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La chamelière de Bouya Et autres histoires d’une frontière éloignée PATRICK CHAMPENOIS

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Page 1: Patrick chamPenois La chamelière de Bouya

La chamelière de BouyaEt autres histoires d’une frontière éloignée

Patrick chamPenois

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chaPitre i sommaire

Présentation

3 chaPitre i Présentation

28 chaPitre ii Histoires courtes du Sud

56 chaPitre iii Histoires courtes du Nord

78 chaPitre iV Annexes

90 chaPitre V Conclusion

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Présentation

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Brûlé, écrasé de soleil.

tel est avant tout ce pays qui fut un fragment de l’empire d’abyssinie avant de devenir la côte française des somalis, le territoire français des

afars et des issas puis la république de Djibouti.

Façonnée par son milieu, sa population est à son image.

Depuis des siècles, les mêmes tribus suivent les mêmes itinéraires, abreuvent leurs troupeaux aux mêmes points d’eau et conduisent leurs cara-

vanes sur les mêmes pistes chamelières.

nous fûmes quelques officiers qui eurent la chance d’y servir dans ce qui fut le Groupement nomade autonome ; tous en ont été marqués et

ont conservé un attachement profond pour cette terre aride, austère et ses populations que nous avons appris à connaître et à aimer. c’est

pour tenter de faire partager cet attachement que j’ai voulu réunir quelques souvenirs que le temps a polis, lissés, durcis comme les blocs de

basalte noir qui obstruaient nos pistes.

J’ai relaté les choses telles que je les ai vécues successivement à ali-sabieh avant l’indépendance puis à assa-Gayla, après celle-ci. certaines fu-

rent drôles, d’autres ne le furent pas. elles doivent être prises comme telles et mes récits ne comportent aucun jugement.

alors qu’il est aujourd’hui de bon ton de se complaire dans le repentir dès lors qu’il s’agit de l’empire colonial français, je n’en éprouve aucun,

bien au contraire.

comme tous nos prédécesseurs, nous avons bâti, soigné, aidé ceux qui en avaient le plus besoin, que nos armes protégeaient des bouleverse-

ments tout proches ; c’était la vie quotidienne dans son éblouissante simplicité. Je crois que nous avons été utiles.

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Dans l’oued Guelileh.

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Présentation

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au commencement était l’espace. illimité. comme issu directement de la Genèse, sans qu’aucune trace de vanité humaine ne vienne accrocher

le regard.

Le soleil, ensuite qui emplit le ciel et se heurte violemment à la croûte calcinée de l’écorce terrestre. Le sable, aussi, en bandes lisses sur les-

quelles les mirages font naître des étendues d’eau qui ne sont qu’illusion, ou poussé comme un mur ocre par des vents brûlants venus de la

péninsule arabique.

La roche, surtout, omniprésente, parfois sombre, chaotique, écrasante, mêlant aux ocres des montagnes de la frontière les bleus délicats des

petits matins qui s’estompent avec le jour.

Quelques épineux gris que ravivent les rares pluies et d’où l’on voit soudain jaillir la grâce élastique de gazelles apeurées.

La brutalité des oueds qui, lorsqu’ils coulent, arrachent tout sur leur passage avant de retrouver leur habituelle sérénité.

La sécheresse de l’intérieur, l’étouffante moiteur de la côte, la mer, enfin, où tout s’arrête dans le souffle torride du détroit de Bab-el-mandeb.

La nuit, où rien n’existe plus que le ciel.

Le pays afar au nord de Dorra.

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Présentation

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seigneurs de ces étendues, afars et somalis y déplacent troupeaux et campements, à peine une

dizaine de personnes, au gré des saisons et des pluies. ils parlent des langues différentes, pratiquent

un même islam chaféïte* modéré fréquemment teinté de pratiques ancestrales et ont un mode

de vie très proche.

au nord et à l’ouest, les afars forment une société très hiérarchisée et structurée en campe-

ments, fractions et tribus. adalis, Data-able, songo-Goda, Badoïta-mela, Debnés, tribu noble

du Gobaad, et d’autres encore sont celles du pays Blanc, les adoyamaras des sultanats de ta-

djourah de raheita et du Gobaad. Les olotos et les madimas, en revanche, appartiennent

aux assayamaras, les hommes du pays rouge du sultanat éthiopien de l’aoussa.

chez les somalis, les issas sont les plus nombreux. Des-

cendants d’un ancêtre commun, cheikh isse, ils for-

ment deux groupes ethniques : les tribus rer moussa,

ourweine et mamassan du groupe abgal ; les Wala-

don, Fourlaba et horone du groupe Dalol. aux Dalol

sont affiliés les Wardick, tribu du chef traditionnel des is-

sas, l’ogaz. Les issas se déplacent sur trois grands parcours

de nomadisation, assadjog, Bininjog et Djamagarato sans

lien avec l’appartenance ethnique. D’autres tribus soma-

lies enfin, issacks, Gadaboursis et Darods nomadisent

parfois à proximité de la frontière orientale.

Venant d’ethiopie, les caravanes conduites par quelques

hommes apportaient à Djibouti chèvres, moutons et objets

divers comme des peaux, des couteaux et des tapis, pour en

repartir chargés de cigarettes et de petits produits manufacturés.

cette mosaïque de filiations, de parentés, de croyances, de tradi-

tions, de coutumes, d’antagonismes ancestraux était le socle qu’il

était essentiel de connaître pour comprendre ce qui se passait autour

de nous. Bien évidemment, ceci excédait de loin ce que nous pouvions

savoir sans l’aide de nos goumiers* et c’est précisément ce qui faisait du

Groupement nomade autonome un outil irremplaçable.

* Les termes marqués d’un astérisque sont explicités dans le glossaire en fin d’ouvrage, page 80.

Bédouin afar. Femme issa.

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Présentation

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Dès les premiers jours de la présence française dans la corne de l’afrique, on fit appel à des soldats autochtones. en 1887, sept d’entre eux te-

naient le fort de tadjourah avec deux soldats d’infanterie de marine et un lieutenant de vaisseau. c’est en 1910 que fut officiellement créée la

milice qui s’implanta dans tout le territoire. successivement milice de la côte française des somalis puis du territoire français des afars et des

issas, elle devint le Groupement nomade autonome le 1er février 1970.

Le 18 janvier 1935, à moraïto, près du lac abbé, l’administrateur Bernard et 16 miliciens écrivirent une page de gloire en tombant après plu-

sieurs heures d’un combat mené jusqu’au corps à corps contre un rezzou* d’un millier d’hommes bien armés.

Le Gna, puisque tel était le sigle que tous employaient dans le langage courant, était une unité particulière. sous les ordres du haut-commis-

saire de la république, sa mission était le contrôle des frontières et des zones de nomadisation frontalières ainsi que l’assistance à l’administra-

tion, ce qui pouvait aussi bien concerner la santé que l’entretien des pistes ou les secours. en fait, nous connaissions parfaitement nos secteurs

et les goumiers, qui y étaient nés ou y avaient servi de longues années, les connaissaient mieux encore.

commandé par un officier supérieur, il était encadré par cinq officiers et une trentaine de sous-officiers « de statut général », c’est-à-dire des

troupes de marine et comprenait à peu près soixante sous-officiers et cinq cents goumiers « de statut local », c’est-à-dire autochtones.

De Djibouti, un détachement de commandement et des services soutenait les quatre compagnies de Dikhil, assa-Gayla, ali-sabieh et Damer-

djog. commandées par un lieutenant, elles étaient numérotées dans cet ordre et chacune comprenait une portion centrale et quatre ou cinq

postes.

Sentinelle en poste.

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Présentation

Implantation du Groupement nomade autonome du Territoire français des Afars et des Issas

Détachement de commandement et des services

Djibouti

Première compagnie

Portion centrale : Dikhil Postes : Bondara, sankal, as eyla, Yoboki

Deuxième compagnie

Portion centrale : assa GaylaPostes : Dorra, Balho, alaïli-Dadda,

moulhoulé, khor-angar

Troisième compagnie

Portion centrale : ali-sabiehPostes : Guelileh, assamo, Guistir,

ali-addé, kabah-kabah

Quatrième compagnie

Portion centrale : Damerdjog Postes : Loyada, nagad, chebelley, atar

Carte du Territoire français des Afars et des Issas.

Insigne du GNA.

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Présentation

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Le poste était l’élément essentiel autour duquel tout s’organisait. chacun avait sa personnalité qui dépendait de celle de son chef, de sa

garnison, de son environnement, de son architecture même et de mille autres choses indéfinissables. Un sous-officier, le plus souvent

français avant l’indépendance, autochtone après celle-ci, y vivait avec une quinzaine de caporaux et goumiers. au poste, la vie se parta-

geait entre la garde, le quart pour les radios, l’entretien de l’armement, des véhicules et du matériel, les soins aux chameaux - c’étaient

bien sûr des dromadaires, mais nul ne les a jamais appelés ainsi - le repos et la prière. c’est de lui que partaient les patrouilles qui sillon-

naient la brousse ou s’installaient en point de contrôle fixe pendant plusieurs jours, contactant les campements et inspectant les ca-

ravanes, afars assayamara dans le nord, issas assadjog dans le sud, qui

entraient ou se déplaçaient sur le territoire. tous les goumiers avaient

été bédouins ou caravaniers et connaissaient le plus souvent ceux

qu’ils croisaient, auxquels ils étaient fréquemment apparen-

tés, bien que l’amalgame entre ethnies eût été la règle

absolue dans tout le Gna.

Les goumiers étaient d’excellents soldats, frustes, rustiques, disciplinés, dévoués, d’une exceptionnelle endurance s’ils n’étaient pas chargés,

parfois capables d’entêtement mais toujours prêts à rire, adorant les interminables discussions sur les sujets plus variés et parfois les plus

inattendus. Lorsqu’un problème les tracassait, il était essentiel de les écouter en présence de l’adjudant de compagnie ou du chef de poste,

même - et peut être surtout - s’il n’y avait pas de solution. c’étaient généralement des problèmes de solde, d’avancement ou de famille par-

fois tellement embrouillés que l’intéressé lui-même s’y perdait. Peu importe, il avait parlé au lieute-

nant et l’honneur était sauf.

chaque fois qu’on croisait un goumier, il saluait, dix fois dans la journée, s’il le fallait ; on pou-

vait ou non lui rendre son salut mais il était absolument impératif de prendre la main

qu’il vous tendait immédiatement et de la serrer chaleureusement.

ils avaient un extraordinaire sens de la mission : si la relève d’un poste de contrôle

avait un retard imprévu, il restait des sardines et de la sauce tomate - nourriture de

base en brousse - et de l’eau dans les guerbas* lorsqu’elle arrivait. Un goumier de

la 3e compagnie avait, une nuit,

intercepté un clandestin qui fran-

chissait la frontière ; sortant un pisto-

let, l’homme l’avait blessé en lui tirant

une balle à bout portant. Le goumier

lui avait sauté dessus, l’avait dé-

sarmé et arrêté. il avait été décoré

de l’ordre national du mérite.

Le poste d’Assamo. Goumier, poste d’Ali-Addé.Départ en nomadisation. Patrouille sur la frontière.