quinzaine littéraire 82

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e e Ulnzalne La 3F Exclusif: littéraire Numéro 82 Du r au 15 novembre 1969

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quinzaine littéraire, numéro 82, novembre 1969 (Beckett)

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Page 1: quinzaine littéraire 82

e eUlnzalneLa3F

Exclusif:

littéraire Numéro 82 Du r au 15 novembre 1969

Page 2: quinzaine littéraire 82

SOMMAIRE

a BECKETT INEDIT Sans par Samuel Beckett

" ROMANS PRANÇAIS Serge Doubrovsky La dispersion par Lionel Mirisch15 Dominique Fernandez Lettre à Dora par Maurice Nadeau8 Patrick Modiano La ronde de nuit par Jean.Marie Magnan

Henriette Jelinek La vie de famüle par Anne Fabre-Luce., Morel Le Mural par Jacques-Pierre Amettea Jean Giraudoux La mentewe

Or dans la nuitLes GracquesCarnet des Darnadelles

Jean Yvane Un cow-boy en exil par Marie·Claudede Brunhoff

tO INaDIT La marche sous l'eau par Henri Michaux

tl ENTRETIBN propos recueillis parSBCRET Pierre Bourgeade

t8 CBNTENAIRE André Gide a cent ans par Pierre HerbartLettre inédite par André Gide

Il LBTTRBS Max Horkheimer Kritische Theorie par Luc WeilielD'ALLBMAGNB Dialektik der Aufhlarung

Marché de l'Art par José Pierre14 à Cologne

15 MUSIQUE Avec Olivier Messiaen propos recueillispar Anne Capelle

18 POLITIQUE Pierre Avril Le gouvernement de par Philippe J. Bernardla France

18 PEUILLETON W par Georges Perec

la TRaATRE Aimé Césaire Une tempête par Gilles Sandier

Crédits photographiques

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La Quinzainelittéraire

François Erval, Maurice Nadeau.

Conseiller : Joseph Breitbach.

Comité de rédaction:Georges Balandier, Bernard Cazes,François Châtelet,Françoise Choay,Dominique Fernandez, Marc Ferro,Gilles Lajouge, Bernard Pingaud,Gilbert Walusinski.

Secrétariat de la rédaction :Anne Sarraute.

Courrier littéraire :Adelaide Blasquez.

Rédaction, administration :43, rue duTemple, Paris·4°.Téléphone: 887-48-58.

Publicité littéraire :22, rue de Grenelle, Paris-7e•Téléphone : 222-94-03.

Publicité générale : au journal.

Prix du n° au Canada : 75 cents.

Abonnèments :Un an : 58 F, vingt-trois numéros.Six mois : 34 F, douze numéros.Etranger:Un an : 70 F. Six mois : 40 F.Pour tout changement d'adresse :envoyer 3 timbres à 0,30 F.Règlement par mandat, chèquebancaire, cheque postal :C.C.P. Paris 15.551.53.

Directeur de la publicationFrançois Emanuel.

Imprimerie: Graphiques Gambon

Printed in France

p. 1p. 4p. 5p. 6p. 7p. 9p. 12p. 17p. 19p. 21p. 25p. 28

Cartier-Bresson/MagnumMercure de France, éd.Bernard Grasse, éd.Jacques Sassier.Brut Glinn/Magnum.Bernard Grasset, éd.Roger/Viollet.Droits réservés.Roger/Viollet.Yvonne Chevalier.Ingi.Claude Bricage.

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BECKETT

SansINEDIT

Il faut féliciter les Académiciens suédois d'avoir attribué lePrix Nobel de littérature à Samuel Beckett. Encore que l'un desplus grands écrivains de cette époque eût pu se passer de cettedistinction, la nouvelle aura réjoui les lecteurs de ce journalcomme elle nous a réjouis nous-mêmes. Personne d'entre nousn'oublie que Samuel Beckett a ouvert les colonnes du premiernuméro de ce journal. Et c'est à te la Quinzaine littéraire» queson éditeur, Jérôme Lindon, et lui-même, confient la publicationexclusive d'un texte qui ne sera en librairie que le 15 novembre.Nos lecteurs seront eux aussi touchés par cette marque d'amitiéet de confiance.

Ruines vrai refuge enfin vers lequel d'aussi loin par tant defaux. Lointains sans fin terre ciel confondus pas un bruit rien quibouge. Face grise deux bleu pâle petit corps battant seul debout.Eteint ouvert quatre pans à la renverse vrai refuge sans issue.

Ruines répandues confondues avec le sable gris cendre vrairefuge. Cube tout lumière blancheur rase faces sans trace aucunsouvenir. Jamais ne fut qu'air gris sans temps chimère lumièrequi passe. Gris cendre ciel reflet de la terre reflet du ciel. Jamaisne fut que cet inchangeant rêve l'heure qui passe.

Il maudira Dieu comme au temps béni face au ciel ouvert l'aversepassagère. Petit corps face grise traits fente et petits trous deuxbleu pâle. Faces sans trace blancheur rase œil calme enfin aucunsouvenir.

Chimère lumière ne fut jamais qu'air gris sans temps pas unbruit. Faces sans trace proches à toucher blancheur rase aucunsouvenir. Petit corps soudé gris cendre cœur battant face auxlointains. Pleuvra sur lui comme au temps béni du bleu la nuéepassagère. Cube vrai refuge enfin quatre pans sans bruit à larenverse.

Ciel gris sans nuage pas un bruit rien qui bouge terre sablegris cendre. Petit corps même gris que la terre le ciel les ruinesseul debout. Gris cendre à la ronde terre ciel confondus lointainssans fin.

Il bougera dans les sables ça bougera au ciel dans l'air lessables. Jamais qu'en rêve le beau rêve n'avoir qu'un temps à faire.Petit corps petit bloc cœur battant gris cendre seul debout. Terreciel confondus infini sans relief petit corps seul debout. Dans lessables sans prise encore un pas vers les lointains il le fera.Silence pas un souffle même gris partout terre ciel corps ruines.

Noir lent avec ruine vrai refuge quatre pans sans bruit à larenverse. Jambes un seul bloc bras collés aux flancs petit corpsface aux lointains. Jamais qu'en rêve évanoui ne passa l'heurelongue brève. Seul debout petit corps gris lisse rien qui dépassequelques trous. Un pas dans les ruines les sables sur le dosvers les lointains il le fera. Jamais que rêve jours et nuits faitsde rêves d'autres nuits jours meilleurs. Il revivra le temps d'unpas il refera jour et nuit sur lui les lointains.

En quatre à la renverse vrai refuge sans issue ruines répandues.Petit corps petit bloc parties envahies cul un seul bloc raie griseenvahie. Vrai refuge enfin sans issue répandu quatre pans sansbruit à la renverse. Lointains sans fin terre ciel confondus rien

La Quinzaine littéraire, au 1- au 15 novembre 1969

Gravure d'Avigador Arikha

qui bouge pas un souffle. Faces blanches sans trace œil calmetête sa raison aucun souvenir. Ruines répandues gris cendre à laronde vrai refuge enfin sans issue.

Gris cendre petit corps seul debout cœur battant face aux loin-tains. Tout beau tout nouveau comme au temps béni régnera lemalheur. Terre sable même gris que l'air le ciel le corps lesruines sable fin gris cendre. Lumière refuge blancheur rase facessans trace aucun souvenir. Infini sans relief petit corps seuldebout même gris partout terre ciel corps ruines. Face au calmeblanc proche à toucher œil calme enfin aucun souvenir. Encoreun pas un seul tout seul dans les sables sans prise il le fera.

Eteint ouvert vrai refuge sans issue vers lequel d'aussi loin partant de faux. Jamais que silence tel qu'en imagination ces riresde folle ces cris. Tête par l'œil calme toute blancheur calmelumière aucun souvenir. Chimère l'aurore qui dissipe les chimèreset l'autre dite brune.

Il ira sur le dos face au ciel rouvert sur lui les ruines les sablesles lointains. Air gris sans temps terre ciel confondus même grisque les ruines lointains sans fin. Il refera jour et nuit sur lui leslointains l'air cœur rebattra. Vrai refuge enfin ruines répanduesmême gris que les sables.

Face à l'œil calme proche à toucher calme tout blancheur aucunsouvenir. Jamais qu'imaginé le bleu dit en poésie céleste qu'enimagination folle. Petit vide grande lumière cube tout blancheurfaces sans trace aucun souvenir. Ne fut jamais qu'air gris sanstemps rien qui bouge pas un souffle. Cœur battant seul deboutpetit corps face grise traits envahis deux bleu pâle"." LÜmièreblancheur proche à toucher tête par l'œil calme toute sa raisonaucun souvenir.

Petit corps même gris que la terre le ciel les ruines seul debout.Silence pas un souffle même gris partout terre ciel corps ruines.Eteint ouvert quatre pans à la renverse vrai refuge sans issue.

Gris cendre ciel reflet de la terre reflet du ciel. Air gris sanstemps terre ciel confondus même gris que les ruines lointainssans fin. Dans les sables sans prise encore un pas vers les loin-tains il le fera. Il refera jour et nuit sur lui les lointains l'air cœurrebattra.

Chimère lumière ne fut jamais qu'air gris sans temps pas unbruit. Lointains sans fin terre ciel confondus rien qui bouge pasun souffle. Pleuvra sur lui comme au temps béni du bleu la nuéepassagère. Ciel gris sans nuage pas un bruit rien qui bouge terresable gris cendre.

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Descentedans l'horreur

Petit vide grande lumière cube tout blancheur faces sans traceaucun souvenir. Infini sans relief petit corps seul debout mêmegris partout terre ciel corps ruines. Ruines répandues confonduesavec le sable gris cendre vrai refuge. Cube vrai refuge enfinquatre pans sans bruit à la renverse. Jamais ne fut que cet inchan-geant rêve l'heure qui passe. Jamais ne fut qu'air gris sans tempschimère lumière qui passe.

En quatre à la renverse vrai refuge sans issue ruines répandues.Il revivra le temps d'un pas il refera jour et nuit sur lui les loin-tains. Face au calme blanc proche à toucher œil calme enfinaucun souvenir. Face grise deux bleu pâle petit corps cœur battantseul debout. Il ira sur le dos face au ciel rouvert sur lui lesruines les sables les lointains. Terre sable même gris que l'airle ciel le corps les ruines sable fin gris cendre. Faces sans traceproches à toucher blancheur rase aucun souvenir.

Cœur battant seul debout petit corps face grise traits envahisdeux bleu pâle. Seul debout petit corps gris lisse rien qui dépassequelques trous. Jamais que .rêve jours et nuits faits de rêvesd'autres nuits jours meilleurs. Il bougera dans les sables çabougera au ciel dans l'air les sables. Un pas dans les ruines lessables sur le dos vers les lointains il le fera. Jamais que silencetel qu'en imagination ces rires de folle ces cris.

Vrai refuge enfin ruines répandues même gris que les sables.Ne fut jamais qu'air gris sans temps rien qui bouge pas unsouffle. Faces blanches sans trace œil calme tête sa raison aucunsouvenir. Jamais qu'en rêve évanoui ne passa l'heure longuebrève. Cube tout lumière blancheur rase faces sans trace aucunsouvenir.

Eteint ouvert vrai refuge sans issue vers lequel d'aussi loin·par tant de faux. Tête par l'œil calme toute blancheur calmelumière aucun souvenir. Tout beau tout nouveau comme au tempsbéni régnera le malheur. Gris cendre à la ronde terre ciel confon-dus lointains sans fin. Ruines répandues gris cendre à la rondevrai refuge enfin sans issue. Jamais qu'en rêve le beau rêven'avoir qu'un temps à faire. Petit corps face grise traits fente etpetits trous deux bleu pâle.

Ruines vrai refuge enfin vers lequel d'aussi loin par tant defaux. Jamais qu'imaginé le bleu dit en poésie céleste qu'en imagi-nation folle. Lumière blancheur proche à toucher tête par '('œilcalme toute sa raison aucun souvenir.

Noir lent avec ruine vrai refuge quatre pans sans bruit à la ren-verse. Terre ciel confondus infini sans relief petit corps seuldebout. Encore un pas un seul tout seul dans les sables sansprise il le fera. Gris cendre petit corps seul debout cœur battantface aux lointains. Lumière refuge blancheur rase faces sans traceaucun souvenir. Lointains sans fin terre ciel confondus pas unbruit rien qui bouge.

Jambes un seul bloc bras collés aux flancs petit corps face auxlointains. Vrai refuge enfin sans issue répandu quatre pans sansbruit à la renverse. Faces sans trace blancheur rase œil calmeenfin aucun souvenir. Il maudira Dieu comme au temps béni faceau ciel ouvert l'averse· passagère. Face à l'œil calme proche àtoucher calme tout bl ncheur aucun souvenir.

Petit corps petit bloc cœur battant gris cendre seul debout.Petit corps soudé gris cendre cœur battant face aux lointains.Petit corps petit bloc parties envahies cul un seul bloc raie griseenvahie. Chimère l'aurore qui dissipe les chimères et l'autredite brune.copyright Minuit éd. 19694

Serge Doubrovsky

1Serge DoubrovskyLa dispersionMercure de France éd. 333 p.

Violence. La violence commed'un vol, une femme qui se déro-be. La violence comme d'un viol,l'étoile jaune qu'on enfonce dansla poitrine du petit enfant juif.A tout propos les blessures sai-gnent, l'horreur tournoie. Pour selibérer, se sauver, une autre vio-lence : celle des mots.Ainsi se présente la Dispersion.

Serge Doubrovsky; auteur d'ou-vrages critiques remarqués (Cor-neille et la Dialectique du Héros,Pourquoi la Nouvelle Critique,les Chemins actuels de la Criti-que), nous jette au visage, à l'âme,ce roman flamboyant et libéra-toire. Il imagine (ou il confie) unévénement presque anodin: ledépart d'une femme, perdue àpeine rencontrée, trois semainesde joie, de miracles, puis l'échec,moins qu'une rupture, une miseau point. Alors s'éveillent, d'abordfragmentaires, timides, rares, dessouvenirs. Comme des marquesapparaissant sur la peau bien desannées après les coups. Mais rienn'est cicatrisé. La peur même,l'impuissance, l'auteur suggère lalâcheté, qui furent celles d'unenfant, petit frère d'Anne Frank,vivant lui, pourtant depuis long-temps frappé à mort. La mort,qui a semblé épargner l'enfant,est au cœur (et dans le corps) del'homme qu'il est devenu.Sanglants et brûlants, et cui-

sants comme les traces indélébilesde l'infamie jadis subie, ces sou-

venirs se font maintenant nom-breux, obsédants, torturants, toni-truants. En même temps ils s'orga-nisent en un récit, parfois tron-qué mais impitoyable. Une des-cente dans l'horreur (la délation,les rafles, comme, plus loin dansle passé, pour la génération duPère: les pogroms; et tout aubout, les camps), une montée dela peur (d'abord les juifs autri-chiens, puis les tchèques, puis lesroumains, et puis, et puis...NOUS ?), le carnaval de la honteet de la fierté (l'étoile jaune), dela haine et de l'espoir-quand-même.Roman-déluge, et, lecteurs, nous

voguons dans l'arche, haletants,éperdus, débordés de toutes parts.Et soudain la pluie cesse, les flotss'apaisent, mais alors tout est dis-persé, il n 'y a que le fond sansfond du non-être, rien, plus rien,plus rien de rien, nous demeuronsfrappés brutalement, brusque-ment, à hurler, par ce silence.

Serge Doubrovsky est-il sauvé,lui, libéré par la magie de sa pro-pre incantation? Sur quel montArarat se retrouve-t-il, sain etsauf, infiniment réconcilié ? Vain-queur, en tout cas, dans son com-bat, vainqueur même du silence.car son chant, quelquefois obscur,quelquefois aussi trop élaboré(comme dans ces pages diviséesen deux colonnes, pourquoi?) ,sait forcer notre attention, nousemporter, nous soulever d'un sou-lèvement qui est amour en mêmetemps que révolte. La pureté decette voix tendue, tendre, estd'une snrprenante puissance.

Lionel Mirisch

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ROMANS

Un roman de l'inconscientFRANÇAIS

Septembre-Octobre 1969

Jacques Costine . Urmut. Allain MifJ1lei--- Georges Kassai : Quelle linguistique?---Georges Auclair Austin Caxton-----Jean Chesnaux : Les Indiens du Minnesota--- RogerBensky Marc Hanret.--- Dominique Nores

colle à son héros l'étiquette d'uneconduite sexuelle qui, pour êtredésormais fort répandue, ne passeplus pour aberrante. L'auteur ena paru surpris et cette surprise,qui nous fait honte de notre sim-plisme, révèle mieux que touteanalyse, le sérieux et la complexi-té d'un cas dont le côté pathéti-que finit par nous toucher.On dit de certains romanciers

qu'ils nous plongent c au cœurde la vie C'est au centre d'unevie autrement secrète et riche detoutes les éventualités que nousmène l'auteur de la Lettre àDora. Que cette vie, difficile àconnaître comme à montrer, dis-pose autour d'elle circonstanceset êtres avec lesquels elle formedes constellations toujours chan-geantes, c'est maintenant chosenon plus seulement devinée - enparticulier par les psychanalystes- mais pour le cas et le roman·cier qui nous occupent, discrète·ment et fermement assurée.

Maurice Nadeau

KrlttzaM. RocheHeissenbüttelJean Rhys

Les LettresNouvelles

Au lecteur de débrouiller les filset de formuler le mot de l'énigme,si mot il y a. Pour notre part, ilnous semblait que les indices se-més le long de la route par l'au-teur étaient suffisants pour qu'on

Comment expliquer sa condui-te? Ce n'est pas au romancierde le faire, mais au lecteur, àpartir des renseignements et desindices que lui fournit l'auteur.En conséquence, Dominique Fer-nandez s'applique moins à brouil-ler les cartes qu'à nous accompa-gner dans la traversée d'un laby-rinthe dont nous ne sommes nul-lement assurés qu'il connaît lasortie. On sent qu'il se pose lui-même des questions qui nepeuvent pas être si facilementrésolues et, en même temps quele spectacle d'un talent sans dé-faut, ce qu'il nous donne à voirc'est la profonde, l'essentiellehonnêteté du romancier à quil'investigation par l'écriture ré·serve nécessairement des décou·vertes. Ce qu'il a entrepris, c'estun voyage dans l'inconscient deson héros, avec toutes les surpri-ses, bonnes ou mauvaises, qui sontattachées à pareille aventure.

Dominique Fernandez

Pourquoi John déteste-t-il ceGiorgio Rittner, auquel il estd'autre part si vivement attaché?Pour quelles raisons le pousse·t-il dans les bras de Dora, la fem-me qu'il aime? Pourquoi veut-ilse laisser persuader, par Doraelle-même, que sa flamme setrompe d'adresse et qu'il brûle enfait, pour la sœur de Giorgio,alors qu'il n'en est rien? Lescouples se font et se défont sousnos yeux, mais ce n'est pas mari-vaudage: quelque chose d'essen-tiel est ici engagé entre des êtresqui, bien sûr, se connaissentmoins eux-mêmes que ne paraîtles connaître le romancier, cher·chant pourtant lui aussi sa route.

Bien qu'il ait déjà publié unroman, l'Ecorce des pierres. en1959, Dominique Fernandez estplus connu comme critique, re·porter d'un certain genre et es·sayiste. Sa t h è s e de doctorat,l'Echec de Pavese, est dans toutesles mémoires. Et si son terrain dechasse est l'Italie - qu'il nousmontre de façon Ili peu conven-tionnelle dans Mère Méditerra-née ou Evénements à Palerme -son gibier pourrait bien être untype de héros que caractérisent,du moins sur un certain plan, ungoût, naturellement pervers, del'échec, un profond désenchante-ment à l'égard de la vie. Outrequ'à ces hommes, il parait vulgai-re de vouloir gagner sur certainstableaux, ils ne se cachent pasqu'en tout état de cause le jeun'en vaut souvent pas la chan·delle.John Ardileight, jeune Irlan-

dais fils d'hôteliers, se rend enItalie en vue de parfaire ses con-naissances dans le métier qui lefera Iluccéder à ses parents, enmême temps qu'il entend pour-suivre un petit travail personnelsur Michel-Ange. On croirait en-treprendre la lecture d'un Bil-dungsroman du XVIII" siècle. Johndécouvre l'Italie, rencontre desjeunes gens de son âge, se lie avecGiorgo Rittner, étudiant en art,et est amené à rendre visite àune Dora Grapelli, fille d'aristo-crates ruinés, dans l'antique maisencore magnifique domaine sis àquelques lieues de la ville.Tout le monde s'attend, et

John lui-même, à ce que lecouple Dora.John convole àplus ou moins brève échéance, etrien ne serait plus naturel ene f f et si John n'éprouvaitune répugnance f 0 n c i ère àconclure et surtout à con·clure en triomphateur - quoique ce soit. Au tennis, il goûte unplaisir pervers à se laisser battrepar son ami Giorgio, et si, à Dora,il chante son amour avec beau-coup d'éloquence, il se garde dele lui prouver concrètement oumême de prendre un quelconqueengagement d'avenir. Il n'estd'ailleurs jamais si éloquent quequand il est loin d'elle, dans sonIrlande natale à l'occasion deNoël, d'où il lui écrit la lettre quidonne son titre au roman.

1Dominique FernandezLettre à DoraGrasset, éd. 340 p.

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Ténèbres maléfiques

•lD.aUValS coups

Dans la Place de l'Etoile, sonpremier roman, Patrick Mo-diano nous faisait vivre ledrame de la double apparte-nance et illustrait le tour-ment de ceux qui relèvent dedeux communautés, de deuxraces, de confessions distinc-tes. Dans les époqUes trou-blées, quand les campss'opposent et les sollicitenttour à tour, ne vont-ils pasêtre tentés de jouer sur lesdeux tableaux, de renier lapart d'eux-mêmes condamnéeau bénéfice de celle qui peutlui servir d'alibi et lui per-mettre de survivre en fraudeet sous le couvert?

1Patrick ModianoLa ronde de nuitGallimard éd. 175 p.

Le drame de Rafaël Schlemi-lovitch, demi-Juif, résidait danscette atroce vanité de savoir qu'ily a vingt-cinq ans, dans le Parisde l'occupation, l'un de ses sangsvouait l'autre au supplice et à la

1Henriette JelinekLa Vie de FamilleGallimard éd, 328 p.

Quelles étaient les intentions d'Hen·riette Jelinek en faisant de querelles defamille dialoguées toute la matière deson dernier roman ? Voulait-elle écrireune épopée de la colère et du sordidedans le monde campagnard contempo·rain? Dans cette longue vitupérationoù la brutalité du langage s'ajoute àla médiocrité des sujets de c scènes »,on ne reconnaît guère l'auteur du trèsbeau Portrait d'un Séducteur.

Dans ce livre qui date de 1965, ladureté féroce mais admirablement or·chestrée de l'histoire, le tragique quiperçait sous les paroles glacées de lanarratrice, avaient la puissance meur-trière et feutrée de ces c mauvaiscoups:» si bien décrits par Roger Vail·land (les Mauvais Coups), et plus tardpar Christiane Rochefort (le Repos duGuerrier). Rien de tel, malheureuse·ment, ne se retrouve dans la Vie deFamille où les combats à nu entre lesêtres semblent tourner à vide au coursd'assauts répétés de pure violence ver·baIe. Il semble qu'une certaine profon.deur romanesque soit absente de celivre. Aurait-elle disparu, submergéesous l'avalanche des scènes qui oppo·

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mort, alors que plus rien aujour-d'hui ne le8 opp08e, et au moin8en apparence, ne les empêche devivre en bonne harmonie. Saufcette mémoire plu8 vieille quelui, (né seulement en 1947), lafurieu8e reconstitution de l'imagi-naire et du 80uvenir, un comptere88a88é comme un défi, contrel'ab8urde, contre l'oubli.Lamballe ou Princes8e de Lam-

balle pour les membres du R.C.O.(Réseau de8 Chevaliers de l'Om-bre), premier embryon de8 futursgroupe8 de ré8i8tance, Swing Trou·badour, parmj la bande de mal-faiteur8 au 8ervice de l'occupant,le hér08 de la Ronde de Nuit e8tun agent double, un traître de pe-tite envergure. Moins tragique que

Schlemilovitch, que sonsang juif et aryen divisait contresoi, Lamballe ou Swing Trouba-dour, ballotté entre les héros etles gangsters mais surtout entredeux clans opposés - car il nerentre dans les raisons ni des unsni des autres - apparaît plutôtcomme un être sans appartenance,vivant en marge: un garçon pas-sif, sans vocation particulière,fluençable, un de ces innombra-

Lessent des c vieux» qui agonisent dansla colère à des c jeunes» qui s'épuisentsoit dans l'alcool, soit dans la moro·sité ?Les enjeux de ce vampirisme psycho.

logique sont de l'ordre des comméragesde campagne; on se dispute à proposd'argent ou des programmes de la télé·vision qui, par une étrange ironie,reproduit très fidèlement la médiocritéet l'infantilisme mental de ceux dontelle vient combler les soirées. On nedécolère pas, dans une atmosphère derancœur généralisée qui éclate en insul·tes grossières à la moindre occasion. Lelecteur sort de ce livre avec un sen·timent de vide, de bruit inutile et degratuité assez déplaisant, sentiment quele dénouement très manichéen ne faitrien pour modifier.L'auteur a d'ailleurs sans doute déli·

bérément choisi cette peinture dépour.vue d'horizons et de profondeur, ceflot d'imprécations qui ne sont que dessurfaces grinçantes où l'intériorité souf·frante des personnages est constammenttenue en échec par la fureur du cri(le texte est fait exclusivement de dia·logues, avec des centrées» et des c sor-ties» accompagnées de quelque. jeuxde scène sommaires). Mais si le fonddevait être absent de ce déluge verbal.pourquoi ne pas avoir fait une pièce dethéâtre au lieu d'un roman? L'élémentvisuel du jeu des acteurs eût alors

bles garçons non définis, à qui lasociété envoie un jour ou l'autreses sergents recruteurs, qui en fe-ront des héros ou des salauds,c'est selon. « Le plus curieux avecles garçons de mon espèce : ilspeuvent aussi bien finir au Pan-théon qu'au cimetière de Thiais,carré des fusillés ». Les idées ra-res et extrêmement banales. Nousvoici loin de l'insolence et ducynisme de François Sanders, lehéros de Roger Nimier, de sa su-perbe et de son goût du para-doxe considéré comme un jeu su-périeur qui le conduisait de laRésistance à la Milice et aux For-ces Françaises Libres. Loin égale-ment de Riton, le héros de Pom-pes Funèbres de Jean Genet, petitvoyou mourant de faim qui ren·trait dans la Milice pour échap-per à une effroyable misère maissurtout pour se retrouver méta-morphosé en son propre ennemi :le policier, et permettre au poèted'atteindre à ce haut sommet, cepoint culminant dans le mondedu Mal. Lamballe - Swing Trouba·dour a horreur des idées. Car cesont celles des autres, contradic-toires, antagonistes, qui le harcè·

donné aux personnages une intention·nalité quelconque, un passé d'ordrepsychologique susceptible d'étayer leurdiscours.Le" sens de ces orages pour rien, très

sarrautiens au fond, par l'utilisation deslieux communs et l'inauthenticité qu'ilsdénoncent, c'est que la vieillesse «estun naufrage» et que la colère dissi·mule mal l'angoisse de la mort et ladésespérance.Parfois pourtant, un semblant de pro-

fondeur chez les personnages vient cre·ver la surface écumante du discourshargneux, blessant, plein de fiel quiagite convulsivement ces êtres en mald'équilibre, tous également c: floués»par la vie. Mais ces brefs éclairséchouent à constituer une autre dimen·sion, celle précisément qui viendraitjustifier les déluges d'insultes et dec vérités» qu'on se jette au visage.Ce livre est rempli de c vérités» psy-

chologiques, et de celles justement quela Sapientia mundi et les proverbesmettent à notre disposition. Psycht).drame de ratés, et d'épaves dont lasottise et l'étroitesse d'esprit n'ontd'égal que la férocité et la violence,ce roman ne montre que l'aspect sor·dide des rapports humains ainsi que lamédiocrité incurable de ceux qui sontdévorés par les préjugés et le mondedes objets.

Anne Fabre·Luce

Patrick Modiano

lent, le terrifient et le sacrifierontle jour venu. Il n'y comprendrien. Il n'y veut rien comprendre.11 sait seulement qu'elles finirontpar avoir sa Deau. Du bruit maistuant, ce qu'il n'a garde d'oublier.Le seul sentiment profond, im-

périeux, enfantin qu'il éprouve aumilieu des pressions contradictoi-res que lui font subir des mania-ques et autres forcenés : la peur.Il crève littéralement de peur.« Les seuls sentiments qui m'ani-ment sont la Panique (à cause dequoi je commettrai mille lâchetés)et la Pitié envers mes semblables :si leurs grimaces m'effraient, jeles trouve quand même bienémouvants ». Le plus sûr exor·cisme contre la panique, contrel'époque, la présence d'un trèsvieux couple curieusement le luifournit. Un géant roux et aveu-gle, Coco Lacour, mordillant uncigare, une toute petite vieille outoute petite fille, Esmeralda quifait des bulles de savon. Ces deuxêtres les plus démunis de la terre,il les aime exclusivement. Misé·rables. Infirmes. Débiles. Muetssurtout. Bientôt, il se convaincpar une étrange intuition ou parquelque idée délirante - commel'on voudra que tous leshommes, mêmes les plus terribles,les plus despotiques, finissent tôtou tard par leur ressembler. parn'être plus différents en rien deCoco Latour et de Esmeralda :« Des infirmes qu'il faudrait pro·téger - ou tuer pour leur rendreservice ». Les rois, les foudres deguerre, les grands hommes, de-viennent, sous ses yeux, des en-fants malades. Tiraillé de tous lescôtés, dans l'incapacité absolue deprendre par t i, Lamballe-SwingTroubadour, cette girouette. cepantin; qui ne veut mécontenterpersonne et complaire à tous et àchacun, traverse donc les ténè-bres maléfiques en compagnie deson couple inoffensif et n'aime lesautres qu'à la minute où il peutles voir aussi inoffensifs que CocoLacour et qu'Esmeralda. Alors, ildépasse la panique qu'ils lui ins·pirent à l'ordinaire, il éprouvepour eux, pour la majorité deshommes, « une pitié maternelle

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Le Inonde sur une aŒche

Vers un nouveau réalismedu regard

et dé50lée Il s'attendrit sur lapeur de ceux qu'il trahit. Mais iln'aime pas beaucoup leur hé-roïsme, il se durcit 80US leurs re·garde chargés de mépris, reflè-tant leurs belles convictions, leurchoix d'hommes. Les idéaux sé·parent, rendent moins vulnéra-bles, empêchent le dénuement fi·nal. Et Coco Latour et Esmeralda(le seul recours) n'ont alors ja·mais existé.Moins déployé que la Place de

fEtoile, la Ronde de Nuit, ne sejoue plus des slogans contradic·toires, des dogmes ou des dialec-tiques opposés, mais cherche plu-tôt à passer à travers eux, à seglisser entre, pour échapper àleurs dramatiques conséquences,avec le caractère espiègle, la sou-plesse, puis la panique d'un en-fant qui ne deviendra pas unhomme. Que l'on se souviennedans la Plnce de f Etoile: c Tropsérieux, les hommes. Trop absor-bés par leurs belles abstractionIJ,leun vocations L'insolence s'ymontrait alors toute tendue versle dégagement. Elle visait à sedétacher de son angoisse et à re-joindre cette indifférence passion-née, chère à Roger Nimier, maisavec un risque fort accru chezModiano de le laisser à l'impro-viste submerger. La parade foraineoù il exhibait sous forme de ma-rionnettes et de tableaux vivants,ses mythes, les archétypes juifs etaryens de sa légende sanglante,mais parodiés, prostitués, cabo-tins féroces et tapageurs de bara- .que poussiéreuse, aboutissait peuà peu à cette longue prière del'absurde qu'il composait en mê-lant tous les hymnes des tueurs et, des martyrs, tous les chants de lahaine et de la pitié - déchirantpot pourri. Aujourd'hui, PatrickModiano, par le truchement deson héros, nous rend sensible cet-te blessure, cette enfance desgrandes personnes, comme un airque ferait entendre la boîte àmusique en quoi se transformechaque homme avant de mourir.« VOUS, mon petit gars, ce serale bruit d'une poubelle que fonenvoie dinguer la nuit dans unterrain vague ». Il truffe sontexte de chansons d'époque. Etl'air de Swing Troubadour nouspoursuit plus que les c r âne s« Salut, César, ceux qui vont mou-rir te saluent » de tant de gladia-teurs. Réapparition du lied aumilieu des docteurs.

Jean-Marie Magnan.

1Jean-Pierre MorelLe MuralColl. «Lettres Nouvelles»Denoël éd. 198 p.

Central Park ouate de neige.Des Ford et des Plymouth garéesdevant un motel à air coudition-né. Des Fédéraux qui tabassentun Noir dans un ascenseur. Desemballages qui traînent dans une.cour d'immeuble. Des sirènesd'ambulance qui hurlent. Des étu-diants qui déchirent leur livretmilitaire. Carmichael qui déclarela guerre aux Blancs. Des flics.Encore des flics. Toujours desflics. Les uns appuyés sur uneportière de voiture, matraque àla main, d'autres donnant l'assautà un immeuble où sont retranchésdes hippies. L'Amérique est unréservoir inépuisable de sensa-tions, d'impressions, de scènes-flash qui se déforment et se mul-tiplient comme les flocons dephares dans la Cinquième Avenueà travers un pare-brise mouillépar la pluie. Les U.S.A. sont lerêve et le vertige des écrivainsfrançais : de Paul Morand à Mi·chel Butor, de Blaise Cendrars àPierre Bourgeade.Ces dernières années ont con-

firmé cette tendance. Car lesU.S.A. sont apparus violents, stri-dents, excessifs comme un thrillerdont le scénario serait de WilliamFaulkner et dont la mise en scèneaurait été confiée à un Lautré-amont noir. Comment donc écri-re le roman de cette Amérique-1à? En vagabondant sur les rou-ten, à la manière de Kerouac, avecun crayon à une main et une bou-teille de bourbon de l'autre ?...Jean-Pierre Morel a plutôt choiside déverser ses sensations dansune sorte de roman-poème diviséen parties, ou panneaux, puisquel'auteur présente son livre commeune fresque qui serait découpéeen scènes de genre, fresque avecses détails, ses teintes criardes' oudélavées, ses morceaux d'afficheet ses collages divers, sans oublierles graffitis.

Le roman se présente donccomme essentiellement visuel ouimpressionniste; il a des ruptu-res, des reprises, des leitmotives,un retournement des scènes «pri-ses sur le vif ». Contrairement àMobile de Michel Butor, qui nousfaisait parcourir les Etats·Unis eutous sens, Jean-Pierre Morel nousdivise son ouvrage en deux par-ties: la côte Est, la côte Ouest.On y perd peut-être en diversité,mais on y gagne en lisibilité, enprofondeur, en composition. Mo-bile de Butor avait le défautd'être quelque peu disparate dansson simultanéisme. Plutôt que des'éparpiller en une pou88ière denotations, Jean-Pierre Morel apréféré limiter les thèmes et lessituations de son Mural. C'est lebon parti. Car il ne s'agit pasd'une limitation du regard, maisd'une contrainte formelle imlis-pensable à la composition. Lesthèmes vont de la liberté sexuelleà la résistance à la guerre duViet-Nam; les paysages: desautoroutes de la côte Est auxcabarets de San Francisco. Pas depersonnages: des profils et dessilhouettes. De la femme de mé-nage au recteur d'Université, del'étudiant contestataire à la fem-me belle et nue comme un Botti-celli. Pas d'histoire: des impacts.Des scènes vécues on des scènesimaginaires provoquées par l'ac-tualité, filtrées par la subjectivitédu narrateur. Pour cette raison,les souvenirs du Boul'Mich semêlent à des visions de Florencesous les eaux, et des affiches com'posées par les révolutionnairesFuturistes russes (atelier de Sara-tov) font collage au milieu dutexte. Autant de fragments quidonnent à ce montage une dimen-sion personnelle et attachante (onn'oubliera pas quelques aperçusfictifs à propos de la Sorbonne !)et surtout un ton particulier quiresserre l'unité du livre.

Suggestive comme un tableauop'art, authentique comme unebande d'actualit.és, visionnairecomme un fragment de l'Apoca-

lypse, cette tapisserie de l'Améri·que des années 66-67 révèle unesûreté d'écriture et un sens dumontage tout à fait remarquableschez un jeune auteur. Ce roman·poème se lit d'une traite. Lesimages ne lassent pas ; elles vien-nent, éclatent et passent commedes panneaux réclames le longd'une autoroute. C'est le rythmede l'Amérique. Ce qui risquait den'être qu'une mosaïque d'instan-

tanés ou une sene de cartes pos-tales possède un liant et une unitéformelle jamais mis en défaut.Ce premier roman révèle un écri-vain plus que prometteur: sonpremier livre est une réussite.Attendons la prochaine œuvrepour savoir si le Mura.l annonceun nouveau réalisme du regard.

Jacques-Pierre Amette

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 novembre 1969 7

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De Bellac

,traversee

Les critiques et les spécialis-tes paraissent également par-tagés sur le sort qu'il fautfaire à un écrivain dontl'inactualité se faisait déjàsentir dans les années trente.Accusé de gratuité, d'esthé-tisme ou d'académisme • su-périeur. par les uns, il estdéfendu par ceux qui s'atta-chent à l'analyse des profon-deurs secrètes de son œuvre,à celle des centres de gra-vité pudiquement masquéspar l'écriture. D'autres, enfin,demandent à «l'enchante-

1Jean GiraudouxLa MenteuseGrasset éd. 279 p.

1Or dans la nuitGrasset éd. 234 p.

I Les GracquesGrasset éd. 109 p.

1Carnet des DardanellesLe Bélier éd. 120 p.

La Menteuse (déjà publiée en1958 avec les Gracques) est ledernier roman de l'auteur deBella. Son fils en a rassemblé lesbrouillons retrouvés et il a lui-même comblé, nous dit-il, les la-cunes de ce manuscrit écrit à la

IJean YvaneUn cow-boy en exilDenoël éd., 168 p.

«Dans l'Ouest, celui qui vit le pluslongtemps, c'est celui qui n'a jamaisregardé un coucher de soleil », énon<'e

un personnage de celanti.western. Ne pas s'attendrir sur labeauté du paysage est une des lois duFar W Or nous sentons tout de suiteque Sam a trop regardé de couchers elmême de levers de soleil... Ce cow·boybien tranquille boit uniquement de lagrenadine - pour sa belle couleur -,ne sait pas tirer et ne possède pas depistolets. Il aime d'amour tendre Lola,sa belle jument rousse. Et... et voilà lafatalité... il n'a plus ni frères ni sœurscar ils ont tous été tués par un certainSydney Boone. C'est triste, Sam en con-vient. C'est triste, rugissent les cyniqueshabitants de sa petite ville, tu doistuer Sydney Boone. Je ne suis pas untueur, proteste Sam. c Si tu ne tues

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ment • de répondre desfacettes multiples de sontalent et de la vision roma-nesque ou dramatique qu'il apu imposer. On peut donc sedemander si les quatre textes(deux rééditions et deux iné-dits : Or dans la Nuit et Car-net des Dardanelles) paruspour le vingt-cinquième anni-versaire de sa mort sont denature à mettre fin à la désaf-fection dont souffre l'œuvrede Giraudoux depuis ladeuxième guerre mondiale.

hâte en 1936 au cours d'un voyageen Amérique.Il s'agit d'une jeune femme,

Nelly, qui ment aux deux hommesqu'elle aime et qui décide d'enépouser un troisième qu'elle n'ai-me pas (un certain Fontrangesqui apparaissait déjà dans Bella) .On retrouve le Giraudoux algé-briste des nuances les plus ténuesde l'âme adolescente et féminine.Nelly, à l'instar de l'Edmée duChoix des Elues est un être à vé-rités multiples. Ses «mensonges»ne sont en fait que certaines deses « voix » et ils participent da-vantage de la sublimation que dela trahison.Mentir est, pour elle, un moyen

de s'élever intérieurement à lahauteur de l'amant. Si elle s'in-

Lapas ce Boone, c'est alors que tu serasun tueur, dit le shériff. Parce que tu lelaisseras en tuer cl'autres malgré lesraisons que tu as de l'abattre.»Que faire en face d'aussi mauvaises

raisons? Sam et Lola partent vers leDésert des Tortues, mais pas pour tuerBoone, pour lui «parler» afin de lerendre meilleur, pour l'aimer et leconvaincre.En chemin, notre Don Quichote ren·

contre des Cheyennes ; la famine et lnhonte en ont fait des vieillards auxcheveux blancs alors qu'ils n'ont quevingt printemps. Sam leur donne toutesses provisions. Que va·t·il manger entraversant le Désert des Tortues: destortues? il n'yen a pas, des lézards?ils sont tous morts, des cactus ? ils sonttous noircis... Boone a semé la désola·tion derrière lui.Sam et Lola sont deux philosophes

et leurs conversations affectueuses lesaident à supporter leurs épreuves; lefroid, le soleil implacable, la peur, lesvautours s'acharnent contre eux. Le

vente un passé, c'est surtout pourcéder au désir de paraître telleque Réginald ou Gaston peuventla souhaiter. Plutôt qu'à la trom-perie ou au mensonge, sa c: par-lerie » ressemble aux manifesta-tions enrichissantes et contradic-toires que suscitent le désir et lafascination d'ordre amoureux.Car Nelly est une c: fascinée »qui cherche à combler, à réaliserson être de femme aimée. Priseentre deux regards également ai-mants, elle tente de leur fairel'offrande de son existence et devivre pour eux la vérité particu-lière que chacun de ces hommesappelle en elle.Le douloureux, et l'irréducti-

ble, n'est pas ici la dissimulationque ce conflit entraîne pour elle,c'est la divergence irréconciliableqUI sépare les rapports qu'entre-tiennent Gaston et Réginald avecle monde en général. II en résul-te un sentiment d'échec qui affec-te les rapports de Nelly avec lemonde.Ce roman, qui pourrait passer

pour une étude psychologique,est en réalité une analyse desconflits qui surgissent entre lesêtres à propos de leur relationavec le monde, et non entre eux.Pour c: intérieure » que semblel'aventure de Nelly, elle n'en de-meure pas moins dans la ligned'une cosmologie poétique trèsparticulière à Giraudoux. Celle-

du. désertsable est gris, tout devient gris, mêmela belle robe de Lola. Sam croit en·tendre de la musique et Lola essayede le réconforter par des élans d'hu-mour qui sonnent de façon pathétique.Cette traversée du désert devient unedescente aux Enfers où Orphée seraitaccompagné par Eurydice. On seraittenté de croire que la musique quiha1lte les oreilles de Sam est celle deMonteverdi. Et pourtant le style restetoujours simple, un style savoureuse·ment calme de cow·boy philosophe.Il y a dans ce conte hippie un humour

noir et placide qui, par le jeu descontrastes, agrandit cette petite hi,-toire triste aux dimensions du grandécran.Jean Yvane a une façon personnelle

de regarder bien eu face les person-nages comme les idées. Il pense enimages directes et simples, son ironieet sa tristesse font basculer le réel dansla poésie. Boris Vian aurait aimé celivre.

Marie-Claude de Brunhoff

ci se manifeste par l'emploi del'antithèse et de la métaphore quinimbent le récit d'un réseau sub-til de sur-significations. Ce langa-ge c: magique:. qu'on peut pren-dre pour un esthétisme purementpoétique et gratuit renvoie auc.ontraire à un essentialisme fon-damental. Ce c: platonisme :1, cetaristotélisme de la pensée (si jus-tement soulignés par C.-E. Magnyet J.-P. Sartre) [1], révèlent unauteur-démiurge qui refait lemonde à sa convenance et qui dé-cide de ses structures selon undéterminisme des valeurs entière-ment personnel.

La gêne que l'on peut ressentirà la lecture de la Menteuse estdue au fait que le hasard n'a pasde place dans un univers pré-cieux ; et si cette écriture impres-sionniste et mouvante donne l'illu-sion d'une structure ouverte, ellepostule en réalité un monde d'es-sences subjectives et univoques.Les « barrières :. invisibles quel'on perçoit de temps à autredans l'espace de la prose ne sesituent pas au-delà du texte, maisen deçà: elles président à l'orga-nisation de la «féerie» et en dé-terminent secrètement tous lescontenus. C'est à cet impérialismesecret des essences que C.-E. Ma-gny fait allusion quand elle dit :« Toujours le cristallin de récri-vain vient s'interposer entre nowet la vision immédiate de ses créa.tures ». Ces « a priori » font quel'écriture de Giraudoux ne peutjamais être une création sponta-née, mais la réalisation d'un« modèle », dont les principessont antérieurs à l'œuvre. Etdans une optique moderne, cellede Barthes, par exemple, sa fic-tion se situe d'emblée dans uneère révolue, celle de l'écritureclassique. Classique, ce roman l'estaussi quand on compare l'impor-tance considérable que l'auteur

aux rapports des individuset d'un ordre « supérieur », avecle contenu psychologique des in-dividus eux-mêmes. La trans-parence intérieure d'Edmée oude Nelly devant un certainordre du monde rejoint cellede la Princesse de Clèves devantla notion de « devoir » ou de« vertu ».

On sait que le théâtre a étépour Giraudoux un moyen de ré-sister à la tentation de l'irréel etde l'angélisme. II y voyait un che-min vers « le pays des hommes )

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aux Dardanelles

Jean Giraudoux aux côtés de «La Menteuse », Amérique du Sud, 1937

et la réalité sociale qui man·quaient à son œuvre romanesque.Le premier acte des Gracques,pièce inachevée et c: recomposée :.par J.·P. Giraudoux est un exem-ple de ce désir d'engagement dansle réel. Nul doute que l'auteurn'eût apporté des modificationssubstantielles à cette ébauche quiévoque le destin c: engagé :. dedeux tribuns c: contestataires :.de l'ordre romain au xe siècleavant Jésus-Christ. On y trouverapourtant l'esquisse d'une pièce in-téressante, dans laquelle l'ironieet la violence l'emportent aisé-ment sur la « magie du quoti-dien » quand il s'agit d'abattre lec: nénuphar-roi » qu'est devenuela Rome impérialiste, prévarica-trice et belliqueuse.Deux textes inédits complètent

ce retour de Giraudoux sur lascène littéraire actuelle : Ce sontOr dans la Nuit et le Carnet desDardanelles. Le premier, consacrépour la majeure partie à des tex-tes c: occasionnels » n'est pasdu meilleur Giraudoux. TI nous

rappelle les côtés c: bon enfant deBellac » ou c: Normalien vertueuxet optimiste » de l'auteur, et celasouvent à propos d'écrivains au·jourd'hui à peu près tombés dansl'oubli. En revanche, les deux es-sais qui terminent le livre et quitraitent du théâtre en France eten Allemagne dans les années 30,retiennent l'attention par la fi·nesse et la pertinence des idées.Giraudoux, comparatiste né, ysouligne l'importance que conti-nue d'avoir le c: théâtre de texte»en France, alors que l'Allemagneparaît toute entière soumise à ladomination de la régie. Il en con·clut que « tout reffort théâtralallemand aboutit à une confusiondes genres (alors que) le Françaiss'applique à réaliser leur sépara-tion ». Ces remarques donnentample matière à réflexion.Le deuxième inédit réserve une

remarquable surprise: grâce, eneffet, à deux textes habilementjuxtaposés et contrastés, nous yretrouvons un grand magicien dela prose. Le Carnet des Dardanel-

les, fragment d'un journal deguerre fait de notes décousues etconsignées par l'auteur pour sonusage personnel entre mars 1915et janvier 1916, révèle à quelpoint la biographie se cache der-rière la féérie de la prose giraldu-cienne et aussi comment les dé-tails les plus banals de la vie dufront sont transformés par lanarration.A la suite des notations brèves,

parfois incompréhensibles, de cejournal de soldat, l'éditeur pré-sente les treize pages d'AdorableClio (1919), qui correspondentaux événements rapportés dans leCarnet. Alors, la banalité des faitsdisparaît sous l'orchestration har-monieuse d'un univers devenu ma-gique. Le hasard des combats s'yfait déterminisme souverain etparfois ironique ; la poésie entreà flots dans ces paysages jonchésde cadavres et désolés par laguerre. Le récit historique se parede son héritage antique et l'atti·cisme aérien de la prose recom·pose et baigne les événements

d'une lumière lisse, ludique etatemporelle tout à la fois.On passe ainsi, comme par l'ef-

fet d'une brusque lévitation de laplate réalité de constat à une réa-lité de vision. Admirable trans-position où chacun des détailstriviaux de la réalité se retrouve,mais soudainement paré des pres-tiges de l'irréel ou du destin.D'une manière plus péremptoi.

re que les autres textes publiésaujourd'hui, le Carnet des Darda-nelles nous donne la mesure desdons immenses qui étaient ceuxde Giraudoux. On peut certescontester, et même refuser l'uni-vers essentialiste de formes quenous ouvre sa prose, mais onne peut qu'admirer et s'émerveillerdevant le mystère poétique decette prose dont il s'est voulu lesouriant démiurge.

Anne Fabre-Lu.ce.

1. C.·E. Magny, Précieux Giraudoux,Le Seuil éd., 1955.J.·P. Sartre, cM. Jean Giraudoux etAristote », Situation 1. Gallimard éd.,1947.

La Quinzaine littéraire, au 1- au 15 novembre 1969 9

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EXPOSITIONSINEDIT

La Quinzainelzttf·r.lIrl'

La QuinzaineliU'raln

43 rue du Temple. Paria 4.c.c.r. 15.5H.53 Paris

m.archeLaHenri Michaux publie ce mois-ci chez Gallimard un recueil :Façons d'endormi, Façons d'éveillé, consacré aux rêves qu'il luiarrive de faire et dont le récit est suivi de remarques ou deréflexions qui les éclairent. « Mes rêves, si gris qu'ils aient été,n'ont-ils pas influencé ma vie, autant que la vie les a influencés,eux, et sans que j'y fasse attention? C'est un peu pour répondreà cette question qu'Henri Michaux n'a pas jugé inutile de relaterquelques-uns de ses rêves, en particulier celui-ci :

Remarques.

Je me trouve dans un bassin plein d'eau. D'abord pas bienprofond, il va s'approfondissant. J'y avance d'une marche égale.Simultanément l'eau monte. J'en ai jusqu'au cou; jusqu'au men-ton. Et moi de marcher et elle de monter. Elle m'atteint au-delàde la bouche. Elle me vient par-dessus la tête. Elle recouvre tout.Et je continue toujours à avancer sous l'eau sans m'arrêter.Il semble, oui, j'ai tout l'air de pouvoir me passer d'atmosphère,

de cette fameuse atmosphère, dont Dieu sait qu'on nous arebattu les oreilles sur sa prétendue nécessité, absolumentindispensable à la vie.Ah! Ah! bien intéressant cela. \1 ne faut pas, me dis-je que

j'oublie... que plus tard je ne sache plus ce qui m'est arrivé, carje sais - tiens, comment? puisque j'ignore que je rêve - je saisqu'il y a risque que j'oublie comment je m'y suis pris. Comment,au fait, m'y suis-je pris? Quoiqu'il en soit, incontestablement,c'est réussi, ça marche.

\1 semble que ce qu'il faut avant tout, c'est ne pas lâcher ous'affoler, c'est prendre les choses avec calme, comme si ça nefaisait pas de différence, surtout au moment de la totale immer-sion.Ce doit être, ça, le secret.Il ne me vient pas à l'esprit que l'eau devrait mouiller. Non, de

cela pas question. Donc, pas de problème. Ni au sujet de meshabits, dont il n'a pas davantage été question, que je n'ai pasenlevés, qui n'ont pas dû spécialement s'alourdir. Je suis tout àmon affaire, si importante, qui est que je me passe d'atmosphère.Je n'en ai plus besoin. C'est continûment, sans accrocs que jem'en administre la preuve...

La veille au soir j'assistais à la conférence d'un psychiatreétranger, dont on avait dit grand bien.Après un début prometteur. c'est l'ennui, la monotonie. Soirée

longue sur les banquettes dures de l'amphithéâtre.Observé par les médecins qui m'ont amené là, je ne peux partir:Ah! cet ennui!Qu'est-ce que l'ennui? C'est étouffer, ne plus pouvoir respirer,

manquer de stimulation, c'est, dirait-on manquer d'air, c'est donccomme être sous l'eau. Petit à petit, par moments alternants, onva perdant conscience de l'environnement. Ainsi hier soir, envahipar les vagues de la somnolence, quantité de fois j'étais sur lepoint de perdre contact avec le bavardage prétentieux du pédantdiscoureur qui, à un bout de la salle et à la limite de maconscience, continuait toujours.L'attention, c'est ce qui lutte, corrige, dépiste à temps et

contrarie l'assoupissement, et qui dans les conditions adversesmaintient la continuité. Attention contre l'indifférence qui laisse-rait les yeux se fermer, la tête s'incliner, la pensée fuir, la torpeurenvahir. Attention, qui à cette interminable conférence me permitde tenir bon jusqu'au bout.

La nuit venue, reprenant quelques points de cette soirée quitant s'étira, indifférent à son apport proprement mental, j'ai dûdans la fatigue et le naissant désintérêt, trop heureux de lâcherles cent détails de l'encombrante réalité maintenant dépassée,j'ai dû revivre en gros, en simple, la situation fâcheuse, qui fut

Jacques Villon définissait comme «laplus multiple et la plus sympathiquefigure de le génération de ce temps -.

Le vitrailoontemporain

A "occasion de "inauguration deses nouveaux bâtiments, la Maisonde la Culture dé Reims organise du9 octobre au 31 décembre 1969, uneexposition de vitrail contemporain :• Le vitrail et les peintres de 1957 à1969 à Reims •. Engendrée à l'atelierSimon-Marq, tout proche de la cathé-drale, cette exposition n'a pas pourbut d'être exhaustive mais de rendrehommage à l'Initiative de deux pein-tres verriers rémols, Brigitte Simonet Charles Marq, qui, en faisant ap-pel à la vision de peintres tels queBraque, Villon, Bissière, Chagall, SI-ma, Ubac, Vieira da Silva, Poliakoff,G. Asse, ont contribué à la renais-sance de l'art du vitrail au XX' siè-cle.

Je me permets de rectifier uneinexactitude d'apparence anodine maislourde de sens que je relève dans far·ricle que M. Boyer a bien voulu meconsacrer dans la Quinzaine. Il écrit:c le narrateur et le fils· ne font plusqu'un, le Président est par aiUeursgrand Ecrivain qui a eu le prix duRoi en novembre 1965 (c'est-à.dire lePrix Médicis pour la Rhubarbe) !:.Quelle erreur! le prix du Roi dont

j'ai affublé mon personnage n'est autreque le prix Nobel que j'appelle aiUeursGrand Prix scandinave. Le Prix Médi-cis, c'est moi, Pilhes, fils de BertheGermaine Pilhes, qui c tente le couplittéraire du Loum:.. Le fils de la pre·mière partie est une baudruche de laPuissance: je lui ai donné du chefd'Etat et le grand prix scandinave pourensuite le lancer, ainsi chargé, ainsidémentiellement lesté, dans la terriblebagarre. M. Boyer n'aurait pas dû écri-re cette parenthèse qui constitue unmalentendu tres capital.

René-Victor Pilhes

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M.A.u-vm.Date

Apollinaire

La Bibliothèque Nationale présentedu 22 octobre au 30 novembre 1969,une exposition consacrée à GuillaumeApollinaire. Outre des poèmes, deslettres, des textes, des éditions rares,des manuscrits qui nous permettrontde suivre pas à pas les étapes dela vie et de l'œuvre du poète, on ytrouvera regroupées les œuvres desamis peintres d'Apollinaire, du • doua-nier. Rousseau à Picasso, de Picabiaà Braque, de Chirico à Modigliani etc.Les écricalns qui furent les compa-gnons d'Apollinaire ou ses ferventsadmirateurs sont également présentsà travers leurs portraits et leursécrits. Enfin, tous les événements ar-tistiques auxquels Apollinaire futétroitement mêlé: la naissance ducubisme, les ballets russes, les pre-mières expositions d'art nègre, sontégalement évoqués pour mieux nousrestituer la personnalité de celuI que

LETTRES A

La lecture de farticle signé M. Mar.nat dans le rauméro 79 de La QuinzaineLittéraire: c Naissance d'une nation:»,me laisse l'impression que vous contri.buez maladroitement à entretenir lamythologie qui entoure fusage de ladrogue, étant donné le manque de senscritique dont il témoigne.rai vingt ans et je connais cette

atmosphère; j'assiste avec déception àla célébration tEune fausse culture età la glorification de fausses valeurs:à Londres comme à Paris, je suisfrappé de la faiblesse de la productiondes hippies et de la stérilité de leurvie. On les croit libres, ils sont escla·ves de leur aliénation.Leur recours à la science pour dé·

montrer le caractère inoffensif de ladrogue cache mal le grand vide deleur prétendue culture. Une autre dé·fense mystificatrice est la distinctionqu'ils professent entre drogues béni-gnes et drogues nocives : en fait il n'ya guère discontinuité entre les unes etles autres. Olivier Gimpel, Londres

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sous l'eauHELENECIXOUS

dominée heureusement - laborieusement aussi - en hommequi n'a plus à se gêner pour simplifier carrément et pour se laraconter sans égards cette fois, pour personne ni pour rien, avecses sens, avec ce qui reste de ses sens. En somme, j'étais sousl'eau, voilà ma soirée présumée intellectuelle. Je me la représenteainsi, ainsi je me la fais revenir, et je me loue sans doute d'avoirpersévéré dans une situation sans air. L'eau, ma vieille alliée, unpeu perdue de vue dernièrement, l'eau retrouvée, une fois de plusvient donner l'apaisement. Je n'y vais plus guère. Nous ne sommesplus compagnons. Je suis encore complice.Je me vois en elle (par caractère), sans l'aller regarder, quand

je songe à ses opposés haïssables, aux raideurs, à l'autorité, auxactuelles modes dirigistes.Par conviction aussi, je me ramène à elle souvent, sachant que

comprendre c'est d'abord se couler dessous, être au plus profondniveau, être informe, pour prendre ensuite autrement nouvelleforme.L'eau... mais voilà - dirait-on - que je veux l'étendre, lui

adjoindre des domaines. Tout le contraire de ce qu'elle a fait, elle,quand, ses propres attributs elle ne les avait même pas tousgardés.Certains de ses caractères habituels (et il m'a fallu longtemps

et de particuliers embarras d'écriture pour le remarquer) man-quaient, étaient pratiquement annulés.Je n'en avais pas besoin.L'eau qui mouille, qui rafraîchit, qui refroidit, qui pèse, qui

scintille et ainsi de suite, ça n'aurait rien eu à voir dans mon rêve.Pour • rendre - ma situation, je n'avais besoin que d'une eau quisépare de l'air. Moins elle montrait de caractères supplémentaires,plus elle me convenait, s'appliquait, était convaincante.Eau- rétrécie, telle qu'elle traduisait une particulière impression.Eau de comparaison. (Toute comparaison - rapprochement:

momentané - établit une identité, vraie seulement en un oudeux points, fausse en tout le reste.)

Rétrécie comme elle était, ayant à me satisfaire quant àl'expression d'un point particulier (c'est-à-dire le malaise de cetteennuyeuse soirée subie, mais négligeant tout le reste), cette eauet ce mien comportement de rêve qui s'y rapporte assez bien, serapporterait encore mais en beaucoup moins juste, à nombre dedifficultés de ma vie que je prends un peu trop sérieusement.A tout un passé de difficultés, et sans doute à un avenir de diffi-cultés qui m'attend vers lequel je me dirige les yeux fermés. Lerêve dit encore - fort simplifié - ce style d'homme en difficultéque j'ai assez souvent, d'homme à handicaps, où j'ai remarqué etil a été remarqué que de ces difficultés et de ces étouffementssouvent sortent de moi d'assez inattendues réussites, et facilités.Mais pourquoi chercher si loin et si personnel? Tout rêve ne

présente-t-il pas - c'est sa nature même - à tout rêveur desfacilités, des plages d'invraisemblables facilités?Quant à se rapporter à mon futur, il est probable que tôt ou

tard une difficulté grave surgira - comment avec l'âge n'en arri-verait-il pas? - où plus évidemment je serai • sous l'eau-; etque je prendrai peut-être avec sagesse, avec intérêt.Ne dira-t-on pas alors que c'est réalisation du rêve, que c'est

ce qu'il avait voulu dire, et qu'il prophétisait?

Quoiqu'il arrive, dans la vie de quelqu'un, cela se passe avecun certain genre, genre d'impression et façon de prendre leschoses. C'est ce genre, cette façon qui donnent un certain stylepermanent à chacun, du début à la fin de sa vie et où tout s'insère,se retrouve, se fait écho, et grâce à quoi tout à tout se rapporte.

Dans ce rêve, on peut aussi remarquer, comme dans plusieursautres, notamment celui où un oiseau et un chien me parlent,que je reviens volontiers à mon désir, à mon espoir, jamais long-temps évanoui, de voir apparaître dans le vivant de nouvelles etplus intéressantes facultés.

Henri Michaux.Copyright : Gallimard éd. 1969.

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 novembre 1969

Dedansroman

"Le livre le plus original de cette rentrée littéraire. "ROBERT KANTERS Le Figaro Littéraire

"Une œuvre riche et belle."CLAUDE MAURIAC Le Figaro

"Un beau roman d'amour fou,"FRANÇOIS BOTT Le Monde

"Un authentique lyrisme."REMI LAUREILLARD La Quinzaine Littéraire

Grasset.

pl,..Vient de paraltreIlllC DIUTICBlBIssals sur le problème juiflIlDiCI BAUI10nLes origines de la 2' guerre mondialePURBI-B.ICDlmlRPs,chologle médicaleDaUDBIBAIMLes suicides d'adolescents

PITITI BmLIOTBIQDI PIYOT.rICQUlI BUI"Des sciences ph,slques aUI sciencesmorales .°141PIIBBI-BlDlIDlOIL'esprit et l'histoire .°144Da UIlLABBABI.Ps,chanal,se et culture ,.°145ALlIW. WATTILe bouddhisme len .0 lU

11

Page 12: quinzaine littéraire 82

eUl est-Ce?

Pierre Bourgeade a rencontré un certainnombre d'écrivains à qui il a posé desquestions inusitées. Elles ne se rappor-tent ni à leur vie ni à leur œuvre, maisà ce qu'ils ont en eux de caché, de secret,d'Imaginaire, ce qu'en somme, ils ont faitpasser dans leurs ouvrages, sans toujoursen être conscients, et qu'ils n'auraientpas toujours envie de révéler.Il y avait là, pour la Quinzaine littéraire

la possibilité d'un jeu. Qui est l'écrivainrencontré par Pierre Bourgeade?Les lecteurs qui nous envoient une ré-

ponse juste, dans le délai d'un mois.bénéficient d'un abonnement de troismois (ou, s'ils sont abonnés, voient leurabonnement prolongé de trois mois). Ceuxqui auront découvert tous les écrivainsinterrogés (ou presque tous) recevrontde la Quinzaine littéraire un cadeau.

Les écrivains interrogés jusqu'à présentétaient François Mauriac, André Pieyre deMandiargues, J.M.G. Le Clézio, NathalieSarraute, Eugène Ionesco. Pierre Klossow-ski, Raymond Queneau. Marguerite Durasest le huitième.

Qui répond, aujourd'hui aux questionsde Pierre Bourgeade?

Pierre Bourgeade. Par quoicommence-t-on? Des idées?des images? des mots?

X. Des images. De quelqueslectures de jeune.sse, il mereste des images très fortes.Quelqu'un est mort à bord duNautilus. Conseil, Ned Land etle Professeur regardent l'enter-rement. C'est un enterrementsous la mer. Les hommes duCapitaine Nemo creusent latombe dans un massif de corail.1/ y a beaucoup de choses danscette image. La mer, la tombe:cette tombe creusée sousl'eau. 1/ y a la profondeur de lamer, et pourtant, on creuseencore. C'est comme les cho-ses qui s'emboÎtent. J'ai luaussi, enfant, un conte de cegenre, que je n'ai jamaisoublié : c'est une porte, quis'ouvre sur une porte, quis'ouvre sur une porte... Ça nefinit jamais. On n'arrive jamais.

P.S. Ça vous fascinait, cettehistoire?

X. Oui.

P.S. Ça vous faisait peur?

X. Non. Au contraire. Je res-sentais une attirance.

P.S. Qu'est-ce qu'il y a, der-rière la dernière porte?

X. Encore une porte.

P.S. Je vous vois aimantl'action. Ne vous enfermant pasdans une forme qui tourne.

X. J'étais frappé aussi parles contes fantastiques. Envoici un. C'est une dame quitricote. Elle tricote, elle tricote,et tout à coup, elle s'aperçoitqu'elle tricote un lapin. C'est unmoment atroce. Cette dame nel'a pas fait exprès; Elle tricote,

12

sans compter les mailles. Sanscompter les points. Rien ne ladistrait. Et tout à coup : cen'est pas un tricot, c'est unlapin.

P.S. ... et non seulementl'action, mais les voyages.

X. Oui. Les voyages. Jelisais les grands Jules Verne,bien sûr : Voyage au Centre dela Terre, De la Terre à la Lune,etc. J'ai revécu, plus tard, cer-taines de ces aventures, dansdes pays lointains. Les hérosde Jules Verne me fascinaient.I/s dominaient la nature non parappétit de puissance, mais pourrealiser leurs rêves.

P.S. Jules Verne, pour vous,ce n'était donc pas, avant tout,"invention scientifique ?...

X. Non. Ces inventions, pourmoi, ne sont que des moyens :l'auto, l'avion - moyens d'allerquelque part, de faire quelquechose.

P.S. Vous écriviez déjà?

X. Aussi loin que je puisseremonter, je retrouve en moi ledésir d'écrire. Mais je n'ai écritque beaucoup plus tard. Jen'étais pas très doué.

P.S. y a-t-il un livre, ou unephrase, qui ait été la causeimmédiate... le moment à partirduquel vous vous êtes dit :« Ça y est, j'écris» ? ..

X. Je ne sais pas si je vaisrépondre exactement à votrequestion, mais, c'est vrai, unjour, j'ai lu une phrase de cegenre, une phrase qui m'aépaté et rassuré. La premièrephrase du Temps Perdu. ft Long-temps, je me suis couché debonne heure. » Je me suis dit:« Ouelqu'un a écrit cette

phrase, et à partir de cettephrase sont venues toutes lesphrases qui devaient suivrecette phrase. » Et je me suis ditque, moi aussi, j'aurais puécrire cette phrase.

P.S. Je me suis souvent ditça, moi aussi.

X. Cette phrase de Proust,elle est comme ces fleurs japo-naises. Vous en prenez une.Elle est toute petite. Vous lajetez dans l'eau. Elle se déplie,elle double de surface, unefois, deux fois, trois fois ... elleremplit bientôt tout le bassin.

P.S. C'est l'histoire des por-tes.

X. Un théâtre. Vous avez lule Château de Carpathes?

P.S. Non.

X. C'est un château hanté.Le narrateur raconte ce qu'il avu. Le château est dans l'ombre.La nuit, on voit des lueurs dansle château, des apparitions. Lenarrateur croit que ce sont desfantômes. Ce ne sont pas desfantômes. Le propriétaire duchâteau est un savant qui a misau point un système qui permet

Page 13: quinzaine littéraire 82

ENTRETIEN

Tricot - lapin

P.B. Tiens.

X. Oui.

Hélas. Qui êtes-vous? ..

Elle est peu probable.

faudrait trouver du

P.B.

P.B.

X. 1/temps.

le cheval et le renne. 1/ a degrands bois. On le voit venir. 1/approche jusqu'à vingt mètresde vous. 1/ vous regarde. Immo-bile. Stupéfait. On demeure soi-même stupéfait. On voudrait luidire quelque chose. La commu-nication avec l'orignal est-ellepossible ?...

A propos de l'Entretien secret du mois d'octobre, je dirai que l'écrivainest Marguerite Duras. Ce qui dans ses réponses me la fait reconnaître c'est :le désir que les autres vivent d'accord avec eux-mêmes et qu'elle les puisseaider dans son accomplissement (ça est localisé chez les hippies). Après lanécessité d'un certain laconisme dans les œuvres d'art - ce laconisme on letrouve chaque fois plus accentué dans ses œuvres; surtout en Détruire dit-elle et Moderato Cantabile. Une autre référence est: son amour pour le cinéma.qui lui aussi se concrétise en œuvres - son scénario pour Hiroshima monamour et ses deux flims : la Musiea et maintenant un qui vient d'être réalisé:Détruire dit·elle.

•un sous-m.arln

Maria Francesca Azevedo.

Albertine dans

Beaucoup de réponses. Et, parmi elles, beaucoup qui portent le nom deChristiane Rochefort ou ... de Françoise Sagan. Il est vrai que, dans ses décla-rations et avec probablement la complicité de Pierre Bourgeade, MargueriteDuras semble avoir pris plaisir à vouloir entraîner nos lecteurs sur de faussespistes. Ava.nt de faire figurer nos meilleurs limiers au tableau d'honneur,rappelons que chaque joueur n'a droit qu'à une seule réponse.

Ont percé l'identité de Marguerite Duras:- André Angoujard à Rennes (S' réponse juste) ; Maria Francesca Azevedo

à Lisbonne; Claude Bellegarde à Paris-S'; Albert Bensoussan à Rennes(3' réponse juste) ; Mireille Blanc à Paris-13'; le Dr Guy Bourbié à Clermont-Ferrand; Pierre Bourgeois à Champagnole; Maria Helena Cardoso à Lisbonne;Janine Carlat à Tours (3' réponse juste); Bernard Cerquiglini à l'Hay-les-Roses ;Geneviève Dupreux à Paris-6'; Françoise Echard à Villeneuve-sur-Lot; AmélieEdgü à Istambul; B. Ferrari à Paris-S'; Charlotte Friant à Paris-7'; ClaudeGuillon à Rezé·les·Mantes; Patrick Guillemineau à Paris-20'; Line Hémery àà Paris-19'; Henrike Lackner à Paris-9°; Raymond Laffa.rgue à Paris-6'; JeanLe Gall à Brest; Jean-Pierre Livieri à Nice; Jacques Combard à Salon;O. Mannoni à Paris-16'; J.-F. Marquet à Tours (3' réponse juste); MarcelleMeunier à Paris-8'; Alain Montandon à Paris-12' (3' réponse juste) ; O'Denysà Saint-Etienne (3' réponse juste) ; Daniel Teysseire à Salvador-Bahia (Brésil).Voici la lettre de Maria Francesca Azevedo :

Original- m.ystère

P.B. Non.

X. C'est un animal du grandNord canadien. 1/ vient de lapréhistoire. 1/ est à cheval entre

X. C'est le plaisir des lacs,des rivières, je crois. L'eau. Etpuis on se dit: «c'est un jeusportif. La truite a ses chan-ces." 1/ faut être malin, pourl'avoir. J'ai pêché dans lesGrands Lacs canadiens. J'étaisheureux. Vous savez ce quec'est, un orignal?

P.B. Les truites ne sont pasdes hommes.

SECRET

P.B. Que de royaumes nousignorent!

X. Oui. Il faut disparaÎtre.Ou agir.

P.B. Mais ça n'empêche pasd'aimer les choses inacces-sibles?

X. Je ne dirais pas : fIC inac-cessibles." Je dirais plutôt :cc qui vivent leur existence pro-pre." C'est vrai de toute lanature. Alice, au Pays des Mer-veilles, a le sentiment que tousles animaux sont affairés : lesfaisans, les lapins, les che-vreuils.. ils vont tous quelquepart, ils vont tous à leurs pro-pres affaires. I/s ont des ren-dez-vous. On ne sait pas avecqui.

P.B. Vous êtes chasseur ? ..

X. Non. Je l'ai été une seulefois. Un jour, j'avais acheté unvieux pistolet d'arçon. J'aitrouvé des munitions chez unarmurier. Je suis parti dans laforêt. J'ai tué un oiseau. Plusjamais je ne chasserai. Jepêche. Je pêche la truite. C'estune contradiction.

P.B. Et les voyages?

X. Ce qui revient constam-ment, c'est le moment où ons'aperçoit qu'on est très loin.

P.B. De son pays? ..

X. De ce qu'on voit... lemoment où on se dit : «Maisqu'est-ce que je fais là ? .... Unjour, aux Etats-Unis, j'étais avecune amie, qui jouait une piècede théâtre. Je suis monté dansles cintres, avant que le rideaune se lève, et soudain je l'aivue, là, en bas, qui attendaitavant de faire son entrée... Ellene savait pas que je la regar-dais... je voyais son visage...d'en haut... qui ne me voyaitplus... c'était comme si j'avaisregardé la Chine... il n'avaitabsolument aucun rapport avecmoi... cette femme était abso-lument une étrangère... elleétait à des milliers d'années-lumières de moi... c'étaitcomme si je n'existais plus. Cen'est pas le pays étranger quinous est étranger: c'est nous-même.

jugez-le

X. Je ne sais plus.

P.B. Commentvous?

X. Dominique, revu par unfaux Radiguet, plus insolent etmoins doué.

X. Oui. A cet âge, j'ai écritle roman d'un amour impossi-ble. Un roman très mauvais.

P.B. Quel était son titre?

P.B. Ça fait beaucoup defemmes, dans un sous-marin.

Pierre Bourgeade signera NewYork Party et ses autres livres le6 novembre de 18 à 21 heures à lalibrairie Max Philippe Delatte, 133,rue de la Pompe, Paris-1Ii'.

de reproduire la voix et laforme des êtres disparus. 1/ faitainsi «revivre .. chaque soir lafemme qu'il a aimé. Je croisque c'est ça, le théâtre.

P.B. Le Château des Carpa-thes, c'est un roman de JulesVerne?

P.B. On parlait de Proust.

X. On parlait de voyages.Proust voyage dans le Nautilus,mais il condamne les hublots.

X. Non. J'attendais qu'ellesviennent vraiment.

X. A dix-sept ans, c'est bienutile.C'est un âge où on est terro-

risé par les femmes. On litProust. On voit toutes ces fem-mes : Odette, Albertine, quisont des êtres de fuite, quiéchappent à ceux qui lesaiment. Qui sont comme toutesles femmes qu'on connaÎt. Oncomprend très bien Proust, àcet âge là.

P.B. Ces f e m mes, quifuyaient, est-ce que, li dix-huitans, vous aviez envie d'écriredes histoires où vous les attra-piez?

La Quinzaine littéraire, du 1· au 15 novembre 1969 13

Page 14: quinzaine littéraire 82

INFORMATIONS

ROBERT.aLAFFONT

PLUS UN JOUR

plus varies, dans tous les domaines dela connaissance et, grâce à cette colla-boration internationale, proposera desvolumes signés d'auteurs de réputationmondiale, abondamment illustrés decroquis, de dessins et de photos encouleurs pour un prix relativement mo·dique (20 F) . Premiers titres : lesSecrets du globe terrestre, par MargaretO. Hyde; 'e Monde de demain, parKenneth K. Goldstein ; fEquilibl'e dansla lUlture, par David Stephen et JamesLockie.Chez Casterman seront inaugurées au

début de l'année prochaine trois nou·velles séries au format de poche« E 3 >, c Vie affective et sexuelle »et c Mobiles >.c E 3 », consacrée à l'enseignement,

à l'éducation et à l'enfant, sera dirigéepar Bernard Planque, qui anime la sec·tion audio·visuelle à l'Institut Pédago·gique National. Premiers titres : lesEn/ants de Vilua, par L. Poucatch·Zalc·man, un témoignage sur une expérienc:epédagogique réalisée il y a plusieursannées; l'Ecolier, sa santé, son éduca·tion, par le Dr Debray.Ritzen ; Mathé-matiques et jeux d'enfants, par NicolePicard. c Vie affective et sexuelle »,est dirigée par Catherine Valabrègue,présidente du Mouvement français pourle planning familial. A paraitreInitiation à la psychologie sexuelle, parJean Cohen; Attendre un enfant, parMarianne Roland Michel ; la Sexualitéaujourd'hui, par André Berge. c Mo·biles », dirigée par Michel Ragon, en·tend donner la parole à des personna·ges qui ont contribué à faire avancerles idées dans des domaines très divers.Premiers titres : Plasti-cité de fœuvreplastique dans votre vie quotidienne,par Vasarely; la Tragédie de fénergie,par Stéphane Lupasco; les Loisirs :produit de consommation, par JeanFourastié.Une nouvelle série à Edition Spé.

ciale : c Technique et démocratie ».Sous la direction de Jean Barets, direc-teur du club Technique et Démocratie,les ouvrages reproduiront les comptesrendus des travaux réalisés dans le ca·dre de ce club. Le premier volume, àparaître en novembre, s'intitule Si lagauche voulait. Résultat du travail ac-compli depuis quatre ans par six centsspécialistes du club, il illustre fort bienl'esprit de cette collection qui entendélaborer des propositions concrètes des-tinées à fournir un programme d'actiongouvernementale pour la gauche danstous les domaines du développementéconomique, politique de notre pays.

CollectionsUne nouvelle collection chez Denoël :

« Le point de la question Cette sé·rie encyclopédique d'un esprit et d'uneprésentation résolument modernes, seraconsacrée aux sciences de l'homme :psychologie, sociologie, économie, etc.Les ouvrages seront rédigés collective·ment et paraîtront à raison d'un tousles deux mois. Le premier volume apour titre la PsychalUllyse, par J .•C.Sempé, J ..L. Donnet, J. Say, G. Las·cault et C. Backès ; puis viendront desouvrages sur le Langage, fln/ormati-que, la Société de consommation, laCulture et les moyens tl:in/ormntion,les Révolutions, etc.Sous la direction de Renaud de La·

borderie, les éditions Solar inaugurentce moi-ci une nouvelle collection con-sacrée au sport: c Sports 2000 ».« Sports 2000 » a pour but d'apporterau public, sous forme de dossiers, ceque les journaux et magazines ne peu-vent lui fournir, c'est·à·dire des ouvra·ges allant plus loin que de simple con·tact avec l'événement, voire des livre.polémiques tels le Dossier noir- du do-ping, actuellement en préparation et oùs'exprimeront des champions et des mé·decins. Premiers titres : Sport en or,ou les relations du sport et de l'argent,par François Janin pour l'automobile,Bernard Ficot pour le tennis, LouisNaville pour le football, etc; Ski vé-rité, par Guy Périllat ; Rugby au cœur,par Walter Spanghero, Reprise de volée,par Just Fontaine.Aux Editions Laffont, sous la direc·

tion de Pierre Gaxotte, c - Les grandsmonuments de l'histoire regrouperales chefs·d'œuvre des grands historiens du xtxe siècle (Michelet, Gib·bons, Taine, etc.), complétés de ta·bleaux synoptiques et du portrait dechaque auteur. La série comptera neufvolumes à raison d'un volume tous lestrois mois d'unf' présentation particu.lièrement soignée frontispice, troisdoubles pages de cartes en couleurs,cent cinquante documents en noir,reliure luxueuse. C'est fHistoireducs de Bourgogne, par Prosper de Ba-rante qui inaugurera la collection.Chez le même éditeur, Gérard Klein

dirige une nouvelle collection qui, sousle titre de c Ailleurs et demain »,nous proposera des livres de science·fiction teintés d'intellectualisme etd'une grande tenue littéraire. Premiertitre : le Vagabond, par Fritz Leiber.Flammarion, lance une collection à

laquelle collaboreront quatre grandséditeurs étrangers : « International li·brary ». Elle abordera les sujets les

ra•bourachiLAREPUDIATION

georges emmanuel

CLANCIER

dans la continuitéd'une grandeœu'Vre romanesque,'Vient de paraître,par l'auteur du

ccpAINNOIR"

romanCe réquisitoire contre la société arabe et tout ce qui la rend haïssable consti·rue une célébration pleine de tendresse de toute la saveur qui la rend aimable.J.F. Revel· L'EXPRESS. Un tempérament d'écrivain. J. Duranteau • LE MON-DE. Un très long, un très beau cri où l'angoisse ne le dispute qu'à la violen-ce. T, Renaud· LES LETTRES FRANCAISES. Le réalisme s'épanouit chez lui,comme chez Baudelaire, à qui il fait penser parfois, en fleurs luxuriantes.J. Freustlé • LE NOUVEL OBSERVATEUR

Les Lettres Nouvellescollection dirigée par Maurice Nadeau

roman

La QuinzaineU",raire

ABONNEZ-vousabonnez-VOUS

RevueDans le cahier 14 du Nouveau Commerce, une traduction nouvelle du célèbre

texte d'Heidegger: «Qu'est·ce que la métaphysique? c due à Roger Numier.Heidegger se déclare fort satisfait de cette nouvelle version en français deses pensées sur le « rien c qui, on le sait, sont en même temps des penséessur « l'Etre c. Dans le même cahier, un excellent texte à la Borges de RogerCaillois: «Récits du délogé c. Réflexions d'Octavio Paz sur l'expressionpoétique.

14

Page 15: quinzaine littéraire 82

-------AuxEditions Rencontre---------,

DE POUCHKINE AGORKI

Ivan Tourgu8nlv

N'DptLocalité

Nom prénom 1 1 [ 1 [ 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 [ 1 1 11 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1

Adresse 1/111111111111111111/1111[1111111[11111 [ 1 1 Isignature _

Je désire recevoir à l'examen gratuit pour huit jourset sans aucun engagement le premier des 12 volu-mes de la collection cc De Pouchkine à Gorki ». Si jeconserve cet ouvrage, je souscrirai à l'ensemble dela collection et j'accepterai les conditions spécifiéesdans le bulletin de présentation que vous joindrezà votre envoi.à découper et

à retournerauxEditionsRencontre4, rue Madame75 Paris VIe

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(+ port et emballage,1.50 F)

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La collection rassemble les auteurs et les œuvres suivants:Alexandre Pouchkine Alexis TolstoïEugéne Oniéguine - Les Récits de Le Tsar Fédor IvanovitchFeu Ivan Petrovitch 8elkine - La Maxime GorkiDame de Pique - La Fille du Capi- Les 8as-Fondstame -- 80rls Godounov Ivan GontcharovPierre Tchaaduv . OblomovLettres philosophiques - Apologie M 1 Ik P t h kld'un Fou en ov- e cersAlexandre Griboïedov Dans les Foréts (fragment)Le Malheur d'avoir trop d'Esprit Nicolas Leakov .

Lady Macbeth au Village - GensMichel Lermontov d'Eglise - Le Vagabond ensorceléLe 8al masqué - Un Héros de notre S lt k Cht h d 1Temps - Chtoss a Y ov- c 1 r neNicolas Gogol Les GolovlevLes Veillées du Hameau - Le Man- Théodorl Rlchl!nlkovteau - LesAmes mortes (lére partie) Ceux de PodlipnalaSlrgl Aksakov omltrl MerejkovsklUne Chronique de Famille La Résurrection des DieuxAlexandre Herzen Llonld AndrnvLa Russie et l'Decident Les Sept PendusIvan Tourguenev Vladimir KorolenkoMémoires d'un Chasseur - Premier La Forét murmureAmour Fédor Sologoub

Un Démon de Petite EnvergureIvan 80unlnlLe VillageAlexis RemlzovSœurs en CroixMaxime GorkiEnfance

ThéâtreNicolas GogolLe RevizorOstrovskiL'Orage

L'absence d'œuvres de Dostoïevski r-------------------------------------------,et Tolstoï s'explique par le fait queles œuvres littéraires complétes deces deux auteurs ont été publiées sé-parément par les Editions Rencontre.Cet ensemble unique est présentéen 12 volumes, sous reliure rem-bourrée en skivertex brun. Le dosest geufré or, les étiquettes bordeauxsont imprimées à l'or également.

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Une collection établie et présentée par Georges HaldasGeorges Haldas a établi le choix de ses textes comme un musicien orchestrantun thème. Les œuvres retenues jouent entre elles en un subtil contrepoint et J'en-semble résonne comme le chant d'espoir de tout un peuple marqué par une brû-lante aspiration àune large communion humaine, dans une période particulièrementdramatique de son histoire: celle qui s'étend de la guerre patriotique de 1812 àla Révolution de 1917. En se limitant à cette seule période de la production litté·raire russe Georges Haldas laisse transparaitre ses intentions, mais qu'on ne s'ytrompe pas, il n'a rien d'un arrangeur ou d'un faiseur de pots-pourris ne glanantici ou là que les seuls éléments propres à venir justifier une idée préconçue. Iln.'escamote aucune contradiction, son choix respecte chaque talent particulier,et c'est même à travers les divergences entre les auteurs que vous verrez petità petit se dessiner J'image complexe de J'âme russe, alors en pleine prise deconscience d'elle-même.

La collection «De Pouchkine à Gorki.. a donc une valeur historique autant que lit-téraire. Elle est bien plus qu'une simple juxtaposition de textes. Georges Haldasnous donne à travers la période la plus riche de la littérature russe une preuveconvaincante, une démonstration de la réelle fonction de la littérature, qui est d'êtreliée à la vie, Lorsqu'elle le fait, elle se dépasse alors elle-même, sans jamais avoirà chercher J'art pour J'art. Les introductions servent de charnières articulant entreelles les œuvres de cet ensemble admirablement structuré, qui ne devrait manquerdans aucune bibliothèque.

Michel Lermontov.----- ------.Fédor Sologoub

Alexandre Pouchkine

N° de membre 1 1 1 1 1 1 1

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La Quinzaine littéraire, du 1· au 15 novembre 1969 15

Page 16: quinzaine littéraire 82

André Gide aNé, à Paris, le 22 novembre 1869, André Gide aurait eu cent ansce mois. Cette date anniversaire nous ne voulons pas la laisserpasser sans marquer au moins un temps d'arrêt.Si Gide, en effet, ne préoccupe plus aujourd'hui beaucoup de nosjeunes gens - même ceux qui écrivent -, il a été pour nombred'hommes et de femmes d'entre les deux guerres mieux qu'unmaître à penser: le • contemporain capital .. , comme disait AndréRouveyre, l'homme qui, usant de l'écriture comme d'un art, aformulé avec le plus de franchise et d'urgence les questions quene pouvaient pas ne pas se poser les individus les plus conscientsde ces générations. A chaque époque il semble ainsi qu'un artiste(ou deux, ou trois) parle au nom des vivants embarqués en mêmetemps que lui dans le même voyage ou plutôt: que ces vivants separlent à travers lui. Plus universel que Claudel, moins cérébralque Valéry, André Gide a eu le souci - ne fût-ce, souvent, qu'enparlant de lui - de révéler à ceux qui le lisaient le sentimentqu'ils constituaient, chacun, un phénomène de vie quelque peumiraculeux et en tout cas unique. Ils devaient, s'élevant de degréen degré vers plus de conscience (au sens où l'entendait Goethe)et de respect de soi (de ses instincts et de ses désirs) travailler àse rendre heureux.Si Gide fait œuvre de libérateur (invitant à briser le carcan de lafamille, à s'évader des prisons confessionnelles et sociales), s'ildonne lui-même l'exemple de la parfaite disponibilité au regard dece que lui propose la vie, qu'a-t-i1 fait d'autre que de donner bonneconscience à une..jeunesse qui n'avait pas besoin de cette autori-sation pour se détourner des questions sociales et politiques? Sansdoute l'auteur des Nourritures terrestres n'échappe-t-il pas tout àfait à ce reproche. On serait pourtant mal avisé de s'en prendre,pour les mêmes raisons, à l'auteur du Voyage au Congo, de Retour

du Tchad, des Souvenirs de la Cour d'assises, de retour de l'U.R.S.Set de Retouches à mon retour de l'U.R.S.S. Le devoir de chaqueindividu est de faire son propre bonheur, mais non aux dépens desautres, au contraire : avec les autres. Si Gide, communiste, estsouvent plus près de l'Evangile que de Marx, du moins a-t-il su voirle vrai visage du stalinisme et dire, avec courage et parmi lespremiers, que ce visage n'était pas beau.Le moraliste fait souvent oublier l'écrivain. Ecrivain classique.soucieux, ici comme ailleurs, d'obéir à des règles pour mieux lestransgresser au besoin, forgeant une prose qui évolue de l'affec-tation des premières œuvres à la transparence. (Mais ces pre-mières œuvres, quand elles se nomment Paludes ou le Prométhéemal enchaîné, sont des chefs-d'œuvre d'ironie légère). Romancierqui, avec les Caves du Vatican et les Faux-Monnayeurs, adeux œuvres maîtresses dans - ce qui est exceptionnel - desregistres fort différents. Auteur de ce Journal qui ne s'achèvequ'avec la mort de l'écrivain et enfin, critique, qui laissedans l'ombre pendant trente ans au moins beaucoup de critiquesprofessionnels.Son œuvre est considérable. Sa vie fut plus remarquable encoreet le composé harmonieux qu'elles font toutes deux n'a guère eud'équivalent depuis qu'il a cessé de régner ell souverain discr:etsur les lettres de ce pays. On trouvera ici des traces de l'aga-cement que suscite chez les écrivains d'aujourd'hui ce modèleencombrant. On plaindra les plus jeunes de ne point toujoursreconnaître ses mérites, ou pis, de l'ignorer. Ils ne savent pointqU'ils sont nourris de lui, qU'ils l'ont respiré dans l'air du temps,qu'ils ne penseraient point enfin ce qu'ils pensent si André Giden'avait contribué à modifier, il y a maintenant plus d'un demi-siècle, l'atmosphère intellectuelle et sensible de notre époque.

Quand je serai mort, Pierre,compromettez-moi,

me disait André Gide.

Ainsi Gide a cent ans. Sansdoute faudrait-il, à cette occasion,offrir quelques graves réflexionsconcernant l'homme et son œuvre.Je me bornerai à évoquer dans

ces pages le climat familier d'uneamitié de vingt ans avec « le plusirremplaçable des êtres ».

Gide et moi, on ne s'ennuyaitpas ensemble. Nous avions cons-titué un petit arsenal de formules,nées de quelque circonstance, etqui s'appliquaient à bien d'autres.Par exemple:Fuyons, fuyons ces lieux into-

lérables soit que l'ennui nouschassât, d'un salon ou d'une ville,soit que, grillés ici, nous sentionsqu'il fallait détaler au plus vite.

Cette force d'anarchie qu'ilportait en lui et qui transparaitfugitivement dans son œuvre,mais dont elle est imprégnée pourqui sait lire, il n'a su la libérerpour de bon que dans sa vie, auprix d'un ténébreux combat queses «mœurs:' l'aidaient à livrer.

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On ne dira jamais assez l'impor-tance des passions interdites dansla fécondation d'un artiste.

C'était dans le Caucase, entreTiflis et Batoum. Nous faisionshalte, nous petite caravane devoitures (des Lincoln), pour dé-jeuner, sur de grandes hauteurs,dans un site vraiment prométhéen- une sorte d'auberge très vaste.Nous cn étions à peine au «cha-chlik » que Gide, toujours en malde chandails, me demanda d'alleren chercher un dans l'auto. Lepetit orchestre d'accordéons quinous régalait m'accompagna deson souffle jusqu'au garage. Il yfaisait obscur. Je "is, en face, ungrand et gros homme qui se dan-dinait contre le mur. Je m'appro-chai. Un ours enchaîné dansait,en mesure, au son du lointainaccordéon. Dans une solitudeaffreuse, quand même il «parti-cipait ». Chandail sur le bras,j'allai rejoindre Gide.- Venez, dis-je. Il y a quelquechose...- Mais vous n'avez pas fini votrechachlik.- Faites-moi confiance. Venez.Nous arrivâmes à l'ours. Gide

le contempla longuement, qui

dansait, dansait, sa figure d'ourscontre le mur.- C'est atroce, dit enfin Gide.Mais vous savez, ce sera peut-êtrenotre souvenir le moins bêted'Union Soviétique.

Mais dites-moi, à qui donc serapporte ce pronom ? disait Gidedans des cas ambigus.Cela datait de loin, d'une lec-

ture de Malraux (le Temps duMépris, je crois). Gide admiraitd'abord de confiance. Puis le len-demain geignait: «J'ai mal dor-mi: la gratte. Alors j'ai reprisson Temps du Mépris là. C'esttrès bien. Mais dites-moi: à quidonc se rapporte ce pronom?(Et il soulignait de l'ongle unephrase). Dans ses précédents li-vres, je m'y retrouvais mieux. Unpersonnage bégaye, l'autre fumel'opium, le troisième est rôti dansune chaudière de locomotive ; onles distingue les uns des autres.Mais là !...

En revenant d'une visite à unacadémicien, Gide avait l'air son-geur.- Je me demande si ce qu'onm'affirme est vrai, dit-il enfin.

- Et que vous affirme-t-on ?- Qu'il est amoureux de sonfils... Mais je me méfie : pour mefaire plaisir, les gens racontentn'importe quoi.

Parmi nos formules, il y avait :Le plus bête des deux n'est pascelui qu'on pense, qui a, disaitGide, l'avantage de laisser laporte ouverte à toutes les conjec-tures.Et celle-ci, empruntée à Dos-

toïevsky:Il est si bête qu'on n'ose pas ypenser.C'est en évoquant Jammes que

Gide me livra cette perle...

- Je propose pour notre usage,dit Gide, un nouveau proverbede l'enfer.-Ah!- Oui : A chaque jour. suffit samalice.- Je croyais qu'on disait... «suf-fit sa peine.- Bien sûr qu'on le dit. C'est laversion catholique de la chose.La juste traduction est malice. Lapart du mal, la nécessaire part dudiable, quoi.

Page 17: quinzaine littéraire 82

cent ans par Pierre Herbart

Ouvrages d'André Gidepubliés dans Le Livre de Poche

comme pour la plupart de sesœuvres.- Je vais en référer au maître.Gide me guettait dans le cou-

loir:- Eh bien?- Eh bien, ça va mal. Elle a luPatchouli.- Quoi?- Patchouli, votre dernier livre,et...- Il faut réagir, s'écria Gide.Allons!La dame resta assise.

- Mon secrétaire m'a dit, com-mença Gide.- Je vois, maître, que vousm'avez comprise à demi mot. J'aisenti quel labeur gigantesquevous aviez entrepris, en lisantvotre dernier livre.

J'entrai. Je vis une dame, allsiseau bord d'un fauteuil, l'air calme,digne.- Vous êtes le secrétaire du maî-tre ? dit-elle.Je m'inclinai.

- Vous le voyez, je me suis ren-due à son appel.- Puis-je vous demander, Mada.me, par quelles voies vous estparvenu cet... appel !Elle sourit finement :

- Oh! Monsieur. Je sais lireentre les lignes. C'est grâce à sondernier livre...- Et quel livre?- Mais, Patchouli. Oh, je saisbien qu'il ne l'a pas signé de sonnom, qu'il a pris un pseudonyme,

de folles. J'ai connu à Gide plu-sieurs folles. L'une d'elles m'estrestée en mémoire.C'était aux petites heures. Mal

ressuyé d'une nuit éprouvantepassée hors les murs, je somno-lais. Gide paraît devant mon lit,en «pudjama:t comme il disait,un peu hagard, quelques cheveuxdressés sur le bord du crâne.- Cher, de grâce aidez-moi,dit-il- Mais, Gide, l'aube point àpeine.- C'est que, vous n'imaginez pas,il y a là une personne... (il s'ap-proche de moi, et à voix basse)Une folle!- Comment donc?

- Oui, elle est là, avec deuxgrosses valises. Elle s'installe.- Mais pourquoi ?- Allez savoir! Elle m'a dit:«Je me rends à votre appel, maî-tre. Me voici.» J'avoue que j'aiun peu perdu la tête. J'ai dit quej'allais vous chercher. J'ai dit :mon secrétaire. Pierre, aidez-moi,par pitié. Vous sentez bien que jene puis, à moi tout seul, surmon-ter cette épreuve.Je mis une robe de cham-

bre et me laissai entraîner dansl'appartement mitoyen.- Elle est là, souffla Gide en memontrant du pouce une porte fer-mée. Je vous en conjure, tâchezde tirer les choses au clair. Jem'esquive. Et dire que je n'ai paspris mon breakfast !

février 1953février 1956août 1956novembre 1958août 1960décembre 1960avril 1961juillet 1964novembre 1968novembre 1968mai 1969

Les grands hommes suscitent defolles amours et aussi des amours

assurés; vous devez obtenir leremboursement de tous ces frais.Allez voir un avocat. Je ne con-naissais d'avocat que Blum. J'yvais. Je lui raconte mon histoire.Blum me dit: «Bien sûr, tonami a raison. Les taxis sont assu-rés. Tu dois être remboursé. Moije ne m'occupe plus de ce genrede choses. Je vais t'adresser à unami sûr, maître Blumenfeld. Ilprendra ton affaire en main:t. Jevais chez Blumenfeld. Un hommecharmant. Il me demande une« provision :t que je lui donne. Letemps passe, et j'oublie. Puis jeme souviens et je retourne chezBlumenfeld. «J'allais justementvous écrire que la provi6ionétait insuffisante, dit-il, et vousdemander de la doubler ». Je faisun chèque. Le temps passe, etj'oublie. Puis je me souviens etje retourne chez Blumenfeld.Mais je ne me rappelais pas l'éta-ge et j'interroge la concierge.- «Maître Blumenfeld ? ricane-t-elle. Il a levé le pied avec l'ar-gent de ses clients :t. Je saute danl'un taxi et je vole quai Bourbon..«Tu sais, Léon, dis-je à Blum,je te retiens avec ton Blumen-feId:t. Et je lui raconte. «Ah!le malheureux! s'écrie Blum. Ila recommencé ! :tUne pause tandis que je me

pâme de rire. - «Alors, vouscomprenez, cela m'a rendu cir-conspect ». Encore une pause,puis : ... « Mais peut-être pas dansle sens que vous imaginez. Blumqui faisait confiance à cet avocatvéreux, en abusant de la miennebien sÛ·r... Mais enfin, c'était dela générosité - de la générositéjuive. Vous voyez, Pierre : Pro-blème! »

La Symphonie pa3toraleLes Faux·MonnayeursLes Caves du VaticanL'ImmoralisteLa Pone étroiteIsabelleL'Ecole des FemmesLes Nourritures terrestresSi le grain ne meurtPaludesSaül

Journal littéraire,(t. VIII

Mercure de France éd., 1960)

A la suite de la publication decertaines pages de son journal,Gide fut soupçonné d'antisémi·tisme. Cela me déplut. Je l'atta-quai en direct.- «Je n'ai guère envie d'abor-der cette question », me dit-il.- «Si, vous l'aborderez ».- « Soit! Puisque vous l'exigez...Eh bien, sachez (je vis pétiller sonregard) sachez que j'ai été unpeu traumatisé par... eh bien oui,par... Léon Blum dont vous savezqu'il fut mon condisciple.Voilà ce qui est arrivé. Un jour

ma femme fut blessée dans unaccident de taxi. Le bras cassé :plâtre - clinique - etc. Un ami medit: C'est ridicule; les taxis sont

Je comidère André Gide commele premier écrivain de ce temp6...Je' ne fai6 plU ma lecture favoritede 6e6 livre6. Se6 héro6 me 60ntplutôt antipathiqUe!. 116 ont de!préoccupatiom morale, dont toutm'e6t étranger. Aucune commu-nion d'eu% li moi. 116 me fontmême pitié et je le6 plaim, maÎ6je 6aù voir le6 mérite6, fintérêt,même de ce qui ne me plaît plU.André Gide n'écrit plU le6 livresqu'un autre que lui pourrait écri-re. C'e6t un point de vue que j'aipour juger le6 œuvre6 littéraires,si un autre que leur auteur auraitpu les écrire.

Paul Léautaud

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 novembre 1969 17

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André Gide a cent ans

Maurice Sachs

Par-dessus tout, Gide est le grandmoraliste français de notre épo-que. C'est comme tel qu'il a sus-cité tant de commentaires, tantde discussions, tant de dissenti·ments, tant d'approbations, tantde ferveur et de révoltes.C'est ainsi que ses écrits sont unlevain puissant, et que dans lapâte lourde d'aujourd'hui, ils in·sufflent la naturelle, la grave etnécessaire animation.

- J'en ai assez d'errer dans cetappartement. Je me sens claustro·phobé.- Moi aussi.- Eh bien, allons à Taormine.Le jour même nous prenions

l'avion pour Syracuse.- Avant de louer une auto, ditGide, je veux vous montrer lafontaine Aréthuse.Il m'y conduit:

- Là, en·dessous, regardez... Çane vous émeut pas ?- Non.- C'est que vous êtes si igno.rant.Je lui récitai aussitôt le mythe

de la nymphe de Diane.- Et alors, rien... Pas d'émo·tion?- Non.- Moi non plus.. «Fuyons,fuyons ces lieux intolérables. »A Taormine, la vie devint bien·

tôt difficile. Par malheur, l'hôte-lier nous avait donné des cham·

André Gide, p. 47,Denoël et Steele, 1936

né Gide sur cette voie où se révé··lait une dimension qui, peut·être,-manque à sa pensée, par excès debalance.Là, dans cette chambre de

l'hôtel Adriatic où Gide grelottaitsur son lit (j'avais beau allumerdans la cheminée des journaux !),moi marchant au hasard autourde lui, ah! que ne l'ai.je pousséplus loin ?Du moins, ai·je eu le bon esprit

d'écrire cette «conversation:t, enrentrant chez moi. Nous nel'avons jamais reprise. L'amitié,décidément, n'est que l'histoiredes occasions perdues.

AdrienneMonnier

Combat, 23 février 1951

La postérité saura mieux quenous le degré de génie auquelatteint son œuvre, mais nous sa-vons qu'il avait le génie de lalittérature, qu'il était là chez lui,qu'il jouissait là d'un discerne·ment et d'un gouvernement peut-être sans exemple. Jamais, pourrapprenti.écrivain, on ne vit untel maître - tant par renseigne.ment de ses livres que par celuiqu'il donnait de personne à per-sonne avec une extrême bonté.

sait. Quand je m'indignais endisant: «Vous savez bien quecette contrainte, vous entendezvous l'imposer à vous·même. endisciplinant votre création; vousn'admettriez pas qu'elle vous soitimposée par un quelconque Vichy.Vous jouez sur une équivoque ».- «Bien sûr. Et mieux, je jouesur les deux tableaux, car je pré·tends gagner sur les deux : la con·trainte dont je me châtie m'amè·nera, si j'ai du talent, à unecertaine perfection; celle qu'onm'impose me contraindra à inven-ter les moyens de la déjouer.Ils existent. Ces gens-là sont,

pour finir, des imbéciles. On nebrigue pas un poste de gouverne-ment sans posséder, à son insucertes, une foncière vulgaritéd'âme et d'esprit, en dépit de leurastuce à tous. Quel plaisir de s'enjouer! Et remarquez nos verbes,Pierre : jouer, déjouer, se jouer.Toujours l'idée de jeu. «L'œuvresera joyeuse ou ne sera pas », au-rait pu dire Breton. - «Et s'ilsvous contraignaient simplement àvous taire? Cela s'est vu.» _-«La belle affaire ! Qu'importentvingt ans de silence? Et puis, onécrit trop, pensait Lafcadio; jecrois même qu'il l'a dit... » -« Ainsi, vous croyez que vos deuxcontraintes... » - «Se combine-ront, oui. En une combine, pourfaire la nique à cette chose bêteet basse: le pouvoir. »Que n'ai-je, requis que j'étais'

par ce que je croyais être des« réalités» plus pressantes, talon-

En 1941, Gide, à Nice, se plai-sait à répéter cette phrase: L'artvit de contrainte et meurt de li·berté - dans un moment où,dans ce domaine, la censure sévis·

Gide prit un air modeste :- Voyez.vous, Pierre, dans cescas là, il importe de ne pas déses·pérer l'âme en peine. Il faut mon·trer une voie.

Une amie avait donné à Gideun caniche, une bête grincheuseet, de toute évidence, hystérique.Gide s'essayait à la dresser. Parexemple, ayant par inadvertancemarché sur la patte de l'animalqui se mettait à hurler, il lui don·nait une bonne tape «pour luiinculquer, disait.il, le sentimentde la faute. »Un matin, Gide me dit :

- Qu'en pensez·vous, Pierre: sinous allions à Tahiti?Et devinant ma perpexité :

- Vous voyez ça, là sur la table...C'est le manuscrit de X ...Un riche collectionneur suisse

m'en propose :K... francs. Je croisque cela paierait le voyage.Je me retirai, rêvant à Tahiti.Pendant le déjeuner, que nous

prenions chez la Petite Dame,Eugénie la femme de ménage deGide, fit irruption dans la salleà manger:- Monsieur, Monsieur! venez!le chien mange tout..- Mais quoi ?- Vos papiers.Dans la bibliothèque, un spec·

tacle désolant nous attendait. Lemanuscrit, en tout petits mor·ceaux, jonchait le tapis.Gide haussa les épaules:

- Pas de Tahiti, dit·il.A quelques jours de là, je trou-

vai Gide «au travail ».- J'étais d'autant plus ennuyéavec ce manuscrit, dit-il, quej'avais glissé dedans l'adresse duriche collectionneur. Cet imbé·cile de chien a tout déchiré. Heu-reusement ce Suisse m'a télépho-ilé. J'ai laissé l'affaire pendante.- A quoi bon, puisque le chiena tout boulotté.- On ne me prend pas sans vert.(Et d'un air gourmand) : Regar-dez. Je fais un faux manuscrit.C'est long. Mais ne croyez pas queça m'ennuie. J'invente des correc-tions !Nous n'allâmes pas à Tahiti,

bien. par ma faute.

.André Malraux

- Patchouli?Oui, Patchouli. A vous seul,

penser, composer, écrire tout sequi se publie en France. (Elle seleva.) Je suis venue vous aiderdans cette tâche.- Hélas,' Madame... balbutiaGide.- Oh! Maître, permettez.moiune remarque : De tous les livres'que vous avez écrits, les meilleursne sont pas ceux que vous avezsignés de votre vrai nom. (Gideeut un haut.le.corps.) Quelle mo-destie ! quelle leçon !- Hélas, Madame! accablé parces travaux d'Hercule, j'ai déjàengagé une personne qui me prê.te son concours. Vous l'entendezdu reste. (En effet, la secrétairede Gide· venait d'arriver et, trou·blée par cette présence féminineprès de son dieu, tapait furieuse·ment à la machine dans la piècecontiguë.)

Gide s'inclina:- Madame!- Eh, maître, que deviendrai-je? J'ai tout abandonné, ma mai·son, ma vieille mère. Que faire,dites-moi,. que faire?- Apprenez l'anglais! dit Gided'un ton alerte.Contre toute attente, la dame

f r a p p a allègrement dans sesmains:- Merci, maître. Oh ! merci!Elle s'élança dans le vestibule,

saisit. ses lourdes valises et s'enfut.- Ouf : dit Gide.- Quand même, l'anglais, c'étaitun coup de génie, constatai-je.

Je le. crois... un directeur deconsciénce. C'est une professionadmirable et singulière... Par sesconseils, il n'est peut.être qu'ungrand homme de «ce matin », -une date. Mais par cela, autantque par son talent d'éCrivain quile fait par bonheur le plus grandécrivain français vivant, il est undes hommes les plus importantsd'aujourd'hui.

. Cité par Henri Massis,in Jugements, Plon éd. 1924

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16 décembre 1943

fait: «C'est maintenant presqueun grand jeune homme ». Je lepensais encore, mais cette foisavec un immense retard. Je nem'apercevais pas combien j'avaischangé.»

- Oui, oui... Voilà ce qui m'arri·ve. Je suis vieux, n'est-ce pas, etje vais mourir... Eh bien, je n'aipas encore compris que je n'étaisplus un jeune homme.Les heures passaient lentement,

avec une étrange précipitation. nsomnolait sur son lit, dans cettechambre dépouillée de toute tracede confort. Le jour interminablesombrait tout de suite dans lanuit. C'est à une de ces aubes-làqu'il dut écrire, de quelle écrituretremblée! la phrase qui termineson Ainsi-soit-il...Ce n'est pas ma propre position

dans le ciel par rapport au soleilqui doit me faire trouver l'auroremoins belle.Le médecin avait ordonné des

piqûres de morphine, non qu'ilsouffrît, mais pour son cœur.Comme je m'avançais avec laseringue, il me dit:- Qu'est.ce que vous allez mefaire là ?- De la morphine.- Non, Pierre, je vous en prie...N'allez pas me priver de la mort.Je veux voir comment ça sepasse.J'eus un moment de faiblesse.

Il reposait inerte - et je lecrovais inconscient. A son chevet,sa r'nain dans la mienne, j'appuyaimon front sur ses doigts.- Gide! Ne nous quittez pas,murmurai·je.U tressaillit - et sa voix, faible

mais nette, me parvint, pour ladernière fois :- Qu'est.ce que vous racontezlà ?

Roger Martin du Gard couchait,Ians la bibliothèque sur un litde fortune qu'on lui avait dressé.Oix fois, je venais le trouver.Nous échangions, sans rien dire,un regard.Les apprêts de cette mort pa-

raissaient bâclés, prenaient le ca-ractère provisoire qui avait mar·qué toute cette vie.La présence de Roger était le

seu1 recours.La dernière nuit, étreintés par

les veilles, je dis à l'infirmièred'aller chercher une bouteille dechampagne dans le réfrigérateur.

avec un vieil homme ». Je sentaisque la phrase qui avait fait rireétait de celles qu'aurait pu, enparlant de moi, dire ma mèrepour qui j'étais toujours un· en·fant. Or je m'apercevais que ieme plru;ais pour me juger au mê·me point de vue qu'elle. Si j'avaisfini par enregistrer comme ellecertains changements, qui s'étaientfaits depuis ma première enfance.c'était tout de même des change-ments maintenant très anciens.J'en étais resté à celui qui faisaitqu'on avait dit un temps, pres-que en prenant de l'avance sur le

André Gide vers la fin de sa t'ie

de l'est par l'âge - il... ah!tâchez de me dégoter cela...Je pris le Temps retrouvé et le

lui tendis, ouvert à la bonne page.Non. Lisez. Je vois trouble. Je

ne peux plus.

Gilberte de Saint.Loup me dit :« Voulez·vous que nous allions

dîner tous les deux seuls au res-tl/urant? » Comme je répondais:«Si vous ne trouvez pas compro·mettant de venir dîner seule avecun jeune homme », j'entendis quetout le monde riait, et je m'em·pressai d'ajouter: «ou plutôt

Une lettre inédite d'André GideA Jean Denoil

Cher Denoël,Et pourtant nous ne causions pas beaucoup; nous n'échangions

pas de propos sublimes; mais le contact y était, que je sens si1 rarement s'établir_ Vous avez la Foi; je n'ai pas la foi; ou même:j'ai la non-foi, l'anti-foi ; et vous le savez bien; mais n'importe ::nous sommes de même religion et nous le sentons tous deux. endépit de Jammes et de ce que je peux penser ou écrire qui luiparaît impie, blasphématoire; et notre cœur s'émeut de même, ade semblables battements devant la misère de l'homme, et tolèreaussi impatiemment l'injustice; enfin : auprès de vous, j'y vaisde mon meilleur... Vous me manquez beaucoup. Je ne puis vousadmettre malade; soignez-vous, je vous en conjure. Quant à moi,je me cramponne, de mon mieux; mais malgré le Mirus et lessoins dont m'enveloppe Si Haddou. j'ai traversé. sitôt après votredépart, une période assez longue où me sentir tout décollé. Depuisdix jours, j'espère avoir le dessus; encore que très affecté par ledouble deuil que m'apprenait avant-hier un inconnu : la mort demon beau-frère et vieil ami Marcel Drouin (en juillet dernier) etde sa fille, mariée depuis deux ans; morte en décembre 42 enmettant au monde un enfant. Ma pauvre vieille belle-sœur, àCuverville, doit se sentir bien désemparée... Pas d'autres nou-velles ( ... ) A{ldté Gide.

Jean-PaulSartre

Les Temps modernes, mars 1951

Ce que Gide nous offre de plusprécieux, c'est sa décision devivre jusqu'au bout l'agonie et lamort de Dieu.Il a vécu pour nous une vie quenous n'avons qu'à revivre en lelisant; il nous permet d'éviterles pièges où il est tombé, ou d'ensortir comme il en est sorti.

bres indépendantes du reste dcl'auberge, avec un escalier pri,-édonnant sur la rue - ce qui per-mettait une incessante circulation.Nous rencontrâmes Truman Ca-pote et Donald Windham pourqui je me pris d'une vive sympa·thie. Qua n d nous partîmes,Windham me donna un livre 41elui: Dogstar.- Qu'est-ce que c'est ce livre?me demanda Gide, dans l'auto.- Un livre de Donald.n le feuilleta un moment puit;,

soudain, le jeta par la portière.Furieux, je fis arrêter l'auto, en·voyai le chauffeur rechercher levolume sur la route.

Dogstar me plut tant qu'avecElisabeth Van Rysselberghe je letraduisis. Gide ne voulut jamaisle lire. n avait ainsi des obstina·tions, des répugnances, incom·préhensibles chez un esprit si cu·rieux.

J'étais à Cabris avecMartin du Gard, tandis que lamort rôdait déjà autour de Gide,à grands pas de loup. Alertés parun télégramme, nous regagnâmesl'un et l'autre Paris.n se levait encore, mais de

quelle démarche titubante! - etce fut, peu après mon arrivéepour gagner sa bibliothèque oùil voulait consulter un livre:- Aidez·moi, Pierre, à retrouverce passage dans Proust, vous savezvers la fin, à cette «matinéechez le prince de Guermantes oùl'on retrouve l'ancienne MadameVerdurin et que tout le monde luiapparaît grimé - et tout le mon-

La Quinzaine littéraire, du lM au 15 novembre 1969 19

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André Gide a cent ans

Fût-ce le passage du froid à lachaleur de la chambre, ou mala-dresse de ma part, la bouteillequand je la débouchai, laissa fu-ser un flot de mousse dont Gidefut inondé.Ses yeux s'entrouvrirent, et je

crus y lire un éclair de malice.Je compris qu'il avait reçu les

saintes huiles et qu'il allaitmourir.

Pierre Herbart

A proposd'André Gide

Nathalie Sarraute

André Gide, aujourd'hui, nereprésente plus grand chose pourmoi. Je ne l'ai plus relu depuislongtemps. Il fut en revanche trèsimportant pour ma génération.A dix-huit ans nous étions exal-tés par les Nourritures terrestres.Je me souviens avoir lu ce livreaprès l'avoir plongé dans l'eaude la Méditerranée! Mais, à vraidire, j'étais par moments gênéepar sa forme emphatique, incan-tatoire. Quant à ses romans, leursubstance m'a toujours paru pau-vre et leur écriture précieuse etcompassée. Dans les Faux-mon-nayeurs, il y a peut·être une pre·science <le certaines voies que lel'oman a empruntées plus tard,mais j'avoue que, sur le moment,je ne m'en suis pas rendue compte,le roman m'a paru plat.Dans son œuvre, je plaçais à

part Paludes où la forme gidien-ne, avec ses raffinements et sesmaniérismes, sert admirablementson propos. Oui, Paludes est unjoyau. Il me semblait qu'à unbien moindre degré, car là Gidene s'était pas arraché à la conven-tion, les Caves du Vatican étaientdans 'leur genre, une réussite.Nous étions surtout intéressés parson œuvre critique : Incidences,Prétextes, Nouveaux prétextes. IlIl y montrait, à l'égard de toutesles gloires officielles de l'époque,la même indépendance qu'il ma-nifestait vis-à-vis de la morale tra-ditionnelle. Il a osé dire que lejeu de Sarah Bernhardt avait étédétestable. Il nous confirmait

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qu'Ubu était une grande pleceet que Curel ou Bernstein, alorsillustres, étaient de piètres écri-vains. Il a parlé de Dada d'unefaçon pénétrante. Il li. voulu faireconnaître mieux Dostoïevski enFrance. Il était un homme enéveil, luttant sans cesse pour selibérer, pour passer outre à tousles interdits. Sa présence et saparole étaient pour nous un sou-tien. Son goût comptait pour nous.Quand j'ai fini Tropismes, j'aisouhaité que Gide lise le livre. Jeme suis dit qu'il ne l'a pas lu...pour me consoler.

Nathalie Sarraute

Philippe Sollers

André Gide n'a jamais repré-senté rien de décisif pour moi,sauf en ce qui concerne sa posi-tion critique, ce qu'on pourraitappeler son système de lecture,très différencié et ambigu.Il serait intéressant d'étudier

la façon dont Gide est devenu uneformation de compromis, prati-quant une politique de «troisiè-me force» entre ce qu'il y avaitd'archi-réactionnaire dans la lit-térature de la fin du XIXe siècleet une certaine attention qu'il atenté de porter sur les percéesrévolutionnaires qu'étaient le sur-réalisme, le marxisme, le freudis-me. Entre ces deux voies, il occu-pait une position de centralisa-tion imaginaire; c'est ce quidonne ce caractère de musée àson œuvre, ce qu'on pourrait ap-peler, n'est-ce pas, la nécropoleNRF.On peut suivre à la trace, dans

le Journal, l'effort qu'il fait pours'arracher à son classicisme con-génital et pour s'ouvrir à desrévolutions dont il sent bien lecaractère radical mais qui J'in-quiètent. Cet effort a même quel-que chose de pathétique. A cer-tains moments, il est tout près dehasculer et puis il décroche, iltemporise. Dans chaque livrequ'il a ouvert, on trouverait unefleur fanée.Il lit Lautréamont en 1905,

c'est-à·dire extraordinairement tôt.II saisit immédiatement son im-portance. «La lecture (00') du 6echant de Maldocor me fait pren-dre en honte mes œuvres et toutce qui n'est que le résultat de laculture en dégoût.» Bien! Mais,après avoir aperçu et placé, de

manière remarquable, Lautréa-mont, il se dérobe, il ne revientplus sur ce sujet. Même chose pourMallarmé, qu'il ne reconnaît quede façon superficielle (tout en res-tant méfiant vis-à-vis de l'inanité« poétique» de Valéry). Pour lereste, le Journal montre, en effet,une culture «encyclopédique ».Il connaît la littérature du mondeentier mais s'il s'intéresse à tout,il demeure toujours en centre del'hémicycle, c'est un représentantparfait de sa classe.Vis·à-vis de Freud, c'est le mê-

me mouvement. En 1922, il ditqu'il fait du freudisme depuisdix ans, quinze ans, sans le savoir,et il conclut bizarrement: «Ilest grand temps de publier Cory-don ». Donc, très éveillé, intéressé,mais, tout de suite, c'est le refus,la fermeture, la fuite. En 1924,il nous apprend que «Freud estgênant ». «Il me semble qu'onfût bien arrivé sans lui à décou-vrir son Amérique (... ) Que dechoses absurdes chez cet imbécilede génie.» Ce jugement pèse,évidemment, son poids d'aveugle-ment révélateur.Même chose pour le marxisme.

Il dit avoir essayé de lire Marx,il a lu sans doute quelques livresde Lénine et ses prises de positionpolitiques, au moment de la mon-tée du fascisme, ne sont certaine-ment pas à négliger. Mais enmême temps, c'est dans ce do-maine que l'ambiguïté culmine.En parlant de Marx, il se trahit,il s'avoue: «Dans les écrits deMarx, j'étouffe. Il lui manquequelque chose, }e ne sais quelleozone indispensable à la respira-tion de mon esprit. » Vous voyez:toujours cet effort pour se libé- 1

rel' de la marque psychologique 1et son inaptitude à le faire.On peut dire que Gide avait

une avance considérable sur lesautres acteurs de la littérature oude la culture françaises de sontemps, mais le retard de l'idéolo·gie bourgeoise, dont il est malgrétout le représentant, ce retard,lui, est constant et ne honge pas.II reste un idéologue bourgeoisqui voudrait bien changer de ter-rain car il sent bien que tout sepasse ailleurs mais, non, il ne peutpas s'y faire, il le dit lui-mêmeaprès la lecture de Marx: «Jesortais de là, chaque fois, cour·baturé ». Ce qui courbature Gide,c'est Marx. Alors, sa venue brèveet hâtive au communisme, si elledoit être saluée, doit être réduite

à ce qu'elle est: une affaire sen-timentale. Il a horreur de la théo·rie qu'il trouve bien entendu« inhumaine ». Il préfère « la cha·leur du cœur ». Quand il opposel'idéalisme et le matérialisme, ilrefuse de choisir l'un ou l'autre.Non! Il voudrait que l'on rem·place matérialisme par rationa·lisme : grâce à ce tour de passe-passe, on pourrait tout réconci-lier.Comme écrivain, il ne m'a

jamais touché et il me semble quesa syntaxe est sans intérêt. Maisson itinéraire intellectuel n'estpas sans dignité. Il serait utiled'en faire une analyse approfon-die où l'on verrait se formulertoutes les composantes de cetteidéologie «de la rue Vaneau »qui nous paraît aujourd'hui sansréalité. Gide est le symptôme aigud'une idéologie mystifiée, inca-pable, malgré son désir, de remet.tre en question les fondements desa propre culture. En ce sens, ilest tout à fait exemplaire.

Philippe Sollers

Patrick Modiano

Pour moi 1, André Gide n'a ja-mais compté et je crois qu'il enva de même pour toute ma géné-ration. Au lycée, on nous parlaitdes Nourritures terrestres et j'aiété complètement déçu. Le livredatait terriblement et c'était unmystère, pour moi, que nos aînésaient pu lire ce livre en y enten·dant une sorte de. cri de libéra-tion. Littérairement, je ne pou·vais goûter ce livre. II baignedans une atmosphère orientale, ildégage des fumées d'encens et,comment dire, un côté rahat-lou.koum. C'est même étrange, celivre qui ne parle que de ferveuret de désir, il ne s'y exprimequ'une accablante onctuosité.C'est peut-être de ce seul point

de' vue qu'il mérite d'être lu:·connne une espèce de curiosité etaussi comme un signe. II montrequ'en l'espace de quarante ans,une parole qui fut reçue commesubversive, est devenue une pa·.l'ole mièvre et conventionnelle.Les autres ouvrages de Gide ne

m'intéressent pas beaucoup plus.Je suis frappé par sa sécheressede cœur. Celle-ci me paraît si évi-dente que l'onctuosité des Nour.ritures, on soupçonne qu'elle n'estlà que pour la masquer. C'estvrai, il a une sorte d'inquiétude,

Page 21: quinzaine littéraire 82

."W'asque mortuaire de Gide

"..'l-

Propos recueillispar Gilles Lapouge

Les dernièreslignesdu journald'AndréGide:

D'une manière générale, Gide,pour moi, fait vieillot, désuet,empoussiéré, on dirait un salonde grand bourgeois dans lequelpassent des jeunes gens frileuxqui se proclament libérés et fer-ment toutes leI! fenêtres de peurde s'enrhumer. Quand aux tour-ments de leur âme, eh bien, nousavons aujourd'hui d'autres pro-blèmes.

Une étudianteen philosophie

il s'agite en tout sens, il a de labonne volonté, parfois, il voudraitsortir de son système, mais lesforces lui manquent. Il n'arrivaitjamais à étreindre ce qu'il auraitdû étreindre.Deux livres peuvent à la ri-

gueur être sauvés: d'abord Palu-des, qui est un divertissementmerveilleux, peut-être aussi lesFaux - monnayeurs. Personnelle-ment, je ne l'ai pas beaucoupaimé, mais il y a là un travaillittéraire étrange, ce roman dansle roman. Quant au Journal, cesrhumes, toujours ces rhumes...

Patrick Modiano

13 février 1951Non! Je ne puis affirmer qu'avec la fin de ce cahier, tout

sera clos; que c'en sera fait. Peut-être aurai-je le désir derajou-ter encore quelque chose. De rajouter je ne sais quoi. Derajouter. Peut-être. Au dernier instant, de rajouter encore quelquechose... J'ai sommeil, il est vrai. Mais je n'ai pas envie de dormir.Il me semble que je pourrais être encore plus fatigué. Il est jene sais quelle heure de la nuit, ou du matin... Ai-je encore quel-que chose à dire? Encore à dire je ne sais quoi.

Ma propre position dans le ciel, par rapport au soleil, ne doitpas me faire trouver l'aurore moins belle.

En marge: Cette page n'a aucun rapport avec celles qui pré-cèdent.

Le dosage insuffisant du gris-bleu du manteau de Catherinea été miraculeusement racheté, par la suite, par l'apport inattendude la toque. Tout cela d'un goût exquis, évidemment.

La Quinzaine littéraire, du 1w au 15 novembre 1969 21

Page 22: quinzaine littéraire 82

LBTTBE8

Horkheim.er et la théorie critiqueD'ALLBMAGNE

«Ma situation est celle de Kantavant la Révolution »i._ml!fW ; El! 'M'IIi\! 4111

or, notre tâche, aujourd'hui, n'estpas de hâter cette évolution, maisde la freiner en défendant lesvéritables valeurs qu'elle s'apprêteà déduire, c'est-à-dire l'autonomiede l'individu.J'ai demandé à Horkheimer si

dans ces conditions, il s'écartaitdes doctrines de Marcuse. « Ilexiste entre Marcuse et moi, ré·pond.il, un accord profond ». Ilréfléch.it puis ajoute : « Notreanalyse est très voisine. Mais nousplaçons les a c c e n t s différem-ment ». A quoi tient cette diffé-rence? Dans « Vers la libéra-tion », Marcuse semble indiquerqu'il reste un espoir d'échapperau monde de « l'administrationtotale Horkheimer, quant à lui,tient que la théorie critique, aprèss'être inspirée de Marx, doit sesouvenir aujourd'hui de Schopen-hauer. Elle a même des affinitésavec la théologie. Est-ce le mes-sianisme qui l'intéresse dans lareligion? « Pas du tout» répondHorkheimer, « c'est plutôt soncôté négatif, l'attention qu'elle ac-corde à la souffrance, et aux pro-blèmesDans une lettre qu'il écrivait

à son éditeur (et qui est publiéedans le recueil Kritische Theorie),Horkheimer compare sa situationactuelle à celle de Kant avant laRévolution française. Evoquantles guerres, les injustices de touteespèce, l'absurdité du système so-cial, Kant exprimait l'espoirqu'un jour le peuple prendraitconscience de tous ces abus etrenverserait l'absolutisme. Hork·heimer ajoute que même si Kantavait connu dans le détail le dé-roulement de la Révolution fran-çaise et la série de guerres qui enest résultée, il aurait gardé sonespoir dans le progrès moral del'humanité, fondé sur l'idée que«la sagesse divine concourt pra-tiquement à fexistence de la na·ture ». Détruire l'idée d'uneProvidence, l'espoir ne pourraitse fonder que sur la théorie. Sicelle-ci se dérobe, une action li-mitée reste possible, et doit êtreaccomplie. Mais elle ne saurait seréclamer d'un optimisme triom-phant. Luc Weibel.1. Voir: Uialektik der Au/klarung. Ce

écrit en 1944, fait penser à l'épi-thete de c germano.américain utiliséepour discréditer Marcuse.2. Cf. c Zum Problem der Wahrheit »,Kritische Theorie, I.3. cUber den affirmativen Charakterder dans Kultur und Ge$ell·$cha/t, I, Suhrkamp, 1965.4. KritÎ$che Theorie, I, p. 231.

montrée réservée à l'égard de cequ'il appelle « Geist (l'esprit),c'est-à-dire de l'esprit critique,scientifique, qui ne craint pasd'attaquer les fondements mêmesdu système social. L'ensemble dela littérature, de l'art, et une gran-de partie de la philosophie sontenvisagés du point de vue del'âme (Seele) qui, au lieu deséquer, d'analyser, bref de dé-truire, est capable de contempler,d'admirer, de comprendre. C'estévidemment ces spéculations, fon·dées sur l'intuition et s'élevantnoblement au-dessus des bassesréalités matérielles, que Marcusequalifie li'affirmatives, voulantdire par là qu'elles concourent aumaintien du système fondé sur ladomination. Ce sont elles quevise Horkheimer en disant que« la méfiance sceptique à f égardde toute théorie et f empresse-ment à croire naïvement en f exis-tence de principes fixes et dénuésde tout fondement sont les carac-téristiques de fesprit bourgeoistel qu'il apparaît, sous sa formela plus achevée, dans la philoso-phie de Kant (4).La théorie; dans cette perspec-

tive, ne doit pas être supprimée,mais bièn plutôt libérée. Ellen'entend pas être soumise à l'uti-litarisme, mais ne veut pas nonplus être identifiée immédiate-ment à la praxis révolutionnaire.La référence à la pensée dialecti-que implique en effet l'obligationde ne tenir aucun jugement pourabsolu et définitif, puisque lesrapports du sujet et de l'objetobéissent à des modificationscontinuelles qui transforment leurnature même. Pour Horkheimer- il devait le déclarer à Venise- la théorie critique peut déter-miner les caractères de la sociétéactuelle, elle ne saurait définir lasociété future. Peut-elle recom-mander la révolution? J'ai posé,sans doute naïvement, la questionà Horkheimer. Il m'a regardé d'unair incrédule, comme si cette for-mule était vide de sens. La révo-lution, selon lui, était l'espoir quianimait les efforts de son groupeavant la guerre, quand il s'agis-sait de combattre le fascisme. Au-jourd'hui, une révolution condui-rait à un régime de terreur bienpire que la situation actuelle.Dans le meilleur des cas, elle neferait qu'accélérer l'avènement dumeilleur des mondes (die verwal-tete Welt, le « monde adminis-tré ») vers lequel nous allons :

p- ffiHM,g;;_

tèmè, c'est la praxis. La scienceconstitue en effet la base de lasociété industrielle. Constater cefait et en déterminer les implica-tions au niveau de l'élaborationscientifique elle-même, c'est ce queHorkheimer appelle la Selbstre-flexion de la science.Il va de soi que la question

ne concerne pas seulement le sa-voir spécialisé, mais l'ensembledes règles du discours social. Cen'est pas le moindre mérite dela théorie critique de montrer

la société rejette ce quila met en danger. Rarement l'at-taque est directe. On préféreraremarquer que le discours contes-tataire « n'est pas clair qu'ilmanque de « logique :., on insis-tera sur son origine étrangère (1).Le malheur est qu'en cherchantà éviter ce reproche, on est ame-né à adopter les catégories ré-

et avec elles la philoso-phIe latente qu'elles impliquent.Cela signifie-t-il que la théorie

doive céder le pas à la praxis, quele concept de science doive s'éva-porer sous nos yeux, au termed'une réduction semblable à cellequ'Althusser a reprochée à Gram-sci ? En aucune manière (et c'estlà un point important sur lequell'école de Francfort s'écarte del'opposition extra-parlementaireallemande) .Horkheimer insistait naguère

sur le fait que théorie et praxis en-tretiennent un rapport qui peutêtre différé (2). Il rappelle au-jourd'hui que l'analyse de la si-tuation n'est jamais terminée, etque « les faits ne parlent jamaistout seuls. L'admettre, ce seraitretomber dans le praO'matismeb . courgeOls, pour qui la théorien'est justifiée qu'en raison de soncaractère «instrumental» en. d 'raIson e son utilité à l'intérieur

du système actuel de production.C'est bien pourquoi l'on prône

la spécialisation (quiInterdit a la théorie de débordersur ce qui doit lui rester voilé,comme par exemple le fonction-nement de la société).Il s'est produit à ce sujet un

malentendu qu'on pourrait peut-être dissiper en recourant au pe-tit essai de Marcuse intitulé «Surle caractère de la cul-ture» (3). On y montre que laculture-occidentale s'est toujours

. ,

Max HorkheimerKritische Theorie 2 vol.Fischer Verlag, FrancfortMax Horkheimeret Theodor W. AdornoDialektik der Aufklarung(réédition) ,Fischer Verlag

La célébrité de Marcuse et·d'Adorno a longtemps éclipsé lenom d'un homme qui fut pour-tant l'animateur et le directeurde I1nstitut de recherches socia-les de Francfort: Max Horkhei-mer; C'est en effet sous l'égidede ce philosophe que s'élabbra lathéorie critique de la société dontles mouvements contestatairesd'aujourd'hui se sont largementinspirés. Il faut donc saluer lapublication récente d'un recueildes articles qu'il fit paraître avantla guerre dans la Zeitschrift .fürSozialforschung.Qu'est-ce exactement que la

théorie critique? Le terme, quiavait été défini par Horkheimerdans ce qui est aujourd'hui l'undes chapitres fondamentaux deson recueil, a été analysé derniè-rement dans une conférence qu'ila prononcée à la Fondation Cini,à Venise. La théorie critique s'op-pose à la théorie traditionnelle.Celle-ci se caractérise par la re-cherche d'un certain nombre deprincipes dont il est possible d'in-férer des énoncés qui rendentcompte des phénomènes réels.Son but est de produire un dis-cours adéquat à son objet. Il estcependant deux questions qu'ellene pose jamais (ce sont les ques-tions qui précisément intéressentla théorie critique) : pourquoichoisir tel ordre, tel classementdes faits plutôt que tel autre?Et pourquoi se vouer à tel objetplutôt qu'à tel autre? Bachelard,on le sait, a tenté d'élucider leproblème en s'interrogeant surles motivations inconscientes quipoussent un savant, ou une épo-que, à favoriser un type d'expli-cation plutôt qu'un autre. Fou-cault, plus récemment, a délimité·les configurations du, savoir quistructurent l'ensemble des recher-·ches entreprises dans une période'donnée. Pour Horkheimer, quis'inspire en cela de Marx, le prin-cipe qui fonde les préférences in-·conscientes et qui fonde l'épis-.

22.

Page 23: quinzaine littéraire 82

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23

Page 24: quinzaine littéraire 82

Marché de l'Art ,a Cologne

On ne trouve plus en Europeune seule toile d'Andy Warholà vendre. Or, lorsque s'ouvrele 13 octobre au soir leKunstmarkt (Marché de l'Art)de Cologne, la galerie HeinerFriedrich, de Munich, y pré-sen te cinq peintures deWarhol : vingt minutes plustard, elles sont vendues.Cette anecdote est bien faitepour réjouir à la fois lespaladins (ou palotins?) dumarxisme élémentaire partisen croisade contre l'art-mar-chandise et le chauvinismeaigri des vendeurs de valeurssûres de l'Ecole de Paristrahis par l'inconséquence.denotre monnaie.

De toute façon, l'art se portemal en France, aux deux sensde l'expression: d'une part ilcroupit au sein d'une atmosphè-re empoisonnée tant par lemanque d'informations sur cequi se fait ailleurs que par lecomportement des dive r sesmaffias tentant de profiter dela confusion pour imposer leurcamelote respective (l'exemplele plus saillant en serait le pré-texte fourni par l'actuelle Bien-nale des Jeunes aux S.A. deRobho pour réaliser leur pro-gramme, lequel tient en un seulet unique article: ôtez-vous-de-là-que-je-m'y-mette !), y comprisla camelote « gauchiste» (car,mis à part quelques rares pein-tres et poètes, la plupart des" contestataires» ont simple-ment hérité de leurs bourgeoisde parents une indifférence to-tale à l'endroit de la créationartistique); d'autre part, per-sonne ou presque ne se sentassez courageux pour s'exposeraux quolibets ouvriéristes ouconseils-d'ouvriéristes en rap-pelant la signification révolu-tionnaire de l'utopie manifestéedans le poème ou l'œuvre d'art.Comment se porte-t-il en Alle-magne (de l'Ouest) ? Le Kunst-markt de Cologne permet des'en faire une idée il me sem-ble assez juste.On le sait, la vie artistiqueallemande n'a pas de centredistribuée qu'elle est entre di-vers foyers : Berlin, Cologne,Düsseldorf, Francfort, Ham-bourg, Hanovre, Munich, Stutt-gart (à l'inverse, en France,nous avons le centre mais pas

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de vie artistique du tout). Cha-que année, Cologne devientdonc, grâce au Kunstmarkt,l'éphémère capitale des échan-ges artistiques de l'Allemagnefédérale. C'est dire que les di-vers marchés provinciaux del'art n'y font plus, trois semai-nes durant, qu'un seul et uni-que marché. Cette fois, vingt-deux galeries allemandes y pré-sentent leur sélection, à cha-cune étant réservée une sallede même volume; en outre,une immense salle d'expositionest consacrée à une seule ten-dance, illustrée par dix-sept jeu-nes artistes, Américains à l'ex-ception d'un Allemand, Graub-ner, et d'un Anglais, John Wal-ker : « la lumière dans la pein-ture » (à ne point confondreavec l'art cinétique; ici, il s'agitvéritablement de peintures, laplupart gigantesques, dont ef-fectivement la lumière serait lepoint commun en dépit de ladiversité des obédiences esthé-tiques) . Pareille coordinationdes efforts serait bien entenduchose inconcevable à Paris, oùles seuls rapports possibles degalerie à galerie sont des rap-ports d'hostilité. Les prix sontaffichés (innovation que seuletenta ici, naguère, mais sanssUccès, la Galerie de France)et de surcroît tout est fait pourque nul, si peu argenté soit-il,ne quitte frustré et les mainsvides ce grand Prisunic de l'artmoderne. Si vous n'êtes pasassez riche pour vous offrir unegrande peinture, il y en a despetites ; ensuite viennent lesmultiples, les lithos et les séri-graphies; enfin, les livres etles catalogues (pour 5 marks,par exemple, une ravissanteplaquette de Bellmer). D'ail-leurs, l'immense stand de la li-brairie colonaise Walther Ko'nig, où l'on trouve tous leslivres d'art récents et les cata-logues de toutes les exposi-tions importantes d'art moder-ne dans le monde, est assailliavec autant de frénésie quejadis le buffet des grands ver-nissages parisiens. (<< C'estloin, tout ça! dirait AlphonseAllais.)

Ils ont l'aird'aimer ça!

Le 13 octobre au soir, leKunstmarkt, c'était le métro

aux heures de pointe, sauf quece n'étaient pas tout à fait lesmêmes voyageurs. Non seule-ment les marchands et les col-lectionneurs étaient là, maiségalement les artistes, avecleurs femmes, leurs maîtresses,leurs gitons peut-être. En outre,quelques hippies plus ou moinsauthentiques et des étudiantsdes Beaux-Arts, débraillés etexhibitionnistes comme partoutailleurs. La dominante néan-moins est à l'excentricité vesti-mentaire, le plus souvent debelle allure (on s'habille à Lon-.dres ?). Mais si le regard estparfois coupé par le passaged'une troublante créature, con-trairement à ce qui se passe àParis cette foule n'est pas ve-nue seulement pour se fairevoir et papoter. A mon grandétonnement, je constate queces gens regardent (mieux en-core : examinent), persécutentles marchands (qui sont là enpersonne, prêts à répondre auxquestions du premier venu) etleurs vendeurs, s'attardent, re-viennent, réfléchissent... Et leplus grave, ma parole, c'estqU'ils ont l'air d'aimer ça! Cer-tes, il y a certainement au nom-bre des acheteurs une bonnequantité de gens qui agissentpar souci de suivre la mode(comme les acheteurs des War-hol ?) ou dans un but de spécu-lation (même dans une nationaussi prospère) . Mais, toutétranger que je sois, j'ai ététrop souvent écœuré par la sot-tise ou l'inintérêt qu'affiche levisiteur habituel de nos gale-ries et de nos musées pour nepas avoir senti frémir ici, com-me à fleur de peau, une surpre-nante réceptivité. Non point àtout ni à n'importe quoi, il s'enfaut! Car je voudrais mettreen garde contre les conclusionshâtives d'américanisation dugoût allemand que l'on pourraittirer du Kunstmarkt. D'abord,toutes les tendances sont re-présentées, de l'art fantastiqueà l'art conceptuel; ensuite, lesgaleries allemandes ignorentles exclusives esthétiques (lagalerie Zwirner montre, à côtéde Morris Louis, Segal, Twom·bly, Wesselmann et Warhol,Magritte, Matta, Tanguy, Tapièset Toyen); enfin l'Allemagnepossède aujourd'hui un certainnombre d'artistes de premierplan, de Joseph Beuys à Konrad

Klapheck et de Bernard Schult·ze à Günther Uecker, qui nesont nullement des épigones.

popet surréalisme

Le Kunstmarkt de cette an-née est particulièrement valori-sé par la fastueuse donation auWallraf-Richartz Museum de lacollection Ludwig: une centained'œuvres de première impor-tance, principalement mais nonexclusivement Pop. A coup sûr,bon nombre de ceux qui se sontdéplacés à Cologne iront médi-ter dans les salles du muséenouvellement aménagées à ceteffet (la collection avait étéprésentée au printemps dansdes locaux trop exigus). Ils yverront notamment le Soun-dings de Rauschenberg, immen-se vitrine de magasin de meu-bles plongée dans l'obscurité àla surface de laquelle la moin-dre parole, le moindre bruit fonts'épanouir un mirage de chaises.Cet énorme gadget technologi-que (qui, cependant, est encoreune peinture puisque l'illusions'y inscrit en deux dimensions)me paraît être "un des troissommets du triangle de l'actua·lité artistique à Cologne et au·delà de Cologne. Le secondsom met ce serait, au seindu Kunstmarkt, l'environnementréalisé par Joseph Beuys, pro-phète de l'arte povera: d'unevieille camionnette Wolkswagens'échappe une théorie de 24traîneaux équipés chacun d'unetorche électrique, d'une couver-ture roulée et d'un peu de mar-garine. Quant au troisième, horsdu Kunstmarkt comme le pre-mier, c'est, dominant l'ensem-ble des œuvres réunies à lagalerie Baukunst sous le titreSurréalisme en Europe, sphèresfantastiques et visionnaires. levaste et tumultueux autel oni·rique échafaudé par Ursula. Ilme paraît que le destin de l'artse joue à l'heure présente entrela tentation technologique, l'oc-cupation de l'espace par lesmoyens les plus humbles oules plus saugrenus et la violen-ce convulsive du rêve. A cetitre, Cologne, en cet automne1969, n'est peut-être pas seule-ment l'éphémère capitale artis-tique de l'Allemagne...

José Pierre

Page 25: quinzaine littéraire 82

MUSIQUE

Avec Olivier Messiaen

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 novembre 1969

La S.M.I.P. (Semaine Musi-cale Internationale de Paris)8 débutêavec les œuvres dedeux compositeurs de pre-mier plan: Gyorgy Ligeti etOlivier Messiaen. Ce derniera bien voulu accorder un en-tretien à notre collaboratriceAnne Capelle.

O.M. Ce que représentepour moi la Transfiguration?Certains disent: «C'est unesorte de somme de son œu·vre -. Je ne suis pas entière·ment d'accord. A mon âge, évi·demment, j'ai plus de soixanteans, on traîne derrière soi toutun passé qu'il n'est pas ques·tian de renier, le voudrait-on, etje ne le veux pas. Mais la Trans-figuration est différente, à lafois par son sujet et le volumed'orchestre inhabituel que j'yutilise (238 exécutants). Oui,c'est énorme... et cela revienttrès cher... ce qui fait que jen'entendrai sans doute qu'uneou deux fois avant ma mortcette œuvre qui m'a coûté qua·tre ans de travail, de juillet 65à février 69.

Œuvre commandée?

O.M. Oui, par madame Perodigao, de la fondation Gulben·kian, pour Lisbonne, où eut lieula création mondiale devant9.000 spectateurs. J'étais libredu sujet. J'ai choisi sans doutele plus grand mystère parmi lesplus grands de la vie du Christ.Ici le miracle cesse, il est dé·gagé de toute· entreprise hu·maine, ce jour-là Dieu se mon·tre véritablement, dan s saGloire.

Acte de foi, donc, avant toutpour vous?

a.M. Acte de foi bien en·tendu. Les idées directrices dela composition ? Il Y en a deux.Celle de la lumière, d'abord,celle de la filiation ensuite.« Celui·ci est mon fils )) dit, en·fin, la voix de Dieu. Pour la pre-mière fois il a désigné le Christ,et nous, les hommes, par adop·tion.

Pour les incroyants qui ne sesentent concernés que par lamusique, non par l'intentionmystique, comment définiriez-vous la Transfiguration?

O.M. Elle est compos" àl'Image de l'Apocalypse, dedeux septennalres,· c'est-à-dIre,cieux fols sept pièces. séparéespar un ent1'acte et se suivantselon le même processus:deux textes évangéliques tirésde Saint·Matthieu, deux médita·tians sur le mystère, deuxtextes choisis dans les Ecritu·res religieuses, un choral final(pièce 7, pianissimo, pièce 14,fortissimo, mai. toujours avecle mime volume d'orchestre).

Olivier Messwen

Aucun de ces textes n'est deVOUS?

a.M. Non, mais j'en ai choi·si la mosaique. Ils sont égale·ment tirés de la Genèse, desPsaumes, des épîtres de Saint·Paul, de la Somme de Saint·

Thomas d'Aquin et autres tex·tes religieux du Moyen Age.

Récités en français ?

a.M. Non, en latin. Leur tra·duction est donnée dans le pro-gramme.

Dans ce volume orchestralinhabituel, faut-il signaler desparticularités?

O.M. Il se répartit en 18

bois, dont 6 clarinettes, 17 cui·vres, dont 6 cors, ce qui estassez rare. Un groupe de 7 so-listes exceptionnels, que cesoit Yvonne Loriod, ma femme,au piano, ou Rostropovitch auvioloncelle, ou les musiciensqui tiennent la flûte, la clarinet·

te, le xylorlmba, le vibraphone,le grand marumba•••

Cent chanteurs aussi ?

O.M. Par groupe de dix, oui,plus un quintette de 68 musi-ciens, et la très importante perocussion (6 exécutants utilisantchacun près de douze instru·ments) où je me sers de sixgongs et de trois tam·tam.

Le récit évangélique est-ilchanté?

O.M. Les pièces 1, 4, 8, 11,du récit selon Saint·Matthieusont psalmodiées avec vocali·ses sur les mots-clés, commeà l'antienne. L'orchestre ponc·tue seulement la pièce 8, parun glissendo de longueur etde temps différents. C'est lanuée qui enveloppe la monta·gne de la transfiguration. J'aivoulu, à ce moment de révéla·tian : « des accords triés, multi·colores, dont les couleurs semeuvent à des vitesses diffé·rentes D.

Dans cette œuvre quels sontles moments qui vous sont, àvous, les plus chers?

O.M. Ceux qui rendent, oudu moins s'y efforcent, la lu·mière enveloppant ce mystère.J'ai toujours vu des couleursquand je percevais des sons.Pour moi, la Transfigurationm'évoque les courses de majeunesse dans le Dauphiné,mon regard sur la Meije. C'estlà que j'ai découvert, la diHé-rence entre le scintillement dela neige, et celui du soleil. L'unpeut se regarder, l'autre estinsoutenable. J'ai tenté de tra·duire cette différence d'inten·sité dans la Transfiguration, enparticulier dans la 12" pièce:cc Terribulis est locus iste D

avec le texte de Saint-Thomas.Aussi dans le Choral final, avecle texte du psaume 26 : cc Sei·gneur j'aime la beauté de Votremaison et le lieu où habiteVotre gloire D.

Comment le dernier mot pro-noncé par mon interlocuteureut-il pu être autre que -Dieu- ?Le premier musicien, sûre-

ment. Selon Olivier Messiaen.Propos recueillispar Anne Capelle

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Page 26: quinzaine littéraire 82

POLITIQUE

Pour COlUprendre

1Pierre AvrilLe gouvernement de la. FranceEd. Universitaires

Cet ouvrage, publié à Paris en1969, porte sur une page inté·rieure la mention copyright Pen--guin Books, 1968. Cette indicationaide à saisir le propos de l'auteur.Il s'agit avant tout, pour les be-soins d'un large public, d'uneprésentation à grands traits desproblèmes du gouvernement dela France. Ce n'est pas dire quel'on ne trouve pas au cours dutexte des observations suscepti.bles de retenir l'attention du spé·

cialiste ou du citoyen soucieux del'amélioration de notre systèmede gouvernement.Le régime politique français

est présenté, conformément à latradition, comme le produit d'unconflit de légitimité entre ordremonarchique et principes démo·cratiques, ou encore d'un compro-mis face à la contradiction quiparaît opposer en France la dé·mocratie et le gouvernement. Lerésultat a été - au xxe commeau XIXe siècle - « le gouverne·ment à secousses (titre de l'undes chapitres), les conflits ne pou·vant se résoudre que par des af·frontements et des ruptures. La

Ve République espérait corrigerla c République des Députés àlaquelle elle fait suite, mais ellen'apparaît elle-même que com·me un c déséquilibre inversé« L'hypothèse de départ de la.Ve République était qu'il n'exis·tait pas en Frarwe de majoritéparlementaire stable en raison dela. multiplicité des partis et de la.division de fopinion Aussi l'onavait pris, pour y porter remède,des dispositions constitutionnellesréglementant l'initiative des dépu.tés; toutefois, pour la premièrefois dans l'histoire parlementairefrançaise, celles·ci se sont trou·vées depuis 1962 appliquées dans

un cadre majoritaire rigide, avecla même asymétrie que précé··demment, mais cette fois au bé·néfice exelusif du gouvernement.Dans la deuxième partie, inti·

tulée «le Modèle administratif »,l'auteur se réfère à plusieurs re·prises aux travaux de MichelCrozier et au caractère bureaucra·tique et centralisé de l'Etat fran·çais relevé par celui·ci ; toutefois,il rappelle au passage, la positiond'Alain Touraine selon qui lemodèle français ne serait ni pluslourd ni moins rationnel qu'unautre, mais simplement diffé·rent, observation qui ne peut pasne pas affecter les efforts entre·

FEUILLETON

par Georges Perec

Résumé du chapitre précédent: Après diverses précautions ora·toires, le narrateur donne quelques maigres indications sur sa vie.

26

J'étais depuis trois ans à H., lorsque, le matin du 26 juillet 19..,ma logeuse me remit une lettre. Elle avait été expédiée, la veille,de K., une ville de quelque importance située à 50 km à peu prèsde H. Je l'ouvris; elle était écrite en français. Le papier, d'excel·lente qualité, portait en en·tête ce nom

Otto APFELSTAHL, MD

surmontant un blason compliqué, parfaitement gravé, mais quemon ignorance en matière d'héraldique m'interdit d'identifier, oumême, plus simplement, de déchiffrer; en fait, je ne parvins àreconnaître clairement que deux des cinq symboles qui le compo·saient: une tour crénelée, au centre, sur toute la hauteur dublason, et, au bas, à droite, un livre ouvert, aux pages vierges;les trois autres, en dépit des efforts que je fis pour les com·prendre, me demeurèrent obscurs; il ne s'agissait pourtant pasde symboles abstraits, comme des chevrons, des bandes ou deslosanges, mais de figures en quelque sorte doubles, d'un dessinà la fois précis et ambigu, qui semblaient pouvoir s'interpréterde plusieurs façons sans que l'on puisse jamais s'arrêter sur unchoix satisfaisant: l'un aurait pu, à la rigueur, passer pour unserpent sinuant dont les écailles auraient été des lauriers, l'autrepour une main qui aurait été en même temps racine; le troisièmeétait aussi bien un nid qu'un brasier, ou une couronne d'épines,ou un buisson ardent, ou même un cœur transpercé.Il n'y avait ni adresse, ni numéro de téléphone. La lettre disait

simplement ceci :c Monsieur,c Nous vous serions extrêmement reconnaissants de bien vou·

loir nous accorder un entretien pour une affaire vous concernant.cc Nous serons à l'Hôtel Berghof, au numéro 18 de la Nurmberg·

strasse, ce vendredi 27 juillet, et nolis vous attendrons au bar àpartir de 18 heures.

c En vous remerciant à l'avance et en nous excusant de nepouvoir vous donner pour l'instant de plus amples explications,nous vous prions de croire, Monsieur, à nos sentiments dévoués. »Suivait ûn paraphe à peu près iilisible, et que seul le

figurant sur l'en·tête me permit d'identifier comme devant signifiercc O. Apfelstahl -." est facile de comprendre que, d'abord, cette lettre me fit

Page 27: quinzaine littéraire 82

notrepris pour résoudre nos problè-mes.Les grands traits de notre ad-

ministration, rôle du ministèredes Finances, les grands corps, lePlan, sont tour à tour évoqués etmis en perspective. L'auteur re·lève de multiples façons l'ambi-valence du système politico-ad-ministratif qui, à la fois, offre unexemple d'adaptation pragmati-que aux conditions imposées parl'histoire et les conceptions de lapolitique régnant en France etconstitue une survivance archaï-que : les règles qui définissentce modèle ne sont-elles pas étran-gères à l'esprit de la société in-

sociétédustrielle? Parmi les traits rete-nus, notons celui de « fédéralismevertical », emprunté à Daniel Ha-lévy, pour caractériser la centrali-sation territoriale en même tempsque le cloisonnement et la rela-tive autonomie des divers corpsde l'Etat. Mention est faite de lagrande 1i ber té politique dontjouissent en fait les fonction-naires.

La troisième et dernière partieintitulée, dans une formulationclassique, « immuable et chan-geante », évoque l'évolution éco-nomique et politique des derniè-res années. Le dernier chapitre,

ainsi qu'une postface é cri t eaprès le referendum du 27 avrilder nie l', essaient de démêlerl'avenir politique. Les chances devoir la solution présidentielle semaintenir et les conditions del'instauration permanente d'unebipolarisation fonctionnelle à la-quelle elles semblent liées, sontdiscutées.

Doit-on reprocher à l'auteurd'avoir repris le portrait déjàsouvent tracé, d'un modèle fran-çais traditionnel et de ses ambi-valences, de n'avoir indiqué quepeu de directions selon lesquellesrechercher le progrès de notre

société? Ce serait mal compren-dre l'utilité de pareilles analyses,qui est d'abord d'enrichir laconnaissance de problèmes com·plexes. La solution de ceux-ci,comme le montre une longuehistoire, ne sera pas découverteà l'aide de « il n'y a qu'à », maissera, à la longue, rendue plusfacile par l'amélioration du ni-veau de la compréhension desphénomènes en jeu. A ce titre,le Gouvernement de la Franceest un livre qui répond bien aubesoin et qui rendra service àtous ceux qui s'intéressent àmieux connaître notre société.

Philippe J. Bernard.

peur. Ma premlere idée fut de fuir: j'avais été reconnu, il nepouvait s'agir que d'un chantage. Plus tard, je parvins à maîtrisermes craintes: le fait que cette lettre fût écrite en français nesignifiait pas qu'elle s'adressait à moi, à celui que j'avais été,au soldat déserteur; mon actuelle identité faisait de moi unSuisse romand et ma francophonie ne surprenait personne. Ceuxqui m'avaient aidé ne connaissaient pas mon ancien nom et ilaurait fallu un improbable, un inexplicable concours de circons-tances pour qu'un homme m'ayant rencontré dans ma vie anté-rieure me retrouve et me reconnaisse. H. est une bourgade, àl'écart des grands axes routiers, les touristes l'ignorent, et jepassais le plus clair de mes journées au fond de la fosse degraissage ou allongé sous les moteurs. Et puis même, qu'auraitpu me demander celui qui, par un incompréhensible hasard, auraitretrouvé ma trace? Je n'avais pas d'argent, je n'avais pas la pos-sibilité d'en avoir. La guerre que j'avais faite était finie depuisplus de cinq ans, peut-être même avais-je été amnistié?J'essayais d'envisager, le plus calmement possible, toutes les

hypothèses que suggérait cette lettre. Etait-elle l'aboutissementd'une longue et patiente recherche, d'une enquête qui, peu à peu,s'était resserrée autour de moi? Croyait-on écrire à celui dont jeportais le nom ou dont j'aurais été l'homonyme? Un notairecroyait-il tenir en moi l'héritier d'une fortune immense?Je lisais et je relisais la lettre, j'essayais d'y découvrir chaque

fois un indice supplémentaire, mais je n'y trouvais que des raisonsde m'intriguer davantage. Ce « nous" qui m'écrivait était-il uneconvention épistolaire, comme il est d'usage dans presque toutesles correspondances commerciales où le signataire parle au nomde la société qui l'emploie, ou bien avais-je affaire à deux, àplusieurs correspondants? Et que signifiait ce « MD " qui suivait,sur l'en-tête, le nom d'Otto Apfelstahl ? En principe, comme je levérifiais dans le dictionnaire usuel que j'empruntais quelquesinstants à la secrétaire du garage, il ne pouvait s'agir que del'abréviation américaine de CI Medicine Doctor ", mais ce sigle,courant aux Etats-Unis, n'avait aucune raison de figurer surl'en-tête d'un Allemand, fut-il médecin, ou alors il me fallait sup-poser que cet Otto Apfelstahl, bien qu'il m'écrive de K., ne soitpas allemand, mais américain; cela n'avait rien d'étonnant ensoi: il y a beaucoup d'Allemands émigrés aux Etats-Unis, de

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 novembre 1969

nombreux médecins américains sont d'origine allemande ou autri-chienne; mais que pouvait me vouloir un médecin américainet que faisait-il à K.? Pouvait-on même concevoir un médecin,quelle que soit sa nationalité, qui mette sur son papier à lettresl'indication de son état, mais remplace les renseignements quel'on serait en droit d'attendre d'un docteur en médecine - sonadresse ou l'adresse de son cabinet, son numéro de téléphone,l'indication des heures auxquelles il reçoit, ses fonctions hospi-talières, etc. - par un blason aussi suranné que sibyllin?Toute la journée, je m'interrogeai sur ce qu'il convenait de faire:

devais-je aller à ce rendez-vous? Fallait-il fuir tout de suite, etrecommencer ailleurs, en Australie ou en Argentine, cette vieclandestine, forger à nouveau l'alibi fragile d'un nouveau passé,d'une nouvelle identité? Au fil des heures, mon anxiété laissaitplace à l'impatience, à la curiosité; j'imaginais fébrilement quecette rencontre allait changer ma vie.Je passais une partie de la soirée à la bibliothèque municipale,

feuilletant des dictionnaires, des encyclopédies, des annuaires,avec l'espoir d'y découvrir des renseignements sur Otto Apfelstahl,quelques indications sur les acceptions du sigle MD, sur la signi-fication du blason. Mais je ne trouvai rien.Le lendemain matin, pris d'un pressentiment tenace, je fourrai

dans mon sac de voyage un peu de linge et ce que j'aurais puappeler, si cela n'avait été à ce point dérisoire, mes biens lesplus précieux: mon poste de radio, une montre de gousset enJrgent qui aurait pu me venir de mon arrière-grand-père, une petitestatuette en nacre achetée à V., un coquillage étrange et rare quem'avait un jour envoyé ma marraine de guerre. Voulais-je fuir?Je ne le pense pas: mais être prêt à toute éventualité. Je prévinsma logeuse que je m'absenterais peut-être quelques jours et luipayai son dû. J'allai trouver mon patron; je lui dis que ma mèreétait morte et qu'il me fallait aller l'enterrer à D., en Bavière.Il m'octroya une semaine de congé et me paya avec quelquesjours d'avance le mois qui finissait. J'allais à la gare, je mis monsac dans une consigne automatique. Puis, dans la salle d'attentedes deuxièmes classes, assis presque au milieu d'un grouped'ouvriers portugais en partance pour Coblence, j'attendis sixheures du soir.

(à suivre)

27

Page 28: quinzaine littéraire 82

THÉATRE

Ni Ariel •Dl. Caliban

Une tempête, au Théâtre de l'ouest parisien

1Aimé CésaireUne tempête1d'après Shakespeare)Théâtre de l'ouest parisien

« Vous m'avez appris à parler,et tout le profit que j'en ai tiréc'est de savoir maudire le cride Caliban (celui de la Tempêtede Shakespeare), le cri de «l'es·clave sauvage et difforme serait-il le cri du Tiers-Monde maudis·

sant et secouant le joug colonial ?C'est en tout cas ainsi que Césaireveut l'entendre. L'œuvre dernièrede Shakespeare est assez herméti-que pour ne désavouer aucune dessignifications qu'on lui veut prê-ter. Renan voyait bien en Caliban,le Peuple. On peut faire de luiavec autant de vraisemblance,l'aïeul mythique du Black Power.D'ailleurs Jan Kott (Shakespearenotre contemporain) en notantjudicieusement que « Caliban» estl'anagramme du «Cannibale» deMontaigne (que Shakespeare avaittrès probablement lu) nous rap-pelle en même temps que de

28

nombreux commentateurs de laTempête rattachent sa genèse auxrelations de l'expédition de laflotte anglaise qui partit en 1609avec hommes et matériel, mettreen valeur la Virginie du Nord, etqu'une tempête fracassa contreles récifs des Bermudes: aprèsles astronomes, les humanistes etles savants, - ajoute-t-il -, négo·ciants et banquiers faisaient leurl'idée que la Terre est ronde.

Bref, le projet de Césaire de don·ner de la Tempête une «adapta-tion pour un théâtre nègre» étaitlargement fondé.Et pourtant ce «Discours sur

le colonialisme» logé dans unscénario shakespearien n'est guè-re convaincant. Il· sent l'exerciced'école, fût·il d'Ecole Normale:ingénieux, plausible mais artifi·ciel, systématique et politique-ment confus, ou anodin. Au de-meurant, à qui s'adresse-t-il, etque vise-t-il ? A séduire le tempsd'une soirée des intellectuels fran-çais «de gauche»? (alors, quelintérêt ?), ou à appeler les Antil·

les françaises (en favorisant leurprise de conscience) à secouer parla violence l'actuel joug colonial ?Mais la pièce du député de LaMartinique n'est pas précisémentun appel à la révolution. Ellereste l'œuvre d'un poète huma·niste, Noir et de langue française,encore attaché au concept, tenupour salvateur, decomme si ce retour au fonds afri-cain pouvait à lui seul avoir l'effi·

cacité et le pouvoir libérateur queseule peut avoir l'action révolu·tionnaire. Ce poète de la négri.tude, coincé entre les deux, neveut ni ne peut choisir entre Arielou Caliban, la collaboration réfor·miste ou la révolution violente :l'humaniste se borne à les «com-prendre» tous deux.Dans Shakespeare, Prospero

faisait jouer, faisait répéter surson île déserte, - à la fois lascène et le monde -, l'histoireshakespearienne du monde : luttepour le pouvoir, meurtre, révolte,violence. Ce que le Prospero colo-nialiste et cinéaste de Césaire

semble (car c'est assez peu clair)vouloir mettre en scène, c'est laparade de la civilisation blanche,qui se voudrait éblouissante (pouréblouir le nègre, et le châtrer desa culture), mais qui se termineen mêlée carnassière de requinss'étripant entre eux. Mais, à dé·marquer de trop près le scénarioshakespearien (avec duc usurpa-teur de Milan, roi de Naples,Miranda et Ferdinand, etc.) Cé-saire s'empêtre, et nous aussi. Onest loin de Genet qui, en quelquesscènes des Nègres, rendait aunéant cette mascarade Blancherévélée simple image et apparencepure.Reste la confrontation d'Ariel

et de Caliban, qui articule la piè-ce: Ariel, serviteur des œuvres etdes pompes de ce Prospero maîtred'illusions, Ariel le régisseur deses spectacles, est un mulâtre quicroit qu'on peut changer le maî·tre et qu'à le servir dignementon sera un jour libéré; Calibanle nègre, le forcené, sait queseules la force et la violence pour-ront contraindre Prospero. Césai·re se contente de poser les don-nées du problème. C'est un peucourt. D'autant que sa référencesystématique à la culture euro-péenne (en l'occurence le symbo.lisme shakespearien) rend la piè·ce - j'en prends le pari - rigou-reusement incompréhensible aupublic (celui des peuples encorecolonisés) au que 1 elle devraits'adresser, faute de quoi elle n'aaucune nécessité.J.-M. Serreau, après La Tragédie

du roi Christophe et Une Saisonau Congo, a mis en scène, avec satroupe de théâtrecette troisième pièce de Césaire.en tâchant de donner force etclarté à ce tohu·bohu peu néces-sane. Ce n'est pas l'intelligencede sa mise en scène qui est encause, ni sa science des moyensscéniques, qui nous vaut un spec-tacle précis, percutant, rythmé,ordonnant avec violence des ima·ges scéniques efficaces, ni nonplus le jeu d'excellents comédienscomme Lonsdale (Prospero), ouBoudjema Bouhada (Ariel). C'estqu'on reste étranger à une pièceen porte-à-faux: son contenuidéologique est trop vague, sa ma·tière verbale trop peu riche ; ellen'a ni valeur d'analyse (ce qu'avaitLa Tragédie du Roi Christophe)ni pouvoir d'appel: reste uneshakespearienne carcasse.

Gilles Sandier

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TOUS LES LIVRES

Bilan d'octobre

Livres de poche publiés du5 au 20 octobre 1969 LES LIBRAIRES ONT VENDU

LA QUINZAINE LITTÉRAIRE

1 VOUS RECOMMANDE

321

11113

GallimardGrassetGallimard-Denoël LNGallimardGallimardMinuitGallimard

Calmann-LévyDenoêlBallandBallandSeuilBuchet Chastel

Theatre

Papillon (Laffont) 1Piaf (Laffont) 5Les allumettes suédoises (Albin-Michel)L'adieu au roi (Grasset)

Vieillesse du prince (Plon)Madame et le management (Tchou)Napoléon tel quel (Trévise)La menteuse (Grasset)Un peu de soleil dans l'eau froide 3(Flammarion)Retour à Roissy (Pauvert)

Une société ImparfaiteLe forme et le senstes piratesEntretien. avec le LivingSchoenbergConquête de la lune

1. Henri Charrière2. Simone Berteaut3. Robert Sabatier

Liste établie d'après les renseignements donnés par les libraires suivants:Biarritz, la Presse. - Brest, la Cité. - Dijon, l'Université. - Issoudun,Cherrier. - Lille, le Furet du Nord. - Montpellier, Sauramps. - Nice,Rudin. - Orléans, Jeanne d'Arc. - Paris, les Aliscans, Fontaine, Gallimard,Julien Cornlc, Marbeuf, Marceau, Variété, Weil. - Poitiers, l'Université. -Rennes, les Nourritures terrestres. - Vichy, Royale. - Toulon, Bonnaud. -Tours, Terre des Hommes. - Tournai, Decallonne.

Littérature

Essai.

4. Pierre Schoendoer-ffer

5. Pierre Bercot6. Christiane Collange7. Henri Guillemin8. Jean Giraudoux9. Françoise Sagan

10. Pauline Réage

Mllovan DjilasJean-Louis FerrierGilles LapougeJean-Jacques LebelRené LeibowitzHerbert Plchler

Robert André L'amour et la Vie d'une femmeDominique FernandezLettre à DoraMichel Leiris Mots sans mémoire

, Jean-Pierre Morel Le mu....Flannery O'Connor Mon mal vient de plus loinClaude Roy Mol JeClaude Simon La bataille de PharsaleMario Vargas Llosa'" maison verte

Guy RachetArchéologiede la GrècepréhistoriqueMarabout UniversitéLa grande aventurede l'archéologiemoderne depuisles découvertesde Schliemannjusqu'à ses plusrécentes acquisitions

Jean-Yves PouillouxLire les «Essais»de MontaigneMaspero, 124 p., 6,15 F

Pierre DeyonLe mercantilismeFlammarion/HistoireQu'est-ce quele mercantilismeet quelles sontsa significationet son influencehistoriques?

Lucette ValenslLe Maghreb avantla prise d'AlgerFlammarion/HistoireUne analyse des formeséconomiqueset socialesdu Maghreb précolonlalet de ses relationsavec le reste du monde

La poésie française auxU.S.A. ;la poésie américaineen France

Le dictionnairede la psychologiemoderneMarabout Service, 2 vol.Destiné à un publicnon spécialisé

Pierre JaléeL'impérialismeen 1970Petite CollectionMasperoOù l'auteurdu • Pillage du TiersMonde. poursuit sonanalyse des forces quicolonisent le monde

Didier E. ProtonThomas d'AquinEditions UniversitairesUne présentation claired'un des plus· grandspenseurs du Moyen Agesuivis d'un lexiquearlstotélothomiste

Fernand BraudelEcrits sur l'hIstoireFlammarion/ScienceUn recueil -des articlesconsacrés par l'auteuraux liens entre l'histoireet les autres scienceshumaines et à la placede la recherchehistoriquedans la société moderne

INÉDIT8

Andrée BergensPrévertEditions Universitaires

Présentation nouvellede Maurice DommangetPetite collectionMaspero

Adolphe LodsLes prophètes d'Israëlet les débutsdu judaïsmeA. Michel/Evolutionde l'Humanité.

Marcel AchardPatateLivre de Poche

J.J. CellyChoralEditions Universitaires

NietzscheLe livre du philosopheBilingueAubier/Flammarion

MontesquieuLettres persanesGarnier/Flammarion

TRÉATRE

Roger PriouretLa Franceet le managementLivre de Poche

Georges MichelArbalèteset vieilles rapièresGallimard/Manteaud'Arlequin

John OsborneAntony CreightonEpitaphepour Georges DillonTrad. de l'anglais parG. Coline et D. ClémentGall imard/Théâtredu monde entier

Adès et JosipoviciLe livre de Gohale SimpleLivre de Poche

Marcel AyméDerrière chez MartinLivre de Poche

LITTÉRATURE

Paul LafargueLe droit à la paresse

BalzacUne fille d'Evesuivi de : La muse dudépartementLivre de Poche

B88AI8

Louis GuillouxLe sang noirLivre de Poche

Mazo de La RocheLes sortilèges de JalnaLivre de Poche

Petru DumitriuRendez-vousau jugement dernierLivre - de Poche

DostoïevskiLes nuits blanchessuivi de : Le sous-sol

ColetteLe blé en herbeGarnier/Flammarion

Charles PlisnierMeutres - tome IVFeu dormantLivre de Poche

Paul MorandLewis et IrèneLivre de Poche

RabelaisPantagruelGarnier/Flammarion

Christiane RochefortLes petits enfantsdu siècleLivre de Poche

Nathalie SarrauteLes fruits d'orLivre de Poche

Jules SupervielleLe voleur d'enfantsLivre de Poche

La Quinzaine litténJre, du 1" au 15 novembre 1969 29

Page 30: quinzaine littéraire 82

TOUS LES LIVRES

Livres publiés

Daniel SalemLa révolution théâtraleactuelle en AngleterrePréface de J.-L. CurtisDenoël, 272 p., 18,70 FPar l'auteur de«Harold Pinter,dramaturge del'ambiguïté.(voir le n° 67 deLa Quinzaine).

Louis DoucetUne année d'amourLosfeld, 20 FLa «révolutionsexuelle.vue il travers lesextraits les plussuggestifs de la presseinternationale.

Jean FougèreLettre ouvertel un satyreA. Michel, 160 p., 9,60 FCe que nousentendons, lisons,regardonsquotidiennement fait

SOCIOLOGIBPSYCHOLOGIEETHNOGRAPHIE

aux surréalistes,de Rabelais à Pieyrede Mandiargues.

• MaïakowskyLettres à Lili BrikPrésentées parClaude FriouxTrad. du russe parAndré RobelGallimard, 228 p., 18 FL'histoire d'un amourexceptionnel maisaussi un documentessentiel sur "avant-garde 1ittérai re russeavant, pendant et aprèsla révolution d'Octobre.

Juliette RaabeFrancis CacassinBibliothèque idéalede littératured'évasionEditions Universitaires,220 p., 18,50 FUn guide pratiquequi permettra à

Jean de Boschère l'amateur commeLettres de La Châtre au pédagogue deà André Lebois choisir les meilleursDenoël, 176 p., 20,30 F titres et les collectionsA travers les lettres les plus intéressantes.qu'il écrivit de 1939 à1953 à A. Lebois, les • Louis de Robertdernières années de Comment débutala vie d'un écrivain Marcel Proustqui fut l'ami de Joyce, Lettres inédites, suiviLawrence, Eliot, de Souvenirs etArtaud, etc. confidences sur

Marcel ProustGallimard, 128 p., 11 FPremière rééditiond'un ouvrage paruen 1925 à tiragelimité, dans lacollection• Une œuvre,un portrait •.

Les chefs-d'œuvredu rêve• Anthologie Planète.50 illustrationsPlanète, 384 p., 48,50 FDe « la Chansonde Roland.

Jean FrancisL'éternel aujourd'huide Michelde GhelderodeNombr. illustrations etdocuments hors texteLouis Musin éd.,Bruxelles, 550 p., 50 FUn ouvrage d'exégèse,de folklore, d'histoireet de peinture, quel'auteur, qui fut l'amiet le secrétaire deGhelderode intitulelui-même:« spectographielittéraire '.

Jean HuguetGeorges BelleBibliothèque idéalede PocheEditions Universitaires,320 p., 18,50 FUne bibliographieanalytique quipermettra il tous,jeunes et adultes,de se retrouver dansl'énorme masse detitres de romansou de pièces dethéâtre parus ou ilparaître dans lesdifférentescollections au formatde poche.

fils à Albert CamusChoix, préface et notespar André MaisonRencontre, 512 p.,18,30 FLe septième et derniervolume de cetteanthologie trèscomplète et uniqueen son genre.

• Jean-Pierre AttalL'image« métaphysique ..et autres essaisGallimard, 472 p., 30 FUn recueil d'unevingtaine d'étudessur ce que "onpourrait appeler, ausens large, la poésiemétaphysique.André BillyJoubert énigmatiqueet délicieuxGallimard, 240 p., 18 F

CRITIQUEHISTOIRE

REEDITIONBAlphonse AllaisA se tordreA. Michel, 256 p., 15 F

Alphonse AllaisŒuvres posthumesTome VI : Le Journal1904·1905 et Le sourire1899-1900Table Ronde, 496 p., 36 F

Contes d'IseTrad. du japonais parG, RenondeauPréface et commentairede G. RenondeauColl. « Connaissance del'Orient.Coll. Unesco d'œuvresreprésentativesGallimard, 188 p., 22 FPour découvrir unedes œuvres les plusreprésentatives dela 1ittératurejaponaise;ces contes poétiquesd'auteur inconnuqui datent du X' siècle.

DostoïevskiLes frères KaramazovTraduction, introduction,chronologie,bibliographie et notespar Kyra Sanine16 reproductionsGarnier, 1192 p., 32,40 F

DostoïevskiRécits, chroniqueset polémiquesTextes traduits,présentés et annotésGustave AucouturierparBibliothèque dela PléiadeGallimard, 1872 p., 60 F

Marcel ProustA la recherche dutemps perdu· Tome VSodome et Gomorrhe(suite et fin) :La prisonnière12 pl. hors textepar Philippe Juillan«La Gerbe Illustrée.Gallimard, 472 p., 85 F

Anthologie dela Correspondancefrançaised'Alexandre Dumas

française en 4 volumes :XVI', XVII", XVIII' etXIX' sièclesColl. « Livres dechevet •Tchou, 224 p., 20 F

• Jean TardieuLes portes de toileFigures et non·figuresEtudes • Poème pourvoir et revoirGallimard, 168 p., 15 F

l'affaire de Cuba, vit unimmense rêve dedéfoulement érotiqueet infantile pourretomber finalementdans la respectabilité

William H. GassLa chance d'OmensetterTrad. de l'anglaispar Marie DulacGallimard, 388 p., 23 FLes aventures d'unhomme dont la vitalité,le bonheur insolent,la chance fabuleuseprovoquent une levée deboucliers dans la petiteville de l'Ohio où il estvenu s'installer et qu'ilsera contraint de quitter

John UpdikeCouplesTrad. de l'anglaispar Anne-Marie SoulacGallimard, 568 p., 32 FPar l'auteur de « Cœurde lièvre " du« Centaure • et de « laFerme • (voir le n° 53de la Quinzaine)

Colin WilsonLa cage de verreTrad. de l'anglaispar J.-M. SavonaPlanète, 320 p., 25 FUn faux roman policierqui s'écarte résolumentdes lois du genre

Bibliothèque dePoésie IlVillon : PoésiesRonsard : Amours etodesNerval : Poèmes etproseBaudelaire : Poèmes enproseColl. « Livres deChevet·Tchou, 20 F le volume76 F le coffret

Max GuedjPoèmes d'un hommerangé (1966-1969)Pierre Jean Oswald,80 p., 10,80 F

Yves PlnguillyRacines, suivi deLes huit heures d'unepleine nuitPierre Jean Oswald,48 p., 7,50 F

Gérard PrémelNous n'irons plus aucielPierre Jean Oswald,48 p., 7,20 F

Philippe SchuwerDenis RochePierre OsterJean-Robert MassonAnthologie de la poésie

POÉSIE

Marcel SéguierLa halteDenoël, 232 p., 15,60 FUne vieille femmeseule, qui se rappelle,s'imagine, s'invente unpassé fabuleux oùl'homme était roi

Pierre SilvainLa promenade enbarqueMercure de France,208 p., 16,60 FPar l'auteur de• Zacharie Blue " unroman qui sous lesapparences d'uneintrigue policière, serévèle être une quêtede la réalité et del'identité

Gérard MourgueLa gardeTable Ronde, 224 p., 14 FL'univers de ceux quiconsciemment ouinconsciemment,poursuivent un idéal

Pierre SchoendoerfferL'adieu au roiGrasset, 304 p., 18 FVoir le* numéro 81de la Quinzaine

André StilQui?Gallimard, 256 p., 16 FLa suite des aventureset surtout dessouvenirs du héros de« Beau comme unhomme " romanprécédent de "auteurJean SulivanMiroir briséGallimard, 296 p., 20 FRécits, nouvelles,souvenirs et réflexionsdiverses

Irwin FaustL'AciaigleTrad. de l'anglaispar André SimonGallimard, 248 p., 19 FLa crise d'un professeurd'université américainqui, au moment de

ROMANSETRANGERS

Un premier roman dontle héros est le• voyant. d'événementstragiques ou dérisoiresqui sont l'histoire del'Europe actuelle

F • Jean-Pierre MorelLe muralLettres NouvellesDenoël, 240 p., 17,70 FVoir ce n° p. 7

ROMANSFRANÇAIS

• Jacques BensAdieu SidonieGallimard, 264 p., 16Une poursuiteamoureuse en douze.étapes et douzechapitres dont chacuna sa clef et constitue àsa manière un piquantexercice de style.Pierre BoisLe défiléDenoël, 256 p., 16,70 FAux cours de troisjournées d'émeute,un reporter estconfronté, plus encorequ'avec lesévénements dont il esttémoin, avec sa propreaventure.Louis CalafertePGrtrait de l'enfantDenoël, 144 p., 11,40 FPar l'auteurdu • Requiem desinnocents " du• Partage des vivants •et de « Rosa Mystica •(voir le n° 59 de laQuinzaine)

• Albert CohenLes ValeureuxGallimard, 368 p., 24 FPar l'auteur de • Belledu Seigneur " prix duroman de l'AcadémieFrançaise 1968Henri-Pierre DenisQuelques nouvelles deJessicaGallimard, 256 p., 16 FUn roman savoureux etd'une conception trèsoriginale qui tient de lascience-fiction, du récitfantastique et du contephilosophique

• Serge DoubrovskyLa dispersionMercure de France,336 p., 23,80 Fvoir ce numéro page 4Claude FaraggiL'effroiMercure de France288 p., 22,80 FUn roman du désir, dutemps qui s'écoule, de • Monique Wittigla terre et de l'érotisme, Les guérlllèresqui a pour cadre le Midi Ed. de Minuit,pyrénéen 212 p., 40 F

•. Dominique Fernandez Par l'auteur deLettr3 l Dora • L'Opoponax., prixGrasset, 340 p., 21 F Médicis 1964(voir les nO' 7, 46 dela Quinzaine, et ce n"p. 5Serge KancerUrabatok ou Le navireéblouiDenoël, 360 p., 22 FCroisière dansle PacifiqueRachel MizrahiHarryGrasset, 288 p., 17 F

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du 5 au 20 octobre 1969

de chacun de nousun satyre.

• Marcel MaussŒuvres· Tome IlReprésentationcollective et diversitédes clvlIIsetionsEd. de Minuit,740 p., 60 FDes écritsprécurseursqui continuent deguider la rechercheethnographique.

Jacques MeunierAnne-Marie SavarinLe chant du SilbacoMassecre en AmazonieEdition SpécialeEditions etPublications Premières,224 p., 19,80 FLe résultat d'uneenquête menée pendantsix ans parmi lesIndiens d'Amazonievoués, de tous temps,au génocide.

Pierre-B. SchneiderPsychologie médicalePayot, 336 p., 28,85 FLes relations médecin-malade à la lumièrede la psychanalyse.

J.-C. SempéJ.-L. DonnetJ. Say, S. LascaultC. BackèsLa psychanalyse50 illustrationsColl. • Le point dela question-Denoël, 320 p., 31 FLe point de la situationcontemporaine de lapsychanalyse et del'impact desdécouvertesfreudiennessur le monde actuel.

BSSAIS

Isaac DeutscherEssels sur le problèmeJuifTrad. de l'anglaispar E. Gille-NemirovskyPayot, 208 p., 16,50 FPar le biographe deStaline et de Trotsky,un recueil d'essaissur les différentsaspects du problèmeJuif.Alexandre MatheronIndividu etcommunautéchez SpinozaEd. de Minuit,650 p., 19,50 FLe spinozisme en tantque théorie généralede l'individualité et desrelations Inter-humaines.

Lanza dei VastoL'homme libre et

les ânes seuvagesDenoël, 192 p., 17,70 FPar l'auteur du• Pélerinage auxsources -, uneméditation passionnéesur la liberté, l'amour,le monde et lesévénements de mai.

HISTOIRE

Pierre FrédérixRome, histoire dela Ville Eternelle7 cartes et plansin·texteA. Michel, 520 p., 39 FL'histoire d'une villeunique au monde, desorigines à nos jours.

J. et D. KimchéLa première guerred'Israël194816 cartesArthaud, 320 p., 30 FLa naissance de l'Etatd'Israël.

Barrington Moore .IrLes origines socialesde la dictature et dela démocratieTrad. de l'anglais parPierre ClinquartMaspero, 432 p., 27,80 FLe rôle politique desaristocraties foncièreset des classesmoyennes dans leprocessus detransformation dessociétés agraires.

• Ivan MorrisLa vie de courdans l'ancien Japonau temps du PrinceGenjiTrad. de l'anglaispar Mme CharvetGallimard, 328 p., 30 FUne invitation auvoyage, savante etpleine de charme,dans le Japon duPrince de Lumière, àla fin du X' siècle.

POLITIQUEECONOMIE

Jean BothorelLa Bretagnecontre ParisTable Ronde, 128 p.,10 FPar un membre duF.L.B., un exposé surles sentiments et leprogramme politiquedes nationalistesbretons.

Georges ChaffardLes deux guerresdu VietnamTable Ronde,

2Ialman ShazarEtoiles du matinPréface deP. ThémanlysTrad. de l'hébreu parGuy DeutschA. Michel,224 p., 13,50 F

Les Mémoires dutroisième présidentde l'Etat d'Israël.

Georges WalterMaurice WeitlauffLes prêtres mariés• Edition Spéciale-Editions et PublicationsPremières, 240 p.,22,90 F

ARTS

Le monde de ChagallPhotographies d'IzisTexte de Roy McMullen92 photograhies56 i11. en quadrichromie69" tableaux et dessinsde Chagallen héliogravureGallimard, 268 p., 130 F

Jean-Louis FerrierL8 forme et le sens16 p. de gravures h.-t.• Médiations -Denoël, 224 p., 21,90 FComment lireune œuvre d'artet, en particulier,les productionsde l'art moderne.

Udo KultermannArchitecturecontemporaineTrad. de l'allemand41 pl. en couleurs,69 pl. en noir,45 figuresA. Michel, 328 p.,54,40 F.

Giuseppe TucciTibet, . pays des neigesTexte françaisde Robert LatourPhotographiesde W. Swann,Edwin Smith, etc106 pl. hors texte dont40 en couleursA. Michel, 216 p.,59,60 F.

THEATRECINEMA

Philippe HériatThéâtre IIIGallimard, 320 p., 20 FCe volume contient unepièce • Voltige -, unscénario : • Balzac - etun livret d'opéra: • LesHauts de Hurlevent-.Ph. ParrainRegards sur le cinémaindien16 p. d'illustrationsCerf, 408 p., 29 FSociologie du filmindien.Jean TardieuThéitre IlPoèmes i JouerGallimard, 328 p., 23 FRéédition revueet augmentée de troispièces nouvelles.

HUMOURSPORTSDIVERS

Roland BacriLe roroIllustrationsde C. BroutyDenoël, 160 p., 13,50 FUn dictionnairede patatouète ou lalangue pied·noirà la portée de tous.Les BeatlesPrésentépar Alan AldrigeTexte françaiset anglais180 ill. dont 100 encouleursA. Michel, 160 p., 19 FPierre BeckGénéral HuardTibesti, carrefour de lapréhistoire saharienne33 photographiesArthaud, 316 p., 38 FUne descriptionpassionnante.Claude CaronHistoires d'amourdes maisons de ParisNombr. photographiesDenoël, 352 p., 29,20 FLes couples célèbresde notre histoire,évoqués à. travers leurslettres et à traversles lieux de Parisoù ils abritèrentleurs amours.Tyra FerletMiracle de la Suède52 photographiesArthaud, 368 p., 25 FBjôrn Landstrom'Histoire du voilierTrad. de l'anglaispar Robert Latour340 clichés dont 56en couleursA. Michel, 192 p., 27 FCinq mille ansde marine à voileEmil SchulthessAfriqueTextes d'E. Schulthess,Emil Birrer et Emil Egli168 photographies dont72 en couleursA. Michel, 248 p., 150 F(prix de souscriptionjusqu'au 1W décembre .69 : 130 F)Les derniers cavaliersdu monde368 photographiesTextes et photographiesde R. Michaud.H. Tarnowska, P. Gand,D. Colomb de Daunant,L. Simond, 1. VargaArthaud, 288 p., 145 F

DOCUMBNTS

Jacques BergierL'espionnageIndustrielHachette, 256 p., 18 F

Une formed'espionnage qui tendà supplanterl'espionnage militaireà en juger parl'estimationdes services dela policeLucien BodardLe massacredes IndiensGallimard, 496 p., 25 FEnvoyé par• France·Soir -au Brésil,Lucien Bodard en arapporté une sériede reportages et aussice livre où il dénoncele génocidedont les 1ndiensdu Brésil sontactuellement lesvictimes.Armand HayetUs et coutumesà bord deslong-courriersPréfacede Jean RandierDenoël, 396 p., 36,50 FPar un ancien capitaineau long-cours.Pierre JoffroyL'espion de DieuLa passion deKurt GerstelnGrasset, 320 p., 24 FLa vie et la mort decet officier allemandinterné par les nazispuis admis dans lesrangs des SS et quitenta vainement dedénoncer les horreursdont il fut le témoin.Denis 1angloishllagoulis, !e sangde la GrèceMaspero, 128 p., 6,15 FPar l'observateur dela Ligue Internationaledes Droits de l'Hommeà Athènes.Derek WoodDerek Dempster.La bataille d'Angleterre20 photosFrance-Empire,400 p., 21,54 FLe livre dontl'adaptationcinématographique estun des grands succèsde la saison.

RBLIGION

Saint-Françoisde SalesŒuvresPréface etchronologie parAndré RavierTextes établis,présentés et annotéspar R. Devos etA. RavierBibliothèque deLa PléiadeGallimard, 2024 p.,65 F.

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 novembre 1969 31

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