paris en guerre - sortir du colonialismenation et jihad. histoire sociale des radicalismes...

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1 50 E ANNIVERSAIRE DE LA GUERRE D’ALGéRIE PARIS EN GUERRE D’ALGéRIE SUPPLéMENT GRATUIT DU N° 382 – NE PEUT êTRE VENDU EXPOSITION GRATUITE DU 7 DÉCEMBRE 2012 AU 10 JANVIER 2013

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    50E ANNIVERSAIRE DE LA GuERRE D’ALGéRIE

    paris en guerre d’algérie

    Supplément gratuit du n° 382 – ne peut être vendu

    Exposition gratuitE du 7 décEmbrE 2012 au 10 janviEr 2013

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    E n cette année de 50e anniversaire des accords d’Évian, revenir sur les conséquences et les réper-cussions de la guerre d’Algérie a semblé utile et nécessaire, en diffusant auprès d’un large public les apports scientifiques des historiens qui travaillent sur ces questions. Cette exposition intitulée « Paris en guerre d’Algérie » entend étudier, sur un temps chronologique plus large que celui du conflit stricto sensu, les effets du conflit entre la France et l’Algérie à l’échelle de l’an-cien département de la Seine. L’exposition s’appuie sur

    quelque 300 documents dont une cinquantaine d’ori-ginaux. La collaboration des commissaires et des scé-nographes permet de monter une exposition vivante et graphique, mêlant photographies, journaux, documents officiels, diffusions sonores et imagées. L’exposition est organisée par le Comité d’histoire de la Ville de Paris en lien avec les délégations des adjointes au maire de Paris, Mme Danièle Pourtaud, chargée du Patrimoine, et Mme Catherine Vieu-Charier, chargée de la Mémoire et du Monde combattant.

    AlAin Ruscio, docteur ès lettres, historien indépendant, il est l’auteur notamment de La Décolonisation tragique. Une histoire de la décolonisation française, 1945-1962 (Messidor, 1987) et de « L’Humanité », censuré : 1954-1962, un quotidien dans la guerre d’Algérie (Le Cherche-Midi, 2012).

    lAuRe Pitti, sociologue, maîtresse de conférences à Paris VIII Vincennes-Saint-Denis (CRESPPA-CSU). Elle a dirigé avec Catherine Omnès Cultures du risque au travail et pratiques de prévention au xxe siècle. La France au regard des pays voisins (PUR, 2009) et achève la rédaction d’un ouvrage sur les ouvriers algériens dans l’automobile durant les Trente Glorieuses, à partir d’une enquête sur Renault-Billancourt.

    sylvie thénAult, historienne, directrice de recherches au CNRS, Centre d’histoire du xxe siècle, elle est notamment l’auteure de Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie (La Découverte, 2001) et de Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale. Camps, internements, assignations à résidence (Odile Jacob, 2012). Elle a aussi codirigé Histoire de l’Algérie à la période coloniale (1830-1962) (La Découverte, 2012).

    emmAnuel BlAnchARd, historien et politiste, maître de conférences à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, chercheur au CESDIP (CNRS, ministère de la Justice, UVSQ). Il a notamment publié La Police parisienne et les Algériens (1944-1962) (Nouveau monde éd., 2011).

    RAPhAëlle BRAnche, historienne, maîtresse de conférences habilitée à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, centre d’histoire sociale du xxe siècle. Elle est notamment l’auteure de La Torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie (Gallimard, 2001), de La Guerre d’Algérie, une histoire apaisée ? (Le Seuil, 2005) et de L’Embuscade de Palestro, Algérie 1956, (A. Colin, 2010).

    omAR cARlieR, historien, professeur à l’université de Paris VII Denis-Diderot, chercheur au SEDET (Paris VII) et au CHSIM (EHESS). Il est notamment l’auteur de Entre nation et jihad . Histoire sociale des radicalismes algériens (FNSP, 1995), de l’ouvrage collectif Le Corps du leader, construction et représentation dans les pays du Sud, à l’époque contemporaine (L’Harmattan, 2008) et de Images du Maghreb, images au Maghreb, xixe-xxe siècles une révolution du visuel ? (L’Harmattan, 2010).

    les commissaires scientifiques de cette exposition collective

    Une histoire nationale à l’échelle locale

    scénogRAPhie : Collectif Au fond à Gauche composé de Bruno Charzat, Clément Hourst et Guillaume Lanneau.

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    la région parisienne a été un espace de la guerre d’Algérie, mais il ne faut pas entendre « la guerre » au sens strict et la limi-

    ter à un affrontement entre le FLn et la France coloniale. Car la guerre a pris plusieurs formes et elle a tou-ché les métropolitains de diverses manières. Les a-t-elle d’ailleurs tou-chés tous ? Les vécus diffèrent selon les parcours individuels ou collectifs des acteurs et des témoins. L’exposi-tion avance même l’hypothèse que des Parisiens ont pu passer à côté de la guerre d’Algérie, qu’elle ne les a pas tous éprouvés, personnellement ou à travers leurs proches. Si beau-coup l’ont ressentie dans leur chair, dans leur affect – parce qu’un frère, un mari a été requis sous les dra-peaux, ou parce qu’ils se sont éveil-lés à la politique par un engagement à ce moment-là –, d’autres l’ont vécu comme une « absence de guerre ». De fait, alors que certains manifestent ou font grève, alors que règlements de comptes et attentats déchirent la ville, pour d’autres (la majorité ?),

    la vie continue à Paris, les spectacles ont lieu normalement. Au printemps 1956, alors que les événements politiques s’accélèrent avec le rappel des jeunes hommes pour être envoyés en Algérie, que la guerre ipso facto prend un tournant décisif, de quoi parle-t-on d’abord dans la rue et dans les journaux ? Du mariage de rainier de Monaco avec l’actrice Grace kelly, auquel assiste le tout hollywood autour d’Alfred hitchcock et, représentant la France, le Garde des sceaux, François Mit-

    terrand. On peut s’étonner de cette indifférence mais, pour en rester à 1956 et s’affranchir d’une actua-lité frivole, sans doute la crise de Suez a-t-elle plus d’importance cette année-là que n’importe quelle autre affaire. Cependant, la guerre d’Al-gérie a pu avoir des effets sur celles et ceux qui n’ont pas été concer-nés directement, mais qui, ouvriers (photo ci-dessous) ou employés, étu-diants ou lycéens, ont été transfor-més, sans en prendre conscience sur-le-champ, par le déroulement

    paris en guerre d’algérieComment la guerre d’Algérie a-t-elle été vécue par les Parisiens et par les « Français

    musulmans d’Algérie », installés à Paris et en banlieue où ils travaillaient ? Capitale d’un empire colonial en train de sombrer, Paris a été du début à la fin un front de cette guerre.

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    recrutement de masseen 1954, dans le seul département de la Seine, entre 10 000 et 15 000 Algériens travaillent, comme cet ouvrier, sur les chan-tiers du bâtiment et des travaux publics. Pour tous les migrants, ruraux, étrangers ou coloniaux, Paris et sa région constituent un bassin d’emploi attractif. Les Algériens n’échappent pas à la règle : à lui seul, le département-capitale concentre un tiers des actifs algériens de métropole au milieu des années 1950, dont un quart dans le bâtiment et les travaux publics et près de la moitié dans la métallurgie. Singularité du marché du travail de la capi-tale, les grandes usines métallurgiques parisiennes, et notam-ment automobiles, recrutent en masse les Algériens. La guerre d’indépendance algérienne change un temps la donne : jugés suspects, les Algériens peinent davantage à se faire embau-cher dans les usines de métropole.

    TEXTE DE DaniEl BErmonD À ParTir DES EnTrETiEnS mEnÉS aUPrÈS DES CommiSSairES

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    terre n’appartient pas à une pieuse légende. Mais tous les Algériens ne s’y sont pas réfugiés, loin s’en faut, et, surtout, il existe d’autres bidon-villes – tel celui de Champigny peuplé majoritairement de Portugais et tout aussi misérable – qui n’ont pas béné-ficié de la même exposition média-tique. C’est la guerre d’Algérie, et les reportages de la presse, qui ont pro-duit la thématique du bidonville de nanterre et contribué à diffuser des stéréotypes qui lui préexistaient. Ainsi, le quartier de la Goutte-d’Or était-il couramment décrit comme une médina. en fait, d’autres Algé-riens que ceux du quartier s’y ren-daient en masse en fin de semaine bien avant la guerre d’indépendance, renforçant sa vocation commerçante, au-delà de sa fonction « résiden-tielle » ordinaire. L’emprise du FLn et la répression policière ont accentué des formes de séparation des espaces

    de vie et de loisirs. il n’était cepen-dant pas rare qu’un Algérien ait pour épouse ou pour compagne une Fran-çaise. Ce qui ne sera pas sans inci-dence sur les solidarités dont joui-ront les militants FLn de la lutte pour l’indépendance algérienne et sur le concours que leurs femmes leur apporteront. Dès les années 1930, les mariages dits « mixtes » – un Algérien avec une Française, très exceptionnellement l’inverse – brisent l’idée de communautés par-faitement étanches les unes aux autres – les Algériens sont, avec les italiens, ceux qui convolent le plus avec des Françaises – même si la guerre va freiner le mouvement. Par ailleurs, les années 1950 voient se renforcer considérablement l’immi-gration familiale. Dès lors, la scolari-sation et la socialisation des enfants algériens prennent une nouvelle dimension. Les lieux communs ont la

    d’un événement auquel ils ont été confrontés malgré eux. un défilé, une photo, un fait plus saillant qu’un autre, même s’il se situe à la fin de la guerre – les plasticages de l’OAS à partir de 1961, le cliché de la petite Delphine renard défigurée par l’at-tentat contre le domicile d’André Malraux à boulogne-billancourt en 1962, la manifestation de Charonne quelques jours plus tard – ont marqué les mémoires. L’exposition, autant qu’il est possible, veut aussi faire comprendre cette lente imprégnation des esprits.

    le paris de 1954 Dans le prolongement du renou-veau historiographique de la guerre d’Algérie engagé depuis quelques années, l’exposition fait le pari, en filigrane, d’une histoire « par le bas » de cette guerre vécue par les Parisiens. une histoire locale en somme, au cœur de Paris et de ses banlieues. une histoire qui tient compte du contexte social et écono-mique du temps. Contrairement à une idée reçue, les Algériens – plus de 100 000 au début de la guerre qui les vit continuer d’arriver en nombre – ne résident pas tous dans des bidonvilles. Le visiteur serait bien inspiré de laisser au vestiaire de l’exposition les représentations qu’il peut avoir de certains quar-tiers de la capitale, qui risqueraient de faire écran à la réalité sociale de l’époque. Le bas du quartier Latin fut longtemps un lieu d’habitation de l’émigration d’Afrique du nord, et certains Algériens habitaient dans des meublés du 6e arrondisse-ment, rue Mazarine, par exemple. S’ils rencontrèrent des difficultés pour se loger, ce ne fut pas seule-ment en raison des discriminations, bien réelles, dont ils étaient l’objet, mais aussi parce que Paris traver-sait alors une crise du logement qui affectait toutes les familles, au cœur des trente Glorieuses. Des familles françaises, ne l’oublions pas, vivent encore, à cette époque, à l’hôtel.Pour autant, le bidonville de nan-

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    contrÔles policiers sYstématiquesles immigRés AlgéRiens furent fréquemment l’objet de discriminations, de mépris et furent également considérés comme un danger ou, au mieux, une vague menace. Par ailleurs, leur politisation précoce éveilla la vigilance de la police, qui mit en place un sys-tème efficace de contrôle. Avec le déclenchement de la guerre, cette communauté épousa rapidement les thèses nationalistes, malgré les déchirements sanglants et sans merci entre FLN et MNA. Pour la police, tous les Algériens furent vite rangés au nombre des sus-pects, des complices des terroristes, et les contrôles au faciès, parfois assortis de bruta-lités et d’insultes, devinrent leur lot quotidien. Dès les premières émeutes (Goutte-d’Or, 1955), les arrestations se multiplièrent, en particulier dans certains quartiers ou îlots dits arabes. La décision du FLN de porter la guerre en France, en 1958, amplifia la répression.

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    vie dure. Cette exposition contribue à sa façon à les combattre. Évitons de croire que, dans le Paris de 1954, les Algériens sont tous engagés dans la lutte pour l’indépendance de leur pays. La plupart sont des hommes jeunes pas forcément intéressés par la politique. il en est qui appré-cient de se frotter à la vie des Fran-çais de métropole et qui vont au bal, au cinéma, qui se plaisent à déambu-ler sur les boulevards. ils n’ont pas tous choisi de travailler à Paris et en métropole uniquement pour envoyer en Algérie l’argent épargné sur leur paie, et tous ne retournent pas chez eux chaque été, loin s’en faut. il va de soi que les contrôles policiers (photo page 4) et la guerre vont bouleverser

    la donne. Au contraire des Français, les Algériens ne pouvaient pas long-temps ignorer la guerre.

    paris, un front Paris ne fut pas seulement un lieu d’effervescence politique au cours des sept ans de la guerre d’indépen-dance algérienne, elle fut la capitale d’un empire colonial en train de vacil-ler. Plus même : un front de la guerre s’y installa. nous sommes là en pré-sence d’un cas unique dans le proces-sus de décolonisation : une capitale impériale devenue l’une des scènes de la guerre. Mieux : avant le déclenche-ment des hostilités, le 1er novembre 1954, Paris était déjà l’épicentre de phénomènes nationalistes qui cou-

    vaient. L’exposition met en exergue la répression inouïe du 14 juillet 1953, place de la nation. Ce jour-là, environ 5 000 Algériens défilent en queue de cortège dans le cadre d’une manifes-tation organisée par le Mouvement de la paix avec le PCF et les organisa-tions syndicales (photo de gauche ci-dessus). Au moment de la dispersion, les forces de l’ordre ouvrent le feu sur les manifestants qui auraient tardé à obtempérer. On relève sept morts, dont six militants du MtLD, le parti de Messali hadj. Les tirs nourris sont avérés, des dizaines de douilles sont retrouvées sur place. Les circons-tances rangent l’« incident » dans la catégorie des « tueries coloniales », ni plus ni moins. il y a même des

    peu de permissionnairesÀ PARtiR du PRintemPs 1956, l’ensemble des métropolitains en âge de faire leur service militaire peut être envoyé en Algérie pour participer aux « opérations de maintien de l’ordre ». Les cas d’exemp-tion sont rares : l’armée a besoin de tous ses hommes pour écra-ser une rébellion qui s’étend. On autorise cependant les hommes dont un frère sert déjà en Algérie à effectuer leur service en France ou en Allemagne. On dispense aussi d’aller en Algérie les pères de deux enfants et les soutiens de famille. Des sursis sont, par ailleurs, octroyés aux étudiants. Une fois partis en Algérie, les soldats ne peuvent espérer que de rares permissions, souvent trop courtes, pour envisager un retour chez eux. La situation de ce permission-naire, père de famille, explique certainement qu’il ait, malgré tout, choisi de rentrer en France. Ces moments de retrouvailles permet-taient de renforcer le lien maintenu par une correspondance régu-lière pendant l’absence. Ils n’étaient pas pour autant propices aux récits sur ce qui se passait de l’autre côté de la Méditerranée.

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    5 000 manifestants en 1953lA PARticiPAtion mAssive aux manifestations ouvrières des 1er-Mai et 14-Juillet démontrait l’organisation et la résolution du PPA-MTLD. Le 14 juillet 1953, l’allure quasi militaire du cortège encadré par l’impo-sant service d’ordre du parti nationaliste adressait un signal fort aux autorités françaises engagées dans une violente répression en Tunisie et au Maroc. Ces « provocations policières » étaient d’ailleurs dénon-cées par certaines banderoles. Les 5 000 manifestants algériens appe-laient aussi à la libération de leur leader, Messali Hadj (dont le portrait est arboré au revers des vestes), assigné à résidence depuis plus d’un an. Ce défilé fut dispersé dans le sang, place de la Nation, sous le feu massif de la police parisienne. Sept manifestants (six du PPA-MTLD, un de la CGT) furent tués par balles. Les jours et semaines suivantes, ils furent honorés par une large partie du mouvement ouvrier, avant de sombrer dans l’oubli.

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    comparaisons à établir entre ce qui s’est passé place de la nation, ce jour-là, et ce qui advenait couram-ment en tunisie et au Maroc marqués par des cycles de manifestations/répressions de plus en plus violentes. Gardons-nous cependant de voir dans l’événement, passablement oublié de nos jours, les prémisses du soulè-vement général de l’année suivante. Paris, comme la France, ne s’attarde pas sur les victimes tombées au cœur de l’été. Si des meetings sont organi-sés au Cirque d’hiver et à la Fédéra-tion du syndicat de la métallurgie, de même qu’une cérémonie à la Mosquée de Paris, les Français ne se disent pas qu’ils sont en train de perdre l’Algérie. Pas plus qu’ils ne comprennent la por-tée du soulèvement du 1er novembre 1954. Pour l’heure, le Parti commu-niste et la CGt rendent hommage aux travailleurs victimes de la répression et ne distinguent pas entre Français et Algériens, confondus dans « le glo-rieux peuple de Paris ». Au début de la décennie, ce qui préoccupe l’opinion publique, c’est – davantage que l’Al-

    gérie, et après le choc de Dien bien Phu – la situa-tion au Maroc et en tunisie aggra-vée par le durcis-sement de la poli-tique de Paris envers les pro-tectorats. Même après 1954, on sera longtemps tenté de globali-ser les troubles en Algérie en les situant indis-tinctement en « Afrique du nord ». La prise

    de conscience – l’exposition s’attache à le démontrer – est longue à venir. Les Parisiens ne s’interrogent pas outre mesure lorsque, le 30 juillet 1955, une opération de contrôle à la Goutte-d’Or tourne mal. Des bou-tiques sont saccagées, des voitures renversées et incendiées, des pas-

    sages à tabac sont signalés. tant du côté de la Préfecture que de la presse, on parle d’« émeute ». Le quartier est bouclé, comme on le fait déjà à Alger. et la police en profite pour « épurer le milieu », rafler, arrêter les militants indépendantistes identifiés et les expulser en Algérie. Paris est bel et bien l’espace d’une guerre qu’il ne reconnaît pas encore comme telle.

    paris et l’histoire de plein fouet Mais, vaille que vaille, la capitale, et la métropole derrière elle, vont pro-gressivement prendre le pouls d’une situation qui se radicalise. Le départ des jeunes appelés en Algérie dès l’été 1955 reste un moment clé de cette tension au fur et à mesure que les familles vont affronter de plein fouet la réalité de la guerre (photo page 5) : les fils embarqués vers le « bled », les permissions, les lettres, malgré la censure, les retours, les blessés, les morts… Les Parisiens arrachés à leurs habitudes réagissent, progres-sivement, quand un enfant ou un mari qui n’avait rien demandé et qui se désintéressait peut-être du sort de l’Algérie, s’apprête, son paquetage ficelé, à franchir la Méditerranée. et puis, tout va s’accélérer. Lancée très tôt par des militants de gauche, des chrétiens, des universitaires,

    la question de la torture enflamme les débats, portés à ébullition par la presse nationale, les « grands jour-naux parisiens », dit-on. La Fédéra-tion de France du FLn s’organise, se manifeste par des attentats et se heurte à la répression (voir document ci-dessus). en 1958, avec l’agonie d’un régime que personne ne regrette, s’installe de plus en plus l’idée que la guerre met en péril la démocra-tie. Le 13 mai, Paris s’inquiète du rôle des militaires à Alger et du danger qu’ils représentent, qualifié de « fas-ciste ». La manifestation républicaine du 28 mai, qui rassemble au moins 200 000 personnes de la nation à la république, répond à l’acceptation, la veille, par le général de Gaulle de son retour aux affaires. Pour les républi-cains de cœur, l’homme du 18-Juin s’est mué, quoiqu’il s’en défende, en l’homme du 13-Mai. La tache origi-nelle de sa prise de fonction et sa pra-tique du pouvoir, surtout au lende-main du putsch avorté d’avril 1961 (photo ci-contre), amplifient un dis-cours de suspicion. Mais, à comp-ter de 1961, ce sont les irréductibles de l’OAS qui font de Paris leur cible de prédilection et laissent planer, sur leurs adversaires républicains, la menace explosive de leur pouvoir de nuisance. L’exposition ressus-cite quelques-uns des lieux emblé-

    fln Front de libération nationale

    mtld MouveMent pour le trioMphe des libertés déMocratiques

    mna MouveMent national algérien

    oas organisation arMée secrète

    Registre des mouvements journaliers ouvert à la page du 27 septembre 1958

    (AbDALLAh beLLiL, n° 23573) © ArChiVeS De PAriS

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    répressionen FRAnce, comme en Algérie, les autorités répondirent à la lutte pour l’indépendance par une répression judiciaire. Impliquant largement les tribunaux militaires à partir de 1958, celle-ci conduisit des milliers d’Algériens en prison, ainsi que des Français engagés à leurs côtés. À La Santé, étaient notamment détenus des condamnés à mort, dont six furent guillotinés. Abdallah Bellil est le pre-mier d’entre eux. Dans le registre des mouvements journaliers de la prison, il figure au début de la liste des sortants, étant donné que les exécutions avaient lieu à l’aube. La criminalité ordinaire perdurant, cependant, tous les Algériens condamnés ne l’étaient pas pour leur engagement. La mention « ASEE » permet alors d’identifier avec certitude les nationalistes : « l’atteinte à la sûreté extérieure de l’État » était l’une des infractions majeures du Code pénal en matière politique.

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    riens et les Algériennes s’affichent dans des espaces qui leur étaient interdits et s’exposent à la répression. une répression terrible, sans égale et aussitôt minimisée par les autorités. Ce n’est que beaucoup plus tard que la mémoire de ces événements affleu-rera et que l’histoire tentera de réta-blir une vérité. La solidarité ouvrière a été mise à mal au lendemain du 17 octobre 1961. tandis qu’elle avait joué après le 14 juillet 1953, elle ne prend plus la forme que de réactions très locales, dans quelques usines ou quartiers. Pas le moindre meeting. revoyons le film, longtemps interdit, Octobre à Paris de Jacques Panijel.

    paris dans la sortie de guerre Quand la guerre d’Algérie se ter-mine-t-elle à Paris ? L’exposition pose la question. en 1962, bien sûr, avec les accords d’Évian, la fin des hosti-lités entre Français et Algériens et la déclaration d’indépendance du 5 juillet. une indépendance célébrée à Alger mais aussi à Paris par les Algé-riens eux-mêmes. L’année 1962 peut paraître une borne trop commode. L’achèvement de la guerre a eu des effets de longue portée, à Paris et ail-leurs, avec l’arrivée des Pieds-noirs et des harkis. Pourquoi pas 1968 ? une date à retenir si l’on se souvient que, cette année-là, de Gaulle fait voter l’amnistie des derniers militants de l’OAS encore emprisonnés. Mais 1968 aussi parce que bien des acteurs des événements qui ont secoué Paris au printemps ont fait leurs classes politiques pendant la guerre d’Al-gérie, souvent par opposition à des organisations de gauche trop compro-mises (la SFiO) ou jugées trop timo-rées par rapport à l’indépendance algérienne (le PCF). Dans la préface au Journal de la commune étudiante, coprésenté avec Alain Schnapp, Pierre Vidal-naquet dit de la guerre d’Algé-rie qu’elle a été un « précédent micros-copique » dans la mesure où elle a pré-paré le terrain à des engagements futurs. Sans doute, entre 1954 et 1962, une génération politique est-elle née sur le pavé de Paris. H

    matiques de ce front qui traversait le département de la Seine. en tête, le quartier Latin, théâtre agité de manifestations et de contre-manifes-tations dès 1956 autour de la Mutua-lité et où, le 27 octobre 1960, l’uneF, avec le PSu et plusieurs syndicats, organise une démonstration de force en faveur de la paix en Algérie. Les militants de la très droitière Corpo de droit croisent dans ces parages les militants de la gauche anticolonia-liste, l’occasion d’échauffourées aussi brèves que violentes. Symboles de cette effervessence, citons la librai-rie de François Maspero – indisso-ciable de son fondateur tiers-mon-diste –, qui ouvre en 1957 en même temps que la maison d’édition, citons la librairie communiste de la rue racine mise à sac par les parti-

    sans de l’Algérie française… Le Paris de ce temps-là, c’est aussi celui de la guerre fratricide que se livrent les nationalistes algériens, ceux du FLn et ceux du MnA de Messali hadj. Dans la rue, dans les cafés, des atten-tats, des assassinats émaillent une actualité sordide dont les journaux rendent compte dans la rubrique des « faits divers », même si ceux surve-nus en banlieue sont moins couverts que ceux ayant touché la capitale. Le FLn a parfaitement conscience qu’au cœur de Paris se joue aussi une bataille de l’image et l’accès à la presse internationale. Le 17 octobre 1961, en bravant la police du préfet Maurice Papon, qui lui-même agit sur ordre des plus hautes instances de l’État, et en passant outre un couvre-feu discriminatoire, les Algé-

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    Tl’échec du putsch d’alger dAns lA nuit du 21 Au 22 AvRil 1961, quatre généraux français (M. Challe, R. Salan, E. Jou-haud, A. Zeller) tentent de soulever les militaires stationnés en Algérie et les Pieds-Noirs dans un effort désespéré pour maintenir l’Algérie à l’intérieur de la République française. C’est le putsch d’Alger. Il va piteusement échouer en quatre jours. À Paris, le général de Gaulle laisse les généraux factieux s’enferrer, avec le secret dessein de dramatiser la situation pour res-serrer les citoyens autour de lui et des nouvelles institutions de la Ve République, encore très fragiles. Il fait arrêter immédiatement les sympathisants des putschistes. Le dimanche soir 23 avril, il apparaît en uniforme à la télévision en qualifiant les factieux de « quarteron de généraux en retraite ». Plus tard dans la nuit, le Premier ministre Michel Debré intervient avec emphase à la télévision. « Dès que les sirènes retentiront, allez, à pied ou en voiture, convaincre ces soldats trompés de leur lourde erreur. » Des chars prennent position devant l’Assemblée nationale et l’on distribue des casques à des volontaires, regroupés ici dans la cour du ministère de l’Intérieur.

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    la gUErrE En PoinTillÉ

    nuit du 1er novembre 1954 Série d’attentats en Algérie, à l’initiative du Front de libération nationale (FLn).

    décembre 1954 Création du Mouvement national algérien (MnA). La guerre entre le FLn et le MnA fait des milliers de morts en France.

    16 mars 1956Vote de la loi des pouvoirs spéciaux, qui permet le recours massif au contingent. Manifestations contre les départs des appelés en Algérie dans la foulée.

    printemps 1957 Scandale à propos des révélations sur les méthodes utilisées par l’armée en Algérie.

    QUanD PariS DEviEnT Un fronT

    14 mars 1958 nomination de Maurice Papon à la Préfecture de police.

    avril 1958 installation de la direction de la Fédération de France du FLn à Cologne, à l’abri des arrestations.

    13 mai 1958Manifestation insurrectionnelle à Alger. Le général de Gaulle est bientôt rappelé au pouvoir.

    nuit du 24 au 25 août 1958Le FLn ouvre un « second front » en France.

    19 septembre 1958 Proclamation, par le FLn, du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPrA).

    16 septembre 1959Annonce de l’autodétermination par le général de Gaulle.

    26-29 juin 1960 Premières négociations entre la France et le GPrA.

    affronTEmEnTS ET violEnCES finalES

    11 février 1961 Création de l’Organisation armée secrète (OAS).

    22-23 avril 1961 Échec du putsch des généraux en Algérie.

    17 octobre 1961Appel du FLn au boycott du couvre-feu décidé par le préfet de police de Paris. La répression fait au moins plusieurs dizaines de morts.

    8 février 1962 huit morts dans la répression, au métro Charonne, d’une manifestation contre l’OAS et pour la paix. Le 13, 500 000 personnes suivirent leurs obsèques. Le décès d’un blessé portera ensuite le bilan à neuf morts.

    19 mars 1962Cessez-le-feu en Algérie, consécutif aux accords d’Évian.

    5 juillet 1962 indépendance.

    l’EXPoSiTion EST organiSÉE Par lE ComiTÉ D’hiSToirE DE la villE DE PariS (17, avenue victoria, paris 1er - tél. : 01 40 28 18 20 [email protected]) DU 7 DÉCEmBrE 2012 aU 10 janviEr 2013réfectoire des cordeliers, 15, rue de l’école-de-Médecine, paris 6eouverte tous les jours de 11 heures à 19 heures nocturne le jeudi jusqu’à 20 h 30 Fermée les jours fériés

    L’Histoire, 74, avenue du Maine, 75014 Paris. Tél. : 01 44 10 12 13 copyright : Sophia Publications.Président-Directeur général Philippe Clerget Dépôt légal : décembre 2012 Impression : La Galiotte Prenant à ivry-sur-Seine Rédaction : Daniel bermond conception et réalisation graphique : A noir, crédit de couverture : Jacques Villeglé, 14 juillet, décembre 1960 ADAGP Paris 2012.

    chronologie indicativebibliographie sélective*n Linda Amiri, La Bataille de France. La guerre d’Algérie en métropole, Paris, robert Laffont, 2004.

    n emmanuel blanchard, La Police parisienne et les Algériens (1944-1962), Paris, nouveau Monde éditions, 2011.

    n raphaëlle branche et Sylvie Thénault (dir.) La France en guerre, 1954-1962. Expériences métropolitaines de la guerre d’indépendance algérienne, Paris, Autrement, 2008.

    n Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962. Anthropologie historique d’un massacre d’État, Paris, Gallimard, 2006.

    n Ali haroun, La 7e Wilaya. La guerre du FLN en France, 1954-1962, Paris, Seuil, 1986.

    n Jim house et neil MacMaster, Paris, 1961. Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire, Paris, tallandier, 2011.

    n rosa Moussaoui et Alain ruscio, « L’Humanité », censuré, 1954-1962. Un quotidien dans la guerre d’Algérie, Paris, Le Cherche-Midi, 2012.

    n Jean-Pierre rioux (dir.), La Guerre d’Algérie et les Français, Paris, Fayard, 1990.

    n benjamin Stora, Messali Hadj, 1898-1974, Paris, hachette Littérature, 2004 (rééd.)

    *une bibliographie plus complète ainsi qu’une filmographie vous sont proposées sur le site du Comité d’histoire sur Paris.fr.

    espace parisien histoire et Mémoire de la guerre d’algérie61, rue violet, paris 15e