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Martin Heidegger Essais . et conférences fI!l gollimard

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Martin Heidegger

Essais et confeacuterences

fIl gollimard

MOIRA

(PARMEacuteNIDE VIII 34-41)

Le rapport de la penseacutee et de lecirctre met en moushyvement toute la reacuteflexion de lOccident Il demeure la pierre de touche inalteacuterable qui montre dans quelle mesure et de quelle maniegravere sont accordeacutes faveur et pouvoir darriver agrave proximiteacute de ce qui sadressant agrave lhomme historique se dit agrave lui comme eacutetant ce quil faut penser Cest agrave ce rapport que Parmeacutenide donne un nom dans sa sentence (fragshyment III)

to yap tXocirc-ro voev Egravecr-r(v tE XIXt dWlL Car la mecircme chose sont penseacutee et ecirctre

Parmeacutenide explique la sentence agrave un autre endroit dans le fragment VIII 34-41 dont voici le texte

ttXocirc-rov 8EgraveOTL VOELV te x IXL ot)vexev ~OTL v6YJfLlX ougrave yap ampVEJ Ta) egrave6vTOCcedil egravev ifgt 1te~tXTLOfLeacutevov EgraveOTLV ampup~Oe~ccedil TO voe~v ougraveo~v YeXp ~ ~OTW ~ ~OTIX~ rJAgraveAgraveo mxpeccedil tO) Egrave61TOCcedil Egrave1tsL T6 ye Mo~p Egrave1tEacute01)OeuroV oi)AgraverJV ampx~lYJt6v t ~JJevIXL Teacutef) mxvt 01 0 tJ ~OTIXL oOOcx ~poTot xcx-rEacuteOelTO 1te1tot66-reccedil dVtXL cXAgrave1)6~ yLyvecr8xL Te XtXL OAgraveAgraveJ08tXL dltX( TE XtXL ougravext

l ilgt 1 6 ~A)(tXL T01tOV tXlltXcrcreuroLV oLtX Tt xp IX qgttXVOV ~fLeL~tLV

laquoPenser et la penseacutee qu laquoEstraquo est sont une mecircme chose car sans leacutetant ougrave elle reacuteside comme

280 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

chose eacutenonceacutee tu ne saurais trouver la penseacutee Certes il ny a rien ou il ny aura rien hors de leacutetant puisque la Moicircra lui a imposeacute decirctre un tout et immobile Ne sera donc quun nom tout ce que les mortels ont ainsi fixeacute convaincus que ceacutetait vrai laquodevenirraquo aussi bien que laquo peacuterir raquo laquo ecirctreraquo aussi bien que laquo ne pas ecirctre raquo laquo changer de lieuraquo aussi bien que laquo passer dune couleur hrillante agrave une autreraquo (trad W Kranz)

En quoi ces huit vers rendent-ils plus clair le rapport de la penseacutee et de lecirctre Ils semblent plushytocirct lobscurcir vu queux-mecircmes conduisent dans une reacutegion obscure et nous y laissent perplexes Aussi chercherons-nous dabord agrave nous instruire touchant le rapport de la penseacutee et de lecirctre en suivant dans leurs lignes essenticirceJles les interpreacuteshytations donneacutees jusquagrave preacutesent E~les se meuvent toutes dans lune ou lautre des trois perspectives que nous allons mentionner briegravevement sans expo~ ser en deacutetail comment chacune delles peut sapshypuyer sur le texte de Parmeacutenide En premier lieu on deacutecouvre la penseacutee dun point de vue dougrave elle apparaicirct elle aussi comme une chose qui est lagrave agrave cocircteacute de beaucoup dautres de sorte quen ce sens elle laquo est raquo Cette chose qui est ainsi doit donc comme ses semblables ecirctre ajouteacutee au compte des autres choses qui sont et passeacutee avec elles au compte geacuteneacuteral dune sorte de tout qui les embrasse Pareille uniteacute de leacutetant sappelle lecirctre La penshyseacutee en tant que chose qui est est connaturelle agrave toute autre chose qui est elle apparaicirct ainsi comme eacutetant identique agrave lecirctre

Pour faire une pareille observation il est agrave peine besoin de la philosophie Ranger agrave leur place dans lensemble de leacutetant toutes les choses qui soffrent agrave nous cest lagrave une opeacuteration qui pour ainsi dire sc fait delle-mecircme et qui nc concerne pas seulcshy

MOIRA 281

ment la penseacutee Voyager sur mer construire des temples parler dans lassembleacutee du peuple tous les modes de lactiviteacute humaine font partie de leacutetant et sont ainsi identiques agrave lecirctre On se demande avec surprise pourquoi Parmeacutenide jusshytement quant agrave cette activiteacute humaine qui sapshypelle la penseacutee tient agrave constater en bonne et due forme quelle rentre dans le domaine de leacutetant On pourrait mieux encore se demander pourquoi Parmeacutenide ajoute pour ce cas une justification particcediluliegravere agrave savoir par le lieu commun quil ny a pas deacutetant en dehors et agrave cocircteacute de leacutetant dans son ensemble

Mais quj y regarde mieux a cesseacute depuis longshytemps de seacutetonner lagrave ougrave on se repreacutesente encore la doctrine de Parmeacutenide de la faccedilon deacutecrite On est passeacute agrave cocircteacute de sa penseacutee qui doit alors subir middotces tentatives rudes et maladroite~ pour lesquelles sans doute ceacutetait deacutejagrave un effort que de ranger dans le tout de leacutetant tout eacutetant quelles rencontrent la penseacutee entre autres

Aussi notre meacuteditation gagne-t-elle peu de chose agrave jeter un regard sur cette interpreacutetation massive du rapport de lecirctre et de la penseacutee interpreacutetation qui ne se repreacutesente rien si ce nest agrave partir de la masse de leacutetant constatable Elle nous fournit pourtant une occasion inestimable celle de bien marquer speacutecialement et degraves le deacutebut que nulle part Parmeacutenide ne cherche agrave montrer que la penshyseacutee est elle aussi lun des nombreux egraveQJtIX lun des eacutetants middot varieacutes dont chacun tantocirct est et tanshytocirct nest pas et ainsi eacutevoque toujours agrave la fois les deux ideacutees decirctre et de ne pas ecirctre ce qui vient agrave nous et ce qui sen va

En face de cette interpreacutetation immeacutediatement accessible agrave un chacun de la sentence parmeacutenishydienne un autre traitement plus reacutefleacutechi du texte deacutecouvre au moins dans les vers VIII 34 et suiv

283 282 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

des laquo assertions difficilement intelligibles raquo Pour faciliter leur intellection cherchons autour de nous une aide approprieacutee Ougrave la trouver Manifestement dans une faccedilon de comprendre qui ait peacuteneacutetreacute plus profondeacutement dans ce rapport de la penseacutee et de lecirctre que Parmeacutenide essaie de penser Une telle peacuteneacutetration se reacutevegravele en ceci quellc interroge Elle interroge au sujet de la penseacutee cest-agrave-dire de la connaissance du point de vue de son rapport agrave lecirctre cest-agrave-dire agrave la reacutealiteacute Consideacuterer de cette maniegravere le rapport de la penseacutee et de lecirctre est un des soucis majeurs de la philosophie moderne Elle a finalement agrave cet effet eacutelaboreacute une discipline parshyticuliegravere la theacuteorie de la connaissance laquelle aujourdhui encore passe souvent pour laffaire essentielle de la philosophie Cette affaire a seuleshyment reccedilu un nouveau nom et sappelle agrave preacutesent laquo meacutetaphysiqueraquo ou laquoontologie de la connaisshysance raquo Celle de ses formes qui assume aujourdhui un rocircle directeur et dont la porteacutee va le plus loin sest deacuteveloppeacutee sous le nom de laquo logistique raquo En elle la sentence de Parmeacutenide par lefret dune transformation eacutetrange impossible agrave preacutevoir reccediloit une autoriteacute deacutecisive Ainsi la philosophie moderne sait-elle quelle est deacutesormais partout en mesure de son point de vue qui se croit supeacuterieur de donshyner son vrai sens agrave la parole de Parmeacutenide sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre Eu eacutegard agrave la puissance toujollrs intacte de la penseacutee moderne (dont la philosophie de lexistence et lexistentiashylisme sont avec la logistique les rameaux les plus vivaces) il est neacutecessaire de marquer plus claireshyment la perspective deacuteterminante dans laquelle se meut linterpreacutetation moderne de la sentence parshymeacutenidienne

Dans lexpeacuterience que la philosophie moderne a de leacutetant celui-ci apparait comme lobjet Leacutetant se tient en face ce qui nest possible que par la

MOIRA ~

perception et pour elle Comme Leibniz la vu assez clairement le percipere en tant quappetitus avance la main vers leacutetant et le saisit pour lamener agrave eoi dans le concept par une saisie qui traverse et pour rapporter sa preacutesence (repraesentare) au pershycipere La repraesentatio la Vorstellung se deacutetershyniine comme ce qui en percevant rapporte agrave soi (au moi) ce qui apparaicirct

Parmi les piegraveces doctrinales de la philosophie moderne une thegravese sc deacutetache quon ne peut sempecirccher de ressentir comme libeacuteratrice degraves lors quavec s~n aide on essaie deacutelucider la sentence de Parmeacutenide Nous parlons de la thegravese de Berkeshyley qui repose sur la position meacutetaphysique fonshydamentale de Descartes et qui seacutenonce esse = percipi laquo ecirctreraquo eacutegale laquoecirctre-repreacutesenteacute raquo Lecirctre tombe sous la deacutependance de la repreacutesentation au sens de la perception La thegravese de Berkeley creacutee dabord lespace agrave linteacuterieur duquel la sentence de Parmeacutenide devient accessible agrave une interpreacutetation scientifique et philosophique et est ainsi arracheacutee aux brumes dun pressentiment agrave demi poeacutetique ce quest preacutesume-t-on la penseacutee preacutesocratique Esse = percipi ecirctre cest ecirctre repreacutesenteacute Lecirctre est en vertu de la repreacutesentation Lecirctre est eacutegal agrave la penseacutee pour autant que lobjcctiteacute des objets se compose se constitue dans la conscience repreacutesenshytante dans le laquoje pense quelque chose raquo A la lumiegravere de cette assertion touchant le rapport de la penseacutee et de lecirctre la sentence de Parmeacutenide apparaicirct comme une gauche preacutefiguration de la theacuteorie moderne concernant la reacutealiteacute et sa connaisshysance

Sans doute nest-ce pas par hasard que Hegel dans son Cours dhistoire de la philosophie (Œuvr XIII 2e eacuted p 274) cite ct traduit la sentence de Parmeacutenide sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre BOUS la forme quelle a dans le fragment VIII

284 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

laquoLa Penseacutee (Denken) et ce pourquoi la laquo penseacutee (Gedanke) est sont une mecircme chose laquoCar sans leacutetant dans lequel elle seacutenonce laquo (egravev cfgt 7tecpcxtLO-lEacutevov euroOtlV) tu ne trouveras laquo pas la Penseacutee car il ny a rien et il ny aura laquo rien en dehors de leacutetant raquo Telle est la penshyseacutee principale La Penseacutee se produit et ce qui est produit est une penseacutee La Penseacutee est ainsi identique agrave son ecirctre car il ny a rien hors de lecirctre cette grande affirmation raquo

Lecirctre pour Hegel est laffirmation de la penshyseacutee (Denken) qui se pro-duit elle-mecircme Lecirctre est une production de la penseacutee de la perception par laquelle Descartes interpregravete deacutejagrave lidea Par la penshyseacutee lecirctre en tant que le fait pour la repreacutesentashytion decirctre affirmeacutee et poseacutee est transfeacutereacute dans le domaine de l laquoideacuteal raquo Pour Hegel aussi mais dune maniegravere incomparablement plus meacutediteacutee et preacutepareacutee par lœuvre de Kant lecirctre est la mecircme chose que la penseacutee Lecirctre est identique agrave la penshyseacutee agrave savoir agrave ce quelle eacutenonce et affirme Placeacute dans la persvective de la philosophie moderne Hegel peut ainsi eacutemettre le jugement suivant sur la sentence de Parmeacutenide

laquo Leacuteleacutevation dans le royaume de lideacuteal est ici visible ce qui montre que la speacuteculation philosophique 1 proprement dite a commenceacute avec Parmeacutenide sans doute ce commenceshyment est-il encore trouble et indeacutetermineacute et lon ne peut expliquer davantage ce qui sy trouve mais cette explication est preacuteciseacutement le deacuteveloppement de la philosophie elle-mecircme lequel nest pas encore preacutesent ici raquo (loc cit p 274 et sq)

1 Dos Phil3sophieren

MOIRA 285

Pour Hegel la philosophie cst preacutesente lagrave seuleshyment ougrave le savoir absolu qui se pcnse lui-mecircme est la reacutealiteacute elle-mecircme purement et simplement Leacuteleacuteshyvation qui sachegraveve de lecirctre dans la penseacutee de lesprit entendu comme reacutealiteacute absolue a lieu dans la logique speacuteculative et comme telle

Dans la perspective de cet achegravevement de la philosophie moderne la sentence de Parmeacutenide appaaicirct comme le deacutebut de la speacuteculation philoshysophi -Iue proprement dite cest-agrave-ugraveire de la logique au sens de Hegel mais seulement comme son deacutebut A la penseacutee de Parmeacutenide manque encore la forme speacuteculative cest-agrave-dire dialectique que Hegel au contraire trouve chez Heacuteraclite Il dit de ce dershynier laquo Ici la terre est en vue il ny a pas une phrase dHeacuteraclite que je naie reprise dans ma Logiqueraquo (loc cit p 301) La Logique de Hegel nest pas seulement la seule interpreacutetation moderne pertinente de la thegravese de Berkeley elle en est la reacutealisation absolue Il est hors de doute que la thegravese de Berkeley esse = percipi repose sur ce que la sentence de Parmeacutenide a eacutenonceacute pour la premiegravere fois Mais en mecircme temps ces attaches historiques qui relient la thegravese moderne agrave la sentence antique se fondent agrave proprement parler sur une diffeacuterence qui seacutepare ce qui est dit et penseacute ici et lagrave diffeacuteshyrence telle quon pourrait agrave peine lestimer plus

middotmiddottrancheacutee La diffeacuterence va si loin que de son fait la posshy

sibiIiteacutede connaicirctre ce quelle seacutepare est eacuteteinte abolie 1 Inugraveiquer cette diffeacuterence cest laisser

entendre que notre interpreacutetation de la sentence de Parmeacutenide procegraveugravee dun mougravee de penseacutee tout autre que celui de Hegel La thegravese esse = percipi offre-t-elle linterpreacutetation correcte de la sentence -ro (eXp rxugrave-ro Oamp~EgraveO1(v 1amp xcxt dVcxL Les deux

1 Verschiedcnlaquo deacuteceacutedeacute raquo qui fait eacutecho agrave Vcrschiedcnhcit laquo difshyfeacuterence raquo

286 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

eacutenonceacutes agrave supposer que nous puissions les deacutesigner ainsi disent-ils que penser et ecirctre sont identiques Et mecircme sils le disent le disent-ils dans le mecircme sens Un regard attentif aperccediloit immeacutediatement entre les deux eacutenonceacutes une diffeacuterence que lon serait tenteacute deacutecarter comme apparemment superficielle Dans les deux formes quil lui a donneacutees (fragshyment III et VIII 34) Parmeacutenide construit sa senshytence de telle faccedilon que chaqlle fois voe~v (penser) preacutecegravede dv~~ (ecirctre) Au contraire Berkeley nomme esse (ecirctre) avant percipi (penser) Ceci semble indishyquer que Parmeacutenide accorde la preacutefeacuterence agrave la penshyseacutee et Berkeley agrave lecirctre Pourtant cest le contraire qui est vrai Parmeacutenide confie la penseacutee agrave lecirctre Berkeley renvoie lecirctre agrave la penseacutee Pour reacutepondre agrave la sentence grecque et sy identifier dans une certaine mesure la thegravese moderne devrait se lire percipi = esse

La thegravese moderne eacutenonce quelque chose sur lecirctre au sens de lobjectiteacute pour la repreacutesentation qui saisit au travers 1 La sentence grecque attrishybue la penseacutee entendue comme la perception qui rassemble agrave lecirctre cest-agrave-dire agrave la preacutesence Cest pourquoi toute interpreacutetation de la sentence grecque qui se meut dans la perspective de la penseacutee moderne seacutegare degraves le deacutebut Pourtant ces interpreacutetations qui nous apparaissent sous des formes multiples suffisent agrave une tacircche dont on ne pouvait se dispenshyser elles rendent la penseacutee grecque accessible agrave la penseacutee-repreacutesentation des modernes et confirment cette derniegravere dans son progregraves quelle a voulu elle-mecircme et qui la porte agrave un niveau laquo supeacuterieurraquo de la philosophie

Des trois perspectives qui ont eacuteteacute deacuteterminantes pour toutes les interpreacutetations de la sentence de Parmeacutenide la premiegravere nous montre la gtenseacutee

1 Cf p 283

MOIRA 287

comme quelque chose qui est donneacute devant nous et la range dans le reste de leacutetant

La seconde perspective comprend lecirctre agrave la moderne comme le fait pour les objets decirctre repreacuteshysenteacutes comme objectiteacute pour le moi de la suhjecshytiviteacute

Dans la troisiegraveme perspective nous retrouvons un trait fondamental de tout ce qui dans la phishylosophie antique a reccedilu la marque de Platon Suivant la doctrine de Socrate et de Platon les ideacutees constituent dans tout eacutetant ce qui laquo estraquo 1

Mais leB ideacutees nappartiennent pas au domaine des exLcr01)tamp de ce que les sens nous font percevoir Nous ne pouvons contempler les ideacutees dans leur pureteacute G~ue par le vodv par la perception du nonshysensible Lecirctre rentre dans le domaine des v01)tamp du non- et supra-sensible Plotin interpregravete la senshytence de Parmeacutenide dans le sens platonicien suishyvant lequel Parmeacutenide veut middotdire lecirctre est quelque chose de non-sensible Le poids de la sentence tombe stlr la penseacutee quoique dans un autre sens que pour la philosophie moderne Lecirctre est caracshyteacuteriseacute par le mode non-sensible de la penseacutee Dapregraves linterpreacutetation neacuteo-platonicienne de la sentence de Parmeacutenid e celle-ci nest ni une assertion sur la penseacutee ni une assertion sur lecirctre encore moins une asse)middottion sur lecirctre de linterdeacutependance des deux~ tant que diffeacuterents La sentence est une assertion sur ceci que tous deux font eacutegalement partie dt non-sensible

Chacune des trois perspectives est telle que la penFieacutee la plus ancienne des Grecs sy trouve transshyfeacutereacutee dans le domaine ougrave la meacutetaphysique ulteacuteshyrieure a p oseacute et imposeacute ses questions Il est agrave preacuteshysumer cep~ndant que toute penseacutee tardive qui tente deacutetablir un dialogue avec la penseacutee ancienne ne

J An jedm SciClacIen da laquoseiend raquo

288 ESSAIS ET CONFEacuteflENCES

peut faire autre chose que dentendre du lieu mecircme ougrave chaque fois elle seacutejourne et damener ainsi agrave un dire le silence de la penseacutee ancienne On ne peut sans doute eacuteviter que par lagrave la penseacutee ancienne soit inteacutegreacutee agrave un parler reacutecent transfeacutereacutee dans le champ deacutecoute et dans lhorizon visuel de ce dershynier et pour ainsi dire priveacutee de la liberteacute de son langage propre Pareille inteacutegration toutefois nimshypose aucunement une interpreacutetation qui se contente de convertir en modes tardifs de repreacutesentation ce qui a eacuteteacute penseacute au deacutebut de la penseacutee occidentale Le point deacutecisif est de savoir si le dialogue engageacute se libegravere degraves le deacutebut et toujours agrave nouveau afin de reacutepondre agrave ce que sous condition decirctre intershyrogeacutee lui dit la penseacutee ancienne ou bien si le diashylogue se ferme agrave ce dire et recouvre la penseacutee ancienne dopinions doctrinales t~rdives Ce qui a lieu degraves que la penseacutee reacutecente omet de senqueacuterir speacutecialement du champ deacutecoute et de lhorizon visuel de la penseacutee ancienne

Qui fait effort en ce sens ne doit pourtant pas se horner agrave une recherche laquo historiqueraquo qui deacutegageshyrait seulement les preacutesupposeacutes inexprimeacutes sur lesshyquels repose la penseacutee ancienne alors que dans ce travail les preacutesupposeacutes sont deacutefinis suivant ce qui est accepteacute comme veacuteriteacute eacutetablie par linterpreacutetashytion moderne et ce qui nest plus accepteacute comme tel parce que deacutepasseacute par le progregraves de la penseacutee Lenquecircte dont nous parlons doit ecirctre au contraire un dialogue ougrave les anciens champs deacutecoute et les horizons visuels dautrefois sont consideacutereacutes dapregraves leur origine essentielle afin que commence agrave sadresshyser agrave nous cette invitation 1 sous laquelle se tiennent chacune agrave sa faccedilon la penseacutee ancienne celle qui la suivie et celle qui vient Qui tente dinterroger ainsi

1 Geheiss ici un appel une incitation qui met sur le bon cheshymin aide au voyage ct agrave larriveacutee Cf Was hriss J)mkm pp 85 et 152

MOlfl 239

dirigelU dabord SUll Jcgard vers les pa~sages obscurs dun texte ancien et ne seacutetablira pas agrave demeure sur ceux qui sabritent derriegravere une apparence intelshyligible car de cette maniegravere le dialogue prcnd fin avant davoir commenceacute

Dans les remarques que nous avons encore agrave faire le texte citeacute ne sera plus examineacute que dans une suite dexplications seacutepareacutees Celles-ci voushydraient aider agrave preacuteparer une translation 1 qui penshy~ant lancicn dire grec le ferait passer dans ce qui vient agrave nous dune penseacutee eacuteveilleacutee agrave son commenceshyInent

1

Nous examinons le rapport de lecirctre et de la penseacutee Avant toute chose il nous faut noter que le texte (VIII 34 et sq) qui considegravere ce rapport de plus pregraves parle de legraveov et non comme Je fragshyment III de lEgraveIV(XL On pense donc aussitocirct et non sans un certain droit quil nest pas question de lecirctre dans le fragment VIII mais bien de leacutetant rlais sous le nom dlov Parmeacutenide ne pense aucushynement leacutetant en soi comme ce tout auquel la penseacutee appartient elle aussi pour autant quelle est quelque chose deacutetant Tout aussi pen Egraveov deacutesigne-t-illdvcxL au sens de lecirctre pour soi comme si le penseur tenait agrave faire ressortir le caractegravere non sensiblc de lecirctre par opposition agrave leacutetant qui est sensible LEgraveov leacutetant est bien plutocirct penseacute dans le Pli 2 de lecirctre et de leacutetant et il conserve sa valeur de participe 3 sans que deacutejagrave le concept grammatishy

1 Vcblrsctung laquo transfertraquo ou laquo traduction raquo Iri lun ct lnutre Cf op rit pp HO-141

2 7lrilflll Cf p 89 D 1 3 Tout partieipe est il double sens pa[(t~ quil ticnt agrave la foi~ dn

erbe ct du lIom Dans ~v nOl1~ trollv()n~ lmte dltn (t tvll) (cns verhal) mois alls~i ce qui (st (T) Eacuterv) (sens nnlllinal) Cest pourquoi iov tst en quelque Hlrte Il~ num nalurll UgraveU Pli ugravee lecirctre ct de

290 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cal intervienne speacutecialement dans le savoir concershynarit la langue Le Pli peut du moins ecirctre suggeacutereacute par les tournures laquo ecirctre de leacutetantraquo et laquo eacutetant dans lecirctre raquo Seulement laquo ce qui deacuteplie 1 raquo se cache dans le de et le dans bicn plutocirct que par ces mots il ne nous oriente vers son ecirctre Les deux tournures sont tregraves loin de penser le Pli comme tel plus encore deacutelever son deacutepliement au niveau des choses qui meacuteritent interrogation 2

L laquoecirctre lui-mecircme raquo dont on a tant parleacute demeure en veacuteriteacute aussi longtemps quil est appreacutehendeacute comme ecirctre toujours lecirctre au sens de lecirctre de leacutetant Ce sont toutefois les prcmiers temps de la penseacutee occidentale qui ont reccedilu la tacircche de consideacuterer ce qui est dit dans le mot dvcxt laquo ecirctre raquo dans un regard agrave sa mesure ct de le voir ainsi comme ltDucnccedil A6yoccedil Ev Comme le rassemshyblement qui regravegne dans lecirctre unit tout leacutetant il suffit que lon pense agrave ce rassemblement pour que naisse lapparence ineacutevitable et toujours plus tenace que lecirctre (de leacutetant) nest pas seulement identique agrave leacutetant dans son ensemble mais que en tant quidentique et aussi en tant que laquo ce qui unit raquo il est mecircme leacutetant maximum (das Seiendste) Pour la penseacutee qui se repreacutesente tout devient un eacutetant

Le Pli de lecirctre ct de leacutetant semble comme tel se perdre dans linconsistant bien que la penseacutee depuis ses deacutebuts chez les Grecs se meuve toujours dans le deacuteplieacute de son deacutepli mais sans quelle ait consideacutereacute ougrave il seacutejournait et encore moins precircteacute quelque attention au deacutepIiement du Pli Au deacutebut

Jeacutetant et de mecircme que ce Pli est le Pli par excellence eacuteov est le Participe par excellence (Cf op cil pp 133-136 et 174)

1 Das Jalcndlgt - Dans laquo lecirctre de leacutetantraquo (ou laquo leacutetant dans lecirctr~ raquo) le de (011 le dans) seacutepare lecirctre et leacutetant autrement applishyqueacutes lun contre lautre et marque leur distinction La preacuteposition jouc le rocircle du laquo deacutepliantraquo dont elle est le algue

2 lM lraguUrcJiStJ Cf p 76 n 1

lIOIRA 291

de la penseacutee occidentale le Pli disparaicirct sans quon sen aperccediloive Et pourtant il nest pas rien Cette disparition confegravere mecircme agrave la pen-eacutee grecque la maniegravere dun deacutebut en ce que reacuteclairement de lecirctre de leacutetant se cache comme eacuteclairement Que la duumlparition du Pli se cache~ ce fait est aussi capital que le point de savoir ougrave le Pli sen va Oil tombeshyt-il dans loubli 1 Lempire durable de celui-ci socculte en tant que cette A~81j avec laquelle l AAgrave~e~~~ fait corps dune faccedilon si immeacutediate que la premiegravere peut se retirer au beacuteneacutefice de la seconde et lui abandonner le pur deacutevoilement dans le mode de la ltDucnccedil dn Aoyoccedil de l Ev comme si le deacutevoishylement navait pas besoin du voilement

Mais ce qui en apparence est pure clarteacute est peacuteneacutetreacute et reacutegi par lobscuriteacute Cest lagrave que demeure en retrait le deacutepliement du Pli aussi bien que sa disparition lors des deacutebuts de la penseacutee Pourtant il nous faut dans ltov faire attention au Pli de lecirctre et de leacutetant afin de suivre la discussion que Parmeacutenide consacre au rapport de la penseacutee et de lecirctre

II

En toute briegraveveteacute le fragment III dit que la ~seacutee fait partie de lecirctre Comment caracteacuteriser cette appartenance Question qui vient trop tard La sentence concise a deacutejagrave donneacute la reacuteponse dans ses premiers mots tagrave yip cxtrro laquo agrave savoir le mecircme raquo Dans la version du fragment VIII 34 la sentence commence par le mecircme mot tQugravetov Ce mot reacutepond-il agrave notre question laquode quelle maniegravere la penseacutee appartient-elle agrave lecirctre raquo en disant que les deux sont laquo le mecircmeraquo Le mot napporte pas de reacuteponse Tout dabord parce que la deacutetermination

1 Sur loubli du Point le Plus Critique lecirctre de loubli la dishytinction du deacutebut et du commencement cf op cil pp 97middot98

292 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

laquo le mecircmeraquo exclut quil puisse ecirctre question dune appartenance laquelle ne peut exister quentre deux choses diffeacuterentes Ensuite parce que le mot laquo le mecircmeraquo nous laisse ignorer complegravetement egrave quel point de vue et pour quelle raison le diffeacuterent sacshycorde dans le mecircme Aussi tagrave cxlh6 le mecircme demeure-t-il le mot-eacutenigme dans les deux fragshyments sinon mecircme pour toute la penseacutee de Parshymeacutenide

Si nous croyons que le mot tagrave CXt)to le mecircme veut dire lidentique et si qui mieux est nous tenons lidentiteacute pour la condition claire comme le jour de la pensabiliteacute de tout le pensable alors agrave vrai dire cette opinion nous fait perdre de plus en plus la faculteacute dentendre le mot-eacutenigme agrave supposer que nous ayons deacutejagrave perccedilu son appel Il suffit en attendant que nous ayons toujours le mot dans loreille comme un terme meacuteritant decirctre penseacute Ainsi demeurons-nous de ceux qui entendent et precircts agrave laisser le mot reposer en lui-mecircme comme mot-eacutenigme afin que tout dabord nous tendions loreille de tous cocircteacutes ouverte agrave un dire qui puisse nous aider agrave consideacuterer la pleine mesure deacutenigme contenue dans le mot

Parmeacutenide nous offre une aide Il dit plus claishyrement dans le fragment VIII comment il faut penser l laquo ecirctreraquo auquel appartient le VOeuro~v Au lieu dampvcxL Parmeacutenide dit maintenant l6v leacutetant qui par son double sens deacutesigne le Pli Mais le VOELV de son cocircteacute sappelle maintenant v61JL~ ce qui est pris dans lattention dun percevoir ayant eacutegard agrave ce quil perccediloit 1

Legrave6v est nommeacute speacutecialement comme ce oucircvexev

1 Das in die Acht genommene eines achtenden Vernehmens - Le percevoir (le VOElY) a eacutegard agrave ce quil perccediloit et a des eacutegards pour lui Il respecte sa liberteacute le laisse ecirctre le laisse laquo eacutetendu-devant raquo Sur cette interpreacutetation de VOEty cf Was heisst Dcnken Pl 121shy125

MOIRA 293

~C1t1 VO1)LIX ce pour quoi la penseacutee (Gedanc) est preacutesente (Sur le penser et la penseacutee cf le cours ifas heisst denken 1 Niemeyer eacutedit Tuumlbingen 1954 pp 91 et suiv)

La penseacutee est preacutesente en raison du Pli qui nest amais dit Lapproche de la penseacutee est en route vers le Pli de lecirctre et de leacutetant laquo Prendre dans s(Jn attentionraquo cest sapprocher du Pli 3 cest (dapregraves le fragment VI) ecirctre deacutejagrave rassembleacute et tendre vers le Pli par leffet du AgraveEacuteyew preacutealable du laisser-eacutetendu-devant Par quel moyen et comshyment De cette faccedilon que le Pli agrave cause duquel les mortels trouvent le chemin de la penseacutee reacuteclame lui-mecircme une telle penseacutee pour lui

Nous sommes encore tregraves loin de connaicirctre par une expeacuterience conforme agrave son ecirctre le Pli lui-mecircme ce qui veut dire aussi le Pli en tant quil reacuteclame la penseacutee Le dire de Parmeacutenide neacuteclaire quun point si la penseacutee est preacutesente ce nest ni en raison des egrave6vt(X de l laquo eacutetant en soi raquo ni par soumission agrave la volonteacute de ldvllL au sens de l laquo ecirctre pour soiraquo En dautres termes ni l laquo eacutetant en soiraquo ne rend

1 laquo Que veut dire penser raquo Il sagit ici du livre citeacute agrave la note preacuteshyceacutedente et non de la confeacuterence reproduite plus haut cf p 151 n 1 - laquo Le penser et la penseacuteeraquo Denken und Gedanc - Dapregraves le livre citeacute pp 92 et 157 le Gedanc (forme meacutedieacutevale de Gedanke) qui traduit ici v07jJ-a est le laquo cœur raquo le laquo fond du cœur raquo ce qui en lhomme est le plus inteacuterieur et qui en mecircme temps seacutetend le plus loin agrave lexteacuterieur aussi loin quon puisse aller Il est la penseacutee-soushyvenir (Gedenken) recueillie et toute-rassemblante En lui reposent la meacutemoire (Gediichtnis) entendue comme le recueillement constant de lesprit (Gemuumlt) sur ce qui se dit agrave nous dessentiel et le remershyciement (Dank) cest-agrave-dire la penseacutee tourneacutee vers ce quil faut penser vers ce qui nous donne le plus agrave penser - Sur tous les termes en ge- voir N du Tr 2

2 La preacutesence (Anwesen) de la pensee est lapproche (An-wesen) par laquelle eUe se reacutefegravere au Pli et tend vers lui

3 ln-die-Acht-Nehmen west die Zwiefalt an laquoPrendre dans son attentionraquo est le fait du voetv du laquo percevoirraquo (Vernehmen) Cf p 292 n 1 Sur la traduction de VOftV parlaquo percevoirraquo (vershynehmen) laquoprendre dans son attentionraquo (in die Acht nehrnm) et laquo flairer eacuteventerraquo (wittern) cf Was heisst Denken pp 124-125 et 172-173

294 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

neacutecessaire une penseacutee ni l laquo ecirctre pour soiraquo ne contraint la penseacutee Tous deux chacun pris pour soi ne font jamais savoir comment l laquoecirctreraquo reacuteclame la penseacutee Mais celle-ci deacuteploie son ecirctre agrave cause du Pli de lun et de lautre agrave cause de li6v Cest en allant vers le Pli que le laquo prendre-dans-sonshyattention 1raquo sapproche de lecirctre Cest dans une telle approche 2 que la penseacutee appartient agrave lecirctre Que dit Parmeacutenide de cett~ appartenance

III

Parmeacutenide dit que le voe est 1CerplXtLOfLEacutevOV iv t~ egrave6vtt On traduit par la penseacutee qui comme chose eacutenonceacutee est dans leacutetant

Mais comment pourrions - nous percevoir et comprendre ce que cest que decirctre ainsi laquo eacutenonceacuteraquo (ausgesprochen) aussi longtemps que nous ne nous soucions pas de savoir ce que veulent dire ici laquo chose diteraquo laquo parler raquo laquo langage raquo aussi longshytemps que nous nous empressons de prendre li6v pour leacutetant et que nous lagraveissons indeacutetermineacute le sens du mot laquo ecirctreraquo Comment pourrions-nous connaicirctre le rapport du voeLv au 1CeCPIXtLCJfLEacutevov aussi longtemps que nous ne deacuteterminons pas le voev suffisamment en tenant compte dumiddot fragshyment VI (Cf le cours citeacute pp 124 et sq) Le voeLv dont nous voudrions consideacuterer lappartenance agrave liov est fondeacute dans le AgraveEacuteyeLV et deacuteploie son ecirctre agrave partir de lui Lagrave dans le AgraveEacuteyeLV a lieu celaquo laissershyeacutetendu-devantraquo qui laisse la chose preacutesente eacutetenshydue dans sa preacutesence Cest seulement en tant quelle est ainsi eacutetendue-devant que la chose preacuteshysente peut comme telle inteacuteresser le voeLvce qui laquoprend dans son attentionraquo Aussi le v61lfLlX en tant que VOOUfLevov du vociv est-il toujours deacutejagrave

1 Le 10Er Voir la note preacuteceacutedente ~ Anmiddotweaen Voir cimiddotdeul8 p 293 n 2

MOIRA 295

un AgraveeyoflevOV du AgraveEacuteyetv Mais lecirctre du dire tel que les Grecs lont perccedilu repose dans le AgraveEacuteyeLV Cest pourquoi le voeicircv est une chose dite et cela dans son ecirctre et jamais seulement apregraves coup ou par accident Sans doute toute chose dite nest pas aussi forceacutement une chose prononceacutee (ein Gesshyprochenes) Il est possible et parfois mecircme neacutecesshysaire quelle demeure une chose tue Tout ce qui est prononceacute et tout ce qui est tu est deacutejagrave chose dite Mais non linverse

En quoi consiste la diffeacuterence de la chose dite et de la chose prononceacutee Pourquoi Parmeacutenide caracshyteacuterise-t-il le VOOUf1EVOV et le voe~v (VIII 34 et sq) comme 1CEcplXt~crfLEacutevo On traduit ce mot par laquo parleacute raquo ce qui est exact au point de vue lexicoshygraphique Mais en quel sens perccediloit-on un parler tel que le deacutesignent cpampcrXeLV et cpcfVIXL laquo Parlerraquo nest-il ici que la manifestation sonore (cpltugravev~) de ce quun mot ou une phrase signifient (OYjf1(XLVELV) Est-ce quici lon comprend laquo parlerraquo comme lexshypression dune chose inteacuterieure dune chose de lacircme donc comme reacuteparti entre ses deux composhysants le phoneacutetique et le seacutemantique Nulle trace de tout cela dans lexpeacuterience qui perccediloit le parler comme cpcfv XL le langage comme 9cfCJ~ccedil Dans Ccedil)ampcrXeLV se rencontrent les sens appeler nommer avec des louanges sappeler mais tout cela parce que lecirctre mecircme du mot est laquo faire apparaicirctreraquo Clgtampcrpcx est lapparition des eacutetoiles de la lune le fait quils se montrent ou quils se cachent ltlgtXcreLCcedil deacutesigne les phases Les phases de la lune sont les modes changeaqts de son paraicirctre ltlgtcfOlC est la parole disante (Sage) laquodireraquo (sagen) signifie faire apparaicirctre ltgt~f1( je dis est identique en son ecirctre quoique non eacutequivalent agrave Agraveeuroyltugrave amener la chose preacutesente devant nous dans sa preacutesence lameshynet agrave apparaicirctre et agrave rester eacutetendue

Ce qui inteacuteresse Parmeacutenide cest dexaminer ougrave

296 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

le VOeacuteLV a oa place Car cest sculemcnt lagrave ougrave il a originairement sa place que nous pouvons le troushyver juger de notre deacutecouverte voir comment la penseacutee fait corps avec lecirctre Quand Parmeacutenide perccediloit le VOELV comme 7tecp(Xt~cr1-Eacutevov cela ne veut pas dire que le VOcLV soit une chose eacutenonceacutee et quil doive ainsi ecirctre chercheacute dans les paroles prononceacutees ou dans les signes de leacutecriture comme un eacutetant perceptible agrave lun ou lautre de nos sens Le croire serait seacutegarer et seacuteloigner au maximum de la penseacutee grecque et mecircme si lon voulait se repreacuteshysenter le parler et ce quil eacutenonce comme des faits de conscience et eacutetablir la penseacutee comme acte de conscience dans le domaine de pareils faits Le vociv lelaquo prendre-dans-son-attention raquo et ce quil a perccedilu 1 sont une chose dite ameneacutee agrave paraicirctre Mais ougrave Parmeacutenide dit egravev tw egraveOVtl dans legraveov dans le Pli de la preacutesence et d~ la chose preacutesente Ceci donne agrave penser et nous libegravere deacutefinitivement du preacutejugeacute hacirctif dapregraves lequel la penseacutee serait exprimeacutee dans la parole prononceacutee Nulle part il nen est question

Dans quelle mesure le VOELV peut-il la penseacutee doit-elle apparaicirctre dans le Pli Dans la mesure ougrave le deacutepliement qui conduit dans le Pli de la preacutesence et de la chose preacutesente eacute-voque le laquo laisser-eacutetendu devant raquo le Agraveeuroye~v et dans l laquo ecirctre-eacutetendushydcvant raquo ainsi libeacutereacute de la chose eacutetendue donne au voeicircv quelque chose quil peut prendre dans son attention pour ly preacuteserver Seulement Parmeacutenide ne pense pas encore le Pli comme tel encore moins pense-t-il le deacutepliement du Pli Mais Parmeacutenide dit (VIII 35 et sq) ougrave yagravep ampveu tou EacuteoVtocbull eup~cre~ccedil to voucircv car seacutepareacute du Pli tu ne peux trouver la penseacutee Pourquoi pas Parce quinviteacutee par legraveov elle a sa place avec lui dans le rassemshy

1 laquo Il a perccediluraquo on retrouve le passeacute-preacutesent deacutejagrave observeacute Cf pp 260 262 263 et les notes

MOIRA 297

hlement parce que cest la penseacutee elle-mecircme reposhysant dans le AgraveEacuteyelV qui accomplit le rassemblement agrave lappel de lEacute6v et qui reacutepond de cette maniegravere agrave son appartenance agrave legraveov comme agrave une apparteshynance mise en œuvre (gebrauchten) agrave partir de celui-ci Car le voeicircv ne perccediloit pas nimporte quoi mais seulement cette chose unique nommeacutee dans le fragment VI Eacuteov Euml1-1-eV(XL leacutetant-preacutesent (das Anwesend) dans sa preacutesence

Autant de choses non penseacutees et meacuteritant de lecirctre sannoncent dans lexposeacute de Parmeacutenide autant se projette de clarteacute sur ce qui est avant tout neacutecessaire si lon veut meacutediter comme il convient cette appartenance de la penseacutee agrave lecirctre dont Parmeacutenide nous parle Nous devons apprendre agrave penser lecirctre du langage agrave partir du dire et agrave penshyser ce dernier comme laisser-eacutetcndu-devant (Agraveoyoccedil) et comme faire-apparaicirctre (cpcicrLCcedil) Il est dabord difficile de mener agrave bien une pareille tacircche parce que ce premier eacuteclairement de lecirctre du langage comme parole disante (Sage) sassombrit et disshyparaicirct bientocirct et quil laisse le champ libre agrave une caracteacuterisation du langage qui le repreacutesente deacutesorshymais agrave partir de la cpwJ~ de leacutemission sonore comme un systegravemc de deacutesignation et de significashytion et finalement de transmission de nouvelles et dinformation

IV

Maintenant encore alors que lappartenance de la penseacutee agrave lecirctre sest placeacutee mieux en lumiegravere nous pouvons agrave peine en~cndre dune faccedilon plus instante la pleine mesure deacutenigme contenue dans le motshyeacutenigme de la sentcnce to (xugraveto le mecircme Mais quand nous voyons que le Pli de llov la preacutesence des choses preacutesentes rassemble agrave soi la penseacutee alors ce rocircle directeul du Pli nous laisse peut-ecirctre

298 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

entrevoir la pleine mesure deacutenigme de ce que cache le vide seacutemantique habituel du mot laquo le mecircme raquo

Est-ce agrave partir du deacutepliement du Pli que le Pli ugravee son cocircteacute appelle la penseacutee sur la voie de l laquo agraveshycause-de-lui 1raquo et par-lagrave requiert lappartenance mutuelle de la preacutesence (des choses preacutesentes) et de la penseacutee Mais quest-ce que le deacutepliement du Pli Comment se produit-il Trouvons-nous dans la parole de Parmeacutenide un point dappui nous aidant agrave rechercher en questionnant dune maniegravere approshyprieacutee ce quest le deacutepliement du Pli nous aidant agrave entendre ce qui fait son ecirctre (ihr Wesendes) et agrave lentendre dans ce que tait le mot-eacutenigme de la sentence Nous nen trouvons aucun immeacutediateshyment

Il est surprenant toutefois que dans les deux vershysions de la sentence sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre le mot-eacutenigme figure au commencement Le fragment III dit laquo Le mecircme en effet est le laquo prendreshydans-son-attentionraquo et aussi l laquo ecirctre-preacutesentraquo (des choses preacutesentes)raquo Le fragment VIII 34 dit laquoLe mecircme est laquo prendre-dans-son-attentionraquo et (ce) en chemin vers quoi est le percevoir attentif raquo Que signifie dans le dire de la sentence cette place de deacutebut accordeacutee au mot dans la construction de la phrase Sur quoi par cette intonation Parmeacuteshynide voulait-il mettre laccent Probablement sur le ton fondamental En lui reacutesonne par anticipation ce que la sentence agrave proprement paTler doit dire Ce quon dit ainsi sappelle en grammaire le prc~dicat de la phrase Mais le sujet de la phrase est le voe~v (penseacutee) dans son rapport agrave ldVltXL (ecirctre) Le texte grec nous oblige agrave interpreacuteter ainsi la construction de la sentence La position de tecircte du mot-eacutenigme nous invite agrave arrecircter notre attention sur ce mot et agrave y revenir sans cesse Mecircme ainsi toutefois le mot

1 Au den Weg des laquo Ihrctwcgel - Le Pli invite la penseacutee agrave paraicirctre et elle paraicirct en lui (~I 0) et agrave cause de lui (OJVEXE~)

MOIRA 299

ne nous dit rien de ce que nous vouugraverions savoir Il nous faut donc essayer sans jamais perdre de

vue la position de 10 ltXugraveto le mecircme au deacutebut de la phrase de nous avancer librement et avec hardiesse dans la penseacutee du deacutepliement en partant du Pli de legraveov (de la preacutesence des choses preacutesentes) Nous y sommes aideacutes par la consideacuteration suivante cest dans le Pli de legraveov que la penseacutee est pro-duite en son paraicirctre cest en lui quelle est une chose dite 7tScpltXtLOJEacuteVOV

Dans le Pli domine ainsi la qJcXOLC le dire en tant que ce laquo faire-apparaicirctreraquo qui appelle et reacuteclame Quest-ce que le dire fait apparaicirctre La preacutesence des choses preacutesentes Le dire qui regravegne dans le Pli et qui le manifeste est le rassemblemcnt de la preacutesence dans le paraicirctre de laquelle les choses preacuteshysentes peuvent apparaicirctre Cette ltlgtciOLC que Parshymeacutenide pense Heacuteraclite lappelle le Aoyoc le laquo laisshyser-eacutetendu-devantraquo qui rassemble

Quest-ce qui a lieu dans la ltlgtciOtC et dans le Aoyoc Est-ce que ce dire qui regravegne en eux qui rassemble et qui appelle serait cet apport qui tout dabord pro-duit (erbringt) un paraicirctre lequel accorde une eacuteclaircie et dans la dureacutee duquel la preacutesence dabord seacuteclaire 1 afin que dans sa lumiegravere des choses preacutesentes apparaissent et quainsi regravegne le Pli de lune et des autres Le deacutepliement du Pli reacutesiderait-il en ceci quun paraicirctre illuminant se montre Le trait fondamental de ce paraicirctre les Grecs middot lont vu comme deacutevoilement Dans le deacutepliement du Pli regravegne ainsi le deacutevoileshyment Les Grecs le nomment AAgrave~eeuroLltX

La penseacutee de Parmeacutenide serait donc parvenue tout de mecircme agrave sa maniegravere jusquau deacutepliement

1 Das Lichtung gewiihrl in welchcm Wiihren erst Anwesen sich lichtet Litteacuteralement laquoqui accorde eacuteclaircie dans lequel durer seulement preacutesence seacuteclaire raquoCf p 42 n 1 et cf pp 235 301 306 et les notes

300 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

du Pli agrave supposer que Parmeacutenide parle de l AAgrave~eeLrt La nomme-t-il Sans doute au deacutebut de son Poegraveme didactique Plus encore l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Cest en leacutecoutant que Parmeacutenide dit ce quil a penseacute Pourtant il ne dit pas en quoi consiste lecirctre de l middotAAgrave~ee(X Il ne pense pas davantage en quel sens du mot diviniteacute l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Pour les deacutebuts de la penseacutee grecque tout cela demeure - dune faccedilon aussi immeacutediate quun eacuteclaircissement du mot-eacutenigme tagrave (Xugravet6 le mecircme shyhors du cercle des choses qui meacuteritent decirctre penshyseacutees

Il est toutefois vraisemblable quentre toutes ces choses impenseacutees existent des relations invisibles Les vers introductifs du Poegraveme didactique l 22 et sq sont autre chose que lhabillement poeacutetique dun travail conceptuel abstrait Cest se rendre trop facile le dialogue avec la voie de penseacutee de Parmeacuteshynide que de regretter dans les paroles du penseur labsence de toute expeacuterience mythique et dobjecter que la deacuteesse AAgrave~eeL(x est parfaitement vague pur fantocircme rationnel si on la compare aux laquo personnes divinesraquo bien caracteacuteriseacutees Hegravera Atheacuteneacute Deacutemegraveter Aphrodite Arteacutemis Qui fait de pareilles reacuteserves parle comme si de longue date on savait avec certishytude ce quest la laquo diviniteacuteraquo des dieux grecs comme sil eacutetait sucircr que parler ici de laquo personnesraquo a bien un sens et que touchant lecirctre de la veacuteriteacute il fucirct bien eacutetabli quau cas ougrave elle apparaicirctrait comme deacuteesse on ne pourrait voir lagrave que la personnifishycation abstraite dun concept Au fond cest agrave peine si le laquomythiqueraquo a eacuteteacute pris en consideacuterashytion et surtout lon na pas consideacutereacute que le (lu6occedil est un dire (Sage) et que dire agrave son tour est appeler et faire briller Aussi vaut-il mieux que nous continuions agrave questionner prudemment et que nous eacutecoutions ce que dit le fragment 1 (22 et sq)

MOIRA 301

X(X( (le 6ecX 7tpO()PCugraveJ lmeocirct~(Xto Xe~p(X ocircegrave XetpE ~e~LteFT) EacuteAgraveeJ llo~ ~~7tOccedil qrXto xex( (le 7tpoa~uocircrt

Et la deacuteesse regardant dans lavenir me reccedilut Javoshy[rablement de sa main

Elle me prit la main droite et me dit ainsi la parole [chantant pour moi

Ce qui soffre ici au penseur comme chose agrave penshyser demeure en mecircme temps voileacute quant agrave son orishygine essentielle Ceci nexclut pas mais implique au contraire que dans ce que dit le penseur domine le deacutevoilement comme ce agrave quoi il est toujours attentif pour autant quil loriente vers la chose agrave penser Or celle-ci est nommeacutee dans le mot-eacutenigme tagrave cxugraveto le mecircme et ainsi nommeacutee qualifie le rapshyport de la penseacutee agrave lecirctre

Cest pourquoi nous devons au moins demander si ce nest pas le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoishylement de la preacutesence des choses preacutesentes qui est tu dans exugravet6 le mecircme En le preacutesumant nous nallons pas au delagrave de ce qua penseacute Parmeacutenide nous retournons au contraire vers ce quil faut penser et penser dune faccedilon plus originelle

Lexamen de la sentence sur le rapport de la penseacutee agrave lecirctre prend alors lapparence ineacutevitable dune chose arbitraire et forceacutee

La construction grammaticale de la phrase tagrave yap rtugravetagrave JoetJ iatLI te XClt elext apparaicirct mainshytenant dans une autre lumiegravere Le mot-eacutenigme tagrave rtugravet6 le mecircme par lequel commence la phrase nest plus le preacutedicat mis en tecircte mais bien le sujet ce qui seacutetend au-dessous ce qui porte et soutient Le mot sans apparence EgraveatLI laquoestraquo veut dire maintenant deacuteploie son ecirctre (west) dure en accorshydant et en puisant pour accorder dans ce qui accorde 1 dans ce comme quoi domine tagrave rtugraveto le

1 West Uuumlhrt und zwar gcwuumlhrend aU3 dcm GcwUumlhrcnden laquoAccorshy

302 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

mecircme agrave savoir comme le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoilement ce qui deacutevoilant deacuteplie le Pli assure le laquoprendre-dans-son-attention 1raquo sur son chemin vers la perception rassemblante de la preacutesence des choses preacutesentes La veacuteriteacute entendue comme pareil deacutevoilement du Pli laisse agrave partir de lui la penseacutee appartenir agrave lecirctre Dans le motshyeacutenigme tagrave (Xugraveto le mecircme se tait loctroi deacutevoilant qui garantit 2 lappartenance mutuelle du Pli et de la penseacutee qui apparaicirct en lui

v

Si donc la penseacutee appartient agrave lecirctre ce nest pas parce quelle aussi est une chose preacutesente et quelle a donc sa place dans lensemble de la preacutesence on entend par lagrave dans lensemble des choses preacutesentes Il semble toutefois que Parmeacutenide aussi se repreacuteshysente de cette faccedilon le rapport de lecirctre agrave la penseacutee Il ajoute en effet agrave lappui de ce quil vient de dire une remarque introduite par (eXp (car) et ainsi conccedilue 7teXpe~ tou kovtoccedil hors de leacutetant il ny a eu il ny a et il ny aura aucun autre eacutetant (dapr~s une conjecture de Bergk ougrave3 ~v) Mais tagrave kov ne veut pas dire laquo leacutetant raquo il deacutesigne le Pli Certes hors de celui-ci il ny a jamais aucune preacutesence de choses preacutesentes car la preacutesence comme telle repose dans le Pli paraicirct et apparaicirct dans le deacuteploiement de sa lumiegravere

Mais pourquoi en ce qui concerne le rapport de la penseacutee agrave lecirctre Parmeacutenide ajoute-t-ilspeacutecialeshyment une telle justification Parce que le mot JoeLv qui diffegravere ddv(xL parce que le mot laquo penshy

derraquo au sens d laquo octroyer raquo Sur le rapport eacutetroit entre laquo durerraquo et laquo accorder raquo cf p 42 n 1

1 Le oei le connaicirctre la penseacutee laquo Assureraquo (gewiihrl) au sens de laquo garantit raquo Cf p 235

2 Das entbergende Gewiihren

MOIRA 303

seacuteeraquo donne forceacutement limpression que ce quil deacutesigne est tout de mecircme un amp0 une chose autre en face de lecirctre et par conseacutequent hors de lui Mais ce nest pas seulement le mot comme forme verbale cest son contenu son sens qui paraicirct se tenir laquo agrave cocircteacuteraquo et laquo horsraquo de leacute6v Et cette apparence nest pas non plus simple apparence Car AgraveEacuteyELv et Jodv laissent les choses preacutesentes eacutetendues-devant dans la lumiegravere de la preacutesence Eux-mecircmes sont ainsi eacutetendus en face de la preacutesence quoique jamais en face delle comme deux objets existant pour soi Lassemblage de AgraveEacuteyELV et de voeLv laisse (dapregraves le fragment VI) lkov eacuteflflev(xL il libegravere la preacutesence la laissant acceacuteder agrave son apparaicirctre pour la pershyception et se tient alors dune certaine maniegravere hors de l Egrave6v Dun point de vue la penseacutee est hors du Pli vers lequel lui reacutepondant et demandeacutee par lui elle demeure en chemin Dun autre point de vue ce laquo en chemin vers raquo demeure agrave linteacuterieur du Pli lequel nest jamais une simple distinction quelque part existante et repreacutesenteacutee de lecirctre et de leacutetant mais a son ecirctre agrave partir du deacutepliement qui deacutevoile Celui-ci comme AAgrave~eELct accorde agrave toute preacutesence la lumiegravere dans laquelle les choses preacutesentes peuvent apparaicirctre

Si toutefois le deacutevoilement accorde leacuteclairement de la preacutesence cest en mettant en œuvre agrave la foisshyau cas ougrave des choses preacutesentes doivent apparaicirctreshyun laquolaisser-eacutetendu-devantraquo et un percevoir 1 et les mettant ainsi en œuvre en retenant la penseacutee dans son appartenance au Pli Cest pourquoi hors du Pli il ny a daucune maniegravere quoi que ce soit de preacutesent nimporte ougrave et nimporte comment

Tout ce que nous avons deacutebattu jusquagrave preacutesent demeurerait une invention arbitraire une interpreacuteshytation substitueacutee apregraves coup si Parmeacutenide navait

1 Un AgraveeacuteyElV un dire et un VOErV un connaicirctre

304 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

dit lui-mecircme pourquoi la preacutesence ne peut jamais segrave tenir agrave cocircteacute de lt6v hors de lui

VI

Ce que le penseur nous dit encore de l t6v se trouve en langage grammatical dans une proposhysition subordonneacutee Quiconque est exerceacute si peu que ce soit agrave eacutecouter les grands penseurs sera sans doute parfois deacuteconcerteacute par ce fait eacutetrange que cc quil faut proprement penser ils le disent dans une proposition subordonneacutee ajouteacutee sans bruit et quils sen tiennent lagrave Le jeu de la lumiegravere qui appelle deacuteploie et aide agrave la croissance ne devient pas luishymecircme visible Il brille aussi peu apparent que la lumiegravere du matin sur la somptuositeacute tranquille des lis dans le champ et des roses dans le jardin

La proposition subordonneacutee de Parmeacutenide qui agrave vrai dire est la thegravese de toutes ses thegraveses est la suishyvante (VIII 37 et sq)

eacute7td ro ye MOLp Egrave1teacuteocirc1jOev ougraveAgraveov chdv1jr6v r Eacute(L(Levcxt

bullpuisque la Moira lui a imposeacute (agrave leacutetant) decirctre un [Tout et immobile (W KRANZ)

Parmeacutenide parle de l t6v de la preacutesence (des choses preacutesentes) du Pli mais nullement de l laquo eacutetant raquo Il nomme la Mopcx lattribution qui accordant reacutepartit et qui ainsi ouvre le Pli Lattrishybution dispense le P1i elle en munit en fait don Elle eRt la Dispensation (Schickung) en elle-mecircme recueillie ct ainsi deacutepliante qui envoie la preacutesence 1

comme preacutesence de choses preacutesentes Mopcx est

1 Die Schickung des AnLtcscns Cf pins haut p 272 n 1

MOIRA 305

la Dispensation 1 de l laquoecirctreraquo au sens de lMv Cest celui-ci justement rO ye quene a libeacutereacute lui ouvrant laccegraves du Pli et par lagrave mecircme lieacute agrave la totaliteacute et au repos agrave partir desquels et dans lesquels la preacutesence des choses preacutesentes se manifeste

Dans la Dispensation du Pli toutefois cest seushylement la preacutesence qui parvient agrave paraicirctre et les choses preacutesentes agrave apparaicirctre La Dispensation maintient en retrait le Pli comme tel et plus encore son deacutepliement Lecirctre de l A-yj 8ELCX demeure voileacute La visibiliteacute quelle accorde fait eacutemerger la preacutesence des choses preacutesentes comme laquo aspectraquo (dooccedil) et comme laquo vue raquo (~oEacute~) En conseacutequence le rapport qui appreacutehende la preacutesence des choses preacutesentes se deacutetermine comme voir (dOEacuteV~L) Lagrave mecircme ougrave la veacuteriteacute sest transformeacutee devenant la certitude de la conscience de soi le savoir marqueacute par la visio et son eacutevidence ne peuvent nier leur origine essentielle tireacutee du deacutevoilement qui eacuteclaire Le lumen naturale la lumiegravere naturelle ici lillumination de la raison preacutesuppose deacutejagrave le deacutevoilement du Pli Cette remarque vaut aussi pour les theacuteories augustinienne et meacutedieacutevale de la lumiegravere lesquelles pour ne rien dire de leur origine platonicienne ne peuvent se deacuteployer que dans le domaine de l 1AAgrave~eeL~ deacutejagrave dominante dans la Dispensation du Pli

Si nous voulons pouvoir parler de lhistoire de lecirctre nous devons dabord avoir consideacutereacute qu laquoecirctreraquo veut dire preacutesence des choses preacuteshysentes Pli Cest seulement agrave partir de lecirctre ainsi consideacutereacute que nous pouvons middot alors demander avec la prudence neacutecessaire ce qulaquo histoireraquo ( Cesshychichte) veut dire ici Lhistoire est la Dispensation du Pli (das Ceschick der Zwiefalt) Elle est lecirctreshydurer en mode rassembleacute qui deacutevoilant et deacutepliant

1 Sur la DispensatioD (ou lEnvoi) de lecirctre (Gcschil des S(in ~) voir notamment Der SaI vom Grund pp 108-110 119-LIJ 129-lJU et ISO

306 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

octroie 1 la preacutesence eacuteclaireacutee ougrave les choses preacutesentes apparaissent Lhistoire de lecirctre nest jamais une suite deacuteveacutenements que lecirctre parcourrait pour lui-mecircme Encore moins est-elle un objet qui ouvrishyrait agrave l laquohistoireraquo (-science) de nouvelles possishybiliteacutes de vues-repreacutesentations qui les ouvrirait agrave une laquo histoireraquo disposeacutee agrave se substituer preacutetendant savoir mieux agrave la faccedilon jusquici habituelle de consideacuterer lhistoire de la meacutetaphysique

Ce que dans linapparence dune proposition subordonneacutee Parmeacutenide dit de la Moip(X dans les liens de laquelle lMV est libeacutereacute comme Pli ouvre au penseur lampleur de vue accordeacutee agrave son chemin par le destin Car cest dans cette ampleur quappashyraicirct ce en quoi la preacutesence (des choses preacutesentes) se montre elle-mecircme t~ crf)[l(Xt(X toG EumlOltOc Ceux-ci sont agrave vrai dire multiples (7toAgraveAgrave~) Les a1)1-(Xt(X ne sont pas les signes dune autre chose Ils sont le paraicirctre multiple de la preacutesence elle-mecircme eacutemergeant du Pli deacuteplieacute shy

VII

Mais ce que la MOL(X dispense et reacutepartit nest pas encore complegravetement exposeacute Il en reacutesulte quun trait essentiel du mode de sa puissance demeure impenseacute Quarrive-t-il du fait que la Dispensation libegravere la preacutesence des choses preacutesentes la conduisant dans le Pli et ainsi la fixe dans sa totauumlteacute et son repos

Pour mesurer la porteacutee de ce que Parmeacutenide dit agrave ce sujet aussitocirct apregraves la proposition subordonneacutee (VIII 39 et sq) il est neacutecessaire de rappeler ce qui a eacuteteacute exposeacute preacuteceacutedemment (sous III) Le deacuteplieshyment du Pli domine comme cp~(nc comme laquo dire raquo) en tant que laquo faire-apparaicirctre raquo Le Pli abrite en

1 Das entbergend entfaltende Gewiihren Cf p 42 n 1

MOIRA 307

lui le vo~iV et cc quil pense (VOY](L(x) comme chose dite Mais ce qui est perccedilu dans la penseacutee cest la preacutesence des cho~es preacutesentes Le dire qui pense et qui correspond au Pli est le AgraveEacuteyEtV en tant quil laisse la preacutesence eacutetendue-devant Ce qui ne se produit tout agrave fait que sur la voie de penseacutee ougrave sengage le penseur appeleacute par l )AAgraveYj 6sta

Mais que devient la cpcXcnccedil (parole disantc) qui domine dans la Dispensation deacutevoilante quand ce qui est deacuteployeacute dans le Pli la Dispfnsation labanshydonne au percevoir banal des mortels Ceux-ci aeeueiJJent (~Eacutexccr0a~ S6ccedilct) ce qui soffre agrave eux immeacutediatement tout de suite et tout dabord Ils ne commencent pas par se preacuteparer pour une voie de penseacutee Ils nentendent jamais proprement lapshypel du deacutevoilement du Pli Ils sen tiennent agrave ce qui se deacuteploie en lui plus preacuteciseacutement agrave ce qui les requiert immeacutediatement aux choses preacutesentes sans eacutegard agrave la preacutesence Ils gaspillent leur activiteacute et leurs loisirs pour ce quils ont lhabitude de pershycevoir t~ ~OXOUumlvtlX (fragment l 31) Ils le prennent pour le non-cacheacute cXAgraveY]0Yj (VIII 39) puisque nestshyce pas il leur apparaicirct et quainsi il nest plus cacheacute Seulement que devient leur dire sil ne peut ecirctre le AgraveEacuteyE~V le laquo laisser-eacutetendu-devant raquo Quand les mortels ne donnent aucune attention agrave la preacuteshysence cest-agrave-dire ne la pensent pas leur dire habishytuel devient un simple dire de noms et ce qui passe au premier plan dans ces noms cest le son eacutemis et la forme immeacutediatement saisissable de la parole au sens de mots prononceacutes et eacutecrits

Le deacutemembrement du dire (du laquo laisser-eacutetendu-deshyvant raquo) en mots signifiants fait eacuteclater le laquo prendreshydans-son-attention 1 raquoqui rassemble Celui-ci devient un X(xT(XmiddotdOecr6ct~ (VIII 39) une fixation qui fixe ceci ou cela pour lopinion qui est presseacutee Tout ce

1 Le lOf)

308 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

qui est ainsi fixeacute demeure gvoflCX Parmeacutenide ne dit aucunement que ce qui est habituellement perccedilu devient laquo pur et simpleraquo nom Mais ce qui est ainsi perccedilu demeure abandonneacute agrave un dire tout entier dirigeacute par les mots courants lesquels vite prononshyceacutes disent tout sur tout et vagabondent dans l laquoaussi bien que 1bullbull raquo

La perception des choses preacutesentes (des Egrave6ncx) nomme elle aussi ldvoc~ et connaicirct la preacutesence mais eacutegalement la non-preacutesence et dune faccedilon aussi hacirctive non pas certes comme le fait la penseacutee qui agrave sa maniegravere respecte la middot reacuteserve 2 du Pli (le (l~ i6v)Lopinion courante ne connaicirct qudvcx~ tamp

Xcxt OUgraveXL (VIII 40) la preacutesence aussi bien que la non-preacutesence Le poids de ce qui est ainsi laquobien connuraquo se trouve dans teuro-XOCL (VIII 40 et sq) laquo aussi bien que raquo Et lagrave ougrave la perception habishytuelle celle qui parle agrave partir des mots rencontre leacutemergence et la disparition 3 elle se satisfait de l laquo aussi bien que raquo aussi bien la geacuteneacuteration (y(yve()Ox~) que la middot mort (OAgraveAgrave)()OCXL) (VIII 40) Elle ne perccediloit jamais le lieu t6rcoc comme lenshydroit ougrave le Pli offre une demeure (Heimat) agrave la preacutesence des choses preacutesentes Dans l laquo aussi bienbull que raquo lopinion des mortels ne recherche que les changements (ampAgraveAgrave~()()e~v) de places La perception habituelle sans doute se meut dans la partie eacuteclaireacutee des choses preacutesentes elle voit ce qui brille (cpocv6v VIII 41) dans la couleur mais elle se deacutemegravene dans les changements (ampJd~eLV) de coushyleur et ne precircte aucune attention agrave la lumiegravere tranquille de cette clarteacute qui vient du deacutepliement du Pli et qui est la ltlgt~()~C le faire-apparaitre la

1 Dans le rEacute-xal dont il va ecirctre question 2 Au sujet de la laquo retenueraquo (Vorenthalt) de lecirctre cf p 174 Le

non-ecirctre (I-- ~ lv) est lecirctre en tant quil se reacuteserve ne se donne pas reste dans lombre Cf plus loin p 309 fin

3 Das Aufgehen und Untergehen le lever et le coucher comme on le dit des astres

MOIRA 309

faccedilon dont la parole est disante non la faccedilon dont parlent les mots les noms quentend loreille

Teacutegt 7tampv-r ovo~l()tcx~ (VIII 38) par cela tout (les choses preacutesentes) sera preacutesent dans ce deacutevoileshyment preacutetendu quapporte avec elle la domination des mots Par quoi cela se produit-il Par la MoLpcx par la dispensation 1 du deacutevoilement du Pli Comshyment faut-il lentendre Dans le deacutepliement du Pli en mecircme temps que la preacutesence paraicirct les choses preacutesentes apparaissent Les choses preacutesentes elles aussi sont choses dites mais dites dans les mots qui nomment dans le parler desquels se meut le dire ordinaire des mortels La dispensation du deacutevoileshyment du Pli (de ll6v) abandonne les choses preacutesentes (-reX egrave6vtcx) au percevoir quotidien des mortels

Comment se produit cet abandon des choses par la dispensation Par cela seulement que le Pli comme tel et avecIui son deacutepliement demeurent en retrait Est-ce qualors ce qui domine dans le deacutevoishylement cest quil se deacuterobe Penseacutee hardie mais Heacuteraclite la penseacutee Parmeacutenide la sentie sans la penser pour autant quentendant lappel de l AAgrave~-6eLCX il pense la MoLpcx de leacute6v la dispensation du Pli aussi bien dans son rapport agrave la preacutesence que dans son rapport aux choses preacutesentes

Parmeacutenide ne serait pas un penseur vivant agrave laube des deacutebuts de cette penseacutee qui se plie agrave la dispensation du Pli si sa penseacutee ne peacuteneacutetrait dans lampleur de leacutenigme qui se tait dans le mot-eacutenigme ro Qj-r6 le mecircme Lagrave sabrite ce qui meacuterite decirctre penseacute ce qui nous donne agrave penser se donne soishymecircme agrave penser comme eacutetant le rapport de la penseacutee agrave recirctre la veacuteriteacute de lecirctre au sens du deacutevoilement du Pli la reacuteserve observeacutee par le Pli (le tL~ Egrave6v) alors que preacutedominent les choses preacutesentes (-ramp Egrave6VTQ reX 8oxouumlv-rcx)

1 G6lChick envoi attribution et destin

310 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Le dialogue avec Parmeacutenide ne prend pas fin non seulement parce que dans les fragments conserveacutes de son Poegraveme didactique maintes choses demeurent obscures mais aussi parce que ce quil dit meacuterite toujours decirctre penseacute VIais que le dialogue soit sans fin nest pas un deacutefaut Cest le signe de lillishymiteacute qui en soi et pour la penseacutee qui se souvient preacuteserve la possibiliteacute dun revirement du destin

Qui toutefois nattend de la penseacutee quune assushyrance ct suppute le jour ougrave on pourra la laisser lagrave inutiliseacutee celui-lagrave exige lcsuicide de la penseacutee Exigence qui apparaicirct dans une eacutetrange lumiegravere quand nous songeons agrave ceci que lecirctre des mortels est inviteacute agrave faire attentiol agrave cette parole qui leur dit dentrer dans la mort Comme possibiliteacute extrecircmegrave de lexistence mortelle la mort nest pas la fin du possible mais elle est lAbri suprecircme 1 (la mise agrave labri qui rassemble) ougrave reacuteside le secret du deacutevoileshyment qui nous appelle

1 Das hiichste Gcbirg Cf p 6 n 2 et p 2]3

j

MOIRA

(PARMEacuteNIDE VIII 34-41)

Le rapport de la penseacutee et de lecirctre met en moushyvement toute la reacuteflexion de lOccident Il demeure la pierre de touche inalteacuterable qui montre dans quelle mesure et de quelle maniegravere sont accordeacutes faveur et pouvoir darriver agrave proximiteacute de ce qui sadressant agrave lhomme historique se dit agrave lui comme eacutetant ce quil faut penser Cest agrave ce rapport que Parmeacutenide donne un nom dans sa sentence (fragshyment III)

to yap tXocirc-ro voev Egravecr-r(v tE XIXt dWlL Car la mecircme chose sont penseacutee et ecirctre

Parmeacutenide explique la sentence agrave un autre endroit dans le fragment VIII 34-41 dont voici le texte

ttXocirc-rov 8EgraveOTL VOELV te x IXL ot)vexev ~OTL v6YJfLlX ougrave yap ampVEJ Ta) egrave6vTOCcedil egravev ifgt 1te~tXTLOfLeacutevov EgraveOTLV ampup~Oe~ccedil TO voe~v ougraveo~v YeXp ~ ~OTW ~ ~OTIX~ rJAgraveAgraveo mxpeccedil tO) Egrave61TOCcedil Egrave1tsL T6 ye Mo~p Egrave1tEacute01)OeuroV oi)AgraverJV ampx~lYJt6v t ~JJevIXL Teacutef) mxvt 01 0 tJ ~OTIXL oOOcx ~poTot xcx-rEacuteOelTO 1te1tot66-reccedil dVtXL cXAgrave1)6~ yLyvecr8xL Te XtXL OAgraveAgraveJ08tXL dltX( TE XtXL ougravext

l ilgt 1 6 ~A)(tXL T01tOV tXlltXcrcreuroLV oLtX Tt xp IX qgttXVOV ~fLeL~tLV

laquoPenser et la penseacutee qu laquoEstraquo est sont une mecircme chose car sans leacutetant ougrave elle reacuteside comme

280 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

chose eacutenonceacutee tu ne saurais trouver la penseacutee Certes il ny a rien ou il ny aura rien hors de leacutetant puisque la Moicircra lui a imposeacute decirctre un tout et immobile Ne sera donc quun nom tout ce que les mortels ont ainsi fixeacute convaincus que ceacutetait vrai laquodevenirraquo aussi bien que laquo peacuterir raquo laquo ecirctreraquo aussi bien que laquo ne pas ecirctre raquo laquo changer de lieuraquo aussi bien que laquo passer dune couleur hrillante agrave une autreraquo (trad W Kranz)

En quoi ces huit vers rendent-ils plus clair le rapport de la penseacutee et de lecirctre Ils semblent plushytocirct lobscurcir vu queux-mecircmes conduisent dans une reacutegion obscure et nous y laissent perplexes Aussi chercherons-nous dabord agrave nous instruire touchant le rapport de la penseacutee et de lecirctre en suivant dans leurs lignes essenticirceJles les interpreacuteshytations donneacutees jusquagrave preacutesent E~les se meuvent toutes dans lune ou lautre des trois perspectives que nous allons mentionner briegravevement sans expo~ ser en deacutetail comment chacune delles peut sapshypuyer sur le texte de Parmeacutenide En premier lieu on deacutecouvre la penseacutee dun point de vue dougrave elle apparaicirct elle aussi comme une chose qui est lagrave agrave cocircteacute de beaucoup dautres de sorte quen ce sens elle laquo est raquo Cette chose qui est ainsi doit donc comme ses semblables ecirctre ajouteacutee au compte des autres choses qui sont et passeacutee avec elles au compte geacuteneacuteral dune sorte de tout qui les embrasse Pareille uniteacute de leacutetant sappelle lecirctre La penshyseacutee en tant que chose qui est est connaturelle agrave toute autre chose qui est elle apparaicirct ainsi comme eacutetant identique agrave lecirctre

Pour faire une pareille observation il est agrave peine besoin de la philosophie Ranger agrave leur place dans lensemble de leacutetant toutes les choses qui soffrent agrave nous cest lagrave une opeacuteration qui pour ainsi dire sc fait delle-mecircme et qui nc concerne pas seulcshy

MOIRA 281

ment la penseacutee Voyager sur mer construire des temples parler dans lassembleacutee du peuple tous les modes de lactiviteacute humaine font partie de leacutetant et sont ainsi identiques agrave lecirctre On se demande avec surprise pourquoi Parmeacutenide jusshytement quant agrave cette activiteacute humaine qui sapshypelle la penseacutee tient agrave constater en bonne et due forme quelle rentre dans le domaine de leacutetant On pourrait mieux encore se demander pourquoi Parmeacutenide ajoute pour ce cas une justification particcediluliegravere agrave savoir par le lieu commun quil ny a pas deacutetant en dehors et agrave cocircteacute de leacutetant dans son ensemble

Mais quj y regarde mieux a cesseacute depuis longshytemps de seacutetonner lagrave ougrave on se repreacutesente encore la doctrine de Parmeacutenide de la faccedilon deacutecrite On est passeacute agrave cocircteacute de sa penseacutee qui doit alors subir middotces tentatives rudes et maladroite~ pour lesquelles sans doute ceacutetait deacutejagrave un effort que de ranger dans le tout de leacutetant tout eacutetant quelles rencontrent la penseacutee entre autres

Aussi notre meacuteditation gagne-t-elle peu de chose agrave jeter un regard sur cette interpreacutetation massive du rapport de lecirctre et de la penseacutee interpreacutetation qui ne se repreacutesente rien si ce nest agrave partir de la masse de leacutetant constatable Elle nous fournit pourtant une occasion inestimable celle de bien marquer speacutecialement et degraves le deacutebut que nulle part Parmeacutenide ne cherche agrave montrer que la penshyseacutee est elle aussi lun des nombreux egraveQJtIX lun des eacutetants middot varieacutes dont chacun tantocirct est et tanshytocirct nest pas et ainsi eacutevoque toujours agrave la fois les deux ideacutees decirctre et de ne pas ecirctre ce qui vient agrave nous et ce qui sen va

En face de cette interpreacutetation immeacutediatement accessible agrave un chacun de la sentence parmeacutenishydienne un autre traitement plus reacutefleacutechi du texte deacutecouvre au moins dans les vers VIII 34 et suiv

283 282 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

des laquo assertions difficilement intelligibles raquo Pour faciliter leur intellection cherchons autour de nous une aide approprieacutee Ougrave la trouver Manifestement dans une faccedilon de comprendre qui ait peacuteneacutetreacute plus profondeacutement dans ce rapport de la penseacutee et de lecirctre que Parmeacutenide essaie de penser Une telle peacuteneacutetration se reacutevegravele en ceci quellc interroge Elle interroge au sujet de la penseacutee cest-agrave-dire de la connaissance du point de vue de son rapport agrave lecirctre cest-agrave-dire agrave la reacutealiteacute Consideacuterer de cette maniegravere le rapport de la penseacutee et de lecirctre est un des soucis majeurs de la philosophie moderne Elle a finalement agrave cet effet eacutelaboreacute une discipline parshyticuliegravere la theacuteorie de la connaissance laquelle aujourdhui encore passe souvent pour laffaire essentielle de la philosophie Cette affaire a seuleshyment reccedilu un nouveau nom et sappelle agrave preacutesent laquo meacutetaphysiqueraquo ou laquoontologie de la connaisshysance raquo Celle de ses formes qui assume aujourdhui un rocircle directeur et dont la porteacutee va le plus loin sest deacuteveloppeacutee sous le nom de laquo logistique raquo En elle la sentence de Parmeacutenide par lefret dune transformation eacutetrange impossible agrave preacutevoir reccediloit une autoriteacute deacutecisive Ainsi la philosophie moderne sait-elle quelle est deacutesormais partout en mesure de son point de vue qui se croit supeacuterieur de donshyner son vrai sens agrave la parole de Parmeacutenide sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre Eu eacutegard agrave la puissance toujollrs intacte de la penseacutee moderne (dont la philosophie de lexistence et lexistentiashylisme sont avec la logistique les rameaux les plus vivaces) il est neacutecessaire de marquer plus claireshyment la perspective deacuteterminante dans laquelle se meut linterpreacutetation moderne de la sentence parshymeacutenidienne

Dans lexpeacuterience que la philosophie moderne a de leacutetant celui-ci apparait comme lobjet Leacutetant se tient en face ce qui nest possible que par la

MOIRA ~

perception et pour elle Comme Leibniz la vu assez clairement le percipere en tant quappetitus avance la main vers leacutetant et le saisit pour lamener agrave eoi dans le concept par une saisie qui traverse et pour rapporter sa preacutesence (repraesentare) au pershycipere La repraesentatio la Vorstellung se deacutetershyniine comme ce qui en percevant rapporte agrave soi (au moi) ce qui apparaicirct

Parmi les piegraveces doctrinales de la philosophie moderne une thegravese sc deacutetache quon ne peut sempecirccher de ressentir comme libeacuteratrice degraves lors quavec s~n aide on essaie deacutelucider la sentence de Parmeacutenide Nous parlons de la thegravese de Berkeshyley qui repose sur la position meacutetaphysique fonshydamentale de Descartes et qui seacutenonce esse = percipi laquo ecirctreraquo eacutegale laquoecirctre-repreacutesenteacute raquo Lecirctre tombe sous la deacutependance de la repreacutesentation au sens de la perception La thegravese de Berkeley creacutee dabord lespace agrave linteacuterieur duquel la sentence de Parmeacutenide devient accessible agrave une interpreacutetation scientifique et philosophique et est ainsi arracheacutee aux brumes dun pressentiment agrave demi poeacutetique ce quest preacutesume-t-on la penseacutee preacutesocratique Esse = percipi ecirctre cest ecirctre repreacutesenteacute Lecirctre est en vertu de la repreacutesentation Lecirctre est eacutegal agrave la penseacutee pour autant que lobjcctiteacute des objets se compose se constitue dans la conscience repreacutesenshytante dans le laquoje pense quelque chose raquo A la lumiegravere de cette assertion touchant le rapport de la penseacutee et de lecirctre la sentence de Parmeacutenide apparaicirct comme une gauche preacutefiguration de la theacuteorie moderne concernant la reacutealiteacute et sa connaisshysance

Sans doute nest-ce pas par hasard que Hegel dans son Cours dhistoire de la philosophie (Œuvr XIII 2e eacuted p 274) cite ct traduit la sentence de Parmeacutenide sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre BOUS la forme quelle a dans le fragment VIII

284 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

laquoLa Penseacutee (Denken) et ce pourquoi la laquo penseacutee (Gedanke) est sont une mecircme chose laquoCar sans leacutetant dans lequel elle seacutenonce laquo (egravev cfgt 7tecpcxtLO-lEacutevov euroOtlV) tu ne trouveras laquo pas la Penseacutee car il ny a rien et il ny aura laquo rien en dehors de leacutetant raquo Telle est la penshyseacutee principale La Penseacutee se produit et ce qui est produit est une penseacutee La Penseacutee est ainsi identique agrave son ecirctre car il ny a rien hors de lecirctre cette grande affirmation raquo

Lecirctre pour Hegel est laffirmation de la penshyseacutee (Denken) qui se pro-duit elle-mecircme Lecirctre est une production de la penseacutee de la perception par laquelle Descartes interpregravete deacutejagrave lidea Par la penshyseacutee lecirctre en tant que le fait pour la repreacutesentashytion decirctre affirmeacutee et poseacutee est transfeacutereacute dans le domaine de l laquoideacuteal raquo Pour Hegel aussi mais dune maniegravere incomparablement plus meacutediteacutee et preacutepareacutee par lœuvre de Kant lecirctre est la mecircme chose que la penseacutee Lecirctre est identique agrave la penshyseacutee agrave savoir agrave ce quelle eacutenonce et affirme Placeacute dans la persvective de la philosophie moderne Hegel peut ainsi eacutemettre le jugement suivant sur la sentence de Parmeacutenide

laquo Leacuteleacutevation dans le royaume de lideacuteal est ici visible ce qui montre que la speacuteculation philosophique 1 proprement dite a commenceacute avec Parmeacutenide sans doute ce commenceshyment est-il encore trouble et indeacutetermineacute et lon ne peut expliquer davantage ce qui sy trouve mais cette explication est preacuteciseacutement le deacuteveloppement de la philosophie elle-mecircme lequel nest pas encore preacutesent ici raquo (loc cit p 274 et sq)

1 Dos Phil3sophieren

MOIRA 285

Pour Hegel la philosophie cst preacutesente lagrave seuleshyment ougrave le savoir absolu qui se pcnse lui-mecircme est la reacutealiteacute elle-mecircme purement et simplement Leacuteleacuteshyvation qui sachegraveve de lecirctre dans la penseacutee de lesprit entendu comme reacutealiteacute absolue a lieu dans la logique speacuteculative et comme telle

Dans la perspective de cet achegravevement de la philosophie moderne la sentence de Parmeacutenide appaaicirct comme le deacutebut de la speacuteculation philoshysophi -Iue proprement dite cest-agrave-ugraveire de la logique au sens de Hegel mais seulement comme son deacutebut A la penseacutee de Parmeacutenide manque encore la forme speacuteculative cest-agrave-dire dialectique que Hegel au contraire trouve chez Heacuteraclite Il dit de ce dershynier laquo Ici la terre est en vue il ny a pas une phrase dHeacuteraclite que je naie reprise dans ma Logiqueraquo (loc cit p 301) La Logique de Hegel nest pas seulement la seule interpreacutetation moderne pertinente de la thegravese de Berkeley elle en est la reacutealisation absolue Il est hors de doute que la thegravese de Berkeley esse = percipi repose sur ce que la sentence de Parmeacutenide a eacutenonceacute pour la premiegravere fois Mais en mecircme temps ces attaches historiques qui relient la thegravese moderne agrave la sentence antique se fondent agrave proprement parler sur une diffeacuterence qui seacutepare ce qui est dit et penseacute ici et lagrave diffeacuteshyrence telle quon pourrait agrave peine lestimer plus

middotmiddottrancheacutee La diffeacuterence va si loin que de son fait la posshy

sibiIiteacutede connaicirctre ce quelle seacutepare est eacuteteinte abolie 1 Inugraveiquer cette diffeacuterence cest laisser

entendre que notre interpreacutetation de la sentence de Parmeacutenide procegraveugravee dun mougravee de penseacutee tout autre que celui de Hegel La thegravese esse = percipi offre-t-elle linterpreacutetation correcte de la sentence -ro (eXp rxugrave-ro Oamp~EgraveO1(v 1amp xcxt dVcxL Les deux

1 Verschiedcnlaquo deacuteceacutedeacute raquo qui fait eacutecho agrave Vcrschiedcnhcit laquo difshyfeacuterence raquo

286 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

eacutenonceacutes agrave supposer que nous puissions les deacutesigner ainsi disent-ils que penser et ecirctre sont identiques Et mecircme sils le disent le disent-ils dans le mecircme sens Un regard attentif aperccediloit immeacutediatement entre les deux eacutenonceacutes une diffeacuterence que lon serait tenteacute deacutecarter comme apparemment superficielle Dans les deux formes quil lui a donneacutees (fragshyment III et VIII 34) Parmeacutenide construit sa senshytence de telle faccedilon que chaqlle fois voe~v (penser) preacutecegravede dv~~ (ecirctre) Au contraire Berkeley nomme esse (ecirctre) avant percipi (penser) Ceci semble indishyquer que Parmeacutenide accorde la preacutefeacuterence agrave la penshyseacutee et Berkeley agrave lecirctre Pourtant cest le contraire qui est vrai Parmeacutenide confie la penseacutee agrave lecirctre Berkeley renvoie lecirctre agrave la penseacutee Pour reacutepondre agrave la sentence grecque et sy identifier dans une certaine mesure la thegravese moderne devrait se lire percipi = esse

La thegravese moderne eacutenonce quelque chose sur lecirctre au sens de lobjectiteacute pour la repreacutesentation qui saisit au travers 1 La sentence grecque attrishybue la penseacutee entendue comme la perception qui rassemble agrave lecirctre cest-agrave-dire agrave la preacutesence Cest pourquoi toute interpreacutetation de la sentence grecque qui se meut dans la perspective de la penseacutee moderne seacutegare degraves le deacutebut Pourtant ces interpreacutetations qui nous apparaissent sous des formes multiples suffisent agrave une tacircche dont on ne pouvait se dispenshyser elles rendent la penseacutee grecque accessible agrave la penseacutee-repreacutesentation des modernes et confirment cette derniegravere dans son progregraves quelle a voulu elle-mecircme et qui la porte agrave un niveau laquo supeacuterieurraquo de la philosophie

Des trois perspectives qui ont eacuteteacute deacuteterminantes pour toutes les interpreacutetations de la sentence de Parmeacutenide la premiegravere nous montre la gtenseacutee

1 Cf p 283

MOIRA 287

comme quelque chose qui est donneacute devant nous et la range dans le reste de leacutetant

La seconde perspective comprend lecirctre agrave la moderne comme le fait pour les objets decirctre repreacuteshysenteacutes comme objectiteacute pour le moi de la suhjecshytiviteacute

Dans la troisiegraveme perspective nous retrouvons un trait fondamental de tout ce qui dans la phishylosophie antique a reccedilu la marque de Platon Suivant la doctrine de Socrate et de Platon les ideacutees constituent dans tout eacutetant ce qui laquo estraquo 1

Mais leB ideacutees nappartiennent pas au domaine des exLcr01)tamp de ce que les sens nous font percevoir Nous ne pouvons contempler les ideacutees dans leur pureteacute G~ue par le vodv par la perception du nonshysensible Lecirctre rentre dans le domaine des v01)tamp du non- et supra-sensible Plotin interpregravete la senshytence de Parmeacutenide dans le sens platonicien suishyvant lequel Parmeacutenide veut middotdire lecirctre est quelque chose de non-sensible Le poids de la sentence tombe stlr la penseacutee quoique dans un autre sens que pour la philosophie moderne Lecirctre est caracshyteacuteriseacute par le mode non-sensible de la penseacutee Dapregraves linterpreacutetation neacuteo-platonicienne de la sentence de Parmeacutenid e celle-ci nest ni une assertion sur la penseacutee ni une assertion sur lecirctre encore moins une asse)middottion sur lecirctre de linterdeacutependance des deux~ tant que diffeacuterents La sentence est une assertion sur ceci que tous deux font eacutegalement partie dt non-sensible

Chacune des trois perspectives est telle que la penFieacutee la plus ancienne des Grecs sy trouve transshyfeacutereacutee dans le domaine ougrave la meacutetaphysique ulteacuteshyrieure a p oseacute et imposeacute ses questions Il est agrave preacuteshysumer cep~ndant que toute penseacutee tardive qui tente deacutetablir un dialogue avec la penseacutee ancienne ne

J An jedm SciClacIen da laquoseiend raquo

288 ESSAIS ET CONFEacuteflENCES

peut faire autre chose que dentendre du lieu mecircme ougrave chaque fois elle seacutejourne et damener ainsi agrave un dire le silence de la penseacutee ancienne On ne peut sans doute eacuteviter que par lagrave la penseacutee ancienne soit inteacutegreacutee agrave un parler reacutecent transfeacutereacutee dans le champ deacutecoute et dans lhorizon visuel de ce dershynier et pour ainsi dire priveacutee de la liberteacute de son langage propre Pareille inteacutegration toutefois nimshypose aucunement une interpreacutetation qui se contente de convertir en modes tardifs de repreacutesentation ce qui a eacuteteacute penseacute au deacutebut de la penseacutee occidentale Le point deacutecisif est de savoir si le dialogue engageacute se libegravere degraves le deacutebut et toujours agrave nouveau afin de reacutepondre agrave ce que sous condition decirctre intershyrogeacutee lui dit la penseacutee ancienne ou bien si le diashylogue se ferme agrave ce dire et recouvre la penseacutee ancienne dopinions doctrinales t~rdives Ce qui a lieu degraves que la penseacutee reacutecente omet de senqueacuterir speacutecialement du champ deacutecoute et de lhorizon visuel de la penseacutee ancienne

Qui fait effort en ce sens ne doit pourtant pas se horner agrave une recherche laquo historiqueraquo qui deacutegageshyrait seulement les preacutesupposeacutes inexprimeacutes sur lesshyquels repose la penseacutee ancienne alors que dans ce travail les preacutesupposeacutes sont deacutefinis suivant ce qui est accepteacute comme veacuteriteacute eacutetablie par linterpreacutetashytion moderne et ce qui nest plus accepteacute comme tel parce que deacutepasseacute par le progregraves de la penseacutee Lenquecircte dont nous parlons doit ecirctre au contraire un dialogue ougrave les anciens champs deacutecoute et les horizons visuels dautrefois sont consideacutereacutes dapregraves leur origine essentielle afin que commence agrave sadresshyser agrave nous cette invitation 1 sous laquelle se tiennent chacune agrave sa faccedilon la penseacutee ancienne celle qui la suivie et celle qui vient Qui tente dinterroger ainsi

1 Geheiss ici un appel une incitation qui met sur le bon cheshymin aide au voyage ct agrave larriveacutee Cf Was hriss J)mkm pp 85 et 152

MOlfl 239

dirigelU dabord SUll Jcgard vers les pa~sages obscurs dun texte ancien et ne seacutetablira pas agrave demeure sur ceux qui sabritent derriegravere une apparence intelshyligible car de cette maniegravere le dialogue prcnd fin avant davoir commenceacute

Dans les remarques que nous avons encore agrave faire le texte citeacute ne sera plus examineacute que dans une suite dexplications seacutepareacutees Celles-ci voushydraient aider agrave preacuteparer une translation 1 qui penshy~ant lancicn dire grec le ferait passer dans ce qui vient agrave nous dune penseacutee eacuteveilleacutee agrave son commenceshyInent

1

Nous examinons le rapport de lecirctre et de la penseacutee Avant toute chose il nous faut noter que le texte (VIII 34 et sq) qui considegravere ce rapport de plus pregraves parle de legraveov et non comme Je fragshyment III de lEgraveIV(XL On pense donc aussitocirct et non sans un certain droit quil nest pas question de lecirctre dans le fragment VIII mais bien de leacutetant rlais sous le nom dlov Parmeacutenide ne pense aucushynement leacutetant en soi comme ce tout auquel la penseacutee appartient elle aussi pour autant quelle est quelque chose deacutetant Tout aussi pen Egraveov deacutesigne-t-illdvcxL au sens de lecirctre pour soi comme si le penseur tenait agrave faire ressortir le caractegravere non sensiblc de lecirctre par opposition agrave leacutetant qui est sensible LEgraveov leacutetant est bien plutocirct penseacute dans le Pli 2 de lecirctre et de leacutetant et il conserve sa valeur de participe 3 sans que deacutejagrave le concept grammatishy

1 Vcblrsctung laquo transfertraquo ou laquo traduction raquo Iri lun ct lnutre Cf op rit pp HO-141

2 7lrilflll Cf p 89 D 1 3 Tout partieipe est il double sens pa[(t~ quil ticnt agrave la foi~ dn

erbe ct du lIom Dans ~v nOl1~ trollv()n~ lmte dltn (t tvll) (cns verhal) mois alls~i ce qui (st (T) Eacuterv) (sens nnlllinal) Cest pourquoi iov tst en quelque Hlrte Il~ num nalurll UgraveU Pli ugravee lecirctre ct de

290 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cal intervienne speacutecialement dans le savoir concershynarit la langue Le Pli peut du moins ecirctre suggeacutereacute par les tournures laquo ecirctre de leacutetantraquo et laquo eacutetant dans lecirctre raquo Seulement laquo ce qui deacuteplie 1 raquo se cache dans le de et le dans bicn plutocirct que par ces mots il ne nous oriente vers son ecirctre Les deux tournures sont tregraves loin de penser le Pli comme tel plus encore deacutelever son deacutepliement au niveau des choses qui meacuteritent interrogation 2

L laquoecirctre lui-mecircme raquo dont on a tant parleacute demeure en veacuteriteacute aussi longtemps quil est appreacutehendeacute comme ecirctre toujours lecirctre au sens de lecirctre de leacutetant Ce sont toutefois les prcmiers temps de la penseacutee occidentale qui ont reccedilu la tacircche de consideacuterer ce qui est dit dans le mot dvcxt laquo ecirctre raquo dans un regard agrave sa mesure ct de le voir ainsi comme ltDucnccedil A6yoccedil Ev Comme le rassemshyblement qui regravegne dans lecirctre unit tout leacutetant il suffit que lon pense agrave ce rassemblement pour que naisse lapparence ineacutevitable et toujours plus tenace que lecirctre (de leacutetant) nest pas seulement identique agrave leacutetant dans son ensemble mais que en tant quidentique et aussi en tant que laquo ce qui unit raquo il est mecircme leacutetant maximum (das Seiendste) Pour la penseacutee qui se repreacutesente tout devient un eacutetant

Le Pli de lecirctre ct de leacutetant semble comme tel se perdre dans linconsistant bien que la penseacutee depuis ses deacutebuts chez les Grecs se meuve toujours dans le deacuteplieacute de son deacutepli mais sans quelle ait consideacutereacute ougrave il seacutejournait et encore moins precircteacute quelque attention au deacutepIiement du Pli Au deacutebut

Jeacutetant et de mecircme que ce Pli est le Pli par excellence eacuteov est le Participe par excellence (Cf op cil pp 133-136 et 174)

1 Das Jalcndlgt - Dans laquo lecirctre de leacutetantraquo (ou laquo leacutetant dans lecirctr~ raquo) le de (011 le dans) seacutepare lecirctre et leacutetant autrement applishyqueacutes lun contre lautre et marque leur distinction La preacuteposition jouc le rocircle du laquo deacutepliantraquo dont elle est le algue

2 lM lraguUrcJiStJ Cf p 76 n 1

lIOIRA 291

de la penseacutee occidentale le Pli disparaicirct sans quon sen aperccediloive Et pourtant il nest pas rien Cette disparition confegravere mecircme agrave la pen-eacutee grecque la maniegravere dun deacutebut en ce que reacuteclairement de lecirctre de leacutetant se cache comme eacuteclairement Que la duumlparition du Pli se cache~ ce fait est aussi capital que le point de savoir ougrave le Pli sen va Oil tombeshyt-il dans loubli 1 Lempire durable de celui-ci socculte en tant que cette A~81j avec laquelle l AAgrave~e~~~ fait corps dune faccedilon si immeacutediate que la premiegravere peut se retirer au beacuteneacutefice de la seconde et lui abandonner le pur deacutevoilement dans le mode de la ltDucnccedil dn Aoyoccedil de l Ev comme si le deacutevoishylement navait pas besoin du voilement

Mais ce qui en apparence est pure clarteacute est peacuteneacutetreacute et reacutegi par lobscuriteacute Cest lagrave que demeure en retrait le deacutepliement du Pli aussi bien que sa disparition lors des deacutebuts de la penseacutee Pourtant il nous faut dans ltov faire attention au Pli de lecirctre et de leacutetant afin de suivre la discussion que Parmeacutenide consacre au rapport de la penseacutee et de lecirctre

II

En toute briegraveveteacute le fragment III dit que la ~seacutee fait partie de lecirctre Comment caracteacuteriser cette appartenance Question qui vient trop tard La sentence concise a deacutejagrave donneacute la reacuteponse dans ses premiers mots tagrave yip cxtrro laquo agrave savoir le mecircme raquo Dans la version du fragment VIII 34 la sentence commence par le mecircme mot tQugravetov Ce mot reacutepond-il agrave notre question laquode quelle maniegravere la penseacutee appartient-elle agrave lecirctre raquo en disant que les deux sont laquo le mecircmeraquo Le mot napporte pas de reacuteponse Tout dabord parce que la deacutetermination

1 Sur loubli du Point le Plus Critique lecirctre de loubli la dishytinction du deacutebut et du commencement cf op cil pp 97middot98

292 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

laquo le mecircmeraquo exclut quil puisse ecirctre question dune appartenance laquelle ne peut exister quentre deux choses diffeacuterentes Ensuite parce que le mot laquo le mecircmeraquo nous laisse ignorer complegravetement egrave quel point de vue et pour quelle raison le diffeacuterent sacshycorde dans le mecircme Aussi tagrave cxlh6 le mecircme demeure-t-il le mot-eacutenigme dans les deux fragshyments sinon mecircme pour toute la penseacutee de Parshymeacutenide

Si nous croyons que le mot tagrave CXt)to le mecircme veut dire lidentique et si qui mieux est nous tenons lidentiteacute pour la condition claire comme le jour de la pensabiliteacute de tout le pensable alors agrave vrai dire cette opinion nous fait perdre de plus en plus la faculteacute dentendre le mot-eacutenigme agrave supposer que nous ayons deacutejagrave perccedilu son appel Il suffit en attendant que nous ayons toujours le mot dans loreille comme un terme meacuteritant decirctre penseacute Ainsi demeurons-nous de ceux qui entendent et precircts agrave laisser le mot reposer en lui-mecircme comme mot-eacutenigme afin que tout dabord nous tendions loreille de tous cocircteacutes ouverte agrave un dire qui puisse nous aider agrave consideacuterer la pleine mesure deacutenigme contenue dans le mot

Parmeacutenide nous offre une aide Il dit plus claishyrement dans le fragment VIII comment il faut penser l laquo ecirctreraquo auquel appartient le VOeuro~v Au lieu dampvcxL Parmeacutenide dit maintenant l6v leacutetant qui par son double sens deacutesigne le Pli Mais le VOELV de son cocircteacute sappelle maintenant v61JL~ ce qui est pris dans lattention dun percevoir ayant eacutegard agrave ce quil perccediloit 1

Legrave6v est nommeacute speacutecialement comme ce oucircvexev

1 Das in die Acht genommene eines achtenden Vernehmens - Le percevoir (le VOElY) a eacutegard agrave ce quil perccediloit et a des eacutegards pour lui Il respecte sa liberteacute le laisse ecirctre le laisse laquo eacutetendu-devant raquo Sur cette interpreacutetation de VOEty cf Was heisst Dcnken Pl 121shy125

MOIRA 293

~C1t1 VO1)LIX ce pour quoi la penseacutee (Gedanc) est preacutesente (Sur le penser et la penseacutee cf le cours ifas heisst denken 1 Niemeyer eacutedit Tuumlbingen 1954 pp 91 et suiv)

La penseacutee est preacutesente en raison du Pli qui nest amais dit Lapproche de la penseacutee est en route vers le Pli de lecirctre et de leacutetant laquo Prendre dans s(Jn attentionraquo cest sapprocher du Pli 3 cest (dapregraves le fragment VI) ecirctre deacutejagrave rassembleacute et tendre vers le Pli par leffet du AgraveEacuteyew preacutealable du laisser-eacutetendu-devant Par quel moyen et comshyment De cette faccedilon que le Pli agrave cause duquel les mortels trouvent le chemin de la penseacutee reacuteclame lui-mecircme une telle penseacutee pour lui

Nous sommes encore tregraves loin de connaicirctre par une expeacuterience conforme agrave son ecirctre le Pli lui-mecircme ce qui veut dire aussi le Pli en tant quil reacuteclame la penseacutee Le dire de Parmeacutenide neacuteclaire quun point si la penseacutee est preacutesente ce nest ni en raison des egrave6vt(X de l laquo eacutetant en soi raquo ni par soumission agrave la volonteacute de ldvllL au sens de l laquo ecirctre pour soiraquo En dautres termes ni l laquo eacutetant en soiraquo ne rend

1 laquo Que veut dire penser raquo Il sagit ici du livre citeacute agrave la note preacuteshyceacutedente et non de la confeacuterence reproduite plus haut cf p 151 n 1 - laquo Le penser et la penseacuteeraquo Denken und Gedanc - Dapregraves le livre citeacute pp 92 et 157 le Gedanc (forme meacutedieacutevale de Gedanke) qui traduit ici v07jJ-a est le laquo cœur raquo le laquo fond du cœur raquo ce qui en lhomme est le plus inteacuterieur et qui en mecircme temps seacutetend le plus loin agrave lexteacuterieur aussi loin quon puisse aller Il est la penseacutee-soushyvenir (Gedenken) recueillie et toute-rassemblante En lui reposent la meacutemoire (Gediichtnis) entendue comme le recueillement constant de lesprit (Gemuumlt) sur ce qui se dit agrave nous dessentiel et le remershyciement (Dank) cest-agrave-dire la penseacutee tourneacutee vers ce quil faut penser vers ce qui nous donne le plus agrave penser - Sur tous les termes en ge- voir N du Tr 2

2 La preacutesence (Anwesen) de la pensee est lapproche (An-wesen) par laquelle eUe se reacutefegravere au Pli et tend vers lui

3 ln-die-Acht-Nehmen west die Zwiefalt an laquoPrendre dans son attentionraquo est le fait du voetv du laquo percevoirraquo (Vernehmen) Cf p 292 n 1 Sur la traduction de VOftV parlaquo percevoirraquo (vershynehmen) laquoprendre dans son attentionraquo (in die Acht nehrnm) et laquo flairer eacuteventerraquo (wittern) cf Was heisst Denken pp 124-125 et 172-173

294 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

neacutecessaire une penseacutee ni l laquo ecirctre pour soiraquo ne contraint la penseacutee Tous deux chacun pris pour soi ne font jamais savoir comment l laquoecirctreraquo reacuteclame la penseacutee Mais celle-ci deacuteploie son ecirctre agrave cause du Pli de lun et de lautre agrave cause de li6v Cest en allant vers le Pli que le laquo prendre-dans-sonshyattention 1raquo sapproche de lecirctre Cest dans une telle approche 2 que la penseacutee appartient agrave lecirctre Que dit Parmeacutenide de cett~ appartenance

III

Parmeacutenide dit que le voe est 1CerplXtLOfLEacutevOV iv t~ egrave6vtt On traduit par la penseacutee qui comme chose eacutenonceacutee est dans leacutetant

Mais comment pourrions - nous percevoir et comprendre ce que cest que decirctre ainsi laquo eacutenonceacuteraquo (ausgesprochen) aussi longtemps que nous ne nous soucions pas de savoir ce que veulent dire ici laquo chose diteraquo laquo parler raquo laquo langage raquo aussi longshytemps que nous nous empressons de prendre li6v pour leacutetant et que nous lagraveissons indeacutetermineacute le sens du mot laquo ecirctreraquo Comment pourrions-nous connaicirctre le rapport du voeLv au 1CeCPIXtLCJfLEacutevov aussi longtemps que nous ne deacuteterminons pas le voev suffisamment en tenant compte dumiddot fragshyment VI (Cf le cours citeacute pp 124 et sq) Le voeLv dont nous voudrions consideacuterer lappartenance agrave liov est fondeacute dans le AgraveEacuteyeLV et deacuteploie son ecirctre agrave partir de lui Lagrave dans le AgraveEacuteyeLV a lieu celaquo laissershyeacutetendu-devantraquo qui laisse la chose preacutesente eacutetenshydue dans sa preacutesence Cest seulement en tant quelle est ainsi eacutetendue-devant que la chose preacuteshysente peut comme telle inteacuteresser le voeLvce qui laquoprend dans son attentionraquo Aussi le v61lfLlX en tant que VOOUfLevov du vociv est-il toujours deacutejagrave

1 Le 10Er Voir la note preacuteceacutedente ~ Anmiddotweaen Voir cimiddotdeul8 p 293 n 2

MOIRA 295

un AgraveeyoflevOV du AgraveEacuteyetv Mais lecirctre du dire tel que les Grecs lont perccedilu repose dans le AgraveEacuteyeLV Cest pourquoi le voeicircv est une chose dite et cela dans son ecirctre et jamais seulement apregraves coup ou par accident Sans doute toute chose dite nest pas aussi forceacutement une chose prononceacutee (ein Gesshyprochenes) Il est possible et parfois mecircme neacutecesshysaire quelle demeure une chose tue Tout ce qui est prononceacute et tout ce qui est tu est deacutejagrave chose dite Mais non linverse

En quoi consiste la diffeacuterence de la chose dite et de la chose prononceacutee Pourquoi Parmeacutenide caracshyteacuterise-t-il le VOOUf1EVOV et le voe~v (VIII 34 et sq) comme 1CEcplXt~crfLEacutevo On traduit ce mot par laquo parleacute raquo ce qui est exact au point de vue lexicoshygraphique Mais en quel sens perccediloit-on un parler tel que le deacutesignent cpampcrXeLV et cpcfVIXL laquo Parlerraquo nest-il ici que la manifestation sonore (cpltugravev~) de ce quun mot ou une phrase signifient (OYjf1(XLVELV) Est-ce quici lon comprend laquo parlerraquo comme lexshypression dune chose inteacuterieure dune chose de lacircme donc comme reacuteparti entre ses deux composhysants le phoneacutetique et le seacutemantique Nulle trace de tout cela dans lexpeacuterience qui perccediloit le parler comme cpcfv XL le langage comme 9cfCJ~ccedil Dans Ccedil)ampcrXeLV se rencontrent les sens appeler nommer avec des louanges sappeler mais tout cela parce que lecirctre mecircme du mot est laquo faire apparaicirctreraquo Clgtampcrpcx est lapparition des eacutetoiles de la lune le fait quils se montrent ou quils se cachent ltlgtXcreLCcedil deacutesigne les phases Les phases de la lune sont les modes changeaqts de son paraicirctre ltlgtcfOlC est la parole disante (Sage) laquodireraquo (sagen) signifie faire apparaicirctre ltgt~f1( je dis est identique en son ecirctre quoique non eacutequivalent agrave Agraveeuroyltugrave amener la chose preacutesente devant nous dans sa preacutesence lameshynet agrave apparaicirctre et agrave rester eacutetendue

Ce qui inteacuteresse Parmeacutenide cest dexaminer ougrave

296 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

le VOeacuteLV a oa place Car cest sculemcnt lagrave ougrave il a originairement sa place que nous pouvons le troushyver juger de notre deacutecouverte voir comment la penseacutee fait corps avec lecirctre Quand Parmeacutenide perccediloit le VOELV comme 7tecp(Xt~cr1-Eacutevov cela ne veut pas dire que le VOcLV soit une chose eacutenonceacutee et quil doive ainsi ecirctre chercheacute dans les paroles prononceacutees ou dans les signes de leacutecriture comme un eacutetant perceptible agrave lun ou lautre de nos sens Le croire serait seacutegarer et seacuteloigner au maximum de la penseacutee grecque et mecircme si lon voulait se repreacuteshysenter le parler et ce quil eacutenonce comme des faits de conscience et eacutetablir la penseacutee comme acte de conscience dans le domaine de pareils faits Le vociv lelaquo prendre-dans-son-attention raquo et ce quil a perccedilu 1 sont une chose dite ameneacutee agrave paraicirctre Mais ougrave Parmeacutenide dit egravev tw egraveOVtl dans legraveov dans le Pli de la preacutesence et d~ la chose preacutesente Ceci donne agrave penser et nous libegravere deacutefinitivement du preacutejugeacute hacirctif dapregraves lequel la penseacutee serait exprimeacutee dans la parole prononceacutee Nulle part il nen est question

Dans quelle mesure le VOELV peut-il la penseacutee doit-elle apparaicirctre dans le Pli Dans la mesure ougrave le deacutepliement qui conduit dans le Pli de la preacutesence et de la chose preacutesente eacute-voque le laquo laisser-eacutetendu devant raquo le Agraveeuroye~v et dans l laquo ecirctre-eacutetendushydcvant raquo ainsi libeacutereacute de la chose eacutetendue donne au voeicircv quelque chose quil peut prendre dans son attention pour ly preacuteserver Seulement Parmeacutenide ne pense pas encore le Pli comme tel encore moins pense-t-il le deacutepliement du Pli Mais Parmeacutenide dit (VIII 35 et sq) ougrave yagravep ampveu tou EacuteoVtocbull eup~cre~ccedil to voucircv car seacutepareacute du Pli tu ne peux trouver la penseacutee Pourquoi pas Parce quinviteacutee par legraveov elle a sa place avec lui dans le rassemshy

1 laquo Il a perccediluraquo on retrouve le passeacute-preacutesent deacutejagrave observeacute Cf pp 260 262 263 et les notes

MOIRA 297

hlement parce que cest la penseacutee elle-mecircme reposhysant dans le AgraveEacuteyelV qui accomplit le rassemblement agrave lappel de lEacute6v et qui reacutepond de cette maniegravere agrave son appartenance agrave legraveov comme agrave une apparteshynance mise en œuvre (gebrauchten) agrave partir de celui-ci Car le voeicircv ne perccediloit pas nimporte quoi mais seulement cette chose unique nommeacutee dans le fragment VI Eacuteov Euml1-1-eV(XL leacutetant-preacutesent (das Anwesend) dans sa preacutesence

Autant de choses non penseacutees et meacuteritant de lecirctre sannoncent dans lexposeacute de Parmeacutenide autant se projette de clarteacute sur ce qui est avant tout neacutecessaire si lon veut meacutediter comme il convient cette appartenance de la penseacutee agrave lecirctre dont Parmeacutenide nous parle Nous devons apprendre agrave penser lecirctre du langage agrave partir du dire et agrave penshyser ce dernier comme laisser-eacutetcndu-devant (Agraveoyoccedil) et comme faire-apparaicirctre (cpcicrLCcedil) Il est dabord difficile de mener agrave bien une pareille tacircche parce que ce premier eacuteclairement de lecirctre du langage comme parole disante (Sage) sassombrit et disshyparaicirct bientocirct et quil laisse le champ libre agrave une caracteacuterisation du langage qui le repreacutesente deacutesorshymais agrave partir de la cpwJ~ de leacutemission sonore comme un systegravemc de deacutesignation et de significashytion et finalement de transmission de nouvelles et dinformation

IV

Maintenant encore alors que lappartenance de la penseacutee agrave lecirctre sest placeacutee mieux en lumiegravere nous pouvons agrave peine en~cndre dune faccedilon plus instante la pleine mesure deacutenigme contenue dans le motshyeacutenigme de la sentcnce to (xugraveto le mecircme Mais quand nous voyons que le Pli de llov la preacutesence des choses preacutesentes rassemble agrave soi la penseacutee alors ce rocircle directeul du Pli nous laisse peut-ecirctre

298 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

entrevoir la pleine mesure deacutenigme de ce que cache le vide seacutemantique habituel du mot laquo le mecircme raquo

Est-ce agrave partir du deacutepliement du Pli que le Pli ugravee son cocircteacute appelle la penseacutee sur la voie de l laquo agraveshycause-de-lui 1raquo et par-lagrave requiert lappartenance mutuelle de la preacutesence (des choses preacutesentes) et de la penseacutee Mais quest-ce que le deacutepliement du Pli Comment se produit-il Trouvons-nous dans la parole de Parmeacutenide un point dappui nous aidant agrave rechercher en questionnant dune maniegravere approshyprieacutee ce quest le deacutepliement du Pli nous aidant agrave entendre ce qui fait son ecirctre (ihr Wesendes) et agrave lentendre dans ce que tait le mot-eacutenigme de la sentence Nous nen trouvons aucun immeacutediateshyment

Il est surprenant toutefois que dans les deux vershysions de la sentence sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre le mot-eacutenigme figure au commencement Le fragment III dit laquo Le mecircme en effet est le laquo prendreshydans-son-attentionraquo et aussi l laquo ecirctre-preacutesentraquo (des choses preacutesentes)raquo Le fragment VIII 34 dit laquoLe mecircme est laquo prendre-dans-son-attentionraquo et (ce) en chemin vers quoi est le percevoir attentif raquo Que signifie dans le dire de la sentence cette place de deacutebut accordeacutee au mot dans la construction de la phrase Sur quoi par cette intonation Parmeacuteshynide voulait-il mettre laccent Probablement sur le ton fondamental En lui reacutesonne par anticipation ce que la sentence agrave proprement paTler doit dire Ce quon dit ainsi sappelle en grammaire le prc~dicat de la phrase Mais le sujet de la phrase est le voe~v (penseacutee) dans son rapport agrave ldVltXL (ecirctre) Le texte grec nous oblige agrave interpreacuteter ainsi la construction de la sentence La position de tecircte du mot-eacutenigme nous invite agrave arrecircter notre attention sur ce mot et agrave y revenir sans cesse Mecircme ainsi toutefois le mot

1 Au den Weg des laquo Ihrctwcgel - Le Pli invite la penseacutee agrave paraicirctre et elle paraicirct en lui (~I 0) et agrave cause de lui (OJVEXE~)

MOIRA 299

ne nous dit rien de ce que nous vouugraverions savoir Il nous faut donc essayer sans jamais perdre de

vue la position de 10 ltXugraveto le mecircme au deacutebut de la phrase de nous avancer librement et avec hardiesse dans la penseacutee du deacutepliement en partant du Pli de legraveov (de la preacutesence des choses preacutesentes) Nous y sommes aideacutes par la consideacuteration suivante cest dans le Pli de legraveov que la penseacutee est pro-duite en son paraicirctre cest en lui quelle est une chose dite 7tScpltXtLOJEacuteVOV

Dans le Pli domine ainsi la qJcXOLC le dire en tant que ce laquo faire-apparaicirctreraquo qui appelle et reacuteclame Quest-ce que le dire fait apparaicirctre La preacutesence des choses preacutesentes Le dire qui regravegne dans le Pli et qui le manifeste est le rassemblemcnt de la preacutesence dans le paraicirctre de laquelle les choses preacuteshysentes peuvent apparaicirctre Cette ltlgtciOLC que Parshymeacutenide pense Heacuteraclite lappelle le Aoyoc le laquo laisshyser-eacutetendu-devantraquo qui rassemble

Quest-ce qui a lieu dans la ltlgtciOtC et dans le Aoyoc Est-ce que ce dire qui regravegne en eux qui rassemble et qui appelle serait cet apport qui tout dabord pro-duit (erbringt) un paraicirctre lequel accorde une eacuteclaircie et dans la dureacutee duquel la preacutesence dabord seacuteclaire 1 afin que dans sa lumiegravere des choses preacutesentes apparaissent et quainsi regravegne le Pli de lune et des autres Le deacutepliement du Pli reacutesiderait-il en ceci quun paraicirctre illuminant se montre Le trait fondamental de ce paraicirctre les Grecs middot lont vu comme deacutevoilement Dans le deacutepliement du Pli regravegne ainsi le deacutevoileshyment Les Grecs le nomment AAgrave~eeuroLltX

La penseacutee de Parmeacutenide serait donc parvenue tout de mecircme agrave sa maniegravere jusquau deacutepliement

1 Das Lichtung gewiihrl in welchcm Wiihren erst Anwesen sich lichtet Litteacuteralement laquoqui accorde eacuteclaircie dans lequel durer seulement preacutesence seacuteclaire raquoCf p 42 n 1 et cf pp 235 301 306 et les notes

300 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

du Pli agrave supposer que Parmeacutenide parle de l AAgrave~eeLrt La nomme-t-il Sans doute au deacutebut de son Poegraveme didactique Plus encore l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Cest en leacutecoutant que Parmeacutenide dit ce quil a penseacute Pourtant il ne dit pas en quoi consiste lecirctre de l middotAAgrave~ee(X Il ne pense pas davantage en quel sens du mot diviniteacute l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Pour les deacutebuts de la penseacutee grecque tout cela demeure - dune faccedilon aussi immeacutediate quun eacuteclaircissement du mot-eacutenigme tagrave (Xugravet6 le mecircme shyhors du cercle des choses qui meacuteritent decirctre penshyseacutees

Il est toutefois vraisemblable quentre toutes ces choses impenseacutees existent des relations invisibles Les vers introductifs du Poegraveme didactique l 22 et sq sont autre chose que lhabillement poeacutetique dun travail conceptuel abstrait Cest se rendre trop facile le dialogue avec la voie de penseacutee de Parmeacuteshynide que de regretter dans les paroles du penseur labsence de toute expeacuterience mythique et dobjecter que la deacuteesse AAgrave~eeL(x est parfaitement vague pur fantocircme rationnel si on la compare aux laquo personnes divinesraquo bien caracteacuteriseacutees Hegravera Atheacuteneacute Deacutemegraveter Aphrodite Arteacutemis Qui fait de pareilles reacuteserves parle comme si de longue date on savait avec certishytude ce quest la laquo diviniteacuteraquo des dieux grecs comme sil eacutetait sucircr que parler ici de laquo personnesraquo a bien un sens et que touchant lecirctre de la veacuteriteacute il fucirct bien eacutetabli quau cas ougrave elle apparaicirctrait comme deacuteesse on ne pourrait voir lagrave que la personnifishycation abstraite dun concept Au fond cest agrave peine si le laquomythiqueraquo a eacuteteacute pris en consideacuterashytion et surtout lon na pas consideacutereacute que le (lu6occedil est un dire (Sage) et que dire agrave son tour est appeler et faire briller Aussi vaut-il mieux que nous continuions agrave questionner prudemment et que nous eacutecoutions ce que dit le fragment 1 (22 et sq)

MOIRA 301

X(X( (le 6ecX 7tpO()PCugraveJ lmeocirct~(Xto Xe~p(X ocircegrave XetpE ~e~LteFT) EacuteAgraveeJ llo~ ~~7tOccedil qrXto xex( (le 7tpoa~uocircrt

Et la deacuteesse regardant dans lavenir me reccedilut Javoshy[rablement de sa main

Elle me prit la main droite et me dit ainsi la parole [chantant pour moi

Ce qui soffre ici au penseur comme chose agrave penshyser demeure en mecircme temps voileacute quant agrave son orishygine essentielle Ceci nexclut pas mais implique au contraire que dans ce que dit le penseur domine le deacutevoilement comme ce agrave quoi il est toujours attentif pour autant quil loriente vers la chose agrave penser Or celle-ci est nommeacutee dans le mot-eacutenigme tagrave cxugraveto le mecircme et ainsi nommeacutee qualifie le rapshyport de la penseacutee agrave lecirctre

Cest pourquoi nous devons au moins demander si ce nest pas le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoishylement de la preacutesence des choses preacutesentes qui est tu dans exugravet6 le mecircme En le preacutesumant nous nallons pas au delagrave de ce qua penseacute Parmeacutenide nous retournons au contraire vers ce quil faut penser et penser dune faccedilon plus originelle

Lexamen de la sentence sur le rapport de la penseacutee agrave lecirctre prend alors lapparence ineacutevitable dune chose arbitraire et forceacutee

La construction grammaticale de la phrase tagrave yap rtugravetagrave JoetJ iatLI te XClt elext apparaicirct mainshytenant dans une autre lumiegravere Le mot-eacutenigme tagrave rtugravet6 le mecircme par lequel commence la phrase nest plus le preacutedicat mis en tecircte mais bien le sujet ce qui seacutetend au-dessous ce qui porte et soutient Le mot sans apparence EgraveatLI laquoestraquo veut dire maintenant deacuteploie son ecirctre (west) dure en accorshydant et en puisant pour accorder dans ce qui accorde 1 dans ce comme quoi domine tagrave rtugraveto le

1 West Uuumlhrt und zwar gcwuumlhrend aU3 dcm GcwUumlhrcnden laquoAccorshy

302 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

mecircme agrave savoir comme le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoilement ce qui deacutevoilant deacuteplie le Pli assure le laquoprendre-dans-son-attention 1raquo sur son chemin vers la perception rassemblante de la preacutesence des choses preacutesentes La veacuteriteacute entendue comme pareil deacutevoilement du Pli laisse agrave partir de lui la penseacutee appartenir agrave lecirctre Dans le motshyeacutenigme tagrave (Xugraveto le mecircme se tait loctroi deacutevoilant qui garantit 2 lappartenance mutuelle du Pli et de la penseacutee qui apparaicirct en lui

v

Si donc la penseacutee appartient agrave lecirctre ce nest pas parce quelle aussi est une chose preacutesente et quelle a donc sa place dans lensemble de la preacutesence on entend par lagrave dans lensemble des choses preacutesentes Il semble toutefois que Parmeacutenide aussi se repreacuteshysente de cette faccedilon le rapport de lecirctre agrave la penseacutee Il ajoute en effet agrave lappui de ce quil vient de dire une remarque introduite par (eXp (car) et ainsi conccedilue 7teXpe~ tou kovtoccedil hors de leacutetant il ny a eu il ny a et il ny aura aucun autre eacutetant (dapr~s une conjecture de Bergk ougrave3 ~v) Mais tagrave kov ne veut pas dire laquo leacutetant raquo il deacutesigne le Pli Certes hors de celui-ci il ny a jamais aucune preacutesence de choses preacutesentes car la preacutesence comme telle repose dans le Pli paraicirct et apparaicirct dans le deacuteploiement de sa lumiegravere

Mais pourquoi en ce qui concerne le rapport de la penseacutee agrave lecirctre Parmeacutenide ajoute-t-ilspeacutecialeshyment une telle justification Parce que le mot JoeLv qui diffegravere ddv(xL parce que le mot laquo penshy

derraquo au sens d laquo octroyer raquo Sur le rapport eacutetroit entre laquo durerraquo et laquo accorder raquo cf p 42 n 1

1 Le oei le connaicirctre la penseacutee laquo Assureraquo (gewiihrl) au sens de laquo garantit raquo Cf p 235

2 Das entbergende Gewiihren

MOIRA 303

seacuteeraquo donne forceacutement limpression que ce quil deacutesigne est tout de mecircme un amp0 une chose autre en face de lecirctre et par conseacutequent hors de lui Mais ce nest pas seulement le mot comme forme verbale cest son contenu son sens qui paraicirct se tenir laquo agrave cocircteacuteraquo et laquo horsraquo de leacute6v Et cette apparence nest pas non plus simple apparence Car AgraveEacuteyELv et Jodv laissent les choses preacutesentes eacutetendues-devant dans la lumiegravere de la preacutesence Eux-mecircmes sont ainsi eacutetendus en face de la preacutesence quoique jamais en face delle comme deux objets existant pour soi Lassemblage de AgraveEacuteyELV et de voeLv laisse (dapregraves le fragment VI) lkov eacuteflflev(xL il libegravere la preacutesence la laissant acceacuteder agrave son apparaicirctre pour la pershyception et se tient alors dune certaine maniegravere hors de l Egrave6v Dun point de vue la penseacutee est hors du Pli vers lequel lui reacutepondant et demandeacutee par lui elle demeure en chemin Dun autre point de vue ce laquo en chemin vers raquo demeure agrave linteacuterieur du Pli lequel nest jamais une simple distinction quelque part existante et repreacutesenteacutee de lecirctre et de leacutetant mais a son ecirctre agrave partir du deacutepliement qui deacutevoile Celui-ci comme AAgrave~eELct accorde agrave toute preacutesence la lumiegravere dans laquelle les choses preacutesentes peuvent apparaicirctre

Si toutefois le deacutevoilement accorde leacuteclairement de la preacutesence cest en mettant en œuvre agrave la foisshyau cas ougrave des choses preacutesentes doivent apparaicirctreshyun laquolaisser-eacutetendu-devantraquo et un percevoir 1 et les mettant ainsi en œuvre en retenant la penseacutee dans son appartenance au Pli Cest pourquoi hors du Pli il ny a daucune maniegravere quoi que ce soit de preacutesent nimporte ougrave et nimporte comment

Tout ce que nous avons deacutebattu jusquagrave preacutesent demeurerait une invention arbitraire une interpreacuteshytation substitueacutee apregraves coup si Parmeacutenide navait

1 Un AgraveeacuteyElV un dire et un VOErV un connaicirctre

304 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

dit lui-mecircme pourquoi la preacutesence ne peut jamais segrave tenir agrave cocircteacute de lt6v hors de lui

VI

Ce que le penseur nous dit encore de l t6v se trouve en langage grammatical dans une proposhysition subordonneacutee Quiconque est exerceacute si peu que ce soit agrave eacutecouter les grands penseurs sera sans doute parfois deacuteconcerteacute par ce fait eacutetrange que cc quil faut proprement penser ils le disent dans une proposition subordonneacutee ajouteacutee sans bruit et quils sen tiennent lagrave Le jeu de la lumiegravere qui appelle deacuteploie et aide agrave la croissance ne devient pas luishymecircme visible Il brille aussi peu apparent que la lumiegravere du matin sur la somptuositeacute tranquille des lis dans le champ et des roses dans le jardin

La proposition subordonneacutee de Parmeacutenide qui agrave vrai dire est la thegravese de toutes ses thegraveses est la suishyvante (VIII 37 et sq)

eacute7td ro ye MOLp Egrave1teacuteocirc1jOev ougraveAgraveov chdv1jr6v r Eacute(L(Levcxt

bullpuisque la Moira lui a imposeacute (agrave leacutetant) decirctre un [Tout et immobile (W KRANZ)

Parmeacutenide parle de l t6v de la preacutesence (des choses preacutesentes) du Pli mais nullement de l laquo eacutetant raquo Il nomme la Mopcx lattribution qui accordant reacutepartit et qui ainsi ouvre le Pli Lattrishybution dispense le P1i elle en munit en fait don Elle eRt la Dispensation (Schickung) en elle-mecircme recueillie ct ainsi deacutepliante qui envoie la preacutesence 1

comme preacutesence de choses preacutesentes Mopcx est

1 Die Schickung des AnLtcscns Cf pins haut p 272 n 1

MOIRA 305

la Dispensation 1 de l laquoecirctreraquo au sens de lMv Cest celui-ci justement rO ye quene a libeacutereacute lui ouvrant laccegraves du Pli et par lagrave mecircme lieacute agrave la totaliteacute et au repos agrave partir desquels et dans lesquels la preacutesence des choses preacutesentes se manifeste

Dans la Dispensation du Pli toutefois cest seushylement la preacutesence qui parvient agrave paraicirctre et les choses preacutesentes agrave apparaicirctre La Dispensation maintient en retrait le Pli comme tel et plus encore son deacutepliement Lecirctre de l A-yj 8ELCX demeure voileacute La visibiliteacute quelle accorde fait eacutemerger la preacutesence des choses preacutesentes comme laquo aspectraquo (dooccedil) et comme laquo vue raquo (~oEacute~) En conseacutequence le rapport qui appreacutehende la preacutesence des choses preacutesentes se deacutetermine comme voir (dOEacuteV~L) Lagrave mecircme ougrave la veacuteriteacute sest transformeacutee devenant la certitude de la conscience de soi le savoir marqueacute par la visio et son eacutevidence ne peuvent nier leur origine essentielle tireacutee du deacutevoilement qui eacuteclaire Le lumen naturale la lumiegravere naturelle ici lillumination de la raison preacutesuppose deacutejagrave le deacutevoilement du Pli Cette remarque vaut aussi pour les theacuteories augustinienne et meacutedieacutevale de la lumiegravere lesquelles pour ne rien dire de leur origine platonicienne ne peuvent se deacuteployer que dans le domaine de l 1AAgrave~eeL~ deacutejagrave dominante dans la Dispensation du Pli

Si nous voulons pouvoir parler de lhistoire de lecirctre nous devons dabord avoir consideacutereacute qu laquoecirctreraquo veut dire preacutesence des choses preacuteshysentes Pli Cest seulement agrave partir de lecirctre ainsi consideacutereacute que nous pouvons middot alors demander avec la prudence neacutecessaire ce qulaquo histoireraquo ( Cesshychichte) veut dire ici Lhistoire est la Dispensation du Pli (das Ceschick der Zwiefalt) Elle est lecirctreshydurer en mode rassembleacute qui deacutevoilant et deacutepliant

1 Sur la DispensatioD (ou lEnvoi) de lecirctre (Gcschil des S(in ~) voir notamment Der SaI vom Grund pp 108-110 119-LIJ 129-lJU et ISO

306 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

octroie 1 la preacutesence eacuteclaireacutee ougrave les choses preacutesentes apparaissent Lhistoire de lecirctre nest jamais une suite deacuteveacutenements que lecirctre parcourrait pour lui-mecircme Encore moins est-elle un objet qui ouvrishyrait agrave l laquohistoireraquo (-science) de nouvelles possishybiliteacutes de vues-repreacutesentations qui les ouvrirait agrave une laquo histoireraquo disposeacutee agrave se substituer preacutetendant savoir mieux agrave la faccedilon jusquici habituelle de consideacuterer lhistoire de la meacutetaphysique

Ce que dans linapparence dune proposition subordonneacutee Parmeacutenide dit de la Moip(X dans les liens de laquelle lMV est libeacutereacute comme Pli ouvre au penseur lampleur de vue accordeacutee agrave son chemin par le destin Car cest dans cette ampleur quappashyraicirct ce en quoi la preacutesence (des choses preacutesentes) se montre elle-mecircme t~ crf)[l(Xt(X toG EumlOltOc Ceux-ci sont agrave vrai dire multiples (7toAgraveAgrave~) Les a1)1-(Xt(X ne sont pas les signes dune autre chose Ils sont le paraicirctre multiple de la preacutesence elle-mecircme eacutemergeant du Pli deacuteplieacute shy

VII

Mais ce que la MOL(X dispense et reacutepartit nest pas encore complegravetement exposeacute Il en reacutesulte quun trait essentiel du mode de sa puissance demeure impenseacute Quarrive-t-il du fait que la Dispensation libegravere la preacutesence des choses preacutesentes la conduisant dans le Pli et ainsi la fixe dans sa totauumlteacute et son repos

Pour mesurer la porteacutee de ce que Parmeacutenide dit agrave ce sujet aussitocirct apregraves la proposition subordonneacutee (VIII 39 et sq) il est neacutecessaire de rappeler ce qui a eacuteteacute exposeacute preacuteceacutedemment (sous III) Le deacuteplieshyment du Pli domine comme cp~(nc comme laquo dire raquo) en tant que laquo faire-apparaicirctre raquo Le Pli abrite en

1 Das entbergend entfaltende Gewiihren Cf p 42 n 1

MOIRA 307

lui le vo~iV et cc quil pense (VOY](L(x) comme chose dite Mais ce qui est perccedilu dans la penseacutee cest la preacutesence des cho~es preacutesentes Le dire qui pense et qui correspond au Pli est le AgraveEacuteyEtV en tant quil laisse la preacutesence eacutetendue-devant Ce qui ne se produit tout agrave fait que sur la voie de penseacutee ougrave sengage le penseur appeleacute par l )AAgraveYj 6sta

Mais que devient la cpcXcnccedil (parole disantc) qui domine dans la Dispensation deacutevoilante quand ce qui est deacuteployeacute dans le Pli la Dispfnsation labanshydonne au percevoir banal des mortels Ceux-ci aeeueiJJent (~Eacutexccr0a~ S6ccedilct) ce qui soffre agrave eux immeacutediatement tout de suite et tout dabord Ils ne commencent pas par se preacuteparer pour une voie de penseacutee Ils nentendent jamais proprement lapshypel du deacutevoilement du Pli Ils sen tiennent agrave ce qui se deacuteploie en lui plus preacuteciseacutement agrave ce qui les requiert immeacutediatement aux choses preacutesentes sans eacutegard agrave la preacutesence Ils gaspillent leur activiteacute et leurs loisirs pour ce quils ont lhabitude de pershycevoir t~ ~OXOUumlvtlX (fragment l 31) Ils le prennent pour le non-cacheacute cXAgraveY]0Yj (VIII 39) puisque nestshyce pas il leur apparaicirct et quainsi il nest plus cacheacute Seulement que devient leur dire sil ne peut ecirctre le AgraveEacuteyE~V le laquo laisser-eacutetendu-devant raquo Quand les mortels ne donnent aucune attention agrave la preacuteshysence cest-agrave-dire ne la pensent pas leur dire habishytuel devient un simple dire de noms et ce qui passe au premier plan dans ces noms cest le son eacutemis et la forme immeacutediatement saisissable de la parole au sens de mots prononceacutes et eacutecrits

Le deacutemembrement du dire (du laquo laisser-eacutetendu-deshyvant raquo) en mots signifiants fait eacuteclater le laquo prendreshydans-son-attention 1 raquoqui rassemble Celui-ci devient un X(xT(XmiddotdOecr6ct~ (VIII 39) une fixation qui fixe ceci ou cela pour lopinion qui est presseacutee Tout ce

1 Le lOf)

308 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

qui est ainsi fixeacute demeure gvoflCX Parmeacutenide ne dit aucunement que ce qui est habituellement perccedilu devient laquo pur et simpleraquo nom Mais ce qui est ainsi perccedilu demeure abandonneacute agrave un dire tout entier dirigeacute par les mots courants lesquels vite prononshyceacutes disent tout sur tout et vagabondent dans l laquoaussi bien que 1bullbull raquo

La perception des choses preacutesentes (des Egrave6ncx) nomme elle aussi ldvoc~ et connaicirct la preacutesence mais eacutegalement la non-preacutesence et dune faccedilon aussi hacirctive non pas certes comme le fait la penseacutee qui agrave sa maniegravere respecte la middot reacuteserve 2 du Pli (le (l~ i6v)Lopinion courante ne connaicirct qudvcx~ tamp

Xcxt OUgraveXL (VIII 40) la preacutesence aussi bien que la non-preacutesence Le poids de ce qui est ainsi laquobien connuraquo se trouve dans teuro-XOCL (VIII 40 et sq) laquo aussi bien que raquo Et lagrave ougrave la perception habishytuelle celle qui parle agrave partir des mots rencontre leacutemergence et la disparition 3 elle se satisfait de l laquo aussi bien que raquo aussi bien la geacuteneacuteration (y(yve()Ox~) que la middot mort (OAgraveAgrave)()OCXL) (VIII 40) Elle ne perccediloit jamais le lieu t6rcoc comme lenshydroit ougrave le Pli offre une demeure (Heimat) agrave la preacutesence des choses preacutesentes Dans l laquo aussi bienbull que raquo lopinion des mortels ne recherche que les changements (ampAgraveAgrave~()()e~v) de places La perception habituelle sans doute se meut dans la partie eacuteclaireacutee des choses preacutesentes elle voit ce qui brille (cpocv6v VIII 41) dans la couleur mais elle se deacutemegravene dans les changements (ampJd~eLV) de coushyleur et ne precircte aucune attention agrave la lumiegravere tranquille de cette clarteacute qui vient du deacutepliement du Pli et qui est la ltlgt~()~C le faire-apparaitre la

1 Dans le rEacute-xal dont il va ecirctre question 2 Au sujet de la laquo retenueraquo (Vorenthalt) de lecirctre cf p 174 Le

non-ecirctre (I-- ~ lv) est lecirctre en tant quil se reacuteserve ne se donne pas reste dans lombre Cf plus loin p 309 fin

3 Das Aufgehen und Untergehen le lever et le coucher comme on le dit des astres

MOIRA 309

faccedilon dont la parole est disante non la faccedilon dont parlent les mots les noms quentend loreille

Teacutegt 7tampv-r ovo~l()tcx~ (VIII 38) par cela tout (les choses preacutesentes) sera preacutesent dans ce deacutevoileshyment preacutetendu quapporte avec elle la domination des mots Par quoi cela se produit-il Par la MoLpcx par la dispensation 1 du deacutevoilement du Pli Comshyment faut-il lentendre Dans le deacutepliement du Pli en mecircme temps que la preacutesence paraicirct les choses preacutesentes apparaissent Les choses preacutesentes elles aussi sont choses dites mais dites dans les mots qui nomment dans le parler desquels se meut le dire ordinaire des mortels La dispensation du deacutevoileshyment du Pli (de ll6v) abandonne les choses preacutesentes (-reX egrave6vtcx) au percevoir quotidien des mortels

Comment se produit cet abandon des choses par la dispensation Par cela seulement que le Pli comme tel et avecIui son deacutepliement demeurent en retrait Est-ce qualors ce qui domine dans le deacutevoishylement cest quil se deacuterobe Penseacutee hardie mais Heacuteraclite la penseacutee Parmeacutenide la sentie sans la penser pour autant quentendant lappel de l AAgrave~-6eLCX il pense la MoLpcx de leacute6v la dispensation du Pli aussi bien dans son rapport agrave la preacutesence que dans son rapport aux choses preacutesentes

Parmeacutenide ne serait pas un penseur vivant agrave laube des deacutebuts de cette penseacutee qui se plie agrave la dispensation du Pli si sa penseacutee ne peacuteneacutetrait dans lampleur de leacutenigme qui se tait dans le mot-eacutenigme ro Qj-r6 le mecircme Lagrave sabrite ce qui meacuterite decirctre penseacute ce qui nous donne agrave penser se donne soishymecircme agrave penser comme eacutetant le rapport de la penseacutee agrave recirctre la veacuteriteacute de lecirctre au sens du deacutevoilement du Pli la reacuteserve observeacutee par le Pli (le tL~ Egrave6v) alors que preacutedominent les choses preacutesentes (-ramp Egrave6VTQ reX 8oxouumlv-rcx)

1 G6lChick envoi attribution et destin

310 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Le dialogue avec Parmeacutenide ne prend pas fin non seulement parce que dans les fragments conserveacutes de son Poegraveme didactique maintes choses demeurent obscures mais aussi parce que ce quil dit meacuterite toujours decirctre penseacute VIais que le dialogue soit sans fin nest pas un deacutefaut Cest le signe de lillishymiteacute qui en soi et pour la penseacutee qui se souvient preacuteserve la possibiliteacute dun revirement du destin

Qui toutefois nattend de la penseacutee quune assushyrance ct suppute le jour ougrave on pourra la laisser lagrave inutiliseacutee celui-lagrave exige lcsuicide de la penseacutee Exigence qui apparaicirct dans une eacutetrange lumiegravere quand nous songeons agrave ceci que lecirctre des mortels est inviteacute agrave faire attentiol agrave cette parole qui leur dit dentrer dans la mort Comme possibiliteacute extrecircmegrave de lexistence mortelle la mort nest pas la fin du possible mais elle est lAbri suprecircme 1 (la mise agrave labri qui rassemble) ougrave reacuteside le secret du deacutevoileshyment qui nous appelle

1 Das hiichste Gcbirg Cf p 6 n 2 et p 2]3

j

280 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

chose eacutenonceacutee tu ne saurais trouver la penseacutee Certes il ny a rien ou il ny aura rien hors de leacutetant puisque la Moicircra lui a imposeacute decirctre un tout et immobile Ne sera donc quun nom tout ce que les mortels ont ainsi fixeacute convaincus que ceacutetait vrai laquodevenirraquo aussi bien que laquo peacuterir raquo laquo ecirctreraquo aussi bien que laquo ne pas ecirctre raquo laquo changer de lieuraquo aussi bien que laquo passer dune couleur hrillante agrave une autreraquo (trad W Kranz)

En quoi ces huit vers rendent-ils plus clair le rapport de la penseacutee et de lecirctre Ils semblent plushytocirct lobscurcir vu queux-mecircmes conduisent dans une reacutegion obscure et nous y laissent perplexes Aussi chercherons-nous dabord agrave nous instruire touchant le rapport de la penseacutee et de lecirctre en suivant dans leurs lignes essenticirceJles les interpreacuteshytations donneacutees jusquagrave preacutesent E~les se meuvent toutes dans lune ou lautre des trois perspectives que nous allons mentionner briegravevement sans expo~ ser en deacutetail comment chacune delles peut sapshypuyer sur le texte de Parmeacutenide En premier lieu on deacutecouvre la penseacutee dun point de vue dougrave elle apparaicirct elle aussi comme une chose qui est lagrave agrave cocircteacute de beaucoup dautres de sorte quen ce sens elle laquo est raquo Cette chose qui est ainsi doit donc comme ses semblables ecirctre ajouteacutee au compte des autres choses qui sont et passeacutee avec elles au compte geacuteneacuteral dune sorte de tout qui les embrasse Pareille uniteacute de leacutetant sappelle lecirctre La penshyseacutee en tant que chose qui est est connaturelle agrave toute autre chose qui est elle apparaicirct ainsi comme eacutetant identique agrave lecirctre

Pour faire une pareille observation il est agrave peine besoin de la philosophie Ranger agrave leur place dans lensemble de leacutetant toutes les choses qui soffrent agrave nous cest lagrave une opeacuteration qui pour ainsi dire sc fait delle-mecircme et qui nc concerne pas seulcshy

MOIRA 281

ment la penseacutee Voyager sur mer construire des temples parler dans lassembleacutee du peuple tous les modes de lactiviteacute humaine font partie de leacutetant et sont ainsi identiques agrave lecirctre On se demande avec surprise pourquoi Parmeacutenide jusshytement quant agrave cette activiteacute humaine qui sapshypelle la penseacutee tient agrave constater en bonne et due forme quelle rentre dans le domaine de leacutetant On pourrait mieux encore se demander pourquoi Parmeacutenide ajoute pour ce cas une justification particcediluliegravere agrave savoir par le lieu commun quil ny a pas deacutetant en dehors et agrave cocircteacute de leacutetant dans son ensemble

Mais quj y regarde mieux a cesseacute depuis longshytemps de seacutetonner lagrave ougrave on se repreacutesente encore la doctrine de Parmeacutenide de la faccedilon deacutecrite On est passeacute agrave cocircteacute de sa penseacutee qui doit alors subir middotces tentatives rudes et maladroite~ pour lesquelles sans doute ceacutetait deacutejagrave un effort que de ranger dans le tout de leacutetant tout eacutetant quelles rencontrent la penseacutee entre autres

Aussi notre meacuteditation gagne-t-elle peu de chose agrave jeter un regard sur cette interpreacutetation massive du rapport de lecirctre et de la penseacutee interpreacutetation qui ne se repreacutesente rien si ce nest agrave partir de la masse de leacutetant constatable Elle nous fournit pourtant une occasion inestimable celle de bien marquer speacutecialement et degraves le deacutebut que nulle part Parmeacutenide ne cherche agrave montrer que la penshyseacutee est elle aussi lun des nombreux egraveQJtIX lun des eacutetants middot varieacutes dont chacun tantocirct est et tanshytocirct nest pas et ainsi eacutevoque toujours agrave la fois les deux ideacutees decirctre et de ne pas ecirctre ce qui vient agrave nous et ce qui sen va

En face de cette interpreacutetation immeacutediatement accessible agrave un chacun de la sentence parmeacutenishydienne un autre traitement plus reacutefleacutechi du texte deacutecouvre au moins dans les vers VIII 34 et suiv

283 282 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

des laquo assertions difficilement intelligibles raquo Pour faciliter leur intellection cherchons autour de nous une aide approprieacutee Ougrave la trouver Manifestement dans une faccedilon de comprendre qui ait peacuteneacutetreacute plus profondeacutement dans ce rapport de la penseacutee et de lecirctre que Parmeacutenide essaie de penser Une telle peacuteneacutetration se reacutevegravele en ceci quellc interroge Elle interroge au sujet de la penseacutee cest-agrave-dire de la connaissance du point de vue de son rapport agrave lecirctre cest-agrave-dire agrave la reacutealiteacute Consideacuterer de cette maniegravere le rapport de la penseacutee et de lecirctre est un des soucis majeurs de la philosophie moderne Elle a finalement agrave cet effet eacutelaboreacute une discipline parshyticuliegravere la theacuteorie de la connaissance laquelle aujourdhui encore passe souvent pour laffaire essentielle de la philosophie Cette affaire a seuleshyment reccedilu un nouveau nom et sappelle agrave preacutesent laquo meacutetaphysiqueraquo ou laquoontologie de la connaisshysance raquo Celle de ses formes qui assume aujourdhui un rocircle directeur et dont la porteacutee va le plus loin sest deacuteveloppeacutee sous le nom de laquo logistique raquo En elle la sentence de Parmeacutenide par lefret dune transformation eacutetrange impossible agrave preacutevoir reccediloit une autoriteacute deacutecisive Ainsi la philosophie moderne sait-elle quelle est deacutesormais partout en mesure de son point de vue qui se croit supeacuterieur de donshyner son vrai sens agrave la parole de Parmeacutenide sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre Eu eacutegard agrave la puissance toujollrs intacte de la penseacutee moderne (dont la philosophie de lexistence et lexistentiashylisme sont avec la logistique les rameaux les plus vivaces) il est neacutecessaire de marquer plus claireshyment la perspective deacuteterminante dans laquelle se meut linterpreacutetation moderne de la sentence parshymeacutenidienne

Dans lexpeacuterience que la philosophie moderne a de leacutetant celui-ci apparait comme lobjet Leacutetant se tient en face ce qui nest possible que par la

MOIRA ~

perception et pour elle Comme Leibniz la vu assez clairement le percipere en tant quappetitus avance la main vers leacutetant et le saisit pour lamener agrave eoi dans le concept par une saisie qui traverse et pour rapporter sa preacutesence (repraesentare) au pershycipere La repraesentatio la Vorstellung se deacutetershyniine comme ce qui en percevant rapporte agrave soi (au moi) ce qui apparaicirct

Parmi les piegraveces doctrinales de la philosophie moderne une thegravese sc deacutetache quon ne peut sempecirccher de ressentir comme libeacuteratrice degraves lors quavec s~n aide on essaie deacutelucider la sentence de Parmeacutenide Nous parlons de la thegravese de Berkeshyley qui repose sur la position meacutetaphysique fonshydamentale de Descartes et qui seacutenonce esse = percipi laquo ecirctreraquo eacutegale laquoecirctre-repreacutesenteacute raquo Lecirctre tombe sous la deacutependance de la repreacutesentation au sens de la perception La thegravese de Berkeley creacutee dabord lespace agrave linteacuterieur duquel la sentence de Parmeacutenide devient accessible agrave une interpreacutetation scientifique et philosophique et est ainsi arracheacutee aux brumes dun pressentiment agrave demi poeacutetique ce quest preacutesume-t-on la penseacutee preacutesocratique Esse = percipi ecirctre cest ecirctre repreacutesenteacute Lecirctre est en vertu de la repreacutesentation Lecirctre est eacutegal agrave la penseacutee pour autant que lobjcctiteacute des objets se compose se constitue dans la conscience repreacutesenshytante dans le laquoje pense quelque chose raquo A la lumiegravere de cette assertion touchant le rapport de la penseacutee et de lecirctre la sentence de Parmeacutenide apparaicirct comme une gauche preacutefiguration de la theacuteorie moderne concernant la reacutealiteacute et sa connaisshysance

Sans doute nest-ce pas par hasard que Hegel dans son Cours dhistoire de la philosophie (Œuvr XIII 2e eacuted p 274) cite ct traduit la sentence de Parmeacutenide sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre BOUS la forme quelle a dans le fragment VIII

284 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

laquoLa Penseacutee (Denken) et ce pourquoi la laquo penseacutee (Gedanke) est sont une mecircme chose laquoCar sans leacutetant dans lequel elle seacutenonce laquo (egravev cfgt 7tecpcxtLO-lEacutevov euroOtlV) tu ne trouveras laquo pas la Penseacutee car il ny a rien et il ny aura laquo rien en dehors de leacutetant raquo Telle est la penshyseacutee principale La Penseacutee se produit et ce qui est produit est une penseacutee La Penseacutee est ainsi identique agrave son ecirctre car il ny a rien hors de lecirctre cette grande affirmation raquo

Lecirctre pour Hegel est laffirmation de la penshyseacutee (Denken) qui se pro-duit elle-mecircme Lecirctre est une production de la penseacutee de la perception par laquelle Descartes interpregravete deacutejagrave lidea Par la penshyseacutee lecirctre en tant que le fait pour la repreacutesentashytion decirctre affirmeacutee et poseacutee est transfeacutereacute dans le domaine de l laquoideacuteal raquo Pour Hegel aussi mais dune maniegravere incomparablement plus meacutediteacutee et preacutepareacutee par lœuvre de Kant lecirctre est la mecircme chose que la penseacutee Lecirctre est identique agrave la penshyseacutee agrave savoir agrave ce quelle eacutenonce et affirme Placeacute dans la persvective de la philosophie moderne Hegel peut ainsi eacutemettre le jugement suivant sur la sentence de Parmeacutenide

laquo Leacuteleacutevation dans le royaume de lideacuteal est ici visible ce qui montre que la speacuteculation philosophique 1 proprement dite a commenceacute avec Parmeacutenide sans doute ce commenceshyment est-il encore trouble et indeacutetermineacute et lon ne peut expliquer davantage ce qui sy trouve mais cette explication est preacuteciseacutement le deacuteveloppement de la philosophie elle-mecircme lequel nest pas encore preacutesent ici raquo (loc cit p 274 et sq)

1 Dos Phil3sophieren

MOIRA 285

Pour Hegel la philosophie cst preacutesente lagrave seuleshyment ougrave le savoir absolu qui se pcnse lui-mecircme est la reacutealiteacute elle-mecircme purement et simplement Leacuteleacuteshyvation qui sachegraveve de lecirctre dans la penseacutee de lesprit entendu comme reacutealiteacute absolue a lieu dans la logique speacuteculative et comme telle

Dans la perspective de cet achegravevement de la philosophie moderne la sentence de Parmeacutenide appaaicirct comme le deacutebut de la speacuteculation philoshysophi -Iue proprement dite cest-agrave-ugraveire de la logique au sens de Hegel mais seulement comme son deacutebut A la penseacutee de Parmeacutenide manque encore la forme speacuteculative cest-agrave-dire dialectique que Hegel au contraire trouve chez Heacuteraclite Il dit de ce dershynier laquo Ici la terre est en vue il ny a pas une phrase dHeacuteraclite que je naie reprise dans ma Logiqueraquo (loc cit p 301) La Logique de Hegel nest pas seulement la seule interpreacutetation moderne pertinente de la thegravese de Berkeley elle en est la reacutealisation absolue Il est hors de doute que la thegravese de Berkeley esse = percipi repose sur ce que la sentence de Parmeacutenide a eacutenonceacute pour la premiegravere fois Mais en mecircme temps ces attaches historiques qui relient la thegravese moderne agrave la sentence antique se fondent agrave proprement parler sur une diffeacuterence qui seacutepare ce qui est dit et penseacute ici et lagrave diffeacuteshyrence telle quon pourrait agrave peine lestimer plus

middotmiddottrancheacutee La diffeacuterence va si loin que de son fait la posshy

sibiIiteacutede connaicirctre ce quelle seacutepare est eacuteteinte abolie 1 Inugraveiquer cette diffeacuterence cest laisser

entendre que notre interpreacutetation de la sentence de Parmeacutenide procegraveugravee dun mougravee de penseacutee tout autre que celui de Hegel La thegravese esse = percipi offre-t-elle linterpreacutetation correcte de la sentence -ro (eXp rxugrave-ro Oamp~EgraveO1(v 1amp xcxt dVcxL Les deux

1 Verschiedcnlaquo deacuteceacutedeacute raquo qui fait eacutecho agrave Vcrschiedcnhcit laquo difshyfeacuterence raquo

286 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

eacutenonceacutes agrave supposer que nous puissions les deacutesigner ainsi disent-ils que penser et ecirctre sont identiques Et mecircme sils le disent le disent-ils dans le mecircme sens Un regard attentif aperccediloit immeacutediatement entre les deux eacutenonceacutes une diffeacuterence que lon serait tenteacute deacutecarter comme apparemment superficielle Dans les deux formes quil lui a donneacutees (fragshyment III et VIII 34) Parmeacutenide construit sa senshytence de telle faccedilon que chaqlle fois voe~v (penser) preacutecegravede dv~~ (ecirctre) Au contraire Berkeley nomme esse (ecirctre) avant percipi (penser) Ceci semble indishyquer que Parmeacutenide accorde la preacutefeacuterence agrave la penshyseacutee et Berkeley agrave lecirctre Pourtant cest le contraire qui est vrai Parmeacutenide confie la penseacutee agrave lecirctre Berkeley renvoie lecirctre agrave la penseacutee Pour reacutepondre agrave la sentence grecque et sy identifier dans une certaine mesure la thegravese moderne devrait se lire percipi = esse

La thegravese moderne eacutenonce quelque chose sur lecirctre au sens de lobjectiteacute pour la repreacutesentation qui saisit au travers 1 La sentence grecque attrishybue la penseacutee entendue comme la perception qui rassemble agrave lecirctre cest-agrave-dire agrave la preacutesence Cest pourquoi toute interpreacutetation de la sentence grecque qui se meut dans la perspective de la penseacutee moderne seacutegare degraves le deacutebut Pourtant ces interpreacutetations qui nous apparaissent sous des formes multiples suffisent agrave une tacircche dont on ne pouvait se dispenshyser elles rendent la penseacutee grecque accessible agrave la penseacutee-repreacutesentation des modernes et confirment cette derniegravere dans son progregraves quelle a voulu elle-mecircme et qui la porte agrave un niveau laquo supeacuterieurraquo de la philosophie

Des trois perspectives qui ont eacuteteacute deacuteterminantes pour toutes les interpreacutetations de la sentence de Parmeacutenide la premiegravere nous montre la gtenseacutee

1 Cf p 283

MOIRA 287

comme quelque chose qui est donneacute devant nous et la range dans le reste de leacutetant

La seconde perspective comprend lecirctre agrave la moderne comme le fait pour les objets decirctre repreacuteshysenteacutes comme objectiteacute pour le moi de la suhjecshytiviteacute

Dans la troisiegraveme perspective nous retrouvons un trait fondamental de tout ce qui dans la phishylosophie antique a reccedilu la marque de Platon Suivant la doctrine de Socrate et de Platon les ideacutees constituent dans tout eacutetant ce qui laquo estraquo 1

Mais leB ideacutees nappartiennent pas au domaine des exLcr01)tamp de ce que les sens nous font percevoir Nous ne pouvons contempler les ideacutees dans leur pureteacute G~ue par le vodv par la perception du nonshysensible Lecirctre rentre dans le domaine des v01)tamp du non- et supra-sensible Plotin interpregravete la senshytence de Parmeacutenide dans le sens platonicien suishyvant lequel Parmeacutenide veut middotdire lecirctre est quelque chose de non-sensible Le poids de la sentence tombe stlr la penseacutee quoique dans un autre sens que pour la philosophie moderne Lecirctre est caracshyteacuteriseacute par le mode non-sensible de la penseacutee Dapregraves linterpreacutetation neacuteo-platonicienne de la sentence de Parmeacutenid e celle-ci nest ni une assertion sur la penseacutee ni une assertion sur lecirctre encore moins une asse)middottion sur lecirctre de linterdeacutependance des deux~ tant que diffeacuterents La sentence est une assertion sur ceci que tous deux font eacutegalement partie dt non-sensible

Chacune des trois perspectives est telle que la penFieacutee la plus ancienne des Grecs sy trouve transshyfeacutereacutee dans le domaine ougrave la meacutetaphysique ulteacuteshyrieure a p oseacute et imposeacute ses questions Il est agrave preacuteshysumer cep~ndant que toute penseacutee tardive qui tente deacutetablir un dialogue avec la penseacutee ancienne ne

J An jedm SciClacIen da laquoseiend raquo

288 ESSAIS ET CONFEacuteflENCES

peut faire autre chose que dentendre du lieu mecircme ougrave chaque fois elle seacutejourne et damener ainsi agrave un dire le silence de la penseacutee ancienne On ne peut sans doute eacuteviter que par lagrave la penseacutee ancienne soit inteacutegreacutee agrave un parler reacutecent transfeacutereacutee dans le champ deacutecoute et dans lhorizon visuel de ce dershynier et pour ainsi dire priveacutee de la liberteacute de son langage propre Pareille inteacutegration toutefois nimshypose aucunement une interpreacutetation qui se contente de convertir en modes tardifs de repreacutesentation ce qui a eacuteteacute penseacute au deacutebut de la penseacutee occidentale Le point deacutecisif est de savoir si le dialogue engageacute se libegravere degraves le deacutebut et toujours agrave nouveau afin de reacutepondre agrave ce que sous condition decirctre intershyrogeacutee lui dit la penseacutee ancienne ou bien si le diashylogue se ferme agrave ce dire et recouvre la penseacutee ancienne dopinions doctrinales t~rdives Ce qui a lieu degraves que la penseacutee reacutecente omet de senqueacuterir speacutecialement du champ deacutecoute et de lhorizon visuel de la penseacutee ancienne

Qui fait effort en ce sens ne doit pourtant pas se horner agrave une recherche laquo historiqueraquo qui deacutegageshyrait seulement les preacutesupposeacutes inexprimeacutes sur lesshyquels repose la penseacutee ancienne alors que dans ce travail les preacutesupposeacutes sont deacutefinis suivant ce qui est accepteacute comme veacuteriteacute eacutetablie par linterpreacutetashytion moderne et ce qui nest plus accepteacute comme tel parce que deacutepasseacute par le progregraves de la penseacutee Lenquecircte dont nous parlons doit ecirctre au contraire un dialogue ougrave les anciens champs deacutecoute et les horizons visuels dautrefois sont consideacutereacutes dapregraves leur origine essentielle afin que commence agrave sadresshyser agrave nous cette invitation 1 sous laquelle se tiennent chacune agrave sa faccedilon la penseacutee ancienne celle qui la suivie et celle qui vient Qui tente dinterroger ainsi

1 Geheiss ici un appel une incitation qui met sur le bon cheshymin aide au voyage ct agrave larriveacutee Cf Was hriss J)mkm pp 85 et 152

MOlfl 239

dirigelU dabord SUll Jcgard vers les pa~sages obscurs dun texte ancien et ne seacutetablira pas agrave demeure sur ceux qui sabritent derriegravere une apparence intelshyligible car de cette maniegravere le dialogue prcnd fin avant davoir commenceacute

Dans les remarques que nous avons encore agrave faire le texte citeacute ne sera plus examineacute que dans une suite dexplications seacutepareacutees Celles-ci voushydraient aider agrave preacuteparer une translation 1 qui penshy~ant lancicn dire grec le ferait passer dans ce qui vient agrave nous dune penseacutee eacuteveilleacutee agrave son commenceshyInent

1

Nous examinons le rapport de lecirctre et de la penseacutee Avant toute chose il nous faut noter que le texte (VIII 34 et sq) qui considegravere ce rapport de plus pregraves parle de legraveov et non comme Je fragshyment III de lEgraveIV(XL On pense donc aussitocirct et non sans un certain droit quil nest pas question de lecirctre dans le fragment VIII mais bien de leacutetant rlais sous le nom dlov Parmeacutenide ne pense aucushynement leacutetant en soi comme ce tout auquel la penseacutee appartient elle aussi pour autant quelle est quelque chose deacutetant Tout aussi pen Egraveov deacutesigne-t-illdvcxL au sens de lecirctre pour soi comme si le penseur tenait agrave faire ressortir le caractegravere non sensiblc de lecirctre par opposition agrave leacutetant qui est sensible LEgraveov leacutetant est bien plutocirct penseacute dans le Pli 2 de lecirctre et de leacutetant et il conserve sa valeur de participe 3 sans que deacutejagrave le concept grammatishy

1 Vcblrsctung laquo transfertraquo ou laquo traduction raquo Iri lun ct lnutre Cf op rit pp HO-141

2 7lrilflll Cf p 89 D 1 3 Tout partieipe est il double sens pa[(t~ quil ticnt agrave la foi~ dn

erbe ct du lIom Dans ~v nOl1~ trollv()n~ lmte dltn (t tvll) (cns verhal) mois alls~i ce qui (st (T) Eacuterv) (sens nnlllinal) Cest pourquoi iov tst en quelque Hlrte Il~ num nalurll UgraveU Pli ugravee lecirctre ct de

290 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cal intervienne speacutecialement dans le savoir concershynarit la langue Le Pli peut du moins ecirctre suggeacutereacute par les tournures laquo ecirctre de leacutetantraquo et laquo eacutetant dans lecirctre raquo Seulement laquo ce qui deacuteplie 1 raquo se cache dans le de et le dans bicn plutocirct que par ces mots il ne nous oriente vers son ecirctre Les deux tournures sont tregraves loin de penser le Pli comme tel plus encore deacutelever son deacutepliement au niveau des choses qui meacuteritent interrogation 2

L laquoecirctre lui-mecircme raquo dont on a tant parleacute demeure en veacuteriteacute aussi longtemps quil est appreacutehendeacute comme ecirctre toujours lecirctre au sens de lecirctre de leacutetant Ce sont toutefois les prcmiers temps de la penseacutee occidentale qui ont reccedilu la tacircche de consideacuterer ce qui est dit dans le mot dvcxt laquo ecirctre raquo dans un regard agrave sa mesure ct de le voir ainsi comme ltDucnccedil A6yoccedil Ev Comme le rassemshyblement qui regravegne dans lecirctre unit tout leacutetant il suffit que lon pense agrave ce rassemblement pour que naisse lapparence ineacutevitable et toujours plus tenace que lecirctre (de leacutetant) nest pas seulement identique agrave leacutetant dans son ensemble mais que en tant quidentique et aussi en tant que laquo ce qui unit raquo il est mecircme leacutetant maximum (das Seiendste) Pour la penseacutee qui se repreacutesente tout devient un eacutetant

Le Pli de lecirctre ct de leacutetant semble comme tel se perdre dans linconsistant bien que la penseacutee depuis ses deacutebuts chez les Grecs se meuve toujours dans le deacuteplieacute de son deacutepli mais sans quelle ait consideacutereacute ougrave il seacutejournait et encore moins precircteacute quelque attention au deacutepIiement du Pli Au deacutebut

Jeacutetant et de mecircme que ce Pli est le Pli par excellence eacuteov est le Participe par excellence (Cf op cil pp 133-136 et 174)

1 Das Jalcndlgt - Dans laquo lecirctre de leacutetantraquo (ou laquo leacutetant dans lecirctr~ raquo) le de (011 le dans) seacutepare lecirctre et leacutetant autrement applishyqueacutes lun contre lautre et marque leur distinction La preacuteposition jouc le rocircle du laquo deacutepliantraquo dont elle est le algue

2 lM lraguUrcJiStJ Cf p 76 n 1

lIOIRA 291

de la penseacutee occidentale le Pli disparaicirct sans quon sen aperccediloive Et pourtant il nest pas rien Cette disparition confegravere mecircme agrave la pen-eacutee grecque la maniegravere dun deacutebut en ce que reacuteclairement de lecirctre de leacutetant se cache comme eacuteclairement Que la duumlparition du Pli se cache~ ce fait est aussi capital que le point de savoir ougrave le Pli sen va Oil tombeshyt-il dans loubli 1 Lempire durable de celui-ci socculte en tant que cette A~81j avec laquelle l AAgrave~e~~~ fait corps dune faccedilon si immeacutediate que la premiegravere peut se retirer au beacuteneacutefice de la seconde et lui abandonner le pur deacutevoilement dans le mode de la ltDucnccedil dn Aoyoccedil de l Ev comme si le deacutevoishylement navait pas besoin du voilement

Mais ce qui en apparence est pure clarteacute est peacuteneacutetreacute et reacutegi par lobscuriteacute Cest lagrave que demeure en retrait le deacutepliement du Pli aussi bien que sa disparition lors des deacutebuts de la penseacutee Pourtant il nous faut dans ltov faire attention au Pli de lecirctre et de leacutetant afin de suivre la discussion que Parmeacutenide consacre au rapport de la penseacutee et de lecirctre

II

En toute briegraveveteacute le fragment III dit que la ~seacutee fait partie de lecirctre Comment caracteacuteriser cette appartenance Question qui vient trop tard La sentence concise a deacutejagrave donneacute la reacuteponse dans ses premiers mots tagrave yip cxtrro laquo agrave savoir le mecircme raquo Dans la version du fragment VIII 34 la sentence commence par le mecircme mot tQugravetov Ce mot reacutepond-il agrave notre question laquode quelle maniegravere la penseacutee appartient-elle agrave lecirctre raquo en disant que les deux sont laquo le mecircmeraquo Le mot napporte pas de reacuteponse Tout dabord parce que la deacutetermination

1 Sur loubli du Point le Plus Critique lecirctre de loubli la dishytinction du deacutebut et du commencement cf op cil pp 97middot98

292 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

laquo le mecircmeraquo exclut quil puisse ecirctre question dune appartenance laquelle ne peut exister quentre deux choses diffeacuterentes Ensuite parce que le mot laquo le mecircmeraquo nous laisse ignorer complegravetement egrave quel point de vue et pour quelle raison le diffeacuterent sacshycorde dans le mecircme Aussi tagrave cxlh6 le mecircme demeure-t-il le mot-eacutenigme dans les deux fragshyments sinon mecircme pour toute la penseacutee de Parshymeacutenide

Si nous croyons que le mot tagrave CXt)to le mecircme veut dire lidentique et si qui mieux est nous tenons lidentiteacute pour la condition claire comme le jour de la pensabiliteacute de tout le pensable alors agrave vrai dire cette opinion nous fait perdre de plus en plus la faculteacute dentendre le mot-eacutenigme agrave supposer que nous ayons deacutejagrave perccedilu son appel Il suffit en attendant que nous ayons toujours le mot dans loreille comme un terme meacuteritant decirctre penseacute Ainsi demeurons-nous de ceux qui entendent et precircts agrave laisser le mot reposer en lui-mecircme comme mot-eacutenigme afin que tout dabord nous tendions loreille de tous cocircteacutes ouverte agrave un dire qui puisse nous aider agrave consideacuterer la pleine mesure deacutenigme contenue dans le mot

Parmeacutenide nous offre une aide Il dit plus claishyrement dans le fragment VIII comment il faut penser l laquo ecirctreraquo auquel appartient le VOeuro~v Au lieu dampvcxL Parmeacutenide dit maintenant l6v leacutetant qui par son double sens deacutesigne le Pli Mais le VOELV de son cocircteacute sappelle maintenant v61JL~ ce qui est pris dans lattention dun percevoir ayant eacutegard agrave ce quil perccediloit 1

Legrave6v est nommeacute speacutecialement comme ce oucircvexev

1 Das in die Acht genommene eines achtenden Vernehmens - Le percevoir (le VOElY) a eacutegard agrave ce quil perccediloit et a des eacutegards pour lui Il respecte sa liberteacute le laisse ecirctre le laisse laquo eacutetendu-devant raquo Sur cette interpreacutetation de VOEty cf Was heisst Dcnken Pl 121shy125

MOIRA 293

~C1t1 VO1)LIX ce pour quoi la penseacutee (Gedanc) est preacutesente (Sur le penser et la penseacutee cf le cours ifas heisst denken 1 Niemeyer eacutedit Tuumlbingen 1954 pp 91 et suiv)

La penseacutee est preacutesente en raison du Pli qui nest amais dit Lapproche de la penseacutee est en route vers le Pli de lecirctre et de leacutetant laquo Prendre dans s(Jn attentionraquo cest sapprocher du Pli 3 cest (dapregraves le fragment VI) ecirctre deacutejagrave rassembleacute et tendre vers le Pli par leffet du AgraveEacuteyew preacutealable du laisser-eacutetendu-devant Par quel moyen et comshyment De cette faccedilon que le Pli agrave cause duquel les mortels trouvent le chemin de la penseacutee reacuteclame lui-mecircme une telle penseacutee pour lui

Nous sommes encore tregraves loin de connaicirctre par une expeacuterience conforme agrave son ecirctre le Pli lui-mecircme ce qui veut dire aussi le Pli en tant quil reacuteclame la penseacutee Le dire de Parmeacutenide neacuteclaire quun point si la penseacutee est preacutesente ce nest ni en raison des egrave6vt(X de l laquo eacutetant en soi raquo ni par soumission agrave la volonteacute de ldvllL au sens de l laquo ecirctre pour soiraquo En dautres termes ni l laquo eacutetant en soiraquo ne rend

1 laquo Que veut dire penser raquo Il sagit ici du livre citeacute agrave la note preacuteshyceacutedente et non de la confeacuterence reproduite plus haut cf p 151 n 1 - laquo Le penser et la penseacuteeraquo Denken und Gedanc - Dapregraves le livre citeacute pp 92 et 157 le Gedanc (forme meacutedieacutevale de Gedanke) qui traduit ici v07jJ-a est le laquo cœur raquo le laquo fond du cœur raquo ce qui en lhomme est le plus inteacuterieur et qui en mecircme temps seacutetend le plus loin agrave lexteacuterieur aussi loin quon puisse aller Il est la penseacutee-soushyvenir (Gedenken) recueillie et toute-rassemblante En lui reposent la meacutemoire (Gediichtnis) entendue comme le recueillement constant de lesprit (Gemuumlt) sur ce qui se dit agrave nous dessentiel et le remershyciement (Dank) cest-agrave-dire la penseacutee tourneacutee vers ce quil faut penser vers ce qui nous donne le plus agrave penser - Sur tous les termes en ge- voir N du Tr 2

2 La preacutesence (Anwesen) de la pensee est lapproche (An-wesen) par laquelle eUe se reacutefegravere au Pli et tend vers lui

3 ln-die-Acht-Nehmen west die Zwiefalt an laquoPrendre dans son attentionraquo est le fait du voetv du laquo percevoirraquo (Vernehmen) Cf p 292 n 1 Sur la traduction de VOftV parlaquo percevoirraquo (vershynehmen) laquoprendre dans son attentionraquo (in die Acht nehrnm) et laquo flairer eacuteventerraquo (wittern) cf Was heisst Denken pp 124-125 et 172-173

294 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

neacutecessaire une penseacutee ni l laquo ecirctre pour soiraquo ne contraint la penseacutee Tous deux chacun pris pour soi ne font jamais savoir comment l laquoecirctreraquo reacuteclame la penseacutee Mais celle-ci deacuteploie son ecirctre agrave cause du Pli de lun et de lautre agrave cause de li6v Cest en allant vers le Pli que le laquo prendre-dans-sonshyattention 1raquo sapproche de lecirctre Cest dans une telle approche 2 que la penseacutee appartient agrave lecirctre Que dit Parmeacutenide de cett~ appartenance

III

Parmeacutenide dit que le voe est 1CerplXtLOfLEacutevOV iv t~ egrave6vtt On traduit par la penseacutee qui comme chose eacutenonceacutee est dans leacutetant

Mais comment pourrions - nous percevoir et comprendre ce que cest que decirctre ainsi laquo eacutenonceacuteraquo (ausgesprochen) aussi longtemps que nous ne nous soucions pas de savoir ce que veulent dire ici laquo chose diteraquo laquo parler raquo laquo langage raquo aussi longshytemps que nous nous empressons de prendre li6v pour leacutetant et que nous lagraveissons indeacutetermineacute le sens du mot laquo ecirctreraquo Comment pourrions-nous connaicirctre le rapport du voeLv au 1CeCPIXtLCJfLEacutevov aussi longtemps que nous ne deacuteterminons pas le voev suffisamment en tenant compte dumiddot fragshyment VI (Cf le cours citeacute pp 124 et sq) Le voeLv dont nous voudrions consideacuterer lappartenance agrave liov est fondeacute dans le AgraveEacuteyeLV et deacuteploie son ecirctre agrave partir de lui Lagrave dans le AgraveEacuteyeLV a lieu celaquo laissershyeacutetendu-devantraquo qui laisse la chose preacutesente eacutetenshydue dans sa preacutesence Cest seulement en tant quelle est ainsi eacutetendue-devant que la chose preacuteshysente peut comme telle inteacuteresser le voeLvce qui laquoprend dans son attentionraquo Aussi le v61lfLlX en tant que VOOUfLevov du vociv est-il toujours deacutejagrave

1 Le 10Er Voir la note preacuteceacutedente ~ Anmiddotweaen Voir cimiddotdeul8 p 293 n 2

MOIRA 295

un AgraveeyoflevOV du AgraveEacuteyetv Mais lecirctre du dire tel que les Grecs lont perccedilu repose dans le AgraveEacuteyeLV Cest pourquoi le voeicircv est une chose dite et cela dans son ecirctre et jamais seulement apregraves coup ou par accident Sans doute toute chose dite nest pas aussi forceacutement une chose prononceacutee (ein Gesshyprochenes) Il est possible et parfois mecircme neacutecesshysaire quelle demeure une chose tue Tout ce qui est prononceacute et tout ce qui est tu est deacutejagrave chose dite Mais non linverse

En quoi consiste la diffeacuterence de la chose dite et de la chose prononceacutee Pourquoi Parmeacutenide caracshyteacuterise-t-il le VOOUf1EVOV et le voe~v (VIII 34 et sq) comme 1CEcplXt~crfLEacutevo On traduit ce mot par laquo parleacute raquo ce qui est exact au point de vue lexicoshygraphique Mais en quel sens perccediloit-on un parler tel que le deacutesignent cpampcrXeLV et cpcfVIXL laquo Parlerraquo nest-il ici que la manifestation sonore (cpltugravev~) de ce quun mot ou une phrase signifient (OYjf1(XLVELV) Est-ce quici lon comprend laquo parlerraquo comme lexshypression dune chose inteacuterieure dune chose de lacircme donc comme reacuteparti entre ses deux composhysants le phoneacutetique et le seacutemantique Nulle trace de tout cela dans lexpeacuterience qui perccediloit le parler comme cpcfv XL le langage comme 9cfCJ~ccedil Dans Ccedil)ampcrXeLV se rencontrent les sens appeler nommer avec des louanges sappeler mais tout cela parce que lecirctre mecircme du mot est laquo faire apparaicirctreraquo Clgtampcrpcx est lapparition des eacutetoiles de la lune le fait quils se montrent ou quils se cachent ltlgtXcreLCcedil deacutesigne les phases Les phases de la lune sont les modes changeaqts de son paraicirctre ltlgtcfOlC est la parole disante (Sage) laquodireraquo (sagen) signifie faire apparaicirctre ltgt~f1( je dis est identique en son ecirctre quoique non eacutequivalent agrave Agraveeuroyltugrave amener la chose preacutesente devant nous dans sa preacutesence lameshynet agrave apparaicirctre et agrave rester eacutetendue

Ce qui inteacuteresse Parmeacutenide cest dexaminer ougrave

296 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

le VOeacuteLV a oa place Car cest sculemcnt lagrave ougrave il a originairement sa place que nous pouvons le troushyver juger de notre deacutecouverte voir comment la penseacutee fait corps avec lecirctre Quand Parmeacutenide perccediloit le VOELV comme 7tecp(Xt~cr1-Eacutevov cela ne veut pas dire que le VOcLV soit une chose eacutenonceacutee et quil doive ainsi ecirctre chercheacute dans les paroles prononceacutees ou dans les signes de leacutecriture comme un eacutetant perceptible agrave lun ou lautre de nos sens Le croire serait seacutegarer et seacuteloigner au maximum de la penseacutee grecque et mecircme si lon voulait se repreacuteshysenter le parler et ce quil eacutenonce comme des faits de conscience et eacutetablir la penseacutee comme acte de conscience dans le domaine de pareils faits Le vociv lelaquo prendre-dans-son-attention raquo et ce quil a perccedilu 1 sont une chose dite ameneacutee agrave paraicirctre Mais ougrave Parmeacutenide dit egravev tw egraveOVtl dans legraveov dans le Pli de la preacutesence et d~ la chose preacutesente Ceci donne agrave penser et nous libegravere deacutefinitivement du preacutejugeacute hacirctif dapregraves lequel la penseacutee serait exprimeacutee dans la parole prononceacutee Nulle part il nen est question

Dans quelle mesure le VOELV peut-il la penseacutee doit-elle apparaicirctre dans le Pli Dans la mesure ougrave le deacutepliement qui conduit dans le Pli de la preacutesence et de la chose preacutesente eacute-voque le laquo laisser-eacutetendu devant raquo le Agraveeuroye~v et dans l laquo ecirctre-eacutetendushydcvant raquo ainsi libeacutereacute de la chose eacutetendue donne au voeicircv quelque chose quil peut prendre dans son attention pour ly preacuteserver Seulement Parmeacutenide ne pense pas encore le Pli comme tel encore moins pense-t-il le deacutepliement du Pli Mais Parmeacutenide dit (VIII 35 et sq) ougrave yagravep ampveu tou EacuteoVtocbull eup~cre~ccedil to voucircv car seacutepareacute du Pli tu ne peux trouver la penseacutee Pourquoi pas Parce quinviteacutee par legraveov elle a sa place avec lui dans le rassemshy

1 laquo Il a perccediluraquo on retrouve le passeacute-preacutesent deacutejagrave observeacute Cf pp 260 262 263 et les notes

MOIRA 297

hlement parce que cest la penseacutee elle-mecircme reposhysant dans le AgraveEacuteyelV qui accomplit le rassemblement agrave lappel de lEacute6v et qui reacutepond de cette maniegravere agrave son appartenance agrave legraveov comme agrave une apparteshynance mise en œuvre (gebrauchten) agrave partir de celui-ci Car le voeicircv ne perccediloit pas nimporte quoi mais seulement cette chose unique nommeacutee dans le fragment VI Eacuteov Euml1-1-eV(XL leacutetant-preacutesent (das Anwesend) dans sa preacutesence

Autant de choses non penseacutees et meacuteritant de lecirctre sannoncent dans lexposeacute de Parmeacutenide autant se projette de clarteacute sur ce qui est avant tout neacutecessaire si lon veut meacutediter comme il convient cette appartenance de la penseacutee agrave lecirctre dont Parmeacutenide nous parle Nous devons apprendre agrave penser lecirctre du langage agrave partir du dire et agrave penshyser ce dernier comme laisser-eacutetcndu-devant (Agraveoyoccedil) et comme faire-apparaicirctre (cpcicrLCcedil) Il est dabord difficile de mener agrave bien une pareille tacircche parce que ce premier eacuteclairement de lecirctre du langage comme parole disante (Sage) sassombrit et disshyparaicirct bientocirct et quil laisse le champ libre agrave une caracteacuterisation du langage qui le repreacutesente deacutesorshymais agrave partir de la cpwJ~ de leacutemission sonore comme un systegravemc de deacutesignation et de significashytion et finalement de transmission de nouvelles et dinformation

IV

Maintenant encore alors que lappartenance de la penseacutee agrave lecirctre sest placeacutee mieux en lumiegravere nous pouvons agrave peine en~cndre dune faccedilon plus instante la pleine mesure deacutenigme contenue dans le motshyeacutenigme de la sentcnce to (xugraveto le mecircme Mais quand nous voyons que le Pli de llov la preacutesence des choses preacutesentes rassemble agrave soi la penseacutee alors ce rocircle directeul du Pli nous laisse peut-ecirctre

298 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

entrevoir la pleine mesure deacutenigme de ce que cache le vide seacutemantique habituel du mot laquo le mecircme raquo

Est-ce agrave partir du deacutepliement du Pli que le Pli ugravee son cocircteacute appelle la penseacutee sur la voie de l laquo agraveshycause-de-lui 1raquo et par-lagrave requiert lappartenance mutuelle de la preacutesence (des choses preacutesentes) et de la penseacutee Mais quest-ce que le deacutepliement du Pli Comment se produit-il Trouvons-nous dans la parole de Parmeacutenide un point dappui nous aidant agrave rechercher en questionnant dune maniegravere approshyprieacutee ce quest le deacutepliement du Pli nous aidant agrave entendre ce qui fait son ecirctre (ihr Wesendes) et agrave lentendre dans ce que tait le mot-eacutenigme de la sentence Nous nen trouvons aucun immeacutediateshyment

Il est surprenant toutefois que dans les deux vershysions de la sentence sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre le mot-eacutenigme figure au commencement Le fragment III dit laquo Le mecircme en effet est le laquo prendreshydans-son-attentionraquo et aussi l laquo ecirctre-preacutesentraquo (des choses preacutesentes)raquo Le fragment VIII 34 dit laquoLe mecircme est laquo prendre-dans-son-attentionraquo et (ce) en chemin vers quoi est le percevoir attentif raquo Que signifie dans le dire de la sentence cette place de deacutebut accordeacutee au mot dans la construction de la phrase Sur quoi par cette intonation Parmeacuteshynide voulait-il mettre laccent Probablement sur le ton fondamental En lui reacutesonne par anticipation ce que la sentence agrave proprement paTler doit dire Ce quon dit ainsi sappelle en grammaire le prc~dicat de la phrase Mais le sujet de la phrase est le voe~v (penseacutee) dans son rapport agrave ldVltXL (ecirctre) Le texte grec nous oblige agrave interpreacuteter ainsi la construction de la sentence La position de tecircte du mot-eacutenigme nous invite agrave arrecircter notre attention sur ce mot et agrave y revenir sans cesse Mecircme ainsi toutefois le mot

1 Au den Weg des laquo Ihrctwcgel - Le Pli invite la penseacutee agrave paraicirctre et elle paraicirct en lui (~I 0) et agrave cause de lui (OJVEXE~)

MOIRA 299

ne nous dit rien de ce que nous vouugraverions savoir Il nous faut donc essayer sans jamais perdre de

vue la position de 10 ltXugraveto le mecircme au deacutebut de la phrase de nous avancer librement et avec hardiesse dans la penseacutee du deacutepliement en partant du Pli de legraveov (de la preacutesence des choses preacutesentes) Nous y sommes aideacutes par la consideacuteration suivante cest dans le Pli de legraveov que la penseacutee est pro-duite en son paraicirctre cest en lui quelle est une chose dite 7tScpltXtLOJEacuteVOV

Dans le Pli domine ainsi la qJcXOLC le dire en tant que ce laquo faire-apparaicirctreraquo qui appelle et reacuteclame Quest-ce que le dire fait apparaicirctre La preacutesence des choses preacutesentes Le dire qui regravegne dans le Pli et qui le manifeste est le rassemblemcnt de la preacutesence dans le paraicirctre de laquelle les choses preacuteshysentes peuvent apparaicirctre Cette ltlgtciOLC que Parshymeacutenide pense Heacuteraclite lappelle le Aoyoc le laquo laisshyser-eacutetendu-devantraquo qui rassemble

Quest-ce qui a lieu dans la ltlgtciOtC et dans le Aoyoc Est-ce que ce dire qui regravegne en eux qui rassemble et qui appelle serait cet apport qui tout dabord pro-duit (erbringt) un paraicirctre lequel accorde une eacuteclaircie et dans la dureacutee duquel la preacutesence dabord seacuteclaire 1 afin que dans sa lumiegravere des choses preacutesentes apparaissent et quainsi regravegne le Pli de lune et des autres Le deacutepliement du Pli reacutesiderait-il en ceci quun paraicirctre illuminant se montre Le trait fondamental de ce paraicirctre les Grecs middot lont vu comme deacutevoilement Dans le deacutepliement du Pli regravegne ainsi le deacutevoileshyment Les Grecs le nomment AAgrave~eeuroLltX

La penseacutee de Parmeacutenide serait donc parvenue tout de mecircme agrave sa maniegravere jusquau deacutepliement

1 Das Lichtung gewiihrl in welchcm Wiihren erst Anwesen sich lichtet Litteacuteralement laquoqui accorde eacuteclaircie dans lequel durer seulement preacutesence seacuteclaire raquoCf p 42 n 1 et cf pp 235 301 306 et les notes

300 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

du Pli agrave supposer que Parmeacutenide parle de l AAgrave~eeLrt La nomme-t-il Sans doute au deacutebut de son Poegraveme didactique Plus encore l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Cest en leacutecoutant que Parmeacutenide dit ce quil a penseacute Pourtant il ne dit pas en quoi consiste lecirctre de l middotAAgrave~ee(X Il ne pense pas davantage en quel sens du mot diviniteacute l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Pour les deacutebuts de la penseacutee grecque tout cela demeure - dune faccedilon aussi immeacutediate quun eacuteclaircissement du mot-eacutenigme tagrave (Xugravet6 le mecircme shyhors du cercle des choses qui meacuteritent decirctre penshyseacutees

Il est toutefois vraisemblable quentre toutes ces choses impenseacutees existent des relations invisibles Les vers introductifs du Poegraveme didactique l 22 et sq sont autre chose que lhabillement poeacutetique dun travail conceptuel abstrait Cest se rendre trop facile le dialogue avec la voie de penseacutee de Parmeacuteshynide que de regretter dans les paroles du penseur labsence de toute expeacuterience mythique et dobjecter que la deacuteesse AAgrave~eeL(x est parfaitement vague pur fantocircme rationnel si on la compare aux laquo personnes divinesraquo bien caracteacuteriseacutees Hegravera Atheacuteneacute Deacutemegraveter Aphrodite Arteacutemis Qui fait de pareilles reacuteserves parle comme si de longue date on savait avec certishytude ce quest la laquo diviniteacuteraquo des dieux grecs comme sil eacutetait sucircr que parler ici de laquo personnesraquo a bien un sens et que touchant lecirctre de la veacuteriteacute il fucirct bien eacutetabli quau cas ougrave elle apparaicirctrait comme deacuteesse on ne pourrait voir lagrave que la personnifishycation abstraite dun concept Au fond cest agrave peine si le laquomythiqueraquo a eacuteteacute pris en consideacuterashytion et surtout lon na pas consideacutereacute que le (lu6occedil est un dire (Sage) et que dire agrave son tour est appeler et faire briller Aussi vaut-il mieux que nous continuions agrave questionner prudemment et que nous eacutecoutions ce que dit le fragment 1 (22 et sq)

MOIRA 301

X(X( (le 6ecX 7tpO()PCugraveJ lmeocirct~(Xto Xe~p(X ocircegrave XetpE ~e~LteFT) EacuteAgraveeJ llo~ ~~7tOccedil qrXto xex( (le 7tpoa~uocircrt

Et la deacuteesse regardant dans lavenir me reccedilut Javoshy[rablement de sa main

Elle me prit la main droite et me dit ainsi la parole [chantant pour moi

Ce qui soffre ici au penseur comme chose agrave penshyser demeure en mecircme temps voileacute quant agrave son orishygine essentielle Ceci nexclut pas mais implique au contraire que dans ce que dit le penseur domine le deacutevoilement comme ce agrave quoi il est toujours attentif pour autant quil loriente vers la chose agrave penser Or celle-ci est nommeacutee dans le mot-eacutenigme tagrave cxugraveto le mecircme et ainsi nommeacutee qualifie le rapshyport de la penseacutee agrave lecirctre

Cest pourquoi nous devons au moins demander si ce nest pas le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoishylement de la preacutesence des choses preacutesentes qui est tu dans exugravet6 le mecircme En le preacutesumant nous nallons pas au delagrave de ce qua penseacute Parmeacutenide nous retournons au contraire vers ce quil faut penser et penser dune faccedilon plus originelle

Lexamen de la sentence sur le rapport de la penseacutee agrave lecirctre prend alors lapparence ineacutevitable dune chose arbitraire et forceacutee

La construction grammaticale de la phrase tagrave yap rtugravetagrave JoetJ iatLI te XClt elext apparaicirct mainshytenant dans une autre lumiegravere Le mot-eacutenigme tagrave rtugravet6 le mecircme par lequel commence la phrase nest plus le preacutedicat mis en tecircte mais bien le sujet ce qui seacutetend au-dessous ce qui porte et soutient Le mot sans apparence EgraveatLI laquoestraquo veut dire maintenant deacuteploie son ecirctre (west) dure en accorshydant et en puisant pour accorder dans ce qui accorde 1 dans ce comme quoi domine tagrave rtugraveto le

1 West Uuumlhrt und zwar gcwuumlhrend aU3 dcm GcwUumlhrcnden laquoAccorshy

302 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

mecircme agrave savoir comme le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoilement ce qui deacutevoilant deacuteplie le Pli assure le laquoprendre-dans-son-attention 1raquo sur son chemin vers la perception rassemblante de la preacutesence des choses preacutesentes La veacuteriteacute entendue comme pareil deacutevoilement du Pli laisse agrave partir de lui la penseacutee appartenir agrave lecirctre Dans le motshyeacutenigme tagrave (Xugraveto le mecircme se tait loctroi deacutevoilant qui garantit 2 lappartenance mutuelle du Pli et de la penseacutee qui apparaicirct en lui

v

Si donc la penseacutee appartient agrave lecirctre ce nest pas parce quelle aussi est une chose preacutesente et quelle a donc sa place dans lensemble de la preacutesence on entend par lagrave dans lensemble des choses preacutesentes Il semble toutefois que Parmeacutenide aussi se repreacuteshysente de cette faccedilon le rapport de lecirctre agrave la penseacutee Il ajoute en effet agrave lappui de ce quil vient de dire une remarque introduite par (eXp (car) et ainsi conccedilue 7teXpe~ tou kovtoccedil hors de leacutetant il ny a eu il ny a et il ny aura aucun autre eacutetant (dapr~s une conjecture de Bergk ougrave3 ~v) Mais tagrave kov ne veut pas dire laquo leacutetant raquo il deacutesigne le Pli Certes hors de celui-ci il ny a jamais aucune preacutesence de choses preacutesentes car la preacutesence comme telle repose dans le Pli paraicirct et apparaicirct dans le deacuteploiement de sa lumiegravere

Mais pourquoi en ce qui concerne le rapport de la penseacutee agrave lecirctre Parmeacutenide ajoute-t-ilspeacutecialeshyment une telle justification Parce que le mot JoeLv qui diffegravere ddv(xL parce que le mot laquo penshy

derraquo au sens d laquo octroyer raquo Sur le rapport eacutetroit entre laquo durerraquo et laquo accorder raquo cf p 42 n 1

1 Le oei le connaicirctre la penseacutee laquo Assureraquo (gewiihrl) au sens de laquo garantit raquo Cf p 235

2 Das entbergende Gewiihren

MOIRA 303

seacuteeraquo donne forceacutement limpression que ce quil deacutesigne est tout de mecircme un amp0 une chose autre en face de lecirctre et par conseacutequent hors de lui Mais ce nest pas seulement le mot comme forme verbale cest son contenu son sens qui paraicirct se tenir laquo agrave cocircteacuteraquo et laquo horsraquo de leacute6v Et cette apparence nest pas non plus simple apparence Car AgraveEacuteyELv et Jodv laissent les choses preacutesentes eacutetendues-devant dans la lumiegravere de la preacutesence Eux-mecircmes sont ainsi eacutetendus en face de la preacutesence quoique jamais en face delle comme deux objets existant pour soi Lassemblage de AgraveEacuteyELV et de voeLv laisse (dapregraves le fragment VI) lkov eacuteflflev(xL il libegravere la preacutesence la laissant acceacuteder agrave son apparaicirctre pour la pershyception et se tient alors dune certaine maniegravere hors de l Egrave6v Dun point de vue la penseacutee est hors du Pli vers lequel lui reacutepondant et demandeacutee par lui elle demeure en chemin Dun autre point de vue ce laquo en chemin vers raquo demeure agrave linteacuterieur du Pli lequel nest jamais une simple distinction quelque part existante et repreacutesenteacutee de lecirctre et de leacutetant mais a son ecirctre agrave partir du deacutepliement qui deacutevoile Celui-ci comme AAgrave~eELct accorde agrave toute preacutesence la lumiegravere dans laquelle les choses preacutesentes peuvent apparaicirctre

Si toutefois le deacutevoilement accorde leacuteclairement de la preacutesence cest en mettant en œuvre agrave la foisshyau cas ougrave des choses preacutesentes doivent apparaicirctreshyun laquolaisser-eacutetendu-devantraquo et un percevoir 1 et les mettant ainsi en œuvre en retenant la penseacutee dans son appartenance au Pli Cest pourquoi hors du Pli il ny a daucune maniegravere quoi que ce soit de preacutesent nimporte ougrave et nimporte comment

Tout ce que nous avons deacutebattu jusquagrave preacutesent demeurerait une invention arbitraire une interpreacuteshytation substitueacutee apregraves coup si Parmeacutenide navait

1 Un AgraveeacuteyElV un dire et un VOErV un connaicirctre

304 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

dit lui-mecircme pourquoi la preacutesence ne peut jamais segrave tenir agrave cocircteacute de lt6v hors de lui

VI

Ce que le penseur nous dit encore de l t6v se trouve en langage grammatical dans une proposhysition subordonneacutee Quiconque est exerceacute si peu que ce soit agrave eacutecouter les grands penseurs sera sans doute parfois deacuteconcerteacute par ce fait eacutetrange que cc quil faut proprement penser ils le disent dans une proposition subordonneacutee ajouteacutee sans bruit et quils sen tiennent lagrave Le jeu de la lumiegravere qui appelle deacuteploie et aide agrave la croissance ne devient pas luishymecircme visible Il brille aussi peu apparent que la lumiegravere du matin sur la somptuositeacute tranquille des lis dans le champ et des roses dans le jardin

La proposition subordonneacutee de Parmeacutenide qui agrave vrai dire est la thegravese de toutes ses thegraveses est la suishyvante (VIII 37 et sq)

eacute7td ro ye MOLp Egrave1teacuteocirc1jOev ougraveAgraveov chdv1jr6v r Eacute(L(Levcxt

bullpuisque la Moira lui a imposeacute (agrave leacutetant) decirctre un [Tout et immobile (W KRANZ)

Parmeacutenide parle de l t6v de la preacutesence (des choses preacutesentes) du Pli mais nullement de l laquo eacutetant raquo Il nomme la Mopcx lattribution qui accordant reacutepartit et qui ainsi ouvre le Pli Lattrishybution dispense le P1i elle en munit en fait don Elle eRt la Dispensation (Schickung) en elle-mecircme recueillie ct ainsi deacutepliante qui envoie la preacutesence 1

comme preacutesence de choses preacutesentes Mopcx est

1 Die Schickung des AnLtcscns Cf pins haut p 272 n 1

MOIRA 305

la Dispensation 1 de l laquoecirctreraquo au sens de lMv Cest celui-ci justement rO ye quene a libeacutereacute lui ouvrant laccegraves du Pli et par lagrave mecircme lieacute agrave la totaliteacute et au repos agrave partir desquels et dans lesquels la preacutesence des choses preacutesentes se manifeste

Dans la Dispensation du Pli toutefois cest seushylement la preacutesence qui parvient agrave paraicirctre et les choses preacutesentes agrave apparaicirctre La Dispensation maintient en retrait le Pli comme tel et plus encore son deacutepliement Lecirctre de l A-yj 8ELCX demeure voileacute La visibiliteacute quelle accorde fait eacutemerger la preacutesence des choses preacutesentes comme laquo aspectraquo (dooccedil) et comme laquo vue raquo (~oEacute~) En conseacutequence le rapport qui appreacutehende la preacutesence des choses preacutesentes se deacutetermine comme voir (dOEacuteV~L) Lagrave mecircme ougrave la veacuteriteacute sest transformeacutee devenant la certitude de la conscience de soi le savoir marqueacute par la visio et son eacutevidence ne peuvent nier leur origine essentielle tireacutee du deacutevoilement qui eacuteclaire Le lumen naturale la lumiegravere naturelle ici lillumination de la raison preacutesuppose deacutejagrave le deacutevoilement du Pli Cette remarque vaut aussi pour les theacuteories augustinienne et meacutedieacutevale de la lumiegravere lesquelles pour ne rien dire de leur origine platonicienne ne peuvent se deacuteployer que dans le domaine de l 1AAgrave~eeL~ deacutejagrave dominante dans la Dispensation du Pli

Si nous voulons pouvoir parler de lhistoire de lecirctre nous devons dabord avoir consideacutereacute qu laquoecirctreraquo veut dire preacutesence des choses preacuteshysentes Pli Cest seulement agrave partir de lecirctre ainsi consideacutereacute que nous pouvons middot alors demander avec la prudence neacutecessaire ce qulaquo histoireraquo ( Cesshychichte) veut dire ici Lhistoire est la Dispensation du Pli (das Ceschick der Zwiefalt) Elle est lecirctreshydurer en mode rassembleacute qui deacutevoilant et deacutepliant

1 Sur la DispensatioD (ou lEnvoi) de lecirctre (Gcschil des S(in ~) voir notamment Der SaI vom Grund pp 108-110 119-LIJ 129-lJU et ISO

306 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

octroie 1 la preacutesence eacuteclaireacutee ougrave les choses preacutesentes apparaissent Lhistoire de lecirctre nest jamais une suite deacuteveacutenements que lecirctre parcourrait pour lui-mecircme Encore moins est-elle un objet qui ouvrishyrait agrave l laquohistoireraquo (-science) de nouvelles possishybiliteacutes de vues-repreacutesentations qui les ouvrirait agrave une laquo histoireraquo disposeacutee agrave se substituer preacutetendant savoir mieux agrave la faccedilon jusquici habituelle de consideacuterer lhistoire de la meacutetaphysique

Ce que dans linapparence dune proposition subordonneacutee Parmeacutenide dit de la Moip(X dans les liens de laquelle lMV est libeacutereacute comme Pli ouvre au penseur lampleur de vue accordeacutee agrave son chemin par le destin Car cest dans cette ampleur quappashyraicirct ce en quoi la preacutesence (des choses preacutesentes) se montre elle-mecircme t~ crf)[l(Xt(X toG EumlOltOc Ceux-ci sont agrave vrai dire multiples (7toAgraveAgrave~) Les a1)1-(Xt(X ne sont pas les signes dune autre chose Ils sont le paraicirctre multiple de la preacutesence elle-mecircme eacutemergeant du Pli deacuteplieacute shy

VII

Mais ce que la MOL(X dispense et reacutepartit nest pas encore complegravetement exposeacute Il en reacutesulte quun trait essentiel du mode de sa puissance demeure impenseacute Quarrive-t-il du fait que la Dispensation libegravere la preacutesence des choses preacutesentes la conduisant dans le Pli et ainsi la fixe dans sa totauumlteacute et son repos

Pour mesurer la porteacutee de ce que Parmeacutenide dit agrave ce sujet aussitocirct apregraves la proposition subordonneacutee (VIII 39 et sq) il est neacutecessaire de rappeler ce qui a eacuteteacute exposeacute preacuteceacutedemment (sous III) Le deacuteplieshyment du Pli domine comme cp~(nc comme laquo dire raquo) en tant que laquo faire-apparaicirctre raquo Le Pli abrite en

1 Das entbergend entfaltende Gewiihren Cf p 42 n 1

MOIRA 307

lui le vo~iV et cc quil pense (VOY](L(x) comme chose dite Mais ce qui est perccedilu dans la penseacutee cest la preacutesence des cho~es preacutesentes Le dire qui pense et qui correspond au Pli est le AgraveEacuteyEtV en tant quil laisse la preacutesence eacutetendue-devant Ce qui ne se produit tout agrave fait que sur la voie de penseacutee ougrave sengage le penseur appeleacute par l )AAgraveYj 6sta

Mais que devient la cpcXcnccedil (parole disantc) qui domine dans la Dispensation deacutevoilante quand ce qui est deacuteployeacute dans le Pli la Dispfnsation labanshydonne au percevoir banal des mortels Ceux-ci aeeueiJJent (~Eacutexccr0a~ S6ccedilct) ce qui soffre agrave eux immeacutediatement tout de suite et tout dabord Ils ne commencent pas par se preacuteparer pour une voie de penseacutee Ils nentendent jamais proprement lapshypel du deacutevoilement du Pli Ils sen tiennent agrave ce qui se deacuteploie en lui plus preacuteciseacutement agrave ce qui les requiert immeacutediatement aux choses preacutesentes sans eacutegard agrave la preacutesence Ils gaspillent leur activiteacute et leurs loisirs pour ce quils ont lhabitude de pershycevoir t~ ~OXOUumlvtlX (fragment l 31) Ils le prennent pour le non-cacheacute cXAgraveY]0Yj (VIII 39) puisque nestshyce pas il leur apparaicirct et quainsi il nest plus cacheacute Seulement que devient leur dire sil ne peut ecirctre le AgraveEacuteyE~V le laquo laisser-eacutetendu-devant raquo Quand les mortels ne donnent aucune attention agrave la preacuteshysence cest-agrave-dire ne la pensent pas leur dire habishytuel devient un simple dire de noms et ce qui passe au premier plan dans ces noms cest le son eacutemis et la forme immeacutediatement saisissable de la parole au sens de mots prononceacutes et eacutecrits

Le deacutemembrement du dire (du laquo laisser-eacutetendu-deshyvant raquo) en mots signifiants fait eacuteclater le laquo prendreshydans-son-attention 1 raquoqui rassemble Celui-ci devient un X(xT(XmiddotdOecr6ct~ (VIII 39) une fixation qui fixe ceci ou cela pour lopinion qui est presseacutee Tout ce

1 Le lOf)

308 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

qui est ainsi fixeacute demeure gvoflCX Parmeacutenide ne dit aucunement que ce qui est habituellement perccedilu devient laquo pur et simpleraquo nom Mais ce qui est ainsi perccedilu demeure abandonneacute agrave un dire tout entier dirigeacute par les mots courants lesquels vite prononshyceacutes disent tout sur tout et vagabondent dans l laquoaussi bien que 1bullbull raquo

La perception des choses preacutesentes (des Egrave6ncx) nomme elle aussi ldvoc~ et connaicirct la preacutesence mais eacutegalement la non-preacutesence et dune faccedilon aussi hacirctive non pas certes comme le fait la penseacutee qui agrave sa maniegravere respecte la middot reacuteserve 2 du Pli (le (l~ i6v)Lopinion courante ne connaicirct qudvcx~ tamp

Xcxt OUgraveXL (VIII 40) la preacutesence aussi bien que la non-preacutesence Le poids de ce qui est ainsi laquobien connuraquo se trouve dans teuro-XOCL (VIII 40 et sq) laquo aussi bien que raquo Et lagrave ougrave la perception habishytuelle celle qui parle agrave partir des mots rencontre leacutemergence et la disparition 3 elle se satisfait de l laquo aussi bien que raquo aussi bien la geacuteneacuteration (y(yve()Ox~) que la middot mort (OAgraveAgrave)()OCXL) (VIII 40) Elle ne perccediloit jamais le lieu t6rcoc comme lenshydroit ougrave le Pli offre une demeure (Heimat) agrave la preacutesence des choses preacutesentes Dans l laquo aussi bienbull que raquo lopinion des mortels ne recherche que les changements (ampAgraveAgrave~()()e~v) de places La perception habituelle sans doute se meut dans la partie eacuteclaireacutee des choses preacutesentes elle voit ce qui brille (cpocv6v VIII 41) dans la couleur mais elle se deacutemegravene dans les changements (ampJd~eLV) de coushyleur et ne precircte aucune attention agrave la lumiegravere tranquille de cette clarteacute qui vient du deacutepliement du Pli et qui est la ltlgt~()~C le faire-apparaitre la

1 Dans le rEacute-xal dont il va ecirctre question 2 Au sujet de la laquo retenueraquo (Vorenthalt) de lecirctre cf p 174 Le

non-ecirctre (I-- ~ lv) est lecirctre en tant quil se reacuteserve ne se donne pas reste dans lombre Cf plus loin p 309 fin

3 Das Aufgehen und Untergehen le lever et le coucher comme on le dit des astres

MOIRA 309

faccedilon dont la parole est disante non la faccedilon dont parlent les mots les noms quentend loreille

Teacutegt 7tampv-r ovo~l()tcx~ (VIII 38) par cela tout (les choses preacutesentes) sera preacutesent dans ce deacutevoileshyment preacutetendu quapporte avec elle la domination des mots Par quoi cela se produit-il Par la MoLpcx par la dispensation 1 du deacutevoilement du Pli Comshyment faut-il lentendre Dans le deacutepliement du Pli en mecircme temps que la preacutesence paraicirct les choses preacutesentes apparaissent Les choses preacutesentes elles aussi sont choses dites mais dites dans les mots qui nomment dans le parler desquels se meut le dire ordinaire des mortels La dispensation du deacutevoileshyment du Pli (de ll6v) abandonne les choses preacutesentes (-reX egrave6vtcx) au percevoir quotidien des mortels

Comment se produit cet abandon des choses par la dispensation Par cela seulement que le Pli comme tel et avecIui son deacutepliement demeurent en retrait Est-ce qualors ce qui domine dans le deacutevoishylement cest quil se deacuterobe Penseacutee hardie mais Heacuteraclite la penseacutee Parmeacutenide la sentie sans la penser pour autant quentendant lappel de l AAgrave~-6eLCX il pense la MoLpcx de leacute6v la dispensation du Pli aussi bien dans son rapport agrave la preacutesence que dans son rapport aux choses preacutesentes

Parmeacutenide ne serait pas un penseur vivant agrave laube des deacutebuts de cette penseacutee qui se plie agrave la dispensation du Pli si sa penseacutee ne peacuteneacutetrait dans lampleur de leacutenigme qui se tait dans le mot-eacutenigme ro Qj-r6 le mecircme Lagrave sabrite ce qui meacuterite decirctre penseacute ce qui nous donne agrave penser se donne soishymecircme agrave penser comme eacutetant le rapport de la penseacutee agrave recirctre la veacuteriteacute de lecirctre au sens du deacutevoilement du Pli la reacuteserve observeacutee par le Pli (le tL~ Egrave6v) alors que preacutedominent les choses preacutesentes (-ramp Egrave6VTQ reX 8oxouumlv-rcx)

1 G6lChick envoi attribution et destin

310 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Le dialogue avec Parmeacutenide ne prend pas fin non seulement parce que dans les fragments conserveacutes de son Poegraveme didactique maintes choses demeurent obscures mais aussi parce que ce quil dit meacuterite toujours decirctre penseacute VIais que le dialogue soit sans fin nest pas un deacutefaut Cest le signe de lillishymiteacute qui en soi et pour la penseacutee qui se souvient preacuteserve la possibiliteacute dun revirement du destin

Qui toutefois nattend de la penseacutee quune assushyrance ct suppute le jour ougrave on pourra la laisser lagrave inutiliseacutee celui-lagrave exige lcsuicide de la penseacutee Exigence qui apparaicirct dans une eacutetrange lumiegravere quand nous songeons agrave ceci que lecirctre des mortels est inviteacute agrave faire attentiol agrave cette parole qui leur dit dentrer dans la mort Comme possibiliteacute extrecircmegrave de lexistence mortelle la mort nest pas la fin du possible mais elle est lAbri suprecircme 1 (la mise agrave labri qui rassemble) ougrave reacuteside le secret du deacutevoileshyment qui nous appelle

1 Das hiichste Gcbirg Cf p 6 n 2 et p 2]3

j

283 282 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

des laquo assertions difficilement intelligibles raquo Pour faciliter leur intellection cherchons autour de nous une aide approprieacutee Ougrave la trouver Manifestement dans une faccedilon de comprendre qui ait peacuteneacutetreacute plus profondeacutement dans ce rapport de la penseacutee et de lecirctre que Parmeacutenide essaie de penser Une telle peacuteneacutetration se reacutevegravele en ceci quellc interroge Elle interroge au sujet de la penseacutee cest-agrave-dire de la connaissance du point de vue de son rapport agrave lecirctre cest-agrave-dire agrave la reacutealiteacute Consideacuterer de cette maniegravere le rapport de la penseacutee et de lecirctre est un des soucis majeurs de la philosophie moderne Elle a finalement agrave cet effet eacutelaboreacute une discipline parshyticuliegravere la theacuteorie de la connaissance laquelle aujourdhui encore passe souvent pour laffaire essentielle de la philosophie Cette affaire a seuleshyment reccedilu un nouveau nom et sappelle agrave preacutesent laquo meacutetaphysiqueraquo ou laquoontologie de la connaisshysance raquo Celle de ses formes qui assume aujourdhui un rocircle directeur et dont la porteacutee va le plus loin sest deacuteveloppeacutee sous le nom de laquo logistique raquo En elle la sentence de Parmeacutenide par lefret dune transformation eacutetrange impossible agrave preacutevoir reccediloit une autoriteacute deacutecisive Ainsi la philosophie moderne sait-elle quelle est deacutesormais partout en mesure de son point de vue qui se croit supeacuterieur de donshyner son vrai sens agrave la parole de Parmeacutenide sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre Eu eacutegard agrave la puissance toujollrs intacte de la penseacutee moderne (dont la philosophie de lexistence et lexistentiashylisme sont avec la logistique les rameaux les plus vivaces) il est neacutecessaire de marquer plus claireshyment la perspective deacuteterminante dans laquelle se meut linterpreacutetation moderne de la sentence parshymeacutenidienne

Dans lexpeacuterience que la philosophie moderne a de leacutetant celui-ci apparait comme lobjet Leacutetant se tient en face ce qui nest possible que par la

MOIRA ~

perception et pour elle Comme Leibniz la vu assez clairement le percipere en tant quappetitus avance la main vers leacutetant et le saisit pour lamener agrave eoi dans le concept par une saisie qui traverse et pour rapporter sa preacutesence (repraesentare) au pershycipere La repraesentatio la Vorstellung se deacutetershyniine comme ce qui en percevant rapporte agrave soi (au moi) ce qui apparaicirct

Parmi les piegraveces doctrinales de la philosophie moderne une thegravese sc deacutetache quon ne peut sempecirccher de ressentir comme libeacuteratrice degraves lors quavec s~n aide on essaie deacutelucider la sentence de Parmeacutenide Nous parlons de la thegravese de Berkeshyley qui repose sur la position meacutetaphysique fonshydamentale de Descartes et qui seacutenonce esse = percipi laquo ecirctreraquo eacutegale laquoecirctre-repreacutesenteacute raquo Lecirctre tombe sous la deacutependance de la repreacutesentation au sens de la perception La thegravese de Berkeley creacutee dabord lespace agrave linteacuterieur duquel la sentence de Parmeacutenide devient accessible agrave une interpreacutetation scientifique et philosophique et est ainsi arracheacutee aux brumes dun pressentiment agrave demi poeacutetique ce quest preacutesume-t-on la penseacutee preacutesocratique Esse = percipi ecirctre cest ecirctre repreacutesenteacute Lecirctre est en vertu de la repreacutesentation Lecirctre est eacutegal agrave la penseacutee pour autant que lobjcctiteacute des objets se compose se constitue dans la conscience repreacutesenshytante dans le laquoje pense quelque chose raquo A la lumiegravere de cette assertion touchant le rapport de la penseacutee et de lecirctre la sentence de Parmeacutenide apparaicirct comme une gauche preacutefiguration de la theacuteorie moderne concernant la reacutealiteacute et sa connaisshysance

Sans doute nest-ce pas par hasard que Hegel dans son Cours dhistoire de la philosophie (Œuvr XIII 2e eacuted p 274) cite ct traduit la sentence de Parmeacutenide sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre BOUS la forme quelle a dans le fragment VIII

284 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

laquoLa Penseacutee (Denken) et ce pourquoi la laquo penseacutee (Gedanke) est sont une mecircme chose laquoCar sans leacutetant dans lequel elle seacutenonce laquo (egravev cfgt 7tecpcxtLO-lEacutevov euroOtlV) tu ne trouveras laquo pas la Penseacutee car il ny a rien et il ny aura laquo rien en dehors de leacutetant raquo Telle est la penshyseacutee principale La Penseacutee se produit et ce qui est produit est une penseacutee La Penseacutee est ainsi identique agrave son ecirctre car il ny a rien hors de lecirctre cette grande affirmation raquo

Lecirctre pour Hegel est laffirmation de la penshyseacutee (Denken) qui se pro-duit elle-mecircme Lecirctre est une production de la penseacutee de la perception par laquelle Descartes interpregravete deacutejagrave lidea Par la penshyseacutee lecirctre en tant que le fait pour la repreacutesentashytion decirctre affirmeacutee et poseacutee est transfeacutereacute dans le domaine de l laquoideacuteal raquo Pour Hegel aussi mais dune maniegravere incomparablement plus meacutediteacutee et preacutepareacutee par lœuvre de Kant lecirctre est la mecircme chose que la penseacutee Lecirctre est identique agrave la penshyseacutee agrave savoir agrave ce quelle eacutenonce et affirme Placeacute dans la persvective de la philosophie moderne Hegel peut ainsi eacutemettre le jugement suivant sur la sentence de Parmeacutenide

laquo Leacuteleacutevation dans le royaume de lideacuteal est ici visible ce qui montre que la speacuteculation philosophique 1 proprement dite a commenceacute avec Parmeacutenide sans doute ce commenceshyment est-il encore trouble et indeacutetermineacute et lon ne peut expliquer davantage ce qui sy trouve mais cette explication est preacuteciseacutement le deacuteveloppement de la philosophie elle-mecircme lequel nest pas encore preacutesent ici raquo (loc cit p 274 et sq)

1 Dos Phil3sophieren

MOIRA 285

Pour Hegel la philosophie cst preacutesente lagrave seuleshyment ougrave le savoir absolu qui se pcnse lui-mecircme est la reacutealiteacute elle-mecircme purement et simplement Leacuteleacuteshyvation qui sachegraveve de lecirctre dans la penseacutee de lesprit entendu comme reacutealiteacute absolue a lieu dans la logique speacuteculative et comme telle

Dans la perspective de cet achegravevement de la philosophie moderne la sentence de Parmeacutenide appaaicirct comme le deacutebut de la speacuteculation philoshysophi -Iue proprement dite cest-agrave-ugraveire de la logique au sens de Hegel mais seulement comme son deacutebut A la penseacutee de Parmeacutenide manque encore la forme speacuteculative cest-agrave-dire dialectique que Hegel au contraire trouve chez Heacuteraclite Il dit de ce dershynier laquo Ici la terre est en vue il ny a pas une phrase dHeacuteraclite que je naie reprise dans ma Logiqueraquo (loc cit p 301) La Logique de Hegel nest pas seulement la seule interpreacutetation moderne pertinente de la thegravese de Berkeley elle en est la reacutealisation absolue Il est hors de doute que la thegravese de Berkeley esse = percipi repose sur ce que la sentence de Parmeacutenide a eacutenonceacute pour la premiegravere fois Mais en mecircme temps ces attaches historiques qui relient la thegravese moderne agrave la sentence antique se fondent agrave proprement parler sur une diffeacuterence qui seacutepare ce qui est dit et penseacute ici et lagrave diffeacuteshyrence telle quon pourrait agrave peine lestimer plus

middotmiddottrancheacutee La diffeacuterence va si loin que de son fait la posshy

sibiIiteacutede connaicirctre ce quelle seacutepare est eacuteteinte abolie 1 Inugraveiquer cette diffeacuterence cest laisser

entendre que notre interpreacutetation de la sentence de Parmeacutenide procegraveugravee dun mougravee de penseacutee tout autre que celui de Hegel La thegravese esse = percipi offre-t-elle linterpreacutetation correcte de la sentence -ro (eXp rxugrave-ro Oamp~EgraveO1(v 1amp xcxt dVcxL Les deux

1 Verschiedcnlaquo deacuteceacutedeacute raquo qui fait eacutecho agrave Vcrschiedcnhcit laquo difshyfeacuterence raquo

286 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

eacutenonceacutes agrave supposer que nous puissions les deacutesigner ainsi disent-ils que penser et ecirctre sont identiques Et mecircme sils le disent le disent-ils dans le mecircme sens Un regard attentif aperccediloit immeacutediatement entre les deux eacutenonceacutes une diffeacuterence que lon serait tenteacute deacutecarter comme apparemment superficielle Dans les deux formes quil lui a donneacutees (fragshyment III et VIII 34) Parmeacutenide construit sa senshytence de telle faccedilon que chaqlle fois voe~v (penser) preacutecegravede dv~~ (ecirctre) Au contraire Berkeley nomme esse (ecirctre) avant percipi (penser) Ceci semble indishyquer que Parmeacutenide accorde la preacutefeacuterence agrave la penshyseacutee et Berkeley agrave lecirctre Pourtant cest le contraire qui est vrai Parmeacutenide confie la penseacutee agrave lecirctre Berkeley renvoie lecirctre agrave la penseacutee Pour reacutepondre agrave la sentence grecque et sy identifier dans une certaine mesure la thegravese moderne devrait se lire percipi = esse

La thegravese moderne eacutenonce quelque chose sur lecirctre au sens de lobjectiteacute pour la repreacutesentation qui saisit au travers 1 La sentence grecque attrishybue la penseacutee entendue comme la perception qui rassemble agrave lecirctre cest-agrave-dire agrave la preacutesence Cest pourquoi toute interpreacutetation de la sentence grecque qui se meut dans la perspective de la penseacutee moderne seacutegare degraves le deacutebut Pourtant ces interpreacutetations qui nous apparaissent sous des formes multiples suffisent agrave une tacircche dont on ne pouvait se dispenshyser elles rendent la penseacutee grecque accessible agrave la penseacutee-repreacutesentation des modernes et confirment cette derniegravere dans son progregraves quelle a voulu elle-mecircme et qui la porte agrave un niveau laquo supeacuterieurraquo de la philosophie

Des trois perspectives qui ont eacuteteacute deacuteterminantes pour toutes les interpreacutetations de la sentence de Parmeacutenide la premiegravere nous montre la gtenseacutee

1 Cf p 283

MOIRA 287

comme quelque chose qui est donneacute devant nous et la range dans le reste de leacutetant

La seconde perspective comprend lecirctre agrave la moderne comme le fait pour les objets decirctre repreacuteshysenteacutes comme objectiteacute pour le moi de la suhjecshytiviteacute

Dans la troisiegraveme perspective nous retrouvons un trait fondamental de tout ce qui dans la phishylosophie antique a reccedilu la marque de Platon Suivant la doctrine de Socrate et de Platon les ideacutees constituent dans tout eacutetant ce qui laquo estraquo 1

Mais leB ideacutees nappartiennent pas au domaine des exLcr01)tamp de ce que les sens nous font percevoir Nous ne pouvons contempler les ideacutees dans leur pureteacute G~ue par le vodv par la perception du nonshysensible Lecirctre rentre dans le domaine des v01)tamp du non- et supra-sensible Plotin interpregravete la senshytence de Parmeacutenide dans le sens platonicien suishyvant lequel Parmeacutenide veut middotdire lecirctre est quelque chose de non-sensible Le poids de la sentence tombe stlr la penseacutee quoique dans un autre sens que pour la philosophie moderne Lecirctre est caracshyteacuteriseacute par le mode non-sensible de la penseacutee Dapregraves linterpreacutetation neacuteo-platonicienne de la sentence de Parmeacutenid e celle-ci nest ni une assertion sur la penseacutee ni une assertion sur lecirctre encore moins une asse)middottion sur lecirctre de linterdeacutependance des deux~ tant que diffeacuterents La sentence est une assertion sur ceci que tous deux font eacutegalement partie dt non-sensible

Chacune des trois perspectives est telle que la penFieacutee la plus ancienne des Grecs sy trouve transshyfeacutereacutee dans le domaine ougrave la meacutetaphysique ulteacuteshyrieure a p oseacute et imposeacute ses questions Il est agrave preacuteshysumer cep~ndant que toute penseacutee tardive qui tente deacutetablir un dialogue avec la penseacutee ancienne ne

J An jedm SciClacIen da laquoseiend raquo

288 ESSAIS ET CONFEacuteflENCES

peut faire autre chose que dentendre du lieu mecircme ougrave chaque fois elle seacutejourne et damener ainsi agrave un dire le silence de la penseacutee ancienne On ne peut sans doute eacuteviter que par lagrave la penseacutee ancienne soit inteacutegreacutee agrave un parler reacutecent transfeacutereacutee dans le champ deacutecoute et dans lhorizon visuel de ce dershynier et pour ainsi dire priveacutee de la liberteacute de son langage propre Pareille inteacutegration toutefois nimshypose aucunement une interpreacutetation qui se contente de convertir en modes tardifs de repreacutesentation ce qui a eacuteteacute penseacute au deacutebut de la penseacutee occidentale Le point deacutecisif est de savoir si le dialogue engageacute se libegravere degraves le deacutebut et toujours agrave nouveau afin de reacutepondre agrave ce que sous condition decirctre intershyrogeacutee lui dit la penseacutee ancienne ou bien si le diashylogue se ferme agrave ce dire et recouvre la penseacutee ancienne dopinions doctrinales t~rdives Ce qui a lieu degraves que la penseacutee reacutecente omet de senqueacuterir speacutecialement du champ deacutecoute et de lhorizon visuel de la penseacutee ancienne

Qui fait effort en ce sens ne doit pourtant pas se horner agrave une recherche laquo historiqueraquo qui deacutegageshyrait seulement les preacutesupposeacutes inexprimeacutes sur lesshyquels repose la penseacutee ancienne alors que dans ce travail les preacutesupposeacutes sont deacutefinis suivant ce qui est accepteacute comme veacuteriteacute eacutetablie par linterpreacutetashytion moderne et ce qui nest plus accepteacute comme tel parce que deacutepasseacute par le progregraves de la penseacutee Lenquecircte dont nous parlons doit ecirctre au contraire un dialogue ougrave les anciens champs deacutecoute et les horizons visuels dautrefois sont consideacutereacutes dapregraves leur origine essentielle afin que commence agrave sadresshyser agrave nous cette invitation 1 sous laquelle se tiennent chacune agrave sa faccedilon la penseacutee ancienne celle qui la suivie et celle qui vient Qui tente dinterroger ainsi

1 Geheiss ici un appel une incitation qui met sur le bon cheshymin aide au voyage ct agrave larriveacutee Cf Was hriss J)mkm pp 85 et 152

MOlfl 239

dirigelU dabord SUll Jcgard vers les pa~sages obscurs dun texte ancien et ne seacutetablira pas agrave demeure sur ceux qui sabritent derriegravere une apparence intelshyligible car de cette maniegravere le dialogue prcnd fin avant davoir commenceacute

Dans les remarques que nous avons encore agrave faire le texte citeacute ne sera plus examineacute que dans une suite dexplications seacutepareacutees Celles-ci voushydraient aider agrave preacuteparer une translation 1 qui penshy~ant lancicn dire grec le ferait passer dans ce qui vient agrave nous dune penseacutee eacuteveilleacutee agrave son commenceshyInent

1

Nous examinons le rapport de lecirctre et de la penseacutee Avant toute chose il nous faut noter que le texte (VIII 34 et sq) qui considegravere ce rapport de plus pregraves parle de legraveov et non comme Je fragshyment III de lEgraveIV(XL On pense donc aussitocirct et non sans un certain droit quil nest pas question de lecirctre dans le fragment VIII mais bien de leacutetant rlais sous le nom dlov Parmeacutenide ne pense aucushynement leacutetant en soi comme ce tout auquel la penseacutee appartient elle aussi pour autant quelle est quelque chose deacutetant Tout aussi pen Egraveov deacutesigne-t-illdvcxL au sens de lecirctre pour soi comme si le penseur tenait agrave faire ressortir le caractegravere non sensiblc de lecirctre par opposition agrave leacutetant qui est sensible LEgraveov leacutetant est bien plutocirct penseacute dans le Pli 2 de lecirctre et de leacutetant et il conserve sa valeur de participe 3 sans que deacutejagrave le concept grammatishy

1 Vcblrsctung laquo transfertraquo ou laquo traduction raquo Iri lun ct lnutre Cf op rit pp HO-141

2 7lrilflll Cf p 89 D 1 3 Tout partieipe est il double sens pa[(t~ quil ticnt agrave la foi~ dn

erbe ct du lIom Dans ~v nOl1~ trollv()n~ lmte dltn (t tvll) (cns verhal) mois alls~i ce qui (st (T) Eacuterv) (sens nnlllinal) Cest pourquoi iov tst en quelque Hlrte Il~ num nalurll UgraveU Pli ugravee lecirctre ct de

290 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cal intervienne speacutecialement dans le savoir concershynarit la langue Le Pli peut du moins ecirctre suggeacutereacute par les tournures laquo ecirctre de leacutetantraquo et laquo eacutetant dans lecirctre raquo Seulement laquo ce qui deacuteplie 1 raquo se cache dans le de et le dans bicn plutocirct que par ces mots il ne nous oriente vers son ecirctre Les deux tournures sont tregraves loin de penser le Pli comme tel plus encore deacutelever son deacutepliement au niveau des choses qui meacuteritent interrogation 2

L laquoecirctre lui-mecircme raquo dont on a tant parleacute demeure en veacuteriteacute aussi longtemps quil est appreacutehendeacute comme ecirctre toujours lecirctre au sens de lecirctre de leacutetant Ce sont toutefois les prcmiers temps de la penseacutee occidentale qui ont reccedilu la tacircche de consideacuterer ce qui est dit dans le mot dvcxt laquo ecirctre raquo dans un regard agrave sa mesure ct de le voir ainsi comme ltDucnccedil A6yoccedil Ev Comme le rassemshyblement qui regravegne dans lecirctre unit tout leacutetant il suffit que lon pense agrave ce rassemblement pour que naisse lapparence ineacutevitable et toujours plus tenace que lecirctre (de leacutetant) nest pas seulement identique agrave leacutetant dans son ensemble mais que en tant quidentique et aussi en tant que laquo ce qui unit raquo il est mecircme leacutetant maximum (das Seiendste) Pour la penseacutee qui se repreacutesente tout devient un eacutetant

Le Pli de lecirctre ct de leacutetant semble comme tel se perdre dans linconsistant bien que la penseacutee depuis ses deacutebuts chez les Grecs se meuve toujours dans le deacuteplieacute de son deacutepli mais sans quelle ait consideacutereacute ougrave il seacutejournait et encore moins precircteacute quelque attention au deacutepIiement du Pli Au deacutebut

Jeacutetant et de mecircme que ce Pli est le Pli par excellence eacuteov est le Participe par excellence (Cf op cil pp 133-136 et 174)

1 Das Jalcndlgt - Dans laquo lecirctre de leacutetantraquo (ou laquo leacutetant dans lecirctr~ raquo) le de (011 le dans) seacutepare lecirctre et leacutetant autrement applishyqueacutes lun contre lautre et marque leur distinction La preacuteposition jouc le rocircle du laquo deacutepliantraquo dont elle est le algue

2 lM lraguUrcJiStJ Cf p 76 n 1

lIOIRA 291

de la penseacutee occidentale le Pli disparaicirct sans quon sen aperccediloive Et pourtant il nest pas rien Cette disparition confegravere mecircme agrave la pen-eacutee grecque la maniegravere dun deacutebut en ce que reacuteclairement de lecirctre de leacutetant se cache comme eacuteclairement Que la duumlparition du Pli se cache~ ce fait est aussi capital que le point de savoir ougrave le Pli sen va Oil tombeshyt-il dans loubli 1 Lempire durable de celui-ci socculte en tant que cette A~81j avec laquelle l AAgrave~e~~~ fait corps dune faccedilon si immeacutediate que la premiegravere peut se retirer au beacuteneacutefice de la seconde et lui abandonner le pur deacutevoilement dans le mode de la ltDucnccedil dn Aoyoccedil de l Ev comme si le deacutevoishylement navait pas besoin du voilement

Mais ce qui en apparence est pure clarteacute est peacuteneacutetreacute et reacutegi par lobscuriteacute Cest lagrave que demeure en retrait le deacutepliement du Pli aussi bien que sa disparition lors des deacutebuts de la penseacutee Pourtant il nous faut dans ltov faire attention au Pli de lecirctre et de leacutetant afin de suivre la discussion que Parmeacutenide consacre au rapport de la penseacutee et de lecirctre

II

En toute briegraveveteacute le fragment III dit que la ~seacutee fait partie de lecirctre Comment caracteacuteriser cette appartenance Question qui vient trop tard La sentence concise a deacutejagrave donneacute la reacuteponse dans ses premiers mots tagrave yip cxtrro laquo agrave savoir le mecircme raquo Dans la version du fragment VIII 34 la sentence commence par le mecircme mot tQugravetov Ce mot reacutepond-il agrave notre question laquode quelle maniegravere la penseacutee appartient-elle agrave lecirctre raquo en disant que les deux sont laquo le mecircmeraquo Le mot napporte pas de reacuteponse Tout dabord parce que la deacutetermination

1 Sur loubli du Point le Plus Critique lecirctre de loubli la dishytinction du deacutebut et du commencement cf op cil pp 97middot98

292 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

laquo le mecircmeraquo exclut quil puisse ecirctre question dune appartenance laquelle ne peut exister quentre deux choses diffeacuterentes Ensuite parce que le mot laquo le mecircmeraquo nous laisse ignorer complegravetement egrave quel point de vue et pour quelle raison le diffeacuterent sacshycorde dans le mecircme Aussi tagrave cxlh6 le mecircme demeure-t-il le mot-eacutenigme dans les deux fragshyments sinon mecircme pour toute la penseacutee de Parshymeacutenide

Si nous croyons que le mot tagrave CXt)to le mecircme veut dire lidentique et si qui mieux est nous tenons lidentiteacute pour la condition claire comme le jour de la pensabiliteacute de tout le pensable alors agrave vrai dire cette opinion nous fait perdre de plus en plus la faculteacute dentendre le mot-eacutenigme agrave supposer que nous ayons deacutejagrave perccedilu son appel Il suffit en attendant que nous ayons toujours le mot dans loreille comme un terme meacuteritant decirctre penseacute Ainsi demeurons-nous de ceux qui entendent et precircts agrave laisser le mot reposer en lui-mecircme comme mot-eacutenigme afin que tout dabord nous tendions loreille de tous cocircteacutes ouverte agrave un dire qui puisse nous aider agrave consideacuterer la pleine mesure deacutenigme contenue dans le mot

Parmeacutenide nous offre une aide Il dit plus claishyrement dans le fragment VIII comment il faut penser l laquo ecirctreraquo auquel appartient le VOeuro~v Au lieu dampvcxL Parmeacutenide dit maintenant l6v leacutetant qui par son double sens deacutesigne le Pli Mais le VOELV de son cocircteacute sappelle maintenant v61JL~ ce qui est pris dans lattention dun percevoir ayant eacutegard agrave ce quil perccediloit 1

Legrave6v est nommeacute speacutecialement comme ce oucircvexev

1 Das in die Acht genommene eines achtenden Vernehmens - Le percevoir (le VOElY) a eacutegard agrave ce quil perccediloit et a des eacutegards pour lui Il respecte sa liberteacute le laisse ecirctre le laisse laquo eacutetendu-devant raquo Sur cette interpreacutetation de VOEty cf Was heisst Dcnken Pl 121shy125

MOIRA 293

~C1t1 VO1)LIX ce pour quoi la penseacutee (Gedanc) est preacutesente (Sur le penser et la penseacutee cf le cours ifas heisst denken 1 Niemeyer eacutedit Tuumlbingen 1954 pp 91 et suiv)

La penseacutee est preacutesente en raison du Pli qui nest amais dit Lapproche de la penseacutee est en route vers le Pli de lecirctre et de leacutetant laquo Prendre dans s(Jn attentionraquo cest sapprocher du Pli 3 cest (dapregraves le fragment VI) ecirctre deacutejagrave rassembleacute et tendre vers le Pli par leffet du AgraveEacuteyew preacutealable du laisser-eacutetendu-devant Par quel moyen et comshyment De cette faccedilon que le Pli agrave cause duquel les mortels trouvent le chemin de la penseacutee reacuteclame lui-mecircme une telle penseacutee pour lui

Nous sommes encore tregraves loin de connaicirctre par une expeacuterience conforme agrave son ecirctre le Pli lui-mecircme ce qui veut dire aussi le Pli en tant quil reacuteclame la penseacutee Le dire de Parmeacutenide neacuteclaire quun point si la penseacutee est preacutesente ce nest ni en raison des egrave6vt(X de l laquo eacutetant en soi raquo ni par soumission agrave la volonteacute de ldvllL au sens de l laquo ecirctre pour soiraquo En dautres termes ni l laquo eacutetant en soiraquo ne rend

1 laquo Que veut dire penser raquo Il sagit ici du livre citeacute agrave la note preacuteshyceacutedente et non de la confeacuterence reproduite plus haut cf p 151 n 1 - laquo Le penser et la penseacuteeraquo Denken und Gedanc - Dapregraves le livre citeacute pp 92 et 157 le Gedanc (forme meacutedieacutevale de Gedanke) qui traduit ici v07jJ-a est le laquo cœur raquo le laquo fond du cœur raquo ce qui en lhomme est le plus inteacuterieur et qui en mecircme temps seacutetend le plus loin agrave lexteacuterieur aussi loin quon puisse aller Il est la penseacutee-soushyvenir (Gedenken) recueillie et toute-rassemblante En lui reposent la meacutemoire (Gediichtnis) entendue comme le recueillement constant de lesprit (Gemuumlt) sur ce qui se dit agrave nous dessentiel et le remershyciement (Dank) cest-agrave-dire la penseacutee tourneacutee vers ce quil faut penser vers ce qui nous donne le plus agrave penser - Sur tous les termes en ge- voir N du Tr 2

2 La preacutesence (Anwesen) de la pensee est lapproche (An-wesen) par laquelle eUe se reacutefegravere au Pli et tend vers lui

3 ln-die-Acht-Nehmen west die Zwiefalt an laquoPrendre dans son attentionraquo est le fait du voetv du laquo percevoirraquo (Vernehmen) Cf p 292 n 1 Sur la traduction de VOftV parlaquo percevoirraquo (vershynehmen) laquoprendre dans son attentionraquo (in die Acht nehrnm) et laquo flairer eacuteventerraquo (wittern) cf Was heisst Denken pp 124-125 et 172-173

294 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

neacutecessaire une penseacutee ni l laquo ecirctre pour soiraquo ne contraint la penseacutee Tous deux chacun pris pour soi ne font jamais savoir comment l laquoecirctreraquo reacuteclame la penseacutee Mais celle-ci deacuteploie son ecirctre agrave cause du Pli de lun et de lautre agrave cause de li6v Cest en allant vers le Pli que le laquo prendre-dans-sonshyattention 1raquo sapproche de lecirctre Cest dans une telle approche 2 que la penseacutee appartient agrave lecirctre Que dit Parmeacutenide de cett~ appartenance

III

Parmeacutenide dit que le voe est 1CerplXtLOfLEacutevOV iv t~ egrave6vtt On traduit par la penseacutee qui comme chose eacutenonceacutee est dans leacutetant

Mais comment pourrions - nous percevoir et comprendre ce que cest que decirctre ainsi laquo eacutenonceacuteraquo (ausgesprochen) aussi longtemps que nous ne nous soucions pas de savoir ce que veulent dire ici laquo chose diteraquo laquo parler raquo laquo langage raquo aussi longshytemps que nous nous empressons de prendre li6v pour leacutetant et que nous lagraveissons indeacutetermineacute le sens du mot laquo ecirctreraquo Comment pourrions-nous connaicirctre le rapport du voeLv au 1CeCPIXtLCJfLEacutevov aussi longtemps que nous ne deacuteterminons pas le voev suffisamment en tenant compte dumiddot fragshyment VI (Cf le cours citeacute pp 124 et sq) Le voeLv dont nous voudrions consideacuterer lappartenance agrave liov est fondeacute dans le AgraveEacuteyeLV et deacuteploie son ecirctre agrave partir de lui Lagrave dans le AgraveEacuteyeLV a lieu celaquo laissershyeacutetendu-devantraquo qui laisse la chose preacutesente eacutetenshydue dans sa preacutesence Cest seulement en tant quelle est ainsi eacutetendue-devant que la chose preacuteshysente peut comme telle inteacuteresser le voeLvce qui laquoprend dans son attentionraquo Aussi le v61lfLlX en tant que VOOUfLevov du vociv est-il toujours deacutejagrave

1 Le 10Er Voir la note preacuteceacutedente ~ Anmiddotweaen Voir cimiddotdeul8 p 293 n 2

MOIRA 295

un AgraveeyoflevOV du AgraveEacuteyetv Mais lecirctre du dire tel que les Grecs lont perccedilu repose dans le AgraveEacuteyeLV Cest pourquoi le voeicircv est une chose dite et cela dans son ecirctre et jamais seulement apregraves coup ou par accident Sans doute toute chose dite nest pas aussi forceacutement une chose prononceacutee (ein Gesshyprochenes) Il est possible et parfois mecircme neacutecesshysaire quelle demeure une chose tue Tout ce qui est prononceacute et tout ce qui est tu est deacutejagrave chose dite Mais non linverse

En quoi consiste la diffeacuterence de la chose dite et de la chose prononceacutee Pourquoi Parmeacutenide caracshyteacuterise-t-il le VOOUf1EVOV et le voe~v (VIII 34 et sq) comme 1CEcplXt~crfLEacutevo On traduit ce mot par laquo parleacute raquo ce qui est exact au point de vue lexicoshygraphique Mais en quel sens perccediloit-on un parler tel que le deacutesignent cpampcrXeLV et cpcfVIXL laquo Parlerraquo nest-il ici que la manifestation sonore (cpltugravev~) de ce quun mot ou une phrase signifient (OYjf1(XLVELV) Est-ce quici lon comprend laquo parlerraquo comme lexshypression dune chose inteacuterieure dune chose de lacircme donc comme reacuteparti entre ses deux composhysants le phoneacutetique et le seacutemantique Nulle trace de tout cela dans lexpeacuterience qui perccediloit le parler comme cpcfv XL le langage comme 9cfCJ~ccedil Dans Ccedil)ampcrXeLV se rencontrent les sens appeler nommer avec des louanges sappeler mais tout cela parce que lecirctre mecircme du mot est laquo faire apparaicirctreraquo Clgtampcrpcx est lapparition des eacutetoiles de la lune le fait quils se montrent ou quils se cachent ltlgtXcreLCcedil deacutesigne les phases Les phases de la lune sont les modes changeaqts de son paraicirctre ltlgtcfOlC est la parole disante (Sage) laquodireraquo (sagen) signifie faire apparaicirctre ltgt~f1( je dis est identique en son ecirctre quoique non eacutequivalent agrave Agraveeuroyltugrave amener la chose preacutesente devant nous dans sa preacutesence lameshynet agrave apparaicirctre et agrave rester eacutetendue

Ce qui inteacuteresse Parmeacutenide cest dexaminer ougrave

296 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

le VOeacuteLV a oa place Car cest sculemcnt lagrave ougrave il a originairement sa place que nous pouvons le troushyver juger de notre deacutecouverte voir comment la penseacutee fait corps avec lecirctre Quand Parmeacutenide perccediloit le VOELV comme 7tecp(Xt~cr1-Eacutevov cela ne veut pas dire que le VOcLV soit une chose eacutenonceacutee et quil doive ainsi ecirctre chercheacute dans les paroles prononceacutees ou dans les signes de leacutecriture comme un eacutetant perceptible agrave lun ou lautre de nos sens Le croire serait seacutegarer et seacuteloigner au maximum de la penseacutee grecque et mecircme si lon voulait se repreacuteshysenter le parler et ce quil eacutenonce comme des faits de conscience et eacutetablir la penseacutee comme acte de conscience dans le domaine de pareils faits Le vociv lelaquo prendre-dans-son-attention raquo et ce quil a perccedilu 1 sont une chose dite ameneacutee agrave paraicirctre Mais ougrave Parmeacutenide dit egravev tw egraveOVtl dans legraveov dans le Pli de la preacutesence et d~ la chose preacutesente Ceci donne agrave penser et nous libegravere deacutefinitivement du preacutejugeacute hacirctif dapregraves lequel la penseacutee serait exprimeacutee dans la parole prononceacutee Nulle part il nen est question

Dans quelle mesure le VOELV peut-il la penseacutee doit-elle apparaicirctre dans le Pli Dans la mesure ougrave le deacutepliement qui conduit dans le Pli de la preacutesence et de la chose preacutesente eacute-voque le laquo laisser-eacutetendu devant raquo le Agraveeuroye~v et dans l laquo ecirctre-eacutetendushydcvant raquo ainsi libeacutereacute de la chose eacutetendue donne au voeicircv quelque chose quil peut prendre dans son attention pour ly preacuteserver Seulement Parmeacutenide ne pense pas encore le Pli comme tel encore moins pense-t-il le deacutepliement du Pli Mais Parmeacutenide dit (VIII 35 et sq) ougrave yagravep ampveu tou EacuteoVtocbull eup~cre~ccedil to voucircv car seacutepareacute du Pli tu ne peux trouver la penseacutee Pourquoi pas Parce quinviteacutee par legraveov elle a sa place avec lui dans le rassemshy

1 laquo Il a perccediluraquo on retrouve le passeacute-preacutesent deacutejagrave observeacute Cf pp 260 262 263 et les notes

MOIRA 297

hlement parce que cest la penseacutee elle-mecircme reposhysant dans le AgraveEacuteyelV qui accomplit le rassemblement agrave lappel de lEacute6v et qui reacutepond de cette maniegravere agrave son appartenance agrave legraveov comme agrave une apparteshynance mise en œuvre (gebrauchten) agrave partir de celui-ci Car le voeicircv ne perccediloit pas nimporte quoi mais seulement cette chose unique nommeacutee dans le fragment VI Eacuteov Euml1-1-eV(XL leacutetant-preacutesent (das Anwesend) dans sa preacutesence

Autant de choses non penseacutees et meacuteritant de lecirctre sannoncent dans lexposeacute de Parmeacutenide autant se projette de clarteacute sur ce qui est avant tout neacutecessaire si lon veut meacutediter comme il convient cette appartenance de la penseacutee agrave lecirctre dont Parmeacutenide nous parle Nous devons apprendre agrave penser lecirctre du langage agrave partir du dire et agrave penshyser ce dernier comme laisser-eacutetcndu-devant (Agraveoyoccedil) et comme faire-apparaicirctre (cpcicrLCcedil) Il est dabord difficile de mener agrave bien une pareille tacircche parce que ce premier eacuteclairement de lecirctre du langage comme parole disante (Sage) sassombrit et disshyparaicirct bientocirct et quil laisse le champ libre agrave une caracteacuterisation du langage qui le repreacutesente deacutesorshymais agrave partir de la cpwJ~ de leacutemission sonore comme un systegravemc de deacutesignation et de significashytion et finalement de transmission de nouvelles et dinformation

IV

Maintenant encore alors que lappartenance de la penseacutee agrave lecirctre sest placeacutee mieux en lumiegravere nous pouvons agrave peine en~cndre dune faccedilon plus instante la pleine mesure deacutenigme contenue dans le motshyeacutenigme de la sentcnce to (xugraveto le mecircme Mais quand nous voyons que le Pli de llov la preacutesence des choses preacutesentes rassemble agrave soi la penseacutee alors ce rocircle directeul du Pli nous laisse peut-ecirctre

298 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

entrevoir la pleine mesure deacutenigme de ce que cache le vide seacutemantique habituel du mot laquo le mecircme raquo

Est-ce agrave partir du deacutepliement du Pli que le Pli ugravee son cocircteacute appelle la penseacutee sur la voie de l laquo agraveshycause-de-lui 1raquo et par-lagrave requiert lappartenance mutuelle de la preacutesence (des choses preacutesentes) et de la penseacutee Mais quest-ce que le deacutepliement du Pli Comment se produit-il Trouvons-nous dans la parole de Parmeacutenide un point dappui nous aidant agrave rechercher en questionnant dune maniegravere approshyprieacutee ce quest le deacutepliement du Pli nous aidant agrave entendre ce qui fait son ecirctre (ihr Wesendes) et agrave lentendre dans ce que tait le mot-eacutenigme de la sentence Nous nen trouvons aucun immeacutediateshyment

Il est surprenant toutefois que dans les deux vershysions de la sentence sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre le mot-eacutenigme figure au commencement Le fragment III dit laquo Le mecircme en effet est le laquo prendreshydans-son-attentionraquo et aussi l laquo ecirctre-preacutesentraquo (des choses preacutesentes)raquo Le fragment VIII 34 dit laquoLe mecircme est laquo prendre-dans-son-attentionraquo et (ce) en chemin vers quoi est le percevoir attentif raquo Que signifie dans le dire de la sentence cette place de deacutebut accordeacutee au mot dans la construction de la phrase Sur quoi par cette intonation Parmeacuteshynide voulait-il mettre laccent Probablement sur le ton fondamental En lui reacutesonne par anticipation ce que la sentence agrave proprement paTler doit dire Ce quon dit ainsi sappelle en grammaire le prc~dicat de la phrase Mais le sujet de la phrase est le voe~v (penseacutee) dans son rapport agrave ldVltXL (ecirctre) Le texte grec nous oblige agrave interpreacuteter ainsi la construction de la sentence La position de tecircte du mot-eacutenigme nous invite agrave arrecircter notre attention sur ce mot et agrave y revenir sans cesse Mecircme ainsi toutefois le mot

1 Au den Weg des laquo Ihrctwcgel - Le Pli invite la penseacutee agrave paraicirctre et elle paraicirct en lui (~I 0) et agrave cause de lui (OJVEXE~)

MOIRA 299

ne nous dit rien de ce que nous vouugraverions savoir Il nous faut donc essayer sans jamais perdre de

vue la position de 10 ltXugraveto le mecircme au deacutebut de la phrase de nous avancer librement et avec hardiesse dans la penseacutee du deacutepliement en partant du Pli de legraveov (de la preacutesence des choses preacutesentes) Nous y sommes aideacutes par la consideacuteration suivante cest dans le Pli de legraveov que la penseacutee est pro-duite en son paraicirctre cest en lui quelle est une chose dite 7tScpltXtLOJEacuteVOV

Dans le Pli domine ainsi la qJcXOLC le dire en tant que ce laquo faire-apparaicirctreraquo qui appelle et reacuteclame Quest-ce que le dire fait apparaicirctre La preacutesence des choses preacutesentes Le dire qui regravegne dans le Pli et qui le manifeste est le rassemblemcnt de la preacutesence dans le paraicirctre de laquelle les choses preacuteshysentes peuvent apparaicirctre Cette ltlgtciOLC que Parshymeacutenide pense Heacuteraclite lappelle le Aoyoc le laquo laisshyser-eacutetendu-devantraquo qui rassemble

Quest-ce qui a lieu dans la ltlgtciOtC et dans le Aoyoc Est-ce que ce dire qui regravegne en eux qui rassemble et qui appelle serait cet apport qui tout dabord pro-duit (erbringt) un paraicirctre lequel accorde une eacuteclaircie et dans la dureacutee duquel la preacutesence dabord seacuteclaire 1 afin que dans sa lumiegravere des choses preacutesentes apparaissent et quainsi regravegne le Pli de lune et des autres Le deacutepliement du Pli reacutesiderait-il en ceci quun paraicirctre illuminant se montre Le trait fondamental de ce paraicirctre les Grecs middot lont vu comme deacutevoilement Dans le deacutepliement du Pli regravegne ainsi le deacutevoileshyment Les Grecs le nomment AAgrave~eeuroLltX

La penseacutee de Parmeacutenide serait donc parvenue tout de mecircme agrave sa maniegravere jusquau deacutepliement

1 Das Lichtung gewiihrl in welchcm Wiihren erst Anwesen sich lichtet Litteacuteralement laquoqui accorde eacuteclaircie dans lequel durer seulement preacutesence seacuteclaire raquoCf p 42 n 1 et cf pp 235 301 306 et les notes

300 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

du Pli agrave supposer que Parmeacutenide parle de l AAgrave~eeLrt La nomme-t-il Sans doute au deacutebut de son Poegraveme didactique Plus encore l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Cest en leacutecoutant que Parmeacutenide dit ce quil a penseacute Pourtant il ne dit pas en quoi consiste lecirctre de l middotAAgrave~ee(X Il ne pense pas davantage en quel sens du mot diviniteacute l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Pour les deacutebuts de la penseacutee grecque tout cela demeure - dune faccedilon aussi immeacutediate quun eacuteclaircissement du mot-eacutenigme tagrave (Xugravet6 le mecircme shyhors du cercle des choses qui meacuteritent decirctre penshyseacutees

Il est toutefois vraisemblable quentre toutes ces choses impenseacutees existent des relations invisibles Les vers introductifs du Poegraveme didactique l 22 et sq sont autre chose que lhabillement poeacutetique dun travail conceptuel abstrait Cest se rendre trop facile le dialogue avec la voie de penseacutee de Parmeacuteshynide que de regretter dans les paroles du penseur labsence de toute expeacuterience mythique et dobjecter que la deacuteesse AAgrave~eeL(x est parfaitement vague pur fantocircme rationnel si on la compare aux laquo personnes divinesraquo bien caracteacuteriseacutees Hegravera Atheacuteneacute Deacutemegraveter Aphrodite Arteacutemis Qui fait de pareilles reacuteserves parle comme si de longue date on savait avec certishytude ce quest la laquo diviniteacuteraquo des dieux grecs comme sil eacutetait sucircr que parler ici de laquo personnesraquo a bien un sens et que touchant lecirctre de la veacuteriteacute il fucirct bien eacutetabli quau cas ougrave elle apparaicirctrait comme deacuteesse on ne pourrait voir lagrave que la personnifishycation abstraite dun concept Au fond cest agrave peine si le laquomythiqueraquo a eacuteteacute pris en consideacuterashytion et surtout lon na pas consideacutereacute que le (lu6occedil est un dire (Sage) et que dire agrave son tour est appeler et faire briller Aussi vaut-il mieux que nous continuions agrave questionner prudemment et que nous eacutecoutions ce que dit le fragment 1 (22 et sq)

MOIRA 301

X(X( (le 6ecX 7tpO()PCugraveJ lmeocirct~(Xto Xe~p(X ocircegrave XetpE ~e~LteFT) EacuteAgraveeJ llo~ ~~7tOccedil qrXto xex( (le 7tpoa~uocircrt

Et la deacuteesse regardant dans lavenir me reccedilut Javoshy[rablement de sa main

Elle me prit la main droite et me dit ainsi la parole [chantant pour moi

Ce qui soffre ici au penseur comme chose agrave penshyser demeure en mecircme temps voileacute quant agrave son orishygine essentielle Ceci nexclut pas mais implique au contraire que dans ce que dit le penseur domine le deacutevoilement comme ce agrave quoi il est toujours attentif pour autant quil loriente vers la chose agrave penser Or celle-ci est nommeacutee dans le mot-eacutenigme tagrave cxugraveto le mecircme et ainsi nommeacutee qualifie le rapshyport de la penseacutee agrave lecirctre

Cest pourquoi nous devons au moins demander si ce nest pas le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoishylement de la preacutesence des choses preacutesentes qui est tu dans exugravet6 le mecircme En le preacutesumant nous nallons pas au delagrave de ce qua penseacute Parmeacutenide nous retournons au contraire vers ce quil faut penser et penser dune faccedilon plus originelle

Lexamen de la sentence sur le rapport de la penseacutee agrave lecirctre prend alors lapparence ineacutevitable dune chose arbitraire et forceacutee

La construction grammaticale de la phrase tagrave yap rtugravetagrave JoetJ iatLI te XClt elext apparaicirct mainshytenant dans une autre lumiegravere Le mot-eacutenigme tagrave rtugravet6 le mecircme par lequel commence la phrase nest plus le preacutedicat mis en tecircte mais bien le sujet ce qui seacutetend au-dessous ce qui porte et soutient Le mot sans apparence EgraveatLI laquoestraquo veut dire maintenant deacuteploie son ecirctre (west) dure en accorshydant et en puisant pour accorder dans ce qui accorde 1 dans ce comme quoi domine tagrave rtugraveto le

1 West Uuumlhrt und zwar gcwuumlhrend aU3 dcm GcwUumlhrcnden laquoAccorshy

302 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

mecircme agrave savoir comme le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoilement ce qui deacutevoilant deacuteplie le Pli assure le laquoprendre-dans-son-attention 1raquo sur son chemin vers la perception rassemblante de la preacutesence des choses preacutesentes La veacuteriteacute entendue comme pareil deacutevoilement du Pli laisse agrave partir de lui la penseacutee appartenir agrave lecirctre Dans le motshyeacutenigme tagrave (Xugraveto le mecircme se tait loctroi deacutevoilant qui garantit 2 lappartenance mutuelle du Pli et de la penseacutee qui apparaicirct en lui

v

Si donc la penseacutee appartient agrave lecirctre ce nest pas parce quelle aussi est une chose preacutesente et quelle a donc sa place dans lensemble de la preacutesence on entend par lagrave dans lensemble des choses preacutesentes Il semble toutefois que Parmeacutenide aussi se repreacuteshysente de cette faccedilon le rapport de lecirctre agrave la penseacutee Il ajoute en effet agrave lappui de ce quil vient de dire une remarque introduite par (eXp (car) et ainsi conccedilue 7teXpe~ tou kovtoccedil hors de leacutetant il ny a eu il ny a et il ny aura aucun autre eacutetant (dapr~s une conjecture de Bergk ougrave3 ~v) Mais tagrave kov ne veut pas dire laquo leacutetant raquo il deacutesigne le Pli Certes hors de celui-ci il ny a jamais aucune preacutesence de choses preacutesentes car la preacutesence comme telle repose dans le Pli paraicirct et apparaicirct dans le deacuteploiement de sa lumiegravere

Mais pourquoi en ce qui concerne le rapport de la penseacutee agrave lecirctre Parmeacutenide ajoute-t-ilspeacutecialeshyment une telle justification Parce que le mot JoeLv qui diffegravere ddv(xL parce que le mot laquo penshy

derraquo au sens d laquo octroyer raquo Sur le rapport eacutetroit entre laquo durerraquo et laquo accorder raquo cf p 42 n 1

1 Le oei le connaicirctre la penseacutee laquo Assureraquo (gewiihrl) au sens de laquo garantit raquo Cf p 235

2 Das entbergende Gewiihren

MOIRA 303

seacuteeraquo donne forceacutement limpression que ce quil deacutesigne est tout de mecircme un amp0 une chose autre en face de lecirctre et par conseacutequent hors de lui Mais ce nest pas seulement le mot comme forme verbale cest son contenu son sens qui paraicirct se tenir laquo agrave cocircteacuteraquo et laquo horsraquo de leacute6v Et cette apparence nest pas non plus simple apparence Car AgraveEacuteyELv et Jodv laissent les choses preacutesentes eacutetendues-devant dans la lumiegravere de la preacutesence Eux-mecircmes sont ainsi eacutetendus en face de la preacutesence quoique jamais en face delle comme deux objets existant pour soi Lassemblage de AgraveEacuteyELV et de voeLv laisse (dapregraves le fragment VI) lkov eacuteflflev(xL il libegravere la preacutesence la laissant acceacuteder agrave son apparaicirctre pour la pershyception et se tient alors dune certaine maniegravere hors de l Egrave6v Dun point de vue la penseacutee est hors du Pli vers lequel lui reacutepondant et demandeacutee par lui elle demeure en chemin Dun autre point de vue ce laquo en chemin vers raquo demeure agrave linteacuterieur du Pli lequel nest jamais une simple distinction quelque part existante et repreacutesenteacutee de lecirctre et de leacutetant mais a son ecirctre agrave partir du deacutepliement qui deacutevoile Celui-ci comme AAgrave~eELct accorde agrave toute preacutesence la lumiegravere dans laquelle les choses preacutesentes peuvent apparaicirctre

Si toutefois le deacutevoilement accorde leacuteclairement de la preacutesence cest en mettant en œuvre agrave la foisshyau cas ougrave des choses preacutesentes doivent apparaicirctreshyun laquolaisser-eacutetendu-devantraquo et un percevoir 1 et les mettant ainsi en œuvre en retenant la penseacutee dans son appartenance au Pli Cest pourquoi hors du Pli il ny a daucune maniegravere quoi que ce soit de preacutesent nimporte ougrave et nimporte comment

Tout ce que nous avons deacutebattu jusquagrave preacutesent demeurerait une invention arbitraire une interpreacuteshytation substitueacutee apregraves coup si Parmeacutenide navait

1 Un AgraveeacuteyElV un dire et un VOErV un connaicirctre

304 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

dit lui-mecircme pourquoi la preacutesence ne peut jamais segrave tenir agrave cocircteacute de lt6v hors de lui

VI

Ce que le penseur nous dit encore de l t6v se trouve en langage grammatical dans une proposhysition subordonneacutee Quiconque est exerceacute si peu que ce soit agrave eacutecouter les grands penseurs sera sans doute parfois deacuteconcerteacute par ce fait eacutetrange que cc quil faut proprement penser ils le disent dans une proposition subordonneacutee ajouteacutee sans bruit et quils sen tiennent lagrave Le jeu de la lumiegravere qui appelle deacuteploie et aide agrave la croissance ne devient pas luishymecircme visible Il brille aussi peu apparent que la lumiegravere du matin sur la somptuositeacute tranquille des lis dans le champ et des roses dans le jardin

La proposition subordonneacutee de Parmeacutenide qui agrave vrai dire est la thegravese de toutes ses thegraveses est la suishyvante (VIII 37 et sq)

eacute7td ro ye MOLp Egrave1teacuteocirc1jOev ougraveAgraveov chdv1jr6v r Eacute(L(Levcxt

bullpuisque la Moira lui a imposeacute (agrave leacutetant) decirctre un [Tout et immobile (W KRANZ)

Parmeacutenide parle de l t6v de la preacutesence (des choses preacutesentes) du Pli mais nullement de l laquo eacutetant raquo Il nomme la Mopcx lattribution qui accordant reacutepartit et qui ainsi ouvre le Pli Lattrishybution dispense le P1i elle en munit en fait don Elle eRt la Dispensation (Schickung) en elle-mecircme recueillie ct ainsi deacutepliante qui envoie la preacutesence 1

comme preacutesence de choses preacutesentes Mopcx est

1 Die Schickung des AnLtcscns Cf pins haut p 272 n 1

MOIRA 305

la Dispensation 1 de l laquoecirctreraquo au sens de lMv Cest celui-ci justement rO ye quene a libeacutereacute lui ouvrant laccegraves du Pli et par lagrave mecircme lieacute agrave la totaliteacute et au repos agrave partir desquels et dans lesquels la preacutesence des choses preacutesentes se manifeste

Dans la Dispensation du Pli toutefois cest seushylement la preacutesence qui parvient agrave paraicirctre et les choses preacutesentes agrave apparaicirctre La Dispensation maintient en retrait le Pli comme tel et plus encore son deacutepliement Lecirctre de l A-yj 8ELCX demeure voileacute La visibiliteacute quelle accorde fait eacutemerger la preacutesence des choses preacutesentes comme laquo aspectraquo (dooccedil) et comme laquo vue raquo (~oEacute~) En conseacutequence le rapport qui appreacutehende la preacutesence des choses preacutesentes se deacutetermine comme voir (dOEacuteV~L) Lagrave mecircme ougrave la veacuteriteacute sest transformeacutee devenant la certitude de la conscience de soi le savoir marqueacute par la visio et son eacutevidence ne peuvent nier leur origine essentielle tireacutee du deacutevoilement qui eacuteclaire Le lumen naturale la lumiegravere naturelle ici lillumination de la raison preacutesuppose deacutejagrave le deacutevoilement du Pli Cette remarque vaut aussi pour les theacuteories augustinienne et meacutedieacutevale de la lumiegravere lesquelles pour ne rien dire de leur origine platonicienne ne peuvent se deacuteployer que dans le domaine de l 1AAgrave~eeL~ deacutejagrave dominante dans la Dispensation du Pli

Si nous voulons pouvoir parler de lhistoire de lecirctre nous devons dabord avoir consideacutereacute qu laquoecirctreraquo veut dire preacutesence des choses preacuteshysentes Pli Cest seulement agrave partir de lecirctre ainsi consideacutereacute que nous pouvons middot alors demander avec la prudence neacutecessaire ce qulaquo histoireraquo ( Cesshychichte) veut dire ici Lhistoire est la Dispensation du Pli (das Ceschick der Zwiefalt) Elle est lecirctreshydurer en mode rassembleacute qui deacutevoilant et deacutepliant

1 Sur la DispensatioD (ou lEnvoi) de lecirctre (Gcschil des S(in ~) voir notamment Der SaI vom Grund pp 108-110 119-LIJ 129-lJU et ISO

306 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

octroie 1 la preacutesence eacuteclaireacutee ougrave les choses preacutesentes apparaissent Lhistoire de lecirctre nest jamais une suite deacuteveacutenements que lecirctre parcourrait pour lui-mecircme Encore moins est-elle un objet qui ouvrishyrait agrave l laquohistoireraquo (-science) de nouvelles possishybiliteacutes de vues-repreacutesentations qui les ouvrirait agrave une laquo histoireraquo disposeacutee agrave se substituer preacutetendant savoir mieux agrave la faccedilon jusquici habituelle de consideacuterer lhistoire de la meacutetaphysique

Ce que dans linapparence dune proposition subordonneacutee Parmeacutenide dit de la Moip(X dans les liens de laquelle lMV est libeacutereacute comme Pli ouvre au penseur lampleur de vue accordeacutee agrave son chemin par le destin Car cest dans cette ampleur quappashyraicirct ce en quoi la preacutesence (des choses preacutesentes) se montre elle-mecircme t~ crf)[l(Xt(X toG EumlOltOc Ceux-ci sont agrave vrai dire multiples (7toAgraveAgrave~) Les a1)1-(Xt(X ne sont pas les signes dune autre chose Ils sont le paraicirctre multiple de la preacutesence elle-mecircme eacutemergeant du Pli deacuteplieacute shy

VII

Mais ce que la MOL(X dispense et reacutepartit nest pas encore complegravetement exposeacute Il en reacutesulte quun trait essentiel du mode de sa puissance demeure impenseacute Quarrive-t-il du fait que la Dispensation libegravere la preacutesence des choses preacutesentes la conduisant dans le Pli et ainsi la fixe dans sa totauumlteacute et son repos

Pour mesurer la porteacutee de ce que Parmeacutenide dit agrave ce sujet aussitocirct apregraves la proposition subordonneacutee (VIII 39 et sq) il est neacutecessaire de rappeler ce qui a eacuteteacute exposeacute preacuteceacutedemment (sous III) Le deacuteplieshyment du Pli domine comme cp~(nc comme laquo dire raquo) en tant que laquo faire-apparaicirctre raquo Le Pli abrite en

1 Das entbergend entfaltende Gewiihren Cf p 42 n 1

MOIRA 307

lui le vo~iV et cc quil pense (VOY](L(x) comme chose dite Mais ce qui est perccedilu dans la penseacutee cest la preacutesence des cho~es preacutesentes Le dire qui pense et qui correspond au Pli est le AgraveEacuteyEtV en tant quil laisse la preacutesence eacutetendue-devant Ce qui ne se produit tout agrave fait que sur la voie de penseacutee ougrave sengage le penseur appeleacute par l )AAgraveYj 6sta

Mais que devient la cpcXcnccedil (parole disantc) qui domine dans la Dispensation deacutevoilante quand ce qui est deacuteployeacute dans le Pli la Dispfnsation labanshydonne au percevoir banal des mortels Ceux-ci aeeueiJJent (~Eacutexccr0a~ S6ccedilct) ce qui soffre agrave eux immeacutediatement tout de suite et tout dabord Ils ne commencent pas par se preacuteparer pour une voie de penseacutee Ils nentendent jamais proprement lapshypel du deacutevoilement du Pli Ils sen tiennent agrave ce qui se deacuteploie en lui plus preacuteciseacutement agrave ce qui les requiert immeacutediatement aux choses preacutesentes sans eacutegard agrave la preacutesence Ils gaspillent leur activiteacute et leurs loisirs pour ce quils ont lhabitude de pershycevoir t~ ~OXOUumlvtlX (fragment l 31) Ils le prennent pour le non-cacheacute cXAgraveY]0Yj (VIII 39) puisque nestshyce pas il leur apparaicirct et quainsi il nest plus cacheacute Seulement que devient leur dire sil ne peut ecirctre le AgraveEacuteyE~V le laquo laisser-eacutetendu-devant raquo Quand les mortels ne donnent aucune attention agrave la preacuteshysence cest-agrave-dire ne la pensent pas leur dire habishytuel devient un simple dire de noms et ce qui passe au premier plan dans ces noms cest le son eacutemis et la forme immeacutediatement saisissable de la parole au sens de mots prononceacutes et eacutecrits

Le deacutemembrement du dire (du laquo laisser-eacutetendu-deshyvant raquo) en mots signifiants fait eacuteclater le laquo prendreshydans-son-attention 1 raquoqui rassemble Celui-ci devient un X(xT(XmiddotdOecr6ct~ (VIII 39) une fixation qui fixe ceci ou cela pour lopinion qui est presseacutee Tout ce

1 Le lOf)

308 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

qui est ainsi fixeacute demeure gvoflCX Parmeacutenide ne dit aucunement que ce qui est habituellement perccedilu devient laquo pur et simpleraquo nom Mais ce qui est ainsi perccedilu demeure abandonneacute agrave un dire tout entier dirigeacute par les mots courants lesquels vite prononshyceacutes disent tout sur tout et vagabondent dans l laquoaussi bien que 1bullbull raquo

La perception des choses preacutesentes (des Egrave6ncx) nomme elle aussi ldvoc~ et connaicirct la preacutesence mais eacutegalement la non-preacutesence et dune faccedilon aussi hacirctive non pas certes comme le fait la penseacutee qui agrave sa maniegravere respecte la middot reacuteserve 2 du Pli (le (l~ i6v)Lopinion courante ne connaicirct qudvcx~ tamp

Xcxt OUgraveXL (VIII 40) la preacutesence aussi bien que la non-preacutesence Le poids de ce qui est ainsi laquobien connuraquo se trouve dans teuro-XOCL (VIII 40 et sq) laquo aussi bien que raquo Et lagrave ougrave la perception habishytuelle celle qui parle agrave partir des mots rencontre leacutemergence et la disparition 3 elle se satisfait de l laquo aussi bien que raquo aussi bien la geacuteneacuteration (y(yve()Ox~) que la middot mort (OAgraveAgrave)()OCXL) (VIII 40) Elle ne perccediloit jamais le lieu t6rcoc comme lenshydroit ougrave le Pli offre une demeure (Heimat) agrave la preacutesence des choses preacutesentes Dans l laquo aussi bienbull que raquo lopinion des mortels ne recherche que les changements (ampAgraveAgrave~()()e~v) de places La perception habituelle sans doute se meut dans la partie eacuteclaireacutee des choses preacutesentes elle voit ce qui brille (cpocv6v VIII 41) dans la couleur mais elle se deacutemegravene dans les changements (ampJd~eLV) de coushyleur et ne precircte aucune attention agrave la lumiegravere tranquille de cette clarteacute qui vient du deacutepliement du Pli et qui est la ltlgt~()~C le faire-apparaitre la

1 Dans le rEacute-xal dont il va ecirctre question 2 Au sujet de la laquo retenueraquo (Vorenthalt) de lecirctre cf p 174 Le

non-ecirctre (I-- ~ lv) est lecirctre en tant quil se reacuteserve ne se donne pas reste dans lombre Cf plus loin p 309 fin

3 Das Aufgehen und Untergehen le lever et le coucher comme on le dit des astres

MOIRA 309

faccedilon dont la parole est disante non la faccedilon dont parlent les mots les noms quentend loreille

Teacutegt 7tampv-r ovo~l()tcx~ (VIII 38) par cela tout (les choses preacutesentes) sera preacutesent dans ce deacutevoileshyment preacutetendu quapporte avec elle la domination des mots Par quoi cela se produit-il Par la MoLpcx par la dispensation 1 du deacutevoilement du Pli Comshyment faut-il lentendre Dans le deacutepliement du Pli en mecircme temps que la preacutesence paraicirct les choses preacutesentes apparaissent Les choses preacutesentes elles aussi sont choses dites mais dites dans les mots qui nomment dans le parler desquels se meut le dire ordinaire des mortels La dispensation du deacutevoileshyment du Pli (de ll6v) abandonne les choses preacutesentes (-reX egrave6vtcx) au percevoir quotidien des mortels

Comment se produit cet abandon des choses par la dispensation Par cela seulement que le Pli comme tel et avecIui son deacutepliement demeurent en retrait Est-ce qualors ce qui domine dans le deacutevoishylement cest quil se deacuterobe Penseacutee hardie mais Heacuteraclite la penseacutee Parmeacutenide la sentie sans la penser pour autant quentendant lappel de l AAgrave~-6eLCX il pense la MoLpcx de leacute6v la dispensation du Pli aussi bien dans son rapport agrave la preacutesence que dans son rapport aux choses preacutesentes

Parmeacutenide ne serait pas un penseur vivant agrave laube des deacutebuts de cette penseacutee qui se plie agrave la dispensation du Pli si sa penseacutee ne peacuteneacutetrait dans lampleur de leacutenigme qui se tait dans le mot-eacutenigme ro Qj-r6 le mecircme Lagrave sabrite ce qui meacuterite decirctre penseacute ce qui nous donne agrave penser se donne soishymecircme agrave penser comme eacutetant le rapport de la penseacutee agrave recirctre la veacuteriteacute de lecirctre au sens du deacutevoilement du Pli la reacuteserve observeacutee par le Pli (le tL~ Egrave6v) alors que preacutedominent les choses preacutesentes (-ramp Egrave6VTQ reX 8oxouumlv-rcx)

1 G6lChick envoi attribution et destin

310 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Le dialogue avec Parmeacutenide ne prend pas fin non seulement parce que dans les fragments conserveacutes de son Poegraveme didactique maintes choses demeurent obscures mais aussi parce que ce quil dit meacuterite toujours decirctre penseacute VIais que le dialogue soit sans fin nest pas un deacutefaut Cest le signe de lillishymiteacute qui en soi et pour la penseacutee qui se souvient preacuteserve la possibiliteacute dun revirement du destin

Qui toutefois nattend de la penseacutee quune assushyrance ct suppute le jour ougrave on pourra la laisser lagrave inutiliseacutee celui-lagrave exige lcsuicide de la penseacutee Exigence qui apparaicirct dans une eacutetrange lumiegravere quand nous songeons agrave ceci que lecirctre des mortels est inviteacute agrave faire attentiol agrave cette parole qui leur dit dentrer dans la mort Comme possibiliteacute extrecircmegrave de lexistence mortelle la mort nest pas la fin du possible mais elle est lAbri suprecircme 1 (la mise agrave labri qui rassemble) ougrave reacuteside le secret du deacutevoileshyment qui nous appelle

1 Das hiichste Gcbirg Cf p 6 n 2 et p 2]3

j

284 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

laquoLa Penseacutee (Denken) et ce pourquoi la laquo penseacutee (Gedanke) est sont une mecircme chose laquoCar sans leacutetant dans lequel elle seacutenonce laquo (egravev cfgt 7tecpcxtLO-lEacutevov euroOtlV) tu ne trouveras laquo pas la Penseacutee car il ny a rien et il ny aura laquo rien en dehors de leacutetant raquo Telle est la penshyseacutee principale La Penseacutee se produit et ce qui est produit est une penseacutee La Penseacutee est ainsi identique agrave son ecirctre car il ny a rien hors de lecirctre cette grande affirmation raquo

Lecirctre pour Hegel est laffirmation de la penshyseacutee (Denken) qui se pro-duit elle-mecircme Lecirctre est une production de la penseacutee de la perception par laquelle Descartes interpregravete deacutejagrave lidea Par la penshyseacutee lecirctre en tant que le fait pour la repreacutesentashytion decirctre affirmeacutee et poseacutee est transfeacutereacute dans le domaine de l laquoideacuteal raquo Pour Hegel aussi mais dune maniegravere incomparablement plus meacutediteacutee et preacutepareacutee par lœuvre de Kant lecirctre est la mecircme chose que la penseacutee Lecirctre est identique agrave la penshyseacutee agrave savoir agrave ce quelle eacutenonce et affirme Placeacute dans la persvective de la philosophie moderne Hegel peut ainsi eacutemettre le jugement suivant sur la sentence de Parmeacutenide

laquo Leacuteleacutevation dans le royaume de lideacuteal est ici visible ce qui montre que la speacuteculation philosophique 1 proprement dite a commenceacute avec Parmeacutenide sans doute ce commenceshyment est-il encore trouble et indeacutetermineacute et lon ne peut expliquer davantage ce qui sy trouve mais cette explication est preacuteciseacutement le deacuteveloppement de la philosophie elle-mecircme lequel nest pas encore preacutesent ici raquo (loc cit p 274 et sq)

1 Dos Phil3sophieren

MOIRA 285

Pour Hegel la philosophie cst preacutesente lagrave seuleshyment ougrave le savoir absolu qui se pcnse lui-mecircme est la reacutealiteacute elle-mecircme purement et simplement Leacuteleacuteshyvation qui sachegraveve de lecirctre dans la penseacutee de lesprit entendu comme reacutealiteacute absolue a lieu dans la logique speacuteculative et comme telle

Dans la perspective de cet achegravevement de la philosophie moderne la sentence de Parmeacutenide appaaicirct comme le deacutebut de la speacuteculation philoshysophi -Iue proprement dite cest-agrave-ugraveire de la logique au sens de Hegel mais seulement comme son deacutebut A la penseacutee de Parmeacutenide manque encore la forme speacuteculative cest-agrave-dire dialectique que Hegel au contraire trouve chez Heacuteraclite Il dit de ce dershynier laquo Ici la terre est en vue il ny a pas une phrase dHeacuteraclite que je naie reprise dans ma Logiqueraquo (loc cit p 301) La Logique de Hegel nest pas seulement la seule interpreacutetation moderne pertinente de la thegravese de Berkeley elle en est la reacutealisation absolue Il est hors de doute que la thegravese de Berkeley esse = percipi repose sur ce que la sentence de Parmeacutenide a eacutenonceacute pour la premiegravere fois Mais en mecircme temps ces attaches historiques qui relient la thegravese moderne agrave la sentence antique se fondent agrave proprement parler sur une diffeacuterence qui seacutepare ce qui est dit et penseacute ici et lagrave diffeacuteshyrence telle quon pourrait agrave peine lestimer plus

middotmiddottrancheacutee La diffeacuterence va si loin que de son fait la posshy

sibiIiteacutede connaicirctre ce quelle seacutepare est eacuteteinte abolie 1 Inugraveiquer cette diffeacuterence cest laisser

entendre que notre interpreacutetation de la sentence de Parmeacutenide procegraveugravee dun mougravee de penseacutee tout autre que celui de Hegel La thegravese esse = percipi offre-t-elle linterpreacutetation correcte de la sentence -ro (eXp rxugrave-ro Oamp~EgraveO1(v 1amp xcxt dVcxL Les deux

1 Verschiedcnlaquo deacuteceacutedeacute raquo qui fait eacutecho agrave Vcrschiedcnhcit laquo difshyfeacuterence raquo

286 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

eacutenonceacutes agrave supposer que nous puissions les deacutesigner ainsi disent-ils que penser et ecirctre sont identiques Et mecircme sils le disent le disent-ils dans le mecircme sens Un regard attentif aperccediloit immeacutediatement entre les deux eacutenonceacutes une diffeacuterence que lon serait tenteacute deacutecarter comme apparemment superficielle Dans les deux formes quil lui a donneacutees (fragshyment III et VIII 34) Parmeacutenide construit sa senshytence de telle faccedilon que chaqlle fois voe~v (penser) preacutecegravede dv~~ (ecirctre) Au contraire Berkeley nomme esse (ecirctre) avant percipi (penser) Ceci semble indishyquer que Parmeacutenide accorde la preacutefeacuterence agrave la penshyseacutee et Berkeley agrave lecirctre Pourtant cest le contraire qui est vrai Parmeacutenide confie la penseacutee agrave lecirctre Berkeley renvoie lecirctre agrave la penseacutee Pour reacutepondre agrave la sentence grecque et sy identifier dans une certaine mesure la thegravese moderne devrait se lire percipi = esse

La thegravese moderne eacutenonce quelque chose sur lecirctre au sens de lobjectiteacute pour la repreacutesentation qui saisit au travers 1 La sentence grecque attrishybue la penseacutee entendue comme la perception qui rassemble agrave lecirctre cest-agrave-dire agrave la preacutesence Cest pourquoi toute interpreacutetation de la sentence grecque qui se meut dans la perspective de la penseacutee moderne seacutegare degraves le deacutebut Pourtant ces interpreacutetations qui nous apparaissent sous des formes multiples suffisent agrave une tacircche dont on ne pouvait se dispenshyser elles rendent la penseacutee grecque accessible agrave la penseacutee-repreacutesentation des modernes et confirment cette derniegravere dans son progregraves quelle a voulu elle-mecircme et qui la porte agrave un niveau laquo supeacuterieurraquo de la philosophie

Des trois perspectives qui ont eacuteteacute deacuteterminantes pour toutes les interpreacutetations de la sentence de Parmeacutenide la premiegravere nous montre la gtenseacutee

1 Cf p 283

MOIRA 287

comme quelque chose qui est donneacute devant nous et la range dans le reste de leacutetant

La seconde perspective comprend lecirctre agrave la moderne comme le fait pour les objets decirctre repreacuteshysenteacutes comme objectiteacute pour le moi de la suhjecshytiviteacute

Dans la troisiegraveme perspective nous retrouvons un trait fondamental de tout ce qui dans la phishylosophie antique a reccedilu la marque de Platon Suivant la doctrine de Socrate et de Platon les ideacutees constituent dans tout eacutetant ce qui laquo estraquo 1

Mais leB ideacutees nappartiennent pas au domaine des exLcr01)tamp de ce que les sens nous font percevoir Nous ne pouvons contempler les ideacutees dans leur pureteacute G~ue par le vodv par la perception du nonshysensible Lecirctre rentre dans le domaine des v01)tamp du non- et supra-sensible Plotin interpregravete la senshytence de Parmeacutenide dans le sens platonicien suishyvant lequel Parmeacutenide veut middotdire lecirctre est quelque chose de non-sensible Le poids de la sentence tombe stlr la penseacutee quoique dans un autre sens que pour la philosophie moderne Lecirctre est caracshyteacuteriseacute par le mode non-sensible de la penseacutee Dapregraves linterpreacutetation neacuteo-platonicienne de la sentence de Parmeacutenid e celle-ci nest ni une assertion sur la penseacutee ni une assertion sur lecirctre encore moins une asse)middottion sur lecirctre de linterdeacutependance des deux~ tant que diffeacuterents La sentence est une assertion sur ceci que tous deux font eacutegalement partie dt non-sensible

Chacune des trois perspectives est telle que la penFieacutee la plus ancienne des Grecs sy trouve transshyfeacutereacutee dans le domaine ougrave la meacutetaphysique ulteacuteshyrieure a p oseacute et imposeacute ses questions Il est agrave preacuteshysumer cep~ndant que toute penseacutee tardive qui tente deacutetablir un dialogue avec la penseacutee ancienne ne

J An jedm SciClacIen da laquoseiend raquo

288 ESSAIS ET CONFEacuteflENCES

peut faire autre chose que dentendre du lieu mecircme ougrave chaque fois elle seacutejourne et damener ainsi agrave un dire le silence de la penseacutee ancienne On ne peut sans doute eacuteviter que par lagrave la penseacutee ancienne soit inteacutegreacutee agrave un parler reacutecent transfeacutereacutee dans le champ deacutecoute et dans lhorizon visuel de ce dershynier et pour ainsi dire priveacutee de la liberteacute de son langage propre Pareille inteacutegration toutefois nimshypose aucunement une interpreacutetation qui se contente de convertir en modes tardifs de repreacutesentation ce qui a eacuteteacute penseacute au deacutebut de la penseacutee occidentale Le point deacutecisif est de savoir si le dialogue engageacute se libegravere degraves le deacutebut et toujours agrave nouveau afin de reacutepondre agrave ce que sous condition decirctre intershyrogeacutee lui dit la penseacutee ancienne ou bien si le diashylogue se ferme agrave ce dire et recouvre la penseacutee ancienne dopinions doctrinales t~rdives Ce qui a lieu degraves que la penseacutee reacutecente omet de senqueacuterir speacutecialement du champ deacutecoute et de lhorizon visuel de la penseacutee ancienne

Qui fait effort en ce sens ne doit pourtant pas se horner agrave une recherche laquo historiqueraquo qui deacutegageshyrait seulement les preacutesupposeacutes inexprimeacutes sur lesshyquels repose la penseacutee ancienne alors que dans ce travail les preacutesupposeacutes sont deacutefinis suivant ce qui est accepteacute comme veacuteriteacute eacutetablie par linterpreacutetashytion moderne et ce qui nest plus accepteacute comme tel parce que deacutepasseacute par le progregraves de la penseacutee Lenquecircte dont nous parlons doit ecirctre au contraire un dialogue ougrave les anciens champs deacutecoute et les horizons visuels dautrefois sont consideacutereacutes dapregraves leur origine essentielle afin que commence agrave sadresshyser agrave nous cette invitation 1 sous laquelle se tiennent chacune agrave sa faccedilon la penseacutee ancienne celle qui la suivie et celle qui vient Qui tente dinterroger ainsi

1 Geheiss ici un appel une incitation qui met sur le bon cheshymin aide au voyage ct agrave larriveacutee Cf Was hriss J)mkm pp 85 et 152

MOlfl 239

dirigelU dabord SUll Jcgard vers les pa~sages obscurs dun texte ancien et ne seacutetablira pas agrave demeure sur ceux qui sabritent derriegravere une apparence intelshyligible car de cette maniegravere le dialogue prcnd fin avant davoir commenceacute

Dans les remarques que nous avons encore agrave faire le texte citeacute ne sera plus examineacute que dans une suite dexplications seacutepareacutees Celles-ci voushydraient aider agrave preacuteparer une translation 1 qui penshy~ant lancicn dire grec le ferait passer dans ce qui vient agrave nous dune penseacutee eacuteveilleacutee agrave son commenceshyInent

1

Nous examinons le rapport de lecirctre et de la penseacutee Avant toute chose il nous faut noter que le texte (VIII 34 et sq) qui considegravere ce rapport de plus pregraves parle de legraveov et non comme Je fragshyment III de lEgraveIV(XL On pense donc aussitocirct et non sans un certain droit quil nest pas question de lecirctre dans le fragment VIII mais bien de leacutetant rlais sous le nom dlov Parmeacutenide ne pense aucushynement leacutetant en soi comme ce tout auquel la penseacutee appartient elle aussi pour autant quelle est quelque chose deacutetant Tout aussi pen Egraveov deacutesigne-t-illdvcxL au sens de lecirctre pour soi comme si le penseur tenait agrave faire ressortir le caractegravere non sensiblc de lecirctre par opposition agrave leacutetant qui est sensible LEgraveov leacutetant est bien plutocirct penseacute dans le Pli 2 de lecirctre et de leacutetant et il conserve sa valeur de participe 3 sans que deacutejagrave le concept grammatishy

1 Vcblrsctung laquo transfertraquo ou laquo traduction raquo Iri lun ct lnutre Cf op rit pp HO-141

2 7lrilflll Cf p 89 D 1 3 Tout partieipe est il double sens pa[(t~ quil ticnt agrave la foi~ dn

erbe ct du lIom Dans ~v nOl1~ trollv()n~ lmte dltn (t tvll) (cns verhal) mois alls~i ce qui (st (T) Eacuterv) (sens nnlllinal) Cest pourquoi iov tst en quelque Hlrte Il~ num nalurll UgraveU Pli ugravee lecirctre ct de

290 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cal intervienne speacutecialement dans le savoir concershynarit la langue Le Pli peut du moins ecirctre suggeacutereacute par les tournures laquo ecirctre de leacutetantraquo et laquo eacutetant dans lecirctre raquo Seulement laquo ce qui deacuteplie 1 raquo se cache dans le de et le dans bicn plutocirct que par ces mots il ne nous oriente vers son ecirctre Les deux tournures sont tregraves loin de penser le Pli comme tel plus encore deacutelever son deacutepliement au niveau des choses qui meacuteritent interrogation 2

L laquoecirctre lui-mecircme raquo dont on a tant parleacute demeure en veacuteriteacute aussi longtemps quil est appreacutehendeacute comme ecirctre toujours lecirctre au sens de lecirctre de leacutetant Ce sont toutefois les prcmiers temps de la penseacutee occidentale qui ont reccedilu la tacircche de consideacuterer ce qui est dit dans le mot dvcxt laquo ecirctre raquo dans un regard agrave sa mesure ct de le voir ainsi comme ltDucnccedil A6yoccedil Ev Comme le rassemshyblement qui regravegne dans lecirctre unit tout leacutetant il suffit que lon pense agrave ce rassemblement pour que naisse lapparence ineacutevitable et toujours plus tenace que lecirctre (de leacutetant) nest pas seulement identique agrave leacutetant dans son ensemble mais que en tant quidentique et aussi en tant que laquo ce qui unit raquo il est mecircme leacutetant maximum (das Seiendste) Pour la penseacutee qui se repreacutesente tout devient un eacutetant

Le Pli de lecirctre ct de leacutetant semble comme tel se perdre dans linconsistant bien que la penseacutee depuis ses deacutebuts chez les Grecs se meuve toujours dans le deacuteplieacute de son deacutepli mais sans quelle ait consideacutereacute ougrave il seacutejournait et encore moins precircteacute quelque attention au deacutepIiement du Pli Au deacutebut

Jeacutetant et de mecircme que ce Pli est le Pli par excellence eacuteov est le Participe par excellence (Cf op cil pp 133-136 et 174)

1 Das Jalcndlgt - Dans laquo lecirctre de leacutetantraquo (ou laquo leacutetant dans lecirctr~ raquo) le de (011 le dans) seacutepare lecirctre et leacutetant autrement applishyqueacutes lun contre lautre et marque leur distinction La preacuteposition jouc le rocircle du laquo deacutepliantraquo dont elle est le algue

2 lM lraguUrcJiStJ Cf p 76 n 1

lIOIRA 291

de la penseacutee occidentale le Pli disparaicirct sans quon sen aperccediloive Et pourtant il nest pas rien Cette disparition confegravere mecircme agrave la pen-eacutee grecque la maniegravere dun deacutebut en ce que reacuteclairement de lecirctre de leacutetant se cache comme eacuteclairement Que la duumlparition du Pli se cache~ ce fait est aussi capital que le point de savoir ougrave le Pli sen va Oil tombeshyt-il dans loubli 1 Lempire durable de celui-ci socculte en tant que cette A~81j avec laquelle l AAgrave~e~~~ fait corps dune faccedilon si immeacutediate que la premiegravere peut se retirer au beacuteneacutefice de la seconde et lui abandonner le pur deacutevoilement dans le mode de la ltDucnccedil dn Aoyoccedil de l Ev comme si le deacutevoishylement navait pas besoin du voilement

Mais ce qui en apparence est pure clarteacute est peacuteneacutetreacute et reacutegi par lobscuriteacute Cest lagrave que demeure en retrait le deacutepliement du Pli aussi bien que sa disparition lors des deacutebuts de la penseacutee Pourtant il nous faut dans ltov faire attention au Pli de lecirctre et de leacutetant afin de suivre la discussion que Parmeacutenide consacre au rapport de la penseacutee et de lecirctre

II

En toute briegraveveteacute le fragment III dit que la ~seacutee fait partie de lecirctre Comment caracteacuteriser cette appartenance Question qui vient trop tard La sentence concise a deacutejagrave donneacute la reacuteponse dans ses premiers mots tagrave yip cxtrro laquo agrave savoir le mecircme raquo Dans la version du fragment VIII 34 la sentence commence par le mecircme mot tQugravetov Ce mot reacutepond-il agrave notre question laquode quelle maniegravere la penseacutee appartient-elle agrave lecirctre raquo en disant que les deux sont laquo le mecircmeraquo Le mot napporte pas de reacuteponse Tout dabord parce que la deacutetermination

1 Sur loubli du Point le Plus Critique lecirctre de loubli la dishytinction du deacutebut et du commencement cf op cil pp 97middot98

292 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

laquo le mecircmeraquo exclut quil puisse ecirctre question dune appartenance laquelle ne peut exister quentre deux choses diffeacuterentes Ensuite parce que le mot laquo le mecircmeraquo nous laisse ignorer complegravetement egrave quel point de vue et pour quelle raison le diffeacuterent sacshycorde dans le mecircme Aussi tagrave cxlh6 le mecircme demeure-t-il le mot-eacutenigme dans les deux fragshyments sinon mecircme pour toute la penseacutee de Parshymeacutenide

Si nous croyons que le mot tagrave CXt)to le mecircme veut dire lidentique et si qui mieux est nous tenons lidentiteacute pour la condition claire comme le jour de la pensabiliteacute de tout le pensable alors agrave vrai dire cette opinion nous fait perdre de plus en plus la faculteacute dentendre le mot-eacutenigme agrave supposer que nous ayons deacutejagrave perccedilu son appel Il suffit en attendant que nous ayons toujours le mot dans loreille comme un terme meacuteritant decirctre penseacute Ainsi demeurons-nous de ceux qui entendent et precircts agrave laisser le mot reposer en lui-mecircme comme mot-eacutenigme afin que tout dabord nous tendions loreille de tous cocircteacutes ouverte agrave un dire qui puisse nous aider agrave consideacuterer la pleine mesure deacutenigme contenue dans le mot

Parmeacutenide nous offre une aide Il dit plus claishyrement dans le fragment VIII comment il faut penser l laquo ecirctreraquo auquel appartient le VOeuro~v Au lieu dampvcxL Parmeacutenide dit maintenant l6v leacutetant qui par son double sens deacutesigne le Pli Mais le VOELV de son cocircteacute sappelle maintenant v61JL~ ce qui est pris dans lattention dun percevoir ayant eacutegard agrave ce quil perccediloit 1

Legrave6v est nommeacute speacutecialement comme ce oucircvexev

1 Das in die Acht genommene eines achtenden Vernehmens - Le percevoir (le VOElY) a eacutegard agrave ce quil perccediloit et a des eacutegards pour lui Il respecte sa liberteacute le laisse ecirctre le laisse laquo eacutetendu-devant raquo Sur cette interpreacutetation de VOEty cf Was heisst Dcnken Pl 121shy125

MOIRA 293

~C1t1 VO1)LIX ce pour quoi la penseacutee (Gedanc) est preacutesente (Sur le penser et la penseacutee cf le cours ifas heisst denken 1 Niemeyer eacutedit Tuumlbingen 1954 pp 91 et suiv)

La penseacutee est preacutesente en raison du Pli qui nest amais dit Lapproche de la penseacutee est en route vers le Pli de lecirctre et de leacutetant laquo Prendre dans s(Jn attentionraquo cest sapprocher du Pli 3 cest (dapregraves le fragment VI) ecirctre deacutejagrave rassembleacute et tendre vers le Pli par leffet du AgraveEacuteyew preacutealable du laisser-eacutetendu-devant Par quel moyen et comshyment De cette faccedilon que le Pli agrave cause duquel les mortels trouvent le chemin de la penseacutee reacuteclame lui-mecircme une telle penseacutee pour lui

Nous sommes encore tregraves loin de connaicirctre par une expeacuterience conforme agrave son ecirctre le Pli lui-mecircme ce qui veut dire aussi le Pli en tant quil reacuteclame la penseacutee Le dire de Parmeacutenide neacuteclaire quun point si la penseacutee est preacutesente ce nest ni en raison des egrave6vt(X de l laquo eacutetant en soi raquo ni par soumission agrave la volonteacute de ldvllL au sens de l laquo ecirctre pour soiraquo En dautres termes ni l laquo eacutetant en soiraquo ne rend

1 laquo Que veut dire penser raquo Il sagit ici du livre citeacute agrave la note preacuteshyceacutedente et non de la confeacuterence reproduite plus haut cf p 151 n 1 - laquo Le penser et la penseacuteeraquo Denken und Gedanc - Dapregraves le livre citeacute pp 92 et 157 le Gedanc (forme meacutedieacutevale de Gedanke) qui traduit ici v07jJ-a est le laquo cœur raquo le laquo fond du cœur raquo ce qui en lhomme est le plus inteacuterieur et qui en mecircme temps seacutetend le plus loin agrave lexteacuterieur aussi loin quon puisse aller Il est la penseacutee-soushyvenir (Gedenken) recueillie et toute-rassemblante En lui reposent la meacutemoire (Gediichtnis) entendue comme le recueillement constant de lesprit (Gemuumlt) sur ce qui se dit agrave nous dessentiel et le remershyciement (Dank) cest-agrave-dire la penseacutee tourneacutee vers ce quil faut penser vers ce qui nous donne le plus agrave penser - Sur tous les termes en ge- voir N du Tr 2

2 La preacutesence (Anwesen) de la pensee est lapproche (An-wesen) par laquelle eUe se reacutefegravere au Pli et tend vers lui

3 ln-die-Acht-Nehmen west die Zwiefalt an laquoPrendre dans son attentionraquo est le fait du voetv du laquo percevoirraquo (Vernehmen) Cf p 292 n 1 Sur la traduction de VOftV parlaquo percevoirraquo (vershynehmen) laquoprendre dans son attentionraquo (in die Acht nehrnm) et laquo flairer eacuteventerraquo (wittern) cf Was heisst Denken pp 124-125 et 172-173

294 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

neacutecessaire une penseacutee ni l laquo ecirctre pour soiraquo ne contraint la penseacutee Tous deux chacun pris pour soi ne font jamais savoir comment l laquoecirctreraquo reacuteclame la penseacutee Mais celle-ci deacuteploie son ecirctre agrave cause du Pli de lun et de lautre agrave cause de li6v Cest en allant vers le Pli que le laquo prendre-dans-sonshyattention 1raquo sapproche de lecirctre Cest dans une telle approche 2 que la penseacutee appartient agrave lecirctre Que dit Parmeacutenide de cett~ appartenance

III

Parmeacutenide dit que le voe est 1CerplXtLOfLEacutevOV iv t~ egrave6vtt On traduit par la penseacutee qui comme chose eacutenonceacutee est dans leacutetant

Mais comment pourrions - nous percevoir et comprendre ce que cest que decirctre ainsi laquo eacutenonceacuteraquo (ausgesprochen) aussi longtemps que nous ne nous soucions pas de savoir ce que veulent dire ici laquo chose diteraquo laquo parler raquo laquo langage raquo aussi longshytemps que nous nous empressons de prendre li6v pour leacutetant et que nous lagraveissons indeacutetermineacute le sens du mot laquo ecirctreraquo Comment pourrions-nous connaicirctre le rapport du voeLv au 1CeCPIXtLCJfLEacutevov aussi longtemps que nous ne deacuteterminons pas le voev suffisamment en tenant compte dumiddot fragshyment VI (Cf le cours citeacute pp 124 et sq) Le voeLv dont nous voudrions consideacuterer lappartenance agrave liov est fondeacute dans le AgraveEacuteyeLV et deacuteploie son ecirctre agrave partir de lui Lagrave dans le AgraveEacuteyeLV a lieu celaquo laissershyeacutetendu-devantraquo qui laisse la chose preacutesente eacutetenshydue dans sa preacutesence Cest seulement en tant quelle est ainsi eacutetendue-devant que la chose preacuteshysente peut comme telle inteacuteresser le voeLvce qui laquoprend dans son attentionraquo Aussi le v61lfLlX en tant que VOOUfLevov du vociv est-il toujours deacutejagrave

1 Le 10Er Voir la note preacuteceacutedente ~ Anmiddotweaen Voir cimiddotdeul8 p 293 n 2

MOIRA 295

un AgraveeyoflevOV du AgraveEacuteyetv Mais lecirctre du dire tel que les Grecs lont perccedilu repose dans le AgraveEacuteyeLV Cest pourquoi le voeicircv est une chose dite et cela dans son ecirctre et jamais seulement apregraves coup ou par accident Sans doute toute chose dite nest pas aussi forceacutement une chose prononceacutee (ein Gesshyprochenes) Il est possible et parfois mecircme neacutecesshysaire quelle demeure une chose tue Tout ce qui est prononceacute et tout ce qui est tu est deacutejagrave chose dite Mais non linverse

En quoi consiste la diffeacuterence de la chose dite et de la chose prononceacutee Pourquoi Parmeacutenide caracshyteacuterise-t-il le VOOUf1EVOV et le voe~v (VIII 34 et sq) comme 1CEcplXt~crfLEacutevo On traduit ce mot par laquo parleacute raquo ce qui est exact au point de vue lexicoshygraphique Mais en quel sens perccediloit-on un parler tel que le deacutesignent cpampcrXeLV et cpcfVIXL laquo Parlerraquo nest-il ici que la manifestation sonore (cpltugravev~) de ce quun mot ou une phrase signifient (OYjf1(XLVELV) Est-ce quici lon comprend laquo parlerraquo comme lexshypression dune chose inteacuterieure dune chose de lacircme donc comme reacuteparti entre ses deux composhysants le phoneacutetique et le seacutemantique Nulle trace de tout cela dans lexpeacuterience qui perccediloit le parler comme cpcfv XL le langage comme 9cfCJ~ccedil Dans Ccedil)ampcrXeLV se rencontrent les sens appeler nommer avec des louanges sappeler mais tout cela parce que lecirctre mecircme du mot est laquo faire apparaicirctreraquo Clgtampcrpcx est lapparition des eacutetoiles de la lune le fait quils se montrent ou quils se cachent ltlgtXcreLCcedil deacutesigne les phases Les phases de la lune sont les modes changeaqts de son paraicirctre ltlgtcfOlC est la parole disante (Sage) laquodireraquo (sagen) signifie faire apparaicirctre ltgt~f1( je dis est identique en son ecirctre quoique non eacutequivalent agrave Agraveeuroyltugrave amener la chose preacutesente devant nous dans sa preacutesence lameshynet agrave apparaicirctre et agrave rester eacutetendue

Ce qui inteacuteresse Parmeacutenide cest dexaminer ougrave

296 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

le VOeacuteLV a oa place Car cest sculemcnt lagrave ougrave il a originairement sa place que nous pouvons le troushyver juger de notre deacutecouverte voir comment la penseacutee fait corps avec lecirctre Quand Parmeacutenide perccediloit le VOELV comme 7tecp(Xt~cr1-Eacutevov cela ne veut pas dire que le VOcLV soit une chose eacutenonceacutee et quil doive ainsi ecirctre chercheacute dans les paroles prononceacutees ou dans les signes de leacutecriture comme un eacutetant perceptible agrave lun ou lautre de nos sens Le croire serait seacutegarer et seacuteloigner au maximum de la penseacutee grecque et mecircme si lon voulait se repreacuteshysenter le parler et ce quil eacutenonce comme des faits de conscience et eacutetablir la penseacutee comme acte de conscience dans le domaine de pareils faits Le vociv lelaquo prendre-dans-son-attention raquo et ce quil a perccedilu 1 sont une chose dite ameneacutee agrave paraicirctre Mais ougrave Parmeacutenide dit egravev tw egraveOVtl dans legraveov dans le Pli de la preacutesence et d~ la chose preacutesente Ceci donne agrave penser et nous libegravere deacutefinitivement du preacutejugeacute hacirctif dapregraves lequel la penseacutee serait exprimeacutee dans la parole prononceacutee Nulle part il nen est question

Dans quelle mesure le VOELV peut-il la penseacutee doit-elle apparaicirctre dans le Pli Dans la mesure ougrave le deacutepliement qui conduit dans le Pli de la preacutesence et de la chose preacutesente eacute-voque le laquo laisser-eacutetendu devant raquo le Agraveeuroye~v et dans l laquo ecirctre-eacutetendushydcvant raquo ainsi libeacutereacute de la chose eacutetendue donne au voeicircv quelque chose quil peut prendre dans son attention pour ly preacuteserver Seulement Parmeacutenide ne pense pas encore le Pli comme tel encore moins pense-t-il le deacutepliement du Pli Mais Parmeacutenide dit (VIII 35 et sq) ougrave yagravep ampveu tou EacuteoVtocbull eup~cre~ccedil to voucircv car seacutepareacute du Pli tu ne peux trouver la penseacutee Pourquoi pas Parce quinviteacutee par legraveov elle a sa place avec lui dans le rassemshy

1 laquo Il a perccediluraquo on retrouve le passeacute-preacutesent deacutejagrave observeacute Cf pp 260 262 263 et les notes

MOIRA 297

hlement parce que cest la penseacutee elle-mecircme reposhysant dans le AgraveEacuteyelV qui accomplit le rassemblement agrave lappel de lEacute6v et qui reacutepond de cette maniegravere agrave son appartenance agrave legraveov comme agrave une apparteshynance mise en œuvre (gebrauchten) agrave partir de celui-ci Car le voeicircv ne perccediloit pas nimporte quoi mais seulement cette chose unique nommeacutee dans le fragment VI Eacuteov Euml1-1-eV(XL leacutetant-preacutesent (das Anwesend) dans sa preacutesence

Autant de choses non penseacutees et meacuteritant de lecirctre sannoncent dans lexposeacute de Parmeacutenide autant se projette de clarteacute sur ce qui est avant tout neacutecessaire si lon veut meacutediter comme il convient cette appartenance de la penseacutee agrave lecirctre dont Parmeacutenide nous parle Nous devons apprendre agrave penser lecirctre du langage agrave partir du dire et agrave penshyser ce dernier comme laisser-eacutetcndu-devant (Agraveoyoccedil) et comme faire-apparaicirctre (cpcicrLCcedil) Il est dabord difficile de mener agrave bien une pareille tacircche parce que ce premier eacuteclairement de lecirctre du langage comme parole disante (Sage) sassombrit et disshyparaicirct bientocirct et quil laisse le champ libre agrave une caracteacuterisation du langage qui le repreacutesente deacutesorshymais agrave partir de la cpwJ~ de leacutemission sonore comme un systegravemc de deacutesignation et de significashytion et finalement de transmission de nouvelles et dinformation

IV

Maintenant encore alors que lappartenance de la penseacutee agrave lecirctre sest placeacutee mieux en lumiegravere nous pouvons agrave peine en~cndre dune faccedilon plus instante la pleine mesure deacutenigme contenue dans le motshyeacutenigme de la sentcnce to (xugraveto le mecircme Mais quand nous voyons que le Pli de llov la preacutesence des choses preacutesentes rassemble agrave soi la penseacutee alors ce rocircle directeul du Pli nous laisse peut-ecirctre

298 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

entrevoir la pleine mesure deacutenigme de ce que cache le vide seacutemantique habituel du mot laquo le mecircme raquo

Est-ce agrave partir du deacutepliement du Pli que le Pli ugravee son cocircteacute appelle la penseacutee sur la voie de l laquo agraveshycause-de-lui 1raquo et par-lagrave requiert lappartenance mutuelle de la preacutesence (des choses preacutesentes) et de la penseacutee Mais quest-ce que le deacutepliement du Pli Comment se produit-il Trouvons-nous dans la parole de Parmeacutenide un point dappui nous aidant agrave rechercher en questionnant dune maniegravere approshyprieacutee ce quest le deacutepliement du Pli nous aidant agrave entendre ce qui fait son ecirctre (ihr Wesendes) et agrave lentendre dans ce que tait le mot-eacutenigme de la sentence Nous nen trouvons aucun immeacutediateshyment

Il est surprenant toutefois que dans les deux vershysions de la sentence sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre le mot-eacutenigme figure au commencement Le fragment III dit laquo Le mecircme en effet est le laquo prendreshydans-son-attentionraquo et aussi l laquo ecirctre-preacutesentraquo (des choses preacutesentes)raquo Le fragment VIII 34 dit laquoLe mecircme est laquo prendre-dans-son-attentionraquo et (ce) en chemin vers quoi est le percevoir attentif raquo Que signifie dans le dire de la sentence cette place de deacutebut accordeacutee au mot dans la construction de la phrase Sur quoi par cette intonation Parmeacuteshynide voulait-il mettre laccent Probablement sur le ton fondamental En lui reacutesonne par anticipation ce que la sentence agrave proprement paTler doit dire Ce quon dit ainsi sappelle en grammaire le prc~dicat de la phrase Mais le sujet de la phrase est le voe~v (penseacutee) dans son rapport agrave ldVltXL (ecirctre) Le texte grec nous oblige agrave interpreacuteter ainsi la construction de la sentence La position de tecircte du mot-eacutenigme nous invite agrave arrecircter notre attention sur ce mot et agrave y revenir sans cesse Mecircme ainsi toutefois le mot

1 Au den Weg des laquo Ihrctwcgel - Le Pli invite la penseacutee agrave paraicirctre et elle paraicirct en lui (~I 0) et agrave cause de lui (OJVEXE~)

MOIRA 299

ne nous dit rien de ce que nous vouugraverions savoir Il nous faut donc essayer sans jamais perdre de

vue la position de 10 ltXugraveto le mecircme au deacutebut de la phrase de nous avancer librement et avec hardiesse dans la penseacutee du deacutepliement en partant du Pli de legraveov (de la preacutesence des choses preacutesentes) Nous y sommes aideacutes par la consideacuteration suivante cest dans le Pli de legraveov que la penseacutee est pro-duite en son paraicirctre cest en lui quelle est une chose dite 7tScpltXtLOJEacuteVOV

Dans le Pli domine ainsi la qJcXOLC le dire en tant que ce laquo faire-apparaicirctreraquo qui appelle et reacuteclame Quest-ce que le dire fait apparaicirctre La preacutesence des choses preacutesentes Le dire qui regravegne dans le Pli et qui le manifeste est le rassemblemcnt de la preacutesence dans le paraicirctre de laquelle les choses preacuteshysentes peuvent apparaicirctre Cette ltlgtciOLC que Parshymeacutenide pense Heacuteraclite lappelle le Aoyoc le laquo laisshyser-eacutetendu-devantraquo qui rassemble

Quest-ce qui a lieu dans la ltlgtciOtC et dans le Aoyoc Est-ce que ce dire qui regravegne en eux qui rassemble et qui appelle serait cet apport qui tout dabord pro-duit (erbringt) un paraicirctre lequel accorde une eacuteclaircie et dans la dureacutee duquel la preacutesence dabord seacuteclaire 1 afin que dans sa lumiegravere des choses preacutesentes apparaissent et quainsi regravegne le Pli de lune et des autres Le deacutepliement du Pli reacutesiderait-il en ceci quun paraicirctre illuminant se montre Le trait fondamental de ce paraicirctre les Grecs middot lont vu comme deacutevoilement Dans le deacutepliement du Pli regravegne ainsi le deacutevoileshyment Les Grecs le nomment AAgrave~eeuroLltX

La penseacutee de Parmeacutenide serait donc parvenue tout de mecircme agrave sa maniegravere jusquau deacutepliement

1 Das Lichtung gewiihrl in welchcm Wiihren erst Anwesen sich lichtet Litteacuteralement laquoqui accorde eacuteclaircie dans lequel durer seulement preacutesence seacuteclaire raquoCf p 42 n 1 et cf pp 235 301 306 et les notes

300 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

du Pli agrave supposer que Parmeacutenide parle de l AAgrave~eeLrt La nomme-t-il Sans doute au deacutebut de son Poegraveme didactique Plus encore l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Cest en leacutecoutant que Parmeacutenide dit ce quil a penseacute Pourtant il ne dit pas en quoi consiste lecirctre de l middotAAgrave~ee(X Il ne pense pas davantage en quel sens du mot diviniteacute l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Pour les deacutebuts de la penseacutee grecque tout cela demeure - dune faccedilon aussi immeacutediate quun eacuteclaircissement du mot-eacutenigme tagrave (Xugravet6 le mecircme shyhors du cercle des choses qui meacuteritent decirctre penshyseacutees

Il est toutefois vraisemblable quentre toutes ces choses impenseacutees existent des relations invisibles Les vers introductifs du Poegraveme didactique l 22 et sq sont autre chose que lhabillement poeacutetique dun travail conceptuel abstrait Cest se rendre trop facile le dialogue avec la voie de penseacutee de Parmeacuteshynide que de regretter dans les paroles du penseur labsence de toute expeacuterience mythique et dobjecter que la deacuteesse AAgrave~eeL(x est parfaitement vague pur fantocircme rationnel si on la compare aux laquo personnes divinesraquo bien caracteacuteriseacutees Hegravera Atheacuteneacute Deacutemegraveter Aphrodite Arteacutemis Qui fait de pareilles reacuteserves parle comme si de longue date on savait avec certishytude ce quest la laquo diviniteacuteraquo des dieux grecs comme sil eacutetait sucircr que parler ici de laquo personnesraquo a bien un sens et que touchant lecirctre de la veacuteriteacute il fucirct bien eacutetabli quau cas ougrave elle apparaicirctrait comme deacuteesse on ne pourrait voir lagrave que la personnifishycation abstraite dun concept Au fond cest agrave peine si le laquomythiqueraquo a eacuteteacute pris en consideacuterashytion et surtout lon na pas consideacutereacute que le (lu6occedil est un dire (Sage) et que dire agrave son tour est appeler et faire briller Aussi vaut-il mieux que nous continuions agrave questionner prudemment et que nous eacutecoutions ce que dit le fragment 1 (22 et sq)

MOIRA 301

X(X( (le 6ecX 7tpO()PCugraveJ lmeocirct~(Xto Xe~p(X ocircegrave XetpE ~e~LteFT) EacuteAgraveeJ llo~ ~~7tOccedil qrXto xex( (le 7tpoa~uocircrt

Et la deacuteesse regardant dans lavenir me reccedilut Javoshy[rablement de sa main

Elle me prit la main droite et me dit ainsi la parole [chantant pour moi

Ce qui soffre ici au penseur comme chose agrave penshyser demeure en mecircme temps voileacute quant agrave son orishygine essentielle Ceci nexclut pas mais implique au contraire que dans ce que dit le penseur domine le deacutevoilement comme ce agrave quoi il est toujours attentif pour autant quil loriente vers la chose agrave penser Or celle-ci est nommeacutee dans le mot-eacutenigme tagrave cxugraveto le mecircme et ainsi nommeacutee qualifie le rapshyport de la penseacutee agrave lecirctre

Cest pourquoi nous devons au moins demander si ce nest pas le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoishylement de la preacutesence des choses preacutesentes qui est tu dans exugravet6 le mecircme En le preacutesumant nous nallons pas au delagrave de ce qua penseacute Parmeacutenide nous retournons au contraire vers ce quil faut penser et penser dune faccedilon plus originelle

Lexamen de la sentence sur le rapport de la penseacutee agrave lecirctre prend alors lapparence ineacutevitable dune chose arbitraire et forceacutee

La construction grammaticale de la phrase tagrave yap rtugravetagrave JoetJ iatLI te XClt elext apparaicirct mainshytenant dans une autre lumiegravere Le mot-eacutenigme tagrave rtugravet6 le mecircme par lequel commence la phrase nest plus le preacutedicat mis en tecircte mais bien le sujet ce qui seacutetend au-dessous ce qui porte et soutient Le mot sans apparence EgraveatLI laquoestraquo veut dire maintenant deacuteploie son ecirctre (west) dure en accorshydant et en puisant pour accorder dans ce qui accorde 1 dans ce comme quoi domine tagrave rtugraveto le

1 West Uuumlhrt und zwar gcwuumlhrend aU3 dcm GcwUumlhrcnden laquoAccorshy

302 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

mecircme agrave savoir comme le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoilement ce qui deacutevoilant deacuteplie le Pli assure le laquoprendre-dans-son-attention 1raquo sur son chemin vers la perception rassemblante de la preacutesence des choses preacutesentes La veacuteriteacute entendue comme pareil deacutevoilement du Pli laisse agrave partir de lui la penseacutee appartenir agrave lecirctre Dans le motshyeacutenigme tagrave (Xugraveto le mecircme se tait loctroi deacutevoilant qui garantit 2 lappartenance mutuelle du Pli et de la penseacutee qui apparaicirct en lui

v

Si donc la penseacutee appartient agrave lecirctre ce nest pas parce quelle aussi est une chose preacutesente et quelle a donc sa place dans lensemble de la preacutesence on entend par lagrave dans lensemble des choses preacutesentes Il semble toutefois que Parmeacutenide aussi se repreacuteshysente de cette faccedilon le rapport de lecirctre agrave la penseacutee Il ajoute en effet agrave lappui de ce quil vient de dire une remarque introduite par (eXp (car) et ainsi conccedilue 7teXpe~ tou kovtoccedil hors de leacutetant il ny a eu il ny a et il ny aura aucun autre eacutetant (dapr~s une conjecture de Bergk ougrave3 ~v) Mais tagrave kov ne veut pas dire laquo leacutetant raquo il deacutesigne le Pli Certes hors de celui-ci il ny a jamais aucune preacutesence de choses preacutesentes car la preacutesence comme telle repose dans le Pli paraicirct et apparaicirct dans le deacuteploiement de sa lumiegravere

Mais pourquoi en ce qui concerne le rapport de la penseacutee agrave lecirctre Parmeacutenide ajoute-t-ilspeacutecialeshyment une telle justification Parce que le mot JoeLv qui diffegravere ddv(xL parce que le mot laquo penshy

derraquo au sens d laquo octroyer raquo Sur le rapport eacutetroit entre laquo durerraquo et laquo accorder raquo cf p 42 n 1

1 Le oei le connaicirctre la penseacutee laquo Assureraquo (gewiihrl) au sens de laquo garantit raquo Cf p 235

2 Das entbergende Gewiihren

MOIRA 303

seacuteeraquo donne forceacutement limpression que ce quil deacutesigne est tout de mecircme un amp0 une chose autre en face de lecirctre et par conseacutequent hors de lui Mais ce nest pas seulement le mot comme forme verbale cest son contenu son sens qui paraicirct se tenir laquo agrave cocircteacuteraquo et laquo horsraquo de leacute6v Et cette apparence nest pas non plus simple apparence Car AgraveEacuteyELv et Jodv laissent les choses preacutesentes eacutetendues-devant dans la lumiegravere de la preacutesence Eux-mecircmes sont ainsi eacutetendus en face de la preacutesence quoique jamais en face delle comme deux objets existant pour soi Lassemblage de AgraveEacuteyELV et de voeLv laisse (dapregraves le fragment VI) lkov eacuteflflev(xL il libegravere la preacutesence la laissant acceacuteder agrave son apparaicirctre pour la pershyception et se tient alors dune certaine maniegravere hors de l Egrave6v Dun point de vue la penseacutee est hors du Pli vers lequel lui reacutepondant et demandeacutee par lui elle demeure en chemin Dun autre point de vue ce laquo en chemin vers raquo demeure agrave linteacuterieur du Pli lequel nest jamais une simple distinction quelque part existante et repreacutesenteacutee de lecirctre et de leacutetant mais a son ecirctre agrave partir du deacutepliement qui deacutevoile Celui-ci comme AAgrave~eELct accorde agrave toute preacutesence la lumiegravere dans laquelle les choses preacutesentes peuvent apparaicirctre

Si toutefois le deacutevoilement accorde leacuteclairement de la preacutesence cest en mettant en œuvre agrave la foisshyau cas ougrave des choses preacutesentes doivent apparaicirctreshyun laquolaisser-eacutetendu-devantraquo et un percevoir 1 et les mettant ainsi en œuvre en retenant la penseacutee dans son appartenance au Pli Cest pourquoi hors du Pli il ny a daucune maniegravere quoi que ce soit de preacutesent nimporte ougrave et nimporte comment

Tout ce que nous avons deacutebattu jusquagrave preacutesent demeurerait une invention arbitraire une interpreacuteshytation substitueacutee apregraves coup si Parmeacutenide navait

1 Un AgraveeacuteyElV un dire et un VOErV un connaicirctre

304 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

dit lui-mecircme pourquoi la preacutesence ne peut jamais segrave tenir agrave cocircteacute de lt6v hors de lui

VI

Ce que le penseur nous dit encore de l t6v se trouve en langage grammatical dans une proposhysition subordonneacutee Quiconque est exerceacute si peu que ce soit agrave eacutecouter les grands penseurs sera sans doute parfois deacuteconcerteacute par ce fait eacutetrange que cc quil faut proprement penser ils le disent dans une proposition subordonneacutee ajouteacutee sans bruit et quils sen tiennent lagrave Le jeu de la lumiegravere qui appelle deacuteploie et aide agrave la croissance ne devient pas luishymecircme visible Il brille aussi peu apparent que la lumiegravere du matin sur la somptuositeacute tranquille des lis dans le champ et des roses dans le jardin

La proposition subordonneacutee de Parmeacutenide qui agrave vrai dire est la thegravese de toutes ses thegraveses est la suishyvante (VIII 37 et sq)

eacute7td ro ye MOLp Egrave1teacuteocirc1jOev ougraveAgraveov chdv1jr6v r Eacute(L(Levcxt

bullpuisque la Moira lui a imposeacute (agrave leacutetant) decirctre un [Tout et immobile (W KRANZ)

Parmeacutenide parle de l t6v de la preacutesence (des choses preacutesentes) du Pli mais nullement de l laquo eacutetant raquo Il nomme la Mopcx lattribution qui accordant reacutepartit et qui ainsi ouvre le Pli Lattrishybution dispense le P1i elle en munit en fait don Elle eRt la Dispensation (Schickung) en elle-mecircme recueillie ct ainsi deacutepliante qui envoie la preacutesence 1

comme preacutesence de choses preacutesentes Mopcx est

1 Die Schickung des AnLtcscns Cf pins haut p 272 n 1

MOIRA 305

la Dispensation 1 de l laquoecirctreraquo au sens de lMv Cest celui-ci justement rO ye quene a libeacutereacute lui ouvrant laccegraves du Pli et par lagrave mecircme lieacute agrave la totaliteacute et au repos agrave partir desquels et dans lesquels la preacutesence des choses preacutesentes se manifeste

Dans la Dispensation du Pli toutefois cest seushylement la preacutesence qui parvient agrave paraicirctre et les choses preacutesentes agrave apparaicirctre La Dispensation maintient en retrait le Pli comme tel et plus encore son deacutepliement Lecirctre de l A-yj 8ELCX demeure voileacute La visibiliteacute quelle accorde fait eacutemerger la preacutesence des choses preacutesentes comme laquo aspectraquo (dooccedil) et comme laquo vue raquo (~oEacute~) En conseacutequence le rapport qui appreacutehende la preacutesence des choses preacutesentes se deacutetermine comme voir (dOEacuteV~L) Lagrave mecircme ougrave la veacuteriteacute sest transformeacutee devenant la certitude de la conscience de soi le savoir marqueacute par la visio et son eacutevidence ne peuvent nier leur origine essentielle tireacutee du deacutevoilement qui eacuteclaire Le lumen naturale la lumiegravere naturelle ici lillumination de la raison preacutesuppose deacutejagrave le deacutevoilement du Pli Cette remarque vaut aussi pour les theacuteories augustinienne et meacutedieacutevale de la lumiegravere lesquelles pour ne rien dire de leur origine platonicienne ne peuvent se deacuteployer que dans le domaine de l 1AAgrave~eeL~ deacutejagrave dominante dans la Dispensation du Pli

Si nous voulons pouvoir parler de lhistoire de lecirctre nous devons dabord avoir consideacutereacute qu laquoecirctreraquo veut dire preacutesence des choses preacuteshysentes Pli Cest seulement agrave partir de lecirctre ainsi consideacutereacute que nous pouvons middot alors demander avec la prudence neacutecessaire ce qulaquo histoireraquo ( Cesshychichte) veut dire ici Lhistoire est la Dispensation du Pli (das Ceschick der Zwiefalt) Elle est lecirctreshydurer en mode rassembleacute qui deacutevoilant et deacutepliant

1 Sur la DispensatioD (ou lEnvoi) de lecirctre (Gcschil des S(in ~) voir notamment Der SaI vom Grund pp 108-110 119-LIJ 129-lJU et ISO

306 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

octroie 1 la preacutesence eacuteclaireacutee ougrave les choses preacutesentes apparaissent Lhistoire de lecirctre nest jamais une suite deacuteveacutenements que lecirctre parcourrait pour lui-mecircme Encore moins est-elle un objet qui ouvrishyrait agrave l laquohistoireraquo (-science) de nouvelles possishybiliteacutes de vues-repreacutesentations qui les ouvrirait agrave une laquo histoireraquo disposeacutee agrave se substituer preacutetendant savoir mieux agrave la faccedilon jusquici habituelle de consideacuterer lhistoire de la meacutetaphysique

Ce que dans linapparence dune proposition subordonneacutee Parmeacutenide dit de la Moip(X dans les liens de laquelle lMV est libeacutereacute comme Pli ouvre au penseur lampleur de vue accordeacutee agrave son chemin par le destin Car cest dans cette ampleur quappashyraicirct ce en quoi la preacutesence (des choses preacutesentes) se montre elle-mecircme t~ crf)[l(Xt(X toG EumlOltOc Ceux-ci sont agrave vrai dire multiples (7toAgraveAgrave~) Les a1)1-(Xt(X ne sont pas les signes dune autre chose Ils sont le paraicirctre multiple de la preacutesence elle-mecircme eacutemergeant du Pli deacuteplieacute shy

VII

Mais ce que la MOL(X dispense et reacutepartit nest pas encore complegravetement exposeacute Il en reacutesulte quun trait essentiel du mode de sa puissance demeure impenseacute Quarrive-t-il du fait que la Dispensation libegravere la preacutesence des choses preacutesentes la conduisant dans le Pli et ainsi la fixe dans sa totauumlteacute et son repos

Pour mesurer la porteacutee de ce que Parmeacutenide dit agrave ce sujet aussitocirct apregraves la proposition subordonneacutee (VIII 39 et sq) il est neacutecessaire de rappeler ce qui a eacuteteacute exposeacute preacuteceacutedemment (sous III) Le deacuteplieshyment du Pli domine comme cp~(nc comme laquo dire raquo) en tant que laquo faire-apparaicirctre raquo Le Pli abrite en

1 Das entbergend entfaltende Gewiihren Cf p 42 n 1

MOIRA 307

lui le vo~iV et cc quil pense (VOY](L(x) comme chose dite Mais ce qui est perccedilu dans la penseacutee cest la preacutesence des cho~es preacutesentes Le dire qui pense et qui correspond au Pli est le AgraveEacuteyEtV en tant quil laisse la preacutesence eacutetendue-devant Ce qui ne se produit tout agrave fait que sur la voie de penseacutee ougrave sengage le penseur appeleacute par l )AAgraveYj 6sta

Mais que devient la cpcXcnccedil (parole disantc) qui domine dans la Dispensation deacutevoilante quand ce qui est deacuteployeacute dans le Pli la Dispfnsation labanshydonne au percevoir banal des mortels Ceux-ci aeeueiJJent (~Eacutexccr0a~ S6ccedilct) ce qui soffre agrave eux immeacutediatement tout de suite et tout dabord Ils ne commencent pas par se preacuteparer pour une voie de penseacutee Ils nentendent jamais proprement lapshypel du deacutevoilement du Pli Ils sen tiennent agrave ce qui se deacuteploie en lui plus preacuteciseacutement agrave ce qui les requiert immeacutediatement aux choses preacutesentes sans eacutegard agrave la preacutesence Ils gaspillent leur activiteacute et leurs loisirs pour ce quils ont lhabitude de pershycevoir t~ ~OXOUumlvtlX (fragment l 31) Ils le prennent pour le non-cacheacute cXAgraveY]0Yj (VIII 39) puisque nestshyce pas il leur apparaicirct et quainsi il nest plus cacheacute Seulement que devient leur dire sil ne peut ecirctre le AgraveEacuteyE~V le laquo laisser-eacutetendu-devant raquo Quand les mortels ne donnent aucune attention agrave la preacuteshysence cest-agrave-dire ne la pensent pas leur dire habishytuel devient un simple dire de noms et ce qui passe au premier plan dans ces noms cest le son eacutemis et la forme immeacutediatement saisissable de la parole au sens de mots prononceacutes et eacutecrits

Le deacutemembrement du dire (du laquo laisser-eacutetendu-deshyvant raquo) en mots signifiants fait eacuteclater le laquo prendreshydans-son-attention 1 raquoqui rassemble Celui-ci devient un X(xT(XmiddotdOecr6ct~ (VIII 39) une fixation qui fixe ceci ou cela pour lopinion qui est presseacutee Tout ce

1 Le lOf)

308 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

qui est ainsi fixeacute demeure gvoflCX Parmeacutenide ne dit aucunement que ce qui est habituellement perccedilu devient laquo pur et simpleraquo nom Mais ce qui est ainsi perccedilu demeure abandonneacute agrave un dire tout entier dirigeacute par les mots courants lesquels vite prononshyceacutes disent tout sur tout et vagabondent dans l laquoaussi bien que 1bullbull raquo

La perception des choses preacutesentes (des Egrave6ncx) nomme elle aussi ldvoc~ et connaicirct la preacutesence mais eacutegalement la non-preacutesence et dune faccedilon aussi hacirctive non pas certes comme le fait la penseacutee qui agrave sa maniegravere respecte la middot reacuteserve 2 du Pli (le (l~ i6v)Lopinion courante ne connaicirct qudvcx~ tamp

Xcxt OUgraveXL (VIII 40) la preacutesence aussi bien que la non-preacutesence Le poids de ce qui est ainsi laquobien connuraquo se trouve dans teuro-XOCL (VIII 40 et sq) laquo aussi bien que raquo Et lagrave ougrave la perception habishytuelle celle qui parle agrave partir des mots rencontre leacutemergence et la disparition 3 elle se satisfait de l laquo aussi bien que raquo aussi bien la geacuteneacuteration (y(yve()Ox~) que la middot mort (OAgraveAgrave)()OCXL) (VIII 40) Elle ne perccediloit jamais le lieu t6rcoc comme lenshydroit ougrave le Pli offre une demeure (Heimat) agrave la preacutesence des choses preacutesentes Dans l laquo aussi bienbull que raquo lopinion des mortels ne recherche que les changements (ampAgraveAgrave~()()e~v) de places La perception habituelle sans doute se meut dans la partie eacuteclaireacutee des choses preacutesentes elle voit ce qui brille (cpocv6v VIII 41) dans la couleur mais elle se deacutemegravene dans les changements (ampJd~eLV) de coushyleur et ne precircte aucune attention agrave la lumiegravere tranquille de cette clarteacute qui vient du deacutepliement du Pli et qui est la ltlgt~()~C le faire-apparaitre la

1 Dans le rEacute-xal dont il va ecirctre question 2 Au sujet de la laquo retenueraquo (Vorenthalt) de lecirctre cf p 174 Le

non-ecirctre (I-- ~ lv) est lecirctre en tant quil se reacuteserve ne se donne pas reste dans lombre Cf plus loin p 309 fin

3 Das Aufgehen und Untergehen le lever et le coucher comme on le dit des astres

MOIRA 309

faccedilon dont la parole est disante non la faccedilon dont parlent les mots les noms quentend loreille

Teacutegt 7tampv-r ovo~l()tcx~ (VIII 38) par cela tout (les choses preacutesentes) sera preacutesent dans ce deacutevoileshyment preacutetendu quapporte avec elle la domination des mots Par quoi cela se produit-il Par la MoLpcx par la dispensation 1 du deacutevoilement du Pli Comshyment faut-il lentendre Dans le deacutepliement du Pli en mecircme temps que la preacutesence paraicirct les choses preacutesentes apparaissent Les choses preacutesentes elles aussi sont choses dites mais dites dans les mots qui nomment dans le parler desquels se meut le dire ordinaire des mortels La dispensation du deacutevoileshyment du Pli (de ll6v) abandonne les choses preacutesentes (-reX egrave6vtcx) au percevoir quotidien des mortels

Comment se produit cet abandon des choses par la dispensation Par cela seulement que le Pli comme tel et avecIui son deacutepliement demeurent en retrait Est-ce qualors ce qui domine dans le deacutevoishylement cest quil se deacuterobe Penseacutee hardie mais Heacuteraclite la penseacutee Parmeacutenide la sentie sans la penser pour autant quentendant lappel de l AAgrave~-6eLCX il pense la MoLpcx de leacute6v la dispensation du Pli aussi bien dans son rapport agrave la preacutesence que dans son rapport aux choses preacutesentes

Parmeacutenide ne serait pas un penseur vivant agrave laube des deacutebuts de cette penseacutee qui se plie agrave la dispensation du Pli si sa penseacutee ne peacuteneacutetrait dans lampleur de leacutenigme qui se tait dans le mot-eacutenigme ro Qj-r6 le mecircme Lagrave sabrite ce qui meacuterite decirctre penseacute ce qui nous donne agrave penser se donne soishymecircme agrave penser comme eacutetant le rapport de la penseacutee agrave recirctre la veacuteriteacute de lecirctre au sens du deacutevoilement du Pli la reacuteserve observeacutee par le Pli (le tL~ Egrave6v) alors que preacutedominent les choses preacutesentes (-ramp Egrave6VTQ reX 8oxouumlv-rcx)

1 G6lChick envoi attribution et destin

310 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Le dialogue avec Parmeacutenide ne prend pas fin non seulement parce que dans les fragments conserveacutes de son Poegraveme didactique maintes choses demeurent obscures mais aussi parce que ce quil dit meacuterite toujours decirctre penseacute VIais que le dialogue soit sans fin nest pas un deacutefaut Cest le signe de lillishymiteacute qui en soi et pour la penseacutee qui se souvient preacuteserve la possibiliteacute dun revirement du destin

Qui toutefois nattend de la penseacutee quune assushyrance ct suppute le jour ougrave on pourra la laisser lagrave inutiliseacutee celui-lagrave exige lcsuicide de la penseacutee Exigence qui apparaicirct dans une eacutetrange lumiegravere quand nous songeons agrave ceci que lecirctre des mortels est inviteacute agrave faire attentiol agrave cette parole qui leur dit dentrer dans la mort Comme possibiliteacute extrecircmegrave de lexistence mortelle la mort nest pas la fin du possible mais elle est lAbri suprecircme 1 (la mise agrave labri qui rassemble) ougrave reacuteside le secret du deacutevoileshyment qui nous appelle

1 Das hiichste Gcbirg Cf p 6 n 2 et p 2]3

j

286 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

eacutenonceacutes agrave supposer que nous puissions les deacutesigner ainsi disent-ils que penser et ecirctre sont identiques Et mecircme sils le disent le disent-ils dans le mecircme sens Un regard attentif aperccediloit immeacutediatement entre les deux eacutenonceacutes une diffeacuterence que lon serait tenteacute deacutecarter comme apparemment superficielle Dans les deux formes quil lui a donneacutees (fragshyment III et VIII 34) Parmeacutenide construit sa senshytence de telle faccedilon que chaqlle fois voe~v (penser) preacutecegravede dv~~ (ecirctre) Au contraire Berkeley nomme esse (ecirctre) avant percipi (penser) Ceci semble indishyquer que Parmeacutenide accorde la preacutefeacuterence agrave la penshyseacutee et Berkeley agrave lecirctre Pourtant cest le contraire qui est vrai Parmeacutenide confie la penseacutee agrave lecirctre Berkeley renvoie lecirctre agrave la penseacutee Pour reacutepondre agrave la sentence grecque et sy identifier dans une certaine mesure la thegravese moderne devrait se lire percipi = esse

La thegravese moderne eacutenonce quelque chose sur lecirctre au sens de lobjectiteacute pour la repreacutesentation qui saisit au travers 1 La sentence grecque attrishybue la penseacutee entendue comme la perception qui rassemble agrave lecirctre cest-agrave-dire agrave la preacutesence Cest pourquoi toute interpreacutetation de la sentence grecque qui se meut dans la perspective de la penseacutee moderne seacutegare degraves le deacutebut Pourtant ces interpreacutetations qui nous apparaissent sous des formes multiples suffisent agrave une tacircche dont on ne pouvait se dispenshyser elles rendent la penseacutee grecque accessible agrave la penseacutee-repreacutesentation des modernes et confirment cette derniegravere dans son progregraves quelle a voulu elle-mecircme et qui la porte agrave un niveau laquo supeacuterieurraquo de la philosophie

Des trois perspectives qui ont eacuteteacute deacuteterminantes pour toutes les interpreacutetations de la sentence de Parmeacutenide la premiegravere nous montre la gtenseacutee

1 Cf p 283

MOIRA 287

comme quelque chose qui est donneacute devant nous et la range dans le reste de leacutetant

La seconde perspective comprend lecirctre agrave la moderne comme le fait pour les objets decirctre repreacuteshysenteacutes comme objectiteacute pour le moi de la suhjecshytiviteacute

Dans la troisiegraveme perspective nous retrouvons un trait fondamental de tout ce qui dans la phishylosophie antique a reccedilu la marque de Platon Suivant la doctrine de Socrate et de Platon les ideacutees constituent dans tout eacutetant ce qui laquo estraquo 1

Mais leB ideacutees nappartiennent pas au domaine des exLcr01)tamp de ce que les sens nous font percevoir Nous ne pouvons contempler les ideacutees dans leur pureteacute G~ue par le vodv par la perception du nonshysensible Lecirctre rentre dans le domaine des v01)tamp du non- et supra-sensible Plotin interpregravete la senshytence de Parmeacutenide dans le sens platonicien suishyvant lequel Parmeacutenide veut middotdire lecirctre est quelque chose de non-sensible Le poids de la sentence tombe stlr la penseacutee quoique dans un autre sens que pour la philosophie moderne Lecirctre est caracshyteacuteriseacute par le mode non-sensible de la penseacutee Dapregraves linterpreacutetation neacuteo-platonicienne de la sentence de Parmeacutenid e celle-ci nest ni une assertion sur la penseacutee ni une assertion sur lecirctre encore moins une asse)middottion sur lecirctre de linterdeacutependance des deux~ tant que diffeacuterents La sentence est une assertion sur ceci que tous deux font eacutegalement partie dt non-sensible

Chacune des trois perspectives est telle que la penFieacutee la plus ancienne des Grecs sy trouve transshyfeacutereacutee dans le domaine ougrave la meacutetaphysique ulteacuteshyrieure a p oseacute et imposeacute ses questions Il est agrave preacuteshysumer cep~ndant que toute penseacutee tardive qui tente deacutetablir un dialogue avec la penseacutee ancienne ne

J An jedm SciClacIen da laquoseiend raquo

288 ESSAIS ET CONFEacuteflENCES

peut faire autre chose que dentendre du lieu mecircme ougrave chaque fois elle seacutejourne et damener ainsi agrave un dire le silence de la penseacutee ancienne On ne peut sans doute eacuteviter que par lagrave la penseacutee ancienne soit inteacutegreacutee agrave un parler reacutecent transfeacutereacutee dans le champ deacutecoute et dans lhorizon visuel de ce dershynier et pour ainsi dire priveacutee de la liberteacute de son langage propre Pareille inteacutegration toutefois nimshypose aucunement une interpreacutetation qui se contente de convertir en modes tardifs de repreacutesentation ce qui a eacuteteacute penseacute au deacutebut de la penseacutee occidentale Le point deacutecisif est de savoir si le dialogue engageacute se libegravere degraves le deacutebut et toujours agrave nouveau afin de reacutepondre agrave ce que sous condition decirctre intershyrogeacutee lui dit la penseacutee ancienne ou bien si le diashylogue se ferme agrave ce dire et recouvre la penseacutee ancienne dopinions doctrinales t~rdives Ce qui a lieu degraves que la penseacutee reacutecente omet de senqueacuterir speacutecialement du champ deacutecoute et de lhorizon visuel de la penseacutee ancienne

Qui fait effort en ce sens ne doit pourtant pas se horner agrave une recherche laquo historiqueraquo qui deacutegageshyrait seulement les preacutesupposeacutes inexprimeacutes sur lesshyquels repose la penseacutee ancienne alors que dans ce travail les preacutesupposeacutes sont deacutefinis suivant ce qui est accepteacute comme veacuteriteacute eacutetablie par linterpreacutetashytion moderne et ce qui nest plus accepteacute comme tel parce que deacutepasseacute par le progregraves de la penseacutee Lenquecircte dont nous parlons doit ecirctre au contraire un dialogue ougrave les anciens champs deacutecoute et les horizons visuels dautrefois sont consideacutereacutes dapregraves leur origine essentielle afin que commence agrave sadresshyser agrave nous cette invitation 1 sous laquelle se tiennent chacune agrave sa faccedilon la penseacutee ancienne celle qui la suivie et celle qui vient Qui tente dinterroger ainsi

1 Geheiss ici un appel une incitation qui met sur le bon cheshymin aide au voyage ct agrave larriveacutee Cf Was hriss J)mkm pp 85 et 152

MOlfl 239

dirigelU dabord SUll Jcgard vers les pa~sages obscurs dun texte ancien et ne seacutetablira pas agrave demeure sur ceux qui sabritent derriegravere une apparence intelshyligible car de cette maniegravere le dialogue prcnd fin avant davoir commenceacute

Dans les remarques que nous avons encore agrave faire le texte citeacute ne sera plus examineacute que dans une suite dexplications seacutepareacutees Celles-ci voushydraient aider agrave preacuteparer une translation 1 qui penshy~ant lancicn dire grec le ferait passer dans ce qui vient agrave nous dune penseacutee eacuteveilleacutee agrave son commenceshyInent

1

Nous examinons le rapport de lecirctre et de la penseacutee Avant toute chose il nous faut noter que le texte (VIII 34 et sq) qui considegravere ce rapport de plus pregraves parle de legraveov et non comme Je fragshyment III de lEgraveIV(XL On pense donc aussitocirct et non sans un certain droit quil nest pas question de lecirctre dans le fragment VIII mais bien de leacutetant rlais sous le nom dlov Parmeacutenide ne pense aucushynement leacutetant en soi comme ce tout auquel la penseacutee appartient elle aussi pour autant quelle est quelque chose deacutetant Tout aussi pen Egraveov deacutesigne-t-illdvcxL au sens de lecirctre pour soi comme si le penseur tenait agrave faire ressortir le caractegravere non sensiblc de lecirctre par opposition agrave leacutetant qui est sensible LEgraveov leacutetant est bien plutocirct penseacute dans le Pli 2 de lecirctre et de leacutetant et il conserve sa valeur de participe 3 sans que deacutejagrave le concept grammatishy

1 Vcblrsctung laquo transfertraquo ou laquo traduction raquo Iri lun ct lnutre Cf op rit pp HO-141

2 7lrilflll Cf p 89 D 1 3 Tout partieipe est il double sens pa[(t~ quil ticnt agrave la foi~ dn

erbe ct du lIom Dans ~v nOl1~ trollv()n~ lmte dltn (t tvll) (cns verhal) mois alls~i ce qui (st (T) Eacuterv) (sens nnlllinal) Cest pourquoi iov tst en quelque Hlrte Il~ num nalurll UgraveU Pli ugravee lecirctre ct de

290 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cal intervienne speacutecialement dans le savoir concershynarit la langue Le Pli peut du moins ecirctre suggeacutereacute par les tournures laquo ecirctre de leacutetantraquo et laquo eacutetant dans lecirctre raquo Seulement laquo ce qui deacuteplie 1 raquo se cache dans le de et le dans bicn plutocirct que par ces mots il ne nous oriente vers son ecirctre Les deux tournures sont tregraves loin de penser le Pli comme tel plus encore deacutelever son deacutepliement au niveau des choses qui meacuteritent interrogation 2

L laquoecirctre lui-mecircme raquo dont on a tant parleacute demeure en veacuteriteacute aussi longtemps quil est appreacutehendeacute comme ecirctre toujours lecirctre au sens de lecirctre de leacutetant Ce sont toutefois les prcmiers temps de la penseacutee occidentale qui ont reccedilu la tacircche de consideacuterer ce qui est dit dans le mot dvcxt laquo ecirctre raquo dans un regard agrave sa mesure ct de le voir ainsi comme ltDucnccedil A6yoccedil Ev Comme le rassemshyblement qui regravegne dans lecirctre unit tout leacutetant il suffit que lon pense agrave ce rassemblement pour que naisse lapparence ineacutevitable et toujours plus tenace que lecirctre (de leacutetant) nest pas seulement identique agrave leacutetant dans son ensemble mais que en tant quidentique et aussi en tant que laquo ce qui unit raquo il est mecircme leacutetant maximum (das Seiendste) Pour la penseacutee qui se repreacutesente tout devient un eacutetant

Le Pli de lecirctre ct de leacutetant semble comme tel se perdre dans linconsistant bien que la penseacutee depuis ses deacutebuts chez les Grecs se meuve toujours dans le deacuteplieacute de son deacutepli mais sans quelle ait consideacutereacute ougrave il seacutejournait et encore moins precircteacute quelque attention au deacutepIiement du Pli Au deacutebut

Jeacutetant et de mecircme que ce Pli est le Pli par excellence eacuteov est le Participe par excellence (Cf op cil pp 133-136 et 174)

1 Das Jalcndlgt - Dans laquo lecirctre de leacutetantraquo (ou laquo leacutetant dans lecirctr~ raquo) le de (011 le dans) seacutepare lecirctre et leacutetant autrement applishyqueacutes lun contre lautre et marque leur distinction La preacuteposition jouc le rocircle du laquo deacutepliantraquo dont elle est le algue

2 lM lraguUrcJiStJ Cf p 76 n 1

lIOIRA 291

de la penseacutee occidentale le Pli disparaicirct sans quon sen aperccediloive Et pourtant il nest pas rien Cette disparition confegravere mecircme agrave la pen-eacutee grecque la maniegravere dun deacutebut en ce que reacuteclairement de lecirctre de leacutetant se cache comme eacuteclairement Que la duumlparition du Pli se cache~ ce fait est aussi capital que le point de savoir ougrave le Pli sen va Oil tombeshyt-il dans loubli 1 Lempire durable de celui-ci socculte en tant que cette A~81j avec laquelle l AAgrave~e~~~ fait corps dune faccedilon si immeacutediate que la premiegravere peut se retirer au beacuteneacutefice de la seconde et lui abandonner le pur deacutevoilement dans le mode de la ltDucnccedil dn Aoyoccedil de l Ev comme si le deacutevoishylement navait pas besoin du voilement

Mais ce qui en apparence est pure clarteacute est peacuteneacutetreacute et reacutegi par lobscuriteacute Cest lagrave que demeure en retrait le deacutepliement du Pli aussi bien que sa disparition lors des deacutebuts de la penseacutee Pourtant il nous faut dans ltov faire attention au Pli de lecirctre et de leacutetant afin de suivre la discussion que Parmeacutenide consacre au rapport de la penseacutee et de lecirctre

II

En toute briegraveveteacute le fragment III dit que la ~seacutee fait partie de lecirctre Comment caracteacuteriser cette appartenance Question qui vient trop tard La sentence concise a deacutejagrave donneacute la reacuteponse dans ses premiers mots tagrave yip cxtrro laquo agrave savoir le mecircme raquo Dans la version du fragment VIII 34 la sentence commence par le mecircme mot tQugravetov Ce mot reacutepond-il agrave notre question laquode quelle maniegravere la penseacutee appartient-elle agrave lecirctre raquo en disant que les deux sont laquo le mecircmeraquo Le mot napporte pas de reacuteponse Tout dabord parce que la deacutetermination

1 Sur loubli du Point le Plus Critique lecirctre de loubli la dishytinction du deacutebut et du commencement cf op cil pp 97middot98

292 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

laquo le mecircmeraquo exclut quil puisse ecirctre question dune appartenance laquelle ne peut exister quentre deux choses diffeacuterentes Ensuite parce que le mot laquo le mecircmeraquo nous laisse ignorer complegravetement egrave quel point de vue et pour quelle raison le diffeacuterent sacshycorde dans le mecircme Aussi tagrave cxlh6 le mecircme demeure-t-il le mot-eacutenigme dans les deux fragshyments sinon mecircme pour toute la penseacutee de Parshymeacutenide

Si nous croyons que le mot tagrave CXt)to le mecircme veut dire lidentique et si qui mieux est nous tenons lidentiteacute pour la condition claire comme le jour de la pensabiliteacute de tout le pensable alors agrave vrai dire cette opinion nous fait perdre de plus en plus la faculteacute dentendre le mot-eacutenigme agrave supposer que nous ayons deacutejagrave perccedilu son appel Il suffit en attendant que nous ayons toujours le mot dans loreille comme un terme meacuteritant decirctre penseacute Ainsi demeurons-nous de ceux qui entendent et precircts agrave laisser le mot reposer en lui-mecircme comme mot-eacutenigme afin que tout dabord nous tendions loreille de tous cocircteacutes ouverte agrave un dire qui puisse nous aider agrave consideacuterer la pleine mesure deacutenigme contenue dans le mot

Parmeacutenide nous offre une aide Il dit plus claishyrement dans le fragment VIII comment il faut penser l laquo ecirctreraquo auquel appartient le VOeuro~v Au lieu dampvcxL Parmeacutenide dit maintenant l6v leacutetant qui par son double sens deacutesigne le Pli Mais le VOELV de son cocircteacute sappelle maintenant v61JL~ ce qui est pris dans lattention dun percevoir ayant eacutegard agrave ce quil perccediloit 1

Legrave6v est nommeacute speacutecialement comme ce oucircvexev

1 Das in die Acht genommene eines achtenden Vernehmens - Le percevoir (le VOElY) a eacutegard agrave ce quil perccediloit et a des eacutegards pour lui Il respecte sa liberteacute le laisse ecirctre le laisse laquo eacutetendu-devant raquo Sur cette interpreacutetation de VOEty cf Was heisst Dcnken Pl 121shy125

MOIRA 293

~C1t1 VO1)LIX ce pour quoi la penseacutee (Gedanc) est preacutesente (Sur le penser et la penseacutee cf le cours ifas heisst denken 1 Niemeyer eacutedit Tuumlbingen 1954 pp 91 et suiv)

La penseacutee est preacutesente en raison du Pli qui nest amais dit Lapproche de la penseacutee est en route vers le Pli de lecirctre et de leacutetant laquo Prendre dans s(Jn attentionraquo cest sapprocher du Pli 3 cest (dapregraves le fragment VI) ecirctre deacutejagrave rassembleacute et tendre vers le Pli par leffet du AgraveEacuteyew preacutealable du laisser-eacutetendu-devant Par quel moyen et comshyment De cette faccedilon que le Pli agrave cause duquel les mortels trouvent le chemin de la penseacutee reacuteclame lui-mecircme une telle penseacutee pour lui

Nous sommes encore tregraves loin de connaicirctre par une expeacuterience conforme agrave son ecirctre le Pli lui-mecircme ce qui veut dire aussi le Pli en tant quil reacuteclame la penseacutee Le dire de Parmeacutenide neacuteclaire quun point si la penseacutee est preacutesente ce nest ni en raison des egrave6vt(X de l laquo eacutetant en soi raquo ni par soumission agrave la volonteacute de ldvllL au sens de l laquo ecirctre pour soiraquo En dautres termes ni l laquo eacutetant en soiraquo ne rend

1 laquo Que veut dire penser raquo Il sagit ici du livre citeacute agrave la note preacuteshyceacutedente et non de la confeacuterence reproduite plus haut cf p 151 n 1 - laquo Le penser et la penseacuteeraquo Denken und Gedanc - Dapregraves le livre citeacute pp 92 et 157 le Gedanc (forme meacutedieacutevale de Gedanke) qui traduit ici v07jJ-a est le laquo cœur raquo le laquo fond du cœur raquo ce qui en lhomme est le plus inteacuterieur et qui en mecircme temps seacutetend le plus loin agrave lexteacuterieur aussi loin quon puisse aller Il est la penseacutee-soushyvenir (Gedenken) recueillie et toute-rassemblante En lui reposent la meacutemoire (Gediichtnis) entendue comme le recueillement constant de lesprit (Gemuumlt) sur ce qui se dit agrave nous dessentiel et le remershyciement (Dank) cest-agrave-dire la penseacutee tourneacutee vers ce quil faut penser vers ce qui nous donne le plus agrave penser - Sur tous les termes en ge- voir N du Tr 2

2 La preacutesence (Anwesen) de la pensee est lapproche (An-wesen) par laquelle eUe se reacutefegravere au Pli et tend vers lui

3 ln-die-Acht-Nehmen west die Zwiefalt an laquoPrendre dans son attentionraquo est le fait du voetv du laquo percevoirraquo (Vernehmen) Cf p 292 n 1 Sur la traduction de VOftV parlaquo percevoirraquo (vershynehmen) laquoprendre dans son attentionraquo (in die Acht nehrnm) et laquo flairer eacuteventerraquo (wittern) cf Was heisst Denken pp 124-125 et 172-173

294 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

neacutecessaire une penseacutee ni l laquo ecirctre pour soiraquo ne contraint la penseacutee Tous deux chacun pris pour soi ne font jamais savoir comment l laquoecirctreraquo reacuteclame la penseacutee Mais celle-ci deacuteploie son ecirctre agrave cause du Pli de lun et de lautre agrave cause de li6v Cest en allant vers le Pli que le laquo prendre-dans-sonshyattention 1raquo sapproche de lecirctre Cest dans une telle approche 2 que la penseacutee appartient agrave lecirctre Que dit Parmeacutenide de cett~ appartenance

III

Parmeacutenide dit que le voe est 1CerplXtLOfLEacutevOV iv t~ egrave6vtt On traduit par la penseacutee qui comme chose eacutenonceacutee est dans leacutetant

Mais comment pourrions - nous percevoir et comprendre ce que cest que decirctre ainsi laquo eacutenonceacuteraquo (ausgesprochen) aussi longtemps que nous ne nous soucions pas de savoir ce que veulent dire ici laquo chose diteraquo laquo parler raquo laquo langage raquo aussi longshytemps que nous nous empressons de prendre li6v pour leacutetant et que nous lagraveissons indeacutetermineacute le sens du mot laquo ecirctreraquo Comment pourrions-nous connaicirctre le rapport du voeLv au 1CeCPIXtLCJfLEacutevov aussi longtemps que nous ne deacuteterminons pas le voev suffisamment en tenant compte dumiddot fragshyment VI (Cf le cours citeacute pp 124 et sq) Le voeLv dont nous voudrions consideacuterer lappartenance agrave liov est fondeacute dans le AgraveEacuteyeLV et deacuteploie son ecirctre agrave partir de lui Lagrave dans le AgraveEacuteyeLV a lieu celaquo laissershyeacutetendu-devantraquo qui laisse la chose preacutesente eacutetenshydue dans sa preacutesence Cest seulement en tant quelle est ainsi eacutetendue-devant que la chose preacuteshysente peut comme telle inteacuteresser le voeLvce qui laquoprend dans son attentionraquo Aussi le v61lfLlX en tant que VOOUfLevov du vociv est-il toujours deacutejagrave

1 Le 10Er Voir la note preacuteceacutedente ~ Anmiddotweaen Voir cimiddotdeul8 p 293 n 2

MOIRA 295

un AgraveeyoflevOV du AgraveEacuteyetv Mais lecirctre du dire tel que les Grecs lont perccedilu repose dans le AgraveEacuteyeLV Cest pourquoi le voeicircv est une chose dite et cela dans son ecirctre et jamais seulement apregraves coup ou par accident Sans doute toute chose dite nest pas aussi forceacutement une chose prononceacutee (ein Gesshyprochenes) Il est possible et parfois mecircme neacutecesshysaire quelle demeure une chose tue Tout ce qui est prononceacute et tout ce qui est tu est deacutejagrave chose dite Mais non linverse

En quoi consiste la diffeacuterence de la chose dite et de la chose prononceacutee Pourquoi Parmeacutenide caracshyteacuterise-t-il le VOOUf1EVOV et le voe~v (VIII 34 et sq) comme 1CEcplXt~crfLEacutevo On traduit ce mot par laquo parleacute raquo ce qui est exact au point de vue lexicoshygraphique Mais en quel sens perccediloit-on un parler tel que le deacutesignent cpampcrXeLV et cpcfVIXL laquo Parlerraquo nest-il ici que la manifestation sonore (cpltugravev~) de ce quun mot ou une phrase signifient (OYjf1(XLVELV) Est-ce quici lon comprend laquo parlerraquo comme lexshypression dune chose inteacuterieure dune chose de lacircme donc comme reacuteparti entre ses deux composhysants le phoneacutetique et le seacutemantique Nulle trace de tout cela dans lexpeacuterience qui perccediloit le parler comme cpcfv XL le langage comme 9cfCJ~ccedil Dans Ccedil)ampcrXeLV se rencontrent les sens appeler nommer avec des louanges sappeler mais tout cela parce que lecirctre mecircme du mot est laquo faire apparaicirctreraquo Clgtampcrpcx est lapparition des eacutetoiles de la lune le fait quils se montrent ou quils se cachent ltlgtXcreLCcedil deacutesigne les phases Les phases de la lune sont les modes changeaqts de son paraicirctre ltlgtcfOlC est la parole disante (Sage) laquodireraquo (sagen) signifie faire apparaicirctre ltgt~f1( je dis est identique en son ecirctre quoique non eacutequivalent agrave Agraveeuroyltugrave amener la chose preacutesente devant nous dans sa preacutesence lameshynet agrave apparaicirctre et agrave rester eacutetendue

Ce qui inteacuteresse Parmeacutenide cest dexaminer ougrave

296 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

le VOeacuteLV a oa place Car cest sculemcnt lagrave ougrave il a originairement sa place que nous pouvons le troushyver juger de notre deacutecouverte voir comment la penseacutee fait corps avec lecirctre Quand Parmeacutenide perccediloit le VOELV comme 7tecp(Xt~cr1-Eacutevov cela ne veut pas dire que le VOcLV soit une chose eacutenonceacutee et quil doive ainsi ecirctre chercheacute dans les paroles prononceacutees ou dans les signes de leacutecriture comme un eacutetant perceptible agrave lun ou lautre de nos sens Le croire serait seacutegarer et seacuteloigner au maximum de la penseacutee grecque et mecircme si lon voulait se repreacuteshysenter le parler et ce quil eacutenonce comme des faits de conscience et eacutetablir la penseacutee comme acte de conscience dans le domaine de pareils faits Le vociv lelaquo prendre-dans-son-attention raquo et ce quil a perccedilu 1 sont une chose dite ameneacutee agrave paraicirctre Mais ougrave Parmeacutenide dit egravev tw egraveOVtl dans legraveov dans le Pli de la preacutesence et d~ la chose preacutesente Ceci donne agrave penser et nous libegravere deacutefinitivement du preacutejugeacute hacirctif dapregraves lequel la penseacutee serait exprimeacutee dans la parole prononceacutee Nulle part il nen est question

Dans quelle mesure le VOELV peut-il la penseacutee doit-elle apparaicirctre dans le Pli Dans la mesure ougrave le deacutepliement qui conduit dans le Pli de la preacutesence et de la chose preacutesente eacute-voque le laquo laisser-eacutetendu devant raquo le Agraveeuroye~v et dans l laquo ecirctre-eacutetendushydcvant raquo ainsi libeacutereacute de la chose eacutetendue donne au voeicircv quelque chose quil peut prendre dans son attention pour ly preacuteserver Seulement Parmeacutenide ne pense pas encore le Pli comme tel encore moins pense-t-il le deacutepliement du Pli Mais Parmeacutenide dit (VIII 35 et sq) ougrave yagravep ampveu tou EacuteoVtocbull eup~cre~ccedil to voucircv car seacutepareacute du Pli tu ne peux trouver la penseacutee Pourquoi pas Parce quinviteacutee par legraveov elle a sa place avec lui dans le rassemshy

1 laquo Il a perccediluraquo on retrouve le passeacute-preacutesent deacutejagrave observeacute Cf pp 260 262 263 et les notes

MOIRA 297

hlement parce que cest la penseacutee elle-mecircme reposhysant dans le AgraveEacuteyelV qui accomplit le rassemblement agrave lappel de lEacute6v et qui reacutepond de cette maniegravere agrave son appartenance agrave legraveov comme agrave une apparteshynance mise en œuvre (gebrauchten) agrave partir de celui-ci Car le voeicircv ne perccediloit pas nimporte quoi mais seulement cette chose unique nommeacutee dans le fragment VI Eacuteov Euml1-1-eV(XL leacutetant-preacutesent (das Anwesend) dans sa preacutesence

Autant de choses non penseacutees et meacuteritant de lecirctre sannoncent dans lexposeacute de Parmeacutenide autant se projette de clarteacute sur ce qui est avant tout neacutecessaire si lon veut meacutediter comme il convient cette appartenance de la penseacutee agrave lecirctre dont Parmeacutenide nous parle Nous devons apprendre agrave penser lecirctre du langage agrave partir du dire et agrave penshyser ce dernier comme laisser-eacutetcndu-devant (Agraveoyoccedil) et comme faire-apparaicirctre (cpcicrLCcedil) Il est dabord difficile de mener agrave bien une pareille tacircche parce que ce premier eacuteclairement de lecirctre du langage comme parole disante (Sage) sassombrit et disshyparaicirct bientocirct et quil laisse le champ libre agrave une caracteacuterisation du langage qui le repreacutesente deacutesorshymais agrave partir de la cpwJ~ de leacutemission sonore comme un systegravemc de deacutesignation et de significashytion et finalement de transmission de nouvelles et dinformation

IV

Maintenant encore alors que lappartenance de la penseacutee agrave lecirctre sest placeacutee mieux en lumiegravere nous pouvons agrave peine en~cndre dune faccedilon plus instante la pleine mesure deacutenigme contenue dans le motshyeacutenigme de la sentcnce to (xugraveto le mecircme Mais quand nous voyons que le Pli de llov la preacutesence des choses preacutesentes rassemble agrave soi la penseacutee alors ce rocircle directeul du Pli nous laisse peut-ecirctre

298 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

entrevoir la pleine mesure deacutenigme de ce que cache le vide seacutemantique habituel du mot laquo le mecircme raquo

Est-ce agrave partir du deacutepliement du Pli que le Pli ugravee son cocircteacute appelle la penseacutee sur la voie de l laquo agraveshycause-de-lui 1raquo et par-lagrave requiert lappartenance mutuelle de la preacutesence (des choses preacutesentes) et de la penseacutee Mais quest-ce que le deacutepliement du Pli Comment se produit-il Trouvons-nous dans la parole de Parmeacutenide un point dappui nous aidant agrave rechercher en questionnant dune maniegravere approshyprieacutee ce quest le deacutepliement du Pli nous aidant agrave entendre ce qui fait son ecirctre (ihr Wesendes) et agrave lentendre dans ce que tait le mot-eacutenigme de la sentence Nous nen trouvons aucun immeacutediateshyment

Il est surprenant toutefois que dans les deux vershysions de la sentence sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre le mot-eacutenigme figure au commencement Le fragment III dit laquo Le mecircme en effet est le laquo prendreshydans-son-attentionraquo et aussi l laquo ecirctre-preacutesentraquo (des choses preacutesentes)raquo Le fragment VIII 34 dit laquoLe mecircme est laquo prendre-dans-son-attentionraquo et (ce) en chemin vers quoi est le percevoir attentif raquo Que signifie dans le dire de la sentence cette place de deacutebut accordeacutee au mot dans la construction de la phrase Sur quoi par cette intonation Parmeacuteshynide voulait-il mettre laccent Probablement sur le ton fondamental En lui reacutesonne par anticipation ce que la sentence agrave proprement paTler doit dire Ce quon dit ainsi sappelle en grammaire le prc~dicat de la phrase Mais le sujet de la phrase est le voe~v (penseacutee) dans son rapport agrave ldVltXL (ecirctre) Le texte grec nous oblige agrave interpreacuteter ainsi la construction de la sentence La position de tecircte du mot-eacutenigme nous invite agrave arrecircter notre attention sur ce mot et agrave y revenir sans cesse Mecircme ainsi toutefois le mot

1 Au den Weg des laquo Ihrctwcgel - Le Pli invite la penseacutee agrave paraicirctre et elle paraicirct en lui (~I 0) et agrave cause de lui (OJVEXE~)

MOIRA 299

ne nous dit rien de ce que nous vouugraverions savoir Il nous faut donc essayer sans jamais perdre de

vue la position de 10 ltXugraveto le mecircme au deacutebut de la phrase de nous avancer librement et avec hardiesse dans la penseacutee du deacutepliement en partant du Pli de legraveov (de la preacutesence des choses preacutesentes) Nous y sommes aideacutes par la consideacuteration suivante cest dans le Pli de legraveov que la penseacutee est pro-duite en son paraicirctre cest en lui quelle est une chose dite 7tScpltXtLOJEacuteVOV

Dans le Pli domine ainsi la qJcXOLC le dire en tant que ce laquo faire-apparaicirctreraquo qui appelle et reacuteclame Quest-ce que le dire fait apparaicirctre La preacutesence des choses preacutesentes Le dire qui regravegne dans le Pli et qui le manifeste est le rassemblemcnt de la preacutesence dans le paraicirctre de laquelle les choses preacuteshysentes peuvent apparaicirctre Cette ltlgtciOLC que Parshymeacutenide pense Heacuteraclite lappelle le Aoyoc le laquo laisshyser-eacutetendu-devantraquo qui rassemble

Quest-ce qui a lieu dans la ltlgtciOtC et dans le Aoyoc Est-ce que ce dire qui regravegne en eux qui rassemble et qui appelle serait cet apport qui tout dabord pro-duit (erbringt) un paraicirctre lequel accorde une eacuteclaircie et dans la dureacutee duquel la preacutesence dabord seacuteclaire 1 afin que dans sa lumiegravere des choses preacutesentes apparaissent et quainsi regravegne le Pli de lune et des autres Le deacutepliement du Pli reacutesiderait-il en ceci quun paraicirctre illuminant se montre Le trait fondamental de ce paraicirctre les Grecs middot lont vu comme deacutevoilement Dans le deacutepliement du Pli regravegne ainsi le deacutevoileshyment Les Grecs le nomment AAgrave~eeuroLltX

La penseacutee de Parmeacutenide serait donc parvenue tout de mecircme agrave sa maniegravere jusquau deacutepliement

1 Das Lichtung gewiihrl in welchcm Wiihren erst Anwesen sich lichtet Litteacuteralement laquoqui accorde eacuteclaircie dans lequel durer seulement preacutesence seacuteclaire raquoCf p 42 n 1 et cf pp 235 301 306 et les notes

300 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

du Pli agrave supposer que Parmeacutenide parle de l AAgrave~eeLrt La nomme-t-il Sans doute au deacutebut de son Poegraveme didactique Plus encore l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Cest en leacutecoutant que Parmeacutenide dit ce quil a penseacute Pourtant il ne dit pas en quoi consiste lecirctre de l middotAAgrave~ee(X Il ne pense pas davantage en quel sens du mot diviniteacute l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Pour les deacutebuts de la penseacutee grecque tout cela demeure - dune faccedilon aussi immeacutediate quun eacuteclaircissement du mot-eacutenigme tagrave (Xugravet6 le mecircme shyhors du cercle des choses qui meacuteritent decirctre penshyseacutees

Il est toutefois vraisemblable quentre toutes ces choses impenseacutees existent des relations invisibles Les vers introductifs du Poegraveme didactique l 22 et sq sont autre chose que lhabillement poeacutetique dun travail conceptuel abstrait Cest se rendre trop facile le dialogue avec la voie de penseacutee de Parmeacuteshynide que de regretter dans les paroles du penseur labsence de toute expeacuterience mythique et dobjecter que la deacuteesse AAgrave~eeL(x est parfaitement vague pur fantocircme rationnel si on la compare aux laquo personnes divinesraquo bien caracteacuteriseacutees Hegravera Atheacuteneacute Deacutemegraveter Aphrodite Arteacutemis Qui fait de pareilles reacuteserves parle comme si de longue date on savait avec certishytude ce quest la laquo diviniteacuteraquo des dieux grecs comme sil eacutetait sucircr que parler ici de laquo personnesraquo a bien un sens et que touchant lecirctre de la veacuteriteacute il fucirct bien eacutetabli quau cas ougrave elle apparaicirctrait comme deacuteesse on ne pourrait voir lagrave que la personnifishycation abstraite dun concept Au fond cest agrave peine si le laquomythiqueraquo a eacuteteacute pris en consideacuterashytion et surtout lon na pas consideacutereacute que le (lu6occedil est un dire (Sage) et que dire agrave son tour est appeler et faire briller Aussi vaut-il mieux que nous continuions agrave questionner prudemment et que nous eacutecoutions ce que dit le fragment 1 (22 et sq)

MOIRA 301

X(X( (le 6ecX 7tpO()PCugraveJ lmeocirct~(Xto Xe~p(X ocircegrave XetpE ~e~LteFT) EacuteAgraveeJ llo~ ~~7tOccedil qrXto xex( (le 7tpoa~uocircrt

Et la deacuteesse regardant dans lavenir me reccedilut Javoshy[rablement de sa main

Elle me prit la main droite et me dit ainsi la parole [chantant pour moi

Ce qui soffre ici au penseur comme chose agrave penshyser demeure en mecircme temps voileacute quant agrave son orishygine essentielle Ceci nexclut pas mais implique au contraire que dans ce que dit le penseur domine le deacutevoilement comme ce agrave quoi il est toujours attentif pour autant quil loriente vers la chose agrave penser Or celle-ci est nommeacutee dans le mot-eacutenigme tagrave cxugraveto le mecircme et ainsi nommeacutee qualifie le rapshyport de la penseacutee agrave lecirctre

Cest pourquoi nous devons au moins demander si ce nest pas le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoishylement de la preacutesence des choses preacutesentes qui est tu dans exugravet6 le mecircme En le preacutesumant nous nallons pas au delagrave de ce qua penseacute Parmeacutenide nous retournons au contraire vers ce quil faut penser et penser dune faccedilon plus originelle

Lexamen de la sentence sur le rapport de la penseacutee agrave lecirctre prend alors lapparence ineacutevitable dune chose arbitraire et forceacutee

La construction grammaticale de la phrase tagrave yap rtugravetagrave JoetJ iatLI te XClt elext apparaicirct mainshytenant dans une autre lumiegravere Le mot-eacutenigme tagrave rtugravet6 le mecircme par lequel commence la phrase nest plus le preacutedicat mis en tecircte mais bien le sujet ce qui seacutetend au-dessous ce qui porte et soutient Le mot sans apparence EgraveatLI laquoestraquo veut dire maintenant deacuteploie son ecirctre (west) dure en accorshydant et en puisant pour accorder dans ce qui accorde 1 dans ce comme quoi domine tagrave rtugraveto le

1 West Uuumlhrt und zwar gcwuumlhrend aU3 dcm GcwUumlhrcnden laquoAccorshy

302 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

mecircme agrave savoir comme le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoilement ce qui deacutevoilant deacuteplie le Pli assure le laquoprendre-dans-son-attention 1raquo sur son chemin vers la perception rassemblante de la preacutesence des choses preacutesentes La veacuteriteacute entendue comme pareil deacutevoilement du Pli laisse agrave partir de lui la penseacutee appartenir agrave lecirctre Dans le motshyeacutenigme tagrave (Xugraveto le mecircme se tait loctroi deacutevoilant qui garantit 2 lappartenance mutuelle du Pli et de la penseacutee qui apparaicirct en lui

v

Si donc la penseacutee appartient agrave lecirctre ce nest pas parce quelle aussi est une chose preacutesente et quelle a donc sa place dans lensemble de la preacutesence on entend par lagrave dans lensemble des choses preacutesentes Il semble toutefois que Parmeacutenide aussi se repreacuteshysente de cette faccedilon le rapport de lecirctre agrave la penseacutee Il ajoute en effet agrave lappui de ce quil vient de dire une remarque introduite par (eXp (car) et ainsi conccedilue 7teXpe~ tou kovtoccedil hors de leacutetant il ny a eu il ny a et il ny aura aucun autre eacutetant (dapr~s une conjecture de Bergk ougrave3 ~v) Mais tagrave kov ne veut pas dire laquo leacutetant raquo il deacutesigne le Pli Certes hors de celui-ci il ny a jamais aucune preacutesence de choses preacutesentes car la preacutesence comme telle repose dans le Pli paraicirct et apparaicirct dans le deacuteploiement de sa lumiegravere

Mais pourquoi en ce qui concerne le rapport de la penseacutee agrave lecirctre Parmeacutenide ajoute-t-ilspeacutecialeshyment une telle justification Parce que le mot JoeLv qui diffegravere ddv(xL parce que le mot laquo penshy

derraquo au sens d laquo octroyer raquo Sur le rapport eacutetroit entre laquo durerraquo et laquo accorder raquo cf p 42 n 1

1 Le oei le connaicirctre la penseacutee laquo Assureraquo (gewiihrl) au sens de laquo garantit raquo Cf p 235

2 Das entbergende Gewiihren

MOIRA 303

seacuteeraquo donne forceacutement limpression que ce quil deacutesigne est tout de mecircme un amp0 une chose autre en face de lecirctre et par conseacutequent hors de lui Mais ce nest pas seulement le mot comme forme verbale cest son contenu son sens qui paraicirct se tenir laquo agrave cocircteacuteraquo et laquo horsraquo de leacute6v Et cette apparence nest pas non plus simple apparence Car AgraveEacuteyELv et Jodv laissent les choses preacutesentes eacutetendues-devant dans la lumiegravere de la preacutesence Eux-mecircmes sont ainsi eacutetendus en face de la preacutesence quoique jamais en face delle comme deux objets existant pour soi Lassemblage de AgraveEacuteyELV et de voeLv laisse (dapregraves le fragment VI) lkov eacuteflflev(xL il libegravere la preacutesence la laissant acceacuteder agrave son apparaicirctre pour la pershyception et se tient alors dune certaine maniegravere hors de l Egrave6v Dun point de vue la penseacutee est hors du Pli vers lequel lui reacutepondant et demandeacutee par lui elle demeure en chemin Dun autre point de vue ce laquo en chemin vers raquo demeure agrave linteacuterieur du Pli lequel nest jamais une simple distinction quelque part existante et repreacutesenteacutee de lecirctre et de leacutetant mais a son ecirctre agrave partir du deacutepliement qui deacutevoile Celui-ci comme AAgrave~eELct accorde agrave toute preacutesence la lumiegravere dans laquelle les choses preacutesentes peuvent apparaicirctre

Si toutefois le deacutevoilement accorde leacuteclairement de la preacutesence cest en mettant en œuvre agrave la foisshyau cas ougrave des choses preacutesentes doivent apparaicirctreshyun laquolaisser-eacutetendu-devantraquo et un percevoir 1 et les mettant ainsi en œuvre en retenant la penseacutee dans son appartenance au Pli Cest pourquoi hors du Pli il ny a daucune maniegravere quoi que ce soit de preacutesent nimporte ougrave et nimporte comment

Tout ce que nous avons deacutebattu jusquagrave preacutesent demeurerait une invention arbitraire une interpreacuteshytation substitueacutee apregraves coup si Parmeacutenide navait

1 Un AgraveeacuteyElV un dire et un VOErV un connaicirctre

304 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

dit lui-mecircme pourquoi la preacutesence ne peut jamais segrave tenir agrave cocircteacute de lt6v hors de lui

VI

Ce que le penseur nous dit encore de l t6v se trouve en langage grammatical dans une proposhysition subordonneacutee Quiconque est exerceacute si peu que ce soit agrave eacutecouter les grands penseurs sera sans doute parfois deacuteconcerteacute par ce fait eacutetrange que cc quil faut proprement penser ils le disent dans une proposition subordonneacutee ajouteacutee sans bruit et quils sen tiennent lagrave Le jeu de la lumiegravere qui appelle deacuteploie et aide agrave la croissance ne devient pas luishymecircme visible Il brille aussi peu apparent que la lumiegravere du matin sur la somptuositeacute tranquille des lis dans le champ et des roses dans le jardin

La proposition subordonneacutee de Parmeacutenide qui agrave vrai dire est la thegravese de toutes ses thegraveses est la suishyvante (VIII 37 et sq)

eacute7td ro ye MOLp Egrave1teacuteocirc1jOev ougraveAgraveov chdv1jr6v r Eacute(L(Levcxt

bullpuisque la Moira lui a imposeacute (agrave leacutetant) decirctre un [Tout et immobile (W KRANZ)

Parmeacutenide parle de l t6v de la preacutesence (des choses preacutesentes) du Pli mais nullement de l laquo eacutetant raquo Il nomme la Mopcx lattribution qui accordant reacutepartit et qui ainsi ouvre le Pli Lattrishybution dispense le P1i elle en munit en fait don Elle eRt la Dispensation (Schickung) en elle-mecircme recueillie ct ainsi deacutepliante qui envoie la preacutesence 1

comme preacutesence de choses preacutesentes Mopcx est

1 Die Schickung des AnLtcscns Cf pins haut p 272 n 1

MOIRA 305

la Dispensation 1 de l laquoecirctreraquo au sens de lMv Cest celui-ci justement rO ye quene a libeacutereacute lui ouvrant laccegraves du Pli et par lagrave mecircme lieacute agrave la totaliteacute et au repos agrave partir desquels et dans lesquels la preacutesence des choses preacutesentes se manifeste

Dans la Dispensation du Pli toutefois cest seushylement la preacutesence qui parvient agrave paraicirctre et les choses preacutesentes agrave apparaicirctre La Dispensation maintient en retrait le Pli comme tel et plus encore son deacutepliement Lecirctre de l A-yj 8ELCX demeure voileacute La visibiliteacute quelle accorde fait eacutemerger la preacutesence des choses preacutesentes comme laquo aspectraquo (dooccedil) et comme laquo vue raquo (~oEacute~) En conseacutequence le rapport qui appreacutehende la preacutesence des choses preacutesentes se deacutetermine comme voir (dOEacuteV~L) Lagrave mecircme ougrave la veacuteriteacute sest transformeacutee devenant la certitude de la conscience de soi le savoir marqueacute par la visio et son eacutevidence ne peuvent nier leur origine essentielle tireacutee du deacutevoilement qui eacuteclaire Le lumen naturale la lumiegravere naturelle ici lillumination de la raison preacutesuppose deacutejagrave le deacutevoilement du Pli Cette remarque vaut aussi pour les theacuteories augustinienne et meacutedieacutevale de la lumiegravere lesquelles pour ne rien dire de leur origine platonicienne ne peuvent se deacuteployer que dans le domaine de l 1AAgrave~eeL~ deacutejagrave dominante dans la Dispensation du Pli

Si nous voulons pouvoir parler de lhistoire de lecirctre nous devons dabord avoir consideacutereacute qu laquoecirctreraquo veut dire preacutesence des choses preacuteshysentes Pli Cest seulement agrave partir de lecirctre ainsi consideacutereacute que nous pouvons middot alors demander avec la prudence neacutecessaire ce qulaquo histoireraquo ( Cesshychichte) veut dire ici Lhistoire est la Dispensation du Pli (das Ceschick der Zwiefalt) Elle est lecirctreshydurer en mode rassembleacute qui deacutevoilant et deacutepliant

1 Sur la DispensatioD (ou lEnvoi) de lecirctre (Gcschil des S(in ~) voir notamment Der SaI vom Grund pp 108-110 119-LIJ 129-lJU et ISO

306 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

octroie 1 la preacutesence eacuteclaireacutee ougrave les choses preacutesentes apparaissent Lhistoire de lecirctre nest jamais une suite deacuteveacutenements que lecirctre parcourrait pour lui-mecircme Encore moins est-elle un objet qui ouvrishyrait agrave l laquohistoireraquo (-science) de nouvelles possishybiliteacutes de vues-repreacutesentations qui les ouvrirait agrave une laquo histoireraquo disposeacutee agrave se substituer preacutetendant savoir mieux agrave la faccedilon jusquici habituelle de consideacuterer lhistoire de la meacutetaphysique

Ce que dans linapparence dune proposition subordonneacutee Parmeacutenide dit de la Moip(X dans les liens de laquelle lMV est libeacutereacute comme Pli ouvre au penseur lampleur de vue accordeacutee agrave son chemin par le destin Car cest dans cette ampleur quappashyraicirct ce en quoi la preacutesence (des choses preacutesentes) se montre elle-mecircme t~ crf)[l(Xt(X toG EumlOltOc Ceux-ci sont agrave vrai dire multiples (7toAgraveAgrave~) Les a1)1-(Xt(X ne sont pas les signes dune autre chose Ils sont le paraicirctre multiple de la preacutesence elle-mecircme eacutemergeant du Pli deacuteplieacute shy

VII

Mais ce que la MOL(X dispense et reacutepartit nest pas encore complegravetement exposeacute Il en reacutesulte quun trait essentiel du mode de sa puissance demeure impenseacute Quarrive-t-il du fait que la Dispensation libegravere la preacutesence des choses preacutesentes la conduisant dans le Pli et ainsi la fixe dans sa totauumlteacute et son repos

Pour mesurer la porteacutee de ce que Parmeacutenide dit agrave ce sujet aussitocirct apregraves la proposition subordonneacutee (VIII 39 et sq) il est neacutecessaire de rappeler ce qui a eacuteteacute exposeacute preacuteceacutedemment (sous III) Le deacuteplieshyment du Pli domine comme cp~(nc comme laquo dire raquo) en tant que laquo faire-apparaicirctre raquo Le Pli abrite en

1 Das entbergend entfaltende Gewiihren Cf p 42 n 1

MOIRA 307

lui le vo~iV et cc quil pense (VOY](L(x) comme chose dite Mais ce qui est perccedilu dans la penseacutee cest la preacutesence des cho~es preacutesentes Le dire qui pense et qui correspond au Pli est le AgraveEacuteyEtV en tant quil laisse la preacutesence eacutetendue-devant Ce qui ne se produit tout agrave fait que sur la voie de penseacutee ougrave sengage le penseur appeleacute par l )AAgraveYj 6sta

Mais que devient la cpcXcnccedil (parole disantc) qui domine dans la Dispensation deacutevoilante quand ce qui est deacuteployeacute dans le Pli la Dispfnsation labanshydonne au percevoir banal des mortels Ceux-ci aeeueiJJent (~Eacutexccr0a~ S6ccedilct) ce qui soffre agrave eux immeacutediatement tout de suite et tout dabord Ils ne commencent pas par se preacuteparer pour une voie de penseacutee Ils nentendent jamais proprement lapshypel du deacutevoilement du Pli Ils sen tiennent agrave ce qui se deacuteploie en lui plus preacuteciseacutement agrave ce qui les requiert immeacutediatement aux choses preacutesentes sans eacutegard agrave la preacutesence Ils gaspillent leur activiteacute et leurs loisirs pour ce quils ont lhabitude de pershycevoir t~ ~OXOUumlvtlX (fragment l 31) Ils le prennent pour le non-cacheacute cXAgraveY]0Yj (VIII 39) puisque nestshyce pas il leur apparaicirct et quainsi il nest plus cacheacute Seulement que devient leur dire sil ne peut ecirctre le AgraveEacuteyE~V le laquo laisser-eacutetendu-devant raquo Quand les mortels ne donnent aucune attention agrave la preacuteshysence cest-agrave-dire ne la pensent pas leur dire habishytuel devient un simple dire de noms et ce qui passe au premier plan dans ces noms cest le son eacutemis et la forme immeacutediatement saisissable de la parole au sens de mots prononceacutes et eacutecrits

Le deacutemembrement du dire (du laquo laisser-eacutetendu-deshyvant raquo) en mots signifiants fait eacuteclater le laquo prendreshydans-son-attention 1 raquoqui rassemble Celui-ci devient un X(xT(XmiddotdOecr6ct~ (VIII 39) une fixation qui fixe ceci ou cela pour lopinion qui est presseacutee Tout ce

1 Le lOf)

308 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

qui est ainsi fixeacute demeure gvoflCX Parmeacutenide ne dit aucunement que ce qui est habituellement perccedilu devient laquo pur et simpleraquo nom Mais ce qui est ainsi perccedilu demeure abandonneacute agrave un dire tout entier dirigeacute par les mots courants lesquels vite prononshyceacutes disent tout sur tout et vagabondent dans l laquoaussi bien que 1bullbull raquo

La perception des choses preacutesentes (des Egrave6ncx) nomme elle aussi ldvoc~ et connaicirct la preacutesence mais eacutegalement la non-preacutesence et dune faccedilon aussi hacirctive non pas certes comme le fait la penseacutee qui agrave sa maniegravere respecte la middot reacuteserve 2 du Pli (le (l~ i6v)Lopinion courante ne connaicirct qudvcx~ tamp

Xcxt OUgraveXL (VIII 40) la preacutesence aussi bien que la non-preacutesence Le poids de ce qui est ainsi laquobien connuraquo se trouve dans teuro-XOCL (VIII 40 et sq) laquo aussi bien que raquo Et lagrave ougrave la perception habishytuelle celle qui parle agrave partir des mots rencontre leacutemergence et la disparition 3 elle se satisfait de l laquo aussi bien que raquo aussi bien la geacuteneacuteration (y(yve()Ox~) que la middot mort (OAgraveAgrave)()OCXL) (VIII 40) Elle ne perccediloit jamais le lieu t6rcoc comme lenshydroit ougrave le Pli offre une demeure (Heimat) agrave la preacutesence des choses preacutesentes Dans l laquo aussi bienbull que raquo lopinion des mortels ne recherche que les changements (ampAgraveAgrave~()()e~v) de places La perception habituelle sans doute se meut dans la partie eacuteclaireacutee des choses preacutesentes elle voit ce qui brille (cpocv6v VIII 41) dans la couleur mais elle se deacutemegravene dans les changements (ampJd~eLV) de coushyleur et ne precircte aucune attention agrave la lumiegravere tranquille de cette clarteacute qui vient du deacutepliement du Pli et qui est la ltlgt~()~C le faire-apparaitre la

1 Dans le rEacute-xal dont il va ecirctre question 2 Au sujet de la laquo retenueraquo (Vorenthalt) de lecirctre cf p 174 Le

non-ecirctre (I-- ~ lv) est lecirctre en tant quil se reacuteserve ne se donne pas reste dans lombre Cf plus loin p 309 fin

3 Das Aufgehen und Untergehen le lever et le coucher comme on le dit des astres

MOIRA 309

faccedilon dont la parole est disante non la faccedilon dont parlent les mots les noms quentend loreille

Teacutegt 7tampv-r ovo~l()tcx~ (VIII 38) par cela tout (les choses preacutesentes) sera preacutesent dans ce deacutevoileshyment preacutetendu quapporte avec elle la domination des mots Par quoi cela se produit-il Par la MoLpcx par la dispensation 1 du deacutevoilement du Pli Comshyment faut-il lentendre Dans le deacutepliement du Pli en mecircme temps que la preacutesence paraicirct les choses preacutesentes apparaissent Les choses preacutesentes elles aussi sont choses dites mais dites dans les mots qui nomment dans le parler desquels se meut le dire ordinaire des mortels La dispensation du deacutevoileshyment du Pli (de ll6v) abandonne les choses preacutesentes (-reX egrave6vtcx) au percevoir quotidien des mortels

Comment se produit cet abandon des choses par la dispensation Par cela seulement que le Pli comme tel et avecIui son deacutepliement demeurent en retrait Est-ce qualors ce qui domine dans le deacutevoishylement cest quil se deacuterobe Penseacutee hardie mais Heacuteraclite la penseacutee Parmeacutenide la sentie sans la penser pour autant quentendant lappel de l AAgrave~-6eLCX il pense la MoLpcx de leacute6v la dispensation du Pli aussi bien dans son rapport agrave la preacutesence que dans son rapport aux choses preacutesentes

Parmeacutenide ne serait pas un penseur vivant agrave laube des deacutebuts de cette penseacutee qui se plie agrave la dispensation du Pli si sa penseacutee ne peacuteneacutetrait dans lampleur de leacutenigme qui se tait dans le mot-eacutenigme ro Qj-r6 le mecircme Lagrave sabrite ce qui meacuterite decirctre penseacute ce qui nous donne agrave penser se donne soishymecircme agrave penser comme eacutetant le rapport de la penseacutee agrave recirctre la veacuteriteacute de lecirctre au sens du deacutevoilement du Pli la reacuteserve observeacutee par le Pli (le tL~ Egrave6v) alors que preacutedominent les choses preacutesentes (-ramp Egrave6VTQ reX 8oxouumlv-rcx)

1 G6lChick envoi attribution et destin

310 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Le dialogue avec Parmeacutenide ne prend pas fin non seulement parce que dans les fragments conserveacutes de son Poegraveme didactique maintes choses demeurent obscures mais aussi parce que ce quil dit meacuterite toujours decirctre penseacute VIais que le dialogue soit sans fin nest pas un deacutefaut Cest le signe de lillishymiteacute qui en soi et pour la penseacutee qui se souvient preacuteserve la possibiliteacute dun revirement du destin

Qui toutefois nattend de la penseacutee quune assushyrance ct suppute le jour ougrave on pourra la laisser lagrave inutiliseacutee celui-lagrave exige lcsuicide de la penseacutee Exigence qui apparaicirct dans une eacutetrange lumiegravere quand nous songeons agrave ceci que lecirctre des mortels est inviteacute agrave faire attentiol agrave cette parole qui leur dit dentrer dans la mort Comme possibiliteacute extrecircmegrave de lexistence mortelle la mort nest pas la fin du possible mais elle est lAbri suprecircme 1 (la mise agrave labri qui rassemble) ougrave reacuteside le secret du deacutevoileshyment qui nous appelle

1 Das hiichste Gcbirg Cf p 6 n 2 et p 2]3

j

288 ESSAIS ET CONFEacuteflENCES

peut faire autre chose que dentendre du lieu mecircme ougrave chaque fois elle seacutejourne et damener ainsi agrave un dire le silence de la penseacutee ancienne On ne peut sans doute eacuteviter que par lagrave la penseacutee ancienne soit inteacutegreacutee agrave un parler reacutecent transfeacutereacutee dans le champ deacutecoute et dans lhorizon visuel de ce dershynier et pour ainsi dire priveacutee de la liberteacute de son langage propre Pareille inteacutegration toutefois nimshypose aucunement une interpreacutetation qui se contente de convertir en modes tardifs de repreacutesentation ce qui a eacuteteacute penseacute au deacutebut de la penseacutee occidentale Le point deacutecisif est de savoir si le dialogue engageacute se libegravere degraves le deacutebut et toujours agrave nouveau afin de reacutepondre agrave ce que sous condition decirctre intershyrogeacutee lui dit la penseacutee ancienne ou bien si le diashylogue se ferme agrave ce dire et recouvre la penseacutee ancienne dopinions doctrinales t~rdives Ce qui a lieu degraves que la penseacutee reacutecente omet de senqueacuterir speacutecialement du champ deacutecoute et de lhorizon visuel de la penseacutee ancienne

Qui fait effort en ce sens ne doit pourtant pas se horner agrave une recherche laquo historiqueraquo qui deacutegageshyrait seulement les preacutesupposeacutes inexprimeacutes sur lesshyquels repose la penseacutee ancienne alors que dans ce travail les preacutesupposeacutes sont deacutefinis suivant ce qui est accepteacute comme veacuteriteacute eacutetablie par linterpreacutetashytion moderne et ce qui nest plus accepteacute comme tel parce que deacutepasseacute par le progregraves de la penseacutee Lenquecircte dont nous parlons doit ecirctre au contraire un dialogue ougrave les anciens champs deacutecoute et les horizons visuels dautrefois sont consideacutereacutes dapregraves leur origine essentielle afin que commence agrave sadresshyser agrave nous cette invitation 1 sous laquelle se tiennent chacune agrave sa faccedilon la penseacutee ancienne celle qui la suivie et celle qui vient Qui tente dinterroger ainsi

1 Geheiss ici un appel une incitation qui met sur le bon cheshymin aide au voyage ct agrave larriveacutee Cf Was hriss J)mkm pp 85 et 152

MOlfl 239

dirigelU dabord SUll Jcgard vers les pa~sages obscurs dun texte ancien et ne seacutetablira pas agrave demeure sur ceux qui sabritent derriegravere une apparence intelshyligible car de cette maniegravere le dialogue prcnd fin avant davoir commenceacute

Dans les remarques que nous avons encore agrave faire le texte citeacute ne sera plus examineacute que dans une suite dexplications seacutepareacutees Celles-ci voushydraient aider agrave preacuteparer une translation 1 qui penshy~ant lancicn dire grec le ferait passer dans ce qui vient agrave nous dune penseacutee eacuteveilleacutee agrave son commenceshyInent

1

Nous examinons le rapport de lecirctre et de la penseacutee Avant toute chose il nous faut noter que le texte (VIII 34 et sq) qui considegravere ce rapport de plus pregraves parle de legraveov et non comme Je fragshyment III de lEgraveIV(XL On pense donc aussitocirct et non sans un certain droit quil nest pas question de lecirctre dans le fragment VIII mais bien de leacutetant rlais sous le nom dlov Parmeacutenide ne pense aucushynement leacutetant en soi comme ce tout auquel la penseacutee appartient elle aussi pour autant quelle est quelque chose deacutetant Tout aussi pen Egraveov deacutesigne-t-illdvcxL au sens de lecirctre pour soi comme si le penseur tenait agrave faire ressortir le caractegravere non sensiblc de lecirctre par opposition agrave leacutetant qui est sensible LEgraveov leacutetant est bien plutocirct penseacute dans le Pli 2 de lecirctre et de leacutetant et il conserve sa valeur de participe 3 sans que deacutejagrave le concept grammatishy

1 Vcblrsctung laquo transfertraquo ou laquo traduction raquo Iri lun ct lnutre Cf op rit pp HO-141

2 7lrilflll Cf p 89 D 1 3 Tout partieipe est il double sens pa[(t~ quil ticnt agrave la foi~ dn

erbe ct du lIom Dans ~v nOl1~ trollv()n~ lmte dltn (t tvll) (cns verhal) mois alls~i ce qui (st (T) Eacuterv) (sens nnlllinal) Cest pourquoi iov tst en quelque Hlrte Il~ num nalurll UgraveU Pli ugravee lecirctre ct de

290 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cal intervienne speacutecialement dans le savoir concershynarit la langue Le Pli peut du moins ecirctre suggeacutereacute par les tournures laquo ecirctre de leacutetantraquo et laquo eacutetant dans lecirctre raquo Seulement laquo ce qui deacuteplie 1 raquo se cache dans le de et le dans bicn plutocirct que par ces mots il ne nous oriente vers son ecirctre Les deux tournures sont tregraves loin de penser le Pli comme tel plus encore deacutelever son deacutepliement au niveau des choses qui meacuteritent interrogation 2

L laquoecirctre lui-mecircme raquo dont on a tant parleacute demeure en veacuteriteacute aussi longtemps quil est appreacutehendeacute comme ecirctre toujours lecirctre au sens de lecirctre de leacutetant Ce sont toutefois les prcmiers temps de la penseacutee occidentale qui ont reccedilu la tacircche de consideacuterer ce qui est dit dans le mot dvcxt laquo ecirctre raquo dans un regard agrave sa mesure ct de le voir ainsi comme ltDucnccedil A6yoccedil Ev Comme le rassemshyblement qui regravegne dans lecirctre unit tout leacutetant il suffit que lon pense agrave ce rassemblement pour que naisse lapparence ineacutevitable et toujours plus tenace que lecirctre (de leacutetant) nest pas seulement identique agrave leacutetant dans son ensemble mais que en tant quidentique et aussi en tant que laquo ce qui unit raquo il est mecircme leacutetant maximum (das Seiendste) Pour la penseacutee qui se repreacutesente tout devient un eacutetant

Le Pli de lecirctre ct de leacutetant semble comme tel se perdre dans linconsistant bien que la penseacutee depuis ses deacutebuts chez les Grecs se meuve toujours dans le deacuteplieacute de son deacutepli mais sans quelle ait consideacutereacute ougrave il seacutejournait et encore moins precircteacute quelque attention au deacutepIiement du Pli Au deacutebut

Jeacutetant et de mecircme que ce Pli est le Pli par excellence eacuteov est le Participe par excellence (Cf op cil pp 133-136 et 174)

1 Das Jalcndlgt - Dans laquo lecirctre de leacutetantraquo (ou laquo leacutetant dans lecirctr~ raquo) le de (011 le dans) seacutepare lecirctre et leacutetant autrement applishyqueacutes lun contre lautre et marque leur distinction La preacuteposition jouc le rocircle du laquo deacutepliantraquo dont elle est le algue

2 lM lraguUrcJiStJ Cf p 76 n 1

lIOIRA 291

de la penseacutee occidentale le Pli disparaicirct sans quon sen aperccediloive Et pourtant il nest pas rien Cette disparition confegravere mecircme agrave la pen-eacutee grecque la maniegravere dun deacutebut en ce que reacuteclairement de lecirctre de leacutetant se cache comme eacuteclairement Que la duumlparition du Pli se cache~ ce fait est aussi capital que le point de savoir ougrave le Pli sen va Oil tombeshyt-il dans loubli 1 Lempire durable de celui-ci socculte en tant que cette A~81j avec laquelle l AAgrave~e~~~ fait corps dune faccedilon si immeacutediate que la premiegravere peut se retirer au beacuteneacutefice de la seconde et lui abandonner le pur deacutevoilement dans le mode de la ltDucnccedil dn Aoyoccedil de l Ev comme si le deacutevoishylement navait pas besoin du voilement

Mais ce qui en apparence est pure clarteacute est peacuteneacutetreacute et reacutegi par lobscuriteacute Cest lagrave que demeure en retrait le deacutepliement du Pli aussi bien que sa disparition lors des deacutebuts de la penseacutee Pourtant il nous faut dans ltov faire attention au Pli de lecirctre et de leacutetant afin de suivre la discussion que Parmeacutenide consacre au rapport de la penseacutee et de lecirctre

II

En toute briegraveveteacute le fragment III dit que la ~seacutee fait partie de lecirctre Comment caracteacuteriser cette appartenance Question qui vient trop tard La sentence concise a deacutejagrave donneacute la reacuteponse dans ses premiers mots tagrave yip cxtrro laquo agrave savoir le mecircme raquo Dans la version du fragment VIII 34 la sentence commence par le mecircme mot tQugravetov Ce mot reacutepond-il agrave notre question laquode quelle maniegravere la penseacutee appartient-elle agrave lecirctre raquo en disant que les deux sont laquo le mecircmeraquo Le mot napporte pas de reacuteponse Tout dabord parce que la deacutetermination

1 Sur loubli du Point le Plus Critique lecirctre de loubli la dishytinction du deacutebut et du commencement cf op cil pp 97middot98

292 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

laquo le mecircmeraquo exclut quil puisse ecirctre question dune appartenance laquelle ne peut exister quentre deux choses diffeacuterentes Ensuite parce que le mot laquo le mecircmeraquo nous laisse ignorer complegravetement egrave quel point de vue et pour quelle raison le diffeacuterent sacshycorde dans le mecircme Aussi tagrave cxlh6 le mecircme demeure-t-il le mot-eacutenigme dans les deux fragshyments sinon mecircme pour toute la penseacutee de Parshymeacutenide

Si nous croyons que le mot tagrave CXt)to le mecircme veut dire lidentique et si qui mieux est nous tenons lidentiteacute pour la condition claire comme le jour de la pensabiliteacute de tout le pensable alors agrave vrai dire cette opinion nous fait perdre de plus en plus la faculteacute dentendre le mot-eacutenigme agrave supposer que nous ayons deacutejagrave perccedilu son appel Il suffit en attendant que nous ayons toujours le mot dans loreille comme un terme meacuteritant decirctre penseacute Ainsi demeurons-nous de ceux qui entendent et precircts agrave laisser le mot reposer en lui-mecircme comme mot-eacutenigme afin que tout dabord nous tendions loreille de tous cocircteacutes ouverte agrave un dire qui puisse nous aider agrave consideacuterer la pleine mesure deacutenigme contenue dans le mot

Parmeacutenide nous offre une aide Il dit plus claishyrement dans le fragment VIII comment il faut penser l laquo ecirctreraquo auquel appartient le VOeuro~v Au lieu dampvcxL Parmeacutenide dit maintenant l6v leacutetant qui par son double sens deacutesigne le Pli Mais le VOELV de son cocircteacute sappelle maintenant v61JL~ ce qui est pris dans lattention dun percevoir ayant eacutegard agrave ce quil perccediloit 1

Legrave6v est nommeacute speacutecialement comme ce oucircvexev

1 Das in die Acht genommene eines achtenden Vernehmens - Le percevoir (le VOElY) a eacutegard agrave ce quil perccediloit et a des eacutegards pour lui Il respecte sa liberteacute le laisse ecirctre le laisse laquo eacutetendu-devant raquo Sur cette interpreacutetation de VOEty cf Was heisst Dcnken Pl 121shy125

MOIRA 293

~C1t1 VO1)LIX ce pour quoi la penseacutee (Gedanc) est preacutesente (Sur le penser et la penseacutee cf le cours ifas heisst denken 1 Niemeyer eacutedit Tuumlbingen 1954 pp 91 et suiv)

La penseacutee est preacutesente en raison du Pli qui nest amais dit Lapproche de la penseacutee est en route vers le Pli de lecirctre et de leacutetant laquo Prendre dans s(Jn attentionraquo cest sapprocher du Pli 3 cest (dapregraves le fragment VI) ecirctre deacutejagrave rassembleacute et tendre vers le Pli par leffet du AgraveEacuteyew preacutealable du laisser-eacutetendu-devant Par quel moyen et comshyment De cette faccedilon que le Pli agrave cause duquel les mortels trouvent le chemin de la penseacutee reacuteclame lui-mecircme une telle penseacutee pour lui

Nous sommes encore tregraves loin de connaicirctre par une expeacuterience conforme agrave son ecirctre le Pli lui-mecircme ce qui veut dire aussi le Pli en tant quil reacuteclame la penseacutee Le dire de Parmeacutenide neacuteclaire quun point si la penseacutee est preacutesente ce nest ni en raison des egrave6vt(X de l laquo eacutetant en soi raquo ni par soumission agrave la volonteacute de ldvllL au sens de l laquo ecirctre pour soiraquo En dautres termes ni l laquo eacutetant en soiraquo ne rend

1 laquo Que veut dire penser raquo Il sagit ici du livre citeacute agrave la note preacuteshyceacutedente et non de la confeacuterence reproduite plus haut cf p 151 n 1 - laquo Le penser et la penseacuteeraquo Denken und Gedanc - Dapregraves le livre citeacute pp 92 et 157 le Gedanc (forme meacutedieacutevale de Gedanke) qui traduit ici v07jJ-a est le laquo cœur raquo le laquo fond du cœur raquo ce qui en lhomme est le plus inteacuterieur et qui en mecircme temps seacutetend le plus loin agrave lexteacuterieur aussi loin quon puisse aller Il est la penseacutee-soushyvenir (Gedenken) recueillie et toute-rassemblante En lui reposent la meacutemoire (Gediichtnis) entendue comme le recueillement constant de lesprit (Gemuumlt) sur ce qui se dit agrave nous dessentiel et le remershyciement (Dank) cest-agrave-dire la penseacutee tourneacutee vers ce quil faut penser vers ce qui nous donne le plus agrave penser - Sur tous les termes en ge- voir N du Tr 2

2 La preacutesence (Anwesen) de la pensee est lapproche (An-wesen) par laquelle eUe se reacutefegravere au Pli et tend vers lui

3 ln-die-Acht-Nehmen west die Zwiefalt an laquoPrendre dans son attentionraquo est le fait du voetv du laquo percevoirraquo (Vernehmen) Cf p 292 n 1 Sur la traduction de VOftV parlaquo percevoirraquo (vershynehmen) laquoprendre dans son attentionraquo (in die Acht nehrnm) et laquo flairer eacuteventerraquo (wittern) cf Was heisst Denken pp 124-125 et 172-173

294 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

neacutecessaire une penseacutee ni l laquo ecirctre pour soiraquo ne contraint la penseacutee Tous deux chacun pris pour soi ne font jamais savoir comment l laquoecirctreraquo reacuteclame la penseacutee Mais celle-ci deacuteploie son ecirctre agrave cause du Pli de lun et de lautre agrave cause de li6v Cest en allant vers le Pli que le laquo prendre-dans-sonshyattention 1raquo sapproche de lecirctre Cest dans une telle approche 2 que la penseacutee appartient agrave lecirctre Que dit Parmeacutenide de cett~ appartenance

III

Parmeacutenide dit que le voe est 1CerplXtLOfLEacutevOV iv t~ egrave6vtt On traduit par la penseacutee qui comme chose eacutenonceacutee est dans leacutetant

Mais comment pourrions - nous percevoir et comprendre ce que cest que decirctre ainsi laquo eacutenonceacuteraquo (ausgesprochen) aussi longtemps que nous ne nous soucions pas de savoir ce que veulent dire ici laquo chose diteraquo laquo parler raquo laquo langage raquo aussi longshytemps que nous nous empressons de prendre li6v pour leacutetant et que nous lagraveissons indeacutetermineacute le sens du mot laquo ecirctreraquo Comment pourrions-nous connaicirctre le rapport du voeLv au 1CeCPIXtLCJfLEacutevov aussi longtemps que nous ne deacuteterminons pas le voev suffisamment en tenant compte dumiddot fragshyment VI (Cf le cours citeacute pp 124 et sq) Le voeLv dont nous voudrions consideacuterer lappartenance agrave liov est fondeacute dans le AgraveEacuteyeLV et deacuteploie son ecirctre agrave partir de lui Lagrave dans le AgraveEacuteyeLV a lieu celaquo laissershyeacutetendu-devantraquo qui laisse la chose preacutesente eacutetenshydue dans sa preacutesence Cest seulement en tant quelle est ainsi eacutetendue-devant que la chose preacuteshysente peut comme telle inteacuteresser le voeLvce qui laquoprend dans son attentionraquo Aussi le v61lfLlX en tant que VOOUfLevov du vociv est-il toujours deacutejagrave

1 Le 10Er Voir la note preacuteceacutedente ~ Anmiddotweaen Voir cimiddotdeul8 p 293 n 2

MOIRA 295

un AgraveeyoflevOV du AgraveEacuteyetv Mais lecirctre du dire tel que les Grecs lont perccedilu repose dans le AgraveEacuteyeLV Cest pourquoi le voeicircv est une chose dite et cela dans son ecirctre et jamais seulement apregraves coup ou par accident Sans doute toute chose dite nest pas aussi forceacutement une chose prononceacutee (ein Gesshyprochenes) Il est possible et parfois mecircme neacutecesshysaire quelle demeure une chose tue Tout ce qui est prononceacute et tout ce qui est tu est deacutejagrave chose dite Mais non linverse

En quoi consiste la diffeacuterence de la chose dite et de la chose prononceacutee Pourquoi Parmeacutenide caracshyteacuterise-t-il le VOOUf1EVOV et le voe~v (VIII 34 et sq) comme 1CEcplXt~crfLEacutevo On traduit ce mot par laquo parleacute raquo ce qui est exact au point de vue lexicoshygraphique Mais en quel sens perccediloit-on un parler tel que le deacutesignent cpampcrXeLV et cpcfVIXL laquo Parlerraquo nest-il ici que la manifestation sonore (cpltugravev~) de ce quun mot ou une phrase signifient (OYjf1(XLVELV) Est-ce quici lon comprend laquo parlerraquo comme lexshypression dune chose inteacuterieure dune chose de lacircme donc comme reacuteparti entre ses deux composhysants le phoneacutetique et le seacutemantique Nulle trace de tout cela dans lexpeacuterience qui perccediloit le parler comme cpcfv XL le langage comme 9cfCJ~ccedil Dans Ccedil)ampcrXeLV se rencontrent les sens appeler nommer avec des louanges sappeler mais tout cela parce que lecirctre mecircme du mot est laquo faire apparaicirctreraquo Clgtampcrpcx est lapparition des eacutetoiles de la lune le fait quils se montrent ou quils se cachent ltlgtXcreLCcedil deacutesigne les phases Les phases de la lune sont les modes changeaqts de son paraicirctre ltlgtcfOlC est la parole disante (Sage) laquodireraquo (sagen) signifie faire apparaicirctre ltgt~f1( je dis est identique en son ecirctre quoique non eacutequivalent agrave Agraveeuroyltugrave amener la chose preacutesente devant nous dans sa preacutesence lameshynet agrave apparaicirctre et agrave rester eacutetendue

Ce qui inteacuteresse Parmeacutenide cest dexaminer ougrave

296 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

le VOeacuteLV a oa place Car cest sculemcnt lagrave ougrave il a originairement sa place que nous pouvons le troushyver juger de notre deacutecouverte voir comment la penseacutee fait corps avec lecirctre Quand Parmeacutenide perccediloit le VOELV comme 7tecp(Xt~cr1-Eacutevov cela ne veut pas dire que le VOcLV soit une chose eacutenonceacutee et quil doive ainsi ecirctre chercheacute dans les paroles prononceacutees ou dans les signes de leacutecriture comme un eacutetant perceptible agrave lun ou lautre de nos sens Le croire serait seacutegarer et seacuteloigner au maximum de la penseacutee grecque et mecircme si lon voulait se repreacuteshysenter le parler et ce quil eacutenonce comme des faits de conscience et eacutetablir la penseacutee comme acte de conscience dans le domaine de pareils faits Le vociv lelaquo prendre-dans-son-attention raquo et ce quil a perccedilu 1 sont une chose dite ameneacutee agrave paraicirctre Mais ougrave Parmeacutenide dit egravev tw egraveOVtl dans legraveov dans le Pli de la preacutesence et d~ la chose preacutesente Ceci donne agrave penser et nous libegravere deacutefinitivement du preacutejugeacute hacirctif dapregraves lequel la penseacutee serait exprimeacutee dans la parole prononceacutee Nulle part il nen est question

Dans quelle mesure le VOELV peut-il la penseacutee doit-elle apparaicirctre dans le Pli Dans la mesure ougrave le deacutepliement qui conduit dans le Pli de la preacutesence et de la chose preacutesente eacute-voque le laquo laisser-eacutetendu devant raquo le Agraveeuroye~v et dans l laquo ecirctre-eacutetendushydcvant raquo ainsi libeacutereacute de la chose eacutetendue donne au voeicircv quelque chose quil peut prendre dans son attention pour ly preacuteserver Seulement Parmeacutenide ne pense pas encore le Pli comme tel encore moins pense-t-il le deacutepliement du Pli Mais Parmeacutenide dit (VIII 35 et sq) ougrave yagravep ampveu tou EacuteoVtocbull eup~cre~ccedil to voucircv car seacutepareacute du Pli tu ne peux trouver la penseacutee Pourquoi pas Parce quinviteacutee par legraveov elle a sa place avec lui dans le rassemshy

1 laquo Il a perccediluraquo on retrouve le passeacute-preacutesent deacutejagrave observeacute Cf pp 260 262 263 et les notes

MOIRA 297

hlement parce que cest la penseacutee elle-mecircme reposhysant dans le AgraveEacuteyelV qui accomplit le rassemblement agrave lappel de lEacute6v et qui reacutepond de cette maniegravere agrave son appartenance agrave legraveov comme agrave une apparteshynance mise en œuvre (gebrauchten) agrave partir de celui-ci Car le voeicircv ne perccediloit pas nimporte quoi mais seulement cette chose unique nommeacutee dans le fragment VI Eacuteov Euml1-1-eV(XL leacutetant-preacutesent (das Anwesend) dans sa preacutesence

Autant de choses non penseacutees et meacuteritant de lecirctre sannoncent dans lexposeacute de Parmeacutenide autant se projette de clarteacute sur ce qui est avant tout neacutecessaire si lon veut meacutediter comme il convient cette appartenance de la penseacutee agrave lecirctre dont Parmeacutenide nous parle Nous devons apprendre agrave penser lecirctre du langage agrave partir du dire et agrave penshyser ce dernier comme laisser-eacutetcndu-devant (Agraveoyoccedil) et comme faire-apparaicirctre (cpcicrLCcedil) Il est dabord difficile de mener agrave bien une pareille tacircche parce que ce premier eacuteclairement de lecirctre du langage comme parole disante (Sage) sassombrit et disshyparaicirct bientocirct et quil laisse le champ libre agrave une caracteacuterisation du langage qui le repreacutesente deacutesorshymais agrave partir de la cpwJ~ de leacutemission sonore comme un systegravemc de deacutesignation et de significashytion et finalement de transmission de nouvelles et dinformation

IV

Maintenant encore alors que lappartenance de la penseacutee agrave lecirctre sest placeacutee mieux en lumiegravere nous pouvons agrave peine en~cndre dune faccedilon plus instante la pleine mesure deacutenigme contenue dans le motshyeacutenigme de la sentcnce to (xugraveto le mecircme Mais quand nous voyons que le Pli de llov la preacutesence des choses preacutesentes rassemble agrave soi la penseacutee alors ce rocircle directeul du Pli nous laisse peut-ecirctre

298 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

entrevoir la pleine mesure deacutenigme de ce que cache le vide seacutemantique habituel du mot laquo le mecircme raquo

Est-ce agrave partir du deacutepliement du Pli que le Pli ugravee son cocircteacute appelle la penseacutee sur la voie de l laquo agraveshycause-de-lui 1raquo et par-lagrave requiert lappartenance mutuelle de la preacutesence (des choses preacutesentes) et de la penseacutee Mais quest-ce que le deacutepliement du Pli Comment se produit-il Trouvons-nous dans la parole de Parmeacutenide un point dappui nous aidant agrave rechercher en questionnant dune maniegravere approshyprieacutee ce quest le deacutepliement du Pli nous aidant agrave entendre ce qui fait son ecirctre (ihr Wesendes) et agrave lentendre dans ce que tait le mot-eacutenigme de la sentence Nous nen trouvons aucun immeacutediateshyment

Il est surprenant toutefois que dans les deux vershysions de la sentence sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre le mot-eacutenigme figure au commencement Le fragment III dit laquo Le mecircme en effet est le laquo prendreshydans-son-attentionraquo et aussi l laquo ecirctre-preacutesentraquo (des choses preacutesentes)raquo Le fragment VIII 34 dit laquoLe mecircme est laquo prendre-dans-son-attentionraquo et (ce) en chemin vers quoi est le percevoir attentif raquo Que signifie dans le dire de la sentence cette place de deacutebut accordeacutee au mot dans la construction de la phrase Sur quoi par cette intonation Parmeacuteshynide voulait-il mettre laccent Probablement sur le ton fondamental En lui reacutesonne par anticipation ce que la sentence agrave proprement paTler doit dire Ce quon dit ainsi sappelle en grammaire le prc~dicat de la phrase Mais le sujet de la phrase est le voe~v (penseacutee) dans son rapport agrave ldVltXL (ecirctre) Le texte grec nous oblige agrave interpreacuteter ainsi la construction de la sentence La position de tecircte du mot-eacutenigme nous invite agrave arrecircter notre attention sur ce mot et agrave y revenir sans cesse Mecircme ainsi toutefois le mot

1 Au den Weg des laquo Ihrctwcgel - Le Pli invite la penseacutee agrave paraicirctre et elle paraicirct en lui (~I 0) et agrave cause de lui (OJVEXE~)

MOIRA 299

ne nous dit rien de ce que nous vouugraverions savoir Il nous faut donc essayer sans jamais perdre de

vue la position de 10 ltXugraveto le mecircme au deacutebut de la phrase de nous avancer librement et avec hardiesse dans la penseacutee du deacutepliement en partant du Pli de legraveov (de la preacutesence des choses preacutesentes) Nous y sommes aideacutes par la consideacuteration suivante cest dans le Pli de legraveov que la penseacutee est pro-duite en son paraicirctre cest en lui quelle est une chose dite 7tScpltXtLOJEacuteVOV

Dans le Pli domine ainsi la qJcXOLC le dire en tant que ce laquo faire-apparaicirctreraquo qui appelle et reacuteclame Quest-ce que le dire fait apparaicirctre La preacutesence des choses preacutesentes Le dire qui regravegne dans le Pli et qui le manifeste est le rassemblemcnt de la preacutesence dans le paraicirctre de laquelle les choses preacuteshysentes peuvent apparaicirctre Cette ltlgtciOLC que Parshymeacutenide pense Heacuteraclite lappelle le Aoyoc le laquo laisshyser-eacutetendu-devantraquo qui rassemble

Quest-ce qui a lieu dans la ltlgtciOtC et dans le Aoyoc Est-ce que ce dire qui regravegne en eux qui rassemble et qui appelle serait cet apport qui tout dabord pro-duit (erbringt) un paraicirctre lequel accorde une eacuteclaircie et dans la dureacutee duquel la preacutesence dabord seacuteclaire 1 afin que dans sa lumiegravere des choses preacutesentes apparaissent et quainsi regravegne le Pli de lune et des autres Le deacutepliement du Pli reacutesiderait-il en ceci quun paraicirctre illuminant se montre Le trait fondamental de ce paraicirctre les Grecs middot lont vu comme deacutevoilement Dans le deacutepliement du Pli regravegne ainsi le deacutevoileshyment Les Grecs le nomment AAgrave~eeuroLltX

La penseacutee de Parmeacutenide serait donc parvenue tout de mecircme agrave sa maniegravere jusquau deacutepliement

1 Das Lichtung gewiihrl in welchcm Wiihren erst Anwesen sich lichtet Litteacuteralement laquoqui accorde eacuteclaircie dans lequel durer seulement preacutesence seacuteclaire raquoCf p 42 n 1 et cf pp 235 301 306 et les notes

300 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

du Pli agrave supposer que Parmeacutenide parle de l AAgrave~eeLrt La nomme-t-il Sans doute au deacutebut de son Poegraveme didactique Plus encore l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Cest en leacutecoutant que Parmeacutenide dit ce quil a penseacute Pourtant il ne dit pas en quoi consiste lecirctre de l middotAAgrave~ee(X Il ne pense pas davantage en quel sens du mot diviniteacute l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Pour les deacutebuts de la penseacutee grecque tout cela demeure - dune faccedilon aussi immeacutediate quun eacuteclaircissement du mot-eacutenigme tagrave (Xugravet6 le mecircme shyhors du cercle des choses qui meacuteritent decirctre penshyseacutees

Il est toutefois vraisemblable quentre toutes ces choses impenseacutees existent des relations invisibles Les vers introductifs du Poegraveme didactique l 22 et sq sont autre chose que lhabillement poeacutetique dun travail conceptuel abstrait Cest se rendre trop facile le dialogue avec la voie de penseacutee de Parmeacuteshynide que de regretter dans les paroles du penseur labsence de toute expeacuterience mythique et dobjecter que la deacuteesse AAgrave~eeL(x est parfaitement vague pur fantocircme rationnel si on la compare aux laquo personnes divinesraquo bien caracteacuteriseacutees Hegravera Atheacuteneacute Deacutemegraveter Aphrodite Arteacutemis Qui fait de pareilles reacuteserves parle comme si de longue date on savait avec certishytude ce quest la laquo diviniteacuteraquo des dieux grecs comme sil eacutetait sucircr que parler ici de laquo personnesraquo a bien un sens et que touchant lecirctre de la veacuteriteacute il fucirct bien eacutetabli quau cas ougrave elle apparaicirctrait comme deacuteesse on ne pourrait voir lagrave que la personnifishycation abstraite dun concept Au fond cest agrave peine si le laquomythiqueraquo a eacuteteacute pris en consideacuterashytion et surtout lon na pas consideacutereacute que le (lu6occedil est un dire (Sage) et que dire agrave son tour est appeler et faire briller Aussi vaut-il mieux que nous continuions agrave questionner prudemment et que nous eacutecoutions ce que dit le fragment 1 (22 et sq)

MOIRA 301

X(X( (le 6ecX 7tpO()PCugraveJ lmeocirct~(Xto Xe~p(X ocircegrave XetpE ~e~LteFT) EacuteAgraveeJ llo~ ~~7tOccedil qrXto xex( (le 7tpoa~uocircrt

Et la deacuteesse regardant dans lavenir me reccedilut Javoshy[rablement de sa main

Elle me prit la main droite et me dit ainsi la parole [chantant pour moi

Ce qui soffre ici au penseur comme chose agrave penshyser demeure en mecircme temps voileacute quant agrave son orishygine essentielle Ceci nexclut pas mais implique au contraire que dans ce que dit le penseur domine le deacutevoilement comme ce agrave quoi il est toujours attentif pour autant quil loriente vers la chose agrave penser Or celle-ci est nommeacutee dans le mot-eacutenigme tagrave cxugraveto le mecircme et ainsi nommeacutee qualifie le rapshyport de la penseacutee agrave lecirctre

Cest pourquoi nous devons au moins demander si ce nest pas le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoishylement de la preacutesence des choses preacutesentes qui est tu dans exugravet6 le mecircme En le preacutesumant nous nallons pas au delagrave de ce qua penseacute Parmeacutenide nous retournons au contraire vers ce quil faut penser et penser dune faccedilon plus originelle

Lexamen de la sentence sur le rapport de la penseacutee agrave lecirctre prend alors lapparence ineacutevitable dune chose arbitraire et forceacutee

La construction grammaticale de la phrase tagrave yap rtugravetagrave JoetJ iatLI te XClt elext apparaicirct mainshytenant dans une autre lumiegravere Le mot-eacutenigme tagrave rtugravet6 le mecircme par lequel commence la phrase nest plus le preacutedicat mis en tecircte mais bien le sujet ce qui seacutetend au-dessous ce qui porte et soutient Le mot sans apparence EgraveatLI laquoestraquo veut dire maintenant deacuteploie son ecirctre (west) dure en accorshydant et en puisant pour accorder dans ce qui accorde 1 dans ce comme quoi domine tagrave rtugraveto le

1 West Uuumlhrt und zwar gcwuumlhrend aU3 dcm GcwUumlhrcnden laquoAccorshy

302 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

mecircme agrave savoir comme le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoilement ce qui deacutevoilant deacuteplie le Pli assure le laquoprendre-dans-son-attention 1raquo sur son chemin vers la perception rassemblante de la preacutesence des choses preacutesentes La veacuteriteacute entendue comme pareil deacutevoilement du Pli laisse agrave partir de lui la penseacutee appartenir agrave lecirctre Dans le motshyeacutenigme tagrave (Xugraveto le mecircme se tait loctroi deacutevoilant qui garantit 2 lappartenance mutuelle du Pli et de la penseacutee qui apparaicirct en lui

v

Si donc la penseacutee appartient agrave lecirctre ce nest pas parce quelle aussi est une chose preacutesente et quelle a donc sa place dans lensemble de la preacutesence on entend par lagrave dans lensemble des choses preacutesentes Il semble toutefois que Parmeacutenide aussi se repreacuteshysente de cette faccedilon le rapport de lecirctre agrave la penseacutee Il ajoute en effet agrave lappui de ce quil vient de dire une remarque introduite par (eXp (car) et ainsi conccedilue 7teXpe~ tou kovtoccedil hors de leacutetant il ny a eu il ny a et il ny aura aucun autre eacutetant (dapr~s une conjecture de Bergk ougrave3 ~v) Mais tagrave kov ne veut pas dire laquo leacutetant raquo il deacutesigne le Pli Certes hors de celui-ci il ny a jamais aucune preacutesence de choses preacutesentes car la preacutesence comme telle repose dans le Pli paraicirct et apparaicirct dans le deacuteploiement de sa lumiegravere

Mais pourquoi en ce qui concerne le rapport de la penseacutee agrave lecirctre Parmeacutenide ajoute-t-ilspeacutecialeshyment une telle justification Parce que le mot JoeLv qui diffegravere ddv(xL parce que le mot laquo penshy

derraquo au sens d laquo octroyer raquo Sur le rapport eacutetroit entre laquo durerraquo et laquo accorder raquo cf p 42 n 1

1 Le oei le connaicirctre la penseacutee laquo Assureraquo (gewiihrl) au sens de laquo garantit raquo Cf p 235

2 Das entbergende Gewiihren

MOIRA 303

seacuteeraquo donne forceacutement limpression que ce quil deacutesigne est tout de mecircme un amp0 une chose autre en face de lecirctre et par conseacutequent hors de lui Mais ce nest pas seulement le mot comme forme verbale cest son contenu son sens qui paraicirct se tenir laquo agrave cocircteacuteraquo et laquo horsraquo de leacute6v Et cette apparence nest pas non plus simple apparence Car AgraveEacuteyELv et Jodv laissent les choses preacutesentes eacutetendues-devant dans la lumiegravere de la preacutesence Eux-mecircmes sont ainsi eacutetendus en face de la preacutesence quoique jamais en face delle comme deux objets existant pour soi Lassemblage de AgraveEacuteyELV et de voeLv laisse (dapregraves le fragment VI) lkov eacuteflflev(xL il libegravere la preacutesence la laissant acceacuteder agrave son apparaicirctre pour la pershyception et se tient alors dune certaine maniegravere hors de l Egrave6v Dun point de vue la penseacutee est hors du Pli vers lequel lui reacutepondant et demandeacutee par lui elle demeure en chemin Dun autre point de vue ce laquo en chemin vers raquo demeure agrave linteacuterieur du Pli lequel nest jamais une simple distinction quelque part existante et repreacutesenteacutee de lecirctre et de leacutetant mais a son ecirctre agrave partir du deacutepliement qui deacutevoile Celui-ci comme AAgrave~eELct accorde agrave toute preacutesence la lumiegravere dans laquelle les choses preacutesentes peuvent apparaicirctre

Si toutefois le deacutevoilement accorde leacuteclairement de la preacutesence cest en mettant en œuvre agrave la foisshyau cas ougrave des choses preacutesentes doivent apparaicirctreshyun laquolaisser-eacutetendu-devantraquo et un percevoir 1 et les mettant ainsi en œuvre en retenant la penseacutee dans son appartenance au Pli Cest pourquoi hors du Pli il ny a daucune maniegravere quoi que ce soit de preacutesent nimporte ougrave et nimporte comment

Tout ce que nous avons deacutebattu jusquagrave preacutesent demeurerait une invention arbitraire une interpreacuteshytation substitueacutee apregraves coup si Parmeacutenide navait

1 Un AgraveeacuteyElV un dire et un VOErV un connaicirctre

304 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

dit lui-mecircme pourquoi la preacutesence ne peut jamais segrave tenir agrave cocircteacute de lt6v hors de lui

VI

Ce que le penseur nous dit encore de l t6v se trouve en langage grammatical dans une proposhysition subordonneacutee Quiconque est exerceacute si peu que ce soit agrave eacutecouter les grands penseurs sera sans doute parfois deacuteconcerteacute par ce fait eacutetrange que cc quil faut proprement penser ils le disent dans une proposition subordonneacutee ajouteacutee sans bruit et quils sen tiennent lagrave Le jeu de la lumiegravere qui appelle deacuteploie et aide agrave la croissance ne devient pas luishymecircme visible Il brille aussi peu apparent que la lumiegravere du matin sur la somptuositeacute tranquille des lis dans le champ et des roses dans le jardin

La proposition subordonneacutee de Parmeacutenide qui agrave vrai dire est la thegravese de toutes ses thegraveses est la suishyvante (VIII 37 et sq)

eacute7td ro ye MOLp Egrave1teacuteocirc1jOev ougraveAgraveov chdv1jr6v r Eacute(L(Levcxt

bullpuisque la Moira lui a imposeacute (agrave leacutetant) decirctre un [Tout et immobile (W KRANZ)

Parmeacutenide parle de l t6v de la preacutesence (des choses preacutesentes) du Pli mais nullement de l laquo eacutetant raquo Il nomme la Mopcx lattribution qui accordant reacutepartit et qui ainsi ouvre le Pli Lattrishybution dispense le P1i elle en munit en fait don Elle eRt la Dispensation (Schickung) en elle-mecircme recueillie ct ainsi deacutepliante qui envoie la preacutesence 1

comme preacutesence de choses preacutesentes Mopcx est

1 Die Schickung des AnLtcscns Cf pins haut p 272 n 1

MOIRA 305

la Dispensation 1 de l laquoecirctreraquo au sens de lMv Cest celui-ci justement rO ye quene a libeacutereacute lui ouvrant laccegraves du Pli et par lagrave mecircme lieacute agrave la totaliteacute et au repos agrave partir desquels et dans lesquels la preacutesence des choses preacutesentes se manifeste

Dans la Dispensation du Pli toutefois cest seushylement la preacutesence qui parvient agrave paraicirctre et les choses preacutesentes agrave apparaicirctre La Dispensation maintient en retrait le Pli comme tel et plus encore son deacutepliement Lecirctre de l A-yj 8ELCX demeure voileacute La visibiliteacute quelle accorde fait eacutemerger la preacutesence des choses preacutesentes comme laquo aspectraquo (dooccedil) et comme laquo vue raquo (~oEacute~) En conseacutequence le rapport qui appreacutehende la preacutesence des choses preacutesentes se deacutetermine comme voir (dOEacuteV~L) Lagrave mecircme ougrave la veacuteriteacute sest transformeacutee devenant la certitude de la conscience de soi le savoir marqueacute par la visio et son eacutevidence ne peuvent nier leur origine essentielle tireacutee du deacutevoilement qui eacuteclaire Le lumen naturale la lumiegravere naturelle ici lillumination de la raison preacutesuppose deacutejagrave le deacutevoilement du Pli Cette remarque vaut aussi pour les theacuteories augustinienne et meacutedieacutevale de la lumiegravere lesquelles pour ne rien dire de leur origine platonicienne ne peuvent se deacuteployer que dans le domaine de l 1AAgrave~eeL~ deacutejagrave dominante dans la Dispensation du Pli

Si nous voulons pouvoir parler de lhistoire de lecirctre nous devons dabord avoir consideacutereacute qu laquoecirctreraquo veut dire preacutesence des choses preacuteshysentes Pli Cest seulement agrave partir de lecirctre ainsi consideacutereacute que nous pouvons middot alors demander avec la prudence neacutecessaire ce qulaquo histoireraquo ( Cesshychichte) veut dire ici Lhistoire est la Dispensation du Pli (das Ceschick der Zwiefalt) Elle est lecirctreshydurer en mode rassembleacute qui deacutevoilant et deacutepliant

1 Sur la DispensatioD (ou lEnvoi) de lecirctre (Gcschil des S(in ~) voir notamment Der SaI vom Grund pp 108-110 119-LIJ 129-lJU et ISO

306 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

octroie 1 la preacutesence eacuteclaireacutee ougrave les choses preacutesentes apparaissent Lhistoire de lecirctre nest jamais une suite deacuteveacutenements que lecirctre parcourrait pour lui-mecircme Encore moins est-elle un objet qui ouvrishyrait agrave l laquohistoireraquo (-science) de nouvelles possishybiliteacutes de vues-repreacutesentations qui les ouvrirait agrave une laquo histoireraquo disposeacutee agrave se substituer preacutetendant savoir mieux agrave la faccedilon jusquici habituelle de consideacuterer lhistoire de la meacutetaphysique

Ce que dans linapparence dune proposition subordonneacutee Parmeacutenide dit de la Moip(X dans les liens de laquelle lMV est libeacutereacute comme Pli ouvre au penseur lampleur de vue accordeacutee agrave son chemin par le destin Car cest dans cette ampleur quappashyraicirct ce en quoi la preacutesence (des choses preacutesentes) se montre elle-mecircme t~ crf)[l(Xt(X toG EumlOltOc Ceux-ci sont agrave vrai dire multiples (7toAgraveAgrave~) Les a1)1-(Xt(X ne sont pas les signes dune autre chose Ils sont le paraicirctre multiple de la preacutesence elle-mecircme eacutemergeant du Pli deacuteplieacute shy

VII

Mais ce que la MOL(X dispense et reacutepartit nest pas encore complegravetement exposeacute Il en reacutesulte quun trait essentiel du mode de sa puissance demeure impenseacute Quarrive-t-il du fait que la Dispensation libegravere la preacutesence des choses preacutesentes la conduisant dans le Pli et ainsi la fixe dans sa totauumlteacute et son repos

Pour mesurer la porteacutee de ce que Parmeacutenide dit agrave ce sujet aussitocirct apregraves la proposition subordonneacutee (VIII 39 et sq) il est neacutecessaire de rappeler ce qui a eacuteteacute exposeacute preacuteceacutedemment (sous III) Le deacuteplieshyment du Pli domine comme cp~(nc comme laquo dire raquo) en tant que laquo faire-apparaicirctre raquo Le Pli abrite en

1 Das entbergend entfaltende Gewiihren Cf p 42 n 1

MOIRA 307

lui le vo~iV et cc quil pense (VOY](L(x) comme chose dite Mais ce qui est perccedilu dans la penseacutee cest la preacutesence des cho~es preacutesentes Le dire qui pense et qui correspond au Pli est le AgraveEacuteyEtV en tant quil laisse la preacutesence eacutetendue-devant Ce qui ne se produit tout agrave fait que sur la voie de penseacutee ougrave sengage le penseur appeleacute par l )AAgraveYj 6sta

Mais que devient la cpcXcnccedil (parole disantc) qui domine dans la Dispensation deacutevoilante quand ce qui est deacuteployeacute dans le Pli la Dispfnsation labanshydonne au percevoir banal des mortels Ceux-ci aeeueiJJent (~Eacutexccr0a~ S6ccedilct) ce qui soffre agrave eux immeacutediatement tout de suite et tout dabord Ils ne commencent pas par se preacuteparer pour une voie de penseacutee Ils nentendent jamais proprement lapshypel du deacutevoilement du Pli Ils sen tiennent agrave ce qui se deacuteploie en lui plus preacuteciseacutement agrave ce qui les requiert immeacutediatement aux choses preacutesentes sans eacutegard agrave la preacutesence Ils gaspillent leur activiteacute et leurs loisirs pour ce quils ont lhabitude de pershycevoir t~ ~OXOUumlvtlX (fragment l 31) Ils le prennent pour le non-cacheacute cXAgraveY]0Yj (VIII 39) puisque nestshyce pas il leur apparaicirct et quainsi il nest plus cacheacute Seulement que devient leur dire sil ne peut ecirctre le AgraveEacuteyE~V le laquo laisser-eacutetendu-devant raquo Quand les mortels ne donnent aucune attention agrave la preacuteshysence cest-agrave-dire ne la pensent pas leur dire habishytuel devient un simple dire de noms et ce qui passe au premier plan dans ces noms cest le son eacutemis et la forme immeacutediatement saisissable de la parole au sens de mots prononceacutes et eacutecrits

Le deacutemembrement du dire (du laquo laisser-eacutetendu-deshyvant raquo) en mots signifiants fait eacuteclater le laquo prendreshydans-son-attention 1 raquoqui rassemble Celui-ci devient un X(xT(XmiddotdOecr6ct~ (VIII 39) une fixation qui fixe ceci ou cela pour lopinion qui est presseacutee Tout ce

1 Le lOf)

308 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

qui est ainsi fixeacute demeure gvoflCX Parmeacutenide ne dit aucunement que ce qui est habituellement perccedilu devient laquo pur et simpleraquo nom Mais ce qui est ainsi perccedilu demeure abandonneacute agrave un dire tout entier dirigeacute par les mots courants lesquels vite prononshyceacutes disent tout sur tout et vagabondent dans l laquoaussi bien que 1bullbull raquo

La perception des choses preacutesentes (des Egrave6ncx) nomme elle aussi ldvoc~ et connaicirct la preacutesence mais eacutegalement la non-preacutesence et dune faccedilon aussi hacirctive non pas certes comme le fait la penseacutee qui agrave sa maniegravere respecte la middot reacuteserve 2 du Pli (le (l~ i6v)Lopinion courante ne connaicirct qudvcx~ tamp

Xcxt OUgraveXL (VIII 40) la preacutesence aussi bien que la non-preacutesence Le poids de ce qui est ainsi laquobien connuraquo se trouve dans teuro-XOCL (VIII 40 et sq) laquo aussi bien que raquo Et lagrave ougrave la perception habishytuelle celle qui parle agrave partir des mots rencontre leacutemergence et la disparition 3 elle se satisfait de l laquo aussi bien que raquo aussi bien la geacuteneacuteration (y(yve()Ox~) que la middot mort (OAgraveAgrave)()OCXL) (VIII 40) Elle ne perccediloit jamais le lieu t6rcoc comme lenshydroit ougrave le Pli offre une demeure (Heimat) agrave la preacutesence des choses preacutesentes Dans l laquo aussi bienbull que raquo lopinion des mortels ne recherche que les changements (ampAgraveAgrave~()()e~v) de places La perception habituelle sans doute se meut dans la partie eacuteclaireacutee des choses preacutesentes elle voit ce qui brille (cpocv6v VIII 41) dans la couleur mais elle se deacutemegravene dans les changements (ampJd~eLV) de coushyleur et ne precircte aucune attention agrave la lumiegravere tranquille de cette clarteacute qui vient du deacutepliement du Pli et qui est la ltlgt~()~C le faire-apparaitre la

1 Dans le rEacute-xal dont il va ecirctre question 2 Au sujet de la laquo retenueraquo (Vorenthalt) de lecirctre cf p 174 Le

non-ecirctre (I-- ~ lv) est lecirctre en tant quil se reacuteserve ne se donne pas reste dans lombre Cf plus loin p 309 fin

3 Das Aufgehen und Untergehen le lever et le coucher comme on le dit des astres

MOIRA 309

faccedilon dont la parole est disante non la faccedilon dont parlent les mots les noms quentend loreille

Teacutegt 7tampv-r ovo~l()tcx~ (VIII 38) par cela tout (les choses preacutesentes) sera preacutesent dans ce deacutevoileshyment preacutetendu quapporte avec elle la domination des mots Par quoi cela se produit-il Par la MoLpcx par la dispensation 1 du deacutevoilement du Pli Comshyment faut-il lentendre Dans le deacutepliement du Pli en mecircme temps que la preacutesence paraicirct les choses preacutesentes apparaissent Les choses preacutesentes elles aussi sont choses dites mais dites dans les mots qui nomment dans le parler desquels se meut le dire ordinaire des mortels La dispensation du deacutevoileshyment du Pli (de ll6v) abandonne les choses preacutesentes (-reX egrave6vtcx) au percevoir quotidien des mortels

Comment se produit cet abandon des choses par la dispensation Par cela seulement que le Pli comme tel et avecIui son deacutepliement demeurent en retrait Est-ce qualors ce qui domine dans le deacutevoishylement cest quil se deacuterobe Penseacutee hardie mais Heacuteraclite la penseacutee Parmeacutenide la sentie sans la penser pour autant quentendant lappel de l AAgrave~-6eLCX il pense la MoLpcx de leacute6v la dispensation du Pli aussi bien dans son rapport agrave la preacutesence que dans son rapport aux choses preacutesentes

Parmeacutenide ne serait pas un penseur vivant agrave laube des deacutebuts de cette penseacutee qui se plie agrave la dispensation du Pli si sa penseacutee ne peacuteneacutetrait dans lampleur de leacutenigme qui se tait dans le mot-eacutenigme ro Qj-r6 le mecircme Lagrave sabrite ce qui meacuterite decirctre penseacute ce qui nous donne agrave penser se donne soishymecircme agrave penser comme eacutetant le rapport de la penseacutee agrave recirctre la veacuteriteacute de lecirctre au sens du deacutevoilement du Pli la reacuteserve observeacutee par le Pli (le tL~ Egrave6v) alors que preacutedominent les choses preacutesentes (-ramp Egrave6VTQ reX 8oxouumlv-rcx)

1 G6lChick envoi attribution et destin

310 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Le dialogue avec Parmeacutenide ne prend pas fin non seulement parce que dans les fragments conserveacutes de son Poegraveme didactique maintes choses demeurent obscures mais aussi parce que ce quil dit meacuterite toujours decirctre penseacute VIais que le dialogue soit sans fin nest pas un deacutefaut Cest le signe de lillishymiteacute qui en soi et pour la penseacutee qui se souvient preacuteserve la possibiliteacute dun revirement du destin

Qui toutefois nattend de la penseacutee quune assushyrance ct suppute le jour ougrave on pourra la laisser lagrave inutiliseacutee celui-lagrave exige lcsuicide de la penseacutee Exigence qui apparaicirct dans une eacutetrange lumiegravere quand nous songeons agrave ceci que lecirctre des mortels est inviteacute agrave faire attentiol agrave cette parole qui leur dit dentrer dans la mort Comme possibiliteacute extrecircmegrave de lexistence mortelle la mort nest pas la fin du possible mais elle est lAbri suprecircme 1 (la mise agrave labri qui rassemble) ougrave reacuteside le secret du deacutevoileshyment qui nous appelle

1 Das hiichste Gcbirg Cf p 6 n 2 et p 2]3

j

290 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cal intervienne speacutecialement dans le savoir concershynarit la langue Le Pli peut du moins ecirctre suggeacutereacute par les tournures laquo ecirctre de leacutetantraquo et laquo eacutetant dans lecirctre raquo Seulement laquo ce qui deacuteplie 1 raquo se cache dans le de et le dans bicn plutocirct que par ces mots il ne nous oriente vers son ecirctre Les deux tournures sont tregraves loin de penser le Pli comme tel plus encore deacutelever son deacutepliement au niveau des choses qui meacuteritent interrogation 2

L laquoecirctre lui-mecircme raquo dont on a tant parleacute demeure en veacuteriteacute aussi longtemps quil est appreacutehendeacute comme ecirctre toujours lecirctre au sens de lecirctre de leacutetant Ce sont toutefois les prcmiers temps de la penseacutee occidentale qui ont reccedilu la tacircche de consideacuterer ce qui est dit dans le mot dvcxt laquo ecirctre raquo dans un regard agrave sa mesure ct de le voir ainsi comme ltDucnccedil A6yoccedil Ev Comme le rassemshyblement qui regravegne dans lecirctre unit tout leacutetant il suffit que lon pense agrave ce rassemblement pour que naisse lapparence ineacutevitable et toujours plus tenace que lecirctre (de leacutetant) nest pas seulement identique agrave leacutetant dans son ensemble mais que en tant quidentique et aussi en tant que laquo ce qui unit raquo il est mecircme leacutetant maximum (das Seiendste) Pour la penseacutee qui se repreacutesente tout devient un eacutetant

Le Pli de lecirctre ct de leacutetant semble comme tel se perdre dans linconsistant bien que la penseacutee depuis ses deacutebuts chez les Grecs se meuve toujours dans le deacuteplieacute de son deacutepli mais sans quelle ait consideacutereacute ougrave il seacutejournait et encore moins precircteacute quelque attention au deacutepIiement du Pli Au deacutebut

Jeacutetant et de mecircme que ce Pli est le Pli par excellence eacuteov est le Participe par excellence (Cf op cil pp 133-136 et 174)

1 Das Jalcndlgt - Dans laquo lecirctre de leacutetantraquo (ou laquo leacutetant dans lecirctr~ raquo) le de (011 le dans) seacutepare lecirctre et leacutetant autrement applishyqueacutes lun contre lautre et marque leur distinction La preacuteposition jouc le rocircle du laquo deacutepliantraquo dont elle est le algue

2 lM lraguUrcJiStJ Cf p 76 n 1

lIOIRA 291

de la penseacutee occidentale le Pli disparaicirct sans quon sen aperccediloive Et pourtant il nest pas rien Cette disparition confegravere mecircme agrave la pen-eacutee grecque la maniegravere dun deacutebut en ce que reacuteclairement de lecirctre de leacutetant se cache comme eacuteclairement Que la duumlparition du Pli se cache~ ce fait est aussi capital que le point de savoir ougrave le Pli sen va Oil tombeshyt-il dans loubli 1 Lempire durable de celui-ci socculte en tant que cette A~81j avec laquelle l AAgrave~e~~~ fait corps dune faccedilon si immeacutediate que la premiegravere peut se retirer au beacuteneacutefice de la seconde et lui abandonner le pur deacutevoilement dans le mode de la ltDucnccedil dn Aoyoccedil de l Ev comme si le deacutevoishylement navait pas besoin du voilement

Mais ce qui en apparence est pure clarteacute est peacuteneacutetreacute et reacutegi par lobscuriteacute Cest lagrave que demeure en retrait le deacutepliement du Pli aussi bien que sa disparition lors des deacutebuts de la penseacutee Pourtant il nous faut dans ltov faire attention au Pli de lecirctre et de leacutetant afin de suivre la discussion que Parmeacutenide consacre au rapport de la penseacutee et de lecirctre

II

En toute briegraveveteacute le fragment III dit que la ~seacutee fait partie de lecirctre Comment caracteacuteriser cette appartenance Question qui vient trop tard La sentence concise a deacutejagrave donneacute la reacuteponse dans ses premiers mots tagrave yip cxtrro laquo agrave savoir le mecircme raquo Dans la version du fragment VIII 34 la sentence commence par le mecircme mot tQugravetov Ce mot reacutepond-il agrave notre question laquode quelle maniegravere la penseacutee appartient-elle agrave lecirctre raquo en disant que les deux sont laquo le mecircmeraquo Le mot napporte pas de reacuteponse Tout dabord parce que la deacutetermination

1 Sur loubli du Point le Plus Critique lecirctre de loubli la dishytinction du deacutebut et du commencement cf op cil pp 97middot98

292 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

laquo le mecircmeraquo exclut quil puisse ecirctre question dune appartenance laquelle ne peut exister quentre deux choses diffeacuterentes Ensuite parce que le mot laquo le mecircmeraquo nous laisse ignorer complegravetement egrave quel point de vue et pour quelle raison le diffeacuterent sacshycorde dans le mecircme Aussi tagrave cxlh6 le mecircme demeure-t-il le mot-eacutenigme dans les deux fragshyments sinon mecircme pour toute la penseacutee de Parshymeacutenide

Si nous croyons que le mot tagrave CXt)to le mecircme veut dire lidentique et si qui mieux est nous tenons lidentiteacute pour la condition claire comme le jour de la pensabiliteacute de tout le pensable alors agrave vrai dire cette opinion nous fait perdre de plus en plus la faculteacute dentendre le mot-eacutenigme agrave supposer que nous ayons deacutejagrave perccedilu son appel Il suffit en attendant que nous ayons toujours le mot dans loreille comme un terme meacuteritant decirctre penseacute Ainsi demeurons-nous de ceux qui entendent et precircts agrave laisser le mot reposer en lui-mecircme comme mot-eacutenigme afin que tout dabord nous tendions loreille de tous cocircteacutes ouverte agrave un dire qui puisse nous aider agrave consideacuterer la pleine mesure deacutenigme contenue dans le mot

Parmeacutenide nous offre une aide Il dit plus claishyrement dans le fragment VIII comment il faut penser l laquo ecirctreraquo auquel appartient le VOeuro~v Au lieu dampvcxL Parmeacutenide dit maintenant l6v leacutetant qui par son double sens deacutesigne le Pli Mais le VOELV de son cocircteacute sappelle maintenant v61JL~ ce qui est pris dans lattention dun percevoir ayant eacutegard agrave ce quil perccediloit 1

Legrave6v est nommeacute speacutecialement comme ce oucircvexev

1 Das in die Acht genommene eines achtenden Vernehmens - Le percevoir (le VOElY) a eacutegard agrave ce quil perccediloit et a des eacutegards pour lui Il respecte sa liberteacute le laisse ecirctre le laisse laquo eacutetendu-devant raquo Sur cette interpreacutetation de VOEty cf Was heisst Dcnken Pl 121shy125

MOIRA 293

~C1t1 VO1)LIX ce pour quoi la penseacutee (Gedanc) est preacutesente (Sur le penser et la penseacutee cf le cours ifas heisst denken 1 Niemeyer eacutedit Tuumlbingen 1954 pp 91 et suiv)

La penseacutee est preacutesente en raison du Pli qui nest amais dit Lapproche de la penseacutee est en route vers le Pli de lecirctre et de leacutetant laquo Prendre dans s(Jn attentionraquo cest sapprocher du Pli 3 cest (dapregraves le fragment VI) ecirctre deacutejagrave rassembleacute et tendre vers le Pli par leffet du AgraveEacuteyew preacutealable du laisser-eacutetendu-devant Par quel moyen et comshyment De cette faccedilon que le Pli agrave cause duquel les mortels trouvent le chemin de la penseacutee reacuteclame lui-mecircme une telle penseacutee pour lui

Nous sommes encore tregraves loin de connaicirctre par une expeacuterience conforme agrave son ecirctre le Pli lui-mecircme ce qui veut dire aussi le Pli en tant quil reacuteclame la penseacutee Le dire de Parmeacutenide neacuteclaire quun point si la penseacutee est preacutesente ce nest ni en raison des egrave6vt(X de l laquo eacutetant en soi raquo ni par soumission agrave la volonteacute de ldvllL au sens de l laquo ecirctre pour soiraquo En dautres termes ni l laquo eacutetant en soiraquo ne rend

1 laquo Que veut dire penser raquo Il sagit ici du livre citeacute agrave la note preacuteshyceacutedente et non de la confeacuterence reproduite plus haut cf p 151 n 1 - laquo Le penser et la penseacuteeraquo Denken und Gedanc - Dapregraves le livre citeacute pp 92 et 157 le Gedanc (forme meacutedieacutevale de Gedanke) qui traduit ici v07jJ-a est le laquo cœur raquo le laquo fond du cœur raquo ce qui en lhomme est le plus inteacuterieur et qui en mecircme temps seacutetend le plus loin agrave lexteacuterieur aussi loin quon puisse aller Il est la penseacutee-soushyvenir (Gedenken) recueillie et toute-rassemblante En lui reposent la meacutemoire (Gediichtnis) entendue comme le recueillement constant de lesprit (Gemuumlt) sur ce qui se dit agrave nous dessentiel et le remershyciement (Dank) cest-agrave-dire la penseacutee tourneacutee vers ce quil faut penser vers ce qui nous donne le plus agrave penser - Sur tous les termes en ge- voir N du Tr 2

2 La preacutesence (Anwesen) de la pensee est lapproche (An-wesen) par laquelle eUe se reacutefegravere au Pli et tend vers lui

3 ln-die-Acht-Nehmen west die Zwiefalt an laquoPrendre dans son attentionraquo est le fait du voetv du laquo percevoirraquo (Vernehmen) Cf p 292 n 1 Sur la traduction de VOftV parlaquo percevoirraquo (vershynehmen) laquoprendre dans son attentionraquo (in die Acht nehrnm) et laquo flairer eacuteventerraquo (wittern) cf Was heisst Denken pp 124-125 et 172-173

294 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

neacutecessaire une penseacutee ni l laquo ecirctre pour soiraquo ne contraint la penseacutee Tous deux chacun pris pour soi ne font jamais savoir comment l laquoecirctreraquo reacuteclame la penseacutee Mais celle-ci deacuteploie son ecirctre agrave cause du Pli de lun et de lautre agrave cause de li6v Cest en allant vers le Pli que le laquo prendre-dans-sonshyattention 1raquo sapproche de lecirctre Cest dans une telle approche 2 que la penseacutee appartient agrave lecirctre Que dit Parmeacutenide de cett~ appartenance

III

Parmeacutenide dit que le voe est 1CerplXtLOfLEacutevOV iv t~ egrave6vtt On traduit par la penseacutee qui comme chose eacutenonceacutee est dans leacutetant

Mais comment pourrions - nous percevoir et comprendre ce que cest que decirctre ainsi laquo eacutenonceacuteraquo (ausgesprochen) aussi longtemps que nous ne nous soucions pas de savoir ce que veulent dire ici laquo chose diteraquo laquo parler raquo laquo langage raquo aussi longshytemps que nous nous empressons de prendre li6v pour leacutetant et que nous lagraveissons indeacutetermineacute le sens du mot laquo ecirctreraquo Comment pourrions-nous connaicirctre le rapport du voeLv au 1CeCPIXtLCJfLEacutevov aussi longtemps que nous ne deacuteterminons pas le voev suffisamment en tenant compte dumiddot fragshyment VI (Cf le cours citeacute pp 124 et sq) Le voeLv dont nous voudrions consideacuterer lappartenance agrave liov est fondeacute dans le AgraveEacuteyeLV et deacuteploie son ecirctre agrave partir de lui Lagrave dans le AgraveEacuteyeLV a lieu celaquo laissershyeacutetendu-devantraquo qui laisse la chose preacutesente eacutetenshydue dans sa preacutesence Cest seulement en tant quelle est ainsi eacutetendue-devant que la chose preacuteshysente peut comme telle inteacuteresser le voeLvce qui laquoprend dans son attentionraquo Aussi le v61lfLlX en tant que VOOUfLevov du vociv est-il toujours deacutejagrave

1 Le 10Er Voir la note preacuteceacutedente ~ Anmiddotweaen Voir cimiddotdeul8 p 293 n 2

MOIRA 295

un AgraveeyoflevOV du AgraveEacuteyetv Mais lecirctre du dire tel que les Grecs lont perccedilu repose dans le AgraveEacuteyeLV Cest pourquoi le voeicircv est une chose dite et cela dans son ecirctre et jamais seulement apregraves coup ou par accident Sans doute toute chose dite nest pas aussi forceacutement une chose prononceacutee (ein Gesshyprochenes) Il est possible et parfois mecircme neacutecesshysaire quelle demeure une chose tue Tout ce qui est prononceacute et tout ce qui est tu est deacutejagrave chose dite Mais non linverse

En quoi consiste la diffeacuterence de la chose dite et de la chose prononceacutee Pourquoi Parmeacutenide caracshyteacuterise-t-il le VOOUf1EVOV et le voe~v (VIII 34 et sq) comme 1CEcplXt~crfLEacutevo On traduit ce mot par laquo parleacute raquo ce qui est exact au point de vue lexicoshygraphique Mais en quel sens perccediloit-on un parler tel que le deacutesignent cpampcrXeLV et cpcfVIXL laquo Parlerraquo nest-il ici que la manifestation sonore (cpltugravev~) de ce quun mot ou une phrase signifient (OYjf1(XLVELV) Est-ce quici lon comprend laquo parlerraquo comme lexshypression dune chose inteacuterieure dune chose de lacircme donc comme reacuteparti entre ses deux composhysants le phoneacutetique et le seacutemantique Nulle trace de tout cela dans lexpeacuterience qui perccediloit le parler comme cpcfv XL le langage comme 9cfCJ~ccedil Dans Ccedil)ampcrXeLV se rencontrent les sens appeler nommer avec des louanges sappeler mais tout cela parce que lecirctre mecircme du mot est laquo faire apparaicirctreraquo Clgtampcrpcx est lapparition des eacutetoiles de la lune le fait quils se montrent ou quils se cachent ltlgtXcreLCcedil deacutesigne les phases Les phases de la lune sont les modes changeaqts de son paraicirctre ltlgtcfOlC est la parole disante (Sage) laquodireraquo (sagen) signifie faire apparaicirctre ltgt~f1( je dis est identique en son ecirctre quoique non eacutequivalent agrave Agraveeuroyltugrave amener la chose preacutesente devant nous dans sa preacutesence lameshynet agrave apparaicirctre et agrave rester eacutetendue

Ce qui inteacuteresse Parmeacutenide cest dexaminer ougrave

296 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

le VOeacuteLV a oa place Car cest sculemcnt lagrave ougrave il a originairement sa place que nous pouvons le troushyver juger de notre deacutecouverte voir comment la penseacutee fait corps avec lecirctre Quand Parmeacutenide perccediloit le VOELV comme 7tecp(Xt~cr1-Eacutevov cela ne veut pas dire que le VOcLV soit une chose eacutenonceacutee et quil doive ainsi ecirctre chercheacute dans les paroles prononceacutees ou dans les signes de leacutecriture comme un eacutetant perceptible agrave lun ou lautre de nos sens Le croire serait seacutegarer et seacuteloigner au maximum de la penseacutee grecque et mecircme si lon voulait se repreacuteshysenter le parler et ce quil eacutenonce comme des faits de conscience et eacutetablir la penseacutee comme acte de conscience dans le domaine de pareils faits Le vociv lelaquo prendre-dans-son-attention raquo et ce quil a perccedilu 1 sont une chose dite ameneacutee agrave paraicirctre Mais ougrave Parmeacutenide dit egravev tw egraveOVtl dans legraveov dans le Pli de la preacutesence et d~ la chose preacutesente Ceci donne agrave penser et nous libegravere deacutefinitivement du preacutejugeacute hacirctif dapregraves lequel la penseacutee serait exprimeacutee dans la parole prononceacutee Nulle part il nen est question

Dans quelle mesure le VOELV peut-il la penseacutee doit-elle apparaicirctre dans le Pli Dans la mesure ougrave le deacutepliement qui conduit dans le Pli de la preacutesence et de la chose preacutesente eacute-voque le laquo laisser-eacutetendu devant raquo le Agraveeuroye~v et dans l laquo ecirctre-eacutetendushydcvant raquo ainsi libeacutereacute de la chose eacutetendue donne au voeicircv quelque chose quil peut prendre dans son attention pour ly preacuteserver Seulement Parmeacutenide ne pense pas encore le Pli comme tel encore moins pense-t-il le deacutepliement du Pli Mais Parmeacutenide dit (VIII 35 et sq) ougrave yagravep ampveu tou EacuteoVtocbull eup~cre~ccedil to voucircv car seacutepareacute du Pli tu ne peux trouver la penseacutee Pourquoi pas Parce quinviteacutee par legraveov elle a sa place avec lui dans le rassemshy

1 laquo Il a perccediluraquo on retrouve le passeacute-preacutesent deacutejagrave observeacute Cf pp 260 262 263 et les notes

MOIRA 297

hlement parce que cest la penseacutee elle-mecircme reposhysant dans le AgraveEacuteyelV qui accomplit le rassemblement agrave lappel de lEacute6v et qui reacutepond de cette maniegravere agrave son appartenance agrave legraveov comme agrave une apparteshynance mise en œuvre (gebrauchten) agrave partir de celui-ci Car le voeicircv ne perccediloit pas nimporte quoi mais seulement cette chose unique nommeacutee dans le fragment VI Eacuteov Euml1-1-eV(XL leacutetant-preacutesent (das Anwesend) dans sa preacutesence

Autant de choses non penseacutees et meacuteritant de lecirctre sannoncent dans lexposeacute de Parmeacutenide autant se projette de clarteacute sur ce qui est avant tout neacutecessaire si lon veut meacutediter comme il convient cette appartenance de la penseacutee agrave lecirctre dont Parmeacutenide nous parle Nous devons apprendre agrave penser lecirctre du langage agrave partir du dire et agrave penshyser ce dernier comme laisser-eacutetcndu-devant (Agraveoyoccedil) et comme faire-apparaicirctre (cpcicrLCcedil) Il est dabord difficile de mener agrave bien une pareille tacircche parce que ce premier eacuteclairement de lecirctre du langage comme parole disante (Sage) sassombrit et disshyparaicirct bientocirct et quil laisse le champ libre agrave une caracteacuterisation du langage qui le repreacutesente deacutesorshymais agrave partir de la cpwJ~ de leacutemission sonore comme un systegravemc de deacutesignation et de significashytion et finalement de transmission de nouvelles et dinformation

IV

Maintenant encore alors que lappartenance de la penseacutee agrave lecirctre sest placeacutee mieux en lumiegravere nous pouvons agrave peine en~cndre dune faccedilon plus instante la pleine mesure deacutenigme contenue dans le motshyeacutenigme de la sentcnce to (xugraveto le mecircme Mais quand nous voyons que le Pli de llov la preacutesence des choses preacutesentes rassemble agrave soi la penseacutee alors ce rocircle directeul du Pli nous laisse peut-ecirctre

298 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

entrevoir la pleine mesure deacutenigme de ce que cache le vide seacutemantique habituel du mot laquo le mecircme raquo

Est-ce agrave partir du deacutepliement du Pli que le Pli ugravee son cocircteacute appelle la penseacutee sur la voie de l laquo agraveshycause-de-lui 1raquo et par-lagrave requiert lappartenance mutuelle de la preacutesence (des choses preacutesentes) et de la penseacutee Mais quest-ce que le deacutepliement du Pli Comment se produit-il Trouvons-nous dans la parole de Parmeacutenide un point dappui nous aidant agrave rechercher en questionnant dune maniegravere approshyprieacutee ce quest le deacutepliement du Pli nous aidant agrave entendre ce qui fait son ecirctre (ihr Wesendes) et agrave lentendre dans ce que tait le mot-eacutenigme de la sentence Nous nen trouvons aucun immeacutediateshyment

Il est surprenant toutefois que dans les deux vershysions de la sentence sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre le mot-eacutenigme figure au commencement Le fragment III dit laquo Le mecircme en effet est le laquo prendreshydans-son-attentionraquo et aussi l laquo ecirctre-preacutesentraquo (des choses preacutesentes)raquo Le fragment VIII 34 dit laquoLe mecircme est laquo prendre-dans-son-attentionraquo et (ce) en chemin vers quoi est le percevoir attentif raquo Que signifie dans le dire de la sentence cette place de deacutebut accordeacutee au mot dans la construction de la phrase Sur quoi par cette intonation Parmeacuteshynide voulait-il mettre laccent Probablement sur le ton fondamental En lui reacutesonne par anticipation ce que la sentence agrave proprement paTler doit dire Ce quon dit ainsi sappelle en grammaire le prc~dicat de la phrase Mais le sujet de la phrase est le voe~v (penseacutee) dans son rapport agrave ldVltXL (ecirctre) Le texte grec nous oblige agrave interpreacuteter ainsi la construction de la sentence La position de tecircte du mot-eacutenigme nous invite agrave arrecircter notre attention sur ce mot et agrave y revenir sans cesse Mecircme ainsi toutefois le mot

1 Au den Weg des laquo Ihrctwcgel - Le Pli invite la penseacutee agrave paraicirctre et elle paraicirct en lui (~I 0) et agrave cause de lui (OJVEXE~)

MOIRA 299

ne nous dit rien de ce que nous vouugraverions savoir Il nous faut donc essayer sans jamais perdre de

vue la position de 10 ltXugraveto le mecircme au deacutebut de la phrase de nous avancer librement et avec hardiesse dans la penseacutee du deacutepliement en partant du Pli de legraveov (de la preacutesence des choses preacutesentes) Nous y sommes aideacutes par la consideacuteration suivante cest dans le Pli de legraveov que la penseacutee est pro-duite en son paraicirctre cest en lui quelle est une chose dite 7tScpltXtLOJEacuteVOV

Dans le Pli domine ainsi la qJcXOLC le dire en tant que ce laquo faire-apparaicirctreraquo qui appelle et reacuteclame Quest-ce que le dire fait apparaicirctre La preacutesence des choses preacutesentes Le dire qui regravegne dans le Pli et qui le manifeste est le rassemblemcnt de la preacutesence dans le paraicirctre de laquelle les choses preacuteshysentes peuvent apparaicirctre Cette ltlgtciOLC que Parshymeacutenide pense Heacuteraclite lappelle le Aoyoc le laquo laisshyser-eacutetendu-devantraquo qui rassemble

Quest-ce qui a lieu dans la ltlgtciOtC et dans le Aoyoc Est-ce que ce dire qui regravegne en eux qui rassemble et qui appelle serait cet apport qui tout dabord pro-duit (erbringt) un paraicirctre lequel accorde une eacuteclaircie et dans la dureacutee duquel la preacutesence dabord seacuteclaire 1 afin que dans sa lumiegravere des choses preacutesentes apparaissent et quainsi regravegne le Pli de lune et des autres Le deacutepliement du Pli reacutesiderait-il en ceci quun paraicirctre illuminant se montre Le trait fondamental de ce paraicirctre les Grecs middot lont vu comme deacutevoilement Dans le deacutepliement du Pli regravegne ainsi le deacutevoileshyment Les Grecs le nomment AAgrave~eeuroLltX

La penseacutee de Parmeacutenide serait donc parvenue tout de mecircme agrave sa maniegravere jusquau deacutepliement

1 Das Lichtung gewiihrl in welchcm Wiihren erst Anwesen sich lichtet Litteacuteralement laquoqui accorde eacuteclaircie dans lequel durer seulement preacutesence seacuteclaire raquoCf p 42 n 1 et cf pp 235 301 306 et les notes

300 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

du Pli agrave supposer que Parmeacutenide parle de l AAgrave~eeLrt La nomme-t-il Sans doute au deacutebut de son Poegraveme didactique Plus encore l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Cest en leacutecoutant que Parmeacutenide dit ce quil a penseacute Pourtant il ne dit pas en quoi consiste lecirctre de l middotAAgrave~ee(X Il ne pense pas davantage en quel sens du mot diviniteacute l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Pour les deacutebuts de la penseacutee grecque tout cela demeure - dune faccedilon aussi immeacutediate quun eacuteclaircissement du mot-eacutenigme tagrave (Xugravet6 le mecircme shyhors du cercle des choses qui meacuteritent decirctre penshyseacutees

Il est toutefois vraisemblable quentre toutes ces choses impenseacutees existent des relations invisibles Les vers introductifs du Poegraveme didactique l 22 et sq sont autre chose que lhabillement poeacutetique dun travail conceptuel abstrait Cest se rendre trop facile le dialogue avec la voie de penseacutee de Parmeacuteshynide que de regretter dans les paroles du penseur labsence de toute expeacuterience mythique et dobjecter que la deacuteesse AAgrave~eeL(x est parfaitement vague pur fantocircme rationnel si on la compare aux laquo personnes divinesraquo bien caracteacuteriseacutees Hegravera Atheacuteneacute Deacutemegraveter Aphrodite Arteacutemis Qui fait de pareilles reacuteserves parle comme si de longue date on savait avec certishytude ce quest la laquo diviniteacuteraquo des dieux grecs comme sil eacutetait sucircr que parler ici de laquo personnesraquo a bien un sens et que touchant lecirctre de la veacuteriteacute il fucirct bien eacutetabli quau cas ougrave elle apparaicirctrait comme deacuteesse on ne pourrait voir lagrave que la personnifishycation abstraite dun concept Au fond cest agrave peine si le laquomythiqueraquo a eacuteteacute pris en consideacuterashytion et surtout lon na pas consideacutereacute que le (lu6occedil est un dire (Sage) et que dire agrave son tour est appeler et faire briller Aussi vaut-il mieux que nous continuions agrave questionner prudemment et que nous eacutecoutions ce que dit le fragment 1 (22 et sq)

MOIRA 301

X(X( (le 6ecX 7tpO()PCugraveJ lmeocirct~(Xto Xe~p(X ocircegrave XetpE ~e~LteFT) EacuteAgraveeJ llo~ ~~7tOccedil qrXto xex( (le 7tpoa~uocircrt

Et la deacuteesse regardant dans lavenir me reccedilut Javoshy[rablement de sa main

Elle me prit la main droite et me dit ainsi la parole [chantant pour moi

Ce qui soffre ici au penseur comme chose agrave penshyser demeure en mecircme temps voileacute quant agrave son orishygine essentielle Ceci nexclut pas mais implique au contraire que dans ce que dit le penseur domine le deacutevoilement comme ce agrave quoi il est toujours attentif pour autant quil loriente vers la chose agrave penser Or celle-ci est nommeacutee dans le mot-eacutenigme tagrave cxugraveto le mecircme et ainsi nommeacutee qualifie le rapshyport de la penseacutee agrave lecirctre

Cest pourquoi nous devons au moins demander si ce nest pas le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoishylement de la preacutesence des choses preacutesentes qui est tu dans exugravet6 le mecircme En le preacutesumant nous nallons pas au delagrave de ce qua penseacute Parmeacutenide nous retournons au contraire vers ce quil faut penser et penser dune faccedilon plus originelle

Lexamen de la sentence sur le rapport de la penseacutee agrave lecirctre prend alors lapparence ineacutevitable dune chose arbitraire et forceacutee

La construction grammaticale de la phrase tagrave yap rtugravetagrave JoetJ iatLI te XClt elext apparaicirct mainshytenant dans une autre lumiegravere Le mot-eacutenigme tagrave rtugravet6 le mecircme par lequel commence la phrase nest plus le preacutedicat mis en tecircte mais bien le sujet ce qui seacutetend au-dessous ce qui porte et soutient Le mot sans apparence EgraveatLI laquoestraquo veut dire maintenant deacuteploie son ecirctre (west) dure en accorshydant et en puisant pour accorder dans ce qui accorde 1 dans ce comme quoi domine tagrave rtugraveto le

1 West Uuumlhrt und zwar gcwuumlhrend aU3 dcm GcwUumlhrcnden laquoAccorshy

302 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

mecircme agrave savoir comme le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoilement ce qui deacutevoilant deacuteplie le Pli assure le laquoprendre-dans-son-attention 1raquo sur son chemin vers la perception rassemblante de la preacutesence des choses preacutesentes La veacuteriteacute entendue comme pareil deacutevoilement du Pli laisse agrave partir de lui la penseacutee appartenir agrave lecirctre Dans le motshyeacutenigme tagrave (Xugraveto le mecircme se tait loctroi deacutevoilant qui garantit 2 lappartenance mutuelle du Pli et de la penseacutee qui apparaicirct en lui

v

Si donc la penseacutee appartient agrave lecirctre ce nest pas parce quelle aussi est une chose preacutesente et quelle a donc sa place dans lensemble de la preacutesence on entend par lagrave dans lensemble des choses preacutesentes Il semble toutefois que Parmeacutenide aussi se repreacuteshysente de cette faccedilon le rapport de lecirctre agrave la penseacutee Il ajoute en effet agrave lappui de ce quil vient de dire une remarque introduite par (eXp (car) et ainsi conccedilue 7teXpe~ tou kovtoccedil hors de leacutetant il ny a eu il ny a et il ny aura aucun autre eacutetant (dapr~s une conjecture de Bergk ougrave3 ~v) Mais tagrave kov ne veut pas dire laquo leacutetant raquo il deacutesigne le Pli Certes hors de celui-ci il ny a jamais aucune preacutesence de choses preacutesentes car la preacutesence comme telle repose dans le Pli paraicirct et apparaicirct dans le deacuteploiement de sa lumiegravere

Mais pourquoi en ce qui concerne le rapport de la penseacutee agrave lecirctre Parmeacutenide ajoute-t-ilspeacutecialeshyment une telle justification Parce que le mot JoeLv qui diffegravere ddv(xL parce que le mot laquo penshy

derraquo au sens d laquo octroyer raquo Sur le rapport eacutetroit entre laquo durerraquo et laquo accorder raquo cf p 42 n 1

1 Le oei le connaicirctre la penseacutee laquo Assureraquo (gewiihrl) au sens de laquo garantit raquo Cf p 235

2 Das entbergende Gewiihren

MOIRA 303

seacuteeraquo donne forceacutement limpression que ce quil deacutesigne est tout de mecircme un amp0 une chose autre en face de lecirctre et par conseacutequent hors de lui Mais ce nest pas seulement le mot comme forme verbale cest son contenu son sens qui paraicirct se tenir laquo agrave cocircteacuteraquo et laquo horsraquo de leacute6v Et cette apparence nest pas non plus simple apparence Car AgraveEacuteyELv et Jodv laissent les choses preacutesentes eacutetendues-devant dans la lumiegravere de la preacutesence Eux-mecircmes sont ainsi eacutetendus en face de la preacutesence quoique jamais en face delle comme deux objets existant pour soi Lassemblage de AgraveEacuteyELV et de voeLv laisse (dapregraves le fragment VI) lkov eacuteflflev(xL il libegravere la preacutesence la laissant acceacuteder agrave son apparaicirctre pour la pershyception et se tient alors dune certaine maniegravere hors de l Egrave6v Dun point de vue la penseacutee est hors du Pli vers lequel lui reacutepondant et demandeacutee par lui elle demeure en chemin Dun autre point de vue ce laquo en chemin vers raquo demeure agrave linteacuterieur du Pli lequel nest jamais une simple distinction quelque part existante et repreacutesenteacutee de lecirctre et de leacutetant mais a son ecirctre agrave partir du deacutepliement qui deacutevoile Celui-ci comme AAgrave~eELct accorde agrave toute preacutesence la lumiegravere dans laquelle les choses preacutesentes peuvent apparaicirctre

Si toutefois le deacutevoilement accorde leacuteclairement de la preacutesence cest en mettant en œuvre agrave la foisshyau cas ougrave des choses preacutesentes doivent apparaicirctreshyun laquolaisser-eacutetendu-devantraquo et un percevoir 1 et les mettant ainsi en œuvre en retenant la penseacutee dans son appartenance au Pli Cest pourquoi hors du Pli il ny a daucune maniegravere quoi que ce soit de preacutesent nimporte ougrave et nimporte comment

Tout ce que nous avons deacutebattu jusquagrave preacutesent demeurerait une invention arbitraire une interpreacuteshytation substitueacutee apregraves coup si Parmeacutenide navait

1 Un AgraveeacuteyElV un dire et un VOErV un connaicirctre

304 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

dit lui-mecircme pourquoi la preacutesence ne peut jamais segrave tenir agrave cocircteacute de lt6v hors de lui

VI

Ce que le penseur nous dit encore de l t6v se trouve en langage grammatical dans une proposhysition subordonneacutee Quiconque est exerceacute si peu que ce soit agrave eacutecouter les grands penseurs sera sans doute parfois deacuteconcerteacute par ce fait eacutetrange que cc quil faut proprement penser ils le disent dans une proposition subordonneacutee ajouteacutee sans bruit et quils sen tiennent lagrave Le jeu de la lumiegravere qui appelle deacuteploie et aide agrave la croissance ne devient pas luishymecircme visible Il brille aussi peu apparent que la lumiegravere du matin sur la somptuositeacute tranquille des lis dans le champ et des roses dans le jardin

La proposition subordonneacutee de Parmeacutenide qui agrave vrai dire est la thegravese de toutes ses thegraveses est la suishyvante (VIII 37 et sq)

eacute7td ro ye MOLp Egrave1teacuteocirc1jOev ougraveAgraveov chdv1jr6v r Eacute(L(Levcxt

bullpuisque la Moira lui a imposeacute (agrave leacutetant) decirctre un [Tout et immobile (W KRANZ)

Parmeacutenide parle de l t6v de la preacutesence (des choses preacutesentes) du Pli mais nullement de l laquo eacutetant raquo Il nomme la Mopcx lattribution qui accordant reacutepartit et qui ainsi ouvre le Pli Lattrishybution dispense le P1i elle en munit en fait don Elle eRt la Dispensation (Schickung) en elle-mecircme recueillie ct ainsi deacutepliante qui envoie la preacutesence 1

comme preacutesence de choses preacutesentes Mopcx est

1 Die Schickung des AnLtcscns Cf pins haut p 272 n 1

MOIRA 305

la Dispensation 1 de l laquoecirctreraquo au sens de lMv Cest celui-ci justement rO ye quene a libeacutereacute lui ouvrant laccegraves du Pli et par lagrave mecircme lieacute agrave la totaliteacute et au repos agrave partir desquels et dans lesquels la preacutesence des choses preacutesentes se manifeste

Dans la Dispensation du Pli toutefois cest seushylement la preacutesence qui parvient agrave paraicirctre et les choses preacutesentes agrave apparaicirctre La Dispensation maintient en retrait le Pli comme tel et plus encore son deacutepliement Lecirctre de l A-yj 8ELCX demeure voileacute La visibiliteacute quelle accorde fait eacutemerger la preacutesence des choses preacutesentes comme laquo aspectraquo (dooccedil) et comme laquo vue raquo (~oEacute~) En conseacutequence le rapport qui appreacutehende la preacutesence des choses preacutesentes se deacutetermine comme voir (dOEacuteV~L) Lagrave mecircme ougrave la veacuteriteacute sest transformeacutee devenant la certitude de la conscience de soi le savoir marqueacute par la visio et son eacutevidence ne peuvent nier leur origine essentielle tireacutee du deacutevoilement qui eacuteclaire Le lumen naturale la lumiegravere naturelle ici lillumination de la raison preacutesuppose deacutejagrave le deacutevoilement du Pli Cette remarque vaut aussi pour les theacuteories augustinienne et meacutedieacutevale de la lumiegravere lesquelles pour ne rien dire de leur origine platonicienne ne peuvent se deacuteployer que dans le domaine de l 1AAgrave~eeL~ deacutejagrave dominante dans la Dispensation du Pli

Si nous voulons pouvoir parler de lhistoire de lecirctre nous devons dabord avoir consideacutereacute qu laquoecirctreraquo veut dire preacutesence des choses preacuteshysentes Pli Cest seulement agrave partir de lecirctre ainsi consideacutereacute que nous pouvons middot alors demander avec la prudence neacutecessaire ce qulaquo histoireraquo ( Cesshychichte) veut dire ici Lhistoire est la Dispensation du Pli (das Ceschick der Zwiefalt) Elle est lecirctreshydurer en mode rassembleacute qui deacutevoilant et deacutepliant

1 Sur la DispensatioD (ou lEnvoi) de lecirctre (Gcschil des S(in ~) voir notamment Der SaI vom Grund pp 108-110 119-LIJ 129-lJU et ISO

306 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

octroie 1 la preacutesence eacuteclaireacutee ougrave les choses preacutesentes apparaissent Lhistoire de lecirctre nest jamais une suite deacuteveacutenements que lecirctre parcourrait pour lui-mecircme Encore moins est-elle un objet qui ouvrishyrait agrave l laquohistoireraquo (-science) de nouvelles possishybiliteacutes de vues-repreacutesentations qui les ouvrirait agrave une laquo histoireraquo disposeacutee agrave se substituer preacutetendant savoir mieux agrave la faccedilon jusquici habituelle de consideacuterer lhistoire de la meacutetaphysique

Ce que dans linapparence dune proposition subordonneacutee Parmeacutenide dit de la Moip(X dans les liens de laquelle lMV est libeacutereacute comme Pli ouvre au penseur lampleur de vue accordeacutee agrave son chemin par le destin Car cest dans cette ampleur quappashyraicirct ce en quoi la preacutesence (des choses preacutesentes) se montre elle-mecircme t~ crf)[l(Xt(X toG EumlOltOc Ceux-ci sont agrave vrai dire multiples (7toAgraveAgrave~) Les a1)1-(Xt(X ne sont pas les signes dune autre chose Ils sont le paraicirctre multiple de la preacutesence elle-mecircme eacutemergeant du Pli deacuteplieacute shy

VII

Mais ce que la MOL(X dispense et reacutepartit nest pas encore complegravetement exposeacute Il en reacutesulte quun trait essentiel du mode de sa puissance demeure impenseacute Quarrive-t-il du fait que la Dispensation libegravere la preacutesence des choses preacutesentes la conduisant dans le Pli et ainsi la fixe dans sa totauumlteacute et son repos

Pour mesurer la porteacutee de ce que Parmeacutenide dit agrave ce sujet aussitocirct apregraves la proposition subordonneacutee (VIII 39 et sq) il est neacutecessaire de rappeler ce qui a eacuteteacute exposeacute preacuteceacutedemment (sous III) Le deacuteplieshyment du Pli domine comme cp~(nc comme laquo dire raquo) en tant que laquo faire-apparaicirctre raquo Le Pli abrite en

1 Das entbergend entfaltende Gewiihren Cf p 42 n 1

MOIRA 307

lui le vo~iV et cc quil pense (VOY](L(x) comme chose dite Mais ce qui est perccedilu dans la penseacutee cest la preacutesence des cho~es preacutesentes Le dire qui pense et qui correspond au Pli est le AgraveEacuteyEtV en tant quil laisse la preacutesence eacutetendue-devant Ce qui ne se produit tout agrave fait que sur la voie de penseacutee ougrave sengage le penseur appeleacute par l )AAgraveYj 6sta

Mais que devient la cpcXcnccedil (parole disantc) qui domine dans la Dispensation deacutevoilante quand ce qui est deacuteployeacute dans le Pli la Dispfnsation labanshydonne au percevoir banal des mortels Ceux-ci aeeueiJJent (~Eacutexccr0a~ S6ccedilct) ce qui soffre agrave eux immeacutediatement tout de suite et tout dabord Ils ne commencent pas par se preacuteparer pour une voie de penseacutee Ils nentendent jamais proprement lapshypel du deacutevoilement du Pli Ils sen tiennent agrave ce qui se deacuteploie en lui plus preacuteciseacutement agrave ce qui les requiert immeacutediatement aux choses preacutesentes sans eacutegard agrave la preacutesence Ils gaspillent leur activiteacute et leurs loisirs pour ce quils ont lhabitude de pershycevoir t~ ~OXOUumlvtlX (fragment l 31) Ils le prennent pour le non-cacheacute cXAgraveY]0Yj (VIII 39) puisque nestshyce pas il leur apparaicirct et quainsi il nest plus cacheacute Seulement que devient leur dire sil ne peut ecirctre le AgraveEacuteyE~V le laquo laisser-eacutetendu-devant raquo Quand les mortels ne donnent aucune attention agrave la preacuteshysence cest-agrave-dire ne la pensent pas leur dire habishytuel devient un simple dire de noms et ce qui passe au premier plan dans ces noms cest le son eacutemis et la forme immeacutediatement saisissable de la parole au sens de mots prononceacutes et eacutecrits

Le deacutemembrement du dire (du laquo laisser-eacutetendu-deshyvant raquo) en mots signifiants fait eacuteclater le laquo prendreshydans-son-attention 1 raquoqui rassemble Celui-ci devient un X(xT(XmiddotdOecr6ct~ (VIII 39) une fixation qui fixe ceci ou cela pour lopinion qui est presseacutee Tout ce

1 Le lOf)

308 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

qui est ainsi fixeacute demeure gvoflCX Parmeacutenide ne dit aucunement que ce qui est habituellement perccedilu devient laquo pur et simpleraquo nom Mais ce qui est ainsi perccedilu demeure abandonneacute agrave un dire tout entier dirigeacute par les mots courants lesquels vite prononshyceacutes disent tout sur tout et vagabondent dans l laquoaussi bien que 1bullbull raquo

La perception des choses preacutesentes (des Egrave6ncx) nomme elle aussi ldvoc~ et connaicirct la preacutesence mais eacutegalement la non-preacutesence et dune faccedilon aussi hacirctive non pas certes comme le fait la penseacutee qui agrave sa maniegravere respecte la middot reacuteserve 2 du Pli (le (l~ i6v)Lopinion courante ne connaicirct qudvcx~ tamp

Xcxt OUgraveXL (VIII 40) la preacutesence aussi bien que la non-preacutesence Le poids de ce qui est ainsi laquobien connuraquo se trouve dans teuro-XOCL (VIII 40 et sq) laquo aussi bien que raquo Et lagrave ougrave la perception habishytuelle celle qui parle agrave partir des mots rencontre leacutemergence et la disparition 3 elle se satisfait de l laquo aussi bien que raquo aussi bien la geacuteneacuteration (y(yve()Ox~) que la middot mort (OAgraveAgrave)()OCXL) (VIII 40) Elle ne perccediloit jamais le lieu t6rcoc comme lenshydroit ougrave le Pli offre une demeure (Heimat) agrave la preacutesence des choses preacutesentes Dans l laquo aussi bienbull que raquo lopinion des mortels ne recherche que les changements (ampAgraveAgrave~()()e~v) de places La perception habituelle sans doute se meut dans la partie eacuteclaireacutee des choses preacutesentes elle voit ce qui brille (cpocv6v VIII 41) dans la couleur mais elle se deacutemegravene dans les changements (ampJd~eLV) de coushyleur et ne precircte aucune attention agrave la lumiegravere tranquille de cette clarteacute qui vient du deacutepliement du Pli et qui est la ltlgt~()~C le faire-apparaitre la

1 Dans le rEacute-xal dont il va ecirctre question 2 Au sujet de la laquo retenueraquo (Vorenthalt) de lecirctre cf p 174 Le

non-ecirctre (I-- ~ lv) est lecirctre en tant quil se reacuteserve ne se donne pas reste dans lombre Cf plus loin p 309 fin

3 Das Aufgehen und Untergehen le lever et le coucher comme on le dit des astres

MOIRA 309

faccedilon dont la parole est disante non la faccedilon dont parlent les mots les noms quentend loreille

Teacutegt 7tampv-r ovo~l()tcx~ (VIII 38) par cela tout (les choses preacutesentes) sera preacutesent dans ce deacutevoileshyment preacutetendu quapporte avec elle la domination des mots Par quoi cela se produit-il Par la MoLpcx par la dispensation 1 du deacutevoilement du Pli Comshyment faut-il lentendre Dans le deacutepliement du Pli en mecircme temps que la preacutesence paraicirct les choses preacutesentes apparaissent Les choses preacutesentes elles aussi sont choses dites mais dites dans les mots qui nomment dans le parler desquels se meut le dire ordinaire des mortels La dispensation du deacutevoileshyment du Pli (de ll6v) abandonne les choses preacutesentes (-reX egrave6vtcx) au percevoir quotidien des mortels

Comment se produit cet abandon des choses par la dispensation Par cela seulement que le Pli comme tel et avecIui son deacutepliement demeurent en retrait Est-ce qualors ce qui domine dans le deacutevoishylement cest quil se deacuterobe Penseacutee hardie mais Heacuteraclite la penseacutee Parmeacutenide la sentie sans la penser pour autant quentendant lappel de l AAgrave~-6eLCX il pense la MoLpcx de leacute6v la dispensation du Pli aussi bien dans son rapport agrave la preacutesence que dans son rapport aux choses preacutesentes

Parmeacutenide ne serait pas un penseur vivant agrave laube des deacutebuts de cette penseacutee qui se plie agrave la dispensation du Pli si sa penseacutee ne peacuteneacutetrait dans lampleur de leacutenigme qui se tait dans le mot-eacutenigme ro Qj-r6 le mecircme Lagrave sabrite ce qui meacuterite decirctre penseacute ce qui nous donne agrave penser se donne soishymecircme agrave penser comme eacutetant le rapport de la penseacutee agrave recirctre la veacuteriteacute de lecirctre au sens du deacutevoilement du Pli la reacuteserve observeacutee par le Pli (le tL~ Egrave6v) alors que preacutedominent les choses preacutesentes (-ramp Egrave6VTQ reX 8oxouumlv-rcx)

1 G6lChick envoi attribution et destin

310 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Le dialogue avec Parmeacutenide ne prend pas fin non seulement parce que dans les fragments conserveacutes de son Poegraveme didactique maintes choses demeurent obscures mais aussi parce que ce quil dit meacuterite toujours decirctre penseacute VIais que le dialogue soit sans fin nest pas un deacutefaut Cest le signe de lillishymiteacute qui en soi et pour la penseacutee qui se souvient preacuteserve la possibiliteacute dun revirement du destin

Qui toutefois nattend de la penseacutee quune assushyrance ct suppute le jour ougrave on pourra la laisser lagrave inutiliseacutee celui-lagrave exige lcsuicide de la penseacutee Exigence qui apparaicirct dans une eacutetrange lumiegravere quand nous songeons agrave ceci que lecirctre des mortels est inviteacute agrave faire attentiol agrave cette parole qui leur dit dentrer dans la mort Comme possibiliteacute extrecircmegrave de lexistence mortelle la mort nest pas la fin du possible mais elle est lAbri suprecircme 1 (la mise agrave labri qui rassemble) ougrave reacuteside le secret du deacutevoileshyment qui nous appelle

1 Das hiichste Gcbirg Cf p 6 n 2 et p 2]3

j

292 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

laquo le mecircmeraquo exclut quil puisse ecirctre question dune appartenance laquelle ne peut exister quentre deux choses diffeacuterentes Ensuite parce que le mot laquo le mecircmeraquo nous laisse ignorer complegravetement egrave quel point de vue et pour quelle raison le diffeacuterent sacshycorde dans le mecircme Aussi tagrave cxlh6 le mecircme demeure-t-il le mot-eacutenigme dans les deux fragshyments sinon mecircme pour toute la penseacutee de Parshymeacutenide

Si nous croyons que le mot tagrave CXt)to le mecircme veut dire lidentique et si qui mieux est nous tenons lidentiteacute pour la condition claire comme le jour de la pensabiliteacute de tout le pensable alors agrave vrai dire cette opinion nous fait perdre de plus en plus la faculteacute dentendre le mot-eacutenigme agrave supposer que nous ayons deacutejagrave perccedilu son appel Il suffit en attendant que nous ayons toujours le mot dans loreille comme un terme meacuteritant decirctre penseacute Ainsi demeurons-nous de ceux qui entendent et precircts agrave laisser le mot reposer en lui-mecircme comme mot-eacutenigme afin que tout dabord nous tendions loreille de tous cocircteacutes ouverte agrave un dire qui puisse nous aider agrave consideacuterer la pleine mesure deacutenigme contenue dans le mot

Parmeacutenide nous offre une aide Il dit plus claishyrement dans le fragment VIII comment il faut penser l laquo ecirctreraquo auquel appartient le VOeuro~v Au lieu dampvcxL Parmeacutenide dit maintenant l6v leacutetant qui par son double sens deacutesigne le Pli Mais le VOELV de son cocircteacute sappelle maintenant v61JL~ ce qui est pris dans lattention dun percevoir ayant eacutegard agrave ce quil perccediloit 1

Legrave6v est nommeacute speacutecialement comme ce oucircvexev

1 Das in die Acht genommene eines achtenden Vernehmens - Le percevoir (le VOElY) a eacutegard agrave ce quil perccediloit et a des eacutegards pour lui Il respecte sa liberteacute le laisse ecirctre le laisse laquo eacutetendu-devant raquo Sur cette interpreacutetation de VOEty cf Was heisst Dcnken Pl 121shy125

MOIRA 293

~C1t1 VO1)LIX ce pour quoi la penseacutee (Gedanc) est preacutesente (Sur le penser et la penseacutee cf le cours ifas heisst denken 1 Niemeyer eacutedit Tuumlbingen 1954 pp 91 et suiv)

La penseacutee est preacutesente en raison du Pli qui nest amais dit Lapproche de la penseacutee est en route vers le Pli de lecirctre et de leacutetant laquo Prendre dans s(Jn attentionraquo cest sapprocher du Pli 3 cest (dapregraves le fragment VI) ecirctre deacutejagrave rassembleacute et tendre vers le Pli par leffet du AgraveEacuteyew preacutealable du laisser-eacutetendu-devant Par quel moyen et comshyment De cette faccedilon que le Pli agrave cause duquel les mortels trouvent le chemin de la penseacutee reacuteclame lui-mecircme une telle penseacutee pour lui

Nous sommes encore tregraves loin de connaicirctre par une expeacuterience conforme agrave son ecirctre le Pli lui-mecircme ce qui veut dire aussi le Pli en tant quil reacuteclame la penseacutee Le dire de Parmeacutenide neacuteclaire quun point si la penseacutee est preacutesente ce nest ni en raison des egrave6vt(X de l laquo eacutetant en soi raquo ni par soumission agrave la volonteacute de ldvllL au sens de l laquo ecirctre pour soiraquo En dautres termes ni l laquo eacutetant en soiraquo ne rend

1 laquo Que veut dire penser raquo Il sagit ici du livre citeacute agrave la note preacuteshyceacutedente et non de la confeacuterence reproduite plus haut cf p 151 n 1 - laquo Le penser et la penseacuteeraquo Denken und Gedanc - Dapregraves le livre citeacute pp 92 et 157 le Gedanc (forme meacutedieacutevale de Gedanke) qui traduit ici v07jJ-a est le laquo cœur raquo le laquo fond du cœur raquo ce qui en lhomme est le plus inteacuterieur et qui en mecircme temps seacutetend le plus loin agrave lexteacuterieur aussi loin quon puisse aller Il est la penseacutee-soushyvenir (Gedenken) recueillie et toute-rassemblante En lui reposent la meacutemoire (Gediichtnis) entendue comme le recueillement constant de lesprit (Gemuumlt) sur ce qui se dit agrave nous dessentiel et le remershyciement (Dank) cest-agrave-dire la penseacutee tourneacutee vers ce quil faut penser vers ce qui nous donne le plus agrave penser - Sur tous les termes en ge- voir N du Tr 2

2 La preacutesence (Anwesen) de la pensee est lapproche (An-wesen) par laquelle eUe se reacutefegravere au Pli et tend vers lui

3 ln-die-Acht-Nehmen west die Zwiefalt an laquoPrendre dans son attentionraquo est le fait du voetv du laquo percevoirraquo (Vernehmen) Cf p 292 n 1 Sur la traduction de VOftV parlaquo percevoirraquo (vershynehmen) laquoprendre dans son attentionraquo (in die Acht nehrnm) et laquo flairer eacuteventerraquo (wittern) cf Was heisst Denken pp 124-125 et 172-173

294 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

neacutecessaire une penseacutee ni l laquo ecirctre pour soiraquo ne contraint la penseacutee Tous deux chacun pris pour soi ne font jamais savoir comment l laquoecirctreraquo reacuteclame la penseacutee Mais celle-ci deacuteploie son ecirctre agrave cause du Pli de lun et de lautre agrave cause de li6v Cest en allant vers le Pli que le laquo prendre-dans-sonshyattention 1raquo sapproche de lecirctre Cest dans une telle approche 2 que la penseacutee appartient agrave lecirctre Que dit Parmeacutenide de cett~ appartenance

III

Parmeacutenide dit que le voe est 1CerplXtLOfLEacutevOV iv t~ egrave6vtt On traduit par la penseacutee qui comme chose eacutenonceacutee est dans leacutetant

Mais comment pourrions - nous percevoir et comprendre ce que cest que decirctre ainsi laquo eacutenonceacuteraquo (ausgesprochen) aussi longtemps que nous ne nous soucions pas de savoir ce que veulent dire ici laquo chose diteraquo laquo parler raquo laquo langage raquo aussi longshytemps que nous nous empressons de prendre li6v pour leacutetant et que nous lagraveissons indeacutetermineacute le sens du mot laquo ecirctreraquo Comment pourrions-nous connaicirctre le rapport du voeLv au 1CeCPIXtLCJfLEacutevov aussi longtemps que nous ne deacuteterminons pas le voev suffisamment en tenant compte dumiddot fragshyment VI (Cf le cours citeacute pp 124 et sq) Le voeLv dont nous voudrions consideacuterer lappartenance agrave liov est fondeacute dans le AgraveEacuteyeLV et deacuteploie son ecirctre agrave partir de lui Lagrave dans le AgraveEacuteyeLV a lieu celaquo laissershyeacutetendu-devantraquo qui laisse la chose preacutesente eacutetenshydue dans sa preacutesence Cest seulement en tant quelle est ainsi eacutetendue-devant que la chose preacuteshysente peut comme telle inteacuteresser le voeLvce qui laquoprend dans son attentionraquo Aussi le v61lfLlX en tant que VOOUfLevov du vociv est-il toujours deacutejagrave

1 Le 10Er Voir la note preacuteceacutedente ~ Anmiddotweaen Voir cimiddotdeul8 p 293 n 2

MOIRA 295

un AgraveeyoflevOV du AgraveEacuteyetv Mais lecirctre du dire tel que les Grecs lont perccedilu repose dans le AgraveEacuteyeLV Cest pourquoi le voeicircv est une chose dite et cela dans son ecirctre et jamais seulement apregraves coup ou par accident Sans doute toute chose dite nest pas aussi forceacutement une chose prononceacutee (ein Gesshyprochenes) Il est possible et parfois mecircme neacutecesshysaire quelle demeure une chose tue Tout ce qui est prononceacute et tout ce qui est tu est deacutejagrave chose dite Mais non linverse

En quoi consiste la diffeacuterence de la chose dite et de la chose prononceacutee Pourquoi Parmeacutenide caracshyteacuterise-t-il le VOOUf1EVOV et le voe~v (VIII 34 et sq) comme 1CEcplXt~crfLEacutevo On traduit ce mot par laquo parleacute raquo ce qui est exact au point de vue lexicoshygraphique Mais en quel sens perccediloit-on un parler tel que le deacutesignent cpampcrXeLV et cpcfVIXL laquo Parlerraquo nest-il ici que la manifestation sonore (cpltugravev~) de ce quun mot ou une phrase signifient (OYjf1(XLVELV) Est-ce quici lon comprend laquo parlerraquo comme lexshypression dune chose inteacuterieure dune chose de lacircme donc comme reacuteparti entre ses deux composhysants le phoneacutetique et le seacutemantique Nulle trace de tout cela dans lexpeacuterience qui perccediloit le parler comme cpcfv XL le langage comme 9cfCJ~ccedil Dans Ccedil)ampcrXeLV se rencontrent les sens appeler nommer avec des louanges sappeler mais tout cela parce que lecirctre mecircme du mot est laquo faire apparaicirctreraquo Clgtampcrpcx est lapparition des eacutetoiles de la lune le fait quils se montrent ou quils se cachent ltlgtXcreLCcedil deacutesigne les phases Les phases de la lune sont les modes changeaqts de son paraicirctre ltlgtcfOlC est la parole disante (Sage) laquodireraquo (sagen) signifie faire apparaicirctre ltgt~f1( je dis est identique en son ecirctre quoique non eacutequivalent agrave Agraveeuroyltugrave amener la chose preacutesente devant nous dans sa preacutesence lameshynet agrave apparaicirctre et agrave rester eacutetendue

Ce qui inteacuteresse Parmeacutenide cest dexaminer ougrave

296 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

le VOeacuteLV a oa place Car cest sculemcnt lagrave ougrave il a originairement sa place que nous pouvons le troushyver juger de notre deacutecouverte voir comment la penseacutee fait corps avec lecirctre Quand Parmeacutenide perccediloit le VOELV comme 7tecp(Xt~cr1-Eacutevov cela ne veut pas dire que le VOcLV soit une chose eacutenonceacutee et quil doive ainsi ecirctre chercheacute dans les paroles prononceacutees ou dans les signes de leacutecriture comme un eacutetant perceptible agrave lun ou lautre de nos sens Le croire serait seacutegarer et seacuteloigner au maximum de la penseacutee grecque et mecircme si lon voulait se repreacuteshysenter le parler et ce quil eacutenonce comme des faits de conscience et eacutetablir la penseacutee comme acte de conscience dans le domaine de pareils faits Le vociv lelaquo prendre-dans-son-attention raquo et ce quil a perccedilu 1 sont une chose dite ameneacutee agrave paraicirctre Mais ougrave Parmeacutenide dit egravev tw egraveOVtl dans legraveov dans le Pli de la preacutesence et d~ la chose preacutesente Ceci donne agrave penser et nous libegravere deacutefinitivement du preacutejugeacute hacirctif dapregraves lequel la penseacutee serait exprimeacutee dans la parole prononceacutee Nulle part il nen est question

Dans quelle mesure le VOELV peut-il la penseacutee doit-elle apparaicirctre dans le Pli Dans la mesure ougrave le deacutepliement qui conduit dans le Pli de la preacutesence et de la chose preacutesente eacute-voque le laquo laisser-eacutetendu devant raquo le Agraveeuroye~v et dans l laquo ecirctre-eacutetendushydcvant raquo ainsi libeacutereacute de la chose eacutetendue donne au voeicircv quelque chose quil peut prendre dans son attention pour ly preacuteserver Seulement Parmeacutenide ne pense pas encore le Pli comme tel encore moins pense-t-il le deacutepliement du Pli Mais Parmeacutenide dit (VIII 35 et sq) ougrave yagravep ampveu tou EacuteoVtocbull eup~cre~ccedil to voucircv car seacutepareacute du Pli tu ne peux trouver la penseacutee Pourquoi pas Parce quinviteacutee par legraveov elle a sa place avec lui dans le rassemshy

1 laquo Il a perccediluraquo on retrouve le passeacute-preacutesent deacutejagrave observeacute Cf pp 260 262 263 et les notes

MOIRA 297

hlement parce que cest la penseacutee elle-mecircme reposhysant dans le AgraveEacuteyelV qui accomplit le rassemblement agrave lappel de lEacute6v et qui reacutepond de cette maniegravere agrave son appartenance agrave legraveov comme agrave une apparteshynance mise en œuvre (gebrauchten) agrave partir de celui-ci Car le voeicircv ne perccediloit pas nimporte quoi mais seulement cette chose unique nommeacutee dans le fragment VI Eacuteov Euml1-1-eV(XL leacutetant-preacutesent (das Anwesend) dans sa preacutesence

Autant de choses non penseacutees et meacuteritant de lecirctre sannoncent dans lexposeacute de Parmeacutenide autant se projette de clarteacute sur ce qui est avant tout neacutecessaire si lon veut meacutediter comme il convient cette appartenance de la penseacutee agrave lecirctre dont Parmeacutenide nous parle Nous devons apprendre agrave penser lecirctre du langage agrave partir du dire et agrave penshyser ce dernier comme laisser-eacutetcndu-devant (Agraveoyoccedil) et comme faire-apparaicirctre (cpcicrLCcedil) Il est dabord difficile de mener agrave bien une pareille tacircche parce que ce premier eacuteclairement de lecirctre du langage comme parole disante (Sage) sassombrit et disshyparaicirct bientocirct et quil laisse le champ libre agrave une caracteacuterisation du langage qui le repreacutesente deacutesorshymais agrave partir de la cpwJ~ de leacutemission sonore comme un systegravemc de deacutesignation et de significashytion et finalement de transmission de nouvelles et dinformation

IV

Maintenant encore alors que lappartenance de la penseacutee agrave lecirctre sest placeacutee mieux en lumiegravere nous pouvons agrave peine en~cndre dune faccedilon plus instante la pleine mesure deacutenigme contenue dans le motshyeacutenigme de la sentcnce to (xugraveto le mecircme Mais quand nous voyons que le Pli de llov la preacutesence des choses preacutesentes rassemble agrave soi la penseacutee alors ce rocircle directeul du Pli nous laisse peut-ecirctre

298 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

entrevoir la pleine mesure deacutenigme de ce que cache le vide seacutemantique habituel du mot laquo le mecircme raquo

Est-ce agrave partir du deacutepliement du Pli que le Pli ugravee son cocircteacute appelle la penseacutee sur la voie de l laquo agraveshycause-de-lui 1raquo et par-lagrave requiert lappartenance mutuelle de la preacutesence (des choses preacutesentes) et de la penseacutee Mais quest-ce que le deacutepliement du Pli Comment se produit-il Trouvons-nous dans la parole de Parmeacutenide un point dappui nous aidant agrave rechercher en questionnant dune maniegravere approshyprieacutee ce quest le deacutepliement du Pli nous aidant agrave entendre ce qui fait son ecirctre (ihr Wesendes) et agrave lentendre dans ce que tait le mot-eacutenigme de la sentence Nous nen trouvons aucun immeacutediateshyment

Il est surprenant toutefois que dans les deux vershysions de la sentence sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre le mot-eacutenigme figure au commencement Le fragment III dit laquo Le mecircme en effet est le laquo prendreshydans-son-attentionraquo et aussi l laquo ecirctre-preacutesentraquo (des choses preacutesentes)raquo Le fragment VIII 34 dit laquoLe mecircme est laquo prendre-dans-son-attentionraquo et (ce) en chemin vers quoi est le percevoir attentif raquo Que signifie dans le dire de la sentence cette place de deacutebut accordeacutee au mot dans la construction de la phrase Sur quoi par cette intonation Parmeacuteshynide voulait-il mettre laccent Probablement sur le ton fondamental En lui reacutesonne par anticipation ce que la sentence agrave proprement paTler doit dire Ce quon dit ainsi sappelle en grammaire le prc~dicat de la phrase Mais le sujet de la phrase est le voe~v (penseacutee) dans son rapport agrave ldVltXL (ecirctre) Le texte grec nous oblige agrave interpreacuteter ainsi la construction de la sentence La position de tecircte du mot-eacutenigme nous invite agrave arrecircter notre attention sur ce mot et agrave y revenir sans cesse Mecircme ainsi toutefois le mot

1 Au den Weg des laquo Ihrctwcgel - Le Pli invite la penseacutee agrave paraicirctre et elle paraicirct en lui (~I 0) et agrave cause de lui (OJVEXE~)

MOIRA 299

ne nous dit rien de ce que nous vouugraverions savoir Il nous faut donc essayer sans jamais perdre de

vue la position de 10 ltXugraveto le mecircme au deacutebut de la phrase de nous avancer librement et avec hardiesse dans la penseacutee du deacutepliement en partant du Pli de legraveov (de la preacutesence des choses preacutesentes) Nous y sommes aideacutes par la consideacuteration suivante cest dans le Pli de legraveov que la penseacutee est pro-duite en son paraicirctre cest en lui quelle est une chose dite 7tScpltXtLOJEacuteVOV

Dans le Pli domine ainsi la qJcXOLC le dire en tant que ce laquo faire-apparaicirctreraquo qui appelle et reacuteclame Quest-ce que le dire fait apparaicirctre La preacutesence des choses preacutesentes Le dire qui regravegne dans le Pli et qui le manifeste est le rassemblemcnt de la preacutesence dans le paraicirctre de laquelle les choses preacuteshysentes peuvent apparaicirctre Cette ltlgtciOLC que Parshymeacutenide pense Heacuteraclite lappelle le Aoyoc le laquo laisshyser-eacutetendu-devantraquo qui rassemble

Quest-ce qui a lieu dans la ltlgtciOtC et dans le Aoyoc Est-ce que ce dire qui regravegne en eux qui rassemble et qui appelle serait cet apport qui tout dabord pro-duit (erbringt) un paraicirctre lequel accorde une eacuteclaircie et dans la dureacutee duquel la preacutesence dabord seacuteclaire 1 afin que dans sa lumiegravere des choses preacutesentes apparaissent et quainsi regravegne le Pli de lune et des autres Le deacutepliement du Pli reacutesiderait-il en ceci quun paraicirctre illuminant se montre Le trait fondamental de ce paraicirctre les Grecs middot lont vu comme deacutevoilement Dans le deacutepliement du Pli regravegne ainsi le deacutevoileshyment Les Grecs le nomment AAgrave~eeuroLltX

La penseacutee de Parmeacutenide serait donc parvenue tout de mecircme agrave sa maniegravere jusquau deacutepliement

1 Das Lichtung gewiihrl in welchcm Wiihren erst Anwesen sich lichtet Litteacuteralement laquoqui accorde eacuteclaircie dans lequel durer seulement preacutesence seacuteclaire raquoCf p 42 n 1 et cf pp 235 301 306 et les notes

300 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

du Pli agrave supposer que Parmeacutenide parle de l AAgrave~eeLrt La nomme-t-il Sans doute au deacutebut de son Poegraveme didactique Plus encore l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Cest en leacutecoutant que Parmeacutenide dit ce quil a penseacute Pourtant il ne dit pas en quoi consiste lecirctre de l middotAAgrave~ee(X Il ne pense pas davantage en quel sens du mot diviniteacute l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Pour les deacutebuts de la penseacutee grecque tout cela demeure - dune faccedilon aussi immeacutediate quun eacuteclaircissement du mot-eacutenigme tagrave (Xugravet6 le mecircme shyhors du cercle des choses qui meacuteritent decirctre penshyseacutees

Il est toutefois vraisemblable quentre toutes ces choses impenseacutees existent des relations invisibles Les vers introductifs du Poegraveme didactique l 22 et sq sont autre chose que lhabillement poeacutetique dun travail conceptuel abstrait Cest se rendre trop facile le dialogue avec la voie de penseacutee de Parmeacuteshynide que de regretter dans les paroles du penseur labsence de toute expeacuterience mythique et dobjecter que la deacuteesse AAgrave~eeL(x est parfaitement vague pur fantocircme rationnel si on la compare aux laquo personnes divinesraquo bien caracteacuteriseacutees Hegravera Atheacuteneacute Deacutemegraveter Aphrodite Arteacutemis Qui fait de pareilles reacuteserves parle comme si de longue date on savait avec certishytude ce quest la laquo diviniteacuteraquo des dieux grecs comme sil eacutetait sucircr que parler ici de laquo personnesraquo a bien un sens et que touchant lecirctre de la veacuteriteacute il fucirct bien eacutetabli quau cas ougrave elle apparaicirctrait comme deacuteesse on ne pourrait voir lagrave que la personnifishycation abstraite dun concept Au fond cest agrave peine si le laquomythiqueraquo a eacuteteacute pris en consideacuterashytion et surtout lon na pas consideacutereacute que le (lu6occedil est un dire (Sage) et que dire agrave son tour est appeler et faire briller Aussi vaut-il mieux que nous continuions agrave questionner prudemment et que nous eacutecoutions ce que dit le fragment 1 (22 et sq)

MOIRA 301

X(X( (le 6ecX 7tpO()PCugraveJ lmeocirct~(Xto Xe~p(X ocircegrave XetpE ~e~LteFT) EacuteAgraveeJ llo~ ~~7tOccedil qrXto xex( (le 7tpoa~uocircrt

Et la deacuteesse regardant dans lavenir me reccedilut Javoshy[rablement de sa main

Elle me prit la main droite et me dit ainsi la parole [chantant pour moi

Ce qui soffre ici au penseur comme chose agrave penshyser demeure en mecircme temps voileacute quant agrave son orishygine essentielle Ceci nexclut pas mais implique au contraire que dans ce que dit le penseur domine le deacutevoilement comme ce agrave quoi il est toujours attentif pour autant quil loriente vers la chose agrave penser Or celle-ci est nommeacutee dans le mot-eacutenigme tagrave cxugraveto le mecircme et ainsi nommeacutee qualifie le rapshyport de la penseacutee agrave lecirctre

Cest pourquoi nous devons au moins demander si ce nest pas le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoishylement de la preacutesence des choses preacutesentes qui est tu dans exugravet6 le mecircme En le preacutesumant nous nallons pas au delagrave de ce qua penseacute Parmeacutenide nous retournons au contraire vers ce quil faut penser et penser dune faccedilon plus originelle

Lexamen de la sentence sur le rapport de la penseacutee agrave lecirctre prend alors lapparence ineacutevitable dune chose arbitraire et forceacutee

La construction grammaticale de la phrase tagrave yap rtugravetagrave JoetJ iatLI te XClt elext apparaicirct mainshytenant dans une autre lumiegravere Le mot-eacutenigme tagrave rtugravet6 le mecircme par lequel commence la phrase nest plus le preacutedicat mis en tecircte mais bien le sujet ce qui seacutetend au-dessous ce qui porte et soutient Le mot sans apparence EgraveatLI laquoestraquo veut dire maintenant deacuteploie son ecirctre (west) dure en accorshydant et en puisant pour accorder dans ce qui accorde 1 dans ce comme quoi domine tagrave rtugraveto le

1 West Uuumlhrt und zwar gcwuumlhrend aU3 dcm GcwUumlhrcnden laquoAccorshy

302 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

mecircme agrave savoir comme le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoilement ce qui deacutevoilant deacuteplie le Pli assure le laquoprendre-dans-son-attention 1raquo sur son chemin vers la perception rassemblante de la preacutesence des choses preacutesentes La veacuteriteacute entendue comme pareil deacutevoilement du Pli laisse agrave partir de lui la penseacutee appartenir agrave lecirctre Dans le motshyeacutenigme tagrave (Xugraveto le mecircme se tait loctroi deacutevoilant qui garantit 2 lappartenance mutuelle du Pli et de la penseacutee qui apparaicirct en lui

v

Si donc la penseacutee appartient agrave lecirctre ce nest pas parce quelle aussi est une chose preacutesente et quelle a donc sa place dans lensemble de la preacutesence on entend par lagrave dans lensemble des choses preacutesentes Il semble toutefois que Parmeacutenide aussi se repreacuteshysente de cette faccedilon le rapport de lecirctre agrave la penseacutee Il ajoute en effet agrave lappui de ce quil vient de dire une remarque introduite par (eXp (car) et ainsi conccedilue 7teXpe~ tou kovtoccedil hors de leacutetant il ny a eu il ny a et il ny aura aucun autre eacutetant (dapr~s une conjecture de Bergk ougrave3 ~v) Mais tagrave kov ne veut pas dire laquo leacutetant raquo il deacutesigne le Pli Certes hors de celui-ci il ny a jamais aucune preacutesence de choses preacutesentes car la preacutesence comme telle repose dans le Pli paraicirct et apparaicirct dans le deacuteploiement de sa lumiegravere

Mais pourquoi en ce qui concerne le rapport de la penseacutee agrave lecirctre Parmeacutenide ajoute-t-ilspeacutecialeshyment une telle justification Parce que le mot JoeLv qui diffegravere ddv(xL parce que le mot laquo penshy

derraquo au sens d laquo octroyer raquo Sur le rapport eacutetroit entre laquo durerraquo et laquo accorder raquo cf p 42 n 1

1 Le oei le connaicirctre la penseacutee laquo Assureraquo (gewiihrl) au sens de laquo garantit raquo Cf p 235

2 Das entbergende Gewiihren

MOIRA 303

seacuteeraquo donne forceacutement limpression que ce quil deacutesigne est tout de mecircme un amp0 une chose autre en face de lecirctre et par conseacutequent hors de lui Mais ce nest pas seulement le mot comme forme verbale cest son contenu son sens qui paraicirct se tenir laquo agrave cocircteacuteraquo et laquo horsraquo de leacute6v Et cette apparence nest pas non plus simple apparence Car AgraveEacuteyELv et Jodv laissent les choses preacutesentes eacutetendues-devant dans la lumiegravere de la preacutesence Eux-mecircmes sont ainsi eacutetendus en face de la preacutesence quoique jamais en face delle comme deux objets existant pour soi Lassemblage de AgraveEacuteyELV et de voeLv laisse (dapregraves le fragment VI) lkov eacuteflflev(xL il libegravere la preacutesence la laissant acceacuteder agrave son apparaicirctre pour la pershyception et se tient alors dune certaine maniegravere hors de l Egrave6v Dun point de vue la penseacutee est hors du Pli vers lequel lui reacutepondant et demandeacutee par lui elle demeure en chemin Dun autre point de vue ce laquo en chemin vers raquo demeure agrave linteacuterieur du Pli lequel nest jamais une simple distinction quelque part existante et repreacutesenteacutee de lecirctre et de leacutetant mais a son ecirctre agrave partir du deacutepliement qui deacutevoile Celui-ci comme AAgrave~eELct accorde agrave toute preacutesence la lumiegravere dans laquelle les choses preacutesentes peuvent apparaicirctre

Si toutefois le deacutevoilement accorde leacuteclairement de la preacutesence cest en mettant en œuvre agrave la foisshyau cas ougrave des choses preacutesentes doivent apparaicirctreshyun laquolaisser-eacutetendu-devantraquo et un percevoir 1 et les mettant ainsi en œuvre en retenant la penseacutee dans son appartenance au Pli Cest pourquoi hors du Pli il ny a daucune maniegravere quoi que ce soit de preacutesent nimporte ougrave et nimporte comment

Tout ce que nous avons deacutebattu jusquagrave preacutesent demeurerait une invention arbitraire une interpreacuteshytation substitueacutee apregraves coup si Parmeacutenide navait

1 Un AgraveeacuteyElV un dire et un VOErV un connaicirctre

304 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

dit lui-mecircme pourquoi la preacutesence ne peut jamais segrave tenir agrave cocircteacute de lt6v hors de lui

VI

Ce que le penseur nous dit encore de l t6v se trouve en langage grammatical dans une proposhysition subordonneacutee Quiconque est exerceacute si peu que ce soit agrave eacutecouter les grands penseurs sera sans doute parfois deacuteconcerteacute par ce fait eacutetrange que cc quil faut proprement penser ils le disent dans une proposition subordonneacutee ajouteacutee sans bruit et quils sen tiennent lagrave Le jeu de la lumiegravere qui appelle deacuteploie et aide agrave la croissance ne devient pas luishymecircme visible Il brille aussi peu apparent que la lumiegravere du matin sur la somptuositeacute tranquille des lis dans le champ et des roses dans le jardin

La proposition subordonneacutee de Parmeacutenide qui agrave vrai dire est la thegravese de toutes ses thegraveses est la suishyvante (VIII 37 et sq)

eacute7td ro ye MOLp Egrave1teacuteocirc1jOev ougraveAgraveov chdv1jr6v r Eacute(L(Levcxt

bullpuisque la Moira lui a imposeacute (agrave leacutetant) decirctre un [Tout et immobile (W KRANZ)

Parmeacutenide parle de l t6v de la preacutesence (des choses preacutesentes) du Pli mais nullement de l laquo eacutetant raquo Il nomme la Mopcx lattribution qui accordant reacutepartit et qui ainsi ouvre le Pli Lattrishybution dispense le P1i elle en munit en fait don Elle eRt la Dispensation (Schickung) en elle-mecircme recueillie ct ainsi deacutepliante qui envoie la preacutesence 1

comme preacutesence de choses preacutesentes Mopcx est

1 Die Schickung des AnLtcscns Cf pins haut p 272 n 1

MOIRA 305

la Dispensation 1 de l laquoecirctreraquo au sens de lMv Cest celui-ci justement rO ye quene a libeacutereacute lui ouvrant laccegraves du Pli et par lagrave mecircme lieacute agrave la totaliteacute et au repos agrave partir desquels et dans lesquels la preacutesence des choses preacutesentes se manifeste

Dans la Dispensation du Pli toutefois cest seushylement la preacutesence qui parvient agrave paraicirctre et les choses preacutesentes agrave apparaicirctre La Dispensation maintient en retrait le Pli comme tel et plus encore son deacutepliement Lecirctre de l A-yj 8ELCX demeure voileacute La visibiliteacute quelle accorde fait eacutemerger la preacutesence des choses preacutesentes comme laquo aspectraquo (dooccedil) et comme laquo vue raquo (~oEacute~) En conseacutequence le rapport qui appreacutehende la preacutesence des choses preacutesentes se deacutetermine comme voir (dOEacuteV~L) Lagrave mecircme ougrave la veacuteriteacute sest transformeacutee devenant la certitude de la conscience de soi le savoir marqueacute par la visio et son eacutevidence ne peuvent nier leur origine essentielle tireacutee du deacutevoilement qui eacuteclaire Le lumen naturale la lumiegravere naturelle ici lillumination de la raison preacutesuppose deacutejagrave le deacutevoilement du Pli Cette remarque vaut aussi pour les theacuteories augustinienne et meacutedieacutevale de la lumiegravere lesquelles pour ne rien dire de leur origine platonicienne ne peuvent se deacuteployer que dans le domaine de l 1AAgrave~eeL~ deacutejagrave dominante dans la Dispensation du Pli

Si nous voulons pouvoir parler de lhistoire de lecirctre nous devons dabord avoir consideacutereacute qu laquoecirctreraquo veut dire preacutesence des choses preacuteshysentes Pli Cest seulement agrave partir de lecirctre ainsi consideacutereacute que nous pouvons middot alors demander avec la prudence neacutecessaire ce qulaquo histoireraquo ( Cesshychichte) veut dire ici Lhistoire est la Dispensation du Pli (das Ceschick der Zwiefalt) Elle est lecirctreshydurer en mode rassembleacute qui deacutevoilant et deacutepliant

1 Sur la DispensatioD (ou lEnvoi) de lecirctre (Gcschil des S(in ~) voir notamment Der SaI vom Grund pp 108-110 119-LIJ 129-lJU et ISO

306 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

octroie 1 la preacutesence eacuteclaireacutee ougrave les choses preacutesentes apparaissent Lhistoire de lecirctre nest jamais une suite deacuteveacutenements que lecirctre parcourrait pour lui-mecircme Encore moins est-elle un objet qui ouvrishyrait agrave l laquohistoireraquo (-science) de nouvelles possishybiliteacutes de vues-repreacutesentations qui les ouvrirait agrave une laquo histoireraquo disposeacutee agrave se substituer preacutetendant savoir mieux agrave la faccedilon jusquici habituelle de consideacuterer lhistoire de la meacutetaphysique

Ce que dans linapparence dune proposition subordonneacutee Parmeacutenide dit de la Moip(X dans les liens de laquelle lMV est libeacutereacute comme Pli ouvre au penseur lampleur de vue accordeacutee agrave son chemin par le destin Car cest dans cette ampleur quappashyraicirct ce en quoi la preacutesence (des choses preacutesentes) se montre elle-mecircme t~ crf)[l(Xt(X toG EumlOltOc Ceux-ci sont agrave vrai dire multiples (7toAgraveAgrave~) Les a1)1-(Xt(X ne sont pas les signes dune autre chose Ils sont le paraicirctre multiple de la preacutesence elle-mecircme eacutemergeant du Pli deacuteplieacute shy

VII

Mais ce que la MOL(X dispense et reacutepartit nest pas encore complegravetement exposeacute Il en reacutesulte quun trait essentiel du mode de sa puissance demeure impenseacute Quarrive-t-il du fait que la Dispensation libegravere la preacutesence des choses preacutesentes la conduisant dans le Pli et ainsi la fixe dans sa totauumlteacute et son repos

Pour mesurer la porteacutee de ce que Parmeacutenide dit agrave ce sujet aussitocirct apregraves la proposition subordonneacutee (VIII 39 et sq) il est neacutecessaire de rappeler ce qui a eacuteteacute exposeacute preacuteceacutedemment (sous III) Le deacuteplieshyment du Pli domine comme cp~(nc comme laquo dire raquo) en tant que laquo faire-apparaicirctre raquo Le Pli abrite en

1 Das entbergend entfaltende Gewiihren Cf p 42 n 1

MOIRA 307

lui le vo~iV et cc quil pense (VOY](L(x) comme chose dite Mais ce qui est perccedilu dans la penseacutee cest la preacutesence des cho~es preacutesentes Le dire qui pense et qui correspond au Pli est le AgraveEacuteyEtV en tant quil laisse la preacutesence eacutetendue-devant Ce qui ne se produit tout agrave fait que sur la voie de penseacutee ougrave sengage le penseur appeleacute par l )AAgraveYj 6sta

Mais que devient la cpcXcnccedil (parole disantc) qui domine dans la Dispensation deacutevoilante quand ce qui est deacuteployeacute dans le Pli la Dispfnsation labanshydonne au percevoir banal des mortels Ceux-ci aeeueiJJent (~Eacutexccr0a~ S6ccedilct) ce qui soffre agrave eux immeacutediatement tout de suite et tout dabord Ils ne commencent pas par se preacuteparer pour une voie de penseacutee Ils nentendent jamais proprement lapshypel du deacutevoilement du Pli Ils sen tiennent agrave ce qui se deacuteploie en lui plus preacuteciseacutement agrave ce qui les requiert immeacutediatement aux choses preacutesentes sans eacutegard agrave la preacutesence Ils gaspillent leur activiteacute et leurs loisirs pour ce quils ont lhabitude de pershycevoir t~ ~OXOUumlvtlX (fragment l 31) Ils le prennent pour le non-cacheacute cXAgraveY]0Yj (VIII 39) puisque nestshyce pas il leur apparaicirct et quainsi il nest plus cacheacute Seulement que devient leur dire sil ne peut ecirctre le AgraveEacuteyE~V le laquo laisser-eacutetendu-devant raquo Quand les mortels ne donnent aucune attention agrave la preacuteshysence cest-agrave-dire ne la pensent pas leur dire habishytuel devient un simple dire de noms et ce qui passe au premier plan dans ces noms cest le son eacutemis et la forme immeacutediatement saisissable de la parole au sens de mots prononceacutes et eacutecrits

Le deacutemembrement du dire (du laquo laisser-eacutetendu-deshyvant raquo) en mots signifiants fait eacuteclater le laquo prendreshydans-son-attention 1 raquoqui rassemble Celui-ci devient un X(xT(XmiddotdOecr6ct~ (VIII 39) une fixation qui fixe ceci ou cela pour lopinion qui est presseacutee Tout ce

1 Le lOf)

308 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

qui est ainsi fixeacute demeure gvoflCX Parmeacutenide ne dit aucunement que ce qui est habituellement perccedilu devient laquo pur et simpleraquo nom Mais ce qui est ainsi perccedilu demeure abandonneacute agrave un dire tout entier dirigeacute par les mots courants lesquels vite prononshyceacutes disent tout sur tout et vagabondent dans l laquoaussi bien que 1bullbull raquo

La perception des choses preacutesentes (des Egrave6ncx) nomme elle aussi ldvoc~ et connaicirct la preacutesence mais eacutegalement la non-preacutesence et dune faccedilon aussi hacirctive non pas certes comme le fait la penseacutee qui agrave sa maniegravere respecte la middot reacuteserve 2 du Pli (le (l~ i6v)Lopinion courante ne connaicirct qudvcx~ tamp

Xcxt OUgraveXL (VIII 40) la preacutesence aussi bien que la non-preacutesence Le poids de ce qui est ainsi laquobien connuraquo se trouve dans teuro-XOCL (VIII 40 et sq) laquo aussi bien que raquo Et lagrave ougrave la perception habishytuelle celle qui parle agrave partir des mots rencontre leacutemergence et la disparition 3 elle se satisfait de l laquo aussi bien que raquo aussi bien la geacuteneacuteration (y(yve()Ox~) que la middot mort (OAgraveAgrave)()OCXL) (VIII 40) Elle ne perccediloit jamais le lieu t6rcoc comme lenshydroit ougrave le Pli offre une demeure (Heimat) agrave la preacutesence des choses preacutesentes Dans l laquo aussi bienbull que raquo lopinion des mortels ne recherche que les changements (ampAgraveAgrave~()()e~v) de places La perception habituelle sans doute se meut dans la partie eacuteclaireacutee des choses preacutesentes elle voit ce qui brille (cpocv6v VIII 41) dans la couleur mais elle se deacutemegravene dans les changements (ampJd~eLV) de coushyleur et ne precircte aucune attention agrave la lumiegravere tranquille de cette clarteacute qui vient du deacutepliement du Pli et qui est la ltlgt~()~C le faire-apparaitre la

1 Dans le rEacute-xal dont il va ecirctre question 2 Au sujet de la laquo retenueraquo (Vorenthalt) de lecirctre cf p 174 Le

non-ecirctre (I-- ~ lv) est lecirctre en tant quil se reacuteserve ne se donne pas reste dans lombre Cf plus loin p 309 fin

3 Das Aufgehen und Untergehen le lever et le coucher comme on le dit des astres

MOIRA 309

faccedilon dont la parole est disante non la faccedilon dont parlent les mots les noms quentend loreille

Teacutegt 7tampv-r ovo~l()tcx~ (VIII 38) par cela tout (les choses preacutesentes) sera preacutesent dans ce deacutevoileshyment preacutetendu quapporte avec elle la domination des mots Par quoi cela se produit-il Par la MoLpcx par la dispensation 1 du deacutevoilement du Pli Comshyment faut-il lentendre Dans le deacutepliement du Pli en mecircme temps que la preacutesence paraicirct les choses preacutesentes apparaissent Les choses preacutesentes elles aussi sont choses dites mais dites dans les mots qui nomment dans le parler desquels se meut le dire ordinaire des mortels La dispensation du deacutevoileshyment du Pli (de ll6v) abandonne les choses preacutesentes (-reX egrave6vtcx) au percevoir quotidien des mortels

Comment se produit cet abandon des choses par la dispensation Par cela seulement que le Pli comme tel et avecIui son deacutepliement demeurent en retrait Est-ce qualors ce qui domine dans le deacutevoishylement cest quil se deacuterobe Penseacutee hardie mais Heacuteraclite la penseacutee Parmeacutenide la sentie sans la penser pour autant quentendant lappel de l AAgrave~-6eLCX il pense la MoLpcx de leacute6v la dispensation du Pli aussi bien dans son rapport agrave la preacutesence que dans son rapport aux choses preacutesentes

Parmeacutenide ne serait pas un penseur vivant agrave laube des deacutebuts de cette penseacutee qui se plie agrave la dispensation du Pli si sa penseacutee ne peacuteneacutetrait dans lampleur de leacutenigme qui se tait dans le mot-eacutenigme ro Qj-r6 le mecircme Lagrave sabrite ce qui meacuterite decirctre penseacute ce qui nous donne agrave penser se donne soishymecircme agrave penser comme eacutetant le rapport de la penseacutee agrave recirctre la veacuteriteacute de lecirctre au sens du deacutevoilement du Pli la reacuteserve observeacutee par le Pli (le tL~ Egrave6v) alors que preacutedominent les choses preacutesentes (-ramp Egrave6VTQ reX 8oxouumlv-rcx)

1 G6lChick envoi attribution et destin

310 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Le dialogue avec Parmeacutenide ne prend pas fin non seulement parce que dans les fragments conserveacutes de son Poegraveme didactique maintes choses demeurent obscures mais aussi parce que ce quil dit meacuterite toujours decirctre penseacute VIais que le dialogue soit sans fin nest pas un deacutefaut Cest le signe de lillishymiteacute qui en soi et pour la penseacutee qui se souvient preacuteserve la possibiliteacute dun revirement du destin

Qui toutefois nattend de la penseacutee quune assushyrance ct suppute le jour ougrave on pourra la laisser lagrave inutiliseacutee celui-lagrave exige lcsuicide de la penseacutee Exigence qui apparaicirct dans une eacutetrange lumiegravere quand nous songeons agrave ceci que lecirctre des mortels est inviteacute agrave faire attentiol agrave cette parole qui leur dit dentrer dans la mort Comme possibiliteacute extrecircmegrave de lexistence mortelle la mort nest pas la fin du possible mais elle est lAbri suprecircme 1 (la mise agrave labri qui rassemble) ougrave reacuteside le secret du deacutevoileshyment qui nous appelle

1 Das hiichste Gcbirg Cf p 6 n 2 et p 2]3

j

294 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

neacutecessaire une penseacutee ni l laquo ecirctre pour soiraquo ne contraint la penseacutee Tous deux chacun pris pour soi ne font jamais savoir comment l laquoecirctreraquo reacuteclame la penseacutee Mais celle-ci deacuteploie son ecirctre agrave cause du Pli de lun et de lautre agrave cause de li6v Cest en allant vers le Pli que le laquo prendre-dans-sonshyattention 1raquo sapproche de lecirctre Cest dans une telle approche 2 que la penseacutee appartient agrave lecirctre Que dit Parmeacutenide de cett~ appartenance

III

Parmeacutenide dit que le voe est 1CerplXtLOfLEacutevOV iv t~ egrave6vtt On traduit par la penseacutee qui comme chose eacutenonceacutee est dans leacutetant

Mais comment pourrions - nous percevoir et comprendre ce que cest que decirctre ainsi laquo eacutenonceacuteraquo (ausgesprochen) aussi longtemps que nous ne nous soucions pas de savoir ce que veulent dire ici laquo chose diteraquo laquo parler raquo laquo langage raquo aussi longshytemps que nous nous empressons de prendre li6v pour leacutetant et que nous lagraveissons indeacutetermineacute le sens du mot laquo ecirctreraquo Comment pourrions-nous connaicirctre le rapport du voeLv au 1CeCPIXtLCJfLEacutevov aussi longtemps que nous ne deacuteterminons pas le voev suffisamment en tenant compte dumiddot fragshyment VI (Cf le cours citeacute pp 124 et sq) Le voeLv dont nous voudrions consideacuterer lappartenance agrave liov est fondeacute dans le AgraveEacuteyeLV et deacuteploie son ecirctre agrave partir de lui Lagrave dans le AgraveEacuteyeLV a lieu celaquo laissershyeacutetendu-devantraquo qui laisse la chose preacutesente eacutetenshydue dans sa preacutesence Cest seulement en tant quelle est ainsi eacutetendue-devant que la chose preacuteshysente peut comme telle inteacuteresser le voeLvce qui laquoprend dans son attentionraquo Aussi le v61lfLlX en tant que VOOUfLevov du vociv est-il toujours deacutejagrave

1 Le 10Er Voir la note preacuteceacutedente ~ Anmiddotweaen Voir cimiddotdeul8 p 293 n 2

MOIRA 295

un AgraveeyoflevOV du AgraveEacuteyetv Mais lecirctre du dire tel que les Grecs lont perccedilu repose dans le AgraveEacuteyeLV Cest pourquoi le voeicircv est une chose dite et cela dans son ecirctre et jamais seulement apregraves coup ou par accident Sans doute toute chose dite nest pas aussi forceacutement une chose prononceacutee (ein Gesshyprochenes) Il est possible et parfois mecircme neacutecesshysaire quelle demeure une chose tue Tout ce qui est prononceacute et tout ce qui est tu est deacutejagrave chose dite Mais non linverse

En quoi consiste la diffeacuterence de la chose dite et de la chose prononceacutee Pourquoi Parmeacutenide caracshyteacuterise-t-il le VOOUf1EVOV et le voe~v (VIII 34 et sq) comme 1CEcplXt~crfLEacutevo On traduit ce mot par laquo parleacute raquo ce qui est exact au point de vue lexicoshygraphique Mais en quel sens perccediloit-on un parler tel que le deacutesignent cpampcrXeLV et cpcfVIXL laquo Parlerraquo nest-il ici que la manifestation sonore (cpltugravev~) de ce quun mot ou une phrase signifient (OYjf1(XLVELV) Est-ce quici lon comprend laquo parlerraquo comme lexshypression dune chose inteacuterieure dune chose de lacircme donc comme reacuteparti entre ses deux composhysants le phoneacutetique et le seacutemantique Nulle trace de tout cela dans lexpeacuterience qui perccediloit le parler comme cpcfv XL le langage comme 9cfCJ~ccedil Dans Ccedil)ampcrXeLV se rencontrent les sens appeler nommer avec des louanges sappeler mais tout cela parce que lecirctre mecircme du mot est laquo faire apparaicirctreraquo Clgtampcrpcx est lapparition des eacutetoiles de la lune le fait quils se montrent ou quils se cachent ltlgtXcreLCcedil deacutesigne les phases Les phases de la lune sont les modes changeaqts de son paraicirctre ltlgtcfOlC est la parole disante (Sage) laquodireraquo (sagen) signifie faire apparaicirctre ltgt~f1( je dis est identique en son ecirctre quoique non eacutequivalent agrave Agraveeuroyltugrave amener la chose preacutesente devant nous dans sa preacutesence lameshynet agrave apparaicirctre et agrave rester eacutetendue

Ce qui inteacuteresse Parmeacutenide cest dexaminer ougrave

296 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

le VOeacuteLV a oa place Car cest sculemcnt lagrave ougrave il a originairement sa place que nous pouvons le troushyver juger de notre deacutecouverte voir comment la penseacutee fait corps avec lecirctre Quand Parmeacutenide perccediloit le VOELV comme 7tecp(Xt~cr1-Eacutevov cela ne veut pas dire que le VOcLV soit une chose eacutenonceacutee et quil doive ainsi ecirctre chercheacute dans les paroles prononceacutees ou dans les signes de leacutecriture comme un eacutetant perceptible agrave lun ou lautre de nos sens Le croire serait seacutegarer et seacuteloigner au maximum de la penseacutee grecque et mecircme si lon voulait se repreacuteshysenter le parler et ce quil eacutenonce comme des faits de conscience et eacutetablir la penseacutee comme acte de conscience dans le domaine de pareils faits Le vociv lelaquo prendre-dans-son-attention raquo et ce quil a perccedilu 1 sont une chose dite ameneacutee agrave paraicirctre Mais ougrave Parmeacutenide dit egravev tw egraveOVtl dans legraveov dans le Pli de la preacutesence et d~ la chose preacutesente Ceci donne agrave penser et nous libegravere deacutefinitivement du preacutejugeacute hacirctif dapregraves lequel la penseacutee serait exprimeacutee dans la parole prononceacutee Nulle part il nen est question

Dans quelle mesure le VOELV peut-il la penseacutee doit-elle apparaicirctre dans le Pli Dans la mesure ougrave le deacutepliement qui conduit dans le Pli de la preacutesence et de la chose preacutesente eacute-voque le laquo laisser-eacutetendu devant raquo le Agraveeuroye~v et dans l laquo ecirctre-eacutetendushydcvant raquo ainsi libeacutereacute de la chose eacutetendue donne au voeicircv quelque chose quil peut prendre dans son attention pour ly preacuteserver Seulement Parmeacutenide ne pense pas encore le Pli comme tel encore moins pense-t-il le deacutepliement du Pli Mais Parmeacutenide dit (VIII 35 et sq) ougrave yagravep ampveu tou EacuteoVtocbull eup~cre~ccedil to voucircv car seacutepareacute du Pli tu ne peux trouver la penseacutee Pourquoi pas Parce quinviteacutee par legraveov elle a sa place avec lui dans le rassemshy

1 laquo Il a perccediluraquo on retrouve le passeacute-preacutesent deacutejagrave observeacute Cf pp 260 262 263 et les notes

MOIRA 297

hlement parce que cest la penseacutee elle-mecircme reposhysant dans le AgraveEacuteyelV qui accomplit le rassemblement agrave lappel de lEacute6v et qui reacutepond de cette maniegravere agrave son appartenance agrave legraveov comme agrave une apparteshynance mise en œuvre (gebrauchten) agrave partir de celui-ci Car le voeicircv ne perccediloit pas nimporte quoi mais seulement cette chose unique nommeacutee dans le fragment VI Eacuteov Euml1-1-eV(XL leacutetant-preacutesent (das Anwesend) dans sa preacutesence

Autant de choses non penseacutees et meacuteritant de lecirctre sannoncent dans lexposeacute de Parmeacutenide autant se projette de clarteacute sur ce qui est avant tout neacutecessaire si lon veut meacutediter comme il convient cette appartenance de la penseacutee agrave lecirctre dont Parmeacutenide nous parle Nous devons apprendre agrave penser lecirctre du langage agrave partir du dire et agrave penshyser ce dernier comme laisser-eacutetcndu-devant (Agraveoyoccedil) et comme faire-apparaicirctre (cpcicrLCcedil) Il est dabord difficile de mener agrave bien une pareille tacircche parce que ce premier eacuteclairement de lecirctre du langage comme parole disante (Sage) sassombrit et disshyparaicirct bientocirct et quil laisse le champ libre agrave une caracteacuterisation du langage qui le repreacutesente deacutesorshymais agrave partir de la cpwJ~ de leacutemission sonore comme un systegravemc de deacutesignation et de significashytion et finalement de transmission de nouvelles et dinformation

IV

Maintenant encore alors que lappartenance de la penseacutee agrave lecirctre sest placeacutee mieux en lumiegravere nous pouvons agrave peine en~cndre dune faccedilon plus instante la pleine mesure deacutenigme contenue dans le motshyeacutenigme de la sentcnce to (xugraveto le mecircme Mais quand nous voyons que le Pli de llov la preacutesence des choses preacutesentes rassemble agrave soi la penseacutee alors ce rocircle directeul du Pli nous laisse peut-ecirctre

298 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

entrevoir la pleine mesure deacutenigme de ce que cache le vide seacutemantique habituel du mot laquo le mecircme raquo

Est-ce agrave partir du deacutepliement du Pli que le Pli ugravee son cocircteacute appelle la penseacutee sur la voie de l laquo agraveshycause-de-lui 1raquo et par-lagrave requiert lappartenance mutuelle de la preacutesence (des choses preacutesentes) et de la penseacutee Mais quest-ce que le deacutepliement du Pli Comment se produit-il Trouvons-nous dans la parole de Parmeacutenide un point dappui nous aidant agrave rechercher en questionnant dune maniegravere approshyprieacutee ce quest le deacutepliement du Pli nous aidant agrave entendre ce qui fait son ecirctre (ihr Wesendes) et agrave lentendre dans ce que tait le mot-eacutenigme de la sentence Nous nen trouvons aucun immeacutediateshyment

Il est surprenant toutefois que dans les deux vershysions de la sentence sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre le mot-eacutenigme figure au commencement Le fragment III dit laquo Le mecircme en effet est le laquo prendreshydans-son-attentionraquo et aussi l laquo ecirctre-preacutesentraquo (des choses preacutesentes)raquo Le fragment VIII 34 dit laquoLe mecircme est laquo prendre-dans-son-attentionraquo et (ce) en chemin vers quoi est le percevoir attentif raquo Que signifie dans le dire de la sentence cette place de deacutebut accordeacutee au mot dans la construction de la phrase Sur quoi par cette intonation Parmeacuteshynide voulait-il mettre laccent Probablement sur le ton fondamental En lui reacutesonne par anticipation ce que la sentence agrave proprement paTler doit dire Ce quon dit ainsi sappelle en grammaire le prc~dicat de la phrase Mais le sujet de la phrase est le voe~v (penseacutee) dans son rapport agrave ldVltXL (ecirctre) Le texte grec nous oblige agrave interpreacuteter ainsi la construction de la sentence La position de tecircte du mot-eacutenigme nous invite agrave arrecircter notre attention sur ce mot et agrave y revenir sans cesse Mecircme ainsi toutefois le mot

1 Au den Weg des laquo Ihrctwcgel - Le Pli invite la penseacutee agrave paraicirctre et elle paraicirct en lui (~I 0) et agrave cause de lui (OJVEXE~)

MOIRA 299

ne nous dit rien de ce que nous vouugraverions savoir Il nous faut donc essayer sans jamais perdre de

vue la position de 10 ltXugraveto le mecircme au deacutebut de la phrase de nous avancer librement et avec hardiesse dans la penseacutee du deacutepliement en partant du Pli de legraveov (de la preacutesence des choses preacutesentes) Nous y sommes aideacutes par la consideacuteration suivante cest dans le Pli de legraveov que la penseacutee est pro-duite en son paraicirctre cest en lui quelle est une chose dite 7tScpltXtLOJEacuteVOV

Dans le Pli domine ainsi la qJcXOLC le dire en tant que ce laquo faire-apparaicirctreraquo qui appelle et reacuteclame Quest-ce que le dire fait apparaicirctre La preacutesence des choses preacutesentes Le dire qui regravegne dans le Pli et qui le manifeste est le rassemblemcnt de la preacutesence dans le paraicirctre de laquelle les choses preacuteshysentes peuvent apparaicirctre Cette ltlgtciOLC que Parshymeacutenide pense Heacuteraclite lappelle le Aoyoc le laquo laisshyser-eacutetendu-devantraquo qui rassemble

Quest-ce qui a lieu dans la ltlgtciOtC et dans le Aoyoc Est-ce que ce dire qui regravegne en eux qui rassemble et qui appelle serait cet apport qui tout dabord pro-duit (erbringt) un paraicirctre lequel accorde une eacuteclaircie et dans la dureacutee duquel la preacutesence dabord seacuteclaire 1 afin que dans sa lumiegravere des choses preacutesentes apparaissent et quainsi regravegne le Pli de lune et des autres Le deacutepliement du Pli reacutesiderait-il en ceci quun paraicirctre illuminant se montre Le trait fondamental de ce paraicirctre les Grecs middot lont vu comme deacutevoilement Dans le deacutepliement du Pli regravegne ainsi le deacutevoileshyment Les Grecs le nomment AAgrave~eeuroLltX

La penseacutee de Parmeacutenide serait donc parvenue tout de mecircme agrave sa maniegravere jusquau deacutepliement

1 Das Lichtung gewiihrl in welchcm Wiihren erst Anwesen sich lichtet Litteacuteralement laquoqui accorde eacuteclaircie dans lequel durer seulement preacutesence seacuteclaire raquoCf p 42 n 1 et cf pp 235 301 306 et les notes

300 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

du Pli agrave supposer que Parmeacutenide parle de l AAgrave~eeLrt La nomme-t-il Sans doute au deacutebut de son Poegraveme didactique Plus encore l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Cest en leacutecoutant que Parmeacutenide dit ce quil a penseacute Pourtant il ne dit pas en quoi consiste lecirctre de l middotAAgrave~ee(X Il ne pense pas davantage en quel sens du mot diviniteacute l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Pour les deacutebuts de la penseacutee grecque tout cela demeure - dune faccedilon aussi immeacutediate quun eacuteclaircissement du mot-eacutenigme tagrave (Xugravet6 le mecircme shyhors du cercle des choses qui meacuteritent decirctre penshyseacutees

Il est toutefois vraisemblable quentre toutes ces choses impenseacutees existent des relations invisibles Les vers introductifs du Poegraveme didactique l 22 et sq sont autre chose que lhabillement poeacutetique dun travail conceptuel abstrait Cest se rendre trop facile le dialogue avec la voie de penseacutee de Parmeacuteshynide que de regretter dans les paroles du penseur labsence de toute expeacuterience mythique et dobjecter que la deacuteesse AAgrave~eeL(x est parfaitement vague pur fantocircme rationnel si on la compare aux laquo personnes divinesraquo bien caracteacuteriseacutees Hegravera Atheacuteneacute Deacutemegraveter Aphrodite Arteacutemis Qui fait de pareilles reacuteserves parle comme si de longue date on savait avec certishytude ce quest la laquo diviniteacuteraquo des dieux grecs comme sil eacutetait sucircr que parler ici de laquo personnesraquo a bien un sens et que touchant lecirctre de la veacuteriteacute il fucirct bien eacutetabli quau cas ougrave elle apparaicirctrait comme deacuteesse on ne pourrait voir lagrave que la personnifishycation abstraite dun concept Au fond cest agrave peine si le laquomythiqueraquo a eacuteteacute pris en consideacuterashytion et surtout lon na pas consideacutereacute que le (lu6occedil est un dire (Sage) et que dire agrave son tour est appeler et faire briller Aussi vaut-il mieux que nous continuions agrave questionner prudemment et que nous eacutecoutions ce que dit le fragment 1 (22 et sq)

MOIRA 301

X(X( (le 6ecX 7tpO()PCugraveJ lmeocirct~(Xto Xe~p(X ocircegrave XetpE ~e~LteFT) EacuteAgraveeJ llo~ ~~7tOccedil qrXto xex( (le 7tpoa~uocircrt

Et la deacuteesse regardant dans lavenir me reccedilut Javoshy[rablement de sa main

Elle me prit la main droite et me dit ainsi la parole [chantant pour moi

Ce qui soffre ici au penseur comme chose agrave penshyser demeure en mecircme temps voileacute quant agrave son orishygine essentielle Ceci nexclut pas mais implique au contraire que dans ce que dit le penseur domine le deacutevoilement comme ce agrave quoi il est toujours attentif pour autant quil loriente vers la chose agrave penser Or celle-ci est nommeacutee dans le mot-eacutenigme tagrave cxugraveto le mecircme et ainsi nommeacutee qualifie le rapshyport de la penseacutee agrave lecirctre

Cest pourquoi nous devons au moins demander si ce nest pas le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoishylement de la preacutesence des choses preacutesentes qui est tu dans exugravet6 le mecircme En le preacutesumant nous nallons pas au delagrave de ce qua penseacute Parmeacutenide nous retournons au contraire vers ce quil faut penser et penser dune faccedilon plus originelle

Lexamen de la sentence sur le rapport de la penseacutee agrave lecirctre prend alors lapparence ineacutevitable dune chose arbitraire et forceacutee

La construction grammaticale de la phrase tagrave yap rtugravetagrave JoetJ iatLI te XClt elext apparaicirct mainshytenant dans une autre lumiegravere Le mot-eacutenigme tagrave rtugravet6 le mecircme par lequel commence la phrase nest plus le preacutedicat mis en tecircte mais bien le sujet ce qui seacutetend au-dessous ce qui porte et soutient Le mot sans apparence EgraveatLI laquoestraquo veut dire maintenant deacuteploie son ecirctre (west) dure en accorshydant et en puisant pour accorder dans ce qui accorde 1 dans ce comme quoi domine tagrave rtugraveto le

1 West Uuumlhrt und zwar gcwuumlhrend aU3 dcm GcwUumlhrcnden laquoAccorshy

302 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

mecircme agrave savoir comme le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoilement ce qui deacutevoilant deacuteplie le Pli assure le laquoprendre-dans-son-attention 1raquo sur son chemin vers la perception rassemblante de la preacutesence des choses preacutesentes La veacuteriteacute entendue comme pareil deacutevoilement du Pli laisse agrave partir de lui la penseacutee appartenir agrave lecirctre Dans le motshyeacutenigme tagrave (Xugraveto le mecircme se tait loctroi deacutevoilant qui garantit 2 lappartenance mutuelle du Pli et de la penseacutee qui apparaicirct en lui

v

Si donc la penseacutee appartient agrave lecirctre ce nest pas parce quelle aussi est une chose preacutesente et quelle a donc sa place dans lensemble de la preacutesence on entend par lagrave dans lensemble des choses preacutesentes Il semble toutefois que Parmeacutenide aussi se repreacuteshysente de cette faccedilon le rapport de lecirctre agrave la penseacutee Il ajoute en effet agrave lappui de ce quil vient de dire une remarque introduite par (eXp (car) et ainsi conccedilue 7teXpe~ tou kovtoccedil hors de leacutetant il ny a eu il ny a et il ny aura aucun autre eacutetant (dapr~s une conjecture de Bergk ougrave3 ~v) Mais tagrave kov ne veut pas dire laquo leacutetant raquo il deacutesigne le Pli Certes hors de celui-ci il ny a jamais aucune preacutesence de choses preacutesentes car la preacutesence comme telle repose dans le Pli paraicirct et apparaicirct dans le deacuteploiement de sa lumiegravere

Mais pourquoi en ce qui concerne le rapport de la penseacutee agrave lecirctre Parmeacutenide ajoute-t-ilspeacutecialeshyment une telle justification Parce que le mot JoeLv qui diffegravere ddv(xL parce que le mot laquo penshy

derraquo au sens d laquo octroyer raquo Sur le rapport eacutetroit entre laquo durerraquo et laquo accorder raquo cf p 42 n 1

1 Le oei le connaicirctre la penseacutee laquo Assureraquo (gewiihrl) au sens de laquo garantit raquo Cf p 235

2 Das entbergende Gewiihren

MOIRA 303

seacuteeraquo donne forceacutement limpression que ce quil deacutesigne est tout de mecircme un amp0 une chose autre en face de lecirctre et par conseacutequent hors de lui Mais ce nest pas seulement le mot comme forme verbale cest son contenu son sens qui paraicirct se tenir laquo agrave cocircteacuteraquo et laquo horsraquo de leacute6v Et cette apparence nest pas non plus simple apparence Car AgraveEacuteyELv et Jodv laissent les choses preacutesentes eacutetendues-devant dans la lumiegravere de la preacutesence Eux-mecircmes sont ainsi eacutetendus en face de la preacutesence quoique jamais en face delle comme deux objets existant pour soi Lassemblage de AgraveEacuteyELV et de voeLv laisse (dapregraves le fragment VI) lkov eacuteflflev(xL il libegravere la preacutesence la laissant acceacuteder agrave son apparaicirctre pour la pershyception et se tient alors dune certaine maniegravere hors de l Egrave6v Dun point de vue la penseacutee est hors du Pli vers lequel lui reacutepondant et demandeacutee par lui elle demeure en chemin Dun autre point de vue ce laquo en chemin vers raquo demeure agrave linteacuterieur du Pli lequel nest jamais une simple distinction quelque part existante et repreacutesenteacutee de lecirctre et de leacutetant mais a son ecirctre agrave partir du deacutepliement qui deacutevoile Celui-ci comme AAgrave~eELct accorde agrave toute preacutesence la lumiegravere dans laquelle les choses preacutesentes peuvent apparaicirctre

Si toutefois le deacutevoilement accorde leacuteclairement de la preacutesence cest en mettant en œuvre agrave la foisshyau cas ougrave des choses preacutesentes doivent apparaicirctreshyun laquolaisser-eacutetendu-devantraquo et un percevoir 1 et les mettant ainsi en œuvre en retenant la penseacutee dans son appartenance au Pli Cest pourquoi hors du Pli il ny a daucune maniegravere quoi que ce soit de preacutesent nimporte ougrave et nimporte comment

Tout ce que nous avons deacutebattu jusquagrave preacutesent demeurerait une invention arbitraire une interpreacuteshytation substitueacutee apregraves coup si Parmeacutenide navait

1 Un AgraveeacuteyElV un dire et un VOErV un connaicirctre

304 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

dit lui-mecircme pourquoi la preacutesence ne peut jamais segrave tenir agrave cocircteacute de lt6v hors de lui

VI

Ce que le penseur nous dit encore de l t6v se trouve en langage grammatical dans une proposhysition subordonneacutee Quiconque est exerceacute si peu que ce soit agrave eacutecouter les grands penseurs sera sans doute parfois deacuteconcerteacute par ce fait eacutetrange que cc quil faut proprement penser ils le disent dans une proposition subordonneacutee ajouteacutee sans bruit et quils sen tiennent lagrave Le jeu de la lumiegravere qui appelle deacuteploie et aide agrave la croissance ne devient pas luishymecircme visible Il brille aussi peu apparent que la lumiegravere du matin sur la somptuositeacute tranquille des lis dans le champ et des roses dans le jardin

La proposition subordonneacutee de Parmeacutenide qui agrave vrai dire est la thegravese de toutes ses thegraveses est la suishyvante (VIII 37 et sq)

eacute7td ro ye MOLp Egrave1teacuteocirc1jOev ougraveAgraveov chdv1jr6v r Eacute(L(Levcxt

bullpuisque la Moira lui a imposeacute (agrave leacutetant) decirctre un [Tout et immobile (W KRANZ)

Parmeacutenide parle de l t6v de la preacutesence (des choses preacutesentes) du Pli mais nullement de l laquo eacutetant raquo Il nomme la Mopcx lattribution qui accordant reacutepartit et qui ainsi ouvre le Pli Lattrishybution dispense le P1i elle en munit en fait don Elle eRt la Dispensation (Schickung) en elle-mecircme recueillie ct ainsi deacutepliante qui envoie la preacutesence 1

comme preacutesence de choses preacutesentes Mopcx est

1 Die Schickung des AnLtcscns Cf pins haut p 272 n 1

MOIRA 305

la Dispensation 1 de l laquoecirctreraquo au sens de lMv Cest celui-ci justement rO ye quene a libeacutereacute lui ouvrant laccegraves du Pli et par lagrave mecircme lieacute agrave la totaliteacute et au repos agrave partir desquels et dans lesquels la preacutesence des choses preacutesentes se manifeste

Dans la Dispensation du Pli toutefois cest seushylement la preacutesence qui parvient agrave paraicirctre et les choses preacutesentes agrave apparaicirctre La Dispensation maintient en retrait le Pli comme tel et plus encore son deacutepliement Lecirctre de l A-yj 8ELCX demeure voileacute La visibiliteacute quelle accorde fait eacutemerger la preacutesence des choses preacutesentes comme laquo aspectraquo (dooccedil) et comme laquo vue raquo (~oEacute~) En conseacutequence le rapport qui appreacutehende la preacutesence des choses preacutesentes se deacutetermine comme voir (dOEacuteV~L) Lagrave mecircme ougrave la veacuteriteacute sest transformeacutee devenant la certitude de la conscience de soi le savoir marqueacute par la visio et son eacutevidence ne peuvent nier leur origine essentielle tireacutee du deacutevoilement qui eacuteclaire Le lumen naturale la lumiegravere naturelle ici lillumination de la raison preacutesuppose deacutejagrave le deacutevoilement du Pli Cette remarque vaut aussi pour les theacuteories augustinienne et meacutedieacutevale de la lumiegravere lesquelles pour ne rien dire de leur origine platonicienne ne peuvent se deacuteployer que dans le domaine de l 1AAgrave~eeL~ deacutejagrave dominante dans la Dispensation du Pli

Si nous voulons pouvoir parler de lhistoire de lecirctre nous devons dabord avoir consideacutereacute qu laquoecirctreraquo veut dire preacutesence des choses preacuteshysentes Pli Cest seulement agrave partir de lecirctre ainsi consideacutereacute que nous pouvons middot alors demander avec la prudence neacutecessaire ce qulaquo histoireraquo ( Cesshychichte) veut dire ici Lhistoire est la Dispensation du Pli (das Ceschick der Zwiefalt) Elle est lecirctreshydurer en mode rassembleacute qui deacutevoilant et deacutepliant

1 Sur la DispensatioD (ou lEnvoi) de lecirctre (Gcschil des S(in ~) voir notamment Der SaI vom Grund pp 108-110 119-LIJ 129-lJU et ISO

306 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

octroie 1 la preacutesence eacuteclaireacutee ougrave les choses preacutesentes apparaissent Lhistoire de lecirctre nest jamais une suite deacuteveacutenements que lecirctre parcourrait pour lui-mecircme Encore moins est-elle un objet qui ouvrishyrait agrave l laquohistoireraquo (-science) de nouvelles possishybiliteacutes de vues-repreacutesentations qui les ouvrirait agrave une laquo histoireraquo disposeacutee agrave se substituer preacutetendant savoir mieux agrave la faccedilon jusquici habituelle de consideacuterer lhistoire de la meacutetaphysique

Ce que dans linapparence dune proposition subordonneacutee Parmeacutenide dit de la Moip(X dans les liens de laquelle lMV est libeacutereacute comme Pli ouvre au penseur lampleur de vue accordeacutee agrave son chemin par le destin Car cest dans cette ampleur quappashyraicirct ce en quoi la preacutesence (des choses preacutesentes) se montre elle-mecircme t~ crf)[l(Xt(X toG EumlOltOc Ceux-ci sont agrave vrai dire multiples (7toAgraveAgrave~) Les a1)1-(Xt(X ne sont pas les signes dune autre chose Ils sont le paraicirctre multiple de la preacutesence elle-mecircme eacutemergeant du Pli deacuteplieacute shy

VII

Mais ce que la MOL(X dispense et reacutepartit nest pas encore complegravetement exposeacute Il en reacutesulte quun trait essentiel du mode de sa puissance demeure impenseacute Quarrive-t-il du fait que la Dispensation libegravere la preacutesence des choses preacutesentes la conduisant dans le Pli et ainsi la fixe dans sa totauumlteacute et son repos

Pour mesurer la porteacutee de ce que Parmeacutenide dit agrave ce sujet aussitocirct apregraves la proposition subordonneacutee (VIII 39 et sq) il est neacutecessaire de rappeler ce qui a eacuteteacute exposeacute preacuteceacutedemment (sous III) Le deacuteplieshyment du Pli domine comme cp~(nc comme laquo dire raquo) en tant que laquo faire-apparaicirctre raquo Le Pli abrite en

1 Das entbergend entfaltende Gewiihren Cf p 42 n 1

MOIRA 307

lui le vo~iV et cc quil pense (VOY](L(x) comme chose dite Mais ce qui est perccedilu dans la penseacutee cest la preacutesence des cho~es preacutesentes Le dire qui pense et qui correspond au Pli est le AgraveEacuteyEtV en tant quil laisse la preacutesence eacutetendue-devant Ce qui ne se produit tout agrave fait que sur la voie de penseacutee ougrave sengage le penseur appeleacute par l )AAgraveYj 6sta

Mais que devient la cpcXcnccedil (parole disantc) qui domine dans la Dispensation deacutevoilante quand ce qui est deacuteployeacute dans le Pli la Dispfnsation labanshydonne au percevoir banal des mortels Ceux-ci aeeueiJJent (~Eacutexccr0a~ S6ccedilct) ce qui soffre agrave eux immeacutediatement tout de suite et tout dabord Ils ne commencent pas par se preacuteparer pour une voie de penseacutee Ils nentendent jamais proprement lapshypel du deacutevoilement du Pli Ils sen tiennent agrave ce qui se deacuteploie en lui plus preacuteciseacutement agrave ce qui les requiert immeacutediatement aux choses preacutesentes sans eacutegard agrave la preacutesence Ils gaspillent leur activiteacute et leurs loisirs pour ce quils ont lhabitude de pershycevoir t~ ~OXOUumlvtlX (fragment l 31) Ils le prennent pour le non-cacheacute cXAgraveY]0Yj (VIII 39) puisque nestshyce pas il leur apparaicirct et quainsi il nest plus cacheacute Seulement que devient leur dire sil ne peut ecirctre le AgraveEacuteyE~V le laquo laisser-eacutetendu-devant raquo Quand les mortels ne donnent aucune attention agrave la preacuteshysence cest-agrave-dire ne la pensent pas leur dire habishytuel devient un simple dire de noms et ce qui passe au premier plan dans ces noms cest le son eacutemis et la forme immeacutediatement saisissable de la parole au sens de mots prononceacutes et eacutecrits

Le deacutemembrement du dire (du laquo laisser-eacutetendu-deshyvant raquo) en mots signifiants fait eacuteclater le laquo prendreshydans-son-attention 1 raquoqui rassemble Celui-ci devient un X(xT(XmiddotdOecr6ct~ (VIII 39) une fixation qui fixe ceci ou cela pour lopinion qui est presseacutee Tout ce

1 Le lOf)

308 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

qui est ainsi fixeacute demeure gvoflCX Parmeacutenide ne dit aucunement que ce qui est habituellement perccedilu devient laquo pur et simpleraquo nom Mais ce qui est ainsi perccedilu demeure abandonneacute agrave un dire tout entier dirigeacute par les mots courants lesquels vite prononshyceacutes disent tout sur tout et vagabondent dans l laquoaussi bien que 1bullbull raquo

La perception des choses preacutesentes (des Egrave6ncx) nomme elle aussi ldvoc~ et connaicirct la preacutesence mais eacutegalement la non-preacutesence et dune faccedilon aussi hacirctive non pas certes comme le fait la penseacutee qui agrave sa maniegravere respecte la middot reacuteserve 2 du Pli (le (l~ i6v)Lopinion courante ne connaicirct qudvcx~ tamp

Xcxt OUgraveXL (VIII 40) la preacutesence aussi bien que la non-preacutesence Le poids de ce qui est ainsi laquobien connuraquo se trouve dans teuro-XOCL (VIII 40 et sq) laquo aussi bien que raquo Et lagrave ougrave la perception habishytuelle celle qui parle agrave partir des mots rencontre leacutemergence et la disparition 3 elle se satisfait de l laquo aussi bien que raquo aussi bien la geacuteneacuteration (y(yve()Ox~) que la middot mort (OAgraveAgrave)()OCXL) (VIII 40) Elle ne perccediloit jamais le lieu t6rcoc comme lenshydroit ougrave le Pli offre une demeure (Heimat) agrave la preacutesence des choses preacutesentes Dans l laquo aussi bienbull que raquo lopinion des mortels ne recherche que les changements (ampAgraveAgrave~()()e~v) de places La perception habituelle sans doute se meut dans la partie eacuteclaireacutee des choses preacutesentes elle voit ce qui brille (cpocv6v VIII 41) dans la couleur mais elle se deacutemegravene dans les changements (ampJd~eLV) de coushyleur et ne precircte aucune attention agrave la lumiegravere tranquille de cette clarteacute qui vient du deacutepliement du Pli et qui est la ltlgt~()~C le faire-apparaitre la

1 Dans le rEacute-xal dont il va ecirctre question 2 Au sujet de la laquo retenueraquo (Vorenthalt) de lecirctre cf p 174 Le

non-ecirctre (I-- ~ lv) est lecirctre en tant quil se reacuteserve ne se donne pas reste dans lombre Cf plus loin p 309 fin

3 Das Aufgehen und Untergehen le lever et le coucher comme on le dit des astres

MOIRA 309

faccedilon dont la parole est disante non la faccedilon dont parlent les mots les noms quentend loreille

Teacutegt 7tampv-r ovo~l()tcx~ (VIII 38) par cela tout (les choses preacutesentes) sera preacutesent dans ce deacutevoileshyment preacutetendu quapporte avec elle la domination des mots Par quoi cela se produit-il Par la MoLpcx par la dispensation 1 du deacutevoilement du Pli Comshyment faut-il lentendre Dans le deacutepliement du Pli en mecircme temps que la preacutesence paraicirct les choses preacutesentes apparaissent Les choses preacutesentes elles aussi sont choses dites mais dites dans les mots qui nomment dans le parler desquels se meut le dire ordinaire des mortels La dispensation du deacutevoileshyment du Pli (de ll6v) abandonne les choses preacutesentes (-reX egrave6vtcx) au percevoir quotidien des mortels

Comment se produit cet abandon des choses par la dispensation Par cela seulement que le Pli comme tel et avecIui son deacutepliement demeurent en retrait Est-ce qualors ce qui domine dans le deacutevoishylement cest quil se deacuterobe Penseacutee hardie mais Heacuteraclite la penseacutee Parmeacutenide la sentie sans la penser pour autant quentendant lappel de l AAgrave~-6eLCX il pense la MoLpcx de leacute6v la dispensation du Pli aussi bien dans son rapport agrave la preacutesence que dans son rapport aux choses preacutesentes

Parmeacutenide ne serait pas un penseur vivant agrave laube des deacutebuts de cette penseacutee qui se plie agrave la dispensation du Pli si sa penseacutee ne peacuteneacutetrait dans lampleur de leacutenigme qui se tait dans le mot-eacutenigme ro Qj-r6 le mecircme Lagrave sabrite ce qui meacuterite decirctre penseacute ce qui nous donne agrave penser se donne soishymecircme agrave penser comme eacutetant le rapport de la penseacutee agrave recirctre la veacuteriteacute de lecirctre au sens du deacutevoilement du Pli la reacuteserve observeacutee par le Pli (le tL~ Egrave6v) alors que preacutedominent les choses preacutesentes (-ramp Egrave6VTQ reX 8oxouumlv-rcx)

1 G6lChick envoi attribution et destin

310 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Le dialogue avec Parmeacutenide ne prend pas fin non seulement parce que dans les fragments conserveacutes de son Poegraveme didactique maintes choses demeurent obscures mais aussi parce que ce quil dit meacuterite toujours decirctre penseacute VIais que le dialogue soit sans fin nest pas un deacutefaut Cest le signe de lillishymiteacute qui en soi et pour la penseacutee qui se souvient preacuteserve la possibiliteacute dun revirement du destin

Qui toutefois nattend de la penseacutee quune assushyrance ct suppute le jour ougrave on pourra la laisser lagrave inutiliseacutee celui-lagrave exige lcsuicide de la penseacutee Exigence qui apparaicirct dans une eacutetrange lumiegravere quand nous songeons agrave ceci que lecirctre des mortels est inviteacute agrave faire attentiol agrave cette parole qui leur dit dentrer dans la mort Comme possibiliteacute extrecircmegrave de lexistence mortelle la mort nest pas la fin du possible mais elle est lAbri suprecircme 1 (la mise agrave labri qui rassemble) ougrave reacuteside le secret du deacutevoileshyment qui nous appelle

1 Das hiichste Gcbirg Cf p 6 n 2 et p 2]3

j

296 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

le VOeacuteLV a oa place Car cest sculemcnt lagrave ougrave il a originairement sa place que nous pouvons le troushyver juger de notre deacutecouverte voir comment la penseacutee fait corps avec lecirctre Quand Parmeacutenide perccediloit le VOELV comme 7tecp(Xt~cr1-Eacutevov cela ne veut pas dire que le VOcLV soit une chose eacutenonceacutee et quil doive ainsi ecirctre chercheacute dans les paroles prononceacutees ou dans les signes de leacutecriture comme un eacutetant perceptible agrave lun ou lautre de nos sens Le croire serait seacutegarer et seacuteloigner au maximum de la penseacutee grecque et mecircme si lon voulait se repreacuteshysenter le parler et ce quil eacutenonce comme des faits de conscience et eacutetablir la penseacutee comme acte de conscience dans le domaine de pareils faits Le vociv lelaquo prendre-dans-son-attention raquo et ce quil a perccedilu 1 sont une chose dite ameneacutee agrave paraicirctre Mais ougrave Parmeacutenide dit egravev tw egraveOVtl dans legraveov dans le Pli de la preacutesence et d~ la chose preacutesente Ceci donne agrave penser et nous libegravere deacutefinitivement du preacutejugeacute hacirctif dapregraves lequel la penseacutee serait exprimeacutee dans la parole prononceacutee Nulle part il nen est question

Dans quelle mesure le VOELV peut-il la penseacutee doit-elle apparaicirctre dans le Pli Dans la mesure ougrave le deacutepliement qui conduit dans le Pli de la preacutesence et de la chose preacutesente eacute-voque le laquo laisser-eacutetendu devant raquo le Agraveeuroye~v et dans l laquo ecirctre-eacutetendushydcvant raquo ainsi libeacutereacute de la chose eacutetendue donne au voeicircv quelque chose quil peut prendre dans son attention pour ly preacuteserver Seulement Parmeacutenide ne pense pas encore le Pli comme tel encore moins pense-t-il le deacutepliement du Pli Mais Parmeacutenide dit (VIII 35 et sq) ougrave yagravep ampveu tou EacuteoVtocbull eup~cre~ccedil to voucircv car seacutepareacute du Pli tu ne peux trouver la penseacutee Pourquoi pas Parce quinviteacutee par legraveov elle a sa place avec lui dans le rassemshy

1 laquo Il a perccediluraquo on retrouve le passeacute-preacutesent deacutejagrave observeacute Cf pp 260 262 263 et les notes

MOIRA 297

hlement parce que cest la penseacutee elle-mecircme reposhysant dans le AgraveEacuteyelV qui accomplit le rassemblement agrave lappel de lEacute6v et qui reacutepond de cette maniegravere agrave son appartenance agrave legraveov comme agrave une apparteshynance mise en œuvre (gebrauchten) agrave partir de celui-ci Car le voeicircv ne perccediloit pas nimporte quoi mais seulement cette chose unique nommeacutee dans le fragment VI Eacuteov Euml1-1-eV(XL leacutetant-preacutesent (das Anwesend) dans sa preacutesence

Autant de choses non penseacutees et meacuteritant de lecirctre sannoncent dans lexposeacute de Parmeacutenide autant se projette de clarteacute sur ce qui est avant tout neacutecessaire si lon veut meacutediter comme il convient cette appartenance de la penseacutee agrave lecirctre dont Parmeacutenide nous parle Nous devons apprendre agrave penser lecirctre du langage agrave partir du dire et agrave penshyser ce dernier comme laisser-eacutetcndu-devant (Agraveoyoccedil) et comme faire-apparaicirctre (cpcicrLCcedil) Il est dabord difficile de mener agrave bien une pareille tacircche parce que ce premier eacuteclairement de lecirctre du langage comme parole disante (Sage) sassombrit et disshyparaicirct bientocirct et quil laisse le champ libre agrave une caracteacuterisation du langage qui le repreacutesente deacutesorshymais agrave partir de la cpwJ~ de leacutemission sonore comme un systegravemc de deacutesignation et de significashytion et finalement de transmission de nouvelles et dinformation

IV

Maintenant encore alors que lappartenance de la penseacutee agrave lecirctre sest placeacutee mieux en lumiegravere nous pouvons agrave peine en~cndre dune faccedilon plus instante la pleine mesure deacutenigme contenue dans le motshyeacutenigme de la sentcnce to (xugraveto le mecircme Mais quand nous voyons que le Pli de llov la preacutesence des choses preacutesentes rassemble agrave soi la penseacutee alors ce rocircle directeul du Pli nous laisse peut-ecirctre

298 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

entrevoir la pleine mesure deacutenigme de ce que cache le vide seacutemantique habituel du mot laquo le mecircme raquo

Est-ce agrave partir du deacutepliement du Pli que le Pli ugravee son cocircteacute appelle la penseacutee sur la voie de l laquo agraveshycause-de-lui 1raquo et par-lagrave requiert lappartenance mutuelle de la preacutesence (des choses preacutesentes) et de la penseacutee Mais quest-ce que le deacutepliement du Pli Comment se produit-il Trouvons-nous dans la parole de Parmeacutenide un point dappui nous aidant agrave rechercher en questionnant dune maniegravere approshyprieacutee ce quest le deacutepliement du Pli nous aidant agrave entendre ce qui fait son ecirctre (ihr Wesendes) et agrave lentendre dans ce que tait le mot-eacutenigme de la sentence Nous nen trouvons aucun immeacutediateshyment

Il est surprenant toutefois que dans les deux vershysions de la sentence sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre le mot-eacutenigme figure au commencement Le fragment III dit laquo Le mecircme en effet est le laquo prendreshydans-son-attentionraquo et aussi l laquo ecirctre-preacutesentraquo (des choses preacutesentes)raquo Le fragment VIII 34 dit laquoLe mecircme est laquo prendre-dans-son-attentionraquo et (ce) en chemin vers quoi est le percevoir attentif raquo Que signifie dans le dire de la sentence cette place de deacutebut accordeacutee au mot dans la construction de la phrase Sur quoi par cette intonation Parmeacuteshynide voulait-il mettre laccent Probablement sur le ton fondamental En lui reacutesonne par anticipation ce que la sentence agrave proprement paTler doit dire Ce quon dit ainsi sappelle en grammaire le prc~dicat de la phrase Mais le sujet de la phrase est le voe~v (penseacutee) dans son rapport agrave ldVltXL (ecirctre) Le texte grec nous oblige agrave interpreacuteter ainsi la construction de la sentence La position de tecircte du mot-eacutenigme nous invite agrave arrecircter notre attention sur ce mot et agrave y revenir sans cesse Mecircme ainsi toutefois le mot

1 Au den Weg des laquo Ihrctwcgel - Le Pli invite la penseacutee agrave paraicirctre et elle paraicirct en lui (~I 0) et agrave cause de lui (OJVEXE~)

MOIRA 299

ne nous dit rien de ce que nous vouugraverions savoir Il nous faut donc essayer sans jamais perdre de

vue la position de 10 ltXugraveto le mecircme au deacutebut de la phrase de nous avancer librement et avec hardiesse dans la penseacutee du deacutepliement en partant du Pli de legraveov (de la preacutesence des choses preacutesentes) Nous y sommes aideacutes par la consideacuteration suivante cest dans le Pli de legraveov que la penseacutee est pro-duite en son paraicirctre cest en lui quelle est une chose dite 7tScpltXtLOJEacuteVOV

Dans le Pli domine ainsi la qJcXOLC le dire en tant que ce laquo faire-apparaicirctreraquo qui appelle et reacuteclame Quest-ce que le dire fait apparaicirctre La preacutesence des choses preacutesentes Le dire qui regravegne dans le Pli et qui le manifeste est le rassemblemcnt de la preacutesence dans le paraicirctre de laquelle les choses preacuteshysentes peuvent apparaicirctre Cette ltlgtciOLC que Parshymeacutenide pense Heacuteraclite lappelle le Aoyoc le laquo laisshyser-eacutetendu-devantraquo qui rassemble

Quest-ce qui a lieu dans la ltlgtciOtC et dans le Aoyoc Est-ce que ce dire qui regravegne en eux qui rassemble et qui appelle serait cet apport qui tout dabord pro-duit (erbringt) un paraicirctre lequel accorde une eacuteclaircie et dans la dureacutee duquel la preacutesence dabord seacuteclaire 1 afin que dans sa lumiegravere des choses preacutesentes apparaissent et quainsi regravegne le Pli de lune et des autres Le deacutepliement du Pli reacutesiderait-il en ceci quun paraicirctre illuminant se montre Le trait fondamental de ce paraicirctre les Grecs middot lont vu comme deacutevoilement Dans le deacutepliement du Pli regravegne ainsi le deacutevoileshyment Les Grecs le nomment AAgrave~eeuroLltX

La penseacutee de Parmeacutenide serait donc parvenue tout de mecircme agrave sa maniegravere jusquau deacutepliement

1 Das Lichtung gewiihrl in welchcm Wiihren erst Anwesen sich lichtet Litteacuteralement laquoqui accorde eacuteclaircie dans lequel durer seulement preacutesence seacuteclaire raquoCf p 42 n 1 et cf pp 235 301 306 et les notes

300 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

du Pli agrave supposer que Parmeacutenide parle de l AAgrave~eeLrt La nomme-t-il Sans doute au deacutebut de son Poegraveme didactique Plus encore l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Cest en leacutecoutant que Parmeacutenide dit ce quil a penseacute Pourtant il ne dit pas en quoi consiste lecirctre de l middotAAgrave~ee(X Il ne pense pas davantage en quel sens du mot diviniteacute l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Pour les deacutebuts de la penseacutee grecque tout cela demeure - dune faccedilon aussi immeacutediate quun eacuteclaircissement du mot-eacutenigme tagrave (Xugravet6 le mecircme shyhors du cercle des choses qui meacuteritent decirctre penshyseacutees

Il est toutefois vraisemblable quentre toutes ces choses impenseacutees existent des relations invisibles Les vers introductifs du Poegraveme didactique l 22 et sq sont autre chose que lhabillement poeacutetique dun travail conceptuel abstrait Cest se rendre trop facile le dialogue avec la voie de penseacutee de Parmeacuteshynide que de regretter dans les paroles du penseur labsence de toute expeacuterience mythique et dobjecter que la deacuteesse AAgrave~eeL(x est parfaitement vague pur fantocircme rationnel si on la compare aux laquo personnes divinesraquo bien caracteacuteriseacutees Hegravera Atheacuteneacute Deacutemegraveter Aphrodite Arteacutemis Qui fait de pareilles reacuteserves parle comme si de longue date on savait avec certishytude ce quest la laquo diviniteacuteraquo des dieux grecs comme sil eacutetait sucircr que parler ici de laquo personnesraquo a bien un sens et que touchant lecirctre de la veacuteriteacute il fucirct bien eacutetabli quau cas ougrave elle apparaicirctrait comme deacuteesse on ne pourrait voir lagrave que la personnifishycation abstraite dun concept Au fond cest agrave peine si le laquomythiqueraquo a eacuteteacute pris en consideacuterashytion et surtout lon na pas consideacutereacute que le (lu6occedil est un dire (Sage) et que dire agrave son tour est appeler et faire briller Aussi vaut-il mieux que nous continuions agrave questionner prudemment et que nous eacutecoutions ce que dit le fragment 1 (22 et sq)

MOIRA 301

X(X( (le 6ecX 7tpO()PCugraveJ lmeocirct~(Xto Xe~p(X ocircegrave XetpE ~e~LteFT) EacuteAgraveeJ llo~ ~~7tOccedil qrXto xex( (le 7tpoa~uocircrt

Et la deacuteesse regardant dans lavenir me reccedilut Javoshy[rablement de sa main

Elle me prit la main droite et me dit ainsi la parole [chantant pour moi

Ce qui soffre ici au penseur comme chose agrave penshyser demeure en mecircme temps voileacute quant agrave son orishygine essentielle Ceci nexclut pas mais implique au contraire que dans ce que dit le penseur domine le deacutevoilement comme ce agrave quoi il est toujours attentif pour autant quil loriente vers la chose agrave penser Or celle-ci est nommeacutee dans le mot-eacutenigme tagrave cxugraveto le mecircme et ainsi nommeacutee qualifie le rapshyport de la penseacutee agrave lecirctre

Cest pourquoi nous devons au moins demander si ce nest pas le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoishylement de la preacutesence des choses preacutesentes qui est tu dans exugravet6 le mecircme En le preacutesumant nous nallons pas au delagrave de ce qua penseacute Parmeacutenide nous retournons au contraire vers ce quil faut penser et penser dune faccedilon plus originelle

Lexamen de la sentence sur le rapport de la penseacutee agrave lecirctre prend alors lapparence ineacutevitable dune chose arbitraire et forceacutee

La construction grammaticale de la phrase tagrave yap rtugravetagrave JoetJ iatLI te XClt elext apparaicirct mainshytenant dans une autre lumiegravere Le mot-eacutenigme tagrave rtugravet6 le mecircme par lequel commence la phrase nest plus le preacutedicat mis en tecircte mais bien le sujet ce qui seacutetend au-dessous ce qui porte et soutient Le mot sans apparence EgraveatLI laquoestraquo veut dire maintenant deacuteploie son ecirctre (west) dure en accorshydant et en puisant pour accorder dans ce qui accorde 1 dans ce comme quoi domine tagrave rtugraveto le

1 West Uuumlhrt und zwar gcwuumlhrend aU3 dcm GcwUumlhrcnden laquoAccorshy

302 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

mecircme agrave savoir comme le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoilement ce qui deacutevoilant deacuteplie le Pli assure le laquoprendre-dans-son-attention 1raquo sur son chemin vers la perception rassemblante de la preacutesence des choses preacutesentes La veacuteriteacute entendue comme pareil deacutevoilement du Pli laisse agrave partir de lui la penseacutee appartenir agrave lecirctre Dans le motshyeacutenigme tagrave (Xugraveto le mecircme se tait loctroi deacutevoilant qui garantit 2 lappartenance mutuelle du Pli et de la penseacutee qui apparaicirct en lui

v

Si donc la penseacutee appartient agrave lecirctre ce nest pas parce quelle aussi est une chose preacutesente et quelle a donc sa place dans lensemble de la preacutesence on entend par lagrave dans lensemble des choses preacutesentes Il semble toutefois que Parmeacutenide aussi se repreacuteshysente de cette faccedilon le rapport de lecirctre agrave la penseacutee Il ajoute en effet agrave lappui de ce quil vient de dire une remarque introduite par (eXp (car) et ainsi conccedilue 7teXpe~ tou kovtoccedil hors de leacutetant il ny a eu il ny a et il ny aura aucun autre eacutetant (dapr~s une conjecture de Bergk ougrave3 ~v) Mais tagrave kov ne veut pas dire laquo leacutetant raquo il deacutesigne le Pli Certes hors de celui-ci il ny a jamais aucune preacutesence de choses preacutesentes car la preacutesence comme telle repose dans le Pli paraicirct et apparaicirct dans le deacuteploiement de sa lumiegravere

Mais pourquoi en ce qui concerne le rapport de la penseacutee agrave lecirctre Parmeacutenide ajoute-t-ilspeacutecialeshyment une telle justification Parce que le mot JoeLv qui diffegravere ddv(xL parce que le mot laquo penshy

derraquo au sens d laquo octroyer raquo Sur le rapport eacutetroit entre laquo durerraquo et laquo accorder raquo cf p 42 n 1

1 Le oei le connaicirctre la penseacutee laquo Assureraquo (gewiihrl) au sens de laquo garantit raquo Cf p 235

2 Das entbergende Gewiihren

MOIRA 303

seacuteeraquo donne forceacutement limpression que ce quil deacutesigne est tout de mecircme un amp0 une chose autre en face de lecirctre et par conseacutequent hors de lui Mais ce nest pas seulement le mot comme forme verbale cest son contenu son sens qui paraicirct se tenir laquo agrave cocircteacuteraquo et laquo horsraquo de leacute6v Et cette apparence nest pas non plus simple apparence Car AgraveEacuteyELv et Jodv laissent les choses preacutesentes eacutetendues-devant dans la lumiegravere de la preacutesence Eux-mecircmes sont ainsi eacutetendus en face de la preacutesence quoique jamais en face delle comme deux objets existant pour soi Lassemblage de AgraveEacuteyELV et de voeLv laisse (dapregraves le fragment VI) lkov eacuteflflev(xL il libegravere la preacutesence la laissant acceacuteder agrave son apparaicirctre pour la pershyception et se tient alors dune certaine maniegravere hors de l Egrave6v Dun point de vue la penseacutee est hors du Pli vers lequel lui reacutepondant et demandeacutee par lui elle demeure en chemin Dun autre point de vue ce laquo en chemin vers raquo demeure agrave linteacuterieur du Pli lequel nest jamais une simple distinction quelque part existante et repreacutesenteacutee de lecirctre et de leacutetant mais a son ecirctre agrave partir du deacutepliement qui deacutevoile Celui-ci comme AAgrave~eELct accorde agrave toute preacutesence la lumiegravere dans laquelle les choses preacutesentes peuvent apparaicirctre

Si toutefois le deacutevoilement accorde leacuteclairement de la preacutesence cest en mettant en œuvre agrave la foisshyau cas ougrave des choses preacutesentes doivent apparaicirctreshyun laquolaisser-eacutetendu-devantraquo et un percevoir 1 et les mettant ainsi en œuvre en retenant la penseacutee dans son appartenance au Pli Cest pourquoi hors du Pli il ny a daucune maniegravere quoi que ce soit de preacutesent nimporte ougrave et nimporte comment

Tout ce que nous avons deacutebattu jusquagrave preacutesent demeurerait une invention arbitraire une interpreacuteshytation substitueacutee apregraves coup si Parmeacutenide navait

1 Un AgraveeacuteyElV un dire et un VOErV un connaicirctre

304 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

dit lui-mecircme pourquoi la preacutesence ne peut jamais segrave tenir agrave cocircteacute de lt6v hors de lui

VI

Ce que le penseur nous dit encore de l t6v se trouve en langage grammatical dans une proposhysition subordonneacutee Quiconque est exerceacute si peu que ce soit agrave eacutecouter les grands penseurs sera sans doute parfois deacuteconcerteacute par ce fait eacutetrange que cc quil faut proprement penser ils le disent dans une proposition subordonneacutee ajouteacutee sans bruit et quils sen tiennent lagrave Le jeu de la lumiegravere qui appelle deacuteploie et aide agrave la croissance ne devient pas luishymecircme visible Il brille aussi peu apparent que la lumiegravere du matin sur la somptuositeacute tranquille des lis dans le champ et des roses dans le jardin

La proposition subordonneacutee de Parmeacutenide qui agrave vrai dire est la thegravese de toutes ses thegraveses est la suishyvante (VIII 37 et sq)

eacute7td ro ye MOLp Egrave1teacuteocirc1jOev ougraveAgraveov chdv1jr6v r Eacute(L(Levcxt

bullpuisque la Moira lui a imposeacute (agrave leacutetant) decirctre un [Tout et immobile (W KRANZ)

Parmeacutenide parle de l t6v de la preacutesence (des choses preacutesentes) du Pli mais nullement de l laquo eacutetant raquo Il nomme la Mopcx lattribution qui accordant reacutepartit et qui ainsi ouvre le Pli Lattrishybution dispense le P1i elle en munit en fait don Elle eRt la Dispensation (Schickung) en elle-mecircme recueillie ct ainsi deacutepliante qui envoie la preacutesence 1

comme preacutesence de choses preacutesentes Mopcx est

1 Die Schickung des AnLtcscns Cf pins haut p 272 n 1

MOIRA 305

la Dispensation 1 de l laquoecirctreraquo au sens de lMv Cest celui-ci justement rO ye quene a libeacutereacute lui ouvrant laccegraves du Pli et par lagrave mecircme lieacute agrave la totaliteacute et au repos agrave partir desquels et dans lesquels la preacutesence des choses preacutesentes se manifeste

Dans la Dispensation du Pli toutefois cest seushylement la preacutesence qui parvient agrave paraicirctre et les choses preacutesentes agrave apparaicirctre La Dispensation maintient en retrait le Pli comme tel et plus encore son deacutepliement Lecirctre de l A-yj 8ELCX demeure voileacute La visibiliteacute quelle accorde fait eacutemerger la preacutesence des choses preacutesentes comme laquo aspectraquo (dooccedil) et comme laquo vue raquo (~oEacute~) En conseacutequence le rapport qui appreacutehende la preacutesence des choses preacutesentes se deacutetermine comme voir (dOEacuteV~L) Lagrave mecircme ougrave la veacuteriteacute sest transformeacutee devenant la certitude de la conscience de soi le savoir marqueacute par la visio et son eacutevidence ne peuvent nier leur origine essentielle tireacutee du deacutevoilement qui eacuteclaire Le lumen naturale la lumiegravere naturelle ici lillumination de la raison preacutesuppose deacutejagrave le deacutevoilement du Pli Cette remarque vaut aussi pour les theacuteories augustinienne et meacutedieacutevale de la lumiegravere lesquelles pour ne rien dire de leur origine platonicienne ne peuvent se deacuteployer que dans le domaine de l 1AAgrave~eeL~ deacutejagrave dominante dans la Dispensation du Pli

Si nous voulons pouvoir parler de lhistoire de lecirctre nous devons dabord avoir consideacutereacute qu laquoecirctreraquo veut dire preacutesence des choses preacuteshysentes Pli Cest seulement agrave partir de lecirctre ainsi consideacutereacute que nous pouvons middot alors demander avec la prudence neacutecessaire ce qulaquo histoireraquo ( Cesshychichte) veut dire ici Lhistoire est la Dispensation du Pli (das Ceschick der Zwiefalt) Elle est lecirctreshydurer en mode rassembleacute qui deacutevoilant et deacutepliant

1 Sur la DispensatioD (ou lEnvoi) de lecirctre (Gcschil des S(in ~) voir notamment Der SaI vom Grund pp 108-110 119-LIJ 129-lJU et ISO

306 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

octroie 1 la preacutesence eacuteclaireacutee ougrave les choses preacutesentes apparaissent Lhistoire de lecirctre nest jamais une suite deacuteveacutenements que lecirctre parcourrait pour lui-mecircme Encore moins est-elle un objet qui ouvrishyrait agrave l laquohistoireraquo (-science) de nouvelles possishybiliteacutes de vues-repreacutesentations qui les ouvrirait agrave une laquo histoireraquo disposeacutee agrave se substituer preacutetendant savoir mieux agrave la faccedilon jusquici habituelle de consideacuterer lhistoire de la meacutetaphysique

Ce que dans linapparence dune proposition subordonneacutee Parmeacutenide dit de la Moip(X dans les liens de laquelle lMV est libeacutereacute comme Pli ouvre au penseur lampleur de vue accordeacutee agrave son chemin par le destin Car cest dans cette ampleur quappashyraicirct ce en quoi la preacutesence (des choses preacutesentes) se montre elle-mecircme t~ crf)[l(Xt(X toG EumlOltOc Ceux-ci sont agrave vrai dire multiples (7toAgraveAgrave~) Les a1)1-(Xt(X ne sont pas les signes dune autre chose Ils sont le paraicirctre multiple de la preacutesence elle-mecircme eacutemergeant du Pli deacuteplieacute shy

VII

Mais ce que la MOL(X dispense et reacutepartit nest pas encore complegravetement exposeacute Il en reacutesulte quun trait essentiel du mode de sa puissance demeure impenseacute Quarrive-t-il du fait que la Dispensation libegravere la preacutesence des choses preacutesentes la conduisant dans le Pli et ainsi la fixe dans sa totauumlteacute et son repos

Pour mesurer la porteacutee de ce que Parmeacutenide dit agrave ce sujet aussitocirct apregraves la proposition subordonneacutee (VIII 39 et sq) il est neacutecessaire de rappeler ce qui a eacuteteacute exposeacute preacuteceacutedemment (sous III) Le deacuteplieshyment du Pli domine comme cp~(nc comme laquo dire raquo) en tant que laquo faire-apparaicirctre raquo Le Pli abrite en

1 Das entbergend entfaltende Gewiihren Cf p 42 n 1

MOIRA 307

lui le vo~iV et cc quil pense (VOY](L(x) comme chose dite Mais ce qui est perccedilu dans la penseacutee cest la preacutesence des cho~es preacutesentes Le dire qui pense et qui correspond au Pli est le AgraveEacuteyEtV en tant quil laisse la preacutesence eacutetendue-devant Ce qui ne se produit tout agrave fait que sur la voie de penseacutee ougrave sengage le penseur appeleacute par l )AAgraveYj 6sta

Mais que devient la cpcXcnccedil (parole disantc) qui domine dans la Dispensation deacutevoilante quand ce qui est deacuteployeacute dans le Pli la Dispfnsation labanshydonne au percevoir banal des mortels Ceux-ci aeeueiJJent (~Eacutexccr0a~ S6ccedilct) ce qui soffre agrave eux immeacutediatement tout de suite et tout dabord Ils ne commencent pas par se preacuteparer pour une voie de penseacutee Ils nentendent jamais proprement lapshypel du deacutevoilement du Pli Ils sen tiennent agrave ce qui se deacuteploie en lui plus preacuteciseacutement agrave ce qui les requiert immeacutediatement aux choses preacutesentes sans eacutegard agrave la preacutesence Ils gaspillent leur activiteacute et leurs loisirs pour ce quils ont lhabitude de pershycevoir t~ ~OXOUumlvtlX (fragment l 31) Ils le prennent pour le non-cacheacute cXAgraveY]0Yj (VIII 39) puisque nestshyce pas il leur apparaicirct et quainsi il nest plus cacheacute Seulement que devient leur dire sil ne peut ecirctre le AgraveEacuteyE~V le laquo laisser-eacutetendu-devant raquo Quand les mortels ne donnent aucune attention agrave la preacuteshysence cest-agrave-dire ne la pensent pas leur dire habishytuel devient un simple dire de noms et ce qui passe au premier plan dans ces noms cest le son eacutemis et la forme immeacutediatement saisissable de la parole au sens de mots prononceacutes et eacutecrits

Le deacutemembrement du dire (du laquo laisser-eacutetendu-deshyvant raquo) en mots signifiants fait eacuteclater le laquo prendreshydans-son-attention 1 raquoqui rassemble Celui-ci devient un X(xT(XmiddotdOecr6ct~ (VIII 39) une fixation qui fixe ceci ou cela pour lopinion qui est presseacutee Tout ce

1 Le lOf)

308 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

qui est ainsi fixeacute demeure gvoflCX Parmeacutenide ne dit aucunement que ce qui est habituellement perccedilu devient laquo pur et simpleraquo nom Mais ce qui est ainsi perccedilu demeure abandonneacute agrave un dire tout entier dirigeacute par les mots courants lesquels vite prononshyceacutes disent tout sur tout et vagabondent dans l laquoaussi bien que 1bullbull raquo

La perception des choses preacutesentes (des Egrave6ncx) nomme elle aussi ldvoc~ et connaicirct la preacutesence mais eacutegalement la non-preacutesence et dune faccedilon aussi hacirctive non pas certes comme le fait la penseacutee qui agrave sa maniegravere respecte la middot reacuteserve 2 du Pli (le (l~ i6v)Lopinion courante ne connaicirct qudvcx~ tamp

Xcxt OUgraveXL (VIII 40) la preacutesence aussi bien que la non-preacutesence Le poids de ce qui est ainsi laquobien connuraquo se trouve dans teuro-XOCL (VIII 40 et sq) laquo aussi bien que raquo Et lagrave ougrave la perception habishytuelle celle qui parle agrave partir des mots rencontre leacutemergence et la disparition 3 elle se satisfait de l laquo aussi bien que raquo aussi bien la geacuteneacuteration (y(yve()Ox~) que la middot mort (OAgraveAgrave)()OCXL) (VIII 40) Elle ne perccediloit jamais le lieu t6rcoc comme lenshydroit ougrave le Pli offre une demeure (Heimat) agrave la preacutesence des choses preacutesentes Dans l laquo aussi bienbull que raquo lopinion des mortels ne recherche que les changements (ampAgraveAgrave~()()e~v) de places La perception habituelle sans doute se meut dans la partie eacuteclaireacutee des choses preacutesentes elle voit ce qui brille (cpocv6v VIII 41) dans la couleur mais elle se deacutemegravene dans les changements (ampJd~eLV) de coushyleur et ne precircte aucune attention agrave la lumiegravere tranquille de cette clarteacute qui vient du deacutepliement du Pli et qui est la ltlgt~()~C le faire-apparaitre la

1 Dans le rEacute-xal dont il va ecirctre question 2 Au sujet de la laquo retenueraquo (Vorenthalt) de lecirctre cf p 174 Le

non-ecirctre (I-- ~ lv) est lecirctre en tant quil se reacuteserve ne se donne pas reste dans lombre Cf plus loin p 309 fin

3 Das Aufgehen und Untergehen le lever et le coucher comme on le dit des astres

MOIRA 309

faccedilon dont la parole est disante non la faccedilon dont parlent les mots les noms quentend loreille

Teacutegt 7tampv-r ovo~l()tcx~ (VIII 38) par cela tout (les choses preacutesentes) sera preacutesent dans ce deacutevoileshyment preacutetendu quapporte avec elle la domination des mots Par quoi cela se produit-il Par la MoLpcx par la dispensation 1 du deacutevoilement du Pli Comshyment faut-il lentendre Dans le deacutepliement du Pli en mecircme temps que la preacutesence paraicirct les choses preacutesentes apparaissent Les choses preacutesentes elles aussi sont choses dites mais dites dans les mots qui nomment dans le parler desquels se meut le dire ordinaire des mortels La dispensation du deacutevoileshyment du Pli (de ll6v) abandonne les choses preacutesentes (-reX egrave6vtcx) au percevoir quotidien des mortels

Comment se produit cet abandon des choses par la dispensation Par cela seulement que le Pli comme tel et avecIui son deacutepliement demeurent en retrait Est-ce qualors ce qui domine dans le deacutevoishylement cest quil se deacuterobe Penseacutee hardie mais Heacuteraclite la penseacutee Parmeacutenide la sentie sans la penser pour autant quentendant lappel de l AAgrave~-6eLCX il pense la MoLpcx de leacute6v la dispensation du Pli aussi bien dans son rapport agrave la preacutesence que dans son rapport aux choses preacutesentes

Parmeacutenide ne serait pas un penseur vivant agrave laube des deacutebuts de cette penseacutee qui se plie agrave la dispensation du Pli si sa penseacutee ne peacuteneacutetrait dans lampleur de leacutenigme qui se tait dans le mot-eacutenigme ro Qj-r6 le mecircme Lagrave sabrite ce qui meacuterite decirctre penseacute ce qui nous donne agrave penser se donne soishymecircme agrave penser comme eacutetant le rapport de la penseacutee agrave recirctre la veacuteriteacute de lecirctre au sens du deacutevoilement du Pli la reacuteserve observeacutee par le Pli (le tL~ Egrave6v) alors que preacutedominent les choses preacutesentes (-ramp Egrave6VTQ reX 8oxouumlv-rcx)

1 G6lChick envoi attribution et destin

310 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Le dialogue avec Parmeacutenide ne prend pas fin non seulement parce que dans les fragments conserveacutes de son Poegraveme didactique maintes choses demeurent obscures mais aussi parce que ce quil dit meacuterite toujours decirctre penseacute VIais que le dialogue soit sans fin nest pas un deacutefaut Cest le signe de lillishymiteacute qui en soi et pour la penseacutee qui se souvient preacuteserve la possibiliteacute dun revirement du destin

Qui toutefois nattend de la penseacutee quune assushyrance ct suppute le jour ougrave on pourra la laisser lagrave inutiliseacutee celui-lagrave exige lcsuicide de la penseacutee Exigence qui apparaicirct dans une eacutetrange lumiegravere quand nous songeons agrave ceci que lecirctre des mortels est inviteacute agrave faire attentiol agrave cette parole qui leur dit dentrer dans la mort Comme possibiliteacute extrecircmegrave de lexistence mortelle la mort nest pas la fin du possible mais elle est lAbri suprecircme 1 (la mise agrave labri qui rassemble) ougrave reacuteside le secret du deacutevoileshyment qui nous appelle

1 Das hiichste Gcbirg Cf p 6 n 2 et p 2]3

j

298 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

entrevoir la pleine mesure deacutenigme de ce que cache le vide seacutemantique habituel du mot laquo le mecircme raquo

Est-ce agrave partir du deacutepliement du Pli que le Pli ugravee son cocircteacute appelle la penseacutee sur la voie de l laquo agraveshycause-de-lui 1raquo et par-lagrave requiert lappartenance mutuelle de la preacutesence (des choses preacutesentes) et de la penseacutee Mais quest-ce que le deacutepliement du Pli Comment se produit-il Trouvons-nous dans la parole de Parmeacutenide un point dappui nous aidant agrave rechercher en questionnant dune maniegravere approshyprieacutee ce quest le deacutepliement du Pli nous aidant agrave entendre ce qui fait son ecirctre (ihr Wesendes) et agrave lentendre dans ce que tait le mot-eacutenigme de la sentence Nous nen trouvons aucun immeacutediateshyment

Il est surprenant toutefois que dans les deux vershysions de la sentence sur le rapport de la penseacutee et de lecirctre le mot-eacutenigme figure au commencement Le fragment III dit laquo Le mecircme en effet est le laquo prendreshydans-son-attentionraquo et aussi l laquo ecirctre-preacutesentraquo (des choses preacutesentes)raquo Le fragment VIII 34 dit laquoLe mecircme est laquo prendre-dans-son-attentionraquo et (ce) en chemin vers quoi est le percevoir attentif raquo Que signifie dans le dire de la sentence cette place de deacutebut accordeacutee au mot dans la construction de la phrase Sur quoi par cette intonation Parmeacuteshynide voulait-il mettre laccent Probablement sur le ton fondamental En lui reacutesonne par anticipation ce que la sentence agrave proprement paTler doit dire Ce quon dit ainsi sappelle en grammaire le prc~dicat de la phrase Mais le sujet de la phrase est le voe~v (penseacutee) dans son rapport agrave ldVltXL (ecirctre) Le texte grec nous oblige agrave interpreacuteter ainsi la construction de la sentence La position de tecircte du mot-eacutenigme nous invite agrave arrecircter notre attention sur ce mot et agrave y revenir sans cesse Mecircme ainsi toutefois le mot

1 Au den Weg des laquo Ihrctwcgel - Le Pli invite la penseacutee agrave paraicirctre et elle paraicirct en lui (~I 0) et agrave cause de lui (OJVEXE~)

MOIRA 299

ne nous dit rien de ce que nous vouugraverions savoir Il nous faut donc essayer sans jamais perdre de

vue la position de 10 ltXugraveto le mecircme au deacutebut de la phrase de nous avancer librement et avec hardiesse dans la penseacutee du deacutepliement en partant du Pli de legraveov (de la preacutesence des choses preacutesentes) Nous y sommes aideacutes par la consideacuteration suivante cest dans le Pli de legraveov que la penseacutee est pro-duite en son paraicirctre cest en lui quelle est une chose dite 7tScpltXtLOJEacuteVOV

Dans le Pli domine ainsi la qJcXOLC le dire en tant que ce laquo faire-apparaicirctreraquo qui appelle et reacuteclame Quest-ce que le dire fait apparaicirctre La preacutesence des choses preacutesentes Le dire qui regravegne dans le Pli et qui le manifeste est le rassemblemcnt de la preacutesence dans le paraicirctre de laquelle les choses preacuteshysentes peuvent apparaicirctre Cette ltlgtciOLC que Parshymeacutenide pense Heacuteraclite lappelle le Aoyoc le laquo laisshyser-eacutetendu-devantraquo qui rassemble

Quest-ce qui a lieu dans la ltlgtciOtC et dans le Aoyoc Est-ce que ce dire qui regravegne en eux qui rassemble et qui appelle serait cet apport qui tout dabord pro-duit (erbringt) un paraicirctre lequel accorde une eacuteclaircie et dans la dureacutee duquel la preacutesence dabord seacuteclaire 1 afin que dans sa lumiegravere des choses preacutesentes apparaissent et quainsi regravegne le Pli de lune et des autres Le deacutepliement du Pli reacutesiderait-il en ceci quun paraicirctre illuminant se montre Le trait fondamental de ce paraicirctre les Grecs middot lont vu comme deacutevoilement Dans le deacutepliement du Pli regravegne ainsi le deacutevoileshyment Les Grecs le nomment AAgrave~eeuroLltX

La penseacutee de Parmeacutenide serait donc parvenue tout de mecircme agrave sa maniegravere jusquau deacutepliement

1 Das Lichtung gewiihrl in welchcm Wiihren erst Anwesen sich lichtet Litteacuteralement laquoqui accorde eacuteclaircie dans lequel durer seulement preacutesence seacuteclaire raquoCf p 42 n 1 et cf pp 235 301 306 et les notes

300 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

du Pli agrave supposer que Parmeacutenide parle de l AAgrave~eeLrt La nomme-t-il Sans doute au deacutebut de son Poegraveme didactique Plus encore l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Cest en leacutecoutant que Parmeacutenide dit ce quil a penseacute Pourtant il ne dit pas en quoi consiste lecirctre de l middotAAgrave~ee(X Il ne pense pas davantage en quel sens du mot diviniteacute l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Pour les deacutebuts de la penseacutee grecque tout cela demeure - dune faccedilon aussi immeacutediate quun eacuteclaircissement du mot-eacutenigme tagrave (Xugravet6 le mecircme shyhors du cercle des choses qui meacuteritent decirctre penshyseacutees

Il est toutefois vraisemblable quentre toutes ces choses impenseacutees existent des relations invisibles Les vers introductifs du Poegraveme didactique l 22 et sq sont autre chose que lhabillement poeacutetique dun travail conceptuel abstrait Cest se rendre trop facile le dialogue avec la voie de penseacutee de Parmeacuteshynide que de regretter dans les paroles du penseur labsence de toute expeacuterience mythique et dobjecter que la deacuteesse AAgrave~eeL(x est parfaitement vague pur fantocircme rationnel si on la compare aux laquo personnes divinesraquo bien caracteacuteriseacutees Hegravera Atheacuteneacute Deacutemegraveter Aphrodite Arteacutemis Qui fait de pareilles reacuteserves parle comme si de longue date on savait avec certishytude ce quest la laquo diviniteacuteraquo des dieux grecs comme sil eacutetait sucircr que parler ici de laquo personnesraquo a bien un sens et que touchant lecirctre de la veacuteriteacute il fucirct bien eacutetabli quau cas ougrave elle apparaicirctrait comme deacuteesse on ne pourrait voir lagrave que la personnifishycation abstraite dun concept Au fond cest agrave peine si le laquomythiqueraquo a eacuteteacute pris en consideacuterashytion et surtout lon na pas consideacutereacute que le (lu6occedil est un dire (Sage) et que dire agrave son tour est appeler et faire briller Aussi vaut-il mieux que nous continuions agrave questionner prudemment et que nous eacutecoutions ce que dit le fragment 1 (22 et sq)

MOIRA 301

X(X( (le 6ecX 7tpO()PCugraveJ lmeocirct~(Xto Xe~p(X ocircegrave XetpE ~e~LteFT) EacuteAgraveeJ llo~ ~~7tOccedil qrXto xex( (le 7tpoa~uocircrt

Et la deacuteesse regardant dans lavenir me reccedilut Javoshy[rablement de sa main

Elle me prit la main droite et me dit ainsi la parole [chantant pour moi

Ce qui soffre ici au penseur comme chose agrave penshyser demeure en mecircme temps voileacute quant agrave son orishygine essentielle Ceci nexclut pas mais implique au contraire que dans ce que dit le penseur domine le deacutevoilement comme ce agrave quoi il est toujours attentif pour autant quil loriente vers la chose agrave penser Or celle-ci est nommeacutee dans le mot-eacutenigme tagrave cxugraveto le mecircme et ainsi nommeacutee qualifie le rapshyport de la penseacutee agrave lecirctre

Cest pourquoi nous devons au moins demander si ce nest pas le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoishylement de la preacutesence des choses preacutesentes qui est tu dans exugravet6 le mecircme En le preacutesumant nous nallons pas au delagrave de ce qua penseacute Parmeacutenide nous retournons au contraire vers ce quil faut penser et penser dune faccedilon plus originelle

Lexamen de la sentence sur le rapport de la penseacutee agrave lecirctre prend alors lapparence ineacutevitable dune chose arbitraire et forceacutee

La construction grammaticale de la phrase tagrave yap rtugravetagrave JoetJ iatLI te XClt elext apparaicirct mainshytenant dans une autre lumiegravere Le mot-eacutenigme tagrave rtugravet6 le mecircme par lequel commence la phrase nest plus le preacutedicat mis en tecircte mais bien le sujet ce qui seacutetend au-dessous ce qui porte et soutient Le mot sans apparence EgraveatLI laquoestraquo veut dire maintenant deacuteploie son ecirctre (west) dure en accorshydant et en puisant pour accorder dans ce qui accorde 1 dans ce comme quoi domine tagrave rtugraveto le

1 West Uuumlhrt und zwar gcwuumlhrend aU3 dcm GcwUumlhrcnden laquoAccorshy

302 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

mecircme agrave savoir comme le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoilement ce qui deacutevoilant deacuteplie le Pli assure le laquoprendre-dans-son-attention 1raquo sur son chemin vers la perception rassemblante de la preacutesence des choses preacutesentes La veacuteriteacute entendue comme pareil deacutevoilement du Pli laisse agrave partir de lui la penseacutee appartenir agrave lecirctre Dans le motshyeacutenigme tagrave (Xugraveto le mecircme se tait loctroi deacutevoilant qui garantit 2 lappartenance mutuelle du Pli et de la penseacutee qui apparaicirct en lui

v

Si donc la penseacutee appartient agrave lecirctre ce nest pas parce quelle aussi est une chose preacutesente et quelle a donc sa place dans lensemble de la preacutesence on entend par lagrave dans lensemble des choses preacutesentes Il semble toutefois que Parmeacutenide aussi se repreacuteshysente de cette faccedilon le rapport de lecirctre agrave la penseacutee Il ajoute en effet agrave lappui de ce quil vient de dire une remarque introduite par (eXp (car) et ainsi conccedilue 7teXpe~ tou kovtoccedil hors de leacutetant il ny a eu il ny a et il ny aura aucun autre eacutetant (dapr~s une conjecture de Bergk ougrave3 ~v) Mais tagrave kov ne veut pas dire laquo leacutetant raquo il deacutesigne le Pli Certes hors de celui-ci il ny a jamais aucune preacutesence de choses preacutesentes car la preacutesence comme telle repose dans le Pli paraicirct et apparaicirct dans le deacuteploiement de sa lumiegravere

Mais pourquoi en ce qui concerne le rapport de la penseacutee agrave lecirctre Parmeacutenide ajoute-t-ilspeacutecialeshyment une telle justification Parce que le mot JoeLv qui diffegravere ddv(xL parce que le mot laquo penshy

derraquo au sens d laquo octroyer raquo Sur le rapport eacutetroit entre laquo durerraquo et laquo accorder raquo cf p 42 n 1

1 Le oei le connaicirctre la penseacutee laquo Assureraquo (gewiihrl) au sens de laquo garantit raquo Cf p 235

2 Das entbergende Gewiihren

MOIRA 303

seacuteeraquo donne forceacutement limpression que ce quil deacutesigne est tout de mecircme un amp0 une chose autre en face de lecirctre et par conseacutequent hors de lui Mais ce nest pas seulement le mot comme forme verbale cest son contenu son sens qui paraicirct se tenir laquo agrave cocircteacuteraquo et laquo horsraquo de leacute6v Et cette apparence nest pas non plus simple apparence Car AgraveEacuteyELv et Jodv laissent les choses preacutesentes eacutetendues-devant dans la lumiegravere de la preacutesence Eux-mecircmes sont ainsi eacutetendus en face de la preacutesence quoique jamais en face delle comme deux objets existant pour soi Lassemblage de AgraveEacuteyELV et de voeLv laisse (dapregraves le fragment VI) lkov eacuteflflev(xL il libegravere la preacutesence la laissant acceacuteder agrave son apparaicirctre pour la pershyception et se tient alors dune certaine maniegravere hors de l Egrave6v Dun point de vue la penseacutee est hors du Pli vers lequel lui reacutepondant et demandeacutee par lui elle demeure en chemin Dun autre point de vue ce laquo en chemin vers raquo demeure agrave linteacuterieur du Pli lequel nest jamais une simple distinction quelque part existante et repreacutesenteacutee de lecirctre et de leacutetant mais a son ecirctre agrave partir du deacutepliement qui deacutevoile Celui-ci comme AAgrave~eELct accorde agrave toute preacutesence la lumiegravere dans laquelle les choses preacutesentes peuvent apparaicirctre

Si toutefois le deacutevoilement accorde leacuteclairement de la preacutesence cest en mettant en œuvre agrave la foisshyau cas ougrave des choses preacutesentes doivent apparaicirctreshyun laquolaisser-eacutetendu-devantraquo et un percevoir 1 et les mettant ainsi en œuvre en retenant la penseacutee dans son appartenance au Pli Cest pourquoi hors du Pli il ny a daucune maniegravere quoi que ce soit de preacutesent nimporte ougrave et nimporte comment

Tout ce que nous avons deacutebattu jusquagrave preacutesent demeurerait une invention arbitraire une interpreacuteshytation substitueacutee apregraves coup si Parmeacutenide navait

1 Un AgraveeacuteyElV un dire et un VOErV un connaicirctre

304 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

dit lui-mecircme pourquoi la preacutesence ne peut jamais segrave tenir agrave cocircteacute de lt6v hors de lui

VI

Ce que le penseur nous dit encore de l t6v se trouve en langage grammatical dans une proposhysition subordonneacutee Quiconque est exerceacute si peu que ce soit agrave eacutecouter les grands penseurs sera sans doute parfois deacuteconcerteacute par ce fait eacutetrange que cc quil faut proprement penser ils le disent dans une proposition subordonneacutee ajouteacutee sans bruit et quils sen tiennent lagrave Le jeu de la lumiegravere qui appelle deacuteploie et aide agrave la croissance ne devient pas luishymecircme visible Il brille aussi peu apparent que la lumiegravere du matin sur la somptuositeacute tranquille des lis dans le champ et des roses dans le jardin

La proposition subordonneacutee de Parmeacutenide qui agrave vrai dire est la thegravese de toutes ses thegraveses est la suishyvante (VIII 37 et sq)

eacute7td ro ye MOLp Egrave1teacuteocirc1jOev ougraveAgraveov chdv1jr6v r Eacute(L(Levcxt

bullpuisque la Moira lui a imposeacute (agrave leacutetant) decirctre un [Tout et immobile (W KRANZ)

Parmeacutenide parle de l t6v de la preacutesence (des choses preacutesentes) du Pli mais nullement de l laquo eacutetant raquo Il nomme la Mopcx lattribution qui accordant reacutepartit et qui ainsi ouvre le Pli Lattrishybution dispense le P1i elle en munit en fait don Elle eRt la Dispensation (Schickung) en elle-mecircme recueillie ct ainsi deacutepliante qui envoie la preacutesence 1

comme preacutesence de choses preacutesentes Mopcx est

1 Die Schickung des AnLtcscns Cf pins haut p 272 n 1

MOIRA 305

la Dispensation 1 de l laquoecirctreraquo au sens de lMv Cest celui-ci justement rO ye quene a libeacutereacute lui ouvrant laccegraves du Pli et par lagrave mecircme lieacute agrave la totaliteacute et au repos agrave partir desquels et dans lesquels la preacutesence des choses preacutesentes se manifeste

Dans la Dispensation du Pli toutefois cest seushylement la preacutesence qui parvient agrave paraicirctre et les choses preacutesentes agrave apparaicirctre La Dispensation maintient en retrait le Pli comme tel et plus encore son deacutepliement Lecirctre de l A-yj 8ELCX demeure voileacute La visibiliteacute quelle accorde fait eacutemerger la preacutesence des choses preacutesentes comme laquo aspectraquo (dooccedil) et comme laquo vue raquo (~oEacute~) En conseacutequence le rapport qui appreacutehende la preacutesence des choses preacutesentes se deacutetermine comme voir (dOEacuteV~L) Lagrave mecircme ougrave la veacuteriteacute sest transformeacutee devenant la certitude de la conscience de soi le savoir marqueacute par la visio et son eacutevidence ne peuvent nier leur origine essentielle tireacutee du deacutevoilement qui eacuteclaire Le lumen naturale la lumiegravere naturelle ici lillumination de la raison preacutesuppose deacutejagrave le deacutevoilement du Pli Cette remarque vaut aussi pour les theacuteories augustinienne et meacutedieacutevale de la lumiegravere lesquelles pour ne rien dire de leur origine platonicienne ne peuvent se deacuteployer que dans le domaine de l 1AAgrave~eeL~ deacutejagrave dominante dans la Dispensation du Pli

Si nous voulons pouvoir parler de lhistoire de lecirctre nous devons dabord avoir consideacutereacute qu laquoecirctreraquo veut dire preacutesence des choses preacuteshysentes Pli Cest seulement agrave partir de lecirctre ainsi consideacutereacute que nous pouvons middot alors demander avec la prudence neacutecessaire ce qulaquo histoireraquo ( Cesshychichte) veut dire ici Lhistoire est la Dispensation du Pli (das Ceschick der Zwiefalt) Elle est lecirctreshydurer en mode rassembleacute qui deacutevoilant et deacutepliant

1 Sur la DispensatioD (ou lEnvoi) de lecirctre (Gcschil des S(in ~) voir notamment Der SaI vom Grund pp 108-110 119-LIJ 129-lJU et ISO

306 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

octroie 1 la preacutesence eacuteclaireacutee ougrave les choses preacutesentes apparaissent Lhistoire de lecirctre nest jamais une suite deacuteveacutenements que lecirctre parcourrait pour lui-mecircme Encore moins est-elle un objet qui ouvrishyrait agrave l laquohistoireraquo (-science) de nouvelles possishybiliteacutes de vues-repreacutesentations qui les ouvrirait agrave une laquo histoireraquo disposeacutee agrave se substituer preacutetendant savoir mieux agrave la faccedilon jusquici habituelle de consideacuterer lhistoire de la meacutetaphysique

Ce que dans linapparence dune proposition subordonneacutee Parmeacutenide dit de la Moip(X dans les liens de laquelle lMV est libeacutereacute comme Pli ouvre au penseur lampleur de vue accordeacutee agrave son chemin par le destin Car cest dans cette ampleur quappashyraicirct ce en quoi la preacutesence (des choses preacutesentes) se montre elle-mecircme t~ crf)[l(Xt(X toG EumlOltOc Ceux-ci sont agrave vrai dire multiples (7toAgraveAgrave~) Les a1)1-(Xt(X ne sont pas les signes dune autre chose Ils sont le paraicirctre multiple de la preacutesence elle-mecircme eacutemergeant du Pli deacuteplieacute shy

VII

Mais ce que la MOL(X dispense et reacutepartit nest pas encore complegravetement exposeacute Il en reacutesulte quun trait essentiel du mode de sa puissance demeure impenseacute Quarrive-t-il du fait que la Dispensation libegravere la preacutesence des choses preacutesentes la conduisant dans le Pli et ainsi la fixe dans sa totauumlteacute et son repos

Pour mesurer la porteacutee de ce que Parmeacutenide dit agrave ce sujet aussitocirct apregraves la proposition subordonneacutee (VIII 39 et sq) il est neacutecessaire de rappeler ce qui a eacuteteacute exposeacute preacuteceacutedemment (sous III) Le deacuteplieshyment du Pli domine comme cp~(nc comme laquo dire raquo) en tant que laquo faire-apparaicirctre raquo Le Pli abrite en

1 Das entbergend entfaltende Gewiihren Cf p 42 n 1

MOIRA 307

lui le vo~iV et cc quil pense (VOY](L(x) comme chose dite Mais ce qui est perccedilu dans la penseacutee cest la preacutesence des cho~es preacutesentes Le dire qui pense et qui correspond au Pli est le AgraveEacuteyEtV en tant quil laisse la preacutesence eacutetendue-devant Ce qui ne se produit tout agrave fait que sur la voie de penseacutee ougrave sengage le penseur appeleacute par l )AAgraveYj 6sta

Mais que devient la cpcXcnccedil (parole disantc) qui domine dans la Dispensation deacutevoilante quand ce qui est deacuteployeacute dans le Pli la Dispfnsation labanshydonne au percevoir banal des mortels Ceux-ci aeeueiJJent (~Eacutexccr0a~ S6ccedilct) ce qui soffre agrave eux immeacutediatement tout de suite et tout dabord Ils ne commencent pas par se preacuteparer pour une voie de penseacutee Ils nentendent jamais proprement lapshypel du deacutevoilement du Pli Ils sen tiennent agrave ce qui se deacuteploie en lui plus preacuteciseacutement agrave ce qui les requiert immeacutediatement aux choses preacutesentes sans eacutegard agrave la preacutesence Ils gaspillent leur activiteacute et leurs loisirs pour ce quils ont lhabitude de pershycevoir t~ ~OXOUumlvtlX (fragment l 31) Ils le prennent pour le non-cacheacute cXAgraveY]0Yj (VIII 39) puisque nestshyce pas il leur apparaicirct et quainsi il nest plus cacheacute Seulement que devient leur dire sil ne peut ecirctre le AgraveEacuteyE~V le laquo laisser-eacutetendu-devant raquo Quand les mortels ne donnent aucune attention agrave la preacuteshysence cest-agrave-dire ne la pensent pas leur dire habishytuel devient un simple dire de noms et ce qui passe au premier plan dans ces noms cest le son eacutemis et la forme immeacutediatement saisissable de la parole au sens de mots prononceacutes et eacutecrits

Le deacutemembrement du dire (du laquo laisser-eacutetendu-deshyvant raquo) en mots signifiants fait eacuteclater le laquo prendreshydans-son-attention 1 raquoqui rassemble Celui-ci devient un X(xT(XmiddotdOecr6ct~ (VIII 39) une fixation qui fixe ceci ou cela pour lopinion qui est presseacutee Tout ce

1 Le lOf)

308 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

qui est ainsi fixeacute demeure gvoflCX Parmeacutenide ne dit aucunement que ce qui est habituellement perccedilu devient laquo pur et simpleraquo nom Mais ce qui est ainsi perccedilu demeure abandonneacute agrave un dire tout entier dirigeacute par les mots courants lesquels vite prononshyceacutes disent tout sur tout et vagabondent dans l laquoaussi bien que 1bullbull raquo

La perception des choses preacutesentes (des Egrave6ncx) nomme elle aussi ldvoc~ et connaicirct la preacutesence mais eacutegalement la non-preacutesence et dune faccedilon aussi hacirctive non pas certes comme le fait la penseacutee qui agrave sa maniegravere respecte la middot reacuteserve 2 du Pli (le (l~ i6v)Lopinion courante ne connaicirct qudvcx~ tamp

Xcxt OUgraveXL (VIII 40) la preacutesence aussi bien que la non-preacutesence Le poids de ce qui est ainsi laquobien connuraquo se trouve dans teuro-XOCL (VIII 40 et sq) laquo aussi bien que raquo Et lagrave ougrave la perception habishytuelle celle qui parle agrave partir des mots rencontre leacutemergence et la disparition 3 elle se satisfait de l laquo aussi bien que raquo aussi bien la geacuteneacuteration (y(yve()Ox~) que la middot mort (OAgraveAgrave)()OCXL) (VIII 40) Elle ne perccediloit jamais le lieu t6rcoc comme lenshydroit ougrave le Pli offre une demeure (Heimat) agrave la preacutesence des choses preacutesentes Dans l laquo aussi bienbull que raquo lopinion des mortels ne recherche que les changements (ampAgraveAgrave~()()e~v) de places La perception habituelle sans doute se meut dans la partie eacuteclaireacutee des choses preacutesentes elle voit ce qui brille (cpocv6v VIII 41) dans la couleur mais elle se deacutemegravene dans les changements (ampJd~eLV) de coushyleur et ne precircte aucune attention agrave la lumiegravere tranquille de cette clarteacute qui vient du deacutepliement du Pli et qui est la ltlgt~()~C le faire-apparaitre la

1 Dans le rEacute-xal dont il va ecirctre question 2 Au sujet de la laquo retenueraquo (Vorenthalt) de lecirctre cf p 174 Le

non-ecirctre (I-- ~ lv) est lecirctre en tant quil se reacuteserve ne se donne pas reste dans lombre Cf plus loin p 309 fin

3 Das Aufgehen und Untergehen le lever et le coucher comme on le dit des astres

MOIRA 309

faccedilon dont la parole est disante non la faccedilon dont parlent les mots les noms quentend loreille

Teacutegt 7tampv-r ovo~l()tcx~ (VIII 38) par cela tout (les choses preacutesentes) sera preacutesent dans ce deacutevoileshyment preacutetendu quapporte avec elle la domination des mots Par quoi cela se produit-il Par la MoLpcx par la dispensation 1 du deacutevoilement du Pli Comshyment faut-il lentendre Dans le deacutepliement du Pli en mecircme temps que la preacutesence paraicirct les choses preacutesentes apparaissent Les choses preacutesentes elles aussi sont choses dites mais dites dans les mots qui nomment dans le parler desquels se meut le dire ordinaire des mortels La dispensation du deacutevoileshyment du Pli (de ll6v) abandonne les choses preacutesentes (-reX egrave6vtcx) au percevoir quotidien des mortels

Comment se produit cet abandon des choses par la dispensation Par cela seulement que le Pli comme tel et avecIui son deacutepliement demeurent en retrait Est-ce qualors ce qui domine dans le deacutevoishylement cest quil se deacuterobe Penseacutee hardie mais Heacuteraclite la penseacutee Parmeacutenide la sentie sans la penser pour autant quentendant lappel de l AAgrave~-6eLCX il pense la MoLpcx de leacute6v la dispensation du Pli aussi bien dans son rapport agrave la preacutesence que dans son rapport aux choses preacutesentes

Parmeacutenide ne serait pas un penseur vivant agrave laube des deacutebuts de cette penseacutee qui se plie agrave la dispensation du Pli si sa penseacutee ne peacuteneacutetrait dans lampleur de leacutenigme qui se tait dans le mot-eacutenigme ro Qj-r6 le mecircme Lagrave sabrite ce qui meacuterite decirctre penseacute ce qui nous donne agrave penser se donne soishymecircme agrave penser comme eacutetant le rapport de la penseacutee agrave recirctre la veacuteriteacute de lecirctre au sens du deacutevoilement du Pli la reacuteserve observeacutee par le Pli (le tL~ Egrave6v) alors que preacutedominent les choses preacutesentes (-ramp Egrave6VTQ reX 8oxouumlv-rcx)

1 G6lChick envoi attribution et destin

310 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Le dialogue avec Parmeacutenide ne prend pas fin non seulement parce que dans les fragments conserveacutes de son Poegraveme didactique maintes choses demeurent obscures mais aussi parce que ce quil dit meacuterite toujours decirctre penseacute VIais que le dialogue soit sans fin nest pas un deacutefaut Cest le signe de lillishymiteacute qui en soi et pour la penseacutee qui se souvient preacuteserve la possibiliteacute dun revirement du destin

Qui toutefois nattend de la penseacutee quune assushyrance ct suppute le jour ougrave on pourra la laisser lagrave inutiliseacutee celui-lagrave exige lcsuicide de la penseacutee Exigence qui apparaicirct dans une eacutetrange lumiegravere quand nous songeons agrave ceci que lecirctre des mortels est inviteacute agrave faire attentiol agrave cette parole qui leur dit dentrer dans la mort Comme possibiliteacute extrecircmegrave de lexistence mortelle la mort nest pas la fin du possible mais elle est lAbri suprecircme 1 (la mise agrave labri qui rassemble) ougrave reacuteside le secret du deacutevoileshyment qui nous appelle

1 Das hiichste Gcbirg Cf p 6 n 2 et p 2]3

j

300 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

du Pli agrave supposer que Parmeacutenide parle de l AAgrave~eeLrt La nomme-t-il Sans doute au deacutebut de son Poegraveme didactique Plus encore l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Cest en leacutecoutant que Parmeacutenide dit ce quil a penseacute Pourtant il ne dit pas en quoi consiste lecirctre de l middotAAgrave~ee(X Il ne pense pas davantage en quel sens du mot diviniteacute l AAgrave~eeL(x est une deacuteesse Pour les deacutebuts de la penseacutee grecque tout cela demeure - dune faccedilon aussi immeacutediate quun eacuteclaircissement du mot-eacutenigme tagrave (Xugravet6 le mecircme shyhors du cercle des choses qui meacuteritent decirctre penshyseacutees

Il est toutefois vraisemblable quentre toutes ces choses impenseacutees existent des relations invisibles Les vers introductifs du Poegraveme didactique l 22 et sq sont autre chose que lhabillement poeacutetique dun travail conceptuel abstrait Cest se rendre trop facile le dialogue avec la voie de penseacutee de Parmeacuteshynide que de regretter dans les paroles du penseur labsence de toute expeacuterience mythique et dobjecter que la deacuteesse AAgrave~eeL(x est parfaitement vague pur fantocircme rationnel si on la compare aux laquo personnes divinesraquo bien caracteacuteriseacutees Hegravera Atheacuteneacute Deacutemegraveter Aphrodite Arteacutemis Qui fait de pareilles reacuteserves parle comme si de longue date on savait avec certishytude ce quest la laquo diviniteacuteraquo des dieux grecs comme sil eacutetait sucircr que parler ici de laquo personnesraquo a bien un sens et que touchant lecirctre de la veacuteriteacute il fucirct bien eacutetabli quau cas ougrave elle apparaicirctrait comme deacuteesse on ne pourrait voir lagrave que la personnifishycation abstraite dun concept Au fond cest agrave peine si le laquomythiqueraquo a eacuteteacute pris en consideacuterashytion et surtout lon na pas consideacutereacute que le (lu6occedil est un dire (Sage) et que dire agrave son tour est appeler et faire briller Aussi vaut-il mieux que nous continuions agrave questionner prudemment et que nous eacutecoutions ce que dit le fragment 1 (22 et sq)

MOIRA 301

X(X( (le 6ecX 7tpO()PCugraveJ lmeocirct~(Xto Xe~p(X ocircegrave XetpE ~e~LteFT) EacuteAgraveeJ llo~ ~~7tOccedil qrXto xex( (le 7tpoa~uocircrt

Et la deacuteesse regardant dans lavenir me reccedilut Javoshy[rablement de sa main

Elle me prit la main droite et me dit ainsi la parole [chantant pour moi

Ce qui soffre ici au penseur comme chose agrave penshyser demeure en mecircme temps voileacute quant agrave son orishygine essentielle Ceci nexclut pas mais implique au contraire que dans ce que dit le penseur domine le deacutevoilement comme ce agrave quoi il est toujours attentif pour autant quil loriente vers la chose agrave penser Or celle-ci est nommeacutee dans le mot-eacutenigme tagrave cxugraveto le mecircme et ainsi nommeacutee qualifie le rapshyport de la penseacutee agrave lecirctre

Cest pourquoi nous devons au moins demander si ce nest pas le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoishylement de la preacutesence des choses preacutesentes qui est tu dans exugravet6 le mecircme En le preacutesumant nous nallons pas au delagrave de ce qua penseacute Parmeacutenide nous retournons au contraire vers ce quil faut penser et penser dune faccedilon plus originelle

Lexamen de la sentence sur le rapport de la penseacutee agrave lecirctre prend alors lapparence ineacutevitable dune chose arbitraire et forceacutee

La construction grammaticale de la phrase tagrave yap rtugravetagrave JoetJ iatLI te XClt elext apparaicirct mainshytenant dans une autre lumiegravere Le mot-eacutenigme tagrave rtugravet6 le mecircme par lequel commence la phrase nest plus le preacutedicat mis en tecircte mais bien le sujet ce qui seacutetend au-dessous ce qui porte et soutient Le mot sans apparence EgraveatLI laquoestraquo veut dire maintenant deacuteploie son ecirctre (west) dure en accorshydant et en puisant pour accorder dans ce qui accorde 1 dans ce comme quoi domine tagrave rtugraveto le

1 West Uuumlhrt und zwar gcwuumlhrend aU3 dcm GcwUumlhrcnden laquoAccorshy

302 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

mecircme agrave savoir comme le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoilement ce qui deacutevoilant deacuteplie le Pli assure le laquoprendre-dans-son-attention 1raquo sur son chemin vers la perception rassemblante de la preacutesence des choses preacutesentes La veacuteriteacute entendue comme pareil deacutevoilement du Pli laisse agrave partir de lui la penseacutee appartenir agrave lecirctre Dans le motshyeacutenigme tagrave (Xugraveto le mecircme se tait loctroi deacutevoilant qui garantit 2 lappartenance mutuelle du Pli et de la penseacutee qui apparaicirct en lui

v

Si donc la penseacutee appartient agrave lecirctre ce nest pas parce quelle aussi est une chose preacutesente et quelle a donc sa place dans lensemble de la preacutesence on entend par lagrave dans lensemble des choses preacutesentes Il semble toutefois que Parmeacutenide aussi se repreacuteshysente de cette faccedilon le rapport de lecirctre agrave la penseacutee Il ajoute en effet agrave lappui de ce quil vient de dire une remarque introduite par (eXp (car) et ainsi conccedilue 7teXpe~ tou kovtoccedil hors de leacutetant il ny a eu il ny a et il ny aura aucun autre eacutetant (dapr~s une conjecture de Bergk ougrave3 ~v) Mais tagrave kov ne veut pas dire laquo leacutetant raquo il deacutesigne le Pli Certes hors de celui-ci il ny a jamais aucune preacutesence de choses preacutesentes car la preacutesence comme telle repose dans le Pli paraicirct et apparaicirct dans le deacuteploiement de sa lumiegravere

Mais pourquoi en ce qui concerne le rapport de la penseacutee agrave lecirctre Parmeacutenide ajoute-t-ilspeacutecialeshyment une telle justification Parce que le mot JoeLv qui diffegravere ddv(xL parce que le mot laquo penshy

derraquo au sens d laquo octroyer raquo Sur le rapport eacutetroit entre laquo durerraquo et laquo accorder raquo cf p 42 n 1

1 Le oei le connaicirctre la penseacutee laquo Assureraquo (gewiihrl) au sens de laquo garantit raquo Cf p 235

2 Das entbergende Gewiihren

MOIRA 303

seacuteeraquo donne forceacutement limpression que ce quil deacutesigne est tout de mecircme un amp0 une chose autre en face de lecirctre et par conseacutequent hors de lui Mais ce nest pas seulement le mot comme forme verbale cest son contenu son sens qui paraicirct se tenir laquo agrave cocircteacuteraquo et laquo horsraquo de leacute6v Et cette apparence nest pas non plus simple apparence Car AgraveEacuteyELv et Jodv laissent les choses preacutesentes eacutetendues-devant dans la lumiegravere de la preacutesence Eux-mecircmes sont ainsi eacutetendus en face de la preacutesence quoique jamais en face delle comme deux objets existant pour soi Lassemblage de AgraveEacuteyELV et de voeLv laisse (dapregraves le fragment VI) lkov eacuteflflev(xL il libegravere la preacutesence la laissant acceacuteder agrave son apparaicirctre pour la pershyception et se tient alors dune certaine maniegravere hors de l Egrave6v Dun point de vue la penseacutee est hors du Pli vers lequel lui reacutepondant et demandeacutee par lui elle demeure en chemin Dun autre point de vue ce laquo en chemin vers raquo demeure agrave linteacuterieur du Pli lequel nest jamais une simple distinction quelque part existante et repreacutesenteacutee de lecirctre et de leacutetant mais a son ecirctre agrave partir du deacutepliement qui deacutevoile Celui-ci comme AAgrave~eELct accorde agrave toute preacutesence la lumiegravere dans laquelle les choses preacutesentes peuvent apparaicirctre

Si toutefois le deacutevoilement accorde leacuteclairement de la preacutesence cest en mettant en œuvre agrave la foisshyau cas ougrave des choses preacutesentes doivent apparaicirctreshyun laquolaisser-eacutetendu-devantraquo et un percevoir 1 et les mettant ainsi en œuvre en retenant la penseacutee dans son appartenance au Pli Cest pourquoi hors du Pli il ny a daucune maniegravere quoi que ce soit de preacutesent nimporte ougrave et nimporte comment

Tout ce que nous avons deacutebattu jusquagrave preacutesent demeurerait une invention arbitraire une interpreacuteshytation substitueacutee apregraves coup si Parmeacutenide navait

1 Un AgraveeacuteyElV un dire et un VOErV un connaicirctre

304 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

dit lui-mecircme pourquoi la preacutesence ne peut jamais segrave tenir agrave cocircteacute de lt6v hors de lui

VI

Ce que le penseur nous dit encore de l t6v se trouve en langage grammatical dans une proposhysition subordonneacutee Quiconque est exerceacute si peu que ce soit agrave eacutecouter les grands penseurs sera sans doute parfois deacuteconcerteacute par ce fait eacutetrange que cc quil faut proprement penser ils le disent dans une proposition subordonneacutee ajouteacutee sans bruit et quils sen tiennent lagrave Le jeu de la lumiegravere qui appelle deacuteploie et aide agrave la croissance ne devient pas luishymecircme visible Il brille aussi peu apparent que la lumiegravere du matin sur la somptuositeacute tranquille des lis dans le champ et des roses dans le jardin

La proposition subordonneacutee de Parmeacutenide qui agrave vrai dire est la thegravese de toutes ses thegraveses est la suishyvante (VIII 37 et sq)

eacute7td ro ye MOLp Egrave1teacuteocirc1jOev ougraveAgraveov chdv1jr6v r Eacute(L(Levcxt

bullpuisque la Moira lui a imposeacute (agrave leacutetant) decirctre un [Tout et immobile (W KRANZ)

Parmeacutenide parle de l t6v de la preacutesence (des choses preacutesentes) du Pli mais nullement de l laquo eacutetant raquo Il nomme la Mopcx lattribution qui accordant reacutepartit et qui ainsi ouvre le Pli Lattrishybution dispense le P1i elle en munit en fait don Elle eRt la Dispensation (Schickung) en elle-mecircme recueillie ct ainsi deacutepliante qui envoie la preacutesence 1

comme preacutesence de choses preacutesentes Mopcx est

1 Die Schickung des AnLtcscns Cf pins haut p 272 n 1

MOIRA 305

la Dispensation 1 de l laquoecirctreraquo au sens de lMv Cest celui-ci justement rO ye quene a libeacutereacute lui ouvrant laccegraves du Pli et par lagrave mecircme lieacute agrave la totaliteacute et au repos agrave partir desquels et dans lesquels la preacutesence des choses preacutesentes se manifeste

Dans la Dispensation du Pli toutefois cest seushylement la preacutesence qui parvient agrave paraicirctre et les choses preacutesentes agrave apparaicirctre La Dispensation maintient en retrait le Pli comme tel et plus encore son deacutepliement Lecirctre de l A-yj 8ELCX demeure voileacute La visibiliteacute quelle accorde fait eacutemerger la preacutesence des choses preacutesentes comme laquo aspectraquo (dooccedil) et comme laquo vue raquo (~oEacute~) En conseacutequence le rapport qui appreacutehende la preacutesence des choses preacutesentes se deacutetermine comme voir (dOEacuteV~L) Lagrave mecircme ougrave la veacuteriteacute sest transformeacutee devenant la certitude de la conscience de soi le savoir marqueacute par la visio et son eacutevidence ne peuvent nier leur origine essentielle tireacutee du deacutevoilement qui eacuteclaire Le lumen naturale la lumiegravere naturelle ici lillumination de la raison preacutesuppose deacutejagrave le deacutevoilement du Pli Cette remarque vaut aussi pour les theacuteories augustinienne et meacutedieacutevale de la lumiegravere lesquelles pour ne rien dire de leur origine platonicienne ne peuvent se deacuteployer que dans le domaine de l 1AAgrave~eeL~ deacutejagrave dominante dans la Dispensation du Pli

Si nous voulons pouvoir parler de lhistoire de lecirctre nous devons dabord avoir consideacutereacute qu laquoecirctreraquo veut dire preacutesence des choses preacuteshysentes Pli Cest seulement agrave partir de lecirctre ainsi consideacutereacute que nous pouvons middot alors demander avec la prudence neacutecessaire ce qulaquo histoireraquo ( Cesshychichte) veut dire ici Lhistoire est la Dispensation du Pli (das Ceschick der Zwiefalt) Elle est lecirctreshydurer en mode rassembleacute qui deacutevoilant et deacutepliant

1 Sur la DispensatioD (ou lEnvoi) de lecirctre (Gcschil des S(in ~) voir notamment Der SaI vom Grund pp 108-110 119-LIJ 129-lJU et ISO

306 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

octroie 1 la preacutesence eacuteclaireacutee ougrave les choses preacutesentes apparaissent Lhistoire de lecirctre nest jamais une suite deacuteveacutenements que lecirctre parcourrait pour lui-mecircme Encore moins est-elle un objet qui ouvrishyrait agrave l laquohistoireraquo (-science) de nouvelles possishybiliteacutes de vues-repreacutesentations qui les ouvrirait agrave une laquo histoireraquo disposeacutee agrave se substituer preacutetendant savoir mieux agrave la faccedilon jusquici habituelle de consideacuterer lhistoire de la meacutetaphysique

Ce que dans linapparence dune proposition subordonneacutee Parmeacutenide dit de la Moip(X dans les liens de laquelle lMV est libeacutereacute comme Pli ouvre au penseur lampleur de vue accordeacutee agrave son chemin par le destin Car cest dans cette ampleur quappashyraicirct ce en quoi la preacutesence (des choses preacutesentes) se montre elle-mecircme t~ crf)[l(Xt(X toG EumlOltOc Ceux-ci sont agrave vrai dire multiples (7toAgraveAgrave~) Les a1)1-(Xt(X ne sont pas les signes dune autre chose Ils sont le paraicirctre multiple de la preacutesence elle-mecircme eacutemergeant du Pli deacuteplieacute shy

VII

Mais ce que la MOL(X dispense et reacutepartit nest pas encore complegravetement exposeacute Il en reacutesulte quun trait essentiel du mode de sa puissance demeure impenseacute Quarrive-t-il du fait que la Dispensation libegravere la preacutesence des choses preacutesentes la conduisant dans le Pli et ainsi la fixe dans sa totauumlteacute et son repos

Pour mesurer la porteacutee de ce que Parmeacutenide dit agrave ce sujet aussitocirct apregraves la proposition subordonneacutee (VIII 39 et sq) il est neacutecessaire de rappeler ce qui a eacuteteacute exposeacute preacuteceacutedemment (sous III) Le deacuteplieshyment du Pli domine comme cp~(nc comme laquo dire raquo) en tant que laquo faire-apparaicirctre raquo Le Pli abrite en

1 Das entbergend entfaltende Gewiihren Cf p 42 n 1

MOIRA 307

lui le vo~iV et cc quil pense (VOY](L(x) comme chose dite Mais ce qui est perccedilu dans la penseacutee cest la preacutesence des cho~es preacutesentes Le dire qui pense et qui correspond au Pli est le AgraveEacuteyEtV en tant quil laisse la preacutesence eacutetendue-devant Ce qui ne se produit tout agrave fait que sur la voie de penseacutee ougrave sengage le penseur appeleacute par l )AAgraveYj 6sta

Mais que devient la cpcXcnccedil (parole disantc) qui domine dans la Dispensation deacutevoilante quand ce qui est deacuteployeacute dans le Pli la Dispfnsation labanshydonne au percevoir banal des mortels Ceux-ci aeeueiJJent (~Eacutexccr0a~ S6ccedilct) ce qui soffre agrave eux immeacutediatement tout de suite et tout dabord Ils ne commencent pas par se preacuteparer pour une voie de penseacutee Ils nentendent jamais proprement lapshypel du deacutevoilement du Pli Ils sen tiennent agrave ce qui se deacuteploie en lui plus preacuteciseacutement agrave ce qui les requiert immeacutediatement aux choses preacutesentes sans eacutegard agrave la preacutesence Ils gaspillent leur activiteacute et leurs loisirs pour ce quils ont lhabitude de pershycevoir t~ ~OXOUumlvtlX (fragment l 31) Ils le prennent pour le non-cacheacute cXAgraveY]0Yj (VIII 39) puisque nestshyce pas il leur apparaicirct et quainsi il nest plus cacheacute Seulement que devient leur dire sil ne peut ecirctre le AgraveEacuteyE~V le laquo laisser-eacutetendu-devant raquo Quand les mortels ne donnent aucune attention agrave la preacuteshysence cest-agrave-dire ne la pensent pas leur dire habishytuel devient un simple dire de noms et ce qui passe au premier plan dans ces noms cest le son eacutemis et la forme immeacutediatement saisissable de la parole au sens de mots prononceacutes et eacutecrits

Le deacutemembrement du dire (du laquo laisser-eacutetendu-deshyvant raquo) en mots signifiants fait eacuteclater le laquo prendreshydans-son-attention 1 raquoqui rassemble Celui-ci devient un X(xT(XmiddotdOecr6ct~ (VIII 39) une fixation qui fixe ceci ou cela pour lopinion qui est presseacutee Tout ce

1 Le lOf)

308 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

qui est ainsi fixeacute demeure gvoflCX Parmeacutenide ne dit aucunement que ce qui est habituellement perccedilu devient laquo pur et simpleraquo nom Mais ce qui est ainsi perccedilu demeure abandonneacute agrave un dire tout entier dirigeacute par les mots courants lesquels vite prononshyceacutes disent tout sur tout et vagabondent dans l laquoaussi bien que 1bullbull raquo

La perception des choses preacutesentes (des Egrave6ncx) nomme elle aussi ldvoc~ et connaicirct la preacutesence mais eacutegalement la non-preacutesence et dune faccedilon aussi hacirctive non pas certes comme le fait la penseacutee qui agrave sa maniegravere respecte la middot reacuteserve 2 du Pli (le (l~ i6v)Lopinion courante ne connaicirct qudvcx~ tamp

Xcxt OUgraveXL (VIII 40) la preacutesence aussi bien que la non-preacutesence Le poids de ce qui est ainsi laquobien connuraquo se trouve dans teuro-XOCL (VIII 40 et sq) laquo aussi bien que raquo Et lagrave ougrave la perception habishytuelle celle qui parle agrave partir des mots rencontre leacutemergence et la disparition 3 elle se satisfait de l laquo aussi bien que raquo aussi bien la geacuteneacuteration (y(yve()Ox~) que la middot mort (OAgraveAgrave)()OCXL) (VIII 40) Elle ne perccediloit jamais le lieu t6rcoc comme lenshydroit ougrave le Pli offre une demeure (Heimat) agrave la preacutesence des choses preacutesentes Dans l laquo aussi bienbull que raquo lopinion des mortels ne recherche que les changements (ampAgraveAgrave~()()e~v) de places La perception habituelle sans doute se meut dans la partie eacuteclaireacutee des choses preacutesentes elle voit ce qui brille (cpocv6v VIII 41) dans la couleur mais elle se deacutemegravene dans les changements (ampJd~eLV) de coushyleur et ne precircte aucune attention agrave la lumiegravere tranquille de cette clarteacute qui vient du deacutepliement du Pli et qui est la ltlgt~()~C le faire-apparaitre la

1 Dans le rEacute-xal dont il va ecirctre question 2 Au sujet de la laquo retenueraquo (Vorenthalt) de lecirctre cf p 174 Le

non-ecirctre (I-- ~ lv) est lecirctre en tant quil se reacuteserve ne se donne pas reste dans lombre Cf plus loin p 309 fin

3 Das Aufgehen und Untergehen le lever et le coucher comme on le dit des astres

MOIRA 309

faccedilon dont la parole est disante non la faccedilon dont parlent les mots les noms quentend loreille

Teacutegt 7tampv-r ovo~l()tcx~ (VIII 38) par cela tout (les choses preacutesentes) sera preacutesent dans ce deacutevoileshyment preacutetendu quapporte avec elle la domination des mots Par quoi cela se produit-il Par la MoLpcx par la dispensation 1 du deacutevoilement du Pli Comshyment faut-il lentendre Dans le deacutepliement du Pli en mecircme temps que la preacutesence paraicirct les choses preacutesentes apparaissent Les choses preacutesentes elles aussi sont choses dites mais dites dans les mots qui nomment dans le parler desquels se meut le dire ordinaire des mortels La dispensation du deacutevoileshyment du Pli (de ll6v) abandonne les choses preacutesentes (-reX egrave6vtcx) au percevoir quotidien des mortels

Comment se produit cet abandon des choses par la dispensation Par cela seulement que le Pli comme tel et avecIui son deacutepliement demeurent en retrait Est-ce qualors ce qui domine dans le deacutevoishylement cest quil se deacuterobe Penseacutee hardie mais Heacuteraclite la penseacutee Parmeacutenide la sentie sans la penser pour autant quentendant lappel de l AAgrave~-6eLCX il pense la MoLpcx de leacute6v la dispensation du Pli aussi bien dans son rapport agrave la preacutesence que dans son rapport aux choses preacutesentes

Parmeacutenide ne serait pas un penseur vivant agrave laube des deacutebuts de cette penseacutee qui se plie agrave la dispensation du Pli si sa penseacutee ne peacuteneacutetrait dans lampleur de leacutenigme qui se tait dans le mot-eacutenigme ro Qj-r6 le mecircme Lagrave sabrite ce qui meacuterite decirctre penseacute ce qui nous donne agrave penser se donne soishymecircme agrave penser comme eacutetant le rapport de la penseacutee agrave recirctre la veacuteriteacute de lecirctre au sens du deacutevoilement du Pli la reacuteserve observeacutee par le Pli (le tL~ Egrave6v) alors que preacutedominent les choses preacutesentes (-ramp Egrave6VTQ reX 8oxouumlv-rcx)

1 G6lChick envoi attribution et destin

310 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Le dialogue avec Parmeacutenide ne prend pas fin non seulement parce que dans les fragments conserveacutes de son Poegraveme didactique maintes choses demeurent obscures mais aussi parce que ce quil dit meacuterite toujours decirctre penseacute VIais que le dialogue soit sans fin nest pas un deacutefaut Cest le signe de lillishymiteacute qui en soi et pour la penseacutee qui se souvient preacuteserve la possibiliteacute dun revirement du destin

Qui toutefois nattend de la penseacutee quune assushyrance ct suppute le jour ougrave on pourra la laisser lagrave inutiliseacutee celui-lagrave exige lcsuicide de la penseacutee Exigence qui apparaicirct dans une eacutetrange lumiegravere quand nous songeons agrave ceci que lecirctre des mortels est inviteacute agrave faire attentiol agrave cette parole qui leur dit dentrer dans la mort Comme possibiliteacute extrecircmegrave de lexistence mortelle la mort nest pas la fin du possible mais elle est lAbri suprecircme 1 (la mise agrave labri qui rassemble) ougrave reacuteside le secret du deacutevoileshyment qui nous appelle

1 Das hiichste Gcbirg Cf p 6 n 2 et p 2]3

j

302 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

mecircme agrave savoir comme le deacutepliement du Pli au sens du deacutevoilement ce qui deacutevoilant deacuteplie le Pli assure le laquoprendre-dans-son-attention 1raquo sur son chemin vers la perception rassemblante de la preacutesence des choses preacutesentes La veacuteriteacute entendue comme pareil deacutevoilement du Pli laisse agrave partir de lui la penseacutee appartenir agrave lecirctre Dans le motshyeacutenigme tagrave (Xugraveto le mecircme se tait loctroi deacutevoilant qui garantit 2 lappartenance mutuelle du Pli et de la penseacutee qui apparaicirct en lui

v

Si donc la penseacutee appartient agrave lecirctre ce nest pas parce quelle aussi est une chose preacutesente et quelle a donc sa place dans lensemble de la preacutesence on entend par lagrave dans lensemble des choses preacutesentes Il semble toutefois que Parmeacutenide aussi se repreacuteshysente de cette faccedilon le rapport de lecirctre agrave la penseacutee Il ajoute en effet agrave lappui de ce quil vient de dire une remarque introduite par (eXp (car) et ainsi conccedilue 7teXpe~ tou kovtoccedil hors de leacutetant il ny a eu il ny a et il ny aura aucun autre eacutetant (dapr~s une conjecture de Bergk ougrave3 ~v) Mais tagrave kov ne veut pas dire laquo leacutetant raquo il deacutesigne le Pli Certes hors de celui-ci il ny a jamais aucune preacutesence de choses preacutesentes car la preacutesence comme telle repose dans le Pli paraicirct et apparaicirct dans le deacuteploiement de sa lumiegravere

Mais pourquoi en ce qui concerne le rapport de la penseacutee agrave lecirctre Parmeacutenide ajoute-t-ilspeacutecialeshyment une telle justification Parce que le mot JoeLv qui diffegravere ddv(xL parce que le mot laquo penshy

derraquo au sens d laquo octroyer raquo Sur le rapport eacutetroit entre laquo durerraquo et laquo accorder raquo cf p 42 n 1

1 Le oei le connaicirctre la penseacutee laquo Assureraquo (gewiihrl) au sens de laquo garantit raquo Cf p 235

2 Das entbergende Gewiihren

MOIRA 303

seacuteeraquo donne forceacutement limpression que ce quil deacutesigne est tout de mecircme un amp0 une chose autre en face de lecirctre et par conseacutequent hors de lui Mais ce nest pas seulement le mot comme forme verbale cest son contenu son sens qui paraicirct se tenir laquo agrave cocircteacuteraquo et laquo horsraquo de leacute6v Et cette apparence nest pas non plus simple apparence Car AgraveEacuteyELv et Jodv laissent les choses preacutesentes eacutetendues-devant dans la lumiegravere de la preacutesence Eux-mecircmes sont ainsi eacutetendus en face de la preacutesence quoique jamais en face delle comme deux objets existant pour soi Lassemblage de AgraveEacuteyELV et de voeLv laisse (dapregraves le fragment VI) lkov eacuteflflev(xL il libegravere la preacutesence la laissant acceacuteder agrave son apparaicirctre pour la pershyception et se tient alors dune certaine maniegravere hors de l Egrave6v Dun point de vue la penseacutee est hors du Pli vers lequel lui reacutepondant et demandeacutee par lui elle demeure en chemin Dun autre point de vue ce laquo en chemin vers raquo demeure agrave linteacuterieur du Pli lequel nest jamais une simple distinction quelque part existante et repreacutesenteacutee de lecirctre et de leacutetant mais a son ecirctre agrave partir du deacutepliement qui deacutevoile Celui-ci comme AAgrave~eELct accorde agrave toute preacutesence la lumiegravere dans laquelle les choses preacutesentes peuvent apparaicirctre

Si toutefois le deacutevoilement accorde leacuteclairement de la preacutesence cest en mettant en œuvre agrave la foisshyau cas ougrave des choses preacutesentes doivent apparaicirctreshyun laquolaisser-eacutetendu-devantraquo et un percevoir 1 et les mettant ainsi en œuvre en retenant la penseacutee dans son appartenance au Pli Cest pourquoi hors du Pli il ny a daucune maniegravere quoi que ce soit de preacutesent nimporte ougrave et nimporte comment

Tout ce que nous avons deacutebattu jusquagrave preacutesent demeurerait une invention arbitraire une interpreacuteshytation substitueacutee apregraves coup si Parmeacutenide navait

1 Un AgraveeacuteyElV un dire et un VOErV un connaicirctre

304 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

dit lui-mecircme pourquoi la preacutesence ne peut jamais segrave tenir agrave cocircteacute de lt6v hors de lui

VI

Ce que le penseur nous dit encore de l t6v se trouve en langage grammatical dans une proposhysition subordonneacutee Quiconque est exerceacute si peu que ce soit agrave eacutecouter les grands penseurs sera sans doute parfois deacuteconcerteacute par ce fait eacutetrange que cc quil faut proprement penser ils le disent dans une proposition subordonneacutee ajouteacutee sans bruit et quils sen tiennent lagrave Le jeu de la lumiegravere qui appelle deacuteploie et aide agrave la croissance ne devient pas luishymecircme visible Il brille aussi peu apparent que la lumiegravere du matin sur la somptuositeacute tranquille des lis dans le champ et des roses dans le jardin

La proposition subordonneacutee de Parmeacutenide qui agrave vrai dire est la thegravese de toutes ses thegraveses est la suishyvante (VIII 37 et sq)

eacute7td ro ye MOLp Egrave1teacuteocirc1jOev ougraveAgraveov chdv1jr6v r Eacute(L(Levcxt

bullpuisque la Moira lui a imposeacute (agrave leacutetant) decirctre un [Tout et immobile (W KRANZ)

Parmeacutenide parle de l t6v de la preacutesence (des choses preacutesentes) du Pli mais nullement de l laquo eacutetant raquo Il nomme la Mopcx lattribution qui accordant reacutepartit et qui ainsi ouvre le Pli Lattrishybution dispense le P1i elle en munit en fait don Elle eRt la Dispensation (Schickung) en elle-mecircme recueillie ct ainsi deacutepliante qui envoie la preacutesence 1

comme preacutesence de choses preacutesentes Mopcx est

1 Die Schickung des AnLtcscns Cf pins haut p 272 n 1

MOIRA 305

la Dispensation 1 de l laquoecirctreraquo au sens de lMv Cest celui-ci justement rO ye quene a libeacutereacute lui ouvrant laccegraves du Pli et par lagrave mecircme lieacute agrave la totaliteacute et au repos agrave partir desquels et dans lesquels la preacutesence des choses preacutesentes se manifeste

Dans la Dispensation du Pli toutefois cest seushylement la preacutesence qui parvient agrave paraicirctre et les choses preacutesentes agrave apparaicirctre La Dispensation maintient en retrait le Pli comme tel et plus encore son deacutepliement Lecirctre de l A-yj 8ELCX demeure voileacute La visibiliteacute quelle accorde fait eacutemerger la preacutesence des choses preacutesentes comme laquo aspectraquo (dooccedil) et comme laquo vue raquo (~oEacute~) En conseacutequence le rapport qui appreacutehende la preacutesence des choses preacutesentes se deacutetermine comme voir (dOEacuteV~L) Lagrave mecircme ougrave la veacuteriteacute sest transformeacutee devenant la certitude de la conscience de soi le savoir marqueacute par la visio et son eacutevidence ne peuvent nier leur origine essentielle tireacutee du deacutevoilement qui eacuteclaire Le lumen naturale la lumiegravere naturelle ici lillumination de la raison preacutesuppose deacutejagrave le deacutevoilement du Pli Cette remarque vaut aussi pour les theacuteories augustinienne et meacutedieacutevale de la lumiegravere lesquelles pour ne rien dire de leur origine platonicienne ne peuvent se deacuteployer que dans le domaine de l 1AAgrave~eeL~ deacutejagrave dominante dans la Dispensation du Pli

Si nous voulons pouvoir parler de lhistoire de lecirctre nous devons dabord avoir consideacutereacute qu laquoecirctreraquo veut dire preacutesence des choses preacuteshysentes Pli Cest seulement agrave partir de lecirctre ainsi consideacutereacute que nous pouvons middot alors demander avec la prudence neacutecessaire ce qulaquo histoireraquo ( Cesshychichte) veut dire ici Lhistoire est la Dispensation du Pli (das Ceschick der Zwiefalt) Elle est lecirctreshydurer en mode rassembleacute qui deacutevoilant et deacutepliant

1 Sur la DispensatioD (ou lEnvoi) de lecirctre (Gcschil des S(in ~) voir notamment Der SaI vom Grund pp 108-110 119-LIJ 129-lJU et ISO

306 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

octroie 1 la preacutesence eacuteclaireacutee ougrave les choses preacutesentes apparaissent Lhistoire de lecirctre nest jamais une suite deacuteveacutenements que lecirctre parcourrait pour lui-mecircme Encore moins est-elle un objet qui ouvrishyrait agrave l laquohistoireraquo (-science) de nouvelles possishybiliteacutes de vues-repreacutesentations qui les ouvrirait agrave une laquo histoireraquo disposeacutee agrave se substituer preacutetendant savoir mieux agrave la faccedilon jusquici habituelle de consideacuterer lhistoire de la meacutetaphysique

Ce que dans linapparence dune proposition subordonneacutee Parmeacutenide dit de la Moip(X dans les liens de laquelle lMV est libeacutereacute comme Pli ouvre au penseur lampleur de vue accordeacutee agrave son chemin par le destin Car cest dans cette ampleur quappashyraicirct ce en quoi la preacutesence (des choses preacutesentes) se montre elle-mecircme t~ crf)[l(Xt(X toG EumlOltOc Ceux-ci sont agrave vrai dire multiples (7toAgraveAgrave~) Les a1)1-(Xt(X ne sont pas les signes dune autre chose Ils sont le paraicirctre multiple de la preacutesence elle-mecircme eacutemergeant du Pli deacuteplieacute shy

VII

Mais ce que la MOL(X dispense et reacutepartit nest pas encore complegravetement exposeacute Il en reacutesulte quun trait essentiel du mode de sa puissance demeure impenseacute Quarrive-t-il du fait que la Dispensation libegravere la preacutesence des choses preacutesentes la conduisant dans le Pli et ainsi la fixe dans sa totauumlteacute et son repos

Pour mesurer la porteacutee de ce que Parmeacutenide dit agrave ce sujet aussitocirct apregraves la proposition subordonneacutee (VIII 39 et sq) il est neacutecessaire de rappeler ce qui a eacuteteacute exposeacute preacuteceacutedemment (sous III) Le deacuteplieshyment du Pli domine comme cp~(nc comme laquo dire raquo) en tant que laquo faire-apparaicirctre raquo Le Pli abrite en

1 Das entbergend entfaltende Gewiihren Cf p 42 n 1

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lui le vo~iV et cc quil pense (VOY](L(x) comme chose dite Mais ce qui est perccedilu dans la penseacutee cest la preacutesence des cho~es preacutesentes Le dire qui pense et qui correspond au Pli est le AgraveEacuteyEtV en tant quil laisse la preacutesence eacutetendue-devant Ce qui ne se produit tout agrave fait que sur la voie de penseacutee ougrave sengage le penseur appeleacute par l )AAgraveYj 6sta

Mais que devient la cpcXcnccedil (parole disantc) qui domine dans la Dispensation deacutevoilante quand ce qui est deacuteployeacute dans le Pli la Dispfnsation labanshydonne au percevoir banal des mortels Ceux-ci aeeueiJJent (~Eacutexccr0a~ S6ccedilct) ce qui soffre agrave eux immeacutediatement tout de suite et tout dabord Ils ne commencent pas par se preacuteparer pour une voie de penseacutee Ils nentendent jamais proprement lapshypel du deacutevoilement du Pli Ils sen tiennent agrave ce qui se deacuteploie en lui plus preacuteciseacutement agrave ce qui les requiert immeacutediatement aux choses preacutesentes sans eacutegard agrave la preacutesence Ils gaspillent leur activiteacute et leurs loisirs pour ce quils ont lhabitude de pershycevoir t~ ~OXOUumlvtlX (fragment l 31) Ils le prennent pour le non-cacheacute cXAgraveY]0Yj (VIII 39) puisque nestshyce pas il leur apparaicirct et quainsi il nest plus cacheacute Seulement que devient leur dire sil ne peut ecirctre le AgraveEacuteyE~V le laquo laisser-eacutetendu-devant raquo Quand les mortels ne donnent aucune attention agrave la preacuteshysence cest-agrave-dire ne la pensent pas leur dire habishytuel devient un simple dire de noms et ce qui passe au premier plan dans ces noms cest le son eacutemis et la forme immeacutediatement saisissable de la parole au sens de mots prononceacutes et eacutecrits

Le deacutemembrement du dire (du laquo laisser-eacutetendu-deshyvant raquo) en mots signifiants fait eacuteclater le laquo prendreshydans-son-attention 1 raquoqui rassemble Celui-ci devient un X(xT(XmiddotdOecr6ct~ (VIII 39) une fixation qui fixe ceci ou cela pour lopinion qui est presseacutee Tout ce

1 Le lOf)

308 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

qui est ainsi fixeacute demeure gvoflCX Parmeacutenide ne dit aucunement que ce qui est habituellement perccedilu devient laquo pur et simpleraquo nom Mais ce qui est ainsi perccedilu demeure abandonneacute agrave un dire tout entier dirigeacute par les mots courants lesquels vite prononshyceacutes disent tout sur tout et vagabondent dans l laquoaussi bien que 1bullbull raquo

La perception des choses preacutesentes (des Egrave6ncx) nomme elle aussi ldvoc~ et connaicirct la preacutesence mais eacutegalement la non-preacutesence et dune faccedilon aussi hacirctive non pas certes comme le fait la penseacutee qui agrave sa maniegravere respecte la middot reacuteserve 2 du Pli (le (l~ i6v)Lopinion courante ne connaicirct qudvcx~ tamp

Xcxt OUgraveXL (VIII 40) la preacutesence aussi bien que la non-preacutesence Le poids de ce qui est ainsi laquobien connuraquo se trouve dans teuro-XOCL (VIII 40 et sq) laquo aussi bien que raquo Et lagrave ougrave la perception habishytuelle celle qui parle agrave partir des mots rencontre leacutemergence et la disparition 3 elle se satisfait de l laquo aussi bien que raquo aussi bien la geacuteneacuteration (y(yve()Ox~) que la middot mort (OAgraveAgrave)()OCXL) (VIII 40) Elle ne perccediloit jamais le lieu t6rcoc comme lenshydroit ougrave le Pli offre une demeure (Heimat) agrave la preacutesence des choses preacutesentes Dans l laquo aussi bienbull que raquo lopinion des mortels ne recherche que les changements (ampAgraveAgrave~()()e~v) de places La perception habituelle sans doute se meut dans la partie eacuteclaireacutee des choses preacutesentes elle voit ce qui brille (cpocv6v VIII 41) dans la couleur mais elle se deacutemegravene dans les changements (ampJd~eLV) de coushyleur et ne precircte aucune attention agrave la lumiegravere tranquille de cette clarteacute qui vient du deacutepliement du Pli et qui est la ltlgt~()~C le faire-apparaitre la

1 Dans le rEacute-xal dont il va ecirctre question 2 Au sujet de la laquo retenueraquo (Vorenthalt) de lecirctre cf p 174 Le

non-ecirctre (I-- ~ lv) est lecirctre en tant quil se reacuteserve ne se donne pas reste dans lombre Cf plus loin p 309 fin

3 Das Aufgehen und Untergehen le lever et le coucher comme on le dit des astres

MOIRA 309

faccedilon dont la parole est disante non la faccedilon dont parlent les mots les noms quentend loreille

Teacutegt 7tampv-r ovo~l()tcx~ (VIII 38) par cela tout (les choses preacutesentes) sera preacutesent dans ce deacutevoileshyment preacutetendu quapporte avec elle la domination des mots Par quoi cela se produit-il Par la MoLpcx par la dispensation 1 du deacutevoilement du Pli Comshyment faut-il lentendre Dans le deacutepliement du Pli en mecircme temps que la preacutesence paraicirct les choses preacutesentes apparaissent Les choses preacutesentes elles aussi sont choses dites mais dites dans les mots qui nomment dans le parler desquels se meut le dire ordinaire des mortels La dispensation du deacutevoileshyment du Pli (de ll6v) abandonne les choses preacutesentes (-reX egrave6vtcx) au percevoir quotidien des mortels

Comment se produit cet abandon des choses par la dispensation Par cela seulement que le Pli comme tel et avecIui son deacutepliement demeurent en retrait Est-ce qualors ce qui domine dans le deacutevoishylement cest quil se deacuterobe Penseacutee hardie mais Heacuteraclite la penseacutee Parmeacutenide la sentie sans la penser pour autant quentendant lappel de l AAgrave~-6eLCX il pense la MoLpcx de leacute6v la dispensation du Pli aussi bien dans son rapport agrave la preacutesence que dans son rapport aux choses preacutesentes

Parmeacutenide ne serait pas un penseur vivant agrave laube des deacutebuts de cette penseacutee qui se plie agrave la dispensation du Pli si sa penseacutee ne peacuteneacutetrait dans lampleur de leacutenigme qui se tait dans le mot-eacutenigme ro Qj-r6 le mecircme Lagrave sabrite ce qui meacuterite decirctre penseacute ce qui nous donne agrave penser se donne soishymecircme agrave penser comme eacutetant le rapport de la penseacutee agrave recirctre la veacuteriteacute de lecirctre au sens du deacutevoilement du Pli la reacuteserve observeacutee par le Pli (le tL~ Egrave6v) alors que preacutedominent les choses preacutesentes (-ramp Egrave6VTQ reX 8oxouumlv-rcx)

1 G6lChick envoi attribution et destin

310 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Le dialogue avec Parmeacutenide ne prend pas fin non seulement parce que dans les fragments conserveacutes de son Poegraveme didactique maintes choses demeurent obscures mais aussi parce que ce quil dit meacuterite toujours decirctre penseacute VIais que le dialogue soit sans fin nest pas un deacutefaut Cest le signe de lillishymiteacute qui en soi et pour la penseacutee qui se souvient preacuteserve la possibiliteacute dun revirement du destin

Qui toutefois nattend de la penseacutee quune assushyrance ct suppute le jour ougrave on pourra la laisser lagrave inutiliseacutee celui-lagrave exige lcsuicide de la penseacutee Exigence qui apparaicirct dans une eacutetrange lumiegravere quand nous songeons agrave ceci que lecirctre des mortels est inviteacute agrave faire attentiol agrave cette parole qui leur dit dentrer dans la mort Comme possibiliteacute extrecircmegrave de lexistence mortelle la mort nest pas la fin du possible mais elle est lAbri suprecircme 1 (la mise agrave labri qui rassemble) ougrave reacuteside le secret du deacutevoileshyment qui nous appelle

1 Das hiichste Gcbirg Cf p 6 n 2 et p 2]3

j

304 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

dit lui-mecircme pourquoi la preacutesence ne peut jamais segrave tenir agrave cocircteacute de lt6v hors de lui

VI

Ce que le penseur nous dit encore de l t6v se trouve en langage grammatical dans une proposhysition subordonneacutee Quiconque est exerceacute si peu que ce soit agrave eacutecouter les grands penseurs sera sans doute parfois deacuteconcerteacute par ce fait eacutetrange que cc quil faut proprement penser ils le disent dans une proposition subordonneacutee ajouteacutee sans bruit et quils sen tiennent lagrave Le jeu de la lumiegravere qui appelle deacuteploie et aide agrave la croissance ne devient pas luishymecircme visible Il brille aussi peu apparent que la lumiegravere du matin sur la somptuositeacute tranquille des lis dans le champ et des roses dans le jardin

La proposition subordonneacutee de Parmeacutenide qui agrave vrai dire est la thegravese de toutes ses thegraveses est la suishyvante (VIII 37 et sq)

eacute7td ro ye MOLp Egrave1teacuteocirc1jOev ougraveAgraveov chdv1jr6v r Eacute(L(Levcxt

bullpuisque la Moira lui a imposeacute (agrave leacutetant) decirctre un [Tout et immobile (W KRANZ)

Parmeacutenide parle de l t6v de la preacutesence (des choses preacutesentes) du Pli mais nullement de l laquo eacutetant raquo Il nomme la Mopcx lattribution qui accordant reacutepartit et qui ainsi ouvre le Pli Lattrishybution dispense le P1i elle en munit en fait don Elle eRt la Dispensation (Schickung) en elle-mecircme recueillie ct ainsi deacutepliante qui envoie la preacutesence 1

comme preacutesence de choses preacutesentes Mopcx est

1 Die Schickung des AnLtcscns Cf pins haut p 272 n 1

MOIRA 305

la Dispensation 1 de l laquoecirctreraquo au sens de lMv Cest celui-ci justement rO ye quene a libeacutereacute lui ouvrant laccegraves du Pli et par lagrave mecircme lieacute agrave la totaliteacute et au repos agrave partir desquels et dans lesquels la preacutesence des choses preacutesentes se manifeste

Dans la Dispensation du Pli toutefois cest seushylement la preacutesence qui parvient agrave paraicirctre et les choses preacutesentes agrave apparaicirctre La Dispensation maintient en retrait le Pli comme tel et plus encore son deacutepliement Lecirctre de l A-yj 8ELCX demeure voileacute La visibiliteacute quelle accorde fait eacutemerger la preacutesence des choses preacutesentes comme laquo aspectraquo (dooccedil) et comme laquo vue raquo (~oEacute~) En conseacutequence le rapport qui appreacutehende la preacutesence des choses preacutesentes se deacutetermine comme voir (dOEacuteV~L) Lagrave mecircme ougrave la veacuteriteacute sest transformeacutee devenant la certitude de la conscience de soi le savoir marqueacute par la visio et son eacutevidence ne peuvent nier leur origine essentielle tireacutee du deacutevoilement qui eacuteclaire Le lumen naturale la lumiegravere naturelle ici lillumination de la raison preacutesuppose deacutejagrave le deacutevoilement du Pli Cette remarque vaut aussi pour les theacuteories augustinienne et meacutedieacutevale de la lumiegravere lesquelles pour ne rien dire de leur origine platonicienne ne peuvent se deacuteployer que dans le domaine de l 1AAgrave~eeL~ deacutejagrave dominante dans la Dispensation du Pli

Si nous voulons pouvoir parler de lhistoire de lecirctre nous devons dabord avoir consideacutereacute qu laquoecirctreraquo veut dire preacutesence des choses preacuteshysentes Pli Cest seulement agrave partir de lecirctre ainsi consideacutereacute que nous pouvons middot alors demander avec la prudence neacutecessaire ce qulaquo histoireraquo ( Cesshychichte) veut dire ici Lhistoire est la Dispensation du Pli (das Ceschick der Zwiefalt) Elle est lecirctreshydurer en mode rassembleacute qui deacutevoilant et deacutepliant

1 Sur la DispensatioD (ou lEnvoi) de lecirctre (Gcschil des S(in ~) voir notamment Der SaI vom Grund pp 108-110 119-LIJ 129-lJU et ISO

306 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

octroie 1 la preacutesence eacuteclaireacutee ougrave les choses preacutesentes apparaissent Lhistoire de lecirctre nest jamais une suite deacuteveacutenements que lecirctre parcourrait pour lui-mecircme Encore moins est-elle un objet qui ouvrishyrait agrave l laquohistoireraquo (-science) de nouvelles possishybiliteacutes de vues-repreacutesentations qui les ouvrirait agrave une laquo histoireraquo disposeacutee agrave se substituer preacutetendant savoir mieux agrave la faccedilon jusquici habituelle de consideacuterer lhistoire de la meacutetaphysique

Ce que dans linapparence dune proposition subordonneacutee Parmeacutenide dit de la Moip(X dans les liens de laquelle lMV est libeacutereacute comme Pli ouvre au penseur lampleur de vue accordeacutee agrave son chemin par le destin Car cest dans cette ampleur quappashyraicirct ce en quoi la preacutesence (des choses preacutesentes) se montre elle-mecircme t~ crf)[l(Xt(X toG EumlOltOc Ceux-ci sont agrave vrai dire multiples (7toAgraveAgrave~) Les a1)1-(Xt(X ne sont pas les signes dune autre chose Ils sont le paraicirctre multiple de la preacutesence elle-mecircme eacutemergeant du Pli deacuteplieacute shy

VII

Mais ce que la MOL(X dispense et reacutepartit nest pas encore complegravetement exposeacute Il en reacutesulte quun trait essentiel du mode de sa puissance demeure impenseacute Quarrive-t-il du fait que la Dispensation libegravere la preacutesence des choses preacutesentes la conduisant dans le Pli et ainsi la fixe dans sa totauumlteacute et son repos

Pour mesurer la porteacutee de ce que Parmeacutenide dit agrave ce sujet aussitocirct apregraves la proposition subordonneacutee (VIII 39 et sq) il est neacutecessaire de rappeler ce qui a eacuteteacute exposeacute preacuteceacutedemment (sous III) Le deacuteplieshyment du Pli domine comme cp~(nc comme laquo dire raquo) en tant que laquo faire-apparaicirctre raquo Le Pli abrite en

1 Das entbergend entfaltende Gewiihren Cf p 42 n 1

MOIRA 307

lui le vo~iV et cc quil pense (VOY](L(x) comme chose dite Mais ce qui est perccedilu dans la penseacutee cest la preacutesence des cho~es preacutesentes Le dire qui pense et qui correspond au Pli est le AgraveEacuteyEtV en tant quil laisse la preacutesence eacutetendue-devant Ce qui ne se produit tout agrave fait que sur la voie de penseacutee ougrave sengage le penseur appeleacute par l )AAgraveYj 6sta

Mais que devient la cpcXcnccedil (parole disantc) qui domine dans la Dispensation deacutevoilante quand ce qui est deacuteployeacute dans le Pli la Dispfnsation labanshydonne au percevoir banal des mortels Ceux-ci aeeueiJJent (~Eacutexccr0a~ S6ccedilct) ce qui soffre agrave eux immeacutediatement tout de suite et tout dabord Ils ne commencent pas par se preacuteparer pour une voie de penseacutee Ils nentendent jamais proprement lapshypel du deacutevoilement du Pli Ils sen tiennent agrave ce qui se deacuteploie en lui plus preacuteciseacutement agrave ce qui les requiert immeacutediatement aux choses preacutesentes sans eacutegard agrave la preacutesence Ils gaspillent leur activiteacute et leurs loisirs pour ce quils ont lhabitude de pershycevoir t~ ~OXOUumlvtlX (fragment l 31) Ils le prennent pour le non-cacheacute cXAgraveY]0Yj (VIII 39) puisque nestshyce pas il leur apparaicirct et quainsi il nest plus cacheacute Seulement que devient leur dire sil ne peut ecirctre le AgraveEacuteyE~V le laquo laisser-eacutetendu-devant raquo Quand les mortels ne donnent aucune attention agrave la preacuteshysence cest-agrave-dire ne la pensent pas leur dire habishytuel devient un simple dire de noms et ce qui passe au premier plan dans ces noms cest le son eacutemis et la forme immeacutediatement saisissable de la parole au sens de mots prononceacutes et eacutecrits

Le deacutemembrement du dire (du laquo laisser-eacutetendu-deshyvant raquo) en mots signifiants fait eacuteclater le laquo prendreshydans-son-attention 1 raquoqui rassemble Celui-ci devient un X(xT(XmiddotdOecr6ct~ (VIII 39) une fixation qui fixe ceci ou cela pour lopinion qui est presseacutee Tout ce

1 Le lOf)

308 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

qui est ainsi fixeacute demeure gvoflCX Parmeacutenide ne dit aucunement que ce qui est habituellement perccedilu devient laquo pur et simpleraquo nom Mais ce qui est ainsi perccedilu demeure abandonneacute agrave un dire tout entier dirigeacute par les mots courants lesquels vite prononshyceacutes disent tout sur tout et vagabondent dans l laquoaussi bien que 1bullbull raquo

La perception des choses preacutesentes (des Egrave6ncx) nomme elle aussi ldvoc~ et connaicirct la preacutesence mais eacutegalement la non-preacutesence et dune faccedilon aussi hacirctive non pas certes comme le fait la penseacutee qui agrave sa maniegravere respecte la middot reacuteserve 2 du Pli (le (l~ i6v)Lopinion courante ne connaicirct qudvcx~ tamp

Xcxt OUgraveXL (VIII 40) la preacutesence aussi bien que la non-preacutesence Le poids de ce qui est ainsi laquobien connuraquo se trouve dans teuro-XOCL (VIII 40 et sq) laquo aussi bien que raquo Et lagrave ougrave la perception habishytuelle celle qui parle agrave partir des mots rencontre leacutemergence et la disparition 3 elle se satisfait de l laquo aussi bien que raquo aussi bien la geacuteneacuteration (y(yve()Ox~) que la middot mort (OAgraveAgrave)()OCXL) (VIII 40) Elle ne perccediloit jamais le lieu t6rcoc comme lenshydroit ougrave le Pli offre une demeure (Heimat) agrave la preacutesence des choses preacutesentes Dans l laquo aussi bienbull que raquo lopinion des mortels ne recherche que les changements (ampAgraveAgrave~()()e~v) de places La perception habituelle sans doute se meut dans la partie eacuteclaireacutee des choses preacutesentes elle voit ce qui brille (cpocv6v VIII 41) dans la couleur mais elle se deacutemegravene dans les changements (ampJd~eLV) de coushyleur et ne precircte aucune attention agrave la lumiegravere tranquille de cette clarteacute qui vient du deacutepliement du Pli et qui est la ltlgt~()~C le faire-apparaitre la

1 Dans le rEacute-xal dont il va ecirctre question 2 Au sujet de la laquo retenueraquo (Vorenthalt) de lecirctre cf p 174 Le

non-ecirctre (I-- ~ lv) est lecirctre en tant quil se reacuteserve ne se donne pas reste dans lombre Cf plus loin p 309 fin

3 Das Aufgehen und Untergehen le lever et le coucher comme on le dit des astres

MOIRA 309

faccedilon dont la parole est disante non la faccedilon dont parlent les mots les noms quentend loreille

Teacutegt 7tampv-r ovo~l()tcx~ (VIII 38) par cela tout (les choses preacutesentes) sera preacutesent dans ce deacutevoileshyment preacutetendu quapporte avec elle la domination des mots Par quoi cela se produit-il Par la MoLpcx par la dispensation 1 du deacutevoilement du Pli Comshyment faut-il lentendre Dans le deacutepliement du Pli en mecircme temps que la preacutesence paraicirct les choses preacutesentes apparaissent Les choses preacutesentes elles aussi sont choses dites mais dites dans les mots qui nomment dans le parler desquels se meut le dire ordinaire des mortels La dispensation du deacutevoileshyment du Pli (de ll6v) abandonne les choses preacutesentes (-reX egrave6vtcx) au percevoir quotidien des mortels

Comment se produit cet abandon des choses par la dispensation Par cela seulement que le Pli comme tel et avecIui son deacutepliement demeurent en retrait Est-ce qualors ce qui domine dans le deacutevoishylement cest quil se deacuterobe Penseacutee hardie mais Heacuteraclite la penseacutee Parmeacutenide la sentie sans la penser pour autant quentendant lappel de l AAgrave~-6eLCX il pense la MoLpcx de leacute6v la dispensation du Pli aussi bien dans son rapport agrave la preacutesence que dans son rapport aux choses preacutesentes

Parmeacutenide ne serait pas un penseur vivant agrave laube des deacutebuts de cette penseacutee qui se plie agrave la dispensation du Pli si sa penseacutee ne peacuteneacutetrait dans lampleur de leacutenigme qui se tait dans le mot-eacutenigme ro Qj-r6 le mecircme Lagrave sabrite ce qui meacuterite decirctre penseacute ce qui nous donne agrave penser se donne soishymecircme agrave penser comme eacutetant le rapport de la penseacutee agrave recirctre la veacuteriteacute de lecirctre au sens du deacutevoilement du Pli la reacuteserve observeacutee par le Pli (le tL~ Egrave6v) alors que preacutedominent les choses preacutesentes (-ramp Egrave6VTQ reX 8oxouumlv-rcx)

1 G6lChick envoi attribution et destin

310 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Le dialogue avec Parmeacutenide ne prend pas fin non seulement parce que dans les fragments conserveacutes de son Poegraveme didactique maintes choses demeurent obscures mais aussi parce que ce quil dit meacuterite toujours decirctre penseacute VIais que le dialogue soit sans fin nest pas un deacutefaut Cest le signe de lillishymiteacute qui en soi et pour la penseacutee qui se souvient preacuteserve la possibiliteacute dun revirement du destin

Qui toutefois nattend de la penseacutee quune assushyrance ct suppute le jour ougrave on pourra la laisser lagrave inutiliseacutee celui-lagrave exige lcsuicide de la penseacutee Exigence qui apparaicirct dans une eacutetrange lumiegravere quand nous songeons agrave ceci que lecirctre des mortels est inviteacute agrave faire attentiol agrave cette parole qui leur dit dentrer dans la mort Comme possibiliteacute extrecircmegrave de lexistence mortelle la mort nest pas la fin du possible mais elle est lAbri suprecircme 1 (la mise agrave labri qui rassemble) ougrave reacuteside le secret du deacutevoileshyment qui nous appelle

1 Das hiichste Gcbirg Cf p 6 n 2 et p 2]3

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306 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

octroie 1 la preacutesence eacuteclaireacutee ougrave les choses preacutesentes apparaissent Lhistoire de lecirctre nest jamais une suite deacuteveacutenements que lecirctre parcourrait pour lui-mecircme Encore moins est-elle un objet qui ouvrishyrait agrave l laquohistoireraquo (-science) de nouvelles possishybiliteacutes de vues-repreacutesentations qui les ouvrirait agrave une laquo histoireraquo disposeacutee agrave se substituer preacutetendant savoir mieux agrave la faccedilon jusquici habituelle de consideacuterer lhistoire de la meacutetaphysique

Ce que dans linapparence dune proposition subordonneacutee Parmeacutenide dit de la Moip(X dans les liens de laquelle lMV est libeacutereacute comme Pli ouvre au penseur lampleur de vue accordeacutee agrave son chemin par le destin Car cest dans cette ampleur quappashyraicirct ce en quoi la preacutesence (des choses preacutesentes) se montre elle-mecircme t~ crf)[l(Xt(X toG EumlOltOc Ceux-ci sont agrave vrai dire multiples (7toAgraveAgrave~) Les a1)1-(Xt(X ne sont pas les signes dune autre chose Ils sont le paraicirctre multiple de la preacutesence elle-mecircme eacutemergeant du Pli deacuteplieacute shy

VII

Mais ce que la MOL(X dispense et reacutepartit nest pas encore complegravetement exposeacute Il en reacutesulte quun trait essentiel du mode de sa puissance demeure impenseacute Quarrive-t-il du fait que la Dispensation libegravere la preacutesence des choses preacutesentes la conduisant dans le Pli et ainsi la fixe dans sa totauumlteacute et son repos

Pour mesurer la porteacutee de ce que Parmeacutenide dit agrave ce sujet aussitocirct apregraves la proposition subordonneacutee (VIII 39 et sq) il est neacutecessaire de rappeler ce qui a eacuteteacute exposeacute preacuteceacutedemment (sous III) Le deacuteplieshyment du Pli domine comme cp~(nc comme laquo dire raquo) en tant que laquo faire-apparaicirctre raquo Le Pli abrite en

1 Das entbergend entfaltende Gewiihren Cf p 42 n 1

MOIRA 307

lui le vo~iV et cc quil pense (VOY](L(x) comme chose dite Mais ce qui est perccedilu dans la penseacutee cest la preacutesence des cho~es preacutesentes Le dire qui pense et qui correspond au Pli est le AgraveEacuteyEtV en tant quil laisse la preacutesence eacutetendue-devant Ce qui ne se produit tout agrave fait que sur la voie de penseacutee ougrave sengage le penseur appeleacute par l )AAgraveYj 6sta

Mais que devient la cpcXcnccedil (parole disantc) qui domine dans la Dispensation deacutevoilante quand ce qui est deacuteployeacute dans le Pli la Dispfnsation labanshydonne au percevoir banal des mortels Ceux-ci aeeueiJJent (~Eacutexccr0a~ S6ccedilct) ce qui soffre agrave eux immeacutediatement tout de suite et tout dabord Ils ne commencent pas par se preacuteparer pour une voie de penseacutee Ils nentendent jamais proprement lapshypel du deacutevoilement du Pli Ils sen tiennent agrave ce qui se deacuteploie en lui plus preacuteciseacutement agrave ce qui les requiert immeacutediatement aux choses preacutesentes sans eacutegard agrave la preacutesence Ils gaspillent leur activiteacute et leurs loisirs pour ce quils ont lhabitude de pershycevoir t~ ~OXOUumlvtlX (fragment l 31) Ils le prennent pour le non-cacheacute cXAgraveY]0Yj (VIII 39) puisque nestshyce pas il leur apparaicirct et quainsi il nest plus cacheacute Seulement que devient leur dire sil ne peut ecirctre le AgraveEacuteyE~V le laquo laisser-eacutetendu-devant raquo Quand les mortels ne donnent aucune attention agrave la preacuteshysence cest-agrave-dire ne la pensent pas leur dire habishytuel devient un simple dire de noms et ce qui passe au premier plan dans ces noms cest le son eacutemis et la forme immeacutediatement saisissable de la parole au sens de mots prononceacutes et eacutecrits

Le deacutemembrement du dire (du laquo laisser-eacutetendu-deshyvant raquo) en mots signifiants fait eacuteclater le laquo prendreshydans-son-attention 1 raquoqui rassemble Celui-ci devient un X(xT(XmiddotdOecr6ct~ (VIII 39) une fixation qui fixe ceci ou cela pour lopinion qui est presseacutee Tout ce

1 Le lOf)

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qui est ainsi fixeacute demeure gvoflCX Parmeacutenide ne dit aucunement que ce qui est habituellement perccedilu devient laquo pur et simpleraquo nom Mais ce qui est ainsi perccedilu demeure abandonneacute agrave un dire tout entier dirigeacute par les mots courants lesquels vite prononshyceacutes disent tout sur tout et vagabondent dans l laquoaussi bien que 1bullbull raquo

La perception des choses preacutesentes (des Egrave6ncx) nomme elle aussi ldvoc~ et connaicirct la preacutesence mais eacutegalement la non-preacutesence et dune faccedilon aussi hacirctive non pas certes comme le fait la penseacutee qui agrave sa maniegravere respecte la middot reacuteserve 2 du Pli (le (l~ i6v)Lopinion courante ne connaicirct qudvcx~ tamp

Xcxt OUgraveXL (VIII 40) la preacutesence aussi bien que la non-preacutesence Le poids de ce qui est ainsi laquobien connuraquo se trouve dans teuro-XOCL (VIII 40 et sq) laquo aussi bien que raquo Et lagrave ougrave la perception habishytuelle celle qui parle agrave partir des mots rencontre leacutemergence et la disparition 3 elle se satisfait de l laquo aussi bien que raquo aussi bien la geacuteneacuteration (y(yve()Ox~) que la middot mort (OAgraveAgrave)()OCXL) (VIII 40) Elle ne perccediloit jamais le lieu t6rcoc comme lenshydroit ougrave le Pli offre une demeure (Heimat) agrave la preacutesence des choses preacutesentes Dans l laquo aussi bienbull que raquo lopinion des mortels ne recherche que les changements (ampAgraveAgrave~()()e~v) de places La perception habituelle sans doute se meut dans la partie eacuteclaireacutee des choses preacutesentes elle voit ce qui brille (cpocv6v VIII 41) dans la couleur mais elle se deacutemegravene dans les changements (ampJd~eLV) de coushyleur et ne precircte aucune attention agrave la lumiegravere tranquille de cette clarteacute qui vient du deacutepliement du Pli et qui est la ltlgt~()~C le faire-apparaitre la

1 Dans le rEacute-xal dont il va ecirctre question 2 Au sujet de la laquo retenueraquo (Vorenthalt) de lecirctre cf p 174 Le

non-ecirctre (I-- ~ lv) est lecirctre en tant quil se reacuteserve ne se donne pas reste dans lombre Cf plus loin p 309 fin

3 Das Aufgehen und Untergehen le lever et le coucher comme on le dit des astres

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faccedilon dont la parole est disante non la faccedilon dont parlent les mots les noms quentend loreille

Teacutegt 7tampv-r ovo~l()tcx~ (VIII 38) par cela tout (les choses preacutesentes) sera preacutesent dans ce deacutevoileshyment preacutetendu quapporte avec elle la domination des mots Par quoi cela se produit-il Par la MoLpcx par la dispensation 1 du deacutevoilement du Pli Comshyment faut-il lentendre Dans le deacutepliement du Pli en mecircme temps que la preacutesence paraicirct les choses preacutesentes apparaissent Les choses preacutesentes elles aussi sont choses dites mais dites dans les mots qui nomment dans le parler desquels se meut le dire ordinaire des mortels La dispensation du deacutevoileshyment du Pli (de ll6v) abandonne les choses preacutesentes (-reX egrave6vtcx) au percevoir quotidien des mortels

Comment se produit cet abandon des choses par la dispensation Par cela seulement que le Pli comme tel et avecIui son deacutepliement demeurent en retrait Est-ce qualors ce qui domine dans le deacutevoishylement cest quil se deacuterobe Penseacutee hardie mais Heacuteraclite la penseacutee Parmeacutenide la sentie sans la penser pour autant quentendant lappel de l AAgrave~-6eLCX il pense la MoLpcx de leacute6v la dispensation du Pli aussi bien dans son rapport agrave la preacutesence que dans son rapport aux choses preacutesentes

Parmeacutenide ne serait pas un penseur vivant agrave laube des deacutebuts de cette penseacutee qui se plie agrave la dispensation du Pli si sa penseacutee ne peacuteneacutetrait dans lampleur de leacutenigme qui se tait dans le mot-eacutenigme ro Qj-r6 le mecircme Lagrave sabrite ce qui meacuterite decirctre penseacute ce qui nous donne agrave penser se donne soishymecircme agrave penser comme eacutetant le rapport de la penseacutee agrave recirctre la veacuteriteacute de lecirctre au sens du deacutevoilement du Pli la reacuteserve observeacutee par le Pli (le tL~ Egrave6v) alors que preacutedominent les choses preacutesentes (-ramp Egrave6VTQ reX 8oxouumlv-rcx)

1 G6lChick envoi attribution et destin

310 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Le dialogue avec Parmeacutenide ne prend pas fin non seulement parce que dans les fragments conserveacutes de son Poegraveme didactique maintes choses demeurent obscures mais aussi parce que ce quil dit meacuterite toujours decirctre penseacute VIais que le dialogue soit sans fin nest pas un deacutefaut Cest le signe de lillishymiteacute qui en soi et pour la penseacutee qui se souvient preacuteserve la possibiliteacute dun revirement du destin

Qui toutefois nattend de la penseacutee quune assushyrance ct suppute le jour ougrave on pourra la laisser lagrave inutiliseacutee celui-lagrave exige lcsuicide de la penseacutee Exigence qui apparaicirct dans une eacutetrange lumiegravere quand nous songeons agrave ceci que lecirctre des mortels est inviteacute agrave faire attentiol agrave cette parole qui leur dit dentrer dans la mort Comme possibiliteacute extrecircmegrave de lexistence mortelle la mort nest pas la fin du possible mais elle est lAbri suprecircme 1 (la mise agrave labri qui rassemble) ougrave reacuteside le secret du deacutevoileshyment qui nous appelle

1 Das hiichste Gcbirg Cf p 6 n 2 et p 2]3

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qui est ainsi fixeacute demeure gvoflCX Parmeacutenide ne dit aucunement que ce qui est habituellement perccedilu devient laquo pur et simpleraquo nom Mais ce qui est ainsi perccedilu demeure abandonneacute agrave un dire tout entier dirigeacute par les mots courants lesquels vite prononshyceacutes disent tout sur tout et vagabondent dans l laquoaussi bien que 1bullbull raquo

La perception des choses preacutesentes (des Egrave6ncx) nomme elle aussi ldvoc~ et connaicirct la preacutesence mais eacutegalement la non-preacutesence et dune faccedilon aussi hacirctive non pas certes comme le fait la penseacutee qui agrave sa maniegravere respecte la middot reacuteserve 2 du Pli (le (l~ i6v)Lopinion courante ne connaicirct qudvcx~ tamp

Xcxt OUgraveXL (VIII 40) la preacutesence aussi bien que la non-preacutesence Le poids de ce qui est ainsi laquobien connuraquo se trouve dans teuro-XOCL (VIII 40 et sq) laquo aussi bien que raquo Et lagrave ougrave la perception habishytuelle celle qui parle agrave partir des mots rencontre leacutemergence et la disparition 3 elle se satisfait de l laquo aussi bien que raquo aussi bien la geacuteneacuteration (y(yve()Ox~) que la middot mort (OAgraveAgrave)()OCXL) (VIII 40) Elle ne perccediloit jamais le lieu t6rcoc comme lenshydroit ougrave le Pli offre une demeure (Heimat) agrave la preacutesence des choses preacutesentes Dans l laquo aussi bienbull que raquo lopinion des mortels ne recherche que les changements (ampAgraveAgrave~()()e~v) de places La perception habituelle sans doute se meut dans la partie eacuteclaireacutee des choses preacutesentes elle voit ce qui brille (cpocv6v VIII 41) dans la couleur mais elle se deacutemegravene dans les changements (ampJd~eLV) de coushyleur et ne precircte aucune attention agrave la lumiegravere tranquille de cette clarteacute qui vient du deacutepliement du Pli et qui est la ltlgt~()~C le faire-apparaitre la

1 Dans le rEacute-xal dont il va ecirctre question 2 Au sujet de la laquo retenueraquo (Vorenthalt) de lecirctre cf p 174 Le

non-ecirctre (I-- ~ lv) est lecirctre en tant quil se reacuteserve ne se donne pas reste dans lombre Cf plus loin p 309 fin

3 Das Aufgehen und Untergehen le lever et le coucher comme on le dit des astres

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faccedilon dont la parole est disante non la faccedilon dont parlent les mots les noms quentend loreille

Teacutegt 7tampv-r ovo~l()tcx~ (VIII 38) par cela tout (les choses preacutesentes) sera preacutesent dans ce deacutevoileshyment preacutetendu quapporte avec elle la domination des mots Par quoi cela se produit-il Par la MoLpcx par la dispensation 1 du deacutevoilement du Pli Comshyment faut-il lentendre Dans le deacutepliement du Pli en mecircme temps que la preacutesence paraicirct les choses preacutesentes apparaissent Les choses preacutesentes elles aussi sont choses dites mais dites dans les mots qui nomment dans le parler desquels se meut le dire ordinaire des mortels La dispensation du deacutevoileshyment du Pli (de ll6v) abandonne les choses preacutesentes (-reX egrave6vtcx) au percevoir quotidien des mortels

Comment se produit cet abandon des choses par la dispensation Par cela seulement que le Pli comme tel et avecIui son deacutepliement demeurent en retrait Est-ce qualors ce qui domine dans le deacutevoishylement cest quil se deacuterobe Penseacutee hardie mais Heacuteraclite la penseacutee Parmeacutenide la sentie sans la penser pour autant quentendant lappel de l AAgrave~-6eLCX il pense la MoLpcx de leacute6v la dispensation du Pli aussi bien dans son rapport agrave la preacutesence que dans son rapport aux choses preacutesentes

Parmeacutenide ne serait pas un penseur vivant agrave laube des deacutebuts de cette penseacutee qui se plie agrave la dispensation du Pli si sa penseacutee ne peacuteneacutetrait dans lampleur de leacutenigme qui se tait dans le mot-eacutenigme ro Qj-r6 le mecircme Lagrave sabrite ce qui meacuterite decirctre penseacute ce qui nous donne agrave penser se donne soishymecircme agrave penser comme eacutetant le rapport de la penseacutee agrave recirctre la veacuteriteacute de lecirctre au sens du deacutevoilement du Pli la reacuteserve observeacutee par le Pli (le tL~ Egrave6v) alors que preacutedominent les choses preacutesentes (-ramp Egrave6VTQ reX 8oxouumlv-rcx)

1 G6lChick envoi attribution et destin

310 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Le dialogue avec Parmeacutenide ne prend pas fin non seulement parce que dans les fragments conserveacutes de son Poegraveme didactique maintes choses demeurent obscures mais aussi parce que ce quil dit meacuterite toujours decirctre penseacute VIais que le dialogue soit sans fin nest pas un deacutefaut Cest le signe de lillishymiteacute qui en soi et pour la penseacutee qui se souvient preacuteserve la possibiliteacute dun revirement du destin

Qui toutefois nattend de la penseacutee quune assushyrance ct suppute le jour ougrave on pourra la laisser lagrave inutiliseacutee celui-lagrave exige lcsuicide de la penseacutee Exigence qui apparaicirct dans une eacutetrange lumiegravere quand nous songeons agrave ceci que lecirctre des mortels est inviteacute agrave faire attentiol agrave cette parole qui leur dit dentrer dans la mort Comme possibiliteacute extrecircmegrave de lexistence mortelle la mort nest pas la fin du possible mais elle est lAbri suprecircme 1 (la mise agrave labri qui rassemble) ougrave reacuteside le secret du deacutevoileshyment qui nous appelle

1 Das hiichste Gcbirg Cf p 6 n 2 et p 2]3

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310 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Le dialogue avec Parmeacutenide ne prend pas fin non seulement parce que dans les fragments conserveacutes de son Poegraveme didactique maintes choses demeurent obscures mais aussi parce que ce quil dit meacuterite toujours decirctre penseacute VIais que le dialogue soit sans fin nest pas un deacutefaut Cest le signe de lillishymiteacute qui en soi et pour la penseacutee qui se souvient preacuteserve la possibiliteacute dun revirement du destin

Qui toutefois nattend de la penseacutee quune assushyrance ct suppute le jour ougrave on pourra la laisser lagrave inutiliseacutee celui-lagrave exige lcsuicide de la penseacutee Exigence qui apparaicirct dans une eacutetrange lumiegravere quand nous songeons agrave ceci que lecirctre des mortels est inviteacute agrave faire attentiol agrave cette parole qui leur dit dentrer dans la mort Comme possibiliteacute extrecircmegrave de lexistence mortelle la mort nest pas la fin du possible mais elle est lAbri suprecircme 1 (la mise agrave labri qui rassemble) ougrave reacuteside le secret du deacutevoileshyment qui nous appelle

1 Das hiichste Gcbirg Cf p 6 n 2 et p 2]3

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