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Presses Universitaires du Mirail Les corrections almagristes dans l'édition princeps de l'Histoire du Pérou d'Agustín de Zárate Author(s): Paul ROCHE Source: Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, No. 31, Numéro consacré en partie au XVIIIe siècle (1978), pp. 5-16 Published by: Presses Universitaires du Mirail Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40850555 . Accessed: 17/06/2014 03:30 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires du Mirail is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.72.154 on Tue, 17 Jun 2014 03:30:14 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Presses Universitaires du Mirail

Les corrections almagristes dans l'édition princeps de l'Histoire du Pérou d'Agustín de ZárateAuthor(s): Paul ROCHESource: Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, No. 31, Numéro consacré en partie auXVIIIe siècle (1978), pp. 5-16Published by: Presses Universitaires du MirailStable URL: http://www.jstor.org/stable/40850555 .

Accessed: 17/06/2014 03:30

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Les corrections almzgristes dans l'édition princeps de l'Histoire du Pérou

d'Agustín de Zarate PAR

Paul ROCHE Université de Nantes

C'est à M. Bataillon que revient le mérite d'avoir découvert qu'une œuvre aussi connue que l'Histoire du Pérou d'Agustin de Zarate était en réalité imparfaitement connue (*), puisque toutes les éditions modernes, et notamment la plus divulguée d'entre elles, celle de la BAE (2), reprennent non pas la version originale, de 1555, publiée à Anvers (3) mais un texte « mutilé », « ébréché », le texte imprimé à Seville en 1577 (4). Nous n'insisterons pas ici sur la mutilation décelée et expliquée par M. Bataillon, non plus que sur une curieuse correction mise à jour par P. Duviols (5),

(1) M. Bataillon, « Un chroniqueur péruvien retrouvé : Rodrigo Lozano », Cahiers de l'Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine 2, 1960, p. 17.

« Zarate ou Lozano ? », Caravelle 1 ,1963, pp. 11-21. (2) A. de Zarate, Historia del descubrimiento y conquista de la provincia del

Perú, in Historiadores Primitivos de Indias, t. II, réimpression (lre éd. 1853), BAE, Madrid, 1947.

(3) < En Anvers. En casa de Martin Nució, a las dos Cigüeñas. Afio MDLV. Con privilegio ».

(4) « En Sevilla. En casa de Alonso Escrivano. Año de MDL XXVII. Con pri- vilegio. »

(5) P. Duviols, « La Historia del descubrimiento y de la conquista del Perú, de Agustin de Zarate, remaniée conformément aux vues hi storico-poli tiques du vice-roi Toledo », Annales de la Faculté des Lettres d'Aix 38, pp. 151-155.

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6 C. de CARAVELLE

nous signalerons seulement que ces deux différences, si elles peuvent être considérées, et notamment la première, comme des plus significatives, ne sont pas les seules. Une comparaison minu- tieuse en fait apparaître bien d'autres, de plus ou moins d'impor- tance, pouvant aller depuis le simple remplacement d'un mot, d'un temps verbal, d'un membre de phrase, fait dans l'intention d'apporter une rectification ou une précision, jusqu'à la sup- pression, voire la substitution d'un paragraphe ou d'un vaste fragment pour des raisons que nous n'hésiterons pas à qualifier de politiques.

Jusqu'ici, le problème se pose en termes relativement simples : le contador Zarate, homme prudent et avisé, rompu aux subtilités et aux intrigues du gouvernement et de la haute administration, instruit de surcroît par la fâcheuse expérience de l'emprisonne- ment que lui valut son rôle douteux dans la rébellion de Gonzalo Pizarro (6), a jugé bon, indispensable même, entre 1555 et 1577, de corriger un ouvrage dont différents passages auraient pu - ou avaient pu - lui attirer les foudres de la censure officielle ou l'hostilité de certains personnages haut placés. En cela rien d'anormal, d'inexplicable, au contraire. Mais qu'un très grand nom- bre des corrections que l'on croyait spécifiques de l'édition de 1577 se trouvent déjà dans certains volumes de celle de 1555, voilà qui est curieux, étrange, insolite. Et pourtant l'édition de 1555 corrige bien l'édition de 1555.

C'est J.P. Cabard qui signala l'existence de variantes entre le texte de l'exemplaire de l'édition anversoise découvert par lui à la Bibliothèque Municipale de Toulouse et celui conservé à la H.E. Huntington Memorial Library, de San Marino, Californie (7), utilise par D. Mac Mahon pour son édition critique du livre V (8) ; il en conclut qu'il s'agissait là de « deux textes différents, publiés tous deux par le même éditeur, à la même date ou presque ». Vou- lant, pour notre part dresser une liste complète de ces variantes afin d'en comprendre le pourquoi, nous eûmes la surprise de découvrir que, si l'un des deux exemplaires possédés par la Biblio- thèque Mazarine (9) était en tout point identique à celui de Tou-

(6) La notice biographique la plus complète sur Zarate est donnée par R. Porras Barrenechea dans Los cronistas del Perú (1528-1560), Lima : Sanmartí, 1962, pp. 169-173.

(7) J.P. Cabard, « Les trois tränst ormations de la Misiona péruvienne ae Agustín de Zarate », Caravelle 13, Toulouse 1969, pp. 7-14.

(8) A. de Zarate, Historia del descubrimiento y conquista del Feru (Libro V), Ed. y prol. por Dorothy Mac Mahon, Universidad de Buenos Aires, Facultad de Filosofia y Letras, 1965.

(9) Cote : 33.546.

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LES CORRECTIONS « ALMAGRISTES » DE l' « HISTOIRE » DE ZARATE 7

louse, l'autre (10) offrait un texte sensiblement différent, qui n'était pourtant pas tout à fait celui de San Marino, mais représentait une étape intermédiaire. Il fallait bien se rendre à l'évidence, la question se compliquait encore, et nous étions en présence non plus de deux, mais de trois tirages différents, états successifs de l'élaboration de l'Histoire du Pérou.

Et comme le hasard ordonne parfois bien les choses, il se trouve que le volume conservé à la Bibliothèque Nationale de Paris (n) est identique à celui de la H.E. Huntington Memorial Library. Ainsi sont réunis dans notre capitale trois leçons - en l'état actuel de nos recherches nous n'osons dire les trois leçons - de cette curieuse et trompeuse édition. Et combien trompeuse, en effet, puisqu'il est extrêmement difficile de déceler les différences : même format, même page de titre et, par conséquent, même indi- cation de date, même nombre de feuillets, même table des matières, ce qui fait que si d'aventure un lecteur avait pu disposer des trois à la fois, il ne se serait probablement pas aperçu des modifications apportées, à moins d'avoir a priori des soupçons et de procéder à une lecture parallèle.

L'ordre dans lequel s'effectuèrent les corrections n'est pas diffi- cile à déterminer : la première version, que nous appellerons Al - San Marino, Bibliothèque Nationale de Paris - est la plus éloignée du texte définitif, celui de 1577; la troisième, A3 - Tou- louse, Mazarine 33.546 - est celle qui s'en rapproche le plus; A2 - Mazarine 33.546 D* - occupant, bien évidemment, une position intermédiaire.

Disons tout de suite que ces corrections sont d'ampleur inégale. Dans A2, ce sont quatorze feuillets recto-verso qui ont été refaits ou réimprimés; dans A3, qui reprend toutes les modifications de A2, ce sont seulement deux nouveaux feuillets recto-verso; ce qui donne un total de trente-deux pages refaites - sur un total de cinq cent soixante-seize - , dont vingt-cinq seulement pour des mobiles politiques, les sept autres uniquement pour des raisons techniques.

L'analyse des variantes politiques se révèle fort intéressante et instructive, car elle permet de saisir quelques-uns des aspects les plus secrets de la pensée de l'auteur, personnage inquiet, soucieux avant tout de faire oublier sa propre position durant la rébellion des colons du Pérou, d'éliminer de son récit tout ce qui aurait pu apparaître comme l'indice le plus ténu de son engagement passé, de ses sympathies ou antipathies présentes. Nous nous conten-

do) Cote : 33.546 D' (11) Cote : 01. 763.

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8 C. de CARAVELLE

terons ici, soumis à l'impératif de brièveté, de donner un certain nombre d'exemples choisis parmi les plus significatifs et nous avons retenu ceux qui, assez paradoxalement, nous montrent un Zarate dimagriste.

Le premier passage profondément remanié est le chapitre I du livre III, qui occupe, dans tous les volumes, la deuxième moitié du folio 54 v° et le folio 55 r°-v°. Le folio 54 v° n'ayant pas été refait, les versions Al d'une part, A2 et A3 d'autre part, ont un début commun, que l'on peut résumer ainsi : don Diego de Almagro se met en route pour le Chili à la tête d'une troupe de cinq cent soixante-dix cavaliers et gens de pied; il envoie, en éclaireur, Juan de Sayavedra avec cent hommes; celui-ci, dans la province des Charcas, rencontre un groupe d'Indiens qui se rendent au Pérou. La suite - tout le folio 55 - est fort différente dans les deux versions. La première - Al - fait état de la conséquence de la rencontre : Sayavedra s'empare de certains « texuelos » d'or, d'un poids fort respectable, que ces Indiens, ignorant les événements récents, allaient offrir à l'Inca; puis elle dévoile la volonté de ce capitaine d'arrêter Gabriel de Rojas, qui se trouve là en qualité de lieutenant de justice du gouverneur Pizarro. La seconde - A2 A3 - supprime toute mention de l'or et de sa prise par les Espagnols, faisant ainsi de la rencontre, rapportée sans ses suites, un événe- ment banal, ne présentant strictement plus aucun intérêt; en outre, la volonté d'arrêter Gabriel de Rojas est passée sous silence. Mais, comme il eût été inconcevable qu'un blanc apparût dans la page imprimée, il fallait bien remplacer par autre chose tout ce que l'on retirait du texte primitif; pour obéir à cet impératif. Zarate se contente de donner quelques détails sur la marche de don Diego, apportant différentes précisions numériques, dont l'une ne peut manquer d'intriguer un lecteur quelque peu attentif :

« Llevó consigo el adelantado hasta dozientos hombres de pie y de cavallo. »

Nous sommes bien loin des cinq cent soixante-dix du début du chapitre ! Pourquoi cette censure, ou, pour être plus précis, cette auto-censure de tout le passage ? Le mobile en apparaît clairement : il faut jeter le voile sur deux graves fautes de Sayavedra, qui n'avait nullement le droit de faire main basse sur un quelconque butin dans les limites d'un territoire régulièrement placé sous la tutelle d'un représentant du gouverneur en titre, Francisco Pizarro, et pas davantage celui de procéder à l'arrestation dudit repré- sentant. Qui était Juan de Sayavedra ? Disons seulement que ce fut un almagriste de la première heure et que, malgré un égarement

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LES CORRECTIONS « ÂLMAGRISTES » DE l' « HISTOIRE » DE ZARATE 9

passager, il se rangea assez vite aux ordres de La Gasea pour lutter contre les partisans de Gonzalo Pizarro (12).

De nouvelles différences apparaissent à la page suivante - 55 v° - ; deux seulement retiendront notre attention.

Le paragraphe final du chapitre, dans Al, est consacré au retour d' Almagro du Chili :

« Y creyendo que el Cuzco le cabía y estava en su gover- nacion, sin tener respeto al juramento que avia hecho, se determinó a bolver luego a tomar aquella ciudad, sin detenerse más en Chili ni en otra ninguna parte del camino. »

Tout commentaire est superflu : en le faisant apparaître comme parjure, Zarate accable don Diego. Dans A2 A3, plus aucune trace de cette accusation, et, pour remplir l'espace, il a écrit :

« Y aunque al principio deste capitulo se dize que don Diego llevo a este descubrimiento quinientos y setenta hombres, aquel- los son los que se penso que fueran, caso que en realidad de verdad no partieron mas de los dozientos hombres, y los otros socorros que después le vinieron, de que arriba se trata. »

Bien involontairement, sans doute, Zarate en vient ici à friser le comique en infirmant pour la seconde fois, avec autant d'insis- tance que de maladresse, ce qu'il a affirmé un peu plus haut, dans le même chapitre. Certes il lui fallait à tout prix combler le vide laissé par l'élimination de sa violente attaque contre Almagro, à tout prix et vite; mais la hâte seule ne suffit pas à justifier la réitération d'une rectification qui vient juste d'être apportée. L'ex- plication est autre : Zarate s'est rendu compte de la nécessité de corriger une affirmation erronée - peut-être intentionnellement erronée (13) - qu'auraient pu prendre en mauvaise part les zéla- teurs de la mémoire de don Diego et d'éventuels survivants de l'aventure. En effet, et c'est là une règle générale, exagérer les effectifs d'une troupe revient à minimiser le mérite de chacun de ses membres, et celui de son chef en particulier, dans le succès d'une entreprise guerrière. Depuis longtemps déjà, l'insistance sur le contraste entre la faiblesse numérique des expéditions espagnoles et l'importance des troupes ennemies constituait un lieu commun indispensable dans toutes les chroniques. La réduction de cinq

(12) On trouvera une excellente notice biographique sur Juan de Sayavedra dans les « Datos biográficos », rédigés par M. Jiménez de la Espada, donnés en appendice des Cartas de Indias publiées en 1877 par le Ministerio de Fomento. BAE, t. 266, 1974, pp. 843-844.

(13) Pour F. López de Gomara, qui pourtant puise à la même source que Zarate, l'effectif était de cinq cent trente Espagnols. Cf. Historia de las Indias, BAE, t. 22, p. 237.

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10 C. de CARAVELLE

cent soixante-dix à deux cents du nombre des participants à l'ex- pédition chilienne est bien une correction dimagriste, comme en est une également le changement d'un mot, d'un seul mot, dans le titre du chapitre II, par lequel se termine cette page :

Al « De los trabajos que passo don Diego de Almagro y su gente en la jornada de Chili... »

A2 A3 « De los trabajos que passo don Diego de Almagro y su gente en el descubrimiento de Chili. » (C'est nous qui soulignons.)

Le passage de « jornada » à « descubrimiento » implique une mise en valeur très nette de l'entreprise et, partant, une glorification de tous ceux qui y participèrent. Et si nous avons un peu ironisé précédemment aux dépens du contador Zarate alors qu'il s'embrouil- lait dans ses comptes, rendons-lui ici hommage en reconnaissant que ce remplacement politique d'un substantif est un trait de génie.

C'est toujours le même souci qui a motivé le remaniement des folios 60 et 61, souci de présenter sous un jour plus favorable l'ac- tion de Vadelantado et de certains de ses capitaines. Nous men- tionnerons seulement les corrections les plus significatives.

Lors de leur retour du Chili, les Espagnols sont attaqués traî- treusement par Manco :

Al « Mas quando el Ynga vio su tiempo, dio sobre don Diego con tanta furia que le hizo volver atras. » (60 v°)

A2 A3 « Mas quando el Ynga vio su tiempo, dio sobre don Diego con tanta furia que le hizo mucho daño. »

Reculer devant l'ennemi était infamant pour un Espagnol, à plus forte raison devant un ennemi indien; la première leçon ternissait gravement la gloire de don Diego, la seconde la laisse intacte.

Pendant que se déroulent ces combats, Hernando Pizarro se rend au camp de Juan de Sayavedra pour s'entretenir avec lui, et, affirme Al :

« ...lo pudiera bien prender, como los vecinos del Cuzco le habian aconsejado, y no quiso, antes se volvió al Cuzco sin le hacer enojo. » (60 v° - 61 r°).

Hernando en use donc avec générosité et noblesse. Tel n'est pas le point de vue exposé dans A2 A3 :

« ...y como Juan de Sayavedra quedeva en el pueblo de Hurcos con la gente, salio [Hernando Pizzaro] del Cuzco con 170 hombres a punto de guerra, de lo cual siendo avisado Juan de Sayavedra apercibió su campo que era de 300 españoles y alojólos en un sitio fuerte. »

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LES CORRECTIONS « ALMAGRISTES » DE i/ « HISTOIRE » DE ZARATE 11

Le beau rôle n'est pas attribué au même acteur; Sayavedra ne doit plus son salut à la magnanimité de son adversaire, mais à l'importance de sa troupe et à sa clairvoyance de chef.

Ensuite, les deux textes font état d'une tentative de corruption. Première version : J. de Sayavedra prétendit par la suite - « dixo despues » - qu'Hernando Pizarro lui avait promis une forte somme pour qu'il se rangeât à ses côtés, marché que, bien entendu, il refusa. Seconde version : « on prétendit » - « se dixo que » - ; il n'est plus le seul à conter l'affaire, la nuance est perceptible, mais, surtout, l'auteur prend nettement parti en sa faveur :

« Io qual Juan de Sayavedra no acepto, ni era de creer que aceptara por ser cavallero de muy buena casta, de quien no se podia esperar que haria cosa que no deviesse... »

Nous mentionnerons encore une des variantes de ce folio : selon Al, don Diego, revenant au Cuzco toutes bannières déployées, cap- ture en chemin quatre cavaliers qu'Hernando Pizarro lui dépêche en ambassade - « que envio a le hablar » - ; selon A2 A3, cette arrestation a bien lieu, mais pour une raison impérieuse : « porque tuvo aviso que los enviaba por espias ». La violation de l'immunité des parlementaires, acte hautement reprehensible, se transforme en une simple mesure de sécurité parfaitement légitime.

D'autres différences notables apparaissent au folio 84. Il s'agit d'abord de la fin du chapitre VI du livre IV, consacré au complot des partisans et amis de don Diego el Mozo contre Francisco Pizarro. Toute la dernière page de ce chapitre - 84 r° - est, dans la version primitive, accablante pour « ceux du Chili », à qui elle prête l'intention d'attendre l'arrivée de l'envoyé de la Couronne, Vaca de Castro, et de l'assassiner s'il ne se fait pas l'instrument de la vengeance criminelle qu'ils veulent tirer de leur vieil ennemi. On mesure facilement le poids de l'accusation ainsi portée contre tous les almagristes; mais, plus grave encore peut-être, l'un d'eux est mis en cause nommément : don Alonso de Montemayor (u), que ses compagnons désignent pour aller au devant de Vaca de Castro afin de sonder les intentions dont il est animé. Voilà donc un personnage présenté sous un jour fâcheux : élu par les conju- rés pour accomplir une mission délicate, et peu glorieuse de surcroît, il apparaît comme leur homme de confiance, voire comme l'un des cerveaux de la machination; en outre, étant le seul nommé dans le passage, il retient toute l'attention, et sa réputation et son honneur courent grand risque d'en être à jamais ternis dans l'esprit du lecteur.

(14) Au sujet de Don Alonso de Montemayor, cf. Cartas de Indias, op. cit. p. 808 ab.

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12 C. de CARAVELLE

Les faits sont vus bien différemment dans la seconde version : si Ton peut encore y lire que les amis de don Diego veulent attendre l'arrivée de Vaca de Castro, on ne trouve plus la moindre allusion à leur désir de le mettre à mort. D'autre part, la responsabilité de bon nombre d'entre eux est totalement dégagée, puisque le correcteur prend soin de préciser que la volonté de tuer don Francisco n'était pas unanime :

« el quai designo no fue general entre todos los desta parcialidad, en que uvo muchos cavalleros que aunque sin- tieron la muerte del Adelantado no procuravan vengarla mas de quanto fuesse por términos jurídicos, y sin exceder la voluntad y servicio de Sa Majestad.» (folio 84 r°).

Puis sont cités les noms de ces « cavalleros », huit au total, le premier étant - comme par hasard - Juan de Sayavedra, et le second don Alonso de Montemayor. Et si celui-ci est encore désigné par ses compagnons pour aller au devant de Vaca de Castro, ce n'est plus pour l'espionner, mais pour lui souhaiter la bienvenue - délicate nuance - , et le choix se trouve ainsi justifié :

« por ser don Alonso cavallero principal y de muy buen entendimiento. »

Durant cette ambassade se produit l'irréparable, l'assassinat du gouverneur, ce qui fait que don Alonso reste en compagnie de Vaca de Castro et participe, sous la bannière royale, à la bataille de Chupas, avec d'autres hommes qui, comme lui, font passer l'obligation de fidélité à leur souverain avant leurs sentiments personnels.

On mesure facilement l'abîme qui sépare la seconde version de la première. Zarate s'est lancé dans une véritable entreprise de réhabilitation, non pas de tout le parti dimagriste, mais de ceux de ses membres qui se rallièrent à la cause royale, représentée alors par Vaca de Castro.

L'aspect matériel de la correction nous montre le prix qu'il a dû attacher à ce qu'elle S'effectuât; en effet, pour modifier ainsi le texte, il a fallu le rallonger de douze lignes et, par conséquent, changer la mise en page. Alors que dans Al le chapitre prenait fin avant le bas du folio 84 r°, où il restait assez de place pour le titre et les deux premières lignes du suivant, dans A2 A3 il va non seulement jusqu'au bas de la page, mais occupe encore huit lignes de la suivante, ce qui a entraîné, par un effet normal de réaction en chaîne, la recomposition du folio 85. Un certain nom- bre de différences vont donc nécessairement apparaître dans le début du chapitre VII, ne serait-ce qu'en raison de l'obligation de regagner sur trois pages (84 v°, 85 r°-v°) l'espace perdu; nous

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LES CORRECTIONS « ALMAGRlSTES » DE L* « HISTOIRE » DE ZARATE lì

ne les mentionnerions pas si elles n'étaient que de simples rac- courcissements, mais plusieurs d'entre elles vont tout à fait dans le sens des précédentes :

Al « Era tan publico en la Ciudad de los Reyes que los de Chili trataban la muerte del Marques... »

A2 A3 « Era tan publico en la Ciudad de los Reyes el concierto que estaba hecho para matar al Marques... »

Dans la première leçon, un coupable collectif désigné : « ceux du Chili », c'est-à-dire tous, tout le parti almagriste. Dans la seconde, présentation impersonnelle, pas de coupable. Déjà, au chapitre précédent, cette appellation par trop généralisante avait été pure- ment et simplement biffée, comme elle va l'être encore une fois ici, quelques lignes plus bas, avec le retrait d'une nouvelle et grave accusation :

« ...y assi los de Chili para descuydar al Marques echaron fama que Vaca de Castro era malo. »

Nous faut-il encore une confirmation de cette ferme et cons- tante volonté de réhabiliter les almagristes ralliés ? Nous la trou- vons dans les modifications apportées à la fin du chapitre XX du livre IV.

Ce chapitre, dans la version primitive, se termine avant le bas du folio 108 r° - où l'on a encore imprimé le titre et trois lignes du suivant - , par une enumeration des personnages les plus importants qui s'illustrèrent dans le camp de Sa Majesté lors de la bataille de Chupas, soit vingt-six noms. Dans A2 A3, il ne se termine qu'à la neuvième ligne de la page suivante. La raison d'un tel allongement est l'adjonction à la précédente qui, entre- temps, va se réduire de vingt-six à vingt et un, d'une nouvelle liste forte de vingt-quatre noms, celle des membres du parti amalgriste - « de la parcialidad del Adelantado » écrit ici Zarate, et non plus « los de Chili » - qui se distinguèrent également sous la bannière royale. Première remarque : dans la version remaniée la liste des ralliés est plus longue que l'autre. Seconde remarque : trois noms seulement de cette liste ajoutée figuraient déjà dans la liste de Al, ce qui signifie clairement que l'auteur n'avait d'abord fait qu'une place extrêmement réduite aux almagristes fidèles à la Couronne, en n'en citant que trois, qu'au demeurant il ne présentait pas comme tels.

Après en avoir terminé avec cette enumeration des gens si fâ- cheusement oubliés dans sa première rédaction, Zarate aurait pu estimer leur avoir suffisamment rendu justice et s'en tenir là, d'autant plus que, pour des raisons techniques évidentes, il n'avatf

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14 C. de CARAVELLE

pas intérêt à trop allonger son texte, mais il n'en fait rien, éprou- vant l'impérieux besoin de les flatter encore en rappelant la haute estime en laquelle les tint par la suite Vaca de Castro, qui jugea bon de les récompenser d'avoir sacrifié « sus particulares preten- siones y afición » afin d'être fidèles à la cause royale. L'insistance se fait pesante et, partant, suspecte.

Les modifications du chapitre suivant - XXI - ne sont pas d'une importance telle que nous puissions affirmer que Zarate les eût apportées si l'occasion ne lui en eût été fournie par les impératifs de la recomposition : rappelons qu'il lui fallait regagner, avant le bas du folio 109 r°, tout l'espace pris par les ajoutés du chapitre XX. L'une d'elles cependant vaut la peine que nous la signalions ici, c'est celle du titre (folio 108 r°) :

Al « De la justicia que se hizo de los de Don Diego. » A2 A3 « De la justicia que hizo Vaca de Castro de los de

Don Diego. »

Désir de mettre en valeur le rôle de Vaca de Castro ? Répondre par l'affirmative, comme on pourrait être tenté de le faire dès l'abord, serait commettre un grave contre-sens. L'attention du correcteur ne se fixe que sur le mot « justicia », dont il veut restreindre le sens. Dans Al, la justice - valeur absolue - a été faite, ce qui sous-entend la culpabilité des justicies. Dans A2 A3, la justice de Vaca de Castro - valeur relative - a été faite, à chaque lecteur d'avoir son opinion sur cette justice. Nous avons affaire, une fois de plus, à une correction de toute évidence dima- griste, effectuée, contrairement à d'autres, avec une subtilité en tout point digne d'éloges, et perceptible seulement dans le contexte que nous nous sommes efforcé de mettre en lumière.

Nous ne traiterons pas des modifications du livre V - dont certaines n'apparaissent que dans A3 - bien qu'elles ne soient pas les moins intéressantes, beaucoup s'en faut, mais leur analyse excéderait par trop les limites que nous nous sommes imposées. Dans ce livre, consacré à la première phase de la rébellion de Gonzalo Pizarro, la lutte entre les deux clans qui, jusqu'alors, se sont entre-déchirés, se trouve rejetée au second plan par l'affronte- ment, d'une portée beaucoup plus considérable, entre les colons et la Couronne. Le problème péruvien devient plus brûlant encore, et l'histoire plus difficile à écrire pour un auteur qui l'a vécue et dont l'engagement ne fut pas celui qu'il aurait dû être.

Les corrections qu'il lui faut apporter à son écrit sont à la fois anti-pizarristes - contre Gonzalo, le rebelle - et pro-vice- royales - en faveur de Blasco Núñez Vela, la victime.

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LES CORRECTIONS « ALMAGRlSTES » DE L* « HISTOIRE » DE ZARATE 15

Quant aux livres VI et VII, curieusement, ils ne font l'objet d'aucune correction dans l'édition de 1555.

Il reste à expliquer cet intéressant phénomène bibliographique en tentant d'apporter une réponse aux questions qui se posent tout naturellement : comment ? quand ? pourquoi ?

Pour ce qui est de la première, nous nous montrerons prudent, ne désirant point trop nous aventurer dans un domaine pure- ment technique. Les corrections que l'on relève dans A2, puis dans A3, pourraient être des corrections dites de presse : l'auteur serait intervenu très vite pour apporter des modifications à son texte, obligeant le compositeur à recomposer quelques feuilles en- tre le début et la fin de l'impression définitive, mais n'aurait pas veillé à ce qu'on détruisît, préalablement aux opérations de pliage et de reliure, celles qu'il voulait voir disparaître et qui, ainsi, malgré lui, se retrouvent dans certains des volumes (15). Mais c'est là une hypothèse peu probable compte tenu de l'ampleur et du nombre de ces modifications. Il s'agit plus vraisemblablement de corrections par substitution, c'est-à-dire du remplacement de certains feuillets originaux par d'autres, appelés cartons, impri- més exprès. Le fait que tous les feuillets réimprimés de A2 et A3 l'aient été recto-verso, même lorsque l'une seulement des deux faces a été corrigée, semble en être la preuve. Et comme de tels cartons peuvent être introduits dans un livre longtemps après son achèvement, il n'est pas non plus facile de répondre à la question quand ? Tout au plus pouvons-nous fixer un terminus ad quem : l'année 1563, date de parution des traductions italienne et hollan- daise, faites l'une et l'autre à partir de A3.

Enfin, pourquoi ? La nature même des remaniements effectués nous en donne la raison profonde. Si Agustín de Zarate corrige son texte dans un sens que nous avons qualifié d'almagriste, ce n'est pas à cause d'un quelconque attachement à « ceux du Chili », bien au contraire. S'il les réhabilite, les flatte parfois, c'est pour masquer les sympathies qu'il a pu nourrir, qu'il nourrit peut-être encore, pour le parti adverse, sympathie qu'il convient de faire oublier, de cacher - malheur aux vaincus ! - comme une maladie honteuse. Sa démarche se résume en une équation bien simple : toute prise de position almagriste égale une prise de position anti- pizarriste; et il se devait de paraître anti-pizarriste.

Ceci dit, tout n'est pas complètement expliqué, car si nous sai- sissons la raison profonde, les causes immédiates nous échappent encore; en effet, entre l'impression de la première version Al,

(15) Cf. Technique du livre; livres anciens, bibliologie, Ecole Nationale Supé- rieure des Bibliothèques, Paris, 1968, 42f. multigr.

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16 C. de CARAVELLE

en 1555, et celle de A2 et A3, entre 1555 et 1563, il a dû se passer quelque chose, mais quoi ? Nous pouvons supposer, sans grand risque de nous tromper, que Zarate a été soumis à des pressions de la part de certains de ses lecteurs, pressions dont il avait le pressentiment - à moins qu'elles n'aient commencé à s'exercer dès lors que l'on a su qu'il écrivait des choses du Pérou - quand il affirmait, sur un ton fortement désabusé, dans sa dédicace au prince Philippe, datée du 30 mars 1555, que celui qui se mêle de relater des événements récents, sans attendre la mort des pro- tagonistes, voire celle de leurs descendants, « aura toujours à plaider, ou contre ceux qu'il blâme, qui se plaindront qu'il en a trop dit, ou contre ceux qu'il loue, qui trouveront qu'il n'en a pas assez dit » (16).

Variantes pro-almagristes, comme celles que nous avons vues, variantes anti-pizarristes ou favorables à Blasco Núñez Vela du livre V, variantes pro-indigénistes - on en relève plusieurs - , ou d'autres encore, plus difficiles à cataloguer ou à expliquer, mon- trent à l'évidence la difficulté qu'a dû éprouver Zarate pour donner à son Histoire ce semblant de sérénité et d'impartialité qui a si bien trompé la critique postérieure. Mais ses contemporains, eux, ne s'y sont pas trompés, et c'est incontestablement sous leur pres- sion qu'il a été amené à la remanier, à la censurer à diverses reprises. L'ancien contador du Pérou est un auteur engagé, forte- ment engagé, qui veut écrire un livre objectif afin de faire oublier son engagement, mais n'y parvient qu'à grand peine. Chacun des remaniements du texte porte témoignage de l'effort déployé.

(16) Ed. d'Anvers, f° V r°; BAE, op. cit., p. 460. Nous citons ici l'excellente traduction de Samuel de Bröe (lre éd. 1700), Paris : Compagnie des Libraires, 1774, p. XXII.

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