quinzaine littéraire 96 juin 1970

32
sur Du nouveau avec des de l'Est· 96 Hochhuth .&m.alrik et , cree un scandale en 1984 Barthes Entretiens romancIers

Upload: thanatonaute

Post on 19-Jun-2015

289 views

Category:

Documents


2 download

DESCRIPTION

Barthes (critique de Massin), Bakhine et Dostoïevski (par Georges Nivat), Rolf Hochhuth, Andrei Amalrik et l'URSS, G. Van der Leeuw et la religion (par Roger Bastide), nécrologie de Georges Limbour par Nadeau, Italo Calvino, Maurice Renard, Perec.

TRANSCRIPT

Page 1: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

surDu nouveau

avec

des

de l'Est·

96 Hochhuth .&m.alrik• et,cree

un scandaleen

1984Barthes

Entretiens

•romancIers

Page 2: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

SOMMAIRE

J LE LIVRE Massin La lettre et limage par RolaDd BarthesDE LA QUINZAINE

4. Georges Limbour par Maurice NadeauLoys MassoD Des bouteilles dans les yeux par Maurice Chavardès

S Mare Bernard Mayorquinas par Cella MiDart6 LITTERATURE Zaharia StaDCU La tribu par Claude Bonnefoy7 ETRA.NGERE Kazimir BraDdys propos recueillis par

Claude Bonnefoy9 Italo CalviDo Temps zéro par C.B.10 Luigi Malerba Saut de la mort par Luc EvaroD11 BreDdaD BehaD Encore un verre avant par Jou MODtague

de partirlJ .ESSAIS M. CODtat et Rybalka Les écrits de Sartre par Bernard PiDgaud14. HISTOIRE Mikhaïl BakhtiDe Problèmes de la poétique par Georges Nivat

LITTERAIRE de DostoïevskiLa poétique de Dostoïevski

16 EXPOSITIONS Trois Californiens à tODdre par FraDçoise ChoayLes galeries par Nicolas Bischower

17 BANDES DESSINEES SaD JuaD Xiris par Mare Saporta18 POLITIQUE ADdrei Amalrik L'Union soviétique par Annie Kriegel

survivra-t-elle en 1984?20 RELIGION G. VaD der Leeuw La religion dans son par Roger Bastide

essence et ses manifestationsPhénoménologie de lareligion

22 LETTRE RoH Hochhuth propos recueillis parD'ALLEMAGNE IrmeliD Lebeer

24 Le Mai de Bordeaux par Colette DemaD2S ROMANS Maurice ReDard Les mains d'Orlac par Serge Fàuchereau

POPULAIRES Le docteur LerneL'invitation à la peur

26 FEUILLETON W par Georges Perecz7 TIlEAT.KI: RolaDd furieu:E: par Gilles Sandier

La QuinzaineHtteraire

FraDçois Erval, Maurice Nadeau.

Conseilkr: Joseph Breithach.Comité de rédaction :Georges BalaDdier, Bernard Cazes,FraDçoisChâtelet,FraDçoise Choay,Dominique FernaDdez,

Ferro, Gilles Lapouge,Gilbert Walusinskî.

Secrétariat de la' rédaction:Anne Sarraute.

Courrier litléraire :Adelaide Blasquez.

Maquette decoutJerture:Jacques Daniel

Rédaction, adminUtration:-43, rue du Temple, Paris (4").TéléphoDe .

PromôtiONiffJUionFabrication Promodü.400, rue S",UODOré • Paria (r').

Publicité littéraire:22, rue. de GreDelle, Paris (7").Télépho'ue : 222·94-03.

Publicité générale: au journal.

PlU du a O au Canada: 75 ceDts.Abonnemenu :Un aD: 58 F, numér06.Six mois: M F, douze numéro••Etudiants: réductioD de 20 %.Etranger: UD aD : 70 F.Six mois: 40 F.Pour tout changement .radreue :eDvoyer 3 timbres à 0,30 F.RèglemeDt par mandat, chèque'bancaire, chèque postal :C.C.P. Parle 15 551·53.

Directeur de la publication:François Emanuel

Imprimerie: Abe:E:prell8

Impresàon S.I.s.s.Printed ÎI& France

Crédiu photographiqae-

p. 1 Le Seuilp. 3 Gallimardp. 4 Françoise Théséep. 6 Cartier BressoD, Magnump. 7 Gallimardp. 9 Carla Certip. 10 Grauetp. Il KeystoDep. 13 Mare Ribaud, Magnump. 14 Le Seuilp. 15 Le Seuilp. 16 D. R.p. 17 Laurence Sudrep. 18 Fayardp.23 D.R.p. 25 Roger Viollet

Page 3: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

I.E I.IVRE DE

I.A QUINZAINEL'esprit de la lettre

par Roland Barthes

La Q.!!inzaine littéraire, du 1er ;lU 15 juin 1970

1MassinLa lettre et fimagePréface de R. QueneauGallimard, éd.,228 p., l 106 ilLLe livre de Massin est une belle

encyclopédie, d'informations etd'images. Est-ce la Lettre qui enest le sujet ? Oui, sans doute : lalettre occidentale, prise dans sonenvironnement, publicitaire oupictural, et dans sa vocation demétamorphose figurative. Seule-ment, il se trouve' que cet objet,apparemment simple, facile àidentifier et à dénombrer, estquelque peu diaboli'que: il s'enva partout, et principalement àson contraire même: c'est cequ'on appelle un signifianttradictoire, un énantiosème. Car. d'une part la Lettre édicte la Loiau nom de quoi peut être réduitetoute extravagance (<< Tenez-vous-en, je vous prie, à la lettre dutexte :.), mais, d'autre part, de-puis des siècles, comme le montreMassin, elle' libère inlassablementune profusion de symboles;d'une part, elle «tient:t le lan-gage, tout le langage écrit, dans'le carcan de ses. 26 caractères(pour nous Français) et ces ca-ractères ne sont eux-mêmes quel'agencement de quelques droiteset de quelques courbes; maisd'autre part, elle donne le départd'une imagerie vaste comme unecosmographie ; elle signifie d'unepart l'extrême censure (beaucoupde crimes commis au nom de laLettre), et d'autre part l'extrêmejouissance (toute la poésie, toutl'inconscient sont retour à la Let-tre) ; elle intéresse à la fois legraphiste, le philologue, le pein-tre, le juriste, le publicitaire, lepsychanalyste et l'écolier. La let-tre tue et f esprit vivifie? Ce se-rait simple s'il n'y avait précisé-ment un esprit de la lettre, quivivifie la lettre; ou encore: sil'extrême symbole ne S(' retrou-vait être la lettre elle-même. C'est

ce trajet circulaire de la lettreet de la figure que Massin nouspermet d'entrevoir. Son livre,comme toute encyclopédie réus-sie (et celle-ci est d'autant plusprécieuse qu'elle est faite d'unbon millier d'images), nous per-met, nous fait une obligation deredresser quelques-uns de nospréjugés: c'est un livre heureux(puisqu'il y est question du signi-fiant), mais c'est aussi un livrecritique.Tout d'abord, à parcourir ces

centaines de lettres figurées, ve-nues de tous les siècles, des ate-liers de copie du Moyen Age auSous-marin jaune des Beatles, ilest assez évident que la lettren'est pas le son; toute la linguis-tique fait sortir le langage de laparole, dont l'écriture ne seraitqu'un aménagement; le livre deMassin proteste: le de-venir etl'a-venir de la lettre (d'où ellevient et où il lui reste, infiniment,inlassablement., à aller) sont indé-pendants du phonème. Ce foison-nement impressionnant de lettres-figures dit que le mot n'est pas leseul entour, le seul résultat, laseule transcendance de la lettre.Les lettres servent à faire desmots ? Sans doute, mais aussi au-tre chose. Quoi ? des abécédaires.L'alphabet est un système auto-,nome, ici pourvu de prédicatssuffisants qui en garantissent l'in-dividualité: alphabets «grotes-ques, diaboliques, comiques, nou-veaux, enchantés:t, etc.; bref,c'est un objet que sa fonction,son lieu technique n'épuisent' pas:c'est une chaîne signifiante, unsyntagme hors du sens, mais nonhors du signe. Tous les artistescités par Massin, moines, gra-phistes, lithographes, peintres, ontbarré la route qui semble allernaturellement de la première. àla seconde articulation, de la let-tre au mot, et ont pris un. autrechemin, qui est le chemin, nondu langage, mais de l'écriture,

non de la communication mais dela signifiance: aventure qui sesitue en marge des prétenduesfinalités du langage et par là-même au centre de son jeu.Second objet de méditation (et

non des moindres), suscité par lelivre de Massin: la métaphore.Ces vingt-six lettres de notre al-phabet, aninIées, comme dit Mas-sin, par des centaines d'artistesde tous siècles, sont mises dansun rapport métaphorique ,avecautre chose que la lettre: desanimaux (oiseaux, poissons, ser-pents, lapins, les uns mangeantparfois les autres pour dessinerun D, un E, un K, un L, etc.),des hommes (silhouettes, mem-bres, postures), -des monstres, desvégétaux (fleurs, pousses, troncs),des .instruments (ciseaux, serpes,faux, lunettes, trépieds, etc.):tout un catalogue des produitsnaturels et humains vient doublerla courte liste de l'alphabet: lemonde entier s'incorpore à la let-tre, la lettre devient une imagedans le tapis du m9nde.Certains traits constitutifs de

la métaphore sont ainsi illustrés,éclairés, redressés. Tout d'abordl'importance de ce que Jakobsonappelle le diagramme, qui est unesorte d'analogie minimale, unrapport simplement proportion-nel, et non exhaustivement ana-logique, entre la lettre et le mon-de. Ainsi, en général, des calli-grammes ou poèmes en formed'objets, dont Massin nous donneune collection précieuse (parcequ'on en parle toujours, maisqu'on ne connaît jamais que ceuxd'Apollinaire). Ensuite, la naturepolysémique (on devrait pouvoirdire pansémique) du signe-image:libérée de son rôle linguistique(faire partie d'un mot singulier),une lettre peut tout dire: danscette région baroque où le sensest détruit sous le symbole, unemême lettre peut signifier deuxcontraires (1a arabe con-

naît, paraît-il, ces signifiants con-tradictoires, ces ad"dâd, auxquelsJ. Berque et J. P. Charnay ontconsacré un livre important) : Z,pour Hugo, c'est l'éclair, c'estDieu, mais pour Balzac, c'est lalettre mauvaise, la lettre de ladéviance. Je regrette un peu queMassin ne nous ait pas donnéquelque part une récapitulationde tout le paradigme, mondial etséculaire, d'une seule lettre (il enavait les moyens): lesfigures du M, par exemple, qui vaici des trois Anges du Maître go-thique aux deux pics neigeux deMegève - dans une publicité -,en passant par la fourche, l'hom-me courbé, cUÎ8lle8 levées, cul of.fert, le peintre et 80n chevalet etles deux ménagères qui s'apprê-tent à étirer un drap.Car - et c'est le troisième cha-

pitre de cette leçon en images surla métaphore - il est évidentqu'à for c e d'extra-vagances,d'extra-versions, de migrations etd'associations, la lettre n'est plus,n'est pas l'origine de l'image:toute métaphore est inoriginée,dès qu'on passe de l'énoncé àl'énonciation, de la parole à l'écri-ture; le rapport ui..Jogique estcirculaire, sans lestermes qu'il saisit SOlit flottants :dans les signes présentés, quicommence? l'homme ou la let-tre? Massin entre dans la méta-phore par la lettre : il faut bien,hélas ! donner un c sujet:. à noslivres; mais on pourrait aussi yentrer par l'autre bout, et fairede la lettre une espèce d'homme,d'objet, de végétal. La lettre n'esten somme qu'une tête de pontparadigmatique, arbitraire, parcequ'il faut que le discours com-mence (contrainte qui n'a pas en-core été bien explorée), mais cettetête peut être aussi une sortie, sil'on conçoit par exemple, tels lespoètes et les mystagogues, que lalettre (l'écriture) fonde le mon-de. Assigner une origine à l'expan-!'ion métaphorique est toujoursune option, métaphysique, idéo-logique. D'où l'importan'ce desrenversements d'origine (tel celuique la psychanalyse opère sur lalettre elle-même). En fait, Mas-sin nous le dit sans cesse par sesimages, il n'y a que des chaînes80ttantes de signifiants, qui pas-sent, se traversent les unes lesIIUtres: l'écrit.nre est en fair.Voyez le rapport de la lettre et

3

Page 4: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

Massin Ge()rges Lilnbour L'invisible

de la figure: toute la logique s'yépuise: 1) la lettre est la figure,cet 1 est un sablier; 2) la figureest dans la lettre, glissée tout en·tière dilns sa gaine, comme' cesdeux acrobates lovés dans un 0(Erté a fait un grand tlsage decette in'J1irication, dans son pré·cieux alphabet, que Massin necite malheureusement pas) ; 3) lalettre est dans la figure (c'est lecas de tous les rébus) : puisqu'onn'arrête pas le symbole, c'est qu'ilest réversible : 1 peut renvoyer àun couteau, mais le couteau n'està son tour qu'un départ, au ter·me duquel (la psychanalyse l'amontré) vous pouvez retrouver 1(pris dans tel mot qui importe àvotre inconscient) : il n'y a ja·mais que des avatars.Tout cela dit combien le livre

de Massin apporte d'éléments àl'approche actuelle du signifiant.L'écriture est faite de lettres, soit.Mais de quoi sont faites les let·tres'?' On peut chercher une ré·ponse historique - Ïnconnue ence qui concerne notre alphabet;mais on peut au.ssi se servir dela question pour déplacer le pro·blème de l'origine, amener· uneconceptualisation progressive del'entre-deux, du rapport flottant,dont nous déterminons l'ancraged'une façon toujours abusive. EnOrient, dans cette civilisationidéographique, c'est ce qui est en·tre l'écriture et la peinture quiest tracé, sans' que l'on puisse ré·férer l'une à l'autre; ceci permetde déjouer cette loi scélérate defiliation, qui est notre Loi, pater·nelle, civile, mentale, scientifique:loi ségrégative en vertu de. la·quelle nous expédions' d'un côtéles· graphistes et de l'autre lespeintres, d'un côté les romancierset de l'autre les poètes; maisl'écriture est une: le discontinuqui la fonde partout fait de toutce que. nous écrivons, peignons,traçOl.\s, un seul iexte. C'est ceque me montre le livre de Mas·sin. A nous de ne pas censurerce champ matériel en réduisantla somme prodigieuse de ces let·tres.figures à une galerie d'extra·vagances et de rêves: la margeque nous concédons à ce qu'onpeut appeler le baroque (pournous faire comprendre des huma·nietes) est le lieu même où l'écri·vain, le peintre et le graphiste, enun mot le performateur de texte,doit travailler.

Roland Barthes

4

Georges Lim1Jour, dégustant un verrede rhum, chez Baccardi à Santiago deCuba, juin 1961.

Au moment de mettre souspresse, nous apprenons la mortaccidentelle de Georges Lim·b.our, en Espagne, le jour de laPentecôte.

Il était venu du Havre à Pa·ris, comme Raymond Queneauet Jean Dubuffet, avec qui ilétait resté très lié. (II a notam·ment contribué à faire connaî·tre le peintre dont il est le vra.idécouvreur.) Poète rare, à quiMax Jacob avait prédit un grandavenir, qu'Aragon et Cocteauavaient publiquement salué com·me leur • maître,. (bien qu'ilsfussent de la même généra·tion), à l'occasion d'un prix depoésie qui lui avait été décernéil y a une dizaine d'années pourun recueil introuvable et qui n'apas été réédité (Soleils bas,Galerie Simon, 1925), L1mboura surtout fait œuvre de conteuret de romancier avec l'IllustreCheval blanc (1930), les Vanil·Iiers (probablement son chef·d'œuvre, 1938), la Pie voleuse(1939), le Bridge de Mme Ly.ne (1948) et, en 1963, la Chasseau mérou qui le met soudain envedette: Ces ouvrages insolites,chargés de poésie, d'ironie etd'émotion, porteurs d'un mer·veilleux qui s'allie au plus grandnaturel, sont en même temps

engagés, quoique fort librement,dans les problèmes de l'époque(exploitation coloniale dans lesVanilliers, Guerre d'Espagne'dans la Pie voleuse, franquismedans la Chasse au mérou)..Avec ses amis André Mas·

son et Michel Leiris, GeorgesLimbour était entré dans legroupe surréaliste en 1924. Fon·cièrement indépendant, dansson allure et son inspiration, ilsupporte mal la tutelle d'AndréBreton et fait partie de la char·rette des exclus du DeuxièmeManifeste (1929). Il fuit alorsles groupes, les partis, les cha·pelles, les modes, poursuit sonactivité en solitaire. D'où, sansdoute, le son unique que ren·dent ses écrits. Grand amou·reux de la peinture, il se livreégalement en outsider à la cri·tique d'art, écrit des pages lu·mineuses et sensibles sur Du-buffet, Picasso, André Beaudin,S.uzanne . Roger, tout dernière-ment, Cesare Peverelli. Une au·tre de ses activités était moinsconnue: celle de professeur dephilosophie qui a enseigné dansles instituts français d'Egypte,de Pologne, de divers pays bal·kaniques p'uis, finalement, dansun lycée de Paris. Les aspectsmultiples de cette figure quisera pour nous inoubliable ontété vivement esquissés parquelques·uns de ses amis (dontles plus proches, Michel Leiriset André Masson) dans une re·vue de jeunes: • Atoll,. (octo·bre 1968), qui lui a consacréun numéro spécial. .Du grand voyageur qu'a été

toute sa vie Georges Limbour,nous venions de recevoir unecarte postale envoyée de Cadixle 9 mai: • Maintenant, je saisce qu'est l'Enfer: il s'appelleUrbanlsacion. Intégrale, catas-trophique, cancer et gangrènegénéralisée. C'est pire que labombe atomique, qui est belleet sûr qu'Apollinaire' l'aurait dé·corée, ornée féeriquement etchantée en' alexandrins et calli·grammes. Urbanisaclon; mot leplus sinistre du vocabulaire in-ternational. .. " Il nous y annon·çait son retour. Ce soir, nousaurions sans doute parlé de • lapetite ville chinoise,. dans la·quelle, depuis longtemps, il seréfugiait avant de s'endormir.

Maurice Nadeau

1Loys MassonDe, bouteilles dans les yeuxRobert Laffont, éd., 368 p.Avant sa mort, Loys Masson

avait lui·même présenté les texte8réunis sous le titre : Des bouteil-le, dans les yeux. «Ce, histoires,une présence unit l'une cil'autre et fait du livre un tout:Satan, le vieil homme, IOlitaire,comme l'a nommé je ne sail qui.Et avec lui sa sainte ombre, l'al-cool, l'homme grandet maigreau visage trè$ beau, mais eXlaR-gue... :. Ce qui caractérise effec.tivement ce recueil - et qui fitl'originalité de quelques.uns desprécédents Quvrages de Loys Mas·son, poèmC?s ou proses - est l'artde rendre palpable le mystète,d'imposer la présence .de l'invi8i-ble en lui conférant un poids telque l'être humain en est littéra-lement broyé.Dans la première des sept

velles ici regroupées, l'invi8ibles'appelle «la Chose :.., Elle 8emanifeste dans un cadre deperstitions et d'angoisse8. On peut.la considérer .comme .une prémo-nition: ce qu'elle annonce, c'estla venue de l'innommable, peut..être la mort. Dans les Orpingtonl,de Monsieur Beruf, ce dernierpersonnage contient en lui .. toutle mystère, il e,t presque le mys-tère, et on se demande s'il n'in·carne pas finalement Satan, c levieil homme solitaire ...L'inquiétant thaumaturge qui

donne son titre à un autre récit- c Saint Alias - pourraitaussi figurer Lucifer. Un Luciferinversé, qui damnerait les gens enleur facilitant le bonheur. Onsonge à un Monsieur Ouine angé-lique, encore qu'il y ait peu deressemblances entre le dru Berna-nos et l'inquiet, le fragile Lo.Y8Ma8son.Les délires du «Capitaine Le.

Gall en route vers c le8 eauxblanches de la vers c laglaciale est·ce le re-mords d'un meurtre ou le souve-nir d'un naufrage qui le8 provo-que? L'homme est possédé au8ens théologique: SatanC'est Dieu pourtant qu'il suppliede le sauver. Et lorsqu'il déclare:c La mer est peuplée d'une extra-ordinaire se8 yeuxvoient ce que le8 autres n'ont ja.mais vu. A une belle histoire demer - l'auteur en avait déjàimaginé plusieurs: Tous le! cor·,aire, sont morts, par exemple, ou

Page 5: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

Vivre àMajorquele Lagon de la Mi&éricorde -s'ajoute la peinture d'une halluci-nation qui a ceci d'encore plusétrange qu'elle est voulue et pro-voquée par le machiavélique LeGall.A l'opposé: l'hallucination du

petit Emmanuel, dans la plusréussie des nouvelles, celle quidonne au recueil son titre. Le«vieil homme solitaire. est icile père de l'enfant, ou du moinsl'enfant confond-il l'image d'unpère ivrogne avec la silhouette duMalin. Malentendu d'autant pluspathétique qu'Emmanuel est lapureté même et que son âme estsalie par la crédulité et l'insinua-tion, par une représentation cul-pabilisante de l'instinct, due àune tante dévote et à une «né-IJène. malgache bourrée de su-perstitions.De tous ces récits dont le cadre

est l'île Maurice, où naquit l'au-teur, celui-ci rappelle le mieuxson enfance, à laquelle, dans unechaleureuse préface, Claude Royattribue un des traits les plusconstants de l'œuvre de LoysMasson - éternel enfant «puni.d'être né dans une famille humi-1iêe, offensée. D'où peut-être lasoif de l'ailleurs, la soif de l'ou-bli - et le penchant à demandercet oubli à la boisson. Tous lespersonnages masculins du recueil- à l'exception d'Emmanuel -boivent plus que de raison. Pres-que tous ont l'ivresse contrite.Visionnaire et poète, plus sans

doute 'que romancier, poète d'unexotisme qui doit moins à la géo-graphie qu'au folklore (les cou-leurs, les parfums, la sensualitéqui imprègnent son œuvre sontdavantage typiques des mœursque des ciels), en mettant l'inso-lite au cœur de ces textes afin demieux montrer la déréliction del'homme, Loys Masson s'est livréd'une façon.. encore plus émou-vante qu'il ne l'avait fait dans sesjuvéniles et provocantes 'confes-sions (Délivrez-nous du mal, Chro-niques de la grande nuit, ouPour une Egli&e).On y devine la détresse de

l'exilé en quête d'accueil, l'ingué-rissable blessure d'une enfanceheurtée, la déception de l'écrivaincréole dont le nom s'est tôt im-posé mais que ses pairs n'ont pastoujours accueilli avec la chaleurqu'il attendait, ami terriblementexigeant et incommode.

Maurice Chavardès

1Marc BernardMayorquinasColl. Les Lettres nouvellesDenoël éd., 260 p.

«Si l on me demandait, pour-quoi je fui& les hommes, je nesaurai& quoi répondre. Ils nem'ont pas été dans l ensemblehostiles, et je n'ai jamai& beau-coup compté sur eux pour tenterd'être heureux. Mayorquinasn'apporte en effet pas la réponseà cette question; on y trouvera,en revanche, quelques indicationsconcernant le long silence queMarc Bernard vient de rompre enpubliant ce livre et qui révèleque la coupure avec les hommes,tout en ayant été - sciemment ounon - la motivation première,constitue à présent une justifica-tion nouvelle de l'acte d'écrire:« Remplacer la présence humainepar celle du feu, c'est lunedel$ choses que je ne m'attendaisguère à trouver sur cette rive.•En fait, débarquant avec sa

femme à Majorque pour finale-ment y passer un automne et unhiver, Marc Bernard avoue bienne s'être attendu à rien de parti-culier. Tout au plus s'agissait-ilde parier sur l'insolite là où lestouristes s'entassent parce que lesrassure, précisément, la certitudede trouver ce à quoi ils s'atten-dent: mer, soleil, nature domp-tée et loisirs organisés. Aussicommence-t-il par comparer lavision qu'il a, lui, de l'Ile, avecla carte postale classique.Rien ne coïncide. Etonné et

circonspect, il fait le tour de sonnouveau domaine, une «cala.déserte et sa maison blanche detype arabe, afin de ne rien per-dre de la dualité de chaque cho-se: le soleil qui se déguise tan-tôt en Dr Jekyll et tantôt enMr Hyde, l'eau douce qui de-meure introuvable en surfacealors qu'en profondeur il n'y aque lacs et rivières, la traîtrisede l'asparagus, si doux et tendreen sortant de terre et finalementinvincible lorsqu'on s'imaginepouvoir l'arracher.Cet examen minutieux auquel

Marc Bernard se livre autour duplus petit brin d'herbe, estd'abord celui d'un médecin atten-tif à ne rien perdre des moindressymptômes d'un malade difficile ;

il suffit, en effet, de peu de pa-ges pour entendre battre le poulsde l'Ile et couler son sang. Maisà une vue des choses qui n'estpas sans rappeler l'attentionqu'un Jean Grenier porte auxmenus détails de la vie quoti-dienne, voici que se mêle bientôtun souffle lyrique qui signifiel'abordage vers des réalités moinsfaciles à cerner.Marc Bernard et sa femme Else

ont pris possession de l'Ile et dela solitude pour désormais seconfondre avec elles. Ce pas fran-chi, la situation acceptée et mê-me savourée, il s'avère bientôtqu'ayant réintégré sa peau« d'homme préhistorique. ets'étant fait reconnaître commetel par la nature, il s'agit à pré-sent de s'accommoder d'une nou-velle sorte de disponibilité, toutintérieure celle-là. A lire les pa-ges que Marc Bernard rédige àpartir de ce moment et d'où lanotion de Temps est rigoureuse-ment absente, les rendant pourcela même intensément dramati-ques; on a le sentiment que lacommunication qui s'est établiene concerne plus la face visiblede l'Ile, mais son essence même.Dans ses grondements, dans les

étincelles et dans le tourbillon defeu par lesquels elle manifesteson humeur, l'Ile apparaît à MarcBernard comme exprimant de fa-çon hallucinante ses propres tour-ments: «Ce souvenir d'un ins-tont de délire et lillusion d'avoirvu le signe au moment où je les-pérai&, je ne les échangerai& pour,rien au monde, car ce tourbillonné de la terre, ce cercle de feuet de poussière a été comme lapasserelle entre deux univers, quej'ai franchie en courant••Ce signe, il faudra pour le com-

prendre, patienter jusqu'à ce queMarc Bernard apprenne lui·même à le déchiffrer: «Commenous ne voyons autant dire per-sonne et que personne ou pres-que ne nous écrit, j'ai comme unavant.goût de la mort. Ce n'estpas désagréable.. Aussi la pré-monition, malgré sa fugacité, a-t-elle tout de même été nommée.Comment s'étonner, dès lors, dece qu'il guette tous lesceux de la mer, ceux de la pluieet même ceux des soucoupes vo-lantes ?: «Si je les voyai& pla.ner au-dessus de moi, ou monteret descendre gracieusement dansun ciel qui paraît leur appartenir

autont qu'aux aigles, je n'allume-rai& pas de feu, mai& mon cœurbattrait plus vite. J'aurai& enviede crier: «Nous ne sommes plusseuls ! Comment ne pas êtreému par l'aridité du chemin par-couru, par la certitude qu'il nepeut être qu'à sens unique, puis-que même les retours que l'onvoit tentés ici - en de petitstextes brefs et sans appel quiconstituent la seconde partie durécit - ne font que marquer ledivorce d'avec les autres ?« Il est passionnant, écrit Marc

Bernard, d'être celui qui interrogeet celui qui répond., et sansdoute l'intérêt de son livre tient-il, très exactement, à ce glisse-ment du dialogue qui, commencéd'abord avec une terre mystérieu-se, se poursuit peu après avecsoi-même. Mais tout a-t-il vrai-ment été dit ici? L'élan poéti.que qui soulève ce petit livre, quilui imprime cette trajectoire si·nueuse et secrète, à qui mène-t·ilvraiment ? A cet autre, dont MarcBernard se sent maintenant cou-pé, alors que toute son œuvreétait précisément quête du sem-blable, ou à qUèlque chose quin'est pas nommé, dont on n'osepas, ici, prononcer le nom?« C'est la nuit, pourtant touttourne; le grand manège viresans fin. Peut-être lm vieillardactionne-t-il la roue, pensif, le re-gard vague, d'un geste machinal.Depuis le temps ! Pourquoi a-t-ilconstruit cette mécanique ? :.Eh ,oui! Mayorquinas, livre

d'un renoncement et d'une décou-verte, ne serait-il pas, surtout, ce-lui d'une absence? La dernièrepage tournée, on a le sentimentque quelque chose d'irréversibles'est produit, et voilà pourquoion ne se souvient plus qu'indis-tinctement du début, de l'arrivéejoyeuse, de la découverte d'uneîle dont les facéties ont paru sisurprenantes. Cependant, Major-que existe et elle est rassurante,d'innombrables prospectus necessent de le répéter, qui garan-tissent au voyageur un retoursans encombres.Marc Bernard, quant à lui, est

revenu profondément changé deson voyage; par-delà Majorque,c'est de l'autre côté du miroirqu'il a abouti. Privilège de poè-te ? Assurément. Mais c'est l'hom-me qui nous dit ce qu'il y atrouvé.

Cella Minart

La Qyinzaine littéraire, du 1- 2U 15 juin 1970 5

Page 6: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

LITTtRATVRE

tTRANGtREEntretiens avec

Célèbre en Roumanie, Za-haria Stancu n'est pas incon-nu du public français. Jeuavec la mort, roman étrange,lyrique, violent, Ourouma, lafille du Tartare, récit dont lesthèmes, la mer, les chevaux,l'amour, et l'écriture rappe-laient, retrouvaient la puretédes chansons médiévales,nous avaient déjà révélé sesdons de conteur.

1Zaharia StancuLa Tributraduit du roumainpar Léon NegruzziAlbin Michel éd., 376 p.

Avec la Tribu, qui n'a peut.être pas, et pour des raisons logi-ques qui tiennent à l'ampleur del'œuvre, la densité poétique desprécédents ouvrages, Stancu de-vrait cependant rencontrer uneplus large audience. Et cela pourdeux raisons, apparemment con-traires.D'une part, la construction du

livre, la manière de raconter,précise, réaliste, riche en détailspittoresques, sont plus classiques,plus immédiatement accessiblesau lecteur. D'autre part, l'histoireest plus singulière encore, et plusdépaysante - même si Ouroumaouvrait sur le monde austère etrude des paysans Tartares de laDobroudja, vaste plaine des bordsde la mer Noire. En effet, nonseulement la Tribu nous offre lapeinture d'une société close,ayant se8 rites et ses traditions,vivant résolument en marge, celledes tziganes nomades, mais ellemontre cette société dans unesituation elle-même exceptionnel-le: la déportation collective, du-rant la guerre, dans un désertglacial de l'Est de la Roumanie.Aussi bien ce livre, qui est à lafois url étonnant document et unpassionnant 'roman d'aventures,occupe-t-il une place à part dansl'œuvre de Zaharia Stancu.

Z.S.: Mes romans et mes con-tes constituent deux grands cy-cles étroitement liés entre eux.Le premier, que j'ai commencéen 1948, illustre les principaux as-pects de la vie des paysans rou-mains dans la période qui va dudébut du siècle aux années 1920-22. Il comprend des romanscomme Le Jeu avec la mort,

6

Ourouma, la fille du Tartareque vous connaissez, et LesPieds Nus. Les romans du se-cond cycle, intitulés Les Raci-nes sont amères, présentent nonseulement la vie des paysans,mais toute la vie sociale et poli-tique de la Roumanie à partir de1922. Un des thèmes principauxest la lutte, qui prit parfois desformes assez dures, entre les dif-férents partis politiques durant lapériode de montée du fascisme.Mon projet, actuellement, est decontinuer ce cycle jusqu'à· nosjours, d'écrire fhistoire de touteune époque de la Roumanie, maisde f écrire en utilisant non le8moyens de f historien, mais, au-tant que j'en suis capable, ceuxde fartiste. Au reste, tous mesromans sont écrits à la premièrepersonne. Ils comprennent unepart importante d'autobiographie,mais transformée par la littéra-ture, accordée aux nécessités dela fiction. Or la Tribu, qui n'ap-partient à aucun de ces deux cy-cles, ne comporte rien non plusd'autobiographique. C'est un li-vre que j'ai écrit à partir de faitsvécus par d'autres, et qui m'ontété racontés.C. B.: Vous dites, en exergue

de votre livre: C'est Alimut quim'a raconté tous ces événements.Kéra a insisté pour que je lesmette sur le papier. Or, Alimutet lCéra sont des membres de -latribu, le fils et la bru du chef, età ce titre, tiennent une place im-portante dans le récit. Il s'agitdonc, dans celui-ci, de la transpo-sition d'une aventure réelle. Maisce qui frappe, c'est la manièredont vous décrivez, comme de l'in-térieur, les comportements et lesrites des Tziganes. Au niveau dessentiments, des passions, vous ré-vélez leur humanité profonde, etcombien ils sont proches de nous.Mais vous montrez égalementcomment ces sentiments, de joie,de peur, d'amour, s'exprimentdans des gestes, des actes qui seréfèrent à des traditions différen-tes des nôtres, aux lois à la foiscruelles et nobles de la tribu. Ce-la suppose une grande connais-sance de la vie des Tziganes.Z. S. : En Roumanie même, on

m'a souvent demandé: «Com-ment avez-vous pu connaître cesgens ? '> Ceux-ci, en effet, viventdans un cercle complètement fer-mé. Ils ont, certes, quelques rela-

tions avec les villageois ou le8 ci-tadins, pour vendre ou acheter,pour dire la bonne aventure, maison ne peut pénétrer facilementchez eux. En Roumanie, toute-fois, ils ne sont pas tous noma-des. Les sédentaires sont beau-coup plus intégrés à la vie con-temporaine, mais même aujour-d'hui les nomades conservent leursvieilles traditions. Si j'ai pu écri-re ce livre, c'est que dans majeunesse j'ai connu de très prèsune de ces tribus, expérience quej'ai décrite au dernier chapitredes Pie d s Nus. Pendant laguerre, le gouvernement fasciste,raciste, a condamné tous le8 Tzi-ganes à être déportés vers fEstdans des régions presque déserti-ques, que les combats, de surcroît,avaient ravagées. Chaque tribuétait parquée en un endroit pré-cis. Les Tziganes n'étaient pas ha-bitués à vivre dans des conditionsaussi dures, et beaucoup sontmorts de froid et de faim. Il yeut néanmoins des survivants. Cesont ceux-ci qui m'ont racontéleur histoire.

C. B.: Vous dites à plusieursreprises dans votre récit que lechef de la tribu, durant leurvoyage vers l'Est, croyait lire dansles regards attristés des gendar-mes, des villageois, l'annonce deleur mort prochaine. Quels étaientles rapports de la population avecles Tziganes ?

Z. S.: Les Tziganes sont desgens très intéressants, très sympa-thiques. Ils gagnaient leur - viecomme forgerons, ou en disant labonne aventure. Quand la séche-resse était trop grande, on les ap-

pelait. Les petites filles tziganesdansaient nues sous un vêtementd'herbe, et tout le monde les ar-rosait, pour appeler la pluie.Quand ils les virent partir en. dé-portation, les Roumains eurentconscience que celle-ci était fun-des crimes les plus absurdes, lesplus cruels de cette guerre.C. B.: L'absurdité de cette

guerre, à la fois lointaine et pro-che, à peine nommée mais tou-jours menaçante pour les gens dela tribu, apparaît bien dans votrelivre.Z. S. : C'est une des raisons qui

m'ont polissé à récrire. l'ai voulumontrer cette absurdité, commentdes gens qui n'avaient rien à faireavec la guerre finissent, malgréeux, par être concernés par elle.Aussi, j'ai voulu faire de ces genstrès simples, très humbles quesont les Tziganes, des héros quivivent leur tragédie avec une trèsgrande noblesse humaine. Enfin,j'ai montré que même dans le8situations les plus exceptionnelles,les plus dangereuses, la vie con-tinue avec ses soucis quotidiens,ses désirs, ses rêves, ses amours,ses haines.Dans son livre où la tragique

réalité prend les allures de l'épo-pée, Zaharia Stancu a su très ha-bilement mêler le drame histori-que et les aventures individuelles,les jeux de l'amour et ceux dudestin. Mais parce qu'il a su re-créer poétiquement la vie de latribu, il a la pudeur de nommer« roman ce que d'autres, moinsscrupuleux, baptiseraient «docu-ment

Claude Bonnefoy

Page 7: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

deux •rontanclers de l'Est

flammarion

roland auguet

Rome: théâtre de la cruauté et de la violence. Villede spectacles hauts en couleur. Cité où l'angoisse prendpeu à peu le masque de la folie. En lisant l'ouvragefascinant de Roland Auguet, peinture d'un mondedélirant et tragique, "on comprend mieux commentRome a pu, presque sans s.:en apercevoir, s'offrirlentement aux invasions barbares."

CLAUDE METTRA - L'ExpressUn volume illustré: 24 F

du héros. Mais en écrivant, jene pensais pas au théâtre, àune représentation possible, jedonnais simplement ces indica-tions pour renseigner le lecteursur la nature du personnage. Ordepuis, deux spectacles, l'un àVarsovie sous forme de lectureavec un seul acteur, l'autre àCracovie avec trois comédiensdans le rôle principal et d'au-tres pour interpréter la femme,l'ami, le professeur de gymnas-tique, ont été montés à partirde ce texte.

C.B. : Comment se présententles romans appartenant au cy-cle des Souvenirs du tempsprésent?

cruautéet civilisation:

les jeux•romains

C.B.: Façon d'être présenteune singulière particularité. Ceroman est la description d'unepièce de théâtre. En transpo-sant vos indications, en conser-vant les dialogues, on pourraiten donner une représentation.

K.B. : J'appelle ce genre litté-raire Cl: la prose scénique ». Pourmoi, les indications de jeux descène sont aussi des moyensartistiques. Par exemple, je sug-gère dans Façon d'être qu'unmetteur en scène devrait recou-rir à trois comédiens pour jouerle même rôle durant le specta-cle. Le fait que les comédienssoient interchangeables souli-gne le caractère quasi anonyme

C.B.: Revenons à vos deuxtrames principales. Dans Façond'être, qui illustre la première,·la voix que l'on entend n'estpas celle d'un héros de roman,au sens classique, mais cepourrait être celle de n'importequI.

K.B. : En écrivant Façond'être, je ne connaissais pas laDernière bande. Mais je recon-nais une certaine dette enversOh les beaux jours! Toutefois,si je me suis inspiré d'un texte,c'est surtout d'un petit récit deTchékhov: les Méfaits du tabac.

mais à mon avis, ce que j'aifait là n'était pas réussi. Egaie-ment, à l'époque qui précéda oc-tobre 56, en Pologne, j'ai écritune vingtaine de récits dont leplus connu est la Défense deGrenade où je tentais d'une ma-nière plutôt artistique d'expri-mer le difficile passage de lapériode stalinienne à une étapeultérieure.

C.B.: Vous citez Godot. Apropos de Façon d'être, on aévoqué la Dernière bande. De-vez-vous beaucoup à Beckett?

K.B.: Dans ce livre, Je vou-lais dire que l'être humain està la fois coupable et innocent.Parfois mon narrateur s'accusede ses fautes, ou s'enfoncedans ses péchés. Mais au mo-ment de mourir, c'est lui qui par-donne à Dieu de l'avoir créé, quiabsout Dieu de cette faute mé-taphysique : la création del'existence. Dans le même es-prit, j'ai écrit sous forme dedialogue un court récit dont onpourrait traduire le titre parTrop vieux tous les deux. Ce ré-cit met en scène un vieux cou-ple habitant une maisonnettedes environs de Varsovie qui,en attendant la visite des en-fants et des petits-enfants, ba-varde sur un banc, évoque dessouvenirs. Enfin les enfants ar-rivent, mais même s'ils ne ve-naient pas, ce serait la mêmechose. Les deux vieux serontencore là le lendemain. Poureux, Godot ne viendra pas carils n'ont rien à attendre, saufla mort.

K. B.: Lors de mes débutslittéraires, dit-il, immédiatementaprès la guerre, en 1946, j'ai pu-blié le Cheval de Bois, romanécrit à la première personne etqui décrivait la vie d'un hommemoyen, d'un intellectuel quel-conque dans une petite ville dePologne durant la guerre. En1963, à la parution de Façond'être, les critiques ont recon-nu dans ce livre l'esprit du Che-val de Bois. La trame de cesdeux romans est la trame laplus subjective, la plus fictivede ma littérature. Dans le mê-me temps, j'ai développé uneautre trame - moins subjectivemalgré la résonance un peu sub-jective de certains titres -dans le cycle intitulé les Sou-venirs du temps présent et quicomprend notamment Lettres àMadame Z, Joker, la Place duMarché. Ces textes ne sont pasde pure fiction littéraire, maisproposent un collage de souve-nirs, de lettres, de reportages,de journal de voyage, d'essai etde fiction. Quand je. dis cc je »,ici, c'est bien de moi qu'il s'agit.Schématiquement donc, ma lit-térature a deux profils. J'ajoute-rai que dans les années 49-53,j'ai essayé de me plier aux for-mes du réalisme socialiste,

Kazimierz Brandys est l'undes écrivains les plus singuliersde la littérature polonaise con-temporaine. Si ses romans seréfèrent à la réalité polonaiseactuelle, directement ou implici-tement, ils sont surtout intéres-sants en ceci qu'ils contribuent,au même titre que les meilleu-res œuvres de l'avant-garde eu-ropéenne ou américaine, à laremise en question des formeslittéraires traditionnelles. D'au-tre part, il propose moins unenouvelle écriture qu'il ne cher-che de nouvelles voies. Façond'être (Gallimard), le troisièmede ses livres à avoir été traduiten français (voir Quinzainen° 79) ne ressemble pas auxprécédents, la Mère du roi(Julliard), Lettres à Madame Z(Gallimard), mais brise tout au-tant avec les modes habituelsdu récit. Aussi bien, KazimierzBrandys reconnaît volontiersqu'il y a deux directions ou plu-tôt cc deux trames» principalesdans son œuvre.

La Q.yinzaine littéraire, du 1er au 15 ;uin 1970 7

Page 8: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

Brandys

K.B.: Ils ont pour originemon expérience, notammentmes voyages en Yougoslavie,en Italie, aux Etats-Unis. 'le ma·tériel essentiel est ce que jepense, ce que je fais - y com-pris mes travaux littéraires -au cours de ces voyages. On ytrouve par exemple des rencon·tres avec des étrangers, desimpressions d'un congrès litté-raire à Belgrade entremêléesavec mes brouillons, mes pro-jets, mes notes, mes rêves noc-turnes, mes souvenirs d'enfanceet les premières esquisses deromans que j'essaie d'écrire envoyageant. Tout cela ne créepas un désordre, mais au con-traire s'ordonne selon une cer-taine structure. Par exempledans la Place du Marché, je nevoyage pas seulement auxEtats-Unis, mais aussi, d'unemanière plus symbolique à larecherche de l'innocence hu-maine. Cette innocence, je ten-te de la trouver dans mes sou-venirs d'enfance, dans des ren-contres avec certaines person-nalités comme Thimotée Leary,le prophète du L.S.D., sur lestraces des pionniers de l'ancien-ne Amérique, ou encore dansune fiction ethnologique quej'essaie d'écrire durant levoyage. Le sujet de celle-ci,d'inspiration Levi-Straussienne,est le mythe d'une tribu primi-tive qui aurait existé jadis dansles îles des mers du Sud. Uneautre fiction du même livre re-joint celle-ci. C'est une sorte deroman érotique qui met enscène des gens moyens, unedentiste et un petit employé.Dans ce roman, l'innocence estreprésentée par le fils de l'em-ployé, ancien poliomyélitique,qui ressemble à un ange. Or,cet ange deviendra un savantethnologue et découvrira lestraces de la tribu primitive dansles mers du Sud. J'ai voulu direlà q.ùe même dans la vie laplus grise, le monde le plusplat, peut apparaître une géné-ration, un individu qui sauvetout. C'est là mon espoir.

C.B.: Comment situez-vousvotre œuvre dans la littératurepolonaise, plus largement dansla littérature européenne, con-temporaines ?

8

Brandys

K.B.: Je ne vois pas de dif·férence essentielle entre la lit-téra'ture polonaise et la littéra-ture européenne. Ce qui m'inté·resse le plus, en Pologne ou enOccident, ce ne sont ni les ro-mans ni les anti-romans, maiscertaines recherches commecelles de Claude Roy dans MoiJe ou d'Adolf Rudnicki dans lesFeuillets bleus ou Witold Gom·browicz dans son Journal etque je classerais sous la déno·mination d'auto· roman, brefc'est le collage de l'autobiogra-phie, de l'essai, du reportage,de la fiction. Les ancêtres de cegenre sont aussi bien Montai·gne et Rousseau qu'AlexandreHerzen. Pour moi, ce collagen'est rien d'autre que le romancontemporain. Le trait le pluscaractéristique du roman est lavariabilité. Le roman se recon·naît à ce qu'il change toujours,"Odyssée et la Bible (celle-cid'une manière toute modeme,avec ses collages) étaient déjàdes romans comme le sont lesœuvres de Madame de LaFayette, de Balzac, de Stendhal,de Proust, de Joyce, de Kafka.Les prosateurs contemporainssont en train de chercher unenouvelle forme de ce sac éter-nel que fut toujours le roman,ou de ce cc miroir sur la route »,selon le mot de Stendhal, quireflète tout ce qui passe.

Propos recueillis parClaude Bonnefoy

INFORMATIONS

A l'occasion de l'exposition qui alieu actuellement au Grand-Palais, àParis, les éditions L.C.L. (diffusionGarnier) nous proposent un album in-titulé Matisse, Florilège des Amoursde Ronsard. Ce nouveau volume de lacollection «Les peintres du Livre.présente vingt-trois poèmes et chan·sons, accompagnés de soixante litho-graphies du peintre.Parmi les ouvrages sur Matisse ac-

tuellement disponibles, rappelons: M.tisse, par Jean Selz, dans les • Gran·des. monographies illustrées. deFlammarion; Matisse, par JacquesLassaigne, dans la collection • Le goûtde notre temps. de Sklra et. chezle même éditeur, dans la collectionles «Albums d'art Skira., un autrevolume intitulé lui aussi Matisse;Matisse, par Gaston Diehl, publié parT1sné-Vilo; Matisse, par' J.•J. Levêque,aux éditions Cercle d'Art-Bordas (dlf·fusion Vilo); Matisse. par J. Mar·chiori à la Bibliothèque des Arts; Ma-tisse, par Jean Guichard Meill chezHazan (diffusion Vilo) ; Matisse, dansla collection • Les grands maitres dudessin. du Cercle d'Art; Matisse,période fauve et Matisse 1911-1930,dans la collection «ABC. de Hazanet, chez le même éditeur, dans lacollection • Bibliothèque Aldine desarts", Matisse; Matisse ce vivant,recueil de souvenirs par RaymondSchollier chez Fayard. Signalons éga-Iement qu'Aragon prépare actuelle-ment un Important ouvrage sur lepeintre à paraitre chez Gallimard.

IlTravaux "

• Travaux" est le titre d'une nou-velle collection des éditions de l'Ar·che qui proposera des ouvrages trèsdivers: écrits sur le .théâtre, romansétrangers, etc. Trois volumes sont sor-tis en avril: l'Achat du cuivre, parB. Brecht, entretiens sur une nouvellemanière de faire du théâtre; Racine,par Lucien Goldmann (réédition);Théâtre complet de Büchner, compre-nant la Mort de Danton (traduit parA. Adamov), Léonce et Léna et Woy-zeck (traduits par Marthe Robert). Aparaître ce mois-el: le Petit organonpour le théâtre, par Bertolt Brecht;Musset, par Henri Lefebvre (réédl·tlon); Itinéraire de Roger Planchon,recueil de divers articles parus dans• Théâtre populaire ". Les ouvrages, auformat 11/18, sont vendus 9 F.

IlMusique"

Sous la direction de François-RégisBastide, est lancée, ce mois-ei, auxéditions du Seuil, une nouvelle collec-tion: «Musique.. Le premier volumede «Musique. Illustre bien l'espritde cette collection qui propose au pu-blic amateur de musique des ouvragessérieux mais accessibles aux non spé-clallstes: Il s'agit en effet d'une bio-graphie de Jean-Sébastlen Bach, mals

aussi d'une étude approfondie desœuvres vocales, et Instrumentales, ducompositeur, appuyée sur les recher-ches les plus récentes, par Karl Gel-ringer, professeur à l'Université deCalifornie et spécialiste de la musi-que du XVIII' siècle. A paraître: l'Opé-ra auJourd'hui, par Jacques long-champs, critique musical du • Mon· .de.; Debussy, Impresslonlsme etsymbolisme, par Jarocinski; les Qua-tuors de Beethoven, par Joseph Ker-man.

IlHistoire de la France"

Denoël inaugure une nouvelle col-lectlon; «Histoire de la France ", qui,sous la direction de François Dornic,se propose d'aborder l'histoire glo-bale de la France en faisant appelaux techniques de l'anthropologie, dela sociologie, de l'économie, etc. « His-toire de la France" s'attachera à dé·couvrir les articulations profondesd'une archéologie nouvelle qui rendecompte des transformations de la so-ciété, de l'économie et de la civili-sation. C'est ainsi que le premier vo-lume de la collection: la France dela Révolution 1789·1799, est divisé entrois parties: une «chronologie., quis'efforce de suivre pas à pas le dérou·lement des événements; un • diction-naire" qui fournit une mise au pointdes connaissances actuelles sur lessujets abordés; une • histoire globa-le", au niveau des structures, desproblèmes politiques, économiques, so-ciologiques, etc. Un Important appa-reil critique complète l'ensemble.

IlFemmes dans la vie "

en co-édition par Grasset etLe Centurion, la collection • Femmes'dans la vie. traite de tous les pro-blèmes qui préoccupent actuellementles femmes, qu'il s'agisse de la sexua·lité, de l'éducation, des activités de lavie quotldi"mne, etc. Premiers titres:l'Entente du couple, par Renée Mas-sip; Comment plaire à tout âge, parSimone Baron; la Femme et les ad0-lescents, par Simone Fabien; la MaI-son ouverte, par Ghislaine Lavagne.

"Les idées et les mœurs"

Chez Flammarion sera Inaugurée enjuin une nouvelle collection Intitulée• Les idées et les mœurs. et qui, ensix volumes, formera une vaste fres-que sur les divers aspects de la vied'autrefois. Pourquoi les • idées et lesmœurs"? Parce que le principe quisert de point de départ à la collec-tion est que les Idées et les mœurs,plus encore que les événements, dé-terminent une époque donnée. Aussi.pour évoquer les périodes les plus si·gnificatives de notre civilisation occi-dentale, les auteurs ont recueilli destémoignages très divers et rassembléune iconographie aussi abondantequ'originale. Les deux premiers titresparaissent ces Jours-el.

Page 9: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

Le Sourire Qfwfq

24 ILLUSTRATIONS

Vient de paraître

Il a été tiré à part1000 exemplaires numérotés

reliés pleine peau

part sont concrètes, quotidiennes,banales. Un archer primitif viseun lion, un conducteur est pour-suivi par un tueur, un amant rou-le vers le domicile de sa maîtres-se à la suite d'une conversationtéléphonique orageuse, un prison-nier célèbre, Edmond Dantès,rêve aux moyens de s'évader.Tout est simple à première vue.Mais comme dit Ionesco dans laCantatrice Chauve, «prenez uncercle et caressez-le, il deviendra

Les personnages queCalvino met en scène dans cessituations naturelles sont en proieau démon de la logique. Si lascience a disparu avec Qfwfq,son langage est resté et se metà tourner tout seul, à rendre in-

CARL ANDRE - MICHAËL HEIZERDAVID LAMELAS - PIERO MANZONI

Dans toutes les bonnes librairies. Correspondanceet abonnement: 101, rue de Vaugirard _ Paris 6·

Editions Esselller

OTTO HAHN Littérature et MystificationPETER HANDKE GaspardANDY WARHOL Comment devenir

un homosexuel professionnelMARTIAL RAYSSE Les Socialistes

n'aiment pas leur mèreGYbRGY LIGETI De la forme musicaleDANIEL BUREN Mise en garde N° 3

Dans toutes librairiesVolume broché 16.5 x 21.5 cmcouverture acétatée. F 35.-

128 pages70 illustrations

14 F

VH 101LA REVUE

DE L'AVANT-GARDEINTERNATIONALE

Orion aveugleClaude Simon

sultats cocasses que le lecteur dé-couvrira avec ravissement. Etc'est dans cette deuxième partieque s'opère le renversement quicaractérise les derniers textes durecueil, de Temps Zéro au Com-te de Monte-Cristo.Les histoires de Qfwfq par-

taient d'hypothèses scientifiques,d'un moment de l'évolution ducosmos ou de la vie pour con-ter les réactions, les aventuresd'individus, de personnages quel-conques - si on peut les nom-mer ainsi - ayant les goûts, leshabitudes et les travers du petitbourgeois moyen qui n'aime pas- ou du gamin farceur qui ado-re - les bouleversements. Ici,au contraire, les situations de dé-

VH101

le lait lunaire, épais comme du.fromage blanc, il évoque l'échan-ge de matière qui se fit entrela planète et son satellite à lafaveur de ce rapprochement etgrâce aux lois de l'attraction réci-proque. C'est alors selon lui quela Terre perdit sa dureté, sa net-teté, cette couche de matières lis-ses (béton, plastique, verre, acier)qui la recouvrait alors et qu'ons'efforce péniblement de reconsti-tuer aujourd'hui. Au reste, unefois lancé sur l'apparition desoiseaux, la mésaventure des cris-taux, l'analogie du sang 'et lamer qui fait que les amants sou-haitent se replonger ensembledans le même flux primitif pourle perpétuer, QfwEq pourraitcontinuer interminablement. Eneffet, il a tout vu, tout connu, etil serait à même de récrire avecle bon sens gouailleur du mon-sieur qui était là et à qui on nela fait pas, toutes les œuvres dela science, de la philosophie, dela littérature, y compris les vi-sionnaires, les fantaisistes et lesapocryphes. Et il le ferait si sondernier avatar - dans la peaud'un amateur de dolce vita, dejolies filles et de puissantes voi-tures - ne finissait dans un ac-cident d'automobile, laissant Cal-vino libre d'écouter ou de suivred'autres voix ou voies.Cependant Calvino conduit

mieux que le docteur libertin res-ponsable de la fâcheuse dispari-tion du bavard cosmique. Il prendles virages sans en avoir l'air, etses dérapages sont contrôlés. Ladeuxième partie de Temps Zéro,en est une sorte d'hom-mage à Qlwfq, ou encore seprésente comme les œuvres pos-thumes du susdit. Elle est l'his-toire de celui-ci et en mêmetemps de l'évolution de la viedepuis l'apparition de l'unicellu-laire jusqu'à la mort du pluricel-lulaire (supplanté par la machineélectronique qui conservera touten mémoire). C'est donc toujoursde la même chose qu'il est ques-tion, et pourtant le ton a changé.Il ne s'agit plus d'aventures inso-lites sur un fond d'hypothèsesscientifiques, mais presque d'uncours de biologie, de génétiquesur la mit08e, la meiose, la trans-mission des caractères, le rôle dela double hélice, mais d'un courstruffé de métaphores, de remar-ques ironiques, récrit de manièresubjective et aboutissant à des ré-

1Italo CalvinoTemps zérotrad. de. l'italienpar Jean ThibaudeauSeuil éd., 160 p.

Depuis ses débuts, Italo Cal-vino a toujours été le conteur del'inattendu. D'où les surprisesqu'il réserve au lecteur, non seu-lement à l'intérieur d'un mêmerécit mais d'un livre sur l'autre.Calvino sè reconnaît à ceci que,du Baron Perché à Temps zéroen passant par la Journée d'unscrutateur, ses livres ne se res-semblent apparemment pas. Leton change. On passe du concretau bizarre, de l'insolite au ra-tionnel, et l'auteur semble jouerà chat perché avec le réalisme, lafantaisie et le fantastique. Maistoujours, il y a quelque part quel-que chose de déréglé. Les systè-mes révèlent leur faille ou bien,quand Calvino y met le doigt -ou une goutte de son humour -les mécaniques les mieux huiléesdeviennent folles. L'invraisem-blable se teinte d'évidence, la lo-gique se prend à ses propres piè-ges.·Mais voici qu'avec Temps zéro,

le conteur nous réserve une nou-velle ruse. Il feint d'abord d'êtrele même et de nous entraîner enterrain connu. Les récits qui ou-vrent le recueil, non seulementsont de la même veine que ceuxde Cosmieomies, mais ils ont lemême héros, si l'on peut dire, oudu moins le même narrateur, lemultiforme et bavard Qfwfq qui,microscopique ou volumineux,llubtil ou jobard, fut, de la nébu-leuse originelle aux temps moder-nes, l'éternel témoin de l'univers,de sa formation, de ses transfor-mations et de ses caprices. QfwEqcontinue donc à parler, glissantson grain de sel dans les théoriescosmologiques, les élucubrationscosmogoniques, illustrant d'exem-ples surprenants les hypothèses,sérieuses ou hasardeuses, des sa-vants.Ainsi, comme dans Cosmieo-

mies, il commence par nous par-ler de la Lune et du temps oùcelle-ci s'était rapprochée de laTerre à un point tel que, selonles calculs de Gerstenkom etMven, les continents terrestresseraient des morceaux de Lunetombés sur notre planète. Maiscette fois-ci, QfwEq ne nous conteplus comment il allait extraire

La Q,yinzaine littéraire, dù 1er au 15 juin 1970 9

Page 10: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

.. Calvino Une • •vertIgIneuse

solite ou insoluble ce qui d'abordsemblait aller de soi. On a l'im-pression d'entrer alors dans unmonde où les miroirs eux-mêmesdeviendraient schizophrènes, au-trement dit fêlés, à force de réflé-chir. Et voici l'archer qui sou-haite demeurer éternellement àcheval sur sa flèche en un point T.du temps mais qui ne peut ima-giner l'intérêt de cette positionqu'en se transportant en TI, T'ou T' c'est-à-dire au moment oùle lion soit sera mort soit lui aurasauté dessus. De même EdmondDantès ne peut trouver la maniè-re de s'évader qu'en inventant,outre le roman de Dumas, la for-teresse dont on ne pourrait s'éva-der.

Au terme, la perfection du rai-sonnement aboutit au dérègle-ment de la réalité comme àl'impossibilité de sortir d'une si-tuatiorl. Et dans le même mouve-ment/ l'auteur réussit à conterune histoire et à la détruire, àfaire de la littérature tout enla niant, à récrire· et à effacerl'œuvre d'Alexandre Dumas. Maissi savants que soient les jeuxauxquels il se livre, Calvino neperd jamais le sourire de Qfwfq.

Et si nous sourions avec lui, c'estpour oublier qu'il nous a prisdans ses pièges.

Claude Bonnefoy

10

1Luigi MalerbaSaut de la MortTrad. de l'italienpar Jean-Noël SchifanoGrasset éd., 260 p.

Pourquoi diable Michelange10Antonioni a-t-il été jusqu'à Za-briskie pour tourner son dernierfilm? Luigi Malerba aurait pului confier que Paonne Point setrouve à 24 kilomètres au Sudde Rome; et question désert, laplaine de Paonne «c'est un dé-sert pire que le Sahara:ll. Il estvrai que le moyen de locomo-tion dans Saut de la mort (1),c'est la bicyclette; que le «jenarrateur, Joseph dit Joseph, estchineur de métier et qu'il tètesa Rose (Rose ou Rosette ou Ro-seblanche ou Roseclaire... - unsuffixe à Rose, s'il vous plaît, etvous trouverez III Femme -)entre deux bouffées de Gitanes,refusant tout Zabriskie coït: pasde pertes stupides d'énergie, sa-pristi! Et surtout pas de pertesde connaissance; car Joseph mè-ne l'enquête...Si «une voix:ll n'avait été là

pour le tirer vivement d'un som-meil qui promettait d'être éter-nel, Joseph ·dormirait encore, ber-cé par Radio Vatican (ou le bour-donnement d'un nuage de mou-ches? - au fond, peu importe...)Et ce serait bien regrettable: Jo-seph est un impayable enquê-teur; un fils clownesque d'Œdi-pe et d'Agatha Christie qui dé-masque et démystifie à coupsd'ingénuité. Aussi bien, le cou-pable ne devrait pas lui échap-per.L'énigme première, la voici:

qui a tranché la gorge de cethomme, «ce vieux », qui gît dansla plaine de Paonne, près de laTour médiévale? Des interroga-toires burlesques vont former lefil conducteur de l'enquête et dulivre. Joseph soupçonne d'abordun boucher, coupable tout dési-gné: en effet, son métier est detuer - des animaux, certes -mais l'adresse avec laquelle ildécoupe la viande n'est-elle pasun sérieux indice (indice renfor-cé par la méfiance qu'éprouvel'enquêteur loufoque devant sespetits yeux et ses oreilles qui re-muent quand il parle!)? Etpuis, «blague à part on a aper-çu le criminel sur une bicyclettenoire : le boucher en possède uneidentique... Au coul'8 de ce pre-

mier interrogatoire, Joseph dé-couvre, entre autres, le prénomdu boucher: «Il s'appelle Jo-seph comme moi, voilà qui neme plaît guère c'est-à-dire pas dutout.:lI Ainsi commence la rondeendiablée et cocasse des Joseph,tous, l'un après l'autre, soupçonnéspar Joseph dit Joseph, d'être lecoupable. Joseph, l'émoucheurd'Albano, qui prend un goûtétrangement sadique à tuer lesmouches; J 08eph, le maître na-geur, dont le métier consiste, enpartie, à retirer des cadavres del'eau et qui peut tout aussi bienéprouver la tentation de concur-rencer la mer néfaste. De plus, lemaître nageur, comme l'émou-cheur - et le protagoniste, d'ail-leurs - possède «une bicyclettenoire de forme et de couleur:ll.Malgré les remarques de «la

voix qui le double et lui dit, parexemple, «Joseph, mon bon ami,je suis navré mais tu fais rire leschiens avec tes interrogatoires:ll,il n'en poursuit pas moins son en-quête et découvre même, tout àtrac, que Rose lui a fait un petitJoseph en catimini, pour ainsi di-re, un fils âgé maintenant de 18ans. A cette dernière nouvelle, ilpose la question capitale que toutpère, depuis Freud, formule ausujet de son fils : «As-tu entendudire par hasard qu'il en veut àmort à son père ? :li Bref, le mortdu début - que ce soit un vraimort ou un fantasme trimballépar le «je:ll narrateur - est ànotre sens (chacun poura interpré-ter cette énigme-là à sa façon) lepère (ou un substitut) du protago-niste: «Il y en a un déjà qui estallongé dans le pré, entouré defourmis, le second pourrait êtretoi, s'il vous se dit Jo-seph après la révélation de Ro-se, car «c'est ainsi que tourne laroue de la vie.:lINous vivons donc, dans ce ro-

man, une brillante et authentiqueillustration du complexe d'Œdipe(cf. pour l'autre composante dece complexe, la Femme-Mère) etde la culpabilité - d'autant plusangoissante qu'elle est incons-ciente -, conséquence premièrede ce complexe, chez le «jenarrateur qui projette son anti-que désir de mort (ou son actecriminel réel) sur d'autres Jo-seph - l'homonymie facilitantcette projection. Si l'on veutd'abord s'en tenir au seul dé-

brouillement du reclt construitcomme un labyrinthe d'où l'on nevoudrait plus sortir tant il séduit,il y a donc quatre Joseph prin-cipaux (reflets, sans doute, duprotagoniste qui semble posséderle pouvoir de se diviser en qua-tre, «spontanément comme le versoi-disant solitaire :li!) qui mour-ront tous, sauf le chineur, d'unemort rocambolesque.Par exemple, le boucher se

noiera dans vingt centimètresd'eau, persuadé qu'il était, expli-quera son épouse, de grimper àun arbre!J 08eph dit Joseph se sent aus-

si persécuté, menacé par la po-lice et par cette «voix quicessé de le poursuivre, cette« voix qui semble être elle-mê-me - déguisée - de l'auteur quipèse à sa créature (<< mon excel-lent ami:ll, «mon bon ami », sontles voyants lexicaux qui indiquentune intervention brève de l'au-teur auprès du «je:ll narrateur).Et nous assistons, de chapitre enchapitre, à l'irritation puis à larévolte du personnage contre sonauteur, jusqu'à la séparation fi-nale où Joseph rudoie son créa-teur et... le dénonce à la police.Ainsi, il poursuivra sa destinéed'incomparable inquiéteur, désor-mais seul sur la scène narrative.

Mais ce n'est là qu'une tran-che de ce livre vivant et étince-lant qu'est Saut de la mort, decette pirouette vertigineuse où lesvers, les chiens et les mouches ri-golent à belles dents !Dans une langue que Luigi Ma-

lerba excelle à chatouiller auxmots sensibles, sont abordés lesthèmes les moins agréables d'uneItalie coupée en deux (la richeplaine Paonne et la misérablelande désertique au Sud de Ro-me en sont un symbole) où rè-gne un banditisme ici dénoncé- «Joseph le boucher de Paon-ne est mort, s'il vous plaît. C'estpeut être la Mafia sicilienne quir a tué, c'est d'elle que dépendrabattage clandestin de tout leLatium:ll - dans le cours mêmedu récit, dénonciation judicieuse-ment intégrée aux extraordinairesaventures du protagoniste. Et sil'on peut aisément mettre sur lecompte de la schizophrénie lesincohérences de pensée et d'ac-tion de Joseph, ces «incohéren-ces» sont tout de même savam-ment placées par Malerba pour

Page 11: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

•pIrouetteAvantde partir

La Q!!inzaine littéraire, du 1er au 15 juin 1970

donner à son personnage la tail-le réelle d'un être vivant aujour-d'hui sur un globe pollué par lemazout (sur les plages), les gazcarboniques (dans les villes), etles poisons en tout genre.Tels ces gouvernements coupa-

bles d'incapacité - même sidans le monde tous les présidentsde la République ne se prénom-ment pas Joseph. «Autrefois onparlait des vernis allemands, ditle protagoniste (au sujet de sa bi-cyclette, bien sûr 1), désormais onpeut employer les vernis natio-naux ils sont même meilleurs.:tSurtout quand un clergé obtus lesfait briller. En effet, que peutcomprendre, par exemple, le prê-tre de' Paonne auprès de l'émou-cheur qui, sur son lit d'hôpital,lui confie: «j'entends la mysté-rieuse syllabe de la création :OM?«A présent, je n'en S6J& pas

plus qu'avant:t dit· le prêtre:pour lui, certes, le mot de passene peut-être l'homme.Saut de la mort est donc aussi

le roman d'une schizophréniegéographique et sociale; le ro-man de l'Italie mutilée. Tous cescous coupés, doigt coupé, jambescoupées, ces yeux qu'on ne vou-drait pas avoir, peuvent être, en-tre autres, le symbole de ce cli-vage entre deux Italies, entredeux Mondes.Anti-héros d'une «hilarodys-

sée» miniaturisée par un orfèvre,Joseph le chineur se sert incons-ciemment de tous les prétextes- tous passionnants, ô comhien !- pour atermoyer la découvertedu coupahle : et ce sont alors cesregards stupéfaits et indignés qu'iljette sur le monde et les gens quil'entourent. Et, en fin de compte,

• '? Q . ?qui a tue. U1 tue encore ....« C'EST VOUSLuigi Malerha, ce magicien du

langage, cet alchimiste du tempset de l'espace, des formes, descouleurs et des sensations, quipeint un paysage en trois mots et«le pire des mondes:t en unéclat de rire, a écrit un roman« moderne:t, au sens stendhaliendu terme, un roman témoin d'unesociété et d'une époque, et qui vit,loin d'une littérature frelatée encure chez Enzyme ou rendant avecforce spasmes des mots chiqués.Disons enfin, que Saut de la mort,plein d'humour et de cocasseries,est cependant dominé par la cou-leur noire (bicyclettes, journaux,vêtements, voitures, oiseaux, etc.).Noirs et nus, en effet, sont ces fan-tastiques «événements de Paon·ne:t reflétés par ce chineur tour·menté qui, dans une manière de« conversation au Latium, ac-cuse une Capitale, un Pays et unMonde postiches. C'est une drôlede création poétique, cette histoi·re inquiétante, un roman d'unerare authenticité.Ceci encore: Ionesco, Beckett,

Aymé, etc., ce brillant écrivaind'outre-Alpes ne s'est·il pas, danscet ouvrage, débarrassé de ses« pères ?... Car Malerba est iciMalerba, avant tout. Un grandcréateur qui s'affirme.

Luc Evaron

(1) C'est le second roman de LuigiMalerba dont l'œuvre est traduitedans de nombreux pays. Son pre-mier roman : le Serpent canniba-le - paru en Italie après un re-cueil de nouvelles intitulé laScoperta dell'Alfabeto - fut pu-blié en France, par Grasset, en1967. La traduction est de Mi-chèle Causse. N° 30 de la- Quin·zaine Iittéralre-.

le titre du recueil est dé-sormais chargé d'une tragi-que ironie. Brendan Behanest parti et nous ne lèveronsplus nos verres avec lui dece côté de la tombe. Et pour·tant, ces brefs récits sontl'œuvre d'un jeune hommequi commence à découvrirson talent d'écrivain. A dé·couvrir qu'il a quelque choseà dire que les gens paierontpour entendre. Et j'insistesur le paiement, car derrièreles jeux et les mots, on sentdéjà la tragédie.Brendan BehanEncore un Verreavant de partirTrad. de l'anglaispar Paul·Henri ClaudelGallimard éd., 201 p.Le trait le plus caractéristique

du jeune Behan était l'énergie:avec sa chemise ouverte et sesboucles noires, il avait l'air d'unjeune taureau, dangereux, maisjoyeux. Avant de bien le connaî-tre, je l'ai vu poursuivre un desmeilleurs poètes irlandais, Pa-trick Kavanagh, à toute allure, lelong de la rue la plus élégantede Dublin. Mais il s'était arrangépour ne pas le rattraper ; en dé-pit de ses allures de forçat, la vio-lence de Brendan était celle dulangage plutôt que celle dugeste.Ce qui le différenciait des au-

tres jeunes écrivains réunis cha-que jour dans les bars ou lessous-sols, comme les Catacombes(L'Homme de Gingembre de Don-leavy (1) donne un aperçu decette institution maléfique), c'estque Behan avait déjà accumuléune expérience à lui. Encore ado-lescent, il s'était engagé dans l'ar-mée clandestine irlandaise et avaitété envoyé en prison. Bien d'au·tres fanatiques ont fait de même,mais Brendan venait de la classeouvrière et ne s'était pas dissociédes prisonniers de droit commun;la prison avait été pour lui unesorte d'internat, assez rude. Avrai dire, il était le premier repré.sentant des taudis de la rive nordà émerger depuis O'Casey; et ilest sans doute le dernier.C'est l'écume de ces premières

pintes de Guinness que représen-te ce recueil, fait surtout de con-versations de bistrot. Publiés dansle plus orthodoxe des journauxirlandais (un peu comme si Jean

Genet écrivait pour leces récits sont déjà inconsciem-ment censurés. On n'y trouverapas grand-chose qui touche à lareligion, à l'amour ou à la révo-lution, mais on y trouvera beau·coup d'humour. Qui pourrait re-fermer un livre qui commencecomme par hasard: «rai connuun homme de Nicholas Street quis'est assis sur le trône cl'Angle-terre ?Ce type-là était peintre en bâti-

ment, comme Brendan lui·mêmeet son père avant lui (Behan répé-tait volontiers que son père étaitPrésident du Syndicat des Pein-tres en Bâtiment) et il refaisaitles du palais de Bu-ckingham, travaux qui lui va·laient du reste quelques avanta-ges en nature, puisqu'ils l'habili-taient à vendre de l'Eau du Pa-lais à des royalistes fervents. Unjour qu'il peignait l'escalier, «unpied menu et ravissamment chaus-sé...On voit le genre... mais ce

qu'i()n ne saurait assez apprécier,c'est combien le plus simple ré·cit est riche de la culture dupetit peuple de Dublin, culturetoute locale et internationale àla fois. Internationale, parce qu'ily avait toujours quelqu'un de lafamille qui avait fait les campa-gnes d'Mrique du Sud ou d'Indedans l'armée anglaise, ou travaillédans les chantiers ou dans leschemins de fer en Angleterre ouaux Etats-Unis. Internationaledans les idées aussi: il ne fautpas oublier que Marx et Engelspensaient tous deux que la révo-lution aurait pu commencer enIrlande. La longue grève de 1913avait été l'une des plus sauvagesd'Europe, et si James Connolly etson Armée de Citoyens avaientsurvécu à la Révolution de 1916,l'Irlande aurait pu être une pre-mière version de Cuba.Mais 1916 était une révolution

nationaliste et non pas socialiste ;comparé à celui de O'Casey, lemonde de Behan est sur le déclin.L'humour est sa dernière défense,qui rend même la défaite accep-table. Quelques ouvriers rassem-blés autour d'un trou entonnent«Bon Anniversaire... Est-ce lafête du contremaître? demandeun nouveau. - Non, c'est ledeuxième anniversaire du trou.La plaisanterie peut même

adoucir l'horreur de la guerre.

11

Page 12: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

Behan

Un Dublinois échappe aux balle!'des Boers, parce qu'avec son col-back, il a l'air d'un hérisson.Bien des rescapés, cependant, de-viennent «candidats au garagepour cerveaux malades », commele Sergent Cloonoe qui «faisaitsortir sa femme du lit à une heu-re et demie du matin pour luifaire faire. de lordre serré et delentraînement ·à la baïonnetteavec un balai ». En fin de compte,seule la légende importe: «Es-suie ta baïonnette, Kinsella, tn enas tué suffisamment », dit l'illus-tre Lord Roberts, en félicitant unfusilier dublinois.

Pour Behan, la vraie gnerren'est Val' contre les Boers, mais(et le jeu de mots est intradui-sible) contre les bores, les fâ·cheux, les emmerdeur!.'. Dans cesrédts, comme plus tard dans UnOtage, une foule d'hommes etd'idées se mêlent, conservés dansla solidarité de l'alcool. En casde querelle entre anciens combat-tants des armées républicaine etanglaise, il y a toujours un poi-vrot pour s'interposer: «A qu.oibon aller maînterwnt se disputerpour cela ? Ne sont-il, pas aujour-tfhui tous morts depuis long-.temps, de toute manière? :t

12

Contre l'ennui, l'arme déci·sive, c'est le langage, chanté, par-lé, écrit, dans cet ordre. En vraiDublinois, Behan est fasciné parle verbe; S8 prose, comme celledes autobiographies de O'Casey,devient aisément une sorte desous-Joyce, truffée de calembours.Les noms de ses personnages ca-ractérisent leurs humeurs, MariaConcepta la mégère, Tambour, lepeintre, et pour l'orchestre, lesCanards Boiteux. Quant à l'au-teur, tous s'accordent à l'appeler« Behing », ce qui convient par-faitement, car s'il y a jamaIs euun «human being », un être huemain, c'est bien Brendan.Le traducteur lutte vaillam-

ment avec ce riche patois, sanspresque de défaillance. (Commentpourrait-il savoir que «mot»n'est pas un mot, mais une petiteamie?) Mais j'aurais aimé quel'édition française conservât les il·lustrations de la jeune femme deBrendan. Elles cement la joyeuseinnocence de l'époque, avant quele jeune taureau n'ait comprisque le seul spectacle qui puissesatisfaire le grand public soit ce-lui de sa mise à mort.

John Montague(1) Publié aux. Lettres Nouvelles •

Denoël éd.

COLLECTIONS

R.êver de...(Vilo)

Revenir, c'est mourir un peu: mou-rir à ce qu'on laisse. La douane, lagrève des transports, les factures im·payées, le travail en retard et le quo-tidien, plus quotidien que jamais, nousattendent à la fin de l'échappée belle.On rêvait d'un pays, le rêve s'est réa-lisé, Il est derrière nous: Il faut re-commencer les rêves à l'envers, com-me on reprojette à l'envers la bobined'un film.Dans l'aller et retour des rêves de

voyages, L. Larfillon a voulu, avec sacollection • Rêver de...., ouvrir la plussûre agence de tourisme: le tourismedes songes, des songes vrais. Le tou-risme des tapis volants de papier etd'Images, qui donnent l'envie d'aller,le sourire d'ami été, la nostalgie heu·reuse de retrouver, et la consolationd'être revenu. Invitation et incitationau voyage, la prolongation en harmo-niques de celui qui s'est clos, ouver-ture sur les horizons à explorer ouréouverture des horizons parcourus,c'est à des rêveurs toujours un peuamoureux, et donc rêveurs lucides(qui aime bien, connaît bien), queL. LarflIIon a demandé d'être les gui-des de son Agence Générale du Rêvevagabond.

De J.-P. Clébert à DuchéRêver de Paris? Qui peut le faire

mieux que J.·P. Clébert, qui ne saltJamais très bien s'il est Clébert rêvantde Paris ou Paris rêvant de Clébert?Armond Lanoux sait Rêver des Châ-teaux de la Loire, Georges Blond Rê-Ifer de la France. Si on descend auSud, tiens: Jean-Paul Clébert est là,en train de Rêver à la Provence:Jean·Paul est resté à Paris, Clébertlézarde au soleil. Au soleil? C'estRêver de la Grèce qu'aime par-dessustout Michel Déon, qui y vit, et la vit,d'île en île et de vague en vague. So-leil encore, le Rêver du Maroc deSéfrioui. Et si trop de soleil éblouit,traversons la Manche avec Jean Du·ché, qui s'habille à Londres et quiest anglomane comme d'autres sontamateurs de peinture ou de tabatiè·res: Rêver des Iles Britanniques estIln vice secret, et récompensé.

La lanterne magiqueLa lanterne magique et le vol en·

chanté des albums • Rêver de.... pro·jette sur l'écran des projets de voyageou des souvenirs de vacances. Centsoixante-dix photographies dans cha·que volume, dont quarante en cou-leurs. Le lecteur. amoureux de carteset d'estampes. trouve ici son compte,l'amateur d'histoire la trouve, qu'onlui conte, et le flâneur des grandesroutes se voit indiquer les hauts lieuxde chaque pays et les Itinéraires deson plus vif plaisir.Edltés simultanément en français,

anglais et allemand, avec un tiragede départ de 30 000 exemplaires, lesalbums • Rêver de... - ont une autre

vertu des rêves: conter peu et don-ner beaucoup. Ils donnent à voir lemonde à qui prend le départ et à quis'en déprend.• Rien que la terre.?Sûrement pas: rêver de toute la terre,ce n'est pas rien.A paraitre prochainement:Rêver de la TunisieRêver de la CamargueRêver de l'EspagneRêver du Portugal

Q!!e j'aime(co-édition Sun-Vilo)

Editeur des voyages, L. Larflllon esten train de faire le voyage d'un édi-teur: Il fait quitter à son navire·"amarrage, traditionnel dans l'édition,du 6' arrondissement, pour aller jeterl'ancre au large et presque à la cam-pagne - enfin dans le 15' arrondisse-ment. Tandis que ses livres vont s'ins-taller, eux, vraiment à la campagne,à 40 kilomètres de Paris. J'ai vu pas-ser ainsi devant mol, par camions en-tiers, des tonnes de lettres d'amour:les vingt titres de la collection • Quej'aime -. Belle cargaison.Des albums. Les éditions Vilo-Sun

voudraient que la collection • Que j'al·me ., ce soit davantage. Et Ils y sontparvenus. Un recueil de cartes pos-tales reliées, ce n'est pas un livre,c'est seulement un mémorandum. " ya beaucoup d'images dans chaque vo-lume de • Que j'aime - (120 docu-ments photos, dont douze en cou-leurs). Mais Il y a plus: la présenced'un écrivain, la tenue d'un texte, etce mariage d'amour entre un hommeet un pays qui rend l'un et l'autreInoubliables.

Dan. leur .ecret

Une ville? C'est ce qui se passeentre Venise et Cocteau, entre MarcelAymé et Paris, entre Florence et PaulMorand. Mais la cité et son ami decœur nous mettent ici dans leur se·cret. Comme nous mettent dans laconfidence de leur complicité (et deleur savoir partagé) Jean Giono, pro·meneur à Rome, Robert Guillain auJapon, Max Pol Fouchet au Mexique,Pierre Gaxotte à Versailles, Jean Char·donne au Portugal.On parle parfois de • Grands

noms -. ,II n'y a peut·être que devrais talents et de vraies beautés.Mais le grand nom de "Inde, mariéIci au nom de Jean Guéhenno, c'estautre chose que deux. grands noms -,c'est l'intelligence de la passion pourun pays. Les Alpes • vécues. parMaurice Herzog, ce n'est • deux ve-dettes à "affiche -, c'est un hommequi fait corps avec la montagne et lapossède comme on possède les se·crets d'un être.

A paraître:San Francisco que J'aimeLondres que J'aimeLa Hollande que j'aimeLa Yougoslavie que j'aime

A.B.

Page 13: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

ESSAIS

Un ntonuntent public• Il n'est pas plaisant d'être

traité de son vivant commeun monument public Jt, écri-vait Sartre dès 1945. Ceux quile connaissent savent quel'écrivain le plus courageuxde notre temps est aussi lemoins soucieux de sa figurehistorique, et que sa gloirel'encombre plus qu'elle ne lesatisfait. Mais le fait est là :Sartre joue depuis vingt-cinqans sur la scène publique unrôle qu'aucun écrivain, sansdoute, n'avait jamais jouéavant lui.

l M. Contal et RybalkaLes écrits de SartreGallimard éd., 792 p.

C'est dire l'intérêt que présen-te, a priori, un recensement deses multiples écrits. Si MM. Con-tat et Rybalka s'étaient contentésd'un simple travail d'érudition,ils auraient déjà fait Ulle œuvretrès utile. Mais, par sa forme etpar son contenu, leur livre vabeaucoup plus loin. Il inaugureun genre, la «bibliographie com·

qui, pour reprendrel'heureuse expression des auteurs,vise à reconstituer la «vie biblio·graphique de

I/œuvrela vie

Ces mots marquent à la foisles limites et l'originalité de l'en·treprise. La biographie de Sartren'est évoquée ici que pour autantqu'elle aide à situer certainstextes; la vie n'éclaire pas l'œu-vre, c'est plutôt l'œuvre qui éclai·re la vie; et le «commentairene va jamais jusqu'à l'interpréta.tion. Il arrive à Contat et Ry.balka de porter des jugements,de signaler tel écrit qui leur pa·raît plus intéressant qu'un autre.Mais leur but n'est pas de nousdonner un point de vUe person·nel sur Sartre. Il est plutôt deréunir, autour de références pré-cises (on en compte 511 jusqu'àla fin de 1969) des informations,des citations, des rappels quipourraient servir de base à, uneétude ultérieure. Avant d'interpré.ter une œuvre, il faut d'abord la

c mettre en place •• C'est ce queContat et Rybalka ont fait, auprix d'un labeur énorme. Le&Ecrits de Sartre constituent l'ins-trument de travail dont aucunexégète ne pourra plus, désor·mais, se passer.Ajoutons qu'en appendice, figue

rent quelque 250 pages de c textesretrouvés ., les uns complètementinconnus, les autres égarés dansdes publications aujourd'hui in.trouvables, qui méritent tous, àquelque titre, l'attention: les pre·miers récits de Sartre, sa premièrepièce, Bariona, des fragments nonutilisés de Qu'est-ce que la litté·rature? ou du Saint-Genet, debrefs essais phénoménologiquescomme le très beau Visages, desréflexions sur le théâtre, le ciné-ma, la poésie.

L'intérêt principal du livre, àmon avis, n'est pas seulementdans la masse des renseignementsqu'il fournit, l'éclairage qu'il don·ne sur certains moments peu con·nus de l'évolution de Sartre. Iln'est pas seulement de nous rap-peler, textes à l'appui, quelquesscandales oubliés et la résistanceobstinée à laquelle l' pure·ment littéraire de Sartre aussibien que son action politiques'est toujours heurtée dans ceretains milieux. Pour la premièrefois peut.être, ce travail biblio-graphique met en lumière untrait particulier de l'écrivain mo-derne, plus évident sans doute'chez Sartre que chez n'importequi, mais dont la critique devratenir compte de plus en plus: àsavoir que toute œuvre s'accom·pagne désormais de son proprecommentaire. L'écrivain, aujour.d'hui, ne se contente pas d'écri·re: il parle - de lui, des au·tres -, il prend des attitudes pu·bliques, signe des pétitions, inter-vient dans des domaines qui nerelèvent pas de 8a compétence ..immédiate. On l'attaque, il se dé·fend; on le critique, il se justi·fie; on l'interroge, il répond -bref, il a un avis sur tout. Ainsis'élabore, en marge de l'œuvre of·ficielle, celle qui est réunie en vo·lumes, une œuvre seconde, dis-persée dans des textes de circons·tance, qui prolongent, explicitentet parfois corrigent la première.Ces textes, généralement, ne 8ur·vivent pa8. 118 ont été dits à laradio, prononcés dans de8 confé·rences ou de8 colloques, ou pu·

blié8 80US forme d'entretiens,dans des journaux ou revue8. Sil'auteur ne prend pas 80in de lesréunir lui·même, dans quelquevolume, on. les oublie vite. Pour·tant, ils font partie de l'œuvre,comme le reste - comme cesbrouillons, ces inédits, ces varian·tes auxquels, seuls, se limitaitjusqu'à présent la curiosité desinterprètes.Certes - Contat et Rybalka

ont raison de le souligner - detels écrits doivent être maniégavec prudence. Beaucoup n'ontpas été revus par l'auteur, et latranscription de ses propos n'estpas toujours fidèle. La plupartreflètent une opinion du moment,exprimée dans le feu de l'impro.visation; telle phrase que l'au·teur n'aurait vraisemblablementpas écrite, mais qu'il a dite, prêteà confusion et suscite des malen·tendus; et si l'on relit ces textesà la' suite, on y trouve sans doutebien des contradictions.Vouloir exploiter ces malenten·

dus ou ces contradictions contrel'écrivain serait faire preuved'une grande mauvaise foi, car ily a des niveaux différents dan8l'expression 'd'une pensée. Pourprendre des exemples précis, onne peut pas placer la fameuseinterview du Monde, qui fit tantde bruit en 1964, sur le même

plan que Qu'est-ce que la littéra-ture? ni voir dans l'entretien del'Arc sur le structuralisme, en1966, qui n'en fit pa8 moins, unprolongement direct de la Criti-que de la raison dialectique. Mais,préci8ément parce que l'interviewse situe' à un autre niveau quel'écrit, elle est souvent plus signi.ficative. SOU8 la pensée propre·ment dite, de tels textes révèlentl'attitude générale, la réactioninstinctive, ce que cette penséenuance et atténue en l'élaborant,mais qui en constitue le fondpermanent.

Une sugesdon

Ainsi l'attachement de Sartre àdes notions comme celle de sujetou de praxis, son sens de l'enga.gement ou de la liberté apparais·sent·ils d'autant plus clairementdans ces écrits périssables qu'il amoins cherché à peser ses formu·les. Je suggère que Contat et Ry.baIka, après avoir fait la partiela plus ingrate du travail, quiconsistait à repérer et réunir le8textes, nous donnent une «édi·tion commentée des entretiensles plus importants de Sartre. Ceserait le complément naturel àcette pas8ionnante bibliographie.

Bernard Pingaud

La Qyinzaine littéraire, du 1er au 15 juin 1970 13

Page 14: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

HISTOIRII

LITTllRAIRIIL'exploration

Miklllu1 BakhtineProbreJne$ de la poétiquede Dostoiet1skiTrad. du rossepar Guy VerretL'Age d'Homme éd., 325 p.

La poétique de Dostoiet1skiTrad. du ru88epar J. KolitaheflColl. c Pierre VivesSeuil éd., 336 p.

Exhumés d'un long oubli, etaussi des limbes où tombent enUnion soviétique les auteursidéologiquement coudamnés, lesc formalistes ru88e8 sont aujour-d'hui à l'honneur chez nous etmême refont surface en Unionsoviétique. Chez nous, les réfé-rences à leur œuvre sont nom-breuses, une anthologie de textesleur a été consacrée. Le groupede jeunes universitaires et criti-ques rosses que l'on baptise de cenom a, de 1915 à 1929, formuléavec une géniale précocité l'es-sentiel de cette révolution coper-nicienne qui consiste à analyserdans le texte littéraire ce qui ledifférencie des autres textes,dans le discours à faire l'inven-taire d'une morphologie et nondes fables dont se nourrit ce dis-cours. Peut-être parce que la tra-dition radicale, utilitariste etscientiste avait été en Russiepoussée à des extrêmes quasi pa-thologiques, les Russes se sont lespremiers avisés que contenus etformes n'ont en littérature qu'unrapport second et que les genreslittéraires ont leurs· propres muta-tions et séismes. A la fois .éruditset passionnés, portés par l'expé-rimentalisme poétique de leursamis poètes futuristes, les forma-listes russes définirent d'abord laspécificité du langage poétique(principale victime de la critiquetraditiQDDelle), puis élaborèrentune sorte de syntaxe historiquedes littéraires. Cervantes,Sterne, Tolstoï furent dans cetteseconde étape le matériau d'élec-tion des formalistes.Mais aussi Dostoïevski. Deux

traductions paraissent aujourd'huisimultanément d'un même ou-vrage c formaliste ru88e: lesProbreJne$ de la Poétique deDostoïetJski de Mikhail Bakhtine.Ce livre .parut d'abord à Moscouen 1929, puis, revu et complété,il fit sa réapparition, toujours àMoscon, en 1963. Bakhtine est,

14

par rapport aux formalistes, undissident ou plutôt un marginal.Mais son ouvrage est néanmoinsfondamentalement formaliste ence qu'il ramène la nouveauté deDostoïevski à une innovationstructurelle: le roman polypho-nique. Le roman de Dostoïevskiest radiealement opposé au ro-man monologique traditionnel, ce-

DostoïevsD eD 1847

lui où les personnages sont tousdes objets agencés, animés par lavolonté d'auteur, par le regardd'auteur, seul sujet véritable.Chez Dostoïevski, cette primautédu regard de l'auteur disparaît ettout s'organise en un échange deregards, en un dialogue de cons-ciences qui, à l'inverse du romanmonologique, ne peut pas avoir

de fin, c'est-à-dire se résoudre enun accord majeur final. Chaqueparole est une parole adressée àun autre, en lutte clandestine. avec un autre, et chaque mot duhéros n'est que provocation ouorientation à l'égard de cet au-tre.Bakhtine, pour mieux souli-

gner sa démonstration, s'attaque

Page 15: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

de l'interditprincipalement aux récits deDostoïevski qui sont en appa·rence des monologues, les Note!écrite! clam un !ous.!ol, ou laDouce. Même seul, le héros deDostoïevski est en perpétuel dia·logue et affrontement. Rongé parcet affrontement, l'homme duSouNol dira: c Cela fait qua·rante ans d'affilée que par unpetit trou j'écoute vos paroles."Mais par ce trou, ou cet œil, c'esttoute l'affluence des autres quipénètre. Dans les grands romans,cet œil devient immense, chacunest comme constamment surveillé,sondé par l'autre dans une con·frontation publique et inlassable.n n'y a chez Dostoïevski ni caracotères, ni types sociaux, ni vérita·bles relations familiales, il y aavant tout des consciences qui,d'emblée, d'une- façon imma·nente, sont engagées dans une op·tion existentielle et la confron-tent à celle des autres. Et cetteconfrontation est d'autant pluspathétique et sans issue que cha·que consciençe entend les voixdes autres, résonne à leur appelet qu'un extraordinaire réseausouterrain de connivences, de di-Vination, de complicité s'établitentre les voix et entre les re-gards. Ainsi entre Porphyre etRaskolnikov, entre Mychkine etRogojine, entre Ivan et Aliocha.Avant Bakhtine, le grand poètesymboliste russe Viatcheslav Iva·nov avait souligné la qualité dec pénétration du discours duhéros dostoÏevskien. Ce discoursest pénétrant, c'est-à-dire divina-toire parce que l'autre est profon.dément présent dans le moi,parce que le tu est ce qui fondele discours de chaque conscience.Mais en même temps, cette péné-tration ne paralyse pas, ne mu-tile pas, ne dit pas le dernier motparce qu'elle se heurte à une li-berté intérieure qui est un noyauprofondément irréductible au mo-nologue.

La véritable originalité deBakhtine est de rechercher àquelle filiation littéraire ratta-cher Dostoïevski. Et c'est là qu'ilformule sa grande découverte,l'idée de la littérature carnava-lesque. Ni biographique, ni so-cial, ni psychologique, le romanpolyphonique de Dostoïevski luiapparaît comme un genre spécifi-que où le dialogue est à jamaisinachevé, où l'exceptiounel inter-

pénètre le quotidien, où le fantas-tique rôde autour du coutumierparce que les masques sociaux etpsychologiques so.ot levés et queseules apparaissent, dans leurjaillissement spontané, les cons-ciences. Et dans les particularitéset artifices du roman dostoÏevs-kien (trame policière, permanen-ce du thème de la bouffonnerie,

1860 : Retour :4 la vie

mélange du tragique et de l'actua-lité vivante proche du fait divers),Bakhtine voit l'héritage d'ungenre littéraire antique qui futtoujours marginal, parce qu'àtoutes les époques il a reflété lavie en marge des normes : la tra-,dition carnavalesque. Hiatus dansla continuité historique ou épi-que des nations, le carnaval re-présente un affranchissement, li-mité dans le temps, de toutes lescontraintes sociales. C'est unspectacle syncrétique où tous 80ntacteurs, où s'abolit la distance so-ciale, où le sacré est profané, lebouffon couronné puis décou-ronné, où la place publique sesubstitue au palais. La fête car-navalesque par excellence, c'estcelle des Saturnales. Or sous laprotection des· libertés carnava-lesques se sont développés desgenres littéraires mineurs, bouf-fons, comiques, triviaux ou paro-diques, dont le prototype est laSatire Ménippée inventée auIII" siècle avant Jésus-Chrlst parle cynique Ménippe de Gadara.Exubérante, affranchie des inter-dits, la satire ménippée (ou plu.tôt les satires ménippées) sontdes sortes de dialogues philoso-phiques menés dans le désordredes pérégrinations et des embû-

ches burlesques de toutes sortesqui servent à pr01Joquer l'homme.Depuis Pétrone, Apulée, Lucien,en passant par les dialogues mé-diévaux, cette tradition s'est trans-mise à Cervantes, à Rabelais, àSwift. Bakhtine e,plique par larésurgence de ce genre plusieurscaractères spécifiques de l'œuvrede Dostoïevski: les confronta-tions insolites, les doubles paro-diques (Raskolnikov - Svidrigaï-lov, Ivan - Smerdiakov, etc.)l'atmosphère de place publiqueconférée aux principaux lieux del'action, le rôle essentiel joué parle scandale. Certains schémas ty-piquement carnavalesques luisemblent sous-tendre des situa-tions de persounages d08toÏevs-kiens: Raskolnikov couronné etdécouronné devant le peuple,comme le bouffon du Carnaval,ou encore le mythe de Stavro-guine Prince et Tsar (aux yeuxde la Boiteuse puis de PierreVerkhovenski) .Armé de cette hypothèse de

travail, Bakhtine nous fait reliretoute l'œuvre de Dostoïevski etattire notre attention sur deuxcourts textes qui sont à son avisdeux chefs·d'œuvre de la satireménippée: Bobok (1873) et LerêtJe d'un homme ridicule (1877).Bobok est assurément un étrangerécit: un narrateur surprend aucimetière les conversations entreles morts les plus récents aux-quels, dit-il, est donnée une der-nière et fugitive vie de la cons-cience, qui s'éteint en trois à qua-tre mois. Les dalles s'entrouvrentet une sorte de carnaval cyniqueet provocant commence. 'Pourpasser leurs trois mois de sursis,les morts conviennent de parlersans avoir honte de rien. «Là-haut, tout était ligoté par des cor-des pourries. A bas les cordes!et vivons deux mois dans la vé-rité la plus impudente! Dévoi-lons-nous et dénudons-nous!Ceci est en quelque sorte la de-vise même de l'affranchissementcarnavalesque et une des clés del'univers dostoïevskien. Cette clé,c'est la liberté de l'aveu, libertéqui, du Sous-sol aux Frères Kara-maz01J, alimente le dialogue dos-toÏevskien. La fête chez NastassiaPhilippovna, le repas funérairequi suit la mort de Marmeladov,la grande scène dans le salon deVarvara Pétrovna, la confronta·tion familiale dans la cellule deZossime sont des scènes de libéra-

tion carnavalesque où brusque-ment «les cordes pourries tom-bent ». Le scandale et ]a profa.nation ouvrent la voie au n'aidialogue des consciences. Ce scan-dale, dans l'œuvre de Dostoïevski,c'est le résidu moderne de J'an·cienne liberté carnavalesque oùles hommes de l'Antiquité et duMoyen Age avaient trouvé leurantidote au monde des contrain-tes sociales ou religieuses.A trop expliquer, J'ouvrage de

Bakhtine provoque des soupçons:qu'est-ce que cette c mémoireobjective du genre à laquelleobéirait Dostoïevski? Nous vou·Ions bien admettre qUe Dostoïevs-ki appartienne à une tradition dudéfoulement carnavalesque, ou,comme le dit Julia Kristeva, de« l'exploration de l'interditmais nous restons quelque peusur notre faim en ce qui con·cerne les mécanismes de cette mé-moire ou les raisons propres àDostoïevski de cette désacralisa-tion. En fin de compte, l'ouvragede Bakhtine, si riche d'idées etde rapprochements, porte moinssur Dostoïevski que sur ce qu'ilappelle la tradition carnavales-que dans la littérature. Là est sonintuition centrale et nous pou-vons que souhaiter aux lecteursfrançais de pouvoir bientôt lire,en plus de la Poétique de Doa-toïevski, l'excellent FrançoÎ$ Ra-belais et la culture populaire duMoyen Age et de la RenaÎ6aance,paru en 1965 à Moscou, et quireprend cette étude de la désa.cralisation carnavalesque et durire collectif comme c une desformes universelles de la véritéAinsi dans toute son œuvre,Bakhtine affirme l'existence d'uncourant littéraire anticanonique,à la fois populaire et philoso-phique, auquel il rattache aussibien Socrate ou Rabelais queDostoïevski. Dans cette perspec-tive, l'utopie à Dostoïevski,ou plutôt les deUx utopies con.currentes, celle du Grand Inqui-siteur et celle des Noces de Cana,se réduisent un peu à un exer-cice «cutltrapuntique ...

Georgea NivatLa traduction de Ouy Venet est

fidèle, élégante et répugne aux excèsde jargon spécialisé. Celle d'IsabelleKolitcheff adapte ou modi1le en biendes endroits, mals sans trahir l'en-semble. Dans sa substantielle presen-tation, Julia Krt8teva replace Bathtl-ne dans l'histoire, le langage et me-me l'actualité structuraliste (ou plu-tôt tel-queU1enne),

La Qyinzaine littéraire, du 1er au 15 juin 1970 15

Page 16: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

EXPOSITIONS

TroisCaliforniens à Londres Dans

La Tate Gallery, ce temple deTurner qui consacre aussi' unepartie de ses galeries à l'artcontemporain, sait, exemplaire-ment, faire alterner les exposi-tions temporaires. Hier, l'. Ima-ge élizabéthaine" et sa valeurd'icône, commentée par quel-ques portraits métaphysiques,par le lapoésie (métaphysique) et lamusique du temps. Aujourd'hui,une des plus intéressantes ma-nifestations consacrées en Eu-rope à l'art de l'environnement.

L'espace d'exposition a été li-vré sans restrictions, pour qu'ilsen fassent l'usage de leur choixà trois artistes de Californie.dont seul Larry Bell a exposéen France (galerie Sonnabend,1967) .Bell, Irwin et Wheeler appar-

tiennent à un groupe d'artistesétablis à Venice, près de LosAngeles. Ils tentent d'agir surla sensibilité visuelle en refu-sant au spectateur toute lecturede contenu, en supprimant tou-te connotation au profit d'uneintensification de la perception.Davantage leur entreprise se si-tue aux seuils les plus bas del'information perceptive, dansun processus contraire à celuide la tradition occidentale etdont l'ascèce évoquerait bienplutôt la démarche des artisteszen.Le moindre intérêt de l'expo·

sition de la Tate Gallery n'estsans doute pas de faire apparaÎ-tre - involontairement - à lafois la puissance et la précaritéde l'art de l'environnement. Ain-si Larry Bell propose une pièceplongée dans l'obscurité où lespectateur dispose seulement,pour suivre son chemin, de l'en-trée à la sortie, de la mince in-dication fournie par deux frag-ments lumineux linéaires quitraduisent l'orientation des deuxparois sur lesquelles ils sontplacés à trois mètres et demidu sol. Une expérience analo-gue tentée au Museum of Mo-dern Art de New York fut, nousdit-on, vécue à un tel niveaud'intensité psychologique, qu'el-le provoqua des CI actes de van·dalisme ". Le public anglais,moins traumatisable, aurait plu-tôt tendance à utiliser le dispo-sitif pour un approfondissement

16

Dough Wheeler

tactile des relations humaines,comme semblent en témoignerles bruits divers et rires defemmes qui, dumatin au soir, égayent l'oreilledes gardiens.Côté Wheeler, des paralléli·

pipèdes de plastique, lumineux,restent désespérément parallé-lipipèdes de plastique, lumi·neux malgré une somptueusemoquette blanche et malgré lablancheur des murs.Mais comment définir le gouf-

fre qui sépare le vide-vide et levide de la plénitude? Car lemiracle peut se produire, com-me en témoigne l'environne-ment de Robert Irwin, à proposduquel on voudrait parler demagie.A l'analyse, les moyens sont

simples. Sur un mur blanc, fixépar un cylindre de métal, undisque d'aluminium légèrementconnexe, recouvert d'un enduitplastique blanc, sauf une bandecentrale parallèle au mur. Labaguette magique: quatre pro-

jecteurs, deux en haut et deuxen bas. Pénétrant dans la pièce,on est fasciné par la présenced'une sphère translucide qui,parmi quatre sphères grises,semble caressée d'un fulgurantrayon métallique, dans un va etvient incessant. Ici l'objectif del'artiste est atteint. Le specta-teur s'oublie dans la réalité desombres (portées sur le mur parles projecteurs) . Non seulementl'attention est captée, mais parquasiment rien. La puissanced'un pareil mirage, voilà le trau-matisme - et qui présage unerévolution.

R. Irwin est né en 1928. Ils'est adonné à l'expressionnis-me abstrait jusqu'en 1959 où ila commencé de s'orienter versdes recherches optiques. En Eu-rope, des œuvres de lui ontété montrées à Cassel (Docu-menta 1968), au Stedelijk Mu-seum d'Amsterdam, pUis àEindhoven. Souhaitons que Pa·ris l'accueille bientôt.

Françoise Choay

Nora Speyer

Nous n'avons pas revu un ensembleimportant de Speyer depuis sa pre-mière exposition parisienne à la gale-rie Facchetti en 1963. Le temps nefait que confirmer l'intérêt d'Uneœuvre miirie dans la solitude, loindu monde et des modes - fait excep-tionnel aux Etats-Unis, les toiles degrand format - des nus pour la plu-.part exposés aujourd'hui, se signalentpar leur puissance et l'économie desmoyens: construction elliptique, maisarchitecturée, couleur limitée à unegamme de rouges-brun, mais d'Unematière somptueuse.(Galerie Speyer.)

Alechinsky

Les gravures exposées à la Hunelivrent comme une sorte de dénude-ment de la démarche et de l'œuvred'Alechinsky. Plus explicitement quesa peinture, en effet, elles témoignentdu don graphique exceptionnel et dela déroutante facilité de l'artiste. Maisce trait torturé par le caprice, laréminiscence ou la parodie laisse aussimieux percevoir la gratuité et le ba-vardage où s'enlise cette œuvre.(La Hune.)

Man Ray

Les dessins de Man Ray pour illus-trer Breton sont sertis dans une guir-lande d'œuvres évoquant la carrièredu peintre-photographe-surréaliste. Cecontexte aide à mieux situer la suitegraphique de «La ballade des dameshors du temps» dont le trait évoquecurieusement la manière de Matisseet qui confirment ce que nous savionsde Man Ray : non créateur de formes,mais bricoleur subtil dont l'intelli-gence de se dément jamais.(Galerie du XX, siècle, jusqu'au

15 juin.)

Alain Kirili

. Dans une galerie vide, un fichierdu bureau avec des fiches portant lesnoms d'artistes contemporains dansle vent, par exemple: Rauschen-berg Robert, numéro de codification3390720907 25 M. Figurez-vous qu'ilne s'agit de rien de moins que derepenser radicalement la problémati-que de l'art! Les derniers nés del'art (Art conceptuel, Art pauvre)continuant à perpétuer une visionpersonnelle et phantasmatique del'artiste, cette codification d'artistesentend enfin faire triompher l'obJec-

Page 17: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

les galeriesEntrele roDtan et la T.V.

GALERIE RI \lE DROITE3, rue Duras - P••ris Se - 265-33-45

GINA PANE11 JUIN - 20 JUILLET

Un oas-relief de Marc Boussac

tivité et l'info)."mation scientifiqueet M. Kirili se souvient de ses tra-vaux pratiques d'économie quand ilétait étudiant. Souhaitons-lui que ce«travail neuf,' vivant, subversif»tienne la fiche...(Galerie Daniel Templon, jusqu'au

23 mai 1970.)

Marc Boussac

Empreintes et déchirures composentdes reliefs blanc sur blanc où la lu-mière accroche le grain du plâtre,caresse des muqueuses de papier.

.IL tenu .à présenter simulta-nément ses grands «plâtres abstraits»récents et ses «femmes» aux hancheslarges, .aux sexes gontlés, et insistesur l'unité qu'il accorde à ces deuxaspects de son travail toujours déve-loppés simultanément. La variété destechniques et la richesse des formesgardent à Marc Boussac une placeprivilégie dans l'Ecole du «Blanc»dont il fut l'un des précurseurs. Quel-queS œuvres récentes sur plomb nousfont, en contraste, découvrir la som-bre douceur de ce métal.(Galerie Coard, jusqu'au 21 juin.>

Hayden, à Bourges

Le 12 mai dernier, huit jours avantl'inauguration de la rétrospective quelui consacre actuellement la ville deBourges, à sa Maison de la CUlture,Henri Hayden mOurait. Un infarctusétait venu à bout de ses solidesquatre-vingt-six ans: en mars, il·traVaillait encore à une série degouaches.

Ainsi, ses premières toiles étantdatées de 1908, c'est plus de soixanteannées de peinture que résume cettexposition de Bourges. Le cheminparcouru est singulier depuis le jouroù le jeune Hayden quitta l'EcolePolytechnique de Varsovie pour venirs'installer à Montparnasse. Nous enretiendrons deux périodes qui consti-tuent les deux phases de son évolu-tion: la période cubiste de l'après-guerre 1914-1918, durant laquelle sonnom s'était imposé à côté de· ceuxde Picasso, de Braque, de Metzinger,'de Severini, sur les cimaises de laGalerie Léonce Rosenberg, et les der-nières quinze années de sa vie, impli-quant ce renouvellement total de samanière que nous ont progressivementrévélé les présentations de la GalerieSuillerot et la grande exposition de1968 au Musée national d'Art mo-derne.Or, le fait le plus remarquable de

ces deux manières à priori aussi dif-'férentes l'une de l'autre qu'elles sont,l'une de l'autre, éloignées dans letemps, est précisément le rapport qui.existe entre elles, fondé non sur unmême langage pictural, non sur unemême esthétique de la représentation,mais sur une même faculté deHayden, et qui nous livre le pointle plus sensible de sa personnalité,d'associer une distribution rigoureuse,presque mathématique, des formes oudes plans colorés avec cette sorte dedélicate incertitude qui donnait tantde grâce à ses compositions cubisteset qui apporte une dimension deréalité distancée à ses dernières toi-les où les sujets sont amenés à nesignifier presque plus un paysage,presque plus une nature morte, et oùtoute chose est perçue comme au tra-vers d'une divagation de l'esprit en'"chantée.

.Jean 8eIs

1Serge San JuanX/risLosfeld éd. 70 p.

La recherche de nouvelles techni-ques narratives est en grande partiele résultat de la concurrence faite àl'Image mentale par l'Image réelle, auroman par le cinéma et la télévision.La caméra-stylo de Robbe-Grillet etles procédés de l'école du regard cor-respondaient (à cinquante ans de dis-tance) aÙx expérienèes des cubistestraqués par les photographes dans leréduit des objets.

Une réhaoilitation

Certes, la littérature objectale pré-sentait aussi un avantage autre quepurement technique, pour l'écrivain;elle annonçait avec une remarquableintuition ('obsession des • choses -qu'un Georges Perec développeraitbientôt et qui formerait le fonds com-mun d'une certaine Idéologie, alorsen gestation. Mals il était normal qu'onne. s'en tînt pas là. D'ailleurs le rallie-ment d'un Robbe-Grillet aux modesd'expression cinématographiques _de-vait bientôt prouver que le fameux• nouveau-roman -, pour Intéressantqu'il fût, ne parvenait pas à déplacerle champ romanesque suffisammentpour le mettre hors d'atteinte desagressions et des empiètements durécit filmé.

C'est dans cet échec qu'il faut cher-cher la raison d'une résurgence de labande dessinée. Ce n'est pas un ha·sard si, à la même époque, ce genregénéralement peu prisé des • lec-teurs - commençait à faire l'objet d'uneréhabilLtation - à vrai dire quelquepeu prématurée encore.

Bandes pour adultes

En effet, si l'on commence déjà àparler alors de bandes pour adultes,si l'on organise des clubs dotés derevues comme l'érudit • Giff Wiff-,si l'on publie, au Pavillon de Marsanun important catalogue initiatique pouraccompagner une fort belle exposi-tion • Bandes dessinées et Figurationnarrative -, il faut convenir qu'à cemoment-là les réimpressions font fi-gure d'exhumations et que les sym-pathisants eux-mêmes sont plus sen-sibles à la qualité documentaire desB. D. remises dans le commerce qu'àleur valeur plastlco-Iittéralre.

L'Indigence des intrigues, le côtéquasi folklorique de dessins désuets,la mauvaise qualité des reproductionsgénéralement réalisées en offset à

partir de photos des bandes reprisesdans des publications pour la jeunesse,à défaut des plaques originales dis-parues, tout cela empêchait le publicde .prendre au sérieux' ce qui sem-blait être une nouvelle forme de sno-bisme ou un engouement passager.

. X/ris que publie Serge San Juan auxéditions Losfeld montre bien que laB. D. a enfin accédé au stade de lamaturité.

Une esclave sexuelle

L'Intrigue en est encore relativementsimple, mals elle est en prise directesur les mythes et les fantasmes con-temporains : dans un univers qu'il estloisible de situer sur une autre pla-nète (et par là on rejoint un autregenre littéraire qui suit la même évo-lution, à savoir la science-fiétlon) lajeune et farouche Xiris subit un condi-tionnement qui doit la transformer ehesclave' sexuelle; elle réussira .à fo·menter une révolte pour échapper àson sort, mals en voyant les émeu-tiers se conduire avec une sauvagerieégale à celle des anciens maîtres dupays, elle se sauvera dans le cosmosen faisant exploser derrière elle J'en-gin (atomique?) qui détruira oppres-seurs et opprimés.

L'inconscient collectifCet apologue est remarquablement

servi par les procédés picturaux deSerge San Juan qui se révèle, par lamême occasion, un artiste capable depratiquer l'osmose entre l'Image et letexte, de faire dire à celle-là plusque n'en révèle celui-cI. JI en va ainsipar exemple de l'utilisation du person-nage de garde mobile casqué dont lesphotos de mai 68 ont érigé la si-lhouette en symbole. On peut en direautant du recours aux procédés del'art psychédélique. Si la B. D. par-vient, par ces moyens, à donner unereprésentation adéqliate de l'incons-cielJt collectif, il n'eét pas impossiblequ'elle ait trouvé sil vraie vole.

Sur les procédés néo-romanesques,elle offre l'avantage de donner à voir.Sur la télévision, elle l'emporte par laliberté du graphisme et de la composi-tion. Elle garde avec le roman le con-tact par le recours à l'Image mentalequ'elle se contente d'expliciter, enc.oreque son Irréalisme systématique con-cède des marges à l'interprétation;des marges que Serge San Juan asouci de préserver en évitant de cou-vrir l'espace scénique de la page blan-che pour que le • troisième œil - dulecteur y trouve des vides à meubler.

Marc Seporta

LaQ!:!iDzaine du 1.r au 15 juin 1970 _ 17

Page 18: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

POLIT IQUE

1AmalrikL'Union soviétiquesurvivra-t-elle en 1984?Fayard éd., 118 p.

Un journaliste américain a par-lé récemment de la «gauche din-

Il faut admettre que lelourd handicap de cette «idiotierurale dont s'agaçait le cherMarx et qui grève notre patri-moine, empêche qu'en France onatteigne de manière très signifi-cative le niveau de dérèglementnécessaire à la production d'unetelle gauche. Aussi demeurons-nous seulement affligés d'une gau-che frivole.

Frivole ? Disons : étourdie. Parexemple? Elle avait longtempslocalisé dans la République desSoviets sa rêverie sur le thème dela société parfaite. Déception:l'Union soviétique n'est pas cequ'on croyait. Alors l'Union sovié-tique? Rayée. Plus: démodée.Parlez-nous de la Chine, ou mê-me de Cuba, de Marx, de Lénine,de Trotsky, de Rosa Luxemburg,de Gramsci, de Makno. de Bou·kharine, de Kautsy, de Bernsteinà la rigueur. Mais parler deBrejnev?

Pourtant, comment oublier quesous les quatre lettres du sigle àpeine cinquantenaire et déjà vieil-lot d'U.R.S.S. se cache un grandpeuple - se cachent de grandspeuples dont l'aventure malheu·reuse se poursuit, fût-ce en se traî·nant, et donc, au demeurant, lepoids reste considérable dansl'aventure humaine globale?

Heureusement, l'événement -politique, littéraire et autre -dément l'obsolescence à laquellele bon goût parisien condamneles hommes, les pays, les périodes,les sujets qu'il décrète ne plus«fairë

L'é'Vénement en l'occurrence,c'est, entre tous et ]es plus ré-cents, la publication, chez Fayard,d'un court texte signé AndréiAmalrik - L'Union soviétiquesurvivra·t-elle en 1984 ?

Un événement? Double. Par lecaractère exceptionnel du ,docu-ment russe qui nous est soumis.Par le caractère non moins excep-tionnel de la préface françaisedue à Alain Besançon.

Andréi Amalrik est donc un

18

citoyen soviétique de 32 ans. Néen 1938 à Moscou d'un père histo-rien, il a lui·même fait des étu-des d'histoire à l'Université deMoscou. Exclusion (pour avoirécrit, sur les origines de l'Etatrusse, une thèse dont les conclu-sions ne ratifient par l'orthodoxiechauvine grand-ru88e) ; petits mé-tiers ; prison en 1965 (pour avoirécrit des pièces de théâtre quin'ont pourtant jamais été nijouées ni publiées); relégationen Sibérie'; retour à Moscou fin1966; journalisme (à l'agence depresse li{Of)Osti): aujourd'hui,l'auteur cultiverait dans 80n vil-lage des concombres et des toma-tes.

Bref, une biographie assez clu·sique de contestataire post-stali-nien. Ce qui n'est pu clusique,c'est la qull1'aôtaine de pages écri·tes par Amalrik et traduites pournous par Michel Tatu: la pre-mière analyse socio-politique, parun Soviétique, du système de pou·voir soviétique. Une analyse' sitopique que cette fois, on n'a passeulement envie de saluer un textequi authentifie, fût-ee dans unelangue maladroite et commeémaillée de naïvetés, ce qu'on sa·vàit et disait à l'Occident, maisun vrai texte qui dit mieux etplus que ce'que disent les' polito-logues occidentaux, cela dans lalangue même de la politologie.

Une analyse en deux parties.Dans un premier chapitre, Amal·rik part de l'idée que la «révolu-tion au sommet dont Khroucht·chev fut l'animateur, a rendu dujeu aux conduites rigidement ca·nalisées de la société stalinienne.Ce «jeu s'est traduit en parti.culier par l'émergence d'une for-ce autonome, «indépendante dugouvernement », qu'Amalrik pro-pose de dénommer Mouvementdémocratique.

La «fiche» de ce Mouvementdémocratique est aisée à établir :

- Composante idéologique:trois courants y participent, s'ymarient ou s'y combattent sansqu'on puisse aujourd'hui encoreparler ni de syncrétisme ni dedominante - un courant de re-tour à un marxisme-léninisme« authentique ), un courant chré·tien, un courant libéral.

- lorce: «quelques dizaines

de membres actifs et quelquescentaines de ilympathisants ; au·delà, nne aura attentive et silen·cieuse.

- Compo!lition !lociale : lemonde « académique comme ondit en pays socialiste, mais, surla bue du dépouillement statis·tique d'une population de 738perSonnes ayant signé pétitions etlettres individuelles à l'occuionde divers procès d'opinion (telque le procès Guinzbourg), il està noter que le pourcentage d'étu.diants (5 %) est très faible parrapport à celui des scientifiques

Andréi Amalrik

(45 %), ce qui donnerait à pen·sel' que l'image sociale du Mou·vement reflète moins un état del'opinion universitaire que le de-gré de la llberté d'expre88ion laie-sée à chacune de ses parties (lesspécialistes, comme on sait, jouis-sant d'une marge très particu.lière). Amalrik en convient d'ail-leurs implicitement puisque, réflé·chissant sur une caractérisationsociale du Mouvement, il éliminesuccessivement les termes d'intel-ligentsia et de classe moyennepour retenir celui de «classe desspécialistes

Notion capitale : elle comman·de le pronostic qu'Amalrik se ris-que à produire quant au dévelop-pement de cette opposition et sur·tout quant à sa fonction dans lesystème.Avec une lucidité remarquable-

ment peu «russe et daDil' le ca·dre d'une analyse résolumentconcrète et empirique, l'historien

soviétique enregistre en effet lesfaiblesses intrinsèques de la cou·che ou cluse qui constitue le, fon·dement social du Mouvement:son inévitable médiocrité d'en.semble, résultat des ponctions sé-lectives d'une épuration continû.ment pratiquée sur plusieurs dé-cennies; la conscience qu'elle ade son impui88ance; sa passivitéessentielle, produit inéluctable dustatut de fonctionnaire qui est ce-lui de tous 8e8 membres.

Au bout du compte, une tellecouche, réglée de manière sifondamentale par des mécanismesauto-conservateurs, peut bien, auprix pour le régime de conces·sions et d'aménagements limités(la reconnai88ance, en particulier,d'un ordre juridique, d'une léga·lité qui ne soit pas seulement« socialiste , constituer para-doxalement un phénomène «an·tientropique en d'autres ter-mes, une telle opposition (dont lasituation ou la fonction n'est pusans rappeler, mais à l'inverse dupoint de vue de son idéologie, le«marxisme légal des années 90du siècle dernier) concourt àl'immobilité du système, immobi·lité qui est précisément la mal"que du système de pouvoir post.stalinien: «Une cluse moyennep888ive fait face à une élite bu·reaucratique pa88ive.

Andréi Amalrik en arrive doncà privilégier, à ce niveau, l'hypo-thèse d'uJœ -stabilité du régime.Stabilité qui est enlisement, en·gourdissement, ankylose. La «li-béralisation en cours, sous cetangle, n'est pas «un renouvelle-ment mais comme la décrépitudedu régime dont «le résultat lo-gique sera la mort de celui.ci,une mort à laquelle fera suitel'anarchie :te

Cette perspective ne pourraitêtre modifiée que si la base so-ciale du Mouvement démocrati-que se modifiait, par exemple enacquérant une dimension large.ment populaire. Amalrik ne die-simule pas à ce propos son scepti.cisme : s'il croit pouvoir caracté-riser l'état d'esprit des mU8e8comme un «mécontentement pu-

il ne voit, pas comment lepeuple pourrait se jeter dans uneaction positive: déjà handicapépar son arriération culturelle per-sistante, par le martèlement idéo-logique epI'il subit, par 88 dénatu·

Page 19: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

en 1984?ration (c la prolétarisation du vil-lage a engendré une classe étran-ge - ni paysanne ni ouvrière ,le peuple serait encore paralysépar deux idées qui font tradition-nellement partie de son bagagemental: qu'il se fait dupouvoir - le pouvoir ne sauraitêtre qu'un pouvoir fort; l'idéede justice - c l'aspect le plusdestructeur de la psychologie

Ainsi, conclut AmaIrik,c les deux idées qui sont com-prises par le peuple et lui sont lesplus proches sont également hos-tiles aux idées démocratiques, les-quelles se fondent sur l'individua-lismeDans ces conditions, l'opposi-

tion intérieure ne semble pas enmesure de fournir l'énergie grâceà laquelle le système d'ensemblepourrait faire mieux que s'auto.conserver. L'opposition dont toutsystème politique global sembleavoir besoin pour être par ellesoit, au pire, dynamité, soit,. aumieux, dynamisé, Staline la fabri-quait lui-même artificiellement:c'était l'objet spécifique des pur-ges et des procès. En ne pouvàntou ne voulant plus avoir recoursà ce type d'opposition d'autantmieux contrôlée qu'elle étaitagencée dans le sérail, les diri-geants soviétiques apparaissentparadoxalement l'en-vironnement, ses demandes et sesexigences sont coupées d'une c so-ciété de caste Or,comment durer sans la capacitéd'assimiler le changement, com-ment durer si la durée n'équivautqu'à la sclérose ?

C'est ici qu'Amalrik introduitlogiquement une autre série dedonnées: celle liée à la p088ibi-lité de recourir, pour en faire unfoyer de dynamisme interne, àdes c ennemis extérieurs qui neseraient pas des ennemis c inté-rieurs extérieurs (comme dans lecas des grands procès) mais desennemis. extérieurs à la fois àl'Empire et au régime; il pénè-

alors dans le domaine de lapolitique étrangère, avec cettefor m u 1e remarquable: c·Lemieux est de le comparer [le ré-gime existant aujourd'hui] au ré-gime bonapartiste de Napoléo;.lm. Si l'on s'en tient à cette com-paraison, le Proche-Orient serason Mexique, la Tchécoslovaquieson domaine pontifical, et laChine son Empire germanique.

En fait, arrivé à ce point, etpour poursuivre notre ré6.exionsur les devenirs possibles del'aventure soviétique, c'est moinsvers le second chapitre d'Amalrik,consacré à des analyses un peuaventureuses de stratégie mon-diale, qu'il faut nous tourner,que nous retourner vers la pré-face d'Alain Besançon.Un seul mot résumera l'exacte

impre88ion ressentie à la lecturede cet essai-préface: c Enfin !Enfin quoi? Enfin une ré6.exionexigeante, savante, étendue dansle temps, vaste dans ses champsd'intervention - parce qu'elle amesuré l'épai88eur ru88e de l'his-toire soviétique, une ré6.exion quipart d'une interrogation fonda-mentale: quelle est la consis-tance et l'ordre de la pensée,quels strates, quels dépôts d'idéesse sont accumulés dans l'êtred'un jeune intellectuel soviéti-que, avec quels éléments humains,sociaux, économiques, culturels,spirituels, un jeune Russe d'au-jourd'hui peut-il tenter d'orgàni-ser des réseaux significatifs dumonde où il vit, d'interpréter cemonde et, peut-être, le façon-ner ou refaçonner? Quels sontles thèmes, les valeurs, les phan-tasmes, les rêves, les acquis, leséchecs qui meublent et structu-rent et donnent prise sur le réelà la mémoire de chaque hommerusse et de la société soviétiquetout entière ?Interrogation fondamentale:

car· elle seule peut fournir unminimum de rigueur, de sécu-rité et de solidité aux spécula-tions sur les issues offertes àl'U.R.S.S. pour sortir d'elle-mêmeen persévérant dans son être,pour rompre les blocages qui lafigent sur place, pour lui permet-tre de retrouver le fil du récitrusse.. C'est parce que cette interro-gation fondamentale n'est pas po-sée, même par trop de slavisantsfrançais qui se bornent à «comp-ter les verstes de chemins de feret les pouds de seigle qu'a puse produire un incident commela fausse traduction, par MichelCournot, du livre .de Svetlana Al-liluieva. Qui ne pas .l'Union soviétique peut en effetconsidérer que la traduction encause, même deci-delà infidèle,était dans l'ensemble correcte.Qui, par contre, a appris, par-

delà l'Union soviétique, à recon-naître la Russie et la culturerusse, à fréquenter familièrementl'univers de Pouchkine ou deDostoïevski ne pouvait être questupéfait· ou révolté par le tonde la traduction, un ton justes'il s'était agi d'un intellectuelparisien du type courant, détachéet gentiment cynique, mais assu-rément pas le ton d'une intellec-tuelle russe, habillée de parmeet de violine, aspirant à la sain-teté, au moins à la pureté, pour-tant convaincue de succomber etd'ailleurs succombant au péché,voulant bien faire et faisant mal(ou ne faisant rien), effarouchéepar ce qui, pour elle, est le com·ble de l'inculture et de la vulga-rité - le laisser-aller du langage-, affolée, désolée, sincère, ah!combien sincère, de cette sincé-rité accablante, désarmante, sal-vatrice, destructrice quand il fau-drait d'abord de la lucidité etdu bon sens.

Alain Besançon avait déjà,dans un précédent ouvrage, diffi·cile, téméraire et envoûtant, LeTsarevitch i m mol é, mis enœuvre la démarche, d'une singu-lière richesse, de l'anthropologiepsychanalytique: par une écoutedes textes - pas ceux des té-moins de second ordre qui nesont c fidèles et «réalistesqu'autant qu'ils sont pauvres etsecs, mais c ce massif central dela littérature russe que formentensemble dans leurs correspon-dances multipliées Pouchkine, Go-gol et Dostoïevski - il avaittenté de retrouver la configura-tion symbolique de la loi dansla culture russe, symbolique quis'exprime dans la relation à Dieuet dans la relation au Souverain.Historien slavisant mais aussipraticien initié à la pratique psy-chanalytique, Alain Besançonfait ainsi le juste pari que, sicrise soviétique il y a, celle-cipeut être partiellement décritedans ses manifestations économi-ques, politiques ou autres, maiselle ne saurait être saisie dansson unité et à sa racine qu'au ni-veau profond, dérobé, en partieinconscient de fidentité russe.

Avec une maturité et une sû-reté plus évidentes encore, ayantré6.échi sur les travaux des grandsslavisants américains des vingtdernières années - Raeff, Malia,Ulam, Fainsod, Cherniavsky -

Alain Besançon propose dans sonnouveau texte-préface une his-toire de l'intelligentsia russedans la Russie prérévolutionnaire,des valeurs qu'elle sélectionna etde leur avatar - la loi, la jus-tice, la grâce (la sainteté) - etdu rôle de l'idéologie comme ver·rou de sûreté interdisant au re·foulé de monter à la conscience.Il est désormais exclu qu'on

puisse oser une prospective con·cernant l'Union soviétique sans seréférer à ces pages majeures, sé-vères, graves, exactes.

Annie Kriegel(Moscou. A. F. P.). - L'écrivain

André Amalrik. auteùr de l'ouvrageclandestin L'Union soviétique survlvr.to8lle en 1984 1, a été arrêté Jeudidans un village de la région de Ria-zan. Il a été emmené à Moscou pardes policiers de la sécurité d'Etat.(Le Monde, 23 maL)

Avant de partir.rêvez a vos vacances

REVER DE...

La Q..uinzaine littéraire, du 1er au 15 juill 1970 19

Page 20: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

REI.ICION

Ph ' ']' ,eenomeno ogleBien que la phénoménolo-

gie de la religion ait près d'unsiècle d'existence maintenant,c'est G. Van der Leeuw quien est le plus célèbre repré-sentant et c'est bien à traverslui qu'il convient d'étudier lemouvement.

G. Van Der LeeuwLa Religion dans son essenceet ses manifestations,Phénoménologie de la ReligionTrad. par J. MartyPayot, éd., 693 p.

Le point de départ de la phé.noménologie, c'est naturellementl'étude des phénomènes. Le phé-nomène, c'est ce qui se montre;or le fait de se montrer concerneaulltli bien ce qui se montre (l'ob-jet), que celui à qui cela est mon·tré (le sujet). Mais on ne peutséparer les deux, car l'objet nepeut jamais s'appréhender qu'àtravers un sujet, et réciproque-ment la conscience du sujet esttoujours relative à un objet; ellen'est jamais conscience de rien.La phénoménologie se distinguedonc nettement de l'empirisme,qui prétend connaître l'objet enlui-même, en le détachant del'expérience vécue, en le chosi-fiant - comme de la psychologie,qui étudie les sentiments en de-hors des objets qui les oriententet leur donnent une significationspécifique.

Mais alors, peut-on faire unephénoménologie de la religion?Le' sacré se définit par la transcen-dance et, dans nos religions uni-versalistes, par la Révélation. Orla, phénoménologie ne veut pasêtre une métaphysique, elle étu-die les phénomènes, non ce qu'ily a .derrière eux; la Révéla-tiqn «mise entre parenthè-

c'est fepoché phénoméno-logique. Mais même ainsi, nefranchissons-nous pas un premierobstaèle que pour tomber sur unsecond. Ce qui caractérise en ef-fet la religion, c'est que l'hommen'accepte pas la vie .qui lui estdonnée, il cherche la puissancequi l'enrichira; il essaie aussi detrouver un sens, à son existence ;il découvre ainsi peri à peu quetoute chose au monde a, aussi, sasipifi.cation religieuse; cepen-dant 'le, sem du, tout, c'est-à-dire

20

le sens dernier, n'est jamais at·teint: «le sens dernier est enmême temps la limite duMais, par un paradoxe apparent,qui n'en est pas un, ce qui estvrai de la religion, qu'elle est «cequi se dérobe au «cequi reste est vrai ausside la science - toute compréhen.sion, lorsqu'elle est poulltlée jus-qu'au bout, et quel que soit sonobjet, est donc finalement reli·gieuse. Si l'epoché est nécessaire,le «regard aimant qui décou-vre les significations profondes,dans «ce qui se montre de lareligion, est aussi nécessaire.

La possibilité d'une phénomé-nologie religieuse étant ainsi affir·mée, en quoi consistera-t·elle?Elle part de l'expérience vécue,conditionnée objectivement, puis-qu'il n'y a pas, comme nousl'avons dit, d'intérieur' sans exté·rieur; une pierre sainte est vé-cue comme crainte ou commeamour. C'est pourquoi elle com·mence par l'angoisse, 'mais cetteangoisse n'est pas un simple senti.ment, réductible à l'analyse psy-chologique; elle est une expé-,rience existentielle, qui se trouveà la base de toute vie dépassantce qui n'est que pure donnée. Ce·pendant cette expérience elle-même est insaisissable; on estobligé de la reconstruire; onpasse ainsi de l'expérience vécueà la compréhension, qui la struc·ture, qui établit une connexionentre ses éléments ; l'homme élu-cide ce qu'il a vécu, il essaie decomprendre ce qui s'est montré.La compréhension aboutit à sontour à la signification : le factumempirique ou métaphysique (sui.vant qu'il est donné dans une reli-gion primitive ou universaliste)èst devenu alors un datum, c'est.à-dire une expression (du sacré),une parole vivante qui parle àl'homme.

Comme on le voit, et èontraire-ment à ce que l'on pense souvent(en confondant la phénoménolo-gie avéc l'existentialisme), laphénoménologie religieuse n'estpas pure appréhension, plus oumoins inexprimable, du sacré;elle donne, comme toute disci-pline scientifique, des noms auxphénomènes, tout en les insérantbien entendu, dans la vie : expé-riences' de la purification, du sa-'

crifice, du service liturgique - ouencore la figure de la mère, dusauveur, du père comme objetsde l'expérience religieuse - duroi divin, du sorcier, du prêtre,du prédicateur, si l'on met aucontraire l'accent sur le sujet... Etaprès, elle regarde ce qui se mon·tre, afin de le comprendre et d'ensaisir le sens véritable. Deux con-séquences s'en dégagent:

En premier lieu que, contraire-ment au positivisme, plus particu.lièrement au positivisme évolu·tionniste, qui a régné dans lesesprits à la fin du XIX· et au dé·but du xx· siècle, elle ne se po-sera jamais le problème de l'ori·gine et de l'évolution des reli-gions. Elle s'interdit de bâtir unroman. Elle reste sur le terrainsolide des Parcontre, et c'est là la seconde con-séquence de la définition donnéede notre discipline, lorsqu'ellevoudra les comprendre, puisquetout extérieur repose sur un inté-rieur et réciproquement, que descoupures par consequent se pro-duiront, distinguant telle expé-rience du sacré de telle autre,elle aboutira à une classification.La phénoménologie religieuse estessentiellement - du moins dansle livre dont nous rendons compte,car cet élément classificatoire, touten étant présent dans un autrelivre de Van der Leeuw, fHommeprimitif et la religion (P.U.F.) ;y est tout de même moins appa·rent - une typologie. Et les ty.pes auxquels elle aboutit (ceuxde l'objet de la religion, du sujetde la religion, de l'action récipro-que de l'objet et du sujet, dumonde et des figures, c'est.à-diredes divers types de religion et destypes de fondateurs) sont naturel-lement des typesdonc des «images ausens webérien du terme. Et alhmsjusqu'au bout de notre pensée,des constructions de la raison.On voit donc combien ont tortceux qui reprochent à la phéno-ménologie de nous lancer dansdes gouffres, de nous rejeter aupur vécu et à l'inconnaissable, elleest au contraire - à partir certesde ce vécu, mais le dépassant -effort de compréhension ration·nelle.

Ce qui fait que, bien souvent,en lisant Van der Leeuw; on ne

voit pas très grande différence en-tre les descriptions empiriquesdes phénomènes religieux et lesactes de saisie phénoménologiquede ces mêmes phénomènes. Cer-tes, l'auteur est bien obligé departir des données recueillies parl'histoire des religions et parl'ethnologie religieuse, mais, tropsouvent, à mon gré, il reste tropprès de ses lectures. Au pointque l'on trouve des paragraphesentiers, chez 'lui qui se refusepourtant à étudier l'origine etl'évolution des religions, qui gar-dent - des livres où la docu-mentation a été puisée - un cer-tain climat encore d'évolution-nisme, surtout dans la premièrepartie. Disons, pour ne pas 'pous-ser notre critique trop lOIn, quigardent le souci de la «genèseet pas seulement deLes typologies du monde ou de lafigure sont mieux venues que cel-les de l'objet ou du sujet - entout cas, par rapport aux classi-fications des empiristes, beaucoupplus originales et allant plus loin.

La question se pose alors. ànous de savoir le pourquoi decette tentation de la descriptionempirique des phénomènes, quiprécède celle plus proprementphénoménologiqlle.' Je n'en voisqu'une raison, c'est que - commeVan der Leeuw le reconnaît lui·même - son examen des problè.mes religieux a son point de dé-p art dan sIe christia.nisme(p. 629). Certes, dès qu'apparais-sent dans son œuvre, la figure dumédiateur, et le passage des reli-gions d'équilibre (de prestationentre l'homme et Dieu) aux reli·gions de la distance (où la Foiest nécessaire) , il introduit desuite l'epoché. Mais,l'étude de la religion ne peut ja-mais être détachée du condition-nement religieux de celui qui s'ylivre. Un bouddhiste pourraitfaire une phénoménologie de lareligion en prenant la sienne pourpoint de départ. Ce serait à lathéologie de décider laquelle estla plus valable. «Nous considé-rons le christianisme comme la fi-gure centrale de toutes les reli-gions historiques. D'aüleurs la« comparaison des religions en-tre elles n'est possible que dupoint de vue de la position qu'onprend soi-même dans la vie.C'est parce qu'il est parti de ce

Page 21: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

de la religionpostulat, d'ailleurs en grande par·tie jU8tifié, qu'il a bien été obligé,pour les religions non-chrétiennes,de 8'adresser aux empiristes, pourchercher après ce qu'il pouvait yavoir, dans ces expérience8 «au-tres de ré80nances aptes à êtrere88enties sur la longueur d'ondesd'une conscience chrétienne.

La compréhension des expé-riences d'autrui est certe8 difficile.Elle néces8ite un effort de conver-sion et je prends le mot dansson sens religieux. Et certesaussi, cette conversion est, à lalimite, impo88ible. Cependant sinOU8 acceptons que le phénomè.

ne, c'est ce qui se montre, nousdevons dire que c'est ce qui semontre à celui qui vit ce phéno-mène, non à l'étranger - et que,pour l'étranger, c'est ce qui s'en-tend par l'oreille. La phénoméno-logie doit aboutir finalement àlaisser parler les hommes surleurs objets et leurs vies religieu-ses, non à interpréter ces expé.riences - ce qui risque d'y intro-duire notre propre conditionne-ment religieux. Comme le boud-dhiste dont parle Van der Leeuw,l'idéal serait d'avoir non unephénoménologie, mais des phéno-ménologies, des animistes commedes polythéistes, des orientaux

comme des occidentaux, à traverstoute une série de discours reli-gieux ; et tant pis si elles ne sontpas comparables !

Durkheim n'avait donc pas tortde demander au savant d'étudierles faits sociaux «comme deschose8 il ne faut pas oublierque pour lui ces cho8es n'étaientpas forcément des réalité8 maté-rielles, mais aussi des réalitéspsychiques; 80n erreur seraitd'un autre ordre: d'avoir consi-déré les faits religieux comme dessentiments, sans voir - ce quiest la base de toute phénoméno-logie - que tout intérieur est

orienté, par conséquent, détermi-né par un extérieur: n'ayant pasvoulu prendre en compte cet« c'est·à·dire les cho-ses 8acrées, il ne lui restait plusd'autre objet possible alors quecelui qu'il pouvait 8e donner, parun raisonnement de nature philo-sophique: la société. Lévy-Brühl,«le mal et LeenhardtnOU8 montrent la voie, dans lamesure où ils ont voulu .« écou.

non dans celle où ils ontvoulu expliquer, d'une phénomé-nologie de l'Altérité.

Roger Bas·tide

valable jusqu·au 30 juin 1970Veuillez enregistrer ma commande pour l'exemplaire du :C.E.f. (Catalogue de l'Edition Française) en 4 volumes

professionnelsdu livre

un nouvel outilvient d'être, ,creepour vous

'eICEFICATALOGUE DE L'EDITION FRANÇAISE,

vous permettra de retrouver enquelques secondes,

le livre qu'il vous faut identifier.

.! BON DE SOUSCRIPTION11111: au prix exceptionnel de souscription de 550 F au lieu de 690 F1NOM OU RAISON SOCIALE:1 ADRESSE:11 Je joins à mon envoi un chèque de 150 F à titre de souscription: en chèque bancaire 0 chèque poslal 0 mandat 0; Il est entendu que je pourrais renvoyer le C. E. F. dans les 8 jours et dans son .• emballage d'origine s'il ne correspondait pas â mon attente.: DATE: SIGNATURE:'.. Ce bon est à envoyer à V.P.C. LIVRES 14.6. rue Montmartre 1"'h .m -,'

La Qyinzaine littéraire, du 1er au 15 juin 1970

le

ICEFICATALOGUE DE L'EDITION FRANÇAISE

C'est une œuvre considérable. jamais réalisée en France. destinée aux éditeurs.aux libraires. aux bibliothèques. aux documentalistes ainsi qu'aux bibliophiles.le C.E.F. est l'aboutissement d'un formidable travail de recherche. de classementet de codification réalisé grâce à un ordinateur,

6000 pages4 volumes

Qui rassemblent d'une manière exhaustive la liste de tous les livres DISPONIBLESpubliés en langue (200.000 titres environ)

Réédition annuelle après mise à jour.

le [CEFI- répond en quelques secondes aux questions posées par vos clients.- vous évite de longues et stériles recherches.- vous apporte toutes les précisions sur « les coordonnées »)

d'un livre et sa disponibilité.- vous renseigne su, tous les ouvrages publiés en langue française

dans le monde.

Un instrument de recherche à 3t8ntrées vous permettant de retrouver un livrequelles que soient les données fragmentaires donfvous disposez au départ.

1 volume: les Auteurs classés alphabétiquement1 volume: les Titres classés alphabétiquement2 volumes: les Rubriques ou sujets.présentés enclassement décimal.Le C.E.f. comf!orte en annexe. la liste complète de tous les éditeurset diffuseurs avec leur adresse.

Conditions exceptionnelles de souscriptionvalables jusqu'au 30 juin 1970 :

550 Fies 4 volumes au lieu de 690 FAITENTION! Seules les souscriptions parvenues avant le 30 Juin serontassurées d'être honorées lors de la première édition.

Si le C.E.f. ne correspond pas à votre attente, vous pourrez dans les HUIT JOURSnous le renvoyer dans son emballage d'origine et vous serez intégralementremboursés.

21

Page 22: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

LETTRE

D'ALLEMAGNERolf Hochhuth

• J'avais annoncé une c0mé-die. C'est de nouveau une tra-gédie. Rien à faire. On ne chan-ge pas de peau. D Ainsi parleRolf Hochhuth en présentant sanouvelle pièce Guérillas, don-née en première mondiale auStaatstheater de Stuttgart dansune mise en scène de Peter Pa-litzsch. Elle sera reprise, par lasuite, dans une dizaine de théâ-tres de langue allemande. A l''en-contre de ses deux premièrespièces, le Vicaire et les Soldats- centrées sur des personna-ges historiques: le Pape Pie XIIet Churchill -, Guérillas estune œuvre d'anticipation politi-que. Elle décrit un coup d'Etaten Amérique du Nord qui, à

I.L. Vos deux premières piè-ces ont déclenché des polémi-ques dans le monde entier.Guérillas contient-elle, de nou-veau, des révélations qui ris-quent de faire scandale?

R.H. Aucune de mes piècesne contient des. révélations D.

Le silence du Pape Pie XII à pro-pos d'Auschwitz et l'extermina-tion délibérée de populationsciviles durant la deuxième guer-re mondiale étaient des faitslargement connus.Il est vrai que le théâtre por-

te à la conscience d'un grandnombre de gens des faits révé-lés depuis longtemps par leshistoriens.

I.L. Ouel est le sujet de vo-tre nouvelle pièce?

R.H. Guérillas déc rit un'coup d'Etat en Amérique duNord., Je suis parti notammentde la constatation banale, fami-lière à tout lecteur de journal,que les Etats-Unis sont le seulpays civilisé du monde où ......cun parti ouvrier n'a été en me-sure d'envoyer un candidat auxélections présidentielles. Toutle monde sait que, le jour desélections, un conducteur de busn'a d'autre choix qu'entre le can-didat des Kennedy et celui desRockefeller.

I.L. Ouel genre de gouverne-

22

l'ère de Che Guevara, • estaussi historiquement probableque techniquement possible-.Le cerveau du complot fomentéà l'intérieur de l'Establishmentmême, est le sénateur améri-cain David Nicolson, millionnai-re de son état et ami intimede Johnson, qui cherche à dé-truire l'hégémonie politique descent-vingt grandes familles amé-ricaines et à répartir plus juste-ment les fruits de la prospéritéindustrielle. Nic ols 0 n peutcompter, dans son entreprise,sur la collaboration des gueril-leros cubains, de certains mem-bres de l'Etat-major, voire de laCentrale Electronique du Penta-gone. Mais à la veille du jour

ment les conjurés veulent-ilsinstaurer?

R.H. Ils ne demandent' quel'application réelle de la Cons-titution. Ils veulent instaurer unEtat constitutionnel basé sur lajustice sociale et la pluralitédes partis en renversant l'oligar-chie ploutocratique, ce club descent vingts familles qui te pos.sèdent toutes les autres D, dé-tiennent 80 % des biens du payset contrôlent les deux grandspartis d'Etat tout autant que leseul quotidien new·yorkais quiait réussi à survivre.Les analyses de H.G. Wells,

Galbraith, Mathias et Lundbergnous ont appris qu'aux Etats-Unis, plus d'un cinquième de lapopulation végète en dessousdu te seuil de la pauvreté D dé-terminé par l'administration elle-même, alors qu'en 1968 parexemple, l'Etat a dépensé 40 foisplus d'argent pour l'armement- c'est-à-dire pour l'industrie- que pour les pauvres.

I.L. L'idée d'un coup d'Etaten Amérique n'est-elle pas en-tièrement utopique?

R.H. De toute façon, If! coupd'Etat me parait le modèle desubversion le moins sanglant, leseul à pouvoir - peut-être! -éviter les massacres d'une guer·re civile. Une révolution déclen-chée dans la rue et affrontant

• J -, il commet une erreur fa-tale: il envoie sa femme, nantied'informations secrètes, au Gua-temala, où elle se fera tuer pardes agents de la C.I.A. Lorsqu'ilapprendra cet assassinat, Nicol-son se rendra compte que saconjuration - l'opération Aube,- a été éventée et qu'il a perdula partie. Dans Guérillas -dont la version intégrale publiéepar Rowohlt comporte quatreheures de spectacle - les dia-logues sont entrecoupés decommentaires de l'auteur et decitations empruntées à des arti-cles de journaux et à des essaispolitiques. La nouvelle pièce deHochhuth présente ainsi, unefois de plus, un mélange de fic-

directement l'appareil de la pa-lice n'a, elle, aucune chance deréussir.Souvent, l'échec d'une utopie

n'est pas imputable à une im·possibilité matérielle, ou tech·nique, mais à une absence defoi paralysante chez les contem·porains. D'après Galbraith, te ilfaut bien que quelqu'un com·mence. Si l'on ne devait sevouer qu'à des idées politiqùe-ment réalisables aujourd'hui, onferait mieux de se battre pourune meilleure distribution ducourrier et de laisser tombertout le reste-_Guérillas est, en quelque sor·

te, une illustration théâtrale ducélèbre manuel du coup d'Etatd'Edward Luttwak qui révèle laréussite de 73 coups d'Etatdans 46 pays durant les dix der·nières ani1ées. '

I.L. N'est-il pas illogique quece coup d'Etat soit l'œuvre d'unsénateur millionnaire, c'est-à-dire d'un membre du groupequ'il s'agit d'éliminer?

R.H. Il n'y a que les gens In-tégrés dans l'appareil et occu·pant des situations-clé - offi·ciers supérieurs, sénateurs, etc.- qui puissent exécuter un telcoup d'Etat. Ce n'est pas un ha-sard si les véritables révolution-naires que l'Amérique ait comp-tés au cours de ce siècle soientFranklin Roosevelt et Harry

tion et de réalité et charrie,malgré son caractère utopique,quelques • révélations - qui, sielles ne sont pas susceptiblesde provoquer une contre-mani-festation aux flambeaux de10000 catholiques bâlois, n'enferont pas moins grincer desdents dans plus d'une chancel-lerie. Peu avant la première deStuttgart, notre collaboratrice arencontré, à Zurich, Rolf Hoch·huth qui est, à trente-huit ans,l'auteur allemand dbnt les piè-ces ont déchaîné le plus de pas-sions depuis Brecht. Elle lui aposé quelques questions surGuérillaS et sur ses idées enmatière de théâtre.

Hopkins - des hommes qui sesont trouvés au sommet de lapyramide et qui ont eu en mainstout l'appareil de l'Etat. ROose-velt descendait d'une famille demillionnaires et avait, en mimetemps, une très grande cons·cience sociale. Il a été le M'ira-beau de l'Amérique, un Mira-beau qui a réussi. Churchill adit à son propos: Roosevelt aépargné la révolution aux Amé-ricains.

I.L. Sur qui votre sénateuret ses principaux acolytes peu·'vent-ils compter pour mener àbien leur entreprise?

R.H. Les principaux protago-nistes du coup d'Etat doiventnécessairement faire partie del'Establishment, mais Ils n'enont pas moins besoin de s'ailieraux groupes extrémistes dansla rue, aux guerilleros urbains.Selon des enquêtes effectuéespour le compte du Pentagonepar des militaires comme le cé·lèbre colonel Rigg, les déten-teurs du pouvoir savent qu'uneseule méthode permet de com·battre une Insurrection urbaine :la mise en place d'un systèmed'espionnage au sein de la gué-rilla même. L'Establishment doitrecourir ainsi au moyen que Jeconsidère comme seul apte Ilrenverser le pouvoir: au noyau-tage de l'adversaire.

Page 23: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

nous parle de "Guérillas"

La Q!!inzaine littéraire, du 1er ;lU 15 juin, 1970

Dans ses études publiées parl'hebdomadaire Newsweek, lecolonel Rigg a comparé la Jun-gle des gratte-ciel à la junglevietnamienne et démontré qu'iln'existe d'autre possibilité demater par des moyens militairesune insurrection habilement me-née sur le plan tactique quecelle de raser complètement lesgrandes villes, à l'image de Sta-lingrad.

I.L. Pourquoi avoir cherché,une fois de plus, la cible de voscritiques à J'étranger?

R.H. Ma pièce est fondéesur la thèse qu'un coup d'Etatdoit avoir lieu au centre mêmedes grandes puissances pouravoir quelque chance de succès.Dans les Etats satellites, coupsd'Etat et révolutions seraientautomatiquement annihilés: enAllemagne de l'Est, en Tchécos-lovaquie, en Hongrie par l'Ar-mée Rouge - à Téhéran ou àAthènes par la C.I.A.Comme l'Allemagne, mon

pays, est un Etat satellite desEtats-Unis (d'année en années'intensifie le processus qui voitles industries allemandes lesplus rentables passer aux mainsdes Américains - ce que deGaulle voulait éviter à l'Euro-pe), j'ai -le droit d'écrire unepièce comme Guérillas au mê-me titre que Servan-Schreiber aaccompli soli devoir de Fran-çais, en sonnant l'alarme contreles menées américaines au seindu Marché commun.

I.L. Votre modèle de subver-sion n'est donc pas applicableen Europe?

R.H. Le noyautage de l'appa-reil comme seul moyen dechangement" vaut aussi pourl'Europe. Si les étudiants necomprennent pas cette néces-sité - que Rudi Dutschke ad'ailleurs soulignée avec sonextraordinaire formule de laft longue marche à travers lesinstitutions» -, ils n'aurontmême pas droit à une note enbas de page dans l'histoire duXX.. siècle.Je crois au- principe de Marx

selon lequel ft toute vraie théo-rie doit se développer à partirde situations concrètes et desrapports de force existants D.

Rolf Hochhuth

C'est ce principe que J'ai essayéde mettre en pratique dans Gué-rillas.

I.L. Vous citez Marxcroyez-vous à la justesse deJ'analyse marxiste des événe-ments historiques?

R.H. C 0 m m e Tocquevillepour la démocratie, Marx affir-me que le communisme fera ré-gner l'égalité. Mais je suisd'avis que Marx s'est trompésur deux pointsd'une part, il ne fait aucune pia-ce à l'Opposition. Son systèmedemande donc à être complétéà la lumière des expérienceshistoriques du XX" siècle. Marxn'a pas vu, d'autre part, que lacause profonde de l'oppressiondes masses ce n'était pas lapropriété, mals la puissance.C'est la puissance qui distingueles hommes entre eux - lamoindre hiérarchie dans l'em-ploi est déjà source d'oppres-sion. Les maitres du Kremlin,sans être des possédants, sont

beaucoup plus puissants que lesRockefeller qui sont milliardai-res.Si Marx croyait que l'expro-

priation conduirait à l'égalité,cela est dû au caractère idéa-liste et eschatologique de lapensée allemande qui considèreque l'humanité est en route soitvers le paradis, soit vers unesociété sans classes, soit, der-nière instance, conçue par Mar-cuse, vers une Commune dontles membres, grâce à une révo-lution instinctuelle, biologiqueet psychique, seraient devenustous bons et débarrassés destentations de la soclété« d'abon-dance D.

i.a puissance est une instanceamorale, qu'elle se trouve en-tre les mains de l'individu ouentre celles de l'Etat. La fai-blesse seule humanise lesgrandes nations. Chaque Etatest honnête dans la mesure oùIl a peur.Si l'Etat est seul propriétaire,

il est aussi seul à détenir lepouvoir...

I.L. Comment avez· vousconstruit votre nouvelle pièce?

R.H. J'ai tiré les leçons demes expériences précédentes.Le Vicaire était trop chargé, tropexplicite ausssi. En m'inspirantde Woyzeck (qu'il faut lire etrelire), j'al essayé de bâtir desscènes courtes - pleines detrous - que le public est Invitéà combler par son Imagination.Ce procédé, mieux qu'aucun au-tre, crée le suspense et soutientla progression dramatique.

I.L. Le Vicaire et Les Soldatsont eu une très grande influen-ce sur la littérature allemande;vous passez pour le • père duthéâtre documentaire-.

R.H. Cette étiquette me dé-plait, mals on me l'a collée mal-gré mes protestations répétées.Des documents ne feront jamaisune pièce. Le Vicaire n'est pasplus documentaire qu'une Dis-pute fraternelle à Habsbourg.Grillparzer avait compulsé desdocuments, lui aussi. Die Ermitt-lung (l'Enquête) de Weiss,voilà du pur théâtNt documen-taire, car Il porte la scèneles minutes du procès d'Ausch·witz, condensées, mals littéra-les. Le cas Oppenheimer deKipphardt relève du même prin·cipe. Dans mes pièces, certainspersonnages sont entièrementfictifs - Riccardo Fontana, parexemple, l'un des personnages-clé du Vicaire. S'il est vrai quedes prêtres ont été tués dansles camps de concentration, unJésuite comme Fontana, appar-tenant à la haute société ro-maine et choisissant de partaoger le sort des déportés, n'ajamais existé dans la réalité.C'est d'ailleurs une des raisonspour lesquelles jd. trouve Injustequ'on m'accuse d:1avoir maltraitél'église dans le Vicaire.

I.L. Cela signifie - t - il quevous prenez des libertés avecla vérité historique?

R.H. Non, Je la respecte -mais je suis d'avis que le théâ-tre ne doit pas faire concurren-ce aux actualités filmées ou àl'histoire. Rien que par sa duréelimitée, une pièce de théâtre nepourra Jamais se mesurer à unvolume documentaire comme

23

Page 24: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

Hoehhuth

le Troisième Reich et les Juifsde Poliakoff·Wulff. Le théâtren'est pas mû par des faits, maispar des hommes. Ce n'est pasla matière, mais le personnagequi rend la pièce intéressante.

I.L. Adorno vous a reprochéde présenter l'histoire commesi elle était faite par des indi-vidus, alors que nous sommesdepuis longtemps régis par despuissances anonymes auxquel-les l'Individu ne sert plus quede façade.

R.H. Oui, dans Minima Mo-ralla, Adomo a même écrit:«C'est déjà une effronterie,pour beaucoup de gens, que dedire « Je -. Je trouve cela inad·missible. J'estime que chaquehomme a le droit de considérersa personne et son destin com·me uniques et irremplaçables.D'ailleurs: Adorno enseignait

la philosophie à Francfort. S'ilpensait que l'individu ne saitpas ce qu'il fait, qu'il n'est qu'unnuméro dans la masse, pourquoin'est·iI pas allé au Palais deJustice où se déroulait le pro-cès d'Auschwitz pour dire auxjuges: tous ces gens, vousn'avez qu'à les renvoyer chezeux, Ils ne savaient pas ce qu'ilsfaisaient, ils n'étaient que lesrouages d'un appareil ?

Pièces de Rolf HochhuthLe Vicaire (Ed. Rowohlt, 1963. Ed.du Seuil, 1964). Sujet: le PapePie XII et son silence devant ledrame juif de la Seconde Guerremondiale. Traduite en 16 langues.Représentée dans 26 pays.

Les Soldats (Ed. Rowohlt, 1967. Ed.du Seuil, 1968). Sujet: les res·

!t0nsabilltés de Churchill dans le.' bardement des villes aile-m ndes et dans la mort mysté-rieuse du général Sikorski, chefdugouvemement polonais enexil. dix fols. Représen-tée' dans 11 pays.

Guérillas (Ed. Rowohlt, 1970). Su-,et: un coup d'Etat fomenté à'Intérieur de l'Establishment amé-ricain. Anticipation d'un événe-ment • politiquement probable ettechniquement réalisable-.

I.L. VOUS croyez à la respon-sabilité totale de chaque hom-me?

24

(tH. Oui. Je suis d'avis quechaque individu doit répondre deses actes, et cela même auxéchelons les moins' élevés.Ouant aux puissants, on peutprouver jusque dans les ordresdu jour que les décisions lesplus graves de notre siècle ontété prises par une poignée degens.

I.L. Vous posez, dans vospièces, les grands problèmesmoraux de notre époque. Ont-elles opéré des changements?

«On me prend pour un maî-tre de l'ironie. Pourtant, l'idéene me serait pas-venue d'érigerune statue de la liberté dans leport de New york.-Bernard Shaw, cité par Hoch-

huth en exergue à sa nouvellepièce.

R.H. C'est difficile à dire.J'ai appris, toutefois, par desthéologiens catholiques, que leVicaire avait contribué, dansune certaine mesure, à la libé-ralisation du clergé.Je regrette, par contre, que le

niessage des Soldats n'ait pasété entendu. J'ai écrit cettepièce après avoir appris, ausiège de la Croix Rouge, à Ge-nève, qu'il n'existait aucuneconvention internationale régle-mentant la guerre aérienne.Ouand les Américains déver·sent, par exemple, leurs bom-bes sur les populatiOns civilesdu Vietnam, Ils ne violent pas1es conventions de la CroixRouge, parce que celles.el nes'appliquent qu'à la guerre ter·restre et navale. C'est parfaite-ment absurde.SI le Président Nixon annonce,

aujourd'hui, que des troupesaméricaines seront retirées duVietnam, c'est que l'armée ciel'air lui aura promis de créerune ceinture de térres brûléestelle que les troupes n'aurontmême plus besoin d'y aller.

Propos recueillislrmelin Lebeer

LeMaide Bordeaux

Le Mal de Bordeaux est clas·sique. G.lorieusement. Désespé-rément. Le Mai, ce n'est pas,comme à Aix, une idée, une in-tention, une volonté, mais une .addition. L'addition d'un certainnombre de chefs, de solistes,de danseurs. L'addition du bonet du moins bon. Un peu au ha-sard des disponibilités des unset des autres. Sans thème, sanscolonne vertébrale, donc sansgrande chance d'attirer un pu·blic extérieur à la ville, mêmesi les citadins s'estiment satis-faits.Hétérogène, le programme se

devait d'être inégal. Je n'énumé-rerai pas ici les spectacles lesmoins intéressants ou les plusdécevants. Je me bornerai à re-gretter que le Parsifal qui avaitété choisi pour la soirée d'ou-verture n'ait pas su traduire laferveur musicale, la poésie reli-gieuse qui fait le mystère et lecharme de cet ouvrage wagné-rien.En revanche, le premier con-

cert du Mai fut d'une poignantebeauté. Marie-Madeleine et Mau-rice Duruflé étaient à l'orgue.S'appelant, se répondant, croi-sant fugues, chorales, cantatesde Bach, œuvres de Tourne·mire, d'une sidérale pureté. CeBordelais inspiré réussit à épa-nouir l'originalité de son talenttout en s'inscrivant dans la tra·dition des grands maîtres. Ma·rie-Madeleine et Maurice Duru-flé ont en partage une telle In-telligence du cœur et desdoigts, qu'ils ont su nous trans-mettre la quintessence de rê-ves, de poèmes intérieurs quinous laissèrent bouleversés.Le lendemain, autre fête de

l'esprit: franchies les douvesde l'austère et délicat châteaude La Brède, dans l'enchante-ment d'une lumière dorée, unpublic surpris et ravi a pu dé-couvrir, sous les voûtes de labibliothèque de Montesquieu,un étrange bonheur. Celui d'en-tendre deux Quatuors et le Triode Gabriel Fauré, joués par ledirecteur du Conservatoire Na-tional Supérieur deRaymond Gallois-Montbrun, quiavait réuni autour de lui Co-lette Lequlen, André Navarra etJean Hubeau. Bonheur rare, carles Interprètes donnèrent deces œuvres de Fauré, une Inter-

prétation puissante et virile,passionnée, qui exaltait le gé-nie d'un compositeur si malconnu et souvent si mal joué.Zino Francescatti porta le

concerto en Ré Majeur Opus 35de Tchaïkowsky jusqu'au subli-me. Michèle Boegner donna duconcerto n° 20 en Ré Mineur deMozart une exécution étourdis·sante. L'orchestre national del'O.R.T.F., sous la direction deJean Martinon et Paul Klecki,fut excellent. Katia et MarielleLabèque confirmèrent avec au-tant de charme que d'éclat lespromesses d'un double, Jeune etriche talent, se jouant avec unepassion toute juvénile des ara-besques difficiles de Stravinskyou de Bartok.Enfin la chorale de chambre

Madrigal de Bucarest révéla uneétonnante maîtrise du chant • acapella -.Le Harkness ballet de New

York, dont on attendait beau-coup, offrit ce qu'il est convenud'appeler un bon spectacle. Unetechnique solide, un travail sé-rieux, mais une chorégraphiesans originalité et dépourvue dujaillissement créateur d'un Mau-rice Béjart. La plus belle soiréedu Mai, ou du moins la plusparfaite, c'est-à-dire au senspremier du terme, la plus ache-vée, le Festival la dut au T.N.P.Il ne s'agissait, du moins le di·sait-on, que de jouer • l'IllusionComique - de Pierre Corneille.De cette œuvre baroque et gé-néralement ignorée, GeorgesWilson a extrait un pur chef-d'œuvre de théâtre, d'humour,d'intelligence, d'esprit. Tout estraffiné à l'extrême. L'originalitédes décors, le somptueux descostumes signés par Jacques LeMarquet, l'accompagnement mu-sical de Georges Delerue.Grâce à l'exposition de la Ga-

lerie des Beaux-Arts, le Festivalde Bordeaux se prolongera jus-qu'au mois de septembre. Cedernier rameau n'est pas lemoins intéresssant : c'est à unevéritable rétrospective de Dufyque nous sommes conviés. Unecentaine de toiles, de gouaches,de dessins, d'aquarelles retra-cent l'évolution d'un art tour àtour tenté par le foisonnementdu fauvisme, l'austérité rigidedu cubisme, les sortilèges du .primitivisme. Colette Deman

Page 25: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

ROIIA.NS

Maurice RenardPOPULA.IRES

La Qyinzaine littéraire, du 1er au 15 juin 1970

Le docteur LernePréface de H. Juin

L'invitation à la peurPréface de P. RambaudColl. «Domaine fantastiquePierre BeHond éd.,256 p., 280 p., 208 p.

De nombreuses anticipationsde Renard échappent à leur épo-que : nOU8 avons fait allusion auxtransplantations d'organes de

25

Lerne (frère du docteur Cornéliusde Le Rouge), le chirurgien aunom transparent de Cerral, quigreffera de nouvelles mains àOrlac - songeons que dans lemême moment, chez Gaston Le-roux, le Kanak pratiquait l'opé-ration inverse sur Chéri-Bibi, nelui laiesant que les mains. Avecla fascination de la science, lapremière avant-guerre avait aussiune passion pour les expériencesmétapsychologiques, comme pourles grandes affaires criminelles,du Sâr Péladan à la bande à Bon-no(. Dans Orlae et dans Lerne, lesspéculations sur la vie et la mortn'excluent ni les tables tournan-tes ni les enquêtes policières. Lemédium criminel des Mains d'Or-lac trouvera un splendide homo-logue dans le docteur Mabuse,tandis que le docteur Lerne et sesaides ne verront leur monstruo-sité dépaesée que par des méde-cins nazis, hélas ! bien réels.

Maurice Renard

Maurice Renard est à la jonc-tion de deux époques. Venu dudix-neuvième, on trouve chez luil'attirail savoureux du roman-feuilleton : vendetta, enfants trou-vés toujours de haut lignage, châ-teaux, sociétés secrètes... Avec,sans doute, ce côté roman-feuille-ton, il y a chez Renard un conser-vatisme endurci pour lequel lemonde, par exemple, ne peutqu'être divisé entre maîtres etserviteurs: entre, ici, financiers,aristocrates, et, là, domestiques,paysans fidèles et respectueux,n'ont droit de cité que les artisteset les hommes de science. S'il ar-rive par exception que l'on évo-que la petite ou moyenne bour-geoisie, comme dans les •.chapitres d'un Homme -chez. kt

cela tourne à la bouf-fonnerie assez lourde.A cet héritage du siècle précé-

dent, Renard a ajouté des traitsqui sont typiquement de son épo-que. On était alors passionné dephysiologie et l'usage qu'en faitRenard est caractéristique. Desexpériences du chirurgien AlexisCarrel sortiront, outre le docteur

pionnage, voire de bandes deesi-nées. Où le lecteur se délectaitd'une intrigue inédite, riche enimbroglios dramatiques, il fallaità présent une trame simple, uneécriture élémentaire, avec en re-vanche quantité de coups de feu,bagarres et vamps, jeux brutauxou d'un érotisme primaire. Cenouveau lecteur ne veut plusd'histoires aussi complexes queles Mairu d'Orlae ou le Maitre dela lumière; il ne peut plus com-prendre l'érotisme exaspéré duDocteur Lerne, car les tournureset les mots même lui font défaut,non que l'écriture en soit savante,mais parce que, sans être un grandmaître de style, Maurice Renardreste toujours soucieux de la te-nue et de la précision de ce qu'ilécrit.Maurice Renard n'est plus un

auteur populaire, pas plus queJean de la Hire ou Gustave LeRouge, ses contemporains. Des au-teurs comme Renard, qui n'avaienteu d'autre ambition que de con-ter des histoires de leur inven-tion, qui ne se prenaient pas pourdes maîtres (que sont devenus lesMarcel Prévost, les René Bazin,de l'Académie française?), voiciqu'on crée pour eux de belles col-lections où l'on entend faire redé-couvrir leur vrai vi3age. Cettenouvelle édition des œuvres deMaurice Renard montre ce qu'ilfaut entendre par là: cette œu-vre n'eut pas à subir vraiment detemps de purgatoire puisqu'il futtoujours possible de trouver quel-ques-uns de ses livres en librai-rie, mais, négligence des éditeursou peut-être de l'auteur, ilsétaient souvent déformés par descoupures et des édulcorations;faute de procéder à ces aména-gements, comme dans certaineséditions du Docteur Lerne, onprécisait sans rire dans les Mairud'Orlae de 1933 que l'ouvrage nepouvait être mis entre toutes lea.mains. Aujourd'hui, les amateursse réjouiront de voir des réédi-tions intégrales de ces deux li-vres; l'Invitation à la peur .estun choix de nouvelles (sous lemême titre, l'édition précédenteprésentait un choix différent) ; laparution prochàine du Péril bleu,de fHomme truqué et du Maitrede la lumière est annoncée. AinsiMaurice Renard n'est-il pas exac-tement redécouvert mais péren-nisé.

Cette nouvelle édition est desti-née à redécouvrir le vrai MauriceRenard, déclare le préfacier desMairu d'Orlae. Dédié à Wells, leDocteur Lerne remontait en effetà 1907. Romancier prolifique,Maurice Renard a surtout connule succès entre les deux guerresmondiales, grâce à ses feuilletonset aux centaines de contes qu'ilécrivit pour le journal le Matin.A cette époque, les éditions et lesrééditions de ses œuvres se suc-cédaient, d'autant plus que le ci-néma, en 1924 puis en 1935, avait.adapté avec bonheur l'une d'en-tre elles, les Mains d'Orlae.Après la seconde guerre mon-

diale, le romancier étant mort en-tre temps, on pouvait croire que8es livres allaient tomber dansl'oubli. Il n'en est rien, puisqueles éditions Tallandier firent plu-sieurs fois reparaître de ses ro-mans dans .leurs collections popu-laires, volumes à bon marché, des-tinés à un large public se préoc-cupant peu du renom littérairede l'auteur mais des qualités pal-pitantes de ses histoires. La der-nière en date de ces éditions, qua-tre volumes, était de 1958 ; inter-venant à un moment où le publicde lecteurs et la diffusion des li-vres étaient en pleine mutation,après l'expansion du livre de po-che (objet bien différent du livrede «série de Tallan-dier par exemple, mais c'est là unautre problème), cette dernièresérie hésitant dans sa présenta-tion entre le livre populaire et lelivre ordinaire, ne répondait pasau conditionnement que le publicattendait dorénavant d'un livre. Ilse produisait simultanément unchangement de la demande: oùl'on attendait des «grandes aven-tures et voyagesdes «romans onvoulait maintenant d'autres lec-tures (la télévision y était-ellepour quelque chose?) sous for-me de romans policiers ou d'es-

1Maurice RenardLea mairu d'OrlaePréface de P.-A. Touttain

1

1

Page 26: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

Renard

Lerne, mais il faudrait s'arrêterlonguement à ces œuvres qui re-lèvent proprement de" la science-fiction, le Voyage immobile ou lePéril bleu: téléguidages hardis,sous-aériens, aérofixes, visites dumonde microbien, êtres invisiblesvenus d'une autre planète et cap-turant sur la terre des plantes,des animaux, des hommes afin deles étudier. C'est justement à pro-pos de ces être". les Sarvants, quel'auteur laisse voir son optimismeà l'égard des découvertes futureset des mondes inconnus ; cet opti-misme le distingue de ]a plupartdes auteurs de science-fiction(l'exemple de Wells est flagrant).Lorsque les Sarvants, qui ignorentce qu'est la douleur, prennentconscience que les hommes et lesanimaux souffrent durant leul'llexpériences, ils cessent de pros-pecter sur terre et relâchent tousleurs prisonniers - et les hom-mes s'empressent de tuer les ani-maux libérés par les Sarvantssous prétexte qu'ils sont maigreset en mauvaise santé après leurcaptivité.Il n'est pas si important de dé·

eider, comme le voudraient quel-ques spécialistes de ces questions,si Maurice Renard est un auteurde science-fiction plutôt qu'un au-teur fantastique: ce Maître de lalumière encore marqué «Prix demathématiques de la classe de6eM2 pour l'année 1950-51 », jel'avais alors lu d'une seule traite,et je crois l'avoir lu avec le mê-me plaisir aujourd'hui. C'est làle paradoxe des meilleurs auteursde ce qu'on nomme quelquefoisla littérature marginale; on re-trouve avec autant de plaisir lesplus ahurissantes créations d'unMaurice Renard, les Sarvants, lesyeux électroscopiques de l'hommetruqué, Orlac le pianiste auxmains greffées, que les subtilesfictions de la plus littéraire litté-rature. Renard prenait le parti durêve et de l'imagination bruts,profession de foi que l'on peutlire dans les premières pages duDocteur Lerne: «Pour repren-dre ridée du philosophe, «quandl'eau courbe un bâton », il m'estdésagréable que «ma raison leredresse », et je voudrais ignorerque sans la décomposition de lalumière solaire, rarcher Phœbusne banderait pas son arc-en-cielformidable et charmant.»

Serge Fauchereau

26

FEUILLETON

parGeorges PerecAucune manifestation sportive W,

pas même l'ouverture solennelle desOlympiades, n'offre un spectacle com-parable à celui des Atlantiades.Cet attrait exceptionnel vient sans

doute, pour une bonne part, de ceque, au contraire de toutes les autrescompétitions qui se déroulent dans unclimat de rigueur et de discipline for-cené, les Atlantiades sont placéessous le signe de la plus entière li-berté. Elles ne font appel ni aux Ju-ges de touche, ni aux chronométreurs,ni aux arbitres. Dans les courses nor·males, qu'il s'agisse d'éliminatoires oude finales, les 12 concurrents sontamenés sur la ligne de départ dansdes cages grillagées (un peu analo-gues à celles qui sont utilisées pourles chevaux de course) que le coupde pistolet du starter fait se soulevertoutes ensembles (à moins qu'un jugefacétieux n'ait déCidé de retarder dequelques instants le mécanisme libéra-teur d'une, de deux, ou même de tou-tes les cages, ce qui provoque géné-ralement des incidents spectaculaires) .Dans les Atlantiades, les 176 concur-rents sont parqués tous ensemble surla zone de départ; un treillis de ferélectrifié, large de plusieurs mètres,est posé sur la piste et les séparedes femmes. Quand les femmes ontpris suffisamment d'avance, le startercoupe le courant et les hommes peu-vent se lancer à la poursuite de leursproies. Mais Il ne s'agit pas, mêmeau sens strict du mot, d'un départ.En fait, la compétition, c'est-à-dire lalutte, a commencé depuis longtemps.Un bon tiers des concurrents est déjàpratiquement éliminé, les uns parcequ'ils ont été assommés et qu'ils gi-sent inanimés sur le sol, les autresparce que les coups qu'ils ont reçus,et particulièrement les blessures auxpieds et aux jambes occasionnées par

les chaussures à pointes, les rendentinaptes à accomplir une course, si pe-tite soit-elle.Il n'y a pas dans les Atlantlades, li

proprement parler, de stratégie uniqueassurant la victoire. Chaque partici-pant doit tenter d'évaluer ses chancesen fonction de ses qualités Indivi-duelles et a à décider de sa lignede conduite. Un très bon coureur dedemi-fond, qui salt qu'II pourra pro-duire son effort maximum après 300ou 400 mètres de course, a évidem-ment Intérêt li se placer le plus enarrière par rapport à la ligne de dé-part; moins Il aura d'adversaires der-rière lui, moins Il aura de chancesd'être agressé avant le départ. Aucontraire, un pugiliste, ou un lanceurde poids, qui savent qu'ils n'ont prati-quement aucune chance li la course,essaieront plutôt d'éliminer tout desuite un maximum d'adversaires. Cer-tains tenteront donc de se protéger leplus longtemps possible, d'autres aucontraire attaqueront d'emblée. Entreces deux groupes li peu près définis,la masse des concurrents ne salt Ja-mais très bien quelle tactique est lameilleure, encore que l'Idéal soit évi-demment pour eux de parvenir li li-vrer leurs adversaires les plus dange-reux - les meilleurs coureurs - IIl'agressivité souvent aveugle "des pugi-listes.

Ce schéma élél)'lentalre se compli-que considérablement du fait des pos-sibilités d'alliance. La notion d'alliancen'a aucun sens dans les autres com-pétitions: la victoire y est unique etpersonnelle, et c'est seulement parcrainte de représailles qu'un concur-rent mal parti apportera, s'II le peut,son aide au mieux placé de ses com-patriotes. Mais, dans les Atlantiades,et c'est une de leurs caractéristiquesspécifiques, il y a autant de vain-queurs que de femmes à conquérir, ettoutes les victoires étant identiques(il serait évidemment utopique de lapart d'un concurrent de convoiter unefemme particulière), Il est parfaite-ment possible à un groupe de concur·rents de s'unir contre les autres jus-qu'au partage final des femmes. Cesalliances tactiques peuvent prendredeux aspects selon que les partantss'allient leur nationalité (c'est-à-direselon leur village), ou selon leurspécialité. Les deux clivages existentrarement en même temps, bien qu'ilssoient parfaitement envisageables,mais ils se succèdent souvent etparfois avec une rapidité terrifianteet c'est toujours un spectacle éton-nant que de voir, par exemple, unlanceur de marteau Nord-Ouest W (enl'occurrence Zacharie ou Andereggen)se battre contre l'un de ses collèguesdes autres villages, comme Olafssonde Nord W ou Magnus de W, puistout à coup s'unir à lui pour tombersur un de ses propres compatriotes(Friedich, ou Von Kramer, ou Zannuc-ci, ou Sander, etc.).

Mais luttes préliminaires quise déroulent sur la zone de départavant la course proprement dite, nesont elles-mêmes, elles aussi, quel'aboutissement, la dernière manifes-tation, les ultimes péripéties d'une

guerre - Il ne semble pas que lemot soit ici trop fort - qui pours'être déroulée en dehors des pis-tes, n'en a pas moins été acharnéeet souvent meurtrière. La raison decette guerre est simple: c'est que lesparticipants d'une Atlantiade (les deuxpremiers de chaque épreuve de clas-sement) ont été désignés plusieursjours, et parfois jusqu'à trois '3emai-nes auparavant, et que dès lors cha-que jour, chaque heure, chaque minu-te, ont été pour les futurs concurrentsl'occasion de se débarrasser de leursadversaires et d'accroître ainsi leurschances de triompher. Sans doutecette lutte permanente, dont la com·pétition elle-même n'est que le pointfinal, est-elle l'une des grandes loisde W, mais elle trouve ici, li l'occa-sion des Atlantlades, son terrain d'ac-tion le plus favorable, dans lame-sure où la récompense - une fem·me - accompagne Immédiatement lavictoire.Les pièges se tendent, les tracta-

tions s'échafaudent, les alliances senouent et se dénouent dans les cou-lisses des stades, dans les vestiaires,dans les douches, dans les réfec·tolres. Les plus chevronnés cherchentà négocier leurs conseils; on achètel'Indulgence d'un lutteur: Il fera sem-blant de vous frapper, on pourra fairele mort jusqu'au signai du starter. A15 ou 20, des non classés, des crouil-les, qu'attirent "espoir Insensé d'unavantage le plus souvent dérisoire,une demi-cigarette, quelques sucres,une barre de chocolat, un peu debeurre ramené d'un banquet, s'atta-quent à un champion d'un village voi-sin et le laissent pour mort. Des ba-tailles rangées éclatent la nuit dansles dortoirs. Des athlètes sont noyésdans les lavabos ou dans les chiottes.L'Administration n'est pas ignorante

de ces marchandages Incessants. Ellefait afficher partout des placards lesinterdisant; elle rappelle que lamo-raie du Sport n'admet pas le trafic,que la Victoire ne peut pas s'acheter.Mais elle n'a jamais rien tenté desérieux pour y mettre fin. Elle sem-ble s'en accommoder. C'est la preuvepour elle que la vigilance des Athlè-tes est toujours en alerte, que cen'est pas seulement sur la piste,mais partout, et li tout Instant, quesa Loi terrible s'exerce.Les autres compétitions se dérou-

lent dans un silence total. C'est leDirecteur de la course qui, en levantle bras, donne le signal des applau-dissements et des vivats. Dans lesAtlantiades, au contraire, la foule peut,ou plutôt doit hurler tout son saoulet ses cris, captés, sont retransmisà pleine puissance par des haut-par-Ieurs disposés tout autour du stade.Les vociférations et les clameurs

sont telles, sur la piste comme surles gradins, elles atteignent li l'issuede la course, lorsque les rescapésparviennent enfin à s'emparer de leursproies pantelantes, un paroxysme telque l'on pourrait presque croire à uneémeute.

(A suivre.)

Page 27: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

Le théâtre retrouvé

Gilles Sandier

texte est réduit à rien. Tout,dans cette action dramatiqued'une violence et d'une véritépresque insoutenables, tout estdit par le corps, et le cri, et lechant, et le rythme, et l'afro-jazz d'Archie Shepp et GilbertMoses, et jusqu'aux lambeauxde negro-spirituals qui ne chan-tent plus le Rédempteur maisla révolutjon raciale. Retrouvantl'art noir dans son essence mê-me, avec son étonnant pouvoird'incantation, faisant coïnciderla révolte charnellement, viscé-ralement vécue, et la poésiethéâtrale dans sa beauté la plusintense, ce spectacle fascinecomme un rituel religieux.Dans un massif appareil de

bois, échafaud figurant la caleet le pont d'un bateau négrieret susceptible d'être installépartout sauf dans une salle àl'italienne, se déroule l'histoired'un continent déporté, avili,depuis l'entassement de cettemarchandise humaine, puis savente aux enchères, jusqu'àl'explosion révolutionnaire d'au-jourd'hui. Histoire de l'avilisse-ment d'une race, é.\'ocation deson ancienne dénoncia-tion du christianisn1e mystifica-teur et célébration de la mortde tous les libéralismes, leblanc et le noir. Ce spectaclea la beauté violence, inouïe,d'un cérémonial d'exorcisme.

Mais dans cette pièce qui est,en somme, une • action -tueIle, musicale et physique, le

des traditions populaires de jeuthéâtral dont notre art dramati-que de mondains s'est radicale-ment coupé; il faut des comé-diens capables à la fois de lafougue, de l'humour et de latendresse dont sont capablesles acteurs italiens; il faut unelangue susceptible de se décla-mer et de se chanter autrementque ne le fait la nôtre. Il fautenfin le support d'une civilisa-tion où, il existe encore Une viede cité, où des gens peuventencore se regarder, se parler,se sourire et exister les unspour les autres.

Aussi bien, quand vers la finde leur spectacle (Slave ship) ,les comédiens noirs du CelseaTheater C e n ter cherchaientdans le public leurs frères derace pour leur prendre lesmains, leur sourire, les embras-ser et les inviter à danser aveceux, en nous ignorant ostensi-blement, en nous nousautres Blancs et Parisiens, nousdonnant leur dédain en paie-ment de nos hécatombes, nouslaissant à notre peau et à nos.souvenirs collectifs de croisa-des esclavagistes et d'extermi-nations coloniales, aussi bienavait-on le sentiment - quin'était pas forcément délecta-tion masochiste - que c'étaitlà vengeance légitime, qu'ilsn'avaient rien d'autre à nousdonner que ce mépris.

Dans cet admirable et halluci-nant spectacle, qui se veut ra-ciste et qui est féroce en effet(encore le mot de • spectacle -est-il presque indécent,)' Le RoiJones, comme dans les piècesque nous avait fait connaîtreBourseiller (Métro fantôme no-tamment) continue son œuvrede dramaturge révolutionnairenoir, militant du Black Powerdont on hisse, à la fin, le dra-peau. Il ne veut voir dans lethéâtre qu'une arme, l'instru-ment d'un réquisitoire implaca- ttble contre la race des maîtres, .le véhicule - comme dans lesNègres - d'une haine superbeet inexorable, et le moyen d'or-chestrer l'appel à la révolutionnoire.

sage amusé des bandes dessi-nées, l'opéra et l'opéra-bouffe,et les marionnettes siciliennes,et les machines de Léonard oude Vigarini, et les fresques dePinturicchio, sans compter unecertaine référence à l'analysestructuraliste des textes, et uncertain mode de distanciationdans le récit, et enfin, curieuse-ment alliés, le principe médié-val de la simultanéité des ac-tions scéniques et les recher-ches récentes sur l'espace théâ-tral conçu comme lieu de com-munication - ou d'affronte-ment - entre spectateurs etacteurs.

Ici, cet espace n'est plusqu'un: lieu commun, vivant ettumultueux, d'acteurs emportésdans le mouvement furieux etéclaté d'un dynamique scénique,et de spectateurs bousculés, ré-veillés, redevenus hommes par-mi d'autres hommes, et actifsde nouveau, contraints de sedéplacer sans cesse pour choi-sir dans la multiplicité des ac-tions qui se jouent au milieud'eux, et aux quatre coins del'aire commune: un duel ou unescène d'amour, la folie de Ro-land ou des bricolages libertins,cependant que l'hippogriffe dumagicien vole au-dessus de leurtête, que l'ourse marine - fan-tastique carcasse de.dinosaure- s'avance parmi eux, ou qu'unlabyrinthe à claire-voie les en-ferme peu à peu dans les méan-dres où ils se retrouvent tous,acteurs et spectateurs, prison-niers et complices. Rarement lebonheur de jouer et de regarderjouer ont été· unis dans une simagnifique connivence.Il est vain de se lamenter.

Mais le spectacle que nous aproposé Luca Ronconi sur uneadaptation du très savant poèteEduardo Sanguineti, ce specta-cle qui nous paraît offrir de tel-les possibilités à l'élaborationd'une écriture dramatique nou-velle et authentiquement popu-laire - celle que, peut-être,cherche en vain Gatti par exem-ple -, ce spectacle n'est guèreconcevable en France. Il fautd'abord, pour qu'il existe, qu'ilpuisse s'ancrer dans un fondspopulaire, mythologique, que no-tre culture aristocratique et sa-lonnière ne fournit pas, il faut

Théâtre de fête, de foire, decarrousel, de place publique,nous rendant soudain, dansl'émerveillement, une sor t ed'enfance. Théâtre de provoca-tion raciste à la violence révo-lutionnaire - la révolution noi-re. Voilà en tout cas, sem-blant se repousser l'un l'autre,deux spectacles étonnants -Roland furieux et Slave Ship -qui tous deux nous proposentun nouvel usage, à la fois trèsancien et très moderne, du théâ-tre; deux spectacles qui tousdeux rendent un sens au voca-ble exténué de • théâtre popu-laire -, deux spectacles en facede quoi le reste de la chosethéâtrale paraît soudain artifice,trompe-l'œil, cabotinage, exhibi-.tionnisme ou vulgaire ou savant.Quand les chariots du Roland

furieux foncent au milieu de lafoule du public en faisant vire-volter à hauteur de nos têtesces acteurs gesticulant, accou-trés d'oripeaux et peinturluréscomme des figures de charret-tes siciliennes, ces chevaux demétal pour manège onirique,ces paladins et amoureusesd'opéra-comique, ces lancespour Don Quichotte, ces épéesde Matamore, et ce Charlema-gne en ruines, et ces corps deguerriers nus et beaux, et con-vulsés, quand ces petits véhi-cules scéniques s'assemblent etse désassemblent comme lesgrosses lettres d'un alphabetd'école pour composer et dé-composer, démonter et remon-ter le poème de l'Arioste enimages à la fois ironiques etnaïves, l'enchantement est tel- celui de l'esprit et des yeux-, qu'on ne sait plus si c'estl'enfant amoureux d'images, defables et de songes, qui estcomblé en nous, ou le maniaquede théâtre soudain mis en pré-sence d'une somme de culturethéâtrale, populaire et savante,où se retrouvent unis le dérou-lement cinématographique, l'u-

'1 Le Roi JonesSlave ShipRencontres Internationales 70

. Cité Universitaire

1Roland furieux·d'après l'Ariostepar le théâtre libre de RomeTh. des Nations

La Qyinzaine littéraire, du 1er au 15 juin 1970 27

Page 28: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

ROMANSFRANÇAIS

AlexisLe livre premierde MathildeL'Or du Temps202 p., 31 F.Un roman d'unlibertinage raffiné.

Christine ArnothyChiche 1Flammarion, 256 p., 18 F.Un livre qui tient duroman d'anticipationet du contephilosophique.

Georges BordonoveLe chevalier duLancIrMuLaffont, 352 p., 20 F.Le roman d'un hommequi, ayant vécude 1787 à 1832,a connu la Révolution,le Consulat, l'Empireet la Restauration.

Daniel BoulangerMémoire de la VilleGallimard, 232 p., 19 F.Un nouvel recueil devingt nouvelles, parl'auteur de • LaNacelle. (voir lesnO' 2, 34 et 71 dela Quinzaine).

Victor GardonL'apocalyp..écarlateCouverture de CarzouCalmann-Lévy, 384 p.,24 F.A la fols une épopée,un poème et unreportage qui retracentla tragédiearménienne de 1894à 1915.

Jean Olivier HéronLa maison brilleLaffont, 208 p., 15 F.Un roman trèsreprésentatif desobsessions, nostalgieset désillusions de lajeunesse, deux ansaprès mal 68.

Yves HeurtéLa ruche en feuGallimard, 216 p.,15,75 F.Un roman de guerrequi a pour toile d'efond la bataille deNormandie, après ledébarquementaméricain.

Jacques IsornlUn dlpl6me en Bavl.eFlammarion, 160 p.,12 F.Un récit traité à lamanière des conteurslibertins duXVIII' siècle.

Michel MassianLa ..ntonlmeJulliard, 256 p.,17,10 F.Un jeune sociologueparisien enquêtant àSaintes, découvre uneréalité secrètequi échappe auxstatistiques.

Eric OllivierL'escalier deS

heures glluantesLaffont, 240 p., 16 F.Un roman-reportagesur la vie souterrai ned'une Rome paienneet très réelle.

Maurice PonsChtolCh. Bourgols,128 p., 15,40 F.Voir le n° 38 dela Quinzaine.

Suzanne ProuLa ville .ur la merCalmann-Lévy,232 p., 18 F.Une satire sociale etpolitique qui révèleun aspect Inattendudu talent de l'auteur(voir les n" 16, 36et 59 de la Quinzaine).

Jean-Philippe SimonneLes 101. de l'ét6Flammarion, 224 p.,20 F.Quinze histoiresd'amour ironiques,tendres et résolumentantlconformlstlts.

Jean SuquetLe acorplonet la roseCh. Bourgols,224 p., 15,40 F.Un premier romanqui se présentecomme un hymne àla vie d'une Imaginationet d'une fantaisiedébridées.François ValorbeVoulez·vou. vivreen EPS 1Ch. Bourgol.,272 p., 20,40 F.Un romand'anticipation etd'humour noir quinous décrit, avec laminutie d'un reportage,la vie dans un EtatImaginaire.XavièreF.S.Ch. Bourgols,160 p., 20,40 F.Un roman érotiqueoù il est questiond'extrême plaisir etd'extrême douleur, desexe et de mort.

ROMANSETRANGERS

Peter BlchselLes ..IsonsTrad. de l'allemandpar Mathilde CamblGallimard, 168 p.,12,75 F.Par l'auteur du• laitier.(voir les n" 27 et 90de la Qulnzafne).

William BurroughsNova expressCh. Bourgols,224 p., 18,40 F.Par l'auteur du• Festin nu. et de• La machine molle •(voir les n" 40 et 45de la Quinzaine).

Alfred Dôblln"rllnAlexanclerplatzTrad. de l'allemandpar Zoya MotchanePréface de P. Mac OrlanGallimard, 456 p., 30 F.

Une nouvelle forme d'équipement culturelLE COLLÈGE GUILLAUME BUDÉ DE YERRES

a 1 CES 1200 élèves : enseignement généralb / CES·1 200 élèves : enseignement

scientifique et spécialiséc / CES i 200 élèves : enseignement pratiqued 1 Restaurant libre-service. salles

de réunion, centre médico-scolairee 1 Logemeilts .de fonètionf 1 Salle de sports avec gradins (1000 places)

.""-:-,",',, et salles spécialisées',11 .. g / Piscine·r.. ...'" ',..01.' h 1 1nstallations sportives de plein air,p i 1 Formation.. 11 et promotion sociale

!'.; j / Bibliothèque, discothèquek / Centre' d'action sociale,

garderie d'enfants; conseils sociaux,accueil des anciens

1 / Maison des jeunesm 1 Centre d'action culturelle:

t, théâtre, galerie d'exposition, musêe," .Jii ce,ftre (j'enseignement artistique

"IIIIIIi n / Foyer des Jeunes Travailleurs51

LE COLLËGE DE YERRES INTËGRE, EN UN MËME ENSEMBLE ARCHITECTURAL. LES DIVERS ËOUIPEMENTSSPORTIFS, SOCIAUX ET DE LA COMMUNE.

L'ENSEMBLE DE CES ËOUIPEMENTS EST AU SERVICE DE L'ENSEMBLEDE LA POPULATIQN, LEUR UTILISATION,TOUT AU LONG DE LA JOURNËE, DE LA SEMAINE ET DE L'ANNËE, PAR LES JEUNES COMME PAR LES ADULTES.ASSURE LEUR PLEIN EMPLOI.

28

réalisation .g.P L'Abbàye, Verres -·91. Essonne-925.39.80

Page 29: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

Livres publiés du 5 au 20 maiRéédition d'un romanqui a pour toilede fond le Berlin desannées vingt.

Margaret DrabbleLa cascadeTrad. de l'anglaisBuchet-Chastel,256 p., 21 F.Un roman trèsreprésentatif de lasensibilité des jeunesgénérations anglaisesactuelles.

WIlliam FalknerLa rose blanchede MemphisTrad. de l'américainJulliard, 576 p.25,60 F.Un roman sudistequi a pour auteurle propre arrière·grand-père deW. Faulkner.

Etienne LerouxSept Jours chezles SlIberstelnTrad. de l'américainpar J. RémilletColl.• Pavillons»laffont, 288 p., 20 F.Un livre d'une grandeoriginalité qui a lecharme du • GrandMeaulnes»et l'extravagancecalculée d'un filmde FellinI.

.Salvador de MadariagaMol-mêmeet mol-l'autreCh. Bourgols,240 p., 18,40 F.L'aventure déchiranted'un homme auxprises avec la folle.

.P.M. PaslnettlLe Pont del'AccademJaTrad. de l'Italienpar Nlno FrankCalmann-Lévy,336 p., 24 F.Une chroniqueromanesque quis'étend sur troisgénérations - 1925,1945, 1965 - oùl'auteur manie avecune grande maîtriseles techniquesjoyclennes.

POESIE

Jean ArablaEtoiles et bolidesAvis de Jean PaulhanEditions Dutilleul,Bruxelles, 320 p.

.les Cinq RouleauxTraduit de l'hébreupar H. Meschonnlc

Gallimard, 240 p., 19 F.Cinq textes de laBible, destinés parla tradition juive àdes fêtes religieuses,réunis dans uneprésentation originalepar ce grandspécialiste de lalinguistique et de lapoétique.

.Jacques RédaRécitatifGallimard, 80 p., 12 F.

REEDITIONSCLASSIQUES

L.V. BeethovenCarnets IntimesBuchet-Chastel117 p., 9 F.

Hector BerliozL.V. BeethovenBuchet-Chastel181 p., 15 F.

Michael ChrlchtonLa variété AndromèdeTrad. de l'anglaispar Gerai MessadiéLaffont. 336 p., 20 F.Un roman de science-fiction que certains .rapports récentspubliés par la NASArendent étrangementactuel.

Hans Heinz EwersMandragoreColl.• Dansl'Epouvante»Ch. Bourgois,416 p.• 25,50 F.Un des représentantsles plus remarquablesdu roman fantastiquemoderne.

Karl JaspersStrindberg et Van GoghSwedenborg - H61derllnEtude psychiatriquecomparativeTrad. de J'allemandpar H. NaefPréface de M. BlanchotEd. de Minuit,244 p., 20 F.

Jean RoussetLa littérature del'I9-e baroqueCircé et le paonFrontisclpe et 16 p.d'illustrationsJosé Cortl,336 p., 36 F.Un classiquede la critiquelittéraire.

Sainte Thérèsed'AvilaCorrespondanceDesclée de Brouwer,905 p., 42,30 F.

Sainte Thérèsed'Avila .Œuvres complètesDesclée de Brouwer,904 p.• 48,30 F.Léon TrotskyLéninesuivi d'un texted'André Bretonprésenté parMarguerite BonnetP.U.F., 280 p., 15 F.

BIOGRAPHIESMEMOIRES

Dictionnairebiographique duCanadaTome 1: de l'an 1000à 1700Tome Il : de 1701à 1740Presses del'UniversitéLaval éd., Canada774 et 792 p.,105 F le vol.Un important ouvragede référence quifourn.it lesbiographies de tousles personnagesayant joué un rôlede quelque Importanceau Canada.Claude MicheletUne fols sept. Julliard, 320 p.,20,90 F.la seconde guerremondiale vue parles yeux d'un enfant.SimoneMon nouveautestamentGallimard, 104 p., 10 F.les souvenirs deMadame Simone.Jean-Jacques ThierryJournal sans titreJulliard, 224 p.,17,10 F.Un journal apocryphede Pie XII pourcomposer lequell'auteur a utilisé lesdiscours et les lettresde ce Pape.

.Claude VigéeLa lune d'hiverFlammarion,424 p., 35 F.A la fols œuvre deméditation et recueilde souvenirs,l'itinéraire d'unécrivain, de la Franceoccupée auxEtats-Unis et, enfin,en Israël.

CRITIQUEHISTOIRELITTERAIRE

Pierre BoutangWilliam Blake

l'Herne, 296 p.,35,50 F.Sur les traces d'unpoète qui, pourreprendre l'expressionde l'auteur, • s'estavancé aussi loinque le langagepeut aller-.

Maïté DabadieLettre à ma niècesur Edmond Ros1andlettre-préface deJean RostandEd. Privat, 116 p., 15 F.le rayonnement del'auteur de • Cyrano -et de • L'Aiglon -.

René GuénonL'homme et sonmessageOuvrage collectifPlanète, 148 p., 7,50 F.L'Itinéraire spiritueld'un esprit éperdude transcendanceet d'universalité.

Henri GiraudLa morale d'AlainEd. Privat, 288 p.• 30 F.L'éthique d'Alain:une étude de l'hommeet de l'œuvre.

eAlain HurautAragon, prisonnierpolitiqueBalland, 276 p.,19,50 F.Une étude fort sévèrequi, à travers lepersonnage et l'œuvre,met en cause laproblématique mêmedu parti communistefrançais.

M. IssacharoffJ.K. HuysmansDevant la critiqueen FranceKllncksleck, 207 p.,32 F.Un essai de sociologielittéraire, appuyé surune documentationrigoureuse, qui rendcompte durayonnement deHuysmans en Franceet à l'étranger.

.Colette Janlaud LustNlkas Kazantsald, savie, son œuvreMaspero, 600 p.,54,35 F.Une étude biographiqueet critique trèscomplète sur l'auteurde • Zorba - et du• Christ recruclfié-.

.Mlchel JeanneretTradition et poésiebiblique auXVI" siècleRecherches stylistiquessur les paraphrasesdes Psaumes de

Marot à MalherbeJosé Cortl, 576 p., 65 F.Une étude de lapoétique françaisedu siècle de laRenaissance, appuyéesur l'analyse del'incidence desphénomèneshistoriques et culturelssur l'écrivain.

Michel MansuyEtudes surl'Imagination de la vieJosé Cortl, 224 p., 25 F.Un recueil d'essaiscritiques' où l'auteurs'est efforcé d'appliquerla philosophie deBachelard à l'analysede l'inspiration etde la réalisationd'une œuvre littéraireoriginale.

SOCIOLOGIE

ETHNOLOGIE

.Plerre. AnsardNaissance del'anarchismeP.U.F., 264 p., 30 F.Esquisse d'uneexplicationsociologique duproudhonlsme.

Jean-ClaudeArfouillouxJean HiemauxCyrille KoupernlkStanislas TomklewiczTraité de psychologiede l'enfant • Tome IlLe développementbiologique.P.U.F., 320 p., 30 F.

.Jean ChAteauMaurlçe DebessePaul-A. OsterriethTraité de psychologiede l'enfant .; Tome 1:Histoire et gén.éralltésSous la direction de -H. Gratiot-Alphandéryet de R. ZazzoP.U.F., 208 p., 20 F.Un traité dont lapaternité revient àHenri Wallon qui, peuavant sa mort, enavait dessiné lesgrandes lignes.

André CoutlnDemain les parricidesLa trahison des pèresBalland, 180 p., 15 F.Les causes profondesd'une crise de lacivilisation quel'auteur attribue à• la démission despères -.

Bernard DurouAndré Rlmallho

Les Vagu8Ùx IÏdans la sociétéIndustrielleEd. Privat, 240 p.,19,50 F.Vagabonds, clochards,beatniks et hippies:les phénomènesd'errance dans lessociétés Industrielles.

Claude Get:tsPsychanalyse etmorale sexuelleEditionsUniversitaires, 144 p.,9,70 F.Une étude appuyéesur une lectureattentive de l'œuvrefreudienne et,notamment, deTotem et tabou.

Jacques GutwlrthVie Juivetraditionnelle .Ethnologie d'unecommunautéhassidique6 plans et 41 tableauxln texte, 24 i11.hors texte,un glossaire ylddlcheet hébraïque, un IndexEd. de Minuit,496 p.. 30 F.Une approchesystématique duhassidisme tél qu'IIest vécu dahs unecommunauté forméeil Anvers apt&s 1945.

La mémoireOuvrage collectifP.U.F., 304 p., 40 F.Comptes rendus dusymposium del'Association dePsychologiescientifique deLangue française(Genève, 1968).

.Paul LazarsfeldPhilosophie d..sciences socialesTrad. de "anglaispar une équipeplacée sous la directionde Raymond BoudonIntroduction deR. BoudonGallimard, 512 p.• 42 F.La réflexion deLazarsfeld sur lelangage d's sciencessociales.

A: MaederDe la psychanalyseà la psychothérapieappellativePltyot, 224 p., 21,80 F.Par un représentantde J'école de Zurich,une étude consacréeà l'expérience despsychothérapies decourte durée.

Michel PanoffLa terre et

La Qyinzaine littéraire, du 1er <lU 15 juin 1970 29

Page 30: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

Livres publiés du S a-u 20 mai

.. Henry de MontherlantLe treizième CésarGallimard, 200 p.,14,75 F.Urfe étude sur lesconstantes de l'âmeromaine qui éclaireun aspect essentielde l'inspiration deMontherlant.

- l'organisation socialeen PolynésiePayot, 288 p., 29,70 F.Une enquête sur leterrain, par un jeuneethnologue, élèvede Claude Lévi-Strauss.

• Géza RoheimHéros phalliqueset symboles maternelsdans la mythologieaustralienneEssai d'interprétationpsychanalytique d'uneculture archaïqueTrad. de l'anglaispar Roger DadounB i11. hors texteGallimard, 336 p.,33,75 F.Publiée pour lapremière fois en 1945,la première grandeenquête ethnographiquesur le terraineffectuée par unpsychanalyste.

ESSAIS

• Gaston BachelardEtudesPrésentation deG. CanguilhemVrin, 100 p.Un ensemble d'essaiscomposés entre 1931et 1934.

.. E. HemingwayEn lignePrésentation parWilliam WhiteCommentaire dePhilip YoungTrad. de l'anglaispar J.-R. Major etG. MagnaneGallimard, 544 p., 35 F.La majeure partiedes reportages etarticles de journauxécrits par Hemingwayentre 1917 et la finde sa vie.

C. Holsteln-BrunswlcLe droit et l'amourFlammarion, .240 p.,18 F.Une, démystificationde 1" science juridiqueà ttavers l'analysed'UR problèmeexemplaire, celuides relations entrel'homme et la femme.

• Henri MeschonnicPour la poétiqueGallimard, 184 p.,13,75 F.Un essai sur lafonction poétique oùl'auteur s'efforce derépondre à la questionde Jakobson: qu'est-cequi fait d'unmessage veroal uneœuvre d'art?

30

Henri-François ReyAlleluyah ma vieou l'apprentissaged'un baroqueLaffont, 288 p., 20 F.Par l'auteur des• Pianos mécaniques -,une méditation surl'homme, sur sespouvoirs et sur sondevenir.

HISTOIRE

Jacques Debu-BridelLa résistanceIntellectuelleJulliard, 256 p., 14,30 F.Le témoignage d'unrésistant de lapremière heure.

Abba EbanMon peuple(Histoire des Juifs)70 illustrationsBuchet-Chastel,525 p., 34 F.Par le ministre desAffaires étrangèresd'Israël, une histoiredes Juifs, d'Abrahamà notre époque.

"ienri GuilleminJeanne dite"Jeanne d'Arc.Gallimard, 256 p., 20 F.Une tentative dedécryptage del'énigme Jeanne d'Arc.

Michel MeslinLe christianismedans l'empire romainP.U.F., 200 p., 10 F.L'affrontement dedeux culturestotalement opposéeset leur fusionfinale en un nouvelhumanisme.

Léonce Pei liardHistoire généralede la guerresous-marine(1939-1945)16 p. de hors-texte1 carteLaffont, 368 p., 29 F.Un tableau d'ensemblede la guerresous-marine étayésur une documentationexceptionnelle.

Georges RouxNapoléon et le

guêpier espagnolFlammarion, 256 p.,20 F.Une étude approfondiede la guerre d'Espagnequi, de 1808 à 1814,usa l'Empire etdétermina sa chute.

POLITIQUEECONOMIE

Charles BettelheimCalcul économique'et formes de propriétéMaspero, 144 p.,11,80 F.Un ouvrage qui tentede répondre auxquestions posées parl'écart entre lespropositions théoriquesde Marx et Engelset la réalité des• pays socialistes-.

louis FortranGérard KleinL'épargne desménagesP.U.F., 224 p., 12 F.Le bilan d'une sériede recherches trèsapprofondies surcette épargne quireprésente la moitiéde l'épargne nationale.

Daniel GuérinFront populaire,révolution manquéeMaspero, 320 p.,18,10 F.Réédition revue etcomplétée.

LénineZinonievContre le courantMaspero, 280 p., 15 F.Réédition en fac-simllé d'un ensemblede textes devenusintrouvables.

Les clés du marchéeuropéenOuvrage collectifen édition françaiseet anglaiseHavas-Conseil éd.,340 p., 225 F. :Réunies à l'intentiondes milieux d'affairespar le serviced'. Etudes etRecherches - de Havas-Conseil, les donnéeséconomiquesessentielles dumarché européen.

André NatafLe marxisme etson ombre ouRosa LuxemburgBalland, 208 p.,19,50 F.Une réflexion sur la• face cachée - dumarxisme, à travers

le personnage de. Rosa Luxemburg.

David RicardoPrincipes del'économie politiqueet de l'ImpôtPréface de Ch. SchmidtColl. • Perspectivesde l'économie-Calmann-Lévy, 400 p.,15 F.Dans la série• Fondateurs de

-, un grandclassique qui recouvreaujourd'hui uneétonnante actualité.

Amaury de RiencourtL'AmériqueImpérialeTrad. de l'anglaispar M. PazGallimard, 320 p., 27 F.Par un journalistepolitique, une étudesans complaisancesde l'impérlumaméricain sur plusde la moitiédu monde.

Ph. de Saint RobertPrincipes pour unelégitimité populaireL'Herne, 224 p., 24 F.La France au bord ducataclysme: uneanalyse impitoyablede la situationactuelle.

Ph. de Saint RobertLe jeu de la Franceen MéditerranéeJulliard, 304 p., 20,90 F.Par un jeune gaulliste,une fougueusejustification des thèsesofficielles sur leconflit duMoyen..()rlent.

Paul M. SweezyCharles BettelheimLettres sur quelquesproblèmes actuels dusocialismeMaspero, 72 p., 4,80 F.Une correspondanceentre le directeur dela • Monthly Review-et le directeur d'Etudesà l'E.P.H.E. dont lethème central est latransition versréconomie socialisteà travers un certainnombre de cas précis.

DOCUMENTS

Philippe AlfonsiPatrick PesnotSatan qui vous aimebeaucoup40 p. hors texteLaffont, 520 p., 28 F.Dans la collection.. Vécù -, une enquête

bouleversante surla drogue à traversle témoignage dedeux jeunes filles.

Lewis ChesterGodfrey HodgsonBruce PageUn mélodrameaméricainTrad. de l'anglaispar O. Todd et H. NizanGallimard, 544 p., 39 F.Un document.exceptionnel dû à uneéquipe de reportersbritanniques chargéepar le • SundayTimes - de • couvrir -l'élection présidentiellede 1968.

THEATRE

• Yukio MishimaCinq Nôs modernesGallimard, 176 p.,12,75 F.Trad. du japonaispar Geori)esBonmarchandModernisées par legrand romancierjaponais (voir lesl'lM 2 et 53 de laOuinzaine), cinqpièces japonaises desXIV", XV-et XVI" siècles.

André RoussinOn ne sait Jamals••_. Calmann-Lévy,160 p., 9 F.Dans le cadre del'édition du Théâtrecompletd'André Roussin.

Théâtre 1970Tome 1Ouvrage collectifsous la directiond'ArrabalCh. Bourgois208 p., 20,40 F.Réflexion autour dequelques thèmesessentiels del'activité théâtraleactuelle.

ARTSURBANISME

Pierre LandyNous partonspour le Japon32 pl. hors-texte40 cartes et plansP.U.F., 296 p., 40 F.Une pérégrination àtravers l'espace,mais aussi à traversle temps.

Le nouveau dictionnairecie la sculpture

moderneVilo, 328 p"., 75 F•Réédition rewe etaugmentée de- cetouvrage très completauquel ont collaboréune trentaine despécialistesinternationaux..

les néo-ImpressionnistesOuvrage publiésous la direction deJean Sutter24 pl. en couleurs116 III. en noirBibliothèque des Arts,124 F.Un ensemble d'étudessomptueusementillustrées par cegroupe fondé àlors des deuxpremières expositionsdes Indépendants.en 1884, autour deSeurat, Pisarroet Signac.

Tout l'œuvrepeint de WatteauPrésentation parPierre RosenbergDocumentation parEttore CamesascaFlammarion, 21.20 FCollection • LesClassiques de l'Art-.

HUMOURSPORTSDIVERS

Jean-Danlel Fabre"Ne touchez pasà FabreL'Herne, 58 p., 9 F.Collection • Les livresnoirs -.

Michel FermaudCinq à secCalmann-Lévy,240 p., 15 F.Dans la collection• Labiche -, le récitsavoureux d'unecroisière fortInattendue. . ,:

Jean GalletLa chiropractieHachette, 40 p., 22 F.Une techniquethérapeutique peuconnue du publicfrançais.

Henri GaultChristian MillauLe guide gounnandde la FranceColl. • Bibliothèquedes Guides bleus-8 frontiscipes, 18cartes dont 3 hors-teXteen couleurs .Hachette, 1120 p.,59,50 F

Page 31: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

Bilan de mai

ESSAIS

LITTERATURE

24ttt32

311

Go!"CIl.G=o..1-0"zi

24

1

35

,Gallimard

La Table Ronde

La maison de papier (Grasset)Des Français (Flammarion)Les bienheureux de 1. désolation(le Seuil)L'Iris de Suze (Gallimard)Voyages avec ma tante (laffont)Fleur d'agonie (Grasset)Chien blanc (Gallimard)Lettres de prison (Le Seuil)L'éléphant blanc (Flammarion)Tous les chiens, tous les chats(Flammarion)

Les buts de guerre de l'Allemagne TréviseImpériale

Toute la vérité GrassetMémolr.s Inutiles RencontreTraité des catégories et de la slgnlft. Gallimardcation

Le triangle noir: Laclos, Goya, Saint- GallimardJust

QUINZAINERECOMMANDE

1 Françoise Mallet-Jorris2 Roger Peyrefitte3 Hervé Bazin

4 Jean Giono5 Graham Greene6 Christine de Rlvoyre7 Romain Gary8 Gabrielle Russler9 Henri Troyat10 Konrad Lorenz

LES LIBRAIRES ONT VENDU

•)

LAVOUS

Liste établie d'après les renseignements donnés par les libraires suivants:Biarritz, Barberrouse. - Brest, la Cité. - Dijon, l'Université. - Issoudun,Cherrier. - Lille, le Furet du Nord. - Lyon, la Proue. - Montpellier,Sauramps. - Nice, Rudln. - Orléans, Jeanne d'Arc. - Paris, les Allseens,Aude, du Bols, Fontaine, Gallimard, la Hune, Jullen-Cornlc, Mangault, Pré-sence du Temps, Variété, Weil. - Poitiers, l'Université. - Rennes, lesNourritures terrestres. - Royan, Magellan. - Strasbourg, les Facultés, lesIdées et les Arts. - Toulon, Bonnaud. - Vichy, Royale.

Anne Akhmatova Le poème s.ns héros SeghersJ.-Plerre Amette Un voyage en province Mere. de Fr.Jacques Borel Le retour GallimardFritz Rudolf Frles la route d'Ooblladooh Denoël L.N.Hoffmansthal Andreas et autres récits GallimardLeonardo Sciascia Les Chroniques de Regalpetra Denoël L.N.

André Malraux

Roger GaraudyCarlo GozziMartin Heidegger

Fritz Fischer

Vincent AuriolFrançois Caradec

Mon septennat (1947-1954)Isidore Ducasse, comte de Lautré.mont

Maurice Dommanget les grands socialistes de l'éducation; Armand Colinde Platon il lénine

R. et M. CornevlnHistoire de l'Afriquedes origines à ladeuxième guerremondiale·Petite BibliothèquePayot.

André BretonPoint du JourGallimard-Idées.

Du c théâtre-document - sur('apartheid.

André BenedettoEmballagePierre-Jean Oswald,Théâtre en FrancePièce créée enmars 1970 à laMaison de la Culturedu Havre.

Emmanuel BerlMort de la penséebourgeoiselaffont-libertés.

Goran SonneviEt maintenant 1Trad. du suédois etprésenté parF.-N. SimoneauEdition blllnguePierre-Jean Oswaldla poésie des paysscandinaves.

Jacques DonvezMéthode 90:espagnollivre de Poche.

lorand GasparHistoire de laPalestinePetite CollectionMaspero.

Aimé GuejJacques Girault«Le Monde ••••humanisme,obJectivité, politiqueEditions Sociales-Notre TempsUne analyse duQuotidien c le Monde-et, notamment, dece que l'auteurappelle sonc apparenteobjectivité -.

Daniel GuérinHistoire du mouvementouvrier auxEtats-UnisPetite CollectionMaspero.

ESS ... IS

POESIE

EuripideTragédies'Tome 2livre de Poche.

Anne BarbeySüd-Afrlka AmenPlerre-Jean OswaldThéâtre en France

Benoite et FloraGroultLe féminin pluriellivre de Poche.

Christiane RochefortLes stances à Sophielivre de Poche.

Françoise SaganLa chamadelivre de Poche.

Georges SimenonLes fiançaillesde M. HireLa maison du canalLe fou de Bergeracla tête d'un hommeL'affaire Saint·FiacreL'ombre chinoiselivre de Poche.

TolstoïRécitslivre de PocheRelié.

G. de MaupassantYvettelivre de Poche.

Henry MillerLe colosse deMaroussllivre de Poche.

Jean-René Huguenir·la côte sauvagelivre de Poche.

Drieu la RochelleLa comédie deCharleroilivre de Poche.

Chrétien de TroyesRomans de la TebleRonde - Tome 1:Le cycle amoureuxlivre !Al Poche.

luisa-Maria linaresL'autr. femmelivre de Poche.

Alistair MacleanZebra, station polairelivre de Poche.

J.M.G. le ClézioLe procès-verballivre de Poche.

Ernst WiechertLa servante dupasseurlivre de Poche.

THE"'TR.E

TourguenievMémoiresd'un chasseurLivre de Poche.

BalzacLes employéslivre de Poche.

(prix de souscriptionjusqu'au 15 juillet:55 F)A la fols un Inventairehistorique etgéographique de lagastronomie enFrance et un guidepratique très complet.

Ahmed SefrloulRêver du Maroc170 III.Vllo, 124 p., 30,35 F.Illustrant parfaitementles objectifs de cettenouvelle collection,c Rêver de... -, unlivre qui réussit,avec beaucoup definesse, à nous rendreperceptible le charmede ce payslégendaire.

Jacques SinnIgerChasses sansfrontièresJulliard, 192 p., 19 F.Un récit d'aventuresde chasses doubléd'un recueil deconseils destinés auxamateurs de ce sport.

AkinariContes de pluieet de lunelivre de PocheRelié.

Marcel AyméLe moulin de 1.Sourdinelivre de Poche.

Robert Sinsollliezla pêche à pied despoissons de mer4 p. de hors-texteFlammarion, 192 p.,19,50 F.Collection c la Terre-.

Simone de BeauvoirUne mort très doucelivre de Poche.

Georges BlondL'épopée silencieuselivre de Poche.

André BretonAnthologie del'humour noirlivre de Poche.

Pearl BuckTerre coréennelivre de Poche.

Carlo Cassolalaragazzalivre de Poche.

POCHELITTER. ... TURE

La Qyinzaine littéraire, du 1er au 15 JUÎn 1970 31

Page 32: Quinzaine littéraire 96 juin 1970

1

.-\

Cet ao,um est offert gracieusement à tout IIClteteurJe trois J/olumes Je la hibliotltèlJue Je la pléitule

Cet Album contient une importante iconograP}Üe comprenant 52.5 documents parmi lesquels de nombreux inédits. TI rlSctveaux amateun comme aux la surprise a'exaltantes découvertes. Edité dans le format des volumes de la Pléiade (t 1x 18),lié en pleine peaù havane, l'ALBUM DU THÉATRE CLASSIQUE (352. pages), sc présente sous jaquette illustrée.

GALLIMARD