open forum davos 2010: bulletin feps

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bulletin Numéro spécial pour l’Open Forum Davos 2010 Le magazine de la Fédération des Églises protestantes de Suisse Nº 1 / 2010 4 LA SUISSE, UN ORIGINAL Interview sur l’avenir du secret bancaire 9 APRÈS LA CRISE Des idées pour un nouveau modèle économique 24 RELIGION ET VÉRITÉ Proposition d’un consensus fondamental des religions 26 SOCIÉTÉ VIEILLISSANTE Bien vieillir, une question de planification ? 30 « YES WE CAN ? » L’Évangile de Barak Obama 36 PORTRAIT DE PERSONNALITÉ L’écoféministe Vandana Shiva affronte des Global Players sek · feps

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9 4 Nº 1 / 2010 Le magazine de la Fédération des Églises protestantes de Suisse Des idées pour un nouveau modèle économique Bien vieillir, une question de planification ? L’Évangile de Barak Obama Proposition d’un consensus fondamental des religions L’écoféministe Vandana Shiva affronte des Global Players Interview sur l’avenir du secret bancaire PORTRAIT DE PERSONNALITÉ LA SUISSE, UN ORIGINAL APRÈS LA CRISE SOCIÉTÉ VIEILLISSANTE RELIGION ET VÉRITÉ « YES wE CAN ? »

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Page 1: Open Forum Davos 2010: bulletin FEPS

bulletinNuméro spécial pour l’Open Forum Davos 2010

Le magazine de la Fédération des Églises protestantes de Suisse

Nº 1/2010

4 LA SUISSE, UN ORIGINAL

Interview sur l’avenirdu secret bancaire

9 APRÈS LA CRISE

Des idées pour un nouveau modèle économique

24 RELIGION ET VÉRITÉ

Proposition d’un consensusfondamental des religions

26 SOCIÉTÉ VIEILLISSANTE

Bien vieillir, une questionde planification ?

30« YES wE CAN ? »

L’Évangile de Barak Obama

36PORTRAIT DE PERSONNALITÉ

L’écoféministe Vandana Shiva affronte des Global Players

sek · feps

Page 2: Open Forum Davos 2010: bulletin FEPS

2 bulletin Nº 1 / 2010

IMPRESSUM

©Fédération des Églises protestantes de Suisse,Case postale, 3000 Berne 23Téléphone 031-370 25 01Fax 031-370 25 80,[email protected]

Parution :4 fois l’an

Tirage :6500 ex. en allemand, 1200 ex. en français, 500 ex. en anglais

Directeur de la communication :Simon Weber

Administration :Nicole Freimüller-Hoffmann

Rédactrice :Maja Peter

Graphisme/Layout :Meier Media DesignSilvan Meier

Traduction :Tradapt / Sabine DormondAndré Carruzzo

Correction :Monique Lopinat

Impression :Schlaefli & Maurer AG, Interlaken

Couverture :Open Forum Davos 2009 Alessandro della Valle / Keystone

ÉDITORIAL Bienvenue à l’Open Forum Davos 2010

Chères lectrices, chers lecteurs,chers visiteurs,

En ce début de nouvelle année, le bulletin de la FEPS fait peau neuve. Certainement pour suivre l’évolution des goûts, mais aussi pour mettre davantage de couleurs dans un monde qui nous apparaît souvent en noir et blanc. En effet, si les nouvelles sombres de l’évolution du climat, de la crise financière, des affrontements entre religions et des défis face au vieillissement de nos sociétés occidentales nous gâchent notre quotidien dès la première heure, les réponses à ces problèmes restent souvent dans le noir-blanc, sans nuances, simplistes. Notre monde ambiant devient de plus en plus complexe alors que le vocabulaire pour l’exprimer se rétrécit. C’est navrant et les recettes simples ou la pensée linéaire ne peuvent plus résoudre nos problèmes complexes. « La complexité exige que l’on se hisse jusqu’à elle, et elle n’y met aucune bonne volonté », disait Marc Halévy, physicien et philosophe français.

Or, dans ce monde complexe et tumultueux, l’Open Forum Davos, organisé par la Fédération des Églises protestantes de Suisse (FEPS) et par le Forum économique mondial, propose une plateforme qui permet à des acteurs du monde politique, économique, scientifique et religieux de débattre en public, d’émettre des propositions, de réfléchir et de nous faire réfléchir à des thèmes brûlants.

Mais vous aussi, chers visiteurs, vous êtes invités à entrer dans le débat, à ne pas vous contenter de réponses en noir et blanc ou de recettes simplistes, à vous impliquer dans le débat.

Et nous enfin, en tant qu’Église protestante, nous avons des choses à dire sur les thèmes de l’Open Forum. Dans ce bulletin, vous découvrirez les réflexions de responsables d’Églises, de théologiens, d’éthiciens qui nous présentent un regard nouveau sur la vieillesse, un point de vue différent sur la crise financière, une réflexion théologique sur l’Évangile de Barack Obama.

Bonne lecture !

Simon Weber, pasteur, directeur de la communication

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PANEL 1 LA SUISSE, UN ORIGINAL

4« Nous profitons tou-tes et tous des affaires du secteur financier. » Maja Peter s’entretient avec l’éthicien économiqueChristoph Weber-Berg

PANEL 2 APRÈS LA CRISE fINANCIÈRE

9 Des idées pour unnouveau modèle. Par Hella Hoppe et Otto Schäfer

13LA fEPS

La Fédération des Églises protestantes de Suisse à l’Open Forum Davos. Par Theo Schaad

14APRÈS LA CRISE fINANCIÈRE

Un commerce responsa-ble et moral pourrait-il éviter une crise ? Par Beat Kappeler et Denis Müller

PANEL 3ChANGEmENT CLImATIqUE

16 L’engagement politique des Églises en faveur du climat. Par Otto Schäferet Hella Hoppe

PANEL 4LA PRÉTENTION DES

RELIGIONS à LA VÉRITÉ

20 « La vérité est Dieu. » Par Rajmohan Gandhi

22 Quand une religion est-elle religion ? Par Christopher Caldwell

24 à DISCUTER

Thomas Wipf pour un consensus fondamental des religions. Par Thomas Wipf

PANEL 5VIEILLIR

26 Garder le contrôle jusqu’à la fin ? Par Ivana Bendik

PANEL 6« YES wE CAN ? »

30 L’Évangile deBarack Obama. Par Matthias D. Wüthrich

PANEL 7 ARmES NUCLÉAIRES

34 Armes nucléaires :quelle suite ?Photo par Shigeo Hayashi

PERSONNALITÉ

36 VANDANA ShIVA

« Celui qui détruit la nature détruit ses ressources vitales. » Par Stephanie Riedi

39 POINT fINAL

Société vieillissante :Un défi et une chance pour l’Église. Par Helen Gucker-Vontobel

Sommaire

bulletin Numéro spécial pour l’Open Forum Davos 2010Pour la huitième fois, la Fédération des Églises protestantes de Suisse organise l’Open Forum Davos en partenariat avec Le Forum économique mondial. Les points forts du présent bulletin reprennent les thèmes du programme. Plus d’informations sur les tables rondes et les invités aux podiums sur notre site www.openforumdavos.ch

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4 bulletin Nº 1 / 2010

PANEL 1 – La Suisse, un original

« Nous profitons tous des affaires du secteur

financier. »Dans cette interview, le théologien et éthicien économique Christoph  

Weber-Berg  fait preuve de compréhension pour certains aspects  du secret bancaire, explique pourquoi le gain et l’éthique se complètent  

et donne sa vision du modèle d’entreprise de l’avenir.

par Maja peter *

Monsieur Weber, quelle est votre évaluation du secret bancaire dans une perspective éthique ?

J’y vois bien sûr la protection de l’individu : d’un point de vue éthique, il faut protéger les données personnelles. D’un autre côté, je trouve problé-matique que le secret bancaire soit utilisé de manière abusive et que cet abus soit pratiquement entré dans les dispositions et réglementations. Il ne faut pas se cacher derrière le secret bancaire, ni utiliser ce dernier pour se dérober à ses responsabilités vis-à-vis de la société.

Le secret bancaire établit une différence entre la fraude fiscale et l’évasion fiscale. Peut-on justifier éthiquement cette différence ?

Selon l’acception juridique suisse, cette distinc-tion peut se justifier du point de vue de l’éthique. Le problème est que la Suisse n’est pas une île. Si cette dis-tinction entre délit pénal et délit administratif ouvre, pour des personnes étrangères, la porte à des abus, elle n’est plus légitime.

À quoi sert cette différenciation ?Elle permet de ne pas criminaliser les personnes qui

ne remplissent pas correctement leur déclaration d’im-pôts, et oublient, par exemple, de déclarer le petit pécule hérité de leur grand-mère. Ces personnes sont sanction-nées de toute façon, et parfois assez durement, mais ce ne sont pas des criminels au regard du droit pénal.

Il y a pourtant certainement des Suisses qui déposent le petit pécule de leur grand-mère sur un compte protégé par le secret bancaire au Liechtenstein et qui l’oublient là-bas ?

Oui, mais beaucoup de choses sont aussi en train de changer au Liechtenstein. Et puis, à partir du mo-ment où l’on omet sciemment de déclarer ses biens, il s’agit de fraude fiscale. Je ne cherche certes pas à sacra-liser le secret bancaire, mais j’ai de la compréhension pour certains de ses aspects. Cependant, lorsqu’il de-vient pour les étrangers une incitation à en faire un usage abusif, il n’est plus défendable.

Le problème est que le secret bancaire n’incite pas seulement les étrangers à en faire un usage abusif. Des banquiers suisses ont activement incité leurs clients à abuser du système, comme le prouvent les documents comparant les USA et la Suisse dans l’affaire de l’UBS.

Je ne rejette pas la faute sur les étrangers. Un mo-dèle d’affaires est illégitime lorsqu’il repose sur des opé-rations par lesquelles les clients étrangers se rendent punissables au regard des lois de leur propre pays. Il ne faut pas s’étonner d’apprendre ensuite que certains ban-quiers suisses ont peur de voyager à l’étranger.

Peut-on justifier éthiquement le fait que l’Office fédéral de justice aide ensuite ces banquiers à vérifier s’ils doivent craindre une arrestation ?

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Christoph Weber-Berg enseigne  l’éthique économique et précise dans l’entretien qu’une gestion inefficace est non seulement « fausse » d’un point de  vue économique, mais aussi « mauvaise »  d’un point de vue éthique.

Jusqu’ici, l’État s’est parfaitement accommodé du fait que les banques fassent des affaires sur cette base. Les banquiers ont donc pu en tirer, à raison, la conclu-sion qu’ils évoluaient dans un cadre protégé. On peut donc dire que l’État leur est redevable de quelque chose. À vrai dire, je m’élève plutôt contre le soupçon généralisé qui plane sur tous ceux qui travaillent avec la clientèle étrangère dans la banque privée. Je connais personnellement plusieurs responsables et décideurs des banques suisses qui n’ont pas profité de la situation et qui en ont même subi quelques inconvénients. L’éthique et la réputation des banques leur importaient davantage. Ces gens-là aussi sont désorientés.

Les Églises, les acteurs de la coopération au déve-loppement et les politiciens de gauche critiquent

depuis longtemps le secret bancaire. Même Hans Bär, le doyen de la banque qui porte son nom, a écrit, voilà des années déjà, qu’il nous fallait renoncer au secret bancaire et que c’était tout à fait faisable. Pourquoi tout ce temps pour que ces

efforts aboutissent ?Pendant trop longtemps, trop

de gens en ont profité – en Suisse et à l’étranger. C’est dans la nature humaine que de ne pas changer une formule qui fonctionne bien. La dernière chance de garder le se-cret bancaire aurait été de le négo-cier durant les pourparlers concer-

nant l’accord sur la fiscalité de l’épargne en 2002–2004. Mais on a essayé de gagner du temps et un grand nombre d’acteurs ont laissé passer l’occasion de remode-ler leur affaire en fonction d’un avenir sans secret ban-caire. Cette crispation sur le secret bancaire a peut-être

« Trop de gens ont trop longtemps profité du secret

bancaire. »

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6 bulletin Nº 1 / 2010

quelque chose à voir avec la manière dont on le critique. Les représentants des Églises, les gens de gauche et les organisations d’aide au développement ont critiqué le secret bancaire sur un mode fondamentaliste. Sans sur-prise, la réaction à cette critique a été également fonda-mentaliste. Les deux camps n’avaient pas la volonté et n’étaient pas en mesure d’évaluer la situation de façon plus nuancée.

Votre critique à l’égard du secret bancaire est plutôt timide.

À mes yeux, ce n’est pas le secret bancaire au sens étroit du terme qu’il faudrait remettre en question, mais bien plutôt la question de l’équité fiscale. Prenons l’exemple de l’Allemagne. Certains Allemands sont de-venus très riches grâce au miracle économique rendu possible grâce à l’État. Aujourd’hui, certains d’entre eux quittent l’Allemagne, fâchés contre leur pays qu’ils considèrent comme éthiquement incorrect, parce qu’il leur réclame des impôts élevés. Je trouve cela complète-ment absurde. Ces gens ont sans conteste une responsa-bilité vis-à-vis de la société qui leur a permis de s’enri-chir et ils se dérobent à cette responsabilité lorsqu’ils transfèrent leurs biens à l’étranger. C’est injuste et le se-cret bancaire ne devrait pas encou-rager un tel comportement.

Nous avons une situation analogue avec les dirigeants de l’UBS qui ont gagné des som-mes astronomiques en jouant à des jeux extrêmement risqués, qui ont ensuite appelé l’État à investir pour sauver la banque, mais qui n’ont pas déboursé un centime de leur poche pour contribuer à ce sauvetage.

C’est un problème du système : on ne devrait pas privatiser les gains et socialiser les pertes. Mais dans le cas du secteur financier, la question se pose : les gains ont-ils seulement été privatisés ? Selon certaines estima-tions, 16 % des contributions fiscales de Suisse provien-nent du secteur financier. Ensuite, les caisses de pension détiennent 8 à 10 % de la capitalisation boursière de la bourse suisse, ce qui signifie qu’elles profitent également de l’essor des actions des grandes entreprises. Sans compter l’apport des assurances-vie. Ce ne sont donc pas seulement les top managers qui se remplissent les poches. Directement ou indirectement, nous profitons toutes et tous des affaires du secteur financier.

Hans Geiger, professeur émérite de l’Université de Zurich, a écrit en mai 2009 que le reproche d’avidité que l’on fait aux banquiers est une critique

vieille comme le monde et il argumente en parlant de Jésus-Christ chassant les marchands du temple. Il en déduit que ce reproche n’a rien à voir avec la crise actuelle. « Les banquiers étaient déjà cupides dans les temps anciens, et cela n’a pas provoqué de crise. » Comment Jésus s’est-il réellement position-né vis-à-vis du commerce de l’argent ?

Le Nouveau Testament ne prône pas une éthique vis-à-vis de l’argent, il critique la richesse qui ne s’occupe pas des pauvres et n’assume pas ses devoirs sociaux. À mon avis, Jésus s’est surtout exprimé ponctuellement sur le sujet. Par exemple, il a dit qu’il faut redonner à César ce qui est à César. Il parlait des impôts. Dans une autre histoire, on reproche à Jésus de s’être assis à la table d’un homme riche. Mais ensuite, ce dernier rachète ses escro-queries et il finit par distribuer la moitié de ses biens. Il y a aussi la parabole du vigneron qui raconte que chaque ouvrier commence son travail à une heure différente, mais que tous reçoivent le même salaire. Il n’y a dans cette histoire, qui parle symboliquement du royaume des cieux, aucune morale éthique. Mais Jésus ne l’a sans doute pas racontée par hasard. Il a probablement voulu évoquer la question du salaire qui doit pouvoir assurer l’existence des travailleurs.

Et comment interprétez-vous l’histoire des marchands chassés du temple ?

Jésus ne condamne pas le commerce : il s’élève en fait contre la tentation de commercialiser la foi. Du point de vue théologique, la question de savoir « que fait l’ar-

gent aux êtres humains ? » est bien plus intéressante que la question de savoir « que fait l’être humain de son argent ? ». Il y a l’exemple du jeune homme riche qui demande à Jésus ce qu’il devra faire pour atteindre le royaume des cieux. Jésus lui demande ce qu’il a déjà fait pour cela. Le jeune homme répond qu’il respecte scrupuleusement les lois juives. Jésus l’invite alors à distribuer tout son argent aux pauvres et à le suivre. Le jeune homme, peiné, s’en va. Sur ce, les disciples de-mandent à Jésus qui pourra réellement aller au royaume des cieux. C’est pour moi un passage impor-tant. La question porte en réalité sur la conception que l’on a de l’argent, sur l’orientation du cœur, comme l’ap-pelle la tradition rabbinique.

Joe Ackermann, directeur de la Deutsche Bank, dit que l’unique raison de la pratique bancaire est de fai-re du profit. La réflexion éthique et morale n’a-t-elle donc pas sa place dans les questions économiques ?Bien sûr que si. Partout où des êtres humains ont affaire

« Nous n’avons pas encore réglé la facture

de la crise. »

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avec d’autres êtres humains, la morale joue un rôle. L’économie est un immense champ d’activité de l’être humain dont on ne peut retrancher l’éthique. Faire du commerce et de l’économie de manière éthique ne pose pas une contradiction inconciliable. (Il esquisse.) Dans la dimension de l’économie, les choses sont « justes » ou « fausses »; dans la dimension de l’éthique, elles sont « bonnes » ou « mauvaises ». Chaque acte économique est à classer dans l’un de ces quatre quarts de cercle. Lorsqu’on agit de manière économiquement inepte sur la base de considérations sociales, on fait aussi quelque chose de faux du point de vue de l’éthique.

Comment cela ?Lorsque vous gérez une institution sociale de ma-

nière économiquement inepte, c’est une attitude « fausse » du point de vue économique et « mauvaise » du point de vue éthique. En effet, vous pouvez appor-ter bien plus aux personnes dans le besoin en gérant votre institution avec efficacité. Du point de vue de l’éthique, les solutions légitimes sont moralement « bonnes » et économiquement « justes »; on pourrait dire aussi durables.

En conséquence, la maximisation des gains est éthiquement une bonne chose ?

Je fais la différence entre ce qui est économique-ment juste et la maximisation des gains. La maximisa-tion des gains demande de choisir des solutions mora-lement mauvaises. Ce n’est pas éthique.

Il y a des années, vous avez travaillé comme respon-sable des crédits au Crédit Suisse (CS). Comment avez-vous vécu ce travail ? Aviez-vous la possibilité de faire des réflexions éthiques ?

Le travail au Crédit Suisse a été le point de départ de mon parcours biographique. J’étais collaborateur dans le secteur qui s’occupait des clients d’entreprises étrangères et je collectais des informations permettant d’évaluer les risques des différentes entreprises et des divers pays. Les risques en fonction des pays s’éva-luaient selon plusieurs critères éthico-normatifs comme la situation des droits de l’homme. Je trouvais cette approche encore trop peu systématique. Je vou-lais donc d’abord rédiger mon travail de doctorat sur la question de savoir quels critères éthiques influent sur les décisions d’octroyer ou non des crédits.

Comment un collaborateur fait-il pour introduire des valeurs éthiques dans son travail sans en subir les inconvénients sur le plan de sa carrière ?

Je dis aux étudiants qu’ils ne doivent pas se rési-gner en regardant les grands problèmes qu’ils ne peu-

vent pas résoudre seuls, mais bien plutôt résoudre les problèmes qui se trouvent dans leur sphère d’in-fluence. Je leur propose des exercices censés les sensi-biliser à leurs marges de manœuvre éthiques.

Au niveau du management, la maximisation des gains est quand même le plus souvent considérée comme la valeur suprême.

Les incitations sont faussées. La plupart des en-treprises ont rédigé un code d’éthique que les collabo-ratrices et collaborateurs doivent signer. Mais les inci-tations salariales ne tiennent aucun compte de ces codes. Souvent, elles engendrent même un mouve-ment contraire : les collaborateurs qui se tiennent au Code of conduct encaissent moins de bonus à la fin. C’est quelque chose que j’ai observé à l’époque au CS.

Mais alors, qu’est-ce qui devrait changer ?Le professeur Josef Wieland, éthicien écono-

mique à l’Université de Constance, décrit l’entreprise comme un projet de coopération. Cependant, plu-sieurs dirigeants d’entreprises, particulièrement dans le secteur financier, organisent l’entreprise selon des règles de concurrence dont le mot d’ordre est « tous contre tous ». Les incitations financières encouragent cette attitude. Wieland démontre qu’à partir d’un cer-tain point, la concurrence interne n’est pas souhaitable, ni sur le plan éthique, ni sur le plan économique. Les salaires élevés et les bonis représentent des frais de transactions qui, dans le fond, s’avèrent souvent peu rentables pour l’entreprise. Ce qu’il faudrait, c’est ame-ner les gens à coopérer mieux et plus et à moins réagir aux seules incitations financières.

Les banques suisses semblent avoir relativement bien surmonté la crise. Elles se défendent par tous les moyens contre l’exigence d’augmenter leur capital propre, d’installer une meilleure surveillance et de renforcer la régulation. Rien ne va donc changer ?

Dans mes mauvais jours, je pense que non. Dans mes bons jours, j’espère que quelque chose va changer. Mais tous les jours, je pense que nous n’avons pas en-core payé la facture de la crise. <

* Christoph WeBer-Berg est docteur en théologie et spécialiste en éthique économique. Depuis avril 2009, il dirige le Center Corporate Social Responsibility à la Haute école d’études économiques de Zurich. Il y enseigne et y fait de la recherche. Maja peter est rédactrice à la Fédération des Églises protestantes de Suisse FEPS.

PANEL 1 : La Suisse, un original 7

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8 bulletin Nº 1 / 2010

La faillite de la Banque Lehman Brothers en septembre 2008 a clairement démontré que l’industrie financière a besoin de nouvelles règles du jeu. 

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Les conséquences de l’actuelle crise écono-mique et financière ont beau être clairement perceptibles pour d’innombrables citoyens du monde, la manière dont on a pu en arriver

là reste un mystère. Quant à l’évolution ultérieure de la situation, elle soulève elle aussi des vagues de perplexi-té. Où faut-il agir pour éviter de futures crises finan-cières ? Faut-il chercher le problème principal auprès des représentants de certains secteurs économiques ? La faute incombe-t-elle aux Bourses et à leurs cours difficilement prévisibles ? La politique a-t-elle manqué à ses devoirs ou la crise renvoie-t-elle à des défauts fondamentaux du système économique ?

Ces questions montrent que les causes de la crise ne peuvent être comprises que si on prend en considé-ration les différents niveaux du système économique et financier international. Cela vaut également pour la question de la responsabilité, c’est-à-dire pour le juge-ment éthique. Faut-il attribuer la faute à des particu-liers, comme l’escroc américain Bernard Madoff condamné à une peine d’emprisonnement largement supérieure à son espérance de vie ou le Français Jé-rôme Kerviel accusé d’avoir causé, par ses spéculations, un préjudice de 4,9 milliards d’euros à la Société Géné-rale ? Dans cette vision éthique individuelle, la crise fi-

nancière découle de la cupidité, d’une mentalité du profit rapide et du comportement immoral des spécu-lateurs, des banques et des investisseurs qui visent des rendements maximaux. Cette vision n’est pas fausse, mais unilatérale.

La culture d’entreprise est déterminanteEn tant que représentants de groupes profession-

nels et collaborateurs d’entreprises, les particuliers font toujours aussi partie d’une collectivité avec ses conditions d’action, ses habitudes et ses intérêts, sa pression à l’adaptation. Il y a fort peu de place pour les avis divergents. Dans son ouvrage « Après la crise », l’éditorialiste Roger de Weck cite Jens-Peter Neumann qui dirigeait l’activité marchés de capitaux à la Dres–dner Bank : « Savez-vous ce qui se serait passé si j’avais dit pendant la période florissante que ces papiers étaient dangereux ? On m’aurait flanqué à la porte. »

Les cultures d’entreprise peuvent favoriser la cé-cité au même titre qu’une ambiance ouverte, confiante, méprisant la valeur d’une protestation critique. Des codes éthiques, comme ceux en vigueur pour les mé-decins ou les ingénieurs, pourraient aussi donner un appui à la conscience individuelle dans d’autres asso-ciations professionnelles. Ce plan de l’éthique profes-

PANEL 2 – Après la crise financière

Des idées pour un nouveau modèle

La crise économique et financière est un défi pour la restructuration  de l’économie mondiale. Les Églises soulèvent la question des  

valeurs morales de l’économie mondiale et du système financier interna-tional. L’économie de marché sociale doit être complétée par des  

engagements écologiques et planétaires. Ce « global green New Deal »  est la perspective décisive.

par heLLa hoppe et otto sChäfer  *

PANEL 2 : Crise financière 9

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10 bulletin Nº 1 / 2010

sionnelle et de l’éthique d‘entreprise ne concerne d’ailleurs pas que le milieu banquier et boursier; il se rapporte aussi aux sciences économiques. Car la crise a aussi révélé à quel point un courant de base néolibé-ral hostile à toute régulation a, ces dernières années, relégué en marge les mises en garde et les voix discor-dantes, empêchant ainsi une diversité d’opinions scientifique productive.

C’est grâce au sauvetage des grandes banques par les aides financières publiques que la crise financière a (provisoirement) pu être amortie et que la perte de croissance occasionnée par la récession de l’économie mondiale restera probablement (si tout va bien) dans une fourchette de 1 à 3 %, au lieu des 20 à 30 % essuyés en 1929. C’est par conséquent au niveau des structures mondiales que se produisent en fin de compte les évé-nements décisifs. Celles-ci sont définies par « des ac-teurs mondiaux » (global players) de l’économie, mais aussi par les États Nations. L’État très discrédité, condamné par certains futurologues à disparaître pro-gressivement, s’est révélé indispensable, notamment par rapport à ses capacités d’adaptation à l’actualité in-ternationale. En même temps, l’État est parvenu à ses limites, principalement en raison de l’augmentation considérable de l’endettement. Si l’on veut que le sys-tème financier mondial puisse fonctionner, il faut impérative-ment renforcer les structures juridiques contraignantes d’une politique mondiale (global gover-nance). « Une mondialisation des marchés qui ne s’accompagne pas d’une mondialisation de l’État de droit amène le système financier à faire ce qu’il veut », déclare le conseiller politique français Jacques Attali. Il réclame un « État de droit planétaire ». Cette éthique de l’ordre est l’aspect le plus important du problème. Le plan de l’éthique in-dividuelle (renforcement de la personnalité respon-sable), ainsi que le plan de l’éthique professionnelle et de l’éthique d’entreprise (renforcement des directives opérationnelles collectives), lui sont subordonnés.

Une crise économique latente a précédé la crise financière

Les Églises chrétiennes ont sans cesse demandé à s’exprimer partout dans le monde sur les questions d’éthique économique. Économie et œcuménisme ont beaucoup en commun, à commencer par la racine grecque « oikos » (= maison). L’économie et l’œcumé-nisme gèrent un budget, tiennent un ménage (en alle-mand « Haushalt » dans les deux cas) aux dimensions

planétaires. L’économie doit par conséquent être comprise comme un ménage/budget bien tenu dans une maison dotée d’un règlement intérieur. On peut y jouer, mais en respectant des règles du jeu équitables pour tous les joueurs. La réflexion éthique sert à établir et à contrôler ce règlement intérieur et ces règles du jeu. C’est aussi une tâche des Églises, en tant que service à la collectivité.

En suivant l’approche de l’éthique sociale évangé-lique d’Arthur Rich, les Églises chrétiennes sont tenues d’évaluer les questions sociétales et politiques de ma-nière à la fois juste et objective. L’éthique sociale évan-gélique procède avec objectivité, lorsqu’elle saisit la si-tuation réelle dans la description du problème. Le jugement éthique est équitable au sens de l’éthique so-ciale évangélique, dans la mesure où il se bat pour des conditions propices à la vie humaine, respectueuses de la personne humaine, favorables à la communauté des hommes et à la communauté de la création terrestre.

Un jugement objectifC’est une bulle immobilière aux États-Unis qui a

déclenché la crise financière mondiale. Mais celle-ci ne procède pas d’un seul événement. Elle a été précé-dée par une crise économique latente. Déjà depuis la

fin des années septante, les écono-mies nationales des pays occiden-taux n’affichent plus qu’une faible croissance réelle – contrairement par exemple aux économies natio-nales florissantes des pays asia-tiques et des pays producteurs de pétrole. Cela se manifeste à travers d’immenses déséquilibres entre les économies nationales, par exemple celles de la Chine et des États-Unis. Les forts taux de rendement

des produits financiers ont (apparemment) compensé la stagnation de l’économie réelle dans les économies nationales occidentales. En même temps, les marchés financiers nationaux se sont ouverts de plus en plus et on a vu apparaître des marchés financiers mondiaux gonflés de liquidités fictives : moins de 5 % des moyens disponibles correspondent au chiffre d’affaires du commerce mondial et des investissements directs étrangers. La réforme du système de rentes joue aussi un rôle. Ces dernières années, les rentes ont été large-ment transférées dans des systèmes d’investissement sur le marché des capitaux, ce qui a fortement accru la demande en possibilités de placement à long terme sur les marchés de capitaux.

Alors qu’ils n’ont aucune part de responsabilité dans les causes de la crise financière, les habitants de

Les forts taux de rendement des produits financiers ont compensé

la stagnation de l’économie réelle.

Page 11: Open Forum Davos 2010: bulletin FEPS

nombreux pays en développement en subissent les dures conséquences économiques. Ils sont impliqués dans un gigantesque jeu de gains et de risques où ils courent plus de risques que les joueurs eux-mêmes. Le droit au développement de nombreux pays est ainsi ba-foué par les conséquences de la crise économique et fi-nancière : les recettes des exportations de matières pre-mières reculent et la baisse de la demande en biens d’exportation transformés freine massivement la pro-duction de l’industrie d’exportation, ce qui se traduit par une hausse du chômage. La diminution des sommes virées de l’étranger par les travailleurs et travailleuses émigrés provoque une baisse supplémentaire des reve-nus. L’évolution de la situation des pays en développe-ment est particulièrement grave sur le plan de l’endet-tement. L’actuelle crise économique et financière menace aussi le droit de l’homme à la nourriture. La crise financière asiatique a déjà montré que les femmes et les filles sont souvent celles qui en souffrent le plus.

Un jugement équitableUn jugement éthique équitable soulève la ques-

tion de savoir dans quelle mesure un système social, en l’occurrence le système économique et financier in-ternational, est au service de l’être humain. À quelles valeurs faut-il se référer pour respecter la dignité et le sens de l’existence humaine ?

Les conditions fondamentales sont des valeurs morales comme la confiance qui assure la cohésion so-ciale et rend possibles des relations d’échange fiables. La crise financière est essentiellement une crise de confiance (confiance dans la valeur des titres et dans la fiabilité des instituts monétaires, mais aussi des débi-teurs et des États tout entiers). Les aides financières éta-tiques visaient en fin de compte à restaurer la confiance dans le système financier et les diverses grandes banques en tant que composantes essentielles de ce système. Le rétablissement durable de la confiance dans les marchés financiers internationaux est encore loin d’être assuré.

Une autre condition-valeur fondamentale est d’honorer le travail et par là même l’économie réelle. Le travail compte parmi les possibilités d’épanouisse-ment de l’être humain; il donne un sens et un contenu à la vie. Deux conséquences découlent de l’importance de la confiance et du travail : – le fait d’être digne de confiance et capable de faire

confiance constitue un irremplaçable facteur constitutif de capital dans le système financier; il se répercute sur les bilans actuels sans jamais avoir lui-même été saisissable en chiffres.

– le sens et la justification de l’économie financière sont d’être au service de l’économie réelle.

Les deux constats montrent la nécessité d’intégrer l’économie financière à des relations sociales fonction-nelles et à des systèmes culturels. Ils soulignent aussi combien l’économie dépend de conditions sur les-quelles elle n’a pas de prise directe, comme la confiance. Il vaut aussi la peine de relever que les deux condi-tions-valeurs ont une composante chrétienne, théolo-gique. D’un point de vue biblique, la confiance est l’at-titude fondamentale qui permet de réussir la vie humaine et le travail, également le travail manuel, en parfaite contradiction avec l’intellectualisme des phi-losophes grecs, une vocation.

Global Green New DealCela paraît plus solennel que ça ne l’est véritable-

ment. En réalité, la vision théologique consiste à lais-ser l’être humain être tout à fait humain, dans la me-sure où il n’est justement pas Dieu, mais placé face à Dieu. L’être humain et tout ce qui s’y rapporte sont des créatures, honorables, mais pas admirables. C’est éga-lement le cas de tous les systèmes sociaux créés et in-ventés par l’homme : l’argent doit être quelque chose de prosaïque; il ne faut pas en faire un veau d’or, ni lui consacrer et lui sacrifier la vie. Les prises de position ecclésiastiques, surtout celles émanant de l’œcumé-nisme, expriment cette protestation contre toute sa-cralisation de l’argent. « On perçoit une religion dans le capitalisme », écrit le philosophe Walter Benjamin en 1921. Parler de Dieu signifie ensuite protester contre cette confusion entre créateur et créature, s’opposer à ce qu’un système crée son propre univers et lui soumette tout le reste.

Voies de la réorientationLa crise économique et financière amène son lot

de débats très polarisés et empreints d’idéologie sur les systèmes économiques. Ce type de discussion em-pêche de revendiquer et de mettre en pratique les né-cessaires réformes de la politique nationale et interna-tionale avec le large soutien dont elles auraient besoin de la part de la société. C’est pourquoi il faut s’efforcer de mettre en place des stratégies séculaires, engagées socialement et libérées de toute idéologie, pour une mondialisation sociale et équitable.

Il est évident que la crise financière ne peut pas être résolue au détriment de la crise climatique, mais qu’elle doit être comprise comme une chance de passer à une économie durable. La réalité parle toutefois (en-core) un autre langage. Une étude menée en février 2009 par HSBC Global Research montre qu’à peine 15 % des moyens financiers mondiaux, qui totalisent plus de deux billions d’euros, sont engagés pour des programmes conjoncturels durables sur le plan écolo-

PANEL 2 : Crise financière 11

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12 bulletin Nº 1 / 2010

LES EXIGENCES DES ÉGLISES

Une gestion éthiqueLes valeurs fondamentales que sont la liberté et la responsa-bilité, la justice, la solidarité, la participation et la durabilité sont la source d’un jugement éthique équitable. Des normes pratiques se laissent déduire de ces valeurs fondamentales : elles incluent le droit humain au développement, à la nour-riture et à la protection contre la discrimination. Les normes pratiques se laissent aussi formuler en tant que « maximes » (A. Rich), indépendamment de textes aussi contraignants que la Déclaration universelle des droits de l’homme.

On peut établir trois maximes éthiques d’ordre général :– Les marchés financiers dérégulés, sans transparence et

axés sur le profit rapide menacent l’efficacité des écono-mies nationales et sont incompatibles avec la préséance de l’économie réelle sur l’économie financière.

– La propriété doit être assortie d’obligations sociales (de même que les libertés en général sont associées à des responsabilités).

– Les principes et les formes d’organisation de l’État de droit doivent aussi être développés, en tant que droit international public contraignant, pour les relations commerciales à l’ère de la mondialisation.

Voici les maximes éthiques spéciales qui en découlent :– Il faut spécialement tenir compte de l’économie de sub-

sistance (autoapprovisionnement) et du service public incluant la mise à disposition de biens de première nécessité. Ce sont des aspects élémentaires importants de l’économie réelle qu’il s’agit de favoriser.

– Par analogie au principe de prévoyance de la poli-tique environnementale, il faut exiger un principe de prévoyance de la politique financière qui empêche l’effondrement du système financier par des mesures de prévention appropriées (comme l’augmentation du capital propre des banques; une séparation claire entre les instances de contrôle et les instances de cotation).

– Une répartition équitable est une condition indispen-sable à la paix sociale et donc à une économie prospère (c’est également valable pour le système de bonus et pour les gratifications de toutes sortes).

– Il doit aussi y avoir une justice fiscale sur le plan mon-dial (il faut combattre les oasis fiscales).

– Le concept de l’économie de marché sociale a fait ses preuves. Il faut l’élargir à une économie de marché qui s’engage sur le plan écologique et mondial.

– Des indices de croissance qualitative doivent remplacer les indices de croissance désuets comme le produit inté-rieur brut (PIB) et être obligatoirement reconnus.

– La régulation du système financier international doit obéir aux principes de subsidiarité, de transparence et d’efficacité.

– Les flux financiers en faveur des pays pauvres ne doivent pas être additionnés, s’ils découlent de motifs indépen-dants les uns des autres (paiements de compensation pour des dégâts, compensation de la surexploitation de biens universels comme le climat, les océans, la biodi-versité, etc., solidarité économique et sociale).

gique et pour la réalisation des objectifs de la politique climatique. On relève toutefois quelques exceptions notables : l’Union européenne (59 %), la Corée du Sud (80 %) et, ce qui peut surprendre, la Chine (38 %).

Le « Global Green New Deal » prôné par le Pro-gramme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) est par conséquent déjà une réalité politique à l’état d’ébauche. Il faut continuer à évoluer dans cette direction. À une conférence interreligieuse, le secré-taire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a flatté les représentantes et les représentants du mouvement baha‘i, de l’islam, du judaïsme, du christianisme, du bouddhisme, de l’hindouisme, des sikhs, du shin-toïsme et du taoïsme en les qualifiant à cet égard « de personnalités dirigeantes capables d’exercer la plus large, la plus vaste et la plus profonde influence ». Ce serait magnifique. Mais même si les Églises pouvaient agir dans ce sens ne serait-ce que modestement, qu’elles le fassent au moins avec conviction : car elles ne se fourvoient pas sur des voies secondaires, mais proclament l’Évangile dans un domaine décisif qui libère pour la vie. <

Ce texte est un résumé de l’étude sur la crise écono-mique et financière que la FEPS publiera en 2010.

* L’ÉCoNoMiste heLLa hoppe est chargée des questions économiques à la Fédération des Églises protestantes de Suisse FEPS.

otto sChäfer est théologien, pasteur et docteur en biologie (écologie végétale). Il travaille à la FEPS en tant que chargé des questions théologiques et éthiques.

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À travers la Fédération des Églises protestantes de Suisse FEPS, les 24 Églises évangé-liques réformées cantonales,

l’Église évangélique méthodiste et l’Église évangélique libre de Genève ont créé, en 1920, une plateforme de discussion sur leur mission ecclésiastique et un orga-nisme de représentation vis-à-vis de l’exté-rieur. Depuis, la FEPS est devenue une interlocutrice reconnue par les autorités fédérales, la communauté œcuménique et les Églises partenaires à l’étranger. Elle s’engage dans des questions de politique sociétale, prend position sur de nouvelles propositions de loi et s’implique active-ment dans la politique ecclésiastique et religieuse, sur le plan national et interna-tional. Par ailleurs, elle publie quatre fois l’an un bulletin et tient à jour un site ras-semblant toutes les études et prises de po-sition, ainsi que des informations sur des sujets d’actualité.

La FEPS prend positionEn 1971, l’Assemblée des délégués,

c’est-à-dire l’organe législatif de la FEPS, a fondé l’Institut d’éthique sociale IES. C’était à l’époque faire œuvre de pionnier car, du-rant la période de haute conjoncture de l’après-guerre, les traités éthiques étaient largement réservés aux facultés de théolo-gie et de philosophie. La FEPS a rapide-ment pris position sur des questions rele-vant de la vie économique et politique de tous les jours. La mise sur pied par la FEPS et le World Economic Forum de l’Open Forum Davos, qui en est cette année à sa huitième édition, s’inscrit dans cette tradi-tion. Avec l’étude « Globalance – Perspec-tives chrétiennes pour une mondialisation à visage humain », la FEPS s’est aussi expri-mée dès 2005 sur des questions soulevées

par la mondialisation économique. Au-jourd’hui, la Fédération des Églises pro-testantes de Suisse établit à nouveau un lien plus étroit entre le thème de l’éthique sociale et l’argumentation théologique. En conséquence, l’Institut d’éthique so-ciale, rebaptisé Institut de théologie et d’éthique ITE, a été intégré au siège en tant que département. Il réalise des études aussi bien sur des sujets éthiques que théologiques. Pour le dialogue in-terne et œcuménique, il a rédigé ces der-nières années des textes de référence sur le baptême, la communion et la question de la fonction ecclésiastique. Dans le do-maine de l’éthique sociale, les publica-tions avaient trait aux valeurs fondamen-tales de la vie en société, comme la liberté de religion ou la question de l’énergie (éthique de l’énergie), ainsi qu’aux ques-tions relatives au début ou à la fin de la vie : de la recherche sur les cellules souches à l’assistance au suicide.

Le Conseil des religionsLes prises de position sur les délibé-

rations de la Confédération et sur les vo-tations populaires contribuent au dis-cours sociétal en Suisse. La dernière grande contribution a été un argumen-taire et un papillon contre l’initiative po-pulaire « contre la construction de mina-rets ». L’issue de cette votation montre que les Églises doivent continuer à s’occuper du dialogue sur les signes extérieurs de la religion en public. Une partie de ce travail est le fruit d’une collaboration entre chré-tiens, juifs et musulmans au sein du Conseil suisse des religions dont la FEPS est l’un des membres fondateurs. Mais le service de la FEPS chargé des questions de migration se trouve maintenant aussi placé face à un nouveau défi.

La Fédération des Églises travaille en ce moment à une révision de sa constitution. Elle se doit d’être tournée vers l’avenir, afin de pouvoir continuer à œuvrer à l’échelle nationale en tant qu’annonciatrice du message chrétien. <

theo sChaaD directeur de la FEPS

OPEN FORUM DAVOS

L’Open Forum Davos porte un éclairage d’actualité sur les débats concernant la mondialisation et ses conséquences. Ce lieu de dialogue est organisé depuis 2003 en parallèle à la réunion annuelle du Forum économique mondial. Comme chaque fois, le micro est ouvert à tous : après une première partie consacrée à la discussion entre les personnes participant aux tables rondes, le public est alors invité à s’affronter sur les questions et les positions en débat. www.openforumdavos.ch

LA FÉDÉRATION DES ÉGLISES PROTESTANTES DE SUISSE EN BREF

La Fédération des Églises protestantes de Suisse FEPS rassemble 26 Églises avec plus de 2 millions de membres. L’Assemblée des délégués, avec ses 70 membres, constitue le législatif. Le Conseil de la FEPS comprend un président à plein temps et 7 membres à temps partiel. Le Secrétariat à Berne occupe 35 collaborateurs et collaboratrices dans les départements Églises en relation, Institut de théologie et d’éthique ainsi que les Services de communication et centraux.

Toutes les publications peuvent être téléchargées sur www.feps.ch

– La Fédération des Églises protestantes de Suisse à l’Open Forum Davos pour la huitième fois, la feps organise, en partenariat avec 

le forum économique mondial, l’open forum Davos. il fait partie de l’engagement des 

Églises protestantes dans la société civile.

Open Forum Davos 2010 13

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Beat Kappeler *

14 bulletin Nº 1 / 2010

La crise financière de 2008 aurait sans doute pu être évitée grâce à un commerce moral et responsable, mais de la part d’acteurs inattendus.

Qu’est-ce qui a provoqué la crise ? Les autorités américaines ont laissé deux de leurs géants du prêt hypothécaire prêter plus de 2000 milliards de dollars à des mé-nages fondamentalement insol-vables. De leur côté, les fonds étatiques asiatiques et arabes ont racheté des dettes en dollars et pendant des années, ils ont comprimé les intérêts. Les ménages, les entreprises, les consommateurs, tout le monde contri-buait à ce que la roue tourne en s’endettant. Deux ac-teurs politiques ont provoqué la débâcle. Sans cette masse monétaire fictive, les banques d’investissement, les cadres avec leurs bonus, les hedge-funds et tous les

– Une question, deux réponses

Un commerce responsable et mo ral pourrait-il éviter une crise ?

autres n’auraient pas fait d’affaires. La troisième cause politique a été l’argent papier que les États servent à leurs citoyens, depuis la fin de la couverture du dollar par l’or en 1971. Il n’y a rien derrière et les banques qui transforment des mises de fonds courtes en crédits à long terme sont, pour l’essentiel, les seules habilitées à y puiser. En septembre 2008, la confiance a disparu. C’était la crise financière.

Le monde politique propose des remèdes immo-raux. Il refuse d’admettre que des maisons gratuites ou l’épuisement de l’argent papier par des banques de cré-dit sont, fondamentalement, de fausses promesses. Le monde politique se réfugie dans ses thèmes de prédi-lection, bonus, impôt sur le chiffre d’affaires des de-vises, régulation plus forte. Il faudrait au contraire ins-taller, pour tous les acheteurs d’obligations bancaires, l’obligation de changer ces dernières en actions ban-caires dans les périodes de crise. Ainsi, l’argent reste-rait cher – même en temps normal ; et en temps de crise, les banques reviendraient au capital sans utiliser

l’argent du contribuable. En outre, l’argent papier devrait être émis uniquement par les banques d’émission. Les banques devraient placer les fonds de leurs clients di-rectement dans des placements productifs, comme les actuelles banques de gestion de fortune. Le

bilan bancaire ne serait ainsi pas mis à mal pour des crédits. Les marchés financiers, comme tous les mar-chés, sont techniquement exigeants, ils tiennent l’égoïs me en échec lorsqu’ils se meuvent dans un cadre juste. C’est le monde politique qui doit mettre ce cadre sur pied, et c’est tout ce qui lui incombe. <

* Beat KappeLer est docteur honoris causa de l’Université de Bâle, commentateur auprès de la « NZZ am Sonn-tag » et auteur. Son dernier ouvrage a pour titre « Sozial, sozialer, am unsozialsten », éd. NZZ-Verlag 2007.

« Le monde politique propose des remèdes

immoraux »

Page 15: Open Forum Davos 2010: bulletin FEPS

Denis Müller *

L’éthique n’a jamais la prétention ou la naïveté de croire qu’elle pourrait se réaliser entière-ment et simultanément dans tous les do-maines de la vie et de la société. Elle formule

un idéal, un but à atteindre. Cela vaut encore plus pour l’éthique chrétienne, qui demeure placée sous le signe du Royaume de Dieu – autrement dit, d’une réalité dernière, vers laquelle toutes les réalités avant-der-nières sont appelées à s’orienter.

C’est au nom d’une telle exigence éthique radicale et sans concessions que nous avons à nous prononcer sur les réalités économiques, financières et politiques; non pour résoudre par enchantement les problèmes qui se posent, mais pour dénoncer les injustices et les imprévoyances dont la crise financière actuelle offre une illustration aveuglante.

En 1994 est parue en traduction française « L’Ethique économique », d’Arthur Rich. Bien que conçu à l’époque où les régimes communistes représen-taient encore un « modèle » parmi d’autres, cet ouvrage an nonçait clairement l’effondre-ment de l’économie planifiée (tout en reconnaissant ses idéaux de so-lidarité et de justice) et soutenait que seule l’économie libérale, fon-cièrement démocratique, était ca-pable de se réformer ; Rich en ap-pelait dès lors à une « économie sociale de marché », capable de surmonter les impasses d’un libé-ralisme sauvage.

Sur ce point, la direction de son éthique sociale (théologiquement fondée) demeure exemplaire et per-tinente. La crise financière a vérifié l’intuition éthique de Rich : la démocratie libérale doit se réformer, mais ce changement est douloureux et profond. Il faut que

– Une question, deux réponses

Un commerce responsable et mo ral pourrait-il éviter une crise ?

la politique respecte la morale et les droits de l’homme, et fixe les cadres sociaux et éthiques du marché. Sinon,

c’est la loi de la jungle.Il faut dire sans ambiguïtés,

d’un point de vue éthique, à la fois réaliste et engagé, que la Suisse, par les errements de certains de ses responsables économiques et financiers (depuis la Deuxième Guerre mondiale jusqu’à Swissair et à l’UBS), mais également d’une partie de son establishment poli-

tique, paie très cher le prix de son manque de lucidité, de hauteur de vue et de courage.

L’éthique doit inspirer et réguler aussi bien la dé-mocratie libérale que le marché et la finance; lui dénier ce rôle, c’est succomber à un cynisme irresponsable ou à un pragmatisme trompeur. <

* DeNis MüLLer est professeur ordinaire d’éthique à l’Université de Genève.

« La Suisse paie très cher le prix de son manque

de lucidité, de hauteur de vue et de courage. »

PANEL 2 : Crise financière 15

Page 16: Open Forum Davos 2010: bulletin FEPS

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16 bulletin Nº 1 / 2010

Les Églises protestantes prônent la justice climatique depuis  les années 80. Les catholiques donnent également le bon exemple  

à la société, surtout les deux derniers papes. Cinq principes  servent de fondement éthique à une amélioration du climat. 

PANEL 3 – Changement climatique

L’engagement politique des Églises en faveur du climat

Page 17: Open Forum Davos 2010: bulletin FEPS

2002 2006

acteurs. Dans le document final du rassemblement, on lit : « Les pays riches du Nord se trouvent devant la né-cessité de changer leur mode de consommation d’énergie. L’effet de serre et la détérioration de la cou-che d’ozone exigent des mesures urgentes et coordon-nées au plan mondial. »

Un an plus tard, le pape Jean Paul II souligne, à l’occasion de la Journée mondiale de la paix, la néces-sité de limiter l’effet de serre artificiel et d’adopter, dans

Les Églises comptent parmi les forces de la so-ciété civile présentes partout dans le monde. Elles s’engagent en faveur de la justice clima-tique depuis les années quatre-vingt. Le pre-

mier rassemblement œcuménique européen a eu lieu à Bâle à l’occasion de la Pentecôte 1989. Qualifié déjà à l’époque de sérieux défi, le changement climatique avait fait l’objet d’une discussion détaillée en collabora-tion avec la Société européenne de physique et d’autres

Le réchauffement clima-tique met aussi en danger la biodiversité de la  suisse : le glacier du trift, à l'extrémité orientale  du canton de Berne, se retire à une vitesse effa-rante. L’eau de fonte des neiges forme un lac qui accélère la fonte du glacier.

par otto sChäfer et heLLa hoppe *

PANEL 3 : Changement climatique 17

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18 bulletin Nº 1 / 2010

les pays riches, un mode de vie plus sobre et mesuré. Son message intitulé « Paix avec l’ensemble de la créa-tion » est largement pris en considération.

En exigeant le respect de la justice climatique et en portant leur attention sur les questions éthiques de la politique énergétique, les Églises de Suisse s’inscrivent ainsi dans une assez longue tradition. En octobre 2009, les trois Églises nationales ont adressé, sur l’initiative de la Fédération des Églises protestantes de Suisse FEPS, une lettre commune au Conseil fédéral et à la délégation suisse au Sommet mondial sur le climat COP 15 de Copenhague. Elles émettent le souhait que notre pays réduise ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2020 et contribue dans le même ordre de grandeur à des mesures d’adaptation et de réduction de la pollution à l’étranger. Leur argument est que « la Suisse en tire indirectement profit ». Les Églises songent à un gain en termes de justice climatique, mais aussi au développement d’une technologie de pointe plus favo-rable au climat et à ses perspectives d’exportation (les francophones parlent déjà de « génie climatique »).

Les cinq principes de la justice climatiqueMais il est clair que ce n’est pas uniquement grâce

à la technique que la société parviendra à instaurer la justice climatique, et encore moins l’équité sur le plan des res-sources. Car, au-delà du change-ment climatique, nous serons amenés, au cours des prochaines années, à nous préoccuper de la pénurie de matières premières, de la perte de la biodiversité et de la pollution environnementale planétaire avec les déchets en plastique, sans même parler du nucléaire. On répète sans cesse à juste titre qu’une pure « révolution de l’efficacité » ne fait que reporter et renforcer les exigen-ces si elle ne s’accompagne pas d’une « révolution de la satiété », c’est-à-dire une mutation vers une nouvelle tempérance. « En avant avec modération » : la devise apparemment paradoxale, mais en vérité très perti-nente, de l’économiste Hans-Christoph Binswanger, père de la réforme fiscale écologique, donne la direc-tion. La satiété, la modération, est l’une des condi-tions du concept de la société à 2000 watts que la FEPS représente aussi dans son étude « Éthique de l’énergie » (2008).

Une politique climatique internationale à la fois contraignante et consensuelle ne saurait se passer d’un fondement éthique tel que la justice climatique. Cette perspective se fonde notamment sur cinq principes qu’il s’agit de rappeler ici :

– Le principe de l’égalité des droits De l’égalité de tous les êtres humains et du droit à la

vie et au développement découle le même droit à l’exploitation des ressources vitales.

– Le principe de la justice internationale Les États riches sont tenus de faire des efforts finan-

ciers et technologiques particuliers en faveur des plus faibles.

– Le principe du pollueur payeur Celui qui cause un dommage, en l’occurrence une

atteinte au climat, en assume la responsabilité, même si l’effet se manifeste très loin de l’endroit où sont émises les influences nuisibles (émissions de gaz à effet de serre). En principe, cette obligation s’étend aussi aux dommages antérieurs. Mais com-me on ne peut raisonnablement pas remonter avant la naissance d’une conscience environnementale généralisée et d’une conception scientifique du changement climatique, on ne commence générale-ment pas avant 1990 pour des raisons pragma-tiques.

– Le principe de prévention et le principe de précaution

L’obligation d’agir en tenant compte de l’avenir im-porte plus que la pesée des avantages et des nuisan-

ces que les énergies fossiles ont présentés dans le passé. Il faut pré-venir les dommages qui risquent très vraisemblablement de surve-nir dans des circonstances connues (principe de prévention). Les dégâts particulièrement impor-tants ne peuvent être acceptés, même si leur occurrence est peu probable ou si le risque est encore

difficile à évaluer (principe de précaution). Les me-sures de sécurité consistent aussi bien à réduire les émissions de gaz à effet de serre qu’à rendre aussi tolérables que possible les conséquences attendues des changements climatiques.

L’autoprotection cynique des privilégiésLa population suisse ne se rend pas toujours bien

compte à quel point ces mesures d’adaptation au chan-gement climatique concernent aussi le paysage alpes-tre, par exemple la protection contre les inondations ou le renforcement de la protection contre les glissements de terrain et les chutes de pierres. Mais c’est au Sud qu’il faut s’attendre aux conséquences les plus drama-tiques. Les moins responsables seront les plus concer-nés. En effet, les gens qui souffrent le plus du réchauf-fement sont ceux qui n’y contribuent en rien ou très peu, car ils n’ont pas les possibilités financières et tech-

Ce n’est pas uniquement grâce à la technique que la

société parviendra à instau-rer la justice climatique.

Page 19: Open Forum Davos 2010: bulletin FEPS

niques de prendre des mesures d’adaptation. Dans les pays en développement, il faudrait investir chaque an-née jusqu’à 200 milliards d’euros pour lutter contre les sécheresses, le manque d’eau et les inondations, pour limiter le déboisement et pour introduire des sources d’énergie sans impact sur le climat. Si ces pays ne re-çoivent aucun soutien financier, leurs habitants seront contraints de fuir. Ce sera le cas au Bangladesh, car le pays pourrait perdre un dixième de sa surface. Pour contenir les réfugiés climatiques, l’Inde voisine a com-mencé à ériger sur la frontière un mur de 4000 km de long et près de 3 mètres de haut. La Birmanie qui partage également une frontière avec le Bangladesh compte suivre cet exemple.

D’un point de vue éthique, c’est inacceptable. Sans une application sérieuse des principes du pollueur payeur, de l’égalité des droits et de la justice internatio-nale, le principe de prévention et le principe de pré-caution aboutissent à l’autoprotection cynique des pri-vilégiés. Les générations futures sont importantes, mais ce sont les prochaines générations d’une seule humanité et c’est de l’humanité tout entière dont il doit déjà être question aujourd’hui. C’est pourquoi un sou-tien financier immédiat à ces pays est d’une impor-tance vitale.

Le principe de l’auto efficacité et du contrôle coordonné

Aucun gouvernement mondial, ni aucune police mondiale, ne pourrait imposer des conventions inter-nationales sur le climat et les mécanismes de régula-tion qui en découlent si ces mesures se heurtent à de fortes résistances. Il importe donc que ces mécanismes soient autant que possible auto efficaces ou qu’ils « s’imposent par eux-mêmes » (self-enforcing). Le commerce des droits d’émissions est une tentative qui va dans la bonne direction. Mais quelque séduisante que soit l’idée de base, ce système présente encore beaucoup d’insuffisances quand on entre dans les détails. La politique climatique et la diplomatie clima-tique des différents États manquent souvent de trans-parence et de crédibilité, justement en ce qui concerne les données chiffrées. C’est pourquoi il n’y aura pas de progrès sans un contrôle international renforcé et coordonné. L’amélioration de l’auto-efficacité doit être complétée par un indispensable contrôle.

Des panneaux solaires sur les toits du Vatican

Les règles internationales sont une chose, leur ap-plication en est une autre. Les Églises montrent-elles le bon exemple à travers leurs constructions et leur ex-ploitation, dans la vie quotidienne des paroisses et

dans les bureaux des institutions ? Oui et non. On peut en tout cas relever que l’Église protestante d’Allemagne s’est fixé en 2008 des objectifs ambitieux en ce qui con-cerne la protection du climat. À côté des délégués aux questions environnementales, les Églises nationales allemandes emploient en outre des conseillers ecclé-siastiques pour les questions énergétiques. Leur label « coq vert » a entre-temps connu une notoriété et une diffusion telles qu’il a été imité en Suisse.

Le Vatican s’est même fixé pour objectif de deve-nir le premier État au monde à pouvoir se targuer d’un impact neutre sur le climat. Voici environ une année, il a ainsi installé des panneaux solaires sur le toit de la salle d’audience et fait planter 7000 arbres en Hongrie. Il faut aussi mentionner l’Église baptiste de Brande/Danemark, érigée en 1972. Cette construction d’une grande beauté, à base de matériaux aussi modestes que des briques de récupération et des pierres ramassées dans les champs, reste aujourd’hui encore un di gne exemple d’humilité. C’est peut-être ce mot vieillot désignant une vertu chrétienne qui exprime le mieux ce dont on a le plus urgemment besoin de nos jours sur le plan mondial, social et écologique. <

* L’ÉCoNoMiste heLLa hoppe est chargée des questions économiques à la FEPS. otto sChäfer est théologien, pasteur et docteur en biologie (écologie végétale). Il travaille à la Fédération des Églises protestantes de Suisse FEPS en tant que chargé des questions théologiques et éthiques. Parue en 2008, son étude « Éthique de l’énergie » est disponible sur le site www.feps.ch

PANEL 3 : Changement climatique 19

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20 bulletin Nº 1 / 2010

Les extrémistes religieux avaient Gandhi en point de mire; le 20 janvier 1948, un Hindou qui désapprouvait son attitude affable à l’égard des musulmans tenta de l’assassiner.

Suite à cet acte de violence, Gandhi déclara pourtant : « Vous ne devriez pas éprouver de haine envers cet homme. Il a pris pour acquis que j’étais un ennemi de l’hindouisme.» Ce juriste indien, dirigeant du mouve-ment d’indépendance de l’Inde, a opposé avec succès sa philosophie pacifiste aux partisans de la haine et de la violence (envers les Britanniques ou entre Hindous et musulmans) et les a remis à leur place pendant soixante ans. Mais il a finalement été assassiné par l’un des extrémistes qu’il voulait amener sur le chemin de la paix et de la compréhension.

Gandhi nous mettrait en gardeAujourd’hui, les extrémistes prêts à recourir à la

violence représentent un grand problème partout dans le monde. Mais il existe aussi d’autres problématiques, comme la détresse économique, le sida et d’autres ma-ladies, les répercussions du changement climatique et de la destruction de l’environnement, la guerre et l’op-pression. Cela n’empêche pas qu’il y ait aussi de nom-breux signes d’espoir, comme le dialogue entre les reli-gions au-delà des lignes de démarcation mondiales. Les relations entre le « monde occidental» et le « monde islamique» sont particulièrement importantes. Si Gandhi était vivant, je pense qu’il nous mettrait en garde contre la tentation de croire qu’une communau-té de foi est particulièrement déchue, particulièrement

corrompue, particulièrement dangereuse pour le reste du monde.

À notre époque marquée par une apparente lutte des cultures, beaucoup de représentants du monde dé-mocratique considèrent la population des pays musul-mans comme affligée de plusieurs tares, même si les relations avec leurs dirigeants politiques sont bien souvent bonnes, parce qu’il y a des affaires à faire avec eux. Beaucoup de personnalités influentes aux États-Unis et en Europe assimilent terrorisme et islam et croient que les deux sont étroitement liés. D’un autre côté, une propagande négative contre les chrétiens as-similés aux croisés et contre les juifs associés au sio-nisme persiste dans le monde islamique. Les Améri-cains et les Européens sont mis dans le même panier.

Quand j’entends une fois de plus l’argument de la nature défectueuse de l’islam, je me souviens des vi-sages et de la vie des musulmans que j’ai rencontrés. Je me souviens des musulmans à genoux, absorbés dans leurs prières, ou levant les bras vers Dieu, emportant leurs morts et leurs blessés suite à des tremblements de terre, et je me demande comment on peut croire qu’un islam pratiqué de la sorte puisse être nuisible d’une manière ou d’une autre. Je ne peux pas le croire.

Comment les ennemis sont devenus des alliés en 1941

Quand j’entends de telles absurdités, je me sou-viens parfois d’une émission de radio que j’ai entendue dans mon enfance. La voix qui s’exprimait alors en juin 1941, voici près de trois quarts de siècle, était celle de

PANEL 4 – La prétention des religions à la vérité

« La vérité est Dieu.»Vingt ans avant qu’il ne soit assassiné, mon grand-père gandhi avait  

déclaré qu’il préférait la phrase « La vérité est Dieu » à son opposé  « Dieu est la vérité », parce que beaucoup de monde avait déjà été tué  

au nom de Dieu, mais jamais personne encore au nom de la vérité.

par rajMohaN gaNDhi *

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Winston Churchill. Hitler venait d’attaquer l’Union soviétique, faisant de la Russie une alliée britannique. Après avoir répété pendant des années ses mises en garde contre les dangers du communisme russe, Chur-chill devait désormais solliciter le soutien à une al-liance avec ces mêmes communistes russes.

Cet homme dont l’éloquence relevait tous les défis a une nouvelle fois su trouver les mots justes. Dans son discours de juin 1941 qui contenait la célèbre phrase « nous combattrons Hitler sur terre, nous le combat-trons sur mer, nous le combattrons dans les airs», Churchill a déclaré à propos des Russes menacés par Hitler : « Je vois 10 000 villages en Russie, où les moyens d’existence ont été arrachés si difficilement de la terre, mais où on continue de vivre des moments de joie, où des jeunes filles rient et des enfants jouent.»

La violence n’a pas de religionMaintenant aussi, les jeunes femmes musulmanes

rient, les enfants musulmans jouent et tous les musul-mans, Sunnites ou Chiites, sont reconnaissants pour les joies humaines fondamentales. Ils détestent le ter-rorisme comme n’importe qui d’autre au monde, peut-être même davantage encore, car il y a eu plus de mu-sulmans que de non-musulmans tués dans les attaques

terroristes. Au Rwanda, en 1994, quelques massacres ont même été commis dans des églises. Cela fait-il pour autant de ce génocide un crime chrétien ? Quand dans les années 70, le Cambodge bouddhiste a été mis à feu et à sang, ces massacres ont-ils été le reflet d’une faute inhérente au bouddhisme ? Quand, voici quelques années, presque tous les membres de la famille royale népalaise ont été fusillés et que beaucoup de paysans et de gardes sont morts lors des échanges de coups de feu qui ont suivi, un enseignement hindouiste était-il en cause ? Les deux guerres mondiales du XXe siècle ont-elles elles-mêmes découlé du christianisme ?

Il n’est que trop vrai que la religion est un élément dans le tissu complexe de la violence moderne; mais nous devrions être prudents avant de déclarer une fois pour toutes que la faute en incombe à la religion en général et à une certaine religion en particulier, que la religion remplit les cœurs de haine et du désir déses-péré de détruire les autres et soi-même. Nous devrions accepter l’idée que le combat propre au monde actuel n’oppose plus des cultures, des civilisations, des reli-gions ou des Nations, mais qu’il se livre plutôt dans nos cœurs, entre la peur et la foi, entre la peur ou la haine et l’acceptation. <

* rajMohaN gaNDhi est politicien, auteur et professeur d’histoire au Center for South Asian and Middle Eastern Studies de l’University of Illinois US. Il avait 12 ans quand son grand-père, le Mahatma Ghandi, a été assassiné. En 2007, Rajmohan Ghandi a publié la biographie ci-dessous.

SUGGESTION

« Mohandas : A True Story of a Man, His People and an Empire». Ce livre est paru aux éditions Penguin Books India. 745 pages, ISBN 9780143104117 Édition française : « Gandhi : Sa véritable histoire par son petit-fils», Rajmohan Gandhi, 950 pages, éditeur : Buchet-Chastel, ISBN-10 : 228302305X

Dans son combat pour l’indépendance, gandhi (1869–1948) est invité à une conférence pour une nouvelle Constitution indienne en 1931 à Londres.

PANEL 4 : La prétention des religions à la vérité 21

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22 bulletin Nº 1 / 2010

Dans son discours au monde musulman prononcé au Caire cet été, Barak Obama a lancé l’attaque rhétorique la plus sévère que l’Amérique ait faite à la France depuis

que Donald Rumsfeld, alors ministre de la Défense, ait parlé de la « vieille Europe » juste avant la guerre d’Irak. Évoquant les pays occidentaux qui veulent « dicter aux femmes musulmanes la manière dont elles doivent se vêtir » (comme c’est le cas en France depuis cinq ans avec l’interdiction du port du voile dans les écoles), Obama a déclaré : « On ne peut dissimuler une hosti-lité vis-à-vis de telle ou telle religion derrière le voile du libéralisme. »

Cette petite phrase était destinée à induire en er-reur les citoyens américains, notamment les plus fran-cophobes d’entre eux. On leur a appris qu’il ne fallait pas porter de jugement sur des rites et coutumes qui sont très différents des leurs. On leur dit maintenant de n’avoir aucune tolérance pour la République et la démocratie la plus semblable à la leur par sa tradition politique.

Avaler des vitamines, une pratique religieuse ?

La France entretient une séparation stricte de l’Église et de l’État. En France, on porte devant les tribunaux des questions que d’autres pays occiden-taux évitent de se poser. Dernièrement, un tribunal parisien a jugé deux représentants de l’Église de scientologie, le « Celebrities Centre » et la librairie SEL, pour escroquerie. Il a condamné l’organisation à verser une amende de 600 000 euros et a prononcé contre la personne qu’il considère, de facto, comme

le dirigeant de l’Église de scientologie française, une peine de prison de deux ans avec sursis. Cette per-sonne et trois autres ont également reçu une amende financière. (En juin, le procureur de la République avait exigé une interdiction de la secte, malgré le fait qu’une réforme judiciaire entrée en vigueur un mois auparavant ait rendu cette exigence impossible.)

Le jugement portait sur la vente par l’Église de scientologie de cours et de produits destinés à aider ses adeptes à atteindre l’ouverture spirituelle. L’Église ven-dait des vitamines et ce qu’elle appelle des « électro-mètres », un appareil mesurant l’état de santé spirituel de son utilisateur. Un électromètre coûte plus de 3’500 euros. Ce jugement faisait suite à la plainte de deux femmes accusant l’Église d’avoir profité de leur vulné-rabilité pour les dépouiller de leurs économies (plus de 20 000 euros chacune).

Intellectuellement, la question fondamentale est de savoir si la scientologie est une « véritable » Église ou au moins, si des pratiques comme l’électrométrie ou l’administration de vitamines sont des pratiques reli-gieuses. Juridiquement en revanche, la question fon-damentale est de savoir qui a le droit d’en juger. Dans ce sens, le débat sur les électromètres se rapproche du débat sur l’utilisation religieuse du peyotl par certaines religions amérindiennes qui a agité les tribunaux amé-ricains. Ce champignon est considéré comme une dro-gue et, à ce titre, interdit. Sur le principe, plusieurs cours fédérales ont décidé que les États pouvaient in-terdire la drogue s’ils le voulaient. Mais en pratique, la plupart des tribunaux ont prononcé des exceptions à ce principe. Le jugement français tente de sortir de ce choix cornélien. Outre le reproche d’escroquerie, le tri-

La liberté de religion interdit à l’État de s’imiscer dans les affaires  religieuses. il arrive toutefois régulièrement que des juges doivent  

décider de ce qui constitue une pratique religieuse et non.

par Christopher CaLDWeLL *

PANEL 4 – La prétention des religions à la vérité

Quand une religion est-elle religion ?

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bunal a infligé des amendes à deux scientologues pour commerce et exploitation illégale de produits médica-menteux. La marge bénéficiaire de la vente des électro-mètres et des vitamines était importante et le tribunal a contesté la « valeur scientifique » du test de personna-lité de l’Église. Séparant les « activités commerciales » de l’Église de ses « activités religieuses », le tribunal a fondé son jugement sur les premières. La base du dé-bat se déplace ainsi du domaine de la liberté de culte à celui de la défense des consommateurs. Nous ne sommes pas très éloignés des règlementations juri-diques qui frappent la bière des Trappistes belges ou les confitures faites maison que les Amishs vendent dans l’État américain de Pennsylvanie. Cependant, il y a deux différences de taille. Premièrement, les activités économiques et les activités religieuses sont parfois impossibles à séparer. Les activités de vente de la scien-tologie pourraient faire partie de la religion elle-même, tout comme les aumônes prescrites (les Zakats) font partie de l’islam. Deuxièmement, il est plus simple de fixer un prix équitable pour une bière ou un pot de marmelade que pour un processus spirituel. Évaluer la valeur de ce dernier revient à porter un jugement sur la légitimité des assertions de la religion.

Mais lorsque tout est transcendant, plus rien ne l’est.

Ces dernières décennies, les élites des pays de l’Ouest ont développé des allergies à ce genre de juge-ments. En 1992, la Cour suprême des États-Unis a rendu son jugement dans l’affaire opposant les Plan-ned Parenthood (cliniques de planning familial) et Casey. Dans ce jugement majoritairement repris dont l’enjeu n’était autre que le droit à l’avortement, la juge fédérale Sandra Day O’Connor écrit en substance : « Le droit de définir son propre concept de l’existence, de l’univers, du sens et du secret de la vie humaine se trouve au cœur de la liberté. Des convictions en la matière ne pourraient pas définir les propriétés de la nature humaine si elles résultaient d’une contrainte de l’État. »

Mais lorsque tout est transcendant, plus rien ne l’est. Pourquoi l’État devrait-il protéger une personne faible qui se fait évaluer au moyen d’un électromètre, alors qu’il ne protège pas une autre personne faible qui dépense des milliers d’euros dans un magasin pour acheter des vêtements dont elle n’a pas besoin ?

L’ère Casey semble toucher à sa fin. Les gouverne-ments et les tribunaux décident de plus en plus sou-vent de ce qui est acceptable ou non dans les compor-tements religieux. C’est peut-être là le résultat de l’influence grandissante de l’islam, ou au moins de la peur grandissante que l’islam éveille en Occident. Je-

tons un coup d’œil à l’initiative que le peuple suisse a votée en novembre 2009. Il a été décidé d’interdire les minarets sur le territoire national. Même si cette déci-sion ne définit pas précisément l’identité religieuse des Suisses, le verdict des urnes établit quelles religions peuvent être pratiquées dans leur pleine mesure, et les-quelles ne le peuvent pas. On observe un peu la même approche également aux Pays-Bas, où le parti anti-isla-mique de Geert Wilders va jusqu’à dénier à l’islam son statut de religion, contournant ainsi les contradictions constitutionnelles que ses propositions (par exemple celle qui vise à interdire le Coran) pourraient mettre en évidence.

Le jugement français porte un coup à la sciento-logie sans que le tribunal ait dû prouver que la sciento-logie n’est pas une religion. C’est là un jugement qui va faire école. Georges Fenech, président du service inter-ministériel de surveillance des sectes, l’a commenté en disant que c’était la structure même de l’Église de scientologie qui avait été condamnée.

Même si c’est la structure commerciale qui a été condamnée, et non pas la structure religieuse, les deux sont liées de telle manière que ce jugement a de quoi nous inquiéter. Le cas montre clairement que les auto-rités des pays occidentaux vont désormais de plus en plus s’ingérer et remettre en question les actes accom-plis sous couvert de religion. <

* Christopher CaLDWeLL est rédacteur en chef de « The Weekly Standard ». Ce commentaire est paru le 31 octobre 2009 dans le « Financial Times ». Seul le passage concernant l’initiative visant à interdire les minarets en Suisse a été modifié au vu des résultats du vote du 29 novembre 2009.

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PANEL 4 : La prétention des religions à la vérité 23

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24 bulletin Nº 1 / 2010

Un processus global de recherche est en cours dans notre société. De quoi sera faite la Suisse de demain ? Quelles en se-ront les caractéristiques principales, les

valeurs et les fondements spirituels ? Comment vou-lons-nous organiser la vie commune du futur ?

La question de la cohésion sociale n’est pas nou-velle. Mais elle se pose aujourd’hui avec une nouvelle acuité, ce qui montre bien que l’État de droit démocra-tique laïc et la société pluriculturelle libérale ont be-soin d’un cadre de référence qui ne se résume pas à la politique sécuritaire, à la politique économique et à la politique sociale. La Suisse est aussi un espace de vie commune, un espace de co-humanité. En tant qu’Églises chrétiennes, nous savons que cette dimen-sion inclut également la foi et les repères éthiques, ces éléments constitutifs de l’essence même d’une commu-nauté humaine.

Les Églises et les communautés religieuses appor-tent une contribution essentielle à ce processus de re-

Des gens du monde entier ont élu domicile en Suisse. La question de savoir ce qui fait la cohésion d’une société réapparaît avec une urgence accrue. Le constat que l’intégration de l’islam dans une société aussi marquée par le christianisme que la nôtre mettra à contribution les forces de tous les acteurs s’impose comme une évidence, et pas seulement depuis l’adoption de l’initiative contre les minarets. Les Églises de Suisse s’engagent depuis longtemps pour le dialogue avec les autres religions. Ce dialogue doit acquérir une qualité nouvelle. Le pasteur Thomas Wipf propose que les religions formulent et signent un consensus de base sur les conditions de la vie commune.

cherche sociétal. Maintenant, qu’est-ce que cela im-plique que d’autres religions, en particulier les communautés islamiques, s’associent aux Églises chré-tiennes dans cette réflexion ?

Les personnes de confession musulmane font de-puis longtemps partie de la Suisse. Elles habitent ce pays et une bonne partie d’entre elles en ont déjà la citoyen-neté. L’islam n’est pas seulement devenu un élément de notre vie économique; il fait aussi partie de notre vie sociétale et religieuse. Les personnes de confession mu-sulmane nous demandent si nous sommes prêts à par-tager avec elles l’espace de vie qu’est la Suisse.

Où peut-il y avoir confiance ?Les Églises membres de la FEPS et la FEPS elle-

même cultivent depuis longtemps le dialogue interreli-gieux, en particulier avec les musulmans. Depuis 2006, des représentantes et des représentants des juifs, des chrétiens et des musulmans cultivent également l’échange et le dialogue dans le cadre du Conseil suisse des religions. À la notion de lutte entre les cultures, les Églises opposent celle de dialogues entre les religions.

Nous répondons volontiers aux questions des musulmans. Car nous les confrontons également à tra-vers le dialogue : le comportement de certains groupes ou individus – pas seulement à l’étranger – provoque de l’irritation et de la résistance. Beaucoup de gens es-timent qu’il n’est pas facile de porter un jugement sur la religion musulmane. Où peut-il y avoir confiance et accord ? Où faut-il poser des limites et formuler des

PANEL 4 – À discuterThomas Wipf pour un consensusfondamental des religions

par thoMas Wipf, président du Conseil de la FEPS

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contradictions ? Nous commençons à peine à prendre pleinement conscience de l’ampleur du devoir d’inté-gration.

La pluralité culturelle et religieuse est une notion sociétale exigeante. Elle signifie que nous pouvons gé-rer de façon constructive la tension de préserver ce qui nous est propre tout en restant ouverts à ce qui nous est étranger.

Cela soulève des questions fondamentales : il en va du rôle des religions dans l’État de droit laïc, du rap-port que l’islam entretient avec la démocratie, de la li-berté de religion et de la liberté de changer de religion, de l’égalité entre homme et femme, des droits de l’homme dans leur ensemble et de la violence légiti-mée par des motifs religieux.

Le dialogue entre les religions en Suisse doit ac-quérir une qualité nouvelle. Pour faire un pas en avant, en particulier dans le dialogue avec l’islam, il est de-venu nécessaire d’établir entre les religions un consen-sus de base sur les conditions de la vie commune. Ce consensus de base ne doit pas porter sur le contenu de la foi. Les religions sont différentes. Ces différences persisteront toujours; elles font la richesse de chaque religion. Il s’agit aujourd’hui de prendre au sérieux les différences fondamentales entre les religions, de sorte qu’elles n’agissent pas comme causes de conflits, mais comme impulsions pour renforcer la cohésion sociale. Les communautés religieuses ont besoin d’un consen-sus de base sur les conditions de la vie commune. Ce consensus devrait être négocié en commun, fixé dans un document et décidé de manière contraignante.

Un consensus de base en tant que condition de la vie commune

Du point de vue protestant, voici les éléments qu’il importerait de voir figurer dans un consensus de base :

1. Consensus à propos de la véritéLa religion repose sur une révélation de Dieu. Par

rapport à la révélation de Dieu, la religion est toujours aussi une réalité historique, marquée par les faiblesses humaines. C’est pourquoi elle ne doit pas s’attribuer un caractère absolu, mais se tenir toujours à l’écoute de la révélation de Dieu et, à partir de là, se laisser remettre en question. La religion ne doit donc pas prétendre dé-tenir la vérité absolue vis-à-vis des autres. Elle ne doit pas revendiquer de pouvoir à son profit, ni chercher à exercer de domination. La religion doit plutôt servir Dieu et les hommes et s’investir pour le bien de tous.

2. Consensus à propos de la liberté de religionLa liberté de vivre sa foi individuellement et en

communauté est un droit fondamental, en particulier

pour les religions comme le christianisme ou l’islam qui conçoivent le devoir missionnaire comme une évi-dence. Le consensus à propos de la liberté de religion impliquerait que toutes les religions représentées en Suisse s’engagent partout en faveur de ce droit qui in-clut aussi le droit de n’avoir aucune religion et celui de se convertir.

3. Consensus à propos de la pluralité des religionsLa Suisse est un pays marqué par le christianisme.

Les Églises attendent des autres religions qu’elles soient sensibles à cet héritage. La pluralité fait aussi partie de la réalité de la Suisse. L’histoire de notre pays repose sur la diversité des langues, des cultures et des confes-sions. C’est là un signe de force, non de faiblesse. Nous devons en prendre soin.

4. Consensus à propos des droits de l’hommeLes droits de l’homme constituent un acquis qu’il

nous revient de respecter. Il faut que toutes les commu-nautés religieuses de Suisse reconnaissent et approu-vent la Convention européenne des droits de l’homme de 1950. En donnant leur aval aux droits de l’homme, toutes les religions représentées en Suisse s’engage-raient à participer à la préservation de ces acquis.

5. Consensus à propos de l’État de droitToutes les religions doivent reconnaître que l’État

suisse repose sur le droit laïc et non pas sur la confes-sion d’une religion particulière. Le droit public vaut pour tous de manière identique. Une pluralité juri-dique qui consisterait par exemple à faire valoir des prescriptions religieuses pour certains domaines du droit civil (droit de la famille, droit successoral, etc.) ou à instituer des tribunaux religieux est incompatible avec l’idée de l’État de droit.

6. Consensus à propos du maintien de la paixUn désir et un potentiel de paix sont immanents

à toutes les religions. En Suisse, les religions s’engagent à préserver la paix religieuse et à renforcer la cohésion sociale par leur activité.

C’est dans cette direction que, d’un point de vue protestant, pourrait aller un consensus de base entre les communautés religieuses de Suisse. À une époque marquée par des bouleversements en profondeur, les gens ont besoin d’un minimum de garanties. Les reli-gions pourraient apporter une contribution impor-tante par la signature d’un consensus de base sur les conditions de la vie commune. <

PANEL 4 : La prétention des religions à la vérité 25

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26 bulletin Nº 1 / 2010

Une mer de lumières projetées par des lampes multicolores éclaire le plafond de la discothèque où de fringants retraités habillés jeune sautillent de joie sur des

rythmes pop, agitent les bras, lèvent les jambes et ex-halent la bonne humeur. La scène est tirée d’un spot publicitaire du film Atame, Attache-moi !, du réalisa-teur espagnol Pedro Almodóvar, sorti dans les salles en 1990. Une voix off questionne : « Pourquoi les retrai-tés allemands se dorent-ils au soleil de Benidorm … alors que … ». Changement de tableau : on passe de l’ambiance nocturne des retraités allemands à la réalité espagnole sous son jour le plus cru. Une vieille femme aux cheveux gris, toute de noir vêtue, tend furtivement sa main vide aux passants sur une grande place. La voix off poursuit : « … alors que les pauvres retraités es-pagnols doivent mendier vers les bouches de métro ? » S’ensuit une rapide succession d’images provocantes en guise de réponse : un couple allemand en uniforme nazi planifie soigneusement son avenir, alors que des couples espagnols succombent à la tentation du flirt et du tango. « L’assurance vieillesse de la gérobanque pour que tu puisses continuer à danser », conclut la voix off. Secouée par le message, Marina, une jeune ex-star du porno qui est l’un des principaux personnages du film, demande alors Ricky, son ami de 23 ans, à peine sorti d’un établissement psychiatrique : « Quels sont tes pro-jets d’avenir ? » Ce qu’Almodóvar transpose ici, avec

toute la finesse de son sens artistique, dans des images caricaturales, touche des aspects essentiels de l’actuel débat sur le thème de la vieillesse.

Bien vieillir dépend des moyens financiersVisiblement, il y a différentes manières de vieillir,

selon les possibilités financières de chacun. Replacé dans le contexte suisse, cela signifie qu’une scientifique célibataire occupant une position de cadre chez No-vartis ne vieillit pas comme une ouvrière élevant seule ses enfants et travaillant par roulement dans la même entreprise. À cela s’ajoute l’écart de niveau de vie induit par le fossé Nord-Sud qui se superpose à un fossé Est-Ouest, au plus tard depuis l’extension de l’Union euro-péenne (UE) aux pays de l’Est. À l’intérieur même de l’UE, on relève déjà des différences considérables en ce qui concerne les moyens financiers des retraités, ainsi que les possibilités de soins et de contacts sociaux qui en découlent. Cette inégalité factuelle dans la réparti-tion des moyens est sous-tendue par l’idée que les gens sont eux-mêmes responsables de leur bien-être (aussi) en prenant de l’âge. La vision d’une société où le pro-grès économique et médical rend possible un maxi-mum de confort et de bien-être physique est propre au monde occidental et à l’Europe centrale. Elle pré-serve l’illusion que la vie et donc aussi le vieillissement dans de bonnes conditions dépend du bon vouloir de l’individu. Dans cette logique, ceux qui vieillissent pré-

PANEL 5 –Vieillir

Garder le contrôle jusqu’à la fin ?

L’industrie de la beauté, la médecine de pointe et la publicité pour  les institutions de prévoyance nous suggèrent que « bien vieillir »  

est une question de planification. pouvons-nous réellement assumer  la responsabilité de vieillir en bonne santé, en forme et gaiement ?  

Considérations théologiques.

par iVaNa BeNDiK *

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peu de personnes ont le privilège de rester jeunes jusqu’au bout. 

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28 bulletin Nº 1 / 2010

maturément et qui n’ont pas de couverture d’assurance suffisante sont non seulement responsables de leur situation, mais représentent aussi une charge abusive pour la société.

C’est de notre faute si on a l’air vieuxQue signifie maintenant « bien vieillir » et dans

quelle mesure cela relève-t-il de la responsabilité indi-viduelle ? Dans la vision privilégiée par la société et par les médias, à savoir celle qui valorise la jeunesse éter-nelle, cela signifie généralement rester jeune et capable de consommer jusqu’à la fin de sa vie. La publicité opère-t-elle aussi avec les possibilités presque infinies de donner à sa vie une forme vitale et sexy jusqu’à un âge très avancé. « Tant qu’on se sent jeune, on n’est pas vieux », affirme un slogan. Le message qui résonne en même temps est : on est responsable de se sentir vieux et d’avoir l’air vieux, parce qu’on n’en fait pas assez pour soi-même, pour sa condition physique, pour sa santé physique et psychique. En suivant cette logique, on aboutit au constat suivant : au moins en Europe cen-trale, beaucoup de gens ont aujourd’hui la possibilité de prolonger leur jeunesse de quelques années. Ceci notamment grâce au progrès médical, à une meilleure hygiène, à des conditions de travail plus humaines et à une prévoyance vieillesse réglée par la loi.

Mais le progrès médical a aussi son revers. Com-paré aux générations précédentes, l’homme d’au-jourd’hui ne reste pas seulement « jeune » plus longtemps, mais aussi « vieux » plus longtemps, en ce sens que la partie douloureuse du processus de vieillissement se prolonge également. C’est la phase où la baisse de performance des organes programmée biologique-ment, liée à la diminution des forces physiques et mentales, en-traîne des conséquences imprévisibles pour le bien-être individuel et l’aspect extérieur. Un plus grand nombre de maladies apparaissent en outre durant cette période. Ce sont des maladies dont on ne meure certes pas (tout de suite), mais qui portent grandement préjudice à la qualité de vie, comme la maladie de Par-kinson, la maladie d’Alzheimer, la démence sénile, le diabète et l’incontinence, pour ne citer que les plus connues. Le « bien vieillir » mesuré sur l’échelle du « res-ter jeune jusqu’à la fin » devient alors un défi que seuls quelques-uns sont à même de relever. Un tiers des sui-cides commis en Suisse le sont par des personnes de plus de 65 ans. D’après la NZZ du dimanche 22 oc-tobre 2006, les hommes de plus de 70 ans sont particu-lièrement menacés. À toutes ces considérations s’ajou-

tent la baisse constante de la natalité et par conséquent le vieillissement de l’ensemble de la société qui a des conséquences pour le système économique et pour la prévoyance vieillesse garantie par l’État. Dans ces cir-constances, le slogan publicitaire du film d’Almodóvar qui appelle à la prévoyance privée est plus que jamais d’actualité et la question « Quels sont tes projets d’ave-nir ? » peut amener à s’inquiéter de l’avenir. N’y a-t-il vraiment qu’une ex-star du porno et un homme ayant grandi dans une clinique psychiatrique pour réussir à se soustraire au diktat de l’apparente normalité ?

La limite imposée n’est pas la mortLa théologie chrétienne a peut-être un caractère

un peu sec et cassant par le fait qu’elle n’est pas axée sur le bonheur, mais sur la paix et la justice, et ce, dès ses tout premiers balbutiements. Sa force réside toutefois dans son aptitude à envisager sans résignation la réa-lité du vieillissement et les expériences douloureuses qui vont de pair, parce qu’elle se réfère à une ultime vérité, en l’occurrence Dieu. La foi chrétienne part du principe que toute essence est fondée en Dieu et doit par conséquent aussi être comprise à partir de Lui. Cela signifie que l’être humain se conçoit lui-même comme une créature de Dieu et conçoit sa vie comme un bien à la fois offert et limité par Lui. Cette concep-tion fondamentale peut paraître très simple, mais elle a de vastes conséquences. La seule idée que la limite

imposée à l’homme n’est pas la mort, mais Dieu ouvre tout un ho-rizon de sens. Tout comme le fait de considérer la vie comme un ca-deau dont l’être humain ne porte pas la responsabilité en dernière instance, parce qu’il n’en est pas capable. Même si cette affirmation peut dans un premier temps sur-prendre, elle reflète pourtant l’ex-

périence de l’injustice et touche à la question du « pourquoi moi ? » que tout le monde se pose à un mo-ment ou l’autre de sa vie.

Chaque tranche de vie est uniqueLa vie conçue à partir de Dieu recèle une compo-

sante passive, réceptive. Cela ne signifie pas que l’homme ne doit rien faire. Au contraire, en raison même de la finitude de leur vie, l’homme et la femme prennent conscience qu’il s’agit d’un bien précieux qu’ils n’ont pas pour toujours. Il s’agit d’en faire quelque chose, d’organiser cette vie dans ce laps de temps li-mité, d’atteindre une bonne qualité de vie. Mais cette finitude signifie aussi que chaque tranche de vie est unique et ne revient jamais. L’être humain n’est qu’une

L’homme d’aujourd’hui ne reste pas seulement

« jeune » plus longtemps, mais aussi « vieux ».

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seule fois enfant, adulte et personne âgée. Il se perçoit au cœur de sa propre histoire, elle-même inscrite dans l’his-toire du monde, et a conscience que les décisions qu’il doit prendre marqueront le déroulement ultérieur de sa vie. Identifier et accepter cet instant à l’intérieur de la durée de la vie, se laisser prendre par cette découverte est un moment de passivité. Passivité parce que l’être humain est celui qui reçoit à cet instant de sa vie habi-tuellement axée sur l’activité. Ce sont des moments que la langue théologique désigne comme instants de grâce, parce que Dieu adresse ici une promesse qui est aussi comprise et suivie comme une exigence. Le théo-logien Karl Barth le formule en ces termes : « Le com-mandement de Dieu l’appelle précisément à être entiè-rement et sans réserve à la place qu’il doit occuper parce qu’il ne saurait être ailleurs. Il l’arrache donc à toutes les places qui ne seraient que celles d’un specta-teur, pour le mettre aussitôt, non pas derrière, mais sur la scène, en exigeant qu’il prononce d’emblée sa petite « tirade » tant bien que mal, selon ses possibilités du moment. Car c’est maintenant, dans le temps qui lui est donné sur l’heure, que s’offre à lui l’occasion unique d’obéir. Cette occasion entend être saisie et utilisée im-médiatement – car l’homme ne sait pas pendant com-bien de temps elle lui sera offerte. » (Barth, p. 665). L’être humain est appelé à assumer la tâche liée à son âge et aux circonstances de sa vie.

La jeunesse perçue comme enthousiasmeQu’est-ce que cela signifie maintenant par rapport

à la question du « bien vieillir » et dans quelle mesure l’être humain en est-il lui-même responsable ? Si la jeu-nesse implique aussi se donner à fond à quelque chose, sans se demander si c’est là une attitude juvénile, l’être humain a effectivement la possibilité de rester jeune jusqu’à la fin. Seul l’objet de son enthousiasme différera à chaque moment de sa biographie. Dans l’optique de la foi chrétienne, selon Karl Barth, « le commandement de Dieu accompagne l’homme tout au long de son cheminement, ainsi que dans la transformation de ses conditions d’existence qui en fait partie. Mais il n’est pas lié à ce que l’homme croit savoir de cette transfor-mation. Au contraire, la connaissance que l’homme peut et doit chaque fois en avoir est liée à la communi-cation que Dieu lui donne, c’est-à-dire à sa connais-sance du commandement de Dieu : elle en découle. » (P. 315).

Cela signifie que, dans l’optique de la foi chré-tienne, nous n’avons pas à déterminer à l’avance quelles seront précisément les tâches inhérentes aux diffé-rentes étapes de la vie. C’est là une affaire entre Dieu et la personne à un moment précis de son existence. L’homme et la femme sont responsables de « bien

vieillir » au sens chrétien, dans la mesure où ils peuvent ne pas entendre cet appel et se laisser entraîner hors d’eux-mêmes par les événements, les injustices et les soucis du quotidien. Au lieu d’être les acteurs de leur propre vie comme ils y sont appelés par Dieu, ils en deviennent ainsi des spectateurs. Pour une personne âgée, cela pourrait signifier qu’elle est plus proche de la conception chrétienne de base, à savoir que toute vie est redevable à la grâce miséricordieuse de Dieu, qu’elle l’était dans ses jeunes années. Consolée, elle peut plus que jamais déposer tout l’inachevé, le dou-loureux entre les mains de Dieu et proclamer avec Hölderlin : « Alles prüfe der Mensch, sagen die Himm-lischen, dass er, kräftig genährt, danken für alles lern’, und verstehe die Freiheit, aufzubrechen, wohin er will », c’est-à-dire « l’homme essaie tout, disent les êtres célestes, afin qu’une fois nourri substantiellement, il apprenne à remercier pour tout et comprenne qu’il est libre d’aller où il veut ». <

Plus d’informations à ce sujet dans Karl Barth, « Dogmatique ». Troisième volume, tome quatrième, §§ 55–56, Genève 1965 et Friedrich Hölderlin, Lebenslauf, dans : Œuvres complètes. 6e volume, tome 2, Stuttgart 1953, p. 22.

* La pasteure iVaNa BeNDiK, ancienne aumônière en hôpital, est chargée des questions théologiques à l’Institut de théologie et d’éthique de la Fédération des Églises protestantes de Suisse FEPS depuis septembre 2009.

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PANEL 6 – « yes we can »

L’Évangile de Barack ObamaDepuis l’élection de Barack obama à la présidence des États-unis, 

l’expression profane « oui, nous le pouvons » a fait le tour du monde. grâce à lui, cette simple ligne d’une chanson s’est transformée en  

une promesse religieusement connotée qui peut s’appliquer à toutes sortes de choses : de la crème glacée à la lutte contre la pauvreté,  

en passant par l’histoire des usa. Le nouveau codage de « yes we can »  préfigure-t-il une « renaissance de la religion » ?

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Le 23 décembre 2008; nous sommes dans le show télévisé de la soirée « Willkommen bei Carmen Nebel Weihnachten », diffusé sur la chaîne allemande ZDF. Les projecteurs sont

éteints, on distingue à l’arrière-plan les contours d’une grande arche gothique. Pas de doute, le plateau de télé-vision suggère que l’on se trouve dans une cathédrale. Le prélude de piano retentit et Howard Carpendale commence à chanter. Sa voix est douce, d’une sonorité légère, il souffle un peu, son visage et ses gestes indi-quent qu’il est touché émotionnellement. La mise en scène ne laisse planer aucun doute : cet homme an-nonce quelque chose d’important.

L’hymne de Carpendale parle de Barack Obama, de « la nuit des nuits », de la victoire électorale et de ce que lui, Carpendale, aurait aussi aimé « crier au ciel » : « yes we can ». Ces dernières paroles sont reprises par un chœur de gospel qui les répète depuis la fausse nef avec un léger swing. Puis le refrain « yes we can » se mélange peu à peu aux paroles de Carpendale : « En-semble, nous pouvons marcher vers un avenir meilleur / avec notre cœur / nous pouvons faire tourner le vent ». Carpendale se trouve maintenant au milieu du chœur de chanteuses et chanteurs noirs qui dan-

Le slogan de Barack obama a atteint son apogée lors de son discours suite à son élection  le 5 novembre 2008.

par Matthias D. WüthriCh *

PANEL 6 : « yes we can » 31

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32 bulletin Nº 1 / 2010

sent en tenue de cérémonie. Sa prestation s’achève dans un tonnerre d’applaudissements du public : la bonne nouvelle de Noël semble avoir été bien reçue.

Changement de décor : sur le site internet de « Ca-tholic Exchange », on trouve un article satirique inti-tulé « Commencement de l’Évangile de Barack Oba-ma, Fils de Dieu », une histoire inspirée des Évangiles bibliques dans laquelle Obama apparaît sous la figure de Jésus. Le sermon sur la montagne est également pa-rodié : « À la vue des foules, Obama monta sur la mon-tagne … en prenant la parole, il les enseignait : Blessed are those who believe. For they shall say, Yes We Can !. Blessed are those who say, Yes We Can, for they shall audaciously hope. »

Comment s’est formé le sens religieux, chrétien ?

On pourrait encore citer de nombreuses scènes pareillement connotées. Depuis quelque temps, des CD de chansons de gospel sont aussi commercialisés sur le marché allemand sous le titre « yes we can ».

Mais comment cette simple expression « yes we can » a-t-elle pu prendre ce sens quasi religieux, voire chrétien. Comment se fait-il que ces trois mots se re-trouvent soudain nimbés d’une aura évangélique ?

C’est déjà étonnant dans la mesure où il s’agit d’une expression en soi banale et neutre du point de vue religieux. Mais ce l’est encore plus lorsqu’on sait que « yes, we can » prend ses origines dans un contexte linguistique totalement profane : cette phrase apparaît notamment sous forme d’expression idiomatique dans l’appel à la lutte syndicale emmenée en 1972 par les syndicalistes paysans César Chávez et Dolores Huerta en Arizona (USA) : « Sí se puede ! ». Il convient aussi de mentionner la chanson « Yes We Can Can » des Pointer Sisters (1973) :

Now’s the time for all good men to get together with one another.…We got to make this land a better landthan the world in which we live.…I know we can make it.I know we darn well can work it out. Oh yes we can, I know we can can…

Dans les exemples ci-dessus, il est difficile de dé-celer une quelconque utilisation religieuse. Mais alors d’où vient l’aura évangélique de cette tournure ? La piste remonte inéluctablement à Barack Obama. C’est ici, dans le mélange politico-religieux caractéristique

des campagnes électorales américaines, qu’elle s’est peu à peu construite.

Obama utilise pour la première fois le slogan dans un discours tenu le 11 avril 2005 à Washington (D.C.). Il soulignait déjà par cette formule qu’en-semble, les injustices sociales pouvaient être combat-tues, et il promettait un espoir commun pour les USA. Par la suite, le slogan va de plus en plus s’imposer comme un leitmotiv de la campagne électorale pour la présidence des USA. Il semble que la chanson des Pointer Sisters mentionnée plus haut ait exercé une in-fluence déterminante sur Obama. Des scientifiques américains estiment qu’elle a marqué au moins incon-sciemment la rhétorique d’Obama.

Comme un « amen » dans un culte évangélique

Le discours d’Obama dans le New Hampshire marque un premier temps fort dans l’histoire du slo-gan « yes we can ». Ce dernier devient une confession de l’âme de la nation américaine (« a simple creed that sums up the spirit of the people : Yes we can »), un message d’espoir hautement stylisé qui aurait toujours constitué le moteur caché de l’histoire des USA, et il est associé à l’expression à connotation chrétienne « way to the promised land ». Ce message d’espoir ne se réfère pas seulement aux racines de l’esprit pionnier américain, Obama souligne qu’il est aussi appelé à dé-terminer l’avenir de cette nation : ensemble, il faut maintenant écrire un nouveau chapitre de l’histoire des USA : « With three words that will ring from coast to coast, from sea to shining sea : yes we can. » Peu après, le chanteur « will.i.am » mettra en musique avec 37 stars un collage de citations de ce discours sous le titre « yes we can ». Cette chanson a été téléchargée d’innombrables fois sur Internet.

C’est dans le discours de victoire d’Obama du 5 novembre 2008 que le slogan atteint son point culmi-nant. Le président fraîchement élu conclut son allocu-tion par un climax électrique : « yes we can » est repris à sept reprises, dont six dans la fonction d’un refrain rythmique. Même un prédicateur de télévision expéri-menté n’aura pas fait mieux dans la construction rhé-torique !

À partir de ce moment, l’expression idiomatique « yes we can » commence à se détacher de son cadre linguistique initial : elle devient indépendante et rem-plit une fonction semblable à celle des « amen » repris par l’assemblée en prière lors des cultes évangéliques. Là aussi, Obama assigne au « yes we can » la valeur d’une confession intemporelle de l’esprit de la nation. Le discours renferme en outre une allusion implicite à Martin Luther King (« a preacher from Atlanta who

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told a people We Shall Overcome. Yes we can. »), et s’achève sur la bénédiction d’Obama (« God bless you, and may God bless the United States of America »).

« yes we can » serait-il devenu l’Évangile de Ba-rack Obama ? On ne peut pas dire qu’Obama ait expli-citement voulu donner à cette expression une dimen-sion religieuse et chrétienne, ni prouver qu’il l’ait implicitement envisagé. Mais ce qui semble à peu près incontestable, c’est que la façon dont il utilise ce slogan induit un nouveau codage sémantique, que ce « yes we can » devient de plus en plus autonome et se rapproche ainsi – intentionnellement ou non – de modèles d’in-terprétation religieusement connotés. La réception très large de cette expression a favorisé ce phénomène d’autonomisation. Dans le God’s own country, le slo-gan, aidé par une bonne dose de patriotisme et le cha-risme messianique du nouveau président, sera de plus en plus souvent enveloppé d’une aura évangélique comme celle reproduite dans la mise en scène de Car-pendale.

Nostalgie de la religiositéLa dissolution du langage traditionnel de la foi et

le transfert dans le langage courant de mots originelle-ment utilisés dans un contexte religieux et chrétien sont des phénomènes qui passent aujourd’hui presque inaperçus. Il est donc d’autant plus remarquable que l’inverse se produise et qu’une expression idiomatique apparaisse soudain dans un contexte linguistique reli-gieux. Faut-il y voir l’expression de la « renaissance de la religion » dont on discute beaucoup actuellement ? Dans l’Europe postséculière en tout cas, il semblerait plus juste de parler de retour d’une nostalgie diffuse de la religiosité qui n’attache guère d’importance aux si-gnifications et aux certitudes des religions. On le

constate également avec la formule « yes we can ». Dans le processus complexe de son nouveau codage som-mairement reconstitué ici, cette expression reste dif-fuse et vague. Que pouvons-nous au juste ? Comment le pouvons-nous ? Qui est « nous » ? Et d’où tirerons-nous la capacité de pouvoir ce que nous pouvons ? Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas prendre au sérieux ces aspirations et les analyser sur le plan théologique, au contraire. Du reste, même les aspirations très pro-fanes méritent qu’on leur prête attention : il paraît que la nouvelle crème glacée « Yes, Pecan » créée en l’hon-neur d’Obama est très bonne … <

Sources :http://catholicexchange.com/2008/05/21/112550/Wolfgang Mieder, « Yes We Can ». Barack Obama’s Proverbial Rhetoric, New York 2009.http://www.nytimes.com/2008/01/08/us/politics/08text-obama.htmlhttp://www.spiegel.de/politik/ ausland/0,1518,588507-2,00.html

* Matthias D. WüthriCh est maître assistant en théologie/dogmatique systématique à la Faculté de théologie de l’Université de Bâle

Lors de son discours faisant suite à son élection, Barack obama a répété sept fois « yes we can ». Le slogan, aidé par une bonne dose de patriotisme et le charisme messianique du président, sera de plus en plus souvent enveloppé d’une aura évangélique.

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PANEL 7 – InstantanéArmes nucléaires : quelle suite ?Les puissances nucléaires que sont les États-Unis, la Russie, la Chine, la Grande-Bretagne et la France veulent empêcher

que les armes nucléaires ne tombent entre de mauvaises mains. Mais quelles sont les mauvaises mains ?

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septembre 1945 : l’église Nagarekawa et la gare princi-pale de hiroshima après le bombardement nucléaire des États-unis. Photo de Shigeo Hayashi issue de la collection du Peace Memorial Museum à Hiroshima.

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36 bulletin Nº 1 / 2010

Le bindi de couleur bordeaux sur le front de Vandana Shiva est à la fois un symbole reli-gieux et une déclaration politique. Dans l’hindouisme, cette marque de la grandeur

du pouce figure le troisième œil censé ouvrir le regard sur l’âme universelle. Il symbolise en outre Shakti, l’énergie féminine élémentaire. Les deux servent à la célèbre militante écologiste dans sa lutte contre l’ex-ploitation et la destruction de la nature : à l’aide de son radar intérieur, Vandana Shiva localise les problèmes et leurs responsables. Puis elle s’en prend à ces derniers avec une énergie que les « cowboys de l’économie » et les « biopirates » ont appris à redouter.

Vandana Shiva est une tigresse, cela ne fait aucun doute. Il est vrai qu’avec son chignon et son sari en soie, elle ferait plutôt penser à un gentil bouddha. Mais face aux « global players » sans scrupules, elle se montre impitoyable. Son engagement lui a valu de nom-breuses distinctions, dont le prix Nobel alternatif (1993) et le Golden Plant Award (1997). Aujourd’hui âgée de 57 ans, Vandana Shiva a publié une vingtaine d’ouvrages scientifiques sur le thème de l’écologie. Elle est membre du Club de Rome et vice-présidente de l’organisation internationale Slow Food. Conseillère auprès de l’Organisation pour l’alimentation et l’agri-culture des Nations Unies (FAO), elle a fondé à New Dehli la Research Foundation for Science, Technology and Ecology qu’elle préside en tant que directrice.

À l’instar du Mahatma Gandhi, son mentor spiri-tuel, Vandana Shiva prend la défense des plus faibles. Elle appelle à la désobéissance civique, mais rejette toute violence. Ses plaidoyers sont ponctués d’arguments fac-tuels inébranlables. Son combat : un changement de pa-radigme radical au profit de la sécurité de l’alimentation

dans le monde et d’une culture de la dignité du travail. « L’industrialisation de l’alimentation et de l’agriculture a mis le genre humain sur une mauvaise voie », explique la tigresse en sortant ses griffes. Selon elle, c’est le dernier moment pour agir. « Soit nous parvenons à affronter la crise économique et écologique de manière créative, soit nous courons à notre perte. »

La militante prône la nécessité d’une conscience universelle qui permette de créer une démocratie plus profonde et plus large – une « démocratie de la terre » fondée non pas sur la politique et l’économie, mais sur le principe selon lequel chacun est responsable du bien-être de tous les êtres vivants de cette planète. « En cette époque de changements climatiques et de pénu-ries de ressources dramatiques, celui qui se cache der-rière des querelles de partis se comporte comme Né-ron jouant de la lyre pendant que Rome brûlait. »

RiceTec dut renoncer à plus de 20 brevetsDans son nouvel ouvrage polémique, « Leben ohne

Erdöl », Vandana Shiva plaide pour une « économie d’en bas contre la crise d’en haut ». Elle en résume le fonc-tionnement par une phrase : « C’est la terre, et non le pétrole, qui forme le cadre dans lequel nous pourrons transformer la catastrophe écologique annoncée et la violence humaine en une chance de retrouver notre hu-manité et de nous redonner un avenir. »

Vandana Shiva sait de quoi elle parle. Fille d’uni-versitaires libres penseurs de la vallée de Dehra Dun, au pied de l’Himalaya, elle lutte depuis près de quarante ans pour la terre, qu’elle appelle avec respect « Gaia ». Dans la mythologie grecque, c’est le nom de la déesse-mère, raison pour laquelle Vandana Shiva l’associe à la biodiversité, la démocratie, la justice, la durabilité – et à

PERSONNALITÉ –Vandana Shiva« Celui qui détruit la nature

détruit ses ressources vitales. »physicienne et militante écologiste, Vandana shiva lutte contre l’exploitation forcenée et la destruction de la nature à l’échelle  

de la planète. son engagement lui a valu le prix Nobel alternatif.  Mais aussi de nombreux ennemis.

par stephaNie rieDi * 

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L’écoféministe s’est déjà vue gratifiée de bouses  de vaches. Ce que ses op-posants ignoraient, c’est que l’engrais de vache est signe de fertilité.

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38 bulletin Nº 1 / 2010

la paix. « Gaia est un organisme vivant », explique-t-elle, un organisme dont il faut défendre rigoureusement le bien-être. Pour sa part, elle le fait en menant des re-cherches de terrain, en publiant ses études, en partici-pant à des congrès mondiaux, mais aussi en organisant des marches de protestation où elle figure toujours en première ligne.

En 2001 par exemple, Vandana Shiva lança un appel à une manifestation et ne tarda pas à être suivie par 100 000 personnes. Le motif de cette démonstra-tion était un accord passé entre le gouvernement indien et le producteur de semences américain Rice-Tec, qui avait fait main basse sur le brevetage du riz indigène Basmati. Vandana Shiva qualifia le pacte de « fascisme alimentaire ». Avec succès : RiceTec dut renoncer à plus de 20 brevets. Elle obtint récemment un résultat similaire en Europe : grâce à son engage-ment, la variété de maïs génétiquement modifié MON 810, de la multinationale américaine Monsanto, fut rapidement interdite.

Elle rêvait d’étudier la physique nucléaireEn 1991, dans le souci de contrer l’appétit des

multinationales à la chasse aux brevets en Inde et de rendre les paysans plus autonomes, Vandana Shiva fonda la coopérative Navdanya. L’objectif était de sto-cker les semences dans des dépôts autogérés et de les fournir gratuitement aux agriculteurs. Ce fut le début d’un vaste projet unique en son genre. Aujourd’hui, Navdanya comprend 55 banques de semences et envi-ron 500 variétés robustes qui devraient pouvoir sup-porter les changements climatiques. Un demi-million de paysans en profitent déjà.

Elève, Vandana Shiva avait obtenu une bourse d’encouragement et a pu suivre des cours à Harvard, elle rêvait alors d’étudier la physique nucléaire. Mais son plan de carrière prit subitement fin lorsque sa sœur, qui était médecin, la mit en garde contre les dan-gers de la radioactivité. « Elle m’a ouvert les yeux », ra-conte Vandana Shiva, qui n’avait connu jusque-là que le bon côté de la science. Elle réorienta ses études et soutint une thèse en théorie quantique. Parallèlement, elle commença à prendre la défense des femmes Chipko, ces paysannes indiennes qui s’accrochaient aux arbres pour empêcher qu’ils ne soient abattus. D’elles, Vandana Shiva apprit que la déforestation met-tait aussi en péril l’eau et les terres fertiles. « Celui qui détruit la nature détruit ses ressources vitales », af-firme-t-elle aujourd’hui.

Les femmes Chipko sont à l’origine de l’engage-ment de Vandana Shiva pour la cause féminine. « Les femmes sont les premières à souffrir de la destruction de l’environnement », affirme-t-elle. « Par exemple,

quand une source est asséchée à la suite de travaux en montagne, ce sont elles qui doivent marcher plus loin pour chercher de l’eau. » Persuadée que la répartition inégale des tâches s’accompagne d’une distribution misogyne des rôles et qu’il existe donc une relation entre objectifs féministes et écologiques, elle dévelop-pa sa théorie de l’écoféminisme. « Ce dont nous avons le plus besoin à présent, ce sont des compétences fémi-nines telles que la sollicitude, donc de personnes qui sachent faire bon usage de leur pouvoir dans la mesure où elles se préoccupent de la société et de l’environne-ment. »

Dans un système de pouvoir à tendance patriar-cale comme celui qui domine jusqu’ici « Gaia », il n’est pas étonnant que ces paroles soient perçues comme un sacrilège. De fait, les opposants à Vandana Shiva sont aussi nombreux que ses partisans. C’est ainsi que lors du sommet de l’ONU de 2003 à Johannesburg, elle re-çut comme tribut de ses efforts deux bouses de vache séchées . « Je me suis sentie honorée », raconte-t-elle en expliquant qu’en Inde, l’engrais de vache est associé à la fertilité du sol. Mais en l’occurrence, le « cadeau » éma-nait de partisans du génie génétique qui trouvaient que ses efforts étaient tout simplement « de la merde ». Vandana Shiva reste sereine : « Ces bouses de vache montrent surtout une chose, c’est que nous produisons de l’effet. » Dans ses yeux brille la force originelle de Shakti. <

* stephaNie rieDi est journaliste indépendante.

SUGGESTION

Choix d’ouvrages parus en français de Vandana Shiva consacrés aux thèmes de l’énergie et de l’environnement :

Terrorisme alimentaire. Comment les multinationales affament le tiers-monde, Paris, Fayard, 2001.La vie n’est pas une marchandise. Les dérives des droits de propriété intellectuelle, Montréal, Éditions Écosociété, 2003La guerre de l’eau : privatisation, pollution et profit (2003)Éthique et agro-industrie : main basse sur la vie / Paris, Éditions L’Harmattan, 1998

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– Point final

Société vieillissante :Un défi et une chance

pour l’Église

Notre société compte de plus en plus de personnes âgées, c’est un fait établi. La pro-gression est particulière-

ment importante dans le segment des personnes d’un grand âge. On assiste ain-si à un déplacement des rapports propor-tionnels entre les moins de 20 ans, les adultes jusqu’à 65 ans et les retraités. Cette évolution a diverses conséquences : le nombre de personnes actives par re-traité diminue, le besoin en logements va augmenter, le nombre de ménages aussi. Ce sont des réalités, tout comme le constat de la fragilité grandissante de personnes très âgées qui dépendent de diverses prestations et de soins médicaux et paramédicaux. Les coûts qu’elles en-gendrent, notamment au niveau de la santé publique, vont augmenter en consé-quence.

La société est confrontée ici à un défi. La solitude grandissante, le besoin d’assistance, la précarité même qui me-nace certaines personnes âgées sont des sujets que nous devons et voulons abor-der. Que peut faire l’Église ? Elle ne pour-

ra sans doute pas résoudre les problèmes financiers du secteur de la santé. Mais elle peut agir sous de multiples formes dans d’autres domaines. L’Église est ouverte, présente, accueillante. Ouverte à l’écoute, présente pour soutenir des personnes en situation difficile, accueillante pour le dialogue, le recueillement, les manifesta-tions musicales et culturelles.

Les jeunes aînés sont en pleine forme

Chez les jeunes aînés, il y a beau-coup de potentiel. Les personnes fraîche-ment retraitées souhaitent en effet pou-voir continuer à faire valoir leurs capacités. Elles sont en pleine forme, elles ont de l’énergie pour réaliser de nouveaux objectifs. Et beaucoup d’entre elles sont avides d’apprendre. L’Église prévoit des offres à leur intention, notamment dans le secteur de la formation non profes-sionnelle des adultes qui permet de ren-forcer le bien-être mental.

L’Église peut aussi utiliser les com-pétences des jeunes aînés pour dévelop-per de nouvelles activités. Les personnes

âgées entreprenantes qui cherchent à s’in-vestir dans la société peuvent œuvrer dans de nouveaux domaines. Par exemple, celles pour qui l’engagement, la responsabilité et la fiabilité sont des qua-lités importantes peuvent assumer une fonction dans l’administration.

L’Église n’entend pas oublier les per-sonnes qui ont quitté la vie profession-nelle, mais veut au contraire leur donner une nouvelle chance de faire partager leur trésor d’expérience et leur permettre de poursuivre leur engagement dans la société. <

par heLeN guCKer-VoNtoBeL  Membre du Conseil de la FEPS et membre du Conseil de l’Église évangélique réformée du canton de Zurich

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« La crispation sur le secret bancaire a peut-être quelquechose à voir avec la manière dont on le critique. » PAGE 5

« La politique climatique et la diplomatie climatique desdifférents États manquent souvent de transparence etde crédibilité. » PAGE 19

« Vingt ans avant qu’il ne soit assassiné, mon grand-pèreGandhi avait déclaré qu’il préférait la phrase ‹La véritéest Dieu› à son opposé ‹Dieu est la vérité›. » PAGE 20

« Que signifie bien vieillir et dans quelle mesure celarelève-t-il de la responsabilité individuelle ? » PAGE 28

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