psychopathologie de la scolarité || introduction

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Les difficultés scolaires sont en passe de devenir un véritable phénomène de société. L’échec scolaire a reçu au cours de l’histoire de nombreuses interpré- tations tantôt morales (paresse), tantôt médicales (déficiences intellectuelles ou instrumentales), tantôt psychologiques (désir ou refus d’apprendre), et actuellement sociales (la réussite dépendrait de la congruence entre les valeurs culturelles transmises par la famille et celles attendues par l’école). Ces lectures doivent cohabiter dans une vision holistique. Un enfant naît avec un potentiel génétique dans une famille où il vit des interactions affec- tives et dont il reçoit un bagage culturel. Il évolue dans une société qui a édicté ses propres valeurs. Il serait vain de n’attribuer l’échec qu’à l’un de ces facteurs. Décrier les recherches dans l’un ou l’autre de ces domaines ne nous paraît ni raisonnable ni fructueux pour répondre aux sollicitations dont les médecins et psychologues sont l’objet. Toutes les approches peuvent cohabiter à condition de ne pas ériger l’une d’entre elles au rang d’explica- tion univoque. L’approche psychanalytique a payé le prix fort d’une telle attitude dans les années 70-80. L’approche neurologique et instrumentale pourrait bien à son tour écoper du même traitement si elle n’y prend garde. Pourtant, il est important d’effectuer des recherches dans tous ces domaines. Compte tenu de la spécialisation de chacune de ces approches, il nous paraît raisonnable d’envisager la lutte contre l’échec en s’appuyant sur le travail en réseau, personne ne pouvant plus raisonnablement prétendre détenir la somme nécessaire des connaissances pour avoir une vision complète de la situation. Mais ce travail s’avère difficile car de même qu’un pêcheur remaille après chaque pêche son filet, il faut sans cesse raccommoder les liens du réseau (Marcelli, 1999), les personnes changeant fréquemment. En outre, le travail en réseau demande une certaine ouverture à d’autres milieux, d’autres logiques de fonctionnement. Cela oblige à se départir de ses propres outils d’évaluation pour accepter ceux des autres. Les difficultés scolaires se trouvent au confluent de plusieurs champs : champ médical neurologique ou psychiatrique, champ psychologique et champ social. Chacun répond à des logiques propres qui souvent s’ignorent. Si l’exercice de la profession de médecin comporte, comme le définit l’étymologie même du nom, une fonction de médiateur, alors l’échec sco- laire doit être une préoccupation médicale. Sans présumer d’une origine somatique des difficultés, le médecin est celui qui veille avant tout à la santé (au sens large du terme) des individus. Dans notre société, l’échec scolaire constitue non seulement une tare que peu d’élèves arrivent à surmonter, mais comporte des risques en termes de santé psychique et physique (par exemple, consommations de produits). À ce titre, le médecin qu’il soit généraliste, pédiatre, médecin scolaire ou pédopsychiatre est concerné. Il est donc important que l’approche des difficultés scolaires soit enseignée aux étudiants en médecine pour que puisse être réalisé ce travail en réseau. Introduction

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Page 1: Psychopathologie De la Scolarité || Introduction

Les difficultés scolaires sont en passe de devenir un véritable phénomène de société. L’échec scolaire a reçu au cours de l’histoire de nombreuses interpré-tations tantôt morales (paresse), tantôt médicales (déficiences intellectuelles ou instrumentales), tantôt psychologiques (désir ou refus d’apprendre), et actuellement sociales (la réussite dépendrait de la congruence entre les valeurs culturelles transmises par la famille et celles attendues par l’école).

Ces lectures doivent cohabiter dans une vision holistique. Un enfant naît avec un potentiel génétique dans une famille où il vit des interactions affec-tives et dont il reçoit un bagage culturel. Il évolue dans une société qui a édicté ses propres valeurs. Il serait vain de n’attribuer l’échec qu’à l’un de ces facteurs. Décrier les recherches dans l’un ou l’autre de ces domaines ne nous paraît ni raisonnable ni fructueux pour répondre aux sollicitations dont les médecins et psychologues sont l’objet. Toutes les approches peuvent cohabiter à condition de ne pas ériger l’une d’entre elles au rang d’explica-tion univoque. L’approche psychanalytique a payé le prix fort d’une telle attitude dans les années 70-80. L’approche neurologique et instrumentale pourrait bien à son tour écoper du même traitement si elle n’y prend garde. Pourtant, il est important d’effectuer des recherches dans tous ces domaines. Compte tenu de la spécialisation de chacune de ces approches, il nous paraît raisonnable d’envisager la lutte contre l’échec en s’appuyant sur le travail en réseau, personne ne pouvant plus raisonnablement prétendre détenir la somme nécessaire des connaissances pour avoir une vision complète de la situation. Mais ce travail s’avère difficile car de même qu’un pêcheur remaille après chaque pêche son filet, il faut sans cesse raccommoder les liens du réseau (Marcelli, 1999), les personnes changeant fréquemment. En outre, le travail en réseau demande une certaine ouverture à d’autres milieux, d’autres logiques de fonctionnement. Cela oblige à se départir de ses propres outils d’évaluation pour accepter ceux des autres. Les difficultés scolaires se trouvent au confluent de plusieurs champs : champ médical neurologique ou psychiatrique, champ psychologique et champ social. Chacun répond à des logiques propres qui souvent s’ignorent.

Si l’exercice de la profession de médecin comporte, comme le définit l’étymologie même du nom, une fonction de médiateur, alors l’échec sco-laire doit être une préoccupation médicale. Sans présumer d’une origine somatique des difficultés, le médecin est celui qui veille avant tout à la santé (au sens large du terme) des individus. Dans notre société, l’échec scolaire constitue non seulement une tare que peu d’élèves arrivent à surmonter, mais comporte des risques en termes de santé psychique et physique (par exemple, consommations de produits). À ce titre, le médecin qu’il soit généraliste, pédiatre, médecin scolaire ou pédopsychiatre est concerné. Il est donc important que l’approche des difficultés scolaires soit enseignée aux étudiants en médecine pour que puisse être réalisé ce travail en réseau.

Introduction

Page 2: Psychopathologie De la Scolarité || Introduction

XVI

Sur un plan plus social, l’école, malgré les reproches qui lui sont faits, a malgré tout su s’adapter, même avec lenteur, même avec maladresse à un public de plus en plus hétérogène qui la fréquente de plus en plus long-temps. Beaucoup plus que la succession des réformes dont l’accélération au cours de ces vingt dernières années (depuis 1989) a fait couler beaucoup d’encre, les principaux reproches concernent la formation des enseignants d’un côté et la lourdeur administrative de l’autre.

Les enseignants sont encore laissés bien trop seuls face à des élèves qui ont beaucoup changé et dans lesquels ils ne se retrouvent plus. Leur formation initiale est encore trop sommaire en matière de psychologie de l’enfant et de l’adolescent. Bien que beaucoup d’entre eux refusent l’idée de s’occuper de « l’éducation » des enfants, il est devenu évident que l’école ne peut plus se contenter d’instruire et que l’enfance et l’adolescence y ont désormais fait leur entrée.

D’un autre côté, la hiérarchisation très forte de l’Éducation Nationale, premier employeur de l’État constitue un autre obstacle à la nécessité adap-tative qui se profile compte tenu des changements sociaux de ces cinquante dernières années. On ne peut pourtant pas faire le reproche du manque d’idées pour tenter d’apporter des solutions aux problèmes posés par la mas-sification de la scolarité, mais il s’agit aussi de faire changer les mentalités, ce qui est plus difficile. La forte hiérarchisation fait que si un responsable est réticent voire hostile au changement, il a la possibilité de bloquer toute innovation pour plusieurs années.

Malgré toutes ces insuffisances, l’école constitue un lieu indispensable pour la construction de l’identité et l’acquisition de connaissances. Il faut donc s’atteler à mettre en commun les connaissances des uns et des autres plutôt que de s’affronter dans une lutte stérile à propos d’options théo-riques divergentes.

Bibliographie

Marcelli, D. (1999). Prévention du suicide chez les jeunes, prévention de la récidive de la tentative de suicide. Communication orale. Forum Santé. Les états généraux de la santé, Pays de Loire : La-Roche-sur-Yon.