peintre de talent et voyou, guy ribes, 65 ans, est le … · les secrets de fabrication de ses...

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Fiche n°1390 Un vrai faussaire 2 juin 2016 Date de sortie : 2 mars 2016 De Jean-Luc Léon Avec Guy Ribes Un faux tableau n'est-il pas aussi beau et n'a-t-il pas autant de valeur qu'un vrai? Où est le vrai, où est le faux? Qu'est-ce qui rend un artiste célèbre? Qu'est-ce qui rend une œuvre unique? Ces questions, et plein d'autres sur la valeur, la finalité, la définition de l'art en général sont en filigrane d'Un vrai faussaire , un vertigineux et passionnant documentaire sur un génie de la contrefaçon, Guy Ribes. Incroyablement doué pour la peinture dès l'enfance, il a commencé à faire des faux en 1975, et sa rencontre avec un marchand de tableaux en 1984 a fait de lui un faussaire professionnel. Sur commande, il exécutait des toiles de Chagall, Picasso, Dali, Léger, Bonnard, Modigliani, Renoir, Laurencin, Braque, Vlaminck, Matisse, Dufy, Van Dongen ou Vuillard. Mais son génie dépasse la simple technique de la copie que peuvent réaliser des techniciens un peu doués dans des ateliers chinois ou thaïlandais pour les touristes. Guy Ribes ne copiait pas des tableaux, il copiait le style des peintres, il créait de faux tableaux. "Dis-moi ce que tu aimes, je vais te le faire. Pourquoi te vendre mon art alors que je peux te vendre le tien? C'est ça, la magie d'un faussaire: il te vend ce que tu aimes", dit-il dans le film. Il a ainsi peint des centaines de toiles (entre 1.000 et 5.000, il ne veut pas le dire), dont la plupart ont été authentifiées par des experts, et nombre d'entre elles sont encore accrochées aux murs des collectionneurs, des galeries et des musées, et recensées dans les pages de catalogues sérieux. La fille de Marc Chagall elle-même a été bernée. Le réalisateur a interrogé le commissaire de police qui a arrêté Guy Ribes, le procureur qui a mené l'enquête, des experts, des collectionneurs victimes, des marchands de tableaux. Mais le principal du film réside dans le portrait et les interviews de ce faussaire de génie, aux faux airs de Maigret avec son feutre et sa pipe, gouailleur, homme à femmes (mais jamais amoureux), bon vivant, un peu alcoolique, qui jonglait avec les millions de francs, a fréquenté les voyous Peintre de talent et voyou, Guy Ribes, 65 ans, est le plus prolifique des faussaires Français recensés à ce jour ayant inondé le marché de l’art pendant 30 ans. En 2005, la police a saisi plus d’une centaine de ses « faux » et en 2010 le Tribunal de Créteil l’a condamné à trois ans de prison, dont un an ferme. Guy Ribes n’a jamais rien copié. Ses Picasso, ses Matisse, ses Chagall, et autres Léger ont l’apparence trompeuse du « vrai » et égalent leurs inspirateurs. Mais combien de faux de sa main, authentifiés par des experts, vivent encore aux murs des collectionneurs, des galeries ou des musées ? Et dans les pages de catalogues raisonnés ? Guy Ribes nous livre les secrets de fabrication de ses «balourds » contant, avec une gouaille de marlou, une vie de flambe, de plaisir et d’arnaques. La dernière, celle qui l’a fait tomber, sort tout droit d’une série noire. On y croise une veuve bidon, de faux héritiers, un « pigeon » Suisse collectionneur et des marchands sans scrupules. Le policier qui l’a arrêté, le procureur, l’expert judiciaire et un collectionneur floué révèlent les autres facettes de ce personnage incroyable, qu’on pourrait croire sortir tout droit d'une fiction... Tout au long du film, le pinceau de Guy Ribes crée sous nos yeux une toile qui semble être de la main des maitres qui l’ont inspiré. Le documentaire de Jean-Luc Léon brosse le portrait de Guy Ribes, prolifique faussaire français arrêté en 2005. Cet homme de l'ombre a la gouaille d'un Gérard Depardieu et une vraie "gueule" de cinéma. Une étonnante et enrichissante plongée dans le marché de l'art construit comme une enquête policière. A voir absolument . Sens Critique

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Fiche n°1390 Un vrai faussaire

2 juin 2016

Date de sortie : 2 mars 2016

De Jean-Luc Léon

Avec Guy Ribes

Un faux tableau n'est-il pas aussi beau et n'a-t-il pas

autant de valeur qu'un vrai? Où est le vrai, où est le

faux? Qu'est-ce qui rend un artiste célèbre? Qu'est-ce

qui rend une œuvre unique? Ces questions, et plein

d'autres sur la valeur, la finalité, la définition de l'art en

général sont en filigrane d'Un vrai faussaire , un

vertigineux et passionnant documentaire sur un génie

de la contrefaçon, Guy Ribes.

Incroyablement doué pour la peinture dès l'enfance, il

a commencé à faire des faux en 1975, et sa rencontre

avec un marchand de tableaux en 1984 a fait de lui un

faussaire professionnel. Sur commande, il exécutait

des toiles de Chagall, Picasso, Dali, Léger, Bonnard,

Modigliani, Renoir, Laurencin, Braque, Vlaminck,

Matisse, Dufy, Van Dongen ou Vuillard.

Mais son génie dépasse la simple technique de la

copie que peuvent réaliser des techniciens un peu

doués dans des ateliers chinois ou thaïlandais pour

les touristes. Guy Ribes ne copiait pas des tableaux, il

copiait le style des peintres, il créait de faux

tableaux. "Dis-moi ce que tu aimes, je vais te le faire.

Pourquoi te vendre mon art alors que je peux te

vendre le tien? C'est ça, la magie d'un faussaire: il te

vend ce que tu aimes", dit-il dans le film.

Il a ainsi peint des centaines de toiles (entre 1.000 et

5.000, il ne veut pas le dire), dont la plupart ont été

authentifiées par des experts, et nombre d'entre elles

sont encore accrochées aux murs des collectionneurs,

des galeries et des musées, et recensées dans les

pages de catalogues sérieux. La fille de Marc Chagall

elle-même a été bernée.

Le réalisateur a interrogé le commissaire de police qui

a arrêté Guy Ribes, le procureur qui a mené l'enquête,

des experts, des collectionneurs victimes, des

marchands de tableaux. Mais le principal du film

réside dans le portrait et les interviews de ce faussaire

de génie, aux faux airs de Maigret avec son feutre et

sa pipe, gouailleur, homme à femmes (mais jamais

amoureux), bon vivant, un peu alcoolique, qui jonglait

avec les millions de francs, a fréquenté les voyous

Peintre de talent et voyou, Guy Ribes, 65 ans, est le plus prolifique des faussaires Français recensés à ce jour ayant inondé le marché de l’art pendant 30 ans. En 2005, la police a saisi plus d’une centaine de ses « faux » et en 2010 le Tribunal de Créteil l’a condamné à trois ans de prison, dont un an ferme. Guy Ribes n’a jamais rien copié. Ses Picasso, ses Matisse, ses Chagall, et autres Léger ont l’apparence trompeuse du « vrai » et égalent leurs inspirateurs. Mais combien de faux de sa main, authentifiés par des experts, vivent encore aux murs des collectionneurs, des galeries ou des musées ? Et dans les pages de catalogues raisonnés ? Guy Ribes nous livre les secrets de fabrication de ses «balourds » contant, avec une gouaille de marlou, une vie de flambe, de plaisir et d’arnaques. La dernière, celle qui l’a fait tomber, sort tout droit d’une série noire. On y croise une veuve bidon, de faux héritiers, un « pigeon » Suisse collectionneur et des marchands sans scrupules. Le policier qui l’a arrêté, le procureur, l’expert judiciaire et un collectionneur floué révèlent les autres facettes de ce personnage incroyable, qu’on pourrait croire sortir tout droit d'une fiction... Tout au long du film, le pinceau de Guy Ribes crée sous nos yeux une toile qui semble être de la main des maitres qui l’ont inspiré.

Le documentaire de Jean-Luc Léon brosse le portrait de Guy Ribes, prolifique faussaire français arrêté en 2005.

Cet homme de l'ombre a la gouaille d'un Gérard Depardieu et une vraie "gueule" de cinéma.

Une étonnante et enrichissante plongée dans le marché de l'art construit comme une enquête policière.

A voir absolument . – Sens Critique

dans son enfance (son père tenait une maison close à

Roanne et sa famille a côtoyé le Gang des Lyonnais)

et ne considère pas, finalement, qu'il a volé tout cet

argent: il l'a mérité.

Dans le film on le voit peindre et créer ainsi un faux,

avec une technique et un talent fascinants. Aujourd'hui

il peint des tableaux sous son nom -ce qui lui rapporte

beaucoup moins d'argent-, mais a réalisé en 2012 des

toiles pour les besoins du film Renoir, de Gilles

Bourdos, dans lequel il double aussi les mains de

Michel Bouquet, qui joue le rôle-titre, lorsque celui-ci

est censé peindre.

"Des faussaires qui acceptent de se montrer à visage

découvert, il n’y en a pas beaucoup. S’ils n’ont pas été

pris par la justice, ils restent dans

l’anonymat", explique Jean-Luc Leon. "Guy Ribes a

été jugé en 2010, il a donc accepté le principe du film.

Après trente ans dans la clandestinité, il était content

d’en sortir".

Peintre ou voyou, génie ou escroc, sincère ou

menteur? Guy Ribes est un peu tout cela à la foi.

Son Autoportrait d'un faussaire (Ed. Presses de la

Cité), paru l'an dernier, commence par cette

phrase: "Ce matin-là, j'étais Picasso". Le

documentaire, lui, empathique mais pas dupe, se

conclut par un proverbe chinois -probablement

faux: "Les récits des faussaires sont parfois aussi vrais

que leurs œuvres".

Jean-Michel COMTE – France-Soir

Pour prolonger la découverte, vous pouvez venir observer de vrais faux tableaux de Guy Ribes au musée de la contrefaçon. www.musee-contrefacon.com

SECRETS DE TOURNAGE :

D'un film d’Orson Welles... : C'est du film d’Orson Welles Vérités et mensonges que Jean-Luc Léon a eu

l'idée de faire un documentaire sur un faussaire. Le metteur en scène explique : "Comme son nom l’indique c’est un film qui joue sur la frontière ténue entre réalité et mensonge qui évoque des faussaires, en peinture mais aussi en littérature. A la fin du film, une question vient immédiatement à l’esprit : « Et si un faux avait plus ou autant de valeur qu’un vrai ? ». Pas financièrement bien sûr… Le film de Welles sème le doute sur cette question, et personnellement je préfère les films qui sèment le doute plutôt que ceux qui assènent des vérités. En 1994, j’ai réalisé un documentaire sur le marché de l’art (Le Marchand l’Artiste et le Collectionneur) et j’ai tenté, sans succès, de trouver un faussaire qui se laisse filmer. Il a fallu le procès de Guy Ribes en 2010 pour que cela devienne possible."

Deux types de faussaires… : Un vrai faussaire met en lumière le fait qu'il existe deux types de faussaires, les copistes qui reproduisent des tableaux à l’identique et les gens comme Guy Ribes qui peignent "à la manière de". Jean-Luc Léon nous en dit plus sur la différence qu'il existe entre les deux :

"Un copiste a le tableau devant lui et doit le recopier à l’identique, en respectant certaines proportions fixées par la loi, il y a des copistes en permanence au Musée du Louvre mais ils doivent modifier de 10% ou plus les dimensions d’une oeuvre pour ne pas tomber sous le coup de la loi et ils n’imitent pas la signature de l’artiste. Ribes, lui, regarde deux, trois tableaux et en fait une sorte de remix. Il dit : « Picasso faisait 30 tableaux par jour dont certains qu’il déchirait, moi j’en fais un autre, entre le 22 et le 23ème ...» Et puis surtout : pas parfaits. Là où il s’est trompé parfois, c’est quand il a peint certains tableaux trop parfaits, trop aboutis, trop lisses. Il faut arriver, dit-il, à comprendre les erreurs du peintre d’origine et faire les mêmes."

*****

Une nouvelle vie… : Guy Ribes a peint entre 1 000 et 1 500 faux tableaux durant ses 30 années de "carrière".

Il a donc été très riche pendant une époque et a dépensé beaucoup d'argent dans les casinos, les vêtements de luxe, les voyages lointains… Aujourd'hui, à 65 ans, il vit avec très peu mais est devenu célèbre du fait qu'il ait été démasqué et peut donc profiter de cette notoriété pour vendre sa propre peinture.

La vie était alors douce et facile. Ses oeuvres, ses "balourds" comme il les appelle, ont berné les plus grands

spécialistes. Face caméra, Guy Ribes s'amuse aujourd'hui à dénicher dans les très sérieux catalogues

d'exposition, ses tableaux au milieu des vrais. Il détaille par le menu sa méthode de travail, comment il s'est

approprié "l'âme" des plus grands pour reproduire leurs traits, mais aussi leurs humeurs, "C'est très joyeux Dufy,

j'adorais le faire!" Rires.

Policier, procureur, client malheureux participent à l'hagiographie de cet homme du peuple qui aura trompé les

riches. Mais ce portrait plutôt joyeux, révèle aussi le pathétique d'une existence vouée à tromper son monde. Mais

ça, l'homme ne le verbalise pas. Un silence prolongé, une démarche hésitante ne trompent toutefois personne.

Thomas Baurez, - l’Express.