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Publié parLa Banque Royale du Canada Le pouvoir de la considération Nous avons tous besoind’êtreconsidérés. Et pourtant nous ne nous soucionsguère d’accorder aux autresce que nous voulons pour nous-mêmes.La considérationpeut résoudrebien des problèmes personnels et faciliter les rapports parent-enfant aussi bienque les relations d’affaires. Ce devrait être une habitude... []LecasdeJoey estbien connu dans lesannales de lapsychiatrie. Joey croyait que sa vie était diri- géeparunemachine. Lorsque ce mécanisme imagi- naire était «actionné», Joey mangeait, dormait et agissait plus oumoins normalement; lorsqu’il était «hors circuit», Joey pouvait rester desheures sans dire un mot, immobile comme unevoiture en sta- tionnement. En serenseignant surl’entourage immédiat de l’enfant, lepsychiatre traitant découvrit que ses parents l’avaient toujours ignoré, sauf pour répon- dreà sesbesoins physiques. C’était lesentiment desapropre nullité qui avait amené Joey à s’iden- tifier aux machines. Dès qu’on s’occupait delui, il émergeait graduellement de sonétrange univers. Dans unessai composé vers lafindesapsychothé- rapie, Joey déclarait: «Les sentiments sont cequ’il y a de plus important au monde». Même silecas deJoey est exceptionnel, iln’est passans nous donner uneleçon quis’applique à toutes lesrelations humaines, carun manque de considération peut effectivement transformer qui- conque enuneespèce d’automate. Lesgens quiont l’impression de passer inaperçus et d’être peu appréciés font cequ’on attend d’eux, mais machi- nalement, sansjamais faire preuve d’enthou- siasme oud’initiative. Aubureau, à l’école età la maison, onrencontre partout decesêtres quiont l’air d’être télécommandés. Cesgens sont privés d’un stimulus psychique aussi vital pour l’esprit que lanourriture l’est pour lecorps. Leur besoin n’est passeulement fonda- mental, mais simple: c’est d’être appréciés à leur juste valeur pour cequ’ils sont etcequ’ils font. Qu’on leur dénie cette satisfaction etleur réaction estégalement simple: comme Joey, ilssedésinté- ressent des objectifs deleurs parents, deleurs pro- fesseurs, de ieur conjoint oude leur employeur. Pourquoi s’en faire pour des gens qui les ignorent? La considération est devenue récemment un mot d’ordre dans lesécrits traitant delamotiva- tion, mais sonpouvoir estconnu depuis toujours même si les béhavioristes n’ont réussi querécem- ment à enmesurer leseffets. Dansles monographies qu’ils consacrent au sujet, les psychologues et les spécialistes delages- tion nefont qu’expliquer enlong etenlarge ceque Shakespeare avait admirablement résumé: «Une bonne action, mourant dans l’oubli, enégorge des milliers qui lasuivent». Attribuer à chacun lemérite qui luirevient est l’une des règles d’or delasagesse des nations dont on ne saurait contester le bon sens. Comment expliquer alors qu’elle soitencore largement méconnue en plein XXe siècle? Nos contempo- ralns comprendraient-ils plus facilement lesroua- ges desavions ou des ordinateurs que ceuxdu cur humain? Savoir louer à bonescient estapparemment un donrare. Cen’est pasune chose qu’on fait d’ins- tinct, cequiestd’autant plus surprenant quele désir d’être loué, lui, est inné.

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Le pouvoir de la considération

Nous avons tous besoin d’être considérés.Et pourtant nous ne nous soucions guèred’accorder aux autres ce que nous voulonspour nous-mêmes. La considération peutrésoudre bien des problèmes personnels etfaciliter les rapports parent-enfant aussibien que les relations d’affaires. Ce devraitêtre une habitude...

[] Le cas de Joey est bien connu dans les annalesde la psychiatrie. Joey croyait que sa vie était diri-gée par une machine. Lorsque ce mécanisme imagi-naire était «actionné», Joey mangeait, dormait etagissait plus ou moins normalement; lorsqu’il était«hors circuit», Joey pouvait rester des heures sansdire un mot, immobile comme une voiture en sta-tionnement.

En se renseignant sur l’entourage immédiat del’enfant, le psychiatre traitant découvrit que sesparents l’avaient toujours ignoré, sauf pour répon-dre à ses besoins physiques. C’était le sentimentde sa propre nullité qui avait amené Joey à s’iden-tifier aux machines. Dès qu’on s’occupait de lui, ilémergeait graduellement de son étrange univers.Dans un essai composé vers la fin de sa psychothé-rapie, Joey déclarait: «Les sentiments sont ce qu’ily a de plus important au monde».

Même si le cas de Joey est exceptionnel, il n’estpas sans nous donner une leçon qui s’applique àtoutes les relations humaines, car un manque deconsidération peut effectivement transformer qui-conque en une espèce d’automate. Les gens qui ontl’impression de passer inaperçus et d’être peuappréciés font ce qu’on attend d’eux, mais machi-nalement, sans jamais faire preuve d’enthou-siasme ou d’initiative. Au bureau, à l’école et à lamaison, on rencontre partout de ces êtres qui ontl’air d’être télécommandés.

Ces gens sont privés d’un stimulus psychiqueaussi vital pour l’esprit que la nourriture l’est pour

le corps. Leur besoin n’est pas seulement fonda-mental, mais simple: c’est d’être appréciés à leurjuste valeur pour ce qu’ils sont et ce qu’ils font.Qu’on leur dénie cette satisfaction et leur réactionest également simple: comme Joey, ils se désinté-ressent des objectifs de leurs parents, de leurs pro-fesseurs, de ieur conjoint ou de leur employeur.Pourquoi s’en faire pour des gens qui les ignorent?

La considération est devenue récemment unmot d’ordre dans les écrits traitant de la motiva-tion, mais son pouvoir est connu depuis toujoursmême si les béhavioristes n’ont réussi que récem-ment à en mesurer les effets.

Dans les monographies qu’ils consacrent ausujet, les psychologues et les spécialistes de la ges-tion ne font qu’expliquer en long et en large ce queShakespeare avait admirablement résumé: «Unebonne action, mourant dans l’oubli, en égorge desmilliers qui la suivent».

Attribuer à chacun le mérite qui lui revient estl’une des règles d’or de la sagesse des nations donton ne saurait contester le bon sens. Commentexpliquer alors qu’elle soit encore largementméconnue en plein XXe siècle? Nos contempo-ralns comprendraient-ils plus facilement les roua-ges des avions ou des ordinateurs que ceux duc�ur humain?

Savoir louer à bon escient est apparemment undon rare. Ce n’est pas une chose qu’on fait d’ins-tinct, ce qui est d’autant plus surprenant que ledésir d’être loué, lui, est inné.

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Les enfants commencent à peine à marcher quedéjà ils trouvent le moyen d’attirer l’attention desadultes sur leurs exploits; tout fiers d’eux-mêmes,ils s’attendent à ce que vous partagiez leur plaisir.En grandissant, ils continuent de quêter l’appro-bation de leur entourage, de se nourrir de l’admira-tion des autres pour affermir leur personnaliténaissante.

Les parents attentifs, c’est-à-dire à la fois sensi-bles et vigilants, donnent généreusement l’encou-ragement demandé afin d’aider l’enfant à prendrede l’assurance et à poursuivre son développement.C’est ce qu’on appelle renforcement positif enpsychologie expérimentale.

La perspective de la récompenseaiguise la soif de dépassement

La tâche des parents ne se limite pas à favoriserl’apprentissage. Ils doivent également faire ensorte que leurs enfants aient une vie raisonnable-ment heureuse et, pour cela, veiller à l’équilibre deleur personnalité. De là l’importance de soulignerle mérite de chacun. Les compliments sont presqueaussi nécessaires que la bonté et l’affection pourqui veut former un bon caractère. L’éloge biendosé est aux enfants ce que le soleil est aux fleurs.

Comme tous les parents le savent, les enfantsréussissent toujours d’une manière ou d’une autreà attirer l’attention sur eux-mêmes. Que ce soitsouvent au risque d’être punis prouve bien la forcedu besoin qui les pousse. Tout se passe comme si,inconsciemment, ils aimaient encore mieux êtreréprimandés qu’ignorés. Un enfant agaçant prendtout simplement les grands moyens pour faire sen-tir sa présence.

Mais ce n’est pas toujours parce qu’il manquede marques d’attention; il en reçoit peut-être trop,au contraire. Il est très facile de «gâter» un enfantà force de cajoleries et de compliments qu’il envient à attendre comme son dû. Par ailleurs, le fait

pour l’entourage de louer ou de condamner sesespiègleries selon l’humeur du moment risque desusciter une maussaderie durable. Un enfant quiboude et pleurniche pour qu’on s’occupe de lui trai-nera vraisemblablement son humeur chagrinetoute sa vie.

Selon le psychologue Erik Erikson, la considéra-tion est la clé du développement de ce qu’il appellel’identité du moi, c’est-à-dire l’idée qu’un être sefait de lui-même.

L’identité du moi s’élabore pendant l’adoles-cence, à partir de la somme des expériences vécues.Seule la récompense d’un mérite réel peut la forti-fier. C’est dire que s’ils ne sont pas motivés, les élo-ges risquent de gâter l’enfant, peut-être irrémédia-blement.

L’adolescence est une étape particulièrementimportante du développement de la personnalité.La plupart des adolescents sont plus timides etembarrassés qu’ils ne veulent le montrer.

Les enseignants avertis prennent bien soin derépartir les marques d’approbation aussi égale-ment que possible entre tous leurs élèves. Uneautre caractéristique des jeunes est l’impatience.S’ils ont l’impression que leurs efforts passent ina-perçus, ils peuvent fort bien renoncer à faire deleur mieux.

Parce qu’elle attache une grande importance àl’excellence, la société dans laquelle ils vivent atrouvé bon de créer une pléthore de prix et de bour-ses, de coupes et de médailles, de décorations etautres distinctions pour récompenser les exploitsde toutes sortes. Certains de ces exploits sont dis-cutables -- on pense à la série de 105 338 sautsd’un amateur de «Pogo stick», consignée dans leGuinness Book of World Records --, mais ils prou-vent que la perspective de la récompense aiguise lasoif de dépassement.

Le système de récompense est fondé principale-ment sur la compétition et il favorise ceux qui sur-passent leurs camarades. Il perd parfois son butde vue et amoncelle les lauriers sur des gens dontle seul mérite est d’avoir un joli minois ou d’êtreforts en gueule.

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Mais si le système a un faible pour les vedettes,il réserve également de petites gratifications aucommun des mortels. Nous disons merci aux gensqui nous montrent des égards; nous donnons despourboires ì ceux qui nous servent et nous applau-dissons ceux qui nous divertissent -- pas toujourspour leur calibre exceptionnel, mais parce que, detoute évidence, ils font de leur mieux.

Les publicitaires savent s’y prendre pour souli-gner l’individualité de chacune des personnes quiforment un public-cible. Les campagnes de publi-cité modernes sont fondées sur un principe énoncéil y a deux siècles, à savoir que tout homme estimportant ì ses propres yeux.

L’annonce d’un installateur de silencieux vousassure que «Vous êtes quelqu’un».., tout particu-lièrement si vous avez recours à ses services.

Les jeunes qui sont élevés dans cette atmos-phère et qui attendent des louanges à tout instants’adaptent difficilement à l’impersonnalité de lavie lorsqu’ils arrivent à l’âge adulte. Habituésd’être le point de mire de leur entourage, ils netrouvent plus d’admirateurs et s’aperçoivent queles moyens d’attirer l’attention sont rigoureuse-ment limités par les conventions. Un adulte nepeut pas pousser des cris, trépigner et renverserles meubles sans s’exposer à être enfermé.

C’est au travail que lechoc est le plus dur

Et comme si l’indifférence du monde extérieurn’était pas assez pénible, ils ont parfois l’impres-sion d’être considérés comme quantités négligea-bles dans leur propre foyer. Ce qui suscite les élo-ges de maman n’a pas nécessairement le mêmeeffet sur le conjoint et l’obligation de se comporteren adulte empêche certaines personnes d’avouerqu’elles se sentent négligées. Quand un hommedéclare sincèrement que sa femme ne le comprendpas, en général il veut dire qu’elle ne l’apprécie pascomme il le mérite.

Mais c’est au travail que les jeunes éprouvent leplus grand choc, surtout s’ils se retrouvent dansune entreprise traditionnelle où la rentabilité desaffaires l’emporte sur la gratification desemployés.

Et si l’on en croit les annonces télévisées et lesbandes dessinées, il existe encore de ces patrons,véritables tyrans qui harassent leurs subordonnéscomme si la menace du congédiement était la seuleforme de motivation qu’ils puissent imaginer.

Pendant longtemps, le principe directeur desrelations professionnelles se résumait à propor-tionner le salaire à la tâche puis, finalement, on acompris qu’il faudrait trouver autre chose si l’onvoulait accroitre la productivité. C’est alors queles entreprises ont commencé à s’intéresser à lapsychologie et à expérimenter les techniques demotivation.

Les gens fortunés n’échappentpas au besoin d’être appréciés

Une des premières choses qu’elles ont découver-tes, c’est qu’il était impossible de prouverl’ancienne thèse voulant que les augmentations desalaire encouragent les travailleurs à produiredavantage. Tout comme l’eau et la nourriture,l’argent est ce qu’il y a de plus important quand onn’en a pas suffisamment mais, pour les gens nor-maux (c’est-à-dire ni cupides ni avaricieux),l’importance de l’argent diminue à mesure que lesrevenus augmentent.

Il suffit pour s’en convaincre de regarder lesgens qui ont gagné plus d’argent qu’ils n’en sau-raient compter: que cherchent-ils après avoir satis-fait leur désir de richesses? La notoriété, tout sim-plement. Des hommes ont dépensé des fortunespour donner leur nom à un musée ou à une salle deconcert, et il y a des milliardaires qui feraientn’importe quoi pour siéger à la Chambre des lordsou au Sénat.

On peut voir à Toronto un monument à la soifde prestige.., le prestige qui est la notoriété enhabit de gala. C’est la Casa Loma, construite parun magnat du nom de Sir Henry Pellatt qui rêvait

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de recevoir chez lui les têtes couronnées. Celles-cin’ont jamais répondu à ses invitations et le pauvreSir Henry est mort sans que ses appartementsroyaux aient été occupés. Il est également mortruiné, en grande partie à cause des colossalesdépenses engagées pour construire son château.

Cette anecdote montre bien que le besoin d’êtreapprécié est inhérent à la nature humaine et qu’ilse fait sentir avec autant de force dans la demeuredu multimillionnaire que dans les bureaux et lesusines.

Nous sommes en grande partiece que les autres pensent de nous

Qui qu’ils soient, les gens veulent être distin-gués pour ce qu’ils font de bien. Malheureusement,le système tend à supprimer cet instinct: le monderefroidit singulièrement l’ardeur à exceller.

On a beau savoir que les éloges sont la plus bellerécompense qu’on puisse accorder aux gens, il y aloin de la théorie à la pratique, et l’homme d’affai-res pour qui seuls comptent les résultats tangiblesest en droit de se demander pourquoi une entre-prise devrait se donner la peine de complimenterses employés en plus de les bien payer.

Il n’y a pourtant qu’à considérer la définition dela gestion qui est «l’art de travailler avec et parl’entremise des gens pour atteindre des objectifs».Point n’est besoin d’être grand psychologue pourcomprendre qu’on parviendra plus facilement à sesfins si ceux qui nous aident sont convaincus del’importance de leur contribution.

Au lieu de blâmer le manque d’intérêt de sessubordonnés, le gestionnaire qui a de la difficultéì atteindre ses objectifs devrait examiner sa pro-pre attitude, car nous sommes tous en grande par-tie ce que les autres pensent de nous.

S’il est évident que le patron voit ses employéscomme des lambins, incapables de penser par eux-mêmes, c’est l’image qu’ils lui montreront. S’ilveut modifier leur façon d’agir, il doit chercherleurs bons côtés et essayer de les cultiver.

Le meilleur argument en faveur des récompen-ses dans le monde du travail, c’est leur efficacité.Les entreprises qui ont intégré un système derécompense dans leur plan de gestion ont toujourssignalé des gains de productivité substantiels etdes bénéfices à l’avenant. Ce fait notoire en aamené un grand nombre à élaborer des program-mes officiels de gratifications que les gestionnairesdes ressources humaines considèrent maintenantcomme des facteurs essentiels de la motivation desemployés.

Les éloges doivent être sincèreset proportionnés à l’accomplissement

Toutefois, en se bornant à souligner publique-ment les meilleures performances, ces program-mes perpétuent un problème qui se pose à tous lesparents, enseignants et cadres: comment récom-penser ceux qui donnent un bon rendement sansbanaliser les hommages rendus à l’excellence?Comment s’assurer que les travailleurs qui font deleur mieux ne se découragent pas parce qu’ils sonttoujours éclipsés par des collègues plus capablesqu’eux?

La seule façon de résoudre ce dilemme est deprendre l’habitude de montrer plus de considéra-tion aux autres, de ne ménager ni les remercie-ments ni les éloges à la condition qu’ils soient sin-cères et proportionnés à l’accomplissement. Il n’ya pas de meilleur moyen d’encourager les gens àdonner leur mesure.