mêmes termes que le mémento de l’apprenti. Par contre, si je devais expliquer pourquoi, je confesse que je serais bien embarrassé. Jusque là, je me tenais debout, les pieds en équerre, la main en équerre sous la gorge, sans autre motivaation que l'habitude. C’est un triste constat pour moi, d’autant plus que j’en discutais avec notre Frère Second Surveillant Dominic lors d’une réunion d’apprentis. Je lui expliquais que je trouvais et je le trouve encore d'ailleurs que c’est le sommet de la bêtise, l’Everest de la stupidité que de faire quelque chose sans savoir pourquoi. En l'occurrence, je ne suis pas spécialement fier d’avoir planté mon drapeau sur ce sommet là. Mais au moins, j’en suis conscient, et ce travail est là pour y remédier finalement, alors je vais chercher ce “pourquoi” qui me manque. D’un autre côté, je ne me voyais pas interrompre mon instruction, le jour de mon initiation. Entre le cabinet de réflexion, le testament philosophique, les voyages, la cérémonie et l’instruction, il faut admettre que l’esprit de contradiction se fait plus docile, voire est au repos complet. Je n’imagine pas interrompre le frère instructeur donc, pour lui dire que s’il ne m’expliquait pas clairement pourquoi je devrais me tenir dans cette position qui n’est pas spécialement confortable, je risquais de ne pas l’écouter très longtemps. Peut être aurais-je dû. Peut être aurais-je dû ne pas accepter une règle sans explication, une forme de dogme. J’avoue que durant les vingt cinq premières tenues auxquelles j’ai assisté (oui, j’ai compté), je ne me suis mis à l’ordre que parce que tout le monde en faisait autant. D’ailleurs, dans le rituel d’ouverture, c’est un peu l’idée de se mettre à l’ordre. Je vous cite V∴ M∴ : « Debout mes frères, face à l’Orient, vous vous ferez reconnaître comme apprenti franc-maçon au passage des Frères Surveillants ». Et effectivement au passage des Frères Surveillants, nous nous mettons à l’ordre. Donc c’est au moins cela se mettre à l’ordre : un moyen de se faire reconnaître de ses Frères. Une sorte

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de concession que l’on fait, de prix à payer pour pouvoir prendre place sur les colonnes de l’atelier. Non sans humour, notre frère Eric me rappellerait que le prix à payer est toujours de 360 euros, et que je peux faire plusieurs chèques si ça m’arrange. Aussi, la signification que je peux tirer de ce petit paragraphe, a priori triviale, concernant le fait de se mettre à l’ordre est que je revendique mon appartenance à cet atelier. En revendiquant mon appartenance à cet atelier, j’en accepte les règles, les spécificités, l’historique et surtout les frères qui le composent. Et non seulement je les accepte, mais je les fais miens désormais. Pas si triviale cette signification finalement ...Et le Yoga ?Je suis arrivé à deux conclusions en décortiquant la symbolique du signe d’ordre, je vous les rappelle :Je suis ici pour travailler, travailler sur moi même, apporter ma pierre à l’édifice, veiller à ce qu’il soit stable et conforme à ce que nous souhaitons. Je revendique mon appartenance à cet atelier. En revendiquant mon appartenance à cet atelier, j’en accepte les règles, les spécificités, l’historique et surtout les Frères qui le composent. Et non seulement je les accepte, mais je les fais miens désormais. Ces deux notions ne semblent pas à priori s'inscrire dans la thématique du sujet, à savoir le parallèle qu'on peut faire avec le yoga. Elles n'en sont pas moins complémentaires : nous louons les vertus du travail et nous respectons les valeurs qui y sont liées. N'est ce pas là un moyen sûr de se libérer de la colère et du désir ? Par ailleurs, j'aurais pu me contenter de mettre en parallèle l'énoncé du sujet avec l'explication du signe d'ordre présentée dans le mémento de l'apprenti. La filiation entre ces deux visions est évidente. Mais comme je l'ai dit plus haut, elle s'applique plus à mon sens aux métaux laissés à la porte du temple. Ceci étant, le fait de laisser nos métaux à la porte du temple n'est pas une action observable. C'est une démarche intérieure. Or dans le rituel d'ouverture, au moment où nous considérons avoir laissé nos métaux à la porte du temple, nous sommes bel et bien à l'ordre. Peut on alors considérer, comme le suggère l'énoncé du sujet que l'essence du yoga, c'est déjà cela se mettre à l'ordre ? Ce n'est bien évidemment pas que cela, mais c'est bien déjà cela.Pour conclure, ce travail aura au moins le mérite de m'avoir fait réfléchir, d'avoir pris conscience d'une pratique peu enrichissante,à savoir de me mettre à l'ordre sans me demander pourquoi je le faisais.À ce titre, cette planche sera utile pour moi, puisque l'assimilation du rituel et des symboles est aujourd'hui intégrée, je tâcherai de beaucoup plus questionner le rituel et les symboles que je ne le fais aujourd'hui.

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Edouard Bot∴

Il y a ce qui n’est pas né, ce qui n’est pas devenu, ce qui n’a pas été fait, ce qui n’est pas composé ; s ‘il n’y avait pas le non-né, le non-devenu, le non-fait, le non-com-posé, il n’y aurait aucun moyen d ‘échapper au né, au devenu, au fait, au composé. Mais parce qu’il y a un non-né, un non-devenu, un non-fait, un non-composé, à cause de cela on peut échapper au né, au devenu, au fait, au composé. Il y a l’in-stabilité de ce qui est soutenu, il n’y a pas d’instabilité de ce qui n’est pas soutenu ; quand il n’y a pas d’instabilité, il y a repos ; quand il y a repos, il n’y a pas de pen-chant ( d’inclination vers les jouissances ) ; quand il n’y a pas de penchant, il n’y a pas d’allées et venues, pas de mort et pas de naissance ; quand il n’y a ni mort ni naissance, il n’y a pas d’ici ni d’au-delà ni rien entre eux. Ceci est en vérité la fin de la douleur

Ce texte est un labyrinthe … Non un labyrinthe semblable à celui que construisit Dédale pour enfermer le Minotaure, où, sans l’indispensable fil d’Ariane on ne peut qu’errer et se perdre … où en principe il n’existe pas de centre à trouver ni de sortie logique à part une mort inéluctable, mais plutôt un labyrinthe semblable à ceux, pavés, des grandes églises du Moyen-Age, comme celui de la cathédrale de Chartres dont le parcours est tout autre, composé certes d’un itinéraire compliqué, méandreux et imposé, mais dans lequel, si l’on suit le trajet avec patience, minutie et confiance, on doit forcément atteindre le but et de là obtenir la garantie d’un retour tout aussi certain. Le texte n’est qu’opposition, et l’un n’existe que parce qu’il y a l’autre : l’être et le non-être, le devenu et le non-devenu, le soutenu et le non-soutenu, de même le marbre blanc et le marbre noir dont est constitué ce Labyrinthe de Chartres : le Blanc, itinéraire de clarté garantissant l’arrivée à bon port n’existe que parce qu’il y a le Noir, sans issue, ne conduisant qu’à un cul-de-sac sans espoir de retour … Ce parcours c’est d’abord la naissance, au bord extérieur de la circonférence, puis l’entrée droite dans la quête par un étroit cheminement blanc qu’il faut suivre avec attention … Le moindre faux pas ou une déviation et l’on passe dans le Noir ! Mais ce chemin blanc, même s’il est mince, se distingue sur le fond noir … Et l’initié parvient au cen-tre. Il ne peut “mourir” à ce trajet car il est régénéré et sait à présent le chemin du retour, de sa renaissance. Ce parcours va de l’extérieur vide à l’intérieur plein ; du bord du cercle au point central : la Rose de Lumière ! Ce labyrinthe du texte est une interrogation sur la manifestation de la vie, la recherche de son initialité, avec la nécessité d’essayer de comprendre son pourquoi et son comment pour en tirer le meilleur et pour qu’il y ait cessation de la douleur ; en prenant conscience que commencer ce périple sera d’aller à la découverte de soi et d’abandonner en cours de cheminement, corps, sentiments, idées et raisonnement pour ne plus suivre tout au long de ce chemin que ce reflet de lumière qui provient du centre.Voyons …

Il y a d’abord ce qui n’est pas né, ce qui n’est pas devenu, ce qui n’a pas été fait, ce qui n’est pas composé … puis un point, un simple point ; rien en fait, mais déjà un rien distinct du néant, un début : le commencement et la

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fin de tout ce qui est né, ce qui est devenu, ce qui a été fait, ce qui est composé … le point final au centre de ce labyrinthe que construit le texte, mais aussi son point d’origine.Comprendre …Il y a d’une part le vide sans limites, sans frontières, partout et nulle part et puis le point originel autour du-quel s’enroule la vie dans une extension illimitée ; centre de gravité où tout s’enracine. Et parce qu’il y a un non-né, un non-devenu, un non-fait, un non-composé, un vide qui se situe avant toute manifestation, un non-temps, à cause de cela on peux échapper au né, au devenu, au fait, au composé ?

Mieux comprendre …Avec sa théorie de la contraction de l’Infini, ou du retrait de Dieu, Louria nous dit que le premier acte du Créateur ne fut pas de se révéler à quelque chose d’extérieur, mais de se replier pour laisser un espace à la créa-tion à venir. L’Infini nous a laissé un espace ; cet espace est un point infinitésimal par rapport à l’infini, mais c’est tout l’espace cosmique ; et l’instant zéro nous montre le vide majeur, créateur ; ce non-temps qui porte en lui l’éternité, qui contient toutes les potentialités, qui contient le Tout.Maître Eckhart disait que « Dieu crée le monde maintenant en cet instant ». Voulait-il dire que la création commence et continue en toute chose, qu’elle a toujours commencé et continué en nous ? Voulait-il dire que ce point, comme la pierre tombant dans l’eau devient la cause puis le point à partir duquel se développent des ondes concentriques qui communiquent le mouvement originel jusqu’aux limites du créé, voulait-il dire que ce point est en nous ? Que nous pouvons donc remonter jusqu’à ce moment originel, au centre de notre être ; remonter le né, le devenu, le fait, pour accéder à ce moment où tout est possible et ainsi échapper au né, au devenu, au fait ? Ce point d’origine se situerait donc au plus profond de nous ; au centre de ce labyrinthe, qui est à la fois notre labyrinthe intérieur et à la fois le labyrinthe éternel … « Il y a l’instabilité de ce qui est soute-nu; il n’y a pas d’instabilité de ce qui n’est pas soutenu », dit aussi le texte. Ces deux possibilités, en forme d’entonnoir conduisent inéluctablement à des mondes diamétralement opposés. C’est pourtant la question qui se pose : l’être ou le non-être ? L’agir ou le non-agir ? 1 – L’être, qui est soutenu = instabilité = pas de repos = penchant (inclination pour les jouissances) = allées et venues = mort et naissance = ici et au-delà et tout entre eux = DOULEUR. 2 – Le non-être, qui n’est pas soutenu = pas d’instabilité = repos = pas de penchant = pas d’allées et venues = pas de mort ni de naissance = pas d’ici ni d’au-delà ni rien entre eux = FIN de la DOULEUR. Peut-il y avoir une fin de la douleur s’il n’y avait pas la douleur ? Le Bien peut-il exister sans le Mal ? Si la création est conti-nuelle, peut-il y avoir un avant et un après ; un né et un non-né ; un fait et un non-fait ? Maître Eckhart, tou-jours lui, écrivait « on ne doit pas s’imaginer faussement que Dieu était là à attendre on ne sait quel mainte-nant à venir où il créerait le monde. Dans l’instant même où il fut ../.. il créa aussi le monde ../.. » La dialecti-que de Maître Eckhart établit nettement la distinction entre la création active immuable et la création subor-donnée au temps, disant : « ../.. mais toutes choses ne se sont pas manifestées en même temps. Lorsque le Père engendra toutes les créatures, il m’engendra et je sortis de lui avec toutes les créatures et demeurai pourtant à l’intérieur du Père. De même la parole que je prononce maintenant jaillit en moi, ensuite je m’arrête à mon idée, en troisième lieu je l’exprime et vous la recevez tous ; cependant elle demeure véritablement en moi. De même je suis demeuré dans le Père. » L’Être est donc en nous de toute éternité et c’est par son immanence que nous pouvons atteindre sa transcendance. Nous avons toujours été dans l’éternité. Lao-Tseu nous dit dans le Tao Te King « le monde discerne la beauté et, par là le laid se révèle. Le monde reconnaît le bien et, par là le mal se révèle. Car l’être et le non-être s’engendrent sans fin. Le difficile et le facile s’accomplissent l’un par l’au-tre. Le long et le court se complètent. Le haut et le bas reposent l’un sur l’autre. Le son et le silence créent l’harmonie. L’avant et l’après se suivent. Le tout et le rien ont le même visage. » Il nous dit aussi « Désir et non-désir, ces deux états procèdent d’une même origine. Seuls leurs noms diffèrent. Ils sont l’Obscurité et le Mystère. Mais en vérité c’est au plus profond de cette obscurité que se trouve la porte. La porte de l’Absolu, du Merveilleux. » C’est au plus profond de l’obscurité que se trouve la porte. Le seul symbole à décrypter qui soit représenté par des caractères alphabétiques est l’un des premiers symboles que nous avons tous vu en entrant dans le Cabinet de Réflexion avant notre initiation : c’était déjà une invite à pénétrer le monde obscur de la terre, à découvrir les secrets intérieurs de sa nature, ses méandres cachés. Une invite à se mettre au départ du Labyrinthe, à visiter notre propre intérieur afin d’y découvrir, en rectifiant , la pierre cachée des Sages pouvant nous conduire jusqu’à cette porte ouvrant sur l’Absolu et le Merveilleux. Nous devons évoquer encore une fois ici la La Table d’Emeraude d’Hermès Trismégiste, car peut-être est-elle une des clés pour ce voyage souterrain

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vers le centre de la terre et de notre être : « ce qui est en bas est comme ce qui est en haut et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour réaliser les miracles d’une seule chose. » Par « réaliser les miracles d’une seule chose », la Table nous indique que ce qui est en haut est issu d’un unique Principe Créateur, mais aussi que ce qui est en bas est comme ce qui est en haut… Ce qui ne veut pas dire que ce qui est en bas est identique ou à l’image de ce qui est en haut, mais que, comme elle le dit plus loin, « si nous séparons le subtil de l’épais » nous découvrirons que cette analogie entre le haut et le bas n’est semblable que par similitude et non par iden-tité et qu’il y a une cohérence et une harmonie universelle. Si les miracles d’en haut sont issus d’une seule chose, un Principe Créateur, il en est de même pour ce qui est en bas, mais sous des aspects similaires, bien que différents. La moindre graine qui se met à germer manifeste ce qu’elle contient en Principe, et reproduit les miracles d’une seule chose. « Tu sépareras la terre du feu, le subtil du grossier. » C’est à dire tu parviendras à un certain éveil de ta conscience, à un élargissement du champ de cette conscience pour distinguer un état d’un autre : la séparation dont il est ici question n’étant rien d’autre que l’activation de notre faculté de discer-nement. Discernement qui nous offre la possibilité d’aller cueillir le fruit de l’arbre de la Connaissance … La création, depuis les premiers instants de la Genèse, ne peut se manifester que par dualisme, et parvenir à dis-tinguer ce dualisme c’est déjà ne plus rester enfermés dans une identification égotique qui nous fait appartenir à l’une ou l’autre puissance de ce dualisme originel … Séparer va consister à discerner les polarités opposées qui se manifestent sur tous les plans pour être capables d’en faire une synthèse unificatrice afin que chaque élé-ment retrouve sa place et sa cohérence à l’intérieur d’une harmonie universelle. Séparer la terre du feu, le subtil du grossier c’est arriver à séparer le marbre blanc du marbre noir pour trouver notre chemin dans le labyrinthe ; c’est discerner ce qui est du domaine de l’un de ce qui est du domaine de l’autre ; c’est activer sa clairvoyance pour voir ce qu’il y a réellement derrière les choses épaisses et terrestres, c’est à dire passer d’une vision épaisse qui permet de voir le visible, à une vision subtile qui permet de percevoir l’invisible … « Ainsi fut créé le monde. Voici que seront des adaptations admirables, dont voici la manière … ». Chacun, là où il se trouve, n’a pas le pouvoir de créer quoi que se soit, mais peut, selon ses capacités, procéder à d’admirables adaptations, pour peu qu’il sache utiliser le moyen qui en permette la réalisation. Se mettre au départ de notre labyrinthe c’est chercher à pénétrer dans les profondeurs de notre être jusqu’à sa source, d’où jaillit la vie éternelle … C’est ce que dit Jésus à la Samaritaine dans l’Evangile de Jean (IV 13-14) : « quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau ; mais qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle ». On ne peut sortir du labyrinthe de la vie qu’en parvenant à sa source, qui est aussi son embouchure car l’amont et l’aval procèdent d’une même origine. Il conviendra pour cela de redécouvrir le sens des actes, des pensées qui motivèrent création et projection dans le temps du laby-rinthe éternel … car cette déambulation est peut-être tout simplement le dernier espace de liberté totale qu’il nous reste. (André Douzet) Parcourir notre labyrinthe n’est pas descendre un long fleuve tranquille …

Essayer d’imager ce parcours en le calquant sur celui de Chartres peut donner une idée de notre propre déam-bulation.

Nos premiers pas (rouge) nous conduisent rapidement près du centre, mais le chemin s’écarte et tourne, un peu comme les circonvolutions de notre cer-

veau, et nous passons à gauche (jaune foncé), côté de l’intellect, qui calcule, qui rai-

sonne nous repas-

s o ns près du

centre (jaune clair) pour nous éloigner vers la droite (vert), cerveau droit : avec des expériences psychiques, des impressions subjectives ; nous prenons conscience d’un monde différent …

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Et déjà nous repartons (bleu) vers le cerveau gauche : nous cherchons des savoirs, des solutions intellectuelles avec le risque de ne pas aller plus loin … mais nous franchissons ce pont entre les deux cerveaux et passons à droite (mauve), dans un monde ignoré de l’intellect, monde nouveau, où nous o s o n s vivre pleinement l’expérience et la démarche active vers le centre de soi autant que vers les au-

tres.

Mais toujours pas de centre et même double circonvolution si longue et si lointaine de ce centre (violet), que le découragement s’installe ; où, pour l’initié, c’est la nuit ; où le vécu perd son sens …

avec la déception, l’usure …

Il nous faut trouver le courage de poursuivre en vivant à nouveau le doute dans un ultime détour (noir), même si le but était proche… pour atteindre enfin le centre, la rose, dont nous respirons le parfum.

Mais c’est peut-être là que se trouve l’écueil le plus dangereux : la satisfaction d’avoir maîtrisé nos deux cer-veaux. Et nous pouvons rester là, captifs dans l’illusion d’être libres. Il nous faut sortir et continuer, car le cœur du sanctuaire n’est pas ici.

Alors quoi ? Refaire tout le chemin en partant vers l’ouest ? Non ! Nous levons les yeux et nous marchons droit devant, vers la lumière de l’orient, sans plus voir aucun des murs du labyrinthe, prenant conscience qu’ils n’étaient que des lignes dessinées par terre, lignes illusoires de notre mental et notre auto-satisfaction.Comme Dédale, enfermé dans le labyrinthe qu’il avait lui-même construit, c’est vers le haut, par l’élément Air que nous pourrons nous échapper ; à condition de ne pas passer trop près du soleil !

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Conclusion du F∴ Orat∴

To be or not to be aura finalement été la question de ce soir. Les deux premiers travaux ont décrit diverses ma-nières d’être ou de ne pas être au monde. Car on peut être sans véritablement être et nos FF∴ Apprentis ont déjà saisi que réfléchir, chercher sa place dans l’Univers, œuvrer au bonheur des autres, c’est la manière de vivre suggérée par la voie maçonnique. Le troisième travail qui a repris la question de l’Être a cherché à l’articuler à l’autre interrogation fondamentale, celle du Non-être, pour essayer de les dépasser de manière dialectique ou labyrinthique …Sur tout cela, les réactions ont été nombreuses, variées, passionnées … C’est bien. Car le cheminement ma-çonnique, c’est la recherche incessante du vivre vrai, du vivre mieux, de vivre vraiment dans l’Être, c’est donc le travail à l’Ordre, c’est à dire debout, rectifié, libre. Quant au salaire de ce travail, est-ce que ce sera le repos, c’est à dire un état de conscience au delà de l’Être et du Non-être et dont on peut espérer qu’il sera versé au plus tard pour la plupart d’entre nous à l’Orient Eternel ? Tolstoï, dans une très belle nouvelle, Maître et serviteur, concluait : « nous le saurons tous un jour. »

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17 MARS 2009 Travaux au 2nd degré symbolique

Edouard Bot∴

Propos du 1er Sur∴

En complément à l’instruction au deuxième degré que nous venons d’entendre et parce que nous n’avons pas souvent l’occasion de travailler à ce degré, il serait bon que nous revenions sur la symbolique du Compagnon, essentielle dans notre parcours initiatique, en nous posant la question : que veut dire être Compagnon ? Quel est l’itinéraire du Compagnon et qu’est-ce qui change dans sa vie maçonnique ? Bien sûr, dans l’absolu, l’itinéraire du Compagnon ne fait que continuer celui de l’App∴. L’apprenti a respecté les termes de son serment, il a essayé de vaincre ses passions et de soumettre sa volonté, de laisser les métaux à la porte du Temple, de comprendre les symboles du 1er degré, de travailler la pierre brute dans le silence et sous l’égide du Fil à Plomb, qui met en évidence la Verticale et qui est le symbole de la recherche en profondeur de la vérité et de l’équilibre.Continuation, donc, pour le Compagnon, mais dans une autre dimension ; et quelle dimension ! De l’ombre dans laquelle il travaillait, avec pour seule lumière la réflexion par la Lune de la lumière du Soleil, avec une connaissance indirecte des choses, il passe au midi, dans la lumière du Soleil pour une découverte du monde, avec une connaissance directe des choses. Il découvre l’Art du Trait, qui le fait entrer dans la Lumière de l’Ini-tiation. Du Carré long le chemin qu’il a à parcourir est celui d’une spirale qui le conduit au cœur de l’Etoile. Cette étoile, qui lui est apparue au terme de son cinquième voyage, est la quintessence de la connaissance qu’il doit acquérir pour qu’il s’inscrive justement dans ses cinq branches et qu’elles le représentent en tant qu’homme ; mais pas n’importe quel homme : l’homme harmonieux, lumineux, qui s’est structuré sur la pro-portion dorée, en relation juste avec le cosmos. Cette étoile qu’il regarde lui montre la route ; et le G qui brille en son centre symbolise le meilleur du savoir initiatique de l’homme et des sciences traditionnelles de niveau cosmologique. Pour René Guénon cette lettre G représente le principe divin dans le cœur de l’homme deux fois né. Parmi toutes les acceptions possibles de ce G, le Compagnon ne retiendra peut-être dans un premier temps que Géométrie, parce qu’elle est l’essence de la loge des compagnons.Si le nombre 5 correspond à son âge, c’est qu’il représente l’être dans la plénitude de sa réalisation ; que cinq est un nombre premier et que sa figure géométrique correspond à l’étoile … Et si sa pierre est devenue cubique à pointe c’est qu’elle s’apparente au chef d’œuvre du Compagnon apte à accéder à la maîtrise. et que la pyramide qui surmonte cette pierre cubique marque un centre, un point de convergence des quatre dimensions de l’es-pace, symbolisant la perfection de l’homme de métier.Le mot sacré Jakin lui donne la signification des noms des deux colonnes assemblées : en force il établira. Force qui devrait lui permettre de passer un jour de la dualité à l’unité, en trouvant la sagesse, et établira, du latin stabilire fixer, construire, mais stabilo aussi qui veut dire ferme, solide, durable.Grâce au Niveau, lié à la Perpendiculaire, union parfaite de la verticale et de l’horizontale, il peut trouver le juste milieu entre le travail sur le plan de l’homme et celui sur le plan céleste et divin.Enfin, sa devise est « Gloire au Travail », ce travail initiatique et maçonnique qui doit le faire parvenir lui, Cherchant, à un état de perfection pouvant lui permettre d’accéder au statut d’Homme Universel qui sait des réponses aux mystères qui l’interpellent, et qui n’est plus vraiment un homme limité dans son incarnation.

Le temps imparti au propos du 1er Surveillant pouvant être rallongé ce soir (du fait de l’absence de notre F∴ Laurent qui devait présenter un travail), je voudrais profiter de l’opportunité qui m’est offerte pour évoquer, de façon succincte, l’Epi de Blé qui figure sur notre Tapis de Loge du deuxième degré et dont on ne parle pas

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souvent, bien qu’il soit de première importance, car il est la représentation du mot de passe du Compagnon : Schibboleth.

Michel Saint-Gall dans son Dictionnaire des Hébraïsmes du R∴E∴A∴A∴ précise que Schibboleth a une double signification “épi de blé” et “courant d’une rivière” ; et le Dictionnaire de la Bible (A. M. Gérard) nous dit “fleuve” ou “épi”. Le terme Schibboleth est présent dans le Livre des Juges-XII-6 et aucune analyse de ce mot n’est possible sans une étude du contexte biblique : Jephté, originaire de Galaad (Table Ronde) est juge en Israël. Les chefs de Galaad s’adressent à lui pour combattre les Ephraïmites. Après les avoir battus, Jephté leur coupe la retraite dans le gué du Jourdain et la Bible dit : quand un des fugitifs d’Ephraïm disait « laissez-moi passer » les gens de Galaad lui disaient « et bien, dit le mot Schibboleth » et il disait « Sibboleth », sans parvenir à bien le prononcer ; alors on le saisissait et on l’égorgeait. Schibboleth joue ici le rôle de mot de passe lors du passage d’un cours d’eau par les Ephraïmites en retraite et schibboleth signifie justement cours d’eau ; la répétition du terme peut signifier qu’il y a un sens caché à découvrir, lié en particulier à la différence de prononciation : on ne peut maîtriser que ce que l’on est capable d’appréhender avec justesse, de nommer.Dans une perspective initiatique, le passage d’un cours d’eau peut être perçu comme une épreuve, en particu-lier celle de la mort, mais aussi de la mort initiatique. Les deux rives d’un fleuve représentent aussi les mondes matériel et spirituel. Passer la rivière, faire l’effort d’aller de l’autre côté signifie dans le domaine initiatique accéder au monde spirituel au péril de sa vie ; c’est l’épreuve de l’eau qui peut dissoudre à jamais notre être.Dans la Bible, Jephté est celui qui délivre les Galaadites de leurs ennemis ; dans une vision ésotérique il est celui qui libère l’homme du matérialisme exclusif en le faisant accéder à l’autre rive, au monde spirituel, à con-dition qu’il prononce correctement un mot : Schibboleth.En fait, c’est d’avantage la connaissance de Schibboleth qui libère ; Jephté n’en est que le contrôleur, le passeur. On retrouve ici le symbolisme du gardien du seuil.C’est la prononciation qui tue ou qui sauve : la première lettre de Schibboleth est Schin, c’est elle qui sauve et fait passer. (versus Samek). Schin c’est le Feu, le feu salvateur ; le Feu Philosophique des Alchimistes. Le Feu et l’Eau sont les éléments primordiaux réunis dans le mot Schibboleth. Schin le Feu, Aleph l’Air, et Mem l’Eau sont les trois lettres mères de l’alphabet hébraïque. Dans l’univers les Cieux sont créés à partir du Feu, la Terre est créée à partir des Eaux et l’Air se place entre les deux ; mais seuls le Feu et l’Eau sont créateurs.La Terre représente l’élément le plus matériel des quatre. Pourtant elle est le réceptacle d’éléments subtils qui ne pourraient sans elle s’incarner et agir. C’est dans les entrailles de la Terre que gisent les éléments actifs du Grand Œuvre. C’est là qu’ils doivent d’abord être recherchés, dans le Cabinet de Réflexion pour l’initiation maçonnique. Et c’est là aussi le sens de l’Epi de Schibboleth : le grain de blé va mourir dans la terre pour renaî-tre sous la forme d’un épi, grâce au Feu et à l’Eau.Vu sous cet angle, le mot “Ephraïmite”, qui signifie fécond, trouve aussi un sens dans le récit : les Ephraïmites tués symbolisent la Mort Initiatique nécessaire pour que l’Initié se féconde et que germe l’Homme Nouveau.

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François Mar∴

« Que je sois le veilleur de tous tes horizons …Permets à mon regard plus hardi et plus vaste D’embrasser soudain l’étendue des mersFais que je suive la marche des fleuvesAfin qu’au-delà des rumeurs de leurs rivesJ’entende monter la voix silencieuse de la nuit ».

Par qui ? Quand ? Comment ce texte a-t-il été composé, écrit ? Dans quel ouvrage figure t-il ?D’une manière extrêmement paradoxale il peut paraître d’une très grande banalité et en même temps d’une très grande profondeur et d’une étrange beauté !Les mots de cette invocation que je dois méditer ce soir, auraient pu tout aussi bien, ont pu tout aussi bien, être déclamés par un chaman au fond de la toundra gelée, au pied des montagnes yakoutes, au bord des grands fleuves qui dévalent dans le continent nord sibérien, récités par un moine bouddhiste entre le Yang-tsé et le fleuve jaune, par un amérindien, ou encore par un poète inspiré, en Europe, ou partout ailleurs.C’est dire leur caractère universel, qui leur donne beauté, force et sagesse, nous verrons qu’il s’agit bien de cela.À l’instar, si je peux dire, des trois piliers, ce qui nous permettra de découvrir leurs trois premiers sens, avant de poursuivre et d’entrevoir le quatrième sens, le sens secret, la colonne invisible qui est en chacun d’entre nous. Plus loin, non seulement nous ne savons pas qui est l’auteur de ces « versets », mais nous ne savons même pas, à qui il s’adresse ! « Que je sois le veilleur de tous tes horizons…Permets à mon regard … Fais que … »À qui s’adresse la déclamation, la supplique, la prière ? Plusieurs adresses sont possibles et nous pourrons en les découvrant changer nous-mêmes nos horizons, em-brasser plus de choses, avoir une vue plus pénétrante et une vision plus proche de l’essentiel. Six vers, tout sim-plement où s’inscrit l’engagement d’un être qui veut être le veilleur, ouvrir son regard sur tous les mondes, pro-gresser pour finalement se retrouver aux portes de la nuit, du mystère. Les trois premiers vers évoquent la dé-marche de l’apprenti qui veut veiller pour rester éveillé, ouvrir grand ses yeux. Les trois autres évoquent la dé-marche du compagnon qui veut s’emparer de la force, dans l’action, inspiré par la force universelle. Et aux por-tes du mystère, des grands mystères de la nuit qui commence, le maître, le maître secret va entendre en lui-même, la voix, la parole perdue qui ne peut être retrouvée et entendue qu’à l’intérieur de nous-mêmes, en nous-mêmes. Ainsi ces six vers dont on en sait de qui ils sont, où ils se trouvent, à qui ils s’adressent, sont tout simplement le support d’une méditation qui nous permet de présenter, de représenter au-delà des impréca-tions d’un chaman, des prières d’un moine bouddhiste, des prières d’un adepte de l’un des cultes qui aux quatre coins du monde permettent aux hommes de tous les horizons, de se recueillir et de communier avec le monde crée et son créateur ; plus loin encore c’est toute la démarche de notre rite universel et intemporel qui peut être évoquée à partir de ces versets. Nous sommes ce soir au second degré, que de chemin n’avons-nous pas parcou-ru depuis le soir de notre initiation, où nous avons du reconnaître que nous ne savions « ni lire, ni écrire ». Et au degré où nous travaillons ce soir, il nous a été demandé de nous intéresser à la pratique des arts libéraux. Il faut lever ici un malentendu, les sept arts libéraux ne se réduisent pas aux sciences profanes qu’ils désignent aujourd’hui encore, pour la plupart de nos contemporains. Ils accompagnent l’adepte dans toute sa démarche et à un degré qui pourrait être le “nec plus ultra” de l’initiation. Ils sont portés, hissés à une place très élevée : ce n’est pas sans raison que Dante a fait correspondre ses cieux aux sept arts libéraux. Il ne faut pas voir dans la grammaire, la dialectique, la rhétorique, les seuls éléments exotériques qui paraissent leur être attachés comme l’a rappelé René Guénon dans L’Esotérisme de Dante (p. 14) : les sciences extérieures fournissent un mode d’expression pour des vérités supérieures parce qu’elles mêmes ne sont que les symboles de quelque chose qui est d’un autre ordre. Ainsi, pour faire court, prenons par exemple l’astronomie, les mots astrologie et astrono-mie qui étaient primitivement synonymes et dont chacun, chez les grecs, désignait à la fois, ce que l’un et l’au-tre, ont ensuite désigné séparément. Nous verrons donc dans un instant comment les versets qu’il m’est donné de commenter ce soir peuvent être les supports d’une méditation astrologique. Nous verrons aussi comment la

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méthode des quatre sens que Dante a emprunté à la Kabbale peut nous éclairer, rappelez-vous : « Toutes les œuvres humaines peuvent se lire, s’entendre sous quatre sens. »Le premier, le sens littéral poétique qui désigne les choses directement à la lettre simplement : ainsi le Psaume In Exitu le verset suivant : « Le Peuple d’Israël est sorti d’Egypte », cela dit bien que le peuple d’Israël est sor-ti d’Egypte. Cela pourrait correspondre au pilier de la Beauté au simple récit poétique. Mais au 2e sens qui est moral, qui pourrait correspondre au pilier de la force : cela pourrait vouloir dire : « Que le genre humain est sorti du péché » … Puis au 3e sens, le sens philosophique qui pourrait correspondre au pilier de la sagesse : « Que chaque homme peut assurer son salut ». Enfin au 4e sens qui pourrait correspondre à la colonne invisi-ble, au sens caché, au sens secret au Sod des kabbalistes « que l’homme peut échapper au monde de la manifes-tation ».Cela bien entendu doit nous amener à méditer sur un texte avec humilité. Et comme le disait Dante « Ô hommes qui ne pouvez voir le sens de ce chant, ne le rejetez pourtant pas, mais faites attention à sa beauté qui est grande, soit pour la construction, ce qui concerne les grammairiens, soit pour l’ordre du discours, ce qui concerne les rhétoriciens, soit pour le nombre de ses parties, ce qui concerne les musiciens … ».Entrons donc dans les voies qui nous sont tracées.Au premier sens, au sens littéral, il faut déjà lire le texte, ce que ses mots, ses lettres disent « Que je sois le veilleur de tous tes horizons … ». Que je garde les yeux ouverts, que je puisse tout voir en étant au centre d’un cercle où le ciel et la terre semblent se rejoindre, observateur de la totalité de tous les horizons jusqu’où ma vue peut aller.« Permets à mon regard ». À qui le texte s’adresse t-il ? À qui appartiennent les horizons ? Qui peut améliorer mon regard ?« Permets à mon regard plus hardi et plus vaste d’embrasser soudain l’étendue des mers. Tout ce qu’il est per-mis de voir …Dans ces trois premiers vers sans rime, l’auteur, le lecteur s’adresse peut être comme pourrait le faire un cha-man ou un poète inspiré, au monde créé, au monde qui détiendrait magiquement la force de son créateur pour lui demander l’honneur et la faveur d’être le veilleur qui aurait le pouvoir d’embrasser soudain la vision absolue de tout le monde manifesté …Puis dans une deuxième partie, l’auteur ou le lecteur implore à nouveau : « Fais que je suivre la marche des fleuves ». L’observateur, le veilleur ne veut plus seulement voir comme le ferait l’apprenti, il veut aussi partici-per au mouvement, à la force universelle, il veut s’insérer dans l’action, dans le courant de la vie, comme le compagnon qui veut s’insérer dans l’oeuvre et y participer « afin qu’au-delà des rumeurs de leurs rives », il veut s’écarter des simples rumeurs, confuses, des rives et des riverains qui correspondent aux seuls éclats diffus des réalités momentanés et éphémères, insignifiantes, échos trompeurs du monde des apparences pour… « Afin qu’au-delà… j’entende monter la voix silencieuse de la nuit … ». La vie ne consiste pas à descendre des fleuves tranquilles en s’attardant pour entendre les bruits, les rumeurs qui émanent de leurs rives, mais seul compte, au bout du chemin, que l’on puisse entendre monter la voix silencieuse de la nuit. Comment ne pas évoquer le mutus latin qui désigne à la fois le terme “mot” et de manière bien étrange le terme “muet”. Ce n’est pas bien sûr l’exclamation de l’adjudant dans la chambrée : « Taisez-vous, je veux entendre le silence … ! ». Mais la voie silencieuse est peut être celle que nous devons entendre, de même la nuit, n’est pas la nuit obscure. Elle n’est obscure que pour ceux qui dorment et qui ont les yeux fermés. Et nos contemporains pour la plupart n’ont plus les « cieux en face des trous ».« Que ceux qui ont des oreilles pour entendre », que ceux là entendent ! De même ceux qui ont des yeux pour voir … peuvent commencer à changer de plan.Au deuxième sens, allégorique, pour voir, pour entendre, nous devons nous conformer à une règle, à une dis-cipline et nous verrons si je puis dire que les vers, l’invocation peuvent s’adresser à cette discipline, à cet ensei-gnement sacré, à cette démarche. La racine “Vid” nous rappelle René Guénon, dans L’Homme et son devenir selon le Vedanta a donné le mot latin Videre qui comme en grec signifie à la fois voir et comprendre, voir et savoir. C’est à quoi aspire le veilleur qui veut embrasser le plus de choses possibles, la vue est prise comme symbole de la connaissance, dont elle est l’instrument principal dans le monde sensible. Et ce symbolisme est transporté jusque dans l’ordre intellectuel pur, où la connaissance est comparée à « une vue intérieure » où on pourra entendre ce que les autres ne peuvent ni voir, ni entendre. Ainsi le cherchant, l’adepte, doit dans le Ve-danta entendu comme la discipline primordiale, voir une doctrine purement métaphysique, à la fois person-nelle et en même temps reliée au monde tout entier, permettant de s’ouvrir sur des conceptions, plus loin une

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connaissance, véritablement illimitées ; discipline traditionnelle contrastant avec les démarches scientifiques modernes qui tendent à l’inverse : à créer, à multiplier des systèmes limités, figés, qui constituent des concep-tions fermées, dont les bornes plus ou moins étroites sont naturellement déterminées par « l’horizon mental de leur auteur ». Or la métaphysique en son sens étymologique le plus pur est la connaissance de l’universel. L’action rituelle, le Karma telle qu’elle est prescrite par les vedas en son sens double, d’action sous toutes ses formes, et comme il a été dit d’action rituelle, permettra ainsi de déterminer de façon exacte le sens de toutes les écritures, celles qui sont dans les livres et celles qui sont dans le livre de la vie, le livre où sont tous les sym-boles, où tout est symbole. Et l’adepte qui aura élargi son propre horizon sera le veilleur de tous les horizons, embrassant soudain l’étendue des mers. Il est vrai que chaque école est naturellement inclinée à penser et à affirmer que son propre point de vue est le plus digne d’attention, et sans exclure les autres, doit prévaloir sur eux ; mais nous dit René Guénon (pages 21-22) pour résoudre la question en toute impartialité, il suffit d’examiner ces points de vue en eux-mêmes et de reconnaître jusqu’où s’étend l’horizon que chacun d’eux per-met d’embrasser. Suivre la force du courant (des fleuves) de la doctrine primordiale, vous savez comment j’en-tends ce terme, à savoir en un sens qui n’est pas forcément temporel. Pour que au-delà des bruits de la rive, de tous les bruits, nous entendions monter en nous la voix silencieuse, la voie intérieure. Là le chaman n’est plus avec nous ! Le chaman fait beaucoup de bruit, autour de lui, souvent on fait du bruit, avec en général, des tambours, il entre en extase, il veut sortir de lui-même, s’évader, l’adepte lui veut au contraire l’enstase, entrer en lui-même, au plus profond de la nuit qui est en lui. Loin du bruit, du rythme confus, la force qu’il recher-che n’est pas celle que recherche le chaman, le sorcier, la démarche ne vise pas la force des choses mais celle de l’esprit, l’ésotérisme n’est ni de la magie, ni de l’occultisme, même si nous n’étions pas insensibles à la beauté du premier plan évoqué pour la pratique de notre art au premier degré. La force n’est pas le but, elle est le moyen et non la fin.Au troisième sens, au sens philosophique, on pourrait concevoir que les versets, l’invocation, s’adressent à ce-lui-là même qui les prononce, à l’homme qui recherche et qui n’est pas loin d’atteindre la sagesse et qui a tout en lui-même pour y parvenir. Non pas l’homme égaré qui ne voit pas plus loin que le bout de ses vanités et de ses préjugés, mais l’homme qui a su maîtriser ses passions, celui qui suit la démarche qui consiste à prendre la mesure des choses, à rassembler en un seul regard le plus d’éléments épars possibles. La vue la plus conscien-cieuse, la plus pénétrante, la plus vaste possible, qui permet d’élargir nos horizons ; qui permet de retrouver en nous ce qu’il y a de plus essentiel. « La voie droite » qui nous permet d’aller dans le sens des choses mais pas de nous laisser dériver, qui au contraire nous permet de suivre la marche des fleuves, afin qu’au-delà des ru-meurs de leurs rives, comme l’a dit Boèce « la voie est toujours une “voie du milieu”, la Vérité est un moyen terme entre des hérésies contraires ». Au-delà des soucis de la vie et des passions qui agitent les profanes sur les rives, le sage poursuit sa voie et ayant trouvé la sérénité au sens le plus étymologique du terme, il pourra entendre en lui-même la voix silencieuse de la nuit. La nuit symbolise et signifie tellement de choses. Tacite dans ses Histoires a évoqué les anciens Germains qui vivaient dans les anciennes forêts noires qui recouvraient l’Europe Septentrionale. Les diverses tribus se rassemblaient dans des clairières, où étaient aménagés les lieux de vie et la nuit, rassemblés devant leur feu central, ces hommes évoquaient et voyaient leurs vies angoissées, éphémères, comme un instant, un court instant, volé aux forces occultes peuplant la sombre forêt environ-nante. Deux mille ans, après nous-mêmes, confrontés à l’horizon de notre conscience et de nos connaissances, nous pressentons toute l’étendue de notre ignorance. Tout ce à quoi nous ne pouvons accéder, la masse noire de notre connaissance, car l’épais mystère qui nous entoure n’est pas sans évoquer la masse noire de l’univers. Les scientifiques eux-mêmes ont longtemps disserté sur cette masse noire qui échappe à notre perception, à nos instruments de vision les plus sophistiqués ou les plus puissants, et qui pourtant influe sur notre existence et sur les forces qui régissent l’univers. Cette masse noire est aussi au fond de nous-même. Et le mystère qui exclut les certitudes et les affirmations des dogmes et des religions, nous permet non plus de voir, mais de rê-ver tout éveillés, au-delà de la physique, il y a la métaphysique au sens étymologique toujours qui est son sens le plus traditionnel. Et rappelle toujours René Guénon dans L’Homme et son devenir selon le Vedanta : « Or si l’ontologie ou la connaissance de l’Être relève bien de la métaphysique, elle est loin d’être la métaphysique complète et totale, car l’Être n’est point le non manifesté en soi, mais seulement le principe de la manifesta-tion, et par suite ce qui est au-delà de l’être importe beaucoup plus encore métaphysiquement que l’Être lui-même ». Mais ce qui est au-delà de l’être est en lui, et cela nous éclaire et nous permet d’entrevoir le 4e sens, celui qui correspond à la colonne invisible qui est en nous.

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Le quatrième sens : la voie silencieuse qui est en nous. Je dois ici vous faire une confidence. Lorsque j’ai termi-né mon travail du mois d’octobre dernier, j’ai décidé, je ne vous surprendrai pas, de me reposer, mais j’ai voulu entrevoir le sujet de mon travail de ce soir, même s’il n’était pas urgent que je le fasse, par simple curiosité et il m’a semblé “à première vue” si je peux dire que le sujet de ce soir s’inscrivait bien dans la continuité du premier : sur la mémoire et l’oubli, la mémoire discipline du salut … Ce premier travail qui pourrait paraître très éloi-gné de celui de ce soir, en réalité m’avait ouvert des horizons … Je m’explique : il y a un instant, j’ai évoqué le chaman qui aurait pu prononcer les vers de ce soir. Nous avons vu, dans les parties qui ont précédé, comment le chaman essaye de prendre des forces, des pouvoirs magiques. Comment il arrive à quitter son corps, à sortir de lui-même, démarche inverse de la nôtre. De fait notre chaman essaye, au besoin en se droguant de toute sorte de manières, de devenir un être “surdimensionné”. Attention je dis bien “surdimensionné”. Pour nous, qui sommes initiés au R∴E∴A∴A∴, il ne s’agit pas du tout de cela. Comme dans la voie du Vedanta nous de-vons distinguer les deux plans : le point de vue de la substance, de l’existence, de la manifestation, et le plan de l’essence ; le plan cosmologique et le plan métaphysique. Nous ne rêvons pas d’être des êtres surdimensionnés, nous essayons d’entrevoir, car notre conditionnement dans le temps et dans l’espace nous en empêche et recouvre nos yeux d’un voile épais, nous essayons non pas d’imaginer mais de concevoir : l’inconditionné, l’indifférencié où il n’y a plus de dimensions.L’autre monde qui comme le dit Ananda Coomaraswamy « peut être situé au-delà des mers, vers l’Occident, où sous les flots, ou encore dans le ciel » (in La Porte du Ciel page 225) ou en nous-même dans l’éternité – hors du temps donc sans commencement, ni fin. Mais également en dehors de tout conditionnement spatial, ce qui peut être encore plus difficile à imaginer que pour le temps, car nous avons moins l’habitude de cette démarche. « Au commencement le ciel et la Terre étaient unis … ». Ils furent divisés par l’acte de création. L’initiation est une recréation par laquelle l’adepte peut remonter à sa patrie d’origine, d’avant le temps au-delà du proche et du lointain. Et nos versets cette fois-ci s’adressent à l’autre, au « Grand Autre ».

Voilà tout ce qui peut être dit et bien d’autres choses encore, mais nous touchons ici au mystère le plus épais, là où il nous faut entendre la voix silencieuse qui monte en chacun de nous, incommunicable. Il appartient à chacun d’entre vous d’entendre la voix qui est en vous, que vous seuls pouvez entendre, la voix silencieuse de la nuit. Dans le cabinet de réflexion souvenez-vous, il y avait un coq et je citais il y a un instant Ananda Cooma-raswamy : le coq est un symbole chrétien, païen, universel et éternel, il est un oiseau solaire. Il chante au lever du soleil, sa patrie d’origine est l’Inde et nous dit AK : « l’Anguttara Nikâya » I 188 parle du chant du coq du Bouddha, le Bouddha lui-même est “l’Eveil” et en effet, il s’est éveillé à l’aube et le propre de son enseignement est d’éveiller les autres, ceux qui peuvent l’être. Ceux qui le veulent.Plus loin au R∴E∴A∴A∴ après avoir travaillé de Midi à Minuit les adeptes qui travaillent au plus haut degré veillent sur tous les horizons «à l’heure où la nuit commence » et ils descendent de leur poste de guet situé sur une échelle « à l’heure où les étoiles pâlissent et l’horizon blanchit » … Peu avant ce grade a été célébré celui de chevalier du soleil. Le soleil, le coq, si vous me le permettez je vais pour terminer vous parler de la course du soleil dans le zodiaque, pour mieux vous parler de l’homme et de l’univers, car l’homme est le « so-leil secret de l’univers ».Lorsque la lumière paraît, le soleil a franchi l’horizon. Je reviens à mon “poème de ce soir” il est composé de six vers qui représentent tous des étapes, des stades, des stations de la marche du soleil, qui représentent les six axes du zodiaque qui est la roue de la vie en tous ses aspects manifestés et principiels.« Que je sois le veilleur de tous tes horizons » …Nous sommes au bélier, le soleil au point vernal de l’année a franchi l’écliptique qui est l’horizon du Cosmos, le commencement, en tête de la manifestation le Bélier est en tête de tous les autres signes. Le signe est un si-gne de feu cardinal tout en jaillissement, en impulsion, en force, que je sois … “Bille en tête”, bélier en tête sui-vant la mélothésie où les parties du corps correspondent aux signes du zodiaque. Le bélier a comme signe complémentaire la Balance. Je dois rappeler ici que selon Enel, l’axe Bélier Balance, le couple Bélier Balance, est un des grands mystères de la doctrine Egyptienne. Il ajoute que la kabbale hébraïque dit du moment qui précédé la création, que cela fut lorsque la Balance était dans l’ancien des jours, l’Essence, le principe précé-dant la manifestation. Le Bélier est le signe du jaillissement de la lumière qui permet la vision. À l’opposé di-sons plutôt en complémentarité : la Balance signe d’équilibre, où les jours sont égaux aux nuits, permit la re-montée de la manifestation à l’essence, mais il faut aller vite.

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En Taureau : « Permets à mon regard plus hardi et plus vaste ». Le Taureau, Apis, le Taureau de Mithra sym-bolisent la force. En sanscrit le mot qui désigne le Taureau signifie la puissance. Pour Marcelle Senard dans son ouvrage de référence Le zodiaque clef de l’ontologie appliqué à la psychologie « Ce terme doit être entendu non seulement dans le sens de force mais aussi de potentialité infinie ». Mon regard plus hardi et plus vaste, la tête bien sur les épaules ; en mélothésie, le Taureau correspond au cou. Le Taureau signe fixe est signe de cul-mination. Nous savons que sur ce deuxième axe au Scorpion la vision est assimilée à la pénétration dans l’in-conscient ténébreux de la lumière, d’un état de conscience supérieur. Il n’y a pas qu’un lien homophonique entre le Tauros grec et latin, le cou et la Tour, Torra, au-delà d’un simple tour de cou, la Tour de Contrôle, la Tour de guet, la Tour des veilleurs.Les gémeaux « d’embrasser soudain l’étendue des mers » vous connaissez l’énergie fluide, mutable, mobile des gémeaux. Il y a un rapport entre les gémeaux, le sagittaire qui est le signe complémentaire, avec les chevaux et la mer. Au-delà de l’intuition du poète, rappelez-vous le poème Comme à Ostende d’Aragon chanté par Léo Ferré : « On voyait les chevaux de la mer venant fracasser leur crinière au bord du casino désert … ».Les Gémeaux étaient les Dioscures symbolisant la nature humaine qui est double, l’un était divin et immortel, l’autre mortel, et Poséïdon (Neptune), Dieu des océans, leur donna la maîtrise sur les vents et les marées. Le pouvoir d’embrasser soudain l’étendue des mers. Les gémeaux ont pour planète reine : le soleil, Apollon le Dieu de la lumière. Le zodiaque nous l’avons dit c’est le soleil dans tous ses états. La vision qui a pour agent la lumière solaire où toute autre lumière issue de cette dernière a son parallèle dans la vision intérieure. C’est dans le Temple d’Apollon à Delphes, sur son fronton précisément, qu’il était rappelé que c’est en soi même que réside le principe de la lumière dans son ciel intérieur, dans sa mer intérieure.Au Sagittaire se fera la remontée vers le principe de toute lumière. Le Sagittaire est le 9e signe, il entretient avec le signe 3, dont il est la puissance, une relation très intime et induit toutes les potentialités de grandeur et de multiplication.Au Cancer « Fais que je suive la marche des fleuves ». Le signe du cancer commençait dans l’Egypte ancienne lors du passage de Sirius au zénith et lors de la grande crue du Nil. Le cancer est le signe de l’eau cardinale jaillissante. « Que je suive la marche des fleuves », le cancer est le signe du solstice d’Eté qui correspond à la porte des hommes, le Daleth, le Delta qui signifie le passage. De même le Scarabée qui sous l’Egypte ancienne était assimilé au cancer, symbolisait la force vitale, régénératrice, par laquelle le principe de vie opère ses trans-formations, passant de la manifestation sensible, la naissance, à l’autre porte qui est résurrection et la porte du retour à l’essence. En effet le signe complémentaire, le Capricorne, correspond à la porte des Dieux. L’adepte a suivi la marche des fleuves, car les fleuves, dans le cycle de la manifestation, au moment même où ils disparais-sent à leur embouchure, renaissent aussitôt à leur source. L’âme humaine après son voyage de descente sortira peut être du cycle, à la porte des Dieux au grand delta elle va entrer dans l’océan de l’indifférencié, le “Nirvana” qui n’est pas une mort mais une renaissance à autre chose.Au Lion Verseau « afin qu’au-delà des rumeurs de leurs rives ». L’axe est bruyant, le Lion est souvent en fu-reur. Bouddha lui-même a rugi comme un lion. Le Verseau est représenté par deux ondes horizontales. Il est le signe des ondes, du son. Les rumeurs de leurs rives, le Lion c’est l’homme animal ; humain ou supra humain, courageux et noble, mais aussi vaniteux, orgueilleux, violent. Les profanes sur leurs rives se livrent à des com-bats sans merci, le lion signe solaire, est aussi sous l’emprise de Mars la planète guerrière. Le Lion rappelez-vous était l’une des bêtes mythiques symbolisant le roi de France Philippe le Bel, que Dante évoque au chant I de l’Enfer et qui pouvait empêcher le poète de suivre « la voie droite ». « La voie droite » c’est le courant entre les deux rives et leurs rumeurs confuses : la voie droite c’est le chemin de l’initié qui en Verseau trouve sa réalisation car le signe symbolise l’éclosion de la supra conscience sous le mode de l’illumination. La vision qui rassemble tout ce qui est épars “l’un conscient collectif ”. J’écris l’“un” conscient : l’universel, universus. Héra-clite l’énonçait il y a bien longtemps : « Bien que le logos soit commun à tous, la plupart des hommes font comme s’ils avaient une pensée particulière ».Au signe de la Vierge enfin j’entendrais monter la voix silencieuse de la nuit. Comme il a été rappelé un soir ici, on ne va pas d’un seul coup à la lumière, on y va par le chemin de l’obscurité … Il me semble que c’est un compagnon qui nous l’avait rappelé, un marin.L’axe Vierge Poisson est celui qui nous permettra de conclure. La Vierge en Egypte c’était Isis : la déesse de la nuit, la mère, la sœur et l’épouse d’Osiris. Elle fut aussi Déméter la grande Déesse mère : la Déa Materia. L’im-portance du signe sur le cercle du zodiaque se déduit de sa place en son point le plus bas, à 6 heures du cercle ; il symbolise la fin de la phase de descente du cycle involutif au moment qui précédera la remontée, qui symbo-

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lisera la remontée des âmes. J’avais l’an dernier fait un travail sur le chiffre 7 qui correspond à la conclusion au début d’un autre cycle. La sortie semble se faire par le bas. Mais « ce qui est en bas est comme ce qui est en haut », rappelez-vous l’an dernier aussi je vous avais proposé de considérer que cette phrase pouvait avoir plu-sieurs sens et même signifier qu’il n’y avait ni en haut, ni en bas. Nous sommes toujours conditionnés. Il faut que nous sortions du cercle vicieux des apparences et de la manifestation, et de son conditionnement spatio-temporel. Rappelez-vous la phrase de la Torah : « Celui qui s’embarrasse de quatre choses : ce qui est en haut, ce qui est en bas, ce qui est avant, ce qui est après, mieux vaudrait qu’il ne soit jamais né ». Ce qui équivaut à dire qu’il n’est jamais né à la connaissance.Le signe complémentaire de la Vierge est le Poisson. Or les poissons sont doubles : l’un descend c’est celui qui termine le cycle, l’autre remonte, c’est celui qui amorce un autre cycle, sur un autre plan. Le poisson est le sym-bole que les premiers chrétiens avaient choisi pour représenter le fils. En Hébreu, semble t-il Noun veut dire à la fois Poisson et fils. On a ajouté après Ictus, Iésus etc … ce qui veut dire Poisson en latin.Si nous voulons changer de plan symboliquement évoquons si vous le voulez bien pour conclure deux repré-sentations. La première que j’emprunterai au zodiaque dit du second Hermès, zodiaque Egyptien qui à la mai-son des Poissons fait correspondre une figure humaine à queue de poisson qui tient dans sa main gauche un petite homme minuscule que l’on peut assimiler à l’homonculus des alchimistes. L’Homme à la queue de pois-son peut être assimilé à Ohanes, l’initiateur de la Tradition Primordiale qui dans les anciennes représentations Mésopotamiennes avait aussi une tête de poisson évoquant la mitre d’un Evêque. Or tenez-vous bien ce per-sonnage, qui tient dans sa main gauche le petit homme, tient dans sa main droite une équerre ! Cette image vieille de plusieurs milliers d’années évoque ainsi l’image du second surveillant initiant l’apprenti qui à son tour deviendra un maître comme le deuxième poisson du cycle qui ouvre un autre plan.Nous aussi nous devons pour éviter que tout ne finisse en queue de poisson, ouvrir avec un deuxième poisson un nouveau cycle.Et enfin deuxième et dernière représentation que j’ai trouvée dans l’ouvrage précité de Marcelle Senard, et qui me permet de conclure à nouveau, et je vous rassure pour la dernière fois, mais écoutez bien : « Le désir de possession ou de jouissance de l’entité humaine n’est pas assouvi par les conquêtes matérielles, elle commence à aspirer à autre chose. Il faut qu’avec la vierge, elle s’agenouille « au pied de la croix, Espace-Temps matière », et comprenne le sens de son « Incarnation ».

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Conclusion du F∴ Orat∴

Ce soir, l’instruction au second degré et les propos du 1er Surveillant nous ont préparé à un grand et beau voyage. Car avec eux et François ensuite, nous avons commencé par descendre des fleuves impassibles, comme une croisière sur le Nil, en une contrée solaire aux berges limoneuses couvertes de champs de blé.Puis, abordant le delta et la mer, et de plus en plus loin jusqu’aux abysses même, notre bateau a goûté de gran-des ivresses. Et qui, ce soir, n’aura pas été cloué au poteau de couleurs par les éclats de cette méditation et la volée d’interventions qui s’ensuivit.Allégorie, poésie, deuxième station vers la Réalité Voilée, cette tenue de Compagnons aura eu, et Georges l’a également exprimé, comme des fulgurances rimbaldiennes.

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7 AVRIL 2009 Travaux au 2nd degré symbolique

Luc Pou∴

Ce que nous allons entreprendre ensemble c’est une expédition, un voyage de dé-couverte dans les recoins les plus secrets de notre conscience. Et pour une telle aventure, nous devons partir léger, nous ne pouvons pas nous encombrer d’opi-nions, de préjugés, de conclusions […] oubliez tout ce que savez à votre propre su-jet ; oubliez tout ce que vous avez pensé de vous-mêmes, nous allons partir comme si nous ne savions rien.

Voilà le sujet sur lequel vous m’avez demandé de réfléchir.Je dois tout d’abord vous faire part de ma joie, lorsque vous me proposez une expédition, un voyage de décou-verte. Je dois vous confier que ce type de voyage me délecte. Ainsi j’ai pu rencontrer Homère, et l’écouter par-ler de l’Iliade et l’Odyssée. À ses côtés j’ai compris toute l’importance de son œuvre et tout l’attachement qu’y apportaient ses contemporains.J’ai rencontré Pythagore et visité son école de Crotone.J’ai connu Parménide le phocéen et Zénon son disciple.J’ai vu Platon, un temps opposé à Massalia.J’ai suivi Pythéas, le célèbre voyageur et savant marseillais.Quant à Jamblique, il m’a parlé de la régénération des Âmes.Je pratique depuis si longtemps ce type de voyage que la liste se trouverait trop longue et trop lassante si je devais en faire une lecture exhaustive. Mais aujourd’hui, la destination de l’expédition que vous me proposez, pourrait s’avouer au premier abord, plus que surprenante, et même impossible : explorer ensemble les recoins les plus secrets de notre conscience, partir comme si je ne savais rien. Je pourrais me poser de multiples ques-tions. Notamment, comment s’organiser, se préparer pour visiter les recoins les plus secrets de nos consciences ? Mais je n’ai plus à répondre à ces questions car ce voyage nous l’avons déjà commencé. Il s’est ébauché lorsque notre Frère Philippe Barrau m’a proposé de le suivre chez Les Eternels Apprentis à l’Orient de Berre. Et il a réellement débuté lorsque notre Frère Christian Gardet m’a parrainé pour frapper en profane à la porte du Temple. Aucun d’entre eux ne m’avait prévenu de ce qu’ils me faisaient entreprendre, et je dois reconnaître que j’ai subi le passage sous le bandeau et l’initiation comme d’énormes turbulences. À cette époque mon épouse et mère de mes enfants venait juste de décéder et le monde profane semblait s’écrouler tout autour de moi. Je me trouvais au coeur d’un terrible séisme et le temple m’était apparu comme sortant des entrailles de la terre. Pourquoi tant d’événements d’un seul coup et pour un seul homme ? Je dirais même pour un homme seul ? Lorsque je m’échouais enfin sur les colonnes du Septentrion la tourmente sembla se calmer. Je ne savais plus rien. Je ne pensais plus. Eberlué, j’observais ce monde inconnu qui m’entourait. Il vivait d’une façon totale-ment étrange. Je n’existais plus sous la forme corporelle. Qui étais-je ? Une sorte d’âme égarée ayant trouvé refuge au Septentrion ? Dans la pénombre j’encaissais enfin les coups et les contrecoups d’un parcours qui peu à peu se montrait beaucoup moins chaotique. Rapidement le Septentrion devint pour moi une sorte de pro-naos. Un lieu où je me sentais à l’abri de tout, y compris de la lumière. Mais en ce lieu si paisible le sommeil tentait sans cesse de s’emparer de mon corps. Je luttais désespérément contre lui. Quelques fois je fermais les yeux, sans pour autant lui succomber. Je réalisais alors que ma conscience se sentait menacée. Elle réagissait, se débattait. Mais je me devais de vaincre, de me dominer, car contrairement à elle je ne ressentais aucune me-nace. Je souhaitais qu’elle se livre. Je voulais comprendre ce qu’il m’arrivait, savoir qui j’étais ! Abandonner ce combat qu’elle engageait contre moi aurait mis un terme à ce voyage qui, à peine commencé, m’aspirait puis-samment vers l’avant, mais de ma place, j’observais les Maîtres et les Compagnons ; vainement j’essayais de les comprendre et de les suivre. Mais après quelques tenues j’admis enfin que dans ma situation je ne pouvais que

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subir ! Je réalisais soudain qu’explorer sa conscience consistait à se découvrir soi même. Cette expérience cons-tituait vraisemblablement un parcours laborieux et certainement interminable. Fort de tout cela, je m’apaisais et commençais à profiter pleinement de cette fantastique aventure.Peu à peu non seulement je me découvrais, mais en plus j’apprenais à connaître mes compagnons de voyage. Lorsque je pris enfin totalement conscience de cette situation, il me sembla soudainement que nous progres-sions en formant une colonne. En tant qu’Apprenti je constituais l’élément de queue. Les Maîtres marchaient en tête, ils ouvraient la voie ; cependant ils me perturbaient sans cesse avec leurs travaux. Au fil des tenues les différences entre les frères me semblaient de plus en plus importantes. Alors que jusque là notre progression me donnait l’impression de former une colonne, petit à petit ces différences écartaient les individus de la co-lonne mère, formant deux colonnes supplémentaires. Bien que toujours au Septentrion, j’avais changé, j’éprouvais désormais le profond besoin de parler, de participer activement, la pénombre ne me convenait plus, je désirais ardemment profiter pleinement de la Lumière. L’impatience qui me dévorait faisait grandir en moi une autre vision du travail en loge. À mes yeux les différences de chacun ne cessaient de croître, elles avaient pris de telles proportions que désormais nous semblions progresser sur trois rangs ; les Maîtres se trouvaient toujours devant, suivis du rang des Compagnons et enfin de celui des Apprentis. Fort heureusement pour moi les Maîtres ne tardèrent pas à m’extirper du rang des Apprentis pour me positionner sur celui des Compa-gnons. Le voyage se poursuivait et tout semblait arriver au moment opportun. Sans perdre un instant je profi-tais du don de la parole que me conférait ma nouvelle place pour communiquer à tous mes frères mes impres-sions et mes sensations. J’évoquais mes inquiétudes, mais les réponses de mes frères m’apportaient encore plus d’interrogations. À ce stade du voyage, je constatai un total changement de mes centres d’intérêts. Alors que je me croyais hermétique aux philosophes et à l’ésotérisme, j’en étais devenu admiratif et même avide. Je me trouvais seulement au début du voyage, et je venais de passer du rejet à la demande sans avoir connu les phases intermédiaires. Et, chose extraordinaire, je me sentais plus à l’aise, plus en osmose avec moi-même. Siégeant au midi, je ne connaissais plus ces moments où je luttais contre le sommeil, et ma conscience acceptant de me laisser cheminer, je m’écartais de ma route pour aller visiter d’autres loges et d’autres obédiences. À chaque déplacement le lieu me paraissait familier. Je me sentais comme chez moi ! Tout naturellement je participais aux travaux en apportant ma pierre à l’édifice. Bien que l’on travaillât avec ardeur et vigueur il me semblait toujours qu’il manquait l’étoile flamboyante. En fait, je ressentais cruellement l’absence de mes frères de Re-gius et leur façon de voyager.Un jour, alors que j’étais en visite avec mes Frères de l’atelier, mon voyage prit subitement une autre dimen-sion. Ecoutant une planche sur la géométrie sacrée et le symbolisme, et intervenant pour témoigner de mon regret concernant le fait que le Frère conférencier s’était contenté de parler seulement du christianisme alors que le sujet dépassait l’univers de Jésus Christ, à ma plus grande stupéfaction, la réponse de celui ci m’interlo-qua. Il s’excusait presque en me précisant qu’étant né dans une famille chrétienne, de culture chrétienne, et d’éducation chrétienne, il ne connaissait rien d’autre et ne pouvait donc pas parler d’autre chose : je compre-nais enfin, pourquoi vous m’aviez demandé d’entreprendre ensemble cette expédition, ce voyage de décou-verte, partir léger, sans m’encombrer d’opinions, de préjugés, de conclusions, en oubliant tout ce que nous sa-vions à notre propre sujet, tout ce que nous avions pensé de nous même, partir comme si nous ne savions rien. Vous m’avez rappelé, à un moment très perturbé de mon parcours, les principes fondamentaux, indispensables pour l’ouverture d’esprit, pour profiter pleinement de toute la richesse de notre voyage et pour nous garantir de toujours retrouver le vrai chemin. Ces principes qui font que l’on se sent chez soi partout où se trouvent ceux qui les appliquent et qui nous font voir le monde autrement. Une autre fois, en visite au Grand Orient de France à l’Orient de Marseille, alors que je me trouvais dans la salle humide, un frère s’intéressa à mon âge ma-çonnique et me dit que lui, bien que paraissant beaucoup plus âgé, il n’avait que 33 ans et qu’il poursuivait toujours son voyage. Cette anecdote a suffi pour me faire comprendre, que devenir Maître ne constituait qu’une étape parmi tant d’autres dans ce voyage, qu’il ne fallait surtout pas interrompre.Désormais, de retour dans notre loge, je perçois notre progression sous une autre forme.Certes les Apprentis et les Compagnons évoluent toujours en rangs, mais les Maîtres me semblent éparpillés. Tels des abeilles, ils recherchent et butinent les fleurs du savoir pour nourrir de leurs travaux les Apprentis et les Compagnons qui peu à peu se restructurent.Mais à ce jour j’ai l’impression d’être arrivé devant une porte fermée. De l’autre côté se trouvent les abeilles de Regius. J’éprouve malgré moi l’insoutenable désir de les rejoindre.

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Derrière moi le tumulte gronde. Il cherche à m’égarer, faire en sorte que je me retourne. Mais la terrible expé-rience de Perséphone raisonne dans ma tête. Je refuse de me retourner, car regarder le chemin parcouru équi-vaudrait à se souvenir, rompre avec les conditions essentielles à la réussite de notre voyage. Je ne veux plus re-tourner vers les tourments.

Maintenant, j’éprouve le besoin de poursuivre ce voyage et j’ai bien compris que visiter sa conscience ne peut être qu’un voyage sans fin car cette harmonie avec soi même qui accompagne la démarche ne peut être trouvée nulle part ailleurs. Aujourd’hui je sens une nouvelle fois qu’il va se produire un événement d’importance, et je l’attends serein, car je sais désormais que je peux vouer une confiance aveugle aux Maîtres de Regius. Ils savent faire en sorte, que tout arrive au moment opportun !

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Conclusion du F∴ Orat∴

Une audition sous le bandeau est toujours ressentie comme un moment fort de la vie d’une Loge et je repense à ce que notre F∴ Visiteur Pierre évoquait tout à l’heure sur les parvis, à savoir que nous sommes déjà là dans le processus initiatique, phase critique, moment alchimique délicat. Bien au-delà de l’émotionnel, de la morale, de l’humanisme, de la culture, il se joue là, dans des plans subtils, une étape cruciale tant pour le profane que pour l’Atelier.En tout cas, à ce niveau de réalité, c’est d’une réussite ou d’un échec individuel et collectif dont il s’agit concer-nant le voyage initiatique et c’est ce qu’a ensuite illustré et développé dans son travail notre F∴ Compagnon Luc.Le profane entendu ce soir soupçonne que sa passion de remonter vers les sources a probablement une signifi-cation plus profonde, notre F∴ Compagnon a compris que les sources sont à l’intérieur de notre être et qu’il nous faut sans cesse remonter par différents états de conscience vers l’Homme Primordial, vers le Jardin d’Eden.

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21 Avril 2009

Nicolas Per∴

L’ Humanité est la question à laquelle chaque être humain est la réponse.

L’humanité, un sujet de réflexion qui me parait si vaste, comment un apprenti de surcroît novice va t-il pou-voir aborder ce thème ? Pour être honnête avec moi et donc vis à vis de vous je vais livrer mes impressions et mes réflexions les plus intimes et chercher au fond de moi la matière à ce sujet.L’humanité est en interaction directe avec chaque être humain puisqu’il en fait partie et l’influence de par son action de vie. Le parallèle est établi avec le contenu et le contenant en effet l’être humain est un maillon de la chaîne ou une pierre plus ou moins bien taillée de ce temple qui symbolise l’humanité. La dualité de cette question me force à m’interroger sur moi, la question de soi est au centre du débat. Pardonnez-moi mais les réponses se transforment en question et je continu ma descente. L’humanité est un cheval de bataille pour la Franc-maçonnerie qui encourage son amélioration et œuvre à son progrès. Si la ligne conductrice est telle alors les hommes qui la forment et défendent ces valeurs se doivent de s’appliquer ces mêmes principes. Nous de-vons nous élever spirituellement, intellectuellement pour tendre vers la perfection. On peut alors dire que la multitude de ces consciences individuelles qui s’entrechoquent et s’accouplent donne naissance à un courant d’idées, une perspective d’avenir meilleure avec le désir de laisser une trace positive de son passage. Car en dé-finitive que sommes nous ? Que voulons-nous laisser de cette étincelle de vie au niveau de l’univers ? Quelles transmissions pour les générations futures ?J’essaye d’être utile pour moi et donc pour l’humanité car la flamme qui m’anime me pousse vers un optimisme peut être utopique, je vous l’accorde, qui consiste à croire en un humain bon, en tout cas la masse des bonnes consciences serait supérieure aux forces négatives. Encore une fois une opposition entre le noir et le blanc le Yin et le Yang. La certitude ne fait pas partie du vocabulaire du Franc-maçon bien au contraire comme l’hu-manité il y a une perpétuelle remise en question. Suis- je sur la bonne voie ? Y a t-il une bonne voie ou plu-sieurs ? L’humanité parfaite pourrait elle exister ? Quelle civilisation n’a pas décliné ou périclité ? Aucune. Les jours que nous vivons démontrent bien que le doute et l’incertitude sont de rigueur. L’histoire est là pour nous graduer ces différents cycles de l’humanité et malheureusement les faits nous révèlent que le destin d’un homme peut faire basculer le monde. Les noms de Hitler et Staline marquent cette noirceur humaine qui a conduit à des temps de tragédie humaine. Le fil à plomb marque la verticalité, la direction pour construire un édifice droit, cette théorie appliquée à l’humanité nous donne un point de départ zéro et un sommet à attein-dre mais la carte, la voie n’est pas tracée, c’est à nous humains de travailler, oui de travailler à son élaboration, à sa construction la plus droite possible pour laisser un monde meilleur que ce que nous l’avons trouvé.Cette fin de vie profane que l’on appelle la mort marque notre passage par la construction du temple humain et de notre propre temple intérieur. Si cette pierre a bien été taillée alors elle s’imbriquera parfaitement avec les autres et les fondations seront solides pour supporter les élévations futures.Vous connaissez ma situation familiale et le bonheur que je vis actuellement avec l’arrivée de mon deuxième fils Arthur et bien la prise de conscience est amplifiée depuis mon entrée en Franc-maçonnerie car les nouvel-les générations jugerons de notre travail c’est pour eux que je souhaite laisser une image positive, l’éducation qu‘ils recevront influencera leur vie et peut être la Vie.Alors oui l’humanité qui est notre socle commun dessiné par les choix et les actes de chacun de nous.

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Michel Isn∴

Il est facile de discourir sur la doctrine ou d’écouter disserter à son propos ; il est bien plus difficile de la mettre en pratique. Pourtant sauf à pratiquer assidûment les enseignements, il n’existe pas d’autre moyen d’obtenir de bons résultats. Si la cause se résume à une explication verbale, l’effet ne peut guère aller plus loin. Quand on a faim, la simple description d’un mets savoureux ne saurait suffire à nous rassasier.

Doctrine, enseignement : à première vue, notre démarche ne s’inscrit pas dans une logique d’enseignement, et encore moins de doctrine, au sens où la doctrine est un ensemble de notions que l’on affirme comme étant vraies. Bien sûr, lors de notre initiation, des mots, signes et attouchements nous ont été indiqués, dans une phase dite “d’instruction”. Mais il s’agit d’outils, de clés, qui nous sont proposés comme guides possibles. Car, loin de constituer un enseignement en tant que tel, ils recouvrent en eux-mêmes une vie symbolique. Pour autant, les quelques lignes de ce sujet renvoient à l’essence même de notre démarche et de ce que nous cherchons à obtenir toujours, dans la difficulté et le doute, dans un équilibre à trouver, par le travail et la re-mise en question permanente. Car opposer discourir et mettre en pratique, c’est renvoyer à trois notions qui sont l’axe de notre chemin : engagement, éthique et action. C’est par là même nous conduire à mieux appré-hender le symbolisme, en tant que lien et potentiel d’action.Opposer discourir et mettre en pratique, c’est tout d’abord nous rappeler que nous sommes par essence enga-gés. Le premier engagement de l’homme est d’ailleurs sa naissance : on parle de nourrisson bien ou mal engagé lors d’un accouchement. Et cet engagement fondateur est subi et violent. Le nourrisson qui était au chaud, bien nourri, se voit expulsé. Il doit commencer à lutter pour vivre, à échanger avec l’extérieur. Dès le début, pour nous, l’engagement est donc à la fois une épreuve et la condition nécessaire à notre existence. Pour l’être humain compris comme “être au monde”, l’engagement constitue alors sa manière d’“être”, d’exister, réellement et en toute conscience. Nous sommes situés, impliqués, dans un contexte social et culturel, un environnement particulier, une période historique. La conduite que nous choisissons de suivre est déterminée par la prise de conscience de ce que nous sommes, de nos convictions et de nos valeurs, elles-mêmes forgées par notre his-toire et nos expériences. C’est cette conscience qui nous permet de prendre position. Face à une situation donnée, si nous adoptons une attitude d’engagement, nous “prenons” cette situation sur nous, nous nous sen-tons et déclarons concernés par elle. Nous l’assumons. En adoptant cette attitude, c’est-à-dire en “étant” réel-lement, en “nous engageant dans notre vie”, nous tenons notre place dans notre environnement et nous faisons des choix, qui constituent notre liberté. Cette manière d’être peut demander aussi, parfois, que l’on paie véri-tablement de sa personne. Comme dans le vocabulaire guerrier, quand on parle “d’engager une guerre”, un combat. De la même manière que la description d’un plat ne rassasie pas un homme affamé, une pensée hu-maniste non appliquée n’est rien et n’a aucun effet sur la vie. Je pense ici à une citation, que certains d’entre vous connaissent sans doute mais que j’ai lue il y a peu de temps et qui m’a marquée. Ce sont les mots d’un pasteur allemand, Martin Niemöller, qui a été interné de 1938 à 1945 : « Lorsque les nazis vinrent chercher les communistes,Je me suis tu : je n’étais pas communiste.Lorsqu’ils ont enfermé les sociaux démocrates,Je me suis tu : je n’étais pas social démocrate.Lorsqu’ils sont venus chercher les juifs,Je me suis tu : je n’étais pas juif.Lorsqu’ils ont cherché les catholiques,Je me suis tu : je n’étais pas catholique.Lorsqu’ils sont venus me chercher,Il n’y avait plus personne pour protester. »

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Ainsi, l’engagement n’a de sens dans l’action que s’il résulte d’un choix que nous faisons, consciemment, d’alié-ner une partie de notre liberté au nom d’une autre forme de liberté, qui la dépasse. L’éthique est alors ce qui nous guide, le garde fou qui garantira que l’engagement ne nous mènera pas jusqu’à des conduites liberticides, des combats fanatiques. Mais pourquoi agir ? Autrefois, l’éthique était dominée par le concept de vertu, et l’homme bon était simple-ment celui qui comprenait les harmonies et les équilibres de la nature. Aujourd’hui, nous ne savons même plus où se trouve le progrès, alors au nom de quoi, et comment agir ? Individuelle et évolutive, l’éthique est à la fois une “référence”, un repère, mais aussi un perpétuel questionnement. Sur les traces du penseur Hans Jonas, il me semble que l’éthique émerge dans la conscience des hommes quand ils se sentent à la fois responsables de la permanence et de la qualité autant de leur propre espèce que de toute vie sur terre. Car la relativité scientifi-que, l’incertitude, ont modifié notre manière d’être et de nous engager. Désormais, loin de nous renvoyer à un bien absolu, il s’agit avant tout de prendre conscience réellement de soi et de l’autre, à la responsabilité vis-à-vis de cet autre et au devoir de l’écouter. L’éthique est donc une praxis, une pratique. Je suis libre de faire ou ne pas faire, mais c’est par la praxis, c'est-à-dire en faisant ce que je dois, conformément à un jugement conscient et juste, que je me construis en homme libre. Et cette construction s’élabore sur mes engagements. Chaque enga-gement, en tant qu’acte, est une pierre à l’édifice, qui m’élève et me transforme. Car il me conduit à modifier mon rapport au monde et aux autres, sur trois points essentiels : il m’implique, me rend responsable, et enfin transforme mon rapport à l’avenir. Dans notre monde du jetable et de l’obsolète, dans notre monde sans passé, où l’on ne parle que du futur et des innovations, l’engagement permet de s’appuyer sur une histoire et d’agir en toute conscience, au lieu de réagir. En cela, il me semble qu’il est une notion centrale et charnière, qui permet de relier l’éthique et l’action, mais aussi le discours et la pratique. L’engagement nous relie au monde tout en nous construisant libres. Il relie le limité à l’illimité, le fini à l’infini. Ma condition d’homme m’impose de ne pouvoir avancer vers ma véritable destination qu’à travers les nombreux détours d’une existence enfermée dans le contingent, impliquée dans toutes les interactions qui font le devenir du monde. Par l’engagement, ce lien à la fois limité (dans un espace et un temps précis) et illimité (comme manière d’être et promesse qui dépasse ma temporalité), je suis capable d’accomplir ce que je considère comme ma vocation. Et l’engagement maçonni-que, compris à la fois comme serment, comme pacte, et comme début du chemin, me permet de travailler au cœur même de ce qui fait mon humanité.Parce qu’il est plus facile de discourir sur la doctrine que de la mettre en pratique au quotidien, la F∴M∴ nous propose de nous remettre en question, et met à notre disposition des outils et une méthode. Mais là encore, dans une mise en abîme permanente, ces outils, ces guides, n’auront de sens que celui que nous y mettrons, par notre travail, notre pratique, et nos doutes. Il n’y a qu’à l’épreuve de notre expérience que le rituel prendra un sens. Le symbolisme n’est pas donné. Il est travaillé, expérimenté, vécu, pour être compris. Nous sommes ici, mes FF∴, parce que nous étions à l’étroit dans un espace et un temps profanes. Parce que nous avions “faim”. Mais ce n’est pas la lecture des manuels de F∴M∴ qui nous rassasient. Là n’est pas le secret. La littérature F∴M∴ fleurit en abondance sur les présentoirs des librairies, sans dévoiler quoi que ce soit. Le travail est ailleurs. Dans la pratique, la résonance. Au-delà de nos différences, nous sommes tous ici convaincus que les progrès de l’humanité sont possibles, et qu’ils peuvent dépendre de nous. Et en entrant dans le temple, nous avons choisi de laisser vivre cette dimension qui nous habite. Lorsque cette énergie particulière s’est engagée, nous avons commencé à exister réellement. Mais ce n’est pas la cérémonie d’initiation qui nous constitue Francs-maçons. Elle est seulement le point de départ, le retournement qui nous donne la possibilité de ré ap-prendre à écouter, parler, regarder. Et donc de ré-apprendre à agir. La pensée analogique, par le symbole, nous permet de ne plus être dans une logique d’enseignement ou de doctrine, mais dans celle de la découverte. De nous-mêmes d’abord, comme sujet et comme objet de recher-che. Le travail initiatique a commencé par m’impliquer, au lieu de m’expliquer quoi que ce soit. Je dois désor-mais agir pour devenir Franc-maçon. Et ce travail est celui de toute une vie. Toute la difficulté de la démarche réside dans cette articulation entre les outils, les énergies, délivrés dans le temple, et ce que nous allons porter, individuellement, dans le monde profane. Il ne s’agit pas de s’isoler, de se croire supérieur ou différent. Bien des personnes que je rencontre dans le cadre professionnel ou amical sont des maçons de cœur s’ils ne le sont de fait ! De même, être absents à telle ou telle tenue en raison d’obligations profanes sérieuses ne fait pas de nous des “sous–maçons” ! Nous parlons de renaissance, au jour de l’initiation, qui marque bien le début de la permanence de cette renaissance. Ce que nous glorifions, cette digestion, ce travail de découverte permanente est notre chemin initiatique. Ce que nous avons à “pratiquer assidûment”, c’est le retour, le questionnement.

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L’ouverture. Il est si facile, passés les premiers mois et les premières années, de conforter ce que nous étions au départ et de ne pas laisser les métaux à la porte du temple. Il est si facile aussi d’oublier que les axes de travail s’imbriquent mais ne sont pas uniques : s’il s’agit tout d’abord de travailler sur soi et avec soi, le travail doit aussi s’effectuer entre nous, mes FF∴, dans la loge à couvert, en inscrivant la parole qui circule dans notre ri-tuel, et enfin, à l’extérieur du temple, avec les profanes et à leur contact. Il me semble que chacun de ces axes de travail doit interagir avec les deux autres. Et que l’intérêt de notre pratique réside dans cette circulation de sens et d’énergie. Nous sommes tous pris au piège de la facilité, régulièrement. Et je découvre par la fraternité l’ac-ceptation de mes propres faux pas dans ceux des autres. V ∴I ∴T∴R∴I∴O∴L∴ s’enrichit ainsi avec les mois et les années de pratique …Je me suis souvent demandé, pendant mes années de silence sur la colonne du septentrion, comment les MM∴ qui entendaient pour la énième fois un travail symbolique pouvaient y trouver de l’intérêt. Jusqu’au jour où un travail sur un symbole que je pensais comprendre m’a révélé un potentiel non exploré, et où j’ai entendu de nouvelles résonances, de nouveaux liens, derrière des mots en apparence connus. Même si j’avais été assidu et sérieux auparavant, c’est en fait à partir de ce jour là que j’ai “pratiqué assidûment”. Et je revis cette expérience à chaque tenue. Notre rituel nous invite à comprendre les lois des causes à effet, non pas en les expliquant, mais en les faisant vivre potentiellement. Et ainsi permettre la fin de la plainte, la fin de la peur. Ou peut-être leur acceptation, comme condition essentielle de notre perfectionnement …

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Albert Ben∴

Que serait une solitude qui ne serait pas une grande solitude ? La solitude est une : elle est par essence grande et lourde à porter. Presque tous connaissent des heures qu'ils échangeraient volontiers contre un commerce quelconque, si banal et médio-cre fût-il, contre l'apparence du moindre accord avec le premier venu, même le plus indigne …Mais peut-être ces heures sont-elles précisément celles où la solitude grandit et sa croissance est douloureuse comme la croissance des enfants, et triste comme l'avant-printemps.Une seule chose est nécessaire : la solitude. La grande solitude intérieure. Aller en soi-même, et ne rencontrer durant des heures personne, c'est à cela qu'il faut par-venir.

Stalagmites

Mes cheveux ont absorbé la blancheur de mon âme,Libérant l’espace d’une immense cavité crânienne.Véritable trou noir où tout s’engouffrera désormais,Siège d’une incontrôlable vocation à la dialyse,Et d’où plus rien ne s’échappera, si ce n’est frelaté.Car je suis maintenant convié au festin des géants,Et nul autre met dorénavant n’apaisera ma faim.Circuit parallèle, moins bien que …, mais mieux que …Prothèse pour une ascèse, Ascèse pour une synthèse,Vers l’inéluctable sainte aise.

Oui je suis convié à ce festin …Je n’ai revêtu en l’heure que les apprêts de la valetailleet me repais des miettes sciemment négligées par les Maîtres.Des miettes qui, avec ou sans levain, vous estomaquent,Des miettes pour s’éclater,Des miettes à en crever,Genre grenouille qui veut devenir plus grosse que le bœuf,Genre serpent qui déglutit en une fois cent fois son pesant,Genre qui reçoit un grand coup sur la tronche,Genre qui l’a pas vu venir,Genre qui s’il avait su …

Donc dialyser, dialyser.Dis, AL y sait ???Et les autres, y savent ?Savent-ils que je suis moi-même un trou noirInvisible au milieu de la foule inconsciente ?Quiconque m’effleurera sera emporté dans le tourbillonAnimé par sa force centrifuge,Comme je l’ai été moi-même, lorsque j’ai frôlé l’invisible !

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Invisible devenu ombre.Indivisible devenu nombre.Visible devenu sombre.Mélancolique sûrement, mais triste nullement.La flamme est toujours là,Forte, très forte encore, plus forte encore.Grande, très grande, plus grande encore,Dévorant son corps de cire, Mon corps de Sire,Ayant déjà largement entamé le processus de dématérialisation.Non, je n’étais pas poussière !J’étais fl’âme, Dotée un temps d’un corps de cire pour réchauffer la terre,Dotée un temps d’un corps de miel pour adoucir les peines.Je suis là maintenant pour rejoindre le monde des flammes,Là où coulent le lait et le miel.

Toute cette foule qui m’a érigé sur le trône, Au pays de la solitude, Et cette table, toute d’émeraude, si hautement dressée.Le peuple a faim, mais comment prendre place ainsi ?Viens et mange !Viens partager le pain noir de la responsabilité solitaire, De la responsabilité solidaire.Tu es convié au festin des justes,De ceux qui n’osent même pas rêver de répit,Tellement la tâche est ardue.De ceux pour qui voir c’est entrevoir.De ceux pour qui croire c’est pouvoir.De ceux pour qui avoir c’est devoir.De ceux qui ajoutent : merci !

Alors, lèves-toi et marche !

LE FOU

Par un jour, bien avant que de nombreux dieux ne fussent nés, je m’éveillais d’un profond sommeil et trouvais que tous mes masques étaient volés, les sept masques que j’ai façonnés et portés durant sept vies.Sans masques, je courus alors à toutes jambes dans les rues grouillantes de la ville en criant : « Aux voleurs, aux voleurs, aux maudits voleurs ! »Certains hommes et femmes se moquèrent de moi, et d’autres cherchèrent à fuir par crainte de moi.Et lorsque j’atteignis la place du marché, un jeune homme, debout sur le toit d’une maison, s’écria : « C’est un fou ! »Je levais la tête pour le regarder, et pour la première fois, le soleil embrassa mon visage nu. Pour la première fois mon âme s’enflamma d’amour pour le soleil, et je ne voulus plus de mes masques.Et comme dans un état de transe, je criais : « Bénis, bénis soient les voleurs qui me dépouillèrent de mes mas-ques ! »C’est ainsi que je devins fou.Et dans ma folie, j’ai retrouvé à la fois ma liberté et ma sécurité; la liberté d’être seul et la sécurité de n’être pas compris. Car ceux qui nous comprennent volent quelque peu de notre liberté.Cependant, je ne voudrais point me vanter de ma sécurité. Même un voleur dans sa geôle est à l’abri d’un autre voleur.Khalil Gibran

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Michel Lec∴

Allocution du V∴ M∴ à l’intention du F∴ Albert Ben∴

M∴T∴C∴F∴ Albert,Passé V∴M∴,mon ami, notre ami,

il y a dix ans, lorsque j'ai été initié, tu as été celui qui, parmi tous nos FF∴ de Regius, m'a le plus impressionné.Je me suis vraiment posé des questions.Etais-je assez fou pour espérer te comprendre ?Dans tout ce que j'ai appris et découvert depuis, il y a une part de ma liberté que je te dois.Bien sûr on arrive à l'initiation maçonnique parce qu'on est en chemin de longue date, d'une façon ou d'une autre. Avec l'initiation on poursuit ce chemin mais avec une part de conscience en plus, et des moyens, et ça peut tout changer pour l’initié qui est prêt à cela.Toi, M∴T∴C∴F∴ Albert, il y a juste trente ans et quelques jours - onze jours pour être précis - tu as reçu l'ini-tiation maçonnique.Pour la plupart d’entre nous ici, tu es notre prédécesseur, notre éclaireur ; bien souvent tu as guidé nos travaux, comme V∴M∴ à Initium, puis à Regius, comme Officier ici ou là, comme Frère, toujours.Sans jamais te départir de ta liberté de penser, et de ton franc-parler, sans jamais te départir de ton espérance absolue en l'homme, malgré tout.Souvent juste, quelquefois même au plus près du coeur profond des choses, tu sais tester notre fraternité, avec vigueur, tu sais nous bousculer, nous déranger, tu sais nous ouvrir des perspectives que nous négligions peut-être.Si parfois certains, et on les comprend, te trouvent irritant et excessif, voire même franchement rugueux, ce qu'il en reste au final est ce qu’il y a de plus solide : la reconnaissance, la transmission, et la satisfaction élevée de l'exigence avec soi-même.Ces années t'ont appris à tenter d'entendre l'inouï, de voir l'invisible, et de transcender le matériel.Tu as été assez fort pour que nous nous autorisions nous-mêmes à l'espérer.Tu es, vigoureusement et par-dessus tout, celui qui inlassablement nous fait nous reposer la question, doulou-reuse et terrible : « Que suis-je prêt à perdre pour avancer en initiation ? »Chaque jour tu tricotes un peu plus la réponse.Ton coeur est assez grand pour que parfois tu puisses t'y égarer ; tes doutes te sont tellement fidèles que jamais ils ne t'abandonneront ; tes élans sont si naturellement sincères que seule ta mauvaise foi peut les arrêter.Pour chacun de nous ici il y a une part de toi dans son idéal, une part que tu lui as désignée, une part que tu as vue.

M∴T∴C∴F∴ Albert, au nom de tous les FF∴ ici présents, et de ceux qui, même éloignés, sont en amitié avec toi, nous avons voulu te dire notre fraternelle et sincère amitié.Nous avons voulu te dire que 30 ans c’est à la fois peu et beaucoup pour faire un F∴ de ta trempe.C’est pourquoi nous t'offrons une occasion de poursuivre tes travaux : ce livre ancien - c'est une occasion, à tous les sens du terme puisque cette édition est épuisée, a été écrit à la fin du XIXe siècle par un rabbin kabba-liste, pied noir marocain - difficile de faire plus proche de toi.Ce livre te sera très naturellement un sujet d'étude puisqu'il y est question de dépasser des frontières que les hommes ordinaires jugent infranchissables, ce qui est un exercice familier pour toi, mon F∴ Albert.

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Conclusion du F∴ Orat∴

Comment conclure sur les travaux de ce soir avec la tonalité particulière de cette Tenue ? Et si la solitude était une illusion même si parfois douloureuse ? Il y a longtemps, l’Eternel aurait dit à un homme nommé Abram : « Va t’en pour toi de ta terre, de la maison de ton père, vers la terre que je te montre-rai » ( Gen 12,1 ). Cette parole, des kabbalistes la traduisent ainsi : « va vers toi-même » et elle est toujours présente qui s’adresse à chacun d’entre nous. Car s’il y a une part de divin en nous, en chaque être humain, celle-ci, au sein de l’Unité aurait désiré l’être au monde, la vie dans la matière et pour cela il lui aurait fallu quitter la maison du Père, la terre originelle, l’Unité : « va vers toi-même ». Et l’Eternel ne pourrait qu’accé-der à ce désir et l’encourager car Lui-même ne serait-il pas dans la même Pensée : « va vers Toi-même », ce frémissement permanent qui créerait les mondes …Mais, une fois au monde, ce qui est notre condition présente, le courant s’inverse et l’âme soupire après son Origine et l’homme cherche alors sa Cause. « Va vers toi-même » devient ce désir de réintégration qui de-mande à s’éveiller, qui signifie surtout et essentiellement « va vers l’autre qui est toi-même et qui est l’Eternel », et qui nous a un soir, comme ce soir, conduit ici …

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5 Mai 2009

Gérard Gal∴

Penser est facile, agir est difficile, mais agir selon sa pensée est ce qu’il y a au monde de plus difficile.

C’est bref. C’est néanmoins l’un des plus graves sujets qu’il peut être donné à explorer.Pourquoi, nos pensées seraient elles systématiquement positives ?Et si, moi aussi, j'étais né en 17 à Leidenstadt, sur les ruines d'un champ de bataille, est-ce que j’aurais-je été meilleur ou pire que ces gens si j'avais été allemand ? Qui ne s’est jamais posé cette question ? Lequel d’entre nous peux dire qu’il n’aurait pas été dicté par son ego ? Soumis à l’influence de l’humiliation de la haine, de l’ignorance, de la manipulation ! Qui n’a jamais eut la moindre pensée raciste ou xénophobe ?Une pensée ne vient que quand elle veut a écrit Nietzsche, démontrant l’existence d’une pensée inconsciente, et la prétention de l’homme à maîtriser ses sentiments. Il ajoute que « c'est une altération des faits de préten-dre que le sujet moi est la condition de l'attribut “Je pense”. »La phrase de Descartes, « je pense donc je suis », conduit à confondre l’Ego avec l’Être. Visite l’intérieur de la terre, et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée … Pour être authentique, il faut être prêt à se découvrir de l'intérieur au delà du social, au-delà des réactions épidermiques. Une conscience parasitée par des condition-nements, croyances et préoccupations, n’ouvre pas l’accès à une connaissance directe et sensible de la réalité. Les nazis, par exemple, l’avaient bien compris, ceux là même qui ont combattu la méthode maçonnique, et persécuté les frères qui nous ont précédés, dans le but d’instaurer une pensée unique, synonyme de pas de pen-sée du tout.L'ego fausse notre jugement et commet l'erreur de la séparabilité. Il a causé de grands torts à la spiritualité en nous rendant plus ou moins fanatiques, ou plus ou moins athéistes. Combien de personnes qui lisent dans la Bible que Jésus est le chemin de la Vérité, croient à la supériorité de leur religion ? Combien de personnes qui lisent littéralement la Bible ou le Coran croient à la supériorité de l'homme sur la femme ? Combien de per-sonnes appartenant à une religion monothéiste voient avec condescendance, voire avec mépris une religion polythéiste ?L'ego ne veut pas dire s'aimer soi-même au lieu d'aimer les autres. L'ego est ce qui fait qu'on ne s'aime pas soi-même, suffisamment, pour cultiver sa propre personnalité. Agir selon sa pensée est ce qu’il y a au monde de plus difficile … Sans doute parce que notre pire ennemi n’est pas à l’extérieur, mais à l’intérieur de nous, comme il nous l’a été rappelé lors de nos initiations respectives. En rectifiant tu trouveras la pierre cachée...Quelle épreuve pour les chercheurs sincères de vérité !Savoir se remettre en cause, se déstabiliser, renier des convictions qui peuvent conduire à l’intolérance, se faire mal à force de douter. Le temple que nous construisons symboliquement a une particularité. Ce n’est pas un lieu de culte, personne ici n’est pas asservi à un quelconque dogme, chacun de nous est libre dans sa propre recherche de la vérité, chacun de nous est libre d’agir selon sa pensée. Mais c’est effectivement ce qu’il y a, au monde de plus difficile. Ne demande pas ton chemin, car tu risquerais ne pas te perdre, dit on ici. Visite l’intérieur de la terre, et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée …Lorsqu’il était adolescent, mon frère a été gravement blessé par un fellaga.Il avait juste 15 ans et il n’était vraiment pas concerné par ce qu’on appelait “les événements d’Algérie”. Il n’a pas reçu une balle perdue, non, il a été la cible d’un homme aveuglé par la haine. Mes parents, communistes, étaient farouchement hostiles au clergé. C’est pourtant le curé du quartier qui leur a apporté le plus grand soutien pendant les mois difficiles qui ont suivis. Quelques décennies plus tard, lorsque j’allais voir mon père pour les dernières fois, la personne qui m’a témoigné le plus de compassion, le plus sincère, était le vieil algé-rien qui partageait sa chambre à l’hôpital. Allah est grand m’avait-t-il dit dans sa langue. Cette phrase n’est pas

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toujours un cri de guerre … Ce genre de réflexion, ne m’a pas conduit jusqu’au pardon, tout au plus à un peu plus de tolérance.Il faut réparer la brisure des vases nous rappelait notre passé vénérable maître. Il n’est pas facile de trouver la colle ! Nous sommes prisonniers de nos conditionnements, même lorsque nous les refusons. Le silence est l’un des outils disponibles dans notre atelier, le temps aussi. La vieillesse (que je commence à entrevoir) n’est pas un naufrage, elle peut nous ouvrir, je pense, l’accès à plus de compréhension et plus de tolérance. Débarrassés, en partie, de nos préoccupations naturelles, qui conduisent inévitablement à la concurrence et à la rivalité, (c'est-à-dire à cultiver nos ego dans le but de nous affirmer socialement), nous pouvons enfin prendre le temps de nous retourner, pour constater que l’essentiel n’était pas ce l’on à construit … Que nous n’avons pas agit selon nos pensées.Que nous ne nous sommes pas aimé nous même, suffisamment, afin de mieux entendre les autres. Agir selon sa pensée, n’est-ce pas après aussi savoir profiter des moments de plénitude que nous offre la vie ? Prendre le temps de communier avec la nature, de communiquer, de transmettre, d’apprendre, de comprendre ?L'auto-réalisation intime de l'Être, la transformation du subconscient en conscient n'est ni un passe-temps, ni un travail qu'il faut faire parce quelqu'un a dit de le faire. Purifier notre temple intérieur, c'est beau, mais cela n'a rien de facile. Le sage est un miroir merveilleux dans lequel l’univers entier se reflète …Un texte sacré Hindou dit textuellement ce qui suit :« Parmi mille hommes, un peut-être tente de parvenir à la perfection ; parmi ceux qui tentent d'y parvenir, il est possible qu'un arrive à la perfection ; et parmi ceux qui arrivent à la perfection, un peut-être me connaît parfaitement. »« De mille qui me cherchent, un me trouve ; de mille qui trouvent, un me suit ; de mille qui me suit, un est le mien. » Là, ce sont des paroles de Jésus.Les deux sages, ou grands initiés, qui ont livré ses pensées ne s’étaient sûrement pas concertés, ils avaient des méthodes de calculs différentes, mais ils sont néanmoins parvenu au même résultat pour estimer la difficulté de notre quête.

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Christophe Bea∴

La spiritualité ne contient ni n'autorise aucune promesse. Loin de la foi, elle pro-pose simplement la nécessité fondamentale de travailler avec soi-même. Essentiel-lement, très simplement, de façon très ordinaire.Un des points d'ancrage, qui nous font tant défaut lorsqu'ils se dérobent, mais qui peuvent nous retenir d'aller plus loin, parfois, est une espèce d'intuition d'ordre métaphysique qui dit que le réel ultime nous échappe de toutes parts.Ce réel ultime qui nous occupe tous ne se laisse enfermer ni dans nos concepts, ni dans nos catégories, et si nous nous réunissons pour en parler, c'est qu'il nous sou-tient dans l'être, c'est qu'il est présent en nous.Ainsi il ne s'agit pas d'aller à sa recherche, mais plutôt de le laisser émerger dans nos vies.

Tout naturellement, pour moi, ce sujet dresse une sorte de parallèle entre nos démarches respectives en F∴-M∴ et les mécanismes qu’il décrit. Il semble poser en des termes assez simples et généraux une partie de nos motivations communes. Le fameux « connais toi toi même », exprimé ici en d’autres termes, sert de base pour illustrer simplement quelques unes des caractéristiques notables de la spiritualité par rapport à celles des religions révélées ; à d’autres égards et plus en profondeur, la quête de l’une ne s’oppose pas en termes éclairés à la pratique de l’autre. Il est vrai que l’on peut aussi parler de spiritualité de type religieuse. Ce courant de spiri-tualité évoluant dans le cadre de dogmes finalement, biens confortables. Bien que nous ouvrions nos travaux “A∴ L∴ G∴ D∴ G∴ A∴ D∴ L∴ U∴” nous ne lui témoignons, pour au-tant, ingrats que nous sommes, aucune dévotion. Ainsi en est-il également pour chacun des symboles ici pré-sents. Comme, par exemple, le Volume de la Loi Sacrée qui se trouve ici surmonté du compas et de l’équerre et que j’ai personnellement tendance à voir à la fois, séparément en temps que symboles d’une tradition morale et commune à laquelle chaque homme peut adhérer et aussi comme un tout indissociable : V∴L∴S ∴+ Compas + Equerre formant un quatrième symbole à part entière. L’agencement, les unes par rapport aux autres, des trois grandes lumières ne me semble absolument pas du au hasard … L’interaction ordonnée de ces trois sym-boles m’ouvre des perspectives bien plus grandes encore que chacun des trois, pris séparément. Mais je m’égare … On peut aimer ses outils, apprendre à s’en servir chacun à sa manière, sans pour autant leur vouer un culte. De toutes façons, l’homme et ses outils fussent-ils symboliques forment aussi un tout. Même dans le monde profane et scientifique, on entends facilement qu’homo-sapiens est le résultat d’homo-erectus + outils. Mais je m’égare encore … L’absence de dévotion ou “devénération”, dans notre démarche spirituelle exprime bien à mon sens la “gratuité” de sa nature. Et c’est sans doute cet aspect “gratuit” qui nous joue des tours au regard du monde profane - le fameux “secret maçonnique”, incommunicable par nature. Dans ce monde profane si pétri de matérialité, il est difficile d’envisager qu’un groupe de mammifères se distingue par la simple préoccupation de chercher du sens, de toucher de l’immatériel, de couper les cheveux en quatre, d’ajouter, de trier de retirer et de tenter de tout simplifier. On ne frappe pas un beau jour à la porte du Temple pour en espérer une quelconque certitude sur un bénéfice au sens ou l’entendent les religions révélées. Ici point de paradis en échange de conversion, ou de recette mira-cle à appliquer à la lettre pour attirer à soi, sans effort, sur un tapis rouge, la force, la sagesse et la beauté … L’apprenti, dans sa démarche initiatique, prends vite conscience qu’il lui faudra commercer avec lui même, négocier avec son ego, travailler sa propre matière pour espérer gagner son salaire et que toute tentative d’auto persuasion en direction d’une quelconque forme de foi “typiquement maçonnique” est vaine. Apprenti mon ami tu es condamné à chercher. Et si parfois tu trouve, ce que tu trouve n’est que le début d’un nouveau che-min à explorer. Ami cherchant et cheminant, bienvenue chez toi. Chercher au fond de soi, cheminer pour cheminer, y-a-t-il de la fumée sans feu ? Où est le Feu ? Quel est ce feu ? Aspirais-je a m’y consumer ? Est-ce cela la spiritualité ? Non, à mon sens, j’y vais tout de go prêt bien sûr à me tromper. La spiritualité est le doigt qui montre une direction. La chaleur et la lumière du feu mais non son principe. La spiritualité est le reflet de nos aspirations les plus informulables. On peut aussi dire qu’elle recouvre aussi l'ensemble des méthodes et

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travaux qui nous semblent nous parler, à mots qui se méritent, de la nature essentielle de l'être, de l'âme, de ce qui dépasse les besoins matériels ou les ambitions terrestres. La spiritualité laïque, s’il faut à tout prix lui asso-cier un but, est une quête d'éternité et de sens qui permet d’emprunter d’autre voies que l’autoroute des reli-gions révélées. Pour se libérer des attachements qui entravent le progrès spirituel, certains courants de spiritua-lité suggéreront à l’individu des pratiques ascétiques. D’autres courants friseront le syndrome sectaire en con-trefaisant les religions révélées. Mais l’espace de la spiritualité que nous pratiquons ici au travers de l’initiation est dans ma vision, par essence même un espace de liberté. D’ailleurs, je vais encore m’égarer, mais “Liberté - Egalité - Fraternité” s’accordent et se conjuguent plutôt bien ici sur le mode “spiritualité”. Liberté par rapport aux dogmes, liberté de chacun de changer de point de vue sans être jugé ou sanctionné, mise à Egalité des tra-ditions, aucune ne lave plus blanc que l’autre, égalité de l’Ego sans autre credo que celui que nous créons et défaisons à chaque instant. Fraternité des cherchants, cheminants dans une dimension commune qui échappe naturellement au profane. Fraternité qui nous pousse à nous réunir et à poser sur la table notre pique-nique spirituel. Pique-nique commun qui nous sustente au delà des mots profanes quand l’égrégore se forme de nos pitances communes. La F∴-M∴ et sa spiritualité laïque constitue un milieu extrême au même titre que la mer, le désert ou la mon-tagne. Rien n’y est sûr ni acquis d’avance. Le but ne cesse de se redéfinir lui même. Le rite peut nous servir de boussole, encore faut-il prendre le temps d’apprendre à s’en servir, chacun à sa manière, car il y a autant de mode d’emplois que de FF∴. À la manière de touaregs ou de marins nous apprenons à nous soutenir les uns les autres dans ce milieu extrême. Nous partageons tous ici l’intuition que même s’il se dérobent à nos yeux, le désert cache des puits, l’horizon cache des îles. L’intuition a effectivement sa place en pays de spiritualité M∴. C’est notre intuition, notre cœur, libre de ses pelures d’oignons qui guide plus facilement notre chemin. Cette fameuse intuition de type métaphysique est l’outil qui nous permet de chercher et de discerner le réel sur l’illu-soire. Discerner le réel de l’illusoire et pour moi le fondement et un des but de ma présence ici. Aucune science, aucune religion ne répondra à cette question du réel ultime. Je serais tenté de dire en termes profanes que si on ne trouve pas de réponse, c’est que la question elle même nous échappe. Seul moi-même en creusant vers le fond de mon humanité et en pétrissant la glaise qui me constitue. Seul moi même dans mouvement permanent, de verticalité, d’horizontalité, tangage et roulis, peut viser la cible. Le but de ce but étant peut-être de rester concentré sur le réel ou plutôt comme le dit l’auteur de ce sujet, de laisser le réel habiter librement notre propre maison, … maison ou temple. Le but de ce but étant peut être l’accession à un état de conscience amélioré, purifié, simplifié et surtout durable. Voilà : je voulais plancher, mais je me suis égaré. Trop de pas de côtés sans doute, à force de suivre une étoile, je n’ai fait que disserter sur ma vision du “développement dura-ble”.

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Pierre-Henri Lan∴

La Révolte et la Révolte seule est créatrice de la lumière, et cette lumière ne peut emprunter que trois voies : la poésie, la liberté et l'amour.

Je n’irai pas par quatre chemins : je me dis depuis longtemps que si j’écrivais un livre, il s’intitulerait France, je te déteste !Comme je n’ai pas à me plaindre de ma situation personnelle, ma révolte est Une : elle a toujours résulté de l’écoeurement que m’inspire le fonctionnement de notre société franco‐franchouillarde, son arrogance dans l’autosatisfaction, sa capacité à théoriser ses erreurs plutôt que les corriger, son nombrilisme qui nourrit une sclérose structurelle, sa résistance forcenée à toute forme de changement, son refus pathologique de faire face aux réalités d’un monde qui change à toute vitesse. Liberté, égalité, fraternité ? Tu parles !Une liberté qui est devenue intolérance individuelle à la frustration, génératrice de toujours plus de violence et de négation de l’autre. Le comportement routier des français en est la plus simple illustration. Une égalité per-vertie par l’égalitarisme, la grande exception française qui privilégie toujours le nivellement par le bas, l’uni-formisation des comportements, l’alignement de la pensée sur le populisme, la promotion de l’assistanat, bref tout ce que j’appelle la médiocratie. Et enfin une fraternité qui se résume à toujours plus de corporatisme, à commencer par la sacro‐sainte défense des droits acquis. Les rares hommes d’Etat dans notre histoire, les so-ciologues (surtout étrangers), quelques humoristes, quelques journalistes encore capables de penser sont au moins d’accord sur une chose : un peuple ingouvernable, une société impossible à réformer. J’y ajoute une or-ganisation administrative qui date de l’époque des diligences, un syndicalisme terroriste, des idéologies politi-ques archaïques, une dérive dans l’exercice des pouvoirs régaliens de l’Etat, un niveau culturel de la population en chute libre, et enfin l’absence de contre‐pouvoir digne de ce nom, en particulier journalistique et littéraire (puisque tous les médias qui ont échappé à la censure des politiques sont désormais passés au mains de quel-ques groupes financiers qui en contrôlent les rédactions). Un point commun à tout cela : l’abandon généralisé du principe de responsabilité, qu’elle soit individuelle ou collective. Quand il ne s’agit pas de l’impunité statu-taire ou de fait qui couvre les aberrations toujours plus incontrôlées de la police, des magistrats, des élus ou des “amis” des Présidents. Et une spécificité française depuis les années 80 : pour avoir l’air intelligent et dans le coup , il suffit de prendre systématiquement le contre-pied du bon sens “d’avant”, surtout si cela contribue à l’autodestruction de la société au nom de la liberté. Ainsi le vandalisme est‐il devenu l’expression d’un nouvel art urbain, les comportements asociaux sont devenus des incivilités, etc.Sur le plan politicien, on est passé de la Gauche caviar à la Droite bling­bling tout en conservant une cons-tante : de Lecanuet à Bayrou, tout centriste qui tente d’échapper à la bipartition idéologique est forcément un “neuneu”. Un regard presque attendri reste porté sur l’extrême gauche, même si elle a conservé de bons relents maoïstes ou staliniens. Par contre, toute idée formulée par l’extrême droite doit être rejetée à priori, sauf si elle est ensuite reprise à l’identique par la “droite républicaine” ce qui lui confère alors ipso facto le statut du poli-tiquement correct. Pourtant, c’est Fabius lui‐même qui avait affirmé à Le Pen il y a 25 ans : « vous posez de bonnes questions mais y apportez de mauvaises réponses ». Cet appel à la réflexion sur les questions d’immi-gration, de sécurité n’a jamais été entendu. On voit ce qu’il en est advenu. Plus récemment, après la grande époque de la “repentance” amnistiant toutes les hypocrisies de notre société et de notre passé collectif, il y a eu la cascade de législations qui encadre désormais ce que doit être la pensée unique politiquement correcte. In-utile de voyager, de lire, de chercher à réfléchir ou me cultiver : c’est maintenant la loi qui m’interdit d’avoir des pensées révisionnistes, qui m’impose ce que je dois penser de la colonisation, qui m’exhorte à ne pas avoir de propos antisémites, racistes, homophobes, islamophobes et autres obésophobes. En pratique, si je considère qu’un gros blanc en béret, chrétien et hétérosexuel, est nul, stupide et incompétent, tout va bien. Mais si je dis la même chose d’un quelconque blackbeurry efféminé en chéchia ou en kippa, il faudra me dénoncer à la HALDE pour discrimination (de préférence par lettre anonyme). Il est illusoire d’espérer changer cette socié-té autrement que par la troisième guerre mondiale. À moins peut‐être que la conjonction d’une crise finan-

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cière, d’une récession économique, d’une pandémie virale et d’un climat pré‐insurrectionnel fasse comprendre à 60 millions d’autistes qu’autour d’eux, il y a plus d’1,5 milliards de chinois et presque autant d’indiens qui ne s’émerveillent pas chaque jour de l’exception française, ce joli mot que nous avons trouvé pour rendre compte de nos archaïsmes. Au Moyen‐Orient, les fanatiques de tous bords entretiennent leur brasier. En Afrique, les orientaux ont débarqué pour faire concurrence aux américains et à la françafrique pour la manipulation des républiques bananières. La Russie poutinienne nous prépare la guerre des fournitures énergétiques. Et avec une population équivalente à celle de l’Europe, les Américains dominent le monde parce que leurs Etats sont unis alors que nous en sommes encore à discuter de l’autonomie de la Corse ou du Pays Basque … Dernière solution, la seule efficace : je suis le Grand Architecte de l’Univers et d’un coup de baguette magique, je change ce que je veux car tel est mon bon plaisir. Alors nous sommes demain et vous venez de vous réveiller dans ma nouvelle Europe. Les 27 Etats‐nations ont disparu, laissant place à une Europe fédérale rassemblant une cinquantaine de grandes régions. Chacune d’elles administre 8 à 10 millions de citoyens, la taille optimale pour allier efficacité et proximité du citoyen sur le plan politique et stratégique. Le découpage s’est fait en fonction de critères historiques, linguistiques, culturels et ethniques ; il intègre l’équilibre entre grandes mé-tropoles, agglomérations de tailles diverses et mode rural, secteurs riches et pauvres. Dans le même esprit, communes, cantons et départements ont laissé la place à un nombre variable de districts par région, pourvu qu’ils soient cohérents en vue de la gestion du quotidien. Cette Europe s’est dotée d’une Constitution simple, courte et compréhensible par tous : l’énoncé d’un petit nombre de grands principes fondamentaux, qui intè-grent des Droits mais autant de Devoirs des citoyens. Cette Europe, évidemment laïque, est fondé sur la bi-partition entre le pouvoir Législatif et le pouvoir Exécutif. Par contre, l’Ordre judiciaire reste simplement une Autorité qui a vocation à appliquer les lois du parlement par l’intermédiaire des décrets et ordonnances de l’exécutif. Le magistrat applique la loi, il ne refait pas la loi. La jurisprudence invite à réfléchir sur la loi, elle n’a pas force de la dévier voire de la remplacer. Pour ses fonctions régaliennes, mon administration européenne fonctionne sur les trois étages que sont la fédération, la région et le district (et selon le cas les collectivités plus locales). La fiscalité, la santé, l’emploi et le social (y compris les régimes de retraite) relèvent principalement de chaque région, en fonction de ses propres ressources et avec l’obligation d’équilibrer son budget. Ainsi le ci-toyen sera en prise directe avec le fonctionnement des prélèvements comme des prestations ou des services publics : en clair, le porte‐monnaie public ne fera pas plus que répartir ce dont il dispose dans l’enveloppe ré-coltée par le fisc, les URSSAF, les caisses de retraite etc… L’endettement ne pourra se justifier que par de véri-tables investissements à terme. Cela ressemble à une économie de bon père de famille : je donne 100 euros au titre de la solidarité, on verra bien s’ils doivent se répartir entre 10 nécessiteux ou 100 parasites …Je parie sur une collectivité de proximité pour que les arbitrages finissent par aller dans le bon sens, car il sera alors devenu évident pour chacun que les finances publiques ne sont pas un puits sans fond, dont la gestion reposerait sur la brillante théorie de la patate chaude transmise aux générations futures … Le système scolaire reste sous contrôle fédéral pour garantir le niveau de fin d’études secondaires. Par contre dans chaque région, l’université est libre de choisir ses orientations préférentielles en matière de recherche et d’enseignement, ainsi que le niveau d’excellence souhaité. Et ainsi de suite dans tous les domaines de la vie quotidienne : urbanisme, sécurité publique et routière, environnement, sports et loisirs, tourisme, culture etc etc etc … Dans mon Eu-rope d’essence parlementaire, le fondement de la démocratie est respecté (mais pas le populisme) : le citoyen lambda reconnaît avec humilité son incompétence et délègue donc son pouvoir à des représentants élus, choi-si pour leur compétence … Son pouvoir démocratique se limite effectivement au bulletin de vote qu’il mettra dans l’urne à l’échéance fixée, selon ses convictions et son degré de satisfaction. Dans chaque district, le citoyen élit un conseil qui assure les fonctions exécutives des communes d’antan ou des inter-communalités, mais à l’échelle du million d’habitants et en fonction de leur spécificité : districts urbains, périphériques ou ruraux. D’autre part ce citoyen élit dans son district des délégués qui iront former l’assemblée régionale, dont le prési-dent sera également élu mais pour un mandat non renouvelable. Les élus à l’assemblée régionale doivent se répartir selon deux fonctions :Parlementaire, établissant un corpus législatif adapté à la région, pour tout ce qui est d’ordre infra‐fédéral.Exécutive, prenant la tête des services administratifs en ayant la responsabilité de faire le choix des bons ges-tionnaires et des bons techniciens. Et soumis à l’évaluation du peuple …Car parallèlement, élection à la proportionnelle intégrale d’un Sénat régional, siège des contre‐pouvoirs et des organismes de contrôle ; équivalent de nos Cours des Comptes, CNIL, CSA, CNDS et autres mais avec un

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pouvoir coercitif et une juridiction spéciale sur les élus et fonctionnaires ayant manqué à leur devoir. Un Sénat fédéral pourrait avoir le même rôle, à son niveau. Au niveau fédéral, le Président (élu parmi ses pairs) du par-lement européen prend le statut de Président de la Fédération. Il nomme le président de la commission euro-péenne, l’équivalent d’un Premier Ministre chargé des fonctions exécutives. Ce gouvernement fédéral a en charge les grandes fonctions stratégiques : défense, sécurité du territoire et renseignement, politique exté-rieure, police fédérale, politique monétaire, politique agricole, ressources naturelles etc. Il subvient aux équili-brages nécessaires entre les régions les plus riches et les plus défavorisées. Il est également garant de la produc-tion et de la distribution d’énergie, du fonctionnement cohérent des transports et des télécommunications. Le droit de grève y est d’ailleurs réglementé afin de garantir la continuité de tous ces services publics stratégi-ques … Eradication du syndicalisme terroriste à la française (8% des salariés) par lequel une minorité corpora-tiste prend en otage toute une population. La grève consiste en cesser le travail pour mettre l’employeur en difficulté et déclencher un dialogue. Il n’a jamais été question de bloquer des routes ou des raffineries, de sé-questrer des personnes ou vandaliser des bâtiments … sauf à risquer l’intervention musclée de la puissance pu-blique ! Dans les secteurs stratégiques : préavis obligatoire de 10 jours et pas plus d’un quart des effectifs par jour en cessation de travail. Promotion d’un syndicalisme de masse à la danoise ou autres, qui doit réunir plus des ¾ de la population non seulement salariée et à fortiori du service public, mais transversalement dans les couches sociales, sans oublier les artisans, commerçants, libéraux, retraités etc. Un syndicalisme responsable au service de ses membres et non de ses chefs, une fonction publique dégraissée mais reconnue et bien rémunérée pour être efficace au service de la population et non de ses fonctionnaires. La fonction publique est placée sous l’autorité de chaque échelon (local, régional, fédéral) en fonction de sa nature intrinsèque. La citoyenneté régionale est acquise après cinq ans de résidence, elle conditionne les droits civiques y compris ceux d’être élec-teur ou éligible mais également imposable ou bénéficiaire de prestations. Ce délai s’applique à la famille en cas de déménagement, mais peut être réduit après deux ans d’emploi stable sur le territoire de la région d’accueil. Quels que soient les modes de scrutins et la durée des mandats, mieux vaudrait que les élections n’aient pas lieu dans les régions en même temps, mais selon un roulement par quart ou tiers, peu importe : le principe est que grâce au décalage des diverses échéances électorales, le tissu politique soit contraint à une constante évolu-tion pour s’adapter aux réalités, et que par ailleurs que les plus hauts responsables ne soient pas rééligibles afin de ne pas être soumis aux pressions de tous ordres. Je pourrais en parler des heures mais le principe est simple : équilibrer les droits et les devoirs au sein d’entités administratives de taille humaine, fondées sur la responsabi-lité et le respect réciproque de chacun.Voici comment je compense un sentiment de révolte par la construction d’un rêve utopique. Car ce n’est qu’un sentiment de révolte, un simple état de pensée. Ce n’est pas la révolte ni a fortiori la révolution, qui consiste à transgresser par tous moyens le contrat social en cours de validité, mettant le pouvoir en place dans l’obliga-tion de le réprimer. Une société juste doit permettre l’expression de la révolte, sous peine de révolution sau-vage. L’égalitarisme est une baliverne absolue. Par contre, toute homme a besoin d’être reconnu en tant que tel, tel qu’il est, même si c’est modeste. Les manifestations sont nécessaires, certaines grèves sont utiles : elles sont un tampon, un amortisseur. Mais la plupart des individus ont également besoin de se sentir dirigés, c’est pour-quoi les politiques qui cèdent à toutes les pressions de la rue sont automatiquement déconsidérés. L’art est difficile car la révolte, c’est comme une pâte dentifrice ; une fois sortie du tube, il est difficile de la remettre dedans. Sur le plan philosophique, la révolution peut être considérée le pire des crimes républicains puisque par définition, la République est fondée sur l’expression démocratique qui doit mener au respect d’un Etat de Droit. Sur un plan pragmatique et individuel faut‐il préférer la révolte à la résignation, qui amène à ne se sou-mettre qu’à contrecœur à des règles qui nous semblent nuisibles ou injustes ? La revendication systématique est‐elle légitime, ou bien ne procède‐t‐elle que de la manifestation universelle du principe psychique de dé-plaisir, incluant de ne pas accepter de faire face à une réalité qui nous impose des situations au minimum con-traignantes, et au maximum engageant nos équilibres vitaux ? Les extrémistes de la révolte refusent toute léga-lité. Ainsi notre F∴ marquis de Sade estimait qu'il vaut mieux être emprisonné que de vivre en limitant la sa-tisfaction de ses désirs, y compris aux dépens des autres. Je préfère une approche plus nuancée : j’ai le droit de me révolter lorsque je cherche à promouvoir une société plus juste. Ce qui conduit à évoquer les conditions d’un droit à la révolte :

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* la révolte doit porter contre un ordre réellement injuste, une atteinte illégitime à la liberté ; théoriquement, il ne peut donc pas y avoir de droit à la révolte dans une vraie démocratie qui, par nature, garantit les droits de chacun.

* la révolte n'a de sens que si tout moyen légal est impossible.* la révolte n'est légitimable que si elle aboutit réellement à une situation meilleure, plus juste, où l'homme

pourra s'exprimer par d'autres voies que la révolte car il sera plus libre. Ce qui est tout l’inverse du terrorisme. * la révolte suppose des chances raisonnables d’aboutir ; pas seulement au succès, il peut parfois simplement

s’agir de mourir dignement* dans certains cas, on peut même invoquer un devoir de révolte, en particulier si l’on reçoit des ordres inac-

ceptables qui nous rendraient par exemple complice d’un crime contre l’humanité (cf. Nuremberg). Mais pour pouvoir se révolter, encore faut‐il être libre d'agir avec, je l’ai dit, un minimum de chances de réus-site. Or, si l’on accorde une valeur aux thèses déterministes selon lesquelles l'ordre de la nature est réglé selon les lois strictes de la causalité, il est évident que l'Homme, élément de cette nature, ne peut rien y changer. Donc si l’Homme recherche le bonheur, il ne lui reste donc plus qu'à se résigner. Tout au plus peut‐on alors choisir librement et activement cette résignation, et pour ce faire il faut d’abord apprendre à connaître l’ordre de la Nature. Les sages stoïciens postulaient que de cette manière, l’Homme aura la satisfaction de voir advenir non seulement ce qu'il a prévu mais ce qu'il a voulu ! Avec une pensée un peu moins stoïque, force est tout de même d’admettre que même si nous voulons mettre en œuvre notre libre arbitre, des obstacles s'opposent à nos actions. Il peut même s’agir d’un contexte totalitaire et dans ce cas, la résignation devient un acte de pru-dence, sans que l’on puisse parler pour autant de lâcheté … Cf. Giordano Bruno et Galilée … Une citation intéressante, mais je n’en connais pas l’auteur : « Le modéré est un ennemi car il préfère l’appa-rence de l’Ordre à la Justice »Avant de terminer, il me semble utile de faire une distinction entre la révolte, qui est un acte, et le sentiment de révolte, qui est un état. Dans notre pays qui est encore plus agité par les manifestations que d’habitude, la frontière commence à devenir floue dès lors que le droit est transgressé en toute impunité : séquestrations, vandalisme et autres violences. S’il est fondamental de permettre au sentiment de révolte de s’exprimer sous la forme d’une pseudo‐révolution un peu cathartique, il n’en reste pas moins que les autres citoyens sont égale-ment fondés à réclamer à la République la défense de leurs droits constitutionnels, en termes de sécurité des personnes et des biens, de liberté d’aller et venir, etc ... Or, ce n’est manifestement plus le cas (cf. Strasbourg …). Si le couvercle reste fermé sur la cocotte‐minute, ce sont alors les émeutes et la révolution qui peuvent ad-venir. Mais si le Droit n’est plus respecté, on doit craindre le même résultat. Nous verrons bien ce qui se passe-ra dans les mois à venir et d’ici là, dans quelle mesure nous aurons vu émerger la poésie, la beauté et l’amour …

« Mieux vaut aimer la compagnie des oiseaux que d’exiger d’avoir des ailes. » Instructif sur les extrémismes religieux de tous poils … 1948 : quinze ans avant l’oeuvre oecuménique de Vatican II, la stratégie de l’Église romaine est particulière-ment bien exprimée dans Civilita Cattolica, l’organe officiel des jésuites :« l’Église catholique romaine, convaincue, par la grâce de ses divines prérogatives, d’être la seule véritable Église, doit exiger pour elle seule le droit à la liberté, car seule la vérité et non l’erreur peut détenir un tel droit. Pour ce qui est des autres religions, l’Église ne les combattra certainement jamais par les armes, mais elle de-mandera que tous les moyens légitimes soient mis en oeuvre pour leur interdire de propager des doctrines er-ronées. En conséquence, dans un État à majorité catholique, l’Église demandera que l’erreur ne puisse légale-ment bénéficier du droit à l’existence, et que si des minorités religieuses venaient en effet à exister, il ne saurait s’agir que d’une existence de fait, sans que leur soit laissée la possibilité de répandre leurs croyances. Dans cer-tains pays (où les catholiques sont minoritaires), les catholiques se verront obligés de réclamer pour tous une liberté religieuse totale, se résignant à la cohabitation là où eux seuls devraient être légitimement autorisés à vivre. »

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Conclusion du F∴ Orat∴

Penser et agir juste, question posée par notre F∴ Gérard, est aussi ce que nous essayons de venir apprendre ici et cela nécessite de ré-examiner sans complaisance nos croyances, nos certitudes, notre vécu même …Une nécessaire révolte donc contre tous les conditionnements, notamment ceux, terrifiants et actuels, que nous a longuement et brillamment décrits notre F∴ Pierre-Henri …Mais alors sur quoi s’appuyer si nous devons ébranler jusqu’à nos fondations les plus intimes ?Il me semble que notre F∴ Christophe a trouvé la voie ouverte par la question de Gérard et la révolte de Pierre-Henri. Oui, il existe une Réalité Ultime, insaisissable, qui est, comme Isis, définitivement voilée à toute approche uniquement rationnelle …Restent alors en effet les ruptures, les fractures que peuvent porter la poésie, l’amour et le désir de libération qui sont aussi des composantes et non des moindres de notre voie initiatique.

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19 Mai 2009 Travaux au 2nd degré symbolique, en vue de l’élévation au 3e degré

Raymond Jol∴

Avant de se mettre en route, l’homme se regarde, il tente de se connaître et de sa-voir qui il est. S’approchant de lui-même, il est mis en présence de la multiplicité de ses moi. Souffrant cruellement de se voir comme une hydre monstrueuse, il souhaite éperdument conquérir son unité. La détresse éprouvée par sa propre vi-sion le propulse dans cette recherche. »

« Je me connais, je me connais bien.Je suis moi-même : je sais ce que je veux et je sais ce que je fais.J’ai mes limites, mais je dois pouvoir les dépasser ; il suffira que j’y sois disposé ... plus tard. »Cette phrase est celle d’un adolescent qui me ressemble et qui pourrait tout autant être un autre. Elle dévoile les certitudes naïves de la vie, l’envie de vivre et l’absence totale de l’idée qu’un jour cela peut s’arrêter. Pourtant, à certains moments, des contradictions apparaissent ; face à un même problème, les réponses diffèrent. Com-ment se fait-il que je puisse avoir réagit aussi lamentablement en pareille circonstance, alors que ma réaction était adaptée dans un même cas, à un autre moment ? Pourquoi ce qui m’a plu hier, me déplaît aujourd’hui ? Je suis capable du meilleur … et du pire dans mes actions et mon jugement est souvent à géométrie variable. Je suis à hue et je suis à dia. Force est de le constater mais, sans doute, rien n’est plus naturel que tout cela. Il faut bien que la jeunesse exulte et … passe. Le problème c’est que la jeunesse pour beaucoup ne passe jamais. Les certitudes en béton d’un mur juvénile défient le temps et on vit en attendant le lendemain. On peut vivre de lendemain en lendemain puisque devant nous il y a toujours du temps. Le héros du Désert des Tartares de Di-no Buzzati est un jeune homme prometteur qui au sortir d’études brillantes, a choisi la carrière militaire. Il est tout de suite muté dans un endroit stratégique : un fort, à la frontière, là où l’ennemi doit arriver. Les heures de gloire vont arriver avec lui et il attend. Il attend et pour meubler le temps de l’attente : il rêve – à la gloire – à son comportement héroïque – à l’admiration et à la reconnaissance qui ne manqueront pas de suivre. Il at-tend, il attend longtemps, et enfin un jour, l’ennemi est annoncé au loin. Notre héros est vieux, usé  ; il s’est passé trop de temps – le temps d’une vie- et il doit être, par précaution, évacué du fort avec les femmes et les enfants. Sa vie – sa vraie vie – il l’a oubliée. Il a meublé tout ce temps d’attente par le rêve et l’illusion. L’illu-sion : cette autre terrible ennemie avec le temps, qui nous fait aussi penser que nos désirs contradictoires n’ont jamais de gravité réelle qui transforme pour nous plaire et nous séduire, nos fautes lourdes en douces erreurs, nos tempêtes dévastatrices en brises légères. Cette illusion qui a détruit nos miroirs pour nous laisser croire en notre liberté. Le temps perdu et l’illusion n’empêchent pas les hommes de faire de grandes choses et chacun, à son niveau, peut aller sur sa route en l’agrémentant de quelques réussites suffisantes à un bonheur ordinaire et tranquille.

SE REGARDERObservons une araignée. Elle a le ventre en l’air, la tête en bas et c’est dans cette position qu’elle œuvre à son art du tissage – le seul but de sa vie. La tête en bas c’est une posture confortable d’où on ne voit que son ventre et son centre d’intérêt. La tête en bas on ne se pose pas de questions. Mais pourtant, comment ne pas s’en poser ?Je vis dans un monde qui me dépasse et dans lequel avec d’autres moi-même, je suis invité à demeurer pour un temps. Je vis aussi de mes insuffisances, mes contradictions, mes fautes, et je suis contraint d’en souffrir. Baude-laire ironiquement bénissait Dieu « il donne la souffrance comme un remède divin à nos impuretés ». Alors pourquoi ne pas accueillir cette souffrance qui est aussi CONSCIENCE, qui nous interpelle, qui nous guide vers un questionnement sur nous même, sur le sens de notre vie, sur le sens de la vie. Sans elle, comment con-naître, c'est-à-dire comment pénétrer à l’intérieur d’un mystère aussi important que celui de la mort  ; ou

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comment comprendre les actions que nous faisons et qui n’ont pas l’air de nous appartenir ; comment se satis-faire de nos jugements versatiles faisant apparaître cette hydre monstrueuse dont parle l’auteur du texte ? D’après lui, cette vision devrait nous propulser vers la recherche de notre unité ; elle pourrait tout autant – je crois – nous décourager. Je regarde une goutte d’eau suspendue. Elle danse élégamment, elle se dandine, s’étire, prend son temps et plonge langoureusement en éclatant en de milliers de diamants. Elle est belle, elle est pure et je vais mieux l’observer au microscope. Quelle désillusion ! Sa pureté apparente jusqu’alors, fait place à un enchevêtrement inégal et désordonné de couches de saleté. Elle n’est pas composé de diamants liquides, elle est gluante, repoussante. Alors pourquoi la regarder ainsi ? Alors pourquoi se regarder ainsi ?

SE TROUVER (L’UNITE DE SOI)Peut être parce qu’il y a en nous une parcelle venue d’ailleurs, non identifié et qui demande à être prise en compte. Peut être nous dit-elle que notre souffrance n’est pas vaine, qu’elle nous parle et nous incite à nous trouver et d’abord à choisir le chemin qui mène vers nous ? Mais lequel ? Celui du repentir qui est considéré par la morale dominante comme une vertu ou par la religion Chrétienne comme une condition de la rédemp-tion et du salut ? Ce repentir nous inflige une double peine en nous faisant ressasser nos fautes, il nous rend impuissant et triste – il est un illusoire palliatif à la réparation effective – alors pourquoi ne pas emprunter le chemin qui mène justement à l’idée de réparation ? Réparer, c’est permettre de fonctionner à nouveau et de paraître autrement – mais encore faut-il que nous sachions effectuer la réparation – et puisqu’il s’agit de nous même, ce ne peut être qu’en nous même que se trouve à la fois le problème et la solution. La connaissance de soi est une vieille interrogation de l’homme, elle est liée aux plus anciennes quêtes humanistes et peut nous amener à nous aimer ou à nous détester. Ici, chacun s’est regardé dans le miroir, a pris conscience de son exis-tence, en se posant le problème de l’absurdité ou de la non absurdité de sa vie, sans pour autant que cela soit une simple curiosité intellectuelle ou émotionnelle. Le but que nous partageons est autre : ce qui nous inté-resse, c’est une traversée des apparences pour parvenir à l’essentiel. Nous abandonnons nos métaux à la porte du temple, c'est-à-dire que nous abandonnons leur brillance, mais aussi la dépendance qu’ils procurent. Nous abandonnons surtout – je crois – notre mode de pensée habituel et profane. J’ai envie de dire trivialement « notre cerveau », cet autre meilleur ennemi : Il règle sans notre permission, la plupart de nos problèmes – il pense pour nous. C’est peut être le moment où la dualité de nos êtres bascule et où peut apparaître enfin – dans chacun de nous – ce qui est recherché, ce qui est caché, ce qui est ressenti, authentique. L’araignée dont j’ai parlé au début, gardera toujours la tête en bas, le ventre en l’air. Notre initiation a permis – je crois – de changer l’ordre des priorités : le ventre est en bas, la tête au dessus, à sa vraie place. Nous sommes debout dans le sens d’une verticalité ascendante. Nous avons changé de position en opérant un demi tour sur nous-mêmes, resitué notre centre. SE REALISER (L’UNITE DU TOUT)Cette mort et cette deuxième naissance symbolique n’ont pourtant pas fait de moi un initié – le travail com-mence à peine et ne sera jamais fini – mais elles permettront de me trouver. Guénon parle d’une régénération psychique préalable à la véritable initiation, c'est-à-dire à la possibilité d’accès à un ordre plus élevé, à un ordre spirituel ou vrai sens du mot. C’est à ce moment là et seulement à ce moment là que l’on pourra s’aimer – (peut être) – s’accepter – (sûrement) – parce que nous nous serons véritablement trouvés. Le travail intérieur accompli dans notre cadre rituel grâce au caractère symbolique qu’il revêt, grâce aux symboles eux-mêmes prend un sens nouveau : l’unité de soi, ou la vérité de soi, n’a de raison d’être, que si elle peut être dépassée et c’est justement cette influence spirituelle et dans ce cadre que nous pouvons y prétendre. Les raisons de notre recherche dépassent le cadre de notre progrès personnel et plus largement encore, celui de notre simple condi-tion. Elles ont une valeur réelle – elles permettent de sortir de l’impasse et dans le cadre rituel nous inscrivent dans une transcendance. Nous ne taillons plus notre pierre comme une fin en soi, sa destination est autre ; elle s’intégrera dans un ensemble où elle prendra enfin sa place. C’est le but principal vers lequel nous mène notre travail. Ce mot travail que nous avons célébré lors du 5e voyage du grade de compagnon les mains libres, sym-bole de la pensée en action. Les mains libres, la pensée libre pour tendre vers un art de vivre misant sur la con-naissance dépassée du soi, par la reconnaissance de l’autre. C’est le chemin de l’amour qui n’est que le prolon-gement naturel de l’idée simple que chacun est l’image réduite d’un tout, à l’intégrité duquel notre intégrité est liée. L’acceptation du soi, l’amour pour autrui devient l’amour pour l’humanité, qui n’est rien d’autre en défini-tive que l’amour pour la vie. La notion de notre responsabilité s’est transcendée et nous sommes comme cette

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sentinelle dont parle St Exupéry, responsable, individuellement de tout l’empire. Réunir tout mes moi disper-sés afin de rendre intelligible ce monde où le un, le multiple et le tout rassemblés pourraient dévoiler ce qui de l’absolu fut autrefois perdu.

Le chemin choisi est celui de la difficulté et du doute. Nous le parcourons de nuit, et de temps à autre, nous apercevons une lumière qui brille, pour presque aussitôt s’éteindre. Mais nous avons avancé. C’est un chemin de doutes et de certitudes. Toutes nos questions ont des réponses pertinentes car elles appellent d’autres ques-tions. Mais nous avons avancé. Ce chemin grimpe, semble souvent nous perdre, ou parfois se perdre lui-même. Il est difficile mais peut-être, au bout, sera-t-il permis à certains d’apercevoir les racines cachées du ciel ?

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Stéphane Cai∴

Le perfectionnement ne s'accomplit pas en vertu d'une loi de structure comparable à l'enfant grandissant pour devenir adulte ; au grain de blé éclatant dans l'ombre de la terre et mûrissant dans la lumière du soleil ; cette mutation se doit d'être souhaitée. Tel est le seul désir que l'homme puisse conserver en lui et constamment nourrir : celui d'oeuvrer pour conquérir sa plénitude.

En préambule, je tiens à préciser que l’approche de cette planche a été totalement différente de mes travaux précédents. Je dois reconnaître que si mes premières pulsions à la lecture d’un sujet vont vers une collecte mas-sives d’informations externes, pour celui-ci je me suis surtout attardé sur mon cheminement depuis mon ini-tiation, j’ai puisé aussi mes réflexions dans l’observation de mon benjamin qui aura deux ans cet été, ainsi qu’à l’impact réel de mon initiation dans ma vie au quotidien. Francis Bacon disait « la lecture apporte à l’homme plénitude, le discours assurance et l’écriture exactitude ». Il était fort à propos de me faire travailler sur un tel sujet et de m’obliger à verbaliser ces réflexions à ce stade de mon parcours. Je m’excuse par avance pour un tra-vail qui serait peut être trop basé sur le vécu et peut être pas assez sur le spirituel.Ainsi donc, le perfectionnement maçonnique ne suivrait pas les mêmes lois que l’enfant grandissant, cette mutation se devrait d’être souhaitée. Pourtant, … il me plaît de supputer qu’il existe des similitudes et chemi-nerai donc en parallèle entre l’enfant grandissant et le maçon cheminant.La décision d’avoir et d’élever un enfant est très certainement, de nos jours dans notre société, une des déci-sions les plus importantes que peut prendre l’Homme. Et même si trop nombreux sont ceux qui l’oublient, cette conception unie à tout jamais les deux parents. Il me rassure de penser que l’arrivée d’un enfant soit aussi une petite part d’éternité que l’on gagne en contre partie de toutes les charges concomitantes (j’écarte volon-tairement ici le cas de la conception accidentelle ou suite à un viol, voulant à ce stade de mon travail croire qu’il peut y avoir une similitude entre l’enfant et le maçon ; il va sans dire qu’un F∴ dont l’engagement aurait été forcé, “violé en quelque sorte” ne resterait pas longtemps sur nos colonnes. Une chose est certaine, l’enfant ne demande pas à venir au monde. Un F∴ qui prend la responsabilité de recommander un profane à la Loge, prend un engagement moral et s’en-gage auprès de celle-ci ainsi qu’il s’engage auprès de son filleul. Il prend un risque et l’assume en connaissance de cause. Que mon parrain soit ici remercié pour tant de courage. Lorsqu’une personne vient à vous parler de maçonnerie, d’Art Royal, de cheminement, d’initiation, de lumière, vous êtes bien en peine de savoir de quoi il parle. Quel peut en être l’intérêt et le bénéfice personnel que vous pouvez en retirer, à un moment de votre vie où vous pouvez vous poser quelques questions. Pour ma part, je n’avais fait aucune démarche en ce sens. Ainsi donc serais-je comme l’enfant qui n’a pas demandé à venir au monde ? Cela m’arrangerait bien et tendrait à prouver que le maçon est comme l’enfant grandissant. Mais hélas. On vous demande de vous présenter, de formuler une lettre de motivation, de vous inscrire dès lors dans une démarche d’intégration qui se poursuivra par un entretien d’un genre un peu particulier, … vous êtes pleinement conscient de votre engagement même si vous n’en mesurez pas encore tout le poids. Notre F∴ Michel a fort bien décrit dans sa dernière planche, l’analogie de la naissance d’un enfant, passant du noir protecteur de la matrice maternelle à la lumière du monde, et l’initiation du profane reçu maçon qui sortant du cabinet de réflexion, des profondeurs de la terre, reçoit la lumière à l’issue de ses trois voyages. Si le nouveau né est une âme tombée sur Terre qui a tout oublié et se doit de tout réapprendre, tout assimiler de son environnement, tel une éponge  ; le jeune maçon arrive avec sa culture, ses acquis, son histoire… et se doit de tout oublier pour mieux réapprendre. Oswald Wirth dit :  «  Le profane qui a été reçu Maçon selon les formes traditionnelles, n’a point acquis, par ce seul fait les qualités qui distinguent le penseur éclairé de l’homme inintelligent et grossier. Le cérémonial de réception n’a de valeur qu’en tant que mise en scène d’un programme qu’il importe au néophyte de suivre pour entrer en pleine possession de toutes ses facultés. L’apprenti-M∴ a donc pour premier devoir de méditer les enseigne-ments du rituel, afin d’y conformer sa conduite. C’est là son devoir par excellence, son seul devoir qui com-prend tous les autres ». Ainsi donc enfant comme apprenti se doivent d’apprendre.

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L’enfant s’épanouit entouré de ses parents. Il est et vit avant tout dans leur désir, sensible à leur humeur et à leur joie, soucieux de leur rendre l’image perçue. La révolte ne viendra que plus tard à l’adolescence. Le Ma-hatma Gandhi disait : « il n’y a pas d’école qui vaille un foyer décent, ni d’instituteurs qui vaillent des parents honnêtes et vertueux  ». L’enfant adopte les gestes de ses parents par mimétisme pour mieux assimiler ce monde qui l’entoure. Il développe un langage d’abord gestuel puis formule des mots avant de structurer des phrases. Il développe ses fonctions motrices pour agrandir son champ d’exploration. Il est évident que son environnement influe sur l’adulte futur qu’il sera. On peut naître égaux en droit dans une société, on ne naît manifestement pas égaux dans les faits. Toute l’adaptabilité du jeune adulte, toutes ses facultés ou difficultés, son bonheur ou son mal être reposeront sur sa faculté à utiliser ou à surmonter ses acquis pour trouver sa place dans la société. Et cela reste plus ou moins dur pour tout un chacun. L’Apprenti, à l’image du nouveau né, n’a pas l’usage de la parole. Il se doit d’observer le silence afin de ses con-sacrer à l’étude du rituel, à l’apprentissage des symboles, à la maîtrise des outils. Alors Compagnon, apte au voyage, il développera ses fonctions motrices, et par sa marche propre à son grade et par son pas de côté pren-dra soin d’observer le monde sous un autre angle avant de revenir sur le droit chemin. Car là réside la diffé-rence entre le nouveau né et le maçon, ce dernier malgré une mort et une renaissance philosophique arrive toujours avec son passé, son histoire, sa formation, sa culture … ses différences sont et feront la richesse de la loge. Tout son apprentissage consiste « à laisser ses métaux à l’entrée du Temple » pour travailler avec un œil nouveau. Je reviendrai sur ce thème. Le Mahatma Gandhi, toujours lui, a dit : « Pour nager au sein de l’océan de la vérité, il faut se réduire soi même à un zéro ». Ceci me rappelle une des questions qui me furent posées lors de mon passage sous le bandeau, qui disait en substance : « pensez-vous que le film Matrix ait une res-semblance quelconque avec l’initiation maçonnique ? ». Morpheus propose à Néo de choisir entre une gélule bleue ou une gélule rouge, propose à Néo de choisir entre l’oubli, rester dans la matrice, dans une certaine forme de confort dans un monde d’apparence qu’il pense contrôler, sans avoir à se poser de question sur son existence, ou choisir d’entrevoir une autre vérité plus douloureuse plus éprouvante en observant le monde sous un autre angle. Certes on pourrait y voir une similitude propre à toute initiation, il est même fait référence dans l’opus trois au Grand Architecte. La deuxième option retenue par Néo fut aussi la mienne. Et tout comme lui, cela s’est manifesté par une nouvelle naissance, par un grand chaos. Le Chaos, ma première mise en garde dès les agapes qui suivirent l’initiation.« Chaos : 1° vide ou confusion existant avant la création 2° confusion désordre complet ». Telles sont les dé-finitions données par le Petit Robert du mot Chaos. Avant l’initiation, est le vide ou la confusion, après peut commencer l’organisation et la création. Avec une telle mise en garde il est évident que vous ne pouvez que prendre votre destin en main et progresser par vous-même en utilisant les outils que l’on veut bien mettre à votre disposition au fur et à mesure de votre évolution. À ce stade de mon travail, je ne peux que capituler et reconnaître effectivement la différence des démarches entre l’enfant et le maçon. À la différence des autres mammifères, l’enfant humain né inachevé. Son apprentis-sage et sa volonté de grandir lui sont donc dictés par un instinct de survie. Il adopte les règles et coutumes du groupe pour s’intégrer. Ce développement est inscrit dans son code génétique. De même on retrouve cette programmation dans le grain de blé ou de maïs qui dans son processus de germination divise sa graine, pro-duisant la jeune racine qui pointe toujours systématiquement vers le bas pour s’enfoncer dans les profondeurs de la Terre et la jeune tige porteuse de deux feuilles en devenir qui verdiront et se multiplieront au contact de la lumière. La tigelle se dirige toujours spontanément vers la lumière. Par l’étude symbolique le maçon apprend à progresser. J’ai volontairement appuyé ma description de la germination car à l’image de la graine germant, le maçon ne va-t-il puiser dans les profondeurs de la Terre à la recherche du Vitriol, puiser au plus profond de soi les réponses qui lui permettront de s’épanouir et de tendre vers la lumière. Premier et éternel voyage vertical, descendre pour mieux remonter. Passant de la perpendiculaire au niveau, le Compagnon gagne l’horizontali-té. Sa quête, il la réalise avec force travail. Victor Hugo disait : « L’homme ne sera adulte que le jour ou son cerveau pourra contenir dans sa plénitude et dans sa simplicité la notion divine ». Autant dire que je suis à ce jour un nourrisson, voir un fœtus, voir une simple division cellulaire. Seule la volonté de cheminer, d’appren-dre, d’essayer de comprendre, d’apprendre à regarder avec un autre regard, (et je ne parle pas des quatre ni-veaux de perception évoqués dans une tenue précédente), sont des motivations nécessaires et suffisantes pour nous occuper pour des décennies. Sur ce chemin en quête vers une plénitude hypothétique, il est aujourd’hui un outil fort présent, souvent négligé, parfois malmené, le Rituel. Chaque nouvelle tenue permet d’en mesurer

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la force et l’omniprésence. Sa présence rassure. Mais le travail du maçon ne doit pas s’arrêter aux portes du temple et à la durée d’une tenue. Le Rituel est une séquence d’actions stéréotypées, chargées de signification (“symbolique”) et organisées dans le temps. Le Rituel n’est pas spontané. Au contraire il est réglé, fixé, codifié et le respect de la règle garantit son efficacité. La vie profane est Rituel. Au matin, du lever au départ de la mai-son, vos préparatifs, le réveil des enfants, l’organisation du petit déjeuner, l’habillement des enfants, ces petits gestes maintes fois répétés, optimisant au mieux le temps, ces caresses allouées si rassurantes pour l’enfant, face au monde extérieur qui l’attend lorsqu’il vous aura quitté pour la crèche, l’école, le collège, ces phrases sans cesse répétées, ce bonjour, cet au revoir. Ces séquences d’actions recommencées quotidiennement, donnent à l’ensemble de votre famille le signal du début d’une nouvelle journée. Et les rituels peuvent se retrouver dans la plus part des moments d’une journée, dans la plupart des circonstances de la vie. On pourrait dire que tout rite est sacré si l’on se réfère au double sens étymologique de “relier” et se “recueillir”, s’unir volontairement à la tradition que le rite consacre. Comme le rituel maçonnique nous permet de quitter le monde profane pour ouvrir nos travaux symboliques. Il est une phrase du Rituel déjà évoquée précédemment dont la mise en prati-que peut et doit se faire tant dans la vie profane que maçonnique, à savoir «  il faut laisser nos métaux à la porte du Temple ». C’est très certainement la première “raisonance” et la première vraie “illumination” que m’apporta la maçonnerie. Hélas les mots ainsi couchés restent plats et sans résonance. Ils ne transcendent en rien mon ressenti intime. Cette année plus particulièrement, avec mes changements professionnels, mes nou-velles fonctions, mes nouvelles responsabilités, j’ai éprouvé le besoin de confier à certains de mes proches et à des êtres chers de me rappeler à l’ordre, si un jour je venais à oublier de «  laisser mes métaux à l’entrée du Temple ». Il ne s’agit pas d’acquérir de l’extérieur des qualités ou des valeurs, mais de développer et par consé-quent d’amplifier des caractéristiques possédées intérieurement à l’état embryonnaire. Combien de fois êtes vous indisposés, agressés dans une journée par l’attitude d’un interlocuteur, attitude re-posant sur une pseudo-responsabilité, un pouvoir, un bien matériel, parce qu’il est votre client, parce que vous lui devez un service, … ? Combien de personnes, ainsi drapées dans des responsabilités futiles, riches de leurs certitudes et assénant leurs vérités stéréotypées, … vous lassent ? Quelle fatuité ! Qu’il est ô combien impor-tant de pouvoir faire ce pas de côté pour voir les faits sous un autre angle ! Qu’il est ô combien important de relativiser les situations et d’en voir l’essentiel, même si parfois ces révélations peuvent vous toucher plus que de raison. Et puis … dans le pèlerinage que nous avons choisi d’entamer, je suis convaincu que l’erreur la fausse route sont autant d’enseignements que les révélations et les découvertes. Toutefois une chose est certaine, la solitude est notre seule compagne sur ce chemin. À l’image du pèlerin cheminant, même si notre parcours se doit d’être parsemé de rencontres humaines, de rencontres littéraires, … c’est seul que l’on se retrouve dans l’ef-fort. C’est à nous et en nous seul de retrouver ce que l’on veut transcender. Mais j’arrêterai là sur la solitude, notre F∴ Couvreur nous ayant voilà peu régalé d’une pièce d’architecture sur le sujet dont la maestria me prouve les bienfaits du travail et le chemin à parcourir. Si aujourd’hui il est un changement majeur dans mon cheminement maçonnique, il tient pour beaucoup dans cette volonté de transférer l’usage des symboles mis à disposition du monde sacré à ma vie profane. L’éduca-tion de l’enfant que l’on a désiré, espéré, accueilli nécessite de laisser aussi ses métaux de coté. Il ne faut pas transférer sur lui nos espoirs, nos regrets ou nos échecs de jeunesse pour qu’il puisse à son tour les transformer en succès. Ses succès seront les siens, ils ne seront en aucune façon les vôtres. Il ne faut pas lui inculquer des préceptes, il faut l’armer pour la vie. Et au mot armer je préférerais “lui fournir les atouts” pour qu’à son tour il soit à même de cheminer au mieux dans le monde, pour qu’il puisse avoir ce regard déjà un peu différent sur le monde. Ceci demande beaucoup d’abnégation, et je pense que tous les pères ici présents l’ont connue. Il n’est à mes yeux de plus belle récompense que le regard rempli de fierté de mon petit dernier surmontant de lui-même un obstacle, quelque qu’il soit, et prenant conscience que votre âme l’accompagnait dans cette “épreuve”. Alors la plénitude dans tout cela me direz vous ? Déjà ce mot de plénitude est à mes yeux, fermé abouti et par là même limité. Cela doit être une finalité, non une fin en soit. Reprenant l’image du pèlerin, l’important n’est pas d’arriver, l’important est le chemin. L’im-portant est la multitude d’expériences, d’échecs, de joie, de transformations qui se produisent sur la route. Je n’arriverai pas à embrasser l’univers en cent ans en mille ans, alors laissez moi cheminer à mon rythme et trou-ver le bonheur le bord de la route et parfois dans les lumières de poussières d’étoiles.

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2 Juin 2009

Olivier Gen∴

La liberté de la graine réside dans l’accomplissement de son dharma, de sa nature et de sa destinée – qui est de devenir un arbre ; c’est le non-accomplissement qui est pour elle une prison. Le sacrifice par lequel une chose parvient à se réaliser n’est pas un sacrifice qui aboutit à la mort, c’est le rejet des chaînes et l’obtention de la liberté.

Cette citation est une des nombreuses œuvres du compositeur, écrivain, dramaturge et philosophe indien Ra-bindranath Tagore. Il a été couronné par le prix Nobel de littérature en 1913. C’est un non-conformiste et un pragmatique qui aujourd’hui encore inspire bon nombre de penseurs.L’exercice auquel je vais me livrer est un peu périlleux pour un apprenti comme moi, pragmatique et peu en-clin au support littéraire. La difficulté que j’ai eue à traiter de ce sujet complexe m’a mis dans un fort embarras et pour contourner l’obstacle tout en traitant modestement mon sujet, je me suis mis en situation d’écriture rapide, d’évocation de sensation, de mots, d’idées, d’enchaînements qui lors de l’exercice m’ont “libéré” de la pression du rédactionnel tout en donnant une espèce de profondeur, je dirais plutôt d’épaisseur quant à mon ressenti.Les thèmes qui sont abordés dans cette citation gravitent autour de l’accomplissement de soi, la mort, le des-tin, la liberté. Je ne choisis pas de voir l’étendue philosophique de chacun d’entre eux, ni même de les associer, mon travail serait sans fin, incomplet, pas satisfaisant. Je m’interroge … Accomplissement de soi, prison, bar-reaux, sacrifice, mort, chaînes, liberté. Le cycle commence, renouvellement, intérieur de soi, plonger au plus profond, fil à plomb, damier, noir-blanc. Individu, collectif, libertés individuelles s’arrêtent ou commence cel-les des autres, rapport entre l’individu et le collectif, naissance, graine, graines avec un s, chêne, chaînes, elles symbolisent la captivité mais placées dans un certain sens par exemple entre les grenades sur les colonnes elles peuvent alors symboliser les liens qui unissent les générations l’une à l’autre. Elles sont donc les liens qui enser-rent les profanes et qui unissent les maçons …Pourquoi un sujet comme celui-ci ? Je ne sais pas rédiger ou plutôt je n’aurai pas dû m’y prendre si tardive-ment pour rentrer dans ce sujet. Destin, un non destin ? Puis-je lutter contre le destin ou dois-je l’accompa-gner comme un ami. Contre le destin ? Je ne crois pas au destin …Graine, fécondité, Homme/Femme, Arbre ? Plantes ? Pourquoi plus un arbre qu’une plante ? Pour l’aspect majestueux, ça ne cadre pas avec le personnage. Mais souhaite-t-il que cela cadre. Que dois-je voir derrière les mots ?Quel type d’arbre ? Forêt, l’arbre qui cache la forêt. Déforestation, mort, brûler, Toutes les graines ne vivent pas ? Tiens c’est curieux de parler de vie pour une graine ? Renouveau, intérieur de soi …Que de doutes, que de pistes, j’essaye de ne pas me noyer, je ne crois pas au destin, je pense que l’on se cons-truit. Mais alors, l’allégorie de l’homme qui pour échapper à la mort veut échapper à son destin et qui meurt malgré tout … Qu’en penser? Qu’est-ce que notre accomplissement ? La liberté intérieure ? Moi, je compose tout le temps. Se libérer, c’est plonger au cœur de ses enfermements, de défaire les uns après les autres les bar-reaux de notre prison intérieure. C’est choisir ce qui nourrit sa nature, c’est tourner son regard en soi et pren-dre conscience de ses besoins a satisfaire dans le respect de soi et des autres. Dans l’Amour de soi, il y a celui des autres et en tout premier lieu celui de sa famille, de son épouse, de ses enfants et parents …Mais, je compose tout le temps, je ne maîtrise rien. Je fais des choix. Sont-ils bons ? Au bon moment ? Trop tôt ? Trop tard ? L’avenir le dira … Mais est-ce mon destin …Suis-je heureux? En paix avec moi-même ? Peut-être est-ce cela la vraie liberté ? Mais les tracas de la vie de tous les jours, les peines, les joies, influent sur mon jugement, mes choix. Sont-ils bons ? Pour moi ? Pour mon en-

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tourage ? Pour ma famille ? Et les non-choix ? La racine ne peut pas faire de non-choix. Elle poursuit sa route inexorablement et étend son réseau tentaculaire pour contribuer à la vie de son arbre. Nombre de racine, ré-seau, Qu’est la vie ? Un passage sur Terre ? Absurde. L’auteur est hindou, croit-il en la réincarnation ? Plusieurs vies ? La possibilité d’en réussir plusieurs ? D’en louper plusieurs. Passage vers Dieu. Immortalité. La graine, le cycle, l’arbuste, l’arbre, l’arbre qui produit des fleurs puis une graine. Mais les graines ne poussent pas sous l’ar-bre, la fécondité, le voyage, l’élément extérieur qui pousse la graine à côté de l’arbre Père/Mère et qui se régé-nère. Tout comme au premier degré entre mes parents et mes enfants, au second degré c’est la connaissance de moi, de mon moi de mon sur-moi de mon moi intérieur. Je me densifie, je produis plusieurs facettes dont l’en-veloppe n’est qu’un. Je suis cela. Tout cela est subjectif … Ce n’est pas ce que je vois, c’est ce qui n’est pas dit ou simplement suggérer.Pourtant, je me suis évader à plusieurs reprises et ai ressenti des moments d’amour fort ou de compassion. J’ai eu ces flash et je peux donc recommencer à les avoir.« Ne savons-nous pas pourtant que l’apparence de la graine est en contradiction avec sa vraie nature ? Si vous soumettez une graine à l’analyse chimique, vous y trouverez du carbone, des protéines, et bien d’autres choses. Mais jamais l’idée d’un arbre feuillu. » C’est sur cette citation du même auteur que je vous laisse méditer

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Gilbert Iso∴

Lorsque nous sommes aptes à monter à l'aide de l'échelle naturelle vers quelque sommet initiant, nous laissons en bas les échelons du bas ; mais quand nous redes-cendons, nous faisons glisser avec nous tous les échelons du sommet. Nous enfouis-sons ce pinacle dans notre fonds le plus rare et le mieux défendu, au-dessous de l'échelon dernier, mais avec plus d'acquisitions et de richesses encore que notre aventure n'en avait rapporté de l'extrémité de la tremblante échelle.

Ceci est un extrait d’un texte de René Char, dont je ne ferai pas ici la présentation, le texte n’étant qu’une in-vite à la réflexion et au dépassement de celle-ci …L’analyse générale du texte donne l’impression que quand on a connu, l’extase des sommets, on en revient tou-jours plus riche et expérimenté, illuminé même, qu’avant, pour supporter notre condition.L’analyse de texte littérale donne 3 parties :a) « Lorsque nous sommes aptes à monter à l'aide de l'échelle naturelle vers quelque sommet initiant, nous laissons en bas les échelons du bas. » L’échelle naturelle est fonction d’un sommet initiant : donc la de la perception et de la pensée, la voie mystique ou spirituelle pourrait être associée à l’idée d’échelle naturelle … celle que nous fourni la nature, notre nature d’être pensant et se sachant penser … donc lorsque l’on est apte naturellement (c’est à dire que l’on équipé des éléments nécessaire à pense : soit de l’information, du sens critique et de la mémoire) à utiliser la pensée pour nous élever au dessus de notre condition matérielle, nous laissons symboliquement de côté, les échelons du bas, perçus comme non initiatiques, distants des sommets somme toute très relatifs. b) « Mais quand nous redescendons, nous faisons glisser avec nous tous les échelons du sommet. » Lorsque l’on ressort de cette expérience de pensée, spirituelle, initiatique, on demeure imprégné des pensées que l’on a alors expérimentée, et riche de celles-ci, à jamais, en tant qu’entité humaine organisée … c) «Nous enfouissons ce pinacle dans notre fonds le plus rare et le mieux défendu, au-dessous de l'échelon dernier, mais avec plus d'acquisitions et de richesses encore que notre aventure n'en avait rapporté de l'extrémi-té de la tremblante échelle. »Nous en conservons traces en mémoire, bien enfouies dans notre cerveau, dans nos cellules, et avec l’expé-rience vécue de la connaissance il s’agit d’un nouvel échelon de conscience, qui enrichit notre être tout entier, par sa simple expérience dans notre vécu d’autres perceptions, d’autres connaissances … ET surtout cela met en évidence l’unicité de l’être et de son vécu à travers l’âme humaine, comme expérience unique, individuelle, bien qu’inexorablement reliée à une totalité qui la dépasse … le dépassement de soi ne devenant au final qu’une en-tité perçue, cela nous permet d’envisager d’autres plans de consciences : conscience mentales, spirituelles, phy-siologiques, combinées ou non et qui résonnent en autant de niveaux vibratoires imbriqués, ceux-ci étant plus ou moins accordés ou non, sur des plans qui lorsqu’ils sont déséquilibrés favorisent des dysfonctions tant au plan mental que physique, et lorsque les effets correctifs d’adaptations autonomes de l’être sont dépassés, la dégénérescence ou la maladie surviennent, qu’elles soient fonctionnelles ou plus hiératiques, selon les condi-tions mises en œuvre.En conclusion nous pourrions déjà clore ce travail e affirmer, ce que savions probablement déjà, qu’à l’écoute même de tous les travaux sur notre durée personnelle de parcours initiatique : expérimenter permet de relati-viser et relativiser instruit nos sens, nos perceptions, nos pensées, et nos états vibratoires, dans une suite indé-finie de sommets sans cesse à gravir et qui nous aident à nous reconstruire …

Il y aurait donc plusieurs façons de nourrir une réflexion sur ce sujet du dépassement mais l’angle du dépasse-ment physique, corporel (ou incorporé), est une des voies que j’ai eu l’occasion d’expérimenter quelques fois, alors c’est vrai que la tentation, à laquelle je cède volontiers, se loge du côté du dépassement de soi et celle de l’expérience corporelle, (et bien sur mentale), intime creuset qui nous forge et nous détruit tout en nous ai-dant à accepter notre permanente reconstruction.

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Une phrase lue d’un guide de haute montagne m’avait bien plu : « Il y a un paradoxe entre la trace éphémère laissée par nos pas sur ces montagnes qui nous semblent inaccessibles et qui nous procurent dans l'instant pré-sent une souffrance physique indescriptible, et les images fortes faites de lumière, de beauté et de douceur à jamais gravées dans nos têtes … » Michel Bruel, Guide de haute montagne (Vallée de Chamonix)L'effort corporel et le dépassement de soi :Je voudrais donc commencer par trois remarques liminaires.La première remarque consiste à dire que l'expérience de l'effort corporel met tout homme face à une énigme, simple dans sa formulation, mais à laquelle la philosophie s'est, depuis toujours, heurtée. « Mon corps est-il à moi ?  » Cette chose par laquelle je participe de la matérialité, de la visibilité, de la localité, de la vitalité, ce corps presque à l'extérieur puisque je dis que je l'ai ou le possède comme une chose, est pourtant tellement à moi qu'il est entièrement moi, au creux de mon intimité, de ce que j'appelle ma chair pour indiquer qu'il n'est pas une chose détachable de moi et que l'on ne saurait me l'arracher sans une souffrance ou une disparition terribles. Valéry a très bien exprimé ce paradoxe ou cette ambiguïté de l'expérience de notre corps qui brouille la distinction du sujet et de l'objet, de l'intérieur et de l'extérieur, de ce qu'il appelle le « Dedans » et le « De-hors » :Seconde remarque : à cet étonnement face à l'aporie du corps propre et du « ressort de ses forces » s'ajoute ensuite et inévitablement une autre énigme très bien exposée par Spinoza dans la troisième partie de l'Éthique, « Personne, il est vrai, n'a jusqu'à présent déterminé ce que peut le corps […]. Le corps peut, par les seules lois de sa nature, beaucoup de choses qui causent à son âme de l'étonnement.  » Bref et comme le dit Deleuze commentant Spinoza « Qu'est-ce que peut un corps ? » Nous modifierons la question en “qu'est-ce que peut mon corps ?” En tant qu'il est à la fois patient et agent, jusqu'où va sa puissance qui est aussi la mienne ? Il n'y a pas de réponse préalable et abstraite à cette question, dit Spinoza. Il n’y a de réponse que dans la tentative par laquelle chacun fait un effort corporel et mental à la fois pour devenir concrètement actif, c'est-à-dire pour déployer sa puissance d'agir.Troisième remarque : l'effort corporel, de même que l'effort intellectuel dont traite Bergson dans L'Énergie spirituelle, est ce que l'on pourrait appeler une “donnée anthropologique”. L'effort corporel est l'expérience que chacun fait en prenant alternativement dans la relation de son corps à lui-même et au monde « deux atti-tudes différentes, l'une de tension et l'autre de relâchement, qui se distinguent surtout en ce que le sentiment de l'effort est présent dans l'une et absent dans l'autre ». C'est dans la succession de la tension et du relâche-ment, c'est dans leur alternance, dans leur battement ou dans le jeu dialectique de leur apparition et de leur disparition, que nous faisons l'épreuve, sous la forme de l'expérience sensible et dynamique, d'une résistance des corps extérieurs et du nôtre d'abord : serrer le poing, étendre les doigts, est un effort qui n'a pas encore besoin d'un corps extérieur pour s'exercer. C'est un effort qui vainc, non pas d'abord l'inertie d'un élément étranger, mais celle simplement de nos organes. C'est, comme le dira Maine de Biran au début du XIXe siècle, « un fait primitif », un fait et non une abstraction ; un fait par lequel nous nous sentons nous-mêmes, nous déployons notre vitalité, notre activité, notre force et notre liberté. Dans l'effort corporel nous nous saisissons comme cause au milieu d'un combat c'est-à-dire au sein d'un affrontement de forces internes ou externes. Au sein de cet affrontement de forces se dessine alors la possibilité de l'exercice d'une puissance, d'une affirmation de soi qui doit résister à tout ce qui est capable de nous faire disparaître. Quelle que soit la portée ontologique ou psychologique (ou même sociale) que l'on confère à l'effort, celui-ci (ce que les Latins puis Spinoza dési-gnaient du terme de conatus) renvoie à notre productivité, à notre persévération et à notre durabilité, en des termes peu détachables d'un horizon polémologique ou agonistique  : celui (que l'on trouve chez César ou Tite-Live par exemple) de la guerre et du combat. Que l'on soit dans le cadre d'une philosophie finaliste du cosmos et du logos comme celle des stoïciens, que l'on soit dans celui d'une philosophie mécaniste de la puissance comme celle de Spinoza, que l'on soit dans l'enceinte d'une philosophie psychologique du moi comme celle de Maine de Biran, que l'on soit enfin dans le bouillonnement d'une philosophie perspectiviste de la volonté de puissance comme celle de Nietzsche, c'est toujours cette expérience du conflit entre une force et une autre force résistante que se joue la vie de notre individualité comme une individualité s'efforçant et persévérant.Cet invariant de notre individualité persévérante par l'intermédiaire d'un corps qui s'efforce et qui lutte, est bien le principe de variations sur le sens que nous conférons à ce corps et à la place de ses efforts dans l'ensem-ble de l'existence humaine.

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L'usage du corps n'est pas séparable des significations que nous projetons sur lui. Il est donc, par tous les sym-boles au travers desquels les données biologiques disparaissent, conventionnel. À ce titre, il est institué et cul-turellement fabriqué. C'est ce que nous a appris, il y a quelques décennies, Marcel Mauss dans un article resté célèbre sur les techniques du corps. Extraits : « La technique est l'ensemble des procédés d'utilisation des outils ou des instruments s'intercalant entre le corps et la nature. Mais, bien plus fondamentalement, la technique est la transformation du corps en instrument, « le plus naturel instrument de l'homme » dit Mauss. Avant même de produire des outils (dans le même temps qu'il les produit), l'homme se fait outil. Ce qui revient à dire que l'outil se fait homme. Tous les mouvements corporels qui peuvent apparaître comme naturels et entièrement déterminés par des exigences biologiques (marcher, dormir, grimper) sont en fait des « séries d'actes montés », non pas simplement par l'individu, mais « par toute son éducation, par toute la société dont il fait partie, à la place qu'il occupe ». Mauss conclut : « Je crois que l'éducation fondamentale dans toutes ses techniques consiste à faire adapter le corps à son usage. Par exemple, les grandes épreuves du stoïcisme qui constituent l'initiation dans la plus grande partie de l'humanité, ont pour but d'apprendre le sang-froid, la résistance, le sérieux, la présence d'es-prit, la dignité, etc. La principale utilité que je vois à mon alpinisme d'autrefois fut cette éducation de mon sang-froid qui me permit de dormir debout sur le moindre replat au bord de l'abîme. »« Il est à noter d’ailleurs que c’est en particulier dans l'éducation du sang-froid qu'il y a volonté de maîtrise culturelle. Et celui-ci est avant tout un mécanisme de retardement, d'inhibition de mouvements désordonnés. […] Cette résistance à l'émoi envahissant est quelque chose de fondamental dans la vie sociale et mentale. »Ce texte de Mauss condense quelques idées de base. Les techniques du corps sont acquises et apprises de manière à produire des habitudes visant une meilleure efficacité ou un meilleur “rendement” de l'individu et de son corps. Ces habitudes ne circonscrivent pas une seconde nature comme l'a dit Aristote, mais au contraire une pre-mière nature : une première nature qui est entièrement culture. Les techniques du corps aident à la résistance ; elles sont authentiquement des techniques de l'effort. Les efforts construits et techniques du corps échafaudent notre moi  ; ils sont des épreuves c'est-à-dire des mouvements par lesquels le moi s'éprouve lui-même et se prouve ses résistances et ses capacités : ces épreuves lui donnent les preuves de sa dignité ou de sa valeur. Cette construction du moi est permise dans l'exacte mesure où elle permet elle-même la construction d'un moi social qui l'enveloppe et le transcende  : mon corps est débordé par un corps collectif et social auquel il appartient et qui en retour lui appartient par incorporation des habitudes concernant la pratique de l'effort et les significations de cette pratique. Le moi et le corps individuel et social sont doublement indissociables : pas de moi sans les efforts et les épreu-ves du corps ; pas de moi corporel de l'individu sans le moi corporel de la collectivité et corporellement senti par l'individu.Si l'on essaie de tenir ensemble les trois remarques introductives, on doit dire que les trois questions « mon corps est-il à moi ? », « que peut mon corps ? », « quelle est la signification sociale et morale historiquement déterminée de l'effort corporel ? », sont étroitement liées dans la mesure où l'effort lui-même, dans sa réalisa-tion comme dans sa sensation, y apporte une réponse concrète. Quelle est alors la valeur morale, sociale, spiri-tuelle que nous accordons aujourd'hui à l'effort corporel ? Les réponses sont à mon sens humainement et in-dissociablement : se connaître, s’accomplir, s’épanouir, se dépasser.

Se connaître Ce qui frappe, c'est l'importance de plus en plus forte reconnue et accordée à l'effort corporel comme si la vieille exigence delphique et socratique du « connais-toi toi-même » passait désormais, non plus par une vi-sion intellectuelle où par une vita contemplativa, mais par une pratique forcément (le mot est ici bien à sa place) laborieuse i.e. relevant de la vita activa. Cette vie active, pratique et poïétique tout à la fois, est insépara-ble du corps ou de la chair dont nous sommes faits et qui, désormais, ne peuvent plus être traversés c'est-à-dire dépassés. Il y a, dit Valéry à l'intérieur d'un de ses nombreux recueils de réflexions éparses, « un Gnôti séauton dans ce domaine [dans celui de soi-même et de son corps], qui n'est pas moins incomplet, accidentellement enrichi, ou essentiellement borné que l'autre, —  celui où tâtonne et s'égare Socrate  ». Jamais sans doute la considération de l'effort du corps ne put être complètement exclue du « connais-toi toi-même ». Pour nous et simplement, déclare Valéry, non seulement elle ne peut pas être exclue mais elle ne peut même pas être mise

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à sa périphérie parce qu'elle en est devenue le centre et peut-être l'unique préoccupation de nous-même. Mon corps est-il à moi ? Oui absolument ; il est moi, sans distance ni extériorité. Comme dit Nietzsche contre ce qu'il appelle « les contempteurs du corps » : « Corps suis tout entier, et rien d'autre, et âme n'est qu'un mot pour quelque chose dans le corps. » Que peut mon corps ? L'effort corporel me montre que je ne sais toujours pas ce qu'il peut, non à cause de l'ignorance de sa structure, mais à cause de l'effort lui-même qui est ce par quoi je suis capable justement de faire reculer ses limites et progresser sa puissance. Que peut mon corps ? Toujours mieux, toujours plus, citius, altius, fortius  : escalader des montagnes toujours plus hautes  ; mais comme les montagnes ne dépassent pas 8 846 mètres, toujours plus vite ou en en enchaînant un nombre tou-jours plus grand (par exemple les 80 sommets de plus de 4 000 mètres des Alpes), ou en découvrant une voie toujours plus difficile. Quel est le sens de cette réalisation de soi dans un effort comme continuel passage à la limite ? Notre société contemporaine semble répondre : le moi, en tant que moi, doit être surmonté indéfini-ment. Il n'est, pour lui et pour les autres, que par l'effort qui consiste à se dépasser. Et ce dépassement, il est bien plus physique qu'intellectuel comme le montre l'hyper valorisation de deux types d'hommes : le sportif d'abord qui se fait lui-même et conquiert face aux autres sa reconnaissance, par le recul, toujours plus loin, plus haut, plus fort, des limites de son corps et de sa capacité à souffrir que ce recul implique. Deuxième type d'homme  : l'artiste, mais à condition de ne plus voir en lui le savant ou l'intellectuel fabriquant l'œuvre, tel Léonard de Vinci, comme cosa mentale : c'est avec toutes les fibres de son corps que l'artiste doit créer aujour-d'hui ; c'est avec sa chair qu'il doit reculer les limites d'une créativité infinie au risque de souffrir et même de mourir. « Je suis un corps, disait Artaud, et un corps c'est la fureur d'une douleur. »Notre société contemporaine semble ainsi nouer trois pensées et trois pratiques de l'effort : une pensée et une pratique de l'accomplissement, de l'épanouissement ou de la formation et du dépassement de soi. Ces trois modalités de l'effort se juxtaposent et sont, pour nous, toujours co-présentes de telle manière que leurs fron-tières sont brouillées par delà les oppositions voire leurs contradictions quant au statut de l'individu, quant à la valeur qu'il accorde à son existence, quant au rapport à son corps, quant à la relation entre son corps et sa pensée, quant à notre relation enfin à la finitude et à la mort. Mais ce n'est pas parce que ces frontières sont brouillées que ces frontières n'existent pas et qu'il ne faut pas les distinguer. Au contraire même, puisqu'il en va de notre propre lucidité.

S'accomplirLa pensée de l'accomplissement de soi, héritée d'une tradition immémoriale et à laquelle Marcel Mauss de-meurait attaché, est celle de l'épreuve. Cette pensée de l'épreuve est la pensée de l'effort en tant qu'il construit le moi, mais en tant que le moi trouve, par son intermédiaire, une finalité plus haute que lui qui est sa place dans le réel naturel ou social. C'est cette conception, par laquelle la construction de soi se fait sous la lumière du vrai, que l'on trouve dans une certaine pratique sportive dont parle, par exemple Michel Serres dans Varia-tions sur le corps  : « Courage, lucidité, solidarité  : cette pensée de l'épreuve qui considère l'effort corporel comme l'instrument d'un accomplissement de soi et du lien social, est une pensée de la limite et de la mesure. Adossée à l'exigence d'exactitude, cette pensée fuit l'illusion. L'effort qui vainc est donc la pierre de touche qui indique à soi et à chacun sa place. »Les Grecs l'avaient déjà compris, eux qui célébraient Héraclès, le guerrier ou l'athlète victorieux, et qui leur offraient la gloire (esthétique et éthique à la fois) d'une statue ou d'un chant poétique. L'exploit physique ne devient en effet héroïque qu'à la condition d'entrer dans l'équilibre, l'harmonie et la mesure des figures, des mots et des pensées qui sont socialement partageables et qui sont le reflet de l'ordre du monde. Hercule le vertueux, le fort, le tueur de monstres, le réalisateur des erga (travaux) et des parerga, Hercule donc ne meurt d'une mort qui immortalise que parce que sa force, toute en extériorité, dépasse les bornes et sombre dans l'ir-rationalité de l'hybris. Hercule tout entier résumé dans la force de ses bras, est puni d'un excès inverse de celui d'Ulysse : Ulysse le rusé c'est-à-dire le trop plein d'intelligence. En passant par les défilés et les contraintes de la mesure, le corps, rapatrié dans les régions du logos, échappe à la mortalité et à la dégénérescence : lui qui est soumis au temps, advient à la fixité de la beauté, de la mémoire qui célèbre et de la perfection qui élève. Les héros, guerrier ou athlète, élèvent leur corps et leur existence à un sommet : celui de la mort pour le guerrier, celui de la victoire pour l'athlète des jeux panhelléniques. Ce sommet est l'acmé d'un processus du corps sur lui-même mais aussi contre lui-même. Ce processus est un exercice, un athlos qui signifie à la fois une lutte, une épreuve et un combat. Dans ce processus pénible et même violent, le corps va finalement plus haut que lui ; il s'abolit et laisse la place à l'âme qui possède, seule, une existence pérenne. L'âme a donc cultivé le corps

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pour mieux s'en émanciper. La pensée de l'accomplissement est ainsi volontiers une pensée de l'âme qui est liée au corps et qui comprend qu'elle ne peut pas sauter brutalement en dehors de lui : au contraire, l'âme doit pro-gressivement maîtriser le corps, le rendre puissant et vainqueur pour pouvoir, à la fin, le vaincre lui-même.Le corps doit fonctionner et s'efforcer selon les lois que la nature lui a données, en un équilibre qui est « une des conditions de la juste hiérarchie de l'âme ». Platon écrit dans la République ce que l'homme qui réfléchit doit faire : « Toujours, en sorte de manifester que s'il règle harmonieusement l'harmonie intérieure au corps, c'est en vue de la symphonie intérieure à l'âme. »L'homme sage se doit d'être le musicien de lui-même. Sa vertu est avant tout, dans l'ordre de l'action, la tempé-rance et, comme le dit Michel Foucault, le souci d'une « stylisation d'une liberté ». C'est la raison pour la-quelle Platon critique et les athlètes purs et les ascètes purs, les premiers parce qu'ils sont fragiles, toujours ma-lades et abusivement préoccupés de leur corps, les seconds parce qu'ils refusent une nécessaire, réglée et donc sereine installation dans leur corps. Dans la pensée grecque, le moi s’accomplit par une nécessaire traversée du corps. On doit traverser le corps comme on traverse la mer  : en en faisant l'épreuve. En faisant l'épreuve du corps, le moi (à l'image de celui d'Ulysse) se découvre, ainsi que l'ordre du monde. En un véritable achève-ment, il s'accomplit et l'accomplit. Mieux vaut, pour avoir une chance d'accoster, un solide navire plutôt qu'une coquille de noix !Dans cette configuration qui n'est pas seulement historique tant il est vrai que l'athlétisme et l'ascétisme sont constitutifs du sport moderne, l'effort corporel ou l'impulsion active (hormé) suppose donc toujours une ré-serve, une règle ou une prudence. En bref, et comme on peut le voir dans le stoïcisme de Marc-Aurèle par exemple, une sorte de douceur qui est la force la plus efficace et la plus achevée parce qu'elle est la force maîtri-sée.

S'épanouirL'autre pensée de l'effort qui traverse nos actions est celle de l'épanouissement de soi et de la formation. Cette signification existe (depuis Aristote au moins) et on la trouve chez Comenius par exemple qui compare l'esprit humain à « un grenier tellement impossible à remplir que, du point de vue de la connaissance, il représente un abîme ». En conséquence, dit-il « L'esprit de l'homme qui entre dans le monde est très bien comparé à une semence ou à noyau, où la figure de la plante […] existe en puissance, comme on le voit quand le noyau mis en terre donne, d'une part, des racines, d'autre part, des pousses qui s'allongent en branches et en rameaux, se couvrent de feuilles et se parent de fleurs et de fruits. Il n'est donc pas nécessaire de rien apporter du dehors chez l'homme, mais seulement de faire pousser et se développer les qualités dont il contient le germe et de lui montrer quelle en est la nature. »Cette pensée de l'épanouissement est cependant corrigée ou complétée à partir du XVIIIe siècle par l'exigence de construction de l'individu pour une destination qui est celle d'une liberté infinie prolongeant cette con-naissance infinie dont parle Comenius. Au sein de cette pensée, le moi est délié de normes naturelles, religieu-ses, philosophiques qui le surplomberaient en lui assignant de l'extérieur des limites qu'il n'aurait qu'à intériori-ser. L'effort épanouit le moi ; il l'ouvre en lui donnant une extension où se développent toutes ses possibilités mais sans qu'une borne vienne arrêter ce processus infini.

ConstatsL'effort est solidaire d'une conception prométhéenne de l'homme comme cet être qui se donne « la forme qui lui plaît » parce qu'il est à lui-même son propre modèle. L'effort est solidaire d'une conception individualiste de l'homme dont la sagesse n'est plus de retrouver sa place dans l'ordre universel mais de produire, par ses seules forces, un ordre à construire et donc nécessairement marqué du sceau de la précarité.Troisièmement, l'effort est ici solidaire d'une éducation  : corporelle d'abord, intellectuelle ensuite (elles sont les deux aspects de la culture physique que l'on retrouve chez Kant c'est-à-dire l'éducation de la nature du corps et de l'âme), pratique enfin (éducation à la moralité et à la liberté qui n'est pas de l'ordre de la culture physique parce qu'elles sont au-delà de la nature). L'effort corporel est le premier pas d'une formation (Bildung comme disaient Kant et Hegel) de l'homme comme « la seule créature qui doive être éduquée » en un processus disciplinaire sans fin à cause de sa perfec-tibilité qui est le contraire d'une perfection. L'homme a besoin d'un maître disait brutalement mais justement Kant ; mais ce maître, à son tour, a besoin d'un maître.

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Si seulement, indique Kant, un être d'une nature supérieure se chargeait de notre éducation, on verrait alors ce que l'on peut faire de l'homme. Mais comme l'éducation d'une part ne fait qu'apprendre certaines choses aux hommes et d'autre part ne fait que développer en eux certaines qualités, il est impossible de savoir jusqu'où vont les dispositions naturelles de l'homme. Puisqu'il n'existe pas de maître parfait parce qu'aucun homme n'est parfait, puisque l'éducation vise une liberté sans bornes, l'épanouissement et la formation de soi sont en droit indéfinis. L'effort corporel apprend ici encore les limites par des exercices. Les limites dans leur conception antique n'ont pas disparu, mais, ré-interprétées à l'aune de l'historicité et sorties d'une « métaphysique de la finitude », elles doivent être perpétuellement dépassées par une maîtrise de soi de plus en plus assurée d'elle-même en une invention continuelle qui est un progrès. L'effort permet la maîtrise du corps ; celle-ci libère la maîtrise de la volonté et de l'intelligence  ; cette dernière maîtrise libère enfin celle, infiniment infinie si l'on peut dire, de la culture, de la socialité et de la moralité. Pour Kant et pour Hegel, l'effort corporel est pris dans une exigence de formation qui est à la fois formation de soi et formation de la chose ou du monde. Progrès infini de la perfectibilité de la liberté, monisme de la pensée et du corps, processus de formation, tels sont rapidement les trois cadres conceptuels qui rendent possible, dans le temps du loisir et donc à l'extérieur des activités laborieuses, la conception moderne du sport et de l'effort corporel qu'elle suppose. Un grec cou-rait et luttait contre un autre grec dans l'instant et pour l'éternité de la gloire ; l'épreuve du corps et la violence de la dépense physique sont les modes d'accès à un corps glorieux chanté par le poète : Pindare ou un autre. Un moderne, au contraire, court et lutte contre un autre homme mais surtout contre les générations et les siècles passés, non pour conquérir un corps dé-matérialisé, mais pour augmenter rationnellement les perfor-mances (du corps et de la pensée mêlés) qui sont celles de l'humanité entière. Aussi l'exploit moderne a-t-il besoin, non d'un poète mais d'un journaliste ou d'un historien qui ont eux-mêmes besoin des procédures ob-jectives d'enregistrement des performances obtenues dans l'espace et le temps, c'est-à-dire de scientifiques.

Se dépasserIl existe bien une autre pensée de l'effort corporel spécifique de l'époque contemporaine qui se mêle aux pen-sées précédentes héritées de l'Antiquité. J'appellerais cette pensée, pour cette étape, celle du dépassement de soi. Le dépassement de soi est déjà impliqué dans la logique de l'épanouissement dont je viens de faire état. Mais dans cette logique, une norme subsiste  : celle, immanente, de la nature humaine. Dans la pensée con-temporaine, le dépassement de soi dans et par l'effort corporel vise radicalement l'émancipation de toutes les limites et l'expérience de la démesure. Cette enflure nous met face à la nécessité d'un perpétuel débordement de l'effort et de nous-mêmes. D'une part, ce nous-mêmes est entièrement ceint dans l'effort corporel  : Maine de Biran a été le premier à théoriser cette idée puisque pour lui le moi n'est plus un “je pense” mais un “je peux” dont l'être tout entier consiste dans le déploiement de l'effort du corps propre. D'autre part, ce nous-mêmes devient le processus de la conquête d'un toujours-plus possédant une valeur en soi : dans une perspective toute différente de celle de Biran puisqu'elle n'est plus celle d'un cogito même corpo-rel, Nietzsche a été le premier à théoriser cette seconde idée : celle que nous ne sommes pas un moi mais un soi dispersé ou éclaté « qui habite le corps, qui est le corps » et qui existe par la force grâce à laquelle il fait tout, non pour se conserver mais pour « devenir davantage ». C'est le mouvement de ce que les Grecs appe-laient une pléonexia c'est-à-dire d'un trop-plein, c'est « le débordement nécessaire par delà toutes les limites » comme dit Nietzsche, qui font l'individu contemporain Dans le travail, cette exigence de la performance est celle d'une optimisation et même d'une maximalisation des forces corporelles et mentales du travailleur auquel on demande d'être au mieux de lui-même c'est-à-dire encore un peu plus au-delà de ce qu'il pouvait déjà faire. Mais, dans le temps libre du loisir, cette exigence de la performance devient complètement auto-finalisée. La performance pour elle-même en général, la perfor-mance du corps pour elle-même en particulier, deviennent le mode d'accès (marqué du sceau de l'inutilité) à un monde de ce que l'on appelle aujourd'hui “l'extrême” et où il est d'usage, comme dit une certaine langue ordinaire, de “s'éclater” : l'extrême ou le plus à l'extérieur ; l'extrême ou le dernier degré qui n'est jamais le der-nier, une transcendance dans l'immanence d'une quête sans véritable sens, au sens de signification et au sens de direction. Si nous courons dans la vie, si nous cherchons à améliorer nos performances dans cette course, si après avoir couru nous nous reposons de cette course en enchaînant une autre course (à pied ou à vélo cette fois-ci sur les routes ou sur les montagnes) mais où il est aussi question d'améliorer nos performances, c'est parce que la vie est fondamentalement, et par tous ses aspects, une course. Thomas Hobbes avait, dès le XVIIe

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siècle, comparé la vie humaine à une course à pied en minimisant tout de suite la portée de l'analogie : « Et quoique la comparaison, disait-il, ne soit pas juste à tous égards. » Il précisait cependant « Nous devons sup-poser que dans cette course on n'a d'autre but et d'autre récompense que de devancer les concurrents.  » Je pense que notre époque contemporaine a radicalisé la comparaison hobbesienne (l'a rendue plus exacte) et a montré qu'en devançant les concurrents dans la course de la vie, nous cherchons d'abord à nous devancer nous-mêmes. C'est dans le risque de mort pour lui-même que se réalise notre liberté au sein d'un réel sans ar-rière-monde où la mort approchée est simplement ce qui augmente, intensifie et exalte le sentiment de vivre.

Pour ne pas conclure mais ouvrir une conclusion …Y a-t-il pour finir un enseignement dans cette amenée du corps à ses limites extrêmes ? Y a-t-il même une sa-gesse ?Il y a d'abord une discipline. Celle que Nietzsche nomme « La discipline de la souffrance, de la grande souf-france, ne savez-vous pas que c'est la seule discipline qui toujours ait permis à l'homme de s'élever ? […] Cette dureté nécessaire pour tous ceux qui gravissent les montagnes. »Il y a ensuite une exigence et ce qu'il appelle « notre impératif » : ce n'est pas un “tu dois”, mais un “il faut que je” de l'hyper-puissant créateur.Chez l'alpiniste et chez tout sportif confronté à ses limites ou à celles des éléments, cette exigence est à la fois esthétique et éthique, puisqu'elle est l'exigence de créer et de se créer, de faire une sculpture de soi sans aucune autre limite que celle que, corporellement, nous supportons et repoussons. Peut-être y a-t-il là quelque chose de fou. Peut-être aussi n'y a-t-il pas là plus de folie que dans le texte de Hob-bes, dans les paroles de Herzog parvenant, au bout de la douleur et comme anesthésié, au sommet de l'Anna-purna. Peut-être même y a-t-il ici comme une sorte de sagesse puisque les pratiques d'Orlan et celles de l'alpi-niste ont ceci en commun qu'elles nous convient à une maîtrise de nous-mêmes : au sein d'une démesure, par son action même, elles nous apprennent à supporter la douleur et notre mortalité ; elles nous apprennent ce sang-froid et cette dignité, c'est-à-dire cette estime de soi dont parlaient Marcel Mauss, Kant et Michel Serres. Elles nous apprennent, de manière stoïcienne enfin et loin des conforts de la consommation, le prix de la vie vécue intensément, c'est-à-dire d'une vie qui sait lucidement qu'elle peut s'arrêter et qui se doit d'être vécue comme si elle était parvenue à sa fin.Si la superposition et le nouage serré des valeurs que nous conférons à l'effort corporel (se connaître, s'accom-plir, s'épanouir (et se former), se dépasser) brouille la conscience contemporaine soumise à une indisponibilité du sens, il n'en demeure pas moins que cet étagement des étapes du dépassement, notamment ayant comme support le lien corporel, peut permettre à chacun d'articuler pour lui-même et lucidement les valeurs qu'il poursuit en les expérimentant sans cesse.

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Bernard Flo∴

Emprunter, pendant le temps que les profanes appellent la vie, un véhicule corporel –auquel nous ne pouvons nous identifier totalement- est sans doute le meilleur moyen de se développer dans ce plan-ci, entre naissance et mort  ; mais notre être profond, subtil, notre être immatériel –celui qui commande à tout le reste- n’existe-t-il pas selon d’autres modes d’existence ? Survivant à la séparation d’avec le véhicule corporel  ? Plutôt que la fau-cheuse définitive, dans la mort je vois l’étoile de la connaissance qui guide sur un chemin sans retour, un chemin de conscience.

6 mai 2009. Dans une petite bourgade kurde de l’est de la Turquie, un mariage de paisibles villageois tourne brutalement à la tragédie. En l’espace de quelques instants, 44 personnes sont sauvagement assassinées à la grenade et au fusil d’assaut par une bande de tueurs déchaînés. Parmi les victimes, les deux fiancés, tous leurs parents, le maire et même l’imam du village. En lisant cette info sur internet, je me suis tout de suite posé cette question idiote : où toutes ces victimes sont-elles donc allées, une fois privées de leurs corps ? Et si elles sont allées quelque part, y sont-elles allées toutes ensemble, soudées par cette soudaine brutalité qui les a si injus-tement privées de leurs vies, ou bien au contraire ne s’est-il rien passé du tout, le silence des armes ne laissant subsister de cet horrible carnage que l’odeur de la mort et les cris des survivants ?Question  : les charges émotionnelles hyper-violentes perdurent-elles dans quelque chose aussitôt après la mort ?Les morts collectives, toujours tragiques et injustes, provoquent, chez moi en tout cas, ce genre d’interroga-tion : les tueries de 14-18, la Shoah, les génocides arménien, rwandais, cambodgien, les 1500 morts du Tita-nic, les 2500 victimes du 11 septembre, les milliers de morts du tsunami de 2004, et tout récemment la cen-taine d’enfants assassinés au Sri Lanka sur un misérable bout de plage, pour ne citer que quelques exemples.Question : un destin posthume individuel est-il concevable, ou bien les cartes sont-elles dès le départ irrémé-diablement brouillées ?Plus près de nous, plus banalement aussi, à Marseille, pas moins de 25 êtres humains meurent chaque jour, chez eux, dans la rue, le plus souvent à l’hôpital. 1 décès à chaque heure qui passe. 8 à 9 000 morts chaque an-née. Au moment où je vous parle, les morgues hospitalières ont fait le plein. La mécanique funéraire se met en branle, les autopsies éventuelles sont programmées, les enterrements organisés. Les familles pleurent leurs morts, le travail de deuil commence un peu partout dans la ville.Nous avons tous des morts à pleurer. Certains d’entre nous ont peut-être déjà eux-mêmes effleuré la mort ; Elle est terrifiante, elle est horrible, elle est belle aussi, attirante comme une sirène. C’est la mort, et la mort, comme la maladie, mais comme la vie finalement, constitue notre pain quotidien, notre réalité.Question : peut-on s’abstraire de la peur, de la douleur, de la souffrance, de l’horreur, de la fascination, et re-garder lucidement ce qui se passe ?

De quoi parle notre sujet ? De véhicule corporel et d’être profond, subtil, immatériel ; de notre intervalle ter-restre entre naissance et mort ; de la nécessité de cet intervalle comme moyen de développement ; de quelque chose d’autre que notre seul corps dans la définition de notre existence ; d’un autre mode d’existence de ce qui semble nous constituer fondamentalement  ; de connaissance et d’un chemin de conscience  ; et toujours et encore de la faucheuse.D’après le Vedanta, il n’existe que cinq causes à la souffrance humaine. La première, c’est de ne pas savoir qui l’on est. La seconde, de s’identifier à son ego ou à son image de soi. La troisième est l’attachement à ce qui est éphémère et irréel. La quatrième est d’avoir peur de ce qui est éphémère et irréel. Et la cinquième est la peur de la mort. Le Vedanta ajoute que les cinq causes de la souffrance sont toutes contenues dans la première d’entre elles : ne pas savoir qui nous sommes.

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Je vais essayer d’articuler mon petit travail sur ce schéma. Dans une première partie, j’évoquerai le mystère non résolu de la réalité, de la place que nous occupons dans cette réalité et de ce que cela implique concernant la mort. Dans une seconde partie, j’aborderai la thématique de ce qui nous regarde tous ici au premier degré du R∴E∴A∴A∴, à savoir la mort symbolique et l’initiation, de façon à rejoindre le fil de notre sujet qui parle de développement nécessaire, de connaissance et de chemin de conscience.

La question de la réalité est l’exemple parfait de tarte à la crème de la philosophie type café du commerce. Qu’est-ce qui est réel et qu’est-ce qui ne l’est pas ? La réalité existe-t-elle en dehors de moi ? Y a-t-il une vérité ultime du réel ? Le monde poursuit-il son existence lorsque je m’en absente en plongeant dans mes rêves ? Au-tant de réalités que d’observateurs. Le réel palpable serait-il le résultat éphémère et changeant d’un consensus entre une multitude d’observateurs ? Dans l’histoire des idées, le réel glisse progressivement du monde triomphant des encyclopédistes du Siècle des Lumières et des positivistes du XIX° siècle vers celui, beaucoup plus fragile, beaucoup plus pessimiste aus-si, des existentialistes, ontologues et autres phénoménologues du XX° siècle : le monde n’est pas seulement un catalogue d’objets savamment agencés mais avant tout le résultat de mon expérience. D’où une forte impres-sion d’illusion. Jacques Audiberti écrivait  : «  la vie est faite d’illusions. Parmi ces illusions, certaines réussis-sent, ce sont elles qui constituent la réalité. »Du côté des sciences, et depuis l’apparition de la mécanique quantique en particulier, le discours sur la réalité se veut volontiers ambigu  : Michael Talbot écrit  : « notre cerveau construit la réalité objective de manière mathématique en interprétant des fréquences qui ne sont que les projections ultimes d’une autre dimension, un ordre plus profond de l’existence au delà du temps et de l’espace. L’esprit est un hologramme enveloppé dans un univers holographique. » Mais si le cerveau est un hologramme et perçoit le monde sous forme ma-thématique et holographique, et si même le corps obéit au langage des mathématiques, alors de quoi le monde est-il fait ? Le physicien Nick Herbert a utilisé cette analogie pour poser le problème suivant : « le monde est radicale-ment ambigu car il mélange en permanence une soupe quantique derrière notre dos. À chaque fois qu’on se retourne brusquement pour regarder elle s’arrête et se transforme en réalité ordinaire. Les humains ne peuvent pas expérimenter la véritable texture de la réalité quantique parce que tout ce que l’on touche se transforme en matière. » Si la réalité devait se réduire au seul univers matériel, l’état actuel de la science montre que cet uni-vers glisse silencieusement comme une anguille entre nos doigts. Ainsi l’invisible devient-il la réalité – ou tout au moins son principe - tandis que le visible – le monde sensible - revêt le caractère d’une mise en scène, voire d’une supercherie. Le monde disparaît à nos yeux parce que la science dit que la matière disparaît au profit des structures atomiques, que celle-ci s’évanouissent à leur tour pour laisser place au vide et à l’énergie, et que le vide et l’énergie sont régis par un principe d’incertitude. Plutôt qu’un retour à l’idéalisme platonicien, la des-cription scientifique du réel, dans ses ultimes propositions, semble rejoindre les affirmations des grandes tradi-tions ésotériques comme le Taoïsme, l’Alchimie ou la Kabbale pour n’en citer que trois parmi les plus connues. Pas étonnant de voir des physiciens célèbres dialoguer avec Krishnamurti ou le Dalaï Lama. Ne parlent-ils pas de la même chose finalement ?Un commentateur célèbre des Vedantas, Deepak Chopra, utilise la notion de «  superstition matérialiste » pour désigner la réalité appréhendée par nos seuls sens. « La perception de l’univers matériel est une supersti-tion que nous avons élaborée pour avoir appris à faire confiance à nos sens. En réalité, l’univers est un chaos de soupe énergétique et nous digérons ce bouillon par nos cinq sens avant de le convertir en réalité matérielle dans notre conscience. » Nous nous trouvons dans la situation du poisson rouge dans son bocal incapable de décrire l’eau dans laquelle il se trouve sans sortir du bocal. En fait, la réalité est qu’il est l’eau, et le bocal, et lui-même, et aussi l’observateur - moi en l’occurrence - qui soulève le problème du poisson rouge. En fin de comp-te, il n’est pas possible, dans notre tentative de décrire la réalité, d’échapper à la globalité de l’univers, sa dimen-sion holistique. Le réel est  la totalité de notre expérience englobant le visible et l’invisible, le local et le non-local. Même apprivoisé par notre regard, l’univers sensible contient à lui seul toute la globalité. Je cite encore Deepak Chopra : « cette table et cette chaise sont faites de bois, et la plus infime particule de ce bois contient toute l’histoire de l’univers. Le bois est issu d’arbres et de forêts. Ces derniers sont faits de lumière solaire et de pluie, de terre et d’air, et du vide infini situé au-delà des profondeurs de l’espace et de l’obscurité du temps. Les arbres et les forêts sont inséparables des écureuils et des nids d’oiseaux, comme de toute la trame de la vie dans la grande chaîne du vivant. La table et la chaise sont donc inséparables de l’univers et de tout ce qu’il contient.

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Ils sont les charpentiers et les usines, les employeurs et les employés, les grossistes et les clients. Ils sont toutes ces personnes, leurs vies et leurs amours, leurs espoirs et leurs déceptions, leurs angoisses et leurs plaisirs, leurs joies et leurs douleurs. Désormais vous ne percevez plus seulement des fragments de la réalité  : vous voyez. Une fois pleinement éveillé, vous ouvrez les yeux et vous voyez vraiment. Et que voyez-vous ? Vous voyez le tout dans la moindre partie. L’univers tout entier est présent dans la plus petite de ses parcelles. Vous voyez l’océan dans la goutte d’eau, et comme vous percevez ce qui est complet, votre vision est sacrée. »

Si l’essence même de la réalité relève de l’alternance simultanée du local et du non-local, si ce monde qui nous entoure relève lui-même d’un tour de magie holographique et d’une gamme de fréquences vibratoires infinies, alors qui sommes-nous vraiment  ? Du point de vue de la mécanique quantique, les frontières de l’individu humain n’ont pas plus de consistance que celles d’un arbre, d’une colline ou du fameux poisson rouge dans son bocal. Tout est mélangé dans l’unité primordiale. Elle est nous et nous sommes elle, y compris lorsque nous nous identifions exclusivement à nous-mêmes. Et le vide nous constitue essentiellement, car de quoi sommes nous composés en fin de compte, sur le plan matériel ? Un peu de terre, un peu d’eau, un peu d’air, quelques éléments basiques qu’on trouve sans difficulté dans n’importe quelle pharmacie, et du vide. Plutôt que du plein, c’est bien du vide que semble provenir notre existence : « Quand nous examinons l’ADN », écrit Cho-pra, « les généticiens nous disent que la vie ne provient pas des particules d’acides aminés échelonnées sur la double hélice, mais de l’espace qui les sépare. On ne comprend guère la signification de ces espaces qui jouent un rôle mystérieux dans la séquence des gènes. Du point de vue physique la différence entre l’ADN des gorilles et celui des êtres humains est d’à peine 1% ; les intervalles au sein de la matière visible créent le gouffre infran-chissable qui sépare les gorilles des êtres humains. C’est dans l’intervalle que doit se trouver la source de la conscience. » C’est dans cet intervalle que se situent également nos rêves, l’intuition, que nous n’écoutons jamais, les phénomènes de synchronicité, ce que l’homme de la rue appelle les coïncidences, et peut-être nos conversations avec les morts. Mais aussi les mythes et les archétypes mis en avant par la psychologie jungien-ne : qui ne se souvient du scarabée doré cognant la fenêtre du bureau de Jung à Vienne en Autriche, tandis que sa patiente lui parlait d’un rêve de scarabée égyptien ?L’esprit dépasse largement les limites du cerveau, et les recherches récentes en neurosciences ont montré que la mémoire n’est pas seulement contenue dans les limites de notre crâne, mais qu’elle communique en perma-nence avec le champ informationnel de l’univers. Ainsi le monde et nous-mêmes ne font qu’un. L’unité à la-quelle nous aspirons et qui constitue notre quête, en particulier à nous, franc-maçons, cette unité est déjà là, entre nos mains. Elle n’est pas un lointain inaccessible ni une inaccessible étoile pour reprendre les mots de la chanson : elle déverse en permanence ses trésors dans notre esprit, mais nous ne savons pas la voir. Nous avons définitivement perdu le contact. Car que se passe-t-il dans la « vraie vie » comme on dit vulgairement ? Tout notre système de pensée sépare l’observateur de l'observé. C’est l’expérience de la séparation et le début d’une erreur universelle, Chopra parle même « d’hallucination » : nous confondons l’image de la réalité avec la réa-lité elle-même. L’image du moi prend le dessus sur le soi illimité, et nous arpentons la vie à la recherche de notre source perdue : c’est le commencement de la peur, des souffrances et de tous les problèmes de l’humani-té, et au seuil de la mort, nous nous sentons terrifiés à l’idée de perdre à tout jamais cette personnalité qui nous maintient prisonniers. Pourtant nous mourons en permanence  ; à chaque instant  des millions de cellules à l’intérieur de notre enveloppe corporelle se sacrifient héroïquement dans une alchimie silencieuse afin de maintenir la vie en place et nous faire passer d’un état à un autre. Au fait, du nourrisson à l’adulte et au vieillard, lequel des trois constitue notre véritable identité ? Et finalement qu’emporterons-nous dans la mort ? Nos possessions ? Impossible évidemment. Nos conditionnements ? Nos qualités, nos défauts ? Bon débarras. Nos souvenirs ? Mais nous appartiennent-ils vraiment ? Nos brillantes pensées ? Comment savoir si ce ne sont pas les pensées d’un autre ? Nos secrets, nos ultimes désirs ?Peut-être quelque chose de tout cela traverse-t-il les barrières de la décorporation. Les NDE et autres Expé-riences aux frontières de la mort semblent le suggérer. Le sentiment d’appartenance peut perdurer. La liberté peut encore opérer des choix parmi des possibilités innombrables. Les paradis et les enfers sont du domaine du possible. Mourir, c’est peut-être partir avec ce qu’on a créé de son vivant. Mais de telles spéculations sem-blent encore relever d’un esprit fragmenté, victime du drame de la séparation, cette séparation qui nous fait croire que l’autre est un autre et non pas encore nous-même, c'est-à-dire le un, dans une localisation et une fréquence différente. L’extraordinaire variété de la vie sur terre, les cristaux, les plantes, les animaux, les paysa-

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ges, toute cette beauté infinie et infiniment mystérieuse que la création déverse en permanence sur nos têtes, tout cela ne va pas à l’encontre de l’unité. Au contraire, c’est un hymne à l’unité. Aussi pouvons-nous emporter la beauté et la diversité du monde avec nous, elles se rejoindront dans la mort comme un cantique à la vie, le Cantique des Cantiques, celui de la Bible que je vous invite à relire comme un poème fondamental de l’uni-té retrouvée. Nous l’avons vu, la réalité matérielle et la vie humaine se rejoignent dans l’Unité primordiale. C’est un fait systématiquement mis en avant par l’ensemble des grandes Traditions. Pour autant, l’homme ne cesse de s’in-terroger : pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Pourquoi autant de vide crée-t-il autant de réalité ? Et si nos cinq sens nous induisent en erreur, il y a bien tout de même quelque chose, là, directement sous nos yeux, non ? Et alors, la mort serait peut-être bien cet événement terrible que nous sommes capables d’imaginer dans nos pires cauchemars. Ces doutes et ces interrogations croisent d’autres questionnements qui ont souvent trait au hasard et à la nécessité  : les coïncidences existent-elles  ? (je cite encore un physicien) «   Est-ce que nous, êtres humains créons des significations pour nous mêmes dans un univers par ailleurs totalement in-compréhensible et aléatoire, ou bien existe-t-il une sorte de fil conducteur que nous pouvons découvrir si nous sommes suffisamment ouverts et conscient ? »Et comment se fait-il que nous soyons là à nous poser ce genre de questions ? Est-ce le fait du hasard, ou bien notre existence était-elle déjà programmée dès le départ ? Tout le monde connaît la fameuse théorie dite « an-thropique »  qui explique l’apparente intelligibilité du monde par un réglage extrêmement précis des condi-tions initiales d’apparition de l’univers. Un univers quelconque ou aux caractéristiques aléatoires n’aurait ja-mais pu donner naissance au monde dont nous faisons l’expérience tous les jours. Et, comme l’a dit un astro-physicien, « la probabilité que la vie ait pu être créée par hasard est à peu près du même ordre que la création d’un Boeing 747 à partir d’un ouragan soufflant sur un tas d’ordures. » Alors, y a-t-il un plan ? Y a-t-il un Architecte ?Et puisque nous avons abordé les textes sacrés, écoutons le Christ : « si ceux qui vous dirigent vous disent : regardez, le royaume est au ciel, alors les oiseaux du ciel y seront avant vous. S’ils vous disent  : il est dans la mer, alors les poissons y seront avant vous. Mais le royaume est en vous et aussi en dehors de vous. Quand vous vous connaîtrez, alors on vous connaîtra et vous saurez que vous êtes le fils du Père qui est vivant. ».Retournons encore dans notre sujet qui parle de l’intervalle terrestre entre naissance et mort comme d’un moyen de développement, mais aussi de connaissance et de chemin de conscience. Ecoutons Saint Jean : « Au commencement était le Verbe ».René Guénon écrit à ce sujet : « si le monde est l’effet de la Parole divine proférée à l’origine des Temps, la nature entière peut être prise comme un symbole de la réalité surnaturelle. Tout ce qui est, sous quelque mode que ce soit, ayant son principe dans l’Intellect divin, traduit ou représente ce principe ; ainsi, d’un ordre à un autre, toutes choses s’enchaînent et se correspondent pour concourir à l’harmonie universelle et totale, qui est comme un reflet de l’Unité divine elle-même. »Ecoutons aussi Saint Paul : « faites donc mourir ce qui en vous appartient à la terre : débauche, impureté, pas-sion, désir mauvais et cette cupidité qui est une idolâtrie. » Et encore, avec ces mots qui résonnent familière-ment à nos oreilles : «  il vous faut, renonçant à votre existence passée, vous dépouiller du vieil homme. »Enfin, souvenons-nous des paroles de notre V∴ M∴ tout à l’heure : « mes FF∴, nous ne sommes plus dans le monde profane. »

Toute initiation relevant des grandes Traditions fait appel à la notion de mort symbolique. Il s’agit, pour le profane, de mourir à son état présent pour renaître à un état dit d’“initié”. Ce rituel de mort symbolique peut revêtir différents aspects qui relèvent parfois de la pure épreuve physique  : ainsi le sorcier Yaqui Dom Juan envoie-t-il, sans autre forme de procès, un violent coup du plat de la main dans le dos de son disciple anthro-pologue, Carlos Castaneda, afin de le décoller de son train-train quotidien et de l’envoyer directement dans le monde du rêve. L’initiation maçonnique a recours à un enfermement dans un lieu clos appelé pudiquement “cabinet de réflexion” et qui s’apparente aisément au ventre maternel, au centre de la terre et du cœur – siège de la connaissance- et à l’axe du monde, et peut-être à tout ce que la mort pourrait avoir à nous offrir en fin de compte : un dépouillement total du moi et un accès simultané au soi. Le rituel initiatique se poursuit en aveu-gle au sein de la Loge dans des cheminements physiques et psychiques où tous les sens sont mis à l’épreuve jusqu’à cette confrontation brutale avec soi-même au travers du miroir. Il s’agit bien d’un dépouillement, d’une

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mise à nu, d’une mort symbolique qui va conduire l’initié vers une nouvelle existence caractérisée par une re-mise en cause radicale – à travers le rituel notamment- de l’homme qu’il croyait être jusqu’à présent et qu’il considère maintenant comme le « vieil homme » qu’il faut tuer, à l’instar de la pensée que Krishnamurti qua-lifie de « vieille » parce que soumise au temps et au devenir. On est là au stade de ce que René Guénon ap-pelle l’initiation virtuelle, inséparable selon lui d’une régularité et d’une infaillibilité traditionnelles dans la transmission initiatique. Si l’on veut aller plus loin dans l’analyse, cette mort symbolique semble bien revêtir un caractère irréversible souligné par Guénon :  «toutes les traditions insistent sur la différence essentielle qui existe dans les états posthumes de l’être humain selon qu’il s’agit du profane ou de l’initié  ; si les conséquences de la mort, prise dans son acception habituelle, sont ainsi conditionnées par cette distinction, c’est donc que le changement qui donne accès à l’ordre initiatique correspond à un degré supérieur de réalité. »Sans attendre la dissolution corporelle - qui est le propre de la mort biologique - l’initié peut, par l’intermé-diaire de cette transmutation que constitue la mort symbolique, accéder de son vivant, et à travers les diffé-rents degrés de la hiérarchie initiatique, au but final de la Délivrance et de l’identité suprême. Il est là le che-min de conscience évoqué par notre sujet. Au sens propre et au sens figuré, avant et après la mort. Reste à le parcourir. Et s’il est question de Connaissance, celle-ci ne trouve pas son siège dans l’intellect qui est un pro-duit de notre cerveau et qui ne fonctionne que par réflexion, mais dans le cœur. Cette connaissance par le cœur ne s’appuie plus sur l’intelligence et la raison discursive mais principalement sur ce que Guénon appelle « l’intuition intellectuelle », laquelle repose essentiellement sur le symbolisme. « Le véritable fondement du symbolisme », écrit Guénon, « c’est la correspondance qui existe entre tous les ordres de réalité, qui les relie l’un à l’autre, et qui s’étend, par conséquent, de l’ordre naturel pris dans son ensemble à l’ordre surnaturel lui-même  ; en vertu de cette correspondance, la nature toute entière n’est elle-même qu’un symbole, c’est à dire qu’elle ne reçoit toute sa signification que si on la regarde comme un support pour nous élever à la connais-sance des vérités métaphysiques, ce qui constitue la raison d’être profonde de toute science traditionnelle. »À travers l’étude des symboles, nous pouvons nous évader de nos conditionnements et peut-être atteindre dans notre chair cette étoile de la connaissance dont parle notre sujet et qui n’est autre que le soi et l’unité primordiale. Ecoutons Jung : « la résistance des profondeurs de l’âme cesse lorsque nous pouvons renoncer à être centré sur le moi, et que le Soi nous recueille dans sa plus vaste amplitude, où nous sommes alors entiers et, du fait de notre relative totalité, proches de la Totalité véritable, c'est-à-dire de la Divinité.»

Encore quelques mots en guise de conclusion.Sur cette planète, tout semble vouloir fonctionner comme si nous étions seuls dans l’univers, ou plutôt comme s’il n’y avait pas d’univers, mais des villes, des mégapoles, des états, des continents, des citoyens et des individus concentrés sur leurs tâches quotidiennes : survivre, faire en sorte que tout cela continue, quoiqu’il arrive. C’est le règne de la quantité, c’est le passage progressif du cercle au carré, de la sphère primordiale vers le cube, c’est ce phénomène de pétrification de tout l’ensemble de la création décrit par Guénon à qui je pense qu’il faut rendre justice, tant la cohérence de son analyse saute encore aux yeux, malgré tous les défauts qu’on peut lui reconnaître par ailleurs.La plupart des hommes ont une quête au fond d’eux-mêmes, qui est peut-être la résurgence non verbalisée et non identifiée de ce qui a été perdu en des temps immémoriaux et cherche ardemment à être retrouvé. Cette quête s’est traduite en civilisations, lesquelles se sont succédées jusqu’au temps présent, avec toujours un peu plus de matérialité, de technologie, de science, et aussi de guerres, de torrents de haine et de destruction. Quelques hommes sont devenus des chercheurs de cette vérité perdue, au milieu du fracas des civilisations. Ils ont bâti silencieusement, dans le secret souvent et les persécutions, une œuvre qui se retrouve aujourd’hui en-tre nos mains, fragmentée, difficile à parcourir, parfois même incompréhensible, mais c’est notre honneur, c’est notre fierté aussi, à nous maçons parmi d’autres cherchants, de nous pencher à notre tour sur ces trésors et de les faire revivre à nouveau pour perpétuer cette quête de l’unité. Ainsi le réel n’est pas le réel, et nous ne pouvons nous identifier totalement à nos corps, car nous savons que toute la création n’est qu’une évanescence bien inférieure au principe qui la gouverne. Le mystère de notre incarnation est à l’origine de cette quête ar-dente et incessante qui dure depuis des millénaires et se poursuivra sans doute encore très longtemps. Cette quête peut nous conduire vers des Royaumes encore inconnus, et sur ce chemin, la mort n’est pas l’obstacle dont elle veut bien se donner l’apparence, puisque nous sommes déjà morts et que la dissolution de notre ap-parence corporelle –si nous le voulons vraiment, si nous réussissons dans notre démarche initiatique à trans-

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muter le symbole en acte- ne peut, à elle seule, représenter un obstacle à notre intention de poursuivre le che-min jusqu’au bout. Pour finir, je laisse la parole à Krishnamurti : «  Mourir, c’est se vider complètement l’esprit de ce que l’on est, c’est se vider de ses aspirations, des chagrins et des plaisirs quotidiens. La mort est un renouvellement, une mutation, où n’intervient pas la pensée qui est toujours vieille. Lorsque se présente la mort, elle apporte tou-jours du nouveau. Se libérer du connu c’est mourir, et alors on vit. »

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Conclusion du F∴ Orat∴

Comme les rayons du soleil, une fois qu’ils sont nés, fendent l’espace et s’éloignent les uns des autres, nos deux R∴ L∴ font leurs chemins, chacune dans sa direction, chacune dans sa vibration propre, sa coloration person-nelle … Elles n’oublient pas toutefois leur origine commune et quand, comme ce soir, elles se réunissent pour explorer des mondes inconnus qu’elles amènent à la lumière, pour révéler les profondeurs infinies de la Mani-festation, puissent les trésors découverts et rapportés par nos FF∴ conférenciers et intervenants, puissent ces illuminations donc, ces énergies nouvelles se mêler, fusionner et s’épouser en des noces alchimiques dans les demeures de l’Eternité que sont les soleils de nos cœurs ce soir unis.

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16 Juin 2009

Hervé Bab∴

Contrairement au Grand Cycle des vies au cours duquel seul mon être subtil con-serve la trace de mes expériences passées, et où je dois progresser sans mémoire formelle des étapes précédentes, dans le chemin maçonnique je sais précisément ce que j’ai fait, je peux inventorier mes actes, et si là j’ai l’avantage de la mémoire, la difficulté n’est pas mince de réussir à faire passer la connaissance acquise du plan cérébral au plan de la réalité subtile et vibratoire. Passer de l’avoir à l’être.Une fois dépouillée de ses formes, de ses mots qui sont autant d’échafaudages in-dispensables à son érection, provisoires, la connaissance acquise, élaborée, conçue, ciselée, va devoir passer dans le sang, dans les atomes, devenir partie intégrante du souffle de vie, et c’est là tout l’enjeu.

À la lecture de ce sujet, comme la découverte de l’itinéraire d’un voyage exaltant mais dangereux, me vint à l’esprit l’image d’un explorateur téméraire, un genre d’Indiana Jones, approchant un lieu mystérieux, un tem-ple perdu dans la jungle et supposé receler des merveilles à qui saurait seulement en éviter les pièges … Ainsi d’emblée, cette porte majestueuse où les notions de Grand Cycle des vies et d’être subtil exhalent comme une bouffée de parfums profonds et puissants venus des Indes, mélange d’hindouisme et de bouddhisme où les volutes qui se déroulent tracent les mots de karma, samsara avec leurs résonances occidentales métempsycose, réincarnation ... Aller aussitôt de l’avant dans cette direction me dérange toutefois car cette notion de trans-migration des âmes à travers une succession de vies, outre qu’elle a alimenté beaucoup de fantasmagories, les mouvements spirites par exemple, a aussi peut-être cette dangerosité de transformer les fragrances d’encens évoquées plus haut en un opium où s’endorment trop facilement et la raison et l’exigence du labeur. Ces lectu-res anciennes, ces recherches juvéniles, je ne les mépriserai pas toutefois, elles furent celles de mon adoles-cence, mes premiers pas maladroits à la recherche d’une transcendance. Mais nous les laisserons à leur place, celles de cette période balbutiante justement, profane, avant l’entrée dans le chemin maçonnique où nous réa-lisons, il me semble, que le travail initiatique d’abord et social ensuite, personnel et collectif, est autrement plus exigeant que d’absorber des théories métaphysiques trop prêtes à l’emploi. L’on pourrait d’ailleurs porter la même appréciation sur les dogmes religieux. Croire avec des certitudes en un Dieu, en un Absolu, n’est-ce pas enfermer celui-ci dans des limitations et emprisonner sa pensée pareillement ? N’est-ce pas alors contre-initiatique et socialement dangereux ? Mais rejeter l’introduction du sujet du travail de ce soir, refuser d’avan-cer dans cette perspective immédiatement métaphysique, serait forcément adopter une attitude strictement matérialiste et l’on s’arrêterait là, au seuil de cette Cité mystérieuse dans la forêt tropicale, vous seriez déçus et moi aussi.Je me souviens alors d’une autre exploratrice, plus célèbre, Alexandra David-Neel, qui pourrait nous ouvrir la voie en évitant les pièges immédiats que je viens d’évoquer, ceux des spéculations faciles, séduisantes et diffici-lement vérifiables. Dans un de ses ouvrages Immortalité et Réincarnation, elle expose que si quelque chose d’un être vivant va subsister par delà sa destruction, il s’agira bien sûr des composants matériels qui se re-combine-ront. Ainsi les constituants matériels de mon corps participeront au-delà de ma mort à d’autres créations, fleurs, cailloux, chats, autres humains pourquoi pas. Il n’est pas impossible que les composants psychiques puissent faire de même quoique cela ne puisse être rationnellement vérifié. L’émotion qui m’étreint à chaque fois que j’entend une musique venue des steppes serait-elle un agrégat psychique issu d’un cavalier mongol depuis longtemps disparu ? Mais l’essentiel est que, dissipant les illusions occidentales d’une mauvaise com-préhension de ces doctrines, l’érudite aventurière démontre que le “moi” ne survit certainement pas. Le “moi”

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est la conscience que nous avons de nous-mêmes en se référant uniquement à notre identité superficielle, nom, prénom, filiation, profession, conditionnements intellectuels et émotionnels, etc ... bref quelque chose qui évoque davantage une sorte d'état civil. L’être subtil donc n’a rien à voir avec ce “moi” là et l'on peut d’ailleurs comprendre ainsi pourquoi certaines initiations attribuent au récipiendaire un nouveau nom évocateur d'une réalité de l'être plus fondamentale. Pour définir cet être subtil, supposé lui non destructible et éternel, il faut alors évoquer la notion orientale de Soi qui correspondrait à ce que des kabbalistes nomment «  l’Âme de l’âme » ou les Pères Grecs la « pointe de l’âme », autrement dit l’Esprit dans l’acceptation spirituelle de ce terme …Il me semble donc que tenter, de notre vivant, d’accéder à la prise de conscience de cet Esprit en nous soit le premier défi proposé par le sujet de ce soir. En cela, nous retrouvons en effet la conception de l’initiation telle qu’elle est rapporté depuis l’antiquité (la Caverne de Platon) jusqu’aux modernes, René Guénon et les états multiples de l’Être qu’il faut réintégrer. Comme il est dit fort justement que l’Esprit souffle où il veut, rappe-lons qu’il peut également se révéler sans qu’on ne le cherche forcément, ce sont alors des expériences mystiques (Illumination, Satori, Eveil …). Mais nous traitons ce soir du cheminement initiatique et particulièrement maçonnique donc d’une aventure que nous avons choisi, qui va procéder par étapes prudentes et qui est éga-lement collective. Ainsi, par exemple, si ce soir, en avançant dans l'exploration de ce labyrinthe mystérieux, une faille, une faillite de la pensée, menaçait de m’engloutir, vous seriez là pour m’en sortir. Nous arrivons maintenant, dans notre progression, devant une sorte de Sphinx, la question de la mémoire. Je me souviens alors que notre F∴ François dit parfois « si nous n’avons qu’une vie, il faut en profiter, si nous en avons plusieurs, le précepte reste valable ». Et je pense à lui parce qu’il a traité de la mémoire et je peux affron-ter le Sphinx en transposant  : «  si nous avons plusieurs vies, la mémoire du “moi” ne se transmet pas, et d’ailleurs même dans une seule vie elle se dissipe souvent -et cela sans forcément souffrir de sénilité ». Il y a une exception : le cheminement maçonnique où la mémoire de notre parcours est autrement plus fiable, plus fixée que celle de notre vie profane souvent chaotique. J’avais lu, dans un ouvrage dont je ne me rappelle ni le titre ni l’auteur et que j’ai malheureusement prêté à un F∴, de Regius d’ailleurs, qui ne me l’a jamais rendu et qui a lui-même plus ou moins disparu, que dans les mystères d’Eleusis, on aurait enseigné aux initiés qu’il fal-lait, après la mort, pérégriner de façon dextrogyre pour éviter le fleuve Léthé (l’Oubli) et, au contraire, accéder à la fontaine de Mémoire, Aléthéia. Il est intéressant de noter que l’on retrouve là le même mode dextrogyre de déambulation que nous pratiquons ici. L’on comprend donc que les prises de conscience successives que notre moi va rencontrer dans le processus initiatique, de nos jours dans le travail maçonnique, ou autrefois dans la voie éleusienne, et qui sont scandées par les degrés que nous franchissons, ne sont pas aléatoires comme cela advient éventuellement dans la vie profane et sans que nous en ayons toujours conscience d’ailleurs. Ainsi, ces augmentations de salaires, traduisons ces élargissements du champ de conscience, sont voulues, souhaitées, façonnées par le travail individuel mais aussi par le groupe avec ses interactions sans oublier l’immersion répé-tée, régulière, dans l’univers de la Loge. La Tenue Maçonnique, en effet et à mon avis, est un activateur puis-sant du développement de la conscience. Il est hautement probable que nous ne réalisons pas pleinement dans quels plans subtils nous baignons en ce moment-même. Peut-être même en serions-nous émerveillés et terrori-sés. Mais quel est donc la finalité de tout cela, de ce processus initiatique dont nous voyons qu’à la fois il déve-loppe notre champ de conscience tout en le préservant de l’oubli ? Le sujet de ce soir nous en donne la ré-ponse, joliment formulée : « Passer de l’avoir à l’être, devenir partie intégrante du souffle de vie » et c’est pour avancer vers ce Saint des Saints, le Centre de notre aventure exploratoire de ce soir, que je vous ai proposé cette interprétation du sujet, l’idée de travailler à ramener le “moi” vers sa composante essentielle, éternelle, sa seule réalité en fait. Toute la symbolique maçonnique exprime d’ailleurs cette idée réitérée par diverses ima-ges : dégrossir la pierre brute, visiter l’intérieur de la Terre et rectifier, abandonner les métaux …Mais, et le sujet l’évoque, pour atteindre cette finalité, l'étude seule ne suffit pas. Les alchimistes avaient comme devise « lire, travailler, lire encore et prier ». Prier entendu comme la nécessité d'ouvrir un lien, un accès à ce qu'il y a d'Eternel en nous, notre Terre Promise depuis que nous avons décidé de quitter l'Egypte, le monde profane dans lequel nous vivions en esclaves. L'étude donc ne suffit pas, elle est une condition néces-saire mais non suffisante. C'est essentiellement le rituel dont nous entourons notre étude qui est l'élément à considérer à ce point de notre pérégrination. C'est lui, dans notre voie maçonnique, l'équivalent du “prier” alchimique. Sans travail, sans études, notre rituel demeurerait potentialité, comme un trésor dans un coffre que l'on se transmettrait sans avoir de clé pour y accéder. Sans rituel, l'étude, les études, sont une caisse à outils, de plus en plus performants mais dont on ne sait pas, dont on ne sait plus à quoi ils servent. C'est d'ailleurs la

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problématique du monde moderne depuis la rupture entre physique et métaphysique. Aussi, je vous invite à regarder notre rituel ce soir avec à la fois de l'attention et sans trop de cérébralité. De l'attention, parce que, interrogeons-nous, sommes-nous toujours suffisamment dans le moment présent ? Parfois, je l'avoue, je me pose la question lorsque, comme Orateur, je me surprend à écrire ou à classer le courrier tandis que le rituel se déroule ... Et sans trop de cérébralité parce que le sujet de ce soir nous y invite et qu'en effet il est dit que le Royaume des Cieux est pour les simples ou les enfants. Alors, regardons ce qu'on ne voit peut-être pas assez : pourquoi ces pénombres et ces lumières, pourquoi ces sons, ces rythmes, ces vibrations - et je pense particuliè-rement aux scansions du Maître des Cérémonies -, pourquoi ces bougies ou ces étoiles qui s'allument et s'étei-gnent, pourquoi ce tableau de Loge qui se déroule et s'enroule ? Pour nous rappeler peut-être, nous apprendre qui sait, que le monde, l’univers est en permanente émanation et réintégration et ce simultanément, que tout émane de l’Origine et tout y revient, à chaque instant, autrement dit que l'Eternité, le Monde Primordial, l'Eden ne sont pas devant ou derrière nous, ils sont à côté de nous, ils nous accompagnent, plus ou moins grandement voilés en fonction de la maturation de notre état de conscience, de la distance qui sépare le “moi” du Soi. Lorsque cette distance est abolie, lorsque le voile est déchiré, nous pénétrons alors dans ce que j’évo-quais tout à l’heure comme le Saint des Saints de la tradition hébraïque, autrement nommé le Palais Intérieur kabbalistique, la Chambre de l’Origine dans la tradition taoïste.Mais, arrivé là, mes FF∴ je vous avoue que je ne me sens pas capable de poursuivre plus loin, de pénétrer ce lieu, en tout cas pour le moment. De toutes façons, n’y accéderions-nous pas parfois, rarement certes, mais qui n’a pas connu, ne serait-ce que fugitivement ce sentiment océanique où la pensée se suspend et laisse la place à l’être pur dans une étrange et jubilatoire communion cosmique ? Mais cet état de conscience nous saisit sans que nous le recherchions et l’irruption dans cette réalité numineuse, lumineuse est donc davantage un mo-ment de grâce que le résultat d’une quête. Toutefois, avant de rebrousser chemin et d’écouter ce que ce rapport d’exploration aura suscité en vous, je souhaite juste ajouter une remarque :la manière dont nous avons réfléchi jusqu’ici, avec le postulat donc de l’existence en nous d’un élément “Esprit”, pourrait se qualifier de « principe maçonnique fort » (en analogie aux principes cosmologiques dit anthropiques fort et faible, je les rappelle : principe anthropique fort : l’univers a été conçu pour faire advenir la conscience ; principe faible : l’univers possède simplement des lois remarquables qui permettent l’apparition de la conscience).L’approche du sujet de ce soir aurait pu se faire selon un « principe maçonnique faible », excluant tout pré-supposé spirituel et concevant le « Grand Cycle des vies » comme les simples étapes d’une vie humaine, en-fance, adolescence, maturité, vieillesse, dont nous ne nous souvenons consciemment pas toujours clairement mais qui restent des expériences inscrites dans notre inconscient et qu’il demeure possible, par la psychanalyse par exemple, de réveiller. Toutefois, la voie maçonnique n’est pas de la psychanalyse, l’initiation est le choix d’un cheminement vers une transcendance supposée même si celle-ci est complexe à définir et donc “pé-rilleuse” à approcher. C’était d’ailleurs la difficulté mais aussi le charme du travail de ce soir d’où l’utilisation, que vous me pardonnerez, de la métaphore exploratoire du film d’aventures.

Références bibliographiques :* Alexandra David-Neel, Immortalité et Réincarnation, Editions du Rocher, 1978 * Platon, La République Livre VII, Editions GF - Flammarion, 1966* René Guénon, Le symbolisme de la Croix, Editions G. Trédaniel, 1996* Thomas Cleary (traducteur), Le secret de la Fleur d’Or, Editions Pocket, 1995 * Charles Mopsik (traducteur), Le Zohar , Editions Verdier,1981* Trinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, Editions Fayard, 1988

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Note d’édition

Les textes des travaux sont publiés tels que les FF∴ les ont communiqués.Les modifications et corrections ont été limitées à la mise en page, à l’orthographe, et à la mise en cohérence typographique. Toute erreur ou omission serait involontaire.Trois sujets prévus au programme n’ont pas été présentés.

Les FF∴ AA∴, CC∴ et MM∴ n’ont pas choisi les sujets sur lesquels ils ont travaillé, ni les dates de présenta-tion de leurs travaux. Les travaux en vue d’élévation à un grade supérieur ont été attribués par le F∴ Surv∴ concerné.Nous n’avons pas voulu mentionner le grade ou la fonction des FF∴ en regard de leurs travaux ; ça nous a paru de nature à troubler l’appréciation que le lecteur peut avoir de l’intérêt et de la valeur de ces travaux.

Ce recueil peut être diffusé librement, sans modification, et exclusivement auprès de FF∴ ou de SS∴ initiés, sous la protection desquels il est placé ; nous remercions les destinataires de ne pas placer ce recueil à la libre disposition de lecteurs anonymes, par quelque moyen que ce soit.Il en existe trois versions :• une version complète réservée aux MM∴ qui comprend l’ensemble des travaux aux trois premiers degrés

symboliques ;• une version destinée aux CC∴ dont sont exclus les travaux du 3e degré et ceux au 2nd degré présentés en vue

d’une élévation au grade de Maître ; les sujets des travaux au 2e et au 3e degrés sont toutefois indiqués.• une version destinée aux AA∴ dont sont exclus les travaux du 2e et du 3e degré et ceux au 1er degré présentés

en vue d’une élévation au grade de Compagnon ; les sujets des travaux au 2e et au 3e degrés sont toutefois indiqués.

Pour joindre la R∴ L∴ Regius n° 1222, écrire au 182-184 Bd Rabatau, 13010 Marseille, ou prendre contact avec un des FF∴ de l’atelier..

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