numÉniusa-t-ilcommentÉle parmÉnide · 2020. 4. 16. · numÉniusa-t-ilcommentÉle parmÉnide?*...

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NUMÉNIUS A-T-IL COMMENTÉ LE PARMÉNIDE ?* PREMIÈRE PARTIE : L’ŒUVRE PARVENUE DE NUMÉNIUS ET LE PARMÉNIDE DE PLATON RÉSUMÉ Si Numénius, en platonicien de son temps, a utilisé le Timée et la République pour élaborer et étayer sa pensée métaphysique et cosmo- logique, il est devenu coutume de penser qu’il a également eu recours au Parménide dans sa description du premier principe. Il peut même paraître tentant d’identifier chez lui ce principe à l’Un. L’examen attentif de son œuvre ne fournit cependant que peu d’indices en ce sens et convainc même qu’elle ne permet pas une telle interprétation. Mal- gré ces conclusions, l’hypothèse persiste pour des raisons qui tiennent principalement à l’histoire de la philosophie et aux recherches qu’elle suscite. Elle est en effet souvent reprise pour trois raisons, présentées comme corollaires : le statut propre à Numénius de platonicien pytha- gorisant, prédécesseur de Plotin ; les affinités réelles entre sa pensée et celle du Commentaire anonyme au Parménide ; les parallèles égale- ment entrevus entre ses formules et celles de la source supposée com- mune au Zostrien et au Contre Arius de Marius Victorinus, conçue quant à elle comme fort proche du Commentaire anonyme. Autrement dit, sont invoquées trois raisons nées moins de l’étude de l’œuvre de Numénius elle-même que de la recherche des sources d’autres textes en mal d’auteur et d’origines bien définies, recherche se fondant en partie sur les prétendus liens entre Numérius et ses « pairs » en pytha- gorisme. * Je remercie Luc Brisson, Philippe Hoffmann et Pierre Caye de m’avoir invitée à traiter ce sujet dans leur séminaire (Paris, ENS, janvier 2017) ainsi que Riccardo Chiaradonna pour ses questions à cette occasion. REVUE DE PHILOSOPHIE ANCIENNE, XXXVII (1), 2019

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Page 1: NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE · 2020. 4. 16. · NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE?* PREMIÈREPARTIE: L’ŒUVREPARVENUEDENUMÉNIUSETLEPARMÉNIDE DEPLATON RÉSUMÉ Si

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE

PREMIEgraveRE PARTIE LrsquoŒUVRE PARVENUE DE NUMEacuteNIUS ET LE PARMEacuteNIDE

DE PLATON

REacuteSUMEacuteSi Numeacutenius en platonicien de son temps a utiliseacute le Timeacutee et laReacutepublique pour eacutelaborer et eacutetayer sa penseacutee meacutetaphysique et cosmo-logique il est devenu coutume de penser qursquoil a eacutegalement eu recoursau Parmeacutenide dans sa description du premier principe Il peut mecircmeparaicirctre tentant drsquoidentifier chez lui ce principe agrave lrsquoUn Lrsquoexamenattentif de son œuvre ne fournit cependant que peu drsquoindices en ce senset convainc mecircme qursquoelle ne permet pas une telle interpreacutetation Mal-greacute ces conclusions lrsquohypothegravese persiste pour des raisons qui tiennentprincipalement agrave lrsquohistoire de la philosophie et aux recherches qursquoellesuscite Elle est en effet souvent reprise pour trois raisons preacutesenteacuteescomme corollaires le statut propre agrave Numeacutenius de platonicien pytha-gorisant preacutedeacutecesseur de Plotin les affiniteacutes reacuteelles entre sa penseacutee etcelle du Commentaire anonyme au Parmeacutenide les parallegraveles eacutegale-ment entrevus entre ses formules et celles de la source supposeacutee com-mune au Zostrien et au Contre Arius de Marius Victorinus conccediluequant agrave elle comme fort proche du Commentaire anonyme Autrementdit sont invoqueacutees trois raisons neacutees moins de lrsquoeacutetude de lrsquoœuvre deNumeacutenius elle-mecircme que de la recherche des sources drsquoautres textesen mal drsquoauteur et drsquoorigines bien deacutefinies recherche se fondant enpartie sur les preacutetendus liens entre Numeacuterius et ses laquo pairs raquo en pytha-gorisme

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Je remercie Luc Brisson Philippe Hoffmann et Pierre Caye de mrsquoavoirinviteacutee agrave traiter ce sujet dans leur seacuteminaire (Paris ENS janvier 2017) ainsique Riccardo Chiaradonna pour ses questions agrave cette occasionREVUE DE PHILOSOPHIE ANCIENNE XXXVII (1) 2019

Lrsquoeacutetude proposeacutee comporte trois parties indeacutependantes examinantchacune de ces trois raisons avec les hypothegraveses qui lui sont associeacuteesApregraves une esquisse des principaux tenants de la penseacutee de Numeacuteniuscette premiegravere partie aborde les rapports parfois perccedilus et ceux encoreperceptibles entre son œuvre et le Parmeacutenide Elle montre que Numeacute-nius nrsquoa visiblement pas utiliseacute le dialogue de Platon pour eacutelaborer sapropre doctrine des deux premiers principes et a mecircme pu adopter unerelative distance agrave lrsquoeacutegard de lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese suivant encela une injonction qursquoil a pu penser percevoir chez Platon lui-mecircmeDegraves ce premier examen il apparaicirct que lrsquoœuvre parvenue de Numeacuteniusne suggegravere pas de bouleverser la conception la plus courante de lrsquohis-toire du platonisme en faisant de Numeacutenius le preacutecurseur de Plotindans lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique du Parmeacutenide Lrsquointerrogation surson rapport agrave ce dialogue fournit mecircme a contrario les critegraveres drsquouneinterpreacutetation reacuteellement neacuteoplatonicienne de la seconde partie decelui-ci Un prolongement de cette eacutetude montre toutefois que Numeacute-nius a pu inspirer Plotin dans son interpreacutetation de certaines formulesdu Parmeacutenide historique lui-mecircmeABSTRACTIf as a Platonist of his time Numenius used the Timaeus and the Poli-teia to elaborate and support his thoughts on Metaphysics and Cosmo-logy it is now usual to think that he also used the Parmenides in hisdescription of the first principle More precisely it could be temptingto believe that by doing so he identified this first principle with theOne However on close examination his work gives but few clues tobear out such a possibility In spite of these conclusions the hypothesissubsists for reasons that depend essentially on the History of Philoso-phy and on the researches it produces It is indeed often taken up againfor three reasons presented as corollaries the status of Numeniushimself as a Pythagorean Platonist a predecessor of Plotinus the realaffinities between his thought and the doctrine of The AnonymousCommentary on the Parmenides the parallels also seen between hisphrases and those from the supposedly common source to the Zostria-nus and the Against Arius by Marius Victorinus a source seen as veryclose to the Anonymous Commentary In other words the three reasonsput forward originate less in the study of Numeniusrsquo work itself than inthe research on the sources of other texts whose authors and origins arenot well defined a research based partly on the links of this work withits supposed laquo peers raquo in Pythagoreanism

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This study is composed of three independent parts each examiningone of these three reasons with the hypotheses linked to it After asketch of the principal tenets of Numeniusrsquo thought this first part dealswith the relations sometimes seen and the ones that are still perceptiblebetween his work and the Parmenides It shows that Numenius did notuse Platorsquos dialogue to elaborate his own doctrine about the first twoprinciples and may even have kept some distance from the One of thefirst hypothesis following an injunction he may have thought to per-ceive in Plato himself From this first examination onward it appearsthat the transmitted work of Numenius does not invite to modify themost common view on the History of Platonism by making Numeniusthe forerunner of Plotinus in the metaphysical interpretation of theParmenides A contrario the questioning of his relation to this dia-logue even gives some criteria for a real Neoplatonist interpretation ofits second part However an extension of this study shows that Nume-nius could have inspired Plotinus in his interpretation of some phrasesof the historical Parmenides himself

Introduction geacuteneacuterale

Srsquointerroger sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenide peutparaicirctre provocateur Crsquoest mettre en cause la conception de lrsquohistoirede la philosophie la mieux partageacutee selon laquelle le meacutedioplatonismese caracteacuteriserait par son appropriation du Timeacutee eacutetayeacutee par certainspassages de la Reacutepublique tandis que le neacuteoplatonisme commenceraitavec celle du Parmeacutenide1 Plus exactement le neacuteoplatonisme seraitnon seulement inaugureacute par Plotin mais par son choix du Parmeacutenidecomme dialogue de reacutefeacuterence pour confirmer la preacutesence chez Platonde sa doctrine des trois hypostases ER Dodds avait mis ce choix enlumiegravere dans son ceacutelegravebre article de 1928 laquo The Parmenides of Platoand the Origin of the Neoplatonic One raquo Mais on doit agrave Jean

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1 Sur le rocircle du Timeacutee voir la synthegravese de DT Runia Philo of Alexandriaand the Timaeus of Plato Leiden Brill 1986 p 38-57 sur celui du Parmeacute-nide les eacutetudes suivant lrsquoarticle de ER Dodds laquo The Parmenides of Plato andthe Origin of the neoplatonic One raquo Classical Quarterly 22 1928 p 129-142

Trouillard la formule trancheacutee qui marque en ce sens lrsquohistoire de larecherche laquo Le neacuteoplatonisme succegravede au moyen Platonisme le jourougrave les platoniciens se mettent agrave chercher dans le Parmeacutenide le secretde la philosophie de Platon raquo2 Carlos Steel preacutecise lrsquoideacutee qursquoil precirctequant agrave lui agrave Proclus ce passage du moyen- au neacuteoplatonisme auraiteu lieu laquo le jour ougrave [les platoniciens] ont compris que la dialectique duParmeacutenide a une signification reacuteelle [crsquoest-agrave-dire] que les diffeacuterenteshypothegraveses reacutevegravelent les diffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute agrave partir de lrsquoUnau-delagrave de lrsquoecirctre jusqursquoagrave la matiegravere informe raquo3

Pourquoi alors chercher une anticipation de cet usage meacutetaphy-sique et theacuteologique du Parmeacutenide dans lrsquoœuvre parvenue de Numeacute-nius alors qursquoelle ne fournit que peu drsquoindices en ce sens Trois rai-sons agrave cette enquecircte souvent preacutesenteacutees comme corollaires le statutpropre agrave Numeacutenius platonicien pythagorisant du IIe siegravecle dont la pen-seacutee a marqueacute lrsquoenseignement de Plotin les affiniteacutes reacuteelles entre sapenseacutee et celle du Commentaire anonyme au Parmeacutenide les parallegravelesentrevus entre ses formules et celles de la source supposeacutee communeau Zostrien et au Contre Arius de Marius Victorinus quant agrave elle per-ccedilue comme fort proche du mecircme Commentaire anonyme Sont doncinvoqueacutees trois raisons neacutees moins de lrsquoeacutetude de lrsquoœuvre de Numeacuteniuselle-mecircme que de la recherche des sources drsquoautres textes en mal drsquoau-teur et drsquoorigines bien deacutefinies recherche se fondant en partie sur lespreacutetendus liens entre Numeacuterius et ses laquo pairs raquo en pythagorisme

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2 laquo Le Parmeacutenide de Platon et son interpreacutetation neacuteoplatonicienne raquo Revuede theacuteologie et de philosophie 23 1973 p 83-100 ici p 83 phrase liminaire

3 laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide dans lrsquoantiquiteacute raquo dansM Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et la sua tradizioneCatania CUECM 2002 p 11-40 ici p 15 Voir aussi les objections deLP Gerson (laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides ndashA draft raquo 2016 p 1-2 de la version eacutelectronique) qui permettent de nuancerlrsquoaffirmation de J Trouillard et surtout drsquoeacuteviter de penser qursquoil nrsquoy a qursquouneseule interpreacutetation neacuteoplatonicienne du Parmeacutenide dont Plotin serait lrsquoorigineet le repreacutesentant parfait Le Parmeacutenide nrsquoacquerrait drsquoailleurs selon lui un sta-tut reacuteellement privileacutegieacute qursquoagrave partir de Jamblique

Explicitons les trois moments de ce cheminement hermeacuteneutique il deacuteterminera notre propre deacutemarche heuristique

1) Bien qursquoagrave lrsquoorigine de lrsquoaffirmation relative au rocircle de Plotin etde son interpreacutetation du Parmeacutenide dans la fondation du neacuteoplato-nisme dans lrsquoarticle signaleacute ER Dodds invite agrave voir chez Modeacuteratus(Ier siegravecle ap J-C) et les pythagoriciens anteacuterieurs agrave lui (dont Eudorevers 25 ap J-C) les preacutemisses de lrsquointerpreacutetation plotinienne ou dumoins drsquoune interpreacutetation meacutetaphysico-theacuteologique du Parmeacutenidequi aurait eu son origine ultime dans lrsquoAncienne Acadeacutemie de Speu-sippe4 Son intuition a eacuteteacute suivie notamment par Philipp Merlan5 et

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4 Concernant Speusippe les intuitions de ER Dodds ont eacuteteacute suiviesentre autres par Ph Merlan laquo Part I Greek Philosophy from Plato to Ploti-nus raquo dans AH Armstrong (eacuted) The Cambridge History of Later Greekand Early Medieval Philosophy Cambridge Cambridge University Press1967 p 30-31 (voir aussi son chapitre sur Speusippe dans From Platonismto Neoplatonism Dordrecht Springer-Science+Business Media 1975[1953-19683] p 96-140) HJ Kraumlmer Der Ursprung der GeistmetaphysikUntersuchung zur Geschichte des Platonismus zwischen Platon undPlotin Amsterdam Gruumlner 19672 [1964] p 351-355 J Whittakerlaquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo Vigiliae Christianae 23 1969p 101 J Dillon laquo Speusippus and the Ontological Interpretation of the Par-menides raquo dans JD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and itsHeritage vol I History and Interpretation from Old Academy to later Pla-tonism and Gnosticism Atlanta Society of Biblical Literature 2010 p 67-78 voir aussi G Bechtle laquo Speusippus and the Anonymous Commentary onPlatorsquos Parmenides how can the One be a Minimum raquo dans M BarbantiF Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et la sua tradizione op citp 249-280 Nous serions quant agrave nous plus reacuteserveacutee et suivrions sur ce pointnotamment C Steel laquo A Neoplatonic Speusippus raquo dans M BarbantiG R Giardina P Manganaro (eacuted) ΕΝΩΣΙΣ ΚΑΙ ΦΙΛΙΑ CataniaCUECM 2002 p 469-476 et laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacute-nide raquo art cit p 17-18 ainsi que L Brisson laquo The Fragment of Speusippusin Column I of the Anonymous Commentary on the Parmenides raquo dansJD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage op citvol I p 59-66

5 laquo Part I Greek Philosophy from Plato to Plotinus raquo art cit p 94

John Whittaker6 plus reacutecemment encore par Jens Halfwassen7 JohnDillon8 Francesco Romano9 et John D Turner10 ndash Harold Tarrant ayantquant agrave lui tenteacute de rassembler tous les eacuteleacutements permettant drsquoentrevoirlrsquoexistence drsquoune telle interpreacutetation dans le neacuteo-pythagorisme11

Or Numeacutenius nrsquoest pas sans trouver place dans cette saga Commecertains platoniciens de son temps cherchant agrave se distinguer des ten-dances laquo sceptiques raquo de la Nouvelle Acadeacutemie et agrave promouvoir unelecture plus laquo dogmatique raquo de Platon il se reacuteclame de Pythagoreconccedilu comme source de Platon12 Crsquoest pourquoi du point de vue de

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6 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit p 95-100 qui outre lesreacutefeacuterences neacuteopythagoriciennes devenues usuelles renvoie eacutegalement agrave Cleacute-ment drsquoAlexandrie (Strom IV 25 156 1) et mecircme agrave Alcinoos qui songeraitselon lui consciemment agrave la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide dans sonexposeacute de la voie neacutegative en Did X (la consideacuteration du dialogue de Platoncomme eacutetant un exercice de logique exprimeacutee en Did VI nrsquoexcluant pas en soicette utilisation de la premiegravere hypothegravese) ndash On rappellera alors que Cleacutementest notre premier teacutemoin de lrsquoenseignement de Numeacutenius Voir aussi J Whitta-ker laquo Neopythagoreanism and the transcendent Absolute raquo SymbolaeOsloenses 48 1973 p 77-86

7 Der Aufstieg zum Einen Untersuchungen zu Platon und Plotin Muumln-chenLeipzig KG Saur 20062 [1992] et laquo Speusipp und die metaphysischeDeutung von Platons Parmenides raquo dans L Hagemann R Glei (eacuted) ΕΝΚΑΙ ΠΛΗΘΟΣ Wuumlrzburg Echter 1993 p 339-373

8 laquo Plotinus Speusippus and the Platonic Parmenides raquo Kairos 15 2000p 61-74

9 laquo La probabile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica eneopitagorica) del Parmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted)Il Parmenide di Platone et la sua tradizione op cit p 197-248

10 Voir par ex laquo The Platonizing Sethian Treatises Marius VictorinusrsquosPhilosophical Sources and Pre-Plotinian Parmenides Commentaries raquo dansJD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage op citvol I p 136-137

11 Thrasyllan Platonism Ithaca Cornell University Press 1993 p 148-177 Il la fait ainsi remonter agrave Posidonius et mecircme agrave Thrasylle lrsquoeacutediteur desœuvres de Platon

12 Nous simplifions Sur ce point voir par ex M Frede laquo Numenius raquo

lrsquohistoire de la philosophie il peut ecirctre consideacutereacute comme un laquo platoni-cien pythagorisant raquo selon lrsquoexpression heureuse de Michael Frede13Selon son propre point de vue14 neacuteanmoins tout laisse penser qursquoilaurait preacutefeacutereacute la qualification de laquo pythagoricien raquo15 comme enteacutemoigne drsquoailleurs le titre que lui donnent les chreacutetiens les seuls agravetransmettre directement une partie de son œuvre Il nrsquoest toutefois lagraveaucun veacuteritable dilemme puisque chez ces derniers un laquo pythagori-cien raquo est entre autres un interpregravete de Platon16 Numeacutenius est donc en

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Aufstieg und Niedergang der roumlmishen Welt II 362 1987 p 1043 B Cen-trone laquo Cosa significa essere pitagorico in etagrave imperiale Per una riconsidera-zione della categoria storiografica del neopitagorismo raquo dans A Brancacci(eacuted) La filosofia in etagrave imperiale Le scuole e le tradizioni filosofiche NapoliBibliopolis 2000 p 137-168

13 laquo Numenius raquo art cit p 1043-1047 Voir aussi B Centrone laquo Cosasignifica essere pitagorico in etagrave imperial raquo art cit p 158-160 M Edwardslaquo Numenius of Apamea raquo dans LP Gerson (eacuted) The Cambridge History ofPhilosophy in Late Antiquity Cambridge Cambridge University Press 2010p 124-125

14 Voir F Jourdan laquo Numeacutenius et Pythagore Numeacutenius platonicien(pythagorisant) ou pythagoricien (platonisant) raquo agrave paraicirctre dans la RevuedrsquoHistoire des religions 2020

15 Sur ce point nous divergeons de B Centrone laquo Cosa significa esserepitagorico in etagrave imperial raquo art cit p 150-151 selon lequel les auteurs desapocryphes pythagoriciens nrsquoauraient pas eu agrave cœur de deacutefendre une identiteacutepythagoricienne puisqursquoils reprenaient Platon voire lrsquoaccusaient de plagiatNumeacutenius ne compte certes pas parmi ces auteurs mais la remarque pourrait leconcerner eacutegalement Or sa deacutemarche qui consiste agrave mettre Pythagore agrave la tecirctedrsquoune ligneacutee de disciples fidegraveles auxquels appartiennent Platon et mecircmeSocrate semble au contraire indiquer qursquoil revendique pour lui lrsquoappartenanceagrave cette ligneacutee en tant qursquointerpregravete fidegravele de Platon Cela ne lrsquoempecircche pas agravenos yeux drsquohistoriens de reacutealiser une deacutemarche caracteacuteristique du platonismede son temps

16 Crsquoest du moins entre autres le sens que semble prendre chez Cleacutement laqualification de Philon comme laquo pythagoricien raquo voir D Runia laquo Why doesClement of Alexandria call Philo ldquothe Pythagoreanrdquo raquo Vigiliae Christianae49 1995 p 1-22 Pouvaient en outre paraicirctre reacuteellement pythagorisants le goucirct

theacuteorie du moins et agrave ce double titre de platonicien et de pythagorisantun parfait candidat au rang drsquointerpregravete laquo neacuteo-pythagoricien raquo preacute-plo-tinien du Parmeacutenide Cette candidature est drsquoautant plus laquo provoca-trice raquo pour les tenants de la thegravese courante de lrsquohistoire du platonismeque Plotin a eacuteteacute consideacutereacute par ses adversaires comme srsquoappropriant sesdoctrines17 lecteur plus fin Longin preacutecisait mecircme que crsquoeacutetait agrave lasuite de Numeacutenius et drsquoautres platoniciens pythagorisants dont juste-ment Modeacuteratus Thrasylle et Cronius le disciple direct de Numeacuteniusqursquoil srsquoadonnait agrave lrsquointerpreacutetation des principes pythagoriciens et plato-niciens18 entreprise dans laquelle il les aurait largement deacutepasseacutes19Quoi qursquoil en soit de cette poleacutemique il est assureacute que Plotin commen-tait les œuvres de Numeacutenius dans ses cours20 Si Numeacutenius avait doncinterpreacuteteacute le Parmeacutenide et ce surtout dans le sens pythagoricien sug-geacutereacute par les chercheurs ayant deacutejagrave invoqueacute Modeacuteratus et mecircme Speu-sippe en ce sens Plotin aurait assureacutement rebondi sur son exeacutegegravese Ilnrsquoaurait plus alors le primat de pareille interpreacutetation et avec ce statutserait eacutegalement eacuterodeacutee la preacutesentation courante des origines du neacuteo-platonisme

Formuleacutee ainsi lrsquohypothegravese est seacuteduisante elle est toutefois fortspeacuteculative tant qursquoon ne peut prouver que Numeacutenius a reacuteellement

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de Philon pour lrsquoexeacutegegravese (et donc pour la notion drsquoeacutenigme) et plus speacutecifique-ment pour lrsquointerpreacutetation des nombres deux eacuteleacutements eacutegalement preacutesentschez Numeacutenius

17 VP 17-18 Sur ce passage voir la note de R Goulet agrave VP 18 2-3 dansL Brisson JL Cherlonneix M-O Goulet-Caseacute R Goulet MD GrmekJ-M Flamand S Matton J Peacutepin HD Saffrey A-Ph Segonds M TardieuP Thillet Porphyre La Vie de Plotin Vol II Paris Vrin 1992 p 278 etS Menn laquo Longinus on Plotinus raquo Dionysius 19 2001 p 113-124 sur le sensde ὑποβάλλεσθαι dans ce contexte Sur la supeacuterioriteacute de Plotin relativementaux meacutedioplatoniciens dans lrsquointerpreacutetation de Pythagore voir aussiM Bonazzi laquo Plotino e la tradizione pitagorica raquo Acmegrave 53 2000 p 38-73

18 VP 2019 VP 21 ougrave Porphyre recite toutefois le propos de Longin en VP 2020 VP 14

interpreacuteteacute le Parmeacutenide Elle requiert donc un examen approfondi destextes parvenus ndash textes qui nous ont eacuteteacute transmis uniquement demaniegravere indirecte tregraves partielle et de fait aussi tregraves partiale La pre-miegravere eacutetape de la recherche consiste donc agrave reacutealiser pareil examenpour voir si ces textes portent effectivement la trace de lrsquointerpreacute-tation en jeu comme lrsquoont proposeacute notamment A-J Festugiegravere21D OrsquoMeara22 G Bechtle23 M Burnyeat24 et JD Turner25

2) La maigreur des indices reacuteellement significatifs cependant ndash agravemoins drsquoimaginer un silence poleacutemique de la part de Numeacutenius dontnous verrons qursquoil nrsquoest peut-ecirctre pas agrave exclure totalement ndash aurait sansdoute inviteacute agrave abandonner pareille recherche comme relativementdeacutesespeacutereacutee ou artificielle en lrsquoeacutetat de nos sources Mais le deacutesir derevenir sur lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacute-nide26 lrsquoa ranimeacutee Lui aussi parvenu de maniegravere fragmentaire (maiscette fois directe) ce texte comporte des parallegraveles frappants avec lrsquoen-seignement connu de Numeacutenius et invite agrave penser que lrsquoauteur srsquoins-pire de lui voire comme le propose Gerald Bechtle depuis sa mono-graphie de 199927 nrsquoest autre que Numeacutenius lui-mecircme il srsquoagirait du

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21 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV Paris Gabalda 1954 p 12522 laquo Being in Numenius and Plotinus Some Points of comparison raquo Phro-

nesis 21 1976 p 120-12923 The Anonymous Commentary on Platorsquos Parmenides BernStuttgart

Wien Paul Haupt 1999 p 8224 laquo Platonism in the Bible Numenius of Apamea on Exodus and Eter-

nity raquo dans R Salles (eacuted) Metaphysics Soul and Ethics in Ancient thoughtOxford Clarendon Press 2005 p 143-169 il le suggegravere p 152-155

25 laquo The Platonizing Sethian Treatise raquo art cit p 128-13926 Titre artificiel donneacute au texte que nous abreacutegerons dans la suite27 The Anonymous Commentary op cit Voir aussi du mecircme auteur laquo The

Question of Being and the Dating of the Anonymous Parmenides Commen-tary raquo Ancient Philosophy 20 2000 p 393-414 et laquo A neglected Testimonium(Fragment ) on the Chaldaen Oracles raquo Classical Quarterly 56 2006p 563-581 sans ecirctre tout agrave fait explicite JD Turner le suit essentiellement(Sethian Gnosticism and The Platonic Tradition QueacutebecLouvainParisPresses de lrsquoUniversiteacute LavalPeeters 2001 laquo Victorinus Parmenides com-

commentaire que Numeacutenius aurait reacutedigeacute sur le Parmeacutenide ou dumoins sur les deux premiegraveres hypothegraveses28 de la seconde partie

3) Comme telle toutefois confronteacutee aux arguments solides dePierre Hadot en faveur drsquoune autoriteacute porphyrienne du Commentaireanonyme29 ou du moins agrave ceux drsquoAlessandro Linguiti en faveur drsquoune

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mentaries and the Platonizing Sethian Treatises raquo dans K Corrigan JD Tur-ner (eacuted) Platonism Ancient Modern and Postmodern LeidenBoston Brill2007 p 55-96 et laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit) Voir aussiK Corrigan qui pense quant agrave lui agrave Cronius (laquo Platonism and Gnosticism TheAnonymous Commentary on the Parmenides Middle or Neoplatonic raquo dansJD Turner R Majercik (eacuted) Gnosticism and Later Platonism ThemesFigures and Texts Atlanta Society of Biblical Literature 2001 p 141-177)

28 Dans les pages qui suivent nous adopterons pour simplifier la termino-logie exeacutegeacutetique qui srsquoest imposeacutee et parlerons des laquo hypothegraveses raquo de laseconde partie du Parmeacutenide bien qursquoil srsquoagisse plutocirct chez Platon drsquoune seacuteriede deacuteduction En outre quand nous y reacutefegravererons nous nrsquoajouterons plus lamention de laquo la deuxiegraveme partie raquo du Parmeacutenide

29 Voir P Hadot (laquo Fragments drsquoun Commentaire de Porphyre sur le Par-meacutenide raquo Revue des eacutetudes grecques 74 1961 p 410-438 repris dansP Hadot Plotin Porphyre Eacutetudes neacuteoplatoniciennes Paris Les BellesLettres 20102 [1999] p 281-316 laquo La meacutetaphysique de Porphyre raquo dansPorphyre Entretiens sur lrsquoAntiquiteacute classique XII Vandœuvres-Genegraveve Fon-dation Hardt 1966 p 125-157 repris dans P Hadot Plotin Porphyre op citp 317-353 Porphyre et Victorinus I et II Paris Eacutetudes augustiniennes1968 laquo Porphyre et Victorinus Questions et hypothegraveses raquo dans M TardieuP Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApocalypse de Zostrien et lessources de Marius Victorinus Bures-sur-Yvette Res Orientales IX 1996p 117-125 Ses arguments sont eacutetayeacutes par ceux de HD Saffrey laquo Connais-sance et inconnaissance de Dieu Porphyre et la Theacuteosophie de Tuumlbingen raquodans J Duffy J Peradotto (eacuted) Gonimos Buffalo Arethusa 1988 p 3-20repris dans HD Saffrey Recherches sur le Neacuteoplatonisme apregraves Plotin ParisVrin 1990 p 1-20 M Zambon Recension de G Bechtle The AnonymousCommentary on Platorsquos Parmenides Elenchos 20 1999 p 194-202 et Por-phyre et le moyen-platonisme Paris Vrin 2002 R Chiaradonna laquo Nota supartecipazione e atto drsquoessere nel neoplatonismo lrsquoanonimo Commento alParmenide raquo Studia graeco-arabica 2 2012 p 87-97 et laquo Logica e teologica

origine post-plotinienne30 lrsquohypothegravese de G Bechtle pourrait semblerpeu utile grand lecteur de Numeacutenius31 Porphyre si nous revenons pro-visoirement agrave lui pouvait srsquoinspirer de son preacutedecesseur et de ses doc-trines sans que celui-ci ait lui-mecircme composeacute un commentaire au Par-meacutenide Comme nous le montrerons les parallegraveles entre le Commentaireanonyme et lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius en tout cas nrsquoimpliquentpas de reacutefeacuterence directe au dialogue de Platon de la part de ce dernierLrsquoexamen de lrsquohypothegravese pourrait donc srsquoachever sur ce constat si unedeacutecouverte de Michel Tardieu (1996) nrsquoinvitait pas malgreacute tout agrave lrsquoex-plorer davantage En deacutecryptant lrsquoApocalypse de Zostrien M Tardieu ya deacutecouvert un passage semblable agrave un autre du Contre Arius de MariusVictorinus32 laquo synopse raquo supposant selon lui une source commune auxdeux auteurs Or ce texte et donc cette laquo source raquo semble drsquoune partrelever drsquoun commentaire des deux premiegraveres hypothegraveses du Parmeacute-nide et drsquoautre part comporter des parallegraveles avec le Commentaire ano-nyme ndash son identification directe agrave celui-ci paraissant exclue a priorieacutetant donneacutee lrsquoidentification qursquoelle semble faire du premier Un agrave lrsquoEs-prit absente du Commentaire anonyme LrsquoApocalypse de Zostrien eacutetantlrsquoun des traiteacutes gnostiques critiqueacutes dans lrsquoeacutecole de Plotin33 la chronolo-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 111

nel primo neoplatonismo A proposito di Anon In Parm XI 5-19 e IamblRisposta a Porfirio [De Mysteriis] I 4 raquo Studia graeco-arabica 5 2015 p 1-11 M Chase laquo Porphyre Commentaires agrave Platon et Aristote raquo dans R Gou-let (eacuted) Dictionnaire des philosophes antiques Paris CNRS V b 2012p 1369-1371 avec la bibliographie en ce sens p 1362-1365

30 laquo Sulla datazione del Commento al Parmenide di Bobbio Unrsquoanalisilessicale raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et lasua tradizione op cit p 307-322 (voir aussi lrsquointroduction de son eacutedition duCommentaire anonyme dans Corpus dei papiri filosofici greci e latini Testo elessico nei papiri di cultura greca e latina Parte III Commentari FirenzeOlschki 1995 p 78-91)

31 Voir Proclus In Tim I 7722-24 = Numeacutenius fr 3724-26 des Places32 Apocalypse de Zostrien (NHC VIII 1 6411-6612) Marius Victorinus

(Adversus Arium I 497-50)33 VP 16

gie imposerait alors de situer cette source avant Plotin Voici doncrevenue lrsquohypothegravese drsquoun commentaire meacutedio-platonicien au Parmeacute-nide les parallegraveles avec le Commentaire anonyme suggeacuterant alorscette fois plus assureacutement le nom de Numeacutenius comme sonauteur M Tardieu la formule prudemment34 P Hadot lrsquoeacuteloigne dis-cregravetement35 mais elle est vivement deacutefendue par G Bechtle et sespartisans qui faisant la synthegravese de ces deacutecouvertes en tirent alorsla conviction que Numeacutenius serait non seulement lrsquoauteur du Com-mentaire anonyme mais aussi la source de ce que M Tardieu nommelrsquo laquo exposeacute commun raquo36 et que nous nommerons aussi provisoirementde cette maniegravere37

Plus que lrsquoœuvre parvenue elle-mecircme crsquoest cette triple probleacutema-tique propre agrave lrsquohistoire de la philosophie et agrave sa recherche des sourcesqui impose lrsquoexamen de la relation de Numeacutenius au Parmeacutenide exa-men qursquoelle rend lui-mecircme triple en suggeacuterant de surcroicirct que chaqueeacutetape corrobore la preacuteceacutedente Notre enquecircte suivra ces trois eacutetapes elle tentera drsquoeacutevaluer si cet enchaicircnement argumentatif lieacute agrave lrsquoeacutetudeconjointe de ces trois seacuteries de textes nrsquoest pas forceacute tant il paraicirctessentiellement ducirc agrave la surenchegravere en preacutecision dans lrsquohypothegravese delrsquoexistence drsquoune interpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologique pythago-risante et preacute-plotinienne du Parmeacutenide

Dans la premiegravere partie de lrsquoeacutetude proposeacutee dans ce numeacutero noustenterons donc drsquoeacutevaluer la place de Numeacutenius au sein du laquo neacuteo-pytha-gorisme raquo censeacute avoir deacutejagrave produit une telle interpreacutetation Commenous serions plus que reacuteserveacutee sur la preacutesence de celle-ci chez Modeacute-

112 Fabienne JOURDAN

34 Dans M Tardieu et P Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApoca-lypse de Zostrien op cit p 112-113

35 Dans ibid p 11436 G Bechtle The Anonymous Commentary op cit p 248-249 n 683

laquo The Question of Being raquo art cit p 408-412 laquo A neglected Testimonium raquoart cit p 568 JD Turner semble le suivre dans les articles deacutejagrave signaleacutes K Corrigan eacutegalement en songeant plutocirct agrave Cronius

37 Le statut reacuteel de cet laquo exposeacute raquo sera examineacute dans la troisiegraveme partie decette eacutetude (Revue de philosophie ancienne 38-1)

ratus et ses preacutedeacutecesseurs38 nous ne ferons allusion agrave ce point qursquoenconclusion Nous nous concentrerons ici de la maniegravere la plus sobrepossible sur lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et examinerons srsquoil estpossible de lui precircter un commentaire ne serait-ce que partiel du Par-meacutenide

Dans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude qui sera publieacutee dans lenumeacutero suivant (37-2) nous analyserons les parallegraveles et les diver-gences entre lrsquoœuvre de Numeacutenius et le Commentaire anonyme au Par-meacutenide Il srsquoagira drsquoeacutevaluer la validiteacute de lrsquohypothegravese qui attribue cecommentaire agrave Numeacutenius mais aussi de reconsideacuterer leur relationmutuelle laquelle est riche drsquoenseignements pour la reacuteflexion surlrsquoeacutelaboration du neacuteoplatonisme

Dans la troisiegraveme partie de lrsquoeacutetude qui sera publieacutee dans le numeacutero38-1 nous examinerons lrsquo laquo exposeacute commun raquo au Zostrien et agrave MariusVictorinus sa relation au Commentaire anonyme et au Parmeacutenide lui-mecircme et les parallegraveles qursquoon y voit parfois avec lrsquoœuvre parvenue deNumeacutenius pour envisager quelle place celle-ci pourrait avoir dans lareconstitution de ses sources

Chaque partie peut ecirctre lue indeacutependamment selon les centresdrsquointeacuterecircts de chacun Lrsquoensemble visera agrave eacutevaluer srsquoil est vraimentneacutecessaire de bouleverser la conception la plus courante de lrsquohistoire

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 113

38 Sans rejeter absolument un recours au Parmeacutenide anteacuterieur agrave Plotinnous estimons non justifieacute de precircter agrave Modeacuteratus une interpreacutetation theacuteolo-gique et meacutetaphysique du Parmeacutenide sur la foi du teacutemoignage de Simplicius(In Phys 23034-2319) Nous suivons sur ce point les reacuteserves de A-J Festu-giegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 22 n 3 JM Ristlaquo The Neoplatonic One and Platorsquos Parmenides raquo Transactions and Procee-dings of the American Philological Association 93 1962 p 389-401 C Steel laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 19-20qui rappelle agrave juste titre le rocircle de Porphyre comme source de Simplicius JN Hubler laquo Moderatus ER Dodds and the Development of NeoplatonistEmanation raquo dans JD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and itsHeritage op cit vol I p 115-130 ainsi que les reacuteserves de Philippe Hoff-mann lors du seminaire de la Society of Biblical Literature en 2003 (laquo Rethin-king Platorsquos Parmenides and its Platonic Gnostic and Patristic Reception raquo)

du platonisme en donnant Numeacutenius comme preacutecurseur de Plotin danslrsquointerpreacutetation meacutetaphysique du Parmeacutenide Si tel nrsquoest pas le cas elleconfirmera a contrario les critegraveres drsquoune interpreacutetation reacuteellement neacuteo-platonicienne de la seconde partie du dialogue Disons en outre drsquoem-bleacutee qursquoeacutetant donneacute que nous ne pouvons raisonner qursquoagrave partir de cequi nous est parvenu aucune conclusion assertive nrsquoest en soi possiblesur lrsquoexistence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par NumeacuteniusCette eacutetude aura toutefois trois reacutesultats positifs envisager un rapportvolontairement distant de Numeacutenius au Parmeacutenide fondeacute sur le textede Platon lui-mecircme et dont aura tenu compte le neacuteoplatonisme deacutecou-vrir des parallegraveles entre le Commentaire anonyme et le Περὶ τἀγαθοῦplus nombreux qursquoil nrsquoest souvent signaleacute ndash ce qui offrira peut-ecirctre unindice permettant une position plus assureacutee dans le deacutebat sur lrsquoanteacuterio-riteacute de Numeacutenius ou des Oracles chaldaiumlques et enfin approfondirlrsquohypothegravese relative agrave lrsquoutilisation de Numeacutenius par les gnostiques etpar les neacuteoplatoniciens appropriation que lrsquoon peut suivre jusque dansles traductions et transpositions arabes de leurs œuvres

Preacuteliminaire Esquisse de la doctrine des principeschez Numeacutenius

Avant pareil exposeacute une bregraveve esquisse de la penseacutee meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius est neacutecessaire Nous nous en tiendronsaux grandes lignes transmises dans les fragments veacuteritables ceux citeacutespar Eusegravebe de Ceacutesareacutee et nous exposerons de maniegravere succincte lesreacutesultats de nos propres analyses sans livrer le deacutetail des deacutebats surlesquels elles ont eacuteteacute eacutelaboreacutees39 Les textes nous inteacuteressant se trou-vent dans le Περὶ τἀγαθοῦ dialogue ougrave Numeacutenius entreprend larecherche drsquoune deacutefinition du Bien qursquoil identifie au premier prin-cipe40 Il identifie ce premier principe drsquoune part agrave un premier dieu et

114 Fabienne JOURDAN

39 Voir la bibliographie et les commentaires de notre eacutedition en preacutepara-tion

40 Le titre qui est laquo originellement raquo celui de la leccedilon orale de Platon

intellect et drsquoautre part au Bien et Ecirctre lui-mecircme ou par excellence(selon les formules αὐτοάγαθον et αὐτοόν)41 que dans une perspec-tive exeacutegeacutetique il considegravere comme repreacutesenteacute par la forme du Bieneacutevoqueacutee dans la Reacutepublique42 De ce premier principe Numeacutenius dis-tingue un second dieu ou principe identifieacute cette fois au deacutemiurge duTimeacutee43 Ce dieu assure le rocircle deacutemiurgique dont le premier est ainsidispenseacute et il est conccedilu comme lrsquoimage de celui-ci il est le Bon parti-cipant au Bien le second intellect qui produit sa propre forme encontemplant le premier faccedilonnant ou deacuteterminant pour cela lrsquoecirctre oulrsquoessence (οὐσία) que le premier lui procure par le simple fait drsquoecirctre(soi et le Bien)44 Telle est du moins la maniegravere dont nous lisonsconjointement les fragments 11 et 16 (19 et 25 F)45 Autrement dit tan-dis que le premier dieu est le principe de lrsquoecirctre le second est le prin-cipe du devenir46 Numeacutenius donne plus preacuteciseacutement deux laquo aspects raquo

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 115

indique agrave lui seul que le texte srsquoadonne agrave une recherche et deacutefinition des prin-cipes Aristote et Xeacutenocrate le donnent ensuite chacun agrave lrsquoune de leurs œuvresSur lrsquoimportance de ce titre voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius Sur leBien de Platon Lrsquoenseignement oral du maicirctre comme occasion de rechercherson pythagorisme dans ses eacutecrits raquo Χώρα 15-16 2017-2018 p 139-165

41 Voir par ex fr 16 et 17 (24 et 25 F) ndash Tout au long de cette eacutetude lesfragments sont citeacutes selon la numeacuterotation de lrsquoeacutedition drsquoEacutedouard des Places(Numeacutenius Fragments Paris Les Belles Lettres 1973) nous indiquons entreparenthegraveses les numeacuteros qui correspondent dans notre eacutedition en preacuteparation

42 Voir surtout les fr 19 et 20 (27 et 28 F)43 Voir notamment les fr 11 12 et 18 (19 20 et 26 F) En reacutealiteacute le

deacutemiurge du Timeacutee partage ses attributs entre le premier dieu numeacutenien(auquel il laisse sa fonction de source divine des acircmes cf fr 13 21 F) et lesecond qui est aussi troisiegraveme et reacutealise les opeacuterations proprements deacutemiur-giques assumant par lagrave en partie le rocircle des dieux secondaires du Timeacutee

44 Fr 16 (24 F)45 Voir aussi lrsquoanalyse du fr 16 (24 F) par G Muumlller laquo Ἰδέα y οὐσία en

Numenio de Apamea Una reinterpretacioacuten de la ontologiacutea platoacutenica raquo Cua-dernos de Filosofiacutea 59 2012 p 121-140 Nous prenons position agrave son sujetdans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude Revue de philosophie ancienne 37-2

46 Ibid

agrave ce second dieu selon lrsquoorientation de son attention deux laquo aspects raquoqui conduisent agrave parler agrave son sujet de deux laquo dieux raquo qui toutefois nrsquoenconstituent reacutealiteacute qursquoun seul lorsqursquoil est tourneacute vers soi crsquoest-agrave-direvers lrsquointelligible qursquoil est lui-mecircme par contemplation du Bien lesecond dieu est entiegraverement agrave soi et donc reacuteellement soi second dieu lorsqursquoil est tourneacute vers la matiegravere qursquoil met en ordre il est deacutemiurgeau sens litteacuteral du terme et devient laquo troisiegraveme dieu raquo47 Cette divisionnrsquoimplique pas une reacuteelle scission et ne srsquoavegravere autre qursquoune diffeacuterencedrsquoorientation agrave lrsquoorigine drsquoune uniteacute diviseacutee image imparfaite delrsquouniteacute indivisible et parfaite qursquoest le premier dieu

Cette bregraveve preacutesentation doit suffire agrave comprendre le cadre de lapenseacutee numeacutenienne48 Signalons simplement encore trois points essen-tiels pour la confrontation avec le Parmeacutenide et ses interpreacutetations

1) Lrsquoeacuteleacutement fondamental du Περὶ τἀγαθοῦ est lrsquoidentificationdu Bien lui-mecircme (ἀυτοάγαθον) premier principe agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme (αὐτοόν)49 Elle srsquoaccompagne de lrsquoaffirmation qursquoil existeune laquo con-naturaliteacute raquo du Bien agrave lrsquoeacutegard de lrsquoessence50 (σύμφυτον τῇ

116 Fabienne JOURDAN

47 Fr 11 (19 F)48 La preacutesentation ici donneacutee deacutepend de propre analyse des textes Pour

drsquoautres interpreacutetations voir aussi par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit J Opsomer laquo Demiurges in Early Imperial Platonism raquo dans R Hirsch-Luipold(eacuted) Gott und die Goumltter bei Plutarch BerlinNew York de Gruyter 2005p 63-72 M Baltes dans H Doumlrrie M Baltes Ch Pietsch Die PhilosophischeLehre des Platonismus Band 71 Theologia Platonica Stuttgart Bad Canns-tatt Frommann-Holzboog 2008 p 472-482 Les vues de CS OrsquoBrien TheDemiurge in Ancient thought Secondary Gods and Divine mediators Cam-bridge Cambridge University Press 2015 p 139-168 sont agrave consideacuterer avecla plus grande preacutecaution

49 Fr 17 (25 F) cf fr 2 (11 F)50 Nous traduirons ici οὐσία par laquo essence raquo consciente des faiblesses de

cette traduction qui dans le contexte platonicien examineacute nrsquoimplique naturel-lement pas de distinction par rapport agrave la notion drsquoexistence Dans ce contextelaquo essence raquo est agrave prendre au sens de reacutealiteacute intelligible (sur cette deacutefinition voirpar ex R Chiaradonna laquo Substance raquo dans P Remes S Slaveva-Griffin(eacuted) The Routledge Handbook of Neoplatonismi LondonNew York Rout-

οὐσίᾳ51) le Bien partage la mecircme nature que cette οὐσία (forme sub-stantive de lrsquoecirctre) qui provient ainsi de lui Numeacutenius exprime deacutejagrave cetteideacutee au fragment 2 (10 F) par lrsquoimage du Bien laquo monteacute sur lrsquoessence raquo(comme on dirait laquo sur un cheval raquo52) Par lrsquoutilisation de la preacutepositionet du preacuteverbe ἐπί- de preacutefeacuterence agrave ὑπό- (preacutesent dans la formule de Pla-ton) la formule ἐποχούμενον ἐπὶ τῇ οὐσίᾳ indique une laquo transcen-dance raquo53 avec contact qui donne sans deacutetour lrsquointerpreacutetation que Numeacute-nius fait de la formule eacutenigmatique de Reacutepublique VI 509 b 8-10 srsquoilest une laquo transcendance raquo du premier principe elle est drsquoordre cosmolo-gique et non laquo ontologique raquo au sens ougrave ce principe constitue la formeeacuteminente de lrsquoecirctre mais ne srsquoen distingue pas par son essence

2) Ce premier principe est certes immobile en tant qursquoecirctre54exempt de toute activiteacute sous-entendu deacutemiurgique55 mais Numeacuteniuseacutevoque un laquo mouvement qui accompagne naturellement son repos raquo(τῷ πρώτῳ στάσιν [] κίνησιν σύμφυτον56) Ce mouvementindique vraisemblablement que le premier principe pense57 et la for-mule preacutepare son identification agrave un intellect Concernant ce premierdieu toutefois le type de penseacutee qui le caracteacuterise est visiblementconccedilu comme nrsquoimpliquant pas drsquoactiviteacute proprement dite au sens du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 117

ledge 2014 p 216) La deacutetermination nrsquointervient ici qursquoavec le second dieu οὐσία est le terme qui sert agrave exprimer litteacuteralement lrsquoecirctre (ὄν) de maniegravere sub-stantive un ecirctre que le premier dieu Ecirctre par excellence fait advenir sans acteproducteur simplement en eacutetant ce qursquoil est et donc sans que cette οὐσία quivient de lui soit ontologiquement distincte de lui

51 Fr 16 (24 F)52 Lrsquoimage apparaicirct litteacuteralement dans les Oracles chaldaiumlques fr 1466

des Places53 On pourrait alors aiseacutement renoncer au mot laquo transcendance raquo et preacutefeacute-

rer la notion de primauteacute hieacuterarchique par exemple54 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)55 Fr 11-12 (19-20 F)56 Fr 15 (23 F)57 Le passage est agrave interpreacuteter en lien avec le Sophiste 248 e-249 a (voir

notre commentaire au passage dans lrsquoeacutedition en preacuteparation)

moins ougrave cette penseacutee est sans objet et nrsquoest pas mecircme penseacutee de soi aufragment 19 (27 F) Numeacutenius parle drsquoun φρονεῖν qui est lrsquoapanage dupremier dieu sous-entendu agrave la diffeacuterence notamment du νοεῖν saisieintuitive de lrsquointelligible caracteacuteristique du second dieu58 et plus encoredu διανοεῖσθαι activiteacute de penseacutee discursive agrave lrsquoorigine de la deacutemiur-gie Ce φρονεῖν peut selon nous ecirctre compris comme une penseacuteelaquo intransitive raquo (crsquoest-agrave-dire sans objet) pure dispensation du Bien parlrsquoecirctre du Bien59 En cela elle nrsquoimplique reacuteellement aucune activiteacute

Crsquoest alors en ce sens assureacutement que le premier dieu est ditlaquo entourer les intelligibles raquo ou plus exactement et litteacuteralement ecirctrelaquo autour des intelligibles raquo au fragment 15 (23 F περὶ τὰ νοητά) lrsquoexpression nrsquoimplique ni qursquoil les contienne ni qursquoil les produisecomme son objet de penseacutee ni mecircme qursquoil les pense60 Si elle visepeut-ecirctre agrave rendre compte drsquoune identification ultime du premier prin-

118 Fabienne JOURDAN

58 Agrave la limite le premier dieu ne peut lrsquoexercer que par lrsquointermeacutediaire dusecond voir le teacutemoignage de Proclus In Tim III 10328-32 Diehl = fr 22(contre cette interpreacutetation traditionnelle voir G Muumlller laquo Queacute es ldquolo que esvivienterdquo (ὁ εστι ζῶον) seguacuten Numenio de Apamea raquo Cuadernos Filosofiacutea64 2015 p 11-12 dont lrsquohypothegravese bien que seacuteduisante ne tient pas agrave lrsquoexa-men de la syntaxe du passage lrsquoinfinitif νοεῖν ne peut avoir que τὸν πρῶτονcomme laquo sujet raquo et non un δεύτερoν implicitement tireacute du geacutenitif δευτέρου)

59 Nous reacutesumons Voir aussi lrsquoeacutetude de la φρόνησις chez Platon parM Dixsaut laquo De quoi les philosophes sont-ils amoureux Sur la phronegravesisdans les dialogues de Platon raquo repris dans M Dixsaut Platon et la question dela penseacutee Eacutetudes platoniciennes I Paris Vrin 2000 p 93-119 ndash Le lien eacutety-mologique originel entre φρονεῖν et φρήν (le diaphragme) suggegravere une autreimage ce φρονεῖν est comme une laquo respiration drsquoecirctre raquo qui est le Bien et drsquoougraveeacutemane le bien

60 Cette interpreacutetation qui tient entre autres compte de la simpliciteacute abso-lue du premier dieu (fr 11 = 19 F) nrsquoest pas contradictoire avec celle de Timeacutee39 e 7-9 par laquelle Numeacutenius aurait associeacute son premier dieu au Vivant (InTim III 103 28-32 Diehl = fr 22) Certes dans le Timeacutee le Vivant a en lui lesformes (ἐνούσας ἰδέας τῷ ὃ ἔστι ζῷον 39 e 8) Mais sans pouvoir deacutevelop-per ici notre analyse disons simplement que Numeacutenius a pu lire le texte autre-ment et inspirer la distinction drsquoAmeacutelius entre un laquo intellect qui est (leVivant) raquo et un laquo intellect qui a (les formes en lui) raquo notamment en deacutecompo-

cipe au Vivant du Timeacutee61 dans le contexte du Περὶ τἀγαθοῦ ellerenvoie selon nous agrave un pur eacutetat de lrsquoecirctre agrave vertu bienfaitrice ou salvi-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 119

sant ἐνούσας de maniegravere cratylienne pour y lire ἐν-νους-ας qui eacutevoquerait lesformes laquo qui sont dans le νοῦς raquo le second dieu et intellect que Numeacutenius voitdeacutesigneacute dans le νοῦς du texte platonicien Le datif τῷ ὃ ἔστι ζῷον nrsquoauraitplus alors deacutesigneacute chez lui le lieu ougrave se trouvent les formes mais le destina-taire de la contemplation celui laquo pour qui ou agrave lrsquointention de qui en faveur dequi raquo le νοῦς qui a les formes en lui les contemplerait (autrement dit exerceraitle νοεῖν) Lrsquoaffirmation que crsquoest gracircce au second dieu et intellect (ἐνπροσχρήσει τοῦ δευτέρου) que le premier exercerait un νοεῖν pourrait ainsiconstituer lrsquoexplicitation de cette lecture eacutetonnante du texte platonicien Ainsile premier dieu nrsquoexercerait jamais le νοεῖν il nrsquointelligerait que gracircce ausecond qui le ferait pour lui Cette preacutecision pourrait servir agrave reacutepondre agravelrsquoeacuteventuelle objection drsquoun aristoteacutelisant qui deacutenoncerait une identification dupremier dieu agrave un νοῦς srsquoaccompagnant drsquoun refus de precircter agrave celui-ci lrsquoacti-viteacute du νοεῖν Numeacutenius reacutepondrait ainsi il ne lrsquoexerce pas lui-mecircme maispar lrsquointermeacutediaire du second qui le fait pour lui tandis qursquoil srsquoadonne au seulφρονεῖν Voir aussi notre interpreacutetation des fr 16 et 18 (24 et 26 F) ndash Pourune autre interpreacutetation de ce passage voir par ex M Frede laquo Numenius raquoart cit p 1062-1063 1065-1066 et 1069-1070 JP Kenney laquo ProschresisRevisited An Essay in Numenian Theology raquo dans JR Daly (eacuted) Orige-niana quinta Historica Text and method Biblica Philosophica Theologia Origenism and later developments Leuven Peeters p 217-230 RD PettyThe Fragments of Numenius Santa Barbara 1993 p 135-137 (republieacute agraveWestbury Prometheus Trust 2012) M Baltes dans H Doumlrrie M BaltesCh Pietsch Die Philosophische Lehre des Platonismus Band 71 op citp 477-478 A Michalewski laquo Le Premier de Numeacutenius et lrsquoUn de Plotin raquoArchives de philosophie 75 2012 p 35-37 et La Puissance de lrsquointelligibleLa Theacuteorie plotinienne des Formes au miroir de lrsquoheacuteritage meacutedioplatonicienLeuven Leuven University Press p 94-96

61 Voir Platon Timeacutee 30 c 7-8 (avec le participe περιλαβόν) et 31 a 3 (τograveπεριέχον πάντα ὁπόσα νοητὰ ζῷα) avec deux participes preacutefixeacutes en περί- agravepropos du Vivant qui a tous les intelligibles en lui et auquel Numeacutenius peutvouloir renvoyer avec sa formule περὶ τὰ νοητά La reacutefeacuterence implicite aupassage de la Lettre II 312 e 1-4 savamment reacuteeacutecrit indique toutefois queNumeacutenius donne un tout autre sens agrave ce περί Voir aussi le teacutemoignage de Pro-clus citeacute dans les notes preacuteceacutedentes

fique selon lrsquoideacutee de salut suggeacutereacutee agrave la fin de ce mecircme fragment Endrsquoautres termes le premier dieu serait περὶ τὰ νοητά au sens ougrave ilentoure les intelligibles de sa bienveillance leur transmettant agrave la foislrsquoecirctre et le Bien qursquoil est avant que le deacutemiurge ne les y fasse participeragrave son tour par sa bonteacute agrave lrsquoorigine de leur ecirctre deacutetermineacute62 et nrsquoy fasseparticiper aussi les sensibles en les eacutelevant agrave son propre caractegravere mar-queacute par cette mecircme bonteacute63 Le premier dieu le Bien est le modegravele dusecond le Bon et non pas des formes srsquoil doit ecirctre identifieacute au Vivantcrsquoest en tant que source ultime de la vie64 modegravele de ce second dieuqui transmet alors la vie au monde sensible (fr 1220F) et non en tantque paradigme totalisant et contenant les formes des quatre typesdrsquoecirctre vivants nommeacutes en Timeacutee 39 e 10-41 a 2

En cela le premier de Numeacutenius loin drsquoecirctre une entiteacute sans rapportau monde en est non seulement le principe mais il est pour lui lasource reacuteelle du Bien reacuteel ndash autrement dit il joue le rocircle de la Provi-dence qui est alors concregravetement exerceacutee par le second principe leBon Tout en eacutetant conccedilu comme premier intellect il nrsquoest donc pas lepremier moteur immobile aristoteacutelicien qui se pense lui-mecircme65 etauquel fut justement reprocheacute son deacutefaut de Providence66

120 Fabienne JOURDAN

62 Selon notre lecture de la formule ἰδέα ἑαυτοῦ du fragment 16 (24 F)comme renvoyant au monde intelligible comme ensemble de formes deacutetermi-neacutees

63 Voir le fr 11 (19 F) sur cette eacuteleacutevation du sensible vers le caractegravere dudeacutemiurge lequel est le laquo Bon raquo en reacutefeacuterence au Timeacutee Numeacutenius distingue leBien premier principe du Bon second principe en utilisant lrsquoadjectif substan-tiveacute au neutre pour deacutesigner le premier et lrsquoadjectif au masculin pour le second

64 Tel est selon nous le sens de lrsquoexpression ὁ μέν γε ὢν σπέρμα πάσηςψυχῆς au fr 13 (21 F) qui en fait la semence de toute acircme voir par ex F Jour-dan laquo Eusegravebe de Ceacutesareacutee et les extraits de Numeacutenius dans la Preacuteparationeacutevangeacutelique raquo dans S Morlet (eacuted) Lire en extraits Pratiques de lecture et deproduction des textes de lrsquoAntiquiteacute au Moyen Acircge Paris PUPS 2015 p 143-147

65 Contra par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit p 107066 Sur ce sujet notamment chez Plutarque dont Numeacutenius aurait pu ici par-

tager la critique voir par ex F Ferrari laquo Provvidenza platonica o autocontem

3) On notera ici enfin que selon toute vraisemblance Numeacuteniusnrsquoidentifie pas son premier principe agrave lrsquoUn67 Ce principe est certesunique (μόνος) simple (ἁπλοῦς) et indivisible (μὴ διαίρετος) encela distinct de lrsquouniteacute divisible que constitue le second dieu68 MaisNumeacutenius ne lrsquoidentifie pas agrave lrsquoUn et en tout cas pas agrave lrsquoUn du Parmeacute-nide69 Notre conviction srsquoappuie sur lrsquoanalyse du fragment 19 (27 F)Agrave la fin du passage on lit lrsquoexpression τὸ ἀγαθὸν ὅτι ἐστὶν ἕνNumeacutenius la donne comme une conclusion de Platon dont le sens pro-fond ne peut ecirctre perccedilu que par les laquo regards aiguiseacutes raquo autrement ditpar ceux qui comprennent le propos de Numeacutenius Elle provient assu-reacutement de la tradition orale on la retrouve dans le compte-rendu de laLeccedilon sur le Bien par Aristoxegravene70 Comme lrsquoarticle deacutefini peut ecirctreomis devant lrsquoattribut on peut certes heacutesiter sur sa traduction laquo leBien est lrsquoUn raquo ou laquo le Bien est un raquo Dans le contexte matheacutematiqueougrave elle est preacutesenteacutee chez Aristoxegravene la premiegravere traduction est sansdoute la bonne Mais ce nrsquoest pas neacutecessairement le sens originel (siPlaton srsquoest reacuteellement exprimeacute ainsi) et assureacutement pas celui que veut

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 121

plazione aristotelica la scelta di Plutarco raquo dans L Van der Stockt F Titche-ner HG Ingenkamp A Peacuterez Jimeacutenez (eacuted) Gods Daimones Rituals Mythsand History of Religions in Plutarchrsquos Works Maacutelaga International PlutarchSociety 2010 p 177-190 et laquo La teologia di aristotele nel medioplatonismo raquodans Y Lehman (eacuted) Aristoteles Romanus La Reacuteception de la science aristo-teacutelicienne dans lrsquoEmpire greacuteco-romain Turnhout Brepols 2012 p 299-312 voir aussi chez Atticus A Michalewski laquo Faut-il preacutefeacuterer Eacutepicure agrave Aris-tote raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted) Reacuteceptions de la theacuteolo-gie aristoteacutelicienne DrsquoAristote agrave Michel drsquoEphegravese Leuven Peeters 2017p 123-142

67 Contra notamment ici G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 84

68 Fr 11 19 F69 Contra A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV

op cit p 124 M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 22570 Aristoxegravene Eacuteleacutements drsquoharmonique 22016313 Macran 398-404 da

Rios texte ndeg 1 p 248 Richard

lire Numeacutenius Dans le contexte du fragment la formule perd touteambiguiumlteacute parce que lrsquointerpreacutetation en est donneacutee au preacutealable Numeacute-nius a insisteacute sur lrsquouniciteacute du Bien dont la bonteacute a eacuteteacute identifieacutee agrave lrsquoactespeacutecifique du φρονεῖν Si Platon a dit τἀγαθὸν ἐστὶν ἕν ndash formule dontNumeacutenius srsquoestime devoir rendre compte puisqursquoil eacutecrit justement luiaussi Sur le Bien ndash crsquoest donc selon lui parce qursquoil nrsquoy a qursquoun seul etunique Bien le Bien lui-mecircme (αὐτοάγαθον) Par suite la seulemaniegravere de rencontrer le bien de maniegravere geacuteneacuterale consiste agrave prendrepart agrave lrsquoactiviteacute de penser qui caracteacuterise le Bien lui-mecircme une penseacuteesource de bonteacute que chacun pourra exercer agrave son niveau (lrsquoideacutee que leφρονεῖν lui est reacuteserveacute suggegravere qursquoil srsquoagit dans son cas drsquoun φρονεῖνagrave lrsquoeacutetat pur) Ce disant Numeacutenius a sans doute une viseacutee poleacutemique agravelrsquoeacutegard notamment drsquoune interpreacutetation pythagorisante de Platon vrai-semblablement issue de lrsquoAncienne Acadeacutemie et peut-ecirctre aussi delrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne de lrsquoenseignement oral71 Lui seul sesera estimeacute comprendre le veacuteritable pythagorisme du maicirctre Quoiqursquoil en soit sur ce point le passage est selon nous la preuve drsquoun refusdrsquoidentifier le Bien agrave lrsquoUn Si Platon a dit que le Bien est un ou mecircmelrsquoUn quelle que soit lrsquointerpreacutetation litteacuterale et donc la traduction rete-nue il nrsquoaurait selon Numeacutenius en reacutealiteacute rien voulu exprimer drsquoautreque lrsquouniciteacute du Bien ainsi que sa seacuteparation drsquoavec le sensible conccediluecomme distinction essentielle drsquoavec les biens de ce monde Numeacuteniusinvite agrave comprendre ἕν comme le synonyme de μόνος que seul ilemploie agrave reacutepeacutetition agrave propos de son premier principe72 et qui a cedouble sens drsquoexprimer lrsquouniciteacute et lrsquoisolement ou la seacuteparationcomme le suggegravere deacutejagrave son emploi reacutecurrent au fragment 2 (11 F)Telle est lrsquointerpreacutetation correcte du Platon non-eacutecrit qursquoil precircte aux

122 Fabienne JOURDAN

71 Voir par ex Meacutet A 6 988 a 10-17 ougrave lrsquoUn est preacutesenteacute comme la causedu Bien et N 4 1091 b 1-20 sur lrsquoidentification du Bien agrave lrsquoUn dans uncontexte de critique des Platoniciens

72 Εἷς nrsquointervient qursquoagrave propos du second dieu conccedilu comme uniteacute divi-sible qui se distingue en cela de lrsquoUn et mecircme de lrsquouniciteacute du fait de sa dualiteacuteneacutecessaire (mais non essentielle)

seuls regards suffisamment aiguiseacutes pour savoir lire Platon lagrave ougravedrsquoautres lrsquoauront mal entendu73

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 123

73 Voir lrsquoanalyse deacutetailleacutee du passage dans F Jourdan laquo Sur le Bien deNumeacutenius raquo art cit ici contra G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 82 et 84 ndash Les deux teacutemoignages suggeacuterant une eacutevocation de lrsquoUnpar Numeacutenius ne paraissent pas infirmer cette lecture Le premier issu deMacrobe (fr 54 = Saturnales I 17 65 = P 99 12-16 Willis) fait eacutetat drsquoune eacutety-mologie de lrsquoeacutepithegravete laquo delphien raquo attribueacutee agrave Apollon ougrave Numeacutenius auraitvraisemblablement voulu retrouver lrsquoeacutetymologie courante du nom propre dudieu comme renvoyant au laquo non-multiple raquo ἀ-πολλά (voir par ex PlutarqueDe E 388 F et De Iside 354 F et 381 F avec J Whittaker laquo Ammonius on theDelphic E raquo Classical Quarterly 63 NS 19 1969 p 187-188 E SyskaStudien zur Theologie des Macrobius Stuttgart Teubner 1993 p 116 n 74)Macrobe rapporte en effet que Numeacutenius aurait fait de δέλφος un adjectifsignifiant unum (dans le latin de Macrobe) par opposition au substantifἀδελφός signifant laquo fregravere raquo et alors conccedilu comme pourvu drsquoun ἀ- privatif(sur cette eacutetymologie voir J Whittaker ibid p 187 n 9 Eacute des PlacesNumeacutenius Fragments op cit p 100 n 1 E Syska Studien zur Theologiedes Macrobius op cit p 193-194 qui estime qursquoelle nrsquoa aucune autre valeurque litteacuteraire) Outre qursquoil concerne un dieu dont nous ne savons pas si Numeacute-nius aurait reacuteellement souhaiteacute lrsquoidentification agrave son premier principe (il sug-gegravere en revanche son association agrave Zeus au fr 2 [11 F] lequel est ensuite asso-cieacute au second dieu au fr 12 [20 F]) le teacutemoignage nrsquoindique pas le sens exacten lequel Numeacutenius aurait aimeacute qursquoon entende cette laquo absence de fregravere raquoDrsquoune part juste avant Macrobe emploie lrsquoexpression singulum et unum quipeut traduire ἕν καὶ μόνον et dont comme dans le grec la redondance avaleur emphatique On ne sait donc pas lequel des deux adjectifs Numeacutenius aexactement employeacute et rien nrsquointerdit de penser que la reprise par unus soit unchoix du neacuteoplatonicien Macrobe Drsquoautre part unus renvoie agrave εἷς et non agrave ἕνEnfin et surtout laquo ne pas avoir de fregravere raquo si tel est le sens que Numeacutenius precirctedans ce contexte agrave δέλφος signifie laquo ecirctre fils unique raquo et reconduit au sens deμόνος Crsquoest pourquoi selon nous ce teacutemoignage nrsquoest pas un indice fiabledrsquoune identification numeacutenienne du premier principe agrave lrsquoUn (contra M Bur-nyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit p 152 n 34) Le second teacutemoignageest quant agrave lui constitueacute par la reacutefeacuterence agrave une singularitas identifieacutee agrave un pre-mier dieu-deacutemiurge dans le compte-rendu numeacutenien de la cosmogonie pytha-goricienne rapporteacutee par Calcidius (fr 52) Or ce premier dieu dans son oppo-sition mecircme agrave la dyade correspond davantage au second dieu du Περὶ

Voilagrave notre lecture du Περὶ τἀγαθοῦ le seul texte meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius dont soient transmis des fragments litteacute-raux Crsquoest agrave partir drsquoelle que nous proposons drsquoexaminer les rapportsentre lrsquoenseignement de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon lui-mecircme le Commentaire anonyme au Parmeacutenide et enfin la source com-mune au Zostrien et agrave Marius Victorinus Agrave chacun de ces troismoments nous tenterons drsquoeacutevaluer srsquoil fournit les indices de lrsquoexis-tence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par Numeacutenius

Premiegravere partie

Lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon le premier principe de Numeacutenius (le Bien) nrsquoest ni lrsquoUn ni

lrsquoUn-qui-est du ParmeacutenideLa premiegravere eacutetape que nous reacutealiserons dans cette premiegravere partie

consiste agrave confronter le Περὶ τἀγαθοῦ au Parmeacutenide lui-mecircme afinde voir srsquoil y renvoie directement ou non Si nous suivions lrsquohypothegravesede J Whittaker74 toutefois nous abandonnerions immeacutediatement lrsquoen-treprise selon lui crsquoest agrave partir du moment ougrave un philosophe inter-pregravete le Bien de Reacutepublique VI 509 b 6-10 comme un principe trans-cendant reacuteellement lrsquoecirctre et comme identifiable agrave lrsquoUn que se profileune interpreacutetation du Parmeacutenide et plus preacuteciseacutement de la premiegraverehypothegravese Or nous venons de montrer que loin de transcender lrsquoecirctrele Bien de Numeacutenius est lrsquoEcirctre lui-mecircme et que son association agrave lrsquoUnsert avant tout un propos exeacutegeacutetique ou srsquoavegravere du moins fort probleacute-matique ndash telle qursquoelle est formuleacutee du moins elle nrsquoimplique aucune

124 Fabienne JOURDAN

τἀγαθοῦ sans compter que lrsquoappellation latine de singularitas traduit plutocirctle grec μόνας que ἕν Le compte-rendu ne peut donc ecirctre compris commerefleacutetant la doctrine propre de Numeacutenius telle du moins qursquoelle est exprimeacuteedans le Περὶ τἀγαθοῦ (voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius raquo art cit)Il nrsquoy a donc aucun texte fiable permettant de precircter agrave Numeacutenius lrsquoidentifica-tion du Bien agrave lrsquoUn et encore moins agrave lrsquoUn du Parmeacutenide

74 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit

allusion au Parmeacutenide75 Si lrsquoon veut malgreacute tout supposer que Numeacute-nius nrsquoen a pas moins utiliseacute le Parmeacutenide et que son œuvre trahit alorsnon seulement la connaissance du dialogue mais un commentaire per-sonnel de celui-ci ne serait-ce que partiel il faut recourir agrave un autrepoint de doctrine que cette identification du premier principe agrave uneentiteacute transcendant lrsquoecirctre et identifieacutee agrave lrsquoUn et justement interroger ladeacutefinition de ce premier principe comme ecirctre Autrement dit il srsquoagitessentiellement de voir si Numeacutenius identifie le Bien ne serait-ce quepartiellement agrave lrsquolaquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

Pour parvenir agrave un reacutesultat probant deux eacutetapes sont neacutecessaires agravecet examen

1) un rappel des quelques points qui dans la deacutefinition de lrsquoecirctre etdu premier principe selon Numeacutenius ont parfois suggeacutereacute des rappro-chements avec le Parmeacutenide

2) une confrontation de la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ avec laseconde partie du dialogue de Platon pour voir si une convergence depenseacutee plus geacuteneacuterale pourrait malgreacute tout suggeacuterer une appropriationde ce texte par Numeacutenius ou si une incompatibiliteacute fondamentaleinvite agrave en douter

Dans lrsquoun et lrsquoautre cas si les reacutesultats sont neacutegatifs cela ne per-mettra pas de conclure que Numeacutenius a ignoreacute le texte ni non plus dese prononcer de maniegravere cateacutegorique sur lrsquoœuvre non parvenue Nousmontrerons drsquoailleurs dans un troisiegraveme temps que Numeacutenius tente dereacutesoudre les apories relatives aux formes poseacutees dans la premiegravere par-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 125

75 On peut faire semblable remarque agrave propos de lrsquoexposeacute des principespythagoriciens par Eudore rapporteacute par Simplicius (In Phys 18110 sq Diels)Mecircme srsquoil eacutevoque diffeacuterents Un la conception deacuteveloppeacutee deacutepend avant toutdes reacuteflexions de lrsquoAncienne Acadeacutemie sur lrsquoUn et la Dyade et est en cela tregravesproche du compte-rendu drsquoAristote sur les principes de Platon en Meacutet A 6 987b 18 sq (sur ce point voir J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquoart cit p 98 qui rapporte les propos de W Theiler agrave la note 11) Il ne sembledonc pas neacutecessaire de supposer un commentaire sous-jacent aux deux pre-miegraveres hypothegraveses du Parmeacutenide mecircme srsquoil nrsquoest eacutevidemment pas exclu que ledialogue ait eacuteteacute invoqueacute pour sa nomination de lrsquoUn La remarque vaut eacutegale-ment pour Speusippe et de maniegravere geacuteneacuterale pour les neacuteo-pythagoriciens

tie du dialogue et nous verrons qursquoagrave lrsquoeacutegard de la premiegravere hypothegraveseil a peut-ecirctre choisi une attitude suggeacutereacutee par Platon lui-mecircme Poureacutelargir cette recherche nous interrogerons enfin sa relation agrave la penseacuteede Parmeacutenide lui-mecircme

1 La deacutefinition du premier principe comme ecirctre dansle Περὶ τἀγαθοῦ des parallegraveles avec le Parmeacutenide

Une fois que lrsquoon a renonceacute agrave precircter agrave Numeacutenius une interpreacutetationdu Parmeacutenide en raison drsquoune identification supposeacutee de son premierprincipe agrave lrsquoUn il reste possible drsquoexaminer les parallegraveles entre la deacutefi-nition de son premier principe identifieacute agrave lrsquoecirctre ou plus geacuteneacuteralemententre sa deacutefinition de lrsquoecirctre et les formulations du dialogue platoniciendans les deux premiegraveres hypothegraveses Les partisans drsquoune interpreacutetationnumeacutenienne du Parmeacutenide dont notamment A-J Festugiegravere76 etD OrsquoMeara77 citent essentiellement78 deux textes agrave cette fin les frag-

126 Fabienne JOURDAN

76 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 12577 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 Voir aussi par ex

M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 225-227 qui srsquoap-puie toutefois sur ce qursquoil considegravere une identification du Bien agrave lrsquoUn et sur unpassage de Cleacutement drsquoAlexandrie qui semble deacutependre de la premiegravere hypo-thegravese (Strom V 12 82 1-2) Les eacuteleacutements de theacuteologie neacutegative eacutevoqueacutes lagravesrsquoaccompagnant drsquoune possibiliteacute de nomination rappellent toutefois moinsNumeacutenius qursquoAlcinoos Did X p 16433-34 H

78 Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoargumentation de R Romano (laquo La proba-bile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica e neopitagorica) delParmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide diPlatone et la sua tradizione op cit p 234) qui estime que Numeacutenius aufragment 217-34 (11 F) emprunte au Parmeacutenide les expressions delaquo meacutethode non aiseacutee mais divine raquo laquo ardeur juveacutenile raquo et laquo exercice matheacute-matique raquo Lrsquoappui textuel est trop tenu pour qursquoelle soit persuasive Quant agraveG Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 82-84) il eacutevoque luiaussi le fragment 5 (14 F) mais seulement en note agrave la page 82 et son argu-mentation ne srsquoappuie pas davantage sur la lettre du texte Crsquoest pourquoielle ne peut ecirctre expliciteacutee ici Nous ne commenterons enfin pas les hypo-

ments 5 et 6 (14-15 F) ougrave apparaicirct formuleacutee en termes neacutegatifs unedeacutefinition de lrsquoecirctre que le fragment 2 (11 F) a dit identifiable au BienCes deux fragments proviennent du livre II du Περὶ τἀγαθοῦ quientreprend de deacutefinir lrsquoecirctre preacuteliminaire indispensable agrave la deacutefinitiondu Bien Examinons-en quelques extraits Au fragment 5 nous lisonsceci

Φέρε οὖν ὅση δύναμις ἐγγύτατα πρὸς τὸ ὂν ἀναγώμεθα καὶλέγωμενmiddot τὸ ὂν οὔτε ποτὲ ἦν οὔτε ποτὲ μὴ γένηται ἀλλrsquo ἔστιν ἀεὶἐν χρόνῳ ὡρισμένῳ τῷ ἐνεστῶτι μόνῳ [] τὸ ἄρα ὂν ἀΐδιόν τεβέβαιόν τε ἐστὶν ἀεὶ κατὰ ταὐτὸν καὶ ταὐτόν οὐδὲ γέγονε μένἐφθάρη δὲ οὐδrsquo ἐμεγεθύνατο μέν ἐμειώθη δὲ οὐδὲ μὴltνgtἐγένετό πω πλεῖον ἢ ἔλασσον καὶ μὲν δὴ τά τε ἄλλα καὶ οὐδὲτοπικῶς κινηθήσεταιmiddot οὐδὲ γὰρ θέμις αὐτῷ κινηθῆναι οὐδὲ μὲνὀπίσω οὐδὲ πρόσω οὔτε ἄνω ποτὲ οὔτε κάτω οὐδrsquo εἰς δεξιὰοὐδrsquo εἰς ἀριστερὰ μεταθεύσεταί ποτε τὸ ὂν οὔτε περὶ τὸ μέσονποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται ἀλλὰ μᾶλλον καὶ ἑστήξεται καὶἀραρός τε καὶ ἑστηκὸς ἔσται κατὰ ταὐτὰ ἔχον ἀεὶ καὶ ὡσαύτως(extraits du fragment 5 14 F = Eus PE XI 10 4-5)

Eh bien donc eacutelevons-nous vers lrsquoecirctre le plus pregraves qursquoil nous est pos-sible et disons ceci lrsquoecirctre jamais ne fut ni jamais nrsquoadviendra assureacute-ment mais il est toujours dans un temps bien deacutetermineacute le seul preacute-sent [] Lrsquoecirctre est donc est agrave la fois eacuteternel et stable toujours dans lemecircme eacutetat et identique agrave soi il nrsquoest pas neacute et il ne peacuterit pas il ne croicirctet ne deacutecroicirct pas non plus ni il ne devient plus ou moins en aucunefaccedilon En somme il ne sera assureacutement soumis agrave aucun type de mou-vement et surtout pas au mouvement selon le lieu ndash il ne lui est en effetpas permis non plus crsquoest la loi divine drsquoecirctre mucirc jamais par unecourse en avant ni en arriegravere en haut ni en bas vers la droite droite nivers la gauche jamais lrsquoecirctre ne sera soumis au changement et jamais ilne sera mucirc autour de son propre centre Bien plutocirct il se tiendra en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 127

thegraveses de H Tarrant Thrasyllan Platonism op cit p 174-177 dans lamesure ougrave elles supposent que Numeacutenius srsquoinspire de Modeacuteratus (au fr 52)et suit donc lrsquointerpreacutetation qursquoil aurait donneacutee sur la matiegravere drsquoapregraves leteacutemoignage de Simplicius

repos sera ferme et fixe se maintenant toujours de faccedilon identique etde la mecircme maniegravere79

Au fragment 6 (15 F) nous lisons ensuite

ἡ δὲ αἰτία τοῦ ὄντος ὀνόματός ἐστι τὸ μὴ γεγονέναι μηδὲφθαρήσεσθαι μηδrsquo ἄλλην μήτε κίνησιν μηδεμίαν ἐνδέχεσθαιμήτε μεταβολὴν κρείττω ἢ φαύλην εἶναι δὲ ἁπλοῦν καὶἀναλλοίωτον καὶ ἐν ἰδέᾳ τῇ αὐτῇ καὶ μήτε ἐθελούσιον ἐξίστα-σθαι τῆς ταὐτότητος μήθrsquo ὑφrsquo ἑτέρου προσαναγκάζεσθαι (extraitdu fragment 6 15 F = Eus PE XI 10 7)

Et la raison de ce nom ecirctre reacuteside dans le fait de ne pas ecirctre neacute de nepas devoir peacuterir de nrsquoadmettre absolument aucun autre type de mou-vement ni de changement que ce soit vers le meilleur ou vers le piremais drsquoecirctre au contraire simple invariable dans une forme qui resteidentique de ne pas sortir de son identiteacute ni volontairement ni souslrsquoeffet drsquoune contrainte exteacuterieure80

Pourquoi a-t-on voulu lire ces textes comme faisant allusion auParmeacutenide alors qursquoils ne preacutesentent pas de parallegraveles textuels avec cedialogue Deux raisons agrave cela A-J Festugiegravere y voit une seacuterie deneacutegations qui rappellent celles du Parmeacutenide relativement agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese D OrsquoMeara estime que la deacutefinition de lrsquoecirctrecomme restant dans une identiteacute parfaite agrave soi exprimeacutee en termes de

128 Fabienne JOURDAN

79 Toutes les traductions de Numeacutenius sont les nocirctres80 Voir aussi cet extrait du fragment 8 (17 F = Eus PE XI 10 12) Εἰ μὲν

δὴ τὸ ὂν πάντως πάντη ἀΐδιόν τέ ἐστι καὶ ἄτρεπτον καὶ οὐδαμῶςοὐδαμῆ ἐξιστάμενον ἐξ ἑαυτοῦ μένει δὲ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτωςἕστηκε τοῦτο δήπου ἂν εἴη τὸ τῇ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν laquo Siassureacutement lrsquoecirctre est en tout point absolument eacuteternel et immuable srsquoil ne sortabsolument pas de lui-mecircme en aucune faccedilon mais demeure dans le mecircmeeacutetat fixeacute dans son identiteacute alors crsquoest lui sans nul doute qui sera ldquoce qui estappreacutehendeacute par lrsquointellection agrave lrsquoaide du raisonnementrdquo (Tim 28 a) raquo Ce pas-sage fait suite au fragment 7 (16 F = Eus PE XI 10 9-11) qui cite la deacutefinitionde lrsquoecirctre opposeacute agrave la γένεσις en Timeacutee 27 d 6-28 a 4

laquo non-sortie raquo de soi est reprise dans les passages des Enneacuteades VI4 [ 22] 2 21 et VI 5 3 1-2 ougrave Plotin traite de lrsquointeacutegriteacute de lrsquoecirctre etinterpregravete agrave cet effet la seconde hypothegravese du Parmeacutenide D OrsquoMearasonge alors agrave un preacuteceacutedent numeacutenien dans la lecture plotinienne duParmeacutenide et agrave cette fin eacutetant donneacute qursquoil est question dans ces frag-ments de la relation de lrsquoecirctre au temps au changement et au mouve-ment tout comme de son nom (et donc sous-entendu aussi de saconnaissance) il invite agrave penser que le livre II du Περὶ τἀγαθoῦ trai-tait de lrsquoecirctre selon les diffeacuterents preacutedicats qui servent agrave interroger lrsquoUndu Parmeacutenide agrave savoir le Tout et les parties le lieu le changement etmouvement lrsquoidentiteacute et la diffeacuterence la ressemblance et dissem-blance lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoineacutegaliteacute le temps le nom la connaissance

Ces deux lectures se heurtent toutefois agrave deux objections simplesDrsquoune part pas plus qursquoil ne tire du Parmeacutenide la description de la non-sortie de soi81 Numeacutenius nrsquoemprunte son argumentation sur le change-ment le temps et le nom au Parmeacutenide Comme il le dit lui-mecircme aufragment 6 (15 F) il srsquoappuie pour cela sur le Timeacutee et le Cratyle Onnotera drsquoailleurs que le deacuteveloppement sur lrsquoabsence de mouvement etdonc de changement relegraveve en outre drsquoun emprunt aux Lois82 et qursquoellenrsquoest pas exempte de parallegraveles aristoteacuteliciens ainsi que le reconnaicirctD OrsquoMeara lui-mecircme83 Drsquoautre part et pour reacutepondre cette fois agraveA-J Festugiegravere la seacuterie de neacutegations ne fait aucunement allusion auParmeacutenide ni nrsquoaugure drsquoune theacuteologie neacutegative telle qursquoelle sera tireacuteede la premiegravere hypothegravese de ce dialogue elle contribue simplement agraveune deacutefinition de lrsquoecirctre par opposition au devenir et surtout au corporelqui preacutesente toutes les qualiteacutes ici nieacutees La citation au fragment 7 (16F) du passage du Timeacutee (27 d 6-28 a 4) opposant justement ὄν et

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 129

81 Elle est en reacutealiteacute preacutesente dans le Cratyle 439 e le Pheacutedon 79 d et 80b 1-2 et le Banquet 211 b 1

82 X 893 c-894 a83 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 n 26 Sur le temps

voir aussi M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit et la remarquefinale sur la deacutefinition parmeacutenidienne drsquoune entiteacute se situant dans un eacuteternelpreacutesent au fr 85 DK

γένεσις preacutecise ce contexte de penseacutee et empecircche en cela toute extra-polation Agrave la limite si lrsquoon y tient on pourra simplement conclure avecD OrsquoMeara que Numeacutenius a donneacute agrave Plotin lrsquoideacutee de lire le Parmeacutenidedans le sens ougrave il lrsquoa fait concernant lrsquoecirctre ndash hypothegravese qui srsquoavegraverera fortinteacuteressante dans la perspective drsquoune comparaison avec lrsquoentreprise ducommentateur anonyme au Parmeacutenide

Les textes habituellement citeacutes en faveur drsquoune utilisation numeacute-nienne du Parmeacutenide ainsi compris il en est selon nous un troisiegravemequi aurait pu inviter agrave pareille suggestion celui ougrave Numeacutenius precircte aupremier principe un repos qui srsquoaccompagne malgreacute tout drsquoune formede mouvement ndash attributs apparemment contradictoires dont lrsquooriginepourrait paraicirctre remonter au Parmeacutenide Ce texte nous mettrait sur lavoie qui pouvait sembler la plus feacuteconde drsquoune identification du pre-mier principe numeacutenien agrave lrsquoUn de la seconde hypothegravese du ParmeacutenideLisons ainsi le fragment 15 (23 F)

Εἰσὶ δrsquo οὗτοι βίοι ὁ μὲν πρώτου ὁ δὲ δευτέρου θεοῦ δηλονότι ὁμὲν πρῶτος θεὸς ἔσται ἑστώς ὁ δὲ δεύτερος ἔμπαλίν ἐστικινούμενοςmiddot ὁ μὲν οὖν πρῶτος περὶ τὰ νοητά ὁ δὲ δεύτερος περὶτὰ νοητὰ καὶ αἰσθητά μὴ θαυμάσῃς δrsquo εἰ τοῦτrsquo ἔφηνmiddot πολὺ γὰρἔτι θαυμαστότερον ἀκούσῃ ἀντὶ γὰρ τῆς προσούσης τῷδευτέρῳ κινήσεως τὴν προσοῦσαν τῷ πρώτῳ στάσιν φημὶ εἶναικίνησιν σύμφυτον ἀφrsquo ἧς ἥ τε τάξις τοῦ κόσμου καὶ ἡ μονὴ ἡἀΐδιος καὶ ἡ σωτηρία ἀναχεῖται εἰς τὰ ὅλα

Voici les genres de vie respectifs du premier et du deuxiegraveme dieu ilest eacutevident que le premier sera en repos tandis que le deuxiegraveme aucontraire est en mouvement le premier donc autour des intelligiblesle deuxiegraveme autour des intelligibles et des sensibles Et nrsquoen viens pasagrave trsquoeacutetonner si jrsquoai affirmeacute cela car tu vas entendre bien plus eacutetonnantencore agrave la place du mouvement inheacuterent au deuxiegraveme le repos inheacute-rent au premier je lrsquoaffirme est un mouvement qui lui est par natureassocieacute drsquoougrave viennent lrsquoordre du monde et sa permanence eacuteternelle etdrsquoougrave le salut se reacutepand sur lrsquointeacutegraliteacute des ecirctres

Le passage pourrait rappeler lrsquoUn qui est Tout (τὸ ἓν ὅλον 145 e3) de la deuxiegraveme hypothegravese et que Platon deacutecrit comme eacutetant agrave la fois

130 Fabienne JOURDAN

en repos et en mouvement (καὶ κινεῖσθαι καὶ ἑστάναι 145 e 7-8)drsquoautant plus que le vocabulaire du repos employeacute est le mecircme(ἕστηκε 145 a 8 ἑστός 146 a 5) On pourrait alors imaginer queNumeacutenius identifie son premier principe agrave lrsquoUn associeacute agrave lrsquoecirctre telqursquoil est conccedilu dans cette deuxiegraveme hypothegravese Cependant la raisondonneacutee par Platon agrave cet eacutetat est le fait que cet Un se trouve agrave la fois enlui-mecircme crsquoest-agrave-dire au mecircme endroit et en autre chose crsquoest-agrave-direailleurs (le tout devant ecirctre ainsi compris 145 e 8-146 a 7) Or toutconduit agrave penser que dans le fragment le mouvement associeacute au reposfondamental est celui de la penseacutee caracteacuteristique du premier principe(cf fr 19 27 F) et que par cette formule Numeacutenius preacutepare la deacutefini-tion de celui-ci comme intellect (fr 16-17 24-25 F) Le raisonnementest profondeacutement distinct et Numeacutenius joue drsquoailleurs moins sur uneantithegravese logique telle que pourrait paraicirctre celle du raisonnement pla-tonicien que sur une association certes paradoxale mais reacuteelle Crsquoestpourquoi si tentant que puisse paraicirctre le parallegravele il ne relegraveve sansdoute pas drsquoune appropriation numeacutenienne de la deuxiegraveme hypothegravesepour deacutecrire le premier principe Numeacutenius reprend peut-ecirctre le voca-bulaire voire la conception de Platon pour deacutecrire un principe qursquoilassocie volontiers au Tout surtout si ce premier principe doit corres-pondre au Vivant84 Mais cette reprise serait superficielle et srsquoaccom-pagnerait drsquoun deacuteveloppement personnel qui ne relegraveve pas du deacutesirdrsquointerpreacuteter le Parmeacutenide85 Si Numeacutenius emprunte ici agrave Platon crsquoestplutocirct au passage du Sophiste 248 e-249 a qui integravegre le mouvementdans lrsquoecirctre total finit par deacutecrire cet ecirctre comme eacutetant agrave la fois en reposet en mouvement et inclut en lui eacutegalement lrsquointellect mieux laφρόνησις dont nous avons vu que Numeacutenius en fait sous la formeinfinitive lrsquoapanage du Bien

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 131

84 Voir le teacutemoignage de Proclus (fr 22) deacutejagrave signaleacute selon nous lrsquoimagedu Vivant est deacutejagrave sous-jacente dans ce fragment 15 (23 F) voir la note 61

85 Sur ce point nous rejoignons LP Gerson laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpre-tation of Platorsquos Parmenides raquo art cit n 1 qui rappelle agrave propos drsquoAlcinoosque lrsquoutilisation de distinctions et drsquoarguments preacutesents dans le Parmeacutenidenrsquoimplique pas drsquoaccorder une primauteacute interpreacutetative agrave ce dialogue

2 Le Περὶ τἀγαθοῦ et les deux premiegraveres hypothegravesesde la seconde partie du Parmeacutenide

Agrave eux seuls les textes parvenus ne nous semblent donc pas teacutemoi-gner en faveur drsquoun commentaire au Parmeacutenide de la part de Numeacute-nius ni mecircme drsquoune utilisation partielle qursquoil aurait faite de ce dia-logue Les partisans drsquoune attribution de pareil commentaire agrave Numeacute-nius en appellent toutefois et ce juste titre agrave lrsquoœuvre non parvenueOn ne peut certes juger de lrsquoeacutevolution de Numeacutenius Mais pour quecet argument e silentio soit valable concernant au moins la partie man-quante du Περὶ τἀγαθοῦ il faudrait que la partie transmise ne preacute-sente pas drsquoincompatibiliteacute avec lrsquoargumentation geacuteneacuterale du dialoguede Platon Comme le deacutebat porte toujours sur les deux premiegraveres hypo-thegraveses ce sont elles qursquoil suffit drsquointerroger en vue drsquoeacutevaluer si Numeacute-nius peut ne serait-ce que srsquoy ecirctre reporteacute pour esquisser sa deacutefinitiondu premier principe voire du second comme le suggegravere JD Turner86

a) Le Bien et lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese

Selon notre lecture Numeacutenius nrsquoidentifie pas le Bien agrave lrsquoUn Laseacuterie de neacutegations neacutecessaires agrave la deacutefinition de lrsquoecirctre nrsquoa drsquoautre butque de distinguer celui-ci du devenir Qursquoest-ce que le Bien de Numeacute-nius pourrait donc avoir de commun avec lrsquoUn de la premiegravere hypo-thegravese87 Comparons son enseignement agrave celui du Parmeacutenide pourassurer de la validiteacute de notre position

Ce que le Bien de Numeacutenius pourrait avoir de commun avec lrsquoUnde la premiegravere hypothegravese assureacutement ce serait le fait de ne pas ecirctremultiple (137 c) Mais cela est bien maigre la seacuterie de neacutegations pro-

132 Fabienne JOURDAN

86 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 138-13987 G Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 84) estime que

crsquoest en lien avec la premiegravere hypothegravese que Numeacutenius deacuteveloppe sa concep-tion du premier intellect Il nrsquoexplique toutefois pas cette lecture pour le moinseacutetonnante

poseacutee par Parmeacutenide ne le concerne pas Passons en revue quelquesexemples en suivant lrsquoordre du dialogue contrairement agrave lrsquoUn de cettehypothegravese le Bien nrsquoest pas illimiteacute (137 d 7) crsquoest la matiegravere qui esttelle agrave lrsquoimage drsquoun fleuve88 loin drsquoecirctre nulle part au sens de laquo pas ensoi raquo (138 a 2 6-b 2) il est au contraire en lui-mecircme89 La seacuterie drsquoanti-thegraveses ne le concerne pas davantage loin de nrsquoecirctre ni en repos ni enmouvement (138 b) nous avons vu qursquoil a part aux deux90 plutocirct quede nrsquoecirctre ni identique ni diffeacuterent (139 b-140 b) il est assureacutement iden-tique agrave soi91 au lieu drsquoecirctre hors du temps (141 a) il se situe dans uneacuteternel preacutesent92 et si certes on ne peut pas non plus parler agrave soneacutegard de participation agrave lrsquoοὐσία (141 e 7-8) il nrsquoen est pas moinslrsquoἀρχή de celle-ci93 qui fait de lui lrsquoEcirctre par excellence94 Contraire-ment agrave lrsquoUn de cette hypothegravese (142 a) il a en outre un nom une deacutefi-nition et il y a mecircme une science agrave son sujet son nom est drsquoabordοὐσία et ὄν lorsque lrsquoecirctre qursquoil est est envisageacute de maniegravere geacuteneacuterale95puis vraisemblablement Bien lui-mecircme et Ecirctre lui-mecircme (αὐτοάγα-θον et αὐτοόν) lorsqursquoil est envisageacute dans sa speacutecificiteacute96 il donnelrsquoἐπιστήμη et srsquoavegravere mecircme ecirctre la σοφία97 toute lrsquoentreprise duΠερὶ τἀγαθοῦ est justement de conduire agrave sa connaissance et deacutefini-tion98 ce agrave quoi parvient entre autres le dernier fragment en identifiantultimement lrsquoecirctre et lrsquointellect qursquoil constitue agrave la Forme du Bien de laReacutepublique99 Lorsque Platon fait conclure agrave Parmeacutenide que cet Un

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 133

88 Fr 3 (12 F) et 8 (17 F)89 Fr 11 (19 F)90 Fr 15 (23 F)91 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)92 Fr 5 (14 F)93 Fr 16 (24 F)94 Fr 17 (25 F) et lrsquoon nrsquooubliera pas la synonymie entre οὐσία et ὄν don-

neacutee au fr 6 (15 F)95 Fr 6 (15 F)96 Fr 16-17 (24-25 F) fr 20 (28 F)97 Crsquoest notre interpreacutetation conjointe des fragments 13 et 14 (21-22 F)98 Tel est le programme annonceacute au fragment 2 (11 F)99 Fr 20 (28 F)

finalement nrsquoest pas Numeacutenius peut donc avoir estimeacute ne pas devoirreconnaicirctre lagrave ce qursquoil deacutefinit quant agrave lui comme le premier principe etce alors en accord avec Platon lui-mecircme

Crsquoest pourquoi srsquoil a songeacute agrave ce dialogue et plus particuliegraverement agravela premiegravere hypothegravese Numeacutenius a pu le consideacuterer comme un exer-cice dialectique ougrave puiser par exemple une meacutethode drsquointerrogation etcertains concepts dans un esprit peut-ecirctre semblable agrave celui drsquoAlci-noos100 ou bien ce qui nrsquoest pas incompatible comme deacutecrivantaussi une position selon lui critiqueacutee par Platon Dans cette perspec-tive il peut alors y avoir perccedilu une raison de ne pas retenir la candida-ture de lrsquoUn (telle que la suggegravere notamment la reacuteception acadeacutemi-cienne de lrsquoenseignement oral) au titre de premier principe agrave identifierau Bien puisque cet Un conccedilu dans sa pureteacute agrave la maniegravere dont Platonle deacutecrit dans la premiegravere hypothegravese conduit agrave lrsquoaporie du non-ecirctre (non-ecirctre que Numeacutenius identifie quant agrave lui agrave la matiegravere) Autre-ment dit la lecture du Parmeacutenide voire le commentaire de ce dia-logue aurait plutocirct conduit Numeacutenius agrave ne pas identifier le Bien agrave lrsquoUnabsolu et lrsquoaurait peut-ecirctre justifieacute dans une position poleacutemique agrave lrsquoen-contre de certains neacuteo-pythagoriciens de son temps101 voire des Aca-deacutemiciens qui le faisaient

Cette conclusion peut a priori eacutetonner Mais Numeacutenius nrsquoaurait paseacuteteacute le seul de son eacutepoque agrave refuser drsquoaccorder agrave lrsquoUn de la premiegraverehypothegravese le rocircle de principe de la reacutealiteacute et de principe transcendantlrsquoecirctre Proclus eacutevoque des interpregravetes selon lesquels le veacuteritable objet

134 Fabienne JOURDAN

100 Agrave la mecircme eacutepoque ou peu apregraves (selon lrsquohypothegravese de R Chiara-donna laquo Theacuteologie et eacutepoptique aristoteacutelicienne dans le meacutedioplatonisme lareacuteception de Meacutetaphysique Λ raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted)Reacuteceptions de la theacuteologie aristoteacutelicienne op cit p 143-148 voir aussiM Frede laquo Numenius raquo art cit p 1064) Alcinoos donne une interpreacutetationessentiellement logique du Parmeacutenide voir Did VI p 159-160 H Cela nrsquoim-plique toutefois pas que ce fut lagrave la seule lecture du dialogue par Alcinoos(pace J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit)

101 Voir ceux eacutevoqueacutes au fragment 5215-24 (Calcidius In Tim CCXCV)qui font provenir la dyade de la monade Modeacuteratus agrave qui est justement precircteacuteun commentaire du Parmeacutenide leur est parfois rapprocheacute

du Parmeacutenide est justement lrsquoecirctre (ou lrsquoUn de la seconde hypothegravese) etnon lrsquoUn absolu dont lrsquohypothegravese ne conduit qursquoagrave des apories102 Lrsquounde ces interpregravetes fut Origegravene (le Platonicien103 ) disciple drsquoAmmo-nius comme Plotin et qui eacutetait peut-ecirctre justement en deacutebat avecNumeacutenius notamment sur la fonction du premier principe104 SelonOrigegravene lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese eacutetait sans existence ni subsis-tance (ἀνύπαρκτον καὶ ἀνύποστατον) lrsquoEcirctre absolu et lrsquoUnabsolu ne devaient faire qursquoun et ecirctre identifieacutes agrave lrsquointellect commeprincipe supeacuterieur105 ce nrsquoeacutetait donc qursquoavec la seconde hypothegravese

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 135

102 Proclus In Parm I 63531-6364 Theacuteol Plat II 4 311-28103 Nous nrsquoentrons pas ici dans le deacutebat concernant la question de savoir si

Origegravene nommeacute laquo le platonicien raquo est le mecircme qursquoOrigegravene le chreacutetien Nouspostulons qursquoil srsquoagit de deux personnages distincts (en cela nous suivonsnotamment R Goulet laquo Porphyre Ammonius les deux Origegravene et lesautres raquo Revue drsquohistoire et de philosophie religieuse 57 1977 p 471-496repris dans R Goulet Eacutetudes sur les Vies de philosophes de lrsquoAntiquiteacute tar-dive Diogegravene Laeumlrce Porphyre de Tyr Eunape de Sardes Textes et traditionsI Paris Vrin 2001 p 267-290) Sur ce sujet voir le statut de la question dansL Brisson R Goulet laquo Origegravene le platonicien raquo dans R Goulet (eacuted) Dic-tionnaire des philosophes antiques Paris CNRS IV 2005 p 804-807 M Zambon laquo Porfirio e Origene uno status quaestionis raquo dans S Morlet(eacuted) Le Traiteacute de Porphyre contre les chreacutetiens Un siegravecle de recherches nou-velles questions Paris Institut drsquoEacutetudes augustiniennes 2011 p 107-164 etles eacutetudes reacuteunies par B Baumlbler H-G Nesselrath (eacuted) Origenes der Christund Origenes der Platoniker Tuumlbingen Mohr Siebeck 2018 (dont lrsquoarticle deCh Riedweg qui identifie les deux personnages)

104 Drsquoapregraves le titre de son ouvrage transmis par Porphyre (VP 332 cf Pro-clus Theol plat II 4 A) Ὃτι μόνος ποιητὴς ὁ βασιλεύς Origegravene associaitvraisemblablement le laquo roi raquo (premier principe) au deacutemiurge nommeacute ποιητήςcontrairement agrave Numeacutenius qui les distingue au fragment 12 (20 F)

105 Sur ce sujet voir par ex HD Saffrey LG Westerink Proclus Theacuteo-logie platonicienne T II Paris Les Belles Lettres 1974 p X-XX C Steellaquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 32-35 L Bris-son laquo The Reception of Parmenides before Proclus raquo dans JD TurnerK Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage vol II Reception inPatristic Gnostic and Christian Neoplatonic Texts Atlanta Society of Bibli-cal Literature 2011 p 49-64

que commenccedilait selon lui lrsquoonto-theacuteologie platonicienne parce qursquoelleaurait deacutecrit lrsquointellect et les formes Origegravene paraissant plus proche deson maicirctre que Plotin106 son interpreacutetation eacutetait peut-ecirctre celle drsquoAm-monius et comme les argumentations drsquoAmmonius et de Numeacuteniussont parfois rapprocheacutees107 on pourrait penser agrave une parenteacute entre ellessur ce sujet eacutegalement Quoi qursquoil en soit sur ce point on peut retenirdeux choses de la comparaison avec lrsquointerpreacutetation drsquoOrigegravene lerefus de consideacuterer le premier principe comme identique agrave lrsquoUn absolude la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et lrsquoidentification de ce prin-cipe agrave lrsquoEcirctre absolu

Peut-on alors supposer que Numeacutenius agrave lrsquoinstar drsquoOrigegravene conccediloitlui aussi cet Ecirctre comme deacutecrit dans la deuxiegraveme hypothegravese Crsquoest eneffet avions-nous vu drsquoembleacutee la seule maniegravere de lui supposer reacuteelle-ment une utilisation du Parmeacutenide dans sa description du premier prin-cipe

b) Le Bien et lrsquo laquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

On peut en effet rappeler que Plotin a tendance agrave situer le premierde Numeacutenius au rang du second selon sa propre doctrine Toutefois agravela lecture du Parmeacutenide lui-mecircme Numeacutenius aurait assureacutement eacuteteacutegecircneacute degraves la formulation de lrsquohypothegravese consideacuterant Un et ecirctre (οὐσία)comme deux eacuteleacutements seacutepareacutes neacutecessitant la participation de lrsquoUn agravelrsquoecirctre (142 b-c) Pour Numeacutenius le premier principe est lrsquoecirctre il nrsquoapas part agrave lrsquoecirctre Lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacutenide ten-tera certes de reacutesoudre la difficulteacute et si Numeacutenius avait commenteacute letexte il aurait sans doute fait de mecircme Mais est-il bien neacutecessaire delui precircter pareille entreprise Il nrsquoest en effet pas davantage inteacuteresseacute agrave

136 Fabienne JOURDAN

106 Voir HD Saffrey LG Westerink op cit p XIX107 Voir par ex le teacutemoignage de Neacutemeacutesius (fr 4 b = Sur la nature de

lrsquohomme 2 8-14) qui les associe dans la critique de la corporeacuteiteacute de lrsquoacircmecaracteacuteristique de la conception stoiumlcienne

utiliser la seacuterie de preacutedicats contraires cette fois accepteacutes pour lrsquoUn decette deuxiegraveme hypothegravese Si nous nrsquoen retenons seulement quelques-uns parmi ceux pouvant concerner une reacutealiteacute intelligible on noteraque la notion de pluraliteacute ne peut concorder avec la repreacutesentation delrsquouniteacute indivisible que constitue le Bien pas davantage que le coupleantitheacutetique drsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave soi Trois points pourraientecirctre malgreacute tout rapprocheacutes dans la deacutefinition du Bien numeacutenien et delrsquoUn de la seconde hypothegravese lrsquoaffirmation drsquoune preacutesence agrave la fois ensoi et en autre chose (145 b 6-7) ndash mais elle est caracteacuteristique de touteforme intelligible et la contradiction apparente est reacutesolue par le pheacute-nomegravene de la participation bien deacuteveloppeacute par Numeacutenius lrsquoideacutee quece principe est en mouvement et en repos (145 a 3-146 a 7)ndash mais nousavons montreacute son sens particulier lieacute au processus de la penseacutee propreagrave lrsquointellect qui nrsquoest pas deacuteveloppeacute dans le Parmeacutenide et enfin larelation au temps (152 a) mais elle nrsquoest que provisoire concernant ladeuxiegraveme hypothegravese dans la mesure ougrave celle-ci va ensuite associerlrsquoecirctre agrave toutes les dimensions du temps alors que Numeacutenius ne lrsquoasso-cie qursquoau preacutesent comme le fait le Timeacutee (et peut-ecirctre le vrai Parmeacute-nide lui-mecircme au fragment 85)

Il nous semble donc peu probable que Numeacutenius ait envisageacute sonpremier principe en songeant agrave lrsquoUn-qui-est du Parmeacutenide ou aitmecircme tenteacute de le lui faire correspondre dans une eacutetape ulteacuterieure de sareacuteflexion En cela le deacutesaccord qui semble affleurer avec Origegravene surla caracteacuterisation des principes se retrouverait sur ce point eacutegalement

c) Le second dieu (le Bon) et lrsquolaquo Un qui est raquo

Une autre possibiliteacute peut toutefois se preacutesenter agrave lrsquoesprit Numeacute-nius nrsquoaurait-il pas alors associeacute agrave ce second Un son second dieu etprincipe qui lui est effectivement agrave la fois Un et plusieurs (143 a 5)au sens ougrave il connaicirct une laquo division raquo lorsqursquoil rencontre la matiegravere108

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 137

108 Fr 11 (19 F)

Telle est en effet lrsquohypothegravese de JD Turner109 On pourrait lrsquoeacutetayer ennotant que ce dieu est drsquoailleurs lui aussi seacutepareacute pour ainsi dire de saforme le Bien ce qui constitue deux aspects de son ecirctre et mecircme de laforme qursquoil produit comme modegravele du monde lui aussi a en outre partagrave lrsquoοὐσία qursquoil reccediloit du premier En extrapolant on pourrait imaginerque crsquoest agrave lui que reviennent tous les couples de contraires puisqursquoilest agrave la fois dans lrsquointelligible par sa contemplation et preacuteoccupeacute dusensible tendant au contact avec la matiegravere110 Mais nous irions troploin Numeacutenius fait certes de ce second dieu lrsquoecirctre deacuteriveacute mais il estecirctre assureacutement et nrsquoest pas concerneacute par les preacutedicats caracteacuterisant lesensible (comme la grandeur la limite lrsquoacircge) Ce qui peut paraicirctrecontraire en ce dieu ce sont seulement des attitudes lieacutees agrave son orienta-tion dans un processus cosmogonique Numeacutenius ne paraicirct pas avoirainsi deacutefini son essence dont la caracteacuteristique fondamentale est lrsquoimi-tation et la participation au Bien Crsquoest pourquoi mecircme si cela peutparaicirctre tentant nous ne pensons pas qursquoil ait conccedilu ce second dieu ensongeant agrave la deuxiegraveme hypothegravese du Parmeacutenide ni mecircme qursquoil aittenteacute apregraves lrsquoavoir deacutefini de le lui faire correspondre111 Le consideacuterer

138 Fabienne JOURDAN

109 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 137-138 qui ajoute agravecela une reacuteflexion sur ce que certains Anciens consideacuteraient comme la troisiegravemehypothegravese (155 e 4-157 b 4) et fait du second dieu de Numeacutenius dans sa dualiteacutemecircme un repreacutesentant des Un de la deuxiegraveme et troisiegraveme hypothegraveses (Un-plu-sieurs et Un-et-plusieurs) Cette lecture est ingeacutenieuse mais inveacuterifiable

110 Fr 11 (19 F)111 Concernant les autres hypothegraveses nous pourrions faire deux remarques

Dans la troisiegraveme la deacutefinition des laquo autres choses raquo comme eacutetant de natureillimiteacutee mais recevant leur limite par participation agrave lrsquoUn (158 d 7-8) corres-pond agrave la conception de la formation du monde par le deacutemiurge (fr 18 26 F cf fr 52) Mais cette interpreacutetation est la leccedilon mecircme du Timeacutee coupleacute avec lePhilegravebe Dans la derniegravere hypothegravese ensuite en 165 c 2 on trouve lrsquoexpres-sion ὀξὺ νοοῦντι pour deacutesigner celui qui regarde de pregraves et voit que les chosesqui paraissent unes sont en reacutealiteacute plusieurs car priveacutees drsquouniteacute Avec lrsquoexpres-sion ὀξὺ βλέποντι au fr 19 (27 F) Numeacutenius pourrait faire un clin drsquoœilentendu agrave ce passage lorsqursquoil invite agrave comprendre ce qui est selon lui le vraisens du terme un appliqueacute au Bien celui drsquouniciteacute Lrsquoeacutecho lexical pourrait ren-

selon chacun de ses deux laquo aspects raquo comme correspondant agrave lrsquolaquo Un-plusieurs raquo et agrave lrsquolaquo Un-et-plusieurs raquo de la deuxiegraveme et de la troisiegravemehypothegraveses entrevue par certains Anciens comme le fait J Turnerrelegraveve selon nous drsquoune lecture plotinienne qui ne correspond pas agravelrsquoenseignement du Περὶ τἀγαθοῦ112 Cela une fois encore nrsquoem-pecircche pas que Numeacutenius ait pu inspirer Plotin dans sa propre lecturedu Parmeacutenide

3 Le Περὶ τἀγαθοῦ et la premiegravere partie du Parmeacutenide

Dans le Περὶ τἀγαθοῦ Numeacutenius nrsquoa ainsi selon nous pas conccedilusa reacuteflexion sur les principes agrave partir drsquoun commentaire du Parmeacutenideni nrsquoa mecircme tenteacute de la faire correspondre aux hypothegraveses de laseconde partie de ce dialogue apregraves lrsquoavoir eacutelaboreacutee En revanche ilsrsquoest assureacutement inteacuteresseacute agrave la premiegravere partie ou du moins aux diffi-culteacutes dans lesquelles elle place la theacuteorie des formes113 Qursquoil ait ounon en tecircte ce dialogue le sien en tout cas cherche assureacutement agraverendre possible la participation et donc agrave sauver la theacuteorie des formespar-delagrave les objections que lui adresse Parmeacutenide Ce sujet nous inteacute-ressant moins directement ici nous ferons bref

Agrave la question de savoir srsquoil y a des formes de tout (130 b-e) Numeacute-nius reacutepond assureacutement qursquoil y en a de tout ce qui a part au Bien114 agrave

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 139

voyer agrave cette illusion relative agrave la saisie de ce qursquoest laquo ecirctre un raquo Lrsquoexpressionnrsquoeacutetant pas absente par ailleurs chez Platon (voir le commentaire au fragment19 27 F) il nrsquoest cependant pas neacutecessaire de penser que Numeacutenius ait ce pas-sage du Parmeacutenide en tecircte il est simplement tentant drsquoy songer dans uncontexte de reacuteflexion sur lrsquoUn

112 Contra JD Turner laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art citp 138-139

113 On remarquera qursquoAlcinoos (Did IX p 163 H 23-31 L W) fait demecircme en reacutepondant agrave la question de ce dont il y a des formes et en concevantcelles-ci comme des penseacutees du premier dieu

114 Fr 13 et 19 (21 et 27 F)

la question du rapport entre forme et participeacute il envisage positive-ment les deux solutions proposeacutees par Socrate a) les formes sont pourlui des penseacutees (cf Parm 132 b-c) elles sont celles du seconddieu115 et elles pensent (cf Parm 132 c) puisque telle est la maniegraverede participer au Bien116 b) les formes sont par ailleurs des paradigmes(cf Parm 132 d) comme le montre lrsquoexemple embleacutematique du rap-port entre le Bon qursquoest le deacutemiurge et le Bien envisageacute commeforme117 Quant agrave lrsquoargument du troisiegraveme homme en placcedilant le Bienau sommet de lrsquointelligible Numeacutenius estime peut-ecirctre y avoir ultime-ment reacutepondu Lrsquoobjection de la seacuteparation (133 a 8-134 c 7) enfinavec le double risque qursquoelle comporte de lrsquoinconnaissabiliteacute desformes (134 a-b) et du deacutefaut de connaissance de notre monde par ledieu qui ne pourrait alors pas agir agrave notre eacutegard (134 e) aura particu-liegraverement retenu son attention tout le dialogue Sur le Bien tend eneffet agrave montrer la continuiteacute agrave la fois ontologique et eacutepisteacutemique desdiffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute ndash le sensible lui-mecircme en tant que prisen charge par le deacutemiurge qui lrsquoeacutelegraveve agrave son propre caractegravere (autrementdit agrave sa bonteacute et agrave ce qui en deacutecoule)118 relegraveve en effet de la μετ-ουσία autrement dit de ce qui vient certes laquo apregraves lrsquoοὐσία raquo mais y amalgreacute tout essentiellement part119 Le Περὶ τἀγαθοῦ conduit en toutcas drsquoune part agrave la connaissance de la forme premiegravere tandis que celle-ci srsquoavegravere la connaissance ultime qui se transmet ensuite120 il montredrsquoautre part la relation permanente du premier agrave notre monde non seu-lement par lrsquointermeacutediaire du second dieu qui assure directement lrsquoac-tion providentielle mais par le salut ou la conservation (σωτηρία)

140 Fabienne JOURDAN

115 Fr 16 (24 F) Nous reacutesumons voir notre interpreacutetation du fragment116 Fr 19 (27 F) Lagrave aussi nous reacutesumons notre interpreacutetation laquo Pense raquo en

reacutealiteacute tout ce qui a part au Bien En outre lrsquoidentification de lrsquointellect agrave uneforme au fragment 20 (28 F) suggegravere cette interpreacutetation

117 Fr 16 19 et 20 (24 27-28 F)118 Fr 11 (19 F) cf fr 18 (26 F)119 Voir lrsquoutilisation fort suggestive de ce terme pour deacutesigner la participa-

tion agrave la fin du fragment 16 (24 F)120 Fr 13-14 (21-22 F)

qursquoil dispense lui-mecircme reacuteellement121 en tant que Bien et qursquoEcirctre quiassure ultimement la coheacutesion du monde

Nous ne preacutetendons pas que Numeacutenius reprenne point par point lesobjections de Parmeacutenide agrave Socrate contre la theacuteorie des formes Maisqursquoil les ait consideacutereacutees directement dans le dialogue de Platon ou qursquoilles ait connues par la tradition il les a prises au seacuterieux et a senti luiaussi la neacutecessiteacute drsquoy reacutepondre pour sauver Platon agrave la maniegravere dont illrsquoentendait

4 Conclusion sur Numeacutenius et le Parmeacutenide

Rien donc dans lrsquoœuvre parvenue ne permet de conclure agrave uneinterpreacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide par Numeacutenius nonseulement les textes ne contiennent pas de reacuteels parallegraveles avec le dia-logue de Platon mais ils suggegraverent que Numeacutenius ne srsquoest fondeacute suraucune des deux premiegraveres hypothegraveses pour deacuteterminer les traits de sonpremier principe ni mecircme sur la deuxiegraveme (voire la troisiegraveme) pourdeacutefinir le second Il est mecircme peu vraisemblable qursquoil ait tenteacute reacutetros-pectivement de les leur faire correspondre Il srsquoest en revanche assureacute-ment inquieacuteteacute des objections dresseacutees contre la theacuteorie des formes dansla premiegravere partie du dialogue et aura tenteacute drsquoy reacutepondre en assurant lavaliditeacute de la participation selon les diffeacuterentes modaliteacutes envisageacutees lagravepar Socrate ndash en cela il srsquoinscrit vraisemblablement dans la traditionplatonicienne122 dont il heacuterite peut-ecirctre plus de la probleacutematique qursquoilne la cherche directement dans le texte de Platon Concernant laseconde partie du dialogue il a pu percevoir dans lrsquoexposeacute de la pre-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 141

121 Fr 15 (23 F)122 Voir les remarques de la note 100 sur Alcinoos Mecircme si Alcinoos est

peut-ecirctre posteacuterieur agrave Numeacutenius de toute eacutevidence les platoniciens ont tenteacutede montrer la justesse de la theacuteorie des formes et de la participation contre lescritiques drsquoAristote ainsi assureacutement que contre celles deacutejagrave eacuteleveacutees dans leParmeacutenide et vraisemblablement inspireacutees (entre autres) par les discussions ausein de lrsquoAcadeacutemie

miegravere hypothegravese une raison suffisante pour ne pas identifier son premierprincipe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit prenant ainsi Platon agrave la lettre agrave propos ducaractegravere aporeacutetique de lrsquoUn tel qursquoil eacutetait lagrave envisageacute

Si elle eacutetait aveacutereacutee cette attitude aurait une double conseacutequencepour la compreacutehension de lrsquohistoire du platonisme

Elle pourrait drsquoabord reacuteveacuteler une intention poleacutemique agrave plusieursniveaux Elle est en effet concevable comme une reacuteaction agrave lrsquoeacuteven-tuelle association neacuteo-pythagoricienne du premier principe associeacute agravelrsquoUn ou agrave la monade avec lrsquoUn absolu de la premiegravere hypothegravese duParmeacutenide Mecircme si selon nous lrsquoidentification du premier principe agravelrsquoUn chez Speusippe et les neacuteo-pythagoriciens123 relegraveve avant tout dela tradition acadeacutemicienne pythagorisante relative agrave lrsquoUn et agrave la Dyadeainsi que du compte-rendu aristoteacutelicien de lrsquoenseignement oral de Pla-ton sur les principes124 il nrsquoy a pas en soi de raison drsquoexclure une pos-sible invocation pour confirmation de lrsquoUn du Parmeacutenide (agrave condi-tion de ne pas leur precircter une interpreacutetation neacuteoplatonicienne) Parsuite une poleacutemique avec lrsquoAncienne Acadeacutemie est eacutegalement envisa-geable Non seulement dans sa deacutefense de la theacuteorie des formes125Numeacutenius pourrait tenter de reacutepliquer agrave la suppression de celles-ciopeacutereacutee par Speusippe mais aussi srsquoopposer agrave la conception du premierprincipe precircteacutee agrave lrsquoAncien Acadeacutemicien Que lrsquoon croie Aristote selonlequel lrsquoUn de Speusippe ne serait laquo pas mecircme un ecirctre raquo126 ou plutocirct

142 Fabienne JOURDAN

123 Voir la note 75124 Voir aussi Meacutet N 4 1091 b 13-15 EE A 8 1218 a 15-32 ougrave le Bien est

associeacute agrave lrsquoUn125 Selon lui la connaissance drsquoun objet quelconque consistait dans celle

de ses relations agrave tous les autres (fr 73 Taraacuten = 2 I P2 = Proclus In Euclp 179 12-22 Friedlein) et crsquoest aux nombres qursquoil aurait alors accordeacute le statutde principe (voir le reacutesumeacute de A Meacutetry Speusippos Zahl Erkenntnis SeinBernStuttgartWien Paul Haupt 2002 p 11-13 et celui de HD Kraumlmerlaquo Die Aumlltere Akademie raquo dans H Flashar (eacuted) Grundriss der Geschichte derPhilosophie Band 3 Aumlltere Akademie Aristoteles Peripatos Basel SchwabeVerlag 20042 [1983] p 16-17)

126 μηδὲ ὄν τι εἶναι τὸ ἕν αὐτό Meacutet N 5 1092 a 16 (fr 43 Taraacuten = 25 IP2 = Aristote Meacutet N 5 1092 a 11-17)

Jamblique selon qui il ne serait laquo pas encore ecirctre raquo127 une distinctionentre lrsquoUn conccedilu comme premier principe et lrsquoecirctre semble agrave lrsquoœuvrechez lui128 si bien que certains ont mecircme penseacute que Platon lui reacutepon-dait dans le Parmeacutenide129 Il nrsquoest pas utile drsquoentrer dans ce deacutebat laposition de Speusippe peut relever drsquoune reacuteflexion sur le Bien deReacutepublique VI et drsquoune appropriation de lrsquoenseignement oral de Platonagrave nous transmis par le compte-rendu aristoteacutelicien qui laisse Platonassocier eacutetroitement le Bien et lrsquoUn Disons simplement que srsquoil a euconnaissance de la position de Speusippe Numeacutenius peut avoir voulului reacutepondre Nrsquooublions pas qursquoagrave lui comme agrave ses pairs dans lrsquoAn-cienne Acadeacutemie il reproche de ne pas avoir pas laquo tout souffert raquo pour

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 143

127 ὅπερ δὴ ουδὲ ὄν πω δεῖ καλεῖν DCMS IV p 157-8 FestaKlein128 La reconstruction de lrsquoenseignement exact de Speusippe sur le premier

principe est neacutecessairement fragile drsquoune part elle est fondeacutee sur lrsquointerpreacuteta-tion du texte drsquoAristote qui est empreint de critique drsquoautre part elle esteacutetayeacutee par deux autres textes dont le lien agrave Speusippe est controverseacute et dontles auteurs agrave la fois sont familiers du neacuteo-pythagorisme et ont lu Plotin chezqui lrsquoUn est effectivement au-dessus de lrsquoecirctre (il srsquoagit de Jamblique et de Pro-clus dans la traduction de Guillaume de Moerbeke In Parm VII 401-9 Kli-bansky-Labowsky = 50162-71 Steel = fr 48 Taraacuten = 30 IP2) Nous ne propo-sons ici qursquoune hypothegravese de reacuteflexion Pour un exposeacute plus deacutetailleacute sur la rela-tion eacuteventuelle de Numeacutenius agrave Speusippe dans lrsquoeacutelaboration drsquoune leacutegitimiteacuteplatonicienne voir la premiegravere annexe de notre eacutedition commenteacutee des frag-ments de Numeacutenius en preacuteparation

129 Crsquoest la lecture de A Graeser (laquo Platon gegen Speusipp Bemerkun-gen zur ersten Hypothese des Platonischen Parmenides raquo Museum Helveti-cum 54 1997 p 45-47 et laquo Anhang Probleme der Speusipp-Interpreta-tion raquo dans Prolegomena zu einer Interpretation des zweiten Teils des Plato-nischen Parmenides Bern Paul Haupt 1999 p 41-53) et J Halfwassen(Der Aufstieg zum Einen op cit et laquo Speusipp und die metaphysische Deu-tung von Platons Parmenides raquo art cit) adopteacutee par ex par R Dancy(laquo Speusippus raquo dans EN Zalta (eacuted) The Stanford Encyclopedia of Philo-sophy Winter 2012 Edition 20112 [2003] en ligne) et rejeteacutee par C Steel(laquo A Neoplatonic Speusippus raquo art cit p 470 473-475) et LP Gerson(laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit p 2-11de la version eacutelectronique)

rester dans une communauteacute de penseacutee avec leur maicirctre130 Commenous lrsquoavons suggeacutereacute dans les preacuteliminaires il ne serait alors pasimpossible qursquoavec cette eacuteventuelle lecture du Parmeacutenide Numeacuteniuseucirct souhaiteacute reacutepliquer agrave lrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne signaleacutee delrsquoenseignement oral de Platon trouvant quant agrave lui dans le Platon eacutecritla juste interpreacutetation du Platon oral mal laquo entendu raquo Pareille supposi-tion doit toutefois ecirctre prise avec prudence

Par-delagrave la mise en eacutevidence drsquoune poleacutemique agrave plusieurs niveauxlrsquohypothegravese proposeacutee sur lrsquoattitude de Numeacutenius concernant ladeuxiegraveme partie du Parmeacutenide permet de mieux deacuteterminer a contra-rio ce qui caracteacuterise une interpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo 131 du dia-logue De maniegravere geacuteneacuterale drsquoabord la position de Numeacutenius montrepar contraste que lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne trouve son originedans une vue contraire agrave la sienne sur le statut de la forme du Bien et sasituation agrave lrsquoeacutegard de lrsquoοὐσία en Reacutepublique VI ainsi peut-ecirctre que

144 Fabienne JOURDAN

130 Fr 2416-18 1 F = Eusegravebe PE XIV 5 2131 Nous en restons aux caractegraveres geacuteneacuteraux il nrsquoy a en effet pas une seule

et unique interpreacutetation post-plotinienne du Parmeacutenide On remarquera enoutre que Jamblique (drsquoapregraves Proclus In Tim III 1049-16 Diehl) semble eacutevo-quer chez Ameacutelius et Numeacutenius (si lrsquoon suit le raisonnement de Proclus) desdistinctions relatives aux diviniteacutes dans le Sophiste le Philegravebe et le Parmeacutenidequi ne correspondent pas agrave celles retenues dans le neacuteoplatonisme Si ce proposne se rapporte pas seulement agrave Ameacutelius mais vraiment aussi agrave Numeacutenius ilfaudrait en tirer lagrave encore la conclusion que son interpreacutetation ne correspondpas agrave celle du neacuteoplatonisme qui identifie son premier principe agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et donc pas non plus agrave celle des neacuteopytha-goriciens que lrsquoon reconstruit agrave partir des teacutemoignages neacuteoplatoniciens Celadit mecircme srsquoil est tentant de penser que le οὗτοι (10411) de Proclus renvoieaux deux exeacutegegravetes qursquoil vient de citer il se peut malgreacute tout que ne soit deacutesigneacutelagrave que le seul Ameacutelius disciple de Plotin et donc assureacutement familier de lrsquoexeacute-gegravese du Parmeacutenide Il nrsquoy a en revanche aucune difficulteacute agrave precircter agrave Numeacuteniusdes exeacutegegraveses partielles du Sophiste et du Philegravebe (voir nos interpreacutetations desfragments 15 23 F) et 19 27 F) Il nrsquoy en a drsquoailleurs pas davantage agrave imagi-ner chez lui une utilisation partielle du Parmeacutenide ou des allusions agrave ce dia-logue voire une prise agrave la lettre du propos de Parmeacutenide sur lrsquoUn de la pre-miegravere hypothegravese conduisant agrave renoncer agrave celui-ci comme premier principe

dans une appropriation du compte-rendu de lrsquoenseignement oral dePlaton par Aristote En affirmant lrsquoidentiteacute ontologique du Bien et delrsquoEcirctre Numeacutenius srsquointerdit lrsquoidentification de son premier principe agravelrsquoUn distinct de lrsquoecirctre de la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide En refu-sant au contraire pareille identiteacute en srsquoappuyant peut-ecirctre sur lrsquoidenti-fication du Bien et de lrsquoUn precircteacutee agrave Platon et aux platoniciens par Aris-tote et en appliquant ces deux eacuteleacutements agrave une lecture du Parmeacutenide132Plotin ouvre la voie de lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologiqueulteacuterieure du dialogue Malgreacute son caractegravere hypotheacutetique la supposi-tion selon laquelle Numeacutenius prendrait effectivement acte des conseacute-quences aporeacutetiques de la premiegravere hypothegravese en nrsquoidentifiant pas sonpremier principe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit permet ici encore a contrariode deacuteterminer deux autres eacuteleacutements indissociables caracteacuteristiques delrsquointerpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo du Parmeacutenide lrsquoidentification dupremier principe agrave lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese et par suite une lec-ture laquo positive raquo de celle-ci qui en reacutealiteacute contredit les conclusionsneacutegatives de Platon agrave son sujet Une theacuteologie neacutegative en est alorscertes tireacutee (que lrsquoon songe au Commentaire anonyme au Parmeacutenideou agrave celui de Proclus133) Mais cette neacutegativiteacute est conccedilue commereacutesultant de lrsquoincapaciteacute fondamentale de lrsquohomme agrave concevoir le pre-mier principe autrement que par analogies et approximations neacutecessai-rement erroneacutees Elle ne concerne pas le principe en lui-mecircme ni laconviction qursquoil constitue le fondement ultime assurant la coheacutesion dela reacutealiteacute Numeacutenius aura quant agrave lui preacutefeacutereacute rester fidegravele agrave la lettre dutexte et donc aux doutes du maicirctre qui laisse parler Parmeacutenide Agrave ce

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 145

132 Les deux premiers eacuteleacutements agrave eux seuls conduisent seulement agrave laposition de Speusippe dont rien ne permet drsquoaffirmer le rattachement au Par-meacutenide Nous compleacutetons en cela les hypothegraveses de J Whittaker laquo ΕΠΕ-ΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit Voir aussi LP Gerson laquo The lsquoNeo-platonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit

133 In Parm VII 51872-84 Plutocirct que de radicaliser la neacutegation pour par-ler de lrsquoUn Proclus indique que la neacutegation porte en reacutealiteacute sur la conceptionde lrsquoUn et pas sur lrsquoUn lui-mecircme qui garde la fonction laquo positive raquo drsquoassurer lacoheacutesion du reacuteel

stade de nos connaissances et drsquoapregraves lrsquoœuvre parvenue precircter agraveNumeacutenius cette reacuteaction aux conclusions de la premiegravere hypothegravesenous paraicirct la seule maniegravere prudente drsquoenvisager de sa part une inter-preacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide Renoncer agrave lui en precircterune ne poserait toutefois aucune difficulteacute

5 Appendice Numeacutenius et Parmeacutenide134

Cette conclusion sobre sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenidesuggegravere drsquointerroger pour finir son attitude agrave lrsquoeacutegard du Parmeacutenide his-torique lui-mecircme auquel Plotin fait parfois appel Que Numeacutenius aitconnu et utiliseacute (directement ou non) le poegraveme Sur la nature est aveacutereacutepar le teacutemoignage de Porphyre selon lequel il aurait associeacute les porteseacutevoqueacutees lagrave135 agrave celles du Cancer et du Capricorne repreacutesentant selonlui les voies respectivement descendante et ascendante des acircmes136Or dans le Περὶ τἀγαθοῦ qui seul nous inteacuteresse ici deux eacuteleacutementsdoctrinaux pourraient relever drsquoune appropriation personnelle de Par-meacutenide ou plutocirct de la tradition agrave son sujet telle qursquoelle serait parvenueagrave Numeacutenius ndash Platon ayant assureacutement aiguiseacute chez ses successeurslrsquointeacuterecirct pour la penseacutee du personnage eacuteponyme de son dialogue Sansentrer dans une recherche des sources ni dans un exposeacute deacutetailleacute de lapenseacutee de Parmeacutenide et des interpreacutetations de son poegraveme nous nouscontenterons ici drsquoeacutevoquer ces deux points dans le simple but drsquoouvrirla recherche

Le premier concerne la relation de lrsquoecirctre au temps et au change-ment telle qursquoelle est deacutecrite dans le fragment 5 (14 F) deacutejagrave citeacute en par-tie Lrsquoaffirmation que lrsquoecirctre ne saurait ecirctre dans le passeacute ou lrsquoavenir

146 Fabienne JOURDAN

134 Je remercie Francesco Fronterotta drsquoavoir relu cette derniegravere section135 Parmeacutenide fr 1 11 D-K ougrave sont deacutecrites les laquo portes ouvrant sur les

chemins de la nuit et du jour raquo136 Voir Porphyre De antro 21-24 ici surtout 24 Numeacutenius fr 31 27-28

Sur ce texte voir le commentaire de W Huumlbner dans lrsquointroduction de lrsquoeacuteditioncommenteacutee du De Antro parue sous la direction de T Dorandi Paris Vrin2019

mais que seul le preacutesent lui convient et qursquoil ne pourrait pas davantagechanger renvoie assureacutement au propos du Timeacutee (37 d 2-38 b 2)137Que Platon deacuteveloppe ici une reacuteflexion originellement preacutesente chezParmeacutenide et plus preacuteciseacutement pour nous dans le fragment 8 de sonpoegraveme138 pourrait suffire agrave expliquer cet eacutecho parmeacutenidien chezNumeacutenius Mais il est frappant que dans ce fragment 5 (14 F) duΠερὶ τἀγαθοῦ relayeacute par les suivants Numeacutenius reprenne une seacuteriedrsquoeacuteleacutements qui deacutecrivent lrsquoecirctre dans le passage concerneacute du poegraveme outre ceux deacutejagrave nommeacutes on retrouve chez lui lrsquoimpossibiliteacute qursquoalrsquoecirctre de devenir plus grand ou plus petit139 et la neacutecessiteacute qui estsienne de demeurer en lui-mecircme au mecircme endroit140 Ainsi lorsqueNumeacutenius estime que si ces laquo prescriptions raquo indispensables agrave ladeacutetermination de lrsquoecirctre veacuteritable nrsquoeacutetaient pas respecteacutees il se produi-rait une laquo impossibiliteacute majeure dans son discours unique en songenre agrave savoir que lrsquoecirctre agrave la fois serait et ne serait pas raquo141 et faitensuite paraphraser lrsquoideacutee par le disciple du dialogue avec la formule

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 147

137 Voir aussi Plutarque De E 20 393 a-c dont la position est compareacuteeavec celle de Numeacutenius dans notre analyse du fragment

138 Voir les vers suivants du fragment 8 D-K agrave lrsquoorigine de toute lareacuteflexion sur lrsquoeacuteterniteacute (cf M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art citp 157) οὐδέ ποτ᾽ ἦν ἔσται ἐπεὶ νῦν ἐστιν ὁμοῦ πᾶν ἕν συνεχές τίναγὰρ γένναν διζήσεαι αὐτοῦ laquo Il nrsquoa jamais eacuteteacute et ne sera jamais puisqursquoilest maintenant tout ensemble un continu Car quelle naissance pourrais-tului chercher raquo v 5-7 (trad Kirk Raven Schofield en fr par H-A de Weck)et πῶς δ᾽ἄν ἔπειτα πέλοι τὸ ἐόν πῶς δ᾽ἄν κε γένοιτο εἰ γὰρ ἔγεντ᾽ οὐκἔστ᾽ οὐδ᾽ εἴ ποτε μέλλει ἔσεσθαι τῶς γένεσις μὲν ἀπέσβεσται καὶἄπυστος ὄλεθρος laquo Comment pourrait-il ecirctre par la suite Celui qui est Comment pourrait-il naicirctre Car srsquoil est neacute il nrsquoest pas de mecircme lt il nrsquoest pasnon plus gt srsquoil doit ecirctre un jour Ainsi est eacuteteinte la naissance eacuteteinte aussi ladestruction disparue sans qursquoon en parle raquo v 19-21 (trad D OrsquoBrien leacutegegravere-ment modifieacutee) Voir aussi les vers 26-28 du mecircme fragment 8 D-K sur lrsquoab-sence de mouvement ainsi que de deacutebut et de fin

139 Parmeacutenide fr 844-45 D-K140 Parmeacutenide fr 829-30 D-K cf Numeacutenius fr 11 (19 F)141 ὡς τούτου γε οὕτως λεγομένου ἓν γίνεταί τι ἐν τῷ λόγῳ μέγα

ἀδύνατον εἶναί τε ὁμοῦ ταὐτὸν καὶ μὴ εἶναι

relativement complexe εἰ δὲ οὕτως ἔχει σχολῇ γrsquo ἂν ἄλλο τι εἶναιδύναιτο τοῦ ὄντος αὐτοῦ μὴ ὄντος κατὰ αὐτὸ τὸ ὄν il nrsquoest pasexclu qursquoil ait ici le poegraveme parmeacutenidien agrave lrsquoesprit auquel il seraitrevenu directement ou non sous lrsquoimpulsion de Platon La phraseindique en effet (nous paraphrasons) que si pareille impossibiliteacute seproduisait il serait mecircme impossible agrave autre chose (que lrsquoecirctre) drsquoecirctrepuisque lrsquoecirctre lui-mecircme ne serait pas selon ce qursquoil devrait ecirctre (κατὰαὐτὸ τὸ ὄν) autrement dit selon sa propre essence et deacutefinitionNumeacutenius suggegravere sans doute par lagrave que si lrsquoecirctre eacutetait soumis au pas-sage du temps et au changement il serait tout simplement non-ecirctrepuisqursquoil ne correspondrait pas agrave sa propre deacutefinition ce qui explique-rait son impossibiliteacute de constituer le fondement de la reacutealiteacute Une foisreplaceacute dans le contexte de penseacutee de Numeacutenius ougrave ce qui est non-ecirctreest la matiegravere et la partie du sensible qui relegraveve drsquoelle lrsquoideacutee semblefort proche de la maniegravere dont Parmeacutenide dresse lrsquoantithegravese entre ecirctreet non-ecirctre dans ce mecircme fragment 8 de son poegraveme142 Cette impres-sion peut ecirctre eacutetayeacutee par celle drsquoune prise de distance agrave lrsquoeacutegard de cepassage du poegraveme lorsque Numeacutenius affirme que lrsquoecirctre nrsquoest pasmecircme mucirc autour de son centre143 si cette preacutecision fait sans doutedrsquoabord allusion agrave lrsquoacircme du monde qui se meut autour de celui-ci dansle Timeacutee et par suite au refus drsquoidentifier lrsquoecirctre veacuteritable agrave une acircme144elle porte peut-ecirctre eacutegalement la trace drsquoune reacuteaction agrave lrsquoidentificationparmeacutenidienne de lrsquoecirctre agrave une sphegravere145 Lrsquohypothegravese est cependantplus fragile et Numeacutenius heacuterite sans doute avant tout de Platon enverslequel il se situe Crsquoest agrave partir du Timeacutee qursquoil eacutelabore sa penseacutee Maisil ne semble pas exclu qursquoil soit parfois retourneacute (directement ou non)agrave lrsquooriginal auquel reacutefegravere implicitement Platon ce qui est drsquoautant plus

148 Fabienne JOURDAN

142 Sur le non-ecirctre chez Parmeacutenide voir par ex D OrsquoBrien Le Non-Ecirctredans la philosophie grecque Parmeacutenide Platon Plotin raquo dans P Aubenque(eacuted) Eacutetudes sur le Sophiste de Platon Napoli Bibliopolis 1991 p 4-9

143 οὔτε περὶ τὸ μέσον ποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται144 Il srsquoagit lagrave selon nous drsquoun argument essentiel agrave la non-identification

numeacutenienne du deacutemiurge agrave lrsquoacircme du monde145 Fr 8 42-44 D-K

vraisemblable que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacute comme un pythago-ricien146

Le second eacuteleacutement du Περὶ τἀγαθοῦ qui pourrait suggeacuterer lrsquoap-propriation drsquoun passage de Parmeacutenide147 est lrsquoidentification de lrsquoecirctreet de lrsquointellect agrave chacun des deux niveaux ougrave Numeacutenius les situe Ecirctre lui-mecircme (αὐτοόν) et ecirctre deacuteriveacute (ὄν) premier et second intel-lects correspondant au premier et au deuxiegraveme dieu Sans entrer dansle deacutetail de lrsquointerpreacutetation disons simplement que selon nous en fai-sant de lrsquolaquo acte raquo de penser148 lrsquoapanage du premier dieu et en identi-fiant ce mecircme dieu agrave lrsquoEcirctre149 Numeacutenius suggegravere une union intime etprofonde entre ecirctre et penser qursquoil aurait pu consideacuterer comme remon-tant agrave Parmeacutenide lui-mecircme ou qursquoil aurait pu eacutetayer par une appropria-tion du fragment 3 de son poegraveme tel qursquoil est transmis par CleacutementdrsquoAlexandrie et Plotin150 [] τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶεἶναι [] Certes dans ce fragment de vers lrsquoidentification entre ecirctreet penser est suggeacutereacutee par lrsquoextraction du texte hors de son contexte envue justement drsquoy trouver pareille identification Elle ne correspond

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 149

146 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres IX 21(A 1 D-K) Proclus In Parm I 6194 Cousin cf Jamblique VP 166 (A 4D-K)

147 Pour reprendre les termes du fragment 1 (10 F) on pourrait aussi parlerde lrsquolaquo invocation raquo de Parmeacutenide comme source pythagorisante en accord avecPlaton et confirmant la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ elle-mecircme eacutetayeacutee par leslaquo teacutemoignages raquo de celui-ci Numeacutenius semble en effet pouvoir citer Parmeacute-nide pour confirmer son propos agrave la fois parce qursquoil ne pouvait que paraicirctre enaccord avec Platon (cf fr 1 10 F) et parce que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacutecomme pythagoricien

148 Degraves le fragment 15 (23 F) de maniegravere implicite dans le fragment 16 (24F) et explicite au fragment 19 (27 F)

149 Fr 17 (25 F)150 Cleacutement Strom VI 2 233 Plotin Enn VI 1 [10] 817 V 9 [5] 29-

30 cf I 4 [46] 106 III 8 [30] 88 VI 7 [38] 4118 (voir D OrsquoBrien Eacutetudessur Parmeacutenide T I Le Poegraveme de Parmeacutenide Paris Vrin 1987 p 19) ndash Onpourrait drsquoailleurs aussi penser aux vers 34-36 du fragment 8 eacutevoqueacute dans leparagraphe preacuteceacutedent

sans doute pas au sens originel du passage151 De plus chez Numeacuteniusle type de penseacutee speacutecifique agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme nrsquoest pas le νοεῖν maisle φρονεῖν Mais drsquoune part νοεῖν nrsquoayant pas chez Parmeacutenide lesens preacutecis que lui donne ensuite la tradition platonicienne une margerelative drsquointerpreacutetation et de preacutecision eacutetait laisseacutee agrave lrsquointerpregraveteappartenant agrave cette tradition152 drsquoautre part on peut tregraves bien imaginerNumeacutenius extraire ce passage dont la juxtaposition des termes luiaurait paru opportune pour eacutetayer son propos et preacuteciser le sens de laformule ainsi obtenue en distinguant deux niveaux de lrsquoecirctre auxquelscorrespondent deux types distincts de penseacutee (le νοεῖν entendu ausens platonicien drsquointellection revenant au seul second dieu)153Lorsque Cleacutement et apregraves lui Plotin reprennent cette formule il neserait pas impossible qursquoils lrsquoempruntent ainsi extraite agrave Numeacutenius

150 Fabienne JOURDAN

151 Denis OrsquoBrien (ibid p 19 209-212) a montreacute qursquoen reacutealiteacute dans lepoegraveme les deux infinitifs ne doivent vraisemblablement pas ecirctre pris commesujet drsquoun ἐστίν agrave valeur copulative mais peut-ecirctre comme compleacutement dupronom (τὸ αὐτό) ou de lrsquouniteacute syntaxique constitueacutee par le pronom et leverbe (au sens de laquo crsquoest une seule et mecircme chose pour penser et pour ecirctre raquodrsquoougrave la traduction par laquo crsquoest une seule et mecircme chose que lrsquoon pense et quiest raquo) F Fronterotta reprend son analyse et conclut que pour Parmeacutenideνοεῖν deacutesigne une forme de perception immeacutediate non sans lien avec lrsquoactiviteacutesensorielle mais allant au-delagrave des sens et de leur uniteacute creacuteative (laquo Someremarks on noein in Parmenides raquo dans S Stern-Gillet K Korrigan (eacuted)Reading ancient texts Vol I Presocratics and Plato Leiden Brill 2007p 3-19) Il ne srsquoagit donc pas (encore) de la perception intuitive que deacutesignerace verbe ulteacuterieurement

152 Voir la note preacuteceacutedente153 Nous pourrions preacuteciser ainsi lrsquointention de Numeacutenius srsquoil songe effec-

tivement agrave cette formule Selon nous il partage la conviction platonicienne quiveut que pour ecirctre pensable il faut ecirctre reacuteellement (et donc ecirctre intelligible crsquoest la leccedilon du Timeacutee) Srsquoil confrontait cette conviction au vers de Parmeacute-nide il lui donnerait donc drsquoabord lrsquointerpreacutetation laquo objective raquo deacuteceleacutee parFr Fronterotta (laquo Some remarks on noein in Parmenides raquo art cit) Toutefoisdans sa deacutefinition de lrsquoecirctre bientocirct identifieacute au Bien il retourne de toute eacutevi-dence cette conception et considegravere que nrsquoest veacuteritablement que ce qui est pen-sable (et donc lagrave encore intelligible par ex fr 4 a 13 F sur la matiegravere qui

Plotin lrsquoutilise certes pour caracteacuteriser le seul et unique Intellect chezlui situeacute au seul second niveau de la reacutealiteacute Mais cela correspondrait agravesa tendance geacuteneacuterale agrave faire passer au second niveau ce qui correspondau premier chez Numeacutenius154

De Numeacutenius il heacuterite donc peut ecirctre drsquoune lecture de Parmeacutenideplutocirct que du Parmeacutenide

Fabienne JOURDANCNRS UMR 8167 laquo Orient et Meacutediterraneacutee raquo Paris-Sorbonne

jourdanfabiennewanadoofr

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 151

nrsquoest pas ecirctre et ougrave une preuve de cet eacutetat est son caractegravere inconnaissable)Appliqueacutee agrave la formule de Parmeacutenide cette conviction en produirait ce queFr Fronterotta appelle une lecture laquo subjective raquo En outre dans le deacutesir sansdoute drsquoexpliquer la participation de maniegravere concregravete il ne donne pas seule-ment lrsquointelligibiliteacute comme condition de lrsquoecirctre (au sens passif du terme) maisil considegravere le fait de penser comme condition du fait drsquoecirctre reacuteellement (ausens laquo actif raquo du terme) Crsquoest pourquoi srsquoil avait connu et utiliseacute la formule deParmeacutenide ne serait-ce que pour eacutetayer son propos il y aurait sans douteentendu lrsquoaffirmation de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre et de la penseacutee mieux du penserCela pourrait certes paraicirctre lui attribuer une forme drsquoideacutealisme heacutegeacutelien(selon les termes de Fr Fronterrota laquo Some remarks on noein in Parmenides raquoart cit p 6) Mais telle est aussi la lecture de Cleacutement drsquoAlexandrie (StromVI 2 233) Or mecircme srsquoil ne le cite explicitement qursquoune fois (Strom I 22150 1-4 = 29 Fd) Cleacutement connaicirct Numeacutenius et se sert parfois de ses eacutecritssans le nommer (voir par ex Strom I 8 405 Strom I 13 571) Il nrsquoest doncpas impossible que pareille interpreacutetation circulacirct deacutejagrave au temps de Numeacuteniusvoire chez lui et mecircme gracircce agrave lui Le raisonnement du Περὶ τἀγαθοῦ dumoins passe par lrsquoidentification de lrsquoecirctre agrave lrsquo laquo activiteacute raquo de penser ensuiteconccedilue aux niveaux infeacuterieurs comme condition mecircme de leur participation agravelrsquoecirctre (voir le fr 19 27 F)

154 Nous simplifions et deacutecrivons simplement une tendance le processuspreacutecis requerrait une explication deacutetailleacutee qui nrsquoa pas sa place ici

152 Fabienne JOURDAN

Page 2: NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE · 2020. 4. 16. · NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE?* PREMIÈREPARTIE: L’ŒUVREPARVENUEDENUMÉNIUSETLEPARMÉNIDE DEPLATON RÉSUMÉ Si

Lrsquoeacutetude proposeacutee comporte trois parties indeacutependantes examinantchacune de ces trois raisons avec les hypothegraveses qui lui sont associeacuteesApregraves une esquisse des principaux tenants de la penseacutee de Numeacuteniuscette premiegravere partie aborde les rapports parfois perccedilus et ceux encoreperceptibles entre son œuvre et le Parmeacutenide Elle montre que Numeacute-nius nrsquoa visiblement pas utiliseacute le dialogue de Platon pour eacutelaborer sapropre doctrine des deux premiers principes et a mecircme pu adopter unerelative distance agrave lrsquoeacutegard de lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese suivant encela une injonction qursquoil a pu penser percevoir chez Platon lui-mecircmeDegraves ce premier examen il apparaicirct que lrsquoœuvre parvenue de Numeacuteniusne suggegravere pas de bouleverser la conception la plus courante de lrsquohis-toire du platonisme en faisant de Numeacutenius le preacutecurseur de Plotindans lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique du Parmeacutenide Lrsquointerrogation surson rapport agrave ce dialogue fournit mecircme a contrario les critegraveres drsquouneinterpreacutetation reacuteellement neacuteoplatonicienne de la seconde partie decelui-ci Un prolongement de cette eacutetude montre toutefois que Numeacute-nius a pu inspirer Plotin dans son interpreacutetation de certaines formulesdu Parmeacutenide historique lui-mecircmeABSTRACTIf as a Platonist of his time Numenius used the Timaeus and the Poli-teia to elaborate and support his thoughts on Metaphysics and Cosmo-logy it is now usual to think that he also used the Parmenides in hisdescription of the first principle More precisely it could be temptingto believe that by doing so he identified this first principle with theOne However on close examination his work gives but few clues tobear out such a possibility In spite of these conclusions the hypothesissubsists for reasons that depend essentially on the History of Philoso-phy and on the researches it produces It is indeed often taken up againfor three reasons presented as corollaries the status of Numeniushimself as a Pythagorean Platonist a predecessor of Plotinus the realaffinities between his thought and the doctrine of The AnonymousCommentary on the Parmenides the parallels also seen between hisphrases and those from the supposedly common source to the Zostria-nus and the Against Arius by Marius Victorinus a source seen as veryclose to the Anonymous Commentary In other words the three reasonsput forward originate less in the study of Numeniusrsquo work itself than inthe research on the sources of other texts whose authors and origins arenot well defined a research based partly on the links of this work withits supposed laquo peers raquo in Pythagoreanism

102 Fabienne JOURDAN

This study is composed of three independent parts each examiningone of these three reasons with the hypotheses linked to it After asketch of the principal tenets of Numeniusrsquo thought this first part dealswith the relations sometimes seen and the ones that are still perceptiblebetween his work and the Parmenides It shows that Numenius did notuse Platorsquos dialogue to elaborate his own doctrine about the first twoprinciples and may even have kept some distance from the One of thefirst hypothesis following an injunction he may have thought to per-ceive in Plato himself From this first examination onward it appearsthat the transmitted work of Numenius does not invite to modify themost common view on the History of Platonism by making Numeniusthe forerunner of Plotinus in the metaphysical interpretation of theParmenides A contrario the questioning of his relation to this dia-logue even gives some criteria for a real Neoplatonist interpretation ofits second part However an extension of this study shows that Nume-nius could have inspired Plotinus in his interpretation of some phrasesof the historical Parmenides himself

Introduction geacuteneacuterale

Srsquointerroger sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenide peutparaicirctre provocateur Crsquoest mettre en cause la conception de lrsquohistoirede la philosophie la mieux partageacutee selon laquelle le meacutedioplatonismese caracteacuteriserait par son appropriation du Timeacutee eacutetayeacutee par certainspassages de la Reacutepublique tandis que le neacuteoplatonisme commenceraitavec celle du Parmeacutenide1 Plus exactement le neacuteoplatonisme seraitnon seulement inaugureacute par Plotin mais par son choix du Parmeacutenidecomme dialogue de reacutefeacuterence pour confirmer la preacutesence chez Platonde sa doctrine des trois hypostases ER Dodds avait mis ce choix enlumiegravere dans son ceacutelegravebre article de 1928 laquo The Parmenides of Platoand the Origin of the Neoplatonic One raquo Mais on doit agrave Jean

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 103

1 Sur le rocircle du Timeacutee voir la synthegravese de DT Runia Philo of Alexandriaand the Timaeus of Plato Leiden Brill 1986 p 38-57 sur celui du Parmeacute-nide les eacutetudes suivant lrsquoarticle de ER Dodds laquo The Parmenides of Plato andthe Origin of the neoplatonic One raquo Classical Quarterly 22 1928 p 129-142

Trouillard la formule trancheacutee qui marque en ce sens lrsquohistoire de larecherche laquo Le neacuteoplatonisme succegravede au moyen Platonisme le jourougrave les platoniciens se mettent agrave chercher dans le Parmeacutenide le secretde la philosophie de Platon raquo2 Carlos Steel preacutecise lrsquoideacutee qursquoil precirctequant agrave lui agrave Proclus ce passage du moyen- au neacuteoplatonisme auraiteu lieu laquo le jour ougrave [les platoniciens] ont compris que la dialectique duParmeacutenide a une signification reacuteelle [crsquoest-agrave-dire] que les diffeacuterenteshypothegraveses reacutevegravelent les diffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute agrave partir de lrsquoUnau-delagrave de lrsquoecirctre jusqursquoagrave la matiegravere informe raquo3

Pourquoi alors chercher une anticipation de cet usage meacutetaphy-sique et theacuteologique du Parmeacutenide dans lrsquoœuvre parvenue de Numeacute-nius alors qursquoelle ne fournit que peu drsquoindices en ce sens Trois rai-sons agrave cette enquecircte souvent preacutesenteacutees comme corollaires le statutpropre agrave Numeacutenius platonicien pythagorisant du IIe siegravecle dont la pen-seacutee a marqueacute lrsquoenseignement de Plotin les affiniteacutes reacuteelles entre sapenseacutee et celle du Commentaire anonyme au Parmeacutenide les parallegravelesentrevus entre ses formules et celles de la source supposeacutee communeau Zostrien et au Contre Arius de Marius Victorinus quant agrave elle per-ccedilue comme fort proche du mecircme Commentaire anonyme Sont doncinvoqueacutees trois raisons neacutees moins de lrsquoeacutetude de lrsquoœuvre de Numeacuteniuselle-mecircme que de la recherche des sources drsquoautres textes en mal drsquoau-teur et drsquoorigines bien deacutefinies recherche se fondant en partie sur lespreacutetendus liens entre Numeacuterius et ses laquo pairs raquo en pythagorisme

104 Fabienne JOURDAN

2 laquo Le Parmeacutenide de Platon et son interpreacutetation neacuteoplatonicienne raquo Revuede theacuteologie et de philosophie 23 1973 p 83-100 ici p 83 phrase liminaire

3 laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide dans lrsquoantiquiteacute raquo dansM Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et la sua tradizioneCatania CUECM 2002 p 11-40 ici p 15 Voir aussi les objections deLP Gerson (laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides ndashA draft raquo 2016 p 1-2 de la version eacutelectronique) qui permettent de nuancerlrsquoaffirmation de J Trouillard et surtout drsquoeacuteviter de penser qursquoil nrsquoy a qursquouneseule interpreacutetation neacuteoplatonicienne du Parmeacutenide dont Plotin serait lrsquoorigineet le repreacutesentant parfait Le Parmeacutenide nrsquoacquerrait drsquoailleurs selon lui un sta-tut reacuteellement privileacutegieacute qursquoagrave partir de Jamblique

Explicitons les trois moments de ce cheminement hermeacuteneutique il deacuteterminera notre propre deacutemarche heuristique

1) Bien qursquoagrave lrsquoorigine de lrsquoaffirmation relative au rocircle de Plotin etde son interpreacutetation du Parmeacutenide dans la fondation du neacuteoplato-nisme dans lrsquoarticle signaleacute ER Dodds invite agrave voir chez Modeacuteratus(Ier siegravecle ap J-C) et les pythagoriciens anteacuterieurs agrave lui (dont Eudorevers 25 ap J-C) les preacutemisses de lrsquointerpreacutetation plotinienne ou dumoins drsquoune interpreacutetation meacutetaphysico-theacuteologique du Parmeacutenidequi aurait eu son origine ultime dans lrsquoAncienne Acadeacutemie de Speu-sippe4 Son intuition a eacuteteacute suivie notamment par Philipp Merlan5 et

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 105

4 Concernant Speusippe les intuitions de ER Dodds ont eacuteteacute suiviesentre autres par Ph Merlan laquo Part I Greek Philosophy from Plato to Ploti-nus raquo dans AH Armstrong (eacuted) The Cambridge History of Later Greekand Early Medieval Philosophy Cambridge Cambridge University Press1967 p 30-31 (voir aussi son chapitre sur Speusippe dans From Platonismto Neoplatonism Dordrecht Springer-Science+Business Media 1975[1953-19683] p 96-140) HJ Kraumlmer Der Ursprung der GeistmetaphysikUntersuchung zur Geschichte des Platonismus zwischen Platon undPlotin Amsterdam Gruumlner 19672 [1964] p 351-355 J Whittakerlaquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo Vigiliae Christianae 23 1969p 101 J Dillon laquo Speusippus and the Ontological Interpretation of the Par-menides raquo dans JD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and itsHeritage vol I History and Interpretation from Old Academy to later Pla-tonism and Gnosticism Atlanta Society of Biblical Literature 2010 p 67-78 voir aussi G Bechtle laquo Speusippus and the Anonymous Commentary onPlatorsquos Parmenides how can the One be a Minimum raquo dans M BarbantiF Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et la sua tradizione op citp 249-280 Nous serions quant agrave nous plus reacuteserveacutee et suivrions sur ce pointnotamment C Steel laquo A Neoplatonic Speusippus raquo dans M BarbantiG R Giardina P Manganaro (eacuted) ΕΝΩΣΙΣ ΚΑΙ ΦΙΛΙΑ CataniaCUECM 2002 p 469-476 et laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacute-nide raquo art cit p 17-18 ainsi que L Brisson laquo The Fragment of Speusippusin Column I of the Anonymous Commentary on the Parmenides raquo dansJD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage op citvol I p 59-66

5 laquo Part I Greek Philosophy from Plato to Plotinus raquo art cit p 94

John Whittaker6 plus reacutecemment encore par Jens Halfwassen7 JohnDillon8 Francesco Romano9 et John D Turner10 ndash Harold Tarrant ayantquant agrave lui tenteacute de rassembler tous les eacuteleacutements permettant drsquoentrevoirlrsquoexistence drsquoune telle interpreacutetation dans le neacuteo-pythagorisme11

Or Numeacutenius nrsquoest pas sans trouver place dans cette saga Commecertains platoniciens de son temps cherchant agrave se distinguer des ten-dances laquo sceptiques raquo de la Nouvelle Acadeacutemie et agrave promouvoir unelecture plus laquo dogmatique raquo de Platon il se reacuteclame de Pythagoreconccedilu comme source de Platon12 Crsquoest pourquoi du point de vue de

106 Fabienne JOURDAN

6 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit p 95-100 qui outre lesreacutefeacuterences neacuteopythagoriciennes devenues usuelles renvoie eacutegalement agrave Cleacute-ment drsquoAlexandrie (Strom IV 25 156 1) et mecircme agrave Alcinoos qui songeraitselon lui consciemment agrave la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide dans sonexposeacute de la voie neacutegative en Did X (la consideacuteration du dialogue de Platoncomme eacutetant un exercice de logique exprimeacutee en Did VI nrsquoexcluant pas en soicette utilisation de la premiegravere hypothegravese) ndash On rappellera alors que Cleacutementest notre premier teacutemoin de lrsquoenseignement de Numeacutenius Voir aussi J Whitta-ker laquo Neopythagoreanism and the transcendent Absolute raquo SymbolaeOsloenses 48 1973 p 77-86

7 Der Aufstieg zum Einen Untersuchungen zu Platon und Plotin Muumln-chenLeipzig KG Saur 20062 [1992] et laquo Speusipp und die metaphysischeDeutung von Platons Parmenides raquo dans L Hagemann R Glei (eacuted) ΕΝΚΑΙ ΠΛΗΘΟΣ Wuumlrzburg Echter 1993 p 339-373

8 laquo Plotinus Speusippus and the Platonic Parmenides raquo Kairos 15 2000p 61-74

9 laquo La probabile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica eneopitagorica) del Parmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted)Il Parmenide di Platone et la sua tradizione op cit p 197-248

10 Voir par ex laquo The Platonizing Sethian Treatises Marius VictorinusrsquosPhilosophical Sources and Pre-Plotinian Parmenides Commentaries raquo dansJD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage op citvol I p 136-137

11 Thrasyllan Platonism Ithaca Cornell University Press 1993 p 148-177 Il la fait ainsi remonter agrave Posidonius et mecircme agrave Thrasylle lrsquoeacutediteur desœuvres de Platon

12 Nous simplifions Sur ce point voir par ex M Frede laquo Numenius raquo

lrsquohistoire de la philosophie il peut ecirctre consideacutereacute comme un laquo platoni-cien pythagorisant raquo selon lrsquoexpression heureuse de Michael Frede13Selon son propre point de vue14 neacuteanmoins tout laisse penser qursquoilaurait preacutefeacutereacute la qualification de laquo pythagoricien raquo15 comme enteacutemoigne drsquoailleurs le titre que lui donnent les chreacutetiens les seuls agravetransmettre directement une partie de son œuvre Il nrsquoest toutefois lagraveaucun veacuteritable dilemme puisque chez ces derniers un laquo pythagori-cien raquo est entre autres un interpregravete de Platon16 Numeacutenius est donc en

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Aufstieg und Niedergang der roumlmishen Welt II 362 1987 p 1043 B Cen-trone laquo Cosa significa essere pitagorico in etagrave imperiale Per una riconsidera-zione della categoria storiografica del neopitagorismo raquo dans A Brancacci(eacuted) La filosofia in etagrave imperiale Le scuole e le tradizioni filosofiche NapoliBibliopolis 2000 p 137-168

13 laquo Numenius raquo art cit p 1043-1047 Voir aussi B Centrone laquo Cosasignifica essere pitagorico in etagrave imperial raquo art cit p 158-160 M Edwardslaquo Numenius of Apamea raquo dans LP Gerson (eacuted) The Cambridge History ofPhilosophy in Late Antiquity Cambridge Cambridge University Press 2010p 124-125

14 Voir F Jourdan laquo Numeacutenius et Pythagore Numeacutenius platonicien(pythagorisant) ou pythagoricien (platonisant) raquo agrave paraicirctre dans la RevuedrsquoHistoire des religions 2020

15 Sur ce point nous divergeons de B Centrone laquo Cosa significa esserepitagorico in etagrave imperial raquo art cit p 150-151 selon lequel les auteurs desapocryphes pythagoriciens nrsquoauraient pas eu agrave cœur de deacutefendre une identiteacutepythagoricienne puisqursquoils reprenaient Platon voire lrsquoaccusaient de plagiatNumeacutenius ne compte certes pas parmi ces auteurs mais la remarque pourrait leconcerner eacutegalement Or sa deacutemarche qui consiste agrave mettre Pythagore agrave la tecirctedrsquoune ligneacutee de disciples fidegraveles auxquels appartiennent Platon et mecircmeSocrate semble au contraire indiquer qursquoil revendique pour lui lrsquoappartenanceagrave cette ligneacutee en tant qursquointerpregravete fidegravele de Platon Cela ne lrsquoempecircche pas agravenos yeux drsquohistoriens de reacutealiser une deacutemarche caracteacuteristique du platonismede son temps

16 Crsquoest du moins entre autres le sens que semble prendre chez Cleacutement laqualification de Philon comme laquo pythagoricien raquo voir D Runia laquo Why doesClement of Alexandria call Philo ldquothe Pythagoreanrdquo raquo Vigiliae Christianae49 1995 p 1-22 Pouvaient en outre paraicirctre reacuteellement pythagorisants le goucirct

theacuteorie du moins et agrave ce double titre de platonicien et de pythagorisantun parfait candidat au rang drsquointerpregravete laquo neacuteo-pythagoricien raquo preacute-plo-tinien du Parmeacutenide Cette candidature est drsquoautant plus laquo provoca-trice raquo pour les tenants de la thegravese courante de lrsquohistoire du platonismeque Plotin a eacuteteacute consideacutereacute par ses adversaires comme srsquoappropriant sesdoctrines17 lecteur plus fin Longin preacutecisait mecircme que crsquoeacutetait agrave lasuite de Numeacutenius et drsquoautres platoniciens pythagorisants dont juste-ment Modeacuteratus Thrasylle et Cronius le disciple direct de Numeacuteniusqursquoil srsquoadonnait agrave lrsquointerpreacutetation des principes pythagoriciens et plato-niciens18 entreprise dans laquelle il les aurait largement deacutepasseacutes19Quoi qursquoil en soit de cette poleacutemique il est assureacute que Plotin commen-tait les œuvres de Numeacutenius dans ses cours20 Si Numeacutenius avait doncinterpreacuteteacute le Parmeacutenide et ce surtout dans le sens pythagoricien sug-geacutereacute par les chercheurs ayant deacutejagrave invoqueacute Modeacuteratus et mecircme Speu-sippe en ce sens Plotin aurait assureacutement rebondi sur son exeacutegegravese Ilnrsquoaurait plus alors le primat de pareille interpreacutetation et avec ce statutserait eacutegalement eacuterodeacutee la preacutesentation courante des origines du neacuteo-platonisme

Formuleacutee ainsi lrsquohypothegravese est seacuteduisante elle est toutefois fortspeacuteculative tant qursquoon ne peut prouver que Numeacutenius a reacuteellement

108 Fabienne JOURDAN

de Philon pour lrsquoexeacutegegravese (et donc pour la notion drsquoeacutenigme) et plus speacutecifique-ment pour lrsquointerpreacutetation des nombres deux eacuteleacutements eacutegalement preacutesentschez Numeacutenius

17 VP 17-18 Sur ce passage voir la note de R Goulet agrave VP 18 2-3 dansL Brisson JL Cherlonneix M-O Goulet-Caseacute R Goulet MD GrmekJ-M Flamand S Matton J Peacutepin HD Saffrey A-Ph Segonds M TardieuP Thillet Porphyre La Vie de Plotin Vol II Paris Vrin 1992 p 278 etS Menn laquo Longinus on Plotinus raquo Dionysius 19 2001 p 113-124 sur le sensde ὑποβάλλεσθαι dans ce contexte Sur la supeacuterioriteacute de Plotin relativementaux meacutedioplatoniciens dans lrsquointerpreacutetation de Pythagore voir aussiM Bonazzi laquo Plotino e la tradizione pitagorica raquo Acmegrave 53 2000 p 38-73

18 VP 2019 VP 21 ougrave Porphyre recite toutefois le propos de Longin en VP 2020 VP 14

interpreacuteteacute le Parmeacutenide Elle requiert donc un examen approfondi destextes parvenus ndash textes qui nous ont eacuteteacute transmis uniquement demaniegravere indirecte tregraves partielle et de fait aussi tregraves partiale La pre-miegravere eacutetape de la recherche consiste donc agrave reacutealiser pareil examenpour voir si ces textes portent effectivement la trace de lrsquointerpreacute-tation en jeu comme lrsquoont proposeacute notamment A-J Festugiegravere21D OrsquoMeara22 G Bechtle23 M Burnyeat24 et JD Turner25

2) La maigreur des indices reacuteellement significatifs cependant ndash agravemoins drsquoimaginer un silence poleacutemique de la part de Numeacutenius dontnous verrons qursquoil nrsquoest peut-ecirctre pas agrave exclure totalement ndash aurait sansdoute inviteacute agrave abandonner pareille recherche comme relativementdeacutesespeacutereacutee ou artificielle en lrsquoeacutetat de nos sources Mais le deacutesir derevenir sur lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacute-nide26 lrsquoa ranimeacutee Lui aussi parvenu de maniegravere fragmentaire (maiscette fois directe) ce texte comporte des parallegraveles frappants avec lrsquoen-seignement connu de Numeacutenius et invite agrave penser que lrsquoauteur srsquoins-pire de lui voire comme le propose Gerald Bechtle depuis sa mono-graphie de 199927 nrsquoest autre que Numeacutenius lui-mecircme il srsquoagirait du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 109

21 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV Paris Gabalda 1954 p 12522 laquo Being in Numenius and Plotinus Some Points of comparison raquo Phro-

nesis 21 1976 p 120-12923 The Anonymous Commentary on Platorsquos Parmenides BernStuttgart

Wien Paul Haupt 1999 p 8224 laquo Platonism in the Bible Numenius of Apamea on Exodus and Eter-

nity raquo dans R Salles (eacuted) Metaphysics Soul and Ethics in Ancient thoughtOxford Clarendon Press 2005 p 143-169 il le suggegravere p 152-155

25 laquo The Platonizing Sethian Treatise raquo art cit p 128-13926 Titre artificiel donneacute au texte que nous abreacutegerons dans la suite27 The Anonymous Commentary op cit Voir aussi du mecircme auteur laquo The

Question of Being and the Dating of the Anonymous Parmenides Commen-tary raquo Ancient Philosophy 20 2000 p 393-414 et laquo A neglected Testimonium(Fragment ) on the Chaldaen Oracles raquo Classical Quarterly 56 2006p 563-581 sans ecirctre tout agrave fait explicite JD Turner le suit essentiellement(Sethian Gnosticism and The Platonic Tradition QueacutebecLouvainParisPresses de lrsquoUniversiteacute LavalPeeters 2001 laquo Victorinus Parmenides com-

commentaire que Numeacutenius aurait reacutedigeacute sur le Parmeacutenide ou dumoins sur les deux premiegraveres hypothegraveses28 de la seconde partie

3) Comme telle toutefois confronteacutee aux arguments solides dePierre Hadot en faveur drsquoune autoriteacute porphyrienne du Commentaireanonyme29 ou du moins agrave ceux drsquoAlessandro Linguiti en faveur drsquoune

110 Fabienne JOURDAN

mentaries and the Platonizing Sethian Treatises raquo dans K Corrigan JD Tur-ner (eacuted) Platonism Ancient Modern and Postmodern LeidenBoston Brill2007 p 55-96 et laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit) Voir aussiK Corrigan qui pense quant agrave lui agrave Cronius (laquo Platonism and Gnosticism TheAnonymous Commentary on the Parmenides Middle or Neoplatonic raquo dansJD Turner R Majercik (eacuted) Gnosticism and Later Platonism ThemesFigures and Texts Atlanta Society of Biblical Literature 2001 p 141-177)

28 Dans les pages qui suivent nous adopterons pour simplifier la termino-logie exeacutegeacutetique qui srsquoest imposeacutee et parlerons des laquo hypothegraveses raquo de laseconde partie du Parmeacutenide bien qursquoil srsquoagisse plutocirct chez Platon drsquoune seacuteriede deacuteduction En outre quand nous y reacutefegravererons nous nrsquoajouterons plus lamention de laquo la deuxiegraveme partie raquo du Parmeacutenide

29 Voir P Hadot (laquo Fragments drsquoun Commentaire de Porphyre sur le Par-meacutenide raquo Revue des eacutetudes grecques 74 1961 p 410-438 repris dansP Hadot Plotin Porphyre Eacutetudes neacuteoplatoniciennes Paris Les BellesLettres 20102 [1999] p 281-316 laquo La meacutetaphysique de Porphyre raquo dansPorphyre Entretiens sur lrsquoAntiquiteacute classique XII Vandœuvres-Genegraveve Fon-dation Hardt 1966 p 125-157 repris dans P Hadot Plotin Porphyre op citp 317-353 Porphyre et Victorinus I et II Paris Eacutetudes augustiniennes1968 laquo Porphyre et Victorinus Questions et hypothegraveses raquo dans M TardieuP Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApocalypse de Zostrien et lessources de Marius Victorinus Bures-sur-Yvette Res Orientales IX 1996p 117-125 Ses arguments sont eacutetayeacutes par ceux de HD Saffrey laquo Connais-sance et inconnaissance de Dieu Porphyre et la Theacuteosophie de Tuumlbingen raquodans J Duffy J Peradotto (eacuted) Gonimos Buffalo Arethusa 1988 p 3-20repris dans HD Saffrey Recherches sur le Neacuteoplatonisme apregraves Plotin ParisVrin 1990 p 1-20 M Zambon Recension de G Bechtle The AnonymousCommentary on Platorsquos Parmenides Elenchos 20 1999 p 194-202 et Por-phyre et le moyen-platonisme Paris Vrin 2002 R Chiaradonna laquo Nota supartecipazione e atto drsquoessere nel neoplatonismo lrsquoanonimo Commento alParmenide raquo Studia graeco-arabica 2 2012 p 87-97 et laquo Logica e teologica

origine post-plotinienne30 lrsquohypothegravese de G Bechtle pourrait semblerpeu utile grand lecteur de Numeacutenius31 Porphyre si nous revenons pro-visoirement agrave lui pouvait srsquoinspirer de son preacutedecesseur et de ses doc-trines sans que celui-ci ait lui-mecircme composeacute un commentaire au Par-meacutenide Comme nous le montrerons les parallegraveles entre le Commentaireanonyme et lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius en tout cas nrsquoimpliquentpas de reacutefeacuterence directe au dialogue de Platon de la part de ce dernierLrsquoexamen de lrsquohypothegravese pourrait donc srsquoachever sur ce constat si unedeacutecouverte de Michel Tardieu (1996) nrsquoinvitait pas malgreacute tout agrave lrsquoex-plorer davantage En deacutecryptant lrsquoApocalypse de Zostrien M Tardieu ya deacutecouvert un passage semblable agrave un autre du Contre Arius de MariusVictorinus32 laquo synopse raquo supposant selon lui une source commune auxdeux auteurs Or ce texte et donc cette laquo source raquo semble drsquoune partrelever drsquoun commentaire des deux premiegraveres hypothegraveses du Parmeacute-nide et drsquoautre part comporter des parallegraveles avec le Commentaire ano-nyme ndash son identification directe agrave celui-ci paraissant exclue a priorieacutetant donneacutee lrsquoidentification qursquoelle semble faire du premier Un agrave lrsquoEs-prit absente du Commentaire anonyme LrsquoApocalypse de Zostrien eacutetantlrsquoun des traiteacutes gnostiques critiqueacutes dans lrsquoeacutecole de Plotin33 la chronolo-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 111

nel primo neoplatonismo A proposito di Anon In Parm XI 5-19 e IamblRisposta a Porfirio [De Mysteriis] I 4 raquo Studia graeco-arabica 5 2015 p 1-11 M Chase laquo Porphyre Commentaires agrave Platon et Aristote raquo dans R Gou-let (eacuted) Dictionnaire des philosophes antiques Paris CNRS V b 2012p 1369-1371 avec la bibliographie en ce sens p 1362-1365

30 laquo Sulla datazione del Commento al Parmenide di Bobbio Unrsquoanalisilessicale raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et lasua tradizione op cit p 307-322 (voir aussi lrsquointroduction de son eacutedition duCommentaire anonyme dans Corpus dei papiri filosofici greci e latini Testo elessico nei papiri di cultura greca e latina Parte III Commentari FirenzeOlschki 1995 p 78-91)

31 Voir Proclus In Tim I 7722-24 = Numeacutenius fr 3724-26 des Places32 Apocalypse de Zostrien (NHC VIII 1 6411-6612) Marius Victorinus

(Adversus Arium I 497-50)33 VP 16

gie imposerait alors de situer cette source avant Plotin Voici doncrevenue lrsquohypothegravese drsquoun commentaire meacutedio-platonicien au Parmeacute-nide les parallegraveles avec le Commentaire anonyme suggeacuterant alorscette fois plus assureacutement le nom de Numeacutenius comme sonauteur M Tardieu la formule prudemment34 P Hadot lrsquoeacuteloigne dis-cregravetement35 mais elle est vivement deacutefendue par G Bechtle et sespartisans qui faisant la synthegravese de ces deacutecouvertes en tirent alorsla conviction que Numeacutenius serait non seulement lrsquoauteur du Com-mentaire anonyme mais aussi la source de ce que M Tardieu nommelrsquo laquo exposeacute commun raquo36 et que nous nommerons aussi provisoirementde cette maniegravere37

Plus que lrsquoœuvre parvenue elle-mecircme crsquoest cette triple probleacutema-tique propre agrave lrsquohistoire de la philosophie et agrave sa recherche des sourcesqui impose lrsquoexamen de la relation de Numeacutenius au Parmeacutenide exa-men qursquoelle rend lui-mecircme triple en suggeacuterant de surcroicirct que chaqueeacutetape corrobore la preacuteceacutedente Notre enquecircte suivra ces trois eacutetapes elle tentera drsquoeacutevaluer si cet enchaicircnement argumentatif lieacute agrave lrsquoeacutetudeconjointe de ces trois seacuteries de textes nrsquoest pas forceacute tant il paraicirctessentiellement ducirc agrave la surenchegravere en preacutecision dans lrsquohypothegravese delrsquoexistence drsquoune interpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologique pythago-risante et preacute-plotinienne du Parmeacutenide

Dans la premiegravere partie de lrsquoeacutetude proposeacutee dans ce numeacutero noustenterons donc drsquoeacutevaluer la place de Numeacutenius au sein du laquo neacuteo-pytha-gorisme raquo censeacute avoir deacutejagrave produit une telle interpreacutetation Commenous serions plus que reacuteserveacutee sur la preacutesence de celle-ci chez Modeacute-

112 Fabienne JOURDAN

34 Dans M Tardieu et P Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApoca-lypse de Zostrien op cit p 112-113

35 Dans ibid p 11436 G Bechtle The Anonymous Commentary op cit p 248-249 n 683

laquo The Question of Being raquo art cit p 408-412 laquo A neglected Testimonium raquoart cit p 568 JD Turner semble le suivre dans les articles deacutejagrave signaleacutes K Corrigan eacutegalement en songeant plutocirct agrave Cronius

37 Le statut reacuteel de cet laquo exposeacute raquo sera examineacute dans la troisiegraveme partie decette eacutetude (Revue de philosophie ancienne 38-1)

ratus et ses preacutedeacutecesseurs38 nous ne ferons allusion agrave ce point qursquoenconclusion Nous nous concentrerons ici de la maniegravere la plus sobrepossible sur lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et examinerons srsquoil estpossible de lui precircter un commentaire ne serait-ce que partiel du Par-meacutenide

Dans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude qui sera publieacutee dans lenumeacutero suivant (37-2) nous analyserons les parallegraveles et les diver-gences entre lrsquoœuvre de Numeacutenius et le Commentaire anonyme au Par-meacutenide Il srsquoagira drsquoeacutevaluer la validiteacute de lrsquohypothegravese qui attribue cecommentaire agrave Numeacutenius mais aussi de reconsideacuterer leur relationmutuelle laquelle est riche drsquoenseignements pour la reacuteflexion surlrsquoeacutelaboration du neacuteoplatonisme

Dans la troisiegraveme partie de lrsquoeacutetude qui sera publieacutee dans le numeacutero38-1 nous examinerons lrsquo laquo exposeacute commun raquo au Zostrien et agrave MariusVictorinus sa relation au Commentaire anonyme et au Parmeacutenide lui-mecircme et les parallegraveles qursquoon y voit parfois avec lrsquoœuvre parvenue deNumeacutenius pour envisager quelle place celle-ci pourrait avoir dans lareconstitution de ses sources

Chaque partie peut ecirctre lue indeacutependamment selon les centresdrsquointeacuterecircts de chacun Lrsquoensemble visera agrave eacutevaluer srsquoil est vraimentneacutecessaire de bouleverser la conception la plus courante de lrsquohistoire

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 113

38 Sans rejeter absolument un recours au Parmeacutenide anteacuterieur agrave Plotinnous estimons non justifieacute de precircter agrave Modeacuteratus une interpreacutetation theacuteolo-gique et meacutetaphysique du Parmeacutenide sur la foi du teacutemoignage de Simplicius(In Phys 23034-2319) Nous suivons sur ce point les reacuteserves de A-J Festu-giegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 22 n 3 JM Ristlaquo The Neoplatonic One and Platorsquos Parmenides raquo Transactions and Procee-dings of the American Philological Association 93 1962 p 389-401 C Steel laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 19-20qui rappelle agrave juste titre le rocircle de Porphyre comme source de Simplicius JN Hubler laquo Moderatus ER Dodds and the Development of NeoplatonistEmanation raquo dans JD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and itsHeritage op cit vol I p 115-130 ainsi que les reacuteserves de Philippe Hoff-mann lors du seminaire de la Society of Biblical Literature en 2003 (laquo Rethin-king Platorsquos Parmenides and its Platonic Gnostic and Patristic Reception raquo)

du platonisme en donnant Numeacutenius comme preacutecurseur de Plotin danslrsquointerpreacutetation meacutetaphysique du Parmeacutenide Si tel nrsquoest pas le cas elleconfirmera a contrario les critegraveres drsquoune interpreacutetation reacuteellement neacuteo-platonicienne de la seconde partie du dialogue Disons en outre drsquoem-bleacutee qursquoeacutetant donneacute que nous ne pouvons raisonner qursquoagrave partir de cequi nous est parvenu aucune conclusion assertive nrsquoest en soi possiblesur lrsquoexistence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par NumeacuteniusCette eacutetude aura toutefois trois reacutesultats positifs envisager un rapportvolontairement distant de Numeacutenius au Parmeacutenide fondeacute sur le textede Platon lui-mecircme et dont aura tenu compte le neacuteoplatonisme deacutecou-vrir des parallegraveles entre le Commentaire anonyme et le Περὶ τἀγαθοῦplus nombreux qursquoil nrsquoest souvent signaleacute ndash ce qui offrira peut-ecirctre unindice permettant une position plus assureacutee dans le deacutebat sur lrsquoanteacuterio-riteacute de Numeacutenius ou des Oracles chaldaiumlques et enfin approfondirlrsquohypothegravese relative agrave lrsquoutilisation de Numeacutenius par les gnostiques etpar les neacuteoplatoniciens appropriation que lrsquoon peut suivre jusque dansles traductions et transpositions arabes de leurs œuvres

Preacuteliminaire Esquisse de la doctrine des principeschez Numeacutenius

Avant pareil exposeacute une bregraveve esquisse de la penseacutee meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius est neacutecessaire Nous nous en tiendronsaux grandes lignes transmises dans les fragments veacuteritables ceux citeacutespar Eusegravebe de Ceacutesareacutee et nous exposerons de maniegravere succincte lesreacutesultats de nos propres analyses sans livrer le deacutetail des deacutebats surlesquels elles ont eacuteteacute eacutelaboreacutees39 Les textes nous inteacuteressant se trou-vent dans le Περὶ τἀγαθοῦ dialogue ougrave Numeacutenius entreprend larecherche drsquoune deacutefinition du Bien qursquoil identifie au premier prin-cipe40 Il identifie ce premier principe drsquoune part agrave un premier dieu et

114 Fabienne JOURDAN

39 Voir la bibliographie et les commentaires de notre eacutedition en preacutepara-tion

40 Le titre qui est laquo originellement raquo celui de la leccedilon orale de Platon

intellect et drsquoautre part au Bien et Ecirctre lui-mecircme ou par excellence(selon les formules αὐτοάγαθον et αὐτοόν)41 que dans une perspec-tive exeacutegeacutetique il considegravere comme repreacutesenteacute par la forme du Bieneacutevoqueacutee dans la Reacutepublique42 De ce premier principe Numeacutenius dis-tingue un second dieu ou principe identifieacute cette fois au deacutemiurge duTimeacutee43 Ce dieu assure le rocircle deacutemiurgique dont le premier est ainsidispenseacute et il est conccedilu comme lrsquoimage de celui-ci il est le Bon parti-cipant au Bien le second intellect qui produit sa propre forme encontemplant le premier faccedilonnant ou deacuteterminant pour cela lrsquoecirctre oulrsquoessence (οὐσία) que le premier lui procure par le simple fait drsquoecirctre(soi et le Bien)44 Telle est du moins la maniegravere dont nous lisonsconjointement les fragments 11 et 16 (19 et 25 F)45 Autrement dit tan-dis que le premier dieu est le principe de lrsquoecirctre le second est le prin-cipe du devenir46 Numeacutenius donne plus preacuteciseacutement deux laquo aspects raquo

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 115

indique agrave lui seul que le texte srsquoadonne agrave une recherche et deacutefinition des prin-cipes Aristote et Xeacutenocrate le donnent ensuite chacun agrave lrsquoune de leurs œuvresSur lrsquoimportance de ce titre voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius Sur leBien de Platon Lrsquoenseignement oral du maicirctre comme occasion de rechercherson pythagorisme dans ses eacutecrits raquo Χώρα 15-16 2017-2018 p 139-165

41 Voir par ex fr 16 et 17 (24 et 25 F) ndash Tout au long de cette eacutetude lesfragments sont citeacutes selon la numeacuterotation de lrsquoeacutedition drsquoEacutedouard des Places(Numeacutenius Fragments Paris Les Belles Lettres 1973) nous indiquons entreparenthegraveses les numeacuteros qui correspondent dans notre eacutedition en preacuteparation

42 Voir surtout les fr 19 et 20 (27 et 28 F)43 Voir notamment les fr 11 12 et 18 (19 20 et 26 F) En reacutealiteacute le

deacutemiurge du Timeacutee partage ses attributs entre le premier dieu numeacutenien(auquel il laisse sa fonction de source divine des acircmes cf fr 13 21 F) et lesecond qui est aussi troisiegraveme et reacutealise les opeacuterations proprements deacutemiur-giques assumant par lagrave en partie le rocircle des dieux secondaires du Timeacutee

44 Fr 16 (24 F)45 Voir aussi lrsquoanalyse du fr 16 (24 F) par G Muumlller laquo Ἰδέα y οὐσία en

Numenio de Apamea Una reinterpretacioacuten de la ontologiacutea platoacutenica raquo Cua-dernos de Filosofiacutea 59 2012 p 121-140 Nous prenons position agrave son sujetdans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude Revue de philosophie ancienne 37-2

46 Ibid

agrave ce second dieu selon lrsquoorientation de son attention deux laquo aspects raquoqui conduisent agrave parler agrave son sujet de deux laquo dieux raquo qui toutefois nrsquoenconstituent reacutealiteacute qursquoun seul lorsqursquoil est tourneacute vers soi crsquoest-agrave-direvers lrsquointelligible qursquoil est lui-mecircme par contemplation du Bien lesecond dieu est entiegraverement agrave soi et donc reacuteellement soi second dieu lorsqursquoil est tourneacute vers la matiegravere qursquoil met en ordre il est deacutemiurgeau sens litteacuteral du terme et devient laquo troisiegraveme dieu raquo47 Cette divisionnrsquoimplique pas une reacuteelle scission et ne srsquoavegravere autre qursquoune diffeacuterencedrsquoorientation agrave lrsquoorigine drsquoune uniteacute diviseacutee image imparfaite delrsquouniteacute indivisible et parfaite qursquoest le premier dieu

Cette bregraveve preacutesentation doit suffire agrave comprendre le cadre de lapenseacutee numeacutenienne48 Signalons simplement encore trois points essen-tiels pour la confrontation avec le Parmeacutenide et ses interpreacutetations

1) Lrsquoeacuteleacutement fondamental du Περὶ τἀγαθοῦ est lrsquoidentificationdu Bien lui-mecircme (ἀυτοάγαθον) premier principe agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme (αὐτοόν)49 Elle srsquoaccompagne de lrsquoaffirmation qursquoil existeune laquo con-naturaliteacute raquo du Bien agrave lrsquoeacutegard de lrsquoessence50 (σύμφυτον τῇ

116 Fabienne JOURDAN

47 Fr 11 (19 F)48 La preacutesentation ici donneacutee deacutepend de propre analyse des textes Pour

drsquoautres interpreacutetations voir aussi par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit J Opsomer laquo Demiurges in Early Imperial Platonism raquo dans R Hirsch-Luipold(eacuted) Gott und die Goumltter bei Plutarch BerlinNew York de Gruyter 2005p 63-72 M Baltes dans H Doumlrrie M Baltes Ch Pietsch Die PhilosophischeLehre des Platonismus Band 71 Theologia Platonica Stuttgart Bad Canns-tatt Frommann-Holzboog 2008 p 472-482 Les vues de CS OrsquoBrien TheDemiurge in Ancient thought Secondary Gods and Divine mediators Cam-bridge Cambridge University Press 2015 p 139-168 sont agrave consideacuterer avecla plus grande preacutecaution

49 Fr 17 (25 F) cf fr 2 (11 F)50 Nous traduirons ici οὐσία par laquo essence raquo consciente des faiblesses de

cette traduction qui dans le contexte platonicien examineacute nrsquoimplique naturel-lement pas de distinction par rapport agrave la notion drsquoexistence Dans ce contextelaquo essence raquo est agrave prendre au sens de reacutealiteacute intelligible (sur cette deacutefinition voirpar ex R Chiaradonna laquo Substance raquo dans P Remes S Slaveva-Griffin(eacuted) The Routledge Handbook of Neoplatonismi LondonNew York Rout-

οὐσίᾳ51) le Bien partage la mecircme nature que cette οὐσία (forme sub-stantive de lrsquoecirctre) qui provient ainsi de lui Numeacutenius exprime deacutejagrave cetteideacutee au fragment 2 (10 F) par lrsquoimage du Bien laquo monteacute sur lrsquoessence raquo(comme on dirait laquo sur un cheval raquo52) Par lrsquoutilisation de la preacutepositionet du preacuteverbe ἐπί- de preacutefeacuterence agrave ὑπό- (preacutesent dans la formule de Pla-ton) la formule ἐποχούμενον ἐπὶ τῇ οὐσίᾳ indique une laquo transcen-dance raquo53 avec contact qui donne sans deacutetour lrsquointerpreacutetation que Numeacute-nius fait de la formule eacutenigmatique de Reacutepublique VI 509 b 8-10 srsquoilest une laquo transcendance raquo du premier principe elle est drsquoordre cosmolo-gique et non laquo ontologique raquo au sens ougrave ce principe constitue la formeeacuteminente de lrsquoecirctre mais ne srsquoen distingue pas par son essence

2) Ce premier principe est certes immobile en tant qursquoecirctre54exempt de toute activiteacute sous-entendu deacutemiurgique55 mais Numeacuteniuseacutevoque un laquo mouvement qui accompagne naturellement son repos raquo(τῷ πρώτῳ στάσιν [] κίνησιν σύμφυτον56) Ce mouvementindique vraisemblablement que le premier principe pense57 et la for-mule preacutepare son identification agrave un intellect Concernant ce premierdieu toutefois le type de penseacutee qui le caracteacuterise est visiblementconccedilu comme nrsquoimpliquant pas drsquoactiviteacute proprement dite au sens du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 117

ledge 2014 p 216) La deacutetermination nrsquointervient ici qursquoavec le second dieu οὐσία est le terme qui sert agrave exprimer litteacuteralement lrsquoecirctre (ὄν) de maniegravere sub-stantive un ecirctre que le premier dieu Ecirctre par excellence fait advenir sans acteproducteur simplement en eacutetant ce qursquoil est et donc sans que cette οὐσία quivient de lui soit ontologiquement distincte de lui

51 Fr 16 (24 F)52 Lrsquoimage apparaicirct litteacuteralement dans les Oracles chaldaiumlques fr 1466

des Places53 On pourrait alors aiseacutement renoncer au mot laquo transcendance raquo et preacutefeacute-

rer la notion de primauteacute hieacuterarchique par exemple54 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)55 Fr 11-12 (19-20 F)56 Fr 15 (23 F)57 Le passage est agrave interpreacuteter en lien avec le Sophiste 248 e-249 a (voir

notre commentaire au passage dans lrsquoeacutedition en preacuteparation)

moins ougrave cette penseacutee est sans objet et nrsquoest pas mecircme penseacutee de soi aufragment 19 (27 F) Numeacutenius parle drsquoun φρονεῖν qui est lrsquoapanage dupremier dieu sous-entendu agrave la diffeacuterence notamment du νοεῖν saisieintuitive de lrsquointelligible caracteacuteristique du second dieu58 et plus encoredu διανοεῖσθαι activiteacute de penseacutee discursive agrave lrsquoorigine de la deacutemiur-gie Ce φρονεῖν peut selon nous ecirctre compris comme une penseacuteelaquo intransitive raquo (crsquoest-agrave-dire sans objet) pure dispensation du Bien parlrsquoecirctre du Bien59 En cela elle nrsquoimplique reacuteellement aucune activiteacute

Crsquoest alors en ce sens assureacutement que le premier dieu est ditlaquo entourer les intelligibles raquo ou plus exactement et litteacuteralement ecirctrelaquo autour des intelligibles raquo au fragment 15 (23 F περὶ τὰ νοητά) lrsquoexpression nrsquoimplique ni qursquoil les contienne ni qursquoil les produisecomme son objet de penseacutee ni mecircme qursquoil les pense60 Si elle visepeut-ecirctre agrave rendre compte drsquoune identification ultime du premier prin-

118 Fabienne JOURDAN

58 Agrave la limite le premier dieu ne peut lrsquoexercer que par lrsquointermeacutediaire dusecond voir le teacutemoignage de Proclus In Tim III 10328-32 Diehl = fr 22(contre cette interpreacutetation traditionnelle voir G Muumlller laquo Queacute es ldquolo que esvivienterdquo (ὁ εστι ζῶον) seguacuten Numenio de Apamea raquo Cuadernos Filosofiacutea64 2015 p 11-12 dont lrsquohypothegravese bien que seacuteduisante ne tient pas agrave lrsquoexa-men de la syntaxe du passage lrsquoinfinitif νοεῖν ne peut avoir que τὸν πρῶτονcomme laquo sujet raquo et non un δεύτερoν implicitement tireacute du geacutenitif δευτέρου)

59 Nous reacutesumons Voir aussi lrsquoeacutetude de la φρόνησις chez Platon parM Dixsaut laquo De quoi les philosophes sont-ils amoureux Sur la phronegravesisdans les dialogues de Platon raquo repris dans M Dixsaut Platon et la question dela penseacutee Eacutetudes platoniciennes I Paris Vrin 2000 p 93-119 ndash Le lien eacutety-mologique originel entre φρονεῖν et φρήν (le diaphragme) suggegravere une autreimage ce φρονεῖν est comme une laquo respiration drsquoecirctre raquo qui est le Bien et drsquoougraveeacutemane le bien

60 Cette interpreacutetation qui tient entre autres compte de la simpliciteacute abso-lue du premier dieu (fr 11 = 19 F) nrsquoest pas contradictoire avec celle de Timeacutee39 e 7-9 par laquelle Numeacutenius aurait associeacute son premier dieu au Vivant (InTim III 103 28-32 Diehl = fr 22) Certes dans le Timeacutee le Vivant a en lui lesformes (ἐνούσας ἰδέας τῷ ὃ ἔστι ζῷον 39 e 8) Mais sans pouvoir deacutevelop-per ici notre analyse disons simplement que Numeacutenius a pu lire le texte autre-ment et inspirer la distinction drsquoAmeacutelius entre un laquo intellect qui est (leVivant) raquo et un laquo intellect qui a (les formes en lui) raquo notamment en deacutecompo-

cipe au Vivant du Timeacutee61 dans le contexte du Περὶ τἀγαθοῦ ellerenvoie selon nous agrave un pur eacutetat de lrsquoecirctre agrave vertu bienfaitrice ou salvi-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 119

sant ἐνούσας de maniegravere cratylienne pour y lire ἐν-νους-ας qui eacutevoquerait lesformes laquo qui sont dans le νοῦς raquo le second dieu et intellect que Numeacutenius voitdeacutesigneacute dans le νοῦς du texte platonicien Le datif τῷ ὃ ἔστι ζῷον nrsquoauraitplus alors deacutesigneacute chez lui le lieu ougrave se trouvent les formes mais le destina-taire de la contemplation celui laquo pour qui ou agrave lrsquointention de qui en faveur dequi raquo le νοῦς qui a les formes en lui les contemplerait (autrement dit exerceraitle νοεῖν) Lrsquoaffirmation que crsquoest gracircce au second dieu et intellect (ἐνπροσχρήσει τοῦ δευτέρου) que le premier exercerait un νοεῖν pourrait ainsiconstituer lrsquoexplicitation de cette lecture eacutetonnante du texte platonicien Ainsile premier dieu nrsquoexercerait jamais le νοεῖν il nrsquointelligerait que gracircce ausecond qui le ferait pour lui Cette preacutecision pourrait servir agrave reacutepondre agravelrsquoeacuteventuelle objection drsquoun aristoteacutelisant qui deacutenoncerait une identification dupremier dieu agrave un νοῦς srsquoaccompagnant drsquoun refus de precircter agrave celui-ci lrsquoacti-viteacute du νοεῖν Numeacutenius reacutepondrait ainsi il ne lrsquoexerce pas lui-mecircme maispar lrsquointermeacutediaire du second qui le fait pour lui tandis qursquoil srsquoadonne au seulφρονεῖν Voir aussi notre interpreacutetation des fr 16 et 18 (24 et 26 F) ndash Pourune autre interpreacutetation de ce passage voir par ex M Frede laquo Numenius raquoart cit p 1062-1063 1065-1066 et 1069-1070 JP Kenney laquo ProschresisRevisited An Essay in Numenian Theology raquo dans JR Daly (eacuted) Orige-niana quinta Historica Text and method Biblica Philosophica Theologia Origenism and later developments Leuven Peeters p 217-230 RD PettyThe Fragments of Numenius Santa Barbara 1993 p 135-137 (republieacute agraveWestbury Prometheus Trust 2012) M Baltes dans H Doumlrrie M BaltesCh Pietsch Die Philosophische Lehre des Platonismus Band 71 op citp 477-478 A Michalewski laquo Le Premier de Numeacutenius et lrsquoUn de Plotin raquoArchives de philosophie 75 2012 p 35-37 et La Puissance de lrsquointelligibleLa Theacuteorie plotinienne des Formes au miroir de lrsquoheacuteritage meacutedioplatonicienLeuven Leuven University Press p 94-96

61 Voir Platon Timeacutee 30 c 7-8 (avec le participe περιλαβόν) et 31 a 3 (τograveπεριέχον πάντα ὁπόσα νοητὰ ζῷα) avec deux participes preacutefixeacutes en περί- agravepropos du Vivant qui a tous les intelligibles en lui et auquel Numeacutenius peutvouloir renvoyer avec sa formule περὶ τὰ νοητά La reacutefeacuterence implicite aupassage de la Lettre II 312 e 1-4 savamment reacuteeacutecrit indique toutefois queNumeacutenius donne un tout autre sens agrave ce περί Voir aussi le teacutemoignage de Pro-clus citeacute dans les notes preacuteceacutedentes

fique selon lrsquoideacutee de salut suggeacutereacutee agrave la fin de ce mecircme fragment Endrsquoautres termes le premier dieu serait περὶ τὰ νοητά au sens ougrave ilentoure les intelligibles de sa bienveillance leur transmettant agrave la foislrsquoecirctre et le Bien qursquoil est avant que le deacutemiurge ne les y fasse participeragrave son tour par sa bonteacute agrave lrsquoorigine de leur ecirctre deacutetermineacute62 et nrsquoy fasseparticiper aussi les sensibles en les eacutelevant agrave son propre caractegravere mar-queacute par cette mecircme bonteacute63 Le premier dieu le Bien est le modegravele dusecond le Bon et non pas des formes srsquoil doit ecirctre identifieacute au Vivantcrsquoest en tant que source ultime de la vie64 modegravele de ce second dieuqui transmet alors la vie au monde sensible (fr 1220F) et non en tantque paradigme totalisant et contenant les formes des quatre typesdrsquoecirctre vivants nommeacutes en Timeacutee 39 e 10-41 a 2

En cela le premier de Numeacutenius loin drsquoecirctre une entiteacute sans rapportau monde en est non seulement le principe mais il est pour lui lasource reacuteelle du Bien reacuteel ndash autrement dit il joue le rocircle de la Provi-dence qui est alors concregravetement exerceacutee par le second principe leBon Tout en eacutetant conccedilu comme premier intellect il nrsquoest donc pas lepremier moteur immobile aristoteacutelicien qui se pense lui-mecircme65 etauquel fut justement reprocheacute son deacutefaut de Providence66

120 Fabienne JOURDAN

62 Selon notre lecture de la formule ἰδέα ἑαυτοῦ du fragment 16 (24 F)comme renvoyant au monde intelligible comme ensemble de formes deacutetermi-neacutees

63 Voir le fr 11 (19 F) sur cette eacuteleacutevation du sensible vers le caractegravere dudeacutemiurge lequel est le laquo Bon raquo en reacutefeacuterence au Timeacutee Numeacutenius distingue leBien premier principe du Bon second principe en utilisant lrsquoadjectif substan-tiveacute au neutre pour deacutesigner le premier et lrsquoadjectif au masculin pour le second

64 Tel est selon nous le sens de lrsquoexpression ὁ μέν γε ὢν σπέρμα πάσηςψυχῆς au fr 13 (21 F) qui en fait la semence de toute acircme voir par ex F Jour-dan laquo Eusegravebe de Ceacutesareacutee et les extraits de Numeacutenius dans la Preacuteparationeacutevangeacutelique raquo dans S Morlet (eacuted) Lire en extraits Pratiques de lecture et deproduction des textes de lrsquoAntiquiteacute au Moyen Acircge Paris PUPS 2015 p 143-147

65 Contra par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit p 107066 Sur ce sujet notamment chez Plutarque dont Numeacutenius aurait pu ici par-

tager la critique voir par ex F Ferrari laquo Provvidenza platonica o autocontem

3) On notera ici enfin que selon toute vraisemblance Numeacuteniusnrsquoidentifie pas son premier principe agrave lrsquoUn67 Ce principe est certesunique (μόνος) simple (ἁπλοῦς) et indivisible (μὴ διαίρετος) encela distinct de lrsquouniteacute divisible que constitue le second dieu68 MaisNumeacutenius ne lrsquoidentifie pas agrave lrsquoUn et en tout cas pas agrave lrsquoUn du Parmeacute-nide69 Notre conviction srsquoappuie sur lrsquoanalyse du fragment 19 (27 F)Agrave la fin du passage on lit lrsquoexpression τὸ ἀγαθὸν ὅτι ἐστὶν ἕνNumeacutenius la donne comme une conclusion de Platon dont le sens pro-fond ne peut ecirctre perccedilu que par les laquo regards aiguiseacutes raquo autrement ditpar ceux qui comprennent le propos de Numeacutenius Elle provient assu-reacutement de la tradition orale on la retrouve dans le compte-rendu de laLeccedilon sur le Bien par Aristoxegravene70 Comme lrsquoarticle deacutefini peut ecirctreomis devant lrsquoattribut on peut certes heacutesiter sur sa traduction laquo leBien est lrsquoUn raquo ou laquo le Bien est un raquo Dans le contexte matheacutematiqueougrave elle est preacutesenteacutee chez Aristoxegravene la premiegravere traduction est sansdoute la bonne Mais ce nrsquoest pas neacutecessairement le sens originel (siPlaton srsquoest reacuteellement exprimeacute ainsi) et assureacutement pas celui que veut

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 121

plazione aristotelica la scelta di Plutarco raquo dans L Van der Stockt F Titche-ner HG Ingenkamp A Peacuterez Jimeacutenez (eacuted) Gods Daimones Rituals Mythsand History of Religions in Plutarchrsquos Works Maacutelaga International PlutarchSociety 2010 p 177-190 et laquo La teologia di aristotele nel medioplatonismo raquodans Y Lehman (eacuted) Aristoteles Romanus La Reacuteception de la science aristo-teacutelicienne dans lrsquoEmpire greacuteco-romain Turnhout Brepols 2012 p 299-312 voir aussi chez Atticus A Michalewski laquo Faut-il preacutefeacuterer Eacutepicure agrave Aris-tote raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted) Reacuteceptions de la theacuteolo-gie aristoteacutelicienne DrsquoAristote agrave Michel drsquoEphegravese Leuven Peeters 2017p 123-142

67 Contra notamment ici G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 84

68 Fr 11 19 F69 Contra A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV

op cit p 124 M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 22570 Aristoxegravene Eacuteleacutements drsquoharmonique 22016313 Macran 398-404 da

Rios texte ndeg 1 p 248 Richard

lire Numeacutenius Dans le contexte du fragment la formule perd touteambiguiumlteacute parce que lrsquointerpreacutetation en est donneacutee au preacutealable Numeacute-nius a insisteacute sur lrsquouniciteacute du Bien dont la bonteacute a eacuteteacute identifieacutee agrave lrsquoactespeacutecifique du φρονεῖν Si Platon a dit τἀγαθὸν ἐστὶν ἕν ndash formule dontNumeacutenius srsquoestime devoir rendre compte puisqursquoil eacutecrit justement luiaussi Sur le Bien ndash crsquoest donc selon lui parce qursquoil nrsquoy a qursquoun seul etunique Bien le Bien lui-mecircme (αὐτοάγαθον) Par suite la seulemaniegravere de rencontrer le bien de maniegravere geacuteneacuterale consiste agrave prendrepart agrave lrsquoactiviteacute de penser qui caracteacuterise le Bien lui-mecircme une penseacuteesource de bonteacute que chacun pourra exercer agrave son niveau (lrsquoideacutee que leφρονεῖν lui est reacuteserveacute suggegravere qursquoil srsquoagit dans son cas drsquoun φρονεῖνagrave lrsquoeacutetat pur) Ce disant Numeacutenius a sans doute une viseacutee poleacutemique agravelrsquoeacutegard notamment drsquoune interpreacutetation pythagorisante de Platon vrai-semblablement issue de lrsquoAncienne Acadeacutemie et peut-ecirctre aussi delrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne de lrsquoenseignement oral71 Lui seul sesera estimeacute comprendre le veacuteritable pythagorisme du maicirctre Quoiqursquoil en soit sur ce point le passage est selon nous la preuve drsquoun refusdrsquoidentifier le Bien agrave lrsquoUn Si Platon a dit que le Bien est un ou mecircmelrsquoUn quelle que soit lrsquointerpreacutetation litteacuterale et donc la traduction rete-nue il nrsquoaurait selon Numeacutenius en reacutealiteacute rien voulu exprimer drsquoautreque lrsquouniciteacute du Bien ainsi que sa seacuteparation drsquoavec le sensible conccediluecomme distinction essentielle drsquoavec les biens de ce monde Numeacuteniusinvite agrave comprendre ἕν comme le synonyme de μόνος que seul ilemploie agrave reacutepeacutetition agrave propos de son premier principe72 et qui a cedouble sens drsquoexprimer lrsquouniciteacute et lrsquoisolement ou la seacuteparationcomme le suggegravere deacutejagrave son emploi reacutecurrent au fragment 2 (11 F)Telle est lrsquointerpreacutetation correcte du Platon non-eacutecrit qursquoil precircte aux

122 Fabienne JOURDAN

71 Voir par ex Meacutet A 6 988 a 10-17 ougrave lrsquoUn est preacutesenteacute comme la causedu Bien et N 4 1091 b 1-20 sur lrsquoidentification du Bien agrave lrsquoUn dans uncontexte de critique des Platoniciens

72 Εἷς nrsquointervient qursquoagrave propos du second dieu conccedilu comme uniteacute divi-sible qui se distingue en cela de lrsquoUn et mecircme de lrsquouniciteacute du fait de sa dualiteacuteneacutecessaire (mais non essentielle)

seuls regards suffisamment aiguiseacutes pour savoir lire Platon lagrave ougravedrsquoautres lrsquoauront mal entendu73

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 123

73 Voir lrsquoanalyse deacutetailleacutee du passage dans F Jourdan laquo Sur le Bien deNumeacutenius raquo art cit ici contra G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 82 et 84 ndash Les deux teacutemoignages suggeacuterant une eacutevocation de lrsquoUnpar Numeacutenius ne paraissent pas infirmer cette lecture Le premier issu deMacrobe (fr 54 = Saturnales I 17 65 = P 99 12-16 Willis) fait eacutetat drsquoune eacutety-mologie de lrsquoeacutepithegravete laquo delphien raquo attribueacutee agrave Apollon ougrave Numeacutenius auraitvraisemblablement voulu retrouver lrsquoeacutetymologie courante du nom propre dudieu comme renvoyant au laquo non-multiple raquo ἀ-πολλά (voir par ex PlutarqueDe E 388 F et De Iside 354 F et 381 F avec J Whittaker laquo Ammonius on theDelphic E raquo Classical Quarterly 63 NS 19 1969 p 187-188 E SyskaStudien zur Theologie des Macrobius Stuttgart Teubner 1993 p 116 n 74)Macrobe rapporte en effet que Numeacutenius aurait fait de δέλφος un adjectifsignifiant unum (dans le latin de Macrobe) par opposition au substantifἀδελφός signifant laquo fregravere raquo et alors conccedilu comme pourvu drsquoun ἀ- privatif(sur cette eacutetymologie voir J Whittaker ibid p 187 n 9 Eacute des PlacesNumeacutenius Fragments op cit p 100 n 1 E Syska Studien zur Theologiedes Macrobius op cit p 193-194 qui estime qursquoelle nrsquoa aucune autre valeurque litteacuteraire) Outre qursquoil concerne un dieu dont nous ne savons pas si Numeacute-nius aurait reacuteellement souhaiteacute lrsquoidentification agrave son premier principe (il sug-gegravere en revanche son association agrave Zeus au fr 2 [11 F] lequel est ensuite asso-cieacute au second dieu au fr 12 [20 F]) le teacutemoignage nrsquoindique pas le sens exacten lequel Numeacutenius aurait aimeacute qursquoon entende cette laquo absence de fregravere raquoDrsquoune part juste avant Macrobe emploie lrsquoexpression singulum et unum quipeut traduire ἕν καὶ μόνον et dont comme dans le grec la redondance avaleur emphatique On ne sait donc pas lequel des deux adjectifs Numeacutenius aexactement employeacute et rien nrsquointerdit de penser que la reprise par unus soit unchoix du neacuteoplatonicien Macrobe Drsquoautre part unus renvoie agrave εἷς et non agrave ἕνEnfin et surtout laquo ne pas avoir de fregravere raquo si tel est le sens que Numeacutenius precirctedans ce contexte agrave δέλφος signifie laquo ecirctre fils unique raquo et reconduit au sens deμόνος Crsquoest pourquoi selon nous ce teacutemoignage nrsquoest pas un indice fiabledrsquoune identification numeacutenienne du premier principe agrave lrsquoUn (contra M Bur-nyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit p 152 n 34) Le second teacutemoignageest quant agrave lui constitueacute par la reacutefeacuterence agrave une singularitas identifieacutee agrave un pre-mier dieu-deacutemiurge dans le compte-rendu numeacutenien de la cosmogonie pytha-goricienne rapporteacutee par Calcidius (fr 52) Or ce premier dieu dans son oppo-sition mecircme agrave la dyade correspond davantage au second dieu du Περὶ

Voilagrave notre lecture du Περὶ τἀγαθοῦ le seul texte meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius dont soient transmis des fragments litteacute-raux Crsquoest agrave partir drsquoelle que nous proposons drsquoexaminer les rapportsentre lrsquoenseignement de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon lui-mecircme le Commentaire anonyme au Parmeacutenide et enfin la source com-mune au Zostrien et agrave Marius Victorinus Agrave chacun de ces troismoments nous tenterons drsquoeacutevaluer srsquoil fournit les indices de lrsquoexis-tence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par Numeacutenius

Premiegravere partie

Lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon le premier principe de Numeacutenius (le Bien) nrsquoest ni lrsquoUn ni

lrsquoUn-qui-est du ParmeacutenideLa premiegravere eacutetape que nous reacutealiserons dans cette premiegravere partie

consiste agrave confronter le Περὶ τἀγαθοῦ au Parmeacutenide lui-mecircme afinde voir srsquoil y renvoie directement ou non Si nous suivions lrsquohypothegravesede J Whittaker74 toutefois nous abandonnerions immeacutediatement lrsquoen-treprise selon lui crsquoest agrave partir du moment ougrave un philosophe inter-pregravete le Bien de Reacutepublique VI 509 b 6-10 comme un principe trans-cendant reacuteellement lrsquoecirctre et comme identifiable agrave lrsquoUn que se profileune interpreacutetation du Parmeacutenide et plus preacuteciseacutement de la premiegraverehypothegravese Or nous venons de montrer que loin de transcender lrsquoecirctrele Bien de Numeacutenius est lrsquoEcirctre lui-mecircme et que son association agrave lrsquoUnsert avant tout un propos exeacutegeacutetique ou srsquoavegravere du moins fort probleacute-matique ndash telle qursquoelle est formuleacutee du moins elle nrsquoimplique aucune

124 Fabienne JOURDAN

τἀγαθοῦ sans compter que lrsquoappellation latine de singularitas traduit plutocirctle grec μόνας que ἕν Le compte-rendu ne peut donc ecirctre compris commerefleacutetant la doctrine propre de Numeacutenius telle du moins qursquoelle est exprimeacuteedans le Περὶ τἀγαθοῦ (voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius raquo art cit)Il nrsquoy a donc aucun texte fiable permettant de precircter agrave Numeacutenius lrsquoidentifica-tion du Bien agrave lrsquoUn et encore moins agrave lrsquoUn du Parmeacutenide

74 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit

allusion au Parmeacutenide75 Si lrsquoon veut malgreacute tout supposer que Numeacute-nius nrsquoen a pas moins utiliseacute le Parmeacutenide et que son œuvre trahit alorsnon seulement la connaissance du dialogue mais un commentaire per-sonnel de celui-ci ne serait-ce que partiel il faut recourir agrave un autrepoint de doctrine que cette identification du premier principe agrave uneentiteacute transcendant lrsquoecirctre et identifieacutee agrave lrsquoUn et justement interroger ladeacutefinition de ce premier principe comme ecirctre Autrement dit il srsquoagitessentiellement de voir si Numeacutenius identifie le Bien ne serait-ce quepartiellement agrave lrsquolaquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

Pour parvenir agrave un reacutesultat probant deux eacutetapes sont neacutecessaires agravecet examen

1) un rappel des quelques points qui dans la deacutefinition de lrsquoecirctre etdu premier principe selon Numeacutenius ont parfois suggeacutereacute des rappro-chements avec le Parmeacutenide

2) une confrontation de la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ avec laseconde partie du dialogue de Platon pour voir si une convergence depenseacutee plus geacuteneacuterale pourrait malgreacute tout suggeacuterer une appropriationde ce texte par Numeacutenius ou si une incompatibiliteacute fondamentaleinvite agrave en douter

Dans lrsquoun et lrsquoautre cas si les reacutesultats sont neacutegatifs cela ne per-mettra pas de conclure que Numeacutenius a ignoreacute le texte ni non plus dese prononcer de maniegravere cateacutegorique sur lrsquoœuvre non parvenue Nousmontrerons drsquoailleurs dans un troisiegraveme temps que Numeacutenius tente dereacutesoudre les apories relatives aux formes poseacutees dans la premiegravere par-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 125

75 On peut faire semblable remarque agrave propos de lrsquoexposeacute des principespythagoriciens par Eudore rapporteacute par Simplicius (In Phys 18110 sq Diels)Mecircme srsquoil eacutevoque diffeacuterents Un la conception deacuteveloppeacutee deacutepend avant toutdes reacuteflexions de lrsquoAncienne Acadeacutemie sur lrsquoUn et la Dyade et est en cela tregravesproche du compte-rendu drsquoAristote sur les principes de Platon en Meacutet A 6 987b 18 sq (sur ce point voir J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquoart cit p 98 qui rapporte les propos de W Theiler agrave la note 11) Il ne sembledonc pas neacutecessaire de supposer un commentaire sous-jacent aux deux pre-miegraveres hypothegraveses du Parmeacutenide mecircme srsquoil nrsquoest eacutevidemment pas exclu que ledialogue ait eacuteteacute invoqueacute pour sa nomination de lrsquoUn La remarque vaut eacutegale-ment pour Speusippe et de maniegravere geacuteneacuterale pour les neacuteo-pythagoriciens

tie du dialogue et nous verrons qursquoagrave lrsquoeacutegard de la premiegravere hypothegraveseil a peut-ecirctre choisi une attitude suggeacutereacutee par Platon lui-mecircme Poureacutelargir cette recherche nous interrogerons enfin sa relation agrave la penseacuteede Parmeacutenide lui-mecircme

1 La deacutefinition du premier principe comme ecirctre dansle Περὶ τἀγαθοῦ des parallegraveles avec le Parmeacutenide

Une fois que lrsquoon a renonceacute agrave precircter agrave Numeacutenius une interpreacutetationdu Parmeacutenide en raison drsquoune identification supposeacutee de son premierprincipe agrave lrsquoUn il reste possible drsquoexaminer les parallegraveles entre la deacutefi-nition de son premier principe identifieacute agrave lrsquoecirctre ou plus geacuteneacuteralemententre sa deacutefinition de lrsquoecirctre et les formulations du dialogue platoniciendans les deux premiegraveres hypothegraveses Les partisans drsquoune interpreacutetationnumeacutenienne du Parmeacutenide dont notamment A-J Festugiegravere76 etD OrsquoMeara77 citent essentiellement78 deux textes agrave cette fin les frag-

126 Fabienne JOURDAN

76 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 12577 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 Voir aussi par ex

M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 225-227 qui srsquoap-puie toutefois sur ce qursquoil considegravere une identification du Bien agrave lrsquoUn et sur unpassage de Cleacutement drsquoAlexandrie qui semble deacutependre de la premiegravere hypo-thegravese (Strom V 12 82 1-2) Les eacuteleacutements de theacuteologie neacutegative eacutevoqueacutes lagravesrsquoaccompagnant drsquoune possibiliteacute de nomination rappellent toutefois moinsNumeacutenius qursquoAlcinoos Did X p 16433-34 H

78 Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoargumentation de R Romano (laquo La proba-bile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica e neopitagorica) delParmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide diPlatone et la sua tradizione op cit p 234) qui estime que Numeacutenius aufragment 217-34 (11 F) emprunte au Parmeacutenide les expressions delaquo meacutethode non aiseacutee mais divine raquo laquo ardeur juveacutenile raquo et laquo exercice matheacute-matique raquo Lrsquoappui textuel est trop tenu pour qursquoelle soit persuasive Quant agraveG Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 82-84) il eacutevoque luiaussi le fragment 5 (14 F) mais seulement en note agrave la page 82 et son argu-mentation ne srsquoappuie pas davantage sur la lettre du texte Crsquoest pourquoielle ne peut ecirctre expliciteacutee ici Nous ne commenterons enfin pas les hypo-

ments 5 et 6 (14-15 F) ougrave apparaicirct formuleacutee en termes neacutegatifs unedeacutefinition de lrsquoecirctre que le fragment 2 (11 F) a dit identifiable au BienCes deux fragments proviennent du livre II du Περὶ τἀγαθοῦ quientreprend de deacutefinir lrsquoecirctre preacuteliminaire indispensable agrave la deacutefinitiondu Bien Examinons-en quelques extraits Au fragment 5 nous lisonsceci

Φέρε οὖν ὅση δύναμις ἐγγύτατα πρὸς τὸ ὂν ἀναγώμεθα καὶλέγωμενmiddot τὸ ὂν οὔτε ποτὲ ἦν οὔτε ποτὲ μὴ γένηται ἀλλrsquo ἔστιν ἀεὶἐν χρόνῳ ὡρισμένῳ τῷ ἐνεστῶτι μόνῳ [] τὸ ἄρα ὂν ἀΐδιόν τεβέβαιόν τε ἐστὶν ἀεὶ κατὰ ταὐτὸν καὶ ταὐτόν οὐδὲ γέγονε μένἐφθάρη δὲ οὐδrsquo ἐμεγεθύνατο μέν ἐμειώθη δὲ οὐδὲ μὴltνgtἐγένετό πω πλεῖον ἢ ἔλασσον καὶ μὲν δὴ τά τε ἄλλα καὶ οὐδὲτοπικῶς κινηθήσεταιmiddot οὐδὲ γὰρ θέμις αὐτῷ κινηθῆναι οὐδὲ μὲνὀπίσω οὐδὲ πρόσω οὔτε ἄνω ποτὲ οὔτε κάτω οὐδrsquo εἰς δεξιὰοὐδrsquo εἰς ἀριστερὰ μεταθεύσεταί ποτε τὸ ὂν οὔτε περὶ τὸ μέσονποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται ἀλλὰ μᾶλλον καὶ ἑστήξεται καὶἀραρός τε καὶ ἑστηκὸς ἔσται κατὰ ταὐτὰ ἔχον ἀεὶ καὶ ὡσαύτως(extraits du fragment 5 14 F = Eus PE XI 10 4-5)

Eh bien donc eacutelevons-nous vers lrsquoecirctre le plus pregraves qursquoil nous est pos-sible et disons ceci lrsquoecirctre jamais ne fut ni jamais nrsquoadviendra assureacute-ment mais il est toujours dans un temps bien deacutetermineacute le seul preacute-sent [] Lrsquoecirctre est donc est agrave la fois eacuteternel et stable toujours dans lemecircme eacutetat et identique agrave soi il nrsquoest pas neacute et il ne peacuterit pas il ne croicirctet ne deacutecroicirct pas non plus ni il ne devient plus ou moins en aucunefaccedilon En somme il ne sera assureacutement soumis agrave aucun type de mou-vement et surtout pas au mouvement selon le lieu ndash il ne lui est en effetpas permis non plus crsquoest la loi divine drsquoecirctre mucirc jamais par unecourse en avant ni en arriegravere en haut ni en bas vers la droite droite nivers la gauche jamais lrsquoecirctre ne sera soumis au changement et jamais ilne sera mucirc autour de son propre centre Bien plutocirct il se tiendra en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 127

thegraveses de H Tarrant Thrasyllan Platonism op cit p 174-177 dans lamesure ougrave elles supposent que Numeacutenius srsquoinspire de Modeacuteratus (au fr 52)et suit donc lrsquointerpreacutetation qursquoil aurait donneacutee sur la matiegravere drsquoapregraves leteacutemoignage de Simplicius

repos sera ferme et fixe se maintenant toujours de faccedilon identique etde la mecircme maniegravere79

Au fragment 6 (15 F) nous lisons ensuite

ἡ δὲ αἰτία τοῦ ὄντος ὀνόματός ἐστι τὸ μὴ γεγονέναι μηδὲφθαρήσεσθαι μηδrsquo ἄλλην μήτε κίνησιν μηδεμίαν ἐνδέχεσθαιμήτε μεταβολὴν κρείττω ἢ φαύλην εἶναι δὲ ἁπλοῦν καὶἀναλλοίωτον καὶ ἐν ἰδέᾳ τῇ αὐτῇ καὶ μήτε ἐθελούσιον ἐξίστα-σθαι τῆς ταὐτότητος μήθrsquo ὑφrsquo ἑτέρου προσαναγκάζεσθαι (extraitdu fragment 6 15 F = Eus PE XI 10 7)

Et la raison de ce nom ecirctre reacuteside dans le fait de ne pas ecirctre neacute de nepas devoir peacuterir de nrsquoadmettre absolument aucun autre type de mou-vement ni de changement que ce soit vers le meilleur ou vers le piremais drsquoecirctre au contraire simple invariable dans une forme qui resteidentique de ne pas sortir de son identiteacute ni volontairement ni souslrsquoeffet drsquoune contrainte exteacuterieure80

Pourquoi a-t-on voulu lire ces textes comme faisant allusion auParmeacutenide alors qursquoils ne preacutesentent pas de parallegraveles textuels avec cedialogue Deux raisons agrave cela A-J Festugiegravere y voit une seacuterie deneacutegations qui rappellent celles du Parmeacutenide relativement agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese D OrsquoMeara estime que la deacutefinition de lrsquoecirctrecomme restant dans une identiteacute parfaite agrave soi exprimeacutee en termes de

128 Fabienne JOURDAN

79 Toutes les traductions de Numeacutenius sont les nocirctres80 Voir aussi cet extrait du fragment 8 (17 F = Eus PE XI 10 12) Εἰ μὲν

δὴ τὸ ὂν πάντως πάντη ἀΐδιόν τέ ἐστι καὶ ἄτρεπτον καὶ οὐδαμῶςοὐδαμῆ ἐξιστάμενον ἐξ ἑαυτοῦ μένει δὲ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτωςἕστηκε τοῦτο δήπου ἂν εἴη τὸ τῇ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν laquo Siassureacutement lrsquoecirctre est en tout point absolument eacuteternel et immuable srsquoil ne sortabsolument pas de lui-mecircme en aucune faccedilon mais demeure dans le mecircmeeacutetat fixeacute dans son identiteacute alors crsquoest lui sans nul doute qui sera ldquoce qui estappreacutehendeacute par lrsquointellection agrave lrsquoaide du raisonnementrdquo (Tim 28 a) raquo Ce pas-sage fait suite au fragment 7 (16 F = Eus PE XI 10 9-11) qui cite la deacutefinitionde lrsquoecirctre opposeacute agrave la γένεσις en Timeacutee 27 d 6-28 a 4

laquo non-sortie raquo de soi est reprise dans les passages des Enneacuteades VI4 [ 22] 2 21 et VI 5 3 1-2 ougrave Plotin traite de lrsquointeacutegriteacute de lrsquoecirctre etinterpregravete agrave cet effet la seconde hypothegravese du Parmeacutenide D OrsquoMearasonge alors agrave un preacuteceacutedent numeacutenien dans la lecture plotinienne duParmeacutenide et agrave cette fin eacutetant donneacute qursquoil est question dans ces frag-ments de la relation de lrsquoecirctre au temps au changement et au mouve-ment tout comme de son nom (et donc sous-entendu aussi de saconnaissance) il invite agrave penser que le livre II du Περὶ τἀγαθoῦ trai-tait de lrsquoecirctre selon les diffeacuterents preacutedicats qui servent agrave interroger lrsquoUndu Parmeacutenide agrave savoir le Tout et les parties le lieu le changement etmouvement lrsquoidentiteacute et la diffeacuterence la ressemblance et dissem-blance lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoineacutegaliteacute le temps le nom la connaissance

Ces deux lectures se heurtent toutefois agrave deux objections simplesDrsquoune part pas plus qursquoil ne tire du Parmeacutenide la description de la non-sortie de soi81 Numeacutenius nrsquoemprunte son argumentation sur le change-ment le temps et le nom au Parmeacutenide Comme il le dit lui-mecircme aufragment 6 (15 F) il srsquoappuie pour cela sur le Timeacutee et le Cratyle Onnotera drsquoailleurs que le deacuteveloppement sur lrsquoabsence de mouvement etdonc de changement relegraveve en outre drsquoun emprunt aux Lois82 et qursquoellenrsquoest pas exempte de parallegraveles aristoteacuteliciens ainsi que le reconnaicirctD OrsquoMeara lui-mecircme83 Drsquoautre part et pour reacutepondre cette fois agraveA-J Festugiegravere la seacuterie de neacutegations ne fait aucunement allusion auParmeacutenide ni nrsquoaugure drsquoune theacuteologie neacutegative telle qursquoelle sera tireacuteede la premiegravere hypothegravese de ce dialogue elle contribue simplement agraveune deacutefinition de lrsquoecirctre par opposition au devenir et surtout au corporelqui preacutesente toutes les qualiteacutes ici nieacutees La citation au fragment 7 (16F) du passage du Timeacutee (27 d 6-28 a 4) opposant justement ὄν et

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 129

81 Elle est en reacutealiteacute preacutesente dans le Cratyle 439 e le Pheacutedon 79 d et 80b 1-2 et le Banquet 211 b 1

82 X 893 c-894 a83 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 n 26 Sur le temps

voir aussi M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit et la remarquefinale sur la deacutefinition parmeacutenidienne drsquoune entiteacute se situant dans un eacuteternelpreacutesent au fr 85 DK

γένεσις preacutecise ce contexte de penseacutee et empecircche en cela toute extra-polation Agrave la limite si lrsquoon y tient on pourra simplement conclure avecD OrsquoMeara que Numeacutenius a donneacute agrave Plotin lrsquoideacutee de lire le Parmeacutenidedans le sens ougrave il lrsquoa fait concernant lrsquoecirctre ndash hypothegravese qui srsquoavegraverera fortinteacuteressante dans la perspective drsquoune comparaison avec lrsquoentreprise ducommentateur anonyme au Parmeacutenide

Les textes habituellement citeacutes en faveur drsquoune utilisation numeacute-nienne du Parmeacutenide ainsi compris il en est selon nous un troisiegravemequi aurait pu inviter agrave pareille suggestion celui ougrave Numeacutenius precircte aupremier principe un repos qui srsquoaccompagne malgreacute tout drsquoune formede mouvement ndash attributs apparemment contradictoires dont lrsquooriginepourrait paraicirctre remonter au Parmeacutenide Ce texte nous mettrait sur lavoie qui pouvait sembler la plus feacuteconde drsquoune identification du pre-mier principe numeacutenien agrave lrsquoUn de la seconde hypothegravese du ParmeacutenideLisons ainsi le fragment 15 (23 F)

Εἰσὶ δrsquo οὗτοι βίοι ὁ μὲν πρώτου ὁ δὲ δευτέρου θεοῦ δηλονότι ὁμὲν πρῶτος θεὸς ἔσται ἑστώς ὁ δὲ δεύτερος ἔμπαλίν ἐστικινούμενοςmiddot ὁ μὲν οὖν πρῶτος περὶ τὰ νοητά ὁ δὲ δεύτερος περὶτὰ νοητὰ καὶ αἰσθητά μὴ θαυμάσῃς δrsquo εἰ τοῦτrsquo ἔφηνmiddot πολὺ γὰρἔτι θαυμαστότερον ἀκούσῃ ἀντὶ γὰρ τῆς προσούσης τῷδευτέρῳ κινήσεως τὴν προσοῦσαν τῷ πρώτῳ στάσιν φημὶ εἶναικίνησιν σύμφυτον ἀφrsquo ἧς ἥ τε τάξις τοῦ κόσμου καὶ ἡ μονὴ ἡἀΐδιος καὶ ἡ σωτηρία ἀναχεῖται εἰς τὰ ὅλα

Voici les genres de vie respectifs du premier et du deuxiegraveme dieu ilest eacutevident que le premier sera en repos tandis que le deuxiegraveme aucontraire est en mouvement le premier donc autour des intelligiblesle deuxiegraveme autour des intelligibles et des sensibles Et nrsquoen viens pasagrave trsquoeacutetonner si jrsquoai affirmeacute cela car tu vas entendre bien plus eacutetonnantencore agrave la place du mouvement inheacuterent au deuxiegraveme le repos inheacute-rent au premier je lrsquoaffirme est un mouvement qui lui est par natureassocieacute drsquoougrave viennent lrsquoordre du monde et sa permanence eacuteternelle etdrsquoougrave le salut se reacutepand sur lrsquointeacutegraliteacute des ecirctres

Le passage pourrait rappeler lrsquoUn qui est Tout (τὸ ἓν ὅλον 145 e3) de la deuxiegraveme hypothegravese et que Platon deacutecrit comme eacutetant agrave la fois

130 Fabienne JOURDAN

en repos et en mouvement (καὶ κινεῖσθαι καὶ ἑστάναι 145 e 7-8)drsquoautant plus que le vocabulaire du repos employeacute est le mecircme(ἕστηκε 145 a 8 ἑστός 146 a 5) On pourrait alors imaginer queNumeacutenius identifie son premier principe agrave lrsquoUn associeacute agrave lrsquoecirctre telqursquoil est conccedilu dans cette deuxiegraveme hypothegravese Cependant la raisondonneacutee par Platon agrave cet eacutetat est le fait que cet Un se trouve agrave la fois enlui-mecircme crsquoest-agrave-dire au mecircme endroit et en autre chose crsquoest-agrave-direailleurs (le tout devant ecirctre ainsi compris 145 e 8-146 a 7) Or toutconduit agrave penser que dans le fragment le mouvement associeacute au reposfondamental est celui de la penseacutee caracteacuteristique du premier principe(cf fr 19 27 F) et que par cette formule Numeacutenius preacutepare la deacutefini-tion de celui-ci comme intellect (fr 16-17 24-25 F) Le raisonnementest profondeacutement distinct et Numeacutenius joue drsquoailleurs moins sur uneantithegravese logique telle que pourrait paraicirctre celle du raisonnement pla-tonicien que sur une association certes paradoxale mais reacuteelle Crsquoestpourquoi si tentant que puisse paraicirctre le parallegravele il ne relegraveve sansdoute pas drsquoune appropriation numeacutenienne de la deuxiegraveme hypothegravesepour deacutecrire le premier principe Numeacutenius reprend peut-ecirctre le voca-bulaire voire la conception de Platon pour deacutecrire un principe qursquoilassocie volontiers au Tout surtout si ce premier principe doit corres-pondre au Vivant84 Mais cette reprise serait superficielle et srsquoaccom-pagnerait drsquoun deacuteveloppement personnel qui ne relegraveve pas du deacutesirdrsquointerpreacuteter le Parmeacutenide85 Si Numeacutenius emprunte ici agrave Platon crsquoestplutocirct au passage du Sophiste 248 e-249 a qui integravegre le mouvementdans lrsquoecirctre total finit par deacutecrire cet ecirctre comme eacutetant agrave la fois en reposet en mouvement et inclut en lui eacutegalement lrsquointellect mieux laφρόνησις dont nous avons vu que Numeacutenius en fait sous la formeinfinitive lrsquoapanage du Bien

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 131

84 Voir le teacutemoignage de Proclus (fr 22) deacutejagrave signaleacute selon nous lrsquoimagedu Vivant est deacutejagrave sous-jacente dans ce fragment 15 (23 F) voir la note 61

85 Sur ce point nous rejoignons LP Gerson laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpre-tation of Platorsquos Parmenides raquo art cit n 1 qui rappelle agrave propos drsquoAlcinoosque lrsquoutilisation de distinctions et drsquoarguments preacutesents dans le Parmeacutenidenrsquoimplique pas drsquoaccorder une primauteacute interpreacutetative agrave ce dialogue

2 Le Περὶ τἀγαθοῦ et les deux premiegraveres hypothegravesesde la seconde partie du Parmeacutenide

Agrave eux seuls les textes parvenus ne nous semblent donc pas teacutemoi-gner en faveur drsquoun commentaire au Parmeacutenide de la part de Numeacute-nius ni mecircme drsquoune utilisation partielle qursquoil aurait faite de ce dia-logue Les partisans drsquoune attribution de pareil commentaire agrave Numeacute-nius en appellent toutefois et ce juste titre agrave lrsquoœuvre non parvenueOn ne peut certes juger de lrsquoeacutevolution de Numeacutenius Mais pour quecet argument e silentio soit valable concernant au moins la partie man-quante du Περὶ τἀγαθοῦ il faudrait que la partie transmise ne preacute-sente pas drsquoincompatibiliteacute avec lrsquoargumentation geacuteneacuterale du dialoguede Platon Comme le deacutebat porte toujours sur les deux premiegraveres hypo-thegraveses ce sont elles qursquoil suffit drsquointerroger en vue drsquoeacutevaluer si Numeacute-nius peut ne serait-ce que srsquoy ecirctre reporteacute pour esquisser sa deacutefinitiondu premier principe voire du second comme le suggegravere JD Turner86

a) Le Bien et lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese

Selon notre lecture Numeacutenius nrsquoidentifie pas le Bien agrave lrsquoUn Laseacuterie de neacutegations neacutecessaires agrave la deacutefinition de lrsquoecirctre nrsquoa drsquoautre butque de distinguer celui-ci du devenir Qursquoest-ce que le Bien de Numeacute-nius pourrait donc avoir de commun avec lrsquoUn de la premiegravere hypo-thegravese87 Comparons son enseignement agrave celui du Parmeacutenide pourassurer de la validiteacute de notre position

Ce que le Bien de Numeacutenius pourrait avoir de commun avec lrsquoUnde la premiegravere hypothegravese assureacutement ce serait le fait de ne pas ecirctremultiple (137 c) Mais cela est bien maigre la seacuterie de neacutegations pro-

132 Fabienne JOURDAN

86 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 138-13987 G Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 84) estime que

crsquoest en lien avec la premiegravere hypothegravese que Numeacutenius deacuteveloppe sa concep-tion du premier intellect Il nrsquoexplique toutefois pas cette lecture pour le moinseacutetonnante

poseacutee par Parmeacutenide ne le concerne pas Passons en revue quelquesexemples en suivant lrsquoordre du dialogue contrairement agrave lrsquoUn de cettehypothegravese le Bien nrsquoest pas illimiteacute (137 d 7) crsquoest la matiegravere qui esttelle agrave lrsquoimage drsquoun fleuve88 loin drsquoecirctre nulle part au sens de laquo pas ensoi raquo (138 a 2 6-b 2) il est au contraire en lui-mecircme89 La seacuterie drsquoanti-thegraveses ne le concerne pas davantage loin de nrsquoecirctre ni en repos ni enmouvement (138 b) nous avons vu qursquoil a part aux deux90 plutocirct quede nrsquoecirctre ni identique ni diffeacuterent (139 b-140 b) il est assureacutement iden-tique agrave soi91 au lieu drsquoecirctre hors du temps (141 a) il se situe dans uneacuteternel preacutesent92 et si certes on ne peut pas non plus parler agrave soneacutegard de participation agrave lrsquoοὐσία (141 e 7-8) il nrsquoen est pas moinslrsquoἀρχή de celle-ci93 qui fait de lui lrsquoEcirctre par excellence94 Contraire-ment agrave lrsquoUn de cette hypothegravese (142 a) il a en outre un nom une deacutefi-nition et il y a mecircme une science agrave son sujet son nom est drsquoabordοὐσία et ὄν lorsque lrsquoecirctre qursquoil est est envisageacute de maniegravere geacuteneacuterale95puis vraisemblablement Bien lui-mecircme et Ecirctre lui-mecircme (αὐτοάγα-θον et αὐτοόν) lorsqursquoil est envisageacute dans sa speacutecificiteacute96 il donnelrsquoἐπιστήμη et srsquoavegravere mecircme ecirctre la σοφία97 toute lrsquoentreprise duΠερὶ τἀγαθοῦ est justement de conduire agrave sa connaissance et deacutefini-tion98 ce agrave quoi parvient entre autres le dernier fragment en identifiantultimement lrsquoecirctre et lrsquointellect qursquoil constitue agrave la Forme du Bien de laReacutepublique99 Lorsque Platon fait conclure agrave Parmeacutenide que cet Un

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 133

88 Fr 3 (12 F) et 8 (17 F)89 Fr 11 (19 F)90 Fr 15 (23 F)91 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)92 Fr 5 (14 F)93 Fr 16 (24 F)94 Fr 17 (25 F) et lrsquoon nrsquooubliera pas la synonymie entre οὐσία et ὄν don-

neacutee au fr 6 (15 F)95 Fr 6 (15 F)96 Fr 16-17 (24-25 F) fr 20 (28 F)97 Crsquoest notre interpreacutetation conjointe des fragments 13 et 14 (21-22 F)98 Tel est le programme annonceacute au fragment 2 (11 F)99 Fr 20 (28 F)

finalement nrsquoest pas Numeacutenius peut donc avoir estimeacute ne pas devoirreconnaicirctre lagrave ce qursquoil deacutefinit quant agrave lui comme le premier principe etce alors en accord avec Platon lui-mecircme

Crsquoest pourquoi srsquoil a songeacute agrave ce dialogue et plus particuliegraverement agravela premiegravere hypothegravese Numeacutenius a pu le consideacuterer comme un exer-cice dialectique ougrave puiser par exemple une meacutethode drsquointerrogation etcertains concepts dans un esprit peut-ecirctre semblable agrave celui drsquoAlci-noos100 ou bien ce qui nrsquoest pas incompatible comme deacutecrivantaussi une position selon lui critiqueacutee par Platon Dans cette perspec-tive il peut alors y avoir perccedilu une raison de ne pas retenir la candida-ture de lrsquoUn (telle que la suggegravere notamment la reacuteception acadeacutemi-cienne de lrsquoenseignement oral) au titre de premier principe agrave identifierau Bien puisque cet Un conccedilu dans sa pureteacute agrave la maniegravere dont Platonle deacutecrit dans la premiegravere hypothegravese conduit agrave lrsquoaporie du non-ecirctre (non-ecirctre que Numeacutenius identifie quant agrave lui agrave la matiegravere) Autre-ment dit la lecture du Parmeacutenide voire le commentaire de ce dia-logue aurait plutocirct conduit Numeacutenius agrave ne pas identifier le Bien agrave lrsquoUnabsolu et lrsquoaurait peut-ecirctre justifieacute dans une position poleacutemique agrave lrsquoen-contre de certains neacuteo-pythagoriciens de son temps101 voire des Aca-deacutemiciens qui le faisaient

Cette conclusion peut a priori eacutetonner Mais Numeacutenius nrsquoaurait paseacuteteacute le seul de son eacutepoque agrave refuser drsquoaccorder agrave lrsquoUn de la premiegraverehypothegravese le rocircle de principe de la reacutealiteacute et de principe transcendantlrsquoecirctre Proclus eacutevoque des interpregravetes selon lesquels le veacuteritable objet

134 Fabienne JOURDAN

100 Agrave la mecircme eacutepoque ou peu apregraves (selon lrsquohypothegravese de R Chiara-donna laquo Theacuteologie et eacutepoptique aristoteacutelicienne dans le meacutedioplatonisme lareacuteception de Meacutetaphysique Λ raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted)Reacuteceptions de la theacuteologie aristoteacutelicienne op cit p 143-148 voir aussiM Frede laquo Numenius raquo art cit p 1064) Alcinoos donne une interpreacutetationessentiellement logique du Parmeacutenide voir Did VI p 159-160 H Cela nrsquoim-plique toutefois pas que ce fut lagrave la seule lecture du dialogue par Alcinoos(pace J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit)

101 Voir ceux eacutevoqueacutes au fragment 5215-24 (Calcidius In Tim CCXCV)qui font provenir la dyade de la monade Modeacuteratus agrave qui est justement precircteacuteun commentaire du Parmeacutenide leur est parfois rapprocheacute

du Parmeacutenide est justement lrsquoecirctre (ou lrsquoUn de la seconde hypothegravese) etnon lrsquoUn absolu dont lrsquohypothegravese ne conduit qursquoagrave des apories102 Lrsquounde ces interpregravetes fut Origegravene (le Platonicien103 ) disciple drsquoAmmo-nius comme Plotin et qui eacutetait peut-ecirctre justement en deacutebat avecNumeacutenius notamment sur la fonction du premier principe104 SelonOrigegravene lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese eacutetait sans existence ni subsis-tance (ἀνύπαρκτον καὶ ἀνύποστατον) lrsquoEcirctre absolu et lrsquoUnabsolu ne devaient faire qursquoun et ecirctre identifieacutes agrave lrsquointellect commeprincipe supeacuterieur105 ce nrsquoeacutetait donc qursquoavec la seconde hypothegravese

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 135

102 Proclus In Parm I 63531-6364 Theacuteol Plat II 4 311-28103 Nous nrsquoentrons pas ici dans le deacutebat concernant la question de savoir si

Origegravene nommeacute laquo le platonicien raquo est le mecircme qursquoOrigegravene le chreacutetien Nouspostulons qursquoil srsquoagit de deux personnages distincts (en cela nous suivonsnotamment R Goulet laquo Porphyre Ammonius les deux Origegravene et lesautres raquo Revue drsquohistoire et de philosophie religieuse 57 1977 p 471-496repris dans R Goulet Eacutetudes sur les Vies de philosophes de lrsquoAntiquiteacute tar-dive Diogegravene Laeumlrce Porphyre de Tyr Eunape de Sardes Textes et traditionsI Paris Vrin 2001 p 267-290) Sur ce sujet voir le statut de la question dansL Brisson R Goulet laquo Origegravene le platonicien raquo dans R Goulet (eacuted) Dic-tionnaire des philosophes antiques Paris CNRS IV 2005 p 804-807 M Zambon laquo Porfirio e Origene uno status quaestionis raquo dans S Morlet(eacuted) Le Traiteacute de Porphyre contre les chreacutetiens Un siegravecle de recherches nou-velles questions Paris Institut drsquoEacutetudes augustiniennes 2011 p 107-164 etles eacutetudes reacuteunies par B Baumlbler H-G Nesselrath (eacuted) Origenes der Christund Origenes der Platoniker Tuumlbingen Mohr Siebeck 2018 (dont lrsquoarticle deCh Riedweg qui identifie les deux personnages)

104 Drsquoapregraves le titre de son ouvrage transmis par Porphyre (VP 332 cf Pro-clus Theol plat II 4 A) Ὃτι μόνος ποιητὴς ὁ βασιλεύς Origegravene associaitvraisemblablement le laquo roi raquo (premier principe) au deacutemiurge nommeacute ποιητήςcontrairement agrave Numeacutenius qui les distingue au fragment 12 (20 F)

105 Sur ce sujet voir par ex HD Saffrey LG Westerink Proclus Theacuteo-logie platonicienne T II Paris Les Belles Lettres 1974 p X-XX C Steellaquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 32-35 L Bris-son laquo The Reception of Parmenides before Proclus raquo dans JD TurnerK Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage vol II Reception inPatristic Gnostic and Christian Neoplatonic Texts Atlanta Society of Bibli-cal Literature 2011 p 49-64

que commenccedilait selon lui lrsquoonto-theacuteologie platonicienne parce qursquoelleaurait deacutecrit lrsquointellect et les formes Origegravene paraissant plus proche deson maicirctre que Plotin106 son interpreacutetation eacutetait peut-ecirctre celle drsquoAm-monius et comme les argumentations drsquoAmmonius et de Numeacuteniussont parfois rapprocheacutees107 on pourrait penser agrave une parenteacute entre ellessur ce sujet eacutegalement Quoi qursquoil en soit sur ce point on peut retenirdeux choses de la comparaison avec lrsquointerpreacutetation drsquoOrigegravene lerefus de consideacuterer le premier principe comme identique agrave lrsquoUn absolude la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et lrsquoidentification de ce prin-cipe agrave lrsquoEcirctre absolu

Peut-on alors supposer que Numeacutenius agrave lrsquoinstar drsquoOrigegravene conccediloitlui aussi cet Ecirctre comme deacutecrit dans la deuxiegraveme hypothegravese Crsquoest eneffet avions-nous vu drsquoembleacutee la seule maniegravere de lui supposer reacuteelle-ment une utilisation du Parmeacutenide dans sa description du premier prin-cipe

b) Le Bien et lrsquo laquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

On peut en effet rappeler que Plotin a tendance agrave situer le premierde Numeacutenius au rang du second selon sa propre doctrine Toutefois agravela lecture du Parmeacutenide lui-mecircme Numeacutenius aurait assureacutement eacuteteacutegecircneacute degraves la formulation de lrsquohypothegravese consideacuterant Un et ecirctre (οὐσία)comme deux eacuteleacutements seacutepareacutes neacutecessitant la participation de lrsquoUn agravelrsquoecirctre (142 b-c) Pour Numeacutenius le premier principe est lrsquoecirctre il nrsquoapas part agrave lrsquoecirctre Lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacutenide ten-tera certes de reacutesoudre la difficulteacute et si Numeacutenius avait commenteacute letexte il aurait sans doute fait de mecircme Mais est-il bien neacutecessaire delui precircter pareille entreprise Il nrsquoest en effet pas davantage inteacuteresseacute agrave

136 Fabienne JOURDAN

106 Voir HD Saffrey LG Westerink op cit p XIX107 Voir par ex le teacutemoignage de Neacutemeacutesius (fr 4 b = Sur la nature de

lrsquohomme 2 8-14) qui les associe dans la critique de la corporeacuteiteacute de lrsquoacircmecaracteacuteristique de la conception stoiumlcienne

utiliser la seacuterie de preacutedicats contraires cette fois accepteacutes pour lrsquoUn decette deuxiegraveme hypothegravese Si nous nrsquoen retenons seulement quelques-uns parmi ceux pouvant concerner une reacutealiteacute intelligible on noteraque la notion de pluraliteacute ne peut concorder avec la repreacutesentation delrsquouniteacute indivisible que constitue le Bien pas davantage que le coupleantitheacutetique drsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave soi Trois points pourraientecirctre malgreacute tout rapprocheacutes dans la deacutefinition du Bien numeacutenien et delrsquoUn de la seconde hypothegravese lrsquoaffirmation drsquoune preacutesence agrave la fois ensoi et en autre chose (145 b 6-7) ndash mais elle est caracteacuteristique de touteforme intelligible et la contradiction apparente est reacutesolue par le pheacute-nomegravene de la participation bien deacuteveloppeacute par Numeacutenius lrsquoideacutee quece principe est en mouvement et en repos (145 a 3-146 a 7)ndash mais nousavons montreacute son sens particulier lieacute au processus de la penseacutee propreagrave lrsquointellect qui nrsquoest pas deacuteveloppeacute dans le Parmeacutenide et enfin larelation au temps (152 a) mais elle nrsquoest que provisoire concernant ladeuxiegraveme hypothegravese dans la mesure ougrave celle-ci va ensuite associerlrsquoecirctre agrave toutes les dimensions du temps alors que Numeacutenius ne lrsquoasso-cie qursquoau preacutesent comme le fait le Timeacutee (et peut-ecirctre le vrai Parmeacute-nide lui-mecircme au fragment 85)

Il nous semble donc peu probable que Numeacutenius ait envisageacute sonpremier principe en songeant agrave lrsquoUn-qui-est du Parmeacutenide ou aitmecircme tenteacute de le lui faire correspondre dans une eacutetape ulteacuterieure de sareacuteflexion En cela le deacutesaccord qui semble affleurer avec Origegravene surla caracteacuterisation des principes se retrouverait sur ce point eacutegalement

c) Le second dieu (le Bon) et lrsquolaquo Un qui est raquo

Une autre possibiliteacute peut toutefois se preacutesenter agrave lrsquoesprit Numeacute-nius nrsquoaurait-il pas alors associeacute agrave ce second Un son second dieu etprincipe qui lui est effectivement agrave la fois Un et plusieurs (143 a 5)au sens ougrave il connaicirct une laquo division raquo lorsqursquoil rencontre la matiegravere108

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 137

108 Fr 11 (19 F)

Telle est en effet lrsquohypothegravese de JD Turner109 On pourrait lrsquoeacutetayer ennotant que ce dieu est drsquoailleurs lui aussi seacutepareacute pour ainsi dire de saforme le Bien ce qui constitue deux aspects de son ecirctre et mecircme de laforme qursquoil produit comme modegravele du monde lui aussi a en outre partagrave lrsquoοὐσία qursquoil reccediloit du premier En extrapolant on pourrait imaginerque crsquoest agrave lui que reviennent tous les couples de contraires puisqursquoilest agrave la fois dans lrsquointelligible par sa contemplation et preacuteoccupeacute dusensible tendant au contact avec la matiegravere110 Mais nous irions troploin Numeacutenius fait certes de ce second dieu lrsquoecirctre deacuteriveacute mais il estecirctre assureacutement et nrsquoest pas concerneacute par les preacutedicats caracteacuterisant lesensible (comme la grandeur la limite lrsquoacircge) Ce qui peut paraicirctrecontraire en ce dieu ce sont seulement des attitudes lieacutees agrave son orienta-tion dans un processus cosmogonique Numeacutenius ne paraicirct pas avoirainsi deacutefini son essence dont la caracteacuteristique fondamentale est lrsquoimi-tation et la participation au Bien Crsquoest pourquoi mecircme si cela peutparaicirctre tentant nous ne pensons pas qursquoil ait conccedilu ce second dieu ensongeant agrave la deuxiegraveme hypothegravese du Parmeacutenide ni mecircme qursquoil aittenteacute apregraves lrsquoavoir deacutefini de le lui faire correspondre111 Le consideacuterer

138 Fabienne JOURDAN

109 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 137-138 qui ajoute agravecela une reacuteflexion sur ce que certains Anciens consideacuteraient comme la troisiegravemehypothegravese (155 e 4-157 b 4) et fait du second dieu de Numeacutenius dans sa dualiteacutemecircme un repreacutesentant des Un de la deuxiegraveme et troisiegraveme hypothegraveses (Un-plu-sieurs et Un-et-plusieurs) Cette lecture est ingeacutenieuse mais inveacuterifiable

110 Fr 11 (19 F)111 Concernant les autres hypothegraveses nous pourrions faire deux remarques

Dans la troisiegraveme la deacutefinition des laquo autres choses raquo comme eacutetant de natureillimiteacutee mais recevant leur limite par participation agrave lrsquoUn (158 d 7-8) corres-pond agrave la conception de la formation du monde par le deacutemiurge (fr 18 26 F cf fr 52) Mais cette interpreacutetation est la leccedilon mecircme du Timeacutee coupleacute avec lePhilegravebe Dans la derniegravere hypothegravese ensuite en 165 c 2 on trouve lrsquoexpres-sion ὀξὺ νοοῦντι pour deacutesigner celui qui regarde de pregraves et voit que les chosesqui paraissent unes sont en reacutealiteacute plusieurs car priveacutees drsquouniteacute Avec lrsquoexpres-sion ὀξὺ βλέποντι au fr 19 (27 F) Numeacutenius pourrait faire un clin drsquoœilentendu agrave ce passage lorsqursquoil invite agrave comprendre ce qui est selon lui le vraisens du terme un appliqueacute au Bien celui drsquouniciteacute Lrsquoeacutecho lexical pourrait ren-

selon chacun de ses deux laquo aspects raquo comme correspondant agrave lrsquolaquo Un-plusieurs raquo et agrave lrsquolaquo Un-et-plusieurs raquo de la deuxiegraveme et de la troisiegravemehypothegraveses entrevue par certains Anciens comme le fait J Turnerrelegraveve selon nous drsquoune lecture plotinienne qui ne correspond pas agravelrsquoenseignement du Περὶ τἀγαθοῦ112 Cela une fois encore nrsquoem-pecircche pas que Numeacutenius ait pu inspirer Plotin dans sa propre lecturedu Parmeacutenide

3 Le Περὶ τἀγαθοῦ et la premiegravere partie du Parmeacutenide

Dans le Περὶ τἀγαθοῦ Numeacutenius nrsquoa ainsi selon nous pas conccedilusa reacuteflexion sur les principes agrave partir drsquoun commentaire du Parmeacutenideni nrsquoa mecircme tenteacute de la faire correspondre aux hypothegraveses de laseconde partie de ce dialogue apregraves lrsquoavoir eacutelaboreacutee En revanche ilsrsquoest assureacutement inteacuteresseacute agrave la premiegravere partie ou du moins aux diffi-culteacutes dans lesquelles elle place la theacuteorie des formes113 Qursquoil ait ounon en tecircte ce dialogue le sien en tout cas cherche assureacutement agraverendre possible la participation et donc agrave sauver la theacuteorie des formespar-delagrave les objections que lui adresse Parmeacutenide Ce sujet nous inteacute-ressant moins directement ici nous ferons bref

Agrave la question de savoir srsquoil y a des formes de tout (130 b-e) Numeacute-nius reacutepond assureacutement qursquoil y en a de tout ce qui a part au Bien114 agrave

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 139

voyer agrave cette illusion relative agrave la saisie de ce qursquoest laquo ecirctre un raquo Lrsquoexpressionnrsquoeacutetant pas absente par ailleurs chez Platon (voir le commentaire au fragment19 27 F) il nrsquoest cependant pas neacutecessaire de penser que Numeacutenius ait ce pas-sage du Parmeacutenide en tecircte il est simplement tentant drsquoy songer dans uncontexte de reacuteflexion sur lrsquoUn

112 Contra JD Turner laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art citp 138-139

113 On remarquera qursquoAlcinoos (Did IX p 163 H 23-31 L W) fait demecircme en reacutepondant agrave la question de ce dont il y a des formes et en concevantcelles-ci comme des penseacutees du premier dieu

114 Fr 13 et 19 (21 et 27 F)

la question du rapport entre forme et participeacute il envisage positive-ment les deux solutions proposeacutees par Socrate a) les formes sont pourlui des penseacutees (cf Parm 132 b-c) elles sont celles du seconddieu115 et elles pensent (cf Parm 132 c) puisque telle est la maniegraverede participer au Bien116 b) les formes sont par ailleurs des paradigmes(cf Parm 132 d) comme le montre lrsquoexemple embleacutematique du rap-port entre le Bon qursquoest le deacutemiurge et le Bien envisageacute commeforme117 Quant agrave lrsquoargument du troisiegraveme homme en placcedilant le Bienau sommet de lrsquointelligible Numeacutenius estime peut-ecirctre y avoir ultime-ment reacutepondu Lrsquoobjection de la seacuteparation (133 a 8-134 c 7) enfinavec le double risque qursquoelle comporte de lrsquoinconnaissabiliteacute desformes (134 a-b) et du deacutefaut de connaissance de notre monde par ledieu qui ne pourrait alors pas agir agrave notre eacutegard (134 e) aura particu-liegraverement retenu son attention tout le dialogue Sur le Bien tend eneffet agrave montrer la continuiteacute agrave la fois ontologique et eacutepisteacutemique desdiffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute ndash le sensible lui-mecircme en tant que prisen charge par le deacutemiurge qui lrsquoeacutelegraveve agrave son propre caractegravere (autrementdit agrave sa bonteacute et agrave ce qui en deacutecoule)118 relegraveve en effet de la μετ-ουσία autrement dit de ce qui vient certes laquo apregraves lrsquoοὐσία raquo mais y amalgreacute tout essentiellement part119 Le Περὶ τἀγαθοῦ conduit en toutcas drsquoune part agrave la connaissance de la forme premiegravere tandis que celle-ci srsquoavegravere la connaissance ultime qui se transmet ensuite120 il montredrsquoautre part la relation permanente du premier agrave notre monde non seu-lement par lrsquointermeacutediaire du second dieu qui assure directement lrsquoac-tion providentielle mais par le salut ou la conservation (σωτηρία)

140 Fabienne JOURDAN

115 Fr 16 (24 F) Nous reacutesumons voir notre interpreacutetation du fragment116 Fr 19 (27 F) Lagrave aussi nous reacutesumons notre interpreacutetation laquo Pense raquo en

reacutealiteacute tout ce qui a part au Bien En outre lrsquoidentification de lrsquointellect agrave uneforme au fragment 20 (28 F) suggegravere cette interpreacutetation

117 Fr 16 19 et 20 (24 27-28 F)118 Fr 11 (19 F) cf fr 18 (26 F)119 Voir lrsquoutilisation fort suggestive de ce terme pour deacutesigner la participa-

tion agrave la fin du fragment 16 (24 F)120 Fr 13-14 (21-22 F)

qursquoil dispense lui-mecircme reacuteellement121 en tant que Bien et qursquoEcirctre quiassure ultimement la coheacutesion du monde

Nous ne preacutetendons pas que Numeacutenius reprenne point par point lesobjections de Parmeacutenide agrave Socrate contre la theacuteorie des formes Maisqursquoil les ait consideacutereacutees directement dans le dialogue de Platon ou qursquoilles ait connues par la tradition il les a prises au seacuterieux et a senti luiaussi la neacutecessiteacute drsquoy reacutepondre pour sauver Platon agrave la maniegravere dont illrsquoentendait

4 Conclusion sur Numeacutenius et le Parmeacutenide

Rien donc dans lrsquoœuvre parvenue ne permet de conclure agrave uneinterpreacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide par Numeacutenius nonseulement les textes ne contiennent pas de reacuteels parallegraveles avec le dia-logue de Platon mais ils suggegraverent que Numeacutenius ne srsquoest fondeacute suraucune des deux premiegraveres hypothegraveses pour deacuteterminer les traits de sonpremier principe ni mecircme sur la deuxiegraveme (voire la troisiegraveme) pourdeacutefinir le second Il est mecircme peu vraisemblable qursquoil ait tenteacute reacutetros-pectivement de les leur faire correspondre Il srsquoest en revanche assureacute-ment inquieacuteteacute des objections dresseacutees contre la theacuteorie des formes dansla premiegravere partie du dialogue et aura tenteacute drsquoy reacutepondre en assurant lavaliditeacute de la participation selon les diffeacuterentes modaliteacutes envisageacutees lagravepar Socrate ndash en cela il srsquoinscrit vraisemblablement dans la traditionplatonicienne122 dont il heacuterite peut-ecirctre plus de la probleacutematique qursquoilne la cherche directement dans le texte de Platon Concernant laseconde partie du dialogue il a pu percevoir dans lrsquoexposeacute de la pre-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 141

121 Fr 15 (23 F)122 Voir les remarques de la note 100 sur Alcinoos Mecircme si Alcinoos est

peut-ecirctre posteacuterieur agrave Numeacutenius de toute eacutevidence les platoniciens ont tenteacutede montrer la justesse de la theacuteorie des formes et de la participation contre lescritiques drsquoAristote ainsi assureacutement que contre celles deacutejagrave eacuteleveacutees dans leParmeacutenide et vraisemblablement inspireacutees (entre autres) par les discussions ausein de lrsquoAcadeacutemie

miegravere hypothegravese une raison suffisante pour ne pas identifier son premierprincipe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit prenant ainsi Platon agrave la lettre agrave propos ducaractegravere aporeacutetique de lrsquoUn tel qursquoil eacutetait lagrave envisageacute

Si elle eacutetait aveacutereacutee cette attitude aurait une double conseacutequencepour la compreacutehension de lrsquohistoire du platonisme

Elle pourrait drsquoabord reacuteveacuteler une intention poleacutemique agrave plusieursniveaux Elle est en effet concevable comme une reacuteaction agrave lrsquoeacuteven-tuelle association neacuteo-pythagoricienne du premier principe associeacute agravelrsquoUn ou agrave la monade avec lrsquoUn absolu de la premiegravere hypothegravese duParmeacutenide Mecircme si selon nous lrsquoidentification du premier principe agravelrsquoUn chez Speusippe et les neacuteo-pythagoriciens123 relegraveve avant tout dela tradition acadeacutemicienne pythagorisante relative agrave lrsquoUn et agrave la Dyadeainsi que du compte-rendu aristoteacutelicien de lrsquoenseignement oral de Pla-ton sur les principes124 il nrsquoy a pas en soi de raison drsquoexclure une pos-sible invocation pour confirmation de lrsquoUn du Parmeacutenide (agrave condi-tion de ne pas leur precircter une interpreacutetation neacuteoplatonicienne) Parsuite une poleacutemique avec lrsquoAncienne Acadeacutemie est eacutegalement envisa-geable Non seulement dans sa deacutefense de la theacuteorie des formes125Numeacutenius pourrait tenter de reacutepliquer agrave la suppression de celles-ciopeacutereacutee par Speusippe mais aussi srsquoopposer agrave la conception du premierprincipe precircteacutee agrave lrsquoAncien Acadeacutemicien Que lrsquoon croie Aristote selonlequel lrsquoUn de Speusippe ne serait laquo pas mecircme un ecirctre raquo126 ou plutocirct

142 Fabienne JOURDAN

123 Voir la note 75124 Voir aussi Meacutet N 4 1091 b 13-15 EE A 8 1218 a 15-32 ougrave le Bien est

associeacute agrave lrsquoUn125 Selon lui la connaissance drsquoun objet quelconque consistait dans celle

de ses relations agrave tous les autres (fr 73 Taraacuten = 2 I P2 = Proclus In Euclp 179 12-22 Friedlein) et crsquoest aux nombres qursquoil aurait alors accordeacute le statutde principe (voir le reacutesumeacute de A Meacutetry Speusippos Zahl Erkenntnis SeinBernStuttgartWien Paul Haupt 2002 p 11-13 et celui de HD Kraumlmerlaquo Die Aumlltere Akademie raquo dans H Flashar (eacuted) Grundriss der Geschichte derPhilosophie Band 3 Aumlltere Akademie Aristoteles Peripatos Basel SchwabeVerlag 20042 [1983] p 16-17)

126 μηδὲ ὄν τι εἶναι τὸ ἕν αὐτό Meacutet N 5 1092 a 16 (fr 43 Taraacuten = 25 IP2 = Aristote Meacutet N 5 1092 a 11-17)

Jamblique selon qui il ne serait laquo pas encore ecirctre raquo127 une distinctionentre lrsquoUn conccedilu comme premier principe et lrsquoecirctre semble agrave lrsquoœuvrechez lui128 si bien que certains ont mecircme penseacute que Platon lui reacutepon-dait dans le Parmeacutenide129 Il nrsquoest pas utile drsquoentrer dans ce deacutebat laposition de Speusippe peut relever drsquoune reacuteflexion sur le Bien deReacutepublique VI et drsquoune appropriation de lrsquoenseignement oral de Platonagrave nous transmis par le compte-rendu aristoteacutelicien qui laisse Platonassocier eacutetroitement le Bien et lrsquoUn Disons simplement que srsquoil a euconnaissance de la position de Speusippe Numeacutenius peut avoir voulului reacutepondre Nrsquooublions pas qursquoagrave lui comme agrave ses pairs dans lrsquoAn-cienne Acadeacutemie il reproche de ne pas avoir pas laquo tout souffert raquo pour

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 143

127 ὅπερ δὴ ουδὲ ὄν πω δεῖ καλεῖν DCMS IV p 157-8 FestaKlein128 La reconstruction de lrsquoenseignement exact de Speusippe sur le premier

principe est neacutecessairement fragile drsquoune part elle est fondeacutee sur lrsquointerpreacuteta-tion du texte drsquoAristote qui est empreint de critique drsquoautre part elle esteacutetayeacutee par deux autres textes dont le lien agrave Speusippe est controverseacute et dontles auteurs agrave la fois sont familiers du neacuteo-pythagorisme et ont lu Plotin chezqui lrsquoUn est effectivement au-dessus de lrsquoecirctre (il srsquoagit de Jamblique et de Pro-clus dans la traduction de Guillaume de Moerbeke In Parm VII 401-9 Kli-bansky-Labowsky = 50162-71 Steel = fr 48 Taraacuten = 30 IP2) Nous ne propo-sons ici qursquoune hypothegravese de reacuteflexion Pour un exposeacute plus deacutetailleacute sur la rela-tion eacuteventuelle de Numeacutenius agrave Speusippe dans lrsquoeacutelaboration drsquoune leacutegitimiteacuteplatonicienne voir la premiegravere annexe de notre eacutedition commenteacutee des frag-ments de Numeacutenius en preacuteparation

129 Crsquoest la lecture de A Graeser (laquo Platon gegen Speusipp Bemerkun-gen zur ersten Hypothese des Platonischen Parmenides raquo Museum Helveti-cum 54 1997 p 45-47 et laquo Anhang Probleme der Speusipp-Interpreta-tion raquo dans Prolegomena zu einer Interpretation des zweiten Teils des Plato-nischen Parmenides Bern Paul Haupt 1999 p 41-53) et J Halfwassen(Der Aufstieg zum Einen op cit et laquo Speusipp und die metaphysische Deu-tung von Platons Parmenides raquo art cit) adopteacutee par ex par R Dancy(laquo Speusippus raquo dans EN Zalta (eacuted) The Stanford Encyclopedia of Philo-sophy Winter 2012 Edition 20112 [2003] en ligne) et rejeteacutee par C Steel(laquo A Neoplatonic Speusippus raquo art cit p 470 473-475) et LP Gerson(laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit p 2-11de la version eacutelectronique)

rester dans une communauteacute de penseacutee avec leur maicirctre130 Commenous lrsquoavons suggeacutereacute dans les preacuteliminaires il ne serait alors pasimpossible qursquoavec cette eacuteventuelle lecture du Parmeacutenide Numeacuteniuseucirct souhaiteacute reacutepliquer agrave lrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne signaleacutee delrsquoenseignement oral de Platon trouvant quant agrave lui dans le Platon eacutecritla juste interpreacutetation du Platon oral mal laquo entendu raquo Pareille supposi-tion doit toutefois ecirctre prise avec prudence

Par-delagrave la mise en eacutevidence drsquoune poleacutemique agrave plusieurs niveauxlrsquohypothegravese proposeacutee sur lrsquoattitude de Numeacutenius concernant ladeuxiegraveme partie du Parmeacutenide permet de mieux deacuteterminer a contra-rio ce qui caracteacuterise une interpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo 131 du dia-logue De maniegravere geacuteneacuterale drsquoabord la position de Numeacutenius montrepar contraste que lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne trouve son originedans une vue contraire agrave la sienne sur le statut de la forme du Bien et sasituation agrave lrsquoeacutegard de lrsquoοὐσία en Reacutepublique VI ainsi peut-ecirctre que

144 Fabienne JOURDAN

130 Fr 2416-18 1 F = Eusegravebe PE XIV 5 2131 Nous en restons aux caractegraveres geacuteneacuteraux il nrsquoy a en effet pas une seule

et unique interpreacutetation post-plotinienne du Parmeacutenide On remarquera enoutre que Jamblique (drsquoapregraves Proclus In Tim III 1049-16 Diehl) semble eacutevo-quer chez Ameacutelius et Numeacutenius (si lrsquoon suit le raisonnement de Proclus) desdistinctions relatives aux diviniteacutes dans le Sophiste le Philegravebe et le Parmeacutenidequi ne correspondent pas agrave celles retenues dans le neacuteoplatonisme Si ce proposne se rapporte pas seulement agrave Ameacutelius mais vraiment aussi agrave Numeacutenius ilfaudrait en tirer lagrave encore la conclusion que son interpreacutetation ne correspondpas agrave celle du neacuteoplatonisme qui identifie son premier principe agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et donc pas non plus agrave celle des neacuteopytha-goriciens que lrsquoon reconstruit agrave partir des teacutemoignages neacuteoplatoniciens Celadit mecircme srsquoil est tentant de penser que le οὗτοι (10411) de Proclus renvoieaux deux exeacutegegravetes qursquoil vient de citer il se peut malgreacute tout que ne soit deacutesigneacutelagrave que le seul Ameacutelius disciple de Plotin et donc assureacutement familier de lrsquoexeacute-gegravese du Parmeacutenide Il nrsquoy a en revanche aucune difficulteacute agrave precircter agrave Numeacuteniusdes exeacutegegraveses partielles du Sophiste et du Philegravebe (voir nos interpreacutetations desfragments 15 23 F) et 19 27 F) Il nrsquoy en a drsquoailleurs pas davantage agrave imagi-ner chez lui une utilisation partielle du Parmeacutenide ou des allusions agrave ce dia-logue voire une prise agrave la lettre du propos de Parmeacutenide sur lrsquoUn de la pre-miegravere hypothegravese conduisant agrave renoncer agrave celui-ci comme premier principe

dans une appropriation du compte-rendu de lrsquoenseignement oral dePlaton par Aristote En affirmant lrsquoidentiteacute ontologique du Bien et delrsquoEcirctre Numeacutenius srsquointerdit lrsquoidentification de son premier principe agravelrsquoUn distinct de lrsquoecirctre de la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide En refu-sant au contraire pareille identiteacute en srsquoappuyant peut-ecirctre sur lrsquoidenti-fication du Bien et de lrsquoUn precircteacutee agrave Platon et aux platoniciens par Aris-tote et en appliquant ces deux eacuteleacutements agrave une lecture du Parmeacutenide132Plotin ouvre la voie de lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologiqueulteacuterieure du dialogue Malgreacute son caractegravere hypotheacutetique la supposi-tion selon laquelle Numeacutenius prendrait effectivement acte des conseacute-quences aporeacutetiques de la premiegravere hypothegravese en nrsquoidentifiant pas sonpremier principe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit permet ici encore a contrariode deacuteterminer deux autres eacuteleacutements indissociables caracteacuteristiques delrsquointerpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo du Parmeacutenide lrsquoidentification dupremier principe agrave lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese et par suite une lec-ture laquo positive raquo de celle-ci qui en reacutealiteacute contredit les conclusionsneacutegatives de Platon agrave son sujet Une theacuteologie neacutegative en est alorscertes tireacutee (que lrsquoon songe au Commentaire anonyme au Parmeacutenideou agrave celui de Proclus133) Mais cette neacutegativiteacute est conccedilue commereacutesultant de lrsquoincapaciteacute fondamentale de lrsquohomme agrave concevoir le pre-mier principe autrement que par analogies et approximations neacutecessai-rement erroneacutees Elle ne concerne pas le principe en lui-mecircme ni laconviction qursquoil constitue le fondement ultime assurant la coheacutesion dela reacutealiteacute Numeacutenius aura quant agrave lui preacutefeacutereacute rester fidegravele agrave la lettre dutexte et donc aux doutes du maicirctre qui laisse parler Parmeacutenide Agrave ce

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 145

132 Les deux premiers eacuteleacutements agrave eux seuls conduisent seulement agrave laposition de Speusippe dont rien ne permet drsquoaffirmer le rattachement au Par-meacutenide Nous compleacutetons en cela les hypothegraveses de J Whittaker laquo ΕΠΕ-ΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit Voir aussi LP Gerson laquo The lsquoNeo-platonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit

133 In Parm VII 51872-84 Plutocirct que de radicaliser la neacutegation pour par-ler de lrsquoUn Proclus indique que la neacutegation porte en reacutealiteacute sur la conceptionde lrsquoUn et pas sur lrsquoUn lui-mecircme qui garde la fonction laquo positive raquo drsquoassurer lacoheacutesion du reacuteel

stade de nos connaissances et drsquoapregraves lrsquoœuvre parvenue precircter agraveNumeacutenius cette reacuteaction aux conclusions de la premiegravere hypothegravesenous paraicirct la seule maniegravere prudente drsquoenvisager de sa part une inter-preacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide Renoncer agrave lui en precircterune ne poserait toutefois aucune difficulteacute

5 Appendice Numeacutenius et Parmeacutenide134

Cette conclusion sobre sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenidesuggegravere drsquointerroger pour finir son attitude agrave lrsquoeacutegard du Parmeacutenide his-torique lui-mecircme auquel Plotin fait parfois appel Que Numeacutenius aitconnu et utiliseacute (directement ou non) le poegraveme Sur la nature est aveacutereacutepar le teacutemoignage de Porphyre selon lequel il aurait associeacute les porteseacutevoqueacutees lagrave135 agrave celles du Cancer et du Capricorne repreacutesentant selonlui les voies respectivement descendante et ascendante des acircmes136Or dans le Περὶ τἀγαθοῦ qui seul nous inteacuteresse ici deux eacuteleacutementsdoctrinaux pourraient relever drsquoune appropriation personnelle de Par-meacutenide ou plutocirct de la tradition agrave son sujet telle qursquoelle serait parvenueagrave Numeacutenius ndash Platon ayant assureacutement aiguiseacute chez ses successeurslrsquointeacuterecirct pour la penseacutee du personnage eacuteponyme de son dialogue Sansentrer dans une recherche des sources ni dans un exposeacute deacutetailleacute de lapenseacutee de Parmeacutenide et des interpreacutetations de son poegraveme nous nouscontenterons ici drsquoeacutevoquer ces deux points dans le simple but drsquoouvrirla recherche

Le premier concerne la relation de lrsquoecirctre au temps et au change-ment telle qursquoelle est deacutecrite dans le fragment 5 (14 F) deacutejagrave citeacute en par-tie Lrsquoaffirmation que lrsquoecirctre ne saurait ecirctre dans le passeacute ou lrsquoavenir

146 Fabienne JOURDAN

134 Je remercie Francesco Fronterotta drsquoavoir relu cette derniegravere section135 Parmeacutenide fr 1 11 D-K ougrave sont deacutecrites les laquo portes ouvrant sur les

chemins de la nuit et du jour raquo136 Voir Porphyre De antro 21-24 ici surtout 24 Numeacutenius fr 31 27-28

Sur ce texte voir le commentaire de W Huumlbner dans lrsquointroduction de lrsquoeacuteditioncommenteacutee du De Antro parue sous la direction de T Dorandi Paris Vrin2019

mais que seul le preacutesent lui convient et qursquoil ne pourrait pas davantagechanger renvoie assureacutement au propos du Timeacutee (37 d 2-38 b 2)137Que Platon deacuteveloppe ici une reacuteflexion originellement preacutesente chezParmeacutenide et plus preacuteciseacutement pour nous dans le fragment 8 de sonpoegraveme138 pourrait suffire agrave expliquer cet eacutecho parmeacutenidien chezNumeacutenius Mais il est frappant que dans ce fragment 5 (14 F) duΠερὶ τἀγαθοῦ relayeacute par les suivants Numeacutenius reprenne une seacuteriedrsquoeacuteleacutements qui deacutecrivent lrsquoecirctre dans le passage concerneacute du poegraveme outre ceux deacutejagrave nommeacutes on retrouve chez lui lrsquoimpossibiliteacute qursquoalrsquoecirctre de devenir plus grand ou plus petit139 et la neacutecessiteacute qui estsienne de demeurer en lui-mecircme au mecircme endroit140 Ainsi lorsqueNumeacutenius estime que si ces laquo prescriptions raquo indispensables agrave ladeacutetermination de lrsquoecirctre veacuteritable nrsquoeacutetaient pas respecteacutees il se produi-rait une laquo impossibiliteacute majeure dans son discours unique en songenre agrave savoir que lrsquoecirctre agrave la fois serait et ne serait pas raquo141 et faitensuite paraphraser lrsquoideacutee par le disciple du dialogue avec la formule

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 147

137 Voir aussi Plutarque De E 20 393 a-c dont la position est compareacuteeavec celle de Numeacutenius dans notre analyse du fragment

138 Voir les vers suivants du fragment 8 D-K agrave lrsquoorigine de toute lareacuteflexion sur lrsquoeacuteterniteacute (cf M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art citp 157) οὐδέ ποτ᾽ ἦν ἔσται ἐπεὶ νῦν ἐστιν ὁμοῦ πᾶν ἕν συνεχές τίναγὰρ γένναν διζήσεαι αὐτοῦ laquo Il nrsquoa jamais eacuteteacute et ne sera jamais puisqursquoilest maintenant tout ensemble un continu Car quelle naissance pourrais-tului chercher raquo v 5-7 (trad Kirk Raven Schofield en fr par H-A de Weck)et πῶς δ᾽ἄν ἔπειτα πέλοι τὸ ἐόν πῶς δ᾽ἄν κε γένοιτο εἰ γὰρ ἔγεντ᾽ οὐκἔστ᾽ οὐδ᾽ εἴ ποτε μέλλει ἔσεσθαι τῶς γένεσις μὲν ἀπέσβεσται καὶἄπυστος ὄλεθρος laquo Comment pourrait-il ecirctre par la suite Celui qui est Comment pourrait-il naicirctre Car srsquoil est neacute il nrsquoest pas de mecircme lt il nrsquoest pasnon plus gt srsquoil doit ecirctre un jour Ainsi est eacuteteinte la naissance eacuteteinte aussi ladestruction disparue sans qursquoon en parle raquo v 19-21 (trad D OrsquoBrien leacutegegravere-ment modifieacutee) Voir aussi les vers 26-28 du mecircme fragment 8 D-K sur lrsquoab-sence de mouvement ainsi que de deacutebut et de fin

139 Parmeacutenide fr 844-45 D-K140 Parmeacutenide fr 829-30 D-K cf Numeacutenius fr 11 (19 F)141 ὡς τούτου γε οὕτως λεγομένου ἓν γίνεταί τι ἐν τῷ λόγῳ μέγα

ἀδύνατον εἶναί τε ὁμοῦ ταὐτὸν καὶ μὴ εἶναι

relativement complexe εἰ δὲ οὕτως ἔχει σχολῇ γrsquo ἂν ἄλλο τι εἶναιδύναιτο τοῦ ὄντος αὐτοῦ μὴ ὄντος κατὰ αὐτὸ τὸ ὄν il nrsquoest pasexclu qursquoil ait ici le poegraveme parmeacutenidien agrave lrsquoesprit auquel il seraitrevenu directement ou non sous lrsquoimpulsion de Platon La phraseindique en effet (nous paraphrasons) que si pareille impossibiliteacute seproduisait il serait mecircme impossible agrave autre chose (que lrsquoecirctre) drsquoecirctrepuisque lrsquoecirctre lui-mecircme ne serait pas selon ce qursquoil devrait ecirctre (κατὰαὐτὸ τὸ ὄν) autrement dit selon sa propre essence et deacutefinitionNumeacutenius suggegravere sans doute par lagrave que si lrsquoecirctre eacutetait soumis au pas-sage du temps et au changement il serait tout simplement non-ecirctrepuisqursquoil ne correspondrait pas agrave sa propre deacutefinition ce qui explique-rait son impossibiliteacute de constituer le fondement de la reacutealiteacute Une foisreplaceacute dans le contexte de penseacutee de Numeacutenius ougrave ce qui est non-ecirctreest la matiegravere et la partie du sensible qui relegraveve drsquoelle lrsquoideacutee semblefort proche de la maniegravere dont Parmeacutenide dresse lrsquoantithegravese entre ecirctreet non-ecirctre dans ce mecircme fragment 8 de son poegraveme142 Cette impres-sion peut ecirctre eacutetayeacutee par celle drsquoune prise de distance agrave lrsquoeacutegard de cepassage du poegraveme lorsque Numeacutenius affirme que lrsquoecirctre nrsquoest pasmecircme mucirc autour de son centre143 si cette preacutecision fait sans doutedrsquoabord allusion agrave lrsquoacircme du monde qui se meut autour de celui-ci dansle Timeacutee et par suite au refus drsquoidentifier lrsquoecirctre veacuteritable agrave une acircme144elle porte peut-ecirctre eacutegalement la trace drsquoune reacuteaction agrave lrsquoidentificationparmeacutenidienne de lrsquoecirctre agrave une sphegravere145 Lrsquohypothegravese est cependantplus fragile et Numeacutenius heacuterite sans doute avant tout de Platon enverslequel il se situe Crsquoest agrave partir du Timeacutee qursquoil eacutelabore sa penseacutee Maisil ne semble pas exclu qursquoil soit parfois retourneacute (directement ou non)agrave lrsquooriginal auquel reacutefegravere implicitement Platon ce qui est drsquoautant plus

148 Fabienne JOURDAN

142 Sur le non-ecirctre chez Parmeacutenide voir par ex D OrsquoBrien Le Non-Ecirctredans la philosophie grecque Parmeacutenide Platon Plotin raquo dans P Aubenque(eacuted) Eacutetudes sur le Sophiste de Platon Napoli Bibliopolis 1991 p 4-9

143 οὔτε περὶ τὸ μέσον ποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται144 Il srsquoagit lagrave selon nous drsquoun argument essentiel agrave la non-identification

numeacutenienne du deacutemiurge agrave lrsquoacircme du monde145 Fr 8 42-44 D-K

vraisemblable que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacute comme un pythago-ricien146

Le second eacuteleacutement du Περὶ τἀγαθοῦ qui pourrait suggeacuterer lrsquoap-propriation drsquoun passage de Parmeacutenide147 est lrsquoidentification de lrsquoecirctreet de lrsquointellect agrave chacun des deux niveaux ougrave Numeacutenius les situe Ecirctre lui-mecircme (αὐτοόν) et ecirctre deacuteriveacute (ὄν) premier et second intel-lects correspondant au premier et au deuxiegraveme dieu Sans entrer dansle deacutetail de lrsquointerpreacutetation disons simplement que selon nous en fai-sant de lrsquolaquo acte raquo de penser148 lrsquoapanage du premier dieu et en identi-fiant ce mecircme dieu agrave lrsquoEcirctre149 Numeacutenius suggegravere une union intime etprofonde entre ecirctre et penser qursquoil aurait pu consideacuterer comme remon-tant agrave Parmeacutenide lui-mecircme ou qursquoil aurait pu eacutetayer par une appropria-tion du fragment 3 de son poegraveme tel qursquoil est transmis par CleacutementdrsquoAlexandrie et Plotin150 [] τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶεἶναι [] Certes dans ce fragment de vers lrsquoidentification entre ecirctreet penser est suggeacutereacutee par lrsquoextraction du texte hors de son contexte envue justement drsquoy trouver pareille identification Elle ne correspond

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 149

146 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres IX 21(A 1 D-K) Proclus In Parm I 6194 Cousin cf Jamblique VP 166 (A 4D-K)

147 Pour reprendre les termes du fragment 1 (10 F) on pourrait aussi parlerde lrsquolaquo invocation raquo de Parmeacutenide comme source pythagorisante en accord avecPlaton et confirmant la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ elle-mecircme eacutetayeacutee par leslaquo teacutemoignages raquo de celui-ci Numeacutenius semble en effet pouvoir citer Parmeacute-nide pour confirmer son propos agrave la fois parce qursquoil ne pouvait que paraicirctre enaccord avec Platon (cf fr 1 10 F) et parce que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacutecomme pythagoricien

148 Degraves le fragment 15 (23 F) de maniegravere implicite dans le fragment 16 (24F) et explicite au fragment 19 (27 F)

149 Fr 17 (25 F)150 Cleacutement Strom VI 2 233 Plotin Enn VI 1 [10] 817 V 9 [5] 29-

30 cf I 4 [46] 106 III 8 [30] 88 VI 7 [38] 4118 (voir D OrsquoBrien Eacutetudessur Parmeacutenide T I Le Poegraveme de Parmeacutenide Paris Vrin 1987 p 19) ndash Onpourrait drsquoailleurs aussi penser aux vers 34-36 du fragment 8 eacutevoqueacute dans leparagraphe preacuteceacutedent

sans doute pas au sens originel du passage151 De plus chez Numeacuteniusle type de penseacutee speacutecifique agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme nrsquoest pas le νοεῖν maisle φρονεῖν Mais drsquoune part νοεῖν nrsquoayant pas chez Parmeacutenide lesens preacutecis que lui donne ensuite la tradition platonicienne une margerelative drsquointerpreacutetation et de preacutecision eacutetait laisseacutee agrave lrsquointerpregraveteappartenant agrave cette tradition152 drsquoautre part on peut tregraves bien imaginerNumeacutenius extraire ce passage dont la juxtaposition des termes luiaurait paru opportune pour eacutetayer son propos et preacuteciser le sens de laformule ainsi obtenue en distinguant deux niveaux de lrsquoecirctre auxquelscorrespondent deux types distincts de penseacutee (le νοεῖν entendu ausens platonicien drsquointellection revenant au seul second dieu)153Lorsque Cleacutement et apregraves lui Plotin reprennent cette formule il neserait pas impossible qursquoils lrsquoempruntent ainsi extraite agrave Numeacutenius

150 Fabienne JOURDAN

151 Denis OrsquoBrien (ibid p 19 209-212) a montreacute qursquoen reacutealiteacute dans lepoegraveme les deux infinitifs ne doivent vraisemblablement pas ecirctre pris commesujet drsquoun ἐστίν agrave valeur copulative mais peut-ecirctre comme compleacutement dupronom (τὸ αὐτό) ou de lrsquouniteacute syntaxique constitueacutee par le pronom et leverbe (au sens de laquo crsquoest une seule et mecircme chose pour penser et pour ecirctre raquodrsquoougrave la traduction par laquo crsquoest une seule et mecircme chose que lrsquoon pense et quiest raquo) F Fronterotta reprend son analyse et conclut que pour Parmeacutenideνοεῖν deacutesigne une forme de perception immeacutediate non sans lien avec lrsquoactiviteacutesensorielle mais allant au-delagrave des sens et de leur uniteacute creacuteative (laquo Someremarks on noein in Parmenides raquo dans S Stern-Gillet K Korrigan (eacuted)Reading ancient texts Vol I Presocratics and Plato Leiden Brill 2007p 3-19) Il ne srsquoagit donc pas (encore) de la perception intuitive que deacutesignerace verbe ulteacuterieurement

152 Voir la note preacuteceacutedente153 Nous pourrions preacuteciser ainsi lrsquointention de Numeacutenius srsquoil songe effec-

tivement agrave cette formule Selon nous il partage la conviction platonicienne quiveut que pour ecirctre pensable il faut ecirctre reacuteellement (et donc ecirctre intelligible crsquoest la leccedilon du Timeacutee) Srsquoil confrontait cette conviction au vers de Parmeacute-nide il lui donnerait donc drsquoabord lrsquointerpreacutetation laquo objective raquo deacuteceleacutee parFr Fronterotta (laquo Some remarks on noein in Parmenides raquo art cit) Toutefoisdans sa deacutefinition de lrsquoecirctre bientocirct identifieacute au Bien il retourne de toute eacutevi-dence cette conception et considegravere que nrsquoest veacuteritablement que ce qui est pen-sable (et donc lagrave encore intelligible par ex fr 4 a 13 F sur la matiegravere qui

Plotin lrsquoutilise certes pour caracteacuteriser le seul et unique Intellect chezlui situeacute au seul second niveau de la reacutealiteacute Mais cela correspondrait agravesa tendance geacuteneacuterale agrave faire passer au second niveau ce qui correspondau premier chez Numeacutenius154

De Numeacutenius il heacuterite donc peut ecirctre drsquoune lecture de Parmeacutenideplutocirct que du Parmeacutenide

Fabienne JOURDANCNRS UMR 8167 laquo Orient et Meacutediterraneacutee raquo Paris-Sorbonne

jourdanfabiennewanadoofr

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 151

nrsquoest pas ecirctre et ougrave une preuve de cet eacutetat est son caractegravere inconnaissable)Appliqueacutee agrave la formule de Parmeacutenide cette conviction en produirait ce queFr Fronterotta appelle une lecture laquo subjective raquo En outre dans le deacutesir sansdoute drsquoexpliquer la participation de maniegravere concregravete il ne donne pas seule-ment lrsquointelligibiliteacute comme condition de lrsquoecirctre (au sens passif du terme) maisil considegravere le fait de penser comme condition du fait drsquoecirctre reacuteellement (ausens laquo actif raquo du terme) Crsquoest pourquoi srsquoil avait connu et utiliseacute la formule deParmeacutenide ne serait-ce que pour eacutetayer son propos il y aurait sans douteentendu lrsquoaffirmation de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre et de la penseacutee mieux du penserCela pourrait certes paraicirctre lui attribuer une forme drsquoideacutealisme heacutegeacutelien(selon les termes de Fr Fronterrota laquo Some remarks on noein in Parmenides raquoart cit p 6) Mais telle est aussi la lecture de Cleacutement drsquoAlexandrie (StromVI 2 233) Or mecircme srsquoil ne le cite explicitement qursquoune fois (Strom I 22150 1-4 = 29 Fd) Cleacutement connaicirct Numeacutenius et se sert parfois de ses eacutecritssans le nommer (voir par ex Strom I 8 405 Strom I 13 571) Il nrsquoest doncpas impossible que pareille interpreacutetation circulacirct deacutejagrave au temps de Numeacuteniusvoire chez lui et mecircme gracircce agrave lui Le raisonnement du Περὶ τἀγαθοῦ dumoins passe par lrsquoidentification de lrsquoecirctre agrave lrsquo laquo activiteacute raquo de penser ensuiteconccedilue aux niveaux infeacuterieurs comme condition mecircme de leur participation agravelrsquoecirctre (voir le fr 19 27 F)

154 Nous simplifions et deacutecrivons simplement une tendance le processuspreacutecis requerrait une explication deacutetailleacutee qui nrsquoa pas sa place ici

152 Fabienne JOURDAN

Page 3: NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE · 2020. 4. 16. · NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE?* PREMIÈREPARTIE: L’ŒUVREPARVENUEDENUMÉNIUSETLEPARMÉNIDE DEPLATON RÉSUMÉ Si

This study is composed of three independent parts each examiningone of these three reasons with the hypotheses linked to it After asketch of the principal tenets of Numeniusrsquo thought this first part dealswith the relations sometimes seen and the ones that are still perceptiblebetween his work and the Parmenides It shows that Numenius did notuse Platorsquos dialogue to elaborate his own doctrine about the first twoprinciples and may even have kept some distance from the One of thefirst hypothesis following an injunction he may have thought to per-ceive in Plato himself From this first examination onward it appearsthat the transmitted work of Numenius does not invite to modify themost common view on the History of Platonism by making Numeniusthe forerunner of Plotinus in the metaphysical interpretation of theParmenides A contrario the questioning of his relation to this dia-logue even gives some criteria for a real Neoplatonist interpretation ofits second part However an extension of this study shows that Nume-nius could have inspired Plotinus in his interpretation of some phrasesof the historical Parmenides himself

Introduction geacuteneacuterale

Srsquointerroger sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenide peutparaicirctre provocateur Crsquoest mettre en cause la conception de lrsquohistoirede la philosophie la mieux partageacutee selon laquelle le meacutedioplatonismese caracteacuteriserait par son appropriation du Timeacutee eacutetayeacutee par certainspassages de la Reacutepublique tandis que le neacuteoplatonisme commenceraitavec celle du Parmeacutenide1 Plus exactement le neacuteoplatonisme seraitnon seulement inaugureacute par Plotin mais par son choix du Parmeacutenidecomme dialogue de reacutefeacuterence pour confirmer la preacutesence chez Platonde sa doctrine des trois hypostases ER Dodds avait mis ce choix enlumiegravere dans son ceacutelegravebre article de 1928 laquo The Parmenides of Platoand the Origin of the Neoplatonic One raquo Mais on doit agrave Jean

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 103

1 Sur le rocircle du Timeacutee voir la synthegravese de DT Runia Philo of Alexandriaand the Timaeus of Plato Leiden Brill 1986 p 38-57 sur celui du Parmeacute-nide les eacutetudes suivant lrsquoarticle de ER Dodds laquo The Parmenides of Plato andthe Origin of the neoplatonic One raquo Classical Quarterly 22 1928 p 129-142

Trouillard la formule trancheacutee qui marque en ce sens lrsquohistoire de larecherche laquo Le neacuteoplatonisme succegravede au moyen Platonisme le jourougrave les platoniciens se mettent agrave chercher dans le Parmeacutenide le secretde la philosophie de Platon raquo2 Carlos Steel preacutecise lrsquoideacutee qursquoil precirctequant agrave lui agrave Proclus ce passage du moyen- au neacuteoplatonisme auraiteu lieu laquo le jour ougrave [les platoniciens] ont compris que la dialectique duParmeacutenide a une signification reacuteelle [crsquoest-agrave-dire] que les diffeacuterenteshypothegraveses reacutevegravelent les diffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute agrave partir de lrsquoUnau-delagrave de lrsquoecirctre jusqursquoagrave la matiegravere informe raquo3

Pourquoi alors chercher une anticipation de cet usage meacutetaphy-sique et theacuteologique du Parmeacutenide dans lrsquoœuvre parvenue de Numeacute-nius alors qursquoelle ne fournit que peu drsquoindices en ce sens Trois rai-sons agrave cette enquecircte souvent preacutesenteacutees comme corollaires le statutpropre agrave Numeacutenius platonicien pythagorisant du IIe siegravecle dont la pen-seacutee a marqueacute lrsquoenseignement de Plotin les affiniteacutes reacuteelles entre sapenseacutee et celle du Commentaire anonyme au Parmeacutenide les parallegravelesentrevus entre ses formules et celles de la source supposeacutee communeau Zostrien et au Contre Arius de Marius Victorinus quant agrave elle per-ccedilue comme fort proche du mecircme Commentaire anonyme Sont doncinvoqueacutees trois raisons neacutees moins de lrsquoeacutetude de lrsquoœuvre de Numeacuteniuselle-mecircme que de la recherche des sources drsquoautres textes en mal drsquoau-teur et drsquoorigines bien deacutefinies recherche se fondant en partie sur lespreacutetendus liens entre Numeacuterius et ses laquo pairs raquo en pythagorisme

104 Fabienne JOURDAN

2 laquo Le Parmeacutenide de Platon et son interpreacutetation neacuteoplatonicienne raquo Revuede theacuteologie et de philosophie 23 1973 p 83-100 ici p 83 phrase liminaire

3 laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide dans lrsquoantiquiteacute raquo dansM Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et la sua tradizioneCatania CUECM 2002 p 11-40 ici p 15 Voir aussi les objections deLP Gerson (laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides ndashA draft raquo 2016 p 1-2 de la version eacutelectronique) qui permettent de nuancerlrsquoaffirmation de J Trouillard et surtout drsquoeacuteviter de penser qursquoil nrsquoy a qursquouneseule interpreacutetation neacuteoplatonicienne du Parmeacutenide dont Plotin serait lrsquoorigineet le repreacutesentant parfait Le Parmeacutenide nrsquoacquerrait drsquoailleurs selon lui un sta-tut reacuteellement privileacutegieacute qursquoagrave partir de Jamblique

Explicitons les trois moments de ce cheminement hermeacuteneutique il deacuteterminera notre propre deacutemarche heuristique

1) Bien qursquoagrave lrsquoorigine de lrsquoaffirmation relative au rocircle de Plotin etde son interpreacutetation du Parmeacutenide dans la fondation du neacuteoplato-nisme dans lrsquoarticle signaleacute ER Dodds invite agrave voir chez Modeacuteratus(Ier siegravecle ap J-C) et les pythagoriciens anteacuterieurs agrave lui (dont Eudorevers 25 ap J-C) les preacutemisses de lrsquointerpreacutetation plotinienne ou dumoins drsquoune interpreacutetation meacutetaphysico-theacuteologique du Parmeacutenidequi aurait eu son origine ultime dans lrsquoAncienne Acadeacutemie de Speu-sippe4 Son intuition a eacuteteacute suivie notamment par Philipp Merlan5 et

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 105

4 Concernant Speusippe les intuitions de ER Dodds ont eacuteteacute suiviesentre autres par Ph Merlan laquo Part I Greek Philosophy from Plato to Ploti-nus raquo dans AH Armstrong (eacuted) The Cambridge History of Later Greekand Early Medieval Philosophy Cambridge Cambridge University Press1967 p 30-31 (voir aussi son chapitre sur Speusippe dans From Platonismto Neoplatonism Dordrecht Springer-Science+Business Media 1975[1953-19683] p 96-140) HJ Kraumlmer Der Ursprung der GeistmetaphysikUntersuchung zur Geschichte des Platonismus zwischen Platon undPlotin Amsterdam Gruumlner 19672 [1964] p 351-355 J Whittakerlaquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo Vigiliae Christianae 23 1969p 101 J Dillon laquo Speusippus and the Ontological Interpretation of the Par-menides raquo dans JD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and itsHeritage vol I History and Interpretation from Old Academy to later Pla-tonism and Gnosticism Atlanta Society of Biblical Literature 2010 p 67-78 voir aussi G Bechtle laquo Speusippus and the Anonymous Commentary onPlatorsquos Parmenides how can the One be a Minimum raquo dans M BarbantiF Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et la sua tradizione op citp 249-280 Nous serions quant agrave nous plus reacuteserveacutee et suivrions sur ce pointnotamment C Steel laquo A Neoplatonic Speusippus raquo dans M BarbantiG R Giardina P Manganaro (eacuted) ΕΝΩΣΙΣ ΚΑΙ ΦΙΛΙΑ CataniaCUECM 2002 p 469-476 et laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacute-nide raquo art cit p 17-18 ainsi que L Brisson laquo The Fragment of Speusippusin Column I of the Anonymous Commentary on the Parmenides raquo dansJD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage op citvol I p 59-66

5 laquo Part I Greek Philosophy from Plato to Plotinus raquo art cit p 94

John Whittaker6 plus reacutecemment encore par Jens Halfwassen7 JohnDillon8 Francesco Romano9 et John D Turner10 ndash Harold Tarrant ayantquant agrave lui tenteacute de rassembler tous les eacuteleacutements permettant drsquoentrevoirlrsquoexistence drsquoune telle interpreacutetation dans le neacuteo-pythagorisme11

Or Numeacutenius nrsquoest pas sans trouver place dans cette saga Commecertains platoniciens de son temps cherchant agrave se distinguer des ten-dances laquo sceptiques raquo de la Nouvelle Acadeacutemie et agrave promouvoir unelecture plus laquo dogmatique raquo de Platon il se reacuteclame de Pythagoreconccedilu comme source de Platon12 Crsquoest pourquoi du point de vue de

106 Fabienne JOURDAN

6 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit p 95-100 qui outre lesreacutefeacuterences neacuteopythagoriciennes devenues usuelles renvoie eacutegalement agrave Cleacute-ment drsquoAlexandrie (Strom IV 25 156 1) et mecircme agrave Alcinoos qui songeraitselon lui consciemment agrave la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide dans sonexposeacute de la voie neacutegative en Did X (la consideacuteration du dialogue de Platoncomme eacutetant un exercice de logique exprimeacutee en Did VI nrsquoexcluant pas en soicette utilisation de la premiegravere hypothegravese) ndash On rappellera alors que Cleacutementest notre premier teacutemoin de lrsquoenseignement de Numeacutenius Voir aussi J Whitta-ker laquo Neopythagoreanism and the transcendent Absolute raquo SymbolaeOsloenses 48 1973 p 77-86

7 Der Aufstieg zum Einen Untersuchungen zu Platon und Plotin Muumln-chenLeipzig KG Saur 20062 [1992] et laquo Speusipp und die metaphysischeDeutung von Platons Parmenides raquo dans L Hagemann R Glei (eacuted) ΕΝΚΑΙ ΠΛΗΘΟΣ Wuumlrzburg Echter 1993 p 339-373

8 laquo Plotinus Speusippus and the Platonic Parmenides raquo Kairos 15 2000p 61-74

9 laquo La probabile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica eneopitagorica) del Parmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted)Il Parmenide di Platone et la sua tradizione op cit p 197-248

10 Voir par ex laquo The Platonizing Sethian Treatises Marius VictorinusrsquosPhilosophical Sources and Pre-Plotinian Parmenides Commentaries raquo dansJD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage op citvol I p 136-137

11 Thrasyllan Platonism Ithaca Cornell University Press 1993 p 148-177 Il la fait ainsi remonter agrave Posidonius et mecircme agrave Thrasylle lrsquoeacutediteur desœuvres de Platon

12 Nous simplifions Sur ce point voir par ex M Frede laquo Numenius raquo

lrsquohistoire de la philosophie il peut ecirctre consideacutereacute comme un laquo platoni-cien pythagorisant raquo selon lrsquoexpression heureuse de Michael Frede13Selon son propre point de vue14 neacuteanmoins tout laisse penser qursquoilaurait preacutefeacutereacute la qualification de laquo pythagoricien raquo15 comme enteacutemoigne drsquoailleurs le titre que lui donnent les chreacutetiens les seuls agravetransmettre directement une partie de son œuvre Il nrsquoest toutefois lagraveaucun veacuteritable dilemme puisque chez ces derniers un laquo pythagori-cien raquo est entre autres un interpregravete de Platon16 Numeacutenius est donc en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 107

Aufstieg und Niedergang der roumlmishen Welt II 362 1987 p 1043 B Cen-trone laquo Cosa significa essere pitagorico in etagrave imperiale Per una riconsidera-zione della categoria storiografica del neopitagorismo raquo dans A Brancacci(eacuted) La filosofia in etagrave imperiale Le scuole e le tradizioni filosofiche NapoliBibliopolis 2000 p 137-168

13 laquo Numenius raquo art cit p 1043-1047 Voir aussi B Centrone laquo Cosasignifica essere pitagorico in etagrave imperial raquo art cit p 158-160 M Edwardslaquo Numenius of Apamea raquo dans LP Gerson (eacuted) The Cambridge History ofPhilosophy in Late Antiquity Cambridge Cambridge University Press 2010p 124-125

14 Voir F Jourdan laquo Numeacutenius et Pythagore Numeacutenius platonicien(pythagorisant) ou pythagoricien (platonisant) raquo agrave paraicirctre dans la RevuedrsquoHistoire des religions 2020

15 Sur ce point nous divergeons de B Centrone laquo Cosa significa esserepitagorico in etagrave imperial raquo art cit p 150-151 selon lequel les auteurs desapocryphes pythagoriciens nrsquoauraient pas eu agrave cœur de deacutefendre une identiteacutepythagoricienne puisqursquoils reprenaient Platon voire lrsquoaccusaient de plagiatNumeacutenius ne compte certes pas parmi ces auteurs mais la remarque pourrait leconcerner eacutegalement Or sa deacutemarche qui consiste agrave mettre Pythagore agrave la tecirctedrsquoune ligneacutee de disciples fidegraveles auxquels appartiennent Platon et mecircmeSocrate semble au contraire indiquer qursquoil revendique pour lui lrsquoappartenanceagrave cette ligneacutee en tant qursquointerpregravete fidegravele de Platon Cela ne lrsquoempecircche pas agravenos yeux drsquohistoriens de reacutealiser une deacutemarche caracteacuteristique du platonismede son temps

16 Crsquoest du moins entre autres le sens que semble prendre chez Cleacutement laqualification de Philon comme laquo pythagoricien raquo voir D Runia laquo Why doesClement of Alexandria call Philo ldquothe Pythagoreanrdquo raquo Vigiliae Christianae49 1995 p 1-22 Pouvaient en outre paraicirctre reacuteellement pythagorisants le goucirct

theacuteorie du moins et agrave ce double titre de platonicien et de pythagorisantun parfait candidat au rang drsquointerpregravete laquo neacuteo-pythagoricien raquo preacute-plo-tinien du Parmeacutenide Cette candidature est drsquoautant plus laquo provoca-trice raquo pour les tenants de la thegravese courante de lrsquohistoire du platonismeque Plotin a eacuteteacute consideacutereacute par ses adversaires comme srsquoappropriant sesdoctrines17 lecteur plus fin Longin preacutecisait mecircme que crsquoeacutetait agrave lasuite de Numeacutenius et drsquoautres platoniciens pythagorisants dont juste-ment Modeacuteratus Thrasylle et Cronius le disciple direct de Numeacuteniusqursquoil srsquoadonnait agrave lrsquointerpreacutetation des principes pythagoriciens et plato-niciens18 entreprise dans laquelle il les aurait largement deacutepasseacutes19Quoi qursquoil en soit de cette poleacutemique il est assureacute que Plotin commen-tait les œuvres de Numeacutenius dans ses cours20 Si Numeacutenius avait doncinterpreacuteteacute le Parmeacutenide et ce surtout dans le sens pythagoricien sug-geacutereacute par les chercheurs ayant deacutejagrave invoqueacute Modeacuteratus et mecircme Speu-sippe en ce sens Plotin aurait assureacutement rebondi sur son exeacutegegravese Ilnrsquoaurait plus alors le primat de pareille interpreacutetation et avec ce statutserait eacutegalement eacuterodeacutee la preacutesentation courante des origines du neacuteo-platonisme

Formuleacutee ainsi lrsquohypothegravese est seacuteduisante elle est toutefois fortspeacuteculative tant qursquoon ne peut prouver que Numeacutenius a reacuteellement

108 Fabienne JOURDAN

de Philon pour lrsquoexeacutegegravese (et donc pour la notion drsquoeacutenigme) et plus speacutecifique-ment pour lrsquointerpreacutetation des nombres deux eacuteleacutements eacutegalement preacutesentschez Numeacutenius

17 VP 17-18 Sur ce passage voir la note de R Goulet agrave VP 18 2-3 dansL Brisson JL Cherlonneix M-O Goulet-Caseacute R Goulet MD GrmekJ-M Flamand S Matton J Peacutepin HD Saffrey A-Ph Segonds M TardieuP Thillet Porphyre La Vie de Plotin Vol II Paris Vrin 1992 p 278 etS Menn laquo Longinus on Plotinus raquo Dionysius 19 2001 p 113-124 sur le sensde ὑποβάλλεσθαι dans ce contexte Sur la supeacuterioriteacute de Plotin relativementaux meacutedioplatoniciens dans lrsquointerpreacutetation de Pythagore voir aussiM Bonazzi laquo Plotino e la tradizione pitagorica raquo Acmegrave 53 2000 p 38-73

18 VP 2019 VP 21 ougrave Porphyre recite toutefois le propos de Longin en VP 2020 VP 14

interpreacuteteacute le Parmeacutenide Elle requiert donc un examen approfondi destextes parvenus ndash textes qui nous ont eacuteteacute transmis uniquement demaniegravere indirecte tregraves partielle et de fait aussi tregraves partiale La pre-miegravere eacutetape de la recherche consiste donc agrave reacutealiser pareil examenpour voir si ces textes portent effectivement la trace de lrsquointerpreacute-tation en jeu comme lrsquoont proposeacute notamment A-J Festugiegravere21D OrsquoMeara22 G Bechtle23 M Burnyeat24 et JD Turner25

2) La maigreur des indices reacuteellement significatifs cependant ndash agravemoins drsquoimaginer un silence poleacutemique de la part de Numeacutenius dontnous verrons qursquoil nrsquoest peut-ecirctre pas agrave exclure totalement ndash aurait sansdoute inviteacute agrave abandonner pareille recherche comme relativementdeacutesespeacutereacutee ou artificielle en lrsquoeacutetat de nos sources Mais le deacutesir derevenir sur lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacute-nide26 lrsquoa ranimeacutee Lui aussi parvenu de maniegravere fragmentaire (maiscette fois directe) ce texte comporte des parallegraveles frappants avec lrsquoen-seignement connu de Numeacutenius et invite agrave penser que lrsquoauteur srsquoins-pire de lui voire comme le propose Gerald Bechtle depuis sa mono-graphie de 199927 nrsquoest autre que Numeacutenius lui-mecircme il srsquoagirait du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 109

21 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV Paris Gabalda 1954 p 12522 laquo Being in Numenius and Plotinus Some Points of comparison raquo Phro-

nesis 21 1976 p 120-12923 The Anonymous Commentary on Platorsquos Parmenides BernStuttgart

Wien Paul Haupt 1999 p 8224 laquo Platonism in the Bible Numenius of Apamea on Exodus and Eter-

nity raquo dans R Salles (eacuted) Metaphysics Soul and Ethics in Ancient thoughtOxford Clarendon Press 2005 p 143-169 il le suggegravere p 152-155

25 laquo The Platonizing Sethian Treatise raquo art cit p 128-13926 Titre artificiel donneacute au texte que nous abreacutegerons dans la suite27 The Anonymous Commentary op cit Voir aussi du mecircme auteur laquo The

Question of Being and the Dating of the Anonymous Parmenides Commen-tary raquo Ancient Philosophy 20 2000 p 393-414 et laquo A neglected Testimonium(Fragment ) on the Chaldaen Oracles raquo Classical Quarterly 56 2006p 563-581 sans ecirctre tout agrave fait explicite JD Turner le suit essentiellement(Sethian Gnosticism and The Platonic Tradition QueacutebecLouvainParisPresses de lrsquoUniversiteacute LavalPeeters 2001 laquo Victorinus Parmenides com-

commentaire que Numeacutenius aurait reacutedigeacute sur le Parmeacutenide ou dumoins sur les deux premiegraveres hypothegraveses28 de la seconde partie

3) Comme telle toutefois confronteacutee aux arguments solides dePierre Hadot en faveur drsquoune autoriteacute porphyrienne du Commentaireanonyme29 ou du moins agrave ceux drsquoAlessandro Linguiti en faveur drsquoune

110 Fabienne JOURDAN

mentaries and the Platonizing Sethian Treatises raquo dans K Corrigan JD Tur-ner (eacuted) Platonism Ancient Modern and Postmodern LeidenBoston Brill2007 p 55-96 et laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit) Voir aussiK Corrigan qui pense quant agrave lui agrave Cronius (laquo Platonism and Gnosticism TheAnonymous Commentary on the Parmenides Middle or Neoplatonic raquo dansJD Turner R Majercik (eacuted) Gnosticism and Later Platonism ThemesFigures and Texts Atlanta Society of Biblical Literature 2001 p 141-177)

28 Dans les pages qui suivent nous adopterons pour simplifier la termino-logie exeacutegeacutetique qui srsquoest imposeacutee et parlerons des laquo hypothegraveses raquo de laseconde partie du Parmeacutenide bien qursquoil srsquoagisse plutocirct chez Platon drsquoune seacuteriede deacuteduction En outre quand nous y reacutefegravererons nous nrsquoajouterons plus lamention de laquo la deuxiegraveme partie raquo du Parmeacutenide

29 Voir P Hadot (laquo Fragments drsquoun Commentaire de Porphyre sur le Par-meacutenide raquo Revue des eacutetudes grecques 74 1961 p 410-438 repris dansP Hadot Plotin Porphyre Eacutetudes neacuteoplatoniciennes Paris Les BellesLettres 20102 [1999] p 281-316 laquo La meacutetaphysique de Porphyre raquo dansPorphyre Entretiens sur lrsquoAntiquiteacute classique XII Vandœuvres-Genegraveve Fon-dation Hardt 1966 p 125-157 repris dans P Hadot Plotin Porphyre op citp 317-353 Porphyre et Victorinus I et II Paris Eacutetudes augustiniennes1968 laquo Porphyre et Victorinus Questions et hypothegraveses raquo dans M TardieuP Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApocalypse de Zostrien et lessources de Marius Victorinus Bures-sur-Yvette Res Orientales IX 1996p 117-125 Ses arguments sont eacutetayeacutes par ceux de HD Saffrey laquo Connais-sance et inconnaissance de Dieu Porphyre et la Theacuteosophie de Tuumlbingen raquodans J Duffy J Peradotto (eacuted) Gonimos Buffalo Arethusa 1988 p 3-20repris dans HD Saffrey Recherches sur le Neacuteoplatonisme apregraves Plotin ParisVrin 1990 p 1-20 M Zambon Recension de G Bechtle The AnonymousCommentary on Platorsquos Parmenides Elenchos 20 1999 p 194-202 et Por-phyre et le moyen-platonisme Paris Vrin 2002 R Chiaradonna laquo Nota supartecipazione e atto drsquoessere nel neoplatonismo lrsquoanonimo Commento alParmenide raquo Studia graeco-arabica 2 2012 p 87-97 et laquo Logica e teologica

origine post-plotinienne30 lrsquohypothegravese de G Bechtle pourrait semblerpeu utile grand lecteur de Numeacutenius31 Porphyre si nous revenons pro-visoirement agrave lui pouvait srsquoinspirer de son preacutedecesseur et de ses doc-trines sans que celui-ci ait lui-mecircme composeacute un commentaire au Par-meacutenide Comme nous le montrerons les parallegraveles entre le Commentaireanonyme et lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius en tout cas nrsquoimpliquentpas de reacutefeacuterence directe au dialogue de Platon de la part de ce dernierLrsquoexamen de lrsquohypothegravese pourrait donc srsquoachever sur ce constat si unedeacutecouverte de Michel Tardieu (1996) nrsquoinvitait pas malgreacute tout agrave lrsquoex-plorer davantage En deacutecryptant lrsquoApocalypse de Zostrien M Tardieu ya deacutecouvert un passage semblable agrave un autre du Contre Arius de MariusVictorinus32 laquo synopse raquo supposant selon lui une source commune auxdeux auteurs Or ce texte et donc cette laquo source raquo semble drsquoune partrelever drsquoun commentaire des deux premiegraveres hypothegraveses du Parmeacute-nide et drsquoautre part comporter des parallegraveles avec le Commentaire ano-nyme ndash son identification directe agrave celui-ci paraissant exclue a priorieacutetant donneacutee lrsquoidentification qursquoelle semble faire du premier Un agrave lrsquoEs-prit absente du Commentaire anonyme LrsquoApocalypse de Zostrien eacutetantlrsquoun des traiteacutes gnostiques critiqueacutes dans lrsquoeacutecole de Plotin33 la chronolo-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 111

nel primo neoplatonismo A proposito di Anon In Parm XI 5-19 e IamblRisposta a Porfirio [De Mysteriis] I 4 raquo Studia graeco-arabica 5 2015 p 1-11 M Chase laquo Porphyre Commentaires agrave Platon et Aristote raquo dans R Gou-let (eacuted) Dictionnaire des philosophes antiques Paris CNRS V b 2012p 1369-1371 avec la bibliographie en ce sens p 1362-1365

30 laquo Sulla datazione del Commento al Parmenide di Bobbio Unrsquoanalisilessicale raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et lasua tradizione op cit p 307-322 (voir aussi lrsquointroduction de son eacutedition duCommentaire anonyme dans Corpus dei papiri filosofici greci e latini Testo elessico nei papiri di cultura greca e latina Parte III Commentari FirenzeOlschki 1995 p 78-91)

31 Voir Proclus In Tim I 7722-24 = Numeacutenius fr 3724-26 des Places32 Apocalypse de Zostrien (NHC VIII 1 6411-6612) Marius Victorinus

(Adversus Arium I 497-50)33 VP 16

gie imposerait alors de situer cette source avant Plotin Voici doncrevenue lrsquohypothegravese drsquoun commentaire meacutedio-platonicien au Parmeacute-nide les parallegraveles avec le Commentaire anonyme suggeacuterant alorscette fois plus assureacutement le nom de Numeacutenius comme sonauteur M Tardieu la formule prudemment34 P Hadot lrsquoeacuteloigne dis-cregravetement35 mais elle est vivement deacutefendue par G Bechtle et sespartisans qui faisant la synthegravese de ces deacutecouvertes en tirent alorsla conviction que Numeacutenius serait non seulement lrsquoauteur du Com-mentaire anonyme mais aussi la source de ce que M Tardieu nommelrsquo laquo exposeacute commun raquo36 et que nous nommerons aussi provisoirementde cette maniegravere37

Plus que lrsquoœuvre parvenue elle-mecircme crsquoest cette triple probleacutema-tique propre agrave lrsquohistoire de la philosophie et agrave sa recherche des sourcesqui impose lrsquoexamen de la relation de Numeacutenius au Parmeacutenide exa-men qursquoelle rend lui-mecircme triple en suggeacuterant de surcroicirct que chaqueeacutetape corrobore la preacuteceacutedente Notre enquecircte suivra ces trois eacutetapes elle tentera drsquoeacutevaluer si cet enchaicircnement argumentatif lieacute agrave lrsquoeacutetudeconjointe de ces trois seacuteries de textes nrsquoest pas forceacute tant il paraicirctessentiellement ducirc agrave la surenchegravere en preacutecision dans lrsquohypothegravese delrsquoexistence drsquoune interpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologique pythago-risante et preacute-plotinienne du Parmeacutenide

Dans la premiegravere partie de lrsquoeacutetude proposeacutee dans ce numeacutero noustenterons donc drsquoeacutevaluer la place de Numeacutenius au sein du laquo neacuteo-pytha-gorisme raquo censeacute avoir deacutejagrave produit une telle interpreacutetation Commenous serions plus que reacuteserveacutee sur la preacutesence de celle-ci chez Modeacute-

112 Fabienne JOURDAN

34 Dans M Tardieu et P Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApoca-lypse de Zostrien op cit p 112-113

35 Dans ibid p 11436 G Bechtle The Anonymous Commentary op cit p 248-249 n 683

laquo The Question of Being raquo art cit p 408-412 laquo A neglected Testimonium raquoart cit p 568 JD Turner semble le suivre dans les articles deacutejagrave signaleacutes K Corrigan eacutegalement en songeant plutocirct agrave Cronius

37 Le statut reacuteel de cet laquo exposeacute raquo sera examineacute dans la troisiegraveme partie decette eacutetude (Revue de philosophie ancienne 38-1)

ratus et ses preacutedeacutecesseurs38 nous ne ferons allusion agrave ce point qursquoenconclusion Nous nous concentrerons ici de la maniegravere la plus sobrepossible sur lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et examinerons srsquoil estpossible de lui precircter un commentaire ne serait-ce que partiel du Par-meacutenide

Dans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude qui sera publieacutee dans lenumeacutero suivant (37-2) nous analyserons les parallegraveles et les diver-gences entre lrsquoœuvre de Numeacutenius et le Commentaire anonyme au Par-meacutenide Il srsquoagira drsquoeacutevaluer la validiteacute de lrsquohypothegravese qui attribue cecommentaire agrave Numeacutenius mais aussi de reconsideacuterer leur relationmutuelle laquelle est riche drsquoenseignements pour la reacuteflexion surlrsquoeacutelaboration du neacuteoplatonisme

Dans la troisiegraveme partie de lrsquoeacutetude qui sera publieacutee dans le numeacutero38-1 nous examinerons lrsquo laquo exposeacute commun raquo au Zostrien et agrave MariusVictorinus sa relation au Commentaire anonyme et au Parmeacutenide lui-mecircme et les parallegraveles qursquoon y voit parfois avec lrsquoœuvre parvenue deNumeacutenius pour envisager quelle place celle-ci pourrait avoir dans lareconstitution de ses sources

Chaque partie peut ecirctre lue indeacutependamment selon les centresdrsquointeacuterecircts de chacun Lrsquoensemble visera agrave eacutevaluer srsquoil est vraimentneacutecessaire de bouleverser la conception la plus courante de lrsquohistoire

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 113

38 Sans rejeter absolument un recours au Parmeacutenide anteacuterieur agrave Plotinnous estimons non justifieacute de precircter agrave Modeacuteratus une interpreacutetation theacuteolo-gique et meacutetaphysique du Parmeacutenide sur la foi du teacutemoignage de Simplicius(In Phys 23034-2319) Nous suivons sur ce point les reacuteserves de A-J Festu-giegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 22 n 3 JM Ristlaquo The Neoplatonic One and Platorsquos Parmenides raquo Transactions and Procee-dings of the American Philological Association 93 1962 p 389-401 C Steel laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 19-20qui rappelle agrave juste titre le rocircle de Porphyre comme source de Simplicius JN Hubler laquo Moderatus ER Dodds and the Development of NeoplatonistEmanation raquo dans JD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and itsHeritage op cit vol I p 115-130 ainsi que les reacuteserves de Philippe Hoff-mann lors du seminaire de la Society of Biblical Literature en 2003 (laquo Rethin-king Platorsquos Parmenides and its Platonic Gnostic and Patristic Reception raquo)

du platonisme en donnant Numeacutenius comme preacutecurseur de Plotin danslrsquointerpreacutetation meacutetaphysique du Parmeacutenide Si tel nrsquoest pas le cas elleconfirmera a contrario les critegraveres drsquoune interpreacutetation reacuteellement neacuteo-platonicienne de la seconde partie du dialogue Disons en outre drsquoem-bleacutee qursquoeacutetant donneacute que nous ne pouvons raisonner qursquoagrave partir de cequi nous est parvenu aucune conclusion assertive nrsquoest en soi possiblesur lrsquoexistence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par NumeacuteniusCette eacutetude aura toutefois trois reacutesultats positifs envisager un rapportvolontairement distant de Numeacutenius au Parmeacutenide fondeacute sur le textede Platon lui-mecircme et dont aura tenu compte le neacuteoplatonisme deacutecou-vrir des parallegraveles entre le Commentaire anonyme et le Περὶ τἀγαθοῦplus nombreux qursquoil nrsquoest souvent signaleacute ndash ce qui offrira peut-ecirctre unindice permettant une position plus assureacutee dans le deacutebat sur lrsquoanteacuterio-riteacute de Numeacutenius ou des Oracles chaldaiumlques et enfin approfondirlrsquohypothegravese relative agrave lrsquoutilisation de Numeacutenius par les gnostiques etpar les neacuteoplatoniciens appropriation que lrsquoon peut suivre jusque dansles traductions et transpositions arabes de leurs œuvres

Preacuteliminaire Esquisse de la doctrine des principeschez Numeacutenius

Avant pareil exposeacute une bregraveve esquisse de la penseacutee meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius est neacutecessaire Nous nous en tiendronsaux grandes lignes transmises dans les fragments veacuteritables ceux citeacutespar Eusegravebe de Ceacutesareacutee et nous exposerons de maniegravere succincte lesreacutesultats de nos propres analyses sans livrer le deacutetail des deacutebats surlesquels elles ont eacuteteacute eacutelaboreacutees39 Les textes nous inteacuteressant se trou-vent dans le Περὶ τἀγαθοῦ dialogue ougrave Numeacutenius entreprend larecherche drsquoune deacutefinition du Bien qursquoil identifie au premier prin-cipe40 Il identifie ce premier principe drsquoune part agrave un premier dieu et

114 Fabienne JOURDAN

39 Voir la bibliographie et les commentaires de notre eacutedition en preacutepara-tion

40 Le titre qui est laquo originellement raquo celui de la leccedilon orale de Platon

intellect et drsquoautre part au Bien et Ecirctre lui-mecircme ou par excellence(selon les formules αὐτοάγαθον et αὐτοόν)41 que dans une perspec-tive exeacutegeacutetique il considegravere comme repreacutesenteacute par la forme du Bieneacutevoqueacutee dans la Reacutepublique42 De ce premier principe Numeacutenius dis-tingue un second dieu ou principe identifieacute cette fois au deacutemiurge duTimeacutee43 Ce dieu assure le rocircle deacutemiurgique dont le premier est ainsidispenseacute et il est conccedilu comme lrsquoimage de celui-ci il est le Bon parti-cipant au Bien le second intellect qui produit sa propre forme encontemplant le premier faccedilonnant ou deacuteterminant pour cela lrsquoecirctre oulrsquoessence (οὐσία) que le premier lui procure par le simple fait drsquoecirctre(soi et le Bien)44 Telle est du moins la maniegravere dont nous lisonsconjointement les fragments 11 et 16 (19 et 25 F)45 Autrement dit tan-dis que le premier dieu est le principe de lrsquoecirctre le second est le prin-cipe du devenir46 Numeacutenius donne plus preacuteciseacutement deux laquo aspects raquo

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 115

indique agrave lui seul que le texte srsquoadonne agrave une recherche et deacutefinition des prin-cipes Aristote et Xeacutenocrate le donnent ensuite chacun agrave lrsquoune de leurs œuvresSur lrsquoimportance de ce titre voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius Sur leBien de Platon Lrsquoenseignement oral du maicirctre comme occasion de rechercherson pythagorisme dans ses eacutecrits raquo Χώρα 15-16 2017-2018 p 139-165

41 Voir par ex fr 16 et 17 (24 et 25 F) ndash Tout au long de cette eacutetude lesfragments sont citeacutes selon la numeacuterotation de lrsquoeacutedition drsquoEacutedouard des Places(Numeacutenius Fragments Paris Les Belles Lettres 1973) nous indiquons entreparenthegraveses les numeacuteros qui correspondent dans notre eacutedition en preacuteparation

42 Voir surtout les fr 19 et 20 (27 et 28 F)43 Voir notamment les fr 11 12 et 18 (19 20 et 26 F) En reacutealiteacute le

deacutemiurge du Timeacutee partage ses attributs entre le premier dieu numeacutenien(auquel il laisse sa fonction de source divine des acircmes cf fr 13 21 F) et lesecond qui est aussi troisiegraveme et reacutealise les opeacuterations proprements deacutemiur-giques assumant par lagrave en partie le rocircle des dieux secondaires du Timeacutee

44 Fr 16 (24 F)45 Voir aussi lrsquoanalyse du fr 16 (24 F) par G Muumlller laquo Ἰδέα y οὐσία en

Numenio de Apamea Una reinterpretacioacuten de la ontologiacutea platoacutenica raquo Cua-dernos de Filosofiacutea 59 2012 p 121-140 Nous prenons position agrave son sujetdans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude Revue de philosophie ancienne 37-2

46 Ibid

agrave ce second dieu selon lrsquoorientation de son attention deux laquo aspects raquoqui conduisent agrave parler agrave son sujet de deux laquo dieux raquo qui toutefois nrsquoenconstituent reacutealiteacute qursquoun seul lorsqursquoil est tourneacute vers soi crsquoest-agrave-direvers lrsquointelligible qursquoil est lui-mecircme par contemplation du Bien lesecond dieu est entiegraverement agrave soi et donc reacuteellement soi second dieu lorsqursquoil est tourneacute vers la matiegravere qursquoil met en ordre il est deacutemiurgeau sens litteacuteral du terme et devient laquo troisiegraveme dieu raquo47 Cette divisionnrsquoimplique pas une reacuteelle scission et ne srsquoavegravere autre qursquoune diffeacuterencedrsquoorientation agrave lrsquoorigine drsquoune uniteacute diviseacutee image imparfaite delrsquouniteacute indivisible et parfaite qursquoest le premier dieu

Cette bregraveve preacutesentation doit suffire agrave comprendre le cadre de lapenseacutee numeacutenienne48 Signalons simplement encore trois points essen-tiels pour la confrontation avec le Parmeacutenide et ses interpreacutetations

1) Lrsquoeacuteleacutement fondamental du Περὶ τἀγαθοῦ est lrsquoidentificationdu Bien lui-mecircme (ἀυτοάγαθον) premier principe agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme (αὐτοόν)49 Elle srsquoaccompagne de lrsquoaffirmation qursquoil existeune laquo con-naturaliteacute raquo du Bien agrave lrsquoeacutegard de lrsquoessence50 (σύμφυτον τῇ

116 Fabienne JOURDAN

47 Fr 11 (19 F)48 La preacutesentation ici donneacutee deacutepend de propre analyse des textes Pour

drsquoautres interpreacutetations voir aussi par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit J Opsomer laquo Demiurges in Early Imperial Platonism raquo dans R Hirsch-Luipold(eacuted) Gott und die Goumltter bei Plutarch BerlinNew York de Gruyter 2005p 63-72 M Baltes dans H Doumlrrie M Baltes Ch Pietsch Die PhilosophischeLehre des Platonismus Band 71 Theologia Platonica Stuttgart Bad Canns-tatt Frommann-Holzboog 2008 p 472-482 Les vues de CS OrsquoBrien TheDemiurge in Ancient thought Secondary Gods and Divine mediators Cam-bridge Cambridge University Press 2015 p 139-168 sont agrave consideacuterer avecla plus grande preacutecaution

49 Fr 17 (25 F) cf fr 2 (11 F)50 Nous traduirons ici οὐσία par laquo essence raquo consciente des faiblesses de

cette traduction qui dans le contexte platonicien examineacute nrsquoimplique naturel-lement pas de distinction par rapport agrave la notion drsquoexistence Dans ce contextelaquo essence raquo est agrave prendre au sens de reacutealiteacute intelligible (sur cette deacutefinition voirpar ex R Chiaradonna laquo Substance raquo dans P Remes S Slaveva-Griffin(eacuted) The Routledge Handbook of Neoplatonismi LondonNew York Rout-

οὐσίᾳ51) le Bien partage la mecircme nature que cette οὐσία (forme sub-stantive de lrsquoecirctre) qui provient ainsi de lui Numeacutenius exprime deacutejagrave cetteideacutee au fragment 2 (10 F) par lrsquoimage du Bien laquo monteacute sur lrsquoessence raquo(comme on dirait laquo sur un cheval raquo52) Par lrsquoutilisation de la preacutepositionet du preacuteverbe ἐπί- de preacutefeacuterence agrave ὑπό- (preacutesent dans la formule de Pla-ton) la formule ἐποχούμενον ἐπὶ τῇ οὐσίᾳ indique une laquo transcen-dance raquo53 avec contact qui donne sans deacutetour lrsquointerpreacutetation que Numeacute-nius fait de la formule eacutenigmatique de Reacutepublique VI 509 b 8-10 srsquoilest une laquo transcendance raquo du premier principe elle est drsquoordre cosmolo-gique et non laquo ontologique raquo au sens ougrave ce principe constitue la formeeacuteminente de lrsquoecirctre mais ne srsquoen distingue pas par son essence

2) Ce premier principe est certes immobile en tant qursquoecirctre54exempt de toute activiteacute sous-entendu deacutemiurgique55 mais Numeacuteniuseacutevoque un laquo mouvement qui accompagne naturellement son repos raquo(τῷ πρώτῳ στάσιν [] κίνησιν σύμφυτον56) Ce mouvementindique vraisemblablement que le premier principe pense57 et la for-mule preacutepare son identification agrave un intellect Concernant ce premierdieu toutefois le type de penseacutee qui le caracteacuterise est visiblementconccedilu comme nrsquoimpliquant pas drsquoactiviteacute proprement dite au sens du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 117

ledge 2014 p 216) La deacutetermination nrsquointervient ici qursquoavec le second dieu οὐσία est le terme qui sert agrave exprimer litteacuteralement lrsquoecirctre (ὄν) de maniegravere sub-stantive un ecirctre que le premier dieu Ecirctre par excellence fait advenir sans acteproducteur simplement en eacutetant ce qursquoil est et donc sans que cette οὐσία quivient de lui soit ontologiquement distincte de lui

51 Fr 16 (24 F)52 Lrsquoimage apparaicirct litteacuteralement dans les Oracles chaldaiumlques fr 1466

des Places53 On pourrait alors aiseacutement renoncer au mot laquo transcendance raquo et preacutefeacute-

rer la notion de primauteacute hieacuterarchique par exemple54 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)55 Fr 11-12 (19-20 F)56 Fr 15 (23 F)57 Le passage est agrave interpreacuteter en lien avec le Sophiste 248 e-249 a (voir

notre commentaire au passage dans lrsquoeacutedition en preacuteparation)

moins ougrave cette penseacutee est sans objet et nrsquoest pas mecircme penseacutee de soi aufragment 19 (27 F) Numeacutenius parle drsquoun φρονεῖν qui est lrsquoapanage dupremier dieu sous-entendu agrave la diffeacuterence notamment du νοεῖν saisieintuitive de lrsquointelligible caracteacuteristique du second dieu58 et plus encoredu διανοεῖσθαι activiteacute de penseacutee discursive agrave lrsquoorigine de la deacutemiur-gie Ce φρονεῖν peut selon nous ecirctre compris comme une penseacuteelaquo intransitive raquo (crsquoest-agrave-dire sans objet) pure dispensation du Bien parlrsquoecirctre du Bien59 En cela elle nrsquoimplique reacuteellement aucune activiteacute

Crsquoest alors en ce sens assureacutement que le premier dieu est ditlaquo entourer les intelligibles raquo ou plus exactement et litteacuteralement ecirctrelaquo autour des intelligibles raquo au fragment 15 (23 F περὶ τὰ νοητά) lrsquoexpression nrsquoimplique ni qursquoil les contienne ni qursquoil les produisecomme son objet de penseacutee ni mecircme qursquoil les pense60 Si elle visepeut-ecirctre agrave rendre compte drsquoune identification ultime du premier prin-

118 Fabienne JOURDAN

58 Agrave la limite le premier dieu ne peut lrsquoexercer que par lrsquointermeacutediaire dusecond voir le teacutemoignage de Proclus In Tim III 10328-32 Diehl = fr 22(contre cette interpreacutetation traditionnelle voir G Muumlller laquo Queacute es ldquolo que esvivienterdquo (ὁ εστι ζῶον) seguacuten Numenio de Apamea raquo Cuadernos Filosofiacutea64 2015 p 11-12 dont lrsquohypothegravese bien que seacuteduisante ne tient pas agrave lrsquoexa-men de la syntaxe du passage lrsquoinfinitif νοεῖν ne peut avoir que τὸν πρῶτονcomme laquo sujet raquo et non un δεύτερoν implicitement tireacute du geacutenitif δευτέρου)

59 Nous reacutesumons Voir aussi lrsquoeacutetude de la φρόνησις chez Platon parM Dixsaut laquo De quoi les philosophes sont-ils amoureux Sur la phronegravesisdans les dialogues de Platon raquo repris dans M Dixsaut Platon et la question dela penseacutee Eacutetudes platoniciennes I Paris Vrin 2000 p 93-119 ndash Le lien eacutety-mologique originel entre φρονεῖν et φρήν (le diaphragme) suggegravere une autreimage ce φρονεῖν est comme une laquo respiration drsquoecirctre raquo qui est le Bien et drsquoougraveeacutemane le bien

60 Cette interpreacutetation qui tient entre autres compte de la simpliciteacute abso-lue du premier dieu (fr 11 = 19 F) nrsquoest pas contradictoire avec celle de Timeacutee39 e 7-9 par laquelle Numeacutenius aurait associeacute son premier dieu au Vivant (InTim III 103 28-32 Diehl = fr 22) Certes dans le Timeacutee le Vivant a en lui lesformes (ἐνούσας ἰδέας τῷ ὃ ἔστι ζῷον 39 e 8) Mais sans pouvoir deacutevelop-per ici notre analyse disons simplement que Numeacutenius a pu lire le texte autre-ment et inspirer la distinction drsquoAmeacutelius entre un laquo intellect qui est (leVivant) raquo et un laquo intellect qui a (les formes en lui) raquo notamment en deacutecompo-

cipe au Vivant du Timeacutee61 dans le contexte du Περὶ τἀγαθοῦ ellerenvoie selon nous agrave un pur eacutetat de lrsquoecirctre agrave vertu bienfaitrice ou salvi-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 119

sant ἐνούσας de maniegravere cratylienne pour y lire ἐν-νους-ας qui eacutevoquerait lesformes laquo qui sont dans le νοῦς raquo le second dieu et intellect que Numeacutenius voitdeacutesigneacute dans le νοῦς du texte platonicien Le datif τῷ ὃ ἔστι ζῷον nrsquoauraitplus alors deacutesigneacute chez lui le lieu ougrave se trouvent les formes mais le destina-taire de la contemplation celui laquo pour qui ou agrave lrsquointention de qui en faveur dequi raquo le νοῦς qui a les formes en lui les contemplerait (autrement dit exerceraitle νοεῖν) Lrsquoaffirmation que crsquoest gracircce au second dieu et intellect (ἐνπροσχρήσει τοῦ δευτέρου) que le premier exercerait un νοεῖν pourrait ainsiconstituer lrsquoexplicitation de cette lecture eacutetonnante du texte platonicien Ainsile premier dieu nrsquoexercerait jamais le νοεῖν il nrsquointelligerait que gracircce ausecond qui le ferait pour lui Cette preacutecision pourrait servir agrave reacutepondre agravelrsquoeacuteventuelle objection drsquoun aristoteacutelisant qui deacutenoncerait une identification dupremier dieu agrave un νοῦς srsquoaccompagnant drsquoun refus de precircter agrave celui-ci lrsquoacti-viteacute du νοεῖν Numeacutenius reacutepondrait ainsi il ne lrsquoexerce pas lui-mecircme maispar lrsquointermeacutediaire du second qui le fait pour lui tandis qursquoil srsquoadonne au seulφρονεῖν Voir aussi notre interpreacutetation des fr 16 et 18 (24 et 26 F) ndash Pourune autre interpreacutetation de ce passage voir par ex M Frede laquo Numenius raquoart cit p 1062-1063 1065-1066 et 1069-1070 JP Kenney laquo ProschresisRevisited An Essay in Numenian Theology raquo dans JR Daly (eacuted) Orige-niana quinta Historica Text and method Biblica Philosophica Theologia Origenism and later developments Leuven Peeters p 217-230 RD PettyThe Fragments of Numenius Santa Barbara 1993 p 135-137 (republieacute agraveWestbury Prometheus Trust 2012) M Baltes dans H Doumlrrie M BaltesCh Pietsch Die Philosophische Lehre des Platonismus Band 71 op citp 477-478 A Michalewski laquo Le Premier de Numeacutenius et lrsquoUn de Plotin raquoArchives de philosophie 75 2012 p 35-37 et La Puissance de lrsquointelligibleLa Theacuteorie plotinienne des Formes au miroir de lrsquoheacuteritage meacutedioplatonicienLeuven Leuven University Press p 94-96

61 Voir Platon Timeacutee 30 c 7-8 (avec le participe περιλαβόν) et 31 a 3 (τograveπεριέχον πάντα ὁπόσα νοητὰ ζῷα) avec deux participes preacutefixeacutes en περί- agravepropos du Vivant qui a tous les intelligibles en lui et auquel Numeacutenius peutvouloir renvoyer avec sa formule περὶ τὰ νοητά La reacutefeacuterence implicite aupassage de la Lettre II 312 e 1-4 savamment reacuteeacutecrit indique toutefois queNumeacutenius donne un tout autre sens agrave ce περί Voir aussi le teacutemoignage de Pro-clus citeacute dans les notes preacuteceacutedentes

fique selon lrsquoideacutee de salut suggeacutereacutee agrave la fin de ce mecircme fragment Endrsquoautres termes le premier dieu serait περὶ τὰ νοητά au sens ougrave ilentoure les intelligibles de sa bienveillance leur transmettant agrave la foislrsquoecirctre et le Bien qursquoil est avant que le deacutemiurge ne les y fasse participeragrave son tour par sa bonteacute agrave lrsquoorigine de leur ecirctre deacutetermineacute62 et nrsquoy fasseparticiper aussi les sensibles en les eacutelevant agrave son propre caractegravere mar-queacute par cette mecircme bonteacute63 Le premier dieu le Bien est le modegravele dusecond le Bon et non pas des formes srsquoil doit ecirctre identifieacute au Vivantcrsquoest en tant que source ultime de la vie64 modegravele de ce second dieuqui transmet alors la vie au monde sensible (fr 1220F) et non en tantque paradigme totalisant et contenant les formes des quatre typesdrsquoecirctre vivants nommeacutes en Timeacutee 39 e 10-41 a 2

En cela le premier de Numeacutenius loin drsquoecirctre une entiteacute sans rapportau monde en est non seulement le principe mais il est pour lui lasource reacuteelle du Bien reacuteel ndash autrement dit il joue le rocircle de la Provi-dence qui est alors concregravetement exerceacutee par le second principe leBon Tout en eacutetant conccedilu comme premier intellect il nrsquoest donc pas lepremier moteur immobile aristoteacutelicien qui se pense lui-mecircme65 etauquel fut justement reprocheacute son deacutefaut de Providence66

120 Fabienne JOURDAN

62 Selon notre lecture de la formule ἰδέα ἑαυτοῦ du fragment 16 (24 F)comme renvoyant au monde intelligible comme ensemble de formes deacutetermi-neacutees

63 Voir le fr 11 (19 F) sur cette eacuteleacutevation du sensible vers le caractegravere dudeacutemiurge lequel est le laquo Bon raquo en reacutefeacuterence au Timeacutee Numeacutenius distingue leBien premier principe du Bon second principe en utilisant lrsquoadjectif substan-tiveacute au neutre pour deacutesigner le premier et lrsquoadjectif au masculin pour le second

64 Tel est selon nous le sens de lrsquoexpression ὁ μέν γε ὢν σπέρμα πάσηςψυχῆς au fr 13 (21 F) qui en fait la semence de toute acircme voir par ex F Jour-dan laquo Eusegravebe de Ceacutesareacutee et les extraits de Numeacutenius dans la Preacuteparationeacutevangeacutelique raquo dans S Morlet (eacuted) Lire en extraits Pratiques de lecture et deproduction des textes de lrsquoAntiquiteacute au Moyen Acircge Paris PUPS 2015 p 143-147

65 Contra par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit p 107066 Sur ce sujet notamment chez Plutarque dont Numeacutenius aurait pu ici par-

tager la critique voir par ex F Ferrari laquo Provvidenza platonica o autocontem

3) On notera ici enfin que selon toute vraisemblance Numeacuteniusnrsquoidentifie pas son premier principe agrave lrsquoUn67 Ce principe est certesunique (μόνος) simple (ἁπλοῦς) et indivisible (μὴ διαίρετος) encela distinct de lrsquouniteacute divisible que constitue le second dieu68 MaisNumeacutenius ne lrsquoidentifie pas agrave lrsquoUn et en tout cas pas agrave lrsquoUn du Parmeacute-nide69 Notre conviction srsquoappuie sur lrsquoanalyse du fragment 19 (27 F)Agrave la fin du passage on lit lrsquoexpression τὸ ἀγαθὸν ὅτι ἐστὶν ἕνNumeacutenius la donne comme une conclusion de Platon dont le sens pro-fond ne peut ecirctre perccedilu que par les laquo regards aiguiseacutes raquo autrement ditpar ceux qui comprennent le propos de Numeacutenius Elle provient assu-reacutement de la tradition orale on la retrouve dans le compte-rendu de laLeccedilon sur le Bien par Aristoxegravene70 Comme lrsquoarticle deacutefini peut ecirctreomis devant lrsquoattribut on peut certes heacutesiter sur sa traduction laquo leBien est lrsquoUn raquo ou laquo le Bien est un raquo Dans le contexte matheacutematiqueougrave elle est preacutesenteacutee chez Aristoxegravene la premiegravere traduction est sansdoute la bonne Mais ce nrsquoest pas neacutecessairement le sens originel (siPlaton srsquoest reacuteellement exprimeacute ainsi) et assureacutement pas celui que veut

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 121

plazione aristotelica la scelta di Plutarco raquo dans L Van der Stockt F Titche-ner HG Ingenkamp A Peacuterez Jimeacutenez (eacuted) Gods Daimones Rituals Mythsand History of Religions in Plutarchrsquos Works Maacutelaga International PlutarchSociety 2010 p 177-190 et laquo La teologia di aristotele nel medioplatonismo raquodans Y Lehman (eacuted) Aristoteles Romanus La Reacuteception de la science aristo-teacutelicienne dans lrsquoEmpire greacuteco-romain Turnhout Brepols 2012 p 299-312 voir aussi chez Atticus A Michalewski laquo Faut-il preacutefeacuterer Eacutepicure agrave Aris-tote raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted) Reacuteceptions de la theacuteolo-gie aristoteacutelicienne DrsquoAristote agrave Michel drsquoEphegravese Leuven Peeters 2017p 123-142

67 Contra notamment ici G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 84

68 Fr 11 19 F69 Contra A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV

op cit p 124 M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 22570 Aristoxegravene Eacuteleacutements drsquoharmonique 22016313 Macran 398-404 da

Rios texte ndeg 1 p 248 Richard

lire Numeacutenius Dans le contexte du fragment la formule perd touteambiguiumlteacute parce que lrsquointerpreacutetation en est donneacutee au preacutealable Numeacute-nius a insisteacute sur lrsquouniciteacute du Bien dont la bonteacute a eacuteteacute identifieacutee agrave lrsquoactespeacutecifique du φρονεῖν Si Platon a dit τἀγαθὸν ἐστὶν ἕν ndash formule dontNumeacutenius srsquoestime devoir rendre compte puisqursquoil eacutecrit justement luiaussi Sur le Bien ndash crsquoest donc selon lui parce qursquoil nrsquoy a qursquoun seul etunique Bien le Bien lui-mecircme (αὐτοάγαθον) Par suite la seulemaniegravere de rencontrer le bien de maniegravere geacuteneacuterale consiste agrave prendrepart agrave lrsquoactiviteacute de penser qui caracteacuterise le Bien lui-mecircme une penseacuteesource de bonteacute que chacun pourra exercer agrave son niveau (lrsquoideacutee que leφρονεῖν lui est reacuteserveacute suggegravere qursquoil srsquoagit dans son cas drsquoun φρονεῖνagrave lrsquoeacutetat pur) Ce disant Numeacutenius a sans doute une viseacutee poleacutemique agravelrsquoeacutegard notamment drsquoune interpreacutetation pythagorisante de Platon vrai-semblablement issue de lrsquoAncienne Acadeacutemie et peut-ecirctre aussi delrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne de lrsquoenseignement oral71 Lui seul sesera estimeacute comprendre le veacuteritable pythagorisme du maicirctre Quoiqursquoil en soit sur ce point le passage est selon nous la preuve drsquoun refusdrsquoidentifier le Bien agrave lrsquoUn Si Platon a dit que le Bien est un ou mecircmelrsquoUn quelle que soit lrsquointerpreacutetation litteacuterale et donc la traduction rete-nue il nrsquoaurait selon Numeacutenius en reacutealiteacute rien voulu exprimer drsquoautreque lrsquouniciteacute du Bien ainsi que sa seacuteparation drsquoavec le sensible conccediluecomme distinction essentielle drsquoavec les biens de ce monde Numeacuteniusinvite agrave comprendre ἕν comme le synonyme de μόνος que seul ilemploie agrave reacutepeacutetition agrave propos de son premier principe72 et qui a cedouble sens drsquoexprimer lrsquouniciteacute et lrsquoisolement ou la seacuteparationcomme le suggegravere deacutejagrave son emploi reacutecurrent au fragment 2 (11 F)Telle est lrsquointerpreacutetation correcte du Platon non-eacutecrit qursquoil precircte aux

122 Fabienne JOURDAN

71 Voir par ex Meacutet A 6 988 a 10-17 ougrave lrsquoUn est preacutesenteacute comme la causedu Bien et N 4 1091 b 1-20 sur lrsquoidentification du Bien agrave lrsquoUn dans uncontexte de critique des Platoniciens

72 Εἷς nrsquointervient qursquoagrave propos du second dieu conccedilu comme uniteacute divi-sible qui se distingue en cela de lrsquoUn et mecircme de lrsquouniciteacute du fait de sa dualiteacuteneacutecessaire (mais non essentielle)

seuls regards suffisamment aiguiseacutes pour savoir lire Platon lagrave ougravedrsquoautres lrsquoauront mal entendu73

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 123

73 Voir lrsquoanalyse deacutetailleacutee du passage dans F Jourdan laquo Sur le Bien deNumeacutenius raquo art cit ici contra G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 82 et 84 ndash Les deux teacutemoignages suggeacuterant une eacutevocation de lrsquoUnpar Numeacutenius ne paraissent pas infirmer cette lecture Le premier issu deMacrobe (fr 54 = Saturnales I 17 65 = P 99 12-16 Willis) fait eacutetat drsquoune eacutety-mologie de lrsquoeacutepithegravete laquo delphien raquo attribueacutee agrave Apollon ougrave Numeacutenius auraitvraisemblablement voulu retrouver lrsquoeacutetymologie courante du nom propre dudieu comme renvoyant au laquo non-multiple raquo ἀ-πολλά (voir par ex PlutarqueDe E 388 F et De Iside 354 F et 381 F avec J Whittaker laquo Ammonius on theDelphic E raquo Classical Quarterly 63 NS 19 1969 p 187-188 E SyskaStudien zur Theologie des Macrobius Stuttgart Teubner 1993 p 116 n 74)Macrobe rapporte en effet que Numeacutenius aurait fait de δέλφος un adjectifsignifiant unum (dans le latin de Macrobe) par opposition au substantifἀδελφός signifant laquo fregravere raquo et alors conccedilu comme pourvu drsquoun ἀ- privatif(sur cette eacutetymologie voir J Whittaker ibid p 187 n 9 Eacute des PlacesNumeacutenius Fragments op cit p 100 n 1 E Syska Studien zur Theologiedes Macrobius op cit p 193-194 qui estime qursquoelle nrsquoa aucune autre valeurque litteacuteraire) Outre qursquoil concerne un dieu dont nous ne savons pas si Numeacute-nius aurait reacuteellement souhaiteacute lrsquoidentification agrave son premier principe (il sug-gegravere en revanche son association agrave Zeus au fr 2 [11 F] lequel est ensuite asso-cieacute au second dieu au fr 12 [20 F]) le teacutemoignage nrsquoindique pas le sens exacten lequel Numeacutenius aurait aimeacute qursquoon entende cette laquo absence de fregravere raquoDrsquoune part juste avant Macrobe emploie lrsquoexpression singulum et unum quipeut traduire ἕν καὶ μόνον et dont comme dans le grec la redondance avaleur emphatique On ne sait donc pas lequel des deux adjectifs Numeacutenius aexactement employeacute et rien nrsquointerdit de penser que la reprise par unus soit unchoix du neacuteoplatonicien Macrobe Drsquoautre part unus renvoie agrave εἷς et non agrave ἕνEnfin et surtout laquo ne pas avoir de fregravere raquo si tel est le sens que Numeacutenius precirctedans ce contexte agrave δέλφος signifie laquo ecirctre fils unique raquo et reconduit au sens deμόνος Crsquoest pourquoi selon nous ce teacutemoignage nrsquoest pas un indice fiabledrsquoune identification numeacutenienne du premier principe agrave lrsquoUn (contra M Bur-nyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit p 152 n 34) Le second teacutemoignageest quant agrave lui constitueacute par la reacutefeacuterence agrave une singularitas identifieacutee agrave un pre-mier dieu-deacutemiurge dans le compte-rendu numeacutenien de la cosmogonie pytha-goricienne rapporteacutee par Calcidius (fr 52) Or ce premier dieu dans son oppo-sition mecircme agrave la dyade correspond davantage au second dieu du Περὶ

Voilagrave notre lecture du Περὶ τἀγαθοῦ le seul texte meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius dont soient transmis des fragments litteacute-raux Crsquoest agrave partir drsquoelle que nous proposons drsquoexaminer les rapportsentre lrsquoenseignement de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon lui-mecircme le Commentaire anonyme au Parmeacutenide et enfin la source com-mune au Zostrien et agrave Marius Victorinus Agrave chacun de ces troismoments nous tenterons drsquoeacutevaluer srsquoil fournit les indices de lrsquoexis-tence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par Numeacutenius

Premiegravere partie

Lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon le premier principe de Numeacutenius (le Bien) nrsquoest ni lrsquoUn ni

lrsquoUn-qui-est du ParmeacutenideLa premiegravere eacutetape que nous reacutealiserons dans cette premiegravere partie

consiste agrave confronter le Περὶ τἀγαθοῦ au Parmeacutenide lui-mecircme afinde voir srsquoil y renvoie directement ou non Si nous suivions lrsquohypothegravesede J Whittaker74 toutefois nous abandonnerions immeacutediatement lrsquoen-treprise selon lui crsquoest agrave partir du moment ougrave un philosophe inter-pregravete le Bien de Reacutepublique VI 509 b 6-10 comme un principe trans-cendant reacuteellement lrsquoecirctre et comme identifiable agrave lrsquoUn que se profileune interpreacutetation du Parmeacutenide et plus preacuteciseacutement de la premiegraverehypothegravese Or nous venons de montrer que loin de transcender lrsquoecirctrele Bien de Numeacutenius est lrsquoEcirctre lui-mecircme et que son association agrave lrsquoUnsert avant tout un propos exeacutegeacutetique ou srsquoavegravere du moins fort probleacute-matique ndash telle qursquoelle est formuleacutee du moins elle nrsquoimplique aucune

124 Fabienne JOURDAN

τἀγαθοῦ sans compter que lrsquoappellation latine de singularitas traduit plutocirctle grec μόνας que ἕν Le compte-rendu ne peut donc ecirctre compris commerefleacutetant la doctrine propre de Numeacutenius telle du moins qursquoelle est exprimeacuteedans le Περὶ τἀγαθοῦ (voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius raquo art cit)Il nrsquoy a donc aucun texte fiable permettant de precircter agrave Numeacutenius lrsquoidentifica-tion du Bien agrave lrsquoUn et encore moins agrave lrsquoUn du Parmeacutenide

74 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit

allusion au Parmeacutenide75 Si lrsquoon veut malgreacute tout supposer que Numeacute-nius nrsquoen a pas moins utiliseacute le Parmeacutenide et que son œuvre trahit alorsnon seulement la connaissance du dialogue mais un commentaire per-sonnel de celui-ci ne serait-ce que partiel il faut recourir agrave un autrepoint de doctrine que cette identification du premier principe agrave uneentiteacute transcendant lrsquoecirctre et identifieacutee agrave lrsquoUn et justement interroger ladeacutefinition de ce premier principe comme ecirctre Autrement dit il srsquoagitessentiellement de voir si Numeacutenius identifie le Bien ne serait-ce quepartiellement agrave lrsquolaquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

Pour parvenir agrave un reacutesultat probant deux eacutetapes sont neacutecessaires agravecet examen

1) un rappel des quelques points qui dans la deacutefinition de lrsquoecirctre etdu premier principe selon Numeacutenius ont parfois suggeacutereacute des rappro-chements avec le Parmeacutenide

2) une confrontation de la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ avec laseconde partie du dialogue de Platon pour voir si une convergence depenseacutee plus geacuteneacuterale pourrait malgreacute tout suggeacuterer une appropriationde ce texte par Numeacutenius ou si une incompatibiliteacute fondamentaleinvite agrave en douter

Dans lrsquoun et lrsquoautre cas si les reacutesultats sont neacutegatifs cela ne per-mettra pas de conclure que Numeacutenius a ignoreacute le texte ni non plus dese prononcer de maniegravere cateacutegorique sur lrsquoœuvre non parvenue Nousmontrerons drsquoailleurs dans un troisiegraveme temps que Numeacutenius tente dereacutesoudre les apories relatives aux formes poseacutees dans la premiegravere par-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 125

75 On peut faire semblable remarque agrave propos de lrsquoexposeacute des principespythagoriciens par Eudore rapporteacute par Simplicius (In Phys 18110 sq Diels)Mecircme srsquoil eacutevoque diffeacuterents Un la conception deacuteveloppeacutee deacutepend avant toutdes reacuteflexions de lrsquoAncienne Acadeacutemie sur lrsquoUn et la Dyade et est en cela tregravesproche du compte-rendu drsquoAristote sur les principes de Platon en Meacutet A 6 987b 18 sq (sur ce point voir J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquoart cit p 98 qui rapporte les propos de W Theiler agrave la note 11) Il ne sembledonc pas neacutecessaire de supposer un commentaire sous-jacent aux deux pre-miegraveres hypothegraveses du Parmeacutenide mecircme srsquoil nrsquoest eacutevidemment pas exclu que ledialogue ait eacuteteacute invoqueacute pour sa nomination de lrsquoUn La remarque vaut eacutegale-ment pour Speusippe et de maniegravere geacuteneacuterale pour les neacuteo-pythagoriciens

tie du dialogue et nous verrons qursquoagrave lrsquoeacutegard de la premiegravere hypothegraveseil a peut-ecirctre choisi une attitude suggeacutereacutee par Platon lui-mecircme Poureacutelargir cette recherche nous interrogerons enfin sa relation agrave la penseacuteede Parmeacutenide lui-mecircme

1 La deacutefinition du premier principe comme ecirctre dansle Περὶ τἀγαθοῦ des parallegraveles avec le Parmeacutenide

Une fois que lrsquoon a renonceacute agrave precircter agrave Numeacutenius une interpreacutetationdu Parmeacutenide en raison drsquoune identification supposeacutee de son premierprincipe agrave lrsquoUn il reste possible drsquoexaminer les parallegraveles entre la deacutefi-nition de son premier principe identifieacute agrave lrsquoecirctre ou plus geacuteneacuteralemententre sa deacutefinition de lrsquoecirctre et les formulations du dialogue platoniciendans les deux premiegraveres hypothegraveses Les partisans drsquoune interpreacutetationnumeacutenienne du Parmeacutenide dont notamment A-J Festugiegravere76 etD OrsquoMeara77 citent essentiellement78 deux textes agrave cette fin les frag-

126 Fabienne JOURDAN

76 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 12577 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 Voir aussi par ex

M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 225-227 qui srsquoap-puie toutefois sur ce qursquoil considegravere une identification du Bien agrave lrsquoUn et sur unpassage de Cleacutement drsquoAlexandrie qui semble deacutependre de la premiegravere hypo-thegravese (Strom V 12 82 1-2) Les eacuteleacutements de theacuteologie neacutegative eacutevoqueacutes lagravesrsquoaccompagnant drsquoune possibiliteacute de nomination rappellent toutefois moinsNumeacutenius qursquoAlcinoos Did X p 16433-34 H

78 Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoargumentation de R Romano (laquo La proba-bile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica e neopitagorica) delParmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide diPlatone et la sua tradizione op cit p 234) qui estime que Numeacutenius aufragment 217-34 (11 F) emprunte au Parmeacutenide les expressions delaquo meacutethode non aiseacutee mais divine raquo laquo ardeur juveacutenile raquo et laquo exercice matheacute-matique raquo Lrsquoappui textuel est trop tenu pour qursquoelle soit persuasive Quant agraveG Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 82-84) il eacutevoque luiaussi le fragment 5 (14 F) mais seulement en note agrave la page 82 et son argu-mentation ne srsquoappuie pas davantage sur la lettre du texte Crsquoest pourquoielle ne peut ecirctre expliciteacutee ici Nous ne commenterons enfin pas les hypo-

ments 5 et 6 (14-15 F) ougrave apparaicirct formuleacutee en termes neacutegatifs unedeacutefinition de lrsquoecirctre que le fragment 2 (11 F) a dit identifiable au BienCes deux fragments proviennent du livre II du Περὶ τἀγαθοῦ quientreprend de deacutefinir lrsquoecirctre preacuteliminaire indispensable agrave la deacutefinitiondu Bien Examinons-en quelques extraits Au fragment 5 nous lisonsceci

Φέρε οὖν ὅση δύναμις ἐγγύτατα πρὸς τὸ ὂν ἀναγώμεθα καὶλέγωμενmiddot τὸ ὂν οὔτε ποτὲ ἦν οὔτε ποτὲ μὴ γένηται ἀλλrsquo ἔστιν ἀεὶἐν χρόνῳ ὡρισμένῳ τῷ ἐνεστῶτι μόνῳ [] τὸ ἄρα ὂν ἀΐδιόν τεβέβαιόν τε ἐστὶν ἀεὶ κατὰ ταὐτὸν καὶ ταὐτόν οὐδὲ γέγονε μένἐφθάρη δὲ οὐδrsquo ἐμεγεθύνατο μέν ἐμειώθη δὲ οὐδὲ μὴltνgtἐγένετό πω πλεῖον ἢ ἔλασσον καὶ μὲν δὴ τά τε ἄλλα καὶ οὐδὲτοπικῶς κινηθήσεταιmiddot οὐδὲ γὰρ θέμις αὐτῷ κινηθῆναι οὐδὲ μὲνὀπίσω οὐδὲ πρόσω οὔτε ἄνω ποτὲ οὔτε κάτω οὐδrsquo εἰς δεξιὰοὐδrsquo εἰς ἀριστερὰ μεταθεύσεταί ποτε τὸ ὂν οὔτε περὶ τὸ μέσονποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται ἀλλὰ μᾶλλον καὶ ἑστήξεται καὶἀραρός τε καὶ ἑστηκὸς ἔσται κατὰ ταὐτὰ ἔχον ἀεὶ καὶ ὡσαύτως(extraits du fragment 5 14 F = Eus PE XI 10 4-5)

Eh bien donc eacutelevons-nous vers lrsquoecirctre le plus pregraves qursquoil nous est pos-sible et disons ceci lrsquoecirctre jamais ne fut ni jamais nrsquoadviendra assureacute-ment mais il est toujours dans un temps bien deacutetermineacute le seul preacute-sent [] Lrsquoecirctre est donc est agrave la fois eacuteternel et stable toujours dans lemecircme eacutetat et identique agrave soi il nrsquoest pas neacute et il ne peacuterit pas il ne croicirctet ne deacutecroicirct pas non plus ni il ne devient plus ou moins en aucunefaccedilon En somme il ne sera assureacutement soumis agrave aucun type de mou-vement et surtout pas au mouvement selon le lieu ndash il ne lui est en effetpas permis non plus crsquoest la loi divine drsquoecirctre mucirc jamais par unecourse en avant ni en arriegravere en haut ni en bas vers la droite droite nivers la gauche jamais lrsquoecirctre ne sera soumis au changement et jamais ilne sera mucirc autour de son propre centre Bien plutocirct il se tiendra en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 127

thegraveses de H Tarrant Thrasyllan Platonism op cit p 174-177 dans lamesure ougrave elles supposent que Numeacutenius srsquoinspire de Modeacuteratus (au fr 52)et suit donc lrsquointerpreacutetation qursquoil aurait donneacutee sur la matiegravere drsquoapregraves leteacutemoignage de Simplicius

repos sera ferme et fixe se maintenant toujours de faccedilon identique etde la mecircme maniegravere79

Au fragment 6 (15 F) nous lisons ensuite

ἡ δὲ αἰτία τοῦ ὄντος ὀνόματός ἐστι τὸ μὴ γεγονέναι μηδὲφθαρήσεσθαι μηδrsquo ἄλλην μήτε κίνησιν μηδεμίαν ἐνδέχεσθαιμήτε μεταβολὴν κρείττω ἢ φαύλην εἶναι δὲ ἁπλοῦν καὶἀναλλοίωτον καὶ ἐν ἰδέᾳ τῇ αὐτῇ καὶ μήτε ἐθελούσιον ἐξίστα-σθαι τῆς ταὐτότητος μήθrsquo ὑφrsquo ἑτέρου προσαναγκάζεσθαι (extraitdu fragment 6 15 F = Eus PE XI 10 7)

Et la raison de ce nom ecirctre reacuteside dans le fait de ne pas ecirctre neacute de nepas devoir peacuterir de nrsquoadmettre absolument aucun autre type de mou-vement ni de changement que ce soit vers le meilleur ou vers le piremais drsquoecirctre au contraire simple invariable dans une forme qui resteidentique de ne pas sortir de son identiteacute ni volontairement ni souslrsquoeffet drsquoune contrainte exteacuterieure80

Pourquoi a-t-on voulu lire ces textes comme faisant allusion auParmeacutenide alors qursquoils ne preacutesentent pas de parallegraveles textuels avec cedialogue Deux raisons agrave cela A-J Festugiegravere y voit une seacuterie deneacutegations qui rappellent celles du Parmeacutenide relativement agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese D OrsquoMeara estime que la deacutefinition de lrsquoecirctrecomme restant dans une identiteacute parfaite agrave soi exprimeacutee en termes de

128 Fabienne JOURDAN

79 Toutes les traductions de Numeacutenius sont les nocirctres80 Voir aussi cet extrait du fragment 8 (17 F = Eus PE XI 10 12) Εἰ μὲν

δὴ τὸ ὂν πάντως πάντη ἀΐδιόν τέ ἐστι καὶ ἄτρεπτον καὶ οὐδαμῶςοὐδαμῆ ἐξιστάμενον ἐξ ἑαυτοῦ μένει δὲ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτωςἕστηκε τοῦτο δήπου ἂν εἴη τὸ τῇ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν laquo Siassureacutement lrsquoecirctre est en tout point absolument eacuteternel et immuable srsquoil ne sortabsolument pas de lui-mecircme en aucune faccedilon mais demeure dans le mecircmeeacutetat fixeacute dans son identiteacute alors crsquoest lui sans nul doute qui sera ldquoce qui estappreacutehendeacute par lrsquointellection agrave lrsquoaide du raisonnementrdquo (Tim 28 a) raquo Ce pas-sage fait suite au fragment 7 (16 F = Eus PE XI 10 9-11) qui cite la deacutefinitionde lrsquoecirctre opposeacute agrave la γένεσις en Timeacutee 27 d 6-28 a 4

laquo non-sortie raquo de soi est reprise dans les passages des Enneacuteades VI4 [ 22] 2 21 et VI 5 3 1-2 ougrave Plotin traite de lrsquointeacutegriteacute de lrsquoecirctre etinterpregravete agrave cet effet la seconde hypothegravese du Parmeacutenide D OrsquoMearasonge alors agrave un preacuteceacutedent numeacutenien dans la lecture plotinienne duParmeacutenide et agrave cette fin eacutetant donneacute qursquoil est question dans ces frag-ments de la relation de lrsquoecirctre au temps au changement et au mouve-ment tout comme de son nom (et donc sous-entendu aussi de saconnaissance) il invite agrave penser que le livre II du Περὶ τἀγαθoῦ trai-tait de lrsquoecirctre selon les diffeacuterents preacutedicats qui servent agrave interroger lrsquoUndu Parmeacutenide agrave savoir le Tout et les parties le lieu le changement etmouvement lrsquoidentiteacute et la diffeacuterence la ressemblance et dissem-blance lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoineacutegaliteacute le temps le nom la connaissance

Ces deux lectures se heurtent toutefois agrave deux objections simplesDrsquoune part pas plus qursquoil ne tire du Parmeacutenide la description de la non-sortie de soi81 Numeacutenius nrsquoemprunte son argumentation sur le change-ment le temps et le nom au Parmeacutenide Comme il le dit lui-mecircme aufragment 6 (15 F) il srsquoappuie pour cela sur le Timeacutee et le Cratyle Onnotera drsquoailleurs que le deacuteveloppement sur lrsquoabsence de mouvement etdonc de changement relegraveve en outre drsquoun emprunt aux Lois82 et qursquoellenrsquoest pas exempte de parallegraveles aristoteacuteliciens ainsi que le reconnaicirctD OrsquoMeara lui-mecircme83 Drsquoautre part et pour reacutepondre cette fois agraveA-J Festugiegravere la seacuterie de neacutegations ne fait aucunement allusion auParmeacutenide ni nrsquoaugure drsquoune theacuteologie neacutegative telle qursquoelle sera tireacuteede la premiegravere hypothegravese de ce dialogue elle contribue simplement agraveune deacutefinition de lrsquoecirctre par opposition au devenir et surtout au corporelqui preacutesente toutes les qualiteacutes ici nieacutees La citation au fragment 7 (16F) du passage du Timeacutee (27 d 6-28 a 4) opposant justement ὄν et

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 129

81 Elle est en reacutealiteacute preacutesente dans le Cratyle 439 e le Pheacutedon 79 d et 80b 1-2 et le Banquet 211 b 1

82 X 893 c-894 a83 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 n 26 Sur le temps

voir aussi M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit et la remarquefinale sur la deacutefinition parmeacutenidienne drsquoune entiteacute se situant dans un eacuteternelpreacutesent au fr 85 DK

γένεσις preacutecise ce contexte de penseacutee et empecircche en cela toute extra-polation Agrave la limite si lrsquoon y tient on pourra simplement conclure avecD OrsquoMeara que Numeacutenius a donneacute agrave Plotin lrsquoideacutee de lire le Parmeacutenidedans le sens ougrave il lrsquoa fait concernant lrsquoecirctre ndash hypothegravese qui srsquoavegraverera fortinteacuteressante dans la perspective drsquoune comparaison avec lrsquoentreprise ducommentateur anonyme au Parmeacutenide

Les textes habituellement citeacutes en faveur drsquoune utilisation numeacute-nienne du Parmeacutenide ainsi compris il en est selon nous un troisiegravemequi aurait pu inviter agrave pareille suggestion celui ougrave Numeacutenius precircte aupremier principe un repos qui srsquoaccompagne malgreacute tout drsquoune formede mouvement ndash attributs apparemment contradictoires dont lrsquooriginepourrait paraicirctre remonter au Parmeacutenide Ce texte nous mettrait sur lavoie qui pouvait sembler la plus feacuteconde drsquoune identification du pre-mier principe numeacutenien agrave lrsquoUn de la seconde hypothegravese du ParmeacutenideLisons ainsi le fragment 15 (23 F)

Εἰσὶ δrsquo οὗτοι βίοι ὁ μὲν πρώτου ὁ δὲ δευτέρου θεοῦ δηλονότι ὁμὲν πρῶτος θεὸς ἔσται ἑστώς ὁ δὲ δεύτερος ἔμπαλίν ἐστικινούμενοςmiddot ὁ μὲν οὖν πρῶτος περὶ τὰ νοητά ὁ δὲ δεύτερος περὶτὰ νοητὰ καὶ αἰσθητά μὴ θαυμάσῃς δrsquo εἰ τοῦτrsquo ἔφηνmiddot πολὺ γὰρἔτι θαυμαστότερον ἀκούσῃ ἀντὶ γὰρ τῆς προσούσης τῷδευτέρῳ κινήσεως τὴν προσοῦσαν τῷ πρώτῳ στάσιν φημὶ εἶναικίνησιν σύμφυτον ἀφrsquo ἧς ἥ τε τάξις τοῦ κόσμου καὶ ἡ μονὴ ἡἀΐδιος καὶ ἡ σωτηρία ἀναχεῖται εἰς τὰ ὅλα

Voici les genres de vie respectifs du premier et du deuxiegraveme dieu ilest eacutevident que le premier sera en repos tandis que le deuxiegraveme aucontraire est en mouvement le premier donc autour des intelligiblesle deuxiegraveme autour des intelligibles et des sensibles Et nrsquoen viens pasagrave trsquoeacutetonner si jrsquoai affirmeacute cela car tu vas entendre bien plus eacutetonnantencore agrave la place du mouvement inheacuterent au deuxiegraveme le repos inheacute-rent au premier je lrsquoaffirme est un mouvement qui lui est par natureassocieacute drsquoougrave viennent lrsquoordre du monde et sa permanence eacuteternelle etdrsquoougrave le salut se reacutepand sur lrsquointeacutegraliteacute des ecirctres

Le passage pourrait rappeler lrsquoUn qui est Tout (τὸ ἓν ὅλον 145 e3) de la deuxiegraveme hypothegravese et que Platon deacutecrit comme eacutetant agrave la fois

130 Fabienne JOURDAN

en repos et en mouvement (καὶ κινεῖσθαι καὶ ἑστάναι 145 e 7-8)drsquoautant plus que le vocabulaire du repos employeacute est le mecircme(ἕστηκε 145 a 8 ἑστός 146 a 5) On pourrait alors imaginer queNumeacutenius identifie son premier principe agrave lrsquoUn associeacute agrave lrsquoecirctre telqursquoil est conccedilu dans cette deuxiegraveme hypothegravese Cependant la raisondonneacutee par Platon agrave cet eacutetat est le fait que cet Un se trouve agrave la fois enlui-mecircme crsquoest-agrave-dire au mecircme endroit et en autre chose crsquoest-agrave-direailleurs (le tout devant ecirctre ainsi compris 145 e 8-146 a 7) Or toutconduit agrave penser que dans le fragment le mouvement associeacute au reposfondamental est celui de la penseacutee caracteacuteristique du premier principe(cf fr 19 27 F) et que par cette formule Numeacutenius preacutepare la deacutefini-tion de celui-ci comme intellect (fr 16-17 24-25 F) Le raisonnementest profondeacutement distinct et Numeacutenius joue drsquoailleurs moins sur uneantithegravese logique telle que pourrait paraicirctre celle du raisonnement pla-tonicien que sur une association certes paradoxale mais reacuteelle Crsquoestpourquoi si tentant que puisse paraicirctre le parallegravele il ne relegraveve sansdoute pas drsquoune appropriation numeacutenienne de la deuxiegraveme hypothegravesepour deacutecrire le premier principe Numeacutenius reprend peut-ecirctre le voca-bulaire voire la conception de Platon pour deacutecrire un principe qursquoilassocie volontiers au Tout surtout si ce premier principe doit corres-pondre au Vivant84 Mais cette reprise serait superficielle et srsquoaccom-pagnerait drsquoun deacuteveloppement personnel qui ne relegraveve pas du deacutesirdrsquointerpreacuteter le Parmeacutenide85 Si Numeacutenius emprunte ici agrave Platon crsquoestplutocirct au passage du Sophiste 248 e-249 a qui integravegre le mouvementdans lrsquoecirctre total finit par deacutecrire cet ecirctre comme eacutetant agrave la fois en reposet en mouvement et inclut en lui eacutegalement lrsquointellect mieux laφρόνησις dont nous avons vu que Numeacutenius en fait sous la formeinfinitive lrsquoapanage du Bien

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 131

84 Voir le teacutemoignage de Proclus (fr 22) deacutejagrave signaleacute selon nous lrsquoimagedu Vivant est deacutejagrave sous-jacente dans ce fragment 15 (23 F) voir la note 61

85 Sur ce point nous rejoignons LP Gerson laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpre-tation of Platorsquos Parmenides raquo art cit n 1 qui rappelle agrave propos drsquoAlcinoosque lrsquoutilisation de distinctions et drsquoarguments preacutesents dans le Parmeacutenidenrsquoimplique pas drsquoaccorder une primauteacute interpreacutetative agrave ce dialogue

2 Le Περὶ τἀγαθοῦ et les deux premiegraveres hypothegravesesde la seconde partie du Parmeacutenide

Agrave eux seuls les textes parvenus ne nous semblent donc pas teacutemoi-gner en faveur drsquoun commentaire au Parmeacutenide de la part de Numeacute-nius ni mecircme drsquoune utilisation partielle qursquoil aurait faite de ce dia-logue Les partisans drsquoune attribution de pareil commentaire agrave Numeacute-nius en appellent toutefois et ce juste titre agrave lrsquoœuvre non parvenueOn ne peut certes juger de lrsquoeacutevolution de Numeacutenius Mais pour quecet argument e silentio soit valable concernant au moins la partie man-quante du Περὶ τἀγαθοῦ il faudrait que la partie transmise ne preacute-sente pas drsquoincompatibiliteacute avec lrsquoargumentation geacuteneacuterale du dialoguede Platon Comme le deacutebat porte toujours sur les deux premiegraveres hypo-thegraveses ce sont elles qursquoil suffit drsquointerroger en vue drsquoeacutevaluer si Numeacute-nius peut ne serait-ce que srsquoy ecirctre reporteacute pour esquisser sa deacutefinitiondu premier principe voire du second comme le suggegravere JD Turner86

a) Le Bien et lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese

Selon notre lecture Numeacutenius nrsquoidentifie pas le Bien agrave lrsquoUn Laseacuterie de neacutegations neacutecessaires agrave la deacutefinition de lrsquoecirctre nrsquoa drsquoautre butque de distinguer celui-ci du devenir Qursquoest-ce que le Bien de Numeacute-nius pourrait donc avoir de commun avec lrsquoUn de la premiegravere hypo-thegravese87 Comparons son enseignement agrave celui du Parmeacutenide pourassurer de la validiteacute de notre position

Ce que le Bien de Numeacutenius pourrait avoir de commun avec lrsquoUnde la premiegravere hypothegravese assureacutement ce serait le fait de ne pas ecirctremultiple (137 c) Mais cela est bien maigre la seacuterie de neacutegations pro-

132 Fabienne JOURDAN

86 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 138-13987 G Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 84) estime que

crsquoest en lien avec la premiegravere hypothegravese que Numeacutenius deacuteveloppe sa concep-tion du premier intellect Il nrsquoexplique toutefois pas cette lecture pour le moinseacutetonnante

poseacutee par Parmeacutenide ne le concerne pas Passons en revue quelquesexemples en suivant lrsquoordre du dialogue contrairement agrave lrsquoUn de cettehypothegravese le Bien nrsquoest pas illimiteacute (137 d 7) crsquoest la matiegravere qui esttelle agrave lrsquoimage drsquoun fleuve88 loin drsquoecirctre nulle part au sens de laquo pas ensoi raquo (138 a 2 6-b 2) il est au contraire en lui-mecircme89 La seacuterie drsquoanti-thegraveses ne le concerne pas davantage loin de nrsquoecirctre ni en repos ni enmouvement (138 b) nous avons vu qursquoil a part aux deux90 plutocirct quede nrsquoecirctre ni identique ni diffeacuterent (139 b-140 b) il est assureacutement iden-tique agrave soi91 au lieu drsquoecirctre hors du temps (141 a) il se situe dans uneacuteternel preacutesent92 et si certes on ne peut pas non plus parler agrave soneacutegard de participation agrave lrsquoοὐσία (141 e 7-8) il nrsquoen est pas moinslrsquoἀρχή de celle-ci93 qui fait de lui lrsquoEcirctre par excellence94 Contraire-ment agrave lrsquoUn de cette hypothegravese (142 a) il a en outre un nom une deacutefi-nition et il y a mecircme une science agrave son sujet son nom est drsquoabordοὐσία et ὄν lorsque lrsquoecirctre qursquoil est est envisageacute de maniegravere geacuteneacuterale95puis vraisemblablement Bien lui-mecircme et Ecirctre lui-mecircme (αὐτοάγα-θον et αὐτοόν) lorsqursquoil est envisageacute dans sa speacutecificiteacute96 il donnelrsquoἐπιστήμη et srsquoavegravere mecircme ecirctre la σοφία97 toute lrsquoentreprise duΠερὶ τἀγαθοῦ est justement de conduire agrave sa connaissance et deacutefini-tion98 ce agrave quoi parvient entre autres le dernier fragment en identifiantultimement lrsquoecirctre et lrsquointellect qursquoil constitue agrave la Forme du Bien de laReacutepublique99 Lorsque Platon fait conclure agrave Parmeacutenide que cet Un

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 133

88 Fr 3 (12 F) et 8 (17 F)89 Fr 11 (19 F)90 Fr 15 (23 F)91 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)92 Fr 5 (14 F)93 Fr 16 (24 F)94 Fr 17 (25 F) et lrsquoon nrsquooubliera pas la synonymie entre οὐσία et ὄν don-

neacutee au fr 6 (15 F)95 Fr 6 (15 F)96 Fr 16-17 (24-25 F) fr 20 (28 F)97 Crsquoest notre interpreacutetation conjointe des fragments 13 et 14 (21-22 F)98 Tel est le programme annonceacute au fragment 2 (11 F)99 Fr 20 (28 F)

finalement nrsquoest pas Numeacutenius peut donc avoir estimeacute ne pas devoirreconnaicirctre lagrave ce qursquoil deacutefinit quant agrave lui comme le premier principe etce alors en accord avec Platon lui-mecircme

Crsquoest pourquoi srsquoil a songeacute agrave ce dialogue et plus particuliegraverement agravela premiegravere hypothegravese Numeacutenius a pu le consideacuterer comme un exer-cice dialectique ougrave puiser par exemple une meacutethode drsquointerrogation etcertains concepts dans un esprit peut-ecirctre semblable agrave celui drsquoAlci-noos100 ou bien ce qui nrsquoest pas incompatible comme deacutecrivantaussi une position selon lui critiqueacutee par Platon Dans cette perspec-tive il peut alors y avoir perccedilu une raison de ne pas retenir la candida-ture de lrsquoUn (telle que la suggegravere notamment la reacuteception acadeacutemi-cienne de lrsquoenseignement oral) au titre de premier principe agrave identifierau Bien puisque cet Un conccedilu dans sa pureteacute agrave la maniegravere dont Platonle deacutecrit dans la premiegravere hypothegravese conduit agrave lrsquoaporie du non-ecirctre (non-ecirctre que Numeacutenius identifie quant agrave lui agrave la matiegravere) Autre-ment dit la lecture du Parmeacutenide voire le commentaire de ce dia-logue aurait plutocirct conduit Numeacutenius agrave ne pas identifier le Bien agrave lrsquoUnabsolu et lrsquoaurait peut-ecirctre justifieacute dans une position poleacutemique agrave lrsquoen-contre de certains neacuteo-pythagoriciens de son temps101 voire des Aca-deacutemiciens qui le faisaient

Cette conclusion peut a priori eacutetonner Mais Numeacutenius nrsquoaurait paseacuteteacute le seul de son eacutepoque agrave refuser drsquoaccorder agrave lrsquoUn de la premiegraverehypothegravese le rocircle de principe de la reacutealiteacute et de principe transcendantlrsquoecirctre Proclus eacutevoque des interpregravetes selon lesquels le veacuteritable objet

134 Fabienne JOURDAN

100 Agrave la mecircme eacutepoque ou peu apregraves (selon lrsquohypothegravese de R Chiara-donna laquo Theacuteologie et eacutepoptique aristoteacutelicienne dans le meacutedioplatonisme lareacuteception de Meacutetaphysique Λ raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted)Reacuteceptions de la theacuteologie aristoteacutelicienne op cit p 143-148 voir aussiM Frede laquo Numenius raquo art cit p 1064) Alcinoos donne une interpreacutetationessentiellement logique du Parmeacutenide voir Did VI p 159-160 H Cela nrsquoim-plique toutefois pas que ce fut lagrave la seule lecture du dialogue par Alcinoos(pace J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit)

101 Voir ceux eacutevoqueacutes au fragment 5215-24 (Calcidius In Tim CCXCV)qui font provenir la dyade de la monade Modeacuteratus agrave qui est justement precircteacuteun commentaire du Parmeacutenide leur est parfois rapprocheacute

du Parmeacutenide est justement lrsquoecirctre (ou lrsquoUn de la seconde hypothegravese) etnon lrsquoUn absolu dont lrsquohypothegravese ne conduit qursquoagrave des apories102 Lrsquounde ces interpregravetes fut Origegravene (le Platonicien103 ) disciple drsquoAmmo-nius comme Plotin et qui eacutetait peut-ecirctre justement en deacutebat avecNumeacutenius notamment sur la fonction du premier principe104 SelonOrigegravene lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese eacutetait sans existence ni subsis-tance (ἀνύπαρκτον καὶ ἀνύποστατον) lrsquoEcirctre absolu et lrsquoUnabsolu ne devaient faire qursquoun et ecirctre identifieacutes agrave lrsquointellect commeprincipe supeacuterieur105 ce nrsquoeacutetait donc qursquoavec la seconde hypothegravese

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 135

102 Proclus In Parm I 63531-6364 Theacuteol Plat II 4 311-28103 Nous nrsquoentrons pas ici dans le deacutebat concernant la question de savoir si

Origegravene nommeacute laquo le platonicien raquo est le mecircme qursquoOrigegravene le chreacutetien Nouspostulons qursquoil srsquoagit de deux personnages distincts (en cela nous suivonsnotamment R Goulet laquo Porphyre Ammonius les deux Origegravene et lesautres raquo Revue drsquohistoire et de philosophie religieuse 57 1977 p 471-496repris dans R Goulet Eacutetudes sur les Vies de philosophes de lrsquoAntiquiteacute tar-dive Diogegravene Laeumlrce Porphyre de Tyr Eunape de Sardes Textes et traditionsI Paris Vrin 2001 p 267-290) Sur ce sujet voir le statut de la question dansL Brisson R Goulet laquo Origegravene le platonicien raquo dans R Goulet (eacuted) Dic-tionnaire des philosophes antiques Paris CNRS IV 2005 p 804-807 M Zambon laquo Porfirio e Origene uno status quaestionis raquo dans S Morlet(eacuted) Le Traiteacute de Porphyre contre les chreacutetiens Un siegravecle de recherches nou-velles questions Paris Institut drsquoEacutetudes augustiniennes 2011 p 107-164 etles eacutetudes reacuteunies par B Baumlbler H-G Nesselrath (eacuted) Origenes der Christund Origenes der Platoniker Tuumlbingen Mohr Siebeck 2018 (dont lrsquoarticle deCh Riedweg qui identifie les deux personnages)

104 Drsquoapregraves le titre de son ouvrage transmis par Porphyre (VP 332 cf Pro-clus Theol plat II 4 A) Ὃτι μόνος ποιητὴς ὁ βασιλεύς Origegravene associaitvraisemblablement le laquo roi raquo (premier principe) au deacutemiurge nommeacute ποιητήςcontrairement agrave Numeacutenius qui les distingue au fragment 12 (20 F)

105 Sur ce sujet voir par ex HD Saffrey LG Westerink Proclus Theacuteo-logie platonicienne T II Paris Les Belles Lettres 1974 p X-XX C Steellaquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 32-35 L Bris-son laquo The Reception of Parmenides before Proclus raquo dans JD TurnerK Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage vol II Reception inPatristic Gnostic and Christian Neoplatonic Texts Atlanta Society of Bibli-cal Literature 2011 p 49-64

que commenccedilait selon lui lrsquoonto-theacuteologie platonicienne parce qursquoelleaurait deacutecrit lrsquointellect et les formes Origegravene paraissant plus proche deson maicirctre que Plotin106 son interpreacutetation eacutetait peut-ecirctre celle drsquoAm-monius et comme les argumentations drsquoAmmonius et de Numeacuteniussont parfois rapprocheacutees107 on pourrait penser agrave une parenteacute entre ellessur ce sujet eacutegalement Quoi qursquoil en soit sur ce point on peut retenirdeux choses de la comparaison avec lrsquointerpreacutetation drsquoOrigegravene lerefus de consideacuterer le premier principe comme identique agrave lrsquoUn absolude la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et lrsquoidentification de ce prin-cipe agrave lrsquoEcirctre absolu

Peut-on alors supposer que Numeacutenius agrave lrsquoinstar drsquoOrigegravene conccediloitlui aussi cet Ecirctre comme deacutecrit dans la deuxiegraveme hypothegravese Crsquoest eneffet avions-nous vu drsquoembleacutee la seule maniegravere de lui supposer reacuteelle-ment une utilisation du Parmeacutenide dans sa description du premier prin-cipe

b) Le Bien et lrsquo laquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

On peut en effet rappeler que Plotin a tendance agrave situer le premierde Numeacutenius au rang du second selon sa propre doctrine Toutefois agravela lecture du Parmeacutenide lui-mecircme Numeacutenius aurait assureacutement eacuteteacutegecircneacute degraves la formulation de lrsquohypothegravese consideacuterant Un et ecirctre (οὐσία)comme deux eacuteleacutements seacutepareacutes neacutecessitant la participation de lrsquoUn agravelrsquoecirctre (142 b-c) Pour Numeacutenius le premier principe est lrsquoecirctre il nrsquoapas part agrave lrsquoecirctre Lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacutenide ten-tera certes de reacutesoudre la difficulteacute et si Numeacutenius avait commenteacute letexte il aurait sans doute fait de mecircme Mais est-il bien neacutecessaire delui precircter pareille entreprise Il nrsquoest en effet pas davantage inteacuteresseacute agrave

136 Fabienne JOURDAN

106 Voir HD Saffrey LG Westerink op cit p XIX107 Voir par ex le teacutemoignage de Neacutemeacutesius (fr 4 b = Sur la nature de

lrsquohomme 2 8-14) qui les associe dans la critique de la corporeacuteiteacute de lrsquoacircmecaracteacuteristique de la conception stoiumlcienne

utiliser la seacuterie de preacutedicats contraires cette fois accepteacutes pour lrsquoUn decette deuxiegraveme hypothegravese Si nous nrsquoen retenons seulement quelques-uns parmi ceux pouvant concerner une reacutealiteacute intelligible on noteraque la notion de pluraliteacute ne peut concorder avec la repreacutesentation delrsquouniteacute indivisible que constitue le Bien pas davantage que le coupleantitheacutetique drsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave soi Trois points pourraientecirctre malgreacute tout rapprocheacutes dans la deacutefinition du Bien numeacutenien et delrsquoUn de la seconde hypothegravese lrsquoaffirmation drsquoune preacutesence agrave la fois ensoi et en autre chose (145 b 6-7) ndash mais elle est caracteacuteristique de touteforme intelligible et la contradiction apparente est reacutesolue par le pheacute-nomegravene de la participation bien deacuteveloppeacute par Numeacutenius lrsquoideacutee quece principe est en mouvement et en repos (145 a 3-146 a 7)ndash mais nousavons montreacute son sens particulier lieacute au processus de la penseacutee propreagrave lrsquointellect qui nrsquoest pas deacuteveloppeacute dans le Parmeacutenide et enfin larelation au temps (152 a) mais elle nrsquoest que provisoire concernant ladeuxiegraveme hypothegravese dans la mesure ougrave celle-ci va ensuite associerlrsquoecirctre agrave toutes les dimensions du temps alors que Numeacutenius ne lrsquoasso-cie qursquoau preacutesent comme le fait le Timeacutee (et peut-ecirctre le vrai Parmeacute-nide lui-mecircme au fragment 85)

Il nous semble donc peu probable que Numeacutenius ait envisageacute sonpremier principe en songeant agrave lrsquoUn-qui-est du Parmeacutenide ou aitmecircme tenteacute de le lui faire correspondre dans une eacutetape ulteacuterieure de sareacuteflexion En cela le deacutesaccord qui semble affleurer avec Origegravene surla caracteacuterisation des principes se retrouverait sur ce point eacutegalement

c) Le second dieu (le Bon) et lrsquolaquo Un qui est raquo

Une autre possibiliteacute peut toutefois se preacutesenter agrave lrsquoesprit Numeacute-nius nrsquoaurait-il pas alors associeacute agrave ce second Un son second dieu etprincipe qui lui est effectivement agrave la fois Un et plusieurs (143 a 5)au sens ougrave il connaicirct une laquo division raquo lorsqursquoil rencontre la matiegravere108

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 137

108 Fr 11 (19 F)

Telle est en effet lrsquohypothegravese de JD Turner109 On pourrait lrsquoeacutetayer ennotant que ce dieu est drsquoailleurs lui aussi seacutepareacute pour ainsi dire de saforme le Bien ce qui constitue deux aspects de son ecirctre et mecircme de laforme qursquoil produit comme modegravele du monde lui aussi a en outre partagrave lrsquoοὐσία qursquoil reccediloit du premier En extrapolant on pourrait imaginerque crsquoest agrave lui que reviennent tous les couples de contraires puisqursquoilest agrave la fois dans lrsquointelligible par sa contemplation et preacuteoccupeacute dusensible tendant au contact avec la matiegravere110 Mais nous irions troploin Numeacutenius fait certes de ce second dieu lrsquoecirctre deacuteriveacute mais il estecirctre assureacutement et nrsquoest pas concerneacute par les preacutedicats caracteacuterisant lesensible (comme la grandeur la limite lrsquoacircge) Ce qui peut paraicirctrecontraire en ce dieu ce sont seulement des attitudes lieacutees agrave son orienta-tion dans un processus cosmogonique Numeacutenius ne paraicirct pas avoirainsi deacutefini son essence dont la caracteacuteristique fondamentale est lrsquoimi-tation et la participation au Bien Crsquoest pourquoi mecircme si cela peutparaicirctre tentant nous ne pensons pas qursquoil ait conccedilu ce second dieu ensongeant agrave la deuxiegraveme hypothegravese du Parmeacutenide ni mecircme qursquoil aittenteacute apregraves lrsquoavoir deacutefini de le lui faire correspondre111 Le consideacuterer

138 Fabienne JOURDAN

109 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 137-138 qui ajoute agravecela une reacuteflexion sur ce que certains Anciens consideacuteraient comme la troisiegravemehypothegravese (155 e 4-157 b 4) et fait du second dieu de Numeacutenius dans sa dualiteacutemecircme un repreacutesentant des Un de la deuxiegraveme et troisiegraveme hypothegraveses (Un-plu-sieurs et Un-et-plusieurs) Cette lecture est ingeacutenieuse mais inveacuterifiable

110 Fr 11 (19 F)111 Concernant les autres hypothegraveses nous pourrions faire deux remarques

Dans la troisiegraveme la deacutefinition des laquo autres choses raquo comme eacutetant de natureillimiteacutee mais recevant leur limite par participation agrave lrsquoUn (158 d 7-8) corres-pond agrave la conception de la formation du monde par le deacutemiurge (fr 18 26 F cf fr 52) Mais cette interpreacutetation est la leccedilon mecircme du Timeacutee coupleacute avec lePhilegravebe Dans la derniegravere hypothegravese ensuite en 165 c 2 on trouve lrsquoexpres-sion ὀξὺ νοοῦντι pour deacutesigner celui qui regarde de pregraves et voit que les chosesqui paraissent unes sont en reacutealiteacute plusieurs car priveacutees drsquouniteacute Avec lrsquoexpres-sion ὀξὺ βλέποντι au fr 19 (27 F) Numeacutenius pourrait faire un clin drsquoœilentendu agrave ce passage lorsqursquoil invite agrave comprendre ce qui est selon lui le vraisens du terme un appliqueacute au Bien celui drsquouniciteacute Lrsquoeacutecho lexical pourrait ren-

selon chacun de ses deux laquo aspects raquo comme correspondant agrave lrsquolaquo Un-plusieurs raquo et agrave lrsquolaquo Un-et-plusieurs raquo de la deuxiegraveme et de la troisiegravemehypothegraveses entrevue par certains Anciens comme le fait J Turnerrelegraveve selon nous drsquoune lecture plotinienne qui ne correspond pas agravelrsquoenseignement du Περὶ τἀγαθοῦ112 Cela une fois encore nrsquoem-pecircche pas que Numeacutenius ait pu inspirer Plotin dans sa propre lecturedu Parmeacutenide

3 Le Περὶ τἀγαθοῦ et la premiegravere partie du Parmeacutenide

Dans le Περὶ τἀγαθοῦ Numeacutenius nrsquoa ainsi selon nous pas conccedilusa reacuteflexion sur les principes agrave partir drsquoun commentaire du Parmeacutenideni nrsquoa mecircme tenteacute de la faire correspondre aux hypothegraveses de laseconde partie de ce dialogue apregraves lrsquoavoir eacutelaboreacutee En revanche ilsrsquoest assureacutement inteacuteresseacute agrave la premiegravere partie ou du moins aux diffi-culteacutes dans lesquelles elle place la theacuteorie des formes113 Qursquoil ait ounon en tecircte ce dialogue le sien en tout cas cherche assureacutement agraverendre possible la participation et donc agrave sauver la theacuteorie des formespar-delagrave les objections que lui adresse Parmeacutenide Ce sujet nous inteacute-ressant moins directement ici nous ferons bref

Agrave la question de savoir srsquoil y a des formes de tout (130 b-e) Numeacute-nius reacutepond assureacutement qursquoil y en a de tout ce qui a part au Bien114 agrave

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 139

voyer agrave cette illusion relative agrave la saisie de ce qursquoest laquo ecirctre un raquo Lrsquoexpressionnrsquoeacutetant pas absente par ailleurs chez Platon (voir le commentaire au fragment19 27 F) il nrsquoest cependant pas neacutecessaire de penser que Numeacutenius ait ce pas-sage du Parmeacutenide en tecircte il est simplement tentant drsquoy songer dans uncontexte de reacuteflexion sur lrsquoUn

112 Contra JD Turner laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art citp 138-139

113 On remarquera qursquoAlcinoos (Did IX p 163 H 23-31 L W) fait demecircme en reacutepondant agrave la question de ce dont il y a des formes et en concevantcelles-ci comme des penseacutees du premier dieu

114 Fr 13 et 19 (21 et 27 F)

la question du rapport entre forme et participeacute il envisage positive-ment les deux solutions proposeacutees par Socrate a) les formes sont pourlui des penseacutees (cf Parm 132 b-c) elles sont celles du seconddieu115 et elles pensent (cf Parm 132 c) puisque telle est la maniegraverede participer au Bien116 b) les formes sont par ailleurs des paradigmes(cf Parm 132 d) comme le montre lrsquoexemple embleacutematique du rap-port entre le Bon qursquoest le deacutemiurge et le Bien envisageacute commeforme117 Quant agrave lrsquoargument du troisiegraveme homme en placcedilant le Bienau sommet de lrsquointelligible Numeacutenius estime peut-ecirctre y avoir ultime-ment reacutepondu Lrsquoobjection de la seacuteparation (133 a 8-134 c 7) enfinavec le double risque qursquoelle comporte de lrsquoinconnaissabiliteacute desformes (134 a-b) et du deacutefaut de connaissance de notre monde par ledieu qui ne pourrait alors pas agir agrave notre eacutegard (134 e) aura particu-liegraverement retenu son attention tout le dialogue Sur le Bien tend eneffet agrave montrer la continuiteacute agrave la fois ontologique et eacutepisteacutemique desdiffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute ndash le sensible lui-mecircme en tant que prisen charge par le deacutemiurge qui lrsquoeacutelegraveve agrave son propre caractegravere (autrementdit agrave sa bonteacute et agrave ce qui en deacutecoule)118 relegraveve en effet de la μετ-ουσία autrement dit de ce qui vient certes laquo apregraves lrsquoοὐσία raquo mais y amalgreacute tout essentiellement part119 Le Περὶ τἀγαθοῦ conduit en toutcas drsquoune part agrave la connaissance de la forme premiegravere tandis que celle-ci srsquoavegravere la connaissance ultime qui se transmet ensuite120 il montredrsquoautre part la relation permanente du premier agrave notre monde non seu-lement par lrsquointermeacutediaire du second dieu qui assure directement lrsquoac-tion providentielle mais par le salut ou la conservation (σωτηρία)

140 Fabienne JOURDAN

115 Fr 16 (24 F) Nous reacutesumons voir notre interpreacutetation du fragment116 Fr 19 (27 F) Lagrave aussi nous reacutesumons notre interpreacutetation laquo Pense raquo en

reacutealiteacute tout ce qui a part au Bien En outre lrsquoidentification de lrsquointellect agrave uneforme au fragment 20 (28 F) suggegravere cette interpreacutetation

117 Fr 16 19 et 20 (24 27-28 F)118 Fr 11 (19 F) cf fr 18 (26 F)119 Voir lrsquoutilisation fort suggestive de ce terme pour deacutesigner la participa-

tion agrave la fin du fragment 16 (24 F)120 Fr 13-14 (21-22 F)

qursquoil dispense lui-mecircme reacuteellement121 en tant que Bien et qursquoEcirctre quiassure ultimement la coheacutesion du monde

Nous ne preacutetendons pas que Numeacutenius reprenne point par point lesobjections de Parmeacutenide agrave Socrate contre la theacuteorie des formes Maisqursquoil les ait consideacutereacutees directement dans le dialogue de Platon ou qursquoilles ait connues par la tradition il les a prises au seacuterieux et a senti luiaussi la neacutecessiteacute drsquoy reacutepondre pour sauver Platon agrave la maniegravere dont illrsquoentendait

4 Conclusion sur Numeacutenius et le Parmeacutenide

Rien donc dans lrsquoœuvre parvenue ne permet de conclure agrave uneinterpreacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide par Numeacutenius nonseulement les textes ne contiennent pas de reacuteels parallegraveles avec le dia-logue de Platon mais ils suggegraverent que Numeacutenius ne srsquoest fondeacute suraucune des deux premiegraveres hypothegraveses pour deacuteterminer les traits de sonpremier principe ni mecircme sur la deuxiegraveme (voire la troisiegraveme) pourdeacutefinir le second Il est mecircme peu vraisemblable qursquoil ait tenteacute reacutetros-pectivement de les leur faire correspondre Il srsquoest en revanche assureacute-ment inquieacuteteacute des objections dresseacutees contre la theacuteorie des formes dansla premiegravere partie du dialogue et aura tenteacute drsquoy reacutepondre en assurant lavaliditeacute de la participation selon les diffeacuterentes modaliteacutes envisageacutees lagravepar Socrate ndash en cela il srsquoinscrit vraisemblablement dans la traditionplatonicienne122 dont il heacuterite peut-ecirctre plus de la probleacutematique qursquoilne la cherche directement dans le texte de Platon Concernant laseconde partie du dialogue il a pu percevoir dans lrsquoexposeacute de la pre-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 141

121 Fr 15 (23 F)122 Voir les remarques de la note 100 sur Alcinoos Mecircme si Alcinoos est

peut-ecirctre posteacuterieur agrave Numeacutenius de toute eacutevidence les platoniciens ont tenteacutede montrer la justesse de la theacuteorie des formes et de la participation contre lescritiques drsquoAristote ainsi assureacutement que contre celles deacutejagrave eacuteleveacutees dans leParmeacutenide et vraisemblablement inspireacutees (entre autres) par les discussions ausein de lrsquoAcadeacutemie

miegravere hypothegravese une raison suffisante pour ne pas identifier son premierprincipe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit prenant ainsi Platon agrave la lettre agrave propos ducaractegravere aporeacutetique de lrsquoUn tel qursquoil eacutetait lagrave envisageacute

Si elle eacutetait aveacutereacutee cette attitude aurait une double conseacutequencepour la compreacutehension de lrsquohistoire du platonisme

Elle pourrait drsquoabord reacuteveacuteler une intention poleacutemique agrave plusieursniveaux Elle est en effet concevable comme une reacuteaction agrave lrsquoeacuteven-tuelle association neacuteo-pythagoricienne du premier principe associeacute agravelrsquoUn ou agrave la monade avec lrsquoUn absolu de la premiegravere hypothegravese duParmeacutenide Mecircme si selon nous lrsquoidentification du premier principe agravelrsquoUn chez Speusippe et les neacuteo-pythagoriciens123 relegraveve avant tout dela tradition acadeacutemicienne pythagorisante relative agrave lrsquoUn et agrave la Dyadeainsi que du compte-rendu aristoteacutelicien de lrsquoenseignement oral de Pla-ton sur les principes124 il nrsquoy a pas en soi de raison drsquoexclure une pos-sible invocation pour confirmation de lrsquoUn du Parmeacutenide (agrave condi-tion de ne pas leur precircter une interpreacutetation neacuteoplatonicienne) Parsuite une poleacutemique avec lrsquoAncienne Acadeacutemie est eacutegalement envisa-geable Non seulement dans sa deacutefense de la theacuteorie des formes125Numeacutenius pourrait tenter de reacutepliquer agrave la suppression de celles-ciopeacutereacutee par Speusippe mais aussi srsquoopposer agrave la conception du premierprincipe precircteacutee agrave lrsquoAncien Acadeacutemicien Que lrsquoon croie Aristote selonlequel lrsquoUn de Speusippe ne serait laquo pas mecircme un ecirctre raquo126 ou plutocirct

142 Fabienne JOURDAN

123 Voir la note 75124 Voir aussi Meacutet N 4 1091 b 13-15 EE A 8 1218 a 15-32 ougrave le Bien est

associeacute agrave lrsquoUn125 Selon lui la connaissance drsquoun objet quelconque consistait dans celle

de ses relations agrave tous les autres (fr 73 Taraacuten = 2 I P2 = Proclus In Euclp 179 12-22 Friedlein) et crsquoest aux nombres qursquoil aurait alors accordeacute le statutde principe (voir le reacutesumeacute de A Meacutetry Speusippos Zahl Erkenntnis SeinBernStuttgartWien Paul Haupt 2002 p 11-13 et celui de HD Kraumlmerlaquo Die Aumlltere Akademie raquo dans H Flashar (eacuted) Grundriss der Geschichte derPhilosophie Band 3 Aumlltere Akademie Aristoteles Peripatos Basel SchwabeVerlag 20042 [1983] p 16-17)

126 μηδὲ ὄν τι εἶναι τὸ ἕν αὐτό Meacutet N 5 1092 a 16 (fr 43 Taraacuten = 25 IP2 = Aristote Meacutet N 5 1092 a 11-17)

Jamblique selon qui il ne serait laquo pas encore ecirctre raquo127 une distinctionentre lrsquoUn conccedilu comme premier principe et lrsquoecirctre semble agrave lrsquoœuvrechez lui128 si bien que certains ont mecircme penseacute que Platon lui reacutepon-dait dans le Parmeacutenide129 Il nrsquoest pas utile drsquoentrer dans ce deacutebat laposition de Speusippe peut relever drsquoune reacuteflexion sur le Bien deReacutepublique VI et drsquoune appropriation de lrsquoenseignement oral de Platonagrave nous transmis par le compte-rendu aristoteacutelicien qui laisse Platonassocier eacutetroitement le Bien et lrsquoUn Disons simplement que srsquoil a euconnaissance de la position de Speusippe Numeacutenius peut avoir voulului reacutepondre Nrsquooublions pas qursquoagrave lui comme agrave ses pairs dans lrsquoAn-cienne Acadeacutemie il reproche de ne pas avoir pas laquo tout souffert raquo pour

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 143

127 ὅπερ δὴ ουδὲ ὄν πω δεῖ καλεῖν DCMS IV p 157-8 FestaKlein128 La reconstruction de lrsquoenseignement exact de Speusippe sur le premier

principe est neacutecessairement fragile drsquoune part elle est fondeacutee sur lrsquointerpreacuteta-tion du texte drsquoAristote qui est empreint de critique drsquoautre part elle esteacutetayeacutee par deux autres textes dont le lien agrave Speusippe est controverseacute et dontles auteurs agrave la fois sont familiers du neacuteo-pythagorisme et ont lu Plotin chezqui lrsquoUn est effectivement au-dessus de lrsquoecirctre (il srsquoagit de Jamblique et de Pro-clus dans la traduction de Guillaume de Moerbeke In Parm VII 401-9 Kli-bansky-Labowsky = 50162-71 Steel = fr 48 Taraacuten = 30 IP2) Nous ne propo-sons ici qursquoune hypothegravese de reacuteflexion Pour un exposeacute plus deacutetailleacute sur la rela-tion eacuteventuelle de Numeacutenius agrave Speusippe dans lrsquoeacutelaboration drsquoune leacutegitimiteacuteplatonicienne voir la premiegravere annexe de notre eacutedition commenteacutee des frag-ments de Numeacutenius en preacuteparation

129 Crsquoest la lecture de A Graeser (laquo Platon gegen Speusipp Bemerkun-gen zur ersten Hypothese des Platonischen Parmenides raquo Museum Helveti-cum 54 1997 p 45-47 et laquo Anhang Probleme der Speusipp-Interpreta-tion raquo dans Prolegomena zu einer Interpretation des zweiten Teils des Plato-nischen Parmenides Bern Paul Haupt 1999 p 41-53) et J Halfwassen(Der Aufstieg zum Einen op cit et laquo Speusipp und die metaphysische Deu-tung von Platons Parmenides raquo art cit) adopteacutee par ex par R Dancy(laquo Speusippus raquo dans EN Zalta (eacuted) The Stanford Encyclopedia of Philo-sophy Winter 2012 Edition 20112 [2003] en ligne) et rejeteacutee par C Steel(laquo A Neoplatonic Speusippus raquo art cit p 470 473-475) et LP Gerson(laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit p 2-11de la version eacutelectronique)

rester dans une communauteacute de penseacutee avec leur maicirctre130 Commenous lrsquoavons suggeacutereacute dans les preacuteliminaires il ne serait alors pasimpossible qursquoavec cette eacuteventuelle lecture du Parmeacutenide Numeacuteniuseucirct souhaiteacute reacutepliquer agrave lrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne signaleacutee delrsquoenseignement oral de Platon trouvant quant agrave lui dans le Platon eacutecritla juste interpreacutetation du Platon oral mal laquo entendu raquo Pareille supposi-tion doit toutefois ecirctre prise avec prudence

Par-delagrave la mise en eacutevidence drsquoune poleacutemique agrave plusieurs niveauxlrsquohypothegravese proposeacutee sur lrsquoattitude de Numeacutenius concernant ladeuxiegraveme partie du Parmeacutenide permet de mieux deacuteterminer a contra-rio ce qui caracteacuterise une interpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo 131 du dia-logue De maniegravere geacuteneacuterale drsquoabord la position de Numeacutenius montrepar contraste que lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne trouve son originedans une vue contraire agrave la sienne sur le statut de la forme du Bien et sasituation agrave lrsquoeacutegard de lrsquoοὐσία en Reacutepublique VI ainsi peut-ecirctre que

144 Fabienne JOURDAN

130 Fr 2416-18 1 F = Eusegravebe PE XIV 5 2131 Nous en restons aux caractegraveres geacuteneacuteraux il nrsquoy a en effet pas une seule

et unique interpreacutetation post-plotinienne du Parmeacutenide On remarquera enoutre que Jamblique (drsquoapregraves Proclus In Tim III 1049-16 Diehl) semble eacutevo-quer chez Ameacutelius et Numeacutenius (si lrsquoon suit le raisonnement de Proclus) desdistinctions relatives aux diviniteacutes dans le Sophiste le Philegravebe et le Parmeacutenidequi ne correspondent pas agrave celles retenues dans le neacuteoplatonisme Si ce proposne se rapporte pas seulement agrave Ameacutelius mais vraiment aussi agrave Numeacutenius ilfaudrait en tirer lagrave encore la conclusion que son interpreacutetation ne correspondpas agrave celle du neacuteoplatonisme qui identifie son premier principe agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et donc pas non plus agrave celle des neacuteopytha-goriciens que lrsquoon reconstruit agrave partir des teacutemoignages neacuteoplatoniciens Celadit mecircme srsquoil est tentant de penser que le οὗτοι (10411) de Proclus renvoieaux deux exeacutegegravetes qursquoil vient de citer il se peut malgreacute tout que ne soit deacutesigneacutelagrave que le seul Ameacutelius disciple de Plotin et donc assureacutement familier de lrsquoexeacute-gegravese du Parmeacutenide Il nrsquoy a en revanche aucune difficulteacute agrave precircter agrave Numeacuteniusdes exeacutegegraveses partielles du Sophiste et du Philegravebe (voir nos interpreacutetations desfragments 15 23 F) et 19 27 F) Il nrsquoy en a drsquoailleurs pas davantage agrave imagi-ner chez lui une utilisation partielle du Parmeacutenide ou des allusions agrave ce dia-logue voire une prise agrave la lettre du propos de Parmeacutenide sur lrsquoUn de la pre-miegravere hypothegravese conduisant agrave renoncer agrave celui-ci comme premier principe

dans une appropriation du compte-rendu de lrsquoenseignement oral dePlaton par Aristote En affirmant lrsquoidentiteacute ontologique du Bien et delrsquoEcirctre Numeacutenius srsquointerdit lrsquoidentification de son premier principe agravelrsquoUn distinct de lrsquoecirctre de la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide En refu-sant au contraire pareille identiteacute en srsquoappuyant peut-ecirctre sur lrsquoidenti-fication du Bien et de lrsquoUn precircteacutee agrave Platon et aux platoniciens par Aris-tote et en appliquant ces deux eacuteleacutements agrave une lecture du Parmeacutenide132Plotin ouvre la voie de lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologiqueulteacuterieure du dialogue Malgreacute son caractegravere hypotheacutetique la supposi-tion selon laquelle Numeacutenius prendrait effectivement acte des conseacute-quences aporeacutetiques de la premiegravere hypothegravese en nrsquoidentifiant pas sonpremier principe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit permet ici encore a contrariode deacuteterminer deux autres eacuteleacutements indissociables caracteacuteristiques delrsquointerpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo du Parmeacutenide lrsquoidentification dupremier principe agrave lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese et par suite une lec-ture laquo positive raquo de celle-ci qui en reacutealiteacute contredit les conclusionsneacutegatives de Platon agrave son sujet Une theacuteologie neacutegative en est alorscertes tireacutee (que lrsquoon songe au Commentaire anonyme au Parmeacutenideou agrave celui de Proclus133) Mais cette neacutegativiteacute est conccedilue commereacutesultant de lrsquoincapaciteacute fondamentale de lrsquohomme agrave concevoir le pre-mier principe autrement que par analogies et approximations neacutecessai-rement erroneacutees Elle ne concerne pas le principe en lui-mecircme ni laconviction qursquoil constitue le fondement ultime assurant la coheacutesion dela reacutealiteacute Numeacutenius aura quant agrave lui preacutefeacutereacute rester fidegravele agrave la lettre dutexte et donc aux doutes du maicirctre qui laisse parler Parmeacutenide Agrave ce

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 145

132 Les deux premiers eacuteleacutements agrave eux seuls conduisent seulement agrave laposition de Speusippe dont rien ne permet drsquoaffirmer le rattachement au Par-meacutenide Nous compleacutetons en cela les hypothegraveses de J Whittaker laquo ΕΠΕ-ΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit Voir aussi LP Gerson laquo The lsquoNeo-platonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit

133 In Parm VII 51872-84 Plutocirct que de radicaliser la neacutegation pour par-ler de lrsquoUn Proclus indique que la neacutegation porte en reacutealiteacute sur la conceptionde lrsquoUn et pas sur lrsquoUn lui-mecircme qui garde la fonction laquo positive raquo drsquoassurer lacoheacutesion du reacuteel

stade de nos connaissances et drsquoapregraves lrsquoœuvre parvenue precircter agraveNumeacutenius cette reacuteaction aux conclusions de la premiegravere hypothegravesenous paraicirct la seule maniegravere prudente drsquoenvisager de sa part une inter-preacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide Renoncer agrave lui en precircterune ne poserait toutefois aucune difficulteacute

5 Appendice Numeacutenius et Parmeacutenide134

Cette conclusion sobre sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenidesuggegravere drsquointerroger pour finir son attitude agrave lrsquoeacutegard du Parmeacutenide his-torique lui-mecircme auquel Plotin fait parfois appel Que Numeacutenius aitconnu et utiliseacute (directement ou non) le poegraveme Sur la nature est aveacutereacutepar le teacutemoignage de Porphyre selon lequel il aurait associeacute les porteseacutevoqueacutees lagrave135 agrave celles du Cancer et du Capricorne repreacutesentant selonlui les voies respectivement descendante et ascendante des acircmes136Or dans le Περὶ τἀγαθοῦ qui seul nous inteacuteresse ici deux eacuteleacutementsdoctrinaux pourraient relever drsquoune appropriation personnelle de Par-meacutenide ou plutocirct de la tradition agrave son sujet telle qursquoelle serait parvenueagrave Numeacutenius ndash Platon ayant assureacutement aiguiseacute chez ses successeurslrsquointeacuterecirct pour la penseacutee du personnage eacuteponyme de son dialogue Sansentrer dans une recherche des sources ni dans un exposeacute deacutetailleacute de lapenseacutee de Parmeacutenide et des interpreacutetations de son poegraveme nous nouscontenterons ici drsquoeacutevoquer ces deux points dans le simple but drsquoouvrirla recherche

Le premier concerne la relation de lrsquoecirctre au temps et au change-ment telle qursquoelle est deacutecrite dans le fragment 5 (14 F) deacutejagrave citeacute en par-tie Lrsquoaffirmation que lrsquoecirctre ne saurait ecirctre dans le passeacute ou lrsquoavenir

146 Fabienne JOURDAN

134 Je remercie Francesco Fronterotta drsquoavoir relu cette derniegravere section135 Parmeacutenide fr 1 11 D-K ougrave sont deacutecrites les laquo portes ouvrant sur les

chemins de la nuit et du jour raquo136 Voir Porphyre De antro 21-24 ici surtout 24 Numeacutenius fr 31 27-28

Sur ce texte voir le commentaire de W Huumlbner dans lrsquointroduction de lrsquoeacuteditioncommenteacutee du De Antro parue sous la direction de T Dorandi Paris Vrin2019

mais que seul le preacutesent lui convient et qursquoil ne pourrait pas davantagechanger renvoie assureacutement au propos du Timeacutee (37 d 2-38 b 2)137Que Platon deacuteveloppe ici une reacuteflexion originellement preacutesente chezParmeacutenide et plus preacuteciseacutement pour nous dans le fragment 8 de sonpoegraveme138 pourrait suffire agrave expliquer cet eacutecho parmeacutenidien chezNumeacutenius Mais il est frappant que dans ce fragment 5 (14 F) duΠερὶ τἀγαθοῦ relayeacute par les suivants Numeacutenius reprenne une seacuteriedrsquoeacuteleacutements qui deacutecrivent lrsquoecirctre dans le passage concerneacute du poegraveme outre ceux deacutejagrave nommeacutes on retrouve chez lui lrsquoimpossibiliteacute qursquoalrsquoecirctre de devenir plus grand ou plus petit139 et la neacutecessiteacute qui estsienne de demeurer en lui-mecircme au mecircme endroit140 Ainsi lorsqueNumeacutenius estime que si ces laquo prescriptions raquo indispensables agrave ladeacutetermination de lrsquoecirctre veacuteritable nrsquoeacutetaient pas respecteacutees il se produi-rait une laquo impossibiliteacute majeure dans son discours unique en songenre agrave savoir que lrsquoecirctre agrave la fois serait et ne serait pas raquo141 et faitensuite paraphraser lrsquoideacutee par le disciple du dialogue avec la formule

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 147

137 Voir aussi Plutarque De E 20 393 a-c dont la position est compareacuteeavec celle de Numeacutenius dans notre analyse du fragment

138 Voir les vers suivants du fragment 8 D-K agrave lrsquoorigine de toute lareacuteflexion sur lrsquoeacuteterniteacute (cf M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art citp 157) οὐδέ ποτ᾽ ἦν ἔσται ἐπεὶ νῦν ἐστιν ὁμοῦ πᾶν ἕν συνεχές τίναγὰρ γένναν διζήσεαι αὐτοῦ laquo Il nrsquoa jamais eacuteteacute et ne sera jamais puisqursquoilest maintenant tout ensemble un continu Car quelle naissance pourrais-tului chercher raquo v 5-7 (trad Kirk Raven Schofield en fr par H-A de Weck)et πῶς δ᾽ἄν ἔπειτα πέλοι τὸ ἐόν πῶς δ᾽ἄν κε γένοιτο εἰ γὰρ ἔγεντ᾽ οὐκἔστ᾽ οὐδ᾽ εἴ ποτε μέλλει ἔσεσθαι τῶς γένεσις μὲν ἀπέσβεσται καὶἄπυστος ὄλεθρος laquo Comment pourrait-il ecirctre par la suite Celui qui est Comment pourrait-il naicirctre Car srsquoil est neacute il nrsquoest pas de mecircme lt il nrsquoest pasnon plus gt srsquoil doit ecirctre un jour Ainsi est eacuteteinte la naissance eacuteteinte aussi ladestruction disparue sans qursquoon en parle raquo v 19-21 (trad D OrsquoBrien leacutegegravere-ment modifieacutee) Voir aussi les vers 26-28 du mecircme fragment 8 D-K sur lrsquoab-sence de mouvement ainsi que de deacutebut et de fin

139 Parmeacutenide fr 844-45 D-K140 Parmeacutenide fr 829-30 D-K cf Numeacutenius fr 11 (19 F)141 ὡς τούτου γε οὕτως λεγομένου ἓν γίνεταί τι ἐν τῷ λόγῳ μέγα

ἀδύνατον εἶναί τε ὁμοῦ ταὐτὸν καὶ μὴ εἶναι

relativement complexe εἰ δὲ οὕτως ἔχει σχολῇ γrsquo ἂν ἄλλο τι εἶναιδύναιτο τοῦ ὄντος αὐτοῦ μὴ ὄντος κατὰ αὐτὸ τὸ ὄν il nrsquoest pasexclu qursquoil ait ici le poegraveme parmeacutenidien agrave lrsquoesprit auquel il seraitrevenu directement ou non sous lrsquoimpulsion de Platon La phraseindique en effet (nous paraphrasons) que si pareille impossibiliteacute seproduisait il serait mecircme impossible agrave autre chose (que lrsquoecirctre) drsquoecirctrepuisque lrsquoecirctre lui-mecircme ne serait pas selon ce qursquoil devrait ecirctre (κατὰαὐτὸ τὸ ὄν) autrement dit selon sa propre essence et deacutefinitionNumeacutenius suggegravere sans doute par lagrave que si lrsquoecirctre eacutetait soumis au pas-sage du temps et au changement il serait tout simplement non-ecirctrepuisqursquoil ne correspondrait pas agrave sa propre deacutefinition ce qui explique-rait son impossibiliteacute de constituer le fondement de la reacutealiteacute Une foisreplaceacute dans le contexte de penseacutee de Numeacutenius ougrave ce qui est non-ecirctreest la matiegravere et la partie du sensible qui relegraveve drsquoelle lrsquoideacutee semblefort proche de la maniegravere dont Parmeacutenide dresse lrsquoantithegravese entre ecirctreet non-ecirctre dans ce mecircme fragment 8 de son poegraveme142 Cette impres-sion peut ecirctre eacutetayeacutee par celle drsquoune prise de distance agrave lrsquoeacutegard de cepassage du poegraveme lorsque Numeacutenius affirme que lrsquoecirctre nrsquoest pasmecircme mucirc autour de son centre143 si cette preacutecision fait sans doutedrsquoabord allusion agrave lrsquoacircme du monde qui se meut autour de celui-ci dansle Timeacutee et par suite au refus drsquoidentifier lrsquoecirctre veacuteritable agrave une acircme144elle porte peut-ecirctre eacutegalement la trace drsquoune reacuteaction agrave lrsquoidentificationparmeacutenidienne de lrsquoecirctre agrave une sphegravere145 Lrsquohypothegravese est cependantplus fragile et Numeacutenius heacuterite sans doute avant tout de Platon enverslequel il se situe Crsquoest agrave partir du Timeacutee qursquoil eacutelabore sa penseacutee Maisil ne semble pas exclu qursquoil soit parfois retourneacute (directement ou non)agrave lrsquooriginal auquel reacutefegravere implicitement Platon ce qui est drsquoautant plus

148 Fabienne JOURDAN

142 Sur le non-ecirctre chez Parmeacutenide voir par ex D OrsquoBrien Le Non-Ecirctredans la philosophie grecque Parmeacutenide Platon Plotin raquo dans P Aubenque(eacuted) Eacutetudes sur le Sophiste de Platon Napoli Bibliopolis 1991 p 4-9

143 οὔτε περὶ τὸ μέσον ποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται144 Il srsquoagit lagrave selon nous drsquoun argument essentiel agrave la non-identification

numeacutenienne du deacutemiurge agrave lrsquoacircme du monde145 Fr 8 42-44 D-K

vraisemblable que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacute comme un pythago-ricien146

Le second eacuteleacutement du Περὶ τἀγαθοῦ qui pourrait suggeacuterer lrsquoap-propriation drsquoun passage de Parmeacutenide147 est lrsquoidentification de lrsquoecirctreet de lrsquointellect agrave chacun des deux niveaux ougrave Numeacutenius les situe Ecirctre lui-mecircme (αὐτοόν) et ecirctre deacuteriveacute (ὄν) premier et second intel-lects correspondant au premier et au deuxiegraveme dieu Sans entrer dansle deacutetail de lrsquointerpreacutetation disons simplement que selon nous en fai-sant de lrsquolaquo acte raquo de penser148 lrsquoapanage du premier dieu et en identi-fiant ce mecircme dieu agrave lrsquoEcirctre149 Numeacutenius suggegravere une union intime etprofonde entre ecirctre et penser qursquoil aurait pu consideacuterer comme remon-tant agrave Parmeacutenide lui-mecircme ou qursquoil aurait pu eacutetayer par une appropria-tion du fragment 3 de son poegraveme tel qursquoil est transmis par CleacutementdrsquoAlexandrie et Plotin150 [] τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶεἶναι [] Certes dans ce fragment de vers lrsquoidentification entre ecirctreet penser est suggeacutereacutee par lrsquoextraction du texte hors de son contexte envue justement drsquoy trouver pareille identification Elle ne correspond

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 149

146 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres IX 21(A 1 D-K) Proclus In Parm I 6194 Cousin cf Jamblique VP 166 (A 4D-K)

147 Pour reprendre les termes du fragment 1 (10 F) on pourrait aussi parlerde lrsquolaquo invocation raquo de Parmeacutenide comme source pythagorisante en accord avecPlaton et confirmant la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ elle-mecircme eacutetayeacutee par leslaquo teacutemoignages raquo de celui-ci Numeacutenius semble en effet pouvoir citer Parmeacute-nide pour confirmer son propos agrave la fois parce qursquoil ne pouvait que paraicirctre enaccord avec Platon (cf fr 1 10 F) et parce que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacutecomme pythagoricien

148 Degraves le fragment 15 (23 F) de maniegravere implicite dans le fragment 16 (24F) et explicite au fragment 19 (27 F)

149 Fr 17 (25 F)150 Cleacutement Strom VI 2 233 Plotin Enn VI 1 [10] 817 V 9 [5] 29-

30 cf I 4 [46] 106 III 8 [30] 88 VI 7 [38] 4118 (voir D OrsquoBrien Eacutetudessur Parmeacutenide T I Le Poegraveme de Parmeacutenide Paris Vrin 1987 p 19) ndash Onpourrait drsquoailleurs aussi penser aux vers 34-36 du fragment 8 eacutevoqueacute dans leparagraphe preacuteceacutedent

sans doute pas au sens originel du passage151 De plus chez Numeacuteniusle type de penseacutee speacutecifique agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme nrsquoest pas le νοεῖν maisle φρονεῖν Mais drsquoune part νοεῖν nrsquoayant pas chez Parmeacutenide lesens preacutecis que lui donne ensuite la tradition platonicienne une margerelative drsquointerpreacutetation et de preacutecision eacutetait laisseacutee agrave lrsquointerpregraveteappartenant agrave cette tradition152 drsquoautre part on peut tregraves bien imaginerNumeacutenius extraire ce passage dont la juxtaposition des termes luiaurait paru opportune pour eacutetayer son propos et preacuteciser le sens de laformule ainsi obtenue en distinguant deux niveaux de lrsquoecirctre auxquelscorrespondent deux types distincts de penseacutee (le νοεῖν entendu ausens platonicien drsquointellection revenant au seul second dieu)153Lorsque Cleacutement et apregraves lui Plotin reprennent cette formule il neserait pas impossible qursquoils lrsquoempruntent ainsi extraite agrave Numeacutenius

150 Fabienne JOURDAN

151 Denis OrsquoBrien (ibid p 19 209-212) a montreacute qursquoen reacutealiteacute dans lepoegraveme les deux infinitifs ne doivent vraisemblablement pas ecirctre pris commesujet drsquoun ἐστίν agrave valeur copulative mais peut-ecirctre comme compleacutement dupronom (τὸ αὐτό) ou de lrsquouniteacute syntaxique constitueacutee par le pronom et leverbe (au sens de laquo crsquoest une seule et mecircme chose pour penser et pour ecirctre raquodrsquoougrave la traduction par laquo crsquoest une seule et mecircme chose que lrsquoon pense et quiest raquo) F Fronterotta reprend son analyse et conclut que pour Parmeacutenideνοεῖν deacutesigne une forme de perception immeacutediate non sans lien avec lrsquoactiviteacutesensorielle mais allant au-delagrave des sens et de leur uniteacute creacuteative (laquo Someremarks on noein in Parmenides raquo dans S Stern-Gillet K Korrigan (eacuted)Reading ancient texts Vol I Presocratics and Plato Leiden Brill 2007p 3-19) Il ne srsquoagit donc pas (encore) de la perception intuitive que deacutesignerace verbe ulteacuterieurement

152 Voir la note preacuteceacutedente153 Nous pourrions preacuteciser ainsi lrsquointention de Numeacutenius srsquoil songe effec-

tivement agrave cette formule Selon nous il partage la conviction platonicienne quiveut que pour ecirctre pensable il faut ecirctre reacuteellement (et donc ecirctre intelligible crsquoest la leccedilon du Timeacutee) Srsquoil confrontait cette conviction au vers de Parmeacute-nide il lui donnerait donc drsquoabord lrsquointerpreacutetation laquo objective raquo deacuteceleacutee parFr Fronterotta (laquo Some remarks on noein in Parmenides raquo art cit) Toutefoisdans sa deacutefinition de lrsquoecirctre bientocirct identifieacute au Bien il retourne de toute eacutevi-dence cette conception et considegravere que nrsquoest veacuteritablement que ce qui est pen-sable (et donc lagrave encore intelligible par ex fr 4 a 13 F sur la matiegravere qui

Plotin lrsquoutilise certes pour caracteacuteriser le seul et unique Intellect chezlui situeacute au seul second niveau de la reacutealiteacute Mais cela correspondrait agravesa tendance geacuteneacuterale agrave faire passer au second niveau ce qui correspondau premier chez Numeacutenius154

De Numeacutenius il heacuterite donc peut ecirctre drsquoune lecture de Parmeacutenideplutocirct que du Parmeacutenide

Fabienne JOURDANCNRS UMR 8167 laquo Orient et Meacutediterraneacutee raquo Paris-Sorbonne

jourdanfabiennewanadoofr

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 151

nrsquoest pas ecirctre et ougrave une preuve de cet eacutetat est son caractegravere inconnaissable)Appliqueacutee agrave la formule de Parmeacutenide cette conviction en produirait ce queFr Fronterotta appelle une lecture laquo subjective raquo En outre dans le deacutesir sansdoute drsquoexpliquer la participation de maniegravere concregravete il ne donne pas seule-ment lrsquointelligibiliteacute comme condition de lrsquoecirctre (au sens passif du terme) maisil considegravere le fait de penser comme condition du fait drsquoecirctre reacuteellement (ausens laquo actif raquo du terme) Crsquoest pourquoi srsquoil avait connu et utiliseacute la formule deParmeacutenide ne serait-ce que pour eacutetayer son propos il y aurait sans douteentendu lrsquoaffirmation de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre et de la penseacutee mieux du penserCela pourrait certes paraicirctre lui attribuer une forme drsquoideacutealisme heacutegeacutelien(selon les termes de Fr Fronterrota laquo Some remarks on noein in Parmenides raquoart cit p 6) Mais telle est aussi la lecture de Cleacutement drsquoAlexandrie (StromVI 2 233) Or mecircme srsquoil ne le cite explicitement qursquoune fois (Strom I 22150 1-4 = 29 Fd) Cleacutement connaicirct Numeacutenius et se sert parfois de ses eacutecritssans le nommer (voir par ex Strom I 8 405 Strom I 13 571) Il nrsquoest doncpas impossible que pareille interpreacutetation circulacirct deacutejagrave au temps de Numeacuteniusvoire chez lui et mecircme gracircce agrave lui Le raisonnement du Περὶ τἀγαθοῦ dumoins passe par lrsquoidentification de lrsquoecirctre agrave lrsquo laquo activiteacute raquo de penser ensuiteconccedilue aux niveaux infeacuterieurs comme condition mecircme de leur participation agravelrsquoecirctre (voir le fr 19 27 F)

154 Nous simplifions et deacutecrivons simplement une tendance le processuspreacutecis requerrait une explication deacutetailleacutee qui nrsquoa pas sa place ici

152 Fabienne JOURDAN

Page 4: NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE · 2020. 4. 16. · NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE?* PREMIÈREPARTIE: L’ŒUVREPARVENUEDENUMÉNIUSETLEPARMÉNIDE DEPLATON RÉSUMÉ Si

Trouillard la formule trancheacutee qui marque en ce sens lrsquohistoire de larecherche laquo Le neacuteoplatonisme succegravede au moyen Platonisme le jourougrave les platoniciens se mettent agrave chercher dans le Parmeacutenide le secretde la philosophie de Platon raquo2 Carlos Steel preacutecise lrsquoideacutee qursquoil precirctequant agrave lui agrave Proclus ce passage du moyen- au neacuteoplatonisme auraiteu lieu laquo le jour ougrave [les platoniciens] ont compris que la dialectique duParmeacutenide a une signification reacuteelle [crsquoest-agrave-dire] que les diffeacuterenteshypothegraveses reacutevegravelent les diffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute agrave partir de lrsquoUnau-delagrave de lrsquoecirctre jusqursquoagrave la matiegravere informe raquo3

Pourquoi alors chercher une anticipation de cet usage meacutetaphy-sique et theacuteologique du Parmeacutenide dans lrsquoœuvre parvenue de Numeacute-nius alors qursquoelle ne fournit que peu drsquoindices en ce sens Trois rai-sons agrave cette enquecircte souvent preacutesenteacutees comme corollaires le statutpropre agrave Numeacutenius platonicien pythagorisant du IIe siegravecle dont la pen-seacutee a marqueacute lrsquoenseignement de Plotin les affiniteacutes reacuteelles entre sapenseacutee et celle du Commentaire anonyme au Parmeacutenide les parallegravelesentrevus entre ses formules et celles de la source supposeacutee communeau Zostrien et au Contre Arius de Marius Victorinus quant agrave elle per-ccedilue comme fort proche du mecircme Commentaire anonyme Sont doncinvoqueacutees trois raisons neacutees moins de lrsquoeacutetude de lrsquoœuvre de Numeacuteniuselle-mecircme que de la recherche des sources drsquoautres textes en mal drsquoau-teur et drsquoorigines bien deacutefinies recherche se fondant en partie sur lespreacutetendus liens entre Numeacuterius et ses laquo pairs raquo en pythagorisme

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2 laquo Le Parmeacutenide de Platon et son interpreacutetation neacuteoplatonicienne raquo Revuede theacuteologie et de philosophie 23 1973 p 83-100 ici p 83 phrase liminaire

3 laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide dans lrsquoantiquiteacute raquo dansM Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et la sua tradizioneCatania CUECM 2002 p 11-40 ici p 15 Voir aussi les objections deLP Gerson (laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides ndashA draft raquo 2016 p 1-2 de la version eacutelectronique) qui permettent de nuancerlrsquoaffirmation de J Trouillard et surtout drsquoeacuteviter de penser qursquoil nrsquoy a qursquouneseule interpreacutetation neacuteoplatonicienne du Parmeacutenide dont Plotin serait lrsquoorigineet le repreacutesentant parfait Le Parmeacutenide nrsquoacquerrait drsquoailleurs selon lui un sta-tut reacuteellement privileacutegieacute qursquoagrave partir de Jamblique

Explicitons les trois moments de ce cheminement hermeacuteneutique il deacuteterminera notre propre deacutemarche heuristique

1) Bien qursquoagrave lrsquoorigine de lrsquoaffirmation relative au rocircle de Plotin etde son interpreacutetation du Parmeacutenide dans la fondation du neacuteoplato-nisme dans lrsquoarticle signaleacute ER Dodds invite agrave voir chez Modeacuteratus(Ier siegravecle ap J-C) et les pythagoriciens anteacuterieurs agrave lui (dont Eudorevers 25 ap J-C) les preacutemisses de lrsquointerpreacutetation plotinienne ou dumoins drsquoune interpreacutetation meacutetaphysico-theacuteologique du Parmeacutenidequi aurait eu son origine ultime dans lrsquoAncienne Acadeacutemie de Speu-sippe4 Son intuition a eacuteteacute suivie notamment par Philipp Merlan5 et

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4 Concernant Speusippe les intuitions de ER Dodds ont eacuteteacute suiviesentre autres par Ph Merlan laquo Part I Greek Philosophy from Plato to Ploti-nus raquo dans AH Armstrong (eacuted) The Cambridge History of Later Greekand Early Medieval Philosophy Cambridge Cambridge University Press1967 p 30-31 (voir aussi son chapitre sur Speusippe dans From Platonismto Neoplatonism Dordrecht Springer-Science+Business Media 1975[1953-19683] p 96-140) HJ Kraumlmer Der Ursprung der GeistmetaphysikUntersuchung zur Geschichte des Platonismus zwischen Platon undPlotin Amsterdam Gruumlner 19672 [1964] p 351-355 J Whittakerlaquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo Vigiliae Christianae 23 1969p 101 J Dillon laquo Speusippus and the Ontological Interpretation of the Par-menides raquo dans JD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and itsHeritage vol I History and Interpretation from Old Academy to later Pla-tonism and Gnosticism Atlanta Society of Biblical Literature 2010 p 67-78 voir aussi G Bechtle laquo Speusippus and the Anonymous Commentary onPlatorsquos Parmenides how can the One be a Minimum raquo dans M BarbantiF Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et la sua tradizione op citp 249-280 Nous serions quant agrave nous plus reacuteserveacutee et suivrions sur ce pointnotamment C Steel laquo A Neoplatonic Speusippus raquo dans M BarbantiG R Giardina P Manganaro (eacuted) ΕΝΩΣΙΣ ΚΑΙ ΦΙΛΙΑ CataniaCUECM 2002 p 469-476 et laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacute-nide raquo art cit p 17-18 ainsi que L Brisson laquo The Fragment of Speusippusin Column I of the Anonymous Commentary on the Parmenides raquo dansJD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage op citvol I p 59-66

5 laquo Part I Greek Philosophy from Plato to Plotinus raquo art cit p 94

John Whittaker6 plus reacutecemment encore par Jens Halfwassen7 JohnDillon8 Francesco Romano9 et John D Turner10 ndash Harold Tarrant ayantquant agrave lui tenteacute de rassembler tous les eacuteleacutements permettant drsquoentrevoirlrsquoexistence drsquoune telle interpreacutetation dans le neacuteo-pythagorisme11

Or Numeacutenius nrsquoest pas sans trouver place dans cette saga Commecertains platoniciens de son temps cherchant agrave se distinguer des ten-dances laquo sceptiques raquo de la Nouvelle Acadeacutemie et agrave promouvoir unelecture plus laquo dogmatique raquo de Platon il se reacuteclame de Pythagoreconccedilu comme source de Platon12 Crsquoest pourquoi du point de vue de

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6 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit p 95-100 qui outre lesreacutefeacuterences neacuteopythagoriciennes devenues usuelles renvoie eacutegalement agrave Cleacute-ment drsquoAlexandrie (Strom IV 25 156 1) et mecircme agrave Alcinoos qui songeraitselon lui consciemment agrave la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide dans sonexposeacute de la voie neacutegative en Did X (la consideacuteration du dialogue de Platoncomme eacutetant un exercice de logique exprimeacutee en Did VI nrsquoexcluant pas en soicette utilisation de la premiegravere hypothegravese) ndash On rappellera alors que Cleacutementest notre premier teacutemoin de lrsquoenseignement de Numeacutenius Voir aussi J Whitta-ker laquo Neopythagoreanism and the transcendent Absolute raquo SymbolaeOsloenses 48 1973 p 77-86

7 Der Aufstieg zum Einen Untersuchungen zu Platon und Plotin Muumln-chenLeipzig KG Saur 20062 [1992] et laquo Speusipp und die metaphysischeDeutung von Platons Parmenides raquo dans L Hagemann R Glei (eacuted) ΕΝΚΑΙ ΠΛΗΘΟΣ Wuumlrzburg Echter 1993 p 339-373

8 laquo Plotinus Speusippus and the Platonic Parmenides raquo Kairos 15 2000p 61-74

9 laquo La probabile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica eneopitagorica) del Parmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted)Il Parmenide di Platone et la sua tradizione op cit p 197-248

10 Voir par ex laquo The Platonizing Sethian Treatises Marius VictorinusrsquosPhilosophical Sources and Pre-Plotinian Parmenides Commentaries raquo dansJD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage op citvol I p 136-137

11 Thrasyllan Platonism Ithaca Cornell University Press 1993 p 148-177 Il la fait ainsi remonter agrave Posidonius et mecircme agrave Thrasylle lrsquoeacutediteur desœuvres de Platon

12 Nous simplifions Sur ce point voir par ex M Frede laquo Numenius raquo

lrsquohistoire de la philosophie il peut ecirctre consideacutereacute comme un laquo platoni-cien pythagorisant raquo selon lrsquoexpression heureuse de Michael Frede13Selon son propre point de vue14 neacuteanmoins tout laisse penser qursquoilaurait preacutefeacutereacute la qualification de laquo pythagoricien raquo15 comme enteacutemoigne drsquoailleurs le titre que lui donnent les chreacutetiens les seuls agravetransmettre directement une partie de son œuvre Il nrsquoest toutefois lagraveaucun veacuteritable dilemme puisque chez ces derniers un laquo pythagori-cien raquo est entre autres un interpregravete de Platon16 Numeacutenius est donc en

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Aufstieg und Niedergang der roumlmishen Welt II 362 1987 p 1043 B Cen-trone laquo Cosa significa essere pitagorico in etagrave imperiale Per una riconsidera-zione della categoria storiografica del neopitagorismo raquo dans A Brancacci(eacuted) La filosofia in etagrave imperiale Le scuole e le tradizioni filosofiche NapoliBibliopolis 2000 p 137-168

13 laquo Numenius raquo art cit p 1043-1047 Voir aussi B Centrone laquo Cosasignifica essere pitagorico in etagrave imperial raquo art cit p 158-160 M Edwardslaquo Numenius of Apamea raquo dans LP Gerson (eacuted) The Cambridge History ofPhilosophy in Late Antiquity Cambridge Cambridge University Press 2010p 124-125

14 Voir F Jourdan laquo Numeacutenius et Pythagore Numeacutenius platonicien(pythagorisant) ou pythagoricien (platonisant) raquo agrave paraicirctre dans la RevuedrsquoHistoire des religions 2020

15 Sur ce point nous divergeons de B Centrone laquo Cosa significa esserepitagorico in etagrave imperial raquo art cit p 150-151 selon lequel les auteurs desapocryphes pythagoriciens nrsquoauraient pas eu agrave cœur de deacutefendre une identiteacutepythagoricienne puisqursquoils reprenaient Platon voire lrsquoaccusaient de plagiatNumeacutenius ne compte certes pas parmi ces auteurs mais la remarque pourrait leconcerner eacutegalement Or sa deacutemarche qui consiste agrave mettre Pythagore agrave la tecirctedrsquoune ligneacutee de disciples fidegraveles auxquels appartiennent Platon et mecircmeSocrate semble au contraire indiquer qursquoil revendique pour lui lrsquoappartenanceagrave cette ligneacutee en tant qursquointerpregravete fidegravele de Platon Cela ne lrsquoempecircche pas agravenos yeux drsquohistoriens de reacutealiser une deacutemarche caracteacuteristique du platonismede son temps

16 Crsquoest du moins entre autres le sens que semble prendre chez Cleacutement laqualification de Philon comme laquo pythagoricien raquo voir D Runia laquo Why doesClement of Alexandria call Philo ldquothe Pythagoreanrdquo raquo Vigiliae Christianae49 1995 p 1-22 Pouvaient en outre paraicirctre reacuteellement pythagorisants le goucirct

theacuteorie du moins et agrave ce double titre de platonicien et de pythagorisantun parfait candidat au rang drsquointerpregravete laquo neacuteo-pythagoricien raquo preacute-plo-tinien du Parmeacutenide Cette candidature est drsquoautant plus laquo provoca-trice raquo pour les tenants de la thegravese courante de lrsquohistoire du platonismeque Plotin a eacuteteacute consideacutereacute par ses adversaires comme srsquoappropriant sesdoctrines17 lecteur plus fin Longin preacutecisait mecircme que crsquoeacutetait agrave lasuite de Numeacutenius et drsquoautres platoniciens pythagorisants dont juste-ment Modeacuteratus Thrasylle et Cronius le disciple direct de Numeacuteniusqursquoil srsquoadonnait agrave lrsquointerpreacutetation des principes pythagoriciens et plato-niciens18 entreprise dans laquelle il les aurait largement deacutepasseacutes19Quoi qursquoil en soit de cette poleacutemique il est assureacute que Plotin commen-tait les œuvres de Numeacutenius dans ses cours20 Si Numeacutenius avait doncinterpreacuteteacute le Parmeacutenide et ce surtout dans le sens pythagoricien sug-geacutereacute par les chercheurs ayant deacutejagrave invoqueacute Modeacuteratus et mecircme Speu-sippe en ce sens Plotin aurait assureacutement rebondi sur son exeacutegegravese Ilnrsquoaurait plus alors le primat de pareille interpreacutetation et avec ce statutserait eacutegalement eacuterodeacutee la preacutesentation courante des origines du neacuteo-platonisme

Formuleacutee ainsi lrsquohypothegravese est seacuteduisante elle est toutefois fortspeacuteculative tant qursquoon ne peut prouver que Numeacutenius a reacuteellement

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de Philon pour lrsquoexeacutegegravese (et donc pour la notion drsquoeacutenigme) et plus speacutecifique-ment pour lrsquointerpreacutetation des nombres deux eacuteleacutements eacutegalement preacutesentschez Numeacutenius

17 VP 17-18 Sur ce passage voir la note de R Goulet agrave VP 18 2-3 dansL Brisson JL Cherlonneix M-O Goulet-Caseacute R Goulet MD GrmekJ-M Flamand S Matton J Peacutepin HD Saffrey A-Ph Segonds M TardieuP Thillet Porphyre La Vie de Plotin Vol II Paris Vrin 1992 p 278 etS Menn laquo Longinus on Plotinus raquo Dionysius 19 2001 p 113-124 sur le sensde ὑποβάλλεσθαι dans ce contexte Sur la supeacuterioriteacute de Plotin relativementaux meacutedioplatoniciens dans lrsquointerpreacutetation de Pythagore voir aussiM Bonazzi laquo Plotino e la tradizione pitagorica raquo Acmegrave 53 2000 p 38-73

18 VP 2019 VP 21 ougrave Porphyre recite toutefois le propos de Longin en VP 2020 VP 14

interpreacuteteacute le Parmeacutenide Elle requiert donc un examen approfondi destextes parvenus ndash textes qui nous ont eacuteteacute transmis uniquement demaniegravere indirecte tregraves partielle et de fait aussi tregraves partiale La pre-miegravere eacutetape de la recherche consiste donc agrave reacutealiser pareil examenpour voir si ces textes portent effectivement la trace de lrsquointerpreacute-tation en jeu comme lrsquoont proposeacute notamment A-J Festugiegravere21D OrsquoMeara22 G Bechtle23 M Burnyeat24 et JD Turner25

2) La maigreur des indices reacuteellement significatifs cependant ndash agravemoins drsquoimaginer un silence poleacutemique de la part de Numeacutenius dontnous verrons qursquoil nrsquoest peut-ecirctre pas agrave exclure totalement ndash aurait sansdoute inviteacute agrave abandonner pareille recherche comme relativementdeacutesespeacutereacutee ou artificielle en lrsquoeacutetat de nos sources Mais le deacutesir derevenir sur lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacute-nide26 lrsquoa ranimeacutee Lui aussi parvenu de maniegravere fragmentaire (maiscette fois directe) ce texte comporte des parallegraveles frappants avec lrsquoen-seignement connu de Numeacutenius et invite agrave penser que lrsquoauteur srsquoins-pire de lui voire comme le propose Gerald Bechtle depuis sa mono-graphie de 199927 nrsquoest autre que Numeacutenius lui-mecircme il srsquoagirait du

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21 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV Paris Gabalda 1954 p 12522 laquo Being in Numenius and Plotinus Some Points of comparison raquo Phro-

nesis 21 1976 p 120-12923 The Anonymous Commentary on Platorsquos Parmenides BernStuttgart

Wien Paul Haupt 1999 p 8224 laquo Platonism in the Bible Numenius of Apamea on Exodus and Eter-

nity raquo dans R Salles (eacuted) Metaphysics Soul and Ethics in Ancient thoughtOxford Clarendon Press 2005 p 143-169 il le suggegravere p 152-155

25 laquo The Platonizing Sethian Treatise raquo art cit p 128-13926 Titre artificiel donneacute au texte que nous abreacutegerons dans la suite27 The Anonymous Commentary op cit Voir aussi du mecircme auteur laquo The

Question of Being and the Dating of the Anonymous Parmenides Commen-tary raquo Ancient Philosophy 20 2000 p 393-414 et laquo A neglected Testimonium(Fragment ) on the Chaldaen Oracles raquo Classical Quarterly 56 2006p 563-581 sans ecirctre tout agrave fait explicite JD Turner le suit essentiellement(Sethian Gnosticism and The Platonic Tradition QueacutebecLouvainParisPresses de lrsquoUniversiteacute LavalPeeters 2001 laquo Victorinus Parmenides com-

commentaire que Numeacutenius aurait reacutedigeacute sur le Parmeacutenide ou dumoins sur les deux premiegraveres hypothegraveses28 de la seconde partie

3) Comme telle toutefois confronteacutee aux arguments solides dePierre Hadot en faveur drsquoune autoriteacute porphyrienne du Commentaireanonyme29 ou du moins agrave ceux drsquoAlessandro Linguiti en faveur drsquoune

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mentaries and the Platonizing Sethian Treatises raquo dans K Corrigan JD Tur-ner (eacuted) Platonism Ancient Modern and Postmodern LeidenBoston Brill2007 p 55-96 et laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit) Voir aussiK Corrigan qui pense quant agrave lui agrave Cronius (laquo Platonism and Gnosticism TheAnonymous Commentary on the Parmenides Middle or Neoplatonic raquo dansJD Turner R Majercik (eacuted) Gnosticism and Later Platonism ThemesFigures and Texts Atlanta Society of Biblical Literature 2001 p 141-177)

28 Dans les pages qui suivent nous adopterons pour simplifier la termino-logie exeacutegeacutetique qui srsquoest imposeacutee et parlerons des laquo hypothegraveses raquo de laseconde partie du Parmeacutenide bien qursquoil srsquoagisse plutocirct chez Platon drsquoune seacuteriede deacuteduction En outre quand nous y reacutefegravererons nous nrsquoajouterons plus lamention de laquo la deuxiegraveme partie raquo du Parmeacutenide

29 Voir P Hadot (laquo Fragments drsquoun Commentaire de Porphyre sur le Par-meacutenide raquo Revue des eacutetudes grecques 74 1961 p 410-438 repris dansP Hadot Plotin Porphyre Eacutetudes neacuteoplatoniciennes Paris Les BellesLettres 20102 [1999] p 281-316 laquo La meacutetaphysique de Porphyre raquo dansPorphyre Entretiens sur lrsquoAntiquiteacute classique XII Vandœuvres-Genegraveve Fon-dation Hardt 1966 p 125-157 repris dans P Hadot Plotin Porphyre op citp 317-353 Porphyre et Victorinus I et II Paris Eacutetudes augustiniennes1968 laquo Porphyre et Victorinus Questions et hypothegraveses raquo dans M TardieuP Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApocalypse de Zostrien et lessources de Marius Victorinus Bures-sur-Yvette Res Orientales IX 1996p 117-125 Ses arguments sont eacutetayeacutes par ceux de HD Saffrey laquo Connais-sance et inconnaissance de Dieu Porphyre et la Theacuteosophie de Tuumlbingen raquodans J Duffy J Peradotto (eacuted) Gonimos Buffalo Arethusa 1988 p 3-20repris dans HD Saffrey Recherches sur le Neacuteoplatonisme apregraves Plotin ParisVrin 1990 p 1-20 M Zambon Recension de G Bechtle The AnonymousCommentary on Platorsquos Parmenides Elenchos 20 1999 p 194-202 et Por-phyre et le moyen-platonisme Paris Vrin 2002 R Chiaradonna laquo Nota supartecipazione e atto drsquoessere nel neoplatonismo lrsquoanonimo Commento alParmenide raquo Studia graeco-arabica 2 2012 p 87-97 et laquo Logica e teologica

origine post-plotinienne30 lrsquohypothegravese de G Bechtle pourrait semblerpeu utile grand lecteur de Numeacutenius31 Porphyre si nous revenons pro-visoirement agrave lui pouvait srsquoinspirer de son preacutedecesseur et de ses doc-trines sans que celui-ci ait lui-mecircme composeacute un commentaire au Par-meacutenide Comme nous le montrerons les parallegraveles entre le Commentaireanonyme et lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius en tout cas nrsquoimpliquentpas de reacutefeacuterence directe au dialogue de Platon de la part de ce dernierLrsquoexamen de lrsquohypothegravese pourrait donc srsquoachever sur ce constat si unedeacutecouverte de Michel Tardieu (1996) nrsquoinvitait pas malgreacute tout agrave lrsquoex-plorer davantage En deacutecryptant lrsquoApocalypse de Zostrien M Tardieu ya deacutecouvert un passage semblable agrave un autre du Contre Arius de MariusVictorinus32 laquo synopse raquo supposant selon lui une source commune auxdeux auteurs Or ce texte et donc cette laquo source raquo semble drsquoune partrelever drsquoun commentaire des deux premiegraveres hypothegraveses du Parmeacute-nide et drsquoautre part comporter des parallegraveles avec le Commentaire ano-nyme ndash son identification directe agrave celui-ci paraissant exclue a priorieacutetant donneacutee lrsquoidentification qursquoelle semble faire du premier Un agrave lrsquoEs-prit absente du Commentaire anonyme LrsquoApocalypse de Zostrien eacutetantlrsquoun des traiteacutes gnostiques critiqueacutes dans lrsquoeacutecole de Plotin33 la chronolo-

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nel primo neoplatonismo A proposito di Anon In Parm XI 5-19 e IamblRisposta a Porfirio [De Mysteriis] I 4 raquo Studia graeco-arabica 5 2015 p 1-11 M Chase laquo Porphyre Commentaires agrave Platon et Aristote raquo dans R Gou-let (eacuted) Dictionnaire des philosophes antiques Paris CNRS V b 2012p 1369-1371 avec la bibliographie en ce sens p 1362-1365

30 laquo Sulla datazione del Commento al Parmenide di Bobbio Unrsquoanalisilessicale raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et lasua tradizione op cit p 307-322 (voir aussi lrsquointroduction de son eacutedition duCommentaire anonyme dans Corpus dei papiri filosofici greci e latini Testo elessico nei papiri di cultura greca e latina Parte III Commentari FirenzeOlschki 1995 p 78-91)

31 Voir Proclus In Tim I 7722-24 = Numeacutenius fr 3724-26 des Places32 Apocalypse de Zostrien (NHC VIII 1 6411-6612) Marius Victorinus

(Adversus Arium I 497-50)33 VP 16

gie imposerait alors de situer cette source avant Plotin Voici doncrevenue lrsquohypothegravese drsquoun commentaire meacutedio-platonicien au Parmeacute-nide les parallegraveles avec le Commentaire anonyme suggeacuterant alorscette fois plus assureacutement le nom de Numeacutenius comme sonauteur M Tardieu la formule prudemment34 P Hadot lrsquoeacuteloigne dis-cregravetement35 mais elle est vivement deacutefendue par G Bechtle et sespartisans qui faisant la synthegravese de ces deacutecouvertes en tirent alorsla conviction que Numeacutenius serait non seulement lrsquoauteur du Com-mentaire anonyme mais aussi la source de ce que M Tardieu nommelrsquo laquo exposeacute commun raquo36 et que nous nommerons aussi provisoirementde cette maniegravere37

Plus que lrsquoœuvre parvenue elle-mecircme crsquoest cette triple probleacutema-tique propre agrave lrsquohistoire de la philosophie et agrave sa recherche des sourcesqui impose lrsquoexamen de la relation de Numeacutenius au Parmeacutenide exa-men qursquoelle rend lui-mecircme triple en suggeacuterant de surcroicirct que chaqueeacutetape corrobore la preacuteceacutedente Notre enquecircte suivra ces trois eacutetapes elle tentera drsquoeacutevaluer si cet enchaicircnement argumentatif lieacute agrave lrsquoeacutetudeconjointe de ces trois seacuteries de textes nrsquoest pas forceacute tant il paraicirctessentiellement ducirc agrave la surenchegravere en preacutecision dans lrsquohypothegravese delrsquoexistence drsquoune interpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologique pythago-risante et preacute-plotinienne du Parmeacutenide

Dans la premiegravere partie de lrsquoeacutetude proposeacutee dans ce numeacutero noustenterons donc drsquoeacutevaluer la place de Numeacutenius au sein du laquo neacuteo-pytha-gorisme raquo censeacute avoir deacutejagrave produit une telle interpreacutetation Commenous serions plus que reacuteserveacutee sur la preacutesence de celle-ci chez Modeacute-

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34 Dans M Tardieu et P Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApoca-lypse de Zostrien op cit p 112-113

35 Dans ibid p 11436 G Bechtle The Anonymous Commentary op cit p 248-249 n 683

laquo The Question of Being raquo art cit p 408-412 laquo A neglected Testimonium raquoart cit p 568 JD Turner semble le suivre dans les articles deacutejagrave signaleacutes K Corrigan eacutegalement en songeant plutocirct agrave Cronius

37 Le statut reacuteel de cet laquo exposeacute raquo sera examineacute dans la troisiegraveme partie decette eacutetude (Revue de philosophie ancienne 38-1)

ratus et ses preacutedeacutecesseurs38 nous ne ferons allusion agrave ce point qursquoenconclusion Nous nous concentrerons ici de la maniegravere la plus sobrepossible sur lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et examinerons srsquoil estpossible de lui precircter un commentaire ne serait-ce que partiel du Par-meacutenide

Dans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude qui sera publieacutee dans lenumeacutero suivant (37-2) nous analyserons les parallegraveles et les diver-gences entre lrsquoœuvre de Numeacutenius et le Commentaire anonyme au Par-meacutenide Il srsquoagira drsquoeacutevaluer la validiteacute de lrsquohypothegravese qui attribue cecommentaire agrave Numeacutenius mais aussi de reconsideacuterer leur relationmutuelle laquelle est riche drsquoenseignements pour la reacuteflexion surlrsquoeacutelaboration du neacuteoplatonisme

Dans la troisiegraveme partie de lrsquoeacutetude qui sera publieacutee dans le numeacutero38-1 nous examinerons lrsquo laquo exposeacute commun raquo au Zostrien et agrave MariusVictorinus sa relation au Commentaire anonyme et au Parmeacutenide lui-mecircme et les parallegraveles qursquoon y voit parfois avec lrsquoœuvre parvenue deNumeacutenius pour envisager quelle place celle-ci pourrait avoir dans lareconstitution de ses sources

Chaque partie peut ecirctre lue indeacutependamment selon les centresdrsquointeacuterecircts de chacun Lrsquoensemble visera agrave eacutevaluer srsquoil est vraimentneacutecessaire de bouleverser la conception la plus courante de lrsquohistoire

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38 Sans rejeter absolument un recours au Parmeacutenide anteacuterieur agrave Plotinnous estimons non justifieacute de precircter agrave Modeacuteratus une interpreacutetation theacuteolo-gique et meacutetaphysique du Parmeacutenide sur la foi du teacutemoignage de Simplicius(In Phys 23034-2319) Nous suivons sur ce point les reacuteserves de A-J Festu-giegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 22 n 3 JM Ristlaquo The Neoplatonic One and Platorsquos Parmenides raquo Transactions and Procee-dings of the American Philological Association 93 1962 p 389-401 C Steel laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 19-20qui rappelle agrave juste titre le rocircle de Porphyre comme source de Simplicius JN Hubler laquo Moderatus ER Dodds and the Development of NeoplatonistEmanation raquo dans JD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and itsHeritage op cit vol I p 115-130 ainsi que les reacuteserves de Philippe Hoff-mann lors du seminaire de la Society of Biblical Literature en 2003 (laquo Rethin-king Platorsquos Parmenides and its Platonic Gnostic and Patristic Reception raquo)

du platonisme en donnant Numeacutenius comme preacutecurseur de Plotin danslrsquointerpreacutetation meacutetaphysique du Parmeacutenide Si tel nrsquoest pas le cas elleconfirmera a contrario les critegraveres drsquoune interpreacutetation reacuteellement neacuteo-platonicienne de la seconde partie du dialogue Disons en outre drsquoem-bleacutee qursquoeacutetant donneacute que nous ne pouvons raisonner qursquoagrave partir de cequi nous est parvenu aucune conclusion assertive nrsquoest en soi possiblesur lrsquoexistence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par NumeacuteniusCette eacutetude aura toutefois trois reacutesultats positifs envisager un rapportvolontairement distant de Numeacutenius au Parmeacutenide fondeacute sur le textede Platon lui-mecircme et dont aura tenu compte le neacuteoplatonisme deacutecou-vrir des parallegraveles entre le Commentaire anonyme et le Περὶ τἀγαθοῦplus nombreux qursquoil nrsquoest souvent signaleacute ndash ce qui offrira peut-ecirctre unindice permettant une position plus assureacutee dans le deacutebat sur lrsquoanteacuterio-riteacute de Numeacutenius ou des Oracles chaldaiumlques et enfin approfondirlrsquohypothegravese relative agrave lrsquoutilisation de Numeacutenius par les gnostiques etpar les neacuteoplatoniciens appropriation que lrsquoon peut suivre jusque dansles traductions et transpositions arabes de leurs œuvres

Preacuteliminaire Esquisse de la doctrine des principeschez Numeacutenius

Avant pareil exposeacute une bregraveve esquisse de la penseacutee meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius est neacutecessaire Nous nous en tiendronsaux grandes lignes transmises dans les fragments veacuteritables ceux citeacutespar Eusegravebe de Ceacutesareacutee et nous exposerons de maniegravere succincte lesreacutesultats de nos propres analyses sans livrer le deacutetail des deacutebats surlesquels elles ont eacuteteacute eacutelaboreacutees39 Les textes nous inteacuteressant se trou-vent dans le Περὶ τἀγαθοῦ dialogue ougrave Numeacutenius entreprend larecherche drsquoune deacutefinition du Bien qursquoil identifie au premier prin-cipe40 Il identifie ce premier principe drsquoune part agrave un premier dieu et

114 Fabienne JOURDAN

39 Voir la bibliographie et les commentaires de notre eacutedition en preacutepara-tion

40 Le titre qui est laquo originellement raquo celui de la leccedilon orale de Platon

intellect et drsquoautre part au Bien et Ecirctre lui-mecircme ou par excellence(selon les formules αὐτοάγαθον et αὐτοόν)41 que dans une perspec-tive exeacutegeacutetique il considegravere comme repreacutesenteacute par la forme du Bieneacutevoqueacutee dans la Reacutepublique42 De ce premier principe Numeacutenius dis-tingue un second dieu ou principe identifieacute cette fois au deacutemiurge duTimeacutee43 Ce dieu assure le rocircle deacutemiurgique dont le premier est ainsidispenseacute et il est conccedilu comme lrsquoimage de celui-ci il est le Bon parti-cipant au Bien le second intellect qui produit sa propre forme encontemplant le premier faccedilonnant ou deacuteterminant pour cela lrsquoecirctre oulrsquoessence (οὐσία) que le premier lui procure par le simple fait drsquoecirctre(soi et le Bien)44 Telle est du moins la maniegravere dont nous lisonsconjointement les fragments 11 et 16 (19 et 25 F)45 Autrement dit tan-dis que le premier dieu est le principe de lrsquoecirctre le second est le prin-cipe du devenir46 Numeacutenius donne plus preacuteciseacutement deux laquo aspects raquo

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 115

indique agrave lui seul que le texte srsquoadonne agrave une recherche et deacutefinition des prin-cipes Aristote et Xeacutenocrate le donnent ensuite chacun agrave lrsquoune de leurs œuvresSur lrsquoimportance de ce titre voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius Sur leBien de Platon Lrsquoenseignement oral du maicirctre comme occasion de rechercherson pythagorisme dans ses eacutecrits raquo Χώρα 15-16 2017-2018 p 139-165

41 Voir par ex fr 16 et 17 (24 et 25 F) ndash Tout au long de cette eacutetude lesfragments sont citeacutes selon la numeacuterotation de lrsquoeacutedition drsquoEacutedouard des Places(Numeacutenius Fragments Paris Les Belles Lettres 1973) nous indiquons entreparenthegraveses les numeacuteros qui correspondent dans notre eacutedition en preacuteparation

42 Voir surtout les fr 19 et 20 (27 et 28 F)43 Voir notamment les fr 11 12 et 18 (19 20 et 26 F) En reacutealiteacute le

deacutemiurge du Timeacutee partage ses attributs entre le premier dieu numeacutenien(auquel il laisse sa fonction de source divine des acircmes cf fr 13 21 F) et lesecond qui est aussi troisiegraveme et reacutealise les opeacuterations proprements deacutemiur-giques assumant par lagrave en partie le rocircle des dieux secondaires du Timeacutee

44 Fr 16 (24 F)45 Voir aussi lrsquoanalyse du fr 16 (24 F) par G Muumlller laquo Ἰδέα y οὐσία en

Numenio de Apamea Una reinterpretacioacuten de la ontologiacutea platoacutenica raquo Cua-dernos de Filosofiacutea 59 2012 p 121-140 Nous prenons position agrave son sujetdans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude Revue de philosophie ancienne 37-2

46 Ibid

agrave ce second dieu selon lrsquoorientation de son attention deux laquo aspects raquoqui conduisent agrave parler agrave son sujet de deux laquo dieux raquo qui toutefois nrsquoenconstituent reacutealiteacute qursquoun seul lorsqursquoil est tourneacute vers soi crsquoest-agrave-direvers lrsquointelligible qursquoil est lui-mecircme par contemplation du Bien lesecond dieu est entiegraverement agrave soi et donc reacuteellement soi second dieu lorsqursquoil est tourneacute vers la matiegravere qursquoil met en ordre il est deacutemiurgeau sens litteacuteral du terme et devient laquo troisiegraveme dieu raquo47 Cette divisionnrsquoimplique pas une reacuteelle scission et ne srsquoavegravere autre qursquoune diffeacuterencedrsquoorientation agrave lrsquoorigine drsquoune uniteacute diviseacutee image imparfaite delrsquouniteacute indivisible et parfaite qursquoest le premier dieu

Cette bregraveve preacutesentation doit suffire agrave comprendre le cadre de lapenseacutee numeacutenienne48 Signalons simplement encore trois points essen-tiels pour la confrontation avec le Parmeacutenide et ses interpreacutetations

1) Lrsquoeacuteleacutement fondamental du Περὶ τἀγαθοῦ est lrsquoidentificationdu Bien lui-mecircme (ἀυτοάγαθον) premier principe agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme (αὐτοόν)49 Elle srsquoaccompagne de lrsquoaffirmation qursquoil existeune laquo con-naturaliteacute raquo du Bien agrave lrsquoeacutegard de lrsquoessence50 (σύμφυτον τῇ

116 Fabienne JOURDAN

47 Fr 11 (19 F)48 La preacutesentation ici donneacutee deacutepend de propre analyse des textes Pour

drsquoautres interpreacutetations voir aussi par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit J Opsomer laquo Demiurges in Early Imperial Platonism raquo dans R Hirsch-Luipold(eacuted) Gott und die Goumltter bei Plutarch BerlinNew York de Gruyter 2005p 63-72 M Baltes dans H Doumlrrie M Baltes Ch Pietsch Die PhilosophischeLehre des Platonismus Band 71 Theologia Platonica Stuttgart Bad Canns-tatt Frommann-Holzboog 2008 p 472-482 Les vues de CS OrsquoBrien TheDemiurge in Ancient thought Secondary Gods and Divine mediators Cam-bridge Cambridge University Press 2015 p 139-168 sont agrave consideacuterer avecla plus grande preacutecaution

49 Fr 17 (25 F) cf fr 2 (11 F)50 Nous traduirons ici οὐσία par laquo essence raquo consciente des faiblesses de

cette traduction qui dans le contexte platonicien examineacute nrsquoimplique naturel-lement pas de distinction par rapport agrave la notion drsquoexistence Dans ce contextelaquo essence raquo est agrave prendre au sens de reacutealiteacute intelligible (sur cette deacutefinition voirpar ex R Chiaradonna laquo Substance raquo dans P Remes S Slaveva-Griffin(eacuted) The Routledge Handbook of Neoplatonismi LondonNew York Rout-

οὐσίᾳ51) le Bien partage la mecircme nature que cette οὐσία (forme sub-stantive de lrsquoecirctre) qui provient ainsi de lui Numeacutenius exprime deacutejagrave cetteideacutee au fragment 2 (10 F) par lrsquoimage du Bien laquo monteacute sur lrsquoessence raquo(comme on dirait laquo sur un cheval raquo52) Par lrsquoutilisation de la preacutepositionet du preacuteverbe ἐπί- de preacutefeacuterence agrave ὑπό- (preacutesent dans la formule de Pla-ton) la formule ἐποχούμενον ἐπὶ τῇ οὐσίᾳ indique une laquo transcen-dance raquo53 avec contact qui donne sans deacutetour lrsquointerpreacutetation que Numeacute-nius fait de la formule eacutenigmatique de Reacutepublique VI 509 b 8-10 srsquoilest une laquo transcendance raquo du premier principe elle est drsquoordre cosmolo-gique et non laquo ontologique raquo au sens ougrave ce principe constitue la formeeacuteminente de lrsquoecirctre mais ne srsquoen distingue pas par son essence

2) Ce premier principe est certes immobile en tant qursquoecirctre54exempt de toute activiteacute sous-entendu deacutemiurgique55 mais Numeacuteniuseacutevoque un laquo mouvement qui accompagne naturellement son repos raquo(τῷ πρώτῳ στάσιν [] κίνησιν σύμφυτον56) Ce mouvementindique vraisemblablement que le premier principe pense57 et la for-mule preacutepare son identification agrave un intellect Concernant ce premierdieu toutefois le type de penseacutee qui le caracteacuterise est visiblementconccedilu comme nrsquoimpliquant pas drsquoactiviteacute proprement dite au sens du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 117

ledge 2014 p 216) La deacutetermination nrsquointervient ici qursquoavec le second dieu οὐσία est le terme qui sert agrave exprimer litteacuteralement lrsquoecirctre (ὄν) de maniegravere sub-stantive un ecirctre que le premier dieu Ecirctre par excellence fait advenir sans acteproducteur simplement en eacutetant ce qursquoil est et donc sans que cette οὐσία quivient de lui soit ontologiquement distincte de lui

51 Fr 16 (24 F)52 Lrsquoimage apparaicirct litteacuteralement dans les Oracles chaldaiumlques fr 1466

des Places53 On pourrait alors aiseacutement renoncer au mot laquo transcendance raquo et preacutefeacute-

rer la notion de primauteacute hieacuterarchique par exemple54 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)55 Fr 11-12 (19-20 F)56 Fr 15 (23 F)57 Le passage est agrave interpreacuteter en lien avec le Sophiste 248 e-249 a (voir

notre commentaire au passage dans lrsquoeacutedition en preacuteparation)

moins ougrave cette penseacutee est sans objet et nrsquoest pas mecircme penseacutee de soi aufragment 19 (27 F) Numeacutenius parle drsquoun φρονεῖν qui est lrsquoapanage dupremier dieu sous-entendu agrave la diffeacuterence notamment du νοεῖν saisieintuitive de lrsquointelligible caracteacuteristique du second dieu58 et plus encoredu διανοεῖσθαι activiteacute de penseacutee discursive agrave lrsquoorigine de la deacutemiur-gie Ce φρονεῖν peut selon nous ecirctre compris comme une penseacuteelaquo intransitive raquo (crsquoest-agrave-dire sans objet) pure dispensation du Bien parlrsquoecirctre du Bien59 En cela elle nrsquoimplique reacuteellement aucune activiteacute

Crsquoest alors en ce sens assureacutement que le premier dieu est ditlaquo entourer les intelligibles raquo ou plus exactement et litteacuteralement ecirctrelaquo autour des intelligibles raquo au fragment 15 (23 F περὶ τὰ νοητά) lrsquoexpression nrsquoimplique ni qursquoil les contienne ni qursquoil les produisecomme son objet de penseacutee ni mecircme qursquoil les pense60 Si elle visepeut-ecirctre agrave rendre compte drsquoune identification ultime du premier prin-

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58 Agrave la limite le premier dieu ne peut lrsquoexercer que par lrsquointermeacutediaire dusecond voir le teacutemoignage de Proclus In Tim III 10328-32 Diehl = fr 22(contre cette interpreacutetation traditionnelle voir G Muumlller laquo Queacute es ldquolo que esvivienterdquo (ὁ εστι ζῶον) seguacuten Numenio de Apamea raquo Cuadernos Filosofiacutea64 2015 p 11-12 dont lrsquohypothegravese bien que seacuteduisante ne tient pas agrave lrsquoexa-men de la syntaxe du passage lrsquoinfinitif νοεῖν ne peut avoir que τὸν πρῶτονcomme laquo sujet raquo et non un δεύτερoν implicitement tireacute du geacutenitif δευτέρου)

59 Nous reacutesumons Voir aussi lrsquoeacutetude de la φρόνησις chez Platon parM Dixsaut laquo De quoi les philosophes sont-ils amoureux Sur la phronegravesisdans les dialogues de Platon raquo repris dans M Dixsaut Platon et la question dela penseacutee Eacutetudes platoniciennes I Paris Vrin 2000 p 93-119 ndash Le lien eacutety-mologique originel entre φρονεῖν et φρήν (le diaphragme) suggegravere une autreimage ce φρονεῖν est comme une laquo respiration drsquoecirctre raquo qui est le Bien et drsquoougraveeacutemane le bien

60 Cette interpreacutetation qui tient entre autres compte de la simpliciteacute abso-lue du premier dieu (fr 11 = 19 F) nrsquoest pas contradictoire avec celle de Timeacutee39 e 7-9 par laquelle Numeacutenius aurait associeacute son premier dieu au Vivant (InTim III 103 28-32 Diehl = fr 22) Certes dans le Timeacutee le Vivant a en lui lesformes (ἐνούσας ἰδέας τῷ ὃ ἔστι ζῷον 39 e 8) Mais sans pouvoir deacutevelop-per ici notre analyse disons simplement que Numeacutenius a pu lire le texte autre-ment et inspirer la distinction drsquoAmeacutelius entre un laquo intellect qui est (leVivant) raquo et un laquo intellect qui a (les formes en lui) raquo notamment en deacutecompo-

cipe au Vivant du Timeacutee61 dans le contexte du Περὶ τἀγαθοῦ ellerenvoie selon nous agrave un pur eacutetat de lrsquoecirctre agrave vertu bienfaitrice ou salvi-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 119

sant ἐνούσας de maniegravere cratylienne pour y lire ἐν-νους-ας qui eacutevoquerait lesformes laquo qui sont dans le νοῦς raquo le second dieu et intellect que Numeacutenius voitdeacutesigneacute dans le νοῦς du texte platonicien Le datif τῷ ὃ ἔστι ζῷον nrsquoauraitplus alors deacutesigneacute chez lui le lieu ougrave se trouvent les formes mais le destina-taire de la contemplation celui laquo pour qui ou agrave lrsquointention de qui en faveur dequi raquo le νοῦς qui a les formes en lui les contemplerait (autrement dit exerceraitle νοεῖν) Lrsquoaffirmation que crsquoest gracircce au second dieu et intellect (ἐνπροσχρήσει τοῦ δευτέρου) que le premier exercerait un νοεῖν pourrait ainsiconstituer lrsquoexplicitation de cette lecture eacutetonnante du texte platonicien Ainsile premier dieu nrsquoexercerait jamais le νοεῖν il nrsquointelligerait que gracircce ausecond qui le ferait pour lui Cette preacutecision pourrait servir agrave reacutepondre agravelrsquoeacuteventuelle objection drsquoun aristoteacutelisant qui deacutenoncerait une identification dupremier dieu agrave un νοῦς srsquoaccompagnant drsquoun refus de precircter agrave celui-ci lrsquoacti-viteacute du νοεῖν Numeacutenius reacutepondrait ainsi il ne lrsquoexerce pas lui-mecircme maispar lrsquointermeacutediaire du second qui le fait pour lui tandis qursquoil srsquoadonne au seulφρονεῖν Voir aussi notre interpreacutetation des fr 16 et 18 (24 et 26 F) ndash Pourune autre interpreacutetation de ce passage voir par ex M Frede laquo Numenius raquoart cit p 1062-1063 1065-1066 et 1069-1070 JP Kenney laquo ProschresisRevisited An Essay in Numenian Theology raquo dans JR Daly (eacuted) Orige-niana quinta Historica Text and method Biblica Philosophica Theologia Origenism and later developments Leuven Peeters p 217-230 RD PettyThe Fragments of Numenius Santa Barbara 1993 p 135-137 (republieacute agraveWestbury Prometheus Trust 2012) M Baltes dans H Doumlrrie M BaltesCh Pietsch Die Philosophische Lehre des Platonismus Band 71 op citp 477-478 A Michalewski laquo Le Premier de Numeacutenius et lrsquoUn de Plotin raquoArchives de philosophie 75 2012 p 35-37 et La Puissance de lrsquointelligibleLa Theacuteorie plotinienne des Formes au miroir de lrsquoheacuteritage meacutedioplatonicienLeuven Leuven University Press p 94-96

61 Voir Platon Timeacutee 30 c 7-8 (avec le participe περιλαβόν) et 31 a 3 (τograveπεριέχον πάντα ὁπόσα νοητὰ ζῷα) avec deux participes preacutefixeacutes en περί- agravepropos du Vivant qui a tous les intelligibles en lui et auquel Numeacutenius peutvouloir renvoyer avec sa formule περὶ τὰ νοητά La reacutefeacuterence implicite aupassage de la Lettre II 312 e 1-4 savamment reacuteeacutecrit indique toutefois queNumeacutenius donne un tout autre sens agrave ce περί Voir aussi le teacutemoignage de Pro-clus citeacute dans les notes preacuteceacutedentes

fique selon lrsquoideacutee de salut suggeacutereacutee agrave la fin de ce mecircme fragment Endrsquoautres termes le premier dieu serait περὶ τὰ νοητά au sens ougrave ilentoure les intelligibles de sa bienveillance leur transmettant agrave la foislrsquoecirctre et le Bien qursquoil est avant que le deacutemiurge ne les y fasse participeragrave son tour par sa bonteacute agrave lrsquoorigine de leur ecirctre deacutetermineacute62 et nrsquoy fasseparticiper aussi les sensibles en les eacutelevant agrave son propre caractegravere mar-queacute par cette mecircme bonteacute63 Le premier dieu le Bien est le modegravele dusecond le Bon et non pas des formes srsquoil doit ecirctre identifieacute au Vivantcrsquoest en tant que source ultime de la vie64 modegravele de ce second dieuqui transmet alors la vie au monde sensible (fr 1220F) et non en tantque paradigme totalisant et contenant les formes des quatre typesdrsquoecirctre vivants nommeacutes en Timeacutee 39 e 10-41 a 2

En cela le premier de Numeacutenius loin drsquoecirctre une entiteacute sans rapportau monde en est non seulement le principe mais il est pour lui lasource reacuteelle du Bien reacuteel ndash autrement dit il joue le rocircle de la Provi-dence qui est alors concregravetement exerceacutee par le second principe leBon Tout en eacutetant conccedilu comme premier intellect il nrsquoest donc pas lepremier moteur immobile aristoteacutelicien qui se pense lui-mecircme65 etauquel fut justement reprocheacute son deacutefaut de Providence66

120 Fabienne JOURDAN

62 Selon notre lecture de la formule ἰδέα ἑαυτοῦ du fragment 16 (24 F)comme renvoyant au monde intelligible comme ensemble de formes deacutetermi-neacutees

63 Voir le fr 11 (19 F) sur cette eacuteleacutevation du sensible vers le caractegravere dudeacutemiurge lequel est le laquo Bon raquo en reacutefeacuterence au Timeacutee Numeacutenius distingue leBien premier principe du Bon second principe en utilisant lrsquoadjectif substan-tiveacute au neutre pour deacutesigner le premier et lrsquoadjectif au masculin pour le second

64 Tel est selon nous le sens de lrsquoexpression ὁ μέν γε ὢν σπέρμα πάσηςψυχῆς au fr 13 (21 F) qui en fait la semence de toute acircme voir par ex F Jour-dan laquo Eusegravebe de Ceacutesareacutee et les extraits de Numeacutenius dans la Preacuteparationeacutevangeacutelique raquo dans S Morlet (eacuted) Lire en extraits Pratiques de lecture et deproduction des textes de lrsquoAntiquiteacute au Moyen Acircge Paris PUPS 2015 p 143-147

65 Contra par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit p 107066 Sur ce sujet notamment chez Plutarque dont Numeacutenius aurait pu ici par-

tager la critique voir par ex F Ferrari laquo Provvidenza platonica o autocontem

3) On notera ici enfin que selon toute vraisemblance Numeacuteniusnrsquoidentifie pas son premier principe agrave lrsquoUn67 Ce principe est certesunique (μόνος) simple (ἁπλοῦς) et indivisible (μὴ διαίρετος) encela distinct de lrsquouniteacute divisible que constitue le second dieu68 MaisNumeacutenius ne lrsquoidentifie pas agrave lrsquoUn et en tout cas pas agrave lrsquoUn du Parmeacute-nide69 Notre conviction srsquoappuie sur lrsquoanalyse du fragment 19 (27 F)Agrave la fin du passage on lit lrsquoexpression τὸ ἀγαθὸν ὅτι ἐστὶν ἕνNumeacutenius la donne comme une conclusion de Platon dont le sens pro-fond ne peut ecirctre perccedilu que par les laquo regards aiguiseacutes raquo autrement ditpar ceux qui comprennent le propos de Numeacutenius Elle provient assu-reacutement de la tradition orale on la retrouve dans le compte-rendu de laLeccedilon sur le Bien par Aristoxegravene70 Comme lrsquoarticle deacutefini peut ecirctreomis devant lrsquoattribut on peut certes heacutesiter sur sa traduction laquo leBien est lrsquoUn raquo ou laquo le Bien est un raquo Dans le contexte matheacutematiqueougrave elle est preacutesenteacutee chez Aristoxegravene la premiegravere traduction est sansdoute la bonne Mais ce nrsquoest pas neacutecessairement le sens originel (siPlaton srsquoest reacuteellement exprimeacute ainsi) et assureacutement pas celui que veut

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 121

plazione aristotelica la scelta di Plutarco raquo dans L Van der Stockt F Titche-ner HG Ingenkamp A Peacuterez Jimeacutenez (eacuted) Gods Daimones Rituals Mythsand History of Religions in Plutarchrsquos Works Maacutelaga International PlutarchSociety 2010 p 177-190 et laquo La teologia di aristotele nel medioplatonismo raquodans Y Lehman (eacuted) Aristoteles Romanus La Reacuteception de la science aristo-teacutelicienne dans lrsquoEmpire greacuteco-romain Turnhout Brepols 2012 p 299-312 voir aussi chez Atticus A Michalewski laquo Faut-il preacutefeacuterer Eacutepicure agrave Aris-tote raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted) Reacuteceptions de la theacuteolo-gie aristoteacutelicienne DrsquoAristote agrave Michel drsquoEphegravese Leuven Peeters 2017p 123-142

67 Contra notamment ici G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 84

68 Fr 11 19 F69 Contra A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV

op cit p 124 M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 22570 Aristoxegravene Eacuteleacutements drsquoharmonique 22016313 Macran 398-404 da

Rios texte ndeg 1 p 248 Richard

lire Numeacutenius Dans le contexte du fragment la formule perd touteambiguiumlteacute parce que lrsquointerpreacutetation en est donneacutee au preacutealable Numeacute-nius a insisteacute sur lrsquouniciteacute du Bien dont la bonteacute a eacuteteacute identifieacutee agrave lrsquoactespeacutecifique du φρονεῖν Si Platon a dit τἀγαθὸν ἐστὶν ἕν ndash formule dontNumeacutenius srsquoestime devoir rendre compte puisqursquoil eacutecrit justement luiaussi Sur le Bien ndash crsquoest donc selon lui parce qursquoil nrsquoy a qursquoun seul etunique Bien le Bien lui-mecircme (αὐτοάγαθον) Par suite la seulemaniegravere de rencontrer le bien de maniegravere geacuteneacuterale consiste agrave prendrepart agrave lrsquoactiviteacute de penser qui caracteacuterise le Bien lui-mecircme une penseacuteesource de bonteacute que chacun pourra exercer agrave son niveau (lrsquoideacutee que leφρονεῖν lui est reacuteserveacute suggegravere qursquoil srsquoagit dans son cas drsquoun φρονεῖνagrave lrsquoeacutetat pur) Ce disant Numeacutenius a sans doute une viseacutee poleacutemique agravelrsquoeacutegard notamment drsquoune interpreacutetation pythagorisante de Platon vrai-semblablement issue de lrsquoAncienne Acadeacutemie et peut-ecirctre aussi delrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne de lrsquoenseignement oral71 Lui seul sesera estimeacute comprendre le veacuteritable pythagorisme du maicirctre Quoiqursquoil en soit sur ce point le passage est selon nous la preuve drsquoun refusdrsquoidentifier le Bien agrave lrsquoUn Si Platon a dit que le Bien est un ou mecircmelrsquoUn quelle que soit lrsquointerpreacutetation litteacuterale et donc la traduction rete-nue il nrsquoaurait selon Numeacutenius en reacutealiteacute rien voulu exprimer drsquoautreque lrsquouniciteacute du Bien ainsi que sa seacuteparation drsquoavec le sensible conccediluecomme distinction essentielle drsquoavec les biens de ce monde Numeacuteniusinvite agrave comprendre ἕν comme le synonyme de μόνος que seul ilemploie agrave reacutepeacutetition agrave propos de son premier principe72 et qui a cedouble sens drsquoexprimer lrsquouniciteacute et lrsquoisolement ou la seacuteparationcomme le suggegravere deacutejagrave son emploi reacutecurrent au fragment 2 (11 F)Telle est lrsquointerpreacutetation correcte du Platon non-eacutecrit qursquoil precircte aux

122 Fabienne JOURDAN

71 Voir par ex Meacutet A 6 988 a 10-17 ougrave lrsquoUn est preacutesenteacute comme la causedu Bien et N 4 1091 b 1-20 sur lrsquoidentification du Bien agrave lrsquoUn dans uncontexte de critique des Platoniciens

72 Εἷς nrsquointervient qursquoagrave propos du second dieu conccedilu comme uniteacute divi-sible qui se distingue en cela de lrsquoUn et mecircme de lrsquouniciteacute du fait de sa dualiteacuteneacutecessaire (mais non essentielle)

seuls regards suffisamment aiguiseacutes pour savoir lire Platon lagrave ougravedrsquoautres lrsquoauront mal entendu73

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 123

73 Voir lrsquoanalyse deacutetailleacutee du passage dans F Jourdan laquo Sur le Bien deNumeacutenius raquo art cit ici contra G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 82 et 84 ndash Les deux teacutemoignages suggeacuterant une eacutevocation de lrsquoUnpar Numeacutenius ne paraissent pas infirmer cette lecture Le premier issu deMacrobe (fr 54 = Saturnales I 17 65 = P 99 12-16 Willis) fait eacutetat drsquoune eacutety-mologie de lrsquoeacutepithegravete laquo delphien raquo attribueacutee agrave Apollon ougrave Numeacutenius auraitvraisemblablement voulu retrouver lrsquoeacutetymologie courante du nom propre dudieu comme renvoyant au laquo non-multiple raquo ἀ-πολλά (voir par ex PlutarqueDe E 388 F et De Iside 354 F et 381 F avec J Whittaker laquo Ammonius on theDelphic E raquo Classical Quarterly 63 NS 19 1969 p 187-188 E SyskaStudien zur Theologie des Macrobius Stuttgart Teubner 1993 p 116 n 74)Macrobe rapporte en effet que Numeacutenius aurait fait de δέλφος un adjectifsignifiant unum (dans le latin de Macrobe) par opposition au substantifἀδελφός signifant laquo fregravere raquo et alors conccedilu comme pourvu drsquoun ἀ- privatif(sur cette eacutetymologie voir J Whittaker ibid p 187 n 9 Eacute des PlacesNumeacutenius Fragments op cit p 100 n 1 E Syska Studien zur Theologiedes Macrobius op cit p 193-194 qui estime qursquoelle nrsquoa aucune autre valeurque litteacuteraire) Outre qursquoil concerne un dieu dont nous ne savons pas si Numeacute-nius aurait reacuteellement souhaiteacute lrsquoidentification agrave son premier principe (il sug-gegravere en revanche son association agrave Zeus au fr 2 [11 F] lequel est ensuite asso-cieacute au second dieu au fr 12 [20 F]) le teacutemoignage nrsquoindique pas le sens exacten lequel Numeacutenius aurait aimeacute qursquoon entende cette laquo absence de fregravere raquoDrsquoune part juste avant Macrobe emploie lrsquoexpression singulum et unum quipeut traduire ἕν καὶ μόνον et dont comme dans le grec la redondance avaleur emphatique On ne sait donc pas lequel des deux adjectifs Numeacutenius aexactement employeacute et rien nrsquointerdit de penser que la reprise par unus soit unchoix du neacuteoplatonicien Macrobe Drsquoautre part unus renvoie agrave εἷς et non agrave ἕνEnfin et surtout laquo ne pas avoir de fregravere raquo si tel est le sens que Numeacutenius precirctedans ce contexte agrave δέλφος signifie laquo ecirctre fils unique raquo et reconduit au sens deμόνος Crsquoest pourquoi selon nous ce teacutemoignage nrsquoest pas un indice fiabledrsquoune identification numeacutenienne du premier principe agrave lrsquoUn (contra M Bur-nyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit p 152 n 34) Le second teacutemoignageest quant agrave lui constitueacute par la reacutefeacuterence agrave une singularitas identifieacutee agrave un pre-mier dieu-deacutemiurge dans le compte-rendu numeacutenien de la cosmogonie pytha-goricienne rapporteacutee par Calcidius (fr 52) Or ce premier dieu dans son oppo-sition mecircme agrave la dyade correspond davantage au second dieu du Περὶ

Voilagrave notre lecture du Περὶ τἀγαθοῦ le seul texte meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius dont soient transmis des fragments litteacute-raux Crsquoest agrave partir drsquoelle que nous proposons drsquoexaminer les rapportsentre lrsquoenseignement de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon lui-mecircme le Commentaire anonyme au Parmeacutenide et enfin la source com-mune au Zostrien et agrave Marius Victorinus Agrave chacun de ces troismoments nous tenterons drsquoeacutevaluer srsquoil fournit les indices de lrsquoexis-tence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par Numeacutenius

Premiegravere partie

Lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon le premier principe de Numeacutenius (le Bien) nrsquoest ni lrsquoUn ni

lrsquoUn-qui-est du ParmeacutenideLa premiegravere eacutetape que nous reacutealiserons dans cette premiegravere partie

consiste agrave confronter le Περὶ τἀγαθοῦ au Parmeacutenide lui-mecircme afinde voir srsquoil y renvoie directement ou non Si nous suivions lrsquohypothegravesede J Whittaker74 toutefois nous abandonnerions immeacutediatement lrsquoen-treprise selon lui crsquoest agrave partir du moment ougrave un philosophe inter-pregravete le Bien de Reacutepublique VI 509 b 6-10 comme un principe trans-cendant reacuteellement lrsquoecirctre et comme identifiable agrave lrsquoUn que se profileune interpreacutetation du Parmeacutenide et plus preacuteciseacutement de la premiegraverehypothegravese Or nous venons de montrer que loin de transcender lrsquoecirctrele Bien de Numeacutenius est lrsquoEcirctre lui-mecircme et que son association agrave lrsquoUnsert avant tout un propos exeacutegeacutetique ou srsquoavegravere du moins fort probleacute-matique ndash telle qursquoelle est formuleacutee du moins elle nrsquoimplique aucune

124 Fabienne JOURDAN

τἀγαθοῦ sans compter que lrsquoappellation latine de singularitas traduit plutocirctle grec μόνας que ἕν Le compte-rendu ne peut donc ecirctre compris commerefleacutetant la doctrine propre de Numeacutenius telle du moins qursquoelle est exprimeacuteedans le Περὶ τἀγαθοῦ (voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius raquo art cit)Il nrsquoy a donc aucun texte fiable permettant de precircter agrave Numeacutenius lrsquoidentifica-tion du Bien agrave lrsquoUn et encore moins agrave lrsquoUn du Parmeacutenide

74 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit

allusion au Parmeacutenide75 Si lrsquoon veut malgreacute tout supposer que Numeacute-nius nrsquoen a pas moins utiliseacute le Parmeacutenide et que son œuvre trahit alorsnon seulement la connaissance du dialogue mais un commentaire per-sonnel de celui-ci ne serait-ce que partiel il faut recourir agrave un autrepoint de doctrine que cette identification du premier principe agrave uneentiteacute transcendant lrsquoecirctre et identifieacutee agrave lrsquoUn et justement interroger ladeacutefinition de ce premier principe comme ecirctre Autrement dit il srsquoagitessentiellement de voir si Numeacutenius identifie le Bien ne serait-ce quepartiellement agrave lrsquolaquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

Pour parvenir agrave un reacutesultat probant deux eacutetapes sont neacutecessaires agravecet examen

1) un rappel des quelques points qui dans la deacutefinition de lrsquoecirctre etdu premier principe selon Numeacutenius ont parfois suggeacutereacute des rappro-chements avec le Parmeacutenide

2) une confrontation de la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ avec laseconde partie du dialogue de Platon pour voir si une convergence depenseacutee plus geacuteneacuterale pourrait malgreacute tout suggeacuterer une appropriationde ce texte par Numeacutenius ou si une incompatibiliteacute fondamentaleinvite agrave en douter

Dans lrsquoun et lrsquoautre cas si les reacutesultats sont neacutegatifs cela ne per-mettra pas de conclure que Numeacutenius a ignoreacute le texte ni non plus dese prononcer de maniegravere cateacutegorique sur lrsquoœuvre non parvenue Nousmontrerons drsquoailleurs dans un troisiegraveme temps que Numeacutenius tente dereacutesoudre les apories relatives aux formes poseacutees dans la premiegravere par-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 125

75 On peut faire semblable remarque agrave propos de lrsquoexposeacute des principespythagoriciens par Eudore rapporteacute par Simplicius (In Phys 18110 sq Diels)Mecircme srsquoil eacutevoque diffeacuterents Un la conception deacuteveloppeacutee deacutepend avant toutdes reacuteflexions de lrsquoAncienne Acadeacutemie sur lrsquoUn et la Dyade et est en cela tregravesproche du compte-rendu drsquoAristote sur les principes de Platon en Meacutet A 6 987b 18 sq (sur ce point voir J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquoart cit p 98 qui rapporte les propos de W Theiler agrave la note 11) Il ne sembledonc pas neacutecessaire de supposer un commentaire sous-jacent aux deux pre-miegraveres hypothegraveses du Parmeacutenide mecircme srsquoil nrsquoest eacutevidemment pas exclu que ledialogue ait eacuteteacute invoqueacute pour sa nomination de lrsquoUn La remarque vaut eacutegale-ment pour Speusippe et de maniegravere geacuteneacuterale pour les neacuteo-pythagoriciens

tie du dialogue et nous verrons qursquoagrave lrsquoeacutegard de la premiegravere hypothegraveseil a peut-ecirctre choisi une attitude suggeacutereacutee par Platon lui-mecircme Poureacutelargir cette recherche nous interrogerons enfin sa relation agrave la penseacuteede Parmeacutenide lui-mecircme

1 La deacutefinition du premier principe comme ecirctre dansle Περὶ τἀγαθοῦ des parallegraveles avec le Parmeacutenide

Une fois que lrsquoon a renonceacute agrave precircter agrave Numeacutenius une interpreacutetationdu Parmeacutenide en raison drsquoune identification supposeacutee de son premierprincipe agrave lrsquoUn il reste possible drsquoexaminer les parallegraveles entre la deacutefi-nition de son premier principe identifieacute agrave lrsquoecirctre ou plus geacuteneacuteralemententre sa deacutefinition de lrsquoecirctre et les formulations du dialogue platoniciendans les deux premiegraveres hypothegraveses Les partisans drsquoune interpreacutetationnumeacutenienne du Parmeacutenide dont notamment A-J Festugiegravere76 etD OrsquoMeara77 citent essentiellement78 deux textes agrave cette fin les frag-

126 Fabienne JOURDAN

76 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 12577 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 Voir aussi par ex

M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 225-227 qui srsquoap-puie toutefois sur ce qursquoil considegravere une identification du Bien agrave lrsquoUn et sur unpassage de Cleacutement drsquoAlexandrie qui semble deacutependre de la premiegravere hypo-thegravese (Strom V 12 82 1-2) Les eacuteleacutements de theacuteologie neacutegative eacutevoqueacutes lagravesrsquoaccompagnant drsquoune possibiliteacute de nomination rappellent toutefois moinsNumeacutenius qursquoAlcinoos Did X p 16433-34 H

78 Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoargumentation de R Romano (laquo La proba-bile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica e neopitagorica) delParmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide diPlatone et la sua tradizione op cit p 234) qui estime que Numeacutenius aufragment 217-34 (11 F) emprunte au Parmeacutenide les expressions delaquo meacutethode non aiseacutee mais divine raquo laquo ardeur juveacutenile raquo et laquo exercice matheacute-matique raquo Lrsquoappui textuel est trop tenu pour qursquoelle soit persuasive Quant agraveG Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 82-84) il eacutevoque luiaussi le fragment 5 (14 F) mais seulement en note agrave la page 82 et son argu-mentation ne srsquoappuie pas davantage sur la lettre du texte Crsquoest pourquoielle ne peut ecirctre expliciteacutee ici Nous ne commenterons enfin pas les hypo-

ments 5 et 6 (14-15 F) ougrave apparaicirct formuleacutee en termes neacutegatifs unedeacutefinition de lrsquoecirctre que le fragment 2 (11 F) a dit identifiable au BienCes deux fragments proviennent du livre II du Περὶ τἀγαθοῦ quientreprend de deacutefinir lrsquoecirctre preacuteliminaire indispensable agrave la deacutefinitiondu Bien Examinons-en quelques extraits Au fragment 5 nous lisonsceci

Φέρε οὖν ὅση δύναμις ἐγγύτατα πρὸς τὸ ὂν ἀναγώμεθα καὶλέγωμενmiddot τὸ ὂν οὔτε ποτὲ ἦν οὔτε ποτὲ μὴ γένηται ἀλλrsquo ἔστιν ἀεὶἐν χρόνῳ ὡρισμένῳ τῷ ἐνεστῶτι μόνῳ [] τὸ ἄρα ὂν ἀΐδιόν τεβέβαιόν τε ἐστὶν ἀεὶ κατὰ ταὐτὸν καὶ ταὐτόν οὐδὲ γέγονε μένἐφθάρη δὲ οὐδrsquo ἐμεγεθύνατο μέν ἐμειώθη δὲ οὐδὲ μὴltνgtἐγένετό πω πλεῖον ἢ ἔλασσον καὶ μὲν δὴ τά τε ἄλλα καὶ οὐδὲτοπικῶς κινηθήσεταιmiddot οὐδὲ γὰρ θέμις αὐτῷ κινηθῆναι οὐδὲ μὲνὀπίσω οὐδὲ πρόσω οὔτε ἄνω ποτὲ οὔτε κάτω οὐδrsquo εἰς δεξιὰοὐδrsquo εἰς ἀριστερὰ μεταθεύσεταί ποτε τὸ ὂν οὔτε περὶ τὸ μέσονποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται ἀλλὰ μᾶλλον καὶ ἑστήξεται καὶἀραρός τε καὶ ἑστηκὸς ἔσται κατὰ ταὐτὰ ἔχον ἀεὶ καὶ ὡσαύτως(extraits du fragment 5 14 F = Eus PE XI 10 4-5)

Eh bien donc eacutelevons-nous vers lrsquoecirctre le plus pregraves qursquoil nous est pos-sible et disons ceci lrsquoecirctre jamais ne fut ni jamais nrsquoadviendra assureacute-ment mais il est toujours dans un temps bien deacutetermineacute le seul preacute-sent [] Lrsquoecirctre est donc est agrave la fois eacuteternel et stable toujours dans lemecircme eacutetat et identique agrave soi il nrsquoest pas neacute et il ne peacuterit pas il ne croicirctet ne deacutecroicirct pas non plus ni il ne devient plus ou moins en aucunefaccedilon En somme il ne sera assureacutement soumis agrave aucun type de mou-vement et surtout pas au mouvement selon le lieu ndash il ne lui est en effetpas permis non plus crsquoest la loi divine drsquoecirctre mucirc jamais par unecourse en avant ni en arriegravere en haut ni en bas vers la droite droite nivers la gauche jamais lrsquoecirctre ne sera soumis au changement et jamais ilne sera mucirc autour de son propre centre Bien plutocirct il se tiendra en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 127

thegraveses de H Tarrant Thrasyllan Platonism op cit p 174-177 dans lamesure ougrave elles supposent que Numeacutenius srsquoinspire de Modeacuteratus (au fr 52)et suit donc lrsquointerpreacutetation qursquoil aurait donneacutee sur la matiegravere drsquoapregraves leteacutemoignage de Simplicius

repos sera ferme et fixe se maintenant toujours de faccedilon identique etde la mecircme maniegravere79

Au fragment 6 (15 F) nous lisons ensuite

ἡ δὲ αἰτία τοῦ ὄντος ὀνόματός ἐστι τὸ μὴ γεγονέναι μηδὲφθαρήσεσθαι μηδrsquo ἄλλην μήτε κίνησιν μηδεμίαν ἐνδέχεσθαιμήτε μεταβολὴν κρείττω ἢ φαύλην εἶναι δὲ ἁπλοῦν καὶἀναλλοίωτον καὶ ἐν ἰδέᾳ τῇ αὐτῇ καὶ μήτε ἐθελούσιον ἐξίστα-σθαι τῆς ταὐτότητος μήθrsquo ὑφrsquo ἑτέρου προσαναγκάζεσθαι (extraitdu fragment 6 15 F = Eus PE XI 10 7)

Et la raison de ce nom ecirctre reacuteside dans le fait de ne pas ecirctre neacute de nepas devoir peacuterir de nrsquoadmettre absolument aucun autre type de mou-vement ni de changement que ce soit vers le meilleur ou vers le piremais drsquoecirctre au contraire simple invariable dans une forme qui resteidentique de ne pas sortir de son identiteacute ni volontairement ni souslrsquoeffet drsquoune contrainte exteacuterieure80

Pourquoi a-t-on voulu lire ces textes comme faisant allusion auParmeacutenide alors qursquoils ne preacutesentent pas de parallegraveles textuels avec cedialogue Deux raisons agrave cela A-J Festugiegravere y voit une seacuterie deneacutegations qui rappellent celles du Parmeacutenide relativement agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese D OrsquoMeara estime que la deacutefinition de lrsquoecirctrecomme restant dans une identiteacute parfaite agrave soi exprimeacutee en termes de

128 Fabienne JOURDAN

79 Toutes les traductions de Numeacutenius sont les nocirctres80 Voir aussi cet extrait du fragment 8 (17 F = Eus PE XI 10 12) Εἰ μὲν

δὴ τὸ ὂν πάντως πάντη ἀΐδιόν τέ ἐστι καὶ ἄτρεπτον καὶ οὐδαμῶςοὐδαμῆ ἐξιστάμενον ἐξ ἑαυτοῦ μένει δὲ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτωςἕστηκε τοῦτο δήπου ἂν εἴη τὸ τῇ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν laquo Siassureacutement lrsquoecirctre est en tout point absolument eacuteternel et immuable srsquoil ne sortabsolument pas de lui-mecircme en aucune faccedilon mais demeure dans le mecircmeeacutetat fixeacute dans son identiteacute alors crsquoest lui sans nul doute qui sera ldquoce qui estappreacutehendeacute par lrsquointellection agrave lrsquoaide du raisonnementrdquo (Tim 28 a) raquo Ce pas-sage fait suite au fragment 7 (16 F = Eus PE XI 10 9-11) qui cite la deacutefinitionde lrsquoecirctre opposeacute agrave la γένεσις en Timeacutee 27 d 6-28 a 4

laquo non-sortie raquo de soi est reprise dans les passages des Enneacuteades VI4 [ 22] 2 21 et VI 5 3 1-2 ougrave Plotin traite de lrsquointeacutegriteacute de lrsquoecirctre etinterpregravete agrave cet effet la seconde hypothegravese du Parmeacutenide D OrsquoMearasonge alors agrave un preacuteceacutedent numeacutenien dans la lecture plotinienne duParmeacutenide et agrave cette fin eacutetant donneacute qursquoil est question dans ces frag-ments de la relation de lrsquoecirctre au temps au changement et au mouve-ment tout comme de son nom (et donc sous-entendu aussi de saconnaissance) il invite agrave penser que le livre II du Περὶ τἀγαθoῦ trai-tait de lrsquoecirctre selon les diffeacuterents preacutedicats qui servent agrave interroger lrsquoUndu Parmeacutenide agrave savoir le Tout et les parties le lieu le changement etmouvement lrsquoidentiteacute et la diffeacuterence la ressemblance et dissem-blance lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoineacutegaliteacute le temps le nom la connaissance

Ces deux lectures se heurtent toutefois agrave deux objections simplesDrsquoune part pas plus qursquoil ne tire du Parmeacutenide la description de la non-sortie de soi81 Numeacutenius nrsquoemprunte son argumentation sur le change-ment le temps et le nom au Parmeacutenide Comme il le dit lui-mecircme aufragment 6 (15 F) il srsquoappuie pour cela sur le Timeacutee et le Cratyle Onnotera drsquoailleurs que le deacuteveloppement sur lrsquoabsence de mouvement etdonc de changement relegraveve en outre drsquoun emprunt aux Lois82 et qursquoellenrsquoest pas exempte de parallegraveles aristoteacuteliciens ainsi que le reconnaicirctD OrsquoMeara lui-mecircme83 Drsquoautre part et pour reacutepondre cette fois agraveA-J Festugiegravere la seacuterie de neacutegations ne fait aucunement allusion auParmeacutenide ni nrsquoaugure drsquoune theacuteologie neacutegative telle qursquoelle sera tireacuteede la premiegravere hypothegravese de ce dialogue elle contribue simplement agraveune deacutefinition de lrsquoecirctre par opposition au devenir et surtout au corporelqui preacutesente toutes les qualiteacutes ici nieacutees La citation au fragment 7 (16F) du passage du Timeacutee (27 d 6-28 a 4) opposant justement ὄν et

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81 Elle est en reacutealiteacute preacutesente dans le Cratyle 439 e le Pheacutedon 79 d et 80b 1-2 et le Banquet 211 b 1

82 X 893 c-894 a83 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 n 26 Sur le temps

voir aussi M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit et la remarquefinale sur la deacutefinition parmeacutenidienne drsquoune entiteacute se situant dans un eacuteternelpreacutesent au fr 85 DK

γένεσις preacutecise ce contexte de penseacutee et empecircche en cela toute extra-polation Agrave la limite si lrsquoon y tient on pourra simplement conclure avecD OrsquoMeara que Numeacutenius a donneacute agrave Plotin lrsquoideacutee de lire le Parmeacutenidedans le sens ougrave il lrsquoa fait concernant lrsquoecirctre ndash hypothegravese qui srsquoavegraverera fortinteacuteressante dans la perspective drsquoune comparaison avec lrsquoentreprise ducommentateur anonyme au Parmeacutenide

Les textes habituellement citeacutes en faveur drsquoune utilisation numeacute-nienne du Parmeacutenide ainsi compris il en est selon nous un troisiegravemequi aurait pu inviter agrave pareille suggestion celui ougrave Numeacutenius precircte aupremier principe un repos qui srsquoaccompagne malgreacute tout drsquoune formede mouvement ndash attributs apparemment contradictoires dont lrsquooriginepourrait paraicirctre remonter au Parmeacutenide Ce texte nous mettrait sur lavoie qui pouvait sembler la plus feacuteconde drsquoune identification du pre-mier principe numeacutenien agrave lrsquoUn de la seconde hypothegravese du ParmeacutenideLisons ainsi le fragment 15 (23 F)

Εἰσὶ δrsquo οὗτοι βίοι ὁ μὲν πρώτου ὁ δὲ δευτέρου θεοῦ δηλονότι ὁμὲν πρῶτος θεὸς ἔσται ἑστώς ὁ δὲ δεύτερος ἔμπαλίν ἐστικινούμενοςmiddot ὁ μὲν οὖν πρῶτος περὶ τὰ νοητά ὁ δὲ δεύτερος περὶτὰ νοητὰ καὶ αἰσθητά μὴ θαυμάσῃς δrsquo εἰ τοῦτrsquo ἔφηνmiddot πολὺ γὰρἔτι θαυμαστότερον ἀκούσῃ ἀντὶ γὰρ τῆς προσούσης τῷδευτέρῳ κινήσεως τὴν προσοῦσαν τῷ πρώτῳ στάσιν φημὶ εἶναικίνησιν σύμφυτον ἀφrsquo ἧς ἥ τε τάξις τοῦ κόσμου καὶ ἡ μονὴ ἡἀΐδιος καὶ ἡ σωτηρία ἀναχεῖται εἰς τὰ ὅλα

Voici les genres de vie respectifs du premier et du deuxiegraveme dieu ilest eacutevident que le premier sera en repos tandis que le deuxiegraveme aucontraire est en mouvement le premier donc autour des intelligiblesle deuxiegraveme autour des intelligibles et des sensibles Et nrsquoen viens pasagrave trsquoeacutetonner si jrsquoai affirmeacute cela car tu vas entendre bien plus eacutetonnantencore agrave la place du mouvement inheacuterent au deuxiegraveme le repos inheacute-rent au premier je lrsquoaffirme est un mouvement qui lui est par natureassocieacute drsquoougrave viennent lrsquoordre du monde et sa permanence eacuteternelle etdrsquoougrave le salut se reacutepand sur lrsquointeacutegraliteacute des ecirctres

Le passage pourrait rappeler lrsquoUn qui est Tout (τὸ ἓν ὅλον 145 e3) de la deuxiegraveme hypothegravese et que Platon deacutecrit comme eacutetant agrave la fois

130 Fabienne JOURDAN

en repos et en mouvement (καὶ κινεῖσθαι καὶ ἑστάναι 145 e 7-8)drsquoautant plus que le vocabulaire du repos employeacute est le mecircme(ἕστηκε 145 a 8 ἑστός 146 a 5) On pourrait alors imaginer queNumeacutenius identifie son premier principe agrave lrsquoUn associeacute agrave lrsquoecirctre telqursquoil est conccedilu dans cette deuxiegraveme hypothegravese Cependant la raisondonneacutee par Platon agrave cet eacutetat est le fait que cet Un se trouve agrave la fois enlui-mecircme crsquoest-agrave-dire au mecircme endroit et en autre chose crsquoest-agrave-direailleurs (le tout devant ecirctre ainsi compris 145 e 8-146 a 7) Or toutconduit agrave penser que dans le fragment le mouvement associeacute au reposfondamental est celui de la penseacutee caracteacuteristique du premier principe(cf fr 19 27 F) et que par cette formule Numeacutenius preacutepare la deacutefini-tion de celui-ci comme intellect (fr 16-17 24-25 F) Le raisonnementest profondeacutement distinct et Numeacutenius joue drsquoailleurs moins sur uneantithegravese logique telle que pourrait paraicirctre celle du raisonnement pla-tonicien que sur une association certes paradoxale mais reacuteelle Crsquoestpourquoi si tentant que puisse paraicirctre le parallegravele il ne relegraveve sansdoute pas drsquoune appropriation numeacutenienne de la deuxiegraveme hypothegravesepour deacutecrire le premier principe Numeacutenius reprend peut-ecirctre le voca-bulaire voire la conception de Platon pour deacutecrire un principe qursquoilassocie volontiers au Tout surtout si ce premier principe doit corres-pondre au Vivant84 Mais cette reprise serait superficielle et srsquoaccom-pagnerait drsquoun deacuteveloppement personnel qui ne relegraveve pas du deacutesirdrsquointerpreacuteter le Parmeacutenide85 Si Numeacutenius emprunte ici agrave Platon crsquoestplutocirct au passage du Sophiste 248 e-249 a qui integravegre le mouvementdans lrsquoecirctre total finit par deacutecrire cet ecirctre comme eacutetant agrave la fois en reposet en mouvement et inclut en lui eacutegalement lrsquointellect mieux laφρόνησις dont nous avons vu que Numeacutenius en fait sous la formeinfinitive lrsquoapanage du Bien

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 131

84 Voir le teacutemoignage de Proclus (fr 22) deacutejagrave signaleacute selon nous lrsquoimagedu Vivant est deacutejagrave sous-jacente dans ce fragment 15 (23 F) voir la note 61

85 Sur ce point nous rejoignons LP Gerson laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpre-tation of Platorsquos Parmenides raquo art cit n 1 qui rappelle agrave propos drsquoAlcinoosque lrsquoutilisation de distinctions et drsquoarguments preacutesents dans le Parmeacutenidenrsquoimplique pas drsquoaccorder une primauteacute interpreacutetative agrave ce dialogue

2 Le Περὶ τἀγαθοῦ et les deux premiegraveres hypothegravesesde la seconde partie du Parmeacutenide

Agrave eux seuls les textes parvenus ne nous semblent donc pas teacutemoi-gner en faveur drsquoun commentaire au Parmeacutenide de la part de Numeacute-nius ni mecircme drsquoune utilisation partielle qursquoil aurait faite de ce dia-logue Les partisans drsquoune attribution de pareil commentaire agrave Numeacute-nius en appellent toutefois et ce juste titre agrave lrsquoœuvre non parvenueOn ne peut certes juger de lrsquoeacutevolution de Numeacutenius Mais pour quecet argument e silentio soit valable concernant au moins la partie man-quante du Περὶ τἀγαθοῦ il faudrait que la partie transmise ne preacute-sente pas drsquoincompatibiliteacute avec lrsquoargumentation geacuteneacuterale du dialoguede Platon Comme le deacutebat porte toujours sur les deux premiegraveres hypo-thegraveses ce sont elles qursquoil suffit drsquointerroger en vue drsquoeacutevaluer si Numeacute-nius peut ne serait-ce que srsquoy ecirctre reporteacute pour esquisser sa deacutefinitiondu premier principe voire du second comme le suggegravere JD Turner86

a) Le Bien et lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese

Selon notre lecture Numeacutenius nrsquoidentifie pas le Bien agrave lrsquoUn Laseacuterie de neacutegations neacutecessaires agrave la deacutefinition de lrsquoecirctre nrsquoa drsquoautre butque de distinguer celui-ci du devenir Qursquoest-ce que le Bien de Numeacute-nius pourrait donc avoir de commun avec lrsquoUn de la premiegravere hypo-thegravese87 Comparons son enseignement agrave celui du Parmeacutenide pourassurer de la validiteacute de notre position

Ce que le Bien de Numeacutenius pourrait avoir de commun avec lrsquoUnde la premiegravere hypothegravese assureacutement ce serait le fait de ne pas ecirctremultiple (137 c) Mais cela est bien maigre la seacuterie de neacutegations pro-

132 Fabienne JOURDAN

86 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 138-13987 G Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 84) estime que

crsquoest en lien avec la premiegravere hypothegravese que Numeacutenius deacuteveloppe sa concep-tion du premier intellect Il nrsquoexplique toutefois pas cette lecture pour le moinseacutetonnante

poseacutee par Parmeacutenide ne le concerne pas Passons en revue quelquesexemples en suivant lrsquoordre du dialogue contrairement agrave lrsquoUn de cettehypothegravese le Bien nrsquoest pas illimiteacute (137 d 7) crsquoest la matiegravere qui esttelle agrave lrsquoimage drsquoun fleuve88 loin drsquoecirctre nulle part au sens de laquo pas ensoi raquo (138 a 2 6-b 2) il est au contraire en lui-mecircme89 La seacuterie drsquoanti-thegraveses ne le concerne pas davantage loin de nrsquoecirctre ni en repos ni enmouvement (138 b) nous avons vu qursquoil a part aux deux90 plutocirct quede nrsquoecirctre ni identique ni diffeacuterent (139 b-140 b) il est assureacutement iden-tique agrave soi91 au lieu drsquoecirctre hors du temps (141 a) il se situe dans uneacuteternel preacutesent92 et si certes on ne peut pas non plus parler agrave soneacutegard de participation agrave lrsquoοὐσία (141 e 7-8) il nrsquoen est pas moinslrsquoἀρχή de celle-ci93 qui fait de lui lrsquoEcirctre par excellence94 Contraire-ment agrave lrsquoUn de cette hypothegravese (142 a) il a en outre un nom une deacutefi-nition et il y a mecircme une science agrave son sujet son nom est drsquoabordοὐσία et ὄν lorsque lrsquoecirctre qursquoil est est envisageacute de maniegravere geacuteneacuterale95puis vraisemblablement Bien lui-mecircme et Ecirctre lui-mecircme (αὐτοάγα-θον et αὐτοόν) lorsqursquoil est envisageacute dans sa speacutecificiteacute96 il donnelrsquoἐπιστήμη et srsquoavegravere mecircme ecirctre la σοφία97 toute lrsquoentreprise duΠερὶ τἀγαθοῦ est justement de conduire agrave sa connaissance et deacutefini-tion98 ce agrave quoi parvient entre autres le dernier fragment en identifiantultimement lrsquoecirctre et lrsquointellect qursquoil constitue agrave la Forme du Bien de laReacutepublique99 Lorsque Platon fait conclure agrave Parmeacutenide que cet Un

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 133

88 Fr 3 (12 F) et 8 (17 F)89 Fr 11 (19 F)90 Fr 15 (23 F)91 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)92 Fr 5 (14 F)93 Fr 16 (24 F)94 Fr 17 (25 F) et lrsquoon nrsquooubliera pas la synonymie entre οὐσία et ὄν don-

neacutee au fr 6 (15 F)95 Fr 6 (15 F)96 Fr 16-17 (24-25 F) fr 20 (28 F)97 Crsquoest notre interpreacutetation conjointe des fragments 13 et 14 (21-22 F)98 Tel est le programme annonceacute au fragment 2 (11 F)99 Fr 20 (28 F)

finalement nrsquoest pas Numeacutenius peut donc avoir estimeacute ne pas devoirreconnaicirctre lagrave ce qursquoil deacutefinit quant agrave lui comme le premier principe etce alors en accord avec Platon lui-mecircme

Crsquoest pourquoi srsquoil a songeacute agrave ce dialogue et plus particuliegraverement agravela premiegravere hypothegravese Numeacutenius a pu le consideacuterer comme un exer-cice dialectique ougrave puiser par exemple une meacutethode drsquointerrogation etcertains concepts dans un esprit peut-ecirctre semblable agrave celui drsquoAlci-noos100 ou bien ce qui nrsquoest pas incompatible comme deacutecrivantaussi une position selon lui critiqueacutee par Platon Dans cette perspec-tive il peut alors y avoir perccedilu une raison de ne pas retenir la candida-ture de lrsquoUn (telle que la suggegravere notamment la reacuteception acadeacutemi-cienne de lrsquoenseignement oral) au titre de premier principe agrave identifierau Bien puisque cet Un conccedilu dans sa pureteacute agrave la maniegravere dont Platonle deacutecrit dans la premiegravere hypothegravese conduit agrave lrsquoaporie du non-ecirctre (non-ecirctre que Numeacutenius identifie quant agrave lui agrave la matiegravere) Autre-ment dit la lecture du Parmeacutenide voire le commentaire de ce dia-logue aurait plutocirct conduit Numeacutenius agrave ne pas identifier le Bien agrave lrsquoUnabsolu et lrsquoaurait peut-ecirctre justifieacute dans une position poleacutemique agrave lrsquoen-contre de certains neacuteo-pythagoriciens de son temps101 voire des Aca-deacutemiciens qui le faisaient

Cette conclusion peut a priori eacutetonner Mais Numeacutenius nrsquoaurait paseacuteteacute le seul de son eacutepoque agrave refuser drsquoaccorder agrave lrsquoUn de la premiegraverehypothegravese le rocircle de principe de la reacutealiteacute et de principe transcendantlrsquoecirctre Proclus eacutevoque des interpregravetes selon lesquels le veacuteritable objet

134 Fabienne JOURDAN

100 Agrave la mecircme eacutepoque ou peu apregraves (selon lrsquohypothegravese de R Chiara-donna laquo Theacuteologie et eacutepoptique aristoteacutelicienne dans le meacutedioplatonisme lareacuteception de Meacutetaphysique Λ raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted)Reacuteceptions de la theacuteologie aristoteacutelicienne op cit p 143-148 voir aussiM Frede laquo Numenius raquo art cit p 1064) Alcinoos donne une interpreacutetationessentiellement logique du Parmeacutenide voir Did VI p 159-160 H Cela nrsquoim-plique toutefois pas que ce fut lagrave la seule lecture du dialogue par Alcinoos(pace J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit)

101 Voir ceux eacutevoqueacutes au fragment 5215-24 (Calcidius In Tim CCXCV)qui font provenir la dyade de la monade Modeacuteratus agrave qui est justement precircteacuteun commentaire du Parmeacutenide leur est parfois rapprocheacute

du Parmeacutenide est justement lrsquoecirctre (ou lrsquoUn de la seconde hypothegravese) etnon lrsquoUn absolu dont lrsquohypothegravese ne conduit qursquoagrave des apories102 Lrsquounde ces interpregravetes fut Origegravene (le Platonicien103 ) disciple drsquoAmmo-nius comme Plotin et qui eacutetait peut-ecirctre justement en deacutebat avecNumeacutenius notamment sur la fonction du premier principe104 SelonOrigegravene lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese eacutetait sans existence ni subsis-tance (ἀνύπαρκτον καὶ ἀνύποστατον) lrsquoEcirctre absolu et lrsquoUnabsolu ne devaient faire qursquoun et ecirctre identifieacutes agrave lrsquointellect commeprincipe supeacuterieur105 ce nrsquoeacutetait donc qursquoavec la seconde hypothegravese

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 135

102 Proclus In Parm I 63531-6364 Theacuteol Plat II 4 311-28103 Nous nrsquoentrons pas ici dans le deacutebat concernant la question de savoir si

Origegravene nommeacute laquo le platonicien raquo est le mecircme qursquoOrigegravene le chreacutetien Nouspostulons qursquoil srsquoagit de deux personnages distincts (en cela nous suivonsnotamment R Goulet laquo Porphyre Ammonius les deux Origegravene et lesautres raquo Revue drsquohistoire et de philosophie religieuse 57 1977 p 471-496repris dans R Goulet Eacutetudes sur les Vies de philosophes de lrsquoAntiquiteacute tar-dive Diogegravene Laeumlrce Porphyre de Tyr Eunape de Sardes Textes et traditionsI Paris Vrin 2001 p 267-290) Sur ce sujet voir le statut de la question dansL Brisson R Goulet laquo Origegravene le platonicien raquo dans R Goulet (eacuted) Dic-tionnaire des philosophes antiques Paris CNRS IV 2005 p 804-807 M Zambon laquo Porfirio e Origene uno status quaestionis raquo dans S Morlet(eacuted) Le Traiteacute de Porphyre contre les chreacutetiens Un siegravecle de recherches nou-velles questions Paris Institut drsquoEacutetudes augustiniennes 2011 p 107-164 etles eacutetudes reacuteunies par B Baumlbler H-G Nesselrath (eacuted) Origenes der Christund Origenes der Platoniker Tuumlbingen Mohr Siebeck 2018 (dont lrsquoarticle deCh Riedweg qui identifie les deux personnages)

104 Drsquoapregraves le titre de son ouvrage transmis par Porphyre (VP 332 cf Pro-clus Theol plat II 4 A) Ὃτι μόνος ποιητὴς ὁ βασιλεύς Origegravene associaitvraisemblablement le laquo roi raquo (premier principe) au deacutemiurge nommeacute ποιητήςcontrairement agrave Numeacutenius qui les distingue au fragment 12 (20 F)

105 Sur ce sujet voir par ex HD Saffrey LG Westerink Proclus Theacuteo-logie platonicienne T II Paris Les Belles Lettres 1974 p X-XX C Steellaquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 32-35 L Bris-son laquo The Reception of Parmenides before Proclus raquo dans JD TurnerK Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage vol II Reception inPatristic Gnostic and Christian Neoplatonic Texts Atlanta Society of Bibli-cal Literature 2011 p 49-64

que commenccedilait selon lui lrsquoonto-theacuteologie platonicienne parce qursquoelleaurait deacutecrit lrsquointellect et les formes Origegravene paraissant plus proche deson maicirctre que Plotin106 son interpreacutetation eacutetait peut-ecirctre celle drsquoAm-monius et comme les argumentations drsquoAmmonius et de Numeacuteniussont parfois rapprocheacutees107 on pourrait penser agrave une parenteacute entre ellessur ce sujet eacutegalement Quoi qursquoil en soit sur ce point on peut retenirdeux choses de la comparaison avec lrsquointerpreacutetation drsquoOrigegravene lerefus de consideacuterer le premier principe comme identique agrave lrsquoUn absolude la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et lrsquoidentification de ce prin-cipe agrave lrsquoEcirctre absolu

Peut-on alors supposer que Numeacutenius agrave lrsquoinstar drsquoOrigegravene conccediloitlui aussi cet Ecirctre comme deacutecrit dans la deuxiegraveme hypothegravese Crsquoest eneffet avions-nous vu drsquoembleacutee la seule maniegravere de lui supposer reacuteelle-ment une utilisation du Parmeacutenide dans sa description du premier prin-cipe

b) Le Bien et lrsquo laquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

On peut en effet rappeler que Plotin a tendance agrave situer le premierde Numeacutenius au rang du second selon sa propre doctrine Toutefois agravela lecture du Parmeacutenide lui-mecircme Numeacutenius aurait assureacutement eacuteteacutegecircneacute degraves la formulation de lrsquohypothegravese consideacuterant Un et ecirctre (οὐσία)comme deux eacuteleacutements seacutepareacutes neacutecessitant la participation de lrsquoUn agravelrsquoecirctre (142 b-c) Pour Numeacutenius le premier principe est lrsquoecirctre il nrsquoapas part agrave lrsquoecirctre Lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacutenide ten-tera certes de reacutesoudre la difficulteacute et si Numeacutenius avait commenteacute letexte il aurait sans doute fait de mecircme Mais est-il bien neacutecessaire delui precircter pareille entreprise Il nrsquoest en effet pas davantage inteacuteresseacute agrave

136 Fabienne JOURDAN

106 Voir HD Saffrey LG Westerink op cit p XIX107 Voir par ex le teacutemoignage de Neacutemeacutesius (fr 4 b = Sur la nature de

lrsquohomme 2 8-14) qui les associe dans la critique de la corporeacuteiteacute de lrsquoacircmecaracteacuteristique de la conception stoiumlcienne

utiliser la seacuterie de preacutedicats contraires cette fois accepteacutes pour lrsquoUn decette deuxiegraveme hypothegravese Si nous nrsquoen retenons seulement quelques-uns parmi ceux pouvant concerner une reacutealiteacute intelligible on noteraque la notion de pluraliteacute ne peut concorder avec la repreacutesentation delrsquouniteacute indivisible que constitue le Bien pas davantage que le coupleantitheacutetique drsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave soi Trois points pourraientecirctre malgreacute tout rapprocheacutes dans la deacutefinition du Bien numeacutenien et delrsquoUn de la seconde hypothegravese lrsquoaffirmation drsquoune preacutesence agrave la fois ensoi et en autre chose (145 b 6-7) ndash mais elle est caracteacuteristique de touteforme intelligible et la contradiction apparente est reacutesolue par le pheacute-nomegravene de la participation bien deacuteveloppeacute par Numeacutenius lrsquoideacutee quece principe est en mouvement et en repos (145 a 3-146 a 7)ndash mais nousavons montreacute son sens particulier lieacute au processus de la penseacutee propreagrave lrsquointellect qui nrsquoest pas deacuteveloppeacute dans le Parmeacutenide et enfin larelation au temps (152 a) mais elle nrsquoest que provisoire concernant ladeuxiegraveme hypothegravese dans la mesure ougrave celle-ci va ensuite associerlrsquoecirctre agrave toutes les dimensions du temps alors que Numeacutenius ne lrsquoasso-cie qursquoau preacutesent comme le fait le Timeacutee (et peut-ecirctre le vrai Parmeacute-nide lui-mecircme au fragment 85)

Il nous semble donc peu probable que Numeacutenius ait envisageacute sonpremier principe en songeant agrave lrsquoUn-qui-est du Parmeacutenide ou aitmecircme tenteacute de le lui faire correspondre dans une eacutetape ulteacuterieure de sareacuteflexion En cela le deacutesaccord qui semble affleurer avec Origegravene surla caracteacuterisation des principes se retrouverait sur ce point eacutegalement

c) Le second dieu (le Bon) et lrsquolaquo Un qui est raquo

Une autre possibiliteacute peut toutefois se preacutesenter agrave lrsquoesprit Numeacute-nius nrsquoaurait-il pas alors associeacute agrave ce second Un son second dieu etprincipe qui lui est effectivement agrave la fois Un et plusieurs (143 a 5)au sens ougrave il connaicirct une laquo division raquo lorsqursquoil rencontre la matiegravere108

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 137

108 Fr 11 (19 F)

Telle est en effet lrsquohypothegravese de JD Turner109 On pourrait lrsquoeacutetayer ennotant que ce dieu est drsquoailleurs lui aussi seacutepareacute pour ainsi dire de saforme le Bien ce qui constitue deux aspects de son ecirctre et mecircme de laforme qursquoil produit comme modegravele du monde lui aussi a en outre partagrave lrsquoοὐσία qursquoil reccediloit du premier En extrapolant on pourrait imaginerque crsquoest agrave lui que reviennent tous les couples de contraires puisqursquoilest agrave la fois dans lrsquointelligible par sa contemplation et preacuteoccupeacute dusensible tendant au contact avec la matiegravere110 Mais nous irions troploin Numeacutenius fait certes de ce second dieu lrsquoecirctre deacuteriveacute mais il estecirctre assureacutement et nrsquoest pas concerneacute par les preacutedicats caracteacuterisant lesensible (comme la grandeur la limite lrsquoacircge) Ce qui peut paraicirctrecontraire en ce dieu ce sont seulement des attitudes lieacutees agrave son orienta-tion dans un processus cosmogonique Numeacutenius ne paraicirct pas avoirainsi deacutefini son essence dont la caracteacuteristique fondamentale est lrsquoimi-tation et la participation au Bien Crsquoest pourquoi mecircme si cela peutparaicirctre tentant nous ne pensons pas qursquoil ait conccedilu ce second dieu ensongeant agrave la deuxiegraveme hypothegravese du Parmeacutenide ni mecircme qursquoil aittenteacute apregraves lrsquoavoir deacutefini de le lui faire correspondre111 Le consideacuterer

138 Fabienne JOURDAN

109 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 137-138 qui ajoute agravecela une reacuteflexion sur ce que certains Anciens consideacuteraient comme la troisiegravemehypothegravese (155 e 4-157 b 4) et fait du second dieu de Numeacutenius dans sa dualiteacutemecircme un repreacutesentant des Un de la deuxiegraveme et troisiegraveme hypothegraveses (Un-plu-sieurs et Un-et-plusieurs) Cette lecture est ingeacutenieuse mais inveacuterifiable

110 Fr 11 (19 F)111 Concernant les autres hypothegraveses nous pourrions faire deux remarques

Dans la troisiegraveme la deacutefinition des laquo autres choses raquo comme eacutetant de natureillimiteacutee mais recevant leur limite par participation agrave lrsquoUn (158 d 7-8) corres-pond agrave la conception de la formation du monde par le deacutemiurge (fr 18 26 F cf fr 52) Mais cette interpreacutetation est la leccedilon mecircme du Timeacutee coupleacute avec lePhilegravebe Dans la derniegravere hypothegravese ensuite en 165 c 2 on trouve lrsquoexpres-sion ὀξὺ νοοῦντι pour deacutesigner celui qui regarde de pregraves et voit que les chosesqui paraissent unes sont en reacutealiteacute plusieurs car priveacutees drsquouniteacute Avec lrsquoexpres-sion ὀξὺ βλέποντι au fr 19 (27 F) Numeacutenius pourrait faire un clin drsquoœilentendu agrave ce passage lorsqursquoil invite agrave comprendre ce qui est selon lui le vraisens du terme un appliqueacute au Bien celui drsquouniciteacute Lrsquoeacutecho lexical pourrait ren-

selon chacun de ses deux laquo aspects raquo comme correspondant agrave lrsquolaquo Un-plusieurs raquo et agrave lrsquolaquo Un-et-plusieurs raquo de la deuxiegraveme et de la troisiegravemehypothegraveses entrevue par certains Anciens comme le fait J Turnerrelegraveve selon nous drsquoune lecture plotinienne qui ne correspond pas agravelrsquoenseignement du Περὶ τἀγαθοῦ112 Cela une fois encore nrsquoem-pecircche pas que Numeacutenius ait pu inspirer Plotin dans sa propre lecturedu Parmeacutenide

3 Le Περὶ τἀγαθοῦ et la premiegravere partie du Parmeacutenide

Dans le Περὶ τἀγαθοῦ Numeacutenius nrsquoa ainsi selon nous pas conccedilusa reacuteflexion sur les principes agrave partir drsquoun commentaire du Parmeacutenideni nrsquoa mecircme tenteacute de la faire correspondre aux hypothegraveses de laseconde partie de ce dialogue apregraves lrsquoavoir eacutelaboreacutee En revanche ilsrsquoest assureacutement inteacuteresseacute agrave la premiegravere partie ou du moins aux diffi-culteacutes dans lesquelles elle place la theacuteorie des formes113 Qursquoil ait ounon en tecircte ce dialogue le sien en tout cas cherche assureacutement agraverendre possible la participation et donc agrave sauver la theacuteorie des formespar-delagrave les objections que lui adresse Parmeacutenide Ce sujet nous inteacute-ressant moins directement ici nous ferons bref

Agrave la question de savoir srsquoil y a des formes de tout (130 b-e) Numeacute-nius reacutepond assureacutement qursquoil y en a de tout ce qui a part au Bien114 agrave

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 139

voyer agrave cette illusion relative agrave la saisie de ce qursquoest laquo ecirctre un raquo Lrsquoexpressionnrsquoeacutetant pas absente par ailleurs chez Platon (voir le commentaire au fragment19 27 F) il nrsquoest cependant pas neacutecessaire de penser que Numeacutenius ait ce pas-sage du Parmeacutenide en tecircte il est simplement tentant drsquoy songer dans uncontexte de reacuteflexion sur lrsquoUn

112 Contra JD Turner laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art citp 138-139

113 On remarquera qursquoAlcinoos (Did IX p 163 H 23-31 L W) fait demecircme en reacutepondant agrave la question de ce dont il y a des formes et en concevantcelles-ci comme des penseacutees du premier dieu

114 Fr 13 et 19 (21 et 27 F)

la question du rapport entre forme et participeacute il envisage positive-ment les deux solutions proposeacutees par Socrate a) les formes sont pourlui des penseacutees (cf Parm 132 b-c) elles sont celles du seconddieu115 et elles pensent (cf Parm 132 c) puisque telle est la maniegraverede participer au Bien116 b) les formes sont par ailleurs des paradigmes(cf Parm 132 d) comme le montre lrsquoexemple embleacutematique du rap-port entre le Bon qursquoest le deacutemiurge et le Bien envisageacute commeforme117 Quant agrave lrsquoargument du troisiegraveme homme en placcedilant le Bienau sommet de lrsquointelligible Numeacutenius estime peut-ecirctre y avoir ultime-ment reacutepondu Lrsquoobjection de la seacuteparation (133 a 8-134 c 7) enfinavec le double risque qursquoelle comporte de lrsquoinconnaissabiliteacute desformes (134 a-b) et du deacutefaut de connaissance de notre monde par ledieu qui ne pourrait alors pas agir agrave notre eacutegard (134 e) aura particu-liegraverement retenu son attention tout le dialogue Sur le Bien tend eneffet agrave montrer la continuiteacute agrave la fois ontologique et eacutepisteacutemique desdiffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute ndash le sensible lui-mecircme en tant que prisen charge par le deacutemiurge qui lrsquoeacutelegraveve agrave son propre caractegravere (autrementdit agrave sa bonteacute et agrave ce qui en deacutecoule)118 relegraveve en effet de la μετ-ουσία autrement dit de ce qui vient certes laquo apregraves lrsquoοὐσία raquo mais y amalgreacute tout essentiellement part119 Le Περὶ τἀγαθοῦ conduit en toutcas drsquoune part agrave la connaissance de la forme premiegravere tandis que celle-ci srsquoavegravere la connaissance ultime qui se transmet ensuite120 il montredrsquoautre part la relation permanente du premier agrave notre monde non seu-lement par lrsquointermeacutediaire du second dieu qui assure directement lrsquoac-tion providentielle mais par le salut ou la conservation (σωτηρία)

140 Fabienne JOURDAN

115 Fr 16 (24 F) Nous reacutesumons voir notre interpreacutetation du fragment116 Fr 19 (27 F) Lagrave aussi nous reacutesumons notre interpreacutetation laquo Pense raquo en

reacutealiteacute tout ce qui a part au Bien En outre lrsquoidentification de lrsquointellect agrave uneforme au fragment 20 (28 F) suggegravere cette interpreacutetation

117 Fr 16 19 et 20 (24 27-28 F)118 Fr 11 (19 F) cf fr 18 (26 F)119 Voir lrsquoutilisation fort suggestive de ce terme pour deacutesigner la participa-

tion agrave la fin du fragment 16 (24 F)120 Fr 13-14 (21-22 F)

qursquoil dispense lui-mecircme reacuteellement121 en tant que Bien et qursquoEcirctre quiassure ultimement la coheacutesion du monde

Nous ne preacutetendons pas que Numeacutenius reprenne point par point lesobjections de Parmeacutenide agrave Socrate contre la theacuteorie des formes Maisqursquoil les ait consideacutereacutees directement dans le dialogue de Platon ou qursquoilles ait connues par la tradition il les a prises au seacuterieux et a senti luiaussi la neacutecessiteacute drsquoy reacutepondre pour sauver Platon agrave la maniegravere dont illrsquoentendait

4 Conclusion sur Numeacutenius et le Parmeacutenide

Rien donc dans lrsquoœuvre parvenue ne permet de conclure agrave uneinterpreacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide par Numeacutenius nonseulement les textes ne contiennent pas de reacuteels parallegraveles avec le dia-logue de Platon mais ils suggegraverent que Numeacutenius ne srsquoest fondeacute suraucune des deux premiegraveres hypothegraveses pour deacuteterminer les traits de sonpremier principe ni mecircme sur la deuxiegraveme (voire la troisiegraveme) pourdeacutefinir le second Il est mecircme peu vraisemblable qursquoil ait tenteacute reacutetros-pectivement de les leur faire correspondre Il srsquoest en revanche assureacute-ment inquieacuteteacute des objections dresseacutees contre la theacuteorie des formes dansla premiegravere partie du dialogue et aura tenteacute drsquoy reacutepondre en assurant lavaliditeacute de la participation selon les diffeacuterentes modaliteacutes envisageacutees lagravepar Socrate ndash en cela il srsquoinscrit vraisemblablement dans la traditionplatonicienne122 dont il heacuterite peut-ecirctre plus de la probleacutematique qursquoilne la cherche directement dans le texte de Platon Concernant laseconde partie du dialogue il a pu percevoir dans lrsquoexposeacute de la pre-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 141

121 Fr 15 (23 F)122 Voir les remarques de la note 100 sur Alcinoos Mecircme si Alcinoos est

peut-ecirctre posteacuterieur agrave Numeacutenius de toute eacutevidence les platoniciens ont tenteacutede montrer la justesse de la theacuteorie des formes et de la participation contre lescritiques drsquoAristote ainsi assureacutement que contre celles deacutejagrave eacuteleveacutees dans leParmeacutenide et vraisemblablement inspireacutees (entre autres) par les discussions ausein de lrsquoAcadeacutemie

miegravere hypothegravese une raison suffisante pour ne pas identifier son premierprincipe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit prenant ainsi Platon agrave la lettre agrave propos ducaractegravere aporeacutetique de lrsquoUn tel qursquoil eacutetait lagrave envisageacute

Si elle eacutetait aveacutereacutee cette attitude aurait une double conseacutequencepour la compreacutehension de lrsquohistoire du platonisme

Elle pourrait drsquoabord reacuteveacuteler une intention poleacutemique agrave plusieursniveaux Elle est en effet concevable comme une reacuteaction agrave lrsquoeacuteven-tuelle association neacuteo-pythagoricienne du premier principe associeacute agravelrsquoUn ou agrave la monade avec lrsquoUn absolu de la premiegravere hypothegravese duParmeacutenide Mecircme si selon nous lrsquoidentification du premier principe agravelrsquoUn chez Speusippe et les neacuteo-pythagoriciens123 relegraveve avant tout dela tradition acadeacutemicienne pythagorisante relative agrave lrsquoUn et agrave la Dyadeainsi que du compte-rendu aristoteacutelicien de lrsquoenseignement oral de Pla-ton sur les principes124 il nrsquoy a pas en soi de raison drsquoexclure une pos-sible invocation pour confirmation de lrsquoUn du Parmeacutenide (agrave condi-tion de ne pas leur precircter une interpreacutetation neacuteoplatonicienne) Parsuite une poleacutemique avec lrsquoAncienne Acadeacutemie est eacutegalement envisa-geable Non seulement dans sa deacutefense de la theacuteorie des formes125Numeacutenius pourrait tenter de reacutepliquer agrave la suppression de celles-ciopeacutereacutee par Speusippe mais aussi srsquoopposer agrave la conception du premierprincipe precircteacutee agrave lrsquoAncien Acadeacutemicien Que lrsquoon croie Aristote selonlequel lrsquoUn de Speusippe ne serait laquo pas mecircme un ecirctre raquo126 ou plutocirct

142 Fabienne JOURDAN

123 Voir la note 75124 Voir aussi Meacutet N 4 1091 b 13-15 EE A 8 1218 a 15-32 ougrave le Bien est

associeacute agrave lrsquoUn125 Selon lui la connaissance drsquoun objet quelconque consistait dans celle

de ses relations agrave tous les autres (fr 73 Taraacuten = 2 I P2 = Proclus In Euclp 179 12-22 Friedlein) et crsquoest aux nombres qursquoil aurait alors accordeacute le statutde principe (voir le reacutesumeacute de A Meacutetry Speusippos Zahl Erkenntnis SeinBernStuttgartWien Paul Haupt 2002 p 11-13 et celui de HD Kraumlmerlaquo Die Aumlltere Akademie raquo dans H Flashar (eacuted) Grundriss der Geschichte derPhilosophie Band 3 Aumlltere Akademie Aristoteles Peripatos Basel SchwabeVerlag 20042 [1983] p 16-17)

126 μηδὲ ὄν τι εἶναι τὸ ἕν αὐτό Meacutet N 5 1092 a 16 (fr 43 Taraacuten = 25 IP2 = Aristote Meacutet N 5 1092 a 11-17)

Jamblique selon qui il ne serait laquo pas encore ecirctre raquo127 une distinctionentre lrsquoUn conccedilu comme premier principe et lrsquoecirctre semble agrave lrsquoœuvrechez lui128 si bien que certains ont mecircme penseacute que Platon lui reacutepon-dait dans le Parmeacutenide129 Il nrsquoest pas utile drsquoentrer dans ce deacutebat laposition de Speusippe peut relever drsquoune reacuteflexion sur le Bien deReacutepublique VI et drsquoune appropriation de lrsquoenseignement oral de Platonagrave nous transmis par le compte-rendu aristoteacutelicien qui laisse Platonassocier eacutetroitement le Bien et lrsquoUn Disons simplement que srsquoil a euconnaissance de la position de Speusippe Numeacutenius peut avoir voulului reacutepondre Nrsquooublions pas qursquoagrave lui comme agrave ses pairs dans lrsquoAn-cienne Acadeacutemie il reproche de ne pas avoir pas laquo tout souffert raquo pour

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 143

127 ὅπερ δὴ ουδὲ ὄν πω δεῖ καλεῖν DCMS IV p 157-8 FestaKlein128 La reconstruction de lrsquoenseignement exact de Speusippe sur le premier

principe est neacutecessairement fragile drsquoune part elle est fondeacutee sur lrsquointerpreacuteta-tion du texte drsquoAristote qui est empreint de critique drsquoautre part elle esteacutetayeacutee par deux autres textes dont le lien agrave Speusippe est controverseacute et dontles auteurs agrave la fois sont familiers du neacuteo-pythagorisme et ont lu Plotin chezqui lrsquoUn est effectivement au-dessus de lrsquoecirctre (il srsquoagit de Jamblique et de Pro-clus dans la traduction de Guillaume de Moerbeke In Parm VII 401-9 Kli-bansky-Labowsky = 50162-71 Steel = fr 48 Taraacuten = 30 IP2) Nous ne propo-sons ici qursquoune hypothegravese de reacuteflexion Pour un exposeacute plus deacutetailleacute sur la rela-tion eacuteventuelle de Numeacutenius agrave Speusippe dans lrsquoeacutelaboration drsquoune leacutegitimiteacuteplatonicienne voir la premiegravere annexe de notre eacutedition commenteacutee des frag-ments de Numeacutenius en preacuteparation

129 Crsquoest la lecture de A Graeser (laquo Platon gegen Speusipp Bemerkun-gen zur ersten Hypothese des Platonischen Parmenides raquo Museum Helveti-cum 54 1997 p 45-47 et laquo Anhang Probleme der Speusipp-Interpreta-tion raquo dans Prolegomena zu einer Interpretation des zweiten Teils des Plato-nischen Parmenides Bern Paul Haupt 1999 p 41-53) et J Halfwassen(Der Aufstieg zum Einen op cit et laquo Speusipp und die metaphysische Deu-tung von Platons Parmenides raquo art cit) adopteacutee par ex par R Dancy(laquo Speusippus raquo dans EN Zalta (eacuted) The Stanford Encyclopedia of Philo-sophy Winter 2012 Edition 20112 [2003] en ligne) et rejeteacutee par C Steel(laquo A Neoplatonic Speusippus raquo art cit p 470 473-475) et LP Gerson(laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit p 2-11de la version eacutelectronique)

rester dans une communauteacute de penseacutee avec leur maicirctre130 Commenous lrsquoavons suggeacutereacute dans les preacuteliminaires il ne serait alors pasimpossible qursquoavec cette eacuteventuelle lecture du Parmeacutenide Numeacuteniuseucirct souhaiteacute reacutepliquer agrave lrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne signaleacutee delrsquoenseignement oral de Platon trouvant quant agrave lui dans le Platon eacutecritla juste interpreacutetation du Platon oral mal laquo entendu raquo Pareille supposi-tion doit toutefois ecirctre prise avec prudence

Par-delagrave la mise en eacutevidence drsquoune poleacutemique agrave plusieurs niveauxlrsquohypothegravese proposeacutee sur lrsquoattitude de Numeacutenius concernant ladeuxiegraveme partie du Parmeacutenide permet de mieux deacuteterminer a contra-rio ce qui caracteacuterise une interpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo 131 du dia-logue De maniegravere geacuteneacuterale drsquoabord la position de Numeacutenius montrepar contraste que lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne trouve son originedans une vue contraire agrave la sienne sur le statut de la forme du Bien et sasituation agrave lrsquoeacutegard de lrsquoοὐσία en Reacutepublique VI ainsi peut-ecirctre que

144 Fabienne JOURDAN

130 Fr 2416-18 1 F = Eusegravebe PE XIV 5 2131 Nous en restons aux caractegraveres geacuteneacuteraux il nrsquoy a en effet pas une seule

et unique interpreacutetation post-plotinienne du Parmeacutenide On remarquera enoutre que Jamblique (drsquoapregraves Proclus In Tim III 1049-16 Diehl) semble eacutevo-quer chez Ameacutelius et Numeacutenius (si lrsquoon suit le raisonnement de Proclus) desdistinctions relatives aux diviniteacutes dans le Sophiste le Philegravebe et le Parmeacutenidequi ne correspondent pas agrave celles retenues dans le neacuteoplatonisme Si ce proposne se rapporte pas seulement agrave Ameacutelius mais vraiment aussi agrave Numeacutenius ilfaudrait en tirer lagrave encore la conclusion que son interpreacutetation ne correspondpas agrave celle du neacuteoplatonisme qui identifie son premier principe agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et donc pas non plus agrave celle des neacuteopytha-goriciens que lrsquoon reconstruit agrave partir des teacutemoignages neacuteoplatoniciens Celadit mecircme srsquoil est tentant de penser que le οὗτοι (10411) de Proclus renvoieaux deux exeacutegegravetes qursquoil vient de citer il se peut malgreacute tout que ne soit deacutesigneacutelagrave que le seul Ameacutelius disciple de Plotin et donc assureacutement familier de lrsquoexeacute-gegravese du Parmeacutenide Il nrsquoy a en revanche aucune difficulteacute agrave precircter agrave Numeacuteniusdes exeacutegegraveses partielles du Sophiste et du Philegravebe (voir nos interpreacutetations desfragments 15 23 F) et 19 27 F) Il nrsquoy en a drsquoailleurs pas davantage agrave imagi-ner chez lui une utilisation partielle du Parmeacutenide ou des allusions agrave ce dia-logue voire une prise agrave la lettre du propos de Parmeacutenide sur lrsquoUn de la pre-miegravere hypothegravese conduisant agrave renoncer agrave celui-ci comme premier principe

dans une appropriation du compte-rendu de lrsquoenseignement oral dePlaton par Aristote En affirmant lrsquoidentiteacute ontologique du Bien et delrsquoEcirctre Numeacutenius srsquointerdit lrsquoidentification de son premier principe agravelrsquoUn distinct de lrsquoecirctre de la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide En refu-sant au contraire pareille identiteacute en srsquoappuyant peut-ecirctre sur lrsquoidenti-fication du Bien et de lrsquoUn precircteacutee agrave Platon et aux platoniciens par Aris-tote et en appliquant ces deux eacuteleacutements agrave une lecture du Parmeacutenide132Plotin ouvre la voie de lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologiqueulteacuterieure du dialogue Malgreacute son caractegravere hypotheacutetique la supposi-tion selon laquelle Numeacutenius prendrait effectivement acte des conseacute-quences aporeacutetiques de la premiegravere hypothegravese en nrsquoidentifiant pas sonpremier principe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit permet ici encore a contrariode deacuteterminer deux autres eacuteleacutements indissociables caracteacuteristiques delrsquointerpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo du Parmeacutenide lrsquoidentification dupremier principe agrave lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese et par suite une lec-ture laquo positive raquo de celle-ci qui en reacutealiteacute contredit les conclusionsneacutegatives de Platon agrave son sujet Une theacuteologie neacutegative en est alorscertes tireacutee (que lrsquoon songe au Commentaire anonyme au Parmeacutenideou agrave celui de Proclus133) Mais cette neacutegativiteacute est conccedilue commereacutesultant de lrsquoincapaciteacute fondamentale de lrsquohomme agrave concevoir le pre-mier principe autrement que par analogies et approximations neacutecessai-rement erroneacutees Elle ne concerne pas le principe en lui-mecircme ni laconviction qursquoil constitue le fondement ultime assurant la coheacutesion dela reacutealiteacute Numeacutenius aura quant agrave lui preacutefeacutereacute rester fidegravele agrave la lettre dutexte et donc aux doutes du maicirctre qui laisse parler Parmeacutenide Agrave ce

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 145

132 Les deux premiers eacuteleacutements agrave eux seuls conduisent seulement agrave laposition de Speusippe dont rien ne permet drsquoaffirmer le rattachement au Par-meacutenide Nous compleacutetons en cela les hypothegraveses de J Whittaker laquo ΕΠΕ-ΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit Voir aussi LP Gerson laquo The lsquoNeo-platonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit

133 In Parm VII 51872-84 Plutocirct que de radicaliser la neacutegation pour par-ler de lrsquoUn Proclus indique que la neacutegation porte en reacutealiteacute sur la conceptionde lrsquoUn et pas sur lrsquoUn lui-mecircme qui garde la fonction laquo positive raquo drsquoassurer lacoheacutesion du reacuteel

stade de nos connaissances et drsquoapregraves lrsquoœuvre parvenue precircter agraveNumeacutenius cette reacuteaction aux conclusions de la premiegravere hypothegravesenous paraicirct la seule maniegravere prudente drsquoenvisager de sa part une inter-preacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide Renoncer agrave lui en precircterune ne poserait toutefois aucune difficulteacute

5 Appendice Numeacutenius et Parmeacutenide134

Cette conclusion sobre sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenidesuggegravere drsquointerroger pour finir son attitude agrave lrsquoeacutegard du Parmeacutenide his-torique lui-mecircme auquel Plotin fait parfois appel Que Numeacutenius aitconnu et utiliseacute (directement ou non) le poegraveme Sur la nature est aveacutereacutepar le teacutemoignage de Porphyre selon lequel il aurait associeacute les porteseacutevoqueacutees lagrave135 agrave celles du Cancer et du Capricorne repreacutesentant selonlui les voies respectivement descendante et ascendante des acircmes136Or dans le Περὶ τἀγαθοῦ qui seul nous inteacuteresse ici deux eacuteleacutementsdoctrinaux pourraient relever drsquoune appropriation personnelle de Par-meacutenide ou plutocirct de la tradition agrave son sujet telle qursquoelle serait parvenueagrave Numeacutenius ndash Platon ayant assureacutement aiguiseacute chez ses successeurslrsquointeacuterecirct pour la penseacutee du personnage eacuteponyme de son dialogue Sansentrer dans une recherche des sources ni dans un exposeacute deacutetailleacute de lapenseacutee de Parmeacutenide et des interpreacutetations de son poegraveme nous nouscontenterons ici drsquoeacutevoquer ces deux points dans le simple but drsquoouvrirla recherche

Le premier concerne la relation de lrsquoecirctre au temps et au change-ment telle qursquoelle est deacutecrite dans le fragment 5 (14 F) deacutejagrave citeacute en par-tie Lrsquoaffirmation que lrsquoecirctre ne saurait ecirctre dans le passeacute ou lrsquoavenir

146 Fabienne JOURDAN

134 Je remercie Francesco Fronterotta drsquoavoir relu cette derniegravere section135 Parmeacutenide fr 1 11 D-K ougrave sont deacutecrites les laquo portes ouvrant sur les

chemins de la nuit et du jour raquo136 Voir Porphyre De antro 21-24 ici surtout 24 Numeacutenius fr 31 27-28

Sur ce texte voir le commentaire de W Huumlbner dans lrsquointroduction de lrsquoeacuteditioncommenteacutee du De Antro parue sous la direction de T Dorandi Paris Vrin2019

mais que seul le preacutesent lui convient et qursquoil ne pourrait pas davantagechanger renvoie assureacutement au propos du Timeacutee (37 d 2-38 b 2)137Que Platon deacuteveloppe ici une reacuteflexion originellement preacutesente chezParmeacutenide et plus preacuteciseacutement pour nous dans le fragment 8 de sonpoegraveme138 pourrait suffire agrave expliquer cet eacutecho parmeacutenidien chezNumeacutenius Mais il est frappant que dans ce fragment 5 (14 F) duΠερὶ τἀγαθοῦ relayeacute par les suivants Numeacutenius reprenne une seacuteriedrsquoeacuteleacutements qui deacutecrivent lrsquoecirctre dans le passage concerneacute du poegraveme outre ceux deacutejagrave nommeacutes on retrouve chez lui lrsquoimpossibiliteacute qursquoalrsquoecirctre de devenir plus grand ou plus petit139 et la neacutecessiteacute qui estsienne de demeurer en lui-mecircme au mecircme endroit140 Ainsi lorsqueNumeacutenius estime que si ces laquo prescriptions raquo indispensables agrave ladeacutetermination de lrsquoecirctre veacuteritable nrsquoeacutetaient pas respecteacutees il se produi-rait une laquo impossibiliteacute majeure dans son discours unique en songenre agrave savoir que lrsquoecirctre agrave la fois serait et ne serait pas raquo141 et faitensuite paraphraser lrsquoideacutee par le disciple du dialogue avec la formule

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 147

137 Voir aussi Plutarque De E 20 393 a-c dont la position est compareacuteeavec celle de Numeacutenius dans notre analyse du fragment

138 Voir les vers suivants du fragment 8 D-K agrave lrsquoorigine de toute lareacuteflexion sur lrsquoeacuteterniteacute (cf M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art citp 157) οὐδέ ποτ᾽ ἦν ἔσται ἐπεὶ νῦν ἐστιν ὁμοῦ πᾶν ἕν συνεχές τίναγὰρ γένναν διζήσεαι αὐτοῦ laquo Il nrsquoa jamais eacuteteacute et ne sera jamais puisqursquoilest maintenant tout ensemble un continu Car quelle naissance pourrais-tului chercher raquo v 5-7 (trad Kirk Raven Schofield en fr par H-A de Weck)et πῶς δ᾽ἄν ἔπειτα πέλοι τὸ ἐόν πῶς δ᾽ἄν κε γένοιτο εἰ γὰρ ἔγεντ᾽ οὐκἔστ᾽ οὐδ᾽ εἴ ποτε μέλλει ἔσεσθαι τῶς γένεσις μὲν ἀπέσβεσται καὶἄπυστος ὄλεθρος laquo Comment pourrait-il ecirctre par la suite Celui qui est Comment pourrait-il naicirctre Car srsquoil est neacute il nrsquoest pas de mecircme lt il nrsquoest pasnon plus gt srsquoil doit ecirctre un jour Ainsi est eacuteteinte la naissance eacuteteinte aussi ladestruction disparue sans qursquoon en parle raquo v 19-21 (trad D OrsquoBrien leacutegegravere-ment modifieacutee) Voir aussi les vers 26-28 du mecircme fragment 8 D-K sur lrsquoab-sence de mouvement ainsi que de deacutebut et de fin

139 Parmeacutenide fr 844-45 D-K140 Parmeacutenide fr 829-30 D-K cf Numeacutenius fr 11 (19 F)141 ὡς τούτου γε οὕτως λεγομένου ἓν γίνεταί τι ἐν τῷ λόγῳ μέγα

ἀδύνατον εἶναί τε ὁμοῦ ταὐτὸν καὶ μὴ εἶναι

relativement complexe εἰ δὲ οὕτως ἔχει σχολῇ γrsquo ἂν ἄλλο τι εἶναιδύναιτο τοῦ ὄντος αὐτοῦ μὴ ὄντος κατὰ αὐτὸ τὸ ὄν il nrsquoest pasexclu qursquoil ait ici le poegraveme parmeacutenidien agrave lrsquoesprit auquel il seraitrevenu directement ou non sous lrsquoimpulsion de Platon La phraseindique en effet (nous paraphrasons) que si pareille impossibiliteacute seproduisait il serait mecircme impossible agrave autre chose (que lrsquoecirctre) drsquoecirctrepuisque lrsquoecirctre lui-mecircme ne serait pas selon ce qursquoil devrait ecirctre (κατὰαὐτὸ τὸ ὄν) autrement dit selon sa propre essence et deacutefinitionNumeacutenius suggegravere sans doute par lagrave que si lrsquoecirctre eacutetait soumis au pas-sage du temps et au changement il serait tout simplement non-ecirctrepuisqursquoil ne correspondrait pas agrave sa propre deacutefinition ce qui explique-rait son impossibiliteacute de constituer le fondement de la reacutealiteacute Une foisreplaceacute dans le contexte de penseacutee de Numeacutenius ougrave ce qui est non-ecirctreest la matiegravere et la partie du sensible qui relegraveve drsquoelle lrsquoideacutee semblefort proche de la maniegravere dont Parmeacutenide dresse lrsquoantithegravese entre ecirctreet non-ecirctre dans ce mecircme fragment 8 de son poegraveme142 Cette impres-sion peut ecirctre eacutetayeacutee par celle drsquoune prise de distance agrave lrsquoeacutegard de cepassage du poegraveme lorsque Numeacutenius affirme que lrsquoecirctre nrsquoest pasmecircme mucirc autour de son centre143 si cette preacutecision fait sans doutedrsquoabord allusion agrave lrsquoacircme du monde qui se meut autour de celui-ci dansle Timeacutee et par suite au refus drsquoidentifier lrsquoecirctre veacuteritable agrave une acircme144elle porte peut-ecirctre eacutegalement la trace drsquoune reacuteaction agrave lrsquoidentificationparmeacutenidienne de lrsquoecirctre agrave une sphegravere145 Lrsquohypothegravese est cependantplus fragile et Numeacutenius heacuterite sans doute avant tout de Platon enverslequel il se situe Crsquoest agrave partir du Timeacutee qursquoil eacutelabore sa penseacutee Maisil ne semble pas exclu qursquoil soit parfois retourneacute (directement ou non)agrave lrsquooriginal auquel reacutefegravere implicitement Platon ce qui est drsquoautant plus

148 Fabienne JOURDAN

142 Sur le non-ecirctre chez Parmeacutenide voir par ex D OrsquoBrien Le Non-Ecirctredans la philosophie grecque Parmeacutenide Platon Plotin raquo dans P Aubenque(eacuted) Eacutetudes sur le Sophiste de Platon Napoli Bibliopolis 1991 p 4-9

143 οὔτε περὶ τὸ μέσον ποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται144 Il srsquoagit lagrave selon nous drsquoun argument essentiel agrave la non-identification

numeacutenienne du deacutemiurge agrave lrsquoacircme du monde145 Fr 8 42-44 D-K

vraisemblable que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacute comme un pythago-ricien146

Le second eacuteleacutement du Περὶ τἀγαθοῦ qui pourrait suggeacuterer lrsquoap-propriation drsquoun passage de Parmeacutenide147 est lrsquoidentification de lrsquoecirctreet de lrsquointellect agrave chacun des deux niveaux ougrave Numeacutenius les situe Ecirctre lui-mecircme (αὐτοόν) et ecirctre deacuteriveacute (ὄν) premier et second intel-lects correspondant au premier et au deuxiegraveme dieu Sans entrer dansle deacutetail de lrsquointerpreacutetation disons simplement que selon nous en fai-sant de lrsquolaquo acte raquo de penser148 lrsquoapanage du premier dieu et en identi-fiant ce mecircme dieu agrave lrsquoEcirctre149 Numeacutenius suggegravere une union intime etprofonde entre ecirctre et penser qursquoil aurait pu consideacuterer comme remon-tant agrave Parmeacutenide lui-mecircme ou qursquoil aurait pu eacutetayer par une appropria-tion du fragment 3 de son poegraveme tel qursquoil est transmis par CleacutementdrsquoAlexandrie et Plotin150 [] τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶεἶναι [] Certes dans ce fragment de vers lrsquoidentification entre ecirctreet penser est suggeacutereacutee par lrsquoextraction du texte hors de son contexte envue justement drsquoy trouver pareille identification Elle ne correspond

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 149

146 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres IX 21(A 1 D-K) Proclus In Parm I 6194 Cousin cf Jamblique VP 166 (A 4D-K)

147 Pour reprendre les termes du fragment 1 (10 F) on pourrait aussi parlerde lrsquolaquo invocation raquo de Parmeacutenide comme source pythagorisante en accord avecPlaton et confirmant la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ elle-mecircme eacutetayeacutee par leslaquo teacutemoignages raquo de celui-ci Numeacutenius semble en effet pouvoir citer Parmeacute-nide pour confirmer son propos agrave la fois parce qursquoil ne pouvait que paraicirctre enaccord avec Platon (cf fr 1 10 F) et parce que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacutecomme pythagoricien

148 Degraves le fragment 15 (23 F) de maniegravere implicite dans le fragment 16 (24F) et explicite au fragment 19 (27 F)

149 Fr 17 (25 F)150 Cleacutement Strom VI 2 233 Plotin Enn VI 1 [10] 817 V 9 [5] 29-

30 cf I 4 [46] 106 III 8 [30] 88 VI 7 [38] 4118 (voir D OrsquoBrien Eacutetudessur Parmeacutenide T I Le Poegraveme de Parmeacutenide Paris Vrin 1987 p 19) ndash Onpourrait drsquoailleurs aussi penser aux vers 34-36 du fragment 8 eacutevoqueacute dans leparagraphe preacuteceacutedent

sans doute pas au sens originel du passage151 De plus chez Numeacuteniusle type de penseacutee speacutecifique agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme nrsquoest pas le νοεῖν maisle φρονεῖν Mais drsquoune part νοεῖν nrsquoayant pas chez Parmeacutenide lesens preacutecis que lui donne ensuite la tradition platonicienne une margerelative drsquointerpreacutetation et de preacutecision eacutetait laisseacutee agrave lrsquointerpregraveteappartenant agrave cette tradition152 drsquoautre part on peut tregraves bien imaginerNumeacutenius extraire ce passage dont la juxtaposition des termes luiaurait paru opportune pour eacutetayer son propos et preacuteciser le sens de laformule ainsi obtenue en distinguant deux niveaux de lrsquoecirctre auxquelscorrespondent deux types distincts de penseacutee (le νοεῖν entendu ausens platonicien drsquointellection revenant au seul second dieu)153Lorsque Cleacutement et apregraves lui Plotin reprennent cette formule il neserait pas impossible qursquoils lrsquoempruntent ainsi extraite agrave Numeacutenius

150 Fabienne JOURDAN

151 Denis OrsquoBrien (ibid p 19 209-212) a montreacute qursquoen reacutealiteacute dans lepoegraveme les deux infinitifs ne doivent vraisemblablement pas ecirctre pris commesujet drsquoun ἐστίν agrave valeur copulative mais peut-ecirctre comme compleacutement dupronom (τὸ αὐτό) ou de lrsquouniteacute syntaxique constitueacutee par le pronom et leverbe (au sens de laquo crsquoest une seule et mecircme chose pour penser et pour ecirctre raquodrsquoougrave la traduction par laquo crsquoest une seule et mecircme chose que lrsquoon pense et quiest raquo) F Fronterotta reprend son analyse et conclut que pour Parmeacutenideνοεῖν deacutesigne une forme de perception immeacutediate non sans lien avec lrsquoactiviteacutesensorielle mais allant au-delagrave des sens et de leur uniteacute creacuteative (laquo Someremarks on noein in Parmenides raquo dans S Stern-Gillet K Korrigan (eacuted)Reading ancient texts Vol I Presocratics and Plato Leiden Brill 2007p 3-19) Il ne srsquoagit donc pas (encore) de la perception intuitive que deacutesignerace verbe ulteacuterieurement

152 Voir la note preacuteceacutedente153 Nous pourrions preacuteciser ainsi lrsquointention de Numeacutenius srsquoil songe effec-

tivement agrave cette formule Selon nous il partage la conviction platonicienne quiveut que pour ecirctre pensable il faut ecirctre reacuteellement (et donc ecirctre intelligible crsquoest la leccedilon du Timeacutee) Srsquoil confrontait cette conviction au vers de Parmeacute-nide il lui donnerait donc drsquoabord lrsquointerpreacutetation laquo objective raquo deacuteceleacutee parFr Fronterotta (laquo Some remarks on noein in Parmenides raquo art cit) Toutefoisdans sa deacutefinition de lrsquoecirctre bientocirct identifieacute au Bien il retourne de toute eacutevi-dence cette conception et considegravere que nrsquoest veacuteritablement que ce qui est pen-sable (et donc lagrave encore intelligible par ex fr 4 a 13 F sur la matiegravere qui

Plotin lrsquoutilise certes pour caracteacuteriser le seul et unique Intellect chezlui situeacute au seul second niveau de la reacutealiteacute Mais cela correspondrait agravesa tendance geacuteneacuterale agrave faire passer au second niveau ce qui correspondau premier chez Numeacutenius154

De Numeacutenius il heacuterite donc peut ecirctre drsquoune lecture de Parmeacutenideplutocirct que du Parmeacutenide

Fabienne JOURDANCNRS UMR 8167 laquo Orient et Meacutediterraneacutee raquo Paris-Sorbonne

jourdanfabiennewanadoofr

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 151

nrsquoest pas ecirctre et ougrave une preuve de cet eacutetat est son caractegravere inconnaissable)Appliqueacutee agrave la formule de Parmeacutenide cette conviction en produirait ce queFr Fronterotta appelle une lecture laquo subjective raquo En outre dans le deacutesir sansdoute drsquoexpliquer la participation de maniegravere concregravete il ne donne pas seule-ment lrsquointelligibiliteacute comme condition de lrsquoecirctre (au sens passif du terme) maisil considegravere le fait de penser comme condition du fait drsquoecirctre reacuteellement (ausens laquo actif raquo du terme) Crsquoest pourquoi srsquoil avait connu et utiliseacute la formule deParmeacutenide ne serait-ce que pour eacutetayer son propos il y aurait sans douteentendu lrsquoaffirmation de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre et de la penseacutee mieux du penserCela pourrait certes paraicirctre lui attribuer une forme drsquoideacutealisme heacutegeacutelien(selon les termes de Fr Fronterrota laquo Some remarks on noein in Parmenides raquoart cit p 6) Mais telle est aussi la lecture de Cleacutement drsquoAlexandrie (StromVI 2 233) Or mecircme srsquoil ne le cite explicitement qursquoune fois (Strom I 22150 1-4 = 29 Fd) Cleacutement connaicirct Numeacutenius et se sert parfois de ses eacutecritssans le nommer (voir par ex Strom I 8 405 Strom I 13 571) Il nrsquoest doncpas impossible que pareille interpreacutetation circulacirct deacutejagrave au temps de Numeacuteniusvoire chez lui et mecircme gracircce agrave lui Le raisonnement du Περὶ τἀγαθοῦ dumoins passe par lrsquoidentification de lrsquoecirctre agrave lrsquo laquo activiteacute raquo de penser ensuiteconccedilue aux niveaux infeacuterieurs comme condition mecircme de leur participation agravelrsquoecirctre (voir le fr 19 27 F)

154 Nous simplifions et deacutecrivons simplement une tendance le processuspreacutecis requerrait une explication deacutetailleacutee qui nrsquoa pas sa place ici

152 Fabienne JOURDAN

Page 5: NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE · 2020. 4. 16. · NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE?* PREMIÈREPARTIE: L’ŒUVREPARVENUEDENUMÉNIUSETLEPARMÉNIDE DEPLATON RÉSUMÉ Si

Explicitons les trois moments de ce cheminement hermeacuteneutique il deacuteterminera notre propre deacutemarche heuristique

1) Bien qursquoagrave lrsquoorigine de lrsquoaffirmation relative au rocircle de Plotin etde son interpreacutetation du Parmeacutenide dans la fondation du neacuteoplato-nisme dans lrsquoarticle signaleacute ER Dodds invite agrave voir chez Modeacuteratus(Ier siegravecle ap J-C) et les pythagoriciens anteacuterieurs agrave lui (dont Eudorevers 25 ap J-C) les preacutemisses de lrsquointerpreacutetation plotinienne ou dumoins drsquoune interpreacutetation meacutetaphysico-theacuteologique du Parmeacutenidequi aurait eu son origine ultime dans lrsquoAncienne Acadeacutemie de Speu-sippe4 Son intuition a eacuteteacute suivie notamment par Philipp Merlan5 et

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4 Concernant Speusippe les intuitions de ER Dodds ont eacuteteacute suiviesentre autres par Ph Merlan laquo Part I Greek Philosophy from Plato to Ploti-nus raquo dans AH Armstrong (eacuted) The Cambridge History of Later Greekand Early Medieval Philosophy Cambridge Cambridge University Press1967 p 30-31 (voir aussi son chapitre sur Speusippe dans From Platonismto Neoplatonism Dordrecht Springer-Science+Business Media 1975[1953-19683] p 96-140) HJ Kraumlmer Der Ursprung der GeistmetaphysikUntersuchung zur Geschichte des Platonismus zwischen Platon undPlotin Amsterdam Gruumlner 19672 [1964] p 351-355 J Whittakerlaquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo Vigiliae Christianae 23 1969p 101 J Dillon laquo Speusippus and the Ontological Interpretation of the Par-menides raquo dans JD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and itsHeritage vol I History and Interpretation from Old Academy to later Pla-tonism and Gnosticism Atlanta Society of Biblical Literature 2010 p 67-78 voir aussi G Bechtle laquo Speusippus and the Anonymous Commentary onPlatorsquos Parmenides how can the One be a Minimum raquo dans M BarbantiF Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et la sua tradizione op citp 249-280 Nous serions quant agrave nous plus reacuteserveacutee et suivrions sur ce pointnotamment C Steel laquo A Neoplatonic Speusippus raquo dans M BarbantiG R Giardina P Manganaro (eacuted) ΕΝΩΣΙΣ ΚΑΙ ΦΙΛΙΑ CataniaCUECM 2002 p 469-476 et laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacute-nide raquo art cit p 17-18 ainsi que L Brisson laquo The Fragment of Speusippusin Column I of the Anonymous Commentary on the Parmenides raquo dansJD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage op citvol I p 59-66

5 laquo Part I Greek Philosophy from Plato to Plotinus raquo art cit p 94

John Whittaker6 plus reacutecemment encore par Jens Halfwassen7 JohnDillon8 Francesco Romano9 et John D Turner10 ndash Harold Tarrant ayantquant agrave lui tenteacute de rassembler tous les eacuteleacutements permettant drsquoentrevoirlrsquoexistence drsquoune telle interpreacutetation dans le neacuteo-pythagorisme11

Or Numeacutenius nrsquoest pas sans trouver place dans cette saga Commecertains platoniciens de son temps cherchant agrave se distinguer des ten-dances laquo sceptiques raquo de la Nouvelle Acadeacutemie et agrave promouvoir unelecture plus laquo dogmatique raquo de Platon il se reacuteclame de Pythagoreconccedilu comme source de Platon12 Crsquoest pourquoi du point de vue de

106 Fabienne JOURDAN

6 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit p 95-100 qui outre lesreacutefeacuterences neacuteopythagoriciennes devenues usuelles renvoie eacutegalement agrave Cleacute-ment drsquoAlexandrie (Strom IV 25 156 1) et mecircme agrave Alcinoos qui songeraitselon lui consciemment agrave la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide dans sonexposeacute de la voie neacutegative en Did X (la consideacuteration du dialogue de Platoncomme eacutetant un exercice de logique exprimeacutee en Did VI nrsquoexcluant pas en soicette utilisation de la premiegravere hypothegravese) ndash On rappellera alors que Cleacutementest notre premier teacutemoin de lrsquoenseignement de Numeacutenius Voir aussi J Whitta-ker laquo Neopythagoreanism and the transcendent Absolute raquo SymbolaeOsloenses 48 1973 p 77-86

7 Der Aufstieg zum Einen Untersuchungen zu Platon und Plotin Muumln-chenLeipzig KG Saur 20062 [1992] et laquo Speusipp und die metaphysischeDeutung von Platons Parmenides raquo dans L Hagemann R Glei (eacuted) ΕΝΚΑΙ ΠΛΗΘΟΣ Wuumlrzburg Echter 1993 p 339-373

8 laquo Plotinus Speusippus and the Platonic Parmenides raquo Kairos 15 2000p 61-74

9 laquo La probabile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica eneopitagorica) del Parmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted)Il Parmenide di Platone et la sua tradizione op cit p 197-248

10 Voir par ex laquo The Platonizing Sethian Treatises Marius VictorinusrsquosPhilosophical Sources and Pre-Plotinian Parmenides Commentaries raquo dansJD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage op citvol I p 136-137

11 Thrasyllan Platonism Ithaca Cornell University Press 1993 p 148-177 Il la fait ainsi remonter agrave Posidonius et mecircme agrave Thrasylle lrsquoeacutediteur desœuvres de Platon

12 Nous simplifions Sur ce point voir par ex M Frede laquo Numenius raquo

lrsquohistoire de la philosophie il peut ecirctre consideacutereacute comme un laquo platoni-cien pythagorisant raquo selon lrsquoexpression heureuse de Michael Frede13Selon son propre point de vue14 neacuteanmoins tout laisse penser qursquoilaurait preacutefeacutereacute la qualification de laquo pythagoricien raquo15 comme enteacutemoigne drsquoailleurs le titre que lui donnent les chreacutetiens les seuls agravetransmettre directement une partie de son œuvre Il nrsquoest toutefois lagraveaucun veacuteritable dilemme puisque chez ces derniers un laquo pythagori-cien raquo est entre autres un interpregravete de Platon16 Numeacutenius est donc en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 107

Aufstieg und Niedergang der roumlmishen Welt II 362 1987 p 1043 B Cen-trone laquo Cosa significa essere pitagorico in etagrave imperiale Per una riconsidera-zione della categoria storiografica del neopitagorismo raquo dans A Brancacci(eacuted) La filosofia in etagrave imperiale Le scuole e le tradizioni filosofiche NapoliBibliopolis 2000 p 137-168

13 laquo Numenius raquo art cit p 1043-1047 Voir aussi B Centrone laquo Cosasignifica essere pitagorico in etagrave imperial raquo art cit p 158-160 M Edwardslaquo Numenius of Apamea raquo dans LP Gerson (eacuted) The Cambridge History ofPhilosophy in Late Antiquity Cambridge Cambridge University Press 2010p 124-125

14 Voir F Jourdan laquo Numeacutenius et Pythagore Numeacutenius platonicien(pythagorisant) ou pythagoricien (platonisant) raquo agrave paraicirctre dans la RevuedrsquoHistoire des religions 2020

15 Sur ce point nous divergeons de B Centrone laquo Cosa significa esserepitagorico in etagrave imperial raquo art cit p 150-151 selon lequel les auteurs desapocryphes pythagoriciens nrsquoauraient pas eu agrave cœur de deacutefendre une identiteacutepythagoricienne puisqursquoils reprenaient Platon voire lrsquoaccusaient de plagiatNumeacutenius ne compte certes pas parmi ces auteurs mais la remarque pourrait leconcerner eacutegalement Or sa deacutemarche qui consiste agrave mettre Pythagore agrave la tecirctedrsquoune ligneacutee de disciples fidegraveles auxquels appartiennent Platon et mecircmeSocrate semble au contraire indiquer qursquoil revendique pour lui lrsquoappartenanceagrave cette ligneacutee en tant qursquointerpregravete fidegravele de Platon Cela ne lrsquoempecircche pas agravenos yeux drsquohistoriens de reacutealiser une deacutemarche caracteacuteristique du platonismede son temps

16 Crsquoest du moins entre autres le sens que semble prendre chez Cleacutement laqualification de Philon comme laquo pythagoricien raquo voir D Runia laquo Why doesClement of Alexandria call Philo ldquothe Pythagoreanrdquo raquo Vigiliae Christianae49 1995 p 1-22 Pouvaient en outre paraicirctre reacuteellement pythagorisants le goucirct

theacuteorie du moins et agrave ce double titre de platonicien et de pythagorisantun parfait candidat au rang drsquointerpregravete laquo neacuteo-pythagoricien raquo preacute-plo-tinien du Parmeacutenide Cette candidature est drsquoautant plus laquo provoca-trice raquo pour les tenants de la thegravese courante de lrsquohistoire du platonismeque Plotin a eacuteteacute consideacutereacute par ses adversaires comme srsquoappropriant sesdoctrines17 lecteur plus fin Longin preacutecisait mecircme que crsquoeacutetait agrave lasuite de Numeacutenius et drsquoautres platoniciens pythagorisants dont juste-ment Modeacuteratus Thrasylle et Cronius le disciple direct de Numeacuteniusqursquoil srsquoadonnait agrave lrsquointerpreacutetation des principes pythagoriciens et plato-niciens18 entreprise dans laquelle il les aurait largement deacutepasseacutes19Quoi qursquoil en soit de cette poleacutemique il est assureacute que Plotin commen-tait les œuvres de Numeacutenius dans ses cours20 Si Numeacutenius avait doncinterpreacuteteacute le Parmeacutenide et ce surtout dans le sens pythagoricien sug-geacutereacute par les chercheurs ayant deacutejagrave invoqueacute Modeacuteratus et mecircme Speu-sippe en ce sens Plotin aurait assureacutement rebondi sur son exeacutegegravese Ilnrsquoaurait plus alors le primat de pareille interpreacutetation et avec ce statutserait eacutegalement eacuterodeacutee la preacutesentation courante des origines du neacuteo-platonisme

Formuleacutee ainsi lrsquohypothegravese est seacuteduisante elle est toutefois fortspeacuteculative tant qursquoon ne peut prouver que Numeacutenius a reacuteellement

108 Fabienne JOURDAN

de Philon pour lrsquoexeacutegegravese (et donc pour la notion drsquoeacutenigme) et plus speacutecifique-ment pour lrsquointerpreacutetation des nombres deux eacuteleacutements eacutegalement preacutesentschez Numeacutenius

17 VP 17-18 Sur ce passage voir la note de R Goulet agrave VP 18 2-3 dansL Brisson JL Cherlonneix M-O Goulet-Caseacute R Goulet MD GrmekJ-M Flamand S Matton J Peacutepin HD Saffrey A-Ph Segonds M TardieuP Thillet Porphyre La Vie de Plotin Vol II Paris Vrin 1992 p 278 etS Menn laquo Longinus on Plotinus raquo Dionysius 19 2001 p 113-124 sur le sensde ὑποβάλλεσθαι dans ce contexte Sur la supeacuterioriteacute de Plotin relativementaux meacutedioplatoniciens dans lrsquointerpreacutetation de Pythagore voir aussiM Bonazzi laquo Plotino e la tradizione pitagorica raquo Acmegrave 53 2000 p 38-73

18 VP 2019 VP 21 ougrave Porphyre recite toutefois le propos de Longin en VP 2020 VP 14

interpreacuteteacute le Parmeacutenide Elle requiert donc un examen approfondi destextes parvenus ndash textes qui nous ont eacuteteacute transmis uniquement demaniegravere indirecte tregraves partielle et de fait aussi tregraves partiale La pre-miegravere eacutetape de la recherche consiste donc agrave reacutealiser pareil examenpour voir si ces textes portent effectivement la trace de lrsquointerpreacute-tation en jeu comme lrsquoont proposeacute notamment A-J Festugiegravere21D OrsquoMeara22 G Bechtle23 M Burnyeat24 et JD Turner25

2) La maigreur des indices reacuteellement significatifs cependant ndash agravemoins drsquoimaginer un silence poleacutemique de la part de Numeacutenius dontnous verrons qursquoil nrsquoest peut-ecirctre pas agrave exclure totalement ndash aurait sansdoute inviteacute agrave abandonner pareille recherche comme relativementdeacutesespeacutereacutee ou artificielle en lrsquoeacutetat de nos sources Mais le deacutesir derevenir sur lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacute-nide26 lrsquoa ranimeacutee Lui aussi parvenu de maniegravere fragmentaire (maiscette fois directe) ce texte comporte des parallegraveles frappants avec lrsquoen-seignement connu de Numeacutenius et invite agrave penser que lrsquoauteur srsquoins-pire de lui voire comme le propose Gerald Bechtle depuis sa mono-graphie de 199927 nrsquoest autre que Numeacutenius lui-mecircme il srsquoagirait du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 109

21 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV Paris Gabalda 1954 p 12522 laquo Being in Numenius and Plotinus Some Points of comparison raquo Phro-

nesis 21 1976 p 120-12923 The Anonymous Commentary on Platorsquos Parmenides BernStuttgart

Wien Paul Haupt 1999 p 8224 laquo Platonism in the Bible Numenius of Apamea on Exodus and Eter-

nity raquo dans R Salles (eacuted) Metaphysics Soul and Ethics in Ancient thoughtOxford Clarendon Press 2005 p 143-169 il le suggegravere p 152-155

25 laquo The Platonizing Sethian Treatise raquo art cit p 128-13926 Titre artificiel donneacute au texte que nous abreacutegerons dans la suite27 The Anonymous Commentary op cit Voir aussi du mecircme auteur laquo The

Question of Being and the Dating of the Anonymous Parmenides Commen-tary raquo Ancient Philosophy 20 2000 p 393-414 et laquo A neglected Testimonium(Fragment ) on the Chaldaen Oracles raquo Classical Quarterly 56 2006p 563-581 sans ecirctre tout agrave fait explicite JD Turner le suit essentiellement(Sethian Gnosticism and The Platonic Tradition QueacutebecLouvainParisPresses de lrsquoUniversiteacute LavalPeeters 2001 laquo Victorinus Parmenides com-

commentaire que Numeacutenius aurait reacutedigeacute sur le Parmeacutenide ou dumoins sur les deux premiegraveres hypothegraveses28 de la seconde partie

3) Comme telle toutefois confronteacutee aux arguments solides dePierre Hadot en faveur drsquoune autoriteacute porphyrienne du Commentaireanonyme29 ou du moins agrave ceux drsquoAlessandro Linguiti en faveur drsquoune

110 Fabienne JOURDAN

mentaries and the Platonizing Sethian Treatises raquo dans K Corrigan JD Tur-ner (eacuted) Platonism Ancient Modern and Postmodern LeidenBoston Brill2007 p 55-96 et laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit) Voir aussiK Corrigan qui pense quant agrave lui agrave Cronius (laquo Platonism and Gnosticism TheAnonymous Commentary on the Parmenides Middle or Neoplatonic raquo dansJD Turner R Majercik (eacuted) Gnosticism and Later Platonism ThemesFigures and Texts Atlanta Society of Biblical Literature 2001 p 141-177)

28 Dans les pages qui suivent nous adopterons pour simplifier la termino-logie exeacutegeacutetique qui srsquoest imposeacutee et parlerons des laquo hypothegraveses raquo de laseconde partie du Parmeacutenide bien qursquoil srsquoagisse plutocirct chez Platon drsquoune seacuteriede deacuteduction En outre quand nous y reacutefegravererons nous nrsquoajouterons plus lamention de laquo la deuxiegraveme partie raquo du Parmeacutenide

29 Voir P Hadot (laquo Fragments drsquoun Commentaire de Porphyre sur le Par-meacutenide raquo Revue des eacutetudes grecques 74 1961 p 410-438 repris dansP Hadot Plotin Porphyre Eacutetudes neacuteoplatoniciennes Paris Les BellesLettres 20102 [1999] p 281-316 laquo La meacutetaphysique de Porphyre raquo dansPorphyre Entretiens sur lrsquoAntiquiteacute classique XII Vandœuvres-Genegraveve Fon-dation Hardt 1966 p 125-157 repris dans P Hadot Plotin Porphyre op citp 317-353 Porphyre et Victorinus I et II Paris Eacutetudes augustiniennes1968 laquo Porphyre et Victorinus Questions et hypothegraveses raquo dans M TardieuP Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApocalypse de Zostrien et lessources de Marius Victorinus Bures-sur-Yvette Res Orientales IX 1996p 117-125 Ses arguments sont eacutetayeacutes par ceux de HD Saffrey laquo Connais-sance et inconnaissance de Dieu Porphyre et la Theacuteosophie de Tuumlbingen raquodans J Duffy J Peradotto (eacuted) Gonimos Buffalo Arethusa 1988 p 3-20repris dans HD Saffrey Recherches sur le Neacuteoplatonisme apregraves Plotin ParisVrin 1990 p 1-20 M Zambon Recension de G Bechtle The AnonymousCommentary on Platorsquos Parmenides Elenchos 20 1999 p 194-202 et Por-phyre et le moyen-platonisme Paris Vrin 2002 R Chiaradonna laquo Nota supartecipazione e atto drsquoessere nel neoplatonismo lrsquoanonimo Commento alParmenide raquo Studia graeco-arabica 2 2012 p 87-97 et laquo Logica e teologica

origine post-plotinienne30 lrsquohypothegravese de G Bechtle pourrait semblerpeu utile grand lecteur de Numeacutenius31 Porphyre si nous revenons pro-visoirement agrave lui pouvait srsquoinspirer de son preacutedecesseur et de ses doc-trines sans que celui-ci ait lui-mecircme composeacute un commentaire au Par-meacutenide Comme nous le montrerons les parallegraveles entre le Commentaireanonyme et lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius en tout cas nrsquoimpliquentpas de reacutefeacuterence directe au dialogue de Platon de la part de ce dernierLrsquoexamen de lrsquohypothegravese pourrait donc srsquoachever sur ce constat si unedeacutecouverte de Michel Tardieu (1996) nrsquoinvitait pas malgreacute tout agrave lrsquoex-plorer davantage En deacutecryptant lrsquoApocalypse de Zostrien M Tardieu ya deacutecouvert un passage semblable agrave un autre du Contre Arius de MariusVictorinus32 laquo synopse raquo supposant selon lui une source commune auxdeux auteurs Or ce texte et donc cette laquo source raquo semble drsquoune partrelever drsquoun commentaire des deux premiegraveres hypothegraveses du Parmeacute-nide et drsquoautre part comporter des parallegraveles avec le Commentaire ano-nyme ndash son identification directe agrave celui-ci paraissant exclue a priorieacutetant donneacutee lrsquoidentification qursquoelle semble faire du premier Un agrave lrsquoEs-prit absente du Commentaire anonyme LrsquoApocalypse de Zostrien eacutetantlrsquoun des traiteacutes gnostiques critiqueacutes dans lrsquoeacutecole de Plotin33 la chronolo-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 111

nel primo neoplatonismo A proposito di Anon In Parm XI 5-19 e IamblRisposta a Porfirio [De Mysteriis] I 4 raquo Studia graeco-arabica 5 2015 p 1-11 M Chase laquo Porphyre Commentaires agrave Platon et Aristote raquo dans R Gou-let (eacuted) Dictionnaire des philosophes antiques Paris CNRS V b 2012p 1369-1371 avec la bibliographie en ce sens p 1362-1365

30 laquo Sulla datazione del Commento al Parmenide di Bobbio Unrsquoanalisilessicale raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et lasua tradizione op cit p 307-322 (voir aussi lrsquointroduction de son eacutedition duCommentaire anonyme dans Corpus dei papiri filosofici greci e latini Testo elessico nei papiri di cultura greca e latina Parte III Commentari FirenzeOlschki 1995 p 78-91)

31 Voir Proclus In Tim I 7722-24 = Numeacutenius fr 3724-26 des Places32 Apocalypse de Zostrien (NHC VIII 1 6411-6612) Marius Victorinus

(Adversus Arium I 497-50)33 VP 16

gie imposerait alors de situer cette source avant Plotin Voici doncrevenue lrsquohypothegravese drsquoun commentaire meacutedio-platonicien au Parmeacute-nide les parallegraveles avec le Commentaire anonyme suggeacuterant alorscette fois plus assureacutement le nom de Numeacutenius comme sonauteur M Tardieu la formule prudemment34 P Hadot lrsquoeacuteloigne dis-cregravetement35 mais elle est vivement deacutefendue par G Bechtle et sespartisans qui faisant la synthegravese de ces deacutecouvertes en tirent alorsla conviction que Numeacutenius serait non seulement lrsquoauteur du Com-mentaire anonyme mais aussi la source de ce que M Tardieu nommelrsquo laquo exposeacute commun raquo36 et que nous nommerons aussi provisoirementde cette maniegravere37

Plus que lrsquoœuvre parvenue elle-mecircme crsquoest cette triple probleacutema-tique propre agrave lrsquohistoire de la philosophie et agrave sa recherche des sourcesqui impose lrsquoexamen de la relation de Numeacutenius au Parmeacutenide exa-men qursquoelle rend lui-mecircme triple en suggeacuterant de surcroicirct que chaqueeacutetape corrobore la preacuteceacutedente Notre enquecircte suivra ces trois eacutetapes elle tentera drsquoeacutevaluer si cet enchaicircnement argumentatif lieacute agrave lrsquoeacutetudeconjointe de ces trois seacuteries de textes nrsquoest pas forceacute tant il paraicirctessentiellement ducirc agrave la surenchegravere en preacutecision dans lrsquohypothegravese delrsquoexistence drsquoune interpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologique pythago-risante et preacute-plotinienne du Parmeacutenide

Dans la premiegravere partie de lrsquoeacutetude proposeacutee dans ce numeacutero noustenterons donc drsquoeacutevaluer la place de Numeacutenius au sein du laquo neacuteo-pytha-gorisme raquo censeacute avoir deacutejagrave produit une telle interpreacutetation Commenous serions plus que reacuteserveacutee sur la preacutesence de celle-ci chez Modeacute-

112 Fabienne JOURDAN

34 Dans M Tardieu et P Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApoca-lypse de Zostrien op cit p 112-113

35 Dans ibid p 11436 G Bechtle The Anonymous Commentary op cit p 248-249 n 683

laquo The Question of Being raquo art cit p 408-412 laquo A neglected Testimonium raquoart cit p 568 JD Turner semble le suivre dans les articles deacutejagrave signaleacutes K Corrigan eacutegalement en songeant plutocirct agrave Cronius

37 Le statut reacuteel de cet laquo exposeacute raquo sera examineacute dans la troisiegraveme partie decette eacutetude (Revue de philosophie ancienne 38-1)

ratus et ses preacutedeacutecesseurs38 nous ne ferons allusion agrave ce point qursquoenconclusion Nous nous concentrerons ici de la maniegravere la plus sobrepossible sur lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et examinerons srsquoil estpossible de lui precircter un commentaire ne serait-ce que partiel du Par-meacutenide

Dans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude qui sera publieacutee dans lenumeacutero suivant (37-2) nous analyserons les parallegraveles et les diver-gences entre lrsquoœuvre de Numeacutenius et le Commentaire anonyme au Par-meacutenide Il srsquoagira drsquoeacutevaluer la validiteacute de lrsquohypothegravese qui attribue cecommentaire agrave Numeacutenius mais aussi de reconsideacuterer leur relationmutuelle laquelle est riche drsquoenseignements pour la reacuteflexion surlrsquoeacutelaboration du neacuteoplatonisme

Dans la troisiegraveme partie de lrsquoeacutetude qui sera publieacutee dans le numeacutero38-1 nous examinerons lrsquo laquo exposeacute commun raquo au Zostrien et agrave MariusVictorinus sa relation au Commentaire anonyme et au Parmeacutenide lui-mecircme et les parallegraveles qursquoon y voit parfois avec lrsquoœuvre parvenue deNumeacutenius pour envisager quelle place celle-ci pourrait avoir dans lareconstitution de ses sources

Chaque partie peut ecirctre lue indeacutependamment selon les centresdrsquointeacuterecircts de chacun Lrsquoensemble visera agrave eacutevaluer srsquoil est vraimentneacutecessaire de bouleverser la conception la plus courante de lrsquohistoire

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 113

38 Sans rejeter absolument un recours au Parmeacutenide anteacuterieur agrave Plotinnous estimons non justifieacute de precircter agrave Modeacuteratus une interpreacutetation theacuteolo-gique et meacutetaphysique du Parmeacutenide sur la foi du teacutemoignage de Simplicius(In Phys 23034-2319) Nous suivons sur ce point les reacuteserves de A-J Festu-giegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 22 n 3 JM Ristlaquo The Neoplatonic One and Platorsquos Parmenides raquo Transactions and Procee-dings of the American Philological Association 93 1962 p 389-401 C Steel laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 19-20qui rappelle agrave juste titre le rocircle de Porphyre comme source de Simplicius JN Hubler laquo Moderatus ER Dodds and the Development of NeoplatonistEmanation raquo dans JD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and itsHeritage op cit vol I p 115-130 ainsi que les reacuteserves de Philippe Hoff-mann lors du seminaire de la Society of Biblical Literature en 2003 (laquo Rethin-king Platorsquos Parmenides and its Platonic Gnostic and Patristic Reception raquo)

du platonisme en donnant Numeacutenius comme preacutecurseur de Plotin danslrsquointerpreacutetation meacutetaphysique du Parmeacutenide Si tel nrsquoest pas le cas elleconfirmera a contrario les critegraveres drsquoune interpreacutetation reacuteellement neacuteo-platonicienne de la seconde partie du dialogue Disons en outre drsquoem-bleacutee qursquoeacutetant donneacute que nous ne pouvons raisonner qursquoagrave partir de cequi nous est parvenu aucune conclusion assertive nrsquoest en soi possiblesur lrsquoexistence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par NumeacuteniusCette eacutetude aura toutefois trois reacutesultats positifs envisager un rapportvolontairement distant de Numeacutenius au Parmeacutenide fondeacute sur le textede Platon lui-mecircme et dont aura tenu compte le neacuteoplatonisme deacutecou-vrir des parallegraveles entre le Commentaire anonyme et le Περὶ τἀγαθοῦplus nombreux qursquoil nrsquoest souvent signaleacute ndash ce qui offrira peut-ecirctre unindice permettant une position plus assureacutee dans le deacutebat sur lrsquoanteacuterio-riteacute de Numeacutenius ou des Oracles chaldaiumlques et enfin approfondirlrsquohypothegravese relative agrave lrsquoutilisation de Numeacutenius par les gnostiques etpar les neacuteoplatoniciens appropriation que lrsquoon peut suivre jusque dansles traductions et transpositions arabes de leurs œuvres

Preacuteliminaire Esquisse de la doctrine des principeschez Numeacutenius

Avant pareil exposeacute une bregraveve esquisse de la penseacutee meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius est neacutecessaire Nous nous en tiendronsaux grandes lignes transmises dans les fragments veacuteritables ceux citeacutespar Eusegravebe de Ceacutesareacutee et nous exposerons de maniegravere succincte lesreacutesultats de nos propres analyses sans livrer le deacutetail des deacutebats surlesquels elles ont eacuteteacute eacutelaboreacutees39 Les textes nous inteacuteressant se trou-vent dans le Περὶ τἀγαθοῦ dialogue ougrave Numeacutenius entreprend larecherche drsquoune deacutefinition du Bien qursquoil identifie au premier prin-cipe40 Il identifie ce premier principe drsquoune part agrave un premier dieu et

114 Fabienne JOURDAN

39 Voir la bibliographie et les commentaires de notre eacutedition en preacutepara-tion

40 Le titre qui est laquo originellement raquo celui de la leccedilon orale de Platon

intellect et drsquoautre part au Bien et Ecirctre lui-mecircme ou par excellence(selon les formules αὐτοάγαθον et αὐτοόν)41 que dans une perspec-tive exeacutegeacutetique il considegravere comme repreacutesenteacute par la forme du Bieneacutevoqueacutee dans la Reacutepublique42 De ce premier principe Numeacutenius dis-tingue un second dieu ou principe identifieacute cette fois au deacutemiurge duTimeacutee43 Ce dieu assure le rocircle deacutemiurgique dont le premier est ainsidispenseacute et il est conccedilu comme lrsquoimage de celui-ci il est le Bon parti-cipant au Bien le second intellect qui produit sa propre forme encontemplant le premier faccedilonnant ou deacuteterminant pour cela lrsquoecirctre oulrsquoessence (οὐσία) que le premier lui procure par le simple fait drsquoecirctre(soi et le Bien)44 Telle est du moins la maniegravere dont nous lisonsconjointement les fragments 11 et 16 (19 et 25 F)45 Autrement dit tan-dis que le premier dieu est le principe de lrsquoecirctre le second est le prin-cipe du devenir46 Numeacutenius donne plus preacuteciseacutement deux laquo aspects raquo

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 115

indique agrave lui seul que le texte srsquoadonne agrave une recherche et deacutefinition des prin-cipes Aristote et Xeacutenocrate le donnent ensuite chacun agrave lrsquoune de leurs œuvresSur lrsquoimportance de ce titre voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius Sur leBien de Platon Lrsquoenseignement oral du maicirctre comme occasion de rechercherson pythagorisme dans ses eacutecrits raquo Χώρα 15-16 2017-2018 p 139-165

41 Voir par ex fr 16 et 17 (24 et 25 F) ndash Tout au long de cette eacutetude lesfragments sont citeacutes selon la numeacuterotation de lrsquoeacutedition drsquoEacutedouard des Places(Numeacutenius Fragments Paris Les Belles Lettres 1973) nous indiquons entreparenthegraveses les numeacuteros qui correspondent dans notre eacutedition en preacuteparation

42 Voir surtout les fr 19 et 20 (27 et 28 F)43 Voir notamment les fr 11 12 et 18 (19 20 et 26 F) En reacutealiteacute le

deacutemiurge du Timeacutee partage ses attributs entre le premier dieu numeacutenien(auquel il laisse sa fonction de source divine des acircmes cf fr 13 21 F) et lesecond qui est aussi troisiegraveme et reacutealise les opeacuterations proprements deacutemiur-giques assumant par lagrave en partie le rocircle des dieux secondaires du Timeacutee

44 Fr 16 (24 F)45 Voir aussi lrsquoanalyse du fr 16 (24 F) par G Muumlller laquo Ἰδέα y οὐσία en

Numenio de Apamea Una reinterpretacioacuten de la ontologiacutea platoacutenica raquo Cua-dernos de Filosofiacutea 59 2012 p 121-140 Nous prenons position agrave son sujetdans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude Revue de philosophie ancienne 37-2

46 Ibid

agrave ce second dieu selon lrsquoorientation de son attention deux laquo aspects raquoqui conduisent agrave parler agrave son sujet de deux laquo dieux raquo qui toutefois nrsquoenconstituent reacutealiteacute qursquoun seul lorsqursquoil est tourneacute vers soi crsquoest-agrave-direvers lrsquointelligible qursquoil est lui-mecircme par contemplation du Bien lesecond dieu est entiegraverement agrave soi et donc reacuteellement soi second dieu lorsqursquoil est tourneacute vers la matiegravere qursquoil met en ordre il est deacutemiurgeau sens litteacuteral du terme et devient laquo troisiegraveme dieu raquo47 Cette divisionnrsquoimplique pas une reacuteelle scission et ne srsquoavegravere autre qursquoune diffeacuterencedrsquoorientation agrave lrsquoorigine drsquoune uniteacute diviseacutee image imparfaite delrsquouniteacute indivisible et parfaite qursquoest le premier dieu

Cette bregraveve preacutesentation doit suffire agrave comprendre le cadre de lapenseacutee numeacutenienne48 Signalons simplement encore trois points essen-tiels pour la confrontation avec le Parmeacutenide et ses interpreacutetations

1) Lrsquoeacuteleacutement fondamental du Περὶ τἀγαθοῦ est lrsquoidentificationdu Bien lui-mecircme (ἀυτοάγαθον) premier principe agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme (αὐτοόν)49 Elle srsquoaccompagne de lrsquoaffirmation qursquoil existeune laquo con-naturaliteacute raquo du Bien agrave lrsquoeacutegard de lrsquoessence50 (σύμφυτον τῇ

116 Fabienne JOURDAN

47 Fr 11 (19 F)48 La preacutesentation ici donneacutee deacutepend de propre analyse des textes Pour

drsquoautres interpreacutetations voir aussi par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit J Opsomer laquo Demiurges in Early Imperial Platonism raquo dans R Hirsch-Luipold(eacuted) Gott und die Goumltter bei Plutarch BerlinNew York de Gruyter 2005p 63-72 M Baltes dans H Doumlrrie M Baltes Ch Pietsch Die PhilosophischeLehre des Platonismus Band 71 Theologia Platonica Stuttgart Bad Canns-tatt Frommann-Holzboog 2008 p 472-482 Les vues de CS OrsquoBrien TheDemiurge in Ancient thought Secondary Gods and Divine mediators Cam-bridge Cambridge University Press 2015 p 139-168 sont agrave consideacuterer avecla plus grande preacutecaution

49 Fr 17 (25 F) cf fr 2 (11 F)50 Nous traduirons ici οὐσία par laquo essence raquo consciente des faiblesses de

cette traduction qui dans le contexte platonicien examineacute nrsquoimplique naturel-lement pas de distinction par rapport agrave la notion drsquoexistence Dans ce contextelaquo essence raquo est agrave prendre au sens de reacutealiteacute intelligible (sur cette deacutefinition voirpar ex R Chiaradonna laquo Substance raquo dans P Remes S Slaveva-Griffin(eacuted) The Routledge Handbook of Neoplatonismi LondonNew York Rout-

οὐσίᾳ51) le Bien partage la mecircme nature que cette οὐσία (forme sub-stantive de lrsquoecirctre) qui provient ainsi de lui Numeacutenius exprime deacutejagrave cetteideacutee au fragment 2 (10 F) par lrsquoimage du Bien laquo monteacute sur lrsquoessence raquo(comme on dirait laquo sur un cheval raquo52) Par lrsquoutilisation de la preacutepositionet du preacuteverbe ἐπί- de preacutefeacuterence agrave ὑπό- (preacutesent dans la formule de Pla-ton) la formule ἐποχούμενον ἐπὶ τῇ οὐσίᾳ indique une laquo transcen-dance raquo53 avec contact qui donne sans deacutetour lrsquointerpreacutetation que Numeacute-nius fait de la formule eacutenigmatique de Reacutepublique VI 509 b 8-10 srsquoilest une laquo transcendance raquo du premier principe elle est drsquoordre cosmolo-gique et non laquo ontologique raquo au sens ougrave ce principe constitue la formeeacuteminente de lrsquoecirctre mais ne srsquoen distingue pas par son essence

2) Ce premier principe est certes immobile en tant qursquoecirctre54exempt de toute activiteacute sous-entendu deacutemiurgique55 mais Numeacuteniuseacutevoque un laquo mouvement qui accompagne naturellement son repos raquo(τῷ πρώτῳ στάσιν [] κίνησιν σύμφυτον56) Ce mouvementindique vraisemblablement que le premier principe pense57 et la for-mule preacutepare son identification agrave un intellect Concernant ce premierdieu toutefois le type de penseacutee qui le caracteacuterise est visiblementconccedilu comme nrsquoimpliquant pas drsquoactiviteacute proprement dite au sens du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 117

ledge 2014 p 216) La deacutetermination nrsquointervient ici qursquoavec le second dieu οὐσία est le terme qui sert agrave exprimer litteacuteralement lrsquoecirctre (ὄν) de maniegravere sub-stantive un ecirctre que le premier dieu Ecirctre par excellence fait advenir sans acteproducteur simplement en eacutetant ce qursquoil est et donc sans que cette οὐσία quivient de lui soit ontologiquement distincte de lui

51 Fr 16 (24 F)52 Lrsquoimage apparaicirct litteacuteralement dans les Oracles chaldaiumlques fr 1466

des Places53 On pourrait alors aiseacutement renoncer au mot laquo transcendance raquo et preacutefeacute-

rer la notion de primauteacute hieacuterarchique par exemple54 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)55 Fr 11-12 (19-20 F)56 Fr 15 (23 F)57 Le passage est agrave interpreacuteter en lien avec le Sophiste 248 e-249 a (voir

notre commentaire au passage dans lrsquoeacutedition en preacuteparation)

moins ougrave cette penseacutee est sans objet et nrsquoest pas mecircme penseacutee de soi aufragment 19 (27 F) Numeacutenius parle drsquoun φρονεῖν qui est lrsquoapanage dupremier dieu sous-entendu agrave la diffeacuterence notamment du νοεῖν saisieintuitive de lrsquointelligible caracteacuteristique du second dieu58 et plus encoredu διανοεῖσθαι activiteacute de penseacutee discursive agrave lrsquoorigine de la deacutemiur-gie Ce φρονεῖν peut selon nous ecirctre compris comme une penseacuteelaquo intransitive raquo (crsquoest-agrave-dire sans objet) pure dispensation du Bien parlrsquoecirctre du Bien59 En cela elle nrsquoimplique reacuteellement aucune activiteacute

Crsquoest alors en ce sens assureacutement que le premier dieu est ditlaquo entourer les intelligibles raquo ou plus exactement et litteacuteralement ecirctrelaquo autour des intelligibles raquo au fragment 15 (23 F περὶ τὰ νοητά) lrsquoexpression nrsquoimplique ni qursquoil les contienne ni qursquoil les produisecomme son objet de penseacutee ni mecircme qursquoil les pense60 Si elle visepeut-ecirctre agrave rendre compte drsquoune identification ultime du premier prin-

118 Fabienne JOURDAN

58 Agrave la limite le premier dieu ne peut lrsquoexercer que par lrsquointermeacutediaire dusecond voir le teacutemoignage de Proclus In Tim III 10328-32 Diehl = fr 22(contre cette interpreacutetation traditionnelle voir G Muumlller laquo Queacute es ldquolo que esvivienterdquo (ὁ εστι ζῶον) seguacuten Numenio de Apamea raquo Cuadernos Filosofiacutea64 2015 p 11-12 dont lrsquohypothegravese bien que seacuteduisante ne tient pas agrave lrsquoexa-men de la syntaxe du passage lrsquoinfinitif νοεῖν ne peut avoir que τὸν πρῶτονcomme laquo sujet raquo et non un δεύτερoν implicitement tireacute du geacutenitif δευτέρου)

59 Nous reacutesumons Voir aussi lrsquoeacutetude de la φρόνησις chez Platon parM Dixsaut laquo De quoi les philosophes sont-ils amoureux Sur la phronegravesisdans les dialogues de Platon raquo repris dans M Dixsaut Platon et la question dela penseacutee Eacutetudes platoniciennes I Paris Vrin 2000 p 93-119 ndash Le lien eacutety-mologique originel entre φρονεῖν et φρήν (le diaphragme) suggegravere une autreimage ce φρονεῖν est comme une laquo respiration drsquoecirctre raquo qui est le Bien et drsquoougraveeacutemane le bien

60 Cette interpreacutetation qui tient entre autres compte de la simpliciteacute abso-lue du premier dieu (fr 11 = 19 F) nrsquoest pas contradictoire avec celle de Timeacutee39 e 7-9 par laquelle Numeacutenius aurait associeacute son premier dieu au Vivant (InTim III 103 28-32 Diehl = fr 22) Certes dans le Timeacutee le Vivant a en lui lesformes (ἐνούσας ἰδέας τῷ ὃ ἔστι ζῷον 39 e 8) Mais sans pouvoir deacutevelop-per ici notre analyse disons simplement que Numeacutenius a pu lire le texte autre-ment et inspirer la distinction drsquoAmeacutelius entre un laquo intellect qui est (leVivant) raquo et un laquo intellect qui a (les formes en lui) raquo notamment en deacutecompo-

cipe au Vivant du Timeacutee61 dans le contexte du Περὶ τἀγαθοῦ ellerenvoie selon nous agrave un pur eacutetat de lrsquoecirctre agrave vertu bienfaitrice ou salvi-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 119

sant ἐνούσας de maniegravere cratylienne pour y lire ἐν-νους-ας qui eacutevoquerait lesformes laquo qui sont dans le νοῦς raquo le second dieu et intellect que Numeacutenius voitdeacutesigneacute dans le νοῦς du texte platonicien Le datif τῷ ὃ ἔστι ζῷον nrsquoauraitplus alors deacutesigneacute chez lui le lieu ougrave se trouvent les formes mais le destina-taire de la contemplation celui laquo pour qui ou agrave lrsquointention de qui en faveur dequi raquo le νοῦς qui a les formes en lui les contemplerait (autrement dit exerceraitle νοεῖν) Lrsquoaffirmation que crsquoest gracircce au second dieu et intellect (ἐνπροσχρήσει τοῦ δευτέρου) que le premier exercerait un νοεῖν pourrait ainsiconstituer lrsquoexplicitation de cette lecture eacutetonnante du texte platonicien Ainsile premier dieu nrsquoexercerait jamais le νοεῖν il nrsquointelligerait que gracircce ausecond qui le ferait pour lui Cette preacutecision pourrait servir agrave reacutepondre agravelrsquoeacuteventuelle objection drsquoun aristoteacutelisant qui deacutenoncerait une identification dupremier dieu agrave un νοῦς srsquoaccompagnant drsquoun refus de precircter agrave celui-ci lrsquoacti-viteacute du νοεῖν Numeacutenius reacutepondrait ainsi il ne lrsquoexerce pas lui-mecircme maispar lrsquointermeacutediaire du second qui le fait pour lui tandis qursquoil srsquoadonne au seulφρονεῖν Voir aussi notre interpreacutetation des fr 16 et 18 (24 et 26 F) ndash Pourune autre interpreacutetation de ce passage voir par ex M Frede laquo Numenius raquoart cit p 1062-1063 1065-1066 et 1069-1070 JP Kenney laquo ProschresisRevisited An Essay in Numenian Theology raquo dans JR Daly (eacuted) Orige-niana quinta Historica Text and method Biblica Philosophica Theologia Origenism and later developments Leuven Peeters p 217-230 RD PettyThe Fragments of Numenius Santa Barbara 1993 p 135-137 (republieacute agraveWestbury Prometheus Trust 2012) M Baltes dans H Doumlrrie M BaltesCh Pietsch Die Philosophische Lehre des Platonismus Band 71 op citp 477-478 A Michalewski laquo Le Premier de Numeacutenius et lrsquoUn de Plotin raquoArchives de philosophie 75 2012 p 35-37 et La Puissance de lrsquointelligibleLa Theacuteorie plotinienne des Formes au miroir de lrsquoheacuteritage meacutedioplatonicienLeuven Leuven University Press p 94-96

61 Voir Platon Timeacutee 30 c 7-8 (avec le participe περιλαβόν) et 31 a 3 (τograveπεριέχον πάντα ὁπόσα νοητὰ ζῷα) avec deux participes preacutefixeacutes en περί- agravepropos du Vivant qui a tous les intelligibles en lui et auquel Numeacutenius peutvouloir renvoyer avec sa formule περὶ τὰ νοητά La reacutefeacuterence implicite aupassage de la Lettre II 312 e 1-4 savamment reacuteeacutecrit indique toutefois queNumeacutenius donne un tout autre sens agrave ce περί Voir aussi le teacutemoignage de Pro-clus citeacute dans les notes preacuteceacutedentes

fique selon lrsquoideacutee de salut suggeacutereacutee agrave la fin de ce mecircme fragment Endrsquoautres termes le premier dieu serait περὶ τὰ νοητά au sens ougrave ilentoure les intelligibles de sa bienveillance leur transmettant agrave la foislrsquoecirctre et le Bien qursquoil est avant que le deacutemiurge ne les y fasse participeragrave son tour par sa bonteacute agrave lrsquoorigine de leur ecirctre deacutetermineacute62 et nrsquoy fasseparticiper aussi les sensibles en les eacutelevant agrave son propre caractegravere mar-queacute par cette mecircme bonteacute63 Le premier dieu le Bien est le modegravele dusecond le Bon et non pas des formes srsquoil doit ecirctre identifieacute au Vivantcrsquoest en tant que source ultime de la vie64 modegravele de ce second dieuqui transmet alors la vie au monde sensible (fr 1220F) et non en tantque paradigme totalisant et contenant les formes des quatre typesdrsquoecirctre vivants nommeacutes en Timeacutee 39 e 10-41 a 2

En cela le premier de Numeacutenius loin drsquoecirctre une entiteacute sans rapportau monde en est non seulement le principe mais il est pour lui lasource reacuteelle du Bien reacuteel ndash autrement dit il joue le rocircle de la Provi-dence qui est alors concregravetement exerceacutee par le second principe leBon Tout en eacutetant conccedilu comme premier intellect il nrsquoest donc pas lepremier moteur immobile aristoteacutelicien qui se pense lui-mecircme65 etauquel fut justement reprocheacute son deacutefaut de Providence66

120 Fabienne JOURDAN

62 Selon notre lecture de la formule ἰδέα ἑαυτοῦ du fragment 16 (24 F)comme renvoyant au monde intelligible comme ensemble de formes deacutetermi-neacutees

63 Voir le fr 11 (19 F) sur cette eacuteleacutevation du sensible vers le caractegravere dudeacutemiurge lequel est le laquo Bon raquo en reacutefeacuterence au Timeacutee Numeacutenius distingue leBien premier principe du Bon second principe en utilisant lrsquoadjectif substan-tiveacute au neutre pour deacutesigner le premier et lrsquoadjectif au masculin pour le second

64 Tel est selon nous le sens de lrsquoexpression ὁ μέν γε ὢν σπέρμα πάσηςψυχῆς au fr 13 (21 F) qui en fait la semence de toute acircme voir par ex F Jour-dan laquo Eusegravebe de Ceacutesareacutee et les extraits de Numeacutenius dans la Preacuteparationeacutevangeacutelique raquo dans S Morlet (eacuted) Lire en extraits Pratiques de lecture et deproduction des textes de lrsquoAntiquiteacute au Moyen Acircge Paris PUPS 2015 p 143-147

65 Contra par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit p 107066 Sur ce sujet notamment chez Plutarque dont Numeacutenius aurait pu ici par-

tager la critique voir par ex F Ferrari laquo Provvidenza platonica o autocontem

3) On notera ici enfin que selon toute vraisemblance Numeacuteniusnrsquoidentifie pas son premier principe agrave lrsquoUn67 Ce principe est certesunique (μόνος) simple (ἁπλοῦς) et indivisible (μὴ διαίρετος) encela distinct de lrsquouniteacute divisible que constitue le second dieu68 MaisNumeacutenius ne lrsquoidentifie pas agrave lrsquoUn et en tout cas pas agrave lrsquoUn du Parmeacute-nide69 Notre conviction srsquoappuie sur lrsquoanalyse du fragment 19 (27 F)Agrave la fin du passage on lit lrsquoexpression τὸ ἀγαθὸν ὅτι ἐστὶν ἕνNumeacutenius la donne comme une conclusion de Platon dont le sens pro-fond ne peut ecirctre perccedilu que par les laquo regards aiguiseacutes raquo autrement ditpar ceux qui comprennent le propos de Numeacutenius Elle provient assu-reacutement de la tradition orale on la retrouve dans le compte-rendu de laLeccedilon sur le Bien par Aristoxegravene70 Comme lrsquoarticle deacutefini peut ecirctreomis devant lrsquoattribut on peut certes heacutesiter sur sa traduction laquo leBien est lrsquoUn raquo ou laquo le Bien est un raquo Dans le contexte matheacutematiqueougrave elle est preacutesenteacutee chez Aristoxegravene la premiegravere traduction est sansdoute la bonne Mais ce nrsquoest pas neacutecessairement le sens originel (siPlaton srsquoest reacuteellement exprimeacute ainsi) et assureacutement pas celui que veut

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 121

plazione aristotelica la scelta di Plutarco raquo dans L Van der Stockt F Titche-ner HG Ingenkamp A Peacuterez Jimeacutenez (eacuted) Gods Daimones Rituals Mythsand History of Religions in Plutarchrsquos Works Maacutelaga International PlutarchSociety 2010 p 177-190 et laquo La teologia di aristotele nel medioplatonismo raquodans Y Lehman (eacuted) Aristoteles Romanus La Reacuteception de la science aristo-teacutelicienne dans lrsquoEmpire greacuteco-romain Turnhout Brepols 2012 p 299-312 voir aussi chez Atticus A Michalewski laquo Faut-il preacutefeacuterer Eacutepicure agrave Aris-tote raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted) Reacuteceptions de la theacuteolo-gie aristoteacutelicienne DrsquoAristote agrave Michel drsquoEphegravese Leuven Peeters 2017p 123-142

67 Contra notamment ici G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 84

68 Fr 11 19 F69 Contra A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV

op cit p 124 M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 22570 Aristoxegravene Eacuteleacutements drsquoharmonique 22016313 Macran 398-404 da

Rios texte ndeg 1 p 248 Richard

lire Numeacutenius Dans le contexte du fragment la formule perd touteambiguiumlteacute parce que lrsquointerpreacutetation en est donneacutee au preacutealable Numeacute-nius a insisteacute sur lrsquouniciteacute du Bien dont la bonteacute a eacuteteacute identifieacutee agrave lrsquoactespeacutecifique du φρονεῖν Si Platon a dit τἀγαθὸν ἐστὶν ἕν ndash formule dontNumeacutenius srsquoestime devoir rendre compte puisqursquoil eacutecrit justement luiaussi Sur le Bien ndash crsquoest donc selon lui parce qursquoil nrsquoy a qursquoun seul etunique Bien le Bien lui-mecircme (αὐτοάγαθον) Par suite la seulemaniegravere de rencontrer le bien de maniegravere geacuteneacuterale consiste agrave prendrepart agrave lrsquoactiviteacute de penser qui caracteacuterise le Bien lui-mecircme une penseacuteesource de bonteacute que chacun pourra exercer agrave son niveau (lrsquoideacutee que leφρονεῖν lui est reacuteserveacute suggegravere qursquoil srsquoagit dans son cas drsquoun φρονεῖνagrave lrsquoeacutetat pur) Ce disant Numeacutenius a sans doute une viseacutee poleacutemique agravelrsquoeacutegard notamment drsquoune interpreacutetation pythagorisante de Platon vrai-semblablement issue de lrsquoAncienne Acadeacutemie et peut-ecirctre aussi delrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne de lrsquoenseignement oral71 Lui seul sesera estimeacute comprendre le veacuteritable pythagorisme du maicirctre Quoiqursquoil en soit sur ce point le passage est selon nous la preuve drsquoun refusdrsquoidentifier le Bien agrave lrsquoUn Si Platon a dit que le Bien est un ou mecircmelrsquoUn quelle que soit lrsquointerpreacutetation litteacuterale et donc la traduction rete-nue il nrsquoaurait selon Numeacutenius en reacutealiteacute rien voulu exprimer drsquoautreque lrsquouniciteacute du Bien ainsi que sa seacuteparation drsquoavec le sensible conccediluecomme distinction essentielle drsquoavec les biens de ce monde Numeacuteniusinvite agrave comprendre ἕν comme le synonyme de μόνος que seul ilemploie agrave reacutepeacutetition agrave propos de son premier principe72 et qui a cedouble sens drsquoexprimer lrsquouniciteacute et lrsquoisolement ou la seacuteparationcomme le suggegravere deacutejagrave son emploi reacutecurrent au fragment 2 (11 F)Telle est lrsquointerpreacutetation correcte du Platon non-eacutecrit qursquoil precircte aux

122 Fabienne JOURDAN

71 Voir par ex Meacutet A 6 988 a 10-17 ougrave lrsquoUn est preacutesenteacute comme la causedu Bien et N 4 1091 b 1-20 sur lrsquoidentification du Bien agrave lrsquoUn dans uncontexte de critique des Platoniciens

72 Εἷς nrsquointervient qursquoagrave propos du second dieu conccedilu comme uniteacute divi-sible qui se distingue en cela de lrsquoUn et mecircme de lrsquouniciteacute du fait de sa dualiteacuteneacutecessaire (mais non essentielle)

seuls regards suffisamment aiguiseacutes pour savoir lire Platon lagrave ougravedrsquoautres lrsquoauront mal entendu73

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 123

73 Voir lrsquoanalyse deacutetailleacutee du passage dans F Jourdan laquo Sur le Bien deNumeacutenius raquo art cit ici contra G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 82 et 84 ndash Les deux teacutemoignages suggeacuterant une eacutevocation de lrsquoUnpar Numeacutenius ne paraissent pas infirmer cette lecture Le premier issu deMacrobe (fr 54 = Saturnales I 17 65 = P 99 12-16 Willis) fait eacutetat drsquoune eacutety-mologie de lrsquoeacutepithegravete laquo delphien raquo attribueacutee agrave Apollon ougrave Numeacutenius auraitvraisemblablement voulu retrouver lrsquoeacutetymologie courante du nom propre dudieu comme renvoyant au laquo non-multiple raquo ἀ-πολλά (voir par ex PlutarqueDe E 388 F et De Iside 354 F et 381 F avec J Whittaker laquo Ammonius on theDelphic E raquo Classical Quarterly 63 NS 19 1969 p 187-188 E SyskaStudien zur Theologie des Macrobius Stuttgart Teubner 1993 p 116 n 74)Macrobe rapporte en effet que Numeacutenius aurait fait de δέλφος un adjectifsignifiant unum (dans le latin de Macrobe) par opposition au substantifἀδελφός signifant laquo fregravere raquo et alors conccedilu comme pourvu drsquoun ἀ- privatif(sur cette eacutetymologie voir J Whittaker ibid p 187 n 9 Eacute des PlacesNumeacutenius Fragments op cit p 100 n 1 E Syska Studien zur Theologiedes Macrobius op cit p 193-194 qui estime qursquoelle nrsquoa aucune autre valeurque litteacuteraire) Outre qursquoil concerne un dieu dont nous ne savons pas si Numeacute-nius aurait reacuteellement souhaiteacute lrsquoidentification agrave son premier principe (il sug-gegravere en revanche son association agrave Zeus au fr 2 [11 F] lequel est ensuite asso-cieacute au second dieu au fr 12 [20 F]) le teacutemoignage nrsquoindique pas le sens exacten lequel Numeacutenius aurait aimeacute qursquoon entende cette laquo absence de fregravere raquoDrsquoune part juste avant Macrobe emploie lrsquoexpression singulum et unum quipeut traduire ἕν καὶ μόνον et dont comme dans le grec la redondance avaleur emphatique On ne sait donc pas lequel des deux adjectifs Numeacutenius aexactement employeacute et rien nrsquointerdit de penser que la reprise par unus soit unchoix du neacuteoplatonicien Macrobe Drsquoautre part unus renvoie agrave εἷς et non agrave ἕνEnfin et surtout laquo ne pas avoir de fregravere raquo si tel est le sens que Numeacutenius precirctedans ce contexte agrave δέλφος signifie laquo ecirctre fils unique raquo et reconduit au sens deμόνος Crsquoest pourquoi selon nous ce teacutemoignage nrsquoest pas un indice fiabledrsquoune identification numeacutenienne du premier principe agrave lrsquoUn (contra M Bur-nyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit p 152 n 34) Le second teacutemoignageest quant agrave lui constitueacute par la reacutefeacuterence agrave une singularitas identifieacutee agrave un pre-mier dieu-deacutemiurge dans le compte-rendu numeacutenien de la cosmogonie pytha-goricienne rapporteacutee par Calcidius (fr 52) Or ce premier dieu dans son oppo-sition mecircme agrave la dyade correspond davantage au second dieu du Περὶ

Voilagrave notre lecture du Περὶ τἀγαθοῦ le seul texte meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius dont soient transmis des fragments litteacute-raux Crsquoest agrave partir drsquoelle que nous proposons drsquoexaminer les rapportsentre lrsquoenseignement de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon lui-mecircme le Commentaire anonyme au Parmeacutenide et enfin la source com-mune au Zostrien et agrave Marius Victorinus Agrave chacun de ces troismoments nous tenterons drsquoeacutevaluer srsquoil fournit les indices de lrsquoexis-tence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par Numeacutenius

Premiegravere partie

Lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon le premier principe de Numeacutenius (le Bien) nrsquoest ni lrsquoUn ni

lrsquoUn-qui-est du ParmeacutenideLa premiegravere eacutetape que nous reacutealiserons dans cette premiegravere partie

consiste agrave confronter le Περὶ τἀγαθοῦ au Parmeacutenide lui-mecircme afinde voir srsquoil y renvoie directement ou non Si nous suivions lrsquohypothegravesede J Whittaker74 toutefois nous abandonnerions immeacutediatement lrsquoen-treprise selon lui crsquoest agrave partir du moment ougrave un philosophe inter-pregravete le Bien de Reacutepublique VI 509 b 6-10 comme un principe trans-cendant reacuteellement lrsquoecirctre et comme identifiable agrave lrsquoUn que se profileune interpreacutetation du Parmeacutenide et plus preacuteciseacutement de la premiegraverehypothegravese Or nous venons de montrer que loin de transcender lrsquoecirctrele Bien de Numeacutenius est lrsquoEcirctre lui-mecircme et que son association agrave lrsquoUnsert avant tout un propos exeacutegeacutetique ou srsquoavegravere du moins fort probleacute-matique ndash telle qursquoelle est formuleacutee du moins elle nrsquoimplique aucune

124 Fabienne JOURDAN

τἀγαθοῦ sans compter que lrsquoappellation latine de singularitas traduit plutocirctle grec μόνας que ἕν Le compte-rendu ne peut donc ecirctre compris commerefleacutetant la doctrine propre de Numeacutenius telle du moins qursquoelle est exprimeacuteedans le Περὶ τἀγαθοῦ (voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius raquo art cit)Il nrsquoy a donc aucun texte fiable permettant de precircter agrave Numeacutenius lrsquoidentifica-tion du Bien agrave lrsquoUn et encore moins agrave lrsquoUn du Parmeacutenide

74 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit

allusion au Parmeacutenide75 Si lrsquoon veut malgreacute tout supposer que Numeacute-nius nrsquoen a pas moins utiliseacute le Parmeacutenide et que son œuvre trahit alorsnon seulement la connaissance du dialogue mais un commentaire per-sonnel de celui-ci ne serait-ce que partiel il faut recourir agrave un autrepoint de doctrine que cette identification du premier principe agrave uneentiteacute transcendant lrsquoecirctre et identifieacutee agrave lrsquoUn et justement interroger ladeacutefinition de ce premier principe comme ecirctre Autrement dit il srsquoagitessentiellement de voir si Numeacutenius identifie le Bien ne serait-ce quepartiellement agrave lrsquolaquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

Pour parvenir agrave un reacutesultat probant deux eacutetapes sont neacutecessaires agravecet examen

1) un rappel des quelques points qui dans la deacutefinition de lrsquoecirctre etdu premier principe selon Numeacutenius ont parfois suggeacutereacute des rappro-chements avec le Parmeacutenide

2) une confrontation de la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ avec laseconde partie du dialogue de Platon pour voir si une convergence depenseacutee plus geacuteneacuterale pourrait malgreacute tout suggeacuterer une appropriationde ce texte par Numeacutenius ou si une incompatibiliteacute fondamentaleinvite agrave en douter

Dans lrsquoun et lrsquoautre cas si les reacutesultats sont neacutegatifs cela ne per-mettra pas de conclure que Numeacutenius a ignoreacute le texte ni non plus dese prononcer de maniegravere cateacutegorique sur lrsquoœuvre non parvenue Nousmontrerons drsquoailleurs dans un troisiegraveme temps que Numeacutenius tente dereacutesoudre les apories relatives aux formes poseacutees dans la premiegravere par-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 125

75 On peut faire semblable remarque agrave propos de lrsquoexposeacute des principespythagoriciens par Eudore rapporteacute par Simplicius (In Phys 18110 sq Diels)Mecircme srsquoil eacutevoque diffeacuterents Un la conception deacuteveloppeacutee deacutepend avant toutdes reacuteflexions de lrsquoAncienne Acadeacutemie sur lrsquoUn et la Dyade et est en cela tregravesproche du compte-rendu drsquoAristote sur les principes de Platon en Meacutet A 6 987b 18 sq (sur ce point voir J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquoart cit p 98 qui rapporte les propos de W Theiler agrave la note 11) Il ne sembledonc pas neacutecessaire de supposer un commentaire sous-jacent aux deux pre-miegraveres hypothegraveses du Parmeacutenide mecircme srsquoil nrsquoest eacutevidemment pas exclu que ledialogue ait eacuteteacute invoqueacute pour sa nomination de lrsquoUn La remarque vaut eacutegale-ment pour Speusippe et de maniegravere geacuteneacuterale pour les neacuteo-pythagoriciens

tie du dialogue et nous verrons qursquoagrave lrsquoeacutegard de la premiegravere hypothegraveseil a peut-ecirctre choisi une attitude suggeacutereacutee par Platon lui-mecircme Poureacutelargir cette recherche nous interrogerons enfin sa relation agrave la penseacuteede Parmeacutenide lui-mecircme

1 La deacutefinition du premier principe comme ecirctre dansle Περὶ τἀγαθοῦ des parallegraveles avec le Parmeacutenide

Une fois que lrsquoon a renonceacute agrave precircter agrave Numeacutenius une interpreacutetationdu Parmeacutenide en raison drsquoune identification supposeacutee de son premierprincipe agrave lrsquoUn il reste possible drsquoexaminer les parallegraveles entre la deacutefi-nition de son premier principe identifieacute agrave lrsquoecirctre ou plus geacuteneacuteralemententre sa deacutefinition de lrsquoecirctre et les formulations du dialogue platoniciendans les deux premiegraveres hypothegraveses Les partisans drsquoune interpreacutetationnumeacutenienne du Parmeacutenide dont notamment A-J Festugiegravere76 etD OrsquoMeara77 citent essentiellement78 deux textes agrave cette fin les frag-

126 Fabienne JOURDAN

76 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 12577 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 Voir aussi par ex

M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 225-227 qui srsquoap-puie toutefois sur ce qursquoil considegravere une identification du Bien agrave lrsquoUn et sur unpassage de Cleacutement drsquoAlexandrie qui semble deacutependre de la premiegravere hypo-thegravese (Strom V 12 82 1-2) Les eacuteleacutements de theacuteologie neacutegative eacutevoqueacutes lagravesrsquoaccompagnant drsquoune possibiliteacute de nomination rappellent toutefois moinsNumeacutenius qursquoAlcinoos Did X p 16433-34 H

78 Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoargumentation de R Romano (laquo La proba-bile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica e neopitagorica) delParmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide diPlatone et la sua tradizione op cit p 234) qui estime que Numeacutenius aufragment 217-34 (11 F) emprunte au Parmeacutenide les expressions delaquo meacutethode non aiseacutee mais divine raquo laquo ardeur juveacutenile raquo et laquo exercice matheacute-matique raquo Lrsquoappui textuel est trop tenu pour qursquoelle soit persuasive Quant agraveG Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 82-84) il eacutevoque luiaussi le fragment 5 (14 F) mais seulement en note agrave la page 82 et son argu-mentation ne srsquoappuie pas davantage sur la lettre du texte Crsquoest pourquoielle ne peut ecirctre expliciteacutee ici Nous ne commenterons enfin pas les hypo-

ments 5 et 6 (14-15 F) ougrave apparaicirct formuleacutee en termes neacutegatifs unedeacutefinition de lrsquoecirctre que le fragment 2 (11 F) a dit identifiable au BienCes deux fragments proviennent du livre II du Περὶ τἀγαθοῦ quientreprend de deacutefinir lrsquoecirctre preacuteliminaire indispensable agrave la deacutefinitiondu Bien Examinons-en quelques extraits Au fragment 5 nous lisonsceci

Φέρε οὖν ὅση δύναμις ἐγγύτατα πρὸς τὸ ὂν ἀναγώμεθα καὶλέγωμενmiddot τὸ ὂν οὔτε ποτὲ ἦν οὔτε ποτὲ μὴ γένηται ἀλλrsquo ἔστιν ἀεὶἐν χρόνῳ ὡρισμένῳ τῷ ἐνεστῶτι μόνῳ [] τὸ ἄρα ὂν ἀΐδιόν τεβέβαιόν τε ἐστὶν ἀεὶ κατὰ ταὐτὸν καὶ ταὐτόν οὐδὲ γέγονε μένἐφθάρη δὲ οὐδrsquo ἐμεγεθύνατο μέν ἐμειώθη δὲ οὐδὲ μὴltνgtἐγένετό πω πλεῖον ἢ ἔλασσον καὶ μὲν δὴ τά τε ἄλλα καὶ οὐδὲτοπικῶς κινηθήσεταιmiddot οὐδὲ γὰρ θέμις αὐτῷ κινηθῆναι οὐδὲ μὲνὀπίσω οὐδὲ πρόσω οὔτε ἄνω ποτὲ οὔτε κάτω οὐδrsquo εἰς δεξιὰοὐδrsquo εἰς ἀριστερὰ μεταθεύσεταί ποτε τὸ ὂν οὔτε περὶ τὸ μέσονποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται ἀλλὰ μᾶλλον καὶ ἑστήξεται καὶἀραρός τε καὶ ἑστηκὸς ἔσται κατὰ ταὐτὰ ἔχον ἀεὶ καὶ ὡσαύτως(extraits du fragment 5 14 F = Eus PE XI 10 4-5)

Eh bien donc eacutelevons-nous vers lrsquoecirctre le plus pregraves qursquoil nous est pos-sible et disons ceci lrsquoecirctre jamais ne fut ni jamais nrsquoadviendra assureacute-ment mais il est toujours dans un temps bien deacutetermineacute le seul preacute-sent [] Lrsquoecirctre est donc est agrave la fois eacuteternel et stable toujours dans lemecircme eacutetat et identique agrave soi il nrsquoest pas neacute et il ne peacuterit pas il ne croicirctet ne deacutecroicirct pas non plus ni il ne devient plus ou moins en aucunefaccedilon En somme il ne sera assureacutement soumis agrave aucun type de mou-vement et surtout pas au mouvement selon le lieu ndash il ne lui est en effetpas permis non plus crsquoest la loi divine drsquoecirctre mucirc jamais par unecourse en avant ni en arriegravere en haut ni en bas vers la droite droite nivers la gauche jamais lrsquoecirctre ne sera soumis au changement et jamais ilne sera mucirc autour de son propre centre Bien plutocirct il se tiendra en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 127

thegraveses de H Tarrant Thrasyllan Platonism op cit p 174-177 dans lamesure ougrave elles supposent que Numeacutenius srsquoinspire de Modeacuteratus (au fr 52)et suit donc lrsquointerpreacutetation qursquoil aurait donneacutee sur la matiegravere drsquoapregraves leteacutemoignage de Simplicius

repos sera ferme et fixe se maintenant toujours de faccedilon identique etde la mecircme maniegravere79

Au fragment 6 (15 F) nous lisons ensuite

ἡ δὲ αἰτία τοῦ ὄντος ὀνόματός ἐστι τὸ μὴ γεγονέναι μηδὲφθαρήσεσθαι μηδrsquo ἄλλην μήτε κίνησιν μηδεμίαν ἐνδέχεσθαιμήτε μεταβολὴν κρείττω ἢ φαύλην εἶναι δὲ ἁπλοῦν καὶἀναλλοίωτον καὶ ἐν ἰδέᾳ τῇ αὐτῇ καὶ μήτε ἐθελούσιον ἐξίστα-σθαι τῆς ταὐτότητος μήθrsquo ὑφrsquo ἑτέρου προσαναγκάζεσθαι (extraitdu fragment 6 15 F = Eus PE XI 10 7)

Et la raison de ce nom ecirctre reacuteside dans le fait de ne pas ecirctre neacute de nepas devoir peacuterir de nrsquoadmettre absolument aucun autre type de mou-vement ni de changement que ce soit vers le meilleur ou vers le piremais drsquoecirctre au contraire simple invariable dans une forme qui resteidentique de ne pas sortir de son identiteacute ni volontairement ni souslrsquoeffet drsquoune contrainte exteacuterieure80

Pourquoi a-t-on voulu lire ces textes comme faisant allusion auParmeacutenide alors qursquoils ne preacutesentent pas de parallegraveles textuels avec cedialogue Deux raisons agrave cela A-J Festugiegravere y voit une seacuterie deneacutegations qui rappellent celles du Parmeacutenide relativement agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese D OrsquoMeara estime que la deacutefinition de lrsquoecirctrecomme restant dans une identiteacute parfaite agrave soi exprimeacutee en termes de

128 Fabienne JOURDAN

79 Toutes les traductions de Numeacutenius sont les nocirctres80 Voir aussi cet extrait du fragment 8 (17 F = Eus PE XI 10 12) Εἰ μὲν

δὴ τὸ ὂν πάντως πάντη ἀΐδιόν τέ ἐστι καὶ ἄτρεπτον καὶ οὐδαμῶςοὐδαμῆ ἐξιστάμενον ἐξ ἑαυτοῦ μένει δὲ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτωςἕστηκε τοῦτο δήπου ἂν εἴη τὸ τῇ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν laquo Siassureacutement lrsquoecirctre est en tout point absolument eacuteternel et immuable srsquoil ne sortabsolument pas de lui-mecircme en aucune faccedilon mais demeure dans le mecircmeeacutetat fixeacute dans son identiteacute alors crsquoest lui sans nul doute qui sera ldquoce qui estappreacutehendeacute par lrsquointellection agrave lrsquoaide du raisonnementrdquo (Tim 28 a) raquo Ce pas-sage fait suite au fragment 7 (16 F = Eus PE XI 10 9-11) qui cite la deacutefinitionde lrsquoecirctre opposeacute agrave la γένεσις en Timeacutee 27 d 6-28 a 4

laquo non-sortie raquo de soi est reprise dans les passages des Enneacuteades VI4 [ 22] 2 21 et VI 5 3 1-2 ougrave Plotin traite de lrsquointeacutegriteacute de lrsquoecirctre etinterpregravete agrave cet effet la seconde hypothegravese du Parmeacutenide D OrsquoMearasonge alors agrave un preacuteceacutedent numeacutenien dans la lecture plotinienne duParmeacutenide et agrave cette fin eacutetant donneacute qursquoil est question dans ces frag-ments de la relation de lrsquoecirctre au temps au changement et au mouve-ment tout comme de son nom (et donc sous-entendu aussi de saconnaissance) il invite agrave penser que le livre II du Περὶ τἀγαθoῦ trai-tait de lrsquoecirctre selon les diffeacuterents preacutedicats qui servent agrave interroger lrsquoUndu Parmeacutenide agrave savoir le Tout et les parties le lieu le changement etmouvement lrsquoidentiteacute et la diffeacuterence la ressemblance et dissem-blance lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoineacutegaliteacute le temps le nom la connaissance

Ces deux lectures se heurtent toutefois agrave deux objections simplesDrsquoune part pas plus qursquoil ne tire du Parmeacutenide la description de la non-sortie de soi81 Numeacutenius nrsquoemprunte son argumentation sur le change-ment le temps et le nom au Parmeacutenide Comme il le dit lui-mecircme aufragment 6 (15 F) il srsquoappuie pour cela sur le Timeacutee et le Cratyle Onnotera drsquoailleurs que le deacuteveloppement sur lrsquoabsence de mouvement etdonc de changement relegraveve en outre drsquoun emprunt aux Lois82 et qursquoellenrsquoest pas exempte de parallegraveles aristoteacuteliciens ainsi que le reconnaicirctD OrsquoMeara lui-mecircme83 Drsquoautre part et pour reacutepondre cette fois agraveA-J Festugiegravere la seacuterie de neacutegations ne fait aucunement allusion auParmeacutenide ni nrsquoaugure drsquoune theacuteologie neacutegative telle qursquoelle sera tireacuteede la premiegravere hypothegravese de ce dialogue elle contribue simplement agraveune deacutefinition de lrsquoecirctre par opposition au devenir et surtout au corporelqui preacutesente toutes les qualiteacutes ici nieacutees La citation au fragment 7 (16F) du passage du Timeacutee (27 d 6-28 a 4) opposant justement ὄν et

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 129

81 Elle est en reacutealiteacute preacutesente dans le Cratyle 439 e le Pheacutedon 79 d et 80b 1-2 et le Banquet 211 b 1

82 X 893 c-894 a83 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 n 26 Sur le temps

voir aussi M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit et la remarquefinale sur la deacutefinition parmeacutenidienne drsquoune entiteacute se situant dans un eacuteternelpreacutesent au fr 85 DK

γένεσις preacutecise ce contexte de penseacutee et empecircche en cela toute extra-polation Agrave la limite si lrsquoon y tient on pourra simplement conclure avecD OrsquoMeara que Numeacutenius a donneacute agrave Plotin lrsquoideacutee de lire le Parmeacutenidedans le sens ougrave il lrsquoa fait concernant lrsquoecirctre ndash hypothegravese qui srsquoavegraverera fortinteacuteressante dans la perspective drsquoune comparaison avec lrsquoentreprise ducommentateur anonyme au Parmeacutenide

Les textes habituellement citeacutes en faveur drsquoune utilisation numeacute-nienne du Parmeacutenide ainsi compris il en est selon nous un troisiegravemequi aurait pu inviter agrave pareille suggestion celui ougrave Numeacutenius precircte aupremier principe un repos qui srsquoaccompagne malgreacute tout drsquoune formede mouvement ndash attributs apparemment contradictoires dont lrsquooriginepourrait paraicirctre remonter au Parmeacutenide Ce texte nous mettrait sur lavoie qui pouvait sembler la plus feacuteconde drsquoune identification du pre-mier principe numeacutenien agrave lrsquoUn de la seconde hypothegravese du ParmeacutenideLisons ainsi le fragment 15 (23 F)

Εἰσὶ δrsquo οὗτοι βίοι ὁ μὲν πρώτου ὁ δὲ δευτέρου θεοῦ δηλονότι ὁμὲν πρῶτος θεὸς ἔσται ἑστώς ὁ δὲ δεύτερος ἔμπαλίν ἐστικινούμενοςmiddot ὁ μὲν οὖν πρῶτος περὶ τὰ νοητά ὁ δὲ δεύτερος περὶτὰ νοητὰ καὶ αἰσθητά μὴ θαυμάσῃς δrsquo εἰ τοῦτrsquo ἔφηνmiddot πολὺ γὰρἔτι θαυμαστότερον ἀκούσῃ ἀντὶ γὰρ τῆς προσούσης τῷδευτέρῳ κινήσεως τὴν προσοῦσαν τῷ πρώτῳ στάσιν φημὶ εἶναικίνησιν σύμφυτον ἀφrsquo ἧς ἥ τε τάξις τοῦ κόσμου καὶ ἡ μονὴ ἡἀΐδιος καὶ ἡ σωτηρία ἀναχεῖται εἰς τὰ ὅλα

Voici les genres de vie respectifs du premier et du deuxiegraveme dieu ilest eacutevident que le premier sera en repos tandis que le deuxiegraveme aucontraire est en mouvement le premier donc autour des intelligiblesle deuxiegraveme autour des intelligibles et des sensibles Et nrsquoen viens pasagrave trsquoeacutetonner si jrsquoai affirmeacute cela car tu vas entendre bien plus eacutetonnantencore agrave la place du mouvement inheacuterent au deuxiegraveme le repos inheacute-rent au premier je lrsquoaffirme est un mouvement qui lui est par natureassocieacute drsquoougrave viennent lrsquoordre du monde et sa permanence eacuteternelle etdrsquoougrave le salut se reacutepand sur lrsquointeacutegraliteacute des ecirctres

Le passage pourrait rappeler lrsquoUn qui est Tout (τὸ ἓν ὅλον 145 e3) de la deuxiegraveme hypothegravese et que Platon deacutecrit comme eacutetant agrave la fois

130 Fabienne JOURDAN

en repos et en mouvement (καὶ κινεῖσθαι καὶ ἑστάναι 145 e 7-8)drsquoautant plus que le vocabulaire du repos employeacute est le mecircme(ἕστηκε 145 a 8 ἑστός 146 a 5) On pourrait alors imaginer queNumeacutenius identifie son premier principe agrave lrsquoUn associeacute agrave lrsquoecirctre telqursquoil est conccedilu dans cette deuxiegraveme hypothegravese Cependant la raisondonneacutee par Platon agrave cet eacutetat est le fait que cet Un se trouve agrave la fois enlui-mecircme crsquoest-agrave-dire au mecircme endroit et en autre chose crsquoest-agrave-direailleurs (le tout devant ecirctre ainsi compris 145 e 8-146 a 7) Or toutconduit agrave penser que dans le fragment le mouvement associeacute au reposfondamental est celui de la penseacutee caracteacuteristique du premier principe(cf fr 19 27 F) et que par cette formule Numeacutenius preacutepare la deacutefini-tion de celui-ci comme intellect (fr 16-17 24-25 F) Le raisonnementest profondeacutement distinct et Numeacutenius joue drsquoailleurs moins sur uneantithegravese logique telle que pourrait paraicirctre celle du raisonnement pla-tonicien que sur une association certes paradoxale mais reacuteelle Crsquoestpourquoi si tentant que puisse paraicirctre le parallegravele il ne relegraveve sansdoute pas drsquoune appropriation numeacutenienne de la deuxiegraveme hypothegravesepour deacutecrire le premier principe Numeacutenius reprend peut-ecirctre le voca-bulaire voire la conception de Platon pour deacutecrire un principe qursquoilassocie volontiers au Tout surtout si ce premier principe doit corres-pondre au Vivant84 Mais cette reprise serait superficielle et srsquoaccom-pagnerait drsquoun deacuteveloppement personnel qui ne relegraveve pas du deacutesirdrsquointerpreacuteter le Parmeacutenide85 Si Numeacutenius emprunte ici agrave Platon crsquoestplutocirct au passage du Sophiste 248 e-249 a qui integravegre le mouvementdans lrsquoecirctre total finit par deacutecrire cet ecirctre comme eacutetant agrave la fois en reposet en mouvement et inclut en lui eacutegalement lrsquointellect mieux laφρόνησις dont nous avons vu que Numeacutenius en fait sous la formeinfinitive lrsquoapanage du Bien

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 131

84 Voir le teacutemoignage de Proclus (fr 22) deacutejagrave signaleacute selon nous lrsquoimagedu Vivant est deacutejagrave sous-jacente dans ce fragment 15 (23 F) voir la note 61

85 Sur ce point nous rejoignons LP Gerson laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpre-tation of Platorsquos Parmenides raquo art cit n 1 qui rappelle agrave propos drsquoAlcinoosque lrsquoutilisation de distinctions et drsquoarguments preacutesents dans le Parmeacutenidenrsquoimplique pas drsquoaccorder une primauteacute interpreacutetative agrave ce dialogue

2 Le Περὶ τἀγαθοῦ et les deux premiegraveres hypothegravesesde la seconde partie du Parmeacutenide

Agrave eux seuls les textes parvenus ne nous semblent donc pas teacutemoi-gner en faveur drsquoun commentaire au Parmeacutenide de la part de Numeacute-nius ni mecircme drsquoune utilisation partielle qursquoil aurait faite de ce dia-logue Les partisans drsquoune attribution de pareil commentaire agrave Numeacute-nius en appellent toutefois et ce juste titre agrave lrsquoœuvre non parvenueOn ne peut certes juger de lrsquoeacutevolution de Numeacutenius Mais pour quecet argument e silentio soit valable concernant au moins la partie man-quante du Περὶ τἀγαθοῦ il faudrait que la partie transmise ne preacute-sente pas drsquoincompatibiliteacute avec lrsquoargumentation geacuteneacuterale du dialoguede Platon Comme le deacutebat porte toujours sur les deux premiegraveres hypo-thegraveses ce sont elles qursquoil suffit drsquointerroger en vue drsquoeacutevaluer si Numeacute-nius peut ne serait-ce que srsquoy ecirctre reporteacute pour esquisser sa deacutefinitiondu premier principe voire du second comme le suggegravere JD Turner86

a) Le Bien et lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese

Selon notre lecture Numeacutenius nrsquoidentifie pas le Bien agrave lrsquoUn Laseacuterie de neacutegations neacutecessaires agrave la deacutefinition de lrsquoecirctre nrsquoa drsquoautre butque de distinguer celui-ci du devenir Qursquoest-ce que le Bien de Numeacute-nius pourrait donc avoir de commun avec lrsquoUn de la premiegravere hypo-thegravese87 Comparons son enseignement agrave celui du Parmeacutenide pourassurer de la validiteacute de notre position

Ce que le Bien de Numeacutenius pourrait avoir de commun avec lrsquoUnde la premiegravere hypothegravese assureacutement ce serait le fait de ne pas ecirctremultiple (137 c) Mais cela est bien maigre la seacuterie de neacutegations pro-

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86 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 138-13987 G Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 84) estime que

crsquoest en lien avec la premiegravere hypothegravese que Numeacutenius deacuteveloppe sa concep-tion du premier intellect Il nrsquoexplique toutefois pas cette lecture pour le moinseacutetonnante

poseacutee par Parmeacutenide ne le concerne pas Passons en revue quelquesexemples en suivant lrsquoordre du dialogue contrairement agrave lrsquoUn de cettehypothegravese le Bien nrsquoest pas illimiteacute (137 d 7) crsquoest la matiegravere qui esttelle agrave lrsquoimage drsquoun fleuve88 loin drsquoecirctre nulle part au sens de laquo pas ensoi raquo (138 a 2 6-b 2) il est au contraire en lui-mecircme89 La seacuterie drsquoanti-thegraveses ne le concerne pas davantage loin de nrsquoecirctre ni en repos ni enmouvement (138 b) nous avons vu qursquoil a part aux deux90 plutocirct quede nrsquoecirctre ni identique ni diffeacuterent (139 b-140 b) il est assureacutement iden-tique agrave soi91 au lieu drsquoecirctre hors du temps (141 a) il se situe dans uneacuteternel preacutesent92 et si certes on ne peut pas non plus parler agrave soneacutegard de participation agrave lrsquoοὐσία (141 e 7-8) il nrsquoen est pas moinslrsquoἀρχή de celle-ci93 qui fait de lui lrsquoEcirctre par excellence94 Contraire-ment agrave lrsquoUn de cette hypothegravese (142 a) il a en outre un nom une deacutefi-nition et il y a mecircme une science agrave son sujet son nom est drsquoabordοὐσία et ὄν lorsque lrsquoecirctre qursquoil est est envisageacute de maniegravere geacuteneacuterale95puis vraisemblablement Bien lui-mecircme et Ecirctre lui-mecircme (αὐτοάγα-θον et αὐτοόν) lorsqursquoil est envisageacute dans sa speacutecificiteacute96 il donnelrsquoἐπιστήμη et srsquoavegravere mecircme ecirctre la σοφία97 toute lrsquoentreprise duΠερὶ τἀγαθοῦ est justement de conduire agrave sa connaissance et deacutefini-tion98 ce agrave quoi parvient entre autres le dernier fragment en identifiantultimement lrsquoecirctre et lrsquointellect qursquoil constitue agrave la Forme du Bien de laReacutepublique99 Lorsque Platon fait conclure agrave Parmeacutenide que cet Un

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88 Fr 3 (12 F) et 8 (17 F)89 Fr 11 (19 F)90 Fr 15 (23 F)91 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)92 Fr 5 (14 F)93 Fr 16 (24 F)94 Fr 17 (25 F) et lrsquoon nrsquooubliera pas la synonymie entre οὐσία et ὄν don-

neacutee au fr 6 (15 F)95 Fr 6 (15 F)96 Fr 16-17 (24-25 F) fr 20 (28 F)97 Crsquoest notre interpreacutetation conjointe des fragments 13 et 14 (21-22 F)98 Tel est le programme annonceacute au fragment 2 (11 F)99 Fr 20 (28 F)

finalement nrsquoest pas Numeacutenius peut donc avoir estimeacute ne pas devoirreconnaicirctre lagrave ce qursquoil deacutefinit quant agrave lui comme le premier principe etce alors en accord avec Platon lui-mecircme

Crsquoest pourquoi srsquoil a songeacute agrave ce dialogue et plus particuliegraverement agravela premiegravere hypothegravese Numeacutenius a pu le consideacuterer comme un exer-cice dialectique ougrave puiser par exemple une meacutethode drsquointerrogation etcertains concepts dans un esprit peut-ecirctre semblable agrave celui drsquoAlci-noos100 ou bien ce qui nrsquoest pas incompatible comme deacutecrivantaussi une position selon lui critiqueacutee par Platon Dans cette perspec-tive il peut alors y avoir perccedilu une raison de ne pas retenir la candida-ture de lrsquoUn (telle que la suggegravere notamment la reacuteception acadeacutemi-cienne de lrsquoenseignement oral) au titre de premier principe agrave identifierau Bien puisque cet Un conccedilu dans sa pureteacute agrave la maniegravere dont Platonle deacutecrit dans la premiegravere hypothegravese conduit agrave lrsquoaporie du non-ecirctre (non-ecirctre que Numeacutenius identifie quant agrave lui agrave la matiegravere) Autre-ment dit la lecture du Parmeacutenide voire le commentaire de ce dia-logue aurait plutocirct conduit Numeacutenius agrave ne pas identifier le Bien agrave lrsquoUnabsolu et lrsquoaurait peut-ecirctre justifieacute dans une position poleacutemique agrave lrsquoen-contre de certains neacuteo-pythagoriciens de son temps101 voire des Aca-deacutemiciens qui le faisaient

Cette conclusion peut a priori eacutetonner Mais Numeacutenius nrsquoaurait paseacuteteacute le seul de son eacutepoque agrave refuser drsquoaccorder agrave lrsquoUn de la premiegraverehypothegravese le rocircle de principe de la reacutealiteacute et de principe transcendantlrsquoecirctre Proclus eacutevoque des interpregravetes selon lesquels le veacuteritable objet

134 Fabienne JOURDAN

100 Agrave la mecircme eacutepoque ou peu apregraves (selon lrsquohypothegravese de R Chiara-donna laquo Theacuteologie et eacutepoptique aristoteacutelicienne dans le meacutedioplatonisme lareacuteception de Meacutetaphysique Λ raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted)Reacuteceptions de la theacuteologie aristoteacutelicienne op cit p 143-148 voir aussiM Frede laquo Numenius raquo art cit p 1064) Alcinoos donne une interpreacutetationessentiellement logique du Parmeacutenide voir Did VI p 159-160 H Cela nrsquoim-plique toutefois pas que ce fut lagrave la seule lecture du dialogue par Alcinoos(pace J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit)

101 Voir ceux eacutevoqueacutes au fragment 5215-24 (Calcidius In Tim CCXCV)qui font provenir la dyade de la monade Modeacuteratus agrave qui est justement precircteacuteun commentaire du Parmeacutenide leur est parfois rapprocheacute

du Parmeacutenide est justement lrsquoecirctre (ou lrsquoUn de la seconde hypothegravese) etnon lrsquoUn absolu dont lrsquohypothegravese ne conduit qursquoagrave des apories102 Lrsquounde ces interpregravetes fut Origegravene (le Platonicien103 ) disciple drsquoAmmo-nius comme Plotin et qui eacutetait peut-ecirctre justement en deacutebat avecNumeacutenius notamment sur la fonction du premier principe104 SelonOrigegravene lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese eacutetait sans existence ni subsis-tance (ἀνύπαρκτον καὶ ἀνύποστατον) lrsquoEcirctre absolu et lrsquoUnabsolu ne devaient faire qursquoun et ecirctre identifieacutes agrave lrsquointellect commeprincipe supeacuterieur105 ce nrsquoeacutetait donc qursquoavec la seconde hypothegravese

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 135

102 Proclus In Parm I 63531-6364 Theacuteol Plat II 4 311-28103 Nous nrsquoentrons pas ici dans le deacutebat concernant la question de savoir si

Origegravene nommeacute laquo le platonicien raquo est le mecircme qursquoOrigegravene le chreacutetien Nouspostulons qursquoil srsquoagit de deux personnages distincts (en cela nous suivonsnotamment R Goulet laquo Porphyre Ammonius les deux Origegravene et lesautres raquo Revue drsquohistoire et de philosophie religieuse 57 1977 p 471-496repris dans R Goulet Eacutetudes sur les Vies de philosophes de lrsquoAntiquiteacute tar-dive Diogegravene Laeumlrce Porphyre de Tyr Eunape de Sardes Textes et traditionsI Paris Vrin 2001 p 267-290) Sur ce sujet voir le statut de la question dansL Brisson R Goulet laquo Origegravene le platonicien raquo dans R Goulet (eacuted) Dic-tionnaire des philosophes antiques Paris CNRS IV 2005 p 804-807 M Zambon laquo Porfirio e Origene uno status quaestionis raquo dans S Morlet(eacuted) Le Traiteacute de Porphyre contre les chreacutetiens Un siegravecle de recherches nou-velles questions Paris Institut drsquoEacutetudes augustiniennes 2011 p 107-164 etles eacutetudes reacuteunies par B Baumlbler H-G Nesselrath (eacuted) Origenes der Christund Origenes der Platoniker Tuumlbingen Mohr Siebeck 2018 (dont lrsquoarticle deCh Riedweg qui identifie les deux personnages)

104 Drsquoapregraves le titre de son ouvrage transmis par Porphyre (VP 332 cf Pro-clus Theol plat II 4 A) Ὃτι μόνος ποιητὴς ὁ βασιλεύς Origegravene associaitvraisemblablement le laquo roi raquo (premier principe) au deacutemiurge nommeacute ποιητήςcontrairement agrave Numeacutenius qui les distingue au fragment 12 (20 F)

105 Sur ce sujet voir par ex HD Saffrey LG Westerink Proclus Theacuteo-logie platonicienne T II Paris Les Belles Lettres 1974 p X-XX C Steellaquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 32-35 L Bris-son laquo The Reception of Parmenides before Proclus raquo dans JD TurnerK Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage vol II Reception inPatristic Gnostic and Christian Neoplatonic Texts Atlanta Society of Bibli-cal Literature 2011 p 49-64

que commenccedilait selon lui lrsquoonto-theacuteologie platonicienne parce qursquoelleaurait deacutecrit lrsquointellect et les formes Origegravene paraissant plus proche deson maicirctre que Plotin106 son interpreacutetation eacutetait peut-ecirctre celle drsquoAm-monius et comme les argumentations drsquoAmmonius et de Numeacuteniussont parfois rapprocheacutees107 on pourrait penser agrave une parenteacute entre ellessur ce sujet eacutegalement Quoi qursquoil en soit sur ce point on peut retenirdeux choses de la comparaison avec lrsquointerpreacutetation drsquoOrigegravene lerefus de consideacuterer le premier principe comme identique agrave lrsquoUn absolude la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et lrsquoidentification de ce prin-cipe agrave lrsquoEcirctre absolu

Peut-on alors supposer que Numeacutenius agrave lrsquoinstar drsquoOrigegravene conccediloitlui aussi cet Ecirctre comme deacutecrit dans la deuxiegraveme hypothegravese Crsquoest eneffet avions-nous vu drsquoembleacutee la seule maniegravere de lui supposer reacuteelle-ment une utilisation du Parmeacutenide dans sa description du premier prin-cipe

b) Le Bien et lrsquo laquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

On peut en effet rappeler que Plotin a tendance agrave situer le premierde Numeacutenius au rang du second selon sa propre doctrine Toutefois agravela lecture du Parmeacutenide lui-mecircme Numeacutenius aurait assureacutement eacuteteacutegecircneacute degraves la formulation de lrsquohypothegravese consideacuterant Un et ecirctre (οὐσία)comme deux eacuteleacutements seacutepareacutes neacutecessitant la participation de lrsquoUn agravelrsquoecirctre (142 b-c) Pour Numeacutenius le premier principe est lrsquoecirctre il nrsquoapas part agrave lrsquoecirctre Lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacutenide ten-tera certes de reacutesoudre la difficulteacute et si Numeacutenius avait commenteacute letexte il aurait sans doute fait de mecircme Mais est-il bien neacutecessaire delui precircter pareille entreprise Il nrsquoest en effet pas davantage inteacuteresseacute agrave

136 Fabienne JOURDAN

106 Voir HD Saffrey LG Westerink op cit p XIX107 Voir par ex le teacutemoignage de Neacutemeacutesius (fr 4 b = Sur la nature de

lrsquohomme 2 8-14) qui les associe dans la critique de la corporeacuteiteacute de lrsquoacircmecaracteacuteristique de la conception stoiumlcienne

utiliser la seacuterie de preacutedicats contraires cette fois accepteacutes pour lrsquoUn decette deuxiegraveme hypothegravese Si nous nrsquoen retenons seulement quelques-uns parmi ceux pouvant concerner une reacutealiteacute intelligible on noteraque la notion de pluraliteacute ne peut concorder avec la repreacutesentation delrsquouniteacute indivisible que constitue le Bien pas davantage que le coupleantitheacutetique drsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave soi Trois points pourraientecirctre malgreacute tout rapprocheacutes dans la deacutefinition du Bien numeacutenien et delrsquoUn de la seconde hypothegravese lrsquoaffirmation drsquoune preacutesence agrave la fois ensoi et en autre chose (145 b 6-7) ndash mais elle est caracteacuteristique de touteforme intelligible et la contradiction apparente est reacutesolue par le pheacute-nomegravene de la participation bien deacuteveloppeacute par Numeacutenius lrsquoideacutee quece principe est en mouvement et en repos (145 a 3-146 a 7)ndash mais nousavons montreacute son sens particulier lieacute au processus de la penseacutee propreagrave lrsquointellect qui nrsquoest pas deacuteveloppeacute dans le Parmeacutenide et enfin larelation au temps (152 a) mais elle nrsquoest que provisoire concernant ladeuxiegraveme hypothegravese dans la mesure ougrave celle-ci va ensuite associerlrsquoecirctre agrave toutes les dimensions du temps alors que Numeacutenius ne lrsquoasso-cie qursquoau preacutesent comme le fait le Timeacutee (et peut-ecirctre le vrai Parmeacute-nide lui-mecircme au fragment 85)

Il nous semble donc peu probable que Numeacutenius ait envisageacute sonpremier principe en songeant agrave lrsquoUn-qui-est du Parmeacutenide ou aitmecircme tenteacute de le lui faire correspondre dans une eacutetape ulteacuterieure de sareacuteflexion En cela le deacutesaccord qui semble affleurer avec Origegravene surla caracteacuterisation des principes se retrouverait sur ce point eacutegalement

c) Le second dieu (le Bon) et lrsquolaquo Un qui est raquo

Une autre possibiliteacute peut toutefois se preacutesenter agrave lrsquoesprit Numeacute-nius nrsquoaurait-il pas alors associeacute agrave ce second Un son second dieu etprincipe qui lui est effectivement agrave la fois Un et plusieurs (143 a 5)au sens ougrave il connaicirct une laquo division raquo lorsqursquoil rencontre la matiegravere108

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 137

108 Fr 11 (19 F)

Telle est en effet lrsquohypothegravese de JD Turner109 On pourrait lrsquoeacutetayer ennotant que ce dieu est drsquoailleurs lui aussi seacutepareacute pour ainsi dire de saforme le Bien ce qui constitue deux aspects de son ecirctre et mecircme de laforme qursquoil produit comme modegravele du monde lui aussi a en outre partagrave lrsquoοὐσία qursquoil reccediloit du premier En extrapolant on pourrait imaginerque crsquoest agrave lui que reviennent tous les couples de contraires puisqursquoilest agrave la fois dans lrsquointelligible par sa contemplation et preacuteoccupeacute dusensible tendant au contact avec la matiegravere110 Mais nous irions troploin Numeacutenius fait certes de ce second dieu lrsquoecirctre deacuteriveacute mais il estecirctre assureacutement et nrsquoest pas concerneacute par les preacutedicats caracteacuterisant lesensible (comme la grandeur la limite lrsquoacircge) Ce qui peut paraicirctrecontraire en ce dieu ce sont seulement des attitudes lieacutees agrave son orienta-tion dans un processus cosmogonique Numeacutenius ne paraicirct pas avoirainsi deacutefini son essence dont la caracteacuteristique fondamentale est lrsquoimi-tation et la participation au Bien Crsquoest pourquoi mecircme si cela peutparaicirctre tentant nous ne pensons pas qursquoil ait conccedilu ce second dieu ensongeant agrave la deuxiegraveme hypothegravese du Parmeacutenide ni mecircme qursquoil aittenteacute apregraves lrsquoavoir deacutefini de le lui faire correspondre111 Le consideacuterer

138 Fabienne JOURDAN

109 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 137-138 qui ajoute agravecela une reacuteflexion sur ce que certains Anciens consideacuteraient comme la troisiegravemehypothegravese (155 e 4-157 b 4) et fait du second dieu de Numeacutenius dans sa dualiteacutemecircme un repreacutesentant des Un de la deuxiegraveme et troisiegraveme hypothegraveses (Un-plu-sieurs et Un-et-plusieurs) Cette lecture est ingeacutenieuse mais inveacuterifiable

110 Fr 11 (19 F)111 Concernant les autres hypothegraveses nous pourrions faire deux remarques

Dans la troisiegraveme la deacutefinition des laquo autres choses raquo comme eacutetant de natureillimiteacutee mais recevant leur limite par participation agrave lrsquoUn (158 d 7-8) corres-pond agrave la conception de la formation du monde par le deacutemiurge (fr 18 26 F cf fr 52) Mais cette interpreacutetation est la leccedilon mecircme du Timeacutee coupleacute avec lePhilegravebe Dans la derniegravere hypothegravese ensuite en 165 c 2 on trouve lrsquoexpres-sion ὀξὺ νοοῦντι pour deacutesigner celui qui regarde de pregraves et voit que les chosesqui paraissent unes sont en reacutealiteacute plusieurs car priveacutees drsquouniteacute Avec lrsquoexpres-sion ὀξὺ βλέποντι au fr 19 (27 F) Numeacutenius pourrait faire un clin drsquoœilentendu agrave ce passage lorsqursquoil invite agrave comprendre ce qui est selon lui le vraisens du terme un appliqueacute au Bien celui drsquouniciteacute Lrsquoeacutecho lexical pourrait ren-

selon chacun de ses deux laquo aspects raquo comme correspondant agrave lrsquolaquo Un-plusieurs raquo et agrave lrsquolaquo Un-et-plusieurs raquo de la deuxiegraveme et de la troisiegravemehypothegraveses entrevue par certains Anciens comme le fait J Turnerrelegraveve selon nous drsquoune lecture plotinienne qui ne correspond pas agravelrsquoenseignement du Περὶ τἀγαθοῦ112 Cela une fois encore nrsquoem-pecircche pas que Numeacutenius ait pu inspirer Plotin dans sa propre lecturedu Parmeacutenide

3 Le Περὶ τἀγαθοῦ et la premiegravere partie du Parmeacutenide

Dans le Περὶ τἀγαθοῦ Numeacutenius nrsquoa ainsi selon nous pas conccedilusa reacuteflexion sur les principes agrave partir drsquoun commentaire du Parmeacutenideni nrsquoa mecircme tenteacute de la faire correspondre aux hypothegraveses de laseconde partie de ce dialogue apregraves lrsquoavoir eacutelaboreacutee En revanche ilsrsquoest assureacutement inteacuteresseacute agrave la premiegravere partie ou du moins aux diffi-culteacutes dans lesquelles elle place la theacuteorie des formes113 Qursquoil ait ounon en tecircte ce dialogue le sien en tout cas cherche assureacutement agraverendre possible la participation et donc agrave sauver la theacuteorie des formespar-delagrave les objections que lui adresse Parmeacutenide Ce sujet nous inteacute-ressant moins directement ici nous ferons bref

Agrave la question de savoir srsquoil y a des formes de tout (130 b-e) Numeacute-nius reacutepond assureacutement qursquoil y en a de tout ce qui a part au Bien114 agrave

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 139

voyer agrave cette illusion relative agrave la saisie de ce qursquoest laquo ecirctre un raquo Lrsquoexpressionnrsquoeacutetant pas absente par ailleurs chez Platon (voir le commentaire au fragment19 27 F) il nrsquoest cependant pas neacutecessaire de penser que Numeacutenius ait ce pas-sage du Parmeacutenide en tecircte il est simplement tentant drsquoy songer dans uncontexte de reacuteflexion sur lrsquoUn

112 Contra JD Turner laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art citp 138-139

113 On remarquera qursquoAlcinoos (Did IX p 163 H 23-31 L W) fait demecircme en reacutepondant agrave la question de ce dont il y a des formes et en concevantcelles-ci comme des penseacutees du premier dieu

114 Fr 13 et 19 (21 et 27 F)

la question du rapport entre forme et participeacute il envisage positive-ment les deux solutions proposeacutees par Socrate a) les formes sont pourlui des penseacutees (cf Parm 132 b-c) elles sont celles du seconddieu115 et elles pensent (cf Parm 132 c) puisque telle est la maniegraverede participer au Bien116 b) les formes sont par ailleurs des paradigmes(cf Parm 132 d) comme le montre lrsquoexemple embleacutematique du rap-port entre le Bon qursquoest le deacutemiurge et le Bien envisageacute commeforme117 Quant agrave lrsquoargument du troisiegraveme homme en placcedilant le Bienau sommet de lrsquointelligible Numeacutenius estime peut-ecirctre y avoir ultime-ment reacutepondu Lrsquoobjection de la seacuteparation (133 a 8-134 c 7) enfinavec le double risque qursquoelle comporte de lrsquoinconnaissabiliteacute desformes (134 a-b) et du deacutefaut de connaissance de notre monde par ledieu qui ne pourrait alors pas agir agrave notre eacutegard (134 e) aura particu-liegraverement retenu son attention tout le dialogue Sur le Bien tend eneffet agrave montrer la continuiteacute agrave la fois ontologique et eacutepisteacutemique desdiffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute ndash le sensible lui-mecircme en tant que prisen charge par le deacutemiurge qui lrsquoeacutelegraveve agrave son propre caractegravere (autrementdit agrave sa bonteacute et agrave ce qui en deacutecoule)118 relegraveve en effet de la μετ-ουσία autrement dit de ce qui vient certes laquo apregraves lrsquoοὐσία raquo mais y amalgreacute tout essentiellement part119 Le Περὶ τἀγαθοῦ conduit en toutcas drsquoune part agrave la connaissance de la forme premiegravere tandis que celle-ci srsquoavegravere la connaissance ultime qui se transmet ensuite120 il montredrsquoautre part la relation permanente du premier agrave notre monde non seu-lement par lrsquointermeacutediaire du second dieu qui assure directement lrsquoac-tion providentielle mais par le salut ou la conservation (σωτηρία)

140 Fabienne JOURDAN

115 Fr 16 (24 F) Nous reacutesumons voir notre interpreacutetation du fragment116 Fr 19 (27 F) Lagrave aussi nous reacutesumons notre interpreacutetation laquo Pense raquo en

reacutealiteacute tout ce qui a part au Bien En outre lrsquoidentification de lrsquointellect agrave uneforme au fragment 20 (28 F) suggegravere cette interpreacutetation

117 Fr 16 19 et 20 (24 27-28 F)118 Fr 11 (19 F) cf fr 18 (26 F)119 Voir lrsquoutilisation fort suggestive de ce terme pour deacutesigner la participa-

tion agrave la fin du fragment 16 (24 F)120 Fr 13-14 (21-22 F)

qursquoil dispense lui-mecircme reacuteellement121 en tant que Bien et qursquoEcirctre quiassure ultimement la coheacutesion du monde

Nous ne preacutetendons pas que Numeacutenius reprenne point par point lesobjections de Parmeacutenide agrave Socrate contre la theacuteorie des formes Maisqursquoil les ait consideacutereacutees directement dans le dialogue de Platon ou qursquoilles ait connues par la tradition il les a prises au seacuterieux et a senti luiaussi la neacutecessiteacute drsquoy reacutepondre pour sauver Platon agrave la maniegravere dont illrsquoentendait

4 Conclusion sur Numeacutenius et le Parmeacutenide

Rien donc dans lrsquoœuvre parvenue ne permet de conclure agrave uneinterpreacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide par Numeacutenius nonseulement les textes ne contiennent pas de reacuteels parallegraveles avec le dia-logue de Platon mais ils suggegraverent que Numeacutenius ne srsquoest fondeacute suraucune des deux premiegraveres hypothegraveses pour deacuteterminer les traits de sonpremier principe ni mecircme sur la deuxiegraveme (voire la troisiegraveme) pourdeacutefinir le second Il est mecircme peu vraisemblable qursquoil ait tenteacute reacutetros-pectivement de les leur faire correspondre Il srsquoest en revanche assureacute-ment inquieacuteteacute des objections dresseacutees contre la theacuteorie des formes dansla premiegravere partie du dialogue et aura tenteacute drsquoy reacutepondre en assurant lavaliditeacute de la participation selon les diffeacuterentes modaliteacutes envisageacutees lagravepar Socrate ndash en cela il srsquoinscrit vraisemblablement dans la traditionplatonicienne122 dont il heacuterite peut-ecirctre plus de la probleacutematique qursquoilne la cherche directement dans le texte de Platon Concernant laseconde partie du dialogue il a pu percevoir dans lrsquoexposeacute de la pre-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 141

121 Fr 15 (23 F)122 Voir les remarques de la note 100 sur Alcinoos Mecircme si Alcinoos est

peut-ecirctre posteacuterieur agrave Numeacutenius de toute eacutevidence les platoniciens ont tenteacutede montrer la justesse de la theacuteorie des formes et de la participation contre lescritiques drsquoAristote ainsi assureacutement que contre celles deacutejagrave eacuteleveacutees dans leParmeacutenide et vraisemblablement inspireacutees (entre autres) par les discussions ausein de lrsquoAcadeacutemie

miegravere hypothegravese une raison suffisante pour ne pas identifier son premierprincipe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit prenant ainsi Platon agrave la lettre agrave propos ducaractegravere aporeacutetique de lrsquoUn tel qursquoil eacutetait lagrave envisageacute

Si elle eacutetait aveacutereacutee cette attitude aurait une double conseacutequencepour la compreacutehension de lrsquohistoire du platonisme

Elle pourrait drsquoabord reacuteveacuteler une intention poleacutemique agrave plusieursniveaux Elle est en effet concevable comme une reacuteaction agrave lrsquoeacuteven-tuelle association neacuteo-pythagoricienne du premier principe associeacute agravelrsquoUn ou agrave la monade avec lrsquoUn absolu de la premiegravere hypothegravese duParmeacutenide Mecircme si selon nous lrsquoidentification du premier principe agravelrsquoUn chez Speusippe et les neacuteo-pythagoriciens123 relegraveve avant tout dela tradition acadeacutemicienne pythagorisante relative agrave lrsquoUn et agrave la Dyadeainsi que du compte-rendu aristoteacutelicien de lrsquoenseignement oral de Pla-ton sur les principes124 il nrsquoy a pas en soi de raison drsquoexclure une pos-sible invocation pour confirmation de lrsquoUn du Parmeacutenide (agrave condi-tion de ne pas leur precircter une interpreacutetation neacuteoplatonicienne) Parsuite une poleacutemique avec lrsquoAncienne Acadeacutemie est eacutegalement envisa-geable Non seulement dans sa deacutefense de la theacuteorie des formes125Numeacutenius pourrait tenter de reacutepliquer agrave la suppression de celles-ciopeacutereacutee par Speusippe mais aussi srsquoopposer agrave la conception du premierprincipe precircteacutee agrave lrsquoAncien Acadeacutemicien Que lrsquoon croie Aristote selonlequel lrsquoUn de Speusippe ne serait laquo pas mecircme un ecirctre raquo126 ou plutocirct

142 Fabienne JOURDAN

123 Voir la note 75124 Voir aussi Meacutet N 4 1091 b 13-15 EE A 8 1218 a 15-32 ougrave le Bien est

associeacute agrave lrsquoUn125 Selon lui la connaissance drsquoun objet quelconque consistait dans celle

de ses relations agrave tous les autres (fr 73 Taraacuten = 2 I P2 = Proclus In Euclp 179 12-22 Friedlein) et crsquoest aux nombres qursquoil aurait alors accordeacute le statutde principe (voir le reacutesumeacute de A Meacutetry Speusippos Zahl Erkenntnis SeinBernStuttgartWien Paul Haupt 2002 p 11-13 et celui de HD Kraumlmerlaquo Die Aumlltere Akademie raquo dans H Flashar (eacuted) Grundriss der Geschichte derPhilosophie Band 3 Aumlltere Akademie Aristoteles Peripatos Basel SchwabeVerlag 20042 [1983] p 16-17)

126 μηδὲ ὄν τι εἶναι τὸ ἕν αὐτό Meacutet N 5 1092 a 16 (fr 43 Taraacuten = 25 IP2 = Aristote Meacutet N 5 1092 a 11-17)

Jamblique selon qui il ne serait laquo pas encore ecirctre raquo127 une distinctionentre lrsquoUn conccedilu comme premier principe et lrsquoecirctre semble agrave lrsquoœuvrechez lui128 si bien que certains ont mecircme penseacute que Platon lui reacutepon-dait dans le Parmeacutenide129 Il nrsquoest pas utile drsquoentrer dans ce deacutebat laposition de Speusippe peut relever drsquoune reacuteflexion sur le Bien deReacutepublique VI et drsquoune appropriation de lrsquoenseignement oral de Platonagrave nous transmis par le compte-rendu aristoteacutelicien qui laisse Platonassocier eacutetroitement le Bien et lrsquoUn Disons simplement que srsquoil a euconnaissance de la position de Speusippe Numeacutenius peut avoir voulului reacutepondre Nrsquooublions pas qursquoagrave lui comme agrave ses pairs dans lrsquoAn-cienne Acadeacutemie il reproche de ne pas avoir pas laquo tout souffert raquo pour

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 143

127 ὅπερ δὴ ουδὲ ὄν πω δεῖ καλεῖν DCMS IV p 157-8 FestaKlein128 La reconstruction de lrsquoenseignement exact de Speusippe sur le premier

principe est neacutecessairement fragile drsquoune part elle est fondeacutee sur lrsquointerpreacuteta-tion du texte drsquoAristote qui est empreint de critique drsquoautre part elle esteacutetayeacutee par deux autres textes dont le lien agrave Speusippe est controverseacute et dontles auteurs agrave la fois sont familiers du neacuteo-pythagorisme et ont lu Plotin chezqui lrsquoUn est effectivement au-dessus de lrsquoecirctre (il srsquoagit de Jamblique et de Pro-clus dans la traduction de Guillaume de Moerbeke In Parm VII 401-9 Kli-bansky-Labowsky = 50162-71 Steel = fr 48 Taraacuten = 30 IP2) Nous ne propo-sons ici qursquoune hypothegravese de reacuteflexion Pour un exposeacute plus deacutetailleacute sur la rela-tion eacuteventuelle de Numeacutenius agrave Speusippe dans lrsquoeacutelaboration drsquoune leacutegitimiteacuteplatonicienne voir la premiegravere annexe de notre eacutedition commenteacutee des frag-ments de Numeacutenius en preacuteparation

129 Crsquoest la lecture de A Graeser (laquo Platon gegen Speusipp Bemerkun-gen zur ersten Hypothese des Platonischen Parmenides raquo Museum Helveti-cum 54 1997 p 45-47 et laquo Anhang Probleme der Speusipp-Interpreta-tion raquo dans Prolegomena zu einer Interpretation des zweiten Teils des Plato-nischen Parmenides Bern Paul Haupt 1999 p 41-53) et J Halfwassen(Der Aufstieg zum Einen op cit et laquo Speusipp und die metaphysische Deu-tung von Platons Parmenides raquo art cit) adopteacutee par ex par R Dancy(laquo Speusippus raquo dans EN Zalta (eacuted) The Stanford Encyclopedia of Philo-sophy Winter 2012 Edition 20112 [2003] en ligne) et rejeteacutee par C Steel(laquo A Neoplatonic Speusippus raquo art cit p 470 473-475) et LP Gerson(laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit p 2-11de la version eacutelectronique)

rester dans une communauteacute de penseacutee avec leur maicirctre130 Commenous lrsquoavons suggeacutereacute dans les preacuteliminaires il ne serait alors pasimpossible qursquoavec cette eacuteventuelle lecture du Parmeacutenide Numeacuteniuseucirct souhaiteacute reacutepliquer agrave lrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne signaleacutee delrsquoenseignement oral de Platon trouvant quant agrave lui dans le Platon eacutecritla juste interpreacutetation du Platon oral mal laquo entendu raquo Pareille supposi-tion doit toutefois ecirctre prise avec prudence

Par-delagrave la mise en eacutevidence drsquoune poleacutemique agrave plusieurs niveauxlrsquohypothegravese proposeacutee sur lrsquoattitude de Numeacutenius concernant ladeuxiegraveme partie du Parmeacutenide permet de mieux deacuteterminer a contra-rio ce qui caracteacuterise une interpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo 131 du dia-logue De maniegravere geacuteneacuterale drsquoabord la position de Numeacutenius montrepar contraste que lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne trouve son originedans une vue contraire agrave la sienne sur le statut de la forme du Bien et sasituation agrave lrsquoeacutegard de lrsquoοὐσία en Reacutepublique VI ainsi peut-ecirctre que

144 Fabienne JOURDAN

130 Fr 2416-18 1 F = Eusegravebe PE XIV 5 2131 Nous en restons aux caractegraveres geacuteneacuteraux il nrsquoy a en effet pas une seule

et unique interpreacutetation post-plotinienne du Parmeacutenide On remarquera enoutre que Jamblique (drsquoapregraves Proclus In Tim III 1049-16 Diehl) semble eacutevo-quer chez Ameacutelius et Numeacutenius (si lrsquoon suit le raisonnement de Proclus) desdistinctions relatives aux diviniteacutes dans le Sophiste le Philegravebe et le Parmeacutenidequi ne correspondent pas agrave celles retenues dans le neacuteoplatonisme Si ce proposne se rapporte pas seulement agrave Ameacutelius mais vraiment aussi agrave Numeacutenius ilfaudrait en tirer lagrave encore la conclusion que son interpreacutetation ne correspondpas agrave celle du neacuteoplatonisme qui identifie son premier principe agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et donc pas non plus agrave celle des neacuteopytha-goriciens que lrsquoon reconstruit agrave partir des teacutemoignages neacuteoplatoniciens Celadit mecircme srsquoil est tentant de penser que le οὗτοι (10411) de Proclus renvoieaux deux exeacutegegravetes qursquoil vient de citer il se peut malgreacute tout que ne soit deacutesigneacutelagrave que le seul Ameacutelius disciple de Plotin et donc assureacutement familier de lrsquoexeacute-gegravese du Parmeacutenide Il nrsquoy a en revanche aucune difficulteacute agrave precircter agrave Numeacuteniusdes exeacutegegraveses partielles du Sophiste et du Philegravebe (voir nos interpreacutetations desfragments 15 23 F) et 19 27 F) Il nrsquoy en a drsquoailleurs pas davantage agrave imagi-ner chez lui une utilisation partielle du Parmeacutenide ou des allusions agrave ce dia-logue voire une prise agrave la lettre du propos de Parmeacutenide sur lrsquoUn de la pre-miegravere hypothegravese conduisant agrave renoncer agrave celui-ci comme premier principe

dans une appropriation du compte-rendu de lrsquoenseignement oral dePlaton par Aristote En affirmant lrsquoidentiteacute ontologique du Bien et delrsquoEcirctre Numeacutenius srsquointerdit lrsquoidentification de son premier principe agravelrsquoUn distinct de lrsquoecirctre de la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide En refu-sant au contraire pareille identiteacute en srsquoappuyant peut-ecirctre sur lrsquoidenti-fication du Bien et de lrsquoUn precircteacutee agrave Platon et aux platoniciens par Aris-tote et en appliquant ces deux eacuteleacutements agrave une lecture du Parmeacutenide132Plotin ouvre la voie de lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologiqueulteacuterieure du dialogue Malgreacute son caractegravere hypotheacutetique la supposi-tion selon laquelle Numeacutenius prendrait effectivement acte des conseacute-quences aporeacutetiques de la premiegravere hypothegravese en nrsquoidentifiant pas sonpremier principe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit permet ici encore a contrariode deacuteterminer deux autres eacuteleacutements indissociables caracteacuteristiques delrsquointerpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo du Parmeacutenide lrsquoidentification dupremier principe agrave lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese et par suite une lec-ture laquo positive raquo de celle-ci qui en reacutealiteacute contredit les conclusionsneacutegatives de Platon agrave son sujet Une theacuteologie neacutegative en est alorscertes tireacutee (que lrsquoon songe au Commentaire anonyme au Parmeacutenideou agrave celui de Proclus133) Mais cette neacutegativiteacute est conccedilue commereacutesultant de lrsquoincapaciteacute fondamentale de lrsquohomme agrave concevoir le pre-mier principe autrement que par analogies et approximations neacutecessai-rement erroneacutees Elle ne concerne pas le principe en lui-mecircme ni laconviction qursquoil constitue le fondement ultime assurant la coheacutesion dela reacutealiteacute Numeacutenius aura quant agrave lui preacutefeacutereacute rester fidegravele agrave la lettre dutexte et donc aux doutes du maicirctre qui laisse parler Parmeacutenide Agrave ce

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 145

132 Les deux premiers eacuteleacutements agrave eux seuls conduisent seulement agrave laposition de Speusippe dont rien ne permet drsquoaffirmer le rattachement au Par-meacutenide Nous compleacutetons en cela les hypothegraveses de J Whittaker laquo ΕΠΕ-ΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit Voir aussi LP Gerson laquo The lsquoNeo-platonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit

133 In Parm VII 51872-84 Plutocirct que de radicaliser la neacutegation pour par-ler de lrsquoUn Proclus indique que la neacutegation porte en reacutealiteacute sur la conceptionde lrsquoUn et pas sur lrsquoUn lui-mecircme qui garde la fonction laquo positive raquo drsquoassurer lacoheacutesion du reacuteel

stade de nos connaissances et drsquoapregraves lrsquoœuvre parvenue precircter agraveNumeacutenius cette reacuteaction aux conclusions de la premiegravere hypothegravesenous paraicirct la seule maniegravere prudente drsquoenvisager de sa part une inter-preacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide Renoncer agrave lui en precircterune ne poserait toutefois aucune difficulteacute

5 Appendice Numeacutenius et Parmeacutenide134

Cette conclusion sobre sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenidesuggegravere drsquointerroger pour finir son attitude agrave lrsquoeacutegard du Parmeacutenide his-torique lui-mecircme auquel Plotin fait parfois appel Que Numeacutenius aitconnu et utiliseacute (directement ou non) le poegraveme Sur la nature est aveacutereacutepar le teacutemoignage de Porphyre selon lequel il aurait associeacute les porteseacutevoqueacutees lagrave135 agrave celles du Cancer et du Capricorne repreacutesentant selonlui les voies respectivement descendante et ascendante des acircmes136Or dans le Περὶ τἀγαθοῦ qui seul nous inteacuteresse ici deux eacuteleacutementsdoctrinaux pourraient relever drsquoune appropriation personnelle de Par-meacutenide ou plutocirct de la tradition agrave son sujet telle qursquoelle serait parvenueagrave Numeacutenius ndash Platon ayant assureacutement aiguiseacute chez ses successeurslrsquointeacuterecirct pour la penseacutee du personnage eacuteponyme de son dialogue Sansentrer dans une recherche des sources ni dans un exposeacute deacutetailleacute de lapenseacutee de Parmeacutenide et des interpreacutetations de son poegraveme nous nouscontenterons ici drsquoeacutevoquer ces deux points dans le simple but drsquoouvrirla recherche

Le premier concerne la relation de lrsquoecirctre au temps et au change-ment telle qursquoelle est deacutecrite dans le fragment 5 (14 F) deacutejagrave citeacute en par-tie Lrsquoaffirmation que lrsquoecirctre ne saurait ecirctre dans le passeacute ou lrsquoavenir

146 Fabienne JOURDAN

134 Je remercie Francesco Fronterotta drsquoavoir relu cette derniegravere section135 Parmeacutenide fr 1 11 D-K ougrave sont deacutecrites les laquo portes ouvrant sur les

chemins de la nuit et du jour raquo136 Voir Porphyre De antro 21-24 ici surtout 24 Numeacutenius fr 31 27-28

Sur ce texte voir le commentaire de W Huumlbner dans lrsquointroduction de lrsquoeacuteditioncommenteacutee du De Antro parue sous la direction de T Dorandi Paris Vrin2019

mais que seul le preacutesent lui convient et qursquoil ne pourrait pas davantagechanger renvoie assureacutement au propos du Timeacutee (37 d 2-38 b 2)137Que Platon deacuteveloppe ici une reacuteflexion originellement preacutesente chezParmeacutenide et plus preacuteciseacutement pour nous dans le fragment 8 de sonpoegraveme138 pourrait suffire agrave expliquer cet eacutecho parmeacutenidien chezNumeacutenius Mais il est frappant que dans ce fragment 5 (14 F) duΠερὶ τἀγαθοῦ relayeacute par les suivants Numeacutenius reprenne une seacuteriedrsquoeacuteleacutements qui deacutecrivent lrsquoecirctre dans le passage concerneacute du poegraveme outre ceux deacutejagrave nommeacutes on retrouve chez lui lrsquoimpossibiliteacute qursquoalrsquoecirctre de devenir plus grand ou plus petit139 et la neacutecessiteacute qui estsienne de demeurer en lui-mecircme au mecircme endroit140 Ainsi lorsqueNumeacutenius estime que si ces laquo prescriptions raquo indispensables agrave ladeacutetermination de lrsquoecirctre veacuteritable nrsquoeacutetaient pas respecteacutees il se produi-rait une laquo impossibiliteacute majeure dans son discours unique en songenre agrave savoir que lrsquoecirctre agrave la fois serait et ne serait pas raquo141 et faitensuite paraphraser lrsquoideacutee par le disciple du dialogue avec la formule

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 147

137 Voir aussi Plutarque De E 20 393 a-c dont la position est compareacuteeavec celle de Numeacutenius dans notre analyse du fragment

138 Voir les vers suivants du fragment 8 D-K agrave lrsquoorigine de toute lareacuteflexion sur lrsquoeacuteterniteacute (cf M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art citp 157) οὐδέ ποτ᾽ ἦν ἔσται ἐπεὶ νῦν ἐστιν ὁμοῦ πᾶν ἕν συνεχές τίναγὰρ γένναν διζήσεαι αὐτοῦ laquo Il nrsquoa jamais eacuteteacute et ne sera jamais puisqursquoilest maintenant tout ensemble un continu Car quelle naissance pourrais-tului chercher raquo v 5-7 (trad Kirk Raven Schofield en fr par H-A de Weck)et πῶς δ᾽ἄν ἔπειτα πέλοι τὸ ἐόν πῶς δ᾽ἄν κε γένοιτο εἰ γὰρ ἔγεντ᾽ οὐκἔστ᾽ οὐδ᾽ εἴ ποτε μέλλει ἔσεσθαι τῶς γένεσις μὲν ἀπέσβεσται καὶἄπυστος ὄλεθρος laquo Comment pourrait-il ecirctre par la suite Celui qui est Comment pourrait-il naicirctre Car srsquoil est neacute il nrsquoest pas de mecircme lt il nrsquoest pasnon plus gt srsquoil doit ecirctre un jour Ainsi est eacuteteinte la naissance eacuteteinte aussi ladestruction disparue sans qursquoon en parle raquo v 19-21 (trad D OrsquoBrien leacutegegravere-ment modifieacutee) Voir aussi les vers 26-28 du mecircme fragment 8 D-K sur lrsquoab-sence de mouvement ainsi que de deacutebut et de fin

139 Parmeacutenide fr 844-45 D-K140 Parmeacutenide fr 829-30 D-K cf Numeacutenius fr 11 (19 F)141 ὡς τούτου γε οὕτως λεγομένου ἓν γίνεταί τι ἐν τῷ λόγῳ μέγα

ἀδύνατον εἶναί τε ὁμοῦ ταὐτὸν καὶ μὴ εἶναι

relativement complexe εἰ δὲ οὕτως ἔχει σχολῇ γrsquo ἂν ἄλλο τι εἶναιδύναιτο τοῦ ὄντος αὐτοῦ μὴ ὄντος κατὰ αὐτὸ τὸ ὄν il nrsquoest pasexclu qursquoil ait ici le poegraveme parmeacutenidien agrave lrsquoesprit auquel il seraitrevenu directement ou non sous lrsquoimpulsion de Platon La phraseindique en effet (nous paraphrasons) que si pareille impossibiliteacute seproduisait il serait mecircme impossible agrave autre chose (que lrsquoecirctre) drsquoecirctrepuisque lrsquoecirctre lui-mecircme ne serait pas selon ce qursquoil devrait ecirctre (κατὰαὐτὸ τὸ ὄν) autrement dit selon sa propre essence et deacutefinitionNumeacutenius suggegravere sans doute par lagrave que si lrsquoecirctre eacutetait soumis au pas-sage du temps et au changement il serait tout simplement non-ecirctrepuisqursquoil ne correspondrait pas agrave sa propre deacutefinition ce qui explique-rait son impossibiliteacute de constituer le fondement de la reacutealiteacute Une foisreplaceacute dans le contexte de penseacutee de Numeacutenius ougrave ce qui est non-ecirctreest la matiegravere et la partie du sensible qui relegraveve drsquoelle lrsquoideacutee semblefort proche de la maniegravere dont Parmeacutenide dresse lrsquoantithegravese entre ecirctreet non-ecirctre dans ce mecircme fragment 8 de son poegraveme142 Cette impres-sion peut ecirctre eacutetayeacutee par celle drsquoune prise de distance agrave lrsquoeacutegard de cepassage du poegraveme lorsque Numeacutenius affirme que lrsquoecirctre nrsquoest pasmecircme mucirc autour de son centre143 si cette preacutecision fait sans doutedrsquoabord allusion agrave lrsquoacircme du monde qui se meut autour de celui-ci dansle Timeacutee et par suite au refus drsquoidentifier lrsquoecirctre veacuteritable agrave une acircme144elle porte peut-ecirctre eacutegalement la trace drsquoune reacuteaction agrave lrsquoidentificationparmeacutenidienne de lrsquoecirctre agrave une sphegravere145 Lrsquohypothegravese est cependantplus fragile et Numeacutenius heacuterite sans doute avant tout de Platon enverslequel il se situe Crsquoest agrave partir du Timeacutee qursquoil eacutelabore sa penseacutee Maisil ne semble pas exclu qursquoil soit parfois retourneacute (directement ou non)agrave lrsquooriginal auquel reacutefegravere implicitement Platon ce qui est drsquoautant plus

148 Fabienne JOURDAN

142 Sur le non-ecirctre chez Parmeacutenide voir par ex D OrsquoBrien Le Non-Ecirctredans la philosophie grecque Parmeacutenide Platon Plotin raquo dans P Aubenque(eacuted) Eacutetudes sur le Sophiste de Platon Napoli Bibliopolis 1991 p 4-9

143 οὔτε περὶ τὸ μέσον ποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται144 Il srsquoagit lagrave selon nous drsquoun argument essentiel agrave la non-identification

numeacutenienne du deacutemiurge agrave lrsquoacircme du monde145 Fr 8 42-44 D-K

vraisemblable que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacute comme un pythago-ricien146

Le second eacuteleacutement du Περὶ τἀγαθοῦ qui pourrait suggeacuterer lrsquoap-propriation drsquoun passage de Parmeacutenide147 est lrsquoidentification de lrsquoecirctreet de lrsquointellect agrave chacun des deux niveaux ougrave Numeacutenius les situe Ecirctre lui-mecircme (αὐτοόν) et ecirctre deacuteriveacute (ὄν) premier et second intel-lects correspondant au premier et au deuxiegraveme dieu Sans entrer dansle deacutetail de lrsquointerpreacutetation disons simplement que selon nous en fai-sant de lrsquolaquo acte raquo de penser148 lrsquoapanage du premier dieu et en identi-fiant ce mecircme dieu agrave lrsquoEcirctre149 Numeacutenius suggegravere une union intime etprofonde entre ecirctre et penser qursquoil aurait pu consideacuterer comme remon-tant agrave Parmeacutenide lui-mecircme ou qursquoil aurait pu eacutetayer par une appropria-tion du fragment 3 de son poegraveme tel qursquoil est transmis par CleacutementdrsquoAlexandrie et Plotin150 [] τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶεἶναι [] Certes dans ce fragment de vers lrsquoidentification entre ecirctreet penser est suggeacutereacutee par lrsquoextraction du texte hors de son contexte envue justement drsquoy trouver pareille identification Elle ne correspond

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 149

146 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres IX 21(A 1 D-K) Proclus In Parm I 6194 Cousin cf Jamblique VP 166 (A 4D-K)

147 Pour reprendre les termes du fragment 1 (10 F) on pourrait aussi parlerde lrsquolaquo invocation raquo de Parmeacutenide comme source pythagorisante en accord avecPlaton et confirmant la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ elle-mecircme eacutetayeacutee par leslaquo teacutemoignages raquo de celui-ci Numeacutenius semble en effet pouvoir citer Parmeacute-nide pour confirmer son propos agrave la fois parce qursquoil ne pouvait que paraicirctre enaccord avec Platon (cf fr 1 10 F) et parce que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacutecomme pythagoricien

148 Degraves le fragment 15 (23 F) de maniegravere implicite dans le fragment 16 (24F) et explicite au fragment 19 (27 F)

149 Fr 17 (25 F)150 Cleacutement Strom VI 2 233 Plotin Enn VI 1 [10] 817 V 9 [5] 29-

30 cf I 4 [46] 106 III 8 [30] 88 VI 7 [38] 4118 (voir D OrsquoBrien Eacutetudessur Parmeacutenide T I Le Poegraveme de Parmeacutenide Paris Vrin 1987 p 19) ndash Onpourrait drsquoailleurs aussi penser aux vers 34-36 du fragment 8 eacutevoqueacute dans leparagraphe preacuteceacutedent

sans doute pas au sens originel du passage151 De plus chez Numeacuteniusle type de penseacutee speacutecifique agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme nrsquoest pas le νοεῖν maisle φρονεῖν Mais drsquoune part νοεῖν nrsquoayant pas chez Parmeacutenide lesens preacutecis que lui donne ensuite la tradition platonicienne une margerelative drsquointerpreacutetation et de preacutecision eacutetait laisseacutee agrave lrsquointerpregraveteappartenant agrave cette tradition152 drsquoautre part on peut tregraves bien imaginerNumeacutenius extraire ce passage dont la juxtaposition des termes luiaurait paru opportune pour eacutetayer son propos et preacuteciser le sens de laformule ainsi obtenue en distinguant deux niveaux de lrsquoecirctre auxquelscorrespondent deux types distincts de penseacutee (le νοεῖν entendu ausens platonicien drsquointellection revenant au seul second dieu)153Lorsque Cleacutement et apregraves lui Plotin reprennent cette formule il neserait pas impossible qursquoils lrsquoempruntent ainsi extraite agrave Numeacutenius

150 Fabienne JOURDAN

151 Denis OrsquoBrien (ibid p 19 209-212) a montreacute qursquoen reacutealiteacute dans lepoegraveme les deux infinitifs ne doivent vraisemblablement pas ecirctre pris commesujet drsquoun ἐστίν agrave valeur copulative mais peut-ecirctre comme compleacutement dupronom (τὸ αὐτό) ou de lrsquouniteacute syntaxique constitueacutee par le pronom et leverbe (au sens de laquo crsquoest une seule et mecircme chose pour penser et pour ecirctre raquodrsquoougrave la traduction par laquo crsquoest une seule et mecircme chose que lrsquoon pense et quiest raquo) F Fronterotta reprend son analyse et conclut que pour Parmeacutenideνοεῖν deacutesigne une forme de perception immeacutediate non sans lien avec lrsquoactiviteacutesensorielle mais allant au-delagrave des sens et de leur uniteacute creacuteative (laquo Someremarks on noein in Parmenides raquo dans S Stern-Gillet K Korrigan (eacuted)Reading ancient texts Vol I Presocratics and Plato Leiden Brill 2007p 3-19) Il ne srsquoagit donc pas (encore) de la perception intuitive que deacutesignerace verbe ulteacuterieurement

152 Voir la note preacuteceacutedente153 Nous pourrions preacuteciser ainsi lrsquointention de Numeacutenius srsquoil songe effec-

tivement agrave cette formule Selon nous il partage la conviction platonicienne quiveut que pour ecirctre pensable il faut ecirctre reacuteellement (et donc ecirctre intelligible crsquoest la leccedilon du Timeacutee) Srsquoil confrontait cette conviction au vers de Parmeacute-nide il lui donnerait donc drsquoabord lrsquointerpreacutetation laquo objective raquo deacuteceleacutee parFr Fronterotta (laquo Some remarks on noein in Parmenides raquo art cit) Toutefoisdans sa deacutefinition de lrsquoecirctre bientocirct identifieacute au Bien il retourne de toute eacutevi-dence cette conception et considegravere que nrsquoest veacuteritablement que ce qui est pen-sable (et donc lagrave encore intelligible par ex fr 4 a 13 F sur la matiegravere qui

Plotin lrsquoutilise certes pour caracteacuteriser le seul et unique Intellect chezlui situeacute au seul second niveau de la reacutealiteacute Mais cela correspondrait agravesa tendance geacuteneacuterale agrave faire passer au second niveau ce qui correspondau premier chez Numeacutenius154

De Numeacutenius il heacuterite donc peut ecirctre drsquoune lecture de Parmeacutenideplutocirct que du Parmeacutenide

Fabienne JOURDANCNRS UMR 8167 laquo Orient et Meacutediterraneacutee raquo Paris-Sorbonne

jourdanfabiennewanadoofr

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 151

nrsquoest pas ecirctre et ougrave une preuve de cet eacutetat est son caractegravere inconnaissable)Appliqueacutee agrave la formule de Parmeacutenide cette conviction en produirait ce queFr Fronterotta appelle une lecture laquo subjective raquo En outre dans le deacutesir sansdoute drsquoexpliquer la participation de maniegravere concregravete il ne donne pas seule-ment lrsquointelligibiliteacute comme condition de lrsquoecirctre (au sens passif du terme) maisil considegravere le fait de penser comme condition du fait drsquoecirctre reacuteellement (ausens laquo actif raquo du terme) Crsquoest pourquoi srsquoil avait connu et utiliseacute la formule deParmeacutenide ne serait-ce que pour eacutetayer son propos il y aurait sans douteentendu lrsquoaffirmation de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre et de la penseacutee mieux du penserCela pourrait certes paraicirctre lui attribuer une forme drsquoideacutealisme heacutegeacutelien(selon les termes de Fr Fronterrota laquo Some remarks on noein in Parmenides raquoart cit p 6) Mais telle est aussi la lecture de Cleacutement drsquoAlexandrie (StromVI 2 233) Or mecircme srsquoil ne le cite explicitement qursquoune fois (Strom I 22150 1-4 = 29 Fd) Cleacutement connaicirct Numeacutenius et se sert parfois de ses eacutecritssans le nommer (voir par ex Strom I 8 405 Strom I 13 571) Il nrsquoest doncpas impossible que pareille interpreacutetation circulacirct deacutejagrave au temps de Numeacuteniusvoire chez lui et mecircme gracircce agrave lui Le raisonnement du Περὶ τἀγαθοῦ dumoins passe par lrsquoidentification de lrsquoecirctre agrave lrsquo laquo activiteacute raquo de penser ensuiteconccedilue aux niveaux infeacuterieurs comme condition mecircme de leur participation agravelrsquoecirctre (voir le fr 19 27 F)

154 Nous simplifions et deacutecrivons simplement une tendance le processuspreacutecis requerrait une explication deacutetailleacutee qui nrsquoa pas sa place ici

152 Fabienne JOURDAN

Page 6: NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE · 2020. 4. 16. · NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE?* PREMIÈREPARTIE: L’ŒUVREPARVENUEDENUMÉNIUSETLEPARMÉNIDE DEPLATON RÉSUMÉ Si

John Whittaker6 plus reacutecemment encore par Jens Halfwassen7 JohnDillon8 Francesco Romano9 et John D Turner10 ndash Harold Tarrant ayantquant agrave lui tenteacute de rassembler tous les eacuteleacutements permettant drsquoentrevoirlrsquoexistence drsquoune telle interpreacutetation dans le neacuteo-pythagorisme11

Or Numeacutenius nrsquoest pas sans trouver place dans cette saga Commecertains platoniciens de son temps cherchant agrave se distinguer des ten-dances laquo sceptiques raquo de la Nouvelle Acadeacutemie et agrave promouvoir unelecture plus laquo dogmatique raquo de Platon il se reacuteclame de Pythagoreconccedilu comme source de Platon12 Crsquoest pourquoi du point de vue de

106 Fabienne JOURDAN

6 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit p 95-100 qui outre lesreacutefeacuterences neacuteopythagoriciennes devenues usuelles renvoie eacutegalement agrave Cleacute-ment drsquoAlexandrie (Strom IV 25 156 1) et mecircme agrave Alcinoos qui songeraitselon lui consciemment agrave la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide dans sonexposeacute de la voie neacutegative en Did X (la consideacuteration du dialogue de Platoncomme eacutetant un exercice de logique exprimeacutee en Did VI nrsquoexcluant pas en soicette utilisation de la premiegravere hypothegravese) ndash On rappellera alors que Cleacutementest notre premier teacutemoin de lrsquoenseignement de Numeacutenius Voir aussi J Whitta-ker laquo Neopythagoreanism and the transcendent Absolute raquo SymbolaeOsloenses 48 1973 p 77-86

7 Der Aufstieg zum Einen Untersuchungen zu Platon und Plotin Muumln-chenLeipzig KG Saur 20062 [1992] et laquo Speusipp und die metaphysischeDeutung von Platons Parmenides raquo dans L Hagemann R Glei (eacuted) ΕΝΚΑΙ ΠΛΗΘΟΣ Wuumlrzburg Echter 1993 p 339-373

8 laquo Plotinus Speusippus and the Platonic Parmenides raquo Kairos 15 2000p 61-74

9 laquo La probabile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica eneopitagorica) del Parmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted)Il Parmenide di Platone et la sua tradizione op cit p 197-248

10 Voir par ex laquo The Platonizing Sethian Treatises Marius VictorinusrsquosPhilosophical Sources and Pre-Plotinian Parmenides Commentaries raquo dansJD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage op citvol I p 136-137

11 Thrasyllan Platonism Ithaca Cornell University Press 1993 p 148-177 Il la fait ainsi remonter agrave Posidonius et mecircme agrave Thrasylle lrsquoeacutediteur desœuvres de Platon

12 Nous simplifions Sur ce point voir par ex M Frede laquo Numenius raquo

lrsquohistoire de la philosophie il peut ecirctre consideacutereacute comme un laquo platoni-cien pythagorisant raquo selon lrsquoexpression heureuse de Michael Frede13Selon son propre point de vue14 neacuteanmoins tout laisse penser qursquoilaurait preacutefeacutereacute la qualification de laquo pythagoricien raquo15 comme enteacutemoigne drsquoailleurs le titre que lui donnent les chreacutetiens les seuls agravetransmettre directement une partie de son œuvre Il nrsquoest toutefois lagraveaucun veacuteritable dilemme puisque chez ces derniers un laquo pythagori-cien raquo est entre autres un interpregravete de Platon16 Numeacutenius est donc en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 107

Aufstieg und Niedergang der roumlmishen Welt II 362 1987 p 1043 B Cen-trone laquo Cosa significa essere pitagorico in etagrave imperiale Per una riconsidera-zione della categoria storiografica del neopitagorismo raquo dans A Brancacci(eacuted) La filosofia in etagrave imperiale Le scuole e le tradizioni filosofiche NapoliBibliopolis 2000 p 137-168

13 laquo Numenius raquo art cit p 1043-1047 Voir aussi B Centrone laquo Cosasignifica essere pitagorico in etagrave imperial raquo art cit p 158-160 M Edwardslaquo Numenius of Apamea raquo dans LP Gerson (eacuted) The Cambridge History ofPhilosophy in Late Antiquity Cambridge Cambridge University Press 2010p 124-125

14 Voir F Jourdan laquo Numeacutenius et Pythagore Numeacutenius platonicien(pythagorisant) ou pythagoricien (platonisant) raquo agrave paraicirctre dans la RevuedrsquoHistoire des religions 2020

15 Sur ce point nous divergeons de B Centrone laquo Cosa significa esserepitagorico in etagrave imperial raquo art cit p 150-151 selon lequel les auteurs desapocryphes pythagoriciens nrsquoauraient pas eu agrave cœur de deacutefendre une identiteacutepythagoricienne puisqursquoils reprenaient Platon voire lrsquoaccusaient de plagiatNumeacutenius ne compte certes pas parmi ces auteurs mais la remarque pourrait leconcerner eacutegalement Or sa deacutemarche qui consiste agrave mettre Pythagore agrave la tecirctedrsquoune ligneacutee de disciples fidegraveles auxquels appartiennent Platon et mecircmeSocrate semble au contraire indiquer qursquoil revendique pour lui lrsquoappartenanceagrave cette ligneacutee en tant qursquointerpregravete fidegravele de Platon Cela ne lrsquoempecircche pas agravenos yeux drsquohistoriens de reacutealiser une deacutemarche caracteacuteristique du platonismede son temps

16 Crsquoest du moins entre autres le sens que semble prendre chez Cleacutement laqualification de Philon comme laquo pythagoricien raquo voir D Runia laquo Why doesClement of Alexandria call Philo ldquothe Pythagoreanrdquo raquo Vigiliae Christianae49 1995 p 1-22 Pouvaient en outre paraicirctre reacuteellement pythagorisants le goucirct

theacuteorie du moins et agrave ce double titre de platonicien et de pythagorisantun parfait candidat au rang drsquointerpregravete laquo neacuteo-pythagoricien raquo preacute-plo-tinien du Parmeacutenide Cette candidature est drsquoautant plus laquo provoca-trice raquo pour les tenants de la thegravese courante de lrsquohistoire du platonismeque Plotin a eacuteteacute consideacutereacute par ses adversaires comme srsquoappropriant sesdoctrines17 lecteur plus fin Longin preacutecisait mecircme que crsquoeacutetait agrave lasuite de Numeacutenius et drsquoautres platoniciens pythagorisants dont juste-ment Modeacuteratus Thrasylle et Cronius le disciple direct de Numeacuteniusqursquoil srsquoadonnait agrave lrsquointerpreacutetation des principes pythagoriciens et plato-niciens18 entreprise dans laquelle il les aurait largement deacutepasseacutes19Quoi qursquoil en soit de cette poleacutemique il est assureacute que Plotin commen-tait les œuvres de Numeacutenius dans ses cours20 Si Numeacutenius avait doncinterpreacuteteacute le Parmeacutenide et ce surtout dans le sens pythagoricien sug-geacutereacute par les chercheurs ayant deacutejagrave invoqueacute Modeacuteratus et mecircme Speu-sippe en ce sens Plotin aurait assureacutement rebondi sur son exeacutegegravese Ilnrsquoaurait plus alors le primat de pareille interpreacutetation et avec ce statutserait eacutegalement eacuterodeacutee la preacutesentation courante des origines du neacuteo-platonisme

Formuleacutee ainsi lrsquohypothegravese est seacuteduisante elle est toutefois fortspeacuteculative tant qursquoon ne peut prouver que Numeacutenius a reacuteellement

108 Fabienne JOURDAN

de Philon pour lrsquoexeacutegegravese (et donc pour la notion drsquoeacutenigme) et plus speacutecifique-ment pour lrsquointerpreacutetation des nombres deux eacuteleacutements eacutegalement preacutesentschez Numeacutenius

17 VP 17-18 Sur ce passage voir la note de R Goulet agrave VP 18 2-3 dansL Brisson JL Cherlonneix M-O Goulet-Caseacute R Goulet MD GrmekJ-M Flamand S Matton J Peacutepin HD Saffrey A-Ph Segonds M TardieuP Thillet Porphyre La Vie de Plotin Vol II Paris Vrin 1992 p 278 etS Menn laquo Longinus on Plotinus raquo Dionysius 19 2001 p 113-124 sur le sensde ὑποβάλλεσθαι dans ce contexte Sur la supeacuterioriteacute de Plotin relativementaux meacutedioplatoniciens dans lrsquointerpreacutetation de Pythagore voir aussiM Bonazzi laquo Plotino e la tradizione pitagorica raquo Acmegrave 53 2000 p 38-73

18 VP 2019 VP 21 ougrave Porphyre recite toutefois le propos de Longin en VP 2020 VP 14

interpreacuteteacute le Parmeacutenide Elle requiert donc un examen approfondi destextes parvenus ndash textes qui nous ont eacuteteacute transmis uniquement demaniegravere indirecte tregraves partielle et de fait aussi tregraves partiale La pre-miegravere eacutetape de la recherche consiste donc agrave reacutealiser pareil examenpour voir si ces textes portent effectivement la trace de lrsquointerpreacute-tation en jeu comme lrsquoont proposeacute notamment A-J Festugiegravere21D OrsquoMeara22 G Bechtle23 M Burnyeat24 et JD Turner25

2) La maigreur des indices reacuteellement significatifs cependant ndash agravemoins drsquoimaginer un silence poleacutemique de la part de Numeacutenius dontnous verrons qursquoil nrsquoest peut-ecirctre pas agrave exclure totalement ndash aurait sansdoute inviteacute agrave abandonner pareille recherche comme relativementdeacutesespeacutereacutee ou artificielle en lrsquoeacutetat de nos sources Mais le deacutesir derevenir sur lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacute-nide26 lrsquoa ranimeacutee Lui aussi parvenu de maniegravere fragmentaire (maiscette fois directe) ce texte comporte des parallegraveles frappants avec lrsquoen-seignement connu de Numeacutenius et invite agrave penser que lrsquoauteur srsquoins-pire de lui voire comme le propose Gerald Bechtle depuis sa mono-graphie de 199927 nrsquoest autre que Numeacutenius lui-mecircme il srsquoagirait du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 109

21 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV Paris Gabalda 1954 p 12522 laquo Being in Numenius and Plotinus Some Points of comparison raquo Phro-

nesis 21 1976 p 120-12923 The Anonymous Commentary on Platorsquos Parmenides BernStuttgart

Wien Paul Haupt 1999 p 8224 laquo Platonism in the Bible Numenius of Apamea on Exodus and Eter-

nity raquo dans R Salles (eacuted) Metaphysics Soul and Ethics in Ancient thoughtOxford Clarendon Press 2005 p 143-169 il le suggegravere p 152-155

25 laquo The Platonizing Sethian Treatise raquo art cit p 128-13926 Titre artificiel donneacute au texte que nous abreacutegerons dans la suite27 The Anonymous Commentary op cit Voir aussi du mecircme auteur laquo The

Question of Being and the Dating of the Anonymous Parmenides Commen-tary raquo Ancient Philosophy 20 2000 p 393-414 et laquo A neglected Testimonium(Fragment ) on the Chaldaen Oracles raquo Classical Quarterly 56 2006p 563-581 sans ecirctre tout agrave fait explicite JD Turner le suit essentiellement(Sethian Gnosticism and The Platonic Tradition QueacutebecLouvainParisPresses de lrsquoUniversiteacute LavalPeeters 2001 laquo Victorinus Parmenides com-

commentaire que Numeacutenius aurait reacutedigeacute sur le Parmeacutenide ou dumoins sur les deux premiegraveres hypothegraveses28 de la seconde partie

3) Comme telle toutefois confronteacutee aux arguments solides dePierre Hadot en faveur drsquoune autoriteacute porphyrienne du Commentaireanonyme29 ou du moins agrave ceux drsquoAlessandro Linguiti en faveur drsquoune

110 Fabienne JOURDAN

mentaries and the Platonizing Sethian Treatises raquo dans K Corrigan JD Tur-ner (eacuted) Platonism Ancient Modern and Postmodern LeidenBoston Brill2007 p 55-96 et laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit) Voir aussiK Corrigan qui pense quant agrave lui agrave Cronius (laquo Platonism and Gnosticism TheAnonymous Commentary on the Parmenides Middle or Neoplatonic raquo dansJD Turner R Majercik (eacuted) Gnosticism and Later Platonism ThemesFigures and Texts Atlanta Society of Biblical Literature 2001 p 141-177)

28 Dans les pages qui suivent nous adopterons pour simplifier la termino-logie exeacutegeacutetique qui srsquoest imposeacutee et parlerons des laquo hypothegraveses raquo de laseconde partie du Parmeacutenide bien qursquoil srsquoagisse plutocirct chez Platon drsquoune seacuteriede deacuteduction En outre quand nous y reacutefegravererons nous nrsquoajouterons plus lamention de laquo la deuxiegraveme partie raquo du Parmeacutenide

29 Voir P Hadot (laquo Fragments drsquoun Commentaire de Porphyre sur le Par-meacutenide raquo Revue des eacutetudes grecques 74 1961 p 410-438 repris dansP Hadot Plotin Porphyre Eacutetudes neacuteoplatoniciennes Paris Les BellesLettres 20102 [1999] p 281-316 laquo La meacutetaphysique de Porphyre raquo dansPorphyre Entretiens sur lrsquoAntiquiteacute classique XII Vandœuvres-Genegraveve Fon-dation Hardt 1966 p 125-157 repris dans P Hadot Plotin Porphyre op citp 317-353 Porphyre et Victorinus I et II Paris Eacutetudes augustiniennes1968 laquo Porphyre et Victorinus Questions et hypothegraveses raquo dans M TardieuP Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApocalypse de Zostrien et lessources de Marius Victorinus Bures-sur-Yvette Res Orientales IX 1996p 117-125 Ses arguments sont eacutetayeacutes par ceux de HD Saffrey laquo Connais-sance et inconnaissance de Dieu Porphyre et la Theacuteosophie de Tuumlbingen raquodans J Duffy J Peradotto (eacuted) Gonimos Buffalo Arethusa 1988 p 3-20repris dans HD Saffrey Recherches sur le Neacuteoplatonisme apregraves Plotin ParisVrin 1990 p 1-20 M Zambon Recension de G Bechtle The AnonymousCommentary on Platorsquos Parmenides Elenchos 20 1999 p 194-202 et Por-phyre et le moyen-platonisme Paris Vrin 2002 R Chiaradonna laquo Nota supartecipazione e atto drsquoessere nel neoplatonismo lrsquoanonimo Commento alParmenide raquo Studia graeco-arabica 2 2012 p 87-97 et laquo Logica e teologica

origine post-plotinienne30 lrsquohypothegravese de G Bechtle pourrait semblerpeu utile grand lecteur de Numeacutenius31 Porphyre si nous revenons pro-visoirement agrave lui pouvait srsquoinspirer de son preacutedecesseur et de ses doc-trines sans que celui-ci ait lui-mecircme composeacute un commentaire au Par-meacutenide Comme nous le montrerons les parallegraveles entre le Commentaireanonyme et lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius en tout cas nrsquoimpliquentpas de reacutefeacuterence directe au dialogue de Platon de la part de ce dernierLrsquoexamen de lrsquohypothegravese pourrait donc srsquoachever sur ce constat si unedeacutecouverte de Michel Tardieu (1996) nrsquoinvitait pas malgreacute tout agrave lrsquoex-plorer davantage En deacutecryptant lrsquoApocalypse de Zostrien M Tardieu ya deacutecouvert un passage semblable agrave un autre du Contre Arius de MariusVictorinus32 laquo synopse raquo supposant selon lui une source commune auxdeux auteurs Or ce texte et donc cette laquo source raquo semble drsquoune partrelever drsquoun commentaire des deux premiegraveres hypothegraveses du Parmeacute-nide et drsquoautre part comporter des parallegraveles avec le Commentaire ano-nyme ndash son identification directe agrave celui-ci paraissant exclue a priorieacutetant donneacutee lrsquoidentification qursquoelle semble faire du premier Un agrave lrsquoEs-prit absente du Commentaire anonyme LrsquoApocalypse de Zostrien eacutetantlrsquoun des traiteacutes gnostiques critiqueacutes dans lrsquoeacutecole de Plotin33 la chronolo-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 111

nel primo neoplatonismo A proposito di Anon In Parm XI 5-19 e IamblRisposta a Porfirio [De Mysteriis] I 4 raquo Studia graeco-arabica 5 2015 p 1-11 M Chase laquo Porphyre Commentaires agrave Platon et Aristote raquo dans R Gou-let (eacuted) Dictionnaire des philosophes antiques Paris CNRS V b 2012p 1369-1371 avec la bibliographie en ce sens p 1362-1365

30 laquo Sulla datazione del Commento al Parmenide di Bobbio Unrsquoanalisilessicale raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et lasua tradizione op cit p 307-322 (voir aussi lrsquointroduction de son eacutedition duCommentaire anonyme dans Corpus dei papiri filosofici greci e latini Testo elessico nei papiri di cultura greca e latina Parte III Commentari FirenzeOlschki 1995 p 78-91)

31 Voir Proclus In Tim I 7722-24 = Numeacutenius fr 3724-26 des Places32 Apocalypse de Zostrien (NHC VIII 1 6411-6612) Marius Victorinus

(Adversus Arium I 497-50)33 VP 16

gie imposerait alors de situer cette source avant Plotin Voici doncrevenue lrsquohypothegravese drsquoun commentaire meacutedio-platonicien au Parmeacute-nide les parallegraveles avec le Commentaire anonyme suggeacuterant alorscette fois plus assureacutement le nom de Numeacutenius comme sonauteur M Tardieu la formule prudemment34 P Hadot lrsquoeacuteloigne dis-cregravetement35 mais elle est vivement deacutefendue par G Bechtle et sespartisans qui faisant la synthegravese de ces deacutecouvertes en tirent alorsla conviction que Numeacutenius serait non seulement lrsquoauteur du Com-mentaire anonyme mais aussi la source de ce que M Tardieu nommelrsquo laquo exposeacute commun raquo36 et que nous nommerons aussi provisoirementde cette maniegravere37

Plus que lrsquoœuvre parvenue elle-mecircme crsquoest cette triple probleacutema-tique propre agrave lrsquohistoire de la philosophie et agrave sa recherche des sourcesqui impose lrsquoexamen de la relation de Numeacutenius au Parmeacutenide exa-men qursquoelle rend lui-mecircme triple en suggeacuterant de surcroicirct que chaqueeacutetape corrobore la preacuteceacutedente Notre enquecircte suivra ces trois eacutetapes elle tentera drsquoeacutevaluer si cet enchaicircnement argumentatif lieacute agrave lrsquoeacutetudeconjointe de ces trois seacuteries de textes nrsquoest pas forceacute tant il paraicirctessentiellement ducirc agrave la surenchegravere en preacutecision dans lrsquohypothegravese delrsquoexistence drsquoune interpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologique pythago-risante et preacute-plotinienne du Parmeacutenide

Dans la premiegravere partie de lrsquoeacutetude proposeacutee dans ce numeacutero noustenterons donc drsquoeacutevaluer la place de Numeacutenius au sein du laquo neacuteo-pytha-gorisme raquo censeacute avoir deacutejagrave produit une telle interpreacutetation Commenous serions plus que reacuteserveacutee sur la preacutesence de celle-ci chez Modeacute-

112 Fabienne JOURDAN

34 Dans M Tardieu et P Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApoca-lypse de Zostrien op cit p 112-113

35 Dans ibid p 11436 G Bechtle The Anonymous Commentary op cit p 248-249 n 683

laquo The Question of Being raquo art cit p 408-412 laquo A neglected Testimonium raquoart cit p 568 JD Turner semble le suivre dans les articles deacutejagrave signaleacutes K Corrigan eacutegalement en songeant plutocirct agrave Cronius

37 Le statut reacuteel de cet laquo exposeacute raquo sera examineacute dans la troisiegraveme partie decette eacutetude (Revue de philosophie ancienne 38-1)

ratus et ses preacutedeacutecesseurs38 nous ne ferons allusion agrave ce point qursquoenconclusion Nous nous concentrerons ici de la maniegravere la plus sobrepossible sur lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et examinerons srsquoil estpossible de lui precircter un commentaire ne serait-ce que partiel du Par-meacutenide

Dans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude qui sera publieacutee dans lenumeacutero suivant (37-2) nous analyserons les parallegraveles et les diver-gences entre lrsquoœuvre de Numeacutenius et le Commentaire anonyme au Par-meacutenide Il srsquoagira drsquoeacutevaluer la validiteacute de lrsquohypothegravese qui attribue cecommentaire agrave Numeacutenius mais aussi de reconsideacuterer leur relationmutuelle laquelle est riche drsquoenseignements pour la reacuteflexion surlrsquoeacutelaboration du neacuteoplatonisme

Dans la troisiegraveme partie de lrsquoeacutetude qui sera publieacutee dans le numeacutero38-1 nous examinerons lrsquo laquo exposeacute commun raquo au Zostrien et agrave MariusVictorinus sa relation au Commentaire anonyme et au Parmeacutenide lui-mecircme et les parallegraveles qursquoon y voit parfois avec lrsquoœuvre parvenue deNumeacutenius pour envisager quelle place celle-ci pourrait avoir dans lareconstitution de ses sources

Chaque partie peut ecirctre lue indeacutependamment selon les centresdrsquointeacuterecircts de chacun Lrsquoensemble visera agrave eacutevaluer srsquoil est vraimentneacutecessaire de bouleverser la conception la plus courante de lrsquohistoire

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 113

38 Sans rejeter absolument un recours au Parmeacutenide anteacuterieur agrave Plotinnous estimons non justifieacute de precircter agrave Modeacuteratus une interpreacutetation theacuteolo-gique et meacutetaphysique du Parmeacutenide sur la foi du teacutemoignage de Simplicius(In Phys 23034-2319) Nous suivons sur ce point les reacuteserves de A-J Festu-giegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 22 n 3 JM Ristlaquo The Neoplatonic One and Platorsquos Parmenides raquo Transactions and Procee-dings of the American Philological Association 93 1962 p 389-401 C Steel laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 19-20qui rappelle agrave juste titre le rocircle de Porphyre comme source de Simplicius JN Hubler laquo Moderatus ER Dodds and the Development of NeoplatonistEmanation raquo dans JD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and itsHeritage op cit vol I p 115-130 ainsi que les reacuteserves de Philippe Hoff-mann lors du seminaire de la Society of Biblical Literature en 2003 (laquo Rethin-king Platorsquos Parmenides and its Platonic Gnostic and Patristic Reception raquo)

du platonisme en donnant Numeacutenius comme preacutecurseur de Plotin danslrsquointerpreacutetation meacutetaphysique du Parmeacutenide Si tel nrsquoest pas le cas elleconfirmera a contrario les critegraveres drsquoune interpreacutetation reacuteellement neacuteo-platonicienne de la seconde partie du dialogue Disons en outre drsquoem-bleacutee qursquoeacutetant donneacute que nous ne pouvons raisonner qursquoagrave partir de cequi nous est parvenu aucune conclusion assertive nrsquoest en soi possiblesur lrsquoexistence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par NumeacuteniusCette eacutetude aura toutefois trois reacutesultats positifs envisager un rapportvolontairement distant de Numeacutenius au Parmeacutenide fondeacute sur le textede Platon lui-mecircme et dont aura tenu compte le neacuteoplatonisme deacutecou-vrir des parallegraveles entre le Commentaire anonyme et le Περὶ τἀγαθοῦplus nombreux qursquoil nrsquoest souvent signaleacute ndash ce qui offrira peut-ecirctre unindice permettant une position plus assureacutee dans le deacutebat sur lrsquoanteacuterio-riteacute de Numeacutenius ou des Oracles chaldaiumlques et enfin approfondirlrsquohypothegravese relative agrave lrsquoutilisation de Numeacutenius par les gnostiques etpar les neacuteoplatoniciens appropriation que lrsquoon peut suivre jusque dansles traductions et transpositions arabes de leurs œuvres

Preacuteliminaire Esquisse de la doctrine des principeschez Numeacutenius

Avant pareil exposeacute une bregraveve esquisse de la penseacutee meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius est neacutecessaire Nous nous en tiendronsaux grandes lignes transmises dans les fragments veacuteritables ceux citeacutespar Eusegravebe de Ceacutesareacutee et nous exposerons de maniegravere succincte lesreacutesultats de nos propres analyses sans livrer le deacutetail des deacutebats surlesquels elles ont eacuteteacute eacutelaboreacutees39 Les textes nous inteacuteressant se trou-vent dans le Περὶ τἀγαθοῦ dialogue ougrave Numeacutenius entreprend larecherche drsquoune deacutefinition du Bien qursquoil identifie au premier prin-cipe40 Il identifie ce premier principe drsquoune part agrave un premier dieu et

114 Fabienne JOURDAN

39 Voir la bibliographie et les commentaires de notre eacutedition en preacutepara-tion

40 Le titre qui est laquo originellement raquo celui de la leccedilon orale de Platon

intellect et drsquoautre part au Bien et Ecirctre lui-mecircme ou par excellence(selon les formules αὐτοάγαθον et αὐτοόν)41 que dans une perspec-tive exeacutegeacutetique il considegravere comme repreacutesenteacute par la forme du Bieneacutevoqueacutee dans la Reacutepublique42 De ce premier principe Numeacutenius dis-tingue un second dieu ou principe identifieacute cette fois au deacutemiurge duTimeacutee43 Ce dieu assure le rocircle deacutemiurgique dont le premier est ainsidispenseacute et il est conccedilu comme lrsquoimage de celui-ci il est le Bon parti-cipant au Bien le second intellect qui produit sa propre forme encontemplant le premier faccedilonnant ou deacuteterminant pour cela lrsquoecirctre oulrsquoessence (οὐσία) que le premier lui procure par le simple fait drsquoecirctre(soi et le Bien)44 Telle est du moins la maniegravere dont nous lisonsconjointement les fragments 11 et 16 (19 et 25 F)45 Autrement dit tan-dis que le premier dieu est le principe de lrsquoecirctre le second est le prin-cipe du devenir46 Numeacutenius donne plus preacuteciseacutement deux laquo aspects raquo

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indique agrave lui seul que le texte srsquoadonne agrave une recherche et deacutefinition des prin-cipes Aristote et Xeacutenocrate le donnent ensuite chacun agrave lrsquoune de leurs œuvresSur lrsquoimportance de ce titre voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius Sur leBien de Platon Lrsquoenseignement oral du maicirctre comme occasion de rechercherson pythagorisme dans ses eacutecrits raquo Χώρα 15-16 2017-2018 p 139-165

41 Voir par ex fr 16 et 17 (24 et 25 F) ndash Tout au long de cette eacutetude lesfragments sont citeacutes selon la numeacuterotation de lrsquoeacutedition drsquoEacutedouard des Places(Numeacutenius Fragments Paris Les Belles Lettres 1973) nous indiquons entreparenthegraveses les numeacuteros qui correspondent dans notre eacutedition en preacuteparation

42 Voir surtout les fr 19 et 20 (27 et 28 F)43 Voir notamment les fr 11 12 et 18 (19 20 et 26 F) En reacutealiteacute le

deacutemiurge du Timeacutee partage ses attributs entre le premier dieu numeacutenien(auquel il laisse sa fonction de source divine des acircmes cf fr 13 21 F) et lesecond qui est aussi troisiegraveme et reacutealise les opeacuterations proprements deacutemiur-giques assumant par lagrave en partie le rocircle des dieux secondaires du Timeacutee

44 Fr 16 (24 F)45 Voir aussi lrsquoanalyse du fr 16 (24 F) par G Muumlller laquo Ἰδέα y οὐσία en

Numenio de Apamea Una reinterpretacioacuten de la ontologiacutea platoacutenica raquo Cua-dernos de Filosofiacutea 59 2012 p 121-140 Nous prenons position agrave son sujetdans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude Revue de philosophie ancienne 37-2

46 Ibid

agrave ce second dieu selon lrsquoorientation de son attention deux laquo aspects raquoqui conduisent agrave parler agrave son sujet de deux laquo dieux raquo qui toutefois nrsquoenconstituent reacutealiteacute qursquoun seul lorsqursquoil est tourneacute vers soi crsquoest-agrave-direvers lrsquointelligible qursquoil est lui-mecircme par contemplation du Bien lesecond dieu est entiegraverement agrave soi et donc reacuteellement soi second dieu lorsqursquoil est tourneacute vers la matiegravere qursquoil met en ordre il est deacutemiurgeau sens litteacuteral du terme et devient laquo troisiegraveme dieu raquo47 Cette divisionnrsquoimplique pas une reacuteelle scission et ne srsquoavegravere autre qursquoune diffeacuterencedrsquoorientation agrave lrsquoorigine drsquoune uniteacute diviseacutee image imparfaite delrsquouniteacute indivisible et parfaite qursquoest le premier dieu

Cette bregraveve preacutesentation doit suffire agrave comprendre le cadre de lapenseacutee numeacutenienne48 Signalons simplement encore trois points essen-tiels pour la confrontation avec le Parmeacutenide et ses interpreacutetations

1) Lrsquoeacuteleacutement fondamental du Περὶ τἀγαθοῦ est lrsquoidentificationdu Bien lui-mecircme (ἀυτοάγαθον) premier principe agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme (αὐτοόν)49 Elle srsquoaccompagne de lrsquoaffirmation qursquoil existeune laquo con-naturaliteacute raquo du Bien agrave lrsquoeacutegard de lrsquoessence50 (σύμφυτον τῇ

116 Fabienne JOURDAN

47 Fr 11 (19 F)48 La preacutesentation ici donneacutee deacutepend de propre analyse des textes Pour

drsquoautres interpreacutetations voir aussi par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit J Opsomer laquo Demiurges in Early Imperial Platonism raquo dans R Hirsch-Luipold(eacuted) Gott und die Goumltter bei Plutarch BerlinNew York de Gruyter 2005p 63-72 M Baltes dans H Doumlrrie M Baltes Ch Pietsch Die PhilosophischeLehre des Platonismus Band 71 Theologia Platonica Stuttgart Bad Canns-tatt Frommann-Holzboog 2008 p 472-482 Les vues de CS OrsquoBrien TheDemiurge in Ancient thought Secondary Gods and Divine mediators Cam-bridge Cambridge University Press 2015 p 139-168 sont agrave consideacuterer avecla plus grande preacutecaution

49 Fr 17 (25 F) cf fr 2 (11 F)50 Nous traduirons ici οὐσία par laquo essence raquo consciente des faiblesses de

cette traduction qui dans le contexte platonicien examineacute nrsquoimplique naturel-lement pas de distinction par rapport agrave la notion drsquoexistence Dans ce contextelaquo essence raquo est agrave prendre au sens de reacutealiteacute intelligible (sur cette deacutefinition voirpar ex R Chiaradonna laquo Substance raquo dans P Remes S Slaveva-Griffin(eacuted) The Routledge Handbook of Neoplatonismi LondonNew York Rout-

οὐσίᾳ51) le Bien partage la mecircme nature que cette οὐσία (forme sub-stantive de lrsquoecirctre) qui provient ainsi de lui Numeacutenius exprime deacutejagrave cetteideacutee au fragment 2 (10 F) par lrsquoimage du Bien laquo monteacute sur lrsquoessence raquo(comme on dirait laquo sur un cheval raquo52) Par lrsquoutilisation de la preacutepositionet du preacuteverbe ἐπί- de preacutefeacuterence agrave ὑπό- (preacutesent dans la formule de Pla-ton) la formule ἐποχούμενον ἐπὶ τῇ οὐσίᾳ indique une laquo transcen-dance raquo53 avec contact qui donne sans deacutetour lrsquointerpreacutetation que Numeacute-nius fait de la formule eacutenigmatique de Reacutepublique VI 509 b 8-10 srsquoilest une laquo transcendance raquo du premier principe elle est drsquoordre cosmolo-gique et non laquo ontologique raquo au sens ougrave ce principe constitue la formeeacuteminente de lrsquoecirctre mais ne srsquoen distingue pas par son essence

2) Ce premier principe est certes immobile en tant qursquoecirctre54exempt de toute activiteacute sous-entendu deacutemiurgique55 mais Numeacuteniuseacutevoque un laquo mouvement qui accompagne naturellement son repos raquo(τῷ πρώτῳ στάσιν [] κίνησιν σύμφυτον56) Ce mouvementindique vraisemblablement que le premier principe pense57 et la for-mule preacutepare son identification agrave un intellect Concernant ce premierdieu toutefois le type de penseacutee qui le caracteacuterise est visiblementconccedilu comme nrsquoimpliquant pas drsquoactiviteacute proprement dite au sens du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 117

ledge 2014 p 216) La deacutetermination nrsquointervient ici qursquoavec le second dieu οὐσία est le terme qui sert agrave exprimer litteacuteralement lrsquoecirctre (ὄν) de maniegravere sub-stantive un ecirctre que le premier dieu Ecirctre par excellence fait advenir sans acteproducteur simplement en eacutetant ce qursquoil est et donc sans que cette οὐσία quivient de lui soit ontologiquement distincte de lui

51 Fr 16 (24 F)52 Lrsquoimage apparaicirct litteacuteralement dans les Oracles chaldaiumlques fr 1466

des Places53 On pourrait alors aiseacutement renoncer au mot laquo transcendance raquo et preacutefeacute-

rer la notion de primauteacute hieacuterarchique par exemple54 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)55 Fr 11-12 (19-20 F)56 Fr 15 (23 F)57 Le passage est agrave interpreacuteter en lien avec le Sophiste 248 e-249 a (voir

notre commentaire au passage dans lrsquoeacutedition en preacuteparation)

moins ougrave cette penseacutee est sans objet et nrsquoest pas mecircme penseacutee de soi aufragment 19 (27 F) Numeacutenius parle drsquoun φρονεῖν qui est lrsquoapanage dupremier dieu sous-entendu agrave la diffeacuterence notamment du νοεῖν saisieintuitive de lrsquointelligible caracteacuteristique du second dieu58 et plus encoredu διανοεῖσθαι activiteacute de penseacutee discursive agrave lrsquoorigine de la deacutemiur-gie Ce φρονεῖν peut selon nous ecirctre compris comme une penseacuteelaquo intransitive raquo (crsquoest-agrave-dire sans objet) pure dispensation du Bien parlrsquoecirctre du Bien59 En cela elle nrsquoimplique reacuteellement aucune activiteacute

Crsquoest alors en ce sens assureacutement que le premier dieu est ditlaquo entourer les intelligibles raquo ou plus exactement et litteacuteralement ecirctrelaquo autour des intelligibles raquo au fragment 15 (23 F περὶ τὰ νοητά) lrsquoexpression nrsquoimplique ni qursquoil les contienne ni qursquoil les produisecomme son objet de penseacutee ni mecircme qursquoil les pense60 Si elle visepeut-ecirctre agrave rendre compte drsquoune identification ultime du premier prin-

118 Fabienne JOURDAN

58 Agrave la limite le premier dieu ne peut lrsquoexercer que par lrsquointermeacutediaire dusecond voir le teacutemoignage de Proclus In Tim III 10328-32 Diehl = fr 22(contre cette interpreacutetation traditionnelle voir G Muumlller laquo Queacute es ldquolo que esvivienterdquo (ὁ εστι ζῶον) seguacuten Numenio de Apamea raquo Cuadernos Filosofiacutea64 2015 p 11-12 dont lrsquohypothegravese bien que seacuteduisante ne tient pas agrave lrsquoexa-men de la syntaxe du passage lrsquoinfinitif νοεῖν ne peut avoir que τὸν πρῶτονcomme laquo sujet raquo et non un δεύτερoν implicitement tireacute du geacutenitif δευτέρου)

59 Nous reacutesumons Voir aussi lrsquoeacutetude de la φρόνησις chez Platon parM Dixsaut laquo De quoi les philosophes sont-ils amoureux Sur la phronegravesisdans les dialogues de Platon raquo repris dans M Dixsaut Platon et la question dela penseacutee Eacutetudes platoniciennes I Paris Vrin 2000 p 93-119 ndash Le lien eacutety-mologique originel entre φρονεῖν et φρήν (le diaphragme) suggegravere une autreimage ce φρονεῖν est comme une laquo respiration drsquoecirctre raquo qui est le Bien et drsquoougraveeacutemane le bien

60 Cette interpreacutetation qui tient entre autres compte de la simpliciteacute abso-lue du premier dieu (fr 11 = 19 F) nrsquoest pas contradictoire avec celle de Timeacutee39 e 7-9 par laquelle Numeacutenius aurait associeacute son premier dieu au Vivant (InTim III 103 28-32 Diehl = fr 22) Certes dans le Timeacutee le Vivant a en lui lesformes (ἐνούσας ἰδέας τῷ ὃ ἔστι ζῷον 39 e 8) Mais sans pouvoir deacutevelop-per ici notre analyse disons simplement que Numeacutenius a pu lire le texte autre-ment et inspirer la distinction drsquoAmeacutelius entre un laquo intellect qui est (leVivant) raquo et un laquo intellect qui a (les formes en lui) raquo notamment en deacutecompo-

cipe au Vivant du Timeacutee61 dans le contexte du Περὶ τἀγαθοῦ ellerenvoie selon nous agrave un pur eacutetat de lrsquoecirctre agrave vertu bienfaitrice ou salvi-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 119

sant ἐνούσας de maniegravere cratylienne pour y lire ἐν-νους-ας qui eacutevoquerait lesformes laquo qui sont dans le νοῦς raquo le second dieu et intellect que Numeacutenius voitdeacutesigneacute dans le νοῦς du texte platonicien Le datif τῷ ὃ ἔστι ζῷον nrsquoauraitplus alors deacutesigneacute chez lui le lieu ougrave se trouvent les formes mais le destina-taire de la contemplation celui laquo pour qui ou agrave lrsquointention de qui en faveur dequi raquo le νοῦς qui a les formes en lui les contemplerait (autrement dit exerceraitle νοεῖν) Lrsquoaffirmation que crsquoest gracircce au second dieu et intellect (ἐνπροσχρήσει τοῦ δευτέρου) que le premier exercerait un νοεῖν pourrait ainsiconstituer lrsquoexplicitation de cette lecture eacutetonnante du texte platonicien Ainsile premier dieu nrsquoexercerait jamais le νοεῖν il nrsquointelligerait que gracircce ausecond qui le ferait pour lui Cette preacutecision pourrait servir agrave reacutepondre agravelrsquoeacuteventuelle objection drsquoun aristoteacutelisant qui deacutenoncerait une identification dupremier dieu agrave un νοῦς srsquoaccompagnant drsquoun refus de precircter agrave celui-ci lrsquoacti-viteacute du νοεῖν Numeacutenius reacutepondrait ainsi il ne lrsquoexerce pas lui-mecircme maispar lrsquointermeacutediaire du second qui le fait pour lui tandis qursquoil srsquoadonne au seulφρονεῖν Voir aussi notre interpreacutetation des fr 16 et 18 (24 et 26 F) ndash Pourune autre interpreacutetation de ce passage voir par ex M Frede laquo Numenius raquoart cit p 1062-1063 1065-1066 et 1069-1070 JP Kenney laquo ProschresisRevisited An Essay in Numenian Theology raquo dans JR Daly (eacuted) Orige-niana quinta Historica Text and method Biblica Philosophica Theologia Origenism and later developments Leuven Peeters p 217-230 RD PettyThe Fragments of Numenius Santa Barbara 1993 p 135-137 (republieacute agraveWestbury Prometheus Trust 2012) M Baltes dans H Doumlrrie M BaltesCh Pietsch Die Philosophische Lehre des Platonismus Band 71 op citp 477-478 A Michalewski laquo Le Premier de Numeacutenius et lrsquoUn de Plotin raquoArchives de philosophie 75 2012 p 35-37 et La Puissance de lrsquointelligibleLa Theacuteorie plotinienne des Formes au miroir de lrsquoheacuteritage meacutedioplatonicienLeuven Leuven University Press p 94-96

61 Voir Platon Timeacutee 30 c 7-8 (avec le participe περιλαβόν) et 31 a 3 (τograveπεριέχον πάντα ὁπόσα νοητὰ ζῷα) avec deux participes preacutefixeacutes en περί- agravepropos du Vivant qui a tous les intelligibles en lui et auquel Numeacutenius peutvouloir renvoyer avec sa formule περὶ τὰ νοητά La reacutefeacuterence implicite aupassage de la Lettre II 312 e 1-4 savamment reacuteeacutecrit indique toutefois queNumeacutenius donne un tout autre sens agrave ce περί Voir aussi le teacutemoignage de Pro-clus citeacute dans les notes preacuteceacutedentes

fique selon lrsquoideacutee de salut suggeacutereacutee agrave la fin de ce mecircme fragment Endrsquoautres termes le premier dieu serait περὶ τὰ νοητά au sens ougrave ilentoure les intelligibles de sa bienveillance leur transmettant agrave la foislrsquoecirctre et le Bien qursquoil est avant que le deacutemiurge ne les y fasse participeragrave son tour par sa bonteacute agrave lrsquoorigine de leur ecirctre deacutetermineacute62 et nrsquoy fasseparticiper aussi les sensibles en les eacutelevant agrave son propre caractegravere mar-queacute par cette mecircme bonteacute63 Le premier dieu le Bien est le modegravele dusecond le Bon et non pas des formes srsquoil doit ecirctre identifieacute au Vivantcrsquoest en tant que source ultime de la vie64 modegravele de ce second dieuqui transmet alors la vie au monde sensible (fr 1220F) et non en tantque paradigme totalisant et contenant les formes des quatre typesdrsquoecirctre vivants nommeacutes en Timeacutee 39 e 10-41 a 2

En cela le premier de Numeacutenius loin drsquoecirctre une entiteacute sans rapportau monde en est non seulement le principe mais il est pour lui lasource reacuteelle du Bien reacuteel ndash autrement dit il joue le rocircle de la Provi-dence qui est alors concregravetement exerceacutee par le second principe leBon Tout en eacutetant conccedilu comme premier intellect il nrsquoest donc pas lepremier moteur immobile aristoteacutelicien qui se pense lui-mecircme65 etauquel fut justement reprocheacute son deacutefaut de Providence66

120 Fabienne JOURDAN

62 Selon notre lecture de la formule ἰδέα ἑαυτοῦ du fragment 16 (24 F)comme renvoyant au monde intelligible comme ensemble de formes deacutetermi-neacutees

63 Voir le fr 11 (19 F) sur cette eacuteleacutevation du sensible vers le caractegravere dudeacutemiurge lequel est le laquo Bon raquo en reacutefeacuterence au Timeacutee Numeacutenius distingue leBien premier principe du Bon second principe en utilisant lrsquoadjectif substan-tiveacute au neutre pour deacutesigner le premier et lrsquoadjectif au masculin pour le second

64 Tel est selon nous le sens de lrsquoexpression ὁ μέν γε ὢν σπέρμα πάσηςψυχῆς au fr 13 (21 F) qui en fait la semence de toute acircme voir par ex F Jour-dan laquo Eusegravebe de Ceacutesareacutee et les extraits de Numeacutenius dans la Preacuteparationeacutevangeacutelique raquo dans S Morlet (eacuted) Lire en extraits Pratiques de lecture et deproduction des textes de lrsquoAntiquiteacute au Moyen Acircge Paris PUPS 2015 p 143-147

65 Contra par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit p 107066 Sur ce sujet notamment chez Plutarque dont Numeacutenius aurait pu ici par-

tager la critique voir par ex F Ferrari laquo Provvidenza platonica o autocontem

3) On notera ici enfin que selon toute vraisemblance Numeacuteniusnrsquoidentifie pas son premier principe agrave lrsquoUn67 Ce principe est certesunique (μόνος) simple (ἁπλοῦς) et indivisible (μὴ διαίρετος) encela distinct de lrsquouniteacute divisible que constitue le second dieu68 MaisNumeacutenius ne lrsquoidentifie pas agrave lrsquoUn et en tout cas pas agrave lrsquoUn du Parmeacute-nide69 Notre conviction srsquoappuie sur lrsquoanalyse du fragment 19 (27 F)Agrave la fin du passage on lit lrsquoexpression τὸ ἀγαθὸν ὅτι ἐστὶν ἕνNumeacutenius la donne comme une conclusion de Platon dont le sens pro-fond ne peut ecirctre perccedilu que par les laquo regards aiguiseacutes raquo autrement ditpar ceux qui comprennent le propos de Numeacutenius Elle provient assu-reacutement de la tradition orale on la retrouve dans le compte-rendu de laLeccedilon sur le Bien par Aristoxegravene70 Comme lrsquoarticle deacutefini peut ecirctreomis devant lrsquoattribut on peut certes heacutesiter sur sa traduction laquo leBien est lrsquoUn raquo ou laquo le Bien est un raquo Dans le contexte matheacutematiqueougrave elle est preacutesenteacutee chez Aristoxegravene la premiegravere traduction est sansdoute la bonne Mais ce nrsquoest pas neacutecessairement le sens originel (siPlaton srsquoest reacuteellement exprimeacute ainsi) et assureacutement pas celui que veut

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 121

plazione aristotelica la scelta di Plutarco raquo dans L Van der Stockt F Titche-ner HG Ingenkamp A Peacuterez Jimeacutenez (eacuted) Gods Daimones Rituals Mythsand History of Religions in Plutarchrsquos Works Maacutelaga International PlutarchSociety 2010 p 177-190 et laquo La teologia di aristotele nel medioplatonismo raquodans Y Lehman (eacuted) Aristoteles Romanus La Reacuteception de la science aristo-teacutelicienne dans lrsquoEmpire greacuteco-romain Turnhout Brepols 2012 p 299-312 voir aussi chez Atticus A Michalewski laquo Faut-il preacutefeacuterer Eacutepicure agrave Aris-tote raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted) Reacuteceptions de la theacuteolo-gie aristoteacutelicienne DrsquoAristote agrave Michel drsquoEphegravese Leuven Peeters 2017p 123-142

67 Contra notamment ici G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 84

68 Fr 11 19 F69 Contra A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV

op cit p 124 M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 22570 Aristoxegravene Eacuteleacutements drsquoharmonique 22016313 Macran 398-404 da

Rios texte ndeg 1 p 248 Richard

lire Numeacutenius Dans le contexte du fragment la formule perd touteambiguiumlteacute parce que lrsquointerpreacutetation en est donneacutee au preacutealable Numeacute-nius a insisteacute sur lrsquouniciteacute du Bien dont la bonteacute a eacuteteacute identifieacutee agrave lrsquoactespeacutecifique du φρονεῖν Si Platon a dit τἀγαθὸν ἐστὶν ἕν ndash formule dontNumeacutenius srsquoestime devoir rendre compte puisqursquoil eacutecrit justement luiaussi Sur le Bien ndash crsquoest donc selon lui parce qursquoil nrsquoy a qursquoun seul etunique Bien le Bien lui-mecircme (αὐτοάγαθον) Par suite la seulemaniegravere de rencontrer le bien de maniegravere geacuteneacuterale consiste agrave prendrepart agrave lrsquoactiviteacute de penser qui caracteacuterise le Bien lui-mecircme une penseacuteesource de bonteacute que chacun pourra exercer agrave son niveau (lrsquoideacutee que leφρονεῖν lui est reacuteserveacute suggegravere qursquoil srsquoagit dans son cas drsquoun φρονεῖνagrave lrsquoeacutetat pur) Ce disant Numeacutenius a sans doute une viseacutee poleacutemique agravelrsquoeacutegard notamment drsquoune interpreacutetation pythagorisante de Platon vrai-semblablement issue de lrsquoAncienne Acadeacutemie et peut-ecirctre aussi delrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne de lrsquoenseignement oral71 Lui seul sesera estimeacute comprendre le veacuteritable pythagorisme du maicirctre Quoiqursquoil en soit sur ce point le passage est selon nous la preuve drsquoun refusdrsquoidentifier le Bien agrave lrsquoUn Si Platon a dit que le Bien est un ou mecircmelrsquoUn quelle que soit lrsquointerpreacutetation litteacuterale et donc la traduction rete-nue il nrsquoaurait selon Numeacutenius en reacutealiteacute rien voulu exprimer drsquoautreque lrsquouniciteacute du Bien ainsi que sa seacuteparation drsquoavec le sensible conccediluecomme distinction essentielle drsquoavec les biens de ce monde Numeacuteniusinvite agrave comprendre ἕν comme le synonyme de μόνος que seul ilemploie agrave reacutepeacutetition agrave propos de son premier principe72 et qui a cedouble sens drsquoexprimer lrsquouniciteacute et lrsquoisolement ou la seacuteparationcomme le suggegravere deacutejagrave son emploi reacutecurrent au fragment 2 (11 F)Telle est lrsquointerpreacutetation correcte du Platon non-eacutecrit qursquoil precircte aux

122 Fabienne JOURDAN

71 Voir par ex Meacutet A 6 988 a 10-17 ougrave lrsquoUn est preacutesenteacute comme la causedu Bien et N 4 1091 b 1-20 sur lrsquoidentification du Bien agrave lrsquoUn dans uncontexte de critique des Platoniciens

72 Εἷς nrsquointervient qursquoagrave propos du second dieu conccedilu comme uniteacute divi-sible qui se distingue en cela de lrsquoUn et mecircme de lrsquouniciteacute du fait de sa dualiteacuteneacutecessaire (mais non essentielle)

seuls regards suffisamment aiguiseacutes pour savoir lire Platon lagrave ougravedrsquoautres lrsquoauront mal entendu73

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 123

73 Voir lrsquoanalyse deacutetailleacutee du passage dans F Jourdan laquo Sur le Bien deNumeacutenius raquo art cit ici contra G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 82 et 84 ndash Les deux teacutemoignages suggeacuterant une eacutevocation de lrsquoUnpar Numeacutenius ne paraissent pas infirmer cette lecture Le premier issu deMacrobe (fr 54 = Saturnales I 17 65 = P 99 12-16 Willis) fait eacutetat drsquoune eacutety-mologie de lrsquoeacutepithegravete laquo delphien raquo attribueacutee agrave Apollon ougrave Numeacutenius auraitvraisemblablement voulu retrouver lrsquoeacutetymologie courante du nom propre dudieu comme renvoyant au laquo non-multiple raquo ἀ-πολλά (voir par ex PlutarqueDe E 388 F et De Iside 354 F et 381 F avec J Whittaker laquo Ammonius on theDelphic E raquo Classical Quarterly 63 NS 19 1969 p 187-188 E SyskaStudien zur Theologie des Macrobius Stuttgart Teubner 1993 p 116 n 74)Macrobe rapporte en effet que Numeacutenius aurait fait de δέλφος un adjectifsignifiant unum (dans le latin de Macrobe) par opposition au substantifἀδελφός signifant laquo fregravere raquo et alors conccedilu comme pourvu drsquoun ἀ- privatif(sur cette eacutetymologie voir J Whittaker ibid p 187 n 9 Eacute des PlacesNumeacutenius Fragments op cit p 100 n 1 E Syska Studien zur Theologiedes Macrobius op cit p 193-194 qui estime qursquoelle nrsquoa aucune autre valeurque litteacuteraire) Outre qursquoil concerne un dieu dont nous ne savons pas si Numeacute-nius aurait reacuteellement souhaiteacute lrsquoidentification agrave son premier principe (il sug-gegravere en revanche son association agrave Zeus au fr 2 [11 F] lequel est ensuite asso-cieacute au second dieu au fr 12 [20 F]) le teacutemoignage nrsquoindique pas le sens exacten lequel Numeacutenius aurait aimeacute qursquoon entende cette laquo absence de fregravere raquoDrsquoune part juste avant Macrobe emploie lrsquoexpression singulum et unum quipeut traduire ἕν καὶ μόνον et dont comme dans le grec la redondance avaleur emphatique On ne sait donc pas lequel des deux adjectifs Numeacutenius aexactement employeacute et rien nrsquointerdit de penser que la reprise par unus soit unchoix du neacuteoplatonicien Macrobe Drsquoautre part unus renvoie agrave εἷς et non agrave ἕνEnfin et surtout laquo ne pas avoir de fregravere raquo si tel est le sens que Numeacutenius precirctedans ce contexte agrave δέλφος signifie laquo ecirctre fils unique raquo et reconduit au sens deμόνος Crsquoest pourquoi selon nous ce teacutemoignage nrsquoest pas un indice fiabledrsquoune identification numeacutenienne du premier principe agrave lrsquoUn (contra M Bur-nyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit p 152 n 34) Le second teacutemoignageest quant agrave lui constitueacute par la reacutefeacuterence agrave une singularitas identifieacutee agrave un pre-mier dieu-deacutemiurge dans le compte-rendu numeacutenien de la cosmogonie pytha-goricienne rapporteacutee par Calcidius (fr 52) Or ce premier dieu dans son oppo-sition mecircme agrave la dyade correspond davantage au second dieu du Περὶ

Voilagrave notre lecture du Περὶ τἀγαθοῦ le seul texte meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius dont soient transmis des fragments litteacute-raux Crsquoest agrave partir drsquoelle que nous proposons drsquoexaminer les rapportsentre lrsquoenseignement de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon lui-mecircme le Commentaire anonyme au Parmeacutenide et enfin la source com-mune au Zostrien et agrave Marius Victorinus Agrave chacun de ces troismoments nous tenterons drsquoeacutevaluer srsquoil fournit les indices de lrsquoexis-tence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par Numeacutenius

Premiegravere partie

Lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon le premier principe de Numeacutenius (le Bien) nrsquoest ni lrsquoUn ni

lrsquoUn-qui-est du ParmeacutenideLa premiegravere eacutetape que nous reacutealiserons dans cette premiegravere partie

consiste agrave confronter le Περὶ τἀγαθοῦ au Parmeacutenide lui-mecircme afinde voir srsquoil y renvoie directement ou non Si nous suivions lrsquohypothegravesede J Whittaker74 toutefois nous abandonnerions immeacutediatement lrsquoen-treprise selon lui crsquoest agrave partir du moment ougrave un philosophe inter-pregravete le Bien de Reacutepublique VI 509 b 6-10 comme un principe trans-cendant reacuteellement lrsquoecirctre et comme identifiable agrave lrsquoUn que se profileune interpreacutetation du Parmeacutenide et plus preacuteciseacutement de la premiegraverehypothegravese Or nous venons de montrer que loin de transcender lrsquoecirctrele Bien de Numeacutenius est lrsquoEcirctre lui-mecircme et que son association agrave lrsquoUnsert avant tout un propos exeacutegeacutetique ou srsquoavegravere du moins fort probleacute-matique ndash telle qursquoelle est formuleacutee du moins elle nrsquoimplique aucune

124 Fabienne JOURDAN

τἀγαθοῦ sans compter que lrsquoappellation latine de singularitas traduit plutocirctle grec μόνας que ἕν Le compte-rendu ne peut donc ecirctre compris commerefleacutetant la doctrine propre de Numeacutenius telle du moins qursquoelle est exprimeacuteedans le Περὶ τἀγαθοῦ (voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius raquo art cit)Il nrsquoy a donc aucun texte fiable permettant de precircter agrave Numeacutenius lrsquoidentifica-tion du Bien agrave lrsquoUn et encore moins agrave lrsquoUn du Parmeacutenide

74 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit

allusion au Parmeacutenide75 Si lrsquoon veut malgreacute tout supposer que Numeacute-nius nrsquoen a pas moins utiliseacute le Parmeacutenide et que son œuvre trahit alorsnon seulement la connaissance du dialogue mais un commentaire per-sonnel de celui-ci ne serait-ce que partiel il faut recourir agrave un autrepoint de doctrine que cette identification du premier principe agrave uneentiteacute transcendant lrsquoecirctre et identifieacutee agrave lrsquoUn et justement interroger ladeacutefinition de ce premier principe comme ecirctre Autrement dit il srsquoagitessentiellement de voir si Numeacutenius identifie le Bien ne serait-ce quepartiellement agrave lrsquolaquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

Pour parvenir agrave un reacutesultat probant deux eacutetapes sont neacutecessaires agravecet examen

1) un rappel des quelques points qui dans la deacutefinition de lrsquoecirctre etdu premier principe selon Numeacutenius ont parfois suggeacutereacute des rappro-chements avec le Parmeacutenide

2) une confrontation de la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ avec laseconde partie du dialogue de Platon pour voir si une convergence depenseacutee plus geacuteneacuterale pourrait malgreacute tout suggeacuterer une appropriationde ce texte par Numeacutenius ou si une incompatibiliteacute fondamentaleinvite agrave en douter

Dans lrsquoun et lrsquoautre cas si les reacutesultats sont neacutegatifs cela ne per-mettra pas de conclure que Numeacutenius a ignoreacute le texte ni non plus dese prononcer de maniegravere cateacutegorique sur lrsquoœuvre non parvenue Nousmontrerons drsquoailleurs dans un troisiegraveme temps que Numeacutenius tente dereacutesoudre les apories relatives aux formes poseacutees dans la premiegravere par-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 125

75 On peut faire semblable remarque agrave propos de lrsquoexposeacute des principespythagoriciens par Eudore rapporteacute par Simplicius (In Phys 18110 sq Diels)Mecircme srsquoil eacutevoque diffeacuterents Un la conception deacuteveloppeacutee deacutepend avant toutdes reacuteflexions de lrsquoAncienne Acadeacutemie sur lrsquoUn et la Dyade et est en cela tregravesproche du compte-rendu drsquoAristote sur les principes de Platon en Meacutet A 6 987b 18 sq (sur ce point voir J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquoart cit p 98 qui rapporte les propos de W Theiler agrave la note 11) Il ne sembledonc pas neacutecessaire de supposer un commentaire sous-jacent aux deux pre-miegraveres hypothegraveses du Parmeacutenide mecircme srsquoil nrsquoest eacutevidemment pas exclu que ledialogue ait eacuteteacute invoqueacute pour sa nomination de lrsquoUn La remarque vaut eacutegale-ment pour Speusippe et de maniegravere geacuteneacuterale pour les neacuteo-pythagoriciens

tie du dialogue et nous verrons qursquoagrave lrsquoeacutegard de la premiegravere hypothegraveseil a peut-ecirctre choisi une attitude suggeacutereacutee par Platon lui-mecircme Poureacutelargir cette recherche nous interrogerons enfin sa relation agrave la penseacuteede Parmeacutenide lui-mecircme

1 La deacutefinition du premier principe comme ecirctre dansle Περὶ τἀγαθοῦ des parallegraveles avec le Parmeacutenide

Une fois que lrsquoon a renonceacute agrave precircter agrave Numeacutenius une interpreacutetationdu Parmeacutenide en raison drsquoune identification supposeacutee de son premierprincipe agrave lrsquoUn il reste possible drsquoexaminer les parallegraveles entre la deacutefi-nition de son premier principe identifieacute agrave lrsquoecirctre ou plus geacuteneacuteralemententre sa deacutefinition de lrsquoecirctre et les formulations du dialogue platoniciendans les deux premiegraveres hypothegraveses Les partisans drsquoune interpreacutetationnumeacutenienne du Parmeacutenide dont notamment A-J Festugiegravere76 etD OrsquoMeara77 citent essentiellement78 deux textes agrave cette fin les frag-

126 Fabienne JOURDAN

76 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 12577 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 Voir aussi par ex

M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 225-227 qui srsquoap-puie toutefois sur ce qursquoil considegravere une identification du Bien agrave lrsquoUn et sur unpassage de Cleacutement drsquoAlexandrie qui semble deacutependre de la premiegravere hypo-thegravese (Strom V 12 82 1-2) Les eacuteleacutements de theacuteologie neacutegative eacutevoqueacutes lagravesrsquoaccompagnant drsquoune possibiliteacute de nomination rappellent toutefois moinsNumeacutenius qursquoAlcinoos Did X p 16433-34 H

78 Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoargumentation de R Romano (laquo La proba-bile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica e neopitagorica) delParmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide diPlatone et la sua tradizione op cit p 234) qui estime que Numeacutenius aufragment 217-34 (11 F) emprunte au Parmeacutenide les expressions delaquo meacutethode non aiseacutee mais divine raquo laquo ardeur juveacutenile raquo et laquo exercice matheacute-matique raquo Lrsquoappui textuel est trop tenu pour qursquoelle soit persuasive Quant agraveG Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 82-84) il eacutevoque luiaussi le fragment 5 (14 F) mais seulement en note agrave la page 82 et son argu-mentation ne srsquoappuie pas davantage sur la lettre du texte Crsquoest pourquoielle ne peut ecirctre expliciteacutee ici Nous ne commenterons enfin pas les hypo-

ments 5 et 6 (14-15 F) ougrave apparaicirct formuleacutee en termes neacutegatifs unedeacutefinition de lrsquoecirctre que le fragment 2 (11 F) a dit identifiable au BienCes deux fragments proviennent du livre II du Περὶ τἀγαθοῦ quientreprend de deacutefinir lrsquoecirctre preacuteliminaire indispensable agrave la deacutefinitiondu Bien Examinons-en quelques extraits Au fragment 5 nous lisonsceci

Φέρε οὖν ὅση δύναμις ἐγγύτατα πρὸς τὸ ὂν ἀναγώμεθα καὶλέγωμενmiddot τὸ ὂν οὔτε ποτὲ ἦν οὔτε ποτὲ μὴ γένηται ἀλλrsquo ἔστιν ἀεὶἐν χρόνῳ ὡρισμένῳ τῷ ἐνεστῶτι μόνῳ [] τὸ ἄρα ὂν ἀΐδιόν τεβέβαιόν τε ἐστὶν ἀεὶ κατὰ ταὐτὸν καὶ ταὐτόν οὐδὲ γέγονε μένἐφθάρη δὲ οὐδrsquo ἐμεγεθύνατο μέν ἐμειώθη δὲ οὐδὲ μὴltνgtἐγένετό πω πλεῖον ἢ ἔλασσον καὶ μὲν δὴ τά τε ἄλλα καὶ οὐδὲτοπικῶς κινηθήσεταιmiddot οὐδὲ γὰρ θέμις αὐτῷ κινηθῆναι οὐδὲ μὲνὀπίσω οὐδὲ πρόσω οὔτε ἄνω ποτὲ οὔτε κάτω οὐδrsquo εἰς δεξιὰοὐδrsquo εἰς ἀριστερὰ μεταθεύσεταί ποτε τὸ ὂν οὔτε περὶ τὸ μέσονποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται ἀλλὰ μᾶλλον καὶ ἑστήξεται καὶἀραρός τε καὶ ἑστηκὸς ἔσται κατὰ ταὐτὰ ἔχον ἀεὶ καὶ ὡσαύτως(extraits du fragment 5 14 F = Eus PE XI 10 4-5)

Eh bien donc eacutelevons-nous vers lrsquoecirctre le plus pregraves qursquoil nous est pos-sible et disons ceci lrsquoecirctre jamais ne fut ni jamais nrsquoadviendra assureacute-ment mais il est toujours dans un temps bien deacutetermineacute le seul preacute-sent [] Lrsquoecirctre est donc est agrave la fois eacuteternel et stable toujours dans lemecircme eacutetat et identique agrave soi il nrsquoest pas neacute et il ne peacuterit pas il ne croicirctet ne deacutecroicirct pas non plus ni il ne devient plus ou moins en aucunefaccedilon En somme il ne sera assureacutement soumis agrave aucun type de mou-vement et surtout pas au mouvement selon le lieu ndash il ne lui est en effetpas permis non plus crsquoest la loi divine drsquoecirctre mucirc jamais par unecourse en avant ni en arriegravere en haut ni en bas vers la droite droite nivers la gauche jamais lrsquoecirctre ne sera soumis au changement et jamais ilne sera mucirc autour de son propre centre Bien plutocirct il se tiendra en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 127

thegraveses de H Tarrant Thrasyllan Platonism op cit p 174-177 dans lamesure ougrave elles supposent que Numeacutenius srsquoinspire de Modeacuteratus (au fr 52)et suit donc lrsquointerpreacutetation qursquoil aurait donneacutee sur la matiegravere drsquoapregraves leteacutemoignage de Simplicius

repos sera ferme et fixe se maintenant toujours de faccedilon identique etde la mecircme maniegravere79

Au fragment 6 (15 F) nous lisons ensuite

ἡ δὲ αἰτία τοῦ ὄντος ὀνόματός ἐστι τὸ μὴ γεγονέναι μηδὲφθαρήσεσθαι μηδrsquo ἄλλην μήτε κίνησιν μηδεμίαν ἐνδέχεσθαιμήτε μεταβολὴν κρείττω ἢ φαύλην εἶναι δὲ ἁπλοῦν καὶἀναλλοίωτον καὶ ἐν ἰδέᾳ τῇ αὐτῇ καὶ μήτε ἐθελούσιον ἐξίστα-σθαι τῆς ταὐτότητος μήθrsquo ὑφrsquo ἑτέρου προσαναγκάζεσθαι (extraitdu fragment 6 15 F = Eus PE XI 10 7)

Et la raison de ce nom ecirctre reacuteside dans le fait de ne pas ecirctre neacute de nepas devoir peacuterir de nrsquoadmettre absolument aucun autre type de mou-vement ni de changement que ce soit vers le meilleur ou vers le piremais drsquoecirctre au contraire simple invariable dans une forme qui resteidentique de ne pas sortir de son identiteacute ni volontairement ni souslrsquoeffet drsquoune contrainte exteacuterieure80

Pourquoi a-t-on voulu lire ces textes comme faisant allusion auParmeacutenide alors qursquoils ne preacutesentent pas de parallegraveles textuels avec cedialogue Deux raisons agrave cela A-J Festugiegravere y voit une seacuterie deneacutegations qui rappellent celles du Parmeacutenide relativement agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese D OrsquoMeara estime que la deacutefinition de lrsquoecirctrecomme restant dans une identiteacute parfaite agrave soi exprimeacutee en termes de

128 Fabienne JOURDAN

79 Toutes les traductions de Numeacutenius sont les nocirctres80 Voir aussi cet extrait du fragment 8 (17 F = Eus PE XI 10 12) Εἰ μὲν

δὴ τὸ ὂν πάντως πάντη ἀΐδιόν τέ ἐστι καὶ ἄτρεπτον καὶ οὐδαμῶςοὐδαμῆ ἐξιστάμενον ἐξ ἑαυτοῦ μένει δὲ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτωςἕστηκε τοῦτο δήπου ἂν εἴη τὸ τῇ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν laquo Siassureacutement lrsquoecirctre est en tout point absolument eacuteternel et immuable srsquoil ne sortabsolument pas de lui-mecircme en aucune faccedilon mais demeure dans le mecircmeeacutetat fixeacute dans son identiteacute alors crsquoest lui sans nul doute qui sera ldquoce qui estappreacutehendeacute par lrsquointellection agrave lrsquoaide du raisonnementrdquo (Tim 28 a) raquo Ce pas-sage fait suite au fragment 7 (16 F = Eus PE XI 10 9-11) qui cite la deacutefinitionde lrsquoecirctre opposeacute agrave la γένεσις en Timeacutee 27 d 6-28 a 4

laquo non-sortie raquo de soi est reprise dans les passages des Enneacuteades VI4 [ 22] 2 21 et VI 5 3 1-2 ougrave Plotin traite de lrsquointeacutegriteacute de lrsquoecirctre etinterpregravete agrave cet effet la seconde hypothegravese du Parmeacutenide D OrsquoMearasonge alors agrave un preacuteceacutedent numeacutenien dans la lecture plotinienne duParmeacutenide et agrave cette fin eacutetant donneacute qursquoil est question dans ces frag-ments de la relation de lrsquoecirctre au temps au changement et au mouve-ment tout comme de son nom (et donc sous-entendu aussi de saconnaissance) il invite agrave penser que le livre II du Περὶ τἀγαθoῦ trai-tait de lrsquoecirctre selon les diffeacuterents preacutedicats qui servent agrave interroger lrsquoUndu Parmeacutenide agrave savoir le Tout et les parties le lieu le changement etmouvement lrsquoidentiteacute et la diffeacuterence la ressemblance et dissem-blance lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoineacutegaliteacute le temps le nom la connaissance

Ces deux lectures se heurtent toutefois agrave deux objections simplesDrsquoune part pas plus qursquoil ne tire du Parmeacutenide la description de la non-sortie de soi81 Numeacutenius nrsquoemprunte son argumentation sur le change-ment le temps et le nom au Parmeacutenide Comme il le dit lui-mecircme aufragment 6 (15 F) il srsquoappuie pour cela sur le Timeacutee et le Cratyle Onnotera drsquoailleurs que le deacuteveloppement sur lrsquoabsence de mouvement etdonc de changement relegraveve en outre drsquoun emprunt aux Lois82 et qursquoellenrsquoest pas exempte de parallegraveles aristoteacuteliciens ainsi que le reconnaicirctD OrsquoMeara lui-mecircme83 Drsquoautre part et pour reacutepondre cette fois agraveA-J Festugiegravere la seacuterie de neacutegations ne fait aucunement allusion auParmeacutenide ni nrsquoaugure drsquoune theacuteologie neacutegative telle qursquoelle sera tireacuteede la premiegravere hypothegravese de ce dialogue elle contribue simplement agraveune deacutefinition de lrsquoecirctre par opposition au devenir et surtout au corporelqui preacutesente toutes les qualiteacutes ici nieacutees La citation au fragment 7 (16F) du passage du Timeacutee (27 d 6-28 a 4) opposant justement ὄν et

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 129

81 Elle est en reacutealiteacute preacutesente dans le Cratyle 439 e le Pheacutedon 79 d et 80b 1-2 et le Banquet 211 b 1

82 X 893 c-894 a83 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 n 26 Sur le temps

voir aussi M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit et la remarquefinale sur la deacutefinition parmeacutenidienne drsquoune entiteacute se situant dans un eacuteternelpreacutesent au fr 85 DK

γένεσις preacutecise ce contexte de penseacutee et empecircche en cela toute extra-polation Agrave la limite si lrsquoon y tient on pourra simplement conclure avecD OrsquoMeara que Numeacutenius a donneacute agrave Plotin lrsquoideacutee de lire le Parmeacutenidedans le sens ougrave il lrsquoa fait concernant lrsquoecirctre ndash hypothegravese qui srsquoavegraverera fortinteacuteressante dans la perspective drsquoune comparaison avec lrsquoentreprise ducommentateur anonyme au Parmeacutenide

Les textes habituellement citeacutes en faveur drsquoune utilisation numeacute-nienne du Parmeacutenide ainsi compris il en est selon nous un troisiegravemequi aurait pu inviter agrave pareille suggestion celui ougrave Numeacutenius precircte aupremier principe un repos qui srsquoaccompagne malgreacute tout drsquoune formede mouvement ndash attributs apparemment contradictoires dont lrsquooriginepourrait paraicirctre remonter au Parmeacutenide Ce texte nous mettrait sur lavoie qui pouvait sembler la plus feacuteconde drsquoune identification du pre-mier principe numeacutenien agrave lrsquoUn de la seconde hypothegravese du ParmeacutenideLisons ainsi le fragment 15 (23 F)

Εἰσὶ δrsquo οὗτοι βίοι ὁ μὲν πρώτου ὁ δὲ δευτέρου θεοῦ δηλονότι ὁμὲν πρῶτος θεὸς ἔσται ἑστώς ὁ δὲ δεύτερος ἔμπαλίν ἐστικινούμενοςmiddot ὁ μὲν οὖν πρῶτος περὶ τὰ νοητά ὁ δὲ δεύτερος περὶτὰ νοητὰ καὶ αἰσθητά μὴ θαυμάσῃς δrsquo εἰ τοῦτrsquo ἔφηνmiddot πολὺ γὰρἔτι θαυμαστότερον ἀκούσῃ ἀντὶ γὰρ τῆς προσούσης τῷδευτέρῳ κινήσεως τὴν προσοῦσαν τῷ πρώτῳ στάσιν φημὶ εἶναικίνησιν σύμφυτον ἀφrsquo ἧς ἥ τε τάξις τοῦ κόσμου καὶ ἡ μονὴ ἡἀΐδιος καὶ ἡ σωτηρία ἀναχεῖται εἰς τὰ ὅλα

Voici les genres de vie respectifs du premier et du deuxiegraveme dieu ilest eacutevident que le premier sera en repos tandis que le deuxiegraveme aucontraire est en mouvement le premier donc autour des intelligiblesle deuxiegraveme autour des intelligibles et des sensibles Et nrsquoen viens pasagrave trsquoeacutetonner si jrsquoai affirmeacute cela car tu vas entendre bien plus eacutetonnantencore agrave la place du mouvement inheacuterent au deuxiegraveme le repos inheacute-rent au premier je lrsquoaffirme est un mouvement qui lui est par natureassocieacute drsquoougrave viennent lrsquoordre du monde et sa permanence eacuteternelle etdrsquoougrave le salut se reacutepand sur lrsquointeacutegraliteacute des ecirctres

Le passage pourrait rappeler lrsquoUn qui est Tout (τὸ ἓν ὅλον 145 e3) de la deuxiegraveme hypothegravese et que Platon deacutecrit comme eacutetant agrave la fois

130 Fabienne JOURDAN

en repos et en mouvement (καὶ κινεῖσθαι καὶ ἑστάναι 145 e 7-8)drsquoautant plus que le vocabulaire du repos employeacute est le mecircme(ἕστηκε 145 a 8 ἑστός 146 a 5) On pourrait alors imaginer queNumeacutenius identifie son premier principe agrave lrsquoUn associeacute agrave lrsquoecirctre telqursquoil est conccedilu dans cette deuxiegraveme hypothegravese Cependant la raisondonneacutee par Platon agrave cet eacutetat est le fait que cet Un se trouve agrave la fois enlui-mecircme crsquoest-agrave-dire au mecircme endroit et en autre chose crsquoest-agrave-direailleurs (le tout devant ecirctre ainsi compris 145 e 8-146 a 7) Or toutconduit agrave penser que dans le fragment le mouvement associeacute au reposfondamental est celui de la penseacutee caracteacuteristique du premier principe(cf fr 19 27 F) et que par cette formule Numeacutenius preacutepare la deacutefini-tion de celui-ci comme intellect (fr 16-17 24-25 F) Le raisonnementest profondeacutement distinct et Numeacutenius joue drsquoailleurs moins sur uneantithegravese logique telle que pourrait paraicirctre celle du raisonnement pla-tonicien que sur une association certes paradoxale mais reacuteelle Crsquoestpourquoi si tentant que puisse paraicirctre le parallegravele il ne relegraveve sansdoute pas drsquoune appropriation numeacutenienne de la deuxiegraveme hypothegravesepour deacutecrire le premier principe Numeacutenius reprend peut-ecirctre le voca-bulaire voire la conception de Platon pour deacutecrire un principe qursquoilassocie volontiers au Tout surtout si ce premier principe doit corres-pondre au Vivant84 Mais cette reprise serait superficielle et srsquoaccom-pagnerait drsquoun deacuteveloppement personnel qui ne relegraveve pas du deacutesirdrsquointerpreacuteter le Parmeacutenide85 Si Numeacutenius emprunte ici agrave Platon crsquoestplutocirct au passage du Sophiste 248 e-249 a qui integravegre le mouvementdans lrsquoecirctre total finit par deacutecrire cet ecirctre comme eacutetant agrave la fois en reposet en mouvement et inclut en lui eacutegalement lrsquointellect mieux laφρόνησις dont nous avons vu que Numeacutenius en fait sous la formeinfinitive lrsquoapanage du Bien

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 131

84 Voir le teacutemoignage de Proclus (fr 22) deacutejagrave signaleacute selon nous lrsquoimagedu Vivant est deacutejagrave sous-jacente dans ce fragment 15 (23 F) voir la note 61

85 Sur ce point nous rejoignons LP Gerson laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpre-tation of Platorsquos Parmenides raquo art cit n 1 qui rappelle agrave propos drsquoAlcinoosque lrsquoutilisation de distinctions et drsquoarguments preacutesents dans le Parmeacutenidenrsquoimplique pas drsquoaccorder une primauteacute interpreacutetative agrave ce dialogue

2 Le Περὶ τἀγαθοῦ et les deux premiegraveres hypothegravesesde la seconde partie du Parmeacutenide

Agrave eux seuls les textes parvenus ne nous semblent donc pas teacutemoi-gner en faveur drsquoun commentaire au Parmeacutenide de la part de Numeacute-nius ni mecircme drsquoune utilisation partielle qursquoil aurait faite de ce dia-logue Les partisans drsquoune attribution de pareil commentaire agrave Numeacute-nius en appellent toutefois et ce juste titre agrave lrsquoœuvre non parvenueOn ne peut certes juger de lrsquoeacutevolution de Numeacutenius Mais pour quecet argument e silentio soit valable concernant au moins la partie man-quante du Περὶ τἀγαθοῦ il faudrait que la partie transmise ne preacute-sente pas drsquoincompatibiliteacute avec lrsquoargumentation geacuteneacuterale du dialoguede Platon Comme le deacutebat porte toujours sur les deux premiegraveres hypo-thegraveses ce sont elles qursquoil suffit drsquointerroger en vue drsquoeacutevaluer si Numeacute-nius peut ne serait-ce que srsquoy ecirctre reporteacute pour esquisser sa deacutefinitiondu premier principe voire du second comme le suggegravere JD Turner86

a) Le Bien et lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese

Selon notre lecture Numeacutenius nrsquoidentifie pas le Bien agrave lrsquoUn Laseacuterie de neacutegations neacutecessaires agrave la deacutefinition de lrsquoecirctre nrsquoa drsquoautre butque de distinguer celui-ci du devenir Qursquoest-ce que le Bien de Numeacute-nius pourrait donc avoir de commun avec lrsquoUn de la premiegravere hypo-thegravese87 Comparons son enseignement agrave celui du Parmeacutenide pourassurer de la validiteacute de notre position

Ce que le Bien de Numeacutenius pourrait avoir de commun avec lrsquoUnde la premiegravere hypothegravese assureacutement ce serait le fait de ne pas ecirctremultiple (137 c) Mais cela est bien maigre la seacuterie de neacutegations pro-

132 Fabienne JOURDAN

86 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 138-13987 G Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 84) estime que

crsquoest en lien avec la premiegravere hypothegravese que Numeacutenius deacuteveloppe sa concep-tion du premier intellect Il nrsquoexplique toutefois pas cette lecture pour le moinseacutetonnante

poseacutee par Parmeacutenide ne le concerne pas Passons en revue quelquesexemples en suivant lrsquoordre du dialogue contrairement agrave lrsquoUn de cettehypothegravese le Bien nrsquoest pas illimiteacute (137 d 7) crsquoest la matiegravere qui esttelle agrave lrsquoimage drsquoun fleuve88 loin drsquoecirctre nulle part au sens de laquo pas ensoi raquo (138 a 2 6-b 2) il est au contraire en lui-mecircme89 La seacuterie drsquoanti-thegraveses ne le concerne pas davantage loin de nrsquoecirctre ni en repos ni enmouvement (138 b) nous avons vu qursquoil a part aux deux90 plutocirct quede nrsquoecirctre ni identique ni diffeacuterent (139 b-140 b) il est assureacutement iden-tique agrave soi91 au lieu drsquoecirctre hors du temps (141 a) il se situe dans uneacuteternel preacutesent92 et si certes on ne peut pas non plus parler agrave soneacutegard de participation agrave lrsquoοὐσία (141 e 7-8) il nrsquoen est pas moinslrsquoἀρχή de celle-ci93 qui fait de lui lrsquoEcirctre par excellence94 Contraire-ment agrave lrsquoUn de cette hypothegravese (142 a) il a en outre un nom une deacutefi-nition et il y a mecircme une science agrave son sujet son nom est drsquoabordοὐσία et ὄν lorsque lrsquoecirctre qursquoil est est envisageacute de maniegravere geacuteneacuterale95puis vraisemblablement Bien lui-mecircme et Ecirctre lui-mecircme (αὐτοάγα-θον et αὐτοόν) lorsqursquoil est envisageacute dans sa speacutecificiteacute96 il donnelrsquoἐπιστήμη et srsquoavegravere mecircme ecirctre la σοφία97 toute lrsquoentreprise duΠερὶ τἀγαθοῦ est justement de conduire agrave sa connaissance et deacutefini-tion98 ce agrave quoi parvient entre autres le dernier fragment en identifiantultimement lrsquoecirctre et lrsquointellect qursquoil constitue agrave la Forme du Bien de laReacutepublique99 Lorsque Platon fait conclure agrave Parmeacutenide que cet Un

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 133

88 Fr 3 (12 F) et 8 (17 F)89 Fr 11 (19 F)90 Fr 15 (23 F)91 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)92 Fr 5 (14 F)93 Fr 16 (24 F)94 Fr 17 (25 F) et lrsquoon nrsquooubliera pas la synonymie entre οὐσία et ὄν don-

neacutee au fr 6 (15 F)95 Fr 6 (15 F)96 Fr 16-17 (24-25 F) fr 20 (28 F)97 Crsquoest notre interpreacutetation conjointe des fragments 13 et 14 (21-22 F)98 Tel est le programme annonceacute au fragment 2 (11 F)99 Fr 20 (28 F)

finalement nrsquoest pas Numeacutenius peut donc avoir estimeacute ne pas devoirreconnaicirctre lagrave ce qursquoil deacutefinit quant agrave lui comme le premier principe etce alors en accord avec Platon lui-mecircme

Crsquoest pourquoi srsquoil a songeacute agrave ce dialogue et plus particuliegraverement agravela premiegravere hypothegravese Numeacutenius a pu le consideacuterer comme un exer-cice dialectique ougrave puiser par exemple une meacutethode drsquointerrogation etcertains concepts dans un esprit peut-ecirctre semblable agrave celui drsquoAlci-noos100 ou bien ce qui nrsquoest pas incompatible comme deacutecrivantaussi une position selon lui critiqueacutee par Platon Dans cette perspec-tive il peut alors y avoir perccedilu une raison de ne pas retenir la candida-ture de lrsquoUn (telle que la suggegravere notamment la reacuteception acadeacutemi-cienne de lrsquoenseignement oral) au titre de premier principe agrave identifierau Bien puisque cet Un conccedilu dans sa pureteacute agrave la maniegravere dont Platonle deacutecrit dans la premiegravere hypothegravese conduit agrave lrsquoaporie du non-ecirctre (non-ecirctre que Numeacutenius identifie quant agrave lui agrave la matiegravere) Autre-ment dit la lecture du Parmeacutenide voire le commentaire de ce dia-logue aurait plutocirct conduit Numeacutenius agrave ne pas identifier le Bien agrave lrsquoUnabsolu et lrsquoaurait peut-ecirctre justifieacute dans une position poleacutemique agrave lrsquoen-contre de certains neacuteo-pythagoriciens de son temps101 voire des Aca-deacutemiciens qui le faisaient

Cette conclusion peut a priori eacutetonner Mais Numeacutenius nrsquoaurait paseacuteteacute le seul de son eacutepoque agrave refuser drsquoaccorder agrave lrsquoUn de la premiegraverehypothegravese le rocircle de principe de la reacutealiteacute et de principe transcendantlrsquoecirctre Proclus eacutevoque des interpregravetes selon lesquels le veacuteritable objet

134 Fabienne JOURDAN

100 Agrave la mecircme eacutepoque ou peu apregraves (selon lrsquohypothegravese de R Chiara-donna laquo Theacuteologie et eacutepoptique aristoteacutelicienne dans le meacutedioplatonisme lareacuteception de Meacutetaphysique Λ raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted)Reacuteceptions de la theacuteologie aristoteacutelicienne op cit p 143-148 voir aussiM Frede laquo Numenius raquo art cit p 1064) Alcinoos donne une interpreacutetationessentiellement logique du Parmeacutenide voir Did VI p 159-160 H Cela nrsquoim-plique toutefois pas que ce fut lagrave la seule lecture du dialogue par Alcinoos(pace J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit)

101 Voir ceux eacutevoqueacutes au fragment 5215-24 (Calcidius In Tim CCXCV)qui font provenir la dyade de la monade Modeacuteratus agrave qui est justement precircteacuteun commentaire du Parmeacutenide leur est parfois rapprocheacute

du Parmeacutenide est justement lrsquoecirctre (ou lrsquoUn de la seconde hypothegravese) etnon lrsquoUn absolu dont lrsquohypothegravese ne conduit qursquoagrave des apories102 Lrsquounde ces interpregravetes fut Origegravene (le Platonicien103 ) disciple drsquoAmmo-nius comme Plotin et qui eacutetait peut-ecirctre justement en deacutebat avecNumeacutenius notamment sur la fonction du premier principe104 SelonOrigegravene lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese eacutetait sans existence ni subsis-tance (ἀνύπαρκτον καὶ ἀνύποστατον) lrsquoEcirctre absolu et lrsquoUnabsolu ne devaient faire qursquoun et ecirctre identifieacutes agrave lrsquointellect commeprincipe supeacuterieur105 ce nrsquoeacutetait donc qursquoavec la seconde hypothegravese

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 135

102 Proclus In Parm I 63531-6364 Theacuteol Plat II 4 311-28103 Nous nrsquoentrons pas ici dans le deacutebat concernant la question de savoir si

Origegravene nommeacute laquo le platonicien raquo est le mecircme qursquoOrigegravene le chreacutetien Nouspostulons qursquoil srsquoagit de deux personnages distincts (en cela nous suivonsnotamment R Goulet laquo Porphyre Ammonius les deux Origegravene et lesautres raquo Revue drsquohistoire et de philosophie religieuse 57 1977 p 471-496repris dans R Goulet Eacutetudes sur les Vies de philosophes de lrsquoAntiquiteacute tar-dive Diogegravene Laeumlrce Porphyre de Tyr Eunape de Sardes Textes et traditionsI Paris Vrin 2001 p 267-290) Sur ce sujet voir le statut de la question dansL Brisson R Goulet laquo Origegravene le platonicien raquo dans R Goulet (eacuted) Dic-tionnaire des philosophes antiques Paris CNRS IV 2005 p 804-807 M Zambon laquo Porfirio e Origene uno status quaestionis raquo dans S Morlet(eacuted) Le Traiteacute de Porphyre contre les chreacutetiens Un siegravecle de recherches nou-velles questions Paris Institut drsquoEacutetudes augustiniennes 2011 p 107-164 etles eacutetudes reacuteunies par B Baumlbler H-G Nesselrath (eacuted) Origenes der Christund Origenes der Platoniker Tuumlbingen Mohr Siebeck 2018 (dont lrsquoarticle deCh Riedweg qui identifie les deux personnages)

104 Drsquoapregraves le titre de son ouvrage transmis par Porphyre (VP 332 cf Pro-clus Theol plat II 4 A) Ὃτι μόνος ποιητὴς ὁ βασιλεύς Origegravene associaitvraisemblablement le laquo roi raquo (premier principe) au deacutemiurge nommeacute ποιητήςcontrairement agrave Numeacutenius qui les distingue au fragment 12 (20 F)

105 Sur ce sujet voir par ex HD Saffrey LG Westerink Proclus Theacuteo-logie platonicienne T II Paris Les Belles Lettres 1974 p X-XX C Steellaquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 32-35 L Bris-son laquo The Reception of Parmenides before Proclus raquo dans JD TurnerK Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage vol II Reception inPatristic Gnostic and Christian Neoplatonic Texts Atlanta Society of Bibli-cal Literature 2011 p 49-64

que commenccedilait selon lui lrsquoonto-theacuteologie platonicienne parce qursquoelleaurait deacutecrit lrsquointellect et les formes Origegravene paraissant plus proche deson maicirctre que Plotin106 son interpreacutetation eacutetait peut-ecirctre celle drsquoAm-monius et comme les argumentations drsquoAmmonius et de Numeacuteniussont parfois rapprocheacutees107 on pourrait penser agrave une parenteacute entre ellessur ce sujet eacutegalement Quoi qursquoil en soit sur ce point on peut retenirdeux choses de la comparaison avec lrsquointerpreacutetation drsquoOrigegravene lerefus de consideacuterer le premier principe comme identique agrave lrsquoUn absolude la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et lrsquoidentification de ce prin-cipe agrave lrsquoEcirctre absolu

Peut-on alors supposer que Numeacutenius agrave lrsquoinstar drsquoOrigegravene conccediloitlui aussi cet Ecirctre comme deacutecrit dans la deuxiegraveme hypothegravese Crsquoest eneffet avions-nous vu drsquoembleacutee la seule maniegravere de lui supposer reacuteelle-ment une utilisation du Parmeacutenide dans sa description du premier prin-cipe

b) Le Bien et lrsquo laquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

On peut en effet rappeler que Plotin a tendance agrave situer le premierde Numeacutenius au rang du second selon sa propre doctrine Toutefois agravela lecture du Parmeacutenide lui-mecircme Numeacutenius aurait assureacutement eacuteteacutegecircneacute degraves la formulation de lrsquohypothegravese consideacuterant Un et ecirctre (οὐσία)comme deux eacuteleacutements seacutepareacutes neacutecessitant la participation de lrsquoUn agravelrsquoecirctre (142 b-c) Pour Numeacutenius le premier principe est lrsquoecirctre il nrsquoapas part agrave lrsquoecirctre Lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacutenide ten-tera certes de reacutesoudre la difficulteacute et si Numeacutenius avait commenteacute letexte il aurait sans doute fait de mecircme Mais est-il bien neacutecessaire delui precircter pareille entreprise Il nrsquoest en effet pas davantage inteacuteresseacute agrave

136 Fabienne JOURDAN

106 Voir HD Saffrey LG Westerink op cit p XIX107 Voir par ex le teacutemoignage de Neacutemeacutesius (fr 4 b = Sur la nature de

lrsquohomme 2 8-14) qui les associe dans la critique de la corporeacuteiteacute de lrsquoacircmecaracteacuteristique de la conception stoiumlcienne

utiliser la seacuterie de preacutedicats contraires cette fois accepteacutes pour lrsquoUn decette deuxiegraveme hypothegravese Si nous nrsquoen retenons seulement quelques-uns parmi ceux pouvant concerner une reacutealiteacute intelligible on noteraque la notion de pluraliteacute ne peut concorder avec la repreacutesentation delrsquouniteacute indivisible que constitue le Bien pas davantage que le coupleantitheacutetique drsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave soi Trois points pourraientecirctre malgreacute tout rapprocheacutes dans la deacutefinition du Bien numeacutenien et delrsquoUn de la seconde hypothegravese lrsquoaffirmation drsquoune preacutesence agrave la fois ensoi et en autre chose (145 b 6-7) ndash mais elle est caracteacuteristique de touteforme intelligible et la contradiction apparente est reacutesolue par le pheacute-nomegravene de la participation bien deacuteveloppeacute par Numeacutenius lrsquoideacutee quece principe est en mouvement et en repos (145 a 3-146 a 7)ndash mais nousavons montreacute son sens particulier lieacute au processus de la penseacutee propreagrave lrsquointellect qui nrsquoest pas deacuteveloppeacute dans le Parmeacutenide et enfin larelation au temps (152 a) mais elle nrsquoest que provisoire concernant ladeuxiegraveme hypothegravese dans la mesure ougrave celle-ci va ensuite associerlrsquoecirctre agrave toutes les dimensions du temps alors que Numeacutenius ne lrsquoasso-cie qursquoau preacutesent comme le fait le Timeacutee (et peut-ecirctre le vrai Parmeacute-nide lui-mecircme au fragment 85)

Il nous semble donc peu probable que Numeacutenius ait envisageacute sonpremier principe en songeant agrave lrsquoUn-qui-est du Parmeacutenide ou aitmecircme tenteacute de le lui faire correspondre dans une eacutetape ulteacuterieure de sareacuteflexion En cela le deacutesaccord qui semble affleurer avec Origegravene surla caracteacuterisation des principes se retrouverait sur ce point eacutegalement

c) Le second dieu (le Bon) et lrsquolaquo Un qui est raquo

Une autre possibiliteacute peut toutefois se preacutesenter agrave lrsquoesprit Numeacute-nius nrsquoaurait-il pas alors associeacute agrave ce second Un son second dieu etprincipe qui lui est effectivement agrave la fois Un et plusieurs (143 a 5)au sens ougrave il connaicirct une laquo division raquo lorsqursquoil rencontre la matiegravere108

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 137

108 Fr 11 (19 F)

Telle est en effet lrsquohypothegravese de JD Turner109 On pourrait lrsquoeacutetayer ennotant que ce dieu est drsquoailleurs lui aussi seacutepareacute pour ainsi dire de saforme le Bien ce qui constitue deux aspects de son ecirctre et mecircme de laforme qursquoil produit comme modegravele du monde lui aussi a en outre partagrave lrsquoοὐσία qursquoil reccediloit du premier En extrapolant on pourrait imaginerque crsquoest agrave lui que reviennent tous les couples de contraires puisqursquoilest agrave la fois dans lrsquointelligible par sa contemplation et preacuteoccupeacute dusensible tendant au contact avec la matiegravere110 Mais nous irions troploin Numeacutenius fait certes de ce second dieu lrsquoecirctre deacuteriveacute mais il estecirctre assureacutement et nrsquoest pas concerneacute par les preacutedicats caracteacuterisant lesensible (comme la grandeur la limite lrsquoacircge) Ce qui peut paraicirctrecontraire en ce dieu ce sont seulement des attitudes lieacutees agrave son orienta-tion dans un processus cosmogonique Numeacutenius ne paraicirct pas avoirainsi deacutefini son essence dont la caracteacuteristique fondamentale est lrsquoimi-tation et la participation au Bien Crsquoest pourquoi mecircme si cela peutparaicirctre tentant nous ne pensons pas qursquoil ait conccedilu ce second dieu ensongeant agrave la deuxiegraveme hypothegravese du Parmeacutenide ni mecircme qursquoil aittenteacute apregraves lrsquoavoir deacutefini de le lui faire correspondre111 Le consideacuterer

138 Fabienne JOURDAN

109 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 137-138 qui ajoute agravecela une reacuteflexion sur ce que certains Anciens consideacuteraient comme la troisiegravemehypothegravese (155 e 4-157 b 4) et fait du second dieu de Numeacutenius dans sa dualiteacutemecircme un repreacutesentant des Un de la deuxiegraveme et troisiegraveme hypothegraveses (Un-plu-sieurs et Un-et-plusieurs) Cette lecture est ingeacutenieuse mais inveacuterifiable

110 Fr 11 (19 F)111 Concernant les autres hypothegraveses nous pourrions faire deux remarques

Dans la troisiegraveme la deacutefinition des laquo autres choses raquo comme eacutetant de natureillimiteacutee mais recevant leur limite par participation agrave lrsquoUn (158 d 7-8) corres-pond agrave la conception de la formation du monde par le deacutemiurge (fr 18 26 F cf fr 52) Mais cette interpreacutetation est la leccedilon mecircme du Timeacutee coupleacute avec lePhilegravebe Dans la derniegravere hypothegravese ensuite en 165 c 2 on trouve lrsquoexpres-sion ὀξὺ νοοῦντι pour deacutesigner celui qui regarde de pregraves et voit que les chosesqui paraissent unes sont en reacutealiteacute plusieurs car priveacutees drsquouniteacute Avec lrsquoexpres-sion ὀξὺ βλέποντι au fr 19 (27 F) Numeacutenius pourrait faire un clin drsquoœilentendu agrave ce passage lorsqursquoil invite agrave comprendre ce qui est selon lui le vraisens du terme un appliqueacute au Bien celui drsquouniciteacute Lrsquoeacutecho lexical pourrait ren-

selon chacun de ses deux laquo aspects raquo comme correspondant agrave lrsquolaquo Un-plusieurs raquo et agrave lrsquolaquo Un-et-plusieurs raquo de la deuxiegraveme et de la troisiegravemehypothegraveses entrevue par certains Anciens comme le fait J Turnerrelegraveve selon nous drsquoune lecture plotinienne qui ne correspond pas agravelrsquoenseignement du Περὶ τἀγαθοῦ112 Cela une fois encore nrsquoem-pecircche pas que Numeacutenius ait pu inspirer Plotin dans sa propre lecturedu Parmeacutenide

3 Le Περὶ τἀγαθοῦ et la premiegravere partie du Parmeacutenide

Dans le Περὶ τἀγαθοῦ Numeacutenius nrsquoa ainsi selon nous pas conccedilusa reacuteflexion sur les principes agrave partir drsquoun commentaire du Parmeacutenideni nrsquoa mecircme tenteacute de la faire correspondre aux hypothegraveses de laseconde partie de ce dialogue apregraves lrsquoavoir eacutelaboreacutee En revanche ilsrsquoest assureacutement inteacuteresseacute agrave la premiegravere partie ou du moins aux diffi-culteacutes dans lesquelles elle place la theacuteorie des formes113 Qursquoil ait ounon en tecircte ce dialogue le sien en tout cas cherche assureacutement agraverendre possible la participation et donc agrave sauver la theacuteorie des formespar-delagrave les objections que lui adresse Parmeacutenide Ce sujet nous inteacute-ressant moins directement ici nous ferons bref

Agrave la question de savoir srsquoil y a des formes de tout (130 b-e) Numeacute-nius reacutepond assureacutement qursquoil y en a de tout ce qui a part au Bien114 agrave

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 139

voyer agrave cette illusion relative agrave la saisie de ce qursquoest laquo ecirctre un raquo Lrsquoexpressionnrsquoeacutetant pas absente par ailleurs chez Platon (voir le commentaire au fragment19 27 F) il nrsquoest cependant pas neacutecessaire de penser que Numeacutenius ait ce pas-sage du Parmeacutenide en tecircte il est simplement tentant drsquoy songer dans uncontexte de reacuteflexion sur lrsquoUn

112 Contra JD Turner laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art citp 138-139

113 On remarquera qursquoAlcinoos (Did IX p 163 H 23-31 L W) fait demecircme en reacutepondant agrave la question de ce dont il y a des formes et en concevantcelles-ci comme des penseacutees du premier dieu

114 Fr 13 et 19 (21 et 27 F)

la question du rapport entre forme et participeacute il envisage positive-ment les deux solutions proposeacutees par Socrate a) les formes sont pourlui des penseacutees (cf Parm 132 b-c) elles sont celles du seconddieu115 et elles pensent (cf Parm 132 c) puisque telle est la maniegraverede participer au Bien116 b) les formes sont par ailleurs des paradigmes(cf Parm 132 d) comme le montre lrsquoexemple embleacutematique du rap-port entre le Bon qursquoest le deacutemiurge et le Bien envisageacute commeforme117 Quant agrave lrsquoargument du troisiegraveme homme en placcedilant le Bienau sommet de lrsquointelligible Numeacutenius estime peut-ecirctre y avoir ultime-ment reacutepondu Lrsquoobjection de la seacuteparation (133 a 8-134 c 7) enfinavec le double risque qursquoelle comporte de lrsquoinconnaissabiliteacute desformes (134 a-b) et du deacutefaut de connaissance de notre monde par ledieu qui ne pourrait alors pas agir agrave notre eacutegard (134 e) aura particu-liegraverement retenu son attention tout le dialogue Sur le Bien tend eneffet agrave montrer la continuiteacute agrave la fois ontologique et eacutepisteacutemique desdiffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute ndash le sensible lui-mecircme en tant que prisen charge par le deacutemiurge qui lrsquoeacutelegraveve agrave son propre caractegravere (autrementdit agrave sa bonteacute et agrave ce qui en deacutecoule)118 relegraveve en effet de la μετ-ουσία autrement dit de ce qui vient certes laquo apregraves lrsquoοὐσία raquo mais y amalgreacute tout essentiellement part119 Le Περὶ τἀγαθοῦ conduit en toutcas drsquoune part agrave la connaissance de la forme premiegravere tandis que celle-ci srsquoavegravere la connaissance ultime qui se transmet ensuite120 il montredrsquoautre part la relation permanente du premier agrave notre monde non seu-lement par lrsquointermeacutediaire du second dieu qui assure directement lrsquoac-tion providentielle mais par le salut ou la conservation (σωτηρία)

140 Fabienne JOURDAN

115 Fr 16 (24 F) Nous reacutesumons voir notre interpreacutetation du fragment116 Fr 19 (27 F) Lagrave aussi nous reacutesumons notre interpreacutetation laquo Pense raquo en

reacutealiteacute tout ce qui a part au Bien En outre lrsquoidentification de lrsquointellect agrave uneforme au fragment 20 (28 F) suggegravere cette interpreacutetation

117 Fr 16 19 et 20 (24 27-28 F)118 Fr 11 (19 F) cf fr 18 (26 F)119 Voir lrsquoutilisation fort suggestive de ce terme pour deacutesigner la participa-

tion agrave la fin du fragment 16 (24 F)120 Fr 13-14 (21-22 F)

qursquoil dispense lui-mecircme reacuteellement121 en tant que Bien et qursquoEcirctre quiassure ultimement la coheacutesion du monde

Nous ne preacutetendons pas que Numeacutenius reprenne point par point lesobjections de Parmeacutenide agrave Socrate contre la theacuteorie des formes Maisqursquoil les ait consideacutereacutees directement dans le dialogue de Platon ou qursquoilles ait connues par la tradition il les a prises au seacuterieux et a senti luiaussi la neacutecessiteacute drsquoy reacutepondre pour sauver Platon agrave la maniegravere dont illrsquoentendait

4 Conclusion sur Numeacutenius et le Parmeacutenide

Rien donc dans lrsquoœuvre parvenue ne permet de conclure agrave uneinterpreacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide par Numeacutenius nonseulement les textes ne contiennent pas de reacuteels parallegraveles avec le dia-logue de Platon mais ils suggegraverent que Numeacutenius ne srsquoest fondeacute suraucune des deux premiegraveres hypothegraveses pour deacuteterminer les traits de sonpremier principe ni mecircme sur la deuxiegraveme (voire la troisiegraveme) pourdeacutefinir le second Il est mecircme peu vraisemblable qursquoil ait tenteacute reacutetros-pectivement de les leur faire correspondre Il srsquoest en revanche assureacute-ment inquieacuteteacute des objections dresseacutees contre la theacuteorie des formes dansla premiegravere partie du dialogue et aura tenteacute drsquoy reacutepondre en assurant lavaliditeacute de la participation selon les diffeacuterentes modaliteacutes envisageacutees lagravepar Socrate ndash en cela il srsquoinscrit vraisemblablement dans la traditionplatonicienne122 dont il heacuterite peut-ecirctre plus de la probleacutematique qursquoilne la cherche directement dans le texte de Platon Concernant laseconde partie du dialogue il a pu percevoir dans lrsquoexposeacute de la pre-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 141

121 Fr 15 (23 F)122 Voir les remarques de la note 100 sur Alcinoos Mecircme si Alcinoos est

peut-ecirctre posteacuterieur agrave Numeacutenius de toute eacutevidence les platoniciens ont tenteacutede montrer la justesse de la theacuteorie des formes et de la participation contre lescritiques drsquoAristote ainsi assureacutement que contre celles deacutejagrave eacuteleveacutees dans leParmeacutenide et vraisemblablement inspireacutees (entre autres) par les discussions ausein de lrsquoAcadeacutemie

miegravere hypothegravese une raison suffisante pour ne pas identifier son premierprincipe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit prenant ainsi Platon agrave la lettre agrave propos ducaractegravere aporeacutetique de lrsquoUn tel qursquoil eacutetait lagrave envisageacute

Si elle eacutetait aveacutereacutee cette attitude aurait une double conseacutequencepour la compreacutehension de lrsquohistoire du platonisme

Elle pourrait drsquoabord reacuteveacuteler une intention poleacutemique agrave plusieursniveaux Elle est en effet concevable comme une reacuteaction agrave lrsquoeacuteven-tuelle association neacuteo-pythagoricienne du premier principe associeacute agravelrsquoUn ou agrave la monade avec lrsquoUn absolu de la premiegravere hypothegravese duParmeacutenide Mecircme si selon nous lrsquoidentification du premier principe agravelrsquoUn chez Speusippe et les neacuteo-pythagoriciens123 relegraveve avant tout dela tradition acadeacutemicienne pythagorisante relative agrave lrsquoUn et agrave la Dyadeainsi que du compte-rendu aristoteacutelicien de lrsquoenseignement oral de Pla-ton sur les principes124 il nrsquoy a pas en soi de raison drsquoexclure une pos-sible invocation pour confirmation de lrsquoUn du Parmeacutenide (agrave condi-tion de ne pas leur precircter une interpreacutetation neacuteoplatonicienne) Parsuite une poleacutemique avec lrsquoAncienne Acadeacutemie est eacutegalement envisa-geable Non seulement dans sa deacutefense de la theacuteorie des formes125Numeacutenius pourrait tenter de reacutepliquer agrave la suppression de celles-ciopeacutereacutee par Speusippe mais aussi srsquoopposer agrave la conception du premierprincipe precircteacutee agrave lrsquoAncien Acadeacutemicien Que lrsquoon croie Aristote selonlequel lrsquoUn de Speusippe ne serait laquo pas mecircme un ecirctre raquo126 ou plutocirct

142 Fabienne JOURDAN

123 Voir la note 75124 Voir aussi Meacutet N 4 1091 b 13-15 EE A 8 1218 a 15-32 ougrave le Bien est

associeacute agrave lrsquoUn125 Selon lui la connaissance drsquoun objet quelconque consistait dans celle

de ses relations agrave tous les autres (fr 73 Taraacuten = 2 I P2 = Proclus In Euclp 179 12-22 Friedlein) et crsquoest aux nombres qursquoil aurait alors accordeacute le statutde principe (voir le reacutesumeacute de A Meacutetry Speusippos Zahl Erkenntnis SeinBernStuttgartWien Paul Haupt 2002 p 11-13 et celui de HD Kraumlmerlaquo Die Aumlltere Akademie raquo dans H Flashar (eacuted) Grundriss der Geschichte derPhilosophie Band 3 Aumlltere Akademie Aristoteles Peripatos Basel SchwabeVerlag 20042 [1983] p 16-17)

126 μηδὲ ὄν τι εἶναι τὸ ἕν αὐτό Meacutet N 5 1092 a 16 (fr 43 Taraacuten = 25 IP2 = Aristote Meacutet N 5 1092 a 11-17)

Jamblique selon qui il ne serait laquo pas encore ecirctre raquo127 une distinctionentre lrsquoUn conccedilu comme premier principe et lrsquoecirctre semble agrave lrsquoœuvrechez lui128 si bien que certains ont mecircme penseacute que Platon lui reacutepon-dait dans le Parmeacutenide129 Il nrsquoest pas utile drsquoentrer dans ce deacutebat laposition de Speusippe peut relever drsquoune reacuteflexion sur le Bien deReacutepublique VI et drsquoune appropriation de lrsquoenseignement oral de Platonagrave nous transmis par le compte-rendu aristoteacutelicien qui laisse Platonassocier eacutetroitement le Bien et lrsquoUn Disons simplement que srsquoil a euconnaissance de la position de Speusippe Numeacutenius peut avoir voulului reacutepondre Nrsquooublions pas qursquoagrave lui comme agrave ses pairs dans lrsquoAn-cienne Acadeacutemie il reproche de ne pas avoir pas laquo tout souffert raquo pour

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 143

127 ὅπερ δὴ ουδὲ ὄν πω δεῖ καλεῖν DCMS IV p 157-8 FestaKlein128 La reconstruction de lrsquoenseignement exact de Speusippe sur le premier

principe est neacutecessairement fragile drsquoune part elle est fondeacutee sur lrsquointerpreacuteta-tion du texte drsquoAristote qui est empreint de critique drsquoautre part elle esteacutetayeacutee par deux autres textes dont le lien agrave Speusippe est controverseacute et dontles auteurs agrave la fois sont familiers du neacuteo-pythagorisme et ont lu Plotin chezqui lrsquoUn est effectivement au-dessus de lrsquoecirctre (il srsquoagit de Jamblique et de Pro-clus dans la traduction de Guillaume de Moerbeke In Parm VII 401-9 Kli-bansky-Labowsky = 50162-71 Steel = fr 48 Taraacuten = 30 IP2) Nous ne propo-sons ici qursquoune hypothegravese de reacuteflexion Pour un exposeacute plus deacutetailleacute sur la rela-tion eacuteventuelle de Numeacutenius agrave Speusippe dans lrsquoeacutelaboration drsquoune leacutegitimiteacuteplatonicienne voir la premiegravere annexe de notre eacutedition commenteacutee des frag-ments de Numeacutenius en preacuteparation

129 Crsquoest la lecture de A Graeser (laquo Platon gegen Speusipp Bemerkun-gen zur ersten Hypothese des Platonischen Parmenides raquo Museum Helveti-cum 54 1997 p 45-47 et laquo Anhang Probleme der Speusipp-Interpreta-tion raquo dans Prolegomena zu einer Interpretation des zweiten Teils des Plato-nischen Parmenides Bern Paul Haupt 1999 p 41-53) et J Halfwassen(Der Aufstieg zum Einen op cit et laquo Speusipp und die metaphysische Deu-tung von Platons Parmenides raquo art cit) adopteacutee par ex par R Dancy(laquo Speusippus raquo dans EN Zalta (eacuted) The Stanford Encyclopedia of Philo-sophy Winter 2012 Edition 20112 [2003] en ligne) et rejeteacutee par C Steel(laquo A Neoplatonic Speusippus raquo art cit p 470 473-475) et LP Gerson(laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit p 2-11de la version eacutelectronique)

rester dans une communauteacute de penseacutee avec leur maicirctre130 Commenous lrsquoavons suggeacutereacute dans les preacuteliminaires il ne serait alors pasimpossible qursquoavec cette eacuteventuelle lecture du Parmeacutenide Numeacuteniuseucirct souhaiteacute reacutepliquer agrave lrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne signaleacutee delrsquoenseignement oral de Platon trouvant quant agrave lui dans le Platon eacutecritla juste interpreacutetation du Platon oral mal laquo entendu raquo Pareille supposi-tion doit toutefois ecirctre prise avec prudence

Par-delagrave la mise en eacutevidence drsquoune poleacutemique agrave plusieurs niveauxlrsquohypothegravese proposeacutee sur lrsquoattitude de Numeacutenius concernant ladeuxiegraveme partie du Parmeacutenide permet de mieux deacuteterminer a contra-rio ce qui caracteacuterise une interpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo 131 du dia-logue De maniegravere geacuteneacuterale drsquoabord la position de Numeacutenius montrepar contraste que lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne trouve son originedans une vue contraire agrave la sienne sur le statut de la forme du Bien et sasituation agrave lrsquoeacutegard de lrsquoοὐσία en Reacutepublique VI ainsi peut-ecirctre que

144 Fabienne JOURDAN

130 Fr 2416-18 1 F = Eusegravebe PE XIV 5 2131 Nous en restons aux caractegraveres geacuteneacuteraux il nrsquoy a en effet pas une seule

et unique interpreacutetation post-plotinienne du Parmeacutenide On remarquera enoutre que Jamblique (drsquoapregraves Proclus In Tim III 1049-16 Diehl) semble eacutevo-quer chez Ameacutelius et Numeacutenius (si lrsquoon suit le raisonnement de Proclus) desdistinctions relatives aux diviniteacutes dans le Sophiste le Philegravebe et le Parmeacutenidequi ne correspondent pas agrave celles retenues dans le neacuteoplatonisme Si ce proposne se rapporte pas seulement agrave Ameacutelius mais vraiment aussi agrave Numeacutenius ilfaudrait en tirer lagrave encore la conclusion que son interpreacutetation ne correspondpas agrave celle du neacuteoplatonisme qui identifie son premier principe agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et donc pas non plus agrave celle des neacuteopytha-goriciens que lrsquoon reconstruit agrave partir des teacutemoignages neacuteoplatoniciens Celadit mecircme srsquoil est tentant de penser que le οὗτοι (10411) de Proclus renvoieaux deux exeacutegegravetes qursquoil vient de citer il se peut malgreacute tout que ne soit deacutesigneacutelagrave que le seul Ameacutelius disciple de Plotin et donc assureacutement familier de lrsquoexeacute-gegravese du Parmeacutenide Il nrsquoy a en revanche aucune difficulteacute agrave precircter agrave Numeacuteniusdes exeacutegegraveses partielles du Sophiste et du Philegravebe (voir nos interpreacutetations desfragments 15 23 F) et 19 27 F) Il nrsquoy en a drsquoailleurs pas davantage agrave imagi-ner chez lui une utilisation partielle du Parmeacutenide ou des allusions agrave ce dia-logue voire une prise agrave la lettre du propos de Parmeacutenide sur lrsquoUn de la pre-miegravere hypothegravese conduisant agrave renoncer agrave celui-ci comme premier principe

dans une appropriation du compte-rendu de lrsquoenseignement oral dePlaton par Aristote En affirmant lrsquoidentiteacute ontologique du Bien et delrsquoEcirctre Numeacutenius srsquointerdit lrsquoidentification de son premier principe agravelrsquoUn distinct de lrsquoecirctre de la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide En refu-sant au contraire pareille identiteacute en srsquoappuyant peut-ecirctre sur lrsquoidenti-fication du Bien et de lrsquoUn precircteacutee agrave Platon et aux platoniciens par Aris-tote et en appliquant ces deux eacuteleacutements agrave une lecture du Parmeacutenide132Plotin ouvre la voie de lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologiqueulteacuterieure du dialogue Malgreacute son caractegravere hypotheacutetique la supposi-tion selon laquelle Numeacutenius prendrait effectivement acte des conseacute-quences aporeacutetiques de la premiegravere hypothegravese en nrsquoidentifiant pas sonpremier principe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit permet ici encore a contrariode deacuteterminer deux autres eacuteleacutements indissociables caracteacuteristiques delrsquointerpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo du Parmeacutenide lrsquoidentification dupremier principe agrave lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese et par suite une lec-ture laquo positive raquo de celle-ci qui en reacutealiteacute contredit les conclusionsneacutegatives de Platon agrave son sujet Une theacuteologie neacutegative en est alorscertes tireacutee (que lrsquoon songe au Commentaire anonyme au Parmeacutenideou agrave celui de Proclus133) Mais cette neacutegativiteacute est conccedilue commereacutesultant de lrsquoincapaciteacute fondamentale de lrsquohomme agrave concevoir le pre-mier principe autrement que par analogies et approximations neacutecessai-rement erroneacutees Elle ne concerne pas le principe en lui-mecircme ni laconviction qursquoil constitue le fondement ultime assurant la coheacutesion dela reacutealiteacute Numeacutenius aura quant agrave lui preacutefeacutereacute rester fidegravele agrave la lettre dutexte et donc aux doutes du maicirctre qui laisse parler Parmeacutenide Agrave ce

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 145

132 Les deux premiers eacuteleacutements agrave eux seuls conduisent seulement agrave laposition de Speusippe dont rien ne permet drsquoaffirmer le rattachement au Par-meacutenide Nous compleacutetons en cela les hypothegraveses de J Whittaker laquo ΕΠΕ-ΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit Voir aussi LP Gerson laquo The lsquoNeo-platonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit

133 In Parm VII 51872-84 Plutocirct que de radicaliser la neacutegation pour par-ler de lrsquoUn Proclus indique que la neacutegation porte en reacutealiteacute sur la conceptionde lrsquoUn et pas sur lrsquoUn lui-mecircme qui garde la fonction laquo positive raquo drsquoassurer lacoheacutesion du reacuteel

stade de nos connaissances et drsquoapregraves lrsquoœuvre parvenue precircter agraveNumeacutenius cette reacuteaction aux conclusions de la premiegravere hypothegravesenous paraicirct la seule maniegravere prudente drsquoenvisager de sa part une inter-preacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide Renoncer agrave lui en precircterune ne poserait toutefois aucune difficulteacute

5 Appendice Numeacutenius et Parmeacutenide134

Cette conclusion sobre sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenidesuggegravere drsquointerroger pour finir son attitude agrave lrsquoeacutegard du Parmeacutenide his-torique lui-mecircme auquel Plotin fait parfois appel Que Numeacutenius aitconnu et utiliseacute (directement ou non) le poegraveme Sur la nature est aveacutereacutepar le teacutemoignage de Porphyre selon lequel il aurait associeacute les porteseacutevoqueacutees lagrave135 agrave celles du Cancer et du Capricorne repreacutesentant selonlui les voies respectivement descendante et ascendante des acircmes136Or dans le Περὶ τἀγαθοῦ qui seul nous inteacuteresse ici deux eacuteleacutementsdoctrinaux pourraient relever drsquoune appropriation personnelle de Par-meacutenide ou plutocirct de la tradition agrave son sujet telle qursquoelle serait parvenueagrave Numeacutenius ndash Platon ayant assureacutement aiguiseacute chez ses successeurslrsquointeacuterecirct pour la penseacutee du personnage eacuteponyme de son dialogue Sansentrer dans une recherche des sources ni dans un exposeacute deacutetailleacute de lapenseacutee de Parmeacutenide et des interpreacutetations de son poegraveme nous nouscontenterons ici drsquoeacutevoquer ces deux points dans le simple but drsquoouvrirla recherche

Le premier concerne la relation de lrsquoecirctre au temps et au change-ment telle qursquoelle est deacutecrite dans le fragment 5 (14 F) deacutejagrave citeacute en par-tie Lrsquoaffirmation que lrsquoecirctre ne saurait ecirctre dans le passeacute ou lrsquoavenir

146 Fabienne JOURDAN

134 Je remercie Francesco Fronterotta drsquoavoir relu cette derniegravere section135 Parmeacutenide fr 1 11 D-K ougrave sont deacutecrites les laquo portes ouvrant sur les

chemins de la nuit et du jour raquo136 Voir Porphyre De antro 21-24 ici surtout 24 Numeacutenius fr 31 27-28

Sur ce texte voir le commentaire de W Huumlbner dans lrsquointroduction de lrsquoeacuteditioncommenteacutee du De Antro parue sous la direction de T Dorandi Paris Vrin2019

mais que seul le preacutesent lui convient et qursquoil ne pourrait pas davantagechanger renvoie assureacutement au propos du Timeacutee (37 d 2-38 b 2)137Que Platon deacuteveloppe ici une reacuteflexion originellement preacutesente chezParmeacutenide et plus preacuteciseacutement pour nous dans le fragment 8 de sonpoegraveme138 pourrait suffire agrave expliquer cet eacutecho parmeacutenidien chezNumeacutenius Mais il est frappant que dans ce fragment 5 (14 F) duΠερὶ τἀγαθοῦ relayeacute par les suivants Numeacutenius reprenne une seacuteriedrsquoeacuteleacutements qui deacutecrivent lrsquoecirctre dans le passage concerneacute du poegraveme outre ceux deacutejagrave nommeacutes on retrouve chez lui lrsquoimpossibiliteacute qursquoalrsquoecirctre de devenir plus grand ou plus petit139 et la neacutecessiteacute qui estsienne de demeurer en lui-mecircme au mecircme endroit140 Ainsi lorsqueNumeacutenius estime que si ces laquo prescriptions raquo indispensables agrave ladeacutetermination de lrsquoecirctre veacuteritable nrsquoeacutetaient pas respecteacutees il se produi-rait une laquo impossibiliteacute majeure dans son discours unique en songenre agrave savoir que lrsquoecirctre agrave la fois serait et ne serait pas raquo141 et faitensuite paraphraser lrsquoideacutee par le disciple du dialogue avec la formule

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 147

137 Voir aussi Plutarque De E 20 393 a-c dont la position est compareacuteeavec celle de Numeacutenius dans notre analyse du fragment

138 Voir les vers suivants du fragment 8 D-K agrave lrsquoorigine de toute lareacuteflexion sur lrsquoeacuteterniteacute (cf M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art citp 157) οὐδέ ποτ᾽ ἦν ἔσται ἐπεὶ νῦν ἐστιν ὁμοῦ πᾶν ἕν συνεχές τίναγὰρ γένναν διζήσεαι αὐτοῦ laquo Il nrsquoa jamais eacuteteacute et ne sera jamais puisqursquoilest maintenant tout ensemble un continu Car quelle naissance pourrais-tului chercher raquo v 5-7 (trad Kirk Raven Schofield en fr par H-A de Weck)et πῶς δ᾽ἄν ἔπειτα πέλοι τὸ ἐόν πῶς δ᾽ἄν κε γένοιτο εἰ γὰρ ἔγεντ᾽ οὐκἔστ᾽ οὐδ᾽ εἴ ποτε μέλλει ἔσεσθαι τῶς γένεσις μὲν ἀπέσβεσται καὶἄπυστος ὄλεθρος laquo Comment pourrait-il ecirctre par la suite Celui qui est Comment pourrait-il naicirctre Car srsquoil est neacute il nrsquoest pas de mecircme lt il nrsquoest pasnon plus gt srsquoil doit ecirctre un jour Ainsi est eacuteteinte la naissance eacuteteinte aussi ladestruction disparue sans qursquoon en parle raquo v 19-21 (trad D OrsquoBrien leacutegegravere-ment modifieacutee) Voir aussi les vers 26-28 du mecircme fragment 8 D-K sur lrsquoab-sence de mouvement ainsi que de deacutebut et de fin

139 Parmeacutenide fr 844-45 D-K140 Parmeacutenide fr 829-30 D-K cf Numeacutenius fr 11 (19 F)141 ὡς τούτου γε οὕτως λεγομένου ἓν γίνεταί τι ἐν τῷ λόγῳ μέγα

ἀδύνατον εἶναί τε ὁμοῦ ταὐτὸν καὶ μὴ εἶναι

relativement complexe εἰ δὲ οὕτως ἔχει σχολῇ γrsquo ἂν ἄλλο τι εἶναιδύναιτο τοῦ ὄντος αὐτοῦ μὴ ὄντος κατὰ αὐτὸ τὸ ὄν il nrsquoest pasexclu qursquoil ait ici le poegraveme parmeacutenidien agrave lrsquoesprit auquel il seraitrevenu directement ou non sous lrsquoimpulsion de Platon La phraseindique en effet (nous paraphrasons) que si pareille impossibiliteacute seproduisait il serait mecircme impossible agrave autre chose (que lrsquoecirctre) drsquoecirctrepuisque lrsquoecirctre lui-mecircme ne serait pas selon ce qursquoil devrait ecirctre (κατὰαὐτὸ τὸ ὄν) autrement dit selon sa propre essence et deacutefinitionNumeacutenius suggegravere sans doute par lagrave que si lrsquoecirctre eacutetait soumis au pas-sage du temps et au changement il serait tout simplement non-ecirctrepuisqursquoil ne correspondrait pas agrave sa propre deacutefinition ce qui explique-rait son impossibiliteacute de constituer le fondement de la reacutealiteacute Une foisreplaceacute dans le contexte de penseacutee de Numeacutenius ougrave ce qui est non-ecirctreest la matiegravere et la partie du sensible qui relegraveve drsquoelle lrsquoideacutee semblefort proche de la maniegravere dont Parmeacutenide dresse lrsquoantithegravese entre ecirctreet non-ecirctre dans ce mecircme fragment 8 de son poegraveme142 Cette impres-sion peut ecirctre eacutetayeacutee par celle drsquoune prise de distance agrave lrsquoeacutegard de cepassage du poegraveme lorsque Numeacutenius affirme que lrsquoecirctre nrsquoest pasmecircme mucirc autour de son centre143 si cette preacutecision fait sans doutedrsquoabord allusion agrave lrsquoacircme du monde qui se meut autour de celui-ci dansle Timeacutee et par suite au refus drsquoidentifier lrsquoecirctre veacuteritable agrave une acircme144elle porte peut-ecirctre eacutegalement la trace drsquoune reacuteaction agrave lrsquoidentificationparmeacutenidienne de lrsquoecirctre agrave une sphegravere145 Lrsquohypothegravese est cependantplus fragile et Numeacutenius heacuterite sans doute avant tout de Platon enverslequel il se situe Crsquoest agrave partir du Timeacutee qursquoil eacutelabore sa penseacutee Maisil ne semble pas exclu qursquoil soit parfois retourneacute (directement ou non)agrave lrsquooriginal auquel reacutefegravere implicitement Platon ce qui est drsquoautant plus

148 Fabienne JOURDAN

142 Sur le non-ecirctre chez Parmeacutenide voir par ex D OrsquoBrien Le Non-Ecirctredans la philosophie grecque Parmeacutenide Platon Plotin raquo dans P Aubenque(eacuted) Eacutetudes sur le Sophiste de Platon Napoli Bibliopolis 1991 p 4-9

143 οὔτε περὶ τὸ μέσον ποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται144 Il srsquoagit lagrave selon nous drsquoun argument essentiel agrave la non-identification

numeacutenienne du deacutemiurge agrave lrsquoacircme du monde145 Fr 8 42-44 D-K

vraisemblable que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacute comme un pythago-ricien146

Le second eacuteleacutement du Περὶ τἀγαθοῦ qui pourrait suggeacuterer lrsquoap-propriation drsquoun passage de Parmeacutenide147 est lrsquoidentification de lrsquoecirctreet de lrsquointellect agrave chacun des deux niveaux ougrave Numeacutenius les situe Ecirctre lui-mecircme (αὐτοόν) et ecirctre deacuteriveacute (ὄν) premier et second intel-lects correspondant au premier et au deuxiegraveme dieu Sans entrer dansle deacutetail de lrsquointerpreacutetation disons simplement que selon nous en fai-sant de lrsquolaquo acte raquo de penser148 lrsquoapanage du premier dieu et en identi-fiant ce mecircme dieu agrave lrsquoEcirctre149 Numeacutenius suggegravere une union intime etprofonde entre ecirctre et penser qursquoil aurait pu consideacuterer comme remon-tant agrave Parmeacutenide lui-mecircme ou qursquoil aurait pu eacutetayer par une appropria-tion du fragment 3 de son poegraveme tel qursquoil est transmis par CleacutementdrsquoAlexandrie et Plotin150 [] τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶεἶναι [] Certes dans ce fragment de vers lrsquoidentification entre ecirctreet penser est suggeacutereacutee par lrsquoextraction du texte hors de son contexte envue justement drsquoy trouver pareille identification Elle ne correspond

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 149

146 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres IX 21(A 1 D-K) Proclus In Parm I 6194 Cousin cf Jamblique VP 166 (A 4D-K)

147 Pour reprendre les termes du fragment 1 (10 F) on pourrait aussi parlerde lrsquolaquo invocation raquo de Parmeacutenide comme source pythagorisante en accord avecPlaton et confirmant la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ elle-mecircme eacutetayeacutee par leslaquo teacutemoignages raquo de celui-ci Numeacutenius semble en effet pouvoir citer Parmeacute-nide pour confirmer son propos agrave la fois parce qursquoil ne pouvait que paraicirctre enaccord avec Platon (cf fr 1 10 F) et parce que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacutecomme pythagoricien

148 Degraves le fragment 15 (23 F) de maniegravere implicite dans le fragment 16 (24F) et explicite au fragment 19 (27 F)

149 Fr 17 (25 F)150 Cleacutement Strom VI 2 233 Plotin Enn VI 1 [10] 817 V 9 [5] 29-

30 cf I 4 [46] 106 III 8 [30] 88 VI 7 [38] 4118 (voir D OrsquoBrien Eacutetudessur Parmeacutenide T I Le Poegraveme de Parmeacutenide Paris Vrin 1987 p 19) ndash Onpourrait drsquoailleurs aussi penser aux vers 34-36 du fragment 8 eacutevoqueacute dans leparagraphe preacuteceacutedent

sans doute pas au sens originel du passage151 De plus chez Numeacuteniusle type de penseacutee speacutecifique agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme nrsquoest pas le νοεῖν maisle φρονεῖν Mais drsquoune part νοεῖν nrsquoayant pas chez Parmeacutenide lesens preacutecis que lui donne ensuite la tradition platonicienne une margerelative drsquointerpreacutetation et de preacutecision eacutetait laisseacutee agrave lrsquointerpregraveteappartenant agrave cette tradition152 drsquoautre part on peut tregraves bien imaginerNumeacutenius extraire ce passage dont la juxtaposition des termes luiaurait paru opportune pour eacutetayer son propos et preacuteciser le sens de laformule ainsi obtenue en distinguant deux niveaux de lrsquoecirctre auxquelscorrespondent deux types distincts de penseacutee (le νοεῖν entendu ausens platonicien drsquointellection revenant au seul second dieu)153Lorsque Cleacutement et apregraves lui Plotin reprennent cette formule il neserait pas impossible qursquoils lrsquoempruntent ainsi extraite agrave Numeacutenius

150 Fabienne JOURDAN

151 Denis OrsquoBrien (ibid p 19 209-212) a montreacute qursquoen reacutealiteacute dans lepoegraveme les deux infinitifs ne doivent vraisemblablement pas ecirctre pris commesujet drsquoun ἐστίν agrave valeur copulative mais peut-ecirctre comme compleacutement dupronom (τὸ αὐτό) ou de lrsquouniteacute syntaxique constitueacutee par le pronom et leverbe (au sens de laquo crsquoest une seule et mecircme chose pour penser et pour ecirctre raquodrsquoougrave la traduction par laquo crsquoest une seule et mecircme chose que lrsquoon pense et quiest raquo) F Fronterotta reprend son analyse et conclut que pour Parmeacutenideνοεῖν deacutesigne une forme de perception immeacutediate non sans lien avec lrsquoactiviteacutesensorielle mais allant au-delagrave des sens et de leur uniteacute creacuteative (laquo Someremarks on noein in Parmenides raquo dans S Stern-Gillet K Korrigan (eacuted)Reading ancient texts Vol I Presocratics and Plato Leiden Brill 2007p 3-19) Il ne srsquoagit donc pas (encore) de la perception intuitive que deacutesignerace verbe ulteacuterieurement

152 Voir la note preacuteceacutedente153 Nous pourrions preacuteciser ainsi lrsquointention de Numeacutenius srsquoil songe effec-

tivement agrave cette formule Selon nous il partage la conviction platonicienne quiveut que pour ecirctre pensable il faut ecirctre reacuteellement (et donc ecirctre intelligible crsquoest la leccedilon du Timeacutee) Srsquoil confrontait cette conviction au vers de Parmeacute-nide il lui donnerait donc drsquoabord lrsquointerpreacutetation laquo objective raquo deacuteceleacutee parFr Fronterotta (laquo Some remarks on noein in Parmenides raquo art cit) Toutefoisdans sa deacutefinition de lrsquoecirctre bientocirct identifieacute au Bien il retourne de toute eacutevi-dence cette conception et considegravere que nrsquoest veacuteritablement que ce qui est pen-sable (et donc lagrave encore intelligible par ex fr 4 a 13 F sur la matiegravere qui

Plotin lrsquoutilise certes pour caracteacuteriser le seul et unique Intellect chezlui situeacute au seul second niveau de la reacutealiteacute Mais cela correspondrait agravesa tendance geacuteneacuterale agrave faire passer au second niveau ce qui correspondau premier chez Numeacutenius154

De Numeacutenius il heacuterite donc peut ecirctre drsquoune lecture de Parmeacutenideplutocirct que du Parmeacutenide

Fabienne JOURDANCNRS UMR 8167 laquo Orient et Meacutediterraneacutee raquo Paris-Sorbonne

jourdanfabiennewanadoofr

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 151

nrsquoest pas ecirctre et ougrave une preuve de cet eacutetat est son caractegravere inconnaissable)Appliqueacutee agrave la formule de Parmeacutenide cette conviction en produirait ce queFr Fronterotta appelle une lecture laquo subjective raquo En outre dans le deacutesir sansdoute drsquoexpliquer la participation de maniegravere concregravete il ne donne pas seule-ment lrsquointelligibiliteacute comme condition de lrsquoecirctre (au sens passif du terme) maisil considegravere le fait de penser comme condition du fait drsquoecirctre reacuteellement (ausens laquo actif raquo du terme) Crsquoest pourquoi srsquoil avait connu et utiliseacute la formule deParmeacutenide ne serait-ce que pour eacutetayer son propos il y aurait sans douteentendu lrsquoaffirmation de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre et de la penseacutee mieux du penserCela pourrait certes paraicirctre lui attribuer une forme drsquoideacutealisme heacutegeacutelien(selon les termes de Fr Fronterrota laquo Some remarks on noein in Parmenides raquoart cit p 6) Mais telle est aussi la lecture de Cleacutement drsquoAlexandrie (StromVI 2 233) Or mecircme srsquoil ne le cite explicitement qursquoune fois (Strom I 22150 1-4 = 29 Fd) Cleacutement connaicirct Numeacutenius et se sert parfois de ses eacutecritssans le nommer (voir par ex Strom I 8 405 Strom I 13 571) Il nrsquoest doncpas impossible que pareille interpreacutetation circulacirct deacutejagrave au temps de Numeacuteniusvoire chez lui et mecircme gracircce agrave lui Le raisonnement du Περὶ τἀγαθοῦ dumoins passe par lrsquoidentification de lrsquoecirctre agrave lrsquo laquo activiteacute raquo de penser ensuiteconccedilue aux niveaux infeacuterieurs comme condition mecircme de leur participation agravelrsquoecirctre (voir le fr 19 27 F)

154 Nous simplifions et deacutecrivons simplement une tendance le processuspreacutecis requerrait une explication deacutetailleacutee qui nrsquoa pas sa place ici

152 Fabienne JOURDAN

Page 7: NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE · 2020. 4. 16. · NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE?* PREMIÈREPARTIE: L’ŒUVREPARVENUEDENUMÉNIUSETLEPARMÉNIDE DEPLATON RÉSUMÉ Si

lrsquohistoire de la philosophie il peut ecirctre consideacutereacute comme un laquo platoni-cien pythagorisant raquo selon lrsquoexpression heureuse de Michael Frede13Selon son propre point de vue14 neacuteanmoins tout laisse penser qursquoilaurait preacutefeacutereacute la qualification de laquo pythagoricien raquo15 comme enteacutemoigne drsquoailleurs le titre que lui donnent les chreacutetiens les seuls agravetransmettre directement une partie de son œuvre Il nrsquoest toutefois lagraveaucun veacuteritable dilemme puisque chez ces derniers un laquo pythagori-cien raquo est entre autres un interpregravete de Platon16 Numeacutenius est donc en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 107

Aufstieg und Niedergang der roumlmishen Welt II 362 1987 p 1043 B Cen-trone laquo Cosa significa essere pitagorico in etagrave imperiale Per una riconsidera-zione della categoria storiografica del neopitagorismo raquo dans A Brancacci(eacuted) La filosofia in etagrave imperiale Le scuole e le tradizioni filosofiche NapoliBibliopolis 2000 p 137-168

13 laquo Numenius raquo art cit p 1043-1047 Voir aussi B Centrone laquo Cosasignifica essere pitagorico in etagrave imperial raquo art cit p 158-160 M Edwardslaquo Numenius of Apamea raquo dans LP Gerson (eacuted) The Cambridge History ofPhilosophy in Late Antiquity Cambridge Cambridge University Press 2010p 124-125

14 Voir F Jourdan laquo Numeacutenius et Pythagore Numeacutenius platonicien(pythagorisant) ou pythagoricien (platonisant) raquo agrave paraicirctre dans la RevuedrsquoHistoire des religions 2020

15 Sur ce point nous divergeons de B Centrone laquo Cosa significa esserepitagorico in etagrave imperial raquo art cit p 150-151 selon lequel les auteurs desapocryphes pythagoriciens nrsquoauraient pas eu agrave cœur de deacutefendre une identiteacutepythagoricienne puisqursquoils reprenaient Platon voire lrsquoaccusaient de plagiatNumeacutenius ne compte certes pas parmi ces auteurs mais la remarque pourrait leconcerner eacutegalement Or sa deacutemarche qui consiste agrave mettre Pythagore agrave la tecirctedrsquoune ligneacutee de disciples fidegraveles auxquels appartiennent Platon et mecircmeSocrate semble au contraire indiquer qursquoil revendique pour lui lrsquoappartenanceagrave cette ligneacutee en tant qursquointerpregravete fidegravele de Platon Cela ne lrsquoempecircche pas agravenos yeux drsquohistoriens de reacutealiser une deacutemarche caracteacuteristique du platonismede son temps

16 Crsquoest du moins entre autres le sens que semble prendre chez Cleacutement laqualification de Philon comme laquo pythagoricien raquo voir D Runia laquo Why doesClement of Alexandria call Philo ldquothe Pythagoreanrdquo raquo Vigiliae Christianae49 1995 p 1-22 Pouvaient en outre paraicirctre reacuteellement pythagorisants le goucirct

theacuteorie du moins et agrave ce double titre de platonicien et de pythagorisantun parfait candidat au rang drsquointerpregravete laquo neacuteo-pythagoricien raquo preacute-plo-tinien du Parmeacutenide Cette candidature est drsquoautant plus laquo provoca-trice raquo pour les tenants de la thegravese courante de lrsquohistoire du platonismeque Plotin a eacuteteacute consideacutereacute par ses adversaires comme srsquoappropriant sesdoctrines17 lecteur plus fin Longin preacutecisait mecircme que crsquoeacutetait agrave lasuite de Numeacutenius et drsquoautres platoniciens pythagorisants dont juste-ment Modeacuteratus Thrasylle et Cronius le disciple direct de Numeacuteniusqursquoil srsquoadonnait agrave lrsquointerpreacutetation des principes pythagoriciens et plato-niciens18 entreprise dans laquelle il les aurait largement deacutepasseacutes19Quoi qursquoil en soit de cette poleacutemique il est assureacute que Plotin commen-tait les œuvres de Numeacutenius dans ses cours20 Si Numeacutenius avait doncinterpreacuteteacute le Parmeacutenide et ce surtout dans le sens pythagoricien sug-geacutereacute par les chercheurs ayant deacutejagrave invoqueacute Modeacuteratus et mecircme Speu-sippe en ce sens Plotin aurait assureacutement rebondi sur son exeacutegegravese Ilnrsquoaurait plus alors le primat de pareille interpreacutetation et avec ce statutserait eacutegalement eacuterodeacutee la preacutesentation courante des origines du neacuteo-platonisme

Formuleacutee ainsi lrsquohypothegravese est seacuteduisante elle est toutefois fortspeacuteculative tant qursquoon ne peut prouver que Numeacutenius a reacuteellement

108 Fabienne JOURDAN

de Philon pour lrsquoexeacutegegravese (et donc pour la notion drsquoeacutenigme) et plus speacutecifique-ment pour lrsquointerpreacutetation des nombres deux eacuteleacutements eacutegalement preacutesentschez Numeacutenius

17 VP 17-18 Sur ce passage voir la note de R Goulet agrave VP 18 2-3 dansL Brisson JL Cherlonneix M-O Goulet-Caseacute R Goulet MD GrmekJ-M Flamand S Matton J Peacutepin HD Saffrey A-Ph Segonds M TardieuP Thillet Porphyre La Vie de Plotin Vol II Paris Vrin 1992 p 278 etS Menn laquo Longinus on Plotinus raquo Dionysius 19 2001 p 113-124 sur le sensde ὑποβάλλεσθαι dans ce contexte Sur la supeacuterioriteacute de Plotin relativementaux meacutedioplatoniciens dans lrsquointerpreacutetation de Pythagore voir aussiM Bonazzi laquo Plotino e la tradizione pitagorica raquo Acmegrave 53 2000 p 38-73

18 VP 2019 VP 21 ougrave Porphyre recite toutefois le propos de Longin en VP 2020 VP 14

interpreacuteteacute le Parmeacutenide Elle requiert donc un examen approfondi destextes parvenus ndash textes qui nous ont eacuteteacute transmis uniquement demaniegravere indirecte tregraves partielle et de fait aussi tregraves partiale La pre-miegravere eacutetape de la recherche consiste donc agrave reacutealiser pareil examenpour voir si ces textes portent effectivement la trace de lrsquointerpreacute-tation en jeu comme lrsquoont proposeacute notamment A-J Festugiegravere21D OrsquoMeara22 G Bechtle23 M Burnyeat24 et JD Turner25

2) La maigreur des indices reacuteellement significatifs cependant ndash agravemoins drsquoimaginer un silence poleacutemique de la part de Numeacutenius dontnous verrons qursquoil nrsquoest peut-ecirctre pas agrave exclure totalement ndash aurait sansdoute inviteacute agrave abandonner pareille recherche comme relativementdeacutesespeacutereacutee ou artificielle en lrsquoeacutetat de nos sources Mais le deacutesir derevenir sur lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacute-nide26 lrsquoa ranimeacutee Lui aussi parvenu de maniegravere fragmentaire (maiscette fois directe) ce texte comporte des parallegraveles frappants avec lrsquoen-seignement connu de Numeacutenius et invite agrave penser que lrsquoauteur srsquoins-pire de lui voire comme le propose Gerald Bechtle depuis sa mono-graphie de 199927 nrsquoest autre que Numeacutenius lui-mecircme il srsquoagirait du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 109

21 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV Paris Gabalda 1954 p 12522 laquo Being in Numenius and Plotinus Some Points of comparison raquo Phro-

nesis 21 1976 p 120-12923 The Anonymous Commentary on Platorsquos Parmenides BernStuttgart

Wien Paul Haupt 1999 p 8224 laquo Platonism in the Bible Numenius of Apamea on Exodus and Eter-

nity raquo dans R Salles (eacuted) Metaphysics Soul and Ethics in Ancient thoughtOxford Clarendon Press 2005 p 143-169 il le suggegravere p 152-155

25 laquo The Platonizing Sethian Treatise raquo art cit p 128-13926 Titre artificiel donneacute au texte que nous abreacutegerons dans la suite27 The Anonymous Commentary op cit Voir aussi du mecircme auteur laquo The

Question of Being and the Dating of the Anonymous Parmenides Commen-tary raquo Ancient Philosophy 20 2000 p 393-414 et laquo A neglected Testimonium(Fragment ) on the Chaldaen Oracles raquo Classical Quarterly 56 2006p 563-581 sans ecirctre tout agrave fait explicite JD Turner le suit essentiellement(Sethian Gnosticism and The Platonic Tradition QueacutebecLouvainParisPresses de lrsquoUniversiteacute LavalPeeters 2001 laquo Victorinus Parmenides com-

commentaire que Numeacutenius aurait reacutedigeacute sur le Parmeacutenide ou dumoins sur les deux premiegraveres hypothegraveses28 de la seconde partie

3) Comme telle toutefois confronteacutee aux arguments solides dePierre Hadot en faveur drsquoune autoriteacute porphyrienne du Commentaireanonyme29 ou du moins agrave ceux drsquoAlessandro Linguiti en faveur drsquoune

110 Fabienne JOURDAN

mentaries and the Platonizing Sethian Treatises raquo dans K Corrigan JD Tur-ner (eacuted) Platonism Ancient Modern and Postmodern LeidenBoston Brill2007 p 55-96 et laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit) Voir aussiK Corrigan qui pense quant agrave lui agrave Cronius (laquo Platonism and Gnosticism TheAnonymous Commentary on the Parmenides Middle or Neoplatonic raquo dansJD Turner R Majercik (eacuted) Gnosticism and Later Platonism ThemesFigures and Texts Atlanta Society of Biblical Literature 2001 p 141-177)

28 Dans les pages qui suivent nous adopterons pour simplifier la termino-logie exeacutegeacutetique qui srsquoest imposeacutee et parlerons des laquo hypothegraveses raquo de laseconde partie du Parmeacutenide bien qursquoil srsquoagisse plutocirct chez Platon drsquoune seacuteriede deacuteduction En outre quand nous y reacutefegravererons nous nrsquoajouterons plus lamention de laquo la deuxiegraveme partie raquo du Parmeacutenide

29 Voir P Hadot (laquo Fragments drsquoun Commentaire de Porphyre sur le Par-meacutenide raquo Revue des eacutetudes grecques 74 1961 p 410-438 repris dansP Hadot Plotin Porphyre Eacutetudes neacuteoplatoniciennes Paris Les BellesLettres 20102 [1999] p 281-316 laquo La meacutetaphysique de Porphyre raquo dansPorphyre Entretiens sur lrsquoAntiquiteacute classique XII Vandœuvres-Genegraveve Fon-dation Hardt 1966 p 125-157 repris dans P Hadot Plotin Porphyre op citp 317-353 Porphyre et Victorinus I et II Paris Eacutetudes augustiniennes1968 laquo Porphyre et Victorinus Questions et hypothegraveses raquo dans M TardieuP Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApocalypse de Zostrien et lessources de Marius Victorinus Bures-sur-Yvette Res Orientales IX 1996p 117-125 Ses arguments sont eacutetayeacutes par ceux de HD Saffrey laquo Connais-sance et inconnaissance de Dieu Porphyre et la Theacuteosophie de Tuumlbingen raquodans J Duffy J Peradotto (eacuted) Gonimos Buffalo Arethusa 1988 p 3-20repris dans HD Saffrey Recherches sur le Neacuteoplatonisme apregraves Plotin ParisVrin 1990 p 1-20 M Zambon Recension de G Bechtle The AnonymousCommentary on Platorsquos Parmenides Elenchos 20 1999 p 194-202 et Por-phyre et le moyen-platonisme Paris Vrin 2002 R Chiaradonna laquo Nota supartecipazione e atto drsquoessere nel neoplatonismo lrsquoanonimo Commento alParmenide raquo Studia graeco-arabica 2 2012 p 87-97 et laquo Logica e teologica

origine post-plotinienne30 lrsquohypothegravese de G Bechtle pourrait semblerpeu utile grand lecteur de Numeacutenius31 Porphyre si nous revenons pro-visoirement agrave lui pouvait srsquoinspirer de son preacutedecesseur et de ses doc-trines sans que celui-ci ait lui-mecircme composeacute un commentaire au Par-meacutenide Comme nous le montrerons les parallegraveles entre le Commentaireanonyme et lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius en tout cas nrsquoimpliquentpas de reacutefeacuterence directe au dialogue de Platon de la part de ce dernierLrsquoexamen de lrsquohypothegravese pourrait donc srsquoachever sur ce constat si unedeacutecouverte de Michel Tardieu (1996) nrsquoinvitait pas malgreacute tout agrave lrsquoex-plorer davantage En deacutecryptant lrsquoApocalypse de Zostrien M Tardieu ya deacutecouvert un passage semblable agrave un autre du Contre Arius de MariusVictorinus32 laquo synopse raquo supposant selon lui une source commune auxdeux auteurs Or ce texte et donc cette laquo source raquo semble drsquoune partrelever drsquoun commentaire des deux premiegraveres hypothegraveses du Parmeacute-nide et drsquoautre part comporter des parallegraveles avec le Commentaire ano-nyme ndash son identification directe agrave celui-ci paraissant exclue a priorieacutetant donneacutee lrsquoidentification qursquoelle semble faire du premier Un agrave lrsquoEs-prit absente du Commentaire anonyme LrsquoApocalypse de Zostrien eacutetantlrsquoun des traiteacutes gnostiques critiqueacutes dans lrsquoeacutecole de Plotin33 la chronolo-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 111

nel primo neoplatonismo A proposito di Anon In Parm XI 5-19 e IamblRisposta a Porfirio [De Mysteriis] I 4 raquo Studia graeco-arabica 5 2015 p 1-11 M Chase laquo Porphyre Commentaires agrave Platon et Aristote raquo dans R Gou-let (eacuted) Dictionnaire des philosophes antiques Paris CNRS V b 2012p 1369-1371 avec la bibliographie en ce sens p 1362-1365

30 laquo Sulla datazione del Commento al Parmenide di Bobbio Unrsquoanalisilessicale raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et lasua tradizione op cit p 307-322 (voir aussi lrsquointroduction de son eacutedition duCommentaire anonyme dans Corpus dei papiri filosofici greci e latini Testo elessico nei papiri di cultura greca e latina Parte III Commentari FirenzeOlschki 1995 p 78-91)

31 Voir Proclus In Tim I 7722-24 = Numeacutenius fr 3724-26 des Places32 Apocalypse de Zostrien (NHC VIII 1 6411-6612) Marius Victorinus

(Adversus Arium I 497-50)33 VP 16

gie imposerait alors de situer cette source avant Plotin Voici doncrevenue lrsquohypothegravese drsquoun commentaire meacutedio-platonicien au Parmeacute-nide les parallegraveles avec le Commentaire anonyme suggeacuterant alorscette fois plus assureacutement le nom de Numeacutenius comme sonauteur M Tardieu la formule prudemment34 P Hadot lrsquoeacuteloigne dis-cregravetement35 mais elle est vivement deacutefendue par G Bechtle et sespartisans qui faisant la synthegravese de ces deacutecouvertes en tirent alorsla conviction que Numeacutenius serait non seulement lrsquoauteur du Com-mentaire anonyme mais aussi la source de ce que M Tardieu nommelrsquo laquo exposeacute commun raquo36 et que nous nommerons aussi provisoirementde cette maniegravere37

Plus que lrsquoœuvre parvenue elle-mecircme crsquoest cette triple probleacutema-tique propre agrave lrsquohistoire de la philosophie et agrave sa recherche des sourcesqui impose lrsquoexamen de la relation de Numeacutenius au Parmeacutenide exa-men qursquoelle rend lui-mecircme triple en suggeacuterant de surcroicirct que chaqueeacutetape corrobore la preacuteceacutedente Notre enquecircte suivra ces trois eacutetapes elle tentera drsquoeacutevaluer si cet enchaicircnement argumentatif lieacute agrave lrsquoeacutetudeconjointe de ces trois seacuteries de textes nrsquoest pas forceacute tant il paraicirctessentiellement ducirc agrave la surenchegravere en preacutecision dans lrsquohypothegravese delrsquoexistence drsquoune interpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologique pythago-risante et preacute-plotinienne du Parmeacutenide

Dans la premiegravere partie de lrsquoeacutetude proposeacutee dans ce numeacutero noustenterons donc drsquoeacutevaluer la place de Numeacutenius au sein du laquo neacuteo-pytha-gorisme raquo censeacute avoir deacutejagrave produit une telle interpreacutetation Commenous serions plus que reacuteserveacutee sur la preacutesence de celle-ci chez Modeacute-

112 Fabienne JOURDAN

34 Dans M Tardieu et P Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApoca-lypse de Zostrien op cit p 112-113

35 Dans ibid p 11436 G Bechtle The Anonymous Commentary op cit p 248-249 n 683

laquo The Question of Being raquo art cit p 408-412 laquo A neglected Testimonium raquoart cit p 568 JD Turner semble le suivre dans les articles deacutejagrave signaleacutes K Corrigan eacutegalement en songeant plutocirct agrave Cronius

37 Le statut reacuteel de cet laquo exposeacute raquo sera examineacute dans la troisiegraveme partie decette eacutetude (Revue de philosophie ancienne 38-1)

ratus et ses preacutedeacutecesseurs38 nous ne ferons allusion agrave ce point qursquoenconclusion Nous nous concentrerons ici de la maniegravere la plus sobrepossible sur lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et examinerons srsquoil estpossible de lui precircter un commentaire ne serait-ce que partiel du Par-meacutenide

Dans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude qui sera publieacutee dans lenumeacutero suivant (37-2) nous analyserons les parallegraveles et les diver-gences entre lrsquoœuvre de Numeacutenius et le Commentaire anonyme au Par-meacutenide Il srsquoagira drsquoeacutevaluer la validiteacute de lrsquohypothegravese qui attribue cecommentaire agrave Numeacutenius mais aussi de reconsideacuterer leur relationmutuelle laquelle est riche drsquoenseignements pour la reacuteflexion surlrsquoeacutelaboration du neacuteoplatonisme

Dans la troisiegraveme partie de lrsquoeacutetude qui sera publieacutee dans le numeacutero38-1 nous examinerons lrsquo laquo exposeacute commun raquo au Zostrien et agrave MariusVictorinus sa relation au Commentaire anonyme et au Parmeacutenide lui-mecircme et les parallegraveles qursquoon y voit parfois avec lrsquoœuvre parvenue deNumeacutenius pour envisager quelle place celle-ci pourrait avoir dans lareconstitution de ses sources

Chaque partie peut ecirctre lue indeacutependamment selon les centresdrsquointeacuterecircts de chacun Lrsquoensemble visera agrave eacutevaluer srsquoil est vraimentneacutecessaire de bouleverser la conception la plus courante de lrsquohistoire

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 113

38 Sans rejeter absolument un recours au Parmeacutenide anteacuterieur agrave Plotinnous estimons non justifieacute de precircter agrave Modeacuteratus une interpreacutetation theacuteolo-gique et meacutetaphysique du Parmeacutenide sur la foi du teacutemoignage de Simplicius(In Phys 23034-2319) Nous suivons sur ce point les reacuteserves de A-J Festu-giegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 22 n 3 JM Ristlaquo The Neoplatonic One and Platorsquos Parmenides raquo Transactions and Procee-dings of the American Philological Association 93 1962 p 389-401 C Steel laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 19-20qui rappelle agrave juste titre le rocircle de Porphyre comme source de Simplicius JN Hubler laquo Moderatus ER Dodds and the Development of NeoplatonistEmanation raquo dans JD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and itsHeritage op cit vol I p 115-130 ainsi que les reacuteserves de Philippe Hoff-mann lors du seminaire de la Society of Biblical Literature en 2003 (laquo Rethin-king Platorsquos Parmenides and its Platonic Gnostic and Patristic Reception raquo)

du platonisme en donnant Numeacutenius comme preacutecurseur de Plotin danslrsquointerpreacutetation meacutetaphysique du Parmeacutenide Si tel nrsquoest pas le cas elleconfirmera a contrario les critegraveres drsquoune interpreacutetation reacuteellement neacuteo-platonicienne de la seconde partie du dialogue Disons en outre drsquoem-bleacutee qursquoeacutetant donneacute que nous ne pouvons raisonner qursquoagrave partir de cequi nous est parvenu aucune conclusion assertive nrsquoest en soi possiblesur lrsquoexistence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par NumeacuteniusCette eacutetude aura toutefois trois reacutesultats positifs envisager un rapportvolontairement distant de Numeacutenius au Parmeacutenide fondeacute sur le textede Platon lui-mecircme et dont aura tenu compte le neacuteoplatonisme deacutecou-vrir des parallegraveles entre le Commentaire anonyme et le Περὶ τἀγαθοῦplus nombreux qursquoil nrsquoest souvent signaleacute ndash ce qui offrira peut-ecirctre unindice permettant une position plus assureacutee dans le deacutebat sur lrsquoanteacuterio-riteacute de Numeacutenius ou des Oracles chaldaiumlques et enfin approfondirlrsquohypothegravese relative agrave lrsquoutilisation de Numeacutenius par les gnostiques etpar les neacuteoplatoniciens appropriation que lrsquoon peut suivre jusque dansles traductions et transpositions arabes de leurs œuvres

Preacuteliminaire Esquisse de la doctrine des principeschez Numeacutenius

Avant pareil exposeacute une bregraveve esquisse de la penseacutee meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius est neacutecessaire Nous nous en tiendronsaux grandes lignes transmises dans les fragments veacuteritables ceux citeacutespar Eusegravebe de Ceacutesareacutee et nous exposerons de maniegravere succincte lesreacutesultats de nos propres analyses sans livrer le deacutetail des deacutebats surlesquels elles ont eacuteteacute eacutelaboreacutees39 Les textes nous inteacuteressant se trou-vent dans le Περὶ τἀγαθοῦ dialogue ougrave Numeacutenius entreprend larecherche drsquoune deacutefinition du Bien qursquoil identifie au premier prin-cipe40 Il identifie ce premier principe drsquoune part agrave un premier dieu et

114 Fabienne JOURDAN

39 Voir la bibliographie et les commentaires de notre eacutedition en preacutepara-tion

40 Le titre qui est laquo originellement raquo celui de la leccedilon orale de Platon

intellect et drsquoautre part au Bien et Ecirctre lui-mecircme ou par excellence(selon les formules αὐτοάγαθον et αὐτοόν)41 que dans une perspec-tive exeacutegeacutetique il considegravere comme repreacutesenteacute par la forme du Bieneacutevoqueacutee dans la Reacutepublique42 De ce premier principe Numeacutenius dis-tingue un second dieu ou principe identifieacute cette fois au deacutemiurge duTimeacutee43 Ce dieu assure le rocircle deacutemiurgique dont le premier est ainsidispenseacute et il est conccedilu comme lrsquoimage de celui-ci il est le Bon parti-cipant au Bien le second intellect qui produit sa propre forme encontemplant le premier faccedilonnant ou deacuteterminant pour cela lrsquoecirctre oulrsquoessence (οὐσία) que le premier lui procure par le simple fait drsquoecirctre(soi et le Bien)44 Telle est du moins la maniegravere dont nous lisonsconjointement les fragments 11 et 16 (19 et 25 F)45 Autrement dit tan-dis que le premier dieu est le principe de lrsquoecirctre le second est le prin-cipe du devenir46 Numeacutenius donne plus preacuteciseacutement deux laquo aspects raquo

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indique agrave lui seul que le texte srsquoadonne agrave une recherche et deacutefinition des prin-cipes Aristote et Xeacutenocrate le donnent ensuite chacun agrave lrsquoune de leurs œuvresSur lrsquoimportance de ce titre voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius Sur leBien de Platon Lrsquoenseignement oral du maicirctre comme occasion de rechercherson pythagorisme dans ses eacutecrits raquo Χώρα 15-16 2017-2018 p 139-165

41 Voir par ex fr 16 et 17 (24 et 25 F) ndash Tout au long de cette eacutetude lesfragments sont citeacutes selon la numeacuterotation de lrsquoeacutedition drsquoEacutedouard des Places(Numeacutenius Fragments Paris Les Belles Lettres 1973) nous indiquons entreparenthegraveses les numeacuteros qui correspondent dans notre eacutedition en preacuteparation

42 Voir surtout les fr 19 et 20 (27 et 28 F)43 Voir notamment les fr 11 12 et 18 (19 20 et 26 F) En reacutealiteacute le

deacutemiurge du Timeacutee partage ses attributs entre le premier dieu numeacutenien(auquel il laisse sa fonction de source divine des acircmes cf fr 13 21 F) et lesecond qui est aussi troisiegraveme et reacutealise les opeacuterations proprements deacutemiur-giques assumant par lagrave en partie le rocircle des dieux secondaires du Timeacutee

44 Fr 16 (24 F)45 Voir aussi lrsquoanalyse du fr 16 (24 F) par G Muumlller laquo Ἰδέα y οὐσία en

Numenio de Apamea Una reinterpretacioacuten de la ontologiacutea platoacutenica raquo Cua-dernos de Filosofiacutea 59 2012 p 121-140 Nous prenons position agrave son sujetdans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude Revue de philosophie ancienne 37-2

46 Ibid

agrave ce second dieu selon lrsquoorientation de son attention deux laquo aspects raquoqui conduisent agrave parler agrave son sujet de deux laquo dieux raquo qui toutefois nrsquoenconstituent reacutealiteacute qursquoun seul lorsqursquoil est tourneacute vers soi crsquoest-agrave-direvers lrsquointelligible qursquoil est lui-mecircme par contemplation du Bien lesecond dieu est entiegraverement agrave soi et donc reacuteellement soi second dieu lorsqursquoil est tourneacute vers la matiegravere qursquoil met en ordre il est deacutemiurgeau sens litteacuteral du terme et devient laquo troisiegraveme dieu raquo47 Cette divisionnrsquoimplique pas une reacuteelle scission et ne srsquoavegravere autre qursquoune diffeacuterencedrsquoorientation agrave lrsquoorigine drsquoune uniteacute diviseacutee image imparfaite delrsquouniteacute indivisible et parfaite qursquoest le premier dieu

Cette bregraveve preacutesentation doit suffire agrave comprendre le cadre de lapenseacutee numeacutenienne48 Signalons simplement encore trois points essen-tiels pour la confrontation avec le Parmeacutenide et ses interpreacutetations

1) Lrsquoeacuteleacutement fondamental du Περὶ τἀγαθοῦ est lrsquoidentificationdu Bien lui-mecircme (ἀυτοάγαθον) premier principe agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme (αὐτοόν)49 Elle srsquoaccompagne de lrsquoaffirmation qursquoil existeune laquo con-naturaliteacute raquo du Bien agrave lrsquoeacutegard de lrsquoessence50 (σύμφυτον τῇ

116 Fabienne JOURDAN

47 Fr 11 (19 F)48 La preacutesentation ici donneacutee deacutepend de propre analyse des textes Pour

drsquoautres interpreacutetations voir aussi par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit J Opsomer laquo Demiurges in Early Imperial Platonism raquo dans R Hirsch-Luipold(eacuted) Gott und die Goumltter bei Plutarch BerlinNew York de Gruyter 2005p 63-72 M Baltes dans H Doumlrrie M Baltes Ch Pietsch Die PhilosophischeLehre des Platonismus Band 71 Theologia Platonica Stuttgart Bad Canns-tatt Frommann-Holzboog 2008 p 472-482 Les vues de CS OrsquoBrien TheDemiurge in Ancient thought Secondary Gods and Divine mediators Cam-bridge Cambridge University Press 2015 p 139-168 sont agrave consideacuterer avecla plus grande preacutecaution

49 Fr 17 (25 F) cf fr 2 (11 F)50 Nous traduirons ici οὐσία par laquo essence raquo consciente des faiblesses de

cette traduction qui dans le contexte platonicien examineacute nrsquoimplique naturel-lement pas de distinction par rapport agrave la notion drsquoexistence Dans ce contextelaquo essence raquo est agrave prendre au sens de reacutealiteacute intelligible (sur cette deacutefinition voirpar ex R Chiaradonna laquo Substance raquo dans P Remes S Slaveva-Griffin(eacuted) The Routledge Handbook of Neoplatonismi LondonNew York Rout-

οὐσίᾳ51) le Bien partage la mecircme nature que cette οὐσία (forme sub-stantive de lrsquoecirctre) qui provient ainsi de lui Numeacutenius exprime deacutejagrave cetteideacutee au fragment 2 (10 F) par lrsquoimage du Bien laquo monteacute sur lrsquoessence raquo(comme on dirait laquo sur un cheval raquo52) Par lrsquoutilisation de la preacutepositionet du preacuteverbe ἐπί- de preacutefeacuterence agrave ὑπό- (preacutesent dans la formule de Pla-ton) la formule ἐποχούμενον ἐπὶ τῇ οὐσίᾳ indique une laquo transcen-dance raquo53 avec contact qui donne sans deacutetour lrsquointerpreacutetation que Numeacute-nius fait de la formule eacutenigmatique de Reacutepublique VI 509 b 8-10 srsquoilest une laquo transcendance raquo du premier principe elle est drsquoordre cosmolo-gique et non laquo ontologique raquo au sens ougrave ce principe constitue la formeeacuteminente de lrsquoecirctre mais ne srsquoen distingue pas par son essence

2) Ce premier principe est certes immobile en tant qursquoecirctre54exempt de toute activiteacute sous-entendu deacutemiurgique55 mais Numeacuteniuseacutevoque un laquo mouvement qui accompagne naturellement son repos raquo(τῷ πρώτῳ στάσιν [] κίνησιν σύμφυτον56) Ce mouvementindique vraisemblablement que le premier principe pense57 et la for-mule preacutepare son identification agrave un intellect Concernant ce premierdieu toutefois le type de penseacutee qui le caracteacuterise est visiblementconccedilu comme nrsquoimpliquant pas drsquoactiviteacute proprement dite au sens du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 117

ledge 2014 p 216) La deacutetermination nrsquointervient ici qursquoavec le second dieu οὐσία est le terme qui sert agrave exprimer litteacuteralement lrsquoecirctre (ὄν) de maniegravere sub-stantive un ecirctre que le premier dieu Ecirctre par excellence fait advenir sans acteproducteur simplement en eacutetant ce qursquoil est et donc sans que cette οὐσία quivient de lui soit ontologiquement distincte de lui

51 Fr 16 (24 F)52 Lrsquoimage apparaicirct litteacuteralement dans les Oracles chaldaiumlques fr 1466

des Places53 On pourrait alors aiseacutement renoncer au mot laquo transcendance raquo et preacutefeacute-

rer la notion de primauteacute hieacuterarchique par exemple54 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)55 Fr 11-12 (19-20 F)56 Fr 15 (23 F)57 Le passage est agrave interpreacuteter en lien avec le Sophiste 248 e-249 a (voir

notre commentaire au passage dans lrsquoeacutedition en preacuteparation)

moins ougrave cette penseacutee est sans objet et nrsquoest pas mecircme penseacutee de soi aufragment 19 (27 F) Numeacutenius parle drsquoun φρονεῖν qui est lrsquoapanage dupremier dieu sous-entendu agrave la diffeacuterence notamment du νοεῖν saisieintuitive de lrsquointelligible caracteacuteristique du second dieu58 et plus encoredu διανοεῖσθαι activiteacute de penseacutee discursive agrave lrsquoorigine de la deacutemiur-gie Ce φρονεῖν peut selon nous ecirctre compris comme une penseacuteelaquo intransitive raquo (crsquoest-agrave-dire sans objet) pure dispensation du Bien parlrsquoecirctre du Bien59 En cela elle nrsquoimplique reacuteellement aucune activiteacute

Crsquoest alors en ce sens assureacutement que le premier dieu est ditlaquo entourer les intelligibles raquo ou plus exactement et litteacuteralement ecirctrelaquo autour des intelligibles raquo au fragment 15 (23 F περὶ τὰ νοητά) lrsquoexpression nrsquoimplique ni qursquoil les contienne ni qursquoil les produisecomme son objet de penseacutee ni mecircme qursquoil les pense60 Si elle visepeut-ecirctre agrave rendre compte drsquoune identification ultime du premier prin-

118 Fabienne JOURDAN

58 Agrave la limite le premier dieu ne peut lrsquoexercer que par lrsquointermeacutediaire dusecond voir le teacutemoignage de Proclus In Tim III 10328-32 Diehl = fr 22(contre cette interpreacutetation traditionnelle voir G Muumlller laquo Queacute es ldquolo que esvivienterdquo (ὁ εστι ζῶον) seguacuten Numenio de Apamea raquo Cuadernos Filosofiacutea64 2015 p 11-12 dont lrsquohypothegravese bien que seacuteduisante ne tient pas agrave lrsquoexa-men de la syntaxe du passage lrsquoinfinitif νοεῖν ne peut avoir que τὸν πρῶτονcomme laquo sujet raquo et non un δεύτερoν implicitement tireacute du geacutenitif δευτέρου)

59 Nous reacutesumons Voir aussi lrsquoeacutetude de la φρόνησις chez Platon parM Dixsaut laquo De quoi les philosophes sont-ils amoureux Sur la phronegravesisdans les dialogues de Platon raquo repris dans M Dixsaut Platon et la question dela penseacutee Eacutetudes platoniciennes I Paris Vrin 2000 p 93-119 ndash Le lien eacutety-mologique originel entre φρονεῖν et φρήν (le diaphragme) suggegravere une autreimage ce φρονεῖν est comme une laquo respiration drsquoecirctre raquo qui est le Bien et drsquoougraveeacutemane le bien

60 Cette interpreacutetation qui tient entre autres compte de la simpliciteacute abso-lue du premier dieu (fr 11 = 19 F) nrsquoest pas contradictoire avec celle de Timeacutee39 e 7-9 par laquelle Numeacutenius aurait associeacute son premier dieu au Vivant (InTim III 103 28-32 Diehl = fr 22) Certes dans le Timeacutee le Vivant a en lui lesformes (ἐνούσας ἰδέας τῷ ὃ ἔστι ζῷον 39 e 8) Mais sans pouvoir deacutevelop-per ici notre analyse disons simplement que Numeacutenius a pu lire le texte autre-ment et inspirer la distinction drsquoAmeacutelius entre un laquo intellect qui est (leVivant) raquo et un laquo intellect qui a (les formes en lui) raquo notamment en deacutecompo-

cipe au Vivant du Timeacutee61 dans le contexte du Περὶ τἀγαθοῦ ellerenvoie selon nous agrave un pur eacutetat de lrsquoecirctre agrave vertu bienfaitrice ou salvi-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 119

sant ἐνούσας de maniegravere cratylienne pour y lire ἐν-νους-ας qui eacutevoquerait lesformes laquo qui sont dans le νοῦς raquo le second dieu et intellect que Numeacutenius voitdeacutesigneacute dans le νοῦς du texte platonicien Le datif τῷ ὃ ἔστι ζῷον nrsquoauraitplus alors deacutesigneacute chez lui le lieu ougrave se trouvent les formes mais le destina-taire de la contemplation celui laquo pour qui ou agrave lrsquointention de qui en faveur dequi raquo le νοῦς qui a les formes en lui les contemplerait (autrement dit exerceraitle νοεῖν) Lrsquoaffirmation que crsquoest gracircce au second dieu et intellect (ἐνπροσχρήσει τοῦ δευτέρου) que le premier exercerait un νοεῖν pourrait ainsiconstituer lrsquoexplicitation de cette lecture eacutetonnante du texte platonicien Ainsile premier dieu nrsquoexercerait jamais le νοεῖν il nrsquointelligerait que gracircce ausecond qui le ferait pour lui Cette preacutecision pourrait servir agrave reacutepondre agravelrsquoeacuteventuelle objection drsquoun aristoteacutelisant qui deacutenoncerait une identification dupremier dieu agrave un νοῦς srsquoaccompagnant drsquoun refus de precircter agrave celui-ci lrsquoacti-viteacute du νοεῖν Numeacutenius reacutepondrait ainsi il ne lrsquoexerce pas lui-mecircme maispar lrsquointermeacutediaire du second qui le fait pour lui tandis qursquoil srsquoadonne au seulφρονεῖν Voir aussi notre interpreacutetation des fr 16 et 18 (24 et 26 F) ndash Pourune autre interpreacutetation de ce passage voir par ex M Frede laquo Numenius raquoart cit p 1062-1063 1065-1066 et 1069-1070 JP Kenney laquo ProschresisRevisited An Essay in Numenian Theology raquo dans JR Daly (eacuted) Orige-niana quinta Historica Text and method Biblica Philosophica Theologia Origenism and later developments Leuven Peeters p 217-230 RD PettyThe Fragments of Numenius Santa Barbara 1993 p 135-137 (republieacute agraveWestbury Prometheus Trust 2012) M Baltes dans H Doumlrrie M BaltesCh Pietsch Die Philosophische Lehre des Platonismus Band 71 op citp 477-478 A Michalewski laquo Le Premier de Numeacutenius et lrsquoUn de Plotin raquoArchives de philosophie 75 2012 p 35-37 et La Puissance de lrsquointelligibleLa Theacuteorie plotinienne des Formes au miroir de lrsquoheacuteritage meacutedioplatonicienLeuven Leuven University Press p 94-96

61 Voir Platon Timeacutee 30 c 7-8 (avec le participe περιλαβόν) et 31 a 3 (τograveπεριέχον πάντα ὁπόσα νοητὰ ζῷα) avec deux participes preacutefixeacutes en περί- agravepropos du Vivant qui a tous les intelligibles en lui et auquel Numeacutenius peutvouloir renvoyer avec sa formule περὶ τὰ νοητά La reacutefeacuterence implicite aupassage de la Lettre II 312 e 1-4 savamment reacuteeacutecrit indique toutefois queNumeacutenius donne un tout autre sens agrave ce περί Voir aussi le teacutemoignage de Pro-clus citeacute dans les notes preacuteceacutedentes

fique selon lrsquoideacutee de salut suggeacutereacutee agrave la fin de ce mecircme fragment Endrsquoautres termes le premier dieu serait περὶ τὰ νοητά au sens ougrave ilentoure les intelligibles de sa bienveillance leur transmettant agrave la foislrsquoecirctre et le Bien qursquoil est avant que le deacutemiurge ne les y fasse participeragrave son tour par sa bonteacute agrave lrsquoorigine de leur ecirctre deacutetermineacute62 et nrsquoy fasseparticiper aussi les sensibles en les eacutelevant agrave son propre caractegravere mar-queacute par cette mecircme bonteacute63 Le premier dieu le Bien est le modegravele dusecond le Bon et non pas des formes srsquoil doit ecirctre identifieacute au Vivantcrsquoest en tant que source ultime de la vie64 modegravele de ce second dieuqui transmet alors la vie au monde sensible (fr 1220F) et non en tantque paradigme totalisant et contenant les formes des quatre typesdrsquoecirctre vivants nommeacutes en Timeacutee 39 e 10-41 a 2

En cela le premier de Numeacutenius loin drsquoecirctre une entiteacute sans rapportau monde en est non seulement le principe mais il est pour lui lasource reacuteelle du Bien reacuteel ndash autrement dit il joue le rocircle de la Provi-dence qui est alors concregravetement exerceacutee par le second principe leBon Tout en eacutetant conccedilu comme premier intellect il nrsquoest donc pas lepremier moteur immobile aristoteacutelicien qui se pense lui-mecircme65 etauquel fut justement reprocheacute son deacutefaut de Providence66

120 Fabienne JOURDAN

62 Selon notre lecture de la formule ἰδέα ἑαυτοῦ du fragment 16 (24 F)comme renvoyant au monde intelligible comme ensemble de formes deacutetermi-neacutees

63 Voir le fr 11 (19 F) sur cette eacuteleacutevation du sensible vers le caractegravere dudeacutemiurge lequel est le laquo Bon raquo en reacutefeacuterence au Timeacutee Numeacutenius distingue leBien premier principe du Bon second principe en utilisant lrsquoadjectif substan-tiveacute au neutre pour deacutesigner le premier et lrsquoadjectif au masculin pour le second

64 Tel est selon nous le sens de lrsquoexpression ὁ μέν γε ὢν σπέρμα πάσηςψυχῆς au fr 13 (21 F) qui en fait la semence de toute acircme voir par ex F Jour-dan laquo Eusegravebe de Ceacutesareacutee et les extraits de Numeacutenius dans la Preacuteparationeacutevangeacutelique raquo dans S Morlet (eacuted) Lire en extraits Pratiques de lecture et deproduction des textes de lrsquoAntiquiteacute au Moyen Acircge Paris PUPS 2015 p 143-147

65 Contra par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit p 107066 Sur ce sujet notamment chez Plutarque dont Numeacutenius aurait pu ici par-

tager la critique voir par ex F Ferrari laquo Provvidenza platonica o autocontem

3) On notera ici enfin que selon toute vraisemblance Numeacuteniusnrsquoidentifie pas son premier principe agrave lrsquoUn67 Ce principe est certesunique (μόνος) simple (ἁπλοῦς) et indivisible (μὴ διαίρετος) encela distinct de lrsquouniteacute divisible que constitue le second dieu68 MaisNumeacutenius ne lrsquoidentifie pas agrave lrsquoUn et en tout cas pas agrave lrsquoUn du Parmeacute-nide69 Notre conviction srsquoappuie sur lrsquoanalyse du fragment 19 (27 F)Agrave la fin du passage on lit lrsquoexpression τὸ ἀγαθὸν ὅτι ἐστὶν ἕνNumeacutenius la donne comme une conclusion de Platon dont le sens pro-fond ne peut ecirctre perccedilu que par les laquo regards aiguiseacutes raquo autrement ditpar ceux qui comprennent le propos de Numeacutenius Elle provient assu-reacutement de la tradition orale on la retrouve dans le compte-rendu de laLeccedilon sur le Bien par Aristoxegravene70 Comme lrsquoarticle deacutefini peut ecirctreomis devant lrsquoattribut on peut certes heacutesiter sur sa traduction laquo leBien est lrsquoUn raquo ou laquo le Bien est un raquo Dans le contexte matheacutematiqueougrave elle est preacutesenteacutee chez Aristoxegravene la premiegravere traduction est sansdoute la bonne Mais ce nrsquoest pas neacutecessairement le sens originel (siPlaton srsquoest reacuteellement exprimeacute ainsi) et assureacutement pas celui que veut

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 121

plazione aristotelica la scelta di Plutarco raquo dans L Van der Stockt F Titche-ner HG Ingenkamp A Peacuterez Jimeacutenez (eacuted) Gods Daimones Rituals Mythsand History of Religions in Plutarchrsquos Works Maacutelaga International PlutarchSociety 2010 p 177-190 et laquo La teologia di aristotele nel medioplatonismo raquodans Y Lehman (eacuted) Aristoteles Romanus La Reacuteception de la science aristo-teacutelicienne dans lrsquoEmpire greacuteco-romain Turnhout Brepols 2012 p 299-312 voir aussi chez Atticus A Michalewski laquo Faut-il preacutefeacuterer Eacutepicure agrave Aris-tote raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted) Reacuteceptions de la theacuteolo-gie aristoteacutelicienne DrsquoAristote agrave Michel drsquoEphegravese Leuven Peeters 2017p 123-142

67 Contra notamment ici G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 84

68 Fr 11 19 F69 Contra A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV

op cit p 124 M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 22570 Aristoxegravene Eacuteleacutements drsquoharmonique 22016313 Macran 398-404 da

Rios texte ndeg 1 p 248 Richard

lire Numeacutenius Dans le contexte du fragment la formule perd touteambiguiumlteacute parce que lrsquointerpreacutetation en est donneacutee au preacutealable Numeacute-nius a insisteacute sur lrsquouniciteacute du Bien dont la bonteacute a eacuteteacute identifieacutee agrave lrsquoactespeacutecifique du φρονεῖν Si Platon a dit τἀγαθὸν ἐστὶν ἕν ndash formule dontNumeacutenius srsquoestime devoir rendre compte puisqursquoil eacutecrit justement luiaussi Sur le Bien ndash crsquoest donc selon lui parce qursquoil nrsquoy a qursquoun seul etunique Bien le Bien lui-mecircme (αὐτοάγαθον) Par suite la seulemaniegravere de rencontrer le bien de maniegravere geacuteneacuterale consiste agrave prendrepart agrave lrsquoactiviteacute de penser qui caracteacuterise le Bien lui-mecircme une penseacuteesource de bonteacute que chacun pourra exercer agrave son niveau (lrsquoideacutee que leφρονεῖν lui est reacuteserveacute suggegravere qursquoil srsquoagit dans son cas drsquoun φρονεῖνagrave lrsquoeacutetat pur) Ce disant Numeacutenius a sans doute une viseacutee poleacutemique agravelrsquoeacutegard notamment drsquoune interpreacutetation pythagorisante de Platon vrai-semblablement issue de lrsquoAncienne Acadeacutemie et peut-ecirctre aussi delrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne de lrsquoenseignement oral71 Lui seul sesera estimeacute comprendre le veacuteritable pythagorisme du maicirctre Quoiqursquoil en soit sur ce point le passage est selon nous la preuve drsquoun refusdrsquoidentifier le Bien agrave lrsquoUn Si Platon a dit que le Bien est un ou mecircmelrsquoUn quelle que soit lrsquointerpreacutetation litteacuterale et donc la traduction rete-nue il nrsquoaurait selon Numeacutenius en reacutealiteacute rien voulu exprimer drsquoautreque lrsquouniciteacute du Bien ainsi que sa seacuteparation drsquoavec le sensible conccediluecomme distinction essentielle drsquoavec les biens de ce monde Numeacuteniusinvite agrave comprendre ἕν comme le synonyme de μόνος que seul ilemploie agrave reacutepeacutetition agrave propos de son premier principe72 et qui a cedouble sens drsquoexprimer lrsquouniciteacute et lrsquoisolement ou la seacuteparationcomme le suggegravere deacutejagrave son emploi reacutecurrent au fragment 2 (11 F)Telle est lrsquointerpreacutetation correcte du Platon non-eacutecrit qursquoil precircte aux

122 Fabienne JOURDAN

71 Voir par ex Meacutet A 6 988 a 10-17 ougrave lrsquoUn est preacutesenteacute comme la causedu Bien et N 4 1091 b 1-20 sur lrsquoidentification du Bien agrave lrsquoUn dans uncontexte de critique des Platoniciens

72 Εἷς nrsquointervient qursquoagrave propos du second dieu conccedilu comme uniteacute divi-sible qui se distingue en cela de lrsquoUn et mecircme de lrsquouniciteacute du fait de sa dualiteacuteneacutecessaire (mais non essentielle)

seuls regards suffisamment aiguiseacutes pour savoir lire Platon lagrave ougravedrsquoautres lrsquoauront mal entendu73

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 123

73 Voir lrsquoanalyse deacutetailleacutee du passage dans F Jourdan laquo Sur le Bien deNumeacutenius raquo art cit ici contra G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 82 et 84 ndash Les deux teacutemoignages suggeacuterant une eacutevocation de lrsquoUnpar Numeacutenius ne paraissent pas infirmer cette lecture Le premier issu deMacrobe (fr 54 = Saturnales I 17 65 = P 99 12-16 Willis) fait eacutetat drsquoune eacutety-mologie de lrsquoeacutepithegravete laquo delphien raquo attribueacutee agrave Apollon ougrave Numeacutenius auraitvraisemblablement voulu retrouver lrsquoeacutetymologie courante du nom propre dudieu comme renvoyant au laquo non-multiple raquo ἀ-πολλά (voir par ex PlutarqueDe E 388 F et De Iside 354 F et 381 F avec J Whittaker laquo Ammonius on theDelphic E raquo Classical Quarterly 63 NS 19 1969 p 187-188 E SyskaStudien zur Theologie des Macrobius Stuttgart Teubner 1993 p 116 n 74)Macrobe rapporte en effet que Numeacutenius aurait fait de δέλφος un adjectifsignifiant unum (dans le latin de Macrobe) par opposition au substantifἀδελφός signifant laquo fregravere raquo et alors conccedilu comme pourvu drsquoun ἀ- privatif(sur cette eacutetymologie voir J Whittaker ibid p 187 n 9 Eacute des PlacesNumeacutenius Fragments op cit p 100 n 1 E Syska Studien zur Theologiedes Macrobius op cit p 193-194 qui estime qursquoelle nrsquoa aucune autre valeurque litteacuteraire) Outre qursquoil concerne un dieu dont nous ne savons pas si Numeacute-nius aurait reacuteellement souhaiteacute lrsquoidentification agrave son premier principe (il sug-gegravere en revanche son association agrave Zeus au fr 2 [11 F] lequel est ensuite asso-cieacute au second dieu au fr 12 [20 F]) le teacutemoignage nrsquoindique pas le sens exacten lequel Numeacutenius aurait aimeacute qursquoon entende cette laquo absence de fregravere raquoDrsquoune part juste avant Macrobe emploie lrsquoexpression singulum et unum quipeut traduire ἕν καὶ μόνον et dont comme dans le grec la redondance avaleur emphatique On ne sait donc pas lequel des deux adjectifs Numeacutenius aexactement employeacute et rien nrsquointerdit de penser que la reprise par unus soit unchoix du neacuteoplatonicien Macrobe Drsquoautre part unus renvoie agrave εἷς et non agrave ἕνEnfin et surtout laquo ne pas avoir de fregravere raquo si tel est le sens que Numeacutenius precirctedans ce contexte agrave δέλφος signifie laquo ecirctre fils unique raquo et reconduit au sens deμόνος Crsquoest pourquoi selon nous ce teacutemoignage nrsquoest pas un indice fiabledrsquoune identification numeacutenienne du premier principe agrave lrsquoUn (contra M Bur-nyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit p 152 n 34) Le second teacutemoignageest quant agrave lui constitueacute par la reacutefeacuterence agrave une singularitas identifieacutee agrave un pre-mier dieu-deacutemiurge dans le compte-rendu numeacutenien de la cosmogonie pytha-goricienne rapporteacutee par Calcidius (fr 52) Or ce premier dieu dans son oppo-sition mecircme agrave la dyade correspond davantage au second dieu du Περὶ

Voilagrave notre lecture du Περὶ τἀγαθοῦ le seul texte meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius dont soient transmis des fragments litteacute-raux Crsquoest agrave partir drsquoelle que nous proposons drsquoexaminer les rapportsentre lrsquoenseignement de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon lui-mecircme le Commentaire anonyme au Parmeacutenide et enfin la source com-mune au Zostrien et agrave Marius Victorinus Agrave chacun de ces troismoments nous tenterons drsquoeacutevaluer srsquoil fournit les indices de lrsquoexis-tence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par Numeacutenius

Premiegravere partie

Lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon le premier principe de Numeacutenius (le Bien) nrsquoest ni lrsquoUn ni

lrsquoUn-qui-est du ParmeacutenideLa premiegravere eacutetape que nous reacutealiserons dans cette premiegravere partie

consiste agrave confronter le Περὶ τἀγαθοῦ au Parmeacutenide lui-mecircme afinde voir srsquoil y renvoie directement ou non Si nous suivions lrsquohypothegravesede J Whittaker74 toutefois nous abandonnerions immeacutediatement lrsquoen-treprise selon lui crsquoest agrave partir du moment ougrave un philosophe inter-pregravete le Bien de Reacutepublique VI 509 b 6-10 comme un principe trans-cendant reacuteellement lrsquoecirctre et comme identifiable agrave lrsquoUn que se profileune interpreacutetation du Parmeacutenide et plus preacuteciseacutement de la premiegraverehypothegravese Or nous venons de montrer que loin de transcender lrsquoecirctrele Bien de Numeacutenius est lrsquoEcirctre lui-mecircme et que son association agrave lrsquoUnsert avant tout un propos exeacutegeacutetique ou srsquoavegravere du moins fort probleacute-matique ndash telle qursquoelle est formuleacutee du moins elle nrsquoimplique aucune

124 Fabienne JOURDAN

τἀγαθοῦ sans compter que lrsquoappellation latine de singularitas traduit plutocirctle grec μόνας que ἕν Le compte-rendu ne peut donc ecirctre compris commerefleacutetant la doctrine propre de Numeacutenius telle du moins qursquoelle est exprimeacuteedans le Περὶ τἀγαθοῦ (voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius raquo art cit)Il nrsquoy a donc aucun texte fiable permettant de precircter agrave Numeacutenius lrsquoidentifica-tion du Bien agrave lrsquoUn et encore moins agrave lrsquoUn du Parmeacutenide

74 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit

allusion au Parmeacutenide75 Si lrsquoon veut malgreacute tout supposer que Numeacute-nius nrsquoen a pas moins utiliseacute le Parmeacutenide et que son œuvre trahit alorsnon seulement la connaissance du dialogue mais un commentaire per-sonnel de celui-ci ne serait-ce que partiel il faut recourir agrave un autrepoint de doctrine que cette identification du premier principe agrave uneentiteacute transcendant lrsquoecirctre et identifieacutee agrave lrsquoUn et justement interroger ladeacutefinition de ce premier principe comme ecirctre Autrement dit il srsquoagitessentiellement de voir si Numeacutenius identifie le Bien ne serait-ce quepartiellement agrave lrsquolaquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

Pour parvenir agrave un reacutesultat probant deux eacutetapes sont neacutecessaires agravecet examen

1) un rappel des quelques points qui dans la deacutefinition de lrsquoecirctre etdu premier principe selon Numeacutenius ont parfois suggeacutereacute des rappro-chements avec le Parmeacutenide

2) une confrontation de la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ avec laseconde partie du dialogue de Platon pour voir si une convergence depenseacutee plus geacuteneacuterale pourrait malgreacute tout suggeacuterer une appropriationde ce texte par Numeacutenius ou si une incompatibiliteacute fondamentaleinvite agrave en douter

Dans lrsquoun et lrsquoautre cas si les reacutesultats sont neacutegatifs cela ne per-mettra pas de conclure que Numeacutenius a ignoreacute le texte ni non plus dese prononcer de maniegravere cateacutegorique sur lrsquoœuvre non parvenue Nousmontrerons drsquoailleurs dans un troisiegraveme temps que Numeacutenius tente dereacutesoudre les apories relatives aux formes poseacutees dans la premiegravere par-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 125

75 On peut faire semblable remarque agrave propos de lrsquoexposeacute des principespythagoriciens par Eudore rapporteacute par Simplicius (In Phys 18110 sq Diels)Mecircme srsquoil eacutevoque diffeacuterents Un la conception deacuteveloppeacutee deacutepend avant toutdes reacuteflexions de lrsquoAncienne Acadeacutemie sur lrsquoUn et la Dyade et est en cela tregravesproche du compte-rendu drsquoAristote sur les principes de Platon en Meacutet A 6 987b 18 sq (sur ce point voir J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquoart cit p 98 qui rapporte les propos de W Theiler agrave la note 11) Il ne sembledonc pas neacutecessaire de supposer un commentaire sous-jacent aux deux pre-miegraveres hypothegraveses du Parmeacutenide mecircme srsquoil nrsquoest eacutevidemment pas exclu que ledialogue ait eacuteteacute invoqueacute pour sa nomination de lrsquoUn La remarque vaut eacutegale-ment pour Speusippe et de maniegravere geacuteneacuterale pour les neacuteo-pythagoriciens

tie du dialogue et nous verrons qursquoagrave lrsquoeacutegard de la premiegravere hypothegraveseil a peut-ecirctre choisi une attitude suggeacutereacutee par Platon lui-mecircme Poureacutelargir cette recherche nous interrogerons enfin sa relation agrave la penseacuteede Parmeacutenide lui-mecircme

1 La deacutefinition du premier principe comme ecirctre dansle Περὶ τἀγαθοῦ des parallegraveles avec le Parmeacutenide

Une fois que lrsquoon a renonceacute agrave precircter agrave Numeacutenius une interpreacutetationdu Parmeacutenide en raison drsquoune identification supposeacutee de son premierprincipe agrave lrsquoUn il reste possible drsquoexaminer les parallegraveles entre la deacutefi-nition de son premier principe identifieacute agrave lrsquoecirctre ou plus geacuteneacuteralemententre sa deacutefinition de lrsquoecirctre et les formulations du dialogue platoniciendans les deux premiegraveres hypothegraveses Les partisans drsquoune interpreacutetationnumeacutenienne du Parmeacutenide dont notamment A-J Festugiegravere76 etD OrsquoMeara77 citent essentiellement78 deux textes agrave cette fin les frag-

126 Fabienne JOURDAN

76 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 12577 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 Voir aussi par ex

M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 225-227 qui srsquoap-puie toutefois sur ce qursquoil considegravere une identification du Bien agrave lrsquoUn et sur unpassage de Cleacutement drsquoAlexandrie qui semble deacutependre de la premiegravere hypo-thegravese (Strom V 12 82 1-2) Les eacuteleacutements de theacuteologie neacutegative eacutevoqueacutes lagravesrsquoaccompagnant drsquoune possibiliteacute de nomination rappellent toutefois moinsNumeacutenius qursquoAlcinoos Did X p 16433-34 H

78 Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoargumentation de R Romano (laquo La proba-bile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica e neopitagorica) delParmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide diPlatone et la sua tradizione op cit p 234) qui estime que Numeacutenius aufragment 217-34 (11 F) emprunte au Parmeacutenide les expressions delaquo meacutethode non aiseacutee mais divine raquo laquo ardeur juveacutenile raquo et laquo exercice matheacute-matique raquo Lrsquoappui textuel est trop tenu pour qursquoelle soit persuasive Quant agraveG Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 82-84) il eacutevoque luiaussi le fragment 5 (14 F) mais seulement en note agrave la page 82 et son argu-mentation ne srsquoappuie pas davantage sur la lettre du texte Crsquoest pourquoielle ne peut ecirctre expliciteacutee ici Nous ne commenterons enfin pas les hypo-

ments 5 et 6 (14-15 F) ougrave apparaicirct formuleacutee en termes neacutegatifs unedeacutefinition de lrsquoecirctre que le fragment 2 (11 F) a dit identifiable au BienCes deux fragments proviennent du livre II du Περὶ τἀγαθοῦ quientreprend de deacutefinir lrsquoecirctre preacuteliminaire indispensable agrave la deacutefinitiondu Bien Examinons-en quelques extraits Au fragment 5 nous lisonsceci

Φέρε οὖν ὅση δύναμις ἐγγύτατα πρὸς τὸ ὂν ἀναγώμεθα καὶλέγωμενmiddot τὸ ὂν οὔτε ποτὲ ἦν οὔτε ποτὲ μὴ γένηται ἀλλrsquo ἔστιν ἀεὶἐν χρόνῳ ὡρισμένῳ τῷ ἐνεστῶτι μόνῳ [] τὸ ἄρα ὂν ἀΐδιόν τεβέβαιόν τε ἐστὶν ἀεὶ κατὰ ταὐτὸν καὶ ταὐτόν οὐδὲ γέγονε μένἐφθάρη δὲ οὐδrsquo ἐμεγεθύνατο μέν ἐμειώθη δὲ οὐδὲ μὴltνgtἐγένετό πω πλεῖον ἢ ἔλασσον καὶ μὲν δὴ τά τε ἄλλα καὶ οὐδὲτοπικῶς κινηθήσεταιmiddot οὐδὲ γὰρ θέμις αὐτῷ κινηθῆναι οὐδὲ μὲνὀπίσω οὐδὲ πρόσω οὔτε ἄνω ποτὲ οὔτε κάτω οὐδrsquo εἰς δεξιὰοὐδrsquo εἰς ἀριστερὰ μεταθεύσεταί ποτε τὸ ὂν οὔτε περὶ τὸ μέσονποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται ἀλλὰ μᾶλλον καὶ ἑστήξεται καὶἀραρός τε καὶ ἑστηκὸς ἔσται κατὰ ταὐτὰ ἔχον ἀεὶ καὶ ὡσαύτως(extraits du fragment 5 14 F = Eus PE XI 10 4-5)

Eh bien donc eacutelevons-nous vers lrsquoecirctre le plus pregraves qursquoil nous est pos-sible et disons ceci lrsquoecirctre jamais ne fut ni jamais nrsquoadviendra assureacute-ment mais il est toujours dans un temps bien deacutetermineacute le seul preacute-sent [] Lrsquoecirctre est donc est agrave la fois eacuteternel et stable toujours dans lemecircme eacutetat et identique agrave soi il nrsquoest pas neacute et il ne peacuterit pas il ne croicirctet ne deacutecroicirct pas non plus ni il ne devient plus ou moins en aucunefaccedilon En somme il ne sera assureacutement soumis agrave aucun type de mou-vement et surtout pas au mouvement selon le lieu ndash il ne lui est en effetpas permis non plus crsquoest la loi divine drsquoecirctre mucirc jamais par unecourse en avant ni en arriegravere en haut ni en bas vers la droite droite nivers la gauche jamais lrsquoecirctre ne sera soumis au changement et jamais ilne sera mucirc autour de son propre centre Bien plutocirct il se tiendra en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 127

thegraveses de H Tarrant Thrasyllan Platonism op cit p 174-177 dans lamesure ougrave elles supposent que Numeacutenius srsquoinspire de Modeacuteratus (au fr 52)et suit donc lrsquointerpreacutetation qursquoil aurait donneacutee sur la matiegravere drsquoapregraves leteacutemoignage de Simplicius

repos sera ferme et fixe se maintenant toujours de faccedilon identique etde la mecircme maniegravere79

Au fragment 6 (15 F) nous lisons ensuite

ἡ δὲ αἰτία τοῦ ὄντος ὀνόματός ἐστι τὸ μὴ γεγονέναι μηδὲφθαρήσεσθαι μηδrsquo ἄλλην μήτε κίνησιν μηδεμίαν ἐνδέχεσθαιμήτε μεταβολὴν κρείττω ἢ φαύλην εἶναι δὲ ἁπλοῦν καὶἀναλλοίωτον καὶ ἐν ἰδέᾳ τῇ αὐτῇ καὶ μήτε ἐθελούσιον ἐξίστα-σθαι τῆς ταὐτότητος μήθrsquo ὑφrsquo ἑτέρου προσαναγκάζεσθαι (extraitdu fragment 6 15 F = Eus PE XI 10 7)

Et la raison de ce nom ecirctre reacuteside dans le fait de ne pas ecirctre neacute de nepas devoir peacuterir de nrsquoadmettre absolument aucun autre type de mou-vement ni de changement que ce soit vers le meilleur ou vers le piremais drsquoecirctre au contraire simple invariable dans une forme qui resteidentique de ne pas sortir de son identiteacute ni volontairement ni souslrsquoeffet drsquoune contrainte exteacuterieure80

Pourquoi a-t-on voulu lire ces textes comme faisant allusion auParmeacutenide alors qursquoils ne preacutesentent pas de parallegraveles textuels avec cedialogue Deux raisons agrave cela A-J Festugiegravere y voit une seacuterie deneacutegations qui rappellent celles du Parmeacutenide relativement agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese D OrsquoMeara estime que la deacutefinition de lrsquoecirctrecomme restant dans une identiteacute parfaite agrave soi exprimeacutee en termes de

128 Fabienne JOURDAN

79 Toutes les traductions de Numeacutenius sont les nocirctres80 Voir aussi cet extrait du fragment 8 (17 F = Eus PE XI 10 12) Εἰ μὲν

δὴ τὸ ὂν πάντως πάντη ἀΐδιόν τέ ἐστι καὶ ἄτρεπτον καὶ οὐδαμῶςοὐδαμῆ ἐξιστάμενον ἐξ ἑαυτοῦ μένει δὲ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτωςἕστηκε τοῦτο δήπου ἂν εἴη τὸ τῇ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν laquo Siassureacutement lrsquoecirctre est en tout point absolument eacuteternel et immuable srsquoil ne sortabsolument pas de lui-mecircme en aucune faccedilon mais demeure dans le mecircmeeacutetat fixeacute dans son identiteacute alors crsquoest lui sans nul doute qui sera ldquoce qui estappreacutehendeacute par lrsquointellection agrave lrsquoaide du raisonnementrdquo (Tim 28 a) raquo Ce pas-sage fait suite au fragment 7 (16 F = Eus PE XI 10 9-11) qui cite la deacutefinitionde lrsquoecirctre opposeacute agrave la γένεσις en Timeacutee 27 d 6-28 a 4

laquo non-sortie raquo de soi est reprise dans les passages des Enneacuteades VI4 [ 22] 2 21 et VI 5 3 1-2 ougrave Plotin traite de lrsquointeacutegriteacute de lrsquoecirctre etinterpregravete agrave cet effet la seconde hypothegravese du Parmeacutenide D OrsquoMearasonge alors agrave un preacuteceacutedent numeacutenien dans la lecture plotinienne duParmeacutenide et agrave cette fin eacutetant donneacute qursquoil est question dans ces frag-ments de la relation de lrsquoecirctre au temps au changement et au mouve-ment tout comme de son nom (et donc sous-entendu aussi de saconnaissance) il invite agrave penser que le livre II du Περὶ τἀγαθoῦ trai-tait de lrsquoecirctre selon les diffeacuterents preacutedicats qui servent agrave interroger lrsquoUndu Parmeacutenide agrave savoir le Tout et les parties le lieu le changement etmouvement lrsquoidentiteacute et la diffeacuterence la ressemblance et dissem-blance lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoineacutegaliteacute le temps le nom la connaissance

Ces deux lectures se heurtent toutefois agrave deux objections simplesDrsquoune part pas plus qursquoil ne tire du Parmeacutenide la description de la non-sortie de soi81 Numeacutenius nrsquoemprunte son argumentation sur le change-ment le temps et le nom au Parmeacutenide Comme il le dit lui-mecircme aufragment 6 (15 F) il srsquoappuie pour cela sur le Timeacutee et le Cratyle Onnotera drsquoailleurs que le deacuteveloppement sur lrsquoabsence de mouvement etdonc de changement relegraveve en outre drsquoun emprunt aux Lois82 et qursquoellenrsquoest pas exempte de parallegraveles aristoteacuteliciens ainsi que le reconnaicirctD OrsquoMeara lui-mecircme83 Drsquoautre part et pour reacutepondre cette fois agraveA-J Festugiegravere la seacuterie de neacutegations ne fait aucunement allusion auParmeacutenide ni nrsquoaugure drsquoune theacuteologie neacutegative telle qursquoelle sera tireacuteede la premiegravere hypothegravese de ce dialogue elle contribue simplement agraveune deacutefinition de lrsquoecirctre par opposition au devenir et surtout au corporelqui preacutesente toutes les qualiteacutes ici nieacutees La citation au fragment 7 (16F) du passage du Timeacutee (27 d 6-28 a 4) opposant justement ὄν et

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 129

81 Elle est en reacutealiteacute preacutesente dans le Cratyle 439 e le Pheacutedon 79 d et 80b 1-2 et le Banquet 211 b 1

82 X 893 c-894 a83 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 n 26 Sur le temps

voir aussi M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit et la remarquefinale sur la deacutefinition parmeacutenidienne drsquoune entiteacute se situant dans un eacuteternelpreacutesent au fr 85 DK

γένεσις preacutecise ce contexte de penseacutee et empecircche en cela toute extra-polation Agrave la limite si lrsquoon y tient on pourra simplement conclure avecD OrsquoMeara que Numeacutenius a donneacute agrave Plotin lrsquoideacutee de lire le Parmeacutenidedans le sens ougrave il lrsquoa fait concernant lrsquoecirctre ndash hypothegravese qui srsquoavegraverera fortinteacuteressante dans la perspective drsquoune comparaison avec lrsquoentreprise ducommentateur anonyme au Parmeacutenide

Les textes habituellement citeacutes en faveur drsquoune utilisation numeacute-nienne du Parmeacutenide ainsi compris il en est selon nous un troisiegravemequi aurait pu inviter agrave pareille suggestion celui ougrave Numeacutenius precircte aupremier principe un repos qui srsquoaccompagne malgreacute tout drsquoune formede mouvement ndash attributs apparemment contradictoires dont lrsquooriginepourrait paraicirctre remonter au Parmeacutenide Ce texte nous mettrait sur lavoie qui pouvait sembler la plus feacuteconde drsquoune identification du pre-mier principe numeacutenien agrave lrsquoUn de la seconde hypothegravese du ParmeacutenideLisons ainsi le fragment 15 (23 F)

Εἰσὶ δrsquo οὗτοι βίοι ὁ μὲν πρώτου ὁ δὲ δευτέρου θεοῦ δηλονότι ὁμὲν πρῶτος θεὸς ἔσται ἑστώς ὁ δὲ δεύτερος ἔμπαλίν ἐστικινούμενοςmiddot ὁ μὲν οὖν πρῶτος περὶ τὰ νοητά ὁ δὲ δεύτερος περὶτὰ νοητὰ καὶ αἰσθητά μὴ θαυμάσῃς δrsquo εἰ τοῦτrsquo ἔφηνmiddot πολὺ γὰρἔτι θαυμαστότερον ἀκούσῃ ἀντὶ γὰρ τῆς προσούσης τῷδευτέρῳ κινήσεως τὴν προσοῦσαν τῷ πρώτῳ στάσιν φημὶ εἶναικίνησιν σύμφυτον ἀφrsquo ἧς ἥ τε τάξις τοῦ κόσμου καὶ ἡ μονὴ ἡἀΐδιος καὶ ἡ σωτηρία ἀναχεῖται εἰς τὰ ὅλα

Voici les genres de vie respectifs du premier et du deuxiegraveme dieu ilest eacutevident que le premier sera en repos tandis que le deuxiegraveme aucontraire est en mouvement le premier donc autour des intelligiblesle deuxiegraveme autour des intelligibles et des sensibles Et nrsquoen viens pasagrave trsquoeacutetonner si jrsquoai affirmeacute cela car tu vas entendre bien plus eacutetonnantencore agrave la place du mouvement inheacuterent au deuxiegraveme le repos inheacute-rent au premier je lrsquoaffirme est un mouvement qui lui est par natureassocieacute drsquoougrave viennent lrsquoordre du monde et sa permanence eacuteternelle etdrsquoougrave le salut se reacutepand sur lrsquointeacutegraliteacute des ecirctres

Le passage pourrait rappeler lrsquoUn qui est Tout (τὸ ἓν ὅλον 145 e3) de la deuxiegraveme hypothegravese et que Platon deacutecrit comme eacutetant agrave la fois

130 Fabienne JOURDAN

en repos et en mouvement (καὶ κινεῖσθαι καὶ ἑστάναι 145 e 7-8)drsquoautant plus que le vocabulaire du repos employeacute est le mecircme(ἕστηκε 145 a 8 ἑστός 146 a 5) On pourrait alors imaginer queNumeacutenius identifie son premier principe agrave lrsquoUn associeacute agrave lrsquoecirctre telqursquoil est conccedilu dans cette deuxiegraveme hypothegravese Cependant la raisondonneacutee par Platon agrave cet eacutetat est le fait que cet Un se trouve agrave la fois enlui-mecircme crsquoest-agrave-dire au mecircme endroit et en autre chose crsquoest-agrave-direailleurs (le tout devant ecirctre ainsi compris 145 e 8-146 a 7) Or toutconduit agrave penser que dans le fragment le mouvement associeacute au reposfondamental est celui de la penseacutee caracteacuteristique du premier principe(cf fr 19 27 F) et que par cette formule Numeacutenius preacutepare la deacutefini-tion de celui-ci comme intellect (fr 16-17 24-25 F) Le raisonnementest profondeacutement distinct et Numeacutenius joue drsquoailleurs moins sur uneantithegravese logique telle que pourrait paraicirctre celle du raisonnement pla-tonicien que sur une association certes paradoxale mais reacuteelle Crsquoestpourquoi si tentant que puisse paraicirctre le parallegravele il ne relegraveve sansdoute pas drsquoune appropriation numeacutenienne de la deuxiegraveme hypothegravesepour deacutecrire le premier principe Numeacutenius reprend peut-ecirctre le voca-bulaire voire la conception de Platon pour deacutecrire un principe qursquoilassocie volontiers au Tout surtout si ce premier principe doit corres-pondre au Vivant84 Mais cette reprise serait superficielle et srsquoaccom-pagnerait drsquoun deacuteveloppement personnel qui ne relegraveve pas du deacutesirdrsquointerpreacuteter le Parmeacutenide85 Si Numeacutenius emprunte ici agrave Platon crsquoestplutocirct au passage du Sophiste 248 e-249 a qui integravegre le mouvementdans lrsquoecirctre total finit par deacutecrire cet ecirctre comme eacutetant agrave la fois en reposet en mouvement et inclut en lui eacutegalement lrsquointellect mieux laφρόνησις dont nous avons vu que Numeacutenius en fait sous la formeinfinitive lrsquoapanage du Bien

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 131

84 Voir le teacutemoignage de Proclus (fr 22) deacutejagrave signaleacute selon nous lrsquoimagedu Vivant est deacutejagrave sous-jacente dans ce fragment 15 (23 F) voir la note 61

85 Sur ce point nous rejoignons LP Gerson laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpre-tation of Platorsquos Parmenides raquo art cit n 1 qui rappelle agrave propos drsquoAlcinoosque lrsquoutilisation de distinctions et drsquoarguments preacutesents dans le Parmeacutenidenrsquoimplique pas drsquoaccorder une primauteacute interpreacutetative agrave ce dialogue

2 Le Περὶ τἀγαθοῦ et les deux premiegraveres hypothegravesesde la seconde partie du Parmeacutenide

Agrave eux seuls les textes parvenus ne nous semblent donc pas teacutemoi-gner en faveur drsquoun commentaire au Parmeacutenide de la part de Numeacute-nius ni mecircme drsquoune utilisation partielle qursquoil aurait faite de ce dia-logue Les partisans drsquoune attribution de pareil commentaire agrave Numeacute-nius en appellent toutefois et ce juste titre agrave lrsquoœuvre non parvenueOn ne peut certes juger de lrsquoeacutevolution de Numeacutenius Mais pour quecet argument e silentio soit valable concernant au moins la partie man-quante du Περὶ τἀγαθοῦ il faudrait que la partie transmise ne preacute-sente pas drsquoincompatibiliteacute avec lrsquoargumentation geacuteneacuterale du dialoguede Platon Comme le deacutebat porte toujours sur les deux premiegraveres hypo-thegraveses ce sont elles qursquoil suffit drsquointerroger en vue drsquoeacutevaluer si Numeacute-nius peut ne serait-ce que srsquoy ecirctre reporteacute pour esquisser sa deacutefinitiondu premier principe voire du second comme le suggegravere JD Turner86

a) Le Bien et lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese

Selon notre lecture Numeacutenius nrsquoidentifie pas le Bien agrave lrsquoUn Laseacuterie de neacutegations neacutecessaires agrave la deacutefinition de lrsquoecirctre nrsquoa drsquoautre butque de distinguer celui-ci du devenir Qursquoest-ce que le Bien de Numeacute-nius pourrait donc avoir de commun avec lrsquoUn de la premiegravere hypo-thegravese87 Comparons son enseignement agrave celui du Parmeacutenide pourassurer de la validiteacute de notre position

Ce que le Bien de Numeacutenius pourrait avoir de commun avec lrsquoUnde la premiegravere hypothegravese assureacutement ce serait le fait de ne pas ecirctremultiple (137 c) Mais cela est bien maigre la seacuterie de neacutegations pro-

132 Fabienne JOURDAN

86 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 138-13987 G Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 84) estime que

crsquoest en lien avec la premiegravere hypothegravese que Numeacutenius deacuteveloppe sa concep-tion du premier intellect Il nrsquoexplique toutefois pas cette lecture pour le moinseacutetonnante

poseacutee par Parmeacutenide ne le concerne pas Passons en revue quelquesexemples en suivant lrsquoordre du dialogue contrairement agrave lrsquoUn de cettehypothegravese le Bien nrsquoest pas illimiteacute (137 d 7) crsquoest la matiegravere qui esttelle agrave lrsquoimage drsquoun fleuve88 loin drsquoecirctre nulle part au sens de laquo pas ensoi raquo (138 a 2 6-b 2) il est au contraire en lui-mecircme89 La seacuterie drsquoanti-thegraveses ne le concerne pas davantage loin de nrsquoecirctre ni en repos ni enmouvement (138 b) nous avons vu qursquoil a part aux deux90 plutocirct quede nrsquoecirctre ni identique ni diffeacuterent (139 b-140 b) il est assureacutement iden-tique agrave soi91 au lieu drsquoecirctre hors du temps (141 a) il se situe dans uneacuteternel preacutesent92 et si certes on ne peut pas non plus parler agrave soneacutegard de participation agrave lrsquoοὐσία (141 e 7-8) il nrsquoen est pas moinslrsquoἀρχή de celle-ci93 qui fait de lui lrsquoEcirctre par excellence94 Contraire-ment agrave lrsquoUn de cette hypothegravese (142 a) il a en outre un nom une deacutefi-nition et il y a mecircme une science agrave son sujet son nom est drsquoabordοὐσία et ὄν lorsque lrsquoecirctre qursquoil est est envisageacute de maniegravere geacuteneacuterale95puis vraisemblablement Bien lui-mecircme et Ecirctre lui-mecircme (αὐτοάγα-θον et αὐτοόν) lorsqursquoil est envisageacute dans sa speacutecificiteacute96 il donnelrsquoἐπιστήμη et srsquoavegravere mecircme ecirctre la σοφία97 toute lrsquoentreprise duΠερὶ τἀγαθοῦ est justement de conduire agrave sa connaissance et deacutefini-tion98 ce agrave quoi parvient entre autres le dernier fragment en identifiantultimement lrsquoecirctre et lrsquointellect qursquoil constitue agrave la Forme du Bien de laReacutepublique99 Lorsque Platon fait conclure agrave Parmeacutenide que cet Un

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 133

88 Fr 3 (12 F) et 8 (17 F)89 Fr 11 (19 F)90 Fr 15 (23 F)91 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)92 Fr 5 (14 F)93 Fr 16 (24 F)94 Fr 17 (25 F) et lrsquoon nrsquooubliera pas la synonymie entre οὐσία et ὄν don-

neacutee au fr 6 (15 F)95 Fr 6 (15 F)96 Fr 16-17 (24-25 F) fr 20 (28 F)97 Crsquoest notre interpreacutetation conjointe des fragments 13 et 14 (21-22 F)98 Tel est le programme annonceacute au fragment 2 (11 F)99 Fr 20 (28 F)

finalement nrsquoest pas Numeacutenius peut donc avoir estimeacute ne pas devoirreconnaicirctre lagrave ce qursquoil deacutefinit quant agrave lui comme le premier principe etce alors en accord avec Platon lui-mecircme

Crsquoest pourquoi srsquoil a songeacute agrave ce dialogue et plus particuliegraverement agravela premiegravere hypothegravese Numeacutenius a pu le consideacuterer comme un exer-cice dialectique ougrave puiser par exemple une meacutethode drsquointerrogation etcertains concepts dans un esprit peut-ecirctre semblable agrave celui drsquoAlci-noos100 ou bien ce qui nrsquoest pas incompatible comme deacutecrivantaussi une position selon lui critiqueacutee par Platon Dans cette perspec-tive il peut alors y avoir perccedilu une raison de ne pas retenir la candida-ture de lrsquoUn (telle que la suggegravere notamment la reacuteception acadeacutemi-cienne de lrsquoenseignement oral) au titre de premier principe agrave identifierau Bien puisque cet Un conccedilu dans sa pureteacute agrave la maniegravere dont Platonle deacutecrit dans la premiegravere hypothegravese conduit agrave lrsquoaporie du non-ecirctre (non-ecirctre que Numeacutenius identifie quant agrave lui agrave la matiegravere) Autre-ment dit la lecture du Parmeacutenide voire le commentaire de ce dia-logue aurait plutocirct conduit Numeacutenius agrave ne pas identifier le Bien agrave lrsquoUnabsolu et lrsquoaurait peut-ecirctre justifieacute dans une position poleacutemique agrave lrsquoen-contre de certains neacuteo-pythagoriciens de son temps101 voire des Aca-deacutemiciens qui le faisaient

Cette conclusion peut a priori eacutetonner Mais Numeacutenius nrsquoaurait paseacuteteacute le seul de son eacutepoque agrave refuser drsquoaccorder agrave lrsquoUn de la premiegraverehypothegravese le rocircle de principe de la reacutealiteacute et de principe transcendantlrsquoecirctre Proclus eacutevoque des interpregravetes selon lesquels le veacuteritable objet

134 Fabienne JOURDAN

100 Agrave la mecircme eacutepoque ou peu apregraves (selon lrsquohypothegravese de R Chiara-donna laquo Theacuteologie et eacutepoptique aristoteacutelicienne dans le meacutedioplatonisme lareacuteception de Meacutetaphysique Λ raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted)Reacuteceptions de la theacuteologie aristoteacutelicienne op cit p 143-148 voir aussiM Frede laquo Numenius raquo art cit p 1064) Alcinoos donne une interpreacutetationessentiellement logique du Parmeacutenide voir Did VI p 159-160 H Cela nrsquoim-plique toutefois pas que ce fut lagrave la seule lecture du dialogue par Alcinoos(pace J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit)

101 Voir ceux eacutevoqueacutes au fragment 5215-24 (Calcidius In Tim CCXCV)qui font provenir la dyade de la monade Modeacuteratus agrave qui est justement precircteacuteun commentaire du Parmeacutenide leur est parfois rapprocheacute

du Parmeacutenide est justement lrsquoecirctre (ou lrsquoUn de la seconde hypothegravese) etnon lrsquoUn absolu dont lrsquohypothegravese ne conduit qursquoagrave des apories102 Lrsquounde ces interpregravetes fut Origegravene (le Platonicien103 ) disciple drsquoAmmo-nius comme Plotin et qui eacutetait peut-ecirctre justement en deacutebat avecNumeacutenius notamment sur la fonction du premier principe104 SelonOrigegravene lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese eacutetait sans existence ni subsis-tance (ἀνύπαρκτον καὶ ἀνύποστατον) lrsquoEcirctre absolu et lrsquoUnabsolu ne devaient faire qursquoun et ecirctre identifieacutes agrave lrsquointellect commeprincipe supeacuterieur105 ce nrsquoeacutetait donc qursquoavec la seconde hypothegravese

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 135

102 Proclus In Parm I 63531-6364 Theacuteol Plat II 4 311-28103 Nous nrsquoentrons pas ici dans le deacutebat concernant la question de savoir si

Origegravene nommeacute laquo le platonicien raquo est le mecircme qursquoOrigegravene le chreacutetien Nouspostulons qursquoil srsquoagit de deux personnages distincts (en cela nous suivonsnotamment R Goulet laquo Porphyre Ammonius les deux Origegravene et lesautres raquo Revue drsquohistoire et de philosophie religieuse 57 1977 p 471-496repris dans R Goulet Eacutetudes sur les Vies de philosophes de lrsquoAntiquiteacute tar-dive Diogegravene Laeumlrce Porphyre de Tyr Eunape de Sardes Textes et traditionsI Paris Vrin 2001 p 267-290) Sur ce sujet voir le statut de la question dansL Brisson R Goulet laquo Origegravene le platonicien raquo dans R Goulet (eacuted) Dic-tionnaire des philosophes antiques Paris CNRS IV 2005 p 804-807 M Zambon laquo Porfirio e Origene uno status quaestionis raquo dans S Morlet(eacuted) Le Traiteacute de Porphyre contre les chreacutetiens Un siegravecle de recherches nou-velles questions Paris Institut drsquoEacutetudes augustiniennes 2011 p 107-164 etles eacutetudes reacuteunies par B Baumlbler H-G Nesselrath (eacuted) Origenes der Christund Origenes der Platoniker Tuumlbingen Mohr Siebeck 2018 (dont lrsquoarticle deCh Riedweg qui identifie les deux personnages)

104 Drsquoapregraves le titre de son ouvrage transmis par Porphyre (VP 332 cf Pro-clus Theol plat II 4 A) Ὃτι μόνος ποιητὴς ὁ βασιλεύς Origegravene associaitvraisemblablement le laquo roi raquo (premier principe) au deacutemiurge nommeacute ποιητήςcontrairement agrave Numeacutenius qui les distingue au fragment 12 (20 F)

105 Sur ce sujet voir par ex HD Saffrey LG Westerink Proclus Theacuteo-logie platonicienne T II Paris Les Belles Lettres 1974 p X-XX C Steellaquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 32-35 L Bris-son laquo The Reception of Parmenides before Proclus raquo dans JD TurnerK Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage vol II Reception inPatristic Gnostic and Christian Neoplatonic Texts Atlanta Society of Bibli-cal Literature 2011 p 49-64

que commenccedilait selon lui lrsquoonto-theacuteologie platonicienne parce qursquoelleaurait deacutecrit lrsquointellect et les formes Origegravene paraissant plus proche deson maicirctre que Plotin106 son interpreacutetation eacutetait peut-ecirctre celle drsquoAm-monius et comme les argumentations drsquoAmmonius et de Numeacuteniussont parfois rapprocheacutees107 on pourrait penser agrave une parenteacute entre ellessur ce sujet eacutegalement Quoi qursquoil en soit sur ce point on peut retenirdeux choses de la comparaison avec lrsquointerpreacutetation drsquoOrigegravene lerefus de consideacuterer le premier principe comme identique agrave lrsquoUn absolude la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et lrsquoidentification de ce prin-cipe agrave lrsquoEcirctre absolu

Peut-on alors supposer que Numeacutenius agrave lrsquoinstar drsquoOrigegravene conccediloitlui aussi cet Ecirctre comme deacutecrit dans la deuxiegraveme hypothegravese Crsquoest eneffet avions-nous vu drsquoembleacutee la seule maniegravere de lui supposer reacuteelle-ment une utilisation du Parmeacutenide dans sa description du premier prin-cipe

b) Le Bien et lrsquo laquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

On peut en effet rappeler que Plotin a tendance agrave situer le premierde Numeacutenius au rang du second selon sa propre doctrine Toutefois agravela lecture du Parmeacutenide lui-mecircme Numeacutenius aurait assureacutement eacuteteacutegecircneacute degraves la formulation de lrsquohypothegravese consideacuterant Un et ecirctre (οὐσία)comme deux eacuteleacutements seacutepareacutes neacutecessitant la participation de lrsquoUn agravelrsquoecirctre (142 b-c) Pour Numeacutenius le premier principe est lrsquoecirctre il nrsquoapas part agrave lrsquoecirctre Lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacutenide ten-tera certes de reacutesoudre la difficulteacute et si Numeacutenius avait commenteacute letexte il aurait sans doute fait de mecircme Mais est-il bien neacutecessaire delui precircter pareille entreprise Il nrsquoest en effet pas davantage inteacuteresseacute agrave

136 Fabienne JOURDAN

106 Voir HD Saffrey LG Westerink op cit p XIX107 Voir par ex le teacutemoignage de Neacutemeacutesius (fr 4 b = Sur la nature de

lrsquohomme 2 8-14) qui les associe dans la critique de la corporeacuteiteacute de lrsquoacircmecaracteacuteristique de la conception stoiumlcienne

utiliser la seacuterie de preacutedicats contraires cette fois accepteacutes pour lrsquoUn decette deuxiegraveme hypothegravese Si nous nrsquoen retenons seulement quelques-uns parmi ceux pouvant concerner une reacutealiteacute intelligible on noteraque la notion de pluraliteacute ne peut concorder avec la repreacutesentation delrsquouniteacute indivisible que constitue le Bien pas davantage que le coupleantitheacutetique drsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave soi Trois points pourraientecirctre malgreacute tout rapprocheacutes dans la deacutefinition du Bien numeacutenien et delrsquoUn de la seconde hypothegravese lrsquoaffirmation drsquoune preacutesence agrave la fois ensoi et en autre chose (145 b 6-7) ndash mais elle est caracteacuteristique de touteforme intelligible et la contradiction apparente est reacutesolue par le pheacute-nomegravene de la participation bien deacuteveloppeacute par Numeacutenius lrsquoideacutee quece principe est en mouvement et en repos (145 a 3-146 a 7)ndash mais nousavons montreacute son sens particulier lieacute au processus de la penseacutee propreagrave lrsquointellect qui nrsquoest pas deacuteveloppeacute dans le Parmeacutenide et enfin larelation au temps (152 a) mais elle nrsquoest que provisoire concernant ladeuxiegraveme hypothegravese dans la mesure ougrave celle-ci va ensuite associerlrsquoecirctre agrave toutes les dimensions du temps alors que Numeacutenius ne lrsquoasso-cie qursquoau preacutesent comme le fait le Timeacutee (et peut-ecirctre le vrai Parmeacute-nide lui-mecircme au fragment 85)

Il nous semble donc peu probable que Numeacutenius ait envisageacute sonpremier principe en songeant agrave lrsquoUn-qui-est du Parmeacutenide ou aitmecircme tenteacute de le lui faire correspondre dans une eacutetape ulteacuterieure de sareacuteflexion En cela le deacutesaccord qui semble affleurer avec Origegravene surla caracteacuterisation des principes se retrouverait sur ce point eacutegalement

c) Le second dieu (le Bon) et lrsquolaquo Un qui est raquo

Une autre possibiliteacute peut toutefois se preacutesenter agrave lrsquoesprit Numeacute-nius nrsquoaurait-il pas alors associeacute agrave ce second Un son second dieu etprincipe qui lui est effectivement agrave la fois Un et plusieurs (143 a 5)au sens ougrave il connaicirct une laquo division raquo lorsqursquoil rencontre la matiegravere108

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 137

108 Fr 11 (19 F)

Telle est en effet lrsquohypothegravese de JD Turner109 On pourrait lrsquoeacutetayer ennotant que ce dieu est drsquoailleurs lui aussi seacutepareacute pour ainsi dire de saforme le Bien ce qui constitue deux aspects de son ecirctre et mecircme de laforme qursquoil produit comme modegravele du monde lui aussi a en outre partagrave lrsquoοὐσία qursquoil reccediloit du premier En extrapolant on pourrait imaginerque crsquoest agrave lui que reviennent tous les couples de contraires puisqursquoilest agrave la fois dans lrsquointelligible par sa contemplation et preacuteoccupeacute dusensible tendant au contact avec la matiegravere110 Mais nous irions troploin Numeacutenius fait certes de ce second dieu lrsquoecirctre deacuteriveacute mais il estecirctre assureacutement et nrsquoest pas concerneacute par les preacutedicats caracteacuterisant lesensible (comme la grandeur la limite lrsquoacircge) Ce qui peut paraicirctrecontraire en ce dieu ce sont seulement des attitudes lieacutees agrave son orienta-tion dans un processus cosmogonique Numeacutenius ne paraicirct pas avoirainsi deacutefini son essence dont la caracteacuteristique fondamentale est lrsquoimi-tation et la participation au Bien Crsquoest pourquoi mecircme si cela peutparaicirctre tentant nous ne pensons pas qursquoil ait conccedilu ce second dieu ensongeant agrave la deuxiegraveme hypothegravese du Parmeacutenide ni mecircme qursquoil aittenteacute apregraves lrsquoavoir deacutefini de le lui faire correspondre111 Le consideacuterer

138 Fabienne JOURDAN

109 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 137-138 qui ajoute agravecela une reacuteflexion sur ce que certains Anciens consideacuteraient comme la troisiegravemehypothegravese (155 e 4-157 b 4) et fait du second dieu de Numeacutenius dans sa dualiteacutemecircme un repreacutesentant des Un de la deuxiegraveme et troisiegraveme hypothegraveses (Un-plu-sieurs et Un-et-plusieurs) Cette lecture est ingeacutenieuse mais inveacuterifiable

110 Fr 11 (19 F)111 Concernant les autres hypothegraveses nous pourrions faire deux remarques

Dans la troisiegraveme la deacutefinition des laquo autres choses raquo comme eacutetant de natureillimiteacutee mais recevant leur limite par participation agrave lrsquoUn (158 d 7-8) corres-pond agrave la conception de la formation du monde par le deacutemiurge (fr 18 26 F cf fr 52) Mais cette interpreacutetation est la leccedilon mecircme du Timeacutee coupleacute avec lePhilegravebe Dans la derniegravere hypothegravese ensuite en 165 c 2 on trouve lrsquoexpres-sion ὀξὺ νοοῦντι pour deacutesigner celui qui regarde de pregraves et voit que les chosesqui paraissent unes sont en reacutealiteacute plusieurs car priveacutees drsquouniteacute Avec lrsquoexpres-sion ὀξὺ βλέποντι au fr 19 (27 F) Numeacutenius pourrait faire un clin drsquoœilentendu agrave ce passage lorsqursquoil invite agrave comprendre ce qui est selon lui le vraisens du terme un appliqueacute au Bien celui drsquouniciteacute Lrsquoeacutecho lexical pourrait ren-

selon chacun de ses deux laquo aspects raquo comme correspondant agrave lrsquolaquo Un-plusieurs raquo et agrave lrsquolaquo Un-et-plusieurs raquo de la deuxiegraveme et de la troisiegravemehypothegraveses entrevue par certains Anciens comme le fait J Turnerrelegraveve selon nous drsquoune lecture plotinienne qui ne correspond pas agravelrsquoenseignement du Περὶ τἀγαθοῦ112 Cela une fois encore nrsquoem-pecircche pas que Numeacutenius ait pu inspirer Plotin dans sa propre lecturedu Parmeacutenide

3 Le Περὶ τἀγαθοῦ et la premiegravere partie du Parmeacutenide

Dans le Περὶ τἀγαθοῦ Numeacutenius nrsquoa ainsi selon nous pas conccedilusa reacuteflexion sur les principes agrave partir drsquoun commentaire du Parmeacutenideni nrsquoa mecircme tenteacute de la faire correspondre aux hypothegraveses de laseconde partie de ce dialogue apregraves lrsquoavoir eacutelaboreacutee En revanche ilsrsquoest assureacutement inteacuteresseacute agrave la premiegravere partie ou du moins aux diffi-culteacutes dans lesquelles elle place la theacuteorie des formes113 Qursquoil ait ounon en tecircte ce dialogue le sien en tout cas cherche assureacutement agraverendre possible la participation et donc agrave sauver la theacuteorie des formespar-delagrave les objections que lui adresse Parmeacutenide Ce sujet nous inteacute-ressant moins directement ici nous ferons bref

Agrave la question de savoir srsquoil y a des formes de tout (130 b-e) Numeacute-nius reacutepond assureacutement qursquoil y en a de tout ce qui a part au Bien114 agrave

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 139

voyer agrave cette illusion relative agrave la saisie de ce qursquoest laquo ecirctre un raquo Lrsquoexpressionnrsquoeacutetant pas absente par ailleurs chez Platon (voir le commentaire au fragment19 27 F) il nrsquoest cependant pas neacutecessaire de penser que Numeacutenius ait ce pas-sage du Parmeacutenide en tecircte il est simplement tentant drsquoy songer dans uncontexte de reacuteflexion sur lrsquoUn

112 Contra JD Turner laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art citp 138-139

113 On remarquera qursquoAlcinoos (Did IX p 163 H 23-31 L W) fait demecircme en reacutepondant agrave la question de ce dont il y a des formes et en concevantcelles-ci comme des penseacutees du premier dieu

114 Fr 13 et 19 (21 et 27 F)

la question du rapport entre forme et participeacute il envisage positive-ment les deux solutions proposeacutees par Socrate a) les formes sont pourlui des penseacutees (cf Parm 132 b-c) elles sont celles du seconddieu115 et elles pensent (cf Parm 132 c) puisque telle est la maniegraverede participer au Bien116 b) les formes sont par ailleurs des paradigmes(cf Parm 132 d) comme le montre lrsquoexemple embleacutematique du rap-port entre le Bon qursquoest le deacutemiurge et le Bien envisageacute commeforme117 Quant agrave lrsquoargument du troisiegraveme homme en placcedilant le Bienau sommet de lrsquointelligible Numeacutenius estime peut-ecirctre y avoir ultime-ment reacutepondu Lrsquoobjection de la seacuteparation (133 a 8-134 c 7) enfinavec le double risque qursquoelle comporte de lrsquoinconnaissabiliteacute desformes (134 a-b) et du deacutefaut de connaissance de notre monde par ledieu qui ne pourrait alors pas agir agrave notre eacutegard (134 e) aura particu-liegraverement retenu son attention tout le dialogue Sur le Bien tend eneffet agrave montrer la continuiteacute agrave la fois ontologique et eacutepisteacutemique desdiffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute ndash le sensible lui-mecircme en tant que prisen charge par le deacutemiurge qui lrsquoeacutelegraveve agrave son propre caractegravere (autrementdit agrave sa bonteacute et agrave ce qui en deacutecoule)118 relegraveve en effet de la μετ-ουσία autrement dit de ce qui vient certes laquo apregraves lrsquoοὐσία raquo mais y amalgreacute tout essentiellement part119 Le Περὶ τἀγαθοῦ conduit en toutcas drsquoune part agrave la connaissance de la forme premiegravere tandis que celle-ci srsquoavegravere la connaissance ultime qui se transmet ensuite120 il montredrsquoautre part la relation permanente du premier agrave notre monde non seu-lement par lrsquointermeacutediaire du second dieu qui assure directement lrsquoac-tion providentielle mais par le salut ou la conservation (σωτηρία)

140 Fabienne JOURDAN

115 Fr 16 (24 F) Nous reacutesumons voir notre interpreacutetation du fragment116 Fr 19 (27 F) Lagrave aussi nous reacutesumons notre interpreacutetation laquo Pense raquo en

reacutealiteacute tout ce qui a part au Bien En outre lrsquoidentification de lrsquointellect agrave uneforme au fragment 20 (28 F) suggegravere cette interpreacutetation

117 Fr 16 19 et 20 (24 27-28 F)118 Fr 11 (19 F) cf fr 18 (26 F)119 Voir lrsquoutilisation fort suggestive de ce terme pour deacutesigner la participa-

tion agrave la fin du fragment 16 (24 F)120 Fr 13-14 (21-22 F)

qursquoil dispense lui-mecircme reacuteellement121 en tant que Bien et qursquoEcirctre quiassure ultimement la coheacutesion du monde

Nous ne preacutetendons pas que Numeacutenius reprenne point par point lesobjections de Parmeacutenide agrave Socrate contre la theacuteorie des formes Maisqursquoil les ait consideacutereacutees directement dans le dialogue de Platon ou qursquoilles ait connues par la tradition il les a prises au seacuterieux et a senti luiaussi la neacutecessiteacute drsquoy reacutepondre pour sauver Platon agrave la maniegravere dont illrsquoentendait

4 Conclusion sur Numeacutenius et le Parmeacutenide

Rien donc dans lrsquoœuvre parvenue ne permet de conclure agrave uneinterpreacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide par Numeacutenius nonseulement les textes ne contiennent pas de reacuteels parallegraveles avec le dia-logue de Platon mais ils suggegraverent que Numeacutenius ne srsquoest fondeacute suraucune des deux premiegraveres hypothegraveses pour deacuteterminer les traits de sonpremier principe ni mecircme sur la deuxiegraveme (voire la troisiegraveme) pourdeacutefinir le second Il est mecircme peu vraisemblable qursquoil ait tenteacute reacutetros-pectivement de les leur faire correspondre Il srsquoest en revanche assureacute-ment inquieacuteteacute des objections dresseacutees contre la theacuteorie des formes dansla premiegravere partie du dialogue et aura tenteacute drsquoy reacutepondre en assurant lavaliditeacute de la participation selon les diffeacuterentes modaliteacutes envisageacutees lagravepar Socrate ndash en cela il srsquoinscrit vraisemblablement dans la traditionplatonicienne122 dont il heacuterite peut-ecirctre plus de la probleacutematique qursquoilne la cherche directement dans le texte de Platon Concernant laseconde partie du dialogue il a pu percevoir dans lrsquoexposeacute de la pre-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 141

121 Fr 15 (23 F)122 Voir les remarques de la note 100 sur Alcinoos Mecircme si Alcinoos est

peut-ecirctre posteacuterieur agrave Numeacutenius de toute eacutevidence les platoniciens ont tenteacutede montrer la justesse de la theacuteorie des formes et de la participation contre lescritiques drsquoAristote ainsi assureacutement que contre celles deacutejagrave eacuteleveacutees dans leParmeacutenide et vraisemblablement inspireacutees (entre autres) par les discussions ausein de lrsquoAcadeacutemie

miegravere hypothegravese une raison suffisante pour ne pas identifier son premierprincipe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit prenant ainsi Platon agrave la lettre agrave propos ducaractegravere aporeacutetique de lrsquoUn tel qursquoil eacutetait lagrave envisageacute

Si elle eacutetait aveacutereacutee cette attitude aurait une double conseacutequencepour la compreacutehension de lrsquohistoire du platonisme

Elle pourrait drsquoabord reacuteveacuteler une intention poleacutemique agrave plusieursniveaux Elle est en effet concevable comme une reacuteaction agrave lrsquoeacuteven-tuelle association neacuteo-pythagoricienne du premier principe associeacute agravelrsquoUn ou agrave la monade avec lrsquoUn absolu de la premiegravere hypothegravese duParmeacutenide Mecircme si selon nous lrsquoidentification du premier principe agravelrsquoUn chez Speusippe et les neacuteo-pythagoriciens123 relegraveve avant tout dela tradition acadeacutemicienne pythagorisante relative agrave lrsquoUn et agrave la Dyadeainsi que du compte-rendu aristoteacutelicien de lrsquoenseignement oral de Pla-ton sur les principes124 il nrsquoy a pas en soi de raison drsquoexclure une pos-sible invocation pour confirmation de lrsquoUn du Parmeacutenide (agrave condi-tion de ne pas leur precircter une interpreacutetation neacuteoplatonicienne) Parsuite une poleacutemique avec lrsquoAncienne Acadeacutemie est eacutegalement envisa-geable Non seulement dans sa deacutefense de la theacuteorie des formes125Numeacutenius pourrait tenter de reacutepliquer agrave la suppression de celles-ciopeacutereacutee par Speusippe mais aussi srsquoopposer agrave la conception du premierprincipe precircteacutee agrave lrsquoAncien Acadeacutemicien Que lrsquoon croie Aristote selonlequel lrsquoUn de Speusippe ne serait laquo pas mecircme un ecirctre raquo126 ou plutocirct

142 Fabienne JOURDAN

123 Voir la note 75124 Voir aussi Meacutet N 4 1091 b 13-15 EE A 8 1218 a 15-32 ougrave le Bien est

associeacute agrave lrsquoUn125 Selon lui la connaissance drsquoun objet quelconque consistait dans celle

de ses relations agrave tous les autres (fr 73 Taraacuten = 2 I P2 = Proclus In Euclp 179 12-22 Friedlein) et crsquoest aux nombres qursquoil aurait alors accordeacute le statutde principe (voir le reacutesumeacute de A Meacutetry Speusippos Zahl Erkenntnis SeinBernStuttgartWien Paul Haupt 2002 p 11-13 et celui de HD Kraumlmerlaquo Die Aumlltere Akademie raquo dans H Flashar (eacuted) Grundriss der Geschichte derPhilosophie Band 3 Aumlltere Akademie Aristoteles Peripatos Basel SchwabeVerlag 20042 [1983] p 16-17)

126 μηδὲ ὄν τι εἶναι τὸ ἕν αὐτό Meacutet N 5 1092 a 16 (fr 43 Taraacuten = 25 IP2 = Aristote Meacutet N 5 1092 a 11-17)

Jamblique selon qui il ne serait laquo pas encore ecirctre raquo127 une distinctionentre lrsquoUn conccedilu comme premier principe et lrsquoecirctre semble agrave lrsquoœuvrechez lui128 si bien que certains ont mecircme penseacute que Platon lui reacutepon-dait dans le Parmeacutenide129 Il nrsquoest pas utile drsquoentrer dans ce deacutebat laposition de Speusippe peut relever drsquoune reacuteflexion sur le Bien deReacutepublique VI et drsquoune appropriation de lrsquoenseignement oral de Platonagrave nous transmis par le compte-rendu aristoteacutelicien qui laisse Platonassocier eacutetroitement le Bien et lrsquoUn Disons simplement que srsquoil a euconnaissance de la position de Speusippe Numeacutenius peut avoir voulului reacutepondre Nrsquooublions pas qursquoagrave lui comme agrave ses pairs dans lrsquoAn-cienne Acadeacutemie il reproche de ne pas avoir pas laquo tout souffert raquo pour

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 143

127 ὅπερ δὴ ουδὲ ὄν πω δεῖ καλεῖν DCMS IV p 157-8 FestaKlein128 La reconstruction de lrsquoenseignement exact de Speusippe sur le premier

principe est neacutecessairement fragile drsquoune part elle est fondeacutee sur lrsquointerpreacuteta-tion du texte drsquoAristote qui est empreint de critique drsquoautre part elle esteacutetayeacutee par deux autres textes dont le lien agrave Speusippe est controverseacute et dontles auteurs agrave la fois sont familiers du neacuteo-pythagorisme et ont lu Plotin chezqui lrsquoUn est effectivement au-dessus de lrsquoecirctre (il srsquoagit de Jamblique et de Pro-clus dans la traduction de Guillaume de Moerbeke In Parm VII 401-9 Kli-bansky-Labowsky = 50162-71 Steel = fr 48 Taraacuten = 30 IP2) Nous ne propo-sons ici qursquoune hypothegravese de reacuteflexion Pour un exposeacute plus deacutetailleacute sur la rela-tion eacuteventuelle de Numeacutenius agrave Speusippe dans lrsquoeacutelaboration drsquoune leacutegitimiteacuteplatonicienne voir la premiegravere annexe de notre eacutedition commenteacutee des frag-ments de Numeacutenius en preacuteparation

129 Crsquoest la lecture de A Graeser (laquo Platon gegen Speusipp Bemerkun-gen zur ersten Hypothese des Platonischen Parmenides raquo Museum Helveti-cum 54 1997 p 45-47 et laquo Anhang Probleme der Speusipp-Interpreta-tion raquo dans Prolegomena zu einer Interpretation des zweiten Teils des Plato-nischen Parmenides Bern Paul Haupt 1999 p 41-53) et J Halfwassen(Der Aufstieg zum Einen op cit et laquo Speusipp und die metaphysische Deu-tung von Platons Parmenides raquo art cit) adopteacutee par ex par R Dancy(laquo Speusippus raquo dans EN Zalta (eacuted) The Stanford Encyclopedia of Philo-sophy Winter 2012 Edition 20112 [2003] en ligne) et rejeteacutee par C Steel(laquo A Neoplatonic Speusippus raquo art cit p 470 473-475) et LP Gerson(laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit p 2-11de la version eacutelectronique)

rester dans une communauteacute de penseacutee avec leur maicirctre130 Commenous lrsquoavons suggeacutereacute dans les preacuteliminaires il ne serait alors pasimpossible qursquoavec cette eacuteventuelle lecture du Parmeacutenide Numeacuteniuseucirct souhaiteacute reacutepliquer agrave lrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne signaleacutee delrsquoenseignement oral de Platon trouvant quant agrave lui dans le Platon eacutecritla juste interpreacutetation du Platon oral mal laquo entendu raquo Pareille supposi-tion doit toutefois ecirctre prise avec prudence

Par-delagrave la mise en eacutevidence drsquoune poleacutemique agrave plusieurs niveauxlrsquohypothegravese proposeacutee sur lrsquoattitude de Numeacutenius concernant ladeuxiegraveme partie du Parmeacutenide permet de mieux deacuteterminer a contra-rio ce qui caracteacuterise une interpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo 131 du dia-logue De maniegravere geacuteneacuterale drsquoabord la position de Numeacutenius montrepar contraste que lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne trouve son originedans une vue contraire agrave la sienne sur le statut de la forme du Bien et sasituation agrave lrsquoeacutegard de lrsquoοὐσία en Reacutepublique VI ainsi peut-ecirctre que

144 Fabienne JOURDAN

130 Fr 2416-18 1 F = Eusegravebe PE XIV 5 2131 Nous en restons aux caractegraveres geacuteneacuteraux il nrsquoy a en effet pas une seule

et unique interpreacutetation post-plotinienne du Parmeacutenide On remarquera enoutre que Jamblique (drsquoapregraves Proclus In Tim III 1049-16 Diehl) semble eacutevo-quer chez Ameacutelius et Numeacutenius (si lrsquoon suit le raisonnement de Proclus) desdistinctions relatives aux diviniteacutes dans le Sophiste le Philegravebe et le Parmeacutenidequi ne correspondent pas agrave celles retenues dans le neacuteoplatonisme Si ce proposne se rapporte pas seulement agrave Ameacutelius mais vraiment aussi agrave Numeacutenius ilfaudrait en tirer lagrave encore la conclusion que son interpreacutetation ne correspondpas agrave celle du neacuteoplatonisme qui identifie son premier principe agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et donc pas non plus agrave celle des neacuteopytha-goriciens que lrsquoon reconstruit agrave partir des teacutemoignages neacuteoplatoniciens Celadit mecircme srsquoil est tentant de penser que le οὗτοι (10411) de Proclus renvoieaux deux exeacutegegravetes qursquoil vient de citer il se peut malgreacute tout que ne soit deacutesigneacutelagrave que le seul Ameacutelius disciple de Plotin et donc assureacutement familier de lrsquoexeacute-gegravese du Parmeacutenide Il nrsquoy a en revanche aucune difficulteacute agrave precircter agrave Numeacuteniusdes exeacutegegraveses partielles du Sophiste et du Philegravebe (voir nos interpreacutetations desfragments 15 23 F) et 19 27 F) Il nrsquoy en a drsquoailleurs pas davantage agrave imagi-ner chez lui une utilisation partielle du Parmeacutenide ou des allusions agrave ce dia-logue voire une prise agrave la lettre du propos de Parmeacutenide sur lrsquoUn de la pre-miegravere hypothegravese conduisant agrave renoncer agrave celui-ci comme premier principe

dans une appropriation du compte-rendu de lrsquoenseignement oral dePlaton par Aristote En affirmant lrsquoidentiteacute ontologique du Bien et delrsquoEcirctre Numeacutenius srsquointerdit lrsquoidentification de son premier principe agravelrsquoUn distinct de lrsquoecirctre de la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide En refu-sant au contraire pareille identiteacute en srsquoappuyant peut-ecirctre sur lrsquoidenti-fication du Bien et de lrsquoUn precircteacutee agrave Platon et aux platoniciens par Aris-tote et en appliquant ces deux eacuteleacutements agrave une lecture du Parmeacutenide132Plotin ouvre la voie de lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologiqueulteacuterieure du dialogue Malgreacute son caractegravere hypotheacutetique la supposi-tion selon laquelle Numeacutenius prendrait effectivement acte des conseacute-quences aporeacutetiques de la premiegravere hypothegravese en nrsquoidentifiant pas sonpremier principe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit permet ici encore a contrariode deacuteterminer deux autres eacuteleacutements indissociables caracteacuteristiques delrsquointerpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo du Parmeacutenide lrsquoidentification dupremier principe agrave lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese et par suite une lec-ture laquo positive raquo de celle-ci qui en reacutealiteacute contredit les conclusionsneacutegatives de Platon agrave son sujet Une theacuteologie neacutegative en est alorscertes tireacutee (que lrsquoon songe au Commentaire anonyme au Parmeacutenideou agrave celui de Proclus133) Mais cette neacutegativiteacute est conccedilue commereacutesultant de lrsquoincapaciteacute fondamentale de lrsquohomme agrave concevoir le pre-mier principe autrement que par analogies et approximations neacutecessai-rement erroneacutees Elle ne concerne pas le principe en lui-mecircme ni laconviction qursquoil constitue le fondement ultime assurant la coheacutesion dela reacutealiteacute Numeacutenius aura quant agrave lui preacutefeacutereacute rester fidegravele agrave la lettre dutexte et donc aux doutes du maicirctre qui laisse parler Parmeacutenide Agrave ce

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 145

132 Les deux premiers eacuteleacutements agrave eux seuls conduisent seulement agrave laposition de Speusippe dont rien ne permet drsquoaffirmer le rattachement au Par-meacutenide Nous compleacutetons en cela les hypothegraveses de J Whittaker laquo ΕΠΕ-ΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit Voir aussi LP Gerson laquo The lsquoNeo-platonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit

133 In Parm VII 51872-84 Plutocirct que de radicaliser la neacutegation pour par-ler de lrsquoUn Proclus indique que la neacutegation porte en reacutealiteacute sur la conceptionde lrsquoUn et pas sur lrsquoUn lui-mecircme qui garde la fonction laquo positive raquo drsquoassurer lacoheacutesion du reacuteel

stade de nos connaissances et drsquoapregraves lrsquoœuvre parvenue precircter agraveNumeacutenius cette reacuteaction aux conclusions de la premiegravere hypothegravesenous paraicirct la seule maniegravere prudente drsquoenvisager de sa part une inter-preacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide Renoncer agrave lui en precircterune ne poserait toutefois aucune difficulteacute

5 Appendice Numeacutenius et Parmeacutenide134

Cette conclusion sobre sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenidesuggegravere drsquointerroger pour finir son attitude agrave lrsquoeacutegard du Parmeacutenide his-torique lui-mecircme auquel Plotin fait parfois appel Que Numeacutenius aitconnu et utiliseacute (directement ou non) le poegraveme Sur la nature est aveacutereacutepar le teacutemoignage de Porphyre selon lequel il aurait associeacute les porteseacutevoqueacutees lagrave135 agrave celles du Cancer et du Capricorne repreacutesentant selonlui les voies respectivement descendante et ascendante des acircmes136Or dans le Περὶ τἀγαθοῦ qui seul nous inteacuteresse ici deux eacuteleacutementsdoctrinaux pourraient relever drsquoune appropriation personnelle de Par-meacutenide ou plutocirct de la tradition agrave son sujet telle qursquoelle serait parvenueagrave Numeacutenius ndash Platon ayant assureacutement aiguiseacute chez ses successeurslrsquointeacuterecirct pour la penseacutee du personnage eacuteponyme de son dialogue Sansentrer dans une recherche des sources ni dans un exposeacute deacutetailleacute de lapenseacutee de Parmeacutenide et des interpreacutetations de son poegraveme nous nouscontenterons ici drsquoeacutevoquer ces deux points dans le simple but drsquoouvrirla recherche

Le premier concerne la relation de lrsquoecirctre au temps et au change-ment telle qursquoelle est deacutecrite dans le fragment 5 (14 F) deacutejagrave citeacute en par-tie Lrsquoaffirmation que lrsquoecirctre ne saurait ecirctre dans le passeacute ou lrsquoavenir

146 Fabienne JOURDAN

134 Je remercie Francesco Fronterotta drsquoavoir relu cette derniegravere section135 Parmeacutenide fr 1 11 D-K ougrave sont deacutecrites les laquo portes ouvrant sur les

chemins de la nuit et du jour raquo136 Voir Porphyre De antro 21-24 ici surtout 24 Numeacutenius fr 31 27-28

Sur ce texte voir le commentaire de W Huumlbner dans lrsquointroduction de lrsquoeacuteditioncommenteacutee du De Antro parue sous la direction de T Dorandi Paris Vrin2019

mais que seul le preacutesent lui convient et qursquoil ne pourrait pas davantagechanger renvoie assureacutement au propos du Timeacutee (37 d 2-38 b 2)137Que Platon deacuteveloppe ici une reacuteflexion originellement preacutesente chezParmeacutenide et plus preacuteciseacutement pour nous dans le fragment 8 de sonpoegraveme138 pourrait suffire agrave expliquer cet eacutecho parmeacutenidien chezNumeacutenius Mais il est frappant que dans ce fragment 5 (14 F) duΠερὶ τἀγαθοῦ relayeacute par les suivants Numeacutenius reprenne une seacuteriedrsquoeacuteleacutements qui deacutecrivent lrsquoecirctre dans le passage concerneacute du poegraveme outre ceux deacutejagrave nommeacutes on retrouve chez lui lrsquoimpossibiliteacute qursquoalrsquoecirctre de devenir plus grand ou plus petit139 et la neacutecessiteacute qui estsienne de demeurer en lui-mecircme au mecircme endroit140 Ainsi lorsqueNumeacutenius estime que si ces laquo prescriptions raquo indispensables agrave ladeacutetermination de lrsquoecirctre veacuteritable nrsquoeacutetaient pas respecteacutees il se produi-rait une laquo impossibiliteacute majeure dans son discours unique en songenre agrave savoir que lrsquoecirctre agrave la fois serait et ne serait pas raquo141 et faitensuite paraphraser lrsquoideacutee par le disciple du dialogue avec la formule

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 147

137 Voir aussi Plutarque De E 20 393 a-c dont la position est compareacuteeavec celle de Numeacutenius dans notre analyse du fragment

138 Voir les vers suivants du fragment 8 D-K agrave lrsquoorigine de toute lareacuteflexion sur lrsquoeacuteterniteacute (cf M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art citp 157) οὐδέ ποτ᾽ ἦν ἔσται ἐπεὶ νῦν ἐστιν ὁμοῦ πᾶν ἕν συνεχές τίναγὰρ γένναν διζήσεαι αὐτοῦ laquo Il nrsquoa jamais eacuteteacute et ne sera jamais puisqursquoilest maintenant tout ensemble un continu Car quelle naissance pourrais-tului chercher raquo v 5-7 (trad Kirk Raven Schofield en fr par H-A de Weck)et πῶς δ᾽ἄν ἔπειτα πέλοι τὸ ἐόν πῶς δ᾽ἄν κε γένοιτο εἰ γὰρ ἔγεντ᾽ οὐκἔστ᾽ οὐδ᾽ εἴ ποτε μέλλει ἔσεσθαι τῶς γένεσις μὲν ἀπέσβεσται καὶἄπυστος ὄλεθρος laquo Comment pourrait-il ecirctre par la suite Celui qui est Comment pourrait-il naicirctre Car srsquoil est neacute il nrsquoest pas de mecircme lt il nrsquoest pasnon plus gt srsquoil doit ecirctre un jour Ainsi est eacuteteinte la naissance eacuteteinte aussi ladestruction disparue sans qursquoon en parle raquo v 19-21 (trad D OrsquoBrien leacutegegravere-ment modifieacutee) Voir aussi les vers 26-28 du mecircme fragment 8 D-K sur lrsquoab-sence de mouvement ainsi que de deacutebut et de fin

139 Parmeacutenide fr 844-45 D-K140 Parmeacutenide fr 829-30 D-K cf Numeacutenius fr 11 (19 F)141 ὡς τούτου γε οὕτως λεγομένου ἓν γίνεταί τι ἐν τῷ λόγῳ μέγα

ἀδύνατον εἶναί τε ὁμοῦ ταὐτὸν καὶ μὴ εἶναι

relativement complexe εἰ δὲ οὕτως ἔχει σχολῇ γrsquo ἂν ἄλλο τι εἶναιδύναιτο τοῦ ὄντος αὐτοῦ μὴ ὄντος κατὰ αὐτὸ τὸ ὄν il nrsquoest pasexclu qursquoil ait ici le poegraveme parmeacutenidien agrave lrsquoesprit auquel il seraitrevenu directement ou non sous lrsquoimpulsion de Platon La phraseindique en effet (nous paraphrasons) que si pareille impossibiliteacute seproduisait il serait mecircme impossible agrave autre chose (que lrsquoecirctre) drsquoecirctrepuisque lrsquoecirctre lui-mecircme ne serait pas selon ce qursquoil devrait ecirctre (κατὰαὐτὸ τὸ ὄν) autrement dit selon sa propre essence et deacutefinitionNumeacutenius suggegravere sans doute par lagrave que si lrsquoecirctre eacutetait soumis au pas-sage du temps et au changement il serait tout simplement non-ecirctrepuisqursquoil ne correspondrait pas agrave sa propre deacutefinition ce qui explique-rait son impossibiliteacute de constituer le fondement de la reacutealiteacute Une foisreplaceacute dans le contexte de penseacutee de Numeacutenius ougrave ce qui est non-ecirctreest la matiegravere et la partie du sensible qui relegraveve drsquoelle lrsquoideacutee semblefort proche de la maniegravere dont Parmeacutenide dresse lrsquoantithegravese entre ecirctreet non-ecirctre dans ce mecircme fragment 8 de son poegraveme142 Cette impres-sion peut ecirctre eacutetayeacutee par celle drsquoune prise de distance agrave lrsquoeacutegard de cepassage du poegraveme lorsque Numeacutenius affirme que lrsquoecirctre nrsquoest pasmecircme mucirc autour de son centre143 si cette preacutecision fait sans doutedrsquoabord allusion agrave lrsquoacircme du monde qui se meut autour de celui-ci dansle Timeacutee et par suite au refus drsquoidentifier lrsquoecirctre veacuteritable agrave une acircme144elle porte peut-ecirctre eacutegalement la trace drsquoune reacuteaction agrave lrsquoidentificationparmeacutenidienne de lrsquoecirctre agrave une sphegravere145 Lrsquohypothegravese est cependantplus fragile et Numeacutenius heacuterite sans doute avant tout de Platon enverslequel il se situe Crsquoest agrave partir du Timeacutee qursquoil eacutelabore sa penseacutee Maisil ne semble pas exclu qursquoil soit parfois retourneacute (directement ou non)agrave lrsquooriginal auquel reacutefegravere implicitement Platon ce qui est drsquoautant plus

148 Fabienne JOURDAN

142 Sur le non-ecirctre chez Parmeacutenide voir par ex D OrsquoBrien Le Non-Ecirctredans la philosophie grecque Parmeacutenide Platon Plotin raquo dans P Aubenque(eacuted) Eacutetudes sur le Sophiste de Platon Napoli Bibliopolis 1991 p 4-9

143 οὔτε περὶ τὸ μέσον ποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται144 Il srsquoagit lagrave selon nous drsquoun argument essentiel agrave la non-identification

numeacutenienne du deacutemiurge agrave lrsquoacircme du monde145 Fr 8 42-44 D-K

vraisemblable que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacute comme un pythago-ricien146

Le second eacuteleacutement du Περὶ τἀγαθοῦ qui pourrait suggeacuterer lrsquoap-propriation drsquoun passage de Parmeacutenide147 est lrsquoidentification de lrsquoecirctreet de lrsquointellect agrave chacun des deux niveaux ougrave Numeacutenius les situe Ecirctre lui-mecircme (αὐτοόν) et ecirctre deacuteriveacute (ὄν) premier et second intel-lects correspondant au premier et au deuxiegraveme dieu Sans entrer dansle deacutetail de lrsquointerpreacutetation disons simplement que selon nous en fai-sant de lrsquolaquo acte raquo de penser148 lrsquoapanage du premier dieu et en identi-fiant ce mecircme dieu agrave lrsquoEcirctre149 Numeacutenius suggegravere une union intime etprofonde entre ecirctre et penser qursquoil aurait pu consideacuterer comme remon-tant agrave Parmeacutenide lui-mecircme ou qursquoil aurait pu eacutetayer par une appropria-tion du fragment 3 de son poegraveme tel qursquoil est transmis par CleacutementdrsquoAlexandrie et Plotin150 [] τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶεἶναι [] Certes dans ce fragment de vers lrsquoidentification entre ecirctreet penser est suggeacutereacutee par lrsquoextraction du texte hors de son contexte envue justement drsquoy trouver pareille identification Elle ne correspond

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 149

146 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres IX 21(A 1 D-K) Proclus In Parm I 6194 Cousin cf Jamblique VP 166 (A 4D-K)

147 Pour reprendre les termes du fragment 1 (10 F) on pourrait aussi parlerde lrsquolaquo invocation raquo de Parmeacutenide comme source pythagorisante en accord avecPlaton et confirmant la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ elle-mecircme eacutetayeacutee par leslaquo teacutemoignages raquo de celui-ci Numeacutenius semble en effet pouvoir citer Parmeacute-nide pour confirmer son propos agrave la fois parce qursquoil ne pouvait que paraicirctre enaccord avec Platon (cf fr 1 10 F) et parce que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacutecomme pythagoricien

148 Degraves le fragment 15 (23 F) de maniegravere implicite dans le fragment 16 (24F) et explicite au fragment 19 (27 F)

149 Fr 17 (25 F)150 Cleacutement Strom VI 2 233 Plotin Enn VI 1 [10] 817 V 9 [5] 29-

30 cf I 4 [46] 106 III 8 [30] 88 VI 7 [38] 4118 (voir D OrsquoBrien Eacutetudessur Parmeacutenide T I Le Poegraveme de Parmeacutenide Paris Vrin 1987 p 19) ndash Onpourrait drsquoailleurs aussi penser aux vers 34-36 du fragment 8 eacutevoqueacute dans leparagraphe preacuteceacutedent

sans doute pas au sens originel du passage151 De plus chez Numeacuteniusle type de penseacutee speacutecifique agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme nrsquoest pas le νοεῖν maisle φρονεῖν Mais drsquoune part νοεῖν nrsquoayant pas chez Parmeacutenide lesens preacutecis que lui donne ensuite la tradition platonicienne une margerelative drsquointerpreacutetation et de preacutecision eacutetait laisseacutee agrave lrsquointerpregraveteappartenant agrave cette tradition152 drsquoautre part on peut tregraves bien imaginerNumeacutenius extraire ce passage dont la juxtaposition des termes luiaurait paru opportune pour eacutetayer son propos et preacuteciser le sens de laformule ainsi obtenue en distinguant deux niveaux de lrsquoecirctre auxquelscorrespondent deux types distincts de penseacutee (le νοεῖν entendu ausens platonicien drsquointellection revenant au seul second dieu)153Lorsque Cleacutement et apregraves lui Plotin reprennent cette formule il neserait pas impossible qursquoils lrsquoempruntent ainsi extraite agrave Numeacutenius

150 Fabienne JOURDAN

151 Denis OrsquoBrien (ibid p 19 209-212) a montreacute qursquoen reacutealiteacute dans lepoegraveme les deux infinitifs ne doivent vraisemblablement pas ecirctre pris commesujet drsquoun ἐστίν agrave valeur copulative mais peut-ecirctre comme compleacutement dupronom (τὸ αὐτό) ou de lrsquouniteacute syntaxique constitueacutee par le pronom et leverbe (au sens de laquo crsquoest une seule et mecircme chose pour penser et pour ecirctre raquodrsquoougrave la traduction par laquo crsquoest une seule et mecircme chose que lrsquoon pense et quiest raquo) F Fronterotta reprend son analyse et conclut que pour Parmeacutenideνοεῖν deacutesigne une forme de perception immeacutediate non sans lien avec lrsquoactiviteacutesensorielle mais allant au-delagrave des sens et de leur uniteacute creacuteative (laquo Someremarks on noein in Parmenides raquo dans S Stern-Gillet K Korrigan (eacuted)Reading ancient texts Vol I Presocratics and Plato Leiden Brill 2007p 3-19) Il ne srsquoagit donc pas (encore) de la perception intuitive que deacutesignerace verbe ulteacuterieurement

152 Voir la note preacuteceacutedente153 Nous pourrions preacuteciser ainsi lrsquointention de Numeacutenius srsquoil songe effec-

tivement agrave cette formule Selon nous il partage la conviction platonicienne quiveut que pour ecirctre pensable il faut ecirctre reacuteellement (et donc ecirctre intelligible crsquoest la leccedilon du Timeacutee) Srsquoil confrontait cette conviction au vers de Parmeacute-nide il lui donnerait donc drsquoabord lrsquointerpreacutetation laquo objective raquo deacuteceleacutee parFr Fronterotta (laquo Some remarks on noein in Parmenides raquo art cit) Toutefoisdans sa deacutefinition de lrsquoecirctre bientocirct identifieacute au Bien il retourne de toute eacutevi-dence cette conception et considegravere que nrsquoest veacuteritablement que ce qui est pen-sable (et donc lagrave encore intelligible par ex fr 4 a 13 F sur la matiegravere qui

Plotin lrsquoutilise certes pour caracteacuteriser le seul et unique Intellect chezlui situeacute au seul second niveau de la reacutealiteacute Mais cela correspondrait agravesa tendance geacuteneacuterale agrave faire passer au second niveau ce qui correspondau premier chez Numeacutenius154

De Numeacutenius il heacuterite donc peut ecirctre drsquoune lecture de Parmeacutenideplutocirct que du Parmeacutenide

Fabienne JOURDANCNRS UMR 8167 laquo Orient et Meacutediterraneacutee raquo Paris-Sorbonne

jourdanfabiennewanadoofr

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 151

nrsquoest pas ecirctre et ougrave une preuve de cet eacutetat est son caractegravere inconnaissable)Appliqueacutee agrave la formule de Parmeacutenide cette conviction en produirait ce queFr Fronterotta appelle une lecture laquo subjective raquo En outre dans le deacutesir sansdoute drsquoexpliquer la participation de maniegravere concregravete il ne donne pas seule-ment lrsquointelligibiliteacute comme condition de lrsquoecirctre (au sens passif du terme) maisil considegravere le fait de penser comme condition du fait drsquoecirctre reacuteellement (ausens laquo actif raquo du terme) Crsquoest pourquoi srsquoil avait connu et utiliseacute la formule deParmeacutenide ne serait-ce que pour eacutetayer son propos il y aurait sans douteentendu lrsquoaffirmation de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre et de la penseacutee mieux du penserCela pourrait certes paraicirctre lui attribuer une forme drsquoideacutealisme heacutegeacutelien(selon les termes de Fr Fronterrota laquo Some remarks on noein in Parmenides raquoart cit p 6) Mais telle est aussi la lecture de Cleacutement drsquoAlexandrie (StromVI 2 233) Or mecircme srsquoil ne le cite explicitement qursquoune fois (Strom I 22150 1-4 = 29 Fd) Cleacutement connaicirct Numeacutenius et se sert parfois de ses eacutecritssans le nommer (voir par ex Strom I 8 405 Strom I 13 571) Il nrsquoest doncpas impossible que pareille interpreacutetation circulacirct deacutejagrave au temps de Numeacuteniusvoire chez lui et mecircme gracircce agrave lui Le raisonnement du Περὶ τἀγαθοῦ dumoins passe par lrsquoidentification de lrsquoecirctre agrave lrsquo laquo activiteacute raquo de penser ensuiteconccedilue aux niveaux infeacuterieurs comme condition mecircme de leur participation agravelrsquoecirctre (voir le fr 19 27 F)

154 Nous simplifions et deacutecrivons simplement une tendance le processuspreacutecis requerrait une explication deacutetailleacutee qui nrsquoa pas sa place ici

152 Fabienne JOURDAN

Page 8: NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE · 2020. 4. 16. · NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE?* PREMIÈREPARTIE: L’ŒUVREPARVENUEDENUMÉNIUSETLEPARMÉNIDE DEPLATON RÉSUMÉ Si

theacuteorie du moins et agrave ce double titre de platonicien et de pythagorisantun parfait candidat au rang drsquointerpregravete laquo neacuteo-pythagoricien raquo preacute-plo-tinien du Parmeacutenide Cette candidature est drsquoautant plus laquo provoca-trice raquo pour les tenants de la thegravese courante de lrsquohistoire du platonismeque Plotin a eacuteteacute consideacutereacute par ses adversaires comme srsquoappropriant sesdoctrines17 lecteur plus fin Longin preacutecisait mecircme que crsquoeacutetait agrave lasuite de Numeacutenius et drsquoautres platoniciens pythagorisants dont juste-ment Modeacuteratus Thrasylle et Cronius le disciple direct de Numeacuteniusqursquoil srsquoadonnait agrave lrsquointerpreacutetation des principes pythagoriciens et plato-niciens18 entreprise dans laquelle il les aurait largement deacutepasseacutes19Quoi qursquoil en soit de cette poleacutemique il est assureacute que Plotin commen-tait les œuvres de Numeacutenius dans ses cours20 Si Numeacutenius avait doncinterpreacuteteacute le Parmeacutenide et ce surtout dans le sens pythagoricien sug-geacutereacute par les chercheurs ayant deacutejagrave invoqueacute Modeacuteratus et mecircme Speu-sippe en ce sens Plotin aurait assureacutement rebondi sur son exeacutegegravese Ilnrsquoaurait plus alors le primat de pareille interpreacutetation et avec ce statutserait eacutegalement eacuterodeacutee la preacutesentation courante des origines du neacuteo-platonisme

Formuleacutee ainsi lrsquohypothegravese est seacuteduisante elle est toutefois fortspeacuteculative tant qursquoon ne peut prouver que Numeacutenius a reacuteellement

108 Fabienne JOURDAN

de Philon pour lrsquoexeacutegegravese (et donc pour la notion drsquoeacutenigme) et plus speacutecifique-ment pour lrsquointerpreacutetation des nombres deux eacuteleacutements eacutegalement preacutesentschez Numeacutenius

17 VP 17-18 Sur ce passage voir la note de R Goulet agrave VP 18 2-3 dansL Brisson JL Cherlonneix M-O Goulet-Caseacute R Goulet MD GrmekJ-M Flamand S Matton J Peacutepin HD Saffrey A-Ph Segonds M TardieuP Thillet Porphyre La Vie de Plotin Vol II Paris Vrin 1992 p 278 etS Menn laquo Longinus on Plotinus raquo Dionysius 19 2001 p 113-124 sur le sensde ὑποβάλλεσθαι dans ce contexte Sur la supeacuterioriteacute de Plotin relativementaux meacutedioplatoniciens dans lrsquointerpreacutetation de Pythagore voir aussiM Bonazzi laquo Plotino e la tradizione pitagorica raquo Acmegrave 53 2000 p 38-73

18 VP 2019 VP 21 ougrave Porphyre recite toutefois le propos de Longin en VP 2020 VP 14

interpreacuteteacute le Parmeacutenide Elle requiert donc un examen approfondi destextes parvenus ndash textes qui nous ont eacuteteacute transmis uniquement demaniegravere indirecte tregraves partielle et de fait aussi tregraves partiale La pre-miegravere eacutetape de la recherche consiste donc agrave reacutealiser pareil examenpour voir si ces textes portent effectivement la trace de lrsquointerpreacute-tation en jeu comme lrsquoont proposeacute notamment A-J Festugiegravere21D OrsquoMeara22 G Bechtle23 M Burnyeat24 et JD Turner25

2) La maigreur des indices reacuteellement significatifs cependant ndash agravemoins drsquoimaginer un silence poleacutemique de la part de Numeacutenius dontnous verrons qursquoil nrsquoest peut-ecirctre pas agrave exclure totalement ndash aurait sansdoute inviteacute agrave abandonner pareille recherche comme relativementdeacutesespeacutereacutee ou artificielle en lrsquoeacutetat de nos sources Mais le deacutesir derevenir sur lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacute-nide26 lrsquoa ranimeacutee Lui aussi parvenu de maniegravere fragmentaire (maiscette fois directe) ce texte comporte des parallegraveles frappants avec lrsquoen-seignement connu de Numeacutenius et invite agrave penser que lrsquoauteur srsquoins-pire de lui voire comme le propose Gerald Bechtle depuis sa mono-graphie de 199927 nrsquoest autre que Numeacutenius lui-mecircme il srsquoagirait du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 109

21 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV Paris Gabalda 1954 p 12522 laquo Being in Numenius and Plotinus Some Points of comparison raquo Phro-

nesis 21 1976 p 120-12923 The Anonymous Commentary on Platorsquos Parmenides BernStuttgart

Wien Paul Haupt 1999 p 8224 laquo Platonism in the Bible Numenius of Apamea on Exodus and Eter-

nity raquo dans R Salles (eacuted) Metaphysics Soul and Ethics in Ancient thoughtOxford Clarendon Press 2005 p 143-169 il le suggegravere p 152-155

25 laquo The Platonizing Sethian Treatise raquo art cit p 128-13926 Titre artificiel donneacute au texte que nous abreacutegerons dans la suite27 The Anonymous Commentary op cit Voir aussi du mecircme auteur laquo The

Question of Being and the Dating of the Anonymous Parmenides Commen-tary raquo Ancient Philosophy 20 2000 p 393-414 et laquo A neglected Testimonium(Fragment ) on the Chaldaen Oracles raquo Classical Quarterly 56 2006p 563-581 sans ecirctre tout agrave fait explicite JD Turner le suit essentiellement(Sethian Gnosticism and The Platonic Tradition QueacutebecLouvainParisPresses de lrsquoUniversiteacute LavalPeeters 2001 laquo Victorinus Parmenides com-

commentaire que Numeacutenius aurait reacutedigeacute sur le Parmeacutenide ou dumoins sur les deux premiegraveres hypothegraveses28 de la seconde partie

3) Comme telle toutefois confronteacutee aux arguments solides dePierre Hadot en faveur drsquoune autoriteacute porphyrienne du Commentaireanonyme29 ou du moins agrave ceux drsquoAlessandro Linguiti en faveur drsquoune

110 Fabienne JOURDAN

mentaries and the Platonizing Sethian Treatises raquo dans K Corrigan JD Tur-ner (eacuted) Platonism Ancient Modern and Postmodern LeidenBoston Brill2007 p 55-96 et laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit) Voir aussiK Corrigan qui pense quant agrave lui agrave Cronius (laquo Platonism and Gnosticism TheAnonymous Commentary on the Parmenides Middle or Neoplatonic raquo dansJD Turner R Majercik (eacuted) Gnosticism and Later Platonism ThemesFigures and Texts Atlanta Society of Biblical Literature 2001 p 141-177)

28 Dans les pages qui suivent nous adopterons pour simplifier la termino-logie exeacutegeacutetique qui srsquoest imposeacutee et parlerons des laquo hypothegraveses raquo de laseconde partie du Parmeacutenide bien qursquoil srsquoagisse plutocirct chez Platon drsquoune seacuteriede deacuteduction En outre quand nous y reacutefegravererons nous nrsquoajouterons plus lamention de laquo la deuxiegraveme partie raquo du Parmeacutenide

29 Voir P Hadot (laquo Fragments drsquoun Commentaire de Porphyre sur le Par-meacutenide raquo Revue des eacutetudes grecques 74 1961 p 410-438 repris dansP Hadot Plotin Porphyre Eacutetudes neacuteoplatoniciennes Paris Les BellesLettres 20102 [1999] p 281-316 laquo La meacutetaphysique de Porphyre raquo dansPorphyre Entretiens sur lrsquoAntiquiteacute classique XII Vandœuvres-Genegraveve Fon-dation Hardt 1966 p 125-157 repris dans P Hadot Plotin Porphyre op citp 317-353 Porphyre et Victorinus I et II Paris Eacutetudes augustiniennes1968 laquo Porphyre et Victorinus Questions et hypothegraveses raquo dans M TardieuP Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApocalypse de Zostrien et lessources de Marius Victorinus Bures-sur-Yvette Res Orientales IX 1996p 117-125 Ses arguments sont eacutetayeacutes par ceux de HD Saffrey laquo Connais-sance et inconnaissance de Dieu Porphyre et la Theacuteosophie de Tuumlbingen raquodans J Duffy J Peradotto (eacuted) Gonimos Buffalo Arethusa 1988 p 3-20repris dans HD Saffrey Recherches sur le Neacuteoplatonisme apregraves Plotin ParisVrin 1990 p 1-20 M Zambon Recension de G Bechtle The AnonymousCommentary on Platorsquos Parmenides Elenchos 20 1999 p 194-202 et Por-phyre et le moyen-platonisme Paris Vrin 2002 R Chiaradonna laquo Nota supartecipazione e atto drsquoessere nel neoplatonismo lrsquoanonimo Commento alParmenide raquo Studia graeco-arabica 2 2012 p 87-97 et laquo Logica e teologica

origine post-plotinienne30 lrsquohypothegravese de G Bechtle pourrait semblerpeu utile grand lecteur de Numeacutenius31 Porphyre si nous revenons pro-visoirement agrave lui pouvait srsquoinspirer de son preacutedecesseur et de ses doc-trines sans que celui-ci ait lui-mecircme composeacute un commentaire au Par-meacutenide Comme nous le montrerons les parallegraveles entre le Commentaireanonyme et lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius en tout cas nrsquoimpliquentpas de reacutefeacuterence directe au dialogue de Platon de la part de ce dernierLrsquoexamen de lrsquohypothegravese pourrait donc srsquoachever sur ce constat si unedeacutecouverte de Michel Tardieu (1996) nrsquoinvitait pas malgreacute tout agrave lrsquoex-plorer davantage En deacutecryptant lrsquoApocalypse de Zostrien M Tardieu ya deacutecouvert un passage semblable agrave un autre du Contre Arius de MariusVictorinus32 laquo synopse raquo supposant selon lui une source commune auxdeux auteurs Or ce texte et donc cette laquo source raquo semble drsquoune partrelever drsquoun commentaire des deux premiegraveres hypothegraveses du Parmeacute-nide et drsquoautre part comporter des parallegraveles avec le Commentaire ano-nyme ndash son identification directe agrave celui-ci paraissant exclue a priorieacutetant donneacutee lrsquoidentification qursquoelle semble faire du premier Un agrave lrsquoEs-prit absente du Commentaire anonyme LrsquoApocalypse de Zostrien eacutetantlrsquoun des traiteacutes gnostiques critiqueacutes dans lrsquoeacutecole de Plotin33 la chronolo-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 111

nel primo neoplatonismo A proposito di Anon In Parm XI 5-19 e IamblRisposta a Porfirio [De Mysteriis] I 4 raquo Studia graeco-arabica 5 2015 p 1-11 M Chase laquo Porphyre Commentaires agrave Platon et Aristote raquo dans R Gou-let (eacuted) Dictionnaire des philosophes antiques Paris CNRS V b 2012p 1369-1371 avec la bibliographie en ce sens p 1362-1365

30 laquo Sulla datazione del Commento al Parmenide di Bobbio Unrsquoanalisilessicale raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et lasua tradizione op cit p 307-322 (voir aussi lrsquointroduction de son eacutedition duCommentaire anonyme dans Corpus dei papiri filosofici greci e latini Testo elessico nei papiri di cultura greca e latina Parte III Commentari FirenzeOlschki 1995 p 78-91)

31 Voir Proclus In Tim I 7722-24 = Numeacutenius fr 3724-26 des Places32 Apocalypse de Zostrien (NHC VIII 1 6411-6612) Marius Victorinus

(Adversus Arium I 497-50)33 VP 16

gie imposerait alors de situer cette source avant Plotin Voici doncrevenue lrsquohypothegravese drsquoun commentaire meacutedio-platonicien au Parmeacute-nide les parallegraveles avec le Commentaire anonyme suggeacuterant alorscette fois plus assureacutement le nom de Numeacutenius comme sonauteur M Tardieu la formule prudemment34 P Hadot lrsquoeacuteloigne dis-cregravetement35 mais elle est vivement deacutefendue par G Bechtle et sespartisans qui faisant la synthegravese de ces deacutecouvertes en tirent alorsla conviction que Numeacutenius serait non seulement lrsquoauteur du Com-mentaire anonyme mais aussi la source de ce que M Tardieu nommelrsquo laquo exposeacute commun raquo36 et que nous nommerons aussi provisoirementde cette maniegravere37

Plus que lrsquoœuvre parvenue elle-mecircme crsquoest cette triple probleacutema-tique propre agrave lrsquohistoire de la philosophie et agrave sa recherche des sourcesqui impose lrsquoexamen de la relation de Numeacutenius au Parmeacutenide exa-men qursquoelle rend lui-mecircme triple en suggeacuterant de surcroicirct que chaqueeacutetape corrobore la preacuteceacutedente Notre enquecircte suivra ces trois eacutetapes elle tentera drsquoeacutevaluer si cet enchaicircnement argumentatif lieacute agrave lrsquoeacutetudeconjointe de ces trois seacuteries de textes nrsquoest pas forceacute tant il paraicirctessentiellement ducirc agrave la surenchegravere en preacutecision dans lrsquohypothegravese delrsquoexistence drsquoune interpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologique pythago-risante et preacute-plotinienne du Parmeacutenide

Dans la premiegravere partie de lrsquoeacutetude proposeacutee dans ce numeacutero noustenterons donc drsquoeacutevaluer la place de Numeacutenius au sein du laquo neacuteo-pytha-gorisme raquo censeacute avoir deacutejagrave produit une telle interpreacutetation Commenous serions plus que reacuteserveacutee sur la preacutesence de celle-ci chez Modeacute-

112 Fabienne JOURDAN

34 Dans M Tardieu et P Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApoca-lypse de Zostrien op cit p 112-113

35 Dans ibid p 11436 G Bechtle The Anonymous Commentary op cit p 248-249 n 683

laquo The Question of Being raquo art cit p 408-412 laquo A neglected Testimonium raquoart cit p 568 JD Turner semble le suivre dans les articles deacutejagrave signaleacutes K Corrigan eacutegalement en songeant plutocirct agrave Cronius

37 Le statut reacuteel de cet laquo exposeacute raquo sera examineacute dans la troisiegraveme partie decette eacutetude (Revue de philosophie ancienne 38-1)

ratus et ses preacutedeacutecesseurs38 nous ne ferons allusion agrave ce point qursquoenconclusion Nous nous concentrerons ici de la maniegravere la plus sobrepossible sur lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et examinerons srsquoil estpossible de lui precircter un commentaire ne serait-ce que partiel du Par-meacutenide

Dans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude qui sera publieacutee dans lenumeacutero suivant (37-2) nous analyserons les parallegraveles et les diver-gences entre lrsquoœuvre de Numeacutenius et le Commentaire anonyme au Par-meacutenide Il srsquoagira drsquoeacutevaluer la validiteacute de lrsquohypothegravese qui attribue cecommentaire agrave Numeacutenius mais aussi de reconsideacuterer leur relationmutuelle laquelle est riche drsquoenseignements pour la reacuteflexion surlrsquoeacutelaboration du neacuteoplatonisme

Dans la troisiegraveme partie de lrsquoeacutetude qui sera publieacutee dans le numeacutero38-1 nous examinerons lrsquo laquo exposeacute commun raquo au Zostrien et agrave MariusVictorinus sa relation au Commentaire anonyme et au Parmeacutenide lui-mecircme et les parallegraveles qursquoon y voit parfois avec lrsquoœuvre parvenue deNumeacutenius pour envisager quelle place celle-ci pourrait avoir dans lareconstitution de ses sources

Chaque partie peut ecirctre lue indeacutependamment selon les centresdrsquointeacuterecircts de chacun Lrsquoensemble visera agrave eacutevaluer srsquoil est vraimentneacutecessaire de bouleverser la conception la plus courante de lrsquohistoire

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 113

38 Sans rejeter absolument un recours au Parmeacutenide anteacuterieur agrave Plotinnous estimons non justifieacute de precircter agrave Modeacuteratus une interpreacutetation theacuteolo-gique et meacutetaphysique du Parmeacutenide sur la foi du teacutemoignage de Simplicius(In Phys 23034-2319) Nous suivons sur ce point les reacuteserves de A-J Festu-giegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 22 n 3 JM Ristlaquo The Neoplatonic One and Platorsquos Parmenides raquo Transactions and Procee-dings of the American Philological Association 93 1962 p 389-401 C Steel laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 19-20qui rappelle agrave juste titre le rocircle de Porphyre comme source de Simplicius JN Hubler laquo Moderatus ER Dodds and the Development of NeoplatonistEmanation raquo dans JD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and itsHeritage op cit vol I p 115-130 ainsi que les reacuteserves de Philippe Hoff-mann lors du seminaire de la Society of Biblical Literature en 2003 (laquo Rethin-king Platorsquos Parmenides and its Platonic Gnostic and Patristic Reception raquo)

du platonisme en donnant Numeacutenius comme preacutecurseur de Plotin danslrsquointerpreacutetation meacutetaphysique du Parmeacutenide Si tel nrsquoest pas le cas elleconfirmera a contrario les critegraveres drsquoune interpreacutetation reacuteellement neacuteo-platonicienne de la seconde partie du dialogue Disons en outre drsquoem-bleacutee qursquoeacutetant donneacute que nous ne pouvons raisonner qursquoagrave partir de cequi nous est parvenu aucune conclusion assertive nrsquoest en soi possiblesur lrsquoexistence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par NumeacuteniusCette eacutetude aura toutefois trois reacutesultats positifs envisager un rapportvolontairement distant de Numeacutenius au Parmeacutenide fondeacute sur le textede Platon lui-mecircme et dont aura tenu compte le neacuteoplatonisme deacutecou-vrir des parallegraveles entre le Commentaire anonyme et le Περὶ τἀγαθοῦplus nombreux qursquoil nrsquoest souvent signaleacute ndash ce qui offrira peut-ecirctre unindice permettant une position plus assureacutee dans le deacutebat sur lrsquoanteacuterio-riteacute de Numeacutenius ou des Oracles chaldaiumlques et enfin approfondirlrsquohypothegravese relative agrave lrsquoutilisation de Numeacutenius par les gnostiques etpar les neacuteoplatoniciens appropriation que lrsquoon peut suivre jusque dansles traductions et transpositions arabes de leurs œuvres

Preacuteliminaire Esquisse de la doctrine des principeschez Numeacutenius

Avant pareil exposeacute une bregraveve esquisse de la penseacutee meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius est neacutecessaire Nous nous en tiendronsaux grandes lignes transmises dans les fragments veacuteritables ceux citeacutespar Eusegravebe de Ceacutesareacutee et nous exposerons de maniegravere succincte lesreacutesultats de nos propres analyses sans livrer le deacutetail des deacutebats surlesquels elles ont eacuteteacute eacutelaboreacutees39 Les textes nous inteacuteressant se trou-vent dans le Περὶ τἀγαθοῦ dialogue ougrave Numeacutenius entreprend larecherche drsquoune deacutefinition du Bien qursquoil identifie au premier prin-cipe40 Il identifie ce premier principe drsquoune part agrave un premier dieu et

114 Fabienne JOURDAN

39 Voir la bibliographie et les commentaires de notre eacutedition en preacutepara-tion

40 Le titre qui est laquo originellement raquo celui de la leccedilon orale de Platon

intellect et drsquoautre part au Bien et Ecirctre lui-mecircme ou par excellence(selon les formules αὐτοάγαθον et αὐτοόν)41 que dans une perspec-tive exeacutegeacutetique il considegravere comme repreacutesenteacute par la forme du Bieneacutevoqueacutee dans la Reacutepublique42 De ce premier principe Numeacutenius dis-tingue un second dieu ou principe identifieacute cette fois au deacutemiurge duTimeacutee43 Ce dieu assure le rocircle deacutemiurgique dont le premier est ainsidispenseacute et il est conccedilu comme lrsquoimage de celui-ci il est le Bon parti-cipant au Bien le second intellect qui produit sa propre forme encontemplant le premier faccedilonnant ou deacuteterminant pour cela lrsquoecirctre oulrsquoessence (οὐσία) que le premier lui procure par le simple fait drsquoecirctre(soi et le Bien)44 Telle est du moins la maniegravere dont nous lisonsconjointement les fragments 11 et 16 (19 et 25 F)45 Autrement dit tan-dis que le premier dieu est le principe de lrsquoecirctre le second est le prin-cipe du devenir46 Numeacutenius donne plus preacuteciseacutement deux laquo aspects raquo

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indique agrave lui seul que le texte srsquoadonne agrave une recherche et deacutefinition des prin-cipes Aristote et Xeacutenocrate le donnent ensuite chacun agrave lrsquoune de leurs œuvresSur lrsquoimportance de ce titre voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius Sur leBien de Platon Lrsquoenseignement oral du maicirctre comme occasion de rechercherson pythagorisme dans ses eacutecrits raquo Χώρα 15-16 2017-2018 p 139-165

41 Voir par ex fr 16 et 17 (24 et 25 F) ndash Tout au long de cette eacutetude lesfragments sont citeacutes selon la numeacuterotation de lrsquoeacutedition drsquoEacutedouard des Places(Numeacutenius Fragments Paris Les Belles Lettres 1973) nous indiquons entreparenthegraveses les numeacuteros qui correspondent dans notre eacutedition en preacuteparation

42 Voir surtout les fr 19 et 20 (27 et 28 F)43 Voir notamment les fr 11 12 et 18 (19 20 et 26 F) En reacutealiteacute le

deacutemiurge du Timeacutee partage ses attributs entre le premier dieu numeacutenien(auquel il laisse sa fonction de source divine des acircmes cf fr 13 21 F) et lesecond qui est aussi troisiegraveme et reacutealise les opeacuterations proprements deacutemiur-giques assumant par lagrave en partie le rocircle des dieux secondaires du Timeacutee

44 Fr 16 (24 F)45 Voir aussi lrsquoanalyse du fr 16 (24 F) par G Muumlller laquo Ἰδέα y οὐσία en

Numenio de Apamea Una reinterpretacioacuten de la ontologiacutea platoacutenica raquo Cua-dernos de Filosofiacutea 59 2012 p 121-140 Nous prenons position agrave son sujetdans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude Revue de philosophie ancienne 37-2

46 Ibid

agrave ce second dieu selon lrsquoorientation de son attention deux laquo aspects raquoqui conduisent agrave parler agrave son sujet de deux laquo dieux raquo qui toutefois nrsquoenconstituent reacutealiteacute qursquoun seul lorsqursquoil est tourneacute vers soi crsquoest-agrave-direvers lrsquointelligible qursquoil est lui-mecircme par contemplation du Bien lesecond dieu est entiegraverement agrave soi et donc reacuteellement soi second dieu lorsqursquoil est tourneacute vers la matiegravere qursquoil met en ordre il est deacutemiurgeau sens litteacuteral du terme et devient laquo troisiegraveme dieu raquo47 Cette divisionnrsquoimplique pas une reacuteelle scission et ne srsquoavegravere autre qursquoune diffeacuterencedrsquoorientation agrave lrsquoorigine drsquoune uniteacute diviseacutee image imparfaite delrsquouniteacute indivisible et parfaite qursquoest le premier dieu

Cette bregraveve preacutesentation doit suffire agrave comprendre le cadre de lapenseacutee numeacutenienne48 Signalons simplement encore trois points essen-tiels pour la confrontation avec le Parmeacutenide et ses interpreacutetations

1) Lrsquoeacuteleacutement fondamental du Περὶ τἀγαθοῦ est lrsquoidentificationdu Bien lui-mecircme (ἀυτοάγαθον) premier principe agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme (αὐτοόν)49 Elle srsquoaccompagne de lrsquoaffirmation qursquoil existeune laquo con-naturaliteacute raquo du Bien agrave lrsquoeacutegard de lrsquoessence50 (σύμφυτον τῇ

116 Fabienne JOURDAN

47 Fr 11 (19 F)48 La preacutesentation ici donneacutee deacutepend de propre analyse des textes Pour

drsquoautres interpreacutetations voir aussi par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit J Opsomer laquo Demiurges in Early Imperial Platonism raquo dans R Hirsch-Luipold(eacuted) Gott und die Goumltter bei Plutarch BerlinNew York de Gruyter 2005p 63-72 M Baltes dans H Doumlrrie M Baltes Ch Pietsch Die PhilosophischeLehre des Platonismus Band 71 Theologia Platonica Stuttgart Bad Canns-tatt Frommann-Holzboog 2008 p 472-482 Les vues de CS OrsquoBrien TheDemiurge in Ancient thought Secondary Gods and Divine mediators Cam-bridge Cambridge University Press 2015 p 139-168 sont agrave consideacuterer avecla plus grande preacutecaution

49 Fr 17 (25 F) cf fr 2 (11 F)50 Nous traduirons ici οὐσία par laquo essence raquo consciente des faiblesses de

cette traduction qui dans le contexte platonicien examineacute nrsquoimplique naturel-lement pas de distinction par rapport agrave la notion drsquoexistence Dans ce contextelaquo essence raquo est agrave prendre au sens de reacutealiteacute intelligible (sur cette deacutefinition voirpar ex R Chiaradonna laquo Substance raquo dans P Remes S Slaveva-Griffin(eacuted) The Routledge Handbook of Neoplatonismi LondonNew York Rout-

οὐσίᾳ51) le Bien partage la mecircme nature que cette οὐσία (forme sub-stantive de lrsquoecirctre) qui provient ainsi de lui Numeacutenius exprime deacutejagrave cetteideacutee au fragment 2 (10 F) par lrsquoimage du Bien laquo monteacute sur lrsquoessence raquo(comme on dirait laquo sur un cheval raquo52) Par lrsquoutilisation de la preacutepositionet du preacuteverbe ἐπί- de preacutefeacuterence agrave ὑπό- (preacutesent dans la formule de Pla-ton) la formule ἐποχούμενον ἐπὶ τῇ οὐσίᾳ indique une laquo transcen-dance raquo53 avec contact qui donne sans deacutetour lrsquointerpreacutetation que Numeacute-nius fait de la formule eacutenigmatique de Reacutepublique VI 509 b 8-10 srsquoilest une laquo transcendance raquo du premier principe elle est drsquoordre cosmolo-gique et non laquo ontologique raquo au sens ougrave ce principe constitue la formeeacuteminente de lrsquoecirctre mais ne srsquoen distingue pas par son essence

2) Ce premier principe est certes immobile en tant qursquoecirctre54exempt de toute activiteacute sous-entendu deacutemiurgique55 mais Numeacuteniuseacutevoque un laquo mouvement qui accompagne naturellement son repos raquo(τῷ πρώτῳ στάσιν [] κίνησιν σύμφυτον56) Ce mouvementindique vraisemblablement que le premier principe pense57 et la for-mule preacutepare son identification agrave un intellect Concernant ce premierdieu toutefois le type de penseacutee qui le caracteacuterise est visiblementconccedilu comme nrsquoimpliquant pas drsquoactiviteacute proprement dite au sens du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 117

ledge 2014 p 216) La deacutetermination nrsquointervient ici qursquoavec le second dieu οὐσία est le terme qui sert agrave exprimer litteacuteralement lrsquoecirctre (ὄν) de maniegravere sub-stantive un ecirctre que le premier dieu Ecirctre par excellence fait advenir sans acteproducteur simplement en eacutetant ce qursquoil est et donc sans que cette οὐσία quivient de lui soit ontologiquement distincte de lui

51 Fr 16 (24 F)52 Lrsquoimage apparaicirct litteacuteralement dans les Oracles chaldaiumlques fr 1466

des Places53 On pourrait alors aiseacutement renoncer au mot laquo transcendance raquo et preacutefeacute-

rer la notion de primauteacute hieacuterarchique par exemple54 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)55 Fr 11-12 (19-20 F)56 Fr 15 (23 F)57 Le passage est agrave interpreacuteter en lien avec le Sophiste 248 e-249 a (voir

notre commentaire au passage dans lrsquoeacutedition en preacuteparation)

moins ougrave cette penseacutee est sans objet et nrsquoest pas mecircme penseacutee de soi aufragment 19 (27 F) Numeacutenius parle drsquoun φρονεῖν qui est lrsquoapanage dupremier dieu sous-entendu agrave la diffeacuterence notamment du νοεῖν saisieintuitive de lrsquointelligible caracteacuteristique du second dieu58 et plus encoredu διανοεῖσθαι activiteacute de penseacutee discursive agrave lrsquoorigine de la deacutemiur-gie Ce φρονεῖν peut selon nous ecirctre compris comme une penseacuteelaquo intransitive raquo (crsquoest-agrave-dire sans objet) pure dispensation du Bien parlrsquoecirctre du Bien59 En cela elle nrsquoimplique reacuteellement aucune activiteacute

Crsquoest alors en ce sens assureacutement que le premier dieu est ditlaquo entourer les intelligibles raquo ou plus exactement et litteacuteralement ecirctrelaquo autour des intelligibles raquo au fragment 15 (23 F περὶ τὰ νοητά) lrsquoexpression nrsquoimplique ni qursquoil les contienne ni qursquoil les produisecomme son objet de penseacutee ni mecircme qursquoil les pense60 Si elle visepeut-ecirctre agrave rendre compte drsquoune identification ultime du premier prin-

118 Fabienne JOURDAN

58 Agrave la limite le premier dieu ne peut lrsquoexercer que par lrsquointermeacutediaire dusecond voir le teacutemoignage de Proclus In Tim III 10328-32 Diehl = fr 22(contre cette interpreacutetation traditionnelle voir G Muumlller laquo Queacute es ldquolo que esvivienterdquo (ὁ εστι ζῶον) seguacuten Numenio de Apamea raquo Cuadernos Filosofiacutea64 2015 p 11-12 dont lrsquohypothegravese bien que seacuteduisante ne tient pas agrave lrsquoexa-men de la syntaxe du passage lrsquoinfinitif νοεῖν ne peut avoir que τὸν πρῶτονcomme laquo sujet raquo et non un δεύτερoν implicitement tireacute du geacutenitif δευτέρου)

59 Nous reacutesumons Voir aussi lrsquoeacutetude de la φρόνησις chez Platon parM Dixsaut laquo De quoi les philosophes sont-ils amoureux Sur la phronegravesisdans les dialogues de Platon raquo repris dans M Dixsaut Platon et la question dela penseacutee Eacutetudes platoniciennes I Paris Vrin 2000 p 93-119 ndash Le lien eacutety-mologique originel entre φρονεῖν et φρήν (le diaphragme) suggegravere une autreimage ce φρονεῖν est comme une laquo respiration drsquoecirctre raquo qui est le Bien et drsquoougraveeacutemane le bien

60 Cette interpreacutetation qui tient entre autres compte de la simpliciteacute abso-lue du premier dieu (fr 11 = 19 F) nrsquoest pas contradictoire avec celle de Timeacutee39 e 7-9 par laquelle Numeacutenius aurait associeacute son premier dieu au Vivant (InTim III 103 28-32 Diehl = fr 22) Certes dans le Timeacutee le Vivant a en lui lesformes (ἐνούσας ἰδέας τῷ ὃ ἔστι ζῷον 39 e 8) Mais sans pouvoir deacutevelop-per ici notre analyse disons simplement que Numeacutenius a pu lire le texte autre-ment et inspirer la distinction drsquoAmeacutelius entre un laquo intellect qui est (leVivant) raquo et un laquo intellect qui a (les formes en lui) raquo notamment en deacutecompo-

cipe au Vivant du Timeacutee61 dans le contexte du Περὶ τἀγαθοῦ ellerenvoie selon nous agrave un pur eacutetat de lrsquoecirctre agrave vertu bienfaitrice ou salvi-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 119

sant ἐνούσας de maniegravere cratylienne pour y lire ἐν-νους-ας qui eacutevoquerait lesformes laquo qui sont dans le νοῦς raquo le second dieu et intellect que Numeacutenius voitdeacutesigneacute dans le νοῦς du texte platonicien Le datif τῷ ὃ ἔστι ζῷον nrsquoauraitplus alors deacutesigneacute chez lui le lieu ougrave se trouvent les formes mais le destina-taire de la contemplation celui laquo pour qui ou agrave lrsquointention de qui en faveur dequi raquo le νοῦς qui a les formes en lui les contemplerait (autrement dit exerceraitle νοεῖν) Lrsquoaffirmation que crsquoest gracircce au second dieu et intellect (ἐνπροσχρήσει τοῦ δευτέρου) que le premier exercerait un νοεῖν pourrait ainsiconstituer lrsquoexplicitation de cette lecture eacutetonnante du texte platonicien Ainsile premier dieu nrsquoexercerait jamais le νοεῖν il nrsquointelligerait que gracircce ausecond qui le ferait pour lui Cette preacutecision pourrait servir agrave reacutepondre agravelrsquoeacuteventuelle objection drsquoun aristoteacutelisant qui deacutenoncerait une identification dupremier dieu agrave un νοῦς srsquoaccompagnant drsquoun refus de precircter agrave celui-ci lrsquoacti-viteacute du νοεῖν Numeacutenius reacutepondrait ainsi il ne lrsquoexerce pas lui-mecircme maispar lrsquointermeacutediaire du second qui le fait pour lui tandis qursquoil srsquoadonne au seulφρονεῖν Voir aussi notre interpreacutetation des fr 16 et 18 (24 et 26 F) ndash Pourune autre interpreacutetation de ce passage voir par ex M Frede laquo Numenius raquoart cit p 1062-1063 1065-1066 et 1069-1070 JP Kenney laquo ProschresisRevisited An Essay in Numenian Theology raquo dans JR Daly (eacuted) Orige-niana quinta Historica Text and method Biblica Philosophica Theologia Origenism and later developments Leuven Peeters p 217-230 RD PettyThe Fragments of Numenius Santa Barbara 1993 p 135-137 (republieacute agraveWestbury Prometheus Trust 2012) M Baltes dans H Doumlrrie M BaltesCh Pietsch Die Philosophische Lehre des Platonismus Band 71 op citp 477-478 A Michalewski laquo Le Premier de Numeacutenius et lrsquoUn de Plotin raquoArchives de philosophie 75 2012 p 35-37 et La Puissance de lrsquointelligibleLa Theacuteorie plotinienne des Formes au miroir de lrsquoheacuteritage meacutedioplatonicienLeuven Leuven University Press p 94-96

61 Voir Platon Timeacutee 30 c 7-8 (avec le participe περιλαβόν) et 31 a 3 (τograveπεριέχον πάντα ὁπόσα νοητὰ ζῷα) avec deux participes preacutefixeacutes en περί- agravepropos du Vivant qui a tous les intelligibles en lui et auquel Numeacutenius peutvouloir renvoyer avec sa formule περὶ τὰ νοητά La reacutefeacuterence implicite aupassage de la Lettre II 312 e 1-4 savamment reacuteeacutecrit indique toutefois queNumeacutenius donne un tout autre sens agrave ce περί Voir aussi le teacutemoignage de Pro-clus citeacute dans les notes preacuteceacutedentes

fique selon lrsquoideacutee de salut suggeacutereacutee agrave la fin de ce mecircme fragment Endrsquoautres termes le premier dieu serait περὶ τὰ νοητά au sens ougrave ilentoure les intelligibles de sa bienveillance leur transmettant agrave la foislrsquoecirctre et le Bien qursquoil est avant que le deacutemiurge ne les y fasse participeragrave son tour par sa bonteacute agrave lrsquoorigine de leur ecirctre deacutetermineacute62 et nrsquoy fasseparticiper aussi les sensibles en les eacutelevant agrave son propre caractegravere mar-queacute par cette mecircme bonteacute63 Le premier dieu le Bien est le modegravele dusecond le Bon et non pas des formes srsquoil doit ecirctre identifieacute au Vivantcrsquoest en tant que source ultime de la vie64 modegravele de ce second dieuqui transmet alors la vie au monde sensible (fr 1220F) et non en tantque paradigme totalisant et contenant les formes des quatre typesdrsquoecirctre vivants nommeacutes en Timeacutee 39 e 10-41 a 2

En cela le premier de Numeacutenius loin drsquoecirctre une entiteacute sans rapportau monde en est non seulement le principe mais il est pour lui lasource reacuteelle du Bien reacuteel ndash autrement dit il joue le rocircle de la Provi-dence qui est alors concregravetement exerceacutee par le second principe leBon Tout en eacutetant conccedilu comme premier intellect il nrsquoest donc pas lepremier moteur immobile aristoteacutelicien qui se pense lui-mecircme65 etauquel fut justement reprocheacute son deacutefaut de Providence66

120 Fabienne JOURDAN

62 Selon notre lecture de la formule ἰδέα ἑαυτοῦ du fragment 16 (24 F)comme renvoyant au monde intelligible comme ensemble de formes deacutetermi-neacutees

63 Voir le fr 11 (19 F) sur cette eacuteleacutevation du sensible vers le caractegravere dudeacutemiurge lequel est le laquo Bon raquo en reacutefeacuterence au Timeacutee Numeacutenius distingue leBien premier principe du Bon second principe en utilisant lrsquoadjectif substan-tiveacute au neutre pour deacutesigner le premier et lrsquoadjectif au masculin pour le second

64 Tel est selon nous le sens de lrsquoexpression ὁ μέν γε ὢν σπέρμα πάσηςψυχῆς au fr 13 (21 F) qui en fait la semence de toute acircme voir par ex F Jour-dan laquo Eusegravebe de Ceacutesareacutee et les extraits de Numeacutenius dans la Preacuteparationeacutevangeacutelique raquo dans S Morlet (eacuted) Lire en extraits Pratiques de lecture et deproduction des textes de lrsquoAntiquiteacute au Moyen Acircge Paris PUPS 2015 p 143-147

65 Contra par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit p 107066 Sur ce sujet notamment chez Plutarque dont Numeacutenius aurait pu ici par-

tager la critique voir par ex F Ferrari laquo Provvidenza platonica o autocontem

3) On notera ici enfin que selon toute vraisemblance Numeacuteniusnrsquoidentifie pas son premier principe agrave lrsquoUn67 Ce principe est certesunique (μόνος) simple (ἁπλοῦς) et indivisible (μὴ διαίρετος) encela distinct de lrsquouniteacute divisible que constitue le second dieu68 MaisNumeacutenius ne lrsquoidentifie pas agrave lrsquoUn et en tout cas pas agrave lrsquoUn du Parmeacute-nide69 Notre conviction srsquoappuie sur lrsquoanalyse du fragment 19 (27 F)Agrave la fin du passage on lit lrsquoexpression τὸ ἀγαθὸν ὅτι ἐστὶν ἕνNumeacutenius la donne comme une conclusion de Platon dont le sens pro-fond ne peut ecirctre perccedilu que par les laquo regards aiguiseacutes raquo autrement ditpar ceux qui comprennent le propos de Numeacutenius Elle provient assu-reacutement de la tradition orale on la retrouve dans le compte-rendu de laLeccedilon sur le Bien par Aristoxegravene70 Comme lrsquoarticle deacutefini peut ecirctreomis devant lrsquoattribut on peut certes heacutesiter sur sa traduction laquo leBien est lrsquoUn raquo ou laquo le Bien est un raquo Dans le contexte matheacutematiqueougrave elle est preacutesenteacutee chez Aristoxegravene la premiegravere traduction est sansdoute la bonne Mais ce nrsquoest pas neacutecessairement le sens originel (siPlaton srsquoest reacuteellement exprimeacute ainsi) et assureacutement pas celui que veut

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 121

plazione aristotelica la scelta di Plutarco raquo dans L Van der Stockt F Titche-ner HG Ingenkamp A Peacuterez Jimeacutenez (eacuted) Gods Daimones Rituals Mythsand History of Religions in Plutarchrsquos Works Maacutelaga International PlutarchSociety 2010 p 177-190 et laquo La teologia di aristotele nel medioplatonismo raquodans Y Lehman (eacuted) Aristoteles Romanus La Reacuteception de la science aristo-teacutelicienne dans lrsquoEmpire greacuteco-romain Turnhout Brepols 2012 p 299-312 voir aussi chez Atticus A Michalewski laquo Faut-il preacutefeacuterer Eacutepicure agrave Aris-tote raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted) Reacuteceptions de la theacuteolo-gie aristoteacutelicienne DrsquoAristote agrave Michel drsquoEphegravese Leuven Peeters 2017p 123-142

67 Contra notamment ici G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 84

68 Fr 11 19 F69 Contra A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV

op cit p 124 M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 22570 Aristoxegravene Eacuteleacutements drsquoharmonique 22016313 Macran 398-404 da

Rios texte ndeg 1 p 248 Richard

lire Numeacutenius Dans le contexte du fragment la formule perd touteambiguiumlteacute parce que lrsquointerpreacutetation en est donneacutee au preacutealable Numeacute-nius a insisteacute sur lrsquouniciteacute du Bien dont la bonteacute a eacuteteacute identifieacutee agrave lrsquoactespeacutecifique du φρονεῖν Si Platon a dit τἀγαθὸν ἐστὶν ἕν ndash formule dontNumeacutenius srsquoestime devoir rendre compte puisqursquoil eacutecrit justement luiaussi Sur le Bien ndash crsquoest donc selon lui parce qursquoil nrsquoy a qursquoun seul etunique Bien le Bien lui-mecircme (αὐτοάγαθον) Par suite la seulemaniegravere de rencontrer le bien de maniegravere geacuteneacuterale consiste agrave prendrepart agrave lrsquoactiviteacute de penser qui caracteacuterise le Bien lui-mecircme une penseacuteesource de bonteacute que chacun pourra exercer agrave son niveau (lrsquoideacutee que leφρονεῖν lui est reacuteserveacute suggegravere qursquoil srsquoagit dans son cas drsquoun φρονεῖνagrave lrsquoeacutetat pur) Ce disant Numeacutenius a sans doute une viseacutee poleacutemique agravelrsquoeacutegard notamment drsquoune interpreacutetation pythagorisante de Platon vrai-semblablement issue de lrsquoAncienne Acadeacutemie et peut-ecirctre aussi delrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne de lrsquoenseignement oral71 Lui seul sesera estimeacute comprendre le veacuteritable pythagorisme du maicirctre Quoiqursquoil en soit sur ce point le passage est selon nous la preuve drsquoun refusdrsquoidentifier le Bien agrave lrsquoUn Si Platon a dit que le Bien est un ou mecircmelrsquoUn quelle que soit lrsquointerpreacutetation litteacuterale et donc la traduction rete-nue il nrsquoaurait selon Numeacutenius en reacutealiteacute rien voulu exprimer drsquoautreque lrsquouniciteacute du Bien ainsi que sa seacuteparation drsquoavec le sensible conccediluecomme distinction essentielle drsquoavec les biens de ce monde Numeacuteniusinvite agrave comprendre ἕν comme le synonyme de μόνος que seul ilemploie agrave reacutepeacutetition agrave propos de son premier principe72 et qui a cedouble sens drsquoexprimer lrsquouniciteacute et lrsquoisolement ou la seacuteparationcomme le suggegravere deacutejagrave son emploi reacutecurrent au fragment 2 (11 F)Telle est lrsquointerpreacutetation correcte du Platon non-eacutecrit qursquoil precircte aux

122 Fabienne JOURDAN

71 Voir par ex Meacutet A 6 988 a 10-17 ougrave lrsquoUn est preacutesenteacute comme la causedu Bien et N 4 1091 b 1-20 sur lrsquoidentification du Bien agrave lrsquoUn dans uncontexte de critique des Platoniciens

72 Εἷς nrsquointervient qursquoagrave propos du second dieu conccedilu comme uniteacute divi-sible qui se distingue en cela de lrsquoUn et mecircme de lrsquouniciteacute du fait de sa dualiteacuteneacutecessaire (mais non essentielle)

seuls regards suffisamment aiguiseacutes pour savoir lire Platon lagrave ougravedrsquoautres lrsquoauront mal entendu73

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 123

73 Voir lrsquoanalyse deacutetailleacutee du passage dans F Jourdan laquo Sur le Bien deNumeacutenius raquo art cit ici contra G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 82 et 84 ndash Les deux teacutemoignages suggeacuterant une eacutevocation de lrsquoUnpar Numeacutenius ne paraissent pas infirmer cette lecture Le premier issu deMacrobe (fr 54 = Saturnales I 17 65 = P 99 12-16 Willis) fait eacutetat drsquoune eacutety-mologie de lrsquoeacutepithegravete laquo delphien raquo attribueacutee agrave Apollon ougrave Numeacutenius auraitvraisemblablement voulu retrouver lrsquoeacutetymologie courante du nom propre dudieu comme renvoyant au laquo non-multiple raquo ἀ-πολλά (voir par ex PlutarqueDe E 388 F et De Iside 354 F et 381 F avec J Whittaker laquo Ammonius on theDelphic E raquo Classical Quarterly 63 NS 19 1969 p 187-188 E SyskaStudien zur Theologie des Macrobius Stuttgart Teubner 1993 p 116 n 74)Macrobe rapporte en effet que Numeacutenius aurait fait de δέλφος un adjectifsignifiant unum (dans le latin de Macrobe) par opposition au substantifἀδελφός signifant laquo fregravere raquo et alors conccedilu comme pourvu drsquoun ἀ- privatif(sur cette eacutetymologie voir J Whittaker ibid p 187 n 9 Eacute des PlacesNumeacutenius Fragments op cit p 100 n 1 E Syska Studien zur Theologiedes Macrobius op cit p 193-194 qui estime qursquoelle nrsquoa aucune autre valeurque litteacuteraire) Outre qursquoil concerne un dieu dont nous ne savons pas si Numeacute-nius aurait reacuteellement souhaiteacute lrsquoidentification agrave son premier principe (il sug-gegravere en revanche son association agrave Zeus au fr 2 [11 F] lequel est ensuite asso-cieacute au second dieu au fr 12 [20 F]) le teacutemoignage nrsquoindique pas le sens exacten lequel Numeacutenius aurait aimeacute qursquoon entende cette laquo absence de fregravere raquoDrsquoune part juste avant Macrobe emploie lrsquoexpression singulum et unum quipeut traduire ἕν καὶ μόνον et dont comme dans le grec la redondance avaleur emphatique On ne sait donc pas lequel des deux adjectifs Numeacutenius aexactement employeacute et rien nrsquointerdit de penser que la reprise par unus soit unchoix du neacuteoplatonicien Macrobe Drsquoautre part unus renvoie agrave εἷς et non agrave ἕνEnfin et surtout laquo ne pas avoir de fregravere raquo si tel est le sens que Numeacutenius precirctedans ce contexte agrave δέλφος signifie laquo ecirctre fils unique raquo et reconduit au sens deμόνος Crsquoest pourquoi selon nous ce teacutemoignage nrsquoest pas un indice fiabledrsquoune identification numeacutenienne du premier principe agrave lrsquoUn (contra M Bur-nyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit p 152 n 34) Le second teacutemoignageest quant agrave lui constitueacute par la reacutefeacuterence agrave une singularitas identifieacutee agrave un pre-mier dieu-deacutemiurge dans le compte-rendu numeacutenien de la cosmogonie pytha-goricienne rapporteacutee par Calcidius (fr 52) Or ce premier dieu dans son oppo-sition mecircme agrave la dyade correspond davantage au second dieu du Περὶ

Voilagrave notre lecture du Περὶ τἀγαθοῦ le seul texte meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius dont soient transmis des fragments litteacute-raux Crsquoest agrave partir drsquoelle que nous proposons drsquoexaminer les rapportsentre lrsquoenseignement de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon lui-mecircme le Commentaire anonyme au Parmeacutenide et enfin la source com-mune au Zostrien et agrave Marius Victorinus Agrave chacun de ces troismoments nous tenterons drsquoeacutevaluer srsquoil fournit les indices de lrsquoexis-tence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par Numeacutenius

Premiegravere partie

Lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon le premier principe de Numeacutenius (le Bien) nrsquoest ni lrsquoUn ni

lrsquoUn-qui-est du ParmeacutenideLa premiegravere eacutetape que nous reacutealiserons dans cette premiegravere partie

consiste agrave confronter le Περὶ τἀγαθοῦ au Parmeacutenide lui-mecircme afinde voir srsquoil y renvoie directement ou non Si nous suivions lrsquohypothegravesede J Whittaker74 toutefois nous abandonnerions immeacutediatement lrsquoen-treprise selon lui crsquoest agrave partir du moment ougrave un philosophe inter-pregravete le Bien de Reacutepublique VI 509 b 6-10 comme un principe trans-cendant reacuteellement lrsquoecirctre et comme identifiable agrave lrsquoUn que se profileune interpreacutetation du Parmeacutenide et plus preacuteciseacutement de la premiegraverehypothegravese Or nous venons de montrer que loin de transcender lrsquoecirctrele Bien de Numeacutenius est lrsquoEcirctre lui-mecircme et que son association agrave lrsquoUnsert avant tout un propos exeacutegeacutetique ou srsquoavegravere du moins fort probleacute-matique ndash telle qursquoelle est formuleacutee du moins elle nrsquoimplique aucune

124 Fabienne JOURDAN

τἀγαθοῦ sans compter que lrsquoappellation latine de singularitas traduit plutocirctle grec μόνας que ἕν Le compte-rendu ne peut donc ecirctre compris commerefleacutetant la doctrine propre de Numeacutenius telle du moins qursquoelle est exprimeacuteedans le Περὶ τἀγαθοῦ (voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius raquo art cit)Il nrsquoy a donc aucun texte fiable permettant de precircter agrave Numeacutenius lrsquoidentifica-tion du Bien agrave lrsquoUn et encore moins agrave lrsquoUn du Parmeacutenide

74 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit

allusion au Parmeacutenide75 Si lrsquoon veut malgreacute tout supposer que Numeacute-nius nrsquoen a pas moins utiliseacute le Parmeacutenide et que son œuvre trahit alorsnon seulement la connaissance du dialogue mais un commentaire per-sonnel de celui-ci ne serait-ce que partiel il faut recourir agrave un autrepoint de doctrine que cette identification du premier principe agrave uneentiteacute transcendant lrsquoecirctre et identifieacutee agrave lrsquoUn et justement interroger ladeacutefinition de ce premier principe comme ecirctre Autrement dit il srsquoagitessentiellement de voir si Numeacutenius identifie le Bien ne serait-ce quepartiellement agrave lrsquolaquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

Pour parvenir agrave un reacutesultat probant deux eacutetapes sont neacutecessaires agravecet examen

1) un rappel des quelques points qui dans la deacutefinition de lrsquoecirctre etdu premier principe selon Numeacutenius ont parfois suggeacutereacute des rappro-chements avec le Parmeacutenide

2) une confrontation de la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ avec laseconde partie du dialogue de Platon pour voir si une convergence depenseacutee plus geacuteneacuterale pourrait malgreacute tout suggeacuterer une appropriationde ce texte par Numeacutenius ou si une incompatibiliteacute fondamentaleinvite agrave en douter

Dans lrsquoun et lrsquoautre cas si les reacutesultats sont neacutegatifs cela ne per-mettra pas de conclure que Numeacutenius a ignoreacute le texte ni non plus dese prononcer de maniegravere cateacutegorique sur lrsquoœuvre non parvenue Nousmontrerons drsquoailleurs dans un troisiegraveme temps que Numeacutenius tente dereacutesoudre les apories relatives aux formes poseacutees dans la premiegravere par-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 125

75 On peut faire semblable remarque agrave propos de lrsquoexposeacute des principespythagoriciens par Eudore rapporteacute par Simplicius (In Phys 18110 sq Diels)Mecircme srsquoil eacutevoque diffeacuterents Un la conception deacuteveloppeacutee deacutepend avant toutdes reacuteflexions de lrsquoAncienne Acadeacutemie sur lrsquoUn et la Dyade et est en cela tregravesproche du compte-rendu drsquoAristote sur les principes de Platon en Meacutet A 6 987b 18 sq (sur ce point voir J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquoart cit p 98 qui rapporte les propos de W Theiler agrave la note 11) Il ne sembledonc pas neacutecessaire de supposer un commentaire sous-jacent aux deux pre-miegraveres hypothegraveses du Parmeacutenide mecircme srsquoil nrsquoest eacutevidemment pas exclu que ledialogue ait eacuteteacute invoqueacute pour sa nomination de lrsquoUn La remarque vaut eacutegale-ment pour Speusippe et de maniegravere geacuteneacuterale pour les neacuteo-pythagoriciens

tie du dialogue et nous verrons qursquoagrave lrsquoeacutegard de la premiegravere hypothegraveseil a peut-ecirctre choisi une attitude suggeacutereacutee par Platon lui-mecircme Poureacutelargir cette recherche nous interrogerons enfin sa relation agrave la penseacuteede Parmeacutenide lui-mecircme

1 La deacutefinition du premier principe comme ecirctre dansle Περὶ τἀγαθοῦ des parallegraveles avec le Parmeacutenide

Une fois que lrsquoon a renonceacute agrave precircter agrave Numeacutenius une interpreacutetationdu Parmeacutenide en raison drsquoune identification supposeacutee de son premierprincipe agrave lrsquoUn il reste possible drsquoexaminer les parallegraveles entre la deacutefi-nition de son premier principe identifieacute agrave lrsquoecirctre ou plus geacuteneacuteralemententre sa deacutefinition de lrsquoecirctre et les formulations du dialogue platoniciendans les deux premiegraveres hypothegraveses Les partisans drsquoune interpreacutetationnumeacutenienne du Parmeacutenide dont notamment A-J Festugiegravere76 etD OrsquoMeara77 citent essentiellement78 deux textes agrave cette fin les frag-

126 Fabienne JOURDAN

76 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 12577 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 Voir aussi par ex

M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 225-227 qui srsquoap-puie toutefois sur ce qursquoil considegravere une identification du Bien agrave lrsquoUn et sur unpassage de Cleacutement drsquoAlexandrie qui semble deacutependre de la premiegravere hypo-thegravese (Strom V 12 82 1-2) Les eacuteleacutements de theacuteologie neacutegative eacutevoqueacutes lagravesrsquoaccompagnant drsquoune possibiliteacute de nomination rappellent toutefois moinsNumeacutenius qursquoAlcinoos Did X p 16433-34 H

78 Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoargumentation de R Romano (laquo La proba-bile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica e neopitagorica) delParmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide diPlatone et la sua tradizione op cit p 234) qui estime que Numeacutenius aufragment 217-34 (11 F) emprunte au Parmeacutenide les expressions delaquo meacutethode non aiseacutee mais divine raquo laquo ardeur juveacutenile raquo et laquo exercice matheacute-matique raquo Lrsquoappui textuel est trop tenu pour qursquoelle soit persuasive Quant agraveG Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 82-84) il eacutevoque luiaussi le fragment 5 (14 F) mais seulement en note agrave la page 82 et son argu-mentation ne srsquoappuie pas davantage sur la lettre du texte Crsquoest pourquoielle ne peut ecirctre expliciteacutee ici Nous ne commenterons enfin pas les hypo-

ments 5 et 6 (14-15 F) ougrave apparaicirct formuleacutee en termes neacutegatifs unedeacutefinition de lrsquoecirctre que le fragment 2 (11 F) a dit identifiable au BienCes deux fragments proviennent du livre II du Περὶ τἀγαθοῦ quientreprend de deacutefinir lrsquoecirctre preacuteliminaire indispensable agrave la deacutefinitiondu Bien Examinons-en quelques extraits Au fragment 5 nous lisonsceci

Φέρε οὖν ὅση δύναμις ἐγγύτατα πρὸς τὸ ὂν ἀναγώμεθα καὶλέγωμενmiddot τὸ ὂν οὔτε ποτὲ ἦν οὔτε ποτὲ μὴ γένηται ἀλλrsquo ἔστιν ἀεὶἐν χρόνῳ ὡρισμένῳ τῷ ἐνεστῶτι μόνῳ [] τὸ ἄρα ὂν ἀΐδιόν τεβέβαιόν τε ἐστὶν ἀεὶ κατὰ ταὐτὸν καὶ ταὐτόν οὐδὲ γέγονε μένἐφθάρη δὲ οὐδrsquo ἐμεγεθύνατο μέν ἐμειώθη δὲ οὐδὲ μὴltνgtἐγένετό πω πλεῖον ἢ ἔλασσον καὶ μὲν δὴ τά τε ἄλλα καὶ οὐδὲτοπικῶς κινηθήσεταιmiddot οὐδὲ γὰρ θέμις αὐτῷ κινηθῆναι οὐδὲ μὲνὀπίσω οὐδὲ πρόσω οὔτε ἄνω ποτὲ οὔτε κάτω οὐδrsquo εἰς δεξιὰοὐδrsquo εἰς ἀριστερὰ μεταθεύσεταί ποτε τὸ ὂν οὔτε περὶ τὸ μέσονποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται ἀλλὰ μᾶλλον καὶ ἑστήξεται καὶἀραρός τε καὶ ἑστηκὸς ἔσται κατὰ ταὐτὰ ἔχον ἀεὶ καὶ ὡσαύτως(extraits du fragment 5 14 F = Eus PE XI 10 4-5)

Eh bien donc eacutelevons-nous vers lrsquoecirctre le plus pregraves qursquoil nous est pos-sible et disons ceci lrsquoecirctre jamais ne fut ni jamais nrsquoadviendra assureacute-ment mais il est toujours dans un temps bien deacutetermineacute le seul preacute-sent [] Lrsquoecirctre est donc est agrave la fois eacuteternel et stable toujours dans lemecircme eacutetat et identique agrave soi il nrsquoest pas neacute et il ne peacuterit pas il ne croicirctet ne deacutecroicirct pas non plus ni il ne devient plus ou moins en aucunefaccedilon En somme il ne sera assureacutement soumis agrave aucun type de mou-vement et surtout pas au mouvement selon le lieu ndash il ne lui est en effetpas permis non plus crsquoest la loi divine drsquoecirctre mucirc jamais par unecourse en avant ni en arriegravere en haut ni en bas vers la droite droite nivers la gauche jamais lrsquoecirctre ne sera soumis au changement et jamais ilne sera mucirc autour de son propre centre Bien plutocirct il se tiendra en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 127

thegraveses de H Tarrant Thrasyllan Platonism op cit p 174-177 dans lamesure ougrave elles supposent que Numeacutenius srsquoinspire de Modeacuteratus (au fr 52)et suit donc lrsquointerpreacutetation qursquoil aurait donneacutee sur la matiegravere drsquoapregraves leteacutemoignage de Simplicius

repos sera ferme et fixe se maintenant toujours de faccedilon identique etde la mecircme maniegravere79

Au fragment 6 (15 F) nous lisons ensuite

ἡ δὲ αἰτία τοῦ ὄντος ὀνόματός ἐστι τὸ μὴ γεγονέναι μηδὲφθαρήσεσθαι μηδrsquo ἄλλην μήτε κίνησιν μηδεμίαν ἐνδέχεσθαιμήτε μεταβολὴν κρείττω ἢ φαύλην εἶναι δὲ ἁπλοῦν καὶἀναλλοίωτον καὶ ἐν ἰδέᾳ τῇ αὐτῇ καὶ μήτε ἐθελούσιον ἐξίστα-σθαι τῆς ταὐτότητος μήθrsquo ὑφrsquo ἑτέρου προσαναγκάζεσθαι (extraitdu fragment 6 15 F = Eus PE XI 10 7)

Et la raison de ce nom ecirctre reacuteside dans le fait de ne pas ecirctre neacute de nepas devoir peacuterir de nrsquoadmettre absolument aucun autre type de mou-vement ni de changement que ce soit vers le meilleur ou vers le piremais drsquoecirctre au contraire simple invariable dans une forme qui resteidentique de ne pas sortir de son identiteacute ni volontairement ni souslrsquoeffet drsquoune contrainte exteacuterieure80

Pourquoi a-t-on voulu lire ces textes comme faisant allusion auParmeacutenide alors qursquoils ne preacutesentent pas de parallegraveles textuels avec cedialogue Deux raisons agrave cela A-J Festugiegravere y voit une seacuterie deneacutegations qui rappellent celles du Parmeacutenide relativement agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese D OrsquoMeara estime que la deacutefinition de lrsquoecirctrecomme restant dans une identiteacute parfaite agrave soi exprimeacutee en termes de

128 Fabienne JOURDAN

79 Toutes les traductions de Numeacutenius sont les nocirctres80 Voir aussi cet extrait du fragment 8 (17 F = Eus PE XI 10 12) Εἰ μὲν

δὴ τὸ ὂν πάντως πάντη ἀΐδιόν τέ ἐστι καὶ ἄτρεπτον καὶ οὐδαμῶςοὐδαμῆ ἐξιστάμενον ἐξ ἑαυτοῦ μένει δὲ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτωςἕστηκε τοῦτο δήπου ἂν εἴη τὸ τῇ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν laquo Siassureacutement lrsquoecirctre est en tout point absolument eacuteternel et immuable srsquoil ne sortabsolument pas de lui-mecircme en aucune faccedilon mais demeure dans le mecircmeeacutetat fixeacute dans son identiteacute alors crsquoest lui sans nul doute qui sera ldquoce qui estappreacutehendeacute par lrsquointellection agrave lrsquoaide du raisonnementrdquo (Tim 28 a) raquo Ce pas-sage fait suite au fragment 7 (16 F = Eus PE XI 10 9-11) qui cite la deacutefinitionde lrsquoecirctre opposeacute agrave la γένεσις en Timeacutee 27 d 6-28 a 4

laquo non-sortie raquo de soi est reprise dans les passages des Enneacuteades VI4 [ 22] 2 21 et VI 5 3 1-2 ougrave Plotin traite de lrsquointeacutegriteacute de lrsquoecirctre etinterpregravete agrave cet effet la seconde hypothegravese du Parmeacutenide D OrsquoMearasonge alors agrave un preacuteceacutedent numeacutenien dans la lecture plotinienne duParmeacutenide et agrave cette fin eacutetant donneacute qursquoil est question dans ces frag-ments de la relation de lrsquoecirctre au temps au changement et au mouve-ment tout comme de son nom (et donc sous-entendu aussi de saconnaissance) il invite agrave penser que le livre II du Περὶ τἀγαθoῦ trai-tait de lrsquoecirctre selon les diffeacuterents preacutedicats qui servent agrave interroger lrsquoUndu Parmeacutenide agrave savoir le Tout et les parties le lieu le changement etmouvement lrsquoidentiteacute et la diffeacuterence la ressemblance et dissem-blance lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoineacutegaliteacute le temps le nom la connaissance

Ces deux lectures se heurtent toutefois agrave deux objections simplesDrsquoune part pas plus qursquoil ne tire du Parmeacutenide la description de la non-sortie de soi81 Numeacutenius nrsquoemprunte son argumentation sur le change-ment le temps et le nom au Parmeacutenide Comme il le dit lui-mecircme aufragment 6 (15 F) il srsquoappuie pour cela sur le Timeacutee et le Cratyle Onnotera drsquoailleurs que le deacuteveloppement sur lrsquoabsence de mouvement etdonc de changement relegraveve en outre drsquoun emprunt aux Lois82 et qursquoellenrsquoest pas exempte de parallegraveles aristoteacuteliciens ainsi que le reconnaicirctD OrsquoMeara lui-mecircme83 Drsquoautre part et pour reacutepondre cette fois agraveA-J Festugiegravere la seacuterie de neacutegations ne fait aucunement allusion auParmeacutenide ni nrsquoaugure drsquoune theacuteologie neacutegative telle qursquoelle sera tireacuteede la premiegravere hypothegravese de ce dialogue elle contribue simplement agraveune deacutefinition de lrsquoecirctre par opposition au devenir et surtout au corporelqui preacutesente toutes les qualiteacutes ici nieacutees La citation au fragment 7 (16F) du passage du Timeacutee (27 d 6-28 a 4) opposant justement ὄν et

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 129

81 Elle est en reacutealiteacute preacutesente dans le Cratyle 439 e le Pheacutedon 79 d et 80b 1-2 et le Banquet 211 b 1

82 X 893 c-894 a83 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 n 26 Sur le temps

voir aussi M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit et la remarquefinale sur la deacutefinition parmeacutenidienne drsquoune entiteacute se situant dans un eacuteternelpreacutesent au fr 85 DK

γένεσις preacutecise ce contexte de penseacutee et empecircche en cela toute extra-polation Agrave la limite si lrsquoon y tient on pourra simplement conclure avecD OrsquoMeara que Numeacutenius a donneacute agrave Plotin lrsquoideacutee de lire le Parmeacutenidedans le sens ougrave il lrsquoa fait concernant lrsquoecirctre ndash hypothegravese qui srsquoavegraverera fortinteacuteressante dans la perspective drsquoune comparaison avec lrsquoentreprise ducommentateur anonyme au Parmeacutenide

Les textes habituellement citeacutes en faveur drsquoune utilisation numeacute-nienne du Parmeacutenide ainsi compris il en est selon nous un troisiegravemequi aurait pu inviter agrave pareille suggestion celui ougrave Numeacutenius precircte aupremier principe un repos qui srsquoaccompagne malgreacute tout drsquoune formede mouvement ndash attributs apparemment contradictoires dont lrsquooriginepourrait paraicirctre remonter au Parmeacutenide Ce texte nous mettrait sur lavoie qui pouvait sembler la plus feacuteconde drsquoune identification du pre-mier principe numeacutenien agrave lrsquoUn de la seconde hypothegravese du ParmeacutenideLisons ainsi le fragment 15 (23 F)

Εἰσὶ δrsquo οὗτοι βίοι ὁ μὲν πρώτου ὁ δὲ δευτέρου θεοῦ δηλονότι ὁμὲν πρῶτος θεὸς ἔσται ἑστώς ὁ δὲ δεύτερος ἔμπαλίν ἐστικινούμενοςmiddot ὁ μὲν οὖν πρῶτος περὶ τὰ νοητά ὁ δὲ δεύτερος περὶτὰ νοητὰ καὶ αἰσθητά μὴ θαυμάσῃς δrsquo εἰ τοῦτrsquo ἔφηνmiddot πολὺ γὰρἔτι θαυμαστότερον ἀκούσῃ ἀντὶ γὰρ τῆς προσούσης τῷδευτέρῳ κινήσεως τὴν προσοῦσαν τῷ πρώτῳ στάσιν φημὶ εἶναικίνησιν σύμφυτον ἀφrsquo ἧς ἥ τε τάξις τοῦ κόσμου καὶ ἡ μονὴ ἡἀΐδιος καὶ ἡ σωτηρία ἀναχεῖται εἰς τὰ ὅλα

Voici les genres de vie respectifs du premier et du deuxiegraveme dieu ilest eacutevident que le premier sera en repos tandis que le deuxiegraveme aucontraire est en mouvement le premier donc autour des intelligiblesle deuxiegraveme autour des intelligibles et des sensibles Et nrsquoen viens pasagrave trsquoeacutetonner si jrsquoai affirmeacute cela car tu vas entendre bien plus eacutetonnantencore agrave la place du mouvement inheacuterent au deuxiegraveme le repos inheacute-rent au premier je lrsquoaffirme est un mouvement qui lui est par natureassocieacute drsquoougrave viennent lrsquoordre du monde et sa permanence eacuteternelle etdrsquoougrave le salut se reacutepand sur lrsquointeacutegraliteacute des ecirctres

Le passage pourrait rappeler lrsquoUn qui est Tout (τὸ ἓν ὅλον 145 e3) de la deuxiegraveme hypothegravese et que Platon deacutecrit comme eacutetant agrave la fois

130 Fabienne JOURDAN

en repos et en mouvement (καὶ κινεῖσθαι καὶ ἑστάναι 145 e 7-8)drsquoautant plus que le vocabulaire du repos employeacute est le mecircme(ἕστηκε 145 a 8 ἑστός 146 a 5) On pourrait alors imaginer queNumeacutenius identifie son premier principe agrave lrsquoUn associeacute agrave lrsquoecirctre telqursquoil est conccedilu dans cette deuxiegraveme hypothegravese Cependant la raisondonneacutee par Platon agrave cet eacutetat est le fait que cet Un se trouve agrave la fois enlui-mecircme crsquoest-agrave-dire au mecircme endroit et en autre chose crsquoest-agrave-direailleurs (le tout devant ecirctre ainsi compris 145 e 8-146 a 7) Or toutconduit agrave penser que dans le fragment le mouvement associeacute au reposfondamental est celui de la penseacutee caracteacuteristique du premier principe(cf fr 19 27 F) et que par cette formule Numeacutenius preacutepare la deacutefini-tion de celui-ci comme intellect (fr 16-17 24-25 F) Le raisonnementest profondeacutement distinct et Numeacutenius joue drsquoailleurs moins sur uneantithegravese logique telle que pourrait paraicirctre celle du raisonnement pla-tonicien que sur une association certes paradoxale mais reacuteelle Crsquoestpourquoi si tentant que puisse paraicirctre le parallegravele il ne relegraveve sansdoute pas drsquoune appropriation numeacutenienne de la deuxiegraveme hypothegravesepour deacutecrire le premier principe Numeacutenius reprend peut-ecirctre le voca-bulaire voire la conception de Platon pour deacutecrire un principe qursquoilassocie volontiers au Tout surtout si ce premier principe doit corres-pondre au Vivant84 Mais cette reprise serait superficielle et srsquoaccom-pagnerait drsquoun deacuteveloppement personnel qui ne relegraveve pas du deacutesirdrsquointerpreacuteter le Parmeacutenide85 Si Numeacutenius emprunte ici agrave Platon crsquoestplutocirct au passage du Sophiste 248 e-249 a qui integravegre le mouvementdans lrsquoecirctre total finit par deacutecrire cet ecirctre comme eacutetant agrave la fois en reposet en mouvement et inclut en lui eacutegalement lrsquointellect mieux laφρόνησις dont nous avons vu que Numeacutenius en fait sous la formeinfinitive lrsquoapanage du Bien

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 131

84 Voir le teacutemoignage de Proclus (fr 22) deacutejagrave signaleacute selon nous lrsquoimagedu Vivant est deacutejagrave sous-jacente dans ce fragment 15 (23 F) voir la note 61

85 Sur ce point nous rejoignons LP Gerson laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpre-tation of Platorsquos Parmenides raquo art cit n 1 qui rappelle agrave propos drsquoAlcinoosque lrsquoutilisation de distinctions et drsquoarguments preacutesents dans le Parmeacutenidenrsquoimplique pas drsquoaccorder une primauteacute interpreacutetative agrave ce dialogue

2 Le Περὶ τἀγαθοῦ et les deux premiegraveres hypothegravesesde la seconde partie du Parmeacutenide

Agrave eux seuls les textes parvenus ne nous semblent donc pas teacutemoi-gner en faveur drsquoun commentaire au Parmeacutenide de la part de Numeacute-nius ni mecircme drsquoune utilisation partielle qursquoil aurait faite de ce dia-logue Les partisans drsquoune attribution de pareil commentaire agrave Numeacute-nius en appellent toutefois et ce juste titre agrave lrsquoœuvre non parvenueOn ne peut certes juger de lrsquoeacutevolution de Numeacutenius Mais pour quecet argument e silentio soit valable concernant au moins la partie man-quante du Περὶ τἀγαθοῦ il faudrait que la partie transmise ne preacute-sente pas drsquoincompatibiliteacute avec lrsquoargumentation geacuteneacuterale du dialoguede Platon Comme le deacutebat porte toujours sur les deux premiegraveres hypo-thegraveses ce sont elles qursquoil suffit drsquointerroger en vue drsquoeacutevaluer si Numeacute-nius peut ne serait-ce que srsquoy ecirctre reporteacute pour esquisser sa deacutefinitiondu premier principe voire du second comme le suggegravere JD Turner86

a) Le Bien et lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese

Selon notre lecture Numeacutenius nrsquoidentifie pas le Bien agrave lrsquoUn Laseacuterie de neacutegations neacutecessaires agrave la deacutefinition de lrsquoecirctre nrsquoa drsquoautre butque de distinguer celui-ci du devenir Qursquoest-ce que le Bien de Numeacute-nius pourrait donc avoir de commun avec lrsquoUn de la premiegravere hypo-thegravese87 Comparons son enseignement agrave celui du Parmeacutenide pourassurer de la validiteacute de notre position

Ce que le Bien de Numeacutenius pourrait avoir de commun avec lrsquoUnde la premiegravere hypothegravese assureacutement ce serait le fait de ne pas ecirctremultiple (137 c) Mais cela est bien maigre la seacuterie de neacutegations pro-

132 Fabienne JOURDAN

86 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 138-13987 G Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 84) estime que

crsquoest en lien avec la premiegravere hypothegravese que Numeacutenius deacuteveloppe sa concep-tion du premier intellect Il nrsquoexplique toutefois pas cette lecture pour le moinseacutetonnante

poseacutee par Parmeacutenide ne le concerne pas Passons en revue quelquesexemples en suivant lrsquoordre du dialogue contrairement agrave lrsquoUn de cettehypothegravese le Bien nrsquoest pas illimiteacute (137 d 7) crsquoest la matiegravere qui esttelle agrave lrsquoimage drsquoun fleuve88 loin drsquoecirctre nulle part au sens de laquo pas ensoi raquo (138 a 2 6-b 2) il est au contraire en lui-mecircme89 La seacuterie drsquoanti-thegraveses ne le concerne pas davantage loin de nrsquoecirctre ni en repos ni enmouvement (138 b) nous avons vu qursquoil a part aux deux90 plutocirct quede nrsquoecirctre ni identique ni diffeacuterent (139 b-140 b) il est assureacutement iden-tique agrave soi91 au lieu drsquoecirctre hors du temps (141 a) il se situe dans uneacuteternel preacutesent92 et si certes on ne peut pas non plus parler agrave soneacutegard de participation agrave lrsquoοὐσία (141 e 7-8) il nrsquoen est pas moinslrsquoἀρχή de celle-ci93 qui fait de lui lrsquoEcirctre par excellence94 Contraire-ment agrave lrsquoUn de cette hypothegravese (142 a) il a en outre un nom une deacutefi-nition et il y a mecircme une science agrave son sujet son nom est drsquoabordοὐσία et ὄν lorsque lrsquoecirctre qursquoil est est envisageacute de maniegravere geacuteneacuterale95puis vraisemblablement Bien lui-mecircme et Ecirctre lui-mecircme (αὐτοάγα-θον et αὐτοόν) lorsqursquoil est envisageacute dans sa speacutecificiteacute96 il donnelrsquoἐπιστήμη et srsquoavegravere mecircme ecirctre la σοφία97 toute lrsquoentreprise duΠερὶ τἀγαθοῦ est justement de conduire agrave sa connaissance et deacutefini-tion98 ce agrave quoi parvient entre autres le dernier fragment en identifiantultimement lrsquoecirctre et lrsquointellect qursquoil constitue agrave la Forme du Bien de laReacutepublique99 Lorsque Platon fait conclure agrave Parmeacutenide que cet Un

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 133

88 Fr 3 (12 F) et 8 (17 F)89 Fr 11 (19 F)90 Fr 15 (23 F)91 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)92 Fr 5 (14 F)93 Fr 16 (24 F)94 Fr 17 (25 F) et lrsquoon nrsquooubliera pas la synonymie entre οὐσία et ὄν don-

neacutee au fr 6 (15 F)95 Fr 6 (15 F)96 Fr 16-17 (24-25 F) fr 20 (28 F)97 Crsquoest notre interpreacutetation conjointe des fragments 13 et 14 (21-22 F)98 Tel est le programme annonceacute au fragment 2 (11 F)99 Fr 20 (28 F)

finalement nrsquoest pas Numeacutenius peut donc avoir estimeacute ne pas devoirreconnaicirctre lagrave ce qursquoil deacutefinit quant agrave lui comme le premier principe etce alors en accord avec Platon lui-mecircme

Crsquoest pourquoi srsquoil a songeacute agrave ce dialogue et plus particuliegraverement agravela premiegravere hypothegravese Numeacutenius a pu le consideacuterer comme un exer-cice dialectique ougrave puiser par exemple une meacutethode drsquointerrogation etcertains concepts dans un esprit peut-ecirctre semblable agrave celui drsquoAlci-noos100 ou bien ce qui nrsquoest pas incompatible comme deacutecrivantaussi une position selon lui critiqueacutee par Platon Dans cette perspec-tive il peut alors y avoir perccedilu une raison de ne pas retenir la candida-ture de lrsquoUn (telle que la suggegravere notamment la reacuteception acadeacutemi-cienne de lrsquoenseignement oral) au titre de premier principe agrave identifierau Bien puisque cet Un conccedilu dans sa pureteacute agrave la maniegravere dont Platonle deacutecrit dans la premiegravere hypothegravese conduit agrave lrsquoaporie du non-ecirctre (non-ecirctre que Numeacutenius identifie quant agrave lui agrave la matiegravere) Autre-ment dit la lecture du Parmeacutenide voire le commentaire de ce dia-logue aurait plutocirct conduit Numeacutenius agrave ne pas identifier le Bien agrave lrsquoUnabsolu et lrsquoaurait peut-ecirctre justifieacute dans une position poleacutemique agrave lrsquoen-contre de certains neacuteo-pythagoriciens de son temps101 voire des Aca-deacutemiciens qui le faisaient

Cette conclusion peut a priori eacutetonner Mais Numeacutenius nrsquoaurait paseacuteteacute le seul de son eacutepoque agrave refuser drsquoaccorder agrave lrsquoUn de la premiegraverehypothegravese le rocircle de principe de la reacutealiteacute et de principe transcendantlrsquoecirctre Proclus eacutevoque des interpregravetes selon lesquels le veacuteritable objet

134 Fabienne JOURDAN

100 Agrave la mecircme eacutepoque ou peu apregraves (selon lrsquohypothegravese de R Chiara-donna laquo Theacuteologie et eacutepoptique aristoteacutelicienne dans le meacutedioplatonisme lareacuteception de Meacutetaphysique Λ raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted)Reacuteceptions de la theacuteologie aristoteacutelicienne op cit p 143-148 voir aussiM Frede laquo Numenius raquo art cit p 1064) Alcinoos donne une interpreacutetationessentiellement logique du Parmeacutenide voir Did VI p 159-160 H Cela nrsquoim-plique toutefois pas que ce fut lagrave la seule lecture du dialogue par Alcinoos(pace J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit)

101 Voir ceux eacutevoqueacutes au fragment 5215-24 (Calcidius In Tim CCXCV)qui font provenir la dyade de la monade Modeacuteratus agrave qui est justement precircteacuteun commentaire du Parmeacutenide leur est parfois rapprocheacute

du Parmeacutenide est justement lrsquoecirctre (ou lrsquoUn de la seconde hypothegravese) etnon lrsquoUn absolu dont lrsquohypothegravese ne conduit qursquoagrave des apories102 Lrsquounde ces interpregravetes fut Origegravene (le Platonicien103 ) disciple drsquoAmmo-nius comme Plotin et qui eacutetait peut-ecirctre justement en deacutebat avecNumeacutenius notamment sur la fonction du premier principe104 SelonOrigegravene lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese eacutetait sans existence ni subsis-tance (ἀνύπαρκτον καὶ ἀνύποστατον) lrsquoEcirctre absolu et lrsquoUnabsolu ne devaient faire qursquoun et ecirctre identifieacutes agrave lrsquointellect commeprincipe supeacuterieur105 ce nrsquoeacutetait donc qursquoavec la seconde hypothegravese

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 135

102 Proclus In Parm I 63531-6364 Theacuteol Plat II 4 311-28103 Nous nrsquoentrons pas ici dans le deacutebat concernant la question de savoir si

Origegravene nommeacute laquo le platonicien raquo est le mecircme qursquoOrigegravene le chreacutetien Nouspostulons qursquoil srsquoagit de deux personnages distincts (en cela nous suivonsnotamment R Goulet laquo Porphyre Ammonius les deux Origegravene et lesautres raquo Revue drsquohistoire et de philosophie religieuse 57 1977 p 471-496repris dans R Goulet Eacutetudes sur les Vies de philosophes de lrsquoAntiquiteacute tar-dive Diogegravene Laeumlrce Porphyre de Tyr Eunape de Sardes Textes et traditionsI Paris Vrin 2001 p 267-290) Sur ce sujet voir le statut de la question dansL Brisson R Goulet laquo Origegravene le platonicien raquo dans R Goulet (eacuted) Dic-tionnaire des philosophes antiques Paris CNRS IV 2005 p 804-807 M Zambon laquo Porfirio e Origene uno status quaestionis raquo dans S Morlet(eacuted) Le Traiteacute de Porphyre contre les chreacutetiens Un siegravecle de recherches nou-velles questions Paris Institut drsquoEacutetudes augustiniennes 2011 p 107-164 etles eacutetudes reacuteunies par B Baumlbler H-G Nesselrath (eacuted) Origenes der Christund Origenes der Platoniker Tuumlbingen Mohr Siebeck 2018 (dont lrsquoarticle deCh Riedweg qui identifie les deux personnages)

104 Drsquoapregraves le titre de son ouvrage transmis par Porphyre (VP 332 cf Pro-clus Theol plat II 4 A) Ὃτι μόνος ποιητὴς ὁ βασιλεύς Origegravene associaitvraisemblablement le laquo roi raquo (premier principe) au deacutemiurge nommeacute ποιητήςcontrairement agrave Numeacutenius qui les distingue au fragment 12 (20 F)

105 Sur ce sujet voir par ex HD Saffrey LG Westerink Proclus Theacuteo-logie platonicienne T II Paris Les Belles Lettres 1974 p X-XX C Steellaquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 32-35 L Bris-son laquo The Reception of Parmenides before Proclus raquo dans JD TurnerK Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage vol II Reception inPatristic Gnostic and Christian Neoplatonic Texts Atlanta Society of Bibli-cal Literature 2011 p 49-64

que commenccedilait selon lui lrsquoonto-theacuteologie platonicienne parce qursquoelleaurait deacutecrit lrsquointellect et les formes Origegravene paraissant plus proche deson maicirctre que Plotin106 son interpreacutetation eacutetait peut-ecirctre celle drsquoAm-monius et comme les argumentations drsquoAmmonius et de Numeacuteniussont parfois rapprocheacutees107 on pourrait penser agrave une parenteacute entre ellessur ce sujet eacutegalement Quoi qursquoil en soit sur ce point on peut retenirdeux choses de la comparaison avec lrsquointerpreacutetation drsquoOrigegravene lerefus de consideacuterer le premier principe comme identique agrave lrsquoUn absolude la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et lrsquoidentification de ce prin-cipe agrave lrsquoEcirctre absolu

Peut-on alors supposer que Numeacutenius agrave lrsquoinstar drsquoOrigegravene conccediloitlui aussi cet Ecirctre comme deacutecrit dans la deuxiegraveme hypothegravese Crsquoest eneffet avions-nous vu drsquoembleacutee la seule maniegravere de lui supposer reacuteelle-ment une utilisation du Parmeacutenide dans sa description du premier prin-cipe

b) Le Bien et lrsquo laquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

On peut en effet rappeler que Plotin a tendance agrave situer le premierde Numeacutenius au rang du second selon sa propre doctrine Toutefois agravela lecture du Parmeacutenide lui-mecircme Numeacutenius aurait assureacutement eacuteteacutegecircneacute degraves la formulation de lrsquohypothegravese consideacuterant Un et ecirctre (οὐσία)comme deux eacuteleacutements seacutepareacutes neacutecessitant la participation de lrsquoUn agravelrsquoecirctre (142 b-c) Pour Numeacutenius le premier principe est lrsquoecirctre il nrsquoapas part agrave lrsquoecirctre Lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacutenide ten-tera certes de reacutesoudre la difficulteacute et si Numeacutenius avait commenteacute letexte il aurait sans doute fait de mecircme Mais est-il bien neacutecessaire delui precircter pareille entreprise Il nrsquoest en effet pas davantage inteacuteresseacute agrave

136 Fabienne JOURDAN

106 Voir HD Saffrey LG Westerink op cit p XIX107 Voir par ex le teacutemoignage de Neacutemeacutesius (fr 4 b = Sur la nature de

lrsquohomme 2 8-14) qui les associe dans la critique de la corporeacuteiteacute de lrsquoacircmecaracteacuteristique de la conception stoiumlcienne

utiliser la seacuterie de preacutedicats contraires cette fois accepteacutes pour lrsquoUn decette deuxiegraveme hypothegravese Si nous nrsquoen retenons seulement quelques-uns parmi ceux pouvant concerner une reacutealiteacute intelligible on noteraque la notion de pluraliteacute ne peut concorder avec la repreacutesentation delrsquouniteacute indivisible que constitue le Bien pas davantage que le coupleantitheacutetique drsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave soi Trois points pourraientecirctre malgreacute tout rapprocheacutes dans la deacutefinition du Bien numeacutenien et delrsquoUn de la seconde hypothegravese lrsquoaffirmation drsquoune preacutesence agrave la fois ensoi et en autre chose (145 b 6-7) ndash mais elle est caracteacuteristique de touteforme intelligible et la contradiction apparente est reacutesolue par le pheacute-nomegravene de la participation bien deacuteveloppeacute par Numeacutenius lrsquoideacutee quece principe est en mouvement et en repos (145 a 3-146 a 7)ndash mais nousavons montreacute son sens particulier lieacute au processus de la penseacutee propreagrave lrsquointellect qui nrsquoest pas deacuteveloppeacute dans le Parmeacutenide et enfin larelation au temps (152 a) mais elle nrsquoest que provisoire concernant ladeuxiegraveme hypothegravese dans la mesure ougrave celle-ci va ensuite associerlrsquoecirctre agrave toutes les dimensions du temps alors que Numeacutenius ne lrsquoasso-cie qursquoau preacutesent comme le fait le Timeacutee (et peut-ecirctre le vrai Parmeacute-nide lui-mecircme au fragment 85)

Il nous semble donc peu probable que Numeacutenius ait envisageacute sonpremier principe en songeant agrave lrsquoUn-qui-est du Parmeacutenide ou aitmecircme tenteacute de le lui faire correspondre dans une eacutetape ulteacuterieure de sareacuteflexion En cela le deacutesaccord qui semble affleurer avec Origegravene surla caracteacuterisation des principes se retrouverait sur ce point eacutegalement

c) Le second dieu (le Bon) et lrsquolaquo Un qui est raquo

Une autre possibiliteacute peut toutefois se preacutesenter agrave lrsquoesprit Numeacute-nius nrsquoaurait-il pas alors associeacute agrave ce second Un son second dieu etprincipe qui lui est effectivement agrave la fois Un et plusieurs (143 a 5)au sens ougrave il connaicirct une laquo division raquo lorsqursquoil rencontre la matiegravere108

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 137

108 Fr 11 (19 F)

Telle est en effet lrsquohypothegravese de JD Turner109 On pourrait lrsquoeacutetayer ennotant que ce dieu est drsquoailleurs lui aussi seacutepareacute pour ainsi dire de saforme le Bien ce qui constitue deux aspects de son ecirctre et mecircme de laforme qursquoil produit comme modegravele du monde lui aussi a en outre partagrave lrsquoοὐσία qursquoil reccediloit du premier En extrapolant on pourrait imaginerque crsquoest agrave lui que reviennent tous les couples de contraires puisqursquoilest agrave la fois dans lrsquointelligible par sa contemplation et preacuteoccupeacute dusensible tendant au contact avec la matiegravere110 Mais nous irions troploin Numeacutenius fait certes de ce second dieu lrsquoecirctre deacuteriveacute mais il estecirctre assureacutement et nrsquoest pas concerneacute par les preacutedicats caracteacuterisant lesensible (comme la grandeur la limite lrsquoacircge) Ce qui peut paraicirctrecontraire en ce dieu ce sont seulement des attitudes lieacutees agrave son orienta-tion dans un processus cosmogonique Numeacutenius ne paraicirct pas avoirainsi deacutefini son essence dont la caracteacuteristique fondamentale est lrsquoimi-tation et la participation au Bien Crsquoest pourquoi mecircme si cela peutparaicirctre tentant nous ne pensons pas qursquoil ait conccedilu ce second dieu ensongeant agrave la deuxiegraveme hypothegravese du Parmeacutenide ni mecircme qursquoil aittenteacute apregraves lrsquoavoir deacutefini de le lui faire correspondre111 Le consideacuterer

138 Fabienne JOURDAN

109 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 137-138 qui ajoute agravecela une reacuteflexion sur ce que certains Anciens consideacuteraient comme la troisiegravemehypothegravese (155 e 4-157 b 4) et fait du second dieu de Numeacutenius dans sa dualiteacutemecircme un repreacutesentant des Un de la deuxiegraveme et troisiegraveme hypothegraveses (Un-plu-sieurs et Un-et-plusieurs) Cette lecture est ingeacutenieuse mais inveacuterifiable

110 Fr 11 (19 F)111 Concernant les autres hypothegraveses nous pourrions faire deux remarques

Dans la troisiegraveme la deacutefinition des laquo autres choses raquo comme eacutetant de natureillimiteacutee mais recevant leur limite par participation agrave lrsquoUn (158 d 7-8) corres-pond agrave la conception de la formation du monde par le deacutemiurge (fr 18 26 F cf fr 52) Mais cette interpreacutetation est la leccedilon mecircme du Timeacutee coupleacute avec lePhilegravebe Dans la derniegravere hypothegravese ensuite en 165 c 2 on trouve lrsquoexpres-sion ὀξὺ νοοῦντι pour deacutesigner celui qui regarde de pregraves et voit que les chosesqui paraissent unes sont en reacutealiteacute plusieurs car priveacutees drsquouniteacute Avec lrsquoexpres-sion ὀξὺ βλέποντι au fr 19 (27 F) Numeacutenius pourrait faire un clin drsquoœilentendu agrave ce passage lorsqursquoil invite agrave comprendre ce qui est selon lui le vraisens du terme un appliqueacute au Bien celui drsquouniciteacute Lrsquoeacutecho lexical pourrait ren-

selon chacun de ses deux laquo aspects raquo comme correspondant agrave lrsquolaquo Un-plusieurs raquo et agrave lrsquolaquo Un-et-plusieurs raquo de la deuxiegraveme et de la troisiegravemehypothegraveses entrevue par certains Anciens comme le fait J Turnerrelegraveve selon nous drsquoune lecture plotinienne qui ne correspond pas agravelrsquoenseignement du Περὶ τἀγαθοῦ112 Cela une fois encore nrsquoem-pecircche pas que Numeacutenius ait pu inspirer Plotin dans sa propre lecturedu Parmeacutenide

3 Le Περὶ τἀγαθοῦ et la premiegravere partie du Parmeacutenide

Dans le Περὶ τἀγαθοῦ Numeacutenius nrsquoa ainsi selon nous pas conccedilusa reacuteflexion sur les principes agrave partir drsquoun commentaire du Parmeacutenideni nrsquoa mecircme tenteacute de la faire correspondre aux hypothegraveses de laseconde partie de ce dialogue apregraves lrsquoavoir eacutelaboreacutee En revanche ilsrsquoest assureacutement inteacuteresseacute agrave la premiegravere partie ou du moins aux diffi-culteacutes dans lesquelles elle place la theacuteorie des formes113 Qursquoil ait ounon en tecircte ce dialogue le sien en tout cas cherche assureacutement agraverendre possible la participation et donc agrave sauver la theacuteorie des formespar-delagrave les objections que lui adresse Parmeacutenide Ce sujet nous inteacute-ressant moins directement ici nous ferons bref

Agrave la question de savoir srsquoil y a des formes de tout (130 b-e) Numeacute-nius reacutepond assureacutement qursquoil y en a de tout ce qui a part au Bien114 agrave

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 139

voyer agrave cette illusion relative agrave la saisie de ce qursquoest laquo ecirctre un raquo Lrsquoexpressionnrsquoeacutetant pas absente par ailleurs chez Platon (voir le commentaire au fragment19 27 F) il nrsquoest cependant pas neacutecessaire de penser que Numeacutenius ait ce pas-sage du Parmeacutenide en tecircte il est simplement tentant drsquoy songer dans uncontexte de reacuteflexion sur lrsquoUn

112 Contra JD Turner laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art citp 138-139

113 On remarquera qursquoAlcinoos (Did IX p 163 H 23-31 L W) fait demecircme en reacutepondant agrave la question de ce dont il y a des formes et en concevantcelles-ci comme des penseacutees du premier dieu

114 Fr 13 et 19 (21 et 27 F)

la question du rapport entre forme et participeacute il envisage positive-ment les deux solutions proposeacutees par Socrate a) les formes sont pourlui des penseacutees (cf Parm 132 b-c) elles sont celles du seconddieu115 et elles pensent (cf Parm 132 c) puisque telle est la maniegraverede participer au Bien116 b) les formes sont par ailleurs des paradigmes(cf Parm 132 d) comme le montre lrsquoexemple embleacutematique du rap-port entre le Bon qursquoest le deacutemiurge et le Bien envisageacute commeforme117 Quant agrave lrsquoargument du troisiegraveme homme en placcedilant le Bienau sommet de lrsquointelligible Numeacutenius estime peut-ecirctre y avoir ultime-ment reacutepondu Lrsquoobjection de la seacuteparation (133 a 8-134 c 7) enfinavec le double risque qursquoelle comporte de lrsquoinconnaissabiliteacute desformes (134 a-b) et du deacutefaut de connaissance de notre monde par ledieu qui ne pourrait alors pas agir agrave notre eacutegard (134 e) aura particu-liegraverement retenu son attention tout le dialogue Sur le Bien tend eneffet agrave montrer la continuiteacute agrave la fois ontologique et eacutepisteacutemique desdiffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute ndash le sensible lui-mecircme en tant que prisen charge par le deacutemiurge qui lrsquoeacutelegraveve agrave son propre caractegravere (autrementdit agrave sa bonteacute et agrave ce qui en deacutecoule)118 relegraveve en effet de la μετ-ουσία autrement dit de ce qui vient certes laquo apregraves lrsquoοὐσία raquo mais y amalgreacute tout essentiellement part119 Le Περὶ τἀγαθοῦ conduit en toutcas drsquoune part agrave la connaissance de la forme premiegravere tandis que celle-ci srsquoavegravere la connaissance ultime qui se transmet ensuite120 il montredrsquoautre part la relation permanente du premier agrave notre monde non seu-lement par lrsquointermeacutediaire du second dieu qui assure directement lrsquoac-tion providentielle mais par le salut ou la conservation (σωτηρία)

140 Fabienne JOURDAN

115 Fr 16 (24 F) Nous reacutesumons voir notre interpreacutetation du fragment116 Fr 19 (27 F) Lagrave aussi nous reacutesumons notre interpreacutetation laquo Pense raquo en

reacutealiteacute tout ce qui a part au Bien En outre lrsquoidentification de lrsquointellect agrave uneforme au fragment 20 (28 F) suggegravere cette interpreacutetation

117 Fr 16 19 et 20 (24 27-28 F)118 Fr 11 (19 F) cf fr 18 (26 F)119 Voir lrsquoutilisation fort suggestive de ce terme pour deacutesigner la participa-

tion agrave la fin du fragment 16 (24 F)120 Fr 13-14 (21-22 F)

qursquoil dispense lui-mecircme reacuteellement121 en tant que Bien et qursquoEcirctre quiassure ultimement la coheacutesion du monde

Nous ne preacutetendons pas que Numeacutenius reprenne point par point lesobjections de Parmeacutenide agrave Socrate contre la theacuteorie des formes Maisqursquoil les ait consideacutereacutees directement dans le dialogue de Platon ou qursquoilles ait connues par la tradition il les a prises au seacuterieux et a senti luiaussi la neacutecessiteacute drsquoy reacutepondre pour sauver Platon agrave la maniegravere dont illrsquoentendait

4 Conclusion sur Numeacutenius et le Parmeacutenide

Rien donc dans lrsquoœuvre parvenue ne permet de conclure agrave uneinterpreacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide par Numeacutenius nonseulement les textes ne contiennent pas de reacuteels parallegraveles avec le dia-logue de Platon mais ils suggegraverent que Numeacutenius ne srsquoest fondeacute suraucune des deux premiegraveres hypothegraveses pour deacuteterminer les traits de sonpremier principe ni mecircme sur la deuxiegraveme (voire la troisiegraveme) pourdeacutefinir le second Il est mecircme peu vraisemblable qursquoil ait tenteacute reacutetros-pectivement de les leur faire correspondre Il srsquoest en revanche assureacute-ment inquieacuteteacute des objections dresseacutees contre la theacuteorie des formes dansla premiegravere partie du dialogue et aura tenteacute drsquoy reacutepondre en assurant lavaliditeacute de la participation selon les diffeacuterentes modaliteacutes envisageacutees lagravepar Socrate ndash en cela il srsquoinscrit vraisemblablement dans la traditionplatonicienne122 dont il heacuterite peut-ecirctre plus de la probleacutematique qursquoilne la cherche directement dans le texte de Platon Concernant laseconde partie du dialogue il a pu percevoir dans lrsquoexposeacute de la pre-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 141

121 Fr 15 (23 F)122 Voir les remarques de la note 100 sur Alcinoos Mecircme si Alcinoos est

peut-ecirctre posteacuterieur agrave Numeacutenius de toute eacutevidence les platoniciens ont tenteacutede montrer la justesse de la theacuteorie des formes et de la participation contre lescritiques drsquoAristote ainsi assureacutement que contre celles deacutejagrave eacuteleveacutees dans leParmeacutenide et vraisemblablement inspireacutees (entre autres) par les discussions ausein de lrsquoAcadeacutemie

miegravere hypothegravese une raison suffisante pour ne pas identifier son premierprincipe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit prenant ainsi Platon agrave la lettre agrave propos ducaractegravere aporeacutetique de lrsquoUn tel qursquoil eacutetait lagrave envisageacute

Si elle eacutetait aveacutereacutee cette attitude aurait une double conseacutequencepour la compreacutehension de lrsquohistoire du platonisme

Elle pourrait drsquoabord reacuteveacuteler une intention poleacutemique agrave plusieursniveaux Elle est en effet concevable comme une reacuteaction agrave lrsquoeacuteven-tuelle association neacuteo-pythagoricienne du premier principe associeacute agravelrsquoUn ou agrave la monade avec lrsquoUn absolu de la premiegravere hypothegravese duParmeacutenide Mecircme si selon nous lrsquoidentification du premier principe agravelrsquoUn chez Speusippe et les neacuteo-pythagoriciens123 relegraveve avant tout dela tradition acadeacutemicienne pythagorisante relative agrave lrsquoUn et agrave la Dyadeainsi que du compte-rendu aristoteacutelicien de lrsquoenseignement oral de Pla-ton sur les principes124 il nrsquoy a pas en soi de raison drsquoexclure une pos-sible invocation pour confirmation de lrsquoUn du Parmeacutenide (agrave condi-tion de ne pas leur precircter une interpreacutetation neacuteoplatonicienne) Parsuite une poleacutemique avec lrsquoAncienne Acadeacutemie est eacutegalement envisa-geable Non seulement dans sa deacutefense de la theacuteorie des formes125Numeacutenius pourrait tenter de reacutepliquer agrave la suppression de celles-ciopeacutereacutee par Speusippe mais aussi srsquoopposer agrave la conception du premierprincipe precircteacutee agrave lrsquoAncien Acadeacutemicien Que lrsquoon croie Aristote selonlequel lrsquoUn de Speusippe ne serait laquo pas mecircme un ecirctre raquo126 ou plutocirct

142 Fabienne JOURDAN

123 Voir la note 75124 Voir aussi Meacutet N 4 1091 b 13-15 EE A 8 1218 a 15-32 ougrave le Bien est

associeacute agrave lrsquoUn125 Selon lui la connaissance drsquoun objet quelconque consistait dans celle

de ses relations agrave tous les autres (fr 73 Taraacuten = 2 I P2 = Proclus In Euclp 179 12-22 Friedlein) et crsquoest aux nombres qursquoil aurait alors accordeacute le statutde principe (voir le reacutesumeacute de A Meacutetry Speusippos Zahl Erkenntnis SeinBernStuttgartWien Paul Haupt 2002 p 11-13 et celui de HD Kraumlmerlaquo Die Aumlltere Akademie raquo dans H Flashar (eacuted) Grundriss der Geschichte derPhilosophie Band 3 Aumlltere Akademie Aristoteles Peripatos Basel SchwabeVerlag 20042 [1983] p 16-17)

126 μηδὲ ὄν τι εἶναι τὸ ἕν αὐτό Meacutet N 5 1092 a 16 (fr 43 Taraacuten = 25 IP2 = Aristote Meacutet N 5 1092 a 11-17)

Jamblique selon qui il ne serait laquo pas encore ecirctre raquo127 une distinctionentre lrsquoUn conccedilu comme premier principe et lrsquoecirctre semble agrave lrsquoœuvrechez lui128 si bien que certains ont mecircme penseacute que Platon lui reacutepon-dait dans le Parmeacutenide129 Il nrsquoest pas utile drsquoentrer dans ce deacutebat laposition de Speusippe peut relever drsquoune reacuteflexion sur le Bien deReacutepublique VI et drsquoune appropriation de lrsquoenseignement oral de Platonagrave nous transmis par le compte-rendu aristoteacutelicien qui laisse Platonassocier eacutetroitement le Bien et lrsquoUn Disons simplement que srsquoil a euconnaissance de la position de Speusippe Numeacutenius peut avoir voulului reacutepondre Nrsquooublions pas qursquoagrave lui comme agrave ses pairs dans lrsquoAn-cienne Acadeacutemie il reproche de ne pas avoir pas laquo tout souffert raquo pour

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 143

127 ὅπερ δὴ ουδὲ ὄν πω δεῖ καλεῖν DCMS IV p 157-8 FestaKlein128 La reconstruction de lrsquoenseignement exact de Speusippe sur le premier

principe est neacutecessairement fragile drsquoune part elle est fondeacutee sur lrsquointerpreacuteta-tion du texte drsquoAristote qui est empreint de critique drsquoautre part elle esteacutetayeacutee par deux autres textes dont le lien agrave Speusippe est controverseacute et dontles auteurs agrave la fois sont familiers du neacuteo-pythagorisme et ont lu Plotin chezqui lrsquoUn est effectivement au-dessus de lrsquoecirctre (il srsquoagit de Jamblique et de Pro-clus dans la traduction de Guillaume de Moerbeke In Parm VII 401-9 Kli-bansky-Labowsky = 50162-71 Steel = fr 48 Taraacuten = 30 IP2) Nous ne propo-sons ici qursquoune hypothegravese de reacuteflexion Pour un exposeacute plus deacutetailleacute sur la rela-tion eacuteventuelle de Numeacutenius agrave Speusippe dans lrsquoeacutelaboration drsquoune leacutegitimiteacuteplatonicienne voir la premiegravere annexe de notre eacutedition commenteacutee des frag-ments de Numeacutenius en preacuteparation

129 Crsquoest la lecture de A Graeser (laquo Platon gegen Speusipp Bemerkun-gen zur ersten Hypothese des Platonischen Parmenides raquo Museum Helveti-cum 54 1997 p 45-47 et laquo Anhang Probleme der Speusipp-Interpreta-tion raquo dans Prolegomena zu einer Interpretation des zweiten Teils des Plato-nischen Parmenides Bern Paul Haupt 1999 p 41-53) et J Halfwassen(Der Aufstieg zum Einen op cit et laquo Speusipp und die metaphysische Deu-tung von Platons Parmenides raquo art cit) adopteacutee par ex par R Dancy(laquo Speusippus raquo dans EN Zalta (eacuted) The Stanford Encyclopedia of Philo-sophy Winter 2012 Edition 20112 [2003] en ligne) et rejeteacutee par C Steel(laquo A Neoplatonic Speusippus raquo art cit p 470 473-475) et LP Gerson(laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit p 2-11de la version eacutelectronique)

rester dans une communauteacute de penseacutee avec leur maicirctre130 Commenous lrsquoavons suggeacutereacute dans les preacuteliminaires il ne serait alors pasimpossible qursquoavec cette eacuteventuelle lecture du Parmeacutenide Numeacuteniuseucirct souhaiteacute reacutepliquer agrave lrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne signaleacutee delrsquoenseignement oral de Platon trouvant quant agrave lui dans le Platon eacutecritla juste interpreacutetation du Platon oral mal laquo entendu raquo Pareille supposi-tion doit toutefois ecirctre prise avec prudence

Par-delagrave la mise en eacutevidence drsquoune poleacutemique agrave plusieurs niveauxlrsquohypothegravese proposeacutee sur lrsquoattitude de Numeacutenius concernant ladeuxiegraveme partie du Parmeacutenide permet de mieux deacuteterminer a contra-rio ce qui caracteacuterise une interpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo 131 du dia-logue De maniegravere geacuteneacuterale drsquoabord la position de Numeacutenius montrepar contraste que lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne trouve son originedans une vue contraire agrave la sienne sur le statut de la forme du Bien et sasituation agrave lrsquoeacutegard de lrsquoοὐσία en Reacutepublique VI ainsi peut-ecirctre que

144 Fabienne JOURDAN

130 Fr 2416-18 1 F = Eusegravebe PE XIV 5 2131 Nous en restons aux caractegraveres geacuteneacuteraux il nrsquoy a en effet pas une seule

et unique interpreacutetation post-plotinienne du Parmeacutenide On remarquera enoutre que Jamblique (drsquoapregraves Proclus In Tim III 1049-16 Diehl) semble eacutevo-quer chez Ameacutelius et Numeacutenius (si lrsquoon suit le raisonnement de Proclus) desdistinctions relatives aux diviniteacutes dans le Sophiste le Philegravebe et le Parmeacutenidequi ne correspondent pas agrave celles retenues dans le neacuteoplatonisme Si ce proposne se rapporte pas seulement agrave Ameacutelius mais vraiment aussi agrave Numeacutenius ilfaudrait en tirer lagrave encore la conclusion que son interpreacutetation ne correspondpas agrave celle du neacuteoplatonisme qui identifie son premier principe agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et donc pas non plus agrave celle des neacuteopytha-goriciens que lrsquoon reconstruit agrave partir des teacutemoignages neacuteoplatoniciens Celadit mecircme srsquoil est tentant de penser que le οὗτοι (10411) de Proclus renvoieaux deux exeacutegegravetes qursquoil vient de citer il se peut malgreacute tout que ne soit deacutesigneacutelagrave que le seul Ameacutelius disciple de Plotin et donc assureacutement familier de lrsquoexeacute-gegravese du Parmeacutenide Il nrsquoy a en revanche aucune difficulteacute agrave precircter agrave Numeacuteniusdes exeacutegegraveses partielles du Sophiste et du Philegravebe (voir nos interpreacutetations desfragments 15 23 F) et 19 27 F) Il nrsquoy en a drsquoailleurs pas davantage agrave imagi-ner chez lui une utilisation partielle du Parmeacutenide ou des allusions agrave ce dia-logue voire une prise agrave la lettre du propos de Parmeacutenide sur lrsquoUn de la pre-miegravere hypothegravese conduisant agrave renoncer agrave celui-ci comme premier principe

dans une appropriation du compte-rendu de lrsquoenseignement oral dePlaton par Aristote En affirmant lrsquoidentiteacute ontologique du Bien et delrsquoEcirctre Numeacutenius srsquointerdit lrsquoidentification de son premier principe agravelrsquoUn distinct de lrsquoecirctre de la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide En refu-sant au contraire pareille identiteacute en srsquoappuyant peut-ecirctre sur lrsquoidenti-fication du Bien et de lrsquoUn precircteacutee agrave Platon et aux platoniciens par Aris-tote et en appliquant ces deux eacuteleacutements agrave une lecture du Parmeacutenide132Plotin ouvre la voie de lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologiqueulteacuterieure du dialogue Malgreacute son caractegravere hypotheacutetique la supposi-tion selon laquelle Numeacutenius prendrait effectivement acte des conseacute-quences aporeacutetiques de la premiegravere hypothegravese en nrsquoidentifiant pas sonpremier principe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit permet ici encore a contrariode deacuteterminer deux autres eacuteleacutements indissociables caracteacuteristiques delrsquointerpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo du Parmeacutenide lrsquoidentification dupremier principe agrave lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese et par suite une lec-ture laquo positive raquo de celle-ci qui en reacutealiteacute contredit les conclusionsneacutegatives de Platon agrave son sujet Une theacuteologie neacutegative en est alorscertes tireacutee (que lrsquoon songe au Commentaire anonyme au Parmeacutenideou agrave celui de Proclus133) Mais cette neacutegativiteacute est conccedilue commereacutesultant de lrsquoincapaciteacute fondamentale de lrsquohomme agrave concevoir le pre-mier principe autrement que par analogies et approximations neacutecessai-rement erroneacutees Elle ne concerne pas le principe en lui-mecircme ni laconviction qursquoil constitue le fondement ultime assurant la coheacutesion dela reacutealiteacute Numeacutenius aura quant agrave lui preacutefeacutereacute rester fidegravele agrave la lettre dutexte et donc aux doutes du maicirctre qui laisse parler Parmeacutenide Agrave ce

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 145

132 Les deux premiers eacuteleacutements agrave eux seuls conduisent seulement agrave laposition de Speusippe dont rien ne permet drsquoaffirmer le rattachement au Par-meacutenide Nous compleacutetons en cela les hypothegraveses de J Whittaker laquo ΕΠΕ-ΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit Voir aussi LP Gerson laquo The lsquoNeo-platonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit

133 In Parm VII 51872-84 Plutocirct que de radicaliser la neacutegation pour par-ler de lrsquoUn Proclus indique que la neacutegation porte en reacutealiteacute sur la conceptionde lrsquoUn et pas sur lrsquoUn lui-mecircme qui garde la fonction laquo positive raquo drsquoassurer lacoheacutesion du reacuteel

stade de nos connaissances et drsquoapregraves lrsquoœuvre parvenue precircter agraveNumeacutenius cette reacuteaction aux conclusions de la premiegravere hypothegravesenous paraicirct la seule maniegravere prudente drsquoenvisager de sa part une inter-preacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide Renoncer agrave lui en precircterune ne poserait toutefois aucune difficulteacute

5 Appendice Numeacutenius et Parmeacutenide134

Cette conclusion sobre sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenidesuggegravere drsquointerroger pour finir son attitude agrave lrsquoeacutegard du Parmeacutenide his-torique lui-mecircme auquel Plotin fait parfois appel Que Numeacutenius aitconnu et utiliseacute (directement ou non) le poegraveme Sur la nature est aveacutereacutepar le teacutemoignage de Porphyre selon lequel il aurait associeacute les porteseacutevoqueacutees lagrave135 agrave celles du Cancer et du Capricorne repreacutesentant selonlui les voies respectivement descendante et ascendante des acircmes136Or dans le Περὶ τἀγαθοῦ qui seul nous inteacuteresse ici deux eacuteleacutementsdoctrinaux pourraient relever drsquoune appropriation personnelle de Par-meacutenide ou plutocirct de la tradition agrave son sujet telle qursquoelle serait parvenueagrave Numeacutenius ndash Platon ayant assureacutement aiguiseacute chez ses successeurslrsquointeacuterecirct pour la penseacutee du personnage eacuteponyme de son dialogue Sansentrer dans une recherche des sources ni dans un exposeacute deacutetailleacute de lapenseacutee de Parmeacutenide et des interpreacutetations de son poegraveme nous nouscontenterons ici drsquoeacutevoquer ces deux points dans le simple but drsquoouvrirla recherche

Le premier concerne la relation de lrsquoecirctre au temps et au change-ment telle qursquoelle est deacutecrite dans le fragment 5 (14 F) deacutejagrave citeacute en par-tie Lrsquoaffirmation que lrsquoecirctre ne saurait ecirctre dans le passeacute ou lrsquoavenir

146 Fabienne JOURDAN

134 Je remercie Francesco Fronterotta drsquoavoir relu cette derniegravere section135 Parmeacutenide fr 1 11 D-K ougrave sont deacutecrites les laquo portes ouvrant sur les

chemins de la nuit et du jour raquo136 Voir Porphyre De antro 21-24 ici surtout 24 Numeacutenius fr 31 27-28

Sur ce texte voir le commentaire de W Huumlbner dans lrsquointroduction de lrsquoeacuteditioncommenteacutee du De Antro parue sous la direction de T Dorandi Paris Vrin2019

mais que seul le preacutesent lui convient et qursquoil ne pourrait pas davantagechanger renvoie assureacutement au propos du Timeacutee (37 d 2-38 b 2)137Que Platon deacuteveloppe ici une reacuteflexion originellement preacutesente chezParmeacutenide et plus preacuteciseacutement pour nous dans le fragment 8 de sonpoegraveme138 pourrait suffire agrave expliquer cet eacutecho parmeacutenidien chezNumeacutenius Mais il est frappant que dans ce fragment 5 (14 F) duΠερὶ τἀγαθοῦ relayeacute par les suivants Numeacutenius reprenne une seacuteriedrsquoeacuteleacutements qui deacutecrivent lrsquoecirctre dans le passage concerneacute du poegraveme outre ceux deacutejagrave nommeacutes on retrouve chez lui lrsquoimpossibiliteacute qursquoalrsquoecirctre de devenir plus grand ou plus petit139 et la neacutecessiteacute qui estsienne de demeurer en lui-mecircme au mecircme endroit140 Ainsi lorsqueNumeacutenius estime que si ces laquo prescriptions raquo indispensables agrave ladeacutetermination de lrsquoecirctre veacuteritable nrsquoeacutetaient pas respecteacutees il se produi-rait une laquo impossibiliteacute majeure dans son discours unique en songenre agrave savoir que lrsquoecirctre agrave la fois serait et ne serait pas raquo141 et faitensuite paraphraser lrsquoideacutee par le disciple du dialogue avec la formule

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 147

137 Voir aussi Plutarque De E 20 393 a-c dont la position est compareacuteeavec celle de Numeacutenius dans notre analyse du fragment

138 Voir les vers suivants du fragment 8 D-K agrave lrsquoorigine de toute lareacuteflexion sur lrsquoeacuteterniteacute (cf M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art citp 157) οὐδέ ποτ᾽ ἦν ἔσται ἐπεὶ νῦν ἐστιν ὁμοῦ πᾶν ἕν συνεχές τίναγὰρ γένναν διζήσεαι αὐτοῦ laquo Il nrsquoa jamais eacuteteacute et ne sera jamais puisqursquoilest maintenant tout ensemble un continu Car quelle naissance pourrais-tului chercher raquo v 5-7 (trad Kirk Raven Schofield en fr par H-A de Weck)et πῶς δ᾽ἄν ἔπειτα πέλοι τὸ ἐόν πῶς δ᾽ἄν κε γένοιτο εἰ γὰρ ἔγεντ᾽ οὐκἔστ᾽ οὐδ᾽ εἴ ποτε μέλλει ἔσεσθαι τῶς γένεσις μὲν ἀπέσβεσται καὶἄπυστος ὄλεθρος laquo Comment pourrait-il ecirctre par la suite Celui qui est Comment pourrait-il naicirctre Car srsquoil est neacute il nrsquoest pas de mecircme lt il nrsquoest pasnon plus gt srsquoil doit ecirctre un jour Ainsi est eacuteteinte la naissance eacuteteinte aussi ladestruction disparue sans qursquoon en parle raquo v 19-21 (trad D OrsquoBrien leacutegegravere-ment modifieacutee) Voir aussi les vers 26-28 du mecircme fragment 8 D-K sur lrsquoab-sence de mouvement ainsi que de deacutebut et de fin

139 Parmeacutenide fr 844-45 D-K140 Parmeacutenide fr 829-30 D-K cf Numeacutenius fr 11 (19 F)141 ὡς τούτου γε οὕτως λεγομένου ἓν γίνεταί τι ἐν τῷ λόγῳ μέγα

ἀδύνατον εἶναί τε ὁμοῦ ταὐτὸν καὶ μὴ εἶναι

relativement complexe εἰ δὲ οὕτως ἔχει σχολῇ γrsquo ἂν ἄλλο τι εἶναιδύναιτο τοῦ ὄντος αὐτοῦ μὴ ὄντος κατὰ αὐτὸ τὸ ὄν il nrsquoest pasexclu qursquoil ait ici le poegraveme parmeacutenidien agrave lrsquoesprit auquel il seraitrevenu directement ou non sous lrsquoimpulsion de Platon La phraseindique en effet (nous paraphrasons) que si pareille impossibiliteacute seproduisait il serait mecircme impossible agrave autre chose (que lrsquoecirctre) drsquoecirctrepuisque lrsquoecirctre lui-mecircme ne serait pas selon ce qursquoil devrait ecirctre (κατὰαὐτὸ τὸ ὄν) autrement dit selon sa propre essence et deacutefinitionNumeacutenius suggegravere sans doute par lagrave que si lrsquoecirctre eacutetait soumis au pas-sage du temps et au changement il serait tout simplement non-ecirctrepuisqursquoil ne correspondrait pas agrave sa propre deacutefinition ce qui explique-rait son impossibiliteacute de constituer le fondement de la reacutealiteacute Une foisreplaceacute dans le contexte de penseacutee de Numeacutenius ougrave ce qui est non-ecirctreest la matiegravere et la partie du sensible qui relegraveve drsquoelle lrsquoideacutee semblefort proche de la maniegravere dont Parmeacutenide dresse lrsquoantithegravese entre ecirctreet non-ecirctre dans ce mecircme fragment 8 de son poegraveme142 Cette impres-sion peut ecirctre eacutetayeacutee par celle drsquoune prise de distance agrave lrsquoeacutegard de cepassage du poegraveme lorsque Numeacutenius affirme que lrsquoecirctre nrsquoest pasmecircme mucirc autour de son centre143 si cette preacutecision fait sans doutedrsquoabord allusion agrave lrsquoacircme du monde qui se meut autour de celui-ci dansle Timeacutee et par suite au refus drsquoidentifier lrsquoecirctre veacuteritable agrave une acircme144elle porte peut-ecirctre eacutegalement la trace drsquoune reacuteaction agrave lrsquoidentificationparmeacutenidienne de lrsquoecirctre agrave une sphegravere145 Lrsquohypothegravese est cependantplus fragile et Numeacutenius heacuterite sans doute avant tout de Platon enverslequel il se situe Crsquoest agrave partir du Timeacutee qursquoil eacutelabore sa penseacutee Maisil ne semble pas exclu qursquoil soit parfois retourneacute (directement ou non)agrave lrsquooriginal auquel reacutefegravere implicitement Platon ce qui est drsquoautant plus

148 Fabienne JOURDAN

142 Sur le non-ecirctre chez Parmeacutenide voir par ex D OrsquoBrien Le Non-Ecirctredans la philosophie grecque Parmeacutenide Platon Plotin raquo dans P Aubenque(eacuted) Eacutetudes sur le Sophiste de Platon Napoli Bibliopolis 1991 p 4-9

143 οὔτε περὶ τὸ μέσον ποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται144 Il srsquoagit lagrave selon nous drsquoun argument essentiel agrave la non-identification

numeacutenienne du deacutemiurge agrave lrsquoacircme du monde145 Fr 8 42-44 D-K

vraisemblable que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacute comme un pythago-ricien146

Le second eacuteleacutement du Περὶ τἀγαθοῦ qui pourrait suggeacuterer lrsquoap-propriation drsquoun passage de Parmeacutenide147 est lrsquoidentification de lrsquoecirctreet de lrsquointellect agrave chacun des deux niveaux ougrave Numeacutenius les situe Ecirctre lui-mecircme (αὐτοόν) et ecirctre deacuteriveacute (ὄν) premier et second intel-lects correspondant au premier et au deuxiegraveme dieu Sans entrer dansle deacutetail de lrsquointerpreacutetation disons simplement que selon nous en fai-sant de lrsquolaquo acte raquo de penser148 lrsquoapanage du premier dieu et en identi-fiant ce mecircme dieu agrave lrsquoEcirctre149 Numeacutenius suggegravere une union intime etprofonde entre ecirctre et penser qursquoil aurait pu consideacuterer comme remon-tant agrave Parmeacutenide lui-mecircme ou qursquoil aurait pu eacutetayer par une appropria-tion du fragment 3 de son poegraveme tel qursquoil est transmis par CleacutementdrsquoAlexandrie et Plotin150 [] τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶεἶναι [] Certes dans ce fragment de vers lrsquoidentification entre ecirctreet penser est suggeacutereacutee par lrsquoextraction du texte hors de son contexte envue justement drsquoy trouver pareille identification Elle ne correspond

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 149

146 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres IX 21(A 1 D-K) Proclus In Parm I 6194 Cousin cf Jamblique VP 166 (A 4D-K)

147 Pour reprendre les termes du fragment 1 (10 F) on pourrait aussi parlerde lrsquolaquo invocation raquo de Parmeacutenide comme source pythagorisante en accord avecPlaton et confirmant la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ elle-mecircme eacutetayeacutee par leslaquo teacutemoignages raquo de celui-ci Numeacutenius semble en effet pouvoir citer Parmeacute-nide pour confirmer son propos agrave la fois parce qursquoil ne pouvait que paraicirctre enaccord avec Platon (cf fr 1 10 F) et parce que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacutecomme pythagoricien

148 Degraves le fragment 15 (23 F) de maniegravere implicite dans le fragment 16 (24F) et explicite au fragment 19 (27 F)

149 Fr 17 (25 F)150 Cleacutement Strom VI 2 233 Plotin Enn VI 1 [10] 817 V 9 [5] 29-

30 cf I 4 [46] 106 III 8 [30] 88 VI 7 [38] 4118 (voir D OrsquoBrien Eacutetudessur Parmeacutenide T I Le Poegraveme de Parmeacutenide Paris Vrin 1987 p 19) ndash Onpourrait drsquoailleurs aussi penser aux vers 34-36 du fragment 8 eacutevoqueacute dans leparagraphe preacuteceacutedent

sans doute pas au sens originel du passage151 De plus chez Numeacuteniusle type de penseacutee speacutecifique agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme nrsquoest pas le νοεῖν maisle φρονεῖν Mais drsquoune part νοεῖν nrsquoayant pas chez Parmeacutenide lesens preacutecis que lui donne ensuite la tradition platonicienne une margerelative drsquointerpreacutetation et de preacutecision eacutetait laisseacutee agrave lrsquointerpregraveteappartenant agrave cette tradition152 drsquoautre part on peut tregraves bien imaginerNumeacutenius extraire ce passage dont la juxtaposition des termes luiaurait paru opportune pour eacutetayer son propos et preacuteciser le sens de laformule ainsi obtenue en distinguant deux niveaux de lrsquoecirctre auxquelscorrespondent deux types distincts de penseacutee (le νοεῖν entendu ausens platonicien drsquointellection revenant au seul second dieu)153Lorsque Cleacutement et apregraves lui Plotin reprennent cette formule il neserait pas impossible qursquoils lrsquoempruntent ainsi extraite agrave Numeacutenius

150 Fabienne JOURDAN

151 Denis OrsquoBrien (ibid p 19 209-212) a montreacute qursquoen reacutealiteacute dans lepoegraveme les deux infinitifs ne doivent vraisemblablement pas ecirctre pris commesujet drsquoun ἐστίν agrave valeur copulative mais peut-ecirctre comme compleacutement dupronom (τὸ αὐτό) ou de lrsquouniteacute syntaxique constitueacutee par le pronom et leverbe (au sens de laquo crsquoest une seule et mecircme chose pour penser et pour ecirctre raquodrsquoougrave la traduction par laquo crsquoest une seule et mecircme chose que lrsquoon pense et quiest raquo) F Fronterotta reprend son analyse et conclut que pour Parmeacutenideνοεῖν deacutesigne une forme de perception immeacutediate non sans lien avec lrsquoactiviteacutesensorielle mais allant au-delagrave des sens et de leur uniteacute creacuteative (laquo Someremarks on noein in Parmenides raquo dans S Stern-Gillet K Korrigan (eacuted)Reading ancient texts Vol I Presocratics and Plato Leiden Brill 2007p 3-19) Il ne srsquoagit donc pas (encore) de la perception intuitive que deacutesignerace verbe ulteacuterieurement

152 Voir la note preacuteceacutedente153 Nous pourrions preacuteciser ainsi lrsquointention de Numeacutenius srsquoil songe effec-

tivement agrave cette formule Selon nous il partage la conviction platonicienne quiveut que pour ecirctre pensable il faut ecirctre reacuteellement (et donc ecirctre intelligible crsquoest la leccedilon du Timeacutee) Srsquoil confrontait cette conviction au vers de Parmeacute-nide il lui donnerait donc drsquoabord lrsquointerpreacutetation laquo objective raquo deacuteceleacutee parFr Fronterotta (laquo Some remarks on noein in Parmenides raquo art cit) Toutefoisdans sa deacutefinition de lrsquoecirctre bientocirct identifieacute au Bien il retourne de toute eacutevi-dence cette conception et considegravere que nrsquoest veacuteritablement que ce qui est pen-sable (et donc lagrave encore intelligible par ex fr 4 a 13 F sur la matiegravere qui

Plotin lrsquoutilise certes pour caracteacuteriser le seul et unique Intellect chezlui situeacute au seul second niveau de la reacutealiteacute Mais cela correspondrait agravesa tendance geacuteneacuterale agrave faire passer au second niveau ce qui correspondau premier chez Numeacutenius154

De Numeacutenius il heacuterite donc peut ecirctre drsquoune lecture de Parmeacutenideplutocirct que du Parmeacutenide

Fabienne JOURDANCNRS UMR 8167 laquo Orient et Meacutediterraneacutee raquo Paris-Sorbonne

jourdanfabiennewanadoofr

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 151

nrsquoest pas ecirctre et ougrave une preuve de cet eacutetat est son caractegravere inconnaissable)Appliqueacutee agrave la formule de Parmeacutenide cette conviction en produirait ce queFr Fronterotta appelle une lecture laquo subjective raquo En outre dans le deacutesir sansdoute drsquoexpliquer la participation de maniegravere concregravete il ne donne pas seule-ment lrsquointelligibiliteacute comme condition de lrsquoecirctre (au sens passif du terme) maisil considegravere le fait de penser comme condition du fait drsquoecirctre reacuteellement (ausens laquo actif raquo du terme) Crsquoest pourquoi srsquoil avait connu et utiliseacute la formule deParmeacutenide ne serait-ce que pour eacutetayer son propos il y aurait sans douteentendu lrsquoaffirmation de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre et de la penseacutee mieux du penserCela pourrait certes paraicirctre lui attribuer une forme drsquoideacutealisme heacutegeacutelien(selon les termes de Fr Fronterrota laquo Some remarks on noein in Parmenides raquoart cit p 6) Mais telle est aussi la lecture de Cleacutement drsquoAlexandrie (StromVI 2 233) Or mecircme srsquoil ne le cite explicitement qursquoune fois (Strom I 22150 1-4 = 29 Fd) Cleacutement connaicirct Numeacutenius et se sert parfois de ses eacutecritssans le nommer (voir par ex Strom I 8 405 Strom I 13 571) Il nrsquoest doncpas impossible que pareille interpreacutetation circulacirct deacutejagrave au temps de Numeacuteniusvoire chez lui et mecircme gracircce agrave lui Le raisonnement du Περὶ τἀγαθοῦ dumoins passe par lrsquoidentification de lrsquoecirctre agrave lrsquo laquo activiteacute raquo de penser ensuiteconccedilue aux niveaux infeacuterieurs comme condition mecircme de leur participation agravelrsquoecirctre (voir le fr 19 27 F)

154 Nous simplifions et deacutecrivons simplement une tendance le processuspreacutecis requerrait une explication deacutetailleacutee qui nrsquoa pas sa place ici

152 Fabienne JOURDAN

Page 9: NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE · 2020. 4. 16. · NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE?* PREMIÈREPARTIE: L’ŒUVREPARVENUEDENUMÉNIUSETLEPARMÉNIDE DEPLATON RÉSUMÉ Si

interpreacuteteacute le Parmeacutenide Elle requiert donc un examen approfondi destextes parvenus ndash textes qui nous ont eacuteteacute transmis uniquement demaniegravere indirecte tregraves partielle et de fait aussi tregraves partiale La pre-miegravere eacutetape de la recherche consiste donc agrave reacutealiser pareil examenpour voir si ces textes portent effectivement la trace de lrsquointerpreacute-tation en jeu comme lrsquoont proposeacute notamment A-J Festugiegravere21D OrsquoMeara22 G Bechtle23 M Burnyeat24 et JD Turner25

2) La maigreur des indices reacuteellement significatifs cependant ndash agravemoins drsquoimaginer un silence poleacutemique de la part de Numeacutenius dontnous verrons qursquoil nrsquoest peut-ecirctre pas agrave exclure totalement ndash aurait sansdoute inviteacute agrave abandonner pareille recherche comme relativementdeacutesespeacutereacutee ou artificielle en lrsquoeacutetat de nos sources Mais le deacutesir derevenir sur lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacute-nide26 lrsquoa ranimeacutee Lui aussi parvenu de maniegravere fragmentaire (maiscette fois directe) ce texte comporte des parallegraveles frappants avec lrsquoen-seignement connu de Numeacutenius et invite agrave penser que lrsquoauteur srsquoins-pire de lui voire comme le propose Gerald Bechtle depuis sa mono-graphie de 199927 nrsquoest autre que Numeacutenius lui-mecircme il srsquoagirait du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 109

21 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV Paris Gabalda 1954 p 12522 laquo Being in Numenius and Plotinus Some Points of comparison raquo Phro-

nesis 21 1976 p 120-12923 The Anonymous Commentary on Platorsquos Parmenides BernStuttgart

Wien Paul Haupt 1999 p 8224 laquo Platonism in the Bible Numenius of Apamea on Exodus and Eter-

nity raquo dans R Salles (eacuted) Metaphysics Soul and Ethics in Ancient thoughtOxford Clarendon Press 2005 p 143-169 il le suggegravere p 152-155

25 laquo The Platonizing Sethian Treatise raquo art cit p 128-13926 Titre artificiel donneacute au texte que nous abreacutegerons dans la suite27 The Anonymous Commentary op cit Voir aussi du mecircme auteur laquo The

Question of Being and the Dating of the Anonymous Parmenides Commen-tary raquo Ancient Philosophy 20 2000 p 393-414 et laquo A neglected Testimonium(Fragment ) on the Chaldaen Oracles raquo Classical Quarterly 56 2006p 563-581 sans ecirctre tout agrave fait explicite JD Turner le suit essentiellement(Sethian Gnosticism and The Platonic Tradition QueacutebecLouvainParisPresses de lrsquoUniversiteacute LavalPeeters 2001 laquo Victorinus Parmenides com-

commentaire que Numeacutenius aurait reacutedigeacute sur le Parmeacutenide ou dumoins sur les deux premiegraveres hypothegraveses28 de la seconde partie

3) Comme telle toutefois confronteacutee aux arguments solides dePierre Hadot en faveur drsquoune autoriteacute porphyrienne du Commentaireanonyme29 ou du moins agrave ceux drsquoAlessandro Linguiti en faveur drsquoune

110 Fabienne JOURDAN

mentaries and the Platonizing Sethian Treatises raquo dans K Corrigan JD Tur-ner (eacuted) Platonism Ancient Modern and Postmodern LeidenBoston Brill2007 p 55-96 et laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit) Voir aussiK Corrigan qui pense quant agrave lui agrave Cronius (laquo Platonism and Gnosticism TheAnonymous Commentary on the Parmenides Middle or Neoplatonic raquo dansJD Turner R Majercik (eacuted) Gnosticism and Later Platonism ThemesFigures and Texts Atlanta Society of Biblical Literature 2001 p 141-177)

28 Dans les pages qui suivent nous adopterons pour simplifier la termino-logie exeacutegeacutetique qui srsquoest imposeacutee et parlerons des laquo hypothegraveses raquo de laseconde partie du Parmeacutenide bien qursquoil srsquoagisse plutocirct chez Platon drsquoune seacuteriede deacuteduction En outre quand nous y reacutefegravererons nous nrsquoajouterons plus lamention de laquo la deuxiegraveme partie raquo du Parmeacutenide

29 Voir P Hadot (laquo Fragments drsquoun Commentaire de Porphyre sur le Par-meacutenide raquo Revue des eacutetudes grecques 74 1961 p 410-438 repris dansP Hadot Plotin Porphyre Eacutetudes neacuteoplatoniciennes Paris Les BellesLettres 20102 [1999] p 281-316 laquo La meacutetaphysique de Porphyre raquo dansPorphyre Entretiens sur lrsquoAntiquiteacute classique XII Vandœuvres-Genegraveve Fon-dation Hardt 1966 p 125-157 repris dans P Hadot Plotin Porphyre op citp 317-353 Porphyre et Victorinus I et II Paris Eacutetudes augustiniennes1968 laquo Porphyre et Victorinus Questions et hypothegraveses raquo dans M TardieuP Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApocalypse de Zostrien et lessources de Marius Victorinus Bures-sur-Yvette Res Orientales IX 1996p 117-125 Ses arguments sont eacutetayeacutes par ceux de HD Saffrey laquo Connais-sance et inconnaissance de Dieu Porphyre et la Theacuteosophie de Tuumlbingen raquodans J Duffy J Peradotto (eacuted) Gonimos Buffalo Arethusa 1988 p 3-20repris dans HD Saffrey Recherches sur le Neacuteoplatonisme apregraves Plotin ParisVrin 1990 p 1-20 M Zambon Recension de G Bechtle The AnonymousCommentary on Platorsquos Parmenides Elenchos 20 1999 p 194-202 et Por-phyre et le moyen-platonisme Paris Vrin 2002 R Chiaradonna laquo Nota supartecipazione e atto drsquoessere nel neoplatonismo lrsquoanonimo Commento alParmenide raquo Studia graeco-arabica 2 2012 p 87-97 et laquo Logica e teologica

origine post-plotinienne30 lrsquohypothegravese de G Bechtle pourrait semblerpeu utile grand lecteur de Numeacutenius31 Porphyre si nous revenons pro-visoirement agrave lui pouvait srsquoinspirer de son preacutedecesseur et de ses doc-trines sans que celui-ci ait lui-mecircme composeacute un commentaire au Par-meacutenide Comme nous le montrerons les parallegraveles entre le Commentaireanonyme et lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius en tout cas nrsquoimpliquentpas de reacutefeacuterence directe au dialogue de Platon de la part de ce dernierLrsquoexamen de lrsquohypothegravese pourrait donc srsquoachever sur ce constat si unedeacutecouverte de Michel Tardieu (1996) nrsquoinvitait pas malgreacute tout agrave lrsquoex-plorer davantage En deacutecryptant lrsquoApocalypse de Zostrien M Tardieu ya deacutecouvert un passage semblable agrave un autre du Contre Arius de MariusVictorinus32 laquo synopse raquo supposant selon lui une source commune auxdeux auteurs Or ce texte et donc cette laquo source raquo semble drsquoune partrelever drsquoun commentaire des deux premiegraveres hypothegraveses du Parmeacute-nide et drsquoautre part comporter des parallegraveles avec le Commentaire ano-nyme ndash son identification directe agrave celui-ci paraissant exclue a priorieacutetant donneacutee lrsquoidentification qursquoelle semble faire du premier Un agrave lrsquoEs-prit absente du Commentaire anonyme LrsquoApocalypse de Zostrien eacutetantlrsquoun des traiteacutes gnostiques critiqueacutes dans lrsquoeacutecole de Plotin33 la chronolo-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 111

nel primo neoplatonismo A proposito di Anon In Parm XI 5-19 e IamblRisposta a Porfirio [De Mysteriis] I 4 raquo Studia graeco-arabica 5 2015 p 1-11 M Chase laquo Porphyre Commentaires agrave Platon et Aristote raquo dans R Gou-let (eacuted) Dictionnaire des philosophes antiques Paris CNRS V b 2012p 1369-1371 avec la bibliographie en ce sens p 1362-1365

30 laquo Sulla datazione del Commento al Parmenide di Bobbio Unrsquoanalisilessicale raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et lasua tradizione op cit p 307-322 (voir aussi lrsquointroduction de son eacutedition duCommentaire anonyme dans Corpus dei papiri filosofici greci e latini Testo elessico nei papiri di cultura greca e latina Parte III Commentari FirenzeOlschki 1995 p 78-91)

31 Voir Proclus In Tim I 7722-24 = Numeacutenius fr 3724-26 des Places32 Apocalypse de Zostrien (NHC VIII 1 6411-6612) Marius Victorinus

(Adversus Arium I 497-50)33 VP 16

gie imposerait alors de situer cette source avant Plotin Voici doncrevenue lrsquohypothegravese drsquoun commentaire meacutedio-platonicien au Parmeacute-nide les parallegraveles avec le Commentaire anonyme suggeacuterant alorscette fois plus assureacutement le nom de Numeacutenius comme sonauteur M Tardieu la formule prudemment34 P Hadot lrsquoeacuteloigne dis-cregravetement35 mais elle est vivement deacutefendue par G Bechtle et sespartisans qui faisant la synthegravese de ces deacutecouvertes en tirent alorsla conviction que Numeacutenius serait non seulement lrsquoauteur du Com-mentaire anonyme mais aussi la source de ce que M Tardieu nommelrsquo laquo exposeacute commun raquo36 et que nous nommerons aussi provisoirementde cette maniegravere37

Plus que lrsquoœuvre parvenue elle-mecircme crsquoest cette triple probleacutema-tique propre agrave lrsquohistoire de la philosophie et agrave sa recherche des sourcesqui impose lrsquoexamen de la relation de Numeacutenius au Parmeacutenide exa-men qursquoelle rend lui-mecircme triple en suggeacuterant de surcroicirct que chaqueeacutetape corrobore la preacuteceacutedente Notre enquecircte suivra ces trois eacutetapes elle tentera drsquoeacutevaluer si cet enchaicircnement argumentatif lieacute agrave lrsquoeacutetudeconjointe de ces trois seacuteries de textes nrsquoest pas forceacute tant il paraicirctessentiellement ducirc agrave la surenchegravere en preacutecision dans lrsquohypothegravese delrsquoexistence drsquoune interpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologique pythago-risante et preacute-plotinienne du Parmeacutenide

Dans la premiegravere partie de lrsquoeacutetude proposeacutee dans ce numeacutero noustenterons donc drsquoeacutevaluer la place de Numeacutenius au sein du laquo neacuteo-pytha-gorisme raquo censeacute avoir deacutejagrave produit une telle interpreacutetation Commenous serions plus que reacuteserveacutee sur la preacutesence de celle-ci chez Modeacute-

112 Fabienne JOURDAN

34 Dans M Tardieu et P Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApoca-lypse de Zostrien op cit p 112-113

35 Dans ibid p 11436 G Bechtle The Anonymous Commentary op cit p 248-249 n 683

laquo The Question of Being raquo art cit p 408-412 laquo A neglected Testimonium raquoart cit p 568 JD Turner semble le suivre dans les articles deacutejagrave signaleacutes K Corrigan eacutegalement en songeant plutocirct agrave Cronius

37 Le statut reacuteel de cet laquo exposeacute raquo sera examineacute dans la troisiegraveme partie decette eacutetude (Revue de philosophie ancienne 38-1)

ratus et ses preacutedeacutecesseurs38 nous ne ferons allusion agrave ce point qursquoenconclusion Nous nous concentrerons ici de la maniegravere la plus sobrepossible sur lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et examinerons srsquoil estpossible de lui precircter un commentaire ne serait-ce que partiel du Par-meacutenide

Dans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude qui sera publieacutee dans lenumeacutero suivant (37-2) nous analyserons les parallegraveles et les diver-gences entre lrsquoœuvre de Numeacutenius et le Commentaire anonyme au Par-meacutenide Il srsquoagira drsquoeacutevaluer la validiteacute de lrsquohypothegravese qui attribue cecommentaire agrave Numeacutenius mais aussi de reconsideacuterer leur relationmutuelle laquelle est riche drsquoenseignements pour la reacuteflexion surlrsquoeacutelaboration du neacuteoplatonisme

Dans la troisiegraveme partie de lrsquoeacutetude qui sera publieacutee dans le numeacutero38-1 nous examinerons lrsquo laquo exposeacute commun raquo au Zostrien et agrave MariusVictorinus sa relation au Commentaire anonyme et au Parmeacutenide lui-mecircme et les parallegraveles qursquoon y voit parfois avec lrsquoœuvre parvenue deNumeacutenius pour envisager quelle place celle-ci pourrait avoir dans lareconstitution de ses sources

Chaque partie peut ecirctre lue indeacutependamment selon les centresdrsquointeacuterecircts de chacun Lrsquoensemble visera agrave eacutevaluer srsquoil est vraimentneacutecessaire de bouleverser la conception la plus courante de lrsquohistoire

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 113

38 Sans rejeter absolument un recours au Parmeacutenide anteacuterieur agrave Plotinnous estimons non justifieacute de precircter agrave Modeacuteratus une interpreacutetation theacuteolo-gique et meacutetaphysique du Parmeacutenide sur la foi du teacutemoignage de Simplicius(In Phys 23034-2319) Nous suivons sur ce point les reacuteserves de A-J Festu-giegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 22 n 3 JM Ristlaquo The Neoplatonic One and Platorsquos Parmenides raquo Transactions and Procee-dings of the American Philological Association 93 1962 p 389-401 C Steel laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 19-20qui rappelle agrave juste titre le rocircle de Porphyre comme source de Simplicius JN Hubler laquo Moderatus ER Dodds and the Development of NeoplatonistEmanation raquo dans JD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and itsHeritage op cit vol I p 115-130 ainsi que les reacuteserves de Philippe Hoff-mann lors du seminaire de la Society of Biblical Literature en 2003 (laquo Rethin-king Platorsquos Parmenides and its Platonic Gnostic and Patristic Reception raquo)

du platonisme en donnant Numeacutenius comme preacutecurseur de Plotin danslrsquointerpreacutetation meacutetaphysique du Parmeacutenide Si tel nrsquoest pas le cas elleconfirmera a contrario les critegraveres drsquoune interpreacutetation reacuteellement neacuteo-platonicienne de la seconde partie du dialogue Disons en outre drsquoem-bleacutee qursquoeacutetant donneacute que nous ne pouvons raisonner qursquoagrave partir de cequi nous est parvenu aucune conclusion assertive nrsquoest en soi possiblesur lrsquoexistence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par NumeacuteniusCette eacutetude aura toutefois trois reacutesultats positifs envisager un rapportvolontairement distant de Numeacutenius au Parmeacutenide fondeacute sur le textede Platon lui-mecircme et dont aura tenu compte le neacuteoplatonisme deacutecou-vrir des parallegraveles entre le Commentaire anonyme et le Περὶ τἀγαθοῦplus nombreux qursquoil nrsquoest souvent signaleacute ndash ce qui offrira peut-ecirctre unindice permettant une position plus assureacutee dans le deacutebat sur lrsquoanteacuterio-riteacute de Numeacutenius ou des Oracles chaldaiumlques et enfin approfondirlrsquohypothegravese relative agrave lrsquoutilisation de Numeacutenius par les gnostiques etpar les neacuteoplatoniciens appropriation que lrsquoon peut suivre jusque dansles traductions et transpositions arabes de leurs œuvres

Preacuteliminaire Esquisse de la doctrine des principeschez Numeacutenius

Avant pareil exposeacute une bregraveve esquisse de la penseacutee meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius est neacutecessaire Nous nous en tiendronsaux grandes lignes transmises dans les fragments veacuteritables ceux citeacutespar Eusegravebe de Ceacutesareacutee et nous exposerons de maniegravere succincte lesreacutesultats de nos propres analyses sans livrer le deacutetail des deacutebats surlesquels elles ont eacuteteacute eacutelaboreacutees39 Les textes nous inteacuteressant se trou-vent dans le Περὶ τἀγαθοῦ dialogue ougrave Numeacutenius entreprend larecherche drsquoune deacutefinition du Bien qursquoil identifie au premier prin-cipe40 Il identifie ce premier principe drsquoune part agrave un premier dieu et

114 Fabienne JOURDAN

39 Voir la bibliographie et les commentaires de notre eacutedition en preacutepara-tion

40 Le titre qui est laquo originellement raquo celui de la leccedilon orale de Platon

intellect et drsquoautre part au Bien et Ecirctre lui-mecircme ou par excellence(selon les formules αὐτοάγαθον et αὐτοόν)41 que dans une perspec-tive exeacutegeacutetique il considegravere comme repreacutesenteacute par la forme du Bieneacutevoqueacutee dans la Reacutepublique42 De ce premier principe Numeacutenius dis-tingue un second dieu ou principe identifieacute cette fois au deacutemiurge duTimeacutee43 Ce dieu assure le rocircle deacutemiurgique dont le premier est ainsidispenseacute et il est conccedilu comme lrsquoimage de celui-ci il est le Bon parti-cipant au Bien le second intellect qui produit sa propre forme encontemplant le premier faccedilonnant ou deacuteterminant pour cela lrsquoecirctre oulrsquoessence (οὐσία) que le premier lui procure par le simple fait drsquoecirctre(soi et le Bien)44 Telle est du moins la maniegravere dont nous lisonsconjointement les fragments 11 et 16 (19 et 25 F)45 Autrement dit tan-dis que le premier dieu est le principe de lrsquoecirctre le second est le prin-cipe du devenir46 Numeacutenius donne plus preacuteciseacutement deux laquo aspects raquo

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 115

indique agrave lui seul que le texte srsquoadonne agrave une recherche et deacutefinition des prin-cipes Aristote et Xeacutenocrate le donnent ensuite chacun agrave lrsquoune de leurs œuvresSur lrsquoimportance de ce titre voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius Sur leBien de Platon Lrsquoenseignement oral du maicirctre comme occasion de rechercherson pythagorisme dans ses eacutecrits raquo Χώρα 15-16 2017-2018 p 139-165

41 Voir par ex fr 16 et 17 (24 et 25 F) ndash Tout au long de cette eacutetude lesfragments sont citeacutes selon la numeacuterotation de lrsquoeacutedition drsquoEacutedouard des Places(Numeacutenius Fragments Paris Les Belles Lettres 1973) nous indiquons entreparenthegraveses les numeacuteros qui correspondent dans notre eacutedition en preacuteparation

42 Voir surtout les fr 19 et 20 (27 et 28 F)43 Voir notamment les fr 11 12 et 18 (19 20 et 26 F) En reacutealiteacute le

deacutemiurge du Timeacutee partage ses attributs entre le premier dieu numeacutenien(auquel il laisse sa fonction de source divine des acircmes cf fr 13 21 F) et lesecond qui est aussi troisiegraveme et reacutealise les opeacuterations proprements deacutemiur-giques assumant par lagrave en partie le rocircle des dieux secondaires du Timeacutee

44 Fr 16 (24 F)45 Voir aussi lrsquoanalyse du fr 16 (24 F) par G Muumlller laquo Ἰδέα y οὐσία en

Numenio de Apamea Una reinterpretacioacuten de la ontologiacutea platoacutenica raquo Cua-dernos de Filosofiacutea 59 2012 p 121-140 Nous prenons position agrave son sujetdans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude Revue de philosophie ancienne 37-2

46 Ibid

agrave ce second dieu selon lrsquoorientation de son attention deux laquo aspects raquoqui conduisent agrave parler agrave son sujet de deux laquo dieux raquo qui toutefois nrsquoenconstituent reacutealiteacute qursquoun seul lorsqursquoil est tourneacute vers soi crsquoest-agrave-direvers lrsquointelligible qursquoil est lui-mecircme par contemplation du Bien lesecond dieu est entiegraverement agrave soi et donc reacuteellement soi second dieu lorsqursquoil est tourneacute vers la matiegravere qursquoil met en ordre il est deacutemiurgeau sens litteacuteral du terme et devient laquo troisiegraveme dieu raquo47 Cette divisionnrsquoimplique pas une reacuteelle scission et ne srsquoavegravere autre qursquoune diffeacuterencedrsquoorientation agrave lrsquoorigine drsquoune uniteacute diviseacutee image imparfaite delrsquouniteacute indivisible et parfaite qursquoest le premier dieu

Cette bregraveve preacutesentation doit suffire agrave comprendre le cadre de lapenseacutee numeacutenienne48 Signalons simplement encore trois points essen-tiels pour la confrontation avec le Parmeacutenide et ses interpreacutetations

1) Lrsquoeacuteleacutement fondamental du Περὶ τἀγαθοῦ est lrsquoidentificationdu Bien lui-mecircme (ἀυτοάγαθον) premier principe agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme (αὐτοόν)49 Elle srsquoaccompagne de lrsquoaffirmation qursquoil existeune laquo con-naturaliteacute raquo du Bien agrave lrsquoeacutegard de lrsquoessence50 (σύμφυτον τῇ

116 Fabienne JOURDAN

47 Fr 11 (19 F)48 La preacutesentation ici donneacutee deacutepend de propre analyse des textes Pour

drsquoautres interpreacutetations voir aussi par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit J Opsomer laquo Demiurges in Early Imperial Platonism raquo dans R Hirsch-Luipold(eacuted) Gott und die Goumltter bei Plutarch BerlinNew York de Gruyter 2005p 63-72 M Baltes dans H Doumlrrie M Baltes Ch Pietsch Die PhilosophischeLehre des Platonismus Band 71 Theologia Platonica Stuttgart Bad Canns-tatt Frommann-Holzboog 2008 p 472-482 Les vues de CS OrsquoBrien TheDemiurge in Ancient thought Secondary Gods and Divine mediators Cam-bridge Cambridge University Press 2015 p 139-168 sont agrave consideacuterer avecla plus grande preacutecaution

49 Fr 17 (25 F) cf fr 2 (11 F)50 Nous traduirons ici οὐσία par laquo essence raquo consciente des faiblesses de

cette traduction qui dans le contexte platonicien examineacute nrsquoimplique naturel-lement pas de distinction par rapport agrave la notion drsquoexistence Dans ce contextelaquo essence raquo est agrave prendre au sens de reacutealiteacute intelligible (sur cette deacutefinition voirpar ex R Chiaradonna laquo Substance raquo dans P Remes S Slaveva-Griffin(eacuted) The Routledge Handbook of Neoplatonismi LondonNew York Rout-

οὐσίᾳ51) le Bien partage la mecircme nature que cette οὐσία (forme sub-stantive de lrsquoecirctre) qui provient ainsi de lui Numeacutenius exprime deacutejagrave cetteideacutee au fragment 2 (10 F) par lrsquoimage du Bien laquo monteacute sur lrsquoessence raquo(comme on dirait laquo sur un cheval raquo52) Par lrsquoutilisation de la preacutepositionet du preacuteverbe ἐπί- de preacutefeacuterence agrave ὑπό- (preacutesent dans la formule de Pla-ton) la formule ἐποχούμενον ἐπὶ τῇ οὐσίᾳ indique une laquo transcen-dance raquo53 avec contact qui donne sans deacutetour lrsquointerpreacutetation que Numeacute-nius fait de la formule eacutenigmatique de Reacutepublique VI 509 b 8-10 srsquoilest une laquo transcendance raquo du premier principe elle est drsquoordre cosmolo-gique et non laquo ontologique raquo au sens ougrave ce principe constitue la formeeacuteminente de lrsquoecirctre mais ne srsquoen distingue pas par son essence

2) Ce premier principe est certes immobile en tant qursquoecirctre54exempt de toute activiteacute sous-entendu deacutemiurgique55 mais Numeacuteniuseacutevoque un laquo mouvement qui accompagne naturellement son repos raquo(τῷ πρώτῳ στάσιν [] κίνησιν σύμφυτον56) Ce mouvementindique vraisemblablement que le premier principe pense57 et la for-mule preacutepare son identification agrave un intellect Concernant ce premierdieu toutefois le type de penseacutee qui le caracteacuterise est visiblementconccedilu comme nrsquoimpliquant pas drsquoactiviteacute proprement dite au sens du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 117

ledge 2014 p 216) La deacutetermination nrsquointervient ici qursquoavec le second dieu οὐσία est le terme qui sert agrave exprimer litteacuteralement lrsquoecirctre (ὄν) de maniegravere sub-stantive un ecirctre que le premier dieu Ecirctre par excellence fait advenir sans acteproducteur simplement en eacutetant ce qursquoil est et donc sans que cette οὐσία quivient de lui soit ontologiquement distincte de lui

51 Fr 16 (24 F)52 Lrsquoimage apparaicirct litteacuteralement dans les Oracles chaldaiumlques fr 1466

des Places53 On pourrait alors aiseacutement renoncer au mot laquo transcendance raquo et preacutefeacute-

rer la notion de primauteacute hieacuterarchique par exemple54 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)55 Fr 11-12 (19-20 F)56 Fr 15 (23 F)57 Le passage est agrave interpreacuteter en lien avec le Sophiste 248 e-249 a (voir

notre commentaire au passage dans lrsquoeacutedition en preacuteparation)

moins ougrave cette penseacutee est sans objet et nrsquoest pas mecircme penseacutee de soi aufragment 19 (27 F) Numeacutenius parle drsquoun φρονεῖν qui est lrsquoapanage dupremier dieu sous-entendu agrave la diffeacuterence notamment du νοεῖν saisieintuitive de lrsquointelligible caracteacuteristique du second dieu58 et plus encoredu διανοεῖσθαι activiteacute de penseacutee discursive agrave lrsquoorigine de la deacutemiur-gie Ce φρονεῖν peut selon nous ecirctre compris comme une penseacuteelaquo intransitive raquo (crsquoest-agrave-dire sans objet) pure dispensation du Bien parlrsquoecirctre du Bien59 En cela elle nrsquoimplique reacuteellement aucune activiteacute

Crsquoest alors en ce sens assureacutement que le premier dieu est ditlaquo entourer les intelligibles raquo ou plus exactement et litteacuteralement ecirctrelaquo autour des intelligibles raquo au fragment 15 (23 F περὶ τὰ νοητά) lrsquoexpression nrsquoimplique ni qursquoil les contienne ni qursquoil les produisecomme son objet de penseacutee ni mecircme qursquoil les pense60 Si elle visepeut-ecirctre agrave rendre compte drsquoune identification ultime du premier prin-

118 Fabienne JOURDAN

58 Agrave la limite le premier dieu ne peut lrsquoexercer que par lrsquointermeacutediaire dusecond voir le teacutemoignage de Proclus In Tim III 10328-32 Diehl = fr 22(contre cette interpreacutetation traditionnelle voir G Muumlller laquo Queacute es ldquolo que esvivienterdquo (ὁ εστι ζῶον) seguacuten Numenio de Apamea raquo Cuadernos Filosofiacutea64 2015 p 11-12 dont lrsquohypothegravese bien que seacuteduisante ne tient pas agrave lrsquoexa-men de la syntaxe du passage lrsquoinfinitif νοεῖν ne peut avoir que τὸν πρῶτονcomme laquo sujet raquo et non un δεύτερoν implicitement tireacute du geacutenitif δευτέρου)

59 Nous reacutesumons Voir aussi lrsquoeacutetude de la φρόνησις chez Platon parM Dixsaut laquo De quoi les philosophes sont-ils amoureux Sur la phronegravesisdans les dialogues de Platon raquo repris dans M Dixsaut Platon et la question dela penseacutee Eacutetudes platoniciennes I Paris Vrin 2000 p 93-119 ndash Le lien eacutety-mologique originel entre φρονεῖν et φρήν (le diaphragme) suggegravere une autreimage ce φρονεῖν est comme une laquo respiration drsquoecirctre raquo qui est le Bien et drsquoougraveeacutemane le bien

60 Cette interpreacutetation qui tient entre autres compte de la simpliciteacute abso-lue du premier dieu (fr 11 = 19 F) nrsquoest pas contradictoire avec celle de Timeacutee39 e 7-9 par laquelle Numeacutenius aurait associeacute son premier dieu au Vivant (InTim III 103 28-32 Diehl = fr 22) Certes dans le Timeacutee le Vivant a en lui lesformes (ἐνούσας ἰδέας τῷ ὃ ἔστι ζῷον 39 e 8) Mais sans pouvoir deacutevelop-per ici notre analyse disons simplement que Numeacutenius a pu lire le texte autre-ment et inspirer la distinction drsquoAmeacutelius entre un laquo intellect qui est (leVivant) raquo et un laquo intellect qui a (les formes en lui) raquo notamment en deacutecompo-

cipe au Vivant du Timeacutee61 dans le contexte du Περὶ τἀγαθοῦ ellerenvoie selon nous agrave un pur eacutetat de lrsquoecirctre agrave vertu bienfaitrice ou salvi-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 119

sant ἐνούσας de maniegravere cratylienne pour y lire ἐν-νους-ας qui eacutevoquerait lesformes laquo qui sont dans le νοῦς raquo le second dieu et intellect que Numeacutenius voitdeacutesigneacute dans le νοῦς du texte platonicien Le datif τῷ ὃ ἔστι ζῷον nrsquoauraitplus alors deacutesigneacute chez lui le lieu ougrave se trouvent les formes mais le destina-taire de la contemplation celui laquo pour qui ou agrave lrsquointention de qui en faveur dequi raquo le νοῦς qui a les formes en lui les contemplerait (autrement dit exerceraitle νοεῖν) Lrsquoaffirmation que crsquoest gracircce au second dieu et intellect (ἐνπροσχρήσει τοῦ δευτέρου) que le premier exercerait un νοεῖν pourrait ainsiconstituer lrsquoexplicitation de cette lecture eacutetonnante du texte platonicien Ainsile premier dieu nrsquoexercerait jamais le νοεῖν il nrsquointelligerait que gracircce ausecond qui le ferait pour lui Cette preacutecision pourrait servir agrave reacutepondre agravelrsquoeacuteventuelle objection drsquoun aristoteacutelisant qui deacutenoncerait une identification dupremier dieu agrave un νοῦς srsquoaccompagnant drsquoun refus de precircter agrave celui-ci lrsquoacti-viteacute du νοεῖν Numeacutenius reacutepondrait ainsi il ne lrsquoexerce pas lui-mecircme maispar lrsquointermeacutediaire du second qui le fait pour lui tandis qursquoil srsquoadonne au seulφρονεῖν Voir aussi notre interpreacutetation des fr 16 et 18 (24 et 26 F) ndash Pourune autre interpreacutetation de ce passage voir par ex M Frede laquo Numenius raquoart cit p 1062-1063 1065-1066 et 1069-1070 JP Kenney laquo ProschresisRevisited An Essay in Numenian Theology raquo dans JR Daly (eacuted) Orige-niana quinta Historica Text and method Biblica Philosophica Theologia Origenism and later developments Leuven Peeters p 217-230 RD PettyThe Fragments of Numenius Santa Barbara 1993 p 135-137 (republieacute agraveWestbury Prometheus Trust 2012) M Baltes dans H Doumlrrie M BaltesCh Pietsch Die Philosophische Lehre des Platonismus Band 71 op citp 477-478 A Michalewski laquo Le Premier de Numeacutenius et lrsquoUn de Plotin raquoArchives de philosophie 75 2012 p 35-37 et La Puissance de lrsquointelligibleLa Theacuteorie plotinienne des Formes au miroir de lrsquoheacuteritage meacutedioplatonicienLeuven Leuven University Press p 94-96

61 Voir Platon Timeacutee 30 c 7-8 (avec le participe περιλαβόν) et 31 a 3 (τograveπεριέχον πάντα ὁπόσα νοητὰ ζῷα) avec deux participes preacutefixeacutes en περί- agravepropos du Vivant qui a tous les intelligibles en lui et auquel Numeacutenius peutvouloir renvoyer avec sa formule περὶ τὰ νοητά La reacutefeacuterence implicite aupassage de la Lettre II 312 e 1-4 savamment reacuteeacutecrit indique toutefois queNumeacutenius donne un tout autre sens agrave ce περί Voir aussi le teacutemoignage de Pro-clus citeacute dans les notes preacuteceacutedentes

fique selon lrsquoideacutee de salut suggeacutereacutee agrave la fin de ce mecircme fragment Endrsquoautres termes le premier dieu serait περὶ τὰ νοητά au sens ougrave ilentoure les intelligibles de sa bienveillance leur transmettant agrave la foislrsquoecirctre et le Bien qursquoil est avant que le deacutemiurge ne les y fasse participeragrave son tour par sa bonteacute agrave lrsquoorigine de leur ecirctre deacutetermineacute62 et nrsquoy fasseparticiper aussi les sensibles en les eacutelevant agrave son propre caractegravere mar-queacute par cette mecircme bonteacute63 Le premier dieu le Bien est le modegravele dusecond le Bon et non pas des formes srsquoil doit ecirctre identifieacute au Vivantcrsquoest en tant que source ultime de la vie64 modegravele de ce second dieuqui transmet alors la vie au monde sensible (fr 1220F) et non en tantque paradigme totalisant et contenant les formes des quatre typesdrsquoecirctre vivants nommeacutes en Timeacutee 39 e 10-41 a 2

En cela le premier de Numeacutenius loin drsquoecirctre une entiteacute sans rapportau monde en est non seulement le principe mais il est pour lui lasource reacuteelle du Bien reacuteel ndash autrement dit il joue le rocircle de la Provi-dence qui est alors concregravetement exerceacutee par le second principe leBon Tout en eacutetant conccedilu comme premier intellect il nrsquoest donc pas lepremier moteur immobile aristoteacutelicien qui se pense lui-mecircme65 etauquel fut justement reprocheacute son deacutefaut de Providence66

120 Fabienne JOURDAN

62 Selon notre lecture de la formule ἰδέα ἑαυτοῦ du fragment 16 (24 F)comme renvoyant au monde intelligible comme ensemble de formes deacutetermi-neacutees

63 Voir le fr 11 (19 F) sur cette eacuteleacutevation du sensible vers le caractegravere dudeacutemiurge lequel est le laquo Bon raquo en reacutefeacuterence au Timeacutee Numeacutenius distingue leBien premier principe du Bon second principe en utilisant lrsquoadjectif substan-tiveacute au neutre pour deacutesigner le premier et lrsquoadjectif au masculin pour le second

64 Tel est selon nous le sens de lrsquoexpression ὁ μέν γε ὢν σπέρμα πάσηςψυχῆς au fr 13 (21 F) qui en fait la semence de toute acircme voir par ex F Jour-dan laquo Eusegravebe de Ceacutesareacutee et les extraits de Numeacutenius dans la Preacuteparationeacutevangeacutelique raquo dans S Morlet (eacuted) Lire en extraits Pratiques de lecture et deproduction des textes de lrsquoAntiquiteacute au Moyen Acircge Paris PUPS 2015 p 143-147

65 Contra par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit p 107066 Sur ce sujet notamment chez Plutarque dont Numeacutenius aurait pu ici par-

tager la critique voir par ex F Ferrari laquo Provvidenza platonica o autocontem

3) On notera ici enfin que selon toute vraisemblance Numeacuteniusnrsquoidentifie pas son premier principe agrave lrsquoUn67 Ce principe est certesunique (μόνος) simple (ἁπλοῦς) et indivisible (μὴ διαίρετος) encela distinct de lrsquouniteacute divisible que constitue le second dieu68 MaisNumeacutenius ne lrsquoidentifie pas agrave lrsquoUn et en tout cas pas agrave lrsquoUn du Parmeacute-nide69 Notre conviction srsquoappuie sur lrsquoanalyse du fragment 19 (27 F)Agrave la fin du passage on lit lrsquoexpression τὸ ἀγαθὸν ὅτι ἐστὶν ἕνNumeacutenius la donne comme une conclusion de Platon dont le sens pro-fond ne peut ecirctre perccedilu que par les laquo regards aiguiseacutes raquo autrement ditpar ceux qui comprennent le propos de Numeacutenius Elle provient assu-reacutement de la tradition orale on la retrouve dans le compte-rendu de laLeccedilon sur le Bien par Aristoxegravene70 Comme lrsquoarticle deacutefini peut ecirctreomis devant lrsquoattribut on peut certes heacutesiter sur sa traduction laquo leBien est lrsquoUn raquo ou laquo le Bien est un raquo Dans le contexte matheacutematiqueougrave elle est preacutesenteacutee chez Aristoxegravene la premiegravere traduction est sansdoute la bonne Mais ce nrsquoest pas neacutecessairement le sens originel (siPlaton srsquoest reacuteellement exprimeacute ainsi) et assureacutement pas celui que veut

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 121

plazione aristotelica la scelta di Plutarco raquo dans L Van der Stockt F Titche-ner HG Ingenkamp A Peacuterez Jimeacutenez (eacuted) Gods Daimones Rituals Mythsand History of Religions in Plutarchrsquos Works Maacutelaga International PlutarchSociety 2010 p 177-190 et laquo La teologia di aristotele nel medioplatonismo raquodans Y Lehman (eacuted) Aristoteles Romanus La Reacuteception de la science aristo-teacutelicienne dans lrsquoEmpire greacuteco-romain Turnhout Brepols 2012 p 299-312 voir aussi chez Atticus A Michalewski laquo Faut-il preacutefeacuterer Eacutepicure agrave Aris-tote raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted) Reacuteceptions de la theacuteolo-gie aristoteacutelicienne DrsquoAristote agrave Michel drsquoEphegravese Leuven Peeters 2017p 123-142

67 Contra notamment ici G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 84

68 Fr 11 19 F69 Contra A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV

op cit p 124 M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 22570 Aristoxegravene Eacuteleacutements drsquoharmonique 22016313 Macran 398-404 da

Rios texte ndeg 1 p 248 Richard

lire Numeacutenius Dans le contexte du fragment la formule perd touteambiguiumlteacute parce que lrsquointerpreacutetation en est donneacutee au preacutealable Numeacute-nius a insisteacute sur lrsquouniciteacute du Bien dont la bonteacute a eacuteteacute identifieacutee agrave lrsquoactespeacutecifique du φρονεῖν Si Platon a dit τἀγαθὸν ἐστὶν ἕν ndash formule dontNumeacutenius srsquoestime devoir rendre compte puisqursquoil eacutecrit justement luiaussi Sur le Bien ndash crsquoest donc selon lui parce qursquoil nrsquoy a qursquoun seul etunique Bien le Bien lui-mecircme (αὐτοάγαθον) Par suite la seulemaniegravere de rencontrer le bien de maniegravere geacuteneacuterale consiste agrave prendrepart agrave lrsquoactiviteacute de penser qui caracteacuterise le Bien lui-mecircme une penseacuteesource de bonteacute que chacun pourra exercer agrave son niveau (lrsquoideacutee que leφρονεῖν lui est reacuteserveacute suggegravere qursquoil srsquoagit dans son cas drsquoun φρονεῖνagrave lrsquoeacutetat pur) Ce disant Numeacutenius a sans doute une viseacutee poleacutemique agravelrsquoeacutegard notamment drsquoune interpreacutetation pythagorisante de Platon vrai-semblablement issue de lrsquoAncienne Acadeacutemie et peut-ecirctre aussi delrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne de lrsquoenseignement oral71 Lui seul sesera estimeacute comprendre le veacuteritable pythagorisme du maicirctre Quoiqursquoil en soit sur ce point le passage est selon nous la preuve drsquoun refusdrsquoidentifier le Bien agrave lrsquoUn Si Platon a dit que le Bien est un ou mecircmelrsquoUn quelle que soit lrsquointerpreacutetation litteacuterale et donc la traduction rete-nue il nrsquoaurait selon Numeacutenius en reacutealiteacute rien voulu exprimer drsquoautreque lrsquouniciteacute du Bien ainsi que sa seacuteparation drsquoavec le sensible conccediluecomme distinction essentielle drsquoavec les biens de ce monde Numeacuteniusinvite agrave comprendre ἕν comme le synonyme de μόνος que seul ilemploie agrave reacutepeacutetition agrave propos de son premier principe72 et qui a cedouble sens drsquoexprimer lrsquouniciteacute et lrsquoisolement ou la seacuteparationcomme le suggegravere deacutejagrave son emploi reacutecurrent au fragment 2 (11 F)Telle est lrsquointerpreacutetation correcte du Platon non-eacutecrit qursquoil precircte aux

122 Fabienne JOURDAN

71 Voir par ex Meacutet A 6 988 a 10-17 ougrave lrsquoUn est preacutesenteacute comme la causedu Bien et N 4 1091 b 1-20 sur lrsquoidentification du Bien agrave lrsquoUn dans uncontexte de critique des Platoniciens

72 Εἷς nrsquointervient qursquoagrave propos du second dieu conccedilu comme uniteacute divi-sible qui se distingue en cela de lrsquoUn et mecircme de lrsquouniciteacute du fait de sa dualiteacuteneacutecessaire (mais non essentielle)

seuls regards suffisamment aiguiseacutes pour savoir lire Platon lagrave ougravedrsquoautres lrsquoauront mal entendu73

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 123

73 Voir lrsquoanalyse deacutetailleacutee du passage dans F Jourdan laquo Sur le Bien deNumeacutenius raquo art cit ici contra G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 82 et 84 ndash Les deux teacutemoignages suggeacuterant une eacutevocation de lrsquoUnpar Numeacutenius ne paraissent pas infirmer cette lecture Le premier issu deMacrobe (fr 54 = Saturnales I 17 65 = P 99 12-16 Willis) fait eacutetat drsquoune eacutety-mologie de lrsquoeacutepithegravete laquo delphien raquo attribueacutee agrave Apollon ougrave Numeacutenius auraitvraisemblablement voulu retrouver lrsquoeacutetymologie courante du nom propre dudieu comme renvoyant au laquo non-multiple raquo ἀ-πολλά (voir par ex PlutarqueDe E 388 F et De Iside 354 F et 381 F avec J Whittaker laquo Ammonius on theDelphic E raquo Classical Quarterly 63 NS 19 1969 p 187-188 E SyskaStudien zur Theologie des Macrobius Stuttgart Teubner 1993 p 116 n 74)Macrobe rapporte en effet que Numeacutenius aurait fait de δέλφος un adjectifsignifiant unum (dans le latin de Macrobe) par opposition au substantifἀδελφός signifant laquo fregravere raquo et alors conccedilu comme pourvu drsquoun ἀ- privatif(sur cette eacutetymologie voir J Whittaker ibid p 187 n 9 Eacute des PlacesNumeacutenius Fragments op cit p 100 n 1 E Syska Studien zur Theologiedes Macrobius op cit p 193-194 qui estime qursquoelle nrsquoa aucune autre valeurque litteacuteraire) Outre qursquoil concerne un dieu dont nous ne savons pas si Numeacute-nius aurait reacuteellement souhaiteacute lrsquoidentification agrave son premier principe (il sug-gegravere en revanche son association agrave Zeus au fr 2 [11 F] lequel est ensuite asso-cieacute au second dieu au fr 12 [20 F]) le teacutemoignage nrsquoindique pas le sens exacten lequel Numeacutenius aurait aimeacute qursquoon entende cette laquo absence de fregravere raquoDrsquoune part juste avant Macrobe emploie lrsquoexpression singulum et unum quipeut traduire ἕν καὶ μόνον et dont comme dans le grec la redondance avaleur emphatique On ne sait donc pas lequel des deux adjectifs Numeacutenius aexactement employeacute et rien nrsquointerdit de penser que la reprise par unus soit unchoix du neacuteoplatonicien Macrobe Drsquoautre part unus renvoie agrave εἷς et non agrave ἕνEnfin et surtout laquo ne pas avoir de fregravere raquo si tel est le sens que Numeacutenius precirctedans ce contexte agrave δέλφος signifie laquo ecirctre fils unique raquo et reconduit au sens deμόνος Crsquoest pourquoi selon nous ce teacutemoignage nrsquoest pas un indice fiabledrsquoune identification numeacutenienne du premier principe agrave lrsquoUn (contra M Bur-nyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit p 152 n 34) Le second teacutemoignageest quant agrave lui constitueacute par la reacutefeacuterence agrave une singularitas identifieacutee agrave un pre-mier dieu-deacutemiurge dans le compte-rendu numeacutenien de la cosmogonie pytha-goricienne rapporteacutee par Calcidius (fr 52) Or ce premier dieu dans son oppo-sition mecircme agrave la dyade correspond davantage au second dieu du Περὶ

Voilagrave notre lecture du Περὶ τἀγαθοῦ le seul texte meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius dont soient transmis des fragments litteacute-raux Crsquoest agrave partir drsquoelle que nous proposons drsquoexaminer les rapportsentre lrsquoenseignement de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon lui-mecircme le Commentaire anonyme au Parmeacutenide et enfin la source com-mune au Zostrien et agrave Marius Victorinus Agrave chacun de ces troismoments nous tenterons drsquoeacutevaluer srsquoil fournit les indices de lrsquoexis-tence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par Numeacutenius

Premiegravere partie

Lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon le premier principe de Numeacutenius (le Bien) nrsquoest ni lrsquoUn ni

lrsquoUn-qui-est du ParmeacutenideLa premiegravere eacutetape que nous reacutealiserons dans cette premiegravere partie

consiste agrave confronter le Περὶ τἀγαθοῦ au Parmeacutenide lui-mecircme afinde voir srsquoil y renvoie directement ou non Si nous suivions lrsquohypothegravesede J Whittaker74 toutefois nous abandonnerions immeacutediatement lrsquoen-treprise selon lui crsquoest agrave partir du moment ougrave un philosophe inter-pregravete le Bien de Reacutepublique VI 509 b 6-10 comme un principe trans-cendant reacuteellement lrsquoecirctre et comme identifiable agrave lrsquoUn que se profileune interpreacutetation du Parmeacutenide et plus preacuteciseacutement de la premiegraverehypothegravese Or nous venons de montrer que loin de transcender lrsquoecirctrele Bien de Numeacutenius est lrsquoEcirctre lui-mecircme et que son association agrave lrsquoUnsert avant tout un propos exeacutegeacutetique ou srsquoavegravere du moins fort probleacute-matique ndash telle qursquoelle est formuleacutee du moins elle nrsquoimplique aucune

124 Fabienne JOURDAN

τἀγαθοῦ sans compter que lrsquoappellation latine de singularitas traduit plutocirctle grec μόνας que ἕν Le compte-rendu ne peut donc ecirctre compris commerefleacutetant la doctrine propre de Numeacutenius telle du moins qursquoelle est exprimeacuteedans le Περὶ τἀγαθοῦ (voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius raquo art cit)Il nrsquoy a donc aucun texte fiable permettant de precircter agrave Numeacutenius lrsquoidentifica-tion du Bien agrave lrsquoUn et encore moins agrave lrsquoUn du Parmeacutenide

74 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit

allusion au Parmeacutenide75 Si lrsquoon veut malgreacute tout supposer que Numeacute-nius nrsquoen a pas moins utiliseacute le Parmeacutenide et que son œuvre trahit alorsnon seulement la connaissance du dialogue mais un commentaire per-sonnel de celui-ci ne serait-ce que partiel il faut recourir agrave un autrepoint de doctrine que cette identification du premier principe agrave uneentiteacute transcendant lrsquoecirctre et identifieacutee agrave lrsquoUn et justement interroger ladeacutefinition de ce premier principe comme ecirctre Autrement dit il srsquoagitessentiellement de voir si Numeacutenius identifie le Bien ne serait-ce quepartiellement agrave lrsquolaquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

Pour parvenir agrave un reacutesultat probant deux eacutetapes sont neacutecessaires agravecet examen

1) un rappel des quelques points qui dans la deacutefinition de lrsquoecirctre etdu premier principe selon Numeacutenius ont parfois suggeacutereacute des rappro-chements avec le Parmeacutenide

2) une confrontation de la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ avec laseconde partie du dialogue de Platon pour voir si une convergence depenseacutee plus geacuteneacuterale pourrait malgreacute tout suggeacuterer une appropriationde ce texte par Numeacutenius ou si une incompatibiliteacute fondamentaleinvite agrave en douter

Dans lrsquoun et lrsquoautre cas si les reacutesultats sont neacutegatifs cela ne per-mettra pas de conclure que Numeacutenius a ignoreacute le texte ni non plus dese prononcer de maniegravere cateacutegorique sur lrsquoœuvre non parvenue Nousmontrerons drsquoailleurs dans un troisiegraveme temps que Numeacutenius tente dereacutesoudre les apories relatives aux formes poseacutees dans la premiegravere par-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 125

75 On peut faire semblable remarque agrave propos de lrsquoexposeacute des principespythagoriciens par Eudore rapporteacute par Simplicius (In Phys 18110 sq Diels)Mecircme srsquoil eacutevoque diffeacuterents Un la conception deacuteveloppeacutee deacutepend avant toutdes reacuteflexions de lrsquoAncienne Acadeacutemie sur lrsquoUn et la Dyade et est en cela tregravesproche du compte-rendu drsquoAristote sur les principes de Platon en Meacutet A 6 987b 18 sq (sur ce point voir J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquoart cit p 98 qui rapporte les propos de W Theiler agrave la note 11) Il ne sembledonc pas neacutecessaire de supposer un commentaire sous-jacent aux deux pre-miegraveres hypothegraveses du Parmeacutenide mecircme srsquoil nrsquoest eacutevidemment pas exclu que ledialogue ait eacuteteacute invoqueacute pour sa nomination de lrsquoUn La remarque vaut eacutegale-ment pour Speusippe et de maniegravere geacuteneacuterale pour les neacuteo-pythagoriciens

tie du dialogue et nous verrons qursquoagrave lrsquoeacutegard de la premiegravere hypothegraveseil a peut-ecirctre choisi une attitude suggeacutereacutee par Platon lui-mecircme Poureacutelargir cette recherche nous interrogerons enfin sa relation agrave la penseacuteede Parmeacutenide lui-mecircme

1 La deacutefinition du premier principe comme ecirctre dansle Περὶ τἀγαθοῦ des parallegraveles avec le Parmeacutenide

Une fois que lrsquoon a renonceacute agrave precircter agrave Numeacutenius une interpreacutetationdu Parmeacutenide en raison drsquoune identification supposeacutee de son premierprincipe agrave lrsquoUn il reste possible drsquoexaminer les parallegraveles entre la deacutefi-nition de son premier principe identifieacute agrave lrsquoecirctre ou plus geacuteneacuteralemententre sa deacutefinition de lrsquoecirctre et les formulations du dialogue platoniciendans les deux premiegraveres hypothegraveses Les partisans drsquoune interpreacutetationnumeacutenienne du Parmeacutenide dont notamment A-J Festugiegravere76 etD OrsquoMeara77 citent essentiellement78 deux textes agrave cette fin les frag-

126 Fabienne JOURDAN

76 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 12577 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 Voir aussi par ex

M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 225-227 qui srsquoap-puie toutefois sur ce qursquoil considegravere une identification du Bien agrave lrsquoUn et sur unpassage de Cleacutement drsquoAlexandrie qui semble deacutependre de la premiegravere hypo-thegravese (Strom V 12 82 1-2) Les eacuteleacutements de theacuteologie neacutegative eacutevoqueacutes lagravesrsquoaccompagnant drsquoune possibiliteacute de nomination rappellent toutefois moinsNumeacutenius qursquoAlcinoos Did X p 16433-34 H

78 Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoargumentation de R Romano (laquo La proba-bile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica e neopitagorica) delParmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide diPlatone et la sua tradizione op cit p 234) qui estime que Numeacutenius aufragment 217-34 (11 F) emprunte au Parmeacutenide les expressions delaquo meacutethode non aiseacutee mais divine raquo laquo ardeur juveacutenile raquo et laquo exercice matheacute-matique raquo Lrsquoappui textuel est trop tenu pour qursquoelle soit persuasive Quant agraveG Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 82-84) il eacutevoque luiaussi le fragment 5 (14 F) mais seulement en note agrave la page 82 et son argu-mentation ne srsquoappuie pas davantage sur la lettre du texte Crsquoest pourquoielle ne peut ecirctre expliciteacutee ici Nous ne commenterons enfin pas les hypo-

ments 5 et 6 (14-15 F) ougrave apparaicirct formuleacutee en termes neacutegatifs unedeacutefinition de lrsquoecirctre que le fragment 2 (11 F) a dit identifiable au BienCes deux fragments proviennent du livre II du Περὶ τἀγαθοῦ quientreprend de deacutefinir lrsquoecirctre preacuteliminaire indispensable agrave la deacutefinitiondu Bien Examinons-en quelques extraits Au fragment 5 nous lisonsceci

Φέρε οὖν ὅση δύναμις ἐγγύτατα πρὸς τὸ ὂν ἀναγώμεθα καὶλέγωμενmiddot τὸ ὂν οὔτε ποτὲ ἦν οὔτε ποτὲ μὴ γένηται ἀλλrsquo ἔστιν ἀεὶἐν χρόνῳ ὡρισμένῳ τῷ ἐνεστῶτι μόνῳ [] τὸ ἄρα ὂν ἀΐδιόν τεβέβαιόν τε ἐστὶν ἀεὶ κατὰ ταὐτὸν καὶ ταὐτόν οὐδὲ γέγονε μένἐφθάρη δὲ οὐδrsquo ἐμεγεθύνατο μέν ἐμειώθη δὲ οὐδὲ μὴltνgtἐγένετό πω πλεῖον ἢ ἔλασσον καὶ μὲν δὴ τά τε ἄλλα καὶ οὐδὲτοπικῶς κινηθήσεταιmiddot οὐδὲ γὰρ θέμις αὐτῷ κινηθῆναι οὐδὲ μὲνὀπίσω οὐδὲ πρόσω οὔτε ἄνω ποτὲ οὔτε κάτω οὐδrsquo εἰς δεξιὰοὐδrsquo εἰς ἀριστερὰ μεταθεύσεταί ποτε τὸ ὂν οὔτε περὶ τὸ μέσονποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται ἀλλὰ μᾶλλον καὶ ἑστήξεται καὶἀραρός τε καὶ ἑστηκὸς ἔσται κατὰ ταὐτὰ ἔχον ἀεὶ καὶ ὡσαύτως(extraits du fragment 5 14 F = Eus PE XI 10 4-5)

Eh bien donc eacutelevons-nous vers lrsquoecirctre le plus pregraves qursquoil nous est pos-sible et disons ceci lrsquoecirctre jamais ne fut ni jamais nrsquoadviendra assureacute-ment mais il est toujours dans un temps bien deacutetermineacute le seul preacute-sent [] Lrsquoecirctre est donc est agrave la fois eacuteternel et stable toujours dans lemecircme eacutetat et identique agrave soi il nrsquoest pas neacute et il ne peacuterit pas il ne croicirctet ne deacutecroicirct pas non plus ni il ne devient plus ou moins en aucunefaccedilon En somme il ne sera assureacutement soumis agrave aucun type de mou-vement et surtout pas au mouvement selon le lieu ndash il ne lui est en effetpas permis non plus crsquoest la loi divine drsquoecirctre mucirc jamais par unecourse en avant ni en arriegravere en haut ni en bas vers la droite droite nivers la gauche jamais lrsquoecirctre ne sera soumis au changement et jamais ilne sera mucirc autour de son propre centre Bien plutocirct il se tiendra en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 127

thegraveses de H Tarrant Thrasyllan Platonism op cit p 174-177 dans lamesure ougrave elles supposent que Numeacutenius srsquoinspire de Modeacuteratus (au fr 52)et suit donc lrsquointerpreacutetation qursquoil aurait donneacutee sur la matiegravere drsquoapregraves leteacutemoignage de Simplicius

repos sera ferme et fixe se maintenant toujours de faccedilon identique etde la mecircme maniegravere79

Au fragment 6 (15 F) nous lisons ensuite

ἡ δὲ αἰτία τοῦ ὄντος ὀνόματός ἐστι τὸ μὴ γεγονέναι μηδὲφθαρήσεσθαι μηδrsquo ἄλλην μήτε κίνησιν μηδεμίαν ἐνδέχεσθαιμήτε μεταβολὴν κρείττω ἢ φαύλην εἶναι δὲ ἁπλοῦν καὶἀναλλοίωτον καὶ ἐν ἰδέᾳ τῇ αὐτῇ καὶ μήτε ἐθελούσιον ἐξίστα-σθαι τῆς ταὐτότητος μήθrsquo ὑφrsquo ἑτέρου προσαναγκάζεσθαι (extraitdu fragment 6 15 F = Eus PE XI 10 7)

Et la raison de ce nom ecirctre reacuteside dans le fait de ne pas ecirctre neacute de nepas devoir peacuterir de nrsquoadmettre absolument aucun autre type de mou-vement ni de changement que ce soit vers le meilleur ou vers le piremais drsquoecirctre au contraire simple invariable dans une forme qui resteidentique de ne pas sortir de son identiteacute ni volontairement ni souslrsquoeffet drsquoune contrainte exteacuterieure80

Pourquoi a-t-on voulu lire ces textes comme faisant allusion auParmeacutenide alors qursquoils ne preacutesentent pas de parallegraveles textuels avec cedialogue Deux raisons agrave cela A-J Festugiegravere y voit une seacuterie deneacutegations qui rappellent celles du Parmeacutenide relativement agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese D OrsquoMeara estime que la deacutefinition de lrsquoecirctrecomme restant dans une identiteacute parfaite agrave soi exprimeacutee en termes de

128 Fabienne JOURDAN

79 Toutes les traductions de Numeacutenius sont les nocirctres80 Voir aussi cet extrait du fragment 8 (17 F = Eus PE XI 10 12) Εἰ μὲν

δὴ τὸ ὂν πάντως πάντη ἀΐδιόν τέ ἐστι καὶ ἄτρεπτον καὶ οὐδαμῶςοὐδαμῆ ἐξιστάμενον ἐξ ἑαυτοῦ μένει δὲ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτωςἕστηκε τοῦτο δήπου ἂν εἴη τὸ τῇ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν laquo Siassureacutement lrsquoecirctre est en tout point absolument eacuteternel et immuable srsquoil ne sortabsolument pas de lui-mecircme en aucune faccedilon mais demeure dans le mecircmeeacutetat fixeacute dans son identiteacute alors crsquoest lui sans nul doute qui sera ldquoce qui estappreacutehendeacute par lrsquointellection agrave lrsquoaide du raisonnementrdquo (Tim 28 a) raquo Ce pas-sage fait suite au fragment 7 (16 F = Eus PE XI 10 9-11) qui cite la deacutefinitionde lrsquoecirctre opposeacute agrave la γένεσις en Timeacutee 27 d 6-28 a 4

laquo non-sortie raquo de soi est reprise dans les passages des Enneacuteades VI4 [ 22] 2 21 et VI 5 3 1-2 ougrave Plotin traite de lrsquointeacutegriteacute de lrsquoecirctre etinterpregravete agrave cet effet la seconde hypothegravese du Parmeacutenide D OrsquoMearasonge alors agrave un preacuteceacutedent numeacutenien dans la lecture plotinienne duParmeacutenide et agrave cette fin eacutetant donneacute qursquoil est question dans ces frag-ments de la relation de lrsquoecirctre au temps au changement et au mouve-ment tout comme de son nom (et donc sous-entendu aussi de saconnaissance) il invite agrave penser que le livre II du Περὶ τἀγαθoῦ trai-tait de lrsquoecirctre selon les diffeacuterents preacutedicats qui servent agrave interroger lrsquoUndu Parmeacutenide agrave savoir le Tout et les parties le lieu le changement etmouvement lrsquoidentiteacute et la diffeacuterence la ressemblance et dissem-blance lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoineacutegaliteacute le temps le nom la connaissance

Ces deux lectures se heurtent toutefois agrave deux objections simplesDrsquoune part pas plus qursquoil ne tire du Parmeacutenide la description de la non-sortie de soi81 Numeacutenius nrsquoemprunte son argumentation sur le change-ment le temps et le nom au Parmeacutenide Comme il le dit lui-mecircme aufragment 6 (15 F) il srsquoappuie pour cela sur le Timeacutee et le Cratyle Onnotera drsquoailleurs que le deacuteveloppement sur lrsquoabsence de mouvement etdonc de changement relegraveve en outre drsquoun emprunt aux Lois82 et qursquoellenrsquoest pas exempte de parallegraveles aristoteacuteliciens ainsi que le reconnaicirctD OrsquoMeara lui-mecircme83 Drsquoautre part et pour reacutepondre cette fois agraveA-J Festugiegravere la seacuterie de neacutegations ne fait aucunement allusion auParmeacutenide ni nrsquoaugure drsquoune theacuteologie neacutegative telle qursquoelle sera tireacuteede la premiegravere hypothegravese de ce dialogue elle contribue simplement agraveune deacutefinition de lrsquoecirctre par opposition au devenir et surtout au corporelqui preacutesente toutes les qualiteacutes ici nieacutees La citation au fragment 7 (16F) du passage du Timeacutee (27 d 6-28 a 4) opposant justement ὄν et

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 129

81 Elle est en reacutealiteacute preacutesente dans le Cratyle 439 e le Pheacutedon 79 d et 80b 1-2 et le Banquet 211 b 1

82 X 893 c-894 a83 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 n 26 Sur le temps

voir aussi M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit et la remarquefinale sur la deacutefinition parmeacutenidienne drsquoune entiteacute se situant dans un eacuteternelpreacutesent au fr 85 DK

γένεσις preacutecise ce contexte de penseacutee et empecircche en cela toute extra-polation Agrave la limite si lrsquoon y tient on pourra simplement conclure avecD OrsquoMeara que Numeacutenius a donneacute agrave Plotin lrsquoideacutee de lire le Parmeacutenidedans le sens ougrave il lrsquoa fait concernant lrsquoecirctre ndash hypothegravese qui srsquoavegraverera fortinteacuteressante dans la perspective drsquoune comparaison avec lrsquoentreprise ducommentateur anonyme au Parmeacutenide

Les textes habituellement citeacutes en faveur drsquoune utilisation numeacute-nienne du Parmeacutenide ainsi compris il en est selon nous un troisiegravemequi aurait pu inviter agrave pareille suggestion celui ougrave Numeacutenius precircte aupremier principe un repos qui srsquoaccompagne malgreacute tout drsquoune formede mouvement ndash attributs apparemment contradictoires dont lrsquooriginepourrait paraicirctre remonter au Parmeacutenide Ce texte nous mettrait sur lavoie qui pouvait sembler la plus feacuteconde drsquoune identification du pre-mier principe numeacutenien agrave lrsquoUn de la seconde hypothegravese du ParmeacutenideLisons ainsi le fragment 15 (23 F)

Εἰσὶ δrsquo οὗτοι βίοι ὁ μὲν πρώτου ὁ δὲ δευτέρου θεοῦ δηλονότι ὁμὲν πρῶτος θεὸς ἔσται ἑστώς ὁ δὲ δεύτερος ἔμπαλίν ἐστικινούμενοςmiddot ὁ μὲν οὖν πρῶτος περὶ τὰ νοητά ὁ δὲ δεύτερος περὶτὰ νοητὰ καὶ αἰσθητά μὴ θαυμάσῃς δrsquo εἰ τοῦτrsquo ἔφηνmiddot πολὺ γὰρἔτι θαυμαστότερον ἀκούσῃ ἀντὶ γὰρ τῆς προσούσης τῷδευτέρῳ κινήσεως τὴν προσοῦσαν τῷ πρώτῳ στάσιν φημὶ εἶναικίνησιν σύμφυτον ἀφrsquo ἧς ἥ τε τάξις τοῦ κόσμου καὶ ἡ μονὴ ἡἀΐδιος καὶ ἡ σωτηρία ἀναχεῖται εἰς τὰ ὅλα

Voici les genres de vie respectifs du premier et du deuxiegraveme dieu ilest eacutevident que le premier sera en repos tandis que le deuxiegraveme aucontraire est en mouvement le premier donc autour des intelligiblesle deuxiegraveme autour des intelligibles et des sensibles Et nrsquoen viens pasagrave trsquoeacutetonner si jrsquoai affirmeacute cela car tu vas entendre bien plus eacutetonnantencore agrave la place du mouvement inheacuterent au deuxiegraveme le repos inheacute-rent au premier je lrsquoaffirme est un mouvement qui lui est par natureassocieacute drsquoougrave viennent lrsquoordre du monde et sa permanence eacuteternelle etdrsquoougrave le salut se reacutepand sur lrsquointeacutegraliteacute des ecirctres

Le passage pourrait rappeler lrsquoUn qui est Tout (τὸ ἓν ὅλον 145 e3) de la deuxiegraveme hypothegravese et que Platon deacutecrit comme eacutetant agrave la fois

130 Fabienne JOURDAN

en repos et en mouvement (καὶ κινεῖσθαι καὶ ἑστάναι 145 e 7-8)drsquoautant plus que le vocabulaire du repos employeacute est le mecircme(ἕστηκε 145 a 8 ἑστός 146 a 5) On pourrait alors imaginer queNumeacutenius identifie son premier principe agrave lrsquoUn associeacute agrave lrsquoecirctre telqursquoil est conccedilu dans cette deuxiegraveme hypothegravese Cependant la raisondonneacutee par Platon agrave cet eacutetat est le fait que cet Un se trouve agrave la fois enlui-mecircme crsquoest-agrave-dire au mecircme endroit et en autre chose crsquoest-agrave-direailleurs (le tout devant ecirctre ainsi compris 145 e 8-146 a 7) Or toutconduit agrave penser que dans le fragment le mouvement associeacute au reposfondamental est celui de la penseacutee caracteacuteristique du premier principe(cf fr 19 27 F) et que par cette formule Numeacutenius preacutepare la deacutefini-tion de celui-ci comme intellect (fr 16-17 24-25 F) Le raisonnementest profondeacutement distinct et Numeacutenius joue drsquoailleurs moins sur uneantithegravese logique telle que pourrait paraicirctre celle du raisonnement pla-tonicien que sur une association certes paradoxale mais reacuteelle Crsquoestpourquoi si tentant que puisse paraicirctre le parallegravele il ne relegraveve sansdoute pas drsquoune appropriation numeacutenienne de la deuxiegraveme hypothegravesepour deacutecrire le premier principe Numeacutenius reprend peut-ecirctre le voca-bulaire voire la conception de Platon pour deacutecrire un principe qursquoilassocie volontiers au Tout surtout si ce premier principe doit corres-pondre au Vivant84 Mais cette reprise serait superficielle et srsquoaccom-pagnerait drsquoun deacuteveloppement personnel qui ne relegraveve pas du deacutesirdrsquointerpreacuteter le Parmeacutenide85 Si Numeacutenius emprunte ici agrave Platon crsquoestplutocirct au passage du Sophiste 248 e-249 a qui integravegre le mouvementdans lrsquoecirctre total finit par deacutecrire cet ecirctre comme eacutetant agrave la fois en reposet en mouvement et inclut en lui eacutegalement lrsquointellect mieux laφρόνησις dont nous avons vu que Numeacutenius en fait sous la formeinfinitive lrsquoapanage du Bien

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 131

84 Voir le teacutemoignage de Proclus (fr 22) deacutejagrave signaleacute selon nous lrsquoimagedu Vivant est deacutejagrave sous-jacente dans ce fragment 15 (23 F) voir la note 61

85 Sur ce point nous rejoignons LP Gerson laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpre-tation of Platorsquos Parmenides raquo art cit n 1 qui rappelle agrave propos drsquoAlcinoosque lrsquoutilisation de distinctions et drsquoarguments preacutesents dans le Parmeacutenidenrsquoimplique pas drsquoaccorder une primauteacute interpreacutetative agrave ce dialogue

2 Le Περὶ τἀγαθοῦ et les deux premiegraveres hypothegravesesde la seconde partie du Parmeacutenide

Agrave eux seuls les textes parvenus ne nous semblent donc pas teacutemoi-gner en faveur drsquoun commentaire au Parmeacutenide de la part de Numeacute-nius ni mecircme drsquoune utilisation partielle qursquoil aurait faite de ce dia-logue Les partisans drsquoune attribution de pareil commentaire agrave Numeacute-nius en appellent toutefois et ce juste titre agrave lrsquoœuvre non parvenueOn ne peut certes juger de lrsquoeacutevolution de Numeacutenius Mais pour quecet argument e silentio soit valable concernant au moins la partie man-quante du Περὶ τἀγαθοῦ il faudrait que la partie transmise ne preacute-sente pas drsquoincompatibiliteacute avec lrsquoargumentation geacuteneacuterale du dialoguede Platon Comme le deacutebat porte toujours sur les deux premiegraveres hypo-thegraveses ce sont elles qursquoil suffit drsquointerroger en vue drsquoeacutevaluer si Numeacute-nius peut ne serait-ce que srsquoy ecirctre reporteacute pour esquisser sa deacutefinitiondu premier principe voire du second comme le suggegravere JD Turner86

a) Le Bien et lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese

Selon notre lecture Numeacutenius nrsquoidentifie pas le Bien agrave lrsquoUn Laseacuterie de neacutegations neacutecessaires agrave la deacutefinition de lrsquoecirctre nrsquoa drsquoautre butque de distinguer celui-ci du devenir Qursquoest-ce que le Bien de Numeacute-nius pourrait donc avoir de commun avec lrsquoUn de la premiegravere hypo-thegravese87 Comparons son enseignement agrave celui du Parmeacutenide pourassurer de la validiteacute de notre position

Ce que le Bien de Numeacutenius pourrait avoir de commun avec lrsquoUnde la premiegravere hypothegravese assureacutement ce serait le fait de ne pas ecirctremultiple (137 c) Mais cela est bien maigre la seacuterie de neacutegations pro-

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86 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 138-13987 G Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 84) estime que

crsquoest en lien avec la premiegravere hypothegravese que Numeacutenius deacuteveloppe sa concep-tion du premier intellect Il nrsquoexplique toutefois pas cette lecture pour le moinseacutetonnante

poseacutee par Parmeacutenide ne le concerne pas Passons en revue quelquesexemples en suivant lrsquoordre du dialogue contrairement agrave lrsquoUn de cettehypothegravese le Bien nrsquoest pas illimiteacute (137 d 7) crsquoest la matiegravere qui esttelle agrave lrsquoimage drsquoun fleuve88 loin drsquoecirctre nulle part au sens de laquo pas ensoi raquo (138 a 2 6-b 2) il est au contraire en lui-mecircme89 La seacuterie drsquoanti-thegraveses ne le concerne pas davantage loin de nrsquoecirctre ni en repos ni enmouvement (138 b) nous avons vu qursquoil a part aux deux90 plutocirct quede nrsquoecirctre ni identique ni diffeacuterent (139 b-140 b) il est assureacutement iden-tique agrave soi91 au lieu drsquoecirctre hors du temps (141 a) il se situe dans uneacuteternel preacutesent92 et si certes on ne peut pas non plus parler agrave soneacutegard de participation agrave lrsquoοὐσία (141 e 7-8) il nrsquoen est pas moinslrsquoἀρχή de celle-ci93 qui fait de lui lrsquoEcirctre par excellence94 Contraire-ment agrave lrsquoUn de cette hypothegravese (142 a) il a en outre un nom une deacutefi-nition et il y a mecircme une science agrave son sujet son nom est drsquoabordοὐσία et ὄν lorsque lrsquoecirctre qursquoil est est envisageacute de maniegravere geacuteneacuterale95puis vraisemblablement Bien lui-mecircme et Ecirctre lui-mecircme (αὐτοάγα-θον et αὐτοόν) lorsqursquoil est envisageacute dans sa speacutecificiteacute96 il donnelrsquoἐπιστήμη et srsquoavegravere mecircme ecirctre la σοφία97 toute lrsquoentreprise duΠερὶ τἀγαθοῦ est justement de conduire agrave sa connaissance et deacutefini-tion98 ce agrave quoi parvient entre autres le dernier fragment en identifiantultimement lrsquoecirctre et lrsquointellect qursquoil constitue agrave la Forme du Bien de laReacutepublique99 Lorsque Platon fait conclure agrave Parmeacutenide que cet Un

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 133

88 Fr 3 (12 F) et 8 (17 F)89 Fr 11 (19 F)90 Fr 15 (23 F)91 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)92 Fr 5 (14 F)93 Fr 16 (24 F)94 Fr 17 (25 F) et lrsquoon nrsquooubliera pas la synonymie entre οὐσία et ὄν don-

neacutee au fr 6 (15 F)95 Fr 6 (15 F)96 Fr 16-17 (24-25 F) fr 20 (28 F)97 Crsquoest notre interpreacutetation conjointe des fragments 13 et 14 (21-22 F)98 Tel est le programme annonceacute au fragment 2 (11 F)99 Fr 20 (28 F)

finalement nrsquoest pas Numeacutenius peut donc avoir estimeacute ne pas devoirreconnaicirctre lagrave ce qursquoil deacutefinit quant agrave lui comme le premier principe etce alors en accord avec Platon lui-mecircme

Crsquoest pourquoi srsquoil a songeacute agrave ce dialogue et plus particuliegraverement agravela premiegravere hypothegravese Numeacutenius a pu le consideacuterer comme un exer-cice dialectique ougrave puiser par exemple une meacutethode drsquointerrogation etcertains concepts dans un esprit peut-ecirctre semblable agrave celui drsquoAlci-noos100 ou bien ce qui nrsquoest pas incompatible comme deacutecrivantaussi une position selon lui critiqueacutee par Platon Dans cette perspec-tive il peut alors y avoir perccedilu une raison de ne pas retenir la candida-ture de lrsquoUn (telle que la suggegravere notamment la reacuteception acadeacutemi-cienne de lrsquoenseignement oral) au titre de premier principe agrave identifierau Bien puisque cet Un conccedilu dans sa pureteacute agrave la maniegravere dont Platonle deacutecrit dans la premiegravere hypothegravese conduit agrave lrsquoaporie du non-ecirctre (non-ecirctre que Numeacutenius identifie quant agrave lui agrave la matiegravere) Autre-ment dit la lecture du Parmeacutenide voire le commentaire de ce dia-logue aurait plutocirct conduit Numeacutenius agrave ne pas identifier le Bien agrave lrsquoUnabsolu et lrsquoaurait peut-ecirctre justifieacute dans une position poleacutemique agrave lrsquoen-contre de certains neacuteo-pythagoriciens de son temps101 voire des Aca-deacutemiciens qui le faisaient

Cette conclusion peut a priori eacutetonner Mais Numeacutenius nrsquoaurait paseacuteteacute le seul de son eacutepoque agrave refuser drsquoaccorder agrave lrsquoUn de la premiegraverehypothegravese le rocircle de principe de la reacutealiteacute et de principe transcendantlrsquoecirctre Proclus eacutevoque des interpregravetes selon lesquels le veacuteritable objet

134 Fabienne JOURDAN

100 Agrave la mecircme eacutepoque ou peu apregraves (selon lrsquohypothegravese de R Chiara-donna laquo Theacuteologie et eacutepoptique aristoteacutelicienne dans le meacutedioplatonisme lareacuteception de Meacutetaphysique Λ raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted)Reacuteceptions de la theacuteologie aristoteacutelicienne op cit p 143-148 voir aussiM Frede laquo Numenius raquo art cit p 1064) Alcinoos donne une interpreacutetationessentiellement logique du Parmeacutenide voir Did VI p 159-160 H Cela nrsquoim-plique toutefois pas que ce fut lagrave la seule lecture du dialogue par Alcinoos(pace J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit)

101 Voir ceux eacutevoqueacutes au fragment 5215-24 (Calcidius In Tim CCXCV)qui font provenir la dyade de la monade Modeacuteratus agrave qui est justement precircteacuteun commentaire du Parmeacutenide leur est parfois rapprocheacute

du Parmeacutenide est justement lrsquoecirctre (ou lrsquoUn de la seconde hypothegravese) etnon lrsquoUn absolu dont lrsquohypothegravese ne conduit qursquoagrave des apories102 Lrsquounde ces interpregravetes fut Origegravene (le Platonicien103 ) disciple drsquoAmmo-nius comme Plotin et qui eacutetait peut-ecirctre justement en deacutebat avecNumeacutenius notamment sur la fonction du premier principe104 SelonOrigegravene lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese eacutetait sans existence ni subsis-tance (ἀνύπαρκτον καὶ ἀνύποστατον) lrsquoEcirctre absolu et lrsquoUnabsolu ne devaient faire qursquoun et ecirctre identifieacutes agrave lrsquointellect commeprincipe supeacuterieur105 ce nrsquoeacutetait donc qursquoavec la seconde hypothegravese

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 135

102 Proclus In Parm I 63531-6364 Theacuteol Plat II 4 311-28103 Nous nrsquoentrons pas ici dans le deacutebat concernant la question de savoir si

Origegravene nommeacute laquo le platonicien raquo est le mecircme qursquoOrigegravene le chreacutetien Nouspostulons qursquoil srsquoagit de deux personnages distincts (en cela nous suivonsnotamment R Goulet laquo Porphyre Ammonius les deux Origegravene et lesautres raquo Revue drsquohistoire et de philosophie religieuse 57 1977 p 471-496repris dans R Goulet Eacutetudes sur les Vies de philosophes de lrsquoAntiquiteacute tar-dive Diogegravene Laeumlrce Porphyre de Tyr Eunape de Sardes Textes et traditionsI Paris Vrin 2001 p 267-290) Sur ce sujet voir le statut de la question dansL Brisson R Goulet laquo Origegravene le platonicien raquo dans R Goulet (eacuted) Dic-tionnaire des philosophes antiques Paris CNRS IV 2005 p 804-807 M Zambon laquo Porfirio e Origene uno status quaestionis raquo dans S Morlet(eacuted) Le Traiteacute de Porphyre contre les chreacutetiens Un siegravecle de recherches nou-velles questions Paris Institut drsquoEacutetudes augustiniennes 2011 p 107-164 etles eacutetudes reacuteunies par B Baumlbler H-G Nesselrath (eacuted) Origenes der Christund Origenes der Platoniker Tuumlbingen Mohr Siebeck 2018 (dont lrsquoarticle deCh Riedweg qui identifie les deux personnages)

104 Drsquoapregraves le titre de son ouvrage transmis par Porphyre (VP 332 cf Pro-clus Theol plat II 4 A) Ὃτι μόνος ποιητὴς ὁ βασιλεύς Origegravene associaitvraisemblablement le laquo roi raquo (premier principe) au deacutemiurge nommeacute ποιητήςcontrairement agrave Numeacutenius qui les distingue au fragment 12 (20 F)

105 Sur ce sujet voir par ex HD Saffrey LG Westerink Proclus Theacuteo-logie platonicienne T II Paris Les Belles Lettres 1974 p X-XX C Steellaquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 32-35 L Bris-son laquo The Reception of Parmenides before Proclus raquo dans JD TurnerK Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage vol II Reception inPatristic Gnostic and Christian Neoplatonic Texts Atlanta Society of Bibli-cal Literature 2011 p 49-64

que commenccedilait selon lui lrsquoonto-theacuteologie platonicienne parce qursquoelleaurait deacutecrit lrsquointellect et les formes Origegravene paraissant plus proche deson maicirctre que Plotin106 son interpreacutetation eacutetait peut-ecirctre celle drsquoAm-monius et comme les argumentations drsquoAmmonius et de Numeacuteniussont parfois rapprocheacutees107 on pourrait penser agrave une parenteacute entre ellessur ce sujet eacutegalement Quoi qursquoil en soit sur ce point on peut retenirdeux choses de la comparaison avec lrsquointerpreacutetation drsquoOrigegravene lerefus de consideacuterer le premier principe comme identique agrave lrsquoUn absolude la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et lrsquoidentification de ce prin-cipe agrave lrsquoEcirctre absolu

Peut-on alors supposer que Numeacutenius agrave lrsquoinstar drsquoOrigegravene conccediloitlui aussi cet Ecirctre comme deacutecrit dans la deuxiegraveme hypothegravese Crsquoest eneffet avions-nous vu drsquoembleacutee la seule maniegravere de lui supposer reacuteelle-ment une utilisation du Parmeacutenide dans sa description du premier prin-cipe

b) Le Bien et lrsquo laquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

On peut en effet rappeler que Plotin a tendance agrave situer le premierde Numeacutenius au rang du second selon sa propre doctrine Toutefois agravela lecture du Parmeacutenide lui-mecircme Numeacutenius aurait assureacutement eacuteteacutegecircneacute degraves la formulation de lrsquohypothegravese consideacuterant Un et ecirctre (οὐσία)comme deux eacuteleacutements seacutepareacutes neacutecessitant la participation de lrsquoUn agravelrsquoecirctre (142 b-c) Pour Numeacutenius le premier principe est lrsquoecirctre il nrsquoapas part agrave lrsquoecirctre Lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacutenide ten-tera certes de reacutesoudre la difficulteacute et si Numeacutenius avait commenteacute letexte il aurait sans doute fait de mecircme Mais est-il bien neacutecessaire delui precircter pareille entreprise Il nrsquoest en effet pas davantage inteacuteresseacute agrave

136 Fabienne JOURDAN

106 Voir HD Saffrey LG Westerink op cit p XIX107 Voir par ex le teacutemoignage de Neacutemeacutesius (fr 4 b = Sur la nature de

lrsquohomme 2 8-14) qui les associe dans la critique de la corporeacuteiteacute de lrsquoacircmecaracteacuteristique de la conception stoiumlcienne

utiliser la seacuterie de preacutedicats contraires cette fois accepteacutes pour lrsquoUn decette deuxiegraveme hypothegravese Si nous nrsquoen retenons seulement quelques-uns parmi ceux pouvant concerner une reacutealiteacute intelligible on noteraque la notion de pluraliteacute ne peut concorder avec la repreacutesentation delrsquouniteacute indivisible que constitue le Bien pas davantage que le coupleantitheacutetique drsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave soi Trois points pourraientecirctre malgreacute tout rapprocheacutes dans la deacutefinition du Bien numeacutenien et delrsquoUn de la seconde hypothegravese lrsquoaffirmation drsquoune preacutesence agrave la fois ensoi et en autre chose (145 b 6-7) ndash mais elle est caracteacuteristique de touteforme intelligible et la contradiction apparente est reacutesolue par le pheacute-nomegravene de la participation bien deacuteveloppeacute par Numeacutenius lrsquoideacutee quece principe est en mouvement et en repos (145 a 3-146 a 7)ndash mais nousavons montreacute son sens particulier lieacute au processus de la penseacutee propreagrave lrsquointellect qui nrsquoest pas deacuteveloppeacute dans le Parmeacutenide et enfin larelation au temps (152 a) mais elle nrsquoest que provisoire concernant ladeuxiegraveme hypothegravese dans la mesure ougrave celle-ci va ensuite associerlrsquoecirctre agrave toutes les dimensions du temps alors que Numeacutenius ne lrsquoasso-cie qursquoau preacutesent comme le fait le Timeacutee (et peut-ecirctre le vrai Parmeacute-nide lui-mecircme au fragment 85)

Il nous semble donc peu probable que Numeacutenius ait envisageacute sonpremier principe en songeant agrave lrsquoUn-qui-est du Parmeacutenide ou aitmecircme tenteacute de le lui faire correspondre dans une eacutetape ulteacuterieure de sareacuteflexion En cela le deacutesaccord qui semble affleurer avec Origegravene surla caracteacuterisation des principes se retrouverait sur ce point eacutegalement

c) Le second dieu (le Bon) et lrsquolaquo Un qui est raquo

Une autre possibiliteacute peut toutefois se preacutesenter agrave lrsquoesprit Numeacute-nius nrsquoaurait-il pas alors associeacute agrave ce second Un son second dieu etprincipe qui lui est effectivement agrave la fois Un et plusieurs (143 a 5)au sens ougrave il connaicirct une laquo division raquo lorsqursquoil rencontre la matiegravere108

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 137

108 Fr 11 (19 F)

Telle est en effet lrsquohypothegravese de JD Turner109 On pourrait lrsquoeacutetayer ennotant que ce dieu est drsquoailleurs lui aussi seacutepareacute pour ainsi dire de saforme le Bien ce qui constitue deux aspects de son ecirctre et mecircme de laforme qursquoil produit comme modegravele du monde lui aussi a en outre partagrave lrsquoοὐσία qursquoil reccediloit du premier En extrapolant on pourrait imaginerque crsquoest agrave lui que reviennent tous les couples de contraires puisqursquoilest agrave la fois dans lrsquointelligible par sa contemplation et preacuteoccupeacute dusensible tendant au contact avec la matiegravere110 Mais nous irions troploin Numeacutenius fait certes de ce second dieu lrsquoecirctre deacuteriveacute mais il estecirctre assureacutement et nrsquoest pas concerneacute par les preacutedicats caracteacuterisant lesensible (comme la grandeur la limite lrsquoacircge) Ce qui peut paraicirctrecontraire en ce dieu ce sont seulement des attitudes lieacutees agrave son orienta-tion dans un processus cosmogonique Numeacutenius ne paraicirct pas avoirainsi deacutefini son essence dont la caracteacuteristique fondamentale est lrsquoimi-tation et la participation au Bien Crsquoest pourquoi mecircme si cela peutparaicirctre tentant nous ne pensons pas qursquoil ait conccedilu ce second dieu ensongeant agrave la deuxiegraveme hypothegravese du Parmeacutenide ni mecircme qursquoil aittenteacute apregraves lrsquoavoir deacutefini de le lui faire correspondre111 Le consideacuterer

138 Fabienne JOURDAN

109 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 137-138 qui ajoute agravecela une reacuteflexion sur ce que certains Anciens consideacuteraient comme la troisiegravemehypothegravese (155 e 4-157 b 4) et fait du second dieu de Numeacutenius dans sa dualiteacutemecircme un repreacutesentant des Un de la deuxiegraveme et troisiegraveme hypothegraveses (Un-plu-sieurs et Un-et-plusieurs) Cette lecture est ingeacutenieuse mais inveacuterifiable

110 Fr 11 (19 F)111 Concernant les autres hypothegraveses nous pourrions faire deux remarques

Dans la troisiegraveme la deacutefinition des laquo autres choses raquo comme eacutetant de natureillimiteacutee mais recevant leur limite par participation agrave lrsquoUn (158 d 7-8) corres-pond agrave la conception de la formation du monde par le deacutemiurge (fr 18 26 F cf fr 52) Mais cette interpreacutetation est la leccedilon mecircme du Timeacutee coupleacute avec lePhilegravebe Dans la derniegravere hypothegravese ensuite en 165 c 2 on trouve lrsquoexpres-sion ὀξὺ νοοῦντι pour deacutesigner celui qui regarde de pregraves et voit que les chosesqui paraissent unes sont en reacutealiteacute plusieurs car priveacutees drsquouniteacute Avec lrsquoexpres-sion ὀξὺ βλέποντι au fr 19 (27 F) Numeacutenius pourrait faire un clin drsquoœilentendu agrave ce passage lorsqursquoil invite agrave comprendre ce qui est selon lui le vraisens du terme un appliqueacute au Bien celui drsquouniciteacute Lrsquoeacutecho lexical pourrait ren-

selon chacun de ses deux laquo aspects raquo comme correspondant agrave lrsquolaquo Un-plusieurs raquo et agrave lrsquolaquo Un-et-plusieurs raquo de la deuxiegraveme et de la troisiegravemehypothegraveses entrevue par certains Anciens comme le fait J Turnerrelegraveve selon nous drsquoune lecture plotinienne qui ne correspond pas agravelrsquoenseignement du Περὶ τἀγαθοῦ112 Cela une fois encore nrsquoem-pecircche pas que Numeacutenius ait pu inspirer Plotin dans sa propre lecturedu Parmeacutenide

3 Le Περὶ τἀγαθοῦ et la premiegravere partie du Parmeacutenide

Dans le Περὶ τἀγαθοῦ Numeacutenius nrsquoa ainsi selon nous pas conccedilusa reacuteflexion sur les principes agrave partir drsquoun commentaire du Parmeacutenideni nrsquoa mecircme tenteacute de la faire correspondre aux hypothegraveses de laseconde partie de ce dialogue apregraves lrsquoavoir eacutelaboreacutee En revanche ilsrsquoest assureacutement inteacuteresseacute agrave la premiegravere partie ou du moins aux diffi-culteacutes dans lesquelles elle place la theacuteorie des formes113 Qursquoil ait ounon en tecircte ce dialogue le sien en tout cas cherche assureacutement agraverendre possible la participation et donc agrave sauver la theacuteorie des formespar-delagrave les objections que lui adresse Parmeacutenide Ce sujet nous inteacute-ressant moins directement ici nous ferons bref

Agrave la question de savoir srsquoil y a des formes de tout (130 b-e) Numeacute-nius reacutepond assureacutement qursquoil y en a de tout ce qui a part au Bien114 agrave

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 139

voyer agrave cette illusion relative agrave la saisie de ce qursquoest laquo ecirctre un raquo Lrsquoexpressionnrsquoeacutetant pas absente par ailleurs chez Platon (voir le commentaire au fragment19 27 F) il nrsquoest cependant pas neacutecessaire de penser que Numeacutenius ait ce pas-sage du Parmeacutenide en tecircte il est simplement tentant drsquoy songer dans uncontexte de reacuteflexion sur lrsquoUn

112 Contra JD Turner laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art citp 138-139

113 On remarquera qursquoAlcinoos (Did IX p 163 H 23-31 L W) fait demecircme en reacutepondant agrave la question de ce dont il y a des formes et en concevantcelles-ci comme des penseacutees du premier dieu

114 Fr 13 et 19 (21 et 27 F)

la question du rapport entre forme et participeacute il envisage positive-ment les deux solutions proposeacutees par Socrate a) les formes sont pourlui des penseacutees (cf Parm 132 b-c) elles sont celles du seconddieu115 et elles pensent (cf Parm 132 c) puisque telle est la maniegraverede participer au Bien116 b) les formes sont par ailleurs des paradigmes(cf Parm 132 d) comme le montre lrsquoexemple embleacutematique du rap-port entre le Bon qursquoest le deacutemiurge et le Bien envisageacute commeforme117 Quant agrave lrsquoargument du troisiegraveme homme en placcedilant le Bienau sommet de lrsquointelligible Numeacutenius estime peut-ecirctre y avoir ultime-ment reacutepondu Lrsquoobjection de la seacuteparation (133 a 8-134 c 7) enfinavec le double risque qursquoelle comporte de lrsquoinconnaissabiliteacute desformes (134 a-b) et du deacutefaut de connaissance de notre monde par ledieu qui ne pourrait alors pas agir agrave notre eacutegard (134 e) aura particu-liegraverement retenu son attention tout le dialogue Sur le Bien tend eneffet agrave montrer la continuiteacute agrave la fois ontologique et eacutepisteacutemique desdiffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute ndash le sensible lui-mecircme en tant que prisen charge par le deacutemiurge qui lrsquoeacutelegraveve agrave son propre caractegravere (autrementdit agrave sa bonteacute et agrave ce qui en deacutecoule)118 relegraveve en effet de la μετ-ουσία autrement dit de ce qui vient certes laquo apregraves lrsquoοὐσία raquo mais y amalgreacute tout essentiellement part119 Le Περὶ τἀγαθοῦ conduit en toutcas drsquoune part agrave la connaissance de la forme premiegravere tandis que celle-ci srsquoavegravere la connaissance ultime qui se transmet ensuite120 il montredrsquoautre part la relation permanente du premier agrave notre monde non seu-lement par lrsquointermeacutediaire du second dieu qui assure directement lrsquoac-tion providentielle mais par le salut ou la conservation (σωτηρία)

140 Fabienne JOURDAN

115 Fr 16 (24 F) Nous reacutesumons voir notre interpreacutetation du fragment116 Fr 19 (27 F) Lagrave aussi nous reacutesumons notre interpreacutetation laquo Pense raquo en

reacutealiteacute tout ce qui a part au Bien En outre lrsquoidentification de lrsquointellect agrave uneforme au fragment 20 (28 F) suggegravere cette interpreacutetation

117 Fr 16 19 et 20 (24 27-28 F)118 Fr 11 (19 F) cf fr 18 (26 F)119 Voir lrsquoutilisation fort suggestive de ce terme pour deacutesigner la participa-

tion agrave la fin du fragment 16 (24 F)120 Fr 13-14 (21-22 F)

qursquoil dispense lui-mecircme reacuteellement121 en tant que Bien et qursquoEcirctre quiassure ultimement la coheacutesion du monde

Nous ne preacutetendons pas que Numeacutenius reprenne point par point lesobjections de Parmeacutenide agrave Socrate contre la theacuteorie des formes Maisqursquoil les ait consideacutereacutees directement dans le dialogue de Platon ou qursquoilles ait connues par la tradition il les a prises au seacuterieux et a senti luiaussi la neacutecessiteacute drsquoy reacutepondre pour sauver Platon agrave la maniegravere dont illrsquoentendait

4 Conclusion sur Numeacutenius et le Parmeacutenide

Rien donc dans lrsquoœuvre parvenue ne permet de conclure agrave uneinterpreacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide par Numeacutenius nonseulement les textes ne contiennent pas de reacuteels parallegraveles avec le dia-logue de Platon mais ils suggegraverent que Numeacutenius ne srsquoest fondeacute suraucune des deux premiegraveres hypothegraveses pour deacuteterminer les traits de sonpremier principe ni mecircme sur la deuxiegraveme (voire la troisiegraveme) pourdeacutefinir le second Il est mecircme peu vraisemblable qursquoil ait tenteacute reacutetros-pectivement de les leur faire correspondre Il srsquoest en revanche assureacute-ment inquieacuteteacute des objections dresseacutees contre la theacuteorie des formes dansla premiegravere partie du dialogue et aura tenteacute drsquoy reacutepondre en assurant lavaliditeacute de la participation selon les diffeacuterentes modaliteacutes envisageacutees lagravepar Socrate ndash en cela il srsquoinscrit vraisemblablement dans la traditionplatonicienne122 dont il heacuterite peut-ecirctre plus de la probleacutematique qursquoilne la cherche directement dans le texte de Platon Concernant laseconde partie du dialogue il a pu percevoir dans lrsquoexposeacute de la pre-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 141

121 Fr 15 (23 F)122 Voir les remarques de la note 100 sur Alcinoos Mecircme si Alcinoos est

peut-ecirctre posteacuterieur agrave Numeacutenius de toute eacutevidence les platoniciens ont tenteacutede montrer la justesse de la theacuteorie des formes et de la participation contre lescritiques drsquoAristote ainsi assureacutement que contre celles deacutejagrave eacuteleveacutees dans leParmeacutenide et vraisemblablement inspireacutees (entre autres) par les discussions ausein de lrsquoAcadeacutemie

miegravere hypothegravese une raison suffisante pour ne pas identifier son premierprincipe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit prenant ainsi Platon agrave la lettre agrave propos ducaractegravere aporeacutetique de lrsquoUn tel qursquoil eacutetait lagrave envisageacute

Si elle eacutetait aveacutereacutee cette attitude aurait une double conseacutequencepour la compreacutehension de lrsquohistoire du platonisme

Elle pourrait drsquoabord reacuteveacuteler une intention poleacutemique agrave plusieursniveaux Elle est en effet concevable comme une reacuteaction agrave lrsquoeacuteven-tuelle association neacuteo-pythagoricienne du premier principe associeacute agravelrsquoUn ou agrave la monade avec lrsquoUn absolu de la premiegravere hypothegravese duParmeacutenide Mecircme si selon nous lrsquoidentification du premier principe agravelrsquoUn chez Speusippe et les neacuteo-pythagoriciens123 relegraveve avant tout dela tradition acadeacutemicienne pythagorisante relative agrave lrsquoUn et agrave la Dyadeainsi que du compte-rendu aristoteacutelicien de lrsquoenseignement oral de Pla-ton sur les principes124 il nrsquoy a pas en soi de raison drsquoexclure une pos-sible invocation pour confirmation de lrsquoUn du Parmeacutenide (agrave condi-tion de ne pas leur precircter une interpreacutetation neacuteoplatonicienne) Parsuite une poleacutemique avec lrsquoAncienne Acadeacutemie est eacutegalement envisa-geable Non seulement dans sa deacutefense de la theacuteorie des formes125Numeacutenius pourrait tenter de reacutepliquer agrave la suppression de celles-ciopeacutereacutee par Speusippe mais aussi srsquoopposer agrave la conception du premierprincipe precircteacutee agrave lrsquoAncien Acadeacutemicien Que lrsquoon croie Aristote selonlequel lrsquoUn de Speusippe ne serait laquo pas mecircme un ecirctre raquo126 ou plutocirct

142 Fabienne JOURDAN

123 Voir la note 75124 Voir aussi Meacutet N 4 1091 b 13-15 EE A 8 1218 a 15-32 ougrave le Bien est

associeacute agrave lrsquoUn125 Selon lui la connaissance drsquoun objet quelconque consistait dans celle

de ses relations agrave tous les autres (fr 73 Taraacuten = 2 I P2 = Proclus In Euclp 179 12-22 Friedlein) et crsquoest aux nombres qursquoil aurait alors accordeacute le statutde principe (voir le reacutesumeacute de A Meacutetry Speusippos Zahl Erkenntnis SeinBernStuttgartWien Paul Haupt 2002 p 11-13 et celui de HD Kraumlmerlaquo Die Aumlltere Akademie raquo dans H Flashar (eacuted) Grundriss der Geschichte derPhilosophie Band 3 Aumlltere Akademie Aristoteles Peripatos Basel SchwabeVerlag 20042 [1983] p 16-17)

126 μηδὲ ὄν τι εἶναι τὸ ἕν αὐτό Meacutet N 5 1092 a 16 (fr 43 Taraacuten = 25 IP2 = Aristote Meacutet N 5 1092 a 11-17)

Jamblique selon qui il ne serait laquo pas encore ecirctre raquo127 une distinctionentre lrsquoUn conccedilu comme premier principe et lrsquoecirctre semble agrave lrsquoœuvrechez lui128 si bien que certains ont mecircme penseacute que Platon lui reacutepon-dait dans le Parmeacutenide129 Il nrsquoest pas utile drsquoentrer dans ce deacutebat laposition de Speusippe peut relever drsquoune reacuteflexion sur le Bien deReacutepublique VI et drsquoune appropriation de lrsquoenseignement oral de Platonagrave nous transmis par le compte-rendu aristoteacutelicien qui laisse Platonassocier eacutetroitement le Bien et lrsquoUn Disons simplement que srsquoil a euconnaissance de la position de Speusippe Numeacutenius peut avoir voulului reacutepondre Nrsquooublions pas qursquoagrave lui comme agrave ses pairs dans lrsquoAn-cienne Acadeacutemie il reproche de ne pas avoir pas laquo tout souffert raquo pour

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 143

127 ὅπερ δὴ ουδὲ ὄν πω δεῖ καλεῖν DCMS IV p 157-8 FestaKlein128 La reconstruction de lrsquoenseignement exact de Speusippe sur le premier

principe est neacutecessairement fragile drsquoune part elle est fondeacutee sur lrsquointerpreacuteta-tion du texte drsquoAristote qui est empreint de critique drsquoautre part elle esteacutetayeacutee par deux autres textes dont le lien agrave Speusippe est controverseacute et dontles auteurs agrave la fois sont familiers du neacuteo-pythagorisme et ont lu Plotin chezqui lrsquoUn est effectivement au-dessus de lrsquoecirctre (il srsquoagit de Jamblique et de Pro-clus dans la traduction de Guillaume de Moerbeke In Parm VII 401-9 Kli-bansky-Labowsky = 50162-71 Steel = fr 48 Taraacuten = 30 IP2) Nous ne propo-sons ici qursquoune hypothegravese de reacuteflexion Pour un exposeacute plus deacutetailleacute sur la rela-tion eacuteventuelle de Numeacutenius agrave Speusippe dans lrsquoeacutelaboration drsquoune leacutegitimiteacuteplatonicienne voir la premiegravere annexe de notre eacutedition commenteacutee des frag-ments de Numeacutenius en preacuteparation

129 Crsquoest la lecture de A Graeser (laquo Platon gegen Speusipp Bemerkun-gen zur ersten Hypothese des Platonischen Parmenides raquo Museum Helveti-cum 54 1997 p 45-47 et laquo Anhang Probleme der Speusipp-Interpreta-tion raquo dans Prolegomena zu einer Interpretation des zweiten Teils des Plato-nischen Parmenides Bern Paul Haupt 1999 p 41-53) et J Halfwassen(Der Aufstieg zum Einen op cit et laquo Speusipp und die metaphysische Deu-tung von Platons Parmenides raquo art cit) adopteacutee par ex par R Dancy(laquo Speusippus raquo dans EN Zalta (eacuted) The Stanford Encyclopedia of Philo-sophy Winter 2012 Edition 20112 [2003] en ligne) et rejeteacutee par C Steel(laquo A Neoplatonic Speusippus raquo art cit p 470 473-475) et LP Gerson(laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit p 2-11de la version eacutelectronique)

rester dans une communauteacute de penseacutee avec leur maicirctre130 Commenous lrsquoavons suggeacutereacute dans les preacuteliminaires il ne serait alors pasimpossible qursquoavec cette eacuteventuelle lecture du Parmeacutenide Numeacuteniuseucirct souhaiteacute reacutepliquer agrave lrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne signaleacutee delrsquoenseignement oral de Platon trouvant quant agrave lui dans le Platon eacutecritla juste interpreacutetation du Platon oral mal laquo entendu raquo Pareille supposi-tion doit toutefois ecirctre prise avec prudence

Par-delagrave la mise en eacutevidence drsquoune poleacutemique agrave plusieurs niveauxlrsquohypothegravese proposeacutee sur lrsquoattitude de Numeacutenius concernant ladeuxiegraveme partie du Parmeacutenide permet de mieux deacuteterminer a contra-rio ce qui caracteacuterise une interpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo 131 du dia-logue De maniegravere geacuteneacuterale drsquoabord la position de Numeacutenius montrepar contraste que lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne trouve son originedans une vue contraire agrave la sienne sur le statut de la forme du Bien et sasituation agrave lrsquoeacutegard de lrsquoοὐσία en Reacutepublique VI ainsi peut-ecirctre que

144 Fabienne JOURDAN

130 Fr 2416-18 1 F = Eusegravebe PE XIV 5 2131 Nous en restons aux caractegraveres geacuteneacuteraux il nrsquoy a en effet pas une seule

et unique interpreacutetation post-plotinienne du Parmeacutenide On remarquera enoutre que Jamblique (drsquoapregraves Proclus In Tim III 1049-16 Diehl) semble eacutevo-quer chez Ameacutelius et Numeacutenius (si lrsquoon suit le raisonnement de Proclus) desdistinctions relatives aux diviniteacutes dans le Sophiste le Philegravebe et le Parmeacutenidequi ne correspondent pas agrave celles retenues dans le neacuteoplatonisme Si ce proposne se rapporte pas seulement agrave Ameacutelius mais vraiment aussi agrave Numeacutenius ilfaudrait en tirer lagrave encore la conclusion que son interpreacutetation ne correspondpas agrave celle du neacuteoplatonisme qui identifie son premier principe agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et donc pas non plus agrave celle des neacuteopytha-goriciens que lrsquoon reconstruit agrave partir des teacutemoignages neacuteoplatoniciens Celadit mecircme srsquoil est tentant de penser que le οὗτοι (10411) de Proclus renvoieaux deux exeacutegegravetes qursquoil vient de citer il se peut malgreacute tout que ne soit deacutesigneacutelagrave que le seul Ameacutelius disciple de Plotin et donc assureacutement familier de lrsquoexeacute-gegravese du Parmeacutenide Il nrsquoy a en revanche aucune difficulteacute agrave precircter agrave Numeacuteniusdes exeacutegegraveses partielles du Sophiste et du Philegravebe (voir nos interpreacutetations desfragments 15 23 F) et 19 27 F) Il nrsquoy en a drsquoailleurs pas davantage agrave imagi-ner chez lui une utilisation partielle du Parmeacutenide ou des allusions agrave ce dia-logue voire une prise agrave la lettre du propos de Parmeacutenide sur lrsquoUn de la pre-miegravere hypothegravese conduisant agrave renoncer agrave celui-ci comme premier principe

dans une appropriation du compte-rendu de lrsquoenseignement oral dePlaton par Aristote En affirmant lrsquoidentiteacute ontologique du Bien et delrsquoEcirctre Numeacutenius srsquointerdit lrsquoidentification de son premier principe agravelrsquoUn distinct de lrsquoecirctre de la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide En refu-sant au contraire pareille identiteacute en srsquoappuyant peut-ecirctre sur lrsquoidenti-fication du Bien et de lrsquoUn precircteacutee agrave Platon et aux platoniciens par Aris-tote et en appliquant ces deux eacuteleacutements agrave une lecture du Parmeacutenide132Plotin ouvre la voie de lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologiqueulteacuterieure du dialogue Malgreacute son caractegravere hypotheacutetique la supposi-tion selon laquelle Numeacutenius prendrait effectivement acte des conseacute-quences aporeacutetiques de la premiegravere hypothegravese en nrsquoidentifiant pas sonpremier principe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit permet ici encore a contrariode deacuteterminer deux autres eacuteleacutements indissociables caracteacuteristiques delrsquointerpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo du Parmeacutenide lrsquoidentification dupremier principe agrave lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese et par suite une lec-ture laquo positive raquo de celle-ci qui en reacutealiteacute contredit les conclusionsneacutegatives de Platon agrave son sujet Une theacuteologie neacutegative en est alorscertes tireacutee (que lrsquoon songe au Commentaire anonyme au Parmeacutenideou agrave celui de Proclus133) Mais cette neacutegativiteacute est conccedilue commereacutesultant de lrsquoincapaciteacute fondamentale de lrsquohomme agrave concevoir le pre-mier principe autrement que par analogies et approximations neacutecessai-rement erroneacutees Elle ne concerne pas le principe en lui-mecircme ni laconviction qursquoil constitue le fondement ultime assurant la coheacutesion dela reacutealiteacute Numeacutenius aura quant agrave lui preacutefeacutereacute rester fidegravele agrave la lettre dutexte et donc aux doutes du maicirctre qui laisse parler Parmeacutenide Agrave ce

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 145

132 Les deux premiers eacuteleacutements agrave eux seuls conduisent seulement agrave laposition de Speusippe dont rien ne permet drsquoaffirmer le rattachement au Par-meacutenide Nous compleacutetons en cela les hypothegraveses de J Whittaker laquo ΕΠΕ-ΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit Voir aussi LP Gerson laquo The lsquoNeo-platonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit

133 In Parm VII 51872-84 Plutocirct que de radicaliser la neacutegation pour par-ler de lrsquoUn Proclus indique que la neacutegation porte en reacutealiteacute sur la conceptionde lrsquoUn et pas sur lrsquoUn lui-mecircme qui garde la fonction laquo positive raquo drsquoassurer lacoheacutesion du reacuteel

stade de nos connaissances et drsquoapregraves lrsquoœuvre parvenue precircter agraveNumeacutenius cette reacuteaction aux conclusions de la premiegravere hypothegravesenous paraicirct la seule maniegravere prudente drsquoenvisager de sa part une inter-preacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide Renoncer agrave lui en precircterune ne poserait toutefois aucune difficulteacute

5 Appendice Numeacutenius et Parmeacutenide134

Cette conclusion sobre sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenidesuggegravere drsquointerroger pour finir son attitude agrave lrsquoeacutegard du Parmeacutenide his-torique lui-mecircme auquel Plotin fait parfois appel Que Numeacutenius aitconnu et utiliseacute (directement ou non) le poegraveme Sur la nature est aveacutereacutepar le teacutemoignage de Porphyre selon lequel il aurait associeacute les porteseacutevoqueacutees lagrave135 agrave celles du Cancer et du Capricorne repreacutesentant selonlui les voies respectivement descendante et ascendante des acircmes136Or dans le Περὶ τἀγαθοῦ qui seul nous inteacuteresse ici deux eacuteleacutementsdoctrinaux pourraient relever drsquoune appropriation personnelle de Par-meacutenide ou plutocirct de la tradition agrave son sujet telle qursquoelle serait parvenueagrave Numeacutenius ndash Platon ayant assureacutement aiguiseacute chez ses successeurslrsquointeacuterecirct pour la penseacutee du personnage eacuteponyme de son dialogue Sansentrer dans une recherche des sources ni dans un exposeacute deacutetailleacute de lapenseacutee de Parmeacutenide et des interpreacutetations de son poegraveme nous nouscontenterons ici drsquoeacutevoquer ces deux points dans le simple but drsquoouvrirla recherche

Le premier concerne la relation de lrsquoecirctre au temps et au change-ment telle qursquoelle est deacutecrite dans le fragment 5 (14 F) deacutejagrave citeacute en par-tie Lrsquoaffirmation que lrsquoecirctre ne saurait ecirctre dans le passeacute ou lrsquoavenir

146 Fabienne JOURDAN

134 Je remercie Francesco Fronterotta drsquoavoir relu cette derniegravere section135 Parmeacutenide fr 1 11 D-K ougrave sont deacutecrites les laquo portes ouvrant sur les

chemins de la nuit et du jour raquo136 Voir Porphyre De antro 21-24 ici surtout 24 Numeacutenius fr 31 27-28

Sur ce texte voir le commentaire de W Huumlbner dans lrsquointroduction de lrsquoeacuteditioncommenteacutee du De Antro parue sous la direction de T Dorandi Paris Vrin2019

mais que seul le preacutesent lui convient et qursquoil ne pourrait pas davantagechanger renvoie assureacutement au propos du Timeacutee (37 d 2-38 b 2)137Que Platon deacuteveloppe ici une reacuteflexion originellement preacutesente chezParmeacutenide et plus preacuteciseacutement pour nous dans le fragment 8 de sonpoegraveme138 pourrait suffire agrave expliquer cet eacutecho parmeacutenidien chezNumeacutenius Mais il est frappant que dans ce fragment 5 (14 F) duΠερὶ τἀγαθοῦ relayeacute par les suivants Numeacutenius reprenne une seacuteriedrsquoeacuteleacutements qui deacutecrivent lrsquoecirctre dans le passage concerneacute du poegraveme outre ceux deacutejagrave nommeacutes on retrouve chez lui lrsquoimpossibiliteacute qursquoalrsquoecirctre de devenir plus grand ou plus petit139 et la neacutecessiteacute qui estsienne de demeurer en lui-mecircme au mecircme endroit140 Ainsi lorsqueNumeacutenius estime que si ces laquo prescriptions raquo indispensables agrave ladeacutetermination de lrsquoecirctre veacuteritable nrsquoeacutetaient pas respecteacutees il se produi-rait une laquo impossibiliteacute majeure dans son discours unique en songenre agrave savoir que lrsquoecirctre agrave la fois serait et ne serait pas raquo141 et faitensuite paraphraser lrsquoideacutee par le disciple du dialogue avec la formule

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 147

137 Voir aussi Plutarque De E 20 393 a-c dont la position est compareacuteeavec celle de Numeacutenius dans notre analyse du fragment

138 Voir les vers suivants du fragment 8 D-K agrave lrsquoorigine de toute lareacuteflexion sur lrsquoeacuteterniteacute (cf M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art citp 157) οὐδέ ποτ᾽ ἦν ἔσται ἐπεὶ νῦν ἐστιν ὁμοῦ πᾶν ἕν συνεχές τίναγὰρ γένναν διζήσεαι αὐτοῦ laquo Il nrsquoa jamais eacuteteacute et ne sera jamais puisqursquoilest maintenant tout ensemble un continu Car quelle naissance pourrais-tului chercher raquo v 5-7 (trad Kirk Raven Schofield en fr par H-A de Weck)et πῶς δ᾽ἄν ἔπειτα πέλοι τὸ ἐόν πῶς δ᾽ἄν κε γένοιτο εἰ γὰρ ἔγεντ᾽ οὐκἔστ᾽ οὐδ᾽ εἴ ποτε μέλλει ἔσεσθαι τῶς γένεσις μὲν ἀπέσβεσται καὶἄπυστος ὄλεθρος laquo Comment pourrait-il ecirctre par la suite Celui qui est Comment pourrait-il naicirctre Car srsquoil est neacute il nrsquoest pas de mecircme lt il nrsquoest pasnon plus gt srsquoil doit ecirctre un jour Ainsi est eacuteteinte la naissance eacuteteinte aussi ladestruction disparue sans qursquoon en parle raquo v 19-21 (trad D OrsquoBrien leacutegegravere-ment modifieacutee) Voir aussi les vers 26-28 du mecircme fragment 8 D-K sur lrsquoab-sence de mouvement ainsi que de deacutebut et de fin

139 Parmeacutenide fr 844-45 D-K140 Parmeacutenide fr 829-30 D-K cf Numeacutenius fr 11 (19 F)141 ὡς τούτου γε οὕτως λεγομένου ἓν γίνεταί τι ἐν τῷ λόγῳ μέγα

ἀδύνατον εἶναί τε ὁμοῦ ταὐτὸν καὶ μὴ εἶναι

relativement complexe εἰ δὲ οὕτως ἔχει σχολῇ γrsquo ἂν ἄλλο τι εἶναιδύναιτο τοῦ ὄντος αὐτοῦ μὴ ὄντος κατὰ αὐτὸ τὸ ὄν il nrsquoest pasexclu qursquoil ait ici le poegraveme parmeacutenidien agrave lrsquoesprit auquel il seraitrevenu directement ou non sous lrsquoimpulsion de Platon La phraseindique en effet (nous paraphrasons) que si pareille impossibiliteacute seproduisait il serait mecircme impossible agrave autre chose (que lrsquoecirctre) drsquoecirctrepuisque lrsquoecirctre lui-mecircme ne serait pas selon ce qursquoil devrait ecirctre (κατὰαὐτὸ τὸ ὄν) autrement dit selon sa propre essence et deacutefinitionNumeacutenius suggegravere sans doute par lagrave que si lrsquoecirctre eacutetait soumis au pas-sage du temps et au changement il serait tout simplement non-ecirctrepuisqursquoil ne correspondrait pas agrave sa propre deacutefinition ce qui explique-rait son impossibiliteacute de constituer le fondement de la reacutealiteacute Une foisreplaceacute dans le contexte de penseacutee de Numeacutenius ougrave ce qui est non-ecirctreest la matiegravere et la partie du sensible qui relegraveve drsquoelle lrsquoideacutee semblefort proche de la maniegravere dont Parmeacutenide dresse lrsquoantithegravese entre ecirctreet non-ecirctre dans ce mecircme fragment 8 de son poegraveme142 Cette impres-sion peut ecirctre eacutetayeacutee par celle drsquoune prise de distance agrave lrsquoeacutegard de cepassage du poegraveme lorsque Numeacutenius affirme que lrsquoecirctre nrsquoest pasmecircme mucirc autour de son centre143 si cette preacutecision fait sans doutedrsquoabord allusion agrave lrsquoacircme du monde qui se meut autour de celui-ci dansle Timeacutee et par suite au refus drsquoidentifier lrsquoecirctre veacuteritable agrave une acircme144elle porte peut-ecirctre eacutegalement la trace drsquoune reacuteaction agrave lrsquoidentificationparmeacutenidienne de lrsquoecirctre agrave une sphegravere145 Lrsquohypothegravese est cependantplus fragile et Numeacutenius heacuterite sans doute avant tout de Platon enverslequel il se situe Crsquoest agrave partir du Timeacutee qursquoil eacutelabore sa penseacutee Maisil ne semble pas exclu qursquoil soit parfois retourneacute (directement ou non)agrave lrsquooriginal auquel reacutefegravere implicitement Platon ce qui est drsquoautant plus

148 Fabienne JOURDAN

142 Sur le non-ecirctre chez Parmeacutenide voir par ex D OrsquoBrien Le Non-Ecirctredans la philosophie grecque Parmeacutenide Platon Plotin raquo dans P Aubenque(eacuted) Eacutetudes sur le Sophiste de Platon Napoli Bibliopolis 1991 p 4-9

143 οὔτε περὶ τὸ μέσον ποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται144 Il srsquoagit lagrave selon nous drsquoun argument essentiel agrave la non-identification

numeacutenienne du deacutemiurge agrave lrsquoacircme du monde145 Fr 8 42-44 D-K

vraisemblable que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacute comme un pythago-ricien146

Le second eacuteleacutement du Περὶ τἀγαθοῦ qui pourrait suggeacuterer lrsquoap-propriation drsquoun passage de Parmeacutenide147 est lrsquoidentification de lrsquoecirctreet de lrsquointellect agrave chacun des deux niveaux ougrave Numeacutenius les situe Ecirctre lui-mecircme (αὐτοόν) et ecirctre deacuteriveacute (ὄν) premier et second intel-lects correspondant au premier et au deuxiegraveme dieu Sans entrer dansle deacutetail de lrsquointerpreacutetation disons simplement que selon nous en fai-sant de lrsquolaquo acte raquo de penser148 lrsquoapanage du premier dieu et en identi-fiant ce mecircme dieu agrave lrsquoEcirctre149 Numeacutenius suggegravere une union intime etprofonde entre ecirctre et penser qursquoil aurait pu consideacuterer comme remon-tant agrave Parmeacutenide lui-mecircme ou qursquoil aurait pu eacutetayer par une appropria-tion du fragment 3 de son poegraveme tel qursquoil est transmis par CleacutementdrsquoAlexandrie et Plotin150 [] τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶεἶναι [] Certes dans ce fragment de vers lrsquoidentification entre ecirctreet penser est suggeacutereacutee par lrsquoextraction du texte hors de son contexte envue justement drsquoy trouver pareille identification Elle ne correspond

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 149

146 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres IX 21(A 1 D-K) Proclus In Parm I 6194 Cousin cf Jamblique VP 166 (A 4D-K)

147 Pour reprendre les termes du fragment 1 (10 F) on pourrait aussi parlerde lrsquolaquo invocation raquo de Parmeacutenide comme source pythagorisante en accord avecPlaton et confirmant la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ elle-mecircme eacutetayeacutee par leslaquo teacutemoignages raquo de celui-ci Numeacutenius semble en effet pouvoir citer Parmeacute-nide pour confirmer son propos agrave la fois parce qursquoil ne pouvait que paraicirctre enaccord avec Platon (cf fr 1 10 F) et parce que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacutecomme pythagoricien

148 Degraves le fragment 15 (23 F) de maniegravere implicite dans le fragment 16 (24F) et explicite au fragment 19 (27 F)

149 Fr 17 (25 F)150 Cleacutement Strom VI 2 233 Plotin Enn VI 1 [10] 817 V 9 [5] 29-

30 cf I 4 [46] 106 III 8 [30] 88 VI 7 [38] 4118 (voir D OrsquoBrien Eacutetudessur Parmeacutenide T I Le Poegraveme de Parmeacutenide Paris Vrin 1987 p 19) ndash Onpourrait drsquoailleurs aussi penser aux vers 34-36 du fragment 8 eacutevoqueacute dans leparagraphe preacuteceacutedent

sans doute pas au sens originel du passage151 De plus chez Numeacuteniusle type de penseacutee speacutecifique agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme nrsquoest pas le νοεῖν maisle φρονεῖν Mais drsquoune part νοεῖν nrsquoayant pas chez Parmeacutenide lesens preacutecis que lui donne ensuite la tradition platonicienne une margerelative drsquointerpreacutetation et de preacutecision eacutetait laisseacutee agrave lrsquointerpregraveteappartenant agrave cette tradition152 drsquoautre part on peut tregraves bien imaginerNumeacutenius extraire ce passage dont la juxtaposition des termes luiaurait paru opportune pour eacutetayer son propos et preacuteciser le sens de laformule ainsi obtenue en distinguant deux niveaux de lrsquoecirctre auxquelscorrespondent deux types distincts de penseacutee (le νοεῖν entendu ausens platonicien drsquointellection revenant au seul second dieu)153Lorsque Cleacutement et apregraves lui Plotin reprennent cette formule il neserait pas impossible qursquoils lrsquoempruntent ainsi extraite agrave Numeacutenius

150 Fabienne JOURDAN

151 Denis OrsquoBrien (ibid p 19 209-212) a montreacute qursquoen reacutealiteacute dans lepoegraveme les deux infinitifs ne doivent vraisemblablement pas ecirctre pris commesujet drsquoun ἐστίν agrave valeur copulative mais peut-ecirctre comme compleacutement dupronom (τὸ αὐτό) ou de lrsquouniteacute syntaxique constitueacutee par le pronom et leverbe (au sens de laquo crsquoest une seule et mecircme chose pour penser et pour ecirctre raquodrsquoougrave la traduction par laquo crsquoest une seule et mecircme chose que lrsquoon pense et quiest raquo) F Fronterotta reprend son analyse et conclut que pour Parmeacutenideνοεῖν deacutesigne une forme de perception immeacutediate non sans lien avec lrsquoactiviteacutesensorielle mais allant au-delagrave des sens et de leur uniteacute creacuteative (laquo Someremarks on noein in Parmenides raquo dans S Stern-Gillet K Korrigan (eacuted)Reading ancient texts Vol I Presocratics and Plato Leiden Brill 2007p 3-19) Il ne srsquoagit donc pas (encore) de la perception intuitive que deacutesignerace verbe ulteacuterieurement

152 Voir la note preacuteceacutedente153 Nous pourrions preacuteciser ainsi lrsquointention de Numeacutenius srsquoil songe effec-

tivement agrave cette formule Selon nous il partage la conviction platonicienne quiveut que pour ecirctre pensable il faut ecirctre reacuteellement (et donc ecirctre intelligible crsquoest la leccedilon du Timeacutee) Srsquoil confrontait cette conviction au vers de Parmeacute-nide il lui donnerait donc drsquoabord lrsquointerpreacutetation laquo objective raquo deacuteceleacutee parFr Fronterotta (laquo Some remarks on noein in Parmenides raquo art cit) Toutefoisdans sa deacutefinition de lrsquoecirctre bientocirct identifieacute au Bien il retourne de toute eacutevi-dence cette conception et considegravere que nrsquoest veacuteritablement que ce qui est pen-sable (et donc lagrave encore intelligible par ex fr 4 a 13 F sur la matiegravere qui

Plotin lrsquoutilise certes pour caracteacuteriser le seul et unique Intellect chezlui situeacute au seul second niveau de la reacutealiteacute Mais cela correspondrait agravesa tendance geacuteneacuterale agrave faire passer au second niveau ce qui correspondau premier chez Numeacutenius154

De Numeacutenius il heacuterite donc peut ecirctre drsquoune lecture de Parmeacutenideplutocirct que du Parmeacutenide

Fabienne JOURDANCNRS UMR 8167 laquo Orient et Meacutediterraneacutee raquo Paris-Sorbonne

jourdanfabiennewanadoofr

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 151

nrsquoest pas ecirctre et ougrave une preuve de cet eacutetat est son caractegravere inconnaissable)Appliqueacutee agrave la formule de Parmeacutenide cette conviction en produirait ce queFr Fronterotta appelle une lecture laquo subjective raquo En outre dans le deacutesir sansdoute drsquoexpliquer la participation de maniegravere concregravete il ne donne pas seule-ment lrsquointelligibiliteacute comme condition de lrsquoecirctre (au sens passif du terme) maisil considegravere le fait de penser comme condition du fait drsquoecirctre reacuteellement (ausens laquo actif raquo du terme) Crsquoest pourquoi srsquoil avait connu et utiliseacute la formule deParmeacutenide ne serait-ce que pour eacutetayer son propos il y aurait sans douteentendu lrsquoaffirmation de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre et de la penseacutee mieux du penserCela pourrait certes paraicirctre lui attribuer une forme drsquoideacutealisme heacutegeacutelien(selon les termes de Fr Fronterrota laquo Some remarks on noein in Parmenides raquoart cit p 6) Mais telle est aussi la lecture de Cleacutement drsquoAlexandrie (StromVI 2 233) Or mecircme srsquoil ne le cite explicitement qursquoune fois (Strom I 22150 1-4 = 29 Fd) Cleacutement connaicirct Numeacutenius et se sert parfois de ses eacutecritssans le nommer (voir par ex Strom I 8 405 Strom I 13 571) Il nrsquoest doncpas impossible que pareille interpreacutetation circulacirct deacutejagrave au temps de Numeacuteniusvoire chez lui et mecircme gracircce agrave lui Le raisonnement du Περὶ τἀγαθοῦ dumoins passe par lrsquoidentification de lrsquoecirctre agrave lrsquo laquo activiteacute raquo de penser ensuiteconccedilue aux niveaux infeacuterieurs comme condition mecircme de leur participation agravelrsquoecirctre (voir le fr 19 27 F)

154 Nous simplifions et deacutecrivons simplement une tendance le processuspreacutecis requerrait une explication deacutetailleacutee qui nrsquoa pas sa place ici

152 Fabienne JOURDAN

Page 10: NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE · 2020. 4. 16. · NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE?* PREMIÈREPARTIE: L’ŒUVREPARVENUEDENUMÉNIUSETLEPARMÉNIDE DEPLATON RÉSUMÉ Si

commentaire que Numeacutenius aurait reacutedigeacute sur le Parmeacutenide ou dumoins sur les deux premiegraveres hypothegraveses28 de la seconde partie

3) Comme telle toutefois confronteacutee aux arguments solides dePierre Hadot en faveur drsquoune autoriteacute porphyrienne du Commentaireanonyme29 ou du moins agrave ceux drsquoAlessandro Linguiti en faveur drsquoune

110 Fabienne JOURDAN

mentaries and the Platonizing Sethian Treatises raquo dans K Corrigan JD Tur-ner (eacuted) Platonism Ancient Modern and Postmodern LeidenBoston Brill2007 p 55-96 et laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit) Voir aussiK Corrigan qui pense quant agrave lui agrave Cronius (laquo Platonism and Gnosticism TheAnonymous Commentary on the Parmenides Middle or Neoplatonic raquo dansJD Turner R Majercik (eacuted) Gnosticism and Later Platonism ThemesFigures and Texts Atlanta Society of Biblical Literature 2001 p 141-177)

28 Dans les pages qui suivent nous adopterons pour simplifier la termino-logie exeacutegeacutetique qui srsquoest imposeacutee et parlerons des laquo hypothegraveses raquo de laseconde partie du Parmeacutenide bien qursquoil srsquoagisse plutocirct chez Platon drsquoune seacuteriede deacuteduction En outre quand nous y reacutefegravererons nous nrsquoajouterons plus lamention de laquo la deuxiegraveme partie raquo du Parmeacutenide

29 Voir P Hadot (laquo Fragments drsquoun Commentaire de Porphyre sur le Par-meacutenide raquo Revue des eacutetudes grecques 74 1961 p 410-438 repris dansP Hadot Plotin Porphyre Eacutetudes neacuteoplatoniciennes Paris Les BellesLettres 20102 [1999] p 281-316 laquo La meacutetaphysique de Porphyre raquo dansPorphyre Entretiens sur lrsquoAntiquiteacute classique XII Vandœuvres-Genegraveve Fon-dation Hardt 1966 p 125-157 repris dans P Hadot Plotin Porphyre op citp 317-353 Porphyre et Victorinus I et II Paris Eacutetudes augustiniennes1968 laquo Porphyre et Victorinus Questions et hypothegraveses raquo dans M TardieuP Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApocalypse de Zostrien et lessources de Marius Victorinus Bures-sur-Yvette Res Orientales IX 1996p 117-125 Ses arguments sont eacutetayeacutes par ceux de HD Saffrey laquo Connais-sance et inconnaissance de Dieu Porphyre et la Theacuteosophie de Tuumlbingen raquodans J Duffy J Peradotto (eacuted) Gonimos Buffalo Arethusa 1988 p 3-20repris dans HD Saffrey Recherches sur le Neacuteoplatonisme apregraves Plotin ParisVrin 1990 p 1-20 M Zambon Recension de G Bechtle The AnonymousCommentary on Platorsquos Parmenides Elenchos 20 1999 p 194-202 et Por-phyre et le moyen-platonisme Paris Vrin 2002 R Chiaradonna laquo Nota supartecipazione e atto drsquoessere nel neoplatonismo lrsquoanonimo Commento alParmenide raquo Studia graeco-arabica 2 2012 p 87-97 et laquo Logica e teologica

origine post-plotinienne30 lrsquohypothegravese de G Bechtle pourrait semblerpeu utile grand lecteur de Numeacutenius31 Porphyre si nous revenons pro-visoirement agrave lui pouvait srsquoinspirer de son preacutedecesseur et de ses doc-trines sans que celui-ci ait lui-mecircme composeacute un commentaire au Par-meacutenide Comme nous le montrerons les parallegraveles entre le Commentaireanonyme et lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius en tout cas nrsquoimpliquentpas de reacutefeacuterence directe au dialogue de Platon de la part de ce dernierLrsquoexamen de lrsquohypothegravese pourrait donc srsquoachever sur ce constat si unedeacutecouverte de Michel Tardieu (1996) nrsquoinvitait pas malgreacute tout agrave lrsquoex-plorer davantage En deacutecryptant lrsquoApocalypse de Zostrien M Tardieu ya deacutecouvert un passage semblable agrave un autre du Contre Arius de MariusVictorinus32 laquo synopse raquo supposant selon lui une source commune auxdeux auteurs Or ce texte et donc cette laquo source raquo semble drsquoune partrelever drsquoun commentaire des deux premiegraveres hypothegraveses du Parmeacute-nide et drsquoautre part comporter des parallegraveles avec le Commentaire ano-nyme ndash son identification directe agrave celui-ci paraissant exclue a priorieacutetant donneacutee lrsquoidentification qursquoelle semble faire du premier Un agrave lrsquoEs-prit absente du Commentaire anonyme LrsquoApocalypse de Zostrien eacutetantlrsquoun des traiteacutes gnostiques critiqueacutes dans lrsquoeacutecole de Plotin33 la chronolo-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 111

nel primo neoplatonismo A proposito di Anon In Parm XI 5-19 e IamblRisposta a Porfirio [De Mysteriis] I 4 raquo Studia graeco-arabica 5 2015 p 1-11 M Chase laquo Porphyre Commentaires agrave Platon et Aristote raquo dans R Gou-let (eacuted) Dictionnaire des philosophes antiques Paris CNRS V b 2012p 1369-1371 avec la bibliographie en ce sens p 1362-1365

30 laquo Sulla datazione del Commento al Parmenide di Bobbio Unrsquoanalisilessicale raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et lasua tradizione op cit p 307-322 (voir aussi lrsquointroduction de son eacutedition duCommentaire anonyme dans Corpus dei papiri filosofici greci e latini Testo elessico nei papiri di cultura greca e latina Parte III Commentari FirenzeOlschki 1995 p 78-91)

31 Voir Proclus In Tim I 7722-24 = Numeacutenius fr 3724-26 des Places32 Apocalypse de Zostrien (NHC VIII 1 6411-6612) Marius Victorinus

(Adversus Arium I 497-50)33 VP 16

gie imposerait alors de situer cette source avant Plotin Voici doncrevenue lrsquohypothegravese drsquoun commentaire meacutedio-platonicien au Parmeacute-nide les parallegraveles avec le Commentaire anonyme suggeacuterant alorscette fois plus assureacutement le nom de Numeacutenius comme sonauteur M Tardieu la formule prudemment34 P Hadot lrsquoeacuteloigne dis-cregravetement35 mais elle est vivement deacutefendue par G Bechtle et sespartisans qui faisant la synthegravese de ces deacutecouvertes en tirent alorsla conviction que Numeacutenius serait non seulement lrsquoauteur du Com-mentaire anonyme mais aussi la source de ce que M Tardieu nommelrsquo laquo exposeacute commun raquo36 et que nous nommerons aussi provisoirementde cette maniegravere37

Plus que lrsquoœuvre parvenue elle-mecircme crsquoest cette triple probleacutema-tique propre agrave lrsquohistoire de la philosophie et agrave sa recherche des sourcesqui impose lrsquoexamen de la relation de Numeacutenius au Parmeacutenide exa-men qursquoelle rend lui-mecircme triple en suggeacuterant de surcroicirct que chaqueeacutetape corrobore la preacuteceacutedente Notre enquecircte suivra ces trois eacutetapes elle tentera drsquoeacutevaluer si cet enchaicircnement argumentatif lieacute agrave lrsquoeacutetudeconjointe de ces trois seacuteries de textes nrsquoest pas forceacute tant il paraicirctessentiellement ducirc agrave la surenchegravere en preacutecision dans lrsquohypothegravese delrsquoexistence drsquoune interpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologique pythago-risante et preacute-plotinienne du Parmeacutenide

Dans la premiegravere partie de lrsquoeacutetude proposeacutee dans ce numeacutero noustenterons donc drsquoeacutevaluer la place de Numeacutenius au sein du laquo neacuteo-pytha-gorisme raquo censeacute avoir deacutejagrave produit une telle interpreacutetation Commenous serions plus que reacuteserveacutee sur la preacutesence de celle-ci chez Modeacute-

112 Fabienne JOURDAN

34 Dans M Tardieu et P Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApoca-lypse de Zostrien op cit p 112-113

35 Dans ibid p 11436 G Bechtle The Anonymous Commentary op cit p 248-249 n 683

laquo The Question of Being raquo art cit p 408-412 laquo A neglected Testimonium raquoart cit p 568 JD Turner semble le suivre dans les articles deacutejagrave signaleacutes K Corrigan eacutegalement en songeant plutocirct agrave Cronius

37 Le statut reacuteel de cet laquo exposeacute raquo sera examineacute dans la troisiegraveme partie decette eacutetude (Revue de philosophie ancienne 38-1)

ratus et ses preacutedeacutecesseurs38 nous ne ferons allusion agrave ce point qursquoenconclusion Nous nous concentrerons ici de la maniegravere la plus sobrepossible sur lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et examinerons srsquoil estpossible de lui precircter un commentaire ne serait-ce que partiel du Par-meacutenide

Dans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude qui sera publieacutee dans lenumeacutero suivant (37-2) nous analyserons les parallegraveles et les diver-gences entre lrsquoœuvre de Numeacutenius et le Commentaire anonyme au Par-meacutenide Il srsquoagira drsquoeacutevaluer la validiteacute de lrsquohypothegravese qui attribue cecommentaire agrave Numeacutenius mais aussi de reconsideacuterer leur relationmutuelle laquelle est riche drsquoenseignements pour la reacuteflexion surlrsquoeacutelaboration du neacuteoplatonisme

Dans la troisiegraveme partie de lrsquoeacutetude qui sera publieacutee dans le numeacutero38-1 nous examinerons lrsquo laquo exposeacute commun raquo au Zostrien et agrave MariusVictorinus sa relation au Commentaire anonyme et au Parmeacutenide lui-mecircme et les parallegraveles qursquoon y voit parfois avec lrsquoœuvre parvenue deNumeacutenius pour envisager quelle place celle-ci pourrait avoir dans lareconstitution de ses sources

Chaque partie peut ecirctre lue indeacutependamment selon les centresdrsquointeacuterecircts de chacun Lrsquoensemble visera agrave eacutevaluer srsquoil est vraimentneacutecessaire de bouleverser la conception la plus courante de lrsquohistoire

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 113

38 Sans rejeter absolument un recours au Parmeacutenide anteacuterieur agrave Plotinnous estimons non justifieacute de precircter agrave Modeacuteratus une interpreacutetation theacuteolo-gique et meacutetaphysique du Parmeacutenide sur la foi du teacutemoignage de Simplicius(In Phys 23034-2319) Nous suivons sur ce point les reacuteserves de A-J Festu-giegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 22 n 3 JM Ristlaquo The Neoplatonic One and Platorsquos Parmenides raquo Transactions and Procee-dings of the American Philological Association 93 1962 p 389-401 C Steel laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 19-20qui rappelle agrave juste titre le rocircle de Porphyre comme source de Simplicius JN Hubler laquo Moderatus ER Dodds and the Development of NeoplatonistEmanation raquo dans JD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and itsHeritage op cit vol I p 115-130 ainsi que les reacuteserves de Philippe Hoff-mann lors du seminaire de la Society of Biblical Literature en 2003 (laquo Rethin-king Platorsquos Parmenides and its Platonic Gnostic and Patristic Reception raquo)

du platonisme en donnant Numeacutenius comme preacutecurseur de Plotin danslrsquointerpreacutetation meacutetaphysique du Parmeacutenide Si tel nrsquoest pas le cas elleconfirmera a contrario les critegraveres drsquoune interpreacutetation reacuteellement neacuteo-platonicienne de la seconde partie du dialogue Disons en outre drsquoem-bleacutee qursquoeacutetant donneacute que nous ne pouvons raisonner qursquoagrave partir de cequi nous est parvenu aucune conclusion assertive nrsquoest en soi possiblesur lrsquoexistence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par NumeacuteniusCette eacutetude aura toutefois trois reacutesultats positifs envisager un rapportvolontairement distant de Numeacutenius au Parmeacutenide fondeacute sur le textede Platon lui-mecircme et dont aura tenu compte le neacuteoplatonisme deacutecou-vrir des parallegraveles entre le Commentaire anonyme et le Περὶ τἀγαθοῦplus nombreux qursquoil nrsquoest souvent signaleacute ndash ce qui offrira peut-ecirctre unindice permettant une position plus assureacutee dans le deacutebat sur lrsquoanteacuterio-riteacute de Numeacutenius ou des Oracles chaldaiumlques et enfin approfondirlrsquohypothegravese relative agrave lrsquoutilisation de Numeacutenius par les gnostiques etpar les neacuteoplatoniciens appropriation que lrsquoon peut suivre jusque dansles traductions et transpositions arabes de leurs œuvres

Preacuteliminaire Esquisse de la doctrine des principeschez Numeacutenius

Avant pareil exposeacute une bregraveve esquisse de la penseacutee meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius est neacutecessaire Nous nous en tiendronsaux grandes lignes transmises dans les fragments veacuteritables ceux citeacutespar Eusegravebe de Ceacutesareacutee et nous exposerons de maniegravere succincte lesreacutesultats de nos propres analyses sans livrer le deacutetail des deacutebats surlesquels elles ont eacuteteacute eacutelaboreacutees39 Les textes nous inteacuteressant se trou-vent dans le Περὶ τἀγαθοῦ dialogue ougrave Numeacutenius entreprend larecherche drsquoune deacutefinition du Bien qursquoil identifie au premier prin-cipe40 Il identifie ce premier principe drsquoune part agrave un premier dieu et

114 Fabienne JOURDAN

39 Voir la bibliographie et les commentaires de notre eacutedition en preacutepara-tion

40 Le titre qui est laquo originellement raquo celui de la leccedilon orale de Platon

intellect et drsquoautre part au Bien et Ecirctre lui-mecircme ou par excellence(selon les formules αὐτοάγαθον et αὐτοόν)41 que dans une perspec-tive exeacutegeacutetique il considegravere comme repreacutesenteacute par la forme du Bieneacutevoqueacutee dans la Reacutepublique42 De ce premier principe Numeacutenius dis-tingue un second dieu ou principe identifieacute cette fois au deacutemiurge duTimeacutee43 Ce dieu assure le rocircle deacutemiurgique dont le premier est ainsidispenseacute et il est conccedilu comme lrsquoimage de celui-ci il est le Bon parti-cipant au Bien le second intellect qui produit sa propre forme encontemplant le premier faccedilonnant ou deacuteterminant pour cela lrsquoecirctre oulrsquoessence (οὐσία) que le premier lui procure par le simple fait drsquoecirctre(soi et le Bien)44 Telle est du moins la maniegravere dont nous lisonsconjointement les fragments 11 et 16 (19 et 25 F)45 Autrement dit tan-dis que le premier dieu est le principe de lrsquoecirctre le second est le prin-cipe du devenir46 Numeacutenius donne plus preacuteciseacutement deux laquo aspects raquo

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 115

indique agrave lui seul que le texte srsquoadonne agrave une recherche et deacutefinition des prin-cipes Aristote et Xeacutenocrate le donnent ensuite chacun agrave lrsquoune de leurs œuvresSur lrsquoimportance de ce titre voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius Sur leBien de Platon Lrsquoenseignement oral du maicirctre comme occasion de rechercherson pythagorisme dans ses eacutecrits raquo Χώρα 15-16 2017-2018 p 139-165

41 Voir par ex fr 16 et 17 (24 et 25 F) ndash Tout au long de cette eacutetude lesfragments sont citeacutes selon la numeacuterotation de lrsquoeacutedition drsquoEacutedouard des Places(Numeacutenius Fragments Paris Les Belles Lettres 1973) nous indiquons entreparenthegraveses les numeacuteros qui correspondent dans notre eacutedition en preacuteparation

42 Voir surtout les fr 19 et 20 (27 et 28 F)43 Voir notamment les fr 11 12 et 18 (19 20 et 26 F) En reacutealiteacute le

deacutemiurge du Timeacutee partage ses attributs entre le premier dieu numeacutenien(auquel il laisse sa fonction de source divine des acircmes cf fr 13 21 F) et lesecond qui est aussi troisiegraveme et reacutealise les opeacuterations proprements deacutemiur-giques assumant par lagrave en partie le rocircle des dieux secondaires du Timeacutee

44 Fr 16 (24 F)45 Voir aussi lrsquoanalyse du fr 16 (24 F) par G Muumlller laquo Ἰδέα y οὐσία en

Numenio de Apamea Una reinterpretacioacuten de la ontologiacutea platoacutenica raquo Cua-dernos de Filosofiacutea 59 2012 p 121-140 Nous prenons position agrave son sujetdans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude Revue de philosophie ancienne 37-2

46 Ibid

agrave ce second dieu selon lrsquoorientation de son attention deux laquo aspects raquoqui conduisent agrave parler agrave son sujet de deux laquo dieux raquo qui toutefois nrsquoenconstituent reacutealiteacute qursquoun seul lorsqursquoil est tourneacute vers soi crsquoest-agrave-direvers lrsquointelligible qursquoil est lui-mecircme par contemplation du Bien lesecond dieu est entiegraverement agrave soi et donc reacuteellement soi second dieu lorsqursquoil est tourneacute vers la matiegravere qursquoil met en ordre il est deacutemiurgeau sens litteacuteral du terme et devient laquo troisiegraveme dieu raquo47 Cette divisionnrsquoimplique pas une reacuteelle scission et ne srsquoavegravere autre qursquoune diffeacuterencedrsquoorientation agrave lrsquoorigine drsquoune uniteacute diviseacutee image imparfaite delrsquouniteacute indivisible et parfaite qursquoest le premier dieu

Cette bregraveve preacutesentation doit suffire agrave comprendre le cadre de lapenseacutee numeacutenienne48 Signalons simplement encore trois points essen-tiels pour la confrontation avec le Parmeacutenide et ses interpreacutetations

1) Lrsquoeacuteleacutement fondamental du Περὶ τἀγαθοῦ est lrsquoidentificationdu Bien lui-mecircme (ἀυτοάγαθον) premier principe agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme (αὐτοόν)49 Elle srsquoaccompagne de lrsquoaffirmation qursquoil existeune laquo con-naturaliteacute raquo du Bien agrave lrsquoeacutegard de lrsquoessence50 (σύμφυτον τῇ

116 Fabienne JOURDAN

47 Fr 11 (19 F)48 La preacutesentation ici donneacutee deacutepend de propre analyse des textes Pour

drsquoautres interpreacutetations voir aussi par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit J Opsomer laquo Demiurges in Early Imperial Platonism raquo dans R Hirsch-Luipold(eacuted) Gott und die Goumltter bei Plutarch BerlinNew York de Gruyter 2005p 63-72 M Baltes dans H Doumlrrie M Baltes Ch Pietsch Die PhilosophischeLehre des Platonismus Band 71 Theologia Platonica Stuttgart Bad Canns-tatt Frommann-Holzboog 2008 p 472-482 Les vues de CS OrsquoBrien TheDemiurge in Ancient thought Secondary Gods and Divine mediators Cam-bridge Cambridge University Press 2015 p 139-168 sont agrave consideacuterer avecla plus grande preacutecaution

49 Fr 17 (25 F) cf fr 2 (11 F)50 Nous traduirons ici οὐσία par laquo essence raquo consciente des faiblesses de

cette traduction qui dans le contexte platonicien examineacute nrsquoimplique naturel-lement pas de distinction par rapport agrave la notion drsquoexistence Dans ce contextelaquo essence raquo est agrave prendre au sens de reacutealiteacute intelligible (sur cette deacutefinition voirpar ex R Chiaradonna laquo Substance raquo dans P Remes S Slaveva-Griffin(eacuted) The Routledge Handbook of Neoplatonismi LondonNew York Rout-

οὐσίᾳ51) le Bien partage la mecircme nature que cette οὐσία (forme sub-stantive de lrsquoecirctre) qui provient ainsi de lui Numeacutenius exprime deacutejagrave cetteideacutee au fragment 2 (10 F) par lrsquoimage du Bien laquo monteacute sur lrsquoessence raquo(comme on dirait laquo sur un cheval raquo52) Par lrsquoutilisation de la preacutepositionet du preacuteverbe ἐπί- de preacutefeacuterence agrave ὑπό- (preacutesent dans la formule de Pla-ton) la formule ἐποχούμενον ἐπὶ τῇ οὐσίᾳ indique une laquo transcen-dance raquo53 avec contact qui donne sans deacutetour lrsquointerpreacutetation que Numeacute-nius fait de la formule eacutenigmatique de Reacutepublique VI 509 b 8-10 srsquoilest une laquo transcendance raquo du premier principe elle est drsquoordre cosmolo-gique et non laquo ontologique raquo au sens ougrave ce principe constitue la formeeacuteminente de lrsquoecirctre mais ne srsquoen distingue pas par son essence

2) Ce premier principe est certes immobile en tant qursquoecirctre54exempt de toute activiteacute sous-entendu deacutemiurgique55 mais Numeacuteniuseacutevoque un laquo mouvement qui accompagne naturellement son repos raquo(τῷ πρώτῳ στάσιν [] κίνησιν σύμφυτον56) Ce mouvementindique vraisemblablement que le premier principe pense57 et la for-mule preacutepare son identification agrave un intellect Concernant ce premierdieu toutefois le type de penseacutee qui le caracteacuterise est visiblementconccedilu comme nrsquoimpliquant pas drsquoactiviteacute proprement dite au sens du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 117

ledge 2014 p 216) La deacutetermination nrsquointervient ici qursquoavec le second dieu οὐσία est le terme qui sert agrave exprimer litteacuteralement lrsquoecirctre (ὄν) de maniegravere sub-stantive un ecirctre que le premier dieu Ecirctre par excellence fait advenir sans acteproducteur simplement en eacutetant ce qursquoil est et donc sans que cette οὐσία quivient de lui soit ontologiquement distincte de lui

51 Fr 16 (24 F)52 Lrsquoimage apparaicirct litteacuteralement dans les Oracles chaldaiumlques fr 1466

des Places53 On pourrait alors aiseacutement renoncer au mot laquo transcendance raquo et preacutefeacute-

rer la notion de primauteacute hieacuterarchique par exemple54 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)55 Fr 11-12 (19-20 F)56 Fr 15 (23 F)57 Le passage est agrave interpreacuteter en lien avec le Sophiste 248 e-249 a (voir

notre commentaire au passage dans lrsquoeacutedition en preacuteparation)

moins ougrave cette penseacutee est sans objet et nrsquoest pas mecircme penseacutee de soi aufragment 19 (27 F) Numeacutenius parle drsquoun φρονεῖν qui est lrsquoapanage dupremier dieu sous-entendu agrave la diffeacuterence notamment du νοεῖν saisieintuitive de lrsquointelligible caracteacuteristique du second dieu58 et plus encoredu διανοεῖσθαι activiteacute de penseacutee discursive agrave lrsquoorigine de la deacutemiur-gie Ce φρονεῖν peut selon nous ecirctre compris comme une penseacuteelaquo intransitive raquo (crsquoest-agrave-dire sans objet) pure dispensation du Bien parlrsquoecirctre du Bien59 En cela elle nrsquoimplique reacuteellement aucune activiteacute

Crsquoest alors en ce sens assureacutement que le premier dieu est ditlaquo entourer les intelligibles raquo ou plus exactement et litteacuteralement ecirctrelaquo autour des intelligibles raquo au fragment 15 (23 F περὶ τὰ νοητά) lrsquoexpression nrsquoimplique ni qursquoil les contienne ni qursquoil les produisecomme son objet de penseacutee ni mecircme qursquoil les pense60 Si elle visepeut-ecirctre agrave rendre compte drsquoune identification ultime du premier prin-

118 Fabienne JOURDAN

58 Agrave la limite le premier dieu ne peut lrsquoexercer que par lrsquointermeacutediaire dusecond voir le teacutemoignage de Proclus In Tim III 10328-32 Diehl = fr 22(contre cette interpreacutetation traditionnelle voir G Muumlller laquo Queacute es ldquolo que esvivienterdquo (ὁ εστι ζῶον) seguacuten Numenio de Apamea raquo Cuadernos Filosofiacutea64 2015 p 11-12 dont lrsquohypothegravese bien que seacuteduisante ne tient pas agrave lrsquoexa-men de la syntaxe du passage lrsquoinfinitif νοεῖν ne peut avoir que τὸν πρῶτονcomme laquo sujet raquo et non un δεύτερoν implicitement tireacute du geacutenitif δευτέρου)

59 Nous reacutesumons Voir aussi lrsquoeacutetude de la φρόνησις chez Platon parM Dixsaut laquo De quoi les philosophes sont-ils amoureux Sur la phronegravesisdans les dialogues de Platon raquo repris dans M Dixsaut Platon et la question dela penseacutee Eacutetudes platoniciennes I Paris Vrin 2000 p 93-119 ndash Le lien eacutety-mologique originel entre φρονεῖν et φρήν (le diaphragme) suggegravere une autreimage ce φρονεῖν est comme une laquo respiration drsquoecirctre raquo qui est le Bien et drsquoougraveeacutemane le bien

60 Cette interpreacutetation qui tient entre autres compte de la simpliciteacute abso-lue du premier dieu (fr 11 = 19 F) nrsquoest pas contradictoire avec celle de Timeacutee39 e 7-9 par laquelle Numeacutenius aurait associeacute son premier dieu au Vivant (InTim III 103 28-32 Diehl = fr 22) Certes dans le Timeacutee le Vivant a en lui lesformes (ἐνούσας ἰδέας τῷ ὃ ἔστι ζῷον 39 e 8) Mais sans pouvoir deacutevelop-per ici notre analyse disons simplement que Numeacutenius a pu lire le texte autre-ment et inspirer la distinction drsquoAmeacutelius entre un laquo intellect qui est (leVivant) raquo et un laquo intellect qui a (les formes en lui) raquo notamment en deacutecompo-

cipe au Vivant du Timeacutee61 dans le contexte du Περὶ τἀγαθοῦ ellerenvoie selon nous agrave un pur eacutetat de lrsquoecirctre agrave vertu bienfaitrice ou salvi-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 119

sant ἐνούσας de maniegravere cratylienne pour y lire ἐν-νους-ας qui eacutevoquerait lesformes laquo qui sont dans le νοῦς raquo le second dieu et intellect que Numeacutenius voitdeacutesigneacute dans le νοῦς du texte platonicien Le datif τῷ ὃ ἔστι ζῷον nrsquoauraitplus alors deacutesigneacute chez lui le lieu ougrave se trouvent les formes mais le destina-taire de la contemplation celui laquo pour qui ou agrave lrsquointention de qui en faveur dequi raquo le νοῦς qui a les formes en lui les contemplerait (autrement dit exerceraitle νοεῖν) Lrsquoaffirmation que crsquoest gracircce au second dieu et intellect (ἐνπροσχρήσει τοῦ δευτέρου) que le premier exercerait un νοεῖν pourrait ainsiconstituer lrsquoexplicitation de cette lecture eacutetonnante du texte platonicien Ainsile premier dieu nrsquoexercerait jamais le νοεῖν il nrsquointelligerait que gracircce ausecond qui le ferait pour lui Cette preacutecision pourrait servir agrave reacutepondre agravelrsquoeacuteventuelle objection drsquoun aristoteacutelisant qui deacutenoncerait une identification dupremier dieu agrave un νοῦς srsquoaccompagnant drsquoun refus de precircter agrave celui-ci lrsquoacti-viteacute du νοεῖν Numeacutenius reacutepondrait ainsi il ne lrsquoexerce pas lui-mecircme maispar lrsquointermeacutediaire du second qui le fait pour lui tandis qursquoil srsquoadonne au seulφρονεῖν Voir aussi notre interpreacutetation des fr 16 et 18 (24 et 26 F) ndash Pourune autre interpreacutetation de ce passage voir par ex M Frede laquo Numenius raquoart cit p 1062-1063 1065-1066 et 1069-1070 JP Kenney laquo ProschresisRevisited An Essay in Numenian Theology raquo dans JR Daly (eacuted) Orige-niana quinta Historica Text and method Biblica Philosophica Theologia Origenism and later developments Leuven Peeters p 217-230 RD PettyThe Fragments of Numenius Santa Barbara 1993 p 135-137 (republieacute agraveWestbury Prometheus Trust 2012) M Baltes dans H Doumlrrie M BaltesCh Pietsch Die Philosophische Lehre des Platonismus Band 71 op citp 477-478 A Michalewski laquo Le Premier de Numeacutenius et lrsquoUn de Plotin raquoArchives de philosophie 75 2012 p 35-37 et La Puissance de lrsquointelligibleLa Theacuteorie plotinienne des Formes au miroir de lrsquoheacuteritage meacutedioplatonicienLeuven Leuven University Press p 94-96

61 Voir Platon Timeacutee 30 c 7-8 (avec le participe περιλαβόν) et 31 a 3 (τograveπεριέχον πάντα ὁπόσα νοητὰ ζῷα) avec deux participes preacutefixeacutes en περί- agravepropos du Vivant qui a tous les intelligibles en lui et auquel Numeacutenius peutvouloir renvoyer avec sa formule περὶ τὰ νοητά La reacutefeacuterence implicite aupassage de la Lettre II 312 e 1-4 savamment reacuteeacutecrit indique toutefois queNumeacutenius donne un tout autre sens agrave ce περί Voir aussi le teacutemoignage de Pro-clus citeacute dans les notes preacuteceacutedentes

fique selon lrsquoideacutee de salut suggeacutereacutee agrave la fin de ce mecircme fragment Endrsquoautres termes le premier dieu serait περὶ τὰ νοητά au sens ougrave ilentoure les intelligibles de sa bienveillance leur transmettant agrave la foislrsquoecirctre et le Bien qursquoil est avant que le deacutemiurge ne les y fasse participeragrave son tour par sa bonteacute agrave lrsquoorigine de leur ecirctre deacutetermineacute62 et nrsquoy fasseparticiper aussi les sensibles en les eacutelevant agrave son propre caractegravere mar-queacute par cette mecircme bonteacute63 Le premier dieu le Bien est le modegravele dusecond le Bon et non pas des formes srsquoil doit ecirctre identifieacute au Vivantcrsquoest en tant que source ultime de la vie64 modegravele de ce second dieuqui transmet alors la vie au monde sensible (fr 1220F) et non en tantque paradigme totalisant et contenant les formes des quatre typesdrsquoecirctre vivants nommeacutes en Timeacutee 39 e 10-41 a 2

En cela le premier de Numeacutenius loin drsquoecirctre une entiteacute sans rapportau monde en est non seulement le principe mais il est pour lui lasource reacuteelle du Bien reacuteel ndash autrement dit il joue le rocircle de la Provi-dence qui est alors concregravetement exerceacutee par le second principe leBon Tout en eacutetant conccedilu comme premier intellect il nrsquoest donc pas lepremier moteur immobile aristoteacutelicien qui se pense lui-mecircme65 etauquel fut justement reprocheacute son deacutefaut de Providence66

120 Fabienne JOURDAN

62 Selon notre lecture de la formule ἰδέα ἑαυτοῦ du fragment 16 (24 F)comme renvoyant au monde intelligible comme ensemble de formes deacutetermi-neacutees

63 Voir le fr 11 (19 F) sur cette eacuteleacutevation du sensible vers le caractegravere dudeacutemiurge lequel est le laquo Bon raquo en reacutefeacuterence au Timeacutee Numeacutenius distingue leBien premier principe du Bon second principe en utilisant lrsquoadjectif substan-tiveacute au neutre pour deacutesigner le premier et lrsquoadjectif au masculin pour le second

64 Tel est selon nous le sens de lrsquoexpression ὁ μέν γε ὢν σπέρμα πάσηςψυχῆς au fr 13 (21 F) qui en fait la semence de toute acircme voir par ex F Jour-dan laquo Eusegravebe de Ceacutesareacutee et les extraits de Numeacutenius dans la Preacuteparationeacutevangeacutelique raquo dans S Morlet (eacuted) Lire en extraits Pratiques de lecture et deproduction des textes de lrsquoAntiquiteacute au Moyen Acircge Paris PUPS 2015 p 143-147

65 Contra par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit p 107066 Sur ce sujet notamment chez Plutarque dont Numeacutenius aurait pu ici par-

tager la critique voir par ex F Ferrari laquo Provvidenza platonica o autocontem

3) On notera ici enfin que selon toute vraisemblance Numeacuteniusnrsquoidentifie pas son premier principe agrave lrsquoUn67 Ce principe est certesunique (μόνος) simple (ἁπλοῦς) et indivisible (μὴ διαίρετος) encela distinct de lrsquouniteacute divisible que constitue le second dieu68 MaisNumeacutenius ne lrsquoidentifie pas agrave lrsquoUn et en tout cas pas agrave lrsquoUn du Parmeacute-nide69 Notre conviction srsquoappuie sur lrsquoanalyse du fragment 19 (27 F)Agrave la fin du passage on lit lrsquoexpression τὸ ἀγαθὸν ὅτι ἐστὶν ἕνNumeacutenius la donne comme une conclusion de Platon dont le sens pro-fond ne peut ecirctre perccedilu que par les laquo regards aiguiseacutes raquo autrement ditpar ceux qui comprennent le propos de Numeacutenius Elle provient assu-reacutement de la tradition orale on la retrouve dans le compte-rendu de laLeccedilon sur le Bien par Aristoxegravene70 Comme lrsquoarticle deacutefini peut ecirctreomis devant lrsquoattribut on peut certes heacutesiter sur sa traduction laquo leBien est lrsquoUn raquo ou laquo le Bien est un raquo Dans le contexte matheacutematiqueougrave elle est preacutesenteacutee chez Aristoxegravene la premiegravere traduction est sansdoute la bonne Mais ce nrsquoest pas neacutecessairement le sens originel (siPlaton srsquoest reacuteellement exprimeacute ainsi) et assureacutement pas celui que veut

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 121

plazione aristotelica la scelta di Plutarco raquo dans L Van der Stockt F Titche-ner HG Ingenkamp A Peacuterez Jimeacutenez (eacuted) Gods Daimones Rituals Mythsand History of Religions in Plutarchrsquos Works Maacutelaga International PlutarchSociety 2010 p 177-190 et laquo La teologia di aristotele nel medioplatonismo raquodans Y Lehman (eacuted) Aristoteles Romanus La Reacuteception de la science aristo-teacutelicienne dans lrsquoEmpire greacuteco-romain Turnhout Brepols 2012 p 299-312 voir aussi chez Atticus A Michalewski laquo Faut-il preacutefeacuterer Eacutepicure agrave Aris-tote raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted) Reacuteceptions de la theacuteolo-gie aristoteacutelicienne DrsquoAristote agrave Michel drsquoEphegravese Leuven Peeters 2017p 123-142

67 Contra notamment ici G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 84

68 Fr 11 19 F69 Contra A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV

op cit p 124 M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 22570 Aristoxegravene Eacuteleacutements drsquoharmonique 22016313 Macran 398-404 da

Rios texte ndeg 1 p 248 Richard

lire Numeacutenius Dans le contexte du fragment la formule perd touteambiguiumlteacute parce que lrsquointerpreacutetation en est donneacutee au preacutealable Numeacute-nius a insisteacute sur lrsquouniciteacute du Bien dont la bonteacute a eacuteteacute identifieacutee agrave lrsquoactespeacutecifique du φρονεῖν Si Platon a dit τἀγαθὸν ἐστὶν ἕν ndash formule dontNumeacutenius srsquoestime devoir rendre compte puisqursquoil eacutecrit justement luiaussi Sur le Bien ndash crsquoest donc selon lui parce qursquoil nrsquoy a qursquoun seul etunique Bien le Bien lui-mecircme (αὐτοάγαθον) Par suite la seulemaniegravere de rencontrer le bien de maniegravere geacuteneacuterale consiste agrave prendrepart agrave lrsquoactiviteacute de penser qui caracteacuterise le Bien lui-mecircme une penseacuteesource de bonteacute que chacun pourra exercer agrave son niveau (lrsquoideacutee que leφρονεῖν lui est reacuteserveacute suggegravere qursquoil srsquoagit dans son cas drsquoun φρονεῖνagrave lrsquoeacutetat pur) Ce disant Numeacutenius a sans doute une viseacutee poleacutemique agravelrsquoeacutegard notamment drsquoune interpreacutetation pythagorisante de Platon vrai-semblablement issue de lrsquoAncienne Acadeacutemie et peut-ecirctre aussi delrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne de lrsquoenseignement oral71 Lui seul sesera estimeacute comprendre le veacuteritable pythagorisme du maicirctre Quoiqursquoil en soit sur ce point le passage est selon nous la preuve drsquoun refusdrsquoidentifier le Bien agrave lrsquoUn Si Platon a dit que le Bien est un ou mecircmelrsquoUn quelle que soit lrsquointerpreacutetation litteacuterale et donc la traduction rete-nue il nrsquoaurait selon Numeacutenius en reacutealiteacute rien voulu exprimer drsquoautreque lrsquouniciteacute du Bien ainsi que sa seacuteparation drsquoavec le sensible conccediluecomme distinction essentielle drsquoavec les biens de ce monde Numeacuteniusinvite agrave comprendre ἕν comme le synonyme de μόνος que seul ilemploie agrave reacutepeacutetition agrave propos de son premier principe72 et qui a cedouble sens drsquoexprimer lrsquouniciteacute et lrsquoisolement ou la seacuteparationcomme le suggegravere deacutejagrave son emploi reacutecurrent au fragment 2 (11 F)Telle est lrsquointerpreacutetation correcte du Platon non-eacutecrit qursquoil precircte aux

122 Fabienne JOURDAN

71 Voir par ex Meacutet A 6 988 a 10-17 ougrave lrsquoUn est preacutesenteacute comme la causedu Bien et N 4 1091 b 1-20 sur lrsquoidentification du Bien agrave lrsquoUn dans uncontexte de critique des Platoniciens

72 Εἷς nrsquointervient qursquoagrave propos du second dieu conccedilu comme uniteacute divi-sible qui se distingue en cela de lrsquoUn et mecircme de lrsquouniciteacute du fait de sa dualiteacuteneacutecessaire (mais non essentielle)

seuls regards suffisamment aiguiseacutes pour savoir lire Platon lagrave ougravedrsquoautres lrsquoauront mal entendu73

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 123

73 Voir lrsquoanalyse deacutetailleacutee du passage dans F Jourdan laquo Sur le Bien deNumeacutenius raquo art cit ici contra G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 82 et 84 ndash Les deux teacutemoignages suggeacuterant une eacutevocation de lrsquoUnpar Numeacutenius ne paraissent pas infirmer cette lecture Le premier issu deMacrobe (fr 54 = Saturnales I 17 65 = P 99 12-16 Willis) fait eacutetat drsquoune eacutety-mologie de lrsquoeacutepithegravete laquo delphien raquo attribueacutee agrave Apollon ougrave Numeacutenius auraitvraisemblablement voulu retrouver lrsquoeacutetymologie courante du nom propre dudieu comme renvoyant au laquo non-multiple raquo ἀ-πολλά (voir par ex PlutarqueDe E 388 F et De Iside 354 F et 381 F avec J Whittaker laquo Ammonius on theDelphic E raquo Classical Quarterly 63 NS 19 1969 p 187-188 E SyskaStudien zur Theologie des Macrobius Stuttgart Teubner 1993 p 116 n 74)Macrobe rapporte en effet que Numeacutenius aurait fait de δέλφος un adjectifsignifiant unum (dans le latin de Macrobe) par opposition au substantifἀδελφός signifant laquo fregravere raquo et alors conccedilu comme pourvu drsquoun ἀ- privatif(sur cette eacutetymologie voir J Whittaker ibid p 187 n 9 Eacute des PlacesNumeacutenius Fragments op cit p 100 n 1 E Syska Studien zur Theologiedes Macrobius op cit p 193-194 qui estime qursquoelle nrsquoa aucune autre valeurque litteacuteraire) Outre qursquoil concerne un dieu dont nous ne savons pas si Numeacute-nius aurait reacuteellement souhaiteacute lrsquoidentification agrave son premier principe (il sug-gegravere en revanche son association agrave Zeus au fr 2 [11 F] lequel est ensuite asso-cieacute au second dieu au fr 12 [20 F]) le teacutemoignage nrsquoindique pas le sens exacten lequel Numeacutenius aurait aimeacute qursquoon entende cette laquo absence de fregravere raquoDrsquoune part juste avant Macrobe emploie lrsquoexpression singulum et unum quipeut traduire ἕν καὶ μόνον et dont comme dans le grec la redondance avaleur emphatique On ne sait donc pas lequel des deux adjectifs Numeacutenius aexactement employeacute et rien nrsquointerdit de penser que la reprise par unus soit unchoix du neacuteoplatonicien Macrobe Drsquoautre part unus renvoie agrave εἷς et non agrave ἕνEnfin et surtout laquo ne pas avoir de fregravere raquo si tel est le sens que Numeacutenius precirctedans ce contexte agrave δέλφος signifie laquo ecirctre fils unique raquo et reconduit au sens deμόνος Crsquoest pourquoi selon nous ce teacutemoignage nrsquoest pas un indice fiabledrsquoune identification numeacutenienne du premier principe agrave lrsquoUn (contra M Bur-nyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit p 152 n 34) Le second teacutemoignageest quant agrave lui constitueacute par la reacutefeacuterence agrave une singularitas identifieacutee agrave un pre-mier dieu-deacutemiurge dans le compte-rendu numeacutenien de la cosmogonie pytha-goricienne rapporteacutee par Calcidius (fr 52) Or ce premier dieu dans son oppo-sition mecircme agrave la dyade correspond davantage au second dieu du Περὶ

Voilagrave notre lecture du Περὶ τἀγαθοῦ le seul texte meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius dont soient transmis des fragments litteacute-raux Crsquoest agrave partir drsquoelle que nous proposons drsquoexaminer les rapportsentre lrsquoenseignement de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon lui-mecircme le Commentaire anonyme au Parmeacutenide et enfin la source com-mune au Zostrien et agrave Marius Victorinus Agrave chacun de ces troismoments nous tenterons drsquoeacutevaluer srsquoil fournit les indices de lrsquoexis-tence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par Numeacutenius

Premiegravere partie

Lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon le premier principe de Numeacutenius (le Bien) nrsquoest ni lrsquoUn ni

lrsquoUn-qui-est du ParmeacutenideLa premiegravere eacutetape que nous reacutealiserons dans cette premiegravere partie

consiste agrave confronter le Περὶ τἀγαθοῦ au Parmeacutenide lui-mecircme afinde voir srsquoil y renvoie directement ou non Si nous suivions lrsquohypothegravesede J Whittaker74 toutefois nous abandonnerions immeacutediatement lrsquoen-treprise selon lui crsquoest agrave partir du moment ougrave un philosophe inter-pregravete le Bien de Reacutepublique VI 509 b 6-10 comme un principe trans-cendant reacuteellement lrsquoecirctre et comme identifiable agrave lrsquoUn que se profileune interpreacutetation du Parmeacutenide et plus preacuteciseacutement de la premiegraverehypothegravese Or nous venons de montrer que loin de transcender lrsquoecirctrele Bien de Numeacutenius est lrsquoEcirctre lui-mecircme et que son association agrave lrsquoUnsert avant tout un propos exeacutegeacutetique ou srsquoavegravere du moins fort probleacute-matique ndash telle qursquoelle est formuleacutee du moins elle nrsquoimplique aucune

124 Fabienne JOURDAN

τἀγαθοῦ sans compter que lrsquoappellation latine de singularitas traduit plutocirctle grec μόνας que ἕν Le compte-rendu ne peut donc ecirctre compris commerefleacutetant la doctrine propre de Numeacutenius telle du moins qursquoelle est exprimeacuteedans le Περὶ τἀγαθοῦ (voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius raquo art cit)Il nrsquoy a donc aucun texte fiable permettant de precircter agrave Numeacutenius lrsquoidentifica-tion du Bien agrave lrsquoUn et encore moins agrave lrsquoUn du Parmeacutenide

74 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit

allusion au Parmeacutenide75 Si lrsquoon veut malgreacute tout supposer que Numeacute-nius nrsquoen a pas moins utiliseacute le Parmeacutenide et que son œuvre trahit alorsnon seulement la connaissance du dialogue mais un commentaire per-sonnel de celui-ci ne serait-ce que partiel il faut recourir agrave un autrepoint de doctrine que cette identification du premier principe agrave uneentiteacute transcendant lrsquoecirctre et identifieacutee agrave lrsquoUn et justement interroger ladeacutefinition de ce premier principe comme ecirctre Autrement dit il srsquoagitessentiellement de voir si Numeacutenius identifie le Bien ne serait-ce quepartiellement agrave lrsquolaquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

Pour parvenir agrave un reacutesultat probant deux eacutetapes sont neacutecessaires agravecet examen

1) un rappel des quelques points qui dans la deacutefinition de lrsquoecirctre etdu premier principe selon Numeacutenius ont parfois suggeacutereacute des rappro-chements avec le Parmeacutenide

2) une confrontation de la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ avec laseconde partie du dialogue de Platon pour voir si une convergence depenseacutee plus geacuteneacuterale pourrait malgreacute tout suggeacuterer une appropriationde ce texte par Numeacutenius ou si une incompatibiliteacute fondamentaleinvite agrave en douter

Dans lrsquoun et lrsquoautre cas si les reacutesultats sont neacutegatifs cela ne per-mettra pas de conclure que Numeacutenius a ignoreacute le texte ni non plus dese prononcer de maniegravere cateacutegorique sur lrsquoœuvre non parvenue Nousmontrerons drsquoailleurs dans un troisiegraveme temps que Numeacutenius tente dereacutesoudre les apories relatives aux formes poseacutees dans la premiegravere par-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 125

75 On peut faire semblable remarque agrave propos de lrsquoexposeacute des principespythagoriciens par Eudore rapporteacute par Simplicius (In Phys 18110 sq Diels)Mecircme srsquoil eacutevoque diffeacuterents Un la conception deacuteveloppeacutee deacutepend avant toutdes reacuteflexions de lrsquoAncienne Acadeacutemie sur lrsquoUn et la Dyade et est en cela tregravesproche du compte-rendu drsquoAristote sur les principes de Platon en Meacutet A 6 987b 18 sq (sur ce point voir J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquoart cit p 98 qui rapporte les propos de W Theiler agrave la note 11) Il ne sembledonc pas neacutecessaire de supposer un commentaire sous-jacent aux deux pre-miegraveres hypothegraveses du Parmeacutenide mecircme srsquoil nrsquoest eacutevidemment pas exclu que ledialogue ait eacuteteacute invoqueacute pour sa nomination de lrsquoUn La remarque vaut eacutegale-ment pour Speusippe et de maniegravere geacuteneacuterale pour les neacuteo-pythagoriciens

tie du dialogue et nous verrons qursquoagrave lrsquoeacutegard de la premiegravere hypothegraveseil a peut-ecirctre choisi une attitude suggeacutereacutee par Platon lui-mecircme Poureacutelargir cette recherche nous interrogerons enfin sa relation agrave la penseacuteede Parmeacutenide lui-mecircme

1 La deacutefinition du premier principe comme ecirctre dansle Περὶ τἀγαθοῦ des parallegraveles avec le Parmeacutenide

Une fois que lrsquoon a renonceacute agrave precircter agrave Numeacutenius une interpreacutetationdu Parmeacutenide en raison drsquoune identification supposeacutee de son premierprincipe agrave lrsquoUn il reste possible drsquoexaminer les parallegraveles entre la deacutefi-nition de son premier principe identifieacute agrave lrsquoecirctre ou plus geacuteneacuteralemententre sa deacutefinition de lrsquoecirctre et les formulations du dialogue platoniciendans les deux premiegraveres hypothegraveses Les partisans drsquoune interpreacutetationnumeacutenienne du Parmeacutenide dont notamment A-J Festugiegravere76 etD OrsquoMeara77 citent essentiellement78 deux textes agrave cette fin les frag-

126 Fabienne JOURDAN

76 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 12577 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 Voir aussi par ex

M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 225-227 qui srsquoap-puie toutefois sur ce qursquoil considegravere une identification du Bien agrave lrsquoUn et sur unpassage de Cleacutement drsquoAlexandrie qui semble deacutependre de la premiegravere hypo-thegravese (Strom V 12 82 1-2) Les eacuteleacutements de theacuteologie neacutegative eacutevoqueacutes lagravesrsquoaccompagnant drsquoune possibiliteacute de nomination rappellent toutefois moinsNumeacutenius qursquoAlcinoos Did X p 16433-34 H

78 Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoargumentation de R Romano (laquo La proba-bile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica e neopitagorica) delParmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide diPlatone et la sua tradizione op cit p 234) qui estime que Numeacutenius aufragment 217-34 (11 F) emprunte au Parmeacutenide les expressions delaquo meacutethode non aiseacutee mais divine raquo laquo ardeur juveacutenile raquo et laquo exercice matheacute-matique raquo Lrsquoappui textuel est trop tenu pour qursquoelle soit persuasive Quant agraveG Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 82-84) il eacutevoque luiaussi le fragment 5 (14 F) mais seulement en note agrave la page 82 et son argu-mentation ne srsquoappuie pas davantage sur la lettre du texte Crsquoest pourquoielle ne peut ecirctre expliciteacutee ici Nous ne commenterons enfin pas les hypo-

ments 5 et 6 (14-15 F) ougrave apparaicirct formuleacutee en termes neacutegatifs unedeacutefinition de lrsquoecirctre que le fragment 2 (11 F) a dit identifiable au BienCes deux fragments proviennent du livre II du Περὶ τἀγαθοῦ quientreprend de deacutefinir lrsquoecirctre preacuteliminaire indispensable agrave la deacutefinitiondu Bien Examinons-en quelques extraits Au fragment 5 nous lisonsceci

Φέρε οὖν ὅση δύναμις ἐγγύτατα πρὸς τὸ ὂν ἀναγώμεθα καὶλέγωμενmiddot τὸ ὂν οὔτε ποτὲ ἦν οὔτε ποτὲ μὴ γένηται ἀλλrsquo ἔστιν ἀεὶἐν χρόνῳ ὡρισμένῳ τῷ ἐνεστῶτι μόνῳ [] τὸ ἄρα ὂν ἀΐδιόν τεβέβαιόν τε ἐστὶν ἀεὶ κατὰ ταὐτὸν καὶ ταὐτόν οὐδὲ γέγονε μένἐφθάρη δὲ οὐδrsquo ἐμεγεθύνατο μέν ἐμειώθη δὲ οὐδὲ μὴltνgtἐγένετό πω πλεῖον ἢ ἔλασσον καὶ μὲν δὴ τά τε ἄλλα καὶ οὐδὲτοπικῶς κινηθήσεταιmiddot οὐδὲ γὰρ θέμις αὐτῷ κινηθῆναι οὐδὲ μὲνὀπίσω οὐδὲ πρόσω οὔτε ἄνω ποτὲ οὔτε κάτω οὐδrsquo εἰς δεξιὰοὐδrsquo εἰς ἀριστερὰ μεταθεύσεταί ποτε τὸ ὂν οὔτε περὶ τὸ μέσονποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται ἀλλὰ μᾶλλον καὶ ἑστήξεται καὶἀραρός τε καὶ ἑστηκὸς ἔσται κατὰ ταὐτὰ ἔχον ἀεὶ καὶ ὡσαύτως(extraits du fragment 5 14 F = Eus PE XI 10 4-5)

Eh bien donc eacutelevons-nous vers lrsquoecirctre le plus pregraves qursquoil nous est pos-sible et disons ceci lrsquoecirctre jamais ne fut ni jamais nrsquoadviendra assureacute-ment mais il est toujours dans un temps bien deacutetermineacute le seul preacute-sent [] Lrsquoecirctre est donc est agrave la fois eacuteternel et stable toujours dans lemecircme eacutetat et identique agrave soi il nrsquoest pas neacute et il ne peacuterit pas il ne croicirctet ne deacutecroicirct pas non plus ni il ne devient plus ou moins en aucunefaccedilon En somme il ne sera assureacutement soumis agrave aucun type de mou-vement et surtout pas au mouvement selon le lieu ndash il ne lui est en effetpas permis non plus crsquoest la loi divine drsquoecirctre mucirc jamais par unecourse en avant ni en arriegravere en haut ni en bas vers la droite droite nivers la gauche jamais lrsquoecirctre ne sera soumis au changement et jamais ilne sera mucirc autour de son propre centre Bien plutocirct il se tiendra en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 127

thegraveses de H Tarrant Thrasyllan Platonism op cit p 174-177 dans lamesure ougrave elles supposent que Numeacutenius srsquoinspire de Modeacuteratus (au fr 52)et suit donc lrsquointerpreacutetation qursquoil aurait donneacutee sur la matiegravere drsquoapregraves leteacutemoignage de Simplicius

repos sera ferme et fixe se maintenant toujours de faccedilon identique etde la mecircme maniegravere79

Au fragment 6 (15 F) nous lisons ensuite

ἡ δὲ αἰτία τοῦ ὄντος ὀνόματός ἐστι τὸ μὴ γεγονέναι μηδὲφθαρήσεσθαι μηδrsquo ἄλλην μήτε κίνησιν μηδεμίαν ἐνδέχεσθαιμήτε μεταβολὴν κρείττω ἢ φαύλην εἶναι δὲ ἁπλοῦν καὶἀναλλοίωτον καὶ ἐν ἰδέᾳ τῇ αὐτῇ καὶ μήτε ἐθελούσιον ἐξίστα-σθαι τῆς ταὐτότητος μήθrsquo ὑφrsquo ἑτέρου προσαναγκάζεσθαι (extraitdu fragment 6 15 F = Eus PE XI 10 7)

Et la raison de ce nom ecirctre reacuteside dans le fait de ne pas ecirctre neacute de nepas devoir peacuterir de nrsquoadmettre absolument aucun autre type de mou-vement ni de changement que ce soit vers le meilleur ou vers le piremais drsquoecirctre au contraire simple invariable dans une forme qui resteidentique de ne pas sortir de son identiteacute ni volontairement ni souslrsquoeffet drsquoune contrainte exteacuterieure80

Pourquoi a-t-on voulu lire ces textes comme faisant allusion auParmeacutenide alors qursquoils ne preacutesentent pas de parallegraveles textuels avec cedialogue Deux raisons agrave cela A-J Festugiegravere y voit une seacuterie deneacutegations qui rappellent celles du Parmeacutenide relativement agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese D OrsquoMeara estime que la deacutefinition de lrsquoecirctrecomme restant dans une identiteacute parfaite agrave soi exprimeacutee en termes de

128 Fabienne JOURDAN

79 Toutes les traductions de Numeacutenius sont les nocirctres80 Voir aussi cet extrait du fragment 8 (17 F = Eus PE XI 10 12) Εἰ μὲν

δὴ τὸ ὂν πάντως πάντη ἀΐδιόν τέ ἐστι καὶ ἄτρεπτον καὶ οὐδαμῶςοὐδαμῆ ἐξιστάμενον ἐξ ἑαυτοῦ μένει δὲ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτωςἕστηκε τοῦτο δήπου ἂν εἴη τὸ τῇ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν laquo Siassureacutement lrsquoecirctre est en tout point absolument eacuteternel et immuable srsquoil ne sortabsolument pas de lui-mecircme en aucune faccedilon mais demeure dans le mecircmeeacutetat fixeacute dans son identiteacute alors crsquoest lui sans nul doute qui sera ldquoce qui estappreacutehendeacute par lrsquointellection agrave lrsquoaide du raisonnementrdquo (Tim 28 a) raquo Ce pas-sage fait suite au fragment 7 (16 F = Eus PE XI 10 9-11) qui cite la deacutefinitionde lrsquoecirctre opposeacute agrave la γένεσις en Timeacutee 27 d 6-28 a 4

laquo non-sortie raquo de soi est reprise dans les passages des Enneacuteades VI4 [ 22] 2 21 et VI 5 3 1-2 ougrave Plotin traite de lrsquointeacutegriteacute de lrsquoecirctre etinterpregravete agrave cet effet la seconde hypothegravese du Parmeacutenide D OrsquoMearasonge alors agrave un preacuteceacutedent numeacutenien dans la lecture plotinienne duParmeacutenide et agrave cette fin eacutetant donneacute qursquoil est question dans ces frag-ments de la relation de lrsquoecirctre au temps au changement et au mouve-ment tout comme de son nom (et donc sous-entendu aussi de saconnaissance) il invite agrave penser que le livre II du Περὶ τἀγαθoῦ trai-tait de lrsquoecirctre selon les diffeacuterents preacutedicats qui servent agrave interroger lrsquoUndu Parmeacutenide agrave savoir le Tout et les parties le lieu le changement etmouvement lrsquoidentiteacute et la diffeacuterence la ressemblance et dissem-blance lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoineacutegaliteacute le temps le nom la connaissance

Ces deux lectures se heurtent toutefois agrave deux objections simplesDrsquoune part pas plus qursquoil ne tire du Parmeacutenide la description de la non-sortie de soi81 Numeacutenius nrsquoemprunte son argumentation sur le change-ment le temps et le nom au Parmeacutenide Comme il le dit lui-mecircme aufragment 6 (15 F) il srsquoappuie pour cela sur le Timeacutee et le Cratyle Onnotera drsquoailleurs que le deacuteveloppement sur lrsquoabsence de mouvement etdonc de changement relegraveve en outre drsquoun emprunt aux Lois82 et qursquoellenrsquoest pas exempte de parallegraveles aristoteacuteliciens ainsi que le reconnaicirctD OrsquoMeara lui-mecircme83 Drsquoautre part et pour reacutepondre cette fois agraveA-J Festugiegravere la seacuterie de neacutegations ne fait aucunement allusion auParmeacutenide ni nrsquoaugure drsquoune theacuteologie neacutegative telle qursquoelle sera tireacuteede la premiegravere hypothegravese de ce dialogue elle contribue simplement agraveune deacutefinition de lrsquoecirctre par opposition au devenir et surtout au corporelqui preacutesente toutes les qualiteacutes ici nieacutees La citation au fragment 7 (16F) du passage du Timeacutee (27 d 6-28 a 4) opposant justement ὄν et

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 129

81 Elle est en reacutealiteacute preacutesente dans le Cratyle 439 e le Pheacutedon 79 d et 80b 1-2 et le Banquet 211 b 1

82 X 893 c-894 a83 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 n 26 Sur le temps

voir aussi M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit et la remarquefinale sur la deacutefinition parmeacutenidienne drsquoune entiteacute se situant dans un eacuteternelpreacutesent au fr 85 DK

γένεσις preacutecise ce contexte de penseacutee et empecircche en cela toute extra-polation Agrave la limite si lrsquoon y tient on pourra simplement conclure avecD OrsquoMeara que Numeacutenius a donneacute agrave Plotin lrsquoideacutee de lire le Parmeacutenidedans le sens ougrave il lrsquoa fait concernant lrsquoecirctre ndash hypothegravese qui srsquoavegraverera fortinteacuteressante dans la perspective drsquoune comparaison avec lrsquoentreprise ducommentateur anonyme au Parmeacutenide

Les textes habituellement citeacutes en faveur drsquoune utilisation numeacute-nienne du Parmeacutenide ainsi compris il en est selon nous un troisiegravemequi aurait pu inviter agrave pareille suggestion celui ougrave Numeacutenius precircte aupremier principe un repos qui srsquoaccompagne malgreacute tout drsquoune formede mouvement ndash attributs apparemment contradictoires dont lrsquooriginepourrait paraicirctre remonter au Parmeacutenide Ce texte nous mettrait sur lavoie qui pouvait sembler la plus feacuteconde drsquoune identification du pre-mier principe numeacutenien agrave lrsquoUn de la seconde hypothegravese du ParmeacutenideLisons ainsi le fragment 15 (23 F)

Εἰσὶ δrsquo οὗτοι βίοι ὁ μὲν πρώτου ὁ δὲ δευτέρου θεοῦ δηλονότι ὁμὲν πρῶτος θεὸς ἔσται ἑστώς ὁ δὲ δεύτερος ἔμπαλίν ἐστικινούμενοςmiddot ὁ μὲν οὖν πρῶτος περὶ τὰ νοητά ὁ δὲ δεύτερος περὶτὰ νοητὰ καὶ αἰσθητά μὴ θαυμάσῃς δrsquo εἰ τοῦτrsquo ἔφηνmiddot πολὺ γὰρἔτι θαυμαστότερον ἀκούσῃ ἀντὶ γὰρ τῆς προσούσης τῷδευτέρῳ κινήσεως τὴν προσοῦσαν τῷ πρώτῳ στάσιν φημὶ εἶναικίνησιν σύμφυτον ἀφrsquo ἧς ἥ τε τάξις τοῦ κόσμου καὶ ἡ μονὴ ἡἀΐδιος καὶ ἡ σωτηρία ἀναχεῖται εἰς τὰ ὅλα

Voici les genres de vie respectifs du premier et du deuxiegraveme dieu ilest eacutevident que le premier sera en repos tandis que le deuxiegraveme aucontraire est en mouvement le premier donc autour des intelligiblesle deuxiegraveme autour des intelligibles et des sensibles Et nrsquoen viens pasagrave trsquoeacutetonner si jrsquoai affirmeacute cela car tu vas entendre bien plus eacutetonnantencore agrave la place du mouvement inheacuterent au deuxiegraveme le repos inheacute-rent au premier je lrsquoaffirme est un mouvement qui lui est par natureassocieacute drsquoougrave viennent lrsquoordre du monde et sa permanence eacuteternelle etdrsquoougrave le salut se reacutepand sur lrsquointeacutegraliteacute des ecirctres

Le passage pourrait rappeler lrsquoUn qui est Tout (τὸ ἓν ὅλον 145 e3) de la deuxiegraveme hypothegravese et que Platon deacutecrit comme eacutetant agrave la fois

130 Fabienne JOURDAN

en repos et en mouvement (καὶ κινεῖσθαι καὶ ἑστάναι 145 e 7-8)drsquoautant plus que le vocabulaire du repos employeacute est le mecircme(ἕστηκε 145 a 8 ἑστός 146 a 5) On pourrait alors imaginer queNumeacutenius identifie son premier principe agrave lrsquoUn associeacute agrave lrsquoecirctre telqursquoil est conccedilu dans cette deuxiegraveme hypothegravese Cependant la raisondonneacutee par Platon agrave cet eacutetat est le fait que cet Un se trouve agrave la fois enlui-mecircme crsquoest-agrave-dire au mecircme endroit et en autre chose crsquoest-agrave-direailleurs (le tout devant ecirctre ainsi compris 145 e 8-146 a 7) Or toutconduit agrave penser que dans le fragment le mouvement associeacute au reposfondamental est celui de la penseacutee caracteacuteristique du premier principe(cf fr 19 27 F) et que par cette formule Numeacutenius preacutepare la deacutefini-tion de celui-ci comme intellect (fr 16-17 24-25 F) Le raisonnementest profondeacutement distinct et Numeacutenius joue drsquoailleurs moins sur uneantithegravese logique telle que pourrait paraicirctre celle du raisonnement pla-tonicien que sur une association certes paradoxale mais reacuteelle Crsquoestpourquoi si tentant que puisse paraicirctre le parallegravele il ne relegraveve sansdoute pas drsquoune appropriation numeacutenienne de la deuxiegraveme hypothegravesepour deacutecrire le premier principe Numeacutenius reprend peut-ecirctre le voca-bulaire voire la conception de Platon pour deacutecrire un principe qursquoilassocie volontiers au Tout surtout si ce premier principe doit corres-pondre au Vivant84 Mais cette reprise serait superficielle et srsquoaccom-pagnerait drsquoun deacuteveloppement personnel qui ne relegraveve pas du deacutesirdrsquointerpreacuteter le Parmeacutenide85 Si Numeacutenius emprunte ici agrave Platon crsquoestplutocirct au passage du Sophiste 248 e-249 a qui integravegre le mouvementdans lrsquoecirctre total finit par deacutecrire cet ecirctre comme eacutetant agrave la fois en reposet en mouvement et inclut en lui eacutegalement lrsquointellect mieux laφρόνησις dont nous avons vu que Numeacutenius en fait sous la formeinfinitive lrsquoapanage du Bien

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 131

84 Voir le teacutemoignage de Proclus (fr 22) deacutejagrave signaleacute selon nous lrsquoimagedu Vivant est deacutejagrave sous-jacente dans ce fragment 15 (23 F) voir la note 61

85 Sur ce point nous rejoignons LP Gerson laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpre-tation of Platorsquos Parmenides raquo art cit n 1 qui rappelle agrave propos drsquoAlcinoosque lrsquoutilisation de distinctions et drsquoarguments preacutesents dans le Parmeacutenidenrsquoimplique pas drsquoaccorder une primauteacute interpreacutetative agrave ce dialogue

2 Le Περὶ τἀγαθοῦ et les deux premiegraveres hypothegravesesde la seconde partie du Parmeacutenide

Agrave eux seuls les textes parvenus ne nous semblent donc pas teacutemoi-gner en faveur drsquoun commentaire au Parmeacutenide de la part de Numeacute-nius ni mecircme drsquoune utilisation partielle qursquoil aurait faite de ce dia-logue Les partisans drsquoune attribution de pareil commentaire agrave Numeacute-nius en appellent toutefois et ce juste titre agrave lrsquoœuvre non parvenueOn ne peut certes juger de lrsquoeacutevolution de Numeacutenius Mais pour quecet argument e silentio soit valable concernant au moins la partie man-quante du Περὶ τἀγαθοῦ il faudrait que la partie transmise ne preacute-sente pas drsquoincompatibiliteacute avec lrsquoargumentation geacuteneacuterale du dialoguede Platon Comme le deacutebat porte toujours sur les deux premiegraveres hypo-thegraveses ce sont elles qursquoil suffit drsquointerroger en vue drsquoeacutevaluer si Numeacute-nius peut ne serait-ce que srsquoy ecirctre reporteacute pour esquisser sa deacutefinitiondu premier principe voire du second comme le suggegravere JD Turner86

a) Le Bien et lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese

Selon notre lecture Numeacutenius nrsquoidentifie pas le Bien agrave lrsquoUn Laseacuterie de neacutegations neacutecessaires agrave la deacutefinition de lrsquoecirctre nrsquoa drsquoautre butque de distinguer celui-ci du devenir Qursquoest-ce que le Bien de Numeacute-nius pourrait donc avoir de commun avec lrsquoUn de la premiegravere hypo-thegravese87 Comparons son enseignement agrave celui du Parmeacutenide pourassurer de la validiteacute de notre position

Ce que le Bien de Numeacutenius pourrait avoir de commun avec lrsquoUnde la premiegravere hypothegravese assureacutement ce serait le fait de ne pas ecirctremultiple (137 c) Mais cela est bien maigre la seacuterie de neacutegations pro-

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86 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 138-13987 G Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 84) estime que

crsquoest en lien avec la premiegravere hypothegravese que Numeacutenius deacuteveloppe sa concep-tion du premier intellect Il nrsquoexplique toutefois pas cette lecture pour le moinseacutetonnante

poseacutee par Parmeacutenide ne le concerne pas Passons en revue quelquesexemples en suivant lrsquoordre du dialogue contrairement agrave lrsquoUn de cettehypothegravese le Bien nrsquoest pas illimiteacute (137 d 7) crsquoest la matiegravere qui esttelle agrave lrsquoimage drsquoun fleuve88 loin drsquoecirctre nulle part au sens de laquo pas ensoi raquo (138 a 2 6-b 2) il est au contraire en lui-mecircme89 La seacuterie drsquoanti-thegraveses ne le concerne pas davantage loin de nrsquoecirctre ni en repos ni enmouvement (138 b) nous avons vu qursquoil a part aux deux90 plutocirct quede nrsquoecirctre ni identique ni diffeacuterent (139 b-140 b) il est assureacutement iden-tique agrave soi91 au lieu drsquoecirctre hors du temps (141 a) il se situe dans uneacuteternel preacutesent92 et si certes on ne peut pas non plus parler agrave soneacutegard de participation agrave lrsquoοὐσία (141 e 7-8) il nrsquoen est pas moinslrsquoἀρχή de celle-ci93 qui fait de lui lrsquoEcirctre par excellence94 Contraire-ment agrave lrsquoUn de cette hypothegravese (142 a) il a en outre un nom une deacutefi-nition et il y a mecircme une science agrave son sujet son nom est drsquoabordοὐσία et ὄν lorsque lrsquoecirctre qursquoil est est envisageacute de maniegravere geacuteneacuterale95puis vraisemblablement Bien lui-mecircme et Ecirctre lui-mecircme (αὐτοάγα-θον et αὐτοόν) lorsqursquoil est envisageacute dans sa speacutecificiteacute96 il donnelrsquoἐπιστήμη et srsquoavegravere mecircme ecirctre la σοφία97 toute lrsquoentreprise duΠερὶ τἀγαθοῦ est justement de conduire agrave sa connaissance et deacutefini-tion98 ce agrave quoi parvient entre autres le dernier fragment en identifiantultimement lrsquoecirctre et lrsquointellect qursquoil constitue agrave la Forme du Bien de laReacutepublique99 Lorsque Platon fait conclure agrave Parmeacutenide que cet Un

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 133

88 Fr 3 (12 F) et 8 (17 F)89 Fr 11 (19 F)90 Fr 15 (23 F)91 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)92 Fr 5 (14 F)93 Fr 16 (24 F)94 Fr 17 (25 F) et lrsquoon nrsquooubliera pas la synonymie entre οὐσία et ὄν don-

neacutee au fr 6 (15 F)95 Fr 6 (15 F)96 Fr 16-17 (24-25 F) fr 20 (28 F)97 Crsquoest notre interpreacutetation conjointe des fragments 13 et 14 (21-22 F)98 Tel est le programme annonceacute au fragment 2 (11 F)99 Fr 20 (28 F)

finalement nrsquoest pas Numeacutenius peut donc avoir estimeacute ne pas devoirreconnaicirctre lagrave ce qursquoil deacutefinit quant agrave lui comme le premier principe etce alors en accord avec Platon lui-mecircme

Crsquoest pourquoi srsquoil a songeacute agrave ce dialogue et plus particuliegraverement agravela premiegravere hypothegravese Numeacutenius a pu le consideacuterer comme un exer-cice dialectique ougrave puiser par exemple une meacutethode drsquointerrogation etcertains concepts dans un esprit peut-ecirctre semblable agrave celui drsquoAlci-noos100 ou bien ce qui nrsquoest pas incompatible comme deacutecrivantaussi une position selon lui critiqueacutee par Platon Dans cette perspec-tive il peut alors y avoir perccedilu une raison de ne pas retenir la candida-ture de lrsquoUn (telle que la suggegravere notamment la reacuteception acadeacutemi-cienne de lrsquoenseignement oral) au titre de premier principe agrave identifierau Bien puisque cet Un conccedilu dans sa pureteacute agrave la maniegravere dont Platonle deacutecrit dans la premiegravere hypothegravese conduit agrave lrsquoaporie du non-ecirctre (non-ecirctre que Numeacutenius identifie quant agrave lui agrave la matiegravere) Autre-ment dit la lecture du Parmeacutenide voire le commentaire de ce dia-logue aurait plutocirct conduit Numeacutenius agrave ne pas identifier le Bien agrave lrsquoUnabsolu et lrsquoaurait peut-ecirctre justifieacute dans une position poleacutemique agrave lrsquoen-contre de certains neacuteo-pythagoriciens de son temps101 voire des Aca-deacutemiciens qui le faisaient

Cette conclusion peut a priori eacutetonner Mais Numeacutenius nrsquoaurait paseacuteteacute le seul de son eacutepoque agrave refuser drsquoaccorder agrave lrsquoUn de la premiegraverehypothegravese le rocircle de principe de la reacutealiteacute et de principe transcendantlrsquoecirctre Proclus eacutevoque des interpregravetes selon lesquels le veacuteritable objet

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100 Agrave la mecircme eacutepoque ou peu apregraves (selon lrsquohypothegravese de R Chiara-donna laquo Theacuteologie et eacutepoptique aristoteacutelicienne dans le meacutedioplatonisme lareacuteception de Meacutetaphysique Λ raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted)Reacuteceptions de la theacuteologie aristoteacutelicienne op cit p 143-148 voir aussiM Frede laquo Numenius raquo art cit p 1064) Alcinoos donne une interpreacutetationessentiellement logique du Parmeacutenide voir Did VI p 159-160 H Cela nrsquoim-plique toutefois pas que ce fut lagrave la seule lecture du dialogue par Alcinoos(pace J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit)

101 Voir ceux eacutevoqueacutes au fragment 5215-24 (Calcidius In Tim CCXCV)qui font provenir la dyade de la monade Modeacuteratus agrave qui est justement precircteacuteun commentaire du Parmeacutenide leur est parfois rapprocheacute

du Parmeacutenide est justement lrsquoecirctre (ou lrsquoUn de la seconde hypothegravese) etnon lrsquoUn absolu dont lrsquohypothegravese ne conduit qursquoagrave des apories102 Lrsquounde ces interpregravetes fut Origegravene (le Platonicien103 ) disciple drsquoAmmo-nius comme Plotin et qui eacutetait peut-ecirctre justement en deacutebat avecNumeacutenius notamment sur la fonction du premier principe104 SelonOrigegravene lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese eacutetait sans existence ni subsis-tance (ἀνύπαρκτον καὶ ἀνύποστατον) lrsquoEcirctre absolu et lrsquoUnabsolu ne devaient faire qursquoun et ecirctre identifieacutes agrave lrsquointellect commeprincipe supeacuterieur105 ce nrsquoeacutetait donc qursquoavec la seconde hypothegravese

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 135

102 Proclus In Parm I 63531-6364 Theacuteol Plat II 4 311-28103 Nous nrsquoentrons pas ici dans le deacutebat concernant la question de savoir si

Origegravene nommeacute laquo le platonicien raquo est le mecircme qursquoOrigegravene le chreacutetien Nouspostulons qursquoil srsquoagit de deux personnages distincts (en cela nous suivonsnotamment R Goulet laquo Porphyre Ammonius les deux Origegravene et lesautres raquo Revue drsquohistoire et de philosophie religieuse 57 1977 p 471-496repris dans R Goulet Eacutetudes sur les Vies de philosophes de lrsquoAntiquiteacute tar-dive Diogegravene Laeumlrce Porphyre de Tyr Eunape de Sardes Textes et traditionsI Paris Vrin 2001 p 267-290) Sur ce sujet voir le statut de la question dansL Brisson R Goulet laquo Origegravene le platonicien raquo dans R Goulet (eacuted) Dic-tionnaire des philosophes antiques Paris CNRS IV 2005 p 804-807 M Zambon laquo Porfirio e Origene uno status quaestionis raquo dans S Morlet(eacuted) Le Traiteacute de Porphyre contre les chreacutetiens Un siegravecle de recherches nou-velles questions Paris Institut drsquoEacutetudes augustiniennes 2011 p 107-164 etles eacutetudes reacuteunies par B Baumlbler H-G Nesselrath (eacuted) Origenes der Christund Origenes der Platoniker Tuumlbingen Mohr Siebeck 2018 (dont lrsquoarticle deCh Riedweg qui identifie les deux personnages)

104 Drsquoapregraves le titre de son ouvrage transmis par Porphyre (VP 332 cf Pro-clus Theol plat II 4 A) Ὃτι μόνος ποιητὴς ὁ βασιλεύς Origegravene associaitvraisemblablement le laquo roi raquo (premier principe) au deacutemiurge nommeacute ποιητήςcontrairement agrave Numeacutenius qui les distingue au fragment 12 (20 F)

105 Sur ce sujet voir par ex HD Saffrey LG Westerink Proclus Theacuteo-logie platonicienne T II Paris Les Belles Lettres 1974 p X-XX C Steellaquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 32-35 L Bris-son laquo The Reception of Parmenides before Proclus raquo dans JD TurnerK Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage vol II Reception inPatristic Gnostic and Christian Neoplatonic Texts Atlanta Society of Bibli-cal Literature 2011 p 49-64

que commenccedilait selon lui lrsquoonto-theacuteologie platonicienne parce qursquoelleaurait deacutecrit lrsquointellect et les formes Origegravene paraissant plus proche deson maicirctre que Plotin106 son interpreacutetation eacutetait peut-ecirctre celle drsquoAm-monius et comme les argumentations drsquoAmmonius et de Numeacuteniussont parfois rapprocheacutees107 on pourrait penser agrave une parenteacute entre ellessur ce sujet eacutegalement Quoi qursquoil en soit sur ce point on peut retenirdeux choses de la comparaison avec lrsquointerpreacutetation drsquoOrigegravene lerefus de consideacuterer le premier principe comme identique agrave lrsquoUn absolude la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et lrsquoidentification de ce prin-cipe agrave lrsquoEcirctre absolu

Peut-on alors supposer que Numeacutenius agrave lrsquoinstar drsquoOrigegravene conccediloitlui aussi cet Ecirctre comme deacutecrit dans la deuxiegraveme hypothegravese Crsquoest eneffet avions-nous vu drsquoembleacutee la seule maniegravere de lui supposer reacuteelle-ment une utilisation du Parmeacutenide dans sa description du premier prin-cipe

b) Le Bien et lrsquo laquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

On peut en effet rappeler que Plotin a tendance agrave situer le premierde Numeacutenius au rang du second selon sa propre doctrine Toutefois agravela lecture du Parmeacutenide lui-mecircme Numeacutenius aurait assureacutement eacuteteacutegecircneacute degraves la formulation de lrsquohypothegravese consideacuterant Un et ecirctre (οὐσία)comme deux eacuteleacutements seacutepareacutes neacutecessitant la participation de lrsquoUn agravelrsquoecirctre (142 b-c) Pour Numeacutenius le premier principe est lrsquoecirctre il nrsquoapas part agrave lrsquoecirctre Lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacutenide ten-tera certes de reacutesoudre la difficulteacute et si Numeacutenius avait commenteacute letexte il aurait sans doute fait de mecircme Mais est-il bien neacutecessaire delui precircter pareille entreprise Il nrsquoest en effet pas davantage inteacuteresseacute agrave

136 Fabienne JOURDAN

106 Voir HD Saffrey LG Westerink op cit p XIX107 Voir par ex le teacutemoignage de Neacutemeacutesius (fr 4 b = Sur la nature de

lrsquohomme 2 8-14) qui les associe dans la critique de la corporeacuteiteacute de lrsquoacircmecaracteacuteristique de la conception stoiumlcienne

utiliser la seacuterie de preacutedicats contraires cette fois accepteacutes pour lrsquoUn decette deuxiegraveme hypothegravese Si nous nrsquoen retenons seulement quelques-uns parmi ceux pouvant concerner une reacutealiteacute intelligible on noteraque la notion de pluraliteacute ne peut concorder avec la repreacutesentation delrsquouniteacute indivisible que constitue le Bien pas davantage que le coupleantitheacutetique drsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave soi Trois points pourraientecirctre malgreacute tout rapprocheacutes dans la deacutefinition du Bien numeacutenien et delrsquoUn de la seconde hypothegravese lrsquoaffirmation drsquoune preacutesence agrave la fois ensoi et en autre chose (145 b 6-7) ndash mais elle est caracteacuteristique de touteforme intelligible et la contradiction apparente est reacutesolue par le pheacute-nomegravene de la participation bien deacuteveloppeacute par Numeacutenius lrsquoideacutee quece principe est en mouvement et en repos (145 a 3-146 a 7)ndash mais nousavons montreacute son sens particulier lieacute au processus de la penseacutee propreagrave lrsquointellect qui nrsquoest pas deacuteveloppeacute dans le Parmeacutenide et enfin larelation au temps (152 a) mais elle nrsquoest que provisoire concernant ladeuxiegraveme hypothegravese dans la mesure ougrave celle-ci va ensuite associerlrsquoecirctre agrave toutes les dimensions du temps alors que Numeacutenius ne lrsquoasso-cie qursquoau preacutesent comme le fait le Timeacutee (et peut-ecirctre le vrai Parmeacute-nide lui-mecircme au fragment 85)

Il nous semble donc peu probable que Numeacutenius ait envisageacute sonpremier principe en songeant agrave lrsquoUn-qui-est du Parmeacutenide ou aitmecircme tenteacute de le lui faire correspondre dans une eacutetape ulteacuterieure de sareacuteflexion En cela le deacutesaccord qui semble affleurer avec Origegravene surla caracteacuterisation des principes se retrouverait sur ce point eacutegalement

c) Le second dieu (le Bon) et lrsquolaquo Un qui est raquo

Une autre possibiliteacute peut toutefois se preacutesenter agrave lrsquoesprit Numeacute-nius nrsquoaurait-il pas alors associeacute agrave ce second Un son second dieu etprincipe qui lui est effectivement agrave la fois Un et plusieurs (143 a 5)au sens ougrave il connaicirct une laquo division raquo lorsqursquoil rencontre la matiegravere108

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 137

108 Fr 11 (19 F)

Telle est en effet lrsquohypothegravese de JD Turner109 On pourrait lrsquoeacutetayer ennotant que ce dieu est drsquoailleurs lui aussi seacutepareacute pour ainsi dire de saforme le Bien ce qui constitue deux aspects de son ecirctre et mecircme de laforme qursquoil produit comme modegravele du monde lui aussi a en outre partagrave lrsquoοὐσία qursquoil reccediloit du premier En extrapolant on pourrait imaginerque crsquoest agrave lui que reviennent tous les couples de contraires puisqursquoilest agrave la fois dans lrsquointelligible par sa contemplation et preacuteoccupeacute dusensible tendant au contact avec la matiegravere110 Mais nous irions troploin Numeacutenius fait certes de ce second dieu lrsquoecirctre deacuteriveacute mais il estecirctre assureacutement et nrsquoest pas concerneacute par les preacutedicats caracteacuterisant lesensible (comme la grandeur la limite lrsquoacircge) Ce qui peut paraicirctrecontraire en ce dieu ce sont seulement des attitudes lieacutees agrave son orienta-tion dans un processus cosmogonique Numeacutenius ne paraicirct pas avoirainsi deacutefini son essence dont la caracteacuteristique fondamentale est lrsquoimi-tation et la participation au Bien Crsquoest pourquoi mecircme si cela peutparaicirctre tentant nous ne pensons pas qursquoil ait conccedilu ce second dieu ensongeant agrave la deuxiegraveme hypothegravese du Parmeacutenide ni mecircme qursquoil aittenteacute apregraves lrsquoavoir deacutefini de le lui faire correspondre111 Le consideacuterer

138 Fabienne JOURDAN

109 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 137-138 qui ajoute agravecela une reacuteflexion sur ce que certains Anciens consideacuteraient comme la troisiegravemehypothegravese (155 e 4-157 b 4) et fait du second dieu de Numeacutenius dans sa dualiteacutemecircme un repreacutesentant des Un de la deuxiegraveme et troisiegraveme hypothegraveses (Un-plu-sieurs et Un-et-plusieurs) Cette lecture est ingeacutenieuse mais inveacuterifiable

110 Fr 11 (19 F)111 Concernant les autres hypothegraveses nous pourrions faire deux remarques

Dans la troisiegraveme la deacutefinition des laquo autres choses raquo comme eacutetant de natureillimiteacutee mais recevant leur limite par participation agrave lrsquoUn (158 d 7-8) corres-pond agrave la conception de la formation du monde par le deacutemiurge (fr 18 26 F cf fr 52) Mais cette interpreacutetation est la leccedilon mecircme du Timeacutee coupleacute avec lePhilegravebe Dans la derniegravere hypothegravese ensuite en 165 c 2 on trouve lrsquoexpres-sion ὀξὺ νοοῦντι pour deacutesigner celui qui regarde de pregraves et voit que les chosesqui paraissent unes sont en reacutealiteacute plusieurs car priveacutees drsquouniteacute Avec lrsquoexpres-sion ὀξὺ βλέποντι au fr 19 (27 F) Numeacutenius pourrait faire un clin drsquoœilentendu agrave ce passage lorsqursquoil invite agrave comprendre ce qui est selon lui le vraisens du terme un appliqueacute au Bien celui drsquouniciteacute Lrsquoeacutecho lexical pourrait ren-

selon chacun de ses deux laquo aspects raquo comme correspondant agrave lrsquolaquo Un-plusieurs raquo et agrave lrsquolaquo Un-et-plusieurs raquo de la deuxiegraveme et de la troisiegravemehypothegraveses entrevue par certains Anciens comme le fait J Turnerrelegraveve selon nous drsquoune lecture plotinienne qui ne correspond pas agravelrsquoenseignement du Περὶ τἀγαθοῦ112 Cela une fois encore nrsquoem-pecircche pas que Numeacutenius ait pu inspirer Plotin dans sa propre lecturedu Parmeacutenide

3 Le Περὶ τἀγαθοῦ et la premiegravere partie du Parmeacutenide

Dans le Περὶ τἀγαθοῦ Numeacutenius nrsquoa ainsi selon nous pas conccedilusa reacuteflexion sur les principes agrave partir drsquoun commentaire du Parmeacutenideni nrsquoa mecircme tenteacute de la faire correspondre aux hypothegraveses de laseconde partie de ce dialogue apregraves lrsquoavoir eacutelaboreacutee En revanche ilsrsquoest assureacutement inteacuteresseacute agrave la premiegravere partie ou du moins aux diffi-culteacutes dans lesquelles elle place la theacuteorie des formes113 Qursquoil ait ounon en tecircte ce dialogue le sien en tout cas cherche assureacutement agraverendre possible la participation et donc agrave sauver la theacuteorie des formespar-delagrave les objections que lui adresse Parmeacutenide Ce sujet nous inteacute-ressant moins directement ici nous ferons bref

Agrave la question de savoir srsquoil y a des formes de tout (130 b-e) Numeacute-nius reacutepond assureacutement qursquoil y en a de tout ce qui a part au Bien114 agrave

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 139

voyer agrave cette illusion relative agrave la saisie de ce qursquoest laquo ecirctre un raquo Lrsquoexpressionnrsquoeacutetant pas absente par ailleurs chez Platon (voir le commentaire au fragment19 27 F) il nrsquoest cependant pas neacutecessaire de penser que Numeacutenius ait ce pas-sage du Parmeacutenide en tecircte il est simplement tentant drsquoy songer dans uncontexte de reacuteflexion sur lrsquoUn

112 Contra JD Turner laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art citp 138-139

113 On remarquera qursquoAlcinoos (Did IX p 163 H 23-31 L W) fait demecircme en reacutepondant agrave la question de ce dont il y a des formes et en concevantcelles-ci comme des penseacutees du premier dieu

114 Fr 13 et 19 (21 et 27 F)

la question du rapport entre forme et participeacute il envisage positive-ment les deux solutions proposeacutees par Socrate a) les formes sont pourlui des penseacutees (cf Parm 132 b-c) elles sont celles du seconddieu115 et elles pensent (cf Parm 132 c) puisque telle est la maniegraverede participer au Bien116 b) les formes sont par ailleurs des paradigmes(cf Parm 132 d) comme le montre lrsquoexemple embleacutematique du rap-port entre le Bon qursquoest le deacutemiurge et le Bien envisageacute commeforme117 Quant agrave lrsquoargument du troisiegraveme homme en placcedilant le Bienau sommet de lrsquointelligible Numeacutenius estime peut-ecirctre y avoir ultime-ment reacutepondu Lrsquoobjection de la seacuteparation (133 a 8-134 c 7) enfinavec le double risque qursquoelle comporte de lrsquoinconnaissabiliteacute desformes (134 a-b) et du deacutefaut de connaissance de notre monde par ledieu qui ne pourrait alors pas agir agrave notre eacutegard (134 e) aura particu-liegraverement retenu son attention tout le dialogue Sur le Bien tend eneffet agrave montrer la continuiteacute agrave la fois ontologique et eacutepisteacutemique desdiffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute ndash le sensible lui-mecircme en tant que prisen charge par le deacutemiurge qui lrsquoeacutelegraveve agrave son propre caractegravere (autrementdit agrave sa bonteacute et agrave ce qui en deacutecoule)118 relegraveve en effet de la μετ-ουσία autrement dit de ce qui vient certes laquo apregraves lrsquoοὐσία raquo mais y amalgreacute tout essentiellement part119 Le Περὶ τἀγαθοῦ conduit en toutcas drsquoune part agrave la connaissance de la forme premiegravere tandis que celle-ci srsquoavegravere la connaissance ultime qui se transmet ensuite120 il montredrsquoautre part la relation permanente du premier agrave notre monde non seu-lement par lrsquointermeacutediaire du second dieu qui assure directement lrsquoac-tion providentielle mais par le salut ou la conservation (σωτηρία)

140 Fabienne JOURDAN

115 Fr 16 (24 F) Nous reacutesumons voir notre interpreacutetation du fragment116 Fr 19 (27 F) Lagrave aussi nous reacutesumons notre interpreacutetation laquo Pense raquo en

reacutealiteacute tout ce qui a part au Bien En outre lrsquoidentification de lrsquointellect agrave uneforme au fragment 20 (28 F) suggegravere cette interpreacutetation

117 Fr 16 19 et 20 (24 27-28 F)118 Fr 11 (19 F) cf fr 18 (26 F)119 Voir lrsquoutilisation fort suggestive de ce terme pour deacutesigner la participa-

tion agrave la fin du fragment 16 (24 F)120 Fr 13-14 (21-22 F)

qursquoil dispense lui-mecircme reacuteellement121 en tant que Bien et qursquoEcirctre quiassure ultimement la coheacutesion du monde

Nous ne preacutetendons pas que Numeacutenius reprenne point par point lesobjections de Parmeacutenide agrave Socrate contre la theacuteorie des formes Maisqursquoil les ait consideacutereacutees directement dans le dialogue de Platon ou qursquoilles ait connues par la tradition il les a prises au seacuterieux et a senti luiaussi la neacutecessiteacute drsquoy reacutepondre pour sauver Platon agrave la maniegravere dont illrsquoentendait

4 Conclusion sur Numeacutenius et le Parmeacutenide

Rien donc dans lrsquoœuvre parvenue ne permet de conclure agrave uneinterpreacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide par Numeacutenius nonseulement les textes ne contiennent pas de reacuteels parallegraveles avec le dia-logue de Platon mais ils suggegraverent que Numeacutenius ne srsquoest fondeacute suraucune des deux premiegraveres hypothegraveses pour deacuteterminer les traits de sonpremier principe ni mecircme sur la deuxiegraveme (voire la troisiegraveme) pourdeacutefinir le second Il est mecircme peu vraisemblable qursquoil ait tenteacute reacutetros-pectivement de les leur faire correspondre Il srsquoest en revanche assureacute-ment inquieacuteteacute des objections dresseacutees contre la theacuteorie des formes dansla premiegravere partie du dialogue et aura tenteacute drsquoy reacutepondre en assurant lavaliditeacute de la participation selon les diffeacuterentes modaliteacutes envisageacutees lagravepar Socrate ndash en cela il srsquoinscrit vraisemblablement dans la traditionplatonicienne122 dont il heacuterite peut-ecirctre plus de la probleacutematique qursquoilne la cherche directement dans le texte de Platon Concernant laseconde partie du dialogue il a pu percevoir dans lrsquoexposeacute de la pre-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 141

121 Fr 15 (23 F)122 Voir les remarques de la note 100 sur Alcinoos Mecircme si Alcinoos est

peut-ecirctre posteacuterieur agrave Numeacutenius de toute eacutevidence les platoniciens ont tenteacutede montrer la justesse de la theacuteorie des formes et de la participation contre lescritiques drsquoAristote ainsi assureacutement que contre celles deacutejagrave eacuteleveacutees dans leParmeacutenide et vraisemblablement inspireacutees (entre autres) par les discussions ausein de lrsquoAcadeacutemie

miegravere hypothegravese une raison suffisante pour ne pas identifier son premierprincipe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit prenant ainsi Platon agrave la lettre agrave propos ducaractegravere aporeacutetique de lrsquoUn tel qursquoil eacutetait lagrave envisageacute

Si elle eacutetait aveacutereacutee cette attitude aurait une double conseacutequencepour la compreacutehension de lrsquohistoire du platonisme

Elle pourrait drsquoabord reacuteveacuteler une intention poleacutemique agrave plusieursniveaux Elle est en effet concevable comme une reacuteaction agrave lrsquoeacuteven-tuelle association neacuteo-pythagoricienne du premier principe associeacute agravelrsquoUn ou agrave la monade avec lrsquoUn absolu de la premiegravere hypothegravese duParmeacutenide Mecircme si selon nous lrsquoidentification du premier principe agravelrsquoUn chez Speusippe et les neacuteo-pythagoriciens123 relegraveve avant tout dela tradition acadeacutemicienne pythagorisante relative agrave lrsquoUn et agrave la Dyadeainsi que du compte-rendu aristoteacutelicien de lrsquoenseignement oral de Pla-ton sur les principes124 il nrsquoy a pas en soi de raison drsquoexclure une pos-sible invocation pour confirmation de lrsquoUn du Parmeacutenide (agrave condi-tion de ne pas leur precircter une interpreacutetation neacuteoplatonicienne) Parsuite une poleacutemique avec lrsquoAncienne Acadeacutemie est eacutegalement envisa-geable Non seulement dans sa deacutefense de la theacuteorie des formes125Numeacutenius pourrait tenter de reacutepliquer agrave la suppression de celles-ciopeacutereacutee par Speusippe mais aussi srsquoopposer agrave la conception du premierprincipe precircteacutee agrave lrsquoAncien Acadeacutemicien Que lrsquoon croie Aristote selonlequel lrsquoUn de Speusippe ne serait laquo pas mecircme un ecirctre raquo126 ou plutocirct

142 Fabienne JOURDAN

123 Voir la note 75124 Voir aussi Meacutet N 4 1091 b 13-15 EE A 8 1218 a 15-32 ougrave le Bien est

associeacute agrave lrsquoUn125 Selon lui la connaissance drsquoun objet quelconque consistait dans celle

de ses relations agrave tous les autres (fr 73 Taraacuten = 2 I P2 = Proclus In Euclp 179 12-22 Friedlein) et crsquoest aux nombres qursquoil aurait alors accordeacute le statutde principe (voir le reacutesumeacute de A Meacutetry Speusippos Zahl Erkenntnis SeinBernStuttgartWien Paul Haupt 2002 p 11-13 et celui de HD Kraumlmerlaquo Die Aumlltere Akademie raquo dans H Flashar (eacuted) Grundriss der Geschichte derPhilosophie Band 3 Aumlltere Akademie Aristoteles Peripatos Basel SchwabeVerlag 20042 [1983] p 16-17)

126 μηδὲ ὄν τι εἶναι τὸ ἕν αὐτό Meacutet N 5 1092 a 16 (fr 43 Taraacuten = 25 IP2 = Aristote Meacutet N 5 1092 a 11-17)

Jamblique selon qui il ne serait laquo pas encore ecirctre raquo127 une distinctionentre lrsquoUn conccedilu comme premier principe et lrsquoecirctre semble agrave lrsquoœuvrechez lui128 si bien que certains ont mecircme penseacute que Platon lui reacutepon-dait dans le Parmeacutenide129 Il nrsquoest pas utile drsquoentrer dans ce deacutebat laposition de Speusippe peut relever drsquoune reacuteflexion sur le Bien deReacutepublique VI et drsquoune appropriation de lrsquoenseignement oral de Platonagrave nous transmis par le compte-rendu aristoteacutelicien qui laisse Platonassocier eacutetroitement le Bien et lrsquoUn Disons simplement que srsquoil a euconnaissance de la position de Speusippe Numeacutenius peut avoir voulului reacutepondre Nrsquooublions pas qursquoagrave lui comme agrave ses pairs dans lrsquoAn-cienne Acadeacutemie il reproche de ne pas avoir pas laquo tout souffert raquo pour

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 143

127 ὅπερ δὴ ουδὲ ὄν πω δεῖ καλεῖν DCMS IV p 157-8 FestaKlein128 La reconstruction de lrsquoenseignement exact de Speusippe sur le premier

principe est neacutecessairement fragile drsquoune part elle est fondeacutee sur lrsquointerpreacuteta-tion du texte drsquoAristote qui est empreint de critique drsquoautre part elle esteacutetayeacutee par deux autres textes dont le lien agrave Speusippe est controverseacute et dontles auteurs agrave la fois sont familiers du neacuteo-pythagorisme et ont lu Plotin chezqui lrsquoUn est effectivement au-dessus de lrsquoecirctre (il srsquoagit de Jamblique et de Pro-clus dans la traduction de Guillaume de Moerbeke In Parm VII 401-9 Kli-bansky-Labowsky = 50162-71 Steel = fr 48 Taraacuten = 30 IP2) Nous ne propo-sons ici qursquoune hypothegravese de reacuteflexion Pour un exposeacute plus deacutetailleacute sur la rela-tion eacuteventuelle de Numeacutenius agrave Speusippe dans lrsquoeacutelaboration drsquoune leacutegitimiteacuteplatonicienne voir la premiegravere annexe de notre eacutedition commenteacutee des frag-ments de Numeacutenius en preacuteparation

129 Crsquoest la lecture de A Graeser (laquo Platon gegen Speusipp Bemerkun-gen zur ersten Hypothese des Platonischen Parmenides raquo Museum Helveti-cum 54 1997 p 45-47 et laquo Anhang Probleme der Speusipp-Interpreta-tion raquo dans Prolegomena zu einer Interpretation des zweiten Teils des Plato-nischen Parmenides Bern Paul Haupt 1999 p 41-53) et J Halfwassen(Der Aufstieg zum Einen op cit et laquo Speusipp und die metaphysische Deu-tung von Platons Parmenides raquo art cit) adopteacutee par ex par R Dancy(laquo Speusippus raquo dans EN Zalta (eacuted) The Stanford Encyclopedia of Philo-sophy Winter 2012 Edition 20112 [2003] en ligne) et rejeteacutee par C Steel(laquo A Neoplatonic Speusippus raquo art cit p 470 473-475) et LP Gerson(laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit p 2-11de la version eacutelectronique)

rester dans une communauteacute de penseacutee avec leur maicirctre130 Commenous lrsquoavons suggeacutereacute dans les preacuteliminaires il ne serait alors pasimpossible qursquoavec cette eacuteventuelle lecture du Parmeacutenide Numeacuteniuseucirct souhaiteacute reacutepliquer agrave lrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne signaleacutee delrsquoenseignement oral de Platon trouvant quant agrave lui dans le Platon eacutecritla juste interpreacutetation du Platon oral mal laquo entendu raquo Pareille supposi-tion doit toutefois ecirctre prise avec prudence

Par-delagrave la mise en eacutevidence drsquoune poleacutemique agrave plusieurs niveauxlrsquohypothegravese proposeacutee sur lrsquoattitude de Numeacutenius concernant ladeuxiegraveme partie du Parmeacutenide permet de mieux deacuteterminer a contra-rio ce qui caracteacuterise une interpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo 131 du dia-logue De maniegravere geacuteneacuterale drsquoabord la position de Numeacutenius montrepar contraste que lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne trouve son originedans une vue contraire agrave la sienne sur le statut de la forme du Bien et sasituation agrave lrsquoeacutegard de lrsquoοὐσία en Reacutepublique VI ainsi peut-ecirctre que

144 Fabienne JOURDAN

130 Fr 2416-18 1 F = Eusegravebe PE XIV 5 2131 Nous en restons aux caractegraveres geacuteneacuteraux il nrsquoy a en effet pas une seule

et unique interpreacutetation post-plotinienne du Parmeacutenide On remarquera enoutre que Jamblique (drsquoapregraves Proclus In Tim III 1049-16 Diehl) semble eacutevo-quer chez Ameacutelius et Numeacutenius (si lrsquoon suit le raisonnement de Proclus) desdistinctions relatives aux diviniteacutes dans le Sophiste le Philegravebe et le Parmeacutenidequi ne correspondent pas agrave celles retenues dans le neacuteoplatonisme Si ce proposne se rapporte pas seulement agrave Ameacutelius mais vraiment aussi agrave Numeacutenius ilfaudrait en tirer lagrave encore la conclusion que son interpreacutetation ne correspondpas agrave celle du neacuteoplatonisme qui identifie son premier principe agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et donc pas non plus agrave celle des neacuteopytha-goriciens que lrsquoon reconstruit agrave partir des teacutemoignages neacuteoplatoniciens Celadit mecircme srsquoil est tentant de penser que le οὗτοι (10411) de Proclus renvoieaux deux exeacutegegravetes qursquoil vient de citer il se peut malgreacute tout que ne soit deacutesigneacutelagrave que le seul Ameacutelius disciple de Plotin et donc assureacutement familier de lrsquoexeacute-gegravese du Parmeacutenide Il nrsquoy a en revanche aucune difficulteacute agrave precircter agrave Numeacuteniusdes exeacutegegraveses partielles du Sophiste et du Philegravebe (voir nos interpreacutetations desfragments 15 23 F) et 19 27 F) Il nrsquoy en a drsquoailleurs pas davantage agrave imagi-ner chez lui une utilisation partielle du Parmeacutenide ou des allusions agrave ce dia-logue voire une prise agrave la lettre du propos de Parmeacutenide sur lrsquoUn de la pre-miegravere hypothegravese conduisant agrave renoncer agrave celui-ci comme premier principe

dans une appropriation du compte-rendu de lrsquoenseignement oral dePlaton par Aristote En affirmant lrsquoidentiteacute ontologique du Bien et delrsquoEcirctre Numeacutenius srsquointerdit lrsquoidentification de son premier principe agravelrsquoUn distinct de lrsquoecirctre de la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide En refu-sant au contraire pareille identiteacute en srsquoappuyant peut-ecirctre sur lrsquoidenti-fication du Bien et de lrsquoUn precircteacutee agrave Platon et aux platoniciens par Aris-tote et en appliquant ces deux eacuteleacutements agrave une lecture du Parmeacutenide132Plotin ouvre la voie de lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologiqueulteacuterieure du dialogue Malgreacute son caractegravere hypotheacutetique la supposi-tion selon laquelle Numeacutenius prendrait effectivement acte des conseacute-quences aporeacutetiques de la premiegravere hypothegravese en nrsquoidentifiant pas sonpremier principe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit permet ici encore a contrariode deacuteterminer deux autres eacuteleacutements indissociables caracteacuteristiques delrsquointerpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo du Parmeacutenide lrsquoidentification dupremier principe agrave lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese et par suite une lec-ture laquo positive raquo de celle-ci qui en reacutealiteacute contredit les conclusionsneacutegatives de Platon agrave son sujet Une theacuteologie neacutegative en est alorscertes tireacutee (que lrsquoon songe au Commentaire anonyme au Parmeacutenideou agrave celui de Proclus133) Mais cette neacutegativiteacute est conccedilue commereacutesultant de lrsquoincapaciteacute fondamentale de lrsquohomme agrave concevoir le pre-mier principe autrement que par analogies et approximations neacutecessai-rement erroneacutees Elle ne concerne pas le principe en lui-mecircme ni laconviction qursquoil constitue le fondement ultime assurant la coheacutesion dela reacutealiteacute Numeacutenius aura quant agrave lui preacutefeacutereacute rester fidegravele agrave la lettre dutexte et donc aux doutes du maicirctre qui laisse parler Parmeacutenide Agrave ce

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 145

132 Les deux premiers eacuteleacutements agrave eux seuls conduisent seulement agrave laposition de Speusippe dont rien ne permet drsquoaffirmer le rattachement au Par-meacutenide Nous compleacutetons en cela les hypothegraveses de J Whittaker laquo ΕΠΕ-ΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit Voir aussi LP Gerson laquo The lsquoNeo-platonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit

133 In Parm VII 51872-84 Plutocirct que de radicaliser la neacutegation pour par-ler de lrsquoUn Proclus indique que la neacutegation porte en reacutealiteacute sur la conceptionde lrsquoUn et pas sur lrsquoUn lui-mecircme qui garde la fonction laquo positive raquo drsquoassurer lacoheacutesion du reacuteel

stade de nos connaissances et drsquoapregraves lrsquoœuvre parvenue precircter agraveNumeacutenius cette reacuteaction aux conclusions de la premiegravere hypothegravesenous paraicirct la seule maniegravere prudente drsquoenvisager de sa part une inter-preacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide Renoncer agrave lui en precircterune ne poserait toutefois aucune difficulteacute

5 Appendice Numeacutenius et Parmeacutenide134

Cette conclusion sobre sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenidesuggegravere drsquointerroger pour finir son attitude agrave lrsquoeacutegard du Parmeacutenide his-torique lui-mecircme auquel Plotin fait parfois appel Que Numeacutenius aitconnu et utiliseacute (directement ou non) le poegraveme Sur la nature est aveacutereacutepar le teacutemoignage de Porphyre selon lequel il aurait associeacute les porteseacutevoqueacutees lagrave135 agrave celles du Cancer et du Capricorne repreacutesentant selonlui les voies respectivement descendante et ascendante des acircmes136Or dans le Περὶ τἀγαθοῦ qui seul nous inteacuteresse ici deux eacuteleacutementsdoctrinaux pourraient relever drsquoune appropriation personnelle de Par-meacutenide ou plutocirct de la tradition agrave son sujet telle qursquoelle serait parvenueagrave Numeacutenius ndash Platon ayant assureacutement aiguiseacute chez ses successeurslrsquointeacuterecirct pour la penseacutee du personnage eacuteponyme de son dialogue Sansentrer dans une recherche des sources ni dans un exposeacute deacutetailleacute de lapenseacutee de Parmeacutenide et des interpreacutetations de son poegraveme nous nouscontenterons ici drsquoeacutevoquer ces deux points dans le simple but drsquoouvrirla recherche

Le premier concerne la relation de lrsquoecirctre au temps et au change-ment telle qursquoelle est deacutecrite dans le fragment 5 (14 F) deacutejagrave citeacute en par-tie Lrsquoaffirmation que lrsquoecirctre ne saurait ecirctre dans le passeacute ou lrsquoavenir

146 Fabienne JOURDAN

134 Je remercie Francesco Fronterotta drsquoavoir relu cette derniegravere section135 Parmeacutenide fr 1 11 D-K ougrave sont deacutecrites les laquo portes ouvrant sur les

chemins de la nuit et du jour raquo136 Voir Porphyre De antro 21-24 ici surtout 24 Numeacutenius fr 31 27-28

Sur ce texte voir le commentaire de W Huumlbner dans lrsquointroduction de lrsquoeacuteditioncommenteacutee du De Antro parue sous la direction de T Dorandi Paris Vrin2019

mais que seul le preacutesent lui convient et qursquoil ne pourrait pas davantagechanger renvoie assureacutement au propos du Timeacutee (37 d 2-38 b 2)137Que Platon deacuteveloppe ici une reacuteflexion originellement preacutesente chezParmeacutenide et plus preacuteciseacutement pour nous dans le fragment 8 de sonpoegraveme138 pourrait suffire agrave expliquer cet eacutecho parmeacutenidien chezNumeacutenius Mais il est frappant que dans ce fragment 5 (14 F) duΠερὶ τἀγαθοῦ relayeacute par les suivants Numeacutenius reprenne une seacuteriedrsquoeacuteleacutements qui deacutecrivent lrsquoecirctre dans le passage concerneacute du poegraveme outre ceux deacutejagrave nommeacutes on retrouve chez lui lrsquoimpossibiliteacute qursquoalrsquoecirctre de devenir plus grand ou plus petit139 et la neacutecessiteacute qui estsienne de demeurer en lui-mecircme au mecircme endroit140 Ainsi lorsqueNumeacutenius estime que si ces laquo prescriptions raquo indispensables agrave ladeacutetermination de lrsquoecirctre veacuteritable nrsquoeacutetaient pas respecteacutees il se produi-rait une laquo impossibiliteacute majeure dans son discours unique en songenre agrave savoir que lrsquoecirctre agrave la fois serait et ne serait pas raquo141 et faitensuite paraphraser lrsquoideacutee par le disciple du dialogue avec la formule

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 147

137 Voir aussi Plutarque De E 20 393 a-c dont la position est compareacuteeavec celle de Numeacutenius dans notre analyse du fragment

138 Voir les vers suivants du fragment 8 D-K agrave lrsquoorigine de toute lareacuteflexion sur lrsquoeacuteterniteacute (cf M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art citp 157) οὐδέ ποτ᾽ ἦν ἔσται ἐπεὶ νῦν ἐστιν ὁμοῦ πᾶν ἕν συνεχές τίναγὰρ γένναν διζήσεαι αὐτοῦ laquo Il nrsquoa jamais eacuteteacute et ne sera jamais puisqursquoilest maintenant tout ensemble un continu Car quelle naissance pourrais-tului chercher raquo v 5-7 (trad Kirk Raven Schofield en fr par H-A de Weck)et πῶς δ᾽ἄν ἔπειτα πέλοι τὸ ἐόν πῶς δ᾽ἄν κε γένοιτο εἰ γὰρ ἔγεντ᾽ οὐκἔστ᾽ οὐδ᾽ εἴ ποτε μέλλει ἔσεσθαι τῶς γένεσις μὲν ἀπέσβεσται καὶἄπυστος ὄλεθρος laquo Comment pourrait-il ecirctre par la suite Celui qui est Comment pourrait-il naicirctre Car srsquoil est neacute il nrsquoest pas de mecircme lt il nrsquoest pasnon plus gt srsquoil doit ecirctre un jour Ainsi est eacuteteinte la naissance eacuteteinte aussi ladestruction disparue sans qursquoon en parle raquo v 19-21 (trad D OrsquoBrien leacutegegravere-ment modifieacutee) Voir aussi les vers 26-28 du mecircme fragment 8 D-K sur lrsquoab-sence de mouvement ainsi que de deacutebut et de fin

139 Parmeacutenide fr 844-45 D-K140 Parmeacutenide fr 829-30 D-K cf Numeacutenius fr 11 (19 F)141 ὡς τούτου γε οὕτως λεγομένου ἓν γίνεταί τι ἐν τῷ λόγῳ μέγα

ἀδύνατον εἶναί τε ὁμοῦ ταὐτὸν καὶ μὴ εἶναι

relativement complexe εἰ δὲ οὕτως ἔχει σχολῇ γrsquo ἂν ἄλλο τι εἶναιδύναιτο τοῦ ὄντος αὐτοῦ μὴ ὄντος κατὰ αὐτὸ τὸ ὄν il nrsquoest pasexclu qursquoil ait ici le poegraveme parmeacutenidien agrave lrsquoesprit auquel il seraitrevenu directement ou non sous lrsquoimpulsion de Platon La phraseindique en effet (nous paraphrasons) que si pareille impossibiliteacute seproduisait il serait mecircme impossible agrave autre chose (que lrsquoecirctre) drsquoecirctrepuisque lrsquoecirctre lui-mecircme ne serait pas selon ce qursquoil devrait ecirctre (κατὰαὐτὸ τὸ ὄν) autrement dit selon sa propre essence et deacutefinitionNumeacutenius suggegravere sans doute par lagrave que si lrsquoecirctre eacutetait soumis au pas-sage du temps et au changement il serait tout simplement non-ecirctrepuisqursquoil ne correspondrait pas agrave sa propre deacutefinition ce qui explique-rait son impossibiliteacute de constituer le fondement de la reacutealiteacute Une foisreplaceacute dans le contexte de penseacutee de Numeacutenius ougrave ce qui est non-ecirctreest la matiegravere et la partie du sensible qui relegraveve drsquoelle lrsquoideacutee semblefort proche de la maniegravere dont Parmeacutenide dresse lrsquoantithegravese entre ecirctreet non-ecirctre dans ce mecircme fragment 8 de son poegraveme142 Cette impres-sion peut ecirctre eacutetayeacutee par celle drsquoune prise de distance agrave lrsquoeacutegard de cepassage du poegraveme lorsque Numeacutenius affirme que lrsquoecirctre nrsquoest pasmecircme mucirc autour de son centre143 si cette preacutecision fait sans doutedrsquoabord allusion agrave lrsquoacircme du monde qui se meut autour de celui-ci dansle Timeacutee et par suite au refus drsquoidentifier lrsquoecirctre veacuteritable agrave une acircme144elle porte peut-ecirctre eacutegalement la trace drsquoune reacuteaction agrave lrsquoidentificationparmeacutenidienne de lrsquoecirctre agrave une sphegravere145 Lrsquohypothegravese est cependantplus fragile et Numeacutenius heacuterite sans doute avant tout de Platon enverslequel il se situe Crsquoest agrave partir du Timeacutee qursquoil eacutelabore sa penseacutee Maisil ne semble pas exclu qursquoil soit parfois retourneacute (directement ou non)agrave lrsquooriginal auquel reacutefegravere implicitement Platon ce qui est drsquoautant plus

148 Fabienne JOURDAN

142 Sur le non-ecirctre chez Parmeacutenide voir par ex D OrsquoBrien Le Non-Ecirctredans la philosophie grecque Parmeacutenide Platon Plotin raquo dans P Aubenque(eacuted) Eacutetudes sur le Sophiste de Platon Napoli Bibliopolis 1991 p 4-9

143 οὔτε περὶ τὸ μέσον ποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται144 Il srsquoagit lagrave selon nous drsquoun argument essentiel agrave la non-identification

numeacutenienne du deacutemiurge agrave lrsquoacircme du monde145 Fr 8 42-44 D-K

vraisemblable que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacute comme un pythago-ricien146

Le second eacuteleacutement du Περὶ τἀγαθοῦ qui pourrait suggeacuterer lrsquoap-propriation drsquoun passage de Parmeacutenide147 est lrsquoidentification de lrsquoecirctreet de lrsquointellect agrave chacun des deux niveaux ougrave Numeacutenius les situe Ecirctre lui-mecircme (αὐτοόν) et ecirctre deacuteriveacute (ὄν) premier et second intel-lects correspondant au premier et au deuxiegraveme dieu Sans entrer dansle deacutetail de lrsquointerpreacutetation disons simplement que selon nous en fai-sant de lrsquolaquo acte raquo de penser148 lrsquoapanage du premier dieu et en identi-fiant ce mecircme dieu agrave lrsquoEcirctre149 Numeacutenius suggegravere une union intime etprofonde entre ecirctre et penser qursquoil aurait pu consideacuterer comme remon-tant agrave Parmeacutenide lui-mecircme ou qursquoil aurait pu eacutetayer par une appropria-tion du fragment 3 de son poegraveme tel qursquoil est transmis par CleacutementdrsquoAlexandrie et Plotin150 [] τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶεἶναι [] Certes dans ce fragment de vers lrsquoidentification entre ecirctreet penser est suggeacutereacutee par lrsquoextraction du texte hors de son contexte envue justement drsquoy trouver pareille identification Elle ne correspond

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 149

146 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres IX 21(A 1 D-K) Proclus In Parm I 6194 Cousin cf Jamblique VP 166 (A 4D-K)

147 Pour reprendre les termes du fragment 1 (10 F) on pourrait aussi parlerde lrsquolaquo invocation raquo de Parmeacutenide comme source pythagorisante en accord avecPlaton et confirmant la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ elle-mecircme eacutetayeacutee par leslaquo teacutemoignages raquo de celui-ci Numeacutenius semble en effet pouvoir citer Parmeacute-nide pour confirmer son propos agrave la fois parce qursquoil ne pouvait que paraicirctre enaccord avec Platon (cf fr 1 10 F) et parce que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacutecomme pythagoricien

148 Degraves le fragment 15 (23 F) de maniegravere implicite dans le fragment 16 (24F) et explicite au fragment 19 (27 F)

149 Fr 17 (25 F)150 Cleacutement Strom VI 2 233 Plotin Enn VI 1 [10] 817 V 9 [5] 29-

30 cf I 4 [46] 106 III 8 [30] 88 VI 7 [38] 4118 (voir D OrsquoBrien Eacutetudessur Parmeacutenide T I Le Poegraveme de Parmeacutenide Paris Vrin 1987 p 19) ndash Onpourrait drsquoailleurs aussi penser aux vers 34-36 du fragment 8 eacutevoqueacute dans leparagraphe preacuteceacutedent

sans doute pas au sens originel du passage151 De plus chez Numeacuteniusle type de penseacutee speacutecifique agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme nrsquoest pas le νοεῖν maisle φρονεῖν Mais drsquoune part νοεῖν nrsquoayant pas chez Parmeacutenide lesens preacutecis que lui donne ensuite la tradition platonicienne une margerelative drsquointerpreacutetation et de preacutecision eacutetait laisseacutee agrave lrsquointerpregraveteappartenant agrave cette tradition152 drsquoautre part on peut tregraves bien imaginerNumeacutenius extraire ce passage dont la juxtaposition des termes luiaurait paru opportune pour eacutetayer son propos et preacuteciser le sens de laformule ainsi obtenue en distinguant deux niveaux de lrsquoecirctre auxquelscorrespondent deux types distincts de penseacutee (le νοεῖν entendu ausens platonicien drsquointellection revenant au seul second dieu)153Lorsque Cleacutement et apregraves lui Plotin reprennent cette formule il neserait pas impossible qursquoils lrsquoempruntent ainsi extraite agrave Numeacutenius

150 Fabienne JOURDAN

151 Denis OrsquoBrien (ibid p 19 209-212) a montreacute qursquoen reacutealiteacute dans lepoegraveme les deux infinitifs ne doivent vraisemblablement pas ecirctre pris commesujet drsquoun ἐστίν agrave valeur copulative mais peut-ecirctre comme compleacutement dupronom (τὸ αὐτό) ou de lrsquouniteacute syntaxique constitueacutee par le pronom et leverbe (au sens de laquo crsquoest une seule et mecircme chose pour penser et pour ecirctre raquodrsquoougrave la traduction par laquo crsquoest une seule et mecircme chose que lrsquoon pense et quiest raquo) F Fronterotta reprend son analyse et conclut que pour Parmeacutenideνοεῖν deacutesigne une forme de perception immeacutediate non sans lien avec lrsquoactiviteacutesensorielle mais allant au-delagrave des sens et de leur uniteacute creacuteative (laquo Someremarks on noein in Parmenides raquo dans S Stern-Gillet K Korrigan (eacuted)Reading ancient texts Vol I Presocratics and Plato Leiden Brill 2007p 3-19) Il ne srsquoagit donc pas (encore) de la perception intuitive que deacutesignerace verbe ulteacuterieurement

152 Voir la note preacuteceacutedente153 Nous pourrions preacuteciser ainsi lrsquointention de Numeacutenius srsquoil songe effec-

tivement agrave cette formule Selon nous il partage la conviction platonicienne quiveut que pour ecirctre pensable il faut ecirctre reacuteellement (et donc ecirctre intelligible crsquoest la leccedilon du Timeacutee) Srsquoil confrontait cette conviction au vers de Parmeacute-nide il lui donnerait donc drsquoabord lrsquointerpreacutetation laquo objective raquo deacuteceleacutee parFr Fronterotta (laquo Some remarks on noein in Parmenides raquo art cit) Toutefoisdans sa deacutefinition de lrsquoecirctre bientocirct identifieacute au Bien il retourne de toute eacutevi-dence cette conception et considegravere que nrsquoest veacuteritablement que ce qui est pen-sable (et donc lagrave encore intelligible par ex fr 4 a 13 F sur la matiegravere qui

Plotin lrsquoutilise certes pour caracteacuteriser le seul et unique Intellect chezlui situeacute au seul second niveau de la reacutealiteacute Mais cela correspondrait agravesa tendance geacuteneacuterale agrave faire passer au second niveau ce qui correspondau premier chez Numeacutenius154

De Numeacutenius il heacuterite donc peut ecirctre drsquoune lecture de Parmeacutenideplutocirct que du Parmeacutenide

Fabienne JOURDANCNRS UMR 8167 laquo Orient et Meacutediterraneacutee raquo Paris-Sorbonne

jourdanfabiennewanadoofr

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 151

nrsquoest pas ecirctre et ougrave une preuve de cet eacutetat est son caractegravere inconnaissable)Appliqueacutee agrave la formule de Parmeacutenide cette conviction en produirait ce queFr Fronterotta appelle une lecture laquo subjective raquo En outre dans le deacutesir sansdoute drsquoexpliquer la participation de maniegravere concregravete il ne donne pas seule-ment lrsquointelligibiliteacute comme condition de lrsquoecirctre (au sens passif du terme) maisil considegravere le fait de penser comme condition du fait drsquoecirctre reacuteellement (ausens laquo actif raquo du terme) Crsquoest pourquoi srsquoil avait connu et utiliseacute la formule deParmeacutenide ne serait-ce que pour eacutetayer son propos il y aurait sans douteentendu lrsquoaffirmation de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre et de la penseacutee mieux du penserCela pourrait certes paraicirctre lui attribuer une forme drsquoideacutealisme heacutegeacutelien(selon les termes de Fr Fronterrota laquo Some remarks on noein in Parmenides raquoart cit p 6) Mais telle est aussi la lecture de Cleacutement drsquoAlexandrie (StromVI 2 233) Or mecircme srsquoil ne le cite explicitement qursquoune fois (Strom I 22150 1-4 = 29 Fd) Cleacutement connaicirct Numeacutenius et se sert parfois de ses eacutecritssans le nommer (voir par ex Strom I 8 405 Strom I 13 571) Il nrsquoest doncpas impossible que pareille interpreacutetation circulacirct deacutejagrave au temps de Numeacuteniusvoire chez lui et mecircme gracircce agrave lui Le raisonnement du Περὶ τἀγαθοῦ dumoins passe par lrsquoidentification de lrsquoecirctre agrave lrsquo laquo activiteacute raquo de penser ensuiteconccedilue aux niveaux infeacuterieurs comme condition mecircme de leur participation agravelrsquoecirctre (voir le fr 19 27 F)

154 Nous simplifions et deacutecrivons simplement une tendance le processuspreacutecis requerrait une explication deacutetailleacutee qui nrsquoa pas sa place ici

152 Fabienne JOURDAN

Page 11: NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE · 2020. 4. 16. · NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE?* PREMIÈREPARTIE: L’ŒUVREPARVENUEDENUMÉNIUSETLEPARMÉNIDE DEPLATON RÉSUMÉ Si

origine post-plotinienne30 lrsquohypothegravese de G Bechtle pourrait semblerpeu utile grand lecteur de Numeacutenius31 Porphyre si nous revenons pro-visoirement agrave lui pouvait srsquoinspirer de son preacutedecesseur et de ses doc-trines sans que celui-ci ait lui-mecircme composeacute un commentaire au Par-meacutenide Comme nous le montrerons les parallegraveles entre le Commentaireanonyme et lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius en tout cas nrsquoimpliquentpas de reacutefeacuterence directe au dialogue de Platon de la part de ce dernierLrsquoexamen de lrsquohypothegravese pourrait donc srsquoachever sur ce constat si unedeacutecouverte de Michel Tardieu (1996) nrsquoinvitait pas malgreacute tout agrave lrsquoex-plorer davantage En deacutecryptant lrsquoApocalypse de Zostrien M Tardieu ya deacutecouvert un passage semblable agrave un autre du Contre Arius de MariusVictorinus32 laquo synopse raquo supposant selon lui une source commune auxdeux auteurs Or ce texte et donc cette laquo source raquo semble drsquoune partrelever drsquoun commentaire des deux premiegraveres hypothegraveses du Parmeacute-nide et drsquoautre part comporter des parallegraveles avec le Commentaire ano-nyme ndash son identification directe agrave celui-ci paraissant exclue a priorieacutetant donneacutee lrsquoidentification qursquoelle semble faire du premier Un agrave lrsquoEs-prit absente du Commentaire anonyme LrsquoApocalypse de Zostrien eacutetantlrsquoun des traiteacutes gnostiques critiqueacutes dans lrsquoeacutecole de Plotin33 la chronolo-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 111

nel primo neoplatonismo A proposito di Anon In Parm XI 5-19 e IamblRisposta a Porfirio [De Mysteriis] I 4 raquo Studia graeco-arabica 5 2015 p 1-11 M Chase laquo Porphyre Commentaires agrave Platon et Aristote raquo dans R Gou-let (eacuted) Dictionnaire des philosophes antiques Paris CNRS V b 2012p 1369-1371 avec la bibliographie en ce sens p 1362-1365

30 laquo Sulla datazione del Commento al Parmenide di Bobbio Unrsquoanalisilessicale raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide di Platone et lasua tradizione op cit p 307-322 (voir aussi lrsquointroduction de son eacutedition duCommentaire anonyme dans Corpus dei papiri filosofici greci e latini Testo elessico nei papiri di cultura greca e latina Parte III Commentari FirenzeOlschki 1995 p 78-91)

31 Voir Proclus In Tim I 7722-24 = Numeacutenius fr 3724-26 des Places32 Apocalypse de Zostrien (NHC VIII 1 6411-6612) Marius Victorinus

(Adversus Arium I 497-50)33 VP 16

gie imposerait alors de situer cette source avant Plotin Voici doncrevenue lrsquohypothegravese drsquoun commentaire meacutedio-platonicien au Parmeacute-nide les parallegraveles avec le Commentaire anonyme suggeacuterant alorscette fois plus assureacutement le nom de Numeacutenius comme sonauteur M Tardieu la formule prudemment34 P Hadot lrsquoeacuteloigne dis-cregravetement35 mais elle est vivement deacutefendue par G Bechtle et sespartisans qui faisant la synthegravese de ces deacutecouvertes en tirent alorsla conviction que Numeacutenius serait non seulement lrsquoauteur du Com-mentaire anonyme mais aussi la source de ce que M Tardieu nommelrsquo laquo exposeacute commun raquo36 et que nous nommerons aussi provisoirementde cette maniegravere37

Plus que lrsquoœuvre parvenue elle-mecircme crsquoest cette triple probleacutema-tique propre agrave lrsquohistoire de la philosophie et agrave sa recherche des sourcesqui impose lrsquoexamen de la relation de Numeacutenius au Parmeacutenide exa-men qursquoelle rend lui-mecircme triple en suggeacuterant de surcroicirct que chaqueeacutetape corrobore la preacuteceacutedente Notre enquecircte suivra ces trois eacutetapes elle tentera drsquoeacutevaluer si cet enchaicircnement argumentatif lieacute agrave lrsquoeacutetudeconjointe de ces trois seacuteries de textes nrsquoest pas forceacute tant il paraicirctessentiellement ducirc agrave la surenchegravere en preacutecision dans lrsquohypothegravese delrsquoexistence drsquoune interpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologique pythago-risante et preacute-plotinienne du Parmeacutenide

Dans la premiegravere partie de lrsquoeacutetude proposeacutee dans ce numeacutero noustenterons donc drsquoeacutevaluer la place de Numeacutenius au sein du laquo neacuteo-pytha-gorisme raquo censeacute avoir deacutejagrave produit une telle interpreacutetation Commenous serions plus que reacuteserveacutee sur la preacutesence de celle-ci chez Modeacute-

112 Fabienne JOURDAN

34 Dans M Tardieu et P Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApoca-lypse de Zostrien op cit p 112-113

35 Dans ibid p 11436 G Bechtle The Anonymous Commentary op cit p 248-249 n 683

laquo The Question of Being raquo art cit p 408-412 laquo A neglected Testimonium raquoart cit p 568 JD Turner semble le suivre dans les articles deacutejagrave signaleacutes K Corrigan eacutegalement en songeant plutocirct agrave Cronius

37 Le statut reacuteel de cet laquo exposeacute raquo sera examineacute dans la troisiegraveme partie decette eacutetude (Revue de philosophie ancienne 38-1)

ratus et ses preacutedeacutecesseurs38 nous ne ferons allusion agrave ce point qursquoenconclusion Nous nous concentrerons ici de la maniegravere la plus sobrepossible sur lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et examinerons srsquoil estpossible de lui precircter un commentaire ne serait-ce que partiel du Par-meacutenide

Dans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude qui sera publieacutee dans lenumeacutero suivant (37-2) nous analyserons les parallegraveles et les diver-gences entre lrsquoœuvre de Numeacutenius et le Commentaire anonyme au Par-meacutenide Il srsquoagira drsquoeacutevaluer la validiteacute de lrsquohypothegravese qui attribue cecommentaire agrave Numeacutenius mais aussi de reconsideacuterer leur relationmutuelle laquelle est riche drsquoenseignements pour la reacuteflexion surlrsquoeacutelaboration du neacuteoplatonisme

Dans la troisiegraveme partie de lrsquoeacutetude qui sera publieacutee dans le numeacutero38-1 nous examinerons lrsquo laquo exposeacute commun raquo au Zostrien et agrave MariusVictorinus sa relation au Commentaire anonyme et au Parmeacutenide lui-mecircme et les parallegraveles qursquoon y voit parfois avec lrsquoœuvre parvenue deNumeacutenius pour envisager quelle place celle-ci pourrait avoir dans lareconstitution de ses sources

Chaque partie peut ecirctre lue indeacutependamment selon les centresdrsquointeacuterecircts de chacun Lrsquoensemble visera agrave eacutevaluer srsquoil est vraimentneacutecessaire de bouleverser la conception la plus courante de lrsquohistoire

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 113

38 Sans rejeter absolument un recours au Parmeacutenide anteacuterieur agrave Plotinnous estimons non justifieacute de precircter agrave Modeacuteratus une interpreacutetation theacuteolo-gique et meacutetaphysique du Parmeacutenide sur la foi du teacutemoignage de Simplicius(In Phys 23034-2319) Nous suivons sur ce point les reacuteserves de A-J Festu-giegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 22 n 3 JM Ristlaquo The Neoplatonic One and Platorsquos Parmenides raquo Transactions and Procee-dings of the American Philological Association 93 1962 p 389-401 C Steel laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 19-20qui rappelle agrave juste titre le rocircle de Porphyre comme source de Simplicius JN Hubler laquo Moderatus ER Dodds and the Development of NeoplatonistEmanation raquo dans JD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and itsHeritage op cit vol I p 115-130 ainsi que les reacuteserves de Philippe Hoff-mann lors du seminaire de la Society of Biblical Literature en 2003 (laquo Rethin-king Platorsquos Parmenides and its Platonic Gnostic and Patristic Reception raquo)

du platonisme en donnant Numeacutenius comme preacutecurseur de Plotin danslrsquointerpreacutetation meacutetaphysique du Parmeacutenide Si tel nrsquoest pas le cas elleconfirmera a contrario les critegraveres drsquoune interpreacutetation reacuteellement neacuteo-platonicienne de la seconde partie du dialogue Disons en outre drsquoem-bleacutee qursquoeacutetant donneacute que nous ne pouvons raisonner qursquoagrave partir de cequi nous est parvenu aucune conclusion assertive nrsquoest en soi possiblesur lrsquoexistence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par NumeacuteniusCette eacutetude aura toutefois trois reacutesultats positifs envisager un rapportvolontairement distant de Numeacutenius au Parmeacutenide fondeacute sur le textede Platon lui-mecircme et dont aura tenu compte le neacuteoplatonisme deacutecou-vrir des parallegraveles entre le Commentaire anonyme et le Περὶ τἀγαθοῦplus nombreux qursquoil nrsquoest souvent signaleacute ndash ce qui offrira peut-ecirctre unindice permettant une position plus assureacutee dans le deacutebat sur lrsquoanteacuterio-riteacute de Numeacutenius ou des Oracles chaldaiumlques et enfin approfondirlrsquohypothegravese relative agrave lrsquoutilisation de Numeacutenius par les gnostiques etpar les neacuteoplatoniciens appropriation que lrsquoon peut suivre jusque dansles traductions et transpositions arabes de leurs œuvres

Preacuteliminaire Esquisse de la doctrine des principeschez Numeacutenius

Avant pareil exposeacute une bregraveve esquisse de la penseacutee meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius est neacutecessaire Nous nous en tiendronsaux grandes lignes transmises dans les fragments veacuteritables ceux citeacutespar Eusegravebe de Ceacutesareacutee et nous exposerons de maniegravere succincte lesreacutesultats de nos propres analyses sans livrer le deacutetail des deacutebats surlesquels elles ont eacuteteacute eacutelaboreacutees39 Les textes nous inteacuteressant se trou-vent dans le Περὶ τἀγαθοῦ dialogue ougrave Numeacutenius entreprend larecherche drsquoune deacutefinition du Bien qursquoil identifie au premier prin-cipe40 Il identifie ce premier principe drsquoune part agrave un premier dieu et

114 Fabienne JOURDAN

39 Voir la bibliographie et les commentaires de notre eacutedition en preacutepara-tion

40 Le titre qui est laquo originellement raquo celui de la leccedilon orale de Platon

intellect et drsquoautre part au Bien et Ecirctre lui-mecircme ou par excellence(selon les formules αὐτοάγαθον et αὐτοόν)41 que dans une perspec-tive exeacutegeacutetique il considegravere comme repreacutesenteacute par la forme du Bieneacutevoqueacutee dans la Reacutepublique42 De ce premier principe Numeacutenius dis-tingue un second dieu ou principe identifieacute cette fois au deacutemiurge duTimeacutee43 Ce dieu assure le rocircle deacutemiurgique dont le premier est ainsidispenseacute et il est conccedilu comme lrsquoimage de celui-ci il est le Bon parti-cipant au Bien le second intellect qui produit sa propre forme encontemplant le premier faccedilonnant ou deacuteterminant pour cela lrsquoecirctre oulrsquoessence (οὐσία) que le premier lui procure par le simple fait drsquoecirctre(soi et le Bien)44 Telle est du moins la maniegravere dont nous lisonsconjointement les fragments 11 et 16 (19 et 25 F)45 Autrement dit tan-dis que le premier dieu est le principe de lrsquoecirctre le second est le prin-cipe du devenir46 Numeacutenius donne plus preacuteciseacutement deux laquo aspects raquo

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 115

indique agrave lui seul que le texte srsquoadonne agrave une recherche et deacutefinition des prin-cipes Aristote et Xeacutenocrate le donnent ensuite chacun agrave lrsquoune de leurs œuvresSur lrsquoimportance de ce titre voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius Sur leBien de Platon Lrsquoenseignement oral du maicirctre comme occasion de rechercherson pythagorisme dans ses eacutecrits raquo Χώρα 15-16 2017-2018 p 139-165

41 Voir par ex fr 16 et 17 (24 et 25 F) ndash Tout au long de cette eacutetude lesfragments sont citeacutes selon la numeacuterotation de lrsquoeacutedition drsquoEacutedouard des Places(Numeacutenius Fragments Paris Les Belles Lettres 1973) nous indiquons entreparenthegraveses les numeacuteros qui correspondent dans notre eacutedition en preacuteparation

42 Voir surtout les fr 19 et 20 (27 et 28 F)43 Voir notamment les fr 11 12 et 18 (19 20 et 26 F) En reacutealiteacute le

deacutemiurge du Timeacutee partage ses attributs entre le premier dieu numeacutenien(auquel il laisse sa fonction de source divine des acircmes cf fr 13 21 F) et lesecond qui est aussi troisiegraveme et reacutealise les opeacuterations proprements deacutemiur-giques assumant par lagrave en partie le rocircle des dieux secondaires du Timeacutee

44 Fr 16 (24 F)45 Voir aussi lrsquoanalyse du fr 16 (24 F) par G Muumlller laquo Ἰδέα y οὐσία en

Numenio de Apamea Una reinterpretacioacuten de la ontologiacutea platoacutenica raquo Cua-dernos de Filosofiacutea 59 2012 p 121-140 Nous prenons position agrave son sujetdans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude Revue de philosophie ancienne 37-2

46 Ibid

agrave ce second dieu selon lrsquoorientation de son attention deux laquo aspects raquoqui conduisent agrave parler agrave son sujet de deux laquo dieux raquo qui toutefois nrsquoenconstituent reacutealiteacute qursquoun seul lorsqursquoil est tourneacute vers soi crsquoest-agrave-direvers lrsquointelligible qursquoil est lui-mecircme par contemplation du Bien lesecond dieu est entiegraverement agrave soi et donc reacuteellement soi second dieu lorsqursquoil est tourneacute vers la matiegravere qursquoil met en ordre il est deacutemiurgeau sens litteacuteral du terme et devient laquo troisiegraveme dieu raquo47 Cette divisionnrsquoimplique pas une reacuteelle scission et ne srsquoavegravere autre qursquoune diffeacuterencedrsquoorientation agrave lrsquoorigine drsquoune uniteacute diviseacutee image imparfaite delrsquouniteacute indivisible et parfaite qursquoest le premier dieu

Cette bregraveve preacutesentation doit suffire agrave comprendre le cadre de lapenseacutee numeacutenienne48 Signalons simplement encore trois points essen-tiels pour la confrontation avec le Parmeacutenide et ses interpreacutetations

1) Lrsquoeacuteleacutement fondamental du Περὶ τἀγαθοῦ est lrsquoidentificationdu Bien lui-mecircme (ἀυτοάγαθον) premier principe agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme (αὐτοόν)49 Elle srsquoaccompagne de lrsquoaffirmation qursquoil existeune laquo con-naturaliteacute raquo du Bien agrave lrsquoeacutegard de lrsquoessence50 (σύμφυτον τῇ

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47 Fr 11 (19 F)48 La preacutesentation ici donneacutee deacutepend de propre analyse des textes Pour

drsquoautres interpreacutetations voir aussi par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit J Opsomer laquo Demiurges in Early Imperial Platonism raquo dans R Hirsch-Luipold(eacuted) Gott und die Goumltter bei Plutarch BerlinNew York de Gruyter 2005p 63-72 M Baltes dans H Doumlrrie M Baltes Ch Pietsch Die PhilosophischeLehre des Platonismus Band 71 Theologia Platonica Stuttgart Bad Canns-tatt Frommann-Holzboog 2008 p 472-482 Les vues de CS OrsquoBrien TheDemiurge in Ancient thought Secondary Gods and Divine mediators Cam-bridge Cambridge University Press 2015 p 139-168 sont agrave consideacuterer avecla plus grande preacutecaution

49 Fr 17 (25 F) cf fr 2 (11 F)50 Nous traduirons ici οὐσία par laquo essence raquo consciente des faiblesses de

cette traduction qui dans le contexte platonicien examineacute nrsquoimplique naturel-lement pas de distinction par rapport agrave la notion drsquoexistence Dans ce contextelaquo essence raquo est agrave prendre au sens de reacutealiteacute intelligible (sur cette deacutefinition voirpar ex R Chiaradonna laquo Substance raquo dans P Remes S Slaveva-Griffin(eacuted) The Routledge Handbook of Neoplatonismi LondonNew York Rout-

οὐσίᾳ51) le Bien partage la mecircme nature que cette οὐσία (forme sub-stantive de lrsquoecirctre) qui provient ainsi de lui Numeacutenius exprime deacutejagrave cetteideacutee au fragment 2 (10 F) par lrsquoimage du Bien laquo monteacute sur lrsquoessence raquo(comme on dirait laquo sur un cheval raquo52) Par lrsquoutilisation de la preacutepositionet du preacuteverbe ἐπί- de preacutefeacuterence agrave ὑπό- (preacutesent dans la formule de Pla-ton) la formule ἐποχούμενον ἐπὶ τῇ οὐσίᾳ indique une laquo transcen-dance raquo53 avec contact qui donne sans deacutetour lrsquointerpreacutetation que Numeacute-nius fait de la formule eacutenigmatique de Reacutepublique VI 509 b 8-10 srsquoilest une laquo transcendance raquo du premier principe elle est drsquoordre cosmolo-gique et non laquo ontologique raquo au sens ougrave ce principe constitue la formeeacuteminente de lrsquoecirctre mais ne srsquoen distingue pas par son essence

2) Ce premier principe est certes immobile en tant qursquoecirctre54exempt de toute activiteacute sous-entendu deacutemiurgique55 mais Numeacuteniuseacutevoque un laquo mouvement qui accompagne naturellement son repos raquo(τῷ πρώτῳ στάσιν [] κίνησιν σύμφυτον56) Ce mouvementindique vraisemblablement que le premier principe pense57 et la for-mule preacutepare son identification agrave un intellect Concernant ce premierdieu toutefois le type de penseacutee qui le caracteacuterise est visiblementconccedilu comme nrsquoimpliquant pas drsquoactiviteacute proprement dite au sens du

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ledge 2014 p 216) La deacutetermination nrsquointervient ici qursquoavec le second dieu οὐσία est le terme qui sert agrave exprimer litteacuteralement lrsquoecirctre (ὄν) de maniegravere sub-stantive un ecirctre que le premier dieu Ecirctre par excellence fait advenir sans acteproducteur simplement en eacutetant ce qursquoil est et donc sans que cette οὐσία quivient de lui soit ontologiquement distincte de lui

51 Fr 16 (24 F)52 Lrsquoimage apparaicirct litteacuteralement dans les Oracles chaldaiumlques fr 1466

des Places53 On pourrait alors aiseacutement renoncer au mot laquo transcendance raquo et preacutefeacute-

rer la notion de primauteacute hieacuterarchique par exemple54 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)55 Fr 11-12 (19-20 F)56 Fr 15 (23 F)57 Le passage est agrave interpreacuteter en lien avec le Sophiste 248 e-249 a (voir

notre commentaire au passage dans lrsquoeacutedition en preacuteparation)

moins ougrave cette penseacutee est sans objet et nrsquoest pas mecircme penseacutee de soi aufragment 19 (27 F) Numeacutenius parle drsquoun φρονεῖν qui est lrsquoapanage dupremier dieu sous-entendu agrave la diffeacuterence notamment du νοεῖν saisieintuitive de lrsquointelligible caracteacuteristique du second dieu58 et plus encoredu διανοεῖσθαι activiteacute de penseacutee discursive agrave lrsquoorigine de la deacutemiur-gie Ce φρονεῖν peut selon nous ecirctre compris comme une penseacuteelaquo intransitive raquo (crsquoest-agrave-dire sans objet) pure dispensation du Bien parlrsquoecirctre du Bien59 En cela elle nrsquoimplique reacuteellement aucune activiteacute

Crsquoest alors en ce sens assureacutement que le premier dieu est ditlaquo entourer les intelligibles raquo ou plus exactement et litteacuteralement ecirctrelaquo autour des intelligibles raquo au fragment 15 (23 F περὶ τὰ νοητά) lrsquoexpression nrsquoimplique ni qursquoil les contienne ni qursquoil les produisecomme son objet de penseacutee ni mecircme qursquoil les pense60 Si elle visepeut-ecirctre agrave rendre compte drsquoune identification ultime du premier prin-

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58 Agrave la limite le premier dieu ne peut lrsquoexercer que par lrsquointermeacutediaire dusecond voir le teacutemoignage de Proclus In Tim III 10328-32 Diehl = fr 22(contre cette interpreacutetation traditionnelle voir G Muumlller laquo Queacute es ldquolo que esvivienterdquo (ὁ εστι ζῶον) seguacuten Numenio de Apamea raquo Cuadernos Filosofiacutea64 2015 p 11-12 dont lrsquohypothegravese bien que seacuteduisante ne tient pas agrave lrsquoexa-men de la syntaxe du passage lrsquoinfinitif νοεῖν ne peut avoir que τὸν πρῶτονcomme laquo sujet raquo et non un δεύτερoν implicitement tireacute du geacutenitif δευτέρου)

59 Nous reacutesumons Voir aussi lrsquoeacutetude de la φρόνησις chez Platon parM Dixsaut laquo De quoi les philosophes sont-ils amoureux Sur la phronegravesisdans les dialogues de Platon raquo repris dans M Dixsaut Platon et la question dela penseacutee Eacutetudes platoniciennes I Paris Vrin 2000 p 93-119 ndash Le lien eacutety-mologique originel entre φρονεῖν et φρήν (le diaphragme) suggegravere une autreimage ce φρονεῖν est comme une laquo respiration drsquoecirctre raquo qui est le Bien et drsquoougraveeacutemane le bien

60 Cette interpreacutetation qui tient entre autres compte de la simpliciteacute abso-lue du premier dieu (fr 11 = 19 F) nrsquoest pas contradictoire avec celle de Timeacutee39 e 7-9 par laquelle Numeacutenius aurait associeacute son premier dieu au Vivant (InTim III 103 28-32 Diehl = fr 22) Certes dans le Timeacutee le Vivant a en lui lesformes (ἐνούσας ἰδέας τῷ ὃ ἔστι ζῷον 39 e 8) Mais sans pouvoir deacutevelop-per ici notre analyse disons simplement que Numeacutenius a pu lire le texte autre-ment et inspirer la distinction drsquoAmeacutelius entre un laquo intellect qui est (leVivant) raquo et un laquo intellect qui a (les formes en lui) raquo notamment en deacutecompo-

cipe au Vivant du Timeacutee61 dans le contexte du Περὶ τἀγαθοῦ ellerenvoie selon nous agrave un pur eacutetat de lrsquoecirctre agrave vertu bienfaitrice ou salvi-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 119

sant ἐνούσας de maniegravere cratylienne pour y lire ἐν-νους-ας qui eacutevoquerait lesformes laquo qui sont dans le νοῦς raquo le second dieu et intellect que Numeacutenius voitdeacutesigneacute dans le νοῦς du texte platonicien Le datif τῷ ὃ ἔστι ζῷον nrsquoauraitplus alors deacutesigneacute chez lui le lieu ougrave se trouvent les formes mais le destina-taire de la contemplation celui laquo pour qui ou agrave lrsquointention de qui en faveur dequi raquo le νοῦς qui a les formes en lui les contemplerait (autrement dit exerceraitle νοεῖν) Lrsquoaffirmation que crsquoest gracircce au second dieu et intellect (ἐνπροσχρήσει τοῦ δευτέρου) que le premier exercerait un νοεῖν pourrait ainsiconstituer lrsquoexplicitation de cette lecture eacutetonnante du texte platonicien Ainsile premier dieu nrsquoexercerait jamais le νοεῖν il nrsquointelligerait que gracircce ausecond qui le ferait pour lui Cette preacutecision pourrait servir agrave reacutepondre agravelrsquoeacuteventuelle objection drsquoun aristoteacutelisant qui deacutenoncerait une identification dupremier dieu agrave un νοῦς srsquoaccompagnant drsquoun refus de precircter agrave celui-ci lrsquoacti-viteacute du νοεῖν Numeacutenius reacutepondrait ainsi il ne lrsquoexerce pas lui-mecircme maispar lrsquointermeacutediaire du second qui le fait pour lui tandis qursquoil srsquoadonne au seulφρονεῖν Voir aussi notre interpreacutetation des fr 16 et 18 (24 et 26 F) ndash Pourune autre interpreacutetation de ce passage voir par ex M Frede laquo Numenius raquoart cit p 1062-1063 1065-1066 et 1069-1070 JP Kenney laquo ProschresisRevisited An Essay in Numenian Theology raquo dans JR Daly (eacuted) Orige-niana quinta Historica Text and method Biblica Philosophica Theologia Origenism and later developments Leuven Peeters p 217-230 RD PettyThe Fragments of Numenius Santa Barbara 1993 p 135-137 (republieacute agraveWestbury Prometheus Trust 2012) M Baltes dans H Doumlrrie M BaltesCh Pietsch Die Philosophische Lehre des Platonismus Band 71 op citp 477-478 A Michalewski laquo Le Premier de Numeacutenius et lrsquoUn de Plotin raquoArchives de philosophie 75 2012 p 35-37 et La Puissance de lrsquointelligibleLa Theacuteorie plotinienne des Formes au miroir de lrsquoheacuteritage meacutedioplatonicienLeuven Leuven University Press p 94-96

61 Voir Platon Timeacutee 30 c 7-8 (avec le participe περιλαβόν) et 31 a 3 (τograveπεριέχον πάντα ὁπόσα νοητὰ ζῷα) avec deux participes preacutefixeacutes en περί- agravepropos du Vivant qui a tous les intelligibles en lui et auquel Numeacutenius peutvouloir renvoyer avec sa formule περὶ τὰ νοητά La reacutefeacuterence implicite aupassage de la Lettre II 312 e 1-4 savamment reacuteeacutecrit indique toutefois queNumeacutenius donne un tout autre sens agrave ce περί Voir aussi le teacutemoignage de Pro-clus citeacute dans les notes preacuteceacutedentes

fique selon lrsquoideacutee de salut suggeacutereacutee agrave la fin de ce mecircme fragment Endrsquoautres termes le premier dieu serait περὶ τὰ νοητά au sens ougrave ilentoure les intelligibles de sa bienveillance leur transmettant agrave la foislrsquoecirctre et le Bien qursquoil est avant que le deacutemiurge ne les y fasse participeragrave son tour par sa bonteacute agrave lrsquoorigine de leur ecirctre deacutetermineacute62 et nrsquoy fasseparticiper aussi les sensibles en les eacutelevant agrave son propre caractegravere mar-queacute par cette mecircme bonteacute63 Le premier dieu le Bien est le modegravele dusecond le Bon et non pas des formes srsquoil doit ecirctre identifieacute au Vivantcrsquoest en tant que source ultime de la vie64 modegravele de ce second dieuqui transmet alors la vie au monde sensible (fr 1220F) et non en tantque paradigme totalisant et contenant les formes des quatre typesdrsquoecirctre vivants nommeacutes en Timeacutee 39 e 10-41 a 2

En cela le premier de Numeacutenius loin drsquoecirctre une entiteacute sans rapportau monde en est non seulement le principe mais il est pour lui lasource reacuteelle du Bien reacuteel ndash autrement dit il joue le rocircle de la Provi-dence qui est alors concregravetement exerceacutee par le second principe leBon Tout en eacutetant conccedilu comme premier intellect il nrsquoest donc pas lepremier moteur immobile aristoteacutelicien qui se pense lui-mecircme65 etauquel fut justement reprocheacute son deacutefaut de Providence66

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62 Selon notre lecture de la formule ἰδέα ἑαυτοῦ du fragment 16 (24 F)comme renvoyant au monde intelligible comme ensemble de formes deacutetermi-neacutees

63 Voir le fr 11 (19 F) sur cette eacuteleacutevation du sensible vers le caractegravere dudeacutemiurge lequel est le laquo Bon raquo en reacutefeacuterence au Timeacutee Numeacutenius distingue leBien premier principe du Bon second principe en utilisant lrsquoadjectif substan-tiveacute au neutre pour deacutesigner le premier et lrsquoadjectif au masculin pour le second

64 Tel est selon nous le sens de lrsquoexpression ὁ μέν γε ὢν σπέρμα πάσηςψυχῆς au fr 13 (21 F) qui en fait la semence de toute acircme voir par ex F Jour-dan laquo Eusegravebe de Ceacutesareacutee et les extraits de Numeacutenius dans la Preacuteparationeacutevangeacutelique raquo dans S Morlet (eacuted) Lire en extraits Pratiques de lecture et deproduction des textes de lrsquoAntiquiteacute au Moyen Acircge Paris PUPS 2015 p 143-147

65 Contra par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit p 107066 Sur ce sujet notamment chez Plutarque dont Numeacutenius aurait pu ici par-

tager la critique voir par ex F Ferrari laquo Provvidenza platonica o autocontem

3) On notera ici enfin que selon toute vraisemblance Numeacuteniusnrsquoidentifie pas son premier principe agrave lrsquoUn67 Ce principe est certesunique (μόνος) simple (ἁπλοῦς) et indivisible (μὴ διαίρετος) encela distinct de lrsquouniteacute divisible que constitue le second dieu68 MaisNumeacutenius ne lrsquoidentifie pas agrave lrsquoUn et en tout cas pas agrave lrsquoUn du Parmeacute-nide69 Notre conviction srsquoappuie sur lrsquoanalyse du fragment 19 (27 F)Agrave la fin du passage on lit lrsquoexpression τὸ ἀγαθὸν ὅτι ἐστὶν ἕνNumeacutenius la donne comme une conclusion de Platon dont le sens pro-fond ne peut ecirctre perccedilu que par les laquo regards aiguiseacutes raquo autrement ditpar ceux qui comprennent le propos de Numeacutenius Elle provient assu-reacutement de la tradition orale on la retrouve dans le compte-rendu de laLeccedilon sur le Bien par Aristoxegravene70 Comme lrsquoarticle deacutefini peut ecirctreomis devant lrsquoattribut on peut certes heacutesiter sur sa traduction laquo leBien est lrsquoUn raquo ou laquo le Bien est un raquo Dans le contexte matheacutematiqueougrave elle est preacutesenteacutee chez Aristoxegravene la premiegravere traduction est sansdoute la bonne Mais ce nrsquoest pas neacutecessairement le sens originel (siPlaton srsquoest reacuteellement exprimeacute ainsi) et assureacutement pas celui que veut

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 121

plazione aristotelica la scelta di Plutarco raquo dans L Van der Stockt F Titche-ner HG Ingenkamp A Peacuterez Jimeacutenez (eacuted) Gods Daimones Rituals Mythsand History of Religions in Plutarchrsquos Works Maacutelaga International PlutarchSociety 2010 p 177-190 et laquo La teologia di aristotele nel medioplatonismo raquodans Y Lehman (eacuted) Aristoteles Romanus La Reacuteception de la science aristo-teacutelicienne dans lrsquoEmpire greacuteco-romain Turnhout Brepols 2012 p 299-312 voir aussi chez Atticus A Michalewski laquo Faut-il preacutefeacuterer Eacutepicure agrave Aris-tote raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted) Reacuteceptions de la theacuteolo-gie aristoteacutelicienne DrsquoAristote agrave Michel drsquoEphegravese Leuven Peeters 2017p 123-142

67 Contra notamment ici G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 84

68 Fr 11 19 F69 Contra A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV

op cit p 124 M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 22570 Aristoxegravene Eacuteleacutements drsquoharmonique 22016313 Macran 398-404 da

Rios texte ndeg 1 p 248 Richard

lire Numeacutenius Dans le contexte du fragment la formule perd touteambiguiumlteacute parce que lrsquointerpreacutetation en est donneacutee au preacutealable Numeacute-nius a insisteacute sur lrsquouniciteacute du Bien dont la bonteacute a eacuteteacute identifieacutee agrave lrsquoactespeacutecifique du φρονεῖν Si Platon a dit τἀγαθὸν ἐστὶν ἕν ndash formule dontNumeacutenius srsquoestime devoir rendre compte puisqursquoil eacutecrit justement luiaussi Sur le Bien ndash crsquoest donc selon lui parce qursquoil nrsquoy a qursquoun seul etunique Bien le Bien lui-mecircme (αὐτοάγαθον) Par suite la seulemaniegravere de rencontrer le bien de maniegravere geacuteneacuterale consiste agrave prendrepart agrave lrsquoactiviteacute de penser qui caracteacuterise le Bien lui-mecircme une penseacuteesource de bonteacute que chacun pourra exercer agrave son niveau (lrsquoideacutee que leφρονεῖν lui est reacuteserveacute suggegravere qursquoil srsquoagit dans son cas drsquoun φρονεῖνagrave lrsquoeacutetat pur) Ce disant Numeacutenius a sans doute une viseacutee poleacutemique agravelrsquoeacutegard notamment drsquoune interpreacutetation pythagorisante de Platon vrai-semblablement issue de lrsquoAncienne Acadeacutemie et peut-ecirctre aussi delrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne de lrsquoenseignement oral71 Lui seul sesera estimeacute comprendre le veacuteritable pythagorisme du maicirctre Quoiqursquoil en soit sur ce point le passage est selon nous la preuve drsquoun refusdrsquoidentifier le Bien agrave lrsquoUn Si Platon a dit que le Bien est un ou mecircmelrsquoUn quelle que soit lrsquointerpreacutetation litteacuterale et donc la traduction rete-nue il nrsquoaurait selon Numeacutenius en reacutealiteacute rien voulu exprimer drsquoautreque lrsquouniciteacute du Bien ainsi que sa seacuteparation drsquoavec le sensible conccediluecomme distinction essentielle drsquoavec les biens de ce monde Numeacuteniusinvite agrave comprendre ἕν comme le synonyme de μόνος que seul ilemploie agrave reacutepeacutetition agrave propos de son premier principe72 et qui a cedouble sens drsquoexprimer lrsquouniciteacute et lrsquoisolement ou la seacuteparationcomme le suggegravere deacutejagrave son emploi reacutecurrent au fragment 2 (11 F)Telle est lrsquointerpreacutetation correcte du Platon non-eacutecrit qursquoil precircte aux

122 Fabienne JOURDAN

71 Voir par ex Meacutet A 6 988 a 10-17 ougrave lrsquoUn est preacutesenteacute comme la causedu Bien et N 4 1091 b 1-20 sur lrsquoidentification du Bien agrave lrsquoUn dans uncontexte de critique des Platoniciens

72 Εἷς nrsquointervient qursquoagrave propos du second dieu conccedilu comme uniteacute divi-sible qui se distingue en cela de lrsquoUn et mecircme de lrsquouniciteacute du fait de sa dualiteacuteneacutecessaire (mais non essentielle)

seuls regards suffisamment aiguiseacutes pour savoir lire Platon lagrave ougravedrsquoautres lrsquoauront mal entendu73

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 123

73 Voir lrsquoanalyse deacutetailleacutee du passage dans F Jourdan laquo Sur le Bien deNumeacutenius raquo art cit ici contra G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 82 et 84 ndash Les deux teacutemoignages suggeacuterant une eacutevocation de lrsquoUnpar Numeacutenius ne paraissent pas infirmer cette lecture Le premier issu deMacrobe (fr 54 = Saturnales I 17 65 = P 99 12-16 Willis) fait eacutetat drsquoune eacutety-mologie de lrsquoeacutepithegravete laquo delphien raquo attribueacutee agrave Apollon ougrave Numeacutenius auraitvraisemblablement voulu retrouver lrsquoeacutetymologie courante du nom propre dudieu comme renvoyant au laquo non-multiple raquo ἀ-πολλά (voir par ex PlutarqueDe E 388 F et De Iside 354 F et 381 F avec J Whittaker laquo Ammonius on theDelphic E raquo Classical Quarterly 63 NS 19 1969 p 187-188 E SyskaStudien zur Theologie des Macrobius Stuttgart Teubner 1993 p 116 n 74)Macrobe rapporte en effet que Numeacutenius aurait fait de δέλφος un adjectifsignifiant unum (dans le latin de Macrobe) par opposition au substantifἀδελφός signifant laquo fregravere raquo et alors conccedilu comme pourvu drsquoun ἀ- privatif(sur cette eacutetymologie voir J Whittaker ibid p 187 n 9 Eacute des PlacesNumeacutenius Fragments op cit p 100 n 1 E Syska Studien zur Theologiedes Macrobius op cit p 193-194 qui estime qursquoelle nrsquoa aucune autre valeurque litteacuteraire) Outre qursquoil concerne un dieu dont nous ne savons pas si Numeacute-nius aurait reacuteellement souhaiteacute lrsquoidentification agrave son premier principe (il sug-gegravere en revanche son association agrave Zeus au fr 2 [11 F] lequel est ensuite asso-cieacute au second dieu au fr 12 [20 F]) le teacutemoignage nrsquoindique pas le sens exacten lequel Numeacutenius aurait aimeacute qursquoon entende cette laquo absence de fregravere raquoDrsquoune part juste avant Macrobe emploie lrsquoexpression singulum et unum quipeut traduire ἕν καὶ μόνον et dont comme dans le grec la redondance avaleur emphatique On ne sait donc pas lequel des deux adjectifs Numeacutenius aexactement employeacute et rien nrsquointerdit de penser que la reprise par unus soit unchoix du neacuteoplatonicien Macrobe Drsquoautre part unus renvoie agrave εἷς et non agrave ἕνEnfin et surtout laquo ne pas avoir de fregravere raquo si tel est le sens que Numeacutenius precirctedans ce contexte agrave δέλφος signifie laquo ecirctre fils unique raquo et reconduit au sens deμόνος Crsquoest pourquoi selon nous ce teacutemoignage nrsquoest pas un indice fiabledrsquoune identification numeacutenienne du premier principe agrave lrsquoUn (contra M Bur-nyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit p 152 n 34) Le second teacutemoignageest quant agrave lui constitueacute par la reacutefeacuterence agrave une singularitas identifieacutee agrave un pre-mier dieu-deacutemiurge dans le compte-rendu numeacutenien de la cosmogonie pytha-goricienne rapporteacutee par Calcidius (fr 52) Or ce premier dieu dans son oppo-sition mecircme agrave la dyade correspond davantage au second dieu du Περὶ

Voilagrave notre lecture du Περὶ τἀγαθοῦ le seul texte meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius dont soient transmis des fragments litteacute-raux Crsquoest agrave partir drsquoelle que nous proposons drsquoexaminer les rapportsentre lrsquoenseignement de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon lui-mecircme le Commentaire anonyme au Parmeacutenide et enfin la source com-mune au Zostrien et agrave Marius Victorinus Agrave chacun de ces troismoments nous tenterons drsquoeacutevaluer srsquoil fournit les indices de lrsquoexis-tence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par Numeacutenius

Premiegravere partie

Lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon le premier principe de Numeacutenius (le Bien) nrsquoest ni lrsquoUn ni

lrsquoUn-qui-est du ParmeacutenideLa premiegravere eacutetape que nous reacutealiserons dans cette premiegravere partie

consiste agrave confronter le Περὶ τἀγαθοῦ au Parmeacutenide lui-mecircme afinde voir srsquoil y renvoie directement ou non Si nous suivions lrsquohypothegravesede J Whittaker74 toutefois nous abandonnerions immeacutediatement lrsquoen-treprise selon lui crsquoest agrave partir du moment ougrave un philosophe inter-pregravete le Bien de Reacutepublique VI 509 b 6-10 comme un principe trans-cendant reacuteellement lrsquoecirctre et comme identifiable agrave lrsquoUn que se profileune interpreacutetation du Parmeacutenide et plus preacuteciseacutement de la premiegraverehypothegravese Or nous venons de montrer que loin de transcender lrsquoecirctrele Bien de Numeacutenius est lrsquoEcirctre lui-mecircme et que son association agrave lrsquoUnsert avant tout un propos exeacutegeacutetique ou srsquoavegravere du moins fort probleacute-matique ndash telle qursquoelle est formuleacutee du moins elle nrsquoimplique aucune

124 Fabienne JOURDAN

τἀγαθοῦ sans compter que lrsquoappellation latine de singularitas traduit plutocirctle grec μόνας que ἕν Le compte-rendu ne peut donc ecirctre compris commerefleacutetant la doctrine propre de Numeacutenius telle du moins qursquoelle est exprimeacuteedans le Περὶ τἀγαθοῦ (voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius raquo art cit)Il nrsquoy a donc aucun texte fiable permettant de precircter agrave Numeacutenius lrsquoidentifica-tion du Bien agrave lrsquoUn et encore moins agrave lrsquoUn du Parmeacutenide

74 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit

allusion au Parmeacutenide75 Si lrsquoon veut malgreacute tout supposer que Numeacute-nius nrsquoen a pas moins utiliseacute le Parmeacutenide et que son œuvre trahit alorsnon seulement la connaissance du dialogue mais un commentaire per-sonnel de celui-ci ne serait-ce que partiel il faut recourir agrave un autrepoint de doctrine que cette identification du premier principe agrave uneentiteacute transcendant lrsquoecirctre et identifieacutee agrave lrsquoUn et justement interroger ladeacutefinition de ce premier principe comme ecirctre Autrement dit il srsquoagitessentiellement de voir si Numeacutenius identifie le Bien ne serait-ce quepartiellement agrave lrsquolaquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

Pour parvenir agrave un reacutesultat probant deux eacutetapes sont neacutecessaires agravecet examen

1) un rappel des quelques points qui dans la deacutefinition de lrsquoecirctre etdu premier principe selon Numeacutenius ont parfois suggeacutereacute des rappro-chements avec le Parmeacutenide

2) une confrontation de la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ avec laseconde partie du dialogue de Platon pour voir si une convergence depenseacutee plus geacuteneacuterale pourrait malgreacute tout suggeacuterer une appropriationde ce texte par Numeacutenius ou si une incompatibiliteacute fondamentaleinvite agrave en douter

Dans lrsquoun et lrsquoautre cas si les reacutesultats sont neacutegatifs cela ne per-mettra pas de conclure que Numeacutenius a ignoreacute le texte ni non plus dese prononcer de maniegravere cateacutegorique sur lrsquoœuvre non parvenue Nousmontrerons drsquoailleurs dans un troisiegraveme temps que Numeacutenius tente dereacutesoudre les apories relatives aux formes poseacutees dans la premiegravere par-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 125

75 On peut faire semblable remarque agrave propos de lrsquoexposeacute des principespythagoriciens par Eudore rapporteacute par Simplicius (In Phys 18110 sq Diels)Mecircme srsquoil eacutevoque diffeacuterents Un la conception deacuteveloppeacutee deacutepend avant toutdes reacuteflexions de lrsquoAncienne Acadeacutemie sur lrsquoUn et la Dyade et est en cela tregravesproche du compte-rendu drsquoAristote sur les principes de Platon en Meacutet A 6 987b 18 sq (sur ce point voir J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquoart cit p 98 qui rapporte les propos de W Theiler agrave la note 11) Il ne sembledonc pas neacutecessaire de supposer un commentaire sous-jacent aux deux pre-miegraveres hypothegraveses du Parmeacutenide mecircme srsquoil nrsquoest eacutevidemment pas exclu que ledialogue ait eacuteteacute invoqueacute pour sa nomination de lrsquoUn La remarque vaut eacutegale-ment pour Speusippe et de maniegravere geacuteneacuterale pour les neacuteo-pythagoriciens

tie du dialogue et nous verrons qursquoagrave lrsquoeacutegard de la premiegravere hypothegraveseil a peut-ecirctre choisi une attitude suggeacutereacutee par Platon lui-mecircme Poureacutelargir cette recherche nous interrogerons enfin sa relation agrave la penseacuteede Parmeacutenide lui-mecircme

1 La deacutefinition du premier principe comme ecirctre dansle Περὶ τἀγαθοῦ des parallegraveles avec le Parmeacutenide

Une fois que lrsquoon a renonceacute agrave precircter agrave Numeacutenius une interpreacutetationdu Parmeacutenide en raison drsquoune identification supposeacutee de son premierprincipe agrave lrsquoUn il reste possible drsquoexaminer les parallegraveles entre la deacutefi-nition de son premier principe identifieacute agrave lrsquoecirctre ou plus geacuteneacuteralemententre sa deacutefinition de lrsquoecirctre et les formulations du dialogue platoniciendans les deux premiegraveres hypothegraveses Les partisans drsquoune interpreacutetationnumeacutenienne du Parmeacutenide dont notamment A-J Festugiegravere76 etD OrsquoMeara77 citent essentiellement78 deux textes agrave cette fin les frag-

126 Fabienne JOURDAN

76 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 12577 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 Voir aussi par ex

M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 225-227 qui srsquoap-puie toutefois sur ce qursquoil considegravere une identification du Bien agrave lrsquoUn et sur unpassage de Cleacutement drsquoAlexandrie qui semble deacutependre de la premiegravere hypo-thegravese (Strom V 12 82 1-2) Les eacuteleacutements de theacuteologie neacutegative eacutevoqueacutes lagravesrsquoaccompagnant drsquoune possibiliteacute de nomination rappellent toutefois moinsNumeacutenius qursquoAlcinoos Did X p 16433-34 H

78 Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoargumentation de R Romano (laquo La proba-bile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica e neopitagorica) delParmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide diPlatone et la sua tradizione op cit p 234) qui estime que Numeacutenius aufragment 217-34 (11 F) emprunte au Parmeacutenide les expressions delaquo meacutethode non aiseacutee mais divine raquo laquo ardeur juveacutenile raquo et laquo exercice matheacute-matique raquo Lrsquoappui textuel est trop tenu pour qursquoelle soit persuasive Quant agraveG Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 82-84) il eacutevoque luiaussi le fragment 5 (14 F) mais seulement en note agrave la page 82 et son argu-mentation ne srsquoappuie pas davantage sur la lettre du texte Crsquoest pourquoielle ne peut ecirctre expliciteacutee ici Nous ne commenterons enfin pas les hypo-

ments 5 et 6 (14-15 F) ougrave apparaicirct formuleacutee en termes neacutegatifs unedeacutefinition de lrsquoecirctre que le fragment 2 (11 F) a dit identifiable au BienCes deux fragments proviennent du livre II du Περὶ τἀγαθοῦ quientreprend de deacutefinir lrsquoecirctre preacuteliminaire indispensable agrave la deacutefinitiondu Bien Examinons-en quelques extraits Au fragment 5 nous lisonsceci

Φέρε οὖν ὅση δύναμις ἐγγύτατα πρὸς τὸ ὂν ἀναγώμεθα καὶλέγωμενmiddot τὸ ὂν οὔτε ποτὲ ἦν οὔτε ποτὲ μὴ γένηται ἀλλrsquo ἔστιν ἀεὶἐν χρόνῳ ὡρισμένῳ τῷ ἐνεστῶτι μόνῳ [] τὸ ἄρα ὂν ἀΐδιόν τεβέβαιόν τε ἐστὶν ἀεὶ κατὰ ταὐτὸν καὶ ταὐτόν οὐδὲ γέγονε μένἐφθάρη δὲ οὐδrsquo ἐμεγεθύνατο μέν ἐμειώθη δὲ οὐδὲ μὴltνgtἐγένετό πω πλεῖον ἢ ἔλασσον καὶ μὲν δὴ τά τε ἄλλα καὶ οὐδὲτοπικῶς κινηθήσεταιmiddot οὐδὲ γὰρ θέμις αὐτῷ κινηθῆναι οὐδὲ μὲνὀπίσω οὐδὲ πρόσω οὔτε ἄνω ποτὲ οὔτε κάτω οὐδrsquo εἰς δεξιὰοὐδrsquo εἰς ἀριστερὰ μεταθεύσεταί ποτε τὸ ὂν οὔτε περὶ τὸ μέσονποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται ἀλλὰ μᾶλλον καὶ ἑστήξεται καὶἀραρός τε καὶ ἑστηκὸς ἔσται κατὰ ταὐτὰ ἔχον ἀεὶ καὶ ὡσαύτως(extraits du fragment 5 14 F = Eus PE XI 10 4-5)

Eh bien donc eacutelevons-nous vers lrsquoecirctre le plus pregraves qursquoil nous est pos-sible et disons ceci lrsquoecirctre jamais ne fut ni jamais nrsquoadviendra assureacute-ment mais il est toujours dans un temps bien deacutetermineacute le seul preacute-sent [] Lrsquoecirctre est donc est agrave la fois eacuteternel et stable toujours dans lemecircme eacutetat et identique agrave soi il nrsquoest pas neacute et il ne peacuterit pas il ne croicirctet ne deacutecroicirct pas non plus ni il ne devient plus ou moins en aucunefaccedilon En somme il ne sera assureacutement soumis agrave aucun type de mou-vement et surtout pas au mouvement selon le lieu ndash il ne lui est en effetpas permis non plus crsquoest la loi divine drsquoecirctre mucirc jamais par unecourse en avant ni en arriegravere en haut ni en bas vers la droite droite nivers la gauche jamais lrsquoecirctre ne sera soumis au changement et jamais ilne sera mucirc autour de son propre centre Bien plutocirct il se tiendra en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 127

thegraveses de H Tarrant Thrasyllan Platonism op cit p 174-177 dans lamesure ougrave elles supposent que Numeacutenius srsquoinspire de Modeacuteratus (au fr 52)et suit donc lrsquointerpreacutetation qursquoil aurait donneacutee sur la matiegravere drsquoapregraves leteacutemoignage de Simplicius

repos sera ferme et fixe se maintenant toujours de faccedilon identique etde la mecircme maniegravere79

Au fragment 6 (15 F) nous lisons ensuite

ἡ δὲ αἰτία τοῦ ὄντος ὀνόματός ἐστι τὸ μὴ γεγονέναι μηδὲφθαρήσεσθαι μηδrsquo ἄλλην μήτε κίνησιν μηδεμίαν ἐνδέχεσθαιμήτε μεταβολὴν κρείττω ἢ φαύλην εἶναι δὲ ἁπλοῦν καὶἀναλλοίωτον καὶ ἐν ἰδέᾳ τῇ αὐτῇ καὶ μήτε ἐθελούσιον ἐξίστα-σθαι τῆς ταὐτότητος μήθrsquo ὑφrsquo ἑτέρου προσαναγκάζεσθαι (extraitdu fragment 6 15 F = Eus PE XI 10 7)

Et la raison de ce nom ecirctre reacuteside dans le fait de ne pas ecirctre neacute de nepas devoir peacuterir de nrsquoadmettre absolument aucun autre type de mou-vement ni de changement que ce soit vers le meilleur ou vers le piremais drsquoecirctre au contraire simple invariable dans une forme qui resteidentique de ne pas sortir de son identiteacute ni volontairement ni souslrsquoeffet drsquoune contrainte exteacuterieure80

Pourquoi a-t-on voulu lire ces textes comme faisant allusion auParmeacutenide alors qursquoils ne preacutesentent pas de parallegraveles textuels avec cedialogue Deux raisons agrave cela A-J Festugiegravere y voit une seacuterie deneacutegations qui rappellent celles du Parmeacutenide relativement agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese D OrsquoMeara estime que la deacutefinition de lrsquoecirctrecomme restant dans une identiteacute parfaite agrave soi exprimeacutee en termes de

128 Fabienne JOURDAN

79 Toutes les traductions de Numeacutenius sont les nocirctres80 Voir aussi cet extrait du fragment 8 (17 F = Eus PE XI 10 12) Εἰ μὲν

δὴ τὸ ὂν πάντως πάντη ἀΐδιόν τέ ἐστι καὶ ἄτρεπτον καὶ οὐδαμῶςοὐδαμῆ ἐξιστάμενον ἐξ ἑαυτοῦ μένει δὲ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτωςἕστηκε τοῦτο δήπου ἂν εἴη τὸ τῇ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν laquo Siassureacutement lrsquoecirctre est en tout point absolument eacuteternel et immuable srsquoil ne sortabsolument pas de lui-mecircme en aucune faccedilon mais demeure dans le mecircmeeacutetat fixeacute dans son identiteacute alors crsquoest lui sans nul doute qui sera ldquoce qui estappreacutehendeacute par lrsquointellection agrave lrsquoaide du raisonnementrdquo (Tim 28 a) raquo Ce pas-sage fait suite au fragment 7 (16 F = Eus PE XI 10 9-11) qui cite la deacutefinitionde lrsquoecirctre opposeacute agrave la γένεσις en Timeacutee 27 d 6-28 a 4

laquo non-sortie raquo de soi est reprise dans les passages des Enneacuteades VI4 [ 22] 2 21 et VI 5 3 1-2 ougrave Plotin traite de lrsquointeacutegriteacute de lrsquoecirctre etinterpregravete agrave cet effet la seconde hypothegravese du Parmeacutenide D OrsquoMearasonge alors agrave un preacuteceacutedent numeacutenien dans la lecture plotinienne duParmeacutenide et agrave cette fin eacutetant donneacute qursquoil est question dans ces frag-ments de la relation de lrsquoecirctre au temps au changement et au mouve-ment tout comme de son nom (et donc sous-entendu aussi de saconnaissance) il invite agrave penser que le livre II du Περὶ τἀγαθoῦ trai-tait de lrsquoecirctre selon les diffeacuterents preacutedicats qui servent agrave interroger lrsquoUndu Parmeacutenide agrave savoir le Tout et les parties le lieu le changement etmouvement lrsquoidentiteacute et la diffeacuterence la ressemblance et dissem-blance lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoineacutegaliteacute le temps le nom la connaissance

Ces deux lectures se heurtent toutefois agrave deux objections simplesDrsquoune part pas plus qursquoil ne tire du Parmeacutenide la description de la non-sortie de soi81 Numeacutenius nrsquoemprunte son argumentation sur le change-ment le temps et le nom au Parmeacutenide Comme il le dit lui-mecircme aufragment 6 (15 F) il srsquoappuie pour cela sur le Timeacutee et le Cratyle Onnotera drsquoailleurs que le deacuteveloppement sur lrsquoabsence de mouvement etdonc de changement relegraveve en outre drsquoun emprunt aux Lois82 et qursquoellenrsquoest pas exempte de parallegraveles aristoteacuteliciens ainsi que le reconnaicirctD OrsquoMeara lui-mecircme83 Drsquoautre part et pour reacutepondre cette fois agraveA-J Festugiegravere la seacuterie de neacutegations ne fait aucunement allusion auParmeacutenide ni nrsquoaugure drsquoune theacuteologie neacutegative telle qursquoelle sera tireacuteede la premiegravere hypothegravese de ce dialogue elle contribue simplement agraveune deacutefinition de lrsquoecirctre par opposition au devenir et surtout au corporelqui preacutesente toutes les qualiteacutes ici nieacutees La citation au fragment 7 (16F) du passage du Timeacutee (27 d 6-28 a 4) opposant justement ὄν et

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81 Elle est en reacutealiteacute preacutesente dans le Cratyle 439 e le Pheacutedon 79 d et 80b 1-2 et le Banquet 211 b 1

82 X 893 c-894 a83 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 n 26 Sur le temps

voir aussi M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit et la remarquefinale sur la deacutefinition parmeacutenidienne drsquoune entiteacute se situant dans un eacuteternelpreacutesent au fr 85 DK

γένεσις preacutecise ce contexte de penseacutee et empecircche en cela toute extra-polation Agrave la limite si lrsquoon y tient on pourra simplement conclure avecD OrsquoMeara que Numeacutenius a donneacute agrave Plotin lrsquoideacutee de lire le Parmeacutenidedans le sens ougrave il lrsquoa fait concernant lrsquoecirctre ndash hypothegravese qui srsquoavegraverera fortinteacuteressante dans la perspective drsquoune comparaison avec lrsquoentreprise ducommentateur anonyme au Parmeacutenide

Les textes habituellement citeacutes en faveur drsquoune utilisation numeacute-nienne du Parmeacutenide ainsi compris il en est selon nous un troisiegravemequi aurait pu inviter agrave pareille suggestion celui ougrave Numeacutenius precircte aupremier principe un repos qui srsquoaccompagne malgreacute tout drsquoune formede mouvement ndash attributs apparemment contradictoires dont lrsquooriginepourrait paraicirctre remonter au Parmeacutenide Ce texte nous mettrait sur lavoie qui pouvait sembler la plus feacuteconde drsquoune identification du pre-mier principe numeacutenien agrave lrsquoUn de la seconde hypothegravese du ParmeacutenideLisons ainsi le fragment 15 (23 F)

Εἰσὶ δrsquo οὗτοι βίοι ὁ μὲν πρώτου ὁ δὲ δευτέρου θεοῦ δηλονότι ὁμὲν πρῶτος θεὸς ἔσται ἑστώς ὁ δὲ δεύτερος ἔμπαλίν ἐστικινούμενοςmiddot ὁ μὲν οὖν πρῶτος περὶ τὰ νοητά ὁ δὲ δεύτερος περὶτὰ νοητὰ καὶ αἰσθητά μὴ θαυμάσῃς δrsquo εἰ τοῦτrsquo ἔφηνmiddot πολὺ γὰρἔτι θαυμαστότερον ἀκούσῃ ἀντὶ γὰρ τῆς προσούσης τῷδευτέρῳ κινήσεως τὴν προσοῦσαν τῷ πρώτῳ στάσιν φημὶ εἶναικίνησιν σύμφυτον ἀφrsquo ἧς ἥ τε τάξις τοῦ κόσμου καὶ ἡ μονὴ ἡἀΐδιος καὶ ἡ σωτηρία ἀναχεῖται εἰς τὰ ὅλα

Voici les genres de vie respectifs du premier et du deuxiegraveme dieu ilest eacutevident que le premier sera en repos tandis que le deuxiegraveme aucontraire est en mouvement le premier donc autour des intelligiblesle deuxiegraveme autour des intelligibles et des sensibles Et nrsquoen viens pasagrave trsquoeacutetonner si jrsquoai affirmeacute cela car tu vas entendre bien plus eacutetonnantencore agrave la place du mouvement inheacuterent au deuxiegraveme le repos inheacute-rent au premier je lrsquoaffirme est un mouvement qui lui est par natureassocieacute drsquoougrave viennent lrsquoordre du monde et sa permanence eacuteternelle etdrsquoougrave le salut se reacutepand sur lrsquointeacutegraliteacute des ecirctres

Le passage pourrait rappeler lrsquoUn qui est Tout (τὸ ἓν ὅλον 145 e3) de la deuxiegraveme hypothegravese et que Platon deacutecrit comme eacutetant agrave la fois

130 Fabienne JOURDAN

en repos et en mouvement (καὶ κινεῖσθαι καὶ ἑστάναι 145 e 7-8)drsquoautant plus que le vocabulaire du repos employeacute est le mecircme(ἕστηκε 145 a 8 ἑστός 146 a 5) On pourrait alors imaginer queNumeacutenius identifie son premier principe agrave lrsquoUn associeacute agrave lrsquoecirctre telqursquoil est conccedilu dans cette deuxiegraveme hypothegravese Cependant la raisondonneacutee par Platon agrave cet eacutetat est le fait que cet Un se trouve agrave la fois enlui-mecircme crsquoest-agrave-dire au mecircme endroit et en autre chose crsquoest-agrave-direailleurs (le tout devant ecirctre ainsi compris 145 e 8-146 a 7) Or toutconduit agrave penser que dans le fragment le mouvement associeacute au reposfondamental est celui de la penseacutee caracteacuteristique du premier principe(cf fr 19 27 F) et que par cette formule Numeacutenius preacutepare la deacutefini-tion de celui-ci comme intellect (fr 16-17 24-25 F) Le raisonnementest profondeacutement distinct et Numeacutenius joue drsquoailleurs moins sur uneantithegravese logique telle que pourrait paraicirctre celle du raisonnement pla-tonicien que sur une association certes paradoxale mais reacuteelle Crsquoestpourquoi si tentant que puisse paraicirctre le parallegravele il ne relegraveve sansdoute pas drsquoune appropriation numeacutenienne de la deuxiegraveme hypothegravesepour deacutecrire le premier principe Numeacutenius reprend peut-ecirctre le voca-bulaire voire la conception de Platon pour deacutecrire un principe qursquoilassocie volontiers au Tout surtout si ce premier principe doit corres-pondre au Vivant84 Mais cette reprise serait superficielle et srsquoaccom-pagnerait drsquoun deacuteveloppement personnel qui ne relegraveve pas du deacutesirdrsquointerpreacuteter le Parmeacutenide85 Si Numeacutenius emprunte ici agrave Platon crsquoestplutocirct au passage du Sophiste 248 e-249 a qui integravegre le mouvementdans lrsquoecirctre total finit par deacutecrire cet ecirctre comme eacutetant agrave la fois en reposet en mouvement et inclut en lui eacutegalement lrsquointellect mieux laφρόνησις dont nous avons vu que Numeacutenius en fait sous la formeinfinitive lrsquoapanage du Bien

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 131

84 Voir le teacutemoignage de Proclus (fr 22) deacutejagrave signaleacute selon nous lrsquoimagedu Vivant est deacutejagrave sous-jacente dans ce fragment 15 (23 F) voir la note 61

85 Sur ce point nous rejoignons LP Gerson laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpre-tation of Platorsquos Parmenides raquo art cit n 1 qui rappelle agrave propos drsquoAlcinoosque lrsquoutilisation de distinctions et drsquoarguments preacutesents dans le Parmeacutenidenrsquoimplique pas drsquoaccorder une primauteacute interpreacutetative agrave ce dialogue

2 Le Περὶ τἀγαθοῦ et les deux premiegraveres hypothegravesesde la seconde partie du Parmeacutenide

Agrave eux seuls les textes parvenus ne nous semblent donc pas teacutemoi-gner en faveur drsquoun commentaire au Parmeacutenide de la part de Numeacute-nius ni mecircme drsquoune utilisation partielle qursquoil aurait faite de ce dia-logue Les partisans drsquoune attribution de pareil commentaire agrave Numeacute-nius en appellent toutefois et ce juste titre agrave lrsquoœuvre non parvenueOn ne peut certes juger de lrsquoeacutevolution de Numeacutenius Mais pour quecet argument e silentio soit valable concernant au moins la partie man-quante du Περὶ τἀγαθοῦ il faudrait que la partie transmise ne preacute-sente pas drsquoincompatibiliteacute avec lrsquoargumentation geacuteneacuterale du dialoguede Platon Comme le deacutebat porte toujours sur les deux premiegraveres hypo-thegraveses ce sont elles qursquoil suffit drsquointerroger en vue drsquoeacutevaluer si Numeacute-nius peut ne serait-ce que srsquoy ecirctre reporteacute pour esquisser sa deacutefinitiondu premier principe voire du second comme le suggegravere JD Turner86

a) Le Bien et lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese

Selon notre lecture Numeacutenius nrsquoidentifie pas le Bien agrave lrsquoUn Laseacuterie de neacutegations neacutecessaires agrave la deacutefinition de lrsquoecirctre nrsquoa drsquoautre butque de distinguer celui-ci du devenir Qursquoest-ce que le Bien de Numeacute-nius pourrait donc avoir de commun avec lrsquoUn de la premiegravere hypo-thegravese87 Comparons son enseignement agrave celui du Parmeacutenide pourassurer de la validiteacute de notre position

Ce que le Bien de Numeacutenius pourrait avoir de commun avec lrsquoUnde la premiegravere hypothegravese assureacutement ce serait le fait de ne pas ecirctremultiple (137 c) Mais cela est bien maigre la seacuterie de neacutegations pro-

132 Fabienne JOURDAN

86 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 138-13987 G Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 84) estime que

crsquoest en lien avec la premiegravere hypothegravese que Numeacutenius deacuteveloppe sa concep-tion du premier intellect Il nrsquoexplique toutefois pas cette lecture pour le moinseacutetonnante

poseacutee par Parmeacutenide ne le concerne pas Passons en revue quelquesexemples en suivant lrsquoordre du dialogue contrairement agrave lrsquoUn de cettehypothegravese le Bien nrsquoest pas illimiteacute (137 d 7) crsquoest la matiegravere qui esttelle agrave lrsquoimage drsquoun fleuve88 loin drsquoecirctre nulle part au sens de laquo pas ensoi raquo (138 a 2 6-b 2) il est au contraire en lui-mecircme89 La seacuterie drsquoanti-thegraveses ne le concerne pas davantage loin de nrsquoecirctre ni en repos ni enmouvement (138 b) nous avons vu qursquoil a part aux deux90 plutocirct quede nrsquoecirctre ni identique ni diffeacuterent (139 b-140 b) il est assureacutement iden-tique agrave soi91 au lieu drsquoecirctre hors du temps (141 a) il se situe dans uneacuteternel preacutesent92 et si certes on ne peut pas non plus parler agrave soneacutegard de participation agrave lrsquoοὐσία (141 e 7-8) il nrsquoen est pas moinslrsquoἀρχή de celle-ci93 qui fait de lui lrsquoEcirctre par excellence94 Contraire-ment agrave lrsquoUn de cette hypothegravese (142 a) il a en outre un nom une deacutefi-nition et il y a mecircme une science agrave son sujet son nom est drsquoabordοὐσία et ὄν lorsque lrsquoecirctre qursquoil est est envisageacute de maniegravere geacuteneacuterale95puis vraisemblablement Bien lui-mecircme et Ecirctre lui-mecircme (αὐτοάγα-θον et αὐτοόν) lorsqursquoil est envisageacute dans sa speacutecificiteacute96 il donnelrsquoἐπιστήμη et srsquoavegravere mecircme ecirctre la σοφία97 toute lrsquoentreprise duΠερὶ τἀγαθοῦ est justement de conduire agrave sa connaissance et deacutefini-tion98 ce agrave quoi parvient entre autres le dernier fragment en identifiantultimement lrsquoecirctre et lrsquointellect qursquoil constitue agrave la Forme du Bien de laReacutepublique99 Lorsque Platon fait conclure agrave Parmeacutenide que cet Un

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 133

88 Fr 3 (12 F) et 8 (17 F)89 Fr 11 (19 F)90 Fr 15 (23 F)91 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)92 Fr 5 (14 F)93 Fr 16 (24 F)94 Fr 17 (25 F) et lrsquoon nrsquooubliera pas la synonymie entre οὐσία et ὄν don-

neacutee au fr 6 (15 F)95 Fr 6 (15 F)96 Fr 16-17 (24-25 F) fr 20 (28 F)97 Crsquoest notre interpreacutetation conjointe des fragments 13 et 14 (21-22 F)98 Tel est le programme annonceacute au fragment 2 (11 F)99 Fr 20 (28 F)

finalement nrsquoest pas Numeacutenius peut donc avoir estimeacute ne pas devoirreconnaicirctre lagrave ce qursquoil deacutefinit quant agrave lui comme le premier principe etce alors en accord avec Platon lui-mecircme

Crsquoest pourquoi srsquoil a songeacute agrave ce dialogue et plus particuliegraverement agravela premiegravere hypothegravese Numeacutenius a pu le consideacuterer comme un exer-cice dialectique ougrave puiser par exemple une meacutethode drsquointerrogation etcertains concepts dans un esprit peut-ecirctre semblable agrave celui drsquoAlci-noos100 ou bien ce qui nrsquoest pas incompatible comme deacutecrivantaussi une position selon lui critiqueacutee par Platon Dans cette perspec-tive il peut alors y avoir perccedilu une raison de ne pas retenir la candida-ture de lrsquoUn (telle que la suggegravere notamment la reacuteception acadeacutemi-cienne de lrsquoenseignement oral) au titre de premier principe agrave identifierau Bien puisque cet Un conccedilu dans sa pureteacute agrave la maniegravere dont Platonle deacutecrit dans la premiegravere hypothegravese conduit agrave lrsquoaporie du non-ecirctre (non-ecirctre que Numeacutenius identifie quant agrave lui agrave la matiegravere) Autre-ment dit la lecture du Parmeacutenide voire le commentaire de ce dia-logue aurait plutocirct conduit Numeacutenius agrave ne pas identifier le Bien agrave lrsquoUnabsolu et lrsquoaurait peut-ecirctre justifieacute dans une position poleacutemique agrave lrsquoen-contre de certains neacuteo-pythagoriciens de son temps101 voire des Aca-deacutemiciens qui le faisaient

Cette conclusion peut a priori eacutetonner Mais Numeacutenius nrsquoaurait paseacuteteacute le seul de son eacutepoque agrave refuser drsquoaccorder agrave lrsquoUn de la premiegraverehypothegravese le rocircle de principe de la reacutealiteacute et de principe transcendantlrsquoecirctre Proclus eacutevoque des interpregravetes selon lesquels le veacuteritable objet

134 Fabienne JOURDAN

100 Agrave la mecircme eacutepoque ou peu apregraves (selon lrsquohypothegravese de R Chiara-donna laquo Theacuteologie et eacutepoptique aristoteacutelicienne dans le meacutedioplatonisme lareacuteception de Meacutetaphysique Λ raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted)Reacuteceptions de la theacuteologie aristoteacutelicienne op cit p 143-148 voir aussiM Frede laquo Numenius raquo art cit p 1064) Alcinoos donne une interpreacutetationessentiellement logique du Parmeacutenide voir Did VI p 159-160 H Cela nrsquoim-plique toutefois pas que ce fut lagrave la seule lecture du dialogue par Alcinoos(pace J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit)

101 Voir ceux eacutevoqueacutes au fragment 5215-24 (Calcidius In Tim CCXCV)qui font provenir la dyade de la monade Modeacuteratus agrave qui est justement precircteacuteun commentaire du Parmeacutenide leur est parfois rapprocheacute

du Parmeacutenide est justement lrsquoecirctre (ou lrsquoUn de la seconde hypothegravese) etnon lrsquoUn absolu dont lrsquohypothegravese ne conduit qursquoagrave des apories102 Lrsquounde ces interpregravetes fut Origegravene (le Platonicien103 ) disciple drsquoAmmo-nius comme Plotin et qui eacutetait peut-ecirctre justement en deacutebat avecNumeacutenius notamment sur la fonction du premier principe104 SelonOrigegravene lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese eacutetait sans existence ni subsis-tance (ἀνύπαρκτον καὶ ἀνύποστατον) lrsquoEcirctre absolu et lrsquoUnabsolu ne devaient faire qursquoun et ecirctre identifieacutes agrave lrsquointellect commeprincipe supeacuterieur105 ce nrsquoeacutetait donc qursquoavec la seconde hypothegravese

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 135

102 Proclus In Parm I 63531-6364 Theacuteol Plat II 4 311-28103 Nous nrsquoentrons pas ici dans le deacutebat concernant la question de savoir si

Origegravene nommeacute laquo le platonicien raquo est le mecircme qursquoOrigegravene le chreacutetien Nouspostulons qursquoil srsquoagit de deux personnages distincts (en cela nous suivonsnotamment R Goulet laquo Porphyre Ammonius les deux Origegravene et lesautres raquo Revue drsquohistoire et de philosophie religieuse 57 1977 p 471-496repris dans R Goulet Eacutetudes sur les Vies de philosophes de lrsquoAntiquiteacute tar-dive Diogegravene Laeumlrce Porphyre de Tyr Eunape de Sardes Textes et traditionsI Paris Vrin 2001 p 267-290) Sur ce sujet voir le statut de la question dansL Brisson R Goulet laquo Origegravene le platonicien raquo dans R Goulet (eacuted) Dic-tionnaire des philosophes antiques Paris CNRS IV 2005 p 804-807 M Zambon laquo Porfirio e Origene uno status quaestionis raquo dans S Morlet(eacuted) Le Traiteacute de Porphyre contre les chreacutetiens Un siegravecle de recherches nou-velles questions Paris Institut drsquoEacutetudes augustiniennes 2011 p 107-164 etles eacutetudes reacuteunies par B Baumlbler H-G Nesselrath (eacuted) Origenes der Christund Origenes der Platoniker Tuumlbingen Mohr Siebeck 2018 (dont lrsquoarticle deCh Riedweg qui identifie les deux personnages)

104 Drsquoapregraves le titre de son ouvrage transmis par Porphyre (VP 332 cf Pro-clus Theol plat II 4 A) Ὃτι μόνος ποιητὴς ὁ βασιλεύς Origegravene associaitvraisemblablement le laquo roi raquo (premier principe) au deacutemiurge nommeacute ποιητήςcontrairement agrave Numeacutenius qui les distingue au fragment 12 (20 F)

105 Sur ce sujet voir par ex HD Saffrey LG Westerink Proclus Theacuteo-logie platonicienne T II Paris Les Belles Lettres 1974 p X-XX C Steellaquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 32-35 L Bris-son laquo The Reception of Parmenides before Proclus raquo dans JD TurnerK Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage vol II Reception inPatristic Gnostic and Christian Neoplatonic Texts Atlanta Society of Bibli-cal Literature 2011 p 49-64

que commenccedilait selon lui lrsquoonto-theacuteologie platonicienne parce qursquoelleaurait deacutecrit lrsquointellect et les formes Origegravene paraissant plus proche deson maicirctre que Plotin106 son interpreacutetation eacutetait peut-ecirctre celle drsquoAm-monius et comme les argumentations drsquoAmmonius et de Numeacuteniussont parfois rapprocheacutees107 on pourrait penser agrave une parenteacute entre ellessur ce sujet eacutegalement Quoi qursquoil en soit sur ce point on peut retenirdeux choses de la comparaison avec lrsquointerpreacutetation drsquoOrigegravene lerefus de consideacuterer le premier principe comme identique agrave lrsquoUn absolude la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et lrsquoidentification de ce prin-cipe agrave lrsquoEcirctre absolu

Peut-on alors supposer que Numeacutenius agrave lrsquoinstar drsquoOrigegravene conccediloitlui aussi cet Ecirctre comme deacutecrit dans la deuxiegraveme hypothegravese Crsquoest eneffet avions-nous vu drsquoembleacutee la seule maniegravere de lui supposer reacuteelle-ment une utilisation du Parmeacutenide dans sa description du premier prin-cipe

b) Le Bien et lrsquo laquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

On peut en effet rappeler que Plotin a tendance agrave situer le premierde Numeacutenius au rang du second selon sa propre doctrine Toutefois agravela lecture du Parmeacutenide lui-mecircme Numeacutenius aurait assureacutement eacuteteacutegecircneacute degraves la formulation de lrsquohypothegravese consideacuterant Un et ecirctre (οὐσία)comme deux eacuteleacutements seacutepareacutes neacutecessitant la participation de lrsquoUn agravelrsquoecirctre (142 b-c) Pour Numeacutenius le premier principe est lrsquoecirctre il nrsquoapas part agrave lrsquoecirctre Lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacutenide ten-tera certes de reacutesoudre la difficulteacute et si Numeacutenius avait commenteacute letexte il aurait sans doute fait de mecircme Mais est-il bien neacutecessaire delui precircter pareille entreprise Il nrsquoest en effet pas davantage inteacuteresseacute agrave

136 Fabienne JOURDAN

106 Voir HD Saffrey LG Westerink op cit p XIX107 Voir par ex le teacutemoignage de Neacutemeacutesius (fr 4 b = Sur la nature de

lrsquohomme 2 8-14) qui les associe dans la critique de la corporeacuteiteacute de lrsquoacircmecaracteacuteristique de la conception stoiumlcienne

utiliser la seacuterie de preacutedicats contraires cette fois accepteacutes pour lrsquoUn decette deuxiegraveme hypothegravese Si nous nrsquoen retenons seulement quelques-uns parmi ceux pouvant concerner une reacutealiteacute intelligible on noteraque la notion de pluraliteacute ne peut concorder avec la repreacutesentation delrsquouniteacute indivisible que constitue le Bien pas davantage que le coupleantitheacutetique drsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave soi Trois points pourraientecirctre malgreacute tout rapprocheacutes dans la deacutefinition du Bien numeacutenien et delrsquoUn de la seconde hypothegravese lrsquoaffirmation drsquoune preacutesence agrave la fois ensoi et en autre chose (145 b 6-7) ndash mais elle est caracteacuteristique de touteforme intelligible et la contradiction apparente est reacutesolue par le pheacute-nomegravene de la participation bien deacuteveloppeacute par Numeacutenius lrsquoideacutee quece principe est en mouvement et en repos (145 a 3-146 a 7)ndash mais nousavons montreacute son sens particulier lieacute au processus de la penseacutee propreagrave lrsquointellect qui nrsquoest pas deacuteveloppeacute dans le Parmeacutenide et enfin larelation au temps (152 a) mais elle nrsquoest que provisoire concernant ladeuxiegraveme hypothegravese dans la mesure ougrave celle-ci va ensuite associerlrsquoecirctre agrave toutes les dimensions du temps alors que Numeacutenius ne lrsquoasso-cie qursquoau preacutesent comme le fait le Timeacutee (et peut-ecirctre le vrai Parmeacute-nide lui-mecircme au fragment 85)

Il nous semble donc peu probable que Numeacutenius ait envisageacute sonpremier principe en songeant agrave lrsquoUn-qui-est du Parmeacutenide ou aitmecircme tenteacute de le lui faire correspondre dans une eacutetape ulteacuterieure de sareacuteflexion En cela le deacutesaccord qui semble affleurer avec Origegravene surla caracteacuterisation des principes se retrouverait sur ce point eacutegalement

c) Le second dieu (le Bon) et lrsquolaquo Un qui est raquo

Une autre possibiliteacute peut toutefois se preacutesenter agrave lrsquoesprit Numeacute-nius nrsquoaurait-il pas alors associeacute agrave ce second Un son second dieu etprincipe qui lui est effectivement agrave la fois Un et plusieurs (143 a 5)au sens ougrave il connaicirct une laquo division raquo lorsqursquoil rencontre la matiegravere108

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 137

108 Fr 11 (19 F)

Telle est en effet lrsquohypothegravese de JD Turner109 On pourrait lrsquoeacutetayer ennotant que ce dieu est drsquoailleurs lui aussi seacutepareacute pour ainsi dire de saforme le Bien ce qui constitue deux aspects de son ecirctre et mecircme de laforme qursquoil produit comme modegravele du monde lui aussi a en outre partagrave lrsquoοὐσία qursquoil reccediloit du premier En extrapolant on pourrait imaginerque crsquoest agrave lui que reviennent tous les couples de contraires puisqursquoilest agrave la fois dans lrsquointelligible par sa contemplation et preacuteoccupeacute dusensible tendant au contact avec la matiegravere110 Mais nous irions troploin Numeacutenius fait certes de ce second dieu lrsquoecirctre deacuteriveacute mais il estecirctre assureacutement et nrsquoest pas concerneacute par les preacutedicats caracteacuterisant lesensible (comme la grandeur la limite lrsquoacircge) Ce qui peut paraicirctrecontraire en ce dieu ce sont seulement des attitudes lieacutees agrave son orienta-tion dans un processus cosmogonique Numeacutenius ne paraicirct pas avoirainsi deacutefini son essence dont la caracteacuteristique fondamentale est lrsquoimi-tation et la participation au Bien Crsquoest pourquoi mecircme si cela peutparaicirctre tentant nous ne pensons pas qursquoil ait conccedilu ce second dieu ensongeant agrave la deuxiegraveme hypothegravese du Parmeacutenide ni mecircme qursquoil aittenteacute apregraves lrsquoavoir deacutefini de le lui faire correspondre111 Le consideacuterer

138 Fabienne JOURDAN

109 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 137-138 qui ajoute agravecela une reacuteflexion sur ce que certains Anciens consideacuteraient comme la troisiegravemehypothegravese (155 e 4-157 b 4) et fait du second dieu de Numeacutenius dans sa dualiteacutemecircme un repreacutesentant des Un de la deuxiegraveme et troisiegraveme hypothegraveses (Un-plu-sieurs et Un-et-plusieurs) Cette lecture est ingeacutenieuse mais inveacuterifiable

110 Fr 11 (19 F)111 Concernant les autres hypothegraveses nous pourrions faire deux remarques

Dans la troisiegraveme la deacutefinition des laquo autres choses raquo comme eacutetant de natureillimiteacutee mais recevant leur limite par participation agrave lrsquoUn (158 d 7-8) corres-pond agrave la conception de la formation du monde par le deacutemiurge (fr 18 26 F cf fr 52) Mais cette interpreacutetation est la leccedilon mecircme du Timeacutee coupleacute avec lePhilegravebe Dans la derniegravere hypothegravese ensuite en 165 c 2 on trouve lrsquoexpres-sion ὀξὺ νοοῦντι pour deacutesigner celui qui regarde de pregraves et voit que les chosesqui paraissent unes sont en reacutealiteacute plusieurs car priveacutees drsquouniteacute Avec lrsquoexpres-sion ὀξὺ βλέποντι au fr 19 (27 F) Numeacutenius pourrait faire un clin drsquoœilentendu agrave ce passage lorsqursquoil invite agrave comprendre ce qui est selon lui le vraisens du terme un appliqueacute au Bien celui drsquouniciteacute Lrsquoeacutecho lexical pourrait ren-

selon chacun de ses deux laquo aspects raquo comme correspondant agrave lrsquolaquo Un-plusieurs raquo et agrave lrsquolaquo Un-et-plusieurs raquo de la deuxiegraveme et de la troisiegravemehypothegraveses entrevue par certains Anciens comme le fait J Turnerrelegraveve selon nous drsquoune lecture plotinienne qui ne correspond pas agravelrsquoenseignement du Περὶ τἀγαθοῦ112 Cela une fois encore nrsquoem-pecircche pas que Numeacutenius ait pu inspirer Plotin dans sa propre lecturedu Parmeacutenide

3 Le Περὶ τἀγαθοῦ et la premiegravere partie du Parmeacutenide

Dans le Περὶ τἀγαθοῦ Numeacutenius nrsquoa ainsi selon nous pas conccedilusa reacuteflexion sur les principes agrave partir drsquoun commentaire du Parmeacutenideni nrsquoa mecircme tenteacute de la faire correspondre aux hypothegraveses de laseconde partie de ce dialogue apregraves lrsquoavoir eacutelaboreacutee En revanche ilsrsquoest assureacutement inteacuteresseacute agrave la premiegravere partie ou du moins aux diffi-culteacutes dans lesquelles elle place la theacuteorie des formes113 Qursquoil ait ounon en tecircte ce dialogue le sien en tout cas cherche assureacutement agraverendre possible la participation et donc agrave sauver la theacuteorie des formespar-delagrave les objections que lui adresse Parmeacutenide Ce sujet nous inteacute-ressant moins directement ici nous ferons bref

Agrave la question de savoir srsquoil y a des formes de tout (130 b-e) Numeacute-nius reacutepond assureacutement qursquoil y en a de tout ce qui a part au Bien114 agrave

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 139

voyer agrave cette illusion relative agrave la saisie de ce qursquoest laquo ecirctre un raquo Lrsquoexpressionnrsquoeacutetant pas absente par ailleurs chez Platon (voir le commentaire au fragment19 27 F) il nrsquoest cependant pas neacutecessaire de penser que Numeacutenius ait ce pas-sage du Parmeacutenide en tecircte il est simplement tentant drsquoy songer dans uncontexte de reacuteflexion sur lrsquoUn

112 Contra JD Turner laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art citp 138-139

113 On remarquera qursquoAlcinoos (Did IX p 163 H 23-31 L W) fait demecircme en reacutepondant agrave la question de ce dont il y a des formes et en concevantcelles-ci comme des penseacutees du premier dieu

114 Fr 13 et 19 (21 et 27 F)

la question du rapport entre forme et participeacute il envisage positive-ment les deux solutions proposeacutees par Socrate a) les formes sont pourlui des penseacutees (cf Parm 132 b-c) elles sont celles du seconddieu115 et elles pensent (cf Parm 132 c) puisque telle est la maniegraverede participer au Bien116 b) les formes sont par ailleurs des paradigmes(cf Parm 132 d) comme le montre lrsquoexemple embleacutematique du rap-port entre le Bon qursquoest le deacutemiurge et le Bien envisageacute commeforme117 Quant agrave lrsquoargument du troisiegraveme homme en placcedilant le Bienau sommet de lrsquointelligible Numeacutenius estime peut-ecirctre y avoir ultime-ment reacutepondu Lrsquoobjection de la seacuteparation (133 a 8-134 c 7) enfinavec le double risque qursquoelle comporte de lrsquoinconnaissabiliteacute desformes (134 a-b) et du deacutefaut de connaissance de notre monde par ledieu qui ne pourrait alors pas agir agrave notre eacutegard (134 e) aura particu-liegraverement retenu son attention tout le dialogue Sur le Bien tend eneffet agrave montrer la continuiteacute agrave la fois ontologique et eacutepisteacutemique desdiffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute ndash le sensible lui-mecircme en tant que prisen charge par le deacutemiurge qui lrsquoeacutelegraveve agrave son propre caractegravere (autrementdit agrave sa bonteacute et agrave ce qui en deacutecoule)118 relegraveve en effet de la μετ-ουσία autrement dit de ce qui vient certes laquo apregraves lrsquoοὐσία raquo mais y amalgreacute tout essentiellement part119 Le Περὶ τἀγαθοῦ conduit en toutcas drsquoune part agrave la connaissance de la forme premiegravere tandis que celle-ci srsquoavegravere la connaissance ultime qui se transmet ensuite120 il montredrsquoautre part la relation permanente du premier agrave notre monde non seu-lement par lrsquointermeacutediaire du second dieu qui assure directement lrsquoac-tion providentielle mais par le salut ou la conservation (σωτηρία)

140 Fabienne JOURDAN

115 Fr 16 (24 F) Nous reacutesumons voir notre interpreacutetation du fragment116 Fr 19 (27 F) Lagrave aussi nous reacutesumons notre interpreacutetation laquo Pense raquo en

reacutealiteacute tout ce qui a part au Bien En outre lrsquoidentification de lrsquointellect agrave uneforme au fragment 20 (28 F) suggegravere cette interpreacutetation

117 Fr 16 19 et 20 (24 27-28 F)118 Fr 11 (19 F) cf fr 18 (26 F)119 Voir lrsquoutilisation fort suggestive de ce terme pour deacutesigner la participa-

tion agrave la fin du fragment 16 (24 F)120 Fr 13-14 (21-22 F)

qursquoil dispense lui-mecircme reacuteellement121 en tant que Bien et qursquoEcirctre quiassure ultimement la coheacutesion du monde

Nous ne preacutetendons pas que Numeacutenius reprenne point par point lesobjections de Parmeacutenide agrave Socrate contre la theacuteorie des formes Maisqursquoil les ait consideacutereacutees directement dans le dialogue de Platon ou qursquoilles ait connues par la tradition il les a prises au seacuterieux et a senti luiaussi la neacutecessiteacute drsquoy reacutepondre pour sauver Platon agrave la maniegravere dont illrsquoentendait

4 Conclusion sur Numeacutenius et le Parmeacutenide

Rien donc dans lrsquoœuvre parvenue ne permet de conclure agrave uneinterpreacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide par Numeacutenius nonseulement les textes ne contiennent pas de reacuteels parallegraveles avec le dia-logue de Platon mais ils suggegraverent que Numeacutenius ne srsquoest fondeacute suraucune des deux premiegraveres hypothegraveses pour deacuteterminer les traits de sonpremier principe ni mecircme sur la deuxiegraveme (voire la troisiegraveme) pourdeacutefinir le second Il est mecircme peu vraisemblable qursquoil ait tenteacute reacutetros-pectivement de les leur faire correspondre Il srsquoest en revanche assureacute-ment inquieacuteteacute des objections dresseacutees contre la theacuteorie des formes dansla premiegravere partie du dialogue et aura tenteacute drsquoy reacutepondre en assurant lavaliditeacute de la participation selon les diffeacuterentes modaliteacutes envisageacutees lagravepar Socrate ndash en cela il srsquoinscrit vraisemblablement dans la traditionplatonicienne122 dont il heacuterite peut-ecirctre plus de la probleacutematique qursquoilne la cherche directement dans le texte de Platon Concernant laseconde partie du dialogue il a pu percevoir dans lrsquoexposeacute de la pre-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 141

121 Fr 15 (23 F)122 Voir les remarques de la note 100 sur Alcinoos Mecircme si Alcinoos est

peut-ecirctre posteacuterieur agrave Numeacutenius de toute eacutevidence les platoniciens ont tenteacutede montrer la justesse de la theacuteorie des formes et de la participation contre lescritiques drsquoAristote ainsi assureacutement que contre celles deacutejagrave eacuteleveacutees dans leParmeacutenide et vraisemblablement inspireacutees (entre autres) par les discussions ausein de lrsquoAcadeacutemie

miegravere hypothegravese une raison suffisante pour ne pas identifier son premierprincipe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit prenant ainsi Platon agrave la lettre agrave propos ducaractegravere aporeacutetique de lrsquoUn tel qursquoil eacutetait lagrave envisageacute

Si elle eacutetait aveacutereacutee cette attitude aurait une double conseacutequencepour la compreacutehension de lrsquohistoire du platonisme

Elle pourrait drsquoabord reacuteveacuteler une intention poleacutemique agrave plusieursniveaux Elle est en effet concevable comme une reacuteaction agrave lrsquoeacuteven-tuelle association neacuteo-pythagoricienne du premier principe associeacute agravelrsquoUn ou agrave la monade avec lrsquoUn absolu de la premiegravere hypothegravese duParmeacutenide Mecircme si selon nous lrsquoidentification du premier principe agravelrsquoUn chez Speusippe et les neacuteo-pythagoriciens123 relegraveve avant tout dela tradition acadeacutemicienne pythagorisante relative agrave lrsquoUn et agrave la Dyadeainsi que du compte-rendu aristoteacutelicien de lrsquoenseignement oral de Pla-ton sur les principes124 il nrsquoy a pas en soi de raison drsquoexclure une pos-sible invocation pour confirmation de lrsquoUn du Parmeacutenide (agrave condi-tion de ne pas leur precircter une interpreacutetation neacuteoplatonicienne) Parsuite une poleacutemique avec lrsquoAncienne Acadeacutemie est eacutegalement envisa-geable Non seulement dans sa deacutefense de la theacuteorie des formes125Numeacutenius pourrait tenter de reacutepliquer agrave la suppression de celles-ciopeacutereacutee par Speusippe mais aussi srsquoopposer agrave la conception du premierprincipe precircteacutee agrave lrsquoAncien Acadeacutemicien Que lrsquoon croie Aristote selonlequel lrsquoUn de Speusippe ne serait laquo pas mecircme un ecirctre raquo126 ou plutocirct

142 Fabienne JOURDAN

123 Voir la note 75124 Voir aussi Meacutet N 4 1091 b 13-15 EE A 8 1218 a 15-32 ougrave le Bien est

associeacute agrave lrsquoUn125 Selon lui la connaissance drsquoun objet quelconque consistait dans celle

de ses relations agrave tous les autres (fr 73 Taraacuten = 2 I P2 = Proclus In Euclp 179 12-22 Friedlein) et crsquoest aux nombres qursquoil aurait alors accordeacute le statutde principe (voir le reacutesumeacute de A Meacutetry Speusippos Zahl Erkenntnis SeinBernStuttgartWien Paul Haupt 2002 p 11-13 et celui de HD Kraumlmerlaquo Die Aumlltere Akademie raquo dans H Flashar (eacuted) Grundriss der Geschichte derPhilosophie Band 3 Aumlltere Akademie Aristoteles Peripatos Basel SchwabeVerlag 20042 [1983] p 16-17)

126 μηδὲ ὄν τι εἶναι τὸ ἕν αὐτό Meacutet N 5 1092 a 16 (fr 43 Taraacuten = 25 IP2 = Aristote Meacutet N 5 1092 a 11-17)

Jamblique selon qui il ne serait laquo pas encore ecirctre raquo127 une distinctionentre lrsquoUn conccedilu comme premier principe et lrsquoecirctre semble agrave lrsquoœuvrechez lui128 si bien que certains ont mecircme penseacute que Platon lui reacutepon-dait dans le Parmeacutenide129 Il nrsquoest pas utile drsquoentrer dans ce deacutebat laposition de Speusippe peut relever drsquoune reacuteflexion sur le Bien deReacutepublique VI et drsquoune appropriation de lrsquoenseignement oral de Platonagrave nous transmis par le compte-rendu aristoteacutelicien qui laisse Platonassocier eacutetroitement le Bien et lrsquoUn Disons simplement que srsquoil a euconnaissance de la position de Speusippe Numeacutenius peut avoir voulului reacutepondre Nrsquooublions pas qursquoagrave lui comme agrave ses pairs dans lrsquoAn-cienne Acadeacutemie il reproche de ne pas avoir pas laquo tout souffert raquo pour

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 143

127 ὅπερ δὴ ουδὲ ὄν πω δεῖ καλεῖν DCMS IV p 157-8 FestaKlein128 La reconstruction de lrsquoenseignement exact de Speusippe sur le premier

principe est neacutecessairement fragile drsquoune part elle est fondeacutee sur lrsquointerpreacuteta-tion du texte drsquoAristote qui est empreint de critique drsquoautre part elle esteacutetayeacutee par deux autres textes dont le lien agrave Speusippe est controverseacute et dontles auteurs agrave la fois sont familiers du neacuteo-pythagorisme et ont lu Plotin chezqui lrsquoUn est effectivement au-dessus de lrsquoecirctre (il srsquoagit de Jamblique et de Pro-clus dans la traduction de Guillaume de Moerbeke In Parm VII 401-9 Kli-bansky-Labowsky = 50162-71 Steel = fr 48 Taraacuten = 30 IP2) Nous ne propo-sons ici qursquoune hypothegravese de reacuteflexion Pour un exposeacute plus deacutetailleacute sur la rela-tion eacuteventuelle de Numeacutenius agrave Speusippe dans lrsquoeacutelaboration drsquoune leacutegitimiteacuteplatonicienne voir la premiegravere annexe de notre eacutedition commenteacutee des frag-ments de Numeacutenius en preacuteparation

129 Crsquoest la lecture de A Graeser (laquo Platon gegen Speusipp Bemerkun-gen zur ersten Hypothese des Platonischen Parmenides raquo Museum Helveti-cum 54 1997 p 45-47 et laquo Anhang Probleme der Speusipp-Interpreta-tion raquo dans Prolegomena zu einer Interpretation des zweiten Teils des Plato-nischen Parmenides Bern Paul Haupt 1999 p 41-53) et J Halfwassen(Der Aufstieg zum Einen op cit et laquo Speusipp und die metaphysische Deu-tung von Platons Parmenides raquo art cit) adopteacutee par ex par R Dancy(laquo Speusippus raquo dans EN Zalta (eacuted) The Stanford Encyclopedia of Philo-sophy Winter 2012 Edition 20112 [2003] en ligne) et rejeteacutee par C Steel(laquo A Neoplatonic Speusippus raquo art cit p 470 473-475) et LP Gerson(laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit p 2-11de la version eacutelectronique)

rester dans une communauteacute de penseacutee avec leur maicirctre130 Commenous lrsquoavons suggeacutereacute dans les preacuteliminaires il ne serait alors pasimpossible qursquoavec cette eacuteventuelle lecture du Parmeacutenide Numeacuteniuseucirct souhaiteacute reacutepliquer agrave lrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne signaleacutee delrsquoenseignement oral de Platon trouvant quant agrave lui dans le Platon eacutecritla juste interpreacutetation du Platon oral mal laquo entendu raquo Pareille supposi-tion doit toutefois ecirctre prise avec prudence

Par-delagrave la mise en eacutevidence drsquoune poleacutemique agrave plusieurs niveauxlrsquohypothegravese proposeacutee sur lrsquoattitude de Numeacutenius concernant ladeuxiegraveme partie du Parmeacutenide permet de mieux deacuteterminer a contra-rio ce qui caracteacuterise une interpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo 131 du dia-logue De maniegravere geacuteneacuterale drsquoabord la position de Numeacutenius montrepar contraste que lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne trouve son originedans une vue contraire agrave la sienne sur le statut de la forme du Bien et sasituation agrave lrsquoeacutegard de lrsquoοὐσία en Reacutepublique VI ainsi peut-ecirctre que

144 Fabienne JOURDAN

130 Fr 2416-18 1 F = Eusegravebe PE XIV 5 2131 Nous en restons aux caractegraveres geacuteneacuteraux il nrsquoy a en effet pas une seule

et unique interpreacutetation post-plotinienne du Parmeacutenide On remarquera enoutre que Jamblique (drsquoapregraves Proclus In Tim III 1049-16 Diehl) semble eacutevo-quer chez Ameacutelius et Numeacutenius (si lrsquoon suit le raisonnement de Proclus) desdistinctions relatives aux diviniteacutes dans le Sophiste le Philegravebe et le Parmeacutenidequi ne correspondent pas agrave celles retenues dans le neacuteoplatonisme Si ce proposne se rapporte pas seulement agrave Ameacutelius mais vraiment aussi agrave Numeacutenius ilfaudrait en tirer lagrave encore la conclusion que son interpreacutetation ne correspondpas agrave celle du neacuteoplatonisme qui identifie son premier principe agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et donc pas non plus agrave celle des neacuteopytha-goriciens que lrsquoon reconstruit agrave partir des teacutemoignages neacuteoplatoniciens Celadit mecircme srsquoil est tentant de penser que le οὗτοι (10411) de Proclus renvoieaux deux exeacutegegravetes qursquoil vient de citer il se peut malgreacute tout que ne soit deacutesigneacutelagrave que le seul Ameacutelius disciple de Plotin et donc assureacutement familier de lrsquoexeacute-gegravese du Parmeacutenide Il nrsquoy a en revanche aucune difficulteacute agrave precircter agrave Numeacuteniusdes exeacutegegraveses partielles du Sophiste et du Philegravebe (voir nos interpreacutetations desfragments 15 23 F) et 19 27 F) Il nrsquoy en a drsquoailleurs pas davantage agrave imagi-ner chez lui une utilisation partielle du Parmeacutenide ou des allusions agrave ce dia-logue voire une prise agrave la lettre du propos de Parmeacutenide sur lrsquoUn de la pre-miegravere hypothegravese conduisant agrave renoncer agrave celui-ci comme premier principe

dans une appropriation du compte-rendu de lrsquoenseignement oral dePlaton par Aristote En affirmant lrsquoidentiteacute ontologique du Bien et delrsquoEcirctre Numeacutenius srsquointerdit lrsquoidentification de son premier principe agravelrsquoUn distinct de lrsquoecirctre de la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide En refu-sant au contraire pareille identiteacute en srsquoappuyant peut-ecirctre sur lrsquoidenti-fication du Bien et de lrsquoUn precircteacutee agrave Platon et aux platoniciens par Aris-tote et en appliquant ces deux eacuteleacutements agrave une lecture du Parmeacutenide132Plotin ouvre la voie de lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologiqueulteacuterieure du dialogue Malgreacute son caractegravere hypotheacutetique la supposi-tion selon laquelle Numeacutenius prendrait effectivement acte des conseacute-quences aporeacutetiques de la premiegravere hypothegravese en nrsquoidentifiant pas sonpremier principe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit permet ici encore a contrariode deacuteterminer deux autres eacuteleacutements indissociables caracteacuteristiques delrsquointerpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo du Parmeacutenide lrsquoidentification dupremier principe agrave lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese et par suite une lec-ture laquo positive raquo de celle-ci qui en reacutealiteacute contredit les conclusionsneacutegatives de Platon agrave son sujet Une theacuteologie neacutegative en est alorscertes tireacutee (que lrsquoon songe au Commentaire anonyme au Parmeacutenideou agrave celui de Proclus133) Mais cette neacutegativiteacute est conccedilue commereacutesultant de lrsquoincapaciteacute fondamentale de lrsquohomme agrave concevoir le pre-mier principe autrement que par analogies et approximations neacutecessai-rement erroneacutees Elle ne concerne pas le principe en lui-mecircme ni laconviction qursquoil constitue le fondement ultime assurant la coheacutesion dela reacutealiteacute Numeacutenius aura quant agrave lui preacutefeacutereacute rester fidegravele agrave la lettre dutexte et donc aux doutes du maicirctre qui laisse parler Parmeacutenide Agrave ce

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 145

132 Les deux premiers eacuteleacutements agrave eux seuls conduisent seulement agrave laposition de Speusippe dont rien ne permet drsquoaffirmer le rattachement au Par-meacutenide Nous compleacutetons en cela les hypothegraveses de J Whittaker laquo ΕΠΕ-ΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit Voir aussi LP Gerson laquo The lsquoNeo-platonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit

133 In Parm VII 51872-84 Plutocirct que de radicaliser la neacutegation pour par-ler de lrsquoUn Proclus indique que la neacutegation porte en reacutealiteacute sur la conceptionde lrsquoUn et pas sur lrsquoUn lui-mecircme qui garde la fonction laquo positive raquo drsquoassurer lacoheacutesion du reacuteel

stade de nos connaissances et drsquoapregraves lrsquoœuvre parvenue precircter agraveNumeacutenius cette reacuteaction aux conclusions de la premiegravere hypothegravesenous paraicirct la seule maniegravere prudente drsquoenvisager de sa part une inter-preacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide Renoncer agrave lui en precircterune ne poserait toutefois aucune difficulteacute

5 Appendice Numeacutenius et Parmeacutenide134

Cette conclusion sobre sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenidesuggegravere drsquointerroger pour finir son attitude agrave lrsquoeacutegard du Parmeacutenide his-torique lui-mecircme auquel Plotin fait parfois appel Que Numeacutenius aitconnu et utiliseacute (directement ou non) le poegraveme Sur la nature est aveacutereacutepar le teacutemoignage de Porphyre selon lequel il aurait associeacute les porteseacutevoqueacutees lagrave135 agrave celles du Cancer et du Capricorne repreacutesentant selonlui les voies respectivement descendante et ascendante des acircmes136Or dans le Περὶ τἀγαθοῦ qui seul nous inteacuteresse ici deux eacuteleacutementsdoctrinaux pourraient relever drsquoune appropriation personnelle de Par-meacutenide ou plutocirct de la tradition agrave son sujet telle qursquoelle serait parvenueagrave Numeacutenius ndash Platon ayant assureacutement aiguiseacute chez ses successeurslrsquointeacuterecirct pour la penseacutee du personnage eacuteponyme de son dialogue Sansentrer dans une recherche des sources ni dans un exposeacute deacutetailleacute de lapenseacutee de Parmeacutenide et des interpreacutetations de son poegraveme nous nouscontenterons ici drsquoeacutevoquer ces deux points dans le simple but drsquoouvrirla recherche

Le premier concerne la relation de lrsquoecirctre au temps et au change-ment telle qursquoelle est deacutecrite dans le fragment 5 (14 F) deacutejagrave citeacute en par-tie Lrsquoaffirmation que lrsquoecirctre ne saurait ecirctre dans le passeacute ou lrsquoavenir

146 Fabienne JOURDAN

134 Je remercie Francesco Fronterotta drsquoavoir relu cette derniegravere section135 Parmeacutenide fr 1 11 D-K ougrave sont deacutecrites les laquo portes ouvrant sur les

chemins de la nuit et du jour raquo136 Voir Porphyre De antro 21-24 ici surtout 24 Numeacutenius fr 31 27-28

Sur ce texte voir le commentaire de W Huumlbner dans lrsquointroduction de lrsquoeacuteditioncommenteacutee du De Antro parue sous la direction de T Dorandi Paris Vrin2019

mais que seul le preacutesent lui convient et qursquoil ne pourrait pas davantagechanger renvoie assureacutement au propos du Timeacutee (37 d 2-38 b 2)137Que Platon deacuteveloppe ici une reacuteflexion originellement preacutesente chezParmeacutenide et plus preacuteciseacutement pour nous dans le fragment 8 de sonpoegraveme138 pourrait suffire agrave expliquer cet eacutecho parmeacutenidien chezNumeacutenius Mais il est frappant que dans ce fragment 5 (14 F) duΠερὶ τἀγαθοῦ relayeacute par les suivants Numeacutenius reprenne une seacuteriedrsquoeacuteleacutements qui deacutecrivent lrsquoecirctre dans le passage concerneacute du poegraveme outre ceux deacutejagrave nommeacutes on retrouve chez lui lrsquoimpossibiliteacute qursquoalrsquoecirctre de devenir plus grand ou plus petit139 et la neacutecessiteacute qui estsienne de demeurer en lui-mecircme au mecircme endroit140 Ainsi lorsqueNumeacutenius estime que si ces laquo prescriptions raquo indispensables agrave ladeacutetermination de lrsquoecirctre veacuteritable nrsquoeacutetaient pas respecteacutees il se produi-rait une laquo impossibiliteacute majeure dans son discours unique en songenre agrave savoir que lrsquoecirctre agrave la fois serait et ne serait pas raquo141 et faitensuite paraphraser lrsquoideacutee par le disciple du dialogue avec la formule

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 147

137 Voir aussi Plutarque De E 20 393 a-c dont la position est compareacuteeavec celle de Numeacutenius dans notre analyse du fragment

138 Voir les vers suivants du fragment 8 D-K agrave lrsquoorigine de toute lareacuteflexion sur lrsquoeacuteterniteacute (cf M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art citp 157) οὐδέ ποτ᾽ ἦν ἔσται ἐπεὶ νῦν ἐστιν ὁμοῦ πᾶν ἕν συνεχές τίναγὰρ γένναν διζήσεαι αὐτοῦ laquo Il nrsquoa jamais eacuteteacute et ne sera jamais puisqursquoilest maintenant tout ensemble un continu Car quelle naissance pourrais-tului chercher raquo v 5-7 (trad Kirk Raven Schofield en fr par H-A de Weck)et πῶς δ᾽ἄν ἔπειτα πέλοι τὸ ἐόν πῶς δ᾽ἄν κε γένοιτο εἰ γὰρ ἔγεντ᾽ οὐκἔστ᾽ οὐδ᾽ εἴ ποτε μέλλει ἔσεσθαι τῶς γένεσις μὲν ἀπέσβεσται καὶἄπυστος ὄλεθρος laquo Comment pourrait-il ecirctre par la suite Celui qui est Comment pourrait-il naicirctre Car srsquoil est neacute il nrsquoest pas de mecircme lt il nrsquoest pasnon plus gt srsquoil doit ecirctre un jour Ainsi est eacuteteinte la naissance eacuteteinte aussi ladestruction disparue sans qursquoon en parle raquo v 19-21 (trad D OrsquoBrien leacutegegravere-ment modifieacutee) Voir aussi les vers 26-28 du mecircme fragment 8 D-K sur lrsquoab-sence de mouvement ainsi que de deacutebut et de fin

139 Parmeacutenide fr 844-45 D-K140 Parmeacutenide fr 829-30 D-K cf Numeacutenius fr 11 (19 F)141 ὡς τούτου γε οὕτως λεγομένου ἓν γίνεταί τι ἐν τῷ λόγῳ μέγα

ἀδύνατον εἶναί τε ὁμοῦ ταὐτὸν καὶ μὴ εἶναι

relativement complexe εἰ δὲ οὕτως ἔχει σχολῇ γrsquo ἂν ἄλλο τι εἶναιδύναιτο τοῦ ὄντος αὐτοῦ μὴ ὄντος κατὰ αὐτὸ τὸ ὄν il nrsquoest pasexclu qursquoil ait ici le poegraveme parmeacutenidien agrave lrsquoesprit auquel il seraitrevenu directement ou non sous lrsquoimpulsion de Platon La phraseindique en effet (nous paraphrasons) que si pareille impossibiliteacute seproduisait il serait mecircme impossible agrave autre chose (que lrsquoecirctre) drsquoecirctrepuisque lrsquoecirctre lui-mecircme ne serait pas selon ce qursquoil devrait ecirctre (κατὰαὐτὸ τὸ ὄν) autrement dit selon sa propre essence et deacutefinitionNumeacutenius suggegravere sans doute par lagrave que si lrsquoecirctre eacutetait soumis au pas-sage du temps et au changement il serait tout simplement non-ecirctrepuisqursquoil ne correspondrait pas agrave sa propre deacutefinition ce qui explique-rait son impossibiliteacute de constituer le fondement de la reacutealiteacute Une foisreplaceacute dans le contexte de penseacutee de Numeacutenius ougrave ce qui est non-ecirctreest la matiegravere et la partie du sensible qui relegraveve drsquoelle lrsquoideacutee semblefort proche de la maniegravere dont Parmeacutenide dresse lrsquoantithegravese entre ecirctreet non-ecirctre dans ce mecircme fragment 8 de son poegraveme142 Cette impres-sion peut ecirctre eacutetayeacutee par celle drsquoune prise de distance agrave lrsquoeacutegard de cepassage du poegraveme lorsque Numeacutenius affirme que lrsquoecirctre nrsquoest pasmecircme mucirc autour de son centre143 si cette preacutecision fait sans doutedrsquoabord allusion agrave lrsquoacircme du monde qui se meut autour de celui-ci dansle Timeacutee et par suite au refus drsquoidentifier lrsquoecirctre veacuteritable agrave une acircme144elle porte peut-ecirctre eacutegalement la trace drsquoune reacuteaction agrave lrsquoidentificationparmeacutenidienne de lrsquoecirctre agrave une sphegravere145 Lrsquohypothegravese est cependantplus fragile et Numeacutenius heacuterite sans doute avant tout de Platon enverslequel il se situe Crsquoest agrave partir du Timeacutee qursquoil eacutelabore sa penseacutee Maisil ne semble pas exclu qursquoil soit parfois retourneacute (directement ou non)agrave lrsquooriginal auquel reacutefegravere implicitement Platon ce qui est drsquoautant plus

148 Fabienne JOURDAN

142 Sur le non-ecirctre chez Parmeacutenide voir par ex D OrsquoBrien Le Non-Ecirctredans la philosophie grecque Parmeacutenide Platon Plotin raquo dans P Aubenque(eacuted) Eacutetudes sur le Sophiste de Platon Napoli Bibliopolis 1991 p 4-9

143 οὔτε περὶ τὸ μέσον ποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται144 Il srsquoagit lagrave selon nous drsquoun argument essentiel agrave la non-identification

numeacutenienne du deacutemiurge agrave lrsquoacircme du monde145 Fr 8 42-44 D-K

vraisemblable que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacute comme un pythago-ricien146

Le second eacuteleacutement du Περὶ τἀγαθοῦ qui pourrait suggeacuterer lrsquoap-propriation drsquoun passage de Parmeacutenide147 est lrsquoidentification de lrsquoecirctreet de lrsquointellect agrave chacun des deux niveaux ougrave Numeacutenius les situe Ecirctre lui-mecircme (αὐτοόν) et ecirctre deacuteriveacute (ὄν) premier et second intel-lects correspondant au premier et au deuxiegraveme dieu Sans entrer dansle deacutetail de lrsquointerpreacutetation disons simplement que selon nous en fai-sant de lrsquolaquo acte raquo de penser148 lrsquoapanage du premier dieu et en identi-fiant ce mecircme dieu agrave lrsquoEcirctre149 Numeacutenius suggegravere une union intime etprofonde entre ecirctre et penser qursquoil aurait pu consideacuterer comme remon-tant agrave Parmeacutenide lui-mecircme ou qursquoil aurait pu eacutetayer par une appropria-tion du fragment 3 de son poegraveme tel qursquoil est transmis par CleacutementdrsquoAlexandrie et Plotin150 [] τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶεἶναι [] Certes dans ce fragment de vers lrsquoidentification entre ecirctreet penser est suggeacutereacutee par lrsquoextraction du texte hors de son contexte envue justement drsquoy trouver pareille identification Elle ne correspond

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 149

146 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres IX 21(A 1 D-K) Proclus In Parm I 6194 Cousin cf Jamblique VP 166 (A 4D-K)

147 Pour reprendre les termes du fragment 1 (10 F) on pourrait aussi parlerde lrsquolaquo invocation raquo de Parmeacutenide comme source pythagorisante en accord avecPlaton et confirmant la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ elle-mecircme eacutetayeacutee par leslaquo teacutemoignages raquo de celui-ci Numeacutenius semble en effet pouvoir citer Parmeacute-nide pour confirmer son propos agrave la fois parce qursquoil ne pouvait que paraicirctre enaccord avec Platon (cf fr 1 10 F) et parce que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacutecomme pythagoricien

148 Degraves le fragment 15 (23 F) de maniegravere implicite dans le fragment 16 (24F) et explicite au fragment 19 (27 F)

149 Fr 17 (25 F)150 Cleacutement Strom VI 2 233 Plotin Enn VI 1 [10] 817 V 9 [5] 29-

30 cf I 4 [46] 106 III 8 [30] 88 VI 7 [38] 4118 (voir D OrsquoBrien Eacutetudessur Parmeacutenide T I Le Poegraveme de Parmeacutenide Paris Vrin 1987 p 19) ndash Onpourrait drsquoailleurs aussi penser aux vers 34-36 du fragment 8 eacutevoqueacute dans leparagraphe preacuteceacutedent

sans doute pas au sens originel du passage151 De plus chez Numeacuteniusle type de penseacutee speacutecifique agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme nrsquoest pas le νοεῖν maisle φρονεῖν Mais drsquoune part νοεῖν nrsquoayant pas chez Parmeacutenide lesens preacutecis que lui donne ensuite la tradition platonicienne une margerelative drsquointerpreacutetation et de preacutecision eacutetait laisseacutee agrave lrsquointerpregraveteappartenant agrave cette tradition152 drsquoautre part on peut tregraves bien imaginerNumeacutenius extraire ce passage dont la juxtaposition des termes luiaurait paru opportune pour eacutetayer son propos et preacuteciser le sens de laformule ainsi obtenue en distinguant deux niveaux de lrsquoecirctre auxquelscorrespondent deux types distincts de penseacutee (le νοεῖν entendu ausens platonicien drsquointellection revenant au seul second dieu)153Lorsque Cleacutement et apregraves lui Plotin reprennent cette formule il neserait pas impossible qursquoils lrsquoempruntent ainsi extraite agrave Numeacutenius

150 Fabienne JOURDAN

151 Denis OrsquoBrien (ibid p 19 209-212) a montreacute qursquoen reacutealiteacute dans lepoegraveme les deux infinitifs ne doivent vraisemblablement pas ecirctre pris commesujet drsquoun ἐστίν agrave valeur copulative mais peut-ecirctre comme compleacutement dupronom (τὸ αὐτό) ou de lrsquouniteacute syntaxique constitueacutee par le pronom et leverbe (au sens de laquo crsquoest une seule et mecircme chose pour penser et pour ecirctre raquodrsquoougrave la traduction par laquo crsquoest une seule et mecircme chose que lrsquoon pense et quiest raquo) F Fronterotta reprend son analyse et conclut que pour Parmeacutenideνοεῖν deacutesigne une forme de perception immeacutediate non sans lien avec lrsquoactiviteacutesensorielle mais allant au-delagrave des sens et de leur uniteacute creacuteative (laquo Someremarks on noein in Parmenides raquo dans S Stern-Gillet K Korrigan (eacuted)Reading ancient texts Vol I Presocratics and Plato Leiden Brill 2007p 3-19) Il ne srsquoagit donc pas (encore) de la perception intuitive que deacutesignerace verbe ulteacuterieurement

152 Voir la note preacuteceacutedente153 Nous pourrions preacuteciser ainsi lrsquointention de Numeacutenius srsquoil songe effec-

tivement agrave cette formule Selon nous il partage la conviction platonicienne quiveut que pour ecirctre pensable il faut ecirctre reacuteellement (et donc ecirctre intelligible crsquoest la leccedilon du Timeacutee) Srsquoil confrontait cette conviction au vers de Parmeacute-nide il lui donnerait donc drsquoabord lrsquointerpreacutetation laquo objective raquo deacuteceleacutee parFr Fronterotta (laquo Some remarks on noein in Parmenides raquo art cit) Toutefoisdans sa deacutefinition de lrsquoecirctre bientocirct identifieacute au Bien il retourne de toute eacutevi-dence cette conception et considegravere que nrsquoest veacuteritablement que ce qui est pen-sable (et donc lagrave encore intelligible par ex fr 4 a 13 F sur la matiegravere qui

Plotin lrsquoutilise certes pour caracteacuteriser le seul et unique Intellect chezlui situeacute au seul second niveau de la reacutealiteacute Mais cela correspondrait agravesa tendance geacuteneacuterale agrave faire passer au second niveau ce qui correspondau premier chez Numeacutenius154

De Numeacutenius il heacuterite donc peut ecirctre drsquoune lecture de Parmeacutenideplutocirct que du Parmeacutenide

Fabienne JOURDANCNRS UMR 8167 laquo Orient et Meacutediterraneacutee raquo Paris-Sorbonne

jourdanfabiennewanadoofr

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 151

nrsquoest pas ecirctre et ougrave une preuve de cet eacutetat est son caractegravere inconnaissable)Appliqueacutee agrave la formule de Parmeacutenide cette conviction en produirait ce queFr Fronterotta appelle une lecture laquo subjective raquo En outre dans le deacutesir sansdoute drsquoexpliquer la participation de maniegravere concregravete il ne donne pas seule-ment lrsquointelligibiliteacute comme condition de lrsquoecirctre (au sens passif du terme) maisil considegravere le fait de penser comme condition du fait drsquoecirctre reacuteellement (ausens laquo actif raquo du terme) Crsquoest pourquoi srsquoil avait connu et utiliseacute la formule deParmeacutenide ne serait-ce que pour eacutetayer son propos il y aurait sans douteentendu lrsquoaffirmation de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre et de la penseacutee mieux du penserCela pourrait certes paraicirctre lui attribuer une forme drsquoideacutealisme heacutegeacutelien(selon les termes de Fr Fronterrota laquo Some remarks on noein in Parmenides raquoart cit p 6) Mais telle est aussi la lecture de Cleacutement drsquoAlexandrie (StromVI 2 233) Or mecircme srsquoil ne le cite explicitement qursquoune fois (Strom I 22150 1-4 = 29 Fd) Cleacutement connaicirct Numeacutenius et se sert parfois de ses eacutecritssans le nommer (voir par ex Strom I 8 405 Strom I 13 571) Il nrsquoest doncpas impossible que pareille interpreacutetation circulacirct deacutejagrave au temps de Numeacuteniusvoire chez lui et mecircme gracircce agrave lui Le raisonnement du Περὶ τἀγαθοῦ dumoins passe par lrsquoidentification de lrsquoecirctre agrave lrsquo laquo activiteacute raquo de penser ensuiteconccedilue aux niveaux infeacuterieurs comme condition mecircme de leur participation agravelrsquoecirctre (voir le fr 19 27 F)

154 Nous simplifions et deacutecrivons simplement une tendance le processuspreacutecis requerrait une explication deacutetailleacutee qui nrsquoa pas sa place ici

152 Fabienne JOURDAN

Page 12: NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE · 2020. 4. 16. · NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE?* PREMIÈREPARTIE: L’ŒUVREPARVENUEDENUMÉNIUSETLEPARMÉNIDE DEPLATON RÉSUMÉ Si

gie imposerait alors de situer cette source avant Plotin Voici doncrevenue lrsquohypothegravese drsquoun commentaire meacutedio-platonicien au Parmeacute-nide les parallegraveles avec le Commentaire anonyme suggeacuterant alorscette fois plus assureacutement le nom de Numeacutenius comme sonauteur M Tardieu la formule prudemment34 P Hadot lrsquoeacuteloigne dis-cregravetement35 mais elle est vivement deacutefendue par G Bechtle et sespartisans qui faisant la synthegravese de ces deacutecouvertes en tirent alorsla conviction que Numeacutenius serait non seulement lrsquoauteur du Com-mentaire anonyme mais aussi la source de ce que M Tardieu nommelrsquo laquo exposeacute commun raquo36 et que nous nommerons aussi provisoirementde cette maniegravere37

Plus que lrsquoœuvre parvenue elle-mecircme crsquoest cette triple probleacutema-tique propre agrave lrsquohistoire de la philosophie et agrave sa recherche des sourcesqui impose lrsquoexamen de la relation de Numeacutenius au Parmeacutenide exa-men qursquoelle rend lui-mecircme triple en suggeacuterant de surcroicirct que chaqueeacutetape corrobore la preacuteceacutedente Notre enquecircte suivra ces trois eacutetapes elle tentera drsquoeacutevaluer si cet enchaicircnement argumentatif lieacute agrave lrsquoeacutetudeconjointe de ces trois seacuteries de textes nrsquoest pas forceacute tant il paraicirctessentiellement ducirc agrave la surenchegravere en preacutecision dans lrsquohypothegravese delrsquoexistence drsquoune interpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologique pythago-risante et preacute-plotinienne du Parmeacutenide

Dans la premiegravere partie de lrsquoeacutetude proposeacutee dans ce numeacutero noustenterons donc drsquoeacutevaluer la place de Numeacutenius au sein du laquo neacuteo-pytha-gorisme raquo censeacute avoir deacutejagrave produit une telle interpreacutetation Commenous serions plus que reacuteserveacutee sur la preacutesence de celle-ci chez Modeacute-

112 Fabienne JOURDAN

34 Dans M Tardieu et P Hadot Recherches sur la formation de lrsquoApoca-lypse de Zostrien op cit p 112-113

35 Dans ibid p 11436 G Bechtle The Anonymous Commentary op cit p 248-249 n 683

laquo The Question of Being raquo art cit p 408-412 laquo A neglected Testimonium raquoart cit p 568 JD Turner semble le suivre dans les articles deacutejagrave signaleacutes K Corrigan eacutegalement en songeant plutocirct agrave Cronius

37 Le statut reacuteel de cet laquo exposeacute raquo sera examineacute dans la troisiegraveme partie decette eacutetude (Revue de philosophie ancienne 38-1)

ratus et ses preacutedeacutecesseurs38 nous ne ferons allusion agrave ce point qursquoenconclusion Nous nous concentrerons ici de la maniegravere la plus sobrepossible sur lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et examinerons srsquoil estpossible de lui precircter un commentaire ne serait-ce que partiel du Par-meacutenide

Dans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude qui sera publieacutee dans lenumeacutero suivant (37-2) nous analyserons les parallegraveles et les diver-gences entre lrsquoœuvre de Numeacutenius et le Commentaire anonyme au Par-meacutenide Il srsquoagira drsquoeacutevaluer la validiteacute de lrsquohypothegravese qui attribue cecommentaire agrave Numeacutenius mais aussi de reconsideacuterer leur relationmutuelle laquelle est riche drsquoenseignements pour la reacuteflexion surlrsquoeacutelaboration du neacuteoplatonisme

Dans la troisiegraveme partie de lrsquoeacutetude qui sera publieacutee dans le numeacutero38-1 nous examinerons lrsquo laquo exposeacute commun raquo au Zostrien et agrave MariusVictorinus sa relation au Commentaire anonyme et au Parmeacutenide lui-mecircme et les parallegraveles qursquoon y voit parfois avec lrsquoœuvre parvenue deNumeacutenius pour envisager quelle place celle-ci pourrait avoir dans lareconstitution de ses sources

Chaque partie peut ecirctre lue indeacutependamment selon les centresdrsquointeacuterecircts de chacun Lrsquoensemble visera agrave eacutevaluer srsquoil est vraimentneacutecessaire de bouleverser la conception la plus courante de lrsquohistoire

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 113

38 Sans rejeter absolument un recours au Parmeacutenide anteacuterieur agrave Plotinnous estimons non justifieacute de precircter agrave Modeacuteratus une interpreacutetation theacuteolo-gique et meacutetaphysique du Parmeacutenide sur la foi du teacutemoignage de Simplicius(In Phys 23034-2319) Nous suivons sur ce point les reacuteserves de A-J Festu-giegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 22 n 3 JM Ristlaquo The Neoplatonic One and Platorsquos Parmenides raquo Transactions and Procee-dings of the American Philological Association 93 1962 p 389-401 C Steel laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 19-20qui rappelle agrave juste titre le rocircle de Porphyre comme source de Simplicius JN Hubler laquo Moderatus ER Dodds and the Development of NeoplatonistEmanation raquo dans JD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and itsHeritage op cit vol I p 115-130 ainsi que les reacuteserves de Philippe Hoff-mann lors du seminaire de la Society of Biblical Literature en 2003 (laquo Rethin-king Platorsquos Parmenides and its Platonic Gnostic and Patristic Reception raquo)

du platonisme en donnant Numeacutenius comme preacutecurseur de Plotin danslrsquointerpreacutetation meacutetaphysique du Parmeacutenide Si tel nrsquoest pas le cas elleconfirmera a contrario les critegraveres drsquoune interpreacutetation reacuteellement neacuteo-platonicienne de la seconde partie du dialogue Disons en outre drsquoem-bleacutee qursquoeacutetant donneacute que nous ne pouvons raisonner qursquoagrave partir de cequi nous est parvenu aucune conclusion assertive nrsquoest en soi possiblesur lrsquoexistence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par NumeacuteniusCette eacutetude aura toutefois trois reacutesultats positifs envisager un rapportvolontairement distant de Numeacutenius au Parmeacutenide fondeacute sur le textede Platon lui-mecircme et dont aura tenu compte le neacuteoplatonisme deacutecou-vrir des parallegraveles entre le Commentaire anonyme et le Περὶ τἀγαθοῦplus nombreux qursquoil nrsquoest souvent signaleacute ndash ce qui offrira peut-ecirctre unindice permettant une position plus assureacutee dans le deacutebat sur lrsquoanteacuterio-riteacute de Numeacutenius ou des Oracles chaldaiumlques et enfin approfondirlrsquohypothegravese relative agrave lrsquoutilisation de Numeacutenius par les gnostiques etpar les neacuteoplatoniciens appropriation que lrsquoon peut suivre jusque dansles traductions et transpositions arabes de leurs œuvres

Preacuteliminaire Esquisse de la doctrine des principeschez Numeacutenius

Avant pareil exposeacute une bregraveve esquisse de la penseacutee meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius est neacutecessaire Nous nous en tiendronsaux grandes lignes transmises dans les fragments veacuteritables ceux citeacutespar Eusegravebe de Ceacutesareacutee et nous exposerons de maniegravere succincte lesreacutesultats de nos propres analyses sans livrer le deacutetail des deacutebats surlesquels elles ont eacuteteacute eacutelaboreacutees39 Les textes nous inteacuteressant se trou-vent dans le Περὶ τἀγαθοῦ dialogue ougrave Numeacutenius entreprend larecherche drsquoune deacutefinition du Bien qursquoil identifie au premier prin-cipe40 Il identifie ce premier principe drsquoune part agrave un premier dieu et

114 Fabienne JOURDAN

39 Voir la bibliographie et les commentaires de notre eacutedition en preacutepara-tion

40 Le titre qui est laquo originellement raquo celui de la leccedilon orale de Platon

intellect et drsquoautre part au Bien et Ecirctre lui-mecircme ou par excellence(selon les formules αὐτοάγαθον et αὐτοόν)41 que dans une perspec-tive exeacutegeacutetique il considegravere comme repreacutesenteacute par la forme du Bieneacutevoqueacutee dans la Reacutepublique42 De ce premier principe Numeacutenius dis-tingue un second dieu ou principe identifieacute cette fois au deacutemiurge duTimeacutee43 Ce dieu assure le rocircle deacutemiurgique dont le premier est ainsidispenseacute et il est conccedilu comme lrsquoimage de celui-ci il est le Bon parti-cipant au Bien le second intellect qui produit sa propre forme encontemplant le premier faccedilonnant ou deacuteterminant pour cela lrsquoecirctre oulrsquoessence (οὐσία) que le premier lui procure par le simple fait drsquoecirctre(soi et le Bien)44 Telle est du moins la maniegravere dont nous lisonsconjointement les fragments 11 et 16 (19 et 25 F)45 Autrement dit tan-dis que le premier dieu est le principe de lrsquoecirctre le second est le prin-cipe du devenir46 Numeacutenius donne plus preacuteciseacutement deux laquo aspects raquo

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 115

indique agrave lui seul que le texte srsquoadonne agrave une recherche et deacutefinition des prin-cipes Aristote et Xeacutenocrate le donnent ensuite chacun agrave lrsquoune de leurs œuvresSur lrsquoimportance de ce titre voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius Sur leBien de Platon Lrsquoenseignement oral du maicirctre comme occasion de rechercherson pythagorisme dans ses eacutecrits raquo Χώρα 15-16 2017-2018 p 139-165

41 Voir par ex fr 16 et 17 (24 et 25 F) ndash Tout au long de cette eacutetude lesfragments sont citeacutes selon la numeacuterotation de lrsquoeacutedition drsquoEacutedouard des Places(Numeacutenius Fragments Paris Les Belles Lettres 1973) nous indiquons entreparenthegraveses les numeacuteros qui correspondent dans notre eacutedition en preacuteparation

42 Voir surtout les fr 19 et 20 (27 et 28 F)43 Voir notamment les fr 11 12 et 18 (19 20 et 26 F) En reacutealiteacute le

deacutemiurge du Timeacutee partage ses attributs entre le premier dieu numeacutenien(auquel il laisse sa fonction de source divine des acircmes cf fr 13 21 F) et lesecond qui est aussi troisiegraveme et reacutealise les opeacuterations proprements deacutemiur-giques assumant par lagrave en partie le rocircle des dieux secondaires du Timeacutee

44 Fr 16 (24 F)45 Voir aussi lrsquoanalyse du fr 16 (24 F) par G Muumlller laquo Ἰδέα y οὐσία en

Numenio de Apamea Una reinterpretacioacuten de la ontologiacutea platoacutenica raquo Cua-dernos de Filosofiacutea 59 2012 p 121-140 Nous prenons position agrave son sujetdans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude Revue de philosophie ancienne 37-2

46 Ibid

agrave ce second dieu selon lrsquoorientation de son attention deux laquo aspects raquoqui conduisent agrave parler agrave son sujet de deux laquo dieux raquo qui toutefois nrsquoenconstituent reacutealiteacute qursquoun seul lorsqursquoil est tourneacute vers soi crsquoest-agrave-direvers lrsquointelligible qursquoil est lui-mecircme par contemplation du Bien lesecond dieu est entiegraverement agrave soi et donc reacuteellement soi second dieu lorsqursquoil est tourneacute vers la matiegravere qursquoil met en ordre il est deacutemiurgeau sens litteacuteral du terme et devient laquo troisiegraveme dieu raquo47 Cette divisionnrsquoimplique pas une reacuteelle scission et ne srsquoavegravere autre qursquoune diffeacuterencedrsquoorientation agrave lrsquoorigine drsquoune uniteacute diviseacutee image imparfaite delrsquouniteacute indivisible et parfaite qursquoest le premier dieu

Cette bregraveve preacutesentation doit suffire agrave comprendre le cadre de lapenseacutee numeacutenienne48 Signalons simplement encore trois points essen-tiels pour la confrontation avec le Parmeacutenide et ses interpreacutetations

1) Lrsquoeacuteleacutement fondamental du Περὶ τἀγαθοῦ est lrsquoidentificationdu Bien lui-mecircme (ἀυτοάγαθον) premier principe agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme (αὐτοόν)49 Elle srsquoaccompagne de lrsquoaffirmation qursquoil existeune laquo con-naturaliteacute raquo du Bien agrave lrsquoeacutegard de lrsquoessence50 (σύμφυτον τῇ

116 Fabienne JOURDAN

47 Fr 11 (19 F)48 La preacutesentation ici donneacutee deacutepend de propre analyse des textes Pour

drsquoautres interpreacutetations voir aussi par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit J Opsomer laquo Demiurges in Early Imperial Platonism raquo dans R Hirsch-Luipold(eacuted) Gott und die Goumltter bei Plutarch BerlinNew York de Gruyter 2005p 63-72 M Baltes dans H Doumlrrie M Baltes Ch Pietsch Die PhilosophischeLehre des Platonismus Band 71 Theologia Platonica Stuttgart Bad Canns-tatt Frommann-Holzboog 2008 p 472-482 Les vues de CS OrsquoBrien TheDemiurge in Ancient thought Secondary Gods and Divine mediators Cam-bridge Cambridge University Press 2015 p 139-168 sont agrave consideacuterer avecla plus grande preacutecaution

49 Fr 17 (25 F) cf fr 2 (11 F)50 Nous traduirons ici οὐσία par laquo essence raquo consciente des faiblesses de

cette traduction qui dans le contexte platonicien examineacute nrsquoimplique naturel-lement pas de distinction par rapport agrave la notion drsquoexistence Dans ce contextelaquo essence raquo est agrave prendre au sens de reacutealiteacute intelligible (sur cette deacutefinition voirpar ex R Chiaradonna laquo Substance raquo dans P Remes S Slaveva-Griffin(eacuted) The Routledge Handbook of Neoplatonismi LondonNew York Rout-

οὐσίᾳ51) le Bien partage la mecircme nature que cette οὐσία (forme sub-stantive de lrsquoecirctre) qui provient ainsi de lui Numeacutenius exprime deacutejagrave cetteideacutee au fragment 2 (10 F) par lrsquoimage du Bien laquo monteacute sur lrsquoessence raquo(comme on dirait laquo sur un cheval raquo52) Par lrsquoutilisation de la preacutepositionet du preacuteverbe ἐπί- de preacutefeacuterence agrave ὑπό- (preacutesent dans la formule de Pla-ton) la formule ἐποχούμενον ἐπὶ τῇ οὐσίᾳ indique une laquo transcen-dance raquo53 avec contact qui donne sans deacutetour lrsquointerpreacutetation que Numeacute-nius fait de la formule eacutenigmatique de Reacutepublique VI 509 b 8-10 srsquoilest une laquo transcendance raquo du premier principe elle est drsquoordre cosmolo-gique et non laquo ontologique raquo au sens ougrave ce principe constitue la formeeacuteminente de lrsquoecirctre mais ne srsquoen distingue pas par son essence

2) Ce premier principe est certes immobile en tant qursquoecirctre54exempt de toute activiteacute sous-entendu deacutemiurgique55 mais Numeacuteniuseacutevoque un laquo mouvement qui accompagne naturellement son repos raquo(τῷ πρώτῳ στάσιν [] κίνησιν σύμφυτον56) Ce mouvementindique vraisemblablement que le premier principe pense57 et la for-mule preacutepare son identification agrave un intellect Concernant ce premierdieu toutefois le type de penseacutee qui le caracteacuterise est visiblementconccedilu comme nrsquoimpliquant pas drsquoactiviteacute proprement dite au sens du

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ledge 2014 p 216) La deacutetermination nrsquointervient ici qursquoavec le second dieu οὐσία est le terme qui sert agrave exprimer litteacuteralement lrsquoecirctre (ὄν) de maniegravere sub-stantive un ecirctre que le premier dieu Ecirctre par excellence fait advenir sans acteproducteur simplement en eacutetant ce qursquoil est et donc sans que cette οὐσία quivient de lui soit ontologiquement distincte de lui

51 Fr 16 (24 F)52 Lrsquoimage apparaicirct litteacuteralement dans les Oracles chaldaiumlques fr 1466

des Places53 On pourrait alors aiseacutement renoncer au mot laquo transcendance raquo et preacutefeacute-

rer la notion de primauteacute hieacuterarchique par exemple54 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)55 Fr 11-12 (19-20 F)56 Fr 15 (23 F)57 Le passage est agrave interpreacuteter en lien avec le Sophiste 248 e-249 a (voir

notre commentaire au passage dans lrsquoeacutedition en preacuteparation)

moins ougrave cette penseacutee est sans objet et nrsquoest pas mecircme penseacutee de soi aufragment 19 (27 F) Numeacutenius parle drsquoun φρονεῖν qui est lrsquoapanage dupremier dieu sous-entendu agrave la diffeacuterence notamment du νοεῖν saisieintuitive de lrsquointelligible caracteacuteristique du second dieu58 et plus encoredu διανοεῖσθαι activiteacute de penseacutee discursive agrave lrsquoorigine de la deacutemiur-gie Ce φρονεῖν peut selon nous ecirctre compris comme une penseacuteelaquo intransitive raquo (crsquoest-agrave-dire sans objet) pure dispensation du Bien parlrsquoecirctre du Bien59 En cela elle nrsquoimplique reacuteellement aucune activiteacute

Crsquoest alors en ce sens assureacutement que le premier dieu est ditlaquo entourer les intelligibles raquo ou plus exactement et litteacuteralement ecirctrelaquo autour des intelligibles raquo au fragment 15 (23 F περὶ τὰ νοητά) lrsquoexpression nrsquoimplique ni qursquoil les contienne ni qursquoil les produisecomme son objet de penseacutee ni mecircme qursquoil les pense60 Si elle visepeut-ecirctre agrave rendre compte drsquoune identification ultime du premier prin-

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58 Agrave la limite le premier dieu ne peut lrsquoexercer que par lrsquointermeacutediaire dusecond voir le teacutemoignage de Proclus In Tim III 10328-32 Diehl = fr 22(contre cette interpreacutetation traditionnelle voir G Muumlller laquo Queacute es ldquolo que esvivienterdquo (ὁ εστι ζῶον) seguacuten Numenio de Apamea raquo Cuadernos Filosofiacutea64 2015 p 11-12 dont lrsquohypothegravese bien que seacuteduisante ne tient pas agrave lrsquoexa-men de la syntaxe du passage lrsquoinfinitif νοεῖν ne peut avoir que τὸν πρῶτονcomme laquo sujet raquo et non un δεύτερoν implicitement tireacute du geacutenitif δευτέρου)

59 Nous reacutesumons Voir aussi lrsquoeacutetude de la φρόνησις chez Platon parM Dixsaut laquo De quoi les philosophes sont-ils amoureux Sur la phronegravesisdans les dialogues de Platon raquo repris dans M Dixsaut Platon et la question dela penseacutee Eacutetudes platoniciennes I Paris Vrin 2000 p 93-119 ndash Le lien eacutety-mologique originel entre φρονεῖν et φρήν (le diaphragme) suggegravere une autreimage ce φρονεῖν est comme une laquo respiration drsquoecirctre raquo qui est le Bien et drsquoougraveeacutemane le bien

60 Cette interpreacutetation qui tient entre autres compte de la simpliciteacute abso-lue du premier dieu (fr 11 = 19 F) nrsquoest pas contradictoire avec celle de Timeacutee39 e 7-9 par laquelle Numeacutenius aurait associeacute son premier dieu au Vivant (InTim III 103 28-32 Diehl = fr 22) Certes dans le Timeacutee le Vivant a en lui lesformes (ἐνούσας ἰδέας τῷ ὃ ἔστι ζῷον 39 e 8) Mais sans pouvoir deacutevelop-per ici notre analyse disons simplement que Numeacutenius a pu lire le texte autre-ment et inspirer la distinction drsquoAmeacutelius entre un laquo intellect qui est (leVivant) raquo et un laquo intellect qui a (les formes en lui) raquo notamment en deacutecompo-

cipe au Vivant du Timeacutee61 dans le contexte du Περὶ τἀγαθοῦ ellerenvoie selon nous agrave un pur eacutetat de lrsquoecirctre agrave vertu bienfaitrice ou salvi-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 119

sant ἐνούσας de maniegravere cratylienne pour y lire ἐν-νους-ας qui eacutevoquerait lesformes laquo qui sont dans le νοῦς raquo le second dieu et intellect que Numeacutenius voitdeacutesigneacute dans le νοῦς du texte platonicien Le datif τῷ ὃ ἔστι ζῷον nrsquoauraitplus alors deacutesigneacute chez lui le lieu ougrave se trouvent les formes mais le destina-taire de la contemplation celui laquo pour qui ou agrave lrsquointention de qui en faveur dequi raquo le νοῦς qui a les formes en lui les contemplerait (autrement dit exerceraitle νοεῖν) Lrsquoaffirmation que crsquoest gracircce au second dieu et intellect (ἐνπροσχρήσει τοῦ δευτέρου) que le premier exercerait un νοεῖν pourrait ainsiconstituer lrsquoexplicitation de cette lecture eacutetonnante du texte platonicien Ainsile premier dieu nrsquoexercerait jamais le νοεῖν il nrsquointelligerait que gracircce ausecond qui le ferait pour lui Cette preacutecision pourrait servir agrave reacutepondre agravelrsquoeacuteventuelle objection drsquoun aristoteacutelisant qui deacutenoncerait une identification dupremier dieu agrave un νοῦς srsquoaccompagnant drsquoun refus de precircter agrave celui-ci lrsquoacti-viteacute du νοεῖν Numeacutenius reacutepondrait ainsi il ne lrsquoexerce pas lui-mecircme maispar lrsquointermeacutediaire du second qui le fait pour lui tandis qursquoil srsquoadonne au seulφρονεῖν Voir aussi notre interpreacutetation des fr 16 et 18 (24 et 26 F) ndash Pourune autre interpreacutetation de ce passage voir par ex M Frede laquo Numenius raquoart cit p 1062-1063 1065-1066 et 1069-1070 JP Kenney laquo ProschresisRevisited An Essay in Numenian Theology raquo dans JR Daly (eacuted) Orige-niana quinta Historica Text and method Biblica Philosophica Theologia Origenism and later developments Leuven Peeters p 217-230 RD PettyThe Fragments of Numenius Santa Barbara 1993 p 135-137 (republieacute agraveWestbury Prometheus Trust 2012) M Baltes dans H Doumlrrie M BaltesCh Pietsch Die Philosophische Lehre des Platonismus Band 71 op citp 477-478 A Michalewski laquo Le Premier de Numeacutenius et lrsquoUn de Plotin raquoArchives de philosophie 75 2012 p 35-37 et La Puissance de lrsquointelligibleLa Theacuteorie plotinienne des Formes au miroir de lrsquoheacuteritage meacutedioplatonicienLeuven Leuven University Press p 94-96

61 Voir Platon Timeacutee 30 c 7-8 (avec le participe περιλαβόν) et 31 a 3 (τograveπεριέχον πάντα ὁπόσα νοητὰ ζῷα) avec deux participes preacutefixeacutes en περί- agravepropos du Vivant qui a tous les intelligibles en lui et auquel Numeacutenius peutvouloir renvoyer avec sa formule περὶ τὰ νοητά La reacutefeacuterence implicite aupassage de la Lettre II 312 e 1-4 savamment reacuteeacutecrit indique toutefois queNumeacutenius donne un tout autre sens agrave ce περί Voir aussi le teacutemoignage de Pro-clus citeacute dans les notes preacuteceacutedentes

fique selon lrsquoideacutee de salut suggeacutereacutee agrave la fin de ce mecircme fragment Endrsquoautres termes le premier dieu serait περὶ τὰ νοητά au sens ougrave ilentoure les intelligibles de sa bienveillance leur transmettant agrave la foislrsquoecirctre et le Bien qursquoil est avant que le deacutemiurge ne les y fasse participeragrave son tour par sa bonteacute agrave lrsquoorigine de leur ecirctre deacutetermineacute62 et nrsquoy fasseparticiper aussi les sensibles en les eacutelevant agrave son propre caractegravere mar-queacute par cette mecircme bonteacute63 Le premier dieu le Bien est le modegravele dusecond le Bon et non pas des formes srsquoil doit ecirctre identifieacute au Vivantcrsquoest en tant que source ultime de la vie64 modegravele de ce second dieuqui transmet alors la vie au monde sensible (fr 1220F) et non en tantque paradigme totalisant et contenant les formes des quatre typesdrsquoecirctre vivants nommeacutes en Timeacutee 39 e 10-41 a 2

En cela le premier de Numeacutenius loin drsquoecirctre une entiteacute sans rapportau monde en est non seulement le principe mais il est pour lui lasource reacuteelle du Bien reacuteel ndash autrement dit il joue le rocircle de la Provi-dence qui est alors concregravetement exerceacutee par le second principe leBon Tout en eacutetant conccedilu comme premier intellect il nrsquoest donc pas lepremier moteur immobile aristoteacutelicien qui se pense lui-mecircme65 etauquel fut justement reprocheacute son deacutefaut de Providence66

120 Fabienne JOURDAN

62 Selon notre lecture de la formule ἰδέα ἑαυτοῦ du fragment 16 (24 F)comme renvoyant au monde intelligible comme ensemble de formes deacutetermi-neacutees

63 Voir le fr 11 (19 F) sur cette eacuteleacutevation du sensible vers le caractegravere dudeacutemiurge lequel est le laquo Bon raquo en reacutefeacuterence au Timeacutee Numeacutenius distingue leBien premier principe du Bon second principe en utilisant lrsquoadjectif substan-tiveacute au neutre pour deacutesigner le premier et lrsquoadjectif au masculin pour le second

64 Tel est selon nous le sens de lrsquoexpression ὁ μέν γε ὢν σπέρμα πάσηςψυχῆς au fr 13 (21 F) qui en fait la semence de toute acircme voir par ex F Jour-dan laquo Eusegravebe de Ceacutesareacutee et les extraits de Numeacutenius dans la Preacuteparationeacutevangeacutelique raquo dans S Morlet (eacuted) Lire en extraits Pratiques de lecture et deproduction des textes de lrsquoAntiquiteacute au Moyen Acircge Paris PUPS 2015 p 143-147

65 Contra par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit p 107066 Sur ce sujet notamment chez Plutarque dont Numeacutenius aurait pu ici par-

tager la critique voir par ex F Ferrari laquo Provvidenza platonica o autocontem

3) On notera ici enfin que selon toute vraisemblance Numeacuteniusnrsquoidentifie pas son premier principe agrave lrsquoUn67 Ce principe est certesunique (μόνος) simple (ἁπλοῦς) et indivisible (μὴ διαίρετος) encela distinct de lrsquouniteacute divisible que constitue le second dieu68 MaisNumeacutenius ne lrsquoidentifie pas agrave lrsquoUn et en tout cas pas agrave lrsquoUn du Parmeacute-nide69 Notre conviction srsquoappuie sur lrsquoanalyse du fragment 19 (27 F)Agrave la fin du passage on lit lrsquoexpression τὸ ἀγαθὸν ὅτι ἐστὶν ἕνNumeacutenius la donne comme une conclusion de Platon dont le sens pro-fond ne peut ecirctre perccedilu que par les laquo regards aiguiseacutes raquo autrement ditpar ceux qui comprennent le propos de Numeacutenius Elle provient assu-reacutement de la tradition orale on la retrouve dans le compte-rendu de laLeccedilon sur le Bien par Aristoxegravene70 Comme lrsquoarticle deacutefini peut ecirctreomis devant lrsquoattribut on peut certes heacutesiter sur sa traduction laquo leBien est lrsquoUn raquo ou laquo le Bien est un raquo Dans le contexte matheacutematiqueougrave elle est preacutesenteacutee chez Aristoxegravene la premiegravere traduction est sansdoute la bonne Mais ce nrsquoest pas neacutecessairement le sens originel (siPlaton srsquoest reacuteellement exprimeacute ainsi) et assureacutement pas celui que veut

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 121

plazione aristotelica la scelta di Plutarco raquo dans L Van der Stockt F Titche-ner HG Ingenkamp A Peacuterez Jimeacutenez (eacuted) Gods Daimones Rituals Mythsand History of Religions in Plutarchrsquos Works Maacutelaga International PlutarchSociety 2010 p 177-190 et laquo La teologia di aristotele nel medioplatonismo raquodans Y Lehman (eacuted) Aristoteles Romanus La Reacuteception de la science aristo-teacutelicienne dans lrsquoEmpire greacuteco-romain Turnhout Brepols 2012 p 299-312 voir aussi chez Atticus A Michalewski laquo Faut-il preacutefeacuterer Eacutepicure agrave Aris-tote raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted) Reacuteceptions de la theacuteolo-gie aristoteacutelicienne DrsquoAristote agrave Michel drsquoEphegravese Leuven Peeters 2017p 123-142

67 Contra notamment ici G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 84

68 Fr 11 19 F69 Contra A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV

op cit p 124 M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 22570 Aristoxegravene Eacuteleacutements drsquoharmonique 22016313 Macran 398-404 da

Rios texte ndeg 1 p 248 Richard

lire Numeacutenius Dans le contexte du fragment la formule perd touteambiguiumlteacute parce que lrsquointerpreacutetation en est donneacutee au preacutealable Numeacute-nius a insisteacute sur lrsquouniciteacute du Bien dont la bonteacute a eacuteteacute identifieacutee agrave lrsquoactespeacutecifique du φρονεῖν Si Platon a dit τἀγαθὸν ἐστὶν ἕν ndash formule dontNumeacutenius srsquoestime devoir rendre compte puisqursquoil eacutecrit justement luiaussi Sur le Bien ndash crsquoest donc selon lui parce qursquoil nrsquoy a qursquoun seul etunique Bien le Bien lui-mecircme (αὐτοάγαθον) Par suite la seulemaniegravere de rencontrer le bien de maniegravere geacuteneacuterale consiste agrave prendrepart agrave lrsquoactiviteacute de penser qui caracteacuterise le Bien lui-mecircme une penseacuteesource de bonteacute que chacun pourra exercer agrave son niveau (lrsquoideacutee que leφρονεῖν lui est reacuteserveacute suggegravere qursquoil srsquoagit dans son cas drsquoun φρονεῖνagrave lrsquoeacutetat pur) Ce disant Numeacutenius a sans doute une viseacutee poleacutemique agravelrsquoeacutegard notamment drsquoune interpreacutetation pythagorisante de Platon vrai-semblablement issue de lrsquoAncienne Acadeacutemie et peut-ecirctre aussi delrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne de lrsquoenseignement oral71 Lui seul sesera estimeacute comprendre le veacuteritable pythagorisme du maicirctre Quoiqursquoil en soit sur ce point le passage est selon nous la preuve drsquoun refusdrsquoidentifier le Bien agrave lrsquoUn Si Platon a dit que le Bien est un ou mecircmelrsquoUn quelle que soit lrsquointerpreacutetation litteacuterale et donc la traduction rete-nue il nrsquoaurait selon Numeacutenius en reacutealiteacute rien voulu exprimer drsquoautreque lrsquouniciteacute du Bien ainsi que sa seacuteparation drsquoavec le sensible conccediluecomme distinction essentielle drsquoavec les biens de ce monde Numeacuteniusinvite agrave comprendre ἕν comme le synonyme de μόνος que seul ilemploie agrave reacutepeacutetition agrave propos de son premier principe72 et qui a cedouble sens drsquoexprimer lrsquouniciteacute et lrsquoisolement ou la seacuteparationcomme le suggegravere deacutejagrave son emploi reacutecurrent au fragment 2 (11 F)Telle est lrsquointerpreacutetation correcte du Platon non-eacutecrit qursquoil precircte aux

122 Fabienne JOURDAN

71 Voir par ex Meacutet A 6 988 a 10-17 ougrave lrsquoUn est preacutesenteacute comme la causedu Bien et N 4 1091 b 1-20 sur lrsquoidentification du Bien agrave lrsquoUn dans uncontexte de critique des Platoniciens

72 Εἷς nrsquointervient qursquoagrave propos du second dieu conccedilu comme uniteacute divi-sible qui se distingue en cela de lrsquoUn et mecircme de lrsquouniciteacute du fait de sa dualiteacuteneacutecessaire (mais non essentielle)

seuls regards suffisamment aiguiseacutes pour savoir lire Platon lagrave ougravedrsquoautres lrsquoauront mal entendu73

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 123

73 Voir lrsquoanalyse deacutetailleacutee du passage dans F Jourdan laquo Sur le Bien deNumeacutenius raquo art cit ici contra G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 82 et 84 ndash Les deux teacutemoignages suggeacuterant une eacutevocation de lrsquoUnpar Numeacutenius ne paraissent pas infirmer cette lecture Le premier issu deMacrobe (fr 54 = Saturnales I 17 65 = P 99 12-16 Willis) fait eacutetat drsquoune eacutety-mologie de lrsquoeacutepithegravete laquo delphien raquo attribueacutee agrave Apollon ougrave Numeacutenius auraitvraisemblablement voulu retrouver lrsquoeacutetymologie courante du nom propre dudieu comme renvoyant au laquo non-multiple raquo ἀ-πολλά (voir par ex PlutarqueDe E 388 F et De Iside 354 F et 381 F avec J Whittaker laquo Ammonius on theDelphic E raquo Classical Quarterly 63 NS 19 1969 p 187-188 E SyskaStudien zur Theologie des Macrobius Stuttgart Teubner 1993 p 116 n 74)Macrobe rapporte en effet que Numeacutenius aurait fait de δέλφος un adjectifsignifiant unum (dans le latin de Macrobe) par opposition au substantifἀδελφός signifant laquo fregravere raquo et alors conccedilu comme pourvu drsquoun ἀ- privatif(sur cette eacutetymologie voir J Whittaker ibid p 187 n 9 Eacute des PlacesNumeacutenius Fragments op cit p 100 n 1 E Syska Studien zur Theologiedes Macrobius op cit p 193-194 qui estime qursquoelle nrsquoa aucune autre valeurque litteacuteraire) Outre qursquoil concerne un dieu dont nous ne savons pas si Numeacute-nius aurait reacuteellement souhaiteacute lrsquoidentification agrave son premier principe (il sug-gegravere en revanche son association agrave Zeus au fr 2 [11 F] lequel est ensuite asso-cieacute au second dieu au fr 12 [20 F]) le teacutemoignage nrsquoindique pas le sens exacten lequel Numeacutenius aurait aimeacute qursquoon entende cette laquo absence de fregravere raquoDrsquoune part juste avant Macrobe emploie lrsquoexpression singulum et unum quipeut traduire ἕν καὶ μόνον et dont comme dans le grec la redondance avaleur emphatique On ne sait donc pas lequel des deux adjectifs Numeacutenius aexactement employeacute et rien nrsquointerdit de penser que la reprise par unus soit unchoix du neacuteoplatonicien Macrobe Drsquoautre part unus renvoie agrave εἷς et non agrave ἕνEnfin et surtout laquo ne pas avoir de fregravere raquo si tel est le sens que Numeacutenius precirctedans ce contexte agrave δέλφος signifie laquo ecirctre fils unique raquo et reconduit au sens deμόνος Crsquoest pourquoi selon nous ce teacutemoignage nrsquoest pas un indice fiabledrsquoune identification numeacutenienne du premier principe agrave lrsquoUn (contra M Bur-nyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit p 152 n 34) Le second teacutemoignageest quant agrave lui constitueacute par la reacutefeacuterence agrave une singularitas identifieacutee agrave un pre-mier dieu-deacutemiurge dans le compte-rendu numeacutenien de la cosmogonie pytha-goricienne rapporteacutee par Calcidius (fr 52) Or ce premier dieu dans son oppo-sition mecircme agrave la dyade correspond davantage au second dieu du Περὶ

Voilagrave notre lecture du Περὶ τἀγαθοῦ le seul texte meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius dont soient transmis des fragments litteacute-raux Crsquoest agrave partir drsquoelle que nous proposons drsquoexaminer les rapportsentre lrsquoenseignement de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon lui-mecircme le Commentaire anonyme au Parmeacutenide et enfin la source com-mune au Zostrien et agrave Marius Victorinus Agrave chacun de ces troismoments nous tenterons drsquoeacutevaluer srsquoil fournit les indices de lrsquoexis-tence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par Numeacutenius

Premiegravere partie

Lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon le premier principe de Numeacutenius (le Bien) nrsquoest ni lrsquoUn ni

lrsquoUn-qui-est du ParmeacutenideLa premiegravere eacutetape que nous reacutealiserons dans cette premiegravere partie

consiste agrave confronter le Περὶ τἀγαθοῦ au Parmeacutenide lui-mecircme afinde voir srsquoil y renvoie directement ou non Si nous suivions lrsquohypothegravesede J Whittaker74 toutefois nous abandonnerions immeacutediatement lrsquoen-treprise selon lui crsquoest agrave partir du moment ougrave un philosophe inter-pregravete le Bien de Reacutepublique VI 509 b 6-10 comme un principe trans-cendant reacuteellement lrsquoecirctre et comme identifiable agrave lrsquoUn que se profileune interpreacutetation du Parmeacutenide et plus preacuteciseacutement de la premiegraverehypothegravese Or nous venons de montrer que loin de transcender lrsquoecirctrele Bien de Numeacutenius est lrsquoEcirctre lui-mecircme et que son association agrave lrsquoUnsert avant tout un propos exeacutegeacutetique ou srsquoavegravere du moins fort probleacute-matique ndash telle qursquoelle est formuleacutee du moins elle nrsquoimplique aucune

124 Fabienne JOURDAN

τἀγαθοῦ sans compter que lrsquoappellation latine de singularitas traduit plutocirctle grec μόνας que ἕν Le compte-rendu ne peut donc ecirctre compris commerefleacutetant la doctrine propre de Numeacutenius telle du moins qursquoelle est exprimeacuteedans le Περὶ τἀγαθοῦ (voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius raquo art cit)Il nrsquoy a donc aucun texte fiable permettant de precircter agrave Numeacutenius lrsquoidentifica-tion du Bien agrave lrsquoUn et encore moins agrave lrsquoUn du Parmeacutenide

74 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit

allusion au Parmeacutenide75 Si lrsquoon veut malgreacute tout supposer que Numeacute-nius nrsquoen a pas moins utiliseacute le Parmeacutenide et que son œuvre trahit alorsnon seulement la connaissance du dialogue mais un commentaire per-sonnel de celui-ci ne serait-ce que partiel il faut recourir agrave un autrepoint de doctrine que cette identification du premier principe agrave uneentiteacute transcendant lrsquoecirctre et identifieacutee agrave lrsquoUn et justement interroger ladeacutefinition de ce premier principe comme ecirctre Autrement dit il srsquoagitessentiellement de voir si Numeacutenius identifie le Bien ne serait-ce quepartiellement agrave lrsquolaquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

Pour parvenir agrave un reacutesultat probant deux eacutetapes sont neacutecessaires agravecet examen

1) un rappel des quelques points qui dans la deacutefinition de lrsquoecirctre etdu premier principe selon Numeacutenius ont parfois suggeacutereacute des rappro-chements avec le Parmeacutenide

2) une confrontation de la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ avec laseconde partie du dialogue de Platon pour voir si une convergence depenseacutee plus geacuteneacuterale pourrait malgreacute tout suggeacuterer une appropriationde ce texte par Numeacutenius ou si une incompatibiliteacute fondamentaleinvite agrave en douter

Dans lrsquoun et lrsquoautre cas si les reacutesultats sont neacutegatifs cela ne per-mettra pas de conclure que Numeacutenius a ignoreacute le texte ni non plus dese prononcer de maniegravere cateacutegorique sur lrsquoœuvre non parvenue Nousmontrerons drsquoailleurs dans un troisiegraveme temps que Numeacutenius tente dereacutesoudre les apories relatives aux formes poseacutees dans la premiegravere par-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 125

75 On peut faire semblable remarque agrave propos de lrsquoexposeacute des principespythagoriciens par Eudore rapporteacute par Simplicius (In Phys 18110 sq Diels)Mecircme srsquoil eacutevoque diffeacuterents Un la conception deacuteveloppeacutee deacutepend avant toutdes reacuteflexions de lrsquoAncienne Acadeacutemie sur lrsquoUn et la Dyade et est en cela tregravesproche du compte-rendu drsquoAristote sur les principes de Platon en Meacutet A 6 987b 18 sq (sur ce point voir J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquoart cit p 98 qui rapporte les propos de W Theiler agrave la note 11) Il ne sembledonc pas neacutecessaire de supposer un commentaire sous-jacent aux deux pre-miegraveres hypothegraveses du Parmeacutenide mecircme srsquoil nrsquoest eacutevidemment pas exclu que ledialogue ait eacuteteacute invoqueacute pour sa nomination de lrsquoUn La remarque vaut eacutegale-ment pour Speusippe et de maniegravere geacuteneacuterale pour les neacuteo-pythagoriciens

tie du dialogue et nous verrons qursquoagrave lrsquoeacutegard de la premiegravere hypothegraveseil a peut-ecirctre choisi une attitude suggeacutereacutee par Platon lui-mecircme Poureacutelargir cette recherche nous interrogerons enfin sa relation agrave la penseacuteede Parmeacutenide lui-mecircme

1 La deacutefinition du premier principe comme ecirctre dansle Περὶ τἀγαθοῦ des parallegraveles avec le Parmeacutenide

Une fois que lrsquoon a renonceacute agrave precircter agrave Numeacutenius une interpreacutetationdu Parmeacutenide en raison drsquoune identification supposeacutee de son premierprincipe agrave lrsquoUn il reste possible drsquoexaminer les parallegraveles entre la deacutefi-nition de son premier principe identifieacute agrave lrsquoecirctre ou plus geacuteneacuteralemententre sa deacutefinition de lrsquoecirctre et les formulations du dialogue platoniciendans les deux premiegraveres hypothegraveses Les partisans drsquoune interpreacutetationnumeacutenienne du Parmeacutenide dont notamment A-J Festugiegravere76 etD OrsquoMeara77 citent essentiellement78 deux textes agrave cette fin les frag-

126 Fabienne JOURDAN

76 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 12577 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 Voir aussi par ex

M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 225-227 qui srsquoap-puie toutefois sur ce qursquoil considegravere une identification du Bien agrave lrsquoUn et sur unpassage de Cleacutement drsquoAlexandrie qui semble deacutependre de la premiegravere hypo-thegravese (Strom V 12 82 1-2) Les eacuteleacutements de theacuteologie neacutegative eacutevoqueacutes lagravesrsquoaccompagnant drsquoune possibiliteacute de nomination rappellent toutefois moinsNumeacutenius qursquoAlcinoos Did X p 16433-34 H

78 Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoargumentation de R Romano (laquo La proba-bile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica e neopitagorica) delParmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide diPlatone et la sua tradizione op cit p 234) qui estime que Numeacutenius aufragment 217-34 (11 F) emprunte au Parmeacutenide les expressions delaquo meacutethode non aiseacutee mais divine raquo laquo ardeur juveacutenile raquo et laquo exercice matheacute-matique raquo Lrsquoappui textuel est trop tenu pour qursquoelle soit persuasive Quant agraveG Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 82-84) il eacutevoque luiaussi le fragment 5 (14 F) mais seulement en note agrave la page 82 et son argu-mentation ne srsquoappuie pas davantage sur la lettre du texte Crsquoest pourquoielle ne peut ecirctre expliciteacutee ici Nous ne commenterons enfin pas les hypo-

ments 5 et 6 (14-15 F) ougrave apparaicirct formuleacutee en termes neacutegatifs unedeacutefinition de lrsquoecirctre que le fragment 2 (11 F) a dit identifiable au BienCes deux fragments proviennent du livre II du Περὶ τἀγαθοῦ quientreprend de deacutefinir lrsquoecirctre preacuteliminaire indispensable agrave la deacutefinitiondu Bien Examinons-en quelques extraits Au fragment 5 nous lisonsceci

Φέρε οὖν ὅση δύναμις ἐγγύτατα πρὸς τὸ ὂν ἀναγώμεθα καὶλέγωμενmiddot τὸ ὂν οὔτε ποτὲ ἦν οὔτε ποτὲ μὴ γένηται ἀλλrsquo ἔστιν ἀεὶἐν χρόνῳ ὡρισμένῳ τῷ ἐνεστῶτι μόνῳ [] τὸ ἄρα ὂν ἀΐδιόν τεβέβαιόν τε ἐστὶν ἀεὶ κατὰ ταὐτὸν καὶ ταὐτόν οὐδὲ γέγονε μένἐφθάρη δὲ οὐδrsquo ἐμεγεθύνατο μέν ἐμειώθη δὲ οὐδὲ μὴltνgtἐγένετό πω πλεῖον ἢ ἔλασσον καὶ μὲν δὴ τά τε ἄλλα καὶ οὐδὲτοπικῶς κινηθήσεταιmiddot οὐδὲ γὰρ θέμις αὐτῷ κινηθῆναι οὐδὲ μὲνὀπίσω οὐδὲ πρόσω οὔτε ἄνω ποτὲ οὔτε κάτω οὐδrsquo εἰς δεξιὰοὐδrsquo εἰς ἀριστερὰ μεταθεύσεταί ποτε τὸ ὂν οὔτε περὶ τὸ μέσονποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται ἀλλὰ μᾶλλον καὶ ἑστήξεται καὶἀραρός τε καὶ ἑστηκὸς ἔσται κατὰ ταὐτὰ ἔχον ἀεὶ καὶ ὡσαύτως(extraits du fragment 5 14 F = Eus PE XI 10 4-5)

Eh bien donc eacutelevons-nous vers lrsquoecirctre le plus pregraves qursquoil nous est pos-sible et disons ceci lrsquoecirctre jamais ne fut ni jamais nrsquoadviendra assureacute-ment mais il est toujours dans un temps bien deacutetermineacute le seul preacute-sent [] Lrsquoecirctre est donc est agrave la fois eacuteternel et stable toujours dans lemecircme eacutetat et identique agrave soi il nrsquoest pas neacute et il ne peacuterit pas il ne croicirctet ne deacutecroicirct pas non plus ni il ne devient plus ou moins en aucunefaccedilon En somme il ne sera assureacutement soumis agrave aucun type de mou-vement et surtout pas au mouvement selon le lieu ndash il ne lui est en effetpas permis non plus crsquoest la loi divine drsquoecirctre mucirc jamais par unecourse en avant ni en arriegravere en haut ni en bas vers la droite droite nivers la gauche jamais lrsquoecirctre ne sera soumis au changement et jamais ilne sera mucirc autour de son propre centre Bien plutocirct il se tiendra en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 127

thegraveses de H Tarrant Thrasyllan Platonism op cit p 174-177 dans lamesure ougrave elles supposent que Numeacutenius srsquoinspire de Modeacuteratus (au fr 52)et suit donc lrsquointerpreacutetation qursquoil aurait donneacutee sur la matiegravere drsquoapregraves leteacutemoignage de Simplicius

repos sera ferme et fixe se maintenant toujours de faccedilon identique etde la mecircme maniegravere79

Au fragment 6 (15 F) nous lisons ensuite

ἡ δὲ αἰτία τοῦ ὄντος ὀνόματός ἐστι τὸ μὴ γεγονέναι μηδὲφθαρήσεσθαι μηδrsquo ἄλλην μήτε κίνησιν μηδεμίαν ἐνδέχεσθαιμήτε μεταβολὴν κρείττω ἢ φαύλην εἶναι δὲ ἁπλοῦν καὶἀναλλοίωτον καὶ ἐν ἰδέᾳ τῇ αὐτῇ καὶ μήτε ἐθελούσιον ἐξίστα-σθαι τῆς ταὐτότητος μήθrsquo ὑφrsquo ἑτέρου προσαναγκάζεσθαι (extraitdu fragment 6 15 F = Eus PE XI 10 7)

Et la raison de ce nom ecirctre reacuteside dans le fait de ne pas ecirctre neacute de nepas devoir peacuterir de nrsquoadmettre absolument aucun autre type de mou-vement ni de changement que ce soit vers le meilleur ou vers le piremais drsquoecirctre au contraire simple invariable dans une forme qui resteidentique de ne pas sortir de son identiteacute ni volontairement ni souslrsquoeffet drsquoune contrainte exteacuterieure80

Pourquoi a-t-on voulu lire ces textes comme faisant allusion auParmeacutenide alors qursquoils ne preacutesentent pas de parallegraveles textuels avec cedialogue Deux raisons agrave cela A-J Festugiegravere y voit une seacuterie deneacutegations qui rappellent celles du Parmeacutenide relativement agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese D OrsquoMeara estime que la deacutefinition de lrsquoecirctrecomme restant dans une identiteacute parfaite agrave soi exprimeacutee en termes de

128 Fabienne JOURDAN

79 Toutes les traductions de Numeacutenius sont les nocirctres80 Voir aussi cet extrait du fragment 8 (17 F = Eus PE XI 10 12) Εἰ μὲν

δὴ τὸ ὂν πάντως πάντη ἀΐδιόν τέ ἐστι καὶ ἄτρεπτον καὶ οὐδαμῶςοὐδαμῆ ἐξιστάμενον ἐξ ἑαυτοῦ μένει δὲ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτωςἕστηκε τοῦτο δήπου ἂν εἴη τὸ τῇ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν laquo Siassureacutement lrsquoecirctre est en tout point absolument eacuteternel et immuable srsquoil ne sortabsolument pas de lui-mecircme en aucune faccedilon mais demeure dans le mecircmeeacutetat fixeacute dans son identiteacute alors crsquoest lui sans nul doute qui sera ldquoce qui estappreacutehendeacute par lrsquointellection agrave lrsquoaide du raisonnementrdquo (Tim 28 a) raquo Ce pas-sage fait suite au fragment 7 (16 F = Eus PE XI 10 9-11) qui cite la deacutefinitionde lrsquoecirctre opposeacute agrave la γένεσις en Timeacutee 27 d 6-28 a 4

laquo non-sortie raquo de soi est reprise dans les passages des Enneacuteades VI4 [ 22] 2 21 et VI 5 3 1-2 ougrave Plotin traite de lrsquointeacutegriteacute de lrsquoecirctre etinterpregravete agrave cet effet la seconde hypothegravese du Parmeacutenide D OrsquoMearasonge alors agrave un preacuteceacutedent numeacutenien dans la lecture plotinienne duParmeacutenide et agrave cette fin eacutetant donneacute qursquoil est question dans ces frag-ments de la relation de lrsquoecirctre au temps au changement et au mouve-ment tout comme de son nom (et donc sous-entendu aussi de saconnaissance) il invite agrave penser que le livre II du Περὶ τἀγαθoῦ trai-tait de lrsquoecirctre selon les diffeacuterents preacutedicats qui servent agrave interroger lrsquoUndu Parmeacutenide agrave savoir le Tout et les parties le lieu le changement etmouvement lrsquoidentiteacute et la diffeacuterence la ressemblance et dissem-blance lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoineacutegaliteacute le temps le nom la connaissance

Ces deux lectures se heurtent toutefois agrave deux objections simplesDrsquoune part pas plus qursquoil ne tire du Parmeacutenide la description de la non-sortie de soi81 Numeacutenius nrsquoemprunte son argumentation sur le change-ment le temps et le nom au Parmeacutenide Comme il le dit lui-mecircme aufragment 6 (15 F) il srsquoappuie pour cela sur le Timeacutee et le Cratyle Onnotera drsquoailleurs que le deacuteveloppement sur lrsquoabsence de mouvement etdonc de changement relegraveve en outre drsquoun emprunt aux Lois82 et qursquoellenrsquoest pas exempte de parallegraveles aristoteacuteliciens ainsi que le reconnaicirctD OrsquoMeara lui-mecircme83 Drsquoautre part et pour reacutepondre cette fois agraveA-J Festugiegravere la seacuterie de neacutegations ne fait aucunement allusion auParmeacutenide ni nrsquoaugure drsquoune theacuteologie neacutegative telle qursquoelle sera tireacuteede la premiegravere hypothegravese de ce dialogue elle contribue simplement agraveune deacutefinition de lrsquoecirctre par opposition au devenir et surtout au corporelqui preacutesente toutes les qualiteacutes ici nieacutees La citation au fragment 7 (16F) du passage du Timeacutee (27 d 6-28 a 4) opposant justement ὄν et

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81 Elle est en reacutealiteacute preacutesente dans le Cratyle 439 e le Pheacutedon 79 d et 80b 1-2 et le Banquet 211 b 1

82 X 893 c-894 a83 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 n 26 Sur le temps

voir aussi M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit et la remarquefinale sur la deacutefinition parmeacutenidienne drsquoune entiteacute se situant dans un eacuteternelpreacutesent au fr 85 DK

γένεσις preacutecise ce contexte de penseacutee et empecircche en cela toute extra-polation Agrave la limite si lrsquoon y tient on pourra simplement conclure avecD OrsquoMeara que Numeacutenius a donneacute agrave Plotin lrsquoideacutee de lire le Parmeacutenidedans le sens ougrave il lrsquoa fait concernant lrsquoecirctre ndash hypothegravese qui srsquoavegraverera fortinteacuteressante dans la perspective drsquoune comparaison avec lrsquoentreprise ducommentateur anonyme au Parmeacutenide

Les textes habituellement citeacutes en faveur drsquoune utilisation numeacute-nienne du Parmeacutenide ainsi compris il en est selon nous un troisiegravemequi aurait pu inviter agrave pareille suggestion celui ougrave Numeacutenius precircte aupremier principe un repos qui srsquoaccompagne malgreacute tout drsquoune formede mouvement ndash attributs apparemment contradictoires dont lrsquooriginepourrait paraicirctre remonter au Parmeacutenide Ce texte nous mettrait sur lavoie qui pouvait sembler la plus feacuteconde drsquoune identification du pre-mier principe numeacutenien agrave lrsquoUn de la seconde hypothegravese du ParmeacutenideLisons ainsi le fragment 15 (23 F)

Εἰσὶ δrsquo οὗτοι βίοι ὁ μὲν πρώτου ὁ δὲ δευτέρου θεοῦ δηλονότι ὁμὲν πρῶτος θεὸς ἔσται ἑστώς ὁ δὲ δεύτερος ἔμπαλίν ἐστικινούμενοςmiddot ὁ μὲν οὖν πρῶτος περὶ τὰ νοητά ὁ δὲ δεύτερος περὶτὰ νοητὰ καὶ αἰσθητά μὴ θαυμάσῃς δrsquo εἰ τοῦτrsquo ἔφηνmiddot πολὺ γὰρἔτι θαυμαστότερον ἀκούσῃ ἀντὶ γὰρ τῆς προσούσης τῷδευτέρῳ κινήσεως τὴν προσοῦσαν τῷ πρώτῳ στάσιν φημὶ εἶναικίνησιν σύμφυτον ἀφrsquo ἧς ἥ τε τάξις τοῦ κόσμου καὶ ἡ μονὴ ἡἀΐδιος καὶ ἡ σωτηρία ἀναχεῖται εἰς τὰ ὅλα

Voici les genres de vie respectifs du premier et du deuxiegraveme dieu ilest eacutevident que le premier sera en repos tandis que le deuxiegraveme aucontraire est en mouvement le premier donc autour des intelligiblesle deuxiegraveme autour des intelligibles et des sensibles Et nrsquoen viens pasagrave trsquoeacutetonner si jrsquoai affirmeacute cela car tu vas entendre bien plus eacutetonnantencore agrave la place du mouvement inheacuterent au deuxiegraveme le repos inheacute-rent au premier je lrsquoaffirme est un mouvement qui lui est par natureassocieacute drsquoougrave viennent lrsquoordre du monde et sa permanence eacuteternelle etdrsquoougrave le salut se reacutepand sur lrsquointeacutegraliteacute des ecirctres

Le passage pourrait rappeler lrsquoUn qui est Tout (τὸ ἓν ὅλον 145 e3) de la deuxiegraveme hypothegravese et que Platon deacutecrit comme eacutetant agrave la fois

130 Fabienne JOURDAN

en repos et en mouvement (καὶ κινεῖσθαι καὶ ἑστάναι 145 e 7-8)drsquoautant plus que le vocabulaire du repos employeacute est le mecircme(ἕστηκε 145 a 8 ἑστός 146 a 5) On pourrait alors imaginer queNumeacutenius identifie son premier principe agrave lrsquoUn associeacute agrave lrsquoecirctre telqursquoil est conccedilu dans cette deuxiegraveme hypothegravese Cependant la raisondonneacutee par Platon agrave cet eacutetat est le fait que cet Un se trouve agrave la fois enlui-mecircme crsquoest-agrave-dire au mecircme endroit et en autre chose crsquoest-agrave-direailleurs (le tout devant ecirctre ainsi compris 145 e 8-146 a 7) Or toutconduit agrave penser que dans le fragment le mouvement associeacute au reposfondamental est celui de la penseacutee caracteacuteristique du premier principe(cf fr 19 27 F) et que par cette formule Numeacutenius preacutepare la deacutefini-tion de celui-ci comme intellect (fr 16-17 24-25 F) Le raisonnementest profondeacutement distinct et Numeacutenius joue drsquoailleurs moins sur uneantithegravese logique telle que pourrait paraicirctre celle du raisonnement pla-tonicien que sur une association certes paradoxale mais reacuteelle Crsquoestpourquoi si tentant que puisse paraicirctre le parallegravele il ne relegraveve sansdoute pas drsquoune appropriation numeacutenienne de la deuxiegraveme hypothegravesepour deacutecrire le premier principe Numeacutenius reprend peut-ecirctre le voca-bulaire voire la conception de Platon pour deacutecrire un principe qursquoilassocie volontiers au Tout surtout si ce premier principe doit corres-pondre au Vivant84 Mais cette reprise serait superficielle et srsquoaccom-pagnerait drsquoun deacuteveloppement personnel qui ne relegraveve pas du deacutesirdrsquointerpreacuteter le Parmeacutenide85 Si Numeacutenius emprunte ici agrave Platon crsquoestplutocirct au passage du Sophiste 248 e-249 a qui integravegre le mouvementdans lrsquoecirctre total finit par deacutecrire cet ecirctre comme eacutetant agrave la fois en reposet en mouvement et inclut en lui eacutegalement lrsquointellect mieux laφρόνησις dont nous avons vu que Numeacutenius en fait sous la formeinfinitive lrsquoapanage du Bien

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 131

84 Voir le teacutemoignage de Proclus (fr 22) deacutejagrave signaleacute selon nous lrsquoimagedu Vivant est deacutejagrave sous-jacente dans ce fragment 15 (23 F) voir la note 61

85 Sur ce point nous rejoignons LP Gerson laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpre-tation of Platorsquos Parmenides raquo art cit n 1 qui rappelle agrave propos drsquoAlcinoosque lrsquoutilisation de distinctions et drsquoarguments preacutesents dans le Parmeacutenidenrsquoimplique pas drsquoaccorder une primauteacute interpreacutetative agrave ce dialogue

2 Le Περὶ τἀγαθοῦ et les deux premiegraveres hypothegravesesde la seconde partie du Parmeacutenide

Agrave eux seuls les textes parvenus ne nous semblent donc pas teacutemoi-gner en faveur drsquoun commentaire au Parmeacutenide de la part de Numeacute-nius ni mecircme drsquoune utilisation partielle qursquoil aurait faite de ce dia-logue Les partisans drsquoune attribution de pareil commentaire agrave Numeacute-nius en appellent toutefois et ce juste titre agrave lrsquoœuvre non parvenueOn ne peut certes juger de lrsquoeacutevolution de Numeacutenius Mais pour quecet argument e silentio soit valable concernant au moins la partie man-quante du Περὶ τἀγαθοῦ il faudrait que la partie transmise ne preacute-sente pas drsquoincompatibiliteacute avec lrsquoargumentation geacuteneacuterale du dialoguede Platon Comme le deacutebat porte toujours sur les deux premiegraveres hypo-thegraveses ce sont elles qursquoil suffit drsquointerroger en vue drsquoeacutevaluer si Numeacute-nius peut ne serait-ce que srsquoy ecirctre reporteacute pour esquisser sa deacutefinitiondu premier principe voire du second comme le suggegravere JD Turner86

a) Le Bien et lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese

Selon notre lecture Numeacutenius nrsquoidentifie pas le Bien agrave lrsquoUn Laseacuterie de neacutegations neacutecessaires agrave la deacutefinition de lrsquoecirctre nrsquoa drsquoautre butque de distinguer celui-ci du devenir Qursquoest-ce que le Bien de Numeacute-nius pourrait donc avoir de commun avec lrsquoUn de la premiegravere hypo-thegravese87 Comparons son enseignement agrave celui du Parmeacutenide pourassurer de la validiteacute de notre position

Ce que le Bien de Numeacutenius pourrait avoir de commun avec lrsquoUnde la premiegravere hypothegravese assureacutement ce serait le fait de ne pas ecirctremultiple (137 c) Mais cela est bien maigre la seacuterie de neacutegations pro-

132 Fabienne JOURDAN

86 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 138-13987 G Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 84) estime que

crsquoest en lien avec la premiegravere hypothegravese que Numeacutenius deacuteveloppe sa concep-tion du premier intellect Il nrsquoexplique toutefois pas cette lecture pour le moinseacutetonnante

poseacutee par Parmeacutenide ne le concerne pas Passons en revue quelquesexemples en suivant lrsquoordre du dialogue contrairement agrave lrsquoUn de cettehypothegravese le Bien nrsquoest pas illimiteacute (137 d 7) crsquoest la matiegravere qui esttelle agrave lrsquoimage drsquoun fleuve88 loin drsquoecirctre nulle part au sens de laquo pas ensoi raquo (138 a 2 6-b 2) il est au contraire en lui-mecircme89 La seacuterie drsquoanti-thegraveses ne le concerne pas davantage loin de nrsquoecirctre ni en repos ni enmouvement (138 b) nous avons vu qursquoil a part aux deux90 plutocirct quede nrsquoecirctre ni identique ni diffeacuterent (139 b-140 b) il est assureacutement iden-tique agrave soi91 au lieu drsquoecirctre hors du temps (141 a) il se situe dans uneacuteternel preacutesent92 et si certes on ne peut pas non plus parler agrave soneacutegard de participation agrave lrsquoοὐσία (141 e 7-8) il nrsquoen est pas moinslrsquoἀρχή de celle-ci93 qui fait de lui lrsquoEcirctre par excellence94 Contraire-ment agrave lrsquoUn de cette hypothegravese (142 a) il a en outre un nom une deacutefi-nition et il y a mecircme une science agrave son sujet son nom est drsquoabordοὐσία et ὄν lorsque lrsquoecirctre qursquoil est est envisageacute de maniegravere geacuteneacuterale95puis vraisemblablement Bien lui-mecircme et Ecirctre lui-mecircme (αὐτοάγα-θον et αὐτοόν) lorsqursquoil est envisageacute dans sa speacutecificiteacute96 il donnelrsquoἐπιστήμη et srsquoavegravere mecircme ecirctre la σοφία97 toute lrsquoentreprise duΠερὶ τἀγαθοῦ est justement de conduire agrave sa connaissance et deacutefini-tion98 ce agrave quoi parvient entre autres le dernier fragment en identifiantultimement lrsquoecirctre et lrsquointellect qursquoil constitue agrave la Forme du Bien de laReacutepublique99 Lorsque Platon fait conclure agrave Parmeacutenide que cet Un

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 133

88 Fr 3 (12 F) et 8 (17 F)89 Fr 11 (19 F)90 Fr 15 (23 F)91 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)92 Fr 5 (14 F)93 Fr 16 (24 F)94 Fr 17 (25 F) et lrsquoon nrsquooubliera pas la synonymie entre οὐσία et ὄν don-

neacutee au fr 6 (15 F)95 Fr 6 (15 F)96 Fr 16-17 (24-25 F) fr 20 (28 F)97 Crsquoest notre interpreacutetation conjointe des fragments 13 et 14 (21-22 F)98 Tel est le programme annonceacute au fragment 2 (11 F)99 Fr 20 (28 F)

finalement nrsquoest pas Numeacutenius peut donc avoir estimeacute ne pas devoirreconnaicirctre lagrave ce qursquoil deacutefinit quant agrave lui comme le premier principe etce alors en accord avec Platon lui-mecircme

Crsquoest pourquoi srsquoil a songeacute agrave ce dialogue et plus particuliegraverement agravela premiegravere hypothegravese Numeacutenius a pu le consideacuterer comme un exer-cice dialectique ougrave puiser par exemple une meacutethode drsquointerrogation etcertains concepts dans un esprit peut-ecirctre semblable agrave celui drsquoAlci-noos100 ou bien ce qui nrsquoest pas incompatible comme deacutecrivantaussi une position selon lui critiqueacutee par Platon Dans cette perspec-tive il peut alors y avoir perccedilu une raison de ne pas retenir la candida-ture de lrsquoUn (telle que la suggegravere notamment la reacuteception acadeacutemi-cienne de lrsquoenseignement oral) au titre de premier principe agrave identifierau Bien puisque cet Un conccedilu dans sa pureteacute agrave la maniegravere dont Platonle deacutecrit dans la premiegravere hypothegravese conduit agrave lrsquoaporie du non-ecirctre (non-ecirctre que Numeacutenius identifie quant agrave lui agrave la matiegravere) Autre-ment dit la lecture du Parmeacutenide voire le commentaire de ce dia-logue aurait plutocirct conduit Numeacutenius agrave ne pas identifier le Bien agrave lrsquoUnabsolu et lrsquoaurait peut-ecirctre justifieacute dans une position poleacutemique agrave lrsquoen-contre de certains neacuteo-pythagoriciens de son temps101 voire des Aca-deacutemiciens qui le faisaient

Cette conclusion peut a priori eacutetonner Mais Numeacutenius nrsquoaurait paseacuteteacute le seul de son eacutepoque agrave refuser drsquoaccorder agrave lrsquoUn de la premiegraverehypothegravese le rocircle de principe de la reacutealiteacute et de principe transcendantlrsquoecirctre Proclus eacutevoque des interpregravetes selon lesquels le veacuteritable objet

134 Fabienne JOURDAN

100 Agrave la mecircme eacutepoque ou peu apregraves (selon lrsquohypothegravese de R Chiara-donna laquo Theacuteologie et eacutepoptique aristoteacutelicienne dans le meacutedioplatonisme lareacuteception de Meacutetaphysique Λ raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted)Reacuteceptions de la theacuteologie aristoteacutelicienne op cit p 143-148 voir aussiM Frede laquo Numenius raquo art cit p 1064) Alcinoos donne une interpreacutetationessentiellement logique du Parmeacutenide voir Did VI p 159-160 H Cela nrsquoim-plique toutefois pas que ce fut lagrave la seule lecture du dialogue par Alcinoos(pace J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit)

101 Voir ceux eacutevoqueacutes au fragment 5215-24 (Calcidius In Tim CCXCV)qui font provenir la dyade de la monade Modeacuteratus agrave qui est justement precircteacuteun commentaire du Parmeacutenide leur est parfois rapprocheacute

du Parmeacutenide est justement lrsquoecirctre (ou lrsquoUn de la seconde hypothegravese) etnon lrsquoUn absolu dont lrsquohypothegravese ne conduit qursquoagrave des apories102 Lrsquounde ces interpregravetes fut Origegravene (le Platonicien103 ) disciple drsquoAmmo-nius comme Plotin et qui eacutetait peut-ecirctre justement en deacutebat avecNumeacutenius notamment sur la fonction du premier principe104 SelonOrigegravene lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese eacutetait sans existence ni subsis-tance (ἀνύπαρκτον καὶ ἀνύποστατον) lrsquoEcirctre absolu et lrsquoUnabsolu ne devaient faire qursquoun et ecirctre identifieacutes agrave lrsquointellect commeprincipe supeacuterieur105 ce nrsquoeacutetait donc qursquoavec la seconde hypothegravese

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 135

102 Proclus In Parm I 63531-6364 Theacuteol Plat II 4 311-28103 Nous nrsquoentrons pas ici dans le deacutebat concernant la question de savoir si

Origegravene nommeacute laquo le platonicien raquo est le mecircme qursquoOrigegravene le chreacutetien Nouspostulons qursquoil srsquoagit de deux personnages distincts (en cela nous suivonsnotamment R Goulet laquo Porphyre Ammonius les deux Origegravene et lesautres raquo Revue drsquohistoire et de philosophie religieuse 57 1977 p 471-496repris dans R Goulet Eacutetudes sur les Vies de philosophes de lrsquoAntiquiteacute tar-dive Diogegravene Laeumlrce Porphyre de Tyr Eunape de Sardes Textes et traditionsI Paris Vrin 2001 p 267-290) Sur ce sujet voir le statut de la question dansL Brisson R Goulet laquo Origegravene le platonicien raquo dans R Goulet (eacuted) Dic-tionnaire des philosophes antiques Paris CNRS IV 2005 p 804-807 M Zambon laquo Porfirio e Origene uno status quaestionis raquo dans S Morlet(eacuted) Le Traiteacute de Porphyre contre les chreacutetiens Un siegravecle de recherches nou-velles questions Paris Institut drsquoEacutetudes augustiniennes 2011 p 107-164 etles eacutetudes reacuteunies par B Baumlbler H-G Nesselrath (eacuted) Origenes der Christund Origenes der Platoniker Tuumlbingen Mohr Siebeck 2018 (dont lrsquoarticle deCh Riedweg qui identifie les deux personnages)

104 Drsquoapregraves le titre de son ouvrage transmis par Porphyre (VP 332 cf Pro-clus Theol plat II 4 A) Ὃτι μόνος ποιητὴς ὁ βασιλεύς Origegravene associaitvraisemblablement le laquo roi raquo (premier principe) au deacutemiurge nommeacute ποιητήςcontrairement agrave Numeacutenius qui les distingue au fragment 12 (20 F)

105 Sur ce sujet voir par ex HD Saffrey LG Westerink Proclus Theacuteo-logie platonicienne T II Paris Les Belles Lettres 1974 p X-XX C Steellaquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 32-35 L Bris-son laquo The Reception of Parmenides before Proclus raquo dans JD TurnerK Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage vol II Reception inPatristic Gnostic and Christian Neoplatonic Texts Atlanta Society of Bibli-cal Literature 2011 p 49-64

que commenccedilait selon lui lrsquoonto-theacuteologie platonicienne parce qursquoelleaurait deacutecrit lrsquointellect et les formes Origegravene paraissant plus proche deson maicirctre que Plotin106 son interpreacutetation eacutetait peut-ecirctre celle drsquoAm-monius et comme les argumentations drsquoAmmonius et de Numeacuteniussont parfois rapprocheacutees107 on pourrait penser agrave une parenteacute entre ellessur ce sujet eacutegalement Quoi qursquoil en soit sur ce point on peut retenirdeux choses de la comparaison avec lrsquointerpreacutetation drsquoOrigegravene lerefus de consideacuterer le premier principe comme identique agrave lrsquoUn absolude la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et lrsquoidentification de ce prin-cipe agrave lrsquoEcirctre absolu

Peut-on alors supposer que Numeacutenius agrave lrsquoinstar drsquoOrigegravene conccediloitlui aussi cet Ecirctre comme deacutecrit dans la deuxiegraveme hypothegravese Crsquoest eneffet avions-nous vu drsquoembleacutee la seule maniegravere de lui supposer reacuteelle-ment une utilisation du Parmeacutenide dans sa description du premier prin-cipe

b) Le Bien et lrsquo laquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

On peut en effet rappeler que Plotin a tendance agrave situer le premierde Numeacutenius au rang du second selon sa propre doctrine Toutefois agravela lecture du Parmeacutenide lui-mecircme Numeacutenius aurait assureacutement eacuteteacutegecircneacute degraves la formulation de lrsquohypothegravese consideacuterant Un et ecirctre (οὐσία)comme deux eacuteleacutements seacutepareacutes neacutecessitant la participation de lrsquoUn agravelrsquoecirctre (142 b-c) Pour Numeacutenius le premier principe est lrsquoecirctre il nrsquoapas part agrave lrsquoecirctre Lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacutenide ten-tera certes de reacutesoudre la difficulteacute et si Numeacutenius avait commenteacute letexte il aurait sans doute fait de mecircme Mais est-il bien neacutecessaire delui precircter pareille entreprise Il nrsquoest en effet pas davantage inteacuteresseacute agrave

136 Fabienne JOURDAN

106 Voir HD Saffrey LG Westerink op cit p XIX107 Voir par ex le teacutemoignage de Neacutemeacutesius (fr 4 b = Sur la nature de

lrsquohomme 2 8-14) qui les associe dans la critique de la corporeacuteiteacute de lrsquoacircmecaracteacuteristique de la conception stoiumlcienne

utiliser la seacuterie de preacutedicats contraires cette fois accepteacutes pour lrsquoUn decette deuxiegraveme hypothegravese Si nous nrsquoen retenons seulement quelques-uns parmi ceux pouvant concerner une reacutealiteacute intelligible on noteraque la notion de pluraliteacute ne peut concorder avec la repreacutesentation delrsquouniteacute indivisible que constitue le Bien pas davantage que le coupleantitheacutetique drsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave soi Trois points pourraientecirctre malgreacute tout rapprocheacutes dans la deacutefinition du Bien numeacutenien et delrsquoUn de la seconde hypothegravese lrsquoaffirmation drsquoune preacutesence agrave la fois ensoi et en autre chose (145 b 6-7) ndash mais elle est caracteacuteristique de touteforme intelligible et la contradiction apparente est reacutesolue par le pheacute-nomegravene de la participation bien deacuteveloppeacute par Numeacutenius lrsquoideacutee quece principe est en mouvement et en repos (145 a 3-146 a 7)ndash mais nousavons montreacute son sens particulier lieacute au processus de la penseacutee propreagrave lrsquointellect qui nrsquoest pas deacuteveloppeacute dans le Parmeacutenide et enfin larelation au temps (152 a) mais elle nrsquoest que provisoire concernant ladeuxiegraveme hypothegravese dans la mesure ougrave celle-ci va ensuite associerlrsquoecirctre agrave toutes les dimensions du temps alors que Numeacutenius ne lrsquoasso-cie qursquoau preacutesent comme le fait le Timeacutee (et peut-ecirctre le vrai Parmeacute-nide lui-mecircme au fragment 85)

Il nous semble donc peu probable que Numeacutenius ait envisageacute sonpremier principe en songeant agrave lrsquoUn-qui-est du Parmeacutenide ou aitmecircme tenteacute de le lui faire correspondre dans une eacutetape ulteacuterieure de sareacuteflexion En cela le deacutesaccord qui semble affleurer avec Origegravene surla caracteacuterisation des principes se retrouverait sur ce point eacutegalement

c) Le second dieu (le Bon) et lrsquolaquo Un qui est raquo

Une autre possibiliteacute peut toutefois se preacutesenter agrave lrsquoesprit Numeacute-nius nrsquoaurait-il pas alors associeacute agrave ce second Un son second dieu etprincipe qui lui est effectivement agrave la fois Un et plusieurs (143 a 5)au sens ougrave il connaicirct une laquo division raquo lorsqursquoil rencontre la matiegravere108

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 137

108 Fr 11 (19 F)

Telle est en effet lrsquohypothegravese de JD Turner109 On pourrait lrsquoeacutetayer ennotant que ce dieu est drsquoailleurs lui aussi seacutepareacute pour ainsi dire de saforme le Bien ce qui constitue deux aspects de son ecirctre et mecircme de laforme qursquoil produit comme modegravele du monde lui aussi a en outre partagrave lrsquoοὐσία qursquoil reccediloit du premier En extrapolant on pourrait imaginerque crsquoest agrave lui que reviennent tous les couples de contraires puisqursquoilest agrave la fois dans lrsquointelligible par sa contemplation et preacuteoccupeacute dusensible tendant au contact avec la matiegravere110 Mais nous irions troploin Numeacutenius fait certes de ce second dieu lrsquoecirctre deacuteriveacute mais il estecirctre assureacutement et nrsquoest pas concerneacute par les preacutedicats caracteacuterisant lesensible (comme la grandeur la limite lrsquoacircge) Ce qui peut paraicirctrecontraire en ce dieu ce sont seulement des attitudes lieacutees agrave son orienta-tion dans un processus cosmogonique Numeacutenius ne paraicirct pas avoirainsi deacutefini son essence dont la caracteacuteristique fondamentale est lrsquoimi-tation et la participation au Bien Crsquoest pourquoi mecircme si cela peutparaicirctre tentant nous ne pensons pas qursquoil ait conccedilu ce second dieu ensongeant agrave la deuxiegraveme hypothegravese du Parmeacutenide ni mecircme qursquoil aittenteacute apregraves lrsquoavoir deacutefini de le lui faire correspondre111 Le consideacuterer

138 Fabienne JOURDAN

109 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 137-138 qui ajoute agravecela une reacuteflexion sur ce que certains Anciens consideacuteraient comme la troisiegravemehypothegravese (155 e 4-157 b 4) et fait du second dieu de Numeacutenius dans sa dualiteacutemecircme un repreacutesentant des Un de la deuxiegraveme et troisiegraveme hypothegraveses (Un-plu-sieurs et Un-et-plusieurs) Cette lecture est ingeacutenieuse mais inveacuterifiable

110 Fr 11 (19 F)111 Concernant les autres hypothegraveses nous pourrions faire deux remarques

Dans la troisiegraveme la deacutefinition des laquo autres choses raquo comme eacutetant de natureillimiteacutee mais recevant leur limite par participation agrave lrsquoUn (158 d 7-8) corres-pond agrave la conception de la formation du monde par le deacutemiurge (fr 18 26 F cf fr 52) Mais cette interpreacutetation est la leccedilon mecircme du Timeacutee coupleacute avec lePhilegravebe Dans la derniegravere hypothegravese ensuite en 165 c 2 on trouve lrsquoexpres-sion ὀξὺ νοοῦντι pour deacutesigner celui qui regarde de pregraves et voit que les chosesqui paraissent unes sont en reacutealiteacute plusieurs car priveacutees drsquouniteacute Avec lrsquoexpres-sion ὀξὺ βλέποντι au fr 19 (27 F) Numeacutenius pourrait faire un clin drsquoœilentendu agrave ce passage lorsqursquoil invite agrave comprendre ce qui est selon lui le vraisens du terme un appliqueacute au Bien celui drsquouniciteacute Lrsquoeacutecho lexical pourrait ren-

selon chacun de ses deux laquo aspects raquo comme correspondant agrave lrsquolaquo Un-plusieurs raquo et agrave lrsquolaquo Un-et-plusieurs raquo de la deuxiegraveme et de la troisiegravemehypothegraveses entrevue par certains Anciens comme le fait J Turnerrelegraveve selon nous drsquoune lecture plotinienne qui ne correspond pas agravelrsquoenseignement du Περὶ τἀγαθοῦ112 Cela une fois encore nrsquoem-pecircche pas que Numeacutenius ait pu inspirer Plotin dans sa propre lecturedu Parmeacutenide

3 Le Περὶ τἀγαθοῦ et la premiegravere partie du Parmeacutenide

Dans le Περὶ τἀγαθοῦ Numeacutenius nrsquoa ainsi selon nous pas conccedilusa reacuteflexion sur les principes agrave partir drsquoun commentaire du Parmeacutenideni nrsquoa mecircme tenteacute de la faire correspondre aux hypothegraveses de laseconde partie de ce dialogue apregraves lrsquoavoir eacutelaboreacutee En revanche ilsrsquoest assureacutement inteacuteresseacute agrave la premiegravere partie ou du moins aux diffi-culteacutes dans lesquelles elle place la theacuteorie des formes113 Qursquoil ait ounon en tecircte ce dialogue le sien en tout cas cherche assureacutement agraverendre possible la participation et donc agrave sauver la theacuteorie des formespar-delagrave les objections que lui adresse Parmeacutenide Ce sujet nous inteacute-ressant moins directement ici nous ferons bref

Agrave la question de savoir srsquoil y a des formes de tout (130 b-e) Numeacute-nius reacutepond assureacutement qursquoil y en a de tout ce qui a part au Bien114 agrave

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 139

voyer agrave cette illusion relative agrave la saisie de ce qursquoest laquo ecirctre un raquo Lrsquoexpressionnrsquoeacutetant pas absente par ailleurs chez Platon (voir le commentaire au fragment19 27 F) il nrsquoest cependant pas neacutecessaire de penser que Numeacutenius ait ce pas-sage du Parmeacutenide en tecircte il est simplement tentant drsquoy songer dans uncontexte de reacuteflexion sur lrsquoUn

112 Contra JD Turner laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art citp 138-139

113 On remarquera qursquoAlcinoos (Did IX p 163 H 23-31 L W) fait demecircme en reacutepondant agrave la question de ce dont il y a des formes et en concevantcelles-ci comme des penseacutees du premier dieu

114 Fr 13 et 19 (21 et 27 F)

la question du rapport entre forme et participeacute il envisage positive-ment les deux solutions proposeacutees par Socrate a) les formes sont pourlui des penseacutees (cf Parm 132 b-c) elles sont celles du seconddieu115 et elles pensent (cf Parm 132 c) puisque telle est la maniegraverede participer au Bien116 b) les formes sont par ailleurs des paradigmes(cf Parm 132 d) comme le montre lrsquoexemple embleacutematique du rap-port entre le Bon qursquoest le deacutemiurge et le Bien envisageacute commeforme117 Quant agrave lrsquoargument du troisiegraveme homme en placcedilant le Bienau sommet de lrsquointelligible Numeacutenius estime peut-ecirctre y avoir ultime-ment reacutepondu Lrsquoobjection de la seacuteparation (133 a 8-134 c 7) enfinavec le double risque qursquoelle comporte de lrsquoinconnaissabiliteacute desformes (134 a-b) et du deacutefaut de connaissance de notre monde par ledieu qui ne pourrait alors pas agir agrave notre eacutegard (134 e) aura particu-liegraverement retenu son attention tout le dialogue Sur le Bien tend eneffet agrave montrer la continuiteacute agrave la fois ontologique et eacutepisteacutemique desdiffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute ndash le sensible lui-mecircme en tant que prisen charge par le deacutemiurge qui lrsquoeacutelegraveve agrave son propre caractegravere (autrementdit agrave sa bonteacute et agrave ce qui en deacutecoule)118 relegraveve en effet de la μετ-ουσία autrement dit de ce qui vient certes laquo apregraves lrsquoοὐσία raquo mais y amalgreacute tout essentiellement part119 Le Περὶ τἀγαθοῦ conduit en toutcas drsquoune part agrave la connaissance de la forme premiegravere tandis que celle-ci srsquoavegravere la connaissance ultime qui se transmet ensuite120 il montredrsquoautre part la relation permanente du premier agrave notre monde non seu-lement par lrsquointermeacutediaire du second dieu qui assure directement lrsquoac-tion providentielle mais par le salut ou la conservation (σωτηρία)

140 Fabienne JOURDAN

115 Fr 16 (24 F) Nous reacutesumons voir notre interpreacutetation du fragment116 Fr 19 (27 F) Lagrave aussi nous reacutesumons notre interpreacutetation laquo Pense raquo en

reacutealiteacute tout ce qui a part au Bien En outre lrsquoidentification de lrsquointellect agrave uneforme au fragment 20 (28 F) suggegravere cette interpreacutetation

117 Fr 16 19 et 20 (24 27-28 F)118 Fr 11 (19 F) cf fr 18 (26 F)119 Voir lrsquoutilisation fort suggestive de ce terme pour deacutesigner la participa-

tion agrave la fin du fragment 16 (24 F)120 Fr 13-14 (21-22 F)

qursquoil dispense lui-mecircme reacuteellement121 en tant que Bien et qursquoEcirctre quiassure ultimement la coheacutesion du monde

Nous ne preacutetendons pas que Numeacutenius reprenne point par point lesobjections de Parmeacutenide agrave Socrate contre la theacuteorie des formes Maisqursquoil les ait consideacutereacutees directement dans le dialogue de Platon ou qursquoilles ait connues par la tradition il les a prises au seacuterieux et a senti luiaussi la neacutecessiteacute drsquoy reacutepondre pour sauver Platon agrave la maniegravere dont illrsquoentendait

4 Conclusion sur Numeacutenius et le Parmeacutenide

Rien donc dans lrsquoœuvre parvenue ne permet de conclure agrave uneinterpreacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide par Numeacutenius nonseulement les textes ne contiennent pas de reacuteels parallegraveles avec le dia-logue de Platon mais ils suggegraverent que Numeacutenius ne srsquoest fondeacute suraucune des deux premiegraveres hypothegraveses pour deacuteterminer les traits de sonpremier principe ni mecircme sur la deuxiegraveme (voire la troisiegraveme) pourdeacutefinir le second Il est mecircme peu vraisemblable qursquoil ait tenteacute reacutetros-pectivement de les leur faire correspondre Il srsquoest en revanche assureacute-ment inquieacuteteacute des objections dresseacutees contre la theacuteorie des formes dansla premiegravere partie du dialogue et aura tenteacute drsquoy reacutepondre en assurant lavaliditeacute de la participation selon les diffeacuterentes modaliteacutes envisageacutees lagravepar Socrate ndash en cela il srsquoinscrit vraisemblablement dans la traditionplatonicienne122 dont il heacuterite peut-ecirctre plus de la probleacutematique qursquoilne la cherche directement dans le texte de Platon Concernant laseconde partie du dialogue il a pu percevoir dans lrsquoexposeacute de la pre-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 141

121 Fr 15 (23 F)122 Voir les remarques de la note 100 sur Alcinoos Mecircme si Alcinoos est

peut-ecirctre posteacuterieur agrave Numeacutenius de toute eacutevidence les platoniciens ont tenteacutede montrer la justesse de la theacuteorie des formes et de la participation contre lescritiques drsquoAristote ainsi assureacutement que contre celles deacutejagrave eacuteleveacutees dans leParmeacutenide et vraisemblablement inspireacutees (entre autres) par les discussions ausein de lrsquoAcadeacutemie

miegravere hypothegravese une raison suffisante pour ne pas identifier son premierprincipe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit prenant ainsi Platon agrave la lettre agrave propos ducaractegravere aporeacutetique de lrsquoUn tel qursquoil eacutetait lagrave envisageacute

Si elle eacutetait aveacutereacutee cette attitude aurait une double conseacutequencepour la compreacutehension de lrsquohistoire du platonisme

Elle pourrait drsquoabord reacuteveacuteler une intention poleacutemique agrave plusieursniveaux Elle est en effet concevable comme une reacuteaction agrave lrsquoeacuteven-tuelle association neacuteo-pythagoricienne du premier principe associeacute agravelrsquoUn ou agrave la monade avec lrsquoUn absolu de la premiegravere hypothegravese duParmeacutenide Mecircme si selon nous lrsquoidentification du premier principe agravelrsquoUn chez Speusippe et les neacuteo-pythagoriciens123 relegraveve avant tout dela tradition acadeacutemicienne pythagorisante relative agrave lrsquoUn et agrave la Dyadeainsi que du compte-rendu aristoteacutelicien de lrsquoenseignement oral de Pla-ton sur les principes124 il nrsquoy a pas en soi de raison drsquoexclure une pos-sible invocation pour confirmation de lrsquoUn du Parmeacutenide (agrave condi-tion de ne pas leur precircter une interpreacutetation neacuteoplatonicienne) Parsuite une poleacutemique avec lrsquoAncienne Acadeacutemie est eacutegalement envisa-geable Non seulement dans sa deacutefense de la theacuteorie des formes125Numeacutenius pourrait tenter de reacutepliquer agrave la suppression de celles-ciopeacutereacutee par Speusippe mais aussi srsquoopposer agrave la conception du premierprincipe precircteacutee agrave lrsquoAncien Acadeacutemicien Que lrsquoon croie Aristote selonlequel lrsquoUn de Speusippe ne serait laquo pas mecircme un ecirctre raquo126 ou plutocirct

142 Fabienne JOURDAN

123 Voir la note 75124 Voir aussi Meacutet N 4 1091 b 13-15 EE A 8 1218 a 15-32 ougrave le Bien est

associeacute agrave lrsquoUn125 Selon lui la connaissance drsquoun objet quelconque consistait dans celle

de ses relations agrave tous les autres (fr 73 Taraacuten = 2 I P2 = Proclus In Euclp 179 12-22 Friedlein) et crsquoest aux nombres qursquoil aurait alors accordeacute le statutde principe (voir le reacutesumeacute de A Meacutetry Speusippos Zahl Erkenntnis SeinBernStuttgartWien Paul Haupt 2002 p 11-13 et celui de HD Kraumlmerlaquo Die Aumlltere Akademie raquo dans H Flashar (eacuted) Grundriss der Geschichte derPhilosophie Band 3 Aumlltere Akademie Aristoteles Peripatos Basel SchwabeVerlag 20042 [1983] p 16-17)

126 μηδὲ ὄν τι εἶναι τὸ ἕν αὐτό Meacutet N 5 1092 a 16 (fr 43 Taraacuten = 25 IP2 = Aristote Meacutet N 5 1092 a 11-17)

Jamblique selon qui il ne serait laquo pas encore ecirctre raquo127 une distinctionentre lrsquoUn conccedilu comme premier principe et lrsquoecirctre semble agrave lrsquoœuvrechez lui128 si bien que certains ont mecircme penseacute que Platon lui reacutepon-dait dans le Parmeacutenide129 Il nrsquoest pas utile drsquoentrer dans ce deacutebat laposition de Speusippe peut relever drsquoune reacuteflexion sur le Bien deReacutepublique VI et drsquoune appropriation de lrsquoenseignement oral de Platonagrave nous transmis par le compte-rendu aristoteacutelicien qui laisse Platonassocier eacutetroitement le Bien et lrsquoUn Disons simplement que srsquoil a euconnaissance de la position de Speusippe Numeacutenius peut avoir voulului reacutepondre Nrsquooublions pas qursquoagrave lui comme agrave ses pairs dans lrsquoAn-cienne Acadeacutemie il reproche de ne pas avoir pas laquo tout souffert raquo pour

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 143

127 ὅπερ δὴ ουδὲ ὄν πω δεῖ καλεῖν DCMS IV p 157-8 FestaKlein128 La reconstruction de lrsquoenseignement exact de Speusippe sur le premier

principe est neacutecessairement fragile drsquoune part elle est fondeacutee sur lrsquointerpreacuteta-tion du texte drsquoAristote qui est empreint de critique drsquoautre part elle esteacutetayeacutee par deux autres textes dont le lien agrave Speusippe est controverseacute et dontles auteurs agrave la fois sont familiers du neacuteo-pythagorisme et ont lu Plotin chezqui lrsquoUn est effectivement au-dessus de lrsquoecirctre (il srsquoagit de Jamblique et de Pro-clus dans la traduction de Guillaume de Moerbeke In Parm VII 401-9 Kli-bansky-Labowsky = 50162-71 Steel = fr 48 Taraacuten = 30 IP2) Nous ne propo-sons ici qursquoune hypothegravese de reacuteflexion Pour un exposeacute plus deacutetailleacute sur la rela-tion eacuteventuelle de Numeacutenius agrave Speusippe dans lrsquoeacutelaboration drsquoune leacutegitimiteacuteplatonicienne voir la premiegravere annexe de notre eacutedition commenteacutee des frag-ments de Numeacutenius en preacuteparation

129 Crsquoest la lecture de A Graeser (laquo Platon gegen Speusipp Bemerkun-gen zur ersten Hypothese des Platonischen Parmenides raquo Museum Helveti-cum 54 1997 p 45-47 et laquo Anhang Probleme der Speusipp-Interpreta-tion raquo dans Prolegomena zu einer Interpretation des zweiten Teils des Plato-nischen Parmenides Bern Paul Haupt 1999 p 41-53) et J Halfwassen(Der Aufstieg zum Einen op cit et laquo Speusipp und die metaphysische Deu-tung von Platons Parmenides raquo art cit) adopteacutee par ex par R Dancy(laquo Speusippus raquo dans EN Zalta (eacuted) The Stanford Encyclopedia of Philo-sophy Winter 2012 Edition 20112 [2003] en ligne) et rejeteacutee par C Steel(laquo A Neoplatonic Speusippus raquo art cit p 470 473-475) et LP Gerson(laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit p 2-11de la version eacutelectronique)

rester dans une communauteacute de penseacutee avec leur maicirctre130 Commenous lrsquoavons suggeacutereacute dans les preacuteliminaires il ne serait alors pasimpossible qursquoavec cette eacuteventuelle lecture du Parmeacutenide Numeacuteniuseucirct souhaiteacute reacutepliquer agrave lrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne signaleacutee delrsquoenseignement oral de Platon trouvant quant agrave lui dans le Platon eacutecritla juste interpreacutetation du Platon oral mal laquo entendu raquo Pareille supposi-tion doit toutefois ecirctre prise avec prudence

Par-delagrave la mise en eacutevidence drsquoune poleacutemique agrave plusieurs niveauxlrsquohypothegravese proposeacutee sur lrsquoattitude de Numeacutenius concernant ladeuxiegraveme partie du Parmeacutenide permet de mieux deacuteterminer a contra-rio ce qui caracteacuterise une interpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo 131 du dia-logue De maniegravere geacuteneacuterale drsquoabord la position de Numeacutenius montrepar contraste que lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne trouve son originedans une vue contraire agrave la sienne sur le statut de la forme du Bien et sasituation agrave lrsquoeacutegard de lrsquoοὐσία en Reacutepublique VI ainsi peut-ecirctre que

144 Fabienne JOURDAN

130 Fr 2416-18 1 F = Eusegravebe PE XIV 5 2131 Nous en restons aux caractegraveres geacuteneacuteraux il nrsquoy a en effet pas une seule

et unique interpreacutetation post-plotinienne du Parmeacutenide On remarquera enoutre que Jamblique (drsquoapregraves Proclus In Tim III 1049-16 Diehl) semble eacutevo-quer chez Ameacutelius et Numeacutenius (si lrsquoon suit le raisonnement de Proclus) desdistinctions relatives aux diviniteacutes dans le Sophiste le Philegravebe et le Parmeacutenidequi ne correspondent pas agrave celles retenues dans le neacuteoplatonisme Si ce proposne se rapporte pas seulement agrave Ameacutelius mais vraiment aussi agrave Numeacutenius ilfaudrait en tirer lagrave encore la conclusion que son interpreacutetation ne correspondpas agrave celle du neacuteoplatonisme qui identifie son premier principe agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et donc pas non plus agrave celle des neacuteopytha-goriciens que lrsquoon reconstruit agrave partir des teacutemoignages neacuteoplatoniciens Celadit mecircme srsquoil est tentant de penser que le οὗτοι (10411) de Proclus renvoieaux deux exeacutegegravetes qursquoil vient de citer il se peut malgreacute tout que ne soit deacutesigneacutelagrave que le seul Ameacutelius disciple de Plotin et donc assureacutement familier de lrsquoexeacute-gegravese du Parmeacutenide Il nrsquoy a en revanche aucune difficulteacute agrave precircter agrave Numeacuteniusdes exeacutegegraveses partielles du Sophiste et du Philegravebe (voir nos interpreacutetations desfragments 15 23 F) et 19 27 F) Il nrsquoy en a drsquoailleurs pas davantage agrave imagi-ner chez lui une utilisation partielle du Parmeacutenide ou des allusions agrave ce dia-logue voire une prise agrave la lettre du propos de Parmeacutenide sur lrsquoUn de la pre-miegravere hypothegravese conduisant agrave renoncer agrave celui-ci comme premier principe

dans une appropriation du compte-rendu de lrsquoenseignement oral dePlaton par Aristote En affirmant lrsquoidentiteacute ontologique du Bien et delrsquoEcirctre Numeacutenius srsquointerdit lrsquoidentification de son premier principe agravelrsquoUn distinct de lrsquoecirctre de la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide En refu-sant au contraire pareille identiteacute en srsquoappuyant peut-ecirctre sur lrsquoidenti-fication du Bien et de lrsquoUn precircteacutee agrave Platon et aux platoniciens par Aris-tote et en appliquant ces deux eacuteleacutements agrave une lecture du Parmeacutenide132Plotin ouvre la voie de lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologiqueulteacuterieure du dialogue Malgreacute son caractegravere hypotheacutetique la supposi-tion selon laquelle Numeacutenius prendrait effectivement acte des conseacute-quences aporeacutetiques de la premiegravere hypothegravese en nrsquoidentifiant pas sonpremier principe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit permet ici encore a contrariode deacuteterminer deux autres eacuteleacutements indissociables caracteacuteristiques delrsquointerpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo du Parmeacutenide lrsquoidentification dupremier principe agrave lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese et par suite une lec-ture laquo positive raquo de celle-ci qui en reacutealiteacute contredit les conclusionsneacutegatives de Platon agrave son sujet Une theacuteologie neacutegative en est alorscertes tireacutee (que lrsquoon songe au Commentaire anonyme au Parmeacutenideou agrave celui de Proclus133) Mais cette neacutegativiteacute est conccedilue commereacutesultant de lrsquoincapaciteacute fondamentale de lrsquohomme agrave concevoir le pre-mier principe autrement que par analogies et approximations neacutecessai-rement erroneacutees Elle ne concerne pas le principe en lui-mecircme ni laconviction qursquoil constitue le fondement ultime assurant la coheacutesion dela reacutealiteacute Numeacutenius aura quant agrave lui preacutefeacutereacute rester fidegravele agrave la lettre dutexte et donc aux doutes du maicirctre qui laisse parler Parmeacutenide Agrave ce

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 145

132 Les deux premiers eacuteleacutements agrave eux seuls conduisent seulement agrave laposition de Speusippe dont rien ne permet drsquoaffirmer le rattachement au Par-meacutenide Nous compleacutetons en cela les hypothegraveses de J Whittaker laquo ΕΠΕ-ΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit Voir aussi LP Gerson laquo The lsquoNeo-platonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit

133 In Parm VII 51872-84 Plutocirct que de radicaliser la neacutegation pour par-ler de lrsquoUn Proclus indique que la neacutegation porte en reacutealiteacute sur la conceptionde lrsquoUn et pas sur lrsquoUn lui-mecircme qui garde la fonction laquo positive raquo drsquoassurer lacoheacutesion du reacuteel

stade de nos connaissances et drsquoapregraves lrsquoœuvre parvenue precircter agraveNumeacutenius cette reacuteaction aux conclusions de la premiegravere hypothegravesenous paraicirct la seule maniegravere prudente drsquoenvisager de sa part une inter-preacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide Renoncer agrave lui en precircterune ne poserait toutefois aucune difficulteacute

5 Appendice Numeacutenius et Parmeacutenide134

Cette conclusion sobre sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenidesuggegravere drsquointerroger pour finir son attitude agrave lrsquoeacutegard du Parmeacutenide his-torique lui-mecircme auquel Plotin fait parfois appel Que Numeacutenius aitconnu et utiliseacute (directement ou non) le poegraveme Sur la nature est aveacutereacutepar le teacutemoignage de Porphyre selon lequel il aurait associeacute les porteseacutevoqueacutees lagrave135 agrave celles du Cancer et du Capricorne repreacutesentant selonlui les voies respectivement descendante et ascendante des acircmes136Or dans le Περὶ τἀγαθοῦ qui seul nous inteacuteresse ici deux eacuteleacutementsdoctrinaux pourraient relever drsquoune appropriation personnelle de Par-meacutenide ou plutocirct de la tradition agrave son sujet telle qursquoelle serait parvenueagrave Numeacutenius ndash Platon ayant assureacutement aiguiseacute chez ses successeurslrsquointeacuterecirct pour la penseacutee du personnage eacuteponyme de son dialogue Sansentrer dans une recherche des sources ni dans un exposeacute deacutetailleacute de lapenseacutee de Parmeacutenide et des interpreacutetations de son poegraveme nous nouscontenterons ici drsquoeacutevoquer ces deux points dans le simple but drsquoouvrirla recherche

Le premier concerne la relation de lrsquoecirctre au temps et au change-ment telle qursquoelle est deacutecrite dans le fragment 5 (14 F) deacutejagrave citeacute en par-tie Lrsquoaffirmation que lrsquoecirctre ne saurait ecirctre dans le passeacute ou lrsquoavenir

146 Fabienne JOURDAN

134 Je remercie Francesco Fronterotta drsquoavoir relu cette derniegravere section135 Parmeacutenide fr 1 11 D-K ougrave sont deacutecrites les laquo portes ouvrant sur les

chemins de la nuit et du jour raquo136 Voir Porphyre De antro 21-24 ici surtout 24 Numeacutenius fr 31 27-28

Sur ce texte voir le commentaire de W Huumlbner dans lrsquointroduction de lrsquoeacuteditioncommenteacutee du De Antro parue sous la direction de T Dorandi Paris Vrin2019

mais que seul le preacutesent lui convient et qursquoil ne pourrait pas davantagechanger renvoie assureacutement au propos du Timeacutee (37 d 2-38 b 2)137Que Platon deacuteveloppe ici une reacuteflexion originellement preacutesente chezParmeacutenide et plus preacuteciseacutement pour nous dans le fragment 8 de sonpoegraveme138 pourrait suffire agrave expliquer cet eacutecho parmeacutenidien chezNumeacutenius Mais il est frappant que dans ce fragment 5 (14 F) duΠερὶ τἀγαθοῦ relayeacute par les suivants Numeacutenius reprenne une seacuteriedrsquoeacuteleacutements qui deacutecrivent lrsquoecirctre dans le passage concerneacute du poegraveme outre ceux deacutejagrave nommeacutes on retrouve chez lui lrsquoimpossibiliteacute qursquoalrsquoecirctre de devenir plus grand ou plus petit139 et la neacutecessiteacute qui estsienne de demeurer en lui-mecircme au mecircme endroit140 Ainsi lorsqueNumeacutenius estime que si ces laquo prescriptions raquo indispensables agrave ladeacutetermination de lrsquoecirctre veacuteritable nrsquoeacutetaient pas respecteacutees il se produi-rait une laquo impossibiliteacute majeure dans son discours unique en songenre agrave savoir que lrsquoecirctre agrave la fois serait et ne serait pas raquo141 et faitensuite paraphraser lrsquoideacutee par le disciple du dialogue avec la formule

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 147

137 Voir aussi Plutarque De E 20 393 a-c dont la position est compareacuteeavec celle de Numeacutenius dans notre analyse du fragment

138 Voir les vers suivants du fragment 8 D-K agrave lrsquoorigine de toute lareacuteflexion sur lrsquoeacuteterniteacute (cf M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art citp 157) οὐδέ ποτ᾽ ἦν ἔσται ἐπεὶ νῦν ἐστιν ὁμοῦ πᾶν ἕν συνεχές τίναγὰρ γένναν διζήσεαι αὐτοῦ laquo Il nrsquoa jamais eacuteteacute et ne sera jamais puisqursquoilest maintenant tout ensemble un continu Car quelle naissance pourrais-tului chercher raquo v 5-7 (trad Kirk Raven Schofield en fr par H-A de Weck)et πῶς δ᾽ἄν ἔπειτα πέλοι τὸ ἐόν πῶς δ᾽ἄν κε γένοιτο εἰ γὰρ ἔγεντ᾽ οὐκἔστ᾽ οὐδ᾽ εἴ ποτε μέλλει ἔσεσθαι τῶς γένεσις μὲν ἀπέσβεσται καὶἄπυστος ὄλεθρος laquo Comment pourrait-il ecirctre par la suite Celui qui est Comment pourrait-il naicirctre Car srsquoil est neacute il nrsquoest pas de mecircme lt il nrsquoest pasnon plus gt srsquoil doit ecirctre un jour Ainsi est eacuteteinte la naissance eacuteteinte aussi ladestruction disparue sans qursquoon en parle raquo v 19-21 (trad D OrsquoBrien leacutegegravere-ment modifieacutee) Voir aussi les vers 26-28 du mecircme fragment 8 D-K sur lrsquoab-sence de mouvement ainsi que de deacutebut et de fin

139 Parmeacutenide fr 844-45 D-K140 Parmeacutenide fr 829-30 D-K cf Numeacutenius fr 11 (19 F)141 ὡς τούτου γε οὕτως λεγομένου ἓν γίνεταί τι ἐν τῷ λόγῳ μέγα

ἀδύνατον εἶναί τε ὁμοῦ ταὐτὸν καὶ μὴ εἶναι

relativement complexe εἰ δὲ οὕτως ἔχει σχολῇ γrsquo ἂν ἄλλο τι εἶναιδύναιτο τοῦ ὄντος αὐτοῦ μὴ ὄντος κατὰ αὐτὸ τὸ ὄν il nrsquoest pasexclu qursquoil ait ici le poegraveme parmeacutenidien agrave lrsquoesprit auquel il seraitrevenu directement ou non sous lrsquoimpulsion de Platon La phraseindique en effet (nous paraphrasons) que si pareille impossibiliteacute seproduisait il serait mecircme impossible agrave autre chose (que lrsquoecirctre) drsquoecirctrepuisque lrsquoecirctre lui-mecircme ne serait pas selon ce qursquoil devrait ecirctre (κατὰαὐτὸ τὸ ὄν) autrement dit selon sa propre essence et deacutefinitionNumeacutenius suggegravere sans doute par lagrave que si lrsquoecirctre eacutetait soumis au pas-sage du temps et au changement il serait tout simplement non-ecirctrepuisqursquoil ne correspondrait pas agrave sa propre deacutefinition ce qui explique-rait son impossibiliteacute de constituer le fondement de la reacutealiteacute Une foisreplaceacute dans le contexte de penseacutee de Numeacutenius ougrave ce qui est non-ecirctreest la matiegravere et la partie du sensible qui relegraveve drsquoelle lrsquoideacutee semblefort proche de la maniegravere dont Parmeacutenide dresse lrsquoantithegravese entre ecirctreet non-ecirctre dans ce mecircme fragment 8 de son poegraveme142 Cette impres-sion peut ecirctre eacutetayeacutee par celle drsquoune prise de distance agrave lrsquoeacutegard de cepassage du poegraveme lorsque Numeacutenius affirme que lrsquoecirctre nrsquoest pasmecircme mucirc autour de son centre143 si cette preacutecision fait sans doutedrsquoabord allusion agrave lrsquoacircme du monde qui se meut autour de celui-ci dansle Timeacutee et par suite au refus drsquoidentifier lrsquoecirctre veacuteritable agrave une acircme144elle porte peut-ecirctre eacutegalement la trace drsquoune reacuteaction agrave lrsquoidentificationparmeacutenidienne de lrsquoecirctre agrave une sphegravere145 Lrsquohypothegravese est cependantplus fragile et Numeacutenius heacuterite sans doute avant tout de Platon enverslequel il se situe Crsquoest agrave partir du Timeacutee qursquoil eacutelabore sa penseacutee Maisil ne semble pas exclu qursquoil soit parfois retourneacute (directement ou non)agrave lrsquooriginal auquel reacutefegravere implicitement Platon ce qui est drsquoautant plus

148 Fabienne JOURDAN

142 Sur le non-ecirctre chez Parmeacutenide voir par ex D OrsquoBrien Le Non-Ecirctredans la philosophie grecque Parmeacutenide Platon Plotin raquo dans P Aubenque(eacuted) Eacutetudes sur le Sophiste de Platon Napoli Bibliopolis 1991 p 4-9

143 οὔτε περὶ τὸ μέσον ποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται144 Il srsquoagit lagrave selon nous drsquoun argument essentiel agrave la non-identification

numeacutenienne du deacutemiurge agrave lrsquoacircme du monde145 Fr 8 42-44 D-K

vraisemblable que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacute comme un pythago-ricien146

Le second eacuteleacutement du Περὶ τἀγαθοῦ qui pourrait suggeacuterer lrsquoap-propriation drsquoun passage de Parmeacutenide147 est lrsquoidentification de lrsquoecirctreet de lrsquointellect agrave chacun des deux niveaux ougrave Numeacutenius les situe Ecirctre lui-mecircme (αὐτοόν) et ecirctre deacuteriveacute (ὄν) premier et second intel-lects correspondant au premier et au deuxiegraveme dieu Sans entrer dansle deacutetail de lrsquointerpreacutetation disons simplement que selon nous en fai-sant de lrsquolaquo acte raquo de penser148 lrsquoapanage du premier dieu et en identi-fiant ce mecircme dieu agrave lrsquoEcirctre149 Numeacutenius suggegravere une union intime etprofonde entre ecirctre et penser qursquoil aurait pu consideacuterer comme remon-tant agrave Parmeacutenide lui-mecircme ou qursquoil aurait pu eacutetayer par une appropria-tion du fragment 3 de son poegraveme tel qursquoil est transmis par CleacutementdrsquoAlexandrie et Plotin150 [] τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶεἶναι [] Certes dans ce fragment de vers lrsquoidentification entre ecirctreet penser est suggeacutereacutee par lrsquoextraction du texte hors de son contexte envue justement drsquoy trouver pareille identification Elle ne correspond

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 149

146 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres IX 21(A 1 D-K) Proclus In Parm I 6194 Cousin cf Jamblique VP 166 (A 4D-K)

147 Pour reprendre les termes du fragment 1 (10 F) on pourrait aussi parlerde lrsquolaquo invocation raquo de Parmeacutenide comme source pythagorisante en accord avecPlaton et confirmant la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ elle-mecircme eacutetayeacutee par leslaquo teacutemoignages raquo de celui-ci Numeacutenius semble en effet pouvoir citer Parmeacute-nide pour confirmer son propos agrave la fois parce qursquoil ne pouvait que paraicirctre enaccord avec Platon (cf fr 1 10 F) et parce que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacutecomme pythagoricien

148 Degraves le fragment 15 (23 F) de maniegravere implicite dans le fragment 16 (24F) et explicite au fragment 19 (27 F)

149 Fr 17 (25 F)150 Cleacutement Strom VI 2 233 Plotin Enn VI 1 [10] 817 V 9 [5] 29-

30 cf I 4 [46] 106 III 8 [30] 88 VI 7 [38] 4118 (voir D OrsquoBrien Eacutetudessur Parmeacutenide T I Le Poegraveme de Parmeacutenide Paris Vrin 1987 p 19) ndash Onpourrait drsquoailleurs aussi penser aux vers 34-36 du fragment 8 eacutevoqueacute dans leparagraphe preacuteceacutedent

sans doute pas au sens originel du passage151 De plus chez Numeacuteniusle type de penseacutee speacutecifique agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme nrsquoest pas le νοεῖν maisle φρονεῖν Mais drsquoune part νοεῖν nrsquoayant pas chez Parmeacutenide lesens preacutecis que lui donne ensuite la tradition platonicienne une margerelative drsquointerpreacutetation et de preacutecision eacutetait laisseacutee agrave lrsquointerpregraveteappartenant agrave cette tradition152 drsquoautre part on peut tregraves bien imaginerNumeacutenius extraire ce passage dont la juxtaposition des termes luiaurait paru opportune pour eacutetayer son propos et preacuteciser le sens de laformule ainsi obtenue en distinguant deux niveaux de lrsquoecirctre auxquelscorrespondent deux types distincts de penseacutee (le νοεῖν entendu ausens platonicien drsquointellection revenant au seul second dieu)153Lorsque Cleacutement et apregraves lui Plotin reprennent cette formule il neserait pas impossible qursquoils lrsquoempruntent ainsi extraite agrave Numeacutenius

150 Fabienne JOURDAN

151 Denis OrsquoBrien (ibid p 19 209-212) a montreacute qursquoen reacutealiteacute dans lepoegraveme les deux infinitifs ne doivent vraisemblablement pas ecirctre pris commesujet drsquoun ἐστίν agrave valeur copulative mais peut-ecirctre comme compleacutement dupronom (τὸ αὐτό) ou de lrsquouniteacute syntaxique constitueacutee par le pronom et leverbe (au sens de laquo crsquoest une seule et mecircme chose pour penser et pour ecirctre raquodrsquoougrave la traduction par laquo crsquoest une seule et mecircme chose que lrsquoon pense et quiest raquo) F Fronterotta reprend son analyse et conclut que pour Parmeacutenideνοεῖν deacutesigne une forme de perception immeacutediate non sans lien avec lrsquoactiviteacutesensorielle mais allant au-delagrave des sens et de leur uniteacute creacuteative (laquo Someremarks on noein in Parmenides raquo dans S Stern-Gillet K Korrigan (eacuted)Reading ancient texts Vol I Presocratics and Plato Leiden Brill 2007p 3-19) Il ne srsquoagit donc pas (encore) de la perception intuitive que deacutesignerace verbe ulteacuterieurement

152 Voir la note preacuteceacutedente153 Nous pourrions preacuteciser ainsi lrsquointention de Numeacutenius srsquoil songe effec-

tivement agrave cette formule Selon nous il partage la conviction platonicienne quiveut que pour ecirctre pensable il faut ecirctre reacuteellement (et donc ecirctre intelligible crsquoest la leccedilon du Timeacutee) Srsquoil confrontait cette conviction au vers de Parmeacute-nide il lui donnerait donc drsquoabord lrsquointerpreacutetation laquo objective raquo deacuteceleacutee parFr Fronterotta (laquo Some remarks on noein in Parmenides raquo art cit) Toutefoisdans sa deacutefinition de lrsquoecirctre bientocirct identifieacute au Bien il retourne de toute eacutevi-dence cette conception et considegravere que nrsquoest veacuteritablement que ce qui est pen-sable (et donc lagrave encore intelligible par ex fr 4 a 13 F sur la matiegravere qui

Plotin lrsquoutilise certes pour caracteacuteriser le seul et unique Intellect chezlui situeacute au seul second niveau de la reacutealiteacute Mais cela correspondrait agravesa tendance geacuteneacuterale agrave faire passer au second niveau ce qui correspondau premier chez Numeacutenius154

De Numeacutenius il heacuterite donc peut ecirctre drsquoune lecture de Parmeacutenideplutocirct que du Parmeacutenide

Fabienne JOURDANCNRS UMR 8167 laquo Orient et Meacutediterraneacutee raquo Paris-Sorbonne

jourdanfabiennewanadoofr

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 151

nrsquoest pas ecirctre et ougrave une preuve de cet eacutetat est son caractegravere inconnaissable)Appliqueacutee agrave la formule de Parmeacutenide cette conviction en produirait ce queFr Fronterotta appelle une lecture laquo subjective raquo En outre dans le deacutesir sansdoute drsquoexpliquer la participation de maniegravere concregravete il ne donne pas seule-ment lrsquointelligibiliteacute comme condition de lrsquoecirctre (au sens passif du terme) maisil considegravere le fait de penser comme condition du fait drsquoecirctre reacuteellement (ausens laquo actif raquo du terme) Crsquoest pourquoi srsquoil avait connu et utiliseacute la formule deParmeacutenide ne serait-ce que pour eacutetayer son propos il y aurait sans douteentendu lrsquoaffirmation de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre et de la penseacutee mieux du penserCela pourrait certes paraicirctre lui attribuer une forme drsquoideacutealisme heacutegeacutelien(selon les termes de Fr Fronterrota laquo Some remarks on noein in Parmenides raquoart cit p 6) Mais telle est aussi la lecture de Cleacutement drsquoAlexandrie (StromVI 2 233) Or mecircme srsquoil ne le cite explicitement qursquoune fois (Strom I 22150 1-4 = 29 Fd) Cleacutement connaicirct Numeacutenius et se sert parfois de ses eacutecritssans le nommer (voir par ex Strom I 8 405 Strom I 13 571) Il nrsquoest doncpas impossible que pareille interpreacutetation circulacirct deacutejagrave au temps de Numeacuteniusvoire chez lui et mecircme gracircce agrave lui Le raisonnement du Περὶ τἀγαθοῦ dumoins passe par lrsquoidentification de lrsquoecirctre agrave lrsquo laquo activiteacute raquo de penser ensuiteconccedilue aux niveaux infeacuterieurs comme condition mecircme de leur participation agravelrsquoecirctre (voir le fr 19 27 F)

154 Nous simplifions et deacutecrivons simplement une tendance le processuspreacutecis requerrait une explication deacutetailleacutee qui nrsquoa pas sa place ici

152 Fabienne JOURDAN

Page 13: NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE · 2020. 4. 16. · NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE?* PREMIÈREPARTIE: L’ŒUVREPARVENUEDENUMÉNIUSETLEPARMÉNIDE DEPLATON RÉSUMÉ Si

ratus et ses preacutedeacutecesseurs38 nous ne ferons allusion agrave ce point qursquoenconclusion Nous nous concentrerons ici de la maniegravere la plus sobrepossible sur lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et examinerons srsquoil estpossible de lui precircter un commentaire ne serait-ce que partiel du Par-meacutenide

Dans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude qui sera publieacutee dans lenumeacutero suivant (37-2) nous analyserons les parallegraveles et les diver-gences entre lrsquoœuvre de Numeacutenius et le Commentaire anonyme au Par-meacutenide Il srsquoagira drsquoeacutevaluer la validiteacute de lrsquohypothegravese qui attribue cecommentaire agrave Numeacutenius mais aussi de reconsideacuterer leur relationmutuelle laquelle est riche drsquoenseignements pour la reacuteflexion surlrsquoeacutelaboration du neacuteoplatonisme

Dans la troisiegraveme partie de lrsquoeacutetude qui sera publieacutee dans le numeacutero38-1 nous examinerons lrsquo laquo exposeacute commun raquo au Zostrien et agrave MariusVictorinus sa relation au Commentaire anonyme et au Parmeacutenide lui-mecircme et les parallegraveles qursquoon y voit parfois avec lrsquoœuvre parvenue deNumeacutenius pour envisager quelle place celle-ci pourrait avoir dans lareconstitution de ses sources

Chaque partie peut ecirctre lue indeacutependamment selon les centresdrsquointeacuterecircts de chacun Lrsquoensemble visera agrave eacutevaluer srsquoil est vraimentneacutecessaire de bouleverser la conception la plus courante de lrsquohistoire

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 113

38 Sans rejeter absolument un recours au Parmeacutenide anteacuterieur agrave Plotinnous estimons non justifieacute de precircter agrave Modeacuteratus une interpreacutetation theacuteolo-gique et meacutetaphysique du Parmeacutenide sur la foi du teacutemoignage de Simplicius(In Phys 23034-2319) Nous suivons sur ce point les reacuteserves de A-J Festu-giegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 22 n 3 JM Ristlaquo The Neoplatonic One and Platorsquos Parmenides raquo Transactions and Procee-dings of the American Philological Association 93 1962 p 389-401 C Steel laquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 19-20qui rappelle agrave juste titre le rocircle de Porphyre comme source de Simplicius JN Hubler laquo Moderatus ER Dodds and the Development of NeoplatonistEmanation raquo dans JD Turner K Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and itsHeritage op cit vol I p 115-130 ainsi que les reacuteserves de Philippe Hoff-mann lors du seminaire de la Society of Biblical Literature en 2003 (laquo Rethin-king Platorsquos Parmenides and its Platonic Gnostic and Patristic Reception raquo)

du platonisme en donnant Numeacutenius comme preacutecurseur de Plotin danslrsquointerpreacutetation meacutetaphysique du Parmeacutenide Si tel nrsquoest pas le cas elleconfirmera a contrario les critegraveres drsquoune interpreacutetation reacuteellement neacuteo-platonicienne de la seconde partie du dialogue Disons en outre drsquoem-bleacutee qursquoeacutetant donneacute que nous ne pouvons raisonner qursquoagrave partir de cequi nous est parvenu aucune conclusion assertive nrsquoest en soi possiblesur lrsquoexistence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par NumeacuteniusCette eacutetude aura toutefois trois reacutesultats positifs envisager un rapportvolontairement distant de Numeacutenius au Parmeacutenide fondeacute sur le textede Platon lui-mecircme et dont aura tenu compte le neacuteoplatonisme deacutecou-vrir des parallegraveles entre le Commentaire anonyme et le Περὶ τἀγαθοῦplus nombreux qursquoil nrsquoest souvent signaleacute ndash ce qui offrira peut-ecirctre unindice permettant une position plus assureacutee dans le deacutebat sur lrsquoanteacuterio-riteacute de Numeacutenius ou des Oracles chaldaiumlques et enfin approfondirlrsquohypothegravese relative agrave lrsquoutilisation de Numeacutenius par les gnostiques etpar les neacuteoplatoniciens appropriation que lrsquoon peut suivre jusque dansles traductions et transpositions arabes de leurs œuvres

Preacuteliminaire Esquisse de la doctrine des principeschez Numeacutenius

Avant pareil exposeacute une bregraveve esquisse de la penseacutee meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius est neacutecessaire Nous nous en tiendronsaux grandes lignes transmises dans les fragments veacuteritables ceux citeacutespar Eusegravebe de Ceacutesareacutee et nous exposerons de maniegravere succincte lesreacutesultats de nos propres analyses sans livrer le deacutetail des deacutebats surlesquels elles ont eacuteteacute eacutelaboreacutees39 Les textes nous inteacuteressant se trou-vent dans le Περὶ τἀγαθοῦ dialogue ougrave Numeacutenius entreprend larecherche drsquoune deacutefinition du Bien qursquoil identifie au premier prin-cipe40 Il identifie ce premier principe drsquoune part agrave un premier dieu et

114 Fabienne JOURDAN

39 Voir la bibliographie et les commentaires de notre eacutedition en preacutepara-tion

40 Le titre qui est laquo originellement raquo celui de la leccedilon orale de Platon

intellect et drsquoautre part au Bien et Ecirctre lui-mecircme ou par excellence(selon les formules αὐτοάγαθον et αὐτοόν)41 que dans une perspec-tive exeacutegeacutetique il considegravere comme repreacutesenteacute par la forme du Bieneacutevoqueacutee dans la Reacutepublique42 De ce premier principe Numeacutenius dis-tingue un second dieu ou principe identifieacute cette fois au deacutemiurge duTimeacutee43 Ce dieu assure le rocircle deacutemiurgique dont le premier est ainsidispenseacute et il est conccedilu comme lrsquoimage de celui-ci il est le Bon parti-cipant au Bien le second intellect qui produit sa propre forme encontemplant le premier faccedilonnant ou deacuteterminant pour cela lrsquoecirctre oulrsquoessence (οὐσία) que le premier lui procure par le simple fait drsquoecirctre(soi et le Bien)44 Telle est du moins la maniegravere dont nous lisonsconjointement les fragments 11 et 16 (19 et 25 F)45 Autrement dit tan-dis que le premier dieu est le principe de lrsquoecirctre le second est le prin-cipe du devenir46 Numeacutenius donne plus preacuteciseacutement deux laquo aspects raquo

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 115

indique agrave lui seul que le texte srsquoadonne agrave une recherche et deacutefinition des prin-cipes Aristote et Xeacutenocrate le donnent ensuite chacun agrave lrsquoune de leurs œuvresSur lrsquoimportance de ce titre voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius Sur leBien de Platon Lrsquoenseignement oral du maicirctre comme occasion de rechercherson pythagorisme dans ses eacutecrits raquo Χώρα 15-16 2017-2018 p 139-165

41 Voir par ex fr 16 et 17 (24 et 25 F) ndash Tout au long de cette eacutetude lesfragments sont citeacutes selon la numeacuterotation de lrsquoeacutedition drsquoEacutedouard des Places(Numeacutenius Fragments Paris Les Belles Lettres 1973) nous indiquons entreparenthegraveses les numeacuteros qui correspondent dans notre eacutedition en preacuteparation

42 Voir surtout les fr 19 et 20 (27 et 28 F)43 Voir notamment les fr 11 12 et 18 (19 20 et 26 F) En reacutealiteacute le

deacutemiurge du Timeacutee partage ses attributs entre le premier dieu numeacutenien(auquel il laisse sa fonction de source divine des acircmes cf fr 13 21 F) et lesecond qui est aussi troisiegraveme et reacutealise les opeacuterations proprements deacutemiur-giques assumant par lagrave en partie le rocircle des dieux secondaires du Timeacutee

44 Fr 16 (24 F)45 Voir aussi lrsquoanalyse du fr 16 (24 F) par G Muumlller laquo Ἰδέα y οὐσία en

Numenio de Apamea Una reinterpretacioacuten de la ontologiacutea platoacutenica raquo Cua-dernos de Filosofiacutea 59 2012 p 121-140 Nous prenons position agrave son sujetdans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude Revue de philosophie ancienne 37-2

46 Ibid

agrave ce second dieu selon lrsquoorientation de son attention deux laquo aspects raquoqui conduisent agrave parler agrave son sujet de deux laquo dieux raquo qui toutefois nrsquoenconstituent reacutealiteacute qursquoun seul lorsqursquoil est tourneacute vers soi crsquoest-agrave-direvers lrsquointelligible qursquoil est lui-mecircme par contemplation du Bien lesecond dieu est entiegraverement agrave soi et donc reacuteellement soi second dieu lorsqursquoil est tourneacute vers la matiegravere qursquoil met en ordre il est deacutemiurgeau sens litteacuteral du terme et devient laquo troisiegraveme dieu raquo47 Cette divisionnrsquoimplique pas une reacuteelle scission et ne srsquoavegravere autre qursquoune diffeacuterencedrsquoorientation agrave lrsquoorigine drsquoune uniteacute diviseacutee image imparfaite delrsquouniteacute indivisible et parfaite qursquoest le premier dieu

Cette bregraveve preacutesentation doit suffire agrave comprendre le cadre de lapenseacutee numeacutenienne48 Signalons simplement encore trois points essen-tiels pour la confrontation avec le Parmeacutenide et ses interpreacutetations

1) Lrsquoeacuteleacutement fondamental du Περὶ τἀγαθοῦ est lrsquoidentificationdu Bien lui-mecircme (ἀυτοάγαθον) premier principe agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme (αὐτοόν)49 Elle srsquoaccompagne de lrsquoaffirmation qursquoil existeune laquo con-naturaliteacute raquo du Bien agrave lrsquoeacutegard de lrsquoessence50 (σύμφυτον τῇ

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47 Fr 11 (19 F)48 La preacutesentation ici donneacutee deacutepend de propre analyse des textes Pour

drsquoautres interpreacutetations voir aussi par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit J Opsomer laquo Demiurges in Early Imperial Platonism raquo dans R Hirsch-Luipold(eacuted) Gott und die Goumltter bei Plutarch BerlinNew York de Gruyter 2005p 63-72 M Baltes dans H Doumlrrie M Baltes Ch Pietsch Die PhilosophischeLehre des Platonismus Band 71 Theologia Platonica Stuttgart Bad Canns-tatt Frommann-Holzboog 2008 p 472-482 Les vues de CS OrsquoBrien TheDemiurge in Ancient thought Secondary Gods and Divine mediators Cam-bridge Cambridge University Press 2015 p 139-168 sont agrave consideacuterer avecla plus grande preacutecaution

49 Fr 17 (25 F) cf fr 2 (11 F)50 Nous traduirons ici οὐσία par laquo essence raquo consciente des faiblesses de

cette traduction qui dans le contexte platonicien examineacute nrsquoimplique naturel-lement pas de distinction par rapport agrave la notion drsquoexistence Dans ce contextelaquo essence raquo est agrave prendre au sens de reacutealiteacute intelligible (sur cette deacutefinition voirpar ex R Chiaradonna laquo Substance raquo dans P Remes S Slaveva-Griffin(eacuted) The Routledge Handbook of Neoplatonismi LondonNew York Rout-

οὐσίᾳ51) le Bien partage la mecircme nature que cette οὐσία (forme sub-stantive de lrsquoecirctre) qui provient ainsi de lui Numeacutenius exprime deacutejagrave cetteideacutee au fragment 2 (10 F) par lrsquoimage du Bien laquo monteacute sur lrsquoessence raquo(comme on dirait laquo sur un cheval raquo52) Par lrsquoutilisation de la preacutepositionet du preacuteverbe ἐπί- de preacutefeacuterence agrave ὑπό- (preacutesent dans la formule de Pla-ton) la formule ἐποχούμενον ἐπὶ τῇ οὐσίᾳ indique une laquo transcen-dance raquo53 avec contact qui donne sans deacutetour lrsquointerpreacutetation que Numeacute-nius fait de la formule eacutenigmatique de Reacutepublique VI 509 b 8-10 srsquoilest une laquo transcendance raquo du premier principe elle est drsquoordre cosmolo-gique et non laquo ontologique raquo au sens ougrave ce principe constitue la formeeacuteminente de lrsquoecirctre mais ne srsquoen distingue pas par son essence

2) Ce premier principe est certes immobile en tant qursquoecirctre54exempt de toute activiteacute sous-entendu deacutemiurgique55 mais Numeacuteniuseacutevoque un laquo mouvement qui accompagne naturellement son repos raquo(τῷ πρώτῳ στάσιν [] κίνησιν σύμφυτον56) Ce mouvementindique vraisemblablement que le premier principe pense57 et la for-mule preacutepare son identification agrave un intellect Concernant ce premierdieu toutefois le type de penseacutee qui le caracteacuterise est visiblementconccedilu comme nrsquoimpliquant pas drsquoactiviteacute proprement dite au sens du

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ledge 2014 p 216) La deacutetermination nrsquointervient ici qursquoavec le second dieu οὐσία est le terme qui sert agrave exprimer litteacuteralement lrsquoecirctre (ὄν) de maniegravere sub-stantive un ecirctre que le premier dieu Ecirctre par excellence fait advenir sans acteproducteur simplement en eacutetant ce qursquoil est et donc sans que cette οὐσία quivient de lui soit ontologiquement distincte de lui

51 Fr 16 (24 F)52 Lrsquoimage apparaicirct litteacuteralement dans les Oracles chaldaiumlques fr 1466

des Places53 On pourrait alors aiseacutement renoncer au mot laquo transcendance raquo et preacutefeacute-

rer la notion de primauteacute hieacuterarchique par exemple54 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)55 Fr 11-12 (19-20 F)56 Fr 15 (23 F)57 Le passage est agrave interpreacuteter en lien avec le Sophiste 248 e-249 a (voir

notre commentaire au passage dans lrsquoeacutedition en preacuteparation)

moins ougrave cette penseacutee est sans objet et nrsquoest pas mecircme penseacutee de soi aufragment 19 (27 F) Numeacutenius parle drsquoun φρονεῖν qui est lrsquoapanage dupremier dieu sous-entendu agrave la diffeacuterence notamment du νοεῖν saisieintuitive de lrsquointelligible caracteacuteristique du second dieu58 et plus encoredu διανοεῖσθαι activiteacute de penseacutee discursive agrave lrsquoorigine de la deacutemiur-gie Ce φρονεῖν peut selon nous ecirctre compris comme une penseacuteelaquo intransitive raquo (crsquoest-agrave-dire sans objet) pure dispensation du Bien parlrsquoecirctre du Bien59 En cela elle nrsquoimplique reacuteellement aucune activiteacute

Crsquoest alors en ce sens assureacutement que le premier dieu est ditlaquo entourer les intelligibles raquo ou plus exactement et litteacuteralement ecirctrelaquo autour des intelligibles raquo au fragment 15 (23 F περὶ τὰ νοητά) lrsquoexpression nrsquoimplique ni qursquoil les contienne ni qursquoil les produisecomme son objet de penseacutee ni mecircme qursquoil les pense60 Si elle visepeut-ecirctre agrave rendre compte drsquoune identification ultime du premier prin-

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58 Agrave la limite le premier dieu ne peut lrsquoexercer que par lrsquointermeacutediaire dusecond voir le teacutemoignage de Proclus In Tim III 10328-32 Diehl = fr 22(contre cette interpreacutetation traditionnelle voir G Muumlller laquo Queacute es ldquolo que esvivienterdquo (ὁ εστι ζῶον) seguacuten Numenio de Apamea raquo Cuadernos Filosofiacutea64 2015 p 11-12 dont lrsquohypothegravese bien que seacuteduisante ne tient pas agrave lrsquoexa-men de la syntaxe du passage lrsquoinfinitif νοεῖν ne peut avoir que τὸν πρῶτονcomme laquo sujet raquo et non un δεύτερoν implicitement tireacute du geacutenitif δευτέρου)

59 Nous reacutesumons Voir aussi lrsquoeacutetude de la φρόνησις chez Platon parM Dixsaut laquo De quoi les philosophes sont-ils amoureux Sur la phronegravesisdans les dialogues de Platon raquo repris dans M Dixsaut Platon et la question dela penseacutee Eacutetudes platoniciennes I Paris Vrin 2000 p 93-119 ndash Le lien eacutety-mologique originel entre φρονεῖν et φρήν (le diaphragme) suggegravere une autreimage ce φρονεῖν est comme une laquo respiration drsquoecirctre raquo qui est le Bien et drsquoougraveeacutemane le bien

60 Cette interpreacutetation qui tient entre autres compte de la simpliciteacute abso-lue du premier dieu (fr 11 = 19 F) nrsquoest pas contradictoire avec celle de Timeacutee39 e 7-9 par laquelle Numeacutenius aurait associeacute son premier dieu au Vivant (InTim III 103 28-32 Diehl = fr 22) Certes dans le Timeacutee le Vivant a en lui lesformes (ἐνούσας ἰδέας τῷ ὃ ἔστι ζῷον 39 e 8) Mais sans pouvoir deacutevelop-per ici notre analyse disons simplement que Numeacutenius a pu lire le texte autre-ment et inspirer la distinction drsquoAmeacutelius entre un laquo intellect qui est (leVivant) raquo et un laquo intellect qui a (les formes en lui) raquo notamment en deacutecompo-

cipe au Vivant du Timeacutee61 dans le contexte du Περὶ τἀγαθοῦ ellerenvoie selon nous agrave un pur eacutetat de lrsquoecirctre agrave vertu bienfaitrice ou salvi-

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sant ἐνούσας de maniegravere cratylienne pour y lire ἐν-νους-ας qui eacutevoquerait lesformes laquo qui sont dans le νοῦς raquo le second dieu et intellect que Numeacutenius voitdeacutesigneacute dans le νοῦς du texte platonicien Le datif τῷ ὃ ἔστι ζῷον nrsquoauraitplus alors deacutesigneacute chez lui le lieu ougrave se trouvent les formes mais le destina-taire de la contemplation celui laquo pour qui ou agrave lrsquointention de qui en faveur dequi raquo le νοῦς qui a les formes en lui les contemplerait (autrement dit exerceraitle νοεῖν) Lrsquoaffirmation que crsquoest gracircce au second dieu et intellect (ἐνπροσχρήσει τοῦ δευτέρου) que le premier exercerait un νοεῖν pourrait ainsiconstituer lrsquoexplicitation de cette lecture eacutetonnante du texte platonicien Ainsile premier dieu nrsquoexercerait jamais le νοεῖν il nrsquointelligerait que gracircce ausecond qui le ferait pour lui Cette preacutecision pourrait servir agrave reacutepondre agravelrsquoeacuteventuelle objection drsquoun aristoteacutelisant qui deacutenoncerait une identification dupremier dieu agrave un νοῦς srsquoaccompagnant drsquoun refus de precircter agrave celui-ci lrsquoacti-viteacute du νοεῖν Numeacutenius reacutepondrait ainsi il ne lrsquoexerce pas lui-mecircme maispar lrsquointermeacutediaire du second qui le fait pour lui tandis qursquoil srsquoadonne au seulφρονεῖν Voir aussi notre interpreacutetation des fr 16 et 18 (24 et 26 F) ndash Pourune autre interpreacutetation de ce passage voir par ex M Frede laquo Numenius raquoart cit p 1062-1063 1065-1066 et 1069-1070 JP Kenney laquo ProschresisRevisited An Essay in Numenian Theology raquo dans JR Daly (eacuted) Orige-niana quinta Historica Text and method Biblica Philosophica Theologia Origenism and later developments Leuven Peeters p 217-230 RD PettyThe Fragments of Numenius Santa Barbara 1993 p 135-137 (republieacute agraveWestbury Prometheus Trust 2012) M Baltes dans H Doumlrrie M BaltesCh Pietsch Die Philosophische Lehre des Platonismus Band 71 op citp 477-478 A Michalewski laquo Le Premier de Numeacutenius et lrsquoUn de Plotin raquoArchives de philosophie 75 2012 p 35-37 et La Puissance de lrsquointelligibleLa Theacuteorie plotinienne des Formes au miroir de lrsquoheacuteritage meacutedioplatonicienLeuven Leuven University Press p 94-96

61 Voir Platon Timeacutee 30 c 7-8 (avec le participe περιλαβόν) et 31 a 3 (τograveπεριέχον πάντα ὁπόσα νοητὰ ζῷα) avec deux participes preacutefixeacutes en περί- agravepropos du Vivant qui a tous les intelligibles en lui et auquel Numeacutenius peutvouloir renvoyer avec sa formule περὶ τὰ νοητά La reacutefeacuterence implicite aupassage de la Lettre II 312 e 1-4 savamment reacuteeacutecrit indique toutefois queNumeacutenius donne un tout autre sens agrave ce περί Voir aussi le teacutemoignage de Pro-clus citeacute dans les notes preacuteceacutedentes

fique selon lrsquoideacutee de salut suggeacutereacutee agrave la fin de ce mecircme fragment Endrsquoautres termes le premier dieu serait περὶ τὰ νοητά au sens ougrave ilentoure les intelligibles de sa bienveillance leur transmettant agrave la foislrsquoecirctre et le Bien qursquoil est avant que le deacutemiurge ne les y fasse participeragrave son tour par sa bonteacute agrave lrsquoorigine de leur ecirctre deacutetermineacute62 et nrsquoy fasseparticiper aussi les sensibles en les eacutelevant agrave son propre caractegravere mar-queacute par cette mecircme bonteacute63 Le premier dieu le Bien est le modegravele dusecond le Bon et non pas des formes srsquoil doit ecirctre identifieacute au Vivantcrsquoest en tant que source ultime de la vie64 modegravele de ce second dieuqui transmet alors la vie au monde sensible (fr 1220F) et non en tantque paradigme totalisant et contenant les formes des quatre typesdrsquoecirctre vivants nommeacutes en Timeacutee 39 e 10-41 a 2

En cela le premier de Numeacutenius loin drsquoecirctre une entiteacute sans rapportau monde en est non seulement le principe mais il est pour lui lasource reacuteelle du Bien reacuteel ndash autrement dit il joue le rocircle de la Provi-dence qui est alors concregravetement exerceacutee par le second principe leBon Tout en eacutetant conccedilu comme premier intellect il nrsquoest donc pas lepremier moteur immobile aristoteacutelicien qui se pense lui-mecircme65 etauquel fut justement reprocheacute son deacutefaut de Providence66

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62 Selon notre lecture de la formule ἰδέα ἑαυτοῦ du fragment 16 (24 F)comme renvoyant au monde intelligible comme ensemble de formes deacutetermi-neacutees

63 Voir le fr 11 (19 F) sur cette eacuteleacutevation du sensible vers le caractegravere dudeacutemiurge lequel est le laquo Bon raquo en reacutefeacuterence au Timeacutee Numeacutenius distingue leBien premier principe du Bon second principe en utilisant lrsquoadjectif substan-tiveacute au neutre pour deacutesigner le premier et lrsquoadjectif au masculin pour le second

64 Tel est selon nous le sens de lrsquoexpression ὁ μέν γε ὢν σπέρμα πάσηςψυχῆς au fr 13 (21 F) qui en fait la semence de toute acircme voir par ex F Jour-dan laquo Eusegravebe de Ceacutesareacutee et les extraits de Numeacutenius dans la Preacuteparationeacutevangeacutelique raquo dans S Morlet (eacuted) Lire en extraits Pratiques de lecture et deproduction des textes de lrsquoAntiquiteacute au Moyen Acircge Paris PUPS 2015 p 143-147

65 Contra par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit p 107066 Sur ce sujet notamment chez Plutarque dont Numeacutenius aurait pu ici par-

tager la critique voir par ex F Ferrari laquo Provvidenza platonica o autocontem

3) On notera ici enfin que selon toute vraisemblance Numeacuteniusnrsquoidentifie pas son premier principe agrave lrsquoUn67 Ce principe est certesunique (μόνος) simple (ἁπλοῦς) et indivisible (μὴ διαίρετος) encela distinct de lrsquouniteacute divisible que constitue le second dieu68 MaisNumeacutenius ne lrsquoidentifie pas agrave lrsquoUn et en tout cas pas agrave lrsquoUn du Parmeacute-nide69 Notre conviction srsquoappuie sur lrsquoanalyse du fragment 19 (27 F)Agrave la fin du passage on lit lrsquoexpression τὸ ἀγαθὸν ὅτι ἐστὶν ἕνNumeacutenius la donne comme une conclusion de Platon dont le sens pro-fond ne peut ecirctre perccedilu que par les laquo regards aiguiseacutes raquo autrement ditpar ceux qui comprennent le propos de Numeacutenius Elle provient assu-reacutement de la tradition orale on la retrouve dans le compte-rendu de laLeccedilon sur le Bien par Aristoxegravene70 Comme lrsquoarticle deacutefini peut ecirctreomis devant lrsquoattribut on peut certes heacutesiter sur sa traduction laquo leBien est lrsquoUn raquo ou laquo le Bien est un raquo Dans le contexte matheacutematiqueougrave elle est preacutesenteacutee chez Aristoxegravene la premiegravere traduction est sansdoute la bonne Mais ce nrsquoest pas neacutecessairement le sens originel (siPlaton srsquoest reacuteellement exprimeacute ainsi) et assureacutement pas celui que veut

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plazione aristotelica la scelta di Plutarco raquo dans L Van der Stockt F Titche-ner HG Ingenkamp A Peacuterez Jimeacutenez (eacuted) Gods Daimones Rituals Mythsand History of Religions in Plutarchrsquos Works Maacutelaga International PlutarchSociety 2010 p 177-190 et laquo La teologia di aristotele nel medioplatonismo raquodans Y Lehman (eacuted) Aristoteles Romanus La Reacuteception de la science aristo-teacutelicienne dans lrsquoEmpire greacuteco-romain Turnhout Brepols 2012 p 299-312 voir aussi chez Atticus A Michalewski laquo Faut-il preacutefeacuterer Eacutepicure agrave Aris-tote raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted) Reacuteceptions de la theacuteolo-gie aristoteacutelicienne DrsquoAristote agrave Michel drsquoEphegravese Leuven Peeters 2017p 123-142

67 Contra notamment ici G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 84

68 Fr 11 19 F69 Contra A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV

op cit p 124 M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 22570 Aristoxegravene Eacuteleacutements drsquoharmonique 22016313 Macran 398-404 da

Rios texte ndeg 1 p 248 Richard

lire Numeacutenius Dans le contexte du fragment la formule perd touteambiguiumlteacute parce que lrsquointerpreacutetation en est donneacutee au preacutealable Numeacute-nius a insisteacute sur lrsquouniciteacute du Bien dont la bonteacute a eacuteteacute identifieacutee agrave lrsquoactespeacutecifique du φρονεῖν Si Platon a dit τἀγαθὸν ἐστὶν ἕν ndash formule dontNumeacutenius srsquoestime devoir rendre compte puisqursquoil eacutecrit justement luiaussi Sur le Bien ndash crsquoest donc selon lui parce qursquoil nrsquoy a qursquoun seul etunique Bien le Bien lui-mecircme (αὐτοάγαθον) Par suite la seulemaniegravere de rencontrer le bien de maniegravere geacuteneacuterale consiste agrave prendrepart agrave lrsquoactiviteacute de penser qui caracteacuterise le Bien lui-mecircme une penseacuteesource de bonteacute que chacun pourra exercer agrave son niveau (lrsquoideacutee que leφρονεῖν lui est reacuteserveacute suggegravere qursquoil srsquoagit dans son cas drsquoun φρονεῖνagrave lrsquoeacutetat pur) Ce disant Numeacutenius a sans doute une viseacutee poleacutemique agravelrsquoeacutegard notamment drsquoune interpreacutetation pythagorisante de Platon vrai-semblablement issue de lrsquoAncienne Acadeacutemie et peut-ecirctre aussi delrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne de lrsquoenseignement oral71 Lui seul sesera estimeacute comprendre le veacuteritable pythagorisme du maicirctre Quoiqursquoil en soit sur ce point le passage est selon nous la preuve drsquoun refusdrsquoidentifier le Bien agrave lrsquoUn Si Platon a dit que le Bien est un ou mecircmelrsquoUn quelle que soit lrsquointerpreacutetation litteacuterale et donc la traduction rete-nue il nrsquoaurait selon Numeacutenius en reacutealiteacute rien voulu exprimer drsquoautreque lrsquouniciteacute du Bien ainsi que sa seacuteparation drsquoavec le sensible conccediluecomme distinction essentielle drsquoavec les biens de ce monde Numeacuteniusinvite agrave comprendre ἕν comme le synonyme de μόνος que seul ilemploie agrave reacutepeacutetition agrave propos de son premier principe72 et qui a cedouble sens drsquoexprimer lrsquouniciteacute et lrsquoisolement ou la seacuteparationcomme le suggegravere deacutejagrave son emploi reacutecurrent au fragment 2 (11 F)Telle est lrsquointerpreacutetation correcte du Platon non-eacutecrit qursquoil precircte aux

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71 Voir par ex Meacutet A 6 988 a 10-17 ougrave lrsquoUn est preacutesenteacute comme la causedu Bien et N 4 1091 b 1-20 sur lrsquoidentification du Bien agrave lrsquoUn dans uncontexte de critique des Platoniciens

72 Εἷς nrsquointervient qursquoagrave propos du second dieu conccedilu comme uniteacute divi-sible qui se distingue en cela de lrsquoUn et mecircme de lrsquouniciteacute du fait de sa dualiteacuteneacutecessaire (mais non essentielle)

seuls regards suffisamment aiguiseacutes pour savoir lire Platon lagrave ougravedrsquoautres lrsquoauront mal entendu73

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 123

73 Voir lrsquoanalyse deacutetailleacutee du passage dans F Jourdan laquo Sur le Bien deNumeacutenius raquo art cit ici contra G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 82 et 84 ndash Les deux teacutemoignages suggeacuterant une eacutevocation de lrsquoUnpar Numeacutenius ne paraissent pas infirmer cette lecture Le premier issu deMacrobe (fr 54 = Saturnales I 17 65 = P 99 12-16 Willis) fait eacutetat drsquoune eacutety-mologie de lrsquoeacutepithegravete laquo delphien raquo attribueacutee agrave Apollon ougrave Numeacutenius auraitvraisemblablement voulu retrouver lrsquoeacutetymologie courante du nom propre dudieu comme renvoyant au laquo non-multiple raquo ἀ-πολλά (voir par ex PlutarqueDe E 388 F et De Iside 354 F et 381 F avec J Whittaker laquo Ammonius on theDelphic E raquo Classical Quarterly 63 NS 19 1969 p 187-188 E SyskaStudien zur Theologie des Macrobius Stuttgart Teubner 1993 p 116 n 74)Macrobe rapporte en effet que Numeacutenius aurait fait de δέλφος un adjectifsignifiant unum (dans le latin de Macrobe) par opposition au substantifἀδελφός signifant laquo fregravere raquo et alors conccedilu comme pourvu drsquoun ἀ- privatif(sur cette eacutetymologie voir J Whittaker ibid p 187 n 9 Eacute des PlacesNumeacutenius Fragments op cit p 100 n 1 E Syska Studien zur Theologiedes Macrobius op cit p 193-194 qui estime qursquoelle nrsquoa aucune autre valeurque litteacuteraire) Outre qursquoil concerne un dieu dont nous ne savons pas si Numeacute-nius aurait reacuteellement souhaiteacute lrsquoidentification agrave son premier principe (il sug-gegravere en revanche son association agrave Zeus au fr 2 [11 F] lequel est ensuite asso-cieacute au second dieu au fr 12 [20 F]) le teacutemoignage nrsquoindique pas le sens exacten lequel Numeacutenius aurait aimeacute qursquoon entende cette laquo absence de fregravere raquoDrsquoune part juste avant Macrobe emploie lrsquoexpression singulum et unum quipeut traduire ἕν καὶ μόνον et dont comme dans le grec la redondance avaleur emphatique On ne sait donc pas lequel des deux adjectifs Numeacutenius aexactement employeacute et rien nrsquointerdit de penser que la reprise par unus soit unchoix du neacuteoplatonicien Macrobe Drsquoautre part unus renvoie agrave εἷς et non agrave ἕνEnfin et surtout laquo ne pas avoir de fregravere raquo si tel est le sens que Numeacutenius precirctedans ce contexte agrave δέλφος signifie laquo ecirctre fils unique raquo et reconduit au sens deμόνος Crsquoest pourquoi selon nous ce teacutemoignage nrsquoest pas un indice fiabledrsquoune identification numeacutenienne du premier principe agrave lrsquoUn (contra M Bur-nyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit p 152 n 34) Le second teacutemoignageest quant agrave lui constitueacute par la reacutefeacuterence agrave une singularitas identifieacutee agrave un pre-mier dieu-deacutemiurge dans le compte-rendu numeacutenien de la cosmogonie pytha-goricienne rapporteacutee par Calcidius (fr 52) Or ce premier dieu dans son oppo-sition mecircme agrave la dyade correspond davantage au second dieu du Περὶ

Voilagrave notre lecture du Περὶ τἀγαθοῦ le seul texte meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius dont soient transmis des fragments litteacute-raux Crsquoest agrave partir drsquoelle que nous proposons drsquoexaminer les rapportsentre lrsquoenseignement de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon lui-mecircme le Commentaire anonyme au Parmeacutenide et enfin la source com-mune au Zostrien et agrave Marius Victorinus Agrave chacun de ces troismoments nous tenterons drsquoeacutevaluer srsquoil fournit les indices de lrsquoexis-tence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par Numeacutenius

Premiegravere partie

Lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon le premier principe de Numeacutenius (le Bien) nrsquoest ni lrsquoUn ni

lrsquoUn-qui-est du ParmeacutenideLa premiegravere eacutetape que nous reacutealiserons dans cette premiegravere partie

consiste agrave confronter le Περὶ τἀγαθοῦ au Parmeacutenide lui-mecircme afinde voir srsquoil y renvoie directement ou non Si nous suivions lrsquohypothegravesede J Whittaker74 toutefois nous abandonnerions immeacutediatement lrsquoen-treprise selon lui crsquoest agrave partir du moment ougrave un philosophe inter-pregravete le Bien de Reacutepublique VI 509 b 6-10 comme un principe trans-cendant reacuteellement lrsquoecirctre et comme identifiable agrave lrsquoUn que se profileune interpreacutetation du Parmeacutenide et plus preacuteciseacutement de la premiegraverehypothegravese Or nous venons de montrer que loin de transcender lrsquoecirctrele Bien de Numeacutenius est lrsquoEcirctre lui-mecircme et que son association agrave lrsquoUnsert avant tout un propos exeacutegeacutetique ou srsquoavegravere du moins fort probleacute-matique ndash telle qursquoelle est formuleacutee du moins elle nrsquoimplique aucune

124 Fabienne JOURDAN

τἀγαθοῦ sans compter que lrsquoappellation latine de singularitas traduit plutocirctle grec μόνας que ἕν Le compte-rendu ne peut donc ecirctre compris commerefleacutetant la doctrine propre de Numeacutenius telle du moins qursquoelle est exprimeacuteedans le Περὶ τἀγαθοῦ (voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius raquo art cit)Il nrsquoy a donc aucun texte fiable permettant de precircter agrave Numeacutenius lrsquoidentifica-tion du Bien agrave lrsquoUn et encore moins agrave lrsquoUn du Parmeacutenide

74 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit

allusion au Parmeacutenide75 Si lrsquoon veut malgreacute tout supposer que Numeacute-nius nrsquoen a pas moins utiliseacute le Parmeacutenide et que son œuvre trahit alorsnon seulement la connaissance du dialogue mais un commentaire per-sonnel de celui-ci ne serait-ce que partiel il faut recourir agrave un autrepoint de doctrine que cette identification du premier principe agrave uneentiteacute transcendant lrsquoecirctre et identifieacutee agrave lrsquoUn et justement interroger ladeacutefinition de ce premier principe comme ecirctre Autrement dit il srsquoagitessentiellement de voir si Numeacutenius identifie le Bien ne serait-ce quepartiellement agrave lrsquolaquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

Pour parvenir agrave un reacutesultat probant deux eacutetapes sont neacutecessaires agravecet examen

1) un rappel des quelques points qui dans la deacutefinition de lrsquoecirctre etdu premier principe selon Numeacutenius ont parfois suggeacutereacute des rappro-chements avec le Parmeacutenide

2) une confrontation de la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ avec laseconde partie du dialogue de Platon pour voir si une convergence depenseacutee plus geacuteneacuterale pourrait malgreacute tout suggeacuterer une appropriationde ce texte par Numeacutenius ou si une incompatibiliteacute fondamentaleinvite agrave en douter

Dans lrsquoun et lrsquoautre cas si les reacutesultats sont neacutegatifs cela ne per-mettra pas de conclure que Numeacutenius a ignoreacute le texte ni non plus dese prononcer de maniegravere cateacutegorique sur lrsquoœuvre non parvenue Nousmontrerons drsquoailleurs dans un troisiegraveme temps que Numeacutenius tente dereacutesoudre les apories relatives aux formes poseacutees dans la premiegravere par-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 125

75 On peut faire semblable remarque agrave propos de lrsquoexposeacute des principespythagoriciens par Eudore rapporteacute par Simplicius (In Phys 18110 sq Diels)Mecircme srsquoil eacutevoque diffeacuterents Un la conception deacuteveloppeacutee deacutepend avant toutdes reacuteflexions de lrsquoAncienne Acadeacutemie sur lrsquoUn et la Dyade et est en cela tregravesproche du compte-rendu drsquoAristote sur les principes de Platon en Meacutet A 6 987b 18 sq (sur ce point voir J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquoart cit p 98 qui rapporte les propos de W Theiler agrave la note 11) Il ne sembledonc pas neacutecessaire de supposer un commentaire sous-jacent aux deux pre-miegraveres hypothegraveses du Parmeacutenide mecircme srsquoil nrsquoest eacutevidemment pas exclu que ledialogue ait eacuteteacute invoqueacute pour sa nomination de lrsquoUn La remarque vaut eacutegale-ment pour Speusippe et de maniegravere geacuteneacuterale pour les neacuteo-pythagoriciens

tie du dialogue et nous verrons qursquoagrave lrsquoeacutegard de la premiegravere hypothegraveseil a peut-ecirctre choisi une attitude suggeacutereacutee par Platon lui-mecircme Poureacutelargir cette recherche nous interrogerons enfin sa relation agrave la penseacuteede Parmeacutenide lui-mecircme

1 La deacutefinition du premier principe comme ecirctre dansle Περὶ τἀγαθοῦ des parallegraveles avec le Parmeacutenide

Une fois que lrsquoon a renonceacute agrave precircter agrave Numeacutenius une interpreacutetationdu Parmeacutenide en raison drsquoune identification supposeacutee de son premierprincipe agrave lrsquoUn il reste possible drsquoexaminer les parallegraveles entre la deacutefi-nition de son premier principe identifieacute agrave lrsquoecirctre ou plus geacuteneacuteralemententre sa deacutefinition de lrsquoecirctre et les formulations du dialogue platoniciendans les deux premiegraveres hypothegraveses Les partisans drsquoune interpreacutetationnumeacutenienne du Parmeacutenide dont notamment A-J Festugiegravere76 etD OrsquoMeara77 citent essentiellement78 deux textes agrave cette fin les frag-

126 Fabienne JOURDAN

76 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 12577 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 Voir aussi par ex

M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 225-227 qui srsquoap-puie toutefois sur ce qursquoil considegravere une identification du Bien agrave lrsquoUn et sur unpassage de Cleacutement drsquoAlexandrie qui semble deacutependre de la premiegravere hypo-thegravese (Strom V 12 82 1-2) Les eacuteleacutements de theacuteologie neacutegative eacutevoqueacutes lagravesrsquoaccompagnant drsquoune possibiliteacute de nomination rappellent toutefois moinsNumeacutenius qursquoAlcinoos Did X p 16433-34 H

78 Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoargumentation de R Romano (laquo La proba-bile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica e neopitagorica) delParmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide diPlatone et la sua tradizione op cit p 234) qui estime que Numeacutenius aufragment 217-34 (11 F) emprunte au Parmeacutenide les expressions delaquo meacutethode non aiseacutee mais divine raquo laquo ardeur juveacutenile raquo et laquo exercice matheacute-matique raquo Lrsquoappui textuel est trop tenu pour qursquoelle soit persuasive Quant agraveG Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 82-84) il eacutevoque luiaussi le fragment 5 (14 F) mais seulement en note agrave la page 82 et son argu-mentation ne srsquoappuie pas davantage sur la lettre du texte Crsquoest pourquoielle ne peut ecirctre expliciteacutee ici Nous ne commenterons enfin pas les hypo-

ments 5 et 6 (14-15 F) ougrave apparaicirct formuleacutee en termes neacutegatifs unedeacutefinition de lrsquoecirctre que le fragment 2 (11 F) a dit identifiable au BienCes deux fragments proviennent du livre II du Περὶ τἀγαθοῦ quientreprend de deacutefinir lrsquoecirctre preacuteliminaire indispensable agrave la deacutefinitiondu Bien Examinons-en quelques extraits Au fragment 5 nous lisonsceci

Φέρε οὖν ὅση δύναμις ἐγγύτατα πρὸς τὸ ὂν ἀναγώμεθα καὶλέγωμενmiddot τὸ ὂν οὔτε ποτὲ ἦν οὔτε ποτὲ μὴ γένηται ἀλλrsquo ἔστιν ἀεὶἐν χρόνῳ ὡρισμένῳ τῷ ἐνεστῶτι μόνῳ [] τὸ ἄρα ὂν ἀΐδιόν τεβέβαιόν τε ἐστὶν ἀεὶ κατὰ ταὐτὸν καὶ ταὐτόν οὐδὲ γέγονε μένἐφθάρη δὲ οὐδrsquo ἐμεγεθύνατο μέν ἐμειώθη δὲ οὐδὲ μὴltνgtἐγένετό πω πλεῖον ἢ ἔλασσον καὶ μὲν δὴ τά τε ἄλλα καὶ οὐδὲτοπικῶς κινηθήσεταιmiddot οὐδὲ γὰρ θέμις αὐτῷ κινηθῆναι οὐδὲ μὲνὀπίσω οὐδὲ πρόσω οὔτε ἄνω ποτὲ οὔτε κάτω οὐδrsquo εἰς δεξιὰοὐδrsquo εἰς ἀριστερὰ μεταθεύσεταί ποτε τὸ ὂν οὔτε περὶ τὸ μέσονποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται ἀλλὰ μᾶλλον καὶ ἑστήξεται καὶἀραρός τε καὶ ἑστηκὸς ἔσται κατὰ ταὐτὰ ἔχον ἀεὶ καὶ ὡσαύτως(extraits du fragment 5 14 F = Eus PE XI 10 4-5)

Eh bien donc eacutelevons-nous vers lrsquoecirctre le plus pregraves qursquoil nous est pos-sible et disons ceci lrsquoecirctre jamais ne fut ni jamais nrsquoadviendra assureacute-ment mais il est toujours dans un temps bien deacutetermineacute le seul preacute-sent [] Lrsquoecirctre est donc est agrave la fois eacuteternel et stable toujours dans lemecircme eacutetat et identique agrave soi il nrsquoest pas neacute et il ne peacuterit pas il ne croicirctet ne deacutecroicirct pas non plus ni il ne devient plus ou moins en aucunefaccedilon En somme il ne sera assureacutement soumis agrave aucun type de mou-vement et surtout pas au mouvement selon le lieu ndash il ne lui est en effetpas permis non plus crsquoest la loi divine drsquoecirctre mucirc jamais par unecourse en avant ni en arriegravere en haut ni en bas vers la droite droite nivers la gauche jamais lrsquoecirctre ne sera soumis au changement et jamais ilne sera mucirc autour de son propre centre Bien plutocirct il se tiendra en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 127

thegraveses de H Tarrant Thrasyllan Platonism op cit p 174-177 dans lamesure ougrave elles supposent que Numeacutenius srsquoinspire de Modeacuteratus (au fr 52)et suit donc lrsquointerpreacutetation qursquoil aurait donneacutee sur la matiegravere drsquoapregraves leteacutemoignage de Simplicius

repos sera ferme et fixe se maintenant toujours de faccedilon identique etde la mecircme maniegravere79

Au fragment 6 (15 F) nous lisons ensuite

ἡ δὲ αἰτία τοῦ ὄντος ὀνόματός ἐστι τὸ μὴ γεγονέναι μηδὲφθαρήσεσθαι μηδrsquo ἄλλην μήτε κίνησιν μηδεμίαν ἐνδέχεσθαιμήτε μεταβολὴν κρείττω ἢ φαύλην εἶναι δὲ ἁπλοῦν καὶἀναλλοίωτον καὶ ἐν ἰδέᾳ τῇ αὐτῇ καὶ μήτε ἐθελούσιον ἐξίστα-σθαι τῆς ταὐτότητος μήθrsquo ὑφrsquo ἑτέρου προσαναγκάζεσθαι (extraitdu fragment 6 15 F = Eus PE XI 10 7)

Et la raison de ce nom ecirctre reacuteside dans le fait de ne pas ecirctre neacute de nepas devoir peacuterir de nrsquoadmettre absolument aucun autre type de mou-vement ni de changement que ce soit vers le meilleur ou vers le piremais drsquoecirctre au contraire simple invariable dans une forme qui resteidentique de ne pas sortir de son identiteacute ni volontairement ni souslrsquoeffet drsquoune contrainte exteacuterieure80

Pourquoi a-t-on voulu lire ces textes comme faisant allusion auParmeacutenide alors qursquoils ne preacutesentent pas de parallegraveles textuels avec cedialogue Deux raisons agrave cela A-J Festugiegravere y voit une seacuterie deneacutegations qui rappellent celles du Parmeacutenide relativement agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese D OrsquoMeara estime que la deacutefinition de lrsquoecirctrecomme restant dans une identiteacute parfaite agrave soi exprimeacutee en termes de

128 Fabienne JOURDAN

79 Toutes les traductions de Numeacutenius sont les nocirctres80 Voir aussi cet extrait du fragment 8 (17 F = Eus PE XI 10 12) Εἰ μὲν

δὴ τὸ ὂν πάντως πάντη ἀΐδιόν τέ ἐστι καὶ ἄτρεπτον καὶ οὐδαμῶςοὐδαμῆ ἐξιστάμενον ἐξ ἑαυτοῦ μένει δὲ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτωςἕστηκε τοῦτο δήπου ἂν εἴη τὸ τῇ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν laquo Siassureacutement lrsquoecirctre est en tout point absolument eacuteternel et immuable srsquoil ne sortabsolument pas de lui-mecircme en aucune faccedilon mais demeure dans le mecircmeeacutetat fixeacute dans son identiteacute alors crsquoest lui sans nul doute qui sera ldquoce qui estappreacutehendeacute par lrsquointellection agrave lrsquoaide du raisonnementrdquo (Tim 28 a) raquo Ce pas-sage fait suite au fragment 7 (16 F = Eus PE XI 10 9-11) qui cite la deacutefinitionde lrsquoecirctre opposeacute agrave la γένεσις en Timeacutee 27 d 6-28 a 4

laquo non-sortie raquo de soi est reprise dans les passages des Enneacuteades VI4 [ 22] 2 21 et VI 5 3 1-2 ougrave Plotin traite de lrsquointeacutegriteacute de lrsquoecirctre etinterpregravete agrave cet effet la seconde hypothegravese du Parmeacutenide D OrsquoMearasonge alors agrave un preacuteceacutedent numeacutenien dans la lecture plotinienne duParmeacutenide et agrave cette fin eacutetant donneacute qursquoil est question dans ces frag-ments de la relation de lrsquoecirctre au temps au changement et au mouve-ment tout comme de son nom (et donc sous-entendu aussi de saconnaissance) il invite agrave penser que le livre II du Περὶ τἀγαθoῦ trai-tait de lrsquoecirctre selon les diffeacuterents preacutedicats qui servent agrave interroger lrsquoUndu Parmeacutenide agrave savoir le Tout et les parties le lieu le changement etmouvement lrsquoidentiteacute et la diffeacuterence la ressemblance et dissem-blance lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoineacutegaliteacute le temps le nom la connaissance

Ces deux lectures se heurtent toutefois agrave deux objections simplesDrsquoune part pas plus qursquoil ne tire du Parmeacutenide la description de la non-sortie de soi81 Numeacutenius nrsquoemprunte son argumentation sur le change-ment le temps et le nom au Parmeacutenide Comme il le dit lui-mecircme aufragment 6 (15 F) il srsquoappuie pour cela sur le Timeacutee et le Cratyle Onnotera drsquoailleurs que le deacuteveloppement sur lrsquoabsence de mouvement etdonc de changement relegraveve en outre drsquoun emprunt aux Lois82 et qursquoellenrsquoest pas exempte de parallegraveles aristoteacuteliciens ainsi que le reconnaicirctD OrsquoMeara lui-mecircme83 Drsquoautre part et pour reacutepondre cette fois agraveA-J Festugiegravere la seacuterie de neacutegations ne fait aucunement allusion auParmeacutenide ni nrsquoaugure drsquoune theacuteologie neacutegative telle qursquoelle sera tireacuteede la premiegravere hypothegravese de ce dialogue elle contribue simplement agraveune deacutefinition de lrsquoecirctre par opposition au devenir et surtout au corporelqui preacutesente toutes les qualiteacutes ici nieacutees La citation au fragment 7 (16F) du passage du Timeacutee (27 d 6-28 a 4) opposant justement ὄν et

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81 Elle est en reacutealiteacute preacutesente dans le Cratyle 439 e le Pheacutedon 79 d et 80b 1-2 et le Banquet 211 b 1

82 X 893 c-894 a83 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 n 26 Sur le temps

voir aussi M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit et la remarquefinale sur la deacutefinition parmeacutenidienne drsquoune entiteacute se situant dans un eacuteternelpreacutesent au fr 85 DK

γένεσις preacutecise ce contexte de penseacutee et empecircche en cela toute extra-polation Agrave la limite si lrsquoon y tient on pourra simplement conclure avecD OrsquoMeara que Numeacutenius a donneacute agrave Plotin lrsquoideacutee de lire le Parmeacutenidedans le sens ougrave il lrsquoa fait concernant lrsquoecirctre ndash hypothegravese qui srsquoavegraverera fortinteacuteressante dans la perspective drsquoune comparaison avec lrsquoentreprise ducommentateur anonyme au Parmeacutenide

Les textes habituellement citeacutes en faveur drsquoune utilisation numeacute-nienne du Parmeacutenide ainsi compris il en est selon nous un troisiegravemequi aurait pu inviter agrave pareille suggestion celui ougrave Numeacutenius precircte aupremier principe un repos qui srsquoaccompagne malgreacute tout drsquoune formede mouvement ndash attributs apparemment contradictoires dont lrsquooriginepourrait paraicirctre remonter au Parmeacutenide Ce texte nous mettrait sur lavoie qui pouvait sembler la plus feacuteconde drsquoune identification du pre-mier principe numeacutenien agrave lrsquoUn de la seconde hypothegravese du ParmeacutenideLisons ainsi le fragment 15 (23 F)

Εἰσὶ δrsquo οὗτοι βίοι ὁ μὲν πρώτου ὁ δὲ δευτέρου θεοῦ δηλονότι ὁμὲν πρῶτος θεὸς ἔσται ἑστώς ὁ δὲ δεύτερος ἔμπαλίν ἐστικινούμενοςmiddot ὁ μὲν οὖν πρῶτος περὶ τὰ νοητά ὁ δὲ δεύτερος περὶτὰ νοητὰ καὶ αἰσθητά μὴ θαυμάσῃς δrsquo εἰ τοῦτrsquo ἔφηνmiddot πολὺ γὰρἔτι θαυμαστότερον ἀκούσῃ ἀντὶ γὰρ τῆς προσούσης τῷδευτέρῳ κινήσεως τὴν προσοῦσαν τῷ πρώτῳ στάσιν φημὶ εἶναικίνησιν σύμφυτον ἀφrsquo ἧς ἥ τε τάξις τοῦ κόσμου καὶ ἡ μονὴ ἡἀΐδιος καὶ ἡ σωτηρία ἀναχεῖται εἰς τὰ ὅλα

Voici les genres de vie respectifs du premier et du deuxiegraveme dieu ilest eacutevident que le premier sera en repos tandis que le deuxiegraveme aucontraire est en mouvement le premier donc autour des intelligiblesle deuxiegraveme autour des intelligibles et des sensibles Et nrsquoen viens pasagrave trsquoeacutetonner si jrsquoai affirmeacute cela car tu vas entendre bien plus eacutetonnantencore agrave la place du mouvement inheacuterent au deuxiegraveme le repos inheacute-rent au premier je lrsquoaffirme est un mouvement qui lui est par natureassocieacute drsquoougrave viennent lrsquoordre du monde et sa permanence eacuteternelle etdrsquoougrave le salut se reacutepand sur lrsquointeacutegraliteacute des ecirctres

Le passage pourrait rappeler lrsquoUn qui est Tout (τὸ ἓν ὅλον 145 e3) de la deuxiegraveme hypothegravese et que Platon deacutecrit comme eacutetant agrave la fois

130 Fabienne JOURDAN

en repos et en mouvement (καὶ κινεῖσθαι καὶ ἑστάναι 145 e 7-8)drsquoautant plus que le vocabulaire du repos employeacute est le mecircme(ἕστηκε 145 a 8 ἑστός 146 a 5) On pourrait alors imaginer queNumeacutenius identifie son premier principe agrave lrsquoUn associeacute agrave lrsquoecirctre telqursquoil est conccedilu dans cette deuxiegraveme hypothegravese Cependant la raisondonneacutee par Platon agrave cet eacutetat est le fait que cet Un se trouve agrave la fois enlui-mecircme crsquoest-agrave-dire au mecircme endroit et en autre chose crsquoest-agrave-direailleurs (le tout devant ecirctre ainsi compris 145 e 8-146 a 7) Or toutconduit agrave penser que dans le fragment le mouvement associeacute au reposfondamental est celui de la penseacutee caracteacuteristique du premier principe(cf fr 19 27 F) et que par cette formule Numeacutenius preacutepare la deacutefini-tion de celui-ci comme intellect (fr 16-17 24-25 F) Le raisonnementest profondeacutement distinct et Numeacutenius joue drsquoailleurs moins sur uneantithegravese logique telle que pourrait paraicirctre celle du raisonnement pla-tonicien que sur une association certes paradoxale mais reacuteelle Crsquoestpourquoi si tentant que puisse paraicirctre le parallegravele il ne relegraveve sansdoute pas drsquoune appropriation numeacutenienne de la deuxiegraveme hypothegravesepour deacutecrire le premier principe Numeacutenius reprend peut-ecirctre le voca-bulaire voire la conception de Platon pour deacutecrire un principe qursquoilassocie volontiers au Tout surtout si ce premier principe doit corres-pondre au Vivant84 Mais cette reprise serait superficielle et srsquoaccom-pagnerait drsquoun deacuteveloppement personnel qui ne relegraveve pas du deacutesirdrsquointerpreacuteter le Parmeacutenide85 Si Numeacutenius emprunte ici agrave Platon crsquoestplutocirct au passage du Sophiste 248 e-249 a qui integravegre le mouvementdans lrsquoecirctre total finit par deacutecrire cet ecirctre comme eacutetant agrave la fois en reposet en mouvement et inclut en lui eacutegalement lrsquointellect mieux laφρόνησις dont nous avons vu que Numeacutenius en fait sous la formeinfinitive lrsquoapanage du Bien

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 131

84 Voir le teacutemoignage de Proclus (fr 22) deacutejagrave signaleacute selon nous lrsquoimagedu Vivant est deacutejagrave sous-jacente dans ce fragment 15 (23 F) voir la note 61

85 Sur ce point nous rejoignons LP Gerson laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpre-tation of Platorsquos Parmenides raquo art cit n 1 qui rappelle agrave propos drsquoAlcinoosque lrsquoutilisation de distinctions et drsquoarguments preacutesents dans le Parmeacutenidenrsquoimplique pas drsquoaccorder une primauteacute interpreacutetative agrave ce dialogue

2 Le Περὶ τἀγαθοῦ et les deux premiegraveres hypothegravesesde la seconde partie du Parmeacutenide

Agrave eux seuls les textes parvenus ne nous semblent donc pas teacutemoi-gner en faveur drsquoun commentaire au Parmeacutenide de la part de Numeacute-nius ni mecircme drsquoune utilisation partielle qursquoil aurait faite de ce dia-logue Les partisans drsquoune attribution de pareil commentaire agrave Numeacute-nius en appellent toutefois et ce juste titre agrave lrsquoœuvre non parvenueOn ne peut certes juger de lrsquoeacutevolution de Numeacutenius Mais pour quecet argument e silentio soit valable concernant au moins la partie man-quante du Περὶ τἀγαθοῦ il faudrait que la partie transmise ne preacute-sente pas drsquoincompatibiliteacute avec lrsquoargumentation geacuteneacuterale du dialoguede Platon Comme le deacutebat porte toujours sur les deux premiegraveres hypo-thegraveses ce sont elles qursquoil suffit drsquointerroger en vue drsquoeacutevaluer si Numeacute-nius peut ne serait-ce que srsquoy ecirctre reporteacute pour esquisser sa deacutefinitiondu premier principe voire du second comme le suggegravere JD Turner86

a) Le Bien et lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese

Selon notre lecture Numeacutenius nrsquoidentifie pas le Bien agrave lrsquoUn Laseacuterie de neacutegations neacutecessaires agrave la deacutefinition de lrsquoecirctre nrsquoa drsquoautre butque de distinguer celui-ci du devenir Qursquoest-ce que le Bien de Numeacute-nius pourrait donc avoir de commun avec lrsquoUn de la premiegravere hypo-thegravese87 Comparons son enseignement agrave celui du Parmeacutenide pourassurer de la validiteacute de notre position

Ce que le Bien de Numeacutenius pourrait avoir de commun avec lrsquoUnde la premiegravere hypothegravese assureacutement ce serait le fait de ne pas ecirctremultiple (137 c) Mais cela est bien maigre la seacuterie de neacutegations pro-

132 Fabienne JOURDAN

86 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 138-13987 G Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 84) estime que

crsquoest en lien avec la premiegravere hypothegravese que Numeacutenius deacuteveloppe sa concep-tion du premier intellect Il nrsquoexplique toutefois pas cette lecture pour le moinseacutetonnante

poseacutee par Parmeacutenide ne le concerne pas Passons en revue quelquesexemples en suivant lrsquoordre du dialogue contrairement agrave lrsquoUn de cettehypothegravese le Bien nrsquoest pas illimiteacute (137 d 7) crsquoest la matiegravere qui esttelle agrave lrsquoimage drsquoun fleuve88 loin drsquoecirctre nulle part au sens de laquo pas ensoi raquo (138 a 2 6-b 2) il est au contraire en lui-mecircme89 La seacuterie drsquoanti-thegraveses ne le concerne pas davantage loin de nrsquoecirctre ni en repos ni enmouvement (138 b) nous avons vu qursquoil a part aux deux90 plutocirct quede nrsquoecirctre ni identique ni diffeacuterent (139 b-140 b) il est assureacutement iden-tique agrave soi91 au lieu drsquoecirctre hors du temps (141 a) il se situe dans uneacuteternel preacutesent92 et si certes on ne peut pas non plus parler agrave soneacutegard de participation agrave lrsquoοὐσία (141 e 7-8) il nrsquoen est pas moinslrsquoἀρχή de celle-ci93 qui fait de lui lrsquoEcirctre par excellence94 Contraire-ment agrave lrsquoUn de cette hypothegravese (142 a) il a en outre un nom une deacutefi-nition et il y a mecircme une science agrave son sujet son nom est drsquoabordοὐσία et ὄν lorsque lrsquoecirctre qursquoil est est envisageacute de maniegravere geacuteneacuterale95puis vraisemblablement Bien lui-mecircme et Ecirctre lui-mecircme (αὐτοάγα-θον et αὐτοόν) lorsqursquoil est envisageacute dans sa speacutecificiteacute96 il donnelrsquoἐπιστήμη et srsquoavegravere mecircme ecirctre la σοφία97 toute lrsquoentreprise duΠερὶ τἀγαθοῦ est justement de conduire agrave sa connaissance et deacutefini-tion98 ce agrave quoi parvient entre autres le dernier fragment en identifiantultimement lrsquoecirctre et lrsquointellect qursquoil constitue agrave la Forme du Bien de laReacutepublique99 Lorsque Platon fait conclure agrave Parmeacutenide que cet Un

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 133

88 Fr 3 (12 F) et 8 (17 F)89 Fr 11 (19 F)90 Fr 15 (23 F)91 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)92 Fr 5 (14 F)93 Fr 16 (24 F)94 Fr 17 (25 F) et lrsquoon nrsquooubliera pas la synonymie entre οὐσία et ὄν don-

neacutee au fr 6 (15 F)95 Fr 6 (15 F)96 Fr 16-17 (24-25 F) fr 20 (28 F)97 Crsquoest notre interpreacutetation conjointe des fragments 13 et 14 (21-22 F)98 Tel est le programme annonceacute au fragment 2 (11 F)99 Fr 20 (28 F)

finalement nrsquoest pas Numeacutenius peut donc avoir estimeacute ne pas devoirreconnaicirctre lagrave ce qursquoil deacutefinit quant agrave lui comme le premier principe etce alors en accord avec Platon lui-mecircme

Crsquoest pourquoi srsquoil a songeacute agrave ce dialogue et plus particuliegraverement agravela premiegravere hypothegravese Numeacutenius a pu le consideacuterer comme un exer-cice dialectique ougrave puiser par exemple une meacutethode drsquointerrogation etcertains concepts dans un esprit peut-ecirctre semblable agrave celui drsquoAlci-noos100 ou bien ce qui nrsquoest pas incompatible comme deacutecrivantaussi une position selon lui critiqueacutee par Platon Dans cette perspec-tive il peut alors y avoir perccedilu une raison de ne pas retenir la candida-ture de lrsquoUn (telle que la suggegravere notamment la reacuteception acadeacutemi-cienne de lrsquoenseignement oral) au titre de premier principe agrave identifierau Bien puisque cet Un conccedilu dans sa pureteacute agrave la maniegravere dont Platonle deacutecrit dans la premiegravere hypothegravese conduit agrave lrsquoaporie du non-ecirctre (non-ecirctre que Numeacutenius identifie quant agrave lui agrave la matiegravere) Autre-ment dit la lecture du Parmeacutenide voire le commentaire de ce dia-logue aurait plutocirct conduit Numeacutenius agrave ne pas identifier le Bien agrave lrsquoUnabsolu et lrsquoaurait peut-ecirctre justifieacute dans une position poleacutemique agrave lrsquoen-contre de certains neacuteo-pythagoriciens de son temps101 voire des Aca-deacutemiciens qui le faisaient

Cette conclusion peut a priori eacutetonner Mais Numeacutenius nrsquoaurait paseacuteteacute le seul de son eacutepoque agrave refuser drsquoaccorder agrave lrsquoUn de la premiegraverehypothegravese le rocircle de principe de la reacutealiteacute et de principe transcendantlrsquoecirctre Proclus eacutevoque des interpregravetes selon lesquels le veacuteritable objet

134 Fabienne JOURDAN

100 Agrave la mecircme eacutepoque ou peu apregraves (selon lrsquohypothegravese de R Chiara-donna laquo Theacuteologie et eacutepoptique aristoteacutelicienne dans le meacutedioplatonisme lareacuteception de Meacutetaphysique Λ raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted)Reacuteceptions de la theacuteologie aristoteacutelicienne op cit p 143-148 voir aussiM Frede laquo Numenius raquo art cit p 1064) Alcinoos donne une interpreacutetationessentiellement logique du Parmeacutenide voir Did VI p 159-160 H Cela nrsquoim-plique toutefois pas que ce fut lagrave la seule lecture du dialogue par Alcinoos(pace J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit)

101 Voir ceux eacutevoqueacutes au fragment 5215-24 (Calcidius In Tim CCXCV)qui font provenir la dyade de la monade Modeacuteratus agrave qui est justement precircteacuteun commentaire du Parmeacutenide leur est parfois rapprocheacute

du Parmeacutenide est justement lrsquoecirctre (ou lrsquoUn de la seconde hypothegravese) etnon lrsquoUn absolu dont lrsquohypothegravese ne conduit qursquoagrave des apories102 Lrsquounde ces interpregravetes fut Origegravene (le Platonicien103 ) disciple drsquoAmmo-nius comme Plotin et qui eacutetait peut-ecirctre justement en deacutebat avecNumeacutenius notamment sur la fonction du premier principe104 SelonOrigegravene lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese eacutetait sans existence ni subsis-tance (ἀνύπαρκτον καὶ ἀνύποστατον) lrsquoEcirctre absolu et lrsquoUnabsolu ne devaient faire qursquoun et ecirctre identifieacutes agrave lrsquointellect commeprincipe supeacuterieur105 ce nrsquoeacutetait donc qursquoavec la seconde hypothegravese

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 135

102 Proclus In Parm I 63531-6364 Theacuteol Plat II 4 311-28103 Nous nrsquoentrons pas ici dans le deacutebat concernant la question de savoir si

Origegravene nommeacute laquo le platonicien raquo est le mecircme qursquoOrigegravene le chreacutetien Nouspostulons qursquoil srsquoagit de deux personnages distincts (en cela nous suivonsnotamment R Goulet laquo Porphyre Ammonius les deux Origegravene et lesautres raquo Revue drsquohistoire et de philosophie religieuse 57 1977 p 471-496repris dans R Goulet Eacutetudes sur les Vies de philosophes de lrsquoAntiquiteacute tar-dive Diogegravene Laeumlrce Porphyre de Tyr Eunape de Sardes Textes et traditionsI Paris Vrin 2001 p 267-290) Sur ce sujet voir le statut de la question dansL Brisson R Goulet laquo Origegravene le platonicien raquo dans R Goulet (eacuted) Dic-tionnaire des philosophes antiques Paris CNRS IV 2005 p 804-807 M Zambon laquo Porfirio e Origene uno status quaestionis raquo dans S Morlet(eacuted) Le Traiteacute de Porphyre contre les chreacutetiens Un siegravecle de recherches nou-velles questions Paris Institut drsquoEacutetudes augustiniennes 2011 p 107-164 etles eacutetudes reacuteunies par B Baumlbler H-G Nesselrath (eacuted) Origenes der Christund Origenes der Platoniker Tuumlbingen Mohr Siebeck 2018 (dont lrsquoarticle deCh Riedweg qui identifie les deux personnages)

104 Drsquoapregraves le titre de son ouvrage transmis par Porphyre (VP 332 cf Pro-clus Theol plat II 4 A) Ὃτι μόνος ποιητὴς ὁ βασιλεύς Origegravene associaitvraisemblablement le laquo roi raquo (premier principe) au deacutemiurge nommeacute ποιητήςcontrairement agrave Numeacutenius qui les distingue au fragment 12 (20 F)

105 Sur ce sujet voir par ex HD Saffrey LG Westerink Proclus Theacuteo-logie platonicienne T II Paris Les Belles Lettres 1974 p X-XX C Steellaquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 32-35 L Bris-son laquo The Reception of Parmenides before Proclus raquo dans JD TurnerK Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage vol II Reception inPatristic Gnostic and Christian Neoplatonic Texts Atlanta Society of Bibli-cal Literature 2011 p 49-64

que commenccedilait selon lui lrsquoonto-theacuteologie platonicienne parce qursquoelleaurait deacutecrit lrsquointellect et les formes Origegravene paraissant plus proche deson maicirctre que Plotin106 son interpreacutetation eacutetait peut-ecirctre celle drsquoAm-monius et comme les argumentations drsquoAmmonius et de Numeacuteniussont parfois rapprocheacutees107 on pourrait penser agrave une parenteacute entre ellessur ce sujet eacutegalement Quoi qursquoil en soit sur ce point on peut retenirdeux choses de la comparaison avec lrsquointerpreacutetation drsquoOrigegravene lerefus de consideacuterer le premier principe comme identique agrave lrsquoUn absolude la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et lrsquoidentification de ce prin-cipe agrave lrsquoEcirctre absolu

Peut-on alors supposer que Numeacutenius agrave lrsquoinstar drsquoOrigegravene conccediloitlui aussi cet Ecirctre comme deacutecrit dans la deuxiegraveme hypothegravese Crsquoest eneffet avions-nous vu drsquoembleacutee la seule maniegravere de lui supposer reacuteelle-ment une utilisation du Parmeacutenide dans sa description du premier prin-cipe

b) Le Bien et lrsquo laquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

On peut en effet rappeler que Plotin a tendance agrave situer le premierde Numeacutenius au rang du second selon sa propre doctrine Toutefois agravela lecture du Parmeacutenide lui-mecircme Numeacutenius aurait assureacutement eacuteteacutegecircneacute degraves la formulation de lrsquohypothegravese consideacuterant Un et ecirctre (οὐσία)comme deux eacuteleacutements seacutepareacutes neacutecessitant la participation de lrsquoUn agravelrsquoecirctre (142 b-c) Pour Numeacutenius le premier principe est lrsquoecirctre il nrsquoapas part agrave lrsquoecirctre Lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacutenide ten-tera certes de reacutesoudre la difficulteacute et si Numeacutenius avait commenteacute letexte il aurait sans doute fait de mecircme Mais est-il bien neacutecessaire delui precircter pareille entreprise Il nrsquoest en effet pas davantage inteacuteresseacute agrave

136 Fabienne JOURDAN

106 Voir HD Saffrey LG Westerink op cit p XIX107 Voir par ex le teacutemoignage de Neacutemeacutesius (fr 4 b = Sur la nature de

lrsquohomme 2 8-14) qui les associe dans la critique de la corporeacuteiteacute de lrsquoacircmecaracteacuteristique de la conception stoiumlcienne

utiliser la seacuterie de preacutedicats contraires cette fois accepteacutes pour lrsquoUn decette deuxiegraveme hypothegravese Si nous nrsquoen retenons seulement quelques-uns parmi ceux pouvant concerner une reacutealiteacute intelligible on noteraque la notion de pluraliteacute ne peut concorder avec la repreacutesentation delrsquouniteacute indivisible que constitue le Bien pas davantage que le coupleantitheacutetique drsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave soi Trois points pourraientecirctre malgreacute tout rapprocheacutes dans la deacutefinition du Bien numeacutenien et delrsquoUn de la seconde hypothegravese lrsquoaffirmation drsquoune preacutesence agrave la fois ensoi et en autre chose (145 b 6-7) ndash mais elle est caracteacuteristique de touteforme intelligible et la contradiction apparente est reacutesolue par le pheacute-nomegravene de la participation bien deacuteveloppeacute par Numeacutenius lrsquoideacutee quece principe est en mouvement et en repos (145 a 3-146 a 7)ndash mais nousavons montreacute son sens particulier lieacute au processus de la penseacutee propreagrave lrsquointellect qui nrsquoest pas deacuteveloppeacute dans le Parmeacutenide et enfin larelation au temps (152 a) mais elle nrsquoest que provisoire concernant ladeuxiegraveme hypothegravese dans la mesure ougrave celle-ci va ensuite associerlrsquoecirctre agrave toutes les dimensions du temps alors que Numeacutenius ne lrsquoasso-cie qursquoau preacutesent comme le fait le Timeacutee (et peut-ecirctre le vrai Parmeacute-nide lui-mecircme au fragment 85)

Il nous semble donc peu probable que Numeacutenius ait envisageacute sonpremier principe en songeant agrave lrsquoUn-qui-est du Parmeacutenide ou aitmecircme tenteacute de le lui faire correspondre dans une eacutetape ulteacuterieure de sareacuteflexion En cela le deacutesaccord qui semble affleurer avec Origegravene surla caracteacuterisation des principes se retrouverait sur ce point eacutegalement

c) Le second dieu (le Bon) et lrsquolaquo Un qui est raquo

Une autre possibiliteacute peut toutefois se preacutesenter agrave lrsquoesprit Numeacute-nius nrsquoaurait-il pas alors associeacute agrave ce second Un son second dieu etprincipe qui lui est effectivement agrave la fois Un et plusieurs (143 a 5)au sens ougrave il connaicirct une laquo division raquo lorsqursquoil rencontre la matiegravere108

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 137

108 Fr 11 (19 F)

Telle est en effet lrsquohypothegravese de JD Turner109 On pourrait lrsquoeacutetayer ennotant que ce dieu est drsquoailleurs lui aussi seacutepareacute pour ainsi dire de saforme le Bien ce qui constitue deux aspects de son ecirctre et mecircme de laforme qursquoil produit comme modegravele du monde lui aussi a en outre partagrave lrsquoοὐσία qursquoil reccediloit du premier En extrapolant on pourrait imaginerque crsquoest agrave lui que reviennent tous les couples de contraires puisqursquoilest agrave la fois dans lrsquointelligible par sa contemplation et preacuteoccupeacute dusensible tendant au contact avec la matiegravere110 Mais nous irions troploin Numeacutenius fait certes de ce second dieu lrsquoecirctre deacuteriveacute mais il estecirctre assureacutement et nrsquoest pas concerneacute par les preacutedicats caracteacuterisant lesensible (comme la grandeur la limite lrsquoacircge) Ce qui peut paraicirctrecontraire en ce dieu ce sont seulement des attitudes lieacutees agrave son orienta-tion dans un processus cosmogonique Numeacutenius ne paraicirct pas avoirainsi deacutefini son essence dont la caracteacuteristique fondamentale est lrsquoimi-tation et la participation au Bien Crsquoest pourquoi mecircme si cela peutparaicirctre tentant nous ne pensons pas qursquoil ait conccedilu ce second dieu ensongeant agrave la deuxiegraveme hypothegravese du Parmeacutenide ni mecircme qursquoil aittenteacute apregraves lrsquoavoir deacutefini de le lui faire correspondre111 Le consideacuterer

138 Fabienne JOURDAN

109 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 137-138 qui ajoute agravecela une reacuteflexion sur ce que certains Anciens consideacuteraient comme la troisiegravemehypothegravese (155 e 4-157 b 4) et fait du second dieu de Numeacutenius dans sa dualiteacutemecircme un repreacutesentant des Un de la deuxiegraveme et troisiegraveme hypothegraveses (Un-plu-sieurs et Un-et-plusieurs) Cette lecture est ingeacutenieuse mais inveacuterifiable

110 Fr 11 (19 F)111 Concernant les autres hypothegraveses nous pourrions faire deux remarques

Dans la troisiegraveme la deacutefinition des laquo autres choses raquo comme eacutetant de natureillimiteacutee mais recevant leur limite par participation agrave lrsquoUn (158 d 7-8) corres-pond agrave la conception de la formation du monde par le deacutemiurge (fr 18 26 F cf fr 52) Mais cette interpreacutetation est la leccedilon mecircme du Timeacutee coupleacute avec lePhilegravebe Dans la derniegravere hypothegravese ensuite en 165 c 2 on trouve lrsquoexpres-sion ὀξὺ νοοῦντι pour deacutesigner celui qui regarde de pregraves et voit que les chosesqui paraissent unes sont en reacutealiteacute plusieurs car priveacutees drsquouniteacute Avec lrsquoexpres-sion ὀξὺ βλέποντι au fr 19 (27 F) Numeacutenius pourrait faire un clin drsquoœilentendu agrave ce passage lorsqursquoil invite agrave comprendre ce qui est selon lui le vraisens du terme un appliqueacute au Bien celui drsquouniciteacute Lrsquoeacutecho lexical pourrait ren-

selon chacun de ses deux laquo aspects raquo comme correspondant agrave lrsquolaquo Un-plusieurs raquo et agrave lrsquolaquo Un-et-plusieurs raquo de la deuxiegraveme et de la troisiegravemehypothegraveses entrevue par certains Anciens comme le fait J Turnerrelegraveve selon nous drsquoune lecture plotinienne qui ne correspond pas agravelrsquoenseignement du Περὶ τἀγαθοῦ112 Cela une fois encore nrsquoem-pecircche pas que Numeacutenius ait pu inspirer Plotin dans sa propre lecturedu Parmeacutenide

3 Le Περὶ τἀγαθοῦ et la premiegravere partie du Parmeacutenide

Dans le Περὶ τἀγαθοῦ Numeacutenius nrsquoa ainsi selon nous pas conccedilusa reacuteflexion sur les principes agrave partir drsquoun commentaire du Parmeacutenideni nrsquoa mecircme tenteacute de la faire correspondre aux hypothegraveses de laseconde partie de ce dialogue apregraves lrsquoavoir eacutelaboreacutee En revanche ilsrsquoest assureacutement inteacuteresseacute agrave la premiegravere partie ou du moins aux diffi-culteacutes dans lesquelles elle place la theacuteorie des formes113 Qursquoil ait ounon en tecircte ce dialogue le sien en tout cas cherche assureacutement agraverendre possible la participation et donc agrave sauver la theacuteorie des formespar-delagrave les objections que lui adresse Parmeacutenide Ce sujet nous inteacute-ressant moins directement ici nous ferons bref

Agrave la question de savoir srsquoil y a des formes de tout (130 b-e) Numeacute-nius reacutepond assureacutement qursquoil y en a de tout ce qui a part au Bien114 agrave

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 139

voyer agrave cette illusion relative agrave la saisie de ce qursquoest laquo ecirctre un raquo Lrsquoexpressionnrsquoeacutetant pas absente par ailleurs chez Platon (voir le commentaire au fragment19 27 F) il nrsquoest cependant pas neacutecessaire de penser que Numeacutenius ait ce pas-sage du Parmeacutenide en tecircte il est simplement tentant drsquoy songer dans uncontexte de reacuteflexion sur lrsquoUn

112 Contra JD Turner laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art citp 138-139

113 On remarquera qursquoAlcinoos (Did IX p 163 H 23-31 L W) fait demecircme en reacutepondant agrave la question de ce dont il y a des formes et en concevantcelles-ci comme des penseacutees du premier dieu

114 Fr 13 et 19 (21 et 27 F)

la question du rapport entre forme et participeacute il envisage positive-ment les deux solutions proposeacutees par Socrate a) les formes sont pourlui des penseacutees (cf Parm 132 b-c) elles sont celles du seconddieu115 et elles pensent (cf Parm 132 c) puisque telle est la maniegraverede participer au Bien116 b) les formes sont par ailleurs des paradigmes(cf Parm 132 d) comme le montre lrsquoexemple embleacutematique du rap-port entre le Bon qursquoest le deacutemiurge et le Bien envisageacute commeforme117 Quant agrave lrsquoargument du troisiegraveme homme en placcedilant le Bienau sommet de lrsquointelligible Numeacutenius estime peut-ecirctre y avoir ultime-ment reacutepondu Lrsquoobjection de la seacuteparation (133 a 8-134 c 7) enfinavec le double risque qursquoelle comporte de lrsquoinconnaissabiliteacute desformes (134 a-b) et du deacutefaut de connaissance de notre monde par ledieu qui ne pourrait alors pas agir agrave notre eacutegard (134 e) aura particu-liegraverement retenu son attention tout le dialogue Sur le Bien tend eneffet agrave montrer la continuiteacute agrave la fois ontologique et eacutepisteacutemique desdiffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute ndash le sensible lui-mecircme en tant que prisen charge par le deacutemiurge qui lrsquoeacutelegraveve agrave son propre caractegravere (autrementdit agrave sa bonteacute et agrave ce qui en deacutecoule)118 relegraveve en effet de la μετ-ουσία autrement dit de ce qui vient certes laquo apregraves lrsquoοὐσία raquo mais y amalgreacute tout essentiellement part119 Le Περὶ τἀγαθοῦ conduit en toutcas drsquoune part agrave la connaissance de la forme premiegravere tandis que celle-ci srsquoavegravere la connaissance ultime qui se transmet ensuite120 il montredrsquoautre part la relation permanente du premier agrave notre monde non seu-lement par lrsquointermeacutediaire du second dieu qui assure directement lrsquoac-tion providentielle mais par le salut ou la conservation (σωτηρία)

140 Fabienne JOURDAN

115 Fr 16 (24 F) Nous reacutesumons voir notre interpreacutetation du fragment116 Fr 19 (27 F) Lagrave aussi nous reacutesumons notre interpreacutetation laquo Pense raquo en

reacutealiteacute tout ce qui a part au Bien En outre lrsquoidentification de lrsquointellect agrave uneforme au fragment 20 (28 F) suggegravere cette interpreacutetation

117 Fr 16 19 et 20 (24 27-28 F)118 Fr 11 (19 F) cf fr 18 (26 F)119 Voir lrsquoutilisation fort suggestive de ce terme pour deacutesigner la participa-

tion agrave la fin du fragment 16 (24 F)120 Fr 13-14 (21-22 F)

qursquoil dispense lui-mecircme reacuteellement121 en tant que Bien et qursquoEcirctre quiassure ultimement la coheacutesion du monde

Nous ne preacutetendons pas que Numeacutenius reprenne point par point lesobjections de Parmeacutenide agrave Socrate contre la theacuteorie des formes Maisqursquoil les ait consideacutereacutees directement dans le dialogue de Platon ou qursquoilles ait connues par la tradition il les a prises au seacuterieux et a senti luiaussi la neacutecessiteacute drsquoy reacutepondre pour sauver Platon agrave la maniegravere dont illrsquoentendait

4 Conclusion sur Numeacutenius et le Parmeacutenide

Rien donc dans lrsquoœuvre parvenue ne permet de conclure agrave uneinterpreacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide par Numeacutenius nonseulement les textes ne contiennent pas de reacuteels parallegraveles avec le dia-logue de Platon mais ils suggegraverent que Numeacutenius ne srsquoest fondeacute suraucune des deux premiegraveres hypothegraveses pour deacuteterminer les traits de sonpremier principe ni mecircme sur la deuxiegraveme (voire la troisiegraveme) pourdeacutefinir le second Il est mecircme peu vraisemblable qursquoil ait tenteacute reacutetros-pectivement de les leur faire correspondre Il srsquoest en revanche assureacute-ment inquieacuteteacute des objections dresseacutees contre la theacuteorie des formes dansla premiegravere partie du dialogue et aura tenteacute drsquoy reacutepondre en assurant lavaliditeacute de la participation selon les diffeacuterentes modaliteacutes envisageacutees lagravepar Socrate ndash en cela il srsquoinscrit vraisemblablement dans la traditionplatonicienne122 dont il heacuterite peut-ecirctre plus de la probleacutematique qursquoilne la cherche directement dans le texte de Platon Concernant laseconde partie du dialogue il a pu percevoir dans lrsquoexposeacute de la pre-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 141

121 Fr 15 (23 F)122 Voir les remarques de la note 100 sur Alcinoos Mecircme si Alcinoos est

peut-ecirctre posteacuterieur agrave Numeacutenius de toute eacutevidence les platoniciens ont tenteacutede montrer la justesse de la theacuteorie des formes et de la participation contre lescritiques drsquoAristote ainsi assureacutement que contre celles deacutejagrave eacuteleveacutees dans leParmeacutenide et vraisemblablement inspireacutees (entre autres) par les discussions ausein de lrsquoAcadeacutemie

miegravere hypothegravese une raison suffisante pour ne pas identifier son premierprincipe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit prenant ainsi Platon agrave la lettre agrave propos ducaractegravere aporeacutetique de lrsquoUn tel qursquoil eacutetait lagrave envisageacute

Si elle eacutetait aveacutereacutee cette attitude aurait une double conseacutequencepour la compreacutehension de lrsquohistoire du platonisme

Elle pourrait drsquoabord reacuteveacuteler une intention poleacutemique agrave plusieursniveaux Elle est en effet concevable comme une reacuteaction agrave lrsquoeacuteven-tuelle association neacuteo-pythagoricienne du premier principe associeacute agravelrsquoUn ou agrave la monade avec lrsquoUn absolu de la premiegravere hypothegravese duParmeacutenide Mecircme si selon nous lrsquoidentification du premier principe agravelrsquoUn chez Speusippe et les neacuteo-pythagoriciens123 relegraveve avant tout dela tradition acadeacutemicienne pythagorisante relative agrave lrsquoUn et agrave la Dyadeainsi que du compte-rendu aristoteacutelicien de lrsquoenseignement oral de Pla-ton sur les principes124 il nrsquoy a pas en soi de raison drsquoexclure une pos-sible invocation pour confirmation de lrsquoUn du Parmeacutenide (agrave condi-tion de ne pas leur precircter une interpreacutetation neacuteoplatonicienne) Parsuite une poleacutemique avec lrsquoAncienne Acadeacutemie est eacutegalement envisa-geable Non seulement dans sa deacutefense de la theacuteorie des formes125Numeacutenius pourrait tenter de reacutepliquer agrave la suppression de celles-ciopeacutereacutee par Speusippe mais aussi srsquoopposer agrave la conception du premierprincipe precircteacutee agrave lrsquoAncien Acadeacutemicien Que lrsquoon croie Aristote selonlequel lrsquoUn de Speusippe ne serait laquo pas mecircme un ecirctre raquo126 ou plutocirct

142 Fabienne JOURDAN

123 Voir la note 75124 Voir aussi Meacutet N 4 1091 b 13-15 EE A 8 1218 a 15-32 ougrave le Bien est

associeacute agrave lrsquoUn125 Selon lui la connaissance drsquoun objet quelconque consistait dans celle

de ses relations agrave tous les autres (fr 73 Taraacuten = 2 I P2 = Proclus In Euclp 179 12-22 Friedlein) et crsquoest aux nombres qursquoil aurait alors accordeacute le statutde principe (voir le reacutesumeacute de A Meacutetry Speusippos Zahl Erkenntnis SeinBernStuttgartWien Paul Haupt 2002 p 11-13 et celui de HD Kraumlmerlaquo Die Aumlltere Akademie raquo dans H Flashar (eacuted) Grundriss der Geschichte derPhilosophie Band 3 Aumlltere Akademie Aristoteles Peripatos Basel SchwabeVerlag 20042 [1983] p 16-17)

126 μηδὲ ὄν τι εἶναι τὸ ἕν αὐτό Meacutet N 5 1092 a 16 (fr 43 Taraacuten = 25 IP2 = Aristote Meacutet N 5 1092 a 11-17)

Jamblique selon qui il ne serait laquo pas encore ecirctre raquo127 une distinctionentre lrsquoUn conccedilu comme premier principe et lrsquoecirctre semble agrave lrsquoœuvrechez lui128 si bien que certains ont mecircme penseacute que Platon lui reacutepon-dait dans le Parmeacutenide129 Il nrsquoest pas utile drsquoentrer dans ce deacutebat laposition de Speusippe peut relever drsquoune reacuteflexion sur le Bien deReacutepublique VI et drsquoune appropriation de lrsquoenseignement oral de Platonagrave nous transmis par le compte-rendu aristoteacutelicien qui laisse Platonassocier eacutetroitement le Bien et lrsquoUn Disons simplement que srsquoil a euconnaissance de la position de Speusippe Numeacutenius peut avoir voulului reacutepondre Nrsquooublions pas qursquoagrave lui comme agrave ses pairs dans lrsquoAn-cienne Acadeacutemie il reproche de ne pas avoir pas laquo tout souffert raquo pour

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 143

127 ὅπερ δὴ ουδὲ ὄν πω δεῖ καλεῖν DCMS IV p 157-8 FestaKlein128 La reconstruction de lrsquoenseignement exact de Speusippe sur le premier

principe est neacutecessairement fragile drsquoune part elle est fondeacutee sur lrsquointerpreacuteta-tion du texte drsquoAristote qui est empreint de critique drsquoautre part elle esteacutetayeacutee par deux autres textes dont le lien agrave Speusippe est controverseacute et dontles auteurs agrave la fois sont familiers du neacuteo-pythagorisme et ont lu Plotin chezqui lrsquoUn est effectivement au-dessus de lrsquoecirctre (il srsquoagit de Jamblique et de Pro-clus dans la traduction de Guillaume de Moerbeke In Parm VII 401-9 Kli-bansky-Labowsky = 50162-71 Steel = fr 48 Taraacuten = 30 IP2) Nous ne propo-sons ici qursquoune hypothegravese de reacuteflexion Pour un exposeacute plus deacutetailleacute sur la rela-tion eacuteventuelle de Numeacutenius agrave Speusippe dans lrsquoeacutelaboration drsquoune leacutegitimiteacuteplatonicienne voir la premiegravere annexe de notre eacutedition commenteacutee des frag-ments de Numeacutenius en preacuteparation

129 Crsquoest la lecture de A Graeser (laquo Platon gegen Speusipp Bemerkun-gen zur ersten Hypothese des Platonischen Parmenides raquo Museum Helveti-cum 54 1997 p 45-47 et laquo Anhang Probleme der Speusipp-Interpreta-tion raquo dans Prolegomena zu einer Interpretation des zweiten Teils des Plato-nischen Parmenides Bern Paul Haupt 1999 p 41-53) et J Halfwassen(Der Aufstieg zum Einen op cit et laquo Speusipp und die metaphysische Deu-tung von Platons Parmenides raquo art cit) adopteacutee par ex par R Dancy(laquo Speusippus raquo dans EN Zalta (eacuted) The Stanford Encyclopedia of Philo-sophy Winter 2012 Edition 20112 [2003] en ligne) et rejeteacutee par C Steel(laquo A Neoplatonic Speusippus raquo art cit p 470 473-475) et LP Gerson(laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit p 2-11de la version eacutelectronique)

rester dans une communauteacute de penseacutee avec leur maicirctre130 Commenous lrsquoavons suggeacutereacute dans les preacuteliminaires il ne serait alors pasimpossible qursquoavec cette eacuteventuelle lecture du Parmeacutenide Numeacuteniuseucirct souhaiteacute reacutepliquer agrave lrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne signaleacutee delrsquoenseignement oral de Platon trouvant quant agrave lui dans le Platon eacutecritla juste interpreacutetation du Platon oral mal laquo entendu raquo Pareille supposi-tion doit toutefois ecirctre prise avec prudence

Par-delagrave la mise en eacutevidence drsquoune poleacutemique agrave plusieurs niveauxlrsquohypothegravese proposeacutee sur lrsquoattitude de Numeacutenius concernant ladeuxiegraveme partie du Parmeacutenide permet de mieux deacuteterminer a contra-rio ce qui caracteacuterise une interpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo 131 du dia-logue De maniegravere geacuteneacuterale drsquoabord la position de Numeacutenius montrepar contraste que lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne trouve son originedans une vue contraire agrave la sienne sur le statut de la forme du Bien et sasituation agrave lrsquoeacutegard de lrsquoοὐσία en Reacutepublique VI ainsi peut-ecirctre que

144 Fabienne JOURDAN

130 Fr 2416-18 1 F = Eusegravebe PE XIV 5 2131 Nous en restons aux caractegraveres geacuteneacuteraux il nrsquoy a en effet pas une seule

et unique interpreacutetation post-plotinienne du Parmeacutenide On remarquera enoutre que Jamblique (drsquoapregraves Proclus In Tim III 1049-16 Diehl) semble eacutevo-quer chez Ameacutelius et Numeacutenius (si lrsquoon suit le raisonnement de Proclus) desdistinctions relatives aux diviniteacutes dans le Sophiste le Philegravebe et le Parmeacutenidequi ne correspondent pas agrave celles retenues dans le neacuteoplatonisme Si ce proposne se rapporte pas seulement agrave Ameacutelius mais vraiment aussi agrave Numeacutenius ilfaudrait en tirer lagrave encore la conclusion que son interpreacutetation ne correspondpas agrave celle du neacuteoplatonisme qui identifie son premier principe agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et donc pas non plus agrave celle des neacuteopytha-goriciens que lrsquoon reconstruit agrave partir des teacutemoignages neacuteoplatoniciens Celadit mecircme srsquoil est tentant de penser que le οὗτοι (10411) de Proclus renvoieaux deux exeacutegegravetes qursquoil vient de citer il se peut malgreacute tout que ne soit deacutesigneacutelagrave que le seul Ameacutelius disciple de Plotin et donc assureacutement familier de lrsquoexeacute-gegravese du Parmeacutenide Il nrsquoy a en revanche aucune difficulteacute agrave precircter agrave Numeacuteniusdes exeacutegegraveses partielles du Sophiste et du Philegravebe (voir nos interpreacutetations desfragments 15 23 F) et 19 27 F) Il nrsquoy en a drsquoailleurs pas davantage agrave imagi-ner chez lui une utilisation partielle du Parmeacutenide ou des allusions agrave ce dia-logue voire une prise agrave la lettre du propos de Parmeacutenide sur lrsquoUn de la pre-miegravere hypothegravese conduisant agrave renoncer agrave celui-ci comme premier principe

dans une appropriation du compte-rendu de lrsquoenseignement oral dePlaton par Aristote En affirmant lrsquoidentiteacute ontologique du Bien et delrsquoEcirctre Numeacutenius srsquointerdit lrsquoidentification de son premier principe agravelrsquoUn distinct de lrsquoecirctre de la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide En refu-sant au contraire pareille identiteacute en srsquoappuyant peut-ecirctre sur lrsquoidenti-fication du Bien et de lrsquoUn precircteacutee agrave Platon et aux platoniciens par Aris-tote et en appliquant ces deux eacuteleacutements agrave une lecture du Parmeacutenide132Plotin ouvre la voie de lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologiqueulteacuterieure du dialogue Malgreacute son caractegravere hypotheacutetique la supposi-tion selon laquelle Numeacutenius prendrait effectivement acte des conseacute-quences aporeacutetiques de la premiegravere hypothegravese en nrsquoidentifiant pas sonpremier principe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit permet ici encore a contrariode deacuteterminer deux autres eacuteleacutements indissociables caracteacuteristiques delrsquointerpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo du Parmeacutenide lrsquoidentification dupremier principe agrave lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese et par suite une lec-ture laquo positive raquo de celle-ci qui en reacutealiteacute contredit les conclusionsneacutegatives de Platon agrave son sujet Une theacuteologie neacutegative en est alorscertes tireacutee (que lrsquoon songe au Commentaire anonyme au Parmeacutenideou agrave celui de Proclus133) Mais cette neacutegativiteacute est conccedilue commereacutesultant de lrsquoincapaciteacute fondamentale de lrsquohomme agrave concevoir le pre-mier principe autrement que par analogies et approximations neacutecessai-rement erroneacutees Elle ne concerne pas le principe en lui-mecircme ni laconviction qursquoil constitue le fondement ultime assurant la coheacutesion dela reacutealiteacute Numeacutenius aura quant agrave lui preacutefeacutereacute rester fidegravele agrave la lettre dutexte et donc aux doutes du maicirctre qui laisse parler Parmeacutenide Agrave ce

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 145

132 Les deux premiers eacuteleacutements agrave eux seuls conduisent seulement agrave laposition de Speusippe dont rien ne permet drsquoaffirmer le rattachement au Par-meacutenide Nous compleacutetons en cela les hypothegraveses de J Whittaker laquo ΕΠΕ-ΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit Voir aussi LP Gerson laquo The lsquoNeo-platonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit

133 In Parm VII 51872-84 Plutocirct que de radicaliser la neacutegation pour par-ler de lrsquoUn Proclus indique que la neacutegation porte en reacutealiteacute sur la conceptionde lrsquoUn et pas sur lrsquoUn lui-mecircme qui garde la fonction laquo positive raquo drsquoassurer lacoheacutesion du reacuteel

stade de nos connaissances et drsquoapregraves lrsquoœuvre parvenue precircter agraveNumeacutenius cette reacuteaction aux conclusions de la premiegravere hypothegravesenous paraicirct la seule maniegravere prudente drsquoenvisager de sa part une inter-preacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide Renoncer agrave lui en precircterune ne poserait toutefois aucune difficulteacute

5 Appendice Numeacutenius et Parmeacutenide134

Cette conclusion sobre sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenidesuggegravere drsquointerroger pour finir son attitude agrave lrsquoeacutegard du Parmeacutenide his-torique lui-mecircme auquel Plotin fait parfois appel Que Numeacutenius aitconnu et utiliseacute (directement ou non) le poegraveme Sur la nature est aveacutereacutepar le teacutemoignage de Porphyre selon lequel il aurait associeacute les porteseacutevoqueacutees lagrave135 agrave celles du Cancer et du Capricorne repreacutesentant selonlui les voies respectivement descendante et ascendante des acircmes136Or dans le Περὶ τἀγαθοῦ qui seul nous inteacuteresse ici deux eacuteleacutementsdoctrinaux pourraient relever drsquoune appropriation personnelle de Par-meacutenide ou plutocirct de la tradition agrave son sujet telle qursquoelle serait parvenueagrave Numeacutenius ndash Platon ayant assureacutement aiguiseacute chez ses successeurslrsquointeacuterecirct pour la penseacutee du personnage eacuteponyme de son dialogue Sansentrer dans une recherche des sources ni dans un exposeacute deacutetailleacute de lapenseacutee de Parmeacutenide et des interpreacutetations de son poegraveme nous nouscontenterons ici drsquoeacutevoquer ces deux points dans le simple but drsquoouvrirla recherche

Le premier concerne la relation de lrsquoecirctre au temps et au change-ment telle qursquoelle est deacutecrite dans le fragment 5 (14 F) deacutejagrave citeacute en par-tie Lrsquoaffirmation que lrsquoecirctre ne saurait ecirctre dans le passeacute ou lrsquoavenir

146 Fabienne JOURDAN

134 Je remercie Francesco Fronterotta drsquoavoir relu cette derniegravere section135 Parmeacutenide fr 1 11 D-K ougrave sont deacutecrites les laquo portes ouvrant sur les

chemins de la nuit et du jour raquo136 Voir Porphyre De antro 21-24 ici surtout 24 Numeacutenius fr 31 27-28

Sur ce texte voir le commentaire de W Huumlbner dans lrsquointroduction de lrsquoeacuteditioncommenteacutee du De Antro parue sous la direction de T Dorandi Paris Vrin2019

mais que seul le preacutesent lui convient et qursquoil ne pourrait pas davantagechanger renvoie assureacutement au propos du Timeacutee (37 d 2-38 b 2)137Que Platon deacuteveloppe ici une reacuteflexion originellement preacutesente chezParmeacutenide et plus preacuteciseacutement pour nous dans le fragment 8 de sonpoegraveme138 pourrait suffire agrave expliquer cet eacutecho parmeacutenidien chezNumeacutenius Mais il est frappant que dans ce fragment 5 (14 F) duΠερὶ τἀγαθοῦ relayeacute par les suivants Numeacutenius reprenne une seacuteriedrsquoeacuteleacutements qui deacutecrivent lrsquoecirctre dans le passage concerneacute du poegraveme outre ceux deacutejagrave nommeacutes on retrouve chez lui lrsquoimpossibiliteacute qursquoalrsquoecirctre de devenir plus grand ou plus petit139 et la neacutecessiteacute qui estsienne de demeurer en lui-mecircme au mecircme endroit140 Ainsi lorsqueNumeacutenius estime que si ces laquo prescriptions raquo indispensables agrave ladeacutetermination de lrsquoecirctre veacuteritable nrsquoeacutetaient pas respecteacutees il se produi-rait une laquo impossibiliteacute majeure dans son discours unique en songenre agrave savoir que lrsquoecirctre agrave la fois serait et ne serait pas raquo141 et faitensuite paraphraser lrsquoideacutee par le disciple du dialogue avec la formule

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 147

137 Voir aussi Plutarque De E 20 393 a-c dont la position est compareacuteeavec celle de Numeacutenius dans notre analyse du fragment

138 Voir les vers suivants du fragment 8 D-K agrave lrsquoorigine de toute lareacuteflexion sur lrsquoeacuteterniteacute (cf M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art citp 157) οὐδέ ποτ᾽ ἦν ἔσται ἐπεὶ νῦν ἐστιν ὁμοῦ πᾶν ἕν συνεχές τίναγὰρ γένναν διζήσεαι αὐτοῦ laquo Il nrsquoa jamais eacuteteacute et ne sera jamais puisqursquoilest maintenant tout ensemble un continu Car quelle naissance pourrais-tului chercher raquo v 5-7 (trad Kirk Raven Schofield en fr par H-A de Weck)et πῶς δ᾽ἄν ἔπειτα πέλοι τὸ ἐόν πῶς δ᾽ἄν κε γένοιτο εἰ γὰρ ἔγεντ᾽ οὐκἔστ᾽ οὐδ᾽ εἴ ποτε μέλλει ἔσεσθαι τῶς γένεσις μὲν ἀπέσβεσται καὶἄπυστος ὄλεθρος laquo Comment pourrait-il ecirctre par la suite Celui qui est Comment pourrait-il naicirctre Car srsquoil est neacute il nrsquoest pas de mecircme lt il nrsquoest pasnon plus gt srsquoil doit ecirctre un jour Ainsi est eacuteteinte la naissance eacuteteinte aussi ladestruction disparue sans qursquoon en parle raquo v 19-21 (trad D OrsquoBrien leacutegegravere-ment modifieacutee) Voir aussi les vers 26-28 du mecircme fragment 8 D-K sur lrsquoab-sence de mouvement ainsi que de deacutebut et de fin

139 Parmeacutenide fr 844-45 D-K140 Parmeacutenide fr 829-30 D-K cf Numeacutenius fr 11 (19 F)141 ὡς τούτου γε οὕτως λεγομένου ἓν γίνεταί τι ἐν τῷ λόγῳ μέγα

ἀδύνατον εἶναί τε ὁμοῦ ταὐτὸν καὶ μὴ εἶναι

relativement complexe εἰ δὲ οὕτως ἔχει σχολῇ γrsquo ἂν ἄλλο τι εἶναιδύναιτο τοῦ ὄντος αὐτοῦ μὴ ὄντος κατὰ αὐτὸ τὸ ὄν il nrsquoest pasexclu qursquoil ait ici le poegraveme parmeacutenidien agrave lrsquoesprit auquel il seraitrevenu directement ou non sous lrsquoimpulsion de Platon La phraseindique en effet (nous paraphrasons) que si pareille impossibiliteacute seproduisait il serait mecircme impossible agrave autre chose (que lrsquoecirctre) drsquoecirctrepuisque lrsquoecirctre lui-mecircme ne serait pas selon ce qursquoil devrait ecirctre (κατὰαὐτὸ τὸ ὄν) autrement dit selon sa propre essence et deacutefinitionNumeacutenius suggegravere sans doute par lagrave que si lrsquoecirctre eacutetait soumis au pas-sage du temps et au changement il serait tout simplement non-ecirctrepuisqursquoil ne correspondrait pas agrave sa propre deacutefinition ce qui explique-rait son impossibiliteacute de constituer le fondement de la reacutealiteacute Une foisreplaceacute dans le contexte de penseacutee de Numeacutenius ougrave ce qui est non-ecirctreest la matiegravere et la partie du sensible qui relegraveve drsquoelle lrsquoideacutee semblefort proche de la maniegravere dont Parmeacutenide dresse lrsquoantithegravese entre ecirctreet non-ecirctre dans ce mecircme fragment 8 de son poegraveme142 Cette impres-sion peut ecirctre eacutetayeacutee par celle drsquoune prise de distance agrave lrsquoeacutegard de cepassage du poegraveme lorsque Numeacutenius affirme que lrsquoecirctre nrsquoest pasmecircme mucirc autour de son centre143 si cette preacutecision fait sans doutedrsquoabord allusion agrave lrsquoacircme du monde qui se meut autour de celui-ci dansle Timeacutee et par suite au refus drsquoidentifier lrsquoecirctre veacuteritable agrave une acircme144elle porte peut-ecirctre eacutegalement la trace drsquoune reacuteaction agrave lrsquoidentificationparmeacutenidienne de lrsquoecirctre agrave une sphegravere145 Lrsquohypothegravese est cependantplus fragile et Numeacutenius heacuterite sans doute avant tout de Platon enverslequel il se situe Crsquoest agrave partir du Timeacutee qursquoil eacutelabore sa penseacutee Maisil ne semble pas exclu qursquoil soit parfois retourneacute (directement ou non)agrave lrsquooriginal auquel reacutefegravere implicitement Platon ce qui est drsquoautant plus

148 Fabienne JOURDAN

142 Sur le non-ecirctre chez Parmeacutenide voir par ex D OrsquoBrien Le Non-Ecirctredans la philosophie grecque Parmeacutenide Platon Plotin raquo dans P Aubenque(eacuted) Eacutetudes sur le Sophiste de Platon Napoli Bibliopolis 1991 p 4-9

143 οὔτε περὶ τὸ μέσον ποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται144 Il srsquoagit lagrave selon nous drsquoun argument essentiel agrave la non-identification

numeacutenienne du deacutemiurge agrave lrsquoacircme du monde145 Fr 8 42-44 D-K

vraisemblable que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacute comme un pythago-ricien146

Le second eacuteleacutement du Περὶ τἀγαθοῦ qui pourrait suggeacuterer lrsquoap-propriation drsquoun passage de Parmeacutenide147 est lrsquoidentification de lrsquoecirctreet de lrsquointellect agrave chacun des deux niveaux ougrave Numeacutenius les situe Ecirctre lui-mecircme (αὐτοόν) et ecirctre deacuteriveacute (ὄν) premier et second intel-lects correspondant au premier et au deuxiegraveme dieu Sans entrer dansle deacutetail de lrsquointerpreacutetation disons simplement que selon nous en fai-sant de lrsquolaquo acte raquo de penser148 lrsquoapanage du premier dieu et en identi-fiant ce mecircme dieu agrave lrsquoEcirctre149 Numeacutenius suggegravere une union intime etprofonde entre ecirctre et penser qursquoil aurait pu consideacuterer comme remon-tant agrave Parmeacutenide lui-mecircme ou qursquoil aurait pu eacutetayer par une appropria-tion du fragment 3 de son poegraveme tel qursquoil est transmis par CleacutementdrsquoAlexandrie et Plotin150 [] τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶεἶναι [] Certes dans ce fragment de vers lrsquoidentification entre ecirctreet penser est suggeacutereacutee par lrsquoextraction du texte hors de son contexte envue justement drsquoy trouver pareille identification Elle ne correspond

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 149

146 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres IX 21(A 1 D-K) Proclus In Parm I 6194 Cousin cf Jamblique VP 166 (A 4D-K)

147 Pour reprendre les termes du fragment 1 (10 F) on pourrait aussi parlerde lrsquolaquo invocation raquo de Parmeacutenide comme source pythagorisante en accord avecPlaton et confirmant la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ elle-mecircme eacutetayeacutee par leslaquo teacutemoignages raquo de celui-ci Numeacutenius semble en effet pouvoir citer Parmeacute-nide pour confirmer son propos agrave la fois parce qursquoil ne pouvait que paraicirctre enaccord avec Platon (cf fr 1 10 F) et parce que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacutecomme pythagoricien

148 Degraves le fragment 15 (23 F) de maniegravere implicite dans le fragment 16 (24F) et explicite au fragment 19 (27 F)

149 Fr 17 (25 F)150 Cleacutement Strom VI 2 233 Plotin Enn VI 1 [10] 817 V 9 [5] 29-

30 cf I 4 [46] 106 III 8 [30] 88 VI 7 [38] 4118 (voir D OrsquoBrien Eacutetudessur Parmeacutenide T I Le Poegraveme de Parmeacutenide Paris Vrin 1987 p 19) ndash Onpourrait drsquoailleurs aussi penser aux vers 34-36 du fragment 8 eacutevoqueacute dans leparagraphe preacuteceacutedent

sans doute pas au sens originel du passage151 De plus chez Numeacuteniusle type de penseacutee speacutecifique agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme nrsquoest pas le νοεῖν maisle φρονεῖν Mais drsquoune part νοεῖν nrsquoayant pas chez Parmeacutenide lesens preacutecis que lui donne ensuite la tradition platonicienne une margerelative drsquointerpreacutetation et de preacutecision eacutetait laisseacutee agrave lrsquointerpregraveteappartenant agrave cette tradition152 drsquoautre part on peut tregraves bien imaginerNumeacutenius extraire ce passage dont la juxtaposition des termes luiaurait paru opportune pour eacutetayer son propos et preacuteciser le sens de laformule ainsi obtenue en distinguant deux niveaux de lrsquoecirctre auxquelscorrespondent deux types distincts de penseacutee (le νοεῖν entendu ausens platonicien drsquointellection revenant au seul second dieu)153Lorsque Cleacutement et apregraves lui Plotin reprennent cette formule il neserait pas impossible qursquoils lrsquoempruntent ainsi extraite agrave Numeacutenius

150 Fabienne JOURDAN

151 Denis OrsquoBrien (ibid p 19 209-212) a montreacute qursquoen reacutealiteacute dans lepoegraveme les deux infinitifs ne doivent vraisemblablement pas ecirctre pris commesujet drsquoun ἐστίν agrave valeur copulative mais peut-ecirctre comme compleacutement dupronom (τὸ αὐτό) ou de lrsquouniteacute syntaxique constitueacutee par le pronom et leverbe (au sens de laquo crsquoest une seule et mecircme chose pour penser et pour ecirctre raquodrsquoougrave la traduction par laquo crsquoest une seule et mecircme chose que lrsquoon pense et quiest raquo) F Fronterotta reprend son analyse et conclut que pour Parmeacutenideνοεῖν deacutesigne une forme de perception immeacutediate non sans lien avec lrsquoactiviteacutesensorielle mais allant au-delagrave des sens et de leur uniteacute creacuteative (laquo Someremarks on noein in Parmenides raquo dans S Stern-Gillet K Korrigan (eacuted)Reading ancient texts Vol I Presocratics and Plato Leiden Brill 2007p 3-19) Il ne srsquoagit donc pas (encore) de la perception intuitive que deacutesignerace verbe ulteacuterieurement

152 Voir la note preacuteceacutedente153 Nous pourrions preacuteciser ainsi lrsquointention de Numeacutenius srsquoil songe effec-

tivement agrave cette formule Selon nous il partage la conviction platonicienne quiveut que pour ecirctre pensable il faut ecirctre reacuteellement (et donc ecirctre intelligible crsquoest la leccedilon du Timeacutee) Srsquoil confrontait cette conviction au vers de Parmeacute-nide il lui donnerait donc drsquoabord lrsquointerpreacutetation laquo objective raquo deacuteceleacutee parFr Fronterotta (laquo Some remarks on noein in Parmenides raquo art cit) Toutefoisdans sa deacutefinition de lrsquoecirctre bientocirct identifieacute au Bien il retourne de toute eacutevi-dence cette conception et considegravere que nrsquoest veacuteritablement que ce qui est pen-sable (et donc lagrave encore intelligible par ex fr 4 a 13 F sur la matiegravere qui

Plotin lrsquoutilise certes pour caracteacuteriser le seul et unique Intellect chezlui situeacute au seul second niveau de la reacutealiteacute Mais cela correspondrait agravesa tendance geacuteneacuterale agrave faire passer au second niveau ce qui correspondau premier chez Numeacutenius154

De Numeacutenius il heacuterite donc peut ecirctre drsquoune lecture de Parmeacutenideplutocirct que du Parmeacutenide

Fabienne JOURDANCNRS UMR 8167 laquo Orient et Meacutediterraneacutee raquo Paris-Sorbonne

jourdanfabiennewanadoofr

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 151

nrsquoest pas ecirctre et ougrave une preuve de cet eacutetat est son caractegravere inconnaissable)Appliqueacutee agrave la formule de Parmeacutenide cette conviction en produirait ce queFr Fronterotta appelle une lecture laquo subjective raquo En outre dans le deacutesir sansdoute drsquoexpliquer la participation de maniegravere concregravete il ne donne pas seule-ment lrsquointelligibiliteacute comme condition de lrsquoecirctre (au sens passif du terme) maisil considegravere le fait de penser comme condition du fait drsquoecirctre reacuteellement (ausens laquo actif raquo du terme) Crsquoest pourquoi srsquoil avait connu et utiliseacute la formule deParmeacutenide ne serait-ce que pour eacutetayer son propos il y aurait sans douteentendu lrsquoaffirmation de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre et de la penseacutee mieux du penserCela pourrait certes paraicirctre lui attribuer une forme drsquoideacutealisme heacutegeacutelien(selon les termes de Fr Fronterrota laquo Some remarks on noein in Parmenides raquoart cit p 6) Mais telle est aussi la lecture de Cleacutement drsquoAlexandrie (StromVI 2 233) Or mecircme srsquoil ne le cite explicitement qursquoune fois (Strom I 22150 1-4 = 29 Fd) Cleacutement connaicirct Numeacutenius et se sert parfois de ses eacutecritssans le nommer (voir par ex Strom I 8 405 Strom I 13 571) Il nrsquoest doncpas impossible que pareille interpreacutetation circulacirct deacutejagrave au temps de Numeacuteniusvoire chez lui et mecircme gracircce agrave lui Le raisonnement du Περὶ τἀγαθοῦ dumoins passe par lrsquoidentification de lrsquoecirctre agrave lrsquo laquo activiteacute raquo de penser ensuiteconccedilue aux niveaux infeacuterieurs comme condition mecircme de leur participation agravelrsquoecirctre (voir le fr 19 27 F)

154 Nous simplifions et deacutecrivons simplement une tendance le processuspreacutecis requerrait une explication deacutetailleacutee qui nrsquoa pas sa place ici

152 Fabienne JOURDAN

Page 14: NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE · 2020. 4. 16. · NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE?* PREMIÈREPARTIE: L’ŒUVREPARVENUEDENUMÉNIUSETLEPARMÉNIDE DEPLATON RÉSUMÉ Si

du platonisme en donnant Numeacutenius comme preacutecurseur de Plotin danslrsquointerpreacutetation meacutetaphysique du Parmeacutenide Si tel nrsquoest pas le cas elleconfirmera a contrario les critegraveres drsquoune interpreacutetation reacuteellement neacuteo-platonicienne de la seconde partie du dialogue Disons en outre drsquoem-bleacutee qursquoeacutetant donneacute que nous ne pouvons raisonner qursquoagrave partir de cequi nous est parvenu aucune conclusion assertive nrsquoest en soi possiblesur lrsquoexistence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par NumeacuteniusCette eacutetude aura toutefois trois reacutesultats positifs envisager un rapportvolontairement distant de Numeacutenius au Parmeacutenide fondeacute sur le textede Platon lui-mecircme et dont aura tenu compte le neacuteoplatonisme deacutecou-vrir des parallegraveles entre le Commentaire anonyme et le Περὶ τἀγαθοῦplus nombreux qursquoil nrsquoest souvent signaleacute ndash ce qui offrira peut-ecirctre unindice permettant une position plus assureacutee dans le deacutebat sur lrsquoanteacuterio-riteacute de Numeacutenius ou des Oracles chaldaiumlques et enfin approfondirlrsquohypothegravese relative agrave lrsquoutilisation de Numeacutenius par les gnostiques etpar les neacuteoplatoniciens appropriation que lrsquoon peut suivre jusque dansles traductions et transpositions arabes de leurs œuvres

Preacuteliminaire Esquisse de la doctrine des principeschez Numeacutenius

Avant pareil exposeacute une bregraveve esquisse de la penseacutee meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius est neacutecessaire Nous nous en tiendronsaux grandes lignes transmises dans les fragments veacuteritables ceux citeacutespar Eusegravebe de Ceacutesareacutee et nous exposerons de maniegravere succincte lesreacutesultats de nos propres analyses sans livrer le deacutetail des deacutebats surlesquels elles ont eacuteteacute eacutelaboreacutees39 Les textes nous inteacuteressant se trou-vent dans le Περὶ τἀγαθοῦ dialogue ougrave Numeacutenius entreprend larecherche drsquoune deacutefinition du Bien qursquoil identifie au premier prin-cipe40 Il identifie ce premier principe drsquoune part agrave un premier dieu et

114 Fabienne JOURDAN

39 Voir la bibliographie et les commentaires de notre eacutedition en preacutepara-tion

40 Le titre qui est laquo originellement raquo celui de la leccedilon orale de Platon

intellect et drsquoautre part au Bien et Ecirctre lui-mecircme ou par excellence(selon les formules αὐτοάγαθον et αὐτοόν)41 que dans une perspec-tive exeacutegeacutetique il considegravere comme repreacutesenteacute par la forme du Bieneacutevoqueacutee dans la Reacutepublique42 De ce premier principe Numeacutenius dis-tingue un second dieu ou principe identifieacute cette fois au deacutemiurge duTimeacutee43 Ce dieu assure le rocircle deacutemiurgique dont le premier est ainsidispenseacute et il est conccedilu comme lrsquoimage de celui-ci il est le Bon parti-cipant au Bien le second intellect qui produit sa propre forme encontemplant le premier faccedilonnant ou deacuteterminant pour cela lrsquoecirctre oulrsquoessence (οὐσία) que le premier lui procure par le simple fait drsquoecirctre(soi et le Bien)44 Telle est du moins la maniegravere dont nous lisonsconjointement les fragments 11 et 16 (19 et 25 F)45 Autrement dit tan-dis que le premier dieu est le principe de lrsquoecirctre le second est le prin-cipe du devenir46 Numeacutenius donne plus preacuteciseacutement deux laquo aspects raquo

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 115

indique agrave lui seul que le texte srsquoadonne agrave une recherche et deacutefinition des prin-cipes Aristote et Xeacutenocrate le donnent ensuite chacun agrave lrsquoune de leurs œuvresSur lrsquoimportance de ce titre voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius Sur leBien de Platon Lrsquoenseignement oral du maicirctre comme occasion de rechercherson pythagorisme dans ses eacutecrits raquo Χώρα 15-16 2017-2018 p 139-165

41 Voir par ex fr 16 et 17 (24 et 25 F) ndash Tout au long de cette eacutetude lesfragments sont citeacutes selon la numeacuterotation de lrsquoeacutedition drsquoEacutedouard des Places(Numeacutenius Fragments Paris Les Belles Lettres 1973) nous indiquons entreparenthegraveses les numeacuteros qui correspondent dans notre eacutedition en preacuteparation

42 Voir surtout les fr 19 et 20 (27 et 28 F)43 Voir notamment les fr 11 12 et 18 (19 20 et 26 F) En reacutealiteacute le

deacutemiurge du Timeacutee partage ses attributs entre le premier dieu numeacutenien(auquel il laisse sa fonction de source divine des acircmes cf fr 13 21 F) et lesecond qui est aussi troisiegraveme et reacutealise les opeacuterations proprements deacutemiur-giques assumant par lagrave en partie le rocircle des dieux secondaires du Timeacutee

44 Fr 16 (24 F)45 Voir aussi lrsquoanalyse du fr 16 (24 F) par G Muumlller laquo Ἰδέα y οὐσία en

Numenio de Apamea Una reinterpretacioacuten de la ontologiacutea platoacutenica raquo Cua-dernos de Filosofiacutea 59 2012 p 121-140 Nous prenons position agrave son sujetdans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude Revue de philosophie ancienne 37-2

46 Ibid

agrave ce second dieu selon lrsquoorientation de son attention deux laquo aspects raquoqui conduisent agrave parler agrave son sujet de deux laquo dieux raquo qui toutefois nrsquoenconstituent reacutealiteacute qursquoun seul lorsqursquoil est tourneacute vers soi crsquoest-agrave-direvers lrsquointelligible qursquoil est lui-mecircme par contemplation du Bien lesecond dieu est entiegraverement agrave soi et donc reacuteellement soi second dieu lorsqursquoil est tourneacute vers la matiegravere qursquoil met en ordre il est deacutemiurgeau sens litteacuteral du terme et devient laquo troisiegraveme dieu raquo47 Cette divisionnrsquoimplique pas une reacuteelle scission et ne srsquoavegravere autre qursquoune diffeacuterencedrsquoorientation agrave lrsquoorigine drsquoune uniteacute diviseacutee image imparfaite delrsquouniteacute indivisible et parfaite qursquoest le premier dieu

Cette bregraveve preacutesentation doit suffire agrave comprendre le cadre de lapenseacutee numeacutenienne48 Signalons simplement encore trois points essen-tiels pour la confrontation avec le Parmeacutenide et ses interpreacutetations

1) Lrsquoeacuteleacutement fondamental du Περὶ τἀγαθοῦ est lrsquoidentificationdu Bien lui-mecircme (ἀυτοάγαθον) premier principe agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme (αὐτοόν)49 Elle srsquoaccompagne de lrsquoaffirmation qursquoil existeune laquo con-naturaliteacute raquo du Bien agrave lrsquoeacutegard de lrsquoessence50 (σύμφυτον τῇ

116 Fabienne JOURDAN

47 Fr 11 (19 F)48 La preacutesentation ici donneacutee deacutepend de propre analyse des textes Pour

drsquoautres interpreacutetations voir aussi par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit J Opsomer laquo Demiurges in Early Imperial Platonism raquo dans R Hirsch-Luipold(eacuted) Gott und die Goumltter bei Plutarch BerlinNew York de Gruyter 2005p 63-72 M Baltes dans H Doumlrrie M Baltes Ch Pietsch Die PhilosophischeLehre des Platonismus Band 71 Theologia Platonica Stuttgart Bad Canns-tatt Frommann-Holzboog 2008 p 472-482 Les vues de CS OrsquoBrien TheDemiurge in Ancient thought Secondary Gods and Divine mediators Cam-bridge Cambridge University Press 2015 p 139-168 sont agrave consideacuterer avecla plus grande preacutecaution

49 Fr 17 (25 F) cf fr 2 (11 F)50 Nous traduirons ici οὐσία par laquo essence raquo consciente des faiblesses de

cette traduction qui dans le contexte platonicien examineacute nrsquoimplique naturel-lement pas de distinction par rapport agrave la notion drsquoexistence Dans ce contextelaquo essence raquo est agrave prendre au sens de reacutealiteacute intelligible (sur cette deacutefinition voirpar ex R Chiaradonna laquo Substance raquo dans P Remes S Slaveva-Griffin(eacuted) The Routledge Handbook of Neoplatonismi LondonNew York Rout-

οὐσίᾳ51) le Bien partage la mecircme nature que cette οὐσία (forme sub-stantive de lrsquoecirctre) qui provient ainsi de lui Numeacutenius exprime deacutejagrave cetteideacutee au fragment 2 (10 F) par lrsquoimage du Bien laquo monteacute sur lrsquoessence raquo(comme on dirait laquo sur un cheval raquo52) Par lrsquoutilisation de la preacutepositionet du preacuteverbe ἐπί- de preacutefeacuterence agrave ὑπό- (preacutesent dans la formule de Pla-ton) la formule ἐποχούμενον ἐπὶ τῇ οὐσίᾳ indique une laquo transcen-dance raquo53 avec contact qui donne sans deacutetour lrsquointerpreacutetation que Numeacute-nius fait de la formule eacutenigmatique de Reacutepublique VI 509 b 8-10 srsquoilest une laquo transcendance raquo du premier principe elle est drsquoordre cosmolo-gique et non laquo ontologique raquo au sens ougrave ce principe constitue la formeeacuteminente de lrsquoecirctre mais ne srsquoen distingue pas par son essence

2) Ce premier principe est certes immobile en tant qursquoecirctre54exempt de toute activiteacute sous-entendu deacutemiurgique55 mais Numeacuteniuseacutevoque un laquo mouvement qui accompagne naturellement son repos raquo(τῷ πρώτῳ στάσιν [] κίνησιν σύμφυτον56) Ce mouvementindique vraisemblablement que le premier principe pense57 et la for-mule preacutepare son identification agrave un intellect Concernant ce premierdieu toutefois le type de penseacutee qui le caracteacuterise est visiblementconccedilu comme nrsquoimpliquant pas drsquoactiviteacute proprement dite au sens du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 117

ledge 2014 p 216) La deacutetermination nrsquointervient ici qursquoavec le second dieu οὐσία est le terme qui sert agrave exprimer litteacuteralement lrsquoecirctre (ὄν) de maniegravere sub-stantive un ecirctre que le premier dieu Ecirctre par excellence fait advenir sans acteproducteur simplement en eacutetant ce qursquoil est et donc sans que cette οὐσία quivient de lui soit ontologiquement distincte de lui

51 Fr 16 (24 F)52 Lrsquoimage apparaicirct litteacuteralement dans les Oracles chaldaiumlques fr 1466

des Places53 On pourrait alors aiseacutement renoncer au mot laquo transcendance raquo et preacutefeacute-

rer la notion de primauteacute hieacuterarchique par exemple54 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)55 Fr 11-12 (19-20 F)56 Fr 15 (23 F)57 Le passage est agrave interpreacuteter en lien avec le Sophiste 248 e-249 a (voir

notre commentaire au passage dans lrsquoeacutedition en preacuteparation)

moins ougrave cette penseacutee est sans objet et nrsquoest pas mecircme penseacutee de soi aufragment 19 (27 F) Numeacutenius parle drsquoun φρονεῖν qui est lrsquoapanage dupremier dieu sous-entendu agrave la diffeacuterence notamment du νοεῖν saisieintuitive de lrsquointelligible caracteacuteristique du second dieu58 et plus encoredu διανοεῖσθαι activiteacute de penseacutee discursive agrave lrsquoorigine de la deacutemiur-gie Ce φρονεῖν peut selon nous ecirctre compris comme une penseacuteelaquo intransitive raquo (crsquoest-agrave-dire sans objet) pure dispensation du Bien parlrsquoecirctre du Bien59 En cela elle nrsquoimplique reacuteellement aucune activiteacute

Crsquoest alors en ce sens assureacutement que le premier dieu est ditlaquo entourer les intelligibles raquo ou plus exactement et litteacuteralement ecirctrelaquo autour des intelligibles raquo au fragment 15 (23 F περὶ τὰ νοητά) lrsquoexpression nrsquoimplique ni qursquoil les contienne ni qursquoil les produisecomme son objet de penseacutee ni mecircme qursquoil les pense60 Si elle visepeut-ecirctre agrave rendre compte drsquoune identification ultime du premier prin-

118 Fabienne JOURDAN

58 Agrave la limite le premier dieu ne peut lrsquoexercer que par lrsquointermeacutediaire dusecond voir le teacutemoignage de Proclus In Tim III 10328-32 Diehl = fr 22(contre cette interpreacutetation traditionnelle voir G Muumlller laquo Queacute es ldquolo que esvivienterdquo (ὁ εστι ζῶον) seguacuten Numenio de Apamea raquo Cuadernos Filosofiacutea64 2015 p 11-12 dont lrsquohypothegravese bien que seacuteduisante ne tient pas agrave lrsquoexa-men de la syntaxe du passage lrsquoinfinitif νοεῖν ne peut avoir que τὸν πρῶτονcomme laquo sujet raquo et non un δεύτερoν implicitement tireacute du geacutenitif δευτέρου)

59 Nous reacutesumons Voir aussi lrsquoeacutetude de la φρόνησις chez Platon parM Dixsaut laquo De quoi les philosophes sont-ils amoureux Sur la phronegravesisdans les dialogues de Platon raquo repris dans M Dixsaut Platon et la question dela penseacutee Eacutetudes platoniciennes I Paris Vrin 2000 p 93-119 ndash Le lien eacutety-mologique originel entre φρονεῖν et φρήν (le diaphragme) suggegravere une autreimage ce φρονεῖν est comme une laquo respiration drsquoecirctre raquo qui est le Bien et drsquoougraveeacutemane le bien

60 Cette interpreacutetation qui tient entre autres compte de la simpliciteacute abso-lue du premier dieu (fr 11 = 19 F) nrsquoest pas contradictoire avec celle de Timeacutee39 e 7-9 par laquelle Numeacutenius aurait associeacute son premier dieu au Vivant (InTim III 103 28-32 Diehl = fr 22) Certes dans le Timeacutee le Vivant a en lui lesformes (ἐνούσας ἰδέας τῷ ὃ ἔστι ζῷον 39 e 8) Mais sans pouvoir deacutevelop-per ici notre analyse disons simplement que Numeacutenius a pu lire le texte autre-ment et inspirer la distinction drsquoAmeacutelius entre un laquo intellect qui est (leVivant) raquo et un laquo intellect qui a (les formes en lui) raquo notamment en deacutecompo-

cipe au Vivant du Timeacutee61 dans le contexte du Περὶ τἀγαθοῦ ellerenvoie selon nous agrave un pur eacutetat de lrsquoecirctre agrave vertu bienfaitrice ou salvi-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 119

sant ἐνούσας de maniegravere cratylienne pour y lire ἐν-νους-ας qui eacutevoquerait lesformes laquo qui sont dans le νοῦς raquo le second dieu et intellect que Numeacutenius voitdeacutesigneacute dans le νοῦς du texte platonicien Le datif τῷ ὃ ἔστι ζῷον nrsquoauraitplus alors deacutesigneacute chez lui le lieu ougrave se trouvent les formes mais le destina-taire de la contemplation celui laquo pour qui ou agrave lrsquointention de qui en faveur dequi raquo le νοῦς qui a les formes en lui les contemplerait (autrement dit exerceraitle νοεῖν) Lrsquoaffirmation que crsquoest gracircce au second dieu et intellect (ἐνπροσχρήσει τοῦ δευτέρου) que le premier exercerait un νοεῖν pourrait ainsiconstituer lrsquoexplicitation de cette lecture eacutetonnante du texte platonicien Ainsile premier dieu nrsquoexercerait jamais le νοεῖν il nrsquointelligerait que gracircce ausecond qui le ferait pour lui Cette preacutecision pourrait servir agrave reacutepondre agravelrsquoeacuteventuelle objection drsquoun aristoteacutelisant qui deacutenoncerait une identification dupremier dieu agrave un νοῦς srsquoaccompagnant drsquoun refus de precircter agrave celui-ci lrsquoacti-viteacute du νοεῖν Numeacutenius reacutepondrait ainsi il ne lrsquoexerce pas lui-mecircme maispar lrsquointermeacutediaire du second qui le fait pour lui tandis qursquoil srsquoadonne au seulφρονεῖν Voir aussi notre interpreacutetation des fr 16 et 18 (24 et 26 F) ndash Pourune autre interpreacutetation de ce passage voir par ex M Frede laquo Numenius raquoart cit p 1062-1063 1065-1066 et 1069-1070 JP Kenney laquo ProschresisRevisited An Essay in Numenian Theology raquo dans JR Daly (eacuted) Orige-niana quinta Historica Text and method Biblica Philosophica Theologia Origenism and later developments Leuven Peeters p 217-230 RD PettyThe Fragments of Numenius Santa Barbara 1993 p 135-137 (republieacute agraveWestbury Prometheus Trust 2012) M Baltes dans H Doumlrrie M BaltesCh Pietsch Die Philosophische Lehre des Platonismus Band 71 op citp 477-478 A Michalewski laquo Le Premier de Numeacutenius et lrsquoUn de Plotin raquoArchives de philosophie 75 2012 p 35-37 et La Puissance de lrsquointelligibleLa Theacuteorie plotinienne des Formes au miroir de lrsquoheacuteritage meacutedioplatonicienLeuven Leuven University Press p 94-96

61 Voir Platon Timeacutee 30 c 7-8 (avec le participe περιλαβόν) et 31 a 3 (τograveπεριέχον πάντα ὁπόσα νοητὰ ζῷα) avec deux participes preacutefixeacutes en περί- agravepropos du Vivant qui a tous les intelligibles en lui et auquel Numeacutenius peutvouloir renvoyer avec sa formule περὶ τὰ νοητά La reacutefeacuterence implicite aupassage de la Lettre II 312 e 1-4 savamment reacuteeacutecrit indique toutefois queNumeacutenius donne un tout autre sens agrave ce περί Voir aussi le teacutemoignage de Pro-clus citeacute dans les notes preacuteceacutedentes

fique selon lrsquoideacutee de salut suggeacutereacutee agrave la fin de ce mecircme fragment Endrsquoautres termes le premier dieu serait περὶ τὰ νοητά au sens ougrave ilentoure les intelligibles de sa bienveillance leur transmettant agrave la foislrsquoecirctre et le Bien qursquoil est avant que le deacutemiurge ne les y fasse participeragrave son tour par sa bonteacute agrave lrsquoorigine de leur ecirctre deacutetermineacute62 et nrsquoy fasseparticiper aussi les sensibles en les eacutelevant agrave son propre caractegravere mar-queacute par cette mecircme bonteacute63 Le premier dieu le Bien est le modegravele dusecond le Bon et non pas des formes srsquoil doit ecirctre identifieacute au Vivantcrsquoest en tant que source ultime de la vie64 modegravele de ce second dieuqui transmet alors la vie au monde sensible (fr 1220F) et non en tantque paradigme totalisant et contenant les formes des quatre typesdrsquoecirctre vivants nommeacutes en Timeacutee 39 e 10-41 a 2

En cela le premier de Numeacutenius loin drsquoecirctre une entiteacute sans rapportau monde en est non seulement le principe mais il est pour lui lasource reacuteelle du Bien reacuteel ndash autrement dit il joue le rocircle de la Provi-dence qui est alors concregravetement exerceacutee par le second principe leBon Tout en eacutetant conccedilu comme premier intellect il nrsquoest donc pas lepremier moteur immobile aristoteacutelicien qui se pense lui-mecircme65 etauquel fut justement reprocheacute son deacutefaut de Providence66

120 Fabienne JOURDAN

62 Selon notre lecture de la formule ἰδέα ἑαυτοῦ du fragment 16 (24 F)comme renvoyant au monde intelligible comme ensemble de formes deacutetermi-neacutees

63 Voir le fr 11 (19 F) sur cette eacuteleacutevation du sensible vers le caractegravere dudeacutemiurge lequel est le laquo Bon raquo en reacutefeacuterence au Timeacutee Numeacutenius distingue leBien premier principe du Bon second principe en utilisant lrsquoadjectif substan-tiveacute au neutre pour deacutesigner le premier et lrsquoadjectif au masculin pour le second

64 Tel est selon nous le sens de lrsquoexpression ὁ μέν γε ὢν σπέρμα πάσηςψυχῆς au fr 13 (21 F) qui en fait la semence de toute acircme voir par ex F Jour-dan laquo Eusegravebe de Ceacutesareacutee et les extraits de Numeacutenius dans la Preacuteparationeacutevangeacutelique raquo dans S Morlet (eacuted) Lire en extraits Pratiques de lecture et deproduction des textes de lrsquoAntiquiteacute au Moyen Acircge Paris PUPS 2015 p 143-147

65 Contra par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit p 107066 Sur ce sujet notamment chez Plutarque dont Numeacutenius aurait pu ici par-

tager la critique voir par ex F Ferrari laquo Provvidenza platonica o autocontem

3) On notera ici enfin que selon toute vraisemblance Numeacuteniusnrsquoidentifie pas son premier principe agrave lrsquoUn67 Ce principe est certesunique (μόνος) simple (ἁπλοῦς) et indivisible (μὴ διαίρετος) encela distinct de lrsquouniteacute divisible que constitue le second dieu68 MaisNumeacutenius ne lrsquoidentifie pas agrave lrsquoUn et en tout cas pas agrave lrsquoUn du Parmeacute-nide69 Notre conviction srsquoappuie sur lrsquoanalyse du fragment 19 (27 F)Agrave la fin du passage on lit lrsquoexpression τὸ ἀγαθὸν ὅτι ἐστὶν ἕνNumeacutenius la donne comme une conclusion de Platon dont le sens pro-fond ne peut ecirctre perccedilu que par les laquo regards aiguiseacutes raquo autrement ditpar ceux qui comprennent le propos de Numeacutenius Elle provient assu-reacutement de la tradition orale on la retrouve dans le compte-rendu de laLeccedilon sur le Bien par Aristoxegravene70 Comme lrsquoarticle deacutefini peut ecirctreomis devant lrsquoattribut on peut certes heacutesiter sur sa traduction laquo leBien est lrsquoUn raquo ou laquo le Bien est un raquo Dans le contexte matheacutematiqueougrave elle est preacutesenteacutee chez Aristoxegravene la premiegravere traduction est sansdoute la bonne Mais ce nrsquoest pas neacutecessairement le sens originel (siPlaton srsquoest reacuteellement exprimeacute ainsi) et assureacutement pas celui que veut

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 121

plazione aristotelica la scelta di Plutarco raquo dans L Van der Stockt F Titche-ner HG Ingenkamp A Peacuterez Jimeacutenez (eacuted) Gods Daimones Rituals Mythsand History of Religions in Plutarchrsquos Works Maacutelaga International PlutarchSociety 2010 p 177-190 et laquo La teologia di aristotele nel medioplatonismo raquodans Y Lehman (eacuted) Aristoteles Romanus La Reacuteception de la science aristo-teacutelicienne dans lrsquoEmpire greacuteco-romain Turnhout Brepols 2012 p 299-312 voir aussi chez Atticus A Michalewski laquo Faut-il preacutefeacuterer Eacutepicure agrave Aris-tote raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted) Reacuteceptions de la theacuteolo-gie aristoteacutelicienne DrsquoAristote agrave Michel drsquoEphegravese Leuven Peeters 2017p 123-142

67 Contra notamment ici G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 84

68 Fr 11 19 F69 Contra A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV

op cit p 124 M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 22570 Aristoxegravene Eacuteleacutements drsquoharmonique 22016313 Macran 398-404 da

Rios texte ndeg 1 p 248 Richard

lire Numeacutenius Dans le contexte du fragment la formule perd touteambiguiumlteacute parce que lrsquointerpreacutetation en est donneacutee au preacutealable Numeacute-nius a insisteacute sur lrsquouniciteacute du Bien dont la bonteacute a eacuteteacute identifieacutee agrave lrsquoactespeacutecifique du φρονεῖν Si Platon a dit τἀγαθὸν ἐστὶν ἕν ndash formule dontNumeacutenius srsquoestime devoir rendre compte puisqursquoil eacutecrit justement luiaussi Sur le Bien ndash crsquoest donc selon lui parce qursquoil nrsquoy a qursquoun seul etunique Bien le Bien lui-mecircme (αὐτοάγαθον) Par suite la seulemaniegravere de rencontrer le bien de maniegravere geacuteneacuterale consiste agrave prendrepart agrave lrsquoactiviteacute de penser qui caracteacuterise le Bien lui-mecircme une penseacuteesource de bonteacute que chacun pourra exercer agrave son niveau (lrsquoideacutee que leφρονεῖν lui est reacuteserveacute suggegravere qursquoil srsquoagit dans son cas drsquoun φρονεῖνagrave lrsquoeacutetat pur) Ce disant Numeacutenius a sans doute une viseacutee poleacutemique agravelrsquoeacutegard notamment drsquoune interpreacutetation pythagorisante de Platon vrai-semblablement issue de lrsquoAncienne Acadeacutemie et peut-ecirctre aussi delrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne de lrsquoenseignement oral71 Lui seul sesera estimeacute comprendre le veacuteritable pythagorisme du maicirctre Quoiqursquoil en soit sur ce point le passage est selon nous la preuve drsquoun refusdrsquoidentifier le Bien agrave lrsquoUn Si Platon a dit que le Bien est un ou mecircmelrsquoUn quelle que soit lrsquointerpreacutetation litteacuterale et donc la traduction rete-nue il nrsquoaurait selon Numeacutenius en reacutealiteacute rien voulu exprimer drsquoautreque lrsquouniciteacute du Bien ainsi que sa seacuteparation drsquoavec le sensible conccediluecomme distinction essentielle drsquoavec les biens de ce monde Numeacuteniusinvite agrave comprendre ἕν comme le synonyme de μόνος que seul ilemploie agrave reacutepeacutetition agrave propos de son premier principe72 et qui a cedouble sens drsquoexprimer lrsquouniciteacute et lrsquoisolement ou la seacuteparationcomme le suggegravere deacutejagrave son emploi reacutecurrent au fragment 2 (11 F)Telle est lrsquointerpreacutetation correcte du Platon non-eacutecrit qursquoil precircte aux

122 Fabienne JOURDAN

71 Voir par ex Meacutet A 6 988 a 10-17 ougrave lrsquoUn est preacutesenteacute comme la causedu Bien et N 4 1091 b 1-20 sur lrsquoidentification du Bien agrave lrsquoUn dans uncontexte de critique des Platoniciens

72 Εἷς nrsquointervient qursquoagrave propos du second dieu conccedilu comme uniteacute divi-sible qui se distingue en cela de lrsquoUn et mecircme de lrsquouniciteacute du fait de sa dualiteacuteneacutecessaire (mais non essentielle)

seuls regards suffisamment aiguiseacutes pour savoir lire Platon lagrave ougravedrsquoautres lrsquoauront mal entendu73

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 123

73 Voir lrsquoanalyse deacutetailleacutee du passage dans F Jourdan laquo Sur le Bien deNumeacutenius raquo art cit ici contra G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 82 et 84 ndash Les deux teacutemoignages suggeacuterant une eacutevocation de lrsquoUnpar Numeacutenius ne paraissent pas infirmer cette lecture Le premier issu deMacrobe (fr 54 = Saturnales I 17 65 = P 99 12-16 Willis) fait eacutetat drsquoune eacutety-mologie de lrsquoeacutepithegravete laquo delphien raquo attribueacutee agrave Apollon ougrave Numeacutenius auraitvraisemblablement voulu retrouver lrsquoeacutetymologie courante du nom propre dudieu comme renvoyant au laquo non-multiple raquo ἀ-πολλά (voir par ex PlutarqueDe E 388 F et De Iside 354 F et 381 F avec J Whittaker laquo Ammonius on theDelphic E raquo Classical Quarterly 63 NS 19 1969 p 187-188 E SyskaStudien zur Theologie des Macrobius Stuttgart Teubner 1993 p 116 n 74)Macrobe rapporte en effet que Numeacutenius aurait fait de δέλφος un adjectifsignifiant unum (dans le latin de Macrobe) par opposition au substantifἀδελφός signifant laquo fregravere raquo et alors conccedilu comme pourvu drsquoun ἀ- privatif(sur cette eacutetymologie voir J Whittaker ibid p 187 n 9 Eacute des PlacesNumeacutenius Fragments op cit p 100 n 1 E Syska Studien zur Theologiedes Macrobius op cit p 193-194 qui estime qursquoelle nrsquoa aucune autre valeurque litteacuteraire) Outre qursquoil concerne un dieu dont nous ne savons pas si Numeacute-nius aurait reacuteellement souhaiteacute lrsquoidentification agrave son premier principe (il sug-gegravere en revanche son association agrave Zeus au fr 2 [11 F] lequel est ensuite asso-cieacute au second dieu au fr 12 [20 F]) le teacutemoignage nrsquoindique pas le sens exacten lequel Numeacutenius aurait aimeacute qursquoon entende cette laquo absence de fregravere raquoDrsquoune part juste avant Macrobe emploie lrsquoexpression singulum et unum quipeut traduire ἕν καὶ μόνον et dont comme dans le grec la redondance avaleur emphatique On ne sait donc pas lequel des deux adjectifs Numeacutenius aexactement employeacute et rien nrsquointerdit de penser que la reprise par unus soit unchoix du neacuteoplatonicien Macrobe Drsquoautre part unus renvoie agrave εἷς et non agrave ἕνEnfin et surtout laquo ne pas avoir de fregravere raquo si tel est le sens que Numeacutenius precirctedans ce contexte agrave δέλφος signifie laquo ecirctre fils unique raquo et reconduit au sens deμόνος Crsquoest pourquoi selon nous ce teacutemoignage nrsquoest pas un indice fiabledrsquoune identification numeacutenienne du premier principe agrave lrsquoUn (contra M Bur-nyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit p 152 n 34) Le second teacutemoignageest quant agrave lui constitueacute par la reacutefeacuterence agrave une singularitas identifieacutee agrave un pre-mier dieu-deacutemiurge dans le compte-rendu numeacutenien de la cosmogonie pytha-goricienne rapporteacutee par Calcidius (fr 52) Or ce premier dieu dans son oppo-sition mecircme agrave la dyade correspond davantage au second dieu du Περὶ

Voilagrave notre lecture du Περὶ τἀγαθοῦ le seul texte meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius dont soient transmis des fragments litteacute-raux Crsquoest agrave partir drsquoelle que nous proposons drsquoexaminer les rapportsentre lrsquoenseignement de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon lui-mecircme le Commentaire anonyme au Parmeacutenide et enfin la source com-mune au Zostrien et agrave Marius Victorinus Agrave chacun de ces troismoments nous tenterons drsquoeacutevaluer srsquoil fournit les indices de lrsquoexis-tence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par Numeacutenius

Premiegravere partie

Lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon le premier principe de Numeacutenius (le Bien) nrsquoest ni lrsquoUn ni

lrsquoUn-qui-est du ParmeacutenideLa premiegravere eacutetape que nous reacutealiserons dans cette premiegravere partie

consiste agrave confronter le Περὶ τἀγαθοῦ au Parmeacutenide lui-mecircme afinde voir srsquoil y renvoie directement ou non Si nous suivions lrsquohypothegravesede J Whittaker74 toutefois nous abandonnerions immeacutediatement lrsquoen-treprise selon lui crsquoest agrave partir du moment ougrave un philosophe inter-pregravete le Bien de Reacutepublique VI 509 b 6-10 comme un principe trans-cendant reacuteellement lrsquoecirctre et comme identifiable agrave lrsquoUn que se profileune interpreacutetation du Parmeacutenide et plus preacuteciseacutement de la premiegraverehypothegravese Or nous venons de montrer que loin de transcender lrsquoecirctrele Bien de Numeacutenius est lrsquoEcirctre lui-mecircme et que son association agrave lrsquoUnsert avant tout un propos exeacutegeacutetique ou srsquoavegravere du moins fort probleacute-matique ndash telle qursquoelle est formuleacutee du moins elle nrsquoimplique aucune

124 Fabienne JOURDAN

τἀγαθοῦ sans compter que lrsquoappellation latine de singularitas traduit plutocirctle grec μόνας que ἕν Le compte-rendu ne peut donc ecirctre compris commerefleacutetant la doctrine propre de Numeacutenius telle du moins qursquoelle est exprimeacuteedans le Περὶ τἀγαθοῦ (voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius raquo art cit)Il nrsquoy a donc aucun texte fiable permettant de precircter agrave Numeacutenius lrsquoidentifica-tion du Bien agrave lrsquoUn et encore moins agrave lrsquoUn du Parmeacutenide

74 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit

allusion au Parmeacutenide75 Si lrsquoon veut malgreacute tout supposer que Numeacute-nius nrsquoen a pas moins utiliseacute le Parmeacutenide et que son œuvre trahit alorsnon seulement la connaissance du dialogue mais un commentaire per-sonnel de celui-ci ne serait-ce que partiel il faut recourir agrave un autrepoint de doctrine que cette identification du premier principe agrave uneentiteacute transcendant lrsquoecirctre et identifieacutee agrave lrsquoUn et justement interroger ladeacutefinition de ce premier principe comme ecirctre Autrement dit il srsquoagitessentiellement de voir si Numeacutenius identifie le Bien ne serait-ce quepartiellement agrave lrsquolaquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

Pour parvenir agrave un reacutesultat probant deux eacutetapes sont neacutecessaires agravecet examen

1) un rappel des quelques points qui dans la deacutefinition de lrsquoecirctre etdu premier principe selon Numeacutenius ont parfois suggeacutereacute des rappro-chements avec le Parmeacutenide

2) une confrontation de la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ avec laseconde partie du dialogue de Platon pour voir si une convergence depenseacutee plus geacuteneacuterale pourrait malgreacute tout suggeacuterer une appropriationde ce texte par Numeacutenius ou si une incompatibiliteacute fondamentaleinvite agrave en douter

Dans lrsquoun et lrsquoautre cas si les reacutesultats sont neacutegatifs cela ne per-mettra pas de conclure que Numeacutenius a ignoreacute le texte ni non plus dese prononcer de maniegravere cateacutegorique sur lrsquoœuvre non parvenue Nousmontrerons drsquoailleurs dans un troisiegraveme temps que Numeacutenius tente dereacutesoudre les apories relatives aux formes poseacutees dans la premiegravere par-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 125

75 On peut faire semblable remarque agrave propos de lrsquoexposeacute des principespythagoriciens par Eudore rapporteacute par Simplicius (In Phys 18110 sq Diels)Mecircme srsquoil eacutevoque diffeacuterents Un la conception deacuteveloppeacutee deacutepend avant toutdes reacuteflexions de lrsquoAncienne Acadeacutemie sur lrsquoUn et la Dyade et est en cela tregravesproche du compte-rendu drsquoAristote sur les principes de Platon en Meacutet A 6 987b 18 sq (sur ce point voir J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquoart cit p 98 qui rapporte les propos de W Theiler agrave la note 11) Il ne sembledonc pas neacutecessaire de supposer un commentaire sous-jacent aux deux pre-miegraveres hypothegraveses du Parmeacutenide mecircme srsquoil nrsquoest eacutevidemment pas exclu que ledialogue ait eacuteteacute invoqueacute pour sa nomination de lrsquoUn La remarque vaut eacutegale-ment pour Speusippe et de maniegravere geacuteneacuterale pour les neacuteo-pythagoriciens

tie du dialogue et nous verrons qursquoagrave lrsquoeacutegard de la premiegravere hypothegraveseil a peut-ecirctre choisi une attitude suggeacutereacutee par Platon lui-mecircme Poureacutelargir cette recherche nous interrogerons enfin sa relation agrave la penseacuteede Parmeacutenide lui-mecircme

1 La deacutefinition du premier principe comme ecirctre dansle Περὶ τἀγαθοῦ des parallegraveles avec le Parmeacutenide

Une fois que lrsquoon a renonceacute agrave precircter agrave Numeacutenius une interpreacutetationdu Parmeacutenide en raison drsquoune identification supposeacutee de son premierprincipe agrave lrsquoUn il reste possible drsquoexaminer les parallegraveles entre la deacutefi-nition de son premier principe identifieacute agrave lrsquoecirctre ou plus geacuteneacuteralemententre sa deacutefinition de lrsquoecirctre et les formulations du dialogue platoniciendans les deux premiegraveres hypothegraveses Les partisans drsquoune interpreacutetationnumeacutenienne du Parmeacutenide dont notamment A-J Festugiegravere76 etD OrsquoMeara77 citent essentiellement78 deux textes agrave cette fin les frag-

126 Fabienne JOURDAN

76 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 12577 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 Voir aussi par ex

M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 225-227 qui srsquoap-puie toutefois sur ce qursquoil considegravere une identification du Bien agrave lrsquoUn et sur unpassage de Cleacutement drsquoAlexandrie qui semble deacutependre de la premiegravere hypo-thegravese (Strom V 12 82 1-2) Les eacuteleacutements de theacuteologie neacutegative eacutevoqueacutes lagravesrsquoaccompagnant drsquoune possibiliteacute de nomination rappellent toutefois moinsNumeacutenius qursquoAlcinoos Did X p 16433-34 H

78 Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoargumentation de R Romano (laquo La proba-bile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica e neopitagorica) delParmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide diPlatone et la sua tradizione op cit p 234) qui estime que Numeacutenius aufragment 217-34 (11 F) emprunte au Parmeacutenide les expressions delaquo meacutethode non aiseacutee mais divine raquo laquo ardeur juveacutenile raquo et laquo exercice matheacute-matique raquo Lrsquoappui textuel est trop tenu pour qursquoelle soit persuasive Quant agraveG Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 82-84) il eacutevoque luiaussi le fragment 5 (14 F) mais seulement en note agrave la page 82 et son argu-mentation ne srsquoappuie pas davantage sur la lettre du texte Crsquoest pourquoielle ne peut ecirctre expliciteacutee ici Nous ne commenterons enfin pas les hypo-

ments 5 et 6 (14-15 F) ougrave apparaicirct formuleacutee en termes neacutegatifs unedeacutefinition de lrsquoecirctre que le fragment 2 (11 F) a dit identifiable au BienCes deux fragments proviennent du livre II du Περὶ τἀγαθοῦ quientreprend de deacutefinir lrsquoecirctre preacuteliminaire indispensable agrave la deacutefinitiondu Bien Examinons-en quelques extraits Au fragment 5 nous lisonsceci

Φέρε οὖν ὅση δύναμις ἐγγύτατα πρὸς τὸ ὂν ἀναγώμεθα καὶλέγωμενmiddot τὸ ὂν οὔτε ποτὲ ἦν οὔτε ποτὲ μὴ γένηται ἀλλrsquo ἔστιν ἀεὶἐν χρόνῳ ὡρισμένῳ τῷ ἐνεστῶτι μόνῳ [] τὸ ἄρα ὂν ἀΐδιόν τεβέβαιόν τε ἐστὶν ἀεὶ κατὰ ταὐτὸν καὶ ταὐτόν οὐδὲ γέγονε μένἐφθάρη δὲ οὐδrsquo ἐμεγεθύνατο μέν ἐμειώθη δὲ οὐδὲ μὴltνgtἐγένετό πω πλεῖον ἢ ἔλασσον καὶ μὲν δὴ τά τε ἄλλα καὶ οὐδὲτοπικῶς κινηθήσεταιmiddot οὐδὲ γὰρ θέμις αὐτῷ κινηθῆναι οὐδὲ μὲνὀπίσω οὐδὲ πρόσω οὔτε ἄνω ποτὲ οὔτε κάτω οὐδrsquo εἰς δεξιὰοὐδrsquo εἰς ἀριστερὰ μεταθεύσεταί ποτε τὸ ὂν οὔτε περὶ τὸ μέσονποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται ἀλλὰ μᾶλλον καὶ ἑστήξεται καὶἀραρός τε καὶ ἑστηκὸς ἔσται κατὰ ταὐτὰ ἔχον ἀεὶ καὶ ὡσαύτως(extraits du fragment 5 14 F = Eus PE XI 10 4-5)

Eh bien donc eacutelevons-nous vers lrsquoecirctre le plus pregraves qursquoil nous est pos-sible et disons ceci lrsquoecirctre jamais ne fut ni jamais nrsquoadviendra assureacute-ment mais il est toujours dans un temps bien deacutetermineacute le seul preacute-sent [] Lrsquoecirctre est donc est agrave la fois eacuteternel et stable toujours dans lemecircme eacutetat et identique agrave soi il nrsquoest pas neacute et il ne peacuterit pas il ne croicirctet ne deacutecroicirct pas non plus ni il ne devient plus ou moins en aucunefaccedilon En somme il ne sera assureacutement soumis agrave aucun type de mou-vement et surtout pas au mouvement selon le lieu ndash il ne lui est en effetpas permis non plus crsquoest la loi divine drsquoecirctre mucirc jamais par unecourse en avant ni en arriegravere en haut ni en bas vers la droite droite nivers la gauche jamais lrsquoecirctre ne sera soumis au changement et jamais ilne sera mucirc autour de son propre centre Bien plutocirct il se tiendra en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 127

thegraveses de H Tarrant Thrasyllan Platonism op cit p 174-177 dans lamesure ougrave elles supposent que Numeacutenius srsquoinspire de Modeacuteratus (au fr 52)et suit donc lrsquointerpreacutetation qursquoil aurait donneacutee sur la matiegravere drsquoapregraves leteacutemoignage de Simplicius

repos sera ferme et fixe se maintenant toujours de faccedilon identique etde la mecircme maniegravere79

Au fragment 6 (15 F) nous lisons ensuite

ἡ δὲ αἰτία τοῦ ὄντος ὀνόματός ἐστι τὸ μὴ γεγονέναι μηδὲφθαρήσεσθαι μηδrsquo ἄλλην μήτε κίνησιν μηδεμίαν ἐνδέχεσθαιμήτε μεταβολὴν κρείττω ἢ φαύλην εἶναι δὲ ἁπλοῦν καὶἀναλλοίωτον καὶ ἐν ἰδέᾳ τῇ αὐτῇ καὶ μήτε ἐθελούσιον ἐξίστα-σθαι τῆς ταὐτότητος μήθrsquo ὑφrsquo ἑτέρου προσαναγκάζεσθαι (extraitdu fragment 6 15 F = Eus PE XI 10 7)

Et la raison de ce nom ecirctre reacuteside dans le fait de ne pas ecirctre neacute de nepas devoir peacuterir de nrsquoadmettre absolument aucun autre type de mou-vement ni de changement que ce soit vers le meilleur ou vers le piremais drsquoecirctre au contraire simple invariable dans une forme qui resteidentique de ne pas sortir de son identiteacute ni volontairement ni souslrsquoeffet drsquoune contrainte exteacuterieure80

Pourquoi a-t-on voulu lire ces textes comme faisant allusion auParmeacutenide alors qursquoils ne preacutesentent pas de parallegraveles textuels avec cedialogue Deux raisons agrave cela A-J Festugiegravere y voit une seacuterie deneacutegations qui rappellent celles du Parmeacutenide relativement agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese D OrsquoMeara estime que la deacutefinition de lrsquoecirctrecomme restant dans une identiteacute parfaite agrave soi exprimeacutee en termes de

128 Fabienne JOURDAN

79 Toutes les traductions de Numeacutenius sont les nocirctres80 Voir aussi cet extrait du fragment 8 (17 F = Eus PE XI 10 12) Εἰ μὲν

δὴ τὸ ὂν πάντως πάντη ἀΐδιόν τέ ἐστι καὶ ἄτρεπτον καὶ οὐδαμῶςοὐδαμῆ ἐξιστάμενον ἐξ ἑαυτοῦ μένει δὲ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτωςἕστηκε τοῦτο δήπου ἂν εἴη τὸ τῇ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν laquo Siassureacutement lrsquoecirctre est en tout point absolument eacuteternel et immuable srsquoil ne sortabsolument pas de lui-mecircme en aucune faccedilon mais demeure dans le mecircmeeacutetat fixeacute dans son identiteacute alors crsquoest lui sans nul doute qui sera ldquoce qui estappreacutehendeacute par lrsquointellection agrave lrsquoaide du raisonnementrdquo (Tim 28 a) raquo Ce pas-sage fait suite au fragment 7 (16 F = Eus PE XI 10 9-11) qui cite la deacutefinitionde lrsquoecirctre opposeacute agrave la γένεσις en Timeacutee 27 d 6-28 a 4

laquo non-sortie raquo de soi est reprise dans les passages des Enneacuteades VI4 [ 22] 2 21 et VI 5 3 1-2 ougrave Plotin traite de lrsquointeacutegriteacute de lrsquoecirctre etinterpregravete agrave cet effet la seconde hypothegravese du Parmeacutenide D OrsquoMearasonge alors agrave un preacuteceacutedent numeacutenien dans la lecture plotinienne duParmeacutenide et agrave cette fin eacutetant donneacute qursquoil est question dans ces frag-ments de la relation de lrsquoecirctre au temps au changement et au mouve-ment tout comme de son nom (et donc sous-entendu aussi de saconnaissance) il invite agrave penser que le livre II du Περὶ τἀγαθoῦ trai-tait de lrsquoecirctre selon les diffeacuterents preacutedicats qui servent agrave interroger lrsquoUndu Parmeacutenide agrave savoir le Tout et les parties le lieu le changement etmouvement lrsquoidentiteacute et la diffeacuterence la ressemblance et dissem-blance lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoineacutegaliteacute le temps le nom la connaissance

Ces deux lectures se heurtent toutefois agrave deux objections simplesDrsquoune part pas plus qursquoil ne tire du Parmeacutenide la description de la non-sortie de soi81 Numeacutenius nrsquoemprunte son argumentation sur le change-ment le temps et le nom au Parmeacutenide Comme il le dit lui-mecircme aufragment 6 (15 F) il srsquoappuie pour cela sur le Timeacutee et le Cratyle Onnotera drsquoailleurs que le deacuteveloppement sur lrsquoabsence de mouvement etdonc de changement relegraveve en outre drsquoun emprunt aux Lois82 et qursquoellenrsquoest pas exempte de parallegraveles aristoteacuteliciens ainsi que le reconnaicirctD OrsquoMeara lui-mecircme83 Drsquoautre part et pour reacutepondre cette fois agraveA-J Festugiegravere la seacuterie de neacutegations ne fait aucunement allusion auParmeacutenide ni nrsquoaugure drsquoune theacuteologie neacutegative telle qursquoelle sera tireacuteede la premiegravere hypothegravese de ce dialogue elle contribue simplement agraveune deacutefinition de lrsquoecirctre par opposition au devenir et surtout au corporelqui preacutesente toutes les qualiteacutes ici nieacutees La citation au fragment 7 (16F) du passage du Timeacutee (27 d 6-28 a 4) opposant justement ὄν et

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 129

81 Elle est en reacutealiteacute preacutesente dans le Cratyle 439 e le Pheacutedon 79 d et 80b 1-2 et le Banquet 211 b 1

82 X 893 c-894 a83 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 n 26 Sur le temps

voir aussi M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit et la remarquefinale sur la deacutefinition parmeacutenidienne drsquoune entiteacute se situant dans un eacuteternelpreacutesent au fr 85 DK

γένεσις preacutecise ce contexte de penseacutee et empecircche en cela toute extra-polation Agrave la limite si lrsquoon y tient on pourra simplement conclure avecD OrsquoMeara que Numeacutenius a donneacute agrave Plotin lrsquoideacutee de lire le Parmeacutenidedans le sens ougrave il lrsquoa fait concernant lrsquoecirctre ndash hypothegravese qui srsquoavegraverera fortinteacuteressante dans la perspective drsquoune comparaison avec lrsquoentreprise ducommentateur anonyme au Parmeacutenide

Les textes habituellement citeacutes en faveur drsquoune utilisation numeacute-nienne du Parmeacutenide ainsi compris il en est selon nous un troisiegravemequi aurait pu inviter agrave pareille suggestion celui ougrave Numeacutenius precircte aupremier principe un repos qui srsquoaccompagne malgreacute tout drsquoune formede mouvement ndash attributs apparemment contradictoires dont lrsquooriginepourrait paraicirctre remonter au Parmeacutenide Ce texte nous mettrait sur lavoie qui pouvait sembler la plus feacuteconde drsquoune identification du pre-mier principe numeacutenien agrave lrsquoUn de la seconde hypothegravese du ParmeacutenideLisons ainsi le fragment 15 (23 F)

Εἰσὶ δrsquo οὗτοι βίοι ὁ μὲν πρώτου ὁ δὲ δευτέρου θεοῦ δηλονότι ὁμὲν πρῶτος θεὸς ἔσται ἑστώς ὁ δὲ δεύτερος ἔμπαλίν ἐστικινούμενοςmiddot ὁ μὲν οὖν πρῶτος περὶ τὰ νοητά ὁ δὲ δεύτερος περὶτὰ νοητὰ καὶ αἰσθητά μὴ θαυμάσῃς δrsquo εἰ τοῦτrsquo ἔφηνmiddot πολὺ γὰρἔτι θαυμαστότερον ἀκούσῃ ἀντὶ γὰρ τῆς προσούσης τῷδευτέρῳ κινήσεως τὴν προσοῦσαν τῷ πρώτῳ στάσιν φημὶ εἶναικίνησιν σύμφυτον ἀφrsquo ἧς ἥ τε τάξις τοῦ κόσμου καὶ ἡ μονὴ ἡἀΐδιος καὶ ἡ σωτηρία ἀναχεῖται εἰς τὰ ὅλα

Voici les genres de vie respectifs du premier et du deuxiegraveme dieu ilest eacutevident que le premier sera en repos tandis que le deuxiegraveme aucontraire est en mouvement le premier donc autour des intelligiblesle deuxiegraveme autour des intelligibles et des sensibles Et nrsquoen viens pasagrave trsquoeacutetonner si jrsquoai affirmeacute cela car tu vas entendre bien plus eacutetonnantencore agrave la place du mouvement inheacuterent au deuxiegraveme le repos inheacute-rent au premier je lrsquoaffirme est un mouvement qui lui est par natureassocieacute drsquoougrave viennent lrsquoordre du monde et sa permanence eacuteternelle etdrsquoougrave le salut se reacutepand sur lrsquointeacutegraliteacute des ecirctres

Le passage pourrait rappeler lrsquoUn qui est Tout (τὸ ἓν ὅλον 145 e3) de la deuxiegraveme hypothegravese et que Platon deacutecrit comme eacutetant agrave la fois

130 Fabienne JOURDAN

en repos et en mouvement (καὶ κινεῖσθαι καὶ ἑστάναι 145 e 7-8)drsquoautant plus que le vocabulaire du repos employeacute est le mecircme(ἕστηκε 145 a 8 ἑστός 146 a 5) On pourrait alors imaginer queNumeacutenius identifie son premier principe agrave lrsquoUn associeacute agrave lrsquoecirctre telqursquoil est conccedilu dans cette deuxiegraveme hypothegravese Cependant la raisondonneacutee par Platon agrave cet eacutetat est le fait que cet Un se trouve agrave la fois enlui-mecircme crsquoest-agrave-dire au mecircme endroit et en autre chose crsquoest-agrave-direailleurs (le tout devant ecirctre ainsi compris 145 e 8-146 a 7) Or toutconduit agrave penser que dans le fragment le mouvement associeacute au reposfondamental est celui de la penseacutee caracteacuteristique du premier principe(cf fr 19 27 F) et que par cette formule Numeacutenius preacutepare la deacutefini-tion de celui-ci comme intellect (fr 16-17 24-25 F) Le raisonnementest profondeacutement distinct et Numeacutenius joue drsquoailleurs moins sur uneantithegravese logique telle que pourrait paraicirctre celle du raisonnement pla-tonicien que sur une association certes paradoxale mais reacuteelle Crsquoestpourquoi si tentant que puisse paraicirctre le parallegravele il ne relegraveve sansdoute pas drsquoune appropriation numeacutenienne de la deuxiegraveme hypothegravesepour deacutecrire le premier principe Numeacutenius reprend peut-ecirctre le voca-bulaire voire la conception de Platon pour deacutecrire un principe qursquoilassocie volontiers au Tout surtout si ce premier principe doit corres-pondre au Vivant84 Mais cette reprise serait superficielle et srsquoaccom-pagnerait drsquoun deacuteveloppement personnel qui ne relegraveve pas du deacutesirdrsquointerpreacuteter le Parmeacutenide85 Si Numeacutenius emprunte ici agrave Platon crsquoestplutocirct au passage du Sophiste 248 e-249 a qui integravegre le mouvementdans lrsquoecirctre total finit par deacutecrire cet ecirctre comme eacutetant agrave la fois en reposet en mouvement et inclut en lui eacutegalement lrsquointellect mieux laφρόνησις dont nous avons vu que Numeacutenius en fait sous la formeinfinitive lrsquoapanage du Bien

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 131

84 Voir le teacutemoignage de Proclus (fr 22) deacutejagrave signaleacute selon nous lrsquoimagedu Vivant est deacutejagrave sous-jacente dans ce fragment 15 (23 F) voir la note 61

85 Sur ce point nous rejoignons LP Gerson laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpre-tation of Platorsquos Parmenides raquo art cit n 1 qui rappelle agrave propos drsquoAlcinoosque lrsquoutilisation de distinctions et drsquoarguments preacutesents dans le Parmeacutenidenrsquoimplique pas drsquoaccorder une primauteacute interpreacutetative agrave ce dialogue

2 Le Περὶ τἀγαθοῦ et les deux premiegraveres hypothegravesesde la seconde partie du Parmeacutenide

Agrave eux seuls les textes parvenus ne nous semblent donc pas teacutemoi-gner en faveur drsquoun commentaire au Parmeacutenide de la part de Numeacute-nius ni mecircme drsquoune utilisation partielle qursquoil aurait faite de ce dia-logue Les partisans drsquoune attribution de pareil commentaire agrave Numeacute-nius en appellent toutefois et ce juste titre agrave lrsquoœuvre non parvenueOn ne peut certes juger de lrsquoeacutevolution de Numeacutenius Mais pour quecet argument e silentio soit valable concernant au moins la partie man-quante du Περὶ τἀγαθοῦ il faudrait que la partie transmise ne preacute-sente pas drsquoincompatibiliteacute avec lrsquoargumentation geacuteneacuterale du dialoguede Platon Comme le deacutebat porte toujours sur les deux premiegraveres hypo-thegraveses ce sont elles qursquoil suffit drsquointerroger en vue drsquoeacutevaluer si Numeacute-nius peut ne serait-ce que srsquoy ecirctre reporteacute pour esquisser sa deacutefinitiondu premier principe voire du second comme le suggegravere JD Turner86

a) Le Bien et lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese

Selon notre lecture Numeacutenius nrsquoidentifie pas le Bien agrave lrsquoUn Laseacuterie de neacutegations neacutecessaires agrave la deacutefinition de lrsquoecirctre nrsquoa drsquoautre butque de distinguer celui-ci du devenir Qursquoest-ce que le Bien de Numeacute-nius pourrait donc avoir de commun avec lrsquoUn de la premiegravere hypo-thegravese87 Comparons son enseignement agrave celui du Parmeacutenide pourassurer de la validiteacute de notre position

Ce que le Bien de Numeacutenius pourrait avoir de commun avec lrsquoUnde la premiegravere hypothegravese assureacutement ce serait le fait de ne pas ecirctremultiple (137 c) Mais cela est bien maigre la seacuterie de neacutegations pro-

132 Fabienne JOURDAN

86 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 138-13987 G Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 84) estime que

crsquoest en lien avec la premiegravere hypothegravese que Numeacutenius deacuteveloppe sa concep-tion du premier intellect Il nrsquoexplique toutefois pas cette lecture pour le moinseacutetonnante

poseacutee par Parmeacutenide ne le concerne pas Passons en revue quelquesexemples en suivant lrsquoordre du dialogue contrairement agrave lrsquoUn de cettehypothegravese le Bien nrsquoest pas illimiteacute (137 d 7) crsquoest la matiegravere qui esttelle agrave lrsquoimage drsquoun fleuve88 loin drsquoecirctre nulle part au sens de laquo pas ensoi raquo (138 a 2 6-b 2) il est au contraire en lui-mecircme89 La seacuterie drsquoanti-thegraveses ne le concerne pas davantage loin de nrsquoecirctre ni en repos ni enmouvement (138 b) nous avons vu qursquoil a part aux deux90 plutocirct quede nrsquoecirctre ni identique ni diffeacuterent (139 b-140 b) il est assureacutement iden-tique agrave soi91 au lieu drsquoecirctre hors du temps (141 a) il se situe dans uneacuteternel preacutesent92 et si certes on ne peut pas non plus parler agrave soneacutegard de participation agrave lrsquoοὐσία (141 e 7-8) il nrsquoen est pas moinslrsquoἀρχή de celle-ci93 qui fait de lui lrsquoEcirctre par excellence94 Contraire-ment agrave lrsquoUn de cette hypothegravese (142 a) il a en outre un nom une deacutefi-nition et il y a mecircme une science agrave son sujet son nom est drsquoabordοὐσία et ὄν lorsque lrsquoecirctre qursquoil est est envisageacute de maniegravere geacuteneacuterale95puis vraisemblablement Bien lui-mecircme et Ecirctre lui-mecircme (αὐτοάγα-θον et αὐτοόν) lorsqursquoil est envisageacute dans sa speacutecificiteacute96 il donnelrsquoἐπιστήμη et srsquoavegravere mecircme ecirctre la σοφία97 toute lrsquoentreprise duΠερὶ τἀγαθοῦ est justement de conduire agrave sa connaissance et deacutefini-tion98 ce agrave quoi parvient entre autres le dernier fragment en identifiantultimement lrsquoecirctre et lrsquointellect qursquoil constitue agrave la Forme du Bien de laReacutepublique99 Lorsque Platon fait conclure agrave Parmeacutenide que cet Un

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 133

88 Fr 3 (12 F) et 8 (17 F)89 Fr 11 (19 F)90 Fr 15 (23 F)91 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)92 Fr 5 (14 F)93 Fr 16 (24 F)94 Fr 17 (25 F) et lrsquoon nrsquooubliera pas la synonymie entre οὐσία et ὄν don-

neacutee au fr 6 (15 F)95 Fr 6 (15 F)96 Fr 16-17 (24-25 F) fr 20 (28 F)97 Crsquoest notre interpreacutetation conjointe des fragments 13 et 14 (21-22 F)98 Tel est le programme annonceacute au fragment 2 (11 F)99 Fr 20 (28 F)

finalement nrsquoest pas Numeacutenius peut donc avoir estimeacute ne pas devoirreconnaicirctre lagrave ce qursquoil deacutefinit quant agrave lui comme le premier principe etce alors en accord avec Platon lui-mecircme

Crsquoest pourquoi srsquoil a songeacute agrave ce dialogue et plus particuliegraverement agravela premiegravere hypothegravese Numeacutenius a pu le consideacuterer comme un exer-cice dialectique ougrave puiser par exemple une meacutethode drsquointerrogation etcertains concepts dans un esprit peut-ecirctre semblable agrave celui drsquoAlci-noos100 ou bien ce qui nrsquoest pas incompatible comme deacutecrivantaussi une position selon lui critiqueacutee par Platon Dans cette perspec-tive il peut alors y avoir perccedilu une raison de ne pas retenir la candida-ture de lrsquoUn (telle que la suggegravere notamment la reacuteception acadeacutemi-cienne de lrsquoenseignement oral) au titre de premier principe agrave identifierau Bien puisque cet Un conccedilu dans sa pureteacute agrave la maniegravere dont Platonle deacutecrit dans la premiegravere hypothegravese conduit agrave lrsquoaporie du non-ecirctre (non-ecirctre que Numeacutenius identifie quant agrave lui agrave la matiegravere) Autre-ment dit la lecture du Parmeacutenide voire le commentaire de ce dia-logue aurait plutocirct conduit Numeacutenius agrave ne pas identifier le Bien agrave lrsquoUnabsolu et lrsquoaurait peut-ecirctre justifieacute dans une position poleacutemique agrave lrsquoen-contre de certains neacuteo-pythagoriciens de son temps101 voire des Aca-deacutemiciens qui le faisaient

Cette conclusion peut a priori eacutetonner Mais Numeacutenius nrsquoaurait paseacuteteacute le seul de son eacutepoque agrave refuser drsquoaccorder agrave lrsquoUn de la premiegraverehypothegravese le rocircle de principe de la reacutealiteacute et de principe transcendantlrsquoecirctre Proclus eacutevoque des interpregravetes selon lesquels le veacuteritable objet

134 Fabienne JOURDAN

100 Agrave la mecircme eacutepoque ou peu apregraves (selon lrsquohypothegravese de R Chiara-donna laquo Theacuteologie et eacutepoptique aristoteacutelicienne dans le meacutedioplatonisme lareacuteception de Meacutetaphysique Λ raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted)Reacuteceptions de la theacuteologie aristoteacutelicienne op cit p 143-148 voir aussiM Frede laquo Numenius raquo art cit p 1064) Alcinoos donne une interpreacutetationessentiellement logique du Parmeacutenide voir Did VI p 159-160 H Cela nrsquoim-plique toutefois pas que ce fut lagrave la seule lecture du dialogue par Alcinoos(pace J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit)

101 Voir ceux eacutevoqueacutes au fragment 5215-24 (Calcidius In Tim CCXCV)qui font provenir la dyade de la monade Modeacuteratus agrave qui est justement precircteacuteun commentaire du Parmeacutenide leur est parfois rapprocheacute

du Parmeacutenide est justement lrsquoecirctre (ou lrsquoUn de la seconde hypothegravese) etnon lrsquoUn absolu dont lrsquohypothegravese ne conduit qursquoagrave des apories102 Lrsquounde ces interpregravetes fut Origegravene (le Platonicien103 ) disciple drsquoAmmo-nius comme Plotin et qui eacutetait peut-ecirctre justement en deacutebat avecNumeacutenius notamment sur la fonction du premier principe104 SelonOrigegravene lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese eacutetait sans existence ni subsis-tance (ἀνύπαρκτον καὶ ἀνύποστατον) lrsquoEcirctre absolu et lrsquoUnabsolu ne devaient faire qursquoun et ecirctre identifieacutes agrave lrsquointellect commeprincipe supeacuterieur105 ce nrsquoeacutetait donc qursquoavec la seconde hypothegravese

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 135

102 Proclus In Parm I 63531-6364 Theacuteol Plat II 4 311-28103 Nous nrsquoentrons pas ici dans le deacutebat concernant la question de savoir si

Origegravene nommeacute laquo le platonicien raquo est le mecircme qursquoOrigegravene le chreacutetien Nouspostulons qursquoil srsquoagit de deux personnages distincts (en cela nous suivonsnotamment R Goulet laquo Porphyre Ammonius les deux Origegravene et lesautres raquo Revue drsquohistoire et de philosophie religieuse 57 1977 p 471-496repris dans R Goulet Eacutetudes sur les Vies de philosophes de lrsquoAntiquiteacute tar-dive Diogegravene Laeumlrce Porphyre de Tyr Eunape de Sardes Textes et traditionsI Paris Vrin 2001 p 267-290) Sur ce sujet voir le statut de la question dansL Brisson R Goulet laquo Origegravene le platonicien raquo dans R Goulet (eacuted) Dic-tionnaire des philosophes antiques Paris CNRS IV 2005 p 804-807 M Zambon laquo Porfirio e Origene uno status quaestionis raquo dans S Morlet(eacuted) Le Traiteacute de Porphyre contre les chreacutetiens Un siegravecle de recherches nou-velles questions Paris Institut drsquoEacutetudes augustiniennes 2011 p 107-164 etles eacutetudes reacuteunies par B Baumlbler H-G Nesselrath (eacuted) Origenes der Christund Origenes der Platoniker Tuumlbingen Mohr Siebeck 2018 (dont lrsquoarticle deCh Riedweg qui identifie les deux personnages)

104 Drsquoapregraves le titre de son ouvrage transmis par Porphyre (VP 332 cf Pro-clus Theol plat II 4 A) Ὃτι μόνος ποιητὴς ὁ βασιλεύς Origegravene associaitvraisemblablement le laquo roi raquo (premier principe) au deacutemiurge nommeacute ποιητήςcontrairement agrave Numeacutenius qui les distingue au fragment 12 (20 F)

105 Sur ce sujet voir par ex HD Saffrey LG Westerink Proclus Theacuteo-logie platonicienne T II Paris Les Belles Lettres 1974 p X-XX C Steellaquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 32-35 L Bris-son laquo The Reception of Parmenides before Proclus raquo dans JD TurnerK Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage vol II Reception inPatristic Gnostic and Christian Neoplatonic Texts Atlanta Society of Bibli-cal Literature 2011 p 49-64

que commenccedilait selon lui lrsquoonto-theacuteologie platonicienne parce qursquoelleaurait deacutecrit lrsquointellect et les formes Origegravene paraissant plus proche deson maicirctre que Plotin106 son interpreacutetation eacutetait peut-ecirctre celle drsquoAm-monius et comme les argumentations drsquoAmmonius et de Numeacuteniussont parfois rapprocheacutees107 on pourrait penser agrave une parenteacute entre ellessur ce sujet eacutegalement Quoi qursquoil en soit sur ce point on peut retenirdeux choses de la comparaison avec lrsquointerpreacutetation drsquoOrigegravene lerefus de consideacuterer le premier principe comme identique agrave lrsquoUn absolude la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et lrsquoidentification de ce prin-cipe agrave lrsquoEcirctre absolu

Peut-on alors supposer que Numeacutenius agrave lrsquoinstar drsquoOrigegravene conccediloitlui aussi cet Ecirctre comme deacutecrit dans la deuxiegraveme hypothegravese Crsquoest eneffet avions-nous vu drsquoembleacutee la seule maniegravere de lui supposer reacuteelle-ment une utilisation du Parmeacutenide dans sa description du premier prin-cipe

b) Le Bien et lrsquo laquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

On peut en effet rappeler que Plotin a tendance agrave situer le premierde Numeacutenius au rang du second selon sa propre doctrine Toutefois agravela lecture du Parmeacutenide lui-mecircme Numeacutenius aurait assureacutement eacuteteacutegecircneacute degraves la formulation de lrsquohypothegravese consideacuterant Un et ecirctre (οὐσία)comme deux eacuteleacutements seacutepareacutes neacutecessitant la participation de lrsquoUn agravelrsquoecirctre (142 b-c) Pour Numeacutenius le premier principe est lrsquoecirctre il nrsquoapas part agrave lrsquoecirctre Lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacutenide ten-tera certes de reacutesoudre la difficulteacute et si Numeacutenius avait commenteacute letexte il aurait sans doute fait de mecircme Mais est-il bien neacutecessaire delui precircter pareille entreprise Il nrsquoest en effet pas davantage inteacuteresseacute agrave

136 Fabienne JOURDAN

106 Voir HD Saffrey LG Westerink op cit p XIX107 Voir par ex le teacutemoignage de Neacutemeacutesius (fr 4 b = Sur la nature de

lrsquohomme 2 8-14) qui les associe dans la critique de la corporeacuteiteacute de lrsquoacircmecaracteacuteristique de la conception stoiumlcienne

utiliser la seacuterie de preacutedicats contraires cette fois accepteacutes pour lrsquoUn decette deuxiegraveme hypothegravese Si nous nrsquoen retenons seulement quelques-uns parmi ceux pouvant concerner une reacutealiteacute intelligible on noteraque la notion de pluraliteacute ne peut concorder avec la repreacutesentation delrsquouniteacute indivisible que constitue le Bien pas davantage que le coupleantitheacutetique drsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave soi Trois points pourraientecirctre malgreacute tout rapprocheacutes dans la deacutefinition du Bien numeacutenien et delrsquoUn de la seconde hypothegravese lrsquoaffirmation drsquoune preacutesence agrave la fois ensoi et en autre chose (145 b 6-7) ndash mais elle est caracteacuteristique de touteforme intelligible et la contradiction apparente est reacutesolue par le pheacute-nomegravene de la participation bien deacuteveloppeacute par Numeacutenius lrsquoideacutee quece principe est en mouvement et en repos (145 a 3-146 a 7)ndash mais nousavons montreacute son sens particulier lieacute au processus de la penseacutee propreagrave lrsquointellect qui nrsquoest pas deacuteveloppeacute dans le Parmeacutenide et enfin larelation au temps (152 a) mais elle nrsquoest que provisoire concernant ladeuxiegraveme hypothegravese dans la mesure ougrave celle-ci va ensuite associerlrsquoecirctre agrave toutes les dimensions du temps alors que Numeacutenius ne lrsquoasso-cie qursquoau preacutesent comme le fait le Timeacutee (et peut-ecirctre le vrai Parmeacute-nide lui-mecircme au fragment 85)

Il nous semble donc peu probable que Numeacutenius ait envisageacute sonpremier principe en songeant agrave lrsquoUn-qui-est du Parmeacutenide ou aitmecircme tenteacute de le lui faire correspondre dans une eacutetape ulteacuterieure de sareacuteflexion En cela le deacutesaccord qui semble affleurer avec Origegravene surla caracteacuterisation des principes se retrouverait sur ce point eacutegalement

c) Le second dieu (le Bon) et lrsquolaquo Un qui est raquo

Une autre possibiliteacute peut toutefois se preacutesenter agrave lrsquoesprit Numeacute-nius nrsquoaurait-il pas alors associeacute agrave ce second Un son second dieu etprincipe qui lui est effectivement agrave la fois Un et plusieurs (143 a 5)au sens ougrave il connaicirct une laquo division raquo lorsqursquoil rencontre la matiegravere108

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 137

108 Fr 11 (19 F)

Telle est en effet lrsquohypothegravese de JD Turner109 On pourrait lrsquoeacutetayer ennotant que ce dieu est drsquoailleurs lui aussi seacutepareacute pour ainsi dire de saforme le Bien ce qui constitue deux aspects de son ecirctre et mecircme de laforme qursquoil produit comme modegravele du monde lui aussi a en outre partagrave lrsquoοὐσία qursquoil reccediloit du premier En extrapolant on pourrait imaginerque crsquoest agrave lui que reviennent tous les couples de contraires puisqursquoilest agrave la fois dans lrsquointelligible par sa contemplation et preacuteoccupeacute dusensible tendant au contact avec la matiegravere110 Mais nous irions troploin Numeacutenius fait certes de ce second dieu lrsquoecirctre deacuteriveacute mais il estecirctre assureacutement et nrsquoest pas concerneacute par les preacutedicats caracteacuterisant lesensible (comme la grandeur la limite lrsquoacircge) Ce qui peut paraicirctrecontraire en ce dieu ce sont seulement des attitudes lieacutees agrave son orienta-tion dans un processus cosmogonique Numeacutenius ne paraicirct pas avoirainsi deacutefini son essence dont la caracteacuteristique fondamentale est lrsquoimi-tation et la participation au Bien Crsquoest pourquoi mecircme si cela peutparaicirctre tentant nous ne pensons pas qursquoil ait conccedilu ce second dieu ensongeant agrave la deuxiegraveme hypothegravese du Parmeacutenide ni mecircme qursquoil aittenteacute apregraves lrsquoavoir deacutefini de le lui faire correspondre111 Le consideacuterer

138 Fabienne JOURDAN

109 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 137-138 qui ajoute agravecela une reacuteflexion sur ce que certains Anciens consideacuteraient comme la troisiegravemehypothegravese (155 e 4-157 b 4) et fait du second dieu de Numeacutenius dans sa dualiteacutemecircme un repreacutesentant des Un de la deuxiegraveme et troisiegraveme hypothegraveses (Un-plu-sieurs et Un-et-plusieurs) Cette lecture est ingeacutenieuse mais inveacuterifiable

110 Fr 11 (19 F)111 Concernant les autres hypothegraveses nous pourrions faire deux remarques

Dans la troisiegraveme la deacutefinition des laquo autres choses raquo comme eacutetant de natureillimiteacutee mais recevant leur limite par participation agrave lrsquoUn (158 d 7-8) corres-pond agrave la conception de la formation du monde par le deacutemiurge (fr 18 26 F cf fr 52) Mais cette interpreacutetation est la leccedilon mecircme du Timeacutee coupleacute avec lePhilegravebe Dans la derniegravere hypothegravese ensuite en 165 c 2 on trouve lrsquoexpres-sion ὀξὺ νοοῦντι pour deacutesigner celui qui regarde de pregraves et voit que les chosesqui paraissent unes sont en reacutealiteacute plusieurs car priveacutees drsquouniteacute Avec lrsquoexpres-sion ὀξὺ βλέποντι au fr 19 (27 F) Numeacutenius pourrait faire un clin drsquoœilentendu agrave ce passage lorsqursquoil invite agrave comprendre ce qui est selon lui le vraisens du terme un appliqueacute au Bien celui drsquouniciteacute Lrsquoeacutecho lexical pourrait ren-

selon chacun de ses deux laquo aspects raquo comme correspondant agrave lrsquolaquo Un-plusieurs raquo et agrave lrsquolaquo Un-et-plusieurs raquo de la deuxiegraveme et de la troisiegravemehypothegraveses entrevue par certains Anciens comme le fait J Turnerrelegraveve selon nous drsquoune lecture plotinienne qui ne correspond pas agravelrsquoenseignement du Περὶ τἀγαθοῦ112 Cela une fois encore nrsquoem-pecircche pas que Numeacutenius ait pu inspirer Plotin dans sa propre lecturedu Parmeacutenide

3 Le Περὶ τἀγαθοῦ et la premiegravere partie du Parmeacutenide

Dans le Περὶ τἀγαθοῦ Numeacutenius nrsquoa ainsi selon nous pas conccedilusa reacuteflexion sur les principes agrave partir drsquoun commentaire du Parmeacutenideni nrsquoa mecircme tenteacute de la faire correspondre aux hypothegraveses de laseconde partie de ce dialogue apregraves lrsquoavoir eacutelaboreacutee En revanche ilsrsquoest assureacutement inteacuteresseacute agrave la premiegravere partie ou du moins aux diffi-culteacutes dans lesquelles elle place la theacuteorie des formes113 Qursquoil ait ounon en tecircte ce dialogue le sien en tout cas cherche assureacutement agraverendre possible la participation et donc agrave sauver la theacuteorie des formespar-delagrave les objections que lui adresse Parmeacutenide Ce sujet nous inteacute-ressant moins directement ici nous ferons bref

Agrave la question de savoir srsquoil y a des formes de tout (130 b-e) Numeacute-nius reacutepond assureacutement qursquoil y en a de tout ce qui a part au Bien114 agrave

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 139

voyer agrave cette illusion relative agrave la saisie de ce qursquoest laquo ecirctre un raquo Lrsquoexpressionnrsquoeacutetant pas absente par ailleurs chez Platon (voir le commentaire au fragment19 27 F) il nrsquoest cependant pas neacutecessaire de penser que Numeacutenius ait ce pas-sage du Parmeacutenide en tecircte il est simplement tentant drsquoy songer dans uncontexte de reacuteflexion sur lrsquoUn

112 Contra JD Turner laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art citp 138-139

113 On remarquera qursquoAlcinoos (Did IX p 163 H 23-31 L W) fait demecircme en reacutepondant agrave la question de ce dont il y a des formes et en concevantcelles-ci comme des penseacutees du premier dieu

114 Fr 13 et 19 (21 et 27 F)

la question du rapport entre forme et participeacute il envisage positive-ment les deux solutions proposeacutees par Socrate a) les formes sont pourlui des penseacutees (cf Parm 132 b-c) elles sont celles du seconddieu115 et elles pensent (cf Parm 132 c) puisque telle est la maniegraverede participer au Bien116 b) les formes sont par ailleurs des paradigmes(cf Parm 132 d) comme le montre lrsquoexemple embleacutematique du rap-port entre le Bon qursquoest le deacutemiurge et le Bien envisageacute commeforme117 Quant agrave lrsquoargument du troisiegraveme homme en placcedilant le Bienau sommet de lrsquointelligible Numeacutenius estime peut-ecirctre y avoir ultime-ment reacutepondu Lrsquoobjection de la seacuteparation (133 a 8-134 c 7) enfinavec le double risque qursquoelle comporte de lrsquoinconnaissabiliteacute desformes (134 a-b) et du deacutefaut de connaissance de notre monde par ledieu qui ne pourrait alors pas agir agrave notre eacutegard (134 e) aura particu-liegraverement retenu son attention tout le dialogue Sur le Bien tend eneffet agrave montrer la continuiteacute agrave la fois ontologique et eacutepisteacutemique desdiffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute ndash le sensible lui-mecircme en tant que prisen charge par le deacutemiurge qui lrsquoeacutelegraveve agrave son propre caractegravere (autrementdit agrave sa bonteacute et agrave ce qui en deacutecoule)118 relegraveve en effet de la μετ-ουσία autrement dit de ce qui vient certes laquo apregraves lrsquoοὐσία raquo mais y amalgreacute tout essentiellement part119 Le Περὶ τἀγαθοῦ conduit en toutcas drsquoune part agrave la connaissance de la forme premiegravere tandis que celle-ci srsquoavegravere la connaissance ultime qui se transmet ensuite120 il montredrsquoautre part la relation permanente du premier agrave notre monde non seu-lement par lrsquointermeacutediaire du second dieu qui assure directement lrsquoac-tion providentielle mais par le salut ou la conservation (σωτηρία)

140 Fabienne JOURDAN

115 Fr 16 (24 F) Nous reacutesumons voir notre interpreacutetation du fragment116 Fr 19 (27 F) Lagrave aussi nous reacutesumons notre interpreacutetation laquo Pense raquo en

reacutealiteacute tout ce qui a part au Bien En outre lrsquoidentification de lrsquointellect agrave uneforme au fragment 20 (28 F) suggegravere cette interpreacutetation

117 Fr 16 19 et 20 (24 27-28 F)118 Fr 11 (19 F) cf fr 18 (26 F)119 Voir lrsquoutilisation fort suggestive de ce terme pour deacutesigner la participa-

tion agrave la fin du fragment 16 (24 F)120 Fr 13-14 (21-22 F)

qursquoil dispense lui-mecircme reacuteellement121 en tant que Bien et qursquoEcirctre quiassure ultimement la coheacutesion du monde

Nous ne preacutetendons pas que Numeacutenius reprenne point par point lesobjections de Parmeacutenide agrave Socrate contre la theacuteorie des formes Maisqursquoil les ait consideacutereacutees directement dans le dialogue de Platon ou qursquoilles ait connues par la tradition il les a prises au seacuterieux et a senti luiaussi la neacutecessiteacute drsquoy reacutepondre pour sauver Platon agrave la maniegravere dont illrsquoentendait

4 Conclusion sur Numeacutenius et le Parmeacutenide

Rien donc dans lrsquoœuvre parvenue ne permet de conclure agrave uneinterpreacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide par Numeacutenius nonseulement les textes ne contiennent pas de reacuteels parallegraveles avec le dia-logue de Platon mais ils suggegraverent que Numeacutenius ne srsquoest fondeacute suraucune des deux premiegraveres hypothegraveses pour deacuteterminer les traits de sonpremier principe ni mecircme sur la deuxiegraveme (voire la troisiegraveme) pourdeacutefinir le second Il est mecircme peu vraisemblable qursquoil ait tenteacute reacutetros-pectivement de les leur faire correspondre Il srsquoest en revanche assureacute-ment inquieacuteteacute des objections dresseacutees contre la theacuteorie des formes dansla premiegravere partie du dialogue et aura tenteacute drsquoy reacutepondre en assurant lavaliditeacute de la participation selon les diffeacuterentes modaliteacutes envisageacutees lagravepar Socrate ndash en cela il srsquoinscrit vraisemblablement dans la traditionplatonicienne122 dont il heacuterite peut-ecirctre plus de la probleacutematique qursquoilne la cherche directement dans le texte de Platon Concernant laseconde partie du dialogue il a pu percevoir dans lrsquoexposeacute de la pre-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 141

121 Fr 15 (23 F)122 Voir les remarques de la note 100 sur Alcinoos Mecircme si Alcinoos est

peut-ecirctre posteacuterieur agrave Numeacutenius de toute eacutevidence les platoniciens ont tenteacutede montrer la justesse de la theacuteorie des formes et de la participation contre lescritiques drsquoAristote ainsi assureacutement que contre celles deacutejagrave eacuteleveacutees dans leParmeacutenide et vraisemblablement inspireacutees (entre autres) par les discussions ausein de lrsquoAcadeacutemie

miegravere hypothegravese une raison suffisante pour ne pas identifier son premierprincipe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit prenant ainsi Platon agrave la lettre agrave propos ducaractegravere aporeacutetique de lrsquoUn tel qursquoil eacutetait lagrave envisageacute

Si elle eacutetait aveacutereacutee cette attitude aurait une double conseacutequencepour la compreacutehension de lrsquohistoire du platonisme

Elle pourrait drsquoabord reacuteveacuteler une intention poleacutemique agrave plusieursniveaux Elle est en effet concevable comme une reacuteaction agrave lrsquoeacuteven-tuelle association neacuteo-pythagoricienne du premier principe associeacute agravelrsquoUn ou agrave la monade avec lrsquoUn absolu de la premiegravere hypothegravese duParmeacutenide Mecircme si selon nous lrsquoidentification du premier principe agravelrsquoUn chez Speusippe et les neacuteo-pythagoriciens123 relegraveve avant tout dela tradition acadeacutemicienne pythagorisante relative agrave lrsquoUn et agrave la Dyadeainsi que du compte-rendu aristoteacutelicien de lrsquoenseignement oral de Pla-ton sur les principes124 il nrsquoy a pas en soi de raison drsquoexclure une pos-sible invocation pour confirmation de lrsquoUn du Parmeacutenide (agrave condi-tion de ne pas leur precircter une interpreacutetation neacuteoplatonicienne) Parsuite une poleacutemique avec lrsquoAncienne Acadeacutemie est eacutegalement envisa-geable Non seulement dans sa deacutefense de la theacuteorie des formes125Numeacutenius pourrait tenter de reacutepliquer agrave la suppression de celles-ciopeacutereacutee par Speusippe mais aussi srsquoopposer agrave la conception du premierprincipe precircteacutee agrave lrsquoAncien Acadeacutemicien Que lrsquoon croie Aristote selonlequel lrsquoUn de Speusippe ne serait laquo pas mecircme un ecirctre raquo126 ou plutocirct

142 Fabienne JOURDAN

123 Voir la note 75124 Voir aussi Meacutet N 4 1091 b 13-15 EE A 8 1218 a 15-32 ougrave le Bien est

associeacute agrave lrsquoUn125 Selon lui la connaissance drsquoun objet quelconque consistait dans celle

de ses relations agrave tous les autres (fr 73 Taraacuten = 2 I P2 = Proclus In Euclp 179 12-22 Friedlein) et crsquoest aux nombres qursquoil aurait alors accordeacute le statutde principe (voir le reacutesumeacute de A Meacutetry Speusippos Zahl Erkenntnis SeinBernStuttgartWien Paul Haupt 2002 p 11-13 et celui de HD Kraumlmerlaquo Die Aumlltere Akademie raquo dans H Flashar (eacuted) Grundriss der Geschichte derPhilosophie Band 3 Aumlltere Akademie Aristoteles Peripatos Basel SchwabeVerlag 20042 [1983] p 16-17)

126 μηδὲ ὄν τι εἶναι τὸ ἕν αὐτό Meacutet N 5 1092 a 16 (fr 43 Taraacuten = 25 IP2 = Aristote Meacutet N 5 1092 a 11-17)

Jamblique selon qui il ne serait laquo pas encore ecirctre raquo127 une distinctionentre lrsquoUn conccedilu comme premier principe et lrsquoecirctre semble agrave lrsquoœuvrechez lui128 si bien que certains ont mecircme penseacute que Platon lui reacutepon-dait dans le Parmeacutenide129 Il nrsquoest pas utile drsquoentrer dans ce deacutebat laposition de Speusippe peut relever drsquoune reacuteflexion sur le Bien deReacutepublique VI et drsquoune appropriation de lrsquoenseignement oral de Platonagrave nous transmis par le compte-rendu aristoteacutelicien qui laisse Platonassocier eacutetroitement le Bien et lrsquoUn Disons simplement que srsquoil a euconnaissance de la position de Speusippe Numeacutenius peut avoir voulului reacutepondre Nrsquooublions pas qursquoagrave lui comme agrave ses pairs dans lrsquoAn-cienne Acadeacutemie il reproche de ne pas avoir pas laquo tout souffert raquo pour

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 143

127 ὅπερ δὴ ουδὲ ὄν πω δεῖ καλεῖν DCMS IV p 157-8 FestaKlein128 La reconstruction de lrsquoenseignement exact de Speusippe sur le premier

principe est neacutecessairement fragile drsquoune part elle est fondeacutee sur lrsquointerpreacuteta-tion du texte drsquoAristote qui est empreint de critique drsquoautre part elle esteacutetayeacutee par deux autres textes dont le lien agrave Speusippe est controverseacute et dontles auteurs agrave la fois sont familiers du neacuteo-pythagorisme et ont lu Plotin chezqui lrsquoUn est effectivement au-dessus de lrsquoecirctre (il srsquoagit de Jamblique et de Pro-clus dans la traduction de Guillaume de Moerbeke In Parm VII 401-9 Kli-bansky-Labowsky = 50162-71 Steel = fr 48 Taraacuten = 30 IP2) Nous ne propo-sons ici qursquoune hypothegravese de reacuteflexion Pour un exposeacute plus deacutetailleacute sur la rela-tion eacuteventuelle de Numeacutenius agrave Speusippe dans lrsquoeacutelaboration drsquoune leacutegitimiteacuteplatonicienne voir la premiegravere annexe de notre eacutedition commenteacutee des frag-ments de Numeacutenius en preacuteparation

129 Crsquoest la lecture de A Graeser (laquo Platon gegen Speusipp Bemerkun-gen zur ersten Hypothese des Platonischen Parmenides raquo Museum Helveti-cum 54 1997 p 45-47 et laquo Anhang Probleme der Speusipp-Interpreta-tion raquo dans Prolegomena zu einer Interpretation des zweiten Teils des Plato-nischen Parmenides Bern Paul Haupt 1999 p 41-53) et J Halfwassen(Der Aufstieg zum Einen op cit et laquo Speusipp und die metaphysische Deu-tung von Platons Parmenides raquo art cit) adopteacutee par ex par R Dancy(laquo Speusippus raquo dans EN Zalta (eacuted) The Stanford Encyclopedia of Philo-sophy Winter 2012 Edition 20112 [2003] en ligne) et rejeteacutee par C Steel(laquo A Neoplatonic Speusippus raquo art cit p 470 473-475) et LP Gerson(laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit p 2-11de la version eacutelectronique)

rester dans une communauteacute de penseacutee avec leur maicirctre130 Commenous lrsquoavons suggeacutereacute dans les preacuteliminaires il ne serait alors pasimpossible qursquoavec cette eacuteventuelle lecture du Parmeacutenide Numeacuteniuseucirct souhaiteacute reacutepliquer agrave lrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne signaleacutee delrsquoenseignement oral de Platon trouvant quant agrave lui dans le Platon eacutecritla juste interpreacutetation du Platon oral mal laquo entendu raquo Pareille supposi-tion doit toutefois ecirctre prise avec prudence

Par-delagrave la mise en eacutevidence drsquoune poleacutemique agrave plusieurs niveauxlrsquohypothegravese proposeacutee sur lrsquoattitude de Numeacutenius concernant ladeuxiegraveme partie du Parmeacutenide permet de mieux deacuteterminer a contra-rio ce qui caracteacuterise une interpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo 131 du dia-logue De maniegravere geacuteneacuterale drsquoabord la position de Numeacutenius montrepar contraste que lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne trouve son originedans une vue contraire agrave la sienne sur le statut de la forme du Bien et sasituation agrave lrsquoeacutegard de lrsquoοὐσία en Reacutepublique VI ainsi peut-ecirctre que

144 Fabienne JOURDAN

130 Fr 2416-18 1 F = Eusegravebe PE XIV 5 2131 Nous en restons aux caractegraveres geacuteneacuteraux il nrsquoy a en effet pas une seule

et unique interpreacutetation post-plotinienne du Parmeacutenide On remarquera enoutre que Jamblique (drsquoapregraves Proclus In Tim III 1049-16 Diehl) semble eacutevo-quer chez Ameacutelius et Numeacutenius (si lrsquoon suit le raisonnement de Proclus) desdistinctions relatives aux diviniteacutes dans le Sophiste le Philegravebe et le Parmeacutenidequi ne correspondent pas agrave celles retenues dans le neacuteoplatonisme Si ce proposne se rapporte pas seulement agrave Ameacutelius mais vraiment aussi agrave Numeacutenius ilfaudrait en tirer lagrave encore la conclusion que son interpreacutetation ne correspondpas agrave celle du neacuteoplatonisme qui identifie son premier principe agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et donc pas non plus agrave celle des neacuteopytha-goriciens que lrsquoon reconstruit agrave partir des teacutemoignages neacuteoplatoniciens Celadit mecircme srsquoil est tentant de penser que le οὗτοι (10411) de Proclus renvoieaux deux exeacutegegravetes qursquoil vient de citer il se peut malgreacute tout que ne soit deacutesigneacutelagrave que le seul Ameacutelius disciple de Plotin et donc assureacutement familier de lrsquoexeacute-gegravese du Parmeacutenide Il nrsquoy a en revanche aucune difficulteacute agrave precircter agrave Numeacuteniusdes exeacutegegraveses partielles du Sophiste et du Philegravebe (voir nos interpreacutetations desfragments 15 23 F) et 19 27 F) Il nrsquoy en a drsquoailleurs pas davantage agrave imagi-ner chez lui une utilisation partielle du Parmeacutenide ou des allusions agrave ce dia-logue voire une prise agrave la lettre du propos de Parmeacutenide sur lrsquoUn de la pre-miegravere hypothegravese conduisant agrave renoncer agrave celui-ci comme premier principe

dans une appropriation du compte-rendu de lrsquoenseignement oral dePlaton par Aristote En affirmant lrsquoidentiteacute ontologique du Bien et delrsquoEcirctre Numeacutenius srsquointerdit lrsquoidentification de son premier principe agravelrsquoUn distinct de lrsquoecirctre de la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide En refu-sant au contraire pareille identiteacute en srsquoappuyant peut-ecirctre sur lrsquoidenti-fication du Bien et de lrsquoUn precircteacutee agrave Platon et aux platoniciens par Aris-tote et en appliquant ces deux eacuteleacutements agrave une lecture du Parmeacutenide132Plotin ouvre la voie de lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologiqueulteacuterieure du dialogue Malgreacute son caractegravere hypotheacutetique la supposi-tion selon laquelle Numeacutenius prendrait effectivement acte des conseacute-quences aporeacutetiques de la premiegravere hypothegravese en nrsquoidentifiant pas sonpremier principe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit permet ici encore a contrariode deacuteterminer deux autres eacuteleacutements indissociables caracteacuteristiques delrsquointerpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo du Parmeacutenide lrsquoidentification dupremier principe agrave lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese et par suite une lec-ture laquo positive raquo de celle-ci qui en reacutealiteacute contredit les conclusionsneacutegatives de Platon agrave son sujet Une theacuteologie neacutegative en est alorscertes tireacutee (que lrsquoon songe au Commentaire anonyme au Parmeacutenideou agrave celui de Proclus133) Mais cette neacutegativiteacute est conccedilue commereacutesultant de lrsquoincapaciteacute fondamentale de lrsquohomme agrave concevoir le pre-mier principe autrement que par analogies et approximations neacutecessai-rement erroneacutees Elle ne concerne pas le principe en lui-mecircme ni laconviction qursquoil constitue le fondement ultime assurant la coheacutesion dela reacutealiteacute Numeacutenius aura quant agrave lui preacutefeacutereacute rester fidegravele agrave la lettre dutexte et donc aux doutes du maicirctre qui laisse parler Parmeacutenide Agrave ce

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 145

132 Les deux premiers eacuteleacutements agrave eux seuls conduisent seulement agrave laposition de Speusippe dont rien ne permet drsquoaffirmer le rattachement au Par-meacutenide Nous compleacutetons en cela les hypothegraveses de J Whittaker laquo ΕΠΕ-ΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit Voir aussi LP Gerson laquo The lsquoNeo-platonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit

133 In Parm VII 51872-84 Plutocirct que de radicaliser la neacutegation pour par-ler de lrsquoUn Proclus indique que la neacutegation porte en reacutealiteacute sur la conceptionde lrsquoUn et pas sur lrsquoUn lui-mecircme qui garde la fonction laquo positive raquo drsquoassurer lacoheacutesion du reacuteel

stade de nos connaissances et drsquoapregraves lrsquoœuvre parvenue precircter agraveNumeacutenius cette reacuteaction aux conclusions de la premiegravere hypothegravesenous paraicirct la seule maniegravere prudente drsquoenvisager de sa part une inter-preacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide Renoncer agrave lui en precircterune ne poserait toutefois aucune difficulteacute

5 Appendice Numeacutenius et Parmeacutenide134

Cette conclusion sobre sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenidesuggegravere drsquointerroger pour finir son attitude agrave lrsquoeacutegard du Parmeacutenide his-torique lui-mecircme auquel Plotin fait parfois appel Que Numeacutenius aitconnu et utiliseacute (directement ou non) le poegraveme Sur la nature est aveacutereacutepar le teacutemoignage de Porphyre selon lequel il aurait associeacute les porteseacutevoqueacutees lagrave135 agrave celles du Cancer et du Capricorne repreacutesentant selonlui les voies respectivement descendante et ascendante des acircmes136Or dans le Περὶ τἀγαθοῦ qui seul nous inteacuteresse ici deux eacuteleacutementsdoctrinaux pourraient relever drsquoune appropriation personnelle de Par-meacutenide ou plutocirct de la tradition agrave son sujet telle qursquoelle serait parvenueagrave Numeacutenius ndash Platon ayant assureacutement aiguiseacute chez ses successeurslrsquointeacuterecirct pour la penseacutee du personnage eacuteponyme de son dialogue Sansentrer dans une recherche des sources ni dans un exposeacute deacutetailleacute de lapenseacutee de Parmeacutenide et des interpreacutetations de son poegraveme nous nouscontenterons ici drsquoeacutevoquer ces deux points dans le simple but drsquoouvrirla recherche

Le premier concerne la relation de lrsquoecirctre au temps et au change-ment telle qursquoelle est deacutecrite dans le fragment 5 (14 F) deacutejagrave citeacute en par-tie Lrsquoaffirmation que lrsquoecirctre ne saurait ecirctre dans le passeacute ou lrsquoavenir

146 Fabienne JOURDAN

134 Je remercie Francesco Fronterotta drsquoavoir relu cette derniegravere section135 Parmeacutenide fr 1 11 D-K ougrave sont deacutecrites les laquo portes ouvrant sur les

chemins de la nuit et du jour raquo136 Voir Porphyre De antro 21-24 ici surtout 24 Numeacutenius fr 31 27-28

Sur ce texte voir le commentaire de W Huumlbner dans lrsquointroduction de lrsquoeacuteditioncommenteacutee du De Antro parue sous la direction de T Dorandi Paris Vrin2019

mais que seul le preacutesent lui convient et qursquoil ne pourrait pas davantagechanger renvoie assureacutement au propos du Timeacutee (37 d 2-38 b 2)137Que Platon deacuteveloppe ici une reacuteflexion originellement preacutesente chezParmeacutenide et plus preacuteciseacutement pour nous dans le fragment 8 de sonpoegraveme138 pourrait suffire agrave expliquer cet eacutecho parmeacutenidien chezNumeacutenius Mais il est frappant que dans ce fragment 5 (14 F) duΠερὶ τἀγαθοῦ relayeacute par les suivants Numeacutenius reprenne une seacuteriedrsquoeacuteleacutements qui deacutecrivent lrsquoecirctre dans le passage concerneacute du poegraveme outre ceux deacutejagrave nommeacutes on retrouve chez lui lrsquoimpossibiliteacute qursquoalrsquoecirctre de devenir plus grand ou plus petit139 et la neacutecessiteacute qui estsienne de demeurer en lui-mecircme au mecircme endroit140 Ainsi lorsqueNumeacutenius estime que si ces laquo prescriptions raquo indispensables agrave ladeacutetermination de lrsquoecirctre veacuteritable nrsquoeacutetaient pas respecteacutees il se produi-rait une laquo impossibiliteacute majeure dans son discours unique en songenre agrave savoir que lrsquoecirctre agrave la fois serait et ne serait pas raquo141 et faitensuite paraphraser lrsquoideacutee par le disciple du dialogue avec la formule

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 147

137 Voir aussi Plutarque De E 20 393 a-c dont la position est compareacuteeavec celle de Numeacutenius dans notre analyse du fragment

138 Voir les vers suivants du fragment 8 D-K agrave lrsquoorigine de toute lareacuteflexion sur lrsquoeacuteterniteacute (cf M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art citp 157) οὐδέ ποτ᾽ ἦν ἔσται ἐπεὶ νῦν ἐστιν ὁμοῦ πᾶν ἕν συνεχές τίναγὰρ γένναν διζήσεαι αὐτοῦ laquo Il nrsquoa jamais eacuteteacute et ne sera jamais puisqursquoilest maintenant tout ensemble un continu Car quelle naissance pourrais-tului chercher raquo v 5-7 (trad Kirk Raven Schofield en fr par H-A de Weck)et πῶς δ᾽ἄν ἔπειτα πέλοι τὸ ἐόν πῶς δ᾽ἄν κε γένοιτο εἰ γὰρ ἔγεντ᾽ οὐκἔστ᾽ οὐδ᾽ εἴ ποτε μέλλει ἔσεσθαι τῶς γένεσις μὲν ἀπέσβεσται καὶἄπυστος ὄλεθρος laquo Comment pourrait-il ecirctre par la suite Celui qui est Comment pourrait-il naicirctre Car srsquoil est neacute il nrsquoest pas de mecircme lt il nrsquoest pasnon plus gt srsquoil doit ecirctre un jour Ainsi est eacuteteinte la naissance eacuteteinte aussi ladestruction disparue sans qursquoon en parle raquo v 19-21 (trad D OrsquoBrien leacutegegravere-ment modifieacutee) Voir aussi les vers 26-28 du mecircme fragment 8 D-K sur lrsquoab-sence de mouvement ainsi que de deacutebut et de fin

139 Parmeacutenide fr 844-45 D-K140 Parmeacutenide fr 829-30 D-K cf Numeacutenius fr 11 (19 F)141 ὡς τούτου γε οὕτως λεγομένου ἓν γίνεταί τι ἐν τῷ λόγῳ μέγα

ἀδύνατον εἶναί τε ὁμοῦ ταὐτὸν καὶ μὴ εἶναι

relativement complexe εἰ δὲ οὕτως ἔχει σχολῇ γrsquo ἂν ἄλλο τι εἶναιδύναιτο τοῦ ὄντος αὐτοῦ μὴ ὄντος κατὰ αὐτὸ τὸ ὄν il nrsquoest pasexclu qursquoil ait ici le poegraveme parmeacutenidien agrave lrsquoesprit auquel il seraitrevenu directement ou non sous lrsquoimpulsion de Platon La phraseindique en effet (nous paraphrasons) que si pareille impossibiliteacute seproduisait il serait mecircme impossible agrave autre chose (que lrsquoecirctre) drsquoecirctrepuisque lrsquoecirctre lui-mecircme ne serait pas selon ce qursquoil devrait ecirctre (κατὰαὐτὸ τὸ ὄν) autrement dit selon sa propre essence et deacutefinitionNumeacutenius suggegravere sans doute par lagrave que si lrsquoecirctre eacutetait soumis au pas-sage du temps et au changement il serait tout simplement non-ecirctrepuisqursquoil ne correspondrait pas agrave sa propre deacutefinition ce qui explique-rait son impossibiliteacute de constituer le fondement de la reacutealiteacute Une foisreplaceacute dans le contexte de penseacutee de Numeacutenius ougrave ce qui est non-ecirctreest la matiegravere et la partie du sensible qui relegraveve drsquoelle lrsquoideacutee semblefort proche de la maniegravere dont Parmeacutenide dresse lrsquoantithegravese entre ecirctreet non-ecirctre dans ce mecircme fragment 8 de son poegraveme142 Cette impres-sion peut ecirctre eacutetayeacutee par celle drsquoune prise de distance agrave lrsquoeacutegard de cepassage du poegraveme lorsque Numeacutenius affirme que lrsquoecirctre nrsquoest pasmecircme mucirc autour de son centre143 si cette preacutecision fait sans doutedrsquoabord allusion agrave lrsquoacircme du monde qui se meut autour de celui-ci dansle Timeacutee et par suite au refus drsquoidentifier lrsquoecirctre veacuteritable agrave une acircme144elle porte peut-ecirctre eacutegalement la trace drsquoune reacuteaction agrave lrsquoidentificationparmeacutenidienne de lrsquoecirctre agrave une sphegravere145 Lrsquohypothegravese est cependantplus fragile et Numeacutenius heacuterite sans doute avant tout de Platon enverslequel il se situe Crsquoest agrave partir du Timeacutee qursquoil eacutelabore sa penseacutee Maisil ne semble pas exclu qursquoil soit parfois retourneacute (directement ou non)agrave lrsquooriginal auquel reacutefegravere implicitement Platon ce qui est drsquoautant plus

148 Fabienne JOURDAN

142 Sur le non-ecirctre chez Parmeacutenide voir par ex D OrsquoBrien Le Non-Ecirctredans la philosophie grecque Parmeacutenide Platon Plotin raquo dans P Aubenque(eacuted) Eacutetudes sur le Sophiste de Platon Napoli Bibliopolis 1991 p 4-9

143 οὔτε περὶ τὸ μέσον ποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται144 Il srsquoagit lagrave selon nous drsquoun argument essentiel agrave la non-identification

numeacutenienne du deacutemiurge agrave lrsquoacircme du monde145 Fr 8 42-44 D-K

vraisemblable que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacute comme un pythago-ricien146

Le second eacuteleacutement du Περὶ τἀγαθοῦ qui pourrait suggeacuterer lrsquoap-propriation drsquoun passage de Parmeacutenide147 est lrsquoidentification de lrsquoecirctreet de lrsquointellect agrave chacun des deux niveaux ougrave Numeacutenius les situe Ecirctre lui-mecircme (αὐτοόν) et ecirctre deacuteriveacute (ὄν) premier et second intel-lects correspondant au premier et au deuxiegraveme dieu Sans entrer dansle deacutetail de lrsquointerpreacutetation disons simplement que selon nous en fai-sant de lrsquolaquo acte raquo de penser148 lrsquoapanage du premier dieu et en identi-fiant ce mecircme dieu agrave lrsquoEcirctre149 Numeacutenius suggegravere une union intime etprofonde entre ecirctre et penser qursquoil aurait pu consideacuterer comme remon-tant agrave Parmeacutenide lui-mecircme ou qursquoil aurait pu eacutetayer par une appropria-tion du fragment 3 de son poegraveme tel qursquoil est transmis par CleacutementdrsquoAlexandrie et Plotin150 [] τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶεἶναι [] Certes dans ce fragment de vers lrsquoidentification entre ecirctreet penser est suggeacutereacutee par lrsquoextraction du texte hors de son contexte envue justement drsquoy trouver pareille identification Elle ne correspond

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 149

146 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres IX 21(A 1 D-K) Proclus In Parm I 6194 Cousin cf Jamblique VP 166 (A 4D-K)

147 Pour reprendre les termes du fragment 1 (10 F) on pourrait aussi parlerde lrsquolaquo invocation raquo de Parmeacutenide comme source pythagorisante en accord avecPlaton et confirmant la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ elle-mecircme eacutetayeacutee par leslaquo teacutemoignages raquo de celui-ci Numeacutenius semble en effet pouvoir citer Parmeacute-nide pour confirmer son propos agrave la fois parce qursquoil ne pouvait que paraicirctre enaccord avec Platon (cf fr 1 10 F) et parce que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacutecomme pythagoricien

148 Degraves le fragment 15 (23 F) de maniegravere implicite dans le fragment 16 (24F) et explicite au fragment 19 (27 F)

149 Fr 17 (25 F)150 Cleacutement Strom VI 2 233 Plotin Enn VI 1 [10] 817 V 9 [5] 29-

30 cf I 4 [46] 106 III 8 [30] 88 VI 7 [38] 4118 (voir D OrsquoBrien Eacutetudessur Parmeacutenide T I Le Poegraveme de Parmeacutenide Paris Vrin 1987 p 19) ndash Onpourrait drsquoailleurs aussi penser aux vers 34-36 du fragment 8 eacutevoqueacute dans leparagraphe preacuteceacutedent

sans doute pas au sens originel du passage151 De plus chez Numeacuteniusle type de penseacutee speacutecifique agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme nrsquoest pas le νοεῖν maisle φρονεῖν Mais drsquoune part νοεῖν nrsquoayant pas chez Parmeacutenide lesens preacutecis que lui donne ensuite la tradition platonicienne une margerelative drsquointerpreacutetation et de preacutecision eacutetait laisseacutee agrave lrsquointerpregraveteappartenant agrave cette tradition152 drsquoautre part on peut tregraves bien imaginerNumeacutenius extraire ce passage dont la juxtaposition des termes luiaurait paru opportune pour eacutetayer son propos et preacuteciser le sens de laformule ainsi obtenue en distinguant deux niveaux de lrsquoecirctre auxquelscorrespondent deux types distincts de penseacutee (le νοεῖν entendu ausens platonicien drsquointellection revenant au seul second dieu)153Lorsque Cleacutement et apregraves lui Plotin reprennent cette formule il neserait pas impossible qursquoils lrsquoempruntent ainsi extraite agrave Numeacutenius

150 Fabienne JOURDAN

151 Denis OrsquoBrien (ibid p 19 209-212) a montreacute qursquoen reacutealiteacute dans lepoegraveme les deux infinitifs ne doivent vraisemblablement pas ecirctre pris commesujet drsquoun ἐστίν agrave valeur copulative mais peut-ecirctre comme compleacutement dupronom (τὸ αὐτό) ou de lrsquouniteacute syntaxique constitueacutee par le pronom et leverbe (au sens de laquo crsquoest une seule et mecircme chose pour penser et pour ecirctre raquodrsquoougrave la traduction par laquo crsquoest une seule et mecircme chose que lrsquoon pense et quiest raquo) F Fronterotta reprend son analyse et conclut que pour Parmeacutenideνοεῖν deacutesigne une forme de perception immeacutediate non sans lien avec lrsquoactiviteacutesensorielle mais allant au-delagrave des sens et de leur uniteacute creacuteative (laquo Someremarks on noein in Parmenides raquo dans S Stern-Gillet K Korrigan (eacuted)Reading ancient texts Vol I Presocratics and Plato Leiden Brill 2007p 3-19) Il ne srsquoagit donc pas (encore) de la perception intuitive que deacutesignerace verbe ulteacuterieurement

152 Voir la note preacuteceacutedente153 Nous pourrions preacuteciser ainsi lrsquointention de Numeacutenius srsquoil songe effec-

tivement agrave cette formule Selon nous il partage la conviction platonicienne quiveut que pour ecirctre pensable il faut ecirctre reacuteellement (et donc ecirctre intelligible crsquoest la leccedilon du Timeacutee) Srsquoil confrontait cette conviction au vers de Parmeacute-nide il lui donnerait donc drsquoabord lrsquointerpreacutetation laquo objective raquo deacuteceleacutee parFr Fronterotta (laquo Some remarks on noein in Parmenides raquo art cit) Toutefoisdans sa deacutefinition de lrsquoecirctre bientocirct identifieacute au Bien il retourne de toute eacutevi-dence cette conception et considegravere que nrsquoest veacuteritablement que ce qui est pen-sable (et donc lagrave encore intelligible par ex fr 4 a 13 F sur la matiegravere qui

Plotin lrsquoutilise certes pour caracteacuteriser le seul et unique Intellect chezlui situeacute au seul second niveau de la reacutealiteacute Mais cela correspondrait agravesa tendance geacuteneacuterale agrave faire passer au second niveau ce qui correspondau premier chez Numeacutenius154

De Numeacutenius il heacuterite donc peut ecirctre drsquoune lecture de Parmeacutenideplutocirct que du Parmeacutenide

Fabienne JOURDANCNRS UMR 8167 laquo Orient et Meacutediterraneacutee raquo Paris-Sorbonne

jourdanfabiennewanadoofr

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 151

nrsquoest pas ecirctre et ougrave une preuve de cet eacutetat est son caractegravere inconnaissable)Appliqueacutee agrave la formule de Parmeacutenide cette conviction en produirait ce queFr Fronterotta appelle une lecture laquo subjective raquo En outre dans le deacutesir sansdoute drsquoexpliquer la participation de maniegravere concregravete il ne donne pas seule-ment lrsquointelligibiliteacute comme condition de lrsquoecirctre (au sens passif du terme) maisil considegravere le fait de penser comme condition du fait drsquoecirctre reacuteellement (ausens laquo actif raquo du terme) Crsquoest pourquoi srsquoil avait connu et utiliseacute la formule deParmeacutenide ne serait-ce que pour eacutetayer son propos il y aurait sans douteentendu lrsquoaffirmation de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre et de la penseacutee mieux du penserCela pourrait certes paraicirctre lui attribuer une forme drsquoideacutealisme heacutegeacutelien(selon les termes de Fr Fronterrota laquo Some remarks on noein in Parmenides raquoart cit p 6) Mais telle est aussi la lecture de Cleacutement drsquoAlexandrie (StromVI 2 233) Or mecircme srsquoil ne le cite explicitement qursquoune fois (Strom I 22150 1-4 = 29 Fd) Cleacutement connaicirct Numeacutenius et se sert parfois de ses eacutecritssans le nommer (voir par ex Strom I 8 405 Strom I 13 571) Il nrsquoest doncpas impossible que pareille interpreacutetation circulacirct deacutejagrave au temps de Numeacuteniusvoire chez lui et mecircme gracircce agrave lui Le raisonnement du Περὶ τἀγαθοῦ dumoins passe par lrsquoidentification de lrsquoecirctre agrave lrsquo laquo activiteacute raquo de penser ensuiteconccedilue aux niveaux infeacuterieurs comme condition mecircme de leur participation agravelrsquoecirctre (voir le fr 19 27 F)

154 Nous simplifions et deacutecrivons simplement une tendance le processuspreacutecis requerrait une explication deacutetailleacutee qui nrsquoa pas sa place ici

152 Fabienne JOURDAN

Page 15: NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE · 2020. 4. 16. · NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE?* PREMIÈREPARTIE: L’ŒUVREPARVENUEDENUMÉNIUSETLEPARMÉNIDE DEPLATON RÉSUMÉ Si

intellect et drsquoautre part au Bien et Ecirctre lui-mecircme ou par excellence(selon les formules αὐτοάγαθον et αὐτοόν)41 que dans une perspec-tive exeacutegeacutetique il considegravere comme repreacutesenteacute par la forme du Bieneacutevoqueacutee dans la Reacutepublique42 De ce premier principe Numeacutenius dis-tingue un second dieu ou principe identifieacute cette fois au deacutemiurge duTimeacutee43 Ce dieu assure le rocircle deacutemiurgique dont le premier est ainsidispenseacute et il est conccedilu comme lrsquoimage de celui-ci il est le Bon parti-cipant au Bien le second intellect qui produit sa propre forme encontemplant le premier faccedilonnant ou deacuteterminant pour cela lrsquoecirctre oulrsquoessence (οὐσία) que le premier lui procure par le simple fait drsquoecirctre(soi et le Bien)44 Telle est du moins la maniegravere dont nous lisonsconjointement les fragments 11 et 16 (19 et 25 F)45 Autrement dit tan-dis que le premier dieu est le principe de lrsquoecirctre le second est le prin-cipe du devenir46 Numeacutenius donne plus preacuteciseacutement deux laquo aspects raquo

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 115

indique agrave lui seul que le texte srsquoadonne agrave une recherche et deacutefinition des prin-cipes Aristote et Xeacutenocrate le donnent ensuite chacun agrave lrsquoune de leurs œuvresSur lrsquoimportance de ce titre voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius Sur leBien de Platon Lrsquoenseignement oral du maicirctre comme occasion de rechercherson pythagorisme dans ses eacutecrits raquo Χώρα 15-16 2017-2018 p 139-165

41 Voir par ex fr 16 et 17 (24 et 25 F) ndash Tout au long de cette eacutetude lesfragments sont citeacutes selon la numeacuterotation de lrsquoeacutedition drsquoEacutedouard des Places(Numeacutenius Fragments Paris Les Belles Lettres 1973) nous indiquons entreparenthegraveses les numeacuteros qui correspondent dans notre eacutedition en preacuteparation

42 Voir surtout les fr 19 et 20 (27 et 28 F)43 Voir notamment les fr 11 12 et 18 (19 20 et 26 F) En reacutealiteacute le

deacutemiurge du Timeacutee partage ses attributs entre le premier dieu numeacutenien(auquel il laisse sa fonction de source divine des acircmes cf fr 13 21 F) et lesecond qui est aussi troisiegraveme et reacutealise les opeacuterations proprements deacutemiur-giques assumant par lagrave en partie le rocircle des dieux secondaires du Timeacutee

44 Fr 16 (24 F)45 Voir aussi lrsquoanalyse du fr 16 (24 F) par G Muumlller laquo Ἰδέα y οὐσία en

Numenio de Apamea Una reinterpretacioacuten de la ontologiacutea platoacutenica raquo Cua-dernos de Filosofiacutea 59 2012 p 121-140 Nous prenons position agrave son sujetdans la deuxiegraveme partie de cette eacutetude Revue de philosophie ancienne 37-2

46 Ibid

agrave ce second dieu selon lrsquoorientation de son attention deux laquo aspects raquoqui conduisent agrave parler agrave son sujet de deux laquo dieux raquo qui toutefois nrsquoenconstituent reacutealiteacute qursquoun seul lorsqursquoil est tourneacute vers soi crsquoest-agrave-direvers lrsquointelligible qursquoil est lui-mecircme par contemplation du Bien lesecond dieu est entiegraverement agrave soi et donc reacuteellement soi second dieu lorsqursquoil est tourneacute vers la matiegravere qursquoil met en ordre il est deacutemiurgeau sens litteacuteral du terme et devient laquo troisiegraveme dieu raquo47 Cette divisionnrsquoimplique pas une reacuteelle scission et ne srsquoavegravere autre qursquoune diffeacuterencedrsquoorientation agrave lrsquoorigine drsquoune uniteacute diviseacutee image imparfaite delrsquouniteacute indivisible et parfaite qursquoest le premier dieu

Cette bregraveve preacutesentation doit suffire agrave comprendre le cadre de lapenseacutee numeacutenienne48 Signalons simplement encore trois points essen-tiels pour la confrontation avec le Parmeacutenide et ses interpreacutetations

1) Lrsquoeacuteleacutement fondamental du Περὶ τἀγαθοῦ est lrsquoidentificationdu Bien lui-mecircme (ἀυτοάγαθον) premier principe agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme (αὐτοόν)49 Elle srsquoaccompagne de lrsquoaffirmation qursquoil existeune laquo con-naturaliteacute raquo du Bien agrave lrsquoeacutegard de lrsquoessence50 (σύμφυτον τῇ

116 Fabienne JOURDAN

47 Fr 11 (19 F)48 La preacutesentation ici donneacutee deacutepend de propre analyse des textes Pour

drsquoautres interpreacutetations voir aussi par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit J Opsomer laquo Demiurges in Early Imperial Platonism raquo dans R Hirsch-Luipold(eacuted) Gott und die Goumltter bei Plutarch BerlinNew York de Gruyter 2005p 63-72 M Baltes dans H Doumlrrie M Baltes Ch Pietsch Die PhilosophischeLehre des Platonismus Band 71 Theologia Platonica Stuttgart Bad Canns-tatt Frommann-Holzboog 2008 p 472-482 Les vues de CS OrsquoBrien TheDemiurge in Ancient thought Secondary Gods and Divine mediators Cam-bridge Cambridge University Press 2015 p 139-168 sont agrave consideacuterer avecla plus grande preacutecaution

49 Fr 17 (25 F) cf fr 2 (11 F)50 Nous traduirons ici οὐσία par laquo essence raquo consciente des faiblesses de

cette traduction qui dans le contexte platonicien examineacute nrsquoimplique naturel-lement pas de distinction par rapport agrave la notion drsquoexistence Dans ce contextelaquo essence raquo est agrave prendre au sens de reacutealiteacute intelligible (sur cette deacutefinition voirpar ex R Chiaradonna laquo Substance raquo dans P Remes S Slaveva-Griffin(eacuted) The Routledge Handbook of Neoplatonismi LondonNew York Rout-

οὐσίᾳ51) le Bien partage la mecircme nature que cette οὐσία (forme sub-stantive de lrsquoecirctre) qui provient ainsi de lui Numeacutenius exprime deacutejagrave cetteideacutee au fragment 2 (10 F) par lrsquoimage du Bien laquo monteacute sur lrsquoessence raquo(comme on dirait laquo sur un cheval raquo52) Par lrsquoutilisation de la preacutepositionet du preacuteverbe ἐπί- de preacutefeacuterence agrave ὑπό- (preacutesent dans la formule de Pla-ton) la formule ἐποχούμενον ἐπὶ τῇ οὐσίᾳ indique une laquo transcen-dance raquo53 avec contact qui donne sans deacutetour lrsquointerpreacutetation que Numeacute-nius fait de la formule eacutenigmatique de Reacutepublique VI 509 b 8-10 srsquoilest une laquo transcendance raquo du premier principe elle est drsquoordre cosmolo-gique et non laquo ontologique raquo au sens ougrave ce principe constitue la formeeacuteminente de lrsquoecirctre mais ne srsquoen distingue pas par son essence

2) Ce premier principe est certes immobile en tant qursquoecirctre54exempt de toute activiteacute sous-entendu deacutemiurgique55 mais Numeacuteniuseacutevoque un laquo mouvement qui accompagne naturellement son repos raquo(τῷ πρώτῳ στάσιν [] κίνησιν σύμφυτον56) Ce mouvementindique vraisemblablement que le premier principe pense57 et la for-mule preacutepare son identification agrave un intellect Concernant ce premierdieu toutefois le type de penseacutee qui le caracteacuterise est visiblementconccedilu comme nrsquoimpliquant pas drsquoactiviteacute proprement dite au sens du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 117

ledge 2014 p 216) La deacutetermination nrsquointervient ici qursquoavec le second dieu οὐσία est le terme qui sert agrave exprimer litteacuteralement lrsquoecirctre (ὄν) de maniegravere sub-stantive un ecirctre que le premier dieu Ecirctre par excellence fait advenir sans acteproducteur simplement en eacutetant ce qursquoil est et donc sans que cette οὐσία quivient de lui soit ontologiquement distincte de lui

51 Fr 16 (24 F)52 Lrsquoimage apparaicirct litteacuteralement dans les Oracles chaldaiumlques fr 1466

des Places53 On pourrait alors aiseacutement renoncer au mot laquo transcendance raquo et preacutefeacute-

rer la notion de primauteacute hieacuterarchique par exemple54 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)55 Fr 11-12 (19-20 F)56 Fr 15 (23 F)57 Le passage est agrave interpreacuteter en lien avec le Sophiste 248 e-249 a (voir

notre commentaire au passage dans lrsquoeacutedition en preacuteparation)

moins ougrave cette penseacutee est sans objet et nrsquoest pas mecircme penseacutee de soi aufragment 19 (27 F) Numeacutenius parle drsquoun φρονεῖν qui est lrsquoapanage dupremier dieu sous-entendu agrave la diffeacuterence notamment du νοεῖν saisieintuitive de lrsquointelligible caracteacuteristique du second dieu58 et plus encoredu διανοεῖσθαι activiteacute de penseacutee discursive agrave lrsquoorigine de la deacutemiur-gie Ce φρονεῖν peut selon nous ecirctre compris comme une penseacuteelaquo intransitive raquo (crsquoest-agrave-dire sans objet) pure dispensation du Bien parlrsquoecirctre du Bien59 En cela elle nrsquoimplique reacuteellement aucune activiteacute

Crsquoest alors en ce sens assureacutement que le premier dieu est ditlaquo entourer les intelligibles raquo ou plus exactement et litteacuteralement ecirctrelaquo autour des intelligibles raquo au fragment 15 (23 F περὶ τὰ νοητά) lrsquoexpression nrsquoimplique ni qursquoil les contienne ni qursquoil les produisecomme son objet de penseacutee ni mecircme qursquoil les pense60 Si elle visepeut-ecirctre agrave rendre compte drsquoune identification ultime du premier prin-

118 Fabienne JOURDAN

58 Agrave la limite le premier dieu ne peut lrsquoexercer que par lrsquointermeacutediaire dusecond voir le teacutemoignage de Proclus In Tim III 10328-32 Diehl = fr 22(contre cette interpreacutetation traditionnelle voir G Muumlller laquo Queacute es ldquolo que esvivienterdquo (ὁ εστι ζῶον) seguacuten Numenio de Apamea raquo Cuadernos Filosofiacutea64 2015 p 11-12 dont lrsquohypothegravese bien que seacuteduisante ne tient pas agrave lrsquoexa-men de la syntaxe du passage lrsquoinfinitif νοεῖν ne peut avoir que τὸν πρῶτονcomme laquo sujet raquo et non un δεύτερoν implicitement tireacute du geacutenitif δευτέρου)

59 Nous reacutesumons Voir aussi lrsquoeacutetude de la φρόνησις chez Platon parM Dixsaut laquo De quoi les philosophes sont-ils amoureux Sur la phronegravesisdans les dialogues de Platon raquo repris dans M Dixsaut Platon et la question dela penseacutee Eacutetudes platoniciennes I Paris Vrin 2000 p 93-119 ndash Le lien eacutety-mologique originel entre φρονεῖν et φρήν (le diaphragme) suggegravere une autreimage ce φρονεῖν est comme une laquo respiration drsquoecirctre raquo qui est le Bien et drsquoougraveeacutemane le bien

60 Cette interpreacutetation qui tient entre autres compte de la simpliciteacute abso-lue du premier dieu (fr 11 = 19 F) nrsquoest pas contradictoire avec celle de Timeacutee39 e 7-9 par laquelle Numeacutenius aurait associeacute son premier dieu au Vivant (InTim III 103 28-32 Diehl = fr 22) Certes dans le Timeacutee le Vivant a en lui lesformes (ἐνούσας ἰδέας τῷ ὃ ἔστι ζῷον 39 e 8) Mais sans pouvoir deacutevelop-per ici notre analyse disons simplement que Numeacutenius a pu lire le texte autre-ment et inspirer la distinction drsquoAmeacutelius entre un laquo intellect qui est (leVivant) raquo et un laquo intellect qui a (les formes en lui) raquo notamment en deacutecompo-

cipe au Vivant du Timeacutee61 dans le contexte du Περὶ τἀγαθοῦ ellerenvoie selon nous agrave un pur eacutetat de lrsquoecirctre agrave vertu bienfaitrice ou salvi-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 119

sant ἐνούσας de maniegravere cratylienne pour y lire ἐν-νους-ας qui eacutevoquerait lesformes laquo qui sont dans le νοῦς raquo le second dieu et intellect que Numeacutenius voitdeacutesigneacute dans le νοῦς du texte platonicien Le datif τῷ ὃ ἔστι ζῷον nrsquoauraitplus alors deacutesigneacute chez lui le lieu ougrave se trouvent les formes mais le destina-taire de la contemplation celui laquo pour qui ou agrave lrsquointention de qui en faveur dequi raquo le νοῦς qui a les formes en lui les contemplerait (autrement dit exerceraitle νοεῖν) Lrsquoaffirmation que crsquoest gracircce au second dieu et intellect (ἐνπροσχρήσει τοῦ δευτέρου) que le premier exercerait un νοεῖν pourrait ainsiconstituer lrsquoexplicitation de cette lecture eacutetonnante du texte platonicien Ainsile premier dieu nrsquoexercerait jamais le νοεῖν il nrsquointelligerait que gracircce ausecond qui le ferait pour lui Cette preacutecision pourrait servir agrave reacutepondre agravelrsquoeacuteventuelle objection drsquoun aristoteacutelisant qui deacutenoncerait une identification dupremier dieu agrave un νοῦς srsquoaccompagnant drsquoun refus de precircter agrave celui-ci lrsquoacti-viteacute du νοεῖν Numeacutenius reacutepondrait ainsi il ne lrsquoexerce pas lui-mecircme maispar lrsquointermeacutediaire du second qui le fait pour lui tandis qursquoil srsquoadonne au seulφρονεῖν Voir aussi notre interpreacutetation des fr 16 et 18 (24 et 26 F) ndash Pourune autre interpreacutetation de ce passage voir par ex M Frede laquo Numenius raquoart cit p 1062-1063 1065-1066 et 1069-1070 JP Kenney laquo ProschresisRevisited An Essay in Numenian Theology raquo dans JR Daly (eacuted) Orige-niana quinta Historica Text and method Biblica Philosophica Theologia Origenism and later developments Leuven Peeters p 217-230 RD PettyThe Fragments of Numenius Santa Barbara 1993 p 135-137 (republieacute agraveWestbury Prometheus Trust 2012) M Baltes dans H Doumlrrie M BaltesCh Pietsch Die Philosophische Lehre des Platonismus Band 71 op citp 477-478 A Michalewski laquo Le Premier de Numeacutenius et lrsquoUn de Plotin raquoArchives de philosophie 75 2012 p 35-37 et La Puissance de lrsquointelligibleLa Theacuteorie plotinienne des Formes au miroir de lrsquoheacuteritage meacutedioplatonicienLeuven Leuven University Press p 94-96

61 Voir Platon Timeacutee 30 c 7-8 (avec le participe περιλαβόν) et 31 a 3 (τograveπεριέχον πάντα ὁπόσα νοητὰ ζῷα) avec deux participes preacutefixeacutes en περί- agravepropos du Vivant qui a tous les intelligibles en lui et auquel Numeacutenius peutvouloir renvoyer avec sa formule περὶ τὰ νοητά La reacutefeacuterence implicite aupassage de la Lettre II 312 e 1-4 savamment reacuteeacutecrit indique toutefois queNumeacutenius donne un tout autre sens agrave ce περί Voir aussi le teacutemoignage de Pro-clus citeacute dans les notes preacuteceacutedentes

fique selon lrsquoideacutee de salut suggeacutereacutee agrave la fin de ce mecircme fragment Endrsquoautres termes le premier dieu serait περὶ τὰ νοητά au sens ougrave ilentoure les intelligibles de sa bienveillance leur transmettant agrave la foislrsquoecirctre et le Bien qursquoil est avant que le deacutemiurge ne les y fasse participeragrave son tour par sa bonteacute agrave lrsquoorigine de leur ecirctre deacutetermineacute62 et nrsquoy fasseparticiper aussi les sensibles en les eacutelevant agrave son propre caractegravere mar-queacute par cette mecircme bonteacute63 Le premier dieu le Bien est le modegravele dusecond le Bon et non pas des formes srsquoil doit ecirctre identifieacute au Vivantcrsquoest en tant que source ultime de la vie64 modegravele de ce second dieuqui transmet alors la vie au monde sensible (fr 1220F) et non en tantque paradigme totalisant et contenant les formes des quatre typesdrsquoecirctre vivants nommeacutes en Timeacutee 39 e 10-41 a 2

En cela le premier de Numeacutenius loin drsquoecirctre une entiteacute sans rapportau monde en est non seulement le principe mais il est pour lui lasource reacuteelle du Bien reacuteel ndash autrement dit il joue le rocircle de la Provi-dence qui est alors concregravetement exerceacutee par le second principe leBon Tout en eacutetant conccedilu comme premier intellect il nrsquoest donc pas lepremier moteur immobile aristoteacutelicien qui se pense lui-mecircme65 etauquel fut justement reprocheacute son deacutefaut de Providence66

120 Fabienne JOURDAN

62 Selon notre lecture de la formule ἰδέα ἑαυτοῦ du fragment 16 (24 F)comme renvoyant au monde intelligible comme ensemble de formes deacutetermi-neacutees

63 Voir le fr 11 (19 F) sur cette eacuteleacutevation du sensible vers le caractegravere dudeacutemiurge lequel est le laquo Bon raquo en reacutefeacuterence au Timeacutee Numeacutenius distingue leBien premier principe du Bon second principe en utilisant lrsquoadjectif substan-tiveacute au neutre pour deacutesigner le premier et lrsquoadjectif au masculin pour le second

64 Tel est selon nous le sens de lrsquoexpression ὁ μέν γε ὢν σπέρμα πάσηςψυχῆς au fr 13 (21 F) qui en fait la semence de toute acircme voir par ex F Jour-dan laquo Eusegravebe de Ceacutesareacutee et les extraits de Numeacutenius dans la Preacuteparationeacutevangeacutelique raquo dans S Morlet (eacuted) Lire en extraits Pratiques de lecture et deproduction des textes de lrsquoAntiquiteacute au Moyen Acircge Paris PUPS 2015 p 143-147

65 Contra par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit p 107066 Sur ce sujet notamment chez Plutarque dont Numeacutenius aurait pu ici par-

tager la critique voir par ex F Ferrari laquo Provvidenza platonica o autocontem

3) On notera ici enfin que selon toute vraisemblance Numeacuteniusnrsquoidentifie pas son premier principe agrave lrsquoUn67 Ce principe est certesunique (μόνος) simple (ἁπλοῦς) et indivisible (μὴ διαίρετος) encela distinct de lrsquouniteacute divisible que constitue le second dieu68 MaisNumeacutenius ne lrsquoidentifie pas agrave lrsquoUn et en tout cas pas agrave lrsquoUn du Parmeacute-nide69 Notre conviction srsquoappuie sur lrsquoanalyse du fragment 19 (27 F)Agrave la fin du passage on lit lrsquoexpression τὸ ἀγαθὸν ὅτι ἐστὶν ἕνNumeacutenius la donne comme une conclusion de Platon dont le sens pro-fond ne peut ecirctre perccedilu que par les laquo regards aiguiseacutes raquo autrement ditpar ceux qui comprennent le propos de Numeacutenius Elle provient assu-reacutement de la tradition orale on la retrouve dans le compte-rendu de laLeccedilon sur le Bien par Aristoxegravene70 Comme lrsquoarticle deacutefini peut ecirctreomis devant lrsquoattribut on peut certes heacutesiter sur sa traduction laquo leBien est lrsquoUn raquo ou laquo le Bien est un raquo Dans le contexte matheacutematiqueougrave elle est preacutesenteacutee chez Aristoxegravene la premiegravere traduction est sansdoute la bonne Mais ce nrsquoest pas neacutecessairement le sens originel (siPlaton srsquoest reacuteellement exprimeacute ainsi) et assureacutement pas celui que veut

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 121

plazione aristotelica la scelta di Plutarco raquo dans L Van der Stockt F Titche-ner HG Ingenkamp A Peacuterez Jimeacutenez (eacuted) Gods Daimones Rituals Mythsand History of Religions in Plutarchrsquos Works Maacutelaga International PlutarchSociety 2010 p 177-190 et laquo La teologia di aristotele nel medioplatonismo raquodans Y Lehman (eacuted) Aristoteles Romanus La Reacuteception de la science aristo-teacutelicienne dans lrsquoEmpire greacuteco-romain Turnhout Brepols 2012 p 299-312 voir aussi chez Atticus A Michalewski laquo Faut-il preacutefeacuterer Eacutepicure agrave Aris-tote raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted) Reacuteceptions de la theacuteolo-gie aristoteacutelicienne DrsquoAristote agrave Michel drsquoEphegravese Leuven Peeters 2017p 123-142

67 Contra notamment ici G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 84

68 Fr 11 19 F69 Contra A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV

op cit p 124 M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 22570 Aristoxegravene Eacuteleacutements drsquoharmonique 22016313 Macran 398-404 da

Rios texte ndeg 1 p 248 Richard

lire Numeacutenius Dans le contexte du fragment la formule perd touteambiguiumlteacute parce que lrsquointerpreacutetation en est donneacutee au preacutealable Numeacute-nius a insisteacute sur lrsquouniciteacute du Bien dont la bonteacute a eacuteteacute identifieacutee agrave lrsquoactespeacutecifique du φρονεῖν Si Platon a dit τἀγαθὸν ἐστὶν ἕν ndash formule dontNumeacutenius srsquoestime devoir rendre compte puisqursquoil eacutecrit justement luiaussi Sur le Bien ndash crsquoest donc selon lui parce qursquoil nrsquoy a qursquoun seul etunique Bien le Bien lui-mecircme (αὐτοάγαθον) Par suite la seulemaniegravere de rencontrer le bien de maniegravere geacuteneacuterale consiste agrave prendrepart agrave lrsquoactiviteacute de penser qui caracteacuterise le Bien lui-mecircme une penseacuteesource de bonteacute que chacun pourra exercer agrave son niveau (lrsquoideacutee que leφρονεῖν lui est reacuteserveacute suggegravere qursquoil srsquoagit dans son cas drsquoun φρονεῖνagrave lrsquoeacutetat pur) Ce disant Numeacutenius a sans doute une viseacutee poleacutemique agravelrsquoeacutegard notamment drsquoune interpreacutetation pythagorisante de Platon vrai-semblablement issue de lrsquoAncienne Acadeacutemie et peut-ecirctre aussi delrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne de lrsquoenseignement oral71 Lui seul sesera estimeacute comprendre le veacuteritable pythagorisme du maicirctre Quoiqursquoil en soit sur ce point le passage est selon nous la preuve drsquoun refusdrsquoidentifier le Bien agrave lrsquoUn Si Platon a dit que le Bien est un ou mecircmelrsquoUn quelle que soit lrsquointerpreacutetation litteacuterale et donc la traduction rete-nue il nrsquoaurait selon Numeacutenius en reacutealiteacute rien voulu exprimer drsquoautreque lrsquouniciteacute du Bien ainsi que sa seacuteparation drsquoavec le sensible conccediluecomme distinction essentielle drsquoavec les biens de ce monde Numeacuteniusinvite agrave comprendre ἕν comme le synonyme de μόνος que seul ilemploie agrave reacutepeacutetition agrave propos de son premier principe72 et qui a cedouble sens drsquoexprimer lrsquouniciteacute et lrsquoisolement ou la seacuteparationcomme le suggegravere deacutejagrave son emploi reacutecurrent au fragment 2 (11 F)Telle est lrsquointerpreacutetation correcte du Platon non-eacutecrit qursquoil precircte aux

122 Fabienne JOURDAN

71 Voir par ex Meacutet A 6 988 a 10-17 ougrave lrsquoUn est preacutesenteacute comme la causedu Bien et N 4 1091 b 1-20 sur lrsquoidentification du Bien agrave lrsquoUn dans uncontexte de critique des Platoniciens

72 Εἷς nrsquointervient qursquoagrave propos du second dieu conccedilu comme uniteacute divi-sible qui se distingue en cela de lrsquoUn et mecircme de lrsquouniciteacute du fait de sa dualiteacuteneacutecessaire (mais non essentielle)

seuls regards suffisamment aiguiseacutes pour savoir lire Platon lagrave ougravedrsquoautres lrsquoauront mal entendu73

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 123

73 Voir lrsquoanalyse deacutetailleacutee du passage dans F Jourdan laquo Sur le Bien deNumeacutenius raquo art cit ici contra G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 82 et 84 ndash Les deux teacutemoignages suggeacuterant une eacutevocation de lrsquoUnpar Numeacutenius ne paraissent pas infirmer cette lecture Le premier issu deMacrobe (fr 54 = Saturnales I 17 65 = P 99 12-16 Willis) fait eacutetat drsquoune eacutety-mologie de lrsquoeacutepithegravete laquo delphien raquo attribueacutee agrave Apollon ougrave Numeacutenius auraitvraisemblablement voulu retrouver lrsquoeacutetymologie courante du nom propre dudieu comme renvoyant au laquo non-multiple raquo ἀ-πολλά (voir par ex PlutarqueDe E 388 F et De Iside 354 F et 381 F avec J Whittaker laquo Ammonius on theDelphic E raquo Classical Quarterly 63 NS 19 1969 p 187-188 E SyskaStudien zur Theologie des Macrobius Stuttgart Teubner 1993 p 116 n 74)Macrobe rapporte en effet que Numeacutenius aurait fait de δέλφος un adjectifsignifiant unum (dans le latin de Macrobe) par opposition au substantifἀδελφός signifant laquo fregravere raquo et alors conccedilu comme pourvu drsquoun ἀ- privatif(sur cette eacutetymologie voir J Whittaker ibid p 187 n 9 Eacute des PlacesNumeacutenius Fragments op cit p 100 n 1 E Syska Studien zur Theologiedes Macrobius op cit p 193-194 qui estime qursquoelle nrsquoa aucune autre valeurque litteacuteraire) Outre qursquoil concerne un dieu dont nous ne savons pas si Numeacute-nius aurait reacuteellement souhaiteacute lrsquoidentification agrave son premier principe (il sug-gegravere en revanche son association agrave Zeus au fr 2 [11 F] lequel est ensuite asso-cieacute au second dieu au fr 12 [20 F]) le teacutemoignage nrsquoindique pas le sens exacten lequel Numeacutenius aurait aimeacute qursquoon entende cette laquo absence de fregravere raquoDrsquoune part juste avant Macrobe emploie lrsquoexpression singulum et unum quipeut traduire ἕν καὶ μόνον et dont comme dans le grec la redondance avaleur emphatique On ne sait donc pas lequel des deux adjectifs Numeacutenius aexactement employeacute et rien nrsquointerdit de penser que la reprise par unus soit unchoix du neacuteoplatonicien Macrobe Drsquoautre part unus renvoie agrave εἷς et non agrave ἕνEnfin et surtout laquo ne pas avoir de fregravere raquo si tel est le sens que Numeacutenius precirctedans ce contexte agrave δέλφος signifie laquo ecirctre fils unique raquo et reconduit au sens deμόνος Crsquoest pourquoi selon nous ce teacutemoignage nrsquoest pas un indice fiabledrsquoune identification numeacutenienne du premier principe agrave lrsquoUn (contra M Bur-nyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit p 152 n 34) Le second teacutemoignageest quant agrave lui constitueacute par la reacutefeacuterence agrave une singularitas identifieacutee agrave un pre-mier dieu-deacutemiurge dans le compte-rendu numeacutenien de la cosmogonie pytha-goricienne rapporteacutee par Calcidius (fr 52) Or ce premier dieu dans son oppo-sition mecircme agrave la dyade correspond davantage au second dieu du Περὶ

Voilagrave notre lecture du Περὶ τἀγαθοῦ le seul texte meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius dont soient transmis des fragments litteacute-raux Crsquoest agrave partir drsquoelle que nous proposons drsquoexaminer les rapportsentre lrsquoenseignement de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon lui-mecircme le Commentaire anonyme au Parmeacutenide et enfin la source com-mune au Zostrien et agrave Marius Victorinus Agrave chacun de ces troismoments nous tenterons drsquoeacutevaluer srsquoil fournit les indices de lrsquoexis-tence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par Numeacutenius

Premiegravere partie

Lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon le premier principe de Numeacutenius (le Bien) nrsquoest ni lrsquoUn ni

lrsquoUn-qui-est du ParmeacutenideLa premiegravere eacutetape que nous reacutealiserons dans cette premiegravere partie

consiste agrave confronter le Περὶ τἀγαθοῦ au Parmeacutenide lui-mecircme afinde voir srsquoil y renvoie directement ou non Si nous suivions lrsquohypothegravesede J Whittaker74 toutefois nous abandonnerions immeacutediatement lrsquoen-treprise selon lui crsquoest agrave partir du moment ougrave un philosophe inter-pregravete le Bien de Reacutepublique VI 509 b 6-10 comme un principe trans-cendant reacuteellement lrsquoecirctre et comme identifiable agrave lrsquoUn que se profileune interpreacutetation du Parmeacutenide et plus preacuteciseacutement de la premiegraverehypothegravese Or nous venons de montrer que loin de transcender lrsquoecirctrele Bien de Numeacutenius est lrsquoEcirctre lui-mecircme et que son association agrave lrsquoUnsert avant tout un propos exeacutegeacutetique ou srsquoavegravere du moins fort probleacute-matique ndash telle qursquoelle est formuleacutee du moins elle nrsquoimplique aucune

124 Fabienne JOURDAN

τἀγαθοῦ sans compter que lrsquoappellation latine de singularitas traduit plutocirctle grec μόνας que ἕν Le compte-rendu ne peut donc ecirctre compris commerefleacutetant la doctrine propre de Numeacutenius telle du moins qursquoelle est exprimeacuteedans le Περὶ τἀγαθοῦ (voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius raquo art cit)Il nrsquoy a donc aucun texte fiable permettant de precircter agrave Numeacutenius lrsquoidentifica-tion du Bien agrave lrsquoUn et encore moins agrave lrsquoUn du Parmeacutenide

74 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit

allusion au Parmeacutenide75 Si lrsquoon veut malgreacute tout supposer que Numeacute-nius nrsquoen a pas moins utiliseacute le Parmeacutenide et que son œuvre trahit alorsnon seulement la connaissance du dialogue mais un commentaire per-sonnel de celui-ci ne serait-ce que partiel il faut recourir agrave un autrepoint de doctrine que cette identification du premier principe agrave uneentiteacute transcendant lrsquoecirctre et identifieacutee agrave lrsquoUn et justement interroger ladeacutefinition de ce premier principe comme ecirctre Autrement dit il srsquoagitessentiellement de voir si Numeacutenius identifie le Bien ne serait-ce quepartiellement agrave lrsquolaquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

Pour parvenir agrave un reacutesultat probant deux eacutetapes sont neacutecessaires agravecet examen

1) un rappel des quelques points qui dans la deacutefinition de lrsquoecirctre etdu premier principe selon Numeacutenius ont parfois suggeacutereacute des rappro-chements avec le Parmeacutenide

2) une confrontation de la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ avec laseconde partie du dialogue de Platon pour voir si une convergence depenseacutee plus geacuteneacuterale pourrait malgreacute tout suggeacuterer une appropriationde ce texte par Numeacutenius ou si une incompatibiliteacute fondamentaleinvite agrave en douter

Dans lrsquoun et lrsquoautre cas si les reacutesultats sont neacutegatifs cela ne per-mettra pas de conclure que Numeacutenius a ignoreacute le texte ni non plus dese prononcer de maniegravere cateacutegorique sur lrsquoœuvre non parvenue Nousmontrerons drsquoailleurs dans un troisiegraveme temps que Numeacutenius tente dereacutesoudre les apories relatives aux formes poseacutees dans la premiegravere par-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 125

75 On peut faire semblable remarque agrave propos de lrsquoexposeacute des principespythagoriciens par Eudore rapporteacute par Simplicius (In Phys 18110 sq Diels)Mecircme srsquoil eacutevoque diffeacuterents Un la conception deacuteveloppeacutee deacutepend avant toutdes reacuteflexions de lrsquoAncienne Acadeacutemie sur lrsquoUn et la Dyade et est en cela tregravesproche du compte-rendu drsquoAristote sur les principes de Platon en Meacutet A 6 987b 18 sq (sur ce point voir J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquoart cit p 98 qui rapporte les propos de W Theiler agrave la note 11) Il ne sembledonc pas neacutecessaire de supposer un commentaire sous-jacent aux deux pre-miegraveres hypothegraveses du Parmeacutenide mecircme srsquoil nrsquoest eacutevidemment pas exclu que ledialogue ait eacuteteacute invoqueacute pour sa nomination de lrsquoUn La remarque vaut eacutegale-ment pour Speusippe et de maniegravere geacuteneacuterale pour les neacuteo-pythagoriciens

tie du dialogue et nous verrons qursquoagrave lrsquoeacutegard de la premiegravere hypothegraveseil a peut-ecirctre choisi une attitude suggeacutereacutee par Platon lui-mecircme Poureacutelargir cette recherche nous interrogerons enfin sa relation agrave la penseacuteede Parmeacutenide lui-mecircme

1 La deacutefinition du premier principe comme ecirctre dansle Περὶ τἀγαθοῦ des parallegraveles avec le Parmeacutenide

Une fois que lrsquoon a renonceacute agrave precircter agrave Numeacutenius une interpreacutetationdu Parmeacutenide en raison drsquoune identification supposeacutee de son premierprincipe agrave lrsquoUn il reste possible drsquoexaminer les parallegraveles entre la deacutefi-nition de son premier principe identifieacute agrave lrsquoecirctre ou plus geacuteneacuteralemententre sa deacutefinition de lrsquoecirctre et les formulations du dialogue platoniciendans les deux premiegraveres hypothegraveses Les partisans drsquoune interpreacutetationnumeacutenienne du Parmeacutenide dont notamment A-J Festugiegravere76 etD OrsquoMeara77 citent essentiellement78 deux textes agrave cette fin les frag-

126 Fabienne JOURDAN

76 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 12577 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 Voir aussi par ex

M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 225-227 qui srsquoap-puie toutefois sur ce qursquoil considegravere une identification du Bien agrave lrsquoUn et sur unpassage de Cleacutement drsquoAlexandrie qui semble deacutependre de la premiegravere hypo-thegravese (Strom V 12 82 1-2) Les eacuteleacutements de theacuteologie neacutegative eacutevoqueacutes lagravesrsquoaccompagnant drsquoune possibiliteacute de nomination rappellent toutefois moinsNumeacutenius qursquoAlcinoos Did X p 16433-34 H

78 Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoargumentation de R Romano (laquo La proba-bile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica e neopitagorica) delParmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide diPlatone et la sua tradizione op cit p 234) qui estime que Numeacutenius aufragment 217-34 (11 F) emprunte au Parmeacutenide les expressions delaquo meacutethode non aiseacutee mais divine raquo laquo ardeur juveacutenile raquo et laquo exercice matheacute-matique raquo Lrsquoappui textuel est trop tenu pour qursquoelle soit persuasive Quant agraveG Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 82-84) il eacutevoque luiaussi le fragment 5 (14 F) mais seulement en note agrave la page 82 et son argu-mentation ne srsquoappuie pas davantage sur la lettre du texte Crsquoest pourquoielle ne peut ecirctre expliciteacutee ici Nous ne commenterons enfin pas les hypo-

ments 5 et 6 (14-15 F) ougrave apparaicirct formuleacutee en termes neacutegatifs unedeacutefinition de lrsquoecirctre que le fragment 2 (11 F) a dit identifiable au BienCes deux fragments proviennent du livre II du Περὶ τἀγαθοῦ quientreprend de deacutefinir lrsquoecirctre preacuteliminaire indispensable agrave la deacutefinitiondu Bien Examinons-en quelques extraits Au fragment 5 nous lisonsceci

Φέρε οὖν ὅση δύναμις ἐγγύτατα πρὸς τὸ ὂν ἀναγώμεθα καὶλέγωμενmiddot τὸ ὂν οὔτε ποτὲ ἦν οὔτε ποτὲ μὴ γένηται ἀλλrsquo ἔστιν ἀεὶἐν χρόνῳ ὡρισμένῳ τῷ ἐνεστῶτι μόνῳ [] τὸ ἄρα ὂν ἀΐδιόν τεβέβαιόν τε ἐστὶν ἀεὶ κατὰ ταὐτὸν καὶ ταὐτόν οὐδὲ γέγονε μένἐφθάρη δὲ οὐδrsquo ἐμεγεθύνατο μέν ἐμειώθη δὲ οὐδὲ μὴltνgtἐγένετό πω πλεῖον ἢ ἔλασσον καὶ μὲν δὴ τά τε ἄλλα καὶ οὐδὲτοπικῶς κινηθήσεταιmiddot οὐδὲ γὰρ θέμις αὐτῷ κινηθῆναι οὐδὲ μὲνὀπίσω οὐδὲ πρόσω οὔτε ἄνω ποτὲ οὔτε κάτω οὐδrsquo εἰς δεξιὰοὐδrsquo εἰς ἀριστερὰ μεταθεύσεταί ποτε τὸ ὂν οὔτε περὶ τὸ μέσονποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται ἀλλὰ μᾶλλον καὶ ἑστήξεται καὶἀραρός τε καὶ ἑστηκὸς ἔσται κατὰ ταὐτὰ ἔχον ἀεὶ καὶ ὡσαύτως(extraits du fragment 5 14 F = Eus PE XI 10 4-5)

Eh bien donc eacutelevons-nous vers lrsquoecirctre le plus pregraves qursquoil nous est pos-sible et disons ceci lrsquoecirctre jamais ne fut ni jamais nrsquoadviendra assureacute-ment mais il est toujours dans un temps bien deacutetermineacute le seul preacute-sent [] Lrsquoecirctre est donc est agrave la fois eacuteternel et stable toujours dans lemecircme eacutetat et identique agrave soi il nrsquoest pas neacute et il ne peacuterit pas il ne croicirctet ne deacutecroicirct pas non plus ni il ne devient plus ou moins en aucunefaccedilon En somme il ne sera assureacutement soumis agrave aucun type de mou-vement et surtout pas au mouvement selon le lieu ndash il ne lui est en effetpas permis non plus crsquoest la loi divine drsquoecirctre mucirc jamais par unecourse en avant ni en arriegravere en haut ni en bas vers la droite droite nivers la gauche jamais lrsquoecirctre ne sera soumis au changement et jamais ilne sera mucirc autour de son propre centre Bien plutocirct il se tiendra en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 127

thegraveses de H Tarrant Thrasyllan Platonism op cit p 174-177 dans lamesure ougrave elles supposent que Numeacutenius srsquoinspire de Modeacuteratus (au fr 52)et suit donc lrsquointerpreacutetation qursquoil aurait donneacutee sur la matiegravere drsquoapregraves leteacutemoignage de Simplicius

repos sera ferme et fixe se maintenant toujours de faccedilon identique etde la mecircme maniegravere79

Au fragment 6 (15 F) nous lisons ensuite

ἡ δὲ αἰτία τοῦ ὄντος ὀνόματός ἐστι τὸ μὴ γεγονέναι μηδὲφθαρήσεσθαι μηδrsquo ἄλλην μήτε κίνησιν μηδεμίαν ἐνδέχεσθαιμήτε μεταβολὴν κρείττω ἢ φαύλην εἶναι δὲ ἁπλοῦν καὶἀναλλοίωτον καὶ ἐν ἰδέᾳ τῇ αὐτῇ καὶ μήτε ἐθελούσιον ἐξίστα-σθαι τῆς ταὐτότητος μήθrsquo ὑφrsquo ἑτέρου προσαναγκάζεσθαι (extraitdu fragment 6 15 F = Eus PE XI 10 7)

Et la raison de ce nom ecirctre reacuteside dans le fait de ne pas ecirctre neacute de nepas devoir peacuterir de nrsquoadmettre absolument aucun autre type de mou-vement ni de changement que ce soit vers le meilleur ou vers le piremais drsquoecirctre au contraire simple invariable dans une forme qui resteidentique de ne pas sortir de son identiteacute ni volontairement ni souslrsquoeffet drsquoune contrainte exteacuterieure80

Pourquoi a-t-on voulu lire ces textes comme faisant allusion auParmeacutenide alors qursquoils ne preacutesentent pas de parallegraveles textuels avec cedialogue Deux raisons agrave cela A-J Festugiegravere y voit une seacuterie deneacutegations qui rappellent celles du Parmeacutenide relativement agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese D OrsquoMeara estime que la deacutefinition de lrsquoecirctrecomme restant dans une identiteacute parfaite agrave soi exprimeacutee en termes de

128 Fabienne JOURDAN

79 Toutes les traductions de Numeacutenius sont les nocirctres80 Voir aussi cet extrait du fragment 8 (17 F = Eus PE XI 10 12) Εἰ μὲν

δὴ τὸ ὂν πάντως πάντη ἀΐδιόν τέ ἐστι καὶ ἄτρεπτον καὶ οὐδαμῶςοὐδαμῆ ἐξιστάμενον ἐξ ἑαυτοῦ μένει δὲ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτωςἕστηκε τοῦτο δήπου ἂν εἴη τὸ τῇ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν laquo Siassureacutement lrsquoecirctre est en tout point absolument eacuteternel et immuable srsquoil ne sortabsolument pas de lui-mecircme en aucune faccedilon mais demeure dans le mecircmeeacutetat fixeacute dans son identiteacute alors crsquoest lui sans nul doute qui sera ldquoce qui estappreacutehendeacute par lrsquointellection agrave lrsquoaide du raisonnementrdquo (Tim 28 a) raquo Ce pas-sage fait suite au fragment 7 (16 F = Eus PE XI 10 9-11) qui cite la deacutefinitionde lrsquoecirctre opposeacute agrave la γένεσις en Timeacutee 27 d 6-28 a 4

laquo non-sortie raquo de soi est reprise dans les passages des Enneacuteades VI4 [ 22] 2 21 et VI 5 3 1-2 ougrave Plotin traite de lrsquointeacutegriteacute de lrsquoecirctre etinterpregravete agrave cet effet la seconde hypothegravese du Parmeacutenide D OrsquoMearasonge alors agrave un preacuteceacutedent numeacutenien dans la lecture plotinienne duParmeacutenide et agrave cette fin eacutetant donneacute qursquoil est question dans ces frag-ments de la relation de lrsquoecirctre au temps au changement et au mouve-ment tout comme de son nom (et donc sous-entendu aussi de saconnaissance) il invite agrave penser que le livre II du Περὶ τἀγαθoῦ trai-tait de lrsquoecirctre selon les diffeacuterents preacutedicats qui servent agrave interroger lrsquoUndu Parmeacutenide agrave savoir le Tout et les parties le lieu le changement etmouvement lrsquoidentiteacute et la diffeacuterence la ressemblance et dissem-blance lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoineacutegaliteacute le temps le nom la connaissance

Ces deux lectures se heurtent toutefois agrave deux objections simplesDrsquoune part pas plus qursquoil ne tire du Parmeacutenide la description de la non-sortie de soi81 Numeacutenius nrsquoemprunte son argumentation sur le change-ment le temps et le nom au Parmeacutenide Comme il le dit lui-mecircme aufragment 6 (15 F) il srsquoappuie pour cela sur le Timeacutee et le Cratyle Onnotera drsquoailleurs que le deacuteveloppement sur lrsquoabsence de mouvement etdonc de changement relegraveve en outre drsquoun emprunt aux Lois82 et qursquoellenrsquoest pas exempte de parallegraveles aristoteacuteliciens ainsi que le reconnaicirctD OrsquoMeara lui-mecircme83 Drsquoautre part et pour reacutepondre cette fois agraveA-J Festugiegravere la seacuterie de neacutegations ne fait aucunement allusion auParmeacutenide ni nrsquoaugure drsquoune theacuteologie neacutegative telle qursquoelle sera tireacuteede la premiegravere hypothegravese de ce dialogue elle contribue simplement agraveune deacutefinition de lrsquoecirctre par opposition au devenir et surtout au corporelqui preacutesente toutes les qualiteacutes ici nieacutees La citation au fragment 7 (16F) du passage du Timeacutee (27 d 6-28 a 4) opposant justement ὄν et

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 129

81 Elle est en reacutealiteacute preacutesente dans le Cratyle 439 e le Pheacutedon 79 d et 80b 1-2 et le Banquet 211 b 1

82 X 893 c-894 a83 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 n 26 Sur le temps

voir aussi M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit et la remarquefinale sur la deacutefinition parmeacutenidienne drsquoune entiteacute se situant dans un eacuteternelpreacutesent au fr 85 DK

γένεσις preacutecise ce contexte de penseacutee et empecircche en cela toute extra-polation Agrave la limite si lrsquoon y tient on pourra simplement conclure avecD OrsquoMeara que Numeacutenius a donneacute agrave Plotin lrsquoideacutee de lire le Parmeacutenidedans le sens ougrave il lrsquoa fait concernant lrsquoecirctre ndash hypothegravese qui srsquoavegraverera fortinteacuteressante dans la perspective drsquoune comparaison avec lrsquoentreprise ducommentateur anonyme au Parmeacutenide

Les textes habituellement citeacutes en faveur drsquoune utilisation numeacute-nienne du Parmeacutenide ainsi compris il en est selon nous un troisiegravemequi aurait pu inviter agrave pareille suggestion celui ougrave Numeacutenius precircte aupremier principe un repos qui srsquoaccompagne malgreacute tout drsquoune formede mouvement ndash attributs apparemment contradictoires dont lrsquooriginepourrait paraicirctre remonter au Parmeacutenide Ce texte nous mettrait sur lavoie qui pouvait sembler la plus feacuteconde drsquoune identification du pre-mier principe numeacutenien agrave lrsquoUn de la seconde hypothegravese du ParmeacutenideLisons ainsi le fragment 15 (23 F)

Εἰσὶ δrsquo οὗτοι βίοι ὁ μὲν πρώτου ὁ δὲ δευτέρου θεοῦ δηλονότι ὁμὲν πρῶτος θεὸς ἔσται ἑστώς ὁ δὲ δεύτερος ἔμπαλίν ἐστικινούμενοςmiddot ὁ μὲν οὖν πρῶτος περὶ τὰ νοητά ὁ δὲ δεύτερος περὶτὰ νοητὰ καὶ αἰσθητά μὴ θαυμάσῃς δrsquo εἰ τοῦτrsquo ἔφηνmiddot πολὺ γὰρἔτι θαυμαστότερον ἀκούσῃ ἀντὶ γὰρ τῆς προσούσης τῷδευτέρῳ κινήσεως τὴν προσοῦσαν τῷ πρώτῳ στάσιν φημὶ εἶναικίνησιν σύμφυτον ἀφrsquo ἧς ἥ τε τάξις τοῦ κόσμου καὶ ἡ μονὴ ἡἀΐδιος καὶ ἡ σωτηρία ἀναχεῖται εἰς τὰ ὅλα

Voici les genres de vie respectifs du premier et du deuxiegraveme dieu ilest eacutevident que le premier sera en repos tandis que le deuxiegraveme aucontraire est en mouvement le premier donc autour des intelligiblesle deuxiegraveme autour des intelligibles et des sensibles Et nrsquoen viens pasagrave trsquoeacutetonner si jrsquoai affirmeacute cela car tu vas entendre bien plus eacutetonnantencore agrave la place du mouvement inheacuterent au deuxiegraveme le repos inheacute-rent au premier je lrsquoaffirme est un mouvement qui lui est par natureassocieacute drsquoougrave viennent lrsquoordre du monde et sa permanence eacuteternelle etdrsquoougrave le salut se reacutepand sur lrsquointeacutegraliteacute des ecirctres

Le passage pourrait rappeler lrsquoUn qui est Tout (τὸ ἓν ὅλον 145 e3) de la deuxiegraveme hypothegravese et que Platon deacutecrit comme eacutetant agrave la fois

130 Fabienne JOURDAN

en repos et en mouvement (καὶ κινεῖσθαι καὶ ἑστάναι 145 e 7-8)drsquoautant plus que le vocabulaire du repos employeacute est le mecircme(ἕστηκε 145 a 8 ἑστός 146 a 5) On pourrait alors imaginer queNumeacutenius identifie son premier principe agrave lrsquoUn associeacute agrave lrsquoecirctre telqursquoil est conccedilu dans cette deuxiegraveme hypothegravese Cependant la raisondonneacutee par Platon agrave cet eacutetat est le fait que cet Un se trouve agrave la fois enlui-mecircme crsquoest-agrave-dire au mecircme endroit et en autre chose crsquoest-agrave-direailleurs (le tout devant ecirctre ainsi compris 145 e 8-146 a 7) Or toutconduit agrave penser que dans le fragment le mouvement associeacute au reposfondamental est celui de la penseacutee caracteacuteristique du premier principe(cf fr 19 27 F) et que par cette formule Numeacutenius preacutepare la deacutefini-tion de celui-ci comme intellect (fr 16-17 24-25 F) Le raisonnementest profondeacutement distinct et Numeacutenius joue drsquoailleurs moins sur uneantithegravese logique telle que pourrait paraicirctre celle du raisonnement pla-tonicien que sur une association certes paradoxale mais reacuteelle Crsquoestpourquoi si tentant que puisse paraicirctre le parallegravele il ne relegraveve sansdoute pas drsquoune appropriation numeacutenienne de la deuxiegraveme hypothegravesepour deacutecrire le premier principe Numeacutenius reprend peut-ecirctre le voca-bulaire voire la conception de Platon pour deacutecrire un principe qursquoilassocie volontiers au Tout surtout si ce premier principe doit corres-pondre au Vivant84 Mais cette reprise serait superficielle et srsquoaccom-pagnerait drsquoun deacuteveloppement personnel qui ne relegraveve pas du deacutesirdrsquointerpreacuteter le Parmeacutenide85 Si Numeacutenius emprunte ici agrave Platon crsquoestplutocirct au passage du Sophiste 248 e-249 a qui integravegre le mouvementdans lrsquoecirctre total finit par deacutecrire cet ecirctre comme eacutetant agrave la fois en reposet en mouvement et inclut en lui eacutegalement lrsquointellect mieux laφρόνησις dont nous avons vu que Numeacutenius en fait sous la formeinfinitive lrsquoapanage du Bien

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 131

84 Voir le teacutemoignage de Proclus (fr 22) deacutejagrave signaleacute selon nous lrsquoimagedu Vivant est deacutejagrave sous-jacente dans ce fragment 15 (23 F) voir la note 61

85 Sur ce point nous rejoignons LP Gerson laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpre-tation of Platorsquos Parmenides raquo art cit n 1 qui rappelle agrave propos drsquoAlcinoosque lrsquoutilisation de distinctions et drsquoarguments preacutesents dans le Parmeacutenidenrsquoimplique pas drsquoaccorder une primauteacute interpreacutetative agrave ce dialogue

2 Le Περὶ τἀγαθοῦ et les deux premiegraveres hypothegravesesde la seconde partie du Parmeacutenide

Agrave eux seuls les textes parvenus ne nous semblent donc pas teacutemoi-gner en faveur drsquoun commentaire au Parmeacutenide de la part de Numeacute-nius ni mecircme drsquoune utilisation partielle qursquoil aurait faite de ce dia-logue Les partisans drsquoune attribution de pareil commentaire agrave Numeacute-nius en appellent toutefois et ce juste titre agrave lrsquoœuvre non parvenueOn ne peut certes juger de lrsquoeacutevolution de Numeacutenius Mais pour quecet argument e silentio soit valable concernant au moins la partie man-quante du Περὶ τἀγαθοῦ il faudrait que la partie transmise ne preacute-sente pas drsquoincompatibiliteacute avec lrsquoargumentation geacuteneacuterale du dialoguede Platon Comme le deacutebat porte toujours sur les deux premiegraveres hypo-thegraveses ce sont elles qursquoil suffit drsquointerroger en vue drsquoeacutevaluer si Numeacute-nius peut ne serait-ce que srsquoy ecirctre reporteacute pour esquisser sa deacutefinitiondu premier principe voire du second comme le suggegravere JD Turner86

a) Le Bien et lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese

Selon notre lecture Numeacutenius nrsquoidentifie pas le Bien agrave lrsquoUn Laseacuterie de neacutegations neacutecessaires agrave la deacutefinition de lrsquoecirctre nrsquoa drsquoautre butque de distinguer celui-ci du devenir Qursquoest-ce que le Bien de Numeacute-nius pourrait donc avoir de commun avec lrsquoUn de la premiegravere hypo-thegravese87 Comparons son enseignement agrave celui du Parmeacutenide pourassurer de la validiteacute de notre position

Ce que le Bien de Numeacutenius pourrait avoir de commun avec lrsquoUnde la premiegravere hypothegravese assureacutement ce serait le fait de ne pas ecirctremultiple (137 c) Mais cela est bien maigre la seacuterie de neacutegations pro-

132 Fabienne JOURDAN

86 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 138-13987 G Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 84) estime que

crsquoest en lien avec la premiegravere hypothegravese que Numeacutenius deacuteveloppe sa concep-tion du premier intellect Il nrsquoexplique toutefois pas cette lecture pour le moinseacutetonnante

poseacutee par Parmeacutenide ne le concerne pas Passons en revue quelquesexemples en suivant lrsquoordre du dialogue contrairement agrave lrsquoUn de cettehypothegravese le Bien nrsquoest pas illimiteacute (137 d 7) crsquoest la matiegravere qui esttelle agrave lrsquoimage drsquoun fleuve88 loin drsquoecirctre nulle part au sens de laquo pas ensoi raquo (138 a 2 6-b 2) il est au contraire en lui-mecircme89 La seacuterie drsquoanti-thegraveses ne le concerne pas davantage loin de nrsquoecirctre ni en repos ni enmouvement (138 b) nous avons vu qursquoil a part aux deux90 plutocirct quede nrsquoecirctre ni identique ni diffeacuterent (139 b-140 b) il est assureacutement iden-tique agrave soi91 au lieu drsquoecirctre hors du temps (141 a) il se situe dans uneacuteternel preacutesent92 et si certes on ne peut pas non plus parler agrave soneacutegard de participation agrave lrsquoοὐσία (141 e 7-8) il nrsquoen est pas moinslrsquoἀρχή de celle-ci93 qui fait de lui lrsquoEcirctre par excellence94 Contraire-ment agrave lrsquoUn de cette hypothegravese (142 a) il a en outre un nom une deacutefi-nition et il y a mecircme une science agrave son sujet son nom est drsquoabordοὐσία et ὄν lorsque lrsquoecirctre qursquoil est est envisageacute de maniegravere geacuteneacuterale95puis vraisemblablement Bien lui-mecircme et Ecirctre lui-mecircme (αὐτοάγα-θον et αὐτοόν) lorsqursquoil est envisageacute dans sa speacutecificiteacute96 il donnelrsquoἐπιστήμη et srsquoavegravere mecircme ecirctre la σοφία97 toute lrsquoentreprise duΠερὶ τἀγαθοῦ est justement de conduire agrave sa connaissance et deacutefini-tion98 ce agrave quoi parvient entre autres le dernier fragment en identifiantultimement lrsquoecirctre et lrsquointellect qursquoil constitue agrave la Forme du Bien de laReacutepublique99 Lorsque Platon fait conclure agrave Parmeacutenide que cet Un

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 133

88 Fr 3 (12 F) et 8 (17 F)89 Fr 11 (19 F)90 Fr 15 (23 F)91 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)92 Fr 5 (14 F)93 Fr 16 (24 F)94 Fr 17 (25 F) et lrsquoon nrsquooubliera pas la synonymie entre οὐσία et ὄν don-

neacutee au fr 6 (15 F)95 Fr 6 (15 F)96 Fr 16-17 (24-25 F) fr 20 (28 F)97 Crsquoest notre interpreacutetation conjointe des fragments 13 et 14 (21-22 F)98 Tel est le programme annonceacute au fragment 2 (11 F)99 Fr 20 (28 F)

finalement nrsquoest pas Numeacutenius peut donc avoir estimeacute ne pas devoirreconnaicirctre lagrave ce qursquoil deacutefinit quant agrave lui comme le premier principe etce alors en accord avec Platon lui-mecircme

Crsquoest pourquoi srsquoil a songeacute agrave ce dialogue et plus particuliegraverement agravela premiegravere hypothegravese Numeacutenius a pu le consideacuterer comme un exer-cice dialectique ougrave puiser par exemple une meacutethode drsquointerrogation etcertains concepts dans un esprit peut-ecirctre semblable agrave celui drsquoAlci-noos100 ou bien ce qui nrsquoest pas incompatible comme deacutecrivantaussi une position selon lui critiqueacutee par Platon Dans cette perspec-tive il peut alors y avoir perccedilu une raison de ne pas retenir la candida-ture de lrsquoUn (telle que la suggegravere notamment la reacuteception acadeacutemi-cienne de lrsquoenseignement oral) au titre de premier principe agrave identifierau Bien puisque cet Un conccedilu dans sa pureteacute agrave la maniegravere dont Platonle deacutecrit dans la premiegravere hypothegravese conduit agrave lrsquoaporie du non-ecirctre (non-ecirctre que Numeacutenius identifie quant agrave lui agrave la matiegravere) Autre-ment dit la lecture du Parmeacutenide voire le commentaire de ce dia-logue aurait plutocirct conduit Numeacutenius agrave ne pas identifier le Bien agrave lrsquoUnabsolu et lrsquoaurait peut-ecirctre justifieacute dans une position poleacutemique agrave lrsquoen-contre de certains neacuteo-pythagoriciens de son temps101 voire des Aca-deacutemiciens qui le faisaient

Cette conclusion peut a priori eacutetonner Mais Numeacutenius nrsquoaurait paseacuteteacute le seul de son eacutepoque agrave refuser drsquoaccorder agrave lrsquoUn de la premiegraverehypothegravese le rocircle de principe de la reacutealiteacute et de principe transcendantlrsquoecirctre Proclus eacutevoque des interpregravetes selon lesquels le veacuteritable objet

134 Fabienne JOURDAN

100 Agrave la mecircme eacutepoque ou peu apregraves (selon lrsquohypothegravese de R Chiara-donna laquo Theacuteologie et eacutepoptique aristoteacutelicienne dans le meacutedioplatonisme lareacuteception de Meacutetaphysique Λ raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted)Reacuteceptions de la theacuteologie aristoteacutelicienne op cit p 143-148 voir aussiM Frede laquo Numenius raquo art cit p 1064) Alcinoos donne une interpreacutetationessentiellement logique du Parmeacutenide voir Did VI p 159-160 H Cela nrsquoim-plique toutefois pas que ce fut lagrave la seule lecture du dialogue par Alcinoos(pace J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit)

101 Voir ceux eacutevoqueacutes au fragment 5215-24 (Calcidius In Tim CCXCV)qui font provenir la dyade de la monade Modeacuteratus agrave qui est justement precircteacuteun commentaire du Parmeacutenide leur est parfois rapprocheacute

du Parmeacutenide est justement lrsquoecirctre (ou lrsquoUn de la seconde hypothegravese) etnon lrsquoUn absolu dont lrsquohypothegravese ne conduit qursquoagrave des apories102 Lrsquounde ces interpregravetes fut Origegravene (le Platonicien103 ) disciple drsquoAmmo-nius comme Plotin et qui eacutetait peut-ecirctre justement en deacutebat avecNumeacutenius notamment sur la fonction du premier principe104 SelonOrigegravene lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese eacutetait sans existence ni subsis-tance (ἀνύπαρκτον καὶ ἀνύποστατον) lrsquoEcirctre absolu et lrsquoUnabsolu ne devaient faire qursquoun et ecirctre identifieacutes agrave lrsquointellect commeprincipe supeacuterieur105 ce nrsquoeacutetait donc qursquoavec la seconde hypothegravese

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 135

102 Proclus In Parm I 63531-6364 Theacuteol Plat II 4 311-28103 Nous nrsquoentrons pas ici dans le deacutebat concernant la question de savoir si

Origegravene nommeacute laquo le platonicien raquo est le mecircme qursquoOrigegravene le chreacutetien Nouspostulons qursquoil srsquoagit de deux personnages distincts (en cela nous suivonsnotamment R Goulet laquo Porphyre Ammonius les deux Origegravene et lesautres raquo Revue drsquohistoire et de philosophie religieuse 57 1977 p 471-496repris dans R Goulet Eacutetudes sur les Vies de philosophes de lrsquoAntiquiteacute tar-dive Diogegravene Laeumlrce Porphyre de Tyr Eunape de Sardes Textes et traditionsI Paris Vrin 2001 p 267-290) Sur ce sujet voir le statut de la question dansL Brisson R Goulet laquo Origegravene le platonicien raquo dans R Goulet (eacuted) Dic-tionnaire des philosophes antiques Paris CNRS IV 2005 p 804-807 M Zambon laquo Porfirio e Origene uno status quaestionis raquo dans S Morlet(eacuted) Le Traiteacute de Porphyre contre les chreacutetiens Un siegravecle de recherches nou-velles questions Paris Institut drsquoEacutetudes augustiniennes 2011 p 107-164 etles eacutetudes reacuteunies par B Baumlbler H-G Nesselrath (eacuted) Origenes der Christund Origenes der Platoniker Tuumlbingen Mohr Siebeck 2018 (dont lrsquoarticle deCh Riedweg qui identifie les deux personnages)

104 Drsquoapregraves le titre de son ouvrage transmis par Porphyre (VP 332 cf Pro-clus Theol plat II 4 A) Ὃτι μόνος ποιητὴς ὁ βασιλεύς Origegravene associaitvraisemblablement le laquo roi raquo (premier principe) au deacutemiurge nommeacute ποιητήςcontrairement agrave Numeacutenius qui les distingue au fragment 12 (20 F)

105 Sur ce sujet voir par ex HD Saffrey LG Westerink Proclus Theacuteo-logie platonicienne T II Paris Les Belles Lettres 1974 p X-XX C Steellaquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 32-35 L Bris-son laquo The Reception of Parmenides before Proclus raquo dans JD TurnerK Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage vol II Reception inPatristic Gnostic and Christian Neoplatonic Texts Atlanta Society of Bibli-cal Literature 2011 p 49-64

que commenccedilait selon lui lrsquoonto-theacuteologie platonicienne parce qursquoelleaurait deacutecrit lrsquointellect et les formes Origegravene paraissant plus proche deson maicirctre que Plotin106 son interpreacutetation eacutetait peut-ecirctre celle drsquoAm-monius et comme les argumentations drsquoAmmonius et de Numeacuteniussont parfois rapprocheacutees107 on pourrait penser agrave une parenteacute entre ellessur ce sujet eacutegalement Quoi qursquoil en soit sur ce point on peut retenirdeux choses de la comparaison avec lrsquointerpreacutetation drsquoOrigegravene lerefus de consideacuterer le premier principe comme identique agrave lrsquoUn absolude la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et lrsquoidentification de ce prin-cipe agrave lrsquoEcirctre absolu

Peut-on alors supposer que Numeacutenius agrave lrsquoinstar drsquoOrigegravene conccediloitlui aussi cet Ecirctre comme deacutecrit dans la deuxiegraveme hypothegravese Crsquoest eneffet avions-nous vu drsquoembleacutee la seule maniegravere de lui supposer reacuteelle-ment une utilisation du Parmeacutenide dans sa description du premier prin-cipe

b) Le Bien et lrsquo laquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

On peut en effet rappeler que Plotin a tendance agrave situer le premierde Numeacutenius au rang du second selon sa propre doctrine Toutefois agravela lecture du Parmeacutenide lui-mecircme Numeacutenius aurait assureacutement eacuteteacutegecircneacute degraves la formulation de lrsquohypothegravese consideacuterant Un et ecirctre (οὐσία)comme deux eacuteleacutements seacutepareacutes neacutecessitant la participation de lrsquoUn agravelrsquoecirctre (142 b-c) Pour Numeacutenius le premier principe est lrsquoecirctre il nrsquoapas part agrave lrsquoecirctre Lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacutenide ten-tera certes de reacutesoudre la difficulteacute et si Numeacutenius avait commenteacute letexte il aurait sans doute fait de mecircme Mais est-il bien neacutecessaire delui precircter pareille entreprise Il nrsquoest en effet pas davantage inteacuteresseacute agrave

136 Fabienne JOURDAN

106 Voir HD Saffrey LG Westerink op cit p XIX107 Voir par ex le teacutemoignage de Neacutemeacutesius (fr 4 b = Sur la nature de

lrsquohomme 2 8-14) qui les associe dans la critique de la corporeacuteiteacute de lrsquoacircmecaracteacuteristique de la conception stoiumlcienne

utiliser la seacuterie de preacutedicats contraires cette fois accepteacutes pour lrsquoUn decette deuxiegraveme hypothegravese Si nous nrsquoen retenons seulement quelques-uns parmi ceux pouvant concerner une reacutealiteacute intelligible on noteraque la notion de pluraliteacute ne peut concorder avec la repreacutesentation delrsquouniteacute indivisible que constitue le Bien pas davantage que le coupleantitheacutetique drsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave soi Trois points pourraientecirctre malgreacute tout rapprocheacutes dans la deacutefinition du Bien numeacutenien et delrsquoUn de la seconde hypothegravese lrsquoaffirmation drsquoune preacutesence agrave la fois ensoi et en autre chose (145 b 6-7) ndash mais elle est caracteacuteristique de touteforme intelligible et la contradiction apparente est reacutesolue par le pheacute-nomegravene de la participation bien deacuteveloppeacute par Numeacutenius lrsquoideacutee quece principe est en mouvement et en repos (145 a 3-146 a 7)ndash mais nousavons montreacute son sens particulier lieacute au processus de la penseacutee propreagrave lrsquointellect qui nrsquoest pas deacuteveloppeacute dans le Parmeacutenide et enfin larelation au temps (152 a) mais elle nrsquoest que provisoire concernant ladeuxiegraveme hypothegravese dans la mesure ougrave celle-ci va ensuite associerlrsquoecirctre agrave toutes les dimensions du temps alors que Numeacutenius ne lrsquoasso-cie qursquoau preacutesent comme le fait le Timeacutee (et peut-ecirctre le vrai Parmeacute-nide lui-mecircme au fragment 85)

Il nous semble donc peu probable que Numeacutenius ait envisageacute sonpremier principe en songeant agrave lrsquoUn-qui-est du Parmeacutenide ou aitmecircme tenteacute de le lui faire correspondre dans une eacutetape ulteacuterieure de sareacuteflexion En cela le deacutesaccord qui semble affleurer avec Origegravene surla caracteacuterisation des principes se retrouverait sur ce point eacutegalement

c) Le second dieu (le Bon) et lrsquolaquo Un qui est raquo

Une autre possibiliteacute peut toutefois se preacutesenter agrave lrsquoesprit Numeacute-nius nrsquoaurait-il pas alors associeacute agrave ce second Un son second dieu etprincipe qui lui est effectivement agrave la fois Un et plusieurs (143 a 5)au sens ougrave il connaicirct une laquo division raquo lorsqursquoil rencontre la matiegravere108

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 137

108 Fr 11 (19 F)

Telle est en effet lrsquohypothegravese de JD Turner109 On pourrait lrsquoeacutetayer ennotant que ce dieu est drsquoailleurs lui aussi seacutepareacute pour ainsi dire de saforme le Bien ce qui constitue deux aspects de son ecirctre et mecircme de laforme qursquoil produit comme modegravele du monde lui aussi a en outre partagrave lrsquoοὐσία qursquoil reccediloit du premier En extrapolant on pourrait imaginerque crsquoest agrave lui que reviennent tous les couples de contraires puisqursquoilest agrave la fois dans lrsquointelligible par sa contemplation et preacuteoccupeacute dusensible tendant au contact avec la matiegravere110 Mais nous irions troploin Numeacutenius fait certes de ce second dieu lrsquoecirctre deacuteriveacute mais il estecirctre assureacutement et nrsquoest pas concerneacute par les preacutedicats caracteacuterisant lesensible (comme la grandeur la limite lrsquoacircge) Ce qui peut paraicirctrecontraire en ce dieu ce sont seulement des attitudes lieacutees agrave son orienta-tion dans un processus cosmogonique Numeacutenius ne paraicirct pas avoirainsi deacutefini son essence dont la caracteacuteristique fondamentale est lrsquoimi-tation et la participation au Bien Crsquoest pourquoi mecircme si cela peutparaicirctre tentant nous ne pensons pas qursquoil ait conccedilu ce second dieu ensongeant agrave la deuxiegraveme hypothegravese du Parmeacutenide ni mecircme qursquoil aittenteacute apregraves lrsquoavoir deacutefini de le lui faire correspondre111 Le consideacuterer

138 Fabienne JOURDAN

109 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 137-138 qui ajoute agravecela une reacuteflexion sur ce que certains Anciens consideacuteraient comme la troisiegravemehypothegravese (155 e 4-157 b 4) et fait du second dieu de Numeacutenius dans sa dualiteacutemecircme un repreacutesentant des Un de la deuxiegraveme et troisiegraveme hypothegraveses (Un-plu-sieurs et Un-et-plusieurs) Cette lecture est ingeacutenieuse mais inveacuterifiable

110 Fr 11 (19 F)111 Concernant les autres hypothegraveses nous pourrions faire deux remarques

Dans la troisiegraveme la deacutefinition des laquo autres choses raquo comme eacutetant de natureillimiteacutee mais recevant leur limite par participation agrave lrsquoUn (158 d 7-8) corres-pond agrave la conception de la formation du monde par le deacutemiurge (fr 18 26 F cf fr 52) Mais cette interpreacutetation est la leccedilon mecircme du Timeacutee coupleacute avec lePhilegravebe Dans la derniegravere hypothegravese ensuite en 165 c 2 on trouve lrsquoexpres-sion ὀξὺ νοοῦντι pour deacutesigner celui qui regarde de pregraves et voit que les chosesqui paraissent unes sont en reacutealiteacute plusieurs car priveacutees drsquouniteacute Avec lrsquoexpres-sion ὀξὺ βλέποντι au fr 19 (27 F) Numeacutenius pourrait faire un clin drsquoœilentendu agrave ce passage lorsqursquoil invite agrave comprendre ce qui est selon lui le vraisens du terme un appliqueacute au Bien celui drsquouniciteacute Lrsquoeacutecho lexical pourrait ren-

selon chacun de ses deux laquo aspects raquo comme correspondant agrave lrsquolaquo Un-plusieurs raquo et agrave lrsquolaquo Un-et-plusieurs raquo de la deuxiegraveme et de la troisiegravemehypothegraveses entrevue par certains Anciens comme le fait J Turnerrelegraveve selon nous drsquoune lecture plotinienne qui ne correspond pas agravelrsquoenseignement du Περὶ τἀγαθοῦ112 Cela une fois encore nrsquoem-pecircche pas que Numeacutenius ait pu inspirer Plotin dans sa propre lecturedu Parmeacutenide

3 Le Περὶ τἀγαθοῦ et la premiegravere partie du Parmeacutenide

Dans le Περὶ τἀγαθοῦ Numeacutenius nrsquoa ainsi selon nous pas conccedilusa reacuteflexion sur les principes agrave partir drsquoun commentaire du Parmeacutenideni nrsquoa mecircme tenteacute de la faire correspondre aux hypothegraveses de laseconde partie de ce dialogue apregraves lrsquoavoir eacutelaboreacutee En revanche ilsrsquoest assureacutement inteacuteresseacute agrave la premiegravere partie ou du moins aux diffi-culteacutes dans lesquelles elle place la theacuteorie des formes113 Qursquoil ait ounon en tecircte ce dialogue le sien en tout cas cherche assureacutement agraverendre possible la participation et donc agrave sauver la theacuteorie des formespar-delagrave les objections que lui adresse Parmeacutenide Ce sujet nous inteacute-ressant moins directement ici nous ferons bref

Agrave la question de savoir srsquoil y a des formes de tout (130 b-e) Numeacute-nius reacutepond assureacutement qursquoil y en a de tout ce qui a part au Bien114 agrave

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 139

voyer agrave cette illusion relative agrave la saisie de ce qursquoest laquo ecirctre un raquo Lrsquoexpressionnrsquoeacutetant pas absente par ailleurs chez Platon (voir le commentaire au fragment19 27 F) il nrsquoest cependant pas neacutecessaire de penser que Numeacutenius ait ce pas-sage du Parmeacutenide en tecircte il est simplement tentant drsquoy songer dans uncontexte de reacuteflexion sur lrsquoUn

112 Contra JD Turner laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art citp 138-139

113 On remarquera qursquoAlcinoos (Did IX p 163 H 23-31 L W) fait demecircme en reacutepondant agrave la question de ce dont il y a des formes et en concevantcelles-ci comme des penseacutees du premier dieu

114 Fr 13 et 19 (21 et 27 F)

la question du rapport entre forme et participeacute il envisage positive-ment les deux solutions proposeacutees par Socrate a) les formes sont pourlui des penseacutees (cf Parm 132 b-c) elles sont celles du seconddieu115 et elles pensent (cf Parm 132 c) puisque telle est la maniegraverede participer au Bien116 b) les formes sont par ailleurs des paradigmes(cf Parm 132 d) comme le montre lrsquoexemple embleacutematique du rap-port entre le Bon qursquoest le deacutemiurge et le Bien envisageacute commeforme117 Quant agrave lrsquoargument du troisiegraveme homme en placcedilant le Bienau sommet de lrsquointelligible Numeacutenius estime peut-ecirctre y avoir ultime-ment reacutepondu Lrsquoobjection de la seacuteparation (133 a 8-134 c 7) enfinavec le double risque qursquoelle comporte de lrsquoinconnaissabiliteacute desformes (134 a-b) et du deacutefaut de connaissance de notre monde par ledieu qui ne pourrait alors pas agir agrave notre eacutegard (134 e) aura particu-liegraverement retenu son attention tout le dialogue Sur le Bien tend eneffet agrave montrer la continuiteacute agrave la fois ontologique et eacutepisteacutemique desdiffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute ndash le sensible lui-mecircme en tant que prisen charge par le deacutemiurge qui lrsquoeacutelegraveve agrave son propre caractegravere (autrementdit agrave sa bonteacute et agrave ce qui en deacutecoule)118 relegraveve en effet de la μετ-ουσία autrement dit de ce qui vient certes laquo apregraves lrsquoοὐσία raquo mais y amalgreacute tout essentiellement part119 Le Περὶ τἀγαθοῦ conduit en toutcas drsquoune part agrave la connaissance de la forme premiegravere tandis que celle-ci srsquoavegravere la connaissance ultime qui se transmet ensuite120 il montredrsquoautre part la relation permanente du premier agrave notre monde non seu-lement par lrsquointermeacutediaire du second dieu qui assure directement lrsquoac-tion providentielle mais par le salut ou la conservation (σωτηρία)

140 Fabienne JOURDAN

115 Fr 16 (24 F) Nous reacutesumons voir notre interpreacutetation du fragment116 Fr 19 (27 F) Lagrave aussi nous reacutesumons notre interpreacutetation laquo Pense raquo en

reacutealiteacute tout ce qui a part au Bien En outre lrsquoidentification de lrsquointellect agrave uneforme au fragment 20 (28 F) suggegravere cette interpreacutetation

117 Fr 16 19 et 20 (24 27-28 F)118 Fr 11 (19 F) cf fr 18 (26 F)119 Voir lrsquoutilisation fort suggestive de ce terme pour deacutesigner la participa-

tion agrave la fin du fragment 16 (24 F)120 Fr 13-14 (21-22 F)

qursquoil dispense lui-mecircme reacuteellement121 en tant que Bien et qursquoEcirctre quiassure ultimement la coheacutesion du monde

Nous ne preacutetendons pas que Numeacutenius reprenne point par point lesobjections de Parmeacutenide agrave Socrate contre la theacuteorie des formes Maisqursquoil les ait consideacutereacutees directement dans le dialogue de Platon ou qursquoilles ait connues par la tradition il les a prises au seacuterieux et a senti luiaussi la neacutecessiteacute drsquoy reacutepondre pour sauver Platon agrave la maniegravere dont illrsquoentendait

4 Conclusion sur Numeacutenius et le Parmeacutenide

Rien donc dans lrsquoœuvre parvenue ne permet de conclure agrave uneinterpreacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide par Numeacutenius nonseulement les textes ne contiennent pas de reacuteels parallegraveles avec le dia-logue de Platon mais ils suggegraverent que Numeacutenius ne srsquoest fondeacute suraucune des deux premiegraveres hypothegraveses pour deacuteterminer les traits de sonpremier principe ni mecircme sur la deuxiegraveme (voire la troisiegraveme) pourdeacutefinir le second Il est mecircme peu vraisemblable qursquoil ait tenteacute reacutetros-pectivement de les leur faire correspondre Il srsquoest en revanche assureacute-ment inquieacuteteacute des objections dresseacutees contre la theacuteorie des formes dansla premiegravere partie du dialogue et aura tenteacute drsquoy reacutepondre en assurant lavaliditeacute de la participation selon les diffeacuterentes modaliteacutes envisageacutees lagravepar Socrate ndash en cela il srsquoinscrit vraisemblablement dans la traditionplatonicienne122 dont il heacuterite peut-ecirctre plus de la probleacutematique qursquoilne la cherche directement dans le texte de Platon Concernant laseconde partie du dialogue il a pu percevoir dans lrsquoexposeacute de la pre-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 141

121 Fr 15 (23 F)122 Voir les remarques de la note 100 sur Alcinoos Mecircme si Alcinoos est

peut-ecirctre posteacuterieur agrave Numeacutenius de toute eacutevidence les platoniciens ont tenteacutede montrer la justesse de la theacuteorie des formes et de la participation contre lescritiques drsquoAristote ainsi assureacutement que contre celles deacutejagrave eacuteleveacutees dans leParmeacutenide et vraisemblablement inspireacutees (entre autres) par les discussions ausein de lrsquoAcadeacutemie

miegravere hypothegravese une raison suffisante pour ne pas identifier son premierprincipe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit prenant ainsi Platon agrave la lettre agrave propos ducaractegravere aporeacutetique de lrsquoUn tel qursquoil eacutetait lagrave envisageacute

Si elle eacutetait aveacutereacutee cette attitude aurait une double conseacutequencepour la compreacutehension de lrsquohistoire du platonisme

Elle pourrait drsquoabord reacuteveacuteler une intention poleacutemique agrave plusieursniveaux Elle est en effet concevable comme une reacuteaction agrave lrsquoeacuteven-tuelle association neacuteo-pythagoricienne du premier principe associeacute agravelrsquoUn ou agrave la monade avec lrsquoUn absolu de la premiegravere hypothegravese duParmeacutenide Mecircme si selon nous lrsquoidentification du premier principe agravelrsquoUn chez Speusippe et les neacuteo-pythagoriciens123 relegraveve avant tout dela tradition acadeacutemicienne pythagorisante relative agrave lrsquoUn et agrave la Dyadeainsi que du compte-rendu aristoteacutelicien de lrsquoenseignement oral de Pla-ton sur les principes124 il nrsquoy a pas en soi de raison drsquoexclure une pos-sible invocation pour confirmation de lrsquoUn du Parmeacutenide (agrave condi-tion de ne pas leur precircter une interpreacutetation neacuteoplatonicienne) Parsuite une poleacutemique avec lrsquoAncienne Acadeacutemie est eacutegalement envisa-geable Non seulement dans sa deacutefense de la theacuteorie des formes125Numeacutenius pourrait tenter de reacutepliquer agrave la suppression de celles-ciopeacutereacutee par Speusippe mais aussi srsquoopposer agrave la conception du premierprincipe precircteacutee agrave lrsquoAncien Acadeacutemicien Que lrsquoon croie Aristote selonlequel lrsquoUn de Speusippe ne serait laquo pas mecircme un ecirctre raquo126 ou plutocirct

142 Fabienne JOURDAN

123 Voir la note 75124 Voir aussi Meacutet N 4 1091 b 13-15 EE A 8 1218 a 15-32 ougrave le Bien est

associeacute agrave lrsquoUn125 Selon lui la connaissance drsquoun objet quelconque consistait dans celle

de ses relations agrave tous les autres (fr 73 Taraacuten = 2 I P2 = Proclus In Euclp 179 12-22 Friedlein) et crsquoest aux nombres qursquoil aurait alors accordeacute le statutde principe (voir le reacutesumeacute de A Meacutetry Speusippos Zahl Erkenntnis SeinBernStuttgartWien Paul Haupt 2002 p 11-13 et celui de HD Kraumlmerlaquo Die Aumlltere Akademie raquo dans H Flashar (eacuted) Grundriss der Geschichte derPhilosophie Band 3 Aumlltere Akademie Aristoteles Peripatos Basel SchwabeVerlag 20042 [1983] p 16-17)

126 μηδὲ ὄν τι εἶναι τὸ ἕν αὐτό Meacutet N 5 1092 a 16 (fr 43 Taraacuten = 25 IP2 = Aristote Meacutet N 5 1092 a 11-17)

Jamblique selon qui il ne serait laquo pas encore ecirctre raquo127 une distinctionentre lrsquoUn conccedilu comme premier principe et lrsquoecirctre semble agrave lrsquoœuvrechez lui128 si bien que certains ont mecircme penseacute que Platon lui reacutepon-dait dans le Parmeacutenide129 Il nrsquoest pas utile drsquoentrer dans ce deacutebat laposition de Speusippe peut relever drsquoune reacuteflexion sur le Bien deReacutepublique VI et drsquoune appropriation de lrsquoenseignement oral de Platonagrave nous transmis par le compte-rendu aristoteacutelicien qui laisse Platonassocier eacutetroitement le Bien et lrsquoUn Disons simplement que srsquoil a euconnaissance de la position de Speusippe Numeacutenius peut avoir voulului reacutepondre Nrsquooublions pas qursquoagrave lui comme agrave ses pairs dans lrsquoAn-cienne Acadeacutemie il reproche de ne pas avoir pas laquo tout souffert raquo pour

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 143

127 ὅπερ δὴ ουδὲ ὄν πω δεῖ καλεῖν DCMS IV p 157-8 FestaKlein128 La reconstruction de lrsquoenseignement exact de Speusippe sur le premier

principe est neacutecessairement fragile drsquoune part elle est fondeacutee sur lrsquointerpreacuteta-tion du texte drsquoAristote qui est empreint de critique drsquoautre part elle esteacutetayeacutee par deux autres textes dont le lien agrave Speusippe est controverseacute et dontles auteurs agrave la fois sont familiers du neacuteo-pythagorisme et ont lu Plotin chezqui lrsquoUn est effectivement au-dessus de lrsquoecirctre (il srsquoagit de Jamblique et de Pro-clus dans la traduction de Guillaume de Moerbeke In Parm VII 401-9 Kli-bansky-Labowsky = 50162-71 Steel = fr 48 Taraacuten = 30 IP2) Nous ne propo-sons ici qursquoune hypothegravese de reacuteflexion Pour un exposeacute plus deacutetailleacute sur la rela-tion eacuteventuelle de Numeacutenius agrave Speusippe dans lrsquoeacutelaboration drsquoune leacutegitimiteacuteplatonicienne voir la premiegravere annexe de notre eacutedition commenteacutee des frag-ments de Numeacutenius en preacuteparation

129 Crsquoest la lecture de A Graeser (laquo Platon gegen Speusipp Bemerkun-gen zur ersten Hypothese des Platonischen Parmenides raquo Museum Helveti-cum 54 1997 p 45-47 et laquo Anhang Probleme der Speusipp-Interpreta-tion raquo dans Prolegomena zu einer Interpretation des zweiten Teils des Plato-nischen Parmenides Bern Paul Haupt 1999 p 41-53) et J Halfwassen(Der Aufstieg zum Einen op cit et laquo Speusipp und die metaphysische Deu-tung von Platons Parmenides raquo art cit) adopteacutee par ex par R Dancy(laquo Speusippus raquo dans EN Zalta (eacuted) The Stanford Encyclopedia of Philo-sophy Winter 2012 Edition 20112 [2003] en ligne) et rejeteacutee par C Steel(laquo A Neoplatonic Speusippus raquo art cit p 470 473-475) et LP Gerson(laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit p 2-11de la version eacutelectronique)

rester dans une communauteacute de penseacutee avec leur maicirctre130 Commenous lrsquoavons suggeacutereacute dans les preacuteliminaires il ne serait alors pasimpossible qursquoavec cette eacuteventuelle lecture du Parmeacutenide Numeacuteniuseucirct souhaiteacute reacutepliquer agrave lrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne signaleacutee delrsquoenseignement oral de Platon trouvant quant agrave lui dans le Platon eacutecritla juste interpreacutetation du Platon oral mal laquo entendu raquo Pareille supposi-tion doit toutefois ecirctre prise avec prudence

Par-delagrave la mise en eacutevidence drsquoune poleacutemique agrave plusieurs niveauxlrsquohypothegravese proposeacutee sur lrsquoattitude de Numeacutenius concernant ladeuxiegraveme partie du Parmeacutenide permet de mieux deacuteterminer a contra-rio ce qui caracteacuterise une interpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo 131 du dia-logue De maniegravere geacuteneacuterale drsquoabord la position de Numeacutenius montrepar contraste que lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne trouve son originedans une vue contraire agrave la sienne sur le statut de la forme du Bien et sasituation agrave lrsquoeacutegard de lrsquoοὐσία en Reacutepublique VI ainsi peut-ecirctre que

144 Fabienne JOURDAN

130 Fr 2416-18 1 F = Eusegravebe PE XIV 5 2131 Nous en restons aux caractegraveres geacuteneacuteraux il nrsquoy a en effet pas une seule

et unique interpreacutetation post-plotinienne du Parmeacutenide On remarquera enoutre que Jamblique (drsquoapregraves Proclus In Tim III 1049-16 Diehl) semble eacutevo-quer chez Ameacutelius et Numeacutenius (si lrsquoon suit le raisonnement de Proclus) desdistinctions relatives aux diviniteacutes dans le Sophiste le Philegravebe et le Parmeacutenidequi ne correspondent pas agrave celles retenues dans le neacuteoplatonisme Si ce proposne se rapporte pas seulement agrave Ameacutelius mais vraiment aussi agrave Numeacutenius ilfaudrait en tirer lagrave encore la conclusion que son interpreacutetation ne correspondpas agrave celle du neacuteoplatonisme qui identifie son premier principe agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et donc pas non plus agrave celle des neacuteopytha-goriciens que lrsquoon reconstruit agrave partir des teacutemoignages neacuteoplatoniciens Celadit mecircme srsquoil est tentant de penser que le οὗτοι (10411) de Proclus renvoieaux deux exeacutegegravetes qursquoil vient de citer il se peut malgreacute tout que ne soit deacutesigneacutelagrave que le seul Ameacutelius disciple de Plotin et donc assureacutement familier de lrsquoexeacute-gegravese du Parmeacutenide Il nrsquoy a en revanche aucune difficulteacute agrave precircter agrave Numeacuteniusdes exeacutegegraveses partielles du Sophiste et du Philegravebe (voir nos interpreacutetations desfragments 15 23 F) et 19 27 F) Il nrsquoy en a drsquoailleurs pas davantage agrave imagi-ner chez lui une utilisation partielle du Parmeacutenide ou des allusions agrave ce dia-logue voire une prise agrave la lettre du propos de Parmeacutenide sur lrsquoUn de la pre-miegravere hypothegravese conduisant agrave renoncer agrave celui-ci comme premier principe

dans une appropriation du compte-rendu de lrsquoenseignement oral dePlaton par Aristote En affirmant lrsquoidentiteacute ontologique du Bien et delrsquoEcirctre Numeacutenius srsquointerdit lrsquoidentification de son premier principe agravelrsquoUn distinct de lrsquoecirctre de la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide En refu-sant au contraire pareille identiteacute en srsquoappuyant peut-ecirctre sur lrsquoidenti-fication du Bien et de lrsquoUn precircteacutee agrave Platon et aux platoniciens par Aris-tote et en appliquant ces deux eacuteleacutements agrave une lecture du Parmeacutenide132Plotin ouvre la voie de lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologiqueulteacuterieure du dialogue Malgreacute son caractegravere hypotheacutetique la supposi-tion selon laquelle Numeacutenius prendrait effectivement acte des conseacute-quences aporeacutetiques de la premiegravere hypothegravese en nrsquoidentifiant pas sonpremier principe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit permet ici encore a contrariode deacuteterminer deux autres eacuteleacutements indissociables caracteacuteristiques delrsquointerpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo du Parmeacutenide lrsquoidentification dupremier principe agrave lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese et par suite une lec-ture laquo positive raquo de celle-ci qui en reacutealiteacute contredit les conclusionsneacutegatives de Platon agrave son sujet Une theacuteologie neacutegative en est alorscertes tireacutee (que lrsquoon songe au Commentaire anonyme au Parmeacutenideou agrave celui de Proclus133) Mais cette neacutegativiteacute est conccedilue commereacutesultant de lrsquoincapaciteacute fondamentale de lrsquohomme agrave concevoir le pre-mier principe autrement que par analogies et approximations neacutecessai-rement erroneacutees Elle ne concerne pas le principe en lui-mecircme ni laconviction qursquoil constitue le fondement ultime assurant la coheacutesion dela reacutealiteacute Numeacutenius aura quant agrave lui preacutefeacutereacute rester fidegravele agrave la lettre dutexte et donc aux doutes du maicirctre qui laisse parler Parmeacutenide Agrave ce

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 145

132 Les deux premiers eacuteleacutements agrave eux seuls conduisent seulement agrave laposition de Speusippe dont rien ne permet drsquoaffirmer le rattachement au Par-meacutenide Nous compleacutetons en cela les hypothegraveses de J Whittaker laquo ΕΠΕ-ΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit Voir aussi LP Gerson laquo The lsquoNeo-platonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit

133 In Parm VII 51872-84 Plutocirct que de radicaliser la neacutegation pour par-ler de lrsquoUn Proclus indique que la neacutegation porte en reacutealiteacute sur la conceptionde lrsquoUn et pas sur lrsquoUn lui-mecircme qui garde la fonction laquo positive raquo drsquoassurer lacoheacutesion du reacuteel

stade de nos connaissances et drsquoapregraves lrsquoœuvre parvenue precircter agraveNumeacutenius cette reacuteaction aux conclusions de la premiegravere hypothegravesenous paraicirct la seule maniegravere prudente drsquoenvisager de sa part une inter-preacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide Renoncer agrave lui en precircterune ne poserait toutefois aucune difficulteacute

5 Appendice Numeacutenius et Parmeacutenide134

Cette conclusion sobre sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenidesuggegravere drsquointerroger pour finir son attitude agrave lrsquoeacutegard du Parmeacutenide his-torique lui-mecircme auquel Plotin fait parfois appel Que Numeacutenius aitconnu et utiliseacute (directement ou non) le poegraveme Sur la nature est aveacutereacutepar le teacutemoignage de Porphyre selon lequel il aurait associeacute les porteseacutevoqueacutees lagrave135 agrave celles du Cancer et du Capricorne repreacutesentant selonlui les voies respectivement descendante et ascendante des acircmes136Or dans le Περὶ τἀγαθοῦ qui seul nous inteacuteresse ici deux eacuteleacutementsdoctrinaux pourraient relever drsquoune appropriation personnelle de Par-meacutenide ou plutocirct de la tradition agrave son sujet telle qursquoelle serait parvenueagrave Numeacutenius ndash Platon ayant assureacutement aiguiseacute chez ses successeurslrsquointeacuterecirct pour la penseacutee du personnage eacuteponyme de son dialogue Sansentrer dans une recherche des sources ni dans un exposeacute deacutetailleacute de lapenseacutee de Parmeacutenide et des interpreacutetations de son poegraveme nous nouscontenterons ici drsquoeacutevoquer ces deux points dans le simple but drsquoouvrirla recherche

Le premier concerne la relation de lrsquoecirctre au temps et au change-ment telle qursquoelle est deacutecrite dans le fragment 5 (14 F) deacutejagrave citeacute en par-tie Lrsquoaffirmation que lrsquoecirctre ne saurait ecirctre dans le passeacute ou lrsquoavenir

146 Fabienne JOURDAN

134 Je remercie Francesco Fronterotta drsquoavoir relu cette derniegravere section135 Parmeacutenide fr 1 11 D-K ougrave sont deacutecrites les laquo portes ouvrant sur les

chemins de la nuit et du jour raquo136 Voir Porphyre De antro 21-24 ici surtout 24 Numeacutenius fr 31 27-28

Sur ce texte voir le commentaire de W Huumlbner dans lrsquointroduction de lrsquoeacuteditioncommenteacutee du De Antro parue sous la direction de T Dorandi Paris Vrin2019

mais que seul le preacutesent lui convient et qursquoil ne pourrait pas davantagechanger renvoie assureacutement au propos du Timeacutee (37 d 2-38 b 2)137Que Platon deacuteveloppe ici une reacuteflexion originellement preacutesente chezParmeacutenide et plus preacuteciseacutement pour nous dans le fragment 8 de sonpoegraveme138 pourrait suffire agrave expliquer cet eacutecho parmeacutenidien chezNumeacutenius Mais il est frappant que dans ce fragment 5 (14 F) duΠερὶ τἀγαθοῦ relayeacute par les suivants Numeacutenius reprenne une seacuteriedrsquoeacuteleacutements qui deacutecrivent lrsquoecirctre dans le passage concerneacute du poegraveme outre ceux deacutejagrave nommeacutes on retrouve chez lui lrsquoimpossibiliteacute qursquoalrsquoecirctre de devenir plus grand ou plus petit139 et la neacutecessiteacute qui estsienne de demeurer en lui-mecircme au mecircme endroit140 Ainsi lorsqueNumeacutenius estime que si ces laquo prescriptions raquo indispensables agrave ladeacutetermination de lrsquoecirctre veacuteritable nrsquoeacutetaient pas respecteacutees il se produi-rait une laquo impossibiliteacute majeure dans son discours unique en songenre agrave savoir que lrsquoecirctre agrave la fois serait et ne serait pas raquo141 et faitensuite paraphraser lrsquoideacutee par le disciple du dialogue avec la formule

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 147

137 Voir aussi Plutarque De E 20 393 a-c dont la position est compareacuteeavec celle de Numeacutenius dans notre analyse du fragment

138 Voir les vers suivants du fragment 8 D-K agrave lrsquoorigine de toute lareacuteflexion sur lrsquoeacuteterniteacute (cf M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art citp 157) οὐδέ ποτ᾽ ἦν ἔσται ἐπεὶ νῦν ἐστιν ὁμοῦ πᾶν ἕν συνεχές τίναγὰρ γένναν διζήσεαι αὐτοῦ laquo Il nrsquoa jamais eacuteteacute et ne sera jamais puisqursquoilest maintenant tout ensemble un continu Car quelle naissance pourrais-tului chercher raquo v 5-7 (trad Kirk Raven Schofield en fr par H-A de Weck)et πῶς δ᾽ἄν ἔπειτα πέλοι τὸ ἐόν πῶς δ᾽ἄν κε γένοιτο εἰ γὰρ ἔγεντ᾽ οὐκἔστ᾽ οὐδ᾽ εἴ ποτε μέλλει ἔσεσθαι τῶς γένεσις μὲν ἀπέσβεσται καὶἄπυστος ὄλεθρος laquo Comment pourrait-il ecirctre par la suite Celui qui est Comment pourrait-il naicirctre Car srsquoil est neacute il nrsquoest pas de mecircme lt il nrsquoest pasnon plus gt srsquoil doit ecirctre un jour Ainsi est eacuteteinte la naissance eacuteteinte aussi ladestruction disparue sans qursquoon en parle raquo v 19-21 (trad D OrsquoBrien leacutegegravere-ment modifieacutee) Voir aussi les vers 26-28 du mecircme fragment 8 D-K sur lrsquoab-sence de mouvement ainsi que de deacutebut et de fin

139 Parmeacutenide fr 844-45 D-K140 Parmeacutenide fr 829-30 D-K cf Numeacutenius fr 11 (19 F)141 ὡς τούτου γε οὕτως λεγομένου ἓν γίνεταί τι ἐν τῷ λόγῳ μέγα

ἀδύνατον εἶναί τε ὁμοῦ ταὐτὸν καὶ μὴ εἶναι

relativement complexe εἰ δὲ οὕτως ἔχει σχολῇ γrsquo ἂν ἄλλο τι εἶναιδύναιτο τοῦ ὄντος αὐτοῦ μὴ ὄντος κατὰ αὐτὸ τὸ ὄν il nrsquoest pasexclu qursquoil ait ici le poegraveme parmeacutenidien agrave lrsquoesprit auquel il seraitrevenu directement ou non sous lrsquoimpulsion de Platon La phraseindique en effet (nous paraphrasons) que si pareille impossibiliteacute seproduisait il serait mecircme impossible agrave autre chose (que lrsquoecirctre) drsquoecirctrepuisque lrsquoecirctre lui-mecircme ne serait pas selon ce qursquoil devrait ecirctre (κατὰαὐτὸ τὸ ὄν) autrement dit selon sa propre essence et deacutefinitionNumeacutenius suggegravere sans doute par lagrave que si lrsquoecirctre eacutetait soumis au pas-sage du temps et au changement il serait tout simplement non-ecirctrepuisqursquoil ne correspondrait pas agrave sa propre deacutefinition ce qui explique-rait son impossibiliteacute de constituer le fondement de la reacutealiteacute Une foisreplaceacute dans le contexte de penseacutee de Numeacutenius ougrave ce qui est non-ecirctreest la matiegravere et la partie du sensible qui relegraveve drsquoelle lrsquoideacutee semblefort proche de la maniegravere dont Parmeacutenide dresse lrsquoantithegravese entre ecirctreet non-ecirctre dans ce mecircme fragment 8 de son poegraveme142 Cette impres-sion peut ecirctre eacutetayeacutee par celle drsquoune prise de distance agrave lrsquoeacutegard de cepassage du poegraveme lorsque Numeacutenius affirme que lrsquoecirctre nrsquoest pasmecircme mucirc autour de son centre143 si cette preacutecision fait sans doutedrsquoabord allusion agrave lrsquoacircme du monde qui se meut autour de celui-ci dansle Timeacutee et par suite au refus drsquoidentifier lrsquoecirctre veacuteritable agrave une acircme144elle porte peut-ecirctre eacutegalement la trace drsquoune reacuteaction agrave lrsquoidentificationparmeacutenidienne de lrsquoecirctre agrave une sphegravere145 Lrsquohypothegravese est cependantplus fragile et Numeacutenius heacuterite sans doute avant tout de Platon enverslequel il se situe Crsquoest agrave partir du Timeacutee qursquoil eacutelabore sa penseacutee Maisil ne semble pas exclu qursquoil soit parfois retourneacute (directement ou non)agrave lrsquooriginal auquel reacutefegravere implicitement Platon ce qui est drsquoautant plus

148 Fabienne JOURDAN

142 Sur le non-ecirctre chez Parmeacutenide voir par ex D OrsquoBrien Le Non-Ecirctredans la philosophie grecque Parmeacutenide Platon Plotin raquo dans P Aubenque(eacuted) Eacutetudes sur le Sophiste de Platon Napoli Bibliopolis 1991 p 4-9

143 οὔτε περὶ τὸ μέσον ποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται144 Il srsquoagit lagrave selon nous drsquoun argument essentiel agrave la non-identification

numeacutenienne du deacutemiurge agrave lrsquoacircme du monde145 Fr 8 42-44 D-K

vraisemblable que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacute comme un pythago-ricien146

Le second eacuteleacutement du Περὶ τἀγαθοῦ qui pourrait suggeacuterer lrsquoap-propriation drsquoun passage de Parmeacutenide147 est lrsquoidentification de lrsquoecirctreet de lrsquointellect agrave chacun des deux niveaux ougrave Numeacutenius les situe Ecirctre lui-mecircme (αὐτοόν) et ecirctre deacuteriveacute (ὄν) premier et second intel-lects correspondant au premier et au deuxiegraveme dieu Sans entrer dansle deacutetail de lrsquointerpreacutetation disons simplement que selon nous en fai-sant de lrsquolaquo acte raquo de penser148 lrsquoapanage du premier dieu et en identi-fiant ce mecircme dieu agrave lrsquoEcirctre149 Numeacutenius suggegravere une union intime etprofonde entre ecirctre et penser qursquoil aurait pu consideacuterer comme remon-tant agrave Parmeacutenide lui-mecircme ou qursquoil aurait pu eacutetayer par une appropria-tion du fragment 3 de son poegraveme tel qursquoil est transmis par CleacutementdrsquoAlexandrie et Plotin150 [] τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶεἶναι [] Certes dans ce fragment de vers lrsquoidentification entre ecirctreet penser est suggeacutereacutee par lrsquoextraction du texte hors de son contexte envue justement drsquoy trouver pareille identification Elle ne correspond

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 149

146 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres IX 21(A 1 D-K) Proclus In Parm I 6194 Cousin cf Jamblique VP 166 (A 4D-K)

147 Pour reprendre les termes du fragment 1 (10 F) on pourrait aussi parlerde lrsquolaquo invocation raquo de Parmeacutenide comme source pythagorisante en accord avecPlaton et confirmant la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ elle-mecircme eacutetayeacutee par leslaquo teacutemoignages raquo de celui-ci Numeacutenius semble en effet pouvoir citer Parmeacute-nide pour confirmer son propos agrave la fois parce qursquoil ne pouvait que paraicirctre enaccord avec Platon (cf fr 1 10 F) et parce que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacutecomme pythagoricien

148 Degraves le fragment 15 (23 F) de maniegravere implicite dans le fragment 16 (24F) et explicite au fragment 19 (27 F)

149 Fr 17 (25 F)150 Cleacutement Strom VI 2 233 Plotin Enn VI 1 [10] 817 V 9 [5] 29-

30 cf I 4 [46] 106 III 8 [30] 88 VI 7 [38] 4118 (voir D OrsquoBrien Eacutetudessur Parmeacutenide T I Le Poegraveme de Parmeacutenide Paris Vrin 1987 p 19) ndash Onpourrait drsquoailleurs aussi penser aux vers 34-36 du fragment 8 eacutevoqueacute dans leparagraphe preacuteceacutedent

sans doute pas au sens originel du passage151 De plus chez Numeacuteniusle type de penseacutee speacutecifique agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme nrsquoest pas le νοεῖν maisle φρονεῖν Mais drsquoune part νοεῖν nrsquoayant pas chez Parmeacutenide lesens preacutecis que lui donne ensuite la tradition platonicienne une margerelative drsquointerpreacutetation et de preacutecision eacutetait laisseacutee agrave lrsquointerpregraveteappartenant agrave cette tradition152 drsquoautre part on peut tregraves bien imaginerNumeacutenius extraire ce passage dont la juxtaposition des termes luiaurait paru opportune pour eacutetayer son propos et preacuteciser le sens de laformule ainsi obtenue en distinguant deux niveaux de lrsquoecirctre auxquelscorrespondent deux types distincts de penseacutee (le νοεῖν entendu ausens platonicien drsquointellection revenant au seul second dieu)153Lorsque Cleacutement et apregraves lui Plotin reprennent cette formule il neserait pas impossible qursquoils lrsquoempruntent ainsi extraite agrave Numeacutenius

150 Fabienne JOURDAN

151 Denis OrsquoBrien (ibid p 19 209-212) a montreacute qursquoen reacutealiteacute dans lepoegraveme les deux infinitifs ne doivent vraisemblablement pas ecirctre pris commesujet drsquoun ἐστίν agrave valeur copulative mais peut-ecirctre comme compleacutement dupronom (τὸ αὐτό) ou de lrsquouniteacute syntaxique constitueacutee par le pronom et leverbe (au sens de laquo crsquoest une seule et mecircme chose pour penser et pour ecirctre raquodrsquoougrave la traduction par laquo crsquoest une seule et mecircme chose que lrsquoon pense et quiest raquo) F Fronterotta reprend son analyse et conclut que pour Parmeacutenideνοεῖν deacutesigne une forme de perception immeacutediate non sans lien avec lrsquoactiviteacutesensorielle mais allant au-delagrave des sens et de leur uniteacute creacuteative (laquo Someremarks on noein in Parmenides raquo dans S Stern-Gillet K Korrigan (eacuted)Reading ancient texts Vol I Presocratics and Plato Leiden Brill 2007p 3-19) Il ne srsquoagit donc pas (encore) de la perception intuitive que deacutesignerace verbe ulteacuterieurement

152 Voir la note preacuteceacutedente153 Nous pourrions preacuteciser ainsi lrsquointention de Numeacutenius srsquoil songe effec-

tivement agrave cette formule Selon nous il partage la conviction platonicienne quiveut que pour ecirctre pensable il faut ecirctre reacuteellement (et donc ecirctre intelligible crsquoest la leccedilon du Timeacutee) Srsquoil confrontait cette conviction au vers de Parmeacute-nide il lui donnerait donc drsquoabord lrsquointerpreacutetation laquo objective raquo deacuteceleacutee parFr Fronterotta (laquo Some remarks on noein in Parmenides raquo art cit) Toutefoisdans sa deacutefinition de lrsquoecirctre bientocirct identifieacute au Bien il retourne de toute eacutevi-dence cette conception et considegravere que nrsquoest veacuteritablement que ce qui est pen-sable (et donc lagrave encore intelligible par ex fr 4 a 13 F sur la matiegravere qui

Plotin lrsquoutilise certes pour caracteacuteriser le seul et unique Intellect chezlui situeacute au seul second niveau de la reacutealiteacute Mais cela correspondrait agravesa tendance geacuteneacuterale agrave faire passer au second niveau ce qui correspondau premier chez Numeacutenius154

De Numeacutenius il heacuterite donc peut ecirctre drsquoune lecture de Parmeacutenideplutocirct que du Parmeacutenide

Fabienne JOURDANCNRS UMR 8167 laquo Orient et Meacutediterraneacutee raquo Paris-Sorbonne

jourdanfabiennewanadoofr

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 151

nrsquoest pas ecirctre et ougrave une preuve de cet eacutetat est son caractegravere inconnaissable)Appliqueacutee agrave la formule de Parmeacutenide cette conviction en produirait ce queFr Fronterotta appelle une lecture laquo subjective raquo En outre dans le deacutesir sansdoute drsquoexpliquer la participation de maniegravere concregravete il ne donne pas seule-ment lrsquointelligibiliteacute comme condition de lrsquoecirctre (au sens passif du terme) maisil considegravere le fait de penser comme condition du fait drsquoecirctre reacuteellement (ausens laquo actif raquo du terme) Crsquoest pourquoi srsquoil avait connu et utiliseacute la formule deParmeacutenide ne serait-ce que pour eacutetayer son propos il y aurait sans douteentendu lrsquoaffirmation de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre et de la penseacutee mieux du penserCela pourrait certes paraicirctre lui attribuer une forme drsquoideacutealisme heacutegeacutelien(selon les termes de Fr Fronterrota laquo Some remarks on noein in Parmenides raquoart cit p 6) Mais telle est aussi la lecture de Cleacutement drsquoAlexandrie (StromVI 2 233) Or mecircme srsquoil ne le cite explicitement qursquoune fois (Strom I 22150 1-4 = 29 Fd) Cleacutement connaicirct Numeacutenius et se sert parfois de ses eacutecritssans le nommer (voir par ex Strom I 8 405 Strom I 13 571) Il nrsquoest doncpas impossible que pareille interpreacutetation circulacirct deacutejagrave au temps de Numeacuteniusvoire chez lui et mecircme gracircce agrave lui Le raisonnement du Περὶ τἀγαθοῦ dumoins passe par lrsquoidentification de lrsquoecirctre agrave lrsquo laquo activiteacute raquo de penser ensuiteconccedilue aux niveaux infeacuterieurs comme condition mecircme de leur participation agravelrsquoecirctre (voir le fr 19 27 F)

154 Nous simplifions et deacutecrivons simplement une tendance le processuspreacutecis requerrait une explication deacutetailleacutee qui nrsquoa pas sa place ici

152 Fabienne JOURDAN

Page 16: NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE · 2020. 4. 16. · NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE?* PREMIÈREPARTIE: L’ŒUVREPARVENUEDENUMÉNIUSETLEPARMÉNIDE DEPLATON RÉSUMÉ Si

agrave ce second dieu selon lrsquoorientation de son attention deux laquo aspects raquoqui conduisent agrave parler agrave son sujet de deux laquo dieux raquo qui toutefois nrsquoenconstituent reacutealiteacute qursquoun seul lorsqursquoil est tourneacute vers soi crsquoest-agrave-direvers lrsquointelligible qursquoil est lui-mecircme par contemplation du Bien lesecond dieu est entiegraverement agrave soi et donc reacuteellement soi second dieu lorsqursquoil est tourneacute vers la matiegravere qursquoil met en ordre il est deacutemiurgeau sens litteacuteral du terme et devient laquo troisiegraveme dieu raquo47 Cette divisionnrsquoimplique pas une reacuteelle scission et ne srsquoavegravere autre qursquoune diffeacuterencedrsquoorientation agrave lrsquoorigine drsquoune uniteacute diviseacutee image imparfaite delrsquouniteacute indivisible et parfaite qursquoest le premier dieu

Cette bregraveve preacutesentation doit suffire agrave comprendre le cadre de lapenseacutee numeacutenienne48 Signalons simplement encore trois points essen-tiels pour la confrontation avec le Parmeacutenide et ses interpreacutetations

1) Lrsquoeacuteleacutement fondamental du Περὶ τἀγαθοῦ est lrsquoidentificationdu Bien lui-mecircme (ἀυτοάγαθον) premier principe agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme (αὐτοόν)49 Elle srsquoaccompagne de lrsquoaffirmation qursquoil existeune laquo con-naturaliteacute raquo du Bien agrave lrsquoeacutegard de lrsquoessence50 (σύμφυτον τῇ

116 Fabienne JOURDAN

47 Fr 11 (19 F)48 La preacutesentation ici donneacutee deacutepend de propre analyse des textes Pour

drsquoautres interpreacutetations voir aussi par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit J Opsomer laquo Demiurges in Early Imperial Platonism raquo dans R Hirsch-Luipold(eacuted) Gott und die Goumltter bei Plutarch BerlinNew York de Gruyter 2005p 63-72 M Baltes dans H Doumlrrie M Baltes Ch Pietsch Die PhilosophischeLehre des Platonismus Band 71 Theologia Platonica Stuttgart Bad Canns-tatt Frommann-Holzboog 2008 p 472-482 Les vues de CS OrsquoBrien TheDemiurge in Ancient thought Secondary Gods and Divine mediators Cam-bridge Cambridge University Press 2015 p 139-168 sont agrave consideacuterer avecla plus grande preacutecaution

49 Fr 17 (25 F) cf fr 2 (11 F)50 Nous traduirons ici οὐσία par laquo essence raquo consciente des faiblesses de

cette traduction qui dans le contexte platonicien examineacute nrsquoimplique naturel-lement pas de distinction par rapport agrave la notion drsquoexistence Dans ce contextelaquo essence raquo est agrave prendre au sens de reacutealiteacute intelligible (sur cette deacutefinition voirpar ex R Chiaradonna laquo Substance raquo dans P Remes S Slaveva-Griffin(eacuted) The Routledge Handbook of Neoplatonismi LondonNew York Rout-

οὐσίᾳ51) le Bien partage la mecircme nature que cette οὐσία (forme sub-stantive de lrsquoecirctre) qui provient ainsi de lui Numeacutenius exprime deacutejagrave cetteideacutee au fragment 2 (10 F) par lrsquoimage du Bien laquo monteacute sur lrsquoessence raquo(comme on dirait laquo sur un cheval raquo52) Par lrsquoutilisation de la preacutepositionet du preacuteverbe ἐπί- de preacutefeacuterence agrave ὑπό- (preacutesent dans la formule de Pla-ton) la formule ἐποχούμενον ἐπὶ τῇ οὐσίᾳ indique une laquo transcen-dance raquo53 avec contact qui donne sans deacutetour lrsquointerpreacutetation que Numeacute-nius fait de la formule eacutenigmatique de Reacutepublique VI 509 b 8-10 srsquoilest une laquo transcendance raquo du premier principe elle est drsquoordre cosmolo-gique et non laquo ontologique raquo au sens ougrave ce principe constitue la formeeacuteminente de lrsquoecirctre mais ne srsquoen distingue pas par son essence

2) Ce premier principe est certes immobile en tant qursquoecirctre54exempt de toute activiteacute sous-entendu deacutemiurgique55 mais Numeacuteniuseacutevoque un laquo mouvement qui accompagne naturellement son repos raquo(τῷ πρώτῳ στάσιν [] κίνησιν σύμφυτον56) Ce mouvementindique vraisemblablement que le premier principe pense57 et la for-mule preacutepare son identification agrave un intellect Concernant ce premierdieu toutefois le type de penseacutee qui le caracteacuterise est visiblementconccedilu comme nrsquoimpliquant pas drsquoactiviteacute proprement dite au sens du

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 117

ledge 2014 p 216) La deacutetermination nrsquointervient ici qursquoavec le second dieu οὐσία est le terme qui sert agrave exprimer litteacuteralement lrsquoecirctre (ὄν) de maniegravere sub-stantive un ecirctre que le premier dieu Ecirctre par excellence fait advenir sans acteproducteur simplement en eacutetant ce qursquoil est et donc sans que cette οὐσία quivient de lui soit ontologiquement distincte de lui

51 Fr 16 (24 F)52 Lrsquoimage apparaicirct litteacuteralement dans les Oracles chaldaiumlques fr 1466

des Places53 On pourrait alors aiseacutement renoncer au mot laquo transcendance raquo et preacutefeacute-

rer la notion de primauteacute hieacuterarchique par exemple54 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)55 Fr 11-12 (19-20 F)56 Fr 15 (23 F)57 Le passage est agrave interpreacuteter en lien avec le Sophiste 248 e-249 a (voir

notre commentaire au passage dans lrsquoeacutedition en preacuteparation)

moins ougrave cette penseacutee est sans objet et nrsquoest pas mecircme penseacutee de soi aufragment 19 (27 F) Numeacutenius parle drsquoun φρονεῖν qui est lrsquoapanage dupremier dieu sous-entendu agrave la diffeacuterence notamment du νοεῖν saisieintuitive de lrsquointelligible caracteacuteristique du second dieu58 et plus encoredu διανοεῖσθαι activiteacute de penseacutee discursive agrave lrsquoorigine de la deacutemiur-gie Ce φρονεῖν peut selon nous ecirctre compris comme une penseacuteelaquo intransitive raquo (crsquoest-agrave-dire sans objet) pure dispensation du Bien parlrsquoecirctre du Bien59 En cela elle nrsquoimplique reacuteellement aucune activiteacute

Crsquoest alors en ce sens assureacutement que le premier dieu est ditlaquo entourer les intelligibles raquo ou plus exactement et litteacuteralement ecirctrelaquo autour des intelligibles raquo au fragment 15 (23 F περὶ τὰ νοητά) lrsquoexpression nrsquoimplique ni qursquoil les contienne ni qursquoil les produisecomme son objet de penseacutee ni mecircme qursquoil les pense60 Si elle visepeut-ecirctre agrave rendre compte drsquoune identification ultime du premier prin-

118 Fabienne JOURDAN

58 Agrave la limite le premier dieu ne peut lrsquoexercer que par lrsquointermeacutediaire dusecond voir le teacutemoignage de Proclus In Tim III 10328-32 Diehl = fr 22(contre cette interpreacutetation traditionnelle voir G Muumlller laquo Queacute es ldquolo que esvivienterdquo (ὁ εστι ζῶον) seguacuten Numenio de Apamea raquo Cuadernos Filosofiacutea64 2015 p 11-12 dont lrsquohypothegravese bien que seacuteduisante ne tient pas agrave lrsquoexa-men de la syntaxe du passage lrsquoinfinitif νοεῖν ne peut avoir que τὸν πρῶτονcomme laquo sujet raquo et non un δεύτερoν implicitement tireacute du geacutenitif δευτέρου)

59 Nous reacutesumons Voir aussi lrsquoeacutetude de la φρόνησις chez Platon parM Dixsaut laquo De quoi les philosophes sont-ils amoureux Sur la phronegravesisdans les dialogues de Platon raquo repris dans M Dixsaut Platon et la question dela penseacutee Eacutetudes platoniciennes I Paris Vrin 2000 p 93-119 ndash Le lien eacutety-mologique originel entre φρονεῖν et φρήν (le diaphragme) suggegravere une autreimage ce φρονεῖν est comme une laquo respiration drsquoecirctre raquo qui est le Bien et drsquoougraveeacutemane le bien

60 Cette interpreacutetation qui tient entre autres compte de la simpliciteacute abso-lue du premier dieu (fr 11 = 19 F) nrsquoest pas contradictoire avec celle de Timeacutee39 e 7-9 par laquelle Numeacutenius aurait associeacute son premier dieu au Vivant (InTim III 103 28-32 Diehl = fr 22) Certes dans le Timeacutee le Vivant a en lui lesformes (ἐνούσας ἰδέας τῷ ὃ ἔστι ζῷον 39 e 8) Mais sans pouvoir deacutevelop-per ici notre analyse disons simplement que Numeacutenius a pu lire le texte autre-ment et inspirer la distinction drsquoAmeacutelius entre un laquo intellect qui est (leVivant) raquo et un laquo intellect qui a (les formes en lui) raquo notamment en deacutecompo-

cipe au Vivant du Timeacutee61 dans le contexte du Περὶ τἀγαθοῦ ellerenvoie selon nous agrave un pur eacutetat de lrsquoecirctre agrave vertu bienfaitrice ou salvi-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 119

sant ἐνούσας de maniegravere cratylienne pour y lire ἐν-νους-ας qui eacutevoquerait lesformes laquo qui sont dans le νοῦς raquo le second dieu et intellect que Numeacutenius voitdeacutesigneacute dans le νοῦς du texte platonicien Le datif τῷ ὃ ἔστι ζῷον nrsquoauraitplus alors deacutesigneacute chez lui le lieu ougrave se trouvent les formes mais le destina-taire de la contemplation celui laquo pour qui ou agrave lrsquointention de qui en faveur dequi raquo le νοῦς qui a les formes en lui les contemplerait (autrement dit exerceraitle νοεῖν) Lrsquoaffirmation que crsquoest gracircce au second dieu et intellect (ἐνπροσχρήσει τοῦ δευτέρου) que le premier exercerait un νοεῖν pourrait ainsiconstituer lrsquoexplicitation de cette lecture eacutetonnante du texte platonicien Ainsile premier dieu nrsquoexercerait jamais le νοεῖν il nrsquointelligerait que gracircce ausecond qui le ferait pour lui Cette preacutecision pourrait servir agrave reacutepondre agravelrsquoeacuteventuelle objection drsquoun aristoteacutelisant qui deacutenoncerait une identification dupremier dieu agrave un νοῦς srsquoaccompagnant drsquoun refus de precircter agrave celui-ci lrsquoacti-viteacute du νοεῖν Numeacutenius reacutepondrait ainsi il ne lrsquoexerce pas lui-mecircme maispar lrsquointermeacutediaire du second qui le fait pour lui tandis qursquoil srsquoadonne au seulφρονεῖν Voir aussi notre interpreacutetation des fr 16 et 18 (24 et 26 F) ndash Pourune autre interpreacutetation de ce passage voir par ex M Frede laquo Numenius raquoart cit p 1062-1063 1065-1066 et 1069-1070 JP Kenney laquo ProschresisRevisited An Essay in Numenian Theology raquo dans JR Daly (eacuted) Orige-niana quinta Historica Text and method Biblica Philosophica Theologia Origenism and later developments Leuven Peeters p 217-230 RD PettyThe Fragments of Numenius Santa Barbara 1993 p 135-137 (republieacute agraveWestbury Prometheus Trust 2012) M Baltes dans H Doumlrrie M BaltesCh Pietsch Die Philosophische Lehre des Platonismus Band 71 op citp 477-478 A Michalewski laquo Le Premier de Numeacutenius et lrsquoUn de Plotin raquoArchives de philosophie 75 2012 p 35-37 et La Puissance de lrsquointelligibleLa Theacuteorie plotinienne des Formes au miroir de lrsquoheacuteritage meacutedioplatonicienLeuven Leuven University Press p 94-96

61 Voir Platon Timeacutee 30 c 7-8 (avec le participe περιλαβόν) et 31 a 3 (τograveπεριέχον πάντα ὁπόσα νοητὰ ζῷα) avec deux participes preacutefixeacutes en περί- agravepropos du Vivant qui a tous les intelligibles en lui et auquel Numeacutenius peutvouloir renvoyer avec sa formule περὶ τὰ νοητά La reacutefeacuterence implicite aupassage de la Lettre II 312 e 1-4 savamment reacuteeacutecrit indique toutefois queNumeacutenius donne un tout autre sens agrave ce περί Voir aussi le teacutemoignage de Pro-clus citeacute dans les notes preacuteceacutedentes

fique selon lrsquoideacutee de salut suggeacutereacutee agrave la fin de ce mecircme fragment Endrsquoautres termes le premier dieu serait περὶ τὰ νοητά au sens ougrave ilentoure les intelligibles de sa bienveillance leur transmettant agrave la foislrsquoecirctre et le Bien qursquoil est avant que le deacutemiurge ne les y fasse participeragrave son tour par sa bonteacute agrave lrsquoorigine de leur ecirctre deacutetermineacute62 et nrsquoy fasseparticiper aussi les sensibles en les eacutelevant agrave son propre caractegravere mar-queacute par cette mecircme bonteacute63 Le premier dieu le Bien est le modegravele dusecond le Bon et non pas des formes srsquoil doit ecirctre identifieacute au Vivantcrsquoest en tant que source ultime de la vie64 modegravele de ce second dieuqui transmet alors la vie au monde sensible (fr 1220F) et non en tantque paradigme totalisant et contenant les formes des quatre typesdrsquoecirctre vivants nommeacutes en Timeacutee 39 e 10-41 a 2

En cela le premier de Numeacutenius loin drsquoecirctre une entiteacute sans rapportau monde en est non seulement le principe mais il est pour lui lasource reacuteelle du Bien reacuteel ndash autrement dit il joue le rocircle de la Provi-dence qui est alors concregravetement exerceacutee par le second principe leBon Tout en eacutetant conccedilu comme premier intellect il nrsquoest donc pas lepremier moteur immobile aristoteacutelicien qui se pense lui-mecircme65 etauquel fut justement reprocheacute son deacutefaut de Providence66

120 Fabienne JOURDAN

62 Selon notre lecture de la formule ἰδέα ἑαυτοῦ du fragment 16 (24 F)comme renvoyant au monde intelligible comme ensemble de formes deacutetermi-neacutees

63 Voir le fr 11 (19 F) sur cette eacuteleacutevation du sensible vers le caractegravere dudeacutemiurge lequel est le laquo Bon raquo en reacutefeacuterence au Timeacutee Numeacutenius distingue leBien premier principe du Bon second principe en utilisant lrsquoadjectif substan-tiveacute au neutre pour deacutesigner le premier et lrsquoadjectif au masculin pour le second

64 Tel est selon nous le sens de lrsquoexpression ὁ μέν γε ὢν σπέρμα πάσηςψυχῆς au fr 13 (21 F) qui en fait la semence de toute acircme voir par ex F Jour-dan laquo Eusegravebe de Ceacutesareacutee et les extraits de Numeacutenius dans la Preacuteparationeacutevangeacutelique raquo dans S Morlet (eacuted) Lire en extraits Pratiques de lecture et deproduction des textes de lrsquoAntiquiteacute au Moyen Acircge Paris PUPS 2015 p 143-147

65 Contra par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit p 107066 Sur ce sujet notamment chez Plutarque dont Numeacutenius aurait pu ici par-

tager la critique voir par ex F Ferrari laquo Provvidenza platonica o autocontem

3) On notera ici enfin que selon toute vraisemblance Numeacuteniusnrsquoidentifie pas son premier principe agrave lrsquoUn67 Ce principe est certesunique (μόνος) simple (ἁπλοῦς) et indivisible (μὴ διαίρετος) encela distinct de lrsquouniteacute divisible que constitue le second dieu68 MaisNumeacutenius ne lrsquoidentifie pas agrave lrsquoUn et en tout cas pas agrave lrsquoUn du Parmeacute-nide69 Notre conviction srsquoappuie sur lrsquoanalyse du fragment 19 (27 F)Agrave la fin du passage on lit lrsquoexpression τὸ ἀγαθὸν ὅτι ἐστὶν ἕνNumeacutenius la donne comme une conclusion de Platon dont le sens pro-fond ne peut ecirctre perccedilu que par les laquo regards aiguiseacutes raquo autrement ditpar ceux qui comprennent le propos de Numeacutenius Elle provient assu-reacutement de la tradition orale on la retrouve dans le compte-rendu de laLeccedilon sur le Bien par Aristoxegravene70 Comme lrsquoarticle deacutefini peut ecirctreomis devant lrsquoattribut on peut certes heacutesiter sur sa traduction laquo leBien est lrsquoUn raquo ou laquo le Bien est un raquo Dans le contexte matheacutematiqueougrave elle est preacutesenteacutee chez Aristoxegravene la premiegravere traduction est sansdoute la bonne Mais ce nrsquoest pas neacutecessairement le sens originel (siPlaton srsquoest reacuteellement exprimeacute ainsi) et assureacutement pas celui que veut

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 121

plazione aristotelica la scelta di Plutarco raquo dans L Van der Stockt F Titche-ner HG Ingenkamp A Peacuterez Jimeacutenez (eacuted) Gods Daimones Rituals Mythsand History of Religions in Plutarchrsquos Works Maacutelaga International PlutarchSociety 2010 p 177-190 et laquo La teologia di aristotele nel medioplatonismo raquodans Y Lehman (eacuted) Aristoteles Romanus La Reacuteception de la science aristo-teacutelicienne dans lrsquoEmpire greacuteco-romain Turnhout Brepols 2012 p 299-312 voir aussi chez Atticus A Michalewski laquo Faut-il preacutefeacuterer Eacutepicure agrave Aris-tote raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted) Reacuteceptions de la theacuteolo-gie aristoteacutelicienne DrsquoAristote agrave Michel drsquoEphegravese Leuven Peeters 2017p 123-142

67 Contra notamment ici G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 84

68 Fr 11 19 F69 Contra A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV

op cit p 124 M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 22570 Aristoxegravene Eacuteleacutements drsquoharmonique 22016313 Macran 398-404 da

Rios texte ndeg 1 p 248 Richard

lire Numeacutenius Dans le contexte du fragment la formule perd touteambiguiumlteacute parce que lrsquointerpreacutetation en est donneacutee au preacutealable Numeacute-nius a insisteacute sur lrsquouniciteacute du Bien dont la bonteacute a eacuteteacute identifieacutee agrave lrsquoactespeacutecifique du φρονεῖν Si Platon a dit τἀγαθὸν ἐστὶν ἕν ndash formule dontNumeacutenius srsquoestime devoir rendre compte puisqursquoil eacutecrit justement luiaussi Sur le Bien ndash crsquoest donc selon lui parce qursquoil nrsquoy a qursquoun seul etunique Bien le Bien lui-mecircme (αὐτοάγαθον) Par suite la seulemaniegravere de rencontrer le bien de maniegravere geacuteneacuterale consiste agrave prendrepart agrave lrsquoactiviteacute de penser qui caracteacuterise le Bien lui-mecircme une penseacuteesource de bonteacute que chacun pourra exercer agrave son niveau (lrsquoideacutee que leφρονεῖν lui est reacuteserveacute suggegravere qursquoil srsquoagit dans son cas drsquoun φρονεῖνagrave lrsquoeacutetat pur) Ce disant Numeacutenius a sans doute une viseacutee poleacutemique agravelrsquoeacutegard notamment drsquoune interpreacutetation pythagorisante de Platon vrai-semblablement issue de lrsquoAncienne Acadeacutemie et peut-ecirctre aussi delrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne de lrsquoenseignement oral71 Lui seul sesera estimeacute comprendre le veacuteritable pythagorisme du maicirctre Quoiqursquoil en soit sur ce point le passage est selon nous la preuve drsquoun refusdrsquoidentifier le Bien agrave lrsquoUn Si Platon a dit que le Bien est un ou mecircmelrsquoUn quelle que soit lrsquointerpreacutetation litteacuterale et donc la traduction rete-nue il nrsquoaurait selon Numeacutenius en reacutealiteacute rien voulu exprimer drsquoautreque lrsquouniciteacute du Bien ainsi que sa seacuteparation drsquoavec le sensible conccediluecomme distinction essentielle drsquoavec les biens de ce monde Numeacuteniusinvite agrave comprendre ἕν comme le synonyme de μόνος que seul ilemploie agrave reacutepeacutetition agrave propos de son premier principe72 et qui a cedouble sens drsquoexprimer lrsquouniciteacute et lrsquoisolement ou la seacuteparationcomme le suggegravere deacutejagrave son emploi reacutecurrent au fragment 2 (11 F)Telle est lrsquointerpreacutetation correcte du Platon non-eacutecrit qursquoil precircte aux

122 Fabienne JOURDAN

71 Voir par ex Meacutet A 6 988 a 10-17 ougrave lrsquoUn est preacutesenteacute comme la causedu Bien et N 4 1091 b 1-20 sur lrsquoidentification du Bien agrave lrsquoUn dans uncontexte de critique des Platoniciens

72 Εἷς nrsquointervient qursquoagrave propos du second dieu conccedilu comme uniteacute divi-sible qui se distingue en cela de lrsquoUn et mecircme de lrsquouniciteacute du fait de sa dualiteacuteneacutecessaire (mais non essentielle)

seuls regards suffisamment aiguiseacutes pour savoir lire Platon lagrave ougravedrsquoautres lrsquoauront mal entendu73

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 123

73 Voir lrsquoanalyse deacutetailleacutee du passage dans F Jourdan laquo Sur le Bien deNumeacutenius raquo art cit ici contra G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 82 et 84 ndash Les deux teacutemoignages suggeacuterant une eacutevocation de lrsquoUnpar Numeacutenius ne paraissent pas infirmer cette lecture Le premier issu deMacrobe (fr 54 = Saturnales I 17 65 = P 99 12-16 Willis) fait eacutetat drsquoune eacutety-mologie de lrsquoeacutepithegravete laquo delphien raquo attribueacutee agrave Apollon ougrave Numeacutenius auraitvraisemblablement voulu retrouver lrsquoeacutetymologie courante du nom propre dudieu comme renvoyant au laquo non-multiple raquo ἀ-πολλά (voir par ex PlutarqueDe E 388 F et De Iside 354 F et 381 F avec J Whittaker laquo Ammonius on theDelphic E raquo Classical Quarterly 63 NS 19 1969 p 187-188 E SyskaStudien zur Theologie des Macrobius Stuttgart Teubner 1993 p 116 n 74)Macrobe rapporte en effet que Numeacutenius aurait fait de δέλφος un adjectifsignifiant unum (dans le latin de Macrobe) par opposition au substantifἀδελφός signifant laquo fregravere raquo et alors conccedilu comme pourvu drsquoun ἀ- privatif(sur cette eacutetymologie voir J Whittaker ibid p 187 n 9 Eacute des PlacesNumeacutenius Fragments op cit p 100 n 1 E Syska Studien zur Theologiedes Macrobius op cit p 193-194 qui estime qursquoelle nrsquoa aucune autre valeurque litteacuteraire) Outre qursquoil concerne un dieu dont nous ne savons pas si Numeacute-nius aurait reacuteellement souhaiteacute lrsquoidentification agrave son premier principe (il sug-gegravere en revanche son association agrave Zeus au fr 2 [11 F] lequel est ensuite asso-cieacute au second dieu au fr 12 [20 F]) le teacutemoignage nrsquoindique pas le sens exacten lequel Numeacutenius aurait aimeacute qursquoon entende cette laquo absence de fregravere raquoDrsquoune part juste avant Macrobe emploie lrsquoexpression singulum et unum quipeut traduire ἕν καὶ μόνον et dont comme dans le grec la redondance avaleur emphatique On ne sait donc pas lequel des deux adjectifs Numeacutenius aexactement employeacute et rien nrsquointerdit de penser que la reprise par unus soit unchoix du neacuteoplatonicien Macrobe Drsquoautre part unus renvoie agrave εἷς et non agrave ἕνEnfin et surtout laquo ne pas avoir de fregravere raquo si tel est le sens que Numeacutenius precirctedans ce contexte agrave δέλφος signifie laquo ecirctre fils unique raquo et reconduit au sens deμόνος Crsquoest pourquoi selon nous ce teacutemoignage nrsquoest pas un indice fiabledrsquoune identification numeacutenienne du premier principe agrave lrsquoUn (contra M Bur-nyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit p 152 n 34) Le second teacutemoignageest quant agrave lui constitueacute par la reacutefeacuterence agrave une singularitas identifieacutee agrave un pre-mier dieu-deacutemiurge dans le compte-rendu numeacutenien de la cosmogonie pytha-goricienne rapporteacutee par Calcidius (fr 52) Or ce premier dieu dans son oppo-sition mecircme agrave la dyade correspond davantage au second dieu du Περὶ

Voilagrave notre lecture du Περὶ τἀγαθοῦ le seul texte meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius dont soient transmis des fragments litteacute-raux Crsquoest agrave partir drsquoelle que nous proposons drsquoexaminer les rapportsentre lrsquoenseignement de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon lui-mecircme le Commentaire anonyme au Parmeacutenide et enfin la source com-mune au Zostrien et agrave Marius Victorinus Agrave chacun de ces troismoments nous tenterons drsquoeacutevaluer srsquoil fournit les indices de lrsquoexis-tence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par Numeacutenius

Premiegravere partie

Lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon le premier principe de Numeacutenius (le Bien) nrsquoest ni lrsquoUn ni

lrsquoUn-qui-est du ParmeacutenideLa premiegravere eacutetape que nous reacutealiserons dans cette premiegravere partie

consiste agrave confronter le Περὶ τἀγαθοῦ au Parmeacutenide lui-mecircme afinde voir srsquoil y renvoie directement ou non Si nous suivions lrsquohypothegravesede J Whittaker74 toutefois nous abandonnerions immeacutediatement lrsquoen-treprise selon lui crsquoest agrave partir du moment ougrave un philosophe inter-pregravete le Bien de Reacutepublique VI 509 b 6-10 comme un principe trans-cendant reacuteellement lrsquoecirctre et comme identifiable agrave lrsquoUn que se profileune interpreacutetation du Parmeacutenide et plus preacuteciseacutement de la premiegraverehypothegravese Or nous venons de montrer que loin de transcender lrsquoecirctrele Bien de Numeacutenius est lrsquoEcirctre lui-mecircme et que son association agrave lrsquoUnsert avant tout un propos exeacutegeacutetique ou srsquoavegravere du moins fort probleacute-matique ndash telle qursquoelle est formuleacutee du moins elle nrsquoimplique aucune

124 Fabienne JOURDAN

τἀγαθοῦ sans compter que lrsquoappellation latine de singularitas traduit plutocirctle grec μόνας que ἕν Le compte-rendu ne peut donc ecirctre compris commerefleacutetant la doctrine propre de Numeacutenius telle du moins qursquoelle est exprimeacuteedans le Περὶ τἀγαθοῦ (voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius raquo art cit)Il nrsquoy a donc aucun texte fiable permettant de precircter agrave Numeacutenius lrsquoidentifica-tion du Bien agrave lrsquoUn et encore moins agrave lrsquoUn du Parmeacutenide

74 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit

allusion au Parmeacutenide75 Si lrsquoon veut malgreacute tout supposer que Numeacute-nius nrsquoen a pas moins utiliseacute le Parmeacutenide et que son œuvre trahit alorsnon seulement la connaissance du dialogue mais un commentaire per-sonnel de celui-ci ne serait-ce que partiel il faut recourir agrave un autrepoint de doctrine que cette identification du premier principe agrave uneentiteacute transcendant lrsquoecirctre et identifieacutee agrave lrsquoUn et justement interroger ladeacutefinition de ce premier principe comme ecirctre Autrement dit il srsquoagitessentiellement de voir si Numeacutenius identifie le Bien ne serait-ce quepartiellement agrave lrsquolaquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

Pour parvenir agrave un reacutesultat probant deux eacutetapes sont neacutecessaires agravecet examen

1) un rappel des quelques points qui dans la deacutefinition de lrsquoecirctre etdu premier principe selon Numeacutenius ont parfois suggeacutereacute des rappro-chements avec le Parmeacutenide

2) une confrontation de la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ avec laseconde partie du dialogue de Platon pour voir si une convergence depenseacutee plus geacuteneacuterale pourrait malgreacute tout suggeacuterer une appropriationde ce texte par Numeacutenius ou si une incompatibiliteacute fondamentaleinvite agrave en douter

Dans lrsquoun et lrsquoautre cas si les reacutesultats sont neacutegatifs cela ne per-mettra pas de conclure que Numeacutenius a ignoreacute le texte ni non plus dese prononcer de maniegravere cateacutegorique sur lrsquoœuvre non parvenue Nousmontrerons drsquoailleurs dans un troisiegraveme temps que Numeacutenius tente dereacutesoudre les apories relatives aux formes poseacutees dans la premiegravere par-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 125

75 On peut faire semblable remarque agrave propos de lrsquoexposeacute des principespythagoriciens par Eudore rapporteacute par Simplicius (In Phys 18110 sq Diels)Mecircme srsquoil eacutevoque diffeacuterents Un la conception deacuteveloppeacutee deacutepend avant toutdes reacuteflexions de lrsquoAncienne Acadeacutemie sur lrsquoUn et la Dyade et est en cela tregravesproche du compte-rendu drsquoAristote sur les principes de Platon en Meacutet A 6 987b 18 sq (sur ce point voir J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquoart cit p 98 qui rapporte les propos de W Theiler agrave la note 11) Il ne sembledonc pas neacutecessaire de supposer un commentaire sous-jacent aux deux pre-miegraveres hypothegraveses du Parmeacutenide mecircme srsquoil nrsquoest eacutevidemment pas exclu que ledialogue ait eacuteteacute invoqueacute pour sa nomination de lrsquoUn La remarque vaut eacutegale-ment pour Speusippe et de maniegravere geacuteneacuterale pour les neacuteo-pythagoriciens

tie du dialogue et nous verrons qursquoagrave lrsquoeacutegard de la premiegravere hypothegraveseil a peut-ecirctre choisi une attitude suggeacutereacutee par Platon lui-mecircme Poureacutelargir cette recherche nous interrogerons enfin sa relation agrave la penseacuteede Parmeacutenide lui-mecircme

1 La deacutefinition du premier principe comme ecirctre dansle Περὶ τἀγαθοῦ des parallegraveles avec le Parmeacutenide

Une fois que lrsquoon a renonceacute agrave precircter agrave Numeacutenius une interpreacutetationdu Parmeacutenide en raison drsquoune identification supposeacutee de son premierprincipe agrave lrsquoUn il reste possible drsquoexaminer les parallegraveles entre la deacutefi-nition de son premier principe identifieacute agrave lrsquoecirctre ou plus geacuteneacuteralemententre sa deacutefinition de lrsquoecirctre et les formulations du dialogue platoniciendans les deux premiegraveres hypothegraveses Les partisans drsquoune interpreacutetationnumeacutenienne du Parmeacutenide dont notamment A-J Festugiegravere76 etD OrsquoMeara77 citent essentiellement78 deux textes agrave cette fin les frag-

126 Fabienne JOURDAN

76 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 12577 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 Voir aussi par ex

M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 225-227 qui srsquoap-puie toutefois sur ce qursquoil considegravere une identification du Bien agrave lrsquoUn et sur unpassage de Cleacutement drsquoAlexandrie qui semble deacutependre de la premiegravere hypo-thegravese (Strom V 12 82 1-2) Les eacuteleacutements de theacuteologie neacutegative eacutevoqueacutes lagravesrsquoaccompagnant drsquoune possibiliteacute de nomination rappellent toutefois moinsNumeacutenius qursquoAlcinoos Did X p 16433-34 H

78 Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoargumentation de R Romano (laquo La proba-bile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica e neopitagorica) delParmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide diPlatone et la sua tradizione op cit p 234) qui estime que Numeacutenius aufragment 217-34 (11 F) emprunte au Parmeacutenide les expressions delaquo meacutethode non aiseacutee mais divine raquo laquo ardeur juveacutenile raquo et laquo exercice matheacute-matique raquo Lrsquoappui textuel est trop tenu pour qursquoelle soit persuasive Quant agraveG Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 82-84) il eacutevoque luiaussi le fragment 5 (14 F) mais seulement en note agrave la page 82 et son argu-mentation ne srsquoappuie pas davantage sur la lettre du texte Crsquoest pourquoielle ne peut ecirctre expliciteacutee ici Nous ne commenterons enfin pas les hypo-

ments 5 et 6 (14-15 F) ougrave apparaicirct formuleacutee en termes neacutegatifs unedeacutefinition de lrsquoecirctre que le fragment 2 (11 F) a dit identifiable au BienCes deux fragments proviennent du livre II du Περὶ τἀγαθοῦ quientreprend de deacutefinir lrsquoecirctre preacuteliminaire indispensable agrave la deacutefinitiondu Bien Examinons-en quelques extraits Au fragment 5 nous lisonsceci

Φέρε οὖν ὅση δύναμις ἐγγύτατα πρὸς τὸ ὂν ἀναγώμεθα καὶλέγωμενmiddot τὸ ὂν οὔτε ποτὲ ἦν οὔτε ποτὲ μὴ γένηται ἀλλrsquo ἔστιν ἀεὶἐν χρόνῳ ὡρισμένῳ τῷ ἐνεστῶτι μόνῳ [] τὸ ἄρα ὂν ἀΐδιόν τεβέβαιόν τε ἐστὶν ἀεὶ κατὰ ταὐτὸν καὶ ταὐτόν οὐδὲ γέγονε μένἐφθάρη δὲ οὐδrsquo ἐμεγεθύνατο μέν ἐμειώθη δὲ οὐδὲ μὴltνgtἐγένετό πω πλεῖον ἢ ἔλασσον καὶ μὲν δὴ τά τε ἄλλα καὶ οὐδὲτοπικῶς κινηθήσεταιmiddot οὐδὲ γὰρ θέμις αὐτῷ κινηθῆναι οὐδὲ μὲνὀπίσω οὐδὲ πρόσω οὔτε ἄνω ποτὲ οὔτε κάτω οὐδrsquo εἰς δεξιὰοὐδrsquo εἰς ἀριστερὰ μεταθεύσεταί ποτε τὸ ὂν οὔτε περὶ τὸ μέσονποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται ἀλλὰ μᾶλλον καὶ ἑστήξεται καὶἀραρός τε καὶ ἑστηκὸς ἔσται κατὰ ταὐτὰ ἔχον ἀεὶ καὶ ὡσαύτως(extraits du fragment 5 14 F = Eus PE XI 10 4-5)

Eh bien donc eacutelevons-nous vers lrsquoecirctre le plus pregraves qursquoil nous est pos-sible et disons ceci lrsquoecirctre jamais ne fut ni jamais nrsquoadviendra assureacute-ment mais il est toujours dans un temps bien deacutetermineacute le seul preacute-sent [] Lrsquoecirctre est donc est agrave la fois eacuteternel et stable toujours dans lemecircme eacutetat et identique agrave soi il nrsquoest pas neacute et il ne peacuterit pas il ne croicirctet ne deacutecroicirct pas non plus ni il ne devient plus ou moins en aucunefaccedilon En somme il ne sera assureacutement soumis agrave aucun type de mou-vement et surtout pas au mouvement selon le lieu ndash il ne lui est en effetpas permis non plus crsquoest la loi divine drsquoecirctre mucirc jamais par unecourse en avant ni en arriegravere en haut ni en bas vers la droite droite nivers la gauche jamais lrsquoecirctre ne sera soumis au changement et jamais ilne sera mucirc autour de son propre centre Bien plutocirct il se tiendra en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 127

thegraveses de H Tarrant Thrasyllan Platonism op cit p 174-177 dans lamesure ougrave elles supposent que Numeacutenius srsquoinspire de Modeacuteratus (au fr 52)et suit donc lrsquointerpreacutetation qursquoil aurait donneacutee sur la matiegravere drsquoapregraves leteacutemoignage de Simplicius

repos sera ferme et fixe se maintenant toujours de faccedilon identique etde la mecircme maniegravere79

Au fragment 6 (15 F) nous lisons ensuite

ἡ δὲ αἰτία τοῦ ὄντος ὀνόματός ἐστι τὸ μὴ γεγονέναι μηδὲφθαρήσεσθαι μηδrsquo ἄλλην μήτε κίνησιν μηδεμίαν ἐνδέχεσθαιμήτε μεταβολὴν κρείττω ἢ φαύλην εἶναι δὲ ἁπλοῦν καὶἀναλλοίωτον καὶ ἐν ἰδέᾳ τῇ αὐτῇ καὶ μήτε ἐθελούσιον ἐξίστα-σθαι τῆς ταὐτότητος μήθrsquo ὑφrsquo ἑτέρου προσαναγκάζεσθαι (extraitdu fragment 6 15 F = Eus PE XI 10 7)

Et la raison de ce nom ecirctre reacuteside dans le fait de ne pas ecirctre neacute de nepas devoir peacuterir de nrsquoadmettre absolument aucun autre type de mou-vement ni de changement que ce soit vers le meilleur ou vers le piremais drsquoecirctre au contraire simple invariable dans une forme qui resteidentique de ne pas sortir de son identiteacute ni volontairement ni souslrsquoeffet drsquoune contrainte exteacuterieure80

Pourquoi a-t-on voulu lire ces textes comme faisant allusion auParmeacutenide alors qursquoils ne preacutesentent pas de parallegraveles textuels avec cedialogue Deux raisons agrave cela A-J Festugiegravere y voit une seacuterie deneacutegations qui rappellent celles du Parmeacutenide relativement agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese D OrsquoMeara estime que la deacutefinition de lrsquoecirctrecomme restant dans une identiteacute parfaite agrave soi exprimeacutee en termes de

128 Fabienne JOURDAN

79 Toutes les traductions de Numeacutenius sont les nocirctres80 Voir aussi cet extrait du fragment 8 (17 F = Eus PE XI 10 12) Εἰ μὲν

δὴ τὸ ὂν πάντως πάντη ἀΐδιόν τέ ἐστι καὶ ἄτρεπτον καὶ οὐδαμῶςοὐδαμῆ ἐξιστάμενον ἐξ ἑαυτοῦ μένει δὲ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτωςἕστηκε τοῦτο δήπου ἂν εἴη τὸ τῇ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν laquo Siassureacutement lrsquoecirctre est en tout point absolument eacuteternel et immuable srsquoil ne sortabsolument pas de lui-mecircme en aucune faccedilon mais demeure dans le mecircmeeacutetat fixeacute dans son identiteacute alors crsquoest lui sans nul doute qui sera ldquoce qui estappreacutehendeacute par lrsquointellection agrave lrsquoaide du raisonnementrdquo (Tim 28 a) raquo Ce pas-sage fait suite au fragment 7 (16 F = Eus PE XI 10 9-11) qui cite la deacutefinitionde lrsquoecirctre opposeacute agrave la γένεσις en Timeacutee 27 d 6-28 a 4

laquo non-sortie raquo de soi est reprise dans les passages des Enneacuteades VI4 [ 22] 2 21 et VI 5 3 1-2 ougrave Plotin traite de lrsquointeacutegriteacute de lrsquoecirctre etinterpregravete agrave cet effet la seconde hypothegravese du Parmeacutenide D OrsquoMearasonge alors agrave un preacuteceacutedent numeacutenien dans la lecture plotinienne duParmeacutenide et agrave cette fin eacutetant donneacute qursquoil est question dans ces frag-ments de la relation de lrsquoecirctre au temps au changement et au mouve-ment tout comme de son nom (et donc sous-entendu aussi de saconnaissance) il invite agrave penser que le livre II du Περὶ τἀγαθoῦ trai-tait de lrsquoecirctre selon les diffeacuterents preacutedicats qui servent agrave interroger lrsquoUndu Parmeacutenide agrave savoir le Tout et les parties le lieu le changement etmouvement lrsquoidentiteacute et la diffeacuterence la ressemblance et dissem-blance lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoineacutegaliteacute le temps le nom la connaissance

Ces deux lectures se heurtent toutefois agrave deux objections simplesDrsquoune part pas plus qursquoil ne tire du Parmeacutenide la description de la non-sortie de soi81 Numeacutenius nrsquoemprunte son argumentation sur le change-ment le temps et le nom au Parmeacutenide Comme il le dit lui-mecircme aufragment 6 (15 F) il srsquoappuie pour cela sur le Timeacutee et le Cratyle Onnotera drsquoailleurs que le deacuteveloppement sur lrsquoabsence de mouvement etdonc de changement relegraveve en outre drsquoun emprunt aux Lois82 et qursquoellenrsquoest pas exempte de parallegraveles aristoteacuteliciens ainsi que le reconnaicirctD OrsquoMeara lui-mecircme83 Drsquoautre part et pour reacutepondre cette fois agraveA-J Festugiegravere la seacuterie de neacutegations ne fait aucunement allusion auParmeacutenide ni nrsquoaugure drsquoune theacuteologie neacutegative telle qursquoelle sera tireacuteede la premiegravere hypothegravese de ce dialogue elle contribue simplement agraveune deacutefinition de lrsquoecirctre par opposition au devenir et surtout au corporelqui preacutesente toutes les qualiteacutes ici nieacutees La citation au fragment 7 (16F) du passage du Timeacutee (27 d 6-28 a 4) opposant justement ὄν et

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 129

81 Elle est en reacutealiteacute preacutesente dans le Cratyle 439 e le Pheacutedon 79 d et 80b 1-2 et le Banquet 211 b 1

82 X 893 c-894 a83 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 n 26 Sur le temps

voir aussi M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit et la remarquefinale sur la deacutefinition parmeacutenidienne drsquoune entiteacute se situant dans un eacuteternelpreacutesent au fr 85 DK

γένεσις preacutecise ce contexte de penseacutee et empecircche en cela toute extra-polation Agrave la limite si lrsquoon y tient on pourra simplement conclure avecD OrsquoMeara que Numeacutenius a donneacute agrave Plotin lrsquoideacutee de lire le Parmeacutenidedans le sens ougrave il lrsquoa fait concernant lrsquoecirctre ndash hypothegravese qui srsquoavegraverera fortinteacuteressante dans la perspective drsquoune comparaison avec lrsquoentreprise ducommentateur anonyme au Parmeacutenide

Les textes habituellement citeacutes en faveur drsquoune utilisation numeacute-nienne du Parmeacutenide ainsi compris il en est selon nous un troisiegravemequi aurait pu inviter agrave pareille suggestion celui ougrave Numeacutenius precircte aupremier principe un repos qui srsquoaccompagne malgreacute tout drsquoune formede mouvement ndash attributs apparemment contradictoires dont lrsquooriginepourrait paraicirctre remonter au Parmeacutenide Ce texte nous mettrait sur lavoie qui pouvait sembler la plus feacuteconde drsquoune identification du pre-mier principe numeacutenien agrave lrsquoUn de la seconde hypothegravese du ParmeacutenideLisons ainsi le fragment 15 (23 F)

Εἰσὶ δrsquo οὗτοι βίοι ὁ μὲν πρώτου ὁ δὲ δευτέρου θεοῦ δηλονότι ὁμὲν πρῶτος θεὸς ἔσται ἑστώς ὁ δὲ δεύτερος ἔμπαλίν ἐστικινούμενοςmiddot ὁ μὲν οὖν πρῶτος περὶ τὰ νοητά ὁ δὲ δεύτερος περὶτὰ νοητὰ καὶ αἰσθητά μὴ θαυμάσῃς δrsquo εἰ τοῦτrsquo ἔφηνmiddot πολὺ γὰρἔτι θαυμαστότερον ἀκούσῃ ἀντὶ γὰρ τῆς προσούσης τῷδευτέρῳ κινήσεως τὴν προσοῦσαν τῷ πρώτῳ στάσιν φημὶ εἶναικίνησιν σύμφυτον ἀφrsquo ἧς ἥ τε τάξις τοῦ κόσμου καὶ ἡ μονὴ ἡἀΐδιος καὶ ἡ σωτηρία ἀναχεῖται εἰς τὰ ὅλα

Voici les genres de vie respectifs du premier et du deuxiegraveme dieu ilest eacutevident que le premier sera en repos tandis que le deuxiegraveme aucontraire est en mouvement le premier donc autour des intelligiblesle deuxiegraveme autour des intelligibles et des sensibles Et nrsquoen viens pasagrave trsquoeacutetonner si jrsquoai affirmeacute cela car tu vas entendre bien plus eacutetonnantencore agrave la place du mouvement inheacuterent au deuxiegraveme le repos inheacute-rent au premier je lrsquoaffirme est un mouvement qui lui est par natureassocieacute drsquoougrave viennent lrsquoordre du monde et sa permanence eacuteternelle etdrsquoougrave le salut se reacutepand sur lrsquointeacutegraliteacute des ecirctres

Le passage pourrait rappeler lrsquoUn qui est Tout (τὸ ἓν ὅλον 145 e3) de la deuxiegraveme hypothegravese et que Platon deacutecrit comme eacutetant agrave la fois

130 Fabienne JOURDAN

en repos et en mouvement (καὶ κινεῖσθαι καὶ ἑστάναι 145 e 7-8)drsquoautant plus que le vocabulaire du repos employeacute est le mecircme(ἕστηκε 145 a 8 ἑστός 146 a 5) On pourrait alors imaginer queNumeacutenius identifie son premier principe agrave lrsquoUn associeacute agrave lrsquoecirctre telqursquoil est conccedilu dans cette deuxiegraveme hypothegravese Cependant la raisondonneacutee par Platon agrave cet eacutetat est le fait que cet Un se trouve agrave la fois enlui-mecircme crsquoest-agrave-dire au mecircme endroit et en autre chose crsquoest-agrave-direailleurs (le tout devant ecirctre ainsi compris 145 e 8-146 a 7) Or toutconduit agrave penser que dans le fragment le mouvement associeacute au reposfondamental est celui de la penseacutee caracteacuteristique du premier principe(cf fr 19 27 F) et que par cette formule Numeacutenius preacutepare la deacutefini-tion de celui-ci comme intellect (fr 16-17 24-25 F) Le raisonnementest profondeacutement distinct et Numeacutenius joue drsquoailleurs moins sur uneantithegravese logique telle que pourrait paraicirctre celle du raisonnement pla-tonicien que sur une association certes paradoxale mais reacuteelle Crsquoestpourquoi si tentant que puisse paraicirctre le parallegravele il ne relegraveve sansdoute pas drsquoune appropriation numeacutenienne de la deuxiegraveme hypothegravesepour deacutecrire le premier principe Numeacutenius reprend peut-ecirctre le voca-bulaire voire la conception de Platon pour deacutecrire un principe qursquoilassocie volontiers au Tout surtout si ce premier principe doit corres-pondre au Vivant84 Mais cette reprise serait superficielle et srsquoaccom-pagnerait drsquoun deacuteveloppement personnel qui ne relegraveve pas du deacutesirdrsquointerpreacuteter le Parmeacutenide85 Si Numeacutenius emprunte ici agrave Platon crsquoestplutocirct au passage du Sophiste 248 e-249 a qui integravegre le mouvementdans lrsquoecirctre total finit par deacutecrire cet ecirctre comme eacutetant agrave la fois en reposet en mouvement et inclut en lui eacutegalement lrsquointellect mieux laφρόνησις dont nous avons vu que Numeacutenius en fait sous la formeinfinitive lrsquoapanage du Bien

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 131

84 Voir le teacutemoignage de Proclus (fr 22) deacutejagrave signaleacute selon nous lrsquoimagedu Vivant est deacutejagrave sous-jacente dans ce fragment 15 (23 F) voir la note 61

85 Sur ce point nous rejoignons LP Gerson laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpre-tation of Platorsquos Parmenides raquo art cit n 1 qui rappelle agrave propos drsquoAlcinoosque lrsquoutilisation de distinctions et drsquoarguments preacutesents dans le Parmeacutenidenrsquoimplique pas drsquoaccorder une primauteacute interpreacutetative agrave ce dialogue

2 Le Περὶ τἀγαθοῦ et les deux premiegraveres hypothegravesesde la seconde partie du Parmeacutenide

Agrave eux seuls les textes parvenus ne nous semblent donc pas teacutemoi-gner en faveur drsquoun commentaire au Parmeacutenide de la part de Numeacute-nius ni mecircme drsquoune utilisation partielle qursquoil aurait faite de ce dia-logue Les partisans drsquoune attribution de pareil commentaire agrave Numeacute-nius en appellent toutefois et ce juste titre agrave lrsquoœuvre non parvenueOn ne peut certes juger de lrsquoeacutevolution de Numeacutenius Mais pour quecet argument e silentio soit valable concernant au moins la partie man-quante du Περὶ τἀγαθοῦ il faudrait que la partie transmise ne preacute-sente pas drsquoincompatibiliteacute avec lrsquoargumentation geacuteneacuterale du dialoguede Platon Comme le deacutebat porte toujours sur les deux premiegraveres hypo-thegraveses ce sont elles qursquoil suffit drsquointerroger en vue drsquoeacutevaluer si Numeacute-nius peut ne serait-ce que srsquoy ecirctre reporteacute pour esquisser sa deacutefinitiondu premier principe voire du second comme le suggegravere JD Turner86

a) Le Bien et lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese

Selon notre lecture Numeacutenius nrsquoidentifie pas le Bien agrave lrsquoUn Laseacuterie de neacutegations neacutecessaires agrave la deacutefinition de lrsquoecirctre nrsquoa drsquoautre butque de distinguer celui-ci du devenir Qursquoest-ce que le Bien de Numeacute-nius pourrait donc avoir de commun avec lrsquoUn de la premiegravere hypo-thegravese87 Comparons son enseignement agrave celui du Parmeacutenide pourassurer de la validiteacute de notre position

Ce que le Bien de Numeacutenius pourrait avoir de commun avec lrsquoUnde la premiegravere hypothegravese assureacutement ce serait le fait de ne pas ecirctremultiple (137 c) Mais cela est bien maigre la seacuterie de neacutegations pro-

132 Fabienne JOURDAN

86 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 138-13987 G Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 84) estime que

crsquoest en lien avec la premiegravere hypothegravese que Numeacutenius deacuteveloppe sa concep-tion du premier intellect Il nrsquoexplique toutefois pas cette lecture pour le moinseacutetonnante

poseacutee par Parmeacutenide ne le concerne pas Passons en revue quelquesexemples en suivant lrsquoordre du dialogue contrairement agrave lrsquoUn de cettehypothegravese le Bien nrsquoest pas illimiteacute (137 d 7) crsquoest la matiegravere qui esttelle agrave lrsquoimage drsquoun fleuve88 loin drsquoecirctre nulle part au sens de laquo pas ensoi raquo (138 a 2 6-b 2) il est au contraire en lui-mecircme89 La seacuterie drsquoanti-thegraveses ne le concerne pas davantage loin de nrsquoecirctre ni en repos ni enmouvement (138 b) nous avons vu qursquoil a part aux deux90 plutocirct quede nrsquoecirctre ni identique ni diffeacuterent (139 b-140 b) il est assureacutement iden-tique agrave soi91 au lieu drsquoecirctre hors du temps (141 a) il se situe dans uneacuteternel preacutesent92 et si certes on ne peut pas non plus parler agrave soneacutegard de participation agrave lrsquoοὐσία (141 e 7-8) il nrsquoen est pas moinslrsquoἀρχή de celle-ci93 qui fait de lui lrsquoEcirctre par excellence94 Contraire-ment agrave lrsquoUn de cette hypothegravese (142 a) il a en outre un nom une deacutefi-nition et il y a mecircme une science agrave son sujet son nom est drsquoabordοὐσία et ὄν lorsque lrsquoecirctre qursquoil est est envisageacute de maniegravere geacuteneacuterale95puis vraisemblablement Bien lui-mecircme et Ecirctre lui-mecircme (αὐτοάγα-θον et αὐτοόν) lorsqursquoil est envisageacute dans sa speacutecificiteacute96 il donnelrsquoἐπιστήμη et srsquoavegravere mecircme ecirctre la σοφία97 toute lrsquoentreprise duΠερὶ τἀγαθοῦ est justement de conduire agrave sa connaissance et deacutefini-tion98 ce agrave quoi parvient entre autres le dernier fragment en identifiantultimement lrsquoecirctre et lrsquointellect qursquoil constitue agrave la Forme du Bien de laReacutepublique99 Lorsque Platon fait conclure agrave Parmeacutenide que cet Un

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 133

88 Fr 3 (12 F) et 8 (17 F)89 Fr 11 (19 F)90 Fr 15 (23 F)91 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)92 Fr 5 (14 F)93 Fr 16 (24 F)94 Fr 17 (25 F) et lrsquoon nrsquooubliera pas la synonymie entre οὐσία et ὄν don-

neacutee au fr 6 (15 F)95 Fr 6 (15 F)96 Fr 16-17 (24-25 F) fr 20 (28 F)97 Crsquoest notre interpreacutetation conjointe des fragments 13 et 14 (21-22 F)98 Tel est le programme annonceacute au fragment 2 (11 F)99 Fr 20 (28 F)

finalement nrsquoest pas Numeacutenius peut donc avoir estimeacute ne pas devoirreconnaicirctre lagrave ce qursquoil deacutefinit quant agrave lui comme le premier principe etce alors en accord avec Platon lui-mecircme

Crsquoest pourquoi srsquoil a songeacute agrave ce dialogue et plus particuliegraverement agravela premiegravere hypothegravese Numeacutenius a pu le consideacuterer comme un exer-cice dialectique ougrave puiser par exemple une meacutethode drsquointerrogation etcertains concepts dans un esprit peut-ecirctre semblable agrave celui drsquoAlci-noos100 ou bien ce qui nrsquoest pas incompatible comme deacutecrivantaussi une position selon lui critiqueacutee par Platon Dans cette perspec-tive il peut alors y avoir perccedilu une raison de ne pas retenir la candida-ture de lrsquoUn (telle que la suggegravere notamment la reacuteception acadeacutemi-cienne de lrsquoenseignement oral) au titre de premier principe agrave identifierau Bien puisque cet Un conccedilu dans sa pureteacute agrave la maniegravere dont Platonle deacutecrit dans la premiegravere hypothegravese conduit agrave lrsquoaporie du non-ecirctre (non-ecirctre que Numeacutenius identifie quant agrave lui agrave la matiegravere) Autre-ment dit la lecture du Parmeacutenide voire le commentaire de ce dia-logue aurait plutocirct conduit Numeacutenius agrave ne pas identifier le Bien agrave lrsquoUnabsolu et lrsquoaurait peut-ecirctre justifieacute dans une position poleacutemique agrave lrsquoen-contre de certains neacuteo-pythagoriciens de son temps101 voire des Aca-deacutemiciens qui le faisaient

Cette conclusion peut a priori eacutetonner Mais Numeacutenius nrsquoaurait paseacuteteacute le seul de son eacutepoque agrave refuser drsquoaccorder agrave lrsquoUn de la premiegraverehypothegravese le rocircle de principe de la reacutealiteacute et de principe transcendantlrsquoecirctre Proclus eacutevoque des interpregravetes selon lesquels le veacuteritable objet

134 Fabienne JOURDAN

100 Agrave la mecircme eacutepoque ou peu apregraves (selon lrsquohypothegravese de R Chiara-donna laquo Theacuteologie et eacutepoptique aristoteacutelicienne dans le meacutedioplatonisme lareacuteception de Meacutetaphysique Λ raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted)Reacuteceptions de la theacuteologie aristoteacutelicienne op cit p 143-148 voir aussiM Frede laquo Numenius raquo art cit p 1064) Alcinoos donne une interpreacutetationessentiellement logique du Parmeacutenide voir Did VI p 159-160 H Cela nrsquoim-plique toutefois pas que ce fut lagrave la seule lecture du dialogue par Alcinoos(pace J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit)

101 Voir ceux eacutevoqueacutes au fragment 5215-24 (Calcidius In Tim CCXCV)qui font provenir la dyade de la monade Modeacuteratus agrave qui est justement precircteacuteun commentaire du Parmeacutenide leur est parfois rapprocheacute

du Parmeacutenide est justement lrsquoecirctre (ou lrsquoUn de la seconde hypothegravese) etnon lrsquoUn absolu dont lrsquohypothegravese ne conduit qursquoagrave des apories102 Lrsquounde ces interpregravetes fut Origegravene (le Platonicien103 ) disciple drsquoAmmo-nius comme Plotin et qui eacutetait peut-ecirctre justement en deacutebat avecNumeacutenius notamment sur la fonction du premier principe104 SelonOrigegravene lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese eacutetait sans existence ni subsis-tance (ἀνύπαρκτον καὶ ἀνύποστατον) lrsquoEcirctre absolu et lrsquoUnabsolu ne devaient faire qursquoun et ecirctre identifieacutes agrave lrsquointellect commeprincipe supeacuterieur105 ce nrsquoeacutetait donc qursquoavec la seconde hypothegravese

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 135

102 Proclus In Parm I 63531-6364 Theacuteol Plat II 4 311-28103 Nous nrsquoentrons pas ici dans le deacutebat concernant la question de savoir si

Origegravene nommeacute laquo le platonicien raquo est le mecircme qursquoOrigegravene le chreacutetien Nouspostulons qursquoil srsquoagit de deux personnages distincts (en cela nous suivonsnotamment R Goulet laquo Porphyre Ammonius les deux Origegravene et lesautres raquo Revue drsquohistoire et de philosophie religieuse 57 1977 p 471-496repris dans R Goulet Eacutetudes sur les Vies de philosophes de lrsquoAntiquiteacute tar-dive Diogegravene Laeumlrce Porphyre de Tyr Eunape de Sardes Textes et traditionsI Paris Vrin 2001 p 267-290) Sur ce sujet voir le statut de la question dansL Brisson R Goulet laquo Origegravene le platonicien raquo dans R Goulet (eacuted) Dic-tionnaire des philosophes antiques Paris CNRS IV 2005 p 804-807 M Zambon laquo Porfirio e Origene uno status quaestionis raquo dans S Morlet(eacuted) Le Traiteacute de Porphyre contre les chreacutetiens Un siegravecle de recherches nou-velles questions Paris Institut drsquoEacutetudes augustiniennes 2011 p 107-164 etles eacutetudes reacuteunies par B Baumlbler H-G Nesselrath (eacuted) Origenes der Christund Origenes der Platoniker Tuumlbingen Mohr Siebeck 2018 (dont lrsquoarticle deCh Riedweg qui identifie les deux personnages)

104 Drsquoapregraves le titre de son ouvrage transmis par Porphyre (VP 332 cf Pro-clus Theol plat II 4 A) Ὃτι μόνος ποιητὴς ὁ βασιλεύς Origegravene associaitvraisemblablement le laquo roi raquo (premier principe) au deacutemiurge nommeacute ποιητήςcontrairement agrave Numeacutenius qui les distingue au fragment 12 (20 F)

105 Sur ce sujet voir par ex HD Saffrey LG Westerink Proclus Theacuteo-logie platonicienne T II Paris Les Belles Lettres 1974 p X-XX C Steellaquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 32-35 L Bris-son laquo The Reception of Parmenides before Proclus raquo dans JD TurnerK Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage vol II Reception inPatristic Gnostic and Christian Neoplatonic Texts Atlanta Society of Bibli-cal Literature 2011 p 49-64

que commenccedilait selon lui lrsquoonto-theacuteologie platonicienne parce qursquoelleaurait deacutecrit lrsquointellect et les formes Origegravene paraissant plus proche deson maicirctre que Plotin106 son interpreacutetation eacutetait peut-ecirctre celle drsquoAm-monius et comme les argumentations drsquoAmmonius et de Numeacuteniussont parfois rapprocheacutees107 on pourrait penser agrave une parenteacute entre ellessur ce sujet eacutegalement Quoi qursquoil en soit sur ce point on peut retenirdeux choses de la comparaison avec lrsquointerpreacutetation drsquoOrigegravene lerefus de consideacuterer le premier principe comme identique agrave lrsquoUn absolude la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et lrsquoidentification de ce prin-cipe agrave lrsquoEcirctre absolu

Peut-on alors supposer que Numeacutenius agrave lrsquoinstar drsquoOrigegravene conccediloitlui aussi cet Ecirctre comme deacutecrit dans la deuxiegraveme hypothegravese Crsquoest eneffet avions-nous vu drsquoembleacutee la seule maniegravere de lui supposer reacuteelle-ment une utilisation du Parmeacutenide dans sa description du premier prin-cipe

b) Le Bien et lrsquo laquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

On peut en effet rappeler que Plotin a tendance agrave situer le premierde Numeacutenius au rang du second selon sa propre doctrine Toutefois agravela lecture du Parmeacutenide lui-mecircme Numeacutenius aurait assureacutement eacuteteacutegecircneacute degraves la formulation de lrsquohypothegravese consideacuterant Un et ecirctre (οὐσία)comme deux eacuteleacutements seacutepareacutes neacutecessitant la participation de lrsquoUn agravelrsquoecirctre (142 b-c) Pour Numeacutenius le premier principe est lrsquoecirctre il nrsquoapas part agrave lrsquoecirctre Lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacutenide ten-tera certes de reacutesoudre la difficulteacute et si Numeacutenius avait commenteacute letexte il aurait sans doute fait de mecircme Mais est-il bien neacutecessaire delui precircter pareille entreprise Il nrsquoest en effet pas davantage inteacuteresseacute agrave

136 Fabienne JOURDAN

106 Voir HD Saffrey LG Westerink op cit p XIX107 Voir par ex le teacutemoignage de Neacutemeacutesius (fr 4 b = Sur la nature de

lrsquohomme 2 8-14) qui les associe dans la critique de la corporeacuteiteacute de lrsquoacircmecaracteacuteristique de la conception stoiumlcienne

utiliser la seacuterie de preacutedicats contraires cette fois accepteacutes pour lrsquoUn decette deuxiegraveme hypothegravese Si nous nrsquoen retenons seulement quelques-uns parmi ceux pouvant concerner une reacutealiteacute intelligible on noteraque la notion de pluraliteacute ne peut concorder avec la repreacutesentation delrsquouniteacute indivisible que constitue le Bien pas davantage que le coupleantitheacutetique drsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave soi Trois points pourraientecirctre malgreacute tout rapprocheacutes dans la deacutefinition du Bien numeacutenien et delrsquoUn de la seconde hypothegravese lrsquoaffirmation drsquoune preacutesence agrave la fois ensoi et en autre chose (145 b 6-7) ndash mais elle est caracteacuteristique de touteforme intelligible et la contradiction apparente est reacutesolue par le pheacute-nomegravene de la participation bien deacuteveloppeacute par Numeacutenius lrsquoideacutee quece principe est en mouvement et en repos (145 a 3-146 a 7)ndash mais nousavons montreacute son sens particulier lieacute au processus de la penseacutee propreagrave lrsquointellect qui nrsquoest pas deacuteveloppeacute dans le Parmeacutenide et enfin larelation au temps (152 a) mais elle nrsquoest que provisoire concernant ladeuxiegraveme hypothegravese dans la mesure ougrave celle-ci va ensuite associerlrsquoecirctre agrave toutes les dimensions du temps alors que Numeacutenius ne lrsquoasso-cie qursquoau preacutesent comme le fait le Timeacutee (et peut-ecirctre le vrai Parmeacute-nide lui-mecircme au fragment 85)

Il nous semble donc peu probable que Numeacutenius ait envisageacute sonpremier principe en songeant agrave lrsquoUn-qui-est du Parmeacutenide ou aitmecircme tenteacute de le lui faire correspondre dans une eacutetape ulteacuterieure de sareacuteflexion En cela le deacutesaccord qui semble affleurer avec Origegravene surla caracteacuterisation des principes se retrouverait sur ce point eacutegalement

c) Le second dieu (le Bon) et lrsquolaquo Un qui est raquo

Une autre possibiliteacute peut toutefois se preacutesenter agrave lrsquoesprit Numeacute-nius nrsquoaurait-il pas alors associeacute agrave ce second Un son second dieu etprincipe qui lui est effectivement agrave la fois Un et plusieurs (143 a 5)au sens ougrave il connaicirct une laquo division raquo lorsqursquoil rencontre la matiegravere108

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 137

108 Fr 11 (19 F)

Telle est en effet lrsquohypothegravese de JD Turner109 On pourrait lrsquoeacutetayer ennotant que ce dieu est drsquoailleurs lui aussi seacutepareacute pour ainsi dire de saforme le Bien ce qui constitue deux aspects de son ecirctre et mecircme de laforme qursquoil produit comme modegravele du monde lui aussi a en outre partagrave lrsquoοὐσία qursquoil reccediloit du premier En extrapolant on pourrait imaginerque crsquoest agrave lui que reviennent tous les couples de contraires puisqursquoilest agrave la fois dans lrsquointelligible par sa contemplation et preacuteoccupeacute dusensible tendant au contact avec la matiegravere110 Mais nous irions troploin Numeacutenius fait certes de ce second dieu lrsquoecirctre deacuteriveacute mais il estecirctre assureacutement et nrsquoest pas concerneacute par les preacutedicats caracteacuterisant lesensible (comme la grandeur la limite lrsquoacircge) Ce qui peut paraicirctrecontraire en ce dieu ce sont seulement des attitudes lieacutees agrave son orienta-tion dans un processus cosmogonique Numeacutenius ne paraicirct pas avoirainsi deacutefini son essence dont la caracteacuteristique fondamentale est lrsquoimi-tation et la participation au Bien Crsquoest pourquoi mecircme si cela peutparaicirctre tentant nous ne pensons pas qursquoil ait conccedilu ce second dieu ensongeant agrave la deuxiegraveme hypothegravese du Parmeacutenide ni mecircme qursquoil aittenteacute apregraves lrsquoavoir deacutefini de le lui faire correspondre111 Le consideacuterer

138 Fabienne JOURDAN

109 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 137-138 qui ajoute agravecela une reacuteflexion sur ce que certains Anciens consideacuteraient comme la troisiegravemehypothegravese (155 e 4-157 b 4) et fait du second dieu de Numeacutenius dans sa dualiteacutemecircme un repreacutesentant des Un de la deuxiegraveme et troisiegraveme hypothegraveses (Un-plu-sieurs et Un-et-plusieurs) Cette lecture est ingeacutenieuse mais inveacuterifiable

110 Fr 11 (19 F)111 Concernant les autres hypothegraveses nous pourrions faire deux remarques

Dans la troisiegraveme la deacutefinition des laquo autres choses raquo comme eacutetant de natureillimiteacutee mais recevant leur limite par participation agrave lrsquoUn (158 d 7-8) corres-pond agrave la conception de la formation du monde par le deacutemiurge (fr 18 26 F cf fr 52) Mais cette interpreacutetation est la leccedilon mecircme du Timeacutee coupleacute avec lePhilegravebe Dans la derniegravere hypothegravese ensuite en 165 c 2 on trouve lrsquoexpres-sion ὀξὺ νοοῦντι pour deacutesigner celui qui regarde de pregraves et voit que les chosesqui paraissent unes sont en reacutealiteacute plusieurs car priveacutees drsquouniteacute Avec lrsquoexpres-sion ὀξὺ βλέποντι au fr 19 (27 F) Numeacutenius pourrait faire un clin drsquoœilentendu agrave ce passage lorsqursquoil invite agrave comprendre ce qui est selon lui le vraisens du terme un appliqueacute au Bien celui drsquouniciteacute Lrsquoeacutecho lexical pourrait ren-

selon chacun de ses deux laquo aspects raquo comme correspondant agrave lrsquolaquo Un-plusieurs raquo et agrave lrsquolaquo Un-et-plusieurs raquo de la deuxiegraveme et de la troisiegravemehypothegraveses entrevue par certains Anciens comme le fait J Turnerrelegraveve selon nous drsquoune lecture plotinienne qui ne correspond pas agravelrsquoenseignement du Περὶ τἀγαθοῦ112 Cela une fois encore nrsquoem-pecircche pas que Numeacutenius ait pu inspirer Plotin dans sa propre lecturedu Parmeacutenide

3 Le Περὶ τἀγαθοῦ et la premiegravere partie du Parmeacutenide

Dans le Περὶ τἀγαθοῦ Numeacutenius nrsquoa ainsi selon nous pas conccedilusa reacuteflexion sur les principes agrave partir drsquoun commentaire du Parmeacutenideni nrsquoa mecircme tenteacute de la faire correspondre aux hypothegraveses de laseconde partie de ce dialogue apregraves lrsquoavoir eacutelaboreacutee En revanche ilsrsquoest assureacutement inteacuteresseacute agrave la premiegravere partie ou du moins aux diffi-culteacutes dans lesquelles elle place la theacuteorie des formes113 Qursquoil ait ounon en tecircte ce dialogue le sien en tout cas cherche assureacutement agraverendre possible la participation et donc agrave sauver la theacuteorie des formespar-delagrave les objections que lui adresse Parmeacutenide Ce sujet nous inteacute-ressant moins directement ici nous ferons bref

Agrave la question de savoir srsquoil y a des formes de tout (130 b-e) Numeacute-nius reacutepond assureacutement qursquoil y en a de tout ce qui a part au Bien114 agrave

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 139

voyer agrave cette illusion relative agrave la saisie de ce qursquoest laquo ecirctre un raquo Lrsquoexpressionnrsquoeacutetant pas absente par ailleurs chez Platon (voir le commentaire au fragment19 27 F) il nrsquoest cependant pas neacutecessaire de penser que Numeacutenius ait ce pas-sage du Parmeacutenide en tecircte il est simplement tentant drsquoy songer dans uncontexte de reacuteflexion sur lrsquoUn

112 Contra JD Turner laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art citp 138-139

113 On remarquera qursquoAlcinoos (Did IX p 163 H 23-31 L W) fait demecircme en reacutepondant agrave la question de ce dont il y a des formes et en concevantcelles-ci comme des penseacutees du premier dieu

114 Fr 13 et 19 (21 et 27 F)

la question du rapport entre forme et participeacute il envisage positive-ment les deux solutions proposeacutees par Socrate a) les formes sont pourlui des penseacutees (cf Parm 132 b-c) elles sont celles du seconddieu115 et elles pensent (cf Parm 132 c) puisque telle est la maniegraverede participer au Bien116 b) les formes sont par ailleurs des paradigmes(cf Parm 132 d) comme le montre lrsquoexemple embleacutematique du rap-port entre le Bon qursquoest le deacutemiurge et le Bien envisageacute commeforme117 Quant agrave lrsquoargument du troisiegraveme homme en placcedilant le Bienau sommet de lrsquointelligible Numeacutenius estime peut-ecirctre y avoir ultime-ment reacutepondu Lrsquoobjection de la seacuteparation (133 a 8-134 c 7) enfinavec le double risque qursquoelle comporte de lrsquoinconnaissabiliteacute desformes (134 a-b) et du deacutefaut de connaissance de notre monde par ledieu qui ne pourrait alors pas agir agrave notre eacutegard (134 e) aura particu-liegraverement retenu son attention tout le dialogue Sur le Bien tend eneffet agrave montrer la continuiteacute agrave la fois ontologique et eacutepisteacutemique desdiffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute ndash le sensible lui-mecircme en tant que prisen charge par le deacutemiurge qui lrsquoeacutelegraveve agrave son propre caractegravere (autrementdit agrave sa bonteacute et agrave ce qui en deacutecoule)118 relegraveve en effet de la μετ-ουσία autrement dit de ce qui vient certes laquo apregraves lrsquoοὐσία raquo mais y amalgreacute tout essentiellement part119 Le Περὶ τἀγαθοῦ conduit en toutcas drsquoune part agrave la connaissance de la forme premiegravere tandis que celle-ci srsquoavegravere la connaissance ultime qui se transmet ensuite120 il montredrsquoautre part la relation permanente du premier agrave notre monde non seu-lement par lrsquointermeacutediaire du second dieu qui assure directement lrsquoac-tion providentielle mais par le salut ou la conservation (σωτηρία)

140 Fabienne JOURDAN

115 Fr 16 (24 F) Nous reacutesumons voir notre interpreacutetation du fragment116 Fr 19 (27 F) Lagrave aussi nous reacutesumons notre interpreacutetation laquo Pense raquo en

reacutealiteacute tout ce qui a part au Bien En outre lrsquoidentification de lrsquointellect agrave uneforme au fragment 20 (28 F) suggegravere cette interpreacutetation

117 Fr 16 19 et 20 (24 27-28 F)118 Fr 11 (19 F) cf fr 18 (26 F)119 Voir lrsquoutilisation fort suggestive de ce terme pour deacutesigner la participa-

tion agrave la fin du fragment 16 (24 F)120 Fr 13-14 (21-22 F)

qursquoil dispense lui-mecircme reacuteellement121 en tant que Bien et qursquoEcirctre quiassure ultimement la coheacutesion du monde

Nous ne preacutetendons pas que Numeacutenius reprenne point par point lesobjections de Parmeacutenide agrave Socrate contre la theacuteorie des formes Maisqursquoil les ait consideacutereacutees directement dans le dialogue de Platon ou qursquoilles ait connues par la tradition il les a prises au seacuterieux et a senti luiaussi la neacutecessiteacute drsquoy reacutepondre pour sauver Platon agrave la maniegravere dont illrsquoentendait

4 Conclusion sur Numeacutenius et le Parmeacutenide

Rien donc dans lrsquoœuvre parvenue ne permet de conclure agrave uneinterpreacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide par Numeacutenius nonseulement les textes ne contiennent pas de reacuteels parallegraveles avec le dia-logue de Platon mais ils suggegraverent que Numeacutenius ne srsquoest fondeacute suraucune des deux premiegraveres hypothegraveses pour deacuteterminer les traits de sonpremier principe ni mecircme sur la deuxiegraveme (voire la troisiegraveme) pourdeacutefinir le second Il est mecircme peu vraisemblable qursquoil ait tenteacute reacutetros-pectivement de les leur faire correspondre Il srsquoest en revanche assureacute-ment inquieacuteteacute des objections dresseacutees contre la theacuteorie des formes dansla premiegravere partie du dialogue et aura tenteacute drsquoy reacutepondre en assurant lavaliditeacute de la participation selon les diffeacuterentes modaliteacutes envisageacutees lagravepar Socrate ndash en cela il srsquoinscrit vraisemblablement dans la traditionplatonicienne122 dont il heacuterite peut-ecirctre plus de la probleacutematique qursquoilne la cherche directement dans le texte de Platon Concernant laseconde partie du dialogue il a pu percevoir dans lrsquoexposeacute de la pre-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 141

121 Fr 15 (23 F)122 Voir les remarques de la note 100 sur Alcinoos Mecircme si Alcinoos est

peut-ecirctre posteacuterieur agrave Numeacutenius de toute eacutevidence les platoniciens ont tenteacutede montrer la justesse de la theacuteorie des formes et de la participation contre lescritiques drsquoAristote ainsi assureacutement que contre celles deacutejagrave eacuteleveacutees dans leParmeacutenide et vraisemblablement inspireacutees (entre autres) par les discussions ausein de lrsquoAcadeacutemie

miegravere hypothegravese une raison suffisante pour ne pas identifier son premierprincipe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit prenant ainsi Platon agrave la lettre agrave propos ducaractegravere aporeacutetique de lrsquoUn tel qursquoil eacutetait lagrave envisageacute

Si elle eacutetait aveacutereacutee cette attitude aurait une double conseacutequencepour la compreacutehension de lrsquohistoire du platonisme

Elle pourrait drsquoabord reacuteveacuteler une intention poleacutemique agrave plusieursniveaux Elle est en effet concevable comme une reacuteaction agrave lrsquoeacuteven-tuelle association neacuteo-pythagoricienne du premier principe associeacute agravelrsquoUn ou agrave la monade avec lrsquoUn absolu de la premiegravere hypothegravese duParmeacutenide Mecircme si selon nous lrsquoidentification du premier principe agravelrsquoUn chez Speusippe et les neacuteo-pythagoriciens123 relegraveve avant tout dela tradition acadeacutemicienne pythagorisante relative agrave lrsquoUn et agrave la Dyadeainsi que du compte-rendu aristoteacutelicien de lrsquoenseignement oral de Pla-ton sur les principes124 il nrsquoy a pas en soi de raison drsquoexclure une pos-sible invocation pour confirmation de lrsquoUn du Parmeacutenide (agrave condi-tion de ne pas leur precircter une interpreacutetation neacuteoplatonicienne) Parsuite une poleacutemique avec lrsquoAncienne Acadeacutemie est eacutegalement envisa-geable Non seulement dans sa deacutefense de la theacuteorie des formes125Numeacutenius pourrait tenter de reacutepliquer agrave la suppression de celles-ciopeacutereacutee par Speusippe mais aussi srsquoopposer agrave la conception du premierprincipe precircteacutee agrave lrsquoAncien Acadeacutemicien Que lrsquoon croie Aristote selonlequel lrsquoUn de Speusippe ne serait laquo pas mecircme un ecirctre raquo126 ou plutocirct

142 Fabienne JOURDAN

123 Voir la note 75124 Voir aussi Meacutet N 4 1091 b 13-15 EE A 8 1218 a 15-32 ougrave le Bien est

associeacute agrave lrsquoUn125 Selon lui la connaissance drsquoun objet quelconque consistait dans celle

de ses relations agrave tous les autres (fr 73 Taraacuten = 2 I P2 = Proclus In Euclp 179 12-22 Friedlein) et crsquoest aux nombres qursquoil aurait alors accordeacute le statutde principe (voir le reacutesumeacute de A Meacutetry Speusippos Zahl Erkenntnis SeinBernStuttgartWien Paul Haupt 2002 p 11-13 et celui de HD Kraumlmerlaquo Die Aumlltere Akademie raquo dans H Flashar (eacuted) Grundriss der Geschichte derPhilosophie Band 3 Aumlltere Akademie Aristoteles Peripatos Basel SchwabeVerlag 20042 [1983] p 16-17)

126 μηδὲ ὄν τι εἶναι τὸ ἕν αὐτό Meacutet N 5 1092 a 16 (fr 43 Taraacuten = 25 IP2 = Aristote Meacutet N 5 1092 a 11-17)

Jamblique selon qui il ne serait laquo pas encore ecirctre raquo127 une distinctionentre lrsquoUn conccedilu comme premier principe et lrsquoecirctre semble agrave lrsquoœuvrechez lui128 si bien que certains ont mecircme penseacute que Platon lui reacutepon-dait dans le Parmeacutenide129 Il nrsquoest pas utile drsquoentrer dans ce deacutebat laposition de Speusippe peut relever drsquoune reacuteflexion sur le Bien deReacutepublique VI et drsquoune appropriation de lrsquoenseignement oral de Platonagrave nous transmis par le compte-rendu aristoteacutelicien qui laisse Platonassocier eacutetroitement le Bien et lrsquoUn Disons simplement que srsquoil a euconnaissance de la position de Speusippe Numeacutenius peut avoir voulului reacutepondre Nrsquooublions pas qursquoagrave lui comme agrave ses pairs dans lrsquoAn-cienne Acadeacutemie il reproche de ne pas avoir pas laquo tout souffert raquo pour

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 143

127 ὅπερ δὴ ουδὲ ὄν πω δεῖ καλεῖν DCMS IV p 157-8 FestaKlein128 La reconstruction de lrsquoenseignement exact de Speusippe sur le premier

principe est neacutecessairement fragile drsquoune part elle est fondeacutee sur lrsquointerpreacuteta-tion du texte drsquoAristote qui est empreint de critique drsquoautre part elle esteacutetayeacutee par deux autres textes dont le lien agrave Speusippe est controverseacute et dontles auteurs agrave la fois sont familiers du neacuteo-pythagorisme et ont lu Plotin chezqui lrsquoUn est effectivement au-dessus de lrsquoecirctre (il srsquoagit de Jamblique et de Pro-clus dans la traduction de Guillaume de Moerbeke In Parm VII 401-9 Kli-bansky-Labowsky = 50162-71 Steel = fr 48 Taraacuten = 30 IP2) Nous ne propo-sons ici qursquoune hypothegravese de reacuteflexion Pour un exposeacute plus deacutetailleacute sur la rela-tion eacuteventuelle de Numeacutenius agrave Speusippe dans lrsquoeacutelaboration drsquoune leacutegitimiteacuteplatonicienne voir la premiegravere annexe de notre eacutedition commenteacutee des frag-ments de Numeacutenius en preacuteparation

129 Crsquoest la lecture de A Graeser (laquo Platon gegen Speusipp Bemerkun-gen zur ersten Hypothese des Platonischen Parmenides raquo Museum Helveti-cum 54 1997 p 45-47 et laquo Anhang Probleme der Speusipp-Interpreta-tion raquo dans Prolegomena zu einer Interpretation des zweiten Teils des Plato-nischen Parmenides Bern Paul Haupt 1999 p 41-53) et J Halfwassen(Der Aufstieg zum Einen op cit et laquo Speusipp und die metaphysische Deu-tung von Platons Parmenides raquo art cit) adopteacutee par ex par R Dancy(laquo Speusippus raquo dans EN Zalta (eacuted) The Stanford Encyclopedia of Philo-sophy Winter 2012 Edition 20112 [2003] en ligne) et rejeteacutee par C Steel(laquo A Neoplatonic Speusippus raquo art cit p 470 473-475) et LP Gerson(laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit p 2-11de la version eacutelectronique)

rester dans une communauteacute de penseacutee avec leur maicirctre130 Commenous lrsquoavons suggeacutereacute dans les preacuteliminaires il ne serait alors pasimpossible qursquoavec cette eacuteventuelle lecture du Parmeacutenide Numeacuteniuseucirct souhaiteacute reacutepliquer agrave lrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne signaleacutee delrsquoenseignement oral de Platon trouvant quant agrave lui dans le Platon eacutecritla juste interpreacutetation du Platon oral mal laquo entendu raquo Pareille supposi-tion doit toutefois ecirctre prise avec prudence

Par-delagrave la mise en eacutevidence drsquoune poleacutemique agrave plusieurs niveauxlrsquohypothegravese proposeacutee sur lrsquoattitude de Numeacutenius concernant ladeuxiegraveme partie du Parmeacutenide permet de mieux deacuteterminer a contra-rio ce qui caracteacuterise une interpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo 131 du dia-logue De maniegravere geacuteneacuterale drsquoabord la position de Numeacutenius montrepar contraste que lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne trouve son originedans une vue contraire agrave la sienne sur le statut de la forme du Bien et sasituation agrave lrsquoeacutegard de lrsquoοὐσία en Reacutepublique VI ainsi peut-ecirctre que

144 Fabienne JOURDAN

130 Fr 2416-18 1 F = Eusegravebe PE XIV 5 2131 Nous en restons aux caractegraveres geacuteneacuteraux il nrsquoy a en effet pas une seule

et unique interpreacutetation post-plotinienne du Parmeacutenide On remarquera enoutre que Jamblique (drsquoapregraves Proclus In Tim III 1049-16 Diehl) semble eacutevo-quer chez Ameacutelius et Numeacutenius (si lrsquoon suit le raisonnement de Proclus) desdistinctions relatives aux diviniteacutes dans le Sophiste le Philegravebe et le Parmeacutenidequi ne correspondent pas agrave celles retenues dans le neacuteoplatonisme Si ce proposne se rapporte pas seulement agrave Ameacutelius mais vraiment aussi agrave Numeacutenius ilfaudrait en tirer lagrave encore la conclusion que son interpreacutetation ne correspondpas agrave celle du neacuteoplatonisme qui identifie son premier principe agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et donc pas non plus agrave celle des neacuteopytha-goriciens que lrsquoon reconstruit agrave partir des teacutemoignages neacuteoplatoniciens Celadit mecircme srsquoil est tentant de penser que le οὗτοι (10411) de Proclus renvoieaux deux exeacutegegravetes qursquoil vient de citer il se peut malgreacute tout que ne soit deacutesigneacutelagrave que le seul Ameacutelius disciple de Plotin et donc assureacutement familier de lrsquoexeacute-gegravese du Parmeacutenide Il nrsquoy a en revanche aucune difficulteacute agrave precircter agrave Numeacuteniusdes exeacutegegraveses partielles du Sophiste et du Philegravebe (voir nos interpreacutetations desfragments 15 23 F) et 19 27 F) Il nrsquoy en a drsquoailleurs pas davantage agrave imagi-ner chez lui une utilisation partielle du Parmeacutenide ou des allusions agrave ce dia-logue voire une prise agrave la lettre du propos de Parmeacutenide sur lrsquoUn de la pre-miegravere hypothegravese conduisant agrave renoncer agrave celui-ci comme premier principe

dans une appropriation du compte-rendu de lrsquoenseignement oral dePlaton par Aristote En affirmant lrsquoidentiteacute ontologique du Bien et delrsquoEcirctre Numeacutenius srsquointerdit lrsquoidentification de son premier principe agravelrsquoUn distinct de lrsquoecirctre de la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide En refu-sant au contraire pareille identiteacute en srsquoappuyant peut-ecirctre sur lrsquoidenti-fication du Bien et de lrsquoUn precircteacutee agrave Platon et aux platoniciens par Aris-tote et en appliquant ces deux eacuteleacutements agrave une lecture du Parmeacutenide132Plotin ouvre la voie de lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologiqueulteacuterieure du dialogue Malgreacute son caractegravere hypotheacutetique la supposi-tion selon laquelle Numeacutenius prendrait effectivement acte des conseacute-quences aporeacutetiques de la premiegravere hypothegravese en nrsquoidentifiant pas sonpremier principe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit permet ici encore a contrariode deacuteterminer deux autres eacuteleacutements indissociables caracteacuteristiques delrsquointerpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo du Parmeacutenide lrsquoidentification dupremier principe agrave lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese et par suite une lec-ture laquo positive raquo de celle-ci qui en reacutealiteacute contredit les conclusionsneacutegatives de Platon agrave son sujet Une theacuteologie neacutegative en est alorscertes tireacutee (que lrsquoon songe au Commentaire anonyme au Parmeacutenideou agrave celui de Proclus133) Mais cette neacutegativiteacute est conccedilue commereacutesultant de lrsquoincapaciteacute fondamentale de lrsquohomme agrave concevoir le pre-mier principe autrement que par analogies et approximations neacutecessai-rement erroneacutees Elle ne concerne pas le principe en lui-mecircme ni laconviction qursquoil constitue le fondement ultime assurant la coheacutesion dela reacutealiteacute Numeacutenius aura quant agrave lui preacutefeacutereacute rester fidegravele agrave la lettre dutexte et donc aux doutes du maicirctre qui laisse parler Parmeacutenide Agrave ce

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132 Les deux premiers eacuteleacutements agrave eux seuls conduisent seulement agrave laposition de Speusippe dont rien ne permet drsquoaffirmer le rattachement au Par-meacutenide Nous compleacutetons en cela les hypothegraveses de J Whittaker laquo ΕΠΕ-ΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit Voir aussi LP Gerson laquo The lsquoNeo-platonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit

133 In Parm VII 51872-84 Plutocirct que de radicaliser la neacutegation pour par-ler de lrsquoUn Proclus indique que la neacutegation porte en reacutealiteacute sur la conceptionde lrsquoUn et pas sur lrsquoUn lui-mecircme qui garde la fonction laquo positive raquo drsquoassurer lacoheacutesion du reacuteel

stade de nos connaissances et drsquoapregraves lrsquoœuvre parvenue precircter agraveNumeacutenius cette reacuteaction aux conclusions de la premiegravere hypothegravesenous paraicirct la seule maniegravere prudente drsquoenvisager de sa part une inter-preacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide Renoncer agrave lui en precircterune ne poserait toutefois aucune difficulteacute

5 Appendice Numeacutenius et Parmeacutenide134

Cette conclusion sobre sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenidesuggegravere drsquointerroger pour finir son attitude agrave lrsquoeacutegard du Parmeacutenide his-torique lui-mecircme auquel Plotin fait parfois appel Que Numeacutenius aitconnu et utiliseacute (directement ou non) le poegraveme Sur la nature est aveacutereacutepar le teacutemoignage de Porphyre selon lequel il aurait associeacute les porteseacutevoqueacutees lagrave135 agrave celles du Cancer et du Capricorne repreacutesentant selonlui les voies respectivement descendante et ascendante des acircmes136Or dans le Περὶ τἀγαθοῦ qui seul nous inteacuteresse ici deux eacuteleacutementsdoctrinaux pourraient relever drsquoune appropriation personnelle de Par-meacutenide ou plutocirct de la tradition agrave son sujet telle qursquoelle serait parvenueagrave Numeacutenius ndash Platon ayant assureacutement aiguiseacute chez ses successeurslrsquointeacuterecirct pour la penseacutee du personnage eacuteponyme de son dialogue Sansentrer dans une recherche des sources ni dans un exposeacute deacutetailleacute de lapenseacutee de Parmeacutenide et des interpreacutetations de son poegraveme nous nouscontenterons ici drsquoeacutevoquer ces deux points dans le simple but drsquoouvrirla recherche

Le premier concerne la relation de lrsquoecirctre au temps et au change-ment telle qursquoelle est deacutecrite dans le fragment 5 (14 F) deacutejagrave citeacute en par-tie Lrsquoaffirmation que lrsquoecirctre ne saurait ecirctre dans le passeacute ou lrsquoavenir

146 Fabienne JOURDAN

134 Je remercie Francesco Fronterotta drsquoavoir relu cette derniegravere section135 Parmeacutenide fr 1 11 D-K ougrave sont deacutecrites les laquo portes ouvrant sur les

chemins de la nuit et du jour raquo136 Voir Porphyre De antro 21-24 ici surtout 24 Numeacutenius fr 31 27-28

Sur ce texte voir le commentaire de W Huumlbner dans lrsquointroduction de lrsquoeacuteditioncommenteacutee du De Antro parue sous la direction de T Dorandi Paris Vrin2019

mais que seul le preacutesent lui convient et qursquoil ne pourrait pas davantagechanger renvoie assureacutement au propos du Timeacutee (37 d 2-38 b 2)137Que Platon deacuteveloppe ici une reacuteflexion originellement preacutesente chezParmeacutenide et plus preacuteciseacutement pour nous dans le fragment 8 de sonpoegraveme138 pourrait suffire agrave expliquer cet eacutecho parmeacutenidien chezNumeacutenius Mais il est frappant que dans ce fragment 5 (14 F) duΠερὶ τἀγαθοῦ relayeacute par les suivants Numeacutenius reprenne une seacuteriedrsquoeacuteleacutements qui deacutecrivent lrsquoecirctre dans le passage concerneacute du poegraveme outre ceux deacutejagrave nommeacutes on retrouve chez lui lrsquoimpossibiliteacute qursquoalrsquoecirctre de devenir plus grand ou plus petit139 et la neacutecessiteacute qui estsienne de demeurer en lui-mecircme au mecircme endroit140 Ainsi lorsqueNumeacutenius estime que si ces laquo prescriptions raquo indispensables agrave ladeacutetermination de lrsquoecirctre veacuteritable nrsquoeacutetaient pas respecteacutees il se produi-rait une laquo impossibiliteacute majeure dans son discours unique en songenre agrave savoir que lrsquoecirctre agrave la fois serait et ne serait pas raquo141 et faitensuite paraphraser lrsquoideacutee par le disciple du dialogue avec la formule

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 147

137 Voir aussi Plutarque De E 20 393 a-c dont la position est compareacuteeavec celle de Numeacutenius dans notre analyse du fragment

138 Voir les vers suivants du fragment 8 D-K agrave lrsquoorigine de toute lareacuteflexion sur lrsquoeacuteterniteacute (cf M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art citp 157) οὐδέ ποτ᾽ ἦν ἔσται ἐπεὶ νῦν ἐστιν ὁμοῦ πᾶν ἕν συνεχές τίναγὰρ γένναν διζήσεαι αὐτοῦ laquo Il nrsquoa jamais eacuteteacute et ne sera jamais puisqursquoilest maintenant tout ensemble un continu Car quelle naissance pourrais-tului chercher raquo v 5-7 (trad Kirk Raven Schofield en fr par H-A de Weck)et πῶς δ᾽ἄν ἔπειτα πέλοι τὸ ἐόν πῶς δ᾽ἄν κε γένοιτο εἰ γὰρ ἔγεντ᾽ οὐκἔστ᾽ οὐδ᾽ εἴ ποτε μέλλει ἔσεσθαι τῶς γένεσις μὲν ἀπέσβεσται καὶἄπυστος ὄλεθρος laquo Comment pourrait-il ecirctre par la suite Celui qui est Comment pourrait-il naicirctre Car srsquoil est neacute il nrsquoest pas de mecircme lt il nrsquoest pasnon plus gt srsquoil doit ecirctre un jour Ainsi est eacuteteinte la naissance eacuteteinte aussi ladestruction disparue sans qursquoon en parle raquo v 19-21 (trad D OrsquoBrien leacutegegravere-ment modifieacutee) Voir aussi les vers 26-28 du mecircme fragment 8 D-K sur lrsquoab-sence de mouvement ainsi que de deacutebut et de fin

139 Parmeacutenide fr 844-45 D-K140 Parmeacutenide fr 829-30 D-K cf Numeacutenius fr 11 (19 F)141 ὡς τούτου γε οὕτως λεγομένου ἓν γίνεταί τι ἐν τῷ λόγῳ μέγα

ἀδύνατον εἶναί τε ὁμοῦ ταὐτὸν καὶ μὴ εἶναι

relativement complexe εἰ δὲ οὕτως ἔχει σχολῇ γrsquo ἂν ἄλλο τι εἶναιδύναιτο τοῦ ὄντος αὐτοῦ μὴ ὄντος κατὰ αὐτὸ τὸ ὄν il nrsquoest pasexclu qursquoil ait ici le poegraveme parmeacutenidien agrave lrsquoesprit auquel il seraitrevenu directement ou non sous lrsquoimpulsion de Platon La phraseindique en effet (nous paraphrasons) que si pareille impossibiliteacute seproduisait il serait mecircme impossible agrave autre chose (que lrsquoecirctre) drsquoecirctrepuisque lrsquoecirctre lui-mecircme ne serait pas selon ce qursquoil devrait ecirctre (κατὰαὐτὸ τὸ ὄν) autrement dit selon sa propre essence et deacutefinitionNumeacutenius suggegravere sans doute par lagrave que si lrsquoecirctre eacutetait soumis au pas-sage du temps et au changement il serait tout simplement non-ecirctrepuisqursquoil ne correspondrait pas agrave sa propre deacutefinition ce qui explique-rait son impossibiliteacute de constituer le fondement de la reacutealiteacute Une foisreplaceacute dans le contexte de penseacutee de Numeacutenius ougrave ce qui est non-ecirctreest la matiegravere et la partie du sensible qui relegraveve drsquoelle lrsquoideacutee semblefort proche de la maniegravere dont Parmeacutenide dresse lrsquoantithegravese entre ecirctreet non-ecirctre dans ce mecircme fragment 8 de son poegraveme142 Cette impres-sion peut ecirctre eacutetayeacutee par celle drsquoune prise de distance agrave lrsquoeacutegard de cepassage du poegraveme lorsque Numeacutenius affirme que lrsquoecirctre nrsquoest pasmecircme mucirc autour de son centre143 si cette preacutecision fait sans doutedrsquoabord allusion agrave lrsquoacircme du monde qui se meut autour de celui-ci dansle Timeacutee et par suite au refus drsquoidentifier lrsquoecirctre veacuteritable agrave une acircme144elle porte peut-ecirctre eacutegalement la trace drsquoune reacuteaction agrave lrsquoidentificationparmeacutenidienne de lrsquoecirctre agrave une sphegravere145 Lrsquohypothegravese est cependantplus fragile et Numeacutenius heacuterite sans doute avant tout de Platon enverslequel il se situe Crsquoest agrave partir du Timeacutee qursquoil eacutelabore sa penseacutee Maisil ne semble pas exclu qursquoil soit parfois retourneacute (directement ou non)agrave lrsquooriginal auquel reacutefegravere implicitement Platon ce qui est drsquoautant plus

148 Fabienne JOURDAN

142 Sur le non-ecirctre chez Parmeacutenide voir par ex D OrsquoBrien Le Non-Ecirctredans la philosophie grecque Parmeacutenide Platon Plotin raquo dans P Aubenque(eacuted) Eacutetudes sur le Sophiste de Platon Napoli Bibliopolis 1991 p 4-9

143 οὔτε περὶ τὸ μέσον ποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται144 Il srsquoagit lagrave selon nous drsquoun argument essentiel agrave la non-identification

numeacutenienne du deacutemiurge agrave lrsquoacircme du monde145 Fr 8 42-44 D-K

vraisemblable que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacute comme un pythago-ricien146

Le second eacuteleacutement du Περὶ τἀγαθοῦ qui pourrait suggeacuterer lrsquoap-propriation drsquoun passage de Parmeacutenide147 est lrsquoidentification de lrsquoecirctreet de lrsquointellect agrave chacun des deux niveaux ougrave Numeacutenius les situe Ecirctre lui-mecircme (αὐτοόν) et ecirctre deacuteriveacute (ὄν) premier et second intel-lects correspondant au premier et au deuxiegraveme dieu Sans entrer dansle deacutetail de lrsquointerpreacutetation disons simplement que selon nous en fai-sant de lrsquolaquo acte raquo de penser148 lrsquoapanage du premier dieu et en identi-fiant ce mecircme dieu agrave lrsquoEcirctre149 Numeacutenius suggegravere une union intime etprofonde entre ecirctre et penser qursquoil aurait pu consideacuterer comme remon-tant agrave Parmeacutenide lui-mecircme ou qursquoil aurait pu eacutetayer par une appropria-tion du fragment 3 de son poegraveme tel qursquoil est transmis par CleacutementdrsquoAlexandrie et Plotin150 [] τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶεἶναι [] Certes dans ce fragment de vers lrsquoidentification entre ecirctreet penser est suggeacutereacutee par lrsquoextraction du texte hors de son contexte envue justement drsquoy trouver pareille identification Elle ne correspond

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146 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres IX 21(A 1 D-K) Proclus In Parm I 6194 Cousin cf Jamblique VP 166 (A 4D-K)

147 Pour reprendre les termes du fragment 1 (10 F) on pourrait aussi parlerde lrsquolaquo invocation raquo de Parmeacutenide comme source pythagorisante en accord avecPlaton et confirmant la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ elle-mecircme eacutetayeacutee par leslaquo teacutemoignages raquo de celui-ci Numeacutenius semble en effet pouvoir citer Parmeacute-nide pour confirmer son propos agrave la fois parce qursquoil ne pouvait que paraicirctre enaccord avec Platon (cf fr 1 10 F) et parce que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacutecomme pythagoricien

148 Degraves le fragment 15 (23 F) de maniegravere implicite dans le fragment 16 (24F) et explicite au fragment 19 (27 F)

149 Fr 17 (25 F)150 Cleacutement Strom VI 2 233 Plotin Enn VI 1 [10] 817 V 9 [5] 29-

30 cf I 4 [46] 106 III 8 [30] 88 VI 7 [38] 4118 (voir D OrsquoBrien Eacutetudessur Parmeacutenide T I Le Poegraveme de Parmeacutenide Paris Vrin 1987 p 19) ndash Onpourrait drsquoailleurs aussi penser aux vers 34-36 du fragment 8 eacutevoqueacute dans leparagraphe preacuteceacutedent

sans doute pas au sens originel du passage151 De plus chez Numeacuteniusle type de penseacutee speacutecifique agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme nrsquoest pas le νοεῖν maisle φρονεῖν Mais drsquoune part νοεῖν nrsquoayant pas chez Parmeacutenide lesens preacutecis que lui donne ensuite la tradition platonicienne une margerelative drsquointerpreacutetation et de preacutecision eacutetait laisseacutee agrave lrsquointerpregraveteappartenant agrave cette tradition152 drsquoautre part on peut tregraves bien imaginerNumeacutenius extraire ce passage dont la juxtaposition des termes luiaurait paru opportune pour eacutetayer son propos et preacuteciser le sens de laformule ainsi obtenue en distinguant deux niveaux de lrsquoecirctre auxquelscorrespondent deux types distincts de penseacutee (le νοεῖν entendu ausens platonicien drsquointellection revenant au seul second dieu)153Lorsque Cleacutement et apregraves lui Plotin reprennent cette formule il neserait pas impossible qursquoils lrsquoempruntent ainsi extraite agrave Numeacutenius

150 Fabienne JOURDAN

151 Denis OrsquoBrien (ibid p 19 209-212) a montreacute qursquoen reacutealiteacute dans lepoegraveme les deux infinitifs ne doivent vraisemblablement pas ecirctre pris commesujet drsquoun ἐστίν agrave valeur copulative mais peut-ecirctre comme compleacutement dupronom (τὸ αὐτό) ou de lrsquouniteacute syntaxique constitueacutee par le pronom et leverbe (au sens de laquo crsquoest une seule et mecircme chose pour penser et pour ecirctre raquodrsquoougrave la traduction par laquo crsquoest une seule et mecircme chose que lrsquoon pense et quiest raquo) F Fronterotta reprend son analyse et conclut que pour Parmeacutenideνοεῖν deacutesigne une forme de perception immeacutediate non sans lien avec lrsquoactiviteacutesensorielle mais allant au-delagrave des sens et de leur uniteacute creacuteative (laquo Someremarks on noein in Parmenides raquo dans S Stern-Gillet K Korrigan (eacuted)Reading ancient texts Vol I Presocratics and Plato Leiden Brill 2007p 3-19) Il ne srsquoagit donc pas (encore) de la perception intuitive que deacutesignerace verbe ulteacuterieurement

152 Voir la note preacuteceacutedente153 Nous pourrions preacuteciser ainsi lrsquointention de Numeacutenius srsquoil songe effec-

tivement agrave cette formule Selon nous il partage la conviction platonicienne quiveut que pour ecirctre pensable il faut ecirctre reacuteellement (et donc ecirctre intelligible crsquoest la leccedilon du Timeacutee) Srsquoil confrontait cette conviction au vers de Parmeacute-nide il lui donnerait donc drsquoabord lrsquointerpreacutetation laquo objective raquo deacuteceleacutee parFr Fronterotta (laquo Some remarks on noein in Parmenides raquo art cit) Toutefoisdans sa deacutefinition de lrsquoecirctre bientocirct identifieacute au Bien il retourne de toute eacutevi-dence cette conception et considegravere que nrsquoest veacuteritablement que ce qui est pen-sable (et donc lagrave encore intelligible par ex fr 4 a 13 F sur la matiegravere qui

Plotin lrsquoutilise certes pour caracteacuteriser le seul et unique Intellect chezlui situeacute au seul second niveau de la reacutealiteacute Mais cela correspondrait agravesa tendance geacuteneacuterale agrave faire passer au second niveau ce qui correspondau premier chez Numeacutenius154

De Numeacutenius il heacuterite donc peut ecirctre drsquoune lecture de Parmeacutenideplutocirct que du Parmeacutenide

Fabienne JOURDANCNRS UMR 8167 laquo Orient et Meacutediterraneacutee raquo Paris-Sorbonne

jourdanfabiennewanadoofr

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nrsquoest pas ecirctre et ougrave une preuve de cet eacutetat est son caractegravere inconnaissable)Appliqueacutee agrave la formule de Parmeacutenide cette conviction en produirait ce queFr Fronterotta appelle une lecture laquo subjective raquo En outre dans le deacutesir sansdoute drsquoexpliquer la participation de maniegravere concregravete il ne donne pas seule-ment lrsquointelligibiliteacute comme condition de lrsquoecirctre (au sens passif du terme) maisil considegravere le fait de penser comme condition du fait drsquoecirctre reacuteellement (ausens laquo actif raquo du terme) Crsquoest pourquoi srsquoil avait connu et utiliseacute la formule deParmeacutenide ne serait-ce que pour eacutetayer son propos il y aurait sans douteentendu lrsquoaffirmation de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre et de la penseacutee mieux du penserCela pourrait certes paraicirctre lui attribuer une forme drsquoideacutealisme heacutegeacutelien(selon les termes de Fr Fronterrota laquo Some remarks on noein in Parmenides raquoart cit p 6) Mais telle est aussi la lecture de Cleacutement drsquoAlexandrie (StromVI 2 233) Or mecircme srsquoil ne le cite explicitement qursquoune fois (Strom I 22150 1-4 = 29 Fd) Cleacutement connaicirct Numeacutenius et se sert parfois de ses eacutecritssans le nommer (voir par ex Strom I 8 405 Strom I 13 571) Il nrsquoest doncpas impossible que pareille interpreacutetation circulacirct deacutejagrave au temps de Numeacuteniusvoire chez lui et mecircme gracircce agrave lui Le raisonnement du Περὶ τἀγαθοῦ dumoins passe par lrsquoidentification de lrsquoecirctre agrave lrsquo laquo activiteacute raquo de penser ensuiteconccedilue aux niveaux infeacuterieurs comme condition mecircme de leur participation agravelrsquoecirctre (voir le fr 19 27 F)

154 Nous simplifions et deacutecrivons simplement une tendance le processuspreacutecis requerrait une explication deacutetailleacutee qui nrsquoa pas sa place ici

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Page 17: NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE · 2020. 4. 16. · NUMÉNIUSA-T-ILCOMMENTÉLE PARMÉNIDE?* PREMIÈREPARTIE: L’ŒUVREPARVENUEDENUMÉNIUSETLEPARMÉNIDE DEPLATON RÉSUMÉ Si

οὐσίᾳ51) le Bien partage la mecircme nature que cette οὐσία (forme sub-stantive de lrsquoecirctre) qui provient ainsi de lui Numeacutenius exprime deacutejagrave cetteideacutee au fragment 2 (10 F) par lrsquoimage du Bien laquo monteacute sur lrsquoessence raquo(comme on dirait laquo sur un cheval raquo52) Par lrsquoutilisation de la preacutepositionet du preacuteverbe ἐπί- de preacutefeacuterence agrave ὑπό- (preacutesent dans la formule de Pla-ton) la formule ἐποχούμενον ἐπὶ τῇ οὐσίᾳ indique une laquo transcen-dance raquo53 avec contact qui donne sans deacutetour lrsquointerpreacutetation que Numeacute-nius fait de la formule eacutenigmatique de Reacutepublique VI 509 b 8-10 srsquoilest une laquo transcendance raquo du premier principe elle est drsquoordre cosmolo-gique et non laquo ontologique raquo au sens ougrave ce principe constitue la formeeacuteminente de lrsquoecirctre mais ne srsquoen distingue pas par son essence

2) Ce premier principe est certes immobile en tant qursquoecirctre54exempt de toute activiteacute sous-entendu deacutemiurgique55 mais Numeacuteniuseacutevoque un laquo mouvement qui accompagne naturellement son repos raquo(τῷ πρώτῳ στάσιν [] κίνησιν σύμφυτον56) Ce mouvementindique vraisemblablement que le premier principe pense57 et la for-mule preacutepare son identification agrave un intellect Concernant ce premierdieu toutefois le type de penseacutee qui le caracteacuterise est visiblementconccedilu comme nrsquoimpliquant pas drsquoactiviteacute proprement dite au sens du

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ledge 2014 p 216) La deacutetermination nrsquointervient ici qursquoavec le second dieu οὐσία est le terme qui sert agrave exprimer litteacuteralement lrsquoecirctre (ὄν) de maniegravere sub-stantive un ecirctre que le premier dieu Ecirctre par excellence fait advenir sans acteproducteur simplement en eacutetant ce qursquoil est et donc sans que cette οὐσία quivient de lui soit ontologiquement distincte de lui

51 Fr 16 (24 F)52 Lrsquoimage apparaicirct litteacuteralement dans les Oracles chaldaiumlques fr 1466

des Places53 On pourrait alors aiseacutement renoncer au mot laquo transcendance raquo et preacutefeacute-

rer la notion de primauteacute hieacuterarchique par exemple54 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)55 Fr 11-12 (19-20 F)56 Fr 15 (23 F)57 Le passage est agrave interpreacuteter en lien avec le Sophiste 248 e-249 a (voir

notre commentaire au passage dans lrsquoeacutedition en preacuteparation)

moins ougrave cette penseacutee est sans objet et nrsquoest pas mecircme penseacutee de soi aufragment 19 (27 F) Numeacutenius parle drsquoun φρονεῖν qui est lrsquoapanage dupremier dieu sous-entendu agrave la diffeacuterence notamment du νοεῖν saisieintuitive de lrsquointelligible caracteacuteristique du second dieu58 et plus encoredu διανοεῖσθαι activiteacute de penseacutee discursive agrave lrsquoorigine de la deacutemiur-gie Ce φρονεῖν peut selon nous ecirctre compris comme une penseacuteelaquo intransitive raquo (crsquoest-agrave-dire sans objet) pure dispensation du Bien parlrsquoecirctre du Bien59 En cela elle nrsquoimplique reacuteellement aucune activiteacute

Crsquoest alors en ce sens assureacutement que le premier dieu est ditlaquo entourer les intelligibles raquo ou plus exactement et litteacuteralement ecirctrelaquo autour des intelligibles raquo au fragment 15 (23 F περὶ τὰ νοητά) lrsquoexpression nrsquoimplique ni qursquoil les contienne ni qursquoil les produisecomme son objet de penseacutee ni mecircme qursquoil les pense60 Si elle visepeut-ecirctre agrave rendre compte drsquoune identification ultime du premier prin-

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58 Agrave la limite le premier dieu ne peut lrsquoexercer que par lrsquointermeacutediaire dusecond voir le teacutemoignage de Proclus In Tim III 10328-32 Diehl = fr 22(contre cette interpreacutetation traditionnelle voir G Muumlller laquo Queacute es ldquolo que esvivienterdquo (ὁ εστι ζῶον) seguacuten Numenio de Apamea raquo Cuadernos Filosofiacutea64 2015 p 11-12 dont lrsquohypothegravese bien que seacuteduisante ne tient pas agrave lrsquoexa-men de la syntaxe du passage lrsquoinfinitif νοεῖν ne peut avoir que τὸν πρῶτονcomme laquo sujet raquo et non un δεύτερoν implicitement tireacute du geacutenitif δευτέρου)

59 Nous reacutesumons Voir aussi lrsquoeacutetude de la φρόνησις chez Platon parM Dixsaut laquo De quoi les philosophes sont-ils amoureux Sur la phronegravesisdans les dialogues de Platon raquo repris dans M Dixsaut Platon et la question dela penseacutee Eacutetudes platoniciennes I Paris Vrin 2000 p 93-119 ndash Le lien eacutety-mologique originel entre φρονεῖν et φρήν (le diaphragme) suggegravere une autreimage ce φρονεῖν est comme une laquo respiration drsquoecirctre raquo qui est le Bien et drsquoougraveeacutemane le bien

60 Cette interpreacutetation qui tient entre autres compte de la simpliciteacute abso-lue du premier dieu (fr 11 = 19 F) nrsquoest pas contradictoire avec celle de Timeacutee39 e 7-9 par laquelle Numeacutenius aurait associeacute son premier dieu au Vivant (InTim III 103 28-32 Diehl = fr 22) Certes dans le Timeacutee le Vivant a en lui lesformes (ἐνούσας ἰδέας τῷ ὃ ἔστι ζῷον 39 e 8) Mais sans pouvoir deacutevelop-per ici notre analyse disons simplement que Numeacutenius a pu lire le texte autre-ment et inspirer la distinction drsquoAmeacutelius entre un laquo intellect qui est (leVivant) raquo et un laquo intellect qui a (les formes en lui) raquo notamment en deacutecompo-

cipe au Vivant du Timeacutee61 dans le contexte du Περὶ τἀγαθοῦ ellerenvoie selon nous agrave un pur eacutetat de lrsquoecirctre agrave vertu bienfaitrice ou salvi-

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sant ἐνούσας de maniegravere cratylienne pour y lire ἐν-νους-ας qui eacutevoquerait lesformes laquo qui sont dans le νοῦς raquo le second dieu et intellect que Numeacutenius voitdeacutesigneacute dans le νοῦς du texte platonicien Le datif τῷ ὃ ἔστι ζῷον nrsquoauraitplus alors deacutesigneacute chez lui le lieu ougrave se trouvent les formes mais le destina-taire de la contemplation celui laquo pour qui ou agrave lrsquointention de qui en faveur dequi raquo le νοῦς qui a les formes en lui les contemplerait (autrement dit exerceraitle νοεῖν) Lrsquoaffirmation que crsquoest gracircce au second dieu et intellect (ἐνπροσχρήσει τοῦ δευτέρου) que le premier exercerait un νοεῖν pourrait ainsiconstituer lrsquoexplicitation de cette lecture eacutetonnante du texte platonicien Ainsile premier dieu nrsquoexercerait jamais le νοεῖν il nrsquointelligerait que gracircce ausecond qui le ferait pour lui Cette preacutecision pourrait servir agrave reacutepondre agravelrsquoeacuteventuelle objection drsquoun aristoteacutelisant qui deacutenoncerait une identification dupremier dieu agrave un νοῦς srsquoaccompagnant drsquoun refus de precircter agrave celui-ci lrsquoacti-viteacute du νοεῖν Numeacutenius reacutepondrait ainsi il ne lrsquoexerce pas lui-mecircme maispar lrsquointermeacutediaire du second qui le fait pour lui tandis qursquoil srsquoadonne au seulφρονεῖν Voir aussi notre interpreacutetation des fr 16 et 18 (24 et 26 F) ndash Pourune autre interpreacutetation de ce passage voir par ex M Frede laquo Numenius raquoart cit p 1062-1063 1065-1066 et 1069-1070 JP Kenney laquo ProschresisRevisited An Essay in Numenian Theology raquo dans JR Daly (eacuted) Orige-niana quinta Historica Text and method Biblica Philosophica Theologia Origenism and later developments Leuven Peeters p 217-230 RD PettyThe Fragments of Numenius Santa Barbara 1993 p 135-137 (republieacute agraveWestbury Prometheus Trust 2012) M Baltes dans H Doumlrrie M BaltesCh Pietsch Die Philosophische Lehre des Platonismus Band 71 op citp 477-478 A Michalewski laquo Le Premier de Numeacutenius et lrsquoUn de Plotin raquoArchives de philosophie 75 2012 p 35-37 et La Puissance de lrsquointelligibleLa Theacuteorie plotinienne des Formes au miroir de lrsquoheacuteritage meacutedioplatonicienLeuven Leuven University Press p 94-96

61 Voir Platon Timeacutee 30 c 7-8 (avec le participe περιλαβόν) et 31 a 3 (τograveπεριέχον πάντα ὁπόσα νοητὰ ζῷα) avec deux participes preacutefixeacutes en περί- agravepropos du Vivant qui a tous les intelligibles en lui et auquel Numeacutenius peutvouloir renvoyer avec sa formule περὶ τὰ νοητά La reacutefeacuterence implicite aupassage de la Lettre II 312 e 1-4 savamment reacuteeacutecrit indique toutefois queNumeacutenius donne un tout autre sens agrave ce περί Voir aussi le teacutemoignage de Pro-clus citeacute dans les notes preacuteceacutedentes

fique selon lrsquoideacutee de salut suggeacutereacutee agrave la fin de ce mecircme fragment Endrsquoautres termes le premier dieu serait περὶ τὰ νοητά au sens ougrave ilentoure les intelligibles de sa bienveillance leur transmettant agrave la foislrsquoecirctre et le Bien qursquoil est avant que le deacutemiurge ne les y fasse participeragrave son tour par sa bonteacute agrave lrsquoorigine de leur ecirctre deacutetermineacute62 et nrsquoy fasseparticiper aussi les sensibles en les eacutelevant agrave son propre caractegravere mar-queacute par cette mecircme bonteacute63 Le premier dieu le Bien est le modegravele dusecond le Bon et non pas des formes srsquoil doit ecirctre identifieacute au Vivantcrsquoest en tant que source ultime de la vie64 modegravele de ce second dieuqui transmet alors la vie au monde sensible (fr 1220F) et non en tantque paradigme totalisant et contenant les formes des quatre typesdrsquoecirctre vivants nommeacutes en Timeacutee 39 e 10-41 a 2

En cela le premier de Numeacutenius loin drsquoecirctre une entiteacute sans rapportau monde en est non seulement le principe mais il est pour lui lasource reacuteelle du Bien reacuteel ndash autrement dit il joue le rocircle de la Provi-dence qui est alors concregravetement exerceacutee par le second principe leBon Tout en eacutetant conccedilu comme premier intellect il nrsquoest donc pas lepremier moteur immobile aristoteacutelicien qui se pense lui-mecircme65 etauquel fut justement reprocheacute son deacutefaut de Providence66

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62 Selon notre lecture de la formule ἰδέα ἑαυτοῦ du fragment 16 (24 F)comme renvoyant au monde intelligible comme ensemble de formes deacutetermi-neacutees

63 Voir le fr 11 (19 F) sur cette eacuteleacutevation du sensible vers le caractegravere dudeacutemiurge lequel est le laquo Bon raquo en reacutefeacuterence au Timeacutee Numeacutenius distingue leBien premier principe du Bon second principe en utilisant lrsquoadjectif substan-tiveacute au neutre pour deacutesigner le premier et lrsquoadjectif au masculin pour le second

64 Tel est selon nous le sens de lrsquoexpression ὁ μέν γε ὢν σπέρμα πάσηςψυχῆς au fr 13 (21 F) qui en fait la semence de toute acircme voir par ex F Jour-dan laquo Eusegravebe de Ceacutesareacutee et les extraits de Numeacutenius dans la Preacuteparationeacutevangeacutelique raquo dans S Morlet (eacuted) Lire en extraits Pratiques de lecture et deproduction des textes de lrsquoAntiquiteacute au Moyen Acircge Paris PUPS 2015 p 143-147

65 Contra par ex M Frede laquo Numenius raquo art cit p 107066 Sur ce sujet notamment chez Plutarque dont Numeacutenius aurait pu ici par-

tager la critique voir par ex F Ferrari laquo Provvidenza platonica o autocontem

3) On notera ici enfin que selon toute vraisemblance Numeacuteniusnrsquoidentifie pas son premier principe agrave lrsquoUn67 Ce principe est certesunique (μόνος) simple (ἁπλοῦς) et indivisible (μὴ διαίρετος) encela distinct de lrsquouniteacute divisible que constitue le second dieu68 MaisNumeacutenius ne lrsquoidentifie pas agrave lrsquoUn et en tout cas pas agrave lrsquoUn du Parmeacute-nide69 Notre conviction srsquoappuie sur lrsquoanalyse du fragment 19 (27 F)Agrave la fin du passage on lit lrsquoexpression τὸ ἀγαθὸν ὅτι ἐστὶν ἕνNumeacutenius la donne comme une conclusion de Platon dont le sens pro-fond ne peut ecirctre perccedilu que par les laquo regards aiguiseacutes raquo autrement ditpar ceux qui comprennent le propos de Numeacutenius Elle provient assu-reacutement de la tradition orale on la retrouve dans le compte-rendu de laLeccedilon sur le Bien par Aristoxegravene70 Comme lrsquoarticle deacutefini peut ecirctreomis devant lrsquoattribut on peut certes heacutesiter sur sa traduction laquo leBien est lrsquoUn raquo ou laquo le Bien est un raquo Dans le contexte matheacutematiqueougrave elle est preacutesenteacutee chez Aristoxegravene la premiegravere traduction est sansdoute la bonne Mais ce nrsquoest pas neacutecessairement le sens originel (siPlaton srsquoest reacuteellement exprimeacute ainsi) et assureacutement pas celui que veut

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plazione aristotelica la scelta di Plutarco raquo dans L Van der Stockt F Titche-ner HG Ingenkamp A Peacuterez Jimeacutenez (eacuted) Gods Daimones Rituals Mythsand History of Religions in Plutarchrsquos Works Maacutelaga International PlutarchSociety 2010 p 177-190 et laquo La teologia di aristotele nel medioplatonismo raquodans Y Lehman (eacuted) Aristoteles Romanus La Reacuteception de la science aristo-teacutelicienne dans lrsquoEmpire greacuteco-romain Turnhout Brepols 2012 p 299-312 voir aussi chez Atticus A Michalewski laquo Faut-il preacutefeacuterer Eacutepicure agrave Aris-tote raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted) Reacuteceptions de la theacuteolo-gie aristoteacutelicienne DrsquoAristote agrave Michel drsquoEphegravese Leuven Peeters 2017p 123-142

67 Contra notamment ici G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 84

68 Fr 11 19 F69 Contra A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV

op cit p 124 M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 22570 Aristoxegravene Eacuteleacutements drsquoharmonique 22016313 Macran 398-404 da

Rios texte ndeg 1 p 248 Richard

lire Numeacutenius Dans le contexte du fragment la formule perd touteambiguiumlteacute parce que lrsquointerpreacutetation en est donneacutee au preacutealable Numeacute-nius a insisteacute sur lrsquouniciteacute du Bien dont la bonteacute a eacuteteacute identifieacutee agrave lrsquoactespeacutecifique du φρονεῖν Si Platon a dit τἀγαθὸν ἐστὶν ἕν ndash formule dontNumeacutenius srsquoestime devoir rendre compte puisqursquoil eacutecrit justement luiaussi Sur le Bien ndash crsquoest donc selon lui parce qursquoil nrsquoy a qursquoun seul etunique Bien le Bien lui-mecircme (αὐτοάγαθον) Par suite la seulemaniegravere de rencontrer le bien de maniegravere geacuteneacuterale consiste agrave prendrepart agrave lrsquoactiviteacute de penser qui caracteacuterise le Bien lui-mecircme une penseacuteesource de bonteacute que chacun pourra exercer agrave son niveau (lrsquoideacutee que leφρονεῖν lui est reacuteserveacute suggegravere qursquoil srsquoagit dans son cas drsquoun φρονεῖνagrave lrsquoeacutetat pur) Ce disant Numeacutenius a sans doute une viseacutee poleacutemique agravelrsquoeacutegard notamment drsquoune interpreacutetation pythagorisante de Platon vrai-semblablement issue de lrsquoAncienne Acadeacutemie et peut-ecirctre aussi delrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne de lrsquoenseignement oral71 Lui seul sesera estimeacute comprendre le veacuteritable pythagorisme du maicirctre Quoiqursquoil en soit sur ce point le passage est selon nous la preuve drsquoun refusdrsquoidentifier le Bien agrave lrsquoUn Si Platon a dit que le Bien est un ou mecircmelrsquoUn quelle que soit lrsquointerpreacutetation litteacuterale et donc la traduction rete-nue il nrsquoaurait selon Numeacutenius en reacutealiteacute rien voulu exprimer drsquoautreque lrsquouniciteacute du Bien ainsi que sa seacuteparation drsquoavec le sensible conccediluecomme distinction essentielle drsquoavec les biens de ce monde Numeacuteniusinvite agrave comprendre ἕν comme le synonyme de μόνος que seul ilemploie agrave reacutepeacutetition agrave propos de son premier principe72 et qui a cedouble sens drsquoexprimer lrsquouniciteacute et lrsquoisolement ou la seacuteparationcomme le suggegravere deacutejagrave son emploi reacutecurrent au fragment 2 (11 F)Telle est lrsquointerpreacutetation correcte du Platon non-eacutecrit qursquoil precircte aux

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71 Voir par ex Meacutet A 6 988 a 10-17 ougrave lrsquoUn est preacutesenteacute comme la causedu Bien et N 4 1091 b 1-20 sur lrsquoidentification du Bien agrave lrsquoUn dans uncontexte de critique des Platoniciens

72 Εἷς nrsquointervient qursquoagrave propos du second dieu conccedilu comme uniteacute divi-sible qui se distingue en cela de lrsquoUn et mecircme de lrsquouniciteacute du fait de sa dualiteacuteneacutecessaire (mais non essentielle)

seuls regards suffisamment aiguiseacutes pour savoir lire Platon lagrave ougravedrsquoautres lrsquoauront mal entendu73

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73 Voir lrsquoanalyse deacutetailleacutee du passage dans F Jourdan laquo Sur le Bien deNumeacutenius raquo art cit ici contra G Bechtle The Anonymous Commentaryop cit p 82 et 84 ndash Les deux teacutemoignages suggeacuterant une eacutevocation de lrsquoUnpar Numeacutenius ne paraissent pas infirmer cette lecture Le premier issu deMacrobe (fr 54 = Saturnales I 17 65 = P 99 12-16 Willis) fait eacutetat drsquoune eacutety-mologie de lrsquoeacutepithegravete laquo delphien raquo attribueacutee agrave Apollon ougrave Numeacutenius auraitvraisemblablement voulu retrouver lrsquoeacutetymologie courante du nom propre dudieu comme renvoyant au laquo non-multiple raquo ἀ-πολλά (voir par ex PlutarqueDe E 388 F et De Iside 354 F et 381 F avec J Whittaker laquo Ammonius on theDelphic E raquo Classical Quarterly 63 NS 19 1969 p 187-188 E SyskaStudien zur Theologie des Macrobius Stuttgart Teubner 1993 p 116 n 74)Macrobe rapporte en effet que Numeacutenius aurait fait de δέλφος un adjectifsignifiant unum (dans le latin de Macrobe) par opposition au substantifἀδελφός signifant laquo fregravere raquo et alors conccedilu comme pourvu drsquoun ἀ- privatif(sur cette eacutetymologie voir J Whittaker ibid p 187 n 9 Eacute des PlacesNumeacutenius Fragments op cit p 100 n 1 E Syska Studien zur Theologiedes Macrobius op cit p 193-194 qui estime qursquoelle nrsquoa aucune autre valeurque litteacuteraire) Outre qursquoil concerne un dieu dont nous ne savons pas si Numeacute-nius aurait reacuteellement souhaiteacute lrsquoidentification agrave son premier principe (il sug-gegravere en revanche son association agrave Zeus au fr 2 [11 F] lequel est ensuite asso-cieacute au second dieu au fr 12 [20 F]) le teacutemoignage nrsquoindique pas le sens exacten lequel Numeacutenius aurait aimeacute qursquoon entende cette laquo absence de fregravere raquoDrsquoune part juste avant Macrobe emploie lrsquoexpression singulum et unum quipeut traduire ἕν καὶ μόνον et dont comme dans le grec la redondance avaleur emphatique On ne sait donc pas lequel des deux adjectifs Numeacutenius aexactement employeacute et rien nrsquointerdit de penser que la reprise par unus soit unchoix du neacuteoplatonicien Macrobe Drsquoautre part unus renvoie agrave εἷς et non agrave ἕνEnfin et surtout laquo ne pas avoir de fregravere raquo si tel est le sens que Numeacutenius precirctedans ce contexte agrave δέλφος signifie laquo ecirctre fils unique raquo et reconduit au sens deμόνος Crsquoest pourquoi selon nous ce teacutemoignage nrsquoest pas un indice fiabledrsquoune identification numeacutenienne du premier principe agrave lrsquoUn (contra M Bur-nyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit p 152 n 34) Le second teacutemoignageest quant agrave lui constitueacute par la reacutefeacuterence agrave une singularitas identifieacutee agrave un pre-mier dieu-deacutemiurge dans le compte-rendu numeacutenien de la cosmogonie pytha-goricienne rapporteacutee par Calcidius (fr 52) Or ce premier dieu dans son oppo-sition mecircme agrave la dyade correspond davantage au second dieu du Περὶ

Voilagrave notre lecture du Περὶ τἀγαθοῦ le seul texte meacutetaphysiqueet theacuteologique de Numeacutenius dont soient transmis des fragments litteacute-raux Crsquoest agrave partir drsquoelle que nous proposons drsquoexaminer les rapportsentre lrsquoenseignement de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon lui-mecircme le Commentaire anonyme au Parmeacutenide et enfin la source com-mune au Zostrien et agrave Marius Victorinus Agrave chacun de ces troismoments nous tenterons drsquoeacutevaluer srsquoil fournit les indices de lrsquoexis-tence drsquoun commentaire au Parmeacutenide reacutedigeacute par Numeacutenius

Premiegravere partie

Lrsquoœuvre parvenue de Numeacutenius et le Parmeacutenide de Platon le premier principe de Numeacutenius (le Bien) nrsquoest ni lrsquoUn ni

lrsquoUn-qui-est du ParmeacutenideLa premiegravere eacutetape que nous reacutealiserons dans cette premiegravere partie

consiste agrave confronter le Περὶ τἀγαθοῦ au Parmeacutenide lui-mecircme afinde voir srsquoil y renvoie directement ou non Si nous suivions lrsquohypothegravesede J Whittaker74 toutefois nous abandonnerions immeacutediatement lrsquoen-treprise selon lui crsquoest agrave partir du moment ougrave un philosophe inter-pregravete le Bien de Reacutepublique VI 509 b 6-10 comme un principe trans-cendant reacuteellement lrsquoecirctre et comme identifiable agrave lrsquoUn que se profileune interpreacutetation du Parmeacutenide et plus preacuteciseacutement de la premiegraverehypothegravese Or nous venons de montrer que loin de transcender lrsquoecirctrele Bien de Numeacutenius est lrsquoEcirctre lui-mecircme et que son association agrave lrsquoUnsert avant tout un propos exeacutegeacutetique ou srsquoavegravere du moins fort probleacute-matique ndash telle qursquoelle est formuleacutee du moins elle nrsquoimplique aucune

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τἀγαθοῦ sans compter que lrsquoappellation latine de singularitas traduit plutocirctle grec μόνας que ἕν Le compte-rendu ne peut donc ecirctre compris commerefleacutetant la doctrine propre de Numeacutenius telle du moins qursquoelle est exprimeacuteedans le Περὶ τἀγαθοῦ (voir F Jourdan laquo Sur le Bien de Numeacutenius raquo art cit)Il nrsquoy a donc aucun texte fiable permettant de precircter agrave Numeacutenius lrsquoidentifica-tion du Bien agrave lrsquoUn et encore moins agrave lrsquoUn du Parmeacutenide

74 laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit

allusion au Parmeacutenide75 Si lrsquoon veut malgreacute tout supposer que Numeacute-nius nrsquoen a pas moins utiliseacute le Parmeacutenide et que son œuvre trahit alorsnon seulement la connaissance du dialogue mais un commentaire per-sonnel de celui-ci ne serait-ce que partiel il faut recourir agrave un autrepoint de doctrine que cette identification du premier principe agrave uneentiteacute transcendant lrsquoecirctre et identifieacutee agrave lrsquoUn et justement interroger ladeacutefinition de ce premier principe comme ecirctre Autrement dit il srsquoagitessentiellement de voir si Numeacutenius identifie le Bien ne serait-ce quepartiellement agrave lrsquolaquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

Pour parvenir agrave un reacutesultat probant deux eacutetapes sont neacutecessaires agravecet examen

1) un rappel des quelques points qui dans la deacutefinition de lrsquoecirctre etdu premier principe selon Numeacutenius ont parfois suggeacutereacute des rappro-chements avec le Parmeacutenide

2) une confrontation de la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ avec laseconde partie du dialogue de Platon pour voir si une convergence depenseacutee plus geacuteneacuterale pourrait malgreacute tout suggeacuterer une appropriationde ce texte par Numeacutenius ou si une incompatibiliteacute fondamentaleinvite agrave en douter

Dans lrsquoun et lrsquoautre cas si les reacutesultats sont neacutegatifs cela ne per-mettra pas de conclure que Numeacutenius a ignoreacute le texte ni non plus dese prononcer de maniegravere cateacutegorique sur lrsquoœuvre non parvenue Nousmontrerons drsquoailleurs dans un troisiegraveme temps que Numeacutenius tente dereacutesoudre les apories relatives aux formes poseacutees dans la premiegravere par-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 125

75 On peut faire semblable remarque agrave propos de lrsquoexposeacute des principespythagoriciens par Eudore rapporteacute par Simplicius (In Phys 18110 sq Diels)Mecircme srsquoil eacutevoque diffeacuterents Un la conception deacuteveloppeacutee deacutepend avant toutdes reacuteflexions de lrsquoAncienne Acadeacutemie sur lrsquoUn et la Dyade et est en cela tregravesproche du compte-rendu drsquoAristote sur les principes de Platon en Meacutet A 6 987b 18 sq (sur ce point voir J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquoart cit p 98 qui rapporte les propos de W Theiler agrave la note 11) Il ne sembledonc pas neacutecessaire de supposer un commentaire sous-jacent aux deux pre-miegraveres hypothegraveses du Parmeacutenide mecircme srsquoil nrsquoest eacutevidemment pas exclu que ledialogue ait eacuteteacute invoqueacute pour sa nomination de lrsquoUn La remarque vaut eacutegale-ment pour Speusippe et de maniegravere geacuteneacuterale pour les neacuteo-pythagoriciens

tie du dialogue et nous verrons qursquoagrave lrsquoeacutegard de la premiegravere hypothegraveseil a peut-ecirctre choisi une attitude suggeacutereacutee par Platon lui-mecircme Poureacutelargir cette recherche nous interrogerons enfin sa relation agrave la penseacuteede Parmeacutenide lui-mecircme

1 La deacutefinition du premier principe comme ecirctre dansle Περὶ τἀγαθοῦ des parallegraveles avec le Parmeacutenide

Une fois que lrsquoon a renonceacute agrave precircter agrave Numeacutenius une interpreacutetationdu Parmeacutenide en raison drsquoune identification supposeacutee de son premierprincipe agrave lrsquoUn il reste possible drsquoexaminer les parallegraveles entre la deacutefi-nition de son premier principe identifieacute agrave lrsquoecirctre ou plus geacuteneacuteralemententre sa deacutefinition de lrsquoecirctre et les formulations du dialogue platoniciendans les deux premiegraveres hypothegraveses Les partisans drsquoune interpreacutetationnumeacutenienne du Parmeacutenide dont notamment A-J Festugiegravere76 etD OrsquoMeara77 citent essentiellement78 deux textes agrave cette fin les frag-

126 Fabienne JOURDAN

76 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves trismeacutegiste T IV op cit p 12577 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 Voir aussi par ex

M Zambon Porphyre et le moyen-platonisme op cit p 225-227 qui srsquoap-puie toutefois sur ce qursquoil considegravere une identification du Bien agrave lrsquoUn et sur unpassage de Cleacutement drsquoAlexandrie qui semble deacutependre de la premiegravere hypo-thegravese (Strom V 12 82 1-2) Les eacuteleacutements de theacuteologie neacutegative eacutevoqueacutes lagravesrsquoaccompagnant drsquoune possibiliteacute de nomination rappellent toutefois moinsNumeacutenius qursquoAlcinoos Did X p 16433-34 H

78 Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoargumentation de R Romano (laquo La proba-bile esegesi pitagorizzante (accademica medioplatonica e neopitagorica) delParmenide di Platone raquo dans M Barbanti F Romano (eacuted) Il Parmenide diPlatone et la sua tradizione op cit p 234) qui estime que Numeacutenius aufragment 217-34 (11 F) emprunte au Parmeacutenide les expressions delaquo meacutethode non aiseacutee mais divine raquo laquo ardeur juveacutenile raquo et laquo exercice matheacute-matique raquo Lrsquoappui textuel est trop tenu pour qursquoelle soit persuasive Quant agraveG Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 82-84) il eacutevoque luiaussi le fragment 5 (14 F) mais seulement en note agrave la page 82 et son argu-mentation ne srsquoappuie pas davantage sur la lettre du texte Crsquoest pourquoielle ne peut ecirctre expliciteacutee ici Nous ne commenterons enfin pas les hypo-

ments 5 et 6 (14-15 F) ougrave apparaicirct formuleacutee en termes neacutegatifs unedeacutefinition de lrsquoecirctre que le fragment 2 (11 F) a dit identifiable au BienCes deux fragments proviennent du livre II du Περὶ τἀγαθοῦ quientreprend de deacutefinir lrsquoecirctre preacuteliminaire indispensable agrave la deacutefinitiondu Bien Examinons-en quelques extraits Au fragment 5 nous lisonsceci

Φέρε οὖν ὅση δύναμις ἐγγύτατα πρὸς τὸ ὂν ἀναγώμεθα καὶλέγωμενmiddot τὸ ὂν οὔτε ποτὲ ἦν οὔτε ποτὲ μὴ γένηται ἀλλrsquo ἔστιν ἀεὶἐν χρόνῳ ὡρισμένῳ τῷ ἐνεστῶτι μόνῳ [] τὸ ἄρα ὂν ἀΐδιόν τεβέβαιόν τε ἐστὶν ἀεὶ κατὰ ταὐτὸν καὶ ταὐτόν οὐδὲ γέγονε μένἐφθάρη δὲ οὐδrsquo ἐμεγεθύνατο μέν ἐμειώθη δὲ οὐδὲ μὴltνgtἐγένετό πω πλεῖον ἢ ἔλασσον καὶ μὲν δὴ τά τε ἄλλα καὶ οὐδὲτοπικῶς κινηθήσεταιmiddot οὐδὲ γὰρ θέμις αὐτῷ κινηθῆναι οὐδὲ μὲνὀπίσω οὐδὲ πρόσω οὔτε ἄνω ποτὲ οὔτε κάτω οὐδrsquo εἰς δεξιὰοὐδrsquo εἰς ἀριστερὰ μεταθεύσεταί ποτε τὸ ὂν οὔτε περὶ τὸ μέσονποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται ἀλλὰ μᾶλλον καὶ ἑστήξεται καὶἀραρός τε καὶ ἑστηκὸς ἔσται κατὰ ταὐτὰ ἔχον ἀεὶ καὶ ὡσαύτως(extraits du fragment 5 14 F = Eus PE XI 10 4-5)

Eh bien donc eacutelevons-nous vers lrsquoecirctre le plus pregraves qursquoil nous est pos-sible et disons ceci lrsquoecirctre jamais ne fut ni jamais nrsquoadviendra assureacute-ment mais il est toujours dans un temps bien deacutetermineacute le seul preacute-sent [] Lrsquoecirctre est donc est agrave la fois eacuteternel et stable toujours dans lemecircme eacutetat et identique agrave soi il nrsquoest pas neacute et il ne peacuterit pas il ne croicirctet ne deacutecroicirct pas non plus ni il ne devient plus ou moins en aucunefaccedilon En somme il ne sera assureacutement soumis agrave aucun type de mou-vement et surtout pas au mouvement selon le lieu ndash il ne lui est en effetpas permis non plus crsquoest la loi divine drsquoecirctre mucirc jamais par unecourse en avant ni en arriegravere en haut ni en bas vers la droite droite nivers la gauche jamais lrsquoecirctre ne sera soumis au changement et jamais ilne sera mucirc autour de son propre centre Bien plutocirct il se tiendra en

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 127

thegraveses de H Tarrant Thrasyllan Platonism op cit p 174-177 dans lamesure ougrave elles supposent que Numeacutenius srsquoinspire de Modeacuteratus (au fr 52)et suit donc lrsquointerpreacutetation qursquoil aurait donneacutee sur la matiegravere drsquoapregraves leteacutemoignage de Simplicius

repos sera ferme et fixe se maintenant toujours de faccedilon identique etde la mecircme maniegravere79

Au fragment 6 (15 F) nous lisons ensuite

ἡ δὲ αἰτία τοῦ ὄντος ὀνόματός ἐστι τὸ μὴ γεγονέναι μηδὲφθαρήσεσθαι μηδrsquo ἄλλην μήτε κίνησιν μηδεμίαν ἐνδέχεσθαιμήτε μεταβολὴν κρείττω ἢ φαύλην εἶναι δὲ ἁπλοῦν καὶἀναλλοίωτον καὶ ἐν ἰδέᾳ τῇ αὐτῇ καὶ μήτε ἐθελούσιον ἐξίστα-σθαι τῆς ταὐτότητος μήθrsquo ὑφrsquo ἑτέρου προσαναγκάζεσθαι (extraitdu fragment 6 15 F = Eus PE XI 10 7)

Et la raison de ce nom ecirctre reacuteside dans le fait de ne pas ecirctre neacute de nepas devoir peacuterir de nrsquoadmettre absolument aucun autre type de mou-vement ni de changement que ce soit vers le meilleur ou vers le piremais drsquoecirctre au contraire simple invariable dans une forme qui resteidentique de ne pas sortir de son identiteacute ni volontairement ni souslrsquoeffet drsquoune contrainte exteacuterieure80

Pourquoi a-t-on voulu lire ces textes comme faisant allusion auParmeacutenide alors qursquoils ne preacutesentent pas de parallegraveles textuels avec cedialogue Deux raisons agrave cela A-J Festugiegravere y voit une seacuterie deneacutegations qui rappellent celles du Parmeacutenide relativement agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese D OrsquoMeara estime que la deacutefinition de lrsquoecirctrecomme restant dans une identiteacute parfaite agrave soi exprimeacutee en termes de

128 Fabienne JOURDAN

79 Toutes les traductions de Numeacutenius sont les nocirctres80 Voir aussi cet extrait du fragment 8 (17 F = Eus PE XI 10 12) Εἰ μὲν

δὴ τὸ ὂν πάντως πάντη ἀΐδιόν τέ ἐστι καὶ ἄτρεπτον καὶ οὐδαμῶςοὐδαμῆ ἐξιστάμενον ἐξ ἑαυτοῦ μένει δὲ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτωςἕστηκε τοῦτο δήπου ἂν εἴη τὸ τῇ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν laquo Siassureacutement lrsquoecirctre est en tout point absolument eacuteternel et immuable srsquoil ne sortabsolument pas de lui-mecircme en aucune faccedilon mais demeure dans le mecircmeeacutetat fixeacute dans son identiteacute alors crsquoest lui sans nul doute qui sera ldquoce qui estappreacutehendeacute par lrsquointellection agrave lrsquoaide du raisonnementrdquo (Tim 28 a) raquo Ce pas-sage fait suite au fragment 7 (16 F = Eus PE XI 10 9-11) qui cite la deacutefinitionde lrsquoecirctre opposeacute agrave la γένεσις en Timeacutee 27 d 6-28 a 4

laquo non-sortie raquo de soi est reprise dans les passages des Enneacuteades VI4 [ 22] 2 21 et VI 5 3 1-2 ougrave Plotin traite de lrsquointeacutegriteacute de lrsquoecirctre etinterpregravete agrave cet effet la seconde hypothegravese du Parmeacutenide D OrsquoMearasonge alors agrave un preacuteceacutedent numeacutenien dans la lecture plotinienne duParmeacutenide et agrave cette fin eacutetant donneacute qursquoil est question dans ces frag-ments de la relation de lrsquoecirctre au temps au changement et au mouve-ment tout comme de son nom (et donc sous-entendu aussi de saconnaissance) il invite agrave penser que le livre II du Περὶ τἀγαθoῦ trai-tait de lrsquoecirctre selon les diffeacuterents preacutedicats qui servent agrave interroger lrsquoUndu Parmeacutenide agrave savoir le Tout et les parties le lieu le changement etmouvement lrsquoidentiteacute et la diffeacuterence la ressemblance et dissem-blance lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoineacutegaliteacute le temps le nom la connaissance

Ces deux lectures se heurtent toutefois agrave deux objections simplesDrsquoune part pas plus qursquoil ne tire du Parmeacutenide la description de la non-sortie de soi81 Numeacutenius nrsquoemprunte son argumentation sur le change-ment le temps et le nom au Parmeacutenide Comme il le dit lui-mecircme aufragment 6 (15 F) il srsquoappuie pour cela sur le Timeacutee et le Cratyle Onnotera drsquoailleurs que le deacuteveloppement sur lrsquoabsence de mouvement etdonc de changement relegraveve en outre drsquoun emprunt aux Lois82 et qursquoellenrsquoest pas exempte de parallegraveles aristoteacuteliciens ainsi que le reconnaicirctD OrsquoMeara lui-mecircme83 Drsquoautre part et pour reacutepondre cette fois agraveA-J Festugiegravere la seacuterie de neacutegations ne fait aucunement allusion auParmeacutenide ni nrsquoaugure drsquoune theacuteologie neacutegative telle qursquoelle sera tireacuteede la premiegravere hypothegravese de ce dialogue elle contribue simplement agraveune deacutefinition de lrsquoecirctre par opposition au devenir et surtout au corporelqui preacutesente toutes les qualiteacutes ici nieacutees La citation au fragment 7 (16F) du passage du Timeacutee (27 d 6-28 a 4) opposant justement ὄν et

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 129

81 Elle est en reacutealiteacute preacutesente dans le Cratyle 439 e le Pheacutedon 79 d et 80b 1-2 et le Banquet 211 b 1

82 X 893 c-894 a83 laquo Being in Numenius and Plotinus raquo art cit p 127 n 26 Sur le temps

voir aussi M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art cit et la remarquefinale sur la deacutefinition parmeacutenidienne drsquoune entiteacute se situant dans un eacuteternelpreacutesent au fr 85 DK

γένεσις preacutecise ce contexte de penseacutee et empecircche en cela toute extra-polation Agrave la limite si lrsquoon y tient on pourra simplement conclure avecD OrsquoMeara que Numeacutenius a donneacute agrave Plotin lrsquoideacutee de lire le Parmeacutenidedans le sens ougrave il lrsquoa fait concernant lrsquoecirctre ndash hypothegravese qui srsquoavegraverera fortinteacuteressante dans la perspective drsquoune comparaison avec lrsquoentreprise ducommentateur anonyme au Parmeacutenide

Les textes habituellement citeacutes en faveur drsquoune utilisation numeacute-nienne du Parmeacutenide ainsi compris il en est selon nous un troisiegravemequi aurait pu inviter agrave pareille suggestion celui ougrave Numeacutenius precircte aupremier principe un repos qui srsquoaccompagne malgreacute tout drsquoune formede mouvement ndash attributs apparemment contradictoires dont lrsquooriginepourrait paraicirctre remonter au Parmeacutenide Ce texte nous mettrait sur lavoie qui pouvait sembler la plus feacuteconde drsquoune identification du pre-mier principe numeacutenien agrave lrsquoUn de la seconde hypothegravese du ParmeacutenideLisons ainsi le fragment 15 (23 F)

Εἰσὶ δrsquo οὗτοι βίοι ὁ μὲν πρώτου ὁ δὲ δευτέρου θεοῦ δηλονότι ὁμὲν πρῶτος θεὸς ἔσται ἑστώς ὁ δὲ δεύτερος ἔμπαλίν ἐστικινούμενοςmiddot ὁ μὲν οὖν πρῶτος περὶ τὰ νοητά ὁ δὲ δεύτερος περὶτὰ νοητὰ καὶ αἰσθητά μὴ θαυμάσῃς δrsquo εἰ τοῦτrsquo ἔφηνmiddot πολὺ γὰρἔτι θαυμαστότερον ἀκούσῃ ἀντὶ γὰρ τῆς προσούσης τῷδευτέρῳ κινήσεως τὴν προσοῦσαν τῷ πρώτῳ στάσιν φημὶ εἶναικίνησιν σύμφυτον ἀφrsquo ἧς ἥ τε τάξις τοῦ κόσμου καὶ ἡ μονὴ ἡἀΐδιος καὶ ἡ σωτηρία ἀναχεῖται εἰς τὰ ὅλα

Voici les genres de vie respectifs du premier et du deuxiegraveme dieu ilest eacutevident que le premier sera en repos tandis que le deuxiegraveme aucontraire est en mouvement le premier donc autour des intelligiblesle deuxiegraveme autour des intelligibles et des sensibles Et nrsquoen viens pasagrave trsquoeacutetonner si jrsquoai affirmeacute cela car tu vas entendre bien plus eacutetonnantencore agrave la place du mouvement inheacuterent au deuxiegraveme le repos inheacute-rent au premier je lrsquoaffirme est un mouvement qui lui est par natureassocieacute drsquoougrave viennent lrsquoordre du monde et sa permanence eacuteternelle etdrsquoougrave le salut se reacutepand sur lrsquointeacutegraliteacute des ecirctres

Le passage pourrait rappeler lrsquoUn qui est Tout (τὸ ἓν ὅλον 145 e3) de la deuxiegraveme hypothegravese et que Platon deacutecrit comme eacutetant agrave la fois

130 Fabienne JOURDAN

en repos et en mouvement (καὶ κινεῖσθαι καὶ ἑστάναι 145 e 7-8)drsquoautant plus que le vocabulaire du repos employeacute est le mecircme(ἕστηκε 145 a 8 ἑστός 146 a 5) On pourrait alors imaginer queNumeacutenius identifie son premier principe agrave lrsquoUn associeacute agrave lrsquoecirctre telqursquoil est conccedilu dans cette deuxiegraveme hypothegravese Cependant la raisondonneacutee par Platon agrave cet eacutetat est le fait que cet Un se trouve agrave la fois enlui-mecircme crsquoest-agrave-dire au mecircme endroit et en autre chose crsquoest-agrave-direailleurs (le tout devant ecirctre ainsi compris 145 e 8-146 a 7) Or toutconduit agrave penser que dans le fragment le mouvement associeacute au reposfondamental est celui de la penseacutee caracteacuteristique du premier principe(cf fr 19 27 F) et que par cette formule Numeacutenius preacutepare la deacutefini-tion de celui-ci comme intellect (fr 16-17 24-25 F) Le raisonnementest profondeacutement distinct et Numeacutenius joue drsquoailleurs moins sur uneantithegravese logique telle que pourrait paraicirctre celle du raisonnement pla-tonicien que sur une association certes paradoxale mais reacuteelle Crsquoestpourquoi si tentant que puisse paraicirctre le parallegravele il ne relegraveve sansdoute pas drsquoune appropriation numeacutenienne de la deuxiegraveme hypothegravesepour deacutecrire le premier principe Numeacutenius reprend peut-ecirctre le voca-bulaire voire la conception de Platon pour deacutecrire un principe qursquoilassocie volontiers au Tout surtout si ce premier principe doit corres-pondre au Vivant84 Mais cette reprise serait superficielle et srsquoaccom-pagnerait drsquoun deacuteveloppement personnel qui ne relegraveve pas du deacutesirdrsquointerpreacuteter le Parmeacutenide85 Si Numeacutenius emprunte ici agrave Platon crsquoestplutocirct au passage du Sophiste 248 e-249 a qui integravegre le mouvementdans lrsquoecirctre total finit par deacutecrire cet ecirctre comme eacutetant agrave la fois en reposet en mouvement et inclut en lui eacutegalement lrsquointellect mieux laφρόνησις dont nous avons vu que Numeacutenius en fait sous la formeinfinitive lrsquoapanage du Bien

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 131

84 Voir le teacutemoignage de Proclus (fr 22) deacutejagrave signaleacute selon nous lrsquoimagedu Vivant est deacutejagrave sous-jacente dans ce fragment 15 (23 F) voir la note 61

85 Sur ce point nous rejoignons LP Gerson laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpre-tation of Platorsquos Parmenides raquo art cit n 1 qui rappelle agrave propos drsquoAlcinoosque lrsquoutilisation de distinctions et drsquoarguments preacutesents dans le Parmeacutenidenrsquoimplique pas drsquoaccorder une primauteacute interpreacutetative agrave ce dialogue

2 Le Περὶ τἀγαθοῦ et les deux premiegraveres hypothegravesesde la seconde partie du Parmeacutenide

Agrave eux seuls les textes parvenus ne nous semblent donc pas teacutemoi-gner en faveur drsquoun commentaire au Parmeacutenide de la part de Numeacute-nius ni mecircme drsquoune utilisation partielle qursquoil aurait faite de ce dia-logue Les partisans drsquoune attribution de pareil commentaire agrave Numeacute-nius en appellent toutefois et ce juste titre agrave lrsquoœuvre non parvenueOn ne peut certes juger de lrsquoeacutevolution de Numeacutenius Mais pour quecet argument e silentio soit valable concernant au moins la partie man-quante du Περὶ τἀγαθοῦ il faudrait que la partie transmise ne preacute-sente pas drsquoincompatibiliteacute avec lrsquoargumentation geacuteneacuterale du dialoguede Platon Comme le deacutebat porte toujours sur les deux premiegraveres hypo-thegraveses ce sont elles qursquoil suffit drsquointerroger en vue drsquoeacutevaluer si Numeacute-nius peut ne serait-ce que srsquoy ecirctre reporteacute pour esquisser sa deacutefinitiondu premier principe voire du second comme le suggegravere JD Turner86

a) Le Bien et lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese

Selon notre lecture Numeacutenius nrsquoidentifie pas le Bien agrave lrsquoUn Laseacuterie de neacutegations neacutecessaires agrave la deacutefinition de lrsquoecirctre nrsquoa drsquoautre butque de distinguer celui-ci du devenir Qursquoest-ce que le Bien de Numeacute-nius pourrait donc avoir de commun avec lrsquoUn de la premiegravere hypo-thegravese87 Comparons son enseignement agrave celui du Parmeacutenide pourassurer de la validiteacute de notre position

Ce que le Bien de Numeacutenius pourrait avoir de commun avec lrsquoUnde la premiegravere hypothegravese assureacutement ce serait le fait de ne pas ecirctremultiple (137 c) Mais cela est bien maigre la seacuterie de neacutegations pro-

132 Fabienne JOURDAN

86 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 138-13987 G Bechtle (The Anonymous Commentary op cit p 84) estime que

crsquoest en lien avec la premiegravere hypothegravese que Numeacutenius deacuteveloppe sa concep-tion du premier intellect Il nrsquoexplique toutefois pas cette lecture pour le moinseacutetonnante

poseacutee par Parmeacutenide ne le concerne pas Passons en revue quelquesexemples en suivant lrsquoordre du dialogue contrairement agrave lrsquoUn de cettehypothegravese le Bien nrsquoest pas illimiteacute (137 d 7) crsquoest la matiegravere qui esttelle agrave lrsquoimage drsquoun fleuve88 loin drsquoecirctre nulle part au sens de laquo pas ensoi raquo (138 a 2 6-b 2) il est au contraire en lui-mecircme89 La seacuterie drsquoanti-thegraveses ne le concerne pas davantage loin de nrsquoecirctre ni en repos ni enmouvement (138 b) nous avons vu qursquoil a part aux deux90 plutocirct quede nrsquoecirctre ni identique ni diffeacuterent (139 b-140 b) il est assureacutement iden-tique agrave soi91 au lieu drsquoecirctre hors du temps (141 a) il se situe dans uneacuteternel preacutesent92 et si certes on ne peut pas non plus parler agrave soneacutegard de participation agrave lrsquoοὐσία (141 e 7-8) il nrsquoen est pas moinslrsquoἀρχή de celle-ci93 qui fait de lui lrsquoEcirctre par excellence94 Contraire-ment agrave lrsquoUn de cette hypothegravese (142 a) il a en outre un nom une deacutefi-nition et il y a mecircme une science agrave son sujet son nom est drsquoabordοὐσία et ὄν lorsque lrsquoecirctre qursquoil est est envisageacute de maniegravere geacuteneacuterale95puis vraisemblablement Bien lui-mecircme et Ecirctre lui-mecircme (αὐτοάγα-θον et αὐτοόν) lorsqursquoil est envisageacute dans sa speacutecificiteacute96 il donnelrsquoἐπιστήμη et srsquoavegravere mecircme ecirctre la σοφία97 toute lrsquoentreprise duΠερὶ τἀγαθοῦ est justement de conduire agrave sa connaissance et deacutefini-tion98 ce agrave quoi parvient entre autres le dernier fragment en identifiantultimement lrsquoecirctre et lrsquointellect qursquoil constitue agrave la Forme du Bien de laReacutepublique99 Lorsque Platon fait conclure agrave Parmeacutenide que cet Un

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 133

88 Fr 3 (12 F) et 8 (17 F)89 Fr 11 (19 F)90 Fr 15 (23 F)91 Fr 5-6 et 8 (14-15 et 17 F)92 Fr 5 (14 F)93 Fr 16 (24 F)94 Fr 17 (25 F) et lrsquoon nrsquooubliera pas la synonymie entre οὐσία et ὄν don-

neacutee au fr 6 (15 F)95 Fr 6 (15 F)96 Fr 16-17 (24-25 F) fr 20 (28 F)97 Crsquoest notre interpreacutetation conjointe des fragments 13 et 14 (21-22 F)98 Tel est le programme annonceacute au fragment 2 (11 F)99 Fr 20 (28 F)

finalement nrsquoest pas Numeacutenius peut donc avoir estimeacute ne pas devoirreconnaicirctre lagrave ce qursquoil deacutefinit quant agrave lui comme le premier principe etce alors en accord avec Platon lui-mecircme

Crsquoest pourquoi srsquoil a songeacute agrave ce dialogue et plus particuliegraverement agravela premiegravere hypothegravese Numeacutenius a pu le consideacuterer comme un exer-cice dialectique ougrave puiser par exemple une meacutethode drsquointerrogation etcertains concepts dans un esprit peut-ecirctre semblable agrave celui drsquoAlci-noos100 ou bien ce qui nrsquoest pas incompatible comme deacutecrivantaussi une position selon lui critiqueacutee par Platon Dans cette perspec-tive il peut alors y avoir perccedilu une raison de ne pas retenir la candida-ture de lrsquoUn (telle que la suggegravere notamment la reacuteception acadeacutemi-cienne de lrsquoenseignement oral) au titre de premier principe agrave identifierau Bien puisque cet Un conccedilu dans sa pureteacute agrave la maniegravere dont Platonle deacutecrit dans la premiegravere hypothegravese conduit agrave lrsquoaporie du non-ecirctre (non-ecirctre que Numeacutenius identifie quant agrave lui agrave la matiegravere) Autre-ment dit la lecture du Parmeacutenide voire le commentaire de ce dia-logue aurait plutocirct conduit Numeacutenius agrave ne pas identifier le Bien agrave lrsquoUnabsolu et lrsquoaurait peut-ecirctre justifieacute dans une position poleacutemique agrave lrsquoen-contre de certains neacuteo-pythagoriciens de son temps101 voire des Aca-deacutemiciens qui le faisaient

Cette conclusion peut a priori eacutetonner Mais Numeacutenius nrsquoaurait paseacuteteacute le seul de son eacutepoque agrave refuser drsquoaccorder agrave lrsquoUn de la premiegraverehypothegravese le rocircle de principe de la reacutealiteacute et de principe transcendantlrsquoecirctre Proclus eacutevoque des interpregravetes selon lesquels le veacuteritable objet

134 Fabienne JOURDAN

100 Agrave la mecircme eacutepoque ou peu apregraves (selon lrsquohypothegravese de R Chiara-donna laquo Theacuteologie et eacutepoptique aristoteacutelicienne dans le meacutedioplatonisme lareacuteception de Meacutetaphysique Λ raquo dans G Guyomarch F Baghdassarian (eacuted)Reacuteceptions de la theacuteologie aristoteacutelicienne op cit p 143-148 voir aussiM Frede laquo Numenius raquo art cit p 1064) Alcinoos donne une interpreacutetationessentiellement logique du Parmeacutenide voir Did VI p 159-160 H Cela nrsquoim-plique toutefois pas que ce fut lagrave la seule lecture du dialogue par Alcinoos(pace J Whittaker laquo ΕΠΕΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit)

101 Voir ceux eacutevoqueacutes au fragment 5215-24 (Calcidius In Tim CCXCV)qui font provenir la dyade de la monade Modeacuteratus agrave qui est justement precircteacuteun commentaire du Parmeacutenide leur est parfois rapprocheacute

du Parmeacutenide est justement lrsquoecirctre (ou lrsquoUn de la seconde hypothegravese) etnon lrsquoUn absolu dont lrsquohypothegravese ne conduit qursquoagrave des apories102 Lrsquounde ces interpregravetes fut Origegravene (le Platonicien103 ) disciple drsquoAmmo-nius comme Plotin et qui eacutetait peut-ecirctre justement en deacutebat avecNumeacutenius notamment sur la fonction du premier principe104 SelonOrigegravene lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese eacutetait sans existence ni subsis-tance (ἀνύπαρκτον καὶ ἀνύποστατον) lrsquoEcirctre absolu et lrsquoUnabsolu ne devaient faire qursquoun et ecirctre identifieacutes agrave lrsquointellect commeprincipe supeacuterieur105 ce nrsquoeacutetait donc qursquoavec la seconde hypothegravese

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 135

102 Proclus In Parm I 63531-6364 Theacuteol Plat II 4 311-28103 Nous nrsquoentrons pas ici dans le deacutebat concernant la question de savoir si

Origegravene nommeacute laquo le platonicien raquo est le mecircme qursquoOrigegravene le chreacutetien Nouspostulons qursquoil srsquoagit de deux personnages distincts (en cela nous suivonsnotamment R Goulet laquo Porphyre Ammonius les deux Origegravene et lesautres raquo Revue drsquohistoire et de philosophie religieuse 57 1977 p 471-496repris dans R Goulet Eacutetudes sur les Vies de philosophes de lrsquoAntiquiteacute tar-dive Diogegravene Laeumlrce Porphyre de Tyr Eunape de Sardes Textes et traditionsI Paris Vrin 2001 p 267-290) Sur ce sujet voir le statut de la question dansL Brisson R Goulet laquo Origegravene le platonicien raquo dans R Goulet (eacuted) Dic-tionnaire des philosophes antiques Paris CNRS IV 2005 p 804-807 M Zambon laquo Porfirio e Origene uno status quaestionis raquo dans S Morlet(eacuted) Le Traiteacute de Porphyre contre les chreacutetiens Un siegravecle de recherches nou-velles questions Paris Institut drsquoEacutetudes augustiniennes 2011 p 107-164 etles eacutetudes reacuteunies par B Baumlbler H-G Nesselrath (eacuted) Origenes der Christund Origenes der Platoniker Tuumlbingen Mohr Siebeck 2018 (dont lrsquoarticle deCh Riedweg qui identifie les deux personnages)

104 Drsquoapregraves le titre de son ouvrage transmis par Porphyre (VP 332 cf Pro-clus Theol plat II 4 A) Ὃτι μόνος ποιητὴς ὁ βασιλεύς Origegravene associaitvraisemblablement le laquo roi raquo (premier principe) au deacutemiurge nommeacute ποιητήςcontrairement agrave Numeacutenius qui les distingue au fragment 12 (20 F)

105 Sur ce sujet voir par ex HD Saffrey LG Westerink Proclus Theacuteo-logie platonicienne T II Paris Les Belles Lettres 1974 p X-XX C Steellaquo Une histoire de lrsquointerpreacutetation du Parmeacutenide raquo art cit p 32-35 L Bris-son laquo The Reception of Parmenides before Proclus raquo dans JD TurnerK Corrigan (eacuted) Platorsquos Parmenides and its Heritage vol II Reception inPatristic Gnostic and Christian Neoplatonic Texts Atlanta Society of Bibli-cal Literature 2011 p 49-64

que commenccedilait selon lui lrsquoonto-theacuteologie platonicienne parce qursquoelleaurait deacutecrit lrsquointellect et les formes Origegravene paraissant plus proche deson maicirctre que Plotin106 son interpreacutetation eacutetait peut-ecirctre celle drsquoAm-monius et comme les argumentations drsquoAmmonius et de Numeacuteniussont parfois rapprocheacutees107 on pourrait penser agrave une parenteacute entre ellessur ce sujet eacutegalement Quoi qursquoil en soit sur ce point on peut retenirdeux choses de la comparaison avec lrsquointerpreacutetation drsquoOrigegravene lerefus de consideacuterer le premier principe comme identique agrave lrsquoUn absolude la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et lrsquoidentification de ce prin-cipe agrave lrsquoEcirctre absolu

Peut-on alors supposer que Numeacutenius agrave lrsquoinstar drsquoOrigegravene conccediloitlui aussi cet Ecirctre comme deacutecrit dans la deuxiegraveme hypothegravese Crsquoest eneffet avions-nous vu drsquoembleacutee la seule maniegravere de lui supposer reacuteelle-ment une utilisation du Parmeacutenide dans sa description du premier prin-cipe

b) Le Bien et lrsquo laquo Un qui est raquo de la seconde hypothegravese

On peut en effet rappeler que Plotin a tendance agrave situer le premierde Numeacutenius au rang du second selon sa propre doctrine Toutefois agravela lecture du Parmeacutenide lui-mecircme Numeacutenius aurait assureacutement eacuteteacutegecircneacute degraves la formulation de lrsquohypothegravese consideacuterant Un et ecirctre (οὐσία)comme deux eacuteleacutements seacutepareacutes neacutecessitant la participation de lrsquoUn agravelrsquoecirctre (142 b-c) Pour Numeacutenius le premier principe est lrsquoecirctre il nrsquoapas part agrave lrsquoecirctre Lrsquoauteur du Commentaire anonyme au Parmeacutenide ten-tera certes de reacutesoudre la difficulteacute et si Numeacutenius avait commenteacute letexte il aurait sans doute fait de mecircme Mais est-il bien neacutecessaire delui precircter pareille entreprise Il nrsquoest en effet pas davantage inteacuteresseacute agrave

136 Fabienne JOURDAN

106 Voir HD Saffrey LG Westerink op cit p XIX107 Voir par ex le teacutemoignage de Neacutemeacutesius (fr 4 b = Sur la nature de

lrsquohomme 2 8-14) qui les associe dans la critique de la corporeacuteiteacute de lrsquoacircmecaracteacuteristique de la conception stoiumlcienne

utiliser la seacuterie de preacutedicats contraires cette fois accepteacutes pour lrsquoUn decette deuxiegraveme hypothegravese Si nous nrsquoen retenons seulement quelques-uns parmi ceux pouvant concerner une reacutealiteacute intelligible on noteraque la notion de pluraliteacute ne peut concorder avec la repreacutesentation delrsquouniteacute indivisible que constitue le Bien pas davantage que le coupleantitheacutetique drsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave soi Trois points pourraientecirctre malgreacute tout rapprocheacutes dans la deacutefinition du Bien numeacutenien et delrsquoUn de la seconde hypothegravese lrsquoaffirmation drsquoune preacutesence agrave la fois ensoi et en autre chose (145 b 6-7) ndash mais elle est caracteacuteristique de touteforme intelligible et la contradiction apparente est reacutesolue par le pheacute-nomegravene de la participation bien deacuteveloppeacute par Numeacutenius lrsquoideacutee quece principe est en mouvement et en repos (145 a 3-146 a 7)ndash mais nousavons montreacute son sens particulier lieacute au processus de la penseacutee propreagrave lrsquointellect qui nrsquoest pas deacuteveloppeacute dans le Parmeacutenide et enfin larelation au temps (152 a) mais elle nrsquoest que provisoire concernant ladeuxiegraveme hypothegravese dans la mesure ougrave celle-ci va ensuite associerlrsquoecirctre agrave toutes les dimensions du temps alors que Numeacutenius ne lrsquoasso-cie qursquoau preacutesent comme le fait le Timeacutee (et peut-ecirctre le vrai Parmeacute-nide lui-mecircme au fragment 85)

Il nous semble donc peu probable que Numeacutenius ait envisageacute sonpremier principe en songeant agrave lrsquoUn-qui-est du Parmeacutenide ou aitmecircme tenteacute de le lui faire correspondre dans une eacutetape ulteacuterieure de sareacuteflexion En cela le deacutesaccord qui semble affleurer avec Origegravene surla caracteacuterisation des principes se retrouverait sur ce point eacutegalement

c) Le second dieu (le Bon) et lrsquolaquo Un qui est raquo

Une autre possibiliteacute peut toutefois se preacutesenter agrave lrsquoesprit Numeacute-nius nrsquoaurait-il pas alors associeacute agrave ce second Un son second dieu etprincipe qui lui est effectivement agrave la fois Un et plusieurs (143 a 5)au sens ougrave il connaicirct une laquo division raquo lorsqursquoil rencontre la matiegravere108

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 137

108 Fr 11 (19 F)

Telle est en effet lrsquohypothegravese de JD Turner109 On pourrait lrsquoeacutetayer ennotant que ce dieu est drsquoailleurs lui aussi seacutepareacute pour ainsi dire de saforme le Bien ce qui constitue deux aspects de son ecirctre et mecircme de laforme qursquoil produit comme modegravele du monde lui aussi a en outre partagrave lrsquoοὐσία qursquoil reccediloit du premier En extrapolant on pourrait imaginerque crsquoest agrave lui que reviennent tous les couples de contraires puisqursquoilest agrave la fois dans lrsquointelligible par sa contemplation et preacuteoccupeacute dusensible tendant au contact avec la matiegravere110 Mais nous irions troploin Numeacutenius fait certes de ce second dieu lrsquoecirctre deacuteriveacute mais il estecirctre assureacutement et nrsquoest pas concerneacute par les preacutedicats caracteacuterisant lesensible (comme la grandeur la limite lrsquoacircge) Ce qui peut paraicirctrecontraire en ce dieu ce sont seulement des attitudes lieacutees agrave son orienta-tion dans un processus cosmogonique Numeacutenius ne paraicirct pas avoirainsi deacutefini son essence dont la caracteacuteristique fondamentale est lrsquoimi-tation et la participation au Bien Crsquoest pourquoi mecircme si cela peutparaicirctre tentant nous ne pensons pas qursquoil ait conccedilu ce second dieu ensongeant agrave la deuxiegraveme hypothegravese du Parmeacutenide ni mecircme qursquoil aittenteacute apregraves lrsquoavoir deacutefini de le lui faire correspondre111 Le consideacuterer

138 Fabienne JOURDAN

109 laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art cit p 137-138 qui ajoute agravecela une reacuteflexion sur ce que certains Anciens consideacuteraient comme la troisiegravemehypothegravese (155 e 4-157 b 4) et fait du second dieu de Numeacutenius dans sa dualiteacutemecircme un repreacutesentant des Un de la deuxiegraveme et troisiegraveme hypothegraveses (Un-plu-sieurs et Un-et-plusieurs) Cette lecture est ingeacutenieuse mais inveacuterifiable

110 Fr 11 (19 F)111 Concernant les autres hypothegraveses nous pourrions faire deux remarques

Dans la troisiegraveme la deacutefinition des laquo autres choses raquo comme eacutetant de natureillimiteacutee mais recevant leur limite par participation agrave lrsquoUn (158 d 7-8) corres-pond agrave la conception de la formation du monde par le deacutemiurge (fr 18 26 F cf fr 52) Mais cette interpreacutetation est la leccedilon mecircme du Timeacutee coupleacute avec lePhilegravebe Dans la derniegravere hypothegravese ensuite en 165 c 2 on trouve lrsquoexpres-sion ὀξὺ νοοῦντι pour deacutesigner celui qui regarde de pregraves et voit que les chosesqui paraissent unes sont en reacutealiteacute plusieurs car priveacutees drsquouniteacute Avec lrsquoexpres-sion ὀξὺ βλέποντι au fr 19 (27 F) Numeacutenius pourrait faire un clin drsquoœilentendu agrave ce passage lorsqursquoil invite agrave comprendre ce qui est selon lui le vraisens du terme un appliqueacute au Bien celui drsquouniciteacute Lrsquoeacutecho lexical pourrait ren-

selon chacun de ses deux laquo aspects raquo comme correspondant agrave lrsquolaquo Un-plusieurs raquo et agrave lrsquolaquo Un-et-plusieurs raquo de la deuxiegraveme et de la troisiegravemehypothegraveses entrevue par certains Anciens comme le fait J Turnerrelegraveve selon nous drsquoune lecture plotinienne qui ne correspond pas agravelrsquoenseignement du Περὶ τἀγαθοῦ112 Cela une fois encore nrsquoem-pecircche pas que Numeacutenius ait pu inspirer Plotin dans sa propre lecturedu Parmeacutenide

3 Le Περὶ τἀγαθοῦ et la premiegravere partie du Parmeacutenide

Dans le Περὶ τἀγαθοῦ Numeacutenius nrsquoa ainsi selon nous pas conccedilusa reacuteflexion sur les principes agrave partir drsquoun commentaire du Parmeacutenideni nrsquoa mecircme tenteacute de la faire correspondre aux hypothegraveses de laseconde partie de ce dialogue apregraves lrsquoavoir eacutelaboreacutee En revanche ilsrsquoest assureacutement inteacuteresseacute agrave la premiegravere partie ou du moins aux diffi-culteacutes dans lesquelles elle place la theacuteorie des formes113 Qursquoil ait ounon en tecircte ce dialogue le sien en tout cas cherche assureacutement agraverendre possible la participation et donc agrave sauver la theacuteorie des formespar-delagrave les objections que lui adresse Parmeacutenide Ce sujet nous inteacute-ressant moins directement ici nous ferons bref

Agrave la question de savoir srsquoil y a des formes de tout (130 b-e) Numeacute-nius reacutepond assureacutement qursquoil y en a de tout ce qui a part au Bien114 agrave

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 139

voyer agrave cette illusion relative agrave la saisie de ce qursquoest laquo ecirctre un raquo Lrsquoexpressionnrsquoeacutetant pas absente par ailleurs chez Platon (voir le commentaire au fragment19 27 F) il nrsquoest cependant pas neacutecessaire de penser que Numeacutenius ait ce pas-sage du Parmeacutenide en tecircte il est simplement tentant drsquoy songer dans uncontexte de reacuteflexion sur lrsquoUn

112 Contra JD Turner laquo The Platonizing Sethian Treatises raquo art citp 138-139

113 On remarquera qursquoAlcinoos (Did IX p 163 H 23-31 L W) fait demecircme en reacutepondant agrave la question de ce dont il y a des formes et en concevantcelles-ci comme des penseacutees du premier dieu

114 Fr 13 et 19 (21 et 27 F)

la question du rapport entre forme et participeacute il envisage positive-ment les deux solutions proposeacutees par Socrate a) les formes sont pourlui des penseacutees (cf Parm 132 b-c) elles sont celles du seconddieu115 et elles pensent (cf Parm 132 c) puisque telle est la maniegraverede participer au Bien116 b) les formes sont par ailleurs des paradigmes(cf Parm 132 d) comme le montre lrsquoexemple embleacutematique du rap-port entre le Bon qursquoest le deacutemiurge et le Bien envisageacute commeforme117 Quant agrave lrsquoargument du troisiegraveme homme en placcedilant le Bienau sommet de lrsquointelligible Numeacutenius estime peut-ecirctre y avoir ultime-ment reacutepondu Lrsquoobjection de la seacuteparation (133 a 8-134 c 7) enfinavec le double risque qursquoelle comporte de lrsquoinconnaissabiliteacute desformes (134 a-b) et du deacutefaut de connaissance de notre monde par ledieu qui ne pourrait alors pas agir agrave notre eacutegard (134 e) aura particu-liegraverement retenu son attention tout le dialogue Sur le Bien tend eneffet agrave montrer la continuiteacute agrave la fois ontologique et eacutepisteacutemique desdiffeacuterents niveaux de la reacutealiteacute ndash le sensible lui-mecircme en tant que prisen charge par le deacutemiurge qui lrsquoeacutelegraveve agrave son propre caractegravere (autrementdit agrave sa bonteacute et agrave ce qui en deacutecoule)118 relegraveve en effet de la μετ-ουσία autrement dit de ce qui vient certes laquo apregraves lrsquoοὐσία raquo mais y amalgreacute tout essentiellement part119 Le Περὶ τἀγαθοῦ conduit en toutcas drsquoune part agrave la connaissance de la forme premiegravere tandis que celle-ci srsquoavegravere la connaissance ultime qui se transmet ensuite120 il montredrsquoautre part la relation permanente du premier agrave notre monde non seu-lement par lrsquointermeacutediaire du second dieu qui assure directement lrsquoac-tion providentielle mais par le salut ou la conservation (σωτηρία)

140 Fabienne JOURDAN

115 Fr 16 (24 F) Nous reacutesumons voir notre interpreacutetation du fragment116 Fr 19 (27 F) Lagrave aussi nous reacutesumons notre interpreacutetation laquo Pense raquo en

reacutealiteacute tout ce qui a part au Bien En outre lrsquoidentification de lrsquointellect agrave uneforme au fragment 20 (28 F) suggegravere cette interpreacutetation

117 Fr 16 19 et 20 (24 27-28 F)118 Fr 11 (19 F) cf fr 18 (26 F)119 Voir lrsquoutilisation fort suggestive de ce terme pour deacutesigner la participa-

tion agrave la fin du fragment 16 (24 F)120 Fr 13-14 (21-22 F)

qursquoil dispense lui-mecircme reacuteellement121 en tant que Bien et qursquoEcirctre quiassure ultimement la coheacutesion du monde

Nous ne preacutetendons pas que Numeacutenius reprenne point par point lesobjections de Parmeacutenide agrave Socrate contre la theacuteorie des formes Maisqursquoil les ait consideacutereacutees directement dans le dialogue de Platon ou qursquoilles ait connues par la tradition il les a prises au seacuterieux et a senti luiaussi la neacutecessiteacute drsquoy reacutepondre pour sauver Platon agrave la maniegravere dont illrsquoentendait

4 Conclusion sur Numeacutenius et le Parmeacutenide

Rien donc dans lrsquoœuvre parvenue ne permet de conclure agrave uneinterpreacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide par Numeacutenius nonseulement les textes ne contiennent pas de reacuteels parallegraveles avec le dia-logue de Platon mais ils suggegraverent que Numeacutenius ne srsquoest fondeacute suraucune des deux premiegraveres hypothegraveses pour deacuteterminer les traits de sonpremier principe ni mecircme sur la deuxiegraveme (voire la troisiegraveme) pourdeacutefinir le second Il est mecircme peu vraisemblable qursquoil ait tenteacute reacutetros-pectivement de les leur faire correspondre Il srsquoest en revanche assureacute-ment inquieacuteteacute des objections dresseacutees contre la theacuteorie des formes dansla premiegravere partie du dialogue et aura tenteacute drsquoy reacutepondre en assurant lavaliditeacute de la participation selon les diffeacuterentes modaliteacutes envisageacutees lagravepar Socrate ndash en cela il srsquoinscrit vraisemblablement dans la traditionplatonicienne122 dont il heacuterite peut-ecirctre plus de la probleacutematique qursquoilne la cherche directement dans le texte de Platon Concernant laseconde partie du dialogue il a pu percevoir dans lrsquoexposeacute de la pre-

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 141

121 Fr 15 (23 F)122 Voir les remarques de la note 100 sur Alcinoos Mecircme si Alcinoos est

peut-ecirctre posteacuterieur agrave Numeacutenius de toute eacutevidence les platoniciens ont tenteacutede montrer la justesse de la theacuteorie des formes et de la participation contre lescritiques drsquoAristote ainsi assureacutement que contre celles deacutejagrave eacuteleveacutees dans leParmeacutenide et vraisemblablement inspireacutees (entre autres) par les discussions ausein de lrsquoAcadeacutemie

miegravere hypothegravese une raison suffisante pour ne pas identifier son premierprincipe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit prenant ainsi Platon agrave la lettre agrave propos ducaractegravere aporeacutetique de lrsquoUn tel qursquoil eacutetait lagrave envisageacute

Si elle eacutetait aveacutereacutee cette attitude aurait une double conseacutequencepour la compreacutehension de lrsquohistoire du platonisme

Elle pourrait drsquoabord reacuteveacuteler une intention poleacutemique agrave plusieursniveaux Elle est en effet concevable comme une reacuteaction agrave lrsquoeacuteven-tuelle association neacuteo-pythagoricienne du premier principe associeacute agravelrsquoUn ou agrave la monade avec lrsquoUn absolu de la premiegravere hypothegravese duParmeacutenide Mecircme si selon nous lrsquoidentification du premier principe agravelrsquoUn chez Speusippe et les neacuteo-pythagoriciens123 relegraveve avant tout dela tradition acadeacutemicienne pythagorisante relative agrave lrsquoUn et agrave la Dyadeainsi que du compte-rendu aristoteacutelicien de lrsquoenseignement oral de Pla-ton sur les principes124 il nrsquoy a pas en soi de raison drsquoexclure une pos-sible invocation pour confirmation de lrsquoUn du Parmeacutenide (agrave condi-tion de ne pas leur precircter une interpreacutetation neacuteoplatonicienne) Parsuite une poleacutemique avec lrsquoAncienne Acadeacutemie est eacutegalement envisa-geable Non seulement dans sa deacutefense de la theacuteorie des formes125Numeacutenius pourrait tenter de reacutepliquer agrave la suppression de celles-ciopeacutereacutee par Speusippe mais aussi srsquoopposer agrave la conception du premierprincipe precircteacutee agrave lrsquoAncien Acadeacutemicien Que lrsquoon croie Aristote selonlequel lrsquoUn de Speusippe ne serait laquo pas mecircme un ecirctre raquo126 ou plutocirct

142 Fabienne JOURDAN

123 Voir la note 75124 Voir aussi Meacutet N 4 1091 b 13-15 EE A 8 1218 a 15-32 ougrave le Bien est

associeacute agrave lrsquoUn125 Selon lui la connaissance drsquoun objet quelconque consistait dans celle

de ses relations agrave tous les autres (fr 73 Taraacuten = 2 I P2 = Proclus In Euclp 179 12-22 Friedlein) et crsquoest aux nombres qursquoil aurait alors accordeacute le statutde principe (voir le reacutesumeacute de A Meacutetry Speusippos Zahl Erkenntnis SeinBernStuttgartWien Paul Haupt 2002 p 11-13 et celui de HD Kraumlmerlaquo Die Aumlltere Akademie raquo dans H Flashar (eacuted) Grundriss der Geschichte derPhilosophie Band 3 Aumlltere Akademie Aristoteles Peripatos Basel SchwabeVerlag 20042 [1983] p 16-17)

126 μηδὲ ὄν τι εἶναι τὸ ἕν αὐτό Meacutet N 5 1092 a 16 (fr 43 Taraacuten = 25 IP2 = Aristote Meacutet N 5 1092 a 11-17)

Jamblique selon qui il ne serait laquo pas encore ecirctre raquo127 une distinctionentre lrsquoUn conccedilu comme premier principe et lrsquoecirctre semble agrave lrsquoœuvrechez lui128 si bien que certains ont mecircme penseacute que Platon lui reacutepon-dait dans le Parmeacutenide129 Il nrsquoest pas utile drsquoentrer dans ce deacutebat laposition de Speusippe peut relever drsquoune reacuteflexion sur le Bien deReacutepublique VI et drsquoune appropriation de lrsquoenseignement oral de Platonagrave nous transmis par le compte-rendu aristoteacutelicien qui laisse Platonassocier eacutetroitement le Bien et lrsquoUn Disons simplement que srsquoil a euconnaissance de la position de Speusippe Numeacutenius peut avoir voulului reacutepondre Nrsquooublions pas qursquoagrave lui comme agrave ses pairs dans lrsquoAn-cienne Acadeacutemie il reproche de ne pas avoir pas laquo tout souffert raquo pour

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 143

127 ὅπερ δὴ ουδὲ ὄν πω δεῖ καλεῖν DCMS IV p 157-8 FestaKlein128 La reconstruction de lrsquoenseignement exact de Speusippe sur le premier

principe est neacutecessairement fragile drsquoune part elle est fondeacutee sur lrsquointerpreacuteta-tion du texte drsquoAristote qui est empreint de critique drsquoautre part elle esteacutetayeacutee par deux autres textes dont le lien agrave Speusippe est controverseacute et dontles auteurs agrave la fois sont familiers du neacuteo-pythagorisme et ont lu Plotin chezqui lrsquoUn est effectivement au-dessus de lrsquoecirctre (il srsquoagit de Jamblique et de Pro-clus dans la traduction de Guillaume de Moerbeke In Parm VII 401-9 Kli-bansky-Labowsky = 50162-71 Steel = fr 48 Taraacuten = 30 IP2) Nous ne propo-sons ici qursquoune hypothegravese de reacuteflexion Pour un exposeacute plus deacutetailleacute sur la rela-tion eacuteventuelle de Numeacutenius agrave Speusippe dans lrsquoeacutelaboration drsquoune leacutegitimiteacuteplatonicienne voir la premiegravere annexe de notre eacutedition commenteacutee des frag-ments de Numeacutenius en preacuteparation

129 Crsquoest la lecture de A Graeser (laquo Platon gegen Speusipp Bemerkun-gen zur ersten Hypothese des Platonischen Parmenides raquo Museum Helveti-cum 54 1997 p 45-47 et laquo Anhang Probleme der Speusipp-Interpreta-tion raquo dans Prolegomena zu einer Interpretation des zweiten Teils des Plato-nischen Parmenides Bern Paul Haupt 1999 p 41-53) et J Halfwassen(Der Aufstieg zum Einen op cit et laquo Speusipp und die metaphysische Deu-tung von Platons Parmenides raquo art cit) adopteacutee par ex par R Dancy(laquo Speusippus raquo dans EN Zalta (eacuted) The Stanford Encyclopedia of Philo-sophy Winter 2012 Edition 20112 [2003] en ligne) et rejeteacutee par C Steel(laquo A Neoplatonic Speusippus raquo art cit p 470 473-475) et LP Gerson(laquo The lsquoNeoplatonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit p 2-11de la version eacutelectronique)

rester dans une communauteacute de penseacutee avec leur maicirctre130 Commenous lrsquoavons suggeacutereacute dans les preacuteliminaires il ne serait alors pasimpossible qursquoavec cette eacuteventuelle lecture du Parmeacutenide Numeacuteniuseucirct souhaiteacute reacutepliquer agrave lrsquointerpreacutetation aristoteacutelicienne signaleacutee delrsquoenseignement oral de Platon trouvant quant agrave lui dans le Platon eacutecritla juste interpreacutetation du Platon oral mal laquo entendu raquo Pareille supposi-tion doit toutefois ecirctre prise avec prudence

Par-delagrave la mise en eacutevidence drsquoune poleacutemique agrave plusieurs niveauxlrsquohypothegravese proposeacutee sur lrsquoattitude de Numeacutenius concernant ladeuxiegraveme partie du Parmeacutenide permet de mieux deacuteterminer a contra-rio ce qui caracteacuterise une interpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo 131 du dia-logue De maniegravere geacuteneacuterale drsquoabord la position de Numeacutenius montrepar contraste que lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne trouve son originedans une vue contraire agrave la sienne sur le statut de la forme du Bien et sasituation agrave lrsquoeacutegard de lrsquoοὐσία en Reacutepublique VI ainsi peut-ecirctre que

144 Fabienne JOURDAN

130 Fr 2416-18 1 F = Eusegravebe PE XIV 5 2131 Nous en restons aux caractegraveres geacuteneacuteraux il nrsquoy a en effet pas une seule

et unique interpreacutetation post-plotinienne du Parmeacutenide On remarquera enoutre que Jamblique (drsquoapregraves Proclus In Tim III 1049-16 Diehl) semble eacutevo-quer chez Ameacutelius et Numeacutenius (si lrsquoon suit le raisonnement de Proclus) desdistinctions relatives aux diviniteacutes dans le Sophiste le Philegravebe et le Parmeacutenidequi ne correspondent pas agrave celles retenues dans le neacuteoplatonisme Si ce proposne se rapporte pas seulement agrave Ameacutelius mais vraiment aussi agrave Numeacutenius ilfaudrait en tirer lagrave encore la conclusion que son interpreacutetation ne correspondpas agrave celle du neacuteoplatonisme qui identifie son premier principe agrave lrsquoUn de lapremiegravere hypothegravese du Parmeacutenide et donc pas non plus agrave celle des neacuteopytha-goriciens que lrsquoon reconstruit agrave partir des teacutemoignages neacuteoplatoniciens Celadit mecircme srsquoil est tentant de penser que le οὗτοι (10411) de Proclus renvoieaux deux exeacutegegravetes qursquoil vient de citer il se peut malgreacute tout que ne soit deacutesigneacutelagrave que le seul Ameacutelius disciple de Plotin et donc assureacutement familier de lrsquoexeacute-gegravese du Parmeacutenide Il nrsquoy a en revanche aucune difficulteacute agrave precircter agrave Numeacuteniusdes exeacutegegraveses partielles du Sophiste et du Philegravebe (voir nos interpreacutetations desfragments 15 23 F) et 19 27 F) Il nrsquoy en a drsquoailleurs pas davantage agrave imagi-ner chez lui une utilisation partielle du Parmeacutenide ou des allusions agrave ce dia-logue voire une prise agrave la lettre du propos de Parmeacutenide sur lrsquoUn de la pre-miegravere hypothegravese conduisant agrave renoncer agrave celui-ci comme premier principe

dans une appropriation du compte-rendu de lrsquoenseignement oral dePlaton par Aristote En affirmant lrsquoidentiteacute ontologique du Bien et delrsquoEcirctre Numeacutenius srsquointerdit lrsquoidentification de son premier principe agravelrsquoUn distinct de lrsquoecirctre de la premiegravere hypothegravese du Parmeacutenide En refu-sant au contraire pareille identiteacute en srsquoappuyant peut-ecirctre sur lrsquoidenti-fication du Bien et de lrsquoUn precircteacutee agrave Platon et aux platoniciens par Aris-tote et en appliquant ces deux eacuteleacutements agrave une lecture du Parmeacutenide132Plotin ouvre la voie de lrsquointerpreacutetation meacutetaphysique et theacuteologiqueulteacuterieure du dialogue Malgreacute son caractegravere hypotheacutetique la supposi-tion selon laquelle Numeacutenius prendrait effectivement acte des conseacute-quences aporeacutetiques de la premiegravere hypothegravese en nrsquoidentifiant pas sonpremier principe agrave lrsquoUn qursquoelle deacutecrit permet ici encore a contrariode deacuteterminer deux autres eacuteleacutements indissociables caracteacuteristiques delrsquointerpreacutetation laquo neacuteoplatonicienne raquo du Parmeacutenide lrsquoidentification dupremier principe agrave lrsquoUn de la premiegravere hypothegravese et par suite une lec-ture laquo positive raquo de celle-ci qui en reacutealiteacute contredit les conclusionsneacutegatives de Platon agrave son sujet Une theacuteologie neacutegative en est alorscertes tireacutee (que lrsquoon songe au Commentaire anonyme au Parmeacutenideou agrave celui de Proclus133) Mais cette neacutegativiteacute est conccedilue commereacutesultant de lrsquoincapaciteacute fondamentale de lrsquohomme agrave concevoir le pre-mier principe autrement que par analogies et approximations neacutecessai-rement erroneacutees Elle ne concerne pas le principe en lui-mecircme ni laconviction qursquoil constitue le fondement ultime assurant la coheacutesion dela reacutealiteacute Numeacutenius aura quant agrave lui preacutefeacutereacute rester fidegravele agrave la lettre dutexte et donc aux doutes du maicirctre qui laisse parler Parmeacutenide Agrave ce

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 145

132 Les deux premiers eacuteleacutements agrave eux seuls conduisent seulement agrave laposition de Speusippe dont rien ne permet drsquoaffirmer le rattachement au Par-meacutenide Nous compleacutetons en cela les hypothegraveses de J Whittaker laquo ΕΠΕ-ΚΕΙΝΑ ΝΟΥ ΚΑΙ ΟΥΣΙΑΣ raquo art cit Voir aussi LP Gerson laquo The lsquoNeo-platonicrsquo Interpretation of Platorsquos Parmenides raquo art cit

133 In Parm VII 51872-84 Plutocirct que de radicaliser la neacutegation pour par-ler de lrsquoUn Proclus indique que la neacutegation porte en reacutealiteacute sur la conceptionde lrsquoUn et pas sur lrsquoUn lui-mecircme qui garde la fonction laquo positive raquo drsquoassurer lacoheacutesion du reacuteel

stade de nos connaissances et drsquoapregraves lrsquoœuvre parvenue precircter agraveNumeacutenius cette reacuteaction aux conclusions de la premiegravere hypothegravesenous paraicirct la seule maniegravere prudente drsquoenvisager de sa part une inter-preacutetation de la seconde partie du Parmeacutenide Renoncer agrave lui en precircterune ne poserait toutefois aucune difficulteacute

5 Appendice Numeacutenius et Parmeacutenide134

Cette conclusion sobre sur la relation de Numeacutenius au Parmeacutenidesuggegravere drsquointerroger pour finir son attitude agrave lrsquoeacutegard du Parmeacutenide his-torique lui-mecircme auquel Plotin fait parfois appel Que Numeacutenius aitconnu et utiliseacute (directement ou non) le poegraveme Sur la nature est aveacutereacutepar le teacutemoignage de Porphyre selon lequel il aurait associeacute les porteseacutevoqueacutees lagrave135 agrave celles du Cancer et du Capricorne repreacutesentant selonlui les voies respectivement descendante et ascendante des acircmes136Or dans le Περὶ τἀγαθοῦ qui seul nous inteacuteresse ici deux eacuteleacutementsdoctrinaux pourraient relever drsquoune appropriation personnelle de Par-meacutenide ou plutocirct de la tradition agrave son sujet telle qursquoelle serait parvenueagrave Numeacutenius ndash Platon ayant assureacutement aiguiseacute chez ses successeurslrsquointeacuterecirct pour la penseacutee du personnage eacuteponyme de son dialogue Sansentrer dans une recherche des sources ni dans un exposeacute deacutetailleacute de lapenseacutee de Parmeacutenide et des interpreacutetations de son poegraveme nous nouscontenterons ici drsquoeacutevoquer ces deux points dans le simple but drsquoouvrirla recherche

Le premier concerne la relation de lrsquoecirctre au temps et au change-ment telle qursquoelle est deacutecrite dans le fragment 5 (14 F) deacutejagrave citeacute en par-tie Lrsquoaffirmation que lrsquoecirctre ne saurait ecirctre dans le passeacute ou lrsquoavenir

146 Fabienne JOURDAN

134 Je remercie Francesco Fronterotta drsquoavoir relu cette derniegravere section135 Parmeacutenide fr 1 11 D-K ougrave sont deacutecrites les laquo portes ouvrant sur les

chemins de la nuit et du jour raquo136 Voir Porphyre De antro 21-24 ici surtout 24 Numeacutenius fr 31 27-28

Sur ce texte voir le commentaire de W Huumlbner dans lrsquointroduction de lrsquoeacuteditioncommenteacutee du De Antro parue sous la direction de T Dorandi Paris Vrin2019

mais que seul le preacutesent lui convient et qursquoil ne pourrait pas davantagechanger renvoie assureacutement au propos du Timeacutee (37 d 2-38 b 2)137Que Platon deacuteveloppe ici une reacuteflexion originellement preacutesente chezParmeacutenide et plus preacuteciseacutement pour nous dans le fragment 8 de sonpoegraveme138 pourrait suffire agrave expliquer cet eacutecho parmeacutenidien chezNumeacutenius Mais il est frappant que dans ce fragment 5 (14 F) duΠερὶ τἀγαθοῦ relayeacute par les suivants Numeacutenius reprenne une seacuteriedrsquoeacuteleacutements qui deacutecrivent lrsquoecirctre dans le passage concerneacute du poegraveme outre ceux deacutejagrave nommeacutes on retrouve chez lui lrsquoimpossibiliteacute qursquoalrsquoecirctre de devenir plus grand ou plus petit139 et la neacutecessiteacute qui estsienne de demeurer en lui-mecircme au mecircme endroit140 Ainsi lorsqueNumeacutenius estime que si ces laquo prescriptions raquo indispensables agrave ladeacutetermination de lrsquoecirctre veacuteritable nrsquoeacutetaient pas respecteacutees il se produi-rait une laquo impossibiliteacute majeure dans son discours unique en songenre agrave savoir que lrsquoecirctre agrave la fois serait et ne serait pas raquo141 et faitensuite paraphraser lrsquoideacutee par le disciple du dialogue avec la formule

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 147

137 Voir aussi Plutarque De E 20 393 a-c dont la position est compareacuteeavec celle de Numeacutenius dans notre analyse du fragment

138 Voir les vers suivants du fragment 8 D-K agrave lrsquoorigine de toute lareacuteflexion sur lrsquoeacuteterniteacute (cf M Burnyeat laquo Platonism in the Bible raquo art citp 157) οὐδέ ποτ᾽ ἦν ἔσται ἐπεὶ νῦν ἐστιν ὁμοῦ πᾶν ἕν συνεχές τίναγὰρ γένναν διζήσεαι αὐτοῦ laquo Il nrsquoa jamais eacuteteacute et ne sera jamais puisqursquoilest maintenant tout ensemble un continu Car quelle naissance pourrais-tului chercher raquo v 5-7 (trad Kirk Raven Schofield en fr par H-A de Weck)et πῶς δ᾽ἄν ἔπειτα πέλοι τὸ ἐόν πῶς δ᾽ἄν κε γένοιτο εἰ γὰρ ἔγεντ᾽ οὐκἔστ᾽ οὐδ᾽ εἴ ποτε μέλλει ἔσεσθαι τῶς γένεσις μὲν ἀπέσβεσται καὶἄπυστος ὄλεθρος laquo Comment pourrait-il ecirctre par la suite Celui qui est Comment pourrait-il naicirctre Car srsquoil est neacute il nrsquoest pas de mecircme lt il nrsquoest pasnon plus gt srsquoil doit ecirctre un jour Ainsi est eacuteteinte la naissance eacuteteinte aussi ladestruction disparue sans qursquoon en parle raquo v 19-21 (trad D OrsquoBrien leacutegegravere-ment modifieacutee) Voir aussi les vers 26-28 du mecircme fragment 8 D-K sur lrsquoab-sence de mouvement ainsi que de deacutebut et de fin

139 Parmeacutenide fr 844-45 D-K140 Parmeacutenide fr 829-30 D-K cf Numeacutenius fr 11 (19 F)141 ὡς τούτου γε οὕτως λεγομένου ἓν γίνεταί τι ἐν τῷ λόγῳ μέγα

ἀδύνατον εἶναί τε ὁμοῦ ταὐτὸν καὶ μὴ εἶναι

relativement complexe εἰ δὲ οὕτως ἔχει σχολῇ γrsquo ἂν ἄλλο τι εἶναιδύναιτο τοῦ ὄντος αὐτοῦ μὴ ὄντος κατὰ αὐτὸ τὸ ὄν il nrsquoest pasexclu qursquoil ait ici le poegraveme parmeacutenidien agrave lrsquoesprit auquel il seraitrevenu directement ou non sous lrsquoimpulsion de Platon La phraseindique en effet (nous paraphrasons) que si pareille impossibiliteacute seproduisait il serait mecircme impossible agrave autre chose (que lrsquoecirctre) drsquoecirctrepuisque lrsquoecirctre lui-mecircme ne serait pas selon ce qursquoil devrait ecirctre (κατὰαὐτὸ τὸ ὄν) autrement dit selon sa propre essence et deacutefinitionNumeacutenius suggegravere sans doute par lagrave que si lrsquoecirctre eacutetait soumis au pas-sage du temps et au changement il serait tout simplement non-ecirctrepuisqursquoil ne correspondrait pas agrave sa propre deacutefinition ce qui explique-rait son impossibiliteacute de constituer le fondement de la reacutealiteacute Une foisreplaceacute dans le contexte de penseacutee de Numeacutenius ougrave ce qui est non-ecirctreest la matiegravere et la partie du sensible qui relegraveve drsquoelle lrsquoideacutee semblefort proche de la maniegravere dont Parmeacutenide dresse lrsquoantithegravese entre ecirctreet non-ecirctre dans ce mecircme fragment 8 de son poegraveme142 Cette impres-sion peut ecirctre eacutetayeacutee par celle drsquoune prise de distance agrave lrsquoeacutegard de cepassage du poegraveme lorsque Numeacutenius affirme que lrsquoecirctre nrsquoest pasmecircme mucirc autour de son centre143 si cette preacutecision fait sans doutedrsquoabord allusion agrave lrsquoacircme du monde qui se meut autour de celui-ci dansle Timeacutee et par suite au refus drsquoidentifier lrsquoecirctre veacuteritable agrave une acircme144elle porte peut-ecirctre eacutegalement la trace drsquoune reacuteaction agrave lrsquoidentificationparmeacutenidienne de lrsquoecirctre agrave une sphegravere145 Lrsquohypothegravese est cependantplus fragile et Numeacutenius heacuterite sans doute avant tout de Platon enverslequel il se situe Crsquoest agrave partir du Timeacutee qursquoil eacutelabore sa penseacutee Maisil ne semble pas exclu qursquoil soit parfois retourneacute (directement ou non)agrave lrsquooriginal auquel reacutefegravere implicitement Platon ce qui est drsquoautant plus

148 Fabienne JOURDAN

142 Sur le non-ecirctre chez Parmeacutenide voir par ex D OrsquoBrien Le Non-Ecirctredans la philosophie grecque Parmeacutenide Platon Plotin raquo dans P Aubenque(eacuted) Eacutetudes sur le Sophiste de Platon Napoli Bibliopolis 1991 p 4-9

143 οὔτε περὶ τὸ μέσον ποτε ἑαυτοῦ κινηθήσεται144 Il srsquoagit lagrave selon nous drsquoun argument essentiel agrave la non-identification

numeacutenienne du deacutemiurge agrave lrsquoacircme du monde145 Fr 8 42-44 D-K

vraisemblable que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacute comme un pythago-ricien146

Le second eacuteleacutement du Περὶ τἀγαθοῦ qui pourrait suggeacuterer lrsquoap-propriation drsquoun passage de Parmeacutenide147 est lrsquoidentification de lrsquoecirctreet de lrsquointellect agrave chacun des deux niveaux ougrave Numeacutenius les situe Ecirctre lui-mecircme (αὐτοόν) et ecirctre deacuteriveacute (ὄν) premier et second intel-lects correspondant au premier et au deuxiegraveme dieu Sans entrer dansle deacutetail de lrsquointerpreacutetation disons simplement que selon nous en fai-sant de lrsquolaquo acte raquo de penser148 lrsquoapanage du premier dieu et en identi-fiant ce mecircme dieu agrave lrsquoEcirctre149 Numeacutenius suggegravere une union intime etprofonde entre ecirctre et penser qursquoil aurait pu consideacuterer comme remon-tant agrave Parmeacutenide lui-mecircme ou qursquoil aurait pu eacutetayer par une appropria-tion du fragment 3 de son poegraveme tel qursquoil est transmis par CleacutementdrsquoAlexandrie et Plotin150 [] τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶεἶναι [] Certes dans ce fragment de vers lrsquoidentification entre ecirctreet penser est suggeacutereacutee par lrsquoextraction du texte hors de son contexte envue justement drsquoy trouver pareille identification Elle ne correspond

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 149

146 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres IX 21(A 1 D-K) Proclus In Parm I 6194 Cousin cf Jamblique VP 166 (A 4D-K)

147 Pour reprendre les termes du fragment 1 (10 F) on pourrait aussi parlerde lrsquolaquo invocation raquo de Parmeacutenide comme source pythagorisante en accord avecPlaton et confirmant la doctrine du Περὶ τἀγαθοῦ elle-mecircme eacutetayeacutee par leslaquo teacutemoignages raquo de celui-ci Numeacutenius semble en effet pouvoir citer Parmeacute-nide pour confirmer son propos agrave la fois parce qursquoil ne pouvait que paraicirctre enaccord avec Platon (cf fr 1 10 F) et parce que Parmeacutenide eacutetait consideacutereacutecomme pythagoricien

148 Degraves le fragment 15 (23 F) de maniegravere implicite dans le fragment 16 (24F) et explicite au fragment 19 (27 F)

149 Fr 17 (25 F)150 Cleacutement Strom VI 2 233 Plotin Enn VI 1 [10] 817 V 9 [5] 29-

30 cf I 4 [46] 106 III 8 [30] 88 VI 7 [38] 4118 (voir D OrsquoBrien Eacutetudessur Parmeacutenide T I Le Poegraveme de Parmeacutenide Paris Vrin 1987 p 19) ndash Onpourrait drsquoailleurs aussi penser aux vers 34-36 du fragment 8 eacutevoqueacute dans leparagraphe preacuteceacutedent

sans doute pas au sens originel du passage151 De plus chez Numeacuteniusle type de penseacutee speacutecifique agrave lrsquoEcirctre lui-mecircme nrsquoest pas le νοεῖν maisle φρονεῖν Mais drsquoune part νοεῖν nrsquoayant pas chez Parmeacutenide lesens preacutecis que lui donne ensuite la tradition platonicienne une margerelative drsquointerpreacutetation et de preacutecision eacutetait laisseacutee agrave lrsquointerpregraveteappartenant agrave cette tradition152 drsquoautre part on peut tregraves bien imaginerNumeacutenius extraire ce passage dont la juxtaposition des termes luiaurait paru opportune pour eacutetayer son propos et preacuteciser le sens de laformule ainsi obtenue en distinguant deux niveaux de lrsquoecirctre auxquelscorrespondent deux types distincts de penseacutee (le νοεῖν entendu ausens platonicien drsquointellection revenant au seul second dieu)153Lorsque Cleacutement et apregraves lui Plotin reprennent cette formule il neserait pas impossible qursquoils lrsquoempruntent ainsi extraite agrave Numeacutenius

150 Fabienne JOURDAN

151 Denis OrsquoBrien (ibid p 19 209-212) a montreacute qursquoen reacutealiteacute dans lepoegraveme les deux infinitifs ne doivent vraisemblablement pas ecirctre pris commesujet drsquoun ἐστίν agrave valeur copulative mais peut-ecirctre comme compleacutement dupronom (τὸ αὐτό) ou de lrsquouniteacute syntaxique constitueacutee par le pronom et leverbe (au sens de laquo crsquoest une seule et mecircme chose pour penser et pour ecirctre raquodrsquoougrave la traduction par laquo crsquoest une seule et mecircme chose que lrsquoon pense et quiest raquo) F Fronterotta reprend son analyse et conclut que pour Parmeacutenideνοεῖν deacutesigne une forme de perception immeacutediate non sans lien avec lrsquoactiviteacutesensorielle mais allant au-delagrave des sens et de leur uniteacute creacuteative (laquo Someremarks on noein in Parmenides raquo dans S Stern-Gillet K Korrigan (eacuted)Reading ancient texts Vol I Presocratics and Plato Leiden Brill 2007p 3-19) Il ne srsquoagit donc pas (encore) de la perception intuitive que deacutesignerace verbe ulteacuterieurement

152 Voir la note preacuteceacutedente153 Nous pourrions preacuteciser ainsi lrsquointention de Numeacutenius srsquoil songe effec-

tivement agrave cette formule Selon nous il partage la conviction platonicienne quiveut que pour ecirctre pensable il faut ecirctre reacuteellement (et donc ecirctre intelligible crsquoest la leccedilon du Timeacutee) Srsquoil confrontait cette conviction au vers de Parmeacute-nide il lui donnerait donc drsquoabord lrsquointerpreacutetation laquo objective raquo deacuteceleacutee parFr Fronterotta (laquo Some remarks on noein in Parmenides raquo art cit) Toutefoisdans sa deacutefinition de lrsquoecirctre bientocirct identifieacute au Bien il retourne de toute eacutevi-dence cette conception et considegravere que nrsquoest veacuteritablement que ce qui est pen-sable (et donc lagrave encore intelligible par ex fr 4 a 13 F sur la matiegravere qui

Plotin lrsquoutilise certes pour caracteacuteriser le seul et unique Intellect chezlui situeacute au seul second niveau de la reacutealiteacute Mais cela correspondrait agravesa tendance geacuteneacuterale agrave faire passer au second niveau ce qui correspondau premier chez Numeacutenius154

De Numeacutenius il heacuterite donc peut ecirctre drsquoune lecture de Parmeacutenideplutocirct que du Parmeacutenide

Fabienne JOURDANCNRS UMR 8167 laquo Orient et Meacutediterraneacutee raquo Paris-Sorbonne

jourdanfabiennewanadoofr

NUMEacuteNIUS A-T-IL COMMENTEacute LE PARMEacuteNIDE 151

nrsquoest pas ecirctre et ougrave une preuve de cet eacutetat est son caractegravere inconnaissable)Appliqueacutee agrave la formule de Parmeacutenide cette conviction en produirait ce queFr Fronterotta appelle une lecture laquo subjective raquo En outre dans le deacutesir sansdoute drsquoexpliquer la participation de maniegravere concregravete il ne donne pas seule-ment lrsquointelligibiliteacute comme condition de lrsquoecirctre (au sens passif du terme) maisil considegravere le fait de penser comme condition du fait drsquoecirctre reacuteellement (ausens laquo actif raquo du terme) Crsquoest pourquoi srsquoil avait connu et utiliseacute la formule deParmeacutenide ne serait-ce que pour eacutetayer son propos il y aurait sans douteentendu lrsquoaffirmation de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre et de la penseacutee mieux du penserCela pourrait certes paraicirctre lui attribuer une forme drsquoideacutealisme heacutegeacutelien(selon les termes de Fr Fronterrota laquo Some remarks on noein in Parmenides raquoart cit p 6) Mais telle est aussi la lecture de Cleacutement drsquoAlexandrie (StromVI 2 233) Or mecircme srsquoil ne le cite explicitement qursquoune fois (Strom I 22150 1-4 = 29 Fd) Cleacutement connaicirct Numeacutenius et se sert parfois de ses eacutecritssans le nommer (voir par ex Strom I 8 405 Strom I 13 571) Il nrsquoest doncpas impossible que pareille interpreacutetation circulacirct deacutejagrave au temps de Numeacuteniusvoire chez lui et mecircme gracircce agrave lui Le raisonnement du Περὶ τἀγαθοῦ dumoins passe par lrsquoidentification de lrsquoecirctre agrave lrsquo laquo activiteacute raquo de penser ensuiteconccedilue aux niveaux infeacuterieurs comme condition mecircme de leur participation agravelrsquoecirctre (voir le fr 19 27 F)

154 Nous simplifions et deacutecrivons simplement une tendance le processuspreacutecis requerrait une explication deacutetailleacutee qui nrsquoa pas sa place ici

152 Fabienne JOURDAN

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