pascal hume et métaphysique

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  • 7/25/2019 pascal hume et mtaphysique

    1/11

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    Article

    Le principe de Pascal-Hume et la mtaphysique Jean-Ren VernesPhilosophiques, vol. 22, n 2, 1995, p. 237-246.

    Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

    URI: http://id.erudit.org/iderudit/027330ar

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  • 7/25/2019 pascal hume et mtaphysique

    2/11

    PHILOSOPHIQUES, V O L X X II , NUMRO 2, AUTOM NE 1995, P.237-246

    L E P R I N C I P E D E P A S C A L H U M E

    E T L A M T A P H Y S I Q U E

    p a r

    J e a n - R e n V e r n e s

    RSU M : Le raisonnem ent par lequel Hum e tablit l ori

    gine empirique de Vide de cause repose implicitement sur

    un principe de possibilit a priori et mme de probabilit a

    priori, dont Hume n a pas remarqu le caractre rationnel,

    tant il paraissait naturel. Ce principe est identique celui

    sur lequel Pascal fonde le calcul des probabilits. Si l on

    admet sa lgitimit, il en rsulte deux consquences capita

    l e s

    pour la thorie de la connaissance :

    1

    -

    La raison ne se limite pas aux seuls principes logiques

    en uvre dans la dduction mais doit reconnatre que ce

    qui est galement pensable est galement probable

    a priori.

    2 - Ce principe de probabilit fournit une preuve de

    l existence d une ralit extrieure la conscience, que

    l on cherchait en vain dans

    l e

    principe de causalit.

    ABSTRACT

    The reasoning by which Hume established the

    empirical origin of

    t h e

    idea of cause rests on a principle of

    a priori possibility and even a priori proba bility of w hich

    Hume did not notice the rational character, so natural did it

    seem.

    This principle is identical to the one on which Pascal

    founded the calculation of probabilities. If its legitimy is

    admitted, two important consequences follow for the theory

    of knowledge :

    1 - Reason is not limited only to the logical principles at

    word in deduction but must recognize that, a priori,

    what is equally thinkable it equally probable.

    2 - This principle of probability provides a proof of the

    existence of

    a

    reality outside the consciousness that one

    looked for in vain in the principle of causality.

  • 7/25/2019 pascal hume et mtaphysique

    3/11

    238 PHILOSOPHIQUES

    On com prend a isment l adm iration que les penseurs grecs, tel Platon,

    ont prouve pour la dmonstration gomtrique. Celle-ci possde une double

    qualit : elle permet la fois d expliqu er et de prvoir.

    Il semble que les Babyloniens aient connu mille ans avant Pythagore la

    proprit de s triangles rectangles : a

    2

    = b

    2

    + c

    2

    .

    Sans doute l avaient-ils mesure sur de nombreux triangles. Ds lors on

    peut imaginer un go mtre babylonien s criant : c est extraordinaire. J ai

    dessin ce matin vingt triangles rectangles, tous diffrents les uns des autres,

    des grands, des petits, des triangles dont les angles la base taient presque

    gaux ou, au contraire, trs dissemblables et tous possdaient cette mme pro

    prit. N est-ce pas l une concidence surprenante ?

    La dm onstration de Pythagore carte l ide de concidence pour y subs

    tituer la nces sit. L explica tion rside dans cette substitution. La question

    pourquo i suppose la diversit des possibles. L o n ex iste qu un seul pos

    sible le besoin d expliquer disparat.

    M ais la ncessit n cla ire pas seulement l exprience passe, elle garan

    tit l exprience future. La dmonstration de Pythagore nous rassure. Tous les

    triangles qui se prsenteront dans notre exprience tous les triangles rec

    tangles euclidiens, prciserions-nous aujourd hui possderont la proprit

    de Pytha gore. L ave nir ne saurait se soustraire la ncessit qui a rgi le

    pass.

    L a b s e n c e d e n c e s s i t

    Malheureusement notre exprience ne se soumet que pour une part infime

    la ncessit gomtrique. Non seulement bien des donnes de la conscience

    sont trangres la spatialit, les sons, les odeurs, les motions par exemple.

    Mais les images visuelles elles-mmes, qui constituent le lieu par excellence

    de la gomtrie, ne sont gomtrisables que pour un seul de leurs aspects, in

    finiment pauvre au regard de leur richesse perceptive. La qua lit se refuse la

    quantification des gom tres, la qualit, c est--d ire le bleu, le jaun e, le roug e

    et l innom brab le diversit des apparences sensibles m arque par toutes les

    nuances de la couleur et de la luminosit.

    Or nulle ncessit ne lie entre elles les apparences sen sibles. Elles s ten

    dent selon des plages plus ou moins larges qui durent travers le temps. Nous

    y reconnaissons des objets dous d tendue et de permanence, m ais ce n est l

    rien de plus q u un fait, nous n y voyons pas de ncessit. Rien ne nous interdit

    de les imaginer sous mille formes diffrentes, s associant et se succdant sans

    ordre et sans loi. La libert de l imagination s oppo se la ncessit gom tri

    q u e Hu me fondera sur cette constatation sa critique de la causalit.

    L a c r i t iq u e d e

    l i d e

    d e c a u s e

    Les objets, suggre Descartes, ne nous sont connus que comme des

    collections d appa rence s sensibles. Si rvolutionnaire qu elle soit, cette cons-

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    L E PRINCIPE D E PASCAL-HUME 239

    tatation va s imposer la pense moderne. Mais dans un premier temps la

    conception du monde ne s en trouvera pas bouleverse. Ces apparences sensi

    bles ne doivent-elles pas avoir une cause ? Qu elle cause plus naturelle leur

    supposer que des objets matriels, dous d une existence extrieure la per

    ception que nous en avons ? La dualit fondamentale de la matire et de la

    pense se trouve confirme.

    C est apparemment la critique humienne de l ide de cause qui va faire

    prendre la philosophie moderne un tournant capital. En montrant que nous

    n avons pas de connaissance a priori de la causalit, Hume ruine l argument

    qui nous permettait de passer de la consc ience vcue l affirmation d objets

    matriels dous d une existence autonome. Et il semble que depuis cette date

    aient chou toutes les tentatives qui prtendaient donner la preuve d une ra

    lit ontologique. S il en est bien ainsi, la pense n est-elle pas la seule rali

    t

    ?

    C est dans la pense qu il faudrait trouver l explication du monde.

    L e p r i n c i p e i m p l ic i te d e la p h i lo s o p h i e m o d e r n e

    Cette conception moderne de la philosophie est toutefois intimement lie

    une conviction implicite. C est que le seul lien rationnel que nous puissions

    dcouvrir entre les objets de la pense est de nature deductive. Tel est le prin

    cipe de la dmonstration gomtrique. Mais que pouvons-nous dduire d une

    perception qui est de nature qualitative

    ?

    Les donnes sensibles chappent la

    dduction. Elles ne nous permettent pas de conclure l existence de quoi que

    soit qui leur serait extrieur.

    La critique de la philosophie moderne est subordonne une remise en

    question du privilge d exclusivit accord la rationalit deductive. La rai

    son se rduit-elle lier entre elles des propositions conformment aux princi

    pes de la dduction ? Selon la rponse que l on donne cette question, la con

    ception du monde laquelle on aboutit sera fondamentalement diffrente.

    En 1654 Pascal nonce les premiers dveloppements rigoureu x du calcul

    des probabilits, esquiss seulement un sicle plus tt par Cardan. Son prin

    cipe essentiel peut se formuler partir d un exemple concret

    :

    si l on consi

    dre un d bien fait, c est--dire parfaitement cubique et form d une matire

    homogne, la probabilit d apparition de chacune des six faces est la mme,

    lorsqu on jette le d dans des conditions convenables.

    En s inspirant de ce principe une science nouvelle va se constituer qui

    aboutit un sicle et demi plus tard au clbre Trait des probabilits de La-

    place. Celui-ci y dfinit la probabilit comme le rapport entre le nombre des

    cas favorables et le nombre total des cas possibles, supposs quiprobables.

    Plus exactement Laplace crit dans son premier principe

    :

    la probabilit

    [...] est le rapport du nombre des cas favorables celui de tous le s cas

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    5/11

    240 PHILOSOPHIQUES

    possibles puis dans son second principe : cela suppose les cas gale

    ment possibles .

    C est seulement partir de ce mom ent, au cours du XIX

    e

    sicle qu on

    soulve un problme nouveau : comment peut-on justifier le calcul des proba

    bilits ? On reproche Laplace sa dfinition de la probabilit. N est-ce pas

    commettre un cercle que de dfinir celle-ci partir de cas galement possi

    bles ? La probabilit n est jamais donne directement dans l exprience. La

    seule chose que celle-ci nous rvle, ce sont des frquences. On constate seu

    lement que quand un vnement alatoire se rpte indfiniment, par exemple

    le jet d un d, sa frquence tend vers une limite de plus en plus prcise. C est

    celle-ci qui constituerait la probabilit de l vn ement.

    travers cette controverse apparat une opposition fondamentale entre

    deux conceptions des rapports de la pense et du rel. Si Laplace dfinit la

    probab ilit partir de cas quiprob ables, c est que cette dernire notion lui

    apparat doue d une vidence immdiate. Les six faces d un d bien fait sont

    quivalentes au regard de la pense, elles sont interchangeables entre elles.

    L quiprobabilit n est que la consquence exprimentale de cette quivalence

    intellectuelle.

    Dans la conception de Laplace, l quiprob abilit est perue com me une

    prop rit de la pens e, le pouv oir que nous avo ns de nous reprsenter indiff

    rem ment les six faces d un d bien fait. Le prob lme fondamental est de sa

    voir si nous pouvons conclure de cette quivalence intellectuelle aux rsultats

    effectifs de l exp rience sensible.

    Un problme analogue pourrait tre pos quant la notion de ncessit.

    Le thorme de Pythagore ne dmontre pas directement que tout triangle rec

    tangle possde ncessairement la proprit de Pythagore. Il dmontre seule

    ment qu il en est ainsi pour tout triangle pens. Un triangle qui ne satisferait

    pas cette proprit est

    impensable.

    En conclure qu il est

    impossible

    relve

    d une proposition distincte, ce qui est impensable est impossible ou ce qui est

    ncessaire au regard del pense est ncessaire pour l tre.

    Lorsque Laplace pose en principe fondateur du calcul des probabilits

    l qu iprob abilit des six faces d un d bien fait, il suppose imp licitement un

    principe analogue m ais diffrent

    ce qui est galement pensable est galement

    possible. Le caractre comm un aux deux principes rside dans l assim ilation

    affirme entre l tre et la pense. Leur diffrence consiste en ce que dans un

    cas l assimilation porte sur la ncessit et dans l autre sur la possibilit.

    Or justifier le passage de la ncessit pen se la ncessit relle est rela

    tivemen t ais. Il en est autrement de celui qui relie le pensable au po ssible. La

    conception empiriste de la probabilit est issue de cette difficult. Il en rsulte

    que l on refuse au calcul des probabilits un statut identique celui de la d

    mo nstration gom trique. Il convient d analy ser les consquences de ce refus.

    1 . P i e r r e - S i m o n L a p l a c e , Essai philosophique sur les probab ilits, Paris,

    Gauthier-Vil lars, 192 1, p. 9 .

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    L E

    PRINCIPE DE PASCAL -HUME 24 1

    L e x p l ic a t io n d e s v n e m e n t s a l a t o i r e s

    Admettons titre provisoire la conception empiriste des vnements

    alatoires. Com ment alors les expliquer ?

    Les frquences tendent vers une lim ite, la frquence d app arition du 6

    avec un d bien fait tend vers 1 sur 6. Voil un fait qui est non seulement re

    connu par la thorie empiriste, mais qui lui sert de point de dpart. L existenc e

    mm e de ce fait cond uit poser deux problmes :

    1) Pou rquoi la frquence d appa rition du 6 tend-elle vers une limite qu i

    ne varie pas avec le temps ? On pourrait parfaitement imaginer que pendant

    une priode dtermine, le mois de fvrier d une certaine anne par exemple,

    cette frquence soit trs faible, tandis qu elle augmenterait considrablement

    pendant le mois suivant. Or cela ne se produit pas. Pourquoi ?

    2) Une fois adm ise l existence d un e limite des frquences, on peut se

    demander pourquoi cette limite est prcisment de 1 sur 6 et non par exemple

    de 1 sur 4 pour le chiffre 6 et de 1 sur 18 pou r le chiffre 4. Il est difficile de ne

    pas voir dans le fait que les frquences limites des six faces sont gales une

    forme de rationalit.

    M ais les difficults de l em pirism e n e s arrte nt pas l. En fait P ascal a

    labor ses calculs de probabilit sans recourir l exprience. Il se fonde sur

    des principes a priori. Or ses calculs ont t confirms par les expriences

    ultrieures, dans la mesure o des prvisions de probabilit peuvent tre con

    firmes tout au moins de faon approximative. Nous nous retrouvons dans la

    situation imaginaire de notre gomtre babylonien. Peut-on expliquer la con

    cordance des prvisions et des expriences par une simple concidence parti

    culirement heureuse ?

    Force est de constater que le calcul des probabilits est avec la gomtrie

    le seul dom aine o la pure rflexion ait perm is de prvoir l exp rienc e. D nier

    au principe d quiprob abilit un caractre a priori, c est renoncer simultan

    men t trouver une explication l existen ce de frquences limites et la con

    cordance entre l exprience et la prvision. Si le calcul des probabilits avait

    t invent avant la gom trie, il est vraisemblable qu il aurait suscit le

    mme enthousiasme et qu il aurait engendr une conception de la raison trs

    diffrente de celle qui est aujourd hui gnralement ad mise.

    L e p r in c i p e s o u s - ja c e n t d e la p h ilo s o p h i e h u m ie n n e

    Plus intressante cependant encore, parce q u elle semble ne jamais avoir

    t faite, est la remarque suivante : l un des plus grands philosophes empiris-

    es des temps m odernes, David Hum e, a fond sa pense sur un principe a

    priori identique celui de Pascal.

    Rapp elons, en effet, le passage sans doute le plus caractristique des tex

    tes dans lesquels H ume m ontre l origin e emp irique de la notion de cause :

    quand je vois, par exemple, une bille de billard qui se meut en ligne droite

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    242 PHILOSOPHIQUES

    vers une autre [...] ne puis-je pas concevoir que cent vnements diffrents

    pou rraient au ssi bien su ivre de cette cause ? Les billes ne peu vent-elles toutes

    deux rester en repos absolu ? La prem ire bille ne peu t-elle retourner en ligne

    droite ou rebondir de la seconde dans une ligne ou une direction quelconque ?

    Toutes ces conceptions sont cohrentes et concevables. Alors, pourquoi don

    ner la prfrence Tune d elles, qui n est ni plus cohrente ni plus conc evable

    que les autres

    2

    ?

    Ce texte appelle les remarques suivantes :

    1) Hume constate que nous pouvons imaginer les deux boules de billard

    dcriv ant aprs le choc une multitude de trajets diffrents.

    2)

    Avant

    que nous ayons fait l exp rience, n ous ignorons lequel de ces

    trajets sera suivi par les deux boules.

    3) No us devon s donc avan t l exp rien ce considrer ces diffrents trajets

    commepo ssibles e t mme comme galement possibles, car nous n avo ns au

    cune raison de privilgier l un ou l autre.

    4) Hu me adm et donc qu il existe une notion a priori du possible qui

    s identifie au pensable :tout ce qui est pensable est possible a priori. Bien

    plus, ce qui est galement pensable est a priori ga lement possible.

    Nous voici trs exactement devant le principe de Pascal. Pour ce dernier

    les six faces d un d bien fait sont quivalentes au regard de la pense, elles

    peuvent galement tre reprsentes. Elles doivent donc tre considres com

    me galement possibles a priori. Hume applique le mme raisonnement aux

    diffrents trajets que peuvent suivre les boules de billard. Ils peuvent tre

    galement reprsents. Ils doivent donc tre considrs comme galement

    possibles.

    Cette sim ilitude entre les conceptions d e Pascal et de Hum e est capitale et

    m rite d tre souligne. C est pourquoi je propose d appeler principe de Pas-

    cal-Hume le principe dans lequel elle s exprime : ce qui est galement pensa

    ble est galem ent possible a priori.

    La diffrence entre Pascal et Hum e est cependant, elle aussi, capitale. Elle

    tient au fait qu e le possible a priori de Pascal se ralise dans l exp rience , tan

    dis que celui de Hume s y trouve constamm ent dm enti. C est videm men t

    cette diffrence qui a masqu la similitude de leur principe. C est galement

    elle qui a empch Hum e de prendre conscience que sa dmonstration reposait

    en dernire analyse sur un principe a priori. Hume a suivi une dmarche pro

    gressive, il a cherch les consquences , qu entra nait son analyse de la notion

    de cause. Il a nglig la dmarche

    rgressive,

    qui aurait consist chercher

    ses prsupposes implicites. La dmarche de Pascal tait, au contraire, stric

    tement progressive, puisque son raisonnement partait explicitement du prin

    cipe implicite de la pense de Hume.

    2.

    David Hume,

    Enqute sur l entendement humain,

    Traduction Andr Leroy,

    Paris, Aubier-Montaigne, 1947, p. 75. On trouve un texte trs voisin dans le

    Trait de la

    n turehum aine,

    idem,1946, p. 189.

  • 7/25/2019 pascal hume et mtaphysique

    8/11

    L E

    PRINCIPE DE PASCA L-HUM E 243

    L a s y n t h s e d e P a s c a l e t d e H u m e

    Si l on rapproche m aintenant l Un ivers exprimental de Pascal, savoir

    une succession d vn em ents alatoires qui se succdent sans ordre apparent

    (les rsultats d un je t de d) et de l Un ivers de Hum e, o les chocs d e deux

    boules d e billard son t suivis d effets constan ts, il conv ient d en faire la

    synthse.

    Cette synthses est opre spontanment dans la pense collective autour

    de la notion de loi, car les lois physiques a vaient dans l exp rien ce quoti

    dienne une importance sans commune mesure avec les vnements alatoires

    de type pascalien. On a admis comme une vidence fondamentale que les

    phnomnes physiques sont ordonns selon des lois constantes. Puis on s est

    efforc d int gre r les vnem ents ala toires, dont il fallait bien reco nna tre

    l existence, dans cette conception lgaliste de l exprience, en regroupant les

    vnem ents a latoires l intrieur de lois statistiques. Ma is dans un e telle

    conception les lois physiques restent de simples

    constatations empiriques.

    Nous ne pouvons pas leur trouver une explication par la seule rflexion,

    comme nous le pouvons pour les proprits gomtriques.

    Or l analys e critique de la philosophie humienne montre qu ava nt la

    connaissance exprim entale il y a tout au mo ins l tat de virtualit une

    pense pr-exp rimen tale. C est la pense de Descartes rflchissant sur la

    notion de Cogito. Nous faisons l inventaire de toutes les penses possibles et

    nous constatons que nous avons le pouvoir de nous reprsenter l avenir sous

    une multitude infinie de formes diffrentes en ce sens Hume applique une

    mthode spcifiquement cartsienne. Nous ne connaissons pas encore

    l existenc e des lois exprime ntales, mais nous somm es dj capables, grce

    aux liens que nous dcouvrons entre les ides, de dmontrer la proprit de

    Pythagore.

    Si l on se reporte par l imagina tion ce mom ent de la pense, logique

    ment prem ier sur le plan de la connaissance, l ordre des problm es se ren

    verse. La succession alatoire des rsultats d un jet de d est explique direc

    tement par l quivalence de ses six faces. Elle y trouve sa raison suffisante.

    Tout au contraire, c est la rptition des m me s vnem ents qui exige une

    explication. Pourquoi quand nou s lchons dans le vide une bille d acier, se

    trouve-t-elle rgulirement au mme endroit aprs une seconde de chute, alors

    que nous pouvons aussi bien l imaginer en mille endroits diffrents ?

    Dans une telle progression de la pen se le principe de raison suffisante

    n apparat plus comme un principe inconditionnel. Il a lui-mme une gense.

    Il est le produit de la contradiction entre l ordr e rel et le dsordre imag inaire.

    Le rel devrait se prsenter, selon l expression kantienne com me une rhap

    sodie de sensations . Le fait qu il n en soit rien demand e une exp lication, une

    raison suffisante de l ordre perceptif.

  • 7/25/2019 pascal hume et mtaphysique

    9/11

    244 PHILOSOPHIQUES

    L e x i s t e n c e

    d u

    m o n d e e x t r i e u r

    Les rflexions prcdentes expliquent pourquoi il est impossible de fon

    der l indu ction sur la seule exprien ce. Si grand q ue soit le nom bre

    d exp rienc es au cours desquelles un vnem ent s est rpt, il nous reste

    toujours p ossible d ima giner m ille vnements diffrents, p ar exemp le que

    notre bille d acier se trouve aprs une secon de de chute dans une positiondif

    frente de sa position habituelle.

    Bien plu s, en appliquant strictement le princip e d qu ipro bab ilit

    l ordre perceptif, il est facile de prou ver q ue celui-ci est en thorie infiniment

    improbable. Si nous supposons par exemple que nous pourrions apercevoir

    notre bille d acier dans mille positions diffrentes, celles-ci doivent tre con

    sidres com me g alem ent probab les et la probab ilit qu elle se retrouve

    exactement dans la mm e position doit tre estime

    1

    sur 1000.

    En outre, nous retrouverons la mme improbabilit chaque exprience,

    de telle sorte que la probabilit de constater la prsence de la bille dans une

    position identique au cours de

    n

    expriences successives devrait tre de 1 sur

    1 0 0 0 En d autres termes, elle serait pratiquement nulle.

    Nous somm es ici dans la mm e situation qu un joueur de d joua nt avec

    un tricheur. Supposons q u chaque jet de d une somm e d arge nt soit mise en

    jeu , l arg en t m is tant gagn p ar celui qui obtient le chiffre le plus fort et

    chacun des joueurs jouant avec son propre d. Le tricheur obtient 6 cinquante

    fois de suite. Son adversaire n hsitera pas en conclure que le d de son ad

    versaire est pip. Et, s il a la possibilit de le vrifier, il constatera que son

    hypothse est exacte. La probabilit d un tel rsultat est, en effet de 1 sur 6 et

    peut tre considre comme pratiquement nulle. Elle est cependant sans com

    mune mesure avec la probabilit qu un mme vnement se rpte indfini

    m ent au cours d exprien ces successives, s il n exis te pas d e raison cache

    susceptible d expliquer cette rptition.

    La conclusion est claire : les donnes des sens ne sont pas de pures don

    nes de la conscience que l on puisse considrer en elles-mmes sans les ex

    pliquer par une ralit extrieure elles. Assez curieusement le raisonnement

    de Hume tablit et dment la fois la conclusion laquelle il aboutit. En

    mon trant l origine empirique de la notion de cause, Hum e en interdit l usag e

    pour prouver l existence d une ralit extrieure. Mais en fondant sa dmons

    tration sur l qu ivale nce du pensable et du possible, il aboutit par une tou te

    autre voie rendre ce tte mme ralit intellectuellement ncessaire.

    On comprend du mme coup pourquoi une dmonstration aussi simple a

    pu chapper pendant aussi longtemps la perspicacit des philosophes. Elle

    va contre-courant de la pense classique. Pour celle-ci le seul raisonnement

    qui trouve sa justification en lui-mme est le raisonnement

    dductif.

    Il

    s impose directement l esprit grce sa propre vidence. Et la causalit est

    conue pour expliquer la gnralit des lois sur le modle du raisonnement

    dductif : les causes sont supp oses en traner les effets par un e nce ssit

  • 7/25/2019 pascal hume et mtaphysique

    10/11

    L E PRINCIPE D E PASCAL-HUME 245

    interne du mme type que celle qui lie les hypothses et les conclusions. Ainsi

    la mcanique newtonienne explique-t-elle le mouvement des plantes partir

    du principe d inertie et de la gravitation. Ce mouvement peut tre dduitmore

    geometrico

    partir de ces deux forces supposes.

    En revanche le hasard est considr comme essentiellement irrationnel

    parce qu il parat incompatible avec la ncessit des dmonstrations gomtri

    ques.

    A insi s efforce-t-on de retrouver travers les vnements alatoires la

    gnralit des lois physiques. Telle l explication de Cournot qui voit dans les

    faits de hasard la rencontre de deux sries causales indpendantes. Le hasard

    est considr comm e ne pouvant fournir par lui-mme un principe quelconque

    d explication. L opposition farouche au principe d indterminisme que nous

    retrouvons tout au long du XX

    e

    sicle tmoigne de la mme conviction. Il pa

    rat inacceptable de supposer dans le cours de la nature une part de hasard, si

    minime soit-elle.

    L a n a t u r e d u m o n d e e x t r ie u r

    Le retour aux donnes immdiates de la conscience, au caractre alatoire

    des perceptions, telles qu elles nous sont directement connues, entrane une

    consquence capitale pour la philosophie de la connaissance. Il montre la n

    cessit d admettre l existence

    d une

    ralit extrieure la conscience elle-

    mme et transcende la ngation de la mtaphysique.

    En quoi consiste cette ralit, il serait prsomptueux de rpondre une

    telle question, tout au moins dans l tat actuel de nos connaissances. Notre

    seule certitude est que cette ralit est hors de la conscience , sans que nous

    puissions expliciter la nature des liens qui l unissent elle. Il est toutefois pos

    sible d en donner une dfinition partielle en rappelant qu elle a pour fonction

    d expliquer les donnes sensibles.

    C est

    ce que s efforce de faire la science

    physique et

    d une

    faon plus gnrale l hypothse de la matire. Comment

    imaginer une hypothse plus efficace pour expliquer les rsultats successifs

    d une partie de d que de supposer l existence matrielle d un cube homo

    gne ? L comme dans la dmonstration gomtrique explication et prvision

    sont indissociables. La seule explication valable des expriences passes est

    celle q ui permet de prvoir le rsultat des expriences futures.

    C est le fait

    qu elle ne permettait pas de prvoir le mouvement des astres qui a fait rejeter

    la thorie de l Anglus rector. Mais on retrouve un caractre identique dans

    l explication des rgularits causales par les catgories de l entendement. Elle

    ne permet pas des prvisions plus prcises.

    La thse selon laquelle ce qui est galement pensable doit tre dclar

    galement possible conduit sans doute modifier plusieurs conceptions de la

    connaissance qui sont largement rpandues dans la pense contemporaine. On

  • 7/25/2019 pascal hume et mtaphysique

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    peut d onc supposer qu elle rencon trera une assez vive rsistance. Son seul

    argum ent est d tablir une plus grande cohre nce entre les diffrents aspects

    de la pense.

    Sminaire d pistmologie,

    Universit d Aix-Marseille III