quinzaine littéraire 98 juillet 1970

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lf a e e UlnZalne littéraire du 1 er au 15 juillet 1970 Entretien avec Jean POlDlDier Vincent . Auriol

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Lautréamont ; entretien avec Jean Pommier ; Duras (Abahn Sabana David) ; José Cabanis (le Sacre de Napoléon) par C Mettra ; Vincent Auriol ; la pédagogie (Libres enfants de Summerhill de A. S. Neill & La Reproduction de Pierre Bourdieu) ; Greimas (Du Sens)

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Page 1: Quinzaine littéraire 98 juillet 1970

lfa e eUlnZalne

littéraire du 1er au 15 juillet 1970

Entretien avecJean POlDlDier

Vincent. Auriol

Page 2: Quinzaine littéraire 98 juillet 1970

SOMMAIRE

l LE LIVRE José Cabanis Le sacre de NapoléonDE LA QUINZAINE

4 LITTERATURE John Barth L'enfant-boucETRANGERE Peter Bichsel Les saisons

S POESIE Miodrag Pavlovitch La voix sous la terreVasko Popa Le ciel secondaire

6 Poèmes élizabéthains (1525-1560)il ROMANS FRANÇAIS Marguerite Duras Abahn Sabana David

François Nérault Le pon.t de recouvrance8 HISTOIRE Jean Pommier Le itltériellr

LITTERAIRE11 Lautréamont ŒlLvres COmfllp.tes12 Isidore Ducasse Œuvres complp.tes

François Caradec Isidore Ducasse, comtede LalLtréamont

Edouard Peyrouzet Vie de Lautréamon.t14 Chen Fou Récit d'une vie fugiiivr

p'ou Song-Ling Contes extraordinairesdu Pavillon du Loisir

Ling Mong-tch'ou L'amour de la renarde

15 ECRITURES Le dessin du récit16 ARTS Dans les galeries17 Denis Rouart Edouard Manet

André Fermigier Pierre Bonnard

18 HISTOIRE Mohamed Lebj aoui JIérités sur la révolutionalgérienne

19 Vincent Auriol Mon SeptennatJournal du Septennat. T. 1

20 PEDAGOGIE A. S. Neill Libres enfants de SummerhiLl

21 P. Bourdieu et J. C. Passeron La Reproductioll

2l SCIENCES SOCIALES Paul Lazarsfeld Philosophie des sciencessociales

24 LINGUISTIQ.UE A.J. Greimas Du Sens

26 LETTRE DE BERLIN Théâtre à BerlinKommune 2 Versuch des Revolutionierung

des Bürgerlichenlndividltums

26 FEUILLETON W

par Claude Mettra

par Marc Saportapar Jacques-Pierre Amettepar Serge Fauchereau

par Jean-Marie Benoistpar Anne Fabre-Lucepar Lionel Mirischpar Gilles Lapouge

par André Dalmaspar Marcel Jean

par Jean Chesneaux

par Bernard Girardpar Nicolas Bischowerpar Jean Selz

par Marcel Péju

par Pierre Avril

par Jacques Benspar Daniel Lindenhergpar Bernard Cazes

par Georges Kassaipar Julia Tardy-Marcuspar Nina Bakman

par Georges Perec

La Quinzainelitteraire

François Erval, Maurice Nadeau.

Conseiller: Joseph Breitbach.

Comité de rédaction:Georges Balandier, Bernard Cazes,François Châtelet,Françoise Choay,Dominique Fernandez,Marc Ferro, Gilles Lapouge,Gilbert Walusinski.

Secrétariat de la rédaction:Anne Sarraute.

Courrier littéraire:Adelaide Blasquez.

Maquette de couverture:Jacques Daniel.

Rédaction, administration:43, rue du Temple, Paris (4").Téléphone: 887-48-58.

Publicité littéraire :22, rue de Grenelle, Paris (7").Téléphone: 222-94-03.Publicité générale : au journal.Prix du nO au Canada: 75 cents.

en Belgique: 35 F.B.

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Directeur de la publication :François Emanuel.

Imprimerie: AbexpressImpression S.I.S.S.Printed in France.

Crédits photographiques

p. 3 BullozGiraudon

p. 4- Gallimardp. 5 Gallimardp. 7 Vascop. 8 Mercure de Francep. 9 Denoëlp. 11 La table rondep. 12 D.R.p. 13 D.R.p. 15 D.R.p. 16 Titi MiIanop. 17 Bulloz

Giraudonp. 18 Magnump. 19 Keystonep.20 Magnump.24 Le Seuilp.27 Magnum

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1.11 I.IV&II DII

I.A QUINZAINIILa fin du Areve

1José CabanisLe sacre de NapoléOJaGallimard éd., 296 p.

C'était une singulière gageureque de confier iJ un peintre de lavie silencieuse, à un décrypteurdes eaux souterraines, le soind'évoquer la scène majeure de lahiographie la plus théâtrale denotre histoire.

José Cahanis n'a pas été effrayépar son modèle; il l'a dépouilléde son masque épique, l'a ramenéau niveau des destins quotidiensmomentanément privilégiés. Et ce.Sacre de Napoléon ne va pas sansquelque sacrilège, comme si l'au-teur avait voulu arracher Napo-léon de la galerie romantique oùHugo, Vigny, Stendhal parmitant d'atItres l'avaient paré de lagrandeur mythique. Car derrièrel'épopée, José Cahanis veut voird'ahord la trahison d'un peuple etla décomposition de la foi révo-lutionnaire. Et s'il a choisi d'enparler sur le mode mineur, dansun langage presque· intimiste,c'est pour mieux faire revivre lehéros essentiel de cette grandesingerie que fut le sacre, le peu-ple français, ce peuple muet, écra-sé, fatigué par dix ans d'espoirset de désordres, ce peuple au nomde qui allait être ravagée, pillée

et incendiée toute l'Europe chré-tienne.Reprenant une thèse ehère à

Henri Guillemin, José Cabanispense que le dessein premier deNapoléon était, à l'exemple d'Ale-xandre, de se tailler un empire enOrient, dessein dont le détournal'insuccès relatif de l'expéditiond'Egypte. La France ruinée etpervertie par la Révolution n'avaitpas l'aura magique de ces terreslointaines sur lesquelles veillaientde leur éternité les grands maî-tres du monde antique; ce n'étaitqu'une putain, mais qui avait aumoins une vertu, celle d'être géné-reuse de ses biens, de son sanget de sa fidélité. Et la longuehistoire de l'Empire, c'est la miseen coupe réglée de toutes les ri-chesses de cette prostituée aveu-gle qui livre à son maître sa li-berté fraîchement conquise, sonamhition égalitaire et la frater-nité pacifique dont avaient rêvéles premiers inspirateurs de laRévolution.

Le sacre de 1804, c'est la consé-cration symbolique de cetteexploitation: Napoléon, c'est lechef d'une maffia peu nombreuse,mais efficace: pour l'essentiel,elle est faite de ceux qui onttrahi la Révolution mais qui ontappris, au travers des tumultesrévolutionnaires, que rien ne ré-

siste à l'audace, au manque descrupule et li la passion effrénéedu pouvoir et de l'argent. Toutest affaire de calcul et, pour quela maffia soit sûre de son avenir,il lui suffit de s'assurer d'une sé-rie de complicités qui, s'ajoutantles unes les autres, donne au pou-voir ses racines.

De ces complicités, celle del'Eglise est la plus importante.D'abord parce que le sacre, ac-cordé par le Pape lui-même, res-titue le pouvoir à l'hérédité, cedont toute l'Europe est familièredepuis bien des siècles et qu'elleaura du mal à oublier. Ainsi, dansl'omhre de la maison régnante,prospéreront les privilé-giés. Ensuite, parce qu'il faut bieuinventer une idéologie, si vaguefût-elle, pour donner au peuple lesentiment du devoir et donner unsens à ses servitudes. «La religionest la vaccine de l'imagination,elle la préserve de toutes lescroyances dangereuses et absur-des. L'Eglise avait de bonnesraisons pour acquiescer à ce jeu :la plupart des prêtres avaientabandonné leurs nom-bre d'églises servaient à des usa-ges divers et la déchristianisationavait atteint une profondeur dontnous pouvons encore dif6cilementaujonrd'hui prendre l'exacte me-sure. Elle sanctifia cette gigantes-

Goya : Fusilladedu J mai 1870

David, le sacre de Napoléon (détail)

que mascarade sans en tirer lesavantages qu'eUe en espérait, si-non celui de se confondre unefois encore avec l'ordre étahli,avee l'argent et avec l'armée.Tout ce grouillement de vau-

tours sans dieu et de prêtres cou-chés, José Cabanis le raconte avecun exceptionnel bonheur. Rien enlui du procureur plaidant au tri-bunal de l'histoire au nom del'innocence bafouée et de la géné-rosité agonisantc. On retrouve ici,dans unc multitudc de portraitsaisément tracés, dans une suite deraccourcis qui sont autant d'éban-ches des drames sncces.,>ifs del'Empire. la familiarité et la légè-reté des anciennes <:hroniques.Ici règne l'humble et ironique

souveraineté des versions tardivesdu Roman de Renart, traduisantl'ancestral dialogue du bien ct dumal, l'interminable luue del'homme ('ontre l'homme. L'épo-pée impériale se ramène alors àun vaste sursaut dans l'Enfer.L'Epopée c'est David, l'Enferc'est Goya el, conclut José Caba-nis, «face au Sacre, Ü est bon deplacer les Fu;>illades du 3 mai. Le2 décembre 1804 mettait en mar-che cette mécanique parfaitementau point, ·figurée par Goya dansces soldats aux lignes cubistes quisont des automates dressés à tuer.DCtJant qui tirent, le peuplemîneuwnt sacrifié s'aplatit ets'écroule tandis ql!.e la terre boitson. san.g.:.

Claude Mettra

... Q!!inuiae UttéraUe. du 1- au 15 juillet 1970 3

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LITT••ATURE

.TRANG.REAvant-garde U.S.A. Un son

1John BarthL'Enfant-boucGallimard éd., 2 vol., 792 p.

Avant même de commehcer àparler de r Enfant-bouc, il con-vient de rendre hommage au tra-ducteur, Maurice Rambaud, quia entrepris, sur huit cents pages,une tâche démesurée: rendre enfrançais une allégorie américaineoù le langage joue un rôle peucommun, celui de désigner leshommes et les événements par unautre nom que le leur. S'il estrelativement aisé de deviner que«l'émeute tranquille» désigne«la guerre froide» et si l'on nedoute 'pas que le «Grand MaîtreEnos Enoch» soit Jésus, il n'estque de comparer le texte anglaisà celui de la version françaisepour discerner l'extraordinairedifficulté à laquelle s'est heurtéeRambaud. Lorsque John Barthdote son ordinateur tout-puissantd'un mécanisme d'auto-détermina-tion dont les initiales forment lemot AIM but, ob-jectif; connotation: volonté dé-libérée de parvenir à l'objectif),la version française adopte uneterminologie différente qui abou-tit au sigle AME. Ce là qu'unexemple entre des milliers.Ces observations pel'mettent dé-

jà de. deviner partiellement enquoi consiste le propos de JohnBartb. Dans une synthèse témé-raire, il utilise des éléments descience-fiction pour décrire unesociété parallèle à la nôtre, maisqui se prolonge dans l'avenir, etun vocabulaire parallèle au nôtrepour dessiner les contours de cemonde «de l'autre côté du mi-roir ». Dans la mesure où il sesitue dans le domaine de l'allé-gorie (expression d'une idée parune image), il incorpore son in-terprétation de l'histoire univer-selle à un tableau de runiversitéaméricaine (encore faut-il préci-. ser qu'un certain nombre de fi-nesse échapperont au lecteur nonaméricain qui n'est pas au faitdes institutions typiques de l'en-seignement supérieur aux Etats-Unis : rôle du Président, influen-ce spirituelle du Fondateur del'établissement, etc.) ; enfin, il sesert, pour parvenir à ses fins,d'une multitude de symboles(êtres ou choses qui représententune abstraction; signes conven-

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tionnels agencés en système lisi-ble).Grâce à cette pluralité de

moyens, nous voici devant unesorte de cosmogonie théologique :le jeune héros a grandi jusqu'àson adolescence parmi les chè-vres et se prend pour un jeunebouc, sous le nom de Billy. Aprèsavoir eu la révélation de son hu-manité (par le viol et l'assassinat),il prend le nom de George etaborde le domaine de l'initiation.Convaincu de sa Dll8S10n de«Grand Maitre:. (Messie?) àl'égal de Jésus ou de Bouddha, ilentreprendra de se mesurer àl'ordinateur qui régit le campus,dans un combat qui évoque, bienentendu, la geste du chevalier er-rant et changera de nom unefois encore - ce sera Giles, dontla vie nous est aussi contée dansun nouveau 4: Nouveau Syllabus ».On ignore à la fin de l'ouvragequelle sera la fortune du «gile-sianisme» au cours des siècles àvenir.Ce shéma ne suffit pas à rendre

compte de la complexité de l'œu-vre. A vrai dire, ce qui pourraitêtre un passionnant roman -peut-être même une œuvre de trèsgrande importance - est quelquepeu gâché par son aspect de ro-man à clef. Le lecteur est sanscesse en quête de significations.Certes, p. .n'est pas arrêté par larecherche des équivalences quandil s'agit du «campus oriental etdu «campus occidental », il n'em-pêche que l'on hésite un certaintemps devant l'interprétationd'une expression telle que «LesUltimes Epreuves.» qui désignel'examen final, sans doute, maisdont le sens caché n'apparaît pastout de suite.Tout cela n'est pas indispensa-

ble au lecteur qui cherche seule-ment à prendre son plaisir en sa-vourant les aventures infinimentvariées, cascadantes, pétulantes,rocambolesques de George.Giles etde ses amis, le docte professeurMax Spielman créateur et victi-me de l'ordinateur dévorant, lapétillante Anastasia dont la nym-phomanie se veut philanthropi-que et un véritable zoo de per-sonnages qui mêlent allègrementla politique internationale, l'éro-tisme, la mystique, la technologieet les revendications sociales enun ballet effréné d'idées tumul-tueuses. Inutile de dire que fi-

dèle à sa vocation de Grand-Mai-tre-Bouc, le héros insiste plus par-ticulièrement sur sa double mis-sion érotique et religieuse.Roman d'anticipation et roman

d'aventures, livre à clef et contephilosophique, truffé de thèses, deprises de position d'où l'humourn'est jamais absent, c'est ainsi quese présente cette curieuse œuvred'avant-garde qui, au même titreque les romans plus convention-nels dans leur facture porte té-moignage, avant tout, pour le nou-vel «american way of life» l'ac-cès à une consommation qui a li-quidé la société de pénurie maispose des problèmes spirituelsneufs, la scolarisati9n à outrancede la jeunesse au niveau univer-sitaire et même une certaineréaction contre la civilisation del'image.S'éloignant des astres, désor-

mais éteints, de la grande «géné-ration perdue », les jeunes roman-ciers américains sont en route pourexporer des espaces inédits de lagalaxie Gutenberg.

Marc Saporta

1Peter BichselLes SaisonsTrad. de l'allemandpar Mathilde CamhiGallimard éd., 164 p.

«On distingue les escaliers exté-rieurs et les escaliers intérieursd'une maison, ceux-ci se répar-tissent en six groupes, soit :

rescalier principalles escaliers secondairesr escalier de serviceles escaliers dérobés (qui permet-tent de se rendre d'un étage àr autre sans être vu)

les escaliers de Caverescalier du grenier ou de lagrange ».Cet extrait du second livre' de

Bichsel situe le propos de l'au-. teur. TI est assez différent du pre-mier ouvrage, le Laitier. Diffé-rent, mais logique. Après uneexploration de la texture de l'écrit(étude qui portait sur la transfor-mation du regard en écriture,métamorphose qui change la vi-sion oculaire en signes noirs) Pe-ter Bichsel met à l'épreuve lestypes de fonctionnement du ré-cit, le concept de personnage, lavirtualité opposée au constat, lanotion d'affirmation, entre autres.TI y a. la répertoriation: folie

de l'affirmation,. vertige de la pré-cision mathématique. Obsession dela puissance scientifique. Le ni-veau 1, c'est la nomination - surquoi se fondait le Laitier.. Le ni-veau II, c'est l'accumulation deséléments de base. Expériençe .àla Francis Ponge qui se transfor-me d'une manière qui rappelle àla fois Borges et Robbe-Grillet.Le parti des choses, le parti de la.mise à nu (non pas de la mariéemais de l'objet), s'inscrit dans lejeu du développement scriptural.Ici on rejoint aussi le jeu d'espeintres comme Mondrian ou Va-sarely. Juxtaposition d'élémentsprimaires. Raréfaction du signe.Goût pour l'expérimentation decomposantes premières.Mais Peter Bichsel ne s'en tient

pas là. Suivant sa propre logiqueil détermine des points de cris-tallisation qui vont lui servir depoints exploratoires. TI s'attaqueau problème des virtualités. L'élé-ment le plus caractéristique serale personnage Kieninger. Parcequ'il rejoint les notions tradition-nelles du roman post.balzacien.C'est l'élément dont la position

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étrange Poètes yougoslaves

ambiguë (entre Vienne son portd'attache et Tarragone son centreaffectif) est parfaitement montréeà tous les niveaux. C'est le per-sonnage sur qui pèse le soupçon.Il est parfaitement douteux, am·bigu, réactionnaire, à l'image dela pesanteur du roman de la Tra·dition. Il mélange tout, il est mé·langé par tout.Faut-il décrire un cendrier?

Faut-il raconter son histoire?(Cf. l'histoire de l'arbre dans unroman de J.M.G. Le Clézio.) Faut·il raconter les amours du fabri·cant de cendriers ou la tensionentre le regard du narrateur etl'objet? C'est la question que po-se Bichsel. Il n'est pas le premierà la poser. Mais il la pose parfai-tement. Et c'est fondamental. Pourle romancier d'aujourd'hui la pre·mière mesure à prendre c'est ladestruction radicale du passé, dela tradition. Nathalie Sarraute,dans un entetien publié dans cejournal, avait raison de poser leproblème de la littérature contem·poraine en ces termes.Bichsel donne des éléments de

réponse. Des éléments très perosonnels. Cela donne un livre quirompt avec cette effroyablediarrhée verbale qu'on appelleproduction romanesque. C'est unlivre qui lutte contre la maréenoire des signes, cette littératurequi clapote entre Balzac et Bon·ne soirée. Le livre de Bichsel s'in·terroge sur le mot, ses limites, sonfonctionnement dans le texte. Sonpouvoir d'obscurité et son pouvoirde rupture. C'est pour' cela queson texte donne un son si étrange,une sorte de bruit proche du zérodu silence. Un bruit de table rase.

Jacques-Pierre Âmette

Miodrag PavlovitchLa voix sous la pierrePréf. et trad. du serbo-croatepar Robert MarteauColl. «Du monde entier:&Gallimard éd., 106 p.

Vasko PopaLe ciel secondairePréf. et trad. du serbo-croatepar Alain BosquetColl. «Du monde entier :.Gallimard éd., 140 p.

La Yougoslavie. Elle se trou·vait autrefois entre Byzance et lesBarbares. Mais aujourd'hui?C'est peu de dire que le pays estun carrefour géographique, ethni·que, linguistique... Il y faudraittrop de qualificatifs. Encore se·rait-ce mince pour aborder la lec-ture de deux de ses meilleurspoètes; le patrimoine cultureldont ils sont l'extrême pointe nese laisse pas définir simplement.L'intérêt que l'on porte à VaskoPopa et à Miodrag Pavlovitchtient justement beaucoup à lacomplexité et à l'ambiguïté duchamp culturel au sein duquelils cherchent à se définir.

Dans sa préface à la Voix sousla pierre, envisageant le poèteserbe comme slave et méditerra-néen, Robert Marteau insiste:«A l échec historique de Byzancea été lié le sort des Serbes, et lachute de B"zance fut la fin d'unmonde, une apocalypse qui amarqué dans sa chair et son âmele peuple serbe.:. On pourraitpenser que l aspect catastrophiquede son histoire amène chez lei!poètes une amertume fondamen-tale. Or, bien souvent chez VaskoPopa, le poème, allègrement ab-surde, semble-t-il, procède avecun humour bon enfant :

Il était une fois un bâillementEnnuyeux comme tous les bâil-lements

Il paraîtrait qu'il dure encore.

Il ne faut cependant pas se fiertotalement au ton anodin dupoète; ces poèmes sont loind'être des divertissements légerset innocents. Plus d'un exempleserait nécessaire, mais ces poèmesne se laissent ni résumer ni dé-couper en citations. Il faudrait ci-ter là le poème «Les voleurs de

roses:t qui baigne dans une trèsbelle atmosphère onirique; «Legâteau de cendre est au con-traire un poème aux angles netset durs, parfaitement conscientde son âpreté. Nous citerons l'undes jeux proposés par le Ciel se·condaire, jeux parfois dangereuxoù l'on peut, littéralement, perodre la tête : Âu clou.

L'un fait le cloule second les tenailles

Les autres sont les maîtresLes tenailles attrapent le cloupar la tête

Les dents et les mainss'en emparent

Et tirent et tirentPour l extraire du plancher

D'ordinaire elles ne luiarrachent que la t.ête

Dure besogne que d'extraireun clou

Les maîtres alors disentLes tenailles ne valent rienIls leur défoncent la mâchoireleur cassent les bras

Et les jettent par la fenêtre

Un nOlLveau fait alors le clouUn nouveau les tenaillesLes alLtres sont. les maîtres

Ici l'objet du jeu ne peutqu'être à fonctionnement symbo-lique comme le voulaient les sur-réalistes, processus parodié d'unjeu beaucoup plus sérieux que lepoème feint de laisser indéter-miné.Vasko Popa ne ressemble guère

à Miodrag Pavlovitch, mais s'ilsont un point commun, il est danscette possibilité laissé au lecteurde choisir entre les différents ni-veaux de sens du poème.

Ils ont pillé, sans nous donnerde viande ;

nous avons sollicitéde grandes libertés,

mais nous n'avons reçu que lecadavre du roi, en dérision.

Faut-il le dévorer?Pourquoi pas?Déjà nous avions pris sa placesur le trône!

Sa chair était coriacecomme une courroie

et son foie noueux...h. Nous avions espéré unemeilleure vie .

sous les nouveaUx maîtres.

Qui parle ? Un chœur de chiensà Cnossos, semble-t-il. Mais (onsonge aux dernières images duFellini-Satyricon) qui dit quenous ne sommes pas aussi auvingtième siècle? La voix sousla pierre interroge passionnémentl'histoire et les mythes, or cespoèmes n'ont rien de déclama·toire: les passions y sont égali-sées sous un ton uni, et l'angoisseéventuelle cachée sous un humournoir. L'incertitude trouve son lieuabsolu à Constantinople et lepoème débouche alors en pleinfantastique:

Mon nouveau mechuchota alors

qu'il ne fallait pas que je mesoucie trop des affairesde lEtat,

lavais, paraît-il, omis deremarquer

que l étais mort à deux heuresde cheval de la ville,

et il ajouta que je restais toutde même un hôte cher,

qu'aux étages supérieurs dessalles m'attendaient

prêtes pour la nuit et le séjourdans lau-delà...

Cnossos, Delphes, Byzance ouConstantinople... Le poète observela succession des cycles de la civi-lisation et la question réitérée parle poème est celle-ci :

Un nouveau siècle de beauténaîtra-t·il du centre du néant,ou les tapis sont-ils ensecret dépliés

pour accueillir d'étrangèrestribus?

Formant un rccueil aussi com-posé que Le ciel secondaire, Lavoix sous la pierre n'aboutit pasau terme de son voyage à traversl'histoire à une vue pessimistesur le futur. Le poème final, inti·tulé «Pressentiment d'une nou-velle naissance », affiche non lacertitude mais l'espoir de retrou-ver à laube finnocence.

Vasko Popa et Miodrag Pavlo-vitch ont l'un et l'autre travailléen collaboration étroite avec leurtraducteur, et la qualité du textefrançais que nous présententAlain Bosquet d'une part et Ro-bert Marteau d'autre part, n'estpas pour peu dans notre intérêtpour les deux œuvres.

Serge Fauchereau

La Q!!iiuaine Littéraire, du 1er IIU 15 juillet 1970 5

Page 6: Quinzaine littéraire 98 juillet 1970

PoèDtes élizabéthains

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Jean-Marie Benoist

de T.S. Eliot que les romantiques.C'est le mérite du texte françaisde viser cette adéquation essen-tielle qui vise, en deça, de salittéralité immédiate, Une ressour-ce du signe dont les correspon-dances avee sa propre langue etlittérature se trouve enrichie dudétour par le texte français et lescorrespondances qu'il excelle fai-re surgir dans la langue et la lit-térature française.Non seulement les éditions bi·

lingues doivent se multiplier àl'exemple de celle-ci (et pas seu-lement pour la poésie, mais la lit-térature, la critique, les essais doi·vent maintenant recevoir cette fa-cilité des éditeurs qui ont intérêtà faire des accords par.dessus lesfrontières) mais la pluralité destraductions doit venir «complé-ter» le poème de sa polyphonie,doit venir, de tous les axes deson rayonnement centripète, ve-nir presser d'une question pluriel-le le signifiant du poème: ce li-vre fera date par le choix délibéréd'une écriture où l'on ne sc paic'pas de l'illusion d'une significa.tion unique, qu'il faudrait «ren·dre» dans l'autre code, mais oùl'on vise plutôt à poser, d'un an·gle choisi, la possibilité d'un rap'port heureux du signifiant aveclui·même, éveillant dans le codedes équivalences ou des corres·pondances, une écriture symboli.que dont la fidélité au texte ré·side dans sa fécondité rigoureuse,et dans le jeu de ses hardiesses.

alsee confrontation avec le texteanglais, immédiate. Dès lors setisse tout un jeu de correspon-dances, où le métier de traduc-teur prend tout son sens de mé-tier textile, de tissage : parvenantsouvent à une qualité du françaisqui fait songer au baroque deSaint-Amant où aux méditationsde Maurice Scève, où aux entre-lacs subtils et sensuels· de la poé-sie de Louise Labbé, le traduc-teur a fait travailler une réservede tropes, de tournures de théto-rique, de figures sur le texte an-glais, a pratiqué par eux une sor-te d'alchimie qui révèle combienla traduction. peut être transmu-tation.La réussite générale de cette

entreprise pose le problème de lastratégie, ou des stratégies del'acte de traduire, surtout en poé·sie: ou bien l'on vise l'exactitudelittérale, et l'on suit pas à pas lasyntaxe du texte, mais c'est uneutopie dans le cas de ces textesdont l'équivocité travaille sou-vent à quatre niveaux de lecturcpour un vers, ou bien l'on choisitde construire son texte françaisdans l'horizon d'une correspon-dance homogène à établir: asso·nance réussie ici, où la connotation est souvent de tel ou tel ba-roque français, mais aussi pour·quoi pas, la surprise provient dela résonance, au détour d'un vers,d'Apollinairc ou de Mallarmé:un retour sur Ip. texte anglais éclai·re alors combien «modernes»ces poètes peuvent être parfois,plus prochc de G.M. Hopkins ou

M.

Vill.Date

Ta beauté passée hors d:atteinteSous le marbre tombal maplainte

A peine écho. Les vers ont euVierge sauve, ta vertu.

Le mérite de cette édition estque les libertés prises par la tra-duction sont réglées par la très

Hors monde et temps et leurrégime

Femme, être prude n'est pointcrime.'

un langage qui se complaît auxconcetti, sait en même temps semoquer de lui·même. Il y a destextes où ce jeu de l'ironie cul-mine: To his coy mistress, à saprude maîtresse par exemple, trèscélèbre, mais jamais épuisé, danslequel Marvell sc décale par rap-port à la convention de l'amourplatonique.

Had we but worM enough,and tiseThis coyness, lady, were nocrime.

et atteint, dans lit deuxième stro-phe de ce poème ternaire dont lastructure mime un syllogisme, lesaccents d'une énonciation charnel·le plus hardie que la Charogne deBaudelaireThy beauty shall no more belound;

Nor in thy marble vault shallsound

My echoing song; then wormsshall try

That long preserved virginity.

Elizabeth, à Londres, en1970, c'est surtout la sallecentrale de cette magnifiqueexposition, the Elizabethanimage à la Tate Gallery, quigroupe uniquement des por-traits de gentilshommes et dedames peints de 1540 à 1620autour de la Reine Elizabeth.

La France a su aussi vivre cerenouveau élizabéthain grâce àl'édition bilingue des poètes mé-taphysiques et élizabéthains engénéral, un ensemble de texteschoisis et traduits par un hommede goût qui n'a pas entendu faireœuvre universitaire, mais nous li-vrer sa propre moisson, son jeude préférences au sein de foison-nement rigoureux et riche de si-gnes et de gemmes que sont cespoèmes. On ne dira jamais assezle prix de ce travail pour faireconnaître au grand public des.lecteurs ces auteurs trop souventignorés, tant pour le Français mê·me cultivé l'époque élizahéthaines'identifie à Shakespeare. Or l'eu-phuisme des sonnets shakespea-riens n'est qu'un moment, une va·riante de toutes les combinaisonspossibles de signes dans un uni·vers qui sait garder ce désir desmots, cette érotique de l'écritureet déploie les fastes compliqués,hermétiques ou plurivoques d'unepoésie baroque, aux arabesquesbien tracées.Présentant chaque auteur par

une notice brève où se résumcntles événements les plus sympto-matiques de sa carrière et de sonœuvre, Philippe de Rotschild n'apas le lecteur d'infor-mations érudites qui eussent étouf-fé le charme de ces textes, l'em..sent accablé. Chacune de leurslectures est au contraire une sur·prise, un salut nouveau, sembla-ble à ce good-morrow, à ce bon-jour de Donne, qui nous hèle audétour de la page. Et jamais lapréciosité, le wit, l'euphuismen'ont été aussi bien mis en valeurque dans cette confrontation, dansce rendez-vous de textes hien éclai-rés. Jamais n'a été aussi percep-tible l'ironie légère par laquclle

1Poèmes élizabéthains(1525-1650)trad. et présentéspar Philippe de RothschildEd. bilingue Seghers.

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·OM ... NS

P .... NÇ ... ISUn lieu •magIque

1Marguerite DurasAbahn Sabana DavidGallimard éd., ISO p.

C'est à nouveau dans un lieumagique, une sorte de Huis Closoù peut se déployer librementl'aspect de convertibilité de des-tins singuliers en une aventureuniverselle, que se joue la vie,ou plus exactement la survie desâmes mortes que sont Abahn, Sa·bana, David et l'autre Juif.A travers l'opacité des corps,

c'est la transparence des êtres,leur possibilité de métamorpho-se, qui est constamment l'enjeud'un dialogue dans lequel on re-trouvera les éléments du passagesignificatif du JE au ON, du sub-jectif à l'intersubjectif tel que lesmanifestaient déjà les personna-ges interchangeables de Détruire,dit·elle.Pourtant, ce dernier livre se

distingue de tous les autres ré-cits de Marguerite Duras par l'im-portance que l'auteur accorde àrengagement politique.Comme le titre l'indique en

effet, Abahn, Sabana et David re-présentent la condition juive dansle monde, aussi bien que la fas-cination de cette condition. Les

sont la marginalitédouloureuse, l'exil perpétuel, l'in-terminable Odyssée «à traversles multiples J udées» des des-cendants de Moïse. L'action sesitue aux environs d'une villea p pel é e très symboliquementStaadt, qui est toutes les villes dumonde où sévissent la malédictionet l'ostracisme.L'auteur a réussi à généraliser

de manière remarquable la con-dition à la fois coupable, désespé.rée et pourtant secrètement sou-veraine de ces âmes errantes:elle leur oppose une autre géné-ralité qui est le pouvoir oppres-seur de Gringo (1) et des mar·chands, et assimile également lacondition des Juifs à celle desPortugais exploités dans les chan-tiers de construction. Le récit peutse lire à deux niveaux différents :celui d'une aventure particulière,une longue nuit d'attente pourun Juif condamné à mort parGringo et dont il a confié l'exé-cution à un de ses employés nom·mé David, accompagné de safemme Sabana.L'arrivée d'un deuxième Juif

justifie le deuxième plan de lec-ture car ce dernier permet par sondiscours «l'accouchement» desconsciences en présence, et parvoie de conséquence, la «conver·sion» de David et de Sabana ausort de leur victime.Dans ces quatre personnages on

pourra aussi reconnaître deuxbourreaux et deux victimes dontles rôles sont interchangeables.Tous attendent, dans une maisonisolée, entourée d'une immenseforêt où des chiens hurlent à lamort comme le font les condam·nés eux-mêmes mais avec des crissans voix. La forêt, ce sont aussiles autres hommes, en marchecomme l'armée vengeresse de laforêt de Dunsinane, dans Mac-beth, des milliers d'ombres se di-rigeant vers le lieu du,·ers «l'extermination» toujoursrecommencée des Juifs. «Depuismine ans» les plaines du mondese couvrent de cadavres, les holo-caustes «se succèdent enchaînésles uns aux autres par leurs fron-tières ».Au cours de cette longue nuit

d'attente, c'est par l'infinie souf·france que Sabana «accomplit»au-delà d'elle-même dans et parla conscience des condamnés aux-quels elle s'identifie, qu'elle dé·passera sa eondition individuellepour assumer le mortel fardeaudes. Juifs. Le jeune David, d'abordréfugié dans le sommeil (qui estaussi le sommeil de l'esprit et lapeur de la mort) finira, lui aussipar céder, fasciné, à la «folie dedouleur» que dissimulent les vi·sages clos des condamnés, afind'unir son destin au leur.

Il semble qu'une vie invisible,située au-delà de l'attente et dela patience devenue inutiles, aI-mante irrésistiblement David etSabana vers leurs victimes. Com·me elles, ils désirent tout oublier,le travail, le savoir, l'argent, ladouceur illusoire des liens amou-reux. Sabana peut maintenantabandonner David, renoncer à cetamour et dire: «Je serai tuéeavec ce Juif », avec celui qui par-lait de liberté et de destruction.Elle pourra sombrer pour revi-vre, renoncer au monde et choi-sir la mort. Ce renoncement im-plique son passage dans nn or-dre différent qui est celui de larévolte; assumer la condition desJuifs c'est se choisir «autre », etassumer la tragique souverainetédes «invisibles montagnes dedouleur» qui hantent les cons-,ciences aliénées.Comme dans Détruire, dit-elle,

on retrouve ici le pouvoir d'enli-sement réciproque des regards etla toute-puissance du désir. Cedernier n'est plus seulement d'or·dre érotique et la fascination ::;edispense ici du viol des corps pouratteindre les consciences.· La sé·duction porte sur l'être de l'au-tre dans sa totalité, et dan:> lecas de Sabana· il s'agit pluti,t dlldésir de la «souffrance entière»que manifeste le Juif en tant qllCeorps et que. conscience tragiqùede sa condition.Le «ravissement» du je par

le on, c'est la conquête ultimeque peut réaliser un être sur lesommeil, l'oubli, l'ignorance. Lesommeil du jeune David exprimeprécisément pendant to.ute une

partie du récit l'impossibilitédans laquelle il se trouve de re-noncer au monde et à ce qu'ilaime (les chiens du Juif en l'oc-currence) et d'accepter le nonéblouissant, signe de la «conver··sion radicale» de sa propre réa-lité. Cest l'exemple de Sabanaqui l'y mènera finalement.On pourrait dire que pour as-

sumer la condition humaine, ilfaut devenir une âme morte. Damune telle perspective tous les per-sonnages paraissent en proie à undouble vertige d' ide n t i té:d'abord celui qui naît de l'affron·tement de leur réalité individuel·le en face de la mort, et ensuite,celui de l'équivalence radicale detoute existence humaine devantles servitudes imposées par l'or·dre établi. Abahn, Sahana, Da·vid et le Juif ne savent plus qui iJssont, parce que chacun d'eux re·prend à son compte une forlIIe demartyre universel: cellli de l'op.pression vécue dans la chair etsubie par l'esprit. S'il demeureune possibilité rle lihération, elleréside dans la seule atteIlte de laDlOrt et non dans l'espoir d'unsens à découvrir dans l'ex istence.Il est possib le que le lecteur

se sente quelque peu rlérouté parle début du livre rle MargueriteDuras: cela provient du fait quel'auteur inscrit très tôt la dimen·sion de convertibilité fies person-nages dans son histoire. Les qua-tre êtres en présence OIlt des illen-lités délibéren·lent brou illées etl'on peut les voir conlll1e les qua'"tre visages d'une seule ·et mêmeconscience, d'un seul être humain,à la fois bourreau et victime, prisentre le feu de l'amour et la gla-ce de. la mort, oscillant sans ces·se entre la séduction du sommeilet celle de la lucidité tragique.Tout l'art de l'auteur consiste

à nous entraîner dans ce vertigequi est en apparence particulier,mais en réalité universel. Ce ver-tige c'est celui d'une remise enquestion de l'engagement del'homme.Derrière le contrepoint subtil

de ces êtres qui sont des présen-ce-absence, l'auteur nous convie àun au·delà de nous-mêmes danslequel nous ne pouvons manquerde nousreconnaîtrc.

Anne Fabre-Luce

1. Gringo: Appellation péjorativeque les Mexicains donnent aux Amé-ricains du Nord.

La Q!!inzaine Littéraire, du 1er au 15 juillet 1970 7

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Partni les hotntnes

BISTOIRE

EntretienI.ITTfI RAIRE

1François NéraultLe pont de RecouvranceMercure de France éd., 20} p.

Les Vigiles des eaux, voici deuxans, avaient surpris. De longuesdescriptions de régions maritimes,ou de mer, ou de terres maréca-geuses, l'absence de personnages,si ce n'est anonymes, enclos dansun nous qui permettait de racon-ter une «action» en délaissantl'individualité psychologique (mo-biles, attitudes et, comportementde chacun, fondus dans une gri-saille créatrice de tristesse et dedérision), cela donnait à ce pre-mier livre une grandeur un peufroide, à laquelle le ton très me-suré ajoutait ses propres distan-ces. Ainsi naissait, d'un regard netoù la tendresse pourtant se lais-sait deviner, une poésie assezlointaine, une poésie de climat,d'espaces à la fois secrets et vas-tes, d'images enfin, dont la nuditédécouvrait les richesses.

Si, avec le Pont de Recouvran-ce, François Nérault déçoit unpeu, c'est sans doute qu'il a voulu,courageusement, ne pas rester toutà fait, dans sa «ligne ». et .-edes-cendre en quelque sorte parmi leshommes. Un couple se i1éfait, unenfant se lie aver le viellx gardiend'armes de guen'e ahallllonnées,l'ancien élève d'lIl1 lY('ée y vientfaire un « pèlerinage» qui tournecourt, la fantaisie (011 le sailisme)d'un condu<:teHl' eH i Ild i"ertementla cause d'un a(',('ident. Ces ré-cits, où se retrouve ,railleurs leton neutre, pareollru seulementde l'intérieur par l'émotion ou parl'ironie, des V igilps eaux, s'or-ganisent autour d'un événementsimple, mais où le souvenir,l'amour, la cruauté, viennent met-tre un peu de désordre (l'ordredu récit), une coloration plus vio-lente, avant que la vie quotidien-ne, en silence, raccorde les filsépars de la réalité.

D'autres récits du même recueil,cependant, sont' étranges ct moinsdéfinissables. Visions d'existenceantérieure, de pays perdu, commecelle de cette gare où les trainspassent trop vite ou trop lente-ment mais ne s'arrêtent générale-ment pas, et oit un jour se pré-

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sente une locomotive vide, avecson tender, ne remorquant aucuntrain, bizarrement gracieuse et ,silencieuse, et qui, conduite parpersonne, passe et s'éloigne ma-jestueusement vers la campagne.

Etrange aussi la visite de cephare désaffecté, transformé enmaison d'habitation, et celled'une institution où les élèves,garçons et filles de seize à dix·huit ans, n'apprennent qu'à rêver,leurs cinq sens constamment « sol-licités» par une en scèneingénieuse ou la perception minu-tieuse de la nature.

Là encore, si l'idée séduit, si ledétachement du ton intrigue, sil'écriture promène sur le récit sonclassicisme subtil, on n'éprouvepas exactement cette impressionde déploiement de forces que don-naient, compactes, massives, pres-que souveraines, les nouvelles desVigiles des eaux. Avec le Pont deRecouvrance, François Nérault apeut·être voulu manipuler, dansd'autres registres, d'autres cordesaux résonances plus «personnel.les », mais moins originalea. Detoute façon, on est en présenced'un talent exceptionnel, où lerêve poursuivi, avec une amertu-me moins glaciale qu'il n'y pa·raît, offre au lecteur qui y con·sent de singuliers et rares bon-heurs.

Lionel Mirisch

1Jean PommierLe spectacle intérieurDossier desLettres NouvellesDenoël éd., 418 p.

Il commence par m'entrepren-dre sur Marcel Proust: est-ceque je l'ai lu et est·ce que jel'aime? «Ah, dit·il avec soula·gement, vous êtes d'un bon cru.Il paraît que les jeunes gens nele lisent plus D. Pauvres jeunesgens, et qui écrivent si mal, desurcroît, dans une langue tara·biscotée. Jean Pommier, lui, ahorreur de l'obscurité. Il ne.tolère, dans cet ordre, queMallarmé mais les autres, illes rejette passionnément. cc Etpourtant, je vois des gens siintelligents qui se vouent àl'hermétisme. Comment l'expli-quer? Il s'agit, pour moi, d'unautre univers mental. D

Voilà les couleurs annoncéeset elles sont franches. JeanPommier. critique illustre, suc·cesseur de Valéry au Collègede France, âgé aujourd'hui desoixante·dix·sept ans, est unhomme d'un autre âge, dumoins il se donne pour tel. Lesphares qui l'illuminent sont ins-tallés sur les rivages du sièclepassé: Sainte·Beuve et Lanson,ses deux modèles, Chateau-briand, Balzac, Flaubert, Renansurtout. Plus près de nous, ilaccepte les hommes qui chemi·nent sur la voie royale du clas-sicisme: Proust, Valéry, Gide,mais rien au-delà. Rimbaud leharasse à force de complica·tions. Les surréalistes, ils n'enveut rien connaître. Il a faitune expédition chez Robbe-Gril·let et il s'est' replié à touteallure, en bon ordre. MichelButor? cc Oui, celui·là est unpeu plus cultivé D. Pommier aentendu une de ses conféren·ces: cc Ce n'était pas très dis-tingué, mais c'est un hommequi a lu.»La conséquence est que l'on

pénètre ,dans son 1ivre avecdes prudences de chat. De ce«spectacle intérieur» qu'il li-vre aujourd'hui, et qui est celuide ses pensées, de ses lectu·res, de ses rêves, que peut·onattendre? Il avoue lui-mêmequ'il a cessé d'engranger àl'âge de cinquante ans et toutesa culture date du début du

siècle. Qu'espérer d'un critiquedont le pre mie r soin estd'expulser Rimbaud, les surréa-listes, le nouveau roman et lanouvelle critique? Alors, onausculte le gros ,livre, on leflaire, on tourne les premièrespages, on feuillette et c'est leravissement.On comprend en même temps

l'invocation à Proust. C'est qu'àse promener dans ses souve-nirs, Jean Pommier adopte na·turellement l'allure de Proust.même si la phrase est plusbrève, moins chargée. même sile monde des ténèbres et del'indicible n'y est désigné qued'assez loin. Mais c'est la mê·me exaltation, cette même lu-mière de soleil dans la brumequi est celle de la mémoire etdans les transparences de la-quelle tremble, au lieu de Com·bray, cette ville de Niort, en-dormie dans sa fin de dix·neu·vième siècle, quand Jean Pom-mier, fils du receveur principaldes postes, partageait son en-fance entre le songe et l'étude.L'étrange est que ce livre

désuet est d'un ton fort mo·derne, et tant pis si Jean Pom-mier ne nous pardonne pas dele dire. Dédaigneux de toutechronologie, il se promène,avec de fausses paresses, àl'intérieur de son âme,. Cetécrivain classique est un ro-mantique. Ce positiviste aimela tendresse du souvenir et ilcède à toutes ses rêveries.« Qui nous donnera, disait Char-les du Bos, un journal des exal·tations de l'âme?» Jean Pom·mier place cette phrase en épi-graphe. Elle dit superbementson dessein.Le modernisme est surtout

ailleurs. Rien n'est émouvantcomme le mariage entre JeanPommier et les livres. On songeà Mallarmé, à Valéry ou mêmeà un homme comme Jorge LuisBorges, qu'il a probablement endétestation. La frontière s'ef-face entre la vie réelle de l'au-teur et celle des livres qu'ilaime.

JI a été conçu en mars 1893.tandis que Zola faisait repré-senter une Page d'Amour àl'Odéon. Son grand·père est néen 1827, l'année du Cromwellde Victor Hugo et ce grand·pèreressemblait au vieil adjudant deVigny dans la Veillée de Vin-

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avec Jean Pommiercennes. Où est la réa 1 i t éet l'imaginaire? Bien souvent,c'est la littérature qui l'emportesur le réel. D'année en année,de passion en passion, un tissude littérature se trame, danslequel s'encoconne la vie appa-rente de Jean Pommier. La lit-térature l'a presque expulsé desa propre vie, sa vie est deve-nue un interminable livre, unebibl iothèque de Babel.S'il parle de ses années de

préparation à Louis-le-Grand, en1910-1912, il n'en retient quececi: " Période de grand travailpour Marcel Proust ". Immensesentrelacs de la vie et des livres,du présent, du passé, de l'ave-nir. Jean Pommier est le con-temporain de tous les écrivainsqu'il aime. Enfant, il s'asseyaitsur les genoux de Victor Hugo,il se rappelle très bien la barbedure sur sa joue. Au lycée deNiort, Platon lui enseigne l'his-toire naturelle. Rue de la Sor-bonne, il a rencontré Danteoccupé à " draguer" (il va sansdire que le langage de Pommierest plus raffiné: (( Dante, dit-il,occupé à humer le sillage d'unebelle adolescente ») et à Digne,en' 1952, il a croisé ArthurRimbaud.

J. P. - Oui, les livres, lesmots, leur arrangement, toutcela est très important pourmoi. Je suis un anxieux essen-tiel, comme l'était ma mère.Le déterminisme m'apparaît tou·jours comme un miracle. Il suf-firait d'un rien pour que l'ordredes choses se défasse. Alors,il est possible que les mots,leur rigueur, l'ordre qui les sou-tient constituent une sorte dedéfense contre le chaos.

G. L. - Vous faites souventallusion à votre âge. Vous ac-ceptez qu'une coupure s'estproduite pour vous, vers cinoquante ans, après quoi vousn'avez plus accompagné le mou-vement intellectuel. Ce décro-chage, ,vous l'attribuez à unedimension de votre esprit oubien à une sorte d'accélérationde l'histoire?

J. P. - Bien sûr, c'est ceque je me dis. Je pense que laguerre a tracé un sillon pro-fond, impossible à combler.Mais, vous savez, à la bataille

d'Hernani, c'est aussi ce quepensaient les «perruques D. Aufond, j'ai cessé de lire verscinquante ans, pour me conten-ter de relire et aujourd'hui, ehbien, je relis de ,moins enmoins, et ce qui est affreux,voyez-vous, c'est que ça ne memanque même pas.

G. L. - Ces confidences sontdites avec une espèce de séré-nité. Un peu d'ironie éclaire leregard, cette même ironie élé-gante et désabusée qui circuledans les pages du livre, maiscomment ne pas sentir, dansle même temps, le pathétiqued'un pareil aveu, chez cet hom-me qui se sent en exil dans sonpropre siècle et qui, sans sedétacher de sa passion essen-tielle, la lecture, découvre au-jourd'hui qu'il peut se passerde toute lecture?

J. P. - Je suis toujours restéun provincial. Quand je suisarrivé à Paris, pour poursuivre 'mes études, j'ai été ébloui parles Parisiens. Ils avaient toutlu, ils avaient une sorte degrâce. Je me suis mis à lire,mais je crois que je n'ai jamaisvraiment rattrapé le retard. Lesquestions qui m'obsèdent ne seposent plus guère aux hommesde 1970! Chaque année, j'ai laconviction que le cercle de mescompagnons va se restreignant,comme si la loi des généra-tions était sans appel.

G. L. - Tout votre livre neparle qùe de littérature, votrevie aussi, et pourtant vous ditesdans votre préface: « Ma, vraienotice serait-elle?: Penseurpolitique et religieux. Violond'Ingres: la littérature."

J. P. - Oui, je le dis avecun peu d'humour, mais il estvrai que la politique est mavraie passion.

G. L. - Vous la dissimulezsoigneusement.

J. P. - Comment voulez-vousque j'exprime les idées quej'ai sur ce point?

G. L. - Il y a donc des inter-dits?

Pas dé réponse. Les lèvresse gonflent, fabriquent une es-

pèce de moue. Il serait mal-séant d'insister. Mieux vaut sereporter au livre lui-même:«L'auteur, y est-il dit, sait àquoi. l'on s'expose, sous le ré-gime de la librairie et de lapresse et dans les mœurs quisont les nôtres, quand on osesur certaines questions uneopinion indépendante.»Je m'emploie à remettre l'en-

tretien sur ses rails. Freud for-mera un appât excellent.

Moi·même en paysan breton(Photo extraite de l/ouvrage)

J. P. - Ah, Freud, ce qu'ila pu dire comme bêtises, quandil a parlé des rêves! Entendez·moi bien, Freud est un génie- moindre que Jung, du reste- mais, il l'avoue lui-même, ilne rêvait pas. Il déchiffrait lesrêves de ses patients. Moi, j'aiprocédé au contraire. Dans celivre, vous trouverez cinquanterêves. Ce sont les miens et jem'astreins à les noter dès monréveil car rien ne se dissoutaussi vite que leur souvenir. Etce que j'y lis n'a aucun rapportavec ce que ----dit Freud. Je necrois pas qu'il y ait une cou-pure radicale entre le rêve etla veille. Il y a unité essentielledé la vie mentale. Quant ausystème freudien, que voulez-vous, des quatre éléments quile fondent - l'érotisme, le dé-guisement, la censure et lerôle fondateur de 1'âge infan-tile -, il n'en est pas un seulqui apparaisse dans les rêvesque je relate. Alors...

Ici, Jean Pommier s'inter-rompt. Il entame un autre dIs-cours, qui porte sur la religion,il adjure les laïques d'admettreque l'enseignement religieux nedevrait pas être abandonné auxreligieux. Les laïques ont étébien naïfs de se laisser excluredu domaine de l'histoire reli-gieuse, ca: seules, les métho-des rigoureuses de la sciencehistorique devraient être appli-quées à l'étude des religions,des grands textes sacrés. Leton monte, les lèvres gonflent,et puis, voici la bonace, nousrevenons au calme. Un instant,seulement, .car un nouveau tra·vers de l'esprit moderne, par jene sais quel détour, se présentedans le collimateur de JeanPommier:J. P. - Et cette manie de

découvrir, dans les écrivainsdu passé ou dans les événe-ments du passé, des aspectsmodernes! On admire telle œu-vre parce qu'elle préfigure lexx· siècle. Quelle sottise! Onactualise l'histoire. Mais, c'estabsurde! Le propre de l'his-toire, c'est précisément qu'elleest close dans le passé, que,ses événements ne peuventpas être transportés à traversles siècles...

Tel se dessine, à gros points,le portrait d'un homme qui sepeint lui-même comme retarda-taire. «Un fossile", a-t-il dit,mais ce fossile est singulière-ment vivant, emporté, vif, cha-leureux, plein de malice. Cesnotes ne sauraient pourtantrendre compte du charme pro-fond de ce «spectacle inté-rieur ». Quelque part, Jean Pom-mier cite l'épitaphe de HenriHeine: « Il aima les roses de laBrenta ",C'est ainsi qu'il faudrait par-

Ier de ce livre. Sous le discourspassionné. brillant, qui couvretrois quarts de siècle, ce quel'on ai)ne à retenir, ce sontquelques images brèves et déjàdisparues: la silhouette de Va-léry devant le Coll è g e deFrance, le repas pris avec Ho-noré de Balzac, dans une au-berge de Saint-Pierre-d'Oléron,une conversation avec Méri-mée, dans la salle d'attented'un dentiste, et tout le resteest littérature.

Gilles Lapouge

la Q.!!bazaine Littéraire, du 1er au 15 juillet 1970 9

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Le destin posthumeSI, en 1946, le centenaire de la naissance d'Isidore Ducassea suscité peu de commentaires, en revanche le centenaire desa mort, qui tombe en 1970, donne lieu à de nouvelles étudesbiographiques (à propos d'une vie dont on ne savait pasgrand-chose) et au réexamen d'une œuvre sur laquelle on aformulé les jugements les plus contradictoires.Comme on le sait, l'auteur des Chants de Maldoror n'était uninconnu ni pour Remy de Gourmont ni pour Léon Bloy ni, engénéral, pour les Symbolistes. Pourtant, ce sont les Belgesqui, en 1885, avaient les premiers découvert Lautréamont, etl'avaient fait connaître à leurs amis français. Cette découverten'avait pas passé le cercle des poètes et de quelques ferventsadmirateurs. En 1914, Valery Larbaud tente à nouveau de res-susciter l'auteur des Chants, sans grand succès. Il faut atten-dre le lendemain de la guerre et la publication, en 1919, desPoésies (que connaissait Remy de Gourmont) par André Bretondans .. Littérature .. pour que commence le plus extraordinairedestin posthume d'un poète. Lautréamont devient le .. dieu •des surréalistes, le «seul" qui n'ait pas laissé .. une traceéquivoque de son passage ". Il incarne pour. Breton et sesamis la révolte absolue et, non content d'avoir été l'initiateurde toute la poésie moderne, il annonce une libération del'homme entier.Le .. terrorisme.. surréaliste a pesé durant vingt-cinq anssur tous les critiques qui se sont occupés de Lautréamont etqui, négligeant l'étude de l'œuvre, ont vigoureusement réagipour ou contre. Pour d'aucuns, Isidore Ducasse était simple-ment ft fou ". Pour d'autres, il était un .. génié •. Pour d'autres,enfin, un ft fou génial... Et peu importait, bien entendu, sa·biographie: suivant les auteurs, les dates de sa naissanceet de sa mort variaient entre 1846-50 et 1870-74. Tout ce qu'onsavait était qu'il était mort très jeuné.Une étape importante dans la connaissance de Lautréamonta été franchie après cette guerre, avec I.es études de GastonBachelard (Lautréamont, Corti, 1939 et 1956), Marcel Jean et

, Arpad Mezei (Maldoror, le Pavois, 1947, et Nizet, 1959), Mau-

rice Blanchot (Lautréamont et Sade, Ed. de Minuit, 1949),Maurice Sail let (Les Inventeurs de Lautréamont, .. Les LettresNouvelles., 1954, Notes pour une Vie d'Isidore Ducasse etde ses écrits, dans Isidore Ducasse: Œuvres complètes, leLivre de poche, 1963), Georges Goldfayn et Gérard Legrand(Poésies d'Isidore Ducasse, édition commentée, le TerrainVague, 1960), Marcelin Pleynet (Lautréamont par lui-même,Ed. du Seuil, 1967). Il est nécessaire de se reporter à toutesces études qui, entreprises de points de vue divers, présen-tent autant de courants d'une critique qui prend ses légi-times distances envers un auteur et qui permet de mieuxcerner une figure malgré tout énigmatique.L'ouvrage de François Caradec: Isidore Ducasse, comte deLautréamont, qui vient de paraître à la Table Ronde. et dontrend compte ici même Marcel Jean, apporte de nouveaux etprécieux renseignements sur la vie d'Isid,ore Ducasse. La pré-face qu'a consacrée Pierre-Olivier Walzer. à la réédition desŒuvres complètès dans la Bibliothèque de la Pléïade constitueun bref mais remarquable .. état de la question -. Il faut signalerenfin, brièvement parce qu'il vient seulement de nous parvenir,le mémoire d'un universitaire belge: Frans de Haes, Imagesde Lautréamont (Duculot, à Gembloux, Belgique), qui reprendla question Lautréamont depuis ses origines (tant au point devue de la biographie qu'à celui des commentaires sur l'œuvre)et qui joint à une information visiblement complète une judi-cieuse liberté d'esprit à l'égard des admirateurs fanatiquesd'Isidore Ducasse comme à l'égard de ses détracteurs. C'està une étude sans préjugés de l'œuvre qu'il nous convie, etc'est bien ce sens que semble aller une critique quidésormais et de plus en plus entend s'en tenir aux textes.Lautréamont a été jusqu'à présent un extraordinaire révélateurde tous ceux - écoles, courants, groupes, individualités -qui ont voulu percer les intentions secrètes d'un poète qui,dans notre littérature, fait figure d'aérolithe. Il serait peut-êtretemps de substituer à ce qu'il a .. voulu dire ., ce qu'il .. a dit"en effet.

Principales dates de la vie d'Isidore Ducasse

1846. - Naissance, à Montevideo (Uruguay), le 4 avril,d'Isidore-Lucien Ducasse, fils de François Ducasse,commis-chancelier au consulat général de France, etde Jacquette Davezac (probablement servante desDucasse, à Tarbes, avant qu'ils s'expatrient).

1847, 16 novembre. - Isidore est baptisé (dix-neuf moisaprès sa naissance) en l'église métropolitaine deMontevideo.Décembre, mort de la mère. Certains pensent qu'ellese serait suicidée.

1859 -1865. - Isidore, envoyé en France pour ses études,est interne au lycée de Tarbes, puis élève au lycéede Pau. Ses résultats scolaires sont médiocres. Cer-tains de ses condisciples seront les dédicataires desPoésies.

1865 -1867. - On perd la trace d'Isidore. Ducasse. Le 25mai 1867, il retourne à Montevideo (François Caradec).AüClébut de l'automne, il est à Paris, 23,,, rue Notre-

. Dame-des-Victoire.s. Il y écrit le premier des Chants

de Maldoror, entretenu par son père qu'il a probable-ment convaincu de l'aider à faire une carrière litté-raire.

1868. - Impression et mise en vente du Chant l, qui neporte pas de nom d'auteur. Il l'adresse aux Conèourspoétiques de Bordeaux.

1869. - Isidore Ducasse remet à l'éditeur Albert Lacroixle manuscrit complet des six Chants. Lacroix l'imprimeà (Bruxelles), mais en suspend la distribution.

1870 - Isidore Ducasse, qui habite 15, rue Vivienne, écrità son banquier pour lui ànnoncer qu'il. a .. comp1ète-ment changé de méthode Jt et qu'il est décidé désor-mais à .. ne chanter exclusivement que l'espoir,rance, le calme, le bonheur, le devoir •. En avril paraîtun premier fascicule de Poésies, le second en Juin.JI meurt le 24 novembre dans son nouveau domicile,7, faubourg Montmartre.

1874. - Mise en vente des Chants de Maldoror, Imprimésen 1869, par un libraire bruxellois. Succès nul.

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d'Isidore Ducasse

Gravure exécutée de mémoire par unUruguayen d'après la photographieperdue d'Isidore Ducasse

LautréamontŒuvres complètesIntrod. et notespar P.O. Walzer

de la PléiadeGallimard, éd.

Si même elle ne semble- heureusement, pourrait-ondire - rien apporter qui soitabsolument neuf, l'introduc-tion de P.O. Wa 1z e r àl'édition des Œuvres de Lau-tréamont dans la Pléïadeconstitue un document remar-quable, tant par son ampleur(l'auteur a effectivement prisconnaissance de tout ce quia été écrit à propos de Lau-tréamont) que par le trèssérieux examen des diverseshypothèses déjà émises etdes commentaires qui les ontaccompagnées.Point d'interprétations - jus-

tifiées ou pas - point de varian-tes qui ne soient ici confrontéesau texte de Lautréamont lui-mê-me. Une analyse aussi serrée etpertinente rend à l'œuvre son« incomparable» éclat, cette sou-daine incandescence qui la vit, enmême temps, paraître et disparaî-tre, laissant dans cettedans le silence ce que Léon Bloyappela «la trace calcinée d'ungrandPersonne aujourd'hui ne songe

plus à mettre en doute l'impor-tance capitale de l'œuvre de Lau-tréamont, l'énergie singulièrequ'elle porte avec elle, l'évidencede son caractère agressif. La dis-

cussion porte encore sur l'inven-taire des sources tant littérairesque biographiques. Tout ou pres-que a été dit, le vraisemblable etle moins vrai, le proche et lelointain, le certain et l'imaginai-re. Si bien que le foisonnementquelquefois artificiel du commen-taire a fini par dissimuler le flam·boicment de l'édifice dans son fan-tastique éclairage.

Ce sera justement le mérite del'étude de P.O. Walzer que de re-mettre à son rang, qui peut.êtreest secondaire, ce problème dcssources. D'autant plus que, pardérision, Lautréamont a lui-mê-me laissé un certain nombre derepères visibles. Nous connaissonsses lectures et la production lit-téraires qui lui fut contemporai-ne, découverte certes nécessaireet utile,. insuffisante cependant àouvrir la perspective infinie d'uneœuvre, au sens propre, boulever·sante. Après Remy de Gourmontqui, le premier, entrevoit la véri-table originalité de l'œuvre, il re-vient à Maurice Blanchot, P.O.Walzer le rappelle, dc mettre ànu, à sa vraie place, ce .leu in-sensé d'écrire, révélé par Maldo-ror et les Poésies:«Son imagination est environ-

née de livres, écrit Maurice Blan-chot. Et cependant, aussi éloignéeque possible d'être livresque, cet-te imagination ne semble [lasserpar les livres que pour rejoindreles grandes constellations dont lesœuvres gardent l'influence, fais-ceaux d'imagination imperso1Ulel-le que nul volume d'auteur nepeut immobiliser ni confisquer àson profit., Il est frappant queLautréamont, même s'il suit lecourant de son siècle, même lors-qu'il en arbore, avec l'insolencede la jeunesse, les partis pris etles passions de circonstance, exal-tation du mal, gOlÎt du macabre,défi luciférien, sans doute ne faitpas mentir ces sources, mais, enmême temps, semble hanté partoutes les grandes œuvres de tousles siècles et finalement apparaîterrant dans un monde fiction où,formés par tous et destinés à tous,se rejoignent et se confirment lesrêves vagues des religi01u et desmythologies sans mémoire.» In-troduire ainsi Maldoror dans cesiècle, c'était prendre une respon-sabilité terrible, que la postéritévient tout juste de pouvoir me-surer. C'était par la violence du

discours transgresser la loi, touteloi, y compris celle du discours.A ces lignes définitives, on peut

ajoutcr l'accessoire, et par exem·pIe, retenir l'influence certaine duroman noir qui commença à sefaire sentir dès lc début du siè·cle. D'Eugène Sue à Anne Rad-cliffe, la fiction romanesque intro-duit en littérature un monde fan-tomatique, irréel, disait-on àl'époque, qui côtoie le monderéel sans pourtant se mêler à luiet quc le lect.eur est invité à con-templer à travers la vitre du ré-cit. de la même façon quc Jcspectateur pcut, à travers sa fenê-trc, suivre sans danger le specta-cle du dehors... Du roman noir,Lautréamont a saisi le s"cns pro-fond pour le bouleverser aussitôt.L'irrationnel ne côtoie plus ici laréalité, il la pénètre et aussitôtla menace. D'un monde à l'autre,la communication est établie. Lerevers des chose;;, celui du mondemental, est à présent sensibleet les monstres de Maldoror me-nacent «naturellement» l'ordreétabli, familial et social, ainsi quele montrc, parmi d'autres épiso-des, l'enlèvement de Mervyn.Cc ne devrait plus être une sur·

prisc pour quiconque que deconstater l'aveuglement des con·temporains devant une irruptionaussi soudaine, une métamorpho-se aussi absolue, une transgres-sion aussi radicale. Cc sont làspectaclcs qu'on ne peut sans dan-ger supporter, et chacun doit au-jourd'hui admettre, sans risquerde se tromper, qu'il en aurait étéde même si la diffusion de l'œu-vre de Lautréamont avait à l'épo-que été plus étendue. Aucune so-ciété ne peut tolérer qu'on dise«au mal» ce que tant de siècles,auparavant, avaient dit « aubien ». Après Baudelairc et avantRimbaud, Lautréamont a été l'unde ces «agitateurs» qui, par leuractivité, maintenue par forcepresqne clandestine, ont. révélécet ébranlement profond de J'es-prit qui a suivi la Révolution fran-çaise. Leur destin est souvent brefet toujours solitaire. PrécédantLautréamont, un autre jeunehomme, Evariste Galois, mort àvingt et un ans, en 1832, a, danssa brusque apparition, manifestéaussi la permanence de ce chemi-nement soutenain.Il est frappant de suivre le pa-

rallélisme, en même temps que labrutalité, de ces deux destinées.

Mathématicien prodigieux et pro-phétique, révolutionnaire dans larue et à l'université, Galois estoublié aussitôt que mort, déjàécarté de son vivant pour l'inso·lence de son intervention. Chezl'un comme chez l'autre, c'est lamême colère impuissante. A « J'aivu pendant toute ma vie, sans enexcepter un seul, les hommes,aux épaules étroites, faire des ac-tes stupides et abrutirleurs semblables, et pervertir lesâmes par tous les moyens. Ils ap-pellent les motifs de leurs ac-tions: la gloire. En voyant cesspectacles, j'ai voulu rire commeles autres; mais cela, étrangeimitation, était impossible », deMaldoror, répond une lettre deGalois: «De l'itlresse ! je suis dé·senchanté de tout, même del'amour de la gloire. Comment unmonde que je déteste pourrait.ilme souiller ? »A propos des Poésies, dont An-

dré Breton souligna, en face deMaldnror, l'apparente contradic-tion, je vOllllrais eil terminantrappeler la remarque de JeanPaulhan. COllllllenlanl ('es retour-nements de Dérontant leSens de maximes hiell connues,Lautréamont donna d'une penséef1éjil énoncée el hiell étahlie I.neidée seeol\(le et souvent plus fer-tile. COlllme par exemple: «Sila morale de Clé0f!Ûtre avait étémoins courte, la face de la terreaurait chanf{é: son nèz n'en se-rait pas devenu plus long» ouencore: «L'homme est un chê-ne. L'ullivers n'ell compte pas deplus Il ne fallt pas quel'univers s'arme pOlLr le défelldre.Une gOlLtte d'eau ne Sil fIit pas àsa préservation. » L'entreprisen'est pas simple palinodie et lejeu rien moins qu'inoffensif. Lesecond message imaginé par Lau·tréamont est tout aussi pressantque l'ori/!:ina1. Tout se passe com-me s'il n'existait rien qui soit dé·finitivement incompréhensible.Tout est «pensable ». Une simpleagitation de la phrase et la méta-morphose de la pensée est abso-lue. On n'a plus besoin de pen-ser. Ce n'est pas là une des moin-dres audaces de l'inventeur desPoésies.

André Dalmas

Le volume contient aussi, présentéepar P.O. Walzer, l'œuvre complète deGermam Nouveau. sur laquelle nousreviendrons.

.... Q!!'nu'nc LittéraiJ:'e, du litt au 15 juillet 1970 11

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Autour de Lautréamont

• Félix "ullotoll à André llreton.

Il 1l-tonsieur, *Le portrait de Lautréamont paru dans le Livre des

Masques est une création pure, laite .'>ans aucun document,pef.'wnne, y compris de Gourmont, n'ayant sur le personnagela moindre lueur, cependant je sais qu'on chercha.

C'esl donc une image de pure fantaisie, mais les cir-conslances onl fini par lui donner corp.<; el elle passe générale-menl pour vraisemblable.

Agréez, Monsieur... Il

Isidore Ducasse,comte de Lautréamont,Œuvres complètesfac·similésdes éditions originalesprésentées par Hubert JuinLa Table Ronde.

1François CaradecIsidore Ducasse,comte de LautréamontLa Table Ronde, 264 p.

1Edouard PeyrouzetVie de LautréamontGrasset éd., 381 p.

Le centenaire de la naissancede Lautréamont est passé ina-perçu en 1946. Il en est toutautrement du centenaire de samort: en cette année 1970,trois ouvrages viennent de pa-raître, consacrés au "Monté-vidéen ".On ne sait à peu près rien sur

Isidore Ducasse - pas de por-traits, pas de manuscrits, unou deux comparses qui l'aper-çurent ont tardivement rassem-blé leurs souvenirs, on connaîtson lieu de naissance, les ly-cées où il fit ses études, sesadresses parisiennes. Presquetout le reste est conjecture, ycompris les causes de sa mort.De son vivant, personne n'apour ainsi dire parlé de lui.Reste l'œuvre, qui a été ignoréependant cinquante ans, qui estsymbolique, et qu'on 'peut in-terpréter, avec tous les risquesque cela comporte. Les rensei-gnements se font plus nom-breux à mesure qu'on s'éloignedu personnage. La figure de samère est obscure, celle de sonpère plus claire, on a pas malde détails sur les collatérauxet les ascendants, on connaîtun tas de choses sur les paysqu'il habita et les gens qu'il apu fréquenter. Les biographies3 "établissent " a 1.1 t our" dupoète et non "sur" lui.On s'étonne dans ces condi-

tions de trouver sur la couver-ture du livre au titre ambitieux:Vie de Lautréamont, de M. Pey-rouzet, un " portrait" dont l'au-teur, Félix Valotton, disait dansune lettre à André Breton le2 avril 1921 : "C'est une créa-tion pure, faite sans aucun do-cument ". Au n" 9 de la revueMinotaure, ce dessin est repro-duit barré d'une croix (1). Il

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s'agit donc "d'une image depure fantaisie" selon Valottonlui-même et non d'un "portraitprésumé" comme le dit M. Pey-rouzet.M. Pichon-Rivière, médecin

psychiatre à Buenos-Aires, aété le premier à révéler, en1946, la date de la mort de lamère de Ducasse, avec d'autresinformations. Nous avons nous-même signalé ces données àdeux reprises, en 1949 et 1950(2) .' Chose curieuse, elles ontété négligées, voire tournées endérision par la critique pendantplus de vingt ans."Un amateur déterminé de

sensationnel -, tel apparaît, en-core aujourd'hui, M. Pichon-Rivière pour M. Peyrouzet, cequi n'empêche pas ce dernierde reproduire l'acte de décès(émanant d'une paroisse deMontevideo) dont le psychiatre

avait signalé qu'une copie exis-tait dans les archives de la fa-mille Ducasse, acte qui indiquebien que Célestine-JacquetteDavezac, la mère du poète, estmorte le 10 décembre 1847 (enréalité le 9), un après la nais-sance de son fils. Le "sensa-tionnel" pour M. Peyrouzet,c'est sa",s doute que M. Pichon-Rivière croie au suicide decette femme, en se fondant surquelques i n d i ces troublants(ainsi, on n'a jamais retrouvésa sépulture alors que la tombede son mari existe) et sur unetradition des familiers, qu'onne saurait écarter d'emblée,même si elle contredit la pièceindiquant que la défunte estmorte "de mort naturelle" (à26 ans) et qu'elle a reçu "sé-pulture ecclésiastique ". En ef-fet, lorsque le suicide n'est paspublic et qu'il s'agit d'étouffer

59, rue des Belles-Feuilles.Le 2 avril 1921.

un "scandale" qui rejailliraitsur des familles "honorable-ment connues ", il Y a toujoursdes arrangements avec le Cielet un enterrement religieux estpossible. Mais pour l'auteur deLa vie de Lautréamont, "Lacause est entendue... ": MmeDucasse ne s'est pas suicidée.Nous ne serons pas aussi affir-matifs. M. Peyrouzet ne décrit-lipas les conséquences funestesdu siège de Montevideo, de1843 à 1951, sur 1ecomporte-ment affectif de la population,en particulier les femmes? Ilnous in for me d'autre part,"donnée précieuse ", dit-il,qu'une nièce de Célestine-Jac-quette serait morte folle et quel'un de ses grands-pères passaen Cour d'Assises, soupçonnéd'assassinat. On sait enfin quecette femme fut épousée, en-ceinte de huit mois, devant le"digne ecclésiastique" quibaptisa le fils et peu après en-terra la mère. "II faut bienavouer ", selon une autre for-mule de M. Peyrouzet qui nerecule jamais devant les expres-sions toutes faites, que sansêtre un maniaque du sensation-nel on puisse imaginer l'étatpsychique de la mère d'Isidorecomme précaire, et pouvantmener à une décision déses-pérée.

La Vie de Lautréamont, quise défend d'être une biogra-phie conjecturale, fourmille depoinrs d'interrogations aussitôttransformés en certitudes, etde aisgressions qui gonflentune documentation fort mince,eu au titre de l'ouvrage.Dès les premières pages onnous conte les exploits duchirurgien Larrey à la batailled'Eylau, et la biographie d'uncertain Laporte, de Tarbes, " ju-riste éminent" et de plus " ins-trument du destin ", lequel des-tin s'exprime également "parla bouche de Célestine-Jac-quette" (?) Enchevêtrées avecdes citations des Chants deMaldoror, s'accumulent les ré-férences aux personnages lesplus divers et les plus étrangersau sujet - André Lhote, Rachil·de, le conventionnel Barère, lefrère de Mlle de La Vallière,Simone Weil, Stendhal... sanscompter les inévitables Coc-teau et Claudel (Cocteau etClaudel à propos de Lautréa-mont!) et tant d'autres parmi

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Montevideo· A venida 18 de Julio . Ana 1865

Principales éditionsdes œuvres de Lautréamont

lesquels • le perspicace JeanCassou D déclarant que Lautréa-mont· est un écrivain • essen-tiellement français D, ce qui estbien le· comble du manque deperspicacité. Plus loin M. Pey-rouzet décrit, sans preuve, la• prise en charge D d'Isidorepar des amis de son père à sonarrivée au lycée de Tarbes, dontle proviseur est. le bon M. Pa-try D. Là-dessus, récit des aven-tures d'un médecin émigré àMexico; compte rendu de l'as-cension du ballon Zénith en1875; histoire d'une famille, LeDragon de Gomiécourt, dont unrejeton, Edmond, aurait été un• inséparable D de Ducasse;portrait d'un abbé, Osmin Du-rosse, personnage. d'une gran-de dis tin c t ion D qui aurait1 flairé le drame D de cette ami-tié (?) et éloigné le fils Go-miécourt. • L'amitié d'Edmond,gage d'espérance, est pour tou-jours tarie D. Et voilà pourquoi,dans une strophe des Chants,Maldoror triomphe du • dra-gon» Espérance. Le curé Du-rosse serait-il Maldoror? Toutcela n'empêche pas M. Pey-rouzet d'enfoncer chemin fai-sant des portes que nous ouvrÎ-mes il y a près de vingt-cinqans et par lesquelles sont pas-sés, depuis, pas mal de com-mentateurs: par exemple, Dieucomme représentant le père del'auteur des Chants; l'expé-rience traumatisante de l'exil;le symbole récurrent de la spi-raie; l'image du vol des étour-neaux; le foyer du chancelierDucasse inspirant les scènessur le cercle familial; etc. (3). N'accablons pas, cependant,M. Peyrouzet. Il a déniché quel-ques faits curieux et point né-gligeables dont une véritablebiographie pourra tenir compte,après vérification.

On trouve dans l'étude de ·M.François Caradec les renseigne-ments les plus utiles dont sesert de son côté M. Peyrouzet,avec, de surcroît, beaucoupd'apports originaux. Chez M.Caradec, l'historique, très com-plet, du siège de Montevideo,les aspects du pays tarbais,l'atmosphère du Paris de find'Empire, tout ce qui constituela réalité d'époque des lieuxqu'a traversés Isidore Ducasseest restitué par· les en'quêtespersonnelles de l'auteur ou pal"

des extraits significatifs desécrivains du temps. Le stylealerte de M. Caradec présentetous ces éléments avec unevivacité qui n'exclut jamais laclarté et la méthode, ni surtoutle soin de ne rien avancer quine soit, en relation avec Du-casse, conséquent et prouvé.La presque totalité des tra-

vaux qui ont précédé est citée,hommage est rendu, en particu-lier, à M. Pichon-Rivière, denouvelles lumières sont appor-tées et de judicieuses sugges-tions formulées tant sur les as-pects critiques que sur despoints de biographie; ainsi M .Caradec estime à juste titreque c'est seulement à proposdes Chants de Maldoror qu'ondevrait parler de • Lautréa-mont D, mais d'•.,Isidore Du-casse D pour les Poésies. Par-fois, cependant, et bien qu'il seméfie terriblement du • délired'interprétation D, le biographeinterprète l'œuvre et non sansbonheur, proposant une hypo-thèse plausible au sujet descorrections dans les différentesversions du premier Cha n tet une traduction que nouscroyons légitime de l'étonnanteimage des Poésies: .• le canarddu doute aux lèvres de ver-mouth D. Mais il y aurait beau-coup d'autres aspects à signa-ler dans un travail que complè-tent les index, une bibliogra-phie et des photographies dedocuments.Cependant, lacune étonnante

(qu'on note aussi chez M. Pey-rouzet) : parmi tant de référen-ces, on n'en trouve aucune con-cernant André Breton, dont lenom n'est jamais prononcé. Onregrettera ce silence dans l'ou-vrage de M. Caradec.M. Hubert Juin, cependant,

termine sa préface à l'éditionen fac-similé des Œuvres, quinous assure enfin un accès aiséaux rarissimes éditions origina-les, par une citation du chef duSurréalisme, le vrai découvreur,en fait, de Lautréamont.

Marcel Jean

(1) Cf. revue Minotaure, n° 9, octo·bre 1936, • le Merveilleux contre leMystère ", par André Breton.(2) Combat, 24 mars 1949: Ge-

nèse de la pensée moderne, Corréa1950.(3) Maldoror, Ed. du Pavois 1947.

- Genonceaux. Comtede Lautréamont: les Chantsde Maldoror.

1919. - Gabrie. Isidore Du-casse: Poésies 1 et Il.Note d'André Breton.

1920. - La Sir è n e. LesChants. Préface de Remyde Gourmont.Au Sans-Pareil. Les Poé-sies. Préface de PhilippeSoupault.

1925. - Au Sans-Pareil. LesChants. Avec cinq lettresde l'auteur.

1927. - Au sans-Pareil. Œu-vres complètes. Et u d e,commentaire et notes dePhilippe Soupault.

1938. - G.L.M. Œuvres com-plètes. Introduction parAndré Breton.Corti. Œuvres complètes.Etude d'Edmond Jaloux.

1946. - Corti. Œuvres com-plètes. Introduction parRoger Caillois.

1947. - La Jeune Parque.Œuvres complètes. Etudede Julien Gracq.

1950. - Le Club français duLivre. Œuvres complètes.Introduction par MauriceBlanchot.

1953. - Corti. Œuvrespiètes. Avec les préfacesde Genonceaux, Gourmont,Jaloux, Breton, Soupault,Gracq, Caillois, Blanchot.

1960. - Le Terrain Vague.Les Poésies, commentéespar G. Goldfayn et G. Le-grand.

1961. - Mazenod. Chants,Poésies et Lettres. Note etpostface de Jean Selz.

1963. - Poche - Club. LesChants. Préface de JeanCocteau.Livre de Poche. Œuvrescomplètes. Etablissementdt! texte et étude de Mau-rice Saillet.

1967. - .Club Géant, Ed. dela Renaissance. Œuvrescomplètes. Préface, noteset variantes d'Hubert Juin.

1969. - Garnier-Flammarion.Œuvres complètes. Intro-duction par MargueriteBonnet. .

I.a Littéraire, du 1" au 15 juillet 1970

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1Chen FouRécit irune vie fugitit'eTraduit par J. ReclusGallimard éd., 182 p.

Pou Song-LingContes extraordinairesdu Pavülon du loisirTraduction dirigéepar Y. HervouëtGallimard éd., 218 p.

1Ling Mong-tch'ouL'arrwllr de la renardeTraduit par André LévyGallimard éd., 292 p.

c Quatre sujets de con-t'ersation étaient bannis de"nos entretiens au Pavillonde Solitude et de Lumière:les prorrwtions et lIU,Itationsde la gent mandarinale, lespotins et faits difH>rs de lac-tualité administrative, lestraditionnelles c 0 m p 0 si-tions à huit branches desexamens impériaux, et lesjeux de cartes ou de dés.Le contrevenant s'engageaità payer une amende decinq livres de vin de riz.En revanche, nolJ$ prisionstous quatre traits de natu-re : la générosité et la hau-teur irâme, la fantaisie ro-mantique jointe à la m0-dération, un abord out'ert, "exempt de contraintes ct depetitesse, enfin la tranquIl-lité iresprit ct le goût durecueillement. :t

"C'est ainsi que Chen Fou, ao-tenr d'une extraordinaire biogra-phie roosseauiste dont le manus-crit (incomplet) fot retrouvé parhasard en 1877, unaprès sa mort, définit son art devivre, son aversion pour les va-leurs conventionnelles de la soCié-té, sa quête d'hommes plus au-thentiquement conforme à la na-ture. Chen Fou était un raté ; sonpère, petit employé d'administra-

n'avait même pas réusili àpousser son rejeton aux plus basdegrés de la carrière mandarina-le. fi vivait pauvrement avec sabien-aimée y un, a1l86i cultivée queloi, a088Ï sensible. aU88i libre, ca-pable de porter son dernier "bijouau pour pouvoirégayer de vin de riz une soiréelittéraire.Pou Song.Ling loi a088Ï (1610-

1715), qui vivait un siècle et de-

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Chinoismi avant Chen Fou, était un raté.fi ne réussit jamais à passer lesexamens eonfuœens de licenciéet dut vivoter comme secrétaire"d'une riche famille, pour" fiuircomme maîtrc d'école de district.Son recneil dc uouvelles, ciseléavec one dilection désabusée, nele consolait mêmc pas de ses dé-boires dans la société :«Malgré rrwn inexpérience, je

m'efforce de communiquer unevie à rrwn pinceau, mais le résul-tat n'est que ce livre médiocre,fruit de ma désolation amère...je ne suis rien de plus qu'un oi-seau terrifié par le gel de lhi-t'er, qui se serre contre larbre quine peut lui apporter aucune cha-leur. je suis linsecte de lautom-ne, qui se plaint à la lune et sepresse contre la porte pour seréch:auffer. Il me semble que lesseuls qui me comprennent, cesont les ombres, qui traversent lesbois lorsque le soir tombe; et leslisières des forêts que recouvre lanuit. :. (préface aux Contes du Pa-vülon du loisir.)

Dans l'ancieune Chine, un hom-me de culture, même sans aveuir,sans fortune et sans puissance so-ciale, ne peut songer à travailler"de ses mains. fi dispose de nom-breux loisirs (terme qui est l'ein-blème du studio de Pou Song-Ling et se retrouve dans le titrede son recueil de nouvelles), d'au-tant pIns considérables qu'il estécarté des responsabilités de laclasse dirigeante. La vie se passe« à la dérive. (fou, titre de la bio-graphie de Cben Fou), eu déri-vatüs dérisoires et raffinés: lesjeux littéraires, la rêverie à lalune, le jardinage:«La culture des arbres nains

exige pour être menée à bonnefin au rrwins trente ou quaranteannée" de soins diligents...Pour représenter en miniature,

dans un pot, à laide de planteset de pierre, un paysage quelcon-que, on doit faire en sorte que lepetit figure un tableau etque le grand provoque l extase.Contemplé tout en humant un théparfumé, ladmirable spectaclevous procurera, dans la solitudedu cabinet, une vraie jouissance. :t

fi s'agit donc d'une horticul-ture hautement intellectuaIisée,qui se prolonge même en ""sensa-tion philOSOphique et fait" appelà la" dialectique élémentaire do

d'antantaoïsme: «montrer le petit dansle grand :t (planter comme au ha-sard des touffes de bamhous damun large espace vacant), ou mon-ter «le plein dans le vide» (unpaysage artificiel qui àl'improviste sur un horizon Vf'rt).La seule chance qu'auraient eq.

ces lettrés désahusés de mettreœuvre leurs capacités sous-em-ployées, leur seule chance de s'in-sérer dans la réalité sociale au-trement qu'à travers un establi-shement confuœen qu'ils refu-saient et qui les refnsaient, ç'au-rait été de rénssir par l'argent.Os l'ont tenté, ils l'ont au moinsrêvé. P'ou Song-Ling était le filsd'un marchand; ChenF01i-"avâitessayé de faire fortune dans lecommerce lointain, vers Cantouou Taiwan. Dans le recueil denouvelles de Ling Mong-tch'oo(1580-1644), le pIns ancien destrois volumes examinés ici, lesquestions d'argent tieunent uneplace considérable. Les héros deces contes fantastiques font fortu-ne en des terres lointaines, par lasimple vertu d'une cargaison demandarines offertes sur le mar-ché en temps opportun. André Lé-vy, qui a préparé l'édition fran-çaise de ce recueil et l'a traduitavec autant d'adresse que les col-Jaborateurs des autres volumes, araison d'insister sur le lien quiexiste entre cette production lit-téraire si originale et les espornd'une bourgeoisie chinoise quin'arrive pourtant même pas às'imposer en tant que classe. Cesespoirs de la bourgeoisie sont desespoirs déçus. Le «bloc bistori-- qUe:t confucéen interdisait, parson opacité même, que la bour-geoisie poisse préparer de l'inté-rieur l'avènement du capitalismeen Chine, comme elle a pu le fai-re dans l'Occident dessiècles. Cette idée était chère àEtienne Balazs: la bourgeoisiechinoise s'est réalisée littéraire-ment avec d'autant plus de talentqu'elle a été incapable de se réa-liser historiquèment.La. frUstration" des lettrés désa-

busés se IProlonge aussi dans lefantastique et le merveilleux, dontces trois volumes sont profondé-ment, bien qu'inégalemeut, nbur-ris. Chen Fou déjà, dont le iécitest pourtant pIns intimiste etdonc plus lié au réel, raconte com-ment dans son enfance. a88a aupied d'un -mur éboulé, les touf-fes irherbes se chanseaient en

bosquets et les fourmis en bêtessauvages, les rrwttes devenaientdes rrwntagnes, les creux figuraientdes vallées, et dans ce monde chi-mérique rrwn imagination enchan-tée errait tout à son aise.Le recours au fantastique est

constant dans les deux recueiIS derécits examinés ici, notammentpour illu!'trer la condition fémi-nine. Ce ne sont que renardes,biches, esprits divers, et guêpesmême, qui se présentent sous lestrails charmeurs de créatures donton sait qu'elles sont d'un autremonde et qui VOllS comblentnéanmoins de leur grâce et deleur tendresse. Le conte de P'ouSong-Ling: "Lôu.yi. N'rit (la femineà la veste verte) bouleversant dansson impeccable concision (deuxpages) relate les amours d'un let-tré et d'une jeune femme «d'u.nebeauté exquise, dont la taille étaitsi fine qu'on l enserrait facile-ment à deux mains, et qui chan-tait irune voix ténue, tel un fil desoie à peine perceptible, maisdont les modulations à la foisgli,ssantes et ardentes troublaientloreille et agitaient le cœur:.. Unpetit matin, elle quitte son amantcomme à l'accoutumée, mais avecle sentiment d'un danger qui lamenace. Le lettré sort peu après,juste à temps pour sauver de latoile d'une. araignée gigantesqueune guêpe au corselet vert, dontles derniers murmures avaient lemême timbre que la voix de sabelle. TI ne la revit jamais.Ce recours au fantastique est

le signe de l'extrême isolementoù se trouve ces lettrés

marginaux et non-conformistes.c Les seuls qui me compren-

nent, dit P'ou Song-Ling dans sapréface, ce sont les esprits qui tra-versent le bois lorsque le soirtombe... :t Mais c'est en mêmetemps le signe de leur intimitéavec le peuple. Dans leur formesi raffinée, dans leur langue con-ventibnnelle si éloignée du lan-gage quotidien, ni les contes deP'ou Song-Ling ni ceux de LingMong-tch'ou n'étaient accessiblesaux simples gens. Mais ils pui-sent directement dans le fondspopulaire chinois; ils reflètentles" rêves des paysans, leur tenta-tive désespérée pour s'évader deleur misère en peuplant leur uni-vers d'êtres merveilleux et de puis-sances fantastiques.

Jean Chesneaux

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ECRITURES

Pages d'écriture

ILe Dessin du Récit«Change» 5Le Seuil éd., 64 p.

Françoise Rojare publie dansChange 5 (1) les trente premièresplanches de sa «traduction gra·

de Compact (2), romande Maurice Roche. Inédite, inso·lite; cette tentative participe avecsuccès d'une tendance encoresouterraine, 'encore incertaine -une tendance que fardent et quegangrènent les modes les pluséquivoques (bandes dessinées, af·fiches, etc.), une tendance qui vi·se, avec des moyens divers (écri.ture, dessin), à créer une narra·tion graphigue.Disons, dès l'abord, que Mné·

mopolis (titre du fragment) n'aabsolument rien de commun avecle «Papillon en bande dessinée»du quotidien le plus vendu depuisvingt-cinq ans! Bien malin se-rait, du reste, le scénariste capa·ble de transformer en romand'aventures «la texture de signes,de cicatrices» de Maurice Roche !Le choix de Compact n'est pasfortuit: les «blancs », la dispo-sition des caractères typographi.ques dessinent une figure du tex·te, forcent à une «nouvelle lec-ture », une lecture autre, non plusdiscursive, successive, mais multi-ple, simultanée.Le texte de Compact fonction-

ne sur plusieurs niveaux avec dessystèmes de renvois horizontaux,verticaux... montage de plusieursrécits (modes du récit, registresde la parole), chacune de ses sé-quences est construite autour dejeux de mots (douleur, doux leur-re, d'où l'heure?, lourdeur, etc.),de jeux de signifiants, de cita-tions (sonores, littéraires, quoti-diennes, etc.) n. cette armature so-phistiquée étant le calligramme dela ville, du crâne, figures privilé-giées: «ce qui dure, c'est ros :la tête de mort c'est une ville, -même pulvérisée par une bombeatomique, la ville toujours demeu-re, le squelette »...Toute traduction graphique

d'un récit se heurte à une doubledifficulté : passage des signes lin-guistiques (code digital) aux si-gnes icôniques (code analogique),transposition des «opérateursd:u .récit (r e 1 a t ion s tempo-relles, logiques, etc.). La solutionla plus fréquente (celle des ban-des dessinées, des affiches) est la

combinaison d'une image qui re-présente l'objei, l'acte (pictogram-me, rébus direct) et d'un textesélectif, explicatif, qui réduit lapolysémie de l'image, assure, ren-force la cohésion syntagmatique(le lien entre les images). Fran-çoise Rojare a utilisé, à l'occa-sion, ces techniques ; mais la com-plexité du récit à transcrire l'aconduite à multiplier, diversifierles procédés de transpositions. Ain-si, à côté de rébus direct, noustrouvons dans Mnémopolis :- des rébus à transfert (pho-

dessin d'un chat etd'un pot pour signifier chapeau) ;- des figures, des signes con-

ventionnels empruntés aux codesgraphiques usuels (plans, parti-tions musicales, symboles logi-ques, etc.) ;- des idéogrammes (combinai-

son de plusieurs des figures pré-cédentes) .De même, à côté de textes em·

ployés de manière ordinaire -sélection, supplément, lien entreles images -, nous en découvronsqui fonctionnent comme des ré-bus directs (titres de journaux, lemot NUIT en gros caractères som-bres enfoncé, en coin, à l'intérieurd'un crâne: «tu t'enfonceras lit-téralement la nuit dans le crâ-ne »), comme' éléD;lents d'un ré·bus à transfert (D'OU - à l'in-térieur d'un cadran de réveil,pour «douleur»). Ce travail detransfert d'un roman à un en-semble graphique, cette transpo-sition intersémiotique ne se ré-'

duit ID a une simple transmuta-tion de signifiants, ni à un chan-gement de code (ce n'est pas unetraduction ordinaire), ni mêmeà la combinaison originale dedeux ou plusieurs codes dis-tincts. Que les mots, ou groupesde mots (mais aussi, les images),puissent être utilisés comme cita-tions (transport, sans modifica-tions; d'un fragment du récit),images, (dans les rébus directs,phonogrammes (dans les rébus àtransfert), etc., qu'ils puissentavoir en même temps deux ouplusieurs de ces valeurs éclaire laméthode de Françoise Rojare:détournant les signes, les sou-mettant à des codes différents,elle les violente, brise leur envi-ronnement naturel, les disperseet, dans le même temps, les réu-nit.Ce montage de «restes dispa-

rates... fragments de toutes appar-tenances », ce mouvement d'écri-ture qui ne dédaigne aucun modede notation mais n'en conserveaucun, est assez proche de celuiqu'effectue Maurice Roche dansson roman: «nous pouvons mon-ter ainsi des échantillons d'enre-gistrement, des chutes de mémoi-re, des prélèvements bruités,amorces de tombées ».Assurer la cohésion syntagma-

tique, trouver un relais efficaceentre les images constitue sansdoute une des plus grandes dif-ficultés de la narration graphi-que. Certes, François Rojare,comme la plupart des auteurs,

emploie symboles logiques (deconsécution...) et texte.' Dans plu-sieurs planches, pourtant, elle used'une technique plus élégante etplus économique, empruntée àl'écriture: plutôt que de disposerles éléments' graphiques, les ima-ges, dans les conventionnels etmal-commodes rectangles, elleles insère dans des figures com-plexes (le crâne, la ville). Par leur'composition, ces caraCtères sem-blent très proches des idéogram-mes chinois. A cela il y a doubleavantage : la figure complexe éta-blit entre figures simples un sensde circulation, les met en rela-tion: l'idéogramme évoque, estlui-même signe - fait, lui-même,sens.Un compte rendu moins rapide

tenterait de mettre à jour l'arti-culation de ces deux textes, uneanalyse plus fine insisterait sur laplurivocité, la surdéterminationdu sens, montrerait le perpétuelmouvement de renvoi des signesles uns aux autres - et aussi lerenvoi à l'idéogramme originel,invisible: le crâne/la ville...Si j'ai essayé de démontrer

quelques-uns des mécanismes defabrication, c'est que l'expérienceest neuve: ni recueil de dessins,ni bande dessinée, plutôt pagesd'écriture.

Bernard Girard

(1) • Le Dessin du récit -. Ave,c destextes de J,P. Faye, Klossowski, PI·sensteln, J.N. Vuarriet.(2) Ed. du Seuil.

La Q!!iJu:aiDe Littéraire. du 1er au 15 juillet 1970 15

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ARTS

Dans. les galeries

François Bret

Un artiste peu connu à Paris, maisqui est l'animateur de ('Ecole d'Artet d'Architecture de Marseill'e, mon-tre une série de paysages traités defaçon désinvolte et elliptique, avecun rare bonheur dans l'emploi de lacouleur. Ses • routes -, diurnes ounocturnes, ont pour dénominateurcommun d'être recréées par la vitesseet par le mince écran des parebrise.Et d'être vécues à travers la pré-sence insolite des mains du conduc-teur. Bret réussit ainsi à suggérerl'étrange par le moyen d'une écritureimmédiate et joyeuse.(Galerie de France, 3, rue du Fau-

bourg-Saint-Honoré, jusqu'au 5 juillet.)

Dorothea Tanning

Dorothea Tannlng sculpteur: ons'attendait à quelque jeu surréalisteoù l'esprit aurait compensé l'absencede métier. Et certes le jeu est là,avec ('intelligence et l'humour. Maisbien davantage. Selon une techniquequi est celle des anciennes poupéesen tissu, elle a créé en se servantessentiellement de deux matières,tissu clair (femelle et muqueuses)et peluche (mâle), un ensemble deformes et surtout d'assemblages deformes érotiques. Mais cet érotismeIronique et léger témoigne d'une vir-tuosité dans le maniement des troisdimensions, dont il faut espérer denouvelles manifestations.

A.lix Rist

Le collage abstrait est un jeu diffi-cile qu'Alix Rist joue avec maîtrise.Elle le pratique depuis cinq ans dansdes tableaux de petit et moyen for-mat où le papier est découpé au gréd'une torture originale: ce sont desfragments plutôt que des formes -qui, biscornus, aiguisés en arrondis,suggèrent la stridence et aussi l'éro-tisme de nos univers en miettes.(Galerie Philadelphie, 44, rue de

Seine, jusqu'en juillet.)

16

Lucio Fontana 1956

Fontana

Cette rétrospective de Fontanan'est pas complète et ne tient pas àl'être. Elle concerne les vingt derniè-res années de l'œuvre avec un brefrappel d'une période abstraite dans lesannées trente. En est exclue l'abon-dante production de céramiques et dereliefs figuratifs que chacun s'accordeà justifier par la nécessité pour Fon-tana de gagner sa vie. N'y figurentpas non plus les environnements évi-demment impossibles à reconstituer.Ne restent donc, dans un excellentéchantillonnage, que les perforationset les lacérations qui ont fait la re-nommée de Fontana. C'est du moinsl'occasion de vérifier que cette répu-tation ne tient pas seulement au fild'un rasoir et que derrière ces estafi-lades et ces trous, il se passe réelle-ment quelque chose.La zébrure qui cravache la toile mo-

nochrome ne séduit pas en effet quepar l'élégance ou l'excentricité dugeste. Lorsque Fontana perfore oufend la toile, il n'anime pas une sur-face plane, il l'ouvre à "espace vrai.Alors que de tout temps la peintures'est ingéniée à le suggérer en leréinventant sans cesse, que la sculp-ture l'a toujours mobilisé pour vivifierses formes, l'entaille profanatrice desConcepts spaciaux en impose la pré-sence dans son infinie dimension.Elle restitue à l'espace sa poétique

au moment même où on en abordela connaissance scientifique.(A.R.C., Musée d'Art moderne de

la Ville de Paris.)

Giorgio Giffra

Il est de bon ton depuis quelquetemps de faire la fine bouche devantles expositions de la Galerie Sonna-bend. Je crois qu'on a tort. Il meparait en effet que Mme Sonnabenddemande de plus en plus aux artistesQu'elle expose, de provoquer avanttout le potentiel de créativité Qui esten chacun de nous. Il y a quelquessemaines, Borgeaud nous montrait,photos à l'appui, comment faire trem-per une serpillière dans le sillon d'unlabour et Quelques autres • actes - dumême genre, en nous invitant formel-lement à suivre son exemple. Aujour-d'hui, Giffra coupe un Quelconque mé-trage d'une pièce de percale ou detoile à drap Qu'il pend au mur avecQuelques semences. On imagine com-bien la liberté ainsi laissée au supportest susceptible de modifier la traced'un coup de pinceau ou de touteautre empreinte colorée. Giffra en faitune démonstration si convaincante Queje défie quiconque de ne pas avoirsecrètement l'envie d'en faire autant.Ne craignons point d'y céder et peut-être Qu'un jour nous pourrons tousexposer chez Mme Sonnabend lesfruits de cet enseignement novateurQu'elle dispense sans tambour ni trom-pette et dont l'efficacité serait ainsidémontrée.(Galerie Sonnabend)

Nicolas Bischower

Denis RouartEdouard Manet64 pl. en couI.500 ilI. documentairesen noirFlammarion, éd., 128 p.

1André FermigierPierre Bonnard48 pl. en couI.79 ilI. en noirCercle d'Art, éd., 160 p,

Le reproche qu'on pourraitadresser aujourd'hui à Manet estla virtuosité qu'il apporta il l'exé.cution de certaines œuvres, enparticulier à ses portraits au pas-tel des dernières années. Et peut·être faut-il voir dans cette façonun peu trop brillante de manierles bâtonnets de couleur un effortdésespéré de surmonter ou detromper l'ataxie dont il était me·. nacé et dont les premiers effetsl'avaient conduit à utiliser de plusen plus souvent le pastel. En toutcas, c'est, au contraire, son man·que d'habileté qui, de son vivant,lui fut reproché avec une hargneobstinée. La seule habileté quelui reconnut un critique, en 1873,était celle avec laquelle «il cher·chait à tromper l'ignorance dupublic. Et, concluait-il, à coupsûr, ce n'est pas un peintre. )} Dixans plus tôt, Ernest Chesneauavait déjà écrit: «M. Manet au·ra du talent le jour où il saurale dessin et la perspective.)} PluspersPJcaces que les critiques d'art,les écrivains - Baudelaire, Zola,Mallarmé - prirent, on le sait,la défense de Manet.Or, en dépit du changement

que l'écoulement d'unsiècle devait apporter à notre vi·sion du peintre, son œuvre con·serve une contradiction que PaulValéry avait découverte et éclai·rée en constatant «qu'aux extrê·mes d.es Lettres », Zola et Mal·larmé avaient été tous deux éprisde son art. Il est évident que leromancier et le poète n'y trou·vaient pas les mêmes raisons del'aimer. La contradiction n'est pasici précisément technique, encoreque «la présence réelle des cho-ses» que Zola, selon Valéry, ad·mirait' chez Manet, dût impliquerune façon de peindre différentede cette «transposition sensuelleet spirituelle)} que, toujoursd'après l'auteur de Monsieur Tes·te, Mallarmé pouvait y goûter. Et

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Manet, Bonnardpeut-être ne s'agit-il pas d'unecontradiction mais d'une dualitéd'expression qui provenait de lafaculté de Manet de donner à lareprésentation de scènes réalistes(la Chanteuse des rues, l'Exécu-tion de Maximilien, Au Café) unsouffle d'irréalité qui n'était pasperceptible par tout le monde etque, malgré tout, VaIéry n'expli-que pas suffisamment en parlantde «transposition spirituelle ».Il y a dans les personnages

peints par Manet quelque chosede caché, de tu, d'inquiet, quiappartient au domaine des rêvestragiques. C'est à peu près, sem-ble-t-il, ce que ressentait GeorgesBataille en disant que «l'Olym-pia tout entière se distingue mald'un crime ou du spectacle de lamort ». Et l'Exécution de Maximi-lien lui procurait «l'étrange im-pression d'une absence », ce quiest bien l'envers du réalisme, lecontraire de cette « présenceréelle des choses» observée parValéry et qui s'accordait avec unecertaine «fureur de peindre ».Il y a aussi un côté Léautaud

chez Manet, peu enclin à fignolersa besogne. «Il n'y a qu'une cho-se vraie, écrivait-il à AntoninProust. Faire du premier coup cequ'on voit. Quand ça y est, ça yest. Quand ça n'y est pas, on re-commence.» En vérité, cela nelui réussissait pas de trop travail-ler ses toiles. On peut le remar-quer dans certaines œuvres desdernières années, notamment dansUn bar aux Folies-Bergère, quej'ai eu l'occasion d'examiner lon-

Manet: Portrait de Mal/armé

guement à l'Institut Courtauld, ctau sujet de laquelle je ne par-tage pas l'opinion de M. DenisRouart qui voit en cette toüe«l'ultime affirmation des impé-ratifs qui ont dominé son œu-vre ».Ainsi une riche matière à

réflexion et à discussion nous estofferte par la formule d'éditionde ces «Classiques de l'art» oùl'œuvre peint d'un artiste est re-produit dans sa totalité et s'ac-compagne de nombreux extraitsde sa «fortune critique ». Ce Ma-net apparaît d'ailleurs comme lasuite logique du Velasquez d'YvesBottineau, publié l'année derniè-re dans la même collection. Carla filiation entre les deux pein-tres est presque celle de maîtreà élève et l'on ne peut s'empê-cher de rechercher tout ce quel'auteur de Lola de Valence doità celui des Infantes (1).Les rapports entre les peintres

contemporains des Impression-nistes et la peinture de ceux-cisont toujours intéressants à obser-ver. Manet mourut, il est vrai,neuf ans après leur premièreexposition. Néanmoins, il est vi-sible qu'entre Berthe 1l'lorisot auchapeau noir (1872) et ClaudeMonet dans son atelier (1874), sapalette avait changé. Mais commele notait Antonin Artaud dans unécrit sur Manet, en 1927 : «L'Im-pressionnisme a pu sur le tardmodifier sa technique, il n'a rienajouté à son tempérament.»On pourrait dire aussi cela de

Bonnard, en la peinture dc qui

Bonnard : Femme assoupie sur un divan

l'on peut voir, après 1910, c'est-à-dire après une période plutôtsombre, une renaissance de l'Im-pressionnisme, sous une formequi lui fut toute personnelle. Etil sera le seul en son temps à enmaintenir les modulations lumi-neuses, comme Matisse fut le seulFauve à tirer des éléments es-sentiels du Fauvisme, sinon unemanière de peindre, du' moins uuchoix de couleurs qu'il conserverajusqu'à la fin de sa vie.André Fermigier, dans son

Pierre Bonnard, qu'illustrent d'ex-cellentes reproductions, analysecette curieuse évolution d'unepeinture grâce à laquelle la jeu-nesse du peintre semble se situeraprès sa vieillesse. Chemin faisant,ici aussi, le nom de Mallarmé,admirateur de Manet, surgit dansson histoire, et l'admiration deBonnard pour le poète n'a riende surprenant, surtout à l'époqueoù probablement il le découvrit,dans les années 90, époque de laRevue Blanche et de ce «japo-nisme» qui le fit plaisammentsurnommer par ses amis «le. Na-hi très japonard ».Bonnard fut en réalité beau-

coup plus «japonard» que Nabi.Et lorsqu'il abandonna ce styletrop décoratif, ce ne fut pas pourpuiser tout de suite dans les sou-

venirs de l'Impressionnisme uneliberté éperdue de couleurs. Maisson goût de libérer les volumesde toute construction convention-nelle était déjà puissamment af-firmé dans des œuvres commel'extraordinaire Femme assoupiesur un lit, de 1899, ou dans lasombre Femme aux bas noirs, de1900, que nous a révélée, il y atrois ans, l'Exposition Bonnard àl'Orangerie. Ce n'était pas ce«tachisme violent» que GustaveGeoffroy, dès 1892, voyait dans sestoiles, et ce n'était pas encore, nonplus, le Bonnard « précieux»dont parle André Fermigier, maisc'était déjà une peinture quiavait complètement bousculé etréinventé le monde des formes, etsubstitué à la matière de toutechose un imaginaire matériau,apte à la création des chairs fémi-nines comme à celle des ciels, destables et des arbres. Aussi est-ceplutôt à Bonnard que pourraits'app1iquer, dans son sens le plusconcret, le mot de Malraux disantde Manet qu'il avait entrepris« une picturalisation du monde ».

Jean Selz

(1) Signalons que deux nouveaux tI-tres viennent de s'ajouter à cette sé-rie: un Véronèse, présenté par SylvieBéguin, et un Watteau, de Pierre Ro-senberg.

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HISTOIRE

La révolution algérienne

1Mohamed LebjaouiJl'érités sur la révolutionalgérienneGallimard éd., 256 p.

Mohamed Lebjaoui, sur la scè·ne algérienne, occupe une placesingulière. Extérieur aux états-majors des partis nationalistescomme au groupe restreint qui dé-clencha l'insurrection du 1er no-vembre, il n'en devint pas moins,dès sa fondation, membre du Con-seil National de la Révolution Al-gérienne (C.N.R.A.), puis chef dela Fédération de France du F.L.N.Peu connu du grand public,

n'ayant accepté, depuis l'indépen-dance, aucun poste officiel, ilexerça à plusieurs reprises, sur lapolitique de son pays, une influen-ce déterminante. Indépendant desclans presque «féodaux» qui,pendant et après la guerre, se dis-putèrent le pouvoir, il put s'enga-ger résolument contre les uns oules autres, et même diriger le prin-cipal mouvement d'opposition aurégime actuel, sans perdre uneautorité que même ses adversai·res, aujourd'hui, reconnaissent.

Dans cette révolution algérien-ne qui dévora tant d'hommes,quand elle ne les vit pas, simple-ment, sombrer dans les palinodieset les reniements, l'exception estassez rare pour valoir d'être re-levée. On peut discuter les ana·

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lyses politiques de Lebjaoui etles choix auxquels elles l'ontconduit. Nul ne peut nier la cons-tance avec laquelle il les a main-tenus, au prix d'un refus très inha·bituel des tentations du pouvoir.

C'est dire l'intérêt de ces Jl'éri·tés sur la Révolution algérienne,dont il publie aujourd'hui unpremier· volume. II ne s'agit pasd'une histoire exhaustive: tropd'archives, constate-t-il, restentfermées, trop de témoins sont plusou moins inaccessibles. Mais toutce qui est dit a été vérifié, rienn'a été avancé qui ne puisse êtreprouvé, et aucune concession n'aété faite au genre trop facile del'histoire romancée. Comme c'estla première fois, d'autre part,qu'un dirigeant national du F.L.N.prend la parole, pour ouvrir quel-ques-uns des dossiers les plus brû-lants de la révolution, cet ouvra-ge, tout incomplet qu'il soit,prend une valeur capitale.

Incomplet, il l'est, délibéré-ment, sur les origines du F.L.N.et la préparation même du 1er no-vembre - bien que le chapitreintroductif, où sont rappelées lesprincipales étapes du mouvementnationaliste, contienne d'impor.tantes précisions inédites. II l'estaussi sur des sujets qui exige-raient, à eux seuls, de longs déve·loppements et sur lesquels, appa·remment, l'auteur se réserve de

Les membres du G.P.R.A. au chàteaud'Aunoy en 1962.De gauche â droite:Aït Ahmed, Ben Bella, Khider, Boudiafet Bitat.

revenir: l'histoire détaillée de laFédération de France, par exem-ple, sur laquelle rien, jusqu'ici,n'a été écrit.Sur trois ordres de faits, en

vanche, ce livre apporte un té-moignage de premier ordre. IIrappelle d'abord ce qu'on eut par-fois, la guerre aidant, tendance àoublier: l'extrême ambiguïté desrapports qu'entretenaient, sur lesol algérien, la communauté euro-péenne et la communauté musul-mane. L'épisode de Jacques Che-vallier, maire d'Alger, rencon-trant Lebjaoui dans un refugeclandestin, à la veille de la célè-bre «bataille », et procurant defaux papiers à trois dirigeants duF.L.N., en est l'illustration la plus

mais non la seule.Dans un registre plus subtil, lerécit. de la conférence algéroised'Albert Camus, fait pour la pre-mière fois du point de vue duF.L.N. (Lebjaoui fut l'un de sesorganisateurs) en donne un autreexemple.

Ce livre commence d'éclairer,d'autre part, ce que furent les dé-bats et les conflits à· l'intérieurde l'état-major du F.L.N., tant aucours de la guerre qu'au lende-main de l'indépendance. Eclaira-ge qui, faut-il le dire, ne laisserien subsister des mythes du blocmonolithique ou de l'unité in-destructible des dirigeants de laRévolution. Il montre en particu-

lier comment le processus d'unifi-cation du mouvement nationalisteet les tentatives d'élaboration doc·trinales furent pratiquement arrê-tés dès le repli de la direction àl'extérieur. Derrière une façaded'intransigeance et une phraséo-logie révolutionnaire ne se dissi·mula plus, généralement, qu'unelutte de clans pour le seul pou-voir, hors de toutc perspective po-litique. Le résultat fut le «wi-layisme » et la succession des cri-ses sous le régime de Ben Bella,jusqu'au coup d'Etat militaire quivint figer les contradictions sanspouvoir en résoudre auc,une.

Ainsi se pose enfin la questiondes hommes, dont il apparaît au-jourd'hui que l'Algérie manquetragiquement. Riche en dévoue·ments, en sacrifices, en héroïsmesde toute sorte, le F.L.N. sut for-mer des combattants, mais peu demilitants et des hommes d'Etatmoins encore. Presque toujours,le débat politique s'effaça derrièredes rivalités personnelles, qui to-lérèrent d'ailleurs les revirementsles plus indécents. Quand ellesn'aboutirent pas, il est vrai, auguet-apens le plus nu, au crimele plus froid. II faut lire, à cetégard, ce qui est sans doute l'undes «sommets» du livre de Leb-jaoui: le récit de l'assassinatd'Abane Ramdane, l'unificateurdu F.L.N., l'une des personnalitésles plus fortes de la Révolution, àl'instigation de quelques-uns deses compagnons. II y a là des pa-ges qui, normalement, ne de-vraient pas rester sans réponse.Non moins révélateur, sur un

autre plan, est l'histoire du diffé-rend entre Ben Bella et Khider,qui paralysa, dès son instauration,le régime algérien ; ou la manièredont le premier, aveuglément,prépara Je lit de Boumedienne,quitte à voir se rallier à l'arméeceux qui, peu avant, avaient étéles premiers à dénoncer sa me·nace.Le plus grand éloge, probable.

ment, qu'on puisse faire du livrede Mohamed Lebjaoui, est que,lorsqu'on l'a fini, on a envie d'al-ler plus loin. Que la Révolutionalgérienne ait pu, malgré tout,être victorieuse, n'est pas le moin·dre problème qu'on puisse, ici,évoquer. Peut-être, après tout, ya-t·il un sens de l'histoire...

Marcel Péju

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Un septennat de la IVe

1Vincent AuriolMon SeptennatColl. TémoinsGallimard éd., 616 p.

1Vincent Auriol.Journal du Septennat. T. 1Armand Colin éd., 880 p.

La f 0 n c t ion présidentielle,avant 1958, ne bénéficiait pasd'un prestige excessif. En lançantsa boutade sur l'inauguration deschrysanthèmes, le successeur deRené Coty s'inscrivait dans unetradition sarcastique: J.J. Weissn'observait-il pas en 1885 que «leprincipe fondamental dc la Cons-titution est que le President chas-se le lapin et ne gouverne pas» ?Le général de Gaulle eonfirmaitdonc un lieu commun. Mais leslieux communs ont besoin d'êtrerevisités de temps à autres, et lapublication des papiers de Vin-cent Auriol y invite naturelle-ment.Dans sa présentation de l'édi-

tion abrégée, Pierre Nora indiqueque l'ouvrage ne contient aucune« révélation ». On pourrait ajou-ter qu'il ne propose pas de visionhistorique ni de synthèse politi-que du premier septennat de laIVe République, d'autant qu'ils'agit de notes quotidiennes et deré8exions rapides, non d'une œu-vre élaborée. Mais cette sponta-néité fait précisément tout leurprix: avec Mon Septennat, nousdisposons d'un témoignage sur laQuatrième ou jour le jour, ap-porté par un Français moyen -lequel se trouvait occuper le meil-leur observatoire politique, c'est-à-dire l'Elysée. Un Françaismoyen, avec son bon sens et samauvaise humeur, un brave hom-me prompt à s'indigner, maisaussi un vieux routier de la poli-tique... Que ces stéréotypes dulangage viennent naturellementsous la plume pour définir l'au-teur est en soi un signe.Il faut ajouter aussitôt que la

conscience de sa mission préoc-cupait Vincent Auriol. Elle lepréoccupait tellement qu'il s'étaitimposé la tâche quotidienne detenir cette espèce de journal debord de la Quatrième, pour l'his-toire. La publication intégrale duJournal du septennat fournit à cepropos une contribution inestima-bltb sur la vie de la présidence etsur l'activité

puisque l'on y trouve aussi bienle récit des conseils des ministresque l'emploi du temps détaillé duchef de l'Etat.Cette conscience de sa mission

avait surtout conduit Vincent Au-riol à concevoir son rôle d'unemanière qui contrastait avecl'idée subalterne que s'en étaientfaite les constituants de 1946, età transformer ainsi l'institntionprésidentielle. D'entrée de jeu, le5 février 1947, il prévient ses col-laborateurs : «Si je dois être seu-lement le monsieur représentatifen habit et en cordon rouge, quel'on prenne un danseur mon-dain !» Sa première préoccupa-tion sera en effet .le faire respec-ter sa fonction et, pour cela, derevendiquer le plein exercice deses prérogatives.Ce fut le cas, par exemple, lors-

qu'il s'agit de donner leur sensplein aux dispositions constitution-nelles prévoyant que le chef del'Etat est informé des négocia-tions internationales, ou de fairepasser dans la réalité des institu-tions nouvelles comme la prési-dence du conseil supérieur de lamagistrature et la présidence del'Union française. On retiendra,pour la première, les interven-tions provoquées par la répres-sion en Tunisie, notamment lavive réaction aux pressions durésident général sur-l'exercice dudroit de grâce: «Si M. de Hau-tecloque veut tuer, qu'il tue soussa responsabilité, sous réserve desconséquences possibles de cetteaction. Il faut qu'il sache que lepré.sident de la République sym-bolise l'équité humaine et n'estpas un assassin.» (Lettre à La-niel du 18 août 1953.) Pour la se-conde, il ne parviendra pas à im-poser ses conceptions, en dépitd'initiatives et de réclamationsdont l'année 1947 apporte de nom-breuses illustrations.Les prérogatives du chef de

l'Etat sont cependant limitées, ju-ridiquement par la lettre de laConstitution et politiquement parla responsabilité du Gouverne-ment devant l'Assemblée. Or lescirconstances vont amcner Vin-cent Auriol à «construire» uneinterprétation de sa fonction quirenversera le schéma de 1946.Mais c'est parce que les événe-ments eux-mêmes ont fait tournercourt les intentions des Consti-tuants. Les 590 pages de Mon sep-telUUlt sont comme ces :films ac-

célérés qui montrent la croissan-ce d'une plante, tandis que le pre-mier volume de l'édition intégralenous restitue, dans leur durée, lespremiers in8échissements.Fondée à l'origine sur l'accord

de grands partis disciplinés, laIVe République prit le virage quidevait la ramener au parlementa-risme traditionnel dès 1947, avecl'éviction des ministres communis-tes. La rupture du tripartisme,estimait Vincent Auriol aurait dûentraîner une dissolution afin quele pays fût appelé à remplacerl'ancienne majorité par une nou-velle. Les conditions posées àl'exercice du droit de dissolutionrendaient· celle-ci inapplicable aumoment où elle aurait pu contri-buer à clarifier la situation et, sur-tout, à rendre les députés plusconscients de leurs responsabili-tés. L'absence de conséquence di-recte des crises précipita le ré-gime dans la confusion qui faci-lita les menées du R.P.F. et, cemauvais départ pris, la dissolu-tion devenait dangereuse car ellene pouvait que favoriser les op-positions contraires et non déga-ger une majorité (par ex. Monseptennat, p. 162).Livrée à elle-même, l'Assem-

blée était de moins en moins ca-pable de se passer des interven-tions du chef de l'Etat. Pour dé-nouer .les crises et dégager dessolutions, il lui fallait suggérerdes programmes acceptables parune majorité (cas de l'investitured'André Marie en juillet 1948) etmettre les partis devant leurs res-ponsabilités (crise de mai 1953).A ce stade, des commentateurscomme Fauvet estimaient que leprésident de la République étaità la limite de ses prérogativesconstitutionnelles. Vinccnt Aurioln'écrivait-il pas dès juillet 1948 :« Je me considère comme le guidedu gouvernement et de la nation,comme leur conseiller... Si je nedevais pas remplir ce rôle, jeme demande à quoi servirait laprésidence? » Que le grief lui enait été fait par les gaullistes dontil contrecarait les desseins n'estpas le moins suggestif des rap-pels de cette périodc...En réalité, le rôle du président

était une sorte de «substitut fonc-tionnel» à l'impuissance des mé-canismes normaux, au même ti-tre que la permanence de l'Admi-nistration, comme Vincent Auriolle note lui-même à la fin de son

septennat (p. 583). Il pouvait toutau plus en limiter les inconvé-nients en menant une action dé-fensive, non assurer le fonction-nement d'un système paralysé.Ille pouvait d'autant moins que

la Quatrième se trouvait en facede problèmes qui auraient éprou-vé le plus efficace des régimes :«cycle infernal» des salaires etdes prix, Indochine, Maroc, Tuni·sie, guerre froide, Allemagne...On s'étonne rétrospectivementqu'elle y ait résisté tout en prati-quant une espèce dc bricolagcbien analysé par Picrre No.ra dansses notes sur 1947. Les limites del'homme y apparaissent en touteclarté, notalnment cn cc qui con-cernc les rapports avec l'Allema-gne. Ses convictions étaicnt leplus souvent (;ClIc!i du pays lui-même: c'est à la foi!i ]a force etla faiblcsse du personnagc qui serévèlc à travers ces pages qued'avoir été finalement représenta-tif au ·sens plein du terme. Repré-sentatif des illusion!i des Français,il se préoccupait aussi de répon-dre au sentiment populaire, sesréf1ex.ions sur ]a désignation dePierre Mendès France cn témoi-gnent: «Je l'ai fait envers etcontre tous. Mais la foule ne s'yest pas méprise. » Et, au momentde quitter l'Elysée: «Si le prési-dent de la République est aussiéloigné du pays que le sont lesparlementaires, plus rien ne sym-bolisera la République...

Pierre  vril

La Cl!!;n..inc l.ittéraire, du 1er au 15 juillet 1970 19

Page 20: Quinzaine littéraire 98 juillet 1970

PEDA.GOGIE

La violence1A.S. NeillLibres enfants de SummerhillMaspero éd., 328 p.

En 1921, à Leiston, dans le Suf-folk (Angleterre), un psycholo-gue, mécontent des méthodesd'éducation qu'il avait connuesjusque-là, fonda l'école de Sum-merhill. Ce psychologue, qui s;ap-pelait A.S. Neill, voulait expéri-menter les effets d'une. atmosphè-re de liberté totale. C'est cettelongue expérience qu'il racontedans son livre, dont la premièreédition parut aux Etats·Unis en1960.D'abord, quelle liberté? (Car

nous savons bien qu'il n'existe pasde liberté totale.) C'est à peu prèscelle des communautés utopiques,celle du royaume de Pausole:«Ne fais pas de niaI à ton voi·sin; en dehors de cela, fais ccque tu veux. » En d'autres termes,celle dont nous rêvons pour notreusage, d'un bout de notre vie àl'autre.

Ce n'est pas aussi simple

On n'a pas manqué de préten-dre, bien entendu, qu'une telleentreprise devait fatalement en-gendrer le désordre, l'anarchie etles sentiments asociaux. Et, bienentendu, ce n'est pas aussi simple.Neill démontre suffisamment quela discipline nécessaire à toute viecommunautaire est aisément at-teinte, que des enfants que l'onne soumet pas à des contraintesimbéciles acceptent volontiers lescontraintes justifiées. Enfin, Neillse garde bien de tomber dans lepiège du «risque» : s'il est inter-dit, à Summerhill, d'embêter sonvoisin, il est également interdit defaire l'acrobate sur les toits, de sebaigner sans surveillance, de far-fouiller dans l'armoire aux médi-caments. Cela seulement pour pré-ciser que la conception de la li-berté que défend Neill n'est niaveugle, ni visionnaire.Si l'on examine son expérience

à la lumière de l'expérience fran-çaise la plus voisine, celle deFreinet, on constate beaucoupd'éléments communs entre elles.Tout le procès de l'enseignementtraditionnel, par exemple, estidentiquement traité. Il en est demême de l'analyse de la psycho-logie du tout petit enfant, de ladiscipline collective, des rapports

20

entre l'adulte et l'enfant (con-trainte, obéissance, punitions, ré-compenses, etc.).En revanche, quelques points

les séparent, qu'il est intéressantd'examiner.D'abord, Neill a une formation

de psychanalyste assez poussée.Beaucoup de cas difficiles sont ré-solus, dans son école, par desmoyens dérivant de la psychana-lyse. L'lj,ttention qu'il apporte, no-tamment, aux questions sexuelles,est extrêmement intéressante etcapable de consolider n'importequel système d'éducation. On res-te cependant un peu perplexe de-vant le récit de certains traite-ments, dont la naïveté paraît dé-sarmante. (Et si cette apparentenaïveté provient d'une simplifica-tion du récit, c'est regrettable:car, justement, c'est le récit com-plet qui nous eût intéressés.)

Neill professe un étran-ge dédain pour la pédagogie. Ildit, à plusieurs reprises, qu'unenfant qui veut apprendre à fairedes divisions y parviendra de tou-tes façons, quelle que soit la mé-thode utilisé. On peut répondre àcela: primo, que ce n'est pas toutà fait exact (ce n'est vrai qu'avec1e sen fan t s supérieurementdoués) ; deuxio, que «donner en-vie d'apprendre » représente l'es-sentiel de la pédagogie.Enfin, Neill méconnaît totale-

ment la valeur formative du tra-vail. Il considère le travail comme·un mal nécessaire (et moins né-

cessaire qu'on ne le pense, du res-te), à quoi les enfants, puis lesadultes, sauront se plier quandils ne pourront pas faire autre-ment, si leur éducation les a suf-fisamment équilibrés. Il ne remar-que pas qu'il existe une différencefondamentale entre la corvée et letravail créateur, et que l'enfantdevenu adulte ne pourra se dé-fendre contre les effets destruc-teurs de la corvée que dans lamesure où il aura profondémentressenti les richesses du travailcréateur.Ces deux dernières attitudes

trouvent sans doute leur originedans les convictions philosophi-ques de Neill. Il semble manifes-ter une opposition totale à la so-ciété occidentale (anglaise, toutau moins) dans laquelle il vit. Ilrenie en bloc toutes les bases decette société. (La forme' de méprisde l'argent qu'il enseigne à sesélèves est tout à fait significative :il admet le gaspillage, il l'encou-rage presque.) Bien entendu, letravail est englobé· dans cettemalédiction, ainsi que toutes lesconnaissances «académiques»des hommes d'aujourd'hui.

Un certainnombre de défautsassez évidents

Une telle conception, qui s'ap-puie en vérité sur une vision idéa-liste, et non politique, du progrèshumain (quand tous les hommesseront devenus gentils, il n'y auraplus de guerre), présente un cer-tain nombre de défauts assez évi-dents.

Le premier consiste à deman-'der un effort trop grand à la na-ture de chaque individu. On nepeut plus, au xx· siècle, devenirquelqu'un sans avoir rien apprIS,ni apprendre suffisamment dechoses tout seul. A vouloir res-pecter la liberté d'un enfantd'une manière trop systématique,on risque de le priver de l'appuidont il a un besoin permanent.Et, justement, toute 18 pédagogiede Freinet démontre qu'un ensei-gnement bien conçu peut aider unenfant sans jamais le contraindre.Le deuxième réside dans l'im-

possibilité d'étendreà tout un pays le système deNeill. Les réussites qu'il a con-nues dans son école vienDtmt du

fait qu'il est un éducateur excep-tionnel, capable d'improviser unebonne réponse à tout nouveauproblème posé par ses pension-naires. Mais il est clair qu'un édu-cateur moyen, quelle que soit sabonne volonté, ne peut remplircorrectement sa tâche que s'il dis-pose d'une méthode, de techni-ques et d'outils appropriés. Dansle cas contraire, la première dif·ficulté venue le fait trébucher,l'épuise, le décourage.

Le troisième défaut du systèmede Neill, et c'est peut-être aujour.d'hui le plus grave, c'est d'ap-puyer son mépris de la sociétécontemporaine sur. une utilisationparfaitement .bourgeoise de cettesociété. Les enfants de Summer·hill étant libres de ne rien faire,Neill est obligé d'embaucher dupersonnel pour récurer les plan-chers. En d'autres termes, .les en-fants de Summerhill ne sont li-bres que parce que la sociétébourgeoise leur procure des servi-teurs. Il arrive à Neill de le re·gretter. Mais ses regrets ne vontpas jusqu'à un changement radi-cal. Nous ne demandons pas né-cessairement, quant à nous, auxenfants de faire le ménage. Maisils se livrent à des travaux, con-venant à leur âge et à leurs aspi-rations, qui équivalent aux beso-gnes des adultes. Or, ce principed'équivalence, s'il n'est pas res-pecté, met en cause le principede l'égalité entre les enfants etles adultes qui est fondamentalpour Neill (pour nous aussi) •Parce que Neill n'a pas admisl'importance du travail, le travailfait apparaître l'inégalité entre lesenfants et les adultes.

,Finalement, il est évident quel'école de Summerhill apportedes arguments tout à fait remar-quables aux diverses tendances dela pédagogie moderne. On n'auraplus à craindre, désormais, lesexcès imaginaires de la liberté .etde la confiance. Mais ses réponsessont trop souvent d'une nature in-dividuelle: l'aide psychanalyti-que, le mépria du travail, la li-berté sexuelle ne sont pas immé-diatement applicables. sur nnevaste échelle. Or, ce sont tous. lesenfants du monde qui ont besoind'une. nouvelle pédagogie, et passeulement les enfants de Summer-hill.

Jacques Bens

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d'Etat, pas plus d'ailleurs qu'ilsn'étaient. en dépit d'une aberra-tion contraire, les prophètes deMai. En effet. 8i l'inspiration deDurkheim était celle d'un positi.visme moralisant aux fortes ré-sonances kantiennes, la méthodede Bourdieu et Passeron est ma-nifestement nourrie (comme cel-le de Max Weber dont ils ne man-quent jamais de se réclamer), auxsources de la pensée nietzschéen-ne dont on connaît l'a-moralismefoncier et la méfiance incoerciblepour tout discours éthique, soup-çonné par principe d'être le voileprotecteur de passions et d'appé-tits inavouables. Ainsi toute ré-férence au normal et· au patholo-gique, appliquée méthodiquementpar les durkheimiens et en géné-ral par la sociologie de l'éduca-tion traditionnelle, est-elle systé-matiquement écartée. Ce quipermet. par exemple, à Bourdieuet Passeron de traiter de la vio-lence comme Taine (un ancêtrequ'ils ne renieraient nullement,malgré l'opprobre quasi.rituel -et suspect - dont ce nom estrecouvert) voulait qu'à l'instar«du sel ou du sucre on traitâtdu «vice sans passion ni pa-thos.Que la violence, la' force nue

soit à la racine, avouée ou hon-teuse de tout fait social, tout unetradition Sociologique l'affirme, etpas seulement les marxistes. Il amême pu arriver, - ct il arriveencore - que des marginaux dumarxisme, voire des adversairesendurcis, soient pour un tempsles tenants d'lme thèse si «ou-bliée qu'elle en paraît neuve etpartant, suspecte. De Kautsky, lemarxologue qui affirmait sa foilénifiante dans l'évolution pacifi-que à l'ombre de la paix des mo-nopoles, ou de Max Weber. hé-

Même importance d'abord, at-tribuée à l'institution scolaire con-sidérée comme un rouage essen-tiel de la société ; même souci des'insérer dans un débat nationald'une grande .portée tout en ledominant par la sûreté de l'in-formation et la méfiance vis·à·visdes lieux communs, eussent-ils d'il-lnstres cautions; même volontéenfin d'aboutir au terme de l'en-quête scientifique à des proposi-tions concrètes réactualisant ainsile lien, tôujours conscient dans lagrande sociologie classique d'Au-guste Comte à Max Weber (maisoublié quelque peu depuis auprix d'une certaine chute dans lediscouI'll pontifiant ou édifiant),entre sociologie et réforme socia-le, voire entre sociologie et so-cialisme, au sens très large (so-ciété organisée) que ce mot avaitil y a cent ans.Mais il faut se méfier des ana·

logies: Bourdieu et Passeron, lasuite des événements ra prouvé,n'avaient rien (le sociologues

Avec les Héritiers, paru en1964, les sociologues PierreBourdieu et Jean-Claude Pas-seron réintroduisaient entreles sciences sociales et lavie de la cité une prisedirecte dont on avait perdul'habitude depuis la mort deDurkheim. A vrai dire, lessimilitudes étaient grandesentre le projet que laissaitentrevoir l'écriture brillantedes Héritiers et ce qu'avaitété la c grande pensée. dufondateur de l'Ecole françaisede sociologie.

1P. Bourdieu et J.-C. PasseronLa ReproductionEd. de Minuit. 279 p.

Page 22: Quinzaine littéraire 98 juillet 1970

Bourdieu

raut de la bourgeoisie allemande,faisant de la lutte (<< Kampf lerapport social élémentaire ct irré-ductible, qui était le plus «idéo-logique» ?De même, pour prendre appui

sur un épisode de notre vie in-tellectuelle qui n'était peut.êtrepas sans résonances aujourd'hui,l'ingénieur Georges Sorel ne rap-pelait-il pas le b.a. ba de la luttedes classes à coup de référencesproudhoniennes et bergsoniennes,au grand scandale du socialismefrançais qui misait ouvertementavec son prophète Jaurès sur lesperspectives de démocratisationindéfinies ouvertes par la Républi-que laïque? En 1907, l'essor dusyndicalisme révolutionnaire faitvoler en éclats la paix sociale etses penseurs attitrés. Plus de ba-vardages «solidaristes », plus deconfiance béate dans le «pro-grès ». La violence exclue de lathéorie, «forclose », reparaît dansla rue. Du coup elle accède en-fin à la dignité philosophique.Sans abuser des analogies his-

toriques, on ne peut qu'être frap-pé des rapports étroits, aujour-d'hui comme hier, entrc une gran-de explosion sociale et la crise dece que Robert Castel appelle trèsjustement la «sociologie domi-nante », ce mélange déconcertantd'apologies de l'ordre établis etde conseils au Prince. Il est vraique les dégâts sont proportionnelsau caractère plus ou moins in-féodé de la sociologie en ques-tion. Il est certain par exempleque personne n'oserait plus faireaujourd'hui de la «sociologie in·dustrielle », comme on en fai!'aità la veille de mai 68.Pour la sociologie de l'éduca-

tion, les choses sont loin de seprésenter avec cette simplicité bi-blique. Bien que pendant des an-nées, Bourdieu, Passeron et la plu-part de leurs disciples aient misle politique entre parenthèses,leur sociologie a toujours .repré-senté, en intention et en acte, une

parfois virulente (cf.le Métier de Sociologue) de la so-ciologie dominante. Cette conte!l-tation débouche toujours, mêmesi elle est menée sur le terrainépistémologique, à dévoiler en finde parcours un présupposé poli-tique réactionnaire. Ainsi l'usagede la notion de «don» pour ren-dre compte de la réussite scolaireest-elle d'abord un non-sens scien-tifique, du type «vertu dormitive

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de l'opium»; mais il témoignetout aussi bien d'une conceptionélitiste mal refoulée de la socié-té. D'autre part, on est iciment en terra incognita pour tou-te théorie non-conformiste, marxis-me compris, si l'on met à partquelques fragments, extrêmementriches mais «bruts» d'A. Grams-ci et de Boukharine.De ce point de vue, l'entreprise

de Bourdieu et Passeron fut dèsl'origine suivie avec passion partous ceux qui ressentaient com·me une lacune l'absence de touteélaboration sérieuse sur les no-tions de pouvoir, de culture etd'idéologie. n n'est pas nonplus étonnant qu'ils aient été viterapprochés d'hommes qui dansd'autres domaines défrichaientdans le même esprit, disons le« structuralisme », pour fairecourt, d'autres contrées vierges dela connaissance. Et de fait 'un cer-tain nombre de refus rapprochaitincontestablement Bourdieu etPasseron de Foucault, de Barthes,de Derrida, etc. Mais partager uncertain nombre d'antipathics in-tellectuelles n'a jamais fondé uneécole de pensée. En fait, pour cer-tains (qui n'hésitent pas depuispeu à clarifier leurs arrièrc-pen-sées marxicides...), la méthodestructurale n'était que le point dedépart. d'une nouvelle métaphy-sique ·idéaliste de la culture. Pre-nant appui sur l'importance dusymbolique dans l'étudc des faitshumains (les structures qui tis-sent la trame dans laquelle noussommes insérés à notre entréedans la vie, structures signifian-tes de l'Oedipe, de la langue, desrapports de parenté) , de nouveauxidéologues bâtissent une ontologiefantasmagorique du social: toutn'est que symbolique, tout n'estque le jeu du signifiant. Tout -y compris la lutte des classes, quidevient en toute logique, au ter-me de ce discours de platonicienenragé, un simple effet de langa-ge. Contre le courant, Bourdieuet Passeron n'hésitent pas à sedémarquer une fois pour toutes dela Sainte Famille structuraliste,au risque de subir l'affront défini-tif, la marque infamante entretoutes : sociologisme vulgaire. Cet-te démarcation c'est la Reproduc.tion.Deux thèIJles s'entrecroisent

dans la Reproduction, et chacund'eux nous également im-portant pour la compréhension

scientifique de la face cachée dela Société. L'un représente unemise en ordre de thèses déjà lar-gement connues, voire vulgariséesdepuis plusieurs années. C'est ladeuxième partie, intitulée «Lemaintien de l'ordre », qui fait lebilan de tous les travaux semi-empiriques poursuivis par les au-teurs eux-mêmes ou leurs colla-borateurs du Centre de Sociolo-gie Européenne d e p u i s lesHéritiers et qui aboutissaient tousà la conclusion: si l'on pose qu'ily a diffus dans l'espace social uncapital culturel comparable au ca-pital économique (il se transmetpar héritage; on l'investit pourle faire cultiver, etc.) il y a làune source d'inégalité qu'aucunescolarisation, aussi laïque, gra-tuite et obligatoire soit-elle nesaurait réduire. Toutes les étudespubliées jusque-là laissaient en-tendre que lc systèmc d'enseigne-ment n'était pas une loterie, maisune machine à confirmer les pri-vilèges. La Reproduction le dit,en toutes lettres, et soumet lePère durkhcimien à un réévalua-tion sévère. «En définissant tra-ditionnellement le « systèmed'éducation» comme l'ensembledes mécanismes institutionnels oucoutumiers par lesquels se trouveassurée selon l'expression de Dur-kheim la conservation d'une cul-ture héritée du passé, c'est-à-direla transmission entre les généra-tions de l'information accumulée,les théories classiques tendent àdissocier la fonction de reproduc-tion culturelle de la fonction dereproduction sociale. »Dans une communication pré-

sentée au moment même où pa-raissait la Reproduction Pier-re Bourdieu déclarait: « Lesystème scolaire remplit une fonc.tion de légitimation de plus enplus nécessaire à la perpétuationde fordre social (souligné parnous) à mesure que l'évolution. du rapport de forces entre lesclasses tend à exclure plus com-plètement l'imposition d'une hié-rarchie fondée sur l'affirmationbrute ct brutale des rapports.»Cet excellent résumé de la Repro-duction nous introduit au problè-me central, posé dans la premièrepartie, dont l'enjeu n'est pas min-ce. D'emblée s'v trouve à la foisaffirmées de la ré-pression dans tous les secteurs dela vie (contre les fonctionnalistesou sociologues philistins) et l'exis-

tence d'une forme particulière deviolence, différente de la violenceouverte et palpable, mais nonmoins efficace (contre l'économis·me, - ou le «politisme» - vul-gaires). C'est ce que les deux au-teurs définissent «tout pouvoirqui parvient à imposer des signi-fications et à les imposer commelégitimes en dissimulant les rap-ports de force qui sont uu fonde-ment de sa force, a joute sa forcepropre à ces rapports de force ».Rien de très nouveau, susurre-

ront tels esprits chagrins. Marxne disait-il déjà que l'idéologiedans certaines conditions, peut de-venir une force matérielle? Plusprès de nous, les freudo-marxis-tes de l'Ecole de Francfort n'ont-ils pas fait du concept de manipulation le pilier de leur analysedu pouvoir dans nos sociétés in-dustrielles? Certes! Mais unmonde sépare une intuition expri-mée en termes vagues ou incanta-toires, qui ne dépasse guère leniveau descriptif, et un discoursqui rend compte de l'efficace d'unphénomène soupçonné, mais malconnu.Les véritables ancêtres sont ici

Freud et Max Weber, en tantqu'ils ont connu l'un et l'autredans leur théorie de la religion,cette violence symbolique parexcellence, essayé de fonderune science des pouvoirs quenous proposerions d' a p pel e ra-matériels (a-matériel s'oppo-sant à immatériel comme a-mo-ral à immoral..,). Sous une formeaxiomatique, dépouillée à l'extrê-me, nous voyons, fascinés, maisparfois un peu sceptiques, se dé-rouler l'enchaînement déductifqui nous conduit de la violencesymbolique en général à un de sescas particuliers, à savoir factionpédagogique, elle-même conditionsociale d'une forme de pouvoir,f autorité pédagogique, ct impli-quant, pour former des sujetsconformes à la commande socialequ'elle véhicule, un procès d'in-culcation dit travail pédagogique.De proche en proche sont ensuiteredécouverts les notions fonda-mentales que sont l'autorité sco-laire, le système d'enseignementet le travail scolaire.A l'heure de tant de contesta-

tions oiseuses de la théorie, n'ya-t-il pas là comme une promessed'une théorie - enfin -- trouvéede la contestation ?

Daniel Lindcnbcrg

Page 23: Quinzaine littéraire 98 juillet 1970

SCIENCES

SOCIALESLa mathématique sociale

Paul LazarsfeldPhilosophie des SciencesSocialesPréf. de R. BoudonTrad. de l'anglaisBibliothèque des SciencesHumaines,Gallimard éd., 506 p.

L'aspect doctrinal lpour ne pasdire doctrinaire) des sciences so·ciales tend à occuper un peu tropsouvent le devant de la scène audétriment d'autres traits qui, pourse prêter moins bien aux conver·sations de sa'lon, n'en constituentpas moins l'essentiel de la démar-che scientifique, à savoir la tra-duction de concepts scientifique-ment stratégiques en variablesobservables, et l'analyse des rela·tions entre ces variahles. Le re-cueil de textes du sociologue amé·ricain Lazarsfeld qui nous est pré-senté, dans une traduction extrê-mement soignée, par RaymondBourdon, l'un des trop rares re-présentants en France de ce quel'on appelle improprement la so·ciologie empirique (celle qui sepréoccupe d'administrer une preu-ve logiquement suffisante des pro-positions qu'elle énonce), a préci.sément pour originalité d'êtrecentré sur le langage des sciencessociales, sous le double aspect desa formation historique progres·sive, et de la structure logiquequi le constitue.

Un travailde méthodologie

Autrement dit, pour employerun terme-clé de la pensée de La-zarsfeld, nous sommes en présen.ce d'un travail de méthodologieconsistant à étudier les produitsde la recherche sociale et à enélucider le mode d'élaboration- à l'inverse des fausses querel.les méthodologiques où l'on s'in·terroge a priori sur la validité gé.nérale de telle ou telle voie d'ap.proche sans trop s'inquiéter dessituations concrètes où elle méritede s'appliquer. Lazarsfeld renoueainsi avec la pensée de Condorcet,qui écrivait un an avant sa morten présentant son nouveau Jour-nal d'instruction sociale: II: Unedes principales causes du peu depl'ogrès des sciences morales et

politiques, et surtout de la diffi·culté d'en répandre et d'en faireadopter les vrais principes, c'estl'imperfection de la langue qu'el-les emploient.»

En fait, cette imperfections'amenuise, quoique de façon len·te et irrégulière. Dans un chapitrefascinant consacré à une histoirede la quantification en sociologie,Lazarsfeld montre qu'à partir duXVIIe siècle, un des problèmes per-manents de la méthodologie scien·tifique a commencé à se poser:le choix (ou plutôt le dosage) en·tre exactitude et pertinence. Lesfondateurs britanniques de l'arith-métique politique (Petty, Graunt,etc.) avaient cherché à décrirela société de leur temps à l'aided'éléments chiffrés, d'ordre démo-graphique en particulier, et à dé-gager des relations causales entreces éléments. Mais à peu près enmême temps, l'Allemand Conring,contemporain de Leibnitz, et uncertain nombre d'universitairesde Gottingen, jetèrent les basesd'une nouvelle science qui reçutle nom de statistique (1a pater-nité de ce terme revient à Achen-wall, qui enseignait à Gottingen),mais ils entendaient par là la«science de l'Etat », c'est·à-direune description systématique desforces et des faiblesses d'un Etat,qui ne faisait appel qu'avec pré-caution aux variables quantitati·ves, et au cours des premières an-nées du XIX' siècle, une longuepolémique opposa les quantitati-vistes aux partisans du qualitatif,qui reprochaient aux premiers devouloir faire croire que «l'onpeut comprendre la puissance d'unEtat en ne connaissant que sa su-perficie, sa population, son revenunational et le nombre des ani-maux broutant alentour» (p. 99).La seconde grande étape, dans

ce tableau historique de la quan·tification sociale, est représentéepar le Belge Quételet, qui avaitsu provoquer dans sa jeunessel'admiration de Goethe, et quin'est guère connu en France quepar l'éloge que lui consacre B. deJouvenel dans l'Art de la Con-jecture. C'est à Quételet que l'ondoit les premiers travaux sur lathéorie de la mesure dans lessciences sociales, et plus générale.ment l'idée, comme l'écrit Bou-don, que «l'inobservable peutdevenir mesurable à conditiond'admettre l'existence de relations

mathématiques entre caractèresobservables et variables nonobservables» (p. 38) .

Le troisièmegrand ancêtre

Le troisième grand ancêtre estlui aussi un Européen (car Lazars-feld rappelle très justement quela sociologie empirique n'est pasnée aux Etats-Unis). Ce n'est pasun astronome comme Quételet,mais un ingénieur des Mines, letrès catholique Le Play, surtoutconnu comme le fondateur desétudes de budgets familiaux, maisqui a eu surtout le désir de «fai-re parler» les chiffres pour eninférer des aperçus sur des aspectsnon chiffrables de la réalité so·ciale. Lazarsfield dirait: pour as·seoir son diagnostic.Ce mot de diagnostic est plus

important chez Lazarsfeld qu'iln'y paraît à première vue (encoreque l'absence d'index thématiquene permette pas de le percevoirclairement), car il désigne à sesyeux «les procédures par lesquel.les on peut établir une classifi-cation à partir d'observations em·piriques» (p. 217) , c'est-à·dire,une fois encore, à inférer la pré.sence . de l'inobservable à partirde l'observable.L'ouverture d'esprit assez excep-

tionnelle de Lazarsfeld se maniefeste à cette occasion, car une lec·ture tant soit peu attentive deson livre permet de se rendrecompte que chez lui, le diagnosticne se fonde pas exclusivement surl'analyse empirique de la «causa-bilité » et l'instrumentation statis-tique. Certes, plusieurs chapitresleur sont consacrés mais un textetrès important traite de l'analysequalitative en sociologie, toujoursà partir « d'explications detexte» conduites avec clarté et unprofond respect de l'objet ana-lysé. Lazarsfeld y formalisetamment un processus de concep-tualisation fréquent en ethnolo-gie, en macrosociologie ou enpsychologie sociale, qu'il appelle« construction de formules-mè·l'es» (matrix formulation). L'opé-ration consiste à agréger sous unvocable commun (la Gemeinschaftde Tonnies ou la «culture apol-linienne» imputée par Ruth Be·nedict aux indiens Zunis) des élé·ments disparates mais étroitementassociés. De même Lazarsfeld at-tribue-t-il une fonction heuristi-

que éminente à la quête de cequ'il appelle les faits révélateursou surprenants (cf. pp. 156.7, 320,351), à côté des grands nombresqui seuls se prêtent à un traite·ment statistique.Il n'est donc pas surprenant

que l'on trouve vers la fin du li-vre un chapitre, à bien des égardsle plus stimulant, sur la collabo·ration qui devrait s'instaurer en-tre l'historien et le spécialiste dessondages. Cette collaboration aété jusqu'ici peu fréquente, et l'ona plutôt eu cette interversion pa·radoxale des rôles relevés parCharles Tilly (dont l'étude de so-ciologie historique sur l'insurrec·tion vendéenne vient d'être tra-duite) : les historiens cherchentà rendre compte des événementspar les intentions et les senti-ments, toutes choses que les sour-ces documentaires sur lesquellesils travaillent ne révèlent que dif-ficilement, cependant que les so-ciologues, intéressés par les struc·tures et les changements de Ion·gue durée, sont mal armés pourles appréhender au moyen deleurs enquêtes par sondages.

Les opinionssont des "faits"

L'opposition est dans une largemesure réelle, et les propositionsde Lazarsfeld, qui consistent aufond à considérer que les opinionset les attitudes sont des «faits»comme les autres dont l'historienpeut être appelé à faire usage,devraient contribuer à la réduire,en suscitant une politique d'in-vestissement en sondages qui tien·nént compte des besoins présentset futurs des recherches historieques. Moyen utile d'enrichir lacomptabilité sociale, moins déve·loppée jusqu'ici que la comptabi.lité économique, mais illustrationégalement de l'unité latente dessciences de l'homme, unité quine naît point d'un essai d'appli-cation à la réalité sociale des mo-dèles emprunté8 aux sciences dela nature, mais d'une traductiondes problèmes et des hypothèsesde recherche en procédures for-melles contrôlables, et d'une con·viction, présente chez Lazarsfeldcomme chez Quételet ou Durk·heim, à savoir que l'arbre de laconnaissance n'a pas pour l'hom-me de fruits empoisonnés.

Bernard Cazes

... _lgz.lge Lfttéraue, du 1er au 15 juillet 1970 23

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LINGUISTIQUE

La nature du sensIA.J. GreimasDu SensSeuil éd., 320 p.

Parmi les théories linguis-tiques modernes, celle duDanois Louis Hjelmslev estsans doute la plus séduisanteet la mieux exploitable pourla recherche' littéraire. Enpostulant l'isomorphisme duplan du contenu et du plande l'expression, c'est-à-direen affirmant que le • fond •pourrait être structuré de lamême façon que la • forme .,Hjelmslev a ouvert la voie àde fécondes et passionnantesspéculations sur la nature etl'organisation du sens d'unepart sur ses manifestationsdans les différents types dediscours (et la littérature enest un!) de l'autre.

Préfacier de la traduction fran-çaise du Langage de Hjelmslev,A. J. Greimas se place, à plusd'un égard, dans la perspectivehjelmslcvienne. De même queHjelmslev se désintéresse de lac substance:t pour ne s'occuperque de la forme du contenu etde l'expression, de même Greimasabandonne à la philosophie l'in-terrogation sur l'essence du senset limite son enquête c aux mo-des de sa manifestation :t. Dans lapréface de son ouvrage Du Sens,il décrit la quête, la vaine pour-suite du sens, l'enquête du sémio-ticien menée c par une porteétroite, entre deux compétencesindiscutables, philosophique etlogico-mathématique:t (p. 12). Laseule certitude, c'est que c la pro-duction du sens n'a de sens quesi elle est la transformation dusens donné :t (p. 15). Jouant alorssur la polysémie du mot françaisc sens :t qui signifie à la fois c ceque les mots veulent bien nousdire:t et une direction c Sinn :tet Richtung :t, Greimas identifiele sens avec le procès d'actuali-sation orienté, la production lit-téraire se présentant comme uncas particulier de ce procèsd'actualisation du sens virtuel,comparable à la production desvoitures automobiles, procès désé-mantisé, réduit en automatisme.c Ainsi, on ne sait rien desur le sens, mais on a appris àmieux connaître où il se mani-feste et comment il se trans-forme:t (p. 17).

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Les lieux de cette manifesta-tion et les modes de cette trans-formation - tel est, en gros, J'ob-jet des quatorze textes écrits en·tre 1960 et 1969, qui constituentce recueil. Les quatre premiersprécisent la conception théoriquede l'auteur en explicitant, notam-ment, l'idée que le sens est «unprojet virtuel, l'achèvement d'unprocès programmé ». C'est danscette première partie que le théo-ricien de la littérature lira avecle plus grand intérêt la discus-sion - toujours dans la perspec·tive hjelmslevienne - sur la no-tion de connotation.On peut s'étonner avec Michel

Arrivé (1) du peu d'efforts quiont été déployés jusqu'à présenten vue d'une étude ssytématiquede la connotation. Pour les uns,c'est tout simplement l'attitudedu sujet parlant à l'égard del'énoncé, un message supplémen-taire dont le codage et le déco-dage obéiraient à des règles fortmal connues. Parmi les tentativesd'élucidation les plus intéressan-tes, signalons celle d'Ivan Fonagy,qui la considère comme un moded'encodage prélinguistique, tou-jours archaïque et élémentaire (lapériodicité du rythme, un des co-des producteurs de connotation,représenterait la régression à unétat précédant la fonDation de laconscience et évoquerait le rado-tage, la victoire du principe deplaisir et du principe léthal surle principe de réalité) et d'An-dré Martinet (2) qui, allant fina·lement dans le même sens, la rat-tache à l'apprentissage de la lan-gue maternelle.

La conception de Hjelmslevque Greimas s'efforce de dévelop-per pour le plus grand profit dela sémiotique (Pour une socio-logie du sens commun, p. 93), està la fois plus obscure et plusambitieuse. Pour Hjelmslev, laconnotation est un système, unelangue dont le plan de l'expres-sion serait déjà constitué par unelangue. Autrement dit - et ensimplifiant, peut-être, outrancière-ment - en «connotant» on« parle» du signifiant. (Si on« parle» du siguifié, on est dansle métalangage.) Ce qui est parti-culièrement séduisant dans cetteconception, c'est le caractère sys-tématique que Hjelmslev attribueaux langages de connotatiou quis'ajouteraient aux langages de dé-notation et dont les élémentsconstitutifs seraient les ,connota-teurs. Par exemple, dit Hjelmslev,la langue danoise forme le plande l'expression dans un systèmesignificatif dont le contenu seraitl'esprit danois. Les mots danois,outre leur sens « référentiel» pro-prement dit, posséderaient unEens second qui est «l'esprit da-nois ».On voit l'immense extension

que pourrait prendre cette notion,si on réussissait à décrire le sys-tème qu'elle constitue. Avec lesmétalangues et la métasémiologie,également postulés par Hjelmslev,«la théorie linguistique nousamène, note Martinet dans soncompte rendu sur la glossémati-que (3), à une position-clef d'oùaucun domaine scientifique nepeut nous échapper. En concen-trant notre attention sur la langueelle-même, et non sur ses à-côtés,nous avons atteint la connaissance,non seulement du système linguis-tique, dans son ensemble, maisaussi celle de l'homme, de la so-ciété, de la totalité du domainede la science ».Avec Greimas, nous n'avons

que des ébauches de description,des «directions de recherche»qui nous éloignent à la fois dutexte et de la linguistique en gé-néraI. On aimerait pourtant avoirquelque lumière sur la façon dontHjelmslev concevait la langue da-noise comme système de connota-tions de l'esprit danois - si toute-fois un ter m e aussi vaguequ' «esprit» peut servir de pointde départ pour une étude systé-matique - ou sur les opérationsqui font que «l'ensemble des

messages français renvoie au signi-fié "français"»? (Barthey: Elé-ments de sémiologie, p. 165). Or,le genre d'explications suggérépar Greimas à propos de l'exem-ple de la connotation désignée enfrançais par «vulgarité» (p. 95)renvoie à l'extra-linguistique: unchamp sémantique sociologique-ment délimité, des habitudes arti-culatoires et prosodiques que laphonostylistique identifie facile-ment comme manifestations dumoi profond, etc.On pourrait cependant tenter

une étude des connotations baséesur les structures du matériauqu'est la langue dans laquelle letexte est produit. La connotation« bienséance» ou «discrétion»de tel roman français de l'épo-que classique serait l'expansion de]a structure dite «discours indi-rect », acquisition relativement ré-cente. La suppression d'une tellestructure (dans le cas, par exem-ple, de la tradition, si la langued'arrivée ignore cette structure)entraîne une modification dans laconnotation. II en est de mêmede la structure dite «imparfait»dans le «récit itératif» (le termeest de G. Genette) chez Proust,ou «passé c 0 m p 0 s é» dansl'Etranger de Camus, etc. Une au-tre voie de la recherche pourraitconsister à considérer la connota-tion comme une «valeur moyen-ne » déterminée par les continentsdu texte, c'est-à-dire les termes enprésence, et cela aussi bien sur leplan phonétique que sur le plansémantique, bien que dégager dessèmes dans un texte comportetoujours un certain risque d'arbi-traire. Mais cette méthode auraitl'avantage de nous enfermer dansle corpus. Les «anagrames» de.saussure pourraient nous servirde guide: le texte que l'on re-trouve «sous le texte », qui estsecrété en quelque sorte par lui,ressemble étrangement au «systè-me second des hjlemsléviens.L'étude de Greimas sur la con-

notation débouche sur une autrenotion qui dominera une bonnepartie des textes suivants de cerecueil: celle de la «réalité so-ciale vécue », prolongement my-thique des langues de connotationavec ses « objets culturels»:proverbes, rites, récits, etc. «Enne nous référant apparemmentqu'à la langue naturelle, nousavions constamment présents àl'esprit les autres langages so-

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Théâ.tre à Berlin

ciaux », note Greimas. Or, ceslangages sociaux, eux, sont décritscomme des systèmes, en termesrelationnels (le contraire, le con-tradictoire, l'implication, etc.). Ilen est de même en ce qui con-cerne les œuvres narratives: récitmythique, contes populaires. Legros de l'ouvrage est consacré àl'établissement de modèles desti-nés à rendre compte de leur con-figuration structurelle, celle-ciétant significative à un certain de-gré: «La génération de la signi-fication ne passe pas, d'abord, parla production des énoncés et leurcombinaison en discours; elleest relayée, dans son parcours,par les structures narratives et cesont elles qui produisent le dis-cours sensé articulé en énoncé.»(p. 159).

Adéquation du modèleà l'objet

Pour dégager les structures nar-ratives, Greimas fait appel à l'an-thropologie structurale ou à lamythologie comparée. C'est l'as-pect· le plus connu de son acti·vité: il déploie une ingéniositéscrupuleuse en vue de l'adéqua-.tion du modèle à l'objet. Ce qu'ilfaut noter à ce sujet, c'est qu'ilest parfaitement conscient de laportée idéologique d'une telle en-treprise. «Ce qui est en cause,écrit-il (p. 36), c'est {ensembledes valeurs culturelles - popu-laires autant que bourgeoises -que la société occidentale assumetraditionnellement et qui, sous lenom de {humanisme, constituentson «vécu» implicite... La sémio-logie syntagmatique menace, parle fait même qu'elle est possible,les deux bastions de la traditionhumaniste : la littérature et {his-toire. »

Ainsi, tout en limitant ses re-cherches aux modes de manifes-tation du sens, on ne peut éviterde rencontrer le sens lui-même:celui-ci est suggéré par la struc-ture. L'étude de la sémiotique desrelations sexuelles (pp. 142-150)ne peut guère éviter de poser leprohlème du «pourquoi» de tou-tes ces contraintes, ces permis-l'ions, ces interdictions. S'agissantd'institutions humaine!l, et non dematières inanimées, on ne peuts'empêcher de penser que ces

structures !lont l'effet d'une vo-lonté et non le fait d'une quelcon-que fatalité.

Une prise de position

Toute tentative de démythifica-tion est, en effet, une dénoncia-tion et la lucidité du regard estprise de position chez un homme«appartenant à une générationoù tous les intellectuels se défi-nissaient par rapport au marxis·me» (4). Explicite dans quelquescas - comme à propos des pro-verbes et des dictons, où il estdit que «la répétition du mêmeélément lexical... contribue notoi-rement à la mise en ordre dumonde moral censé régir une so-ciété» (p. 314) - cette prise deposition est implicite tout au longde l'ouvrage. La position qui con-siste à refuser de chercher le sensailleurs que dans ses modes demanifestation n'est pas sans ana-logie avec celle du linguiste distri-hutionnaliste. Dégager par com-mutation des formes «avons »/« avions », le «i» qui peut êtrela marque de l'imparfait en fran·çais, c'est hien. Cela n'empêchepas le linguiste de s'interroger surla nature de cet imparfait, dontla richesse sémiologique va bienau-delà de la simple indicationtemporelle. Il en est de même du« sens» des structures sémanti-ques : contrainte sociale ou idéo-logique, faihlesse des ressourcesimaginatives, finitude de la comhi-natoire. La liherté, la vérité, laheauté sont bien des illusions.Mais elles sont si profondémentancrées en nous qu'elles contes-tent la validité des analyses for-melles. Au fond, c'est sur la vieil-le contradiction faustienne entrela soif d'absolu et l'impossihilitéde l'atteindre que déhouchent lesrecherches sur la structure dusens.

Georges Kassai

(1) Langue française. 3 septembre1969, p. 8.(2) Connotations. poésie et culture.

dans • To Honor Roman Jakobson.,La Haye, 1967. Tome II.(3) A. Martinet: Au sujet des fon-

dements de la théorie de LouisHjelmslev, Bulletin de la Société deLinguistique, 42, 1946, 19-42..(4) Cf. Le langage au stéthoscope,

par CI. Bonnefoy dans • Les NouvellesLittéraires. du 4 juin 1970.

Depuis quelques années, lesmeilleures mises en scène en lan-gue allemande sont présentées en-suite à Berlin. Il ne s'agit passeulement d'une confrontation eu-tre les diverses manières de fairedu théâtre. Chaque présentationest en effet suivie d'une discus-sion puhlique entre metteU:rs enscène, auteurs, traducteurs etspectateurs.Deux pièces de Goethe ont ins-

piré des mises en scène totale-ment différentes. Le sujet de CIa-vigo - drame écrit· par Goetheà 25 ans en une semaine - a étéemprunté au Fragment de monvoyage en Espagne de Beaumar-chais. Une grande partie du textea été presque littéralement tra-duite, et Beaumarchais, se voyantlui-même en Clavigo selon Goe-the, a trouvé, paraît-il, que cedernier avait peu de talent etune tête de linotte. Le metteuren scène Fritz Kortner a assuméla représentation du Théâtie deHambourg. Les personnages sedétachaient avec la finesse d'om-hres chinoises, mais l'action, floue,traînait en longueur.Torquato Tasso a été joué par

la troupe du théâtre de Brême,dirigée par Peter Etein, qui pré-sentera, entre autres, à Berlin, cetautomne, {Interrogatoire de Ha-bana de H.M. Enzensherger. Unbuste de Goethe, posé sur un ta-pis de sol vert pré, un TorquatoTasso répétant toutes les posestenues par Schiller et Goethe surtous les socles des monumentshistoriques, une structuration re-maniant entièrement la pièce ontpermis au puhlic de se délectertout au long de la soirée. Ironieet parodie constituent les attraitsde ce renouveau, qui marque sansdoute une date dans l'histoire duthéâtre contemporain.Wolfgang Bauer, jeune auteur

autrichien de 29 ans, s'est fait unnom avec sa première pièce Magieafternoon. Continuant sa préfé-rence pour les titres anglais, il aécrit Change, qui se veut une cri·tique «sanglante» de la sociétéactuelle, à l'occasion du lance-ment d'nn artiste-peintre. La mi-se en scène de Bernd Fischerauer(du Théâtre populaire de Vienne),réussie aux deux tiers, n'est sansdoute pas responsahle des « inten-tions scéniques» de l'auteur,d'une banalité navrante.Le décorateur Thomas Richter-

Forgach a inventé un dispositif

remarquable pour illustrer l'épo-que de Cabale et amour de Schil-ler. Le trône et les jambes d'unsouverain ame dimensions gigan-tesques emplissent la scène, desorte que le jeu est conditionnépar ce poids fatal. Rolf Henniger,Gerd Bockmann et Susanne Trem-per sont les protagonistes de cedrame de la cupidité au détri-ment des «sujets:t d'un hon pèredu peuple. Excellente mise enscène de Hans Hollmann.Les Cannibales, de George Ta-

hori (première européenne à l'ate-lier du Théâtre Schillcr de Ber-lin) est présentée comme unemesse noire à la mémoire du pè-re de l'auteur, mort à Auschwitz.·C'est une exorcisation à résonan-ce singulière de l'univers concen-trationnaire dans son pays d'ori-gine. Elle est incarnée avec ungrand courage physique par tonsles acteurs.L'Anglais John Hopkins (38

ans) est l'auteur de This story 0/Yours. Prohablement très maltraduite, cette pièce culmine enun méli-mélo physico-psychologi-que entre un policier et sa vie-time. Le metteur en scène PeterPalitsch et ses acteurs du Théâtrede Stuttgart se sont fait copieu-sement huer.Le pla i sir du eth é â t r e

pour et par le théâtre:t a servide fil à la mise en scène deWhat you will de Shakespeare,par Johannes Schaaf et ses ac-teurs du· Théâtre de Munich. Im-hroglios, travertis, intrigues, toutest prétexte à un déchaînementjoyeux du jeu.Samuel Beckett a été présent

deux fois. La Dernière Bande àl'atelier du Théâtre Schiller bé-néficie de la mise en scène deBeckett lui-même et d'une inter-prétation magistrale par MartinHeld. En attendant Godot est ve-nu de Bâle, où la pièce se jouedepuis 20 mois. 25 000 8pectateursl'ont vue dans une salle louéelongtemps d'avance. Les jeunes ytiennent la plus grande place. fiest vrai que le théâtre de Bâleleur offre un tarif réduit, quelque soit le nombre des acheteursà plein tarif. La mise en scènede Hans Bauer offre une commu-nication totale avec le spectateur.Quant au personnage de I.ucky(Peter Brogle), je n'ai jamais vuune interprétation aussi bowe-versante du rôle.

JulÛl Tardy.Marcw

La Q!!inzaine Littéraire, du 1er au 15 juillet 197Q 25

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LETTRE

DE BERLINUne COnInIune

Kommune 2Versuch der Revolutionierungdes bürgerlichenIndividuumsOberbaum éd., 311 p.Berlin-Ouest.

L'idée est r é pan due dansl'extrême-gauche que la révolu-tion changera l'homme, que l'ins-tauration d'un système politiquenouveau entraînera une transfor-mation profonde des rapports hu-mains. Rares sont ceux que préoc-cupent les modalités psychologi-ques de cette transformation et,ce qui importe peut-être davan-tage) les problèmes psychiquesque posc aujourd'hui la lutte po-litique aux militants eux-mêmes.La commune berlinoise dont lerapport vient de paraître a tentéde résoudre ces deux questions àla fois: elle a anticipé, par l'expé-rience communautaire, un ordresocial radicalement différent; enmême temps, cette forme de vieétait destinée à rendre ceux quila pratiquaient plus aptes à l'en-gagement révolutionnaire; ils'agissait de modifier un caractèreformé par une éducation bour-geoise dont les normes étaient in-tériorisées.La «Kommune 2 » fut créée à

Berlin-Ouest début 1967 par ungroupe de militants du S.D.S. lSo-zialistischer Deutscher Student.en-bund, Association des étudiantssocialistes allemands). A cetteépoque existait déjà la «Kom-mune 1 », qui devint célèbre parses actions provocantes. L'inten-tion première des promoteurs dela seconde commune était de vivreensemble pour faire du travailpolitique en commun. Cette ten-tative se solda par un échec : lesmembres de la commune avaientde sérieuses difficultés indivi-duelles qui les empêchaient de seconsacrer librement à l'activitépolitique: «Nous réalisâmes deplus en plus clairement qu'un tra-vail collectif était impossible sousla pression de nos problèmes per-sonnels, aussi longtemps que nousne les avions pas affrontés. »Tirant les conséquences de cet

échec, ils se regroupèrent en été1967 pour recommencer d'une fa-çon différent.e: la priorité seraitdonnée à la solution des problè-mes personnels, car «nous devonsnOlIS transformer nous -mêmes

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avant de pouvoir changer la réa-lité sociale ». Un appartement de7 pièces fut loué, où emménagè-rent 3 femmes et 4 hommes, âgésde 19 à 29 ans, et deux enfants:Nessim, un garçon de 3 ans et9 mois, une fille, Gricha, de 2 anset 9 mois.La commune s'est dissoute en

été 1968, elle aura duré près dedeux ans. Le rapport de son exis-tence difficile, passionnée, vécueavec une sensibilité aiguë et desexigences radicales, a été rédigécollectivement par ses anciensmembres. Le livre s'ordonne nonselon la chronologie, mais d'aprèsdes thèmes: l'organisation de lavie quotidienne, l'éducation desenfants, l'activité politique, lesconflits et la psychanalyse degroupe.La vie quotidienne fut organi-

sée de façon à éviter une divisiondu travail d'après les sexes. Atour de rôle, tous les membres,deux par deux, faisaient le ména-ge et s'occupaient des enfants.Ainsi était rompue la monotonied'une existence faite de travauxménagers constamment recom-mencés. Sur ce plan, l'égalité deshommes et des femmes s'instaurasans difficultés.L'aspect le plus nouveau et le

plus captivant de l'expériencecommunautaire est sans contestel'éducation collective des enfants.Tous les membres s'accordaientsur la nécessité de créer avec euxun autre rapport que la familletraditionnelle. Une théorie del'éducation antiautoritaire étaitinexistante, à part quelques essaisdatant des années 20 (VéraSchmidt, Wilhelm Reich et lemouvement sex-pol); il fallaitdonc partir de zéro et oser expé-rimenter, en corrigeant les erreursau fur et à mesure par une ré-flexion théorique. L'idée généraleétait d'éduquer les enfants à l'au-tonomie.Nessim vivait dans la commune

avec son père, Gricha avec samère ; tous deux étaient trauma-tisés par des événements anté-rieurs et profondément liés à leurpère et à leur mère. L'éducationcollective réussit à réduire pro-gressivement cette fixation: lesenfants s'attachèrent peu à peuaux membres de la commune, quis'occupaient d'eux autant queleurs parents. La possibilité dedécharger leurs affects sur d'au-tres adultes leur permit de mani-

fester des agressions contre leurpère et leur mère, au lieu dedevoir les refouler, comme c'estle cas dans la famille tradition-nelle. De leur côté, les adultesapprirent lentement à communi-quer avec les enfants et à com-prendre leurs besoins. Craignantau début de prononcer des inter-dictions, ils réalisèrent par la sui-te qu'ils recouraient à la manipu-lation pour influencer les enfantsdans leur sens et changèrent d'at-titude: «Quand cela nous sem-blait inévitable, nous avons préfé-ré formuler des interdictions clai-res (en essayant de les motiver)plutôt que d'empêcher les en-fants par des trucs de faire certai-nes choses : utiliser le tourne-dis-que, jouer dans la chambre detravail. » .Dans le cadre d'une telle édu-

cation, la sexualité prenait uneimportance particulière car, pourles «communar.ds », l'épanouisse-ment de l'adulte dépend des res-trictions imposées à la jouissancede l'enfant. Ils s'efforcèrent nonseulement de tolérer mais d'ap-prouver affectivement la sexualitéenfantine. Ils encouragèrent l'in-térêt et les jeux sexuels de Nes-sim et Gricha, tout en insistantsur «réquivalence fonctionnelledes organes génitaux masculins etféminins », afin d'éviter la valori-sation traditionnelle du sexe mâ-le.Les enfants allaient au jardin

d'enfants municipal; ils commen-cèrent par le faire avec plaisir,puis manifestèrent une aversioncroissante à son égard. L'éduca-tion discipline qu'ils y recevaientétait en contradiction flagranteavec celle de la commune. Encollaboration avec d'autres mili-tants du S.D.S., celle-ci entrepritde créer des jardins d'enfants se-lon sa propre conception; desmagasins désaffectés furent louésà cet effet, d'où le nom de «Kin-derladen» (magasin d'enfants).Actuellement, il en existe à Ber-lin-Ouest un nombre considérable.L'expérience communautaire

n'a pas assez duré pour permettredes conclusions définitives en ma-tière d'éducation collective; iln'est par exemple pas possible dedire aujourd'hui quelle influenceelle exerce sur des conflits déci-sifs tels que le complexe d'Œdi-pe. La commune ne prétend paslivrer un modèle, elle a voulufrayer une voie qu'elle résume

ainsi: «Etre antiautoritaire nesignifie pas abandonner complè-tement les enfants à eux-mêmes,mais empêcher que la soumissionautoritaire ne soit ancrée dans lastructure caractérielle.»Beaucoup plus ardue que l'édu-

cation des enfants se révéla l'évo-lution des adultes. Tous étaientpartis de l'idée que l'existencecollective se justifiait seulement sielle accroissait l'aptitude de cha-cun à s'engager dans la lutte poli-tique. Les études universitairesque les hommes avaient commen-cées leur avaient donné un senti-ment de frustration et d'isolement.Ils voyaient dans la commune lapossibilité de faire un travail col-lectif qui alliât la productivité auplaisir. Mais tous les projets dansce sens échouèrent; une activitécommune satisfaisante ne putêtre trouvée, ni dans le domainede la théorie, ni dans celui dela pratique politique. Les fem-mes surtout retrouvaient le malai-se qu'avait suscité en elles l'enga-gement au sein du S.D.S. : la luttepolitique et le travail théoriqueleur semblaient abstraits, sansrapport immédiat avec leursproblèmes personnels. Pour tous,les inhibitions et les conflits indi-viduels resurgissaient continuelle-ment: « Nous étions toujuurs re-jetés sur nous-mêmes: sur nous-mêmes comme des individus quiavaient peur, qui ne savaient tra-vailler collectivement mais seule-. ment en tallt que concurrents in-divicf,ualistes, ... qui craignaientrautorité, que ce fût la police,la justice, le professeur, une ve-de,t,te S.D.S. ou un membre dugroupe... »Ainsi les «communards» fu-

rent amenés à se préoccuper deplus en plus de leurs difficultéspsychiques. Ils tentèrent au fil dutemps d'élaborer une méthode,basée sur la psychanalyse, quileur permît de «travailler» leursconflits. Dès les premiers jours dela commune, ils avaient commen-cé par des conversations, où cha-cmi racontait à sa guise «sa vieet ses tourments. C'était à peuprès les mêmes pour tous: diffi-cultés de travail, peur de l'auto-rité, problèmes sexuels. A l'en-contre de la «Kommune 1 quiavait solennellement décrété l'abo-lition du couple, la seconde com-mune a récusé tout dogmatismeà cet égard. La plupart de sesmembres vivaient en couple.

Page 27: Quinzaine littéraire 98 juillet 1970

berlinoiseINFORMATIONS

Il s'avéra bientôt que cette fa-çon de discuter ne résolvait rien.Après une phase de désarroi, ondécida de pratiquer une psycha.nalyse systématique de groupe;des séances régulières furent insti-tuées. Leurs procès-verbaux té·moignent de la confusion qui yrégnait et du danger de mener enamateurs une «analyse sauva-ge ».Un psychanalyste munichois

appelé à l'aide proposa qu'au lieude se faire analyser par le grou-pe, chacuu ait son propre «ana-lyste» déterminé. Cc conscil fntsuivi: chacun devenait à la fois« patieut» el «analyste ». Legroupe investit une énergie consi-dérable dans son analyse, qui don-na deux résultats positifs: la pos-sibilité d'exprimer des affectssans provoquer de réactions hos-tiles eut un effet libérateur, etl'accroissement de la sensibilité àl'égard d'autrui créa une atmos-phère quotidienne dépourvue decontrainte.Mais l'analyse eut aussi des

conséquences négatives, qui fini-rent par l'emporter. EUe «psy·ehologisa» la vie quotidienne:les gestes, les paroles, les actions

de chacun étaient perpétuelle-ment l'objet d'une interprétationfreudienne de la part du groupe.En outre, un réseau complexe detransferts mutuels se tissa, qui en-richit les rapports affectifs maissuscita de fortes tensions. Le grou-pe se repliait sur lui-même:«Plus tard, nous réalisâmesqu'une situation se répétait, defaçon presque insensible, quenous croyions dépassée depuislongtemps : la surcharge émotion-nelle de la famille.»L'attentat contre Rudi Dutschke

en avril 1968 et les manifestationsanti-Springer qui suivirent arra-chèrent la commune à ses pro-blèmes internes et interrompirentranalyse. Par la suite, certains re-fusèrent de la reprendre, soitparcc que le travail politique leursemblait plus important, soit par-ce qu'ils n'en avaient pas la forcepsychique. La mère de Gricha, enrevanche, y tenait énormément.Ces intérêts contradictoires ne pu-rent être conciliés. La communcvivota quelque temps encore pourse désagréger en étéLa «Kommune 2» s'est donc

achevée sur un échec. Aucun deses membres n'envisage pourtant,

daus la conclusion du livre leretour à une forme de vie noncollective. Leur exigence d'allierl'activité politique et la vie privéereste posée, et une commune leursemhle le seul moyen d'y répon-dre.La faillite semhle due à plu-

sieurs facteUl's : elle illustre la dif-ficulté de changer délihérémentun caractère déjà formé; lesmoycns dont disposaient les« communards» étaient cel·taine-ment insuffisants; la psychana-lyse n'a pas donné les résultatsescomptés : elle cst inadéquate aubut qu'ils se proposaient ou ellea été mal faitc. De plus, l'activitépolitique et la transformation de«.l'individu bourgeois» s'excluentpeut-être, tant que cette dernièreexige un repli complet du groupesur lui-même.Toujours est-il que cette expé.

rience rcste exemplaire. Les« communards» en ont pleine-ment assumé les risques: ils ontosé vivre, dans toute leur acuité,les difficultés, les angoisses, lesconflits. «Révolutionner l'indi·vidu bourgeois », c'est commencerpar s'affronter soi-même.

Nina Bakman

LES PRIXLe prix Roger Nimier 1.970 a été

attribué à Robert Quatrepoint pour sonroman, publié aux éditions Denoël:Mort d'un Grec.

Jacqueline Kahn-Nathan et GilbertTordjman ont obtenu le Prix Fagon1970 pour leur étude intitulée le Sexeen questions. Une expérience d'édu-cation sexuelle dans la région pari·sienne, et publiée dans la collection• Femme. chez le même éditeur.

Le Prix Charles Perrault, créé cetteannée. a été attribué à Italo Calvinopour son roman le Baron perché (Gal-limard).

Le Prix du Rassemblement Breton acouronné l'ouvrage de Jean Markale.les Celtes et la civilisation celtique,publié aux éditions Payot.

Le Grand Prix Inter-Clubs du Théâtre1970 a été décerné au spectacle dela Gaîté-Montparnasse: Un jour dansla mort de Joe Egg, pièce de PeterNichols (adaptation française de Clau-de Roy, mise en scène de MichelFagadau). Le jury, qui représente unecentaine de groupes de spectateurs.a attribué d'autre part les Prix Inter-Clubs à la Mise en pièces du Cid(mise en scène par Roger Planchon)au Théâtre Montparnasse et aux Non-nes d'E. Manet (mis en scène parRoger Blin) au théâtre de Poche-Mont-parnasse.

Le Grand Prix de la Société desGens de Lettres a été décerné à MarcBernard pour Mayorquinas (Denoël,LN).

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La Q!!inzaine Littéraire, du let au 15 juillet 1970 27

Page 28: Quinzaine littéraire 98 juillet 1970

COLLECTIONS

Les nouvellescollections

Au Seuil

Une nouvelle collection aux éditionsdu Seuil, qui s'annonce comme uneremarquable réussite commerciale ettechnique: • Les Guides Seuil -, Sousla direction de Jean-Pie Lapierre, ilsnous proposeront, à raison d'un guidepar département, des ouvrages trèscomplets qui se distinguent des gui-des traditionnels et, notamment, des• Guides verts - du même éditeur, parla diversité et la richesse des informa-tions qu'ils apportent non seulementaux touristes ou aux voyageurs occa-sionnels, mais aussi à tout lecteurcurieux des de sa pro-vince.

Les livres, abondamment illustrés(200 illustrations dans chaque volu-me), présentent, outre une étude géo-graphique et historique approfondiedu département concerné, un réper-toire de ses richesses artistiques ettouristiques, un inventaire de ses res-sources sur tous les plans (chasse,pêche, foires, manifestations diverses,etc.). un lexique des noms et desexpressions régionales et, bien enten-du, une cartographie très complète.Ils seront vendus au prix de 12 Fle volume.Premiers titres à paraître: la Seine

maritime, par Jean·Pie Lapierre: laCorse, par Antoine Ottavi. En prépara-tion, l'Isère et le Rhône.

Chez Aubier

Sous le titre de • Bibliothèque desciences religieuses -, une nouvellecollection vient d'être créée en co-édition entre Aubier Montaigne, leséditions du Cerf, Delachaux et Niestléet Desclée de Brouwer. Dirigée parMichel de Certeau, elle se proposed'articuler sur les diverses disciplinesdes sciences humaines (linguistique,sociologie, psychologie, histoire, etc.),une réflexion fondamentale en ce quiconcerne les sciences dites • religieu-ses -. Premiers titres: Création etséparation, étude exégétique du cha-pitre premier de la Genèse, par PaulBeauchamp: l'Articulation du sens,discours scientifique et paorle de lafol, par Jean Ladrière, qui traite icid'un problème d'ordre sémantique ets'efforce, par l'analyse du langage,d'ouvrir de nouvelles perspectives àJ'étude des rapports entre fol etscience.

28

FEUILLETON

parGeorges Perec

Au bout de ses. six mois de quaran-taine, le nouvel arrivant est officielle-ment déclaré novice. Cette nomina-tion est l'occasion de deux manifes-tations. La première est une cérémo-nie d'intronisation qui se déroule surle Stade central, en présence de tousles Athlètes: on enlève aux jeunesgens leurs menottes, leurs fers etleurs boulets et on leur remet l'in-signe de leur nouvelle fonction: unlarge triangle d'étoffe blanche qu'ilscousent, pointe en haut, sur le dosde leur survêtement. Un sous-direc-teur de courses ou un chronométreur

prononce un petit discours dont lestermes varient rarement d'une céré-monie à l'autre ou d'un officiel àl'autre et qui, en souhaitant la bien-venue aux futurs Athlètes, exalte iesvertus du Sport et rappelle les grandsprincipes de l'idéal olympique. Puis,pour clôturer la cérémonie, une ren-contre amicale, c'est-à-dire dont lesrésultats ne feront l'objet d'aucunehomologation et ne donneront lieu àaucune récompense, réunit les Athlè-tes et les novices.

La seconde manifestation, de carac-tère beaucoup plus privé, a lieu dansles chambrées des villages. D'abordsecrète et clandestine, elle a fini parêtre reconnue par l'Administration qui,selon sa politique habituelle, n'a pascherché à l'interdire mais s'est con-tentée d'en codifier le déroulement.L'objet de cette manifestation est dechoisir parmi les Athlètes celui quisera le Protecteur du nOVIce, c'est-à-dire celui qui se chargera de sonentraînement, qui le guidera sur lesstades, qui lui enseignera les techni-ques du' sport, les règles sociales, lesmarques extérieures de respect, lescoutumes du village. C'est lui, évidem-ment, qui viendra à son secours cha-que fois qu'il sera menacé. En échan·ge, le novice servira ce tuteur attitréavec dévouement et reconnaissance:il lui fera son lit chaque matin, luiapportera son bol de porridge,. luilavera son linge et ses gamelles, luiservira son repas de midi; il veilleraau bon état de son équipement spor-tif, de ses maillots, de ses chaussuresde compétition. Accessoirement, illui servira de giton.

Il faut évidemment être classé pouravoir l'honneur de protéger un novice.On peut se rappeler qu'il y a, danschaque village, 330 Athlètes dont 66sont classés régulièrement, c'est-à-direont gagné leur nom dans les cham-pionnats de classement, et une ving-taine, au maximum, de crouilles quiont réussi à se décrocher une Iden-tité en triomphant dans les Sparta-kiades. Or l'effectif des novices oscille.nous l'avons vu, entre 50 et 70. Ilpourrait donc y avoir à peu près au-tant de protecteurs que de protégés.Mais ce serait méconnaître profondé-ment la nature de la société W quede croire qu'il pourrait en être ainsi.En fait, ia désignation du tuteur estdéterminée par l'issue d'un combatsingulier que se livrent les deux meil-leàrs champions du village, c'est-à-direceux qui sont au moins ChampionsOlympiques et dont le nom est pré-cédé de l'article défini (le Kekkonen,le Jones, le -McMillan, etc.) S'il y aplusieurs champions olympiques dansun village, ce qui est fréquent puis-qu'il y a 22 champions olympiques et4 villages, on choisit en priorité ceuxqui ont triomphé dans les disciplines

dites nobles: les courses de vitessed'abord, le 100 m, le 200, le 400, puisle saut en hauteur, le saut en Ion·gueur, le 110 m haies, les courses dedemi-fond, etc., jusque, en désespoirde cause, aux pentathlons et déca-thlons.

En règle générale donc, la plupartdes novices se retrouvent avoir pourprotecteur attitré l'un ou l'autre deces deux super-champions; il peut ar-river qu'on se les dispute âprementet que leur obtention fasse l'objetd'une lutte sanguinaire: mais, le plussouvent, le partage se fait par accordtacite: chaque champion choisit à tourde rôle, selon les arrivages, dans lelot des novices et le combat singu-lier qui les oppose se limite à quel-ques invectives topiques et à un simu-lacre de corps à corps.

On conçoit ainsi aisément commentcette institution, qui ne visait au dé-part que la seule relation des Ancienset des Nouveaux, un peu à l'image dece qui se pratique régulièrement dansles collèges et dans les régiments, apu devenir sur W la base d'une orga·nisation verticale complexe, d'un sys-tème hiérarchique qui englobe tousles sportifs d'un village dans un ré-seau de relations en cascade dont lejeu constitue toute la vie sociale duvillage. Les protecteurs en titre n'onten effet que faire de leurs trop nom-breux filleuls: ils s'en réservent deuxou trois et monnayent les servicesdes autres auprès des autres Athlètes.On aboutit ainsi à la formation devéritllbles clientèles que les deuxchampions de tête manipulent à leurgré.

Sur. le plan strictement locai, lepOl,lYQir des champions protecteurs estimmense, et leurs chances de survie

. considérablement plus grandesql,t6 celles des autres Athlètes. Ilspeuvent, par des brimades systématl-ql,les, .filn les faisant harceier par leursnovic.e.s et par leurs crouilles, en lesempêchant de manger, en les empê-chllnt .de dormir, épuiser ceux de leurscompatriotes dont ils ont le plus àcraindre, ceux qui se classent immé-diatement derrière eux dans leur spé-

ceux qui les talonnent à cha-que course, à chaque concours etdont ils savent que la victoire seraitle signal d'une-·impitoyable vengeance.Mais le système des clientèles est

aussi fragile qu'il est féroce. L'achar-nement d'un adversaire ou le bonplaisir d'un arbitre peuvent, en uneseconde, faire perdre au Champion cesnoms qu'il a si durement gagnés etsi sauvagement défendus. Et la massede ses fidèles se retournera contrelui et ira mendier les bouchées, lessucres et les sourires des NouveauxVainqueurs.

(à suivre)

Page 29: Quinzaine littéraire 98 juillet 1970

Livres publiés du 5 au 20 juin 1970RaIlAlli 8FRANÇAI8

.Samuel BeckettMercier et CamierEditions de Minuit.216 p" 15 FUn roman inédit,écrit en 1946 (voirles nO' 1, 67, 82 et 93de la Quinzaine).

• Joyce MansourÇaIllustrations de BajSoleil Noir, 160 p" 18 F.Sept récits d'érotisme,de cruauté et d'humournoir.Ph. MestreQuand flambaIt lebocageLaffont. 416 p., 20 F.Un roman d'amour etd'action qui a pourtoile de fondl'insurrectionvendéenne de 1795.Jean-Pierre MilovanoffLa fête interrompueEditions de Minuit,

112 p., 9 F.Le premier romand'un jeune auteurde 30 ans.Reine SilbertLes simplesrencontresEdition Spéciale,208 p" 19 F.Dans le Paris de mai1968, une jeune femmefait son éducationsentimentaleet politique.Georges ThinèsLes effigiesGallimard, 240 p., 17 F.Inspiré de • L'Anabase -de Xénophon, unpèlerinage lyriqueaux sources del'enfance et del'humanité.

ROIIAIII8.TRAIIIGBRS

Rennie AlrthRaptTrad. de j'anglais

par J. RosenthalLaffont, 304 p" 20 F.Dans la traditiondu film • Le Pigeon-,un roman qui mêlesavoureusement"humour anglaisà la fantaisieitalienne.

• Jorge AmadoLes pâtres de la nuitTrad. du brésilienStock, 352 p., 26 F.Une comédie humainequi a pour toilede fond Bahia, parun des principauxreprésentants duroman brésiliend'aujourd'hui.

John BrunnerLe long labeurdu tempsTrad. de l'américainpar A. DoremieuxLaffont, 224 p., 16 F.Dans la collection• Ailleurs et demain-,un roman de science-fiction sociologiqueet historique d'unton très nouveau.

.Julio GortazarTous les feux le feuTrad. de l'espagnolpar L. Guille-BataillonGallimard, 208 p.,14,75 F.Un recueil de huitnouvelles, par l'auteurde • Marelle - (voirle n° 20 de laQuinzaine) .

• William GoldingLa pyramideTrad. de l'anglaispar M.-L. MarlièreGallimard, 272 p"21,25 F.Par l'auteur de• Sa majesté desmouches - et dec La Nef - (voir len° 19 de la Quinzaine),

• Joyce Garol OatesDes gens chicsTrad. de l'américainStock, 320 p., 20 F.Par une desromancières les plusoriginales de lagénération américaineactuelle, lauréatedu National BookAward.

Gudrun PausewangMariage bolivienTrad. de l'allemandStock, 224 p., 20 F.Une évocationsavoureuse de la viequotidienne desIndiens dans leshauts-plateauxde Bolivie.

.André BelyPoèmesEdition bilingueAdaptation parGabriel AroutGallimard, 128 p., 16 F.

Ghérasim LucaHéros-Limite3 dessins de J. HéroldSoleil Noir, 96 p.,12 F.Réédition d'unouvrage paru en 1953et devenuintrouvable.

Poèmes de l'année1970choisis et présentés

par A. Bosquetet P. SeghersSeghers, 192 p"16,50 F.Un florilège desmeilleurs poèmespubliés en 1969.

REEDITION8CLASSIQUES

Georges BatailleŒuvres complètesTome 1: Premiersécrits (1922-1940).Histoire de l'œil.L'anus solaire.Sacrifices. ArticlesTexte établi et annotépar Denis HollierPrésentation deM. Foucault32 pl. hors texteGallimard, 664 p.• 55 r.Georges BatailleŒuvres complètesTome 1\: Ecritsposthumes(1922·1940)Texte établiet annoté parDenis HollierGallimard, 464 p., 42 F.

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La .Q!!inzaine Littéraire, du 1"' au 15 juillet 1970 29

Page 30: Quinzaine littéraire 98 juillet 1970

Livres publiés du ; au 20 juin 1970

Auguste ComteŒuvres: Tomes VII,VIII, IX et XLe système de politiquepositive ou Traitéde sociologieAnthropos, 850, 650,650 et 800 p.200 Fies 4 vol.

MEMOIRESBIOGRAPHIES

F. d'HautefeuilleLe tourment deSimone WeilPréface deJ. M. PerrinDesciée de Brouwer,207 p., 17,20 F.Simone Weil ou ledrame d'un espritécartelé entrel'optimisme militantet le pessimismespirituel.

Jeanine HuasJuliette Drouet oula· passionromantiqueHachette, 320 p., 25 F.Une biographieapprofondie de lacompagne de VictorHugo, étayée sur denombreux documentsinédits.

Ho Chi Minh,notre' camaradeSouvenirs demilitants françaisrassemblée parLéo Figuièreset Ch. Fourniau8 hors-texteEditions Sociales,272 p., 14,50 F.Un recueil desouvenirs qui permetde comprendre lapersonnalité réellede l'Oncle Ho' et lesraisons des combatset des victoires dupeuple vietnamien.

CBITI-,UIZHISTOIR.LITTERAIRE

André BleikastenFrançois PltavyMichel GressetWilliam Faulkner4 illustrationsA. Colin, 384 p.,13,80 F.Un dossier littérairecomprenant uneprésentation etl'étude des deuxromans les plusimportants de l'auteur:• As 1 lay dying - et• Light in August -.

Henri BrémondMaurice Blondel

Correspondanceétablie, présentée etannotée par A. BlanchetAubier-Montaigne,512 p., 42 F.Alain JouffroyLa fin des alternancesGallimard, 312 p.,23,25 F.Une suite de textesqui ont pour pointde départ la rencontredu poète avec Bretonen 1946 et qui éclairentson propre itinéraireainsi que celllj dela poésiecontemporaine dansson ensemble.

Monique JutrinPanaït Istrati,un chardon déracinéMaspero, 304 p.,20,80 F.Une étude critiqueet une biographie trèsfouillée de cet exiléroumain devenuécrivain français àl'âge de quarante ans.

Jean-José MarchandSur «Mon cœur misà nu,. de BaudelaireL'Herne, 308 p., 26,87 F.Une glose minutieuse,où l'auteur s'estefforcé de dégagerl'enseignement dupoète pour les tempsque nous vivons.

Henry Millerde' Pa,is

avec Georges BelmontStock, 130 p., 18 F.Une série d'entretiensenregistrés enseptembre 1969pour l'O.R.T.F.

Janine MossuzAndré Malrauxet le gaullisme6 hors-texteA. Colin, 316 p., 35 F.Une étude littéraireet politique dont lethème central estcelui de la fidélitécontestée de Malrauxà l'idéal de sajeunesse.

Pierre SprietMichel GriveletShakespeare :Richard IIIA. Colin, 208 p., 8,80 F.Une étude approfondiede l'une desprincipales piècesde Shakespeare.

SOCIOLOGIEPSY-CSOLOGIE

André BergeL'enfant au caractèredifficile

Hachette, 256 p.17,50 F.Par le directeur duCentre psycho-pédagogique del'Académie de Paris.

F. ChazelR. BoudonP. LàzarsfeldL'analyse desprocessus sociauxSous l'égide de l'EcolePratique des HautesEtudesMouton, 413 p., 38 F.Un recueil de textesconsacrés aux diverstypes d'analysedans le temps.

F. DonovanEducation stricteou éducation libéraleTrad. de l'américainpar Simone RouxLaffont, 288 p., 22 F.Un bilan des plusobjectifs sur les 'recherches effectuéesdepuis un siècleet demi sur lecomportement etl'éducation del'enfant.

Fernand DumontDialectique del'objet économiquePréface deL. GoldmannAnthropos, 382 p., 27 F.Une critiqueépistémologique dessciences humainesqui se situe à la fois

I.a sphère desconcepts et de lalogique et dans celledes pratiques socialesmodernes.

Denise JodeletJean VietPhilippe BesnardLa psychologie socialeUne discipline enmouvementPréface de S. MoscoviciSous l'égide de l'EcolePratique des HautesEtudesMouton, 470 p., 34 F.Un instrument detravail et de réflexionappuyé sur l'analysede textes de référenceet sur une approchecritique des problèmesde la recherche.

• Henri LefebvreDu rural à l'urbainEd. Anthropos,285 p., 25 F.L'oppositionconflictuelle entre lacampagne et la villeet son dépassement.

Henri MendrasLa fin des paysans.Changement et·innovations dans ,les

sociétés ruralesfrançaisesA. Coiin, 312 p.,11,80 F.La substitution à lacivilisation paysannetraditionnelle de lanouvelle civilisationtechnicienne.

Sexualité humaineOuvrage collectifAubier-Montaigne,304 p., 21 F.Un ensemble -d'étudesqui présentent lasexualité humaineen fonction desdiverses approchesdont elle estaujourd'hui l'objet.

Denis SzaboDéviance etcriminalité. TextesA. Colin, 384 p.,13,80 F.Un recueil de textesde sociologuesfrançais et étrangerssur )es. pr.oblèmesmajeurs de lacriminologie.

PHII.OSOPHIJI

Martial GéroultSpinoza1. Dieu (Ethique, 1)Aubier-Montaigne.624 p., 45 F.Réédition d'unimportant ouvrage,considéré commeune éclatantedémonstrationd'analyse structuraleappliquée à une œuvrephilosophique.

.Karel KosikLa dialectique duconcretTrad. de l'allemandpar R. Dandeville. Maspero, 176 p.,14,80 F.Par un militantcommuniste tchèque,un ouvrage considérécomme l'un des grandstextes de laphilosophie marxiste.

Michel PiclinLa notion detranscendanceA. Colin, 304 p., 70 F.Le sens de cettenotion et son évolutionde Platon àl'existentialisme.

Marcel CohenToujours des regardssur la langue françaiseEditions Sociales.

352 p., 45 F.A la portée de tousles publics, une étudeà la fois claire etrigoureuse sur lefonctionnement denotre langue.

HISTOIR.

J.-B. BarbierSi Napoléon avaitpris Londres•••La Librairie Française,éd., 160 p., 18 F.Sur un sujet fortcontroversé, une étudeobjective etrigoureusementdocumentée.

André CastagnaPanorama du siècleélisabethainéo iII. in texteChoix de textes,chronologie synoptique,bibliographieSeghers, 256 p., 25 F.Collection • Panoramasillustrés -.

E.R. ChamberlinDes mauvais papesTrad. de l'anglaisStock, 304 p., 28 F.La vie publique etprivée de sept papesdont les dépravationsdevaient conduire àla Réforme.

ePierreChaunuLa civilisation del'Europe classique140 illustrations enhéliogravure, 8 pl.hors texte et 37 carteset plansArthaud, 876 p., 102 F.La civilisation del'Europe classiquedans son unitéprofonde et dans sadiversité. Réédition.

Abba EbanMon peuple,histoire du peuplejuif65 illustrationsBuchet-Chastel,374 p., 30 F.Par le ministre desAffaires étrangèresd'Israël, un ouvrage. la fois historique .et philosophique, quireflète les visions,les faits, les mythes

'.: dont sont constituées. la vie et la penséedu peuple juif.

Michel NouhaudPanorama du sièclede Périclès

. . Choix de textes,ehfOnologie synoptique,bibliographieSeghers, 256 p., 25 F.

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Victor WolfsonMayerling: la morttroubleTrad. de l'américainpar M. Ponty-Audiberti8 p. de photosLaffont, 256 p.,19,50 F.Une enquêteminutieuse sur ledrame de Mayerling.

POLITIQUBECONOMIE

Gene E. BradleyLe défi des années1970 - Europe-Amérique: un marchéde 500 millions deconsommateursFrance-Empire, 364 'p.,25,50 F. .Une étude synthétiqueréalisée dans lecadre du ConseilAtlantique.

Jacques CapdevielleRené MouriauxLes syndicats ouvriersen FranceA. Colin/U 2Les fondementshistoriques, lesstructures, le champd'action., les moyenset les problèmesactuels du syndicalismefrançais.

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Nicolaï CeausescuPour une politiquede paix et decoopérationinternationale17 illustrationsN3gel, 200 p., 18,75 F.Par le président dela République Socialistede Roumanie.

Monica CharlotLa persuasionpolitiqueA. Colin/U 2Les méthodes et

de lapropagande politique,illustrées par desexemples précis.

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Page 31: Quinzaine littéraire 98 juillet 1970

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Les bienheureux de la désolation(Le Seuil)Des Français (Flammarion)La maison de papier (Grasset)Fleur d'agonie (Grasset)L'iris de Suze (Gallimard)Chien blanc (Gallimard)Portnoy et son complexe (Gallimard)Discours et messages (Plon)La joie des pauvres (Gallimard)Voyages avec ma tante (Laffont)

Œuvres complètes 1 et IlBliche ou l'herbe ranceDepuis toujours déjàAndreas et autres récitsSept jours chez les SilbersteinTrioLa famille MoskatLe frémissement du voile

La poétique de DostoïevskiProblèmes de la poétique deDostoïevskiCalcul économique et formes depropriétéLa grande TerreurLa société bloquéeL'univers du Moyen AgePhilosophie des sciences socialesLa révolution urbaineRabelais au ·futurLe spectacle Intérieur

Charles Bettelheim

ESSAIS

LITTERATURE

Robert ConquestMichel CrozierFriedrich HeerPaul LazarsfeldHenri LefebvreJean ParisJean Pommier

Mikhaïl Bakhtine

Hervé Bazin

Georges BatailleJacques ChatainAndré FrénaudHoffmannstahlEtienne LerouxAnn Quin1. B. SingerW. B. Yeats

Liste établie d'après les renseignements donnés par les libraires suivants:Biarritz, Barberousse. - Brest, la Cité. - Dijon, l'Université. - Issoudun,Cherrier. - Lille, Le Furet du Nord. - Montpellier, Sauramps. - Nice,Rudin. - Orléans, Jeanne d'Arc. - Paris, les Aliscans, du Bols, au Charlotd'or, la Hune, Julien-Cornic, Marceau, Présence du temps, Variété. - Ren·nes, les Nourritures· terrestres. - Royan, Magellan. - Strasbourg, lesFacultés, les idées et les arts. - Toulon, Bonnaud. - Vichy, Royale.

2 Roger Peyrefitte3 Françoise Mallet-Jorris4 Christine de Rivoyre5 Jean Giono6 Romain Gary7 Philip Roth8 Charles de Gaulle9 Zoé Oldenbourg10 Graham Greene

Léon BarsacqLe décor de filmPréface de René Clair120 illustrationsSeghers, 440 p., 35 F.Une étude trèscomplète de l'évolutionhistorique et de latechnique du décor,de sa conception· .à sa réalisation.

H. A. WernerDix-huit secondespour survivreTrad. de l'américainpar J. Bricard16 p. de photosLaffont, 496 p., 28 F.La guerre et lenazisme vus par unofficier allemand quiparticipa à la bataillede l'Atlantique commecommandant d'un• U-boote '.

Le livre destravailleurs africainsen FranceSous l'égide de l'UnionGénérale desTravailleurs Sénégalaisen France.Maspero, 204 p.,14,80 F.Un dossier completsur les conditions del'émigration destravailleurs sénégalaisavant et aprèsl'indépendance deleur pays.

Hubert NyssenL'Algérie en 1970telle que je l'ai vueArthaud, 160 p., 19,50 F.Une étude d'ensemblesur l'Algérie aprèshuit ansd'indépendance.

O. ReileL'Abwehr ou lecontre-espionnageallemand en Francede 1935 à 1945Préface de RémyFrance-Empire, 320 p.,19 F.Par celui qui futl'adjoint de l'amiralCanaris qui le chargeadu contre·espionnage en Franceà partir de 1935.

George Saint-GeorgeLa SibérieTrad. de l'américain32 illustrationsStock, 352 p., 30 F.A la découverte d'uneSibérie qui serait àl'U.R.S.S. ce qu'est leFar-West auxEtats-Unis.

'l'B*ATRBCINEMA

Robert AmbelainJésus ou le mortelsecret des TempliersColl. • Les énigmesde l'univers»Laffont, 400 p., 18 F.Un décryptage insolitede la vie de Jésusappuyé sur l'histoiredes Templiers.Neil ArmstrongMichael CollinsEdwin E. AldrinPremiers sur la luneTrad. de l'américainpar Frank StraschitzEpilogue d'A. C. ClarkeColl. • Ce jour-là»28 p. de hors-texteLe récit complet dela conquête de la lunepar ceux qui l'ontvécue.Jacques ChancelRadioscopieLaffont, 312 p., 18 F.Dix entretiens réaliséspour France-Inter,avec Bardot,Mitterrand, Montherlant,Pouillon, etc.Jean. DaubierHistoire de larévolution culturelleprolétarienne enChineMàspero, 306 p.,18,10 F.Une étude qui offrela particularité d'êtrele fruit d'uneexpérience vécue.Jeanne DelaisLes enfants de l'autoGallimard, 212 p., 17 F.Un dossier constituépar des témoignagesd'enfants sur un desplus importantsphénomènes decivilisation de notretemps: l'automobile.

Victor FrancoLa grande aventuredu Club MéditerranéeLaffont, 344 p., 15 F.L'histoire du célèbreclub de vacances,devenu, en vingtannées, avec unmillion d'adhérents,l'une des pluspuissantesorganisations deloisirs actuelles.

Mohamed LebJaouiVérités sur larévolution algérienneGallimard, 256 p., 24 F.Une série detémoignagesirrécusables, par unde ceux qui furentparmi les dirigeantsde la Révolution.

DOCUIIENTS

Léon TrotskyNos tâches politiquessuivi de deux textesde Rosa Luxemburget de LénineEdition établie parBoris FraenkelBelfond, 256 p., 26 F.La première réédition,depuis sa parutionen russe en 1904, àGenève, du plusviolent réquisitoireJamais rédigécontre Lénine.

Mémoires d'un vieuxbolchevikMaspero, 196 p.,14,80 F.Un recueil de textesprovenant d'Union .soviétique et éditéspar le Samisdat.

Pierre NavilleNouveau Leviathan;Tomes Il et III:Le salaire socialiste,Anthropos, 550 p.,et 35 F le volume.Voir le nO- 97 de laQuinzaine.

la condition de lafemmeEditions Sociales,176 p., 12,35 F.Une étude sociologique,politique etéconomique surl'évolution de lacondition fémininedans les sociétésindustrielles.l. Durànd-RevilleLes investissementsprivés au servicedu tiers mondePréface deGaston LeducFrance-Empire,372 p., 29,50 F.Un spécialiste fait lebilan de l'aide privéeaux pays dutiers monde.André KaspiLa vie politiqueaux Etats-Unis.19 tableaux, 5 carteset schémas, index,bibliographieA. Colin, 416 p.,13,80 F.L'évolution du systèmepolitique américainde 1776 à 1945 etson fonctionnementactuel.LeonevDe Gaulle devantses jugesNouvelles EditionsDebresse, 288 p. 23 F.Un réquisitoire violentpour le procès moralet politique de"homme d'Etat, appuyésur une documentationtrès précise.

ta Q!!inzaine. Littéraire. du le. au 15 juillet 1970 31·

Page 32: Quinzaine littéraire 98 juillet 1970

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