philosophie psychologie spiritualite alexandre jollien

L'EVENEMENT MAGAZINEDate : JUILLET / AOUT 16Pays : France

Périodicité : Bimestriel Page de l'article : p.50-55Journaliste : Valérie Loctin

/6

ICONOCLASTE 7233138400524Tous droits réservés à l'éditeur

PHILOSOPHIE PSYCHOLOGIE SPIRITUALITE

Alexandre Jollien& Christophe André

• /Entretiens croises« En quête de sagesse »



/6


Dans leur premier livre ensemble, trois auteurs célèbres, un psychiatre, un philosophe et un moine,amis dans la vie, nous parlent de leurs aspirations les plus profondes, de leurs efforts pour vivre en cohérenceavec eux-mêmes Ils abordent simplement et sérieusement les grandes questions que se pose celui ou cellequi cherche à conduire au mieux son existence Matthieu Ricard étant en déplacement à l'étranger, rencontre

avec Christophe Andre et Alexandre Jollien sur la voie de la sagesse

Racontez-nous vos premièresrencontres et comment vous êtesdevenus tous les trois des amis.

Christophe André : Nous nous

sommes rencontres sur des plateaux de television ' Cela devait

être en 2000 pour Matthieu nousnous connaissions et nous appre

cuons par nos livres respectifs, etnous avons tout de suite sympa-thise Idem pour Alexandre, en2001 je croîs, dans une emissionlitteraire sur le bonheur ou j'étais

invite parmi des philosophes quime prenaient gentiment de haut,

persuades que j'étais moins légitime qu'eux sur ce sujet Et quelquetemps plus tard, Alexandre m a telephone pour me dire qu'en fait, a cemornenr il n'avait (comme ses collègues, je pense) pas lu mon livreMaîs qu'il I avait fait depuis, et qu'ilI appréciait J ai trouve la demarcherate, touchante et honnête, et nous

sommes devenus amis

Alexandre Jollien : Beaucoupd'amitiés ne sont, pour le dire dansles mots de Séneque, que des relations d'affaires Heureusement,Christophe et Matthieu sont de vé-ritables amis dans le bien qui m ontbien souvent sorti d'embarras

Jour apres jour, ils me conduisentcomme par la main sur le chemin

de la vraie joie Ils m encouragent,me stimulent et leur exemple m in-vite a m'engager corps et âme surle chemin de la vie spirituelle J'aiconnu Christophe lors d une emis-sion de Franz Olivier Giesbert IIétait venu présenter son livre < Vivre

heureux » Bêtement, je I ai descen-du sans même avoir ouvert l'ou

\ rage Le titre, « Vivre heureux » nesemblait que pur marketing Plus

tard, quand j'ai traverse une zonede turbulences, j'ai dévoré le livre

avec grand profit Alors, j'ai appelé

l'aureur pour le prier de m'excuset Aussitôt une profonde amitiéa \u le jour Et le psychiatre a aidesans compter I anxieux que j étais

Aujourd'hui l'angoisse a moins deprise au quotidien Puis, Chris

tophe ma fait l'immense cadeaude me faire rencontrer Matthieu A

bâtons rompus, nous avons echange sur la philosophie, sur le bouddhisme Nos propos chaleureux me

ramenaient toujours a la pratiqueA deux reprises, j ai eu la chance

de le rejoindre au Nepal Au fil dutemps, le lien ses! approfondi et

Matthieu est devenu un grand frereCe qui est drôle e est qu au début jelui répétais souvent < je taime bienmaîs tu as lair plutôt froid commetype ' » Aujourd'hui, je découvre un

cœur immense affectueux, un com-pagnon de route qui m aide a vivre

au quotidien Ces deux amis dans lebien m accompagnent tout au longdu chemin Ce sont vraiment deuxgrands freres

Combien de temps êtes-vousrestés ensemble pour écrire celivre dans le Perigord ? A vouslire, on sent bien qu'il régnaitdans cette maison en pleinenature une ambiance amicale,sereine, bienveillante a la foisstudieuse et pleine de rires.Comment avez-vous ressenticette expérience de vie sur le planpersonnel ?

C.A. : Nous avons passe une di-

zaine de jours ensemble, dans unpetit hameau proche de la commu

naute bouddhiste de Chantelou-be Nous étions chouchoutes desamis s'occupaient de nous faire unecuisine vegetarienne délicieuse,

d'autres enregistraient nos debats,une de nos éditrices (Catherine

Meyer) était présente durant tout

le sejour pour prendre des notesafin de faciliter ensuite la retrans-cription de nos propos Nousavions des séances de travail matin

et soir, a chaque fois sur un thèmedifférent Siestes, balades et discus-

sions avec des amis de passage oudes membres de la communautecomplétaient l'emploi du Temps 'C eraient des moments privilégiésnous avons pu passer rout ce temps

ensemble a echanger nos idees dansla continuité, sans jamais inter

rompre celui qui parlait

A.J. : II y a parfois carrément ungouffre entre ce que l'on dit et notre

pratique En côtoyant Matthieu etChristophe au quotidien durant ce

sejour au Perigord, j'ai ete emerveille par leur generosite, leur authen-

tique paix et la cohérence qu'ils in-carnent d instant en instant J'étaisprofondement touche lorsque, le

soir, Christophe consacrait la fin desa journee a appeler des personnes

dans le besoin, a consoler, a rassu-rer II est la pour les autres Durant

ce sejour, Matthieu ne s est jamaisdéparti de sa bonne humeur, de sajoie profonde er de cette generosi-te abyssale qui I habite en perma-nence M a frape aussi que nulle

médisance, aucun stress, aucunecontrariété nest venu entacher ce

sejour A mon sens il a ete commeune retraire spirituelle La chancede faire le point, d approfondir uneamitie spirituelle

BIO EXPRESSUn psychiatre, un moine et un philosophe

• Christophe André est medecin psychiatre ll a ete l'un des premiers a intro-duire l'usage de la méditation en psychothérapie ll est l'auteur, notamment,de « Imparfaits, libres et heureux », « Méditer, jour apres jour », et de « f fn 'oublie pas d'être heureux »

• Matthieu Ricard est moine bouddhiste depuis quarante ans ll vit au Nepal,ou il se consacre aux projets humanitaires de l'association Karuna Shechen llest notamment l'auteur de « Le Moine et le Philosophe », « L'Art de la médita-tion », « Plaidoyer pour le bonheur » et « Plaidoyer pour l'altruisme *

• Alexandre Jollien est philosophe ll a vécu dix-sept ans dans une institutionspécialisée pour personnes handicapees ll est l'auteur, entre autres, de« Eloge de la faiblesse » (prix de l'Académie française 1999), « Petit Traite del'abandon » et de « Vivre sons pourquoi »



/6


« Le zen nous apprend que c'est ausein du tourment que l'on est invitéà découvrir la paix, au sein destumultes que la sérénité nous attend. »(Alexandre Jollien)



/6


On sent chez vous unemotivation commune à mettreau service d'autrui ce que votrepropre expérience de vie vousa appris, sans tomber dans lespièges d'une certaine forme de« développement personnel »,c'est-à-dire en sortant « de labulle de l'ego ». Expliquez-nous.

C.A. : Nous sommes tous troisconvaincus que les humains as-pirent au bonheur, et qu'il est légi-time de travailler a se rendre heu-reux Maîs nous pensons aussi quecela ne peut être notre but uniqueaider les autres a être plus heureux,ou moins malheureux, est un objec-tif également très important Nonseulement parce qu'il rend le mondeplus habitable (puisque nous at-teignons cet objectif en cultivantbonté, altruisme, gentillesse) maîsil nous rend également plus heu-reux Notre cerveau est bien fait lesétudes scientifiques montrent quelorsque nous sommes heureux, noussommes plus ouverts aux autres , etqu'aider les autres nous rend plusheureux II convient juste de ne pasperdre de vue ces élements, et d amplifier le mouvement '

A.J. : II faut tordre le cou a cetterecuperation de la vie spirituelleet de la sagesse qui reduit la quêteinterieure a une sorte d elan versle bien-être pour la ravaler au rangd'objet de consommation parmi

d'autres, à un bonheur pepere dansson com La vocation d'une vie spi-

rituelle est d'abord de nous extrairede l'ego, de la prison des préjuges etde nos représentations et de nous

rendre davantage génereux et ai-mants Paradoxalement, l'ascèse quiy conduit nécessite peut-être qu'onfasse moins cas de soi tout en pre-nant soin de notre être Car, commele dit Spinoza, ce n'est pas la priva-tion qui mené a la béatitude maîs lajoie qui conduit au détachement eta la liberte Autrement dit, ce n'estpas en s'enlisant dans un mal êtreque I on atteint la liberte interieuremaîs bien plutôt en s'intégrant dansune dynamique de joie qui nousaide a extraire les poisons du mentalet s'éloigner des passions tristes Sur

ce chemin, l'idéal du Bodhisattvaest éclairant II s'engage dans l'as-cese non pas pour bricoler un petitbien-être maîs bien plutôt pour ai-der tous les êtres a atteindre l'EveilHumblement, nous pouvons tousdédier notre travail intérieur aubien des êtres et tout simplementd'essayer de tendre à plus de liberteet d'altruisme

Comment cette vocation, cetappel intérieur à aider les autres,s'est-il révélé dans votre propreparcours ?

C.A. : Dans mon cas, le fait d'êtremedecin m'a beaucoup éveille, etaide a devenir plus bienveillant etplus altruiste je voyais bien quecela m'aidait à mieux soigner Jevoyais aussi que ça n'avait rien desacrificiel, et que c'était une de-marche qui me rendait heureux (àcondition de ne pas basculer dansle burn-out, évidemment) Puis, j'aiete beaucoup instruit dans cette demarche par Matthieu, qui m'a faitdecouvrir les traditions bouddhistesdans ce domaine, ainsi que tous lestravaux scientifiques sur l'altruisme,qu'il a presente dans son ouvrage« Plaidoyer pour L'altruisme »

AJ. : J'ai vécu dix-sept ans durantdans une institution pour personneshandicapees La solidarite qui nousunissait m'a beaucoup touche De-vant le tragique de notre condition,la jalousie, la mesquinerie deguerpissaient Je suis entre en philosophie un peu comme on entrerait

dans les ordres, pour trouver unart de vivre capable de me sauver lapeau et m'aider a rejoindre la paixque je découvrais avec mes amis

handicapes Aujourd'hui, je vischaque jour comme l'occasion d'ap-profondn un art de vivre et surtout,de partager les outils, les pratiquesqui m'aident au quotidien Si lesphilosophes m'ont nourri, je doisaussi la joie qui m'habite aux dé-munis, aux autres personnes hand)capees qui rn ont encourage tout au

long de mon parcours Un bonheursolitaire, dans son coin, une joie quiexclurait l'autre serait une cruelleillusion

« Aider les autres à être plus heureux, ou moinsmalheureux, est un objectif également très important.

Non seulement parce qu'il rend le monde plushabitable, mais il nous rend également plus heureux. »

(Christophe André)

Qu'ont apporté à votre propreréflexion sur la vie et la sagesse,les regards de vos deux amis ?

C.A. : Mes deux amis sont dessources d'inspiration importantespour moi Alexandre par son regardtranchant sur la vie, posant miassablement des questions directeset abruptes, maîs fondamentales, ases interlocuteurs , par sa façon tresparticulière de philosopher, au pluspres de nos besoins quotidiens , parson courage face à l'adversité que luiimpose parfois son corps Matthieupar son inlassable quête du biend'autrui, sa force morale, sa manièred'aborder simplement et intelligem-ment des questions complexes

AJ. : La détermination de Matthieum'impressionne Jamais il ne fait deconcession sur la pratique tandisque je suis enclin, au quotidien, anégocier, A dévier sans cesse Saprofondeur de vue m'émerveilleaussi La sagesse qu'il nourrit etqu'il pratique depuis de longuesannees ne se borne pas a un champde l'existence Ce contemplatif aun reel regard sur le monde actuelJ'aime son langage fleuri par milleparaboles J'aime le voir solliciterdes etudes scientifiques pour dé-montrer que l'homme n'est pas,comme disait Freud, une racaillemaîs bel et bien un être profonde-ment altruiste Je me suis longtempsméfie des psychiatres craignantqu'ils ne finissent par reduire lespersonnes à des catégories, a des pa-thologies Aux côtes de Christophe,j'ai découvert un humanisme pro-fond, une generosite vécue au jourle jour et aussi un art de vivre quinous rapproche d un bonheur vécu,instant apres instant Les passionstristes, les emotions perturbatricesne sont pas une fatalité Grâce à mesdeux amis dans le bien, je découvreque la sagesse s'incarne dans unepratique quotidienne Le defi est de

persévérer, jour après jour, et là en-core, ces deux compagnons de routem'aident au plus haut point

Comment aider autrui à retrouversérénité et paix intérieure dansun climat économique instableet dans un pays qui a étéprofondément bouleversé par lesattentats de 2015 ?

C.A. : L'équilibre intérieur, la frater-nité, l'altruisme ne représentent pas,a eux seuls, l'ensemble des solutionspossibles la politique, la justice, lapolice, l'éducation, et l'ensemble denos institutions sont un element vi-tal de réponse a la violence de notreepoque Maîs a côte d'eux, il est im-portant que fraternité et altruismesoient cultives, pour rendre notresocieté vivable, et pour rapprocheret umr les citoyens, face à tous leschangements a venir

AJ. : Le zen nous apprend que c'estau sein du tourment que l'on estinvite a decouvrir la paix, au sem

des tumultes que la sérénité nousattend La méditation comme laprière nous invitent a rejoindre lefond du fond, à quitter notre moisocial, à cesser de vivre au niveauémotionnel pour rejoindre unepartie de notre être bien plus pro-fonde Finalement, l'homme souffrepeut-être parce qu il est exile de lui-même, parce qu'il vit sous le modede la reaction, de l'émotionnel Aufond, revenir aux grandes traditionsphilosophiques, aux grandes sa-gesses et aux messages des religions,c'est oser se rebeller avec une infi-

nie bienveillance contre le cycle dela violence L'individualisme effrénéa tôt fait de générer dogmatisme etfanatisme A force de bricoler desreligiosités a soi et de mer l'autre,l'individu en vient a devenir sapropre norme et à décider de tuersans remords ceux qui a ses yeuxmeritent la mort Cette ignorance,



/6


cet aveuglement causent les piressauvageries Elles méprisent le mystete que représente chaque etre humain II est urgent de réhabiliter lelien a I autre de promouvoir une vearabie solidarite Aujourd rmi non1;sommes hyper connectes maîs quevalent ces amitiés virtuelles ' Avons

nous encore la capacite de nouer desliens spontanés avec notre voisin depalier de tendre la main a ceux quise trouvent dans le besoin ' Bref lasagesse aujourd rmi nous en|omtde sortir de la logique de la violencede cesser de pointer mécaniquementdes bouts émissaires pour essayer de

réellement comprendre les enjeuxqui se louent Et plus que tout remettre I humain au centre de la vieet tout mettre en oeuvre pacifiquement pour remédier aux injusticeset aux inégalités

Quel est d'apres-vous le meilleurremede a la souffrance ?

CA. Cest de comprendie quellenous lecroqueville sur nous mêmeQuand on souffre notre tendancenaturelle est le repli (sur sa douleursa personne son petit périmètre)Pour contrer le repli mental la meditation est une bonne réponse quiapprend a ouvrir notre esprit autourde la souffrance Pour contrer lerepli comportemental le lien auxautres I amitie I affection la Iraternite nous aident a ne pas nousnoyer dans la souffrance

AJ : Au bout du compte vouloirtrouver a tout prix des remedes ala souffrance e est peut etre mer letragique de I existence et mir douloureusement le reel Decouvrir lajoie au cœur de ce monde fragilevoila le defi ' Sur ce tel rain Epietete apporte un outil formidablelorsqu il distingue cc qui dépendde nous de ce qui n en dépend pasEn effet si je dilapide mes forceset mon energie a poursuivre deschimeres et a rever en plein jour jerisque fort d épuiser des ressourcessi utiles pour améliorer ce qui peutI etre véritablement Lun des grandschantiers d une vie spirituelle estd assumer le tragique de I existencesans se réfugier dans des reponsesfaciles hâtives sans s abriter dansdes illusions et sans s enfermer nonplus dans la résignation Bref surle tragique de I existence le mentalgreffe une souffrance infime cellequi est liee aux passions tnsres a lacomparaison a la méchanceté et aI egoisme II n y a qu une urgencee cst la pratique d une voie de I mtetionte qui nous aide a nous extrairede ces mécanismes La méditationnous aide a ne nous fixer nullepart car comme I avait bien vu leBouddha des qu il y a une fixationdes que (e me fige sur une image demoi je souffre Quitter les fixations

renaître sans cesse est une voie poufse dégager peu a peu des troubles deI ame En ce domaine, e est millimetre par millimètre que nous progtessons Et de même qu il ne s agitpas d attendre de se debattre enpleine mer pour commencer a apprendre a nager il s agit de se mettreen route quand le temps est clementet des a present déraciner les polsons que sont I avidité la cupidite I ignoiance le narcissisme Cequi rn aide a assumer le handicappar exemple e est de I accepter seconde apres seconde, minute apresminute, sans vouloir regler le problême sur le champ L acceptationse conjugue au present il ne s agitpas de dilapider nos forces avec desexigences impossibles

Vous proposez a vos lecteurs< d'oser la bienveillance >, « dèpratiquer la compassion », ycompris envers celles et ceux quipeuvent nous faire souffrir Parquel chemin y arriver et pourquel benefice ?

C.A. : De nombreux exercices dansla tradition méditative bouddhistepar exemple maîs aussi dans lecourant de la psychologie positive,proposent en effet une forme d entrainement de I esprit a se tournervers les autres II s agit globalementd éveiller chaque jour en soi le désird aider autrui même par de tout petus gestes (inutile d aller jusqu au sacnfice ou de chercher la sainteté) Etde pratiquer sourire aidei a porterdes paquets laisser passer les piétonsau passage cloute au heu d accélérers ils hésitent etc On commence parses proches, puis par des inconnusPuis pour les plus doues d entrenous on s efforce de I appliquermême a ceux qui nous font souffrirMaîs les deux premieres etapes sonrdéjà bien suffisantes pour rendre lemonde meilleur '

AJ. Sans doute il serait bon deréhabiliter la gratuite le don sanscalcul et I amour inconditionnelSi I on se risque a la bienveillancesi I on nourrit une veritable compassion on le fait sans attente sansespérer le moindre benéfice sans



/6


calculer Ce qui m'a beaucoup aide

à encaisser, par exemple, les mo-

queries, e est de comprendre que

la personne qui se moquait de moisouffrait elle aussi En effet, si nous

étions totalement enracines dans

une paix profonde, rire des autres nenous traverserait même pas I esprit

Au fond, la méchanceté, la cruauté,l'agiessivite sont autant de signaux

qui indiquent qu une personne est

exilée du fond du fond Le defic'est, des lors, concilier une infinie

bienveillance avec une fermeté qui

ne négocie pas avec le mal Sur ce

terrain, l'amour que l'on porte auxenfants est une source En effet,quoi de plus bienfaisant que de se

sentir aime inconditionnellement,gratuitement ' Je répète souvent amon fils « Tu pourrais cramer la ba

raque, je t'aimerais quand même ' »

Et je rajoute « Maîs je te le déconseille

vivement » L'amour inconditionneln'est pas une niaiserie Au contraire,

c'est une force qui reclame I audace,

le courage d'abandonner le règne du

calcul, du donnant-donnant pouraimer l'autre tel qu'il se donne d'ms

tant en instant Nietzsche rappelle

que la meilleure façon de démarrer

la journee c'est de se demander sice jour la on peut faire du bien a

quelqu un Le philosophe allemand

dégage une voie sans pareille pour

pratiquer concrètement l'altruismeet la compassion sans s'enliser dansdes intentions irréalistes

Nous finissons cet entretien avec Chris-tophe Andre car Alexandre Jolhen estoblige de partir pour une conference

Pour vivre heureux, faut-il pratiquer en toute chose« le non-attachement dansl'attachement » ? Et pourquoi ?

C.A. : Lexces d'attachement est unesource de souffrance être trop attache a son image, son statut social

ses biens matériels, sa vie terrestre

même, va représenter une source desouffrance, car nous redoutons deperdre tout ou partie de ces < biens »

si mal nommes Le non-attachement ne signifie pas ne s'intéresserou ne se her a rien nous avons be

soin d'ancrages relationnels (comme

I amour ou l'amitié) et matériels

(comme la nourriture ou un toit)

Maîs nous devons aussi acceptet quetout cela nous sera retire un jour,et que ce ne sera pas un scandale,

simplement la condition humaineDonc, le savourer, le partager, maîssans se crisper, sans en vouloir tou-jours plus, et sans se limiter a cela

A une époque où le poidséconomique, politique et socialpèse lourd sur nos épaules,comment s'alléger ?

C.A. : Spinoza a une magnifiqueformule programmatique a proposdc nos existences « Bien faire et setenir en joie » Agir, a son niveau,

et de son mieux Et ne pas oublierd'être heureux, et de rendre heu-

reux II me semble que cela peutrendre moins lourd le poids de tout

ce que nous ne maîtrisons pas

Vous pratiquez la méditation.Que vous apporte-t-elle auquotidien ?

C.A. : La Pleine Conscience (mind-

fulness, en anglais), que je pratique

et que j'enseigne, est une médita-tion inspirée des pratiques boud-dhistes, maîs qui a ete codifiée et

laïcisée pour pouvoir etre utilisée

dans le monde des soins (puis au-jourd'hui dans l'éducation, ou

PROCHAINES CONFERENCES DES 3 AUTEURS

• 9 mai au Grand Palais de Lille• 10 mai a la Bourse du Travail de Lyon.

même l'entreprise) Elle consiste à

revenir régulièrement vers l'instantpresent, au lieu d'être en perma

nence plonge dans ses projets ou ses

regrets , à revenir vers le corps et lessens, au lieu de rester sans cesse pri-sonnier de ses pensées et du < men

tal » comme disent les bouddhistes ,nous parlons de ruminations, en

ps\chologie, pour designer les pensees qui échappent a notre controle

et obsèdent stérilement notre esprit

Alexandre est en tram, pour sa part,

d'approfondir remarquablement lapratique du zen, et Matthieu est la

grande figure occidentale de toute la

tradition méditative tibétaine

L'Homme peut-il cheminer versplus de sagesse sans s'ouvrir auxenseignements de la philosophie,de la psychologie et de laspiritualité ?

C.A. : Sans doute il existe de

nombreux sages qui n'ont jamaisreçu ces enseignements de maniere

académique, et qui ont construitleur sagesse sur leur equilibre émo-

tionnel, leur intelligence, leur ex-perience, leur ouverture au monde,

leur bienveillance leur prudence

Maîs pour la plupart d'entre nous,

s'inspirer des humains qui ont vécuet réfléchi avant nous sur la sagesse

est une source precieuse, et unebonne idée '

Si le lecteur ne devait retenirqu'une idée de votre livre de 528pages, quelle serait-elle ?

C.A. : Vivre dans le bien faire du

bien aux autres, humains et ani-

maux , se faire du bien a soi

Quels sont vos projets en 2016 ?

C.A. : Continuer ma décroissance

heureuse, amorcée depuis quelquetemps travailler moins, ce qui n'estpas facile car mes metiers - mede-

cin, enseignant, écrivain - me pas-

sionnent , méditer encore davan-tage , prendre plus de temps pourvoir mes proches, les gens que j aime,et pour contempler la nature •

Propos recueillis

par Valerie Loctm

Leurs sites officielshttp llchnstopheandre com,www alfxandre-jollien ch

et www matthieuncard org

( l«ruti plu? AndrtAlt>x«nilrpJ ntv»Matthieu Hi •eni

I ROIS AMISI N QUÊTE DP

SAGESSE

LEUR DERNIER LIVRE AVEC MATTHIEU RICARD

Un moine, un philosophe, un psychiatre Depuis longtemps,ils rêvaient d'écrire un livre ensemble, pour etre utiles, pourapporter des reponses aux questions que tout etre humainse pose sur la conduite de son existence Sur chaque thème,ils racontent leurs expériences, leurs efforts et les leçonsapprises en chemin Chaque fois, ils nous proposent desconseils Leurs points de vue sont différents, maîs ils se re-trouvent toujours sur l'essentiel Un livre limpide et lumineux pour apprendrele metier de vivre

«• Trois amis en quête de sagesse » de Christophe Andre, Alexandre Jollien etMatthieu Ricard, L'Iconoclaste/Allary Editions,528pages, 22,90 €

philosophie psychologie spiritualite alexandre jollien

Documents