marianne n°694 du 07 au 13 aout 2010 le voyou de la republique

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Page 1: Marianne N°694 du 07 au 13 aout 2010 Le voyou de la republique

S écial été t~ li ï~UJE: ~ culture, idées, histoire, ••• - -----LOVE

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Page 2: Marianne N°694 du 07 au 13 aout 2010 Le voyou de la republique

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95% des cotisations acquises par la MGEN sont redistribuées pour les soins et

les services rendus à ses adhérents.

C'est, de loin, le plus important des taux de redistribution pratiqués en France par

les complémentaires santé.

C'est surtout la concrétisation de la solidarité et du non profit, que la MGEN doit aux

3,5 de personnes qu'elle protège.

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MUTUELLE SANTE . PREVOYANCE • DEPENDANCE • RETRAITE

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Page 3: Marianne N°694 du 07 au 13 aout 2010 Le voyou de la republique

Marianne. 31, rue René'Boulanger, 75484 Paris Cedex 10 Tél.:0153722900 fax:0153722972 Abonnements: 014484B520 (ou 22) CO-FONDATEUR: Jean-FrallÇois Kahn PRÉSIDENT· DIRECTEUR GÉNÈRAL, DIRECTEUR DE LA PUBLICATION: Maurice Szafran DIRECTEUR ADJOINT, DIRECTEUR DE LA RÉDACTION: Laurent Neumann Assistantes: Aline Fayet (29 01), Véron~ue Gaffric (29 03), Elsa Bessat (29 26)

RÉDACTION DIRECTEUR DÉLÉGUÉ DE LA RÉDACTIDN : Eric Conan (19 931, DIRECTEURS ADJOINTS DE LA RÉDACTION: Jack Dion (29 38), Nicolas Domenach (2936), Christine Lambert (29 86), Joseph Macé-Scaron (2970) CONSEILLER DE LA DIRECTION: Guy Sibon RÉDACnON EN CHEF: Christian Duplan (édition-monde) (29 61), Clara Dupont-Monod (culturel (29 85), Martine Gazlan (reportaqe-enquêtel (2925), Jean-Claude Jaillette (société) (29 39), Alexis Lacroix (idéesilébatl (2995), Périco Léqasse (qoûts-Ioisirsl (29 65), Hervé Natllan (écooomie-sociail (19841, Philippe Petit (."sl (19 181. GRANDS REPORTERS: Anna Alter (29 22), Daniel Bernard (29 21), Perrine Cllercllève (29 16), Vanessa Schneider (29 14). CHRONIQUEURS: Elie Barnavi, François Bonnet

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Notre opinion. Lettre ouverte à Simone Veil. Par Maurice Szafran

Coups de projecteur. L'athlétisme, plus collectif que le foot. Par Christine Lambert

Les pieds dans le plat! Faits divers.

Guy Konopnicki (29 64), Philippe Manière, Edwy Domin~ue Ouessada, Alain Remond, Denis Tillinac. FRANCE: Clotilde Cadu (santé) (29 43), François D.1rras, Laureoce Dequay (grand reporter - social) (29 24), stéphanie Marteau (29 56), Anna Topaloff (éducation-jeunesse) (29 97).

Evénement ECONOMIE: Emmanuel Lévy (29 20), avec Laurent Mauduit (www.mediapart.fr). INVESTIGATIONS: Frédéric Ploquin (grand reporter) (29 34). FAITS DIVERS: ~mon Marty (19 011. MONDE: Eric Dior (chef de service) (29 45), Alain Léauthier (grand reporter) (29 44), Anne D.1stakian (29 23). Correspondants: Diane Cambon (Espagne), Ariel F. Dumont (Italie), Pascal Giberné (Etats-Unis), Jl/lien Lacorie (Israël ), Lamia Oualalou (Amérique latine), Jordan Pouille (Chine), Thomas Schnee (Allemagne). IDtES : Christian Godin, Robert Redeker, Maxime Rovere. CULTURE: Benoit Duteurtre (musigue class~ue), Danièle Heymann (cinéma), Viocent Huguet (arts, ellQuêtes), Olivier Maison (variétés, littérature), Myriam Perfetti (29 53) (musiques, enquêtes). Frédér~ue Briard (29 57), Anne D.1stakian (29 23) (mus~ues). SAVOIR VIVRE: Anne-Sophie Michat. Assistante "Idées", "Culture", ''Savoir vivre" : Françoise Drougat (2970) JEUX: Benjamin HannuBa.

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Pétainiste ? Non, voyou! Par Jean-François Kahn

Ille paiera et il l'aura mérité. Par Michel Rocard

Les mauvaises passions. Par François Bayrou

Eric Ciotti, le sarkozyste qui veut enfermer les parents! Par Guy Sitbon

Le blues des intellectuels hier sarkozystes. Par Alexis Lacroix

Et les socialistes, eux, la jouent discret... Par Gérald Andrieu RESPONSA8LE DES HORS-SÉRIES : ~erre Feydel (19 51). JOURNAL DES . EDInON : Myriam Perfetti

France Gilles Barbier (29 60), iià'Cl.1poùill il! 321: RÉV~ION: Stéphane 810ndel (19 581, Lou Pay," (19 JOI. 32 MAQUETTE: Thierry Feuillet (direction artist~ue) (29 27), Philippe Ealet (premier maquettiste) (29 31), Alidrey Bendjoua (2942), Mathieu Ouintard (2975). PHOTO: Olivia Colo (cllef de service) (29 37), Frédérique Briard (29 57), 38 Gaëlle Galldocheau (29 28), Annie Assouline (reporter photo).lnfographie: IDt

Hyperconsommation. C'est comment qu'on freine? Par Georges Dupuy

Repères France. Grippe A(H1N1).100 € l'injection! ParClotilde Cadu INTERNET wo •• marianne2.1r Philippe Collen (rédaCteur en cIlet) (29 05), Bénédicte Charles (cllef de service) (2917), Mathieu Maire Duposet (web éditeur) (29 52). Monde Journalistes: Gérald Andrieu (29 67), Réqis Soubrouillard (29 67). Design graphique: Upian. Hébergement: Webzine. 40 ADMINISTRATION Gérard Tisserant (secrétaire général) (29 10) SERVICES GtNtRAUX : Maria Filipovic (29 90), Jean Benizri, Laure Gaillard. SERVICE DU PERSONNEL: Dominique-Alice Caffin (19 11), 44 Myriam Elbarch (assistante) (29 99) COMPT ABILITt : Nourredine Khalid (responsable) (291Zl, Najia Alouni (29 09) INFORMATIQUE: Philippe Briansoulet (29 ITJ. DIFFUSION, VENTES, ABONNEMENTS

Khodorkovski, le prisonnier qui fait trembler Poutine. Par notre envoyée spéciale Anne Dastakian

Repères monde. Italie. Ultime razzia avant fermeture. Par Ariel F. Dumont

DIRECTRICE DE LA DIFFUSIDN : C~herine Cathala (19 351 ABONNEMENTS: Annie Chedru (29 69) (responsable), Bernadette Sermaqe (29 41), Sabine Yan Rentergllem (29 04).

Ma azine MARIANNE A80NNEMENTS :

1 ParisCedex19,0144848520(ou8522); 52 Presse - Frédéric Vinot-

Mais qu'est-ce qu'ils ont tous avec leurs ex ? Par Perrine Cherchève PUBLICITÉ

PM" Co Réqie public~aire - 6 ter, rue Rouget-de-Lisle - 92400 Courbevoie (0149 'fT 01 061, fax: .0149 91 0590 DIRECTRICES ASSOCIEES: Pascale Bieder-Sinqer; Malld Collen Solal :; SERVICE COMMERCIAL: Marianne - 32, rue René-Boulanger - ~ Culture -Idées 75484 Paris Cedex 10 u

DIRECTRICE RÉGIE PM&CO : Pascale Bieder-Sinqer (01 53 7Z 29 81) ~ 58 DIRECTEURS DE CLIENTÈLE: Carole Micllelon (29 83), go Brice Perisson (29 87). E 60 CHEF DE PUBLlCnt : Aurélie Bartllel. V> o ASSISTANTE COMMERCIALE ET EXtCUTION : Virginie Chérioux (29 80), u v.cllerioux~ournal-marianne.com . fax: 0153 7Z 29 88 ~ PUBLICITÉ LITTÉRAIRE: Littéraire Communications: Katia Jotto (01 (154 94 94), -;:; katiajoffo®laposte.net ::;

" FABRICATION ~

62

Le meilleur de la semaine. Ces artistes qui s'en sortent grâce à la scène. Par Olivier Maison

Flop, mode d'emploi. Par Myriam Perfetti

L'été de Marianne DIRECTEURS DE LA FABRICATION: Isabelle Michaux (29 33), c: -Christian Ybert (2913) V>

" PHOTOGRAVURE: Keygraphic.IMPRIMERIE: Maury S.A. '5 ISSN: 1275-7500 1 N" commission paritaire 1012 C 89227 67 Printed in Fraoce 1 Imprimé en Fraoce ~ Société anonymeau capital de 4 319 064 €; RCS: 97B0494O ~

l''''I'''"''I~ Ce nomérocomporte uneocartabomemenl de quatre plQl'S brocll! dans les exemplaires 'le. en kiosques.

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Spécial 25 pages « L'été de Marianne». Nos séries à suivre tout l'été. D'ici et d'ailleurs. Par Elie Barnavi

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 3

Page 4: Marianne N°694 du 07 au 13 aout 2010 Le voyou de la republique

'" • re ouve ea mone el PAR MAURICE SZAFRAN

hère Simone, Si je me permets de vous interpeller d'un ton (pres­que) familier, c'est que nous nous connaissons depuis fort longtemps. Depuis ce jour de 1978, trente­deux ans déjà, où, les larmes aux yeux, vibrante d'émotion et de douleur, vous vous faisiez un devoir de répondre aux questions que le journaliste débu­

tant que j'étais osait à peine formuler après cette interview dans l'Express de Louis Darquier de Pellepoix, ex-commissaire aux Affaire juives sous Vichy, ânonnant qu'« à Auschwitz, on n'avait gazé que des poux ». Le négationnisme cherchait à pénétrer la société française et, en quelques rappels, précédant l'historien Pierre Vidal-Naquet, vous aviez mis le holà. Comme vous avez toujours su le faire quand l'exigent l'histoire et la morale.

Jeune magistrate, contre votre milieu professionnel et social, vous aviez pris la défense des militantes du FLN, humiliées, martyrisées dans nos prisons aux pires heures de la guerre d'Algérie. Pour ce

Mais dans le contexte présent? Quand vos convictions les plus précieuses sont à l'évidence bafouées? Quand le président de la République manie avec cynisme les arguties de l'extrême droite des années 30 ? Comment persister dans ce mutisme si troublant?

Vous avez parfois reproché à Marianne ce que vous appe­liez notre (( antisarkozysme primaire ».Je me permettais alors de vous faire remarquer que jamais nous ne nous étions prêtés aujeu détestable de la « fascisation », que nous ne doutions pas des penchants démocratiques de Nicolas Sarkozy, que nous lui reconnaissions un talent rare, que nous pouvions approuver certains aspects de sa démarche sécuritaire. Je me souviens aussi vous avoir téléphoné pour vous faire part de mon désarroi quand le candidat avait annoncé la création d'un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale. Ce « couplage » me sem­blait indigne, déjà, car le message délivré aux citoyens « de sou-

che » ne laissait pas place au moindre doute: si notre identité nationale est défaillante, mal

courage, pour cette bravoure, elles vous admi­rent et vous aiment jusqu'à ce jour. Ministre du président Giscard d'Estaing, vous aviez su résister à la horde haineuse des députés conser­vateurs qui n'avaient pas hésité à vous nazifier parce que vous défendiez la loi sur l'interrup­tion volontaire de grossesse, donc la cause des femmes. Il serait aisé de multiplier les exem­ples quand, au moment crucial, à l'instant où votre voix portait l'espoir, les idéaux des répu­blicains et des démocrates, vous avez su dire non. Dans ces circonstances, vous n'étiez ni de droite ni de gauche, ni déportée, ni ministre, ni juive, ni femme; vous étiez Simone Veil, l'honneur de notre Europe de l'après-Shoah.

Comment persister dans

le mutisme quand le président manie

les arguties de l'extrême droite des années 30 ?

en point, c'est, d'abord et avant tout, la faute aux immigrés. j'avais compris ce jour-là que, pour conquérir le pouvoir et, demain, pour s'y maintenir, Nicolas Sarkozy était capable de bassesses politiques et morales. j'avais tou­tefois l'espoir qu'une intervention ferme de votre part le ferait renoncer à cette ignomi­nie. Je savais, bien sûr, que cette « nouveauté » vous retournait l'âme et l'esprit. Et je puis confirmer à nos lecteurs que le président a su votre réprobation. Il n'en a pas tenu compte, mais au moins avez-vous défendu, comme à l'accoutumée, les principes cardinaux de notre vivre ensemble.

Cette Europe de nos espérances, et des vôtres, vous qui, dès la Libération, à peine sortie d'Auschwitz, esti­miez essentielle la réconciliation franco-allemande. Vous étiez indomptable et d'une éclatante lucidité.

Or, depuis le récent discours de Nicolas Sarkozy exigeant une remise en cause de notre droit de la nationalité pour instaurer deux catégories de Français, pour ruiner le principe d'égalité devant la loi, pour élaborer un monstre juridique et éthique (la nationalité conditionnelle de Français d'origine étrangère), vous demeurez silencieuse alors que des millions de Français - et nous en sommes - guettent un mot de vous, une parole qui, nous le savons tous, interdirait sans doute au chef de l'Etat d'aller plus avant dans son projet, non pas seulement démagogique, mais crapuleux au sens littéral du mot (lire p. 10 l'article de Jean-François Kahn).

Nous savons l'amitié personnelle que vous portez à Nico­las Sarkozy. Nous avons compris qu'en raison de ce lien vous répugnez à le mettre en difficulté, et nous pouvons l'entendre.

41 Marianne 1 7 au 13 août 2010

Voilà quelques-unes des raisons, chère Simone, pour lesquelles vous ne pouvez pas, dans un moment politique aussi essentiel, nous abandonner. Nous éprouvons le besoin pressant d'entendre, de votre voix, une censure sans détour: oui, Nicolas Sarkozy renie nos engagements les plus élémentaires. Il vous est interdit de vous résigner à ce que le président de la République, votre ami, s'égare à ce point, qu'il joue, par calcul électoral, avec des idées, des concepts, des méthodes mortifères qui auraient provoqué la rage de tant de vos camarades disparus.

Si nous avons osé ce titre, {( Le voyou de la République », c'est que nous sommes convaincus que Nicolas Sarkozy ne croit pas à ses récentes propositions. Il s'y est résolu, per­suadé que c'est un passage obligé pour remporter l'élection présidentielle de 2012. La victoire à tout prix, quelles qu'en soient les conséquences.

C'est ainsi, chère Simone, que raisonnent les caïds des cités. _

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www.wildside.fr

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1 existe dans le sport un point bien précis qui fait converger immanqua­blement le triomphe et la débâcle sous la plume des commentateurs: l'origine des sportifs, la couleur de leur peau. C'est presque un réflexe, impossible à

contenir. Voyez comme ils sont beaux, nos médaillés au Cham­pionnat d'Europe d'athlétisme, Blacks-Blancs-Beurs portant haut les couleurs bleu-blanc-rouge. Comme ils ont l'air heureux, unis et solidaires, nos vainqueurs métissés, Français « de souche », fils et petits-fils d'immigrés sou­dés ensemble dans la victoire, dans cette « historique » mois­son de médailles - pensez donc, 18 podiums, un record. Comme elle est digne et conquérante, la France qui gagne reçue mardi en grande pompe et tralala par le chef de l'Etat, pour déjeu­ner sous les lambris du palais de l'Elysée. Comme elle est humble et courageuse, magnifique symbole de la richesse et de la diversité de notre (beau) pays.

Rien à voir avec ces voyous (tiens donc) mal élevés du football, ces divas capricieu­ses dont le comportement honteux en Afrique du Sud rejaillit, mortifère, sur la France. Des sales gosses pourris jusqu'à l'os par le fric trop vite gagné, trop vite claqué. Des petites frappes de banlieue qui fai­saient régner la loi des gangs dans l'équipe comme dans la cité, disait-on. Un groupe miné par les luttes raciales, pis: religieuses,

,. •

PAR CHRISTINE LAMBERT

croyait -on savoir. Cetre « génération caillera »

conspuée par Alain Finkielkraut, qui invi­tait la nation tout entière - rappelez-vous, c'était il y a un mois seulement - à se regar­der dans « le miroir de la désunion ». Emblème

d'une France qui perd, dont l'ex-capitaine fut reçu en catimini par un Nicolas Sarkozy frustré de victoire.

Rien à voir avec leurs aînés de 1998, l'équipe black-blanc-beur entrée dans l'his­toire nationale en remontant les Champs­Elysées, portant triomphalement la pre­mière Coupe du monde arrachée par la France. Rien à voir ...

Alors ne boudons pas notre plaisir. Réjouissons-nous de l'heure de gloire de nos médaillés de Barcelone. Car, si près de 6 millions de téléspectateurs ont vibré derrière eux, c'est bien parce que, loin de célébrer la diversité et les différences, leur triomphe est au contraire embléma­tique du vivre-ensemble autour de valeurs

Le BlackBerry nuit gravement aux émirs es Emirats arabes unis et l'Arabie saoudite menacent d'interdire l'usage du BlackBerry sur

leur territoire, tandis que le Koweït et Bahreïn se tâtent pour suivre le mouvement. Car le smartphone préféré des élites mondialisées nuit à la ... sécurité nationale. Le système

61 Marianne 17 au 13 août 2010

de cryptage des mails et leur stockage sur les seuls serveurs de RI M, la société canadienne qui fabrique l'appareil, rendent difficile au goût des émirs l'espionnage des communications. L'Inde vient d'ailleurs d'obtenir de RIM les codes nécessaires pour mettre son nez dans les

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partagées. Elle est le symbole de la victoire du travail et de l'effort collectif capable de transcender les identités.

On a déjà oublié que le triple médaillé Christophe Lemaître est le « premier Blanc à

passer sous la barre des dix secondes ». Ce grand échalas timide et zozo­tant, qui vient de décrocher son bac pro, s'entraîne à dépasser ses limites par tous les temps, en plein air au pied des Alpes, sous la houletre d'un ancien prof de sport bénévole de 70 ans! Peu importe que Myriam Soumaré porte un « discret foulard » en dehors des séances où elle s'entraîne, encore et encore, sur 200 m. Cette enfant de Villiers-le-Bel, qui travaille à mi-temps comme puéricultrice, nous a inondés de sajoie et de ses

sourires, nous entraînant avec elle dans un pas de danse endiablé vers la plus haute marche du podium.

Ces sportifs-là auront beau « mouiller le maillot » jusqu'au bout de leurs forces, les sponsors ne leur feront pas les ponts d'or qui ont fait perdre pied aux grévistes du foot à Knysna. Ils le savent, et peu leur importe. Emmenés par un coach qui, loin de se draper dans la posture de l'autiste diviseur, mise sur l'échange et l'émula­tion, les Tahri, Mekhissi, Gomis, Lavillenie, Mbandjock, Mang, Arron, ettous les autres avec eux, se dopent à l'enthousiasme, pas à l'argent. Ils sont pourtant l'autre fuce d'une même pièce de monnaie, plus difficile à falsifier que certains veulent le croire._

messages des entreprises et des particuliers, précaution nécessaire pour déjouer les complots islamistes ... Dire que les Etats'Unis et la France déconseillent le BlackBerry aux membres de leurs gouvernements et à leurs présidents pour son manque de ... sécurité. A qui se fier? _ François Darras

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a ar e " . a vue mise au

n nouveau droit est né. Celui pour chaque citoyen de saisir le Conseil constitutionnel s'il juge que ses libertés sont mises à mal par une disposition législative.

Argutie de juriste? Sûrement pas, car la première application de cette disposition issue de la réforme 2008 de la Constitu­tion vient de de 'boucher sur la remise en cause de la garde à vue (GAY). « Décision sans précédent », « reconnaissance des viola­tions des libertés fondamentales » ... , voilà les commentaires qui ont accompagné la décision des Sages, excédés - et c'est ainsi qu'ils motivent leur décision - par le recours systématique des policiers à la garde à vue. Pas moins de 790 000 garde à vue ont été prononcées en 2009, soit une augmentation de 140 % depuis 2003. Déjà se profile l'introduction dans le droit français de dispositions anglo­saxonnes qui obligent à la présence d'un avocat dès le de'but de la GAV.

Qui pouvait imaginer que l'appella­tion, obscure aux profanes, « question prioritaire de constitutionnalité » pou­vait déclencher un tel séisme dans la pratique des policiers? Les juristes, bien sûr. Les mêmes qui savent que demain, fort de cette première mise en oeuvre, les procédures vont se multiplier pour lever l'interdiction de l'adoption d'un enfant par des parents de même sexe qui piétine leurs droits fondamentaux; pour en finir avec l'habitat insalubre; pour empêcher les prélèvements biologiques; pour abro­ger certaines dispositions du code de la route ou pour remetrre en cause l'appli­cation de la taxe sur les salaires, etc.

Mais l'analogie avec le droit anglo­saxon s'arrête là. Pas question de saisir le Conseil constitutionnel pour un oui ou pour un non: plusieurs filtres ont été mis en place. Pour aboutir, la procédure doit franchir les caps du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui examinent le caractère sérieux du grief. En outre, les débats devant le Conseil revêtent un caractère contradictoire. En clair, ce n'est pas demain qu'on pourra contester un coup de flash de radar pour excès de vitesse. _ Jean-Claude Jaillette

Banques. Une crise, quelle crise? eux milliards cent millions d'euros de bénéfices au deuxième trimestre pour BN P­

Pari bas 1,1 milliard pour la Société générale! Décidément, la vie est belle pour les grosses cylindrées du secteur bancaire. Qu'importe que la croissance tarde à retrouver un rythme supérieur à 1 % ; que la consommation des ménages soit en recul; et qu'enfin le taux de chômage se maintienne au-dessus des deux chiffres. Chez les banquiers, on ne se soucie guère de ces petits détails de l'économie réelle. BNP-Paribas affiche, par exemple un résultat de + 31 %. Voilà qui provoque, pour la troisième fois en deux semaines, l'envolée de son

• Ion

u pays du bling-bling, où les décorations elles-mêmes ten­dent à se muer en primes à l'al­légeance, un philosophe, et non des moindres, l'épistémologue

Jacques Bouveresse, professeur au Col­lège de France, où il anime depuis 1995 une chaire importante, celle de philo­sophie du langage et philosophie de la connaissance, rue dans les brancards. La Légion d'honneur est très généra-

cours boursier. Il y a quelques jours, les banques françaises se réjouissaient d'ailleurs d'avoir réussi les stress tests censés évaluer leur résistance. Des stress tests que nombre de spécialistes ont estimés « légers» au regard des scénarii simulant non pas une grosse crise mais un minichoc. Mais la vraie réussite des banquiers, c'est en réalité, au terme d'un intense lobbying, d'éviter que les nouvelles normes de régulation bancaires, dites Bâle 3, ne soient trop contraignantes. Moins de contraintes, c'est plus de risques de voir le système s'effondrer, mais plus de chances d'engranger des bénéfices ... _ Emmanuel Lévy

• e ...

lement sollicitée, par la récipiendaire lui-même ou, plus habilement, par l'un de ses proches. Fin lecteur de Ludwig Witrgenstein et de Robert Musil, Bouve­resse n'a jamais rien demandé.

La ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, Valérie Pécresse, a cru pouvoir le combler d'aise. Patratras ! C'était compter sans la sobriété farouche de cet auteur d'un essai acide sur le système médiatique contemporain' , qui s'imaginait mal dans la défroque de ceux qu'il nomme les « intellectuels de cour ».

Non content de refuser la précieuse rosette, Bouveresse a expédié une missive solennelle à sa ministre de tutelle où il détaille sans ménagement ses motivations politiques: « Il ne peut [ ... 1 être question en aucun cas pour moi d'ac­cepter la distinction qui m'est proposée et [ ... 1 certainement moins encore d'un gouvernement comme celui auquel vous appartenez, dont tout me sépare radicale­ment. » Si même les forts en thème se rebiffent ... _ Alexis Lacroix • Schmock ou le triomphe du journalisme,

Seuil , 2001.

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 7

Page 8: Marianne N°694 du 07 au 13 aout 2010 Le voyou de la republique

• ns· e ministre de la Défense, Hervé Morin, et le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel, ont démenti le fait qu'une

baignoire sabot serait installée dans le futur avion présidentiel. Peut-on reprocher à un chef d'Etat qui se fait souvent doucher d'avoir envie de temps en temps de prendre un bain? _

Poutine du tricycle Le Premier ministre

russe, Vladimir Poutine, s'est offert une promenade, lors d'un salon de la moto en Crimée. Aux commandes d'un tricycle à moteur, il a qualifié l'engin de « plus démocratique des moyens de transport ». Et c'est un spécialiste de la démocratie qui le dit! _

{(

opera )}

Le Service d'information du

gouvernement, le SIG, pourrait sous-traiter ses reportages vidéo à Kabo, propriété du producteur de « Caméra café ».

n est vrai qu'entre la minisérie et le vaudeville permanent au sein du gouvernement il n'y a plus beaucoup de différences. _

Plongée sous-marine Deux ministres du gouvernement, Christine

Lagarde et Pierre Lellouche, vont profiter de leurs vacances pour faire de la plongée sous­marine. Pour avoir un avant-goût de ce qu'est toucher le fond? _

Cei 1 • ne enquête de l'Inra (Institut national de la recherche agronomique) souligne que les populations défavorisées sont les moins réceptives

aux messages de prévention de l'obésité. Peut-être parce qu'elles sont aussi les plus réceptives à la faim ... _

si M,,~nne 1 7 au 13 août 2010

ks Woorlh. fonlde ta\pinisU;-le

Politique réalité Laurent Lenne, ancien

candidat à l'émission de télé-réalité « Secret Story », veut se présenter à la présidentielle de 2012, Dans l'émission de TF1, il cachait qu'il était prêtre, Il ne devrait donc pas être trop dépaysé dans les hautes sphères de l'Etat, qui n'ont rien

Londres lave plus blanc Londres est

devenue la capitale du blanchiment de réputation, révèle le Guardian. Le Soudanais Omar el-Bechir, le Biélorusse Loukachenko, le Rwandais Kagamé, le Kazakhstan, la Chine, le Sri Lanka, et même le Kremlin: aucun « méchant»

• ne manque parmi les clients des firmes de relations publiques londoniennes les plus réputées. Problème: le code de bonne conduite de la profession, qui stipule que « les consultants politiques doivent refuser des clients aux activités illégales, immorales, ou contraires à la pratique professionnelle ». Mais que vaut ce code, en ces temps de disette? _

Travailleur , . precaire Le secrétaire d'Etat

au Logement, Benoist Apparu, emportera dans sa valise cet été le livre de Florence Aubenas, le Quai de Ouistreham, une enquête sur le travail précaire. Où l'on voit que le ministre profite de ses vacances pour

, ., se preparer au mieux a sa rentrée, pour le moins précaire elle aussi. _

à envier à la fameuse Maison des secrets de la première chaîne, _

Immunisés pour l'année Aupremler

trimestre 2010, les vaccins se sont hissés au 7' rang des produits exportés par la France, alors qu'ils n' étaient qu'au 33' rang au premier trimestre 2009. La patrie de Pasteur a donc retrouvé sa vocation. Une belle performance, à mettre au crédit de Roselyne Bachelot, puisque cette envolée des exportations doit tout aux excédents de vaccins contre la grippe H1N1 commandés pour une épidémie fantôme._

La pa et la poutre

lors que la première dame des Etats-Unis, Michelle Obama, va passer quatre jours avec sa fille cadette Sasha dans un hôtel cinq

étoiles à Marbella, sur la Costa dei Sol, le State Department a retiré dare-dare de son site un avertissement officiel aux touristes américains: « Des préjugés racistes peuvent conduire à l'arrestation d'Afro-Américains en Espagne. » Ah, si Washington se préoccupait avec autant de célérité des abus policiers commis sur son sol... _

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1 ion clandestine

es scientifiques qui ont exploré les fonds marins de la Méditerranée sont formels: près de 600 espèces dites « étrangères» y ont migré

et s'y sont installées. Que fait Nicolas Sarkozy ? _

Poker menteur Depuis l'ouverture du marché des jeux en ligne,

toute pub relative à cette activité se trouve complétée par la petite phrase suivante, qui s'af­fiche en bas de l'écran (à la télé) ou de la page (dans les journaux) : « Jouer comporte des risques: isole­ment, dépendance, endettement ». Si l'on connaît les dangers induits par de telles pratiques, pour­quoi les mettre à la portée de tout le monde? _

La route Rom

ressée par Paris, la Roumanie a nommé un secrétaire d'Etat

chargé de la réinsertion des Roms expulsés de France. Parce qu'ils ont déjà été intégrés quelque part? _

Si nt n'existait pas ... Sortie de route pour

Daniel Vaillant dans les colonnes de France-Soir cette semaine. Selon l'ancien ministre de l'Intérieur de Jospin, « si l'insécurité n'existait pas, Sarkozy l'inventerait! ». Notre homme progresse: il reconnaît en creux qu'elle existe bel et bien. En 2002, lorsqu'il était en poste Place Beauvau, l'insécurité n'était pour le PS qu'une invention. Avec le succès que l'on connaît. _

Pompiers

Le ministre de l'Indus­trie, Christian Estrosi,

n'a guère apprécié que la patronne du PS, Mar­tine Aubry, juge « anti­républicains » les propos de Nicolas Sarkozy sur la délinquance et l'immigra tion. « Qui est antirépublicain ? inter­roge Christian Estrosi. Celui qui fait brûler une caserne ou celui qui veut faire condamner l'in­cendiaire ? » Peut-être faudrait-il avant toute chose s'interroger sur ceux qui ont fourni les allumettes et le bidon d'essence ... _

plus ...

Un rapport du Centre d'analyse

stratégique anticipe un bond de la délinquance des seniors. Voilà ce qui arrive, quand on augmente l'âge de la retraite! _

'1 OJ A lA) Qui l*r Q<E fA 6Al])f ~ lJIJ6 ESf /tlfirooSc.irofio .. 1

~c.iCD~U1ÎfUL" M/fOCOA)SiS'f. ..

&J~pJ SoIJ, "56 lJj Ai fAl'f F"6RttE~ SA

GUEULE .

Retraite tchétchène ok ou Oumarov, le chef de la rébellion islamiste tchétchène, tire sa révérence. Il s'est déclaré « fatigué », dans une

vidéo postée sur YouTube. A 46 ans, c'est un tout jeune retraité. Et dire qu'en France il aurait dû travailler jusqu'à 62 ans ... _

Ménage à plusieurs

• •

C'est officiel: la ;upture est consommee entre

Silvio Berlusconi et celui qui était son meilleur allié, Gianfranco Fini. On se doutait que le Cavaliere était plus à l'aise dans les ménages à plusieurs. _

L'autre guerre

Selon les dernières statlstlques

fournies par le Congrès des Etats­Unis, en 2009, les suicides de soldats américains (381) ont fait plus de victimes que les combats des deux guerres d'Irak et d'Afghanistan (347) durant cette même année. Où l'on voit que le mauvais moral des troupes est une autre forme de guerre, silencieuse, certes,

. - . malS neanmoms meurtrière. _

Durdrêtre • espion •••

En autorisant la publication, sur

Internet, de la liste de ses agents de l'époque communiste, le service de renseignement militaire tchèque a dévoilé par erreur J'identité de certains de ses James Bond

• encore en exerCice, en Macédoine, en Ukraine ou en Russie. « C'est un problème, mais pas une menace pour nos activités », s'est défendu le ministère de la Défense. Les agents découverts apprécieront... _

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es Français, entre deux séances de bronzette estivale, auront été rattrapés par ttois informations traumatisantes. La première? L'article premier de la Consti­tution, qui fonde les principes de notre République - l'égalité devant la loi sans distinction d'origine -, est en voie d'être aboli. Changement de réginle ?

Qu'en pensent les républicains? La deuxième? Lancer une pierre qui pro­

voque malencontreusement la mort d'un conttôleur des poids et mesures (détenteur d'une autorité publique) est beaucoup plus grave et passible d'une peine beaucoup plus lourde que larder une vieille dame de coups de couteau pour lui piquer ses économies. Le second meurtrier mérite de rester français, même s'il s'appelle Popovitch ; mais le premier, s'il s'appelle Rachid, deviendra apatride. Qu'en pensent les grand-mères?

La troisième? Il va falloir construire des centaines de nouvelles prisons pour pou­voir y enfermer les parents d'enfunts incon­trôlables. Qu'en pensent les très catholi­ques mères de famille nombreuse ou les femmes seules en charge de garnements? Si l'on y ajoute que le chef de l'Etat vient de

~ déclarer une nouvelle « guerre », il y a là de ? quoi gâcher les vacances des aoûtiens. o ~ Récapitulons.

Personne, depuis Pierre Laval ...

Tout de suite, les grands mots. « Une nau­séabonde - forcément nauséabonde - odeur d'années 30 » ... Un prêté pour un rendu, en somme. Il y a trois semaines, des activistes « sarkozystes » se relayaient, l'invective aux babines, pour qualifier de « fascistes » et même de « trostskofas­cistes » les médias d'investigation qui remuaient trop complaisamment, à leurs yeux, la boue de l'affaire Woerth­Bettencourt. « Cela rappelle, précisaient­ils, les années 30 » ... Eh bien puisque, désormais, on a le droit de dire ces choses-là, le boomerang leur revient en pleine figure.

Voilà Sarkozy, non plus seulement pou­tinisé, mais pétainisé, vichysé, quasiment fascisé: un âcre parfum d'années 30 ... -

On admettra que, désireux de faire diversion à une affaire d'Etat - l'affaire Woerth-Bettencourt - qui le mine à mesure qu'elle le plombe, le gaillard n'y a pas été avec la queue de la louche. Ce dont, en effet, personne n'aurait ne fût-ce qu'« osé » avoir l'idée, depuis le Premier ministre collabo Pierre Laval, lui a sou­dain traversé l'esprit. Et, comme toujours chez lui, sitôt concocté, sitôt dit.

Quoi? Qu'il y aura désormais, aux yeux de la loi, deux catégories de citoyens fran­çais. Comme avant 1789? D'un côté, les nobles au sang bleu héritiers des guerriers francs, et, de l'autre, le tiers état descen­dant de la plèbe gauloise? Non ... Mais pres­que. Il y aura le Français à part entière, et le Français en demi-teinte. En sursis. Le Français du premier degré, catégorie A, et celui du deuxième ou troisième degré, caté­gorie B. Un Giscard d'Estaing catégorie A contte une Rachida Dati catégorie B.

On connaît la blague de Lévy qui se fait appeler Bidochon, et chacun de lui demander, quand il décline son identité: « Et avant? » Eh bien, il y aura le Français à qui on ne demandera rien et celui à qui on demandera tout le temps: « Et avant? »

Le « terroriste » Manouchian, français? Depuis quand ?Vous avez vu sa ttonche sur les rouges affiches? Le « délinquant » Zola, français? Depuis quand? Le fauteur de troubles Anelka, français? Depuis quand? C'est ce que la police de 1'« Etat français », en 1942, demanda à mon ami le « dissi­dent » gaulliste Moscovitch : Français? Vous? Depuis quand?

Déjà, on le savait, il y avait les Français « éttangers » qui perdent les matchs de foot, mais redeviennent Français français quand ils gagnent le 3 000 m steeple. Mahiedine Mekhissi, Boua bdellah Tahri, français? Depuis quand? De retour en France, pas intérêt à bousculer un gendarme! Au moins, ceux qui perdent ne sont pas déchus de leur nationalité. Pour l'instant.

En pleine terreur robespierriste, le député]ean-Baptiste Cloots, ditAnacharsis, de fraîche origine prussienne, fut guillo­tiné. Nul ne songea pour autant à lui reti­rer sa toute neuve nationalité française. Parce qu'il y avait eu 1789, précisément. Paradoxe: pendant la guerre d'Algérie, personne ne proposa, pas même Le Pen, de retirer la nationalité française à un militant algérien FLN qui avait abattu un policier. La République, alors, c'était éga­lité devant l'impôt, égalité devant la loi. Sarkozy - qui sait? - a peut-être raisonné de la façon suivante: puisqu'on a déjà instauré une fiscalité à la tête du client -Mme Bettencourt en sait quelque chose -, pourquoi pas une justice, ou même une « nationalité », au faciès du client?

Une « ciottise » d'inspiration élyséenne

Donc ça craint. Même au plus sarkozyste des Français d'ascendance juive, ça rappelle furieusement quelque chose. Le temps où on amalgamait sa « spécificité » à une cer­taine forme de délinquance? >

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Le voyou de la République

> Le croira-t-on? Deux Français ayant commis le même délit d'atteinte à un dépositaire de l'autorité publique, compa­raissant devant le même tribunal, ne récol­teront pas la même peine. Pourquoi? Parce qu'ils ne seront pas nés au même endroit. Dans le même espace. Landru, c'était mal, mais c'était un vrai Français. De souche. Important. Désormais, ça changerait tout. Du moins aux yeux du tribunal. Il faudra être de souche et que ça se sache. Un Fou­jita, grand peintre français né à Tokyo, aurait eu intérêt à se tenir à carreau pour ne pas se retrouver « sushi ", au prétexte qu'il n'était pas « de souche ». Puisse Rama Yade, en voiture, nejamais écraser un gen­darme. Brice Hortefeux, lui, peut. Ça ne remettrait pas en cause sa nationalité.

Eric Woerth, quand il allait, au début 2007, à Genève, récolter plusieurs millions d'euros au profit de la candidature Sarkozy auprès de Français fiscalement délinquants, avait sa bonne conscience pour lui. Certes,

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ces Français qui s'étaient exilés à l'étranger pour ne pas contribuer à l'effort collectif de la nation trahissaient un peu leur patrie. Mais ils n'en étaient pas moins de vrais Français! Catégorie A.

Dans la foulée de la mercuriale greno­bloise, Hortefeux, justement, condamné mais français, a émis une idée qu'on eût volontiers applaudie: pourquoi ne pas retirer leur nationalité aux trafiquants et exploiteurs d'êtres humains? On crut même, un moment, que cette menace désignait ceux qui exploitent, dans le BTP, par exemple, de véritables esclaves venus illégalement d'ailleurs. Mais non. Ceux-là sont de vrais Français catégorie A. Premier choix. En fait, Hortefeux visait, là encore, des Français de second choix. De seconde souche!

En revanche - mais a-t -on bien compris, car on en arrive à se demander... -, ce sont

tous les parents, même ceux qui en tien­nent une souche, même ceux des enfants Bidochon, qui risquent deux ans de prison ferme, si leur rejeton multiplie les bêtises en se fichant comme d'une guigne de leurs mises en garde.

Ça, même à Vichy, ils n'y avaient pas pensé. D'ailleurs, Pierre Laval ne voulait pas séparer les enfunts des parents.

Selon le Figaro, c'est l'Elysée qui a direc­tement inspiré cette « ciottise » (lire p. 19 l'article de Guy Sitbon).

L'ombre du Maréchal, vraiment?

Cela fait des décennies, en France, que l'on traite à tout bout de champ ses adversai­res de « pétainistes ». Ou de « fascistes ». Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, deve­nue secrétaire d'Etat de Nicolas Sarkozy, avait, en 2007, dans un article remarqué,

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dénoncé la nature foncièrement « pétai­niste » de Ségolène Royal. Et un certain Xavier Bertrand, qui se présente communé­ment comme secrétaire général de l'UMP, a quasiment assimilé notre confrère Edwy Plenel à Goebbels. La gauche bien-pensante est coutumière du fait (je sais, l'expression est idiote, mais il paraît qu'on dit comme ça !). Ainsi Marianne fut « hitlérisé » par Ber­nard Kouchner pour s'être déclaré hostile à la guerre du Kosovo. Sarkozy lui-même nous traita collectivement, lors d'un petit déjeuner, de «fascistes » et d'« antisémites ». François Bayrou fut fascisé et pétainisé par Alain Mine. Régis Debray « vichysé » par Ber­nard-Henri Lévy. Jean-Pierre Chevènement fut « national-socialisé » par les « hitléro-trots­kistes »du Monde. Lorsque Jean-Louis Debré était ministre de l'Intérieur, des crétins hostiles à sa politique de lutre contre l'im­migration clandestine défilèrent en habits de déportés sous ses fenêtres.

Marianne s'est toujours élevé, et avec virulence, contre ce lamentable et parfois odieux réductionnisme. Encore récenlment, votre ser­viteur qualifiait, ici même, de « ridicule » et d'« inaccepta­ble » l'identification Sarkozy­Pétain à laquelle s'était allè­grement livré le philosophe Alain Badiou dans un petit livre à succès.

Non, Sarkozy n'est pas xénophobe, mais ...

Faut-il se rendre à l'évidence et proclamer, malgré toutes mes réticences antérieures, malgré ma répugnance à recourir à ce type de références: eh bien oui, Badiou avait rai­son, le sarkozysme est un pétainisme ? Eh bien non !Je ne le pense pas. Sarkzoy n'est pas plus « pétainiste » ou même « maurras­sien » qu'il n'est « xénophobe », « raciste » ou « facho ». Je suis même convaincu qu'il n'est fondamentalement hostile ni aux émigrés ni à l'émigration (qu'il a d'ailleurs, contrairement aux apparences, largement favorisée). Alors?

Alors, rappelons-nous ce que fut la posi­tion de Marianne en 2007. Parce que Sarkozy avait, dans un premier temps, mené une campagne de tonalité radicalement « néo­libérale » dirigée contre le « modèle social français », qu'il avait été favorable à l'in­tervention américaine en Irak, qu'il avait

ou ne le

,

absolument tenu à se faire photographier aux côtés de George Bush, la gauche avait axé son offensive sur un thème: Sarkozy est un idéo­logue ultralibéral bushiste dogmatique qui veut nous imposer, de gré ou de force, le modèle anglo-saxon. Le promoteur de cette straté-

. ? E' B gle. nc esson ... Or, voilà que, pour une fois, exceptionnellement, la référence est fondée. Totale­ment fondée. La saillie gre­nobloise par le ton, l'inspi­ra tion, les mots choisis, les sous-entendus, les décisions annoncées, prend, en effet, une teinte intrinsèquement « pétainiste ».

ne l'affecte.

A quoi Marianne, dans un numéro devenu histo­rique, avait répliqué: non, Sarkozy n'est pas un idéo­logue « bushiste » dogma­tique et sectaire, c'est un bonapartiste pragmatique et talentueux (le meilleur candidat dont ait disposé la droite depuis longtemps, précisions-nous), capable, s'il juge que c'est dans son

On se serait, par consé­quent, atrendu à de solennel­les mises en garde, de la part

de cité ... de Simone Veil, surtout. « Halte au feu! » Où sont ceux mêmes, Bernard Kouchner, Alain Minc, André Gluscksmann, qui voyaient la main du pétainisme partout, y compris dans la culotte du zouave Bayrou, qui, récemment encore, identifiaient Chevène­ment à Laval, renvoyaient le journaliste et écrivain Pierre Péan à Charles Maurras et comparaient Benoît Hamon à Marcel Déat parce que le porte-parole socialiste s'était déclaré choqué par l'aveu d'addiction au tourisme sexuel étalé par un ministre de la Culture? On ne les entend pas. Leur dés­honneur s'abîme dans leur silence. Martin Hirsch se tait. Fadela Anlara se terre. Eric Besson s'enterre.

Et nous?

intérêt, de stignlatiser le « grand patronat » ou de vilipender le capitalisme. Simple­ment, l'énormité gargantuesque de son hypertrophie du moi, la démesure de son adoration de lui-même, la puissance de sa volonté presque illimitée de pouvoir et de contrôle, frise, à un tel niveau, la folie ... Et représente une menace pour notre concep­tion de la démocratie et de la république. On jugera, avec le recul, de la pertinence ou de l'impertinence de cetre approche.

Mon analyse, aujourd'hui, est du même ordre: Sarkozy n'est pas pétainiste ni, encore une fois, maurrassien, xénophobe, raciste, encore moins facho. Simple­ment, aucun interdit d'ordre idéologique ou éthique ne le bride, aucun principe

transcendant ou aucun impératif moral ne l'affecte, aucun « surmoi » ne l'arrête. Pour conquérir et conserver le pouvoir, il est capable de tout. Absolument de tout. Exactement comme les caïds des cités. En réalité, avec d'ailleurs le talent que cette mentalité nécessite et le sens de la prise de risque qu'elle exige, Nicolas Sarkozy est un voyou. Un voyou de banlieue, dont la ban­lieue serait Neuilly. 'lYpique, à cet égard, est cetre façon de déclarer la guerre à tout bout de champ ... aux bandes rivales!

Les Le Pen n'ont pas manqué de le rap­peler: l'homme qui vient de créer deux catégories de nationaux - d'un côté, des Français de souche ou en voie de faire sou­che; et, de l'autre, des sous-Français passi­bles d'une double sanction en cas de délits particuliers - est le même que celui qui supprima la double peine. Elle permettait, rappelons-le, de renvoyer dans son pays d'origine un étranger condamné, en plus de l'exécution de sa peine. (Personnelle­ment, ce principe ne m'a jamais choqué). Contradiction? Pas du tout. Cynisme.

Sarkozy, à l'époque, en 2003, avait besoin, dans sa lutte contre Chirac et les chiraquiens, de se réserver des soutiens a u sein de la presse proche de la gauche bien-pensante. En particulier, le soutien du journal le Monde, dont il avait préalable­ment convaincu la direction, en 1995, de soutenir Balladur.ll fallait, pour cela, don­ner des gages. D'où l'abolition de la double peine. Or, aujourd'hui, Sarkozy sait qu'il n'a plus rien à atrendre de cette gauche-là qui a mis du temps à comprendre, mais qui a enfin compris. En revanche, il lui mut absolument retenir cette très large fraction de sa clientèle d'hier, qui est en train de basculer en faveur de Marine Le Pen. Donc on ne lésine pas, et on remplace la « double peine », défendable mais qu'on a suppri­mée, par une hyperdouble peine indéfen­dable, foncièrement antirépublicaine et à consonances pétainistes. Pas parce qu'on est devenu pétainisto-raciste, évidemment (pas plus qu'on ne fut jamais bien-pensant libertaire de gauche), mais parce qu'on ose tout. Et que, pour gagner, on osera tout. De la même façon qu'on a été ultrapro-israé­lien et qu'on a déroulé le tapis rouge sous les pieds du Libyen Kadhafi et du Syrien Bachar el-Assad.

Ça se mérite Un exemple: « Etre français, ça se mérite. » Phrase stupide, s'il en est. Etre hollan­dais, polonais, marocain, ouz bek, ça ne se mérite pas? Et être hongrois? Il Y aurait des nationalités qui se méritent plus que d'autres? Inférieures et supérieures? >

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Le voyou de la République

> Des nationalités de blancs et des natio­nalités de gris? De basanés, de nègres? C'est con, ou c'est raciste. Au choix. Les malfrats angevins, les violeurs normands, les escrocs provençaux, les fraudeurs ou les délocalisateurs du Limousin ou du Massif central ont-ils mérité, eux, d'être français? Sarkozy, bien sûr, n'est pas dupe de l'idiotie du propos. Mais ça ne le retient nullement de proférer ce qu'il sait être une sottise. Et il dira tout ce qu'il croit pouvoir lui faire gagner ne serait -ce qu'une poignée de voix. Même le pire. -

Ce qui s'est passé est éloquent: le sarko­zysme prend l'eau. L'intervention télévisée du 12 juillet dernier a été un flop. La ten­tative de retourner, avec la complicité du procureur Courroye, l'affaire Betrencoutt­Woerth contre ceux qui l'ont révélée, s'est, en fait, elle-même retournée contre les auteurs de cetre lourde manœuvre. La viru­lente offensive dirigée contre les médias indépendants n'a certes pas provoqué la mobilisation de la profession qui se serait imposée, mais elle a libéré des journalistes plus qu'elle ne les a terrorisés.

Résultat? Les sondages, non rendus publics, indiquent qu'en cas d'élection pré­sidentielle, aujourd'hui (ce qui ne préjuge en rien de demain), Martine Aubry l'empor­terait assez nettement, mais, surtout, que Dominique Strauss-Kahn écrabouillerait litréralement le président sortant. Sortant! D'où l'idée géniale: n'être plus le sortant.

Le sortant, ce n'est pas lui ...

Car c'est, finalement, le sens de l'opéra­tion grenobloise. On n'est pas en 2010, on est en 2007. Sarkozy arrive. Il vient juste d'être élu. Et, d'emblée, vroum-vroum, il déclare la guerre. La vraie guerre, précise­t-il. A qui? A quoi? Au mal, au crime, à la délinquance, à la chienlit, aux trafics, à l'invasion étrangère, aux Manouches voleurs de poules, à la racaille des cités, au bilan de son prédécesseur ... Quoi? Que dites-vous? Que le prédécesseur, c'était lui? Pur effet d'optique.

Spectacle hallucinant en vérité. Tout cela ou presque a déjà été dit 20 fois. Les mêmes mots, mais en plus hard. Enième déclaration de guerre. Or, qui a été aux manettes depuis huit ans? Est-ce à dire qu'on reconnaît l'échec? L'échec flagrant? L'échec spectaculaire? Eh bien oui! Et c'est cela qui est stupéfiant.

Relisons bien la philippique grenobloise. Aveu de désastre. De déliquescence. Cela va de mal en pis. On ne cherche même plus à donner le change à coups de statistiques

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truquées fournies par des préfets qui ont été menacés de licenciement s'ils ne four­nissaient pas de « bons » chiffres. Oui, les agressions contre les personnes sont en continuelle augnlentation. Même le Figaro dispose d'un article - pour l'instant en attente de publication - qui prouve l'am­pleur de la manipulation de ces chiffres: 4 % seulement des Français, selon l'Ifop, estiment que la sécurité des personnes s'est améliorée. -

Alors, puisque la partie tourne mal, Sarkozy renverse la table.

Oui, l'insécurité s'aggrave. Oui, la délinquance se répand. Oui, les violences se multiplient. Autocritique? N'a-t-on pas démantelé la police de terrain qui maillait les territoires: substitué l'intervention extérieure au contrôle de proximité: fermé des commissariats: abandonné des quartiers entiers à eux-mêmes, comme le relève le principal syndicat de police: supprimé 11000 postes parmi les forces de l'ordre (que l'on mobilise massivement, en revanche, pour des tâches statiques ou de protection, en particulier présidentielle) : à Grenoble même, les effectifs policiers n'ont­ils pas été ramenés de 740 à 600 malgré 30000 habitants de plus? N'a-t-on pas mul­tiplié des lois inapplicables qui empêchent l'application de celles qui devraient être appliquées, excité les tensions, attisé les antagonismes, fermé les yeux sur les délin­quances financières qu'on a, au contraire, dotées d'un bouclier, justifié certaines vio­lences économiques, accentué, fût-ce invo­lontairement, les insécurités sociales?

Les vrais et seuls responsables

Concède-t-on au moins quelques erreurs? Pas du tout! Pas l'ombre d'un mea eulpa. Ce que nous dit Nicolas Sarkozy, c'est qu'il était temps, grand temps, qu'il intervienne. Que l'on va voir ce que l'on va voir. Car jusqu'à présent il était para­lysé. Empêché. Par qui? Par les vrais, les seuls fautifs, les maires irresponsables, les parents démissionnaires, la gauche forcément angélique et « complice des assassins », comme le clame la ministre Nadine Morano, les tabous entretenus par une presse idéologisée, la législation inadaptée (c'est pour l'essentiel la sienne, mais qu'importe !), les juges laxistes, les préfets incompétents, l'héritage, Giscard, Chirac, les préjugés droit-de-l'hommistes, demain un Conseil constitutionnel récal­citrant et, accessoirement, les ministres si nuls qu'il faut, dans tous les domaines, même le sport, prendre leur place.

Le message est transparent: jusqu'ici, on n'osait pas: désormais, on va oser. On efface tout et on recommence. Des mesu­res oubliées aussitôt que prises, de nouvel­les lois, un fait divers-une loi, des peines plancher poussées vers les peines plafond, des sanctions « incompressibles » à faire regretrer la peine de mort, une répression de moins en moins nuancée, au point que même en Russie poutinesque on n'est pas condamné à six mois ferme pour jet de cailloux ... Mais ça change quoi? L'opi­nion n'y croit plus. N'entend même >

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• lera Pour l'ex-Premier ministre, le président exacerbe les tensions, au risque de courir à la guerre civile.

PAR MICHEL ROCARD*

Marianne: Approuvez-vous le discours de Grenoble où le président de la République déclare son intention de déchoir de la nationalité française les citoyens d'origine étrangère qui attenteraient à la vie d'un policier ou de tout autre détenteur de l'autorité publique? Michel Rocard: Non, je ne l'approuve pas.

Non, résolument et totalement? M.R.: Non, résolument et totalement. Je condamne et la substance et le procédé. Mais d'abord, je voudrais vous parler de Marianne. Vous vous comportez, non comme des journalistes d'information pure, mais comme des acteurs politiques. C'est aux hommes politiques d'agir en politique. Ainsi, vous sollicitez de moi cette interview et je sais que, sije l'avais refusée, vous en auriez informé vos lecteurs. C'est une forme de chantage!

Pas le moins du monde, monsieur le Premier ministre. C'est le droit de savoir. Nous n'aurions probablement pas caché à nos lecteurs, dans un article, que vous, ou telle autre personnalité, n'avez pas souhaité répondre à nos questions. Ce n'est pas votre cas. Revenons à nos questions. Pourquoi, vous, dont on connaît la pensée tout en nuances, réprouvez-vous aussi radicalement? M.R. : C'est une question extrêmement grave. Vous savez, cela s'est trouvé ainsi, j'ai commencé ma carrière administra­tive au service des naturalisations. Nous étions chargés de dire, précisément à ces naturalisés d'origine étrangère, que la nationalité française leur était accordée pleinement, sans réserve et de façon irré­vocable. Et voilà qu'on veut maintenant introd uire une nouvelle ca tégorie de « citoyens d'origine étrangère ». Mais, si on veut en faire une loi, il faudra passer

• 1 'aura par le Conseil d'Etat et le Conseil consti­tutionnel. Ils casseront forcément un texte contraire au droit.

Votre opposition paraît même plus virulente que celle du PS, auquel vous appartenez ... M.R. : Le PS, comme moi, n'aime pas exacerber les tensions. Autrement, c'est la guerre civile. La démocratie exige de nous des comportements mesurés. Agiter le chiffon rouge pour faire descendre des gens dans la rue, ce n'est pas appartenir à une démocratie pacifiée, à des institu­tions solides. Je sais bien que le président recherche d'abord les effets d'annonce. Cette loi ne verra jamais le jour. Mais ça ne change rien aux intentions. Et les intentions, je vous le dis comme je le pense, les intentions sont scandaleuses.

Vous dites que le président cherche la guerre civile, qu'il veut faire descendre les gens dans la rue ... M.R. : Je dis qu'il le paiera et qu'il l'aura mérité.

La gauche propose-t-elle une politique différente? A-t-elle mené au pouvoir une autre politique? M.R. : Bien sûr que oui. J'ai contribué à concevoir la police de proximité, qui décrispe les relations avec la population dans les quartiers difficiles. Nous avons obtenu des résultats sensibles. La préven­tion, c'est une œuvre de longue haleine.

J'ai été maire dix-huit ans durant. La pré­vention des crimes et délits était notre priorité. La répression, c'est l'échec de la prévention. Avoir supprimé la police de proximité, c'est dramatique. Et on le paie. La délinquance augmente et augmente. La politique du « tout répression » favorise les tensions, accroît la délinquance. Et pourquoi? Parce qu'on donne priorité à l'électoral. C'est exécrable, scandaleux.

Vous faites ce procès à un gouvernement, à un président pour lesquels vous avez de la sympathie, que vous avez parfois soutenu, n'est-ce pas? M.R. : Je ne sais pas qui rapporte ces bruits. Je ne partage pas cette vision, pré­sente au PS, d'opposition systématique, du refus de coopérer sur toute la ligne. Quand des confluences avec l'adversaire se dégagent, je m'en réjouis. Sur les pôles terrestres, nous ne divergeons pas et je suis ambassadeur chargé des Pôles. De même, j'ai une mission sur la taxe car­bone. Quand il y a désaccord, comme cette fois-ci, je ne l'étouffe pas non plus. Si je suis indigné, je le dis aussi, vous le voyez bien.

C'est une indignation morale? M.R. : Je serai sec et sans bavure: c'est inadmissible. Mais le pire, c'est que ça ne marche pas. Il n'y a d'amélioration ni sur le plan de la sécurité ni sur celui de l'immigration. On peut faire de grands discours mais, dans la réalité, la marge de manœuvre est faible, aussi bien pour la droite que pour la gauche. Il faut bien savoir qu'en tout cas les progrès seront minimes. On ne va pas étaler une ligne de barbelés le long des frontières. On ne va pas dresser les chiens policiers à flairer les sans-papiers. On ne peut pas refuser tout le monde. Et les étudiants étrangers? Beaucoup déjà vont ailleurs, et c'est une perte pour notre pays. On ne peut pas expulser à tour de bras n'importe qui. Seu­lement les discours changent en fonction des gens auxquels on s'adresse. Quand on va chercher l'électorat du Front national, voilà sur quels scandales on débouche. La loi sur les mineurs délinquants passe de

.8 la responsabilité pénale individuelle à la ~ responsabilité collective. On n'avait pas ~ vu ça depuis Vichy, on n'avait pas vu ça > depuis les nazis. Mettre la priorité sur la N

~ répression, c'est une politique de guerre civile. _ Propos recueillis par Guy Sitbon • Ex·Premier ministre.

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Le voyou de la Répuplique

> plus. Donc il faut frapper fort. Toujours plus fort. Au niveau des symboles, sinon du vécu.

Spécialité sarkozyste quand il s'agit de reprendre la main: dire le non-dit, puisque des enquêtes préalablement réalisées (car on sonde toujours d'abord en Sarkozye) montrent que les Français, dans leur majo­rité, le pensent: que c'est l'immigration qui engendre la délinquance; que le milieu gitan et rom est criminogène ; que le vrai autochtone est blanc et de culture chré­tienne; que le Français fraîchement issu de l'immigration est de nationalité louche.

Il est probable que, tout cela, Nicolas Sarkozy, fasciné par le modèle américain, lui-même issu de l'immigration, ne le pense pas. Mais il ne pense pas non plus qu'il fuille « refonder » le capitalisme, sup­primer les paradis fiscaux ou démasquer les « patrons voyous ». N'empêche, il le dit. Et tout ce qui lui permettra, pense-t-il, d'être réélu en 2012, absolument tout, il le fera et le dira sans restriction aucune, que Besancenot ou Le Pen, Chavez ou feu Pinochet, Bachar el-Assad ou Avigdor Lie­berman, Fayçal d'Arabie ou le spectre d'Ata­türk, puissent le signer!

Ni gaucho ni facho: voyou!

La question de l'immigration

A cet égard, la question de l'immigration est emblématique. Quoi qu'on en dise (quoi qu'en dise, surtout, l'extrême gauche pour

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qui toute restriction à une émigration, même clandestine, intégralement libre, confine à l'hitlérisme), Sarkozy l'a très lar­gement favorisée.

Certes, on a restreint, pour la galerie, l'application du droit d'asile ou de regrou­pement familial. Mais, sous la pression de l'aile la plus réactionnaire du Medef- et, en particulier, du patronat du bâtiment et de la restauration-hôtellerie, désireux d'être fourni en main-d'œuvre bon marché peu exigeante en matière de droits sociaux-, on a très officiellement encouragé l'im­migration dite de travail (l'immigration choisie consistant, en la matière, à choisir l'émigration). Brice Hortefeux, alors minis­tre de l'Immigration, a même fait adresser à nos ambassades à l'étranger une longue liste de métiers qu'il convenait de fournir en personnel.

Mais que se passe-t-illorsqu'on pro­clame, ainsi, qu'on est demandeur de tra­vailleurs étrangers? Outre ceux qui sont retenus, de nombreux clandestins tentent leur chance. C'est exactement ce à quoi on a assisté. il y aurait, aujourd'hui, en France, 400000 « sans-papiers », dont beaucoup tra­vaillent. On imagine ce que donnerait une descente générale dans certains grands chantiers. Ainsi la grève soutenue par la CGT a-t-elle permis de découvrir que tout le personnel du restaurant préféré de Sarkozy à Neuilly était constitué de sans-papiers. Faut-il préciser que ceux-ci ont été régula­risés ttès vite?

Or, qu'a dit le président à Grenoble? Que les sans-papiers qui bénéficient de

scandaleuses prestations sociales (en effet, en cas de maladie, on ne les laisse pas mou­rir !) doivent être expulsés, puisqu'ils sont dans l'illégalité. Et qu'en conséquence ils le seront. Quatte cent mille expulsions? Tout le monde sait, le chef de l'Etat le premier, que c'est en réalité impossible. Qu'on ne le fera pas. Qu'importe. Cela a été dit.

N'en doutons pas, demain, si les sonda­ges indiquent qu'il faut menacer de natio­naliser les banques, de taxer lourdement le capital et de criminaliser les patrons délo­calisateurs, ce sera dit également. Pas fait, mais dit. Et peut-être même qu'Etienne Mougeotte, du Figaro, applaudira.

La gauche renvoyée à ses réflexes

De l'aveu même de l'un des principaux conseillers élyséens, la sortie sarkozyenne a une autte cause. Après les récentes violen­ces urbaines, quelques voix, à gauche, ont commencé à pointer la contte-performance présidentielle en matière de sécurité publi­que et de lutte contre la délinquance. Et si les rôles étaient soudain inversés? Le Figaro ne nous apprenait-il pas, l'autre lundi, que le département des Alpes-Maritimes, totalement aux mains de la droite, était l'un de ceux où la criminalité était le plus forte? Et si, justement, l'échec sarkozyste dans ce domaine précipitait une prise de conscience socialiste?

Il fallait donc, par une provocation ciblée nécessitant une surenchère dans « l'incorrection », renvoyer la gauche à ses démons. Or, il faut bien le constater, sur ce point, le piège a, en partie, fonctionné. Illico, dans un premier temps, les hiérar­ques socialistes ont remis sur la platine leurs vieux disques rayés. Avec les mêmes expressions insupportables et mille fois entendues, la même logomachie éculée: « dérive sécuritaire », « dérapage populiste »,

« relents nauséabonds », « stigmatisation des populations ». Poser la question des campe­ments sauvages roms, c'est « stigmatiser » la population des gens du voyage. Evoquer un lien entre la ghettoïsation ethnique et cer­taines formes de délinquance, c'est « stigma­tiser » les populations étrangères. Enferme­ment dans le déni de réalité. Maintient-on toujours qu'on a eu raison de restaurer, en 1988, le principe stupide de l'acquisition « automatique » de la nationalité, donc sans démarche positive, par les enfants de parents étrangers nés en France? Des réflexes, rien que des réflexes.

On organisera non pas de larges mani­festations de convergence républicaine, comme Marianne l'a préconisé, le 7 sep­tembre en fournissant en particulier >

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• • uva 1 ses Ions Déclarations chocs et démonstrations à grand spectacle: une manière de faire de la politique dangereuse pour la société.

PAR FRANÇOIS BAVROU*

Marianne: Comment qualifiez-vous les propositions de Nicolas Sarkozy ? François Bayrou : A Grenoble, on n'a pas apporté de réponses nouvelles aux questions de sécurité, ce qui aurait été légitime et, selon moi, nécessaire. Je refuse l'angélisme. Il y a une réalité de plus en plus dure de l'insécurité et de la délinquance, avec des agressions de toute nature et des trafics qui progressent. C'est évidemment insupportable, pour l'Etat et plus encore pour les gens.

Mais les thèmes et les mots qui ont été choisis par Nicolas Sarkozy et ses proches ne portent pas une nouvelle politique de sécurité. Leur but est de faire naître la polémique la plus vio­lente possible, en espérant que cette polémique soudera autour d'eux ce qu'ils appellent leur camp, toute la droite jusqu'à l'extrême droite.

Une polémique ne prend pas toute seule, il lui faut des ressorts ... F.B. : Il y a une grande inquiétude, justifiée, sur la délinquance et l'insécu­rité. Par ailleurs, dans bien des secteurs de l'opinion, comme dans tous les pays en crise, l'immigration est mal vue. Alors on a choisi de faire un pont entre les deux. Le discours de Grenoble, c'est l'insinuation, mise en scène, qu'il existe un lien de cause à effet entre immigration et délinquance. C'est la première fois qu'un gouvernant, en France, et d'ailleurs dans aucun autre pays européen, prend le risque d'une insi­nuation comme celle-là. Beaucoup d'ex­trémistes l'ont dit, mais un gouvernant, jamais! Et c'est une fausse logique.

Bien sûr, il existe davantage de délin­quance violente et de trafics dans cer­tains quartiers où l'immigration est forte. (Même s'il ne faut pas oublier d'autres délinquances, par exemple

financière, dans d'autres milieux.) Mais l'immigration n'est pas la cause. Dans tous les milieux qui sont aux marges, en difficulté économique, sociale ou cultu­relle, il y a des gens plus fragiles face aux tentations de la délinquance! Une statis­tique ne fait pas une vérité. C'est comme si l'on disait que, parce qu'il y a dix fois plus de délinquants chez les hommes que chez les femmes, la masculinité est la cause de la délinquance!

Mais on a eu l'impression d'une manœuvre réfléchie ... F.B. : Bien sûr, puisque tous les jours on en ajoute une couche. C'est l'effet d'ava­lanche. D'abord, on propose de punir différemment les délinquants selon leur origine. Puis Brice Hortefeux envisage la plus large extension de cette déchéance ... Le troisième jour, l'UMP propose qu'on mette en prison les parents d'enfants qui ne respectent pas leurs obligations. Il y a comme une fuite en avant vers le plus « choc » ou le plus choquant.

Vous affirmez la réalité de l'insécurité. Nicolas Sarkozy n'a-t-il pas raison de s'y attaquer? F.B. : La délinquance et l'insécurité, commeje vous l'ai dit, s'aggravent! Mais

cela prouve simplement que la politique suivie depuis des années, à partir de déclarations chocs et de démonstrations à grand spectacle, n'a pas réussi. Il faut donc en changer. Il faut une philosophie différente, une reconquête par l'Etat, aussi bien dans ses forces de sécurité que dans ses services publics, de tou­tes les zones de non-droit. Une présence continue et une vigi­lance. Sans cela, toutes les décla­rations guerrières seront de nul effet sur la vraie délinquance dont souffrent les Français, la délinquance d'immeuble, de quartier, de village, d'agression, de vol, de voiture brûlée, d'inci­vilité, de provocation.

Quel jugement portez-vous sur cette manière de faire de la politique? F.B. : Je la crois dangereuse pour la société et pour la fonc­tion politique, singulièrement pour la fonction présidentielle. Dans une république comme la

nôtre, le président a une fonction de chef de famille: il doit être celui sur le calme duquel on compte; il doit regarder avec la même compréhension les différentes sensibilités du pays, il doit donner une direction stable et simple pour que tout le monde comprenne où on va. Il doit assurer l'Etat. Il a enfin le devoir de rassembler.

En quoi cette manière de gouverner est-elle dangereuse pour la société? F.B. : Parce que ce sont des chemins qui ne conduisent nulle part, sauf à davan­tage de mal-être. Cibler les Français d'origine étrangère, cela va faire mal à des millions d'enfants d'immigrés qui travaillent vraiment, en bavent vraiment, réussissent souvent, parfois jusqu'à l'ex­ploit ! Parce que les mauvaises passions ne font pas la différence! Elles ciblent la couleur de peau ou la consonance du nom, ou le quartier... Détourner la France de son histoire d'intégration, c'est lui faire mal, parce que c'est porter atteinte à son histoire, à sa na ture profonde. _ Propos recueillis par Jean-Claude Jaillette • Prés ident du MoDem

Lire aussi: « Sécurité: Bayrou, plus que jamais dans l'opposition », par Régis Sou brouillard, sur WWw.rlarianne2.fr

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Le voyou de la République

> l'occasion, mais, éventuellement, trois jours avant, une démonstration ciblée sur la question sécuritaire et migratoire qui risque d'être largement dominée par l'ex­trême gauche et ses slogans. Exactement ce que souhaite Sarkozy. Ah, si on pou­vait assister à quelques flambées d'anar­chisme, le rêve!

L'opération peut-elle réussir?

L'opération sarkozyste, qui est à peu près aussi moralement acceptable et intellec­tuellement justifiable qu'un hold-up, une escroquerie à la Sécurité sociale ou une prise d'otages, peut-elle, en revanche, réussir? L'auteur de cet article avoue sa perplexité. A première vue, elle a déjà atteint deux objectifs: désactualiser l'af. fuire Woetth-Bettencourt - c'était fait pour (c'était la spécialité du tsar de Russie de relancer la question juive chaque fois qu'il avait des difficultés) - et renvoyer la gauche socialiste à l'image qui a éloigné d'elle les couches sociales les plus populaires.

Ne nous leurrons d'ailleurs pas: en cas de face-à-face entre un authentique voyou et un « gentil organisateur ", qui l'em­porte? Celui qui ose tout, même le pire, ou celui qui s'interdit tout, y compris le meilleur? Celui qui boxe selon les règles, ou son adversaire qui se sert des pieds et s'est muni de poings américains? Rappe­lons-le: en 2007, Sarkozy pouvait déjà tout se permettre, néolibéralle lundi, étatiste le mardi, alors qu'à la moindre originalité Ségolène Royal était lynchée par les siens.

Isl Marianne 1 7 au 13 août 2010

Si vous avez un trésor à saisir, comme dans les westerns, avec d'un côté un truand débrouillard et de l'autre un moine fran­ciscain, fût-il désargenté, qui a le plus de chances de s'emparer du magot? Surtout s'il arrive au gangster de dire des choses vraies, quand le moine franciscain mou­line à l'infini un certain nombre de choses fausses. Sans compter que, atout suprême, le chef de l'Etat contrôle, aujourd'hui, 95 % de la télévision. Comme Berlusconi...

il existe, cependant, une limite. il est fort possible que Sarkozy l'ait déjà franchie: quand vous réitérez sans cesse la même stratégie, exactement la même, mais avec toujours plus de lourdeur, il y a nécessai­rement un moment où cela tourne à la caricature. A Waterloo, Napoléon chercha tout simplement à répliquer la tactique d'Austerlitz. Cela ne marchait plus.

L'homme Sarkozy est capable de men­tir comme une armée entière de détrous­seurs de dentiers. Cela peut s'avérer terri­blement efficace. Napoléon III, l'homme de quatre guerres catastrophiques, ne se fit-il pas plébisciter en répétant: « L'em­pire, c'est la paix! »Tant qu'on est cru, cela fonctionne: la « République irréprochable », le « président du pouvoir d'achat », «jamais on ne privatisera Gaz de France », « moi, je ne ser­rerai jamais la main de Poutine » ... Mais, passé un certain cap, à chaque allégation, même la plus sincère, on se dit: « C'est comme le mur de Berlin, qu'il avait abattu à lui tout seul! »Aux voyous - c'est même souvent, comme les cons, à ça qu'on les reconnaît - on donnerait a priori le Bon Dieu sans confession. Même Al Capone suscita une certaine synlpathie autour de lui. Mais il

ne faut pas se faire prendre trop souvent. Les ratages répétés, ça finit par peser grave. Et alors surgissent des caïds en herbe qui commencent à vous prendre pour un cave. Et à lorgner votre business.

Un bon calcul? Pas sûr C'est vrai que le Sarkozy du discours de Grenoble surfe, contrairement aux diri­geants socialistes, sur une sensibilité potentiellement majoritaire au sein de la France dite « d'en bas ». Mais soit cet électorat, surtout s'il est âgé, aurait voté de toute façon Sarkozy (s'il se faisait cou­ronner empereur, il approuverait encore) : soit - c'est à craindre - il sera d'autant plus encouragé à rallier Marine Le Pen que la rhétorique du Front national aura été confortée et légitimée (<< Finalement, eux, ils nous ont toujours dit ça et ils ont été persécu­tés pour cette raison! ») : ou encore, enfin, il votera malgré tout à gauche pour sanction­ner la « régression sociale ».

On l'oublie, mais aujourd'hui une large fraction de l'électorat populaire -1 0 millions de personnes environ - est, sur trois générations, issue directement ou indirectement de l'émigration. Sarkozy risque d'y recueillir autant de suffrages que Milosevic au Kosovo. En revanche, c'est toute une France modérée, de droite mais républicaine, gaulliste, libérale bon teint, centriste, chrétienne-démocrate, qui exècre les voyous, mais tous, y compris ceux qui se sont haussés jusqu'aux cin­tres, que l'outrance et le cynisme sarko­zystes effarent. Elle voulait Poincaré, elle se retrouve avec Catilina. Pour peu qu'elle dispose d'une alternative (un peu comme cette droite italienne qui lâche Berlusconi pour Fini), elle ne votera plus Sarkozy. Or, peut-on gagner une élection en rassem­blant la droite néopétainiste sans le Front national? Même à Chicago, il fullait dispo­ser de réserves.

Bon calcul? Pas sûr. _ J. -F.K.

A lire aussi: - « Le Conseil constitutionnel contre Sarkozy?»,

par Philippe Bilger - « Sarkozy, président le plus retoqué»,

par Bénédicte Charles - « Le retour de la double peine », par Siovar - « Sarkozy s'agite, le FN attend »,

par David Desgouilles - « Pour Sarkozy, tous les chemins mènent

aux Roms », par Philippe Baumel - « Les Roms, à la fois boucs-émissaires

et rideau de fumée », par Luc Mandret - « Sarkozy : un fait divers = une loi? Jamais! »,

par Régis Sou brouillard - « Méthode Coué: Besson invoque

les "valeurs républicaines" », par Gérald Andrieu, sur

www.rlarianne2.fr

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• UI Enfants turbulents, parents au ballon! Ce député UMP n'a rien trouvé de mieux à proposer pour juguler la délinquance en hausse des mineurs. Ce sont les tenants du FN qui le trouvent à leur goût...

PAR GUY SITBON

cee homo. Voici l'homme. Député, une idée lui est passée par la tête, Eric Ciotti veut en faire une loi. C'est son droit et même son devoir. L'idée 7 Jeter en pri­son pour deux ans les mères, au besoin les pères, des enfants

délinquants, au cas où ... Le projet a ravi les tenants spirituels du Front national (ça fait du monde) et jeté l'effroi dans le reste

famille 7 C'est un traitement classique de la délinquance qui vise au reclassement de l'adolescent par une mise à l'épreuve.

du pays, en vacances ou pas (pas mal de monde aussi).

Mijoté aux petits oignons, le plan ne pré­sente pas, à première vue, si mauvaise figure. Le nombre des mineurs délinquants va croissant: 218 000 en 2009, en augmentation sensible, surtou t parmi les filles. Bea ucou p de nos enfants basculent dans la voyou­terie, c'est accablant, mais c'est ainsi. Pas question de se croiser les bras devant une pathologie aussi lourde. Plutôt que d'in­carcérer, d'une façon ou d'une autre, un gamin de 12, 13 ans dans une « école du vice ", ne vaut-il pas mieux le soumettre à une période de probation en

parents e

en

votre foyer, vous • • Irez en prison pour deux ans si votre

ne vous obéit pas!

Au cours de sa pro ba tion, l'enfant sera mis par le juge sous la responsabilité de la famille avec interdic­tion de paraître dans tels lieux ou d'entrer en rela­tion avec telle personne, assortie d'obligation en ter­mes de résultats scolaires. Jusque-là, rien que de très raisonnable. C'est, du reste, une pratique courante.

Les choses commen­cent à se gâter lorsqu'on envisage le cas où l'enfant transgresserait les règles prescrites par le tribunal. Le père ou la mère (com­ment choisira-t-on entre les deux 7) seront « punis de deux ans de prison et de 30 000 € d'amende ». Pour parler français, vous irez

s!

en prison pour deux ans si votre enfant ne vous obéit pas. Il faut quand même être bête à manger du foin, con comme un balai pour proposer en France, EN FRANCE, une mesure aux antipodes de l'Etat de droit. Au pays de Montesquieu, de l'Esprit des lois, de René Cassin, de Sté­phane Hessel, rédacteurs de la Déclara­tion universelle des droits de l'homme, votée en 1948 au palais de Chaillot. Même en Centrafrique, on n'aurait pas osé.

Qui c'est, ce paroissien? Eric Ciotti a osé. Eric Ciotti 7 Qui c'est, encore, ce paroissien 7 Faudrait aller voir à quoi il ressemble. J'y suis allé et, je peux vous le dire, il n'a rien de l'idée qu'on s'en fait. Propre sur lui, prévenant, bien élevé, on lui donnerait Sarkozy sans confession. Dix ans de moins que le président, deux centimètres de plus (sans talonnettes), député de la dernière couvée, il est, en prime, président du conseil général des Alpes-Maritimes où il règne sans la ramener. Quand il >

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Le voyou de la République

> souffle dans le ballon, il le fait explo­ser avec une teneur en « sarkozyté » lar­gement supérieure à la dose autorisée. En fait, avec son grand manitou Chris­tian Estrosi, maire de Nice et ministre de quelque chose, il est sarkozyste bien avant la naissance de l'appellation, depuis 1988, la première élection à la députation de l'actuel président. Ciotti, en ce temps-là, avait 23 ans et sortait de Sciences-Po. Depuis, lui et son patron, Estrosi, le petit doigt sur la couture du pantalon, sont parvenus aux sommets. La fidélité, ça paie.

Juristes amateurs ... «Avant de présenter ce projet sur les parents d'enfants délinquants, vous en avez parlé à l'Elysée ?, ai-je interrogé ingénument.

- Rassurez-vous, oui. [Tiens, il ne man­que pas d'humour.] Le président a réuni les députés de notre groupe et il nous a invités à plancher là-dessus.

- Mais vous savez mieux que personne que votre proposition de loi est contraire à tous les textes, qu'elle sera cassée au Conseil constitutionnel ...

- Je crois le contraire. La responsabilité pénale des parents figure dans le code depuis toujours. Nous ne ferons qu'y ajouter une dis­position supplémentaire.

- Soyons sérieux. Abandonner son bébé, infraction naturellement sanctionnée, n'a rien de commun avec une mère incapable de _ se faire obéir par un ado. On melange tout.

- C'est toujours la responsabilité paren­tale. La famille, l'éducation doivent retrouver E!

leur place. C'est au centre de nos préoccupa- -tions. D'ailleurs, au Canada, un système sem­blable à ma proposition est instauré depuis

w longtemps. » ~

Là, il a manqué une occasion de se taire, Eric Ciotti. J'ai plus d'un ami juriste au Canada. Leurs commentaires sont formels. Ils n'ont « jamais entendu parler, dans le droit canadien, de l'expan­sion de la responsabilité pénale des enfants à leurs parents, sauf négligence criminelle. On laisse à un enfant de 5 ans l'accès à une arme à feu chargée. Il joue avec et tue quelqu'un. Les parents sont responsables. Il faudrait demander à ceux qui, en France, prétendent autre chose qu'ils nous indiquent à quelle disposition du code criminel canadien ils se réfèrent. »

J'ai posé la question à Eric Ciotti. 11 a compulsé un gros dossier en marmon­nant : « Oui, ça existe au Canada. » Il en est resté là. Et pour cause.

Si les juristes de l'UMP sont aussi minablement outillés, on se demande bien ce qu'ils nous réservent encore. _ G.S.

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Ils sont gaullistes, ils sont

PAR CHRISTINE BOUTIN*

1 ne sert à rien de nier que de nom­breux Français expriment une exas­pération réelle. Y répondre par la stigmatisation et la peur, comme l'a fait Nicolas Sarkozyen annonçant ses mesures contre l'insécurité, ce n'est pas la bonne voie. Des lois réprimant

les délits qu'il a évoqués existent. Il mut les appliquer. Mais ce n'est pas en dressant les Français les uns contre les autres que nous irons vers la paix sociale. Au contraire, nous subirons des flambées de violence.

Oui, je suis très choquée des propos de Nicolas Sarkozy liant immigration et délinquance; mon parti, le Parti chrétien­démocrate, a réagi très vivement. Nos adhérents sont inquiets du tournant très droitier pris par le gouvernement. La paix sociale est plus fragile que jamais. Il ne sert à rien de dresser les citoyens les uns contre les autres, de montrer du doigt certaines personnes par des annonces stigmatisan­tes. Or, là, on ne met en avant que la peur; on ne donne que des réponses négatives,

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chrétiens, ils sont de droite ... • e e an lona

PAR ÉTIENNE PINTE*

e suis opposé à la proposition du président de la République de remettre en cause l'acquisi­tion de la nationalité française de citoyens français d'origine étrangère nés sur le sol fran­çais ou naturalisés. Le droit du

sol n'existerait donc plus que pour une seule catégorie, celle qui n'aurait aucune parenté d'origine étrangère, et ce depuis combien de générations? C'est absurde. La déchéance de la nationalité française serait une nouvelle forme de double peine alors que, sous mon impulsion, Nicolas Sarkozy l'avait en grande par­tie supprimée lorsqu'il était minis­tre de l 'Intérieur. C'est incohérent!

Ces annonces sont malheureusement le constat de nos échecs d'intégration de

quand, par exemple, on menace les parents d'en­fants délinquants de peines de prison. Je constate aussi une exacerbation des relents nationalistes et populistes. Activer le populisme ne fait qu'exacerber la violence.

Nicolas Sarkozy a brisé un tabou. Candidat, en 2007, il avait fait une excellente campagne axée sur le travail, le pouvoir d'achat, le mérite. Je ne suis pas

nos concitoyens d'origine étrangère. La répression qui stigmatise toute une com­munauté n'a jamais été la réponse intelligente à nos insuffisances , à nos man­ques de discernement, à nos imprévoyances. Il est stupé­fiant de vouloir lutter contre l'absentéisme scolaire par la suspension des allocations familiales ou d'envisager d'emprisonner des parents qui ne seraient pas parvenus à accompagner leurs enfants sur les chemins du respect des droits et des devoirs. Ces deux propositions du député Eric Ciotti sont démagogiques et irrespon­sables. Comme le dit avec finesse Fadela Anlara : « Ce n'est pas la France que j'aime. »

Nous sommes confrontés à de graves

sûre qu'avec ces discours sur l 'insécurité, nous gagnions des électeurs. Nous en per­dons plutôt. Des adhérents

m du Parti chrétien-démocrate ~ - me demandent d'ailleurs de o .8 quitter l'UMP, auquel nous ~ sommes affiliés! Nos valeurs ~

nous interdisent la stigmati­sation et l'amalgame.

Qu'est-ce que cela veut dire, en effet, « Français d'origine étrangère »? Moije ne

problèmes, mais ces répon­ses ne sont pas les bonnes. Il faut naturellement don­ner au ministre de l'In­térieur suffisamment de moyens pour lutter contre la grande délinquance, apporter aux acteurs sociaux de terrain et aux

enseignants un soutien sans faille pour les aider dans leurs actions d'intégration, d'accompagnement des catégories socia­les les plus fragiles. Donnons-nous enfin les moyens d'apporter les bonnes répon­ses: celles qui misent sur l'éducation, la solidarité, l'application des lois dans le respect des personnes, celles qui font appel à l'intelligence et au dialogue. _ • Député UMP des Yve lines.

sais pas,je ne veux pas savoir, je préfère ne pas savoir. La déchéance de nationalité a très peu été appliquée dans notre histoire. C'est très rare car très grave. Il faut avoir porté atreinte aux intérêts de l'Etat. Beau­coup de choses peuvent porter atreinte aux intérêts de l'Etat. Tout est donc question d'interprétation, de degré. A quel niveau place-t -on le curseur? Quoi qu'il en soit, je le répète, l'amalgame fait entre immigra­tion et insécurité est insupportable. _ • EX'ministre, prés idente du Parti chrétien·démocrate.

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Le voyou de la République

PAR MARIE-ANNE MONTCHAMP*

omment qualifier les nouveaux projets de Nicolas Sarkozy ? Voilà en réalité une suren­chère sécuritaire qui part de loin, d'autant plus étonnante qu'elle pose des problèmes constitutionnels graves. Elle

avait commencé, cette surenchère, avec la création du ministère de l'Identité nationale, s'était prolongée avec le deoat sur « l'identité nationale » qui s'est révélé calamiteux. Aujourd'hui, ce n'est pas une provocation, ni même une incitation à la polémique dont il s'agit, mais bel et bien de l'expression d'une position de fond.

1 ...

PAR NICOLAS DUPONT-AIGNAN*

ui a supprimé à l'aveugle des milliers de postes dans les commissariats depuis plu­sieurs années? Qui impose des économies draconiennes au budget de la justice, n'hési­tant pas, pour ne pas surpeu­

pler da'vaIlta, les prisons, à étendre la dispense d'incarcération pour les peines allant jusqu'à deux ans de prison, laissant ainsi dans la nature de petits caïds? Qui a relancé l'immigration de travail, à la plus grande joie du Medef? Qui a supprimé la « double peine » permettant l'éloignement automatique du territoire national des criminels étrangers? Qui signe et porte des traités européens qui empêchent la France de contrôler ses frontières?

Qui? Nicolas Sarkozy, bien sûr! Il se plaint maintenant d'une insécu­

rité qu'il n'a rien fait pour juguler sérieu­sement. C'est encore lui qui, pour mas-

221 Marianne 1 7 au 13 août 2010

En créant le statut de ban­nis de la République, le chef de l'Etat exprime un clivage entre deux conceptions de la République. Cette fois, nous sommes au cœur du deoat.

Selon le président, il y a d'un côté les citoyens à part entière, les citoyens modèles; et de l'autre, les bannis. Militants de Républi­que solidaire, nous sommes à l'opposé de cette conception: c'est précisément parce que nous sommes tous dans la République unie et indivisible que les ins­titutions peuvent sanctionner les délits.

quer ses échecs en matière de sécurité publique comme de régulation des flux migra­toires, s'attaque désormais aux principes régissant la nationalité française. Il se comporte, comme toujours, en candidat de la démago-

Son rôle n'est pas

Position démagogique de l'Elysée, oui, répétons-le: même dans des cas gravis­simes d'atteinte à la Répu­blique, par exemple l'assas­sinat du préfet Erignac, la déchéance de la nationa­lité n'est pas requise. Alors

pourquoi concevoir une procédure mar­tiale, d'exception, utilisée si rarement au cours de notre histoire?

En prenant ces positions sur la déchéance nationale, Nicolas Sarkozy ne répond pas aux exigences des Français qui attendent, eux, des solutions à l'insé-

de Vichy, d'opérer un tri entre « bons » et « nlauvais »

Français. Le rôle du chef de ~ l'Etat n'est pas de dresser les

Français les uns contre les autres mais, au contraire, de les rassembler autour d'une ambition collective!

Plutôt que de voir leur président jouer pour des

de dresser les Français les uns contre les autres, mais de les rassembler.

raisons politiciennes avec notre pacte républicain, les Français a ttendent sa ferme application. Depuis des années, je propose des mesu­res simples et cohérentes: donner à la police, comme à

gie, de la provoca tion et de la surenchère, plutôt qu'en président de la République. En effet, la qualité de Français est un bloc indivisible. Il serait à la fois indi­gne et irresponsable, comme à l'époque

la justice, des moyens corrects pour assu­mer leurs missions; appliquer les peines de prison en supprimant les remises de peine extravagantes; expulser les étrangers cou­pables de délits graves, notamment les tra-

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curité, certainement pas la stigmatisation de populations. L'insécurité est une vraie question qu'il faut traiter avec des vrais moyens, à l'aide d'une révision générale des politiques publiques (RGPP) raisonna­ble, en soutenant la justice, en soutenant les fonctionnaires qui sont sur le terrain, et non avec des expédients. Tout le reste est, redisons-le, démagogie.

République solidaire assumera ce deoat, car nous sentons de la part du président de la République une évidente volonté de clivage, sur de nombreux autres sujets aussi, le budget par exemple. D'un côté, notre vision d'un pays rassemblé permet­tant d'affronter ensemble les difficultés économiques; de l'autre, une approche par palier, en créant des catégories d'ex­ception, avec le maintien doctrinaire du bouclier fiscal qui protège une petite par­tie de la population alors qu'on demande des efforts aux autres Français ...

Nous allons jouer notre rôle et cela peut nous amener à constituer notre pro­pre groupe parlementaire à l'Assemblée nationale. En dehors de l'UMP. _ • Députée du Val'de'Marne, porte' parole de Républiq ue solidaire et de Dominiq ue de Villepin.

fiquants de drogue; rétablir les contrôles aux frontières, ce qu'autorise d'ailleurs le traité de Schengen dans certaines condi­tions ; durcir, pourquoi pas, les condi­tions d'accès à la nationalité française.

Mais une fois français, on l'est une fois pour toutes. Parce que cette éga­lité de tous les citoyens devant la loi garantit la cohésion nationale! Dès jan­vier 2007, lors de l'investiture de Nicolas Sarkozy pour l'élection présidentielle, j'ai claqué la porte de l'UMP, mettant en garde contre les graves dérives qu'impli­quait la désignation d'un tel candidat. Aujourd'hui, pour se maintenir coûte que coûte au pouvoir, le chef de l'Etat est prêt à tout. Les parlementaires UMP refusent toujours d'ouvrir les yeux. C'est pourtant bien plus que leur avenir qui est en jeu, c'est l'avenir de la France ... _ • Député de l'Essonne, président du rassemblement gaulliste Debout la Républiq ue.

Désaccord PAR GUY SITBON

ans un paysage média­tique engourdi, révé­rencieux ou moribond, l'insolence de Marianne fait tache. Ici, on

s'échine à dénicher l'info, sur­tout celle qui dérange. Quand on a q uelq ue chose à dire, on le dit, même si on doit s'attirer des ennuis. On ne le dit pas à la manière d'un salon des beaux quartiers. On pèse ses mots sans en avoir peur. Si on veut dire qu'un type est un con ou un chic type, on l'écrit comme on le pense, pas comme on devrait l'écrire. En quelques mots, voilà les raisons de ma présence à

Le président n'honore pas sa fonction ••• Moi, je la respecte pour deux ••• Par besoin de France.

Marianne, et je n'aurai jamais assez de gratitude envers ceux qui m'y ont offert l'hospitalité. Il m'arrive pourtant, plus sou­vent qu'à mon tour, de n'être pas en raccord avec le journal. « Le voyou de la République », en couverture cette semaine, m'a contrarié, m'a heurté.

En traçant une frontière dans la chair de la nation entre Français à part entière et Fran­çais « d'origine étrangère », Nicolas Sarkozy a outragé la France, vous savez, l'une et l'indivisible. Je suis de ceux qui en ont été le plus meurtris, pour mille raisons que je vous épargne. N'empêche. Traiter le président de la République de

« voyou », je me l'interdis. J'aime beaucoup Marianne, mais bien plus encore, j'aime cet Hexa­gone parfait doté d'un nom de femme, France. Un demi-mil­lénaire s'est écoulé depuis que Joachim du Bellay a composé ce quatrain devenu, paraît-il, cucul la praline, mais je ne résiste pas au plaisir de vous le rappeler tant il dit ce que j'éprouve.

« France, mère des arts, des armes et des lois, / Tu m'as nourri long­temps du lait de ta mamelle: / Ores,

. . comme un agneau qUI sa nourrice appelle, / Je remplis de ton nom les antres et les bois. »

Cinq siècles en arrière, la plupart des pays d'aujourd'hui ne rêvaient même pas d'exister un jour. Ici, c'est un fil ininter­rompu de pensée, de sensibilité qui atteint encore au coeur les « d'origine » autant que les « de souche ».

Traiter quelqu'un de voyou, c'est l'injurier. Si tu insultes le président, tu m'insultes. Il est la nation faite homme, sa per­sonnification. S'il trahit le pays (Pétain), en prison. S'il mène une politique exécrable, je combats sa politique, mais je le respecte. En le respectant, c'est moi­même que j e préserve. Sans chef d'Etat, pas d'Etat, pas de droit, la loi de la jungle. N'importe qui pourrait me cracher à la gueule, m'insulter, me rouer de coups, me dépouiller, et je n'aurais que tou tes les larmes de mon corps pour me consoler.

Nicolas Sarkozy n'honore pas sa fonction? Sans doute. Moi, je la respecte pour deux. Non par grandeur d'âme, mais par besoin de France. Nicolas Sarkozy, si critiquable soit-il, est le président de la Républi­que, pas le voyou de la Républi­que. _

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Le voyou de la République

hez Nicolas Sarkozy, quand tout va mal, il reste encore un fondamental, un repère grani­tique, un fanal sur la houle: la nation - ou plutôt le discours sur la nation. En convoquant, à l'Elysée, le 28 juillet, au lende­

main des actes de délinquance survenus à Saint-Aignan, un « sommet » supposé « faire le point sur la situation des Roms et des gens du voyage », puis en prononçant le fameux dis­cours de Grenoble, où il évoquait l'éventua­lité de déchoir de la nationalité française « des personnes d'origine étrangère qui auraient volontairement porté atteinte à la vie d'un poli­cier, d'un gendarme ou de tout autre dépositaire de l'autorité publique », il n'a pas seulement sacrifié à ce talent polémique qui est sa marque de fabrique; il a déchaîné une tempête, qui embarrasse les « clercs ».

On aurait tort, cela dit, de mettre les états d'âme de certains intellectuels sur le compte d'un excès de prudence ou d'une frilosité tactique. Le débat (re)lancé sans précaution par le président de la Répu­blique les gêne aux entournures, surtout quand ils l'ont soutenu ou ne se sont, jusqu'ici, jamais prononcés contre sa poli­tique. Car la délinquance et ses causes sont tout sauf anodines dans la sémantique politique hexagonale: elles relèvent de ces « passions françaises » disséquées par l'historien britannique Theodore Zeldin. Approximations polémiques et confusion des ressentiments entourent ces enjeux d'un halo d'irrationnel. Nul hasard, donc, si la controverse suscitée par le discours de Grenoble oscille entre ces deux écueils.

D'un côté, la diabolisation des saillies sarkozystes, à l'aide d'un « prêt-à-penser » daté, qui est celui d'un antiracisme idéolo­gique, auquel répondent, comme en leur symétrique inversée, les certitudes d'une

241 Marianne 1 7 au 13 août 2010

Pour beaucoup, ces penseurs ont accompagné Nicolas Sarkozy en 2007. Trois ans plus tard, où en sont-ils?

PAR ALEXIS LACROIX

certaine droite « intellectuelle » - cette new droite inébranlable, recyclant les hantises du géostratège américain Samuel Hunting­ton sur le « choc des civilisations ». Or ce conservatisme-là est si pénétré de l'antago­nisme entre identité française et islam que ses champions ne trouvent rien à redire lorsque le premier magistrat de France, non content d'établir un lien abrupt entre immigration et insécurité, agite la menace d'une déchéance de nationalité.

Caricatures antagonistes Le choc des civilisations reste un scénario de politique-fiction, mais le clash des ortho­doxies, lui, a bel et bien lieu, en France, chaque semaine. La montée des extrêmes s'est même constituée en lieu commun de la discussion démocratique sur tous les enjeux identitaires. La tenaille des carica­tures antagonistes s'aggrave. Jamais sarko­zyste stricto sensu, la sociologue Dominique Schnapper, comme beaucoup de ses pairs, s'en émeut: « Pour un chercheur comme moi, qui n'ai cessé, depuis vingt-cinq ans, de dévelop­per sur ces sujets un propos nuancé, il y a là un vrai motif de découragement. » A l'instar de

cette ex-membre du Conseil constitution­nel, la plupart des intellectuels français, même et surtout ceux que le parler vrai sarkozyste et sa promesse d'une « Répu­blique irréprochable » avaient ralliés, pour certains, en 2007, et qui, pour d'autres, lui avaient trouvé des échos intéressants, sont plongés dans une perplexité abyssale.

Dans les franges les plus musclées de cet hémicycle mental, on trouve bien encore quelques endurcis qui délivrent un quasi­blanc-seing au discours de Grenoble. L'écri­vain Denis Tillinac fait entendre l'un des plaidoyers les plus argumentés, les plus vibrants aussi. Depuis sa Corrèze natale, l'auteur de Chirac le Gaulois admet, certes, que son style rend pour l'heure Sarkozy assez « inaudible ». Mais, ajoute-t-il aussi­tôt, ses paroles ne sont pas tombées dans l'oreille d'un sourd: « La majorité silencieuse est vraiment exaspérée, et la constante survalo­risation des minorités a généré un sentiment d'abandon considérable. »Et l'écrivain de s'ex­clamer: « Est-ce qu'il faut être musulman, voire sikh ou bouddhiste, pour avoir encore le droit à la parole dans ce pays? »

Le victimisme, à l'en croire, aurait donné congé au réel... Certes, admet Tilli­nac, l'hôte de l'Elysée a été « un peu raide », mais, « si maintenant on n'est pas raide, dans dix ans, la Légion étrangère devra intervenir, et le FN sera à 35 % ! Je crois donc à la nécessité de rappeler les fondamentaux de l'intégration et de parler en gros comme l'ont fait Sarkozy et Hortefeux ». Tillinac n'est pas un intellec­tuel « huntingtonien » ; mais il croit en la consistance substantielle de l'identité française, faite de coutumes, d'un folklore et d'un legs religieux « judéo-chrétien ». Il n'en démord pas: la seule intention du chef de l'Etat est de remettre l'intégration à l'endroit. « Les minorités ne peuvent être bien accueillies, assure Tillinac, que si la majorité

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est assurée de sa supériorité symbolique. » Un discours que contresigne le talentueux Max Gallo, chef de file des républicains de la fumille sarkozyste : « Quand on employait jadis le mot "assimilation", écrivait-il dans le Figaro jeudi dernier, on osait penser et dire que devenir français, pour un émigré, c'était assimiler les e1éments de cette dvilisation française. Poser le problème de la nationalité française en ces termes est dif.fidle, ambitieux, et soulève de lourds pro­blèmes juridiques. » Mais, ajoute l'auteur de Fier d'être français, suggérant du même coup que le chef de l'Etat était fondé à briser ce « tabou » à Grenoble, « rester dans le non-dit, c'est comme marcher dans un champ de mines. Nous y piétinons depuis près d'un demi-siècle ».

Une « pente glissante» ? Le politologue Pierre-André Taguieff est peu ou prou sur la même longueur d'onde. Mais son soutien à Sarkozy est moins net. N'empêche, en regard des anathèmes codés de ceux qu'il nomme les « professionnels de la posture de gauche bien-pensante », Taguieff estime la démarche du chef de l'Etat jus­ticiable d'une vraie discussion. Regrettant que « certains passages du discours de Grenoble

donnent prise à la polémique, car ils e1udent des distinctions juridiques e1émentaires », il déplore que, depuis dix jours, «soient mon­tées au créneau du néo-antifascisme des person­nalités convenablement morales, connues pour leurs travaux consensuels sur l'immigration et la xénophobie ». Ce que l'auteur de la Force du préjugé reproche à ces « belles âmes » ? Non seulement de « manipuler cyniquement des stéréotypes pseudo-antifascistes éculés »,

mais surtout de « [se] dissimuler la réalité ».

D'« évacuer le réel ». Car, renchérit Taguieff, « ce qui me paraît beaucoup plus grave que telle formule contestable de Sarkozy, c'est l'oubli des faits, la mise entre parenthèses de la réa­lité sociale et de ces émeutes qui s'aggravent. Ainsi, toute mesure allant dans le sens d'une plus grande fermeté et visant à mettre fin à la complaisance, à l'impuissance se heurte à l'al)?;u­ment des "vieux démons" ». Tillinac ne dit pas autre chose: « Il faut arrêter avec le renvoi à Vichy. Il faut arrêter de culpabiliser les gens qui aiment la choucroute parce que Hitler aimait la choucroute! Réviser telle ou telle disposition du code de la nationalité, cela ne veut pas dire agir comme Bousquet sous l'Occupation! » Le sociologue Gilles Lipovetsky est loin, pour sa part, de défendre en bloc la démarche

de Sarkozy, mais il se refuse également aux « analogies rétrospectives ».

Cesser de songer à l'Occupation? Renon­cer, vraiment, à toute référence à Vichy? Editorialiste au Figaro, l'historien Alain­Gérard Slama n'est pas ce qu'il est convenu d'appeler un « vigilant ». C'est pourtant lui qui, dans une consonance frappante avec les thèses audacieuses de Bernard-Henri Lévy dans l'Idéologie française (1), met en garde, depuis quelques années, contre « la pétainisation des esprits » (2). Précision limi­naire : le pétainisme, chez Slama, désigne, bien davantage qu'une séquence sombre de l'histoire nationale, les cinq années de la « révolution nationale » ; il trahit une idée amoindrie de la France, deoarrassée de son « surmoi républicain », ainsi qu'une conception viciée de l'appartenance, « où l'individu est voué à l'exclusion s'il ne se prévaut pas d'une identité ou s'il déplaît à une commu­nauté ». De ce point de vue-là, le discours de Grenoble ne contribue pas seulement à abaisser les défenses immunitaires de l'édi­fice républicain, il entérine, bien plus gra­vement, selon lui, une vision de la société selon laquelle la loi commune ne suffirait pas, et, partant, « des contrôles ciblés sur >

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Le voyou de la République

> des populations spédfiques » deviendraient nécessaires (3). L'auteur du Siècle de M. Pétain n'a qu'un conseil à donner à sa famille de pensée: se méfier de la pente - ou plutôt du « piège » -, fréquente dans son histoire, que représentent les « surenchères contre les sans feu ni lieu ».

« La notion de déchéance est une notion de guerre », s'enflamme, pour sa part, l'histo­rien Jean-Pierre Rioux, proche du MoDem et, jusqu'ici, très mesuré dans sa critique du sarkozysme. Le biographe deJeanJaurès s'inquiète de la croyance des sarkozystes en ce que des mesures d'exception puis­sent régler les problèmes actuels de délin­quance. Car, met-il en garde, en accord avec un philosophe opposé au sarkozysme dès la première heure, Bernard-Henri Lévy, dans le Monde (3), « ces mesures d'exception reviendraient effectivement à fabriquer des sans-patrie. Or la déchéance de la nationalité peut être constitutive du droit d'un Etat libéral, à condition qu'elle ne revienne pas à faire des apatrides des personnes qu'elle frappe ».

Pétainisation des esprits? De l'excep­tion à l'exclusion, en tout cas, il n'y a qu'un pas, avertit Rioux: « La preuve, c'est la réaction du Front national aux annonces de

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Sarkozy. Ses responsables les trouvent encoura­geantes. Après la déchéance, le FN espère bien qu'il va s'attaquer aux 150 000 naturalisations annuelles. » L'inquiétude républicaine est donc à son paroxysme. A Taguieff qui dénie toute pertinence à la notion de « pente glissante », Rioux répond en évo­quant un glissement dangereux, un jeu ambigu avec les fondamentaux de l'Etat de droit. Le psychanalyste Jacques-Alain Miller les rejoint: «Ces annonces sont surpre­nantes et inappropriées de la part d'un homme qui nous avait jadis habitués à mettre en avant son caractère de "sang-mêlé". »

Désillusion générale Pour autant, l'essayiste Pascal Bruckner, à l'instar de nombreux « droits-de-l'hom­mistes » ralliés à Sarkozy en 2007, se refuse à voir dans ces saillies l'aveu d'une cohé­rence idéologique granitique, du type « new droite de rupture ». Plutôt qu'un pétai­nisme, il déplore le pragmatisme cynique d'un président acculé à jouer son va-tout. Pour l'auteur de la Tentation de l'innocence - qui a vite rompu avec le chef de l'Etat-, tout se passe conIDIe si Sarkozy « se vengeait,

dans l'idéologie, de ses échecs dans le réel ». Et de renchérir: « TI dispose d'un clavier infini de mesures, et comme il est dépourvu d'idéologie, il les essaie toutes. TI peut entonner tour à tour les harmoniques des différents discours de la droite, de celui de Giscard à celui de De Gaulle, de celui de De Gaulle à celui de Le Pen. Comme un coq qui se serait mis en tête de réveiller chaque matin la France avec un chant différent. » Une seule cer­titude provisoire, selon Bruckner: « TI n'est pas normal que la police ait affaire à des voyous si violents, mais il est lamentable que l'unique réponse consiste à changer le code de la natio­nalité. » Gilles Lipovetsky est moins sévère, mais il voit dans les bombements de torse sarkozystes l'aveu d'une « prodigieuse incapa­dté à renouveler son logiciel, à imaginer un autre discours, en vue de 2012 ». Dominique Schnap­per traduit cette désillusion générale: « En 2007, de nombreuses personnes, dans mon entourage, ont voté Sarkozy. Je vois bien qu'elles ne voteront plus en sa faveur. » Pour séduire à nouveau les desservants de la pensée, une chose est sûre: le président sortant est condamné à changer de méthode. _ A.La. (1) L'Idéologie française, Le Livre de poche. (2) Le Siècle de M. Pétain, Plon (2005). (3) « Les trois erreu rs de Nicolas Sarkozy », Ie Monde, 5 août 2010.

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Face au chantage sécuritaire du chef de l'Etat, le PS se contente d'annoncer qu'il a un projet... pour la rentrée. Mais comment redevenir crédible? PAR GÉRALD ANDRIEU

uand « l'épilep­tique de l'Elysée »

(c'est une formule désormais utilisée au Parti socialiste) se vante de décla­rer une « véritable

PYI' P' » à la délinquance, Martine Au bry et les siens décident délibérément de la « jouer discret ». Quarante­huit heures après que Nico­las Sarkozy eut provoqué le scandale en proposant une possible déchéance de natio­nalité, le PS lui opposait ... un communiqué de presse aux mots soigneusement pesés. Pas question de tomber dans le piège tendu: plutôt que de dénoncer, comme à l'accoutu­mée, la surenchère sécuritaire, les socialistes choisissent cette fois d'insister, à juste titre, sur cette « dérive antirépublicaine qui abîme la France et ses valeurs ».

Non à l'outrance Les mots ont certes été choisis avec soin, sont-ils pourtant suffisants? N'est-ce pas pour les socialistes une manière de déserter de nouveau le champ de bataille de la sécurité, qui importe tant aux Français de droite et de gauche? « Certai­nement pas, assure le député Jean-Jacques Urvoas, secrétaire national en charge des affaires de sécurité au PS. Ce n'est pas parce que le ventilateur Sarkozy se met en marche que nous devons nous précipiter. Ce n'est pas parce que les sarkozystes paniquent qu'il nous faut à notre tour céder à la frénésie. »Le PS aurait donc appris de ses erreurs passées.

Le président ne lui fera plus le coup de la gauche gnangnan, celle qui nie l'insécurité. Mais le PS, pour autant, ne répond pas au quart de tour. « Nous ne voulons pas revivre le coup du 8 mars 2007, précise Urvoas. C'était en pleine campagne prési­dentielle et Sarkozy était à la peine dans les sondages. Et voilà qu'il annonce la création du ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale ... Nous sommes tous montés au créneau. Il est alors reparti de l'avant. »

Laisser tourbillonner le chef de l'Etat; maîtriser le calendrier; rappeler que la politique ne peut se conce­voir que sur le temps long: telle est la stratégie des socia­listes. Une stratégie à la fois intelligente et ... risquée. Les gardes-chiourmes de la Sarko­zye l'ont d'ailleurs compris. Ils veulent voir dans la retenue socialiste un nouvel aveu de faiblesse. Et Christian Estrosi d'accuser Martine Aubry de

• • « non-assistance a personne en danger ». Et Nadine Morano

de moquer la « naïveté » des socialistes. «Ange1isme du PS » : la formule revient en bou­cle. Selon Christophe Borgel, gardien par intérim de la maison PS en cette période de vacances, « l'ange1isme socialiste est un débat d'un autre temps. Nos e1us locaux mènent, eux, une vraie politique de sécurité ». Les Fran­çais en sont-ils si sûrs?

« Nous pourrions faire dans l'outrance, poursuit Borgel, expli­quer que Nicolas Sarkozy envoie en fait un message aux petits dealers armés: 'j\llez-y, faites-vous un flic [" Parce que c'est en partie ça. Mais ce serait irresponsable de notre part. Nous devons expliquer, toujours et encore, qu'il est l'homme des mots durs et de la réalité molle, rappeler son mauvais bilan en matière de sécurité. Nous devons taper sur ce clou, voilà tout. »

Le PS a donc choisi de jouer la montre: aucune pro­position « sécuritaire » avant l'automne. Et bien sûr, en prio­rité, le retour de l'inoxydable police de proximité. Remarque de Jean-Jacques Urvoas et qui

dévoile (un peu) les projets de son parti. « L'Etat doit faire face à une paupérisation financière, et Nicolas Sarkozy a supprimé 10 000 postes de gendarmes, de policiers en quatre ans. De retour au pouvoir, comment allons-nous redistribuer les forces de l'ordre restantes? Vingt pour cent des départements concentrent 60 % de

~ la de1inquance. Il nous faudra faire ~ de ces endroits notre priorité. »

Rien de neuf, soupireront les Français ...

Citoyens impatients Mais, à la rentrée, le PS, pro­mis, juré, proposera d'autres pistes. Exemple? « Les directeurs départementaux de la sécurité restent en poste en moyenne deux ans, explique Urvoas. Il en va de même ou presque pour les préfets, procureurs, proviseurs de lycées. Sur le terrain, il n'y a plus que des gens sans mémoire. Nous devons au contraire privilégier les actions durables. Nous proposerons à ces personnels-là des "mandats". Cela existe déjà en Belgique et fonction­nera sur la base du volontariat. Ils

.. . seront en miSSIOn a un poste pen-dant cinq ans et leur bilan sera jugé. » Pourquoi pas ...

Privilégier le temps long pour rompre avec le bougisme sarkozyen. Reste à savoir, pour les socialistes, si les citoyens, en première ligne face à la délinquance, sont prêts, eux, à se montrer patients ... _

Lire aussi: « Insécurité: un thème porteur pour le PS ... à condition d'oser», par Variae, sur

WWW.rlananne2.fr

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 27

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r ENQUETE INSOLUBLE ••

• 1

De 1983 à 1996, 10 enfants ont été tués ou enlevés. Trois dossiers qui avaient été fermés pour prescription viennent d'être rouverts.

e parquet de Grenoble relance l'instruction de trois dossiers jusqu'alors considérés comme prescrits dans l'affaire des « disparus de l'Isère ». Rap­pel des faits: entre 1983 et 1996 neuf enfants sont tués

ou enlevés dans ce département de la région Rhône-Alpes

Mars 1983. Ludovic, 6 ans, disparaît à Saint-Martin-d'Hères. Son corps ne sera jamais retrouvé, tout comme celui de Charazed enlevée en 1987. En 1985, c'est une fillette de 5 ans qui disparaît, son corps sera découvert treize jours plus tard au barrage de Beauvoir. En 1989, Fabrice, 12 ans, est quant à lui enlevé entre son domicile et son collège à Greno­ble. 11 est violé puis étranglé. Son cadavre sera retrouvé trois jours plus tard dans le massif de la Chartreuse. Quatre ans plus tard, Sarah, 6 ans, subira le même sort.

1 En 1996, deux enfants disparaissent de nouveau. L'un sera découvert mort au

bord du canal tandis que le second ne sera jamais retrouvé. Dossiers perdus puis récupérés, prélèvements sous scellés éga­rés ... Durant l 'enquête, les bévues n'ont cessé de s'accumuler, scandaleuses. Au printemps 2008, le parquet de Grenoble a enfin autorisé le regroupement de ces procédures éparpillées, dont cinq étaient alors prescrites et quatre en cours d'ins­truction. Les nouvelles investigations sont alors confiées à une cellule spéciale de la gendarmerie baptisée « Mineurs 38 ».

Pour l 'heure, elle a simplement permis d'écarter l'hypothèse d'un tueur en série, mais n'est pas parvenue à mettre la main

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sur un quelconque cou­pable. En juin dernier, stupeur: la justice a annoncé la fermeture de l 'enquête. Les familles des victimes ont alors exigé sa poursuite. Les parquets de Grenoble et de Bourgoin-Jallieu viennent donc de don-

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les gendarmes, ce n'est pas un tueur en série. Mais faute de coupable •••

la prescription, la justice a estimé que Ludovic et Charaze «font l'objet d'une séquestration illégale ».

Leurs corps n'ayant pas été retrouvés, la mort n'a pu être constatée. « Dans la reprise de cette enquête, l'acharnement sera de mise mais il faudra aussi, comme

ner suite à leur requête ... en tout cas pour trois des cinq dossiers jusqu'alors consi­dérés comme prescrits. Pour contourner

bien souvent, compter sur la chance », estime un proche du dossier. _ Marine Apruzzese

BOURDE FOLLE Ne vous laissez jamais aborder par un rdier Etre prise pour une autre, ça

arrive. Le pis, c'est quand l'autre est folle ... Mme Tall, 52 ans, en sait quelque chose. Tandis qu'elle attendait sa fille aux urgences de l'hôpital de

281 Marianne 1 7 au 13 août 2010

Rouen, elle est a bordée par deux brancardiers. Ils l 'appel­lent par son nom et offrent de la reconduire chez elle, sur ordre du médecin. Elle accepte. Mais, en chemin, elle se rend compte

que l'itinéraire emprunté n'est pas le bon. Mme Tall proteste, on la rabroue: « Ferme ta gueule, tais-toi. » Elle tente alors de s'échapper, mais les ambulan­ciers la rattrapent, la plaquent

à terre et la tiennent au cou. Ce n'est qu'à son arrivée à l'asile que les psychiatres réalisent l'erreur des brancardiers. Vraiment pas folle, la victime a porté plainte. _

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MERCI, STALINE! acances: • • •

UISO raln- raln Ces enfants font les cheminots tout l'été. Dans un programme créé par le Petit Père des peuples ...

lors que la plupar t des enfants rêven t, l'été, de s'eoattre sur les plages, cer tains petits Russes rêvent de pou ss iè re,

pendant les vacances, des enfants suiven t la fo rmation en plus de leur sco la ri té h abi t uelle. Avec

« C'était A

con scien cieu seme n t les billets. D'au tres, âgés de 11 à 17 ans, fon t l'aiguillage ou réparen t la mécani­

que. Pendant tou t l'été, ce tra in des en fan ts parcourt d e fumée et d e g rincem en ts d e

ferraille. Ces drôles de bambins passen t leur tem ps libre à s'init ier au m étier de cheminot... dès l'âge de 10 ans! Est-ce la peur du chô­m age ou le prestige du rail ? Créé sous Staline dans les années 30, ce programme a survécu à la chute du régime soviétique e t propose ses enseignem en ts, aujourd'hui encore, dans 25 villes de Russie. Ain si, tou t a u long de l'année et

entrain! Les chéru­bins en uniforme miniature des che­mins de fer russes tém oign en t dan s la presse de leur j oie à apprendre ce m étier . Blond comme les blés, le nez en trom pette, Bogd an , 15 a n s,

monreve. la région m osco­vite. « Tout est pareil à un train nonna~ ce sont les mêmes passa­gers, les mêmes loco­motives, les mêmes dangers >, insist e Bogd a n . Nas ti a

Je rêvais d'être »,

confie Nastia ••• condui t la loco comme un pro, tandis que Nastia, 12 ans, la taille fine dans sa jupe noire, poinçonne

con fie : « C était mon rêve. Je rêvais d'être cheminot. , Il n 'y a plus d'en­fan ts ! _ Cyriane Dastakian

EXPLOIT D'ESCROC Il vend le Ritz •.• qui n'est pas à vendre

On se pince pour y croire! Chauffeur de poids lourd au chômage mais doué d'un

indéniable talent de persuasion, Anthony Lee a réussi à se faire payer 1 million de livres sterling, à titre d'avance, sur la

~0\1:) A~! EScODqut (4J HiaiOlJ lE' CiVfES Ell eN

vente de l'hôtel Ritz de Londres. Le Ritz était-il à vendre? Bien sûr que non! Mais l'acheteur s'est révélé sacrément crédule, face à un coup bien monté. Associé à deux comparses, un entrepreneur du BTP à la retraite et un avocat véreux, qui apportait sa « légitimité}) à l'affaire, Lee proposait

L'ttôf€(, lin ... oJESf t'Atll,€A1f7

le gros lot: un prix d'ami - 300 millions d'euros, alors que le Ritz en vaut 700 ! -doublé d'une aubaine - il se disait ami des frères Barclay, propriétaires du palace, qui vivent retirés du monde dans la plus grande discrétion. Quand il a compris son erreur, l'acheteur a porté plainte: Lee a écopé de cinq ans ferme, ses complices ont été acquittés, et l'argent a disparu .. _

~ H'~ sui~ StIM fouft 2Aa\(iP tA

,.,,, ...... 1 .. ,.out ~iFFE("

L'cc HONNEUR Il D'UN VIOLEUR ... Exécutée pour avoir été violée Elle s'est déclarée victime d 'un

viol. En gui se de punit ion, cette Jo rd anienne de 16 ans a été a battu e d e 30 b a ll es d e mi t ra illette pa r son oncle qui , spon tan ém en t, a avou é le crime.

Il l'a j ustifié a insi : il s 'agissa it pour lui de « laver l'honneur de [sa[ fam ille , souillé par « le mauvais comportement , de cette victime qui a perdu sa virginité « trop tôt > ! Dans ce pays, chaque année,

entre 15 et 20 femmes son t tuées p ar d es h o mmes qui veul en t «laver l'honneur de lafamille ' . Et les t ribunaux s'avè ren t le p lus souven t t rès indulgen ts envers ces criminels. _

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 29

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i i UBUESQUE

HAUT LES MAINS!

• • •• r un ICler

Les morts se portent bien Victimes

de courriers malveillants adressés

Elle croyait naïvement être sous protection, mais la jeune fille est tombée dans un traquenard.

à la Caisse d'allocations familiales les donnant pour morts, un frère et sa sœur vivant en Moselle se voient contraints de prouver qu'ils sont vivants pour continuer , . a percevoir leurs allocations qui leur avaient été supprimées. (( On ne demande plus de prouver le décès, à cause de la procédure de simplification administrative », explique la CA F. Ils devraient être morts de honte!_

n ne peut vraiment faire confiance à per­sonne ... Dans la nuit du 9 au 10 juillet, une Allemande de 20 ans

en vacances à Tourlaville, près de Cherbourg, fait une mauvaise rencontre alors qu'elle rentre chez elle à vélo à la nuit tom­bée. Ayant perdu son chemin, elle croise, « par chance ", une voiture à l'intérieur de laquelle se trouvent deux fonctionnaires de police qui lui proposent de la raccompagner dans le foyer où elle réside.

1 Rassurée par ces hommes en uniforme, la jeune femme

enfourche son vélo et suit le véhi­cule sans se douter un instant qu'elle est en train de tomber dans un traquenard. En effet, une fois arrivés à bon port, tandis que l'un des policiers reste dans la voiture, l'autre suit la vacancière jusque dans le local à vélos de son foyer. Et là, son pseudo-bienfaiteur la

bloque avant de se livrer sur elle à de violents attouchements sexuels! Immédiatement après le drame, la victime s'est empres­sée de porter plainte et l'auteur présumé a été interpellé. Ce sous­brigadier âgé de 40 ans, marié

et père de famille, est rapide­ment passé a ux aveux lors de son audition. Il encourt une peine de sept ans de prison pour « agression sexuelle par personne ayant abusé de l'autorité que lui confèrent ses fonctions. » _

Ul' J)AlJ~ lES fJfEOOfS If follet. ~ RfDviS

L

c:-{M.~ : . , ... .",..

COUP DE FIL POUR COUP DE FILET Une gendarmerie corse met en place « SOS Racket » « 5 ortez du silence

et appelez le 04 95 54 5026. » Tel est le mot d'ordre de la gendarmerie de Haute­Corse qui entend, avec la mise en place de ce numéro vert, lutter contre le racket dont sont victimes de plus en plus de citoyens. Pour le colonel Lionel Lavergne, commandant du groupement de la gendarmerie de Haute­Corse, (( c'est aux victimes de faire le premier pas, et ce n'est pas difficile à faire. Les gens ont des craintes, nous devons leur tendre

301 Marianne 1 7 au 13 août 2010

la main. » Depuis le début de l'année, les militaires ont traité 13 dossiers de racket, contre 11 en 2009 et huit en 2008. La dernière affaire date du 10 juillet dernier. Un couple d'une cinquantaine d'années avait décidé de quitter le nord de la France pour l'île de Beauté. Ils ont donc vendu leur affaire

• • prospere pour ouvrir un petit commerce en Balagne. Trois mois à peine après leur installation, ils sont victimes d'un racket. Trois hommes cagoulés et armés sont entrés dans leur commerce, réclamant plusieurs milliers

d'euros sous peine de s'en prendre à leur enfant, âgé de 12 ans. Le couple a averti aussitôt la gendarmerie, via le numéro vert. La tentative de racket a mobilisé près de 80 gendarmes. Au final, trois hommes de 20, 22 et 25 ans ont été interpellés et mis en examen pour extorsion de fonds et infraction à la législation sur les armes, avant d'être écroués à la prison de Borgo. Les autorités veulent faire de cette affaire un exemple. Pas sûr qu'au royaume de l'omerta beaucoup acceptent ce procédé._

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AFFREUX, BETE ET MECHANT our a e 'oc 0 énaire aveu

Après son mariage avec son auxiliaire de vie, il a été séquestré, frappé et nourri de produits périmés.

'est l'heure de la déli­vrance pour cet octogé­naire de l'Eure-et-Loir. Depuis plus d'un an, le vieil homme était

séquestré dans la buanderie de sa maison d'Arrou par sa femme et l'amant de celle-ci. 11 a été pris en charge par le personnel de l'hôpital de Châteaudun où il vient d'être admis. De quarante ans sa cadette, sa femme, qui le nourrissait de pro­duits périmés et de viennoiseries, le frappait et lui interdisait tout contact avec l'extérieur.

I Les enquêteurs ont été alertés par la fille de l'épouse, qui se

trouvait placée dans un foyer. La fillette aurait fait état d'une personne « âgée et sale, qui volait de la nourriture et faisait l'objet de vio­lence ». 11 y a trois ans, lorsque le vieil homme et sa future se sont présentés à la mairie pour y retirer un dossier de mariage, le maire n'a

pu cacher sa surprise face à cette soudaine union entre un vieillard ... et son ancienne auxiliaire de vie. « Elle m'avait recueilli à ma sortie d'hôpital, alors que je ne savais plus où aller. Le mariage, c'était une sorte de récompense », a expliqué la victime. Après la présentation d'un certifi­cat médical, attestant de la bonne

santé mentale du vieil honmle, l'ad­joint au maire n'avait eu d'autre choix que de céleorer cetre union peu commune. Les motivations de l'épouse indigne pourraient bien être de nature financière. En effet, selon le Parisien, plus de 500000 € appartenant à l'octogé­naire auraient été détournés. _

AVEUGLES Les poivrots paranos s'envoient dans le mur Tandis qu'ils ren­

traient en voiture d'une soirée particuliè­rement arrosée, deux jeunes hommes vivant à Vouziers, dans les Ardennes, sont soudain persuadés d'être pris en

chasse par des gendar­mes. Sachant que l'éthy­lotest leur serait fatal, ils décident de fuir. Ils empruntent alors à vive allure une ruelle pié­tonne. Celle-ci s'avère trop étroite pour le véhi-

cule qui s'encastre entre deux murs. Indemnes, les deux compères ten­tent de décoincer leur voiture lorsque survient une patrouille de gen­darmes. « Comment, ce n'était pas vous qui nous

suiviez? » interroge l'un des zozos. - Ah non, et nous sommes la seule patrouille en service ce soir », rétorque un pan­dore. Fou rire garanti, prochainement au tribunal... _

1 i REVERS DE LA CRISE Braqueur, ET PAN, DANS LE PAF!

Le maire crée le « buzzzz)}

Pour lutter contre les insectes volants, qui plus que jamais cet été empoisonnent

la vie de ses concitoyens, le maire d'Exoudun, dans les Deux-Sèvres, a investi dans ... les tapettes. Son slogan fait mouche: « La tapette, c'est hygiénique, économique, et cela maintient en condition physique ». _

un job Un homme armé entre dans un magasin d'At­

lanta, aux Etats-Unis. Le visage dissimulé sous un masque de ski, il exige le contenu de la caisse. Paniqué, l'employé sort le tiroir qu'il lui remet. Or quelques heures plus tard, le mallleureux vendeur reçoit un coup de téléphone de son agresseur. Remords? Pas du tout: le braqueur l'insulte en disant que, pour tout le mal qu'il s'est donné, 586 dollars, ce n'est pas cher payé! _

Pages réalisées par Anna Dastakian, Marine Apruzzese, Raphaëlle Elkrief, Cyriane Dastakian et Elisabeth Nimi-Madingou.

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 31

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La crise aidant, ils sont de plus en plus nombreux à opter au quotidien pour la « décroissance ». Un choix de vie qui, loin de les exclure de la société, sait composer très concrètement avec la réalité. Voyage au pays de la « simplicité volontaire ». PAR GEORGES DUPUY

'affaire des cigares de Chris­tian Blanc l'a beaucoup amusé. Avec les 12 000 € par­tis en fumée sous les lambris du secrétariat d'Etat au Déve­loppement de la région capi­tale, Christian Sunt pourrait vivre un an et demi: « Dans quel monde vivent ces gens-là? »

interroge-t-il. Depuis une dizaine d'années, ce quinquagénaire militant et convivial a réglé sa vie autour de la « simplicité volontaire ». Ce concept venu du Canada consiste à consommer autrement, à décrocher d'une société fondée sur le « toujours plus », en privilé­giant la production locale.

Bienvenue chez les parias de l'éco­nomie de marché, les exilés du produit intérieur brut, les damnés des paradis fiscaux, qu'ils se nomment décroissants, objecteurs de croissance ou encore a-croissants. On mesure ici le nombre de chapelles. Mais tous ces hommes et ces femmes - issus de l'écologie, de l'al­termondialisme ou pétris de réflexions spirituelles personnelles - ont en com- ~

mun de croire que le développement .~ " économique débridé est à l'origine des

malheurs humains: la raréfaction des richesses naturelles, le réchauffement dimatique et l'appauvrissement des rela­tions sociales. Pour éviter le naufrage, il faut donc faire machine arrière toute et mettre en place une nouvelle société proche des hommes et plus économe des

3z 1 Marianne Il au 13 août Z010

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1 • ' "1 •

, . •

ressources. Un discours jugé utopiste il n'y a pas si longtemps, mais que la crise a rendu audible.

Voilà une dizaine d'années que Chris­tian Sunt a commencé à mouiller le maillot de la décroissance. Sur ses terres de châtaigniers et de schistes desservies par des chemins où les amortisseurs sont à rude épreuve, cet ancien écolo « radi­cal », comme il le dit lui-même, a orga­nisé son autonomie. Son objectif est de déconnecter la satisfaction de ses besoins des grands acteurs économiques. Ainsi se chauffe-t-il au bois, et les panneaux solai­res ou les générateurs d'appoint ont rem­placé la ligne EDF. « Ce n'est pas parce que nous ne voulons plus dépendre du nucléaire que nous sommes revenus à l'âge de pierre »,

explique le directeur de Fruits oubliés (une revue très sérieuse consacrée à la biodi­versité), qui projette de construire une éolienne. Côté alimentation, l'affaire est un peu plus compliquée. Sunt, qui tire le cochon - comprenez le sanglier -, a restreint sa consommation de viande. Il peut compter sur son verger, qui lui four­nit fruits et jus. Pour le reste, il s'est tissé un réseau de copains locaux, presque tous bio : un meunier qui lui moud ses olives et ses céréales (3 ha de blé et d'orge anciens, dont il revend la farine aux >

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 33

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C'est comment qU'on freine?

> magasins spécialisés), un producteur de yaourts et de fromages, un maraîcher et un vigneron qui lui fournit un nectar à 1,50 € le litre. Il achète ses vêtements ou ses chaussures dans les vestiaires des organisations caritatives. Son principal poste de dépenses reste les carburants. Un sacrifice volontaire à la déesse Voi­ture : «Je me déplace beaucoup pour mes réunions militantes », explique Sunt, qui refuse les agrocarburants. Entre manger et cond uire, il a choisi.

Mais Sunt n'est pas Simon le Stylite resté juché sur sa colonne pendant qua­rante ans. Pour lui, la survie du monde n'implique ni macération ni flagella­tion. Et il comprend très bien ceux que la « sobriété joyeuse » - l'autre nom de la simplicité volontaire - fait craquer. Amandine Goy, aujourd'hui responsable de la communication de l'Alliance pay­sans producteurs à Lyon, en est: « A la fin, je ne voyais plus l'utilité de ce que je faisais et j'étais vraiment seule », témoigne la jeune femme, arrivée à la décroissance après un long parcours. Ainsi a-t-elle fait route un temps avec les altermondialistes, où elle a été initiée à l'écologie, puis avec les bouddhistes, où elle a découvert le lien de l'homme et de l'Univers. «J'ai eu l'intuition

341 Marianne 1 7 au 13 août 2010

que le monde tournait de plus en plus mal »,

explique Amandine, qui se plonge dans les œuvres des poids lourds de la décrois­sance. L'agrobiologiste Pierre Rabhi, un

sœur installée à la Réunion. Elle révise tous ses gestes quotidiens, gardant l'eau de son bain pour les toilettes.

Le régime sec dure plus d'un an. Il des pères de la « simplicité heureuse ", avec qui elle a travaillé un peu. Serge La touche, professeur émé­rite d'économie à l'univer­sité Jean-Monet de Sceaux, grand pourfendeur de la « religion de la croissance » et adepte de la pédagogie des catastrophes. Ou encore Paul Ariès, jadis grand chas­seur de sectes, aujourd'hui tête politique de la nébu­leuse décroissante.

eux, est d'autant moins vivable que le budget d'Amandine est maigrelet et que le bio coûte cher. De plus, elle se sent un peu décalée vis-à­vis de ses amis, et l'accueil dans les milieux décrois­sants lyonnais n'a pas été à la hauteur de ses espé­rances: « Seule, ce n'était pas marrant. » Amandine découvre alors les Amap, les Associa tions pour le maintien d'une agricul­ture paysanne. Des grou­pes à taille humaine, des liens avec le monde agri­cole qu'elle aime et des réponses concrètes aux questions qu'elle continue de se poser.

la •

n'i •

. flagellation. Ils s'

Amandine devient une décroissante pure et dure: «Je ne pouvais pas demander aux autres de balayer devant leur porte si je ne le faisais pas devant la mienne », explique la jeune femme. Adieu, les grandes surfaces: vive les marchés bio. Elle n'achète

à la « sobriété •

la vo

plus qu'un vêtement de temps à autre dans des boutiques éthiques, renonce à la voiture, et à l'avion pour aller voir sa

»-de

cité Pas étonnant que les

décroissants se sentent comme à la maison au sein des Amap, qui poussent comme des champignons. Alors que la grande distribution, ce sym-

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bole de l'hyperconsommation, concentrée aux mains de six groupes (230 milliards d'euros de chiffre d'affaires), représente plus de 75 % des ventes en France, les Amap reposent, elles, sur un circuit court et local, du producteur au consomma­teur. Fondé sur un abonnement semes­triel ou annuel à un panier de légumes payé à un maraîcher familier, il remet en cause les deux caractéristiques majeures des échanges marchands: l'anonymat du vendeur et la versatilité de l'acheteur. Cla ude Lanine, sociologue à l'Inra, note à propos des Amap : « Un contre-pouvoir ne se définit pas par le fait de s'opposer fronta­lement à un pouvoir donné mais par celui de créer d'autres circulations d'idées, de matières premières ou d'argent. »

Partage et mutualisation Est-ce cela qui explique le formidable appétit des objecteurs de croissance - qui se qualifient de « militants chercheurs » -pour les projets de terrain? Du passé fai­sons table rase! Oubliez les babas de 68, les systèmes pileux foldingues, le retour à la terre, les chèvres imitant Jean Ferrat et les vols d'hirondelles chers à ce même chanteur. Les décroissants ont les deux pieds bien plantés dans leur monde. Dans ses terres cévenoles, une bière blonde à la main (fabriquée par un de ses fils), Chris­tian Sunt dit en riant: « La décroissance, ce n'est pas un type qui se la joue tout seul dans une clairière. » Peu d'entre eux croient au Grand Soir, à la révolution. Michel Lepe­sant, professeur de philo et l'un des initia­teurs du MOC (Mouvement des objecteurs de croissance), note: « Nous sommes dans une longue phase de transition qui passe par la multiplication des engagements concrets. »

Paul Ariès, la tête politique, ne dit pas autre chose : « Nous avons eu le "mot-obus" de décroissance pour pulvériser la pensée écono­mique dominante. Maintenant nous avons les "mots chantiers", comme li\.map ou les SEL. »

Peut-être mais, aujourd'hui, au contraire des Amap, les SEL (Système d'échange local) intéressent moins les décroissants. Pourtant, ces structures conviviales d'échange où l'argent est rem­placé par une monnaie virtuelle avaient tout pour leur plaire. On peut aussi bien y échanger des semences paysannes ou de l'électroménager que des cours de lan­gue, des travaux de peinture ou des gardes d'enfunts contre des « piafs » pour le SEL de Paris (la plus grosse structure de France), des « cailloux » pour celui de la Croix­Rousse à Lyon ou, encore, des « bouchons » en Bordelais, que l'on utilisera à son tour pour acquérir des biens et des services. Un « seliste » est moins porté à consommer et

à accumuler, et l'échange favorise le lien. « Le but est de créer un réseau de proximité, de solidarité et de fraternité », souligne Claudine Maigre, administratrice du SEL de Paris. En écho, Irène Parlier, à Lyon: « Notre base est la confiance dans l'autre. »

Ou

une troisième voie originale entre la propriété immobilière et la location. Les locataires investissent dans des parts sociales que la coopérative - qui possède les terrains et les logements

- leur rachètera s'ils démé-nagent. Plus intéressant Est-ce le poids de la crise

qui accentue l'individua­lisme et privilégie le maté­riel aux dépens des échan­ges d'idées? Les SEL, un temps modèle de l'écono­mie solidaire, ont perdu du souffle et les anciens déplo­rent l'absence de débats ou certaines dérives. Jean-Louis Mineo, coach en entreprise et adhérent au SEL de Paris, constate: « Contrairement à leurs objectift de départ, les SEL n'ont pas forcément changé le rapport à l'argent et à la sur­consommation. » Une chose est sûre: les décroissants ont trouvé d'autres terrains d'action.

les de 68, le retour à la terre, les chèvres

encore, assistés d'un archi­tecte ils sont les propres concepteurs de l'immeuble dans lequel ils habiteront. Espaces partagés comme les chambres d'amis, buan­derie et jardin communs, toilettes sèches, compost et covoiturage : le premier proj et, le Village vertical inspiré de Le Corbusier, sortira de terre à Villeur­banne en 2012. Six autres sont en préparation sur le Grand Lyon et une soixan­taine dans toute la France, examinés de près par les collectivités locales.

Ferrat, les , . les deux

eds bien

Au revoir la Maison du vélo. Bertille Darragon s'oc-cupe désormais d'Habicoop, une coopéra­tive d'habitations. « On ne peut pas s'atta­quer au problème de la voiture si l'on ne traite pas l'immobilier. Plus vous êtes loin de la ville, plus vous utilisez l'automobile », commente cette contemptrice du tout-bagnole, figure affichée de la décroissance lyon­naise, adepte convaincue de la simplicité volontaire, candidate aux élections muni­cipales et signataire d'une palanquée de manifestes alternatifs. Habicoop propose

dans Darragon souligne : « Ce n'est pas la construction elle-même qui est écolo, c'est

la vie des habitants. Si la décroissance est sortir du système marchand en prenant soi­même son destin en main, alors elle peut se vivre dans les coopératives d'habitations. »

Bien sûr, le drapeau frappé de l'escar­got, la mascotte de la décroissance, ne flotte pas sur Habicoop. Mais le terme de « développement durable » - l'hy­pocrisie absolue, selon les objecteurs de croissance, qui se flattent d'avoir lar­gement contribué à sa disparition du >

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 35

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C'est comment qU'on freine?

> vocabulaire politique - ne figure pas dans la charte remise aux adhérents.

Mais la grande affaire, celle qui pour­rait donner de la visibilité à la mouvance, est la création de monnaies complémen­taires, échappant en grande partie aux circuits bancaires. Un vrai bonheur: utili­sables localement et impossibles à thésau­riser (elles perdent de leur valeur tous les six mois), leurs paramètres d'emploi sont facilement maîtrisables. Les objecteurs de croissance regardent de très près l'expé­rience de Françoise Lenoble à Villeneuve­sur-Lot. Depuis janvier, les habitants peu­vent se procurer des « abeilles » - ainsi nommées parce qu'une abeille posée sur une fleur orne une des faces du billet - en petites coupures de 1, 2, 5 et 10 unités monétaires au prix de 1 € l'abeille. Huit mille abeilles ont été émises par l'asso­ciation Agir pour le vivant, et sont d'ores et déjà acceptées par une trentaine de commerçants, libraire, coiffeur, bouti­ques bio, qui pourront les reconvertir en euros lorsqu'ils en auront trop.

A Romans, dans la Drôme, Michel Lepesant, du MOC, mûrit un projet encore plus ambitieux: lancer au pre­mier semestre 2011 une monnaie locale qui ne se limite pas aux réseaux sociaux ou alternatifs mais qui irrigue tous les

361 Marianne 1 7 au 13 août 2010

secteurs. Des médecins aux vendeurs de dans une dizaine de villes. Aucune des vêtements, en passant par les boulangers, les Amap ou les SEL. Lepesant précise: « Une monnaie complémentaire circule trois fois

A sur­Ies

revendications de ces antipub doux n'a été adoptée. Il est vrai que le lobby des afficheurs (1,2 milliard d'euros de chif­

plus vite que la monnaie classi­que et cela favorise le commerce local. Nous n'avons jamais dit que nous étions contre la croissance des échanges com­merciaux. Mais pas n'importe lesquels. » Un groupe d'une trentaine de personnes, dont un tiers de commer­çants, planche sur le sujet. Quand l'affaire sera rodée, les gens de Romans appor­teront leur savoir-faire au projet monétaire d'Anduze (Gard), dont fait partie l'in­contournable Sunt. « Les chantiers, c'est bien, dit Lepe­sant. Mais il faut favoriser le partage et la mutualisation sous peine de nous couper des autres ou d'être récupérés. »

peuvent payer avec des

fre d'affaires en 2009) s'est déchaîné. A la rentrée, les DeDoulonneurs décideront s'ils doivent durcir leur mouvement. Jusque-là, ils se contentaient de macu­ler ou de masquer les pan­neaux publicitaires. Le tout au grand jour. En rap­pelant que trois quarts des Français trouvent la publi­cité trop envahissante.

« Iles »,

« Récupérés » : le mot qui rache. « On nous a demandé de

loca

et· "' a

participer au Grenelle II de l'environnement mais nous étions là pour faire de la présence »,

dit Nicolas, le porte-parole du collectif parisien des Déboulonneurs, présents

e

nt

Pour eux, la guérilla contre les affichages est une manière de poser des questions de fond: fa u t-i! posséder pour exister? Consomme-t-on utilement? Pas étonnant que les décroissants aient rejoint leurs rangs. Darra­gon, notre administra trice d'Habicoop, alors mem­

bre du collectif lyonnais, a été, elle, condamnée à 1 € de dommages et inté­rêts pour avoir inscrit, en janvier 2007 : « Consomme » et « Pollue » sur un panneau

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Decaux. Ancien responsable de Publicis Lyon, Vincent Cheynet, le vindicatif direc· teur du magazine la Décroissance, a, lui, brûlé ce qu'il avait adoré en créant en 1999 Casseurs de pub, une association jugée aujourd'hui un peu molle par les autres mouvements antipub.

De plus en plus écoutés ... Pour autant les Déboulonneurs ne se réclament pas de la décroissance. Même si les compagnons de l'escargot ont accueilli avec joie, deout avril, la relaxe par les tri­bunaux (<< au nom de la liberté d'expres­sion ») de cinq tagueurs. « Nous sommes en phase avec les décroissants mais nous n'avons aucune étiquette et nous n'en aurons jamais »,

dit Nicolas. Tout est là. Ceux qui se récla­ment ouvertement de la décroissance sont infiniment moins nombreux que leurs compagnons de route. Ainsi, environ 8 000 Alsaciens ont voté pour une liste décroissante pure et dure aux dernières élections régionales. La crise battant les remparts de la société, de plus en plus de gens se posent des questions existentielles proches de celles des décroissants. Paul Ariès constate: « Quand nous faisons des réu­nions, les salles sont pleines à craquer. »

Véronique Tijani franchira-t-elle le pas? Au départ, les Amap n'étaient qu'un simple sujet de thèse pour cette jeune sociologue, peu sensible à l'écologie. Mais le mouvement est venu en marchant. Aujourd'hui, elle a réappris à manger simplement en cuisinant les légumes de

« A nos

c'est " a

surie

et la

l'Europe, ont forcé les automobilistes pari­siens à subir leur loi. Le documentaliste de Pignon-sur-Rue préfère l'atmosphère «moins conflictuelle » des manifestations de Rome. Il sait que les décroissants adorent la petite reine et son sceptre antivoitures,

double symbole de l'antipro­ductivisme industriel cher

saison. Avec son ami, elle a découvert un autre rythme de vie. « S'engager à acheter un panier de légumes toutes les semaines va bien au-delà de la nourriture. Il y a tout le sens que l'on met derrière l'alimentation », commente-t­elle. Désormais, elle remet en question ses choix de consomma tion : « Autrefois, j'était du genre à acheter en plein hiver des fraises venues du Chili. » Maintenant, quand il y a des soldes, elle se demande si elle en a vrai­ment besoin. Son travail dans les Amap est devenu une forme d'engagement citoyen. Sait-elle que Pierre Rabhi, décroissant parmi les décroissants, parle de « poli­tique en actions » ?

nous. » Paul Ariès

à Ivan Illitch (l'un de leurs théoriciens préférés) et des économies de pétrole. « Je ne suis pas un décroissant mais j'ai un mode de vie assez proche d'eux et pas mal de points com­muns », affirme cet archéo­logue de formation, qui a volontairement refusé de passer son permis, mange bio, a supprimé la télé (et sa redevance), privilégie la vie de quartier et les rapports avec les gens. « On n'a pas besoin de beaucoup de moyens pour vivre », dit-il. Il n'a pas eu beaucoup à se forcer: ses parents n'étaient pas de gros consommateurs. « Quand on achetait quelque chose, on l'uti­lisait jusqu'à sa mort. »

Alexandre Rabot n'est pas monté à Paris sur son Peugeot de récupération pour la Vélorution universelle du début juillet. Mille vélos, venus de toute la France et

Ce qui le gêne chez les décroissants, ce sont les trop sérieux, les « radicaux chiants », les ayatollahs. Vincent Cheynet, l'un des pères historiques de la mouvance, raidi

-• •

• •

• •

• •

dans ses convictions, assuré d'avoir rai­son contre tous, est taché avec - presque - tout le monde. Lisez donc la Décroissance, qui tire sur tout ce qui bouge.

Les représentants de la nouvelle géné­ration dénoncent le dogmatisme et la culpabilisation: « Qui sommes-nous pour donner des leçons? »interroge Lepesant, qui ne s'interdit rien: comme de confier la présidence de son groupe monnaie locale à un commerçant proche du MoDem. L'obsession de cet ancien altermondia­liste qui veut « changer le monde sans prendre le pouvoir » est d'atteindre la masse criti­que qui permet de faire passer les projets. L'heure est-elle venue de penser en grand, a u-delà des deux micro partis officiels de la décroissance? Une « maison pour tOUS » destinée à fédérer les chapelles et une pos­sible candidature à la prochaine élection présidentielle: Paul Ariès a décidé de structurer la mouvance et de ratisser le plus large possible. En affirmant: « Nos questions sur le ralentissement et la relocalisa­tion vont bien au-delà de nous. » Des conver­sations se mènent avec le NPA de Besance­not ou Europe Ecologie. Mais la route sera longue. La majorité des militants et des sympathisants continuent de se méfier de la politique. A Lyon, plus que d'une représentation nationale, Amandine rêve de faire le tour de la France avec un âne. Pour colporter ses idées. _ G.D.

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 37

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France

Attendez·vous à a rendre PAR CLOTILDE CADU

Grippe A(H1Nl). 100 € l'injection! oilà qui devrait rassurer le gouvernement: après les députés en juillet, ce sont

les sénateurs qui lui donnent quitus pour sa gestion pourtant catastrophique de la grippe A(H1N1). Dans son rapport sur « le rôle des firmes pharmaceutiques

dans la gestion par le gouvernement de la grippe A(H1Nl) », la commission d'enquête sénatoriale dédouane quasi

5.1~

, ",,- {. , .... '\u~)' .. f" \1' \

entièrement les pouvoirs publics français en tirant à boulets rouges, et à juste titre, sur l'industrie pharmaceutique et les experts de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). L:achat de 94 millions de doses de vaccin? La faute aux labos, qui ont exercé une terrible pression. La faible adhésion à la campagne de vaccination? Pas « une exception

française, loin de là ». Sans oublier l'OMS elle-même, qui a perturbé tout un chacun avec sa « fausse pandémie» et ses experts à la fois pas très clairs et bourrés de conflits d'intérêts! A en

,

croire le rapport, la France ne pouvait pas agir autrement, coincée entre une industrie pharmaceutique poussant à l'overdose de vaccins et une OMS qui, elle, exagérait la pandémie. Ces excuses font hurler le président de la commission d'enquête, le sénateur CRC (Communiste, républicain et citoyen) François Autain : « Le rapporteur [Alain Milon, un sénateur UMPl a été très

indulgent avec l'action du gouvernement. J'aurais été

beaucoup plus sévère. On ne

peut pas dire que l'Etat ne pouvait pas faire autrement. L'Espagne, l'Allemagne

ou l'Italie ont bien fait

différemment! » Ainsi, m Madrid a pu revoir à la baisse ~

sa commande en cours de route. Paris, non. « Pourquoi le gouvernement n'a-t-il

pas résisté au chantage des labos? » s'interroge

François Autain. La réponse n'est hélas pas dans le rapport. C'est d'ailleurs loin d'être la seule lacune de cette enquête. Les sénateurs du groupe CRC regrettent ainsi que « des éléments tels que la

surestimation constante du risque par le

gouvernement, la dramatisation infondée

de sa communication ou sa stratégie

vaccinale surdimensionnée » n'aient pas été approfondis. Au final, au regard des frais engagés et du tout petit nombre de vaccinés (moins de la % de la population française), chaque injection aura coûté plus de 100 €. Un fiasco? Quel fiasco? _

C'est le taux d'augmentation du nombre d'internes en médecine dans le Nord-Ouest pour la période 2010-2014, selon des élus_ L'ile-de-France et la région Paca seront mieux loties avec une hausse de 46,2 % et 58,74 %_ Alors même que ces deux zones sont déjà surdotées en médecins_

381 Marianne 1 7 au 13 août 2010

Mobiles. La concurrence en rêve Il n'y a pas que les textes sur la lutte

contre la délinquance qui s'avèrent inopérants. La loi dite « Chatel ", qui devait relancer la concurrence dans le secteur de la téléphonie mobile a fait pschitt ... Telles sont les conclusions de deux récents rapports, celui de l'Arcep (l'autorité de régulation de la branche) et celui de l'Autorité de la concurrence. Ils pointent au contraire l'un et l 'autre « un marché [qui] tend à se rigidifier ». Non seulement les consommateurs zappent peu d'un opérateur à l 'autre, mais, a contrario des objectifs de la loi, ils sont de plus en plus nombreux à opter pour des engagements longs. A preuve, alors qu'ils n'étaient que 69 % à être engagés sur des contrats de vingt-quatre mois fin 2007, cette proportion atteignait 73 % fin 2009 ...

Pour le trio pole Orange-SFR-Bouygues, il s'agit de verrouiller le marché à dix­huit mois de l'arrivée des offres mobiles de Free. Pour mémoire, l 'entrée de l'em­pêcheur de marger en rond dans l'Inter­net haut débit a fait fondre les prix des abonnements. _ Emmanuel Levy

Livret A. Les banques sous surveillance {( F lécher l'utilisation des fonds collectés vers

les PME relève d'une démarche de type soviétique. »Autrement dit, une démonstra­tion d'économie administrée. Selon Chris­tian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, les banques qui conservent 85,5 milliards d'euros issus des Livrets A en font un bon usage en les prêtant aux PME. Pas si sûr. La semaine dernière, Christine Lagarde a enjoint l 'Inspection générale des finances d'examiner la question. En réalité, la ministre de l'Economie fuit suite aux demandes de nombreux députés. Ils ne sont pas convaincus du bon usage des 30 milliards passés de la Caisse des dépôts (Coq aux banques depuis fin 2008, quand l'encours de leurs prêts PME n'a crû que de 6 milliards.

« L'argent des livrets est garanti par l'Etat, leurs intérêts ne sont pas fiscalisés. Ces fonds doivent servir une politique publique! »

s'énerve Michel Bouvard, député UMP de Savoie et pa tron de la commission de surveillance de la COc. Lequel s'in­terroge ouvertement sur le fléchage de cet argent. Un dangereux bolchevique, ce Bouvard ... _ Em.L

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Lagarde écorne le paquet fiscal l a « France des propriétaires » a du plomb

dans l'aile. Cette idée phare du candi­dat Sarkozy s'était traduite par un crédit d'impôt sur les intérêts d'emprunts pour les acquéreurs d'un premier logement. Mais Dame Lagarde vient de prononcer son oraison funèbre. En lieu et place: un prêt à taux zéro.

Pour Marie-Noëlle Lienemann, ancienne ministre PS du Logement, si cette mesure contenue dans le paquet fiscal a été enter­rée, c'est d'abord en raison de son coût: « Le gouvernement espère récupérer 1,5 milliard d'euros. »Mais il ne tàudrait pas pour autant regretter sa disparition: « Le nombre de primo­accédants a légèrement augmenté. Mais, pour les ménages les plus modestes qui gagnent moins de trois Smic, la chute a été vertigineuse. »

« Vertigineuse » est aussi l'idée que puis­sent être remisées aux oubliettes d'autres mesures du paquet fiscal tout aussi inef­ficaces, par exemple le bouclier fiscal et l'exonération des heures supplémentaires. Impossible? Christine Lagarde vient pour­tant d'ouvrir la voie ... _ Gérald Andrieu

Il a osé le Claude Allègre. ancien ministre:

«Dans une démocratie, le contre-pouvoir, c'est l'opposition, pas la presse. » France-So;r du 4 août 2010.

trop nuit gravement à la santé Pour veiller sur nos cœurs, il ne faut pas

dormir trop longtemps, ni trop peu. Sept heures de sommeil par nuit éviteraient l'in­farctus, alors que neuf augmenteraient le risque de maladies cardiovasculaires, et moins de cinq précipiteraient dans la tombe les sexagénaires. Ces résultats proviennent d'une étude publiée aux Etats-Unis dans la revue Sleep. Ils sont a priori valables partout dans le monde ... Donc pas question d'être une marmotre, ni de fermer les yeux moins de cinq heures par jour. Pour ménager son palpitant, il faut respecter les sept heures de dodo, un nombre magique pour les coronaires ... _ Anna Alter

... L'INTERVIEW QUI FACHE

stéphane Doyon, responsable de la campagne de nutrition pour Médecins sans frontières . ~

allts OU es " es

Marianne: Vous lancez • une campagne, accompagnee

d'une pétition, contre l'inadaptation de l'aide alimentaire aux enfants en bas âge. Ceux qui soutiennent les ONG vont être surpris. Ils croyaient que ce qui était envoyé en Afrique ou en Asie permettait de sauver des vies. Stéphane Doyon : La malnutrition des enfants n'est pas qu'accidentelle. Elle apparaît régulièrement dès que les périodes de soud ure se passent mal, entre l'épuisement des stocks et l'arri­vée des nouvelles récoltes qui obligent à entamer les semences. Elle touche aussi les zones de guerre; souvent, trop souvent, l'aide alimentaire n'est pas

. . appropnee.

Qu'entendez-vous par là ? 5.0. : L'aide prend la forme de farines. Or, des enfants de moins de 2 ans ne peuvent se contenter de bouillies de blé, de maïs ou de soja comme c'est le cas. Ils ne reçoivent pas de protéines anima­les, indispensables au développement. De plus, ce sont des farines brutes qui contiennent des éléments antinutri­tionnels empêchant l'assimilation. En France, par exemple, aucun produc­teur ne pourrait distribuer ces rations alimentaires: les autorités sanitaires s'y opposeraient. Tout se passe comme si les Etats donateurs refusaient de faire profiter les pays en crise des pro­grès scientifiques des trente dernières

• annees.

Îlllentaire Certains pays ont pourtant des pratiques exemplaires ... 5.0. : Oui, les Etats-Unis notamment, ce qui ne constitue pas le moindre des para­doxes. Mais d'abord pour eux-mêmes. Le premier pays donateur d'aide alimen­taire, l'Amérique donc, compte 25 % des enfants de moins de 5 ans recevant l'aide alimentaire; sans quoi ils seraient en état de malnutrition. Pourquoi ce que les Américains font pour eux n'est-il pas envisagé pour l'Afrique?

Qui sont les responsables? Les Etats ou l'agriculture occidentale? 5.0. : La France n'est pas la dernière à offrir des aliments inadaptés. Parce que c'est une manière de recycler les surplus, de faire prospérer les intérêts nationaux des donateurs. La raison est donc économique. Aux Etats-Unis, tout cela profite aux intérêts nationaux. En Europe, des subventions sont accordées par Bruxelles aux Etats qui en disposent. Le problème est donc plus lié à la lour­deur administrative. De plus, ajouter du lait a un prix que les Etats ne sont pas encore prêts à payer. Dommage pour les enfants, car l'aide d'aujourd'hui leur sauve la vie, certes, mais provoque des retards de croissance, physiques et neurologiques.

Quels sont vos objectifs? 5.0. : Obtenir un changement de la qua­lité de l'aide alimentaire. Vite. En sensi­bilisant l'opinion. _ Propos recueillis par Jean-Claude Jaillette

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 39

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Déporté en Sibérie et dépouillé de son groupe pétrolier, celui qui fut l'homme le plus riche de Russie a déjà purgé sept ans de goulag. Il dispute avec Poutine une partie d'échecs. Depuis dix-sept mois, un nouveau procès menace de le renvoyer à l'ombre pour vingt-deux années de plus. Sans lui faire courber l'échine.

PAR NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE À MOSCOU, ANNE DASTAKIAN

e rituel est immuable. Depuis le 31 mars 2009, chaque matin vers 10 h 15, soit un quart d 'heure avant le début des débats, la police fait évacuer la salle nO 7, au 3' étage du tri­bunal du district de Khamo­vniki, à Moscou.

tion mondiale d'or noir, avant de tomber dans l'escarcelle du Kremlin. Pour avoir financé l'opposition et défié Vladimir Poutine, qui cherchait à mettre au pas les tout-puissants oligarques au deout des années 2000, l'homme le plus riche et le plus puissant de Russie au moment de son

La trentaine de • personnes pre-

sentes, parmi lesquelles bon nombre de retraités et quelques journalistes, sor­tent sans protester tandis que descendent du 4' étage Mikhaïl Khodorkovski et Platon Lebedev, menottés et escortés par des hommes en treillis noir, les fameux spetsnaz, armés de kalach­nikovs. Le public, manifes­tement favorable aux deux prévenus, les accueille sous les applaudissements et les encouragements, auxquels ils répondent par des hoche­ments de tête et des sourires émus. Le cortège poursuit son chemin jusque dans la petite salle d'audience, où les deux hommes sont

L'acte d'accusation

arrestation a été condamné à huit ans de prison pour fraude et évasion fiscale, avec son collaborateur Platon Lebedev. Refusant de quitter le pays quand il en était encore temps -«Je préfère être un prisonnier politique qu'un réfugié politi­que », disait Khodorkovski à l'époque -, ils ont purgé sept ans de goulag et en risquent cette fois-ci vingt­deux de plus.

de 3 pages

le PDG a volé à son

et 350 de de

.~ enfermés dans une cage en verre. Le ~ public est alors autorisé à regagner la " . m salle. L'aud1ence peut commencer.

Bienvenue au second procès de Mikhaïl Khodorkovski, ex-dirigeant du groupe pétrolier Ioukos, une multina­tionale qui contrôlait 20 % de la produc-

Long comme une jour­née sans pain, l'acte d' ac­cusa tion de 3 487 pages affirme que les deux hom­mes, au sein d'un groupe criminel organisé, ont volé 350 millions de ton­nes de pétrole à Ioukos entre 1998 et 2003. Une quantité qui dépasse

la production du groupe pendant la période en question ... Ce qui fait dire à Khodorkovski que l'accusation nage en pleine « schizophrénie légale » : comment peut-on aujourd'hui l'accuser, objecte­t-il, d'avoir subtilisé le même pétrole qu'on lui reprochait quelques années >

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 41

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Khodorkovski, le prisonnier qui fait trembler Poutine

> plus tôt d'avoir dissimulé au fisc? « Toute personne normale comprend bien que ces charges sont absurdes », tranche l'avocat Youri Schmidt, vétéran des combats pour les droits de l'homme qui défend l'ex-mil­liardaire. « Ce procès est politique et vise à maintenir J(llOdorkovski en prison au-delà de 2011, à la fin de sa peine. N'oubliez pas que la présidentielle est en 2012. » Une bonne partie de ses concitoyens partage cet avis: selon un sondage réalisé par le centre sociolo­gique Levada en juin dernier, un tiers des Russes sont convaincus qu'il s'agit d'un procès politique contre 20 % qui sont per­suadés de sa nature économique. Seuls 10 % croient à son issue juridique sans intervention d'« en haut " ...

Acteur malgré lui Ce procès, c'est un peu « le » spectacle en vue à Moscou. Du grand théâtre, pensez donc: deux têtes d'affiche richissimes dans le box, des seconds rôles à profu­sion, près de 120 témoins défilant à la barre (57 pour l'accusation, autant pour la défense), un vilain (le procureur) haï par le public, un suspense qui tient la presse en haleine, l'ombre de Poutine ... Joué à guichets fermés depuis plus d'un an, en plein centre de la capitale, il est ouvert à tous, même aux étrangers - il suffit de montrer une pièce d'identité

« Ici,

de prendre la parole pour intervenir dans les débats. Que peut-on bien ressentir quand on passe jusqu'à dix heures par jour, cinq jours par semaine, isolé au vu de tous dans cet étroit habitacle? « Cette cage en verre à l'épreuve des balles et légère­ment teintée étouffe les sons, notait récem­ment Khodorkovski.]e vois la salle plus clai-

rement, et je me sens un peu détaché. »Acteur malgré lui

pour y assister. « Il était plus difficile de rentrer au premier procès », confirme Marina, la mère de Khodorkovski, installée au premier rang. Cette femme énergique de 76 ans, qui gère en ban­lieue un orphelinat fondé par son fils, avoue regret­ter l'époque où « Micha » purgeait sa peine dans le goulag de Krasnokamensk, au fin fond de la Sibérie! « C'était loin, mais les rencon­tres étaient plus humaines. On pouvait se toucher, s'embras­ser. Ici, nous avons le droit de nous voir une fois par mois pendant une heure, à travers une vitre et en parlant dans un te1éphone. Et, le mois dernier, ils ont annulé la visite au der­nier moment pour des raisons sanitaires. »

c'est la lutte des classes. En Russie,

d'une pièce qui ne se joue que pour lui.

En première ligne devant 1'« aquarium », cinq ou six avocats tournent le dos aux prisonniers, assis devant une longue table couverte de dossiers, de textes de loi, d'ordinateurs et de bouquets de fleurs apportés par le public. Ins­tallés à une autre table,

on coffré

Gates . .

cmq procureurs en Ulll-au bout de jours! » Alexei,27

forme - chemisette en Ter­gal gris clair et épaulettes - leur font face. Au bout du rang, un homme âgé: Vik­tor Dimtchenko, un petit actionnaire d'loukos qui s'est constitué partie civile. Juché sur une tribune homme d'affaires

Assis côte à côte dans leur « aq ua­rium », Khodorkovski et Lebedev, tous deux vêtus d'un polo et d'un jean, res­tent éminemment concentrés. Quelques ouvertures leur permettent de communi­quer avec leurs avocats. Régulièrement, l'un ou l'autre tapote sur un micro avant

421 Marianne 1 7 au 13 août 2010

entre les deux camps, face au public, trône le juge Viktor Oanilkine, en robe noire, sous l'aigle bicéphale et le drapeau russe.

Porteur de l'accusation, le procureur Valeri Lakhtine est la bête noire du public. Tous en sont convaincus: s'il passe tout ce temps le nez rivé sur son ordinateur,

c'est parce qu'il reçoit par Internet ses instructions d' « en haut ». Besogneux, procédurier, et manifestement peu au fait du monde des affaires, il hésite, s'em­brouille, se fâche, noyé dans le pétrole et la haute finance. Les affrontements avec Khodorkovski et Lebedev sont fréquents. Car ce sont les accusés qui, en vérité, assu­rent eux-mêmes leur défense. Bien plus au fait des subtilités du dossier que leurs avocats ou le parquet, ils interrogent les témoins, réfutent, apostrophent, taclent ou raillent le procureur, sermonnent parfois même le juge.

Crâne rasé, visage de Bouddha derrière ses binocles, Khodorkovski n'élève jamais la voix, toujours poli et aimable, s'adres­sant sur un ton faussement obséquieux au « respecté procureur Lakhtine » quand le sanguin Lebedev s'emporte contre le « soi­disant procureur ».

Le public, acquis aux accusés, réagit bruyamment, raille la moindre faute du procureur, soupire, s'exclame ... « Ici, c'est la lutte des classes, s'énerve Alexei, un homme d'affaires de 27 ans, qui vient assister aux deoats une fois par semaine. En Russie, on aurait coffré Bill Gates au bout de quinze jours! » Une jeune femme élé­gante, ex-dirigeante d 'loukos, ne cesse de rageusement commenter les débats. Au point qu'un garde menace de lui faire quitter la pièce. Idem pour Nina Se mio­novna Oulitchova, une vieille dame à la poitrine couverte de décorations. Si tel était le cas, rien de tragique. Un coin a été aménagé au 1" étage, dans la salle des gardes, avec deux écrans de télévision qui retransmettent les débats.

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Apparemment, le procureur Lakhtine se moque des critiques. Il s'acharne, au point d'exaspérer le juge, qui retire ses questions. Hargneux envers les préve­nus, il cherche à miner la crédibilité des témoins de la défense. Quand il ne met pas en doute leur probité, leurs diplômes ou leurs papiers d'identité. Lorsque est venu témoigner, en juin dernier, le Fran­çais Jacques Kosciusko-Morizet, ancien vice-président du Crédit lyonnais qui, par la suite, siégea au conseil de surveillance d'loukos, Lakhtine trouva que la photo de son passeport ne lui ressemblait pas ... Puis il s'en prit - pour la seconde fois en une semaine - à l'interprète, Youri Somov, pourtant une sommité de la pro­fession. « Sa queue-de-cheval doit déplaire au procureur », s'amuse un observateur.

Rédactrice en chef du très sérieux quo­tidien économique Vedomosti, partenaire du Financial Times, Tatiana Lysova a vécu cette désagréable expérience en mai der­nier. Venue témoigner sur la politique de transparence que menait loukos - qui donnait, dit-elle, bien plus d'informations que les autres compagnies -, elle n'a cessé de se heurter aux questions « insultantes » de Lakhtine : Ioukos la payait-il pour ses articles? Non. Sur un compte off.shore ? insistait-il. « Il citait - mal - certains de mes articles et tentait de m'embrouiller, répétant sans cesse ses questions », se rappelle Lysova. « Mais il n'a pas réussi à me déstabiliser »,

conclut la jeune femme, qui déplore avant tout « qu'on ait voulu mettre en doute le fait que j'allais témoigner dans l'intérêt de la jus-

Bio ex ress 26 juin 1963 Naissance à Moscou.

1986 Diplôme d'ingénieur chimiste. · . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1987 Fonde un Centre d'études de marché pour l'introduction des nouvelles technologies en URSS. Importe des ordinateurs.

· . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1989 Fonde la banque Menatep. · ..................................................... .

1995 Menatep acquiert 78 % d'Ioukos pour 350 millions de dollars.

1997 loukos vaut 9 milliards. · ..................................................... .

2001 Fonde l'ONG Russie ouverte. · ..................................................... .

2003 Prépare l'entrée de Chevron et ExxonMobil au capital de loukos. · ................................................. , ... .

25 octobre 2003 Arrestation sur le tarmac de l'aéroport de Novossibirsk.

tice. A croire que nous sommes leurs ennemis ».

Tatiana Lysova n'a pourtant pas perdu espoir en une issue favorable. « Le premier procès s'est avéré profitable pour le budget de l'Etat. Il a mis fin aux schémas d'optimisation fiscale des grosses sociétés, qui ont pris peur et se sont mises à payer leurs impôts. » Mais à quoi bon celui-ci? « Il n'aura aucune valeur d'exemple, d'autant qu'Ioukos n'existe plus. »

Difficile de prévoir l'issue de ce procès semblable à nul autre. Barack Obama lui-même s'en est inquiété, dans une interview accordée à Novaya Gazeta, le journal où travaillait jusqu'à son assas­sinatAnna Politkovskaïa. « Sans connaître les détails, il me paraît étrange que ces nou­velles charges, qui semblent être une resucée des anciennes, refassent surface maintenant, plusieurs années après que ces deux personnes ont été emprisonnées, et deviennent eligibles pour une libération anticipée. »

En Russie, nombre de personnalités soutiennent ouvertement Khodorkovski. L'acteur Mikhaïl Efremov s'est rendu à une audience pour « voir de ses propres yeux si ce [qu'il a] lu est vrai ». Apparem­ment, il en est ressorti convaincu. « C'est un procès historique, dont on parlera certai­nement dans les manuels, d'ici trente à cin­quante ans. On y voit comment l'Etat met tous ses moyens en œuvre pour briser un individu. On en fera certainement en film. » Ludmila Oulitskaïa, l'une des écrivains les plus populaires de son pays, a entamé une correspondance avec Khodorkovski, alors en exil en Sibérie, qui a été publiée dans le magazine Znamya. Idem pour l'auteur de romans policiers historiques Boris Akounine, qui voit en ce procès une « affaire Dreyfus russe ».

Tous les hommes d'affaires interrogés par le magazine économique Forbes - y compris certains députés de Russie unie, le parti de Vladimir Poutine - souhaitent la libération de l'ex-PDG d'Ioukos. Respon­sable des recherches à l'Ecole supérieure

d'économie, Evgueni Yassine dit ce que beaucoup pensent tout bas: « Si KJlOdorko­vski est libéré, l'image de la justice russe aura été sauvée. Car ce à quoi nous assistons dans la salle d'audience est une honte pour la Russie. Cela montre qu'il n y a pas de justice ici. »

Reflet du destin du pay ..... s _ Faut-il pour autant assimiler Khodorko­vski aux dissidents d'antan? « Mon propre

u destin est devenu un reflet du destin de mon ~ pays, confiait-il récemment. Peut-êt.re aidera­

.~ t-il à comprendre la Russie d'aujourd'hui. »

Quoi qu'on en pense, l'ancien membre des Komsomol Ueunesses communistes) devenu banquier puis multimilliardaire en exploitant les carences du droit russe, a plus de moyens que Soljenitsyne ou Sakharov. L'ex-PDG d'Ioukos, qui a sans doute gardé quelques comptes à l'étran­ger, dispose d'une très efficace machine de relations publiques. Depuis le tribunal de Khamovniki, ou de la prison moscovite Matrosskaïa Tichina, où il partage une cellule avec trois à huit codétenus, le pri­sonnier le plus célèbre de Russie distille interviews et commentaires au monde extérieur. Après avoir fait son mea culpa au nom des oligarques, et condamné les excès des privatisations des années 90, il donne régulièrement son avis sur des sujets d'économie ou de politique inté­rieure - il s'affirme ainsi comme un par­tisan des efforts de modernisation et de lutte anticorruption du président Medve­dev -, mais intervient tout aussi bien sur les sujets internationaux.

Ainsi, en mai dernier, cinq jours après l'annonce de concessions américaines à la Russie, qui avaient permis le vote à l'ONU de sanctions contre l'Iran, il signait dans le Washington Post une tribune intitulée: « La plus grande menace mondiale est la corruption, pas les armes nucléaires ».

Le mois suivant, à la veille de la visite de Nicolas Sarkozy au forum économi­que de Saint-Pétersbourg, il accordait un entretien au quotidien français les Echos, avertissant « les investisseurs en Russie » de « ne pas compter sur la loi ». Non sans avoir remercié, dans le même texte, le prési­dent français et son ministre des Affaires étrangères de « suivre attentivement [son] procès, comme l'a rappelé l'ambassadeur fran­çais pour les droits de l'homme François Zime­ray, qui a assisté, en avril dernier, à l'une des audiences ». Nul ne sait si tous ces efforts lui vaudront la clémence du Kremlin. La dernière fois que Vladimir Poutine a publiquement évoqué son nom - en décembre dernier, et après un long sou­pir -, ce fut pour le comparer à Al Capone et l'accuser d'assassinat ... _ A.D.

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 43

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Monde

Affaire à suivre PAR ANNE DASTAKIAN

Russie. Le KGB ressuscité a réputation libérale

de Dmitri Medvedev se fissure. Le jeune président russe a

signé sans sourciller une loi renforçant dangereusement les pouvoirs du FSB (ex-KGB), au grand dam des

organisations de défense des droits de l'homme. Qu'on en juge: le FSB

est désormais autorisé à émettre des « avertissements)} à toute personne

dont les activités « créent les conditions d'un crime ». Pis: quiconque gênerait le travail d'un argousin de la police

d'Etat peut être poursuivi et encourir

une amende de 500 à 50 000 roubles (13 à 1 300 €) ou un placement en détention allant jusqu'à quinze jours!

Une formulation vague, aussitôt dénoncée par le Comité de protection

Il a osé le dire

des journalistes (CPJ), basé à New York.

Comment ne pas s'alarmer qu'elle fasse la part belle à l'interprétation

d'une organisation opaque peu encline

à la mansuétude? Les journalistes,

considérés comme autant de terroristes en puissance, et déjà mis en joue par une loi sur l'extrémisme, n'ont qu'à

bien se tenir. Les auteurs du projet de loi ne s'en cachent pas: selon eux, les

médias « contribuent à la formation

de processus négatifs », favorisent « le culte de l'individualisme et de la

violence », et enfin doutent de « la capacité de l'Etat à défendre ses

citoyens» en « engageant de facto les jeunes dans les activités extrémistes ». Pour l'éditorialiste du quotidien

économique Vedomosti, « ce texte

est juste un nouvel exemple du peu de progrès accomplis par notre pays depuis

l'époque de Brejnev». « Medvedev peut sourire plus que Poutine, renchérit l'écrivain et opposant Edouard Limonov, mais le visage du pouvoir n'a pas

changé. » Conseillère aux droits de l'homme du Kremlin depuis huit ans,

Ella Pamfilova a démissionné de ce poste le lendemain de la promulgation de cet édit. Mais Dmitri Medvedev n'en

a cure, et assume pleinement ce retour

à l'arbitraire. « Chaque pays a le droit d'améliorer sa législation, a-t-il averti,

lors d'une récente visite en Allemagne.

~ J'aimerais que vous sachiez que cette x

~ réforme s'est faite sous mes instructions -.~ directes. )} Des propos qui ont l'avantage

:s de dissiper toute ambiguïté sur les ~

g prétendues frictions Medvedev, le

« libéral )}, et l'inquiétant Poutine ... _

Fati Hamad, ministre de l'Intérieur du Hamas :

«Une femme qui fume agit en contradiction avec les us et coutumes de la bande de Gaza. »

441 Marianne 1 7 au 13 août 2010

Page 45: Marianne N°694 du 07 au 13 aout 2010 Le voyou de la republique

Egypte. Cache-cash Pas facile d'être un « preneur de ris­

ques » quand on vit au Caire. Mieux vaut se munir, quand on a la fibre à entreprendre, d'une liasse de grosses cou­pures. Selon un sondage réalisé auprès de 800 chefs d'entreprise par le Centre d'études Al-Ahram, l'usage du bakchich est tellement généralisé que nombre de commerçants préfèrent prendre les devants en monnayant des permis dont ils n'ont même pas besoin! Sans parler des multiples pots-de-vin versés en prévi­sion des rackets à venir. Faute de recours légaux, mieux vaut acheter sa tranquil­lité comme on tolère les larcins de clients indélicats. Policiers et employés munici­paux sont, de loin, les plus gourmands. « La corruption est considérée comme un elément routinier de la culture commerciale. Une contrepartie normale versée en échange des services rendus par les fonctionnaires »,

se désolent les auteurs du rapport. Et ce n'est pas faute de s'être doté d'une légis­lation contre la corruption, demeurée lettre morte à cause des rivalités entre clans .... _ Julien Lacorie

Le

C'est le nombre d'humains qui naissent chaque minute dans le monde, alors que 108 décèdent. Un excédent particulièrement sensible dans les nations pauvres qui portera la population mondiale à 7 milliards d'individus en 2011.

Israël. Cachez ce portable! AMea Shéarim, quartier ultra orthodoxe

de Jérusalem, les hommes en noir font du zèle. Des intégristes ont mené des raids punitifs contre les magasins accusés de vendre des vêtements trop moulants. Par ailleurs, les rabbins de la commu­nauté des haredim (les « craignant Dieu ») ont décidé d'imposer aux femmes de se couvrir intégralement la tête, à la place des perruques jusqu'ici tolérées. Enfin, l'usage public du portable est interdit aux résidentes parce qu'il constitue « une atteinte intolérable à la décence », en plus de troubler les méditations des badauds. _ J.L.

Le dessous des cartes PAR NOTRE CORRESPONDANTE ARIEL F. DUMONT

• 1 •

acré Silvio ! Comme un vieux cabotin à bout d'échappatoires, le président du

• • 1 1

Conseil n'en finit pas de poser au martyr. A l'en croire, des juges sadiques et une presse acharnée à le perdre seraient à l'origine de l'éclatement de sa majo­rité au Parlement. 11 est vrai que chaque jour qui passe ajoute des révélations sur le pour­rissement au sommet. Un nauséeux écheveau de trafic d'influence et d'infiltrations du crime

Silvio Berlusconi, le « survivant» professionnel, a perdu la main.

organisé. Seule consolation, le néo fas­ciste Gianfranco Fini, son ex-comparse entré en dissidence, renonce, provisoi­rement, à lui porter l'estocade. Rien ne presse! Les crypto-mussoliniens ont renâ­clé à voter, au Parlement, la démission du sous-secrétaire à la Justice, Giacomo Caliendo, convaincu de compromissions mafieuses. Reste que la

pour blanchiment de fonds suspects, à deux ans de réclusion. Ou encore la mise au rancart de Nicola Cosentino, sous­secrétaire d'Etat à l'Economie, proche de la Camorra. Ailleurs, c'est le président de la cour d'appel de Milan qui fait pression sur la Cour constitutionnelle pour qu'elle valide une loi mettant Berlusconi à l'abri

des poursuites pendant rupture entre « Berlu » et son ancien « second »

paraît consommée. Jadis impressionnant d'impu­dence, notre Casanova fourbu, perpétuel res­capé de la correction­nelle, a perdu la main. Face à tant d'ingrati-

Chaque jour son mandat. Bref, la routine ... Au total, cette fine équipe se parta­geait, selon la justice, le gâteau des appels d'of. fres et les dividendes de leurs mauvais coups. Une aubaine pour Fini,

qui passe ajoute des révélations sur le pourrissement au sommet.

tude, il exhorte les cadres de son parti à chanter ses louanges, mais le cœur n'y est plus. Qui a encore la force d'asperger de parfum un corps gangrené?

L'écœurement est la règle, tant abon­dent les scandales dans la péninsule: citons, en vrac, la démission du ministre du Développement, Claudio Scajola, cou­pable de prévarication. Celle d'Aldo Bran­cher, ancien cadre du groupe Mediaset, propriété du clan Berlusconi, condanmé,

qui exige l'adoption d'un « code de comportement éthique » et endosse tardivement la défroque de l'hon­nête homme effarouché. Qui est dupe? Reniflant l'odeur du sang, l'ex-fun du Duce juge que le pouvoir sera bientôt à ramas­ser. A moins que Berlusconi ne décide de jouer son va-tout en optant pour des élec­tions anticipées. Après tout, ses électeurs ont donné, jusqu'ici, tant de preuves de leur amnésie que ce « survivant » profes­sionnel aurait tort de se gêner... _

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 45

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Monde

Attendez·vous à apprendre PAR ÉRIC DIOR

arx soit loué! Lénine est grand, et Fidel, même vermoulu, demeure son prophète. Enfin guéri d'une méchante tumeur intestinale, le Lider Maximo n'a

nullement l'intention de raccrocher les gants. La preuve? Il a troqué le survê­tement de retraité souffreteux contre le légendaire treillis de ses années de maquis . Mieux, ce bavard incurable a relaté pendant une

1 •

non plus, de trouver à Fidel un successeur. Un tel homme est irrem­plaçable : , Le PC cubain, en tant qu'institution regroupant l'avant-garde révolutionnaire, sera son unique héritier! " précise son dévoué frangin. Reste la question de fond: en ces temps d'in­tense pénurie, il fau t parer au plus pressé. Hanté par la disloca­tion de la Russie gor­batchévienne , Castro en pince, visiblement,

pour le modèle chinois. Il s'agit de rem­plir les assiettes sans rien céder sur le monopole politique du parti. Foin du col­lectivisme intégral! Place à la « flexibilité socialiste ». Des dizaines d'hectares de terres cultivables ont déjà été distribuées à la paysannerie. Le Venezuela bolivarien n'étant plus à même d'assurer les fins de mois, 1 million de fonctionnaires vont être licenciés pour réduire les dépense

de l'Etat. Pari calculé, heure sa bataille contre la maladie, lors d'une harangue devant les Jeunesses co mm unis­tes. Le tou t entrelardé de considérations sur les manigances de l'impérialisme. C'est dit! Son frère, Raul, va

A 84 ans, le Lider Maxima n'a aucune intention de raccrocher les gants. La preuve ...

le régime a même autorisé la vente d'or­dinateurs et de télé­phones portables, sûr que ces gadgets sont hors de portée des res­sources des ménages . Un dosage destiné à

devoir renoncer à son pilotage en solo. Sa régence touche à sa fin, car, même à 84 ans, Fidel demeure le guide suprême, garant intarissable de l'orthodoxie.

Ceux qui voyaient dans la récente libé­ration par les autorités de 53 dissidents l'amorce d'une rupture irréversible en sont pour leurs frais: , Aucun de ces indi­vidus n'a été condamné pour ses idées, mais parce qu'ils s'étaient livrés à divers de1its au service des Etats-Unis " tranche Raul, sous la dictée du « revenant J . Pas question,

461 Marianne Il au 13 août 2010

encourager tous ceux qui poussent à l'abolition d'un embargo meurtrier. Pour faire bonne mesure, le vieux « Comandante » se mue en protec­teur du petit commerce: les chauffeurs de taxi et les coiffeurs pourront travailler à leur propre compte. A titre d'encoura­gement, Castro a promis aux seconds qu'ils auraient l'insigne privilège de lui couper la barbe, ' lorsque tous les objectifs de la révolution auront été atteints J . C'est dire qu'un Fidel glabre n'est pas encore pour demain._

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Chine. La lie de la terre Bas salaires, logements vétustes, discrimi­

nations: les migrants installés dans la banlieue de Pékin sont de loin les plus mal lotis. La ville a même décidé de parquer ces miséreux derrière une enceinte à l'épreuve des évasions. Les habitants d'une quaran­taine de banlieues sont ainsi assignés à résidence entre 22 heures et 6 heures du matin. Dans son jargon , le Parti a baptisé l'enferment de ces esclaves modernes « le management sous clé » .• Jordan Pouille

Israël. Par ici la sortie l e gouvernement a voté l'expulsion,

par 13 voix contre 10, de 400 enfants d'immigrés illégaux, originaires d'Asie et d'Afrique - 800 autres pourront rester dans le pays. Le critère « impartial » de sélection, recommandé par une commission inter­ministérielle, est le suivant: pour rester, il faut avoir vécu cinq ans en Israël, et parler hébreu. Un arrêt qui a soulevé un tollé: « Nous ne pouvons pas faire payer à ces innocents les erreurs de notre politique d'immigration »,

s'insurge le ministre du Likoud Yossi Peled. De quoi acculer Netanyahou à réviser sa copie ... • Anne Dastakian

La photo parlante

A

Cher amour Bernard Giraudeau

A vous l'irremplaçable, l'ultime inconnue, je dédie ces voyages lointains et immobiles.

Je vous ai si longtemps cherchée, dans la jungle, les déserts, les montagnes, les bars et les bordels.

Et vous voilà, enfin, à jamais.

BerD.lrd Giraudeau (hl' amour

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peiNTS CRÉATEUR DE LECTEURS

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 47

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ournal-marianne.com

L'un des plus beaux acquis

Jean-François Copé s'en prend à la nuit du 4 Août., , Pourtant, l'abolition des privilèges reste un acte de justice, garante d'égalité,

1 régnerait donc, selon M. Copé, « une atmosphère malsaine de nuit du 4 Août ». « Mal­saine » ? On entend

dans la voix du président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée natio­nale conIDIe un mélange de regret, d'incompré­hension, de reproches et de crainte.

M. Copé se pince donc le nez en évoquant la nuit du 4 Août? Curieuse lecture de notre his­toire !

Le 4 août 1789 vit l'abolition de tous les pri­vilèges dont jouissaient la no blesse et le clergé. Cet acte de justice, sym­bole d'un deou t d'égalité entre tous les citoyens d'une même nation, reste l'un des plus beaux acquis de la Révolution française, d'autant qu'il ne fit couler aucune goutte de sang.

Est-ce ce symbole qui agace le nez délicat de M.Copé?

CDMME UNE AMBIANCE DE 4 ... les

privnEges sont

abolis !

N'attendons rien des cumulateurs d'apparte­ments de fonction, des bénéficiaires de faveur de toute nature, chargés de mission bidons, nom­més ici, là et ailleurs, conseillers de tout poil occu pant plus de postes qu'il n'y a de conseils à donner, recalés du suf­frage universel, reca­sés à des postes dont

z o u

l'utilité n'est évidente que pour ceux qui les occupent, n'attendons rien d'eux!

N'attendons rien du président de la Répu­blique lui-même, grand ama teur de dépenses somptuaires supposées lui donner le lustre que la médiocrité des résul­tats de sa politique ne peut lui procurer. Grand

Pour une version réactualisée de « l'Ile des esclaves» ••.

donneur de leçons, qu'il se garde bien d'appliquer à lui-même et à ceux de son clan - lui qui s'em­pressa de s'accorder, sitôt élu, une augmen­ta tion de 176 % de ses propres appointements, et l'aménagement du coucou présidentiel pour la modique somme de 180 millions d'euros -, grand organisateur de sommets aussi inutiles que dispendieux, grand promoteur de voyages en province qui coûtent une fortune tant en moyens de transport qu'en déploiement de forces de sécurité.

C'est à nous, citoyens, de remettre à l'honneur cette nuit du 4 Août, d'exiger une Républi­que irréprochable qui ne soit pas un slogan électoraliste vide de sens et d'intentions aussi vite oubliées qu'il aura été martelé. _ Jacques Leche­vallier, Lyon (nuitdu4aout. over-blog,coml

Lorsque, dans /'Ile des esclaves, de Marivaux,

Iphicrate et son esclave Arlequin échouent sur une île inconnue, on leur apprend qu'il y existe une coutume où les maîtres deviennent esclaves et vice versa.

de nos ministres découvre la réalité du travail en allant prendre la place d'un salarié de France Télécom ou de Continental, par exemple. Ainsi peut'être le patron prendra­t-il en compte la pénibilité du travail et peut-être M. Woerth changera-t-il d'avis sur le nouveau régime de retraite qu'il veut nous imposer?

Mais le problème, chez Marivaux, c'est qu'à la fin tout redevient comme avant. Chaque personne retrouve « sa )} place.

Il serait bon, parfois, que le patron échange sa place avec un salarié ou qu'un

481 Marianne 1 7 au 13 août 2010

Alors, ne pourrait-on au moins décider, comme dans l'Antiquité romaine, d'une journée dans l'année où l'esclave et le maître échangeraient leurs rôles?_ @ François Guiffard

RÉPONDEUR

Quand Sarkozy reprend la main

sur la sécurité, c'est soit pour occuper l'espace médiatique, soit pour faire diversion. Ainsi l'affaire Bettencourt, qui pourrait gêner la réforme des retraites menée par Woerth ou perturber le financement de la prochaine présidentielle ... Plus de sécurité n'est pas forcément plus de justice! _ @ yann.95 • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

L orsque Sarkozy et l'UMP ont . -commence a

miser sur la peur et le discours sécuritaire, on a reproché à la gauche de rétorquer qu'on était davantage en face d'un sentiment d'insécurité que dans une réelle situation. Or, Sarkozy conduit sa politique sécuritaire depuis huit ans et, aujourd'hui, la France fait face à une réelle insécurité! _ Jean-Jacques Corrio, Les Pennes-Mirabeau

Envoyez vos lettres signées à lecteurs@journal­marianne.com ou à Marianne, "Journal des lecteurs", 32, rue René­Boulanger, 75484 Paris Cedex 10.

Page 49: Marianne N°694 du 07 au 13 aout 2010 Le voyou de la republique

De l'Etat irréprochable à l'Etat « Je ne vous trahirai pas », promettait Sarkozy aux Français en 2007. Lui qui parlait de moraliser le capitalisme a immoralisé l'Etat.

es pers on-. -nes pnvees

et fortunées font - via leur tréso­

ner - des dons généreux au parti d'un candidat à la présidentielle qui leur promet un très profitable retour sur ces investissements, avec des intérêts.

Le candidat est élu et met en place, via le trésorier du parti devenu minis­tre du Budget, le

z o V

• qUI VDUS adressiel-VDUS

VOUS disiez trahirai

-a une caméra !

peu t avoir des issues heureuses: un souci de justice etd'honnê­teté pour la révision générale des politi­ques publiques et les grandes réformes; la fin du bouclier fiscal (symbole des dérives) avantla présidentielle de 2012; la démission du gouvernement, voire une élection présidentielle antici­pée. Quand Sarkozy promettait en 2007 : «Je ne vous trahirai pas, ne vous tromperai pas »,

bouclier fiscal qui permet aux plus riches - dont les généreux dona teurs - de moins payer d'impôts que les cadres et de les enrichir par le fisc - donc par l'argent des contribuables.

Ce système Sarkozy qui détourne par le fisc (donc les insti­tutions et l'Etat) l'argent des contri­buables français, pour remercier démesurément et injustement les donateurs privés d'un parti,

à qui s'adressait-il ? Celui qui parle de moraliser le

capitalisme mondial a commencé par immoraliser l'Etat. « La France d'après » peut être différente de celle-là ! _ @ Yann Bruno

Une naïveté désarmante

l e clan Bettencourt espérait-il que des retraits en espèces de 50 000,100000 et même

500000 € passeraient inaperçus? S'il s'agissait de faire des « emplettes » (acheter une bague, nous dit -on !), pourquoi payer en espèces? Et s'il s'agit de financements occultes, pourquoi des sommes aussi importantes? De plus petits retraits, dans plusieurs banques et étalés dans le temps, auraient fait l'affaire. Une seule réponse: pour ces gens-là, ces montants ne représentent rien. C'est cette naïveté qui me choque le plus. _ Roger Saint-Pierre, La Rochelle

Les aristocrates duCAC40

l a situation actuelle rappelle les événements de 1789 : le roi ne s'intéresse qu'aux aristocrates

du CAC 40 bénéficiant de privilèges (subprimes, stock-options) ; ces derniers se désintéressent du sort des 6 millions de sans-culottes, qui éprouvent des difficultés financières, Marie­Antoinette Séguéla considère la possession d'une Rolex comme le signe de réussite de sa vie. « Ceux qui ignorent l'histoire sont condamnés à la revivre »,

disait Primo Levi. _ Serge Calmels, Villefranche

Exécution ou assassinat? O n parle

d'« exécution» s'agissant de la mise à mort de M. Germaneau ou de tout autre otage. Mais une exécution est l'application de la

• • peine prononcee par un tribunal ou une autorité légitime. Quand la victime est un otage innocent,

il s'agit d'un assassinat. On ne doit pas permettre aux assassins de se draper dans l'apparence d'une décision de justice légitime. C'est ce qu'on fait quand on dit qu'ils ont « exécuté» un otage. _ Anne Merlin­Chazel as, Saint-Zacharie

Vive la retraite par répartition!

S eulle système de retraite par répartition garantit une penswn correcte,

et la sécurité puisque son financement repose sur la masse salariale globale: dans quarante ans, il y aura toujours des dizaines de millions d'actifs qui cotiseront pour payer les retraites! _ Sylvia Olivia, Créteil

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RÉPONDEUR

On .n'~ jamais été severe avec nos

hommes politiques et nos chefs d'Etat lors de leurs frasques. Or, chacun suit dans tous les domaines l'exemple de ceux qu'il considère comme

• • ses superieurs, par mimétisme et parce qu'ils sont censés être un exemple. C'est là l'explication ultime de l'immoralité régnante puisque ceux qui gouvernent sont immoraux. _ Paul Jeandel, Tourtour • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

J 'ai l'âge du président mais

je ne fais pas de malaise vagal lors de mon footing, car je ne pratique plus la course à pied, devant me ménager. Je travaille en horaires décalés, en 3x8 selon le langage ouvrier, soit de 5 à 13 heures, de 13 à 21 heures, de 21 heures à 5 heures, de manière alternée avec un maximum de quatre jours d'affilée, un week­end sur deux, le jour de Noël ... Je suis salarié dans une raffinerie depuis trente-trois ans et je vais devoir continuer ... deux ans de plus! Je n'ai pas d'incapacité de travail, mais mon médecin dit que j'irai mieux lorsque j'arrêterai de travailler. C'est quoi, pour ces messieurs du gouvernement, la pénibilité ? _ François Renault, Bois-Guillaume

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 49

Page 50: Marianne N°694 du 07 au 13 aout 2010 Le voyou de la republique

[email protected]

Du d namisme des entre • rlses

C'est aux entreprises d'appliquer les politiques qui sauront le mieux utiliser les compétences et les ressources de chacun.

~DLlTlQ.UES D'ETHE A LA

e que le gou­vernement est en train de déci­der, ce n'est pas jusqu'à quel âge

on travaillera, mais à partir de quel âge et de combien d 'années de travail on pourra tou­cher une retraite. Car l'âge jusqu'auquel on travaillera et l'obten­tion du nombre d'an­nées de travail exigées par le législateur conti­nueront de ne dépen-

... Ia til:he n'est pas

facile.

gens ne se résignaient pas à faire n'importe quoi avec pour seul soud de pouvoir gagner leur vie jusqu'à l'âge de la retraite. ils pouvaient plus fàdlenlent accéder à un métier qui leur

dre que du dynamisme des entre­prises et de leur politique.

plus d 'un an avant qu 'ils n 'aient obtenu leurs diplômes. De Wen­del et Schneider se disputaient jusqu'aux ouvriers mineurs que pourtant l'on importait en masse de Pologne ou d 'Italie. Ainsi, les

Quand j'ai commencé ma carrière, on ne gaspillait pas les seniors, et l'on allait recruter les jeunes dans les écoles d 'ingénieurs

I,r.mmnr;rnm et fier de l'être Née de la

Révolution, renforcée par la Résistance, la République subit désormais les coups d'une horde de politiciens cupides, souvent incompétents, utilisant la télévision pour mieux duper et crétiniser les foules. Le pouvoir, mis en place par les nantis, les enrichit au détriment des classes moyennes. Le gaspillage et des décisions

501 Marianne 1 7 au 13 août 2010

incohérentes appelées « réformes )} détériorent les institutions. Et ils osent accuser de trahison des intellectuels qui défendent les principes républicains. Je suis un républicain de bientôt 90 ans. Il me reste, heureusement, la lecture de Marianne, du Canard enchaÎné, du Point et de Libération! _ Louis Roubaud, Marseille

plaisait et pour lequel ils étaient faits. C'était

Z beaucoup mieux pour eux et aussi pour les

o entreprises. U Hommes politiques

et législateurs sont aujourd'hui presque les

seuls à ne manifester aucun désir d 'être en retraite. Ils devraient connaître ce qu'il faut faire pour que toute la population soit dans les mêmes dispositions d'esprit._ Paul Vincent, Paris

RÉPONDEUR

Pourquoi l'opposition, les

syndicats et toutes les bonnes volontés politiques ne se retrouvent-ils pas pour mettre au point un projet de réforme juste et équilibré? Les élections sont dans deux ans. D'ici là, tous auraient

" . prepare un vrai projet, un projet semblable, par exemple, à celui de la rédaction de Marianne (n' 678) sur l'injustice fiscale .. , _ Laurent LaUanzi, La Seyne-sur-Mer • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

J esuis désespéré,

alors, je garde précieusement tous les numéros de Marianne et du Canard enchaÎné. Pourquoi ce silence à gauche? Où sont-ils passés? Et demain, on ne parlera plus de ces milliards détournés ! _ @ Jean Bonnet • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

Que sont devenues

les valeurs de la République? M. Szafran réaffirme sur les ondes que nul n'a mis en doute l'honnêteté de M. Woerth. Néanmoins, vous trouvez normal, vous,

, que son epouse soit embauchée pour 200 000 € annuels? Combien de cadres supérieurs arrivent à de tels émoluments, même en fin de carrière? _ @ J.L Douliéry

Page 51: Marianne N°694 du 07 au 13 aout 2010 Le voyou de la republique

Non, n'est pas le salopard que vous croyez Le Premier ministre grec ne mérite pas l'opprobre. Il a hérité d'une situation calamiteuse, après vingt-trois ans de règne du Pasok.

e souhaite réagir à l'article d'Alain Léauthier (Marianne nO 690) : « Les 7 salopards de la crise 1/7 : Costas Cara­manlis, auteur de la tragé­

die grecque ». S'il est vrai que Caramanlis fut

loin d'être à la hauteur des tâches qui lui ont été confiées, il faut se

Si la Grèce a connu un déve­loppement économique impor­tant grâce à son intégration dans l'Union européenne, les structures et les pratiques politiques n'ont pas suivi cette évolution. Réformer la vie publique impose de réformer les secteurs sociaux avec les dys­fonctionnements hospitaliers, les

régimes de retraite déficitaires et la fonction publique. Les hôpitaux publics manquent de personnel tandis que l'Etat salarie le clergé, par ailleurs plus grand proprié­taire foncier de Grèce. Les dépen­ses en pourcentage du PlB des mis­sions de l'armée sont deux fois plus importantes que celles des autres

rappeler qu'il est arrivé au pouvoir après vingt­trois ans de règne du Pasok, fortement res­ponsable de la mise en place d'un système politique fondé sur le clientélisme, l'absence de gestion budgétaire, l'augmentation du nombre de fonction­naires et le dévelop­pement de la pratique des enveloppes et des comnllSSlQns.

La rigueur, c'est l'impasse

QUI LA

L 'austérité et la rigueur prônées par nos dirigeants sont une

erreur qui peut mener à un désastre économique. La seule issue possible est la croissance. Il faut donner une valeur économique plus importante au pays en investissant sur de grands travaux publics afin de relancer le pouvoir d'achat des citoyens et dynamiser les PME. Il ne faut pas céder au défaitisme de nos dirigeants. Bientôt, d'autres prendront leur place. Leur chemin sera difficile vu l'héritage, et le plus urgent sera d'établir l'égalité et la justice dans l'effort à accomplir pour le bien-être de la France. _ Claude Hanchard, Rouen

GRECQUE ils

pays d'Europe. Sans nier certaines

réalités concernant la responsabilité de Cos­tas Caramanlis dans la situation actuelle de la Grèce,je trouve regret­table que l'on présente superficiellement une situation économique et politique dont les origines remontent au-delà des cinq ans de pouvoir à son actif. _ @ Marina Auffret

Le jeu de massacre

Etudiants? Qu'ils choisissent entre l'APL et une demi­part sur les impôts de leurs parents! Moins de profs?

Comprendre, analyser, êtte cultivé, ça craint pour les politiques! Santé: à deux, voire ttois vitesses. Transport? Les autoroutes bradées rapportent (pas à l'Etat, au privé !), la SNCF connaît de plus en plus de problèmes de fonctionnement, le fret n'est toujours pas développé. Délinquance? Les petits malfrats au trou et les cols blancs en exil fiscal sans risques. Les syndicats? Les places sont bonnes, il ne faut pas les perdre 1. .. Difficile de croire en l'avenir! _ Martine Borrelli, Sainte-Maxime

La Turquie en face

J 'ai lu avec intérêt votre article consacré à la Turquie (Marianne nO 692). Où va la Turquie? Cette question

se pose pour un Etat qui n'assume pas son passé, refuse le génocide arménien et tente de la récrire à son profit, en effaçant cette période ottomane peu glorieuse. Un million cinq cent mille Arméniens ont été massacrés. Le crime était prémédité. Les médias occidentaux sont trop discrets et peu courageux sur cette question essentielle pour le respect des droits de la personne humaine dans le monde. _ Marc Girard, Le Gâvre

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RÉPONDEUR

Une société en crise a besoin

de boucs émissaires pour maintenir sa cohésion. Aujourd'hui, il s'agit des gens du voyage. Demain, à quelle autre minorité s'en prendra-t-on pour faire oublier les errances gouvernementales? Et s'il s'avérait, en publiant les statistiques de la délinquance les concernant, qu'ils étaient moins nocifs que nombre de dirigeants en col blanc qui ruinent le pays? _ Jeannot Freys, Strasbourg • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

De l'affaire Bettencourt,

nos compatriotes partis à l'étranger et qui hésitaient encore à faire jouer la concurrence fiscale entre les Etats retiendront: partez avant qu'on ne vous fasse la peau. En attendant, chaque fois qu'un riche quitte la France, mes impôts augmentent! _ @ Antoine Feria

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7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 51

Page 52: Marianne N°694 du 07 au 13 aout 2010 Le voyou de la republique

e t'aime, je ne t'aime plus. Je te hais, je te quitte. Je ne peux pas t'oublier, reviens, mon amour... De tous temps, les couples ont chanté une chaotique romance mais, dernièrement, ils yajou­tent un couplet inédit: les retrouvailles. ils roucoulent, puis se déchirent, rompent sans bruit

dans les cris et les pleurs, se tournent le dos des années durant ... pour mieux se chercher, pour mieux se retrouver, retom­ber dans les bras l'un de l'autre, comme au cinéma. Combien sont-ils à rejouer la folle passion de Richard Burton et d'Eli­zabeth Taylor, mariés deux fois, divorcés deux fois? Combien d'Eminem, le rappeur américain divorcé de Kim en 2001, réconci­lié avec la même en 2004, remarié en 2006 et séparé ... quatre-vingt-deux jours plus tard? Combien de Jude Law et de Sienna Miller, sur le point de se marier six ans après leur rupture - avec la même bague de fiançailles?

Une tendance lourde

Jusqu'à Manuel Valls, qui vient d'épouser en secondes noces l'amour de ses 20 ans, Anne Gravoin. Ils s'étaient perdus de vue quand, il y a quelques années, la jeune femme devenue une violoniste reconnue invite sur un coup de tête le député-maire PS à un de ses concerts. Et en avant la musi­que! Chabadabada ... S'il n'existe aucune étude ni statistique pour quantifier le phé­nomène, les avocats et les psys, témoins directs de ces retrouvailles anonymes, sont formels: les remariages et/ou le retour au bercail d'un premier amour sont devenus

521 Marianne 1 7 au 13 août 2010

tendance. « Le mouvement est assez net »,

confirme le psychothérapeute Alain Héril en prenant pour exemple le cas d'une de ses patientes, âgée de 47 ans, qui, après une rupture douloureuse, s'est mis en tête de reconquérir le coeur

-

qu'il va remonter le temps, revenir ins­tantanément à sa vie d'avant, celle d'une jeunesse passionnée, insouciante, pleine de promesses ... Resurgissent alors tous ces petits moments d'intense bonheur,

un trop-plein de nostalgie. de son amour d'enfance parti vivre aux Etats-Unis. Elle a pianoté sur Internet, ils se sont reconnus. Lui a traversé l'Atlantique pour la rej oindre en France et, ensemble, ils sont repartis dans le tourbillon de la vie.

En recherchant l'amour d'antan, on s'imagine qu'on va remonter le temps,

Georges, 51 ans, a retrouvé Marie, 49 ans, sur Face­book en un temps record. Quelques souvenirs de leur rencontre, des détails seule­ment connus d'eux qui les rassurent, non, ils n'ont pas aftàire à un imposteur, et le tour était joué. « On s'était connus pendant un séjour lin­guistique en Angleterre », se

• • revenir aux annees • • insouciantes et pleines Des histoires comme

celle-là, il s'en lit des cen­taines sur le Net. Il suffit de quelques mots tapotés sur

de promesses.

Google pour qu'une succession de romans à l'eau de rose, dans le plus pur style Harle­quin, défile à l'écran. Les réseaux sociaux, Facebook en tête, sont à vrai dire devenus de formidables outils pour faciliter les reconquêtes amoureuses. En recherchant l'amour d'antan, l'internaute s'imagine

rappelle Marie. Elle avait 15 ans, lui 17, et l'aventure entre les deux adolescents n'a duré que le temps des vacances d'été. Un classique. Plus tard, ils se sont croisés un soir par hasard chez des amis communs. Contents de s'être revus, sans plus. Jusqu'à ce message envoyé par « Laurent » un jour de mars 2009 après >

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7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 53

Page 54: Marianne N°694 du 07 au 13 aout 2010 Le voyou de la republique

> des années de silence: « Laurent V vous a écrit. Si vous êtes la Marie C. du séjour à Ply­mouth en 1975, je serais très heureux d'avoir de vos nouvelles. »

« D'habitude, je ne réponds pas à ce genre de sollicitation. Je n'ai jamais eu spécialement envie de renouer avec des amis d'enfance. Mais, cette fois-là, j'étais en vacances chez ma mère, je m'ennuyais. Et puis j'étais intriguée », convient­elle. S'ensuit une longue liaison épistolaire pleine de « chabadabada »

ne marche plus », explique Marie. Le charme est rompu, la magie n'opère plus. « Même s'il reste quelque chose, du regret, sans doute »,

conclut-elle en avouant que, certains matins, elle se jette sur sa boîte mail. Pour­quoi est-il si difficile d'oublier un premier amour? « Parce qu'il survient généralement lors de l'adolescence, qui est une période sensi­ble sur le plan émotionnel mais aussi biologi­que », répond Boris Cyrulnik, interrogé par

psychologies.com. « Les gar­sur le Web. Des jours et des jours à s'envoyer des mots d'amour comme ces ados qui, chaque matin, gorge nouée et cœur ba ttan t, attendent que sonne le fac­teur. « Il m'écrivait toutes les nuits et, au réveil, je me préci­pitais sur mon ordinateur pour lire son mail et lui répondre. On se racontait nos vies », pour­suit la discrète Marie. Elle

Un adulte sur çons regardent les filles d'un œil neuf, et réciproquement. D'où la possibilité de résilience qu'offre le premier amour: sous l'effet des hormones et de l'émotion, chacun influence l'autre et laisse dans son psy­chisme une empreinte durable. Ce qui se joue dans la rencon­tre est parfois de l'ordre de la métamorphose, poursuit le

•• • quatre serait inscrit sur un site de retrouvailles type Copainsdavant. Et, sur Facebook, le premier réflexe est de chercher ses ex ...

est célibataire. Elle n'a pas fondé de famille et sa vie amoureuse a été plutôt chaoti­que. Georges, père de famille, traverse de son côté une période difficile. Son couple vacille et il a toujours gardé Marie, fugace passion de jeunesse, dans un coin secret de sa mémoire. Les vacances, l'Angleterre, les baisés volés. « Et puis on a décidé d'un rendez­vous. On s'est vus quelque temps, six mois, et on s'est quittés. En fait, ce genre de relation est complètement sublimée par Internet. Le Web leur donne un côté mystérieux. Mais, une fois qu'on se retrouve face à face, confronté à la réalité, ça

• Rf\ ••• • • • • .. • • • .. .. ..

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..

psychiatre et éthologue. Un jeune mal parti dans la vie peut y trouver l'occa­sion de réparer les représentations négatives de soi ou le style relationnel qu'il a acquis pendant l'enfance. Pour beaucoup, le premier amour est une deuxième chance. Pour d'autres, il peut être désastreux. » Mais cette première passion sera une référence pour les suivantes.

Pour les sites Internet, le marché de l'ex est devenu très prometteur. Retrou­ver l'ex-mari ou l'ex-amour sur le Web serait même devenu un sport internatio­nal, suttout chez les femmes. Aujourd'hui, de source Internet, un Français sur quatre

âgé de 30 à 60 ans serait inscrit sur un site de retrouvailles style copainsdavant.com, trombi.com ou, bien sûr, Facebook. Un adulte sur quatre, sans distinction de sexe, ressentirait le besoin impérieux d'avoir des nouvelles ou de revoir un copain de classe, d'un vieil amoureux, sans forcément don­ner suite. « C'est la première chose que j'ai faite en m'inscrivant sur Facebook », reconnaît Marianne, 49 ans. «j'y ai retrouvé deux ex, même si je n'ai pas donné suite. Mais c'était amusant », confirme Lise, 53 ans.

Même TF1 s'y met avec une émission de téléréalité Toujours plus réactifs, les sites surfent sur cetre nouvelle vague pour distiller des conseils aux amoureux pas encore très bien connectés. Comment éviter les écueils, renouer avec l'âme sœur sans risquer de se prendre une nouvelle veste? « Vous cher­chez une stratégie pour surmonter un chagrin d'amour au plus vite et vous rendre attirant aux yeux de votre ex ? Dans ce cas-là, cette page Web est peut-être d'une importance capitale! »

aguiche le site recuperer-son-ex avant de livrer le mode d'emploi. A lire entre autres: les neuf pires erreurs à éviter; ce qu'il faut faire dès maintenant pour que le temps ne devienne pas un ennemi; com­ment réveiller l'intérêt de son ex, etc. Le concurrent, premierzamours.com, se met en quatre pour « tous ceux et celles qui veulent des nouvelles de leurs premiers amours » et leur offre même « un mode de recherche innovant et une mise en relation des anciens amoureux [ .. .]. Notre but est de vous faire renouer avec un passé agréable, échanger avec un amour de jeunesse, ou, pourquoi pas, renouer avec l'être cher ».

Même la télé s'y met: TF1 a en boîte une nouvelle émission de téléréalité produite par Little Big Prod et intitulée « Premier amour ». Le concept? Des célibataires qui viennent de retrouver leurs ex vont devoir vivre ensemble quarante-huit heures ... Pour le meilleur ou pour le pire. « Nous ne savons pas encore quand ce magazine sera dif fusé, peut-être cet été. Mais il est dans l'air du temps », explique-t-on à TF1. Ou comment prendre à la légère un sujet qui ne l'est pas vraiment .

Cécile, 60 ans, n'a pas eu besoin d'In­ternet, ni de la télé, pour retrouver Gilles, 65 ans. Elle l'a croisé par hasard, lors d'un cocktail. Quelques semaines après cette brève rencontre inattendue, elle quittait son mari et abandonnait sans regrets le bel appartement du VI' arrondissement parisien devenu trop grand après le départ des enfants. Quand on croise Cécile et

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Gilles, bras dessus, bras dessous, même crinière poivre et sel, on imagine une vie entière passée ensemble. Rien de tel, au contraire. Cécile et Gille se sont perdus de vue quarante ans plus tôt! En 1971, ils allaient se marier mais, la

songé à le retrouver - difficile, après l'avoir plaqué à l'autel... Lorsqu'ils sont tombés nez à nez dans une galerie parisienne, au printemps 2007, ils ont échangé leurs numéros de portable. Elle a attendu que

Gilles appelle. 11 a appelé. veille des noces, elle a tout annulé et pris ses jambes à son cou, rouge de honte. «Je ne pouvais pas. ]' avais 20 ans, j'étais trop jeune. Je l'aimais, mais j'ai été prise de panique, j'avais peur que cette vie de couple devienne une prison.]' ai préféré m'enfuir », se justifie­t-elle. Gilles s'est effondré et a mis l'Atlantique entre eux. Il est parti s'installer

Cécile et Gilles s'étaient perdus de vue en 1971. En 2007,

Et ils ne se sont plus quit­tés. «Je ne sais pas ce qui s'est passé, tente Cécile. Quand je l'ai vu, c'était évident. » Pour elle, peut-être. Mais pour ses proches, ce fut une autre affaire. Qu'arrivait-il donc à leur Cécile? Etait -elle deve­nue folle? Comment elle, femme sans soucis, épouse élégante et accomplie, mère

ils se croisent dans une galerie

• • parisienne, pour ne plus se quitter.

aux Etats-Unis. S'y est marié. Y a fait une belle carrière de diplomate. En 2000, après son divorce, il est retourné vivre en France, seul. A l'âge de 30 ans, Cécile aussi s'est mariée. Elle a eu trois enfants, elle pensait à Gilles de temps en temps mais n'a jamais

comblée, vie confortable, mari brillant, enfants beaux et intelli­gents ... pouvait -elle mire une chose pareille à son mari, à sa famille?

Aujourd'hui, libérée de l'image par­faite, Cécile l'infidèle se livre. Elle raconte trente années de rancune accumulée. Non,

•••

elle n'a pas eu la vie rêvée des anges. Elle parle d'un mari prétentieux et manipula­teur, qui l'exhibait à ses côtés comme si elle n'était qu'une belle statuette et qui l'a sournoisement convaincue de mettre entre parenthèses sa carrière d'avocate pour se consacrer à sa famille. En retrou­vant son ex, elle s'est donné le pouvoir d'effacer d'un trait de plume trois décen­nies d'une vie qu'elle n'aimait plus. Elle a minci, est redevenue coquetre. Avec Gilles, elle s'est détachée des contingences fami­liales devenues étouffantes, et a admis, sans culpa biliser, que sa vie de cou pie était en vérité un échec.

Affronter l'hostilité des grands enfants La suite? Deux années de procédure pour divorcer, les lettres d'insultes envoyées par son époux, celles où il menace de tuer Gilles ... et de se tuer lui-même. La main courante qu'il a fallu déposer >

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> au commissariat pour se protéger. « Il a même simulé une attaque cardiaque! »

explose-t-elle. Son mari a cru qu'il pourrait la reprendre en faisant du chantage à l'ar­gent. « Il voulait me mettre sur la paille. Il disait que je reviendrais comme une mendiante. » Elle se rappelle combien elle s'est sentie cou­pable lorsqu'elle a dû affronter l'hostilité de ses grands enfants, acquis à la cause du père et remontés contre elle comme des ressorts. Une fois le divorce prononcé, le couple est parti se réfugier à l'étranger. Pour la seconde fois en quarante ans, Cécile prenait la fuite. Une drôle de fuite qui la ramenait à son point de départ.

Loin des yeux, loin du cœur ?

Pourquoi diantre quitte-t-on un mari pour retomber dans les bras de son ex? Pourquoi divorcer pour se remarier avec le même homme des années plus tard? Pour échapper à la monotonie, retrouver sa jeunesse d'antan, se ressourcer dans un passé magnifié ... Pragmatique, Violette Gorny, avocate spécialiste des droits de la famille, avance des explications beau­coup plus terre à terre. Depuis quelques années, la façon de divorcer a changé. Avec la garde alternée, les couples ne peu­vent plus s'ignorer. Ils doivent discuter, gérer ensemble le quotidien des enfants, compter le nombre de chaussettes qu'il faut mettre dans le sac à dos, rapporter d'urgence les livres de classe oubliés chez le père ou la mère, s'appeler

une expérience relationnelle dont ils connais­sent les tenants et les aboutissants. Il n'y a pas de prise de risque. C'est un investissement minimum pour une illusion maximum. » Une illusion maximum ... Catherine, 44 ans, et Guillaume, 46 ans, vivent aujourd'hui une expérience périlleuse. Six ans a près son divorce, le couple a décidé de revivre ensemble. Catherine a vendu sa maison des

Yvelines, Guillaume rendu pour noter les rendez-vous chez le médecin, le prof de musique. « A ces occasions, les sentiments que l'on croyait disparus peuvent renaître »,

explore-t-elle. Entre deux éclats de rire, l'avocate explique pourquoi certains hommes mûrs, après avoir quitté leur épouse pour des femmes plus jeunes, revien­nent au domicile conjugal

« Renouer avec un ex rassure.

les clés de son appartement de Seine-Saint-Denis et ils ont loué un pavillon dans le Val-d'Oise, à égale dis­tance de leur travail. Mais à peine installés, les « vieux fantômes sont revenus », dit Catherine. A la moindre dispute, Guillaume menace de (re)partir, et Catherine se demande si elle a encore

Il n'y a pas de risque. (' est un • • investissement

• • mlmmumpour une illusion

• maximum. » Un psy

« genou à terre ». « Ils se rendent compte qu'ils n'ont plus 20 ans et qu'entre leur travail, pre­nant, et la fête tous les soirs, ils n'arrivent plus à suivre », raconte-t-elle.

Pour Alain Héril, ces nouveaux trans­ports amoureux témoignent plutôt d'une dépression générale qui traverse la société. « Nous vivons une époque où les gens sont trou­blés, désarçonnés, analyse le psy. N'importe quel malheur peut leur tomber dessus: un licenciement, un accident, une catastrophe naturelle. En retrouvant l'ex-mari ou le premier amour, ils sentent que cela fonctionne. Il y a là

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la force de faire « des conces­sions ». « C'est vrai qu'on s'aime toujours, mais j'ai une trouille bleue », avoue-t-elle.

Catherine et Guillaume se sont ren­contrés chez des amis. Le coup de foudre, comme dans les films. Trois mois plus tard, elle est enceinte, le couple se marie et Guillaume, déjà divorcé et père de deux garçons, vend sa PME d'informatique dans le Cher pour rejoindre sa petite famille ban­lieusarde en janvier 2000. Deux ans plus tard naît un deuxième enfant. Mais, entre les époux, l'ambiance est électrique depuis déjà quelques mois. « On a commencé à s'en-

gueuler pour des problèmes de fric. Guillaume était au chômage et il n'était pas pressé de trouver du boulot. C'est moi qui payais tout, la nourriture, les charges, la nounou. Jusqu'au jour où j'ai appris que sa mère renflouait son compte en banque et qu'il dépensait cet argent pour équiper sa moto. Ce fut le premier couac »,

raconte-t-elle. De son côté, Gilles, qui vit déjà mal la relation très exclusive entre sa femme et le bébé, accuse malle choc d'une nouvelle naissance. Pendant plus d'un an, le cou pie va cohabiter dans la même maison, s'envoyant à distance des noms d'oiseaux. Elle au premier étage, lui au second et chacun son frigo.

En 2004, ils divorcent et chacun s'ins­talle aux deux extrémités de la région pari­sienne. Loin des yeux, loin du cœur. « Ça a été un truc moche, poursuit-elle. Les années qui ont suivi ont été assez houleuses, puis les choses se sont stabilisées ».l.es enfants grandissent, les tensions s'apaisent, le couple se rencon­tre même en tête-à-tête de temps à autre, passe quelques week-ends en famille. Bon an, mal an, ils se rapprochent. Guillaume reprend petit à petit sa place de père et d'époux dans la sphère familiale, jusqu'à ce que, ensemble, ils décident de sauter le pas et de colouer une maison confortable et assez grande pour accueillir la famille

• recomposee, sans que personne se mar-che sur les pieds. « On était prêts à faire des efforts. Pour la première fois, on s'est mis à échanger nos petits papiers, nos petits impôts, à prendre un compte commun pour monter un

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dossier auprès de l'agence immobilière, raconte Ca therine. Le 24 juin tout était signé. » Mais très vite après le déménagement, le beau projet familial prend l'eau de toutes parts. Le couple recommence à s'étriper pour des histoires de fric, de chasse d'eau mal tirée, de lumière pas

toute façon, rien de folichon ne la retenait à Paris. Attachée de presse dans le luxe, elle s'est fait licencier quelques mois auparavant, et à son âge ne se berce pas d'illusions sur ses chances de rebondir. Sa vie amoureuse a été ponctuée d 'histoi-

res d'amour compliquées. éteinte ... « Lorsqu'on a décidé de se remettre en couple, on s'était dit qu'on ne ferait plus les mêmes erreurs. Et on les a refaites! On est peut-être for· matés comme ça »dit Cathe­rine, tout en croisant les doigts pour que ça marche. « Il faudrait qu'on soit capables de se laisser du temps », songe­t -elle. « Oublier la colère et la rancune peut s'avérer diffi·

« Quand nous étions jeunes, elle m'a fichu dehors. Elle avait besoin

Et puis quinze ans de céli­bat, pas d'enfants. « Ces derniers temps, la solitude me pesait », avoue-t-elle. Mehdi, ingénieur dans l'indus­trie pétrolière, est parti à l'étranger peu après leur rupture. Et a fait le tour du globe avant de s'installer au Brésil, où il s'est marié, a eu trois enfants. En 2007,

de réfléchir. Trente­cinq ans après, elle a réfléchi: elle est revenue! » Mehdi

cile. On ne gomme pas forcément des années de séparation », explique Violette Corny. Et les (bonnes) raisons pour lesquelles on s'était séparé resurgissent souvent. Mais, si le couple est déterminé à réussir, « la seconde union paraît plus précieuse que la première et ils ont plus de chances de vieillir ensemble », poursuit l'avocate.

Retrouvailles grâce à des amis communs

trois ans après son divorce, il remis en jeu son destin, quitté son job, pour ouvrir, au milieu de nulle part, dans le Nordeste, des chambres d'hôtes qui ne lui rapportent pas un sou. Et il a attendu Eliane sans trop espérer. En 1998, le cou­ple s'est en effet revu une première fois. Une brève rencontre qui s'est achevée par une engueulade tonitruante! Quelques années plus tard, ils se ratent de nouveau, par orgueil cette fois: un jour, sur Inter­net, Eliane tombe sur un bloggeur portant le même nom de famille - peu répandu - que Mehdi. Elle lance une bouteille à la

mer: « Avez·vous un lien familial avec Mehdi C. ? Je suis une ancienne amie de fac, si vous le connaissez, pourriez·vous lui transmettre mes coordonnées? » Pas de réponse. Le bloggeur, qui se trouvait être le fils aîné de Mehdi, avait bel et bien passé le message, mais le père, vexé que l'amour de sa vie se pré­sente à lui comme une vieille copine, ne donne pas suite.

Eliane n'entendra plus parler de lui jusqu'à ces retrouvailles avec des amis communs, qui la mènent à Rio. Elle décou­vre alors une autre personne. Le Mehdi de sa jeunesse, tiré à quatre épingles et un peu taiseux, est devenu un homme loquace qui ne s'habille plus que de vieux shorts, vit dans un village, où il s'est par­faitement intégré, et qu'il ne veut plus quitter. Mais ce qui la surprend le plus, peut-être, c'est de voir avec quelle facilité elle s'est mise au diapason, elle, la cita­dine intello bobo! « Nous ne sommes plus les mêmes, et pourtant... Je sais toujours qui il est, il sait qui je suis. » Est-elle retombée amoureuse? Elle élude. « C'est un homme bon, solide, entier, qui emporte tout sur son passage. Parfois il m'agace ... Mais il m'adore tellement », répond-elle finalement. Puis, a près un silence: « On est ensemble depuis six mois, mais il m'arrive de penser qu'on ressemble déjà à un vieux couple! » Déjà? Ou ... enfin! • P.Ch. Quand Eliane, 60 ans, tente d'expliquer

ce qui la lie à nouveau à Mehdi, 63 ans, elle dit: « Il me rassure. » Eliane et Mehdi se sont connus à la fac dans les années 70, ils n'avaient pas plus de 20 ans. Ils ont vécu quatre années ensemble, et puis Eliane a « voulu voir la vie ». Mehdi était fou amou­reux, mais elle le trouvait trop sérieux, promis à un brillant avenir d'ingénieur, sans surprise. Leur existence à deux sem­blait déjà écrite: un mariage, des enfants, un long fleuve tranquille ... A l'époque, la jeune femme volubile a eu peur de se «caser » trop vite, de s'ennuyer. « Quand nous étions jeunes, elle m'a fichu dehors à coups de taloches, s'amuse aujourd'hui Mehdi. Elle avait besoin de réfléchir. Trente·cinq ans après, elle a réfléchi: elle est revenue! », raconte-t-il à qui veut l'entendre.

oo-----:(k -

Le couple a repris contact il y a six mois quand des amis communs, retrouvés par hasard, ont donné à Eliane l'adresse mail de Mehdi : « Il vit au Brésil depuis une quin· zaine d'années, il sera tellement content d'avoir de tes nouvelles! » Elle a écrit, il a répondu, ils ont commencé à passer des nuits à se parler au téléphone, à rattraper le temps perdu. En février dernier, elle est partie le rejoindre pour trois semaines de vacan­ces ... et a déchiré son billet de retour. De

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INÉDITS • as SI

PAR ALEXIS LACROIX

'écrivain pragois Franz Kafka, disparu il y a quatre­vingt-six ans, est le héros involontaire de la grande affaire littéraire de l'été:

une bataille j udiciaire, encore peu médiatisée, portant sur plusieurs de ses manuscrits et dessins inédits, oppose les héritières de ces docu­ments et les autorités israéliennes. Le luxe de complications découra­geant de cette querelle en fait, a priori, un vrai procès « kafkaïen ».

Récapitulons. Dans son testament, Kafka man­

datait son ami Max Brod, qui l'épau­lait comme confident et l'assistait comme secrétaire, pour « bYÛlertoute [son] œuvre ». L'ami fidèle se révéla vite un exécuteur testamentaire heureusement désobéissant: loin de jeter dans un broyeur les moindres griffonnages de Kafka, il conserva pieusement ces ébauches et ces brouillons comme des reliques, avant de fuir Prague, en 1939, lors

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, roces

•• len Manuscrits et dessins

attisent les convoitises » de l'invasion hitlérienne, et d'em­barquer pour la Palestine muni de son précieux trésor. A sa mort, en 1968, à Tel-Aviv, Brod légua l'en­semble de ces œuvres à sa propre secrétaire, Esther Hoffe, qui, lors de sa disparition, en 2007, devait transmettre ce trésor littéraire à Eva et Ruth Hoffe, ses deux filles.

Le mois dernier, coup de théâtre: au terme de nombreux rebondisse­ments, la Cour suprême d'Israël a fait desceller les quatre coffres-forts appartenant aux sœurs, à Tel-Aviv et à Zurich. Le contenu des coffres a attisé les convoitises. Tant celles des sœurs Hoffe, qui veulent valider leurs droits sur l'héritage, que celles des avocats d'institutions israéliennes - dont la Bibliothèque nationale d'Is­raël-, laquelle fait valoir qu'il s'agit là d'un héritage culturel national. Qui croire? Qui entendre?

Une écrasante majorité d'édi­torialistes et de commentateurs européens a choisi de marteler qu'une œuvre aussi cosmopolite que celle de Kafka ne saurait deve­nir la propriété de l'Etat d'Israël. Face à eux, les autorités israéliennes s'échinent à exciper de telle allusion équivoque, au détour du testament de Kafka, pour fonder leurs préten­tions présentes. Si, en l'occurrence, les deux parties se fourvoyaient? Si, en dernier recours, ce qui pou­vaitjustifier un examen sérieux de la requête israélienne, c'était non l'invérifiable volonté d'un écrivain tchèque décédé un quart de siècle avant l'avènement de l'Etat hébreu, mais le trajet, à la fois mystérieux et miraculeux, de ses manuscrits dans les bagages de Brod, par-delà les cauchemars du XX' siècle, leur odyssée de Prague à Jérusalem ... _

Caravelles D'Olivier Ikor, Lattès, 450 p., 23,90 €.

On l'a oublié aujourd'hui, mais

à la Renaissance le Portugal était, grâce à une poignée de fous embarqués sur des coques de noix, la . , . premlere pUissance

maritime du monde. C'est cette aventure qu'Olivier Ikor a décidé de faire revivre dans un livre haletant, qui ne s'éloigne pas une seconde de la

1 OlhÎc! r 1 kor

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Caravelles Lcl.s ièc le d'or J

de, navigat e ur s' p01'I U!!:l ls

<

réalité historique.lls sont tous là, tous ces géants, notamment Bartolomeu Dias, découvreur du cap de Bonne-Espérance, ou encore Vasco de Gama, qui traça la route des Indes, et Magellan, premier navigateur à boucler en 1522 le tour du monde par voie de mer. Ce récit ne se contente pas de ressusciter ces personnages légendaires; il redonne vie à maints obscurs, sans lesquels l'histoire n'aurait pas été la même. Magistral._ Alexis Liebaert

ewYo b New York

De David Lefranc, du 17 juillet au 31 août, à Besançon, cour du Palais Granvelle, entrée gratuite; et du 1" au 30 novembre à la Galerie de Marianne (12, rue Stanislas, 75006 Paris).

Voici une exposition qui bouscule nos

codes et réveille notre curiosité. « New York by New York» fait traverser l'Atlantique d'un seul regard. Les clichés racontent le quotidien de cette ville fascinante, où les murs témoignent de la vie. David Lefranc offre une cartographie unique de la ville. La diversité des images collectées fixe la richesse de l'expression murale, tatouée de sauvage, de l'artistique, du communautaire,

du publicitaire ou du politique. Dans la ville qui ne dort jamais, les murs ne sont pas seulement là poursoutenir les bâtiments. Ils sont un terrain d'expression privilégié de la révolte et du compromis, de l'éphémère et du désir d'éternité._ Sarah Kalmann

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De Bertrand Tavernier, TF1 Vidéo.

En peu de mois, le thriller hanté

de Bertrand Tavernier a mûri comme un grand vin bonifié, et l'on suit avec bonheur en DVD l'enquête contrariée de Dave Robicheaux« dans la brume électrique» des bayous de Louisiane. Les suppléments sont riches: Tavernier parle bien de son coup de foudre pour le livre de James Lee Burke, de la nécessité qu'il a éprouvée de déplacer l'histoire «de nos jours après le passage de l'ouragan Katrina »,

de son extraordinaire

.. ï

interprète Tommy Lee Jones. Si le making-of du film déçoit un peu, les bonus contiennent un exceptionnel portrait­interview de James Lee Burke, réalisé par Jacques Lévy et Frédéric Le Clair. L'homme, dont la ressemblance avec Tommy LeeJones est troublante, insistait, il y a déjà plus d'un an, sur les dangers qui menaçaient la Louisiane, « où l'oligarchie pétrochimique a pris le pouvoir ». Des paroles prophétiques ...• Danièle Heymann

De Diane Birch, EMI.

Rien ne prédestinait la jeune Américaine

Diane Birch, 27 ans, à devenir auteur­

compositeur-interprète de soul-jazz. Elevée dans un milieu rigoriste-son père est un pasteur adventiste qui a prêché la bonne parole du Zimbabwe à l'Australie -, bercée par les chants liturgiques et l'opéra, tenue à l'écart de la « musique du diable », elle deviendra à l'adolescence ... rebelle gothique. Repérée par Prince lors d'une prestation au piano dans un hôtel de Los Angeles et produite par Betty Wright, une légende de la soul, Diane Birch s'est lancée dans ce Bible Belt, entre groove des années 50-60 et mélancolie mystique. Jouant du piano et accompagnée de quelques musiciens de renom, elle y révèle un sens du songwriting proche de celui deJoni Mitchell et une voix puissante qui rappelle Carole King. Deux sacrées références .• Myriam Perfetti

De Pierrick Sorin, Lieu unique, 2, rue de la Biscuiterie, 44000 Nantes, jusqu'au 29 août. Rens. : 0240 12 1434.

Encore. quelques semaines pour

découvrir dans le cadre toujours enchanteur du Ueu unique (ancienne usine LU) la joyeuse rétrospective de Pierrick Sorin, artiste né à Nantes en 1960, qui y vit et y travaille toujours. Le temps a passé depuis les premiers «autofilmages» des années 80, comme celui, irrésistible, où l'artiste scrutait ses réveils dans une chambre d'étudiant glacée pendant un mois, offrant à sa

• • propre camera un vISage de plus en plus fatigué, « et qui fatigue tout le monde » ... Depuis, le Nantais a fait du chemin (et même de l'opéra). Mais il n'a rien perdu de son humour ravageur ni de son inventivité, que l'on retrouve dans les autres films, installations ou clips musicaux présentés dans l'exposition .• Vincent Huguet

De M. Abouet et M. Sapin, Gallimard. 48 e·, 9,90 €.

Grâce au succès d'Aya de Yopougon

(ci nq tomes tradu its en 12 langues et vendus à 250000 exemplaires), Marguerite Abouet peut aujourd'hui donner libre cours au projet original de ses chroniques ab id jan aises. Ça donne Akissi, une BD pour enfant croquée par Mathieu Sapin, narrant les péripéties d'une petite fille espiègle ... Marguerite Abouet elle-même. En piochant dans ses souvenirs d'enfance, elle retrouve le verbe truculent et la respiration du quartier populaire de Yopougon. On appréhende le monde intrépide des galopins, riche en aventures cocasses, et pas toujours tendre avec celui des adultes! • Frédérique Briard

De Sapho, Flags Productions, disponible uni~uement sur sa hO.or

La chanteuse et poétesse Sapho,

sur la scène jazz du New Morning, une gageure? Pas vraiment. L'artiste a toujours été allergique aux formats et aux étiquettes. Cette voyageuse des sons du monde n'a jamais cessé, depuis les années 70, de

naviguer entre les eaux tumultueuses de ses passions soniques, du flamenco à la musique arabo-andalouse en passant par le blues. Sur la scène du New Morning, en janvier dernier, elle revisitait Universelle, son dernier album, composé au gré de ses escales, et d'anciens titres, ainsi que Man's World, de James Brown, ou Chelsea Hote/, de Leonard Cohen. Filmée au plus près, sans artifice d'effets stroboscopiques ou de saturations sonores, révélant sa nature à la fois douce et farouche, Sapho est plus que jamais universelle .• M.P.

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es préjugés sur la chanson deviennent vite des tubes que chacun répète à tue­tête: la crise du disque aurait jeté sur les routes des artistes qui vivaient confortablement à l'abri

de leurs disques d'or, transformant les chanteurs en forçats de la scène.

Certes, les années 80 sont révo­lues, où Michel Jonasz, après le suc­cès de la Boîte de jazz et une tournée triomphale, pouvait partir deux ans se ressourcer en Inde. Les cigales doi­vent désormais se faire fourmis: les stars qui sont la vitrine des festivals d'été deviennent gourmandes. Car elles comptent sur les cachets de la scène pour vivre confortablement: « Les locomotives s'emballent un peu sur les prix demandés, confie Joe Mazure, qui dirige le festival Alors Chante! de Montauban, car ils ne sont pas si nom­breux à pouvoir remplir les salles, donc les exigences sont plus fortes. » Mais la classe moyenne de la chanson fran­çaise n'est pas plus sur les routes que jadis: elle compte simplement davan­tage sur le statut, pourtant remis en cause, d'intermittent du spectacle pour boucler ses fins de mois lorsque les tournées s'arrêtent.

Si la crise du disque a tari la prin­cipale source de revenus des artistes,

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le chanteur Gaëtan Roussel, leader du groupe Louise Attaque, commence une carrière solo. Peu sollicité par les médias, il est en revanche largement diffusé à laradio. Du coup, ses concerts affichent complet.

elle a aussi modifié les repères du succès: « Il y a encore quelques années, raconte Yann Hamon, qui est à la tête de Yapucca et qui s'occupe des tour­nées de Miossec, Louise Attaque ou encore BB Brunes, on travaillait sur une sorte de correlation entre vente de disques et remplissage de salles. Or, aujourd'hui, avec l'ewndrement du marché, l'approche devient plus diffia1e. Trouver la bonne salle pour le bon chanteur est un exerdce de1icat et risqué. »Unetournéepeutvirerrapi­dement au gouffre financier. C'est la double peine pour un artiste qui ne vend pas et qui ra te sa tournée. « Un disque d'or ne veut plus rien dire, résume une attachée de presse. C'est juste une occasion de remercier les amis. Ce qui compte, ce sont les passages à la radio. » La multiplication des passages sur les ondes est donc le sésame qui

ouvre les portes des salles pour mieux les remplir. Gaëtan Roussel, le chan­teur de Louise Attaque, qui entame une carrière solo, est peu connu d'un point de vue médiatique, mais il a été l'artiste français le plus diffusé sur les radios au mois de mai. Résultat: les salles sont pleines. Un tube radio vaut mieux qu'un disque d'or. « Le public est de plus en plus volatile et infidèle », analyse Jean-Pierre Pasqualini, direc­teur de la revue Platine. Il faut donc être entendu pour avoir une chance qu'on vienne vous voir. L'enjeu: être sur les playlists des radios ou ne pas être. Or les maisons de disques, qui n'ont aucun retour financier sur les passages radio, négligent souvent ce travail de fond auprès des stations, au profit d'une rentabilité immédiate. Un artiste marche vite, ou tombeaux

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oubliettes. Une chanteuse pourtant réputée, en pleine renégociation de contrat, confie sous le sceau du secret: « Les maisons de disques donnent de plus en plus l'impression de jeter en l'air et de regarder ceux qui retombent. Elles lâchent les artistes de plus en plus vite. »

Prime aux gagnants

Mais les habitudes commencent à évoluer. La prise en compte de la dimension scénique d'un artiste est devenue un argument important lors de la signature d'un chanteur: Benoît Dorémus incarne une poli­tique commerciale moins axée sur les ventes que sur la scène; après un premier album remarqué, mais qui s'est soldé par un échec commercial (10000 CD vendus), sa maison de

disque a continué à lui fuire confiance en raison de son potentiel sur scène. « Même si j'ai peur qu'un jour on me rende mon contrat, je suis du côté des veinards, car j'ai une maison de disque qui me fait encore confiance. » Alors, il tourne et quadrille le terrain - 150 dates en dix-huit mois - et raconte dans son album, 2020, comment il « se cram­ponne à un permis de chanter ». Doré­mus, comme beaucoup d'autres, ne vit pas de sa musique: il vit de la scène. Il faut donc tourner, et « re­tourner » encore: « Je vis correctement de mon statut d'intermittent. Mais heu­reusement que je n'ai pas trois enfants »,

sourit-il. Pour bénéficier d'un statut d'intermittent, il faut justifier une cinquantaine de dates de concerts par an. Or, réaliser un concert par semaine sur toute une année, pour

un artiste connu sans être une star, cela demeure une performance commerciale autant que sportive: « Parfois, confie la chanteuse Amélie les crayons, qui a vendu 75 000 de ses deux premiers albums et vient d'achever une longue tournée très réussie, je ne me souvenais même pas de ce que j'avais fait la veille. Et, même si les concerts sont nourrissants humainement, j'ai beaucoup maigri! »

Monter sur scène, d'accord, mais encore faut-il que les portes des salles veuillent bien s'ouvrir. Beaucoup

d'entre elles, appa­rues dans les années Lang, ont perdu leurs subventions, et sont donc plus frileuses dans leur program­mation. YannHamon a vu évoluer la poli­tiq ue des salles de spectacles: « Les salles subventionnées comptent davantage sur la billet-terie pour survivre. La

prise de risque est donc beaucoup moins grande. » Même les centres culturels censés sou tenir les jeunes pousses commencent à raisonner en termes de rentabilité: «Je suis une enfant des subventions, raconte la chanteuse Clé­rika, cinq albums et quinze ans de carrière derrière elle. Sans l'aide des institutions, je n'aurais pas existé. » Mais aujourd'hui, sans tube radio, sans soutien financier et sans l'audace des programmateurs, aurait-elle pu commencer? Avec cette prime aux gagnants, on arrive à un système où il faut être connu pour de DU ter.

Les moyens de diffusion et de promotion de la musique - notam­ment la téléphonie etlntemet - n'ont jamais été aussi simples et faciles. Paradoxalenlent, les vieilles règles du métier n'ont jamais été aussi indis­pensables pour souffler dans les trom­pettes de la renommée: le travail sur le terrain et auprès des médias de province redevient la base d'une profession qui a longtemps vécu de paillettes et de plateaux télé. Grâce à Internet, tout le monde connaît son heure de gloire. Mais, pour que le pu blic se déplace dans les salles, le chemin repasse par les radios et la presse. Le disque, investissement indispensable mais peu rentable, reste l'avenir de la scène ... _

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 61

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'em Prenez une légende du jazz ou une star de la pop, mélangez à la crème des artistes mondiaux et nappez le tout de bons sentiments ... PAR MYRIAM PERFETTI

orsqu'il affirmait, dans le Crépuscule des idoles, que « sans la musique la vie serait une erreur », le rigoureux Friedrich Nietzsche n'a-t-il

pas fait preuve d'imprécision? Cer­taines musiques, voire certaines directions artistiques, sont des erreurs vivantes, qui conduisent musiciens et producteurs au flop retentissant. Sans tomber dans le syndrome Dick Rowe - du nom de ce sous-directeur artistique de Decca qui, en 1962, refusa les Beatles, au motif que « les groupes à guitares [allaient] disparaître » (sic !) -, de grands noms, armés des meilleures intentions du monde, se plantent. Dernier exemple en date: la légende du jazz Herbie Hancock.

Pour fêter son soixante-dixième anniversaire, celui qui brasse depuis cinquante ans influences, cultures et musiques du monde s'est offert

621 Marianne 1 7 au 13 août 2010

le plus improbable des cadeaux: un album concept, The Imagine Project, où il a convié la crème de la crème pour reprendre des standards pop­rock - A Change Is Conna Come, de Sam Cook; The Times They AreAChangin', de Dylan; Don't Cive Up, de Peter Gabriel; Exodus, de Bob Marley ... Patatras! A trop vouloir faire riche, le pianiste de génie pèche par excès de name drop­ping et appauvrit son propos.

Daubes cacophoniques The Imagine Project, sorte de gros souf. flé hypermarketé en hommage au fantasme lennonien de paix et de tolérance mondiales - la première chanson reprise est naturellement Imagine, de John Lennon -, se pro­mène aux quatre coins du monde - Angleterre, Brésil, France, Irlande, Inde, Etats-Unis -, emmenant avec lui Jeff Beek, Seal, Pink, Toumani Dia ba te, Tinariwen et autres

• , , , • •

• "

Herbie Hancock et Kylie Minogue (photos) ont eu la main lourde sur le politiquement correct et les arrangements faciles. Résultat: deux albums indigestes.

u

Konono N°L En chemin, il se perd dans le politiquement correct - on est tous frères -, avec ses collages racoleurs et ses arrangements faciles - t'as vu mes invités, ils sont trop bons! Une vraie pub Benetton sur fond d'expérimentation fadasse.

Au tre flop par excès de bonnes intentions, celui de Kylie Minogue et sa montagne d'amour qui tente de défier le ciel, mais qui attendra, sans aucun doute, les sommets des ven­tes. Métamorphosée en Aphrodite, la quadra australienne aux 60 mil­lions d'albums vendus tente, dans son onzième opus, de faire danser comme dans les années 80. Empilant une succession de clichés, savam­ment orchestrée par le prod ucteur

~ britannique Stuart Priee, la déesse ~

~ de l'amour libre - ah ! le clip de Al! ~ The Lovers, avec ses corps emmêlés ~ .g en plein Times Square - s'est, elle

a ussi, entourée de grands noms du moment - Scissor Sisters, Calvin Harris, Jake ... Au final, une daube cacophonique.

Enfin, cerise sur le gâteau du mauvais goût de la pop, l'invaria­ble Lady Gaga. Dans son dernier clip, Alejandro, elle fustige l'homo­phobie à grand renfort de plagiats madonnesques et d'images sadoma­sochistes. En 8'43", la nouvelle reine au toproclamée de la provocation pop tente de mêler sexe et religion en ânonnant bêtement, et mille fois de trop, «Alejandro », au milieu de danseurs glabres et tenus en laisse, sur une musique techno indigente. Lady Gaga, sans inventivité, recycle Madonna et tourne en rond. Quant a u message de tolérance ... _

The Imagine Projet, d'Herbie Hancock, Sony. L'intégrale des enregistrements Columbia d'Herbie Hancock, pour la période 1972· 1988, sortira en septembre dans un coffret de 35 CD. Aphrodite, de Kylie Minogue, Parlophone/EMI.

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Polar. Hypothèses sur un kidnapping

Ange noir, diable blond es temps changent. Jusqu'ici, les « reines du polar » britanniques se présentaient sous les traits de respectables mamies confiture, vêtues de twin-sets fuchsia et por­

tant collier de perles. Mo Hayder, elle, n'a rien d'une grand-mère. Grande, blonde, la quarantaine radieuse, on dirait plutôt un ange. Mais de la famille des anges noirs, ou peut-être des diables blonds. De ceux qui prennent un plaisir pervers à torturer, sans relâche, les nerfs des lecteurs. De fait, .w

personne n'excelle, comme elle, à jouer ~ avec nos hantises. Claustrophobie, peur -1: du noir, angoisse de la solitude, elle titille à plaisir chacune de nos failles. A son pal­marès, déjà six thrillers tous plus cauche- ~

mardesques les uns que les autres.

" w

Revoici donc le duo fétiche de la dia- :~ -bolique romancière: le commissaire]ack -g Caffery, qui ne se remet pas de l'assassinat E

m de son petit frère par un pédophile, et le

Il ans. Caffery, qui n'y voit qu'un banal vol de véhicule, est persuadé que le mal­faiteur ne tardera pas à libérer la petite fille. Flea est, elle, au contraire convaincue que l'enfant est la véritable cible du sinis­tre personnage: aucune chance qu'il la relâche. Et elle redoute la récidive. L'affaire se complique quand le ravisseur se met à menacer la fumille de la gamine enlevée par des lettres déposées, nul ne sait comment,

à son domicile. Quelques pages

dévorées, et voila le lec­teur irrésistiblement enchaîné à ce récit haletant, glaçant. Un récit soutenu par une intrigue maîtrisée, une grande capacité à donner vie à une mul­titude de personnages, et un sens du dialogue jamais pris en défaut.

sergent Phoebe Marley, de la brigade de recherche subaquatique de Bristol, sur­nommée Flea (<< puce ", en anglais) en raison de sa petite taille. Deux solitaires à la sensibilité à fleur de peau qui s'impli­quent, au-delà du raisonnable, dans les enquêtes dont ils sont chargés. Et puis, il y a «le marcheur ", étrange personnage

au comportement de gourou dont l'ombre flotte comme une figure tutélaire sur la nouvelle enquête des deux policiers.

Quand on lui demande d'où lui viennent ces histoires horribles, Mo Hayder répond volontiers avec un sourire désarmant qu'elle aime mieux ne pas le savoir. On la comprend ... _ Alexis Liebaert

L'affaire, cette fois, est des plus déli­cates : un individu revêtu d'un masque de Père Noël s'est emparé de la voiture d'une mère de famille. ]usque-là ... Mais voilà: dans ladite automobile, ily avait une gamine de

Proies, de Mo Hayder, Presses de la Cité, 444 p., 21,50 €.

Armanda, ou les infortunes de l'inconscient

641 Marianne 1 7 au 13 août 2010

anvier 1953, Pays-Bas. La jeune Armanda a réussi à convain­cre Lidy, sa sœur aînée, de

se rendre à sa place à l'anniver­saire de sa filleule en Zélande. En échange, elle gardera sa petite fille de 2 ans pour le week-end. Les deux femmes, bien sûr, ignorent que ces quelques jours seront pour la Hollande ceux de la descente aux enfers. En cause, une tempête aussi soudaine que dévastatrice, qui va rayer de la carte une partie du pays, sub­mergée par les eaux déchaînées.

Lidy Y laissera la vie, et sa cadette finira, aidée par leur extraordi­naire ressemblance, par la rem­placer dans la vie de Sjoerd, son jeune mari devenu veuf.

Un roman au rythme envoû­tant où se succèdent les cha­pitres narrant, presque minute par minute, les dernières heures de Lidy, et d'autres rapportant les longues années qu'Armanda passera encore sur cette Terre. L'histoire, en quelque sorte, d'une jeune fille qui ne réussira . .,. . J amalS a ViVre sa propre vle sans

parvenir pour autant à vivre celle de sa sœur disparue.

Il faut dire que les intentions d'Armanda, en éloignant ainsi sa sœur l'espace d'un week-end, n'étaient peut-être pas si pures: loin d'être insensible au charme de son beau-frère, elle rêvait inconsciemment de remplacer Lidy à ses côtés. Moralité? Il n'est pas toujours bon de voir ses rêves se réaliser. _ A.Lie.

Une catastrophe naturelle, de Margriet de Moor, Maren Sel!, Libella, 336 p., 24 €.

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The Roots, rap majeur n est souvent tenté d'exiger plus des musiciens qui se sont hissés au rang de légendes. The Roots, le collectif de rap de Philadelphie, fait partie de

ceux-là. En vingt ans de bons et loyaux services, ils n'ont jamais cédé ni à la tentation ni aux compromissions du rap commercial. Même si, il faut le reconnaître, le souffle novateur de The Legendary Roots Crew - comme ils aiment à se qualifier - avait quelque peu faibli au fil des ans, les Roots allant même jusqu'à accepter d'être le groupe d'un célèbre talk-show américain, celui du « Late 2

u

Night WithJimmy Fallon ». Mais oublié, tout ça ! ~ w

How l Got Over, leur neuvième album, revient aux 5 fondamentaux et renoue avec le groove jazzy de leurs '5

'" origines, joué sur de vrais instruments, dans une tona- :§ u

lité soul. Avec ce sens inné de la mélodie, Black Thought et Questlove osent à nouveau un rap posé, travaillé et politisé, qui questionne et interpelle, avec élégance, les présidents Bush et Obama. Ils méritent à nouveau le qualificatif de légende. _ Myriam Perfetti

How 1 Got Over, de The Rools, Del Jam/Universal.

D'amour et d'occitan ielle à roue, accordéon, galoubet, flûte ... Ne crai­gnez pas le répertoire poussiéreux à l'évocation de ces instruments traditionnels du folklore pro­

vençaL La Cie Montanaro a su les ancrer dans la vie. Pour preuve, leur dernière création, entièrement tournée vers

le thème de la liberté, Di\.mor de Guerra. Miquèu Montanaro, leader de la formation, a tou­jours eu à cœur de confronter la culture occitane au monde extérieur. Ce nomade cultive les expériences, en voilà le fruit avec ce formidable double CD : une traversée de six pays et

cinq résidences déclinées sur trois années, qui nous propulse au carrefour du Moyen-Orient, de l'Afrique noire et de l'Europe centrale. _ Frédérique Briard

O'Amor cie GuelTa, parla Cie Montanaro, Nord Sud.

'irai pleurer sous ton arbre

Ile est partie loin de chez elle, aux antipodes, mais au plus près d'une vérité intime pour parler, avec infiniment de grâce et

d'énergie, du chagrin de la perte et de la force de la vie. Julie Bertucelli, après un premier long-métrage très remarqué et sensible, Depuis qu'Otar est parti, s'est inspirée d'un roman de l'Australienne Judy Pascoe dont le titre anglais dit tou t : Our Father Who Art in The Tree, notre père qui êtes dans l'arbre ...

Dawn (Charlotte Gainsbourg) vit avec Peter, son mari, et leurs quatre enfants dans une grande maison, sous l'ombre à la fois tuté­laire et tentaculaire d'un immense figuier. Lorsque, soudain, Peter meurt. Emergeant de la désola tion et du désordre, refusant le malheur avec obstination, la toute petite, la tou te blonde Simone, 7 ans (irré­sistible Morgana Davies), sait très exactement où son papa a disparu. Elle lui parle désormais blottie entre les branches, puisque l'homme n'est pas seulement dans l'arbre; l'arbre est devenu l'homme. Ses frères refu­sent d'entrer dans cette douce folie

consolatrice, mais finalement Dawn accepte de s'y soumettre. Jusqu'à ce que l'arbre devienne encom­brant, envahissant, menaçant et que, durant une tempête, il risque d'écraser la maison, qu'il soit ques­tion de l'abattre. De le tuer, comme pour marquer que le travail de deuil est accompli.

Beau conte d'amour et de colère porté par les forces conj uguées de la nature et de l'enfance, dont Char­lotte Gainsbourg est l'âme. Toujours si lumineusement accordée à ses rôles, en prise directe, sans coquet­terie ni faux-semblant, elle est Dawn, cette jeune veuve dévastée qui, doucement gagnée par les sor­tilèges d'une magicienne de 7 ans, laisse à nouveau le soleil la caresser. Et un homme, aussi. L'Arbre a été présenté in extremis en clôture du dernier Festival de Cannes. C'est en général la place du film sacrifié, les festivaliers ont déjà la tête ailleurs. Et là, non. La fougueuse élégie de Julie Bertucelli a pris racine dans les mémoires et dans les cœurs. _ Danièle Heymann

.. L'Arbre ", de Julie Bertucelli. Sortie le 11 août.

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 65

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FESTIVALÀSAINT-CÉRÉ

FESTIVAL À LA ROQUE-D'ANTHÉRON

Festival international de piano David Fray (piano), Sinfonia Varsovia. Mozart.

Vendredi 13 août, à 21 heures. Aldo Ciccolini. Soirée anniversaire. Chopin.

Dimanche 15 août, à 21 heures. Carte blanche à Renaud Capuçon. English Cham ber Orchestra, Ralf Gothoni (direction). Beethoven, Chausson, Mendelssohn.

Lundi 16 août, à 21 heures. Parc du château de Florans.

m E ..... _

FESTIVAL À MARCIAC

Jazz ln Marciac Fanfare Carol, Goran Bregovic. Samedi 14 août, à 21 heures. Sous chapiteau.

· • • FESTIVAL À QUIMPER

Semaines musicales · Pascal Amoyel (piano).

Antoine Hervé (piano). Bach, Beethoven, Gershwin,

: Duke Ellington.

Lundi 16 août, à 21 heures. · «Zemire et Azor », •

• • •

• • opera comique.

Mercredi 18 août, à 21 heures. Théâtre de Cornouaille.

............ ... ......................

Festival de Saint-Céré La Belle de Cadix. Opérette de Francis Lopez. Direction musicale :Jérôme Pillement.Chorégraphie: Bruno Pradet. Mise en scène: Olivier Desbordes. Orchestre du Festival.

Samedi 14 août, à 22 h 30. Halle des Sports.

>- Pour profiter des invitations gratuites, il vous suffit d'appeler au 08 26 30 56 57 du mardi au vendredi de 10 heures à 16 heures. Vous bénéficierez des invitations dans la mesure des places disponibles.

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Les plus grands prophètes Vidor Hugo, le visionnaire .................................... p. 68 Cette œuvre qui a changé ma vie Pierre Nora: « Bibi Fricotin » ................................. p. 72 Les couples impossibles Verlaine et Rimbaud ................................................ p. 74 Les plus grands défis du XXle siècle Le choc des civilisations

'" • • •

-- - , -- --- - - -.~ • • '. . - -. ---Par Henry Laurens ........................................................ p. 76 Les 7 salopards de la crise Lloyd Blankfein ......................................................... p. 80 Les militants de l'ombre Yazid Kherli, l'autre voix des cités ................................................... p. 82 Des coins de paradis

~_,- Provence. Trigance et la vallée du Jabron ........... p. 84 - Jeux-quiz ............................................................... p. 88

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Les plus grands prophètes

ui d'autre pourrait assumer ce rôle de guide, sinon un poète, sinon Victor Hugo? De là à s'ima-

. ~ glner en « reveur sacré », marchant à la

tête de son peuple et partageant avec celui-ci un peu de sa sagesse et de sa vision du futur, il y a un pas que le Hugo écrivant les Rayons et les Ombres, en 1840, ne songe pas à franchir. A ses yeux, le « poète idéal » ne devrait contracter « nul engagement », n'accepter aucune chaîne. Les événements de 1848 ne le détournent pas de l'objectif qu'il s'est fixé: il ne se sent aucune pré­disposition à gouverner au risque de devoir choisir entre son œuvre littéraire et les contraintes de la direction des affaires, ce que per­sonne ne lui demande d'ailleurs de faire. Mais il ne répugnerait pas à devenir une sorte d'éminence grise. N'est-ce pas déjà ce rôle qu'il a commencé à tenir au cours des dernières années de la monarchie de Juillet? Ille dit clairement: «Je veux l'influence et non le pouvoir, l'in­fluence honnête, probe, éclairée, et rien de plus, rien pour moi surtout. »

Hugo n'a encore rien du pro­phète de la République. La société française ne lui semble pas encore prête à donner le pouvoir au peu­ple. Surtout, la République ressus­citerait « ces deux machines fatales qui ne vont pas l'une sans l'autre:

681 Marianne 1 7 au 13 août 2010

Face à la crise que traverse la France en 1848, le poète endosse les habits du guide investi d'une mission: édairer ses semblables. Et,

Mais il n'a pas abdiqué ses ambi­tions de père Joseph. Aussi se porte­t-il candidat à la députation et est-il élu à la Constituante, avec près de 87000 voix, en même temps que Proudhon, Changarnier et ... Louis Napoléon Bonaparte. Or ce dernier, parmi les candidats à la fonction présidentielle, paraît lui offrir les meilleures chances d'accéder à ce statut de conseiller du prince. Ses écrits d'exil et de captivité révè­lent un intérêt pour la question sociale que l'on ne retrouve ni chez les républicains de stricte obser­vance, ni chez les orléanistes. A quoi s'ajoute le charisme attaché au nom et à la mémoire de l'homme providentiel. «Si on nous suppose un peu prévenus pour Louis Bonaparte, écrit-il, on ne se trompera pas. Nous sommes comme le peuple et comme

la vieillesse venue, sa dernière incarnation sera le pacifiste

• convamcu. PAR PIERRE MILZA*

la planche aux assignats et la bas­cule de la guillotine ». A son ami Lamartine, qui lui fait entrevoir de devenir ministre de l'Instruc­tion publique, il réplique que, si la Répu blique est le seul gouver­nement rationnel digne d'une nation civilisée, le seul capable de réa­liser un j our cette République univer­selle à laquelle il a _. ~

commence a rever,

«Je veux l'influence et non le pouvoir, l'influence honnête, probe, éclairée, et rien de plus, rien pour

• mOi surtout. »

l'enfant, nous aimons ce qui brille. Nous voyons passer dans la rue un homme qui s'ap­pelle Napoléon, nous ne pouvons nous empêcher de le saluer au passage. Sans nous associer à cette superstitieuse faveur qui accompagne aujourd'hui M. Louis Bonaparte, nous la

il est trop tôt pour s'engager dans une aventure pouvant déboucher sur les pires excès. Il refuse même d'être nommé maire de son arron-dissement, le Vil', dont le siège se trouve pourtant en face de chez lui sur la place Royale (l'actuelle place des Vosges).

comprenons. C'est un touchant appel que la France fait à Dieu. Elle a besoin d'un homme qui la sauve, et ne le trouvant pas autour d'elle dans la sombre tempête des événements, elle

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s'attache avec un suprême effort au glo­rieux rocher de Sainte-Helène. »

Un poète et un sauveur prophé­tiques, cet attelage baroque lui semble offrir une issue à la crise que traverse la France au printemps 1848. Il ne faut pas longtemps à l'Evé­nement, le journal fondé par Hugo et auquel collaborent ses deux fils et sa maîtresse du moment, Léo­nie d'Aunet, pour prendre parti en faveur de Louis Napoléon et contre son principal adversaire, Cavaignac. Il a même publié le manifeste élec­toral du prince, avec en retour, une invitation au premier dîner offert à l'Elysée par le président élu.

Elu député à l'Assemblée légis­lative en mai 1849 avec le sou­tien du « parti de l'Ordre ", Victor Hugo s'est peu à peu éloigné de la droite, sortie victorieuse du scru tin et dont il condamne les options ouvertement réactionnaires. Sans adhérer aux idées des démocrates socialistes, ni surtout se joindre à leurs appels aux armes, l'écrivain a incontestablement viré à gauche en 1849. Il n'est pas à proprement parler bonapartiste, mais dans le bras de fer qui s'engage entre la majorité conservatrice et le président, il se sent plus proche de celui-ci que de ses anciens amis.

- •

Entre le rôle rêvé de conseiller du prince et celui de guide investi d'une mission destinée à éclairer ses semblables, à leur indiquer le bon chemin, Hugo n'a toujours pas choisi. Pourtant, à lire l'appel qu'il adressait en mai 1848 à ses conci­toyens, on peut imaginer que son cœur penche déjà du côté des « hom­mes de l'utopie », évoqués dans les Rayons et les Ombres. Le programme qu'il présente aux électeurs pari­siens comporte, en effet, l'exposé des bienfaits que le peuple est en droit d'attendre de ceux qui aspi­rent à le gouverner: la liberté, sans autre limite que celle d'autrui, une égalité qui ne soit pas nivellement des individus composant le corps social, une fraternité consentie par les hommes libres, l'enseignement gratuit pour tous, un système pénal débarrassé des rigueurs d'un autre âge, une économie tournée vers le progrès et non exclusivement vers le profit, la peine de mort abolie, la guerre mise hors la loi, l'amitié proclamée entre les peuples. Tout cela aboutissant au « majestueux embrassement du genre humain sous le regard de Dieu satisfait ».

Humanisme socialisant Les thèmes développés dans ce manifeste que Lamartine jugera admirable ne sont pas sans rappeler ceux qui ont mobilisé, une vingtaine d'années plus tôt, les représentants de l'école saint-simonienne, ras­semblés autour d'une petite équipe d'intellectuels et de technocrates de haut niveau: Gustave d'Eichtal, Michel Chevalier, les frères Talabot, Emile Barrault, Edouard Charton et surtout Saint-Amand Bazard et Barthélémy Prosper Enfantin, ces deux derniers se faisant appeler « pères suprêmes » et exerçant leur autorité spirituelle sur « l'Eglise de Ménilmontant » - du nom de la rue où se réunissent ses adeptes. Victor Hugo n'a jamais été mem­bre de la secte, mais il entretient des rapports cordiaux avec certains d'entre eux, dont Sainte-Beuve et Pierre Leroux, alors gérant du Globe. Non seulement celui-ci soutient la révolution littéraire de l'école romantique, mais il ne manque pas de souligner en quoi le >

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 69

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> « nouveau christianisme ", qui est à la base de la doctrine saint­simonienne s'accorde avec la syn­thèse recherchée par l'auteur de la Préface de Cromwell.

Hugo a pu ainsi s'imprégner de certaines idées relevant d'un humanisme socialisant que Marx et consorts dénonceront comme « uto­pique ». Mais la fonction du poète n'est-elle pas précisément d'être celui qui, dans la nuit où tâtonnent les hommes, est seul à percevoir « le germe qui n'est pas éclos », l'uto­pie n'étant pas autre chose que la représentation d'une réalité idéale vers laquelle doivent tendre les efforts des hommes dès lors qu'on leur en a indiqué la direction.

Pour qu'il s'engage tout entier dans cette voie, après avoir goûté des honneurs, de la richesse, de la notoriété littéraire, il a fallu qu'au drame personnel qu'avait été la mort accidentelle de sa fille s'ajoute, quelques années plus tard, l'étran­glement par « Napoléon le Petit » de cette République, dont il avait long­temps redouté la dérive terroriste. Le coup d'Etat de Louis Napoléon marque en effet une rupture, sans doute la plus importante dans la vie de l'écrivain. Une seconde nais­sance, si l'on veut, suivie d'un exil qui dure près de dix-neuf ans, au cours duquel Hugo va incarner ce poète-prophète orgueilleusement dressé devant le tyran, à quelques milles seulement de cette terre de France qu'il ne retrouvera qu'en sep­tembre 1870, en posant le pied sur un quai de la gare du Nord, acclamé par une foule immense venue au-devant de son héros blanchi mais toujours vaillant.

11 n'aura pas fallu longtemps a u banni pour se couler dans le bronze du prophète-résistant. Dès novembre 1853, un an après avoir débarqué à Jersey, il publie un pam­phlet de 6 000 vers, les Châtiments, où le « rêveur sacré » se transforme en éclaireur du monde, et en pre­mier lieu de sa patrie soumise à la tyrannie de « Napoléon le Petit ». Telle est l'image qu'il veut impri­mer dans l'esprit des Français, de ceux notamment qui se sont laissé manipuler par le discours populiste du dictateur: celle du proscrit soli­taire accroché au rocher de Jersey,

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à l'écoute de la parole de Dieu, pui­sant dans sa solitude méditative la force de combattre la tyrannie et de prêcher, comme les disciples attardés du comte de Saint-Simon, une religion nouvelle.

Une bouteille à la mer

Pas de prophète qui ne soit en même temps « visionnaire ». Vic­tor Hugo est d'autant plus enclin à tenir ce rôle qu'il vit, depuis la mort tragique de Léopoldine, dans un climat fortement marqué par l'ir­rationnel et que vont exacerber les séances quotidiennes de table tour­nante organisées à Jersey, pendant plus de deux ans, à l'initiative de la poétesse Delphine de Girardin, l'épouse du célèbre publiciste. Le spiritisme, importé des Etats-Unis,

est alors à la mode en France, mais il a pris à Marine-Terrace, la maison où sont installés les Hugo, l'allure d'une véritable obsession. Voici Dante, Racine, Marat, Charlotte Corday, Robespierre, Byron, Shakes­peare, Mahomet, Platon, Aristote ou Napoléon 1", convoqués à Jersey en conseillers d'outre-tombe du poète­prophète. La scène paraît comique, mais elle n'est guère différente des procédés employés par les oracles de l'Anquitité, qui, abolissant le temps, tiraient du regard porté sur le passé et le présent l'annonce de ce que pourrait, de ce que devrait être l'avenir. N'est-ce pas sur une vision du futur, celle de la révo­lution qui chassera de son trône l'homme du 2 Décembre et ceux qui le soutiennent, que s'achèvent les Châtiments?

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« Oui, je me réjouis; oui, j'ai la foi; . . Je saIS

Qu'il faudra bien qu'enfin tu dises: c'est assez!

Tout passe à travers toi comme à travers le crible

Mais tu t'éveilleras bientôt, pâle et terrible,

Peuple, et tu deviendras superbe ,

tout a coup. De cet empire abject, bourbier, cloa-

, que, egout,

Tu sortiras splendide, et ton aile profonde,

En secouant la fange, éblouira le monde!

Et la Thémis aux bras sanglants, cette bouchère,

S'enfuira vers la nuit, vieux monstre , , epouvante »

Mais la France n'est pas tout, ou plutôt elle ne peut prétendre à sa place éminente qu'en se portant à l'avant-garde du combat pour la paix. Victor Hugo a présidé à deux reprises les Congrès de la paix, réunis respectivement à Paris et à Bruxelles, en 1848 et en 1849. L'initiative en revient au pacifiste américain Elihu Burritt, mais c'est le discours d'ouverture prononcé par le poète le 21 août 1849 qui a fait date, aussi bien par ce qu'il nous révèle du pacifisme hugolien que par la vision paneuropéenne qui ressort de son propos.

Nous n 'avons pas à mesurer ici la part d'illusion, d'utopie, de naïveté, dira-t-on, que comporte le vibrant plaidoyer de l'écrivain en faveur de la paix universelle. Le poète ne serait pas prophète si son discours n'avait pas pour but de mobiliser une opinion mondiale acquise à l'idée de l'inéluctabilité des conflits armés et des horreurs qui en découlent. « Il est tout simple, déclare-t-il, que dans cette heure de nos troubles et de nos déchirements, l'idée de paix universelle surprenne et choque presque comme l'apparition de l'impossible et de l'idéal; il est tout sim­ple qu'on crie à l'utopie. [ ... 1 j'accepte cette résistance des esprits sans qu'elle m'étonne ni me décourage. » Hugo le sait , c'est une bouteille à la mer qu'il jette dans l'océan des indiffé­rences, mais n'est-il pas du devoir du «rêveur sacré » de traduire son rêve en paroles pour qu'un jour il devienne réalité, dans une Europe

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Règlements de comptes, Dans « les Châtiments », Victor Hugo s'en prend à « Napoléon le Petit » et aux institutions complices de son régime: le der~é, la justice, l'armee, la police.

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- c'est l'autre versant de la « pro­phétie », au sens noble du terme - unie et fraternelle. « Ce jour-là, poursuit le visionnaire, vous vous sentirez une pensée commune, des inté­rêts communs, une destinée commune; vous vous embrasserez,

« Un jour viendra, disait encore l'écrivain dans sa péroraison de 1849, où les armes vous tomberont des mains. » Oui, mais que se pas­sera-t-il si les mains des pacifistes sont nues tandis que d'autres

mains sont armées vous vous reconnaîtrez fils du même sang et de la même race ; ce jour-là vous ne serez plus des peuplades ennemieS, vous serez un peuple. »

« Au XX: siècle, et menaçantes? La paix dans ce cas doit­elle être payée au prix d 'une désertion devant l 'agresseur? Hugo appelle de ses vœux la paix univer­selle, mais celle-ci ne pourra être établie que dans une Europe d'où auront disparu

Dans un texte de la même veine, un article publié dans l'Avenir en 1867, Hugo persiste et

il y aura une nation extraordinaire. Cette nation [ ... ] ne s'appellera point la France, elle s'appellera l'Europe. »

signe. Il fixe même une échéance au rêve européen et pacifiste. «Au XX' siècle, il y aura une nation extra­ordinaire. Cette nation sera grande, ce qui ne l'empêchera pas d'être libre. Elle sera illustre, riche, pensante, pacifi­que, cordiale au reste de l'humanité. [ ... 1

Cette nation aura pour capitale Paris, et ne s'appellera point la France, elle s'appellera l'Europe. Elle s'appellera l'Europe au XX' siècle, et aux siècles suivants, plus transfigurée encore, elle s'appellera l'Humanité. »

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les agresseurs poten­tiels, les tyrans prédateurs, les empires qui tirent leur force de la domination exercée sur des peu­ples avides de liberté. Et comment ces peuples asservis pourront-ils s'émanciper sinon par une guerre de libération qui, bien sûr, devrait être la dernière?

Le discours hugolien sur la paix universelle et l 'union des peuples libres trouve ici ses limites que la guerre franco-prussienne de 1870-1871 va encore accentuer. L'heure n'est plus à l'incantation pacifiste. La proclamation de la République, la création du gou vernemen t de défense nationale , et bientôt la nomination de Gambetta à la tête de la délégation de Tours, achè­vent de le convaincre qu'entre la France et l'Allemagne, ce n'est pas un conflit ordinaire qui se livre , mais une guerre entre le pays des droits de l'homme et celui de l'im­périalisme guerrier. La civilisation contre la barbarie.

Et si la seconde l'emporte sur la première, si la liberté s'efface devant l'autocratie conquérante, quel autre choix le « rêveur sacré » aura-t-il que de proclamer: « Une dernière guerre! hélas, il la faut! oui! » ? • P.M. * Historien. Derniers ouvrages parus: l'Année terrible, la guerre franco-prussienne, septembre 1870-mars 1871. Perrin, 2009,

et les Relations internationales de 1871 à 1914. Armand Colin,

coll. « Cursus », 2009.

La semaine prochaine: Hitler, cavalier cie l'Apocalypse

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 71

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Cette œuvre qui a changé ma vie

1 est sans doute l'un des plus mer­veilleux historiens de notre époque. Un« jeune» académicien dont les

yeux bleus ont scruté l'histoire de France pour dresser un monument de papier et d'idées, les Lieux de mémoire, somme dont la publication l'a occupé pendant plus de douze ans (de 1980 à 1992) et a failli lui coûter la vie. Ter­rassé un jour par une attaque dans son bureau des éditions Gallimard, Pierre Nora aurait pu être la victime

de cette aventure intellectuelle my­thique, dont les idées ont peu à peu imprégné toute la société, obsédée à tort et à travers par cette« mémoire» nationale dont il a si bien dessiné les contours. Aujourd'hui, il avoue avoir été de près ou de loin responsable de l'inscription d'environ 700 titres au catalogue Gallimard, après quarante­cinq ans de maison. C'est à la fois « obscène et magnifique n, confesse l'homme pour qui les œuvres déter­minantes d'une vie d'historien ne sauraient être autre chose que des livres. Tous les livres, à commencer par les aventures de Bibi Fricotin ! ...• Vincent Huguet

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• 'aurais une extraordinaire difficulté à retenir une seule œuvre dont la rencon­tre aurait changé ma vie. En revanche, je crois que plusieurs œuvres ont joué ce rôle, au fil du temps, et

que je peux les réunir en plusieurs couches sédimentaires.

La première, ce sont les lectu­res d'enfance, parmi lesquelles je privilégierais les histoires des Pieds Nickelés, que j'ai adorées, mais par-dessus tout celles de Bibi Fricotin, qui ont été mon apprentissage, d'autant plus que c'était assez neuf à l'époque: je suis de 1931, Bibi Fricotin, lui , est né en 1924 et je l'ai rencontré et lu au milieu des années 30. J'étais absolument galva­nisé par Bibi Frico­tin, qui m 'a suivi toute ma vie, dont j'ai suivi toutes les aventures autour du monde, et qui est un initiateur, un guide, un modèle de gamin habile qui m 'ha­bite au point qu'il est encore là et que je suis Bibi Fricotin entrant à l'Académie française! Je pourrais dire, comme Flaubert: « Bibi Frico­tin, c'est moi! »Au point que je me souviens toujours de son surnom, Bibi la Crème, roi des costauds, de ses aventures avec son grand copain Razibus Zouzou, guidées par le Pr Radar, de son caractère de petit gars malin, triomphant des difficul­tés, courageux, tenace ... Comment

voulez-vous qu'un petit garçon ne s'identifie pas, il n'y a pas d'autre mot, à Bibi Fricotin, pour toute la vie? En plus, on m 'appelait Bibi Fricotin à cause d'une mèche que j'avais, l'identification était totale! 11 est resté mon intime, mon double, mon alter ego, mon moi-même, et je crois que ça va durer toute la vie ...

Vers l'âge de 12 ou 13 ans, il y a eu une seconde strate, qui est essen­tiellement poétique. J'ai écrit des poèmes jusqu'à très tard, si bien que René Char avait voulu en publier un

recueil chez Zervos avec une préface de lui. Outre les poè­mes classiques, la vraie commotion est venue des Lettres à un jeune poète, de Rainer Maria Rilke , les Cahiers de Malte Laurids Brigge, les Elé­gies de Duino, que je saiS encore par cœur, la fameuse épitaphe

de Rilke dont j'ai beaucoup parlé avec Yves Bonnefoy: « Rose, ô pure contradiction, volupté de n'être le som­meil de personne sous tant de paupiè­res. » J'avais trouvé les Cahiers de Malte Laurids Brigge traînant sur un radiateur d'une pension où nous nous cachions pendant la guerre à Villard-de-Lans, dans le Vercors, une période intense et très formatrice faite de lectures, de journaux inti­mes, de découvertes intellectuelles. Je dirais aussi, en le jumelant à Rilke, Paul Valéry, qui a été une découverte inoubliable; je peux encore réciter le Cimetière marin ou la Jeune Parque.

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Valéry, c'est à la fois le poète, l'esprit et tout l'homme qui me fascinaient, plus que Mallarmé. De plus, je me souviens des funérailles nationales, juste après la Libération, en 1945, qui m'ont beaucoup marqué.

De Bibi à Michelet Ala fin de l'adolescence, autour de l'âge de 20 ans, je distingue une nou­velle strate, quand je suis sorti de khâgne, que je cherchais un peu ma voie et que je pensais à des milliers de choses. Je crois que ce qui m'a alors éveillé à l'histoire est la lec-

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ture à peu près corrélative de trois livres. La Civilisation de la Renaissance en Italie, de Burckhardt, m'a ébloui par le sentiment d'une époque, la capacité à écrire un monde, des cha­pitres magnifiques qui m'ont happé. J'associe cette lecture à une autre, pas si lointaine, celle de lA.utomne du Moyen Age, de Johan Huizinga, et en particulier un cha pitre sur la cour de Bourgogne qui est là aussi une restitution de la fébrilité de l'épo­que, de son sentiment de la mort et de la fête, de sa sensiblerie hystéri­que, et qui m'a donné le sentiment d'un type d'histoire, de la relativité

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des temps, de la capacité de l'histo­rien à la rendre ... Et que j'associe à un troisième livre que j'ai toujours énormément aimé, Vie des formes, de Focillon, avec le langage des pierres, la capacité à parler avec sensibilité, élégance, érudition d'œuvres d'art, de sculptures, de cathédrales. C'est une lecture qui m'a vraiment ini­tié à l'univers historique, car ce n'était ni de la philosophie pure ni l'histoire à laquelle j'étais habitué en Sorbonne. Des livres d'histoire vraiment culturelle, une histoire incarnée, charnelle. Il y a eu là une attraction vers un type d'histoire qui a été déterminante.

Je pourrais ajouter que, en ce qui concerne la mémoire, qui m'a tant occupé par la suite dans mon travail historique, il y a évidemment trois livres qui m'ont fortement marqué, même sije ne les aime plus autant aujourd'hui. Proust, évidemment, qui a été un choc - je crois qu'on n'est plus le même après avoir lu Proust -, les Mémoires d'outre-tombe, de Chateaubriand, que j'ai relus chaque été pendant des années, et Michelet. Trois grands styles et trois « grandes œuvres ». Je crois que j'ai toujours été impressionné par les « grandes œuvres ", les cathédrales, et ce n'est sans doute pas un hasard si les Lieux de mémoire ont aussi cette dimension. De Bibi Fricotin à Miche­let, je crois que ces lectures dessi­nent un parcours, peut-être même un portrait. _ Propos recueillis par V.H.

La semaine prochaine: Michel Aglietta, économiste

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Les couples impossibles

C'est l'histoire classique de deux hommes qui se sont entre-déchirés de toute la force de leur passion amoureuse. Entre alcool, drogue, sexe ... , les ivresses infernales de deux immenses poètes. PAR VINCENT HUGUET

ne chambre dans un hôtel de la rue des Brasseurs, à Bruxel­les, le 10 juillet1873. Deux hommes se font face. Ils sont amants. Leur liaison

a commencé il y a bientôt deux ans. Dans la chambre contiguë se trouve la mère de l'un d'eux, accourue depuis Paris, volant une nouvelle fois au secours de son fils bien-aimé. Elle entend, à travers la cloison, le bruit d'une violente querelle, suivi de deux coups de feu retentissants. Son fils, Paul Verlaine, sérieusement éméché, vient de tirer sur Arthur Rimbaud, le blessant d'une balle au poignet, afin de l'empêcher de partir. Sexe, alcool, drogue, homosexualité, drame de la jalousie ... Une histoire vieille comme le monde. Mais ses protagonistes sont deux des plus fumeux poètes français du XIX' siècle. D'où la fascination suscitée par cette dispute, céle'bris­sime épisode de l'histoire littéraire. Quelques saisons en enfer ...

Verlaine est le plus âgé. Né en 1844 à Metz, il affirme subir l'influence de Saturne, ce qui expliquerait la « bonne part de malheur » dont il se juge victime. Gâté par sa mère, qui l'a fortement désiré après deux fausses

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couches (elle garde d'ailleurs dans des bocaux de formol les embryons), Verlaine développe une personna­lité tourmentée, capricieuse, avec un fort penchant pour l'alcool. La fée verte, la célèbre absinthe, devient sa meilleure compagne. Ivre, il sombre dans des crises de démence durant lesquelles il s'en prend physiquement à sa mère. Adolescent, il découvre son attirance pour les garçons, comme il l'écrit dans ses Confessions: « il m'aniva dès lors d'éprouver à l'endroit de plusieurs camarades plus jeunes que moi et successift ou collectifs, je ne me souviens plus très bien, la jolie passionnette de l'esplanade de Metz. Seulement au cas présent, la puberté venant, ce fut moins pur ... Le voilà dévoilé, ce secret plein d'horreur! »

Pourtant, il tombe amoureux de Mathilde Mauté, qui lui inspire le recueil de poèmes la Bonne Chanson et qu'il épouse en août 1870. il espère échapper à ses démons. Mais, un an plus tard, la rencontre avec Rimbaud sonne le glas de ses illusions.

Rimbaud arrive à Paris en sep­tembre 1871. 11 a adressé quelques poèmes à Verlaine, qui, charmé, veut le rencontrer. A 17 ans, Rimbaud quitte donc Charleville-Mézières. Elève brillant, il a reçu une éducation sévère, à laquelle il s'oppose par une

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attitude rebelle. il fugue deux fois, et se met à écrire des poèmes, encouragé par un de ses professeurs. Dès lors, il n'a plus qu'un rêve: se rendre à Paris et fréquenter les milieux littéraires de la capitale. Verlaine incarne pour lui une excellente porte d'entrée. Il se présente donc chez le poète, qui, tombé sous l'emprise du jeune homme, l'heoerge au domicile conju­gal. Mais le ménage à trois tourne court, et Verlaine installe son protégé dans un nouveau logement.

La légende a fait de Rimbaud un génie précoce, « le plus beau d'entre les mauvais anges », d'après Verlaine. Cette image d'Epinal fut immortali­sée par Etienne Carjat sur un cliché de 1871 montrant le beau visage du poète au regard pur et clair. En réalité, quand il débarque à Paris, c'est un jeune homme rustre, sale, qui aime choquer les gens. Les amis lettrés de Verlaine, et parnli eux les convives des Vilains Bonhommes, banquets men­suels qui regroupaient

voillage » à Bruxelles puis à Londres. Sans le sou, ils sont secourus par la mère de Verlaine et par quelques cours de français que ce dernier se résout à donner quand Rimbaud, lui, refuse le ttavail, qu'il considère comme une activité petite-bourgeoise.

« Reviens, je t'aime ... »

Qui mène réellement la danse dans ce duo infernal? Verlaine est sous l'emprise charnelle de Rimbaud. Dans une lettre qu'il lui adresse, il réclame son retour impératif, et sou­haite qu 'il l' « empoigne de suite ». Amis, femme, mère, tous s'insurgent contte l'influence néfaste du jeune homme, qui l'entraîne dans la dépravation. Mais Verlaine fait aussi souffrir le jeune Rimbaud, qui supplie ainsi son amant, parti une énième fois: « Reviens, je veux être avec toi, je t'aime. Si tu écoutes cela, tu montreras du cou­rage et un esprit sincère. [ .. .]Je t'aime, je

t'embrasse et nous nous bon nombre d'artistes et d'écrivains, en font l'amère expérience. Ainsi, quand Henri Fantin-Latour peint le Coin de table, repré­sentant les collabo­rateurs de la revue la Renaissance littéraire et artistique, il rem­place un participant par un pot de fleurs.

« Nous avons reverrons. » Tiraillé entte son amour pour Rimbaud et son atta­chement à Mathilde, Verlaine sombre dans la violence, jetant leur fils contre un mur ou tentant même d'égorger la plaintive épouse, qui finira par déposer une demande

des amours de tigres! » aurait dit Verlaine, sous l'emprise chamelle du « plus beau d'entre les

• mauvais anges ».

Le poète Albert Mérat, à cause de la petite frappe de Rimbaud, a refusé de poser à ses côtés ...

Mais les deux hommes se fichent de ce que l'on peut penser d'eux. Inséparables, ils vivent leur amour au grand jour, s'affichent dans le monde avec un goût certain pour la provocation. Un soir, ils deoarquent au théâtre, crottés des pieds à la tête. Le lendemain, un témoin raconte ainsi la scène dans un journal: «Tout le Parnasse était au complet, circulant et devisant au foyer. [ ... 1 I.e poète saturnien, Paul Verlaine, donnait le bras à une char­mante jeune personne, Mlle Rimbaud. »

Ils s'enivrent, se déchirent, se retrouvent avant de s'écharper de nouveau à coups de couteau. « Nous

" avons des amours de tigres! » aurait dit ~ Verlaine à son épouse. Bannis de la ~ plupart des cercles littéraires à cause

de leur excentricité, ils partent « en

de séparation. La romance de « la Vierge folle » (Ver­

laine) et de « l'Epoux infernal » (Rim­baud), selon les termes inventés par Rimbaud dans les « Délires » d'Une saison en enfer, prend fin misérable­ment. A la suite des coups de feu, Rim­baud dénonce à la police Verlaine, qui passera deux ans en prison, où il est touché par la grâce. A sa sortie, il se met en tête de convertir Rimbaud et le rejoint à Stuttgart. Dans une lettre mordante adressée à un ami, Rimbaud raconte cette visite et se flatte d'avoir fortement ébranlé les convictions religieuses de Verlaine: « Verlaine est arrivé ici l'autre jour, un chapelet aux pinces ... Trois heures après, on avait renié son Dieu. » Après cette dernière entrevue, les deux amants ne se reverront pas. _

La semaine prochaine: Henry Miller et Anaïs Nin

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Les plus grands défis du XXle siècle

epuis les attentats du 11 Sep­tembre, le « choc des civilisa­tions » est devenu une figure

imposée de la rumeur médiatique. Pour l'historien Henry Laurens, professeur au Collège de France, en charge de la chaire d'histoire contemporaine du monde arabe, et auteur d'une quinzaine d'es­sais, dont demièrement Terrorismes, histoire et droit ( 1), la gri Ile d'analyse des prophètes du« choc des civilisations» ne cadre qu'imparfaitement avec la réa­lité du monde d'aujourd'hui. Comme le

soutient ici l'auteur de ror;ent ambe à l'heure américaine (2), d'ici à quatre dé­cennies « le monde occidental sera mar­qué par de multiples attaches culturelles, et les mondes extra-occidentaux seront beaucoup plus pauvres du point de vue culturel, en m;son de leur quas;-homogé­néitéethnique)) .• (1) Codirigé avec Mireille Delmas-Marty, CN RS Editions, 2010. (2) Armand Colin, 2005.

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Bio express

1954: naissance à Toulouse. 1980: agrégé d'histoire. 1991-2001 : professeur des universités de civilisation du monde arabe contemporain à l'inaica. 2001-2005 : directeur de la collection «Moyen­Orient» à CNRS Editions. 1" septembre 2003 : professeur au ColI~e de France, chaire d histoire contemporaine du monde arabe. 2004-2008 : président du conseil scientifique du pàle Espar (E)lypte, Soudan, peninsule Arabique) du ministère des Affaires étrangères.

Marianne: Popularisée par l'ultradroite américaine, la notion de « choc des civilisations» est à la fois omniprésente et imprécise_ A quand remonte sa première apparition? Henry Laurens: Longtemps l'Europe n'a pas douté de sa suprématie. Elle faisait tomber, l'une après l'autre, les diverses civilisations du monde sous sa domination.

par l'idéologie napoléonienne, ce terme désigne le processus consistant à civiliser, à construire une société. Les penseurs européens assimilent alors le mouvement de la civilisation à celui du progrès. Vers 1820, sous la plume de Guizot apparaît un usage comparatif du terme « civilisation » : le futur président du Conseil oppose, dans Histoire de la dvilisation en Europe, la civilisation européenne, mou-

vante par nature, aux Ainsi, durant cette longue période qui se confond avec les formes les plus ambi­tieuses du processus de colonisation, le thème d'un affron­tement entre civilisa­tions était totalement absent. L'idée d'un affrontement des civilisations - autre-

L'idée d'un affrontement des civilisations prend corps à la Belle Epoque, alors

autres civilisations du monde, réputées sta­gnantes. Selon cette acception, l'Europe est censée apporter la civilisation au reste du monde, c'est-à-dire le remettre en mouve­ment. Concernant la colonisation de l'Inde par la Grande-Breta-

que la suprématie , europeenne s'estompe.

ment dit, d'une menace pesant sur la pérennité de la domination occiden­tale - prend corps au tournant de la Belle Epoque, lorsque l'évidence de la suprématie géopolitique de l'Eu­rope commence à s'estomper. Mais n'oublions pas l'équivocité du terme de « civilisation » en français. Dans le lexique contemporain de la Révolu­tion française, et repris explicitement

gne, Marx n'a pas dit autre chose: il a crédité les Britanni­ques d'avoir introduit le cheval de Troie de la modernité dans le sous­continent indien.

Certes, mais,jusque-Ià, on songe moins à un conflit entre civilisations qu'à la hiérarchie supposée exister entre elles_ Pourquoi est-ce aux alentours

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." .. de 1900 que l'idée d'une rivalité entre les civilisations se forge? H.L. : Car les Européens, au tour­nant du XX' siècle, veulent suggérer qu'ils introduisent le mouvement et la modernité dans les autres cultures. Même s'il s'agit là d'une justification idéologique, l'entreprise coloniale

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a réellement concouru à faire bas­culer les sphères dominées dans la modernité technologique et indus­trielle. Ensuite, les artisans de l'en­treprise coloniale n'ont pas tardé à prendre conscience d'une réticence des peuples colonisés face à la civi­lisation européenne. Déjà, tel écri-

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vain au talent prophétique, comme Chateaubriand dans l'épilogue des Mémoires d'outre-tombe, s'alarmait de l'éventualité que les musulmans, s'ils venaient à être civilisés par les Européens, finissent par redevenir une menace militaire pour eux. Ce qui s'immisçait aussi dans les >

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 77

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> consciences, c'était l'idée que les civili­sations orientales pouvaient enlprun­ter le vernis de la civilisation moderne, sans en capter l'esprit. Ce n'est qu'au XX' siè­de, après la fumeuse césure des années 1900, qu'émerge une réflexion sur les civilisations comme actrices de l'histoire, avec le philosophe alle­mand Oswald Spengler (1880-1936) et l'historien britannique Arnold Toynbee (1889-1975), tous deux hantés par le thème du « déclin de l'Occident ", résultant de la ten­tation suicidaire de l'Occident lui­même. Dans ce schéma historiciste, la grande civilisation occidentale, en mourant, doit donner naissance à une autre grande civilisation.

Spengler et Toynbee ne pensent donc pas, selon vous, l'affrontement des civilisations, mais, si j'ose dire, leur « fondu enchainé » ... H.L. : Absolument. Dans leur vision, la civilisation, tout en mourant, porte en elle les civilisations qui vont lui succéder. Chez Toynbee, cetre appro­che se fortifie d'une grille compara­tive permanente entre l'Antiquité et l'Occident. Ainsi compare-t-il ce qu'était l'hellénisme chez les suc­cesseurs d'Alexandre avec les villes européennes aux marges de la Chine. Ce n'est que la Première Guerre mon­diale - et ses dévastations multiples - qui promeut une pensée, résumée par Paul Valéry, sur la mortalité de la civilisation européenne. C'est alors que toute la question se pose de savoir si les civilisations peuvent être tenues pour des actrices politiques.

Avançons vers la période actuelle. Comme vous le suggérez dans votre dernier livre (lire l'encadré ci-contre), la seule chance de désamorcer le risque d'un « clash» entre civilisations est justement de s'interdire d'envisager les civilisations comme des actrices politiques. Car, dans une telle optique, la mésentente et la rivalité entre elles sont presque futales ...

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H.L. : La civilisation matérielle de l'humanité - incluant les mœurs et les habitudes culturelles - circule beaucoup plus facilement que les objets intellectuels: il est loisible à chaque Occidental aujourd'hui de manger du couscous ou de

Le vrai théâtre des conflits n'est pas le « monde plat » de la civilisation matérielle, qui circule, elle, très facilement.

pratiquer les arts martia ux ! Notre vie quotidienne est saturée d'objets et de coutumes issus d'autres aires cultu­relles. De même, les peuples extra-euro­péens ont adopté de nom breux traits de la civilisation euro­péenne dans leur vie quotidienne, du

costume-cravate à l'habitude de s'at­tabler pour déjeuner. Les aspects les plus poreux de la vie quotidienne, les moins articulés aussi avec l'intel­lectualité, s'avèrent être les moins réfractaires à l'échange entre civili­sations. Le vrai théâtre des conflits n'est donc pas le « monde plat » de la civilisation matérielle.

Vous voulez dire que le vrai théâtre des conflits est celui des « valeurs» ? H.L. : Attendez ... Derrière la notion actuelle de conflit de civilisations, telle que le géostratège américain Samuel Huntington l'a théorisée, on trouve des acteurs politiques qui jouent la carte des valeurs, conçues d'un point de vue restrictif et pour solidifier des normes morales d'or­ganisation de la société. Dès le début du XIX' siècle, où une forte réaction se fit jour en Europe contre l'ex­portation de l'universalisme par la Révolution française, et avant que les occidentalistes et les slavophiles ne s'opposent dans la culture slave, les discours de contestation de la culture occidentale sont eux-mêmes pris dans la culture occidentale. Le discours antioccidental ne cessera plus de sur­gir des profondeurs de la civilisation occidentale, avant d'être repris par d'autres acteurs.

Justement, dans son essai sur la terreur", l'essayiste américain Paul Berman a montré que l'islamisme, avec notamment les Frères musulmans Sayyid Qotb et Hassan al-Banna, a repris explicitement à son compte la critique radicale de la modernité dressée par la révolution conservatrice européenne ... H.L. : Pour les Frères musulmans, l'islam devait être un programme politique total. Dans majeunesse,je me souviens qu'après la lecture d'un « Que sais-je? » du philosophe Henri Lefebvre sur le marxisme, la qualifica­tion d'un système de pensée comme « total » passait pour un compliment. Aujourd'hui, j'y reviens, ce sont les valeurs qui sont convoquées, avan­cées et retournées dans une optique défensive contre le changement et la « société ouverte ». Ainsi, les conflits de normes ne cessent pas d'être transmutés en conflits de valeurs. La civilisation occidentale continue à produire ou à émetrre des normes qu'elle cherche, volontairement ou involontairement, à imposer au reste du monde. Nous prenons ainsi très légitimement fait et cause pour les homosexuels persécutés dans certai­nes autocraties du tiers-monde, et nous oublions un peu vite qu'il y a

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trois décennies ils ne jouissaient pas de l'égalité des droits dans les pays occidentaux. D'un côté, les Occiden­taux continuent à bombarder le reste du monde de nouvelles normes, et en même temps les droits de l'homme s'approfondissent, sous l'effet du principe d'égalité: la référence au paradigme du « choc des civilisations » pour penser les relations de l'Occident et de l'islam implique déjà en soi un mode de pensée occidental.

Les civilisations seraient elles-mêmes des constructions mentales? H.L. : Certes, les musulmans ont toujours eu, avant la colonisation, une conscience d'eux-mêmes en tant que musulmans. Ils se référaient au concept de dar el-Islam, de « maison de l'Islam ». Mais ce sont les Occiden­taux qui les ont définis comme tels, comme constituant la civilisation islamique.

Oni, mais la conscience de l'ownma, de la communauté transnationale des croyants, a toujours été centrale au cours de l'histoire de l'islam ... H.L. : N'exagérez pas ce degré de conscience! Avant l'existence du canal de Suez, il fallait deux ans de voyage à un musulman chinois pour parvenir aux rives de la Méditerra­née. Historiquement, ce sont les Euro­péens qui ont nommé le monde. Le tiers-monde n'existe qu'en référence à un « premier » monde. Même les Chinois n'échappent pas à l'ombre portée de cette influence: malgré l'immensité de leur culture et de leur empire, ils pensent leur propre histoire en fonction de catégories de la pensée occidentale. L'Inde aussi ignorait qu'elle était la civilisation indienne avant que les Européens ne la désignent comme telle. Quant aux grands penseurs du tiers-monde, ils ont employé le meilleur de la pensée occidentale pour repenser leur pro­pre patrimoine. Songeons à la fuçon dont Léopold Sédar Senghor a réinter­prété la culture africaine à partir des concepts bergsoniens. En s'hybridant avec les autres, la pensée occidentale a universalisé ses catégories.

Quelle influence cette hybridation de la pensée

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occidentale exerce-t-elle sur le danger toujours renaissant d'un « choc des civilisations» ? H.L. : Ceux qui agitent le spectre d'un conflit des civilisations oppo­sent, en apparence tout au moins, « nous » et « les autres ». Dans le réel, ils font l'inverse: ils se combattent eux-mêmes.

les projections sur la suite du XXI' siè­cle sont plutôt réconfortantes.

Pourquoi, d'après vous ? H.L. : Car le cap de la transition démographique va être franchi pour une part majeure de l'humanité. Les calculs de spécialistes font même

apparaître une réces­

Expliquez ce paradoxe ... H.L. : En réalité, ils ne font que défendre une authenticité ima­ginaire de chaque aire culturelle. Ce sont des « authentitaires ». Ils croient combattre l'autre, quand c'est eux-mêmes qu'ils

Les Occidentaux, toujours plus enclins à penser le pluralisme, car ils sont pluriels en

sion démographique à moyen terme: à partir de 2050, la population mondiale cessera de progresser. Or, les mouvements de population dimi­nueront d'eux-mê­mes. Après 2050, les Européens risquent bien plus de manquer

• • pratique, risquent de continuer à mener la danse.

combattent, en pourchassant la part de l'autre en eux-mêmes. Empêcher le choc des civilisations, aujourd'hui, cela signifie admettre partout la pré­sence de l'autre dans l'identité. En France, par exemple, cela revient à accepter que les musulmans qui vivent dans l'Hexagone sont pleine­ment français. Cela signifie aussi, pour les Arabes, reconnaître la part d'Europe de leur héritage. Plus lar­gement, cela implique de desserrer l'étau des exclusivismes identitaires. Et de se souvenir qu'un seul individu peut posséder des identités multiples, et toutes contextualisées. Pour autant,

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de nurses venues du tiers-monde pour s'occuper des nona­génaires. Cetre planète démographi­quement stabilisée devrait afficher des niveaux de développement assez homogènes. Parallèlement, le monde occidental au sens large sera marqué par de multiples attaches culturel­les, et les mondes extra-occidentaux seront beaucoup plus pauvres du point de vue culturel en raison de leur quasi-homogénéité ethnique.

La « déseuropéanisation » du monde, redoutée par Huntington, n'est donc pas pour demain ? H. L : En effet, toutes les diasporas du monde seront représentées en Europe et en Amérique du Nord, formant le monde « postoccidental » à venir. Dans le reste du monde, cetre richesse et cette diversité feront défaut, à la notable exception d'un pays comme le Liban, déjà à la tête d'une formi­dable mondialisation, les Libanais étant disséminés aux quatre coins du monde. Cette donne fu ture devrait desserrer l'étau du choc des civilisa­tions. Les Occidentaux se montreront toujours plus enclins à penser le plu­ralisme parce qu'ils seront pluriels en pratique. Ils risquent de continuer à mener la danse, car les autres seront moins pluriels qu'eux._

',~ Propos recueillis par Alexis Lacroix * Les Habits neufs de la terreur, , .. Hachette Littéldtures, 2004.

• • La semaine prochaine: • - Le défi chinois, par Valérie Niquet

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 79

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Les 7 salopards de la crise

'ai fait un rêve. Trente mille euros d'économies s'étaient entassés sur mon compte courant. Mon banquier, inhabituellement prévenant, me laisse sur le répondeur un message tout de ronds

de jambe au lieu des aboiements d'usage. Passez à la banque à votre convenance, j'ai une proposition intéressante pour vous, avec l'in­flation à nos trousses, il ne faut pas laisser dormir ces « sommes consi­dérables ", il convient de procéder à un placement de père de famille, nous avons conçu un produit par­faitement adapté à votre cas: aucun risque, rendement assuré.

J'ai suivi le sage conseil, comme les millions d'épargnants de par le monde (50 % de la population aux Etats-Unis). C'est là que la magouille s'enclenche. A l'insu de tous, y compris de votre banquier, vos économies vont glisser dans un enchevêtrenlent de tuyauteries indé­mêlables pour tomber tout droit dans l'escarcelle du dénommé Uoyd Blankfein, 55 ans, PDG de Goldman Sachs. Pour faire court, à New York, on l'appelle la Canaille. Il n'est pas le seul à se goinfrer. Wall Street, la City et le CAC grouillent de Blank­fein, mais il représente le modèle par excellence de l'espèce.

En 2008, les mégaétablissements financiers de la planète succombent sous la crise. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. Les plus vernis s'en sortent en sifflotant et enflent leurs bénéfices. Les clients

801 Marianne 1 7 au 13 août 2010

Le patron de Goldmann Sachs est l'auteur de montages financiers où il est, quoi qu'il arrive, le gagnant - en centaines de de dollars. De l'autre côté, il y a les

• • • pigeons ruines .•• PAR GUY SITBON

Repères 1954: naissance, le 20 septembre, à New York. 1978: diplômé de la Harvard Law School. 1981 : intègre Goldman Sachs. La ban~ue rejette sa candidature ... Mais rachète quelques mois plus tard la firme de nègoce où il a été embauché! 2006 : devient le PDG de Goldman Sachs. 2009: élu en tête du classement Forbes des « dirigeants les plus scandaleux». 2010 : témoigne devant la

• • commiSSion d'enquête sur la crise financière, le 13 janvier.

de Goldman Sachs, vous, moi, les pigeons, y laissent leur chemise; la banque, elle, compte ses milliards. Où est l'erreur?

La banque vendait un « produit financier » infecté de subprimes (emprunts pourris)jusqu'à la gorge. Goldman Sachs est un établissement sérieux, tout le monde achète. Au même moment, la banque, bien consciente que sa marchandise est « merdique », comme on le dit en interne, joue à la baisse ce même produit. Autrement dit, elle sait que vous allez perdre vos économies et se positionne pour empocher tout l'argent que vous aurez perdu par sa faute. A Washington, le président de la commission d'enquête sur la crise financière, Philip Angelides, a comparé Uoyd Blankfein à un « ven­deur de voitures aux freins détraqués qui prendrait une assurance vie sur ses clients ». Il gagne en vous vendant un tacot tombeau et il double la mise à votre mort programmée.

En Grèce, la Canaille a appliqué la même méthode. Elle a trafiqué la comptabilité de l'Etat pour sous­évaluer la dette et inspirer confiance à l'Europe et aux prêteurs. Pour le récompenser de ses tripatouillages, les Grecs lui ont filé 300 millions de dollars. Honoraires corrects. Il était clair qu'un jour ou l'autre la manip serait éventée et que la bulle grecque éclaterait. Goldman Sachs, bien informé en sa qualité d'auteur de la supercherie, « prend des posi­tions », parie sur la chute du château de cartes qu'il a lui-même échafaudé et empoche les milliards quand survient le cataclysme annoncé. Fort, n'est-il pas?

Impossible réforme

Uoyd Blankfein n'a pas réalisé toutes ses prouesses en ne donnant que de sa personne. Ses 30 000 employés pédalent sans compter pour épau­ler leur patron, qui les récompense des fameux bonus. Parmi eux, un petit génie : Fabrice Tourre, français, 33 ans, centralien, traÛléaujourd'hui en justice pour ses malversations. Il a inventé une mécanique finan­cière baptisée « Abacus », proposée au client comme le meilleur place­ment sur le marché. Sa banque les vend à tire-larigot. Au final, vous avez investi (sans le savoir) 100 € en Abacus, vous perdez votre argent intégralement et le vendeur touche 100 €. Dans une des opérations, les choses se sont passées exactement ainsi: les pigeons ont perdu 1 mil-

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liard, la Canaille a gagné 1 milliard. Au passage, les Enrico Macias yont laissé leur patrimoine.

Dans l'intimité, Fabrice Tourre appelle son enfant Abacus « un monstre », « un pur produit de mastur­bation intellectuelle, le genre de truc que tu inventes en te disant: et si on créait un machin qui ne sert absolument à rien, qui est complètement conceptuel et hautement théorique et

de plusieurs milliards, ça commence à faire beaucoup de sous. » « C'est comme Frankenstein qui se retourne contre son inventeur. Aujourd'hui, mon 2ff anniver­saire, encore deux ans de boulot et, c'est décidé, je prends ma retraite. »

Bien injustement, Fabrice Tourre répond seul de ses méfaits pendant que son patron savoure le trésor que lui a rapporté la crise. Au pre-

mier trimestre 2010, que personne ne saura "pricer" [évaluer en dollars] ». La justice a retrouvé les mails où il se confiait à sa copine: « Ce marché est totalement mort et les pauvres petits emprun­teurs ne vont pas faire de vieux os. »Au tremail : « Je viens d'arriver en Belgique. J'ai vendu des

Il a reconnu ses responsabilités dans l'effondrement

ses profits ont dou­blé: 3,2 milliards. Pas trop inquiet de « l'enquête officielle » que les autorités ont ouverte contre sa banque. Que ris­que-t-il? Un système de vases communi­cants a toujours fonctionné entre

, . economlque. Et après? Il reste le président de Goldmann Sachs.

Abacus à des veuves et orphelins que j'ai croisés dans l'aéroport. Décidément, ces Belges adorent les CD02 ABS synthéti­ques. » « Quand tu penses qu'on achète et qu'on vend ce truc sur des montants

Goldman Sachs, la Maison-Blanche et le ministère des Finances. Avant d'être secrétaire a u Trésor de Georges Bush, Henry Paulson dirigeait la banque. Sous Obama, on retrouve les mêmes

accouplements incestueux qui pro­duisent les mêmes effets. La réforme financière votée la semaine dernière à Washington est une caricature du projet présidentiel. Les sénateurs, qui se font élire avec l'argent de Wall Street, ont si bien démantelé le projet qu'il en reste « tout saufune réforme », se désespère Lynn Turner, ancien responsable de la commis­sion des opéra tions en Bourse. « Les règles dujeu resteront les mêmes ». D'un côté, les canailles; de l'autre, les pigeons.

Goldman Sachs et son PDG, Uoyd Blankfein, ont reconnu leur respon­sabilité dans l'effondrement finan­cier qui ajeté sur le carreau des mas­ses d'Américains et d'Européens. Ils n'ont pas pu s'en défendre quand on leur a mis le nez dans des preu­ves irréfutables. Et après? Après, les chômeurs restent au chômage. Uoyd Blankfein reste président de Goldman Sachs._

La semaine prochaine: Oleg Deripaska, le pourri de Rusai

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Les militants de l'ombre

A la tête de l'association Pouvoir d'agir, ce « repris de justesse », devenu consultant en prévention urbaine, met toute son énergie à juguler le désespoir

Un caïd rangé des bandes qui n'a rien oublié des rouages qui gan­grènent le vivre ensemble: «Ado, je marchais en meute pour me protéger de l'hostilité des autres. Mais plus tu cherches à te protéger, plus tu renforces cette hostilité. C'est comme ça que tu deviens méchant, peut-être parce que l'autre l'est, mais surtout parce que tu te mets en tête qu'il te méprise. »A cha­cun ses représentations, à chacun ses évitements, et les peurs, que les pompiers pyromanes de la Sarkozye attisent au moindre coup de mou sondagier, seront bien gardées.

des banlieues. PAR NATHALIE GATHIÉ - PHOTO: HANNAH

azid Kherfi croit au pouvoir du verbe. Peut-être parce qu'il fut un gamin plombé par le silence, un jeune adulte en mal de

mots. Ceux qu'il ravalait, ceux que les autres confisquaient. Par honte, par pudeur, par habitude. « Dans ma famille, comme souvent chez les Maghré­bins, la parole ne circulait pas, se sou­vient ce fils d'immigrés kabyles aux mille et une vies. Au Val-Fourré, la cité de mon enfance, puis en prison, où j'ai plusieurs fois séjourné, c'était pareil. Dans ces univers-là, la souffrance et l'échec se taisent. Je sais aujourd'hui que la frustration, le repli et les préjugés naissent de ces non-dits. »

Ce message frappé au coin du vécu, Yazid Kherfi le martèle comme il respire dans des territoires mena­cés d'asphyxie à force d'entre-soi. Des zones, chaque jour plus ghettoï­sées, qu'il arpente partout en France sous la bannière de son association, Pouvoir d'agir, ou à la demande de collectivités soucieuses de colmater les fissures du pacte républicain. « Aujourd'hui, diagnostique ce réconcilia teur, c'est fantasmes contre

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fantasmes. Les habitants des quartiers sont tentés par la sécession, les autres, agents des services publics en tête, se cadenassent derrière leurs murs, et tous dénoncent la violence de chacun. Faute de recréer d'urgence les conditions du dialogue entre jeunes et adultes, e1èves et profs, policiers et de1inquants, Fran­çais de sang et de sol, chacun continuera à être alternativement la victime et le bourreau de l'autre. »

Deuxième chance

Consultant en prévention urbaine, Yazid Kherfi a la gueule de son itiné­raire. Vaguement de traviole, un peu cabossée, tout sauflinéaire. Tour à tour petite frappe, braqueur, détenu, directeur d'une maison des jeunes à Chanteloup-les-Vignes, le voilà, à 52 ans, diplômé en sciences de l'édu­cation et en ingénierie de la sécurité. Magistral pied de nez au clairvoyant cortège d'experts - enseignants, policiers ou magistrats - prompts à estampiller « irrécupérable » la mau­vaise graine qu'il fut longtemps.

Antihéros a ux transgressions assumées, ce père de trois enfants marié à une assistante sociale se définit comme « un repris de justesse ».

« Des lois comme celles sur les bandes, la burqa ou la suspension des allocs cri­minalisent certains comportements,

mais n'interrogent pas

Son parcours est un magistral pied de nez aux

sur leurs causes. Tout ça stigmatise et creuse les clivages », pré­vient celui dont les propos éclairent de l'intérieur la méca­nique qui enferme dans la délinquance. Convaincu de « n'être rien, sinon un nul »

• experts SI prompts à estampiller « irrécupérable » la mauvaise

• graine. jusqu'à ce que quel­ques individus, dont

des « Gaulois » « honnêtes, insérés, et tout », prennent sa défense pour lui éviter d'être expulsé vers l'Algérie à l'issue de sa dernière incarcération, en 1987, Yazid Kherfi veut rendre ce qui lui a été donné: « L'espoir qu'on peut être le pire à un moment de sa vie et devenir le meilleur à d'autres. »

Dégoulinante bien-pensance, objecteront les apôtres de la tolérance zéro. Sauf que, de ces

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procès en angélisme, Yazid Kherfi se moque comme de son premier cambriolage. « Pour les mômes, j'in­carne la possibilité d'une deuxième chance. »Natif du Chêne-Pointu, cité de Clichy-sous-Bois où ont éclaté les émeu tes de 2005, Houssine, 20 ans, confirme: « Avec Yazid, on discute nor­mal, il a mangé la même misère que nous. Et puis ce mec, c'est une double preuve: celle que t'es pas forcément né

pour être une victime, celle que t'es pas tout seul. Il vient ici le soir, le dimanche, et se prend la tête pour nous ouvrir un local. Quand quelqu'un se bouge enfin pour toi, ça te calme. Les elus, les profs, les éducs, ils parlent de nous mais pas avec nous, c'est toute la différence avec Yazid. »

La différence, « c'est la sincérité, ponctue l'intéressé. Les cités sont mes tripes, je ne les lâcherai jamais. A

chaque election, des politiques me solli­citent. En pure perte, car je ne deviendrai jamais l'instrument du cocufiage des miens ». Fadela, entends-tu? Quand la sous-ministre à la Politique de la ville planifie le désespoir des banlieues, Yazid Kherfi s'emploie à l'enrayer. Infatigable pourfendeur de l'apartheid social qui guette, il multiplie débats, colloques et for­mations ... jusque dans les écoles de police. « Depuis 2002, précise-t-il, le rythme de mes interventions s'est ralenti. Selon Sarko, le rôle des forces de l'ordre n'est pas de comprendre les voyous, mais de les arrêter. » Délégué du syndicat Unité Police SGP-FO, Yannick Danio estime, lui, que « les collègues ont besoin d'entendre des voix comme celle de Yazid pour apprel-render une réalité qui les effraie et leur échappe complètement. Nous sommes un service public qui ne peut ni ne doit êt.re en oppo­sition frontale avec certaines catégories de population ».

Vertus du vivre ensemble Dessiller des professionnels aux pra­tiques défaillantes, Yazid s'y est atta­ché aussi dans les IUFM, les centres sociaux, les prisons ... Jeter des ponts, créer du lien, encore et toujours. « Dans les quartiers, on devrait position­ner les meilleurs. Or, qu'avons-nous? Des flics et des profs obsédés par leur muta­tion en province, des éducs incapables de s'émanciper de leurs protocoles; bref, des gens qui passent leur temps à mett.re des filtres entre eux et des jeunes, qu'ils n'aiment ni ne comprennent. Ces erreurs de casting sont criminelles car, séparés, nous ne nous en sortirons pas. »

La preuve par Othmane, 20 ans: attablé dans un kebab des quartiers nord de Bourges, où Yazid est sur le point d'animer une conférence, il revendique son aversion vis-à-vis de «ceux qui ne sont pas de la cité. Pourquoi on irait vers eux? Ils nous matent comme des barbares, ils ne nous aiment pas, nous non plus. Y a pas de melange possible ».

Yazid Kherfi reviendra à Bourges. Comme ailleurs, il devra trouver les mots pour prêcher les vertus d'un vivre ensemble qui part en vrille. Et c'est tragique. _

La semaine prochaine: Michel Guillemot, vert de rage contre les algues

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Ces coins de paradis dont personne ne parle

En marge de l'agitation touristique des gorges du Verdon, ce village cultive l'art roboratif de la simplicité, loin des « villages-bonbons » provençaux. Un lieu où se ressourcer en toute quiétude.

PAR ALAIN LÉAUTHIER - PHOTOS: OLIVIER MONGE 1 MYOP POUR « MARIANNE»

ans leur hâte d'at­teindre le « plus grand canyon d'Eu­rope ", son point su blime, ses hordes de randonneurs, ses embouteillages, ses

souvenirs à deux balles et, durant l'été, son tourisme à trois sous, beau­coup ne voient même pas le cadeau qui leur tend les bras sur le côté de la route. Une dizaine de kilomètres avant les gorges du Verdon, que la folie vacancière transforme en défi­lés pétaradants, il suffirait d'un coup de volant, puis d'une légère montée, pour soudainement arriver au vrai «sublime ». Celui d'avant le tourisme de masse, d'avant le sacre des mar­chands et le culte de l'argent. A Tri­gance, 160 âmes en hiver, à peine le double au plus fort de la haute saison, on ne célèbre que le bonheur d'être heureux avec peu: une épicerie, une boulangerie, un bar faisant office de restaurant, quelques tables autour d'une fontaine, sans compter deux hôtels dont le plus connu est aménagé

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dans un château édifié entre le X' et leXIl' siècle. Et surtout, surtout, l'his­toire comme carburant inépuisable et gratuit de ressourcement.

Un bijou médiéval Longtemps, la Haute-Provence fut à l'image de ce village d'apparence austère dont les rues étroites sont perchées 800 m au-dessus d'une mer si lointaine qu'on n'y pense même pas, avare en chichis et incapable de

"-mameres pour retenir le flot des estivants pressés. Ailleurs, plus près du litroral, un élu vanterait les capa­cités d'accueil de sa commune, les efforts perma­nents pour décu­pler 1'« événemen­tiel » et la force d'attraction de ses vieilles pierres sur des artistes de

renommée internationale. Ailleurs ... , mais pas à Trigance. Sur la terrasse du château qui domine le village, Ber­nard Clap, le maire actuel, descen­dant d'une très vieille famille locale, renâcle à « faire l'article ». « Honnêtement, ceux qui s'arrêtent chez nous, c'est avant tout pour ça », dit-il en désignant d'un coup de menton fiérot le panorama environnant. En contrebas, un plateau boisé où serpentent les eaux vertes du Jabron, rivière fraîche et exception­nellement abondante cetre année, en

raison de l'hiver . .

ngoureux qUi a fait tomber le thermomètre à - 27 oc. Au loin, les rondeurs ras­surantes de la moyenne mon­tagne, celles des Basses-Alpes que l'on peut pres­que toucher du doigt: pas d'ho­rizons bouchés par des verticali-

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tés intimidantes, mais, sous un ciel immense, un collier bleuté de som­mets érodés -les 2 000 m du mont Teillon, enneigé presque chaque hiver - et des reliefs ciselés comme la Crète de Robion ou les Cadières de Brandis, dont l'allure de forteresse a été sculptée par l'érosion naturelle. Un journaliste de la région a cru y déceler la forme du « château aventu­reux du Roi blessé » ou celle du « palais du magiden Klingsor », mais, plutôt que celui de la Table ronde, c'est le mythe des Templiers qui draine ici les ama­teurs d'énigmes insolubles. Dans les années 60, convaincu que leur trésor était caché dans une autre citadelle de la région, à Valcroze, l'ingénieur belge Alfred Weysen séjourna ainsi de longues semaines au château-hâ­tel pour mener à bien ses recherches ésotériques. Les Trigançois, eux, lais­sent dire et faire en murmurant des « gentillesses » aux voyelles très >

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 85

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> ouvertes sur le compte de leurs hôtes illuminés ...

La venue de Weysen coïncida avec les deouts du château-hôtel, après des années de restauration titanesque. C'est à un autre fada, un commer­çant du Luc d'origine alsacienne, le sieur Hartmann, que Trigance doit la renaissance de ce bijou médiéval à quatre tours, que ses habitants s'em­ployèrent à dépecer aux lendemains de la Révolution. « Sûrement que chacune de nos maisons doit comporter quelques pierres empruntées au château », recon­naît Robert Lions, autre Trigançois de souche, blanchi sous le harnais et les idéaux socialistes. « Pas question de s'en offusquer, ajoute cet ancien insti­tuteur, le peuple prenait sa revanche sur les seigneuries, même si, à Trigance, nous ne leur avons pas coupé la tête ... »

Sereine renaissance ... En 1961, de passage dans la région, Hartmann tombe en arrêt devant la ruine que la municipalité s'est fina­lement décidée à céder sous forme d'un bail emphytéotique. Une idée lui traverse l'esprit: rebâtir et créer un hôtel. Aucune route ne desser­vant l'édifice à l'abandon, il faudra construire un treuil pour hisser le matériel et les vivres, y compris l'hi­ver, quand un froid de gueux glace les hommes et les pierres. Dans un premier temps, le village observe avec un rien de méfiance cette agi­tation autour de l'amas de cailloux. « Pour eux, c'était une simple carrière à ciel ouvert, rien d'autre », souligne le maire. Personne ne sait dater avec exactitude la naissance du château dans une région que les Romains occupèrent dès le IV' siècle. Le nom de Trigance est cité vers l'an 800. Bâti pour résister à d'éventuels envahisseurs sarrasins et initiale­ment propriété de l'abbaye Saint­Victor de Marseille, le château tombe ensuite dans l'escarcelle des comtes de Provence. Jusqu'à la Révolution, plusieurs d'entre eux l'habitèrent comme résidence secondaire, uni­quement l'été. Les Demandolx seront les plus assidus, et leur empreinte se lit dans tout le village, construit bien plus tard, vers le XVII' siècle. Anne­Marie Demandolx, «dame de Trigance »,

ordonnera ainsi la construction de la tour de l'horloge, dont le carillon

861 Marianne 1 7 au 13 août 2010

La vallée du Jabron. Le panorama qu'offre le village, entre les eaux vertes du Jabron et les rondeurs rassurantes de la moyenne montagne.

Le château. Restauré dans les années 60, il est aujourd'hui sous la garde de Guillaume Thomas, son directeur.

doit alors renseigner tous ceux qui ne possèdent pas un cadran solaire. Achevé en 1776, l'ouvrage coûtera « 20 sous d'impôt supplémentaire pendant six ans » aux administrés. Avec la foi des béotiens, Hartmann découvre peu à peu toutes les « richesses » de son tas de pierres. Et elles ne sont pas banales, puisqu'on trouve des traces de la présence des moines soldats de l'ordre des Templiers et de l'Hôpi­tal, comme des chevaliers de Malte. Aujourd'hui encore, à La Valette, un canon porte l'inscription de Tri­gance.Ades milliers de kilomètres de là, en Nouvelle-Zélande, un homme a remonté aussi le fil du temps. Mais

avec une autre moti­

Dans le tas de pierres qu'était devenu le château, on a trouvé des traces du passage de Templiers et de chevaliers de Malte. Rien de moins!

vation: un beaujour, l'air commodore Ken­neth Trigance réalise que son patronyme est celui d'un coin perdu de la lointaine France. Le nom de son grand-père londo­nien ? Ralph William Demandolx ...

Avec de telles raci-nes, Hartmann aurait

peut-être persévéré mais, en 1971, épuisé, il cède l'affaire à une autre famille d'estrangers, les Thomas (voir ci-contre). Entre-temps le village l'a adopté au point même de se cotiser lorsqu'il ne peut faire face à certai­nes dépenses. De l'aveu du maire, la création de l'hôtel a été une chance formidable pour le village, plongé dans une lente agonie au début des

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années 60. « Ici, nous n'avions plus de perspectives », dit son ami Robert Lions. La population était alors tombée à moins de 100 habitants, 10 fois moins qu'en 1757, quand Trigance comptait encore deux maréchaux-ferrants, des tisserands, de nombreux commer­çants et une foule d'agriculteurs. « Attention, c'était pauvre, incroyable­ment pauvre, le pays de la soif, disait-on, mais il y avait de la vie, comme dans tout l'intérieur de la Provence, bien plus que sur le littoral. » Les saignées des deux guerres puis l'exode rural y mettront bon ordre, et plus jamais Trigance ne connaîtra l'exubérance d'antan. Aujourd'hui, si tout n'est pas parfuit, le village a trouvé un bon rythme de croisière. Serein et doucement nos­talgique. Les Trigançois d'origine ne

représentent plus qu'une minorité mais « tiennent » encore la mairie. Et la société de chasse. « Mais un jour, pas de doute, notre premier e1u ne sera plus de souche », annonce Bernard Clap sans s'en émouvoir autrement. L'impor­tant est ailleurs: ne surtout pas suivre le chemin des « villages-bonbons ", envahis par les galeries bidons, les vendeurs de lavande artificielle et de savonnettes de Marseille. « Confetti rose du Var » votant à gauche avec la régularité d'un métronome, Trigance défend l'art du brut et de la simpli­cité. Par les temps qui courent, ça n'a pas de prix. _ A.Lé.

La semaine prochaine : Rhône·Alpes. Les Boutières et la vallée de l'Eyrieux

Château de Trigance La citadelle du bonheur

Dix chambres, une vingtaine de couverts le soir, sept mois

par an. Guillaume Thomas n'ira pas plus loin.« C'est bien ainsi, cela reste à l'échelle humaine. Je peux encore parler à mes clients et puis vivre aussi.» L'accent chante en mineur; né à Draguignan, le garçon se veut citoyen du village dont il est devenu le maire adjoint. Fatigués de Paris, ses parents, Jean-Claude et Anne­Marie Thomas, ont repris l'affaire en 1971. Depuis la fin des années 70, on accourt du monde entier pour dormir dans des chambres où affleure encore la roche sur laquelle a été bâtie la forteresse. En 2005, les Thomas rejoignent le réseau des châteaux-hôtels d'Alain Ducasse. Guillaume n'hésite pas servir lui-même le café ou l'apéritif. A prendre, tout comme le petit-déjeuner, sur la terrasse à 360", sorte de palier intermédiaire donnant une idée déjà précise du paradis. Riche en herbes locales, la bonne cuisine de terroir du chef,

Cyril Marzet, se déguste dans la salle voûtée, ornée de nombreux blasons, ou à la fraîche sur une autre terrasse où il faudra réserver sa table. Le maître de maison aime son village, sa région et des coins secrets, comme l'antique pont du Sautet, sur le Jabron, dont la vallée mérite le voyage. Il faut s'y baigner, se taire et, comme le disait Giono, « y écouter le chant du monde". _ Château de Trigance. Route du Château, 83840 Trigance. Rens.: 04 94 769118. Chambres de 117 à 197 €. Menus à 26,50,40 et 48 €. Ouvert tous les jours du 30 mars au 31 octobre. Et aussi, Le Vieil Amandier, hôtel-pension du terroir. Rens.: 04 94 769292. Chambres de 61 à 91 €. Demi-pension de 61 à 84 €.

7 au 13 août 2010 1 Marianne 1 87

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1. Qui possède la première fortune de France?

o a. Gérard Mulliez o b. Liliane Bettencourt o c. Bernard Arnault

2. Qui a dit: « Le temps, c'est de l'argent» ?

o a. Benjamin Franklin o b. Louis XIV Oc. Winston Churchill

3. Qui chantait en 1959 Ah ! si j'avais des sous?

o a. Charles Trenet o b. Gilbert Bécaud o c. Charles Aznavour

4- Quel est le premier producteur mondial d'argent?

o a. Le Pérou o b. Le Mexique Oc. Les Etats-Unis

5. Qui a écrit: « Si l'argent ne faisait pas le bonheur, il y a longtemps que des riches malheureux auraient rendu l'argent" ?

o a.jules Renard o b. Woody Allen o c.jean-François Kahn

6. Qui est l'auteur officiel de Money ?

a. Bernard Werber b. Paul-Loup Sulitzer c. Cizia Zykë

7. Argenttrop cher est une chanson de ..•

o a. Téléphone o b. Akhenaton o c.Gold

8. Paul Bonhoure fut le premier gagnant ...

o a. à la Loterie nationale o b.au Loto o c. à la roulette du casino d'Enghien

9. Edouard Herriot, chef du Cartel des gauches en 1924, se heurta à une forte hostilité

ssl Marianne 1 7 au 13 août 2010

des milieux bancaires et financiers ennemis de toute réforme, qu'il désigna sous le nom de ..•

o a. « mur de l'argent» o b. « pacte d'argent» o c. « bouclier d'argent»

10. Dans la Couleur de l'argent, réalisée par Martin Scorsese en 1986, Tom Cruise donne la réplique à ...

o a. Robert Redford o b. Paul Newman Oc. Robert De Niro

11. L~rgentest un roman de •.• o a. Emile Zola

o b. Honoré de Balzac o c. Georges Bernanos

12. Qui n'a pas interprété une chanson intitulée Money ?

o a. David Guetta o b.james Brown Oc. Pink Floyd

13. Quel métal est aussi appelé vif-argent?

o a. Le mercure o b. l'aluminium o c. Le nickel

14. l'homme le plus riche du monde, selon le magazine Fames, est actuellement ...

o a. Bill Gates o b. Warren Buffett o c. Carlos Slim Helu

15. Le plus gros gagnant en 2009 au Loto a empoché ..•

o a.6 millions d'euros o b. 13 millions d'euros o c. 19 millions d'euros

16. « L'argent qui corrompt, l'argent qui achète, l'argent qui écrase, l'argent qui tue, l'argent qui ruine et l'argent qui pourrit jusqu'à la conscience des hommes. " De qui est cette célèbre tirade?

o a. Charles de Gaulle o b. François Mitterrand o c. Victor Hugo

17. Dans le film I~rgent de la vieille, de Luigi Comencini, de 1972, qui interprète la vieille?

o a. Gloria Swanson o b. Bette Davis o c. Katharine Hepburn

18. Qui chantait Vou Never Give Me Vour Money ?

o a. Frank Sinatra o b. Les Beatles o c. Elvis Presley

19. Qui a dit: « L'argent n'a pas d'odeur» ?

o a. Molière o b. Vespasien o c. Voltaire

20. Le record de gain avec une machine à sous, 5,5 millions d'euros, a été obtenu avec une mise de 0,50 € le 24 mai dernier dans un casino à :

o a. Chaudes-Aigues o b. Annemasse o c. Bagnères-de-Bigorre

I,.~.II

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Po ke r Trois joueurs s'affrontent dans un coup de Texas Hold'em.

1. Quelle est la main favorite, la deuxième, la troisième?

• • • • • • •• • • ••

2. Puis viennent les trois cartes du flop. Sur quelle main pariez-vous maintenant?

.................................. ....... . ...... ... ..................................... ..

Scrabble® 1

Avec les lettres ci-dessus, il y a 5 Scrabble" possibles sur cette grille. Combien en trouverez-vous?

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15

A

B

(

o

E

F

G N, H

L ) s, K L l B, M L N P, E, L A, T, o

· • • • • • •

• • •

par Benjamin Hannuna

Mots croisés Horizontalement - 1. La mise maximum - 2. Maître chanteur qui ne recule jamais devant un petit vol· Ne convient pas pour l'indienne - 3. Possède une clé particulière· Opérations de débit - 4. Conduit en dégouttant - 5. On doit y mettre les brouillons - Numéro qui passe dans une revue - 6. Concerne des conduites intérieures - Est tout à fait relatif - 7. Ne sera pas dépassé - 8. Tout vert pour Arthur -C'est à dire - 9. Gâta et ne fit pas de cadeau peut-être - Crédit universitaire - 10. Toujours déplaisant, sauf s'il est normand -D'être le 44' n'enlève rien à son importance .

Verticalement - 1. Pour faire les présentations - Il. Ne tolère aucune improvisation - Parti et même disparu - III. Introduit une certaine discipline - Allonge une liste - Doublé, il est chassé - IV. Sans aucune retenue - Quelques hectares sur l'Aar - V. On ne l'entend guère en Belgique et jamais ailleurs - VI. 27 ou 225 kilomètres· Donne des coups d'épée dans l'eau - VII. Voleur de voleurs· Pouvait appeler son père grand-papa - VIII. N'est pas conforme aux bonnes manières - IX. Est rapide à survoler - Un comble! - X. Se mire dans la Morava - Adverbe - Prénom de l'Evangile.

1 Il III IV V VI VII VIII IX X

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Solutions du n° 693 Scrabble®

• HARDEREZ, 4A, 98 • HARDWARE, F4, 74 • HARDCORE, SC, 72 • HOURDERA, 56,72 • DIARRHEE, 76, 70 ou 69 • ENHARDIR, 66, 65

Mots croisés 1 Il III IV V VI VII VIII IX X

1DENATALITE

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• PAR ELIE BARNAVI

'histoire est une déesse bègue. En 1971, Daniel Ellsberg, ancien fonctionnaire au département de la Défense américain, donnait au New York Times une masse de documents classés top secret sur la guerre que son pays menait au Vietnam. Ces Pentagon papers étaient censés mettre à nu les turpitudes et les mensonges de l'armée, du gouvernement, et hâter ainsi la défaite des troupes

américaines. L'objectiffut pleinement atteint.

Ellsberg avait-il raison de faire cela? Selon les partisans de la guerre et, accessoirement, de la loi, c'était un traître. 11 devait en effet être jugé pour vol, conspiration et espionnage, rien de moins. Si la procédure n'a jamais abouti, c'est parce que, n'obéissant qu'à leur sens du devoir et sans doute s'entraî­nant pour le Watergate à venir, des agents travaillant pour le compte de conseillers du président de l'époque, Richard Nixon, ont eu la bonne idée de forcer le bureau de son psychiatre à la recherche de preuves accablantes. Peu importe, d'ailleurs. Car selon la presse et l'opinion publique, massivement hostiles à la guerre, Ellsberg est devenu d'un coup un héros. Des années plus tard, il devait recevoir le Right Livelihood Award, plus connu comme le prix Nobel alternatif.

Le raisonnement des stratèges pakistanais est simple: les Américains finiront par partir. Comme l'obsession indienne leur interdit d'abandonner l'Afghanistan à son sott, il leur fuut coûte que coûte s'assurer l'appui des talibans, vainqueurs probables du bras de fer qui les oppose à la coalition occidentale. D'ailleurs, ces « étudiants en religion » sont leurs créatures, formées et armées par l'ISI, les renseignements pakistanais, pour leur servir de relais afghan dans la foulée de la défaite soviétique.

A quoi s'ajoute une raison plus profonde, de nature reli­gieuse et idéologique: au « pays des Purs », tout le monde, ou peu s'en faut, déteste les Yankees. Je suis tombé sur une interview que le général Hamid GuI, patron de 1'1S1, avait accor­dée à Arnaud de Borchgrave, à l'époque journaliste à l'agence UP1, deux semaines après le 11 septembre 2001. Qui a perpétré le forfait? « Le Mossad et ses complices. » Mais pourquoi le Mossad aurait-il fait une chose pareille? Pour assurer la domination du capitalisme mondialisé juif sur le monde avec l'aide de Bush, à qui les juifs ont offert le Il septembre le prétexte dont il avait besoin pour étendre l'influence américaine dans une région critique, la Caspienne. C'est une tradition bien établie, puisque

Bush Sr avait attiré Saddam Hussein dans le

Près de quarante ans plus tard, la guerre lointaine qui agite l'opinion américaine se déroule en Afghanistan. Le nouveau Daniel Ellsberg est australien et s'appelle Julian Assange. La même passion l'habite, la haine de la guerre, il utilise la même méthode, Inter­net en plus. La mise en ligne de ses quelque 92 000 documents couvrant les six premières années de conflit pourrait bien avoir le même effet. Mais la comparaison s'arrête là.

1971, Vietnam. 2010, Afghanistan. Contre la guerre,

piège koweïtien, tout comme Roosevelt avait déjà tendu aux Japonais le piège de Pearl Har­bor pour pouvoir entraîner les Etats-Unis dans la Seconde Guerre mondiale. Comment tout cela va-t-il se terminer? 11 faut aspirer à une « rencontre des dvilisations », laquelle ne pourra s'opérer que par la fusion du monde entier dans l'islam, la religion qui résume et sur­passe toutes les autres - la «vague de l'avenir »,

dit Hamid Gui, soudain poète. Et qui repré­sente le mieux cette « vague de l'avenir » ? Eh bien! les talibans, incarnation de l'islam « dans sa forme la plus pure ».

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Ellsberg a agi seul; l'Australien est à la tête d'une organisation tentaculaire, WikiLeaks. qui emploie des centaines de militants et s'appuie sur des dizaines de milliers de parti­sans à travers le monde. Ce n'est pas non plus

méthode: la divulgation de documents confidentiels.

Elucubrations d'un cerveau dérangé?

le même type de conflit. Au Vietnam, l'Amérique était seule avec ses alliés locaux; en Afghanistan opère une coalition de 44 nations. Enfin, avec 1 200 Américains tués en Afghanistan, on est loin des 58 000 qui ont laissé leur vie dans les rizières d'Indochine.

Pourtant, pas plus qu'alors on n'apprend aujourd'hui rien de véritablement nouveau. On y lit que des civils y sont tués, ce qui n'est pas un scoop; et que les alliés locaux ne sont pas fiables, ce dont nous nous doutions. Le gouvernement du prési­dent Karzaï est corrompu jusqu'à la moelle et le Pakistan, l'allié stratégique de Washington, continue de soutenir en Afghanis­tan les talibans qu'il a fini par se résoudre à combattre sur son territoire. Pourquoi cette schizophrénie? Parce que personne là-bas ne croit une Amérique exsangue et sceptique capable de l'effort nécessaire pour gagner la guerre.

901 Marianne 1 7 au 13 août 2010

Propos amers d'un retraité qui, de son propre aveu, en veut aux Américains censés l'avoir empêché de parve­nir au fuîte de l'armée de son pays? Ni l'un ni l'autre. C'est ce que pensent la plupart des Pakistanais, comme la majorité des officiers de 1'1S1, qui, les papiers de WikiLeaks le confirment, continuent de fournir aux talibans armes, munitions et soutien logistique. Avec de pareils alliés, qui a besoin d'ennemis?

A propos, on peut lire l'interview de Gui sur le site Veterans Today, créé et animé par un certain Gordon Duff, un ancien du Vietnam persuadé lui aussi que le Il septembre fut une conspi­ration du Mossad et de la ClA Son site est visité par des dizaines de millions d'internautes.

Comme on sait, si les guerres classiques se gagnent sur le champ de bataille, les guerres « asymétriques » se perdent à la maison. _

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Fascistne, . ' .. anusetnlt1Stne, national­populistne, de Maurras àLepen

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