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104 NOVEMBRE 2015 Lettre gratuite et mensuelle. 2 Entretien Teresa Ribera 2 Politique La transition à la Royal Pascal Canfin passe au WWF 2-3 Économie La séquestration collective du CO2 Sans taxe carbone, plus de pétrole L’OCDE exportera moins de centrales au charbon 4 Sciences Nous avons réchauffé le climat de 1 °C 4 Initiatives Entreprises, collectivités : même combat climatique 5-7 Dossier De Lima à Paris n diplomatie, on n’a ni ami, ni ennemi. Juste des intérêts à défendre avec des alliés de circonstance, contre des adversaires qui peuvent ne pas le rester longtemps. Il en est de même dans les négociations climatiques. A priori, « l’ennemi » est tout désigné : ce sont les pays producteurs de pétrole. Et il est vrai que leur je-m’en-foutisme climatique les installe naturellement à cette place. Ce n’est pourtant pas si simple. La plupart d’entre eux tendent les verges pour se faire battre. La Russie a pris d’honorables engagements d’atténuation (-25 à -30 % de GES entre 1990 et 2030), mais n’entend les respecter qu’en regardant ses forêts pousser. Angola, Koweït, Libye, Nigeria, Venezuela n’ont pas pris la plume pour rédiger un semblant de contribution nationale volontaire (INDC en jargon onusien) pour l’ONU. En réglant un peu ses climatiseurs, Oman veut bien abattre de 1,2 million de tonnes ses émissions de GES ; on frise le foutage de gueule. Certains sont plus malins. En développant les renouvelables, le nucléaire et le captage-stockage de CO2 (CSC), l’Arabie Saoudite entend réduire ses émissions de GES de 130 millions de tonnes en 2030, par rapport à un scénario tendanciel de 750 millions de tonnes. Paré du voile de la vertu, Ryad s’autorise tout de même une hausse de 35 % de ses rejets carbonés en quinze ans. L’Irak fait le même calcul : une réduction de 14 % par rapport au scénario « fil de l’eau » lui laisse la possibilité de faire bondir de 72 % ses émissions entre 2015 et 2035. Le cas de l’Algérie mérite qu’on s’y arrête. Même si elle estime n’avoir aucune « responsabilité historique […] en matière d’accumulation des gaz à effet de serre », Alger fait une honnête proposition. En 2021 et 2030, le plus vaste pays du Maghreb propose de diminuer ses rejets de 7 %. Un but dont l’ambition peut être triplée, moyennant un sérieux coup de main des pays riches. Et ce ne sont pas les travaux qui manquent : reconquête de milliers de kilomètres carrés de terres arables, rénovation énergétique de millions de logements, électrification solaire, amélioration de la gestion des déchets, réduction du torchage, reboisement. De quoi faire travailler les capitaux et les entreprises du Nord. Et, éventuellement, de sécuriser leur approvisionnement en électricité. La fondation Désertec milite pour l’installation de centrales solaires dans le Sahara, dont une partie de la production alimenterait l’Europe. L’Iran fait un pari comparable à celui de l’Algérie. Seule, Téhéran estime pouvoir réduire de 4 % ses rejets d’ici à 2030. Avec des technologies occidentales de raffinage, de nouveaux réseaux de transport de gaz et d’électricité, des centrales électriques de dernière génération, des énergies décarbonées et du CSC, la contribution iranienne pourrait tripler, insiste la théocratie. Voilà qui facilite le travail des diplomates. D’un côté, les pays pétroliers qui ne feront jamais rien pour renoncer à leur rente pétrolière et faciliter la mise en œuvre d’un accord sur le climat. De l’autre, des partenaires qui cherchent compétences, technologies, capitaux et des moyens de retenir chez eux leurs populations. L’USINE A GES © la lettre des professionnels du changement climatique www.lusineages.com ©CHUNGKING Suivez Volodia Opritchnik sur Twitter : http://twitter.com/Opritchnik millions d’euros C’est le budget alloué au gouvernement par le parlement pour organiser la COP21. Un peu de cynisme E Édito -1- Novembre 2015 ENERGOGRAD 186 Numéro spécial COP21

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n°104 novembre 2015 Lettre gratuite et mensuelle.

2 entretien Teresa Ribera

2 Politique La transition à la Royal Pascal Canfin passe au WWF

2-3 Économie La séquestration collective du CO2 Sans taxe carbone, plus de pétrole L’OCDE exportera moins de centrales au charbon

4 Sciences Nous avons réchauffé le climat de 1 °C

4 Initiatives Entreprises, collectivités : même combat climatique

5-7 Dossier De Lima à Paris

n diplomatie, on n’a ni ami, ni ennemi. Juste des intérêts à défendre avec des alliés de circonstance, contre des adversaires qui peuvent ne pas le rester longtemps. Il en est de même dans les négociations climatiques. A priori, « l’ennemi » est tout désigné : ce sont les pays

producteurs de pétrole. Et il est vrai que leur je-m’en-foutisme climatique les installe naturellement à cette place. Ce n’est pourtant pas si simple. La plupart d’entre eux tendent les verges pour se faire battre. La Russie a pris d’honorables engagements d’atténuation (-25 à -30 % de GES entre 1990 et 2030), mais n’entend les respecter qu’en regardant ses forêts pousser. Angola, Koweït, Libye, Nigeria, Venezuela n’ont pas pris la plume pour rédiger un semblant de contribution nationale volontaire (INDC en jargon onusien) pour l’ONU. En réglant un peu ses climatiseurs, Oman veut bien abattre de 1,2 million de tonnes ses émissions de GES ; on frise le foutage de gueule. Certains sont plus malins. En développant les renouvelables, le nucléaire et le captage-stockage de CO2 (CSC), l’Arabie Saoudite entend réduire ses émissions de GES de 130 millions de tonnes en 2030, par rapport à un scénario tendanciel de 750 millions de tonnes. Paré du voile de la vertu, Ryad s’autorise tout de même une hausse de 35 % de ses rejets carbonés en quinze ans. L’Irak fait le même calcul : une réduction de 14 % par rapport au scénario « fil de l’eau » lui laisse la possibilité de faire bondir de 72 % ses émissions entre 2015 et 2035.Le cas de l’Algérie mérite qu’on s’y arrête. Même si elle estime n’avoir aucune « responsabilité historique […] en matière d’accumulation des gaz à effet de serre », Alger fait une honnête proposition. En 2021 et 2030, le plus vaste pays du Maghreb propose de diminuer ses rejets de 7 %. Un but dont l’ambition peut être triplée, moyennant un sérieux coup de main des pays riches. Et ce ne sont pas les travaux qui manquent : reconquête de milliers de kilomètres carrés de terres arables, rénovation énergétique de millions de logements, électrification solaire, amélioration de la gestion des déchets, réduction du torchage, reboisement. De quoi faire travailler les capitaux et les entreprises du Nord. Et, éventuellement, de sécuriser leur approvisionnement en électricité. La fondation Désertec milite pour l’installation de centrales solaires dans le Sahara, dont une partie de la production alimenterait l’Europe. L’Iran fait un pari comparable à celui de l’Algérie. Seule, Téhéran estime pouvoir réduire de 4 % ses rejets d’ici à 2030. Avec des technologies occidentales de raffinage, de nouveaux réseaux de transport de gaz et d’électricité, des centrales électriques de dernière génération, des énergies décarbonées et du CSC, la contribution iranienne pourrait tripler, insiste la théocratie.Voilà qui facilite le travail des diplomates. D’un côté, les pays pétroliers qui ne feront jamais rien pour renoncer à leur rente pétrolière et faciliter la mise en œuvre d’un accord sur le climat. De l’autre, des partenaires qui cherchent compétences, technologies, capitaux et des moyens de retenir chez eux leurs populations.

L’USINE A GES©

la lettre des professionnels du changement climatique

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Suivez Volodia Opritchnik sur Twitter :http://twitter.com/Opritchnik

millions d’eurosC’est le budget alloué au gouvernement par le parlement pour organiser la CoP21.

Un peu de cynismee

Édito

-1-Novembre 2015 ENERGOGRAD

186

numéro spécial

CoP21

Page 2: n°104 L’USINE A GES 104_11_2015.pdfn 104 novembre 2015 Lettre gratuite et mensuelle. 2 entretien Teresa Ribera 2 Politique La transition à la Royal Pascal Canfin passe au WWF 2-3

ncienne secrétaire d’État espagnole au climat (2008-2011), Teresa ribera dirige l’IDDrI (Institut du Développement

durable et des relations internationales). elle décrypte les tenants et les aboutissants de l’accord qui pourrait être conclu à l’issue de la CoP21. est-il possible de conclure un accord en moins de deux semaines à Paris alors que bonn a débouché sur un projet de 54 pages avec 1 500 parenthèses qui constituent autant de divergences entre les 195 pays participants ? Êtes-vous optimiste ?

Teresa Ribera : Oui, je le suis parce qu’il y a une volonté politique très forte d’aboutir à un accord. Ce qui n’empêche pas qu’il y a encore beaucoup de points de négociation en suspens dont certains comportent une forte charge émotionnelle. De ce fait, on ne peut être sûr à 100 % du succès.

Des points à forte charge émotionnelle ?

T.R. : C’est l’idée traditionnelle encore défendue par certains pays [du Sud, ndlr] selon laquelle les pays du Nord sont responsables historiquement du changement climatique et que c’est donc à eux de régler le problème et de payer le Sud pour toute participation aux efforts. Mais c’est une attitude devenue assez minoritaire. Car, même si l’Europe et l’Amérique du Nord étaient rayées de la carte, les pays du Sud n’échapperaient pas au changement climatique et devraient se développer d’une autre manière. Presque tous les pays ont compris que le fonctionnement actuel de l’économie n’était plus possible et qu’il valait mieux gérer ensemble la transition énergétique. La nécessité d’agir ensemble n’est plus contestée mais c’est le « comment », la gouvernance internationale du climat, qui est en jeu.

Plus précisément, qu’est-ce qui est en jeu à Paris ?

T.R. : D’abord l’équilibre général de l’accord entre atténuation, adaptation et résilience. Ensuite la cohérence entre l’action et les financements. Il faut au moins être sûr que les 100 milliards de dollars promis par les pays du Nord seront bien là [d’ici à 2020, ndlr]. Mais le dossier « financements »

va bien au-delà des 100 milliards. L’accord de Paris doit donner des signaux pour qu’à l’avenir n’importe quelle décision d’investissement – qu’elle soit publique ou privée, qu’elle concerne un État du nord ou du sud, qu’il s’agisse de prêts ou de dons – prenne en compte la nécessité d’accélérer la baisse des émissions et de diminuer la vulnérabilité aux impacts du changement climatique. Et cela, même si cela coûte plus cher dans la phase initiale d’investissement. Il s’agit aussi qu’il y ait une cohérence entre toutes les décisions d’investissement.

L’accord de Paris sera-t-il juridiquement contraignant ?

T.R. : Il le sera. Il imposera notamment aux États d’avoir une politique climatique et de la décrire dans une INDC, de rendre compte de la manière dont les objectifs qu’ils se fixent vont être atteints, de ne pas revenir en arrière et de revoir périodiquement leurs objectifs à la hausse.

Les InDCs présentées jusqu’à maintenant pourraient-elles figurer dans une annexe de l’accord ?

T.R. : La question est à la fois politique et juridique. La question politique est liée au droit constitutionnel américain. Si les chiffres des INDCs étaient dans l’accord, Obama serait forcé de soumettre ce dernier au Sénat ou au Congrès. Il ne peut donc accepter un accord que si les dispositions du document entrent dans le cadre de ses pouvoirs exécutifs. Côté juridique, si on met les INDCs dans une annexe de l’accord à ratifier, alors cela veut dire que lorsqu’il faut revoir en hausse les engagements des INDCs, il faut une nouvelle ratification. Avec tous les risques que cela comporte comme on l’a vu pour le protocole de Kyoto. Imaginons qu’on choisisse à Paris d’inscrire les INDCs dans une simple décision de la conférence, alors il devient beaucoup plus facile de les revoir à la hausse quelques années après.

Politique

La transition à la royal

Deux semaines avant l’ouverture de la COP, présidée par son vieux rival Laurent Fabius, la ministre de l’Écologie a rappelé qu’il fallait compter avec elle pour lutter contre le réchauffement. Le 13 novembre, Ségolène Royal a présenté une partie de la programmation pluri- annuelle de l’énergie, prévue par sa loi sur la transition énergétique adoptée cet été. En 2030, donc, le bouquet énergé-tique français devra compter entre 36 et 43  GW d’éolien terrestre et de photo- voltaïque, contre 14,7 en 2014. À la même échéance, la production de chaleur à partir de la biomasse passera de 10 700 à 14 000 kilotonnes équivalent pétrole par an. Enfin, on injectera 6 fois plus de bio- gaz dans les réseaux de GRDF qu’au-jourd’hui, soit environ 6 TWh/an. Le même jour, la locataire de l’hôtel de Roquelaure a rappelé, en conseil des ministres, l’évo-lution de la contribution climat-énergie : 30,5 euros en 2017 (8,5  euros de plus qu’en 2016) et 56 euros en 2020.

Pascal Canfin passe au WWF

Le journalisme mène à tout, à condition d’en sortir. Ce qu’a su parfaitement faire Pascal Canfin. L’ancien rubricard d’Alternatives économiques vient de se voir bombardé à la direction générale de la branche française du WWF. Auparavant, ce spécialiste de la finance avait traîné ses guêtres au parlement européen avant d’être le premier ministre écologiste chargé du développement. Démissionnaire, suite à la chute du gouvernement Ayrault, Pascal Canfin avait intégré le World Resource Institute, en qualité de conseiller spécial climat. À ce titre, il avait rédigé, avec Alain Grandjean, le rapport au président de la République sur le financement de la lutte contre le changement climatique.

Économie

La séquestration collectivedu Co2

Pionnière du captage-stockage géo- logique (CSC), la Norvège entend conserver son leadership (lire L’Usine à GES n°49). La société publique Gassnova démarche des industriels

…/…

Teresa ribera

entretien Propos recueillis par Odile MeuVReT

A

-2-Novembre 2015 ENERGOGRAD

DR

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de l’agglomération d’Oslo. Objectif : raccorder l’incinérateur de la capitale, une usine d’engrais et une cimenterie à un réseau de collecte de CO2. Les centaines de milliers de tonnes de GES (annuelles) seraient extraites des effluents des trois usines, transportées par le carboduc de Gassnova avant d’être injectées dans une couche géologique étanche. Une première mondiale.

Sans taxe carbone, plus de pétroleVoilà de quoi faire réfléchir les congres-sistes de la COP21 : nous ne manque-rons pas de pétrole d’ici à 2050. C’est l’annonce faite, début novembre, par BP. Dans sa dernière étude sur les tech-nologies de l’énergie, le pétrogazier britannique estime que le volume de ressources énergétiques « techniquement récupérables » en 2050 est de 455  mil-liards de tonnes équivalent pétrole par an : 20 fois la demande d’énergie primaire annoncée. Une petite moitié sera d’ori-gine solaire. Viennent ensuite nucléaire et géothermies, et le pétrole. Car l’huile de roche reste abondante. Au cours de l’histoire, nous en avons certes extrait 2 000 milliards de tonnes équivalent pétrole. Mais les technologies actuelles ou en cours de développement laissent supposer que nous disposons d’un gise-ment 4 fois supérieur à celui que nous avons consommé. Le tout à des coûts en constante diminution. Dit autrement, point de salut climatique sans tarification forte du carbone.

L’oCDe exportera moins de centrales au charbonIl aura fallu deux ans d’efforts à la diplo-matie américaine pour convaincre ses partenaires membres de l’OCDE de re-noncer à leurs aides publiques à l’export de centrales au charbon. L’accord a été scellé le 18 novembre à Paris, au siège de l’organisation. Devant entrer en vi-gueur en 2017, cette convention prévoit quelques exceptions. Les 34 pays indus-trialisés pourront continuer à soutenir les exportations de centrales au charbon à haut rendement (moins émettrices de CO2), ainsi que les installations dotées de système de captage de gaz carbo-nique (CSC). Autre trou dans la raquette : l’accord ne concerne que les institutions publiques et pas les banques privées. Pour mémoire, il existe actuellement 1  200 projets de centrales au charbon dans le monde.

-3-Novembre 2015 ENERGOGRAD

epuis le printemps, collectivités et entreprises sont invitées par l’onU à publier leurs promesses climatiques sur le

site nazca, imaginé lors de la CoP20 de Lima. Petite sélection, subjective, des annonces les plus significatives.Elles sont 8 596 cités, régions, entreprises, banques, sociétés d’assurance à avoir joué le jeu. Ces 8 596 acteurs, « non-étatiques » comme les appelle l’ONU, ont mis en ligne sur la plateforme Nazca leurs engagements en matière d’atténuation et d’adaptation. Sans surprise, une grande majorité de ces membres de la société civile se trouvent au nord de l’Équateur, mais la présence du Sud est loin d’être anecdotique. Pays hôte du sommet Climat, la France ne brille pas de mille feux : 55  villes, 9  régions et 64 entreprises tricolores ont déposé leur promesses, soit 1,5 % du total des contributions. On aurait pu espérer mieux. À titre de comparaison, les Suédois ont déposé 300 programmes d’action.

Inventaire à la Prévert carbonique

Que trouve-t-on dans cet inventaire à la Prévert carbonique ? De tout, cela va sans dire. Mais l’on peut d’ores et déjà esquisser quelques grandes tendances. Plus des deux tiers des contributions fixent des objectifs de réduction d’émissions, le plus souvent à moyen terme (entre 2020 et 2030). Les leviers les plus fréquemment actionnés sont l’énergie et l’efficacité énergétique (38 %) et les

renouvelables (25 %). Ployant sous le vent de l’Histoire, près de 900 contributions intègrent un prix interne du carbone. Dit autrement, ces entreprises pionnières (Air Liquide, Bouygues, Carrefour) intégreront dans leur processus d’investissement un coût virtuel du CO2 (20  dollars par tonne pour Centrica, 5 dollars par tonne pour Electrobras) afin de favoriser les projets au meilleur bilan carbone.

Autre tendance lourde : la finance. Banques, assurances, fonds d’investissements ou de pension s’engagent sur 561 actions. Nombre d’entre elles sont des émissions d’obligations vertes pour financer les énergies renouvelables, la construction de logements sobres ou de centres de tri de déchets. Ce qui n’interdit pas quelques idées originales : Bank of America, par exemple, entend ainsi faciliter le financement d’opérations de captage-stockage géologique de CO2. L’Australien CareSuper consacre 50 millions de dollars à la plantation de puits de carbone forestiers. La NWB Bank néerlandaise lève 1,68  milliard de dollars d’obligations pour financer des projets d’adaptation et de résilience aux Pays-Bas.

entreprises, collectivités : même combat climatique

Initiatives Sophie d’AnhAlT

D

…/……/…

DRCapture d’écran de la plate-forme Nazca.

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Les églises font tronc commun

Les fonds de pension religieux ne sont pas en reste. Celui de l’Église d’Angleterre prévoit de consacrer 130 millions de dollars aux énergies renouvelables en Europe et aux forêts d’Amérique du Sud. Le Church Comissionners for England (autre fonds d’investissement anglican) déploie une ligne de crédits de 350 millions de dollars pour la construction de bâtiments sobres à Singapour et la gestion de forêts dévoreuses de carbone. L’Église de Suède investira plus de 100  millions de dollars dans les technologies propres et les renouvelables en Norvège, les bâtiments sobres en Suède et dans les forêts britanniques.

Les collectivités frappées par la grâce

La grâce climatique est aussi descendue sur les collectivités. À Addis-Abeba, capitale de l’Éthiopie, on réduira les émissions grâce à l’arrivée progressive de bus électriques. Johannesburg fait sien l’engagement éthiopien. Mais la capitale économique de l’Afrique du Sud y ajoute 140 millions de dollars d’investissements dans l’efficacité énergétique, la gestion des déchets et l’amélioration du système d’adduction d’eau. De quoi diminuer de 7 % le bilan carbone de ces trois activités entre 2007 et 2016. En réduisant à zéro les émissions de sa flotte de transport public, en multipliant les réseaux de chauffage urbain, en développant à grande vitesse le véhicule électrique, Oslo entend diviser par deux ses émissions entre 1990 et 2030. Dernièrement,

le fonds de pension des fonctionnaires de la capitale de Norvège (8 milliards d’euros d’actifs) a décidé de céder toutes les actions et obligations qu’il détenait dans les entreprises produisant des énergies fossiles.

La plupart des régions du monde se proposent d’accroître, plus ou moins et plus ou moins vite, la part d’énergies renouvelables dans leur consommation finale. Le pompon revient au Jämtland suédois qui promet d’être « 0 fossiles  » d’ici à 2030. Dans les territoires plus peuplés1, on est moins ambitieux. La plupart s’engagent sur des bouquets énergétiques comprenant une part non négligeable (20 à 30 %) d’énergies renouvelables entre 2020 et 2030. La Réunion va bien au-delà. Le département-région ultramarin entend développer les énergies marines, l’éolien, le solaire et doter 80 % des logements d’un chauffe-eau solaire d’ici à 2030. Ultime étape avant de gagner l’indépendance énergétique.

Haro sur l’agro

Un secteur fait totalement défaut : l’agriculture et l’agroalimentaire. Les entreprises et les coopératives qui nourrissent le monde n’affichent que trois engagements. Un vrai scandale pour un secteur à l’origine d’une tonne de gaz à effet de serre sur cinq. D’autant que les promesses sont très éloignées du monde paysan. Le groupe Mars veut réduire la déforestation qu’il provoque en accroissant ses achats auprès de producteurs (de bœufs, d’huile de palme,

de pâte à papier ou de soja) certifiés. La Planète peut attendre, à l’évidence. McDonald’s ne fait pas mieux. L’empereur de la malbouffe annonce fièrement qu’il commencera à acheter de la viande «  durable  » dès l’an prochain. Le climat peut pousser un « meuh » de satisfaction. En cours de rachat par Anheuser-Busch InBev, le brasseur SABMiller prévoit de diminuer de moitié l’intensité carbone de ses brasseries et d’un quart celles des autres opérations (culture des céréales, fabrication des emballages, logistique) entre 2008 et 2020.

Une petite satisfaction pour finir. Alors que les parties au protocole de Montréal tentent de durcir la régulation des gaz destructeurs de la couche d’ozone (dont certains sont de puissants gaz à effet de serre à faible durée de vie) entreprises et collectivités restreignent production et usage de ces GES à vie courte. En formant ses équipes, Alstom espère réduire de 8 % par équipement vendu ses rejets d’hexafluorure de soufre (SF6), un gaz de synthèse dont le pouvoir de réchauffement global est 22 000 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone. En changeant ses armoires réfrigérées, le distributeur suisse Coop va abattre de 64 % ses rejets de GES entre 2008 et 2023. Les gestionnaires de réseau de transport d’électricité espagnol et portugais (REE et REN) vont réduire leur utilisation de SF6, là encore en formant leurs équipes mais aussi en modernisant leurs transformateurs.

Initiatives Sophie d’AnhAlT

-4-Novembre 2015 ENERGOGRAD

Sciences

nous avons réchauffé le climatde 1 °C Selon les calculs du Met Office britanni-que, la température moyenne globale à la surface de la Planète, pour l’année 2015, devrait être supérieure de plus de 1 °C aux moyennes de température observées entre 1850 et 1900. L’influence du puissant phénomène El Niño en cours est en partie responsable de ce coup de chaleur. Mais cela ne suffit pas. S’établissant, pour 2014, à 397,7 ppm, la concentration moyenne de CO2 dans l’atmosphère atteint un niveau record, assure l’OMM, dans la dernière édition de son bulletin sur les GES.

(1) Avec une densité de 3 habitants/km2, le Jämtland compte environ 115 000 habitants.

DRCapture d’écran de la plate-forme Nazca.

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e la COP20 de Lima à la COP 21 de Paris, retour sur une année de négociations qui déboucheront, peut-être, sur la conclusion d’un accord mondial sur la régulation

du réchauffement climatique.

Aujourd’hui, c’est encore un chantier où travaillent d’arrache-pied plus de 3 000 personnes. Le 30 no-vembre, sur les pistes de l’aéroport du Bourget se dressera un camp retranché. Camp retranché, car c’est là que convergeront 138 chefs d’État et de gouvernement, 40 000 négociateurs, experts, diplomates, journalistes et représentants d’orga-nisations non gouvernementales. Deux semaines durant, le monde du climat sera réuni dans ce compound onusien, à quelques kilomètres à peine des lieux frappés par le terrorisme. Des forces poli-cières et militaires considérables sécuriseront l’an-cienne base de l’armée de l’air, au détriment de la société civile. Car, c’est bien le manque de troupes des ministères de l’Intérieur et de la Défense qui a motivé l’interdiction des deux grandes marches

parisiennes qui devaient suivre, le 29 novembre et le 12 décembre, le tempo des négociations.

Feuille de routeÀ peine achevé sur le tarmac, le chantier conti-nuera dans les salles de négociation. Car, la partie n’est pas encore gagnée. Loin s’en faut. La feuille de route tracée à la COP20 de Lima a pourtant presque été tenue. En décembre 2014, trois grands objectifs avaient été fixés dans la capitale péru-vienne. Les 196 parties à la Convention cadre de l’ONU sur les changements climatiques (195 États et l’Union européenne) devaient, au printemps 2015, publier leurs engagements climatiques. Baptisées « INDC », ces esquisses de politique climatique devaient surtout permettre d’établir un

premier niveau d’ambition international, à compa-rer à l’objectif de stabilisation du réchauffement à 2 °C d’ici à 2100, désormais poursuivi par la com-munauté internationale.

recensement mondialAutre demande formulée à l’issue du sommet péruvien : engager la société civile mondiale dans un mouvement de décarbonisation. Pour ce faire, l’ONU a mis en ligne un site où tous les « acteurs non gouvernementaux » peuvent, eux aussi, publier leurs engagements en faveur du climat. Joliment bapti-sée « Nazca », cette plate-forme recense, en quelque sorte, les INDCs de milliers d’entreprises, de collec-tivités territoriales et d’investisseurs volontaires (lire encadré).

Volodia OPRiTchnik

DDe Lima … à Paris

-5-Novembre 2015 ENERGOGRAD

Dossier spécial

CoP21

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Last but not least : l’accord de Paris. Le sommet climatique de Lima avait accouché non pas d’un préaccord, mais d’une sorte de squelette qu’il suffisait d’étoffer. En 37 pages, ces éléments pour un projet de texte de négociation rappellent les points fondamentaux d’un accord universel et contraignant :•   prise  en  compte  des  questions  d’atténuation, 

d’adaptation, de financement, de transfert de technologie, des capacités des pays pauvres, de transparence des politiques,

•   respect  des  principes  de  responsabilité  com-mune mais différenciée,

•   mobilisation de fonds par  les pays riches pour financer les politiques d’atténuation et d’adap-tation des pays en développement.

Inflation textuelleRien que de très classique. Quelques semaines plus tard, les négociateurs se retrouvent à Genève. Et ils sont très productifs. Sur les bords du Léman, le texte passe de 37 à 86 pages dans sa version anglaise1. « Nous disposons désormais d’un texte formel de négociation qui contient les visions et les problèmes de tous les pays », explique alors Christiana Figueres, la patronne de la Convention climat. Certes, mais le texte est totalement illisible et toujours très critiqué. Experts et diplomates se réunissent une nouvelle fois, en juin à Bonn. Le succès n’est, là non plus, pas au rendez-vous. Le 12  juin, négociateurs et diplomates accouchent d’un opus de 85 pages, mais comprenant 2 730  mots de moins que la version précédente. « C’est bien la preuve que l’on a progressé », ironise alors un membre de la délégation française. L’ONU prend le taureau par les cornes. Deux diplomates, très bons connaisseurs du sujet, sont désignés pour produire en un mois un texte acceptable par tous.

outil à géométrie variableLe 24 juillet, Ahmed Djoghlaf et Daniel Reifsnyder rendent public l’Outil – personne n’ayant trouvé de titre plus sexy. Les deux « coprésidents du groupe de travail spécial de la plate-forme de Durban pour une action renforcée » (c’est leur titre !) ont fait du bon boulot. Les 86 pages initiales sont réduites à 19. Leurs astuces : supprimer les redondances, mais surtout réorganiser les demandes des négocia-teurs. D’un côté, le fondamental classé dans le futur accord de Paris (9 pages à l’époque). De l’autre, toute une série de décisions devant être non plus insérées dans l’accord mais directement soumises au vote de la COP212. « Cette classification est impor-tante », concède Pierre Cannet, responsable du programme Énergie Climat au WWF France, « mais

le plus important, c’est le fait que les coprésidents insistent sur l’importance de la période qui précédera l’entrée en vigueur de l’accord de Paris ». Et de fait, l’Outil rappelle à plusieurs reprises l’impossibilité de se conformer aux 2 °C sans action immédiate.

Les gouvernements décortiquent la proposition du diplomate algérien et de son compère amé-ricain. Et envoient, mi-octobre, leurs équipes en débattre lors d’un nouveau round de négociations, à Bonn. Le résultat est désastreux. Les 9 pages du préaccord rédigées par les deux « co-chairs  » passent à 33 pages. Auxquelles, il faut ajouter 23 pages de décisions qui devront être débattues par la COP21 et la demi-douzaine de pages sup-plémentaires recensant les décisions à prendre avant 20203. Les diplomates français et péruviens4 ne baissent pas les bras. Une ultime réunion pré-paratoire est organisée à Paris, début novembre. Le texte d’octobre n’a pas évolué. En revanche, la soixantaine de ministres présents se sont entendus sur quelques principes : •   suivre une trajectoire d’émission basse et adap-

tée au climat,•   que  les  100  milliards  d’aides  annuelles  que 

les pays riches s’engagent à octroyer aux pays pauvres, dès 2020, soit un plancher,

•   la révision (à la hausse et tous les 5 ans) des pro-messes faites dans les INDCs.

Pour le reste, le blocage reste total sur les questions de différenciation, le montant de l’aide à l’adaptation des pays les plus vulnérables, la conditionnalité des aides, et tant d’autres choses.

Douche froide à AntalyaDans les jours suivants, c’est la douche froide. Le 20 novembre, le sommet du G20, organisé par

-6-Novembre 2015 ENERGOGRAD

Les engagements de la société civileQuel rapport peut-on établir entre le bras-seur mondial Heineken, Dakar, l’agglo-mération d’Achmiany, Adidas ou le Crédit Agricole ? Vous séchez ? Toutes ces col-lectivités, entreprises et investisseurs ont publié leurs promesses climatiques sur la plate-forme onusienne Nazca. À l’heure où nous écrivons ces lignes, 8 596 entités du monde entier avaient ainsi déposé leurs contributions à la lutte contre le réchauffement. Sans méthologie ni ca-lendrier communs, difficile d’établir un bilan carbone de ces promesses. L’ONU, comme la présidence française de la COP21, semblent anticiper un effet boule de neige.

Les coalitions de négociationsSelon leurs intérêts spécifiques, les pays se regroupent par affinité, au sein de coalitions de négociation. Un bon prisme de lecture des tracta-tions. Les principaux bataillons en présence sont : •   le G77 (regroupant 134 pays en développement et émergents, dont 

la Chine), •   les Basic (Brésil, Afrique du Sud, Inde, Chine), •   le groupe arabe (compte 21 pays, souvent associé au G77), •   l’Alba  (l’Alliance bolivarienne pour  les peuples de notre Amérique 

regroupe 11 pays d’Amérique latine et des Caraïbes), •   l’Ailac  (l’Association  des  États  indépendants  d’Amérique  latine  et 

des Caraïbes regroupe 18 pays d’Amérique latine et des Caraïbes moins radicaux que ceux de l’Alba),

•   l’Aosis  (l’Alliance des petits  États  insulaires,  très  concernée par  les questions d’adaptation),

•   le groupe Afrique (54 pays du continent), •   le groupe des pays les moins avancés (48 États, dont 34 africains), •   la  coalition  des  États  à  forêts  tropicales  (40  pays  d’Afrique,  d’Asie

et d’Amérique centrale), •   le  groupe  des  pays  en  développement  homodoxes  (coalition  de 

24  États ayant la même vision et membres aussi du G77), •   le  groupe  de  l’Ombrelle  (rassemble  habituellement  Australie, 

Canada, États-Unis, Norvège, Russie, Islande, Japon, Nouvelle- Zélande, Ukraine),

•   le groupe de  l’intégrité environnementale  (constitué de  la Suisse, du Mexique, de la Corée du Sud, de Monaco et du Liechtenstein).

(1) La traduction française est toujours de 20 à 30 % plus longue.(2) Réunissant tous les pays (parties) ayant ratifié la Convention de l’ONU sur les changements clima-

tiques, la COP est une sorte de parlement mondial du climat. Chaque pays dispose d’une voix et les décisions sont prises par consensus.

(3) Une version allégée a été publiée le 6 novembre : 28 pages pour l’accord et 26 pages pour les décisions à voter par la COP.(4) Statutairement, le Pérou préside les négociations jusqu’au 30 novembre 2015. C’est à cette date que Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères présidera officiellement le processus, pour un an.

Volodia OPRiTchnikDossier spécial

CoP21

Page 7: n°104 L’USINE A GES 104_11_2015.pdfn 104 novembre 2015 Lettre gratuite et mensuelle. 2 entretien Teresa Ribera 2 Politique La transition à la Royal Pascal Canfin passe au WWF 2-3

ENERGOGRADenergograd est une société spécialiséedans l’information sur l’énergie et le changementclimatique.Energograd - Volodia OPRITCHNIK73, rue de Cléry - 75002 ParisTél. : 06 26 81 31 98 - [email protected] L’Usine à GES et ses services sur le net :

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ISSN 2114-7248

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rédacteurs ayant participé à ce numéro : Sophie D’ANHALTValéry LARAméE DE TANNENbERgOdile mEUVRETVolodia OPRITCHNIK

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-7-Novembre 2015 ENERGOGRAD

la Turquie à Antalya, ne débouche sur rien. Bien que le changement climatique soit considéré « comme l’un des plus grands problèmes de notre temps », dans le communiqué. Les 20 pays les plus puissants du monde promettent juste de continuer à améliorer le fonctionnement des marchés de l’énergie, de diversifier leur bouquet énergétique et de réduire les subventions à la consommation d’énergies fos-siles. Manquent notamment à l’appel le lancement de la taxe sur les transactions financières et l’accep-tation de la procédure de revoyure quinquennale des promesses climatiques nationales (les INDCs). Ancien ministre français du développement, Pascal Canfin fustige l’Arabie saoudite et l’Inde, coupables d’avoir « bloqué toute mention des clauses de révision pour l’accord de Paris ».

La conférence de Paris est-elle donc vouée à l’échec ? Pas sûr. Car, parallèlement aux négo-ciations chaotiques, deux grandes dynamiques se sont amorcées, ces derniers mois. Bien plus qu’avant le sommet de Copenhague (à l’issue duquel devait être conclu un accord global sur le climat – lire L’Usine à GES n°62), le monde de l’entre-prise réclame à corps et à cris la construction d’un nouveau contexte réglementaire. Énergéticiens, banques, grands groupes industriels, multinatio-nales de l’agroalimentaire ou de la grande distribu-tion : tous veulent une tarification des émissions de CO2 (si possible unique). Le secteur financier, français notamment, commence à recenser ses actifs trop chargés en carbone (les actions des compagnies charbonnières, par exemple), pour mieux les céder le jour venu. Les secteurs de l’assu-rance et de la réassurance militent pour la création de dispositif d’incitation à l’investissement dans l’adaptation aux conséquences des changements climatiques. Le blocage n’est plus là.

Politiques pas à la hauteurde l’ambitionIl n’est pas non plus à rechercher dans les territoires. Gouverneurs, présidents de région, maires ont bien compris tout le bénéfice qu’ils pourraient tirer de la mise en œuvre de politiques climatiques fortes : sécurisation de l’approvisionnement en énergie, urbanisme plus résilient, diminution des pollutions de l’air, amélioration des transports. Appelées à devenir les maîtres d’œuvre des stratégies climatiques nationales, les collectivités (à l’origine des deux tiers des émissions mondiales de GES) ont aspiré à tirer de ce nouveau rôle un peu plus d’autonomie vis-à-vis du pouvoir central. Ce qui explique, d’ailleurs, les hésitations climatiques de certains gouvernements, latino-américains, notamment.

Ces administrations ne sont pas tout à fait res-tées l’arme au pied. Souvent avec retard, 170 pays (dont les 28 de l’Union européenne) ont rendu publiques une esquisse de politique climatique à moyen terme (2030-2035). Nombre d’équipes d’experts ont évalué ces INDCs. Si les efforts an-noncés sur deux décennies sont poursuivis au même rythme jusqu’à la fin du siècle, le réchauffe-ment pourrait être contenu aux alentours de 3 °C5.

Soit 1 °C de plus que l’objectif que s’est fixé la com-munauté internationale.

La stabilisation à 2 °C est-elle encore à notre por-tée ? Probablement. À condition d’agir fortement dès à présent. Ce qui suppose, plus que la signa-ture d’un accord à Paris, de réorienter la finance privée vers la décarbonisation de nos sociétés. Ces prochaines années, le seul secteur de l’énergie investira près de 20 000 milliards de dollars pour satisfaire nos besoins en électricité, en gaz, en car-burants et combustibles divers. Tout l’enjeu de la COP21 n’est donc pas (seulement) de conclure un accord incitant pays riches, émergents et pauvres à réduire leurs émissions et s’adapter au réchauf-fement, mais c’est bien de construire un cadre juridique et économique qui incitera les déten-teurs de capitaux à les investir plus naturellement dans les énergies renouvelables, les digues, les villes durables ou les transports propres que dans les secteurs des énergies fossiles ou de la spécula-tion. Ce qui n’est pas forcément plus facile.

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CoP21

(5) 3 °C entre l’ère pré-industrielle et 2100.

Une sémantique évolutiveDepuis qu’il est le président désigné de la COP21 (il ne le sera officiellement que le 30 novembre), le ministre français des Affaires étrangères milite pour la conclusion, à Paris, d’un «  accord universel et juridiquement contraignant ». Ce n’est plus tout à fait le cas. Pour Laurent Fabius, il s’agit désormais de décrocher « un ambitieux compromis ». Cet accord pourrait être hybride : une première partie contraignante (publication d’INDC, révision quinquennale de ces politiques et utilisation des méthodologies onusiennes de comptabilité carbone), une seconde partie non contraignante (mise en œuvre desdites politiques d’atténuation et d’adaptation).