n°21 revue pÉdagogique hep vaud prismesjuin 2015

68
N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD JUIN 2015 PRISMES LE DEUIL

Upload: others

Post on 15-Nov-2021

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUDJUIN 2015

PRISMES

LE DEUIL

Page 2: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

JE M’APPELLE CÉCILE, J’AI 24 ANS

Le deuil est l’affaire exclusive des vivants. Dans son

projet photographique, Alain Kissling a pris un parti

fort : faire le portrait de quelques enfants, adoles-

cents et jeunes adultes pour qui, un jour, la vie s’est

brisée. Confrontés à l’effraction de la mort à un âge

où elle est simplement inconcevable, ils ont dû ré-

apprendre à exister après la perte d’un frère, d’une

sœur, d’un copain d’enfance. Il leur a fallu imaginer

et réinvestir, pas à pas, un espace vivant dans le-

quel l’absence sera toujours présente… Alain Kiss-

ling leur a ouvert les portes de son studio et les a

laissés prendre leur place. Les regards qu’il nous

restitue disent la force infinie de l’amour et illumi-

nent de leur grâce les êtres invisibles qui continuent

de vivre en eux…

Barbara Fournier

J’ai perdu mon frère, Benjamin, il y a maintenant neuf ans. Il avait treize ans. Il s’est fait renverser par une

voiture, lorsqu’il sortait du bus. Un accident bête, mais qui a bouleversé ma vie, notre vie.

Même si cela fait déjà neuf ans, je me souviens encore du téléphone que j’ai reçu de ma maman pour

m’annoncer qu’il avait eu un accident. Je me souviens que c’était un mercredi, que j’étais à une journée

sportive avec l’école et des paroles qu’elle m’a dites…

Les trois jours qui suivirent fûrent lourds, difficiles et hors du temps. Mon frère a été placé en coma artifi-

ciel. Il était en mort cérébrale…

Il était évident pour nous de donner les organes de Benjamin, il a toujours été un garçon très généreux.

Lorsqu’il est sorti de la salle d’opération, mort, j’ai toute de suite dit qu’on ne pouvait pas le laisser dans

cette morgue beaucoup trop glauque à mon goût. Nous avons donc accueilli Benjamin, sans vie, à la mai-

son. Ça nous a fait du bien à tous.

J’ai décidé de reprendre l’école une semaine après l’enterrement. Mon prof ainsi que le médiateur de l’école

sont venus à la maison pour que nous puissions discuter de mon retour. Le fait de les savoir présents m’a

beaucoup aidée et m’a donné de la force. J’ai recommencé l’école un vendredi. J’ai pu dire aux élèves de

ma classe comment je voulais qu’ils soient avec moi. Qu’ils soient attentifs à moi mais sans l’être trop non

plus. Ils ont tous respecté ma demande.

Mes parents, bien sûr, ont été plus que présents. J’ai eu aussi beaucoup de soutien de la part de certains

de mes amis. Inconsciemment, un tri s’est fait dans mes amitiés et connaissances. Je suis suivie par une

psychologue.

Il y a deux ans, j’ai témoigné au Chuv, à la cérémonie du souvenir. Il m’a fallu du courage, mais j’y suis ar-

rivée et cela m’a beaucoup fait avancer. J’ai voulu prendre la parole car, les années précédentes, nous avons

entendu beaucoup de parents mais jamais de frère ou de sœur. J’avais besoin de laisser un message aux

jeunes pour leur dire que si j’ai réussi à survivre à cette catastrophe, eux aussi pouvaient y arriver.

A la suite de ce témoignage, j’ai rencontré plusieurs filles qui ont aussi perdu un frère. Nous nous réunis-

sons tous les deux ou trois mois pour échanger, manger, rire, pleurer. Nos rencontres sont animées par

une professionnelle d’As’trame. Ces échanges me font du bien et me font encore avancer.

Aujourd’hui, j’écris ce texte… Pour moi mais aussi pour les autres. Je souhaite faire quelque chose de mon

vécu. Je veux pouvoir aider, soutenir et encourager les jeunes qui sont dans ma situation. C’est pour moi

le plus bel hommage que je puisse rendre à Benjamin…

Page 3: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

OÙ QUE JE SOIS, BENJAMIN EST AVEC MOI. IL N’Y A PAS UN JOUR OÙ JE NE PENSE PAS À LUI AVEC JOIE, TRISTESSE ET SOUVENIRS. NOUS PARTAGEONS LA MÊME PLANÈTE, C’EST MON PETIT PRINCE…

Page 4: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

LE DEUIL

ÉDITORIAL Régine Clottu 5

LES LIENS ÉBRANLÉS ET FRAGILISÉS

La vie de tout être humain : un parcours jalonné de pertes et de deuils Christine Fawer Caputo 6

Deuil, métaphore de l’indicible Roberto Barbone 10

Enfants et séparation parentale Marie-Dominique Genoud-Champeaux 11

Jeunes en itinérance géographique : entre ruptures et adaptations Deniz Gyger Gaspoz 12

L’adolescence : une étape de deuil Pierre-André Doudin, Denise Curchod-Ruedi et Nicolas Meylan 13

LE CHOC DE LA MORT

Un décès en classe : de l’expérience du terrain à un protocole d’annonce Alix Noble Burnand 15

Quand la mort s’invite à l’école Christine Fawer Caputo 16

Représentations de la mort chez l’enfant : liens avec l’anxiété générale et avec l’anxiété face à la mort Eric Tardif et Denise Curchod-Ruedi 19

«Nous ne reverrons plus jamais Marie !» Radhia Kadamain 21

Ecouter et accompagner mes élèves endeuillés Entretien avec Michel Deruaz 22

ACOMPAGNEMENT LORS D’ÉVÉNEMENTS GRAVES

Penser l’impensable : le suicide des enfants Christine Fawer Caputo 24

Prévenir le suicide des jeunes : mission possible? Sophie Lochet, Yves Dorogi et Laurent Michaud 25

Vivre malgré tout pour un peu de temps Patricia Fahrni-Nater 26

Le retour à l’école d’un enfant atteint de cancer, une préparation minutieuse Véronique Monachon 30

Jeux dangereux : les jeux violents, d’évanouissement et de défi Fabienne Tosi 32

Comment parler en classe des attentats contre Charlie Hebdo? Alain Pache et Sybille Rouiller 33

LE DEUIL À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE

Adolescence, mort et numérique Martin Julier-Costes 35

Gérer la mort sur Facebook Entretien avec Olivier Glassey 37

VERS UNE RECONSTRUCTION

Un conte pour accompagner le deuil Alix Noble Burnand 39

Un conte illustré à la mémoire de Lucien Hélène Delannoy 41

Un enfant différent, des deuils en perspective : l’expérience mise en mots accompagne Geneviève Tschopp 42

Lorsque s’envole le rêve de l’école : vivre avec une myopathie, en Albanie Anne Rodi 44

«Nous avons perdu une collègue !» Entretien avec Valérie Renevey, Véronique Auteri, Régina Aeschlimann et Isabelle Comelli 47

Accompagner à l’école les jeunes qui vivent la maladie grave ou la mort d’un proche Josée Masson 48

Le parcours de reliance, chemin de vie pour les enfants en deuil Marie-Dominique Genoud-Champeaux 51

FORUM

LES LIVRES ONT LA COTE

Parler de la mort à l’école Henriette Cochard et Paola Moro 53

ACTUALITÉS HEP

Un ouvrage consacré à l’image pour enrichir les pratiques enseignantes Philippe Hertig, Nicole Durisch Gauthier et Sophie Marchand Reymond 54

Cahiers d’écoliers : ouvrez-les et écoutez-les parler Barbara Fournier 56

Pour une école égalitaire, journée de formation du jeudi 18 février 2016, HEP Vaud Muriel Guyaz 58

Un ouvrage sur le deuil à l’école Christine Fawer Caputo

Comment soutenir les enseignants face aux situations complexes Denise Curchod-Ruedi et Pierre-André Doudin

Le Musée de l’immigration ouvert aux écoles et aux étudiants Régine Clottu

LA PAGE DES ÉTABLISSEMENTS

Maison-école : un projet pour préparer et faciliter l’entrée à l’école Alain Chaubert 59

DES SIÈCLES DE DÉBAT

Des expositions, vitrines universelles pour l’école ! Yvonne Cook et Sylviane Tinembart 61

AUTRES REGARDS

Ces ados dans la société de la performance Jocelyn Lachance 63

Le WWF tisse des liens avec l’école Entretien avec Ariane Derron 65

Vers une rédaction épicène Muriel Guyaz au nom de la commission consultative de l’égalité 66

IMPRESSUM 67

Page 5: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 5

LA NUIT N’EST JAMAIS COMPLÈTEIL Y A TOUJOURS,

PUISQUE JE LE DIS PUISQUE JE L’AFFIRMEAU BOUT DU CHAGRIN UNE FENÊTRE OUVERTE

Paul Eluard

Ces quelques vers d’un beau poème de PaulEluard insistent sur l’espoir après un grand cha-grin. Prismes, dans ce nouveau numéro, porte sonattention sur l’inéluctabilité de la mort et le tempsde deuil qui lui succède, mais aussi sur des si-tuations de pertes comme un divorce ou la nais-sance d’un enfant différent, qui peuvent conduireà des processus de deuil proches de celui qui sur-vient à la disparition d’un être aimé. La finalité estde retrouver le goût de vivre, de donner un sensaux événements et d’arriver à «une fenêtre ou-verte».

Christine Fawer Caputo, experte pour le dossierthématique de ce numéro, mentionne les étapesqui jalonnent le deuil et conduisent très souventà un apaisement et à une motivation renouveléepour la vie. Toutefois, ce processus, complexe,peut être long, et le passage par la phase de dé-pression peut donner l’impression que le deuil n’enfinit pas. Dans le milieu scolaire, des situations de deuil tou-chent des enseignantes et des enseignants, desélèves, des directions, des établissements sco-laires entiers, fragilisent le contexte de l’école etles personnes qui la composent. Des enfants oudes jeunes perdent un frère, une sœur, un parentproche, une ou un camarade. Faut-il parler de cesdeuils à l’école? Si oui, comment trouver des pa-roles suffisamment respectueuses et sensibles?A quelles ritualisations faudrait-il penser pourponctuer les processus de deuil ?Plusieurs témoignages d’enseignantes et d’ensei-gnants jalonnent ce numéro. Perdre une ou un deses élèves est très déstabilisant, non seulementen tant que personne qui affronte la rupture d’unerelation pédagogique, mais aussi en raison du bas-culement de rôle. L’enseignante ou l’enseignantne s’occupe plus seulement de la transmission desavoirs, mais devient une personne ressource dis-ponible, qui écoute, encourage, accompagne sesautres élèves touchés par le deuil. Il importe alorsde prendre en compte leur développement ainsique leurs capacités à comprendre et à construiredu sens. De plus, les outils numériques et internetprennent une place importante pour les jeuneslorsqu’un des leurs décède. Ce nouveau rôle inat-tendu peut devenir très fatigant, voire épuisant.Ce numéro porte son attention également sur desévénements graves comme les attentats récentscontre Charlie Hebdo. Est-il pertinent ou non d’enparler dans le cadre scolaire? Un article se fait lerelais d’une table ronde qui a eu lieu à la HEP peude temps après ces événements. A mentionneraussi le suicide des jeunes (de plus en plusjeunes !) et les effroyables jeux dangereux – phé-nomène présent à large échelle et touchant toutes

les couches sociales – auxquels des groupes d’en-fants peuvent s’adonner dans les interstices de lasurveillance des adultes et sous l’influence deleurs pairs. Seule une prévention offensive et uneinformation la plus large possible peuvent éviterla mort inutile de nombreux enfants et adoles-cents. Heureusement, l’environnement ne se montre pasinactif. De nombreuses démarches tentent de sou-lager la souffrance des personnes touchées enproposant par exemple des contes ou des ateliersd’écriture. Différents protocoles sont bien implan-tés dans le milieu scolaire. Des équipes sontprêtes à réagir très vite aussi bien en cas d’inci-dent critique qu’en cas de décès d’une personne.Des spécialistes interviennent pour apaiser, écou-ter, structurer des rituels de deuil. De «cellules decrise», comme on les nomme communément, ap-paraît également le terme de «cellule d’accom-pagnement». Ainsi, le but est d’aider la commu-nauté d’un établissement scolaire à retrouver sonéquilibre le plus rapidement possible.Comme des « fenêtres ouvertes» sur la vie aprèsle deuil, ce numéro est jalonné de portraits dejeunes qui ont vécu la perte d’un proche et qui po-sent en souvenir de la personne disparue. Ce fai-sant, le regard se porte sur ceux qui restent aprèsun tel tsunami, ainsi que sur la mémoire à élabo-rer pour accomplir le travail de deuil.Pour terminer cet éditorial, permettez-moi de vousinformer qu’après plus de dix ans d’engagementpour la fondation et le développement de cetterevue, j’ai décidé de passer la main et de céderma fonction de rédactrice responsable. C’est lecas également d’Alain Chaubert qui, dès le numéro 15, a apporté ses qualités d’écriture et ou-vert son ample réseau de contacts. Je souhaitevivement à Prismes un avenir rempli de réflexionspédagogiques et d’échanges entre formation etterrain de l’enseignement et à nos lectrices et lec-teurs de tous horizons de nombreux articles pas-sionnants et approfondis. Mais pour l’heure, je sou-haite à chacune et chacun une excellentedécouverte de ce vingt-et-unième numéro.

ÉDITORIAL

VIVRE APRÈS LA PERTE OU LE DEUIL RÉGINE CLOTTU, RÉDACTRICE RESPONSABLE

Page 6: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Quand on évoque les mots perte et deuil, on pensesouvent à la mort qui est assurément une des plusgrandes pertes possible, et qui de plus est irré-versible. Mais la vie de chaque individu est aussijalonnée d’autres petites et grandes pertes qui en-traînent parfois un processus de deuil.

Vivre, c’est perdre

Dès l’enfance, l’être humain est amené à seconstruire et à se socialiser en expérimentant eten intégrant l’apprentissage de la perte, la pre-mière étant certainement l’expulsion du ventre ma-ternel. Très tôt, le jeune enfant doit apprendre às’éloigner progressivement de sa mère en fonc-tion du développement de son autonomie et eninteragissant avec son milieu. Si les initiatives qu’ilprend augmentent son indépendance, il découvreégalement diverses limites et contraintes qui l’em-pêchent de faire tout ce qu’il aimerait ou ce qu’ilvoit faire chez ses aînés et l’obligent à des renon-cements parfois frustrants. A la perte de l’unicitéd’avec sa mère vient s’ajouter celle de l’illusion dela posséder totalement, puisqu’il doit la partageravec sa fratrie (Viorst, 1986).Vient ensuite l’adolescence qui se révèle être uneétape de vie où les changements sont nombreux

et les pertes multiples : qu’on pense d’abord auxmodifications importantes (physique, hormonale,morale, émotive, intellectuelle, etc.) et parfois per-turbantes que le jeune subit, sans compter sa re-cherche d’identité psychosociale qui peut s’avé-rer mouvementée et qui l’amène à renoncerdéfinitivement et consciemment à l’enfance. C’estaussi une phase de l’existence où l’amitié prendune place prépondérante et où l’on découvrel’émoi des premières amours, si bien qu’une rup-ture amicale ou amoureuse peut engendrer unsentiment profond de trahison, une perte de cer-tains idéaux, une remise en question des valeurset une altération de la confiance en soi, quelque-fois si insupportables que l’adolescent préfère quit-ter la vie.

«L’adolescence se révèle

être une étape de vie

où les changements

sont nombreux et les pertes

multiples. »

Plus tard, jeune adulte, l’individu est amené à quit-ter le foyer familial pour voler de ses propres ailes.Si cette étape est souvent vécue dans l’enthou-

siasme, car gage d’autonomie, elle s’accompagneégalement de nouvelles responsabilités apparen-tées à une forme de perte : l’accès au premier em-ploi, la gestion d’un budget, le désir d’établir unerelation intime, solide et pérenne peuvent com-porter des risques, voire des échecs, et induire lesentiment d’abandonner plus ou moins volontai-rement quelques rêves, l’insouciance et certainesillusions spécifiques de la jeunesse.

Des événements «normaux», maisparfois douloureux

A son tour, la maturité peut apporter à l’adulte unnouveau lot de pertes : le départ de la maison desenfants devenus grands, un divorce, un licencie-ment parfois inattendu ou un départ à la retraite– souvent ressentis comme une mort sociale (Bac-qué, 2007) –, une altération de l’apparence phy-sique ou des problèmes de santé. Ces événe-ments «normaux» balisent l’existence, maispeuvent aussi se révéler douloureux, car ils souli-gnent l’inéluctable passage du temps et font réa-liser qu’il n’y a pas de retour en arrière possible.Enfin, quand arrive la vieillesse et qu’il aborde ladernière partie de son existence, l’être humain tiregénéralement un bilan de sa vie, souvent avec unsentiment de satisfaction envers les tâches ac-complies et les objectifs atteints même s’il y a eudes erreurs, des échecs ou de mauvais moments.Pourtant diverses dernières pertes peuvent en-core survenir, à commencer par une forte dimi-nution de son autonomie physique ou mentale quil’oblige fréquemment à vendre ses biens et à quit-ter sa résidence pour une maison de retraite. C’estaussi une période de la vie où l’on peut assister àla mort d’amis proches, au décès de son conjointou même de ses enfants ; autant de pertes diffi-ciles qui rappellent également quel est le bout duchemin… Le parcours de tout humain est donc composé de

LA VIE DE TOUT ÊTRE HUMAIN :UN PARCOURS JALONNÉ DE PERTES ET DE DEUILS CHRISTINE FAWER CAPUTOAu cours de sa vie, l’être humain subit de nombreuses pertes,pas toujours liées à la mort, mais qui l’entraînent sur le che-min du deuil. Une voie sinueuse que chacun vit à sa manière,mais qui laisse pourtant apparaître un fil rouge : des étapesde ce processus douloureux, largement partagées par lespersonnes endeuillées. Si parfois, à la fin du périple, le sensdes épreuves traversées se révèle, il reste utile de garder àl’esprit, comme le note Christian Bobin, que la vie sait tou-jours comment poursuivre.

DOSSIER / LES LIENS ÉBRANLÉS ET FRAGILISÉSLA VIE DE TOUT ÊTRE HUMAIN : UN PARCOURS JALONNÉ DE PERTES ET DE DEUILS

Page 7: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

petits et grands changements, de liens qui secréent ou disparaissent, mais c’est «en perdant»régulièrement que l’enfant, puis l’adolescent etenfin l’adulte peuvent faire des choix et avancerdans leur vie. Comme le dit Lethierry (2005), la vie,en un sens, n’est qu’un long travail de deuil.

Le processus de deuil lors d’unegrande perte

Si, comme nous venons de le voir, au cours desâges de la vie, certaines pertes sont inévitables,voire attendues (perte des dents, des cheveux, dela vue, ou arrivée de la ménopause/andropause),il existe de grandes pertes – souvent d’ordre af-fectif – dont la survenue entraîne fréquemmentune forme de chaos qui déstabilise profondémentla personne, engendrant parfois un stress émo-tionnel et une désorganisation considérables etl’amenant à faire un travail de deuil pour se re-construire. En effet, il ne peut y avoir deuil que s’ily a attachement – à une personne, à une relation,à une situation, à un travail, etc. – fondé sur lacréation de liens qui vont s’intensifier au cours desmois et des années et qui, par nature, sont appe-lés à se terminer, que ce soit par une séparation,un éloignement ou la mort.

«Comme le dit Lethierry (2005),

la vie, en un sens, n’est qu’un long

travail de deuil. »

Ces expériences douloureuses ne sont pas vécuespareillement d’une personne à l’autre et tous lesdeuils ne sont pas identiques, puisque « les loiséternelles des proportions font que la perte d’unepoupée pour un enfant et la perte de sa couronnepour un roi sont des événements de même im-portance» (Mark Twain). Notre propos, ici, n’estdonc pas de modéliser un processus propre àchaque individu, mais d’esquisser quelques étapesqui font consensus chez beaucoup d’auteurs, afinde mieux appréhender ce qu’un endeuillé peutêtre amené à traverser.

Après le choc, le déni cognitif

A l’annonce de la nouvelle de la perte (comme lafin d’une relation intime – séparation ou divorcenon souhaités –, la rupture d’une longue amitié,un déménagement non envisagé, un licenciementimmédiat, la découverte d’une maladie grave ouune mort inattendue), la personne ressent un chocdont l’intensité sera liée à l’imprévisibilité de l’évé-nement, et qui se reconnaît à diverses manifesta-tions : on est comme tétanisé ou on peut ressen-tir une sensation de froid et même être pris d’unrire incontrôlable. Après l’effet paralysant du choc se met générale-ment en place, sur le plan psychologique, un pro-cessus de déni cognitif, qui protège l’endeuillé d’unenvahissement émotionnel trop intense et se ma-nifeste par la négation de la réalité de la perte(Hétu, 1989). On peut faire une analogie entre cette phase etles blessés physiques graves (par exemple am-putés d’un membre) : l’impact du traumatisme nepermet pas de ressentir la douleur immédiate-ment, et ce n’est que graduellement que la sensi-bilité revient. Le déni peut donc s’apparenter à uneforme d’anesthésie émotionnelle qui permet deprendre les choses en main et de parer au plusurgent : organiser les rites funéraires, le déména-gement en cas de rupture ou encore la logistiquenécessaire en vue d’une hospitalisation ou d’untraitement invasif. Progressivement, les émotions vont revenir, et c’estla colère (ou protestation) qui risque de se mani-fester en premier, induite souvent par un senti-ment d’abandon, de manque et de solitude. Il ar-rive parfois que la personne ayant subi la pertecherche un bouc émissaire et dirige sa colèrecontre le responsable du décès, contre le défuntlui-même, contre le chef qui a licencié, contre leconjoint qui est parti ou le médecin qui annoncéla mauvaise nouvelle, etc. Elle peut aussi éprou-ver une peur ponctuelle, voire une angoisse et unsentiment d’incapacité à affronter la situation, carson monde vient brusquement de se modifier2.

L’impression que le deuil ne finira jamais

S’ensuit une période plus ou moins longue appe-lée dépression (Hanus, 1994) – mais qui n’a rien àvoir avec la maladie psychique – qui se caracté-rise par une réaction émotionnelle intense et pro-fonde de tristesse, de chagrin, de désolation etd’impuissance, avec l’impression que le deuil nefinira jamais. Elle peut s’exprimer aussi à traversun sentiment de culpabilité vis-à-vis de la per-sonne ou de la situation disparues, par des re-proches adressés à soi-même ou des regrets.Cette étape est décisive, quoique difficile à sup-porter tant pour la personne que pour l’entourage.Pourtant, il s’agit de la vivre « jusqu’au bout», pourque la perte soit réellement intégrée et pour quela disparition (de la personne ou de la situation)soit acceptée, et que la remontée vers la viepuisse se faire.

«Progressivement, les émotions

vont revenir et c’est la colère

(ou protestation) qui risque

de se manifester en premier. »

C’est durant cette étape que la personne en-deuillée a le plus besoin de soutien, de l’affectionde ses proches (parents, amis, entourage) capa-bles de comprendre toute la complexité de cequ’elle vit et si possible d’offrir une écoute bien-veillante3. C’est important aussi qu’elle prenne soinde sa santé, car le stress provoqué par le deuilpeut engendrer des complications, et qu’elle sus-pende la prise de décisions importantes (démé-nagement, changement d’emploi, remariage, adop-tion, etc.), car cette période n’est pas le momentidéal pour modifier brusquement son mode de vie(Régnier, 2011).Une fois les différentes émotions exprimées, laprise de conscience de la perte s’effectuera d’unemanière progressive, car l’organisme met dutemps pour absorber tout l’impact de la mauvaisenouvelle, l’objectif étant de donner un répit afin

DOSSIER / LES LIENS ÉBRANLÉS ET FRAGILISÉSLA VIE DE TOUT ÊTRE HUMAIN : UN PARCOURS JALONNÉ DE PERTES ET DE DEUILS

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 7

chocsidération

quête de senssérénitédéni

émotionnel

nouveauxattachements

colèreprotestation

acceptationglobale, pardon

peur

acceptationintellectuelletristesse, chagrin

dépression

Page 8: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

DOSSIER / LES LIENS ÉBRANLÉS ET FRAGILISÉSLA VIE DE TOUT ÊTRE HUMAIN : UN PARCOURS JALONNÉ DE PERTES ET DE DEUILS

que la personne puisse construire ses ressourcespour faire face à l’événement4. S’installent d’abordune acceptation intellectuelle où l’endeuillé réa-lise que ce qui s’est passé est inéluctable, puisune acceptation globale au moment où la perteest complètement intériorisée. «L’acceptation n’estpas une démission, mais une progression, le fran-chissement d’un seuil nouveau et totalement in-connu.» 5 C’est la personne et non plus l’objet deson deuil qui prime. C’est aussi une phase possi-ble de pardon : se pardonner à soi-même d’abordde ne pas avoir pu empêcher la perte ou aux au-teurs de la perte, sans forcément entrer en rela-tion avec eux ou se réconcilier.

Le «cadeau caché»

On identifie la terminaison ou la fin du deuil6 quanddes désirs de renouveau sont acceptés consciem-ment et même recherchés et que la personne està nouveau disponible pour de nouveaux attache-ments ou de nouveaux projets. Une fois le pro-cessus de deuil achevé, la perte peut parfois pren-dre sens : appelé aussi le «cadeau caché» 7, c’estle fait de prendre conscience de tout ce qu’on areçu de la relation avec la personne disparue oules «bénéfices secondaires» que la perte ou lamaladie a apportés. Ainsi, certains parents, révol-tés par la mort injuste de leur enfant (meurtre, en-lèvement, maladie, etc.), fondent des associationsou tentent de faire changer les lois. Perpétuer lamémoire de leur enfant, par leur engagement mis-sionnaire, donne ainsi un sens à la perte subie.Qu’on se souvienne également de l’acteur Chris-topher Reeve, Superman à l’écran dans les années1990, et qui se retrouva tétraplégique suite à unemauvaise chute de cheval. Après avoir accepté l’ir-réversible perte de sa mobilité, il créa une fonda-tion avec son épouse et passa le reste de sa vieà utiliser sa notoriété pour se battre afin d’amé-liorer les conditions de vie des personnes paraly-sées.

« Il peut arriver que certains deuils

soient plus difficiles à réaliser, car

liés à une «honte sociale. »

Il peut arriver que certains deuils soient plus dif-ficiles à réaliser, car liés à une «honte sociale», cequi peut restreindre l’expression des émotions ou

le soutien reçu : par exemple si le proche décédéest un meurtrier ou s’il s’est suicidé, car c’est unsujet toujours tabou dans certaines cultures, reli-gions ou familles. Ou le décès en lien avec cer-taines maladies, comme le sida, qui sont encoreentourées de préjugés.

Au-delà du deuil, la vie continue

Pour conclure, rappelons que «vivre, c’est perdre,puisque les attentes, les désirs et l’attachementne sauraient jamais être satisfaits de manière per-manente»8, mais même si le deuil se révèle long,difficile et douloureux, comme son étymologie9

l’indique, gardons toujours en tête les mots du phi-losophe Bobin (1991) : «Quand nous ne savons plusfaire un seul pas, la vie, elle, sait comment pour-suivre. Là où nous désespérons de toute issue,elle en propose des dizaines. Il suffit de garderconfiance. Il suffit d’aller jusqu’à ce point en nous,si ténu que le désespoir ne peut s’en saisir, commeil fait du reste. »

Christine Fawer Caputo est professeure formatrice spécialisée endidactique d’éthique et cultures religieuses/histoire et sciencesdes religions, en philosophie pour les enfants et dans l’accompa-gnement du deuil à l’école.

Bibliographie sur www.hepl.ch/prismes

Notes1 Les différentes étapes dans le travail de deuil, décrites dans la

suite de l’article, ne doivent pas être comprises comme étantdes étapes obligatoires par lesquelles tous les endeuillés doi-vent passer. Certains ne les feront pas toutes, comme il peuty avoir des retours en arrière, ou des blocages à d’autres mo-ments. D’ailleurs, une étude récente (Bonanno, 2011) remet enquestion ce modèle traditionnel inspiré des travaux de Kübler-Ross (travaux qui portaient surtout sur la fin de vie) et met l’ac-cent sur la résilience propre à l’être humain qui lui permet devivre une grande perte, sans avoir besoin d’aide particulièrepour la surmonter naturellement.

2 Ancelin Schutzenberger, 2007.3 Poletti & Dobbs, 2003. 4 Monbourquette, 2010.5 Ancelin Schutzenberger, 2007, p. 103.6 Bacqué & Hanus, 2000.7 Ancelin Schutzenberger, 2007.8 Comte-Sponville, 1992. 9 Deuil vient du latin dolere qui signifie souffrir.

Page 9: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

J’AIMERAIS AVOIR, UN JOUR, LA MÊME FORCEET LA MÊME JOIE DE VIVREQUE MA MAMAN A TOUJOURS EUES.

Page 10: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

DOSSIER / LES LIENS ÉBRANLÉS ET FRAGILISÉSDEUIL, MÉTAPHORE DE L’INDICIBLE

Le français exprime ce sentiment de déchirementintérieur qu’éprouvent les êtres humains lors d’undeuil par le mot qui rappelle la douleur d’une la-cération de la chair. Deuil provient, selon lessources, du bas latin dolus ou dolium, pl. dolia, hé-rités du latin classique dolor, la douleur, du verbedolere, concrètement faire mal dans la chair et ausens figuré, être affligé, parent supposé d’un verbedolare, frapper à la dolabre, mi-hache mi-piocheservant à arracher et façonner. Généralement, ledeuil est ressenti à la mort d’un être aimé. La prisede conscience de l’irréversibilité de cette étapeextrême de la vie, qui ouvre sur le sacré ou lenéant, n’a souvent pour effet que de raviver la dou-leur de la blessure morale. A la cruauté de la meur-trissure s’ajoute l’offense de l’impuissance.

Quand on ne prend plus soin de soi,nécessité du soutien social

Le latin fleurit son discours en diversifiant lesimages qui décrivent les signes extérieurs du deuil.Sordes désigne les vêtements de deuil ; sordidatus,dérivé de sordidus, qui donnera l’infâme sordide enfrançais, signifie plus simplement en tenue négli-gée de deuil. Squalor, état rugueux, hérissé, que d’au-cuns mettent en lien avec squama, l’écaille (des rep-tiles), rattaché à squalere, porter des vêtements

sombres de deuil, et à squalidus, malpropre, négligé,peint en détails suggestifs le laisser-aller vesti-mentaire et moral : le poids du chagrin devient silourd à porter qu’on ne prend plus soin de soi. Delà la nécessité du soutien social et de l’expressiondes condoléances, par le latin, ou de la sympathie,par le grec, pour signifier à la personne endeuilléequ’on en partage la douleur, mieux, qu’on souffreavec elle, comme les cordes d’un instrument demusique vibrent par sympathie avec celle qui donne

le ton : c’est l’empathie humaine qui console. Lugu-bria désigne également les vêtements de deuil, maissans connotation de négligence, car c’est le verbelugere, pleurer, qui en est l’image originelle, luctusmarquant le temps du deuil. La tournure in luctu etsqualore décrit la douleur morale et l’apparence ves-timentaire qui en est l’expression. Enfin maestitia

évoque l’abattement, alors que tristitia traduit l’idéede circonstances malheureuses ; si tristis signifieégalement chagriné, Cicéron s’avère désabusé dansson expression judex tristis et integer pour qualifierun juge austère et intègre.

La personne qui souffre n’a pas deprise sur la cause de sa douleur

La construction grammaticale latine reflète encorela sensibilité des Romains aux aspects concretsde la vie : l’expression doleo ab oculis, je souffredes yeux, utilise le verbe à la forme active préci-sant la personne qui souffre et l’origine de sa souf-france physique, alors que l’expression hoc mihi

dolet, que l’on traduit par je souffre, mais qui si-gnifie littéralement ça me fait mal, vaut tournureimpersonnelle, comme pour traduire l’idée que lapersonne qui souffre n’a pas de prise sur la causede sa douleur, ça fait souffrir, ça fait mal en moi !

Ne reste parfois que le cri, le soupir ou le silencepour le dire. L’allemand es tut mir leid en paraîtraitune réminiscence, comme l’italien mi duole pourje regrette ; toutefois leid ne s’apparente pas àl’idée de souffrance malgré la ressemblance avecleiden, mais à celle plus générale de contrariété :es tut mir weh est le véritable correspondant.Le latin cible même la partie du corps qui ressentle plus intensément la douleur de la perte: cordo-lium, la douleur au cœur, pis, le crève-cœur, on nepeut mieux dire, au cœur ayant été de tout temps

attribué le siège des émotions et des sentimentsles plus intenses. L’allusion à la souffrance, res-source de l’art oratoire? Oratio, quae dolores ha-beat, une plaidoirie empreinte de pathos, selon Ci-céron, qui en fait un usage opportun : detrahereactionis dolorem, soit enlever le pathétique de la plai-doirie, témoigne de son sens de la juste mesure.

L’étape de la lente récupération

Le travail du deuil annonce le retour à l’action aprèsle découragement et la lassitude. L’étape de la lenterécupération et de la résignation, cette acceptationpar obligation. Mais au prix d’un travail ou d’une trans-formation d’énergie en un effet : la résilience, quidonne un nouvel élan vital à quiconque a traversél’épreuve du deuil. Reste la cicatrice intérieure, mé-moire de l’expérience vécue, cui dolet, meminit, quisouffre se souvient, disait encore Cicéron.

S’aventurer vers de nouveaux horizons

Relevons au passage que l’italien utilise pour lestyle épistolaire élevé les termes squallore, mes-

tizia, lutto, cordoglio, Dante encore doglia. Le fran-çais a gardé l’essentiel. En effet, le terme deuils’applique à des situations où il faut se défaired’habitudes pour en acquérir d’autres, quitter uncadre et un rythme de vie pour s’adapter à un nou-vel environnement. Une métaphore. On parlera dudeuil de l’enfance ou de l’adolescence, d’une si-tuation scolaire, sociale ou professionnelle, d’unlien amical ou conjugal, bref, lorsqu’on doit sortird’une chrysalide protectrice ou abandonner desrepères rassurants pour s’aventurer vers de nou-veaux horizons, avec les incertitudes et angoissesqui peuvent s’y trouver. Mais aussi les surprisesau coin de la rue et les joies et enthousiasmes augré des rencontres. Un antonyme de deuil est d’ail-leurs l’allégresse, cette saine disposition de l’es-prit pour jouir pleinement de la vie.

Roberto Barbone est enseignant au Gymnase de Chamblandes,en littérature et musique.

Bibliographie complète sur www.hepl.ch/prismes

DEUIL, MÉTAPHORE DE L’INDICIBLE ROBERTO BARBONEA propos du mot deuil, Roberto Barbone propose un voyageétymologique dans les langues anciennes et modernes. Ir-réversibilité, acceptation par obligation, mais aussi résilienceet horizons nouveaux !

DEUIL : UNE SOUFFRANCE MORALE À L’IMAGE D’UNE DOULEUR PHYSIQUE.L’ESSENTIEL EST DIT

Page 11: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

DOSSIER / LES LIENS ÉBRANLÉS ET FRAGILISÉSENFANTS ET SÉPARATION PARENTALE

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 11

L’équipe d’As’trame1 a relevé cinq des difficultés2

manifestées par les enfants qu’elle accompagne.Bien sûr, tous ne les vivent pas de la même façonet les points cités ici ne sont pas les seuls soucisqu’ils peuvent rencontrer, mais ils constituent undébut de réflexion sur ce qu’ils peuvent vivre.

L’enfant submergé par ses émotions

Face à une séparation qu’il ne comprend pas nine peut encore admettre, l’enfant ressent, plus oumoins intensément, tout un panel d’émotions par-fois contradictoires : colère, tristesse, peur, soula-gement, culpabilité et bien d’autres. Bien qu’ellessoient naturelles dans la situation qu’il affronte, illes éprouve de manière un peu chaotique et nesait pas quoi en faire, se sentant juste mal.Pour l’aider, il faut lui permettre d’identifier ce qu’ilressent, de le normaliser et lui donner un espacesécurisé pour exprimer ses sentiments. Nommerses émotions, les dessiner, en situer la sensationdans son corps est d’une grande aide pour l’en-fant : c’est lui permettre de se repérer dans ce qu’ilvit et lui apprendre que ses émotions sont une in-formation à son propos.

L’enfant qui perd ses repères

Quand ses parents se séparent, l’enfant ne les voitplus qu’alternativement, il est confronté à deschangements inédits. L’organisation de la semaine,si elle est floue ou compliquée, peut devenir undéfi pour lui ! Les grands se promènent avec «un

agenda dans la tête »3 et les petits, pas à l’aiseavec la notion du temps et de l’espace, ne saventpas où ils vont dormir si on ne leur donne pas despoints de repère adaptés.

«Nommer ses émotions,

les dessiner, en situer

la sensation dans son corps

est d’une grande aide pour

l’enfant. »

Pour l’aider, il faut donner à l’enfant des repèresclairs, plus encore en cas de garde partagée. Uneorganisation simple et des jalons concrets sontsécurisants pour lui. Il est aussi important d’ac-cepter qu’il mette du temps à s’adapter à sa nou-velle situation familiale.

L’enfant qui console ses parents

Quand un enfant voit ses parents se plaindre, selamenter, s’invectiver, il est désécurisé et se senttrès seul, délaissé. Alors, il va tenter d’aider et deprotéger ses parents pour être sûr qu’ils ne l’ou-blient pas. Il peut ainsi devenir le consolateur del’un d’entre eux ou des deux, par exemple en semontrant joyeux ou serviable, plus que nécessaire. Pour l’aider, il est important de faire clairement ladifférence entre le rôle des adultes et celui desenfants. Si l’enfant prend trop souvent un rôled’adulte, il faut le remettre, gentiment et en le re-merciant, à sa place d’enfant.

L’enfant pris dans un conflit de loyauté

Il est fréquent que les enfants aient du mal à pas-ser de chez l’un à chez l’autre parent, plus encoresi ces derniers sont en conflit ouvert. En allantchez l’un, il peut penser faire souffrir l’autre, et viceversa. Alors, restant préoccupé par le parent ab-sent, il ne pourra pas être bien chez son autre pa-rent.Pour l’aider, ses parents devraient pouvoir lui direqu’il a le droit de voir ses deux parents et qu’ilssont heureux qu’il puisse passer du temps avecchacun. Lui parler ainsi, c’est lui permettre expli-citement de se sentir bien chez ses deux parents.

L’enfant qui cherche à réunir ses parents

C’est son rêve ! L’enfant voudrait les voir ensem-ble, comme avant, et pour cela, il imagine des stra-tagèmes pour les rallier, ce qui peut lui demanderbeaucoup d’énergie. Pour l’aider, les parents devraient s’efforcer d’êtreclairs sur leur séparation et lui faire comprendrequ’il n’y est pour rien : c’est une histoire d’adultes,il n’a pas le pouvoir de les réunir. Puis, il s’agit dele rassurer sur le fait qu’ils restent ses parents etqu’ils l’aiment, même s’ils vivent séparément.Ces quelques points, bien insuffisants, constituentnéanmoins une ligne directrice qu’il est possibled’aborder avec des parents.

Marie-Dominique Genoud-Champeaux est la créatrice de la Fon-dation As’trame et de ses modèles d’intervention. Elle consacrel’essentiel de son temps aux enfants et adultes en deuil ou prisdans la tourmente de séparations difficiles, ainsi qu’à son activitéde formatrice dans le cadre d’As’trame.

Notes1 La Fondation As’trame a été créée en 1995 pour accompagner

les familles vivant des ruptures de liens et donner les moyensaux enfants, adolescents et adultes de se reconstruire.

2 Rédigé à partir de la brochure L’enfant et le divorce. Elle peutêtre obtenue sur simple appel à As’trame.

3 Paroles d’un enfant de 9 ans…

ENFANTS ET SÉPARATION PARENTALE MARIE-DOMINIQUE GENOUD-CHAMPEAUXVoir sa famille se briser n’est jamais banal pour un enfant etpeut mener à de grandes souffrances. La plupart des enfantsvont surmonter cette épreuve, mais l’intensité du conflitconjugal, le discours des parents, la manière dont la sépa-ration leur est dite, la place qui leur est donnée influencentleur capacité de s’adapter à leur nouvelle réalité de vie.

Page 12: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Pour nous interroger sur les impacts des démé-nagements en termes de ruptures chez les jeunes,nous nous appuierons sur l’exemple des famillesen itinérance géographique1 qui, tous les trois àcinq ans, sont amenées à plier bagage pour par-tir vers de nouveaux horizons.Chaque déménagement représente une périodeentre deux qui se situe à cheval entre l’avant etl’après. Elle comprend tant les préparatifs au dé-part que l’arrivée dans le nouveau lieu de vie. L’an-nonce du déménagement à venir laisse place àdeux types de réactions. D’un côté, la joie de par-tir à la découverte d’un nouveau lieu, de l’autre, latristesse de laisser derrière soi ses amis, un envi-ronnement connu ou encore ses habitudes. Et,même lorsque le départ est abordé avec eupho-rie, il n’en reste pas moins qu’il prend un goût defin. Ainsi, les au revoir sont une étape indissocia-ble du départ. Il faut annoncer à ses amis que l’ons’en va, mettre de l’ordre dans ses affaires. Dansle même temps, le jeune s’interroge sur le pro-chain pays. L’imaginaire fonctionne à plein régime:comment est la nouvelle école? Vais-je me refairedes amis? Qu’est-ce qui m’attend là-bas? Vient ensuite le moment du départ et l’arrivée dansl’inconnu. Si les jeunes évoquent la souffrancepost-départ, principalement due au fait de quitterson cercle d’amis et ce qui est connu, la souf-france est également présente lors de l’arrivée

dans le nouveau pays. Elle est peut-être d’autantplus importante que le jeune se retrouve face àl’inconnu, loin de son réseau habituel et cela mal-gré les possibilités de communication offertes parl’internet. Lorsque les jeunes décrivent cette sé-paration, et le fait d’arriver dans un lieu inconnu,le champ lexical qui revient fréquemment dansleur discours est celui de la perte, du deuil, de lasouffrance. L’idée de toujours tout recommencertel le combat mené par Sisyphe. Cette douleurpeut prendre différentes formes allant des larmesà des maux qui se manifestent physiquement (vomissement, eczéma…). Elle est d’autant plusforte que le jeune ne souhaitait pas partir. Unenouvelle série de ruptures apparaît alors. Le jeunedoit faire face à un environnement culturel et géo-graphique souvent inédit. S’installer en Inde ou enAfrique demande, par exemple, de faire face à desmodes de vie et de pensée inconnus qui interro-gent en retour l’identité de la personne. Il doit ré-apprendre, sur différents plans, à évoluer dans sonenvironnement, notamment se déplacer dans l’es-pace (comme nous le verrons prochainement) oufaire face à des scènes de vie quotidienne inha-bituelles. Il lui est donc demandé d’interpréter au-trement l’environnement dans lequel il évolue. Lechoc culturel est fréquent et cela même dans unpays que l’on pensait connaître. La rupture seconçoit en termes de manque de repères condui-

sant à des ruptures dans le code culturel. Il fautainsi faire le deuil d’un environnement que l’onpouvait facilement interpréter et comprendre pourpasser par une série d’apprentissages.La dynamique des espaces a aussi un impact surl’autonomie du jeune et sur ses activités extrasco-laires. Ainsi, Manon, qui avait l’habitude de se ren-dre seule à trottinette à son école du centre de Du-blin et qui doit maintenant aller en voiture à l’écoled’Ankara, les routes n’étant pas adaptées à la pra-tique de la trottinette. Ou Babette, qui avait l’habi-tude de faire du shopping en Suisse, ce qui n’estpas possible en Inde où les centres commerciauxn’existent pas en tant que tels. Dans tous les cas, ilfaut faire le deuil de ce qui était autrefois possible.Le choc culturel touche aussi l’institution scolaire.Chaque établissement dispose de sa propre cul-ture faite de codes et de règles. Les ruptures peu-vent être d’autant plus fortes que le jeune changede système scolaire. Il ne peut alors se fondre dansla masse parce qu’il ne trouve pas sa place ou qu’iln’est pas en mesure de développer un nouveauréseau social qui lui serve de ressource. Ce quicrée une grande souffrance et de l’insécurité. Il sepeut alors que le changement d’établissementscolaire ou le retour au pays soit nécessaire. Partir d’un pays vers un autre représente toujoursune nouvelle histoire qui n’est jamais écrited’avance. Il s’agit pour les jeunes de faire face àune série de ruptures plus ou moins bien vécues,de mettre en place un nouveau cycle de la viejusqu’au prochain déménagement qui sera à sontour synonyme de pertes et de découvertes.

Deniz Gyger Gaspoz est professeure formatrice à la HEP Vaud.

Notes1 Gyger Gaspoz, D. (2013). Une jeunesse au souffle de la mobilité

internationale répétée : étude exploratoire et descriptive de l’im-pact de l’itinérance sur le développement à l’adolescence. Thèsede doctorat en sciences humaines et sociales. Manuscrit nonpublié. Neuchâtel : Université de Neuchâtel.Gyger Gaspoz, D. (2012). Grandir à l’international : des enfantsinterculturels à découvrir. Revue pédagogique de la HEP Vaud,Prismes, 16, 32-33.

JEUNES EN ITINÉRANCE GÉOGRAPHIQUE : ENTRE RUPTURES ET ADAPTATIONS DENIZ GYGER GASPOZDéménager d’un pays à un autre n’est jamais une chose sim-ple et implique une série de séparations comme quitter sesamis, son environnement géographique et culturel, changerses routines. C’est ce que vivent des jeunes pris dans descycles de vie caractérisés par des pertes et des découvertes.

UNE RENCONTRE N’EST QUE LE COMMENCEMENTD’UNE SÉPARATION.

Proverbe japonais

DOSSIER / LES LIENS ÉBRANLÉS ET FRAGILISÉSJEUNES EN ITINÉRANCE GÉOGRAPHIQUE : ENTRE RUPTURES ET ADAPTATIONS

Page 13: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

En effet et comme le rappelle Jeammet (1994), ilexisterait des similitudes entre l’adolescence etdes périodes de deuil : en désinvestissant lespoints d’intérêt du monde de l’enfance, l’adoles-cent doit en faire le deuil ; afin de gagner en au-tonomie, il doit faire le deuil non pas de la per-sonne, mais d’un certain type de relation auxpersonnes et plus particulièrement aux parents ;il doit faire le deuil de son corps d’enfant devenupubère et en pleine transformation. Ainsi, c’est bienun deuil du passé auquel l’adolescent estconfronté, deuil essentiel pour grandir, mais deuilqui peut aussi provoquer un sentiment douloureuxde pertes irréversibles.

«En désinvestissant

les points d’intérêt

du monde de l’enfance,

l’adolescent

doit en faire le deuil. »

Entre le désinvestissement des objets enfantinset l’investissement de nouveaux objets apparte-nant à la culture des adolescents, il peut existerune période de flottement où l’adolescent semblene s’intéresser à rien. Faute notamment d’inves-tissements suffisants pouvant compenser le sen-timent de perte, l’adolescent est sensible aux trou-bles de l’humeur (p. ex. dépression) et auxconduites à risque.

Tout adolescent ne court pas les mêmes risques,car ces derniers peuvent être compensés par des

facteurs de protection. La famille joue un rôle pré-pondérant, mais l’école peut également jouer unrôle protecteur important. Voici quelques pistes :

• La réussite scolaire constitue la prévention laplus efficace. Au travers de la relation péda-gogique, les enseignants jouent un rôle positifdans le développement intellectuel, social etaffectif des élèves. Un des facteurs de protec-tion les plus efficaces, entraînant une réduc-tion des risques de symptômes dépressifs, deconsommation de substances ou de burnout

scolaire des élèves est le soutien que lesélèves perçoivent des enseignants durant lesapprentissages en classe. On distingue les sou-tiens de type émotionnel («Mes enseignantsse soucient de moi.»), de type informatif («Mesenseignants m’expliquent les choses que je necomprends pas.»), de type évaluatif («Mes en-seignants me disent que j’ai fait du bon travaillorsque je fais bien quelque chose. ») et celuide type instrumental («Mes enseignants pas-sent du temps avec moi lorsque j’ai besoind’aide.»)1

• Au travers de l’intérêt que peut éveiller l’ensei-gnant auprès de ses élèves (p. ex. activités ar-tistiques ou sportives ; investigation intellec-tuelle), l’adolescent peut trouver de nouveauxobjets à investir qui vont constituer des pointsd’étayage.

• Par les idées, valeurs ou intérêts qu’il véhicule,l’enseignant peut devenir un support provisoireoffrant à l’adolescent des points d’appui et unmodèle d’identification positif.

• Le sentiment de bien-être psychologique se-

rait un facteur de protection déterminé en par-tie par l’expérimentation d’émotions agréables2.Or l’école constitue une source importanted’émotions agréables, mais elle n’est pas tou-jours reconnue en tant que telle (p. ex. évalua-tions réussies, relations au sein de la classe3).Ces émotions constitueraient selon Gendron(2011) un «capital émotionnel» utile pour faireface à des situations stressantes (peur del’échec scolaire, de l’avenir, de son autonomie).

• L’adolescent éprouverait le besoin de s’atta-quer à l’adulte car porteur de valeurs morales,de contraintes. Cette attaque aurait pour butde s’assurer de la capacité de résistance del’adulte. Cette agressivité de vérification (véri-fication que l’adulte est solide, que l’on peutcompter sur lui et s’identifier à lui – Golse, 1999)peut mettre l’enseignant à rude épreuve: il doitsupporter la confrontation et maintenir le cadre.

Ces pistes s’exercent au travers de la relation pé-dagogique tout en ayant des effets possiblementpositifs pour le développement psychologique del’adolescent. Afin que l’enseignant puisse assumerce rôle sans pour autant courir le risque de s’épui-ser sur le plan professionnel4, il doit pouvoir comp-ter sur un soutien institutionnel (réseau d’aide mo-bilisable dans des situations professionnellescomplexes5). Le maintien de sa vitalité est essen-tiel pour lui-même et pour ses élèves durant leuradolescence.

Pierre-André Doudin est professeur à l’Université de Lausanne età la HEP Vaud.

Denise Curchod-Ruedi est professeure formatrice à la HEP Vaud.

Nicolas Meylan est assistant diplômé à la HEP Vaud et collabora-teur au Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’ado-lescent.

Bibliographie complète sur www.hepl.ch/prismes

Pour en savoir plusCurchod-Ruedi, D., & Doudin, P.-A. (2015). Comment soutenir lesenseignants face aux situations complexes ? Bruxelles : De Boeck.

Notes1 Meylan & al., 2014.2 Frederickson, 2001.3 Doudin, Curchod, & Albanese, 2008.4 Doudin, Curchod-Ruedi & Moreau, 2011.5 Curchod-Ruedi & Doudin, 2015.

L’ADOLESCENCE : UNE ÉTAPE DE DEUIL PIERRE-ANDRÉ DOUDIN, DENISE CURCHOD-RUEDI ET NICOLAS MEYLANL’adolescence constitue une phase clé de la construction dela personnalité durant laquelle l’adolescente ou l’adolescentrevendique une plus grande autonomie tout en oscillant entreses besoins de sécurité et d’exploration. Cette contradictionexplique en partie le vécu de perte indissociable de sa prised’autonomie.

DOSSIER / LES LIENS ÉBRANLÉS ET FRAGILISÉSL’ADOLESCENCE : UNE ÉTAPE DE DEUIL

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 13

Page 14: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

MA PETITE SOEUR, MÊME SI J’OUBLIE SON VISAGE, IL RESTERA À JAMAIS GRAVÉ DANS MON CŒUR.

Page 15: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 15

Chaque fois je me posais les mêmes questions :fallait-il parler de ce décès en classe ? Si oui, com-ment ? Quels écueils éviter ? Comment faire pourne pas susciter de l’émotion, de la peur, des ques-tions embarrassantes chez les élèves ? Et les émo-tions des enseignants ? Comment faire le tri entreleurs histoires personnelles réactivées par l’évé-nement et l’événement lui-même ? Comment gérerles questions délicates de la pluriculturalité, del’intimité des familles ? Etait-ce aux enseignantsde traiter ce problème existentiel ? Le plus simpleconsistait à ne rien dire, à faire le dos rond et à at-tendre que ça passe.Un jour, le bruit court dans mon établissementqu’un père d’élèves serait mort à l’étranger dansun terrible accident d’avion. Trois jours plus tard,la rumeur est confirmée. Les orphelins ne man-quent pas l’école un seul jour. Autour d’eux, la gêneest palpable. Personne ne sait que dire, ensei-gnants, camarades. Un mutisme désolé s’installe.Comment lever cette chape de silence qui para-lyse tout le monde, autoriser la parole et remettreen mouvement la vie de la classe ? Avec l’infirmièrescolaire et l’accord du directeur, nous jetons lesbases d’un « temps de parole » pour les classesconcernées : lettre aux parents, outils inspirés dudébriefing, répartition des rôles, disposition de laclasse. Cette première expérience ainsi que beaucoupd’autres, suivies d’un cursus académique, m’ontpermis de développer des outils d’interventionpour les institutions impactées par la mort (pro-

tocole, matériel pédagogique), de proposer desformations pour les professionnels touchés2, deme plonger dans le monde complexe de l’enfantpour mieux comprendre ses besoins et la naturede ses peurs, et établir des passerelles avec lesprofessionnels de terrain, dont les psychologueset les cellules de crise.Aujourd’hui, des outils et un dispositif éprouvé exis-tent3. Ils permettent d’anticiper l’événement pouragir de façon adéquate le moment venu. Ils arti-culent quatre phases distinctes, de l’annonce autemps de parole, avec pour objectifs spécifiquesde structurer le temps, d’organiser les actions àmener et de préciser les compétences des diverspartenaires en présence. Ce protocole soulève parfois des réticences. Eneffet, évoquer la mort pourrait magiquement lafaire survenir. Mieux vaut attendre que « ça » arrivepour réagir. Le mot même de « protocole » hérisse: on y voit une mainmise, une rigidité incompati-ble avec la complexité de situations diverses et lalégitimité de chacun à se positionner selon sesvaleurs propres. La mort s’« intimise » de plus enplus : l’annonce du décès individuel (le faire-partde décès) a tendance à disparaître, les cérémo-nies dans l’intimité se multiplient, le mode de sé-pulture change. Dans un tel contexte, l’annonceinstitutionnelle peut être considérée comme uneviolence. Pour certains, l’annonce doit être sou-mise à l’autorisation de la famille touchée. L’aga-cement devant ce qui apparaît comme une dra-matisation : n’en fait-on pas trop ?

Ces réticences sont révélatrices d’une société oùla mort quitte le monde communautaire pour de-venir toujours plus une affaire privée, où les re-pères de sens font défaut, où l’éclatement des fa-milles rend difficile l’organisation des obsèques,où l’émotion tient souvent lieu de réflexion. La peurde la mort, le silence dans lequel on croit devoirl’enfermer ne font qu’augmenter l’angoisse qu’ellesuscite. Et si, à ne plus lui en donner, on lui don-nait toute la place ? La proposition d’un dispositifd’annonce institutionnelle questionne la relationde l’individu à l’institution à laquelle il appartient :jusqu’à quel point l’institution doit-elle se fairel’écho de la privatisation de la mort ? L’objectif principal de ce dispositif est de conte-nir l’événement dramatique, de renforcer les « pa-rois » de l’institution en respectant les compé-tences spécifiques de ses constituants, pour lesprotéger de l’effet d’annonce. Ce faisant, on éviteque l’événement ne s’ensauvage, soulevant dansson sillage confusions, réactions personnelles, re-plis, rumeurs infondées, initiatives individuelles,dramatisation et divisions internes. Tout cela af-faiblit la cohésion d’un établissement, morcellel’équipe et met à mal le sentiment d’appartenanceet de sécurité, tant pour les élèves que pour lesenseignants.

Alix Noble Burnand est formatrice d’adultes, conteuse et thanato-logue (MAS en soins palliatifs et thanatologie). Avant cette spé-cialisation, elle a enseigné pendant plus de vingt-cinq ans dans di-vers établissements secondaires.

Bibliographie sur www.hepl.ch/prismes

Notes1 Cet article est une introduction à une contribution écrite avec

Carol Gachet, psychologue d’urgence, à paraître dans un pro-chain ouvrage sur le deuil à l’école : cf. page 58.

2 Cf. programme de formation continue de la HEP Vaud : PE030et PE031.

3 Dont le Groupe ressource d’accompagnement et de formationen cas d’incidents critiques (GRAFIC) qui propose une forma-tion aux cellules de crise des établissements.

UN DÉCÈS EN CLASSE : DE L’EXPÉRIENCE DU TERRAIN À UN PROTOCOLE D’ANNONCE ALIX NOBLE BURNANDEn tant qu’enseignante, Alix Noble Burnand a été confrontéeà plusieurs décès, accidentels ou non, d’élèves, de parentsd’élèves, de collègues. Ces expériences l’ont poussée à en-treprendre des études universitaires pour légitimer ses in-terventions, ainsi que pour questionner la relation ambiguëque notre société entretient avec la mort1.

DOSSIER / LE CHOC DE LA MORTUN DÉCÈS EN CLASSE : DE L’EXPÉRIENCE DU TERRAIN À UN PROTOCOLE D’ANNONCE

Page 16: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

DOSSIER / LE CHOC DE LA MORTQUAND LA MORT S’INVITE À L’ÉCOLE

L’école et la mort sont deux termes qu’on peine àaccoler : l’école est d’abord un lieu de vie, d’en-fants en devenir, et la mort ne devrait y avoir deplace que dans certaines disciplines scolaires.Pourtant, elle y entre parfois discrètement à l’oc-casion du décès d’un parent, d’un aïeul ou d’unmembre de la fratrie qui endeuille subitement l’unou l’autre élève et qu’il s’agira d’accompagner aumieux dans cette cruelle épreuve. Mais la mort peut aussi s’inviter de manière toni-truante à l’occasion de drames qui vont secouertoute l’institution scolaire et provoquer des situa-tions de crise exceptionnelles. L’actualité récenterecense malheureusement plusieurs de ces faitsdivers : un jeune de 16 ans, mort brutalement, envoyage d’études à l’étranger, d’un coup de cou-teau au cœur ; l’assassinat sauvage d’une jeunefille de 14 ans, le jour de son anniversaire, par sonex-beau-père ; le suicide inattendu d’un directeurd’établissement, à un mois de la retraite ; ou la finde vie très médiatisée d’une petite fille de 5 ans,décédée des suites d’une grave maladie.

Des mesures en cas de situation critique

Hormis le dernier événement cité, chacun de cesdécès a engendré une situation de crise qu’onpeut définir comme étant un événement critique

dont l’apparition est rare (mais soudaine et

souvent imprévisible) qui peut avoir un retentis-sement important sur le psychisme et provoquerde fortes réactions émotionnelles : angoisse, cul-pabilité, révolte, impuissance, etc. Il déstabilise lacommunauté éducative, lui fait perdre ses repèreshabituels et en fragilise l’équilibre émotionnel. Face au chaos généré par la mort, l’institution sco-laire met alors tout en œuvre pour retrouver auplus vite un sentiment de sécurité minimal pourses élèves et son personnel, ainsi que pour per-mettre à l’établissement de fonctionner à nouveaunormalement. C’est pourquoi la plupart des écolesvaudoises sr sont dotées à cet effet d’une cellulede crise, nommée Groupe ressources d’accompa-

gnement et de formation en cas d’incident critique

(GRAFIC)1, composée d’une équipe interdiscipli-naire de personnes avec un pouvoir décisionnel(directeur, doyen, etc.), qui peuvent être contac-tées et opérationnelles rapidement et se sententcapables d’assumer cette charge parfois difficile.

«La plupart des écoles

vaudoises se sont dotées

d’une cellule de crise

composée d’une équipe

interdisciplinaire. »

Dans cette cellule peuvent également figurer des membres issus des services médical et

psychopédagogique (médecin scolaire, infirmière,psychologue) ou encore le médiateur scolaire.

Les missions d’une cellule de crise

Les missions d’une cellule de crise devraientconsister en ces 5 points principaux qui seront en-suite détaillés : intervenir, informer, soutenir, com-muniquer et rendre compte2.

IntervenirEn premier lieu, surtout si l’incident critique a eu lieu dans l’établissement ou à proximité, il fautintervenir le plus rapidement possible et prendreles mesures nécessaires. Il faudra alerter les se-cours, prendre soin des blessés et des témoinstout en préservant la zone des curieux, puis pré-venir l’institution qui actionnera la cellule de criseet évaluera le contexte de l’événement, le nombreet le type de personnes impliquées, les forces etressources mobilisables.

InformerDeuxièmement, il faut informer les proches des vic-times et le personnel éducatif, puis la classe, voiretoute la communauté scolaire, et les famillesconcernées par le décès. L’annonce de la mort estgénéralement faite par un membre de la directionou de la cellule de crise, parfois de manière simul-tanée dans toutes les classes, pour éviter les fuitesvite transformées en rumeurs, surtout à l’ère desréseaux sociaux et de la connectivité immédiate. Dans cette circonstance, il est important de resterfactuel et de ne dire que ce que l’on sait ou quel’on est autorisé à dire, mais aussi de différencierles intervenants, car on associe souvent l’annoncede la mauvaise nouvelle avec le porteur de l’infor-mation. Le rôle de l’enseignant titulaire devrait plu-tôt consister à être la personne rassurante et em-pathique qui accueille et partage les émotions desélèves suscitées par le choc de l’annonce.

SoutenirEnsuite, l’équipe d’intervention met en place unsoutien psychologique. Elle agira dans l’immédiat,

QUAND LA MORT S’INVITE À L’ÉCOLE CHRISTINE FAWER CAPUTOLors d’événements graves, comme l’annonce de décès sur-venus parfois dans des conditions tragiques, l’école touchéeest déstabilisée et se doit de réagir très rapidement. A ceteffet, la plupart des établissements scolaires se sont dotésde cellules de crise dont les missions devraient être claire-ment identifiées et précisées par des protocoles. Il importeen effet d’intervenir, d’informer, de soutenir, de communiqueret de rendre compte afin que l’école retrouve la sécurité etson caractère protecteur.

Page 17: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 17

en cas d’événement traumatique, afin de repéreret protéger les personnes en état de stress dé-passé ou de proposer aux personnes au stressadapté une attention et la possibilité de parler. Endifféré, elle mettra à disposition des espaces deprise en charge psychologique (proposés, mais pasimposés, car tous ne se sentent pas concernés)pour les élèves et le personnel de l’établissement. Dans un deuxième temps, il est essentiel de ritualiser la perte, particulièrement lors de mortviolente, car l’événement tranche la ligne du temps,et la fonction du rite est de relier l’avant avecl’après, afin de pouvoir continuer. La ritualisationpeut se faire collectivement (autel/mémorial,marche blanche, recueillement, discours officiel,etc.) ou seulement avec le groupe-classe du ca-marade décédé, en ouvrant un livre de souvenirs,par exemple. En accord avec leur famille et celle du défunt, lesélèves peuvent assister aux funérailles. C’est unmoment éprouvant, mais pas sordide, qui soudela communauté dans l’expression de son chagrin.Toutefois, il est primordial que l’encadrementpuisse être effectué par les parents et pas seule-ment par les enseignants, pour qu’ils n’aient pasà assumer la tâche de réassurance, mais aussi quel’établissement ne soit pas fermé ce jour-là, afinqu’une prise en charge soit possible pour lesélèves qui ne souhaitent pas y participer ou quin’y sont pas autorisés.

CommuniquerEn cas de décès violent ou extra-ordinaire, commece fut le cas pour l’élève décédé à l’étranger etdans des circonstances obscures, les médias peu-vent très vite submerger les établissements ou de-vancer l’information donnée. S’il est important de les laisser hors de l’école, il s’agit aussi de communiquer en donnant régulièrement des confé-rences de presse, dirigées de préférence par leréférent officiel du Département de la formation,

de la jeunesse et de la culture (DFJC), pour limiterles rumeurs ou les « intox». Les récents décès de certains jeunes ont induitun processus d’identification, même pour ceux quine connaissaient pourtant ni l’élève ni l’établisse-ment, et ont provoqué des mouvements de masseidentitaires, largement influencés par le battagemédiatique autour de l’événement. On rappelleraégalement à tout le personnel de l’établissement(enseignants compris) le devoir de réserve qui les lie par contrat. On profitera de l’occasion pour

éduquer les élèves aux images et développer unesprit critique face aux informations relayées parles médias (journaux, télévision, mais aussi réseauxsociaux).

Rendre compteUne fois le contexte de crise terminé, la cellule clô-turera officiellement le processus et évaluera laprocédure mise en place, afin de vérifier ce qui abien fonctionné ou ce qui peut être amélioré pourune occasion future. Cette réflexion critique per-met aussi de créer un savoir commun autour dela gestion de ce type d’événement et de lister lesressources possibles. L’institution, par le biais de sa direction ou des au-torités officielles (commune et/ou canton), estaussi encouragée à témoigner sa reconnaissanceaux intervenants de première ligne : enseignants,psychologues, médiateurs, infirmières, mais aussipoliciers ou toute autre personne qui a joué unrôle dans la résolution de la crise et aux personnesimpliquées (élèves, parents…) par l’envoi d’une let-tre de remerciement, de fleurs ou l’organisationd’un repas.

«Pour les professionnels,

les jeunes et leurs familles,

l’école doit rester

un espace rassurant

et protecteur. »

L’équipe d’intervention réfléchira également à di-verses mesures de prévention : former son per-sonnel enseignant à réagir à des situations ex-ceptionnelles pour entourer et soutenir au mieuxles élèves ; prévenir les risques d’épuisement liésà des événements traumatiques ; encadrer effica-cement les personnes à risque ; valoriser les ac-tions mises en place. Enfin, la direction de l’établissement anticipera lesdates commémoratives de l’événement (à un anpar exemple) soit pour organiser une cérémonie,soit pour que l’on soit attentif à d’éventuelles ma-nifestations de réactivations traumatiques.

Retour à un fonctionnement normal

En conclusion, on constate que la mort fait partiede la vie et, même si nous tentons de la mainte-

nir à distance le plus longtemps possible, elle peutà tout moment faire irruption dans la vie de nosélèves. Pour les professionnels du milieu scolaire,pour les jeunes et leurs familles, l’école doit pour-tant rester un espace rassurant et protecteur : ra-mener un sentiment de sécurité quand l’institu-tion est secouée par un drame s’avère donc êtreun enjeu considérable, mais prioritaire. Même sichaque situation est unique et doit être traitéedans son contexte, appliquer un dispositif réflé-chi, adapté et rodé permet indubitablement de mi-norer la confusion induite par l’événement critiqueainsi que les éventuels troubles traumatiques : ilpermet de dépasser la tragédie afin de se réin-scrire dans une vie en devenir, riche de pro-messes.

Christine Fawer Caputo est professeure formatrice spécialisée endidactique d’éthique et cultures religieuses/histoire et sciencesdes religions, en philosophie pour les enfants et dans l’accompa-gnement du deuil à l’école.

Bibliographie complète sur www.hepl.ch/prismes

Notes1 Ce groupe offre une coordination et un soutien pour la forma-

tion et les interventions dans les établissements scolaires encas de besoin.

2 Pour alimenter la réflexion sur ces missions, voir la liste d’ou-vrages dans la bibliographie.

DOSSIER / LE CHOC DE LA MORTQUAND LA MORT S’INVITE À L’ÉCOLE

Page 18: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

LE RIRE DE MA PETITE SŒUR ZOÉ ME MANQUE. ELLE RIGOLAIT TOUT LE TEMPS ET FAISAIT SANS ARRÊT LE CLOWN À L’HÔPITAL COMME À LA MAISON. JE SUIS CERTAINE QUE TOUTES LES PERSONNES QUI L’ONT CONNUE SE SOUVIENNENT DE CE RIRE, DE CES PETITES FOSSETTES ET DE LA JOIE QU’ELLE AVAIT POUR TOUT.

Page 19: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

La manière dont l’enfant se représente la mort dé-pend de son âge, de son niveau de développe-ment psychoaffectif (Romano, 2007), mais aussides manifestations et des explications qu’endonne l’entourage, d’où l’importance de s’arrêtersur les conséquences du discours adulte à pro-pos de la mort expliquée aux enfants. Les pre-mières études sur la conception de la mort chezl’enfant ont été effectuées au début du XXe siècleau moyen d’entretiens avec des enfants d’âges va-riables issus de sociétés urbaines. Ces étudessuggèrent que la conception qu’ont les enfants demoins de cinq ans de la mort est le plus souventincomplète. Les résultats de Nagy (1948) montrentque ces enfants attribuent notamment un aspecttemporaire à la mort et ne font pas une distinctionclaire entre la vie et la mort. Par exemple, ils l’as-socient à un état de sommeil dans lequel la per-sonne morte continue de respirer et de ressentircertaines sensations. Ces jeunes enfants consi-dèrent également que seul un ensemble restreintd’individus (p. ex. les personnes âgées, les per-sonnes malades) sont susceptibles de mourir etpensent qu’il est possible d’éviter la mort en prê-tant attention à certains facteurs. Speece & Brent(1984) ont montré que les concepts d’inévitabilité,d’universalité et de non-fonctionnalité (des fonc-tions vitales) ne sont associés à la mort qu’entrecinq et sept ans. Finalement, les études suggè-

rent que la composante la plus complexe asso-ciée à la mort est la cause biologique de celle-ci(p. ex. « lorsque le cœur ne bat plus, la personnemeurt»). Ce n’est qu’entre sept et dix ans que lesenfants auraient acquis une vision complète de lamort.

Mesurer l’échelle de l’anxiété face à la mort

Dans une revue exhaustive de littérature concer-nant les différentes peurs qu’ont les individusd’âges et de cultures différents, Gullone (2000) re-marque que la peur de la mort et du danger de-meure une des plus fortes, et ce jusqu’à l’adoles-cence. Les premiers instruments développés afinde mesurer l’anxiété face à la mort l’ont considé-rée en une seule dimension. Par la suite, huit di-mensions ont été proposées (p. ex. «peur desmorts», «peur de l’inconnu», «peur d’être détruit»,etc.) afin de développer l’Echelle multidimension-

nelle de la peur de la mort1 (DASC). Une analysefactorielle démontre que ces dimensions sont eneffet cohérentes. Chez l’enfant, l’Echelle d’anxiétéface à la mort2 consiste à lui présenter des motsneutres ou liés à la mort sur lesquels il doit expri-mer son ressenti (p. ex. de «pas peur du tout» à« très peur»). Des enregistrements3 montrent une

sensibilité plus prononcée à la suite de la pré-sentation d’items liés à la mort.La question qui nous intéresse est la suivante :quelle est la nature des liens potentiels entre lareprésentation de la mort dont dispose l’enfant etson niveau d’anxiété face à celle-ci ? Une hypo-thèse intuitive serait que l’acquisition de conceptsfondamentaux (p. ex. inéluctabilité et cessation dé-finitive des fonctions vitales) pourrait créer da-vantage d’anxiété chez l’enfant puisque, d’une part,ce dernier prend alors conscience que toutes lespersonnes qui lui sont chères, ainsi que lui-même,sont appelées à mourir et que, d’autre part, la mortest irréversible.

Une conception plus adéquate pourdiminuer l’anxiété

Au contraire, sachant que les jeunes enfants peu-vent avoir des conceptions non adéquates de lamort sujettes à l’anxiété face à celle-ci (p. ex. « lapersonne a froid, car elle est enfermée sousterre »), l’autre hypothèse serait d’associer uneconception plus adéquate à une anxiété plus fai-ble. Dans une étude clé, Slaughter et Griffiths (2007)ont tenté d’établir les liens potentiels entre lesconceptions et l’anxiété de la mort chez 90 en-fants de quatre à huit ans. Pour ce faire, ils ontconduit des entretiens afin de déterminer la maî-trise de cinq concepts associés à la mort : inéluc-tabilité, applicabilité (aux organismes vivants uni-quement), irréversibilité, cessation (des fonctionsphysiologiques) et causalité. Les auteurs ont éga-lement utilisé une version modifiée du DASC afind’estimer l’anxiété des enfants face à la mort. Lesrésultats montrent que l’irréversibilité de la mortet la cessation sont des concepts plus faciles à

REPRÉSENTATIONS DE LA MORTCHEZ L’ENFANT : LIENS AVEC L’ANXIÉTÉ GÉNÉRALE ET AVECL’ANXIÉTÉ FACE À LA MORT ÉRIC TARDIF ET DENISE CURCHOD-RUEDIComment expliquer la réalité de la mort à l’enfant pour quel’anxiété qu’elle provoque puisse être vécue comme un ap-prentissage de vie ? Les auteurs de cet article parlent de di-verses approches permettant d’ouvrir des voies de réflexionà ce sujet tout en soulignant l’anxiété légitime de tout êtrehumain face à son inéluctabilité.

DOSSIER / LE CHOC DE LA MORTREPRÉSENTATIONS DE LA MORT CHEZ L’ENFANT : LIENS AVEC L’ANXIÉTÉ GÉNÉRALE ET AVEC L’ANXIÉTÉ FACE À LA MORT

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 19

Page 20: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

saisir que ceux d’applicabilité et de causalité. Sans surprise, l’étude montre que le niveau deconceptualisation est lié à l’âge. Par ailleurs, cesanalyses montrent que l’anxiété face à la mort estnégativement liée à la justesse de conceptualisa-tion de la mort.

«Plus les enfants ont une

conception adéquate

de la mort, moins

ils sont anxieux face à elle

(et inversement). »

En d’autres termes, plus les enfants ont uneconception adéquate de la mort, moins ils sontanxieux face à elle (et inversement). De plus, uneconception adéquate de la mort est égalementliée à une moins grande anxiété généralisée. L’âgeet le niveau d’anxiété générale ne sont quant à euxpas liés au taux d’anxiété face à la mort.

Pertinence des messages véhiculéspar les adultes

Ainsi, on pourrait considérer qu’en plus de son ni-veau de développement, la conception qu’a l’en-fant de la mort est en partie construite par lesmessages véhiculés par l’adulte. Or ce dernier,voulant protéger l’enfant face au mystère de lamort, risque d’utiliser des images édulcorées par-lant de sommeil ou de long voyage. Cette mysti-fication pourrait participer à la création d’idéesanxiogènes quant à la personne décédée (p. ex.« Il est enfermé, il a faim») ou mobiliser l’énergiede l’enfant dans l’attente du retour du proche. Pourcette raison, l’irréversibilité de la mort est une réa-lité importante à transmettre à l’enfant. De plus,expliquer à un enfant que le corps de la personnedécédée ne souffre pas puisque les fonctions bio-logiques sont définitivement arrêtées pourraitconstituer un facteur de diminution de l’anxiété,même chez un jeune enfant (Romano, 2007). Evi-demment, une entrave à ce processus de com-préhension chez l’enfant réside dans l’anxiété lé-gitime de l’adulte face à la mort. Celle-ci peut enpartie expliquer sa réticence à aborder ce sujetsensible de façon réaliste auprès des enfants.

Eric Tardif est professeur formateur à la HEP Vaud.

Denise Curchod-Ruedi est professeure formatrice à la HEP Vaud.

Bibliographie sur www.hepl.ch/prismes

Notes1 Multidimensional Fear of Death Scale ; Hoelter, 1979.2 Death Anxiety Scale for Children (DASC) ; Schell & Seefeldt, 1991.3 Mesures de la réponse galvanique pouvant être un indicateur

émotionnel.

DOSSIER / LE CHOC DE LA MORTREPRÉSENTATIONS DE LA MORT CHEZ L’ENFANT : LIENS AVEC L’ANXIÉTÉ GÉNÉRALE ET AVEC L’ANXIÉTÉ FACE À LA MORT

Page 21: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 21

Nous sommes lundi matin. C’est le début du moisde mai. J’arrive comme d’habitude en classe avantles élèves. Mais ce jour-là, un couple de parentsm’attend devant la porte. Ce sont les parents deMarie. Ai-je oublié un rendez-vous? Leur air estgrave. Que se passe-t-il ? Je les fais entrer enclasse et ferme la porte. Je comprends quequelque chose de grave est arrivé, mais ne pensepas un seul instant à l’inimaginable. Et le mot estlâché : Marie est morte ! «Vous ne le saviez pas?»s’étonnent les parents. Pensaient-ils que la tristenouvelle allait se transmettre entre les médecinset l’école? Vu ma stupéfaction, ils m’informent queleur fille est décédée à l’hôpital le samedi précé-dent à la suite d’une angine à streptocoque. Elleétait immunodéficiente. Tout se brouille dans monesprit. Marie morte ? ! Pourtant, elle faisait degrands progrès et sa santé semblait s’améliorer.Comment réagir face à ces parents? Que dire? Ilssont venus chercher les affaires de leur fille, je lesaide à les récupérer. Je n’entends pas grand-chose, je vois juste un père effondré de chagrin,et une mère très digne qui me remercie de ce quej’ai fait pour sa fille. C’est trop éprouvant, deslarmes s’échappent de mes yeux malgré mes ef-forts pour ne pas fléchir devant ces parents endeuil. Je les laisse partir, car les élèves arrivent ettrépignent derrière la porte de la classe. Je sèchemes larmes, accompagne les parents au bout ducouloir. Les élèves entrent en classe accompagnésde notre stagiaire. Elle voit bien que quelque chosene va pas, mais s’occupe des enfants. Une col-lègue nous aperçoit dans les escaliers, croise monregard et s’approche de moi : «Que se passe-t-il?»

Et là, l’événement prend véritablement forme danstoute sa réalité, c’est un cataclysme! Je pleure etne peux faire face aux élèves. Que leur dire? Quoifaire? Je demande la présence d’une psychologueauprès de ma classe. Elle arrive rapidement. Et jeréalise que personne de l’école n’est au courantdu décès de Marie, si ce n’est la responsable dusecteur primaire qui vient de l’apprendre. Ça y est,nous sommes en état de crise ! Je suis prise encharge par la responsable avec ma collègue. Quefaire ? Comment prévenir les adultes, et lesélèves? Et comment les encadrer? Quels sont lesbesoins dans une telle situation? Aucune idée, carcomment envisager l’impensable? Les adultes lesplus proches de Marie seront les premiers préve-nus personnellement. Une réunion extraordinaireest organisée dans la matinée pour penser au dis-cours et au soutien à donner aux enfants de maclasse, puis aux autres élèves.

Je reviens en fin de matinée auprès de mesélèves. Je dois le leur dire. Mais la plupart ont com-pris, du moins que quelque chose de grave étaitarrivé à Marie. «Oui, Marie est morte. On ne la re-verra plus jamais. »

Le lendemain et les jours suivants, nous nous re-trouvons en classe avec une table vide, et le restedes affaires de Marie. Tout, à chaque instant, nousrappelle son absence! Ça en devient très vite in-supportable. Mais que faire? Tout enlever commesi rien n’était arrivé? Laisser tout en place est sup-porter les inquiétudes incessantes des élèves? EtJean qui répète sans cesse: «Marie est morte. Elle

ne reviendra pas.» Je sens et je vois mes élèvess’agiter de plus en plus. L’angoisse nous envahit,et je n’arrive plus à contenir tous ces enfants déjàtellement fragiles. Le travail scolaire est très diffi-cile, les capacités de concentration sont court-cir-cuitées. Mais le travail en classe permet aussi dedonner un cadre, des repères aux élèves. Quefaire? Tenir bon? Garder les rituels, les activitéshebdomadaires? Mais c’est trop difficile, car je suisà bout de souffle, je vais aussi bientôt m’effondrer!

Des interventions en classe dirigées par une psy-chologue me sont proposées afin de permettreaux élèves de parler de cette perte terriblementangoissante, de parler de la mort. Ces interven-tions sont proposées et évaluées selon les besoinsdes élèves en équipe pluridisciplinaire. Les psy-chologues ont été mis également à la dispositiondes parents sur demande. Une supervision extra-ordinaire a aussi été mise en place par l’institutionpour les adultes avec un spécialiste d’événementstraumatisants. Sans parler des moyens déjà exis-tants comme les lieux d’échanges interdiscipli-naires et autres supervisions.

Nous voilà arrivés aux vacances d’été. Les élèvesn’ont jamais autant montré leurs difficultés spéci-fiques que depuis le décès de Marie. Je ne mesuis jamais sentie aussi impuissante et épuisée,mais à chaque instant je me devais d’être pré-sente, ne pas délaisser, abandonner mes élèves.A quel prix? Etait-ce vraiment indispensable?

Je pense à la prochaine rentrée scolaire. Un re-nouveau. Tout aura disparu de Marie, il n’y auraplus de trace physique, plus d’affaires, de chaisevide. La moitié des élèves aura changé. Je pense,j’espère que tout sera fini et qu’on repartira commesi de rien n’était. Mais ce n’est pas si simple… Ledeuil est un processus à long terme. Et Marie res-tera toujours présente, dans nos cœurs.

Radhia Kadamain est enseignante spécialisée.

TÉMOIGNAGES «NOUS NE REVERRONS PLUS JAMAIS MARIE !» RADHIA KADAMAINL’événement relaté dans cet article a eu lieu dans une institu-tion qui accueille des enfants ayant des difficultés importantesdu point de vue des apprentissages, du comportement et del’insertion sociale. Un travail individualisé est réalisé avec chaqueenfant et de forts liens se tissent entre élève et enseignante. Lechoc de la mort est d’autant plus fort et pose de multiples ques-tions.

DOSSIER / LE CHOC DE LA MORT« NOUS NE REVERRONS PLUS JAMAIS MARIE ! »

Page 22: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

DOSSIER / LE CHOC DE LA MORTÉCOUTER ET ACCOMPAGNER MES ÉLÈVES ENDEUILLÉS

Comment pouvez-vous évoquer ces situations?La récente perte d’un de mes élèves a fait ressurgirdes événements qui ont eu lieu deux ans plus tôt.On interprète, on regarde certains éléments en com-parant. Les deux décès, deux garçons, se sont pas-sés hors du gymnase et en raison d’accidents. Dansles deux cas, j’étais maître de classe. En 2013, ledécès a eu lieu juste avant les vacances de Pâquesalors qu’en 2015, il est survenu le dernier jour avantla rentrée de janvier. La gestion du deuil a été moinsdifficile dans le premier cas grâce à la rupture tem-porelle des vacances.

Que s’est-il passé en 2013?La direction a été informée que le jeune était dans lecoma un mercredi en début de matinée. Avec le di-recteur, nous avons parlé à la classe. Les élèves n’ontplus voulu de cours ce jour-là. J’ai alors passé la jour-née avec eux. Je leur ai proposé de s’exprimer, des-siner, écrire sur ce que leur camarade évoquait poureux. L’infirmière m’a aidé en particulier pour des ex-plications médicales. Les élèves attendaient de nous,adultes, des réponses à leurs questions alors quenous n’étions pas plus informés qu’eux. En fin d’après-midi, nous avons décidé de les laisserrentrer chez eux après avoir créé une chaîne télé-phonique. C’est alors que le directeur a été informédu décès. Il m’a demandé d’aller rechercher lesélèves, qui ont immédiatement deviné ce que nousallions leur annoncer. Il y a eu deux chocs, l’annoncedu matin et celle du décès en fin d’après-midi. Lejeudi matin s’est créée une cellule d’accompagne-ment comprenant la doyenne responsable de laclasse, le directeur, les médiateurs, l’aumônier, l’infir-mière et le maître de classe. Je ne sais pas si ce

dernier fait partie du protocole usuel. J’ai peut-être étéintégré parce que j’étais là et que j’ai pris de la placetout de suite. Les interventions de cette cellule ont eulieu le jeudi et l’enterrement le samedi de Pâques. À larentrée, le directeur et les enseignants ont annoncé àla classe que le travail recommençait, ce qui ne signi-fiait pas que l’on oubliait leur camarade.

Et la situation toute récente de 2015?Les élèves et la direction ont été informés du décèsd’un élève quasi en même temps à la rentrée desvacances. J’ai été informé par la direction au télé-phone. Quand je suis arrivé au gymnase, les mem-bres de la cellule d’accompagnement entouraientdéjà les élèves dans leur salle de classe. Vers 10 h,la cellule et la direction ont décidé des annonces àfaire : une salle pour le deuil, pas de travaux écritspendant une semaine, à qui parler et pour quoi. J’aiété désigné avec l’aumônier pour m’adresser auxélèves. J’ai pensé que je parlerais à ceux de laclasse, mais beaucoup d’autres jeunes parfois trèsproches de l’élève décédé étaient présents. J’ai dûchanger ce que je voulais dire pour m’adapter à cepublic plus large. J’ai insisté sur le fait que nous al-lions tous, maîtres et élèves, vivre ce deuil à notrepropre rythme et qu’il était important de respecterchacun, de ne pas juger. Le mardi matin les coursdevaient reprendre avec deux périodes de mathé-matiques, mais les élèves n’étaient pas encore prêts.Nous sommes allés marcher au bord du lac, en si-lence. Il fallait aussi penser au livre du souvenir, auxcartes écrites collectivement, au temps nécessaireaux élèves pour parler entre eux.Au niveau du gymnase, il n’y a pas eu d’arrêt général. Le corps enseignant a été sensibilisé pour

identifier les besoins d’élèves peut-être plus prochesdu jeune décédé ou moins préparés à la perte d’unami. En étant présents le premier jour, nous pouvonsrepérer ces proximités ou ces difficultés et ainsi in-former nos collègues.

Quel accompagnement?Le lieu pour le deuil est très important. Tout d’abord,la salle de classe a joué ce rôle. Puis un ancien bu-reau de doyen est resté ouvert à chacune et chacunpendant deux semaines avec quelques images, unebougie, le livre du souvenir. Les élèves ont besoin des’exprimer. Cela a été favorisé par diverses per-sonnes selon leur sensibilité. Un panneau a été créécollectivement. Je pense que ce panneau, qui a uncaractère assez intime, a été d’une grande aide.Mais il a fallu ensuite lui trouver une place. Nousavons proposé de photographier la classe devant lepanneau et ensuite de l’enlever des regards. On au-rait pu aussi faire un lâcher de ballons avec unephrase écrite sur chaque ballon, mais je n’y ai paspensé assez tôt. Cela aurait été très symbolique. Lacérémonie funèbre a eu lieu le jeudi et toute laclasse y est allée. Elle a été appelée en entier surl’estrade et quatre élèves ont pris la parole. La fa-mille a permis aux élèves de partager son deuil etcette reconnaissance a été, je pense, très impor-tante pour la majorité des élèves.

Jusqu’où le maître de classe doit-il s’impliquerdans la situation?Dans la cellule d’accompagnement, le maître declasse est le seul qui connaisse les élèves et quipuisse dire: «Attention, cette élève, cet élève est fra-gile ou n’a personne pour l’accueillir à la maison.»J’ai vécu cela comme globalement lourd, particu-lièrement la fatigue, mais ce sont mes élèves et jene veux pas être exclu de l’accompagnement autourde ces deuils. Mon rôle a toujours été de demanderaux élèves ce qu’ils avaient envie de dire ou de faire.Etre à l’écoute est essentiel. On doit être là, maissans être intrusif.

Propos recueillis par Régine Clottu.

Michel Deruaz est professeur formateur à la HEP et ensei-gnant de mathématiques au gymnase, où il a vécu à deux re-prises le deuil d’un élève, au printemps 2013 et en ce débutd’année 2015. Deux situations lourdes à gérer qui demandentde l’enseignant des compétences bien différentes de cellesrequises pour transmettre un savoir.

ENTRETIEN ÉCOUTER ET ACCOMPAGNERMES ÉLÈVES ENDEUILLÉS AVEC MICHEL DERUAZ

Page 23: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

C’ÉTAIT IL Y A LONGTEMPS ET LES DÉTAILS SE SONT EFFACÉS, MAIS CE DONT JE ME SOUVIENDRAI TOUJOURS, PEUT-ÊTRE MÊME MIEUX QUE LA DOULEUR ET LA TRISTESSE, C’EST L’INCOMPRÉHENSION. POURQUOI ELLE? POURQUOI MOI? POURQUOI NOUS?ORANE

Page 24: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

DOSSIER / ACCOMPAGNEMENT LORS D’ÉVÉNEMENTS GRAVESPENSER L’IMPENSABLE : LE SUICIDE DES ENFANTS

Quand on pense au suicide, on imagine plutôt quec’est le fait d’adolescents, et il est vrai qu’en Suisse,c’est la première cause de mortalité chez lesjeunes de quinze à vingt-neuf ans. Pourtant, lesmoins de treize ans se donnent aussi la mort, par-fois même de jeunes enfants de sept, huit ou neufans, ce qui peut paraître invraisemblable. Boris Cy-rulnik a été chargé d’étudier plus précisément lephénomène et il a consigné ses constatations etrecommandations dans un ouvrage, Quand un en-fant se donne la mort, qui vient étoffer le peu delittérature qu’on trouve sur ce sujet. Son approchepluridisciplinaire mêlant neurobiologie, biochimie,psychologie et sociologie met en évidence qu’il ya plusieurs dizaines de suicides par an, certainsétiquetés à tort sous accident, même si seuls 20 %seraient réellement prémédités, alors que les au-tres résulteraient plutôt d’un acte spontané à lasuite d’un conflit ou d’une contrariété.

La mort perçue comme réversible et temporaire

Les causes seraient multifactorielles, à la fois bio-logiques, psychologiques et sociétales : un isole-ment sensoriel lors des premiers mois de vie quiprovoquerait un mauvais développement des cap-teurs de la sérotonine (neurotransmetteurs impli-qués dans l’anxiété), une certaine vulnérabilité liéeà des carences affectives précoces ou une expo-sition à des violences éducatives (abandon, mal-traitance, agression sexuelle, inceste, etc.) pour-raient éclairer la prédisposition de certains enfantsau passage à l’acte. L’école serait aussi un facteur

d’angoisse important, par la pression mise sur lesperformances intellectuelles, par l’immobilité exi-gée dans les cours (une torture pour certains en-fants !) et par les moqueries ou le harcèlementconstant que certains élèves font subir à d’autres.Cette liste peut être complétée par des rapportsémis dans d’autres pays, comme le Canada : l’en-fant peut avoir envie de rejoindre un proche dé-cédé, fuir une situation intolérable, éviter une sanc-tion, désirer s’autopunir ou punir un parent, etc.

«L’impulsivité qui réside

fréquemment derrière

ces passages à l’acte rend

la détection et la prévention

particulièrement difficiles. »

En fonction des situations, la mort est perçuecomme réversible et temporaire et non commeune finalité, car l’objectif est d’alerter l’entourage,mais elle peut aussi être envisagée comme laseule issue possible à une souffrance devenue in-supportable. Il semblerait aussi que les filles fontplus de tentatives de suicide, mais que celles desgarçons aboutiraient plus souvent. Certains signesprédictifs pourraient être repérés par les parentset les enseignants, mais, malheureusement, ilssont généralement mal interprétés : le bon élèvequi soudain ne veut plus aller à l’école, la jeunefille pourtant sociable qui s’isole de plus en plus,le garçon au tempérament calme qui explose pourun rien ou l’enfant qui subitement perd le sommeil,l’appétit et l’envie d’exercer ses activités favorites.

Toutefois, l’impulsivité qui réside fréquemment der-rière ces passages à l’acte rend la détection et laprévention particulièrement difficiles.

Une limite floue entre enfance et adolescence

Dans son ouvrage, Cyrulnik propose des pistes deprévention autour de quatre axes : premièrementautour de la naissance, en surveillant les derniersmois de grossesse, en allongeant les congés pa-rentaux pour éviter les carences sensorielles dunouveau-né et en améliorant les métiers liés à lapetite enfance pour mieux détecter les signauxd’alerte. Autour de l’école, ensuite, en luttant contrele harcèlement, cause de souffrance, en adaptantles rythmes scolaires et biologiques, en conférantune valeur éducative au sport et à l’art et en allé-geant la pression liée aux performances scolaires.Autour de la famille également, pour qu’elle aitaccès à des ressources adéquates et diversifiées,que l’enfant bénéficie de multiples liens d’attache-ment et que la vie de quartier, par le biais d’asso-ciations, soit renforcée. Enfin, autour de la culture,il signale le danger lié à l’attractivité d’internet pourdes enfants mal dans leur peau et aux messagesdénigrants et néfastes que le jeune peut échangersur les réseaux, parfois glorifiant le suicide, ac-centuant ainsi une symptomatologie dépressive.

La position de Cyrulnik ne fait pourtant pas consen-sus et certaines voix – comme celle du pédopsy-chiatre Marcel Rufo – s’élèvent pour éviter un alar-misme inutile et une surmédiatisation de quelquescas de suicide. Les pensées de mort seraient nor-males dans le développement et, de plus, il y au-rait confusion dans la distinction entre l’enfant etl’adolescent, car la préadolescence commence tou-jours plus tôt et avec elle les comportements àrisque, spécifiques de cette tranche d’âge.

Christine Fawer Caputo est professeure formatrice spécialisée endidactique d’éthique et cultures religieuses/histoire et sciencesdes religions, en philosophie pour les enfants et dans l’accompa-gnement du deuil à l’école.

PENSER L’IMPENSABLE : LE SUICIDE DES ENFANTS CHRISTINE FAWER CAPUTOQuelles sont les causes qui peuvent pousser un enfant à com-mettre l’impensable ? Boris Cyrulnik, psychiatre et psycha-nalyste s’est penché sur cette question dans son ouvrageQuand un enfant se donne la mort. Il analyse les multiples fac-teurs de ce phénomène peu étudié et propose des pistes deprévention, qui ne suscitent cependant pas l’unanimité.

Page 25: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 25

Commençons par une bonne nouvelle : le taux desuicide de la population suisse a été divisé pardeux depuis les années 1990, en partie grâce auxactions de prévention et à l’amélioration de la priseen charge des personnes suicidaires. Malheureu-sement, le suicide reste la première cause dedécès des 15–29 ans, avant les accidents de laroute, et le Plan national de prévention du suicidepeine à se mettre en place. Les décès par suicidene sont que la pointe de l’iceberg. Le processussuicidaire inclut les idées suicidaires et les tenta-tives de suicide, qui sont beaucoup plus fré-quentes.

Comment réagir face à la souffrance?

L’adolescence est un moment délicat où l’on n’estplus enfant et pas encore adulte. Les changementshormonaux sont intenses, le regard des autrescompte beaucoup. C’est le temps de l’expéri-mentation, des «premières fois», des grands bon-heurs, mais aussi des grandes souffrances. Seposer des questions sur la mort, à l’adolescence,est normal. Par contre, envisager sérieusement lamort comme une des solutions, voire comme laseule solution face à un problème n’est pas ano-din et constitue un signal d’alerte important.

Face à ces adolescents en grande souffrance,comment réagir? Si chaque situation est unique,quelques éléments importants sont à souligner :

• être disponible et à l’écoute pour accueillir uneconfidence, ne pas minimiser la souffrance, nepas juger. La plupart des personnes qui vontmal ont besoin que l’on reconnaisse leur souf-france avant de recevoir des conseils

• ne pas ignorer des appels à l’aide plus oumoins déguisés ou des mentions directes d’en-vies suicidaires, mais au contraire saisir laperche qui est tendue, faire part à l’autre deson inquiétude

• ne pas rester seul avec les confidences d’unepersonne en détresse: il existe de nombreusesstructures d’aide avec qui échanger et vers quiorienter

Dans le canton de Vaud, des ressources existentpour les jeunes mais aussi pour les professionnels(cf. encadré sur la formation « faire face au risquesuicidaire»). Ces ressources ne sont pas toujoursbien connues des adolescents. Or, les premierssignaux d’alerte sont souvent dirigés vers les pairset échappent aux adultes de l’entourage. Il estdonc essentiel de sensibiliser aussi les jeunes.

Libérer la parole pour prévenir le suicide

Il est important de rappeler régulièrement auxjeunes quelles sont les ressources à leur disposi-tion, notamment les infirmiers et psychologuesscolaires. En cas d’urgence psychiatrique ou dedétresse psychologique, un numéro unique existe

pour tout le canton vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept : 0848 133 133. Pour desconsultations, l’unité multidisciplinaire de santédes adolescents du CHUV propose aux 12-20 ansd’aborder les problèmes de santé tels que préoc-cupations au sujet du corps, de la puberté ou dudéveloppement, sexualité, troubles alimentaires,maladies chroniques. Une consultation spécifiquepour les garçons est animée par deux médecinsde sexe masculin. Le site www.ciao.ch1 permet auxjeunes, via un système de questions/réponses etun forum, d’échanger entre eux ou avec des pro-fessionnels. Pro Juventute propose une ligned’écoute (147), un service mail et un chat gratuitset anonymes pour les jeunes.

«Les premiers signaux

d’alerte sont souvent dirigés

vers les pairs

et échappent aux adultes

de l’entourage. »

Libérer la parole, c’est la première étape pour pré-venir le suicide. Faire connaître les ressourcesd’aide, inciter chacun à être attentif et bienveillantenvers son entourage sont des actions à la por-tée de tous. Le suicide n’est pas une fatalité et uneécoute, un geste, une parole peuvent faire dévierune trajectoire.

Yves Dorogi et Laurent Michaud sont rattachés au Département dePsychiatrie du CHUV. Le Groupe prévention suicide Vaud-Neuchâ-tel rassemble des experts de la santé mentale pour améliorer laprévention et la prise en charge des personnes suicidaires.

Sophie Lochet est coordinatrice des programmes Stop suicide etde l’équipe, association de prévention du suicide des jeunes, ac-tive dans toute la Romandie.

Notes1 http://www.ciao.ch/f/

PRÉVENIR LE SUICIDE DES JEUNES : MISSION POSSIBLE ? YVES DOROGI, LAURENT MICHAUD ET SOPHIE LOCHETLe suicide est la première cause de mortalité des 15–29 ansen Suisse. Dans notre pays, un jeune décède tous les troisjours par suicide, et des milliers d’autres tentent de s’ôter lavie chaque année. De nombreuses ressources existent pourvenir en aide aux jeunes en détresse.

DOSSIER / ACCOMPAGNEMENT LORS D’ÉVÉNEMENTS GRAVESPRÉVENIR LE SUICIDE DES JEUNES : MISSION POSSIBLE ?

Page 26: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Chaque enfant a une histoire de vie singulière, depar sa famille, sa maladie, mais aucun d’entre euxne laisse indifférent et tous confèrent, à nous pro-fessionnels, le devoir de tout mettre en œuvrepour leur assurer la meilleure qualité de vie pos-sible, aussi longtemps que la vie est encore là.Souvent, cette qualité de vie pour l’enfant ou l’ado-lescent est assurée, entre autres, grâce à de nom-breux projets : voyages en famille, activités à hautevaleur symbolique comme nager avec les dau-phins, rencontrer une star de la chanson ou sim-plement vivre son quotidien le plus confortable-ment possible. Et, parfois, l’école fait partie de cesprojets.

Des enfants en sursis : rechercherla qualité de vie

En effet, lorsque la maladie se fait incontrôlable,il n’est pas rare de voir des enfants retourner enclasse, pour quelques heures, en fauteuil roulantou encore équipés d’une pompe à morphine : re-tourner à l’école, ne serait-ce que pour terminerun devoir de sciences, pour passer l’examen dematurité ou simplement pour revoir les copains et

faire la photo de classe. La scolarité, dans cecontexte, est un moyen de répondre à cette no-tion de qualité de vie. Elle permet à l’enfant de sor-tir du statut de malade et de redevenir, au moinsmomentanément, un élève comme les autres1.Cette qualité de vie est centrale pour l’enfant oul’adolescent dont la maladie est incurable et quiarrive dans ses derniers mois de vie. Lorsqu’on estarrivé dans cette période de vie si particulière, uneéquipe de soins palliatifs pédiatriques peut ap-porter un soutien et une aide dans le maintien dece modeste confort.

Qu’entendons-nous par soins palliatifs et à qui s’adressent-ils?

Les soins palliatifs sont des soins actifs et com-

plets donnés aux malades dont l’affection ne ré-pond plus au traitement curatif. Ils peuvent toute-fois côtoyer de façon transitoire les soins curatifs.Les soins palliatifs cherchent à améliorer la qua-lité de vie des patients et de leur famille, face auxconséquences d’une maladie potentiellement mor-telle. Ils agissent par la prévention et le soulage-ment de la souffrance, identifiée précocement et

VIVRE MALGRÉ TOUT POUR UN PEU DE TEMPS! PATRICIA FAHRNI-NATERGrâce à la prévention et aux progrès de la médecine pédia-trique, le taux de mortalité infantile a considérablement baisséces dernières décennies dans notre pays. Malheureusement,un certain nombre d’enfants sont confrontés à une maladiegrave et à une mort possible. C’est dans le cadre des soinspalliatifs pédiatriques du canton de Vaud que se réalisent lesuivi médical et l’accompagnement de ces enfants dont lesjours ou les mois sont comptés. Parfois, l’école fait partie in-tégrante du projet de ces derniers jours à vivre : comment cetemps peut-il être organisé et accompagné?

DOSSIER / ACCOMPAGNEMENT LORS D’ÉVÉNEMENTS GRAVESVIVRE MALGRÉ TOUT POUR UN PEU DE TEMPS !

UNE FORMATION SPÉCIFIQUE POUR LUTTER CONTRE LES CONDUITESSUICIDAIRES

Le suicide est un sujet tabou et méconnu quiinterpelle tout un chacun. Faut-il en parler?Comment? Que faire face à une personne endétresse psychologique? Des questions quepeut se poser tout professionnel engagédans une relation d’aide.

La formation «Faire face au risque suici-daire»2, suivie par 1500 personnes depuis sacréation en 2005, vise à répondre à ces ques-tions. Coordonnée par le Groupe préventionsuicide composé d’experts dans le domainede la santé mentale, elle fait partie du Pland’action en santé mentale élaboré par le Ser-vice de la santé publique et les institutionspsychiatriques du canton de Vaud. La for-mation se destine à l’ensemble des profes-sionnels des champs de l’enseignement, dela sécurité, du social et de la santé. Elle duredeux jours et permet de modifier la posturedes participants face à la problématique sui-cidaire en proposant un modèle d’évaluationdu potentiel suicidaire accessible à tous.

Les professionnels formés seront à mêmed’ouvrir un dialogue constructif et aidant avecune personne en proie à des idées suici-daires. La diffusion d’un modèle d’interven-tion et l’utilisation d’un langage commun fa-cilitent la communication et la collaborationentre tous les intervenants.

2 www.formation-continue-unil-epfl.ch/faire-face-au-risque-suicidaire

Page 27: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 27

DOSSIER / ACCOMPAGNEMENT LORS D’ÉVÉNEMENTS GRAVESVIVRE MALGRÉ TOUT POUR UN PEU DE TEMPS !

évaluée avec précision, par le traitement de la dou-leur et des autres problèmes physiques, psycho-logiques et spirituels qui lui sont liés. Les soinspalliatifs en pédiatrie s’adressent aux enfants dela naissance à l’âge de la majorité, dès lors qu’ilssont atteints d’une maladie grave, comme le can-cer ou la mucoviscidose, pouvant réduire leur es-pérance de vie, en phase terminale ou encore at-teints d’un handicap sévère. Ces soins ont été développés dans les années1980 dans certains pays européens comme l’An-gleterre et, plus tardivement, en Suisse. Deséquipes spécialisées ont été créées dansquelques cantons suisses et sont des partenairesprécieux de ces accompagnements : ils ont clai-rement une raison d’être, même si cette disciplinen’a pas toujours été très populaire. Il est effecti-vement difficile de faire cohabiter dans l’esprit duplus grand nombre, même des professionnels dela santé, enfance et mort.

Alors, comment parler de soins palliatifs en milieu scolaire?

Impensable? L’école est un lieu d’apprentissage,de développement. On ne meurt pas dans uneécole ! Que faire si un élève se retrouve en situa-tion de soins palliatifs et veut continuer sa scola-rité? Quels sont les objectifs d’une telle scolari-sation pour un enfant dont le pronostic est réservéà plus ou moins brève échéance2? Même si cette réintégration en milieu scolaire estpossible et qu’elle apporte de nombreux pointspositifs, elle requiert néanmoins une attention par-ticulière, et c’est peut-être là qu’une équipe desoins palliatifs pédiatriques peut être soutenante,dans le sens où elle assure le lien entre l’hôpitalet le secteur médical de l’école. Quelques situations récentes et très positives sontvenues renforcer une réflexion menée par ungroupe pluridisciplinaire de professionnels, dansles années 2005, qui avait montré que la scolari-sation des enfants en soins palliatifs est non seu-lement possible, mais qu’elle apporte un réel sou-tien à l’enfant et à sa famille, aux autres élèves, quiont le sentiment d’avoir pu encore faire quelquechose pour leur copain, pour l’enseignant, qui esttrès souvent à l’origine de cette démarche d’inté-gration mise en place avec cœur et énergie : il aainsi la sensation d’avoir pu accompagner sonélève jusqu’au bout. Afin d’assurer cet accompa-

gnement sans qu’il soit délétère pour la vie sco-laire, les autres élèves et les professeurs, le retourà l’école de l’enfant en situation de soins palliatifsdoit être bien préparé.

Préparer l’accompagnement del’élève en situation de soins palliatifs

Dans un premier temps, une rencontre est orga-nisée à l’école entre les différents acteurs : infir-mière scolaire, directeur de l’établissement, en-seignant qui aura l’enfant dans sa classe et, sipossible, médecin et psychologue scolaires. Par-fois, la présence d’un membre de l’équipe hospi-talière impliquée dans les soins donnés à l’enfants’avère utile.L’objectif de cette première rencontre est, en plusde connaître les besoins de l’enfant et de sa fa-mille, de permettre à toutes les personnes impli-quées au niveau scolaire de vivre cette situationde la manière la plus constructive possible et d’enréduire les effets potentiellement traumatiques,sachant que leurs besoins seront identifiés et re-connus et qu’une stratégie d’information sera miseen place pour l’ensemble des enseignants. L’in-formation est un élément clé, mais nécessite quel’enfant et sa famille donnent leur accord et en dé-finissent le périmètre. Pour les parents, la scolarité de leur enfant n’estpas forcément une étape essentielle dans cettephase de vie. Mais ce qui est primordial pour eux,c’est de satisfaire les désirs de leur enfant. Tou-tefois, il est nécessaire pour eux d’être entenduset d’être assurés que tout sera mis en œuvre poursa sécurité. Les besoins de l’enfant vont être dif-férents au fil du temps, en fonction de l’évolutionde la maladie et des troubles qui peuvent surve-nir, comme les troubles de la marche, de la vue outoutes les formes de paralysies qui peuvent en-traver l’écriture et l’élocution.L’enseignant recevra un certain nombre d’infor-mations pour intégrer dans sa classe un enfantavec des besoins si particuliers. Il devra connaî-tre l’état physique de l’enfant, les activités possi-bles, les précautions à prendre à la récréation, parexemple, les difficultés de mobilisation et l’équi-pement particulier nécessaire avant de l’accueil-lir dans les meilleures conditions possible. Une at-tention particulière sera portée aux autres élèvesde la classe afin de les aider à traverser cette pé-riode éprouvante pour eux aussi. Un moyen de les

aider est, pour ceux qui le désirent, de leur confierdes tâches particulières leur donnant le sentimentd’avoir pu aider leur camarade.L’infirmière scolaire, afin de pouvoir exercer sonrôle de personne ressource dans de telles situa-tions, devra avoir accès avant tout à une bonneconnaissance de la situation de l’enfant, de sonétat, des médicaments qu’il doit recevoir ainsiqu’identifier les aménagements pédagogiquesstructurels, afin de lui offrir un environnement fa-vorable et sécurisé.

Optimiser la prise en charge scolaire

Sans vouloir s’immiscer dans le domaine de l’école,une équipe pédiatrique de soins palliatifs a pourmission de permettre à l’enfant concerné de vivresa vie, quelle qu’en soit la durée, en fonction deses choix, même si l’un d’entre eux est de pour-suivre sa scolarité. La qualité de vie de l’enfant, etpar conséquent celle de sa famille, reste l’objec-tif prioritaire. Pour y arriver, il faut pouvoir appor-ter une médication et un soutien adéquats àl’élève, afin qu’il puisse se rendre à l’école, profi-ter de sa classe tout en étant confortable et enmesure de réaliser ses aspirations. Ce projet nedoit pourtant pas se faire au détriment des autresélèves ni de l’enseignant. C’est pourquoi il serapréparé, organisé à l’avance tout en installant uncadre sécurisant pour chacun. Dans ce contexte,assurer une bonne coordination et une circulationde l’information en collaboration avec l’infirmièrescolaire, lui offrir un soutien ainsi qu’à tout autreprofessionnel permettra d’optimiser la prise encharge scolaire.L’enfant en soins palliatifs nous frappe par sonenvie de se battre, de croquer chaque secondedu temps qui lui reste, montrant une certaine clair-voyance qui bouleverse tout un chacun, donnantsouvent aux adultes des exemples émouvants desagesse et de courage.

Patricia Fahrni-Nater est infirmière responsable de l’équipe canto-nale pédiatrique de soins palliatifs et de soutien du canton de Vaud.

Notes1 Schell, M. & al. (2012). L’enfant en soins palliatifs : l’enjeu de la

scolarité dans l’école d’origine. In N. Humbert (dir.) Dans la vie…pendant, avant, après. Les soins palliatifs pédiatriques. Mont-réal : Editions du CHU de Sainte-Justine.

2 Bouffet, E. & al. (1996). La scolarité en fin de vie. Quels objec-tifs, quels espoirs ? Archives de pédiatrie 3, pp. 555-560.

Page 28: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

LES ÉTOILES GRANDES ET BRILLANTES ONT UNE FIN PLUS EXPLOSIVE QUE LES AUTRES. ELLES DISPARAISSENT, MAIS LAISSENT UN TROU NOIR DERRIÈREELLES. C’EST CE QUI S’EST PASSÉ LORSQUE NOTRE ÉTOILE À NOUS A DISPARU. ON EST RESTÉES PLONGÉES DANS LE NOIR ET ON AVAIT L’IMPRESSION DE NE PASPOUVOIR EN SORTIR. MAIS ON SAIT QU’IL NE NOUS A PAS TOTALEMENT QUITTÉES CAR SON ÉCLAT EST RESTÉ DANS NOS CŒURS. POURTANT LE DEUIL C’EST POUR LA VIE, ÇA NE S’EN VA JAMAIS.

Page 29: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015
Page 30: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Décembre 2013. Je rencontre pour la premièrefois Sophie*, une petite fille de six ans et ses pa-rents. Ils viennent d’apprendre que leur fille a uncancer. C’est le choc.Lors de l’annonce du diagnostic, l’équipe médicaledu Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV)propose aux parents de rencontrer une assistantesociale de la LVC. Nous sommes deux à partagernotre bureau qui se situe dans le service d’hé-mato-oncologie pédiatrique. Cette unité accueillela plus grande partie des enfants atteints de can-cer en provenance de toute la Romandie. Chaqueannée, deux cents enfants y reçoivent leur traite-ment, dont cinquante à soixante nouveaux cas. Lestraitements peuvent parfois durer deux à trois ans.

Ce jour-là, c’est moi qui suis présente et qui vaisrencontrer la famille de Sophie. Très vite, une desquestions qui préoccupent la famille est l’école.Les parents se demandent ce qui est possible,car entre traitements ambulatoires et hospitali-sations, l’agenda de Sophie est déjà bien rempli.L’unité d’hémato-oncologie pédiatrique du CHUVest sous la responsabilité de la Dresse Maja Beck-Popovic. Elle a depuis longtemps fait le choix depermettre aux enfants de reprendre l’école, mêmependant les traitements. Elle a été une pionnièredans cette volonté de ne pas couper l’enfant d’unevie sociale et scolaire. Maintenir une scolarité, c’estcontinuer à apprendre, éviter l’isolement, penserà autre chose. Organiser la continuité avec l’écolepermet de préserver la normalité dans une situa-

tion qui n’est pas normale, la maladie. Dans le can-ton de Vaud, tous les enfants en âge scolaire peu-vent retourner dans leur classe, pour autant queleur état de santé le permette.

«Organiser la continuité

avec l’école permet

de préserver la normalité dans

une situation qui n’est pas

normale, la maladie. »

Le retour à l’école se construit avec l’équipe soi-gnante, les parents, l’enfant, la direction de l’école,l’enseignante et l’infirmière scolaire. Il peut inter-venir rapidement. Cela dépend du type de mala-die et des traitements. La décision de permettreà l’enfant d’aller à l’école est prise par le médecinde référence de l’enfant. Dès que le feu vert estdonné aux parents, nous les rencontrons pour pré-parer ce retour. Il est très important de voir ce quel’enfant souhaite dire et à qui à propos de sa ma-ladie, et de l’impliquer dans les décisions concer-nant son retour.

Nous demandons à l’école d’envoyer une circu-laire à tous les parents des enfants se trouvantdans la classe de Sophie. Ce courrier est écritpar le médecin du CHUV.L’information en classe, organisée par la Ligue vau-doise contre le cancer, est facultative. Cette pres-

tation est proposée aux parents et ce sont eux,avec leur enfant, qui décideront de notre présenceen classe. Du côté de l’école, cette interventionest largement sollicitée par les enseignants. Cer-taines informations données aux élèves sont unpassage obligé, il s’agit de tout ce qui touche auxrègles d’hygiène. En revanche, pour expliquer lamaladie, nous reprenons les mots que l’enfant uti-lise. Souvent ce n’est pas une tumeur, mais uneboule et les globules blancs deviennent les petitssoldats ou les policiers.Nous avons défini trois groupes d’âge et nousabordons la problématique de la maladie en fonc-tion de ce critère.

Les enfants de cinq à huit ans

Dans les faits, l’information en classe est systé-matique. Les parents sont soulagés de voir que leretour à l’école sera accompagné par des profes-sionnels. Les enfants de cet âge entrent facile-ment en contact avec nous, mais ne posent pasou peu de questions sur la maladie. Ils font descommentaires comme ceux-ci : Ma maman travailleà l’hôpital, tu la connais? Moi aussi j’ai été à l’hôpi-

tal quand j’étais petit ; mon grand-père aussi il a le

cancer ; mon frère est malade, il n’a pas pu venir à

l’école. Ils sont centrés sur eux-mêmes, mais com-prennent l’importance de respecter de nouvellesrègles d’hygiène. Ils apprécient l’idée d’aider uncamarade. Ils ne savent pas toujours que le can-cer est une maladie grave.Nous utilisons comme support des fiches expli-catives de grand format1 que nous avons créées.Elles représentent par exemple une cellule can-céreuse et montrent que la maladie n’est pascontagieuse. Nous avons également une poupéequi mesure un mètre et qui a elle-même perduses cheveux. C’est un garçon qui s’appelle Lovic*.Il a également un AVTI (système totalement im-plantable, spécialement conçu pour un accès vei-

TÉMOIGNAGE LE RETOUR À L’ÉCOLE D’UNENFANT ATTEINT DE CANCER : UNE PRÉPARATION MINUTIEUSE VÉRONIQUE MONACHONDans le canton de Vaud, une vingtaine d’élèves sont aussides patients de l’unité d’hémato-oncologie du CHUV, à Lau-sanne. La Ligue vaudoise contre le cancer (LVC) propose unaccompagnement pour le retour en classe d’un enfant atteintde cancer. Une rencontre a lieu généralement entre l’enfantmalade et l’école.

DOSSIER / ACCOMPAGNEMENT LORS D’ÉVÉNEMENTS GRAVESLE RETOUR À L’ÉCOLE D’UN ENFANT ATTEINT DE CANCER : UNE PRÉPARATION MINUTIEUSE

Page 31: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 31

neux répété et facile) qui permet à l’enfant de re-cevoir ses traitements. Nous pouvons ainsi mon-trer aux camarades cette boîte magique, commela nomment les parents. Ils comprennent dès lorsl’importance de ne pas pousser leur camarade.Ils découvrent aussi pourquoi il y a cette petitebosse sous la peau de leur copain. La poupéepermet aussi d’attirer l’attention des enfants surnous. Nous devons constater que pour de nom-breux enfants malades, c’est plus agréable quede sentir vingt paires d’yeux sur soi.

Les enfants de neuf à treize ans

Les élèves de cet âge ont déjà acquis de bonnesconnaissances d’anatomie ; ils ont ainsi des ques-tions plus précises. D’ailleurs, le thème du cancera souvent été discuté à la maison. Ils abordentaussi le thème de la mort. Voici quelques exem-ples de questions : Pendant combien de temps va-

t-il recevoir de la chimiothérapie? Ses cheveux vont-

ils repousser ? Comment ses parents ont-ils

découvert qu’il avait le cancer? La maladie va-t-elle

revenir quand il sera guéri ?

Les jeunes de quatorze à dix-huit ans

Les adolescents ont acquis des connaissancespointues et savent avant notre arrivée ce que vitleur camarade. Ils en ont parlé avec lui ou en fa-mille. Ils utilisent également les nouvelles techno-logies et sont en contact avec leur camarade de-puis le début de la maladie. Pendant notreintervention, ils ne posent pas de questions. Cer-tains sont très émus. Avec ce groupe d’âge, il estimportant que l’enseignant ait préparé notre arri-vée. La meilleure solution est de leur proposerd’écrire leurs questions avant notre venue et deles transmettre à l’enseignant.Il suffit parfois de peu de chose pour que le dia-logue puisse s’enclencher. S’ils ne posent pas dequestions, c’est aussi pour ne pas perturber leurcamarade. Ils sont déjà sensibles à cette notiond’intimité dont selon eux la maladie fait souventpartie.Nous remettons à l’enseignant plusieurs exem-plaires d’un flip-book que nous avons créé en2013 et qui permet de parler plus facilement dela maladie. C’est un livret que l’on tient dans unemain. Quand on fait tourner les pages d’un côté,

il y a une personne qui monte et qui descend desescaliers. Cela représente les hauts et les basque vit un enfant en traitement. De l’autre côté,on trouve des mots d’adolescents comme : Est-ce que je vais mourir ? Je n’ai pas envie qu’on ait

pitié de moi ; je n’ai pas dit ouf que ma chimio dé-

bute ; c’est parfois difficile de me regarder dans la

glace. Quelques conseils de professionnels sontintercalés.

Une information générale sur les trai-tements et leurs effets secondaires

Quel que soit l’âge des enfants, notre interventionne donne pas de détails concernant l’enfant ma-lade. Nous parlons de manière générale des trai-tements et de leurs effets secondaires. Toutefois,les élèves n’ont pas à savoir par exemple si le pro-nostic est défavorable ou si leur camarade a desmétastases. Ce sont vraiment les parents qui choi-sissent tout au long de la maladie ce qu’ils sou-haitent transmettre aux élèves et à l’enseignant.L’enfant touché par le cancer, en accord avec sesparents, choisit de venir ou non à cette informa-tion. Une fois adolescent, il renonce souvent à yassister. Il pense que ses camarades n’oseront pasposer de questions ou alors il ne souhaite toutsimplement pas entendre une nouvelle fois sonhistoire.

«L’école est et reste un lieu de vie ;

l’enfant malade y a sa place

comme tout autre enfant. »

Après plus d’une centaine d’interventions enclasse, nous avons constaté tout le bénéfice d’unecollaboration régulière avec l’école. Les ensei-gnants ne peuvent pas toujours imaginer la lour-deur et la durée des traitements. Nous sommes làpour leur en parler. L’école est et reste un lieu devie ; l’enfant malade y a sa place comme tout autreenfant. C’est souvent une question d’aménage-ments et d’ajustements qui doivent se faire régu-lièrement en tenant compte de l’évolution de lamaladie.Le plus intéressant et le plus touchant est de voirla solidarité qui se manifeste dans les classes etles établissements où un enfant atteint de cancerest présent. Cela mobilise autour de lui, de sesfrères et sœurs, de ses parents, un véritable en-

gagement qui est dès lors une ressource pour lafamille.

Véronique Monachon est assistante sociale à la Ligue vaudoisecontre le cancer, www.lvc.ch

Notes1 Ces fiches explicatives sont disponibles sur

www.hepl.ch/prismes

* Prénoms d’emprunt

Page 32: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

DOSSIER / ACCOMPAGNEMENT LORS D’ÉVÉNEMENTS GRAVESJEUX DANGEREUX: JEUX VIOLENTS, D’ÉVANOUISSEMENT ET DE DÉFI

Le «jeu du foulard» sous toutes ses appellations,qui n’a de jeu que le nom, s’apparente à une pra-tique innocente. Les jeunes ne mesurent pas lesconséquences graves qui peuvent en résulter.Ainsi, la prévention est la seule arme efficace pourles adultes responsables, parents, éducateurs, en-seignants.Les jeux dangereux comprennent trois catégoriesde pratiques : • les jeux violents qui sont des jeux de groupes

consentis ou contraints dont l’objectif est defrapper une victime sur la base de règles quidiffèrent selon le jeu (p. ex. petit pont massa-creur ou jeu de la mort subite) ;

• les jeux d’évanouissement dans lesquels il n’ya en général pas d’agresseur et d’agressé, lepratiquant étant consentant ;

• les jeux de défi (car surfing, jeu de l’autoroute)basés sur le principe du « t’es pas cap» et quise caractérisent par des actes dangereux vo-lontaires au sein d’un groupe de pairs qui sontfilmés puis diffusés sur internet ou les réseauxsociaux.

Ces « jeux» sont généralement proposés par uncopain ou un groupe d’amis et les pratiquants nesont pas conscients des risques encourus. Uneforme primaire de ce « jeu» est celui dit de « la to-mate», dans lequel les enfants (dès trois-quatreans) jouent à retenir leur respiration le plus long-temps possible, ce qui peut provoquer une syn-cope. Les plus grands (dès sept-huit ans) font del’hyperventilation puis bloquent leur respiration.

Un camarade appuie alors sur leurs carotides ouleur comprime le sternum. Un évanouissement seproduit, précédé de sensations de type halluci-natoire. Le but est de raconter au réveil ce qu’ilsont ressenti.Le danger est extrême: toute tentative, qu’elle soiteffectuée en groupe ou en solitaire, peut entraî-ner des séquelles irréversibles et un arrêt car-diaque dès le premier essai. Les jeunes qui fontcette expérience seuls à l’aide d’un lien quel-conque (corde, ceinture de peignoir, etc.) courentun risque majeur, car personne ne pourra alerterles secours en cas d’étranglement prolongé aprèsla perte de connaissance.

Vigilance et repérage de signes

Quelques signes peuvent alerter les parents etadultes responsables d’enfants :• traces rouges sur le cou (parfois dissimulées) ;• lien, corde, ceinture, traînant sans raison au-

près du jeune ; • maux de tête parfois violents, récidivants ;• douleurs auriculaires ;• troubles de la vision ; • diminution de la concentration ; • rougeurs au visage ou taches rouges dans les

yeux ; • bruits sourds dans la chambre ou contre le mur

(chute dans le cas d’une pratique solitaire) ;• questions posées sur les effets, les sensations,

les dangers de la strangulation.

Sans créer de sentiment de dramatisation, ilconvient toutefois d’être vigilant afin de pouvoirdétecter ces comportements si un enfant ou unjeune présente plusieurs de ces signes.

Un « jeu» pour vivre des sensationsfortes

Comme son nom l’indique, le « jeu du foulard »(terme générique) est avant tout considéré commeune pratique ludique susceptible de procurer des«sensations fortes». Les plus jeunes y voient ladécouverte d’une expérience nouvelle et l’abor-dent en toute inconscience. Les adolescents, eux,cherchent surtout à relever un défi et à vivre dessensations fortes et nouvelles. La volonté de trans-gression est rare, l’expression d’un comportementviolent ou suicidaire exceptionnelle. Il n’existe pasde profil type d’enfant qui joue à ce type de jeux.La population concernée est vaste, de quatre àvingt ans, garçons et filles de tous niveaux sociaux.Elle concerne surtout des enfants et des adoles-cents sains, sans difficultés psychologiques.

Une seule arme: la prévention

Face aux drames induits par ces pratiques, lesadultes n’ont qu’une seule arme efficace à leur dis-position: la prévention. La diffusion de l’informationaux parents et aux adultes en lien avec des enfantsest essentielle afin de prévenir des accidents, deshandicaps et des centaines de décès chaqueannée à travers le monde et afin d’éviter que desenfants et des jeunes meurent simplement parcequ’ils ne savaient pas qu’ils mettaient leur vie endanger en pratiquant ce qu’ils croyaient être un jeu.

Fabienne Tosi est représentante de l’antenne suisse de l’Associa-tion de parents d’enfants accidentés par strangulation (APEAS).

Pour plus d’informations: www.jeudufoulard.com

1 Témoignage tiré de la thèse de maîtrise en sciences de l’édu-cation de Gaëlle Ruysschaert, cité sur le site www.jeudufou-lard.com

JEUX DANGEREUX : JEUX VIOLENTS,D’ÉVANOUISSEMENT ET DE DÉFI FABIENNE TOSICes «jeux» dangereux, répandus dans le monde entier, touchent un public d’enfants et d’adolescents de quatre à vingtans, filles et garçons, de tous milieux sociaux. Le but est de faireune expérience.

UN COPAIN, LUDOVIC LE FAISAIT AVEC SES MAINS, MAIS LUI S’ARRÊTAIT TOUJOURS JUSTE AVANT DE S’ÉVANOUIR, LORSQU’IL SENTAIT VENIR

LES HALLUCINATIONS, LA TÊTE QUI LUI TOURNAIT… CE JEU EST MORTEL, MAIS JE NE LE SAVAIS PAS.

Jessica, quinze ans1

Page 33: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 33

De tels propos font froid dans le dos. Pourtant, ilsmontrent bien que les attentats contre CharlieHebdo n’ont laissé personne indifférent. Encoremoins les enfants ! Se pose dès lors la questiondu rôle de l’école dans ce contexte. Faut-il parlerde ces tristes événements en classe? Si oui,quand? Tout de suite? Quelques semaines après?Comment peut-on en parler? Comment réagir àl’incompréhension de certains élèves qui évoquentla théorie du complot? Ces questions sont complexes et montrent qu’unenseignement de sciences humaines et socialesa plus que jamais sa place à l’école, que ce soitdans une perspective d’éducation en vue d’un dé-veloppement durable ou dans une perspectived’éducation à la citoyenneté. Nous allons tenterde le démontrer dans la suite de ce texte, en nousappuyant sur les propos tenus lors de la tableronde.

Offrir un espace de paroleLa première difficulté, pour un enseignant, consisteà sortir de sa propre stupeur. En effet, les faitssont violents et l’émotion prend généralement ledessus les premiers jours. En outre, selon les té-moignages recueillis, le fait de se sentir démuniset la crainte de ne pas pouvoir gérer les émotionsdes élèves ont dissuadé bon nombre d’ensei-gnants d’aborder le sujet.

«La première difficulté, pour

un enseignant, consiste à sortir

de sa propre stupeur. »

Parmi nos collègues, certains pensent en revanchequ’il est important d’offrir un espace de parole auxélèves, afin de leur permettre de gérer le choc enparlant des événements. Mettre des mots, c’estaussi mettre de la distance par rapport à la vio-lence exceptionnelle des faits et donc rassurer etéduquer. Ainsi, une enseignante du cycle 3 a affi-

ché au tableau une pancarte «Je suis Charlie »,puis a demandé à ses élèves s’ils avaient entenduparler de cela. Tous ont levé la main. Elle leur a de-mandé ensuite s’ils se sentaient concernés : surun effectif de 24 élèves, seuls 6 élèves ont levé lamain. Face à ce résultat, l’enseignante s’est inter-rogée sur la pertinence d’une démarche didac-tique sur le sujet. Elle a toutefois décidé de tra-vailler sur la liberté d’expression en analysantdifférentes caricatures, par groupes, puis en de-mandant aux élèves d’écrire leur définition per-sonnelle. Voici la synthèse obtenue : « La libertéd’expression, c’est le droit de pouvoir s’exprimersur ce que l’on veut ou que l’on aime sans crain-dre quoi que ce soit et dans le respect de l’autre.»La suite de la démarche sera plus générale et por-tera, dans cette classe, sur le code chromatiquede l’image et sur les droits de l’homme.

Apprendre à problématiserComme en témoigne le projet de l’enseignantementionné ci-dessus, il est important de repren-dre en classe un tel événement d’actualité, de ma-nière à «mettre de l’explication dans l’émotion»2.En effet, il s’agit de définir et/ou de construire desconcepts qui permettront aux élèves non seule-ment de comprendre ce qu’il s’est passé, maiségalement de se questionner sur les principauxenjeux des sociétés actuelles. Dès lors, desconcepts comme liberté d’expression, liberté de lapresse, pluralisme des opinions, laïcité, droits de

l’homme sont centraux et doivent être travaillésavec les élèves dans le cadre d’une éducation àla citoyenneté3. C’est donc à ce stade qu’intervientle «détour disciplinaire», autrement dit le passagepar des modes de pensée propres aux disciplinesscolaires. Dans le cadre de l’éthique et des cultures reli-gieuses, par exemple, l’enseignant pourrait tra-vailler sur le terrorisme, le jihad, la violence ou en-core le statut de l’image dans les religions

COMMENT PARLER EN CLASSEDES ATTENTATS CONTRE CHARLIE HEBDO? ALAIN PACHE ET SYBILLE ROUILLERLe 5 février 2015, à la suite des événements de Charlie Hebdo,une table ronde a rassemblé des formatrices et des forma-teurs de la HEP Vaud, certains d’entre eux étant aussi ensei-gnants dans des classes du canton. Les propos échangés,dont cet article se fait le relais, donnent quelques pistes pouraborder avec les élèves des situations extrêmes liées à desattentats.

« J’ÉTAIS INTÉRESSÉE PAR LE SUJET APRÈS L’AVOIR VU AU JOURNAL TÉLÉVISÉ, DONC JE SUIS ALLÉE SUR INTERNET

POUR EN SAVOIR PLUS. JE SUIS TOMBÉE SUR UNE VIDÉO QUI S’EST OUVERTE TOUTE SEULE. C’ÉTAIT L’IMAGE DU POLICIER

QUI S’EST FAIT TUER DE SANG-FROID. J’EN AI PARLÉ À MES PARENTS, CAR J’ÉTAIS TRÈS CHOQUÉE. »

Elève de CM21

DOSSIER / ACCOMPAGNEMENT LORS D’ÉVÉNEMENTS GRAVES

COMMENT PARLER EN CLASSE DES ATTENTATS CONTRE CHARLIE HEBDO?

Page 34: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

monothéistes. Un travail sur l’histoire et les ca-ractéristiques des différentes religions (contexte,textes, diversité des courants de pensée, dérivesfondamentalistes, rapport à l’altérité, rapport aublasphème) s’avère en outre particulièrement né-cessaire en vue de refroidir la question d’actualitéet de montrer réellement la diversité des cultureshumaines en évitant tout ethnocentrisme4.Dans le cadre de l’histoire, l’enseignant pourraitproposer un travail autour des différentes facettesde l’identité juive au cours des siècles, afin demontrer la complexité de cette religion. En effet,le judaïsme ne peut se définir de manière unila-térale : il peut désigner une appartenance cultu-relle, nationale ou encore ethnique. Dans le cadre de la géographie, il pourrait être in-téressant de se questionner sur la constitution etles frontières de l’Etat islamique et sur la diffusionde l’information, via les agences de presse, inter-net et les réseaux sociaux.

Se saisir des débats amenés par les élèves

Une autre piste consisterait à être plus à l’écoutedes élèves, de manière à susciter le débat enclasse sur des questions qui les intéressent. Unenseignant à l’Université fait par exemple état d’unintérêt marqué, chez nos étudiants, pour les dif-férents courants musulmans (les chiites, les sun-nites, les alaouites, les alévis, les druzes ou en-core les kharidjites), un peu à l’image de l’intérêtqui était porté, dans les années 1970, à Cuba ouaux mouvements révolutionnaires. Une autre enseignante relève des incompréhen-sions chez bon nombre d’élèves autour de ce qu’ilsperçoivent comme une injustice : pourquoi Char-lie Hebdo aurait-il le droit de tout dire, alors qu’unhumoriste comme Dieudonné est condamné?Dans un tel cas, le recours aux lois et, plus géné-ralement, à la procédure judiciaire permet d’in-sister sur un principe élémentaire du fonctionne-ment de notre démocratie et sur la frontière minceentre liberté d’expression et antisémitisme5.D’autres élèves encore font référence à la théoriedu complot. En effet, il faut savoir que toute in-formation est avant tout un fait transformé ensignes et transporté, voire diffusé ou mis à dis-position. En d’autres termes, une information sup-pose toujours un intermédiaire technologique ouhumain. Il est donc nécessaire de s’interroger sur

notre rapport individuel à la véracité de l’informa-tion, surtout si l’on prétend éduquer d’autres à cesinformations. Comme le rappelle Bruno Devau-chelle dans un article en ligne sur la question6, ilfaut admettre le fait que nous, adultes, éducateurs,sommes très démunis face au monde d’informa-tion et de communication que nous avonsconstruit. En effet, l’arrivée de l’informatique,d’abord, puis celle d’internet et, plus récemment,celle de la mobilité connectée, nous déroutent etcréent des situations où les élèves remettent enquestion les informations données.

«S’interroger sur notre rapport

individuel à la véracité de

l’information, surtout si l’on

prétend éduquer d’autres

à ces informations. »

Pour remédier à ce problème, il peut être intéres-sant de faire en classe un travail de comparaisonde l’information à partir de plusieurs journaux oude plusieurs chaînes de télévision. La comparai-son peut porter sur le nombre de pages consa-crées à l’événement, sur la présence de l’événe-ment à la une ou encore, dans le cadre desjournaux télévisés, sur le nombre de minutesconsacrées à l’événement et la manière dont l’évé-nement est traité.

Identifier les valeurs en présence

Prendre en compte, en classe, un tel fait d’actua-lité implique également d’identifier les valeurs enprésence : celles des victimes, celles des terro-ristes, celles de la police ou encore celles de l’opi-nion publique, tout en distinguant les contextesfrançais et helvétique qui ne s’appuient pas sur lamême définition de la laïcité. Pour l’enseignant, ils’agit en outre de clarifier ses propres valeurs, demanière à ne pas tomber dans le dogmatisme.

Permettre la prise de distance pourmieux vivre ensemble.

A l’aune des quelques propos ci-dessus, il paraîtévident que l’enseignant de sciences humaines etsociales a une responsabilité importante face à

un événement d’actualité aussi bouleversant quel’attentat contre Charlie Hebdo. Il ne peut donc secontenter d’évacuer les questions qui se posent.Un premier moment de débriefing s’avère donc es-sentiel pour permettre une première prise de dis-tance et pour ne pas laisser se propager la peur,l’insécurité, voire l’angoisse.

«Construire une démarche

d’enseignement-apprentissage

qui prenne en compte

les questions

des élèves. »

Dans un deuxième temps, il importe de prendrele temps nécessaire pour construire une démarched’enseignement-apprentissage qui prenne encompte les questions des élèves et qui se basesur différentes sources permettant la constructionde concepts et de modes de pensée propres auxdisciplines des sciences sociales. C’est ainsi quel’enseignant fera apparaître la complexité des en-jeux sociaux, mais également quelques pistes per-mettant de mieux vivre ensemble. En effet, il s’agitde comprendre qu’il existe des moyens d’actionautres que la violence. Dans notre système dé-mocratique, nous pouvons créer des groupes depression et même, dans le cas de la Suisse, dé-poser une initiative, de manière à faire évoluer leslois et règlements. Voilà les véritables enjeux d’uneéducation à la citoyenneté et au développementdurable.

Alain Pache est professeur à la HEP Vaud. Il est membre de l’Unitéd’enseignement et de recherche « Didactiques des sciences hu-maines et sociales ».

Sybille Rouiller est assistante diplômée et membre de l’Unité d’en-seignement et de recherche « Didactiques des sciences humaineset sociales ».

Bibliographie complète sur www.hepl.ch/prismes

Notes1 Mon Quotidien des 10, 11 et 12 janvier 2015 (disponible sur

www.monquotidien.fr)2 Propos tenus par Charles Heimberg, professeur en didactique

de l’histoire à l’Université de Genève (24 heures du 13 janvier2015).

3 Cf. p. ex. les ressources proposées par le portail Eduscol (edus-col.education.fr)

4 Cf. notamment le choix de textes retenus par le Départementde l’instruction publique du canton de Genève.

5 On peut se permettre de critiquer des institutions, dont les re-ligions font partie, mais pas d’attaquer un groupe social en par-ticulier.

6 Voir la chronique du 23 janvier 2015, sur le site www.cafepeda-gogique.net

DOSSIER / ACCOMPAGNEMENT LORS D’ÉVÉNEMENTS GRAVESCOMMENT PARLER EN CLASSE DES ATTENTATS CONTRE CHARLIE HEBDO?

Page 35: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 35

Pour tenter d’y répondre, je prendrai appui sur untravail doctoral portant sur les réactions du groupedes pairs face à la perte d’une amie ou d’un ami,actualisé par une recherche en cours sur le deuilet le numérique1. Sans généraliser les apports deces analyses au décès d’un parent (père, mère,fratrie), elles sont des pistes d’enseignement etde compréhension du vécu des adolescents faceà la perte d’un proche et de la place de l’écoledans leur trajectoire de deuil.

«Une situation potentiellement

destructrice, mais toujours source

de rassemblements et de

redéfinition des liens avec les

autres. »

L’approche socio-anthropologique est ici privilé-giée pour comprendre les réactions et les com-portements des adolescents face à une situationpotentiellement destructrice, mais toujours sourcede rassemblements et de redéfinition des liensavec les autres. D’une part, l’anthropologie nousapprend que lorsque la mort frappe les vivants,ces derniers oscillent toujours entre désordre etremise en ordre des liens qui les unissent2. D’au-tre part, la sociologie, par la description exhaus-tive de ce qui se fait lors du décès d’un adoles-cent (où, comment et avec qui ?) permet de

comprendre comment un contexte particulier, mar-qué notamment par le numérique, met en formece que l’anthropologie énonce comme des réac-tions universelles des humains face à la mort : ras-sembler les vivants, garder des traces du mort, lelocaliser et maintenir des liens avec lui.

Une mort collectivement partagée

L’impact de la mort d’un adolescent peut s’obser-ver à travers trois dimensions : les ritualisations funéraires instituées et instituantes et le vécu intime du deuil3. Les premières correspondent auxprincipaux rites, ouverts à tous (sauf exception) etoù le corps est généralement présent : la mise enbière, le rite funéraire et la mise en terre. Les se-condes désignent les autres ritualisations funé-raires, parallèles, qui varient selon les cercles d’ap-partenance du défunt et où le corps est absentou présent par les cendres. Par exemple : l’an-nonce, la verrée, les fêtes privées, les célébrations«anniversaires», la minute de silence et/ou la plan-tation d’un arbre à l’école, le tri des affaires et/oule réaménagement de la chambre, les échangesvia mails et autres messages sur une plate-formecomme Facebook. Conjointement, l’expérience dudeuil se conjugue aussi dans l’intime, ce que Dé-chaux nomme « la mort en soi»4. Dès lors, le deuilest moins visible, mais ce repli dans l’intime a unefonction. En s’infligeant de passer par l’intime pour

surmonter l’épreuve que représente le décès deleur ami, les adolescents cherchent à maîtriser latemporalité du deuil et se revendiquent commemaîtres d’œuvre du sens à lui attribuer. Alors, toutce qui est ressenti comme une imposition ou uneprescription est généralement rejeté. Le sens n’estaccessible que par eux et pour eux-mêmes, avantd’être éventuellement partagé avec des personnesde confiance.

«Le sens n’est accessible que par

eux et pour eux-mêmes, avant d’être

éventuellement partagé avec des

personnes de confiance. »

Enchevêtrées dans la trajectoire de deuil des ado-lescents, ces trois dimensions mettent en lumièreune multiplicité de temporalités et d’espaces avecdes individus différemment affectés, notammenten fonction des cercles d’appartenance auxquelsils appartiennent (famille, pairs, école, établisse-ment d’accueil, sport, internet). Ensemble, ils for-ment un collectif qui se réunit lors de la cérémo-nie funéraire (si elle est publique), mais aussi enplus petit comité à d’autres occasions et dans d’au-tres lieux. Les seules funérailles n’épuisent doncpas le besoin des jeunes d’exprimer leur souffrancequi peut se manifester à la maison, dans leurs ac-tivités sportives, musicales et/ou associatives, maisaussi à l’école, ou encore par l’usage du numérique(photos, vidéos) et d’internet, espace privilégié etsource d’expérimentations.

L’âge du numérique?

Fervents utilisateurs des outils numériques et d’in-ternet5, les adolescents s’en emparent allègrementlorsqu’un des leurs décède, généralement afin des’assurer de leur soutien mutuel et de maintenirune continuité des liens avec le défunt, là où pré-vaut justement un sentiment de rupture. Les amisdiffusent des vidéos hommage sur Dailymotion et

ADOLESCENCE, MORT ET NUMÉRIQUE MARTIN JULIER-COSTESComment les adolescents d’aujourd’hui vivent-ils la perte d’unproche et quelle place revêt le numérique dans leur expé-rience du deuil ? C’est la question que pose Martin Julier-Costes, qui s’appuie sur l’approche socio-anthropologiquepour comprendre ces événements. Les outils numériques etinternet prennent une place importante et suscitent des pra-tiques dont les jeunes et les moins jeunes veulent eux-mêmesconstruire le sens.

DOSSIER / LE DEUIL À L’ÈRE DU NUMÉRIQUEADOLESCENCE, MORT ET NUMÉRIQUE

Page 36: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

YouTube, suscitant commentaires et partages. La page Facebook du défunt, transformable en-suite en mémorial, ou une autre page créée àcette occasion, est inondée de messages, adres-sés aux proches, mais surtout au défunt. Ainsi uti-lisé, le profil Facebook a la même fonction qu’unetombe, mais se situe dans un autre espace. Il per-met d’individualiser la perte à l’intérieur d’un es-pace collectif partagé, rendant ainsi le deuil pu-blic puisqu’il est possible d’y accéder. Beaucoup d’adolescents téléphonent au mortjusqu’à l’annulation de la ligne téléphonique et/ouenvoient des SMS et des messages vocaux sur samessagerie. Ils y écoutent sa voix, vont consulterdes messages écrits et des photos archivés dansleur smartphone, peu seront capables de suppri-mer totalement son contact, même plusieurs moisaprès. Nés dans une société hyperconnectée, lesadolescents apprivoisent la perte avec les outilstechniques et symboliques à leur disposition, ceux-ci valorisant pleinement les images. Une illustra-tion récente est la diffusion sur la toile de selfiesparticuliers : les selfies at funerals. Se photogra-phiant avant les obsèques ou pendant avec la per-sonne défunte (ou sa photo) en fond d’écran, cesadolescents s’associent symboliquement au mort,pratique universelle et souvent réactualisée avecl’arrivée de nouveaux outils techniques. Ils adressent d’ailleurs leurs messages au présent,comme si la personne était parmi eux et/ou pou-vait les voir et les entendre et leurs messages luiêtre transmis. Ils créent et archivent donc destraces numériques qu’ils consultent à leur gré, si-gnifiant ainsi leur volonté d’assumer un travail demémoire, rendu visible et exprimé publiquementvia internet. Comme les veuves qui traditionnelle-ment portaient symboliquement le mort sur ellespar des bijoux et des habits, les adolescents d’au-jourd’hui se baladent avec des traces de leur amidéfunt dans leur smartphone.

Cependant, ces usages du numérique et d’inter-net ne sont pas entièrement spécifiques aux ado-lescents qui, comme souvent, mettent en exerguedes phénomènes identifiables et valables aussipour d’autres classes d’âge. Une des caractéris-tiques principales du décès d’un ami à l’adoles-cence est la violence de la mort (accidents et sui-cides) qui rend souvent impossible le fait de voirle corps, trop abîmé. C’est aussi la première foisqu’ils se confrontent sensiblement et concrète-ment à la mort. Elle est alors le signe d’un passage, plus ou moins précoce, à l’âge adulte,

particulièrement visible à l’évocation des photos,lorsqu’ils réalisent que leur ami restera définitive-ment jeune et qu’eux vieillissent.

La mort à l’école

Le décès d’un adolescent ou d’un de ses prochesrenvoie l’école à sa responsabilité de cercle d’ap-partenance primordial pour les élèves. Véritablelieu de vie, d’éducation et de transmission garan-tie par les adultes, elle leur propose un cadre etparticipe à leur construction identitaire.

«La mort est un événement rare

à cet âge, mais

lorsqu’elle survient,

il est essentiel de la signifier

aussi à l’école. »

La mort est un événement rare à cet âge, maislorsqu’elle survient, il est essentiel de la signifieraussi à l’école. Les initiatives existent, mais sontpeu relayées et peu connues des professionnels.Elles sont parfois très simples : une attention par-ticulière, un temps d’échanges en classe, un cour-rier personnalisé, une rencontre avec les parents,la participation aux obsèques ou encore un tempsde recueillement. A ce sujet, l’anthropologie nousenseigne qu’il est essentiel d’inscrire la perte dansle temps et l’espace des vivants. La sociologie,elle, nous éclaire sur la compréhension du vécudu deuil aujourd’hui : prendre soin de ne pas im-poser, mais de suggérer des initiatives et de res-pecter le temps du deuil, nécessairement long etparfois peu visible, car intime.

Martin Julier-Costes est docteur en sociologie de l’Université deStrasbourg et chercheur associé à l’Université de Bourgogne, Cen-tre Georges-Chevrier. Il est formateur pour travailleurs sociaux àl’IFTS (Echirolles) et membre actif du réseau des socio-anthropo-logues de l’adolescence et de la jeunesse (anthropoado.com).

Bibliographie complète sur www.hepl.ch/prismes

Notes1 Programme de l’Agence nationale de la recherche – Projet

Eneid: « Eternités numériques. Les identités numériques postmortem et les usages mémoriaux innovants du web au prismedu genre ».

2 Thomas, L.-V., 1975.3 Julier-Costes M., 2012, pp. 63-70; Julier-Costes, M., 2013, pp.

125-145.4 Déchaux, J.-H., 2004, pp.17-26. 5 Lachance, J., 2013.

DOSSIER / LE DEUIL À L’ÈRE DU NUMÉRIQUEADOLESCENCE, MORT ET NUMÉRIQUE

Page 37: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 37

DOSSIER / LE DEUIL À L’ÈRE DU NUMÉRIQUEGÉRER LA MORT SUR FACEBOOK

ENTRETIEN GÉRER LA MORT SUR FACEBOOK AVEC OLIVIER GLASSEY

Comment gère-t-on un deuil sur les réseaux sociaux?De par son succès, de nombreux profils d’utilisa-teurs Facebook appartiennent à des personnesdécédées : environ 10 millions en 2015. Cela apoussé la société de Mark Zuckerberg à mettreen place différentes options de gestion de cesprofils. Depuis peu, la possibilité est donnée àchaque utilisateur de choisir de son vivant le lé-gataire de son profil. Mais si cela n’a pas été fait,il est possible de signaler à Facebook le décèsd’un utilisateur, à condition d’en apporter la preuve.Une fois cette démarche aboutie, deux optionssont alors proposées : la disparition ou la com-mémoration. Cette dernière rend la page unique-ment accessible aux gens qui étaient amis avecla personne de son vivant. Le profil devient alorsune page passive : toutes les fonctions sont dés-activées et la personne n’apparaît plus dans lesrecherches globales. Il devient une sorte de pierretombale numérique: les amis peuvent y poster desmessages au défunt ou partager des souvenirs.Dans le cas où aucune de ces démarches n’estentreprise, le profil est conservé et l’identité decette personne reste active sur le web.

Cette dernière possibilité n’engendre-t-elle pas une certaine confusion?Oui, dans la mesure où Facebook fonctionne avecdes algorithmes pour regrouper l’information inté-ressante pour chaque personne. Le défunt pour-rait alors continuer d’apparaître dans la rubrique«Connaissez-vous cette personne?», par exemple.

L’un de ses amis pourrait aussi recevoir un mes-sage de bon anniversaire préprogrammé. En ré-sumé, les données continuent d’être traitées parFacebook et vont créer des phénomènes de don-nées fantômes. Cela peut poser problème aux per-sonnes endeuillées. Cependant, chaque option degestion de la page d’une personne morte est sus-ceptible de poser problème, en fonction des sen-sibilités de chacun.

C’est-à-dire?Chaque option correspond finalement à une atti-tude personnelle face au deuil que l’on a dans lemonde réel. Si certains voient la page Facebookcomme un support au deuil disponible en touttemps et en tout lieu, indispensable à l’époque dela globalisation, d’autres vivront la présence nu-mérique du défunt comme quelque chose d’in-supportable, dans la mesure où leur deuil passepar une mise à distance

«Depuis peu, la possibilité

est donnée à chaque

utilisateur de choisir

de son vivant le légataire

de son profil. »

La manière de vivre un deuil est propre à l’éduca-tion familiale et aux valeurs que l’on nous a trans-mises. Dans nos cultures occidentales, avoir desphotos d’une personne décédée sous les yeux en

permanence peut être mal vécu alors que ce n’estpas forcément choquant dans d’autres cultures.De la même façon, l’option de suppression de lapage peut être appréciée par ceux qui ne dési-rent pas conserver trop de traces numériques duproche décédé. Pour d’autres, elle peut repré-senter un acte très chargé symboliquement, diffi-cile à réaliser.

Ces différentes manières de vivre le deuil ont toujours existé : qu’est-ce qui a changé aujourd’hui avec les réseaux sociaux?La manière dont chacun vit son deuil est plus ex-posée sur les réseaux sociaux qu’elle ne l’est dansle monde réel, où cette période se vit davantageen famille, avec ses proches, à huis clos. Au-jourd’hui, la façon dont on honore une personnedécédée est potentiellement visible via ces ré-seaux et peut choquer ceux qui ne partagent pasles mêmes pratiques.

Un raisonnement qui s’applique également au deuil collectif, comme celui qui a suivi l’attentat à Charlie Hebdo?Oui, en quelque sorte. Lors de drames collectifs,comme celui des attentats de Paris, les étapesclassiques du deuil, à savoir le choc, l’incrédulitépuis la colère ou la tristesse, sont mélangées surles réseaux sociaux. Ce mélange des différentsstades de réactions peut choquer. Un autre aspect de ce deuil collectif que je trouveplus intéressant est le fait que le choc produit parl’événement a d’abord réuni les personnes sur lesréseaux sociaux avant de les faire se retrouverphysiquement le soir. Cela démontre que le be-soin que l’on a de vivre les choses ensemble n’estpas épuisé par ces canaux de communication vir-tuels qui ne sont pas déconnectés de la vie réelle,comme on peut parfois l’entendre.

Propos recueillis par Anouk Zbinden.

Lieux d’interactions par excellence, les réseaux sociauxconstituent inévitablement un espace de gestion du deuil.En particulier les plates-formes telles que Facebook ou You-Tube, qui donnent plus de pérennité à un message que d’au-tres réseaux. Comment gère-t-on cette dimension «publique»de la perte d’un proche? Olivier Glassey, sociologue à l’Uni-versité de Lausanne, répond aux questions de Prismes.

Page 38: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

JE JOUE AVEC LES LEGO DE JULES ET IL M’ACCOMPAGNE DANS MON CŒUR.

Page 39: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 39

DOSSIER / VERS UNE RECONSTRUCTIONUN CONTE POUR ACCOMPAGNER LE DEUIL

Le conte est avant tout parole qui se dit. Il vacomme le vent, habite pour un temps la bouchequi le sert, et passe. Il traverse l’humanité en no-made. Il répond à l’angoisse fondamentale del’homme, lui révélant qui il est, quelles sont sesquestions. Le premier conte (un mythe de commencement)remonterait à l’époque des cavernes. Le sentimentde sécurité tout neuf que l’homme éprouve grâceà la domestication du feu et le confort relatif dela caverne lui font paradoxalement éprouver lacrainte des ténèbres et celle, tout aussi redouta-ble, des esprits invisibles. A se serrer autour d’unfeu, voici que la nuit devient menaçante. Racon-ter des histoires permet alors de projeter la peurà l’extérieur de soi, de la nommer, de la contrain-dre dans les limites d’une histoire, de la contrôleren l’anticipant et de l’intégrer en la répétant.

Le conte, ce men-songe

Le conte traditionnel1 se définit et se présente tou-jours comme un songe mensonger. Ce qui seconte n’est pas vrai, n’a jamais existé, n’existera ja-mais. Le mensonge en est le ressort fondamen-tal : en effet, il met en scène des événements ima-ginaires, des rôles spécifiques qui ne sont pasreprésentation d’humains (le bon roi, le jeune guer-rier, la sorcière, etc.), et qui se déroulent dans deslieux impossibles et dans un temps imaginaire quele conteur précisera avec force détails.

Mais les émotions évoquées sont, elles, bienréelles : les sentiments de haine, de peur ; la co-lère ; le désir de tuer, d’éliminer l’autre pour s’ap-proprier le trésor ; l’avidité jumelée à la peur demanquer ; le sentiment écrasant d’être trop petit,de ne jamais pouvoir y arriver, d’être impuissantdevant les événements ; la lancinante impressiond’être de trop ; la terreur de l’abandon…

«Le conte n’a pas de morale

ni de message précis

à apporter,

sinon celui de raconter

l’homme à lui-même.»

«On y retrouve une forme étonnamment creuse,étonnamment dense, où couler ses propres peurs,ses propres désirs, une sororité avec les grandesimages qui parfois assaillent l’adulte et l’enfant.[…] Ce que dit le conte à l’humain, petit ou grand,c’est cette contemporanéité des grands flux de lapeur et du désir, des stratégies que le psychismemet en œuvre pour se gérer dans son rapport aumonde.»2

Le conte thérapeutique

La mode est aujourd’hui aux «contes thérapeu-tiques » où l’intrigue reprend, de façon à peine

déguisée, des éléments de la vie du patient pourles revêtir d’habits d’imaginaire. Souvent lecontenu symbolique y est d’une grande pauvreté :cousu de fil blanc, le message est apparent et fa-cilement reconnaissable. Si la métaphore est unoutil intéressant, ce n’est pas pour autant unconte ! Le conte n’a pas de morale ni de messageprécis à apporter, sinon celui de raconter l’hommeà lui-même, en lui tendant un miroir lisse où cha-cun verra apparaître son propre visage, sans sereconnaître. En cela, il est profondément théra-peutique

Des contes sur le deuil?

La tradition populaire ne connaît que peu, voirepas de contes de deuil. On connaît de nombreuxcontes qui mettent en scène la mort, mais ils par-lent plutôt de représentation anthropomorphiquede la mort et non du deuil à proprement parler. Siles contes merveilleux ne parlent que de pertes(le héros doit tout quitter pour pouvoir le devenir),le deuil était autrefois traité par l’observance strictedes rites que les cultures traditionnelles avaientélaborés au cours des temps et où chacun savaitquel rôle il devait jouer, comment et combien detemps. Les choses ont changé : le clan a disparuau profit de la famille nucléaire qui, elle-même,s’est progressivement effacée devant l’individu.Pertes de repères, frilosité devant les référencesreligieuses, « intimisation» du mourir, on ne saitplus bien, du coup, à quoi s’adosser pour «traiter»un deuil, qui se mesure aujourd’hui à l’aune de l’in-dividu. Chacun le vit comme il peut.

Pertinence du conte comme outil de soin

Or le deuil est un processus long et complexe quilivre celui qui en est la victime à un tsunami deperceptions, d’émotions et de ressentis complexes,ambivalents et paradoxaux. Le défunt soulève dansle sillage de son irrémédiable disparition, un

UN CONTE POUR ACCOMPAGNER LE DEUIL ALIX NOBLE BURNANDLe conte est un miroir lisse où chacun verra apparaître sonvisage sans se reconnaître. Tisser un conte avec ses propresémotions permet de les nommer et de les reconnaître commelégitimes : une démarche essentielle pour traverser un deuil.Si tout un chacun peut narrer des histoires à ses enfants ouà ses élèves, ou en inventer en classe, le conte thérapeutiquedoit rester du domaine de personnes formées, capables d’ac-cueillir les émotions parfois décuplées par ce support.

Page 40: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

DOSSIER / VERS UNE RECONSTRUCTIONUN CONTE POUR ACCOMPAGNER LE DEUIL

remuement confus de rancœurs, de regrets, deculpabilités, de gratitudes, de chagrins, de re-mords, autant d’émotions difficiles à dompter età organiser. Ne pas nier ou taire ce qui s’agite aufond de soi, mais se mettre à l’écoute des émo-tions sous toutes leurs formes, les nommer et lesreconnaître comme légitimes, voilà comment onpeut traverser un deuil. Difficile pour un adulte, etencore plus pour un enfant !Le conte apporte une aide intéressante : il necraint pas l’ambivalence émotionnelle puisque,justement, il travaille avec ces émotions com-plexes qu’il organise en personnages spécifiques.Il les fait se combattre pour qu’à la fin du conte,les aspects lumineux l’emportent définitivementsur l’ombre et l’angoisse. Garantie supplémentairede sécurité : ce n’est même pas vrai !

Les cartes à conter

Lors de mes interventions dans des classes tou-chées par le deuil, j’utilise toujours un conte dela mort pour clôturer le temps de parole. Cela per-met de rassembler les émotions soulevées, de lesstructurer, et de rassembler le groupe autour d’unmoment de plaisir bienvenu.Un jour, j’ai reçu en entretien une jeune mère dontla petite fille de deux mois venait de décéder. Elleavait une autre fille de deux ans et un garçon detrois ans et demi, Jonas, qui, selon elle, «vivait malle deuil de sa petite sœur» et faisait des crises decolère qu’elle n’arrivait plus à gérer. Elle me de-mandait d’aider son fils à «faire le deuil». J’en étaisbien incapable, mais lui ai proposé de créer unconte avec Jonas et d’évaluer ensuite l’exercice.J’avais en effet créé, avec l’équipe éducative d’unfoyer, un jeu de cartes à conter (« 1, 2, 3…Contez»3), pour les jeunes enfants pris en chargepar le foyer, mais ne l’avais pas encore utilisé dansun contexte de deuil spécifique. C’était l’occasion.

«Le conte apporte une aide

intéressante : il ne craint pas

l’ambivalence émotionnelle. »

Le conte4 que nous avons créé (et enregistré) avecJonas raconte la tâche épuisante d’un chevalierqui doit surveiller cent trente-et-une princessesdurant la nuit afin d’éviter « les malheurs et les bê-tises», à savoir leur enlèvement par une sorcière.

Grâce à une flûte magique, le chevalier réussit àpoursuivre la sorcière, à la mettre hors d’état denuire, sauvant ainsi les princesses.La création du conte a soulevé de puissantes émo-tions chez Jonas. Peur, terreur même, à l’égard dela sorcière, accablement, excitation, jubilation. Jelui rappelais souvent que c’était un conte, qu’il nerisquait rien, que nous pouvions changer l’histoire.J’ai ensuite écrit le conte d’après l’enregistrement,le lui ai lu et ai pris note des modifications qu’ilsouhaitait y apporter. Le conte a été retranscritdans son cahier de contes avec mission pour samère de le lui lire aussi souvent qu’il le demandait.J’ai revu Jonas huit mois plus tard, lors d’un tempsde parole avec sa classe touchée par de nom-breux décès. Il m’a immédiatement identifiéecomme la «dame des contes» et, tout heureux, araconté à sa classe le conte que nous avions crééensemble.

Se perdre pour mieux se retrouver

Une autre expérience me permet actuellement decréer des contes avec des enfants et des adoles-cents qui ont perdu un proche décédé d’un can-cer, dans l’idée d’en faire un livre. J’utilise le mêmejeu qu’avec Jonas. Pour le moment, l’exercice estconcluant. Les enfants manifestent beaucoup deplaisir à la création du conte : les problèmes ren-contrés par leur héros et la façon dont il peut lesrésoudre, le plaisir à noircir le méchant, les scé-narios pour l’éliminer définitivement les absorbentcomplètement. Ils y projettent à l’évidence leurpropre problématique, s’y délestant de leur cul-pabilité, chargeant le méchant de leur trouble vio-lence et de leur ambivalence à l’égard du défunt. La force de l’exercice ne réside pas dans une lec-ture interprétative du conte – ce serait faire fausseroute ! –, mais dans la garantie que les émotionssoulevées sont logées dans la structure solide,contenante et sécurisante d’une histoire (mêmepas vraie !) créée avec plaisir et jubilation en rela-tion avec un adulte. Une histoire-balise, une borne,qui ancre, dans le temps et la conscience, uneforme satisfaisante donnée aux émotions para-doxales du deuil. Une histoire où se perdre pourmieux se retrouver?

Alix Noble Burnand est formatrice d’adultes, conteuse et thanato-logue (MAS en soins palliatifs et thanatologie). Elle a publié des li-vres et des CD de contes sur la mort. Son dernier livre, Au secours !mon enfant me pose des questions sur la mort, vient de paraître.(www.alixraconte.ch)

Bibliographie complète sur www.hepl.ch/prismes

Notes1 Par traditionnel, j’entends lié à la tradition orale et populaire.

Contrairement aux contes d’auteur, le conte populaire est ano-nyme.

2 Sylvie Loiseau, Les pouvoirs du conte, PUF, L’Educateur, 1992.3 A commander à la boutique www.alixraconte.ch

Pour en savoir plus sur le jeu et son utilisation : www.alixra-conte.ch/boutique

4 Le conte de Jonas dans son entier est repris dans Au secours !mon enfant me pose des questions sur la mort, paru en février2015. www.alixraconte.ch/boutique

Page 41: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 41

DOSSIER / VERS UNE RECONSTRUCTIONUN CONTE ILLUSTRÉ À LA MÉMOIRE DE LUCIEN

Lucien1 était un enfant de huit ans, amical, lumi-neux et appliqué en classe. Ses parents l’entou-raient avec bienveillance et il avait une grandesœur avec laquelle il s’entendait bien. Peu avantle drame, tous, nous avions eu un entretien, carnous étions en fin de cycle ; ce qui veut dire quenous avions passé un an et demi ensemble et quenous nous connaissions bien.

Un choc, une incompréhension, un refus même d’y croireC’est par un coup de fil du papa à la maison, aprèsNouvel-An, que j’ai appris son décès accidentel.Un choc, une incompréhension, un refus même d’ycroire. Puis des images qui défilent, déjà plus quedes souvenirs… Un enfant qui n’est pas le nôtre,mais auquel on s’est attaché et qui disparaît. C’estaussi pour moi, une vieille blessure qui se rouvre,un deuil du passé qui refait surface, une souf-france qui, durant mon enfance, n’a pas été en-tendue par mon entourage et que j’ai gardée sansarriver à en guérir. Tout cela remonte très fort enmoi. Je me pose plein de questions : commentsoutenir (accompagner?) mes élèves, ses cama-rades, ses amis? Je ne veux pas qu’ils vivent avecdes non-dits comme cela a été le cas pour moi.

L’angoisse de la rentrée : un entourage soutenantUne rentrée qui se profile… très angoissante. Com-ment faire pour bien faire? Comment accueillir lescamarades? Seront-ils au courant? Que dire et nepas dire? A la fin des vacances, j’ai eu plusieurstéléphones avec ma doyenne, très à l’écoute et ai-dante, dès que la nouvelle est tombée. Mon direc-teur m’a aussi appelée et m’a assurée de sa dis-ponibilité si nécessaire. Des collègues ont fait

preuve d’amitié, de soutien et m’ont envoyé desmails auxquels je ne m’attendais pas et qui m’ontfait du bien. Un rendez-vous a été organisé avecles enseignants, le pasteur et le papa pour parlerde ce qui s’était passé, et trouver une façon d’ac-cueillir au mieux les enfants de la classe de sasœur et les miens. Le pasteur est venu en classependant la semaine pour parler aux enfants. Lesparents m’ont proposé d’aller une dernière fois voirleur fils reposant dans sa chambre. Mais c’était tropdur pour moi. J’ai préféré garder l’image vivantede ce petit loulou avec son sourire d’ange. Le jour de la rentrée, mon directeur, une psycho-logue et ma collègue étaient dans la classe pourpréparer l’arrivée des enfants. Voir sa place videet savoir qu’elle ne serait plus occupée a été unchoc. Il fallait enlever ses affaires, ses cahiers, sonvestiaire, son tablier, ses pantoufles. Ma collègues’en est gentiment chargée, car c’était trop diffi-cile pour moi. Ensuite, nous avons déplacé unetable pour la mettre vers le mur et y avons placéune bougie en sa mémoire. Un cahier était là aussipour que chacun puisse écrire ou dessiner ce qu’ilavait besoin de partager. La sonnerie a retenti etnous sommes tous descendus chercher mesélèves. J’étais terrifiée. La psychologue a géré ledébut de la matinée et a permis aux enfants des’exprimer jusqu’à la récréation.

Un conte pour dire adieu et retrouver le fil de la vieL’enterrement a eu lieu le jeudi. Des collègues, desmembres de la direction, des élèves et une fouleimmense y assistaient. Ses parents et sa sœur ontparlé de lui en termes magnifiques et émouvants.Une famille unie, aux ressources incroyables, et qui

a souhaité que la collecte soit en faveur des en-fants de l’arrondissement pour réaliser un projet ensa mémoire : ils ont proposé à Alix Noble2 d’écrireun conte. Sa sœur l’a admirablement bien illustré.Puis le livret a été distribué à tous mes élèves, ainsiqu’à toutes les maîtresses de la commune pour quenous puissions le lire à nos élèves.A l’école, tous les matins, nous avons continué àallumer la bougie et à prendre du temps pour par-ler de Lucien et de nos ressentis, selon les besoinsdes enfants, même si parfois c’était difficile. Quevont-ils raconter? Comment l’accueillir? Je me sen-tais démunie et j’avais surtout peur d’être mal-adroite ou de blesser un enfant. Nous sommesallés une fois sur sa tombe avec les enfants qui ledésiraient, les autres sont restés en classe avecma collègue. Lorsque nous nous y sommes ren-dus, la maman est arrivée avec une proche, ce quinous a permis de partager un beau moment.Le temps passait. Combien de temps fallait-il en-core avant de «boucler» le cahier, les dessins etles bricolages des enfants, en ne brusquant per-sonne, mais sans prolonger indéfiniment ce deuil?Après plus d’un mois, la psychologue est revenueet nous avons réuni tout ce que les enfants avaientproduit pour leur camarade et sa famille. Elle a prisle temps de tout lire et a mis les productions, lesunes après les autres, dans un carton que nousavions préparé pour le donner aux parents. Ma col-lègue avait décoré ce carton et attaché un rubanpour clore notre deuil. Nous n’oublierons jamais Lu-cien avec qui nous avons partagé tant de choses.Epuisée par tant d’émotions, j’ai eu besoin d’untemps de récupération pour ne pas finir en bur-nout. J’ai été très touchée par la compréhensionde ma doyenne et de mon directeur et j’ai eu l’im-pression d’être reconnue dans la souffrance vécueà travers ce drame.

Hélène Delannoy est enseignante.

Notes1 Prénom fictif.2 Cf. Article d’Alix Noble Burnand dans ce numéro, «Un conte pour

accompagner le deuil », pp. 39-40.

TÉMOIGNAGE UN CONTE ILLUSTRÉ À LA MÉMOIRE DE LUCIEN HÉLÈNE DELANNOYCe témoignage montre à quel point une enseignante peuts’attacher à ses élèves après une année et demie de «viecommune» et par conséquent vivre de manière très forte ledeuil de cet enfant. Il montre aussi des formes de ritualisa-tions possibles pour les enseignants.

Page 42: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

DOSSIER / VERS UNE RECONSTRUCTIONUN ENFANT DIFFÉRENT, DES DEUILS EN PERSPECTIVE : L’EXPÉRIENCE MISE EN MOTS ACCOMPAGNE

Ce sont parfois de véritables tsunamis qui sur-gissent dans nos vies. Chaque personne appor-tera sa propre réponse à cette confrontation. L’ex-périence vécue peut devenir un socle de laconnaissance en lui donnant une forme et un sens,ou restera dans le monde du sensible.

Tremblement, bras qui en tombent…et les mots

Approchons la narration singulière de personnesqui ont rencontré l’épreuve commune d’être pa-rents d’un enfant différent. Pour Martucelli1, le récitde cette épreuve est une biographie «extrospec-tive», qui est « intermédiaire entre l’histoire col-lective et l’expérience personnelle […] face à touteépreuve, les acteurs peuvent en s’y mesurant réus-sir ou échouer, ce qui donne forme justement, àleur histoire personnelle». Ce récit d’un proces-sus de deuil est porteur d’apprentissage sur notrehistoire collective et notre rapport aux autres.Plonger dans l’écriture permet parfois de se relierà ce qui vient. De spontanée, l’expérience devientraisonnée, adressée. Les traces qui en résultent,via les récits, autobiographies ou blogues quenous avons considérés, sont des partages de com-préhensions, des bouées de sauvetage parfoisproposées à d’autres. Pour Meirieu2, «écrire, […][c’est] se relier un moment à des êtres qu’on ne

voit pas, […] avec qui, pourtant, on a besoin ouenvie d’entrer en relation. Mais une relation d’untype particulier : car, pour écrire, il faut surseoir.Surseoir à la réaction immédiate, au débordementd’affection comme au cri et à l’injure. […] Surseoiraussi au désir, toujours très fort, d’avoir une ré-ponse dans l’instant. » Pour la lectrice ou le lecteur de ces expressionsbiographiques, pris ou non dans les rouleaux detelles vagues, lire lui permet d’entrer dans l’in-trospection de ces vécus «ordinaires», dans lesconnaissances élaborées à partir de pertes per-sonnelles. L’écriture comme la lecture de ces ex-périences d’une différence vécue font de nous destémoins privilégiés d’une époque et de ses enjeux.La professionnelle ou le professionnel y trouveraun moyen d’enrichir la palette de ses compétencespar la rencontre avec une subjectivité, s’immer-gera dans la complexité d’une réalité singulière,occasion souvent d’interroger sa posture et sonimplication3.

Donner du sens à une perte

Nous entendons ici le deuil dans une double si-gnification, d’une part une réaction émotionnelleet affective à la perte d’un objet ou d’une personnequi a un sens dans sa vie (être en deuil), d’autrepart un processus interne de détachement et de

renoncement à l’objet perdu (travail de deuil)4. Ceprocessus psychologique, gourmand en énergie,ne concerne pas que la mort. Freud l’indiquaitdans Deuil et mélancolie : «Le deuil est régulière-ment la réaction à la perte d’une personne aiméeou d’une abstraction venue à sa place comme lapatrie, la liberté, un idéal. » «La nécessité du deuildépasse les cas de perte par décès pour incluretoutes les situations où l’on se trouve blessé, né-gligé ou déçu.» Tout changement significatif (sé-paration, divorce, rupture scolaire, déménage-ment…) peut revêtir les traits d’un deuil. Expériencede vulnérabilité, la perte interpelle nos ressourcesadaptatives et notre impuissance. Ce «travail» estincontournable. Comme le dit Fauré5, « le deuil estun processus naturel et personne ne peut en fairel’économie». L’auteur rappelle que le deuil a «pourfinalité de donner sens à ce qui vient de se pas-ser, à ce déchirement dont il faut coûte que coûtecombattre l’absurdité».

Se détacher de l’enfant idéal : un chemin de deuil

En considérant le vécu des proches d’un enfantporteur d’un handicap ou d’une différence, nouspouvons reconnaître qu’à cet attachement quiprend corps souvent déjà au cours de la gros-sesse succède une forme d’arrachement qui s’as-socie à une forme de détachement d’un enfantidéal, de cette image marquée du sceau de laconformité exigé par nos sociétés postmodernes.Accepter l’autre tel qu’il est et non pas exactementtel qu’il a été imaginé représente un défi pour toutmembre de la famille. Même si la spécificité etl’unicité sont reconnues comme des valeurs su-prêmes, sortir du lot du fait d’un trouble psychiqueou physique ne fait pas partie du programme rêvé.Performance, excellence et compétitivité cligno-tent dans toutes les rues de nos vies. Mercier re-lève qu’aux «personnes tributaires de handicaps»,

UN ENFANT DIFFÉRENT, DES DEUILS EN PERSPECTIVE : L’EXPÉRIENCE MISEEN MOTS ACCOMPAGNE GENEVIÈVE TSCHOPPDans son parcours de clinicienne, formatrice et chercheuse,Geneviève Tschopp a été amenée à explorer la formation ex-périentielle et à se reposer les questions : Que nous ap-prennent ces récits de vie ? Comment l’expérience peut-elledevenir formatrice ? Par quelles traces et mises en forme ?Comment les associer à nos pratiques ? C’est ainsi qu’elleévoque des récits de parents d’enfants différents.

Page 43: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 43

on « inflige des images de non-performance, denon-rentabilité, de manque de productivité»6. Cesattitudes sont présentes également dans le mondede l’école et de la formation, malgré les bonnesintentions, les pratiques d’ouverture ou les déci-sions politiques soutenant l’intégration.Cet enfant sera exposé à de nombreuses pra-tiques et représentations sociales qui auraient ten-dance à l’exclure. Les limites à son développementphysique ou psychique seront comme autant debarrières sur son chemin. Notre pratique d’ac-compagnement nous a montré que l’ensemble desréactions d’ajustement à cette perte d’un enfant«normal» est voisin du deuil suite au décès d’unêtre cher. En bien des points, les phases identi-fiées, les enjeux associés et les comportementsde la personne endeuillée sont semblables. A lasuite de Deslauriers, Tschopp relève que la tran-sition – ou, dit autrement, le vécu intérieur du chan-gement – se décline en trois temps : la rupture,l’errance (désorganisation) et la relance7.La non-reconnaissance de ces pertes liées au dé-veloppement de l’enfant, petit à petit, va chargerle bateau par un effet d’addition. Ces blessuressuspendent le quotidien, renvoient aux multiplici-tés qui nous composent, au questionnement del’altérité. Ainsi, ce qui peut devenir une véritablerencontre avec la différence peut nous altérer,nous transformer dans notre conscience propre,dans notre rapport aux autres et au monde.

Retour à la pratique et à la formation

Dans nos métiers de l’humain, nous ne pouvonspas, à l’évidence, «faire le deuil» à la place de l’au-tre, mais nous nous trouvons convoqués à la tablede ces arrachements, formes d’exil de soi, que vi-vent ces parents, cet enfant «pas comme les au-tres» et ses frères et sœurs : invitation à travaillernotre rapport à la norme. Cifali se pose la ques-tion suivante : «Comment accompagner une per-sonne pour que sa différence n’empoisonne passa vie, pour que sa caractéristique devienne ri-chesse et non faiblesse? Voilà l’enjeu.»8

L’enfant lui-même, ses parents, sa fratrie en saventbeaucoup sur le handicap et sur ces processus dedeuil. Les pratiques enseignantes auraient tout àgagner à s’adresser en premier lieu aux parents d’unenfant différent afin de bénéficier de leur savoird’expérience. Cela n’exclut bien sûr pas le recoursà des collègues ou professionnels compétents.

A la suite de leur lecture de récits de proches d’unenfant différent, les personnes en formation iden-tifient des apprentissages significatifs comme lacapacité d’être attentives aux écueils qui surgis-sent sur le chemin, l’appropriation d’une approchenouvelle de la diversité des besoins et des situa-tions, la compréhension et la reconnaissance d’uneculture propre. Elles acquièrent en outre une autremanière d’appréhender la relation à cet enfant età sa famille ainsi que la faculté d’ajuster leur pos-ture pour devenir peut-être tutrices de résiliencepour un tel enfant. C’est sous un nouveau jourqu’elles apprécient le partenariat entre l’école, lesfamilles et les structures spécialisées. En colla-boration avec ces actrices et ces acteurs, nouspourrons nous approcher de notre but. Selon Mer-cier, « l’école devrait être un lieu d’accomplisse-ment intellectuel, affectif et social qui respecte lesspécificités de chacun»9. Ainsi, nous rêvons à desstructures institutionnelles qui pourraient sus-pendre leur normalisation abusive, susciter l’ex-pression des bénéficiaires et de leurs familles ets’adapter aux besoins de tout enfant, valide ounon, avec ses capacités particulières, ses spéci-ficités culturelles, sociales et identitaires.Professionnelles et professionnels, tendons l’oreilleà ces voix qui aimeraient s’élever, lisons leurs ré-cits qui évoquent leurs traversées de deuils, leursmobilisations de ressources, leurs stratégies in-soupçonnées, pour une reliance à inventer et pourun partage du pouvoir et du savoir-agir.

Geneviève Tschopp est professeure formatrice à la HEP Vaud.

Bibliographie sur www.hepl.ch/prismes

Notes1 Martucelli, 2013, p. 116.2 Meirieu, 2007, p. 16.3 Le titre de cette contribution s’approche de celui d’une jour-

née de formation du master en éducation précoce spécialisée,sous la responsabilité de Sylviane Bottlang à la HEP Vaud: «Unenfant différent, des deuils en perspective. Comment accom-pagner l’enfant et sa famille dans ce processus?».

4 Hanus, 1994.5 Fauré, 1995.6 Mercier, 2007, p. 163.7 Tschopp, 2014; repris de Deslauriers, 2003.8 Cifali, 2006, p. 18.9 Mercier, 2007, p. 170.10 Ruillier, J. (2009). Le cœur-enclume. Paris: Ed. Sarbacane. 11 Toulmé, F. (2014). Ce n’est pas toi que j’attendais. Paris: Ed. Del-

court.

DOSSIER / VERS UNE RECONSTRUCTIONUN ENFANT DIFFÉRENT, DES DEUILS EN PERSPECTIVE : L’EXPÉRIENCE MISE EN MOTS ACCOMPAGNE

Deux papas ont choisi les bulles de bandesdessinées et les mots qui les accompagnenttirés de deux ouvrages pour faire une placedans leur histoire à leur enfant handicapé etpartager leurs craintes10. Ecoutons FabienToulmé11, un de ces auteurs, nous parler desa démarche.« Lorsque j’ai démarré l’écriture du livre, j’aisouhaité à tout prix éviter d’en faire un livrelarmoyant qui n’aurait inspiré que la pitié. J’aiabordé ce livre comme un journal, un repor-tage qui raconte comment je me suis rap-proché de ma fille jusqu’à l’aimer comme jen’aurais pu l’imaginer à sa naissance.Il ne s’agit pas d’un livre qui parle de la tri-somie, mais plus du sentiment, qui me paraîtuniversel, de l’acceptation de la différencesurtout lorsqu’elle concerne un proche. Cer-tains parents d’enfants non handicapés m’ontégalement dit s’être retrouvés dans mon his-toire.J’ai donc raconté les moments tristes, maiségalement les moments drôles et je suis raviquand on me dit que mon livre a fait rire. Laquestion du handicap est un formidable pour-voyeur de belles histoires, pour autant qu’onarrive à ne pas tomber dans le piège du pa-thos et de la complaisance. »

Page 44: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

« Ce que nous, adultes, ne serions pas capablesde supporter et que nous jugerions sûrement in-tolérable et sans issue, eux, les enfants, en fontun chemin de vie. »1 Le chemin de vie de Skëndermérite d’être évoqué. Décédé l’été dernier, il étaitatteint d’une myopathie de Duchenne, maladie pro-voquant une dégénérescence des muscles. Mal-gré maints obstacles, il avait pu aller à l’écolecomme les autres enfants et son combat, ses vic-toires, ses soucis étaient devenus peu à peu ceuxde son entourage.

Des deuils à répétition

L’histoire de Skënder est ponctuée de pertes, deruptures, de deuils successifs. L’évolution de lamaladie a engendré une succession de terriblesannonces : impossibilité de marcher, insuffisance

respiratoire, cardiomyopathie…

Le fauteuil roulant

A 9 ans, la marche était impossible, et utiliser le fau-teuil roulant a été vécu comme une honte, dans unerégion où les personnes en situation de handicapvivent souvent cachées. Skënder avait peur du re-gard des autres et se sentait coupable d’entraînerses parents dans son malheur: «Avant, quand j’étaispetit, je marchais dans le quartier. Maintenant, si jedois sortir en chaise, c’est la honte !»Il avait besoin d’échanger avec des personnes ex-térieures à sa famille. Il a fallu apprendre à voir cequi avait changé, mais aussi ce qui faisait qu’il res-tait le même, malgré l’évolution de la maladie. Il afallu faire le deuil de la vie d’avant, car s’installaitdorénavant la conscience d’être «handicapé». Lasolidarité a permis d’organiser rencontres, des-sins, discussions et grande fête lorsqu’il a obtenule «permis de conduire pour fauteuil roulant élec-trique» et son nouvel engin ! La parole s’était

quelque peu libérée autour de la «maladie» et du«handicap».

L’impossibilité d’aller en classe etl’école à la maison

Une insuffisance respiratoire ainsi qu’une atteintecardiaque ont eu raison de sa scolarité : troublesdu sommeil, fatigue, immobilité… A 11 ans, pourtantadmiré et apprécié de tous, Skënder a dû rester àla maison. Deuxième grande perte : le rêve del’école s’envolait. Durant un spectacle, l’année pré-cédente, il avait récité un poème: «Je prie les ma-giciens du monde, s’ils veulent devenir mes amis,de m’offrir une baguette magique…»2 Aucune ba-guette ne semblait pouvoir modifier le cours deschoses! Les élèves et l’enseignante décidèrent dese rendre deux fois par semaine à domicile, durantune année, par petits groupes, pour discuter, jouer,étudier. Un vrai projet de classe qui a permis del’accompagner, de vivre de bons moments à sescôtés, de suivre l’évolution de sa maladie. Durantcette période, les élèves se sont préparés à la sé-paration, comprenant progressivement l’irréversi-bilité de la situation. Ils ont pu exprimer leurs émo-tions et lui témoigner affection et soutien.L’enseignante lui donna même son carnet de notes,avec d’excellents résultats. Le maintien du projetscolaire, aussi minime fût-il, s’avérait essentiel.

LORSQUE S’ENVOLE LE RÊVE DEL’ÉCOLE : VIVRE AVEC UNE MYOPATHIE,EN ALBANIE ANNE RODI

DOSSIER / VERS UNE RECONSTRUCTIONLORSQUE S’ENVOLE LE RÊVE DE L’ÉCOLE: VIVRE AVEC UNE MYOPATHIE, EN ALBANIE

De 2003 à 2013, la HEP a collaboré au développement de lapédagogie spécialisée en Albanie, contribuant à la mise enœuvre de diverses formations destinées aux professionnelset aux parents de personnes en situation de handicap. Dansce contexte, de nombreux enfants ont été accompagnés. Voicil’histoire de Skënder.

« La première fois avec ma chaise roulante… » «Avec les copains, on y va !» «Quand l’enseignante vient me trouver…» «A la mer…»

Page 45: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 45

DOSSIER / VERS UNE RECONSTRUCTIONLORSQUE S’ENVOLE LE RÊVE DE L’ÉCOLE: VIVRE AVEC UNE MYOPATHIE, EN ALBANIE

Angoisses, questions, tristesse et espoir

Skënder a traversé de nombreux «pays du deuil»3 :choc, soulagement, souffrance, colère, tristesse,regrets, culpabilité, impuissance ou honte. Sespeurs ont été multiples et sa table de nuit s’esttransformée en véritable autel où robots protec-teurs côtoyaient statue religieuse, photo d’une phy-sio, capteur de rêves et dessins des copains. Il fal-lait se rassurer, espérer malgré un inconfortphysique croissant. Skënder a développé ses pro-pres ressources pour surmonter ses angoisses etsoulager sa mère souvent en pleurs et son pèresecoué par de fréquents accès de colère. «Ac-compagner un enfant qui va mourir, c’est aussi ac-cueillir ses questions sur ses transformations phy-siques et les sentiments ou les émotions qu’ellesentraînent»4, souligne Muriel Derome. Il s’agissaitde répondre aux questions, sans les anticiper, avechonnêteté. Au côté de sa mère, Skënder a pro-gressivement appris à ne plus lutter contre la ma-ladie, mais à « faire avec». La tristesse s’est ins-tallée, douloureux voile dans le regard, et avec sonentourage, il a continué à cheminer. Il a appris àvivre «dans l’ici, maintenant». Jouir pleinement du

présent : profiter d’une rencontre au-delà de ladouleur ou de l’inconfort, juste parce qu’elle étaitimportante, parce qu’il lui donnait de la valeur. Comme Oscar dans l’ouvrage de Schmitt5, il a dis-tingué «souffrance» et «souffrance» : souffrancephysique que l’on subit et à laquelle on doit faireface et souffrance morale que l’on choisit dans lamesure où elle dépend de l’importance qu’on veutbien lui accorder. Mais sa force était enracinéedans l’espoir des progrès de la médecine. Avec sa famille, il a suivi l’évolution de la rechercheet les peluches du Téléthon, alignées sur ses éta-gères, lui rappelaient qu’on ne l’oubliait pas. Son es-poir s’est concrétisé en six lettres, trois jours avantson décès: Catena. Un nouveau médicament étaitenfin disponible. Conscient qu’il ne le guérirait pas,mais qu’il pourrait le soulager, heureux d’avoir étépromu en 6e année, ravi d’avoir fêté ses douze ans,épuisé, mais apaisé, Skënder s’en est allé.

Et après?

La vie auprès de Skënder a enrichi enfants etadultes. La douleur, à sa mort, a été intense. Selonla tradition dans cette région, aucun enfant n’était

présent à son ensevelissement. A la rentrée sco-laire, la vie a repris autrement et nous sommes re-tournés chez ses proches, dans sa classe. L’en-seignante a organisé une fête en décembre pourles élèves et leur famille. Les parents et la sœurde Skënder étaient de la partie, car il a montré àtous l’importance de s’unir pour cheminer ; dechercher des solutions même lorsque manquentles moyens ; de gérer nos incertitudes, nos mala-dresses et nos malaises ; d’accepter les limites denos actions tout en demeurant sensibles et deprendre le risque d’aimer, même lorsque les an-nées semblent comptées… Grâce à lui, nous n’ou-blierons jamais que « la douleur d’une perte vientdu bonheur d’avoir pu profiter d’une présence…»6

Anne Rodi est chargée d’enseignement à la HEP Vaud, dans l’unitéd’enseignement et de recherche pédagogie spécialisée. Elle a étécoresponsable du projet de formation des éducateurs et des en-seignants spécialisés en Albanie de 2001 à 2013.

Notes1 Derome, M., 2014a, p. 17.2 Rifat Kukaj. In V. Lami, D. Minxolli & A. Rodi (2013). Une heure

avec… Vlorë : Triptik, p. 112.3 Derome, M., 2014b. 4 Derome, M. 2014a, p. 166.5 Schmitt, E.-E., 2002.6 Piccard, B., 2014, p. 237.

– Mon père est nerveux. Il crie, frappe maman.Mais c’est à cause de moi. C’est parce que jesuis malade, ça le stresse beaucoup.

Nous avions discuté de sa famille, de la maladieet du fait qu’il n’était pas responsable de cettesituation. Il m’interrogeait malgré sa grande fa-tigue :– Comment font les enfants qui sont malades

comme moi, en Suisse? Tu sais, j’ai très peur…– Je crois qu’eux aussi ont peur. C’est la même

chose. Mais de quoi as-tu peur?– Je n’arrive pas à respirer, ça me stresse.– Oui, c’est angoissant quand on ne respire pas

bien.– Qu’est-ce qu’ils font, en Suisse, ces enfants…?Oh! Skënder, ai-je pensé, ils disposent de soins

performants, d’aide respiratoire adaptée, d’unenvironnement certainement plus propice. Quepuis-je t’offrir ici, avec si peu de moyens?– S’ils sont très angoissés, ils utilisent une tech-

nique spéciale…– Ah oui?– Pour ça, tu dois penser très fort à quelque

chose qui te plaît, que tu as beaucoup aimé.– Les vacances à la mer, à Sarandë. J’aimerais

bien y retourner !

Et l’on s’est inventé une histoire, en souvenir devacances passées, pour se relaxer. Il faudrait ypenser chaque fois que l’angoisse augmente :une bien maigre consolation pour faire face à lamaladie. Skënder a fermé les yeux, s’est tran-quillisé. Plus tard, il a poursuivi :

– Et en Suisse, ces enfants, qu’est-ce qu’ils font,ils deviennent grands?

Sur quel chemin allons-nous? Que dire ou ne pasdire?– Comme partout ! Ils pensent à ce qu’ils aime-

raient faire plus tard. Et toi, à quoi penses-tu?– Tu sais bien ! Moi, je veux être député ou avo-

cat. Enfin, les deux à la fois, car on peut êtreavocat de métier et élu par le peuple commedéputé.

Petit sourire forcé, entre deux respirations ma-laisées :

– Merci. C’est sympa de venir me voir. Vous avezfait une longue route, rien que pour moi. Ça mefait plaisir. C’est gentil que les étudiantes res-tent un peu avec ma petite sœur.

– On aime venir te voir. Il fallait que ces étudianteste connaissent, car tu es un garçon formidable.Tu es très courageux…

DIALOGUE AVEC SKËNDER…

Albanie: été 2014. Le père de Skënder, accompagné de son frère, entre dans la pièce où les femmes pleu-rent, serrées autour du cercueil. Il est effondré. Il a tout perdu. Au chômage depuis des années, il netravaille plus et les violences familiales, arrosées de raki, rythment le quotidien familial. Deux jours avantde nous quitter, Skënder confiait :

Page 46: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

LA FORCE ET LE COURAGE QUE JULES M’A TRANSMIS M’AIDENT À PROFITER PLEINEMENT DE LA VIE.

Page 47: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 47

DOSSIER / VERS UNE RECONSTRUCTION« NOUS AVONS PERDU UNE COLLÈGUE ! »

ENTRETIEN « NOUS AVONS PERDUUNE COLLÈGUE ! »

Comment s’est passée l’annonce du décès deSophie, par rapport à l’établissement?Valérie Renevey, enseignante de classe 3-4P.Nous avons reçu un mail du directeur (qui avaitété averti par la maman de notre collègue). J’avaismoi-même averti ma doyenne, car j’avais appris lanouvelle par la famille, Sophie étant une amie. Lemardi matin, selon le conseil de la doyenne, je nesuis pas allée à l’école, me sentant trop mal et nesouhaitant pas me présenter dans cet état émo-tionnel devant mes élèves.Véronique Auteri, enseignante de classe 1-2P.J’étais en congé maternité à ce moment-là. J’aiappris que ça n’allait pas le vendredi précédant ledécès de Sophie. Le mardi, je me suis rendue àl’école pour être avec mes collègues et les sou-tenir. Dès le matin, plusieurs personnes étaientprésentes : le directeur, la doyenne, les psycho-logues. Ce sont ces derniers qui se sont occupésde l’annonce aux enfants. Une psychologue s’estoccupée des élèves des autres classes et undeuxième thérapeute a accompagné les élèvesde Sophie.Régina Aeschlimann, enseignante de classe 1-2P.J’étais aussi en congé maternité, mon fils est nésept jours avant le décès de Sophie. Je suis venueauprès de mes collègues au collège et j’ai béné-ficié du soutien du psychologue présent pour lesenseignantes.Isabelle Comelli, enseignante de classe 1-2P etde cours intensif de français (CIF). La prise encharge a été assez extraordinaire : je n’ai pas eud’informations durant le week-end, travaillant de-

puis peu de temps dans ce collège, mais quandje suis arrivée le mardi matin, le directeur était làaux premières heures, avec le psychologue, pournous accueillir à la salle des maîtres. Puis, ils ontaccueilli les élèves et sont passés dans toutes lesclasses. Le psychologue était à la disposition dela classe de Sophie. Plusieurs collègues étaientdans un état émotionnel très difficile. On a bienpu s’organiser entre les collègues qui étaient trèsproches de Sophie et celles qui la connaissaientmoins et qui ont pu prendre en charge les classes.Nous avons eu beaucoup de disponibilité etd’écoute. Psychologues, directeur et doyennes sesont relayés durant toute la semaine et nous avonsapprécié ce soutien

Avez-vous vécu un événement en lien avec lacommémoration ou le souvenir du décès devotre collègue?Valérie Renevey. Effectivement, venant de la di-rection, une proposition a été faite de planter unarbre avec les élèves et les collègues. La mamande Sophie était présente ce jour-là. Avec Régina,nous avions souhaité personnaliser cette céré-monie par la rédaction d’un texte avec des anec-dotes autour de souvenirs de la vie profession-nelle et amicale partagée avec Sophie. Nousavions sollicité toutes les collègues, nous aper-cevant dans ce moment d’échange que nousavions des réactions différentes face à la mort.Cela avait créé une certaine tension alors quenous souffrions toutes de cette situation, maisnous avions des approches variées. De plus, les

avis divergeaient sur les actions à entreprendre :placer une photo à la salle des maîtres, organiserune cérémonie… Pour plusieurs d’entre nous, trèstouchées à ce moment-là, il n’était pas évident detrouver la distance nécessaire.Véronique Auteri. Une cérémonie a eu lieu avecles élèves dans la cour. Nous avions lu des textes.Le directeur était présent, la maman de Sophieégalement.Régina Aeschlimann. Les enfants avaient préparédes lettres avec «ce qu’ils avaient envie de dire àleur enseignante» : ces textes déposés dans uneboîte ont été remis à la maman de Sophie.Que reste-t-il de cette expérience vécue dans lecollège?Valérie Renevey. Maintenant, nous n’avons plus lesélèves qui étaient présents au moment de ce deuil.Mais à l’époque plusieurs élèves passaient pournous en parler ou revenaient après avoir quitté lecollège. Du côté des collègues, il est vrai que nousévoquons encore souvent le souvenir de Sophie,mais les réactions sont contrastées d’une ensei-gnante à l’autre. Pour plusieurs, il s’agirait de «tour-ner la page».Véronique Auteri. Avec Sophie, nous nous enten-dions bien, nous nous voyions également en de-hors de l’école, donc ce fut un gros choc. Et sur-tout après, de revenir, de prendre conscience deson absence, c’était très dur. Nous ne sommesplus que trois collègues aujourd’hui dans le col-lège qui avons vécu cet événement. Il nous arrived’en reparler, les nouvelles collègues nous ques-tionnent et nous pouvons nous remémorer lesbons moments que nous avons vécus avec elle,cela fait du bien.Régina Aeschlimann. L’expérience a été assez dif-ficile à Montagny, car quand nous vivons un décès,nous sommes surpris de la réaction des per-sonnes et il y avait des degrés de réaction très dif-férents. Certaines collègues ne voyaient pas pour-quoi on en faisait autant. Pour trois d’entre nous,très touchées par ce deuil, ces réactions pourtantcompréhensibles n’ont pas été évidentes à vivre.

Propos recueillis par Alain Chaubert.

AVEC VALÉRIE RENEVEY, VÉRONIQUE AUTERI, RÉGINA

AESCHLIMANN ET ISABELLE COMELLI

Il y a sept ans, Sophie, une enseignante de classe 5-6P aucollège de Montagny, à Yverdon-les-Bains, est morte bruta-lement un lundi de Pentecôte. Le lendemain, ses collègueset ses élèves, comme les autres élèves de l’école, appre-naient son décès. Quatre collègues ont accepté de se re-mémorer cet événement et de répondre à quelquesquestions.

Page 48: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Emile est trop petit, hélas, pour voir son père mou-rir. L’enseignante a le sang glacé, elle ne sait plusquoi dire, plus comment faire, la classe doit com-mencer. «On en reparlera plus tard, tes amis sonttous arrivés.» Et plus tard, c’est trop tard. Elle nese sentait pas bien pour rassurer Emile, alors ellen’est pas revenue sur sa confidence. Le papad’Emile est mort, Emile ne sait plus à qui en parler.

Rechercher une information claire surla maladie et sa gravité

Louise vit seule avec sa mère. Elle a dit un jour quesa mère était malade. Son enseignante lui a reflétéson empathie sans savoir que c’était une maladiegrave, très grave: un cancer généralisé qui risquaità tout moment d’être fatal. Elle n’avait pas oséposer des questions. Mais elle aurait pu… Les en-seignants partagent la vie de nos enfants et denos adolescents. Ils occupent une place de choixpour l’observation et pour accueillir les confi-dences. Louise n’en a pas dit plus, elle se disaitque son enseignante avait compris. Elle ne savaitpas pourquoi celle-ci ne lui demandait pas d’in-formations sur l’état de sa mère. Louise n’écoutait

pas beaucoup en classe et se faisait souvent ré-primander. Madame Isabelle n’a jamais repensé àce court témoignage, croyant que c’était d’unegrippe qu’on parlait !

«Les enseignants occupent une

place de choix pour l’observation et

pour accueillir les confidences. »

Maladie, bobo, a mal… ce sont des termes souventnommés aux enfants à l’annonce de la maladied’un proche. Ce sont les termes qu’ils utiliseront.Mais quand on côtoie ces élèves, tenter de savoirle nom et la gravité de la maladie peut s’avérertrès utile. Avec la bonne information, il sera plus-facile de demander à l’enfant ou à l’adolescent cedont il a besoin pour être plus confortable à l’école.Cela permettra aussi de discuter avec les parentsafin de bien saisir la situation et de voir quel sou-tien peut leur être apporté. Certains enfants veu-lent en informer leur classe, d’autres souhaitent lesilence pour ne pas pleurer à l’école. Il faut alorsaccompagner l’élève dans son désir tout en l’in-formant qu’il est presque inévitable que l’infor-mation circule. En effet, maintenant tout se sait

très vite, mais parfois la vérité est transformée. Ilest alors très pertinent que l’enseignant soit at-tentif à l’élève pour qu’il parle de ce qu’il entendsur son histoire dans l’autobus ou la cour d’écoleafin de mieux recadrer le tout dans l’école. Par exemple, un élève se faisait dire dans la courd’école qu’il était contagieux de la maladie de samère. S’il n’avait pas établi de communication àl’égard de ce vécu avec son enseignant, ce der-nier n’aurait pas pu faire le tour des classes pourexpliquer que la sclérose en plaques n’est pas unemaladie contagieuse. Il est toujours bon d’établiravec l’élève un système pour mieux connaître l’évo-lution de la maladie. Cela peut être un chiffre ré-sumant la gravité. Peu importe l’entente, il est bonde rassembler des informations, car la maladiegrave d’un proche a un impact très important surles jeunes, qui vivent souvent beaucoup d’insta-bilité, de gardiennage, de peurs, de doutes, d’émo-tions. Leur quotidien est bouleversé et ils souhai-tent retrouver leur vie d’avant. Ils vivent la fatalitéparfois au compte-gouttes, ce qui peut affecter lerendement scolaire, le comportement, l’attention,les notes. Donc plus l’enseignant connaîtra ce quevit l’élève, plus il pourra lui en parler et s’ajuster àses besoins.

«Les enseignants ont

un rôle primordial dans

l’accompagnement, mais souvent

ils sentent la tâche trop

importante. »

Joanie est revenue à l’école comme tous les au-tres après le congé de Noël. A l’intérieur d’elle, elleporte une grande blessure : sa sœur est mortedans un accident d’automobile le premier jour del’année. Contrairement à son ami Samuel à qui toutle monde portait attention, car il avait une jambecassée, elle, personne ne lui posait de questions.

ACCOMPAGNER À L’ÉCOLE LES JEUNES QUI VIVENT LA MALADIEGRAVE OU LA MORT D’UN PROCHE JOSÉE MASSONLes enseignantes et les enseignants sont touchés par lesépreuves de leurs élèves ainsi que dans leur vécu person-nel. Ils ont souvent peur d’être inadéquats. C’est le résultatd’un tabou de la mort qui amène les adultes à vivre un pro-fond malaise lorsque les mots deuil et jeune se côtoient dansla même phrase. Josée Masson propose quelques points derepère pour l’enseignant et montre par l’évocation de plu-sieurs situations vécues que la difficulté est de trouver legeste ou le mot encourageant au bon moment.

« MADAME NADINE, MON PAPA VA MOURIR… » Emilie, huit ans1

DOSSIER / VERS UNE RECONSTRUCTIONACCOMPAGNER À L’ÉCOLE LES JEUNES QUI VIVENT LA MALADIE GRAVE OU LA MORT D’UN PROCHE

Page 49: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 49

Elle sentait même un malaise chez ceux qui lui de-mandaient comment elle allait. Joanie en est venueà la conclusion que les jeunes endeuillés devraientse faire casser les jambes, car les gens à l’écoleprendraient soin d’eux. Les enseignants ont un rôleprimordial dans l’accompagnement, mais souventils sentent la tâche trop importante.

Quelques balises pour les ensei-gnants confrontés aux situations deleurs élèves endeuillés

• S’entretenir avec l’enfant ou l’adolescent le plusrapidement possible pour le soutenir et voiravec lui ce qui sera dit en classe. Il faut res-pecter ses désirs, mais aussi le besoin d’infor-mations de ses amis. Il faut donc aborder clai-rement les vraies choses. « Je sais que tuaimerais mieux que tes amis ne le sachent pas,mais c’est impossible, déjà tes voisins le saventet on ne peut leur demander de garder le se-cret. Je te propose de donner les informationsque tu veux, et, si les autres insistent pour don-ner des détails ou en avoir, de venir me voir. »Cela est respectueux et sécurisant.

• Aborder la situation avec les élèves de laclasse. Prendre le temps de discuter sur lafaçon d’aider un camarade et les inciter à faireune production pour soutenir leur ami (p. ex.grande carte, dessins).

• Savoir quand seront les rites funéraires, don-ner l’information à la classe et s’y rendre. Cesera une bonne bouffée d’amour et le jeunes’en souviendra longtemps.

• Préparer le retour en classe avec le jeune en-deuillé. Veut-il en parler ? A-t-il besoin dequelque chose en particulier? Ainsi qu’avec laclasse : «Que dit-on à un ami qui vit uneépreuve?»

• Prêter attention aux jours du calendrier repré-sentatifs de la perte (p. ex. Noël, Fête despères, Fête des mères, anniversaires). Si desactivités spéciales sont prévues pour soulignerces dates, lui en parler. Rien ne sert aux en-seignants d’être anxieux pour la Fête des pèresqui approche, le jeune apportera toutes les in-formations nécessaires pour décider s’il fait ounon l’activité.

• Bien saisir ce qu’est le deuil. Le deuil estunique, aucun jeune ne le vivra de la mêmefaçon. Le deuil est influencé par divers facteurs

allant du type de mort à la compréhension duconcept de la mort. La mort est, en effet, unconcept très complexe rarement compris avantl’âge de neuf - dix ans. D’ailleurs, les réactionsd’un enfant ou d’un adolescent se manifeste-ront selon sa compréhension. Au fil des années,chaque fois qu’il comprendra davantage l’im-pact de cette mort dans sa vie, il aura de nou-velles réactions. Donc, le deuil ne s’arrête pasà la fin des vacances. Il se vit, il se poursuit. Onne le laisse pas à la porte de l’école avant d’yentrer… Il est là, toujours présent.

• N’ayez pas peur d’utiliser les vrais mots. N’ayezpas peur de lui refléter vos observations, vosinquiétudes, de l’encourager… Vivre la mort d’unêtre cher est un événement fatal qui peut lais-ser de grandes séquelles chez les enfants etchez les jeunes. Ne tentez pas trop rapidementde les amener à voir un professionnel, le deuiln’est pas une maladie. Etre endeuillé nécessitebeaucoup d’adaptation, mais il faut leur faireconfiance.

• L’écouter et lui répondre avec honnêteté : «Jene peux te répondre, je ne sais pas pourquoic’est arrivé à ton frère, mais aimerais-tu que j’enparle à ton père?» Les enseignants peuventtransmettre les questions aux proches de l’en-fant ou de l’adolescent.

• Renseigner le prochain enseignant ou laisserl’information dans le dossier de l’élève. Car cen’est peut-être pas la première Fête des mèresqui sera difficile, mais ce sera la cinquième etil sera alors intéressant que le collègue soit aufait de la situation…

L’école, lieu sensible et privilégiéd’accompagnement

L’école est un lieu de sécurité pour les jeunes en-deuillés, mais aussi un lieu où ils peuvent prendreune certaine distance avec leur réalité. En effet,tout a souvent changé dans leur foyer, leur mai-son, mais pas à l’école.C’est pour cette raison que, souvent, à leur grandesurprise, les enseignants disent ne pas voir deréactions. En parallèle, les jeunes relèvent aussiqu’ils pensent moins à la personne décédée àl’école, car ils sont très occupés! Néanmoins, leurouvrir la porte et leur donner la possibilité d’enparler, et cela peu importe notre diplôme, est unebonne action à accomplir.

Effectuer des gestes aidants et trou-ver des paroles adéquates, pas tou-jours facile

Ce seront par la suite les petits gestes simplesqui seront efficaces, comme ce responsable del’entretien de l’école qui faisait toujours une petitetape dans le dos à Félix, endeuillé de son frère.Félix se sentait reconnu et disait quelques annéesplus tard que ce petit geste répétitif avait été desplus aidants sans même avoir jamais parlé de sondeuil avec ce responsable. Sandrine, seize ans, devait faire son devoir, elledevait dessiner son arbre généalogique. Elle n’ena pas été capable, car un incendie avait, plusieursannées auparavant, emporté son père, sa mère,son frère et sa sœur. Elle a présenté une feuilled’arbre avec son nom dessus. Son enseignant adit à haute voix : «Mes consignes étaient clairespourtant, Sandrine, il n’y a pas juste toi dans tavie. » Sandrine a quitté l’école en sanglots et n’aplus voulu y retourner.Victor, vingt-huit ans, a perdu son père à l’âge desept ans. «Je me souviendrai toujours d’elle, deChristine. Elle me demandait souvent comment jeme sentais et prenait soin de moi juste avec sesyeux. C’est à elle que je pense quand ça va mal. » Ayons, dans les écoles, de grands yeux pour ob-server nos jeunes endeuillés, de grandes oreilles,car c’est dans ce milieu neutre qu’ils sont souventprêts à nommer les détails de leurs drames. Ayonsaussi une toute petite bouche pour faire attentionaux petits mots que nous utilisons qui peuventavoir de grands impacts.

Josée Masson est travailleuse sociale, fondatrice et responsablede Deuil-Jeunesse, dont la mission est de soutenir, informer et in-tervenir en lien avec la maladie grave d’un proche ou le deuil vécudans l’enfance et l’adolescence. Elle est chargée de cours à l’Uni-versité Laval, à Québec, conférencière et formatrice. Elle est uneréférence au Québec et au-delà des frontières.

DOSSIER / VERS UNE RECONSTRUCTIONACCOMPAGNER À L’ÉCOLE LES JEUNES QUI VIVENT LA MALADIE GRAVE OU LA MORT D’UN PROCHE

Page 50: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

OCÉANE ÉCLAIRE LA NUIT PARMI LES ÉTOILES, ELLE BRILLE AU LOIN, MAIS ON NE L’OUBLIERA JAMAIS.

Page 51: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 51

Il avait 8 ans lorsque son père mourut dans un ac-cident. Le choc fut brutal ! Depuis, Julien1 souffraitd’angoisses, parfois intenses, qui se manifestaientsous la forme d’idées obsessives et de peurs qui,la nuit, se muaient en cauchemars. Il parlait peu deson père, mais beaucoup de morts, de zombies oude revenants, à la maison et à l’école. Un peucomme si, ne parvenant pas à s’exprimer quant audécès de son père, il l’évoquait de manière dé-tournée à travers les histoires de fantômes qu’il in-ventait. Inquiète de le voir hanté par ces idéesnoires et par les peurs qu’elles éveillaient en lui, samaîtresse de classe proposa à sa mère de nouscontacter. Ce qu’elle fit. Ensemble, nous avons alorspensé que la participation à un Parcours de reliance(ci-après Parcours) en groupe donnerait à Julienl’occasion de comprendre qu’il pouvait parler ou-vertement de la mort de son papa, sans éveiller decraintes. Mais de quoi s’agit-il?

La Fondation As’trame

Créé en 2000 par la fondatrice d’As’trame2, le Par-cours est une approche originale issue de son ex-périence d’accompagnement d’enfants et de fa-milles en deuil. En effet, As’trame accompagneenfants et familles lorsqu’ils traversent une rup-ture telle que la mort d’un proche, sa maladie ouune séparation-divorce. L’attention aux enfants estau cœur de ce travail. Initialement pensé pour ac-compagner le deuil, le Parcours a été ajusté à cha-cune des problématiques auxquelles As’trame ré-pond. Puis il a été décliné pour les différents âges

de la vie : enfants (par tranches d’âge) et adultes.Mais ici, seul le Parcours destiné aux enfants endeuil est évoqué.

«Julien parlait peu de son père,

mais beaucoup de morts,

de zombies ou de

revenants, à la maison

et à l’école. »

Le Parcours pour stimuler le proces-sus de deuil

Conçu comme une unité de travail progressive etstructurée, il comporte un nombre limité deséances dans un temps déterminé. Le but général du Parcours est de stimuler le pro-cessus de deuil chez l’enfant et de mobiliser sesressources, en lien avec celles de sa famille et deson entourage, et ses objectifs sont multiples : en-courager les processus de reliance avec soi, lesautres, la vie ; éveiller les ressources de l’enfant etde sa famille, de son entourage ; permettre à l’en-fant de faire un apprentissage cognitif et émo-tionnel sur lui-même (éducation thérapeutique) ;prévenir et/ou identifier les possibles complica-tions et dépister les enfants et familles en diffi-culté pour les orienter vers des lieux de thérapieadéquats, si besoin est.

Un voyage en sept étapes

Comparable à un voyage à travers le processusde deuil, le Parcours comporte sept étapes :• un entretien préalable individuel ou en famille ; • cinq rencontres thématiques : l’histoire du

décès, les émotions, la cérémonie d’adieu, vivreavec l’absence, les ressources et les liens ;

• un point de la situation avec l’enfant et sa fa-mille.

Les rencontres thématiques sont hebdomadaires.Volontairement groupées, elles donnent une im-pulsion claire au processus de deuil, stimulantcelui de l’enfant, mais aussi celui de sa famille. Au-tres avantages : les enfants créent ainsi aisémentdes liens entre eux et cela facilite le maintien d’unfil rouge d’une séance à l’autre. Pour assurer laprogression de l’ensemble, chaque séance a unobjectif qui guide le travail des animateurs ainsique des outils conçus pour appuyer le processusd’intégration des enfants.Nous favorisons la participation au Parcours engroupe, mais il peut aussi s’effectuer en suivi in-dividuel avec un professionnel formé. Les groupesse composent de cinq enfants, rassemblés parâges, et sont animés par deux professionnels for-més et supervisés.

L’adieu de Julien à son père

Bien que peu disert, Julien participa avec appli-cation aux deux premières séances du Parcourset, pour lui, la troisième fut déterminante. Pendantcette rencontre, les enfants choisissent la manièredont ils souhaitent dire adieu à leur parent décédé.C’est une étape essentielle, car les adultes neprennent généralement pas en compte les enfantslors de l’élaboration de cette cérémonie. Parfoisleurs proches préparent un temps qui leur est ré-servé, mais, le plus souvent, ils sont assis au mi-lieu d’adultes en souffrance, sans toujours com-prendre ce qu’il se passe et impuissants à

LE PARCOURS DE RELIANCE : CHEMIN DE VIE POUR LES ENFANTS EN DEUIL MARIE-DOMINIQUE GENOUD-CHAMPEAUXGrâce à une approche du deuil baptisée Le Parcours, la fon-dation As’trame accompagne les familles lors d’une rupture.Cette approche en sept étapes, très centrée sur l’enfant, apermis à Julien, huit ans, de surmonter les angoisses liées àla mort de son père.

DOSSIER / VERS UNE RECONSTRUCTIONLE PARCOURS DE RELIANCE : CHEMIN DE VIE POUR LES ENFANTS EN DEUIL

Page 52: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

DOSSIER / VERS UNE RECONSTRUCTIONALE PARCOURS DE RELIANCE : CHEMIN DE VIE POUR LES ENFANTS EN DEUIL

consoler leurs proches. Enfin, beaucoup trop d’en-fants sont écartés de cet adieu, leur famille refu-sant qu’ils s’y joignent en cherchant à les proté-ger d’un événement qu’ils redoutent eux-mêmes.

«Le deuil a besoin

à la fois de temps

et de traces. »3

Or les enfants ne comprennent ni ne vivent la mortcomme les adultes et ils ont besoin de participeractivement, avec leur entourage, aux rites et ri-tuels qui entourent la fin de vie de leur parent. Eneffet, moins «outillés» 4 que les adultes par rap-port aux perceptions du temps, de l’espace, del’abstraction, etc., ils ont besoin de balises pourjalonner leur chemin de deuil. Ainsi, en fonctionde leur âge, de leur développement et de leursexpériences antérieures, du contexte familial, etc.,ils mettront plus ou moins de temps à réaliser ceque veut dire «papa est mort».

Une cérémonie d’adieu symbolique

Revenons à Julien. Pendant cette séance, les en-fants réalisent, de manière symbolique, une céré-monie d’adieu à leur parent mort. Pour cela, ils ontà leur disposition un bac à sable, des personnageset des animaux, des petits objets de toutes sortes.Julien tergiversa un moment puis se décida àprendre un personnage et, aménageant un cer-cueil à l’aide d’une boîte, le mit dedans et l’enterra.Après quoi il choisit avec soin les personnesconviées à «sa» cérémonie, pour lesquelles il uti-lisa des bonshommes noirs. Il se mit au centre, enjaune, tout près de sa maman, en bleu, parce que«même si on est triste on peut quand même s’ha-biller en couleurs » ! L’enfant décora ensuite lascène avec des fleurs, des cailloux de couleurs etdes animaux. Quand tous eurent terminé, chaqueenfant raconta ce qu’il avait échafaudé pour direadieu à son parent. Quand ce fut le tour de Julien,ce qui semblait être un détail prit une grande im-portance. Remarquant une barrière, une anima-trice lui demanda ce que c’était : «Tu vois, répon-dit-il, c’est une porte et là, j’ai dessiné un chemin.On peut ouvrir ou fermer le chemin avec la porteet c’est moi qui décide. Maintenant elle est ou-verte. Comme ça, moi, je peux partir quand je veuxet derrière moi, je peux la refermer !»

« Le symbole est par nature et par définition mêmeun accordeur, il réalise le passage du monde dudedans au monde du dehors, il organise l’accord(déjà il le rend possible) entre la réalité manifesteet celle non moins présente du latent5. »

Déposer ses angoisses

Après cette rencontre, Julien changea, fut actifdans le groupe et même bavard. Sa mère nous ditqu’il était plus calme et ne parlait presque plus decréatures effrayantes. Ses peurs avaient considé-rablement diminué, ce que sa maîtresse de classeremarqua aussi. Comment expliquer cela? Nouspouvons faire l’hypothèse que Julien a organiséson tourment intérieur en le «manifestant» dansla réalité symbolique de cet enterrement dont ilétait le maître d’œuvre. Le cadre, l’attention desanimatrices et des moyens appropriés lui avaientpermis de projeter à l’extérieur son vécu intérieur,de dialoguer avec lui et d’en avoir une expériencesensorielle pour, finalement, déposer ses an-goisses. Non seulement le latent s’était exprimédans le monde du dehors, mais aussi – et c’est ca-pital – l’enfant prit le contrôle de lui-même en semettant en capacité de fermer6 la porte derrièrelui pour continuer son chemin.

Marie-Dominique Genoud-Champeaux est la créatrice de la Fon-dation As’trame et de ses modèles d’intervention. Elle consacrel’essentiel de son temps aux enfants et adultes en deuil ou prisdans la tourmente de séparations difficiles, ainsi qu’à son activitéde formatrice dans le cadre d’As’trame.

www.astrame.ch

Notes1 Prénom d’emprunt.2 Fondée en 1994, As’trame est une fondation créée par Marie-

Dominique Genoud-Champeaux. Son siège est à Lausanne(Suisse). As’trame a développé des antennes dans les cantonsromands (Genève, Valais, Fribourg, Neuchâtel). Une associationdoublée d’un organisme de formation a été créée à Paris(France).

3 Bacqué, M. F. & Hanus, M. (2009). Le deuil. Paris : PUF, p. 5.4 Terme emprunté au Dr Michel Hanus.5 Chouvier, B. (2002). Le médium symbolique. In Chouvier, B. & al.

Les processus psychiques de la médiation. Paris : Dunod, p. 3.6 Cet article a été écrit à partir du chapitre du même nom à pa-

raître dans le livre Quand la mort s'invite à l'école, aux EditionsDe Boeck. Voir p. 58.

Page 53: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 53

Encrevé-Lambert, M.-H. (1999) La mort. Paris :Bayard.

En s’appuyant sur son expérience de psychana-lyste pour enfants et adultes, l’auteure expliquepourquoi il est essentiel de parler de la mort avecles enfants, sans esquiver cette réalité perçue dèsleur plus jeune âge. Comment les entendre nousparler de la mort? Comment nous comporter pourleur permettre de continuer à nous faire partagerleurs interrogations? Dans ce court ouvrage, l’au-teure évoque les principales situations de deuilauxquelles un enfant peut être confronté. Cote 393 ENC

Kersalé, P. (Ed.) (2008). La musique & la mort. Lyon:Ed. musicales Lugdivine

L’intérêt de ces documents, un livre contenantdeux disques compacts et deux DVD, est de dres-ser un bref inventaire des traditions et des céré-monies célébrant la mort, de l’époque néolithiqueà nos jours, et sur plusieurs continents. Autantd’accroches pour aborder le thème de manièretransversale entre histoire, religions, littérature etarts plastiques. Les nombreux extraits musicauxainsi que les entretiens avec quatre responsablesreligieux (bouddhiste, chrétien, juif et musulman)offrent un support pédagogique riche pour dé-couvrir la diversité des cultures et des comporte-ments face à la mort. Cotes 78 MUS (Livre) et 78(087) MUS (DVD)

Bissat, A. (2008). Deuil en classe, quel est le rôlede l’enseignant ? Mémoire professionnel, Lau-sanne : Haute Ecole pédagogique.

Comment se préparer à accompagner des élèvesen deuil ? Les établissements scolaires de Ber-cher-Pailly et Oulens ont répondu à cette questionen constituant une équipe d’intervention en casde situation de crise. L’étudiante a récolté les té-moignages des différents professionnels de cesétablissements : la doyenne, le psychologue sco-laire et trois enseignantes. Elle explique dans unpremier temps le processus de deuil en généralpuis la perception et les représentations de la mortqu’en ont les enfants. Elle clarifie ensuite le rôledes professionnels de l’éducation dans le but d’ai-der le mieux possible les élèves dans leur deuil.Cote FIMP 2008/73

Nicolet, A. & Perey, L. (2009). L’utilisation d’albums de jeunesse pour parler dela mort au CIN. Mémoire professionnel, Lausanne:Haute Ecole pédagogique.

Comment aborder en classe le sujet de la mort demanière préventive? Et sur quels albums de jeu-nesse s’appuyer? C’est pour répondre à ces ques-tions que deux étudiantes ont lancé une rechercheriche et originale. Après avoir examiné les théo-ries sur les représentations des enfants, elles ontretenu quatre albums de jeunesse et défini lecadre de partage et d’enquête auprès des enfantsde deux classes du cycle initial. Le mémoire rendcompte des données récoltées lors d’entretiensindividuels autour de trois questions et la créationd’un dessin. Les annexes apportent de très richescompléments. Cote FIMP 2009/76

Henriette Cochard et Paola Moro sont bibliothécaires à la Biblio-thèque cantonale et universitaire - Lausanne, site HEP Vaud.

FORUM / LES LIVRES ONT LA COTEPARLER DE LA MORT À L’ÉCOLE

PARLER DE LA MORTÀ L’ÉCOLE HENRIETTE COCHARD ET PAOLA MOROLes bibliothécaires ont choisi pour les lecteurs de Prismesdes ouvrages et des mémoires professionnels sur le thèmede la mort.

Page 54: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

L’ethnologue

Observer un ethnologue dans son rôle d’observa-teur participant est une excellente entrée en ma-tière pour travailler la question de l’observationavec les élèves. Cette photographie de BronisławMalinowski prise vers 1915-1918 dans les îles Trobriand évoque le travail de celui qui est sou-vent considéré comme l’inventeur de l’observationparticipante. Invités à réfléchir aux avantages etaux inconvénients de la méthode utilisée ici parl’ethnologue, les élèves parviennent, en peu detemps, à identifier ce qui rend une observation

«objective » si complexe. Une image pour se transporter en un clin d’œil dans l’univers des en-quêtes sur le lointain, et pour se rappeler qu’«ob-server n’est pas la même chose que regarder ouvoir […]. On observe pour voir ce que l’on ne ver-rait pas si l’on n’observait pas» (L. Wittgenstein)1.

Le lac Léman

Le lac Léman est un paysage emblématique denotre région fréquemment abordé en classe avecdes élèves. Toutefois, l’iconographie du Léman est

souvent stéréotypée, mettant l’accent sur une vi-sion idéalisée du paysage lacustre : le lac partemps calme et ensoleillé avec les montagnes en-neigées en arrière-plan. L’image ci-dessous per-met de dépasser le stéréotype du beau paysagelémanique. Elle amène à travailler sur les usagesdu lac : la pêche avec le bateau au premier plan,l’extraction de graviers avec les barges et le chan-tier naval au second plan et le tourisme, voire letransport de pendulaires avec les bateaux de laCGN en arrière-plan. Autant de thèmes dont l’étudepeut ainsi être amorcée avec des élèves. Au-delàdu stéréotype, cette photographie permet doncun réel travail sur la notion de paysage entre ob-jectivité et subjectivité. Elle conduit à appréhen-der visuellement le paysage comme le produit del’action des sociétés, constitué d’éléments tant na-turels que sociaux.

Les ours polaires

Des ours polaires, des «pingouins», un petit ice-berg perdu dans l’immensité océane…Ces symboles de l’imagerie associée au thème du

UN OUVRAGE CONSACRÉ À L’IMAGE POUR ENRICHIR LES PRATIQUES ENSEIGNANTES Regards sur le monde : apprendre avec et par l’image à l’écoleest publié aux Editions Alphil-Presses universitaires suisses,à Neuchâtel. C’est un ouvrage qui se veut un outil à la dis-position des enseignants du terrain, des formateurs et desétudiants HEP pour mieux appréhender les rôles et les si-gnifications de l’image. Les trois directeurs de l’ouvrage com-mentent trois images.

FORUM / ACTUALITÉS HEPUN OUVRAGE CONSACRÉ À L’IMAGE POUR ENRICHIR LES PRATIQUES ENSEIGNANTES

NICOLE DURISCH GAUTHIER, PHILIPPE HERTIG

ET SOPHIE MARCHAND REYMOND

Page 55: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

réchauffement climatique suffisent au dessinateursuisse Patrick Chappatte pour commenter de ma-nière cinglante l’efficacité très relative des grandesconférences internationales consacrées à cettequestion. Les dessins de presse sont souvent uti-lisés dans l’enseignement, mais ils peuvent poserdes problèmes délicats d’un point de vue didac-tique. Les élèves doivent en effet apprendre à dépasser la description et l’interprétation du do-cument au «premier degré» afin de mener unelecture au « second degré », en identifiant lescodes et les symboles utilisés par l’auteur, les al-lusions plus ou moins explicites à des événementsou à des personnages spécifiques – autant de pro-cédés qui se retrouvent dans bien des images vé-hiculées par la publicité, le cinéma ou la BD. Etreen mesure de les décoder participe des finalitéscitoyennes de l’école.(Images choisies et commentées, dans l’ordre, parNicole Durisch Gautier, Sophie Marchand Reymondet Philippe Hertig).

Nicole Durisch Gauthier et Philippe Hertig sont professeurs et cher-cheurs à la HEP.

Sophie Marchand Reymond est chargée d’enseignement en di-dactique de la géographie.

Notes1 Wittgenstein, L., Remarques sur les couleurs III. Cité d’après Af-

fergan, F. (1987). Exotisme et altérité. Essai sur les fondementsd’une critique de l’anthropologie. Paris : PUF, p 132.

ZOOM a consacré un article à la présentation de l'ouvrage, vou-pouvez le retrouver sur le site web de la hep, via le raccourci :http://tinyurl.com/pt4bxctpp 16-17

FORUM / ACTUALITÉS HEPUN OUVRAGE CONSACRÉ À L’IMAGE POUR ENRICHIR LES PRATIQUES ENSEIGNANTES

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 55

Page 56: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Disons-le d’emblée, un délicieux parfum de nos-talgie s’échappe des pages du livre qui vient deparaître aux Editions du Belvédère, sous le titreOuvrez les cahiers ! car chacun retrouvera, ici et là,le souvenir de ces heures passées, pendant etaprès la classe, sur ces petits cahiers qui ont mar-qué toutes les étapes de notre scolarité et qui ontmatérialisé les fondements premiers de nosconnaissances.

La petite madeleine et bien plus

Sylviane Tinembart, professeure formatrice à laHEP Vaud et spécialiste de l’histoire de la péda-gogie, reconnaît d’emblée, avec ses coauteures,le rôle de «petite madeleine» que joue l’ouverturede ces cahiers d’écoliers qui traversent presquedeux siècles. Mais à l’autre bout de la lorgnette,elle retient surtout ce que les cahiers illustrent dupaysage pédagogique de leur temps : «Nousavons choisi de ne retenir que quelques disciplinespérennes – l’écriture, le français, les mathéma-tiques, la géographie et le dessin – afin de pou-voir bien observer l’évolution des pratiques, destechniques et des didactiques. Les cahiers à tra-vers les différentes époques mettent en valeur ladiversité des approches face à des invariantscomme la conjugaison des verbes ou le livret. »

Deux siècles et quatre temps

Ouvrez les cahiers! suit un rythme en quatre temps,de 1830 à 2010. L’historienne Geneviève Heller ex-plique la segmentation opérée par la nature descahiers qui évolue et qui renvoie à des change-ments pédagogiques, eux-mêmes inscrits dans

une société en profonde mutation. «De 1830 à1860, explique-t-elle, c’est le temps des cahiersprécieux. Le papier est rare, on l’utilise avec grandsoin et parcimonie. Seuls « les grands» y ont droit.Les petits se contentent de l’ardoise. De 1890 à1920, alors que l’instruction publique est en pleinessor, c’est l’Etat de Vaud qui assure l’impressiondu matériel scolaire. C’est le temps des cahiersofficiels avec leur couverture bleue un peu aus-tère. L’après-guerre marque, lui, de 1950 à 1970,l’âge d’or des cahiers d’école. C’est le temps descahiers colorés, plein de fantaisie et de créativitéindividuelle, qui correspond aussi à une ère d’en-thousiasme et d’aisance économique. Enfin, de1980 à 2010, arrive le temps des cahiers compo-sites. A l’âge de l’ordinateur, les cahiers perdentleur caractère unique et deviennent surtout lessupports à l’intérieur desquels on colle fiches, pe-tites brochures et photocopies fournies par l’en-seignant. Les dessins, précédemment réalisés parles élèves pour illustrer le sujet d’apprentissage,sont désormais souvent préimprimés. Leur valeurest surtout décorative et ludique, et non plus di-dactique.»

CAHIERS D’ÉCOLIER : OUVREZ-LES ET ÉCOUTEZ-LES PARLER BARBARA FOURNIERC’est à un effeuillage du formidable trésor de la Fondationvaudoise du patrimoine scolaire que nous convient YvonneCook, Geneviève Heller et Sylviane Tinembart. L’effeuillagedu cahier d’écolier, œuvre géante et polymorphe qui bruissede page en page, du XIXe au XXIe siècle, et dans laquelle lestrois chercheuses ont plongé, tête et cœur les premiers. Ellesnous ramènent de cette immersion un livre d’images pleind’enseignements sur l’évolution de notre société et la suc-cession des pédagogies. On ne referme qu’à regret Ouvrezles cahiers !, qui passionnera tout à la fois grand public et pu-blics spécialisés.

FORUM / ACTUALITÉS HEPCAHIERS D’ÉCOLIER : OUVREZ-LES ET ÉCOUTEZ-LES PARLER

Page 57: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 57

Quatre mille cahiers consultés

Yvonne Cook, présidente de la Fondation vaudoisedu patrimoine scolaire, enseignante et professeureà l’Ecole normale d’Yverdon-les-Bains, évoque lesquelque 4000 cahiers rassemblés dans la collec-tion : «Nous n’avons pas voulu retenir les «plusbeaux» cahiers, ni les mieux ciblés sur telle ou tellediscipline. Nos choix ont permis de mieux illustrerla réalité d’une période, des méthodes pratiquées,des moyens à disposition. Alors que dans les an-nées 1980 abondent feutres, plumes, stylos,crayons de couleur et craies grasses, les élèvesdes classes du XIXe siècle n’avaient droit qu’à uncrayon gris et une touche d’ardoise par année.»

iPad, petit-fils d’Ardoise

Jusqu’à la fin des années 1970, le cahier est unobjet personnel dont on est fier et qui concentre,avec rigueur et plaisir, ce que l’on a appris. Lestrois auteures constatent qu’aujourd’hui les bro-chures à texte lacunaire et les feuilles volantestendent à remplacer les cahiers. Des supports quine laissent pas beaucoup de place à la créativitéet à l’individualité et posent une question de fondsur ce qui est vraiment intégré par l’élève.Alors Ouvrez les cahiers ! serait-il une sorte de tes-tament du cahier? Yvonne Cook, Geneviève Hel-

ler et Sylviane Tinembart s’amusent de voir la vieilleardoise inspirer la tablette, tant par son format quepar sa capacité d’effacer l’exercice de l’écrit. Il n’estpeut-être pas mort, ce bon vieux cahier, mais ils’est totalement transformé et il a perdu le carac-tère de référence qu’il avait encore jusqu’au mi-

lieu du XXe siècle. La référence a déserté les pagesblanches, quadrillées, margées des cahiers joli-ment fourrés. En accord avec son temps, elle ha-bite aujourd’hui l’espace numérique.

Barbara Fournier est responsable de l’Unité communication de laHEP Vaud et responsable de publication de Prismes.

Quelques pages d'écoliers parmi les 200 illustrations retenues par les auteurs d'Ouvrez les cahiers. Des cahiers d'écoliers qui courent sur deux siècles et qui sont autant de témoins emblématiques de leur époque, de la pénurie à la profusion, de la rigueur austère à la fantaisie débridée.

Page 58: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

FORUM / ACTUALITÉS HEPANNONCES

COMMENT SOUTENIR LES ENSEIGNANTS FACE AUX SITUATIONSCOMPLEXES?DENISE CURCHOD-RUEDI ET PIERRE-ANDRÉ DOUDIN

Le rôle de l’enseignant dans le développement desnombreux élèves qui le côtoieront au fil de sa car-rière est fondamental. Au travers des milliersd’heures que l’élève passe en classe, l’école im-prime une marque puissante. Face aux innombra-bles prescriptions auxquelles sont soumis les ensei-gnants qui peuvent les aider, mais également danscertains cas augmenter leur désarroi, cet ouvragemet en évidence les complexités relationnelles ausein de l’école et sa manière spécifique de les af-fronter. Clinique, descriptive et résolument psycho-logique, l’approche est interactionnelle (apports desthéories du développement cognitif et affectif, de lasystémique et de la psychodynamique). La profes-sion enseignante est à risque d’épuisement profes-sionnel (burnout). Outre la souffrance éprouvée parles enseignants, l’épuisement peut avoir des consé-quences sur la santé psychosociale des élèves.Quels sont alors les facteurs de protection de natureinteractionnelle favorisant la santé des enseignantset celle de leurs élèves? Le soutien social est unfacteur de protection essentiel. Cet ouvrage tented’identifier et de décrire les modalités du soutien so-cial qui permet aux enseignants de limiter lesrisques d’épuisement et de maintenir une relationéthique à l’égard de leurs élèves, de leurs collègueset d’eux-mêmes. Le soutien social à l’enseignant estprésenté par des pistes concrètes. La démarche cléest la sécurisation que peut assurer l’école tant auxélèves qu’aux enseignants. Il ne s’agit nullement denier les problèmes ou de s’enfermer dans une tourd’ivoire, mais plutôt de désamorcer des situations

vécues comme dramatiques et de dégager lamarge de manœuvre existante en posant les pro-blèmes de manière à ce qu’ils deviennent gérables.Dans ce cadre, la supervision, bien qu’encore peuusitée dans le milieu des enseignants, est un instru-ment de prévention à privilégier, comme c’est dureste déjà le cas dans d’autres professions axéessur le relationnel. Sans doute par crainte de tomberdans des pratiques psychologisantes, la supervisionsuscite encore des réticences dans le monde sco-laire. En s’appuyant sur de nombreuses situationscomplexes rencontrées par des enseignants, lemode de supervision proposé ici se focalise essen-tiellement sur une réflexion relative à son propre dis-cours, sa propre description de la réalité, sa com-préhension des émotions et sa manière de lescommuniquer. Le soutien social au travers de la su-pervision permet à l’enseignant de coconstruire dessolutions tangibles aux problèmes professionnelsrencontrés tout en limitant ses risques d’épuisementet en renforçant son rôle de soutien auprès de sesélèves dans le développement de leurs compé-tences cognitives et relationnelles.

Denise Curchod-Ruedi a une formation d’enseignante, de psycho-logue et de psychothérapeute. Elle est professeure formatrice à laHEP Vaud, membre de l’unité d’enseignement et de recherche Dé-veloppement de l’enfant à l’adulte.

Pierre-André Doudin a une formation de psychologue et de socio-logue. Il est professeur à l’Université de Lausanne et à la HEP Vaudoù il est responsable de l’unité d’enseignement et de rechercheDéveloppement de l’enfant à l’adulte.

Leurs travaux portent notamment sur la promotion de la santé àl’école ; ils ont publié deux ouvrages sur cette thématique auxPresses de l’Université du Québec: la santé psychosociale des en-seignants et des enseignantes et la santé psychosociale des élèves.

Curchod-Ruedi, D. & Doudin, P.-A. (2015). Comment soutenir les en-seignants face aux situations complexes? Soutien social – modèled’intervention. Bruxelles: De Boeck. ISBN: 9782804191146; 216 pages.

POUR UNE ÉCOLE ÉGALITAIRE,JOURNÉE DE FORMATION DU JEUDI 18 FÉVRIER 2016, HEP VAUDINSTANCE ÉGALITÉ DE LA HEP - [email protected]

Cet événement organisé par l’Instance Egalité de laHEP sera l’occasion de réunir le corps enseignant,le corps professoral de l’institution, des étudianteset des étudiants, ainsi que toute autre profession-nelle et tout autre professionnel intéressé par cettethématique, pour aborder des questions vives enmatière d’égalité entre les femmes et les hommesdans le contexte scolaire.Au programme: deux conférences et de nombreuxateliers interactifs visant la mise en œuvre de pra-tiques professionnelles égalitaires. Dans quelle me-sure l’institution scolaire renforce-t-elle les inégalitésentre les sexes? Comment l’école peut-elle contri-buer à redéfinir les rôles sociaux? Quelle est la res-ponsabilité des HEP? Quels sont les outils à dispo-sition des professionnelles et des professionnels?Autant de thèmes à explorer pour évaluer le cheminà parcourir afin d’assurer la mise en œuvre de l’ar-ticle 10 de la LEO: L’école veille à l’égalité entre filleset garçons, notamment en matière d’orientation sco-

laire et professionnelle. Ensemble, élaborons un pro-jet d’école émancipatrice.

UN OUVRAGE SUR LE DEUIL À L’ÉCOLECHRISTINE FAWER CAPUTO

Au cours de leur carrière, les professionnelles etprofessionnels de l’éducation intervenant en milieuscolaire auprès d’enfants et d’adolescents peuventêtre confrontés à des situations douloureuses enlien avec la mort.La maladie grave, la fin de vie, le décès d’une oud’un élève, d’une ou d’un collègue ou celui d’unparent sont des événements marquants, non seu-lement dans la vie d’une institution scolaire, maiségalement pour ses membres. Quand la mort s’in-

vite à l’école est un ouvrage collectif, dirigé parChristine Fawer Caputo et Martin Julier-Costes,qui souhaite contribuer à la réflexion sur la mortà l’école, au rôle de l’institution scolaire dans lagestion d’un tel événement, et aux divers parte-naires qu’elle sollicite pour faire face à ces situa-tions difficiles. Composé de contributions issuesdu terrain et articulées à une démarche réflexiveet théorique, afin d’apporter un éclairage concretsur les différentes manières de vivre et d’accom-pagner ces situations, il paraîtra aux Editions deBoeck en automne 2015.

LE MUSÉE DE L’IMMIGRATION OUVERTAUX ÉCOLES ET AUX ÉTUDIANTSRÉGINE CLOTTU

Ouvert en 2005 par Ernesto Ricou, ce musée apour but de favoriser l’intégration des jeunes issusde l’immigration.Il présente à la fois des éléments des pays d'ori-gine des immigrants et de la Suisse comme paysd'accueil. Les buts visés touchent à la sauvegardede la mémoire, l’attention à la valeur de chaqueculture, la reconnaissance des minorités et réci-proquement, le respect du pays d'accueil. Dans lacollection du musée, mentionnons les valises,confiées par des immigrants, contenant des

objets personnels. Traces d’un patrimoine, ellescontiennent des cartes postales, des photogra-phies, des journaux de village, un calendrier, unepaire de chaussures, un vieil appareil photo… Autreexemple, le Roman La beauté sur la terre de l’écri-vain C. F. Ramuz exposé à travers des dessins,textes, photographies et livres-trésors (aquarelleset textes), réalisés par une classe de l’école se-condaire de Béthusy à Lausanne.

Un musée à découvrir et soutenir.

Avenue Tivoli 14, 1007 Lausanne.Contact : [email protected]

Page 59: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

FORUM / LA PAGE DES ÉTABLISSEMENTSMAISON-ÉCOLE: UN PROJET POUR PRÉPARER ET FACILITER L’ENTRÉE À L’ÉCOLE

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 59

ORGANISATION DU PROJET

L’accueil des enfants, répartis par groupes de neufà dix, se réalise une fois par semaine au cours deneuf à dix séances ventilées entre mi-avril et finjuin. Dans certains collèges, plusieurs momentssont proposés dans la semaine, en fonction deseffectifs (cf. tableau). La durée des séances étaitde une heure trente en 2013 et de une heure qua-rante-cinq dès 2014. Au cours de la première ren-contre, les parents (principalement des mamans)restent avec leur enfant. Dès la deuxième séance,l’entrée des enfants dans le collège, puis dans lasalle de l’atelier se réalise progressivement de ma-nière autonome, préparant ainsi l’enfant à entrerseul dans l’école. Chaque groupe est encadré parune enseignante enfantine et une accompagnante(souvent engagée parmi les aides à l’enseignante).Un duo est ainsi créé pour chaque collège.

Thèmes des ateliers

Afin de concrétiser l’accueil des enfants et de leursparents au début, les ateliers proposés sont or-ganisés par thèmes : salutations, je me présente,

le schéma corporel, les couleurs, les mots de poli-

tesse (bonjour, au revoir…), les animaux, des comp-

tines et chants, la fin des ateliers, l’accueil des pa-

rents pour des chants et comptines lors de la

dernière séance. Chaque atelier est abordé selonle même schéma, en reprenant les thèmes pré-cédents. Lors de chaque séance, une histoire il-lustre le thème choisi. Elle est présentée sur despanneaux et à l’aide d’un petit théâtre nommé ka-mishibai.

Des résultats intéressants

A la suite de chaque édition du projet, un bilan estétabli par les équipes après qu’elles ont interrogéles parents au moyen d’un questionnaire de sa-tisfaction. Les commentaires des parents débou-chent sur les remarques suivantes : les ateliers ontpermis de mieux appréhender la séparation mère-enfant, de nouer des liens avec l’extérieur, d’ac-quérir du vocabulaire, de mieux se comprendre etmieux s’exprimer, d’améliorer les contacts avecleurs camarades à l’extérieur.Des constats pédagogiques identifiés par les en-seignantes et les accompagnantes : les enfantssont venus avec de plus en plus de plaisir ; ils de-viennent chaque fois plus autonomes au vestiaireet dans l’atelier ; ils jouent davantage les uns avecles autres ; les règles de vie du groupe sont bienintégrées ; ils sont plus respectueux les uns en-vers les autres, ils comprennent de mieux en mieuxle français et peuvent s’exprimer; les moments col-lectifs (histoires, chants et comptines) prennent

de plus en plus d’importance. Les enfants ont par-ticipé à des jeux de rôle (cuisinière, Lego, bac àsemoule…), ainsi qu’à la pâte à modeler. A la fin,ils s’intéressaient à des jeux collectifs (dominos,Memory). Les enfants qui ont eu beaucoup depeine à se séparer de leur maman au moment del’atelier ont surmonté ces craintes et commencél’année scolaire sans souci de séparation !

QUE PENSENT LES ACTEURS DU PROJET?

Mireille Vuagniaux, vous êtes enseignante res-ponsable du projet. Comment a-t-il démarré?L’idée est venue d’une lecture et de la connais-sance d’un projet réalisé à Ecublens. Le concept,l’idée d’avoir une enseignante et une accompa-gnante pour chaque groupe, me tenait à cœur. Leprojet a été transmis à la direction de l’établisse-ment et discuté avec les doyennes des bâtimentsscolaires concernés. Il s’agissait de permettre auxenfants d’apprivoiser l’espace du collège, del’école, de la salle. En 2013, le projet s’adressaitseulement aux élèves allophones. Aujourd’hui, tousles enfants peuvent fréquenter les ateliers. Le faitque plusieurs élèves parlent le français est béné-fique pour les élèves non francophones.

Comment se joue l’organisation?L’ouverture des ateliers sur plusieurs jours (matinet après-midi) permet d’accueillir plus d’enfants.Les mamans viennent à la première séance etrestent avec les enfants, puis, assez vite, elleslaissent leur enfant dans la salle de l’animation,puis l’aident à entrer seul dans le bâtiment : unedémarche progressive qui vise à habituer l’en-fant, à le laisser entrer dans l’école, comme aumoment de l’arrivée au début de l’école. Les ma-mans apprécient ces moments et sont contentespour leur enfant. Des contacts s’établissent entredes mamans qui accompagnent les enfants pourles ateliers.

MAISON-ÉCOLE : UN PROJET POUR PRÉPARER ET FACILITER L’ENTRÉE À L’ÉCOLE ALAIN CHAUBERTDepuis 2013, le projet Maison-école accueille d’avril à juin desenfants des quartiers situés dans l’aire de l’Etablissementprimaire Edmond-Gilliard, à Yverdon-les-Bains. Ces enfantssont les futurs élèves qui fréquenteront, à la rentrée d’août,le collège de leur quartier. Des ateliers sont proposés auxenfants et à leurs parents. Ils permettent un accueil pro-gressif, une dédramatisation de l’entrée à l’école et facilitentaussi la relation avec les familles des élèves allophones.

Page 60: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Juliane Romanens, vous êtes doyenne à l’Eta-blissement primaire Edmond-Gilliard. Quelle estla valeur ajoutée de ce projet pour votre éta-blissement? Ce projet permet une observation des enfants quifréquenteront l’école enfantine dès le mois d’aoûtsuivant, en situation, au travers des activités quileur sont proposées. Il leur permet de jouer et detravailler avec d’autres enfants (souvent leurs fu-turs camarades de classe), de vivre des aspectsde socialisation dans le local des ateliers et dansla cour, de s’exprimer en français ou dans leurlangue d’origine, de dessiner, de découper, de pas-ser la porte de l’école et ainsi de faciliter l’arrivéeen première année (1P). Sans être inquisitrices, lesactivités vécues avec les enfants permettent éga-lement d’identifier les besoins en cours intensifsde français (CIF) pour la rentrée scolaire, ce quipermet de mieux cibler l’aide qui pourra être miseen place.

Comment appréciez-vous l’évolution de ce pro-jet à la veille de la troisième édition?Chaque année, nous avons analysé, repris, amé-lioré, tiré parti des expériences vécues dans lesateliers, des commentaires des parents, avec unevisée pédagogique de plus en plus affinée. Uneenseignante de CIF nous a rapporté le fait qu’ellevoyait les effets de la démarche réalisée au prin-temps et de ses apports au moment de la rentréescolaire en 1P. Les enseignantes de 1-2P de notreétablissement apprécient les apports du projet

pour les élèves qu’elles accueillent à la rentréed’août. D’autres aspects peuvent être mis au cré-dit de cette démarche : dans plusieurs quartiers,au-delà du formulaire d’inscription, nous noussommes aperçus que l’existence des ateliers per-mettait aux mamans de plusieurs communautésculturelles de parler entre elles, d’inviter une autremaman à inscrire son enfant, d’évoquer ce queleurs enfants vivent dans ces moments.

Jean-François Hürst, vous êtes directeur de l’Eta-blissement primaire Edmond-Gilliard. Quelles ontété vos motivations à appuyer ce projet?Plusieurs de nos futurs élèves, bien que nés ici,ne parlent que très peu le français en entrant àl’école. Souvent, les contacts qu’ils ont pu avoiravec d’autres enfants se réalisent surtout dans lasphère familiale ou dans la communauté d’origine,sans qu’ils aient eu l’occasion d’être inscrits dansune garderie, par exemple. L’accès à ces famillespar le seul biais des circulaires et documents ad-ministratifs au moment de l’inscription est souventinsatisfaisant et insuffisant. Les contacts que lesenseignantes et accompagnantes du projet ontavec les mamans des enfants sont importants etde nature à favoriser grandement les relations fa-mille-école. De plus, les ateliers ont lieu dans lecollège que fréquentera le futur élève : il rencon-tre ainsi un espace, un lieu, un contexte qui serale sien à la rentrée scolaire. Il en va de même poursa famille. Ainsi, l’entrée à l’école est souvent fa-cilitée et l’énergie peut être plus vite focalisée sur

les apprentissages. Enfin, dans le contexte d’uneécole à visée intégrative, la démarche représen-tée par ce projet s’inscrit dans la logique de ceque nous tentons de réaliser dans les autres de-grés, à savoir un accueil bienveillant et exigeantpour chaque élève.

Alain Chaubert est enseignant, doyen et rédacteur de Prismes. Il arencontré les acteurs du projet et recueilli les propos relatés ci-dessus.

FORUM / LA PAGE DES ÉTABLISSEMENTSMAISON-ÉCOLE: UN PROJET POUR PRÉPARER ET FACILITER L’ENTRÉE À L’ÉCOLE!

2013 2014 2015

Bâtiments scolaires PS+LP PS+LP VI PS+LP VI PL

Jours des ateliers mardi matin, mardi après-midi et mercredi matin

lundi après-midi,mardi matin, mardi après-midi et mercredi matin

lundi matin tous les matinsdu lundiau vendredi

lundi après-midi,jeudi après-midi

jeudi matin

Nombre d’enfantsinscrits

23 34 8 50 15 10

Nombre d’enfants prévuspour la rentrée suivante

60 66 31 66 34 15

Evolution du projetLes bâtiments scolaires concernés sont les collèges de Pierre-de-Savoie (PS), La Passerelle (LP), La Villette (VI), Prés-du-Lac (PL). Nous remarquons qu’en 2013, 23 enfants sur 60 ont participé, dans deux collèges ; en 2014, 42 enfants ont participé sur 97, dans trois collèges ; en 2015, 75 enfants sont inscrits sur 115 attendus à la rentrée d’août 2015, dans 4 collèges. Cette évolution est très encourageante.

Page 61: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 61

FORUM / DES SIÈCLES DE DÉBATDES EXPOSITIONS, VITRINES UNIVERSELLES POUR L’ÉCOLE!

Les documents vaudois présentés à l’exposition uni-verselle de Paris appartiennent à la section suisse.En 1862, une section spéciale avait été réservée auxobjets relatifs à l’enseignement. Ceux-ci étaient ànouveau présents lors des expositions de Paris en1867, Vienne en 1873 et Philadelphie en 1876.

Une délégation suisse à Paris

En 1877, la Confédération suisse désigne une dé-légation dont les membres sont triés sur le volet.«Les délégués de la Suisse à l’Exposition univer-selle de Paris seront à peu près les mêmes queceux qui l’ont représentée à l’Exposition de Vienne.[…] Ces messieurs viennent d’adresser une de-mande aux autorités cantonales, aux chefs desétablissements d’instruction privée et aux socié-tés scientifiques pour en obtenir la communica-tion de modèles, d’appareils, d’atlas, des plansd’études, programmes, règlements statistiques,catalogues et écrits, rapports, publications, du mo-bilier, des instruments, collections et autres objetspropres à figurer dans une exposition1. »

Un matériel diversifié, reflet des pratiques pédagogiques de l’époque

De tout ce matériel, seuls quelques travauxd’élèves, quelques lois, règlements et manuels enusage dans le canton sont parvenus à la Fondation

vaudoise du patrimoine scolaire. Les travauxd’élèves proviennent tous des examens annuels de1877. Vingt-neuf brochures présentent les compo-sitions, et deux, les dictées des degrés intermé-diaire et supérieur (classes de Morges et d’Orny).En 1878, nous lisons : «La commission spéciale

pour l’exposition scolaire suisse à Paris, ayant dé-cidé de joindre à l’exhibition des livres et objetsd’enseignement des travaux sortis de la main desélèves. […] Il importe que la plus grande sincéritérègne dans les travaux. Les élèves ne devront êtreni prévenus ni aidés d’aucune manière; ils devrontêtre surveillés par un membre de la commissionscolaire et par l’instituteur ou l’institutrice, lesquelsauront à signer une déclaration constatant que lestravaux ont été exécutés par tous les enfants de laclasse sans aide ni secours2.» Chaque classe a deux sujets de composition im-posés : un pour les élèves de la colonne paire etl’autre pour la colonne impaire. A la lecture destextes produits, nous sommes plongés dans l’uni-vers scolaire des enfants de neuf à seize ans del’époque. Pour le sujet Une course d’école, nousapprenons, par exemple, que les élèves chantenten marchant, en arrivant dans un lieu public, en

DES EXPOSITIONS, VITRINES UNIVERSELLES POUR L’ÉCOLE! YVONNE COOK, SYLVIANE TINEMBARTL’exposition universelle de Milan aura ouvert ses portes le 1er mai 2015, comme celle de Paris en 1878. Si les dates sontsemblables, les contenus changent en fonction des préoc-cupations du moment. Partons à la découverte des docu-ments conservés à la Fondation vaudoise du patrimoinescolaire (FVPS) et provenant de l’exposition de 1878.

Page 62: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

quittant un moyen de transport et en signe d’aurevoir. Le chant est considéré alors comme un actede remerciement. Les élèves sont notés à l’aidede résultats chiffrés. Les deux brochures de dic-tée présentent des résultats allant de 0 à 10 pourla dictée et de 3 à 10 pour l’analyse grammaticale. Quant aux textes des dictées, nous vous les pré-sentons en vignette !

Qu’en est-il des manuels scolaires?

En 1877-78, le département ne dispose pas encorede manuels scolaires officiels. Parmi les ouvragesen usage dans les écoles et exposés, certains sontreprésentatifs de l’école primaire et d’autres dusecondaire. Les manuels d’arithmétique en usagechez nous du Genevois F. Romieux semblent cor-respondre aux attentes des enseignants françaisquant aux données de problèmes. En ce quiconcerne le calcul, M. Hanriot exprime le vœu quedans les devoirs exposés, «nous ne soyons pascondamnés à retrouver uniquement ces insipidesproblèmes de stères de bois, de kilogrammes desavon, de barriques de vin, de mètres de calicotet autres analogues, dont les cahiers d’écolierssont ordinairement bourrés, comme s’il s’agissaitde faire d’eux tous des épiciers et des marchands.Le calcul même élémentaire se prête à des no-tions moins banales et d’une utilité plus sérieuse.La statistique administrative et commerciale, l’éco-nomie rurale et domestique, la géographie, l’his-toire, la morale même et ses applications diversespeuvent se traduire en données numériques fournissant matière à des exercices aussi intéres-

sants que variés3. » En vignette, une page de don-nées de problèmes.

Le comité organisateur a donné une place dechoix à l’exposition scolaire universelle. Dans l’al-lée des Nations, les objets d’école occupaient lepéristyle de chaque pavillon national bien en vuedes visiteurs. Le centre du palais de la ville deParis était consacré quant à lui aux expositionsdes écoles primaires parisiennes.

«La large vitrine consacrée à l’école

populaire semble être l’apogée des

expositions universelles. »

L’exposition de Paris en 1878 et la large vitrineconsacrée à l’école populaire semblent être l’apo-gée des expositions universelles dédiées à l’ins-truction publique. La Fondation vaudoise du pa-trimoine scolaire possède d’autres vestigesprésentés dans les expositions nationales suisses,comme en 1883 (Zurich) et en 1896 (Genève), maispour les expositions universelles, seule celle de1878 est référencée.

Yvonne Cook est présidente de la Fondation vaudoise du patri-moine scolaire.

Sylviane Tinembart est professeure formatrice à la HEP Vaud.Geneviève Heller est historienne.

Notes1 L’Educateur, revue pédagogique publiée par la société des ins-

tituteurs de la Suisse romande, No 15 (1877) p. 240.2 L’Educateur, revue pédagogique publiée par la société des ins-

tituteurs de la Suisse romande, No 9 (1878) p. 143. 3 L’Educateur, revue pédagogique publiée par la société des ins-

tituteurs de la Suisse romande, No 4 (1878) p. 55.

Le pavillon de la Ville de Paris au centre du Palais du Champ-de-Mars

M. Bouvard, architecteExposition universelle de 1878

FORUM / DES SIÈCLES DE DÉBATDES EXPOSITIONS, VITRINES UNIVERSELLES POUR L’ÉCOLE!

Page 63: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 63

Une enquête menée par l’Unicef en France en2014 révéla que 69% des élèves sont parfois an-goissés à l’idée de ne pas bien réussir à l’école,réaffirmant le malaise d’une part importante desjeunes confrontés à l’institution scolaire. Au-delàdu système méritocratique et d’une certaine vio-lence institutionnelle qu’éprouveraient des élèves,c’est aussi la fragilité d’un nombre croissant d’en-fants et d’adolescents qui se révèle en filigranede cette enquête. En fait, la société de la per-formance, telle que décrite par Alain Ehrenbergdepuis les années 1990, s’exprime désormaisparmi les jeunes générations. Comme le rappelleen 1991 ce sociologue, « la tâche de l’individu de-vient écrasante, car il supporte tout le poids deresponsabilités assurées auparavant par la hié-rarchie sans avoir les moyens d’y répondre. » Ilen résulte une construction de l’identité com-plexifiée qui fragilise les individus désormais per-çus comme étant à la fois responsables de leursréussites et de leurs échecs. L’intériorisation deplus en plus visible chez les adolescents du poidsde cette responsabilisation s’incarne désormaisdans l’affirmation de l’angoisse de ne pas réus-sir, mais aussi, comme le repèrent certains édu-cateurs et enseignants, à travers de véritablesstratégies d’autosabotage chez des élèves auxcapacités certaines, mais préférant réduire déli-bérément leur performance, soit parce qu’ils re-doutent de ne pas être en mesure de soutenirdans la durée le rythme des résultats obtenus,soit parce que leurs camarades les désignentcomme des traîtres leur renvoyant la violence deleurs propres échecs.

Préserver son estime de soi pour af-fronter la société de la performance

L’adaptation à l’école ne passe plus simplementpar l’acceptation des règles et l’intériorisation desnormes défendues par l’institution scolaire. Pournombre de jeunes, elle implique aussi un travailde préservation d’une estime de soi suffisantepour affronter les effets de la société de la per-formance sur l’identité, à un moment de l’existenceoù l’indétermination identitaire s’impose. D’unepart, les pratiques de l’oubli se multiplient, nonseulement chez les jeunes décrocheurs, mais aussichez des adolescents qui poursuivent, annéeaprès année, leur parcours scolaire. A l’intensitédes contraintes ressenties au cours de la semainemarquée par l’apprentissage, les évaluations, lerespect des rythmes et des horaires s’opposentalors des temps caractérisés par des consom-mations de psychotropes, voire par la recherched’une défonce1.

Des conduites d’excès de plus enplus fréquentes

Il s’agit d’oublier un peu, pour poursuivre sur uneroute parsemée d’incertitudes. Les pratiques del’oubli ou de l’effacement de soi2 trouvent ainsi leursens dans le rapport qu’elles entretiennent avecla globalité d’une existence qui n’exclut pas le res-pect des injonctions produites par la société engénéral et l’école en particulier. Mais la progres-sion sur ce chemin s’accompagne, pour certains,de la mise entre parenthèses nécessaire de cette

réalité qui, parfois, leur paraît insupportable. Tac-tique pour survivre, mais surtout pour répondre àla fois aux injonctions d’une société éducative etde la performance, les pratiques de l’oubli appa-raissent alors non pas comme des formes de mar-ginalité ou des indices d’un rejet du monde, maisbien au contraire comme les révélateurs d’une ac-ceptation, malgré la souffrance ressentie, de lavoie proposée à travers la réussite scolaire. D’au-tre part, ne bénéficiant pas de la valorisation at-tendue au sein de l’école, des ados vont trouver àtravers d’autres espaces de mises à l’épreuve leregard confirmant leur talent. En mettant directe-ment leur corps en danger, certains vont alorss’adonner à des prises de risque répétées pourse faire remarquer, pour trouver l’acclamation despairs, alors que dans d’autres cas, l’investissementintense dans un sport ou dans un jeu vidéo seravécu comme un chemin alternatif pour prouverson talent.

«L’investissement intense

dans un sport ou dans

un jeu vidéo sera vécu comme

un chemin alternatif

pour prouver son talent. »

Ainsi, l’une des particularités de l’adolescent hy-permoderne3 est d’exprimer à travers ces com-portements que l’adaptation aux injonctions de nossociétés contemporaines se passe de plus en plusdifficilement – et pour un nombre, semble-t-il, deplus en plus important de jeunes – de conduitesd’excès

Jocelyn Lachance est chercheur en socio-anthropologie sur la jeu-nesse contemporaine à l’Université de Pau. Il est président de l’as-sociation Anthropoado (anthropoado.com) qui se consacre à la for-mation des professionnels du travail social, de la santé et del’enseignement.

Références sur www.hepl.ch/prismes

Notes1 Dagnaud, 2008; Le Garrec, 2011. 2 Le Breton, 1991.3 Lachance, 2011.

CES ADOS DANS LA SOCIÉTÉ DE LA PERFORMANCE JOCELYN LACHANCELes jeunes de la société actuelle vivent un malaise vis-à-visde l’institution scolaire: craintes de ne pas réussir et ainsiperdre leur estime d’eux-mêmes, mais aussi de trop bienréussir et perdre l’estime de leurs camarades. Se profilentalors des pratiques d’oubli et d’effacement de soi ainsi quele recours à d’autres espaces, dont les technologies, pour re-trouver l’acclamation de leurs pairs.

FORUM / AUTRES REGARDSCES ADOS DANS LA SOCIÉTÉ DE LA PERFORMANCE

Page 64: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015
Page 65: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

Prismes / revue pédagogique Hep Vaud / no 21 / juin 2015 / 65

FORUM / AUTRES REGARDSLE WWF TISSE DES LIENS AVEC L’ÉCOLE !

Des journées découvertes sur le thème de l’ali-mentation, des animations en classe sur des sujetsenvironnementaux, des sorties nature, une exposi-tion itinérante et des journées en forêt. Le WWF s’ac-tive depuis plusieurs années pour aider les ensei-gnants à parler d’environnement avec leurs élèves.Ariane Derron, responsable de WWF Ecole, répondaux questions de Prismes sur l’éventail des activi-tés proposées.

Quel est l’objectif des activités de WWF Ecole?Notre but est d’amener les enfants à adopter uncomportement «durable» et à faire d’eux des per-sonnes soucieuses de l’environnement, que ce soitmaintenant ou plus tard, lorsqu’ils auront atteint l’âgeadulte.

Et comment vous y prenez-vous?Afin que nos activités aient le maximum d’impact,le département Jeunesse du WWF Suisse a engagéil y a quelques années une réflexion sur la manièrede renforcer l’efficacité de nos programmes desti-nés à la sensibilisation des enfants. Une recherchedocumentaire scientifique sur le sujet avec leconcours des HEP Grisons et Thurgovie a ainsi étémandatée pour pointer le type d’éducation à l’envi-ronnement qui est le plus susceptible d’avoir l’effetescompté. Elle a notamment démontré la nécessitéde réaliser un maximum d’activités avec les enfantsà l’extérieur, dans la nature. Nous avons donc adapténotre offre en conséquence. C’est là qu’est parexemple née l’idée de l’école en forêt, un projet quidonne un coup de pouce aux enseignants attiréspar des sorties régulières en forêt avec leurs élèves.Pour cela, ils sont coachés par un «animateur na-ture» durant une année et peuvent se former pa-rallèlement à la pédagogie de la nature.

Nous avons également mis sur pied des Journéesdécouvertes, pour les huit ans et plus. Cette année,ces journées auront lieu dans une ferme enGruyère, sur le thème du gaspillage alimentaire : lesenfants pourront faire du jus de pomme. L’idée estde leur faire comprendre d’où viennent les alimentset de les inciter à consommer des produits frais etlocaux pour revenir à une agriculture et un modede vie durables.

« Il est avant tout important pour

nous de ne pas tomber dans un

discours culpabilisant. »

Qu’est-ce que cette étude a démontré d’autre?Elle a également démontré, sans réelle surprise, quetoucher des enfants les plus jeunes possible étaitégalement plus efficace. La régularité du messageest aussi ressortie comme un élément indispensa-ble. C’est pourquoi nous avons diversifié notre offreaux enseignants et intervenons de différentes ma-nières, davantage sur le long terme et de manièremoins ponctuelle. Nous proposons aussi des acti-vités pour les plus jeunes, soit 1 à 4 HarmoS. C’estle cas du Pandamobile, exposition itinérante sur lethème du loup et des grands prédateurs, projet quenous proposons maintenant aussi aux plus jeunes.

Pas facile de parler d’environnement avec des en-fants très jeunes…Non, il est certain que le réchauffement climatiqueou la biodiversité ne sont pas des sujets aisés àaborder avec de jeunes enfants, mais nous simpli-fions au maximum le schéma des liens de cause àeffet et utilisons beaucoup d’illustrations (film, ka-mishibaï, etc.) à côté d’un vocabulaire adapté. Il est

avant tout important pour nous de ne pas tomberdans un discours culpabilisant. Lors d’une anima-tion comme Isabeille, la biodiversité vue par uneabeille, un spécialiste, formé par le WWF sur le fondet la forme, vient deux fois en classe à une semained’intervalle. Nous tablons également sur la péda-gogie active et essayons d’impliquer les élèves unmaximum au travers de jeux de rôle et d’écogestesconcrets. Au terme de cette animation, les enfantspeuvent choisir entre quatre écogestes auxquels ilsdoivent se tenir pendant une période donnée. C’estparfois les enfants qui finissent par éduquer leursparents !

Des comportements qu’ils finissent par adopterdéfinitivement?Difficile à dire. Nous mesurons l’impact de nos ac-tivités grâce à un formulaire transmis à l’enseignant,deux ou trois semaines plus tard et s’il semble queles enfants ont été sensibilisés, il est difficile d’af-firmer que leur comportement a changé. Cela dit,nous réfléchissons à une évaluation directe des en-fants grâce à des entretiens avec eux, dans le butd’en savoir un peu plus.

Ces activités sont-elles appréciées au niveau desenseignants?Oui, elles correspondent à une réelle demande dela part des enseignants. Leurs retours sont toujourspositifs. Il est vrai que nous faisons attention à ceque nos activités puissent leur être utiles et qu’elless’intègrent au plan d’études. Chaque année, plus de5500 élèves participent activement aux projets sco-laires du WWF, et de nombreux enseignants sont in-formés grâce à notre infolettre pour les écoles.

Propos recueillis par Anouk Zbinden.Toutes les offres destinées aux écoles sur www.wwf.ch/ecole

ENTRETIEN LE WWF TISSE DES LIENS AVEC L’ÉCOLE ! AVEC ARIANE DERRON

Parce que les enfants sont les maçons du monde de demain,le WWF Suisse propose plusieurs activités aux enseignants,afin de sensibiliser leurs élèves aux problématiques envi-ronnementales.

Page 66: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

La moitié des hommes sont des femmes, le direc-

teur général est en congé maternité, cette femme

est un grand homme d’Etat, autant d’énoncés quifont sourire et plaident pour une féminisation dela langue. Considérons donc quelques élémentsde linguistique pour rappeler son fonctionnement.Evoquons, en citant brièvement des résultats derecherches, les impacts d’une écriture sexiste, no-tamment sur les trajectoires de vie des personnes.Enfin, il est question de réfléchir à une pratiquerédactionnelle différente, qui permet de rendre vi-sible l’ensemble des personnes visées par unecommunication, soit les femmes et les hommes.

Que dit la linguistique?

«Le féminin est une forme déterminée, qui donnele maximum d’informations; alors que le masculin,lui, est indéterminé» (Yaguello, 2007, p. 104).Le masculin est donc générique dans la languefrançaise, que ce soit au singulier ou au pluriel.Ainsi, dans les phrases tout enseignant se doit d’êtreà l’écoute de ses élèves, les étudiants de l’institution

sont en stage au début du semestre ou les docteursde cette clinique participent à un colloque, les nomsde profession ou de fonction englobent toutes lespersonnes qui les exercent, femmes commehommes. L’usage exclusif du masculin, certes cor-rect du point de vue linguistique, peut cependantentraîner une lecture erronée de la réalité. Desfemmes exercent-elles la profession d’enseignante?L’institution forme-t-elle exclusivement deshommes? La clinique emploie-t-elle des docteures?

Comment encourager une nouvellepratique de la langue?

L’inscription de l’égalité dans la Constitution en1981 (art. 8) puis la position du Conseil fédéral en

1986 qui recommandait «dans tous les actes lé-gislatifs applicables indifféremment aux hommeset aux femmes, d’opter, dans la mesure du possi-ble, pour une terminologie qui ne fasse pas de dif-férence entre les sexes» constituent des élémentsprescriptifs. La linguiste Edwige Khaznadar relevait en 2005que la Suisse est le seul pays francophone occi-dental appliquant dans sa Constitution le principede «parité linguistique», qui pose le masculin etle féminin à statut égal, chacun avec sa significa-tion spécifique, actualisant ainsi l’existence desfemmes comme des hommes dans le discours of-ficiel. Dans le canton de Vaud, le Conseil d’Etat sedote également en 2005 d’une directive en ma-tière de rédaction épicène.

Que nous apprend la recherche?

Gygax et Gesto (2006) montrent que la formegrammaticale d’un nom de métier influence la re-présentation sociale dudit métier. Elle contribue àrenforcer les stéréotypes et la division sexuelle dutravail. Des préjugés sociaux inscrivant les femmesdans un rapport de domination traversent encorela société et sont présents dans la langue. Rédi-ger de manière non sexiste ou épicène témoigned’abord d’un mode de pensée, avant d’être unmode d’écriture. «La parité linguistique, la nomi-nation au féminin et au masculin pour toutes lesdénominations humaines, la représentation effec-tive des femmes dans le discours social sont desinstruments essentiels dans la conquête d’uneréelle égalité» (Baider et al., 2007, p. 12). Ouvrir des perspectives, permettre à chacune etchacun de développer sa personnalité et ses com-pétences, de les faire valoir au service de la com-munauté, autant de motivations qui légitiment plei-nement une évolution des pratiques textuelles envigueur.

Accompagner le changement

En inscrivant cette orientation dans une directive00_14 intitulée «Respect du principe d’égalité dansles communications», le Comité de direction dela HEP Vaud donne un signal fort en faveur del’égalité et se met en conformité avec les pres-criptions. Notre institution se positionne ainsi auxcôtés de ses partenaires, notamment la HES-SOet les universités, déjà engagées dans cette voie.En parallèle, la campagne nommée «J’écris épi-cène, et vous?» et orchestrée par la Commissionconsultative de l’égalité se déclinera sous diffé-rentes formes, ateliers, conférence, exposition,pour insuffler une dynamique dans les différentsservices et unités de la HEP Vaud.

Au nom de la commission consultative de l’égalité, Muriel Guyaz.

Muriel Guyaz est professeure formatrice et responsable de l’Ins-tance pour la promotion de l’égalité de la HEP Vaud.

Bibliographie complète sur www.hepl.ch/prismes

VERS UNE RÉDACTION ÉPICÈNE MURIEL GUYAZLa langue revêt une fonction symbolique. En tant que produitculturel et historique, elle reflète des structures et des valeurset véhicule des stéréotypes. D’où la nécessité de modifier lespratiques de rédaction en faveur d’une société plus égalitaire.

FORUM / AUTRES REGARDSVERS UNE RÉDACTION ÉPICÈNE

Page 67: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

PRISMES

Relais du travail des enseignants, des étudiants,des formateurs, des chercheurs et des partenairesde l’école, Prismes propose une plate-formed’échanges entre tous les acteurs attachés àconstruire des savoirs nécessaires pour l’avenirdes enfants et des jeunes. Pour recevoir person-nellement et gratuitement notre revue, abonnez-vous par courrier ou par e-mail.Il est encore possible d’obtenir d’anciens numé-ros. Tous sont également disponibles en versionPDF sur www.hepl.ch/prismes.

1 Transitions2 L’art à l’école3 Jalons pour une éthique4 Favoriser les apprentissages5 Partenariats6 Sciences et mathématiques à l’école7 La pédagogie au fil de l’histoire8 Apprivoiser… aimer les langues9 Epuisement et ressourcement10 Savoirs, pratiques et apprentissages11 Questions sociales vives12 Neurosciences et pédagogie13 Intégration et inclusion à l’école14 Le métier d’enseignant… une profession?15 Créativité : de l’espace pour une pensée libre16 La culture vers des horizons nouveaux17 Diversité à l’école : et si on s’intéressait

aux petites différences18 Enseigner la durabilité et ses paradoxes :

quels défis pour l’école?19 Ce mouvement qui fait bouger

les apprentissages20 L’école du futur : entre high-tech et chemins

de traverse21 Le deuil

Les numéros 2 et 13 sont épuisés : versions PDF sur www.hepl.ch/prismes

INTERNETRetrouvez notre publication surwww.hepl.ch/prismes

IMPRESSUM

Editeur responsableLe comité de direction de la HEP Vaud

Responsable de publicationBarbara Fournier

Rédactrice responsableRégine Clottu

Rédactrice, rédacteursAnouk Zbinden, Alain Chaubert, Nicolas Christin

Experte pour le dossier du numéroChristine Fawer Caputo, professeure formatrice HEP

ContactPrismesUnité CommunicationHEP VaudAv. de Cour 331014 LAUSANNE

Tél. : +41 (0) 21 316 05 [email protected]/prismes

Maquette et réalisationAtelier k, Lausanne, Alain Kissling, Célia Ahmadwww.atelierk.org

CorrecteurOlivier Bloesch, Grandson

Crédits photospages 3, 5, 9, 14, 18, 23, 28, 38, 46, 50 : Alain Kisslingpage 43 : tiré de Toulmé, F. (2014). Ce n’est pas toi que j’attendais.Paris: Ed. Delcourt.page 44 : Skënderpage 54 : photographie reproduite avec l’autorisation de la « libraryof London Scholl of Economics & Political Science », réf. Mali-nowski/3/18/2.pages 54-55 : Philippe Hertigpage 55 : © Chappatte dans « Le Temps », Genèvewww.globecartoon.compages 56-57, 61-62 : Fondation vaudoise du patrimoine scolaire

Photolithographieatelier k, Lausanne

ImpressionPCL Presses Centrales SA, Renens

Tirage5500 exemplaires

Page 68: N°21 REVUE PÉDAGOGIQUE HEP VAUD PRISMESJUIN 2015

LA VIE DE TOUT ÊTRE HUMAIN : UN PARCOURS JALONNÉ DE PERTES ET DE DEUILS CHRISTINE FAWER CAPUTO / DEUIL, MÉTAPHORE DE L’INDICIBLE

ROBERTO BARBONE / ENFANTS ET SÉPARATION PARENTALE MARIE-DOMINIQUE GENOUD-CHAMPEAUX / JEUNES EN ITINÉRANCE GÉOGRAPHIQUE : ENTRE

RUPTURES ET ADAPTATIONS DENIZ GYGER GASPOZ / L’ADOLESCENCE : UNE ÉTAPE DE DEUIL PIERRE-ANDRÉ DOUDIN, DENISE CURCHOD-RUEDI ET

NICOLAS MEYLAN / UN DÉCÈS EN CLASSE : DE L’EXPÉRIENCE DU TERRAIN À UN PROTOCOLE D’ANNONCE ALIX NOBLE BURNAND / QUAND LA MORT

S’INVITE À L’ÉCOLE CHRISTINE FAWER CAPUTO / REPRÉSENTATIONS DE LA MORT CHEZ L’ENFANT : LIENS AVEC L’ANXIÉTÉ GÉNÉRALE ET AVEC L’ANXIÉTÉ

FACE À LA MORT ERIC TARDIF ET DENISE CURCHOD-RUEDI / « NOUS NE REVERRONS PLUS JAMAIS MARIE ! » RADHIA KADAMAIN / ÉCOUTER ET ACCOM-

PAGNER MES ÉLÈVES ENDEUILLÉS ENTRETIEN AVEC MICHEL DERUAZ / PENSER L’IMPENSABLE : LE SUICIDE DES ENFANTS CHRISTINE FAWER CAPUTO /

PRÉVENIR LE SUICIDE DES JEUNES : MISSION POSSIBLE ? SOPHIE LOCHET, YVES DOROGI ET LAURENT MICHAUD / VIVRE MALGRÉ TOUT POUR UN PEU DE

TEMPS PATRICIA FAHRNI-NATER / LE RETOUR À L’ÉCOLE D’UN ENFANT ATTEINT DE CANCER, UNE PRÉPARATION MINUTIEUSE VÉRONIQUE MONACHON /

JEUX DANGEREUX : LES JEUX VIOLENTS, D’ÉVANOUISSEMENT ET DE DÉFI FABIENNE TOSI / COMMENT PARLER EN CLASSE DES ATTENTATS CONTRE CHAR-

LIE HEBDO? ALAIN PACHE ET SYBILLE ROUILLER / ADOLESCENCE, MORT ET NUMÉRIQUE MARTIN JULIER-COSTES / GÉRER LA MORT SUR FACEBOOK

ENTRETIEN AVEC OLIVIER GLASSEY / UN CONTE POUR ACCOMPAGNER LE DEUIL ALIX NOBLE BURNAND / UN CONTE ILLUSTRÉ À LA MÉMOIRE DE

LUCIEN HÉLÈNE DELANNOY / UN ENFANT DIFFÉRENT, DES DEUILS EN PERSPECTIVE : L’EXPÉRIENCE MISE EN MOTS ACCOMPAGNE GENEVIÈVE TSCHOPP

/ LORSQUE S’ENVOLE LE RÊVE DE L’ÉCOLE : VIVRE AVEC UNE MYOPATHIE, EN ALBANIE ANNE RODI / « NOUS AVONS PERDU UNE COLLÈGUE ! » ENTRETIEN

AVEC AMÉLIE BERGER, VÉRONIQUE AUTERI, RÉGINA AESCHLIMANN ET ISABELLE COMELLI / ACCOMPAGNER À L’ÉCOLE LES JEUNES QUI VIVENT

LA MALADIE GRAVE OU LA MORT D’UN PROCHE JOSÉE MASSON / LE PARCOURS DE RELIANCE, CHEMIN DE VIE POUR LES ENFANTS EN DEUIL

MARIE-DOMINIQUE GENOUD-CHAMPEAUX