la quinzaine littéraire n°27
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La Quinzaine littéraire n°27 du 1er au 15 mai 1967TRANSCRIPT
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e e a UlnZalne
2 F 50 1 i ttéraire Numéro 27 rr au 15 mai 1967
Inédits e
au e Imon Tradition et révolution
Un conte d' Isaac Babel
Entretien imaginaire avec · e
m rOWICZ
Butor par lui-même .Varèse --.......J
L'art rODlan .La réforDte de ·l'Université
300 lettres de Tocqueville Théâtre à Ne,.., York et à RODt.e
SOMMAIRE
3 LE LIVRE DE LA QUINZAINE
4 ROMANS FRANÇAIS fi
6
Georges Perec
Simonne J acquemard Michel Butor
Georges Charbonnier Joseph Kessel Jean-Noël Gurgand
7 ROMANS ÉTRANGERS Peter Bichsel
8 ENTRETIEN
10 E'SSÀIS
1,1 CONTE INÉDIT
12 INÉDIT
14· POÉSIE
15 HISTOIRE LITTÉRAIRE
16 ART
18 PHILOSOPHJ;.E
19 PHILOSOPHIE POLITIQUI:
20 UNIVERSITÉ
22 HISTOIRE 14
26 ÉCONOMIE POLITIQUE
MUSIQUE
27 CINÉMA
28 QUINZE JOURS
29 THÉATRE
La Quinzaine litté .. aire
Jean-Pierre i?aye
Philippe J accottet
Robert Kanters et Maurice Nadeau Eléonore M. Zimmermann
Erik Kubach et Peter Bloch
Ferdinand -Alquié Michel Alexandre
Alexis de Tocqueville
Jean Capelle G. Antoine et J .-Cl. Passeron
Emmanuel Le Roy Ladurie Georges Tessier Donald Bullough
J.-M .. Albertini
Bernard Cazes
Fernand Ouellette
Jean Douchet _
Direction: François Erval, Maurice Nadeau
Conseiller: Joseph Breitbach
Direction artistique 'PIerre Bernard
Administration: Jacques Lory
Comité de rédaction: Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Çhoay,
, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Michel Foucault, Bernard Pingaud, Gilbert Walusinski.
Secrétariat de la rédaction: Anne Sarraute
Infor.mations : Marc Saporta Assistante: Adelaïde Blasquez
Documentation: Gilles Nadeau
Rédaction, ad.""inistration: 43, rue du Temple, Paris 4 Téléphone: 887.48.58.
Un homme qui dort
Navigation vers les îles Portrait de l'artiste en jëune singe Entretiens avec Michel Butor Les Cavaliers Israéliennes
Le Laitier
Gombrowicz: « l'étais structuraliste avant tout le monde»
Le Récit hunique
Elie Isaacovitch et Marguerite Prokofiev na
Tradition et révolution
Airs
Anthologie de la poésie française Magies de Verlaine
L'art roman, de ses débuts à son apogée
Solitude de la Raison Lecture de Platon
Œuvres complètes
L'école de demain reste à faire La réforme de l'Université
Les paysans de' Languedoc Charlemagne Le Siècle de Charlemagne Le livre des Héros
Les Rouages de l'économie nationale La Vie économique
Edgar Varèse
Alfred Hitchcock
Mai revient
A New York: politique A Rome: happening
Publicité littéraire: La Publicité Littéraire 22, rue de Grenelle, . PariS 7. Téléphone: 222.94.03
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, Imprimerie: Coty S.A. 11, rue F.-Gambon, Paris 20.
Copyright: La Quinzaine littéraire.
par Bernard Pingaud
par Josane Duranteau par Alain Jouffroy
par Marie-Claude de Brunhoff par Réini Laureinard
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par Henri Ronse
par Isaac Babel
par Claude Simon
par Gérard Arseguel
par Samuel S. de Sacy
par Roger Paret
par François Châtelet par Jean-François Nahmias
par Jacques Nantet
par Antoine Prost
par Henri Moniot par Edith Thomas
par Lucette Finas
par Michel Lutfalla
par Maurice Faure
par Claude Pennec
par ,Pierre Bourgeade
par Naim Kattan par Anne éapelle
Crédits photof5raphiques
p. 3 p. 5 p. 7 p. 8 p. 9 p. 10 p. 11 p. 12 p. 13 p. 13 p. 15 p. 16. p. 17 p. 19 p. 21 p. 23 p. 24 p. 27 p. 27 p. 28
Elizabeth Mangolte Lüfti Ozkok Gallimard éd. Denoël éd. Denoël éd. Le Seuil éd. Roger Viollet Droits réservés Roger. Viollet Droits réservés Roger Viollet Roger Viollet Lucien Hervé~Arthau4 Roger Viollet Marc Ribond-MagIlllIl1: Roger Viollet '. Roger Viollet Seghers éd,. , Philippe Halsman V.I.P. presse
LE LIVRE DE LA QUINZAINE
L'indifférence, • passion
Georges Perec Un homme qui dort Coll. « Les Lettres nouvelles » Denoël éd., 168 p.
L'indifférence est une passion méconnue. On la décrit en général comme un refus, sans se demander quel bénéfice l'indifférerit tire de ce refus, si ce « non » n'ouvre pas sur un « oui )) caché. Le pari, volontaire ou involontaire, de l'indifférent consiste à croire qu'en négligeant de « faire la différence )), en s'installant dans un état où « tout est égal )), il échappera du même coup à ses propres déterminations. Ce qu'il nie, c'est la négation elle-même, son refus vise tous ces refus quotidiens par lesquels, insensiblement, notre existence se détermine comme fonction gestes ou paroles qui s'engendrent les uns les autres, jalonnant un itinéraire, une ambition, une volonté. Il affirme donc simultanément la possibilité d'une autre vie, d'une vie vraie qui, se situant au-delà de tout projet particulier, prendrait la forme d'une adhésion généralisée.
Naturellement, l'indifférence, comme toutes les passions, est chimérique. Nous pouvons bien, dans des circonstances fugitives, imprévisibles et la plupart du temps très banales, connaître ces « moments d'être)) dont parlait Virginia Woolf ; mais nous ne pouvons pas nous y installer et vivre comme si nous étions déjà morts. L'indifférence, quand elle devient un état, se détruit elle-même.
C'est ce trajet - la conquête de l'indifférence, puis son retournement - que décrit, dans un livre bref et saisissant, Georges Perec. Tombé dans l'indifférence par hasard, son héros en sortira par nécessité : la situation où il se trouve l'y contraint.
Rien de plus facile que de commencer : il suffit de ne pas faire, à un certain moment, le geste que l'on attend de vous. Par exemple, de ne pas se présenter à un examen. A partir de là; tout se défait. La rupture initiale provoque un effet de vide qui n'est pas agréable. « Tu découvres que tu ne sais pas vivre. Tu ne te sens plus s~JUtenu. )) Où trouver de ' nouveaux soutiens ? Egaré, l'indifférent s'accroche d'abord à ce qui l'entoure : sa chambre, les objets familiers. Il continue à accomplir, mécaniquement, les gestes dont il a l'habitude. Mais ces gestes et ces objets ont cessé de jouer, dans sa vie, un rôle ; ils ne désignent plus aucun avenir. Le monde, autour de l'indifférent, se referme comme un cercle. Planté au centre de ce cercle;l'homme regarde, marche, mesurant sa vie nouvelle au rythme d'un temps qui ne conduit plus nulle part, qui se contente de s'écouler. Il coÏncide avec ce temps: cc Minute après minute, heure après heure, jour après jour, saison après saison, quelque chose va commencer qui
La Quinzaine littéraire, 1" au 15 mai 1967.
, Dl.eCOnnUe n'aura jamais de fin: ta vie végétale, ta vie annul4,e )).
La perspective, alors, se renverse insensiblement : on dirait que le vide devient un plein. Les choses, désorientées, révèlent un visage inconnu. Ainsi cet arbre qui, sans doute, ne surgit pas par hasard. On se souvient de celui qui fascinait Roquentin, dans la Nausée. L'arbre de Roquentin était un indicateur métaphysique, le prétexte à une découverte de l'être. Celui que rencontre sur sa route le héros de Perec n'a cc pas de cc morale )) à proposer, ni de cc message )) à transmettre )). Il ne possède que la vertu d'évidence. Disons que c'est un arbre robbe-grillettien : il est là, purement et simplement. Avec une différence essentielle toutefois : c'est que l'évidence, aussitôt aperçue, se propose elle-même en modèle. cc Tu ne seras jamais maître de l'arbre. Tu ne pourras jamais que vouloir devenir arbte à ton tour. )) La première tentation de l'indifférent est de se rendre évident.
Vouloir être évident, c'est vouloir être la chose que l'on regarde. Or la chose se distingue précisément de l'homme en ce qu'elle ne regarde pas. Nul moyen de combler l'écart qui la sépare de nous dans sa présence à nous. L'indifférent, dans un second t.emps, essaiera donc de retourner la situation à son profit en fixant cette présence, en devenant ce qu'il avait d'abord refusé d'être : le maître de la chose. Non pas pour la plier à son service, mais pour la laisser -être au contraire, pour lui permettre de se déployer dans toute son innocence de chose. Il ira de découverte en découverte. Dans l'espace désormais ouvert où il se déplace, libéré de toute attache comme de tout désir, il n'y a plus ni chemin ni but. Il va donc pouvoir isoler les éléments du spectacle, les considérer un 'à un dans leur singularité insolite ; ou bien les combiner autrement, comme les cartes d'un jeu de patience, modifier à sa guise la donne. L'ivresse de l~ domination succède ainsi au repos de l'évidence : cc Maître du temps, maître du monde, petite araignée attentive au centre de la toile, tu règnes ' sur Paris )). A ce stade, l'indifférence révèle sa vraie nature. Elle n'est plus une fuite, mais un mouvement de conquête : l'indifférent se sent cc inaccessible )).
On se doute qu'il ne le restera pas longtemps. L'immunité qu'il croit avoir conquise repose sur la fiction d'une absence. Pour régner sur le monde, il faut imaginer qu'on n'est pas là. Mais cette absence figurée est en réalité une présence qui refuse de s'avouer. Dans un troisième temps, l'indifférent découvre que l'exercice de ' son singulier pouvoir a fait de lui un autre. Cet autre, c'est son œil à lui qui le désigne : cc Tu ne cesseras jamais de te voir )). La
maîtrise absolue est aussi une absolue séparation. Voici maintenant le monde qui se rebelle; l'indifférent se sent pris en chasse, accusé, dénoncé par ses propres sujets. Sous peine de devenir un paria, un de ces c( rats )) dont il découvre la présence à chaque coin de rue, doubles dérisoires et figures
Georges Perec
de son échec, il devra reconnaître la vanité d'une entreprise qui finalement ' n'a rien changé à l'ordre du monde, confesser l'illusion lu pouvoir comme celle de l'évidence. L'indifférence n'est ni triomphante ni désespérée, elle est « inutile )). On ne meurt jamais qu'au moment où l'on meurt, quand il est trop tard pour s'échapper vraiment. Il faut donc continuer:
Cette brève analyse aura peutêtre donné une idée de la richesse du livre de Perec. Mais elle risque de laisser croire que son projet était d'écrire l'histoire d'un indifférent. En réalité, l'entreprise est tout autre. Il s'agit de faire parler l'indifférence et non pas d'en parler. La distinction peut paraître mince. Je la crois essentielle, car elle met en jeu toute une conception de la littérature, aussi éloignée du témoignage ou de la démonstration que du pur exercice verbal. Littérature que l'on pour-
rait appeler eXpérimentale, à condition de donner au mot expérience son sens plein : exploitation méthodique d'une hypothèse.
L'hypothèse, ici, c'est une certaine attitude dont le premier signe révélateur, nous l'avons vu, est l'écart, la mise à distance. D'où l'emploi de la deuxième personne,
qui ne doit pas être pris pour une concession à la mode, mais qui est requis par le projet même de l'écrivain. Ce « tU)) auquel s'adresse le narrateur, c'est évidemment lui-même. Mais un luimême décalé, un lui-même autre, celui qu'il découvre quand commence l'étrange aventure de l'indifférence. Le « tu )) qu'emploie Kafka dans certains fragments (l'un d'eux figure en épigraphe du livre) pour figurer devant lui quelqu'un où il se reconnaît, sans pourtant se, confondre avec lui : homme « neutre )), insaisissable, mais complice, à la fois accusé et victime, que l'œuvre, à partir du moment où elle l'aura fait apparaître - se détachant du silence comme l'indifférent se détache de sa propre vie - ne cessera plus de questionner.
D'où aussi la composition par fragments, et ce morcellement du récit qui va croissant à mesure que
~
3
• L'indifférence, • passIon
méconnue
l'épreuve gagne en violence, que l'étau des questions se resserre, que l'expérience devient plus critique. Ces fragment~ sont autant de scènes possibles, im ssns où le psychanalyste parle de scènes, qui peuvent être réelles ou imaginaires. A partir d'une intuition primordiale, celle du détachement - un détachement qui pourra s'interpréter en termes de refus ou d'adhésion, d'absence ou de présence -, l'amvre - c'est-à-dire, ici, le langage d'un homme qui se met à la question - décrit une série de figures du détachement, qui tantôt se répètent, tantôt se renouvellent, jusqu'au moment où par leur seul 'poids, leur seule accumulation, ces figures finissent par faire basculer la machine.
D'où enfin la métaphore du .sommeil qui gouverne tout ce pseudo-récit. L'homme qui dort est aussi un homme qui rêve. Pareille au sommeil, l'indifférence « absente » celui qui l'éprouve ; mais c'est pour lui faire le don des images. Elle n'est rien d'autre, finalement, que l'exercice de ces images : regard tour à tour inquiet; fasciné, despotique, délirant. Mettre ce regard en mots, lui donner la parole, sans tomber ni dans l'abstraction démonstrative ni dans le pittoresque visuel, exigeait à la fois beaucoup d'art et une grande exactitude. J'évoquais à l'instant Kafka, celui" du Journal, qui écrivait : « Notre ar~, ·c'est d'être aveuglé par la vérité ; seule est vraie la lumière sur la face grotesque qui rec~le ». Mais il y a un autre livre, composé lui aussi par fragments, hanté lui aussi par les figures de l'indifférence, à quoi Un homme qui dort fait souvent penser : les Cahiers de Malte Laurids Brigge. Avec plus de retenue, SUr
un ton plus feutré, miiis Jlon moins persuasif, Perec réussit, comme Rilke, à suggérer la présence, au cœur du monde quotidien, d'un autre monde que seuls peuvent décou"rir, à certains signes discrets, ceux qu'tin accident a placés à côté d'eux-mêmes. n noùs révèle cette « vie à l'envers » qu'un film avait naguère presque réussi à faire passer sur l'écran : histoire, si l'on peut dire, d'un dérangement - mais parole,- avant tout, qui dérange, et à quoi l'on reconnaît le véritable écrivain.
Bernard Pingaud
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La Quinzaine littéraire
ÉDITEURS
Le Seuil
Pour la nouvelle collection théâtrale qu'inaugure Le Seuil, Luc de Goustine a tiré la leçon des expériences du T.N.P., qui vend, en guise de programme, le texte de la pièce, en format de poche et à un prix réduit.
Les ouvrages dramatiques publiés par Le Seuil, au prix de 3 francs, sont censés être vendus dans la salle, à l'occasion de représentations - indépendamment d'ailleurs de la présence des volumes en librairie.
Premier titre : V comme Vietnam d'Armand Gatti, dont la présentation anticipée à Toulouse a perturbé les plans de l'éditeur et l'a obligé a avancer le lancement de la collection.
Suivront : M. Fugue ou le Mal de Terre, de Liliane Atlan, qui entamera bientôt sa carrière dans les maisons de la culture et les centres de province, et ·Ia Butte de Satory de Pierre Halet.
Cette innovation coïncide avec une nouvelle présentation · de la collection « Ecrire » réservée aux jeunes romanciers et qui présente, en format de poche elle aussi, des premiers romans. Elle se substitue ainsi à la revue du même nom que publiait Jean Cayrol - sans périodicité d'ailleurs -et où il a révélé Philippe Sollers, JeanPierre Faye, Claude Durand. Ce dernier prend la direction de la nouvelle sérip.. Des écrivains consacrés : Roland Barthes, Jean Cayrol, André Pieyre de Mandiargues, Jean-Louis Bory ont aidé leurs cadets d'une première série à essuyer' les feux de la rampe.
Flammarion
Les remaniements intervenus 3vec l'entrée de Jeanne Durand au déparlement étranger de la maison portent leurs fruits. Deux ouvrages américains, sortis au cours de la saison aux Ettlts-Unis, sont déjà sous presse. Du premier, . la Mutinerie, de Frank EIIi, les critiques américains ont dit grand bien. L'auteur, dont c'est le premier roman, a passé une grande partie . de sa vie en prison et il a consacré sa réclusion à se cultiver. Le résultat de cet effort, c'est le récit d'une mutinerie imaginaire dans une maison de force. Les rapports ambigus qui se nouent entre les rebelles ou entre ceux-ci et leurs otages sont, semble-til, dans la tradition sartrienne : on est . toujours traître à quelqu'un.
Le second, le Secret de Santa Vittoria, figure toujours sur la liste des best-sellers du New York Times depuis sa parution en septembre. Il est l'œuvre de Robert Crichton et raconte avec humour la lutte menée par un petit village italien pour soustraire à l'occupant allemal1d un vrai trésor : de nobles et dives bouteilles du cru, par milliers.
Flammarion, qui vient également de publier l'épaisse biographie de Sammy Davis Jr" prépare une bombe de printemps : une série dirigée par Bernard Pivot : « Critique des critiques -. Premier titre à paraître : les Critiques de cinéma. Pierre Ajame y part en guerre contre la conception actuelle de la critique cinématographique, de Georges Charensol à ·Michel Cournot.
La même maison entreprend la réimpression d'un ouvrage classique sur Baudelaire : Histoire d'une âme, de François Porché. Il sera présenté de la même façon que le Voltaire de Jean Orieux qui fut un best-seller l'an ' dernier.
Enfi,,; dans une formule plus ou moins inspirée par « L'intégrale - du Seuil, on annonce l'édition complète des Contes de· Grimm.
ROMANS FRANÇAIS
Voyages imaginaires
Simonne lacquemard
Simonne Jàcquemard Navigation vers les îles Nouvelles Le Seuil éd., 190 p.
Le livre commence par une bourrasque et s'achève par la descente précipitée d'un escalier virtuel : « Je me hâtais de le descendre pendant qu'il existait encore. » Car ici, l'espace et le temps du sens commun sont dépassés par une autre expérience - bien au-delà de l'accord qui .d'ordinaire nous rassure entre nos sentiments naïfs, l'enseignement eucli~en et la régularité des horloges.
Ici, la connaissance de l'espace et sa jouissance trouvent à s'exalter. Car c'est bien peu, de se tenir debout, et de sentir sur son visage le vent passer. n faudrait encore profitér des courants pour s'élever, planer, tournoyer; et peut-on se satisfaire de la réponse ordinaire : cc impossible » ? Faut-il s'en contenter alors qu'une expérience cent fois renouvelée, en rêve, nous a fait éprouver ce que c'est que voler, avec une joie si violente, et la force d'une révélation si évîdente que l'écho s'en prolongeait souvent bien après le réveil ? Il I>uffit dans nos rêves d'imaginer fortement ce, que nous voulons pour le saisir. La résignation aux défaillances de notre imagination fait la pauvreté mélancolique de notre grisâtre état de veille.
Simonne Jâcquemard .ne se résigne pas du tout. Et les nouvelles réunies sous le titre de Navigation vers les îles sont autant de victoires éclatantes remportées par l'imagination qui crève l'enveloppe du possible et fait surgir, présentes, réelles, actuelles, utilisables, les formes désirées de cet enverl> du vrai qui ne se livre pas sans qu'on le force.
Simonne J acquemard se transporte avec vigueur dans l'univers fantastique, et s'appuie, pour y parvenir, sur ces intuitions qui ne peuvent tromper, cette connaissance par sympathie du bonheur des oiseaux - cet enthousiasme fa-
mllier à nos rêves, et la force de ce vieux désir qui inspire en nous l'ivresse même d'Icare. Ses personnages, saisis d'un vertige qui les aspire vers le haut, filent vers les étoiles - et quelles étoiles? vers des soleils plus grands que le nôtre - et, devenus oiseaux, plus qu'oiseaux, comètes, éclairs, pour la première fois, dans cette fuite triomphale, ils sont eux-mêmes enfin. Une vibration musicale, extrême, et lumineuse aussi, les habite et les entoure : la joie de la délivrance tire d 'eux un cri surhumain -comme à l'oiseau pris au filet qu'une main secourable rend au ciel désiré.
Le poème aussi peut aider à partir : la vertu fantastique d'un mot, d'un nom, peut être le tremplin - pourvu qu'on soit docile - vers l'espace infini ou le temps révolu. cc Clarence », par exemple, peut conduire jusqu'à la cc Chambre haute » où, à cinq siècles près, on peut voir, éclairé par le feu, Thomas de Lancastre, duc de Clarence, vêtu de cuir, de velours, de fourrure, et rêvant, le visage échauffé, près d'une cheminée dont rien ne reste aujourd'hui. Le voir soupirer, aller et venir par la chambre, dans le crépitement du feu et le froissement des vêtements lourds, c'est le début d'un grand prodige. Mais croiser son regard - et le voir confondu -, être 'soi-même l'apparition et l'impossible pour ce regard de si loin rencontré, c'est le plus aigu et l'extrême des émerveillements de la Chambre haute.
Les retombées - puisqu'il y en a - peuvent être des désastres. Ainsi, la tempête en mer peut venir à rendre au village des monstres arrêtés dans leurs métamorphoses : homme à l'agonie, sur des pattes d'échassier, bête à barbe noire et chapeau enfoncé, objet d'horreur et de pitié, suscitant chez les villageois une curiosité et une peur sans réponse. L'homme, ainsi surpris en pleine vie secrète, ne peut que mourir, dans des soubresauts de muette douleur, sans secours et sans aide, livrant aux humains trop humains l'énigme de ses échasses écailleuses, de sa tête trop grosse, et d'un passé al>sent.
cc Comment est-ce arrivé ? dit la veuve. » Le mourant ne donne pas de suite à une telle question. Comment est-ce arrivé ? Comment arrive l'incroyable? n faut le demander aux spécialistes : à ceux qui savent, comme Marcel Schneider, que notre vie onirique est pour une grande part responsable de ce visage que nous offrons ingénument aux regards des in4ifférents de chaque jour; à Simonne J acquemard qui croit à l'unité essentielle du vrai, et qui refuse les hautes murailles par quoi nous séparons le rêve du réel, l'oiseau de l'homme, le végét81 du minéral, l'intention de l'acte, et le bonheur de .l'espérance du bonheur.
J osane Duranteau
Butor par lui-même Michel Butor Portrait de l'artiste en jeune singe Gallimard éd., 240 p.
G.eorges Charbonnier Entretiens avec Michel Butor Gallimard éd., III p.
Il faudrait peut-être lire Michel Butor comme si l'on venait de découvrir la littérature. Après chacun de ses livres, certains se demandent encore: cc Est-ce bien cela, un roman, un essai ?' » Eh oui, cela pourrait être ce que Butor conçoit. Il me semble en effet que les questions que l'on se pose après la lecture sont celles que Butor se pose avant l'écriture, ou pendant qu'il écrit l'un de ses informes cc brouillons » qu'il donne à ses petites filles pour qu'elles .fassent des dessins. Jamais Butor ne se départ d'une attitude d'élève consciencieux devenu, à force de patience et de ténacité, un professeur de très grande érudition: teute son œuvre pourrait s'intitu-1er: (c la Dialectique de l'élève et du professeur ».
"Les Mille et une nuits"
Il ne cesse de vouloir nous faire partager l'enseignement de ses voyages successifs en Egypte (Le génie du lieu), en Angleterre (l'Emploi du temps), aux EtatsUnis (Mobile, 6810000 litres d'eau par seconde), et maintenant celui que, jeune étudiant, il 'fit en Allemagne et qui semble-t-iL est la clé de tous les autres. Il ne cesse de vouloir nous faire partager également l'enseignement de ses lectures (Répertoire 1 et II) et jusqu'à l'intérieur de ses derniers livres, nous sommes conviés à parcourir avec lui les itinéraires particuliers qu'il emprunte dans Chateaubriand a u x Etats-Unis (6810000 litres d'eau) dans les ouvrages d'alchimie et de cabale (Portrait de l'artiste en jeune singe) mais aussi dans les Mille et une nuits, son livre-repère, puisqu'il procède ' de l'accumulation d'histoires encastrées les unes dans les autres, et peut être considéré comme le premier monument littéraire que l'homme ait élevé pour se protéger consciemment de la menace de mort.
,Il est certain que depuis que l'on a pris conscience en France, et cela n'est pas si vieux, de la stagnation à laquelle aboutit la pratique somnambulique du lyrisme individuel - je veux dire depuis une dizaine d'années, la lecture attentive de Cummings et de Pound-~OUil y ayant aidé, mais aussi la révision à laquelle a été soumise Jlinterprétation des œuvres apparemment" les plus « classiques .. », depuis que l'on sait, en tout cas, que l'organisation des signes obéit elle-même aux lois de
l'inconscient dont l' cc écriture automatique» demeure le moins étanche des filtres, la littérature ne peut plus se lire selon la même CI: prise de vue » (et ne peut donc plus s'écrire, de même) qu'il y a vingt et trente ans. Un livre, comme un film, est un montage, et la plus grande « lucidité » préside à la résolution des contradictions qui engendrent la décision de faire ce montage. Mais tout n'est pas aussi simple qu'on le croit parfois.
Les procédés d'écriture, procédés d 'homophonie et de liaison syntaxique (les substantifs reliés par cc à », tels ceux qui ont permis à Roussel
Michel Butor
d'écrire cc certains de (s) es livres », ou procédés de découpage préalable de la cc matière » verbale, tels ,ceux que pratique couramment Butor, ne sont pas, ne' peuvent être, à eux seuls, l'essentiel des mécanismes mentaux particuliers qui jouent à la faveur de l'écriture. Tout se passe pourtant comme si la formule de fabrication était devenue la cc bonne conscience ,» des littérateurs: cette formule se substituant peu à peu, par son autorité technique, et ses innovations éventuelles, à ce qu'était autrefois le cc message » de l'écrivain.
S'il est passionnant de suivre l'évolution de Butor, comme il est passionnant de ,suivre, très contradictoirement, celle de-Sollers et de Robbe-Grillet, celle de Faye et de Le Clézio, ou, pour soi-même, de découvrir le sens qu'acquièrent certains mots, certains « groupes de mots », dans le contexte de toute une littérature en mouvement, plus exigeante que jamais, plus tournée' 'que jamais vers ce qui la fonde et vers ce qui la bouleverse sans cesse à l'intérieur comme à l'extérieur d'elle-même,
La. Quinzaine lhtéraire, 1" au 15 mai 1967.
on ne peut, on ne saurait plus, je crois, distinguer dans un livre de Butor ce qui le caractérise personnellement en tant qu'œuvre d'un auteur, de l'immense texte dont chacun de nous dispose en regardant... et en lisant tout ce qui se présente sans cesse aux yeux.
Cette littérature qUe certains esprits très naïfs et très retardataires, pour ne pas dire réactionnaires, regrettent de voir cc s'enfermer dans le langage » est tine réalité complètement liée à notre mode de vivre, à notre mode de voyager, à notre mode de parler, à notre mode -de penser. C'est inévitable, bien sûr, s'il est vrai qu'un
eCrIvain qui recherche le dérèglement systématique de tous les sens, par exemple, ou la beauté convulsive, autre exemple, ou la vérité pratique, troisième exemple, sont tous trois déclencheurs de l'histoire, et... déclenchés par elle. En lisant Butor, et tout particùIièrement ce livre où il nous donne un portrait fort allégorique de luimême, on peut se demander c;.>~ndant si ce n'est pas l'histoire ancienne, beaucoup plus que celle que nous sommes en train de vivre. qui le sollicite maintenant le plus. Depuis ce superbe « coup de filet » qu'a été Mobile, où pour la première fois on avait affaire à un t'exte qui était en même temps la description d'un espace contemporain et l'énumération des signes distribués et stratifiés dans cet espace, on dirait que, par le détour de San Marco, à Venise, Butor tente de projeter des significations modernes dans le passé : ce « Portrait » le confirme.
Il a ' tenté, chaque fois, d'entrelacer son texte à un contexte, point contre point, note contre note : les phrases des passants, des touristes,
les inscriptions des monuments, les formules publicitaires, les citations littéraires, etc. Le livre est pour lui le plan horizontal sur lequel viennent se refléter parallèlement les- langages verticaux de la réalité: littéralement, il les intersecte... Cela nous permet, en fait, de comparer plusieurs veines linguistiques différentes et de reconnaître le sens qu'elles prennent historiquement à la lumière les unes des autres. Mais l'exigence de transformation du monde, et donc du langage qui fait partie du nion~ de (Butor le précise bien dans ses Entretiens avec Georges Charbonnier), semble un peu estompée. Nous demeurons dans une bibliothèque, où ' l'on ne songe qu'à changer 1'ordre de classement des livres.
Ce qui me gêne, dans ~ette entreprise dont je vois bien l'ampleur, le systématique envahissement par « degrés » successifs, ce n'est pas l'excès de l'ambition - elle n'est jamais trop grande pour celui qui identifie la pensée au monde -, c'est la paralysie dont elle semble' menacer peu à peu les intentions révolutionnaires qui la fondent. Tout, dans Portrait de l'artiste en jeune singe, sernhle pétrifié définitivement, et les éléments très (lifférenciés qui , le composent par tranches - selon l'habituelle structure en « cassata » chère à l'auteur - sont privés du qIouvement, de l'électricité mentale qui pourrait donner un sel'lS réel à leur
' stratification artificielle. Entre ces mots, entre ces phrases, le blanc ne joue pas comme une force dynamique, mais comme le fond statique d'une toile blanche. Butor pense à tout, dans ses combinaisons les plus savantes (et principalement aux contrastes, aux divergences d'écriture et même de style, autant qu'aux analogies formelles des noms et des choses), sauf à l'énergie qu'elles d~vraient pouvoir créer dans l'esprit du lecteur. A la limite, nous serons bientôt en présence d'une littérature de constat culturel.
Je ne sais s'il m'entendra
Je ne sais s'il m'entendra ... Mais je crois qu'un ecrlvain qui ne dédaigne pas de parler de ses contemporains (puisqu'il s'agit d'une entreprise collective où, encore une fois, la personnalité de l'auteur n'est, 'ne pourrait être seule en cause) ne doit pas se contenter de faire coïncider ses vues avec celles d' cc un autre ». Quant Butor se décrit métaphoriquement, « alchimiquement » comme cc un jevne singe» allant étudier le Mysteri'um Magnum dans un château allemand où on lui demande d'apporter les Demeures philosophales de Fulcanelli, livre pour lequel Butor nous rappelle que Breton s'enthousiasma, nous sommes dé-
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~ Butor par lui-même
crits implicitement comme tels. Comment pourrions-nous accepter . sans broncher une · telle interprétation ? L'écriture ne fait pas qu'imiter: elle crée, elle invente... elle s'égare aussi. Je ne puis croire qu'il n'a que lui-même en tête. Je ne puis croire qu'il se voit, lui, Butor (dont, nous dit-il, le nom signifie mobilier en hongrois) comme le" « singe » de cette « initiation » sans penser à la situation où nous nous trouvions tous, au lendemain de la guerre et où soudain il nous fallait tout reconstruire, pour découv:rir avec précision ce qui devait être détruit, ce qu'on ne devait pas reconstn,lÏre. Le « jeune singe », qui se voit aussi en apprenti aideforestier, dans un costume assez semblable à celui que revêt Martin Heidegger, et qui accepte l'hospitalité du couite W., « qui avait dû quitter ses terr~s des Sudètes lors de la transformation de la Bohème en démocratie populaire » et qui garde dans son château le portrait de .son frère « en uniforme d'officier de· l'armée allemande, avec la croix ·de fer ... mort pendant la campagne de Russie », ce « jeune singe» joycien qui rêve d'une étudiante qui lui demande --;- toujours en rêve - de céder chaque dimanche à un vampire, et qui contemple une collection de minéralogie et les « boules de visée » du chemin de ronde, ce « jeune singe » - là, qui va bientôt enseigner le français en Egypte, sur laquelle il écrira plus tard les belles pages du Génie du lieu, c'est un peu nous-mêmes, à la différence que nous n'avons jamais été l'hôte d'un comte "'. ' en Allemagne et que nous n'avons pas apporté, puis remporté dans notre valise les Demeures philosophales de Fulcanelli. Quels sont ses MOBILES, à lui ?
Un pouvoir privilégié ?
« L'amitié fraternelle ne suffit plus », dit-il à propos des théories de William Penn qui ont contribué à la formation de l'Etat de Peltnsylvanie aux Etats-Unis: en effet., hien que l'amitié soit indispensable et que Saint-Just prévoyait le bannissement de ceux qui n'ont pas 4'amis dans la République future. Est-ce manque d'amitié, cette œuvre? Butor fait comme si la culture lui appartenait, comme s'il en était le dépositaire et le . contesta.teur en titre, comme si son initiation allemande, qui lui a ouvert .les portes de l'Egypte, était la clé d'un pouvoir privilégié, ésotérique, dont il veut bien nous offrir subrepticement quelques clés.
Dérobe-t-il son « secret » au comte ? Quel serait ce secret? Le goût du vin de Tokay dans le flacon qu'il finit par ouvrir sur le ma,nteau de la cheminée? En se remémorant et en citant quelquesunes des exécutions capitales qui ont eu lieu dans le château pendant plusieurs siècles, il finit par ' identifier, ou presque, le comte W.
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à son frère mort en Russie «( Caïn et Abel») et, l'œil droit douloureux, conscient de la nécessité « de fuir, non seulement le château, non seulement l'Allemagne ... » (mais, sous-entendu, la France et l'Europe), il fait ses adieux au comte le lendemain ... Le livre se termine par ces mots: « Comment, après cela, dès la première possibilité offerte, comment aurais-je pu ne pas m'embarquer pourl'Egypte? » Oui, la description de ce château de H. est éloquente, puisqu'à la fin c'est toute la culture européenne qu'elle met en cause, et sa politique du même coup, mais voilà, je me demande s'il y a quelque chose d'autre qu'un « message » en code « personnel » dans ce Portrait, et si l'ambition à laquelle préside la construction d'un tel livre n'est pas mystérieusement détournée de ses fins, beaucoup plus lointaines, j'espère, que l'érection d'un monument à soimême.
La méthode de Butor
Dans ses Entretiens avec Georges Charbonnier, que l'on doit lire pour ' comprendre la méthode de Butor, où le travail d'organisation
ret d'agencement joue évidemment un plus grand rôle que celui de l'écriture proprement dite (le langage étant considéré surtout comme un. matériau, à répartir en tranches de différentes couleurs, un peu comme le polyester pour un sculpteur), on prend conscience que cette œuvre se développe par explorations successives, dirigées de main de maître par un homme qui croit peut-être de bonne foi qu'il est seul à défricher aujourd'hui de nouveaux territoires. Mais est-ce la meilleure façon de transformer le monde par les voies du langage ? Sans doute la lenteur autant que l'ampleur de sa démarche l'empêchent-elles de voir, qu'ici ' et là, autour de lui, d'autres bâtissent des livres « avec d'autres mobiles »... selon des méthodes différentes et à partir d'autres « groupes de mots ». La littérature révolutionnaire ne se fait jamais seule.
En quittant le château d'Argol à la fin du livre de Gracq, Herminien entendait des pas résonner derrière lui dans la nuit glaciale, et se demandait avec terreur si c'étaient ses propres pas <tui se rapprochaient. A la fin, il sentait « l'éclair glacé d'un couteau couler entre ses épaules ». En quittant le château de H., · après avoir fait un rêve où il est banni, Butor n'entend rien : personne ne le suit. Cette menace de mort dont il parle à Charbonnier, nous ne la ressentons 'pas à sa lecture. Pourtant elle existe: pour Herminien, pour Butor, pour tous. Et c'est elle qu'il faut conjurer pour que se forme une vie nouvelle en dehors du « château ».
Alain Jouffroy
Joseph Kessel Les Cavaliers Gallimard éd.. 552 p.
La steppe s'étendant à l'infini jusqu'à donner le vertige, un cavalier poussant une clameur hululante si aiguë, si longue qu'elle semble ébranler et la terre et le ciel, l'Afghanistan sauvage, voilà le nouveau roman de Joseph Kessel. C'est un livre qui vous emporte très loin au galop pour un long voyage. II vous inonde d'images somptueuses, vous secoue par une brutalité orientale. Le dépaysement est immédiat et total.
Un tel roman ne peut être considéré qu'au superlatif car tout y est énorme : le pays, les personnages, l'orgueil, le mépris, la rage et la passion des chevaux. Le lecteur ne peut réagir que d'une façon affective : Kessel n'emploie pas d'artifices littéraires, ce n'est pas un cérébral mais un des derniers virtuoses du roman d'aventures.
Le grand Toursène, comme son fils Ouroz, sont de prodigieux cavaliers d'élite, champions du jeu ancestral appelé le bouzhachi, mélange de tournoi, de course et de rugby : la carcasse d'un bouc décapité est placée dans un trou. Près de là , un cercle tracé à la chaux vive. Très loin sur la gauche (parfois à des kilomètres), est planté un mât, de même sur la droite. Les cavaliers doivent s'emparer du bouc, contourner les mâts, et le vainqueur sera celui dont le bras aura jeté le bouc sans tête dans le cercle blanc. La bataille, la course peuveut durer des heures.
Ouroz va disputer le bouzhachi donné pour l'anniversaire du roi, à Kaboul. Son père lui donne J ehol, le cheval fou, le plus bel étalon. Mais si Jehol est en effet
Jean-Noël Gurgand Israéliennes Grasset éd., 175 p.
y a-t-il, peut-il y avoir dans une vie d'homme une halte - pause fortuite, accidentelle - où l'homme se mesure avec sa solitude,. son destin précaire, son effacement . et sa mort? L'auteur de ce récit - le récitant, devrais-je dire, provoque follement .ce hasard, plus encore en goûte la saveur, se risque hors du temps, hors de l'espace des villes et des champs, hors des lois communes, dans le désert, im· mense tombeau de peuples et de paysages anciens.
Etranger, il vit d'abord de longs mois . à Néot Hakikar, simple ferme de pionniers qu'enveloppe le désert israélien du Néguev. Quand un jour il s'en évade, au volant d'un command-car, pour tenter une dernière randonnée solitaire sur des pistes blanches et brûlées, sans cesse ce Néot Hakikar, oasis et ultime refuge, le rappelle par des souvenirs, les menus faits quotidiens, les tâches communes d'élevage et de culture, les ' chiens, les hommes enfin, compagnons de ' passage en route vers la folie, la mort ou les mirages de la vie « concrète ll.
La mort, surtout, revient sans cesse avec une séduction renouvelée : promesse de paix, d'ombre bienfaisante, d'oubli, et c'est le récit de la mort de la cigogne au col noir, trop longtemps, trop étroitement caressée par l'étrange Ménakhem, c'est le récit de la mort du grand zébu gris éventré par des' barbelés, le récit de la mort d'une hyène qui attire son poursuivant dans une comse impérieuse, secrète et fatale.
Le récit, chant lent et grave modulant une seule note nostalgique et passionnée,
Le grand jeu
le cheval vainqueur, Ouroz ne le monte pas jusqu'au bout : dans une mêlée terrible il se casse la jambe. Mortifié d'avoir été ainsi vaincu, Ouroz s'échappe de l'hôpital avec Jehol et le palefrenier Mokkhi. Pour effacer sa honte, il va prendre un chemin impossible à travers les montagnes, accomplir des exploits surhumains, tandis que sa jambe pourrit. II va aussi mettre tout en œuvre pour susciter chez son palefrenier, un Saïs dévoué, le désir forcené de l'assassiner.
Cette épopée offre à l'auteur une serIe de morceaux de bravoure où le romantisme et le journalisme alternent. Une nuit, Ouroz rencontre dans un lieu désert une vieille tzigane à la voix rugueuse, puis il affronte une caravane de chameaux géants, doit traverser un pont de poutres où J ehol se prend le pied, passe par des défilés où le vent se lamente comme une flûte de pierre .... Va-t-il mourir? Va-t-il être assassiné? L'odyssée de ce héros mythologique se déroule tandis que sur "Ses terres le grand Toursène, tel un Zeus vieillissant, apprend à assumer sa vieillesse .
D'autres personnages: Zéré, la nomade lubrique, voleuse et meurtrière, qui aime être battue et violée, Guardi Guedj, l'Aïeul de Tout le Monde, la vérité et la sagesse habitant un corps qui semble devoir 's'effriter au moindre choc; des scènes de bazars orientaux, de dressages de chevaux, de banquets, de combats de chameaux et de boucs allument d'autres feux sur le passage de ces cavaliers météores au hâle jaune, aux yeux bridés et au l'ictus de loup.
C'est le grand jeu! avec toute la magie des bons romans-fleuves et des mythologies orientales.
Marie-Claude de Brunhoff
Le désert
s'interrompt, après quelques derniers accents précipités où les mots, les thèmes inlassablement répétés se font pressants, sur une brusque chute. C'est le retour amer et résigné vers les hommes et les villes après une épreuve trop forte, la fuite loin d'un pays où l'on ne revient jamais.
Ce pays, c'est le désert, et Jean-Noël Gurgand nous en impose à chaque page, par chaque image et chaque mot, la présence maîtresse. Le désert domine implac:ablement cette poignée d'hommes qui tentent d'y vivre, il estompe les caractères, réduit les individus à des noms, les êtres et les objets à des caricatures, à des images, des reflets d'un insondable mystère. Le désert est le domaine du vent et des « fils du vent ll, ces nomades qui passent furtivement pour y alimenter leur trésor de contes et de rêves. On ne peut s'y fixer, s'y implanter, pas plus qu'on ne s'établit dans la mort, le néant ou la solitude. Il n'y a pas de halte possible dans le désert.
Et c'est ainsi, rapportée avec un charme rude et très attachant, la rencontre d'un homme avec plus grand, . plus profond, plus beau que lui. Cependant le ton du récit reste à hauteur d'homme, pudique et sobre. Nulle trace d'invocation ou d'incantation orientale. L'expérience est vécue - fortement - de l'intérieur. L'auteur reste, en fin de compte, étranger - étranger au sortilège, au désert et même Ml pays d'Israël: « Je ne connais pas Israël », écrit-il abruptement. C'est le grand mérite du conteur d'avoir su ramasser en notes brèves et personnelles un rêve magnifique qui reste proche de nous. Car, le désert, 01: l'éprouve au-dedans de soi.
RRmi Laureillard
ROMANS ÉTRANGERS • • • à Saint Germain : des : Prés .'
Traduit du • sUisse • ouverte de 10 h • à minuit •
Peter Bichsel Le Laitier trad. de l'allemand par Robert Rovini Gallimard éd., 138 p.
« Traduit du suisse », la mention prêterait à rire et, pourtant, « traduit de l'allemand » risque de cacher au lecteur français la vigueur du renouveau littéraire que connaît depuis quelques années la Suisse alémanique. Finis Ica temps où surgissaient les seuls r .. 0m.s de Max Frisch et de Dürrenmatt ! Diggelmann, Federspiel,Yluschg, Steiner sont certes inédits en France, mais après la Dernière Nuit ' (Prix Charles-Veillon 1958) et Monsieur T ourel, d 'OUo Friedrich Walter, voici que paraît enfin le premier livre, plus que prometteur, d'ùn jeune instituteur de trentedeux 'ans, Peter Bichsel, révélatiQn de 1964.
Le Laitier est un volume mince, d'une minceur déconcertante pour une traduction ... de"}'allemand. Bichsel fait fi de l'inflation verbale chère à un Günter Grass comme des recherches d'un Uwe Johnson ou d'un Arno Schmidt. Point de proclamation métaphysique non plus, ni de construction laborieuse d'un sujet scandaleux ou déroutant. Rien que de courts textes, dont le plus long doit bien faire cent vingt lignes, et qui se refusent à être de brillants exercices de style : Bichsel semble être de ceux qui dédaignent de s'affirmer dans l'originalité à tout prix. L'extraordinaire économie de sa langue lui permet d'atteindre en quelques dizaines de lignes ce que d'autres s'essoufflent à poursuivre à longueur de pages: loin d 'être des poèmes en prose, les textes du Laitier sont de véritables histoires, plus suggérées, il est vrai, que racontées.
Le monde dans lequel nous nous trouvons projetés, c'était déjà celui d,e Je ne suis pas Stiller, de Max Frisch : l'idylle de la province suisse, où le temps semble en suspens et toute vie marquée du sceau de l'immuable quand elle est en fait rongée par l'attente et la nostalgie de « l'exotisme ». Mais alors que Frisch avait fait faire le saut à Stiller pour mieux montrer la vanité de sa fuite , Bichsel reste au niveau de la vie quotidienne des petites gens et du grand ennui de vivre. Ses récits sont ceux de l'échec et du rêve compensateur, le rêve du grand-père, par exemple, qui voulait se faire dompteur « pour faire enrager tous ceux qui n'attendaient rien de bon de lui, pour faire enrager tout le monde ». Mais un jour, les lions se sont enfuis de ses rêves, « et avec eux les rêves eux-mêmes ( ... ). Les lions étaient partis sans bruit, grand-père ne s'en est pas aperçu. Il est mort parce qu'il buvait trop. »
A ce niveau de sensibilité, le récit, souvent extérieur, est instan-
La Quinzaine littéraire, 1'" au 15 mai 1967,
tané, tout de pudeur et d'une mélancolie non exempte d'un humour qui frise parfois la sentim~ntalité. Pourtant, jamais Bichsel n'insiste, èt le miracle se produit : ce style de retenue et d'ellipse, loin de pa· raître monotone, nous incite à la confiance, chaque phrase retient notre attention, rien n'est indifférent, et l'on réapprend à lire, confronté à l'un des plus vieux thèmes de la littérature: l'absence de communication.
La solitude est en effet le leit·
Peter Bichsel
motiv de ces vingt et une nouvelles, sans que jamais le mot tombe, mais son équivalent : l'attente. « Le soir, ils attendaient Monika », ainsi commence la nouvelle intitulée « la Fille » ; mais les parents savent qu'un jour Monika prendra une chambre en ville, se mariera, « qu'il n'y aura plus alors de chambre avec un tourne-disque, plus d'heure d'attente », ils mangeront une heure plus tôt, le père lira son journal après le travail. Pourtant, quand ils l'interrogent, à son retour du travail, elle ne trouve rien à leur dire.
Certains textes peignent directement la solitude de personnes seu-
• :~A - t HUNE
les ; dans « le Laitier », la vieille. Mme Blum .souhaite vraiment faire • la connaissance du laitier avec le· • quel elle correspond seulement par • billets puisqu'il livre sa marchan- : dise à quatre heures du matin . • Elle n'aimerait pas qu'il pense du • mal d'elle, mais le laitier, lui,· « connaît Mme Blum, elle prend • deux litres (de lait) et cent gram- : mes (de beurre) et a un pot bosse- • lé ». De même, pour « la Tante », • c'est déjà beaucoup « qu'une .notf:. •
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piano (de maman) sorte du coffre », • • et cela n'arrive que par hasard, par. exemple quand elle passe « le chif- • fon jaune sur' les touches ». En •• .••• .••• i • • • • ••••• « Novembre », la peur envahit ' le. - -
vieillard : « il était paré pour l'hi~ • S'a rv-e' Na' z 1
ver, mais il avait peur; En hiver, on : . . est. perdu ». . ' 1
C'est dans les textes où Bichsel. KAMA-KALA confronte des individus entre eux • ROMA-AMOR qu'il obtient ses meilleurs effets, • qu'il parvient, libéré de la situa- • tion trop immédiate, à un art de : l'implicite qui s'impose par sa pro· • fondeur. Un homme a acheté un • stylo, il l'essaie et écrit sur une • feuille : « Il fait trop froid pour • mOL, LCL. Je pars en Amérique du • Sud ». Sa femme est à une répé- : tition de la chorale paroissiale, il • l'imagine découvrant son mot, elle • rentre ' et demande : « Les, enfants •
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dorment? ». • • • • • .• • • • • • • • • • • • . ' • Nombreux sont les textes à ce • • niveau de réussite, où rien n'est •
explicité et ' qui ouvrent cependant • sur l 'infini d'une histoire humaine • faite de ratés, sans que l'amertume • qui semble guider la plume de Bich. : sel débouche sur la sensiblerie. Une • femme reçoit d 'Italie la lettre atten· • due d'un homme à qui elle est visi- • blement indifférente. Les derniers • fidèles sortis, un pasteur se rappelle, • en vidant le t.ronc, sa prière de : séminariste. Deux amoureux ima- • ginent le dialogue auquel ils ne • parviennent pas. Tout ici est laco· • nisme et sérénité enjo.uée, sans ja- . :
. 1 mais sentir l'artifice.
. 1 Que Bichsel, en revanche, cher- • 1
che, comme dans « Frison », à ex- • primer directement une certaine • nostalgie, la chaleur humaine, à la- • quelle manifestement il aspire, fuit • son récit, un sentiment de malaise • • s'empare du lecteur confronté à un • texte qui n'a pas trouvé son équili .• bre et reste fait d'éléments dispa- • rates . • •
J'ignore ce que sera le roman : qu'on nous annonce et pour un • extrait duquel Bichsel a déjà re- • çu le prix du Groupe 47. Pourtant, • une chose est sûre : avec Peter Bich. • sel , la Suisse alémanique possède • • un véritable écrivain, ennemi de la • facilité et de l'esbroufe, d 'une pré- • sence et d'une profondeur d'obser· • vation et d'expression devenues. rares en notre époque où ce qui • manque le plus est cette naïveté • et cette grâce naturelle dont Bich- : sel nous fait cadeau . Un beau ca- • d~u. •
J ean T ailleur •
La culture, qu~est-ce que c~est?
C'est à cette question que s'efforce de répondre d'abord le livre d'André de Baecque: LES MAISONS DE LA CUL- · TURE, qui vient de paraître. Mais ce livre, surtout, fait le point de l'expérience des Maisons de la Culture, et dégage les perspectives qu'elles' ont ouvertes et peuvent ouvrir, dans le sens d'une culture accessible au plus grand nombre. André de Baecque précise pour nous les origines, les structures, les objectifs, les méthodes, les activités, les répertoires, de ces organismes nouveaux qui sont l'un des signes majeurs de l'évolution de notre civilisation, et une étape essentielle vers la " civilisation des loisirs". En annexe: un précieux dossier documentaire sur les Maisons de la Culture ainsi que sur les centres Dramatiques - Collection "Clés du temps prêsent" - 8,40 F.
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Alors, mon chèr Gombrowicz, il paraît que vous vous croyez structuraliste depltÎs trente ans ?
G.G. Au moins. Depuis Ferdy-'durke. Mais n'oubliez pas que celui qui se veut artiste n'est,pas philosophe, ni sociologue. ,Où donc trouver un terrain commun pour pouvoir comparer les explorations capricieuses et ondoyantes de l'art avec les résultats d'une pensée disciplinée ? Le dénominateur commun ne serait-il pas la façon même de voir l'homme ? La musique de Beethoven est bien différente de la philosophie kantienne, et cependant, existent un « homme beethovenien » et un « homme kantien », qui sont même assez proches, l'un de l'autre. On peut comparer l'homme de Platon avec l'homme , de Balzac, l'homme de Dostoïevski avec celui des positivistes ou l'homme de Ç-oya avec celui de Schopenhauer.
Le structuralisme d'aujourd',hui c'est aussi cela: un homme. Qu'il me soit permis' de dire que cet homme structuraliste m'est apparu déjà avant la &uerre ; je lui ai fait faire bien des pirouettes dans mes romans! Et, de plus, je lui ai consacré quelques maigres commentaires dans mon Journal et mes ·préfaces.
Oh ...
G.G. Sceptique? Vous avez raison !, Mais regardez un peu ce que j'écrivais dans mon Journal (année 1957): «, L'hommè, comme je le vois est 1. créé par la forme, 2. créatèur de la forme, son producteur infatigable». Remplaçons «' forme » par, « structure » ... '
Et quand j'ai lu avant-hier (Pingaud) que dans le structuralisme « on n'agit plus, on est agi, on ne parle plus, on est parlé » c'était comme si j'entendais le protagoniste de mon drame « le M ariage» (année 1947) : « Ce n'est pas nous qui disons les paroles, ce sont les paroles qui nous dise!1:t». Non, ce n'est pas une petite coïncidence in.arginale ; toute mon ' œuvre est enracinée, 'depuis sés origines, dans ce drame de la forme,. Le conflit de l'hoIDli1e avec sa for~e, voilà mon thème fondamental.
A,· , le .
G.G. Mais oui, mais oui, je suis informé. Une CI: structure» structuraliste ce n'est pas ce que j'entends par « forme» et, vous pouvez me croire, j'ai lu par-ci, parlà, un peu de Greimas, Bourdieu, J akobsoD., Macherey, Ehrmann, Barbut, Althusser, Bopp, LéviStrauss, Sai,nt-Hilaire, Foucault, Genette, Godelier, Bourbaki, Marx, Doubro~ski, Schuèking, Lacan, Poulet et aussi Goldmann, Starobinski, Barthes, Mauron et Barrera. Sachez-le, je suis à la page, quoiq1,le je ne sache pas laquelle... il y 'en a trop!
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Je vous suggère cependant : laissons dans le champ épistémologique la Phonétique et l'Anatomie Comparée, et dans le champ philo- ' sophique, la Formalisation si proche, par la voie de l'ontologie formelle, de , l'Articulation, quoique recevant aussi quelque influx de l'apophantique. Non, ce n'est pas de cela que je veux parler. Au fond, il s'agit, je le répète, d'une façon de voir l'homme, et c'est sur ce terrain que mon homme « formel » peut faire quelques cQnfidences à l'homme « structuraliste »... Ce sont tout de même des cousins ! Ne dites-vous pas que l'homme se manifeste à travers certaines structures, indépendantes de lui, comme celles du langage ; qu'il est limité par quelque chose qui le pénètre et le définit en même temps ; que sa vis movens est hors de lui? Eh bien, voilà l'homme qui s'est installé dans mes livres. Voyons donc un peu comment la même tendance fondamentale vers le Formel s'ouvre le chemin dans la pensée scientifique et dans l'expérience turbulente d'une existence vouée, plutôt à des fins artistiques. Voulez-vous que nous parlions' de cela ?
Hum!
G.G. A l'époque de mes débuts artistiques - vers 1930, -on exigeait de l'homme qu'il soit, avant tout, authentique. Et muni des vérités et des idéaux auxquels il devait pleinement s'identifier et même leur sacrifier sa vie .. : Or, je me souviens qu'encore gosse je savais - c'était un savoir spontané - qu'on ne peut être ni « authentique» ni « défini». Cette conviction intime, on la retrouve dans Ferdydurke (1937). Comment ' estil ce héros de Ferdydurke ? Dam son intérieur, il n'est ,que ferme:p.t, chaos, immaturité. C'est pour se manifester à l'extérieur, et surtout en face des autres h«:lmme~, qu'il a besoin de la, forme (j'entends par « forme » toutes nos façons de nous manifester, comme la parole, les idées, les gestes, les décisions, ' actes, etc.). Mais cette forme le , limite, le violé, le déforme. S'exprimant à travers un apparat, déjà établi, des attitudes, des façons d'être, il est toujours falsifié, .. il se sent act~:ur. La forme, c'est le costume que nous mettons pour couvrir notre
. honteuse nudité ! ... et surtout pour paraître devant les autres plus « mûrs» que nous sommes.
Elle se réalise donc, notre forme, surtout dans l'interhumain... On arrive par là à une certain relativisation de l'homme. Avec une personne, je suis noble, avec une autre lâche, avec une sage, avec une autre stupide (j'espère que ce ne sera pas notre cas, cher monsieur). De sorte qu'on peut dire que je suis ,à chaque instant « créé' » 'par les autres.
Chez les structuralistes, c'est tout . autre chose : eux, ils cherchent I~urs structures dans la culture,
'GOJD. brolMicz': « J" étais
moi dans la réalité immédiate. Ma façon de voir était en rapport direct avec les événements d'alors : hitlérisme, stalinisme, fascisme ... J'étais fasciné par les formes grotesques et terrifiantes qui surgissaient dans la sphère de , l'interhumain en détruisant tout ce qui était jusqu'alors vénérable.' C'était comme si l'humanité franchissait un certain stade de développement et entrait dans un autre: celui d'une consciente élaboration de sa forme. L'homme désormais pouvait « se faire », on fabriquait à volonté les vérités, les idéaux, les fanatismes et même les sentiments les plus intimes ... L'homme m'est apparu comme une abeille, sécrétant sans cesse non le miel mais la forme. Il se modelait dans le vide. '
Ti.
G.G. Quelles structures ! Moi" structuraliste anonyme et effrayé, je lui criais à cet homme nouveau, déchaîné : Prudence ! Distance ! Distance envers la forme ! Sois rusé, 'sois prudent, ne t'identifie jamais entièrement avec ce que tu fais de toi! Hélas! même après la guer~e, l'humanité n'avait pas l'air de suivre mes conseils. En France, le marxisme d'une ' part, l'existen-
Wituld Gombrowicz
tialisme de l'autre; se sont mis à organiser l'homme à travers le inonde et le monde ,à travers l'homme. L'unique avantage que j'ai tiré de mon attitude était de nature personnelle et artistique. Ma « distance envers la forme» m'a procuré dans mes œuvres ce qu'on appelle, un peu pompeusement, une « liberté créatrice» vraiment excitante.
Ta.
G.G. Et permettez-moi d'ajouter que cette notion de la forme, appliquée directement à la réalité humaine, ouvre d'intéressantes perspectives. Il ne s'agit pas seulement du fait qu'avec X je Iil.e suis pas le même qu'avec Y, ou que dans une certaine structure hu~aine (l'ar-
mée) je tue un homme avec plus de facilité que je tuerais une mouche dans une autre (famille). Non, il y a bien plus : les initiations, les inspirations, les découvertes, les combinaisons, les jeux qui nous attendent sur ce chemin sont, à mon avis', passionnants et instructifs.
Il me semble, donc, qu'il ne serait pas bon qu'un structuralisme scientifique limite cette notion plus ample, plus directe, plus immédiate de la forme humaine. D'autant plus qu'il serait trop triste de se . diluer dans l'objectivisme.
Ah ! Foucault a raison, de son point de vue, quand il annonce l'éclipse de l'homme, sa liquidation graduelle. Oui, l'homme disparaît, mais seulement pour lui, Foucault, dans le champ strict de sa théo~ie. Mais est-ce qu'une formule peut être autre , chose qu'une formule" ? Attention, messieurs, ne ' permettez pas que cette espèce de trou qui se laisse voir dans vos raisonnements ne vous engloutisse à la longue. , Dans les sciences exactes, on peut penser contre la ré~lité quotidienne, personnell,e, la plus évidente' ; il n'en va pas de même dans les sciences humaines. Ici, cette, méthode vous conduira à une situation, je le crains, aussi gênante , qu'artificielle', 'en vous obligeant à 'contredi-
re du matin au soir votre théorie par votre pratique. Exemple ? Foucault se propose de détruire l'homme, dans l'épistème. Mais pourquoi? Pour s'affirmer ,dans sa personnaÎité, pour gagner sa bataille avec les autres philosophes, pour devenir un homme éminent. Nous voilà de nouveau dans la réalité « simple ».
J'admire la science et d'autant plus que je suis un ignorant (comme vous, messieurs, et comme So-, crate), mais je crains que ce petit mot « je » ne se laissera pas éliminer, il nous est imposé avel) trop de brutalité.
Excusez-moi, maître, mais vous avez dit que l'homme est toujoJ.l.rs inauthentique et ne peut jamais être lui-même ? Alors ?
structuraliste avant tout le lIlonde» G.G. Eh bien oui. Malgré cela,
j'ai toujours été obligé d'affirmer mon « moi» dans ma littérature avec la plus grande énergie. Dès que je voulais le rejeter, il revenait tel un boomerang. Rien à faire! Impossible ! Sans « je » ça ne marche pas. Mais qu'est-ce alors que ce « je » qui n'existe pas et qui vous accapare ainsi? Je me suis dit que c'est uniquement ma volonté d'être moi-même qui soutient mon « je ». Je ne sais pas qui je suis, mais je souffre quand on me déforme, voilà tout.
Cependant, si vous le permet~ tez, je voudrais encore vous chuchoter à l'oreille - toujours en ma qualité de personne de « l'autre bord », non celui de la théorie, mais celui de la pratique ; . l'art c'est cela -, vous chuchoter, dis-je, quelque chose de.~. terrifiant. Il y a, ' voyez-vous, un seul élément dans tout l'Etre... anti-humain .. . impossible... vraiment unique .. . incroyable... et réel, oh, réel... Vous pâlissez, cher ami, vous avez deviné. Oui, c'est ça : c'est la Douleur. Il se pourrait que le talon d'Achille des sciences humaines (et aussi de l'existentialisme sartrien) ' soit sa relation trop flegmatique, dirais-je, et trop olympienne, avec la Douleur. On raisonne trop tranquillement sur l'homme. Vous faites avec lui 1 ce que vous voulez. Le jour où' la Douleur s'introduira dans votre pensée, vos structures 'deviendront plus.. . difficiles... plus douloureuses ...
Il faut avo~:r peur de la forme
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G.G. Laissons. Il y a . encore quelques confidences que je voudrais . faire aux structuralistes en ma qualité d'outsider. Ceux qui ont lu . mes romans et mon J'ouTnal S:e souviennent peut-être de cette « Immaturité » qui s'oppo- . se, dans l'homme, à la forme. Etre « non mûr », qu'est-ce que cela' signifie, . exactement ? C'est être sous-développé, inférieur à la plénitude de ses possibilité~, de son « maximum », être « pas tout à fait ». Seul ce qui est mûr se prête à l'extériorisation ; dans notre réalité intérieure, privée, nous sommes l'immaturité. Oh! les idées dans l'art ! Ce n'est pas grand-chose, c'est un échafaudage, rien de plus... Si j'ose, cependant, attirer votre attention sur cette ' idée de l'immaturité, c'est parce qu'elle vise une antinomie qui devient pour nous tous, spectateurs admiratifs du grand match de la pensée contemporaine, de plus en plus gênante... scandaleuse même... On pourrait la formuler ainsi:
Plus c'est intelligent, plus c'est stupide.
il faut que je m'exprime avec une certaine spontanéité, ingénue sans doute, oui, ingénue, mais nécessaire... « Intelligent et stupide » c'est cela ,que je sens, que nous sentons, en face de ce colloque si docte, si sérieux, qui se déroule devant nous. Or, cette « stupidité » qui constitue le revers de notre « sagesse », c'est, je le · crois, un des grands problèmes de notre temps. Comment se fait-il que Kant lui-même (pour ne pas parler de structuralisme) peut être pour nous à la fois sagesse et stupidité ? Parce que toute . sa Critique est un effort surhumain pour arriver à Une sagesse, qui est le but, non le point de départ.
W ,,:told Gombrowicz
Je m'excuse ! Je ne voudrais pour rien au monde manquer 'de respect à qui que ce soit ! M~ .
Kant était un « non mûr » qui se voulait mûr. ,Et comme, de même, chacun de nous cache ses imperfections et se manifeste dans ce qu'il a de plus achevé, toute notre culture ne cesse de monter vers le ciel, tandis que nous restons en bas, le nez en l'air. Et si elle est au-dessus de nous, nous sommes en ·dessous ... .
. NCfUS nou~' exprimons donc dans un langage ct: supérieur» qui n'est
La Quinzaine littérajre, 1"' ~u 15 mai 1967.
pas le nôtre ... Faut-il vraiment démontrer le tragique de cette situatiori à tous ceux ' qui, à la sueur de leur front, essaient d'écrire 'ou de lire notre littérature... qui, désespérés, fréquentent les concerts ou les expositions ? Ou à ceux qui participent ·à la discussion actuelle à propos de la « nouvelle critique », du « nouveau roman » ? J'affirme : on comprend peu, on n'assimile pas assez, ça devient chaque jour plus hermétique, plus irréel. La situation, je le répète, est extrêmement sérieuse. Un cri d'alarme, même ingénu comme le mien, est préférable à un silence complice. Ce quiproquo ne peut pas durer, si nous ne voulons pas
être précipités dans une immaturité spécifique, sous-produit d'un excès de raffinement intellectuel, impossible à digérer.
Chut!
G.G. Effrayé ? Voyez - vous, cette tendance à l'immaturité, à l'infériorité, elle est également soutenue par une « structure », qui ne me paraît , pas du . tout né-
gligeable : c'est l'interdépendance, au sein de l'hwn,anité, des âges, des sexes, des phases de développement. Homme ? Quel homme ? Adulte, vieux, jeune, femme, enfant ? Il n'y a pas d' « homme » en soi. Et, comme nous nous créons mutuellement à travers la forme, il faudrait admettre que l'adulte, tout en formant le jeune, est aussi formé par lui. De quelle manière?
Nous voudrions tous être jeunes, hé, Tourroutaire ? La jeunesse, c'est la phase ascendante' de la vie, fleurissante, tandis que . l'âge mûr, c'est le début de la mort. Nous sommes donc voués d'une façon étrange à ' deux désirs contradictoires. Nous aspirons à la maturité, la force, la sagesse de l'âge mûr, en même temps nous avons un penchant irrésistible vers la jeunesse. Mais la jeunesse est l'infériorité. Etre jeune c'est être moins fort, 'moins mûr, moins sage. Voilà une contradiction surprenante. En un sens, l'homme se .veut parfait ; il se veut Dieu. En l'autre, il se veut jeune, il se veut imparfait.
L'homme adulte est' donc entre Dieu et le Jeune.
Le jeune est dominé par l'adulte, mais l'adulte est fasciné par le jeune. La beauté, le charme et la grâce sont du côté de la jeunesse, elles sont puissamment liés à l'infériorité.
On en pourrait parler longuement, cet amour secret de la dégradation èst un thème inépuisa~ ble, riche d'une poésie violente. Mais ce qui nous intéresse ici c'est que l'immaturité :p.'est pas uniquement subie par l'homme, elle est aussi voulue ... Nous nous aimons ainsi... Oui, .il est temps de mettre un peu d'ordre dans ces confessions ...
Moi, plutôt artiste, donc ,lilettante, je ne prétends pas envahir le domaine de la science, ni de la philosophie. Cependant, les nécessités d'une époque, 'ses tendances profondes, peuvent se réaliser par des voies différentes : celles du raisonnement aussi bien que celles de la vision artistique. Je crois que le structuralisme et moi, . nous sommes dans le même courant ... m6n « homme » est apparenté au sien ... je me suis donc •. permis de le présenter. Le voilà. Il parle un langage différent du vôtre, mes:. sieurs les pr~fesseurs ? D'accord. Malgré tout, il a quelque chose à vous dire : 1. Cherchez vos antinomies ; en parlant de l'Universel, de l'Abstrait, de l'Humanité, de la Culture, n'oubliez pas la Forme humaine dans son aspect concret, immédiat, telle qu'elle. apparaît produite par l'individu. 2. « Je » a 1a ' vie dure. 3. Méfiez-vous de la DouÏeur, c'est le tigre qui vous , menace. 4. Méfiez-vous de l'immaturité qui gît, secrète, au cœUr de votre maturité.
.Propos recueillis et transmis par Witold GombrowiCz ·
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ESSAIS
Jean Pierre Faye Le Récit hunique Collection « Tel Quel» Le Seuil éd., 337 p.
Du côté des Palus Méotides (aujourd'hui mer d'Azov), des Huns chassaient la biche et, la poursuivant, ils franchirent le pas qui les séparait d'un autre monde - dont ils se hâtèrent de revenir conter au pays les merveilles. Cette brève histoire - qui en introduit d'autres, et sur laquelle il faudra revenir - ouvre le récit, dès lors hzmique, que Jean-Pierre Faye nous fait d'une certaine expérience du récit qui imprime, au long des trente-neuf essais de son livre, le tracé d'une précise et périlleuse fonction qui n'arrête pas de bouger et compose, par ' là, le récit, unique celui-là, où se rejoignent ces textes improvisés au cours des trois dernières années.
Récit enjoué, joyeusement polémique, fragmenté à travers la diversité des (pré) textes, mais qui se dégage, peu à peu, par des prélèvements, des greffes - une cita~ tion, une phrase, un nom, un mot - qui font le lien d'un texte à J'autre ; ou encore par des sauts de côté qui, parfois de manière inattendue, enchevêtrent les fils de deux narrations jusque-là distantes, qui avouent soudain leur parentèle. Récit qui articule, suivant cette méthode, les genres, les écoles, les époques, les noms et les théories littél:aires, pour les amener à parler cette narration au second degré - qu'il faut dire, faute de mieux, idé010gique - où s'enlacent, dans le fil de l'histoire, le futurisme italien et l'expressionnisme allemand, le dadaïsme helvète et le formalisme russe, Brecht et Artaud, l'acerbe abbé Gassendi et Je rude gentilhomme Descartes, Calderon et Solle~s.
Il y a, dans la lecture de ce livre, un plaisir étrange, pareil à celui que l'on peut prendre à la lecture d'un index alphabétique ~ écouter la fable où notre hist~ire se prend pourrait donc se réduire à l'énumération des noms d'auteurs ou d'écoles qui s'y trouvent récités. Comme si lc tJavail même du critique se résumait dans ce mouvement de perversion infini des noms! : Homère, Hopkins, Apulée l'Algérien, Charles Sorel, Musil, Barthes, Meyerhold, Hitler, ~ Tynianov, Kurt W oIff, Epicure, Kafka, Proust, Valéry, Marx, Queneau, Jakobson, Pound, Godard, ·:Artaud le Momo, Brecht, Chklovski, Raymond Roussel, Beckett, Aristote le Macédonien, Max Planck, Gropius, Klossowski, Césaire l'Antillais, Sartre, Robbe-Grillet - tous, c'est par leur nom d'abord qu'ils nous parviennent, qu'ils commencent de se raconter (et cet instant. où le récit commence ---". de minuscules commencements, d'où procèdent certaines dangereuses détonations, dit Faye - ' cet instant-là est au cœur
'0
A la poursuite de la biche
de la physique du récit). Parler (de) la littérature, c'est articuler certains de ces noms-là, les déplacer, risquer certains voisinages, certaines collisions. C'est comme une rhétorique de 1 'histoire que propose cette lecture, habile à repérer les narrations, parallèles ou inverses, et "leurs chiasmes où, par exemple, Brecht et les formalistes russes se trouvent coïncider un instant, de même Brecht et Artaud devant le théâtre oriental, ou Sartre et RobbeGrillet lorsque leurs trajectoires s'inversent, de l'imaginaire aux choses et des choses à l'imaginaire.
Dans cette « fabuleuse critique », l'histoire et la littérature se découvrent intimement unies. Non pas au sens où le croit la critique historienne, mais comme deux séries parallèles, deux strates d'un procès
Jean-Pierre Faye
de langage tout à fait général. L 'histoire du roman - les aventures du récitatif - est saisie à l'intérieur d'une histoire des signes, d'une histoire de la communication. C'est en ce point que les Huns se retrouvent, revenus au pays, appelés par la seule et innocente impatience de raconter qui entraÎnera, avec elle, un étrange précipité historique .: une révolution (puisque les Huns, excités par ces discours, créeront bientôt la France - et le français). S'il y a ce rapport plus d'une fois noué par Faye dans sa chronique, de la révolution au récit, c'est que la révolution s·'annonce, dans un récit, comme un récit qui va commencer, aléatoire, encore, soumis à ce demain joueur que Maurice Blanchot vient de désigner comme l'avenir (à-venir) de toute écriture ; c'est que la révolution, comme le récit, est ce tracé furtif, à peine esquissé, qui s'efforce - dit Faye - de capter l'air du temps, d'inscrire à mesure le profil de quelque chose qui reste absent, qui est là-bas. Cette diction du récit est pré-diction. Le récit hunique ruine, de la sorte, la plate
. dichotomie de l'art pour l'art et de la littérature engagée. Le formalis-
me ne signifie aucunement le refus de l'histoire : la « forme », mais c'est l'histoire en même temps ! C'est ce commencement biaisé qui va tout amorcer. C'est la limite du contenu. Ce qui le découpe et lui donne contour: ce qui l'allume.
Cette articulation des « séries » littéraire et historique' entre elles, c'est ce que Faye a choisi de nommer matérialisme sémantique, puisqu'il est aux productions de la littérature ce que le matérialisme dialectique entend être à celles de la nature et de l'histoire (ce matérialis,me sémantique étant, d'ailleurs, promis à coiffer la dialectique, s'il est vrai que le langage définit le procès social dans sa totalité). Sans doute est-ce là, sinon 'dans son principe - qui n'est ici que suggéré -, du moins dans les définitions partielles qu'elle engendre (notam-
ment p. 293-294), la tache aveugle de ce recueiF. Il s'agit, dans la proposition de matérialisme sémantique, de montrer comment a lieu le couplage de l'action et du récit, traversés identiquement par le sens (la littérature, le récit littéraire étant seulement - notons au passage cette restriction - le plus sourd et le plus scintillant de tous les tracés interdépendants qui constituent le langage et la société ; le plus autonome aussi, reconnaît Faye, mais par l'effet d'une générosité surgie comme deus ex machina). Ce qui conduit à l'affirmation : la littérature ? C'est pouvoir dire par quels signes notre réalité vient vers nous. Disons-le net : il nous gêne ce mot de réalité qui reparaî! soudain, connoté par son parent redoutable, réalisme, dans le discours formaliste. N'est-ce pas plutôt avec la question de sa « vérité », de sa véri-dicité que.la fiction est aux prises, inlassablement? Et, est-ce toujours, nécessairement, en avant de nous qu'elle s'en va tissant le sens ? Ne s'épuise-t-elle pas aussi à exhausser cette voix antérieure qui parle tout au long de la Recherche proustienne ou dans le saccage que fit une certaine His-
toire de l' œil à l'intérieur de la bio-graphie de Georges Bataille ? N'est-ce pas aussi le travail de la fiction que ce langage-là, rebrous- ' sé sur lui-même, exorbité hors de toute vraisemblance, hors de tout calcul « réaliste » ? Et quelles sont ses adhérences ?
Il est, d'ailleurs, plus d'une « définition » de la littérature dans ce Récit hunique. Notamment, dans Fête, la dernière partie du volume, la plus libre, la plus belle, où l'écriture se trouve désignée comme cette fête fermée qui n'a pas de fin, mêlant à l'infini prose, prosodie, théâtre - les formes où se diversifie le récitatif. D'avoir saisi de la sorte, dans le tissu mouvant de sa chronique, cet être de la liuératare comme récitatif - ce qui est sûrement l'une des propositions les plus stimulantes de son livre -Faye est conduit à ébranler toute distinction de genres littéraires. Sur la page, comme couleurs pliées, prose et prosodie se nouent étroitement dans le même' geste par lequel une écriture se risque à découper ceci dans le noir de la langue, à tracer comme au-dedans d'elle-même cet inscape dont parle Hopkins (que Faye cite avec bonheur) et par lequel il désigne le mouvement même de métamorphose de l'écriture. Et, cette fête sur laquelle se clôt le f{écit hunique, symboliq:uement, c'est au théât:;:e qu'elle a lieu - dans ce « théâtre» justement rapproché dans son etymon de la « théorie» où toute écriture, aujourd'hui, est prise.
Fête, doublant le jeu du monde comme autrefois les Pythiques, les Olympiques ou les Néméennes où parlait Pindare, aujourd'hui muettement hantée par la folie d'Holderlin, celle de Pound ; et après eux par un flot de paroles nomades. Fête aux dimensions de la ville babélisée où nous sommes, par laquelle Faye vient à désigner cette autre fiction qui nous anime : celle d'une résidence où communiqueraient les langages. Comme il y a résidence, par exemple - lieu où l'on venait d'un peu partout, donner forme à ce qui allait commencer -, lorsque les Huns sont revenus, que le soir tombe, qu'à la veillée tardivement ils s'aventurent à répéter ce que fut, ce que ne fut jamais, leur voyage pardelà les Palus Méotides, à la poursuite de la biche et des mots, des noms et des livres.
Henri Ronse
1. Perversion qui doit opérer dans le plein du nom propre et non pas, comme chez .Sartre, insinuer une douteuse « familiarité» par le recours au prénom: le petit Charles, le petit Gustave et le petit Jean sont déjà Beaudelaire, Flaubert ou Genet. C'est ce nom-là qu'il faut apprendre à lire. 2. Il est étrange que le désir, parfaite.ment justifié, de rendre compte, par la forme même, d'un certain cheminement de l'écriture à l'intérieur de l'histoire, conduise le récit du formaliste Faye à s'imbriquer dans celui du très dogmatique· Roger Garaudy, lorsqu'il vient à parler de réalisme sans rivage ~. 193).
UN CONTE D'ISAAC BABEL
Les Contes d'Odessa, publiés par Isaac Babel en U.R.S.S. après Cavalerie rouge, n'avaient jamais été traduits en français - sauf dans quelques revues. Les éditions Gallimard vont réparer cet incroyable oubli. Nous avons choisi dans le recueil actuellement sous presse la nouvelle ci-après. Elle fera amèrement regretter la disparition - par les soins de Staline - d'un grand écrivain des années héroïques de la Russie soviétique.
Guerchkovitch était sorti de chez le commissaire le cœur gros. On lui avait déclaré que s'~ ne quittait pas Orel par le premier train, il serait expulsé sous escorte. Mais partir, cela signifiait manquer son affaire.
Sa serviette à la main, gringalet et peu pressé, il suivait la rue sombre. Une haute silhouette féminine le héla à la hauteur du coin:
- Chéri, tu viens ? Guerchkovitch leva les sourcils, la regarda
à travers ses lunettes étincelantes, réfléchit un instant, puis répondit d'un ton posé:
- Je viens. La femme le prit par le bras. Ils tournèrent
au coin de la rue. - Où est-ce qu'on va ? A l'hôtel? - Il faut que je passe la nuit chez toi,
répondit Guerchkovitch. Ça fera trois roubles, mon petit père. Deux, dit Guerchkovitch. C'est pas un compte, mon petit père ...
Ils se mirent d'accord pour deux roubles et demi, et poursuivirent leur chemin.
La chambre de la prostituée était petite, propre, avec des rideaux déchirés et un abat-jour rose.
Quand ils furent entrés, la femme ôta son manteau, déboutonna son corsage ... et cligna de l'œil.
- Eh ! dit Guerchkovitch avec une gri-mace, quelle sottise !
- T'es pas commode, mon petit père. Elle s'assit sur ses genoux. - Vous devez bien faire vos quatre-vingts
kilos, fit Guerchkovitch. - Pas tout à fait.
. Et elle plaqua un gros baiser sur sa joue aux poils grisonnants.
- Eh, je suis fatigué, et Guerchkovitch fit à nouveau la grimace.
La prostituée se leva. Son visage était devenu mauvais.
- Tu es juif ? Il la regarda à travers ses lunettes, et ré
pondit: - Non. - Petit père, proféra lentement la pros-
tituée, ça fera dix roubles. Il se leva et se dirigea vers la porte. - Cinq, dit la femme. Guerchkovitch fit demi-tour. - Fais-moi le lit, dit lé Juif d'un ton las;
il ôta son veston et chercha du regard un endroit pour l'accrocher. Comment t'appellestu ?
- Marguerite. - Change. les draps, Marguerite. Le lit était large, avec un édredon moelleux. Guerchkovitch commença à se déshabiller
lentement; il retira ses chaussettes blanches, redressa ses orteils en sueur, ferma la porte à clé, mit la clé sous l'oreiller, et s'allongea. A ve~ Je petits bâillements, Marguerite ôta sa robe sans hâte, loucha pour presser un bouton sur son épaule, et se mit à tresser pour la nuit sa chevelure peu fournie.
Comment t'appelles-tu, petit père? Elie, Elie Isaacovitch. Tu es dans le commerce ?
La Quinzaine littéraire, 1"' au 15 mai 1967.
Elie Isaacovitch et Marguerite Prokoflevna
Isaac Babel
- Notre commerce ... , dit -.Guerchkovitch d'un ton v.ague.
Marguerite souffla la veilleuse et se coucha ... - Dis donc, tu es bien en chair, dit Guerch
kovitch. Ils s'endormirent rapidement. Le lendemain matin, la lumière vive du
soleil inondait la pièce. Guerchkovitch se réveilla, s'habilla et s'approcha de la ~enêtre.
- Chez nous c'est la mer, chez vous c'est les champs. C'est bien.
- T'es d'où? demanda Marguerite. - D'Odessa, répondit Guerchkovitch. C'est
la première ' des villes, c'est une bonne ville. Et il sourit avec malice.
- Tu te sens bien partout, à ce que je vois, dit Marguerite.
- C'est juste, répondit Guerchkovitch, on est bien partout où il y a des gens.
- Ce que t'es bête, dit Marguerite, en se soulevant sur le lit. Les gens . sont méchants.
- Non, dit Guerchkovitch. Ils sont bons. On leur a appris à penser qu'ils étaient méchants, et ils l'ont cru.
Marguerite se mit à réfléchir, puis elle sourit. - T'es un marrant, proféra-t-elle lente
ment, et elle l'examina avec attention. - Tourne-toi, je vais m'habiller. Ils prirent ensuite le petit déjeuner : du
thé avec des craquelins. Guerchkovitch apprit à Marguerite à beurrer des tartines et à mettre du saucisson par-dessus d'une certaine façon.
- Goûtez voir; moi, il faut que je m'en aille.
En partant, Guerchkovitch dit : - Voici trois roubles, Marguerite. Croyez
moi, il n'est pas facile de les gagner. Marguerite sourit. - Espèce de pingre_ D'accord pour trois
roubles. Tu viendras ce soir? - Oui. Le soir, Guerchkovitch apporta le dîner :
du hareng, une bouteillè de bière, du saucisson, des pommes. Marguerite était vêtue d'une robe sombre, fermée au ras du cou. Tout en mangeant, ils se mirent 'à parler.
- Avec cinquante roubles par mois, on ne peut pas s'en tirer, disait Marguerite. Dans ce métier, si on s'habille à bon marché, on ne gagne rien. Je paie quinze roubles pour la chambre, tu n'as qu'à faire le compte ...
- Chez 'nous à Odessa, répondit Guerchkovitch après avoir réfléchi, tout en déëoupant soigneusement le hareng en parties égales, on a pour dix roubles une chambre princière sur la Moldavanka.
- Et n'oublie pas qu'il y a .foule chez moi; les ivrognes aussi, faut les accepter ...
- Chacun ses ennuis, dit Guerchkovitch, et il se mit à parler de sa famille, de ses mauvaises affaires, de son fils, pris pour le service militaire ...
Marguerite écoutait, la tête posée "sur la table, et son visage était attentif, doux et pensif. '
Après le dîner, quand il eut ôté 'son veston et soigneusement essuyé ses lunettes avec un bout de chiffon, il s'assit devant la petite table et, approchant la lampe, se mit à écrire des lettres commerciales. Marguerite se lavait les cheveux.
Guerchkovitch écrivait sans hâte, levant les sourcils avec . attention. Par instants, il s'arrêtait pour réfléchir, et en trempant sa plume dans l'encrier, il n'oublia pas une seule fois de la secouer po~r enlever l'encre superflue. . Quand il eut fiÏli d'écrire, il fit asseoir Marguerite sur son registre.
- Vous êtes une dame de poids, pas vrai. Asseyez-vous, Marguerite Prokofievna, je vous en prie.
Guetchkovitch sourit, ses lunettes étincelèrent et ses yeux devinrent brillants, petits et rieurs.
Le lendemain, il partait. Tandis qu'il faisait les cent pas sur le quai, quelques minutes avant le départ du train, Guerchkovitch aperçut Marguerite, qui venait rapidement vers lui, un petit paquet à la main. Le paque~ contenait des petits pâtés, et des taches de· graisse avaient traversé le papier.
Marguerite avait le visage rouge, pitoyable; l'essoufflement de la marche faisait se soulever sa poitrine.
- Bien le bonjour à Odessa, dit-elle, bien le bonjour ...
- Merci, répondit Guerchkovitch. Il 'prit les petits pâtés, haussa les sourcil!?, réfléchit. un instant, et son dos se voûta.
La troisième sonnerie retentit. Ils se. tendi-rent la main.
- Au revoir, Marguerite Prokofievna. - Au revoir, Elie Isaacovitch. Guerchkovitch monta dans le wagon. Le
train démarra. Traduit du russe par
A. Bloch et Minoutschine
---~"'-'''-'~ ....... ~~-- -- - ----.. .. ... ... ... . . . ;eront alors, dans le domaine de la littérature -~e seul où l'écrivain puisse œuvrer -, révoluionnaires?
« L'écrivain, a dit encore Marx (Débats sur ~ liberté de la presse - La Gazette Rhénane, L842), ne considère nullement ses travaux ~omme un moyen. Ils sont des buts en soi, ils sont si peu un moyen pour lui-même et pour les autres qu'il sacrifie son existence à leur existence, quand il le faut, et que, d'une ~utre manière, comme le prédicateur religieux, :l se plie au principe: Il obéir à Dieu plus qu'aux rwmmes », aux hommes parmi lesquels il est ~onfiné lui-même avec ses besoins et ses désirs ,J'homme. »
Je ne peux dire que « ma » réalité - qui; naturellement, enclôt sans distinction aussi bien mon '« vécu » que mon « imagipaire ». Ce[Jendant, homme parmi les hommes, avec mes besoins et mes désirs d'homme, ma réalité, {Uoique particulière, est un fragment .de l'unirersel. Mais ç'est seulement s'il obéit excluIÏvement à son dieu, en d'autres termes au ilngage, que mon dire, alors, concernera tous ès hommes et pourra peut-être ainsi s'inscrire laIlS la révplution toujours recommen~ .du nonde.
Claude Simon
13
'UN TEXTE INÉDIT DE CLAUDE SIMON
Du 24 au 26 avril s'est tenu à Vienne, sous les auspices de la Société autrichienne de Littérature, un colloque réunissant des écri- ' vains de l'Est et de l'Ouest sur le thème : « Littérature : tradition et révolution. » Voici l'essentiel de l'intervention de Claude Simon, invité à participer à cette rencontre.
Selon qu'il est employé au pluriel ou au singulier, le mot tradition recouvre des réalités très différentes, sinon, même, opposées, et cette ambivalence est la source de bien des confusions.
Les traditions sont principalement des répétitions de formes mortes. Elles appartiennent à un folklore immobiliste. Par exemple : les étudiants d'Eton portent traditionnellement un certain couvre-chef, le peuple espagnol raffole
Art et révolution
Mondrian: composition,
i1JJU~ \:Ta:;senUl et · ;le ruae gentIlhomme Descartes, Calderon et Sollers.
Il y a, dans la lecture de ce livre, un plaisir étrange, pareil à celui que l'on peut prendre à la lecture d 'un index alphabétique : écou!er la fable où notre histoire se prend pourrait donc se réduire à l'énumération des noms d'auteurs ou d'éco-1('5 qui s'y trouvent récités. Comme si lc havail même du critique se résumait dans ce mouvement de perversion infini des nomsl : Homère, Hopkins, Apulée l'Algérien, Charles Sorel, Musil, Barthes, Meyerhold, Hitler" Tynianov, Kurt W oHf, Epicure, Kafka, Proust, Valéry, Marx, Queneau, Jakobson, Pound, Godard, ,:Artaud le Momo, Brecht, Chklovski, ~mond Roussel, Beckett, Aristote le Macédonien, Max Planck, Gropius, Klossowski, Césaire l'Antillais, Sartre, Robbe-Grillet - tous, c'est par leur nom d'abord qu'ils nous parviennent, qu'ils commencent de se raconter (et cet instant. où le récit commence --< de minuscules commencements, d'où procèdent certaines dangereuses détonations, dit Faye - cet instant-là est au cœur
L 'nlstOlrt tures du l'intérieu d'une hi tion. C'e: se retrou pelés pal patience ra, avec historiqu que les cours, C1
- etle ~ plus d'U] sa chroni cit, c'est ce, dans qui va core, sou que Mau gner COI
toute écr tion, COI
furtif, à ce - di du ternI profil d, absent, ( du réci1 hunique
, dichotoll la littér;
Tradition et à l'homme-sujet, se sont succédé pour l'engendrer.
Le mot révolution a également plusieurs sens; Issu du latin revolvere" il signifie aussi bien mouvement rotatif que changement profond d'un état de choses existant. On néglige peutêtre trop le rapport entre ces deux sens. D'autre part, par révolution on a le plus souvent coutume de désigner des changements surtout politiques - que l'on a tendance à considérer comme totalement novateurs. Mais il y a aussi les révolutions scientifiques, techniques, picturales, littéraires, etc., qui, chacune dans son domaine, contribuent à modifier les rapports de l'homme avec le monde.
Curieusement, ces diverses révolutions semblent le plus souvent s'ignorer, sinon, même, mal se supporter : les révolutions sociales et politi. ques, par exemple, tolèrent avec peine - ou
Film russe, 1917,
pas du tout - la liberté de critique et d'expression indispensable aux révolutions dans les arts et les , lettres, quelquefois même, au nom de dogmes à respecter, elles l'interdisent aussi dans les sciences.
Avec un peu de recul, on s'aperçoit cependant que, s'ignorant, se condamnant ou s'opposant en 'apparence, ces mouvements que certains veulent cloisonner obéissent tous à des courants de pensée parallèles et complémentaires.
Il serait absurde ...
C'est qu'à notre tentative sans cesse renouvelée de saisie du monde, toutes les activités de la pensée concourent à la fois, que ce soient la littérature, les arts plastiques, la philosophie, les mathématiques, la science ou la politique. Parmi les facteurs qui ont présidé à l'avènement de la bourgeoisie capitaliste triomphant des entraves du monde féodal, qui peut faire la part entre le conflit des forces économiques, l'œuvre de J .-J. Rousseau, celle des Conventionnels et les découvertes scientifiques de l'épo-
que? Kandinsky en Russie, les cubistes en France précèdent de quelques années la grande révolution bolchévique. Il serait évidemment absurde de prétendre que les premiers sont des artisans de la seconde : il serait tout aussi risible de soutenir que peinture abstraite, cubisme et Révolution d'Octobre sont des phénomène sans aucune espèce de liens entre eux.
Accorder un rôle exclusif à l'une ou plusieurs de ces activités de l'esprit au détriment des autres, croire que l'on peut ne disons pas résoudre mais simplement affronter les pro· blèmes toujours renaissants du monde en négligeant ou en interdisant certaines d'entre elles, ou même en les mettant entre parenthèses pour un temps, c'est ne pas voir que rien n'est isolé ni isolable : dans le même espace historique (à peu près une soixante d'années) où Marx, Nietzsche, Freud, Einstein bouleversaient le monde par leur pensée, DostoÏev-
ski, Proust, Joyce, Kafka, Cézanne et Van Gogh bouleversaient la littérature et la peinture. Et l'œuvre de chacun d'eux ne peut se concevoir hors de ce qui les a précédés et les entoure, pas plus que ce qui les unit ne peut se concevoir sans eux.
Périodiquement on s'interroge sur les pouvoirs de la littérature, sur le rôle qu'elle peut ou qu'elle doit jouer.
Il convient de mettre fin à une légende : jamais aucune œuvre d'art, aucune œuvre littéraire n'a eu, dans l'immédiat, un poids quelconque sur le cours de l'Histoire. Si des monuments du langage qui en appelle à l'action tels que les Tables de la Loi, les Evangiles, le Discours de la Méthode, le Contrat social ou le Manifeste communiste ont, parallèlement à l'évolution des techniques et des conditions économiques, transformé les sociétés de façon spectaculaire (encore que très lente), il n'est aucun exemple d'ouvrage littéraire (poème, roman) qui ait influé de cette façon.
En revanche, au sein de l'immense et incessantp. gestation du monde, et dans l'ensemble des activités de l'esprit, toute production de celui-ci, à condition d'apporter quelque chose de neuf, joue son rôle, le plus souvent de façon
et révolution invisible, souterraine, mais cependant capitale.
Une œuvre impliquant la pensée, que ce ~oit un masque Dogon ou Esquimau, une cathédrale gothique, un concerto de Bach, une théorie de physique, une page de Proust ou une peint.ure de Paul Klee, est une tentative de conjuration, de prise 'de possession et de transformation de la nature et du monde par leur recréation dans un langage. C'est à la fois une affirmation et une' interrogatiol1, à l'intérieur d'un vaste horizon de ,réponses, sur le sens, le pourquoi de l'histoire, de l'univers, de l'être : en un mot sur la finitude, problème qui, contrairement à ce que l'on a voulu prétendre, ne préoccupe pas seulement ceux qui sont débarrassés des soucis matériels mais aussi ceux que la misère, la faim, le travail épuisant, une existenèe privée de joies, conduisent à se poser avec une angoisse sans palliatifs la question : pourquoi l'homme, pourquoi la vie, pourquoi la mort ?
Schématiquement, on peut dire que tout langage (verbal, mathéniatique, musical, pictural) consiste essentiellement à établir des relations, des rapports : rapports entre de~ sons, des couleurs, des volumes, des concepts, des mots, des signes, comme, ailleurs, entre des masses, des coefficients de dilatation, des températures, etc.
({ Pour transformer la vie, il faut d'abord commencer par la connaître », a écrit Léon Trotsky dans Littérature et Révolution, parole que complète cette phrase de Proust: « Nous ne connaissons vraiment que ce que noujS sommes obligés de recréer par la pensée. » Mieux connaître la ' Vie, c'est donc déjà la transformer.
On a coutume d'opposer tradition et révolution, et il est remarquable que dans le domaine des arts, et particulièrement dans celui du roman, les forces immobilistes, d'une façon révélatrice, tiennent mot pour mot le même langage dans les pays capitalistes ou non capitalistes.
Ici comme là on propose comme modèles des écrivains dits classiques qui auraient, une fois pour toutes, moulé le roman dans des formes immuables et parfaites.
Proposer en exemple aujourd'hui Stendhal, Balzac et Tolstoï, c'est ne pas comprendre que ce qui fait leur grandeur est d'avoir écrit comme personne ne l'avait fait avant eux et que leur leçon est celle d'une constante insatisfaction des formes déjà découvertes qu'ils rejettent pour en inventer d'autres jusque-là inconnues.
Car mi écrivain qui ({ emploie» des formes mortes, c'est, en dépit du visage ~'il peut chercher à se donner en arguant d'un ({ contenu » soi-disant révolutionnaire de son œuvre, un écrivain qui n'a rien de neuf - encore moins de ({ révolutionnaire » - à dire : un avion d'une conception révolutioiniaire, c'est un avion qui, par sa vitesse, sa sécurité, son 'confort accrus, transforme les rapports que l'homme entretenait jusque-là avec le temps et l'espace, et par conséquent le :t;J1onde : ce 'n'est pas un vieil avion aux performances ' surclassées que l'on s'est contenté de barbouiller de ' .peinture rouge, même si l'on a peint en supplément sur la carlingue le portrait de Staline ou de Mao Tsé.toung.
({ Selon moi, écrivait Karl Marx à . Minna ' Kautsky en 1885, un roman à tendances socialistes remplit parfaitement sa tâche quand, par une 'peinture fidèle des rapports réels, il détruit les illusions conventiOnnelles sur la natJJ.re de ces rapports, ébranle l'optimisme du monde
La Q~e littéraire.? 1" au 15 mai 1967.
bourgeois, contraint à douter de la pérennité de l'ordre existant, même si l'auteur n'indique pas clairement de solution, même si le cas échéant il ne prend pas directement parti. ( .•. ) Il est toujours mauvais que le poète exalte son propre héros. »
Le langage et l'écriture créent
Il va de soi que nous ne pouvons pas avoir, en 1967, la même conception du langage et des rapports du langage ct de la réalité que celle que pouvait avoir Marx en son temps. Une ({ peinture fidèle des rapports réels », telle . que celui-ci l'entendait, ne pourrait être le fait, si toutefois elle est concevable, que d'ouvrages scientifiques basés sur une multitude d'observations, de recoupements. En aucun cas elle ne
Maïakov"ky
saurait être le fait d'un romancier bien informé ou pas, imaginant une histoire fantaisiste ou vériste racontée en vue d'illustrer des significations.
En littérature, en art, les seuls, ({ rapportS réels » d'une peinture sont ceux qui s'établissent entre la réalité des éléments qui la composent : couleurs, masses, mots ou groupes de mots. Ou ces rapports (harmonies, accords, assonances, dissonances) sont parlants, ou ils ne le sont pas, et une peinture, une littérature qui ne parviennent pas à cette sorte de fidélité ne sont fidèles à rien parce que pour le peintre en train de peindre, l'écrivain en train d'écrire, comme pour l'artisan en train de fabriquer une table ou le chercheur dans son laboratoire il n'existe d'autre réalité productive que celle de l'œuvre qu'il accqmplit, la table qu'il fabrique ou la recherche qu'il poursuit. Ona pu voir avec des « savants » comme Lysenko, des ({ peintres » comme Guérassimov, et d'autres, tant à l'Est cju'à l'Ouest, dont il serait oiseux de citer les noms, à quelles ahep-ations peut , conduire toute recherche qui se pretend fidèle à des ({ rapports réels » définis hors des réalités qui lui sont propres.
Le langage, l'écriture, n' ({ expriment » pas : ils créent. ·Ils out leur dynamique propre
qui entraîne l'impulsion première de l'écrivain dans des directions imprévues, et c'est à travers cet immense réseau de relatioIll!, insoupçonnées de lui avant qu'il se mette à écrire,qu'il va avancer. Du choix qu'il va faire entre elles, ({ consciemment » mais en fonction d'une norme qui le dépasse et qui est celle du langage même, de ce choix (en retenant certaines, en rejetant ou en ne percevant même p,as d'autres) vont, à son insu, ressortir des significations. En écri'vant - et en écrivant seulement - il découvre un monde - et se découvre.
Si le roman consiste à raconter une histoire, au lieu de celle de héros eXemplaires dans le bien ou le mal - et fatalement conventionnels -, n'est-ce pas plu\ôt en étant lui-même l'aventure d'un esprit cherchant et se cherchant dans le langage qu'il, peut espérer trouver des formes et par ~ conséquent un fond neufs qui
Kandinsky composition en rqse,
seront alors, dans le domaine de la littérature -le seul où l'écrivain 'puisse œuvrer -, révolutionnaires ?
« L'écrivain, a dit encore Marx (Débats sur la liberté de la presse - La Gazette Rhénane, 1842), ne considère nullement ses travaux comme un moyen. Ils sont des buts en soi~ ils sont si peu un moyen pour lui-même et pour les autres qu'il sacrifie son existence à leur existence, quand il le faut, et que, d'une autre manière, comme le prédicateur religieux, il se plie au principe: « obéir à Dieu plus qu'aux hommes », aux hommes parmi lesquels il est confiné lui-même avec ses besoins et ses désirs d'homme. »
Je ne peux dire que « ma » réalité - qui, naturellement, enclôt sans distÏDction aussi bien mon .« vécu » que mon « imaginaire ». Cependant, homme p~ les hommes, avec mes besoins et mes déSirs d'homme, ma réalité, quoique particulière, est un fragment de l'universel. Mais c'est seulement s'il obéit exclusivement à son dieu, en d'autres termes au langage, que mon dire, alors, concernera tous les hommes et pourra peut-être ainsi s'inscrire dans la révplution toujours recommen~ du monde.
Claude Simon
13
.. ... II' •
la nouvelle revue française
numéro spécial avril 1967 -ANDRE BRETON 1896-1966
et le mouvement surréaliste
• AUTEURS • • • .• • • • • • • .• Aragon .. : la ~;~~~ d~ :~~o~~n~~~ritl!~u~lr~~: • Gallimard avait annoncé une première • fois il y a bientôt un an.
le roman doit montrer la dégrada-• tion du souvenir ·dans la mémoire d'un
hommages - témoignages - l'œuvrele mouvement surréaliste
• vieil homme, et le remplacement des • images anciennes par des images plus • récentes et de plus en plus fausses.
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• Il aurait dû paraître presque en même • temps que le roman de Claude MauÎ' : riac qui porte le même nom.
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• la France - du 6 février 1934 à la fin • de l'O.A.S., approximativement.
On y retrouvera - outre le retour • sur soi de l'auteur, et en tête du • volume, l'opinion de Mauriac sur les • grands événements de l'histoire • contemporaine, telle qu'il l'avait exp ri-• mée sur-le-champ: le 6 février, le Front • populaire, la guerre d'Espagne, Mu-• nich, la guerre, l'Occupation, la Libé-• ration, l'épuration, la IV' République, le • problème colonial, etc. • • •
James Jonos
Depuis cinq ans au moins, on sa-• vait que James Jones (Tant qu'il y • aura des hommes) écrivait à Paris un ..... _______________________________ ..1. épais roman qui devait être le som-
• met de sa carrière. Et les éditeurs • s'impatientaient, aux Etats-Unis, où • chaque livre de l'auteur a toujours été • de très grande vente. Le public et les • libraires ne sont pas les seuls à recon-• naître à Jones, en Amérique, un talent • que contestent généralement les criti-• ques français. • L'attente faisant monter l'intérêt, • res éditions Delacorte (livres de po-
che Dell) ont offert à l'auteur un • million de dollars (un demi-milliard • d'anciens francs) pour le ravir à son • éditeur habituel, Scribner's, et s'assu-• rer, outre le roman en cours, les deux • suivants.
""UVRIi'S POIi'TI~UIi'S VICTOR HUGO · Go to the Widow Maker vient enfin W CÜOMPLl!TIi' OI'JIi' •• de paraître. Il est rare que le supplé-
Ü l'J l'J ment littéraire du New York Times, • d'habitude pondéré, se livre à pareil
Jamais, daus aucun pays, écrivain L'ENTHOUSIASME DE LA PRESSE • éreintement. Voici, par exemple, citée n'a eu l'audience de cet immense poète dont deux million. de Fran- • par le critique, l'une des théories de liai, ont suivi le cercueil. La poésie Magnifique volume ICOMBATl. .. /a • James Jones sur ce .qui fait, apparem-de Victor Hugo domine tout un siè- derniére merveille IL'EXPRESS!... • ment, l'un des thèmes du 1 ivre : le cie, toute l'hi.toire littéraire fran- inépuisable recueil 1 F 1 & A R 0 J. . . 1 çaise et l'Histoire tout court. Si, ("événement littéraire de ("année • pénis : « Tous ces garçons. Dans e dans la bibliotbèque de chaque [ARTSJ. •. un admirable livre quI • monde entier. Par quelque nom qu 'ils Fralnçais ne deva.it figurer qu'une fait honneur à ("édition françaIse • l'appellent (en italique dans le texte) : seu e œuvre poétique, ce ne pour- A ' E . rait être que celle de Victor Hugo. IL'INFORMATION!... "un des livres Communisme, mericanisme, mplre. Mais cette œuvre gigantesque les plus saisissants de l'année... • Ce sont de petits garçons qui regar-(153.873 vers 1) était ju.qu'ici dis- la Grande Encyclop6die du lyrisme • dent leur papa faire pipi, dans une persée dans de nombreux recueils français ·' CLAUDE ROY une extraor- • pissotière, et ils savent que leur ma-louvent introuvables. Ce sera la • h . gloire de l'édition française d'avoir dlnalre édition IJOURS OEFRANCE! c in ne sera jamais aussi gros : aussI réussi à la réunir en un seul magni- • gros que le sien : leur machin ne fique volume qui en remplacevingt, !:,::ement de la bibliothèque de ~ sera jamais aussi gros que celui de rD l'enrichissant de toutes les ta- C' 1 d ff' bles nécessaires et d'une chrono- HAtez-vous ilonc _ "ar le tirage • papa. ar, voyez-vous, c est a i elogie illustrée de 40 pages. s'épaise rapideDlent _ de profi- • rence qui reste gravée dans leur crâ-Ce volume salué al la Foire du ter des conditions exceptionnelles ne, dans les crânes des gosses, de livre de Francfort comme le chef- dont vous fait bénéficier la Librai-· • . rt"l d· d'œuvre de l'édition européenne. rie Pilote: envoi immédiat franco . ~ sorte que peu Impo e SIS gran IScontient 13 millions de caractères, à domicile - examen gratuit p~n- • sent, peu importe combien ils grandis-1.800 pages format 21 x 27, d'une dant 5 jours avec faculté de retour' 1 sent, combien leur machin grandit, la typographie aérée sur beau papier, - règlement 135 F comptant ou 3· ~ d-ff' d·t A t reliure pleine toile, tranche supé- menoualités de 45 F ou 10 men- ' . 1 erence gran 1 en meme emps. rieure dorée à l'or fin. Instrument oualités de 14,40 F. L'image gravée dans le crâne du gosse de travail pour certains, livre de Adressez-nous dès aujourd'hui le - l'image remémorée - est là, et chevet pour beaucoup. ce sera bon ci-de.oous : elle grandit avec l'adulte . De sorte .. ------------------------.., • BON à adresser à la L.IBRAIRIE PILOTE 22, rue de Grenelle, Paris 701 que, à la fin, ils ne peuvent plus jamais
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resse enea/ra . .. ...... .. . . . .... . .. .. : ... . . ..... . . .... . . .. ... D • tent des petits garç;ns, à l'intérieur 1. ~~ ~. - d'eux-mêmes, juste parce qu'ils n'y 1 :a. • arrivent pas. • •
POÉSIE
Mesure du si·lence
Philippe Jaccottet Airs Gallimard éd., 96 p .
Tout y est mesure et pesée du silence, palpitation fugace de l'instant, lecture du souffle et du murmure avec, plutôt que noms ou verbes, la lenteur de leurs mouvements, l'ombre portée sur le blanc de la page de leurs passages aériens. Ce sont fleurs, fruits, oiseaux ou paille ; thèmes légers soumis au vol, à la lévitation, au balancement de l'heptasyllabe et tous saisis à leur surface, littéralement Car le centre est mutisme ou vide mais soutenu de fines arcatures parlées, comme, pour ainsi dire, la structure du cerf-volant. Pareillement la prétention des mots ici n'est pas de couvrir le silence (ni d 'accueillir les voix surprenantes du hasard), mais de le découvrir en le voilant. A cette limite se tiennent les mots de J accottet où, soulevés par quelque courant ascendant, ils demeurent de mal gré sur la page qui les contraint.
Si tout repose à la fin dans l'immobilité, le lieu du poème est rumeur, mouvement de houle, incendie; combustion des mots, braises lentes des images, micro-explosion au ras du vers. Car dans une telle chambre, tout s'enflamme plus vite, et seule la prudence avertie d'une dictée rythmique conjure le péril. L'air brûle et le regard qui se perd jusqu'à la nuit en garde comme une rougeur. A trop chercher à voir, la parole s'aveugle, et traverser le jour ou le langage, c'est atteindre la nuit et cette cécité où le regard voit de ne plus voir, où les mots parlent de se taire. C'est parce que le poème moderne se retourne sur sa diction qu'il affronte, comme au temps grec, l'épreuve de l'aveuglement et qu'il se tient sans le nommer dans l'espace de la pré-diction.
Du haut et du bas le poème assure la limite, conjoint le mouvement de l'envol et celui de la chute dans l'aire médusée de sa parole pour cet équilibre sur quoi pèse l'air, souffle le feu. Les limites du poème sont posées et reconnues par J accottet non comme défenses ou protections mais pour que viennent s'y inscrire et s'y former les vagues (et le vague) de l'illimité.
Où nul ne peut demeurer ni entrer voilà vers quoi j'ai couru la nuit venue comme un pillard
Puis j'ai repris le roseau qui mesure l'outil du patient .
Mesure qui scande la parole comme elle structure son domaine : évaluant les distances à l'écoute des bruits, elle pose l'espace (où nous sommes) et le cadastre. Telle aussi la parole de J accottet est mesure du silence qui la comprend, qui tremble entre les mots du poème et qui peut-être purifie.
Gérard Atseguel
HISTOIRE LITTÉRAIRE
Robert Kanters et Maurice Nadeau Anthologie de la poésie française Rencontre éd., 12 vol., 8 publiés.
Eléonore M. Zimmermann Magies de Verlaine José Corti éd., 352 p.
Nous sommes à plaindre, nous autres crotteux, minables et pituiteuxl chroniqueurs de littérature. Nous n'avons pas la chance de disposer d'un vocabulaire ésotérique comme la sociologie, la psychanalyse, la critique d'art, l'électronique ou la prospective. Nous manquons de moyens pour embrumer les sottises qu'il nous arrive, oui ~)Ui, de dire. Mais vienne à paraître une anthologie de poésie : alors nous relevons le front, nous allons montrer qui nous SOIhmes, combien notre science est grande, notre culture profonde et notre goût raffiné.
Nous nous faisons inquisiteurs: pourquoi, demandons-nous, tel poète présent, tel autre absent, pourquoi Sainte-Beuve, ql,li est détestable, et non pas Philothée O'Neddy, simplement médiocre, Valéry et non pas Franc-Nohain, qui fut plaisant, Anna de Noailles et non pas Rosemonde Gérard, Mauriac et non pas Pascal Bonetti, pourquoi tel poème nul à nos yeux et non pas tel autre où nous avons découvert des beautés secrètes ? C'est une épreuve qu'a subie . récemment M. Pierre de Boisdeffre ; et avant lui M. G.-E. Clancier, et notre M. Pompidou lui-même ; et auparavant l'excellent Arland comme le Gide aflli" geant.
Mais voilà qu'aux éditions Rencontre, qui savent oser, MM. Robert Kanters et Maurice Nadeau, assistés de M. Gilbert Sigaux (et de Mme Régine Pernoud pour le Moyen Age), ont développé. leur entreprise sur douze volumes et cinq mille ou six millc pages : assurés ainsi de ne rien omettre, ou presque rien, qui comptât vraiment. Deux tomes pour le Moyen Age, xv" siècle inclus ; deux pour le XVI' ; deux pour le XVIIe ; un pour le XVIIIe ; quatre pour le' XIX', dont un tout entier pour Hugo ; un enfin pour le nôtre. Un « amas de merveilles », sous une reliure d'une digne sobriété.
Pas trace, vous le· voyez, de l'outrecuidance qui étrique la place des vieux poètes sous prétexte qu'ils sont trop éloignés de nous. (Comme si les présocratiques ne se révélaient pas aujourd'hui modernes entre les modernes.) Et puis il arrive que certains poèmes sans réelle signification poétique gardent néanmoins une signification historique ou traditionnelle, on ne saurait les éliminer sans manquer aux devoirs qu'on a envers le lecteur, ils encombrent, ils écrasent : dans une perspectiv~ allongée sur
Verlaine
douze volumes ils prennent un équilibre juste.
Un Moyen Age exubérant_ XVIe
siècle, Ronsard, quelque 160 pages sur 700 environ : bon; régulier ; encore que de Sainte-Beuve à l'école maurrassienne on ait, je crois, surestimé celui dont « l'audace était belle » mais qui « osa trop » pour c.e qu'il pouvait. Seulement 40 pages pour Du Bellay, dont la vertu poétique me paraît plus pure ; un peu davantage pour Agrippa d'Aubigne (qui ne nous y propose pas sa «rose d'automne» exquise). Au total, pour ce XVIe
siècle que nos souvenirs scolaires réduiraient aisément aux têtes de liste de la Pléiade, une quarantaine de noms, dont,. bien entendu, Sponde et Louise Labé, ainsi que Lasphrise et autres Lazare récemment rèssuscités.
Et plus de cinquante pour le XVIIe. La Fontaine et Molière sont traités selon les convenances, ainsi que Corneille et Racine. Théophile, Tristan, Saint-Amant, redécouverts par Remy de Gourmont et son entourage après Théophile Gautier, montrent plus de grâce sans doute qu'ils n'exercent uri « charme » ; mais avec leurs pairs ils témoignent que la poésie alors foisonnait. La rigueur malherbienne a peut-être étouffé quelques flammes qui méritaient de palpiter plus longuement ; elle a aussi suscité, directement ou non, un Maynard, honoré naguère encore, aujQurd'hui parfaitement méconnu : sa Belle Vieille, avec « les divines clartés des yeux qui m'ont brûlé », reste adorablement nette et fraîche.
Théophile de Viau eut chaud, lui ; il passa fort près du bûcher: il pensait mal, et il disait ce qu'il pensait. Cependant, grâce à des appuis peut-être, il s'en tira. Plus heureux que Claude Le Petit qui en 1662, c'est-à-dire en . plein Grand Siècle, se vit condamné « à avoir le poing droit coupé et à être brûlé vif en la place de
La QuiD7.8Îne littéraire, 1"' au 15 Inai 1967.
Perle de la pensée
grève » ; sentence qui fut bel et bien exécutée, à ceci près qu'on fit au poète la faveur de l'étrangler au préalable. « Quand vous verrez un homme avecque gravité, / En chapeau de clabaud promener sa savat~ ... » : non, ce n'est pas un des sonnets satiriques des Regrets, c'est le Poète crotté de ce pauvre petit truand, martyr grotesque et tragique du libertinage. De. tels assassinats nous restons, après trois siècles, solidaires et . responsables ; veillons au salut de l'Empire.
XVIIIe siècle. Où l'on observera ce . que l'ode selon Valéry doit peut-être à Houdar de La Motte, à Lefranc de Pompignan, à Lebrun-Pindare, autant qu'à Malherbe : les conditions se trouvaient réunies pour une rénovation de la grande poésie, il n'y manquait que le génie, lequel manquait absolument. Une surprise : parmi les poètes s'insinuent Rousseau, Buffon, Lacépède (avec de curieusès sonorités annonciatrices de Maldoror), Volney, Bernardin de ,Saint-Pierre. Sur leur intrusion Maurice Nadeau dans sa préface s'explique impeccablement ; mais alors pourquoi avoir écarté Pascal auparavant, et Chateaubriand plus tard , ? Et puis, pourquoi priver Parny de ses Chansons madécasses, qui ont plus de tenue en leur désuétude que ses petites polissonneries ? Et les stances du Cid et de Polyeucte, et les chœurs de la tragédie sacrée ? Vous voyez que je ne manque pas, à mon tour de jouer au petit jeu dont nous parlions tout à l'heure. "
A propos de Vigny je vais récidiver. On trouve de lui, dans le premier tome, seul paru à ce jour, du XIX' siècle, certains textes inévitables sans doute, mais déplorables ; on n'y trouve pas L'Esprit pur (non plus d'ailleurs que dans lÏrland, Gide, Pompidou, etc.). Me tromperais-je en mettant ce poème au premier rang de ses plus beaux?
Dans le même volume figurent Lamartine, Musset. Maurice de Guérin aussi. Surtout Nerval, avec l'intégralité de ce qui y est appelé son « œuvre poétique en vers », sans pléonasme (mais alors, derechef, pourquoi Vùlney et non pas Sylvie ou Aurélia ?). Et puis, à côté des grands noms, mon vieux cœur tendrement sarcastique prend un plaisir d'un aloi douteux à rencontrer celui de Joséphin Soulary avec ses Deux Cortèges - « La jeune mère pleure en regardant la bière, / La femme qui pleurait sourit au nouveau-né » - ou celui d'Hégésippe Moreau, pour qui Péguy eut quelque faiblesse, et que Baudelaire appelait « un ignoble pion enflammé de sale luxure et de prêtrophobie belge ». Ce sont des pauvretés que les pédagogues aujourd'hui n'osent plus mettre sous les yeux de nos enfants ; mais ne serait-il pas plus -sain que le sentiment poétique passât chez eux, dans l'ordre, comme l'embryon, par tous les degrés de l'évolution ?
Verlaine apparaîtra dans l'un des volumes suivants de la collection. En attendant, et faute d'assez de place pour faire davantage, signalons la thèse de Mme Zimmermann, dont le sous-titre, « Etude de l'évolution poétique de Paul Verlaine », vaut mieux qu'un titre raccrocheur qui met en défiance plutôt qu'il n'attire. Disons sommairement qu'il s'agit (ou qu'il s'agirait) de montrer que la merveille verlainienne n'est pas fille simplement de la circonstance, du hasard et de la faveur des Muses; et que Verlaine, à défaut de savoir explicitement ce qu'il voulait, restait très attentif à gouverner selon les vents qui le poussaient. « Tout dans notre étude devrait tendre à montrer combien il sait ce qu'il fait. Si l'on peut dire parfois qu'il est un poète instinctif, c'est dans le sens le plus large du mot instinct : au-delà de la raison, ses réactions sont devenues seconde nature. » (P. 91.)
L'ambiguïté de la phrase répond à l'ambiguïté du livre, laquelle répond à l'ambiguïté de la poésie. Poésie, disait Vigny dans cette Maison du Berger que reprennent à juste titre toutes nos anthologies, « perle de la pensée ». La pensée, c'est la coquille d'huître où la poésie dans la nacre arrondit et irise sa perle. Vrai. Mais la pensée toute seule ne serait-elle qu'une écaille bêtement minérale ? Allons, allons. L'huître ne sait pas ce qu'est cette tumeur qui la démange. Tandis qu'un poète presque toujours sait ce qu'il fait, et pourquoi il le fait, et comment il le fait. Il le sait à sa manière ; (que nous-même entrevoyons un peu moins mal en pratiquant une anthologie volumineuse enfin ! -comme doit être un trésor.
Samuel S. de Sacy
1. « Le pituiteux sent, pense et agit lentement et peu.» Cabanis.
15
ARTS
Erich Kubach Peter Bloch L'art roman, de ses débuts à son apogée Albin Michel éd., 300 p .
Il est de bonne méthode de répé. ter ce que chacun connaît - pour ne pas l'oublier soi-même en écri· vant. En l'occurrence, il est une précaution liminaire que sa banalité même rend indispensable rappeler que les monuments de cet art, que les historiens modernes nomment « roman », ne présentent plus que très rarement leur apparence originelle et qu'en conséquence les principaux traits sur lesquels les Européens d 'aujourd'hui fon· dent leur" admiration et leur exé· gèse ne sont en rien des traits originaux, significatifs de l'esthéti· que médiévale, mais à l 'inverse l'effet des altérations successives de l'édifice primitif, des reconstructions et des restaurations les plus récentes parfois. L'une des difficultés majeures pour l'étude des architectures européennes du x e au XIIe siècle tient précisément à ce que la plupart des auteurs qui se sont, depuis la fin du XIXC siècle, préoccupés de ces problèmes ont, fût-ce à leur insu, conduit leurs re· cherches en fonction d 'une systématique préalable, et ceci d'autant plus que l 'importance de « l'âge roman» dans la formation de la culture et dans le développement des structures politico-sociales de l'Europe médiévale a été telle que les travaux les plus particuliers, les discussions les plus rigoureusement techniques impliquent presque inévitablement des conclusions, ou tout au moins des hypothèses, qui mettent en cause non plus seule- ' ment des points de détail en matière d'histoire « de l'art», mais des conceptions divergentes quant à l'évolution des populations établies en Europe pendant le haut Moyen Age, quant " à l'importance dans cette évolution des facteurs technologiques, quant à l'existence surtout d'une civilisation européenne uni-taire.
Il ne saurait être ici question que d'un très rapide examen de deux de ces problèmes, qui sont parmi les plus importants et qui paraissent au demeurant liés l'un à l'autre : le lien éventuel entre le développement des architectures romanes et une évolution supposée des moyens techniques. de production d'une part, et d'autre part le lien entre les différents types d'architecture et la formation de nouvelles configurations politico-sociales dans le continent européen aux XIe_XIIe siècles.
Est-il possible de déceler, dans la formation l et le développement des divers types d'architecture postcarolingiens, l'indice de changements technologiques majeurs? Y eut-il innovation dans les méthodes de construction, dans l'utilisation des matériaux, dans la mise
16
en œuvre des instruments et des appareils de levage ? Ou seulement l'effet d'une modification du système social ? Sur le plan de la tech· nique elle-même, faut-il considérer qu'il y eut dans les pays de l'Europe occidentale et centrale, à la fin du premier millénaire de l'ère chrétienne, une « renaissance » d'un corps de traditions que les hommes du haut Moyen- Age n 'avaient pas eu la possibilité économique et politique de mettre en application mais dont ils n 'avaient pas perdu le souvenir, ou bien au con traire faut-il supposer une « secon de découverte » de procédés, de solutions techniques pendant des siècles oubliés ? Le fait que , l'ar t roman nous apparaît le prolongement de l'art de la « basse antiquité » permet-il de supposer une évolution sans solution de continuité ? Ou bien à l 'inverse faut-il considérer qu'à "des problèmes du même ordre des " solutions comparables ont été données, dans des milieux culturels différents mais de niveau technologique équivalent, par des hommes qui, de la sorte, retrouvaient une tradition « romaine» dont ils étaient les héritiers sans le savoir - ou, plus exacte-
Souillac.
ment, dont ils se voulaient les héritiers, mais sans avoir une connaissance exacte de ce qu'était véritablement l'héritage ?
Le principal mérite des travaux les plus récents est de montrer qu'il est vain de vouloir donner des réponses « globales » à ces questions. La plupart des éléments architecturaux utilisés dans les édifices
A-t-il . , eXiste
d'époque romane, colonnes engagées, pilastres, entablements, arcatures aveugles, « se trouvent déjà dans l'architecture romaine, spécialement dans l'art romain des provmces. La combinaison de ces éléments dans des arcatures à plusieurs étages, dans des arcatures colossales et finalement dans l'ordre romain est ... un point de départ décisif pour l'art roman » (Kubach , p. 25). Par ailleurs , dès l'époque « pré-romane» on peut observer toutes les formes de voûtes en pierre : berceaux, culs de four, coupoles circulaires, voûtes cloisonnées octogonales sur trompes ou pendentifs, voûtes d'arêtes et, dès le début du X Ie siècle, voûtes sur croisée d'ogives. Il n'y a donc pas eu « succession» de formes de plus principe avec les plus «archaïques» , d 'être ordonnées en une série évolutive dont les diverses étapes auraient représenté une progression technologique continue . Tout au contraire , les formes tenues pour les plus « achevées» coexistent dès le principe avec les plus «archaïques» , non seulement dans des régions différentes mais parfois dans une même zone . Il faut à cet égard citer la pertinent(lJ et prudente remarque de Howard Saalman , dans son Architecture romane: « Dans l'état actuel de notre connaissance imparfaite de la théorie et de la pratique de l'architecture médiévale, la fonction ou la raison d 'être d'éléments structuraux donnés peuvent être malaisées à découvrir, pour ne pas dire parfois totalement méconnues. »
En outre, il serait illusoire de prétendre déterminer pour quelles raisons, d'ordre technologique où d'ordre socio-culturel, un type de teurs dans une région, pour quelles raisons par exemple la nef des églises à plan basilical a été couverte de voûtes en berceau en Bourgogne, alors qu'elle l'était de coupoles en Périgord et en Aquitaine. Ces observations sont importantes, dans la mesure en particulier où elles tendent à confirmer que la théorie typologique, mise en honneur par plusieurs historiens de langue allemande au début du siècle, ne rend pas suffisamment compte de la complexité des phénomènes, d'autant que dans une même région coexistent souvent des monuments construits sur des plans de types variés, d'origine diverse, mais auxquels d'autres éléments architecturaux confèrent par ailleurs une véritable unité. En Catalogne, en Normandie, dans les Pouilles, sur la Meuse, au-delà de l'Elbe, l'art ar
. chitectural roman a donc été, contradictoirement, l'expression de ce que les hommes du XIe siècle entendaient qu'il fût, l'affirmation de Rome « restaurée » dans une double tradition impériale et chrétienne, mais une expression polymorphe, où Rome n'était plus qu'un mythe - tout ensemble marginal et essentiel - , cependant que s'y marquaient les premièrs traits d'une
configuration nouvelle dont les éléments constitutifs étaient les villes et les bourgs d'un réseau urbain en voie de reconstitution.
Bien plus en effet qu'à des conditions d 'ordre strictement technologique c'est à une modification de l 'ensemble des structures économiques et sociales dans l'Europe occidentale et centrale qu 'il convient de rattacher le développement de l 'architecture "romane. Le lien apparaît essentiel entre le mouvement de construction qui, pour citer une fois de plus l 'expression si souvent répétée de Raoul Glaber, a couvert l'Europe d'un « blanc manteau d 'églises », et le mouvement de renaissance urbaine, qui est sans doute l'un des traits primordiaux de l'histoire européenne à la fin du xe et surtout au XIe siècle. L'art roman apparaît pour l'essentiel u n fait citadin. Sans doute il serait tout à fait inexact, parce que sommaire , d'en conclure que son essor a été foncti.on de celui de la classe artisanale et marchande, qui devint peu à peu « la bourgeoisie ». Cet art est « seigneurial » autant, voire plus que « communal », impérial bien plus que « bourgeois ». Mais il l'est au niveau de la ville ou tout au moins de l'agglomération, il se développe dans l'agglomération, en fonction d'elle et pour elle . Ceci vaut tout particulièrement pour les édifices religieux. L'église est le bâtiment par excellence autour duquel et par référence auquel s'ordonne la cité ; elle est, très exactement, ce par quoi la cité vient au monde.
Quelle Europe?
Au reste, la modification des dispositions architecturales ne fut pas seulement la conséquence de ce mouvement général de « re-urbanisation» et de -l'accroissement des moyens de production, d'autant qu'il apparaît très difficile, ainsi qu'il a déjà été noté, de déterminer l'ampleur des « progrès » techniques en ce domaine . Elle paraît bien plus immédiatement et plus profondément à la fois liée à l'évolution des coutumes liturgiques, à l'augmentation du nombre des prêtres, à la croissance démographiq"IJe, à des facteurs proprement religieux et culturels. Toutefois, sur ce point encore, il convient de reconnaître qu'il est, au moins en l'état présent des recherches, impossible d'établir clairement la relation de causalité entre les divers ordres de phénomènes. Ce n'est cependant pas extrapoler de façon irrecevable que de considérer que ces milliers de monuments attestent plus qu'une simple reprise d 'activité, une profonde mutation dans les conditions de vie, à la fois dans le domaine de la vie matérielle et dans celui de la vie psychologique. A cet égard, l'épanouissement des architectures romanes a réellement marqué ce qu'il serait tentant de nommer « l'acte de naissance de l'Europe ».
un " univers " roman? Mais quelle Europe? C'est là que
les problèmes d'ordre technique et culturel s'articulent aux problèmes d'histoire « politique », dans la mesure au reste où ce type de distinctions entre « disciplines» est sus,ceptible d'offrir un sens. Deux observations à cet égard semblent particulièrement importantes, car elles font paraître combien il est illusoire de prétendre donner des faits une interprétation fondée sur un système de corrélations tenu pour universellement valable.
Variantes régionales
La première est qu'il n'y a pas de « correspondance » décelable entre l'architecture et l'idéologie : dans 'son livre, E. Kubach note (et insiste avec raison sur cette remarque) qu'il n 'y a pas un type d'architecture « clunisienne» opposée en tant que telle à une architecture « impériale », qUe rien ne laisse supposer une cc querelle des investitures » dans l'évolution de l 'art roman dans les pays du Saint Empire.
La seconde est qu'en aucun cas il n'est possible d'établir dans ces architectures de différences « nationales » ; il n 'y a pas d'art cc italien », d'art cc français», d 'art « germanique' » d'époque romane ; ce type de classification n'est que la projection dans le passé de configurations ethno-politiques postérieures, sans fondement dans les sociétés médiévales . Il n'apparaît pas davantage de frontières entre (c peuples» ; les limites des diverses cc écoles» architecturales ne coïncident ni avec les limites territoriales des principau. tés ou des diocèses ecclésiastiques, ni avec celles des anciennes provinces romaines, ni même avec les limites des groupes linguistiques peu à peu formés en Europe après l'établissement des populations germaniques. Il y a, dans un Occident en~re marqué de traits unitaires liés à la foi et à la langue de culture, des cc régi.ons» où se développent en réalisations spécifiques des éléments provenant d'une tradition commune, antique et carolingienne. Le trait le plus déconcertant sans doute et donc le plus remarquable de ces cc régions » est que leur unité n'est perceptible que dans le seul domaine des réalisations artistiques ; on constate, dans une même zone, l'existence de monuments dont on peut considérer qu'ils sont de style homogène, dont on est conduit à conclure qu'ils ont été l'œuvre de bâtisseurs appartenant à une « école», mais cette (( zone architecturale» ne correspond ni à ,une unité géograp.hique, ni à une organisation p'olitique, ni même à des structures socio-économiques nettement différenciées. La géographie monumentale ne saurait donc être interprétée de façon satisfaisante en fonctio :J de la géographie politique ni de la géographie économique. Le lien entre le développement de cer-
tains types architecturaux et l'activité des grands axes de communication est sans doute moins immédiat, plus complexe qu'il n 'était admis n aguère.
' L'ambiguïté de ces données est encore accentuée par ce qu 'on peut connaître de l'évolu tion à l'int~rieur de chacune des zones architecturales de l'Europe romane. Kubach souligne que ces var iantes régionales ne représentent pas, pour autant qu 'on en puisse juger, le résultat de l'évolution divergente d'un art et d'une technique qui eusSent été homogènes au début du processus évolutif, donc au momen t où les populations germaniques s'établirent sur le territoire de l'Empire romain ; tout au contraire, dès l'époque ottonienne, dès le xe siècle, on peut observer que, dans chaque zone, ce qui avait été conservé des m éthodes, des connaissances, des canons esthétiques de l'antiquité « romaine » avait fait l'objet d 'un traitement original. I ci encore, sur un point capital, l'étude des réalisa-' tions artistiques du haut Moyen Age conduit à accorder plus d 'intérêt et à reconnaître plus d'import~mce qu'on ne le supposait naguère aux variantes régionales de l'art cc impérial» à l'époque romaine.
Au reste ces évolutions régionales elles-mêmes sont diffioiles à étudier dans leur développement diachronique. Il semble qu'elles aient été fort peu hom6gènes, très différentes d 'une « région » à l'autre ; non seulement les diverses phases d'évolution des types architecturaux romans n 'ont pas' été synchrones dans les « régions », mais il paraît douteux que dans chacune d 'elles le même processus se soit produit et qu'on y puisse reconnaître les mêmes phases. Il est donc impossible et dangereux de prendre comme système de référence le type d'évolution qu'on a cru pouvoir reconnaître dans l'une des (c régions» européennes et de prétendre ordonner en fonction de ce type local ce qui peut être observé de l'évolution des autres arts cc régionaux ».
Des monuments, pas d'univers
La prudence est d'autant plus nécessaire que, même dans une zone nettement délimitée, il est
' impossible de fixer une chronologie absolue, sur laquelle il serait permis de fonder l'analyse de l'évolution des formes et des techniques ; il faut renoncer le plus souvent à préciser, à quelques décennies près, ce qui est considérable, la date de construction, d'achèvement des différentes parties d'un édifice. Il est le plus souvent presque' impossible par là même de déterminer, de deux monuments, lequel a été entrepris le premier et achevé le premier, dans la construction duquel ont pu être utilisés pour la première fois des procédés nouveaux, mis en œuvre des partis architecturaux
La Quinzaine littéraire, 1" au 15 mai 1967.
jusque-là ignorés. Il est donc impossible, plus radic~lement, d'envisager même une histoire de ce qu'on continue, par paresse le plus souvent, à nommer les « influences » ou à l'inverse d 'entreprendre
Citeaux
une véritable étude de ce qu'a pu être l'élaboration simultanée, en tout cas indépendante, dans des (c régions» diverses de solutions identiques à de semblables difficultés d'ordre technologique et à de semblables exigences d'ordre culturel. Pour certains des problèmes les plus importants, l'apparition de la croisée de transept, l'élaboration du plan carré des par ties orientales de l'église, la façade à deux tours par exemple, il se révèle illusoire de proposer un lieu ou un e date ; , parmi les monuments de haute époque aujourd'hui conservés, où ces éléments sont observables, aucun n'est datable avec certitude; il faut admettre qu'une cc généalogie » de ces formes architecturales est impossible, au moins en l'état présent des connaissances.
Tout compte fait, les tentatives de synthèse trop ambitieuses se révèlent, comme à l'accoutumée, fallacieuses. Prétendre ramener à l'unité d'un système, fût-il polymorphe et développé dans l'es,. pace d'un monde polycentrique, des
phénomènes historiques dont les traits communs, si nombreux soient-ils, importent moins que les dissonances, c'est se condamner (ou se résigner, qui est pire) à la p lus dérisoire des erreurs de méthode,
céder à la tentation de l'intelligibilité. L'intérêt principal peut-être pour l'historien de cet âge de mutation, que furent le XC et le XIe siècles, est qu'il contraint à confesser l'impossibilité d'en présenter une (( interprétation globale », sauf au niveau de la plus élémentaire « litté
' rature ». Dans cet émiettement des histoires locales, nous ont été narrés des faits, nous demeurent visibles des monuments - mais les faits eux-mêmes, et la nature des sources, et plus encore les batiments qui subsistent aujourd'hui sont tels précisément que rien ne serait plus aventureux que de tenir l'ensemble qu'ils paraissent former pour significatif de l'époque dont ils sont la trace. Ces édifices conservés, pour tant d'autres détruits, dessinent un cc système» - mais qui n 'existe que dans le regard des hommes du 'xxc siècle. Vouloir y lire l'Eur p~' de l'an mil ou des croisades, c'est exactement le contraire du « métier d'historien \l. L'histoire n 'est pas un langage. Il y a, des églises romunes. Il n'y a pas d'univers roman .
Roger Paret
INFORMATIONS
BmisaiODS littéraires de l'O.R.T.F ..
Sous réserve des modifications possibles, Fran~Culture a programmé une série d'émissions littéraires pour la première quinzaine de mai :
Lundi; mercredi, vendredi, 22 h 40: entretiens de Francis Ponge avec Philippe Sollers.
Mercredi, 8 h (heure de la culture française) : Apollinaire et son temps, par Michel Decaudin.
Symbolisme et langage, par André Giumbretière, le 3 mai.
Robbe·Grillet, le 10 mai. Mercredi 13 h 40 : tribune des cri·
tiques littéraires. 3 mai : 14 h 10 : une heure avec
Julien Green. 10 mai : 14 h 10 : une hèure avec
Georges Mathieu. Mercredi 3 mai, 20 h : Journal d'un
séducteur (adapté de Kierkegaard). Mercredi, 10 mai. 20 h : la Paix,
d'Aristophane. Jeudi 4 mai, 19 h 15 et mercredi
10 mai, 19 h 15 : A propos du prix intemational de littérature.
Quinzaine du livre du cinéma
La Société des Ecrivains de Cinéma et de Télévision (Président: Maurice Bessy, Secr.étaire général Pierre LherminierJ organise, du 1er au 15 mai, une Ouinzaine du livre de cinéma et de télévision sous forme d'une exposition-vente qui aura lieu chez 20Q, l.ibraires répartis dans toute la France et. particulièrement, dans les villes universitaires. Une trentaine d'éditeurs participent à cette manifestation . Un catalogue collectif, qui sera diffusé à 30.000 exemplaires, a été établi où sont répertoriées les œuvres consacrées au septième ' art éditées par ces maisons. Les salles d'essai et les cinéma-clubs prêtreront également leur concours. L'O.R.T.F., de son côté, organise une série d'interviews ainsi qu'une grande vente·signature qui aura lieu le 11 mai à la Maison de l'O.R.T.F. en présence d'une' centaine d'auteurs.
Traductions en Italie
Selon des statistiques récemment publiées, il ressort que l'Italie était le troisième pays du monde, en 1964, pour le nombre de titres traduits (après l'U.R.S.S. et l'Allemagne).
Langues [es plus favorisées : l'anglais (953 titres), le français (581), l'allemand (259). Les deux auteurs les plus fêtés sont Simenon et Brecht (dix traductions chacun), avant Shakespeare et Balzac.
A l'inverse, les auteurs italiens recueitlaient plus de succès en France (95 titres} qu'en aucun autre pays. Venaient ensuite l'Allemagne (93), les Etats-Unis (73), l'Espagl1e (61), la Yougoslavie (49) et la Grande-Bretagne (48).
Les auteurs italiens contemporains les plus traduits étaient, en 1964, dans l'ordre : Moravia (53 traductions), Paul VI (21), Jean XXIII (15), Pirandello (t2). Suivent : Calvino, Lampedusa, Pavese, Guareschi et Pratolini.
Ezposition Pierre-J ean Mariette
• Le Cabinet d'un grand amateur, Pierre Jean Mariette (1694-1774), dessins du XV' au XVIII' siècle ». Sous ce titre, du 22 avril au 12 juin, une importante exposition présente au Louvre la collection Mariette dont les chefs-d'œuvre sont dispersés depuis deux cents ans. Grâce aux prêts consentis par les plus grands musées d'Europe, les Parisiens peuvent voir, provisoirement réuni~~ ces dessins qui témoignent à la fois de leur temps, et du goût d'un homme exceptionnel.
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PHILOSOPHIE
Ferdinand Alquié Solitude de la Raison Losfeld éd. 192 p.
«L'homme ... ne peut pas dire «ma raison », mais seulement: «La Raison », la Raison étant commune à tous, et même, semble-t-il, présente dans les choses dont elle constitue la structure ». Cette phrase a été écrite, en 1946, par Ferdinand Alquié. Dans sa formulation immédiate, elle ressortit au vocabulaire de l'Ecole et on ne s'étonnera pas que «les philosophies de l'engagement» aient pu la mettre au compte d'une certaine fadeur rationaliste. Il reste, si on y regarde d'un peu plus près, que si la pensée, en France, en avait respecté plus scrupuleusement les termes, il y aurait bien gagné, gagné de l'énergie et contre la sottise. En rassemblant, dans Solitude de la Raison, un certain nombre d'études publiées au cours de ces vingt dernières années (études qui ne sont pas spécifiquement philosophiques puisqu'il y est question aussi bien de J.-P. Sartre et de M. MerleauPont y que du surréalisme), F. Alquié ne manifeste pas, semble-t-il, d'intention polémique. Il rappelle seulement, et avec quelle rigueur, un rendez-vous qu'il avait donné alors ...
Existentialistes et marxistes
Dès cette époque, en effet (et, bien avant, dans ses cours)..., il posait une question décisive, celle à laquelle finalement viennent se heurter, quelque ruse qu'elles veuillent y mettre, toute théorie (dite, démontrée, exposée) et toute pratique (définie techniquement et effectuée) : la question de la vérité. L'occasion qu'il avait, à ce moment, de soulever un tel problème était la querelle opposant existentialistes et marxistes, que. relie que supervisait, avec les forces surabondantes que lui fournissaient la providence divine et les voix du M.R.P., la pensée chrétienne. Qu 'on se souvienne de ce qui se passait alors - non pour le plaisir d'une remémoration morose -, mais parce que ce qui se dit et s'écrit, aujourd'hui, participe encore de ce même état d'esprit et, trop souvent, en dépend étroitement! , On disputait pour savoir qui lèverait le plus haut la bannière de l'humanisme, qui ferait le meilleur sort à l'homo me, passé, présent, à venir et, en tous cas, inoubliable et irremplaçable; c'était à qui, dans la surenchère prophétique, assurerait à l'humanité le destin (récupéré et projeté) le plus juste, le plus ri· che, le plus « dépassant» !
Bref, l'idéologie dite de gauche, en France, commençait son pro-
La question de la vérité
cessus d'autodestruction théorique. Elle choisissait dans l'éventail que lui offrait la tradition révolutionnaire, le plus mauvais parti : eelui de l'indignation, de l'efficacité idéologique à court terme, celui où l'idéologie accepte, même dans ses prétentions théoriques, de se situer au niveau de la plus fébrile et de la plus mesquine propagande.
F. Alquié a refusé, d'entrée de jeu, de s'en laisser conter. Il a demandé - et ce rappel est opportun, dans la mesure oÙ il permet de scander l'histoire idéologique contemporaine en des textes pré. cis et brefs - qu'on distingue toujours entre ce qui est affaire passionnelle et ce qui ressortit à l'ordre de la Raison.
S'appuyant sur ce qu'il est convenu d'appeler le rationalisme métaphysique, il analyse les productions intellectuelles de son temps en fonction de cette idée fonda· mentale, mais presque toujours inaperçue, qu'à une question théorique, il n'est de réponse que théorique "et que toute considération morale ou politique, toute référence au vécu, à l'empirisme, au prétendu donné immédiat doivent être exclues. Dans ce texte même, il reprend brièvement un des thè· mes majeurs de son œuvre - singulièrement dans la nostalgie de fEtre - à savoir que le refus de la rationalité est, pour ainsi dire, « normal»: car la Raison est l'Etre même, elle n'est pas moi, mais «ce qui porte le moi » et le contraint dès lors, celui-ci se rebelle : il la hait, mais conserve le désir de sa réalité et de sa fermeté; il s'arroge une liberté absolue ou prétend se faire le dépositaire d'un mouvement de création qui passe par lui et dont il devient, dès lors, responsable... Il refuse, dans le désarroi, cette raison que la métaphysique lui proposait, à la fois, comme contrôle et comme sollicitation d'aller plus avant; il s'abandonne aux miroitements de l'empirique.
Le phénomène surréaliste
Le «moi» n'est plus partagé entre le fini et l'infini, comme le voulait Descartes : il est le tout; autant dire qu'il n'est plus rien •• " rien que la passion qui l'habite et qui le fait être chrétien ou mar·
' xiste, néo-marxiste ou néo-chrétien, ou les deux (ou les quatre) à la fois. C'est à la lumière d'une telle problématique que F. Alquié ....:... dans la ligne de l'ouvrage qu'il y a consacré - analyse, par exemple, en quelques brèves pages, le phénomène surréaliste. Il note les contradictions qui ont été la vie même du surréalisme, il souligne leur irréductibilité. Il y voit une
autre manifestation de ce désir de l'Etre, désir que guette et que mine la haine, de cette guerre que mènent, à l'époque actuelle, sourdement et dans la confusion comme, jadis, dans la clarté" d'une réflexion qui se voulait savoir, Immanence et transcendance, vécu et raison ...
Il y a, certes, des questions théoriques à poser. C'est le propre d'une œuvre philosophique comme celle de F. Alquié, qui s'est développée dans la rigueur, de :provoquer des interrogations. Il n'est pas sûr, par exemple, qu'on puisse aussi aisément comprendre l'alternative méthodologique science-passion (ou idéologie) à celle, qui est ontologique, transcendance-immanence; ou qu'on ait le droit, comme l'a fait la métaphysique classique, de tenir pour évidente l'identité de l'Etre et l'infini. Mais ce sont là discussions théoriques. L'important est qu'il y ait exigence théorique, une exigence qui s'applique ici aux œuvres et aux hommes qui constituent notre culture.
François Châtelet
Un guide
' Michel Alexandre Lecture de Platon Bordas éd., 420 p.
Sous ce titre modeste se trouve réuni l'ensemble des cours de Michel Alexandre, lorsqu'il était professeur de Khâgne, entre 1931 et 1952. Par souci de garder vivant son enseignement, on,a conservé telles quelles les notes qu'avaient prises ses élèves, en leur laissant leur côté concis, parfois télégraphique.
A l'exception du Phèdre, du Politique et des Lois, tous les principaux dialogues sont ici abordés. L'auteur suit de très près le texte, presque ligne par ligne et l'illustre de deux points de vue différents. D'abord, par son analyse philosophique qui se réfère constamment soit aux grands systèmes classiques (Descartes et Kant ), soit aux préoccupations de l'époque. En suite, en sachant nous intéresser au personnage de Socrate, et en nous faisant comprendre les situations, les détails, par l'histoire et les mœurs athéniennes du V· siècle. C'est donc un guide à travers Platon que Michel Alexandre , se propose d'être pour le lecteur, comme il le fut pour ses élèves. Entreprise qu'il considé· rait comme particulièrement utile pour un texte qui ne livre 'rien de ses richesses si l'on ne sait l'aborder. Platon, disait Michel Alexandre « est le seul auteur qui suffise, seulement il n'apprend rien, ü ne vous force jamais ».
On pourra faire plusieurs reproches à cet ouvrage: certains passages importants ne sont pas toujours suffisamment commentés, l'interprétation, trop intellectualiste, donne parfois une image un peu kantienne de Platon, mais on ne saurait nier non plus le mérite d'une telle tentative. Il ne manque pas en France d'ex· cellentes études d'ensemble sur la doctrine de Platon, ce livre ne prétend pas rivali. ser avec elles, il les complète. Pour ceux qui voudront entreprendre une lecture du texte platonicien - que rien ne saurait remplacer - il sera un guide sûr et agréahIe : ils trouveront chez Michel Alexandre la rigueur d'un universitaire et la sensibilité d'un honnête homme .
lean-François Nahmias
PH.ILOSOPHIE POLITIQUE
Trois cents lettres de Tocqueville
Alexis de Tocqueville Œuvres complètes. T. 8 Correspondance d'Alexis de Tocqueville et de Gustave de Beaumont Texte établi, annoté et préfacé par André Jardin Gallimard éd., 3 vol. 621 p., 470 p., 644 p.
La confrontation avec ces trois gros volumes de correspondance -qui va de 1828, quand les deux jeunes gens font connaissance au barreau de Versailles, à 1859, année de la disparition de Tocqueville - laisse de prime abord perplexe, en dépit de la magistrale introduction d'André Jardin. Comment classer, et quelle exploitation faire de ces trois cent huit lettres de Gustave de Beaumont, toutes inédites, et de c~s trois cent trente lettres d'Alexis . de Tocqueville, dont une quarantaine seulement étaient connues ? Car il y a de tout là-dedans ! Depuis l'écho des amours de leur bonne à Versailles, que leur propriétaire a rencontrée « donnant le bras à un soldat », depuis les malaises et les accou· chements de Clémentine (la femme de Gustave) et les mauvaises humeurs de Marie (la femme d'Alexis), jusqu'aux jugements dé· jà portés, dès Versailles et avant même le voyage en commun aux Etats-Unis, sur la politique et les mœurs en France, sur le légitimisme et son avenir. Seul l'éloignement, de surcroît, et non les circonstances, donne sa périodicité à cette correspondance.
Comme il est naturel, on s'écrit quand on est séparé : rien donc sur les Etats-Unis, précisément ; ni sur la révolution de 1848, puisque les deux amis étaient ensemble à Paris pendant ces tragiques événements. L'échange de lettres ne s'accélère pas forcément quand les faits les plus décisifs se produisent. Et puis, tout cela paraît d'une autre époque, alors qu'il faut six jours pour aller - comme le mé· nage Beaumont en août '1843 -de Paris à Nice, et que Nice est, de plus, encore rattachée au royaume de Sardaigne. Alors l'histoire de ces deux jeunes aristocrates, empêtrés dans leur parentaille conservatrice, embarrassés devant les Orléans au point de préférer faire un voyage d'études quelque temps en Amérique, et qui oI;lt bien du mal à se transformer, le moment venu, en défenseurs de la République, prend un caractère un peu désuet. 'On songe à la description qu'Alexis fait de son château, dans la Manche, près . de Cherbourg : « Une vieille mai· son flanquée de deux tours... avec de vastes cheminées qui donnent plus de froid que de chaud... »
Pourtant - bien qu'il soit . plus facile, et plus « moderne », de penser ' à Karl Marx, à cette époque dans son appartement à Londres - il faut rejeter ces appa-
rences, qui sont de fausses apparences et nous masquent la vérité. Tocqueville a là-dessus une forte expression. Parlant des électeurs . qui l'ont boudé en 1837 parce qu'ils avaient dans la tête, sur l'aristocratie, « quelque chose de semblable à la répugnance instinctive que les Américains ont pour les hommes de couleur », il faut déchirer le voile de nos préjugés et voir ces choses-là comme elles sont : le XIXe siècle, c'est uous. D'abord, quelle similitude entre les luttes parlementaires, sous Charles X et Louis Philippe, et
. tente et son drapeau et il s'es' montré de là, écrit Tocqueville, à la Chambre et au pays comme le seul homme qui, sans vouloir amener une révolution nouvelle ... pouvait consolider ce gouvernement-ci. » N'y a-t-il pas dans ces mots toute la réalité politique, l'atmosphère et la perspective selon lesquelles nos affaires publiques n'ont cessé de se traiter?
A travers cette lutte, d'ailleurs, des mutations se produisent, une société intermédiaire se constitue, où les restes de l'aristocratie se dissolvent dans la bourgeoisie et les
Alexis de Tocqueville, PCV Chassériau.
celles de la Troisième, de la Quatrième, et même de la Cinquième République. Le système s'est alors créé, dont nous vivons encore, et je me réfère à la description que Tocqueville fait de la longue lutte entre Thiers et Guizot. Elle aboutit au célèbre débat, à la Chambre, en mai 1837. Guizot monte à l'assaut, et son entrée dans le ministère Odilon Barrot paraît devoir s'imposer. Mais, le lendemain, Thiers, froid et habile, prend position à Ini-route de la gauche et des Ininistériels : « Il établit là sa
intellectuels avancés, tandis qu'on passe du comte Molé à Barrot et à Blanqui. Tout cela, c'est nous, et même l'apparition de Louis Napoléon, quand il est élu pour la preInière fois à Paris en septembre 1848. Au creux de ce XIXe siècle, tout ce qui va faire le nôtre est là : les socialistes et Karl Marx avec 1848 ; la société capitaliste libérale qui se renforce ; et Gobineau, dont Tocqueville commente, dans une lettre du 3 novembre 1853, le Traité sur l'inégalité des
. races, qu'il vient de recevoir :
La Quinzaine littéraire, rr au 15 mai 1967.
« Un gros livre, pour prouver que tous les événements de ce monde s'expliquent par la différence des races, système de maquignon plutôt que d'homme d'Etat. »
Il y a plus. L'actualité est saisissante des jugements que Tocqueville porte en matière de politique extérieure, quand il est, pendant quelques mois en 1849, ministre des Affaires étrangères du prince-président. La situation est la même d'un peuple qui a le souvenir d'une force immense, et qui « aspire à tout et, au fond, ne veut et peut-être ne peut rien oser. » A la veille du Deux décembre, parlant de l'état de l'opinion dans son département, la Manche, Tocqueville remarque la « grande tolérance pour ceux qui n'aiment pas (Louis Napoléon), et l'entraînement presque général à le renommer, parce qu'il y est ». Peu de temps après le Deux décembrè, Tocqueville observe déjà « qu'une Chambre nommée directement par le vote universel et maintenue dans une situation subalterne et humiliée n'est rien jusqu'à ce qu'elle devienne tout ». Enfin, quelle pénétration, à propos de la Russie, telle que la fait voir le savant allemand Haxthausen. Là, l'actualité est atteinte à travers la permanence, clairement perçue, d'un certain nombre de phénomènes. Tocque. ville constate que la Russie est uniforme dans ses usages et « jusqu'aux moindres détails de l'aspect extérieur des objets ». Permanent aussi est le mécanisme par lequel l'excès d'égalité met en cause la liberté. C'est la grande idée fondamentale de Tocqueville, qui court de la Démocratie en Amérique jusqu'à l'Ancien Régime et la Révolution, en passant par les Souvenirs (de la révolution de 1848), les rapports du parlementaire et une partie de la correspondance générale.
Dès juillet 1838, Tocqueville met en garde son correspondant -et il ne s'agit plus là de considérations sur les Etats-Unis, mais manifestement d'une réflexion que le jeune parlementaire tire de sa vie politique en France, sous la monarchie de Juillet - contre le fait que « les idées et les sentiments des peuples démocratiques les (font) tendre naturellement, et à moins qu'ils ne se retiennent, vers la concentration de tous les pouvoirs dans les mains de l'autorité ce"(ttrale et nationale ». Ce n'est pas que Tocqueville soit contraire à l'esprit démocratiquequi le croirait d'un homme marque dès ses débuts de ce côté-là,
. et qui est, en quelque sorte, le La Fayette des penseurs de l'époque ? - mais il sait où le bât peut blesser dans les affaires de ce monde, toujours imparfaites et en équilibre instable. Une pensée très ferme, souvent répétée, pénètre peu à peu le milieu qui entoure Toc-
~
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une révolution • • • • • • ~ Trois cents lettres
de Tocqueville
technique • • • • • • queville, au point qu'elle donne • en 1853 à Gustave de Beaumont • • le talent d'écrire : « Quelle est la
• • valeur des droits que ne protège • aucune liberté ? ». Y a-t-il, aujour-• d'hui, problème plus actuel de • Washington à Moscou ? : La correspondance entre Alexis au serVice • de Tocqueville et Gustave de Beau-
de la réforme • mont met également en lumière le • caractère des hommes. Soupçon-• nait-on Tocqueville, à propos d'une • jeune personnequ 'il fréquente à • • Versailles, capable d'écrire : « Je
de • crois que ces yeux-là ' voulaient • être tendres, mais que la matière • première manquait. » C'est encore • lui qui, parlant du philosophe • Charles StoffeIs, le traite de • • « grand jeu;ne homme. clair de • lune » ; et comme il a fait un • beau mariage, ajout~ qu' « il est
l'enseignement • retombé du haut de ses nuages • sur la terre et a employé sa méta• • physique à tourner la tête d'une • héritière ». • Plus importantes, bien sûr, sont • les précisions que nous tirons -de • cette correspondance sur certains •
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• points restés obscurs de l'action et • de l'œuvre de Toçqueville. On • comparera utilement le discours • officiel qu'il prononce pour ac• cueillir, à Cherbourg, en tant que • • président du Conseil général, le • prince-président, et la lettre qu'il • écrit, le même jour, à Beaumont • pour commenter l'événement. On • sentira toutes les hésitations qui • ont agité cette double carrière • • d'écrivain et d'homme politique, • tenté par la chose publique et • attiré par le « rude et détestable • métier d'auteur ))_ (juillet 1838). • On verra naître l'idée de l'œuvre : à faire, avant qu'elle ne soit ou-• vertement entreprise. A Sorrente, • en décembre 1850, Tocqueville • 'songe manifestement à ce qui va • être les Souvenirs, quand - il parle • de ce « nuage qui flotte devant • • mon imagination )) ; et de même • une lettre du 8 avril 1853 annonce • l'entreprise; cette fois dévoilée, de • 1'Ancien -Régime et la Révolution. • Enfin, dans cette correspondan: ce se voit à chaque lÎgne - sauf • deux périodes de froissements et
1200 C.E.S. à constn.tl~e . en 5 ans! • d'irritation sous la monarchie de -Seule, l'Industrialisation du Bâtlmènt peut.y parvenir. • Juillet - l'amitié qui lie les deux
Dans le domaine scolaire, G.E.E.P.-INDUSTRIES, • hommes. Gustave de - Beaumont le plus anèien et le plus important -des Constructeurs : est touchant quand il en écrit. Il
_ (4000 classes édifiées en 6 ans, pour 150 OOQ élèves; • reconnaît avec simplicité la supé-2500 classes pour la seule année 1966), • riorité de Tocqueville comme per
reste à la pointe de ce combat. • sonnalité poljtique et comme écriGrâce au dynamisme de son Service. Recherches _, • vain. Mais c'est très justement que
à la puissance des moyens mis en œuvre, G.E.E.P.-INDUSTRIES, • Tocqueville met l'accent sur tout ne cesse d'améliorer la qualité et le confort : ce que lui a apporté cet homme
de ses réalisations et de justifier • dynamique, au contact -humain. la confiance grandissante qui lui est faite. • Pratiquement, toute l'œuvre de
• Tocqueville a été commentée, dis-• cutée, revue sur épreuves par son • ami Beaumont. A ce titre encore • la correspondance entre les deux : hommes apporte beaucoup d'infor-. - mations sur l'élaboration de la • pensée tocquevillienne : et on se • prend à regretter, pour la critique • à venir, que le téléphone remplace
22, rue Saint-Marti_n, _ Paris-4· : si souvent, _ aujourd'hui, la lettre. Téléph. 272.25.10 - 8a7.6Ù7 • Jacques Nantet
OEEP-I-N-DUSTRIES
UNIVERSITÉ
Jean Capelle L'école -de demain reste à faire P.U.F. éd., 266 p .
Gérald Antoine, Jean-Claude Passeron La réforme de l'Université Calmann-Lévy éd., 291 p.
Dans ces deux livres consacrés aux problèmes de l'enseignement, ce qui frappe le plus, c'est la- différence des perspectives. Le recteur Capelle est sans nul doute, des trois auteurs, celui dont le regard embrasse le champ le plus large. L'ancien' directeur général de l'organisation et des programmes scolaires est de ceux qui ont donné à la réforme de 1959, dont il souligne justement la timidité, un élan plui vigoureux: il fut à l'origine de la création des C.E.S. et de la définition de la carte scolai,re. Ajoutons que depuis son départ du ministère, la réforme du premier cycle n'a reçu -aucul\e impulsion décisive.
Son livre suit un plan simple : deux courtes parties préliminaires rassemblent des données connues, en insistant sur le bref répit que constitue la décennie 1960-1970, avant une seconde explosion scolaire. Suivent deux grandes parties, l'une sur les enseignements fondamentaux (ju squ'à dix-huit ans), l'autre consacrée aux enseignements supérieurs.
Ce plan rend mal compte de l'originalité de l'ouvrage, qui réside essentiellement dans une approche réaliste, positive des problèmes. On ne sait s'il faut l'imputer à la formation mathématique ou à la pratique administrative, mais l'auteur voit la réforme concrètement: d'où un certain dépaysement pour qui fréquente la littérature, à forte charge idéologi«we, courante en cette matière. Comme exemple de cette démarche, on verra la façon dont le recteur Capelle traite du surmenage scolaire : il nous épargne les tirades hypocritement api~ toyées, et distingue dans l'emploi du temps des heures lourdes, des heures neutres, des heures soula,geantes, avant de recomposer Une journée scolaire: TI est ainsi conduit à poser le -problème des vacances : il le fait sans démagogie, ce qui lui vaudra des ennemis, mais il faut bien dire qù'on ne pourra s'accommoder indéfiniment de l'anarchie actuelle, imputable d'ailleurs pour une part aux habitudes d'une administration pressée d'enregistrer des compositions. Dans le même ordre d'idée, notons des_suggestions qui seront reprises : introduire une langue vivante à la fin de -l'école élémentaire, ce qui met en f{Uestion la polyvalence rigoureuse des instituteurs; repousser d'un an le début du latin et constituer un tronc commun d'une année -le ~ot est évité. Enfin une analyse impitoyable des examens -conclut à la séparation de l'examen de fin d'éhldes et de l'examen de selection, notam-
La réforlne de l'enseignelnent ment dans le cas du baccalauréat. Bref, il y a beaucoup à glaner au fil de ces pages.
L'idée directrice du livre réside dans une volonté de promouvoir les études techniques de tous niveaux. Le grand risque pour le recteur Capelle est l'engorgement des filières d'enseignement général, les plus nobles, tandis que les filières professionnelles, les plus utiles socialement, et non moins dignes, n'accueilleraient pas assez de recrues. De ce point de vue, la parenté avec l'ouvrage de M. VermotGauchy, l'Education nationale dans la France de demain (S.E.D.E.I.S. éd.) si stimulant pour la réflexion, est évidente.
Pour obtenir l'harmonie des talents, des qualifications et des ambitions, qui risque d'être compromise de manière explosive en 1975, le recteur Capelle compte à la fois sur la revalorisation de l'enseignement technique et sur le renforcement des sélections. Il veut intégrer l'enseignement technique dans l'enseignement général, pour l'ennoblir en « l'humanisant ». Inversement, il dénonce le scandale d'un libre accès aux facultés, tandis que l'entrée dans les I.U.T. se veut sélective. Mais cette démonstration n'est pas totalement convaincante. Il manque d'abord une partie qu'on aurait pu intituler « professionnaliser l'enseignement humaniste », et que nul n'aurait pu écrire mieux que le recteur Capelle qui plaida autrefois avec conviction la cause de la technologie obligatoire, considérée comme discipline de formation générale.
La position des universdtaires
Sous le titre « Conservatisme et novation à l'Université », l'essai de J .-C. Passeron constitue la seconde partie de la Réforme de l'Univer- . sité. Sociologue brillant, auteur avec P. Bourdieu des Héritiers, J.-C. Passeron analyse ici la signification des positions des universitaires en face de la réforme de l'Université. C'est donc une analyse au second degré, une . critique des critiques, une révision des réformes. On a peine à se défendre d'un certain agacement quand l'on est soi-même engagé dans ces débats, · et ce livre est de nature à vous faire passer l'envie d'écrire sur ce sujet, voire de répondre aux enquêtes apparemment anodines d'universitaires. J .-C. Passeron est dans la situation du voyeur : il sait la vérité de" propos, tandis que leurs auteurs l'ignorent. Le moindre texte peut servir de prétexte à l'analyse redoutable du sociologue, et Dieu sait ce qu'il lira entre les lignes : il décèle le conservatisme de positions réformistes, mais le cours magistral lui révèle presque un sens novateur. Au terme, on ne sait plus où l'on en est : les adversaires renvoyés dos à dos, l'auteur ne conclut pas. C'est d'ailleurs sa force : s'il
concluait, il se mettrait lui-même au niveau des positions qu'il prétend arbitrer et deviendrait à son tour justiciable des critiques d'interprétation.
Le point faible de cette position, c'est que la distance du sociologue à son objet - les positions des universitaires devant la réforme -est factice. Universitaire lui-même, la réforme le concerne. Ne pas conclure, est-ce alors autre chose que s'avouer satisfait du statu quo? Retournons-lui le compliment : derrière la nouveauté intellectuelle de l'analyse, on peut découvrir un conformisme très traditionnel : cet essai est une excellente dissertation.
Ma critique concerne surtout la dernière partie du livre, qui analyse les réponses de membres de l'enseignement supérieur littéraire à une enquête centrée sur l'agrégation. Dans d'autres domaines, l'analyse critique de J .-C. Passeron n'est pas sans fécondité. En démontant inexorablement les propositions des autres, avec talent, rigueur et pertinence, il laisse deviner ses propres solutions. S'ils surmontent la crainte de ·son regard futur, d'autres pourront construire sur le terrain qu'il déblaie, . et où déjà il amorce quelques fondations.
La critique des planificateurs porte pleinement. La rationalité qu'ils introduisent dans l'enseignement ne repose pas sur une logique objective des faits, comme on le croit trop vite. Elle implique une hiérarchie des fins de l'éducation. D'ailleurs aucune fonction sociale, pas même celle qu'assurent les in-
. vestissements productifs, n'obéit strictement à la logique de la rentabilité. On ne peut donc échapper à un jugement de valeur qui hiérarchise les fins de ce système multifonctionnel.
Vient ensuite une ex~ellente analyse des « équivoques de la démocratisation » qui dénonce une double erreur. Les défenseurs de l'extension à tous les enfants d'une scolarité inchangée se trompent, car ils postulent que tous les enfants sont interchangeables; les défen-
La Quinzaine littéraire, 1" au 15 mai 1967.
seurs de la différenciation scolaire par l'extension des enseignements latéraux, techniques notamment, se trompent aussi en ne reconnaissant pas la hiérarchie sociale des types d'enseignement. Et J .-C. Passeron s'engage ici en concluant, ce que nous ne pouvons qu'approuver puisque nous le défendons depuis plusieurs années, à la nécessité d'un effort pédagogique de l'école. C'est « par l'instauration d'une pédagogie - inexistante actuellement -visant à donner à tous les moyens d'acquérir ce que, faute de concevoir leur nature sociale, elle perçoit comme des « . dons », que l'école contribuera à sa propre démocratisation ».
J .-C. Passeron s'en prend ensuite aux équivoques de la « révolution pédagogique », entendez par là le mouvement favorable à la modification du rapport hiérarchique du maître aux élèves. Il montre fort bien que le rapport pédagogique n'est pas autonome, et qu'il faut distinguer le jugement porté sur l'efficacité de la démocratie pédagogique de sa valeur sociale. Il est vrai que le meilleur service à rendre à certains étudiants est parfois de faire un cours magistral, tandis qu'on défendrait contre eux"mêmes certains professeurs en les détournant du « faux socratisme » paresseux de séminaires non direCtifs. Enfin il était bon de souligner l'idéalisation du système américain qui sévit chez certains universitaires réformistes.
Le oouple Paris-provinoe
Le recteur Antoine s.ouscrirait à ces conclusions. Mais avec lui nous changeons de· registre. C'est un grammaIrIen qui parle, et l'administration ne l'a ni formé ni déformé : elle lui a fourni des expériencesqu'il raconte et commente à la manière savoureuse d'un vrai littéraire.
Les meilleures pages de cet essai qui constitue la première partie de la Réforme de l'Université sont sans
aucun doute celles qui traitent du couple Paris-province et du campus universitaire à la française. Ce sont là problèmes directement vécus par le recteur d'Orléans, et contre sa vision judicieuse, équilibrée, les arguments s'émoussent. Le campus qu'il propose n'est pas séparé de la ville, mais il a de l'espace, de vrais arbres et de l'herbe verte, et l'urbanisation qui l'enserre s'arrête à sa porte. Bien plus, le livre suggère d'organiser des lieux de rencontre entre citadins et étudiants : la maison des étudiants peut être la maison de la culture, et l'on peut prévoir une galerie marchande qui soit intégrée topographiquement' au campus tout en étant juridiquement en dehors.
Pour le reste de son propos, le recteur Antoine défend, avec· un rare bonheur de langage, des solutions de bon sens trop souvent méconnues. Le pessimisme qui affleure ici ou là n'est que trop justifié. On gâche tant de choses qu'il serait facile de réussir. Le recteur Antoine aime la vie: il dit la joie d'enseigner, et la malédiction de ne pouvoir travailler. Il enrage devant la laidt"ur, la tristesse de nos bâtiments moroses : pourquoi le sérieux des études serait-il ennui? Il rédame pour les étudiants les moyens d'un travail véritable et, contre Ivl. Gu~dorf et ce que l'on pourrait appeler le malthusianisme de la haute culture, il revendique pour l'Université un souci de formation diversifiée.
En notre époque où les technocrates et les psycho-pédagogues se disputent la réforme de l'enseignemen t, la voix des honnêtes gens qui demandent quelques mesures simples et humaines a peu de chances d'être entendue. C'est dommage : la réforme de l'enseignement ne se fera pas sans les planificateurs et les psycho-sociologues ; mais elle ne trouvera jamais dans l'opinion l'audience nécessaire au succès si elle ne sait trouver le langage direct qui convaincra les pères de famille.
Antoine Prost
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HISTOIRE
Emmanuel Le Roy Ladurie Les Paysans de -Languedoc S.E.V.P.E.N. éd. T. 1 : 746 p., T. 2 : 289 p.
Thomas-Robert Malthus était un élève doué, mais sans doute mal orienté. Son dernier examinateur en loue l'esprit pénétrant; de la dissertation qui lui est soumise, il va jusqu'à faire siennes les questions directrices et les démarches proposées - un débat fondamental : entre population et subsistances ; le
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il:
"TEMPS ET
CONTINENTS" .. Une remarquable collection"
LE MONDE
vue par un ambassadeur occidental Herbersteln
vue par un. savant allemand Humboldt
IRE vu par un sujet de Louis, XIV
Jean Thévenot
DU xvmo SIËCLE vu par un botaniste suédois Ch.-P~ Thunberg
vu par un voyageur grec Hérodote
vue- par un précepteur français Hubert Vautrin
ETATS-UN,IS PENDANT LA GUERRE DE SÉCESSION vus par un Journaliste français. E. Duvergie.r de Hauranne
vue par un explorateur françaIs G. Th. Mollien
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CALMANN-LÉVY 2%
dessin que lui donnent les variables secondaires ; les enchaînements qui font surgir fluctuations démographiques, essors et plafonds, blocages et catastrophes -; mieux encore, il apporte à cette pensée l'hommage d'une thèse qui l'illustre assez bien pour un grand morceau de France et sur huit générations. Mais l'illus~ tration prend fin au tiers du XVIIIe siècle, et . la dissertation; largement prospective, est d'environ 1800, quand déjà les faits démentent son pessimisme. D'où le rapport -du correcteur, impitoyable et magnifique : « Prophète du passé... vient trop tard dans un monde trop neuf ». Traduisons : bravo pour le schéma suggéré d'une situation passée, mais zéro pour ce qui est d'établir une loi historique et d'éclairer l'action ; refus du certificat d'aptitude aux métiers, d'historien et d'expert. Ne plaignons pas Malthus, qui trouvera encore des employeurs et dont cette réhabilitatiQn dans 'la condamnation souligne autant l'intelligence que la faiblesse!. Voyons plutôt l'examinateur :-- Emmanuel Le Roy Ladurie - son Languedoc et leurs paysans.
Un grand cycle agraire
Les paysans : dans ce livre en effet, tout conspire à l'histoire sociale. Mais c'est un autre personnage que l'auteur pousse au premier plan : « un grand cycle agraire ». Trois fois, depuis le XIe siècle, la société rurale languedocienne a vécu un flux et un reflux: une longue expansion, uri jour malade de ses précarités et de ses contradictions, butte contre une limite et se disloque. Dans le cadre, richement unitaire, de la deuxième phase (XIe-Xve siècle), Le Roy Ladurie a reconstruit les mouvements du nombre des hommes, de la production agricole, des prix, des revenus, des prélèvements, de la propriété, etc., et surtout leur interaction continue - « l'immense respiration d'une structure sociale ». L 'histoire économique ici n'est ni maîtresse ni servante : productions et croissances, répartition des biens et des revenus, caractères et hiérarchie des groupes sociaux, les trois réalités sont en dépendance mutuelle dans la vie, donc dans l'intelligence historique, donc chez notre auteur. Une documentation généreuse permettait ce regard, large, sérielle et bien répartie.
On part de « l'étiage d'une société », au Xve siècle finissant. Pestes et guerres ont fait l'homme rare et les terres vides, donc les salaires beaux et la rente foncière basse. Les mortalités ont provoqué l'éclatemel!t des familles, qui se mue en remembrement, foncier - par regroupement successoral ---: et lignager : la Cévenne retrouve la famille étendue - patriarcale ou fraternelle - dans la rigueur de ses
'manifestations. Le manque d'hom-
Un bon , . .
pOint mes ligote encore un monde revivifié, qui assure la promotion du travail.
L'essor commence vers 1500, quand une croissance démographi. que, vive et soutenue jusque vers 1560, le tire allègrement. Mais elle provoque surtout des défrichements extensifs, de moins en moins rentables, et très vite éclate la contradiction entre « l'élasticité dynamique de la population » et « la rigidité têtue de la production, », qui plafonne au bout d'une génération. La crise des environs de 1530, sorte de révélateur historique total, pour paraphraser Mauss sans élégance, le montre à maints niveaux noués. Les ciseaux restent ouverts après 1560, quand se casse l'essor démographique ; car dans la France folle des guerres de religion, l'activité économique aussi est atteinte. Ils le restent au premier XVIIe. siècle, quand la population reprend plus doucement ses progrès : ceux de la production sont surtout un rattrapage, Mais la répartition a changé entre temps, et avec elle, la société et les « solutions» du drame. La première solution, dès 1530 environ, et la plus durable, est la paupérisation du gros des travailleurs, par le double rétrécissement des lopins - la micropropriété foisonne au même rythme que les hommes - et des salaires, qui tous se dégradent, comme l'alimentation. Le XVIe siècle est l'âge d'or du profit d'entreprise, c'est-à-dire du fermier, qui verse salaires bas et rente encore modeste, et vend un peu plus à des prix ascendants. Une bourgeoisie rurale de capitaines de culture, coiffée d'une oligarchie de brasseurs d'affaires, riche d'argent et habile à le faire suinter et fructifier, c'est l'embryon d'un capitalisme rural. Il avortera, sachant mal accroître sa production et ses domaines, et progressant surtout aux dépens des salariés ; « on ne bâtit pas un capitalisme sur la pauvreté ». Après 1600, à la reprise, les salaires restent au plancher, mais les prélèvements (impôt, endettement, etc.) se font bientôt plus lourds, et la rente foncière grimpe magnifiquement - la terre devenue rare, le propriétaire peut bien dicter sa loi. Alors, les pauvres restent les pauvres, ' mais les fermiers - les laboureurs, possesseurs d'un train de culture - dont le profit est laminé, perdent la sécurité. Quelle belle époque en revanche pour une classe rentière, qui vit des loyers de sa terre ou de son argent, ou de prélèvements extra-économiques (la dîme du Clergé, les bénéfices dont la levée des impôts est l'occasion) ! Voilà de quoi financer les ressorts matériels et le triomphalisme du « siècle des saints», les hôtels ,citadins, et les plaisirs cultivés et libertins d'un petit monde de grands. Au temps du profit et des Pl'omotions a succédé l'âge du prélèvement sans vertu économique et, de l'immobilisme social.
Dans les années 1660, le produit brut pousse une pointe; précaire,
elle tombe en pleine baisse des prix - dont le long mouvement de hausse vient , de se retourner -l'accélère et s'y brise. Le point d'inflexion du grand cycle agraire, le renversement d'ensemble, arrivent vers 1675-80: de façon durable, les productions déclinent ou s'effondrent, le profit fait naufrage -non pas les prélèvements! Et la population suit de peu, retournant sa courbe à son tour. Une baisse soutenue du revenu agricole réel induit une surmortalité prolongée. La décrue des hommes reste modeste, mais significative d'un ajus . tement à la misère - macabre solu- ' tion dernière. L'amenuisement des pauvres s'accompagne d'un remembrement foncier, avec promotion, cette fois, des 'rassembleurs de terre citadins.
Entre Renaissance et Régence, un échec est consommé, qui met en cause, notamment, la vieille économie-grain, avec ses permanences techniques, agronomiques, alimenlaires et la hiérarchie sociale, avec ses prélèvements et les politiques de ses maîtres nationaux et régiOnaux,
En une telle recherche, Le Roy Ladurie manifeste Sa J;D.aîtrise des documents et des techniques, la vigueur de sa problématique, une aisance élégante. Sa marque est dans un choix d'attitudes (ainsi
_ l'enquête « en très longue durée») et dans une série d'apports personnels (un exemple: sa précieuse anatomie des salaires en nature, et mixtes, de l'Ancien Régime) -mais non dans la nouveauté du propos général. Reconstituer les mouvements de l'économie et les antagonismes sociaux qu'ils fondent, déceler les rythmes variés et conjugués des réalités historiques, des permanences multiséculaires aux variations les plus brèves, resusciter la démographie, analyser la croissance, quand on vient après Labrousse, Braudel, Goubert, Vilar et qu'on est de la même trempe, cela peut donner des progrès, ce n'est plus une aventurez. L'histoire économique.et.sociale est un exemple de vraie .croissance, dont le take off date de la décennie 1924-1934, Mais Le Roy Ladurie propose aussi une autre histoire, jamais oubliée mais tellement moins bien domestiquée: celle des niveaux de culture et des blocages psychologiques, des prises de conscience et des échappées de l'inconscient.
Langue française et Réforme
Ainsi mesure-t-il les deux « coulées culturelles» - langue française et Réforme - qui pénètrent au XVIe siècle des morceaux de Midi, et leur insertion dans les luttes. Autre affaire: les soulèvements qui jalonnent la période ont un thème permanent, peu lucide, piégé : le thème antifiscal; il ménage de curieuses alliances sociales, qui
pour Malthus laissent les paysans seuls à l'heure de la répression; il cristallise les ressentiments contre un aspect anonyme et étranger du pouvoir et laisse intacte l'intégration morale à l'ordre établi. Entre 1560 et 1594 pourtant, une ptise de conscience s'esquisse: dans les montagnes, il est des actions souples qui harcèlent de proche en proche tout l'ordre social (fiscal, décimal, seigneurial). Mais l'esquisse ne se prolonge pas. Au contraire, c'tt't une grande vague de hantise ' démoniaque qui triomphe à la fin du XVIe siècle, et les hauts pays, déçus et abandonnés, retrouvent massivement la sorcellerie, vieille sève rurale. La volonté d'inversion sociale se lit dans les affabulations multiples où les délires s'expriment. On voit que l'auteur quitte peu à peu le terrain des élaborations conscientes pour écouter de riches témoignages incontrôlés. Il y a plus de choses sur la terre et dans l'enfer des mouvements sociaux que n ~en rève leur philosophie. Voici, tout près du Languedoc et témoignant pour une même société, le chaud carnaval de Romans (1580), avec ses défilés, défis et déguisements, ses fantasmes d'anthropophagie et ses mimes d'inversion sociale, ses fêtes et son
Gravure du XV' siècle. Scène de moisson,
massacre terminal qui remet tout à l'endroit « psychodrame, dont les acteurs ont joué et dansé leur révolte au lieu de discourir sur elle », en révélant des contenus latents qu'une « idéologie-écran » n'est pas venue masquer . Et dans la révolte des Camisards le combat pour la liberté, la révolte contre la misère et le fisc, l'adhésion à des prophéties millénaristes côtoient l'hystérie convulsionnaire et le fanatisme, leurs impulsions à motivations ir-
La Quinzaine littéraire, 1" au 15 mai 1967.
rationnelles, le tout poussé sur un terreau de traumatismes et de refoulement sexuel propres à la Cévenne protestante.
Le Roy Ladurie met donc au programme des enquêtes historiques, d'une façon qui soit délibérée et non furtive, toutes les manifestations du psychisme. A la problématique déjà riche des soulèvements populaires d'Ancien Régime, il ajoute les pulsions sous-jacentes à la conscience. Pour la troupe dramatique du Théâtre Historien, il vient d'engager le « Çà ».
Entre les deux parcours vers l'histoire sociale - par l'économique, par le mental - il n'y a pas égalité. Dans le premier cas, l 'auteur dispose de sources précises, nombreuses; il les soumet à une critique impitoyable ; maître d'une méthode, il fonde sur elles de véritables démonstrations. Dans l'autre cas, ses témoignages sont plus disparates, plus retors, ses interprétations 'parfois moins sûres et leur expression moins prudente. D'un côté, il convainc et il explique, de l'autre il suggère et il éclaire. L'opposition est très forcée, mais réelle. Le talent de l'historien n'est pas en cause, mais une documentation, et surtout l'immaturité d'un type de
recherche. Il faudrait cependant poser une question: quelle est la valeur explicative du mental, ou la nature de ses contributions à l'intelligence de l'histoire sociale ? il arrive que l'auteur ait pu réunir, pour une situation, un moment, un groupe privilégiés - ainsi la guerre des Camisards - un faisceau d'analyses mentales, économiques, sociales; il approche alors de la compréhension très riche et profonde d'un cas, dans la ligne de
l'intégration chère aux ethnologues. Plus isolés, d'autres coups de sonde dans les réalités mentales sont d'une portée 'plus imprécise : sait-on vraiment J;llesurer si telles révoltes ont plus de « charge affective» que d'autres, et surtout définir l'enseignement historique contenu dans cette intuition? Il reste une troisième façon de fajre appel au mental, en tentant de saisir sa place dans la dynamique sociale, sur le long terme et dans ses enchaînements décisifs. A ce titre, Le Roy Ladurie ' insiste très heureusement sur le thème des blocages culturels .à la croissance; si la formulation semble forcée , à la conclusion, elle trouve son an tidote à d'autres passages du livre. Le mental freine, le mental suit.
Une démarche unitaire
Un chef-d'œuvre, il faut que ça serve. La cause de l'histoire par exemple. On l'invoque beaucoup, dans les débats de la culture contemporaine; mais, mythe ou repoussoir, résidu ou code, morceaux choisis, mag.asin de formes ou chaos indomptable, ce n'est presque jamais l'histoire des histo-
riens. Ils ont tort d'abandonner le public à ceux qui écrivent sur le passé, et les discussions épistémologiques à leurs collègues, au lieu de défendre leur mode d'appréhe'nsion du social - quand ils en ont un, ' bien sûr. Vraiment suffit-il d'aller vêtu de probité ombrageuse, de fureur documentaire et de sens critique ? Le Roy Ladurie ne commente pas sa méthode, mais sait la rendre à tout moment très visible. Retenons-en quelques aspects.
, Il n'est jamais, chez luj., d'étude d'une réalité quelconque à un moment donné - disons, si l'on veu t, d'analyse structurale en coupe synchronique - qui ne suppose, pour elle-même, la confrontation avec un « avant » et un « après » : une réalité datée ne révèle ses significations, son organisation et ses hiérarchies réelles que par la connaissance de la tendance, et du moment de cette tendance, où elle prend place. Aucun intérêt non plus n'est porté à la succession pure, que ce soit le vieux récit, 'absent, ou les courbes abstraites des prix, des r evenus ou des hommes, présentes, mais qui .n 'expliquent rien si on ne les explique pas d'abord ellesmêmes. Une histoire des mouvements purs serait aussi décevante qu'une anthropologie des systèmes formels de relations : le « contenu» s'escamote mal, sauf dans les jeux de l'esprit sur ses propres constructions. Bref, une telle histoire -celle de Le , Roy Ladurie et des prédécesseurs qu'on lui a nomm~s - tente de saisir dans une seule démarche unitaire la cohérence et le mouvement des sociétés ou, si l'on veut, les structures et leurs dynamismes; elles ressemble beaucoup, par là, à certaines sociologies - celles de R. Bastide, de Balandier, de Meillassoux - face à. d 'autres histoires, à d'autres sociologies (ou anthropologies). Aux économistes qui remontent le temps, ce livre peut donner un nouvel exemple des positions des historiens de l'économie, dans le demi-dialogue de demisourds où vivent ces gens-là, sur deux points sensibles : le traitement critique et l'homogénéisation, dans chaque cadre d'emploi, des données chiffrées anciennes d 'une part, et d'autre part la longueur de corde laissée à l'économique pur par rapport à ses attaches sociales réelles et changeantes. Enfin, Le Roy Ladurie écrit une langue simple, forte et belle: c'est s'ouvrir un public qui absorbe aujourd'hui des œuvres aussi grosses aux richesses plus revêches.
Combien lisez-vous de vrais livres d'histoire? Si c'est au moins un par an, Les paysans de Languedoc, sont bons pour votre campagne 1967.
Henri M oniot
1. E. Labrousse, Esquisse du mouvement des prix et des revenus en France au XVIII' siècle, 1933 et la crise de l'économie française à la fin de l'Ancien Régime et au début de la Révolution, 1943. F. Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, 1949. P . Goubert, Beauvais et le Beauvaisis au XVII' siècle, 1960. P . Vilar, Croissance économique et analyse historique, dans les Contributions à la 1'· conférence internationale d 'Histoire économique de Stockholm (1960), Paris, 1960 et la Catalogne dans l'Espagne moderne, 1963.
2. En 1933, l'Esquisse... de Labrousse, qui reste l'œuvre-pilote, encadrée, à un an d'intervalle, de deux autres piliers de rhistoire quantitative, élevés par Simiand et Hamilton. Dès 1924, G. Lefèbvre propose une étude rigoureuse des structures sociales, avec ses Paysans du Nord pendant la Révolution française.
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Georges Tessier Charlemagne Coll. « Mémorial des Siècles » Albin Michel éd., 443 p.
Donald Bullough Le Siècle de Charlemagne Albin Michel éd., 212 p.
En 1965, le Conseil de l'Europe organisait à Aix-la-Chapelle une exposition en l'honneur de Charlemagne, le premier « Européen ». V oilà qui en dit long sur la persistance de la légende de ce ,Karl der Grosse, Carlomagno, Charles the Great, dont la haute stature à la barbe fleurie se dresse aux portes de l'histoire occidentale, à côté d'autres « géants », Alexandre ou César.
Depuis la mort de Charlemagne jusqu'à cette exposition de 1965, la tradition de Charlemagne n'a cessé de se poursuivre avec des fortunes diverses. « L'adulation dont Charlemagne respira l'encens de son vivant est un curieux exemple de ce culte de la personnalité dont notre époque a connu de sinistres manifestations », écrit avec raison M. Georges Tessier. Et de retracer à grands traits les images successives que l'on se fit de ce symbole. '
Dans les convulsions politiques qui suivirent sa mort, son règne apparaît comme un paradis perdu : « C'était alors partout l'abondance et la joie. C'est maintenant partout la misère et la tristesse ». Il est le héros de maintes légendes qui courent à travers ' toute la littérature du Moyen Age: la Chronique du pseudo-Turpin, par exemple, avec miracles, visions, prophéties, et surtout cette Chane
son de Roland qui est « l'Iliade » française par excellence et fut remaniée tant de fois, au cours des siècles, jusqu'à Victor Hugo. Otton III vit, dit-on, Charlemagne assis sur son trône, comme s'il était vivant, la tête ceinte d'une couronne d'or, tenant son sceptre dans ses mains couvertes de gants, « que les ongles continuant à pousser avaient troués... » Tout cela ne pouvait aboutir qu'à la canonisation, qui transforma en saint ce bon vivant prolifique. Frédéric Barberousse, élu roi à Francfort, en 1152, se fit couronner empereur quelques jours plus tard à Aix-la-Chapelle, rendant ainsi hommage à Charlemagne, dont il s'instituait le continuateur. Lorsque Napoléon Bonaparte se fit à son tour, sept siècles plus tard, proclamer empereur des Français, il ne manqua pas de plumitifs (on en trouve toujours) pour saluer l'avènement d'un nouveau Charlemagne. Et qui sait si aujourd'hui encore son souvenir ne hante pas les nuits de quelque grand ?
Qui était au fond ce personnage hors série ? Quel a été réellement son rôle ? Pour un savant historIen belge, le professeur Ganshof,
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Charlemagne et sa légende
c'était un profond homme d'Etat. Pour un historien anglais non moins savant, M. Wallace-Hadrill, «cette personnalité d'homme d'Etat » n'a probablement jamais existé. Les deux livres de M. Georges Tessier et de M. Donald Bullough viennent- donc à leur heure. Ils se complètent admirablement et font le point de ce que l'on peut aujourd'hui honnêtement savoir.
Dans la collection le « Mémorial des siècles », M. Georges Tessier nous présente, traduit en français, un choix de textes à partir desquels on a pu établir l'histoire de Charlemagne : les Annales royales, la Vita Caroli d'Eginhard, Hincmar, Notker de Saint-Gall, les Capitulaires" etc. L'introduction éclaire ces textes, résume ce que l'on a pu en tirer. Un homme fruste et intelligent, formé par l'équitation, la chasse, la natation, qui parlait un dialecte germanique, peut-être un dialecte roman, et un peu le latin, qui savait lire et peu écrire, et qui, à plus de trente ans, se mit à étudier les sciences de
Clwrlenwgne, par Dürer (détail).
son temps, la rhétorique et la dialectique, l'arithmétique et cette astronomie primitive qui permettait de calculer le retour cyclique de Pâques. Ce grand conquérant, ou ce grand pacificateur comme on voudra, qui soumit au baptême' les Saxons vaincus «( Si quelqu'un viole le saint jeûne de carême par mépris pour la religion chrétienne et mange de la viande qu'il soit puni de mort. Les prêtres examineront pourtant s'il n'y a point été forcé par un motif de nécessité ... Si quelqu'un fait un vœu aux fontaines, aux arbres ou aux forêts ... qu'il paie soi~ante sous s'il est noble... etc. ») fut aussi un grand administrateur. Par son ordre, on révisa les législations coutumières, on chercha à édicter des règles 'générales. Des missi parcouraient le royaume, plus tard l'empire, pour y faire régner l'ordre, la justice, la paix. Il semble que Charlemagne ait voulu être un roi selon la Bible (Alcuin le compare à David) qui doit guider le peuple chrétien et assurer sa défense contre les païens ,et son unité spirituelle. Il appartient à l'empereur de défendre la sainte religion du Christ, au pape d'aider par ses prières aux succès de ses armes.
Mais ce n'est pas seulement le rôle de conquérant et de législa- , teur de Charlemagne qui a frappé
ses contemporains et la postérité. Il sut réunir autour de lui, dans sa cour d'Aix-la-Chapelle, les esprits les plus brillants de son temps: l'Anglo - Saxon Alcuin, l'évêque Théodulphe. Dans cette cour encorè si fruste, la «culture» devient à la mode et les nobles du palais se mettent à , étudier, à la suite de l'empereur. On rénove l'écriture. On peint des psautiers. Alcuin écrit un dialogue entre luimême et Charlemagne : « Exposez la nature de la justice ». Alcuin : « La justice est un état d'esprit qui assigne à chaque chose sa propre valeur. En elle sont préservés le culte du divin, les droits de l'humanité, et l'état équitable de l'ensemble de la vie ».
Le très bel ouvrage de M. Bul. lough, dont nous extrayons ces lignes, complète le livre de M. Tessier, en nous promenant à travers l'empire et le siècle de Charlemagne : ce reliquaire du monastère d'Anger (Saxe) fut peut-être offert par Charlemagne à Witikind, le chef saxon vaincu, lors de son baptême l
, cette page du ' psautier de Saint-Gall, avec ses curieux soldats carolingiens, ces pages de manuscrits où l'on découvre l'admirable « minuscule caroline », qui fut une révolution dans l'écriture, après les signes illisibles mérovingiens, cette page ~ surréaliste des Pléiades dans un manuscrit d'Aratus de Reims, cette maquette de la reconstitution du palais de Charlemagne~ à Aix-la-Chapelle,
etc. Documentation considérable qui soutient un texte solide et aussi peu pédant que possible. (Comme ces historiens anglais ou écossais sont agréables à lire, qui se croiraient déshonorés d'écrire en jargon ! le pédantisme est à leurs yeux un ridicule et une impolitesse.)
Il s'agit là de Charlemagne, certes, "mais aussi de son siècle, de la civilisation de son temps. Et l'on peut souscrire pleinement à la conclusion de M. Bullough : « Ce qui distingue (Charlemagne) des autres hommes et des autres chefs, c'est son extrême vigueur physi. que et mentale, sa faculté de réa· gir aux revers et aux désastres par un surcroît d'efforts et l'instauration de nouvelles mesures pour ré· soudre les problèmes latents ; sa curiosité et son désir d'apprendre ... et surtout la force de sa personna· lité. L'ascension apparemment soudaine à de nouveaux sommets dans la guerre ou le gouvernement, en art ou en littérature... exigent la catalyse d'un événement ou d'une personne. C'est parce qu'il fut ce catalyseur qu'on peut par· ler du siècle de Charlemagne... »
Et cela explique la légende et la persistance de la légende.
Edith Thomas 1. II faut regretter que la traductrice de M. Bullough ait gardé l'orthographe anglaise des noms propres: Widukind est appelé en français WitÏkind; Théodulf Théodulphe, etc. C'est comme si on lais: sait London pour Londres, dans uue traduction française ...
Le Livre des Héros trad. de l'ossète par Georges Dumézil, Gallimard éd., 264 p.
Mythographe et comparatiste, ainsi qu'il le rappdle dans sa pré. face à l'édition française de la Religion romaine archaïque, Geor· ges Dumézil fait avant tout œuvre de savant. Il a donné en 1965, sous le titre le Livre des Héros, la version française de la plus grande partie du recueil ossète: Chants épiques sur les N artes; publié en 1946 au terme d'une enquête sys· tématique menée au Caucase par des savants ossètes et russes. Quel intérêt le non.spécialiste, qui par· fois ignorait jusqu'à l'existence de la langue ossète, peut-il prendre au Livre des Héros? Et d'abord, qui est le peuple ossète ? Qui sont les Nartes?
Georges Dumézil évoque, dans son introduction, cette mosaïque dé vieux peuples qui vivent sur le versant nord de la chaîne du Cau· case et qui, malgré la diversité de leurs origines, possèdent en cnmmun une civilisation matérielle et morale qui les distingue des peu~ pIes non caucasiens. Au centre de la chaîne vit le peuple ossète, peu· pIe indo.européen, « l'ultime dé· bris du vaste groupe qu'Hérodote et les autres historiens et 'géographes de l'Antiquité couvraient des noms de Scythes et de Sarmates ». Leur parler s'explique « à partir de ce qu'on entrevoit de la langue des Scythes, sœur septentrionale et tôt séparée des langues classiques de l'Iran ».
Quant aux Nartes, nés sans doute en Ossétie, mais connus aus,si des Tchetchenes, Ingouches, Tcherkesses" Abkhaz, etc., ce sont des héros, fabuleux, dont le nom générique « dérive certainement,
' d'une manière ou d'une autre, du nom indo·iranien de l'homme héroïque, nar ».
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• • • • • Vi~ux .peuple du Caucase • • • •
L'épopée narte possède, au point de vue linguistique, historique, sociologique et folklorique, un intérêt considérable. 'Georges Dumézil mentionne, entre autres survivances des réalités scythiques dans la légende, la tripartition sociale, de type indo-iranien, du village mythique ' des Nartes. A chaque niveau, une famille; pour chaque famille, une fonction. Au sommet de la colline, les Aehsaertaeggatae incarnent la force physique, l'héroïsme guerrier; au milieu de la pente, les Alaegatae, l'intelligence, la sagesse; tout en bas, les Boratae, la puissance économique (richesse en troupeaux).
De même, les croyances religieuses auxquelles se réfère l'épopée narte' sont encore celles des Ossètes au début du XXC siècle. Elles rassemblent pêle-mêle le Dieu chrétien ou islamique, des êtres surnaturels dont certains dérivent, pour les noms, des saints Elie, Georges ou Théodore, un forgeron qui loge au ciel et a pour miss~on de chauffer à blanc les héros, un
, roi des eaux, un juge et gardien des morts, un géant borgne," manière de Polyphème, etc.
Mais l'épopée narte n'est pas seulement un document polyvalent. C'est un texte d'une remarquable activité poétique, le fruit d'un compromis incessant entre le réel et la fiction. L'humanité de ce poème - si l'on entend par humanité une certaine richesse psychologique qui nous le rendrait proche - ne nous paraît pas l'essentiel. Les personnages ressemblent à des fonctions plus qu'à des personnages. On ne les distingue les uns des autres - à l'exception
. du héros féminin Satana - que dans la mesure où chacun d'eux met en jeu . une disposition fondamentale à la bravoure, à la ruse, à l'ingéniosité, à la violence. Soslan, en dépit d'une faute, est le
, vaillant, le généreux; Syrdon, le fourbe; Batradz, le violent. Quant li Satana, jolie diablesse terriblement féminine, elle figurerait assez bien l'expédient.
Là vaohe d'Haemyts
Parce que les caractères des héros sont élémentaires - quoique
. changeants, évolutifs de telle version il telle autre, comme nous le signale Georges Dumézil dans ses
. précieuses notes -, ils donnent lieu à des mutations brusques de l'état d'âme ou du comportement. Uryzmaeg a tué son fils par erreur. TI erre, « la tête basse et les épaules hautes », et passe dans le chagrin une longue période de sa ·vie. Les y;ieillards nartes lui font des rem:ontrances. « Alors Uryzmaeg se ·1I1oqua de lui-même et retrouva son ':enh'ain' d'autrefois». Syrdon a
. mangé la vache d 'Haemyts, lequel, j uu· vengeance, vient ·d'exterminer ,~ famille et de la faire cuire dans un chàudron: « Il (Syrdon) resta
qu~lque temps pétrifié. Puis il retira du chaudron les ossements de sa famille. Il prit la main de son fils aîné, attacha . dessus douze cordes - les veines qui sortaient des cœurs des autres garçons. Puis il s'assit près du tas d'ossements et se mit à chanter en joùant de cet instrument - la faendyr ». Rasséréné·, Syrdon va jouer et chanter sur la Grand-Place: « Nartes, dit· il, voici mon cadeau, 'aissez-moi désormais vivre avec vous! »
La personne, dans l'épopée narte, peut nous dérouter. C'est d'une hygiène excellente. Le -sentiment y a moins d'importance que l'affrontement au jeu et au combat, préférence qui n'exclut pas le suicide d'une veuve, les larmes d'une mère, ni les délicatesses de certaines scènes : « Le petit Atsaemaez avait deux mères: l'une l'avait mis au monde, l'autre le nourrissait. Elles l'avaient attaché dans son berceau et, assises chacune d'un côté, . elles le berçaient: « A-lo-llay, A-Io-llay! D'acier noir 'et d'acier bleu est ton berceau, en peau de géant est ta courroie ». Voici dépeinte la mort d'un enfant: « Il s'effondra, pareil à une belle fleur brillante et, après quelques convulsions, sa jeune âme s'en alla ».
Plus frappante, peut-être, que l'humanité du poème est sa cruauté qui, même lorsqu'elle paraît motivée par un souci de vengeance, se signale par son mouvement allègre, son allure de jeu, comme une éruption du désir. « Il coupa leurs têtes (il s'agit des sept fils de Buraefaernyg), ·les mit dans les sacs de sa selle et revint devant la maison de Buraefaernyg: « V enez voir, cria-t-il, vos sept maris m'ont chargé de vous apporter des pommes ». La femme et les sept brus sortirent, et Batradz jeta les sept têtes devant elles ». Au reste, on périt par la broche autant que par l'épée dans ces légendes nartes. Uryzmaeg, déjà à moitié flambé, s'arrache non sans peine à celle du géant borgne qui la lui avait passée dans les deux genoux: « premier. exemple du fizonaeg, le fameux chachlyk caucasien, auquel 'l'Occident a pris goût », précise Georges Dumézil. Il arrive qu'un lièvre dont on a rôti le foie ressuscite et décoche, en détalant, une phrase sentencieuse, exempte de rancune. Les héros ressuscitent comme les bêtes, ce qui n'empêche pas le monde des morts d'être un monde clos et doté d'une solide
. organisation. Soslan, pour ressusciter Beduha, qui s'est tuée sur le cadavre de son père, frotte sa blessure avec ~ne perle qu'il a tirée de la bouche d'un serpent.
Il existe plusieurs sortes de merveilleux dans le Livre des Héros. Celui qui nous requiert particulièrement est celui que semble produire la déviation, 'le déplacement ~u désir, et qu'on pourrait peutêtre assimiler au rêve, au symptôme ou, si l'on veut, à la méta-
,Lt .Quinzaine littérlÙl:e, 1" au 15 mai 1967.
• •
phore. Par exemple, la naissance. merveilleuse d'un fils de Satana: • un berger paît son troupeau. Sata- • na arrive. Le berger sent bondir: son cœur devant le corps blanc de • Satana. Il se couche sur une pier- • re... Le temps révolu, on dégrossit • la pierre. Satana l'ouvre et en tire • l'enfant. . •
Tout aussi inquiétante la métal· : lisation, partielle ou totale, du. vivant, qui reste tout de même. vivant: un poulain tout en fer, un • loup à la gueule de ' fer, un vautour • au bec de fer. Tel héros a le de· • vant du corps d'acier pur, tel autre: a une moustache en fer, des yeux. d'acier qui laissent échapper des. larmes de plomb. Même quand elle • veut être totale, la métallisation· des héros comporte une faille: un : « talon d'Achille ». On dirait d'une • menace ou d'une sanction: ainsi. Soslan a des genoux de chair, cal' •
l'auge emplie du lait des louves • d~ns laquelle on l'a trempé était : trop étroite. •
•
un des très grands sllccès de la saison 66-67
CHABROL LA
GUEUSE roman
" Un Germinal des années trente .. . Aprés Hugo est venu Zola et voic i mai ntenant Chabrol " André BILLY (Le Figaro). " Un roman qui ne craint pas de ressembler à du Hugo" , André STIL (L'Humanité). " Dans toute la littérature contemporaine, il n'y a pas d'exemple plus caractéristique d 'œuvre écrite sur le peuple, pour le peuple .. . " Etienne LALOU (L'Express).
PlON · ..... ~ .......... .
Uryzmaeg dans le bûcher • • .................... •
Les objets, eux aussi, sont le lieu .:.: E'" Sl-",'" P. .R 1 T, de transformations. A côté de la Il ~ 1 dent d'amour qui rend l'amant ire résistible ou de la pierre bleue qui fait oublier les malheurs, on trouve la corde qui rend tout ce qu'elle enserre plus léger qu'un papillon, •••••••••••••••• deux ail~s à ressort, un lac de lait. •
On jette les dés, il en sort un flot • S E' A SUN de millet, des poussins, un sanglier. • LET· T - 1 S
Tel épisode pourrait s'assimiler • à un rêve: U ryzmaeg va' 'chercher : ET du bois au bûcher. Un aigle s'em· • pare de lui, le transporte au fond •
LE MONDE de la mer où le héros festoie et • par tue son enfant par mégarde. L'ai-· S H ff gle le saisit de nouveàu et Uryz- : tanley 0 mann maeg se retrouve dans son bûcher. t Hen ry K" " comme le rêveur dans son lit et • e Issinger comme si rien ne s'était réellement. passé. Le temps, dans l'épopée nar- • te,. est élastique ou indéterminé. • Les bébés grandissent vite : « d'un : empan le jour et; la nuit, d'une • paume ». En trois ou quatre pous· • sées, un beau joùr, ils font ~clater • leur berceau et les voilà prêts à • • partir pour la guerre. Elastique le •
• LA QUESTIO.N ARMÉNIENNE
• temps, élastiques aussi l'espace et
:LA FORMATION la matière - celle-ci infiniment résistante ou accueillante. Les larmes d'une mère creusent un • trou dans la tombe du fils et le • cri de Batradz suffit à faire trem- • • bler les poutres du troit et pleuvoit •
SYNDICALE •
AVRIL 1967 6 F sur les convives la suie accumulée. • Elastique la mort, puisque le che· • val tué préconise qu'on bourre de • paille sa peau écorchée afin qu'il • ••••••••••••••• puisse achever sa course. On se : IfSPRIT 19, rue Jacob, Paris, 6e
trouve en présence d'un réalisme • I!A C. C. P; Paris 1154- 51 magique, qui n'est peut-être d'au- •••••••••••••••• cun âge, et semble répondre aux • plus profonds besoins de l'incon· • • scient. A lire l'épopée des Nartes ••••••• 0 •••••••••••
on mesure, en revanche, tout ce • que comporte de rationalisme exi- • geant le merveilleux de . l'Iliade et • de l'Odyssée. ' . . ' •
Lut~tte Finas •
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ÉCONOMIE POLITIQUE
J.-M. Albertini Les Rouages de l'économie nationale Ed. ouvrières, 253 p.
Bernard Cazes La Vie économique A. Colin éd., 444 p.
En France, depuis les travaux de l'équipe d'Economie et Humanisme, les initiations à la science économique se multiplient : l'excellente collection « Société », publiée au Seuil, a repris la technique de présentation des ouvrages d'Economie et Humanisme; on ne peut que s'en réjouir, tant· étaient appréciés les graphiques qui jalonnaient l'ouvrage de M. J.-M. Albertini, les Rouages de l'économie nationale. Ces Rouages, en six ans, depuis leur première édition, en sont arrivés à leur 40e mille. La multi- · plication même de leurs concurrents, et l'évolution économique
. française sous la Ve République impliquaient une révision tant des chiffres que de la bibliographie. La voici : M. Albertini et ses collaborateurs nous mènent jusqu'en 1965. Ils signalent pour le reste que l'ouvrage de M. Cazes, la Vie économique, «fortement axé sur les problèmes de croissance, peut être un excellent complément aux Rouages » (Albertini, p. 235). Acceptons cette invitation à traiter en même temps de ces livres que leur clarté et leur précision rapprochent et dont le contenu est, en effet, complé-mentaire. .
M. Albertini n'aborde les problèmes de la croissance que rapidement, dans sa 4e partie, « l'intervention de l'Etat · et la maîtrise de la machine économique » ; c'est après avoir longuement parlé des cycles et des politiques anticycliques. M. Cazes, au contraire, commence par se demander si la solution de bon nombre de nos problèmes ne se trouve pas dans cette fuite en avant que constitue la croissance économique. Un taux élevé et main):enu de progression du revenu national permet, en effet, la poursuite conjointe d'objectifs de progrès économique et de progrès social qui, autrement, auraient été contradictoires (Albertini en donne cependant un exemple fort clair pour le Ve plan, pp. 215-218).
Au contraire d'Albertini qui adopte en première approximation la vieille métaphore de la machine économique, il ne s'agit plus pour M. Cazes de savoir par quels mécanismes se répartit le « gâteau »; mais comment croît un organisme : la Vie él!onomique s'ouvre par une comparaison biologique. Alfred Marshall ne disait-il pas d'ailleurs qlle la biologie serait la Mecque des économistes du XXC siècle ? Le titre même de Cazes évoque la vie, objet de cette science.
l\ie poussons pas trop la critique dcs inétaphores mécanicistes : le
.!6
Processus de la • croissance ,. . economlque
livre de M. Albertini n'a rien de ces manuels d'initiation abstraits au point de se· croire intemporels du déhut du .siècle ; il est lui aussi bien vivant; "a théorie économique est t.oute sociologisante et doit peu au physicisme naturaliste des anciens. Son inspiration et ses conclusions sont même nettement volontaristes; trop, peut-être? Je pense à sa conception .du salaire. Les économistes sont encore loin d'avoir établi de façon péremptoire que le prix du travail se fixe en fonction de la force des groupes en présence.
M. Cazes dépasse lui aussi la considération purement abstraite des données économiques. Après une première partie consacrée à la révolution qu'a constituée pour l'humanité occidentale le passage d'une alternance de bonnes et de mau-~ vaises périodes à une tendance croissante de longue durée (dont B. Ca· zes rappelle opportunément qu'elle fut le fruit de l'accumulation séculaire de faibles taux annuels, 1 à 2 0/0), une deuxième partie ausculte l' « homme économique », son niveau et son genre de vie. C'est l'occasion pour Cazes - dont la première partie s'inspirait surtout de recherches historiques et théoriques (analyse de la fonction de production, examen du rôle du progrès technique au « facteur résiduel.» inspiré de l'Américain Denison, étude séculaire du rapport entre le capital et le produit national) - de se livrer à des réflexions, fort nouvelles dans un manuel fran· çais, sur ce que les Anglo-Saxons appelle le welfare, le bien-être, qui comporte toute une série d'éléments impossibles ou difficiles à comptabiliser exactement et qui, pourtant, forment la trame de notre existence moderne. Il s'agit de l'aspect économique du loisir, des équipements collectifs, des dépenses militaires, de la recherche scientifique. Cazes n'a garde d'oublier, dans son étude du bien-être, la rançon de l'industrialisation et de l'urbanisation, les diverses formes d'anti-progrès, nuisances telles que le smog.
La troisième partie du livre de Bernard Cazes est intitulée De la politique économique. L'auteur y traite de l'action concertée et macroéconomique des responsables nationaux, tant en ce qui concerne la planification souple ou indicative - et, il est, on le sait, orfèvre en la matière - que sur celui de la politique à court terme visant à écarter les « incidents de parcours ». C'est dans cette partie, qui clôt l'étude des économies occidentales, qu'est également examiné l'aspect international des problèmes économ:iques, dont l'importance grandit avec la constitution de communautés douanières et économiques.
Par contraste, les Rouages sont essentiellement ceux de l'économie fr:mçaise contemporaine, les aspects internationaux et mondiaux des questions étant renvoyés à deux ou-
vrages en préparation dans la même collection d'initiation. Mais M. Albertini et ses collaborateurs, après une première partie de mise en place des institutions économiques françaises et de définitions (il s'agit essentiellement de celles de la comptabilité nationale française), nous présentent une étude exhaustive des circuits monétaires et financiers français. Cette étude due probablement à la collaboration de M. Kerever (auteur dans la même collection, de l'excellente Inflation aujourd'hui) est tout à fait remar-quable. .
Je regrette un peu que MM. Cazes et Albertini n'aient pas limité aux parties déjà évoquées leurs ouvrages respectifs. Mais la Vie économique paraît dans une collection au nom contraignant, « U », et le monde socialiste et le tiers monde font également partie de l'univers économique et social de 1967. Une partie est consacrée par Cazes à chacun de ces mondes autres ; elles sont brèves, particulièrement la cinquième; peut-être est-ce là une vertu car le sous-développement a été le prétexte d'Qcéans de dissertations. Quant aux économies collectivistes, M. Cazes a voulu surtout y voir 1", volontarisme affiché des premiers dirigeants soviétiques; il a été ainsi amené à insister longu"'ment sur l'aspect idéologique et in~tilutiomiel du collectivisme, qui est lE' mieux connu.
Dans les Rouages, livre nécessaircment court, le rappel historique des crises « cycliques » depuis l'ancien régime occupe une place qui aurait été mieux employée à approfondir les mécanismes de la répartition, évoqués trop rapidement. La quntrième partie est meilleure ; elle tourne autour du concept d'inflation rampante, cette hausse des prix de 2 à 5 % par an qui est bien différente des explosions monétaires de crise telles que celle des assignats révolutionnaires ou du mark de Weimar, pour ne pas parler du Chili ou du Brésil aujourd'hui. L'inflation rampante n'est pas vraiment pathologique; certains ont même soutenu qu'elle était la condition de l'optimisme des entrepreneurs, donc de la croissance des investissements en économie capitaliste. C'est aller un peu loin, mais il n'est pas douteux que nous aurons l'occasIon de reparler de ce concept.
Mes réserves sont donc à cause d'un trop et non d'un trop peu. Elles s'adressent ainsi plus aux éditeurs responsables des ajouts qu'aux auteurs. Il faut en effet lire ces deux ouvrages, enrichis tous deux : celui de Cazes par oe nombreux docllments et un glossaire qui rendra de grands services au néophyte cultivé qui n'a plus le droit d'ignorer J'économique, celui d'Albertini par des tableaux de la comptabilité nationale et une bibliographie particulièrement bien choisie.
Michel Lutfalla
MUSIQUE
Fernand Ouellette Edgar Varèse Seghers, éd. 304 p.
·S'if y avait de nombreuses pages d'ouvrages sur la musique consacrées à Edgar Varèse (et ce n'est qu'à présent, grâce à Fernand Ouellette qu'on s'en aperçoit), s'il y avait de nombreux articles de périodiques ou même des numéros spéciaux tout entiers réservés à ce maître, il n'y avait point encore de livre où il fût étudié. Cette lacune grave est aujourd'hui comblée. Non après la mort du compositeur, puisque le compositeur a lu le manuscrit. C'est en dire les limites et qu'il ne saurait être qu'une totale approbation. Il se trouve être, par la mort, l'hommage d'un ami. Un peu sec. L'admiration s'y étale, mais non l'amitié. En revanche il est écrit avec rigueur, et avec précision.
« Je n'ai pas la naïveté de prétendre vous raconter la vie de V arèse. Une vie d'homme ne se raconte pas. On ne peut que contourner un abîme, dit l'auteur en commençant. J'apporte le premier document concernant certains événements de la vie d'un compositeur qui est né à Paris et qui est mort à New-York. Toutefois Varèse n'est pas réductible à ces événements. Qui peut cerner l'homme tel qu'il est lui-même ? »
Cependant, F. Ouellette tente de cerner l'homme et y parvient. Il le représente intransigeant et violent, tout habité par une idée. Le désespoir et le tourment de sa vie auront été d'entendre intérieurement des sons nécessaires à la traduction exacte de sa pensée, dont il imaginait les sources électroniques, mais que la technologie ne pouvait encore réaliser (et cela dès 1903 où il se passiom;le 'pour la percussion, s'intéresse à la sirène, mais il ne donne ses œuvres originales au point de vue du son qu'à partir de- 1920). En 1965, bien qu'il ait travaillé dans des studios électroniques, on ne peut dire que les sons produits par les machines électriques correspondent à ce qu'il souhaite. On ne peut exactement le considérer comme un précurseur de la musique concrète ou électronique. Peut-être des sons serontils produits dans l'avenir qui eussent comblé son imagination.
Il a été mieux connu en Amérique . qu'en Europe. C'est naturel d'ailleurs car il s'était fixé aux Etats-Unis et il obtint la naturalisation américaine. Il eut de fréquents contacts avec la presse, avec le public des concerts, avec des personnalités; il eut des amis et des admirateurs. Cela n'empêcha point qu'il se sentît rejeté, solitaire, qu'il traversât même une crise où lui vint l'idée de suicide. parce que son œuvre n'était pas profondément comprise. Toutefois l'Europe aussi, et surtout Paris, avait ses premières auditions. Mais on ne pouvait réellement le connaître que
Edgar Varèse par le disque, et il fallait le Domaine Musical pour qu'il acquît en France la notoriété.
Fernand Ouellette dresse la liste de ses ouvrages, et les fait suivre de la date de la première exécution. D'abord ce furent Trois pièces pour orchestre, puis la Chanson des jeunes hommes, Souvenir, le Prélude à la fin d'un jour, Rhapsodie romane, Bourgogne, Gargantua, inachevé, et deux opéras : Les Cycles du Nord, Œdipe et le Sphynx, de 1905 à 1914. Il avait vécu enfant, au Villars en Bourgogne, puis à Turin où son père « homme d'affaires dur et impitoyable » avait des intérêts très importants. Il avait pris des leçons d'harmonie et de contrepoint de Giovan~i Bolzoni, directeur du Conservatoire. Varèse rompit avec son père, s'établit à Paris, puis à :Berlin, où il noua des relations amicales avec Busoni, son professeur. Après 1920-1921 (où il compose Amériques), viennent Offrandes (1921) pour soprano et orchestre de chambre, Hyperprisme, Octandre, Intégrales, Arc a n a (1926-27) Ionisation pour un ensemble de treize exécutants de percussion, Ecuatorial (1934) pour chœur, trompette, trombones, piano, orgue, deux ondes Martenot ~t percussion, Densité 21,5 pour flûte solo, Etude pour Espace, Déserts, la Procession du Verges, son organisé sur bande magnétique, musique de film, le Poème électronique
Edgar Varèse
(1958), Nocturnal et Nuit, inachevé. Déserts a été exécuté en 1954, pour la première fois, au Théâtre des Champs-Elysées : ce fut un grand scandale_
Le Poème électronique a été présenté au Pavillon Philips à l'Exposition de Bruxelles avec des images colorées_ Le secrétaire de le Corbusier, chargé de l'architecture était alors Yan Xénakis_ F. Ouellette a inséré quelques fragments de lettres de Varèse à Xénakis_ Il en raconte l'histoire agitée dont le succès se prolonge jusqu'à New-York. L'ouvrage mêle l'exécution orchestrale à l'audition d'un ruban ma-
La Quinzaine littéraire, rr au 15 mai 1967.
gnétisé. Le dispositif et la mise au point furent d'une extrême complexité. L'auteur signale le pas
sage de Varèse au studio du centre de recherches de l'O.R.T.F., mais il ne s'étend pas sur les rapports de Varèse et de Schaeffer, non plus qu'il n'explique à ce propos la différence entre musique concrète et musique électronique.
Tout serait à citer dans ce texte sobre et dense. Nous nous contenterons de quelques phrases: « Pour moi, a dit Varèse, l'orchestration fait partie essentiellement de la structure d'une œuvre ». Cela est devenu un principe de la musique actuelle. « Alors que l'orchestre romantique avec Berlioz et Wagner visait à la fusion des timbres entre eux, au contraire, écrit Odile Vivier, le timbre doit créer la différenciation des ondes, des plans et des volumes ». De Stravinsky à Robert Craft, Varèse fut aussi un des premiers compositeurs à se servir des intensités comme élément intégrant formel. Il fut aussi parmi les premiers à calculer préalablement les intensités dans une composition, les aigus et les graves, les tempé, la densité et le mouvement rythmique. Et enfin, de l'auteur lui-même : « Pour Varèse vivant, l'œuvre est un organisme vivant. (Je préfère ce mot à « structure »). La vie continue vraiment en elle à s'exprimer_ La force cosmique, toujours vive, continue son évolution. »
Fernand Ouellette fait état de l'idée selon quoi on ne devrait pas appeler cette musique de la musique. Tel n'est pas l'avis de Varèse, évidemment. Peut-être faudrait-il remarquer que Varèse a beaucoup employé les instruments de l'orchestre. Mais comment faire autrement à son époque. Il y a été contraint. Je crois que la musique électroacoustique s'imposerait plus vite et plus aisément, si on lui donnait une individualité autre que la musique orchestrale ou vocale avec un autre nom. Mais on perdrait de vue la continuité de la musique à laquelle tiennent les compositeurs.
Enfin, il faut dire, que ce n'est pas la faute des compositeurs si certains appareils dont ils se servent comme d'instruments associent l'idée de leur sonorité à l'idée de leur emploi pendant la guerre. La sirène, par exemple, évoque un raid et la menace des bombes. Comment demander à une mère du temps de guerre d'oublier l'émotion inscrite dans sa chair par le triple appel des sirènes ? Elle n'oubliera jamais. Il faut donc attendre que sa génération s'efface et que jusque là on ne se serve plus de sirène pour annoncer un raid de bombardiers, qu'à l'orchestre on ait découvert un appareil d'une autre sonorité. La sirène de bateau ne ferait pas le même effet. Ce n'est pas que je la proRose. J'attends ...
Maurice Faure
Pour cet ouvrage, M. Fernand Ouellette vient d'obtenir le prix France-Québec.
CINÉMA
Alfred Hitchcock et François Tm/faut
Jean Douchet Alfred Hitchcock L'Herne éd., 167 pages
Sous la direction de Georges Keller l'Herne nous donne de très loin le meilleur livre de cinéma paru à ce jour. Son auteur, Jean Douchet, est un passionné très intelligent qui stimule l'imagination de son lecteur et lui donne envie de se précipiter au cinéma.
Récemment Truffaut analysait le cinéma selon Hitchcock. L'essai de Douchet entre à l'intérieur de l'œuvre, remonte jusqu'au processus de création et prouve qu'Hitchcock n'est pas du tout celui qu'il fait semblant d'être. Il n'y a guère que les vrais amateurs, ceux qui vont au delà des apparences qui savent qu'Hitchcock est un auteur très secret. Les autres ne voient en lui qu'un banal fabricant de suspense. Ces positions semblent inconciliables. Non, justement Jean Douchet base sa démonstration sur le suspense qu'il commence par définir : « la dilatation d'un présent pris entre deux possibilités contraires d'un futur imminent » puis en approfondissant : « l'attente d'une âme prise entre deux forces occultes, l'Ombre' et la Lumière ».
Ce suspense tant reproché à Hitchcock beaucoup de cinéastes ont voulu le lui emprunter. Personne n'y est parvenu. Comment Hitchcock fait-il ? Douchet révèle le secret.
« La mécanique de son suspense consiste à juxtaposer une série de glissements (de personnages, d'objets, de mouvements d'appareils) à une série de plans morts où tout est en attente jusqu'au moment crucial où le suspense se résout par un heurt ».
L'auteur s'appuie sur des exemples irréfutables empruntés essentiellement à North by N orthwest, Vertigo, Psychose, les Oîseaux et démontre que le maître du suspense est en réalité le metteur en scène le plus intellectuel du monde. Au centre de chacun de ses films, l'Idée qui se développe successivement puis simultanément selon trois ordres : l'occulte, le logique, le quotidien.
La symbolique est souveraine chez Hitchcock même si l'auteur respecte trop le public pour la rendre explicite. Le héros de 1 Confess représente le Christ, celui de Wrong Man Job, Anthony Perkins
Un conteur né
dans Psychose est le Christ noir. Le vrai titre ,le Trouble with Harry devrait être « Trouble with I.N.R.I. ' ». Il y a aussi la nuit l'ombre, le reflet. A ce sujet Jean Douchet constate que le spectateur peut se dire qu'à chaque fois dans un film d'Hitchcock qu'un personnage se reflète dans un miroir ou dans une vitre, ce personnage n'est plus libre : « il est agi par son double ténébreux ».
Hitchcock, remarque Jean Douchet est un conteur né - ses films sont les Mille et une nuits modernes - come tel il veut captiver, fasciner son auditoire. Le biais du suspense lui permet d'introduire de force le spectateur dans son uni'vers magique, irréel, cauchemardesque. Dans cet univers les criminels ne se déplacent qu'en train, moyen de transport maléfique. Ils tuent toujours selon trois modes: « le poignardage (intrusion brutale et inopportune d'un corps solide dans le corps humain), l'étranglement (manière rapide de couper le souffle et de faire rendre l'âme) et l'asphyxie par gaz toxique ». Ils n'utilisent jamais !l'armes à feu, réservées aux forces de l'ordre, et dont la rapidité éliminerait le suspense. Quant à la chute ou le poison, ce ne sont pas des crimes hitchcockiens, ils ne dépassent jamais la fentative de meurtre.
Tous les spectateurs reconnaissent Hitchcock sur l'écran et savent que ses héros ne travaillent jamais. Douchet justifie certaines de ces apparitions en tant que créateur et explique que ' si le héros hitchcockien se trouve toujours disponible, ce n'est pas par hasard. Bien au contraire il convient de voir dans la « vacance », le vide, la source même du suspense.
La démonstration de Douchet qui va du suspense banal au suspense de la création à travers le suspense esotérique et le suspense esthétique est logiquement inattaquable. Pourtant ce livre d'amateur de cinéma amoureux de son sujet suscitera des contreverses. Comme Douchet connaît infiniment mieux l'œuvre d'Hitchcock que ses détracteurs on l'accusera d'extrapoler. Quelle importance ! après ce livre il n'est plus possible de tenir Hitchcock pour quantité négligeable. Le parti-pris d'un partisan ouvre une brèche dans toute cette littérature de cinéma qui se veut « objective ».
Claude Pennee
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QUINZE JOURS
Mai revient. Le printemps jaillit hors de ses cendres. Henri Beyle traverse une rivière nommée Pomme. Il ajoute deux scalps, dont l'un, maladif, a ses trophées. 1er
mai (1806). « Je fais ça à la grosse fille brune et à Théréson. Elle est charmante, mais on a dit à Trichand qu'elle avait la vérole. » A travers la haute fenêtre printanière, Molloy voit des branches agitées. Le ciel est par-dessus le toit. Comment se retenir de renverser les meubles (sans les casser) ?.. Mes vêtements, s'écrie-t-il, mes béquilles! Nous allons vers des événements extraordinaires. Télémaque s'allonge sur le corps d'Eucharis et pose la tête sur ses seins. L'aigle sexuel existe, il va dorer la terre une fois encore. On entend partout des rossignols.
Les rossignols. 1806.
Ce jour-là grande bamboche avec Guilhermoz, Trichand, Blanquet. Je fais ça à la grosse fille brune du sr... et à Théréson. Elle est charmante, mais on a dit à Trichand qu'elle avait la v ... J'attends tous les jours avec une extrême impatience la réponse de Z. Le 29 avril, nous partons pour la Pomme, Guilhermoz, Mante et moi. Disposition aux aventures romanesques. Bonhomie du garçon d'écurie qui nous donne à coucher sur son foin. Nous repartons à cinq heures. Fraîcheur de la Pomme que nous traversons. Rossignols. (Stendhal, Journal.)
Les branches. 1951.
A travers les hautes fenêtres, je voyais des branches. Elles se balançaient doucement, mais pas tout le temps, de brusques secousses les agitant, par moments. Je remarquai que le lustre était allumé. Mes vêtements, dis-je, mes 1?équilles. J'oubliais que mes' béquilles étaient là, contre le fauteuil. Le valet revint et me dit que mes vêtements avaient été envoyés à la teinturerie, pour être délustrés. Il . apportait mes béquilles, ce qui aurait dû me paraître étrange, qui me par1?-t naturel au contraire. J'en pris une et me mis à en frapper les meubles, mais pas très fort, juste assez fort pour les renverser, sans les casser. (Samuel Beckett, Molloy.)
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L'aigle. 1934.
L'AIGLE sexuel exulte il va dorer la terre encore une fois
Son aile descendante Son aile ascendante agite imper
ceptiblement les manches de la menthe poivrée
Et tout l'adorable déshabillé de l'eau
Mai revient
Les jours sont comptés si clairement
Que le miroir a fait place à une nuée de frondes
Je ne vois du ciel qu'une étoile Il n'y a plus autour de nous que
le lait décrivant son ellipse vertigineuse.
(André Breton, l'Air de l'eau.)
La gorge. 1966.
Télémaque posa sa tête d'orage entre les seins d'Eucharis et sa voix vint mourir, flot marin, contre ces éminences dorées.
Eucharis, - dit-il. - Télémaque ? - Eucharis, Eucharis, Eucha-
ris, Eucharis, Eucharis, Eucharis, Eucharis, Eucharis, Eucharis, Eucharis, Eucharis, Eucharis, Eucharis, Eucharis, Eucharis, Eucharis, Eucharis, Eucharis, Eucharis, Eucharis, Eucharis, Eucharis, Eucharis, Eucharis ...
(Aragon, les Aventures de Télémaque.)
Aragon, Beckett, Breton, . Stendhal: mai les confond. Je donne, mai venu, dans la fantasmagorie platonicienne: l'espèce seule existe, l'individu n'est qu'apparence. Borges l'a soutenu (pour le rossignol) et Schopenhauer, que cite Borges, pour le rat. Borges: « Keats peut penser, avec juste raison, que le rossignol qui l'enchante est celui qu'entendit Ruth dans les champs de blé de Bethléem ». Schopenhauer: « Que celui qui m'entend dire que le chat gris qui joue en ce moment dans la cour est celui qui y sautait et y folâtrait il y a cinq cents ans, pense de moi ce qu'il voudra, mais c'est une folie plus étrange encore d'imaginer que fondamentalement il est un autre chat ». Et plus étrange encore, s'il se peut, la folie qui consiste à distinguer ceux qui écrivent et à chercher on ne sait quelle différence dans leurs œuvres! La critique, plus savante que sage, s'y exténue. Elle devrait faire l'effort contraire et démontrer, ou tendre à démontrer, que, de Racine à Beckett, de Ronsard à Breton, un unique écrivain écrit la même unique et poétique phrase.
Quelles voies neuves ouvertes ainsi, d'un coup, à ses recherches! Quel renouvellement inattendu! Elle n'aurait plus pour but de distinguer, mais de confondre. Platonicienne dans ses fins, surréaliste par ses méthodes, elle nous permettrait de découvrir, peut-être, de nouveaux espaces poétiques, nés des coïncidences, de l'arbitraire, du hasard.
Pierre Bourgeade
TH~ATRE DANS LE MONDE
, a Ne1M-York • •
Mac Bird, une tragédie burlesque
Une jeune fille de vingt-cinq ans qui participait, en 1965, à Berkeley, en Californie, à des manifestations contre la guerre, décida d'écrire une pièce humoristique à partir de Macbeth. Elle a produit l'une des œuvres les plus originales et les plus passionnantes du théâtre américain actuel. Mais la pièce de Barbara Garson a suscité tant de controverses qu'on a oublié l'œuvre dramatique.
MacBird est une transposition de Macbeth. Les personnages contemporains sont connus: Macbeth, c'est le président Johnson; Duncan, c'est John Kennedy, et Robert Kennedy est une sorte de mélange de Malcolm et Macduff. Cette pièce a connu beaucoup de péripéties avant d'être présentée au public. Aucun éditeur ne voulait prendre le risque de la publier. C'est alors que le mari de l'auteur, Marvin Garson, décida de fonder une maison d'édition. En quelques
Une scène de MacBird.
semaines, plus de 100 000 exemplaires furent vendus. Les journaux se décidèrent à en parler. MacBird 'sortait de la clandestinité. Un théâtre de Greenwich Village (Village Gate) vient de la présenter au public tandis que la maison d'édition Grove Press l'a fait paraître en livre de poche.
Ce qui choque la critique et les spectateurs américains, c'est la mise à nu d'un mythe: l'assassin de Kennedy serait Johnson luimême. Outrecuidance ou légèreté? Nombreux sont les Américains qui pensent, sans oser se l'avouer, que le Texan Johnson n'est peut-être pas étranger au complot de Dallas. L'audace, c'est de l'avoir dit et c'est là où le bât blesse. Il ne s'agit là, cependant, que de l'anecdote et il est malheureux que la signification de l'œuvre soit ignorée.
Ce que l'auteur évoque dans cette pièce, c'est la lutte pour le pouvoir. Le poste de président des Etats-Unis est ' sans nul doute le plus important au monde. Pour l'atteindre, on doit se soumettre aux exigences de la démocratie de masse à l'âge de la télévision. Ce n'est là qu'apparence! La lutte
pour le pouvoir suscite aujourd'hui les mêmes passions et met en jeu les mêmes instincts qu'à l'époque de Shakespeare. Il n'y a que le rituel qui change. La grande trouvaille de Garson c'était de plaquer le rituel d'aujourd'hui sur un vocabulaire élisabéthain. D'où le grotesque, d'où la puissance satirique et explosive de la pièce.
Garson n'est pas plus tendre pour les Kennedy que pour les Johnson. Ils couvrent de masques différents leur soif tribale du pouvoir mais ils ne sont pas moins vulgaires. Le manque de goût de Lady MacBird, le populisme grossier de son mari n'ont d'égal que le snobisme prétentieux et infantile de Robert et Ted Ken O'Dunc. Le malaise est provoqué plus par l'absence de prestige du pouvoir que par l'assassinat du président.
Il y a quelques années, Saul Bellow a dressé un portrait de l'ancien dirigeant du Kremlin, Khrouchtchev. Il y faisait ressortir les mêmes traits de vulgarité et de force brutale que l'on trouve à la latitude américaine dans M acBird.
Certes, n'eût été la gigantesque anecdote: l'assassinat du président Ken~dy, cette pièce n'arirait pas eu autant de succès. Mais c'est là une autre histoire.
Une pièoe de Norman Mailer
Quand le roman de Norman Mailer le Parc aux Cerfs (Deer Park) parut en 1955, il fut diversement accueilli par la critique. Pendant dix ans, Mailer a travaillé à l'adaptation théâtrale de ce roman. La pièce telle qu'elle est présentée au Théâtre de Lys, à New York, fait ressortir et les défauts et les qualités du roman.
L'action se déroule dans un endroit de villégiature en Californie appelé Désert d'Or. Mais la véritable scène, c'est Hollywood. Ce parc aux cerfs est un enfer doré, climatisé. Les personnages sont dépassés par les rêves qu'ils fabriquent et traversent la réalité comme des ombres. Mailer les enferme dans une sorte de cage aux fauves et il dévoile leur vrai visage. Ils sont féroces et pitoyables, assoiffés de vie et fascinés par la mort.
politique
La principale figure est Charles Eitel, un réalisateur qui a eu maille à partir avec MacCarthy et qui, pour revenir à la surface, est obligé de rentrer dans le rang, de donner des gages de sa loyauté envers l'ordre établi. Il s'éprend d'une danseuse névrosée qu'un producteur lui jette dans les bras. Elena a tout ten té pour se libérer de ses traumatismes d'enfant: la drogue, la prostitution. Pour ces deux personnes dont la vie est saccagée par les circonstances, l'amour apparaît comme un ultime sursis, la dernière bouée de sauvetage. Mais le rêve abîme cette réalité-là aussi.
Les personnages de Mailer sont stéréotypés: un maquereau, une call-girl, une star, une journaliste potinière, un producteur de films cupide et simplet... On a l'impression d'assister à du déjà vu et c'est la faiblesse de l'œuvre. Cependant, la pièce, comme les personnages, est ambiguë. Ces hommes et ces femmes fabriquent des rêves pour des millions de spectateurs. Ce ne sont pas des acteurs, ils n'interprètent pas des rôles, ils se jouent eux-mêmes, se donnent en spectacle et ils sont les premières victimes du monde de fantaisie qu'ils créent. La réalité perd ses contours. Comment dès . lors en discerner les frontières? Aussi ces personnages tentent-ils d 'exciter leurs sens ou de les endormir. Ils ont recours aux orgies et aux drogues. Impuissants devant les rêves qui prennent le pas sur la réalité, ils essaient d'intégrer le rêve pour en faire une réalité de remplacement. Ils ne réussissent qu'à s'abîmer, qu'à atteindre les frontières de la folie.
Mailer nous fait deviner l'œuvre puissante qu'il aurait pu écrire s'il avait poussé plus loin, jusqu'à l'extrême limite, cet aspect de la pièce.
«Eh? »
Cette pièce a été présentée pour la première fois par le Royal Shakespeare Company, à Londres. Elle aurait pu aussi bien être l'œuvre d'un Américain. Henry Livings dépeint avec humour les rapports de l'homme et de la machine. Son héros, Valentine Brose, est un poète qui s'ignore. Il trouve un emploi peu exténuant, surveillant d'une chaudière. Sa fonction se résume à presser un bouton . au début de la nuit et à vérifier la marche de la machine automatique à quatre heures du matin. Ainsi ' la machine toute - puissante réduit l'homme à l'état d'un esclave fainéant. Mais Brose résiste. Il se marie et installe sa femme dans la' salle de la chaudière. De plus, il fait pousser là des champignons grâce à un . engrais chimique. Autrement dit, il oppose à la machine son univers personnel et c'est lui qui triomphe finalement.
Naim Kattan
Mille personnes environ, tour à tour allant et venant, mais plus souvent agglutinées, de neuf heures du matin à neuf heures du soir, sans boire n! manger, j'allais dire sans respirer, pour suivre avec une patience de fanatiques - ou de curieux - les phases d'un « No stop teatro » de douze heure!,! qui réunissait les noms les plus célèbres de l'avant-garde littéraire italienne. La cérémonie - c'est le terme qui convient étant donné son côté rituel, fût-il un rituel du désordre - était donnée en l'honneur du lancement d'une nouvelle revue Grammatica.
Tout ce monde, dans l'arrièresalle de la librairie Feltrinelli ... parfois même dans la rue deI Babouino, bloquant la circulation, entourant les voitures de voiles de plastique, arborant les « badges » de leur foi : contre le Vatican -pour le P.C., contre Johnson -pour le Vietnam, contre la chasteté - pour la pilule, contre la médecine - pour le L.S.D., et surtout, surtout « Fato l'amore no la guerra ».
Tout ce monde, installé sur des amoncellements de vieux pneus, autour d'un espace vide, où se déroule le jeu, les jeux. Dans un coin deux beatniks dorment. Admirés. Ils symbolisent la révolte sousjacente à toute la manifestation.
Mais la nouveauté est-elle évidente, exception faite de cette idée de théâtre ininterrompu, et donc interrompu par le va-et-vient de la vie dans le cadre d'un endroit public ? La librairie continuait à être accessible aux clients ... et on n'a pas volé de livres !
En attendant, si les idées foisonnent et les imaginations délirent et si je n'avais entendu, vu, lu des œuvres de ceux qui participèrent à cette journée ... j'avoue que j'aurais été déçue par elle. Il suffit de savoir que des écrivains comme Nanni Balestrini, des mUSICIens comme Busotti, l'auteur de la Passion selon Sade, des animateurs comme Perilli, dont les mises en scène audacieuses à la Scala de Milan firent scandale, participaient à cette manifestation pour comprendre que lè ton eût pu être plus convaincant.
L'idée de théâtre en perpétuelle formation, se servant des éléments de l'instantanéité, lequel n 'est pas exactement du « happening» mais y ressemble (ici d'ailleurs le public trop respectueux, trop attentif n'a pas joué sa· partie comme l'espéraient les animateurs), est, très évidemment, l'obsession de tous ces auteurs. Avec ce qtJe cela implique de psycho-drame. C'est, d'abord, «la campagne électorale pour le choix d'un metteur en scène », d'un texte - affiché sur les murs - à variations de Giordano Falzoni, poète, peintre surréaliste, cabbaliste, fondateur du « Group Act » de Rome, Falzoni proposait ce jour-là, l' « Eat Art », qui- n'est pas l'art de manger, mais l'art comestible, ' menant les spectateurs à dévorer les miniatures en pâte de riz colorié (cœurs et os,
La Quinzaine littéraire, 1er au 15 mai 1967.
à RODle • • happening
goût d'hostie à intentions magiques et sûrement sacrilèges) et la diététicienne à manger son chapeau en signe de protestation !
Beat 72
Ensuite la Repetizione Pome Ziggio de Jone Pepper ... le Mettere in ordine et conservare de Novelli ... rangements, ordre et désordre plus ou moins concertés : ce sont toujours des « préparations » de pièces, des structures permettant les variations, des jeux, autant de cubes que de pneus et de voiles plastiques, sur lesquels se greffent des sons, des mots, des lumières, parfois des phrases.
Répétition encore, mais cette fois d'une subtilité qui laisse loin derrière elle les autres tentatives. La Provà de Sylvano Bussotti qui il permis d'assister à un très beau strip-tease du mime Romano Amidei, et à une insertion cinématographique due à la fois à Bussotti et au jeune cinéaste Bernardo Leonardi dont on verra peut-être à Paris le long métrage Amore Amore. Cette « répétition »-là s'est agrémentée d'une préparation culinaire de grande saveur. Chaque assistant des premiers rangs a pu goûter un cm3 de viande savamment préparée - rythmée par la lécture, en français, d'un texte dit avec brio par l'auteur de la Passion selon Sade. Le plat était préparé par un fin musicologue : Piero Capponi, spécialiste de musique du XVIIIe siècle. Il faut signaler que toute la partie cinématographique de la journée était, elle, d'une réelle originalité. Je songe en particulier à une certaine utilisation de pellicule détériorée faite par Alberto Griffi dont la façon d'opérer ce jour-là le mena jusqu'à l'évanouissement. Il n'a pas été pour rien acteur au Living Theater!
Répétition sans . doute aussi, ou plutôt jeu expérimental servant de « gammes » pour une œuvre plus dense, les jeux de lumière et de sons du musicien Frederic Rzewski dont, la veille, j'avais entendu le très beau Requiem pour voix basses et instruments. Qu'il ait accompagné ces jeux d'ondes lumineuses d'un strip-tease n'est probablement dû qu'à l'atmosphère sur
. chauffée de la fin d'après-midi. Il fallait être aux premiers rangs pour le déceler.
A cette avant-garde les subtilités de langage paraissent moins importantes que l'avenir du monde. Leur art est d'abord une option politique. Et comme il faut plus de courage à Rome pour être «. beat » qu'à Paris - la réprobation est générale et la police a « nettoyé .» la · Piazza d'Espagne des malheureux qui portaient cheveux longs - évidemment, on est « beat » d'esprit et on rêve de haschich.
Il n'en reste pas moins que des éC1;ivains comme Nenni Balestrini,
. Eduardo Sanguinetti et les musiciens d'avant-garde déjà cités, tous
attirés par le théâtre total, sont décidés à lui insuffler l'air du large et à lui redonner les primautés sur les autres arts.
Cela me conduit à parler du spectacle le plus intéressant de ce mois de mars romain. Il ne s'agit pas d'avant-garde, c'est du moins ce qu'affirme son réalisateur: Carmelo Bene qui met en scène un Hamlet d'après Jules Laforgue.
La répétition à laquelle j'ai assisté dans l'ombre de cette cave, garnie de bancs d'école, qui sert de salle au théâtre « Beat 72 », où ce metteur en scène-acteur-auteur officie, est bien la plus fascinante représentation à laquelle il m 'ait jamais été donné d'assister. Certes, le lendemain, pour la presse, le spectacle était plus sage.
- On change tous les jours, dit Carmelo Bene. C'est ça fair~ du théâtre?
Une nudité absolue
Mais ce soir-là, veille d'armes, le happening était sanglant et j'ai bien cru assister à mî meurtre. Les imprécations étaient dignes des Atrides ... et des acteurs. Les coups, eux, étaient vrais. Coups de poings et de pieds, gifles, œil au beurre noir pour l'acteur félon qui refusait de jouer... si on ne lui payait des arriérés qu'il chiffrait par années! Cela sous l'œil terrifié de trois Erynnies figées sur la scène, et tandis que la bouteille de Grappa passait fraternellement d'un camp à l'autre, toutes les issues étant harrées pour empêcher Judas de fuir.
Tout s'est arrangé bien sûr. Et la répétition a eu lieu qui, avec les moyens les plus pauvres, démontrait magistralement ce que peut être un théâtre « sur trois plans » : celui de Shàkespeare, celui de La· forgue et celui de Carmelo Bene, lequel pourrait assurément être l'un des plus grands acteurs et réalisateurs de théâtre qui soient, si l'alcool ne risquait de le tuer avant quarante ans.
Il en a vingt-huit, mais déjà le masque alourdi, le corps d'un félin aveuli, et c'est dommage, car il a dû être fort .beau.
Qu'importe! Il est certainement l'un de ceux qui pourrait donner, à n'importe quel théâtre, j'insiste là-dessus, à n'importe quel texte -mais il ne choisit pas avec aussi peu de discrimination - une di· mension nouvelle, qui ne fût pas uniquement due à des trouvailles de décor, à des violences sado-érotiques - Ophélie dont la robe trllns· parente s'ouvrit un instant sur. sa nudité absolue et qu'un Hamlet hystérique giflait avec un indéniable plaisir - ni même à une remar· quable utilisation de la commedia dell'arte. Mais à une passion du théâtre assurant sa jeunesse. Une jeunesse qui exige de mêler le jeu du présent, du quotidien même, au passé des jeux morts.
Anne Capelle
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TOUS LES LIVRES
ROMANS l'RANÇAIS
Jean-Pierre Abraham Armen Le Seuil, 155 p., 12 F La solitude d'un gardien de phare.
Marcel Arland La musique des anges Gallimard, 280 p., 15 F Un homme vieilli fa it le compte de ce qui lui
. apparaît comme essentiel
Jean-Pierre Attal L'antagoniste Gallimard, 226 p., 15 F Par l 'auteur des « Chats -.
Marc Blancpain Ulla des antipodes Denoël , 224 p., 13,40 F Une héroïne de notre temps.
Hélène Cixous Le prénom de Dieu Grasset, 208 p., 14,50 F D.e la soif de vivre à la fascination de la mort.
Rejean Ducharme Le nez qui voque Gallimard, 280 p., 16 F Le nouveau roman de l 'auteur de c l'Avalée des avalés " .
Jean-Noël Gurgand Israéliennes Grasset, 175 p ., 12 F Voir ce n°, p. 6.
André Kédros Même un tigre Flammarion, 266 p., 13,50 F Les destins de deux couples dans le Paris de la guerre d:Algérie.
Pierre Leuzinger La croisière du «Sottise Il)) Le Seuil, 174 p., 9,50 F Les aventures parisiennes d'un journaliste épris de liberté, de soleil et de révolte.
Jacques-Gérard Unze L'étang-cœur Gallimard , 176 p., 9 F Une petite fille, un vieillard, un jeune homme, un étang, un crime, un amour.
Joseph Majault La conférence de Genève Laffont, 224 p., 12,35 F Ayant perdu son fils et sa maîtresse, un intellectuel au cœur sec médite sur sa vie.
Georges Perec Un homme qui dort Les Lettres Nouvelles Denoël, 176 p., 11,30 F Voir ce n°, p . 3.
Alain Relnberg Le haut de la coquille Laffont, 240 p., 12,60 F La quête déroutante d'un amateur de coquillages
30
Dominique Rolin Maintenant Denoël, 272 p., 15,45 F Après la mort de sa mère, une femme s'interroge sur sa propre identité.
Pierre Roudy La florisane Flammarion, 200 p., 12 F Un homme et une femme se retrouvent 20 ans après la guerre.
Reine Silbert L'inexpérience Préface de P. Bodin Laffont, 256 p., 13 F Une femme fait l'expérience de la liberté.
René Sussan L'étoile des autres Denoël, 312 p., 18,50 F Du Front Populaire à la guerre d'Algérie, en passant par la Seconde Guerre mondiale, le destin dissemblable de deux Juifs pieds-noirs.
R. et F. Vanhove Les enfants de Saint-Prisque Laffont, 280 p., 14,40 F La bataille pour la contraception dans un Clochemerle de l'Artois.
José-Luis de Vilallonga Allegro barbaro Le Seuil, 228 p., 15 F La débâcle d'une famille aristocratique espagnole en 1936.
ROMANS ÉTRANGERS
James Blish Villes nomades trad . de l'américain par M. Deutsch Denoël, 208 p., 6,15 F Science-fiction : New York au XXii" siècle
Tibor Déry L'excommunicateur trad. du hongrois A. Michel, 320 p., 18 F Saint Ambroise et les luttes idéologiques du IV' siècle.
Alexandre Donat Veilleur, où en est la nuit? trad . de l'américain par Claude Durand Le Seuil, 413 p., 19,50 F Du ghetto de Varsovie à Auschwitz, la tragédie d'une famille juive.
Witold Gombrowicz Bakakai trad. du polonais par G. Sédir, A. Kosko et Brone Les Lettres Nouvelles Denoël, 288 p., 19 F Douze contes écrits entre 1926 et 1946.
Ouvrages publiés entre le 5 et le 20 Avril
J.B. Monteiro Lobato La vengeance de l'arbre et autres contes trad . du portugais par G. Tavares Bastos Ed. Universitaires 258 p., 18,50 F Nouvelles ayant pour cadre la forêt brésilienne.
Robert Neumann Le constat ou la bonne foi des Allemands trad . de l'allemand par S. et G. de Lalène Laffont, 336 p., 18,60 F La bonne conscience des Allemands du • miracle - .
Harry Mark Petrakis Un rêve de roi trad . de l 'américain Stock, 196 p., 12,90 F Dans la communauté gréco-américaine de Chicago.
Severo Sarduy Ecrit en dansant trad . de l'espagnol par E. Cabillon, C. Esteban et l 'auteur Le Seuil, 207 p., 12 F Cuba, carrefour de civilisations et de mythes.
POESIE
Ga'briel Cousin Jean Perret Nommer la peur Préface de G. Mounin Pierre Jean Oswald, 8 F Poèmes politiques sur le colonialisme
Bertin-B. Douteo L'harmonica oublié Regain , 125 p., 25 F.
Michel Enaudeau Le jeune homme interpellé Pierre Jean Oswald 40 p., 6 F
Georges Malte Au cœur des taupes Pierre Jean Oswald 64 p., 9,60 F.
Catherine Paysan Musique' du feu, suivi de Ecrit pour .l'âme des cavaliers et Le Pacifique Denoël, 144 p ., 12,35 F.
RÉÉDITIONS
Honoré de Balzac Le curé de Tours Pierrette Garnier Sélecta, 416 p., 14 F.
Descartes Œuvres philosophiques Tome Il (1638-1642) 12 reproductions Garnier, 1.176 p., 29 F.
Georges Politzer Critique des fondements de la psychologie P.U.F., 276 p., 9 F.
Ronald Syme La révolution romaine trad. de l 'anglais par Roger Stuveras Gallimard, 680 p., 45 F Un grand classique de l'histoire romaine.
BIOGRAPHIES MEMOIRES
Sammy Davis Jr Jane et Burt Boyar Ves 1 can Flammarion, 582 p., 25 F Le mari de May Britt nous parle du monde du spectacle américain et du milieu noir.
Armand Lanoux Maupassant, le bel ami Fayard, 460 p., 23,45 F Le Maupassant des images d'Epinal et celui de la folie et de la mort.
Henri Tisot Le copain et le cabanon Hachette, 224 p., 12 F Les souvenirs tendres d'une enfance toulonnaise.
ESSAIS
Piera Aulagnier-Spairanl Jean Clavreul, François Perrier, Guy Rosolato, Jean-Paul Valabrega Le désir et la perversion Le Seuil, 206 p., 18 F Cinq exposés sur la structure des perversions.
Jean-Claude Barreau La foi d'un païen Le Seuil, 94 p., 7,50 F La tradition ohrétienne aujourd'hui.
Froland Barthes Systèmes de la mode Le Seuil, 327 p., 24 F La mode comme système de significations.
Marcel Bataillon André Berge François Walter Rebâtir l'école Payot, 352 p., 19 F Pourquoi et comment il faut reconstruire l'enseignement français.
Jacques Brosse Cinq méditations sur le corps Stock, 162 p., 17,90 F Les fondements organiques et psychiques de la vie humaine.
Robert Charroux Le livre des maîtres du monde Laffont, 352 p., 15 F
La science-fiction douze mille ans avant notre ère d'après les v~stiges
archéologiques.
Georges Elgozy Le contradictionnaire ou l'esprit des mots Denoël, 368 p., 19,85 F Le dictionnaire démystifié.
Yves Fauvel et Jacques Brosse Le génie adolescent Stock, 416 p., 31,50 F Caractéristiques communes et structures essentielles de ce type humain représenté par Pascal, Kleist, Rimbaud, Mozart, Van Gogh, etc.
Pierre Gaffré Anatomie de l'argent Denoël , 224 p., 14,40 F Le rôle et les avatars de la monnaie, des origines à la Banque de France.
C. Wright Mills L'imagination sociologique Maspéro, 240 p., 24,65 F Un des plus grands sociologues de notre temps, mort en 1962. Voir c la Quinzaine " , n° 16.
Jean-Pierre Monnier L'âge ingrat du roman La Baconnière, diffusion Payot, 175 p., 18 F
Marcel Sendrail Sagesse et délire des formes Hachette, 256 p., 20 F Les lois de la morphologie humaine.
Robert Surrieu Sara é Naz 168 ill . couleur Nagel, 182 p., 186F Essai sur les représentations érotiques et l'amour dans l'Iran d'autrefois.
HISTOIRE
Henry Bergasse Histoire de l'Assemblée des élections de 1789 aux élections de 1967 Payot, 368 p., 30 F Les lois pendulaires de la politique au cours de 5 législatures et 2 républiques.
Julien Coudy La chute de l'Empire romain Julliard, 256 p., 20 F L'un des moments cruciaux de l'histoire de l'Occident.
Harold Kurtz L'Impératrice Eugénie Lib. Académique Perrin, 490 p., 20 F La femme la plus calomniée de son temps.
Christian Loubet Savan'!role, Prophète assassiné? Centurion, 244 p., 16,95 F La rencontre d'un moine fiévreux ' et d'une ville ardente: Florence.
Michel Richard La vie quotidienne des protestants sous l'ancien Régime Hachette, 320 p., 15 F Une minorité, reconnue et intégrée au XVII' siècle , hors-la-loi au XVIII' siècle .
DOC UMENTS
Marie Cardinal Cet été·là Julliard, 192 p., 15 F Le tournage de c Mouchette " et de . « Deux ou trois choses que je sais d'elle " , vécus au jour le jour.
Paul Elvstrom Les nouvelles règles de course, 1965·1968 trad. de l'anglais par F. Herbulot Laffont, 100 p., 14,60 F Le yachting à voile et sa tactique.
David Irving A bout portant sur Londres trad. de l 'anglais par M. Carrière Laffont, 464 p., 24 F Les nazis et les armes secrètes.
René Laurentin L'Eglise et les Juifs à Vatican Il Casterman, 136 p., 9 F Vers un dialogue constructif et réconciliateur.
Denis .'Langlois Le cachot Maspéro, 144 p., 8,90 F Ecrit en 1966, à Fresnes. Le récit de 45 jours passés au cachot.
Claude Lévy Paul Tillard La grande rafle du vel' d'hiv' 16 juillet 1942 Préface de J. Kessel Laffont, 272 p., 18F L'arrestation de 7.000 Juifs dont 4.051 enfants.
William Manchester Mort d'un président 25 novembre 1963 trad. de l 'américain par Jean Perrier . Laffont, 786 p., 29,30 F Le résultat d 'une enquête de deux ans, menée à la demande de la famille Kennedy.
Beverley Nichols Le cas de Mrs Somerset Maugham
trad. de l'anglais Stock, 160 p., 13,80 F la rupture du mariage des Maugham et la réhabilitation d'une épouse calomniée.
louis de Robien Journal d'un diplomate en Russie (1917.1918) A. Michel, 352 p., 18,50 F les étapes de la révolution au jour le jour.
Gordon Zahn Un témoin solitaire Vie et mort de Franz Jiigerstiitter Le Seuil, 253 p., 15 F Un objecteur de conscience allemand exécuté en 1943.
POLITIQUE ÉCONOMIE
Gérard Bergeron Le Canada Français après deux siècles de patience Le Seuil, 281 p:, 218 F Le Québec francophone et la liberté culturelle et politique.
Pierre Bleton Mort de l'entreprise Laffont, 256 p., 10,30 F Des vieilles affaires familiales aux nouvelles « unités de production-.
Régis Debray Révolution dans la révolution? Maspéro, 144 p., 8,90 F Les conceptions castristes de la lutte révolutionnaire dans le Tiers-monde.
Heinz Kuby Défi à l'Europe trad. de I"allemand par Martine Farinaux. Le Seuil, 351 p., 19,50 F Vers une fédération européenne.
Philippe de Saint Robert Le jeu de la France Julliard, 256 p., 18 F La politique étrangère du gouvernement de de Gaulle.
ARTS
Georges Arnulf 20 estampes pré-colombiennes Diff. Edit., 135 F De très helles sérigraphies reproduisant des motifs de bijoux pré-colombiens.
Gustave Doré Les Russes ave.c une petite suite
chronologique d'Alain Meylan Tchou, 140 p., 39 F Une œuvre méconnue du génial illustrateur de Dante et Cervantes.
Gustav René Hocke Labyrinthe de l'Art fantastique 16 p. d'illustrations Gonthier, 224 p., 24,20 F Origines et histoire de l'art fantastique de Léonard de Vinci à Max Ernst et Dali.
Raymond Peynet Avec les yeux de l'amour Album de dessins Denoël, 192 p., 10,15 F 192 dessins sur les célèbres amoureux.
P . .J. Ucko et A. Rosenfeld L'Art paléolithique Hachette, 256 p., 12,50 F La complexité de l'Art paélolithique et ses différentes interprétations.
THlI!.oATRE
Marcel Aymé Théâtre Gallimard, 280 p., 14 F Le · Minotaure, la Convention Belzébir, Consommation.
André Frère Nouvelles comédies à une voix Gallimard, 160 p., 10 F 6 pièces en un acte.
Félicien Marceau Un jour, j'ai rencontré la vérité Gallimard, 232 p., 12 F Créé à la Comédie des Champs·Elysées en janvier 1967.
DIVBRS
M.-L. et R. Bauchot La vie des poissons Nomb. illustrations Stock, 160 p., 16,50 F Le comportement social des poissons et leurs conditions d'existence.
Pierre Fisson Les automobilistes. Récits des temps actuels Laffont, 248 p., 14,40 F Six récits sur l'art de vivre avec les voitures.
Henriette Mirochnitchenko Danse et ballet 16 p. d'illustrations Stock, 224 p., 22,80 F L'art de la danse dans la société moderne et dans ses rapports avec les autres activités artistiques.
La Quiuzaine littéraire, 1" au 15 mai 1967.
POCHE
Littérature
Marcel Arland Antarès, suivi de La Vigie Livre de Poche.
Serge Dieudonné La lisière Présenté par Jean Cayrol le Seùil/Ecrire La passion de l'impossible.
Alexandre Dumas Joseph Balsamo Tomes 3 et 4 Livre de Poche.
Claude Frochaux Le lustre du grand théâtre Présenté par André Pieyre de Mandiargues Le Seuil/Ecrire Le monde comme théâtre et l'écriture comme artifice.
Antoine Gallien Verdure Présenté par Roland Barthes Le Seuil/Ecrire Un enfant naît et se détruit à travers le langage.
Ernest Hemingway Paris est une fête Livre de Poche.
Laurent Jenny Une saison trouble présenté par Jean-Louis Bory Le Seuil/Ecrire Un Parisien retrouve en Italie, pour le perdre bientôt, le paradiS perdu.
Lamartine Jocelyn Garnier-Flammarion.
Prévost Manon Lescaut Garnier-Flammarion.
Stendhal Armance Garnier-Flammarion.
Xénophon Œuvres complètes Garnier-Flammarion
Essais
H.-C. Allen Les Etats-Unis Histoire, politique, économie. Marabout· Un panorama complet de la civilisation américaine.
Bilan d'Avril
LES LIBRAIRES ONT
1. Henri Troyat La Malandre 2. Roger Peyrefitte Notre amour 3. Desroches-Noblecourt Toutankhamon 4. Schwarz-Bart Un plat de porc aux
5. Han Suyin 6. Joseph Kessel 7. André Chamson 8. Maurice Genevoix 9. Marc Toledano
10. Robert Aron
bananes vertes Une fleur mortelle Les cavaliers La Superbe La forêt perdue Le franciscain de Bourges Histoire de l'épuration
VBNDU
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4
LES CRITIQUES ONT PARLÉ DB
D'après les articles publiés dans les principaux quotidiens et hebdomadaires de Paris et de province
1. Georges Simenon Le chat Presses de la Cité Œuvres complètes .Rencontre
2. Marguerite Duras L'Amante anglaise Gallimard 3. Claude Simon Histoire Minuit 4. Michel Butor Portrait de l'artiste en jeune singe Gallimard
5, Maurice Genevoix 6. André Chamson 7. Joe Bousquet 8. Norman Mailer
. 9. Alejo Carpentier 10. J. Cowper Powys
Entretiens avec Georges Charbonnier La forêt perdue ' La Superbe Lettres à Poisson d'or Un rêve américain Guerre du Temps Camp ret ranché
Gallimard Plon Plon Gallimard Grasset Gallimard Grasset
LA QUINZAIN E LITTÉRAIR E VOUS RECOM MANDB
Romans
Tibor Déry Witold Gombrowicz J. Cowper-Powys Ernesto Sabato Claude Simon
Essais
L'Excommunicateur Bakakaï Camp retranché Alejandra Histoire
Hannah Arendt Essais sur la Révolution Pierre Cabanne Entretiens avec· Duchamp Gilles Deleuze Présentation de Sacher. Masoch Jean-Marie Domenach Le retour du tragique Georges Dumézil La religion romaine archaïque Merle Falnsod Smolensk à l'heure de StaD ... Jean Servier Histoire de l'Utopie
Albin Michel Denoël Grasset Le Seuil Minuit
Gallimard Pierre Belfond Minuit le Seuil Payot Fayard Gallimard
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DU MONDE ENTIER
11 PRIX NOBEL 23 PAYS SSO TITRES
Publiés depuis le 1er jarivier 1967
IALLEMAGNEI JAMES PURDV PAPONI A paraîtr'e:
HEINZ KOPPER Le satyre JUNICHIRO TANIZAKI lA MERIQuEi Simplicius 45 une satire des milieux américains de Journal WilLIAM FAULKNER la finance et de la publicité à propos chron ique d'une petite ville allemande de l'histoire d'un satyre d'un vieux fou Histoires diverses pendant cette guerre
la passion d'un vieillard non seulement les lieux mals aussi
ANN QUIN les personnages rattachent ces PETER BICHSEL 17 nouvelles à l'œuvre de Fau.lkner
Le laitier Berg et au .. Livre", selon son mot un homme appelé Berg ayant changé
le.OLOGNEI Nouvelles: une suite de fictions son nom en Greb vient dans une ville BERNARD MAlAMUD mystérieuses créant un univers d'angoissé du bord de mer pour y tuer son père
JERZY ANDRZEJEWSKI Le tonneau magique et de silence
Cendres 13 nouvelles sur la vie quotidienne
lAMER/QUEl KEITH· WATERHOUSE et diamant des juifs d'Europe Jubb les querelles pOlitiques et réfugiés aux Etats Unis
FRANCIS l'histoire d'un pyromane obsédé les morts ·qu'elles entrainent SCOTT FITZGERALD au jour de la libération
NICCOlO TUCCI Les enfants du jazz Sautant sur les Les funérailles une évocation du .. jazz âge"
à travers les meilleures nouvelles IARGENTlNEI montagnes inachevées de l'auteur de .. La Fêlure" la tyrannie exercêe sur son entourage JULIO CORTAZAR un peintre déjà célèbre et vieux retrouve
Marelle familial par une femme dont à la faveur d'un nouvel amour, les ressorts psychologiques en appellent
IRWIN FAUST pour avoir fui Paris et le souvenir d'un une inspiration nouvelle à Freud et à Masoch
Hardi les lions enfant mort: l'homme perdu trouvera-t-il dans l'amitié les voies de son salut?
dix personnages à la recherche de leur respiration dans New York
IpORTUGALI IANGLETERBEI /ESPAGNEI IANGLETERREI JOSE CARDOSO PIRES PETER MATTHIESSEN JUAN MARS': L'invité de Job En liberté dans les H.E. BATES Enfermés la randonnée de deux paysans
champs du Seigneur Six par quatre avec un seul jouet à travers le Portugal jusqu'à
un roman, une chronique sociale au leur rencontre dans un cadre exotique s'affrontent 24 nouvelles écrites en 24 années lendemain de la guerre civile avec "l'Invité de Job" deux modes de vie celui des blancs " ... et puis il y a ce thème et celui des Indiens. Le rapprochement qui à mon avis reparait sans cesse. ne se fera pas c'est l'obsession de la souffrance .....
ltTALlEI ISUEDEI BRIGID BROPHY
ELiO VITTORINI PER OLOF SUNDMAN La boule de neige Les femmes de Messine Les chasseurs Il TA LlEI Pour couronner le tout à l'image de ces femmes qui ont 14 nouvelles GIORGIO BASSANI un bal costumé, reconstruit leur ville après le tremblement dans le cadre Derrière la porte un pensionnat pour jeunes filles de terre, un groupe d'hommes et de de la Laponie Suédoise servent de cadre femmes errants s'établissent dans un dont les quatre premières les bons élèves et les autres ... à chacune de ces deux nouvelles village en ruine pour le rebâtir ont pour thème la chasse à l'homme l'annonce des conflits d'adulte
GALLIMARD