qu’est-ce que la planification de...

73
1 Qu’est-ceque la planification de l’éducation ? Philip H. Coombs Unesco : Institut international de planification de l’éducation

Upload: vuongkhanh

Post on 15-Sep-2018

219 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

1 Qu’est-ce que la planification de l’éducation ?

Philip H. Coombs

Unesco : Institut international de planification de l’éducation

Principes de la planification de l’éducation - 1

Dans cette collection: *

1. Qu’est-ce que la planification de l’éducation 7 P.H. Coombs

2. Les plans de développement de l’éducation et la planification économique et sociale R. Poignant

3. Planification de l’éducation et développement des ressources humaines F. Harbison

4. L’administrateur de l’éducation face à la planification C.E. Beeby

5. L e contexte social de la planifcation de l’éducation C.A. Anderson

6. L a planification de l’enseignement: évaluation des coûts J. Vauey, J. D. Chesswas

7. Les problèmes de l’enseignement en milieu rural V. L. Griffiths

8. L e rôle du conseiller en planification de l’enseignement A d a m Curie

9. Les aspects démographiques de la planifcation de l’enseignement Ta Ngoc Châu

10. Coûts et dépenses en éducation Jacques Hallak

11. L’identité professionnelle du planificateur de l’éducation A d a m Curie

12. Planification de l’éducation : les conditions de réussite G. C. Ruscoe

13. L’analyse coût-bénéfice dans la planifcation de l’éducation Maureen Woodhall

* Série publiée également en anglais Autres titres à paraître

Qu’est-ce que la planification de l’éducation?

Philip H. Coombs

Unesco : Institut international de planification de l’éducation

La SIDA (Organisme suédois d’aide au développement international) a fourni une aide financière pour la publication de cette brochure.

Publié en 1970 par l’organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture place de Fontenoy, 75 Pari~-7~ Traduit de l’anglais par I’IIPE Imprimé par Ceuterick, Louvain (Belgique) Maquette de couverture: Bruno Pfgffli

0 Unesco 1970 IIPE.70/II.l/F

Principes de la planification de l’éducation

Les brochures de cette collection sont destinées principalement à deux groupes de lecteurs : ceux qui occupent déjà des fonctions dans l’ad- ministration et la planification de l’éducation, ou qui s’y préparent, surtout dans les pays en voie de développement; et d’autres moins spécialisés - hauts fonctionnaires et hommes politiques, par exemple - qui cherchent à connaître de façon plus générale le mécanisme de la planification de l’éducation et les moyens de l’utiliser avec profit pour le développement national général. Ces brochures sont, de ce fait, destinées soit à l’étude individuelle, soit à des cours de formation. La conception moderne de la planification de l’éducation attire, de

plus en plus, des spécialistes de formation très diverse qui tendent, chacun, à voir la planification sous un angle assez différent. Certains ouvrages de la présente collection ont pour objet de permettre à ces spécialistes de confronter leurs points de vue et de les faire connaître aux jeunes qui seront appelés un jour à prendre la relève. Mais derrière cette diversité, plus apparente que réelle, se fait une

unité de vues toute neuve qui ne cesse de croître. Experts et administra- teurs, dans les pays en voie de développement, sont amenés à accepter un certain nombre de principes et de méthodes de base qui provien- nent, pour une part, de disciplines très variées, tout en constituant une contribution unique à la science apportée par un groupe de pionniers . qui ont dû s’attaquer ensemble aux problèmes éducatifs les plus urgents et les plus difficiles que le monde ait jamais eu à résoudre. Cette recherche commune sera exposée dans d’autres ouvrages de la

même série qui réunissent, sous une forme condensée, quelques-unes des meilleures idées et des plus riches expériences concernant les aspects particuliers de la planification de l’éducation.

Principes de la planincation de l’éducation

Compte tenu de la grande variété de formation du public auquel ces textes sont destinés, les auteurs ont dû assumer la tâche difficile de traiter leur sujet en partant de données élémentaires et en expliquant des termes techniques bien connus de certains et nouveaux pour d’autres, sans toutefois porter atteinte à la rigueur scientifique de leur exposé. Le lecteur averti lui-même aura bien souvent à s’instruire lorsqu’il s’agira de domaines très spécialisés. Un tel mode de présen- tation a l’avantage de rendre le texte intelligible à l’ensemble des lecteurs. Bien que la série, publiée sous la direction de C. E. Beeby du (( New

Zealand Council for educational research », à Wellington, ait été conçue selon un schéma général bien défini, aucune tentative n’a été faite pour éliminer les divergences, voire les contradictions entre les vues exposées par les différents auteurs. Il serait prématuré, en effet, aux yeux des responsables de l’Institut, d’arrêter une doctrine officielle précise dans ce domaine nouveau, dont la théorie et la pratique sont en constante évolution. S’il reste entendu que les auteurs sont responsables des opinions

qu’ils expriment, leurs vues - que l’Unesco ou 1’IIPE ne partagent pas nécessairement - n’en ont pas moins été considérées dignes d’être lancées dans le courant international des idées. En bref, il a semblé opportun de présenter un éventail des opinions les plus autorisées émanant de personnes dont l’expérience réunie couvre beaucoup de disciplines et s’étend à bon nombre de pays.

Préface

Lorsque M. Philip Coombs et moi-même établissions le plan de la présente série de brochures, voilà près de cinq ans, il semblait on ne peut plus logique que la première s’intitulât (( Qu’est-ce que la planifi- cation de l’éducation?» et fût rédigée par lui. Aussi bien, c’est la question que se posaient ceux qui étaient sur la touche et beaucoup de ceux qui étaient engagés à fond dans la partie. Le fait que cette bro- chure ne paraît que maintenant, après douze autres, appelle quelques explications. La raison apparente de ce retard, c’est que ses fonctions de directeur de l’IIPE, qui venait de se créer, étaient trop absorbantes pour que M. Philip Coombs pût écrire; aucun de ceux qui sont au courant de ce qu’était alors son incessante activité ne peuvent raison- nablement le contester. C’est pourtant ce que je fais, car il se trouve que je sais que le temps qu’il a consacré à sa brochure lui aurait permis de l’écrire trois fois de suite, s’il s’était résigné à accepter une concep- tion statique de son sujet. L’ennui, c’est que les théories relatives à la planification de l’éducation - les siennes et celles des autres - évo- luaient si vite que, le temps d’arriver au dernier paragraphe d’un projet rédigé durant les heures dérobées à ses loisirs, il était mécontent du début de l’ouvrage et de la manière dont il avait abordé l’ensemble du sujet. L’ironie de la situation résidait en ceci qu’il avait lui-même une bonne part de responsabilité dans la rapidité de cette évolution, étant donné que l’Institut qu’il dirigeait était un centre en pleine efferves- cence intellectuelle où théoriciens et praticiens de la planification mettaient au point et révisaient leurs idérs. M. Philip Coombs a, en fin de compte, élégamment résolu le pro-

blème en choisissant la méthode historique; en retraçant le chemin parcouru par la réflexion sur la planification de l’éducation, il a

Préface

montré la voie dans laquelle elle se trouve engagée. Ainsi, en dépit des changements que son imagination fertile laisse prévoir - ou que la réalité peut susciter - avant que la brochure ne soit éditée, nous sommes maintenant en possession de données à partir desquelles il nous suffit d’extrapoler pour nous faire une idée de son attitude probable à l’égard de la planification d’ici à un an. Précisément parce que la planification de l’éducation est un concept

encore très fluctuant, tous ceux qui s’en occupent trouveront dans cette brochure bien des motifs de satisfaction, à côté d’inévitables motifs de désaccord. Par exemple, le vieil administrateur que je suis considère que l’auteur a plutôt minimisé l’importance de la politique systématique de planification à longue portée qui a été suivie dans des pays dotés d’excellents systèmes d’enseignement, à une époque où, parfois, on n’osait même pas parier de (( planification », mais je le lui pardonne bien volontiers en considération de la nouvelle dimension qu’il a donnée au sujet et de l’insistance qu’il a mise à montrer que, dans une certaine mesure, la planification de l’éducation, loin d’être un exercice ésotérique réservé aux seuls spécialistes, fait normalement partie des fonctions de presque tous ceux qui s’occupent de I’enseigne- ment. Nul ne saurait être plus qualifié que M. Philip Coombs pour traiter ce

sujet. Professeur d’économie, il a ensuite travaillé à la Fondation Ford comme directeur des activités de recherche financées par le Fonds pour l’avancement de l’éducation avant d’assumer, sous la présidence de John Kennedy, les fonctions de sous-sécrétaire d’État de l’Éducation et des Affaires culturelles. Après avoir déployé, pendant cinq anset demi, son activité et son imagination à la direction de I’IIPE, il a abandonné celle-ci à la fin de 1968 pour se consacrer à ses propres écrits, tout en restant encore une année directeur de recherches de I’IIPE. Il est entré dernièrement au nouveau Center for Educational Enquiry en qualité de directeur des études de stratégie de l’éducation, mais il continue à donner une partie de son temps au travail de recher- che de 1’lIPE. Il a beaucoup écrit sur l’économie et sur la planification de l’éducation; son ouvrage le plus célèbre s’intitule La crise mondiale de l’éducation : analyse de systèmes. J’espère que, d’ici à cinq ans, M. Philip Coombs nous donnera

une nouvelle version de la présente brochure. C.E. BEEBY

directeur de la collection

Table des matikres

Avertissement au lecteur . . . , . . , . . . 1 1

Première partie Esquisse préliminaire . . . . . . . . . . . 14

Deuxième partie Les origines de la planification de l’éducation . . . . . . 17

Troisième partie Les raisons qui ont rendu nécessaire une nouvelle sorte de planification 1. Les nations industrialisées . . . . . . . . . 21 2. Les nations en voie de développement . . . . . . . 27

(a) Déséquilibres ruineux dans le système d’éducation . . . 29 (b) Une demande qui dépasse de loin les possibilités . . . 29 (c) Les dépenses augmentent plus vite que les ressources . . . 30 (d) Goulots d’étranglement autres que financiers . . . . 31 (e) Insuffisance de l’emploi par rapport à l’instruction . . . 31 (f) Le genre d’éducation qui n’était pas indiqué . . . . 33

Quatrième partie Les derniers progrès de la théorie et de la méthodologie . . . 37 1. Les questions clés de la participation . . . . . . . 38 2. Méthode de la (( demande sociale )) . . . . . . . 42 3. Méthode de la main-d’œuvre . . . . . . . . 45 4. Méthode du <(taux de rendement >). . . . . . . . 49

Cinqiriènie partie Les derniers progrès dans la mise en pratique de la théorie . . . 54 1. Formation et recherche . . . . . . . . . . 55 2. L’exécution de la planification . . . . . . . . 57

Sixième partie Un coup d’œil sur l’avenir . . . . . . . . . . 61 1 . Définition plus précise des objectifs . . . . . . . 63 2 . L’évaluation du rendement du système . . . . . . 65 3 . L’analyse de systèmes appliquée aux structures de l’enseignement 65 4 . Le renouvellement des styles et des modalités d’administration 67 5 . Intensification de la recherche et du développement . . . . 69

10

Avertissement au lecteur

Tous ceux qui, à travers le monde, s’intéressent à l’avenir de l’éduca- tion - dirigeants politiques, administrateurs, enseignants, étudiants et citoyens de toute sorte - se posent aujourd’hui maintes questions pertinentes sur la planification de l’éducation. A bon droit. Avant 1950, le mot était presque ignoré dans la majeure partie du globe; depuis lors, sa popularité a monté en flèche. Désormais, les gouvernements et les responsables de l’éducation dans le monde sont en grande majorité acquis à la notion de planification de l’éducation; des institu- tions internationales lui accordent une priorité absolue; de nouveaux programmes de formation ont été établis; des spécialistes des sciences sociales en font le sujet de leurs recherches et une abondante littérature concernant cette nouvelle activité est en train de naître. En dépit de toute cette sollicitude, la planification de l’éducation

demeure encore un mystère pour la plupart des gens de qui dépend sa réussite. II ne faut pas s’étonner si beaucoup d’entre eux insistent pour obtenir des réponses à des questions comme celles-ci :

Qu’est-ce que la planification de l’éducation ? Comment fonctionne- t-elle? Quelles activités englobe-t-elle ? Est-elle applicable partout ou seulement dans certains cas?

Qui sont les planificateurs ? En quoi consiste leur travail ? Comment devient-on planificateur? Quels risques y a-t-il à planifier? Et quels risques à ne pas planififi=r?

En quoi la planification de l’éducation est-elle différente aujourd’hui de ce qu’elle était à l’origine? Pourquoi a-t-il été néressaire de

11

Qu’est-ce que la planification de l’éducation ?

changer de style? Comment un pays démarre-t-il? Quels progrès réels a-t-on faits?

Quelle est l’étendue des connaissances réelles des experts ? Quels sont les principaux points d’accord et de désaccord? Pourquoi y a-t-il, malgré cette nouvelle forme de planification, une crise de l’éducation dans le monde?

Qu’en est-il de l’avenir ? La planification de l’éducation, telle qu’elle se présente aujourd’hui, est-elle en mesure d’affronter victorieuse- ment les redoutables problèmes auxquels les systèmes d’enseigne- ment vont avoir à faire face? Sinon, dans quelles directions la planification doit-elle se renforcer?

Si vous êtes expert en la matière et que vous soyez déjà capable de répondre de manière assez satisfaisante à ces questions, vous risquez de perdre votre temps en poursuivant cette lecture. Si, au contraire, vous vous considérez comme un apprenti encore en quête de réponses, cette brochure peut vous venir en aide. Elle est destinée à initier les profanes à la planification de l’éducation, sous réserve des mises en garde qui suivent. On ne trouvera pas ici de réponses péremptoires et définitives à

toutes les questions. On y trouvera des essais de réponses partielles qu’un homme propose en se réservant le droit de les corriger par la suite. Les vues exprimées reflètent naturellement la formation de l’auteur, avec ses points forts; il ne prétend nullement à l’infaillibilité. Ce n’est là ni excuse ni fausse modestie; c’est simplement l’expression de la réalité. La planification de l’éducation, telle que nous la connais- sons aujourd’hui, est trop jeune encore; elle grandit trop vite et c’est une matière trop complexe et trop variée pour se laisser enfermer dans un concept rigoureux et définitif. C’est pourquoi il n’en existe pas encore de définition universellement admise ni, a fortiori, de théorie générale qui soit acceptable. Néanmoins, la planification de l’éducation a fait, depuis quelque

temps, de grands progrès sur les plans théorique et pratique; il y a un grand nombre de points importants sur lesquels théoriciens et prati- ciens sont de plus en plus d’accord. Nous nous efforcerons ci-après de retracer une partie des progrès accomplis, sans pour autant dissimuler tous ceux qu’il nous reste à faire. Si l’auteur a choisi ici une présentation essentiellement historique,

c’est qu’à son avis il n’y a pas de meilleur moyen de comprendre la

12

Avertissement au lecteur

planification de l’éducation que d’observer de quelle façon elle a évolué avec le temps et varié selon les lieux pour s’adapter à la spéci- ficité des besoins locaux. Si nous connaissons ces antécédents, nous serons mieux armés pour

répondre à la question qui nous paraît essentielle : de quels types de planification de l’éducation les nation auront-elles besoin dans les années soixante-dix pour affronter les immenses difficultés que pose le développement de l’éducation dans un monde qui évolue rapidement? 11 résulte de ce qui précède qu’on ne peut pas attendre grand-chose

de bon d’une théorie qui considérerait la planification de l’éducation comme une c science nouvelle D ou une c discipline D autonome qui, à ce titre, aurait droit à sa case sur l’organigramme universitaire, à côté de la physique, de l’économie, de la psychologie et des autres disciplines officiellement reconnues. Cela risquerait de tenir la planifi- cation de l’éducation à l’écart des grands courants de pensée qui sont ses sources d’inspiration naturelles, comme ce fut trop longtemps le cas de l’éducation et de la pédagogie. Peut-être la meilleure manière de commencer notre étude est-elle

d’essayer de dissiper quelques mythes qui ont la vie dure et d’avancer quelques assertions préliminaires qui fourniront d’emblée au lecteur un cadre de référence et lui révéleront sans plus attendre les préfé- rences de l’auteur.

13

Esquisse préliminaire

Quelle que soit la nature de la planification de l’éducation, elle n’est pas, loin s’en faut, un remède miraculeux à l’usage des enseignements mal en point ni, à l’inverse, une drogue diabolique qui n’a que des effets nocifs. La planification de l’éducation, au sens large, est l’appli- cation d’une analyse systématique et rationnelle au processus de déve- loppement de l’éducation; son but est de mettre l’éducation à même de satisfaire de manière plus efficace aux besoins et aux objectifs des étudiants et de la société. Considérée sous ce jour, la planification de l’éducation est idéolo-

giquement neutre. Sa méthodologie est suffisamment souple et mal- léable pour se prêter à des situations fort différentes par l’idéologie, le niveau de développement, la forme de gouvernement. Sa logique, ses concepts et ses principes fondamentaux sont d’une application universelle, mais les méthodes pratiques pour les appliquer vont, selon les circonstances, de la simplicité la plus élémentaire à la complexité la plus raffinée. On aurait donc tort d’attendre de la planification de l’éducation une formule rigide et monolithique qui s’imposerait uni- formément dans tous les cas. Il n’est pas moins erroné de croire que la planification de l’éducation

s’intéresse exclusivement à l’expansion quantitative de l’éducation, qu’elle se préoccupe seulement d’accroissement mais non de change- ment. Le malentendu tient en partie au fait que c’est à cette fin que la planification de l’éducation a été souvent utilisée, mais une telle restric- tion n’est pas dans sa nature; il s’explique aussi par l’emploi étendu que la planification fait des statistiques (quand elles sont disponibles). Toutefois, on ne devrait pas perdre de vue que la statistique n’est que le reflet de la réalité et que la réalité peut tout aussi bien être qualitative que quantitative.

14

Esquisse préliminaire

La planification de l’éducation se préoccupe de l’avenir, à la lumière des enseignements qu’elle tire du passé. C’est un tremplin pour les décisions et les actions futures et c’est plus qu’un simple plan directeur. La planification est un processus continu, qui se demande non seule- ment où aller mais comment y parvenir et quel est le meilleur chemin. Son travail n’est pas terminé quand un plan est établi sur le papier et approuvé. La planification, pour être efficace, doit se soucier de sa propre réalisation, des progrès accomplis et de ceux qui restent à faire, des obstacles imprévus qui peuvent surgir et de la manière de les surmonter. Les plans sont faits non pas pour être sculptés dans le marbre, mais bien pour être adaptés aux circonstances. Durant l’exécution d’un plan, il faut élaborer le suivant en tenant compte des leçons du premier. La planification n’est pas spécialement un jeu pour dictateurs, encore

que les dictateurs, aussi bien que les dirigeants démocratiques, puissent y trouver un instrument utile. Cela tient au fait que la planification n’arrête pas de politique ou ne prend pas de décisions par elle-même; elle se met seulement au service de ceux à qui incombe une telle responsabilité, à un niveau supérieur ou à un niveau subalterne. La planification est - ou devrait être - partie intégrante du processus d’ensemble de l’administration de l’éducation, au sens le plus large de l’expression. Elle peut aider ceux qui prennent des décisions, depuis le maître d’école jusqu’aux ministres et aux assemblées parlementaires, à les prendre en meilleure connaissance de cause, en leur permettant de se faire une idée claire des objectifs spécifiques dont il est question, des diverses stratégies possibles pour les poursuivre et des incidences probables de chacune. La planification peut aider à obtenir des résul- tats globaux plus importants et plus satisfaisants, dans la limite des ressources disponibles. Toutefois, la planification ne peut procurer de tels avantages qu’à la

condition d’avoir une largeur de vue suffisante pour prendre en consi- dération un grand nombre de variables interférentes, pour interpréter les divers éléments comme les parties d’un tout organique et dyna- mique, autrement dit d’un système, passible par conséquent d’une analyse systématique. Ainsi, avant de préconiser une quelconque règle de conduite, les

planificateurs devront d’abord voir de quelle marge de manœuvre dis- posent, dans l’immédiat, les responsables des décisions. Par exemple, ils doivent considérer quel est l’état de la société, où elle veut aller et ce que cela implique sur le plan de l’éducation pour qu’elle y parvienne,

15

Qu’est-ce que la planification de l’éducation?

comment sont les étudiants, quels sont leurs besoins, leurs aspirations, leurs perspectives pratiques; quel est l’état des connaissances elles- mêmes, celui de l’art d’instruire; enfin, ce qui n’est pas le moins important, quelle est l’aptitude naturelle du système d’éducation à faire son autocritique et à prendre des initiatives avisées pour améliorer son propre fonctionnement. Une des tâches fondamentales de la plani- fication de l’éducation, c’est de définir la meilleure manière de main- tenir la complexité de ces rapports internes et externes en état d’équi- libre satisfaisant dans des circonstances en voie de changement dyna- mique et des les infléchir constamment dans la direction voulue. Ce sont là des critères idéaux auxquels aucune planification de

l’éducation n’a pu satisfaire pleinement. Toutefois, pendant la plus grande partie de la longue histoire de l’éducation, le besoin ne s’en faisait pas sentir, parce que, pour l’enseignement, les choses se présen- taient de manière incomparablement plus simple que maintenant. Avant la Seconde Guerre mondiale, les systèmes d’enseignement

étaient moins complexes dans leurs structures et dans leur contenu, moins vastes de proportions et moins intimement liés à la vie globale de la nation. De plus, le développement et l’évolution des établisse- ments d’enseignement et du milieu environnant suivaient une allure sensiblement plus lente. Ainsi, le risque était minime de voir surgir soudain des distorsions et des déséquilibres graves soit à l’intérieur de l’enseignement, soit entre le système d’enseignement et la société pour le compte de laquelle il fonctionnait. Néanmoins, même à ces époques où les choses étaient plus simples,

le fonctionnement d’un établissement d’enseignement impliquait ordi- nairement un minimum de planification. Mais, en dehors des pé- riodes exceptionnelles d’agitation sociale, ce pouvait être une forme de planification simple et réduite, que rien ne distinguait de l’admi- nistration courante et qui ne méritait ni l’intérêt des sphères univer- sitaires ou politiques ni même une dénomination particulière. Il n’en est plus ainsi. Le monde de l’éducation a changé, de façon

rapide et irréversible, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, depuis que la conjucture de forces révolutionnaires que, désormais, nous connaissons bien a ébranlé l’univers entier. Nous examinerons plus loin l’incidence de ces forces révolutionnaires sur l’éducation et nous verrons comment tout cela a rendu nécessaire un style de plani- fication de l’éducation fondamentalement nouveau. Il ne sera pourtant pas sans intérêt de jeter d’abord un regard sur les antécédents histo- riques de cette nouvelle planification de l’éducation.

16

Les origines de la planification de l’éducation

L’actuelle planification de l’éducation peut se réclamer d’antécédents qui remontent, sans interruption, jusqu’à l’Antiquité. Xénophon, dans la Constitution de Sparte, rapporte comment, voilà quelque vingt-cinq siècles, les Spartiates planifièrent l’éducation pour l’adapter à des objectifs militaires, sociaux et économiques bien déterminés. Platon, dans sa République, a proposé un plan d’éducation approprié aux desseins politiques et aux exigences de l’hégémonie athénienne. La Chine, sous la dynastie des Han, et le Pérou des Incas ont planifié l’éducation pour servir spécialement leurs desseins nationaux. Ces exemples dans le temps soulignent l’importance du rôle joué

par la planification de l’éducation dans le rattachement du système d’enseignement d’une société aux objectifs de celle-ci, quels qu’ils soient. Certains exemples plus récents montrent comment on a eu recours à la planification de l’éducation, dans des périodes de grande agitation intellectuelle et sociale, pour faciliter la transformation d’une société et l’aider à s’adapter à de nouveaux objectifs. Les auteurs de ces plans étaient généralement des philosophes qui exerçaient leur réaexion sur la société et dont la pensée créatrice voyait dans l’éduca- tion un instrument puissant pour réaliser des réformes et parvenir à une vie honnête. C’est ainsi qu’au milieu du X V I ~ siècle, John Knox proposa un plan

pour l’établissement d’un système national d’écoles et de collèges qui avait expressément pour fin d’assurer aux Ecossais - heureuse com- binaison! - leur salut spirituel et leur bien-être physique. L’ère verti- gineuse du néo-libéralisme en Europe, vers la fin du XVIII~ siècle et le début du XIX~, produisit une profusion de projets qui, sous des titres comme t( U n plan d’éducation )) ou t( La réforme de l’enseignement D,

17

Qu’est-ce que la planification de l’éducation?

visaient à réformer la société et à l’élever. L’un des plus célèbres est le (( Plan d’une université pour le gouvernement de Russie D de Diderot, élaboré à 1% demande de Catherine II. On peut également citer celui de Rousseau, qui avait pour objet d’assurer l’éducation à tous les citoyens polonais, et qui poussait la précision jusqu’à prévoir des châtiments corporels pour les élèves indisciplinés. La première en date des tentatives modernes d’utilisation de la

planification de l’éducation pour faciliter la réalisation d’une (( société nouvelle D fut évidemment le premier plan quinquennal de la jeune Union soviétique, en 1923. Même s’il utilisait des méthodes qui, com- parées à celles d’aujourd’hui, paraissent bien rudimentaires, ce plan a entamé le processus de planscation continu et global qui devait finalement permettre à une nation aux deux tiers illettrée de se trans- former, en moins de cinquante ans, en l’une des plus avancées du monde sur le plan de l’éducation. Mise à part son orientation idéolo- gique, l’expérience de planification soviétique offre aux autres pays quantité d’enseignements précieux sur le plan technique. Les quelques exemples historiques de planification de l’éducation

que nous venons de citer diffèrent grandement entre eux par l’ampleur, par les objectifs et par la complexité. Certains concernent des nations entières, d’autres de simples établissements; il en est qui, à coup sûr, ont été plus efficaces que d’autres; les uns ont été sans lendemain, les autres impliquaient un processus continu de longue durée ; certains ont eu pour cadre un dirigisme poussé, d’autres un milieu plus démo- cratique. Tous ont quelque chose à nous apprendre, mais aucun d’eux n’a les caractéristiques exigées d’une planification de l’éducation au sens moderne. Cependant, les antécédents de l’actuelle planification de l’éducation

ne se bornent pas aux exemples que nous venons de citer, qui sont les plus en vue et les plus spectaculaires. Les administrateurs responsables des institutions d’éducation n’ont jamais pu se dispenser d’une. espèce de planification plus répandue et plus courante et cela depuis qu’il existe des établissements de ce genre. Prenons, à titre d’exemple, le cas typique de l’administrateur placé

à la tête d’une circonscription locale de l’éducation publique dans les années vingt. Chaque année, il lui fallait prévoir et prendre diverses dispositions pour l’année scolaire suivante. À tout le moins, il devait supputer le nombre des élèves, des salles de classe, des maîtres, la quantité des pupitres et des livres appropriés à leurs besoins, évaluer le coût de tout cela, chercher où se procurer les fonds, quand et com-

18

Les origines de la planification de l’éducation

ment les utiliser ... Ces diverses projections aboutissaient à un projet de budget pour l’année scolaire suivante et se résolvaient en une série de décisions et d’opérations. Cela constituait de la planification de l’éducation - même si l’expression était rarement prononcée - et était considéré comme faisant normalement partie du travail de l’admi- nistrateur de l’éducation; si ce dernier était un médiocre planificateur, il ne tardait pas à se trouver embarrassé. Souvent, ce processus revêtait une forme extrêmement simple. Pour

une école ou pour un collège indépendants de faibles dimensions, la planification pouvait parfois se faire au dos d’une enveloppe. Mais, à mesure que l’organisation et les établissements scolaires devenaient plus importants et plus complexes et que le processus d’octroi des crédits budgétaires se faisait plus rigoureux, le processus de planifi- cation prenait lui-même davantage de complexité et de rigueur. Les opérations et les règles fondamentales n’en restaient pas moins en grande partie les mêmes. L’objectif essentiel était d’assurer l’existence et la continuité des établissements scolaires et de réaliser graduellement l’expansion et l’amélioration que les circonstances paraissaient autoriser. En fin de compte, cependant, les objectifs de l’éducation et la qualité

de ce qu’elle apportait aux étudiants et à la société ne faisaient pas l’objet d’un examen annuel au titre de la planification. On ne les mettait pas plus en question que l’air qu’on respirait. Il en était de même des programmes, des méthodes pédagogiques et du sacro-saint système d’examens. C’est pourquoi la planification était essentielle- ment axée sur les mécanismes et sur la logistique de l’éducation, sur les besoins du système, mais non sur ceux des étudiants ou de la société. En résumé, dans sa forme typique, la planification de l’éducation,

qui avait cours en beaucoup d’endroits avant la Seconde Guerre mondiale et qui durait depuis des générations, présentait ces quatre caractères clés : 1. Ses prévisions étaient d court terme, n’allant pas au-delà du budget de l’année suivante (excepté lorsqu’il fallait cons- truire de nouvelles installations ou ajouter un programme nouveau d’une certaine importance, ce qui élargissait un peu l’horizon de la planification ; 2. Elle procédait de façon fragmentaire, traitant séparé- ment chaque partie du système d’enseignement; 3. Elle ne s’intégrait pas à un cadre plus vaste, en ce sens que la planification scolaire était autonome au lieu de se rattacher expressément à l’évolution des besoins et tendances de la société et de l’économie en général; 4. Elle n’était pus u’ynarnique, car c’était une sorte de planification qui tenait pour établi un modèle éducatif essentiellement statique dont les caracté- ristiques principales demeuraient intactes d’année en année.

19

Qu’est-ce que la planification de l’éducation ?

La description qui précède comporte évidemment de remarquables exceptions, mais elle donne sans doute une image assez exacte de la méthode. Ce qui est important, c’est qu’elle fonctionnait. Les établis- sements scolaires avaient évidemment leur lot de problèmes et les administrateurs leur part de migraines. Pourtant, dans l’ensemble, l’éducation avançait sans trop d’à-coups dans ses ornières tradition- nelles sous ce régime de planification rudimentaire. Cela dura, c’est un fait, jusqu’à ce que la Seconde Guerre mondiale ouvrît une ère d’incroyables transformations qui devaient affecter tous les aspects de l’existence sur notre ‘planète et ébranler les fondements de nos antiques institutions.

20

Les raisons qui ont rendu nécessaire une nouvelle sorte de planification

Pendant les vingt-cinq années qui se sont écoulées de 1945 à 1970, enseignement et société ont été soumis au tir de barrage des change- ments scientifiques et techniques, économiques et démographiques, politiques et culturels, qui ont secoué tous les objectifs visibles. Cela a entraîné, pour l’éducation, l’apparition d’une nouvelle et redoutable série de missions, d’exigences et de problèmes qui, par l’ampleur et la complexité, dépassaient de loin tout ce qu’on avait jamais vu. Les planificateurs firent héroïquement face, de leur mieux, mais il s’avéra que leurs instruments de planification et d’administration n’étaient que grossièrement adaptés à la situation nouvelle. Quand on jette un regard en arrière, on ne peut que s’émerveiller de tout ce que les planificateurs ont accompli étant donné les circonstances et de la manière dont ils s’y sont pris pour ne pas succomber sous l’effort. En examinant quelques performances de cette extraordinaire expé-

rience, nous pouvons nous faire une idée plus nette des raisons qui imposaient une nouvelle sorte de planification et des caractéristiques principales que celle-ci requérait. Quoique les nations en voie de déve- loppement soient notre principal point de mire, un premier regard sur le monde développé facilitera notre visée.

1. Les nations industrialisées D’une manière générale, les nations industrialisées sont passées par trois phases, sur le plan de l’éducation, de 1945 à 1970; elles sont présentement dans une quatrième phase qui ne laisse pas d’être embar- rassante. Ces quatre phases sont les suivantes : 1. la reconstruction;

21

Qu’est-ce que la planification de l’éducation ?

2. la pénurie de main-d’œuvre; 3. l’expansion galopante; 4. l’inno- vation. Chacune d’elles a posé à la planification une nouvelle série de problèmes. Epuisées par les combats, les nations européennes, au sortir de la

Seconde Guerre mondiale, se retrouvaient avec des systèmes scolaires gravement démantelés pour affronter, sur le plan des besoins de l’édu- cation, un retard considérable. La plupart se mirent aussitôt en devoir d’essayer de ramener l’éducation à ce qui pouvait être considéré comme la normale, en lançant de retentissants programmes pour les constructions scolaires, le recrutement des enseignants, la formation d’urgence, etc. Il fut bientôt évident que la traditionnelle planification de l’éduca-

tion d’avant-guerre était dépassée par les tâches de la reconstruction. Des projets de grande envergure, qui affectaient profondément de nombreuses communautés et imposaient une lourde charge à des économies délabrées et surmenées, exigaient des plans et des program- mes plus vastes et plus complexes, une perspective à plus longue portée et un contrôle plus minutieux de leurs possibilités et de leurs incidences économiques. Malgré leurs nombreuses imperfections, les méthodes de planification qui furent alors improvisées pour faire face à la situa- tion donnèrent réellement de bons résultats et elles préparèrent égale- ment les responsables de l’éducation aux problèmes de planification encore plus difficiles que l’avenir leur réservait. Pour citer un exemple, avant même que la guerre fût finie, le

Royaume-Uni - en dépit de la décentralisation de son organisation scolaire et de son traditionnel manque d’enthousiasme pour la planifi- cation en général - promulgua 1’Education Act de 1944, qui imposait à chacun des cent-quarante-six services localement responsables de l’éducation en Angleterre et en Pays de Galles de préparer un plan de développement pour le soumettre à l’administration centrale. Bien que la somme des plans locaux auquels ce texte donna lieu ne constituât pas un plan national cohérent, équilibré par des ressources disponibles, nombre d’entre eux n’en portaient pas moins la marque d’une habileté et d’une compétence technique remarquable dans leurs méthodiques projections à long terme de la population locale et des effectifs sco- laires, des variations démographiques, des emplacements scolaires, des besoins en maîtres, des moyens financiers nécessaires et des pers- pectives de produit de la taxe locale. La France procéda d’une manière diffèrente, en harmonie avec le

principe plus centralisateur de 1 ’enseignement et de l’administration.

22

Les raisons qui ont rendu nécessaire une nouvelle sorte de planification

En 1946, elle entreprit une planification d’investissement global pour l’ensemble de l’économie, puis, en 1951, elle incorpora dans le deuxiè- me pian quinquennal le plan des dépenses en capital pour l’éducation à l’échelle nationale. D’autres pays d’Europe occidentale abordèrent la planification de

la reconstruction de l’éducation selon des méthodes diverses en confor- mité avec leurs traditions ou leurs préférences particulières. L’Union soviétique, aux prises avec la tâche la plus énorme de toutes, se fonda sur son expérience de planification d’avant-guerre, et devenait en même temps le point de mire des pays nouvellement (( socialisés D d’Europe orientale, en quête de nouveaux modèles de planification. Pendant ce temps-là, aux États-Unis mêmes, où l’idée de planifica-

tion était encore frappée de malédiction, les responsables de l’enseigne- ment, à l’échelle locale comme à celle des États, recouraient à une planification plus poussée qu’elle ne l’avait jamais été auparavant, pour s’attaquer au retard dû à l’ajournement des constructions sco- laires nécessaires, pour répondre à la demande d’éducation de la part des anciens combattants et pour faire face aux effets qu’allait avoir, en matière d’éducation, le (( baby-boom », l’explosion démographique due à la guerre. Tout cela n’était pourtant qu’un avant-goût de ce que l’avenir

réservait. Les sytèmes d’éducation furent bientôt reconstitués sur le plan matériel, mais ils ne devaient jamais revenir à la (( normale >> d’avant-guerre. Bientôt, l’enseignement allait devenir une usine de main-d’œuvre, chargée de fabriquer en quantités croissantes le matériel humain de plus en plus perfectionné que réclamait l’expansion écono- mique d’après la guerre. Bientôt, surtout, la poussée démographique et le besoin qu’on ressentait, la paix revenue, de démocratiser l’en- seignement en ouvrant largement ses portes, allaient le placer dans une situation explosive en multipliant le nombre des étudiants. La phase de pénurie de la main-d’œuvre mérite qu’on s’y arrête,

moins à cause des répercussions pratiques qu’elle a eues sur la plani- fication de l’éducation en Europe que pour ses incidences sur les nations en voie de développement et en raison de l’influence considé- rable qu’elle a exercée sur les économistes, en éveillant leur intérêt pour le développement de l’éducation. Les économies gravement ébranlées de l’Europe occidentale recou-

vrèrent à une vitesse stup5fiante leur niveau de production d’avant- guerre et se mirent en devoir d’atteindre de nouveaux sommets. Ce rapide rétablissement, il convient de le noter, était dû essentiellement

23

Qu’est-ce que la planification de l’éducation ?

aux injections abondantes et sagement planifiées faites, par l’inter- médiaire du Plan Marshall, dans des systèmes économiques déjà dotés d’institutions perfectionnées et qui disposaient de ressources humaines à qui ne manquaient niktechnimqo&nes ni le savoir-faire. (Tel n’était pas, lorsque- vint leur tourAlle cas des nLtioo_ns en voie de dévehppe-mcni.) Dans le débutdes années cinquante, ces économies reconstruites avaient entièrement absorbé, en fait de res- sources humaines, les éléments qualifiés disponibles; c’est à partir de là que le goulot d’étranglement de la main-d’œuvre commença d’apparaître comme l’obstacle principal à une croissance ultérieure. Cela conduisit les économistes occidentaux à se préoccuper davan-

tage de la main-d’œuvre et à regarder l’éducation d’un autre œil. On cessa de considérer cette dernière comme un secteur (( improductif D de l’économie où s’engloutissaient les crédits de consommation, pour y voir désormais un investissement essentiel à la croissance écono- mique. Forte de cet impressionnant brevet d’investissement, décerné de fraîche date, l’éducation était mieux armée pour faire valoir ses revendications sur les budgets nationaux. Mais, pour justifier ces reven- dications, les éducateurs durent à leur tour se préoccuper davantage de la main-d’œuvre. Il leur fallut dresser leurs plans et essayer d’orienter les contingents d’entrée et les promotions de sortie de leurs étudiants d’après la structure des besoins de main-d’œuvre dont les économistes attestaient la nécessité pour la bonne santé de l’économie. Cependant, c’était là un prix désagréable à payer pour les éducateurs

nourris dans la tradition humaniste et libérale. Ils préférèrent lutter pour des budgets plus importants, en se plaçant sur un plan moins terre-à-terre et en soutenant que l’éducation constituait, pour chaque enfant, un droit. Tant mieux si l’éducation pouvait aussi être utile à l’économie, mais elle ne devait pas en être l’esclave. L’éducation étant un bien, plus il y en aurait, mieux cela vaudrait, de n’importe quelle sorte et à n’importe quel niveau. Par-dessus tout, les éducateurs insistaient sur ce point que chaque enfant était d’abord et avant tout un individu, et non un élément des statistiques de main-d’œuvre. Les éducateurs craignaient - et ils ne s’en cachaient pas - que la

noblesse des valeurs et des objectifs traditionnels de l’éducation ne fût dégradée par les préoccupations matérialistes des économistes. Le dialogue entre ces nouveaux alliés ressemblait parfois à un dialogue de sourds. Ils ne parlaient pas la même langue et mettaient souvent, sous les mêmes termes, des réalités différentes. C’est seulement par la suite, lorsque les uns et les autres eurent fait mutuellement leur édu-

-/.

24

Les raisons qui ont rendu nécessaire une nouvelle sorte de planification

cation, que les divergences apparentes commencèrent de se dissiper et qu’ils s’aperçurent que leurs intérêts concordaient sur de nombreux points. Toutefois, quelle que fût l’importance évidente finalement reconnue

aux besoins de main-d’œuvre, ils pâlissaient devant une autre force qui allait bientôt dominer la scène de l’éducation et faire passer des nuits blanches aux autorités responsables dans toute l’Europe et l’Amérique du Nord : nous voulons parler de l’accroissement explosif de la demande populaire d’éducation, qui conduisit à la phase de l’expansion galopante. Les économistes pouvaient dire tout ce qu’ils voulaient sur les

besoins en main-d’œuvre de la nation; ce que les parents plaçaient instinctivement au premier plan, c’étaient les besoins de leurs propres enfants. Indifférents aux déclarations des éducateurs sur la noblesse des objectifs de l’éducation et sur leur détachement des contingences matérielles, la majorité des enfants et de leurs parents considéraient avant tout l’éducation comme le plus siIr moyen d’avoir un meilleur emploi et une meilleure existence. La puissance de cette poussée hu- maine n’échappait à aucun homme politique et nul ne pouvait se permettre de la méconnaître, à quelque idéologie qu’il appartînt. C’est ainsi qu’à partir du milieu des années cinquante, on assista,

pour répondre à cette poussée, à un gonflement chaotique des effectifs scolaires dans tous les pays développés, les niveaux secondaire et supérieur étant les plus touchés. Le moteur principal n’en était ni la démographie ni les besoins de l’économie, quoique ces deux facteurs soient intervenus, mais bien l’augmentation de la demande sociale qui excédait en permanence les possibilités qu’avaient les systèmes d’éducation de la satisfaire. Il convient d’ajouter que, dans la plupart des nations occidentales

développées - la France constituant l’exception la plus notable - les nouvelles formes de planification de l’éducation n’ont joué, au mieux, qu’un rôle mineur dans cette extraordinaire expansion. Même en France, où la planification de l’éducation, pour tous les niveaux et à l’échelle nationale, était étroitement intégrée à la planification de l’ensemble des investissements économiques par cycles quinquennaux, elle se limitait à la planification des moyens matériels et laissait de côté des éléments décisifs comme la formation des enseignants, les dépenses courantes, les besoins de main-d’œuvre ou les réformes et

, innovations de diverses sortes qui étaient une nécessité pour ’ l’éducation.

25

Qu’est-ce que la planification de l’éducation ?

Pratiquement, la principale poussée stratégique consista partout en une expansion de l’enseignement aussi rapide que possible et conforme aux modèles d’avant-guerre, qu’il s’agisse de programmes, de pédago- gie, d’examens ou de tout le reste; cette expansion avait pour objectif de donner satisfaction à un plus grand nombre de jeunes, d’accroître la proportion de ces derniers et, ce faisant, de (( démocratiser P l’éduca- tion. Il y eut, exceptionnellement, quelques retouches à l’ancien sys- tème, comme la création d’écoles secondaires à enseignement multiple en Suède et de sections modernes dans les lycées français. Cependant, en comparaison des immenses changements intervenus dans la masse des étudiants, dans l’économie et dans la société ainsi que dans l’état des connaissances elles-mêmes, il est remarquable que la plupart des systèmes d’éducation aient si peu changé durant les dernières années soixante. Faute de moyens pour faire leur autocritique et pour se régénérer par eux-mêmes, ils sont restés prisonniers de leurs propres habitudes pédagogiques traditionnellement axées sur la formation d’une élite, à une époque où leur évolution allait rapidement les trans-

Cet attachement à des formes vieillies créait un déséquilibre croissant entre, d’une part, les systèmes d’éducation et, d’autre part, l’économie, la société et les étudiants auxquels ils avaient affaire. L’excès de pres- sion risque de faire exploser la chaudière : les systèmes d’enseignement ne devaient pas échapper à la règle. Pour la majeure partie du monde industrialisé, 1967 a été l’année de la grande expansion de l’éducation, marquée par de violentes protestations d’étudiants, que soutenaient de leur sympathie nombre d’enseignants, de parents et d’autres personnes à qui l’éducation traditionnelle paraissait critiquable. Les événements de 1967 ne sont cependant que le début d’une suite d’explo- sions qui menacent de durer, sous une forme ou sous une autre, aussi longtemps que les institutions d’éducation ne se seront pas définitive- ment régénérées elles-mêmes et n’auront pas apporté publiquement la preuve de leur pertinence. Ces éruptions ont fait passer de force les systèmes d’éducation des

nations industrialisées dans une nouvelle phase, la quatrième depuis la guerre, celle de l’innovation, dans laquelle ils se trouvent actuelle- ment. Ce qu’il en adviendra - c’est-à-dire si des transformations et des mutations importantes conduiront l’éducation à s’adapter à la société environnante, comme la raison l’exige, ou bien si, en se pro- longeant, l’inertie provoquera des explosions plus dangereuses et dont les dégâts seront plus considérables - c’est ce que l’avenir nous

, former en systèmes d’éducation de masses.

26

Les raisons qui ont rendu nécessaire une nouvelle sorte de planification

montrera. A tout le moins, une chose est claire : pour réaliser d’autres transformations qui sont nécessaires, il faut que des changements importants aient lieu dans la planification de l’éducation elle-même. La planification qui ne permet qu’une stratégie d’expansion linéaire ne sera plus de mise; elle doit désormais permettre une stratégie de changement et d’adaptation de l’éducation. Cela demandera de nou- veaux genres de planification, de nouveaux concepts et de nouveaux outils qui sont seulement en train de se dessiner.

2. Les nations en voie de développement Une grande partie de ce qui vient d’être dit s’applique avec encore plus de force aux nations en voie de développement, dans les années cinquante et soixante. Leurs besoins, en matière d’éducation, étaient encore plus grands et plus urgents et leurs systèmes d’éducation, malgré d’héroïques efforts pour les développer, étaient encore moins adaptés et moins appropriés à leurs besoins. Démarrant dans les années cinquante, les nations en voie de dévelop-

pement firent pareillement face aux nouvelles circonstances où elles étaient placées par une stratégie d’expansion linéaire en matière d’édu- cation. À une série de conférences de l’Unesco qui se tinrent au début des années soixante, les ministres de l’Éducation d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine définirent, pour l’expansion de l’éducation dans leurs régions respectives, d’ambitieux objectifs régionaux qui devaient être réalisés pour 1980 (1975 en ce qui concerne l’Amérique latine). Les nations, une par une, rat:fièrent largement ces objectifs. Elles décidèrent qu’il leur faudrait atteindre, au terme de la période fixée, un taux de scolarisation de 100 p. cent dans l’enseignement du premier degré, des taux sensiblement améliorés dans les enseignements secon- daire et supérieur. Des évaluations sommaires de dépenses et de ressottrees-qui furent

faites, il ressortait que, même en donnant un coup de pouce aux chiffres, la réalisation desdits objectifs exigerait un relèvement impor- tant de la part du PNB consacrée à l’éducation, en même temps qu’un accroissement considérable de l’aide extérieure. Les conférences régio- nales de l’Unesco firent bien également certaines recommandations de caractère qualitatif, mais il était clair pour tout le monde que la principale pierre de touche des progrès à venir - et la base essentielle de comparaison entre les nations - serait l’augmentation des chiffres

27

Qu’est-ce que la planification de l’éducation ?

de scolarisation par rapport aux objectifs à atteindre. S’étant donné ce cadre de référence, les nations en voie de développement entrèrent en campagne avec enthousiasme pour une expansion rapide de l’édu- cation. Il sautait aux yeux même des plus ardents partisans du laissez- faire qu’elles devraient planifier soigneusement leur façon d’agir pour tirer le meilleur parti des squelettiques ressources dont elles disposaient. La thèse en faveur d’une a considération des besoins de main-d’œu- vre N était soutenue avec une force particulière dans les nations en voie de développement, du fait que leur développement général était visi- blement handicapé par la pénurie de main-d’œuvre spécialisée de toute espèce. Il était donc compréhensible qu’on voulût donner d’abord la priorité à la formation des types de main-d’œuvre qui étaient les plus nécessaires à la croissance économique, puisque, sans cette crois- sance, l’expansion à longue portée que l’on souhaitait - pour l’édu- cation et pour d’autres objectifs sociaux majeurs - serait purement et simplement impossible. La difficulté, toutefois, résidait dans le fait que les nations en question

n’étaient pas en mesure d’assurer la planification de l’éducation et de la main-d’œuvre que la situation exigeait. Et le reste du monde n’était pas susceptible de leur apporter un grand secours, car les connaissances dont on disposait pour ce genre de planification étaient extrêmement rudimentaires et les planificateurs compétents très rares. C’est une justice à rendre à l’Unesco, à l’OIT et à diverses fondations et organi- sations d’aide bilatérale que de reconnaître qu’elles firent de leur mieux pour recruter les conseillers les plus qualifiés qu’elles purent trouver, cela afin de répondre aux demandes de plus en plus nombreuses adres- sées par des nations en voie de développement qui réclamaient une aide à la planification. La plupart de ces experts réussirent à apporter de précieuses contributions sur divers plans, mais leur concours à la plani- fication de l’éducation dut nécessairement se limiter, en général, à ce qu’ils purent improviser sur le tas. Au début des années soixante, il n’existait pas de bon manuel de planification de l’éducation, en quelque langue que ce fût, et personne n’était en mesure d’en écrire un. Mais il fallait se mettre à l’œuvre sans attendre d’avoir la connaissance et les techniques requises. Les responsables de l’éducation, dans le monde en voie de développement, allèrent donc courageusement de l’avant et lancèrent à l’assaut des objectifs les taux de scolarisation qui, effectivement, s’élevèrent à une vitesse remarquable. Bientôt, cependant, plusieurs problèmes cruciaux commencèrent à se

poser, dont la multiplication, vers la fin des années soixante, se tra-

28

Les raisons qui ont rendu nécessaire une nouvelle sorte de plaiiification

duisit par une crise de l’enseignement en bonne et due forme, à laquelle n’échappa pratiquement aucun pays en voie de développement. 11 est édifiant de jeter un coup d’œil sur quelques-uns de ces problèmes quant aux enseignements que nous pouvons en tirer en ce qui concerne les tâches concrètes auxquelles la planification de l’éducation doit désormais faire face. Bien qu’ils aient pu se présenter sous une forme et avec une gravité variables d’un pays à l’autre, la plupart, sous des dehors divers, se retrouvaient presque partout.

a. Déséquilibres ruineux dans le système d’éducation

Il est caractéristique de constater le manque de coordination des campagnes en faveur de l’expansion de l’enseignement primaire, de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur. Bien plus, même à un seul niveau, les divers flux (enseignants, constructions, équipement, manuels, etc.) ne faisaient pas l’objet d’un projection, d’un plan, d’un programme minutieux. Il en résultait fatalement une série de distorsions qui étaient autant de causes d’échecs. Dans un cas bien connu qui peut servir d’exemple, une priorité

excessive était donnée aux constructions scolaires, tandis que l’expan- sion de la formation des enseignants et les fournitures de manuels souffraient de pénurie. Le résultat final en était que les nouveaux élèves se retrouvaient dans les nouvelles classes sans maîtres ni manuels. Parfois, c’est l’inverse qui se produisait; il y avait des maîtres et des élèves, mais pas de classes. Il n’y avait presque jamais assez de livres. L’absence de l’un quelconque de ces éléments importants constituait un grave handicap pour les autres. Dans un autre cas typique, les ressources affluaient pour l’expansion

universitaire, tandis que l’enseignement secondaire était à la traîne. En conséquence, les places nouvellement créées à l’université restaient vides, faute de candidats suffisamment qualifiés en provenance de l’enseignement secondaire. Ou bien, à l’inverse, les effectifs de l’en- seignement secondaire se gonflaient démesurément et les universités se trouvaient bientôt submergées par plus d’étudiants qu’elles n’en pouvaient admettre.

b. Une demande qui dépasse de loin les possibilités

La hardiesse des objectifs fixés, l’importance des promesses faites et l’expansion même de l’éducation excitèrent au plus haut point les

29

Qu’est-ce que la planification de l’éducation?

espérances de la population et provoquèrent, de sa part, une demande d’éducation qui, faisant boule de neige, échappa bientôt à tout contrôle. Le décalage qui allait s’aggravant entre la demande d’éducation et

les possibilités offertes se compliqua, par suite, d’une explosion démo- graphique qui compromit la réalisation des objectifs d’expansion initiaux. Si c’est, en tout pays, un heureux spectacle que celui d’enfants demandant à cor et à cri d’aller à l’école, ce peut aussi être un spectacle démoralisant pour les autorités scolaires qui sont obligées de détourner de l’école un grand nombre d’entre eux. Abondance de bien nuit, si elle est prématurée ... C’est ce qui s’est produit avec la demande d’éducation émanant de la population.

c. Les dépenses augmentent plus vite que les ressources

Quoique cette demande démesurée constituât une pression politique efficace en faveur des budgets de l’éducation, ceux-ci ne pouvaient pas suivre l’accroissement des dépenses et du nombre des étudiants. Dans certains pays, on n’avait jamais examiné si les objectifs étaient éco- nomiquement réalisables ; les moyens nécessaires à leur réalisation seraient immanquablement trouvés, on n’en doutait pas. Là où l’on avait procédé à une évaluation, on avait systématiquement sous- estimé les dépenses et surestimé les ressources. Les objectifs man- quaient donc de réalisme sur le plan économique. Quand la réalité ne fit plus de doutes, trois possibilités se présen-

taient d’échapper à l’asphyxie financière. Le première était de réduire les objectifs initiaux, mais c’était politiquement malaisé; la seconde consistait à diminuer les dépenses en rendant l’éducation plus efficace : c’était apparemment satisfaisant en théorie, mais la mise en pratique en était très difficile; la troisième possibilité revenait à éparpiller entre un nombre de plus en plus élevé d’étudiants les trop maigres ressources disponibles, mais en sacrifiant la qualité et l’efficacité. C’est cette dernière qui fut adoptée. Elle permettait aux statistiques de scolarisa- tion de suivre le tableau de marche dressé pour la réalisation de l’objec- tif, et parfois même de le devancer; mais on se rendait compte du singulier progrès que cela constituait quand on découvrait, en creusant sous le gonflement superficiel des statistiques de scolarisation, les taux scandaleusement élevés d’abandons ou de redoublements ou quand, inspectant des classes chargées, on constatait ce qui y avait cours sous le nom d’éducation.

30

Les raisons qui ont rendu nécessaire une nouvelle sorte de planification

d. Goulots d’étranglement autres que financiers

L’argent n’était cependant pas le seul goulot d’étranglement. II y eut au moins trois autres sortes d’insuffisance qui affectèrent le développe- ment de l’éducation dans les années soixante : (a) les faibles capacités administratives des systèmes d’éducation à dresser des plans et à convertir les plans et l’argent en résultats répondant à ce qu’on voulait; (b) la longueur des délais nécessaires au recrutement et à la formation de personnels compétents pour les écoles et les universités nouvelles; (c) les possibilités réduites des industries de construction locales. Ces goulots d’étranglement administratifs, humains et matériels

décidèrent en dernier ressort de la rapidité et de l’orientation que pourrait avoir le développement d’un système d’éducation, ainsi que de l’importance des concours financiers qu’il pourrait absorber avec profit. Certains de ces systèmes se trouvèrent dans cette situation absurde d’avoir à leur disposition d’importants crédits de construction qu’ils ne pouvaient pas dépenser, de superbes installations nouvelles pour lesquelles ils manquaient de personnel, un équipement dont ils ne pouvaient pas se servir, des plans séduisants concernant des besoins urgents qu’ils ne pouvaient pas réaliser ... Ces difficultés étaient aggra- vées par la longueur des délais nécessaires pour obtenir, en ce qui concernait les projets bénéficiant d’une aide étrangère, d’abord un accord définitif, puis des paiements effectifs.

e. Insufisance de l’emploi par rapport à l’instruction

Quel qu’ait pu être le but de l’éducation pour les esprits spéculatifs, il ne fait pas de doute que, pour la majorité des étudiants, l’objectif était de s’assurer une bonne place et une position qui leur vaudrait la considération de la communauté. Pour beaucoup, l’éducation était un passeport qui leur permettait de quitter leur village pour les brillan- tes lumières de la ville où ils chercheraient un emploi, vraisemblable- ment dans l’Administration. Au début, les perspectives d’emploi étaient excellentes ; les nations

qui avaient récemment accédé à l’indépendance étaient terriblement à court de toute sorte de main-d’œuvre instruite pour doter du person- nel voulu les services administratifs en voie d’expansion, pour rempla- cer les étrangers et pour mener à bien les tâches gigantesques que suppose l’édification d’une nation. Il paraissait inconcevable, après avoir été privé, pendant des siècles, d’une éducation en règle, de se

31

Qu’est-ce que la planification de l’éducation ?

retrouver, dix ans plus tard, avec plus de gens instruits que l’économie ne paraissait pouvoir en employer. C’est pourtant précisément ce que les pays éprouvèrent, l’un après

l’autre. Le phénomène des gens instruits qui n’avaient pas d’emploi fit d’abord son apparition dans des pays comme l’Inde, les Philippines, la République arabe unie et dans plusieurs nations d’Amérique latine qui avaient démarré plus tôt. Mais, vers la fin des années soixante, ce qui avait paru impensable commençait à se manifester même dans certaines des toutes dernières nations d’Afrique à avoir accédé à l’indé- pendance. U n coup d’œil rétrospectif permet de saisir clairement les raisons de ce phénomène. Les oscillations du marché de l’emploi se sont produites plus tôt

et ont été plus brusques que les experts de la main-d’œuvre eux-mêmes ne l’avaient prévu. Dans une économie étroite et peu diversifiée, il suffit de variations minimes de la main-d’œuvre pour déséquilibrer sérieusement le marché de l’emploi et bouleverser de nombreux étudiants ainsi que leurs familles. En ce qui concerne l’offre, après quelques années d’une (( production

déficitaire », l’enseignement commença à lancer sur le marché des contingents relativement importants de diplômés. En même temps, beaucoup de ceux qui étaient allés faire leurs études à l’étranger revenaient avec leurs diplômes en poche. La courbe de l’offre s’élevait donc rapidement. D u côté de la demande, les postes administratifs qui s’étaient trouvés vacants étaient désormais largement occupés par les gens qui s’étaient montrés les plus qualifiés à l’époque, même si leurs qualifications restaient souvent bien au-dessous des normes offi- cielles et bien inférieures aux qualifications de ceux qui se présentaient après eux sur le marché. Le secteur privé, qui employait infiniment moins de main-d’œuvre instruite que l’Administration, ne créait de nouveaux emplois qu’à une cadence assez lente, d’autant qu’il s’orien- tait vers des procédés et vers un équipement qui économisaient de la main-d’œuvre, parfois poussé dans cette voie par la nouvelle législa- tion sur le salaire minimal. Ainsi, la demande s’effondrait et, sur le marcl-é de la main-d’œuvre instruite où les vendeurs avaient fait la loi, c’était au tour des acheteurs de la faire. Le seul bon côté de toute cette affaire, c’était que, désormais, le

système de l’éducation lui-même pouvait, en tant qu’acheteur, engager comme professeurs des gens plus qualifiés, dont beaucoup d’ailleurs n’acceptaient qu’à contre-cœur, l’enseignement ne figurant qu’en dernier recours sur leur liste d’emplois dressée par ordre préférentiel.

32

Les raisons qui ont rendu nécessaire une nouvelle sorte de planification

Une pénurie sélective de main-d’œuvre continuait d’ailleurs à se faire sentir, notamment dans certaines spécialités, pour lesquelles il n’existait pas de possibilités locales de formation. Dans l’ensemble, cependant, cette pénurie faisait place à l’excès. Cette situation posait de nouveaux et graves problèmes politiques et exigeait une révision totale et un aménagement des hypothèses et des espérances antérieures, de la part de tous, administration et particuliers. Le revirement ne s’opéra pas sans douleur. L’un de ses effets les plus pénibles fut d’accélérer 1 ’ ~ exode des

cerveaux D, en partie provoqué par l’amoindrissement des perspectives d’emploi que comportait le retour au pays pour les étudiants qui étaient allés faire leurs études à l’étranger. Ce n’était pas seulement leur talent qui était perdu pour leur patrie lorsqu’ils n’y revenaient pas, c’étaient aussi les précieuses ressources qui avaient été investies dans leur éducation première. Certains observateurs étaient tentés de passer à la conclusion

simpliste que l’éducation avait connu une expansion excessive et qu’il convenait, en conséquence, de la ramener au niveau des possibilités économiques de création d’emplois. Pourtant, un examen plus appro- fondi montrait que la vraie solution était dans l’économie elle-même. Il fallait aménager les structures pour mieux utiliser la main-d’œuvre instruite qui était disponible. La main-d’œuvre clairvoyante était d’accord avec les planificateurs de l’éducation les plus avisés pour souligner que le but principal du développement économique devrait être non pas simplement de faire progresser les statistiques du PNB mais d’él-ver le niveau de l’emploi et d’améliorer la répartition des revenus. En conséquence, les planificateurs de la main-d’ceuvre ne devraient pas borner leur rôle à supprimer les goulots d’étranglement qui étaient provoqués par la pénurie de ressources humaines et qui entravaient la croissance économique ; ils devraient aussi s’efforcer d’augmenter le nombre des emplois jusqu’à la limite compatible avec un taux de croissance raisonnable. Les moyens pratiques de réaliser au mieux cette politique de haut emploi n’apparaissaient cependant pas très clairement et ils menaçaient de soulever des difficultés, pour ne pas dire plus.

f. Le genre d’éducation qui n’était pas indique‘ Les éducateurs ne pouvaient cependant pas se décharger de toute responsabilité dans ce problème de l’emploi. 11 était vrai que l’éiono- mie ne créait pas autant d’emplois qu’elle aurait dû. Mais l’autre

33

Qu’est-ce que la planification de l’éducation ?

aspect de la question, c’était que beaucoup d’étudiants recevaient une sorte d’éducation qui n’était pas appropriée au monde du travail où ils allaient vivre. Nombreux avaient été les censeurs à critiquer ouver- tement, comme inadéquate aux besoins des nations pauvres qui essayaient de se moderniser, c l’éducation héritée du X I X ~ siècle )) qui continuait à prévaloir. Mais il n’est pas certain que même un type d’éducation plus (( moderne », conçu pour préparer la jeunesse au travail moderne et à la vie urbaine, eût été l’éducation appropriée pour la grande majorité de jeunes gens dont la vie devait s’écouler à la campagne. Loin de les préparer à assumer la direction du développe- ment rural et agricole, qui était indispensable au développement général de la nation, elle aurait tendu à les aliéner du milieu rural. Toutefois, c’était une chose de savoir ce qui n’allait pas dans un

programme d’enseignement qui n’était approprié ni au temps ni au lieu et c’en était une tout autre de savoir quel genre de programme établir. On était loin de voir clairement quelles étaient les meilleures solutions de rechange et, quand on les voyait, elles étaient extrêmement difficiles à adopter parce qu’elles étaient coûteuses et demandaient beaucoup de temps. Çà et là, on s’efforça résolument de remplacer un programme et des

méthodes Fédagogiques dépassés par quelque chose de mieux adapté - et souvent avec de bons résultats. Ailleurs, cependant, le système continuait à tournerjour après jour, selon sa vieille routine, et beaucoup des responsables et des enseignants étaient pleinement conscients des dégâts qui en résultaient, mais ils se sentaient incapables de le changer. Le caractère inadéquat de l’éducation fut une rançon élevée de la

stratégie d’expansion linéaire et de la satisfaction de voir les statistiques de scolarisation atteindre des niveaux impressionnants. Ce ne fut pas la seule : une autre conséquence tragique de cette politique fut le taux exorbitant des abandons, en cours d’études, qui obligea des centaines de milliers de jeunes gens à quitter l’école avant même de savoir lire.

Les six problèmes dont nous venons de parler ont contribué à pro- voquer un immense gaspillage de précieuses ressources économiques et humaines en puissance, à handicaper sérieusement le développement national et à créer un malaise chez des millions d’hommes. Mais qu’y pouvait-on? Un système d’éducation de haute qualité, bien adapté aux besoins de son environnement et qui utilise efficacement les ressources dont il dispose, ne pouvait pas se construire en un jour - ni même en une seule décennie.

34

Les raisons qui ont rendu nécessaire une nouvelle sorte de planification

Rétrospectivement, nous ne pouvons pas nous montrer sévères pour les valeureux efforts accomplis en faveur du développement de l’éduca- tion, dans les années cinquante et soixante, par les nations en voie de développement et par ceux qui cherchaient à les aider. Si l’on avait la possibilité de recommencer l’Histoire avec toute la supériorité que donne la connaissance des événements, nul doute que bien des choses puissent être améliorées. Une meilleure planification aurait certaine- ment été utile, mais toute la planification du monde n’aurait pas pu changer radicalement les aspirations, les impulsions, les contraintes fondamentales qui ont essentiellement commandé le cours des événe- ments. Ce qui est étonnant, ce n’est pas que tant de choses soient allées mal, c’est que tant de choses soient allées bien. Le solde net de la balance de l’entreprise - quoiqu’il ne puisse être évalué avec pré- cision et que bien des profits restent à recueillir - apparaît comme devant être à coup sûr largement positif. Quoi qu’il en soit, notre propos ici n’est ni de louer ni de critiquer le passé, il est d’en dégager les leçons pour l’avenir. Ce faisant, nous devons être en garde contre la puérile croyance qu’une meilleure planification - la meilleure même que chacun puisse imaginer - aurait supprimé les problèmes que nous venons d’aborder. Les causes fondamentales étaient pro- fondément enracinées dans le sol et rien ne pouvait empêcher les problèmes de surgir. Toutefois, une meilleure planification, à supposer qu’elle ait existé, aurait certainement pu amener à de meilleurs résul- tats. Elle aurait pu le faire notamment en mettant les hommes poli- tiques et tous les autres responsables en mesure de faire plus tôt le diagnostic et le pronostic des problèmes qui commençaient à se poser, de distinguer plus nettement les divers traitements entre lesquels il fallait opter ainsi que d’évaluer leurs avantages respectifs, y compris leur caractère plus ou moins réaliste. En bref, une meilleure planifi- cation aurait pu donner à ces hommes une vue perçante pour discerner les problèmes et un jugement mieux averti pour prendre les décisions qui devaient y faire face. O n peut en dire autant des nations industrialisées, dont il serait

difficile de prétendre - compte tenu du fait que leurs ressources, tant humaines que matérielles, étaient de loin plus importantes, que leurs systèmes d’éducation avaient en eux-mêmes une force supérieure et que leur expérience était sensiblement plus ancienne - que les résultats obtenus par elles, au cours de cette période, surpassent ceux des nations en voie de développement. Il convient toutefois de ne pas rester sur l’impression que, durant

35

Qu’est-ce que la planification de l’éducation 7

l’effervescence causée par tous ces troubles, rien n’a été fait pour créer et pour mettre en application des types de planification de l’éducation plus efficaces. On a fait beaucoup, ainsi que va le montrer un bref coup d’œil sur la réalité.

36

Les derniers progrès de la théorie et de la méthodologie

Les discussions entre économistes et responsables de l’économie, au cours des années soixante, ont facilement abouti à un accord en cinq points qui devait servir de cadre général aux recherches ultérieures.

En premier lieu, la planification de l’éducation doit considérer I’aoe- ?tir de plus loin. En pratique, il devrait y avoir une perspective à court terme (un ou deux ans), une perspective à moyen terme (quatre ou cinq ans) et une perspective à long terme (de dix à quinze ans). Evidem- ment, la vision sera d’autant moins précise qu’elle sera plus lointaine. Toutefois, si l’on tient compte des longs (( délais de mise en route n nécessaires pour accroître les possibilités de l’éducation ou pour en modifier le rendement - par exemple pour augmenter la production de médecins, d’ingénieurs, voire d’instituteurs d’écoles primaires - il est nécessaire de planifier des années à l’avance. En secoiid lieu, la planification de l’éducation doit être globale. Elle

doit embrasser dans une seule vision l’ensemble du système d’éduca- tion, afin d’assurer l’évolution coordonnée de ses diverses parties. En outre, elle doit s’efforcer d’inclure dans son champ de vision les formes d’éducation et de formation extra-scolaires, qui ont leur importance, pour les intégrer efficacement au système scolaire ainsi qu’aux objectifs et aux besoins prioritaires de la société. En troisième lieu, la planification de l’éducation doit être ipztégrée

aux plans généraux de développement économique et social. Si l’éduca- tion a pour mission de contribuer plus efficacement au développement des individus et à celui de la nation, et si elle doit tirer le meilleur parti de ses maigres ressources, elle ne peut pas se permettre de suivre sa propre voie en ignorant la réalité du monde qui l’entoure.

37

Qu’est-ce que la planification de l’éducation?

En quatrième lieu, la planification de l’éducation doit être partie intégrante de l’administration de l’éducation. Pour être efficace, le pro- cessus de planification doit être intimement lié aux processus de prises de décision et d’intervention. Isolée dans sa tour d’ivoire, elle se réduit à un exercice théorique qui a essentiellement pour effet de créer un sentiment de frustration chez ceux qui y participent.

En cinquième lieu (et il a fallu plus longtemps pour que ce point s’impose), la planification de l’éducation doit se préoccuper des aspects qualitatifs du développement de l’éducation et non pas seulement de son expansion quantitative. C’est à cette seule condition qu’elle pourra contribuer à donner à l’éducation davantage de pertinence, d’efficience et d’efficacité. A l’instar du décalogue, ces cinq recommandations ont rencontré

d’emblée une adhésion de principe unanime, mais la question était d’obtenir qu’on leur obéisse. Pour arriver à ce résultat, il a fallu une triple action : (1) créer des concepts et des méthodologies spécifiques; (2) former des spécialistes capables de les mettre en application; (3) prendre les mesures organisationnelles et administratives voulues pour que la planification puisse fonctionner. Nous traiterons du pre- mier point dans la présente section et des deux autres dans la suivan te

1. Les questions clés de la planification Aussi utiles qu’elles fussent comme point de départ, les recommanda- tions ci-dessus ne posaient pas réellement les questions fondamentales auxquelles chaque nation doit faire face dans le domaine de la planifi- cation, questions qui obtiennent souvent une réponse par défaut sans avoir jamais été formulées explicitement. Ces questions (qui se rap- portent à une période de temps déterminée) sont les suivantes : 1. Quels doivent être les objectifs prioritaires et les fonctions essen- tielles du système d’éducation et de chacune de ses subdivisions (par niveau, par établissement, par année d’étude, par cours, par classe)?

2. Quels sont, parmi les différents moyens possibles, ceux qui permettent le mieux de réaliser ces fonctions et ces objectifs divers? (Cette question exige que l’on considère diverses hypothèses relatives aux technologies applicables dans le domaine de l’éducation, les coûts. respectifs, les délais requis, leur réalisme, leur efficacité sur le plan éducatif, etc.)

38

Les derniers progrès de la théorie et de la méthodologie

3. Quelle part des ressources de la nation (ou de la communauté) doit-on consacrer à l’éducation, au détriment d’autres objectifs ? Où paraît se situer la limite du faisable en termes non seulement de ressources financières mais de ressources réelles ? Quel est le maxi- m u m des ressources que l’éducation peut efficacement absorber pour la période de temps donnér?

4. Qui doit payer? Comment la charge des sacrifices et des dépenses d’éducation doit-elle être répartie aussi bien entre les bénéficiaires directs de l’éducation et la société en général qu’entre les différents groupes de la société? Dans quelle mesure la structure actuelle de la fiscalité publique et les autres sources d’où l’éducation tire ses revenus sont-elles appropriées à la réalisation d’une répartition socialement souhaitable de cette charge, en même temps qu’à l’obtention d’un montant de revenus suffisant pour répondre aux besoins de l’éducation?

5. Quelle doit être la répartition des ressources totales mises à la disposition de l’éducation (quel qu’en soit le montant) selon les différents niveaux d’éducation, types d’enseignement et catégories de dépenses (par exemple entre enseignement primaire, secondaire et supérieur; entre enseignement technique et enseignement général ; entre la rémunération des maîtres, les dépenses de construction et d’équipement, les manuels, les repas gratuits, les bourses, etc.) ?

.

Il est probable qu’éducateurs, économistes, sociologues, hommes politiques et philosophes auront des manières totalement différentes d’aborder ces question et d’y répondre, ce qui n’est pas étonnant si l’on songe qu’ils ont une formation, des perspectives et des styles bien différents. Étant donné qu’il y a là une réalité qui influe sensiblement sur la manière dont ces diverses catégories ont abordé la planification de l’éducation pendant la désennie écoulée, nous devons nous arrêter un instant pour considérer quelle tournure a prise sur ces questions la réaexion des administrateurs de l’éducation et des éronomistes. Le bon administrateur de l’éducation est un hybride de l’idéaliste,

du pragmatiste et du politique. Il a de la considération pour l’impor- tance d’autres besoins sociaux, mais, pour lui, c’est évidemment l’édu- cation qui a le numéro un; c’est à elle que vont en premier lieu sa sollicitude et son attachement. Il croit sincèrement que chaque enfant devrait recevoir toute l’éducation qu’il est en droit d’attendre, mais il sait que ce n’est pas faisable immédiatement. Aussi, au moment du budget, réclame-t-il la totalité de ce qu’il pense pouvoir utiliser effi-

39

Qu’est-ce que la planification de l’éducation ?

cacement, avec un supplément, car il sait qu’il obtiendra moins qu’il ne demande. Il se démène pour obtenir le maximum et, pour finir, il s’en tire avec un budget de compromis qu’il se met en devoir d’utiliser aussi pleinement et aussi efficacement que possible. Sa performance dans l’art de tout dépenser jusqu’à atteindre le plafond budgétaire est rarement égalée en d’autres secteurs. Pour un homme qui se trouve dans cette situation, la plupart des

questions clés exposées précédemment lui paraissent hautement théo- riques et dépourvues d’intérêt pratique. En outre, elles couvrent un secteur trop vaste; selon sa manière de voir, la responsabilité qui lui incombe est de calculer de quelles sommes l’éducation a besoin et de quelle manière il convient de les dépenser. Quant à se préoccuper d’où doit venir l’argent, ce n’est pas son affaire. Il n’accepte pas facilement qu’on répcnde par un (( non )) à ses demandes, car il sait beaucoup trop combien il y a d’enfants qui aspirent à l’éducation et quelle sera la dépense approximative. Quiconque refuse les fonds nécessaires porte la responsabilité de handicaper leur avenir. II est leur champion; que ceux qui veulent déposséder la jeunesse se lèvent et se comptent! Sous ce rapport, l’économiste se trouve en état d’infériorité tactique ;

il a conscience d’être un Harpagon, l’ennemi des enfants. Il peut bien avoir autant d’idéal que l’administrateur de l’éducation, autant de passion pour les enfants et pour une éducation de valeur, il n’a pas son esprit pratique, son sens politique : c’est un homme qui a surtout le goût des concepts et le don de l’analyse. Il n’a jamais eu à diriger une école, à conquérir un budget ou à honorer une feuille de salaires. Il a l’habitude de considérer l’économie comme un tout et de rechercher l’équilibre optimal entre les différents secteurs avec des ressources limitées. Aussi, tout en souhaitant que l’éducation marche bien, il ne pense pas qu’elle puisse ou qu’elle doive avoir une priorité absolue sur tout le reste et qu’il faille lui donner un chèque en blanc (or, c’est là ce que, selon lui, réclame l’administrateur de l’éducation). Pour l’économiste, deux problèmes sont au centre de ses préoccupa-.

tions : le premier, c’est de partager au mieux le gâteau économique, de taille limitée, entre les diverses parties prenantes qui se le disputent, pour obtenir les meilleurs résultats d’ensemble (c’est le (( problème de la répartition D); le second, c’est d’utiliser au mieux les ressources ainsi réparties pour en obtenir le rendement maximal (c’est le (( pro- blème de l’efficacité »). À voir les choses sous ce jour, il est évident que, si l’éducation obtient

davantage, ce ne peut être qu’au détriment d’un autre secteur; une

40

Les derniers progrès de la théorie et de la méthodologie

priorité ne peut raisonnablement pas avoir d’autre signification. Toute- fois, même une priorité doit avoir ses limites; il n’y a pas un seul secteur, y compris l’éducation, à qui l’on puisse permettre de prendre toute la part du gâteau dont il a envie, sans se soucier du préjudice que cela causera aux autres. Ainsi, pour l’économiste, le problème le plus crucial dans l’élaboration d’une politique est de découvrir le point de juste équilibre entre les parties prenantes qui se disputent des ressources limitées. Ce problème peut être résolu et, dans la réalité, il l’est souvent par

des marchandages ou des affrontements politiques directs où ceux qui sont politiquement les plus puissants prennent le dessus. Toutefois, la répartition de la puissance politique ne coïncide pas nécessairement avec la répartition des ressources qui serait le plus conforme à l’intérêt général de la nation. 11 en va de même pour ce qbli est de la répartition des ressources à l’intérieur du systZme d’enseignement, où l’adminis- trateur qui est au sommet de la hiérarchie doit à son tour jouer le rôle d’arbitre. Ainsi, l’économiste qui s’identifie avec l’intérêt général de la nation - ou avec les intérêts généraux du système d’éducation considéré comme un tout-est sans cesse à la recherche d’une solution plus rationnelle du problème de la répartition. Il n’escompte pas qu’une telle solution se substituera au processus politique, mais il espère qu’elle contribuera à faire en sorte que le processus politique apporte des solutions un peu plus rationnelles. La solution théorique la plus satisfaisante à laquelle les économistes

soient arrivés jusqu’à présent consiste à prendre pour base de calcul le produit national brut et à faire, pour chaque hypothèse de ré;lartition des crédits, une analyse <( coût-bénéfi:e », de manière à déterminer celle qui donne le rapport le plus favorable et qui, en conséquence, contribuera le plus au rendement ézonomique général. II est évident que cette méthode comporte deux points faibles, en

dépit de sa logique convaincante. Le premier, c’est la difficulté pratique qu’il y a à mesurer les coûts et les kénéfices spécialement lorsqu’il s’agit de tériéfices qui ne seront réalisés que dans un avenir lointain. (À cette époque-là, il se peut que les évaluations antérieures des écono- mistes soient très éloignées de la réalité, alors que les décisions poli- tiques auxquelles elles auront servi de base seront irréversibles.) La seconde difficulté tient au critère lui-même, le PNB, et à l’étroitesse de la définition qu’il implique pour le mot (( bénéfices ». Il est certain que la croissance et le rendement économiques sont essentiels quand

41

Qu’est-ce que la planification de l’éducation ?

il s’agit d’atteindre d’autres objectifs sociaux importants, y compris un plus ample développement et une égalisation des chances en matière d’éducation. Cependant, il peut y avoir aussi, surtout dans le cas de l’éducation, des bénéfices d’une autre sorte, qui n’aient pas un carac- tère directement économique, qui ne puissent même pas s’exprimer en termes économiques, mais qui n’en présentent pas moins une très grande importance pour les individus et pour la nation. Si tel est le cas, alors le calcul coût-kécéfice des économistes, si excellent soit-il, cor- respond à une vision trop étroite de la réalité et risque d’induire dangereusement les hommes politiques à des répartitions erronées. Le risque de commettre de telles erreurs et les dommages qui les sanctionnent sont évidemment bien moindres lorsque les analyses coût-bénéfice portent sur des projets particuliers au lieu de s’appliquer à des secteurs entiers. Pour ce qui est du problème de l’efficacité, si on voulait l’explorer

assez avant, cela entraînerait bientôt les économistes dans des ques- tions pédagogiques particulièrement bourbeuses et litigieuses, que la plupart d’entre eux ont eu le souci d’éviter. C’est une des raisons pour lesquelles la planification de l’éducation telle qu’elle a évolué au cours des années cinquante et soixante, n’a cessé de se centrer sur les para- mètres d’ensemble du système d’éducation considéré de l’extérieur et s’est appliquée à en ignorer le comportement interne. Si l’on a présent à l’esprit ces angles différents sous lesquels éduca-

teurs et économistes ont tendance à considérer une même situation, on sera peut-être mieux à même d’apprécier les trois (( méthodes )) différentes préconisées pour aborder la planification de l’éducation par des écoles concurrentes pendant les années soixante. Dans le jargon professionnel, on les désigne sous les noms de (( méthode de la demande sociale », (( méthode de la main-d’œuvre )) et (( méthode du coût-béné- fice )) (plus exactement (( méthode du taux de rendement »). Nous allons les examiner à tour de rôle.

2. Méthode de la a demande sociale ))

Cette méthode est celle qui vient naturellement à l’esprit de l’éducateur et elle est en fait plutôt une description de son action courante qu’une formulation théorique de la manière dont il devrait aborder la planification.

42

Les derniers progrès de la théorie et de la méthodologie

(( Demande sociale D est une expression équivoque et déconcertante (rarement employée par les éducateurs) qui peut être définie de plu- sieurs manières très différentes. Elle est la plus communément utilisée pour désigner la demande (( populaire )) collective d’éducation, c’est-à- dire le montant total des demandes d’éducation individuelles en un lieu et en un temps donnés, dans les conditions économiques, politiques et culturelles existantes. S’il y a moins de salles de classe et moins de places qu’il se mi trouve de candidats sérieux pour les occuper, on peut dire que la demande excède l’offre. C’est une preuve décisive qu’il existe un décalage entre la demande et l’offre lorsque les responsables de l’éducation et les dirigeants politiques reçoivent une masse de réclamations de parents mécontents, que leurs enfants ne puissent aller à l’école. 11 convient d’ajouter deux remarques importantes. La première

concerne le cas où l’Administration impose la fréquentation scolaire obligatoire. Lorsqu’il en est ainsi, la demande augmente brusquement et elle est alors essentiellement fonction de la démographie; elle cesse d’être individuelle et spontanée. La seconde est que la demande spon- tanée peut être fortement influencée par ce que les coûts d’éducation représentent pour l’élève et pour ses parents, non pas seulement le coût des dépenses en espèces (droit de scolarité, etc.) mais aussi les coûts d’opportunité correspondant au manque à gagner, au travail laissé en souffrance à l’exploitation familiale pendant que l’élève est à l’école. Dans certaines limites, les autorités administratives peuvent agir

sur le volume de la demande sociale, bien que l’expérience montre qu’il est nettement plus facile d’encourager la demande que de la freiner. Par exemple, si un gouvernement en a les moyens, il peut pousser artificiellement la demande sociale en prescrivant la fréquentation scolaire obligatoire et, passé l’âge légal, en assurant la gratuité de l’éducation (voire, à la rigueur, en accordant aux élèves ou à leurs parents des indemnités compensatrices pour le manque à gagner ou le travail laissé en souffrance). À défaut de telles mesures, les gouver- nements peuvent recourir à la propagande pour stimuler la demande d’éducation des particuliers (spontanée). Mais la culture elle-même - l’atmosphère qui résulte d’un certain état d’esprit et de la croyance en l’utilité de l’éducation - constitue certainement le facteur le plus décisif pour favoriser la demande sociale d’éducation, à condition que son coût ne soit pas excessif. Évaluer la demande sociale est presque toujours extrêmement diffi-

cile et souvent impossible. Il y a exception, naturellement, lorsque

43

Qu’est-ce que la planification de l’éducation?

l’instruction est obligatoire et qu’en même temps on dispose de ren- seignements démographiques exacts sur le groupe d’âge intéressé (c’est le cas dans la plupart des pays industrialisés, mais non dans les nations en voie de développement). Pour obtenir une évaluation même assez approximative de la demande spontanée, il faudrait pratiquement, dans la plupart des cas, faire du porte-à-porte. Les objectifs régionaux de l’Unesco, dont il a été question plus haut,

constituent un assez bon exemple de la méthode de la demande sociale. Le procédé utilisé était en principe d’une grande simplicité, encore que ce n’ait pas été une petite affaire de se procurer les données de base et les évaluations nécessaires à son application. La première opération consista à recueillir les meilleures évaluations disponibles pour chaque pays de la région, quant au nombre des enfants, par groupe d’âge, et quant au nombre de ceux qui étaient déjà inscrits dans l’enseignement primaire, secondaire et supérieur, ce qui permit de déterminer les taux de scolarisation. La seconde opération fut de prendre les meilleures projections disponibles de ce que serait la population jeune, par groupe d’âge, jusqu’en 1980. La troisième opération consista à définir les taux de scolarisation qu’il faudrait prendre comme objectifs pour 1980 et pour certaines années intermédiaires, et à les appliquer aux projections démographiques pour obtenir les objectifs de scolarisation en chiffres absolus. Cette dernière opération fut la plus délicate de toutes, parce qu’elle

supposait logiquement qu’on ait apprécié, pour de nombreux éléments, ce qui était faisable et ce qui ne l’était pas : quelle somme d’éducation la population voudrait-elle réellement ? combien cela couterait-il ? dans quelle mesure l’économie le permettrait-elle ? de combien de main-d’œuvre instruite l’économie de chaque nation aurait-elle besoin et combien d’emplois pourrait-elle effectivement procurer ? quelle serait l’importance de l’aide étrangère? etc. En fait, on s’en tint à quel- ques hypothèses relativement simples, faute d’en avoir de meilleures. L’une des principales la klation ontinuerait à surpasser l’offre, Une autre fut que les coûts +---~_-..--- nitaires cETucationTemeureTaimt --- . senSiG&ent c o n m n admit que econome serait en mesure d’employer tous ceux qui auraient reçu une éducation et que, d’une manière générale, l’augmen- tation considérable des dépenses d’éducation favoriserait la croissance économique. La principale étude de faisabilité fut une tentative d’éva- luation des ressources disponibles. A ce sujet, les hypothèses relatives à l’évolution des coûts unitaires, des taux de croissance économique

la demag@e.’éducation W.a-part .“__-- de ~ J-3-- _I ..--- -

44

Les derniers progrès de la théorie et de la méthodologie

et de l’aide étrangère furent plutôt optimistes. Les objectifs ainsi établis étaient critiquables à bien des égards. Néanmoins, ils étaient aussi bons que les circonstances le permettaient et sans aucun doute tout à fait efficaces, à l’époque, pour stimuler un relèvement des budgets de l’éducation (et, indirectement, pour stimuler également la demande sociale). U n autre exemple de la méthode de la demande sociale est fourni

par ce qui se passe en France à propos de l’admission à l’université. La règle y est que tout étudiant qui obtient le baccalauréat à la sortie du lycée (établissement du second degré) peut entrer à l’université. Le déluge des inscriptions dans les universités françaises depuis 1950 a été la preuve manifeste d’une montée en flèche de la demande sociale d’enseignement supérieur. (Cela a été aussi une source inépuisable de problèmes pour les planificateurs de l’éducation et les administrations universitaires, qui n’avaient pas un moyen satisfaisant de prédire avec exactitude à quelle vitesse la demande sociale augmenterait ni combien d’étudiants surgiraient à chaque automne. Généralement, il en arrivait plus qu’on n’en attendait et plus qu’il n’y avait de places disponibles. O n peut y voir l’une des causes essentielles des (( événements de mai D qui, en 1968, ont ébranlé l’université française jusque dans ses fondements.) Les principales critiques adres9ées à la méthode de la demande

sociale viennent notamment des économistes; elles sont au nombre de trois : (1) cette méthode méconnaît le problème national plus vaste de la répartition des ressources et elle suppose implicitement que les ressources affectées à l’éducation - peu en importe le montant - ne sauraient être mieux employées au développement d’ensemble de la nation; (2) elle ignore les particularités et les caractéristiques de la main-d’ceuvre dont l’économie a besoin; elle risque donc de produire trop de main-d’œuvre d’un certain type, et pas assez d’un autre; (3) elle tend à surestimer la demande populaire, à sous-évaluer les coûts et à conduire à un émiettement des ressources entre un trop grand nombre d’étudiants, ce qui a pour conséquence de diminuer à un tel point la qualité et l’efficacité de l’éducation qu’elle en devient un investissement douteux.

3. Méthode de la main-d’œuvre

Comme cela a été indiqué plus haut, beaucoup d’économistes ont préféré, pour la planification de l’éducation, la (( méthode de la main-

45

Qu’est-ce que la planification de l’éducation 7

d’œuvre ». Les arguments en sa faveur sont, grosso modo, les suivants : la croissance économique est le ressort moteur du développement général d’une nation; elle devrait, en conséquence, fournir le critke essentiel de la répartition de ses maigres ressources. Cependant, la croissance économique a besoin non seulement de ressources et de possibilités matérielles, mais aussi, pour organiser et exploiter celles-ci, de ressources humaines. Ainsi, le développement des ressources humai- nes grâce au système d’éducation est un préalable essentiel à la crois- - sance de l’économie et à un investissement des faibles ressources maté- rielles, à la condition que, par son contenu et par son esprit, l’éducation adapte sa production aux besoins de main-d’œuvre de l’économie. Les partisans de cette méthode reconnaissaient volontiers que l’édu-

tion avait d’autres fins importantes à atteindre que de produire de la main-d’œuvre, mais ils ne considéraient pas que cela dût fatalement créer des conflits. Pour régler la question, ils invitaient les planifica- teurs de l’éducation à mettre ces autres D objectifs en balance avec les besoins de main-d’œuvre, mais ce n’était là qu’une vague indication et une piètre consolation. Se rangeant à cette manière de voir, le gouvernement de Tanzanie

prit, par exemple, au début des années soixante, la décision courageuse de stabiliser autour de 50 p. cent le taux de scolarisation dans l’en- seignement primaire, cela afin de donner temporairement la priorité aux niveaux d’éducation plus élevés directement liés aux besoins de main-d’œuvre de l’économie. Si, dans son ensemble, la méthode de la main-d’œuvre était d’une

logique difficile à réfuter, la mise en pratique faisait apparaître un certain nombre de points faibles. Tout d’abord, elle ne donnait aux planificateurs de l’éducation que des indications insuffisantes. Il n’y avait rien à dire au sujet de l’enseignement primaire (puisque l’on considérait qu’il n’avait pas de rapport avec le marché du travail), si ce n’est que la méthode conduisait implicitement à infléchir l’expansion de l’enseignement primaire jusqu’à ce que la nation fût devenue plus riche. La plupart des études de main-d’œuvre bornaient leur attention à la main-d’œuvre de (( haut niveau )) dont le (( secteur moderne )) avait besoin (c’est-à-dire essentiellement les emplois urbains). Ainsi, les planificateurs n’avaient pas d’indications valables en ce qui concerne les connaissances nécessaires à ceux qui étaient appelés à constituer l’immense majorité de la future force de travail de la nation, à savoir les travailleurs non qualifiés ou semi-qualifiés des villes et l’immense majorité des travailleurs ruraux.

46

Les derniers progrès de la théorie et de la méthodologie

En second lieu, la classification des emplois et les coefficients de main-d’œuvre (par exemple, le rapport souhaitable entre le nombre des ingénieurs et celui des techniciens, entre le nombre des médecins et celui des infirmières), dont faisaient usage la plupart des études de main-d’œuvre dans les pays en voie de développement, étaient géné- ralement empruntés, de même que les qualifications universitaires censées correspondre à chaque catégorie d’emplois, aux économies industrialisées et n’étaient pas appropriés aux réalités d’économies moins développées. Par exemple, on pouvait présumer que le travail effectif d’un ouvrier du bâtiment, d’un spécialiste de l’agriculture ou d’un inspecteur de l’hygiène en Asie est tout à fait différent de celui que désigne la même appellation en Angleterre, en France ou aux États-Unis et qu’il ne demande pas la même préparation. Des plans d’éducation reposant sur de telles hypothèses erronées pouvaient avoir pour conséquence de donner à de nombreux étudiants une préparation soit inadéquate soit excessive pour les emplois auxquels ils étaient destinés. Une troisième difficulté tenait à l’impossibilité de faire des prédic-

tions sûres des besoins de main-d’œuvre assez longtemps à l’avance pour être vraiment utiles à la planification de l’éducation, cela en raison de la multitude d’incertitudes économiques, technologiques ou autres qu’elles comportaient. Plus les calculs portaient sur des défini- tions précises (ingénieur électricien et non plus ingénieur en général) et sur des périodes prolongées (cinq à dix ans, au lieu d’un an ou deux), plus les évaluations devenaient vagues et moins fiables. La méthode de la main-d’œuvre pouvait généralement attirer l’atten-

tion sur la nécessité de remédier aux retards et aux déséquilibres extrêmes que comportait le scEéma de production de l’éducation, mais il n’était guère besoin pour cela d’études statistiques approfondies. Elle pouvait également donner aux éducateurs des indications utiles sur la manière approximative dont les qualifications scolaires et universi- taires de la population active devraient évoluer à l’avenir, sur les pourcentages respectifs des travailleurs qui devraient avoir reçu au plus une instruction primaire ou une instruction secondaire ou une formation post-secondaire plus ou moins poussée. Si les planificateurs de l’éducation avaient effectivement grand intérêt à connaître ces indications, elle étaient fort éloignées d’un état précis des futurs besoins de main-d’œuvre. L’esprit en éveil des planificateurs de l’éducation, qui comprenaient

les restrictions antérieures, eût tôt fait de leur apprendre que, dans les

47

Qu’est-ce que la planification de l’éducation?

impressionnants tableaux statistiques d’évaluations à long terme des besoins de main-d’œuvre subdivisées en catégories bien détaillées, il y avait peu à prendre et beaucoup à laisser. Mais, en même temps, les planificateurs apprenaient à tirer des études de main-d’œuvre d’utiles indications même si ces indications étaient de loin inférieures à ce dont ils avaient besoin. Les imperfections de cette méthode de la main-d’œuvre à ses débuts

prirent des proportions gigantesques lorsque, plus tard, le marché de l’emploi subit les fluctuations décrites plus haut et que l’offre de main- d’œuvre, de déficitaire qu’elle était, devint excédentaire. Ce mouve- ment incita certains des pionniers de la méthode de la main-d’œuvre, tels que le Pr Frederick Harbison, à engager leurs disciples trop fana- tiques (absorbés dans ce que le Pr Harbison appelait des (( feux d’arti- fice de statistiques D) à abandonner cette façon de voir beaucoup trop étriquée pour une méthode aux vues plus larges, la ((méthode de l’emploi ». Cela voulait dire que la planification économique et la politique de

développement économique avaient, tout autant que la stratégie & l’&lucation, besoin d’être révisées. Jusqu’alors (c’est-à-dire jusqu’à ia fin des années soixante), l’objectif essentiel et la pierre de touche de la réussite pour la planification économique avaient été l’élévation aussi rapide que possible du PNB, mais on s’aperçut que c’était un objectif aussi simpliste que l’était, dans le domaine de l’éducation, le gonflement des statistiques de scolarisation. D e quelle utilité était l’élévation du PNB si elle s’accompagnait d’une augmentation de la masse des travailleurs inemployés ou sous-employés et si la répartition entre les habitants était extrêmement inégale ? Aussi, les planificateurs de main-d’euvre commencèrent-ils à impo--

ser la thèse que la création de nouveaux postes et d’un fort emploi devait être considérée, au même titre que l’élévation du PNB, comme un objectif majeur de la pQbque économique. Certains pensèrent aussi qu’une production d’éducation légèrement excédentaire par rapport aux besoins de main-d’œuvre supposés pourrait avoir pour effet d’accélérer la croissance économique. Si d’éventuels travailleurs qualifiés se trouvaient disponibles, l’économie en utiliserait peut-être davantage et peut-être certains d’entre eux prendraient-ils l’initiative de créer leurs propres emplois, à supposer que l’éducation reçue ait fait jaillir en eux une étincelle d’énergie et d’esprit d’entreprise. En bref, c’était remettre en question l’ancienne théorie selon laquelle, tandis que l’économie créait en toute indépendance les besoins de

48

Les derniers progrès de la théorie et de la méthodologie

main-d’œuvre, l’éducation se contentait passivement d’y répondre. Peut-être fallait-il penser que l’économie, de son côté, répondait aux sollicitations de l’éducation et que celle-ci pouvait être par elle-même créatrice d’emploi. Mais tout cela renfermait un grand (( si ». L’éducation ne pouvait

satisfaire aux besoins de main-d’œuvre de l’économie et favoriser la création d’un plus grand nombre d’emplois que si elle était le genre d’éducation approprié, si elle formait des hommes ayant le souci du développement, avec des connaissances, des aptitudes et des attitudes favorables au développement national. Pour une bonne part, l’éduca- tion qui se donnait alors ne semblait guère répondre à ces caractéris- tiques.

4. Méthode du << taux de rendement ))

Il se trouva encore un autre groupe d’économistes, issus de la tradition néo-classique, pour contester la méthode de la main-d’œuvre pour d’autres raisons que celles qui ont déjà été indiquées. Selon eux, en effet, on pourrait reprocher à cette méthode - comme à celle de la demande sociale - d’ignorer le problème de la répartition N d’une manière générale et l’examen clé des bénéfices par rapport aux coûts. Le rapport (( coût-bénéfice N est en gros la règle dont s’inspire un

individu au comportement rationnel quand il a à décider du meilleur emploi à faire de son argent au cas où ses désirs excèdent ses moyens. Il considère les choix qui s’offrent à lui, calcule le coût de chacun d’eux, ainsi que l’agrément ou l’utilité qu’il espère en retirer, et se détermine alors pour celles des options particulières qui, dans la limite des ses moyens, laissent prévoir le plus haut rapport entre les bénéfices et les coûts. Ces économistes soutenaient que les planificateurs économiques et

les planificateurs de l’éducation devraient raisonner de la même manière, qu’il s’agisse de répartir la totalité des ressources d’une nation entre les grands secteurs ou de répartir la totalité des ressources du système d’enseignement entre ses divers sous-secteurs. Personne - et les économistes moins que tous autres - n’aurait pu récuser cette règle générale. En vérité, il est difficile à qui se soit d’être un bon planificateur ou de prendre de bonnes décisions s’il ne raisonne pas d’instinct en termes de coûts-bénéfices.

49

Qu’est-ce que la planification de l’éducation ?

Mais les difficultés pratiques qu’il y avait à évaluer réellement ces coûts et ces bénéfices étaient encore plus redoutables que celles auxquel- les s’étaient heurtées les techniques de la demande sociale et de la main-d’œuvre. Sans aucun doute, certains économistes ou ingénieurs avaient fait des progrès dans l’art d’appliquer des calculs semblables à des cas tels que les aciéries, les barrages d’irrigation ou les usines d’engrais chimiques. Mais évaluer les coûts et les bénéfices probables, quand il s’agissait des grandes subdivisions d’un système d‘éducation, était beaucoup plus compliqué. Intrépidement, les défenseurs de ce qui allait s’appeler la méthode du (( taux de rendement )) apparurent, au prix d’un héroïque effort, brandissant des chiffres apparemment précis qui résultaient de plusieurs études faites en différents pays. Cependant, d’autres économistes attaquaient incontinent ces chiffres

avec l’énergie et la volupté que les économistes apportent à leurs luttes intestines. Les éducateurs se tenaient largement à l’écart de cette querelle de famille. A supposer qu’ils en eussent même conscience (ce qui n’était pas le cas de beaucoup), ou bien ils ne comprenaient pas quel était l’objet du combat ou bien ils considéraient qu’il s’agissait d’une querelle byzantine, trop abstraite pour ne pas être inoffensive. Leur instinct ne les trompait pas, tout au moins au stade expérimental où en étaient les études du taux de rendement. Le bruit fait par les économistes était tout à fait hors de proportion avec l’intérêt que de telles études présentaient dans l’immédiat pour les décisions politiques. Cependant, il subsistait toujours le risque qu’un responsable sans malice, ayant à prendre une décision au sommet, s’empare des chiffres du taux de rendement, les tienne pour une vérité scientifiquement révélée et ne prenne des décisions totalement erronées. Telle était du moins la crainte exprimée dans leurs études par certains censeurs, mais il faut honnêtement dire que ces mêmes auteurs auraient probablement été inquiets s’ils avaient pensé que les conclusions tirées de leurs très fragiles statistiques étaient utilisées sans précaution. Il serait trop long d’exposer ici en détail les nombreux points faibles

qui ont été reprochés à la méthode du taux de rendement. En premier lieu, les données de base concernant les coûts sont inconsistantes et l’un des reproches que les critiques lui adressent spécialement c’est d’inclure, dans le coût, le manque à gagner supposé des étudiants, principalement dans les pays où un important chômage sévit à l’état endémique. D e telles imperfections, en ce qui concerne le calcul des coûts, sont cependant susceptibles d’être corrigées, au fur et à mesure que l’on dispose de meilleures données.

50

Les derniers progrès de la théorie et de la méthodologie

Les inconvénients les plus graves, qui peuvent être palliés en partie quand les données s’améliorent mais qui ne sauraient jamais être éliminés, ont trait à l’estimation des bénéfices futurs. La méthode habituelle consiste à calculer le supplément de salaires qu’une personne retirera durant sa carrière du fait du surplus d’instruction, et à dimi- nuer ce montant d’un certain pourcentage arbitrairement fixé, pour tenir compte des causes - autres que l’instruction - qui pourraient expliquer ce supplément (par exemple, la supériorité d’intelligence, le désir d’apprendre, la situation de famille et les relations). Mais ces différences de revenus, attribuées aux différences résultant de l’éduca- tion, sont évaluées sur la base de différences passées ou présentes, ce qui suppose implicitement qu’elles resteront constantes dans l’avenir. C’est là une hypothèse très douteuse. Ces suppléments de revenus individuels (déduction faite des impôts)

dus à un supplément d’éducation servent à évaluer les bénéfices indi- viduels. Les mêmes revenus individuels (impôts non déduits) servent aussi à évaluer les bénéfices sociaux, par un transfert que certains critiques de la méthode considkrent comme une démarche plutôt auda- cieuse. Une des hypothèses (d’ailleurs douteuse), sous-jacente à la méthode de calcul des bénéfices sociaux, c’est que les différences entre les taux de traitement reflètent avec exactitude la productivité écono- mique respective des différents peuples. Quantité d’autres hypothèses téméraires sont appelées à la rescousse de l’arithmétique pour parvenir à chiffrer un taux de rendement. Les autres mettent en évidence que la méthode évalue seulement les

bénéfices économiques directs sans tenir compte des bénéfices éco- nomiques indirects ni des bénéfices non économiques. L’omission est de taille ... Le planificateur d’éducation en est réduit à se demander à combien il doit chiffrer ces bénéfices dont il n’est pas tenu compte. Ce qui est assez singulier - étant donné que l’enseignement primaire

n’est pas considéré, en tant que tel, comme préparation au travail - c’est qu’un petit nombre de ces études consacrées au taux de rende- ment, qui ont été menées indépendamment les unes des autres dans différents pays en voie de développement, sont arrivées à la même conclusion, à savoir que, dans ces pays, les résultats de l’enseignement primaire sont bien supérieurs à ceux de l’enseignement universitaire. Il ne faut toutefois pas prendre cela pour une loi universelle ni même nécessairement pour parole d’Évangile dans cette catégorie parti- culière de pays; il se peut que cela tienne simplement à certaines erreurs d’information ou de méthodologie. Mais c’est un exemple du

51 -

Qu’est-ce que la planification de l’éducation ?

genre d’hypothèses séduisantes suscitées par de telles études, qui peu- vent conduire ultérieurement à d’utiles enquêtes. A supposer qu’on puisse plus ou moins venir à bout des autres

imperfections, il resterait encore que la méthode du taux de rendement n’enseigne à ceux qui planifient et à ceux qui décident que la moitié de ce qu’ils ont besoin de savoir. Elle leur indique dans quelle voie il faut chercher à faire des investissements supplémentaires pour obtenir les meilleurs résultats, mais non jusqu’où ils doivent aller dans cette voie. Le second point est peut-être celui qui leur pose le plus grave problème. En dernière analyse, il n’est pas inexact d’affirmer que la méthode

du taux de rendement, au stade expérimentai où elle en est actuellement de son développement, nous renseigne beaucoup plus sur le passé que sur l’avenir. Mais si l’Histoire peut nous instruire utilement, la dernière chose à faire pour une nation en voie de développement, c’est de la recommencer. Étant donné la pénurie d’informations sérieuses sur lesquelles il est possible de travailler et la nécessité de faire une multi- tude d’hypothèses sur l’avenir économique, les chiffres apparemment exacts auxquels nous arrivons devraient être maniés avec d’extrêmes précautions par ceux qui font de la planification pratique et par ceux qui prennent des décisions politiques. Néanmoins, la méthode du taux de rendement, comme celles de la

demande sociale ou de la main-d’œuvre, a une importance et une utilité indéniables pour la planification de l’éducation. A tout le moins, elle insiste sur la nécessité de toujours envisager plusieurs hypothèses, de soupeser du mieux que l’on peut leurs coûts et leurs bénéfices respectifs avant de passer au stade de la décision. Étant donné que ses méthodologies et les informations sur lesquelles elle repose se sont améliorées, elle peut fournir une orientation plus ferme. Pourtant, aucune de ces méthodes - nous le voyons désormais

nettement - ne constitue par elle-même une base adéquate pour la planification de l’éducation. D e nos jours, même les partisans les plus convaincus de ces différentes méthodes reconnaissent qu’il est néces- saire de faire une nouvelle synthèse des trois. Cependant, même une telle synthèse laisserait subsister d’importantes lacunes. Les trois méthodes ont ce vice fondamental d’accepter implicitement le système d’éducation actuel et de n’y toucher que pour l’agrandir. Ce sont essentiellement des instruments de macroplanification et, en tant que tels, ils peuvent présenter une grande utilité. Mais la conclusion à laquelle nous arriverons par la suite, c’est que la planification de

52

Les derniers progrès de la théorie et de la méthodologie

l’éducation doit désormais descendre dans l’intérieur du système et le modifier pour le rendre plus pertinent, plus efficace et plus productif. C’est là la voie royale pour élever à l’avenir le taux de rendement des investissements d’éducation.

53

Les derniers progrès dans la mise en pratique de la théorie

En plus des concepts et des méthodologies d’ensemble que nous venons d’examiner, de nombreuses techniques spécifiques, qui présentent un intérêt pour la planification de l’éducation, ont été créées et améliorées pendant les années soixante. Citons, par exemple : l’amélioration des méthodes statistiques pour faire des projections de types divers (effec- tifs scolaires, salles de classe nécessaires, enseignants, équipement et matériel); moyens plus sûrs d’évaluer les coûts futurs et les besoins financiers ; procédés pour traduire les informations concernant la démographie et la main-d’œuvre en schémas de scolarisation futurs. En bref, l’outillage de la planification s’est progressivement enrichi.

Mais il était nécessaire de prendre trois autres dispositions fondamen- tales avant de pouvoir utiliser efficacement cet outillage amélioré, à savoir : (1) la recherche et le diagnostic en vue d’élucider les problèmes clés que rencontre la planification de l’éducation; (2) la formation d’hommes capables de mettre en application dans la réalité les résultats de cette recherche et les méthodes de planification; (3) la création et l’aménagement de structures organisationnelles et administratives pour mettre la planification en mesure de fonctionner. C’est un motif de satisfaction, pour quiconque attache de I’impor-

tance aux institutions multilatérales, de constater que ce sont elles, et notamment l’Unesco - mais aussi, dans le cas de l’Europe occiden- tale, l’OCDE - qui ont assumé les premiers rôles dans l’aide apportée au monde entier pour lui faire accomplir, pendant les années soixante, de substantiels progrès sur les trois fronts qui viennent d’être indiqués. Il peut être intéressant d’esquisser brièvement leur action.

54

Les derniers progrès dans la mise en pratique de la théorie

1. Formation et recherche Les conférences régionales de l’Unesco, tenues au début des années soixante et dont nous avons déjà rendu compte, ont suscité une volu- mineuse demande de la part des nations en voie de développement pour une aide technique à la planification de l’éducation. Malgré une extrême pauvreté à l’échelle mondiale en personnel qualifié de ce genre, l’Unesco a répondu avec ardeur en envoyant, dans 80 pays, pendant les années soixante, plus de 190 missions à court terme et plus de 150 conseillers experts en planification de l’éducation détachés en rési- dence à long terme. Pourtant, ce ne pouvait être là qu’une solution d’attente. Il était

évident que s’avérait nécessaire la formation, pour les besoins interna- tionaux, d’un cadre d’experts en planification de l’éducation ayant des qualifications plus élevées. 11 était encore plus nécessaire d’aider chaque pays à constituer son propre cadre national d’experts en plani- fication, de manière qu’il pût se suffire à lui-même le plus tôt possible. Pour faire face à ces besoins, l’Unesco entreprit de créer un réseau

de centres de formation et de recherche. Entre 1960 et 1963, l’Unesco créa, en coopération avec les nations en voie de développement elles- mêmes, des centres régionaux de formation pour l’Amérique latine (Santiago du Chili), pour l’Asie (New-Delhi), pour les États arabes (Beyrouth) et pour les jeunes nations africaines (Dakar). En vue d’éta- blir un lien entre ces centres régionaux, les universités et les autres organisations qui pourraient être attirées par cette branche de forma- tion et pour donner une impulsion à la recherche, l’Unesco (en coopé- ration avec la Banque mondiale, la Fondation Ford et le gouverne- ment français) créa à Paris, en 1963, l’Institut international de plani- fication de l’éducation (IIPE). Par la suite, 1’IIPE reçut une aide géné- reuse d’organisations non gouvernementales et de gouvernements agissant chacun séparément. Ces nouveaux centres de formation furent d’abord contraints

d’improviser, car il n’existait que très peu de publications et aucun corps de connaissances organisé sur la planification de l’éducation. Celle-ci faisait tout juste ses premiers pas et une partie du travail consistait à faciliter le processus. En constituant des équipes interdisci- plinaires et en assurant la continuité dans une large mesure ainsi qu’en se tenant eux-mêmes en rapport étroit avec les pays où une expérience intéressante était en train de s’acquérir, les centres régionaux et 1’IIPE devinrent progressivement des centres d’emmagasinage et de

55

Qu’est-ce que la planification de l’éducation ?

dépistage des connaissances nouvelles, qui étaient l’aboutissement des recherches et des expériences les plus récentes. L’IIPE, en particulier, chercha à recueillir, à créer et à diffuser ces

nouvelles connaissances grâce à un programme étendu de publications, comprenant des rapports de recherche et des manuels d’application visant à jeter un pont par-dessus le fossé qui séparait les chercheurs et les praticiens et à remédier à la pénurie mondiale de manuels de for- mation de bonne qualité. En 1969, six ans après la création de I’IIPE, un grand nombre de publications de cette sorte, traduites en diverses langues, étaient largement répandues et utilisées à travers le monde. A cette époque, en outre, plusieurs centaines de personnes avaient

suivi, à 1’IIPE et dans les centres régionaux de l’Unesco, des cours de formation, dont la durée variait de quelques semaines à une année pleine. C’étaient en grande majorité des fonctionnaires de nations en voie de développement qui retournaient ensuite dans leur pays pour y mettre en application ce qu’ils avaient appris. Les stagiaires de I’IIPE, d’un niveau plus élevé, comprenaient aussi un bon nombre d’experts consultants internationaux, qui se rendaient à l’étranger pour se mettre au service des nations en voie de développement, ainsi qu’une quantité croissante de personnes qui se destinaient à devenir ensei- gnants et chercheurs en planification de l’éducation dans les centres régionaux, dans les universités et dans les établissements nationaux de formation. L’IIPE devint aussi un lieu de rencontre et un centre d’échanges pour les fonctionnaires, les spécialistes et les étudiants de nombreuses universités et autres organisations qui établissaient des programmes de recherche et de formation dans ce domaine. L’Unesco a été le principal agent catalyseur de ce mouvement,

notamment en qui concerne les régions en voie de développement, mais l’OCDE a joué, également, un rôle important dans le monde développé. Si l’OCDE a eu des activités de formation directe limitées, elle a aidé les esprits de valeur en Europe occidentale, en Amérique du Nord et au Japon à réaliser une œuvre créatrice et à faire progresser la théorie et les méthodes de la planification de l’éducation, de même qu’elle a su intéresser à la planification les ministères de l’Éducation des États membres. En outre, vers la fin des années soixante, le Comité d’aide au développement de l’OCDE a contribué à inciter les nations donatrices à accorder une attention et une assistance accrues à la plani- fication et au développement de l’éducation dans leurs programmes d’aide aux nations en voie de développement. Puis, en 1968, l’OCDE a créé un Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement,

56

Les derniers progrès dans la mise en pratique de la théorie

qui a pour mission d’aider les États membres à effectuer les réformes et les transformations de l’éducation dont le besoin se fait depuis longtemps sentir. En 1970, on peut dire que, grâce aux initiatives importantes prises

par les institutions multilatérales et à la fructueuse cooFération des universitaires et de nombreux autres spécialistes, une communauté internationale de la planification de l’éducation a vu le jour. II s’est constitué un corps impressionnant de connaissances nouvelles qui ont été diffusées; un cadre initial important de planificateurs a été formé et s’est répandu travers le monde; une coopération et une communi- tion efficaces entre producteurs et consommateurs de recherche en ce nouveau domaine ont été réalisées. 11 reste certes encore un long chemin à parcourir, mais les débuts ne sont pas négligeables. Ce record de rapidité dans les progrès accomplis pourrait difficilement être égalé dans beaucoup d’autres secteurs théoriques ou pratiques.

2. L‘exécution de la planification Les nouveaux programmes de formation et de recherche se trouvèrent tout de suite aux prises avec plusieurs questions ardues. Qu’est-ce qu’un planificateur de l’éducation? Que fait-il, quelle est sa place, quel est son rôle dans un établissement d’enseignement? Quelles res- ponsabilités a-t-il dans la définition d’une politique et dans la prise de décisions? De quelles qualités et aptitudes particulières un plani- ficateur de l’éducation a-t-il besoin? D e quelle manière précise un programme de formation et de recherche peut-il l’aider à les acquérir? Ceux qui participaient aux programmes de formation en question

en songeant au côté pratique n’oubliaient jamais qu’en fin de compte, ils retourneraient dans leurs ministères ou dans d’autres organisations de leur pays où l’on attendait d’eux qu’ils apportent quelque chose d’utile. Ils eurent tôt fait de juger de la valeur et de la pertinence des nouvelles méthodes auxquelles ils avaient affaire et ils acquirent rapide- ment la perspicacité nécessaire pour juger d’un œil critique leurs propres systèmes d’éducation, en les comparant avec d’autres et en s’apercevant que bien des problèmes essentiels et bien des défectuosités étaient les mêmes. Que sommes-nous capables de faire quand nous revenons au pays avec

ce que nous avons appris ? D e quelle manière pouvons-nous appliquer ces concepts, ces méthodes, cette information nouvelle à la situation

57

Qu’est-ce que la planification de l’éducation ?

qui est la nôtre, de telle sorte que s’y produisent un changement, un progrès réels ? Quelles transformations devront être réalisées dans notre structure organisationnelle et administrative pour que la planifi- cation y ait prise? Que peut faire un individu isolé pour remuer cette montagne d’inertie qui se dresse sur la route du changement et de l’amélioration ? Comment pouvons-nous convaincre les autorités supé- rieures que de telles transformations sont une impérieuse nécessité, sans quoi la planification ne pourra même pas fonctionner? Par-dessus tout, que peut-on faire pour modifier les attitudes et la façon de voir de tous les intéressés, pour leur faire comprendre que tous, du haut en bas de l’échelle, de l’instituteur au Premier ministre, doivent acquérir c l’esprit de planification », qu’ils doivent être les vrais planificateurs ? Cette dernière question, toute lourde d’inquiétude qu’elle était,

allait droit au cœur du personnel qui dirigeait la formation, car elle lui montrait que ses efforts n’avaient pas été vains. Là était la clé du problème - faire en sorte que la planification soit partie intégrante du comportement de chacun dans le système d’enseignement. La planification de l’éducation, indépendamment de la qualité de ses méthodes, ne peut jamais bien marcher si le milieu administratif n’est pas favorable. Cela est moins une affaire de disposition des cases sur l’organigramme ou de compréhension des définitions des postes qu’une manière, de la part des divers acteurs, de comprendre la planification et de sentir comment ils doivent jouer individuellement leur propre rôle, eu égard au processus de planification. Le fait essentiel, la réalité dont chacun doit se pénétrer d’emblée,

c’est que l’ambiance et les structures administratives que la plupart des systèmes d’éducation ont conservézs du passé n’étaient pas conçues pour servir de cadre à une planification de l’éducation de facture moderne. La plupart étaient faites pour gouverner et administrer des systèmes d’éducation où l’administration centrale et les pouvoirs pu- blics ne jouaient qu’un rôle de deuxième plan. L’essentiel des initiatives et des responsabilités dans la création et l’administration des établis- sements scolaires, dans leur financement, leur expansion ou leur trans- formation, demeurait en grande partie aux mains de particuliers ou de l’administration locale. Dans des situations de ce genre, ce qui était habituellement la caractéristique de l’Administration centrale de I’édu- cation, c’est que les tâches y étaient nettement séparées. Le directeur, les administrateurs et le corps d’inspecteurs chargés du contrôle d’un certain niveau ou d’un certain type d’enseignement - par exemple primaire, secondaire ou technique - vivaient dans un splendide iso-

58

Les derniers progrès dans la mise en pratique de la théorie

lement. Chaque groupe avait son propre organigramme, son propre budget, ses principes de base, sa doctrine et son style d’administration. C’était comme si le ministère ou le département de l’Éducation était une confédération assez lâche de fiefs rivaux tenus en respect par un pacte tacite de non-agression et par un arbitre au sommet.

C’est ce qui avait tendance à se produire même lorsque l’Administra- tion centrale jouait un rôle important dans le système de l’éducation pour lui assurer les ressources, le personnel et les conditions de fonc- tionnement nécessaires. L’enseignement était compartimenté, chaque secteur ignorait les autres; il n’y avait pratiquement de communica- tions qu’entre le sommet et la base, entre le grand responsable et les usagers ; qumt aux communications horizontales entre responsables de secteurs différents, elles étaient rares. Il n’est pas étonnant que, dans ces conditions, personne n’ait réelle-

ment considéré le système d’enseignement comme un vrai système ni essayé de le planifier comme un tout. En fait, ce n’était guère nécessaire à l’époque, pour les raisons que nous avons énumérées plus haut. Ce sur quoi il convient cependant d’insister ici, c’est que les modèles de comportement, les règles et les principes, les doctrines et les philoso- phies et, ce qui n’était pas le moins grave de tout, les attitudes des fonctionnaires, les privilèges et l’étroitesse de vue auxquels cette situa- tion donnait lieu, devinrent un sérieux obstacle quand se fit sentir le besoin d’une sorte de planification plus générale. Il ne suffit pas, pour surmonter des obstacles de ce genre qui sub-

sistent dans la plupart des pays, d’adjoindre un nouveau service de planification au vieil édifice administratif. Une telle unité peut rapide- ment se voir tenue effectivement à l’écart du champ principal des opérations décisives. Ceux qui se trouvent dans ce champ ou bien seront trop affairés pour coopérer avec le nouveau service et l’associer efficacement à l’accomplissement de leur tâche, ou bien affecteront délibérément de lui en vouloir ou de l’ignorer. Cela n’implique aucune critique à l’égard d’hommes dont la plupart

ont courageusement fait face aux difficultés du monde moderne, travaillé au maximum de leurs possibilités dans des conditions pénibles et accompli une masse de réalisations stupéfiante. Le nœud du pro- blème, c’est qu’ils sont à la fois les produits et les prisonniers d’un système administratif périmé, où le règlement est roi et qui, par sa nature même, s’oppose à une planification convenable et à une action efficace. 11 n’est pas simple de guérir ce genre de maladie. Aussi long- temps que l’inertie n’aura pas relâché son étreinte sous l’empire de

59

Qu’est-ce que la planification de l’éducation ?

l’indispensable évolution des attitudes, des structures et des procédures, et aussi longtemps qu’un nouvel esprit de planification n’aura pas imprégné l’ensemble du système, la planification ne pourra pas fonc- tionner vraiment bien, le développement de l’éducation ne pourra pas progresser sans à-coups. Cela signifie simplement que la planification de l’éducation n’est pas

l’affaire exclusive de l’équipe de fonctionnaires spécialistes des tech- niques de planification qui travaillent au service central de la planifica- tion de l’éducation. Ils ont un rôle très important à jouer. Ils doivent reconstituer un puzzle avec des fragments d’information et des idées prises à de nombreuses sources. Ayant une vue d’ensemble du système, ils sont à même de distinguer les tendances principales, les rapports, les contraintes, les options, les besoins et les possibilités et de les soumettre à l’attention d’autrui en vue de la discussion et de l’action. Mais ils sont dans l’incapacité de reconstituer l’image, et a fortiori de l’interpréter correctement, sans la bonne volonté et la participation continue de tous leurs collègues des autres services. La planification exige un réseau de communications étendu et efficace qui se développe dans toutes les directions. En dernière analyse, la planification d’un système d’éducation ne

sera réussie et les plans ne seront correctement exécutés que si les hom- mes qui ont la charge de ses différentes parties sont eux-mêmes de bons planificateurs et si chacun d’eux accepte que la partie du plan dont il est responsable s’ajuste et s’emboîte avec toutes les autres dans un ensemble unifié et cohérent qui servira au mieux les intérêts de tout le système. Il se trouve heureusement que, dans des pays de plus en plus nombreux, ce nouveau climat est en train de s’établir progressivement et la planification de l’éducation tend à devenir de plus en plus efficace; dans quelques-uns, cependant, elle n’est guère encore qu’un vœu pieux et une source onéreuse de frustration. Ceux qui ont eu l’occasion de comparer les efforts accomplis en

matière de planification de l’éducation dans de nombreux pays convien- dront probablement que la planification donne les meilleurs résultats lorsque, à la fois : (a) les hauts dirigeants qui ont la responsabilité de la politique et de l’éducation sont sincèrement persuadés de la néces- sité de la planification, ils l’appuient vigoureusement et ils l’utilisent à bon escient pour leurs prises de décision; (b) tous ceux que l’enseigne- ment touche de près - administrateurs subalternes, enseignants, élèves, parents et employeurs - ont réellement la possibilité de se faire entendre au cours du processus d’élaboration des plans concernant l’avenir.

60

Un coup d’œil sur l’avenir

Nous avons tenté, dans cette brochure, de parvenir à mieux compren- dre la planification de l’éducation, en examinant ses fonctions et en observant comment elle a revêtu beaucoup de formes et d’aspects différents pour s’cidapter à des besoins très différents. En particulier, nous avons examiné cette extraordinaire tranche d’Histoire agitée qui s’est écoulée depuis la Seconde Guerre mondiale, et qui a suscité à travers le monde un impérieux besoin de méthodes radicalement nouvelles pour aborder la planification de l’éducation. Dans ce dernier chapitre, nous allons tourner nos regards vers l’avenir et nous demander comment la planification de l’éducation devrait évoluer à partir de maintenant. Bien que des progrès considérables aient été accomplis, les défis

lancés à l’éducation par la période d’après-guerre et les redoutables problèmes qu’ils ont soulevés sont encore loin d’avoir trouvé une réponse. A la vérité, après plus d’une décennie d’une expansion sans précédent, les systèmes d’éducation sont pratiquement partout dans un état critique pour affronter l’avenir. Débordés par les travaux à accomplir pour rattraper un retard gigantesque, ils sont assaillis par des problèmes bouleversants qui menacent de s’aggraver. Quel secours ces systèmes peuvent-ils attendre de la planification de l’éducation ? Comment cette dernière peut-elle se renforcer pour leur venir en aide? Quelles dimensions nouvelles doit-elle encore acquérir ? La planification de l’éducation, comme on l’a conçue au cours de

ces dernières années, appelle cinq améliorations particulièrement impor- tantes. Premièrement, les trois méthodes examinées ci-dessus (métho- des de la demande sociale, de la main-d’œuvre et du taux de rendement) doivent désormais être synthétisées en une méthode unifiée, plus cohé-

61

Qu’est-ce que la planification de l’éducation?

rente. Deuxièmement, les nombreuses méthodes nécessaires à l’utilisa- tion d’une conception unifiée doivent être à nouveau affinées et renforcées. Troisièmement, tous les systèmes d’enseignement doivent accomplir un effort titanesque pour améliorer la circulation de l’infor- mation dont la planification a besoin pour être efficace. Quatrième- ment, il convient de former un plus grand nombre de gens ayant une qualification de planificateur et d’inculquer à de nombreux autres, dont la participation au processus de planification est essentielle, un préjugé favorable au principe de la planification. Cinquièmement, il est nécessaire de modifier radicalement, pour les adapter à une planifica- tion efficace, les attitudes et les types de comportement, ainsi que les modalités d’organisation et d’administration. Ces besoins sont si évidents et si généralement reconnus que, sans

aucun doute, on leur accordera une attention majeure dans les pro- chaines années. Mais ce qui est peut-être moins évident, c’est que toutes ces conditions, pour nécessaires qu’elles soient, seront loin d’être suffisantes parce que les trois méthodes que nous avons consi- dérées antérieurement pour aborder la planification de l’éducation méconnaissent un facteur important. Si elles ont eu le mérite de faire mieux saisir les traits principaux du système d’enseignement et de mieux le situer par rapport au milieu global, elles n’ont pas assez tenu compte de sa vie interne et du besoin de le modifier de façon radicale. Si les systèmes d’enseignement veulent réellement rendre service

à leurs élèves et à la société, il leur faut désormais se hâter d’introduire dans leur vie interne un certain nombre de changements et modifier les priorités et les objectifs spécifiques, la structure interne, le contenu et les méthodes d’enseignement, la formation et l’emploi des ensei- gnants, les processus d’enseignement et d’acquisition des connaissances, le style et les méthodes de direction et d’administration. En outre, il est temps maintenant de s’attaquer à un problème des plus urgents pour essayer de trouver des solutions constructives : l’éducation de ceux qui ne bénéficient pas des structures scolaires. Le concept de l’éducation permanente doit être totalement repensé et quitter le terrain de l’éloquence abstraite pour celui des réalités concrètes. Mais cela n’est possible que si les barrières traditionnelles, institutionnelles et psychologiques qui séparent l’enseignement scolaire de l’enseigne- ment extra-scolaire sont supprimées et si les deux champs d’activités sont l’objet d’une planification commune et d’une intégration plus étroite. Vouloir ignorer ces impératifs, c’est aller au-devant d’un désastre.

62

Un coup d’œil sur l’avenir

Si les systèmes d’enseignement traditionnels persistent dans la stratégie d’expansion simpliste qui consiste à s’agrandir sans changer de visage, ils ne feront qu’accentuer leur inadaptation - déjà grave - à la société environnante, ils gaspilleront d’immenses ressources, ils exaspé- reront la crise qui les étreint déjà, ils failliront à leur mission, ils mettront en danger leur propre existence et ils causeront un tort incalculable aux générations futures. Si ce pronostic est exact, la planification de l’éducation doit désor-

mais, sans renoncer à la macroperspective, s’occuper plus sérieusement des problèmes internes de l’éducation. Son but doit être d’améliorer le rendement des systèmes d’enseignement grâce à des transformations qui feront que ces derniers répondront mieux aux besoins de leurs clientèles, utiliseront plus efficacement les ressources disponibles et constitueront une force plus efficiente pour le développement de la société et des individus. Un meilleur rendement, cela ne signifie pas seulement faire mieux; cela veut dire faire des choses différentes et les faire différemment. C’est pourquoi il faut désormais une stratégie qui mette l’accent moins sur l’expansion en tant que telle - encore que l’expansion doive se poursuivre - que sur le changement et l’adaptation. Quel genre de planification de l’éducation convient-il de mettre au

service de cette stratégie nouvelle ? Sans doute faudra-t-il conserver une bonne macroplanification centrée sur les dimensions essentielles du système et sur ses rapports avec l’économie et la société. Mais il devra en outre y avoir des formes nouvelles de microplanification qui s’appliqueront aux processus internes du système et à ses nombreuses subdivisions. 11 paraît donc assez probable que, dans les prochaines années, la planification de l’éducation s’exercera dans les domaines ci-après.

1. Définition plus précise des objectifs Si l’on ne définit pas clairement les objectifs et les priorités, il n’y aura aucune base ni pour évaluer le rendement d’un système ni pour faire des plans d’avenir en connaissance de cause. Lorsque les buts réels d’un système d’enseignement (dans la mesure où ils diffèrent des buts définis) ne coïncident pas avec les objectifs principaux de la société à laquelle il appartient, il devient fatalement inadapté à la société et les besoins de celle-ci en pâtissent. De même, si les objectifs spécifiques des diverses subdivisions du système d’enseignement sont incompati- bles avec les objectifs d’ensemble du système global, celui-ci est alors

63

Qu’est-ce que la planification de l’éducation?

en conflit avec lui-même et ses objectifs fondamentaux ne sont pas atteints. Dans une telle éventualité, les étudiants seront les grands per- dants. Pour toutes ces raisons, la première mesure capitale à prendre pour améliorer la pertinence et le rendement d’un système d’enseigne- ment est de réviser et de préciser ses priorités et objectifs fondamentaux ainsi que les objectifs spécifiques de chacune de ses subdivisions en vue d’assurer la compatibilité mutuelle de ces derniers et leur compatibilité avec les objectifs essentiels, les priorités et les besoins de la société. D’aucuns se récrieront en disant qu’une telle entreprise est vouée

à l’échec, qu’elle a été tentée maintes fois, toujours en vain, quecela aboutit au mieux à des déclarations fumeuses tellement vagues que n’importe qui peut y souscrire, au pire à des conflits insolubles entre des intérêts opposés. Mais cela reviendrait à admettre que l’institution qui est censée développer chez autrui un comportement intelligent est elle-même incapable d’agir intelligemment, qu’un système d’éducation n’a pas d’autre choix que de vivre sur un fond de folklore, de foi aveugle et de compromis stupide. C’est là une conclusion contestable. En toute éventualité, la situation

exige un nouvel effort qui, au lieu de souscrire aux priorités et aux objectifs dictés par les théories et les préjugés en vogue, demande ses directives à une analyse rationnelle. Sans doute sera-t-il toujours malaisé de définir les objectifs d’ensemble de quelque système d’en- seignement que ce soit, considéré comme un tout, autrement qu’en termes tellement généraux qu’ils soient susceptibles d’interprétations différentes. Même en ce cas, il serait possible à des spécialistes des sciences sociales de vérifier, par divers procédés, le fonctionnement réel du système ainsi que les capacités et le comportement des gens qui en sont les produits et de déterminer si ces comportements sont raisonnablement compatibles avec les buts déclarés du système, avec les besoins et les objectifs évidents de la société. Ce qui est plus important, c’est que, lorsqu’on procède du général

au particulier, des objectifs d’ensemble du système d’éducation pris comme un tout aux objectifs plus spécifiques des subdivisions de ce système, il devient plus facile de définir les objectifs en termes qui aient un sens opérationnel et de prendre les objectifs ainsi définis comme critères pour juger des réalisations. La différence est immense, par exemple, entre un objectif d’ensemble tel que former de N bons citoyens D ou donner une (( éducation likérale )) et des objectifs plus spécifiques comme enseigner - à un niveau qu’il est possible de définir - à lire, à calculer ou à utiliser une langue étrangère. 64

Un coup d’œil sur l’avenir

En fait, les experts en méthodes d’appréciation et de mesure des résultats de l’éducation sont en train d’accomplir des progrès consi- dérables par la mise au point de procédés plus souples et plus diversifiés pour l’évaluation des résultats de diverses sortes que les étudiants attendent individuellement de l’éducation. Pourquoi, dès lors, serait-il impossible d’adapter certains de ces instruments et d’en imaginer d’autres pour évaluer le rendement du système lui-même à partir du moment où l’on dispose d’objectifs précis comme critères.. .

2. L‘évaluation du rendement du système La définition d’objectifs d’éducation précis est essentielle non seule- ment pour garantir les efforts du système pour donner un enseignement adéquat et approprié, mais aussi pour fournir une base de contrôle qui permette d’apprécier s’il le fait vraiment bien. Elle procure également une base de comparaison entre les divers moyens utilisables pour atteindre un objectif particulier en matière d’acquisition des connais- sances et permet de déterminer lequel d’entre eux est le plus efficace. Cela représente la moitié des changements à faire intervenir dans

l’éducation. Il faut, pour que le système soit plus pertinent et mieux à la page, changer ce qu’il fait et c’est la première moitié de la tâche; il faut aussi, et c’en est la seconde moitié, changer la manière dont il le fait, pour prendre le processus le plus efficient et plus efficace. U n système d’éducation peut faire très efficacement des choses qui ne conviennent pas, comme il peut faire, mais d’une manière très peu eficace, des choses qui conviennent. Les deux éventualités doivent être examinées quand on porte un jugement sur ses résultats. Si les systèmes d’enseignement doivent changer en vue d’obtenir

une amélioration, et non pas simplement pour le plaisir de changer, il leur faudra des instruments de diagnostic divers pour évaluer leur rendement, pour connaître les possibilités de perfectionnement et pour contrôler les progrès réalisés durant un certain temps.

3, L’analyse de systèmes appliquée aux structures de l’enseignernmt

Du fait que les systèmes d’enseignement devront changer plus fréquem- ment et plus rapidement que dans le passé, ils auront besoin, pour y parvenir, de techniques nouvelles. Généralement, on a procédé coup

65

Qu’est-ce que la planification de l’éducation?

par coup, d’une manière fragmentaire et épisodique et - c’est là un trait caractéristique - en surajoutant quelque chose de nouveau par-dessus ce qui existait anciennement, sans vraiment changer ce qui était ancien; par exemple, on a ajouté l’enseignement télévisé, les laboratoires de langues et les appareils de projection cinématogra- phiques aux moyens traditionnellement utilisés dans une salle de classe. Dans la réalité, cela revient bien à modifier l’ancien ((système de transmission des connaissances », mais ne permet pas de lui substituer consciemment un nouveau schéma, puisqu’on ne raisonne pas en termes de système. En conséquence, il est peu probable que l’élément nouveau produise tous les effets dont il est capable; la dépense qui en résulte s’ajoutera intégralement aux dépenses antérieures et il n’est pas exclu que le progrès escompté dans le travail scolaire se solde par un déboire. C’est comme si quelqu’un, chargé de placer un homme sur la Lune, commençait avec un biplan auquel il essaierait d’ajouter des éléments pour lui permettre d’atteindre ce satellite. L’autre solution, c’est de recourir à l’analyse systématique, laquelle

a donné d’excellents résultats dans maints autres domaines (y compris, d’ailleurs, l’expédition réussie d’hommes sur la Lune). Cette analyse se fraie un autre chemin. Au lieu de partir d’un système ancien qui ne donne pas de résultats satisfaisants et d’essayer de le rafistoler, elle commence par établir clairement le plan d’action, autrement dit par définir les (( objectifs N visés (les résultats qu’on veut obtenir) et par recenser les conditions dictées par le milieu : provenance des étudiants, plafond des dépenses, délais. L’étape suivante consiste à imaginer une série de (( systèmes N utilisables pour obtenir les résultats spécifiés. Chacun de ces sytèmes éventuels différera quelque peu des autres et par les éléments qu’il combinera (entrées) et par la technologie. Les dépenses prévues et les résultats probables (sorties) varieront également d’un système à l’autre et certains s’inséreront mieux que d’autres dans le contexte général. Le problème revient alors à comparer les avantages et les inconvénients respectifs des divers systèmes envisagés et à choisir celui d’entre eux qui, tout bien considéré, semble le mieux approprié au dessein et aux circonstances. En définissant de cette manière de nouveaux (( systèmes de trans-

mission des connaissances )) pour réaliser divers objectifs bien définis, il y a des chances pour que le système optimal soit une combinaison d’éléments anciens et d’éléments nouveaux ajustés les uns aux autres d’une manière nouvelle. Il y a aussi des chances qu’il soit avantageux d’essayer plusieurs sortes de (( systèmes », pour parvenir aux mêmes

66

Un coup d’œil sur l’avenir

fins, dans un certain nombre de situations comparables, de façon que la comparaison entre les coûts et les résultats respectifs des uns et des autres puisse être solidement étayée par une quantité de constatations. Il y aura un avantage évident à ce que des systèmes d’enseignement voisins coopèrent à un vaste programme de recherche et de développe- ment, en sorte qu’ils puissent réaliser collectivement des expériences qu’aucun d’eux n’aurait les moyens de faire seul. Les principes fondamentaux à observer dans la méthode des systè-

mes sont assez clairs, mais les techniques pratiques demandent encore à être mises au point et expérimentées. Une fois qu’elles seront uti- lisables, elles pourront devenir partie intégrante d’un processus per- manent de régénération autonome interne de l’éducation.

4. Le renouvellement des styles et des modalités d’administration

Les diverses mesures déjà indiquées constituent des moyens importants d’améliorer l’administration des systèmes d’enseignement. (Dans cette notion d’administration, il faut faire entrer ceux qui planifient, ceux qui évaluent les résultats et ceux qui prennent des décisions non seulement au ministère, mais aussi bien dans chaque salle de classe.) Mais on aura également besoin d’outils supplémentaires, dont beau- coup sont déjà à notre disposition et n’exigent que d’être perfection- nés et expérimentés. Au nombre de ceux-ci figurent les méthodes que la recherche opérationnelle utilise dans d’autres domaines et qui, conve- nablement adaptées, pourraient avec fruit s’appliquer à l’éducation : la budgétisation des programmes en fonction d’objectifs déterminés à réa- liser; le système PERT pour l’établissement de programmes et de projets complexes ; diverses méthodes pour l’analyse des coûts et l’évaluation du rapport coût-eflcacitb ainsi que les techniques de l’analyse du rapport coût-bénéfice qui s’y rattachent. Pour être efficaces, la planification et l’administration d’un système

d’éducation moderne demandent également qu’on dispose d’un mini- mum de clignotants, d’indicateurs d’alerte qui tiennent régulièrement tous les intéressés au courant de l’évolution des variables et des rapports importants à l’intérieur du système ainsi que des rapports essentiels entre le système et son environnement. Par exemple, il ne suffit pas de connaître le nombre des étudiants

inscrits par niveau d’enseignement, il importe également de connaître

67

Qu’est-ce que la planification de l’éducation?

leur répartition tant du point de vue géographique que par niveau d’études et par matières, de savoir quelles modifications se dessinent dans le profil de la condition socio-économique et des qualifications universitaires de la masse des étudiants, et de posséder l’information clé que constituent les taux de promotion et de déperdition dans les différentes parties du système. De même, il ne suffit pas de connaître l’évolution générale et la

ventilation des dépenses brutes qui ressortent du budget de l’éducation nationale; il est aussi important de connaître l’évolution des coûts unitaires dans tout le système, celle des sources de revenus et celle des rapports entre, d’une part, les dépenses d’éducation et, d’autre part, le montant total des dépenses publiques et le PNB. Si 1’011 veut pouvoir évaluer et planifier plus intelligemment la

quantité de maîtres à recruter, leur coût et leur utilisation, il est néces- saire que des indicateurs fassent eonnaître les tendances de la réparti- tion du personnel enseignant par âge, par qualifications, par échelles de salaires et par ancienneté, ainsi que les changements survenus dans le nombre d’élèves par classe dans chaque partie du système et dans le nombre d’heures de service. Le rendement et l’efficacité du système doivent être contrôlés par

des indicateurs qui ne se contentent pas d’indiquer l’évolution du nombre annuel des gradués de différentes catégories mais qui indique également le sort des promotions précédentes (gradués et non gradués) qui est, finalement, la vraie pierre de touche lorsqu’on veut évaluer i’apport du système d’éducation. Il est difficile de préciser dans l’absolu le nombre minimal d’indica-

teurs souhaitable, car il dépendra, évidemment, de l’état des besoins et des moyens; plus le système d’éducation est poussé, plus le système d’information concernant l’administration peut être étendu. Mais, même le système d’éducation le plus simple et le moins développé - aussi bien qu’un établissement scolaire ou universitaire isolé - trouvera qu’il vaut la peine d’en savoir sur lui-même beaucoup plus qu’il n’en a jamais su dans le passé. A une époque où, dans la plupart des pays, l’éducation est devenue la plus grande entreprise économique et exerce une influence majeure sur l’ensemble de l’économie et de la société, on peut difficilement se permettre de l’administrer à la manière d’une modeste entreprise familiale. Elle doit fonctionner les yeux grands ouverts.

68

Un coup d’œil sur l’avenir

5. Intensification de la recherche et du développement

Bien que les établissements d’enseignement aient été d’importantes pépinières de scientifiques, où se sont formés les hommes qui ont fait faire des progrès considérables à la technologie dans des secteurs comme la médecine, l’industrie ou l’agriculture, ils n’ont, jadis, consa- cré qu’une faible part de leurs talents à faire progresser les techniques de l’éducation elle-même. La recherche pédagogique classique, qui a parfois produit d’utiles résultats, a été trop négligée, trop éparpillée et souvent trop peu rattachés aux problèmes réellement essentiels auxquels les systèmes d’éducation devaient faire face, pour avoir exercé une influence générale considérable. Bien plus, la plupart de ces recherches ont été trop étroitement et trop exclusivement axées sur la pédagogie pour embrasser les problèmes interdisciplinaires qui sont, aujourd’hui, le cauchemar des systèmes d’enseignement. La seule solution, pour que le changement et la transformation

deviennent, pour les systèmes d’éducation, un processus permanent qui soit entré dans les mœurs, consiste à mobiliser à cette intention une plus forte proportion de l’intelligence créatrice de chaque système, à englober un vaste éventail de disciplines, à investir beaucoup plus d’argent dans la recherche et le développement de l’éducation et à prendre les mesures institutionnelles nécessaires pour renforcer ce processus. Faute de cela et faute d’un esprit largement ouvert aux enquêtes scientifiques, les systèmes d’éducation continueront de super- poser de nouveaux éléments aux anciens, à la manière de couches géologiques, et de subir des transformations mal ajustées qui leur seront imposées de l’extérieur. Pour beaucoup de gens, parmi lesquels figurent bon nombre de ceux

à qui la planification de l’éducation est familière, les nouvelles frontiè- res que nous venons de tracer peuvent, à première vue, paraître situées au-delà du domaine propre à la planification de l’éducation. Ils auront évidemment tout à fait raison si l’on admet que les frontières sont celles qui ont été envisagées dans le passé. Mais c’est justement là tout le problème. Il faut reculer les frontières. Si l’on veut répondre à la nécessité urgente, pour les systèmes d’éducation, de se transformer et de se régénérer eux-mêmes, pratiquement sur tous les plans, la concep- tion qui était antérieurement celle de la planification de l’éducation doit être élargie encore plus avant pour englober la planification des chungernents internes de ces systèmes.

69

Qu’est-ce que la planification de l’éducation?

Une telle extension de la planification de l’éducation signifie iné- vitablement que celle-ci fusionne plus intimement avec les processus de l’administration, de la pédagogie, de la recherche et du développe- ment. Il en résultera que la planification se distinguera moins des autres fonctions, sera moins une affaire à part et présentera un carac- tère beaucoup plus interdisciplinaire. Au lieu d’être considérée comme le domaine réservé d’un petit nombre d’experts spécialistes des tech- niques de planification, logés dans une pièce sur cour, près du bureau du ministre, la planification de l’éducation deviendra normalement l’affaire de tous ceux qui assurent la bonne marche du système, parmi lesquels les enseignants figurent en bonne place.

Nous pouvons conclure cette brochure sur une prédiction. Si quelqu’un, d’ici une décennie ou deux, pose la question : << Qu’est-ce que la planification de l’éducation? », la réponse qu’il obtiendra sera très différente, beaucoup plus longue et plus complexe que celle qui est provisoirement donnée dans ces pages. Mais une chose sera iden- tique : l’homme qui répondra à la question commencera, comme le présent auteur, par faire observer que la planification de l’éducation est chose trop complexe, trop diversifiée, trop changeante pour admet- tre une définition simple ou pour se laisser enfermer dans une théorie générale. Et sans doute dira-t-il pour conclure que, si la planification de l’éducation peut valablement utiliser des méthodes et des modes de pensée scientifiques, elle n’en est pas moins - comme l’éducation elle-même - plus un art qu’une science.

70

Livres de 1’IIPE

Les titres sous-mentionnés, publiés par Unesco/IIPE, sont disponibles soit à l’Institut, soit chez les agents de vente des publications de l’Unesco dans les divers pays, ou directement au siège de l’Organisation :

Bibliographie de la planification de l’éducation (1965) Educational development in Africa (1 969. Trois volumes, en anglais seulement,

*Manpower aspects of educational planning (1968. En anglais seulement) Methodologies of educational planning for developing countries par J. D. Chesswas

Monographies africaines (cinq brochures; liste complète sur demande) New educational media in action: case studies forplanners (1967. Trois volumes, en anglais seulement)

*The new media: memo to educational planners par W . Schramm, P. H. Coombs, F.Kahnert, J. Lyle (1967. Rapport de synthèse concernant les trois volumes ci-dessus, en anglais et en espagnol seulement)

comprenant onze monographies)

(1 969. En anglais seulement)

Planification de l’éducation en URSS (1967) Planification de l‘éducation : notes sur les besoins nouveaux en matière de recherche

Planification de l‘éducation : répertoire d’institutions de formation et de recherche

Principes de la planification de l’éducation (voir liste au début d’ouvrage) Problems and strategies of educational planning: lessons from Latin America

*Qualitative aspects of educational planning (1969. En anglais seulement)

par William J. Platt (1970)

(1965)

(1965. En anglais et en espagnol seulement)

Les titres sous-mentionnés, produits dans l’Institut mais publiés ailleurs, sont

La crise mondiale de l‘éducation : analyse de systèmes par Philip H. Coombs,

Quantitative methods of educational planning par Héctor Correa,

disponibles dans toutes les librairies:

Presses universitaires de France, Paris, 1968

International Textbook Co., Scranton, Pa., 1969 (en anglais seulement)

*Édition française en préparation

L’Institut international de planification de l’éducation

L’Institut international de planification de l’éducation (IiPE) a été créé en 1963 par l’Unesco en tant que centre international pour la formation et la recherche au niveau supérieur dans le domaine de la planification de l’éducation. L’Unesco assure le financement du budget de base de l’Institut, et le gouvernement français a mis à sa disposition les locaux nécessaires. L’IIPE obtient également des crédits supplémentaires de sources gouvernementales et privées. L’Institut a pour but d’augmenter les connaissances et le nombre d’experts com-

pétents en matière de planification de l’éducation, afin d’aider tous les pays à accé- lérer le rythme de leur développement éducatif, condition essentielle du dévelop- pement économique et social général. Pour atteindre ce but, l’Institut apporte sa collaboration aux organisations qui, dans le monde, s’intéressent à cet aspect de la formation et de la recherche. La composition du conseil d’administration de l’Institut est la suivante:

Président

Membres

Sir Sydney Caine (Royaume-Uni), ex-directeur de «The London School of Economics and Political Science»

Hellmut Becker (République fédérale d’Allemagne), président de la Fédération allemande de centres d’éducation des adultes

Alain Bienaymé (France), professeur de sciences économiques à l‘Université de Paris-Dauphine

Ernani Braga (Brésil), directeur de la Division de l’éducation et de la formation à l’organisation mondiale de la santé (OMS).

Robert0 Campos (Brésil), ex-ministre de la Planification et du Développement économiques

David Carney (Sierra Leone), directeur de l’Institut africain de développement économique et de planification.

S. A. Choumovsky (URSS), chef du Département d’administration méthodologique, ministère de l’Enseignement supérieur et de l’Enseignement secondaire spécialisé de la RSFSR

Richard H. Demuth (États-Unis d’Amérique), directeur du Département des Services du développement de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD)

Abdel-Aziz El-Koussy (République arabe unie), directeur du Centre de planification et d’administration de l’éducation pour les Etats arabes

de la Haute-Volta pour l’Unesco Joseph Ki-Zerbo (Haute-Volta), président de la Commission nationale

D. S. Kothari (Inde), président de la «University Grants Commission)) P. S. N. Prasad (Inde), directeur de l’Institut asiatique pour le développement et la planification économiques

Pour obtenir des renseignements plus complets sur I’IIPE, ou pour se procurer son Rapport d’actioité, s’adresser à: M. le Directeur, Institut international de planification de l’éducation, 9 rue Eugène-Delacroix, 75 Pa1is-16~