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POLITIQUE D’INTERVENTION DANS LES TISSUS URBAINS TRADITIONNELS EN TUNISIE Raja Aouali, architecte expert de la réhabilitation à l’A.R.R.U. La préoccupation du gouvernement Tunisien a été longtemps axée sur trois volets importants et ce depuis l’indépendance : la production de l’habitat en général et plus particulièrement de l’habitat individuel (87% du parc) ; la réhabilitation dans les quartiers populaires et/ou d’habitat « anarchiques » apparus des suites d’un boum démographique et de l’attrait des villes par rapport aux zones rurales. la résorption de l’habitat rudimentaire connu plus exactement sous le vocable « dégourbification ».

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POLITIQUE D’INTERVENTION DANS LES TISSUS URBAINS TRADITIONNELS EN TUNISIE Raja Aouali, architecte expert de la réhabilitation à l’A.R.R.U. La préoccupation du gouvernement Tunisien a été longtemps axée sur trois volets importants et ce depuis l’indépendance :

• la production de l’habitat en général et plus particulièrement de l’habitat individuel (87% du parc) ;

• la réhabilitation dans les quartiers populaires et/ou d’habitat « anarchiques » apparus des suites d’un boum démographique et de l’attrait des villes par rapport aux zones rurales.

• la résorption de l’habitat rudimentaire connu plus exactement sous le vocable « dégourbification ».

Degradation du cadre bâti dans le tissu urbain traditionnel – KAIROUAN

Les différentes extensions urbaines autour des villes tunisiennes transforment les médinas autant que les tissus européens en quartiers marginalisés ne répondant plus aux critères de la centralité urbaine. Les différentes redistributions d’activités à l’échelle des villes, sous l’effet conjugué des mutations économiques et sociales, vont nécessiter un réinvestissement sélectif des quartiers centraux et ce pour éviter les effets de rupture et les conflits sociaux. En effet les quartiers anciens appellent les populations défavorisées qui vont y trouver refuge et y créer des formes d’intégration sociale difficiles à reproduire dans les nouveaux quartiers. Il est nécessaire de prendre conscience des risques encourus lors de la mise en place d’une politique d’intervention en centre ancien destinée à la « requalification » de l’image et ce pour deux raisons essentielles :

- Les risques qui pèseront sur les populations défavorisées pour lesquelles il faudra mettre en place les efforts de la puissance publique à titre d’accompagnement afin d’éviter que la revalorisation des valeurs foncières ne réduisent le parc locatif investi actuellement par la population sociale des centres anciens.

- Les risques de voir l’harmonie urbaine de ces quartiers touchée par la construction

de nouveaux bâtiments ou d’opérations de démolition importante pour les besoins d’une récupération de terrains bien situés. Il y aura dans ce cas une remise en

question, du patrimoine urbain traditionnel, en tant que patrimoine culturel destiné à la promotion du tourisme culturel.

- Les risques de transformer les centres historiques en villes musée et d’assister à

des transferts de populations et peut –être même d’activités qui donnaient leur sens au quartier et donc d’être à l’origine d’un dysfonctionnement du tissu.

Phénomène « d'oukalisation» des Zaouïas – KAIROUAN-

Sidi Dimessi

Sidi Ben Issa

Tout réside dans le diagnostic des situations et les objectifs d’intervention. La question est de savoir comment se prémunir contre les risques de dérapage, puisqu’il s’avère de plus en plus qu’une intervention en centres anciens est nécessairement confrontée au triple souci:

- de protéger un patrimoine ; - de moderniser l’habitat et les équipements existants ;

- d’ouvrir le tissu urbain au tourisme sans pour autant réduire ses activités à

la production et à la commercialisation des objets souvenir. Pour ce faire des préalables à toute intervention devront être pris en compte, il s’agit :

- des études spécifiques permettant d’identifier les zones sensibles à préserver et la mise en place d’une réglementation nécessaire à la gestion du patrimoine;

- des études de diagnostic et de faisabilité pour appréhender les montages et

cibler au besoin les aides à développer (exemple : l’encouragement des privés à la réhabilitation de leur patrimoine).

Sur la base des différentes études et projets menés par l’Etat au cours de ces 10 dernières années, un effort considérable pour la mise en place d’un cadre institutionnel de gestion et de mise en valeur du patrimoine va être entrepris. L’effort de l’Etat s’est exercé sur les trois contextes essentiels décrits ci dessous :

LE CONTEXTE INSTITUTIONNEL:

• Création de l’Agence National d’exploitation et de Mise en Valeur du Patrimoine Archéologique et Historique (A.N.E.P) loi N° 88-11 du 25/02/88, qui a évoluée en Agence de Mise en Valeur du Patrimoine et de la Promotion Culturelle (AMVPPC) par la loi N°97-16 du 03/03/97.

• Mise en place d’association de Sauvegarde de Monuments et de sites dans les

gouvernorats.

• Redéfinition de l’Institut National d’Art et d’Archéologie en Institut National du Patrimoine

(INP), décret n°93.1609 du 26/07/93 qui va devoir traiter à la fois le patrimoine archéologique mais également le patrimoine vivant des centres historiques. Cependant cet effort doit se développer en fonction d’une coordination plus étroite entre les institutions par rapport à leurs logiques d’intervention différentes.

En effet la prise en compte des contraintes économiques et sociales de la mise en valeur du patrimoine (développement touristique, création d’emploi, état du bâti, impact sur la fiscalité) ne se traduit pas toujours par la création de structures nouvelles spécialisées qui ne peuvent se charger de l’ensemble des problèmes posés. D’où une relation à établir entre les différents partenaires d’un projet pour une meilleure gestion des villes dont le patrimoine fait partie intégrante. L’idée est qu’une planification contractualisée des partenaires de l’Etat est indispensable. Compte tenu de la diversité des acteurs dans les opérations de réhabilitation urbaine et de valorisation des centres anciens. A ce propos les études de faisabilité de la réhabilitation des médinas de Kairouan et de Sousse ont permis de dresser une liste de partenaires incontournables relevant à la fois du secteur privé mais aussi de plusieurs institutions.

LE CONTEXTE JURIDIQUE : La volonté politique est clairement exprimée à travers les dernières innovations en matière de législation. 1- La révision du code de l'urbanisme et de l’aménagement du territoire (CATU) définissant les champs de compétences entre Ministère chargé de l’aménagement d’une part et le Ministère chargé du Patrimoine d'autre part. (Loi N°94-122 du 28/11/94). 2- L'approbation du code du patrimoine : (loi n°94-35 du 24/2 /94) destinée à unifier l'ensemble des textes en la matière et encourager les propriétaires privés, dans le cadre des secteurs sauvegardés, à réaliser les travaux d'amélioration ou de réparation de leurs immeubles (art 77- 78-79). 3-La révision de la loi relative aux rapports bailleurs/locataires (loi N°93-122 du 27/12/93) qui devrait encourager les privés à engager des travaux de réhabilitation et à récupérer les dépenses à partir d’une augmentation des loyers après travaux. 4- L’évolution du texte portant institution d’un Fonds de Promotion du Logement pour les Salariés (FOPROLOS) qui va donner la possibilité d’acquérir un logement ancien grâce à la bonification de l’intérêt des crédits accordés. 5- Le décret n°98 1646 du 19/08/1998, portant approbation du règlement-type de copropriété pour les immeubles bâtis, groupes d’immeubles et ensembles immobiliers comportant des parties communes. 6- L’arrêté du Ministre de la Culture du 02/06/98, portant approbation du guide des investisseurs et des promoteurs privés dans le secteur de la Culture.

Les encouragements prévus par le code d’incitations aux investissements, au titre de développement culturel, les investissements se rapportent notamment à :

• la restauration, • l’exploitation • l’animation des sites et monuments, • la création de bureaux d’études et de suivi des projets relatifs au patrimoine, • la création d’entreprises de travaux de restauration.

Etc…

LE CONTEXTE FINANCIER : Les expériences, quoique différentes ont toutes révélé la nécessité de disposer de ressources financières permanentes budgétisées afin d’éviter que des prêts accordés au titre d’une opération donnée ne deviennent des actions limitées dans l’espace et le temps. L’effort de l’Etat a été d’adapter le financement de l’habitat en général aux couches sociales, particulièrement par les principales actions suivantes:

la réduction des taux d'intérêts pratiqués par la Banque de l’Habitat de 8,25 % à 6,75 %

le relèvement du montant des prêts octroyés

l’instauration d'un délai de grâce de deux années exemptées d'intérêts pour les

catégories sociales à revenu moyen ;

Le lancement d'un nouveau type de prêt « El jédid » au niveau de la Banque de l’Habitat offrant des paliers allant jusqu’à 30 000dt. Le taux d'intérêts étant de TMM + 3 sur 15 et 20 ans. Ce nouveau crédit s'ajoute à la panoplie des régimes d'épargne logement existant avec l'avantage de financer non seulement le logement neuf, mais aussi le logement ancien. Une réserve est à faire, lorsque nous estimons que les 30 000DT financent difficilement l’acquisition d’un logement dans les médinas des grandes agglomérations. Par ailleurs le remboursement reste élevé par rapport à la population qui serait aujourd’hui intéressée par le tissu traditionnel et enfin les critères de sélection, fixés par la banque, exigent que le logement ancien soit en bon état, ce qui est du reste rare dans les tissus traditionnels.

Les études et opérations menées dans le cadre de la réhabilitation des centres anciens ont permis d’aborder les aspects de l’habitat social, de la mise en valeur ainsi que de la reconstruction de tissus existants. Elles ont permis de constater que la part de crédits publics à mobiliser est incontournable, compte tenu du caractère social de la population habitant les logements dans les centres anciens, de la faiblesse et de la lenteur probable du retour des investissements. Les grands projets menés dans les quartiers centraux notamment à Tunis : Le projet « Hafsia » financé en partie par la Banque Mondiale dans le cadre du 3 ème projet de développement urbain, le projet d'assainissement et de réhabilitation des « oukalas 1 » avec la participation du FADES (Fonds Arabe de Développement Economique et Social), le projet de rénovation de la petite Sicile de la goulette et celui de la réhabilitation et de l'embellissement de l'hyper centre de Tunis (Bab Bhar) ont eu le mérite d'initier la réhabilitation sociale du parc ancien et de constater les manquements aux niveaux des procédures et des outils d'intervention sur les plans financiers, législatifs, institutionnels. Ces manquements ont amené le recours à des mesures exceptionnelles pour la réalisation de ces projets. 1 Oukalas: l'habitat collectif social dans la Médina de Tunis

PROJET HAFSIA

PROJET OUKALAS

Ces expériences ont montré la nécessité de définir un cadre général d'intervention et de développer une stratégie de réhabilitation urbaine dans les centres anciens. En effet, les vieux noyaux urbains de la Tunisie requièrent des interventions de plus en plus importantes et urgentes. La requalification urbaine doit être appréhendée dans ses dimensions économiques, financières, humaines, institutionnelles et culturelles. Il est opportun de développer des mécanismes et des outils d'intervention dans le cadre d'une stratégie appropriée. Il convient de rappeler, à l’occasion, que l’intervention dans les quartiers anciens est complexe et plurielle; elle nécessite l'intervention concertée et coordonnée, tant au niveau national qu'au niveau local, en associant différents acteurs concernés dans le cadre d'un partenariat donnant une place de choix au pouvoir local et à la société civile.

Intervention dans le tissu urbain – KAIROUAN

Des réflexions sont aujourd’hui en cours pour permettre la mise en place de ce cadre d’intervention pour la réhabilitation des villes anciennes et plus particulièrement de l’habitat ancien. De nouvelles mesures ont été prises également dans ce sens, nous citerons à ce sujet :

• La promulgation d’une loi révisant la profession de l’agent immobilier (loi n°2005-

77 du 4 août 2005 complétant la loi n°55-81, portant organisation de la profession d’agent immobilier) dans le but de lui permettre, une fois désigné par la municipalité en l’absence d’élection d’un syndic par les propriétaires, de jouer le rôle de syndic professionnel d’immeubles bâtis. A cet effet, il a été prévu à la dernière modification du code des droits réels les possibilités pour l’agent immobilier de se faire rembourser les frais engagés, en cas de réticence, dans les 24 h par une injonction de payer exécutoire, le recours à l’appel n’étant pas suspensif d’exécution.

• La révision du texte du FNAH plus à même de répondre aux opérations de

réhabilitation et de rénovation urbaine ainsi qu’à l’amélioration de l’habitat en général et de l’habitat ancien en particulier.

En outre, et dans le but de mieux définir et mettre en place un cadre d’intervention des centres anciens doté d’outils opérationnels conséquents tout en organisant l’environnement de l’ensemble

des acteurs de la réhabilitation, il a été convenu d’engager une étude sur la révision du dispositif institutionnel juridique et financier actuel. Cette étude financée par l’Agence Française de Développement, se propose de :

procéder à l'analyse du dispositif institutionnel juridique et financier ainsi que des outils et dispositions existants,

d'identifier les faiblesses éventuelles, de valider les grands éléments qu'il convient d'adapter, de compléter et de renforcer pour rendre opérationnel l'ensemble du dispositif.