place du pharmacien d’officine dans l’éducation thérapeutique des patients dépendants aux...

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24 formation zoom Actualités pharmaceutiques n° 516 Mai 2012 D epuis les années 1990, le développement des traitements de substitution a permis d’offrir un accès aux soins pour un grand nombre d’usagers dépendants des opiacés, mais des diffi- cultés persistent dans la prise en charge de ces patients addicts, souvent représentés sociologique- ment comme des patients difficiles. Le traitement de substitution est un ensemble de soins permanents qui doit être adapté à l’évolution de la maladie et au mode de vie du sujet, et qui impose une prise en charge dans la durée. L’efficacité de cette prise en charge permet une amélioration de la santé, ainsi que de la qualité de vie du patient, et prévient les rechutes. Place du pharmacien d’officine dans l’éducation thérapeutique des patients dépendants aux opiacés L’addiction est, de fait, une maladie chronique et complexe qui fait appel à une prise en charge médico-psychosociale qui justifie la mise en place d’une offre d’éducation thérapeutique du patient (ETP) personnalisée. Pour les patients dépendant aux opiacés, l’ETP représente un outil thérapeutique à part entière visant à rendre le patient acteur de ses soins. Le pharmacien tient une place légitime dans cette nouvelle approche de soins, grâce au support du réseau et à un carnet de liaison où sont consignés tous les éléments nécessaires. © BSIP/Piko

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Page 1: Place du pharmacien d’officine dans l’éducation thérapeutique des patients dépendants aux opiacés

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Actualités pharmaceutiques n° 516 Mai 2012

Depuis les années 1990, le développement des traitements de substitution a permis d’offrir un accès aux soins pour un grand nombre

d’usagers dépendants des opiacés, mais des diffi-cul tés persistent dans la prise en charge de ces patients addicts, souvent représentés sociologique-ment comme des patients difficiles. Le traitement de

substitution est un ensemble de soins permanents qui doit être adapté à l’évolution de la maladie et au mode de vie du sujet, et qui impose une prise en charge dans la durée. L’efficacité de cette prise en charge permet une amélioration de la santé, ainsi que de la qualité de vie du patient, et prévient les rechutes.

Place du pharmacien d’officine

dans l’éducation thérapeutique

des patients dépendants aux opiacés

L’addiction est, de fait, une maladie chronique et complexe qui fait appel à une prise

en charge médico-psychosociale qui justifie la mise en place d’une offre d’éducation

thérapeutique du patient (ETP) personnalisée. Pour les patients dépendant aux opiacés,

l’ETP représente un outil thérapeutique à part entière visant à rendre le patient acteur de

ses soins. Le pharmacien tient une place légitime dans cette nouvelle approche de soins,

grâce au support du réseau et à un carnet de liaison où sont consignés tous les éléments

nécessaires.

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Actualités pharmaceutiques n° 516 Mai 2012

L’éducation thérapeutique du patient (ETP) fait partie intégrante du processus de soins. Elle peut être propo sée, en complément des traitements substitu-tifs aux opiacés (TSO), pour soulager, prévenir des compli cations et anticiper des situations probléma-tiques pouvant aggraver le bon suivi du traitement. Le professionnel de santé, en particulier le pharma-cien d’officine, occupe une place dans cette démar-che pour améliorer la prise en charge de ces patients addicts prenant un TSO.

Comment définir l’ETP ? La notion d’éducation thérapeutique est un

concept récent, dont la première définition fut donnée en 1954 par Pierre Delore1, formalisé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 19982 : « Former le malade pour qu’il puisse acquérir un savoir-faire adéquat, afin d’arriver à un équilibre entre sa vie et le contrôle optimal de sa maladie. L’éduca-tion théra peutique est un processus continu qui fait partie intégrante des soins médicaux. L’enseignement du malade comprend la sensibilisation, l’information, l’apprentissage du traitement, le support psycho social, tous liés à la maladie et au traitement : la forma tion du patient doit aussi permettre au malade et à sa famille de mieux collaborer avec les soignants. » Par cette approche, la proposition de soins

évolue de l’immédiateté vers une prise en charge à un rythme humainement plus ordinaire, de l’informa-tion vers une pédagogie et une éducation, d’un savoir médical à un partage entre patients et soignants. L’objectif est de permettre au patient de pren-

dre une part active, d’être un acteur de soin. L’ETP s’inscrit ainsi dans le cadre d’une relation équilibrée entre les soignants, le patient et son entourage.

Organisation de l’ETP Le fondement législatif a permis la reconnaissance

des actions d’ETP3, 4. Celles-ci utilisent deux voies essentielles : d’une part, affirmer la place du patient

dans le processus de soins et améliorer sa santé et, d’autre part, offrir le droit à chaque patient chronique de disposer d’un plan de soins coordonnés. Ce plan de soins se décline chez le patient

addict aux opiacés en fonction de sa trajectoire (encadré 1). La démarche est donc continue et requiert des adaptations permanentes.L’offre peut s’inscrire à plusieurs niveaux :– offre initiale, lors de la découverte de la problémati-que de consommation d’opiacés, l’usager étant dans la phase de précontemplation et contemplation : édu-cation = RDR pour réduction des risques ;– offre dans un suivi plus régulier (préparation, action) : préparation au parcours de soins, entretien motivationnel, préparation au parcours de soins, renforcement ;– offre dans un suivi plus approfondi (action et préven-tion de rechute) : mise en place du traitement, accom-pagnement du patient et de l’entourage.

Réalisation et structuration d’un programme ETP destiné aux patients sous TSO

Le patient addict nous a permis d’envisager sa problématique comme une maladie chronique (notion de temporalité), complexe (notion de comor-bidités associées), avec des objectifs à court, moyen et long termes. Il peut devenir un acteur de ses soins s’il est accompagné dans cette démarche de façon active5.

Le diagnostic éducatif est réalisé par un soignant. Le pharmacien d’officine incarne symbolique-

ment le médicament et représente le conseiller de référence pour l’usage de ce dernier. Il symbolise la proximité, la permanence, la disponibilité et peut être

Le caractère chronique de l’addiction est enfin

reconnu et permet d’aborder cette pathologie dans

une temporalité différente. La maladie chronique

place le médecin, le pharmacien et le patient dans

un nouveau partenariat complémentaire. C’est la

rencontre entre deux mondes différents : le monde

biomédical des professionnels de santé,

qui tergiversent encore entre sevrage et substitution,

et l’univers du patient avec sa dépendance, toujours

curieux et attentif, parfois expert en pharmacologie

et en expérimentation, qui tutoie les limites et teste

le cadre.

À noter

Encadré 1. Les étapes de changement de comportement (Prochaska)La théorie des stades de changement de Prochaska et

Di Clemente, issue de la psychologie de la santé, est utilisée

dans la compréhension du changement de comportement,

notamment en ce qui concerne le traitement des conduites

addictives. Plusieurs étapes se succèdent ainsi :

– précontemplation ;

– contemplation ;

– préparation ;

– action ;

– maintien.

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Actualités pharmaceutiques n° 516 Mai 2012

un référent d’un programme d’ETP. Il va reconsidérer la thérapeutique en fonction des connaissances et de la compréhension du patient. Le pharmacien constitue également le lien avec

le médecin et les autres acteurs de la prise en charge. Il est celui qui interpelle le médecin, le poussant à s’interroger sur sa prescription de TSO, voire de produits associés.Avec le patient, il établit un programme d’ETP indi-vidualisé consigné dans un document commun. La structuration de ce programme vise à proposer un cadre de soins adapté, en fixant des objectifs identifiables acceptés par tous les intervenants, et valoriser la démarche du patient.

Les outils interdisciplinairesLe travail en réseau et un carnet de liaison consti-tuent deux éléments indispensables pour un bon suivi d’un programme d’ETP par un patient dépendant aux opiacés. Addictlim, le réseau de santé ville-hôpital en

addictologie en Limousin a été impliqué, dès 1996, lors de l’obtention d’autorisation de mise sur le marché (AMM) des TSO, dans le soutien, la formation des médecins et des pharmaciens, et la mise à dispo-sition d’outils. Sa mission est toujours d’actualité. Son rôle est de permettre une meilleure prise en charge des conduites addictives. Le réseau assure, pour ce faire, une coordination optimisée entre les trois secteurs de suivi : ville, structures médico-sociales et établissement sanitaire. Il va mettre à la disposi-tion du patient un carnet de liaison qui a pour rôle de simpli fier le flux des informations et d’optimiser ainsi les délais d’action, la coordination des différents inter venants et la qualité du suivi. Le réseau organise également des échanges multidisciplinaires. Le patient est détenteur de son carnet de liaison

et le présente aux différents intervenants6. Les séan-ces d’ETP y sont consignées. Le but est de rendre l’ETP accessible, claire, simple, évaluable et à la por-tée des intervenants.

Dans ce carnet, on retrouve les quatre étapes de la démarche : le diagnostic éducatif, le contrat d’éducation et les objectifs personnalisés, les situa-tions problé ma ti ques, ainsi qu’une évaluation du program me réalisé.

ConclusionLes pharmaciens d’officine, du fait de leur expérience et de leur proximité avec le patient addict aux opia-cés, sont aptes à assurer l’éducation thérapeutique de ces derniers.Le carnet de liaison dans lequel sont consignés tous les éléments nécessaires à l’apprentissage, au suivi et à l’amélioration de la prise en charge de la maladie peut constituer un support de communication entre les différents acteurs que sont le patient, son médecin et son pharmacien. �

Catherine Chevalier

Psychiatre addictologue, Centre de soins,

d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) Bobillot et

responsable du Département coopération, partenariat et réseau du pôle

en addictologie en Limousin, Centre hospitalier Esquirol, Limoges (87)

[email protected]

Pierre Villéger

Psychiatre addictologue, responsable de la filière addictologie du pôle

en addictologie en Limousin et président du réseau

de santé ville-hôpital en addictologie Addictlim, Limoges (87)

[email protected]

André NGuyen

Pharmacien et coordonnateur du réseau de santé ville-hôpital

en addictologie en Limousin Addictlim, Limoges (87)

[email protected]

Imane Noumani

Pharmacien, Limoges (87)

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références1. Une meilleure communication médecin-patient pour de meilleurs résultats auprès des patients. Outils de communication I. Ottawa: Santé

Canada; 2004.

2. Organisation mondiale de la santé (OMS). Éducation thérapeutique du patient : programme de formation continue pour des professionnels

de soins dans le domaine de la prévention des maladies chroniques, recommandations d’un groupe de travail de l’OMS. Copenhague: OMS,

bureau régional pour l’Europe; 1998.

3. Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant sur la réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. www.legifrance.fr.

4. Décret n° 2010-904 du 2 août 2010 relatif aux conditions d’autorisation des programmes d’éducation thérapeutique du patient.

www.legifrance.fr.

5. Lacroix A, Assal JP. L’éducation thérapeutique des patients. Accompagner les patients avec une maladie chronique : nouvelles approches.

3e édition. Paris: Maloine; 2011.

6. Noumani I. Place de l’éducation thérapeutique pour les patients dépendants aux opiacés en officine : outils de travail interdisciplinaire

Thèse pour le diplôme d’État de docteur en pharmacie. Limoges: université, Faculté de pharmacie; 2011.