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  • AVANT-PROPOS

  • Août 1946.

    Deux ans après la Libération, un an après la fin des combats,la France reprenait son souffle. De Gaulle avait quitté le gouver-nement, laissant les Français à leurs partis et aux six litres de vinqu'on leur distribuait chaque mois pour accompagner leurs troiscents grammes de viande et leurs deux cents grammes de beurre.

    Un référendum avait rejeté un premier projet de constitution.De nouvelles élections avaient Placé le M.R.P. devant le particommuniste et Bidault avait succédé à Félix Gouin. La Confé-rence de la Paix, à Paris, grinçait des dents et la Guerre Froidecommençait à dire son nom. Le procès de Nuremberg s'ouvraitet, à Paris, celui des Amiraux. Les communistes dénonçaient

    l'insuffisance de l'épuration dans la magistrature. L'AssembléeNationale Constituante faisait un visage à la 7F* République quiallait bientôt commencer sa belle camere en même temps

    que la guerre d'Indochine. Dans le monde des lettres, l'imperti-nence n'était pas de mise.

    Paris était vide et ensoleillé vide de ses rares voitures, de ses

    cyclistes qui pédalaient à la campagne et les vacances universi-taires laissaient du loisir au chef de clinique que j'étais alors.Ceux de mes amis et de mes aînés qui avaient quitté Paris,

    Mt'aa

  • Mon cher petit

    frère de Léon. Qu'il avait vécu dans l'intimité de l'impératriceEugénie et qu'il avait écrit sur elle des livres de souvenirs que jen'avais pas lus.

    Lucien Daudet habitait un entresol de la rue de Grenelle, où

    le buste de l Impératrice et celui du Prince Impérial étaient faits,manzfestement, pour d'autres espaces.

    Dès l'abord, je fus frappé Par le raffinement des manières, letimbre de la voix et une allure hautement aristocratique qui évo-quait plus la fin du siècle précédent que les lendemains de laSeconde Guerre mondiale. Une extrême politesse sans insolenceni hauteur, et sans l'attitude glaciale qu'on a parfois vue chez lui.Un très beau visage, tout en longueur, sommé d'une cheveluregrise ondulée, séparée par la raie en deux masses inégales. Danssa tenue de malade, il montrait une grande élégance. J'eus lesentiment d'entrer dans le monde proustien. Non que LucienDaudet, reclus dans une chambre qu'il ne quittait plus, évoquâtMarcel Proust mais, confusément, un des personnages de laRecherche ou l'un de ses parents.

    Ma visite se prolongea longtemps, comme notre conversationsur un ton d'immédiate confiance. Quoique la Mécène de monaide ne fut pas manifeste, Lucien Daudet me demanda si je pou-vais passer le voir le lendemain. Je le pouvais. Et je le vis ainsichacun des jours de ce mois d'août.

    Nous parlions beaucoup. Peu ou pas de lui. Pas de Fac~Ma/~e.Surtout de littérature. De Balzac et je pense que dans laconfiance qu'il me donna, le goût que j'avais e~nme de Balzaccompta pour beaucoup. C'est bien plus tard que j'ai lu ce aM'!7dit « du culte du plus grand de nos romanciers, de celui qui atout su, tout compris, tout prédit, (qui) est une solide franc-maçonnerie, Mn langage secret qui fait se comprendre entre ellesles natures les plus opposées'

    Et puis un jour, nous parlâmes de Proust. J'étais plein alors deProust et de son monde, plus qu'à d'autres périodes où m'éloignede lui cette alternance du ccBMr et de l'esprit quej'ignore

    ]. Le Prince des Cravates, p. 295-296.

  • Avant-propos

    pour d'autres, pour Balzac et pour Chateaubriand. J'en Mm àparler de Léon Daudet et de la part qu'il avait eue dans l'attribu-tion du prix Goncourt. Lucien Daudet me fit alors comprendre,avec quelle délicatesse, et, apparemment, sans m'en vouloir demon ignorance, que l'ami de Proust était lui-même beaucoupPlus que son frère. Et, faisant prendre dans sa bibliothèqueAutour de Soixante Lettres de Marcel Proust, le dernier qu'ileût encore, il me /e remit avec cette dédicace « Au Docteur

    Bonduelle, ami in extremis.»

    Alors que septembre ramenait à Paris son médecin et que nous

    allions nous quitter, appelant son valet de chambre, il lui fit cher-cher dans l'armoire « les lettres de Monsieur Marcelet me donna

    une boîte en carton dont l'étiquette du Bon Marché portaitl'adresse de Mme Alphonse Daudet à Champrosay, fermée par unruban fané. Elle contenait, jetées en désordre, les lettres qu'on valire et quej'ai laissées à leur silence pendant plus de quarante ans.Une certaine réticence m'a tout d'abord retenu à rendre publiques

    ces lettres dont des voix autorisées m'ont dit qu'elles ne révélaientrien qui ne fût connu. D'autres travaux aussi m'interdisaient d'en-treprendre leur publication et les recherches qu'elle nécessitait.

    Il m'a paru souhaitable de faire précéder les lettres d'uneesquisse de la personnalité de Lucien Daudet dont le nom

    s'efface derrière celui de son ami de toute une Me. Ce travail, qui

    m'a été léger, m'a fait connaître Lucien Daudet. Je me suisefforcé de faire revivre cet homme d'une grande dMt~nctïon demanières et d'esprit.

    Une des dernières fois que je le vis, me montrant à la tête deson lit, une des photographies qui entouraient le baldaquin, ilme dit «Voyez ces trois dames sur un gazon anglais l'Impé-ratrice, l'Impératrice Alexandra Feodorovna et l'Impératrice

    douairière. Quel monde disparu.»

    De ce monde, Lucien Daudetfut un des derniers témoin.! undes derniers acteurs.

  • On trouvera en fin de volume, p. 197, une liste des abréviations utilisées,les références bibliographiques des ouvrages cités et un index des noms propres.

  • LUCIEN DAUDET

  • Portrait de Lucien Daudet par Albert Besnard (1894).

    Reproduit avec l'aimable autorisation de Mlle Renée Benoit.

  • Dans les dictionnaires biographiques, le nom de Daudetoccupe une grande place. Alphonse d'abord, qui est aussi lepremier par ordre alphabétique Mme Alphonse Daudet,née Julia Allard Léon, qui tient presque autant de place queson père Ernest, le frère d'Alphonse voire Charles, fils dupremier mariage de Léon avec Jeanne Hugo. Lucien estpresque partout absent et seuls deux ouvrages lui consacrentquelques lignes.

    L'article de la Bibliographie de Talvant et Place, daté de

    1933: « Lucien-Alphonse Daudet, second fils d'AlphonseDaudet est né à Paris en 1883'. C'est l'aristocrate de la

    famille a dit de lui son frère Léon Daudet et, de fait, une

    grande distinction, une discrète réserve, un raffinementparticulier marquent son très réel talent d'écrivain. Amiintime de l'impératrice Eugénie, il a défendu sa mémoiredans un livre et dans des articles d'une piété toute filiale.Romancier il a pu, sans être écrasé par le grand nom qu'ilportait, ni lui devoir une célébrité facile, se faire un renomde psychologue et de descripteur délicat qui l'apparentequelque peu du point de vue de la sensibilité à son grandami Marcel Proust.»

    1. C'est une erreur, qui sera répétée Lucien, Alphonse, Marie Daudet est né,âParis,[el!juinI878.

  • Mon cher petit

    Le Dictionnaire des Lettres françaises, de 1971, consacre àLucien Daudet une note qui fait suite à l'article LéonDaudet, due àj. H. Bornecque, brève mais riche de sens danssa concision « Bien qu'il appartienne surtout au xxe siècle,on ne saurait tout à fait passer sous silence le frère cadet deLéon Daudet, Lucien Daudet (1883-19451). Dernier confi-dent de l'impératrice Eugénie (L'Inconnue, 1911-1922) amiintime de Marcel Proust dont il sut, l'un des premiers, recon-naître ie génie (Autour de Soixante Lettres de Marcel Proust,19292), comme de Jean Cocteau, Lucien Daudet dont la sensi-bilité aiguë eut des éclairs surréalistes (La Dimension nou-~e//e, 1919 Ca/eMdrzer, 1922) sacrifia dans une large mesureses dons et son œuvre à son dévouement pour sa mère. »

    Dans sa préface à La Doulou3, André Ebner qui fut le der-nier secrétaire d'Alphonse Daudet, achève l'esquisse « Lefils cadet, Lucien, qui eut l'honneur d'être l'un des derniersintimes de l'impératrice Eugénie, n'aime point la publicité etvit au milieu d'une élite qui apprécie autant sa personnalitéd'homme du monde que son talent d'écrivain.»

    Ces quelques phrases qui se recoupent et se complètent,ébauchent la silhouette de cet homme discret dont le nom se

    cache dans la grande ombre de celui de son père et danscelle, tumultueuse, de son frère aîné. Aussi brèves qu'ellessoient, elles donnent les clefs de sa personnalité et de sa vieson amour de sa mère, sa dévotion à l'impératrice Eugénie,son amitié pour Marcel Proust, son goût du monde, celui deslettres et un incontestable talent d'écrivain.

    Autour de Soixante Lettres est familier aux lecteurs de

    1. 1878-1946.

    2. 1928.

    3.1931.

  • Lucien Daudet

    Proust plus connu sans doute par son titre que par sonauteur comme les lettres transcrites le sont plus que letémoignage d'un de ceux qui ont le mieux connu MarcelProust, qui ont le mieux analysé l'œuvre dont, dès la paru-tion de Swann, il sut dire la place qu'elle prendrait. On nes'intéresse guère à l'impératrice Eugénie. Et le nom deLucien est comme effacé par celui de son père dans cette Vied'Alphonse Daudet, une de ses meilleures biographies, àlaquelle rien n'est à ajouter. Quant à son oeuvre romanesque,saluée par de grands éloges comme ceux que lui décerneMarcel Proust elle connut plus un succès d'estime qu'ellene lui apporta la renommée, et elle est tout à fait oubliée. S'ilest vrai, et il l'a écrit, qu'il a toujours voulu éviter le tapage, lesilence autour de son nom serait la preuve qu'il y a réussi. Lecorrespondant de Proust, le meilleur, le plus ancien et leplus fidèle de ses amis mérite qu'il soit sorti de son ombre etqu'en prolongeant les quelques lignes qu'on vient de lire, onfasse revivre l'homme et l'écrivain.

    Les mémorialistes ne lui accordent guère que quelquesmentions ou quelques allusions qu'il faut glaner ici ou làparfois quelques lignes comme celle de Portraits souvenir deCocteau et quelques pages de Jean Hugo mais jamais uneimage de l'homme, jamais une mesure de son œuvre. C'est sur-tout lui-même, Lucien Daudet, qui dans ses écrits et en parlantdes autres, de l'impératrice, de son père, de Marcel Proust, enfaisant souvent allusion à lui-même, aidera par touches suc-cessives, à recomposer sa personnalité. La correspondance deMarcel Proust, les Soixante Lettres, celles qu'a pu rassemblerPhilip Kolb et celles réunies ici, sont une des meilleuressources, comme ces « lettres intimes » adressées presque quo-tidiennement à sa mère lors de ses séjours chez l'impératrice.Comme l'est aussi sa t~'e d'Alphonse Daudet, auprès de qui safemme tient une grande place. Et la vie de Lucien Daudetaura été si intimement liée à celle de sa mère, qu'en parlantd'elle, c'est une partie de la sienne propre qu'il nous livre.

  • Mon cher petit

    Quelques repères chronologiques sont indispensables.Lucien Daudet est né à Paris, je l'ai noté en corrigeant

    l'erreur du Talvant et Place, le 11 juin 1878. AlphonseDaudet et Julia Allard, qu'il avait épousée en janvier 1867,s'étaient installés, non loin des parents Allard, rue Pavée,dans l'hôtel Lamoignon où Léon naîtra au mois denovembre suivant. En 1876, ils s'étaient transportés placedes Vosges, où Lucien va naître, dix ans après son aîné ethuit ans avant Edmée, la dernière enfant des Daudet. C'est

    l'arrivée de Lucien qui, rendant l'appartement trop petit,décida d'une nouvelle installation, avenue de l'Observatoire

    « à des lieues du Marais. ». C'est dans ce quartier duLuxembourg que Lucien passera toute sa petite enfance, que« Zézé » vivra ses premiers souvenirs qui feront la trame dece livre charmant que sont Les Yeux neufs que prolongeraL'Âge de raison. Les Daudet cherchant un appartement plusvaste et moins excentrique pour les habitués des «Jeudis »qui devenaient une institution, avaient été séduits par unappartement au 31 de la rue de Bellechasse (rue Bellechasse,dira toujours Lucien) et s'y installèrent au cours de l'hiver1885. « Des jardins de tous côtés, celui du rez-de-chausséesous les fenêtres de son futur cabinet de travail, planté d'aca-cias et d'ormeaux formant sans doute au printemps, devantchaque fenêtre, un store naturel (.) » Et Mme Daudets'enchantait à la pensée que cette maison avait été celle deMme de Genlis et plus tard celle de Monge. Par les jardins,les Daudet voisinaient avec Charcot qui habitait 217,boulevard Saint-Germain l'ancien hôtel de Varengeville

    actuellement Maison de l'Amérique Latine dont ilsvoyaient le jardin et ses dessins de buis. Charcot, le célèbreCharcot dont les « Mardis » étaient aussi suivis que les«Jeudis»de la rue de Bellechasse. «Et je lui raconte l'his-toire de ce forgeron de la caserne de Bellechasse que monvoisin, le docteur Charcot, et moi, nous entendions, chacun

    l.~e~p.l85.