pascal hume et métaphysique
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7/25/2019 pascal hume et mtaphysique
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Article
Le principe de Pascal-Hume et la mtaphysique Jean-Ren VernesPhilosophiques, vol. 22, n 2, 1995, p. 237-246.
Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :
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PHILOSOPHIQUES, V O L X X II , NUMRO 2, AUTOM NE 1995, P.237-246
L E P R I N C I P E D E P A S C A L H U M E
E T L A M T A P H Y S I Q U E
p a r
J e a n - R e n V e r n e s
RSU M : Le raisonnem ent par lequel Hum e tablit l ori
gine empirique de Vide de cause repose implicitement sur
un principe de possibilit a priori et mme de probabilit a
priori, dont Hume n a pas remarqu le caractre rationnel,
tant il paraissait naturel. Ce principe est identique celui
sur lequel Pascal fonde le calcul des probabilits. Si l on
admet sa lgitimit, il en rsulte deux consquences capita
l e s
pour la thorie de la connaissance :
1
-
La raison ne se limite pas aux seuls principes logiques
en uvre dans la dduction mais doit reconnatre que ce
qui est galement pensable est galement probable
a priori.
2 - Ce principe de probabilit fournit une preuve de
l existence d une ralit extrieure la conscience, que
l on cherchait en vain dans
l e
principe de causalit.
ABSTRACT
The reasoning by which Hume established the
empirical origin of
t h e
idea of cause rests on a principle of
a priori possibility and even a priori proba bility of w hich
Hume did not notice the rational character, so natural did it
seem.
This principle is identical to the one on which Pascal
founded the calculation of probabilities. If its legitimy is
admitted, two important consequences follow for the theory
of knowledge :
1 - Reason is not limited only to the logical principles at
word in deduction but must recognize that, a priori,
what is equally thinkable it equally probable.
2 - This principle of probability provides a proof of the
existence of
a
reality outside the consciousness that one
looked for in vain in the principle of causality.
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238 PHILOSOPHIQUES
On com prend a isment l adm iration que les penseurs grecs, tel Platon,
ont prouve pour la dmonstration gomtrique. Celle-ci possde une double
qualit : elle permet la fois d expliqu er et de prvoir.
Il semble que les Babyloniens aient connu mille ans avant Pythagore la
proprit de s triangles rectangles : a
2
= b
2
+ c
2
.
Sans doute l avaient-ils mesure sur de nombreux triangles. Ds lors on
peut imaginer un go mtre babylonien s criant : c est extraordinaire. J ai
dessin ce matin vingt triangles rectangles, tous diffrents les uns des autres,
des grands, des petits, des triangles dont les angles la base taient presque
gaux ou, au contraire, trs dissemblables et tous possdaient cette mme pro
prit. N est-ce pas l une concidence surprenante ?
La dm onstration de Pythagore carte l ide de concidence pour y subs
tituer la nces sit. L explica tion rside dans cette substitution. La question
pourquo i suppose la diversit des possibles. L o n ex iste qu un seul pos
sible le besoin d expliquer disparat.
M ais la ncessit n cla ire pas seulement l exprience passe, elle garan
tit l exprience future. La dmonstration de Pythagore nous rassure. Tous les
triangles qui se prsenteront dans notre exprience tous les triangles rec
tangles euclidiens, prciserions-nous aujourd hui possderont la proprit
de Pytha gore. L ave nir ne saurait se soustraire la ncessit qui a rgi le
pass.
L a b s e n c e d e n c e s s i t
Malheureusement notre exprience ne se soumet que pour une part infime
la ncessit gomtrique. Non seulement bien des donnes de la conscience
sont trangres la spatialit, les sons, les odeurs, les motions par exemple.
Mais les images visuelles elles-mmes, qui constituent le lieu par excellence
de la gomtrie, ne sont gomtrisables que pour un seul de leurs aspects, in
finiment pauvre au regard de leur richesse perceptive. La qua lit se refuse la
quantification des gom tres, la qualit, c est--d ire le bleu, le jaun e, le roug e
et l innom brab le diversit des apparences sensibles m arque par toutes les
nuances de la couleur et de la luminosit.
Or nulle ncessit ne lie entre elles les apparences sen sibles. Elles s ten
dent selon des plages plus ou moins larges qui durent travers le temps. Nous
y reconnaissons des objets dous d tendue et de permanence, m ais ce n est l
rien de plus q u un fait, nous n y voyons pas de ncessit. Rien ne nous interdit
de les imaginer sous mille formes diffrentes, s associant et se succdant sans
ordre et sans loi. La libert de l imagination s oppo se la ncessit gom tri
q u e Hu me fondera sur cette constatation sa critique de la causalit.
L a c r i t iq u e d e
l i d e
d e c a u s e
Les objets, suggre Descartes, ne nous sont connus que comme des
collections d appa rence s sensibles. Si rvolutionnaire qu elle soit, cette cons-
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L E PRINCIPE D E PASCAL-HUME 239
tatation va s imposer la pense moderne. Mais dans un premier temps la
conception du monde ne s en trouvera pas bouleverse. Ces apparences sensi
bles ne doivent-elles pas avoir une cause ? Qu elle cause plus naturelle leur
supposer que des objets matriels, dous d une existence extrieure la per
ception que nous en avons ? La dualit fondamentale de la matire et de la
pense se trouve confirme.
C est apparemment la critique humienne de l ide de cause qui va faire
prendre la philosophie moderne un tournant capital. En montrant que nous
n avons pas de connaissance a priori de la causalit, Hume ruine l argument
qui nous permettait de passer de la consc ience vcue l affirmation d objets
matriels dous d une existence autonome. Et il semble que depuis cette date
aient chou toutes les tentatives qui prtendaient donner la preuve d une ra
lit ontologique. S il en est bien ainsi, la pense n est-elle pas la seule rali
t
?
C est dans la pense qu il faudrait trouver l explication du monde.
L e p r i n c i p e i m p l ic i te d e la p h i lo s o p h i e m o d e r n e
Cette conception moderne de la philosophie est toutefois intimement lie
une conviction implicite. C est que le seul lien rationnel que nous puissions
dcouvrir entre les objets de la pense est de nature deductive. Tel est le prin
cipe de la dmonstration gomtrique. Mais que pouvons-nous dduire d une
perception qui est de nature qualitative
?
Les donnes sensibles chappent la
dduction. Elles ne nous permettent pas de conclure l existence de quoi que
soit qui leur serait extrieur.
La critique de la philosophie moderne est subordonne une remise en
question du privilge d exclusivit accord la rationalit deductive. La rai
son se rduit-elle lier entre elles des propositions conformment aux princi
pes de la dduction ? Selon la rponse que l on donne cette question, la con
ception du monde laquelle on aboutit sera fondamentalement diffrente.
En 1654 Pascal nonce les premiers dveloppements rigoureu x du calcul
des probabilits, esquiss seulement un sicle plus tt par Cardan. Son prin
cipe essentiel peut se formuler partir d un exemple concret
:
si l on consi
dre un d bien fait, c est--dire parfaitement cubique et form d une matire
homogne, la probabilit d apparition de chacune des six faces est la mme,
lorsqu on jette le d dans des conditions convenables.
En s inspirant de ce principe une science nouvelle va se constituer qui
aboutit un sicle et demi plus tard au clbre Trait des probabilits de La-
place. Celui-ci y dfinit la probabilit comme le rapport entre le nombre des
cas favorables et le nombre total des cas possibles, supposs quiprobables.
Plus exactement Laplace crit dans son premier principe
:
la probabilit
[...] est le rapport du nombre des cas favorables celui de tous le s cas
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240 PHILOSOPHIQUES
possibles puis dans son second principe : cela suppose les cas gale
ment possibles .
C est seulement partir de ce mom ent, au cours du XIX
e
sicle qu on
soulve un problme nouveau : comment peut-on justifier le calcul des proba
bilits ? On reproche Laplace sa dfinition de la probabilit. N est-ce pas
commettre un cercle que de dfinir celle-ci partir de cas galement possi
bles ? La probabilit n est jamais donne directement dans l exprience. La
seule chose que celle-ci nous rvle, ce sont des frquences. On constate seu
lement que quand un vnement alatoire se rpte indfiniment, par exemple
le jet d un d, sa frquence tend vers une limite de plus en plus prcise. C est
celle-ci qui constituerait la probabilit de l vn ement.
travers cette controverse apparat une opposition fondamentale entre
deux conceptions des rapports de la pense et du rel. Si Laplace dfinit la
probab ilit partir de cas quiprob ables, c est que cette dernire notion lui
apparat doue d une vidence immdiate. Les six faces d un d bien fait sont
quivalentes au regard de la pense, elles sont interchangeables entre elles.
L quiprobabilit n est que la consquence exprimentale de cette quivalence
intellectuelle.
Dans la conception de Laplace, l quiprob abilit est perue com me une
prop rit de la pens e, le pouv oir que nous avo ns de nous reprsenter indiff
rem ment les six faces d un d bien fait. Le prob lme fondamental est de sa
voir si nous pouvons conclure de cette quivalence intellectuelle aux rsultats
effectifs de l exp rience sensible.
Un problme analogue pourrait tre pos quant la notion de ncessit.
Le thorme de Pythagore ne dmontre pas directement que tout triangle rec
tangle possde ncessairement la proprit de Pythagore. Il dmontre seule
ment qu il en est ainsi pour tout triangle pens. Un triangle qui ne satisferait
pas cette proprit est
impensable.
En conclure qu il est
impossible
relve
d une proposition distincte, ce qui est impensable est impossible ou ce qui est
ncessaire au regard del pense est ncessaire pour l tre.
Lorsque Laplace pose en principe fondateur du calcul des probabilits
l qu iprob abilit des six faces d un d bien fait, il suppose imp licitement un
principe analogue m ais diffrent
ce qui est galement pensable est galement
possible. Le caractre comm un aux deux principes rside dans l assim ilation
affirme entre l tre et la pense. Leur diffrence consiste en ce que dans un
cas l assimilation porte sur la ncessit et dans l autre sur la possibilit.
Or justifier le passage de la ncessit pen se la ncessit relle est rela
tivemen t ais. Il en est autrement de celui qui relie le pensable au po ssible. La
conception empiriste de la probabilit est issue de cette difficult. Il en rsulte
que l on refuse au calcul des probabilits un statut identique celui de la d
mo nstration gom trique. Il convient d analy ser les consquences de ce refus.
1 . P i e r r e - S i m o n L a p l a c e , Essai philosophique sur les probab ilits, Paris,
Gauthier-Vil lars, 192 1, p. 9 .
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L E
PRINCIPE DE PASCAL -HUME 24 1
L e x p l ic a t io n d e s v n e m e n t s a l a t o i r e s
Admettons titre provisoire la conception empiriste des vnements
alatoires. Com ment alors les expliquer ?
Les frquences tendent vers une lim ite, la frquence d app arition du 6
avec un d bien fait tend vers 1 sur 6. Voil un fait qui est non seulement re
connu par la thorie empiriste, mais qui lui sert de point de dpart. L existenc e
mm e de ce fait cond uit poser deux problmes :
1) Pou rquoi la frquence d appa rition du 6 tend-elle vers une limite qu i
ne varie pas avec le temps ? On pourrait parfaitement imaginer que pendant
une priode dtermine, le mois de fvrier d une certaine anne par exemple,
cette frquence soit trs faible, tandis qu elle augmenterait considrablement
pendant le mois suivant. Or cela ne se produit pas. Pourquoi ?
2) Une fois adm ise l existence d un e limite des frquences, on peut se
demander pourquoi cette limite est prcisment de 1 sur 6 et non par exemple
de 1 sur 4 pour le chiffre 6 et de 1 sur 18 pou r le chiffre 4. Il est difficile de ne
pas voir dans le fait que les frquences limites des six faces sont gales une
forme de rationalit.
M ais les difficults de l em pirism e n e s arrte nt pas l. En fait P ascal a
labor ses calculs de probabilit sans recourir l exprience. Il se fonde sur
des principes a priori. Or ses calculs ont t confirms par les expriences
ultrieures, dans la mesure o des prvisions de probabilit peuvent tre con
firmes tout au moins de faon approximative. Nous nous retrouvons dans la
situation imaginaire de notre gomtre babylonien. Peut-on expliquer la con
cordance des prvisions et des expriences par une simple concidence parti
culirement heureuse ?
Force est de constater que le calcul des probabilits est avec la gomtrie
le seul dom aine o la pure rflexion ait perm is de prvoir l exp rienc e. D nier
au principe d quiprob abilit un caractre a priori, c est renoncer simultan
men t trouver une explication l existen ce de frquences limites et la con
cordance entre l exprience et la prvision. Si le calcul des probabilits avait
t invent avant la gom trie, il est vraisemblable qu il aurait suscit le
mme enthousiasme et qu il aurait engendr une conception de la raison trs
diffrente de celle qui est aujourd hui gnralement ad mise.
L e p r in c i p e s o u s - ja c e n t d e la p h ilo s o p h i e h u m ie n n e
Plus intressante cependant encore, parce q u elle semble ne jamais avoir
t faite, est la remarque suivante : l un des plus grands philosophes empiris-
es des temps m odernes, David Hum e, a fond sa pense sur un principe a
priori identique celui de Pascal.
Rapp elons, en effet, le passage sans doute le plus caractristique des tex
tes dans lesquels H ume m ontre l origin e emp irique de la notion de cause :
quand je vois, par exemple, une bille de billard qui se meut en ligne droite
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vers une autre [...] ne puis-je pas concevoir que cent vnements diffrents
pou rraient au ssi bien su ivre de cette cause ? Les billes ne peu vent-elles toutes
deux rester en repos absolu ? La prem ire bille ne peu t-elle retourner en ligne
droite ou rebondir de la seconde dans une ligne ou une direction quelconque ?
Toutes ces conceptions sont cohrentes et concevables. Alors, pourquoi don
ner la prfrence Tune d elles, qui n est ni plus cohrente ni plus conc evable
que les autres
2
?
Ce texte appelle les remarques suivantes :
1) Hume constate que nous pouvons imaginer les deux boules de billard
dcriv ant aprs le choc une multitude de trajets diffrents.
2)
Avant
que nous ayons fait l exp rience, n ous ignorons lequel de ces
trajets sera suivi par les deux boules.
3) No us devon s donc avan t l exp rien ce considrer ces diffrents trajets
commepo ssibles e t mme comme galement possibles, car nous n avo ns au
cune raison de privilgier l un ou l autre.
4) Hu me adm et donc qu il existe une notion a priori du possible qui
s identifie au pensable :tout ce qui est pensable est possible a priori. Bien
plus, ce qui est galement pensable est a priori ga lement possible.
Nous voici trs exactement devant le principe de Pascal. Pour ce dernier
les six faces d un d bien fait sont quivalentes au regard de la pense, elles
peuvent galement tre reprsentes. Elles doivent donc tre considres com
me galement possibles a priori. Hume applique le mme raisonnement aux
diffrents trajets que peuvent suivre les boules de billard. Ils peuvent tre
galement reprsents. Ils doivent donc tre considrs comme galement
possibles.
Cette sim ilitude entre les conceptions d e Pascal et de Hum e est capitale et
m rite d tre souligne. C est pourquoi je propose d appeler principe de Pas-
cal-Hume le principe dans lequel elle s exprime : ce qui est galement pensa
ble est galem ent possible a priori.
La diffrence entre Pascal et Hum e est cependant, elle aussi, capitale. Elle
tient au fait qu e le possible a priori de Pascal se ralise dans l exp rience , tan
dis que celui de Hume s y trouve constamm ent dm enti. C est videm men t
cette diffrence qui a masqu la similitude de leur principe. C est galement
elle qui a empch Hum e de prendre conscience que sa dmonstration reposait
en dernire analyse sur un principe a priori. Hume a suivi une dmarche pro
gressive, il a cherch les consquences , qu entra nait son analyse de la notion
de cause. Il a nglig la dmarche
rgressive,
qui aurait consist chercher
ses prsupposes implicites. La dmarche de Pascal tait, au contraire, stric
tement progressive, puisque son raisonnement partait explicitement du prin
cipe implicite de la pense de Hume.
2.
David Hume,
Enqute sur l entendement humain,
Traduction Andr Leroy,
Paris, Aubier-Montaigne, 1947, p. 75. On trouve un texte trs voisin dans le
Trait de la
n turehum aine,
idem,1946, p. 189.
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L E
PRINCIPE DE PASCA L-HUM E 243
L a s y n t h s e d e P a s c a l e t d e H u m e
Si l on rapproche m aintenant l Un ivers exprimental de Pascal, savoir
une succession d vn em ents alatoires qui se succdent sans ordre apparent
(les rsultats d un je t de d) et de l Un ivers de Hum e, o les chocs d e deux
boules d e billard son t suivis d effets constan ts, il conv ient d en faire la
synthse.
Cette synthses est opre spontanment dans la pense collective autour
de la notion de loi, car les lois physiques a vaient dans l exp rien ce quoti
dienne une importance sans commune mesure avec les vnements alatoires
de type pascalien. On a admis comme une vidence fondamentale que les
phnomnes physiques sont ordonns selon des lois constantes. Puis on s est
efforc d int gre r les vnem ents ala toires, dont il fallait bien reco nna tre
l existence, dans cette conception lgaliste de l exprience, en regroupant les
vnem ents a latoires l intrieur de lois statistiques. Ma is dans un e telle
conception les lois physiques restent de simples
constatations empiriques.
Nous ne pouvons pas leur trouver une explication par la seule rflexion,
comme nous le pouvons pour les proprits gomtriques.
Or l analys e critique de la philosophie humienne montre qu ava nt la
connaissance exprim entale il y a tout au mo ins l tat de virtualit une
pense pr-exp rimen tale. C est la pense de Descartes rflchissant sur la
notion de Cogito. Nous faisons l inventaire de toutes les penses possibles et
nous constatons que nous avons le pouvoir de nous reprsenter l avenir sous
une multitude infinie de formes diffrentes en ce sens Hume applique une
mthode spcifiquement cartsienne. Nous ne connaissons pas encore
l existenc e des lois exprime ntales, mais nous somm es dj capables, grce
aux liens que nous dcouvrons entre les ides, de dmontrer la proprit de
Pythagore.
Si l on se reporte par l imagina tion ce mom ent de la pense, logique
ment prem ier sur le plan de la connaissance, l ordre des problm es se ren
verse. La succession alatoire des rsultats d un jet de d est explique direc
tement par l quivalence de ses six faces. Elle y trouve sa raison suffisante.
Tout au contraire, c est la rptition des m me s vnem ents qui exige une
explication. Pourquoi quand nou s lchons dans le vide une bille d acier, se
trouve-t-elle rgulirement au mme endroit aprs une seconde de chute, alors
que nous pouvons aussi bien l imaginer en mille endroits diffrents ?
Dans une telle progression de la pen se le principe de raison suffisante
n apparat plus comme un principe inconditionnel. Il a lui-mme une gense.
Il est le produit de la contradiction entre l ordr e rel et le dsordre imag inaire.
Le rel devrait se prsenter, selon l expression kantienne com me une rhap
sodie de sensations . Le fait qu il n en soit rien demand e une exp lication, une
raison suffisante de l ordre perceptif.
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L e x i s t e n c e
d u
m o n d e e x t r i e u r
Les rflexions prcdentes expliquent pourquoi il est impossible de fon
der l indu ction sur la seule exprien ce. Si grand q ue soit le nom bre
d exp rienc es au cours desquelles un vnem ent s est rpt, il nous reste
toujours p ossible d ima giner m ille vnements diffrents, p ar exemp le que
notre bille d acier se trouve aprs une secon de de chute dans une positiondif
frente de sa position habituelle.
Bien plu s, en appliquant strictement le princip e d qu ipro bab ilit
l ordre perceptif, il est facile de prou ver q ue celui-ci est en thorie infiniment
improbable. Si nous supposons par exemple que nous pourrions apercevoir
notre bille d acier dans mille positions diffrentes, celles-ci doivent tre con
sidres com me g alem ent probab les et la probab ilit qu elle se retrouve
exactement dans la mm e position doit tre estime
1
sur 1000.
En outre, nous retrouverons la mme improbabilit chaque exprience,
de telle sorte que la probabilit de constater la prsence de la bille dans une
position identique au cours de
n
expriences successives devrait tre de 1 sur
1 0 0 0 En d autres termes, elle serait pratiquement nulle.
Nous somm es ici dans la mm e situation qu un joueur de d joua nt avec
un tricheur. Supposons q u chaque jet de d une somm e d arge nt soit mise en
jeu , l arg en t m is tant gagn p ar celui qui obtient le chiffre le plus fort et
chacun des joueurs jouant avec son propre d. Le tricheur obtient 6 cinquante
fois de suite. Son adversaire n hsitera pas en conclure que le d de son ad
versaire est pip. Et, s il a la possibilit de le vrifier, il constatera que son
hypothse est exacte. La probabilit d un tel rsultat est, en effet de 1 sur 6 et
peut tre considre comme pratiquement nulle. Elle est cependant sans com
mune mesure avec la probabilit qu un mme vnement se rpte indfini
m ent au cours d exprien ces successives, s il n exis te pas d e raison cache
susceptible d expliquer cette rptition.
La conclusion est claire : les donnes des sens ne sont pas de pures don
nes de la conscience que l on puisse considrer en elles-mmes sans les ex
pliquer par une ralit extrieure elles. Assez curieusement le raisonnement
de Hume tablit et dment la fois la conclusion laquelle il aboutit. En
mon trant l origine empirique de la notion de cause, Hum e en interdit l usag e
pour prouver l existence d une ralit extrieure. Mais en fondant sa dmons
tration sur l qu ivale nce du pensable et du possible, il aboutit par une tou te
autre voie rendre ce tte mme ralit intellectuellement ncessaire.
On comprend du mme coup pourquoi une dmonstration aussi simple a
pu chapper pendant aussi longtemps la perspicacit des philosophes. Elle
va contre-courant de la pense classique. Pour celle-ci le seul raisonnement
qui trouve sa justification en lui-mme est le raisonnement
dductif.
Il
s impose directement l esprit grce sa propre vidence. Et la causalit est
conue pour expliquer la gnralit des lois sur le modle du raisonnement
dductif : les causes sont supp oses en traner les effets par un e nce ssit
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L E PRINCIPE D E PASCAL-HUME 245
interne du mme type que celle qui lie les hypothses et les conclusions. Ainsi
la mcanique newtonienne explique-t-elle le mouvement des plantes partir
du principe d inertie et de la gravitation. Ce mouvement peut tre dduitmore
geometrico
partir de ces deux forces supposes.
En revanche le hasard est considr comme essentiellement irrationnel
parce qu il parat incompatible avec la ncessit des dmonstrations gomtri
ques.
A insi s efforce-t-on de retrouver travers les vnements alatoires la
gnralit des lois physiques. Telle l explication de Cournot qui voit dans les
faits de hasard la rencontre de deux sries causales indpendantes. Le hasard
est considr comm e ne pouvant fournir par lui-mme un principe quelconque
d explication. L opposition farouche au principe d indterminisme que nous
retrouvons tout au long du XX
e
sicle tmoigne de la mme conviction. Il pa
rat inacceptable de supposer dans le cours de la nature une part de hasard, si
minime soit-elle.
L a n a t u r e d u m o n d e e x t r ie u r
Le retour aux donnes immdiates de la conscience, au caractre alatoire
des perceptions, telles qu elles nous sont directement connues, entrane une
consquence capitale pour la philosophie de la connaissance. Il montre la n
cessit d admettre l existence
d une
ralit extrieure la conscience elle-
mme et transcende la ngation de la mtaphysique.
En quoi consiste cette ralit, il serait prsomptueux de rpondre une
telle question, tout au moins dans l tat actuel de nos connaissances. Notre
seule certitude est que cette ralit est hors de la conscience , sans que nous
puissions expliciter la nature des liens qui l unissent elle. Il est toutefois pos
sible d en donner une dfinition partielle en rappelant qu elle a pour fonction
d expliquer les donnes sensibles.
C est
ce que s efforce de faire la science
physique et
d une
faon plus gnrale l hypothse de la matire. Comment
imaginer une hypothse plus efficace pour expliquer les rsultats successifs
d une partie de d que de supposer l existence matrielle d un cube homo
gne ? L comme dans la dmonstration gomtrique explication et prvision
sont indissociables. La seule explication valable des expriences passes est
celle q ui permet de prvoir le rsultat des expriences futures.
C est le fait
qu elle ne permettait pas de prvoir le mouvement des astres qui a fait rejeter
la thorie de l Anglus rector. Mais on retrouve un caractre identique dans
l explication des rgularits causales par les catgories de l entendement. Elle
ne permet pas des prvisions plus prcises.
La thse selon laquelle ce qui est galement pensable doit tre dclar
galement possible conduit sans doute modifier plusieurs conceptions de la
connaissance qui sont largement rpandues dans la pense contemporaine. On
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peut d onc supposer qu elle rencon trera une assez vive rsistance. Son seul
argum ent est d tablir une plus grande cohre nce entre les diffrents aspects
de la pense.
Sminaire d pistmologie,
Universit d Aix-Marseille III