métaphore sémantique du mot et de la phrase

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  • 7/26/2019 Mtaphore Smantique Du Mot Et de La Phrase

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    ISSN 0226-7144 2011 Dpartement de langues, linguistique et traduction, Universit Laval

    Langues et linguistique, numro spcialJournes de linguistique, 2011, p. 65-68.

    LA MTAPHORE

    :LA SMANTIQUE DU MOT ET DE LA PHRASE

    Pierre LabrancheUniversity of Massachusetts at Boston

    Initialement paru dans les Actes des 9e Journes de linguistique (1995), Qubec, Centreinternational de recherche en amnagement linguistique, 1995, p. 201-206.

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    LA MTAPHORE :LA SMANTIQUE DU MOT ET DE LA PHRASE

    Pierre LabrancheUniversity of Massachusetts at Boston

    Introduction

    Le but poursuivi dans la prsente tude estdouble

    : on se propose, dune part, de mettre enplace larrire-plan thorique sur lequel seconstruit la thorie de la mtaphore-mot (outhorie de la substitution). Dautre part, on veutmettre en relief, et ventuellement en rserve,certains concepts et certaines descriptions de lathorie de la mtaphore-nonc. Ce second

    dessein ne se dgagera que peu peu etnapparatra clairement que dans la derniresection, o lon semploiera oprereffectivement larticulation entre la smantiquedu mot et la smantique de la phrase.

    La thorie substitutive

    Il est convenable den appeler dabord celui qui a pens philosophiquement lamtaphore, Aristote. De sa lecture (au moinsde la Potique) on recevra un rappel sur cequest la conception substitutive de la

    mtaphore. La conception aristotlicienne de lamtaphore tend rapprocher trois idesdistinctes

    : lide dcart par rapport limageordinaire, lide demprunt un domainedorigine, et lide desubstitutionpar rapport un mot ordinaire absent mais disponible. Cestlide de substitution qui parat la plus lourdede consquences. Si en effet le termemtaphorique est un terme substitu,linformation fournie par la mtaphore estnulle, le terme absent pouvant tre restitu silexiste ; et si linformation est nulle, la

    mtaphore na quune valeur ornementale,dcorative. Ces deux consquences dunethorie purement substitutive ont caractris letraitement de la mtaphore dans la rhtoriqueclassique (McCall, 1969).

    Le passage vers dautres conceptions

    Le caractre vague du mot, lindcision de

    ses frontires, le jeu combin de la polysmiequi dissmine le sens du mot et de lasynonymie qui discrimine la polysmie, etsurtout le pouvoir communicatif du mot qui luipermet dacqurir un sens nouveau sans perdreles sens prcdents tous ces traits invitent dire que le vocabulaire dune langue est unestructure instable dans laquelle les motsindividuels peuvent acqurir et perdre des

    significations avec la plus extrme facilit(Ullmann, 1951

    : 195).

    Dans de nombreuses langues, la classe desformes de discours laquelle le mot appartient(nom, verbe, etc.) a sa marque incluse dans leprimtre du mot tel que le dictionnairelenregistre. Il appartient de toute faon au motde pouvoir figurer au moins dans une classe, sibien que le noyau smantique et la classedfinissent ensemble le mot. Bref, le mot estgrammaticalement dtermin. Cette empreintedu fonctionnement prdicatif sur le mot est si

    forte que certains auteurs donnent de lasignification une dfinition franchementcontextuelle. La thorie de Wittgenstein dans

    Philosophical Investigations dans la mesureo lon peut parler encore de thorie estlexemple le plus provocant de cetteconception (Wittgenstein, 1953

    : 43).

    Les multiples renvois du mot au discoursnimpliquent nullement que le mot nait aucuneautonomie smantique. Mais le contextereparat toujours dans le primtre mme du

    mot

    : ce que nous appelons les acceptionsdiverses dun mot sont des classescontextuelles, qui mergent des contextes eux-mmes au terme dune patiente comparaisondchantillons demplois. Le smanticien estalors contraint de faire une place la dfinitioncontextuelle de la signification ct de ladfinition proprement rfrentielle ou

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    analytique , selon le mot de Ullmann(Ullmann, 1951

    : 52) ; ou plutt, la dfinition contextuelle (ibid.) devient une phase de ladfinition proprement smantique.

    La dpendance de la signification de mot la signification de phrase devient plusmanifeste encore lorsque, cessant de considrerle mot isol, on en vient son fonctionnementeffectif actuel, dans le discours. Pris isolment,le mot na encore quune significationpotentielle, faite de la somme des sens partiels,dfinis eux-mmes par les types de contexteso ils peuvent figurer. Ce nest que dans unephrase donne ; cest--dire dans une instancede discours, au sens de Benveniste, quils ontune signification actuelle.

    Il rsulte de cette dpendance du sens actueldu mot lgard de la phrase que la fonctionrfrentielle, qui sattache la phrase prisecomme un tout, se rpartit en quelque sorteentre les mots de la phrase

    : dans le langage deWittgenstein ; proche de celui de Husserl, lerfrent de la phrase est un tat de choses et lerfrent du mot, un objet.

    la limite, si lon met laccent sur lasignification actuelle du mot, au pointdidentifier le mot avec cette significationactuelle dans le discours, on en vient douterque le mot soit une entit lexicale et dire queles signes du rpertoire smiotique se tiennenten de du seuil proprement smantique.Lentit lexicale est le noyau smantiquespar par abstraction de la marque indiquantla classe laquelle le mot appartient en tantque partie de discours. Ce noyau smantique,on pourrait lappeler la signification potentielledu mot ou son potentiel smantique, mais celana rien de rel ni dactuel. Le mot rel, le moten tant quoccurrence dans une phrase, est djtout autre chose

    : son sens est insparable de sacapacit de remplir une fonction prdicative.

    Vers une synthse des conceptions

    La thorie de la mtaphore-nonc, qui metlaccent sur lopration prdicative, nest pasincompatible avec la thorie de la mtaphore-mot. La dfinition analytique et ladfinition contextuelle du mot sont

    compatibles dans la mesure o le point de vuede la langue et le point de vue du discourssappellent et se compltent. Il faut diremaintenant que la thorie de la mtaphore-motet la thorie de la mtaphore-nonc sont dans

    le mme rapport. Cette valeur complmentairedes deux thories peut tre dmontre de lamanire suivante, qui coupe court touteobjection dclectisme

    : la thorie de lamtaphore-nonc renvoie la mtaphore-motpar un trait essentiel quon peut appeler lafocalisation sur le mot, pour rappeler ladistinction propose par Max Black entrefocus( foyer ) et frame ( cadre ). Le foyer est un mot, le cadre est la phrase ; cest surle foyer que le system of associatedcommonplaces( systme ou gamme des lieux

    associs ) est appliqu la faon dun filtre oudun cran (Black, 1962

    : 43).

    Lcart au niveau du mot, par lequel, selonJean Cohen, un cart au niveau prdicatif,cest--dire une impertinence smantique, vient tre rduit (Cohen, 1962

    : 95-96), est lui aussiun effet de focalisation sur le mot qui a sonorigine dans ltablissement dune nouvellepertinence smantique au niveau mme olimpertinence a lieu, cest--dire au niveauprdicatif. De diverses manires, parconsquent, la dynamique de la mtaphore-nonc se condense ou se cristallise dans uneffet de sens qui a pour foyer le mot.

    Mais la rciproque nest pas moins vraie.Les changements de sens dont la smantiquedu mot tente de rendre compte exigent lamdiation dune nonciation complte. cetgard, le rle jou par les champs associatifsdans la smantique de Stephen Ullmann risquedinduire en erreur, mme si au dpart le rleaccord limagination est digne dattention.Le recours lassociation des ides est mme

    une manire efficace dluder les aspectsproprement discursifs du changement de senset de noprer quavec des lments, les nomset les sens. En particulier, dans le cas de lamtaphore, le jeu de la ressemblance estmaintenu sur le plan des lments, sans quepuisse faire jour lide que cette ressemblanceelle-mme rsulte de lapplication dun

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    prdicat insolite, impertinent, un sujet qui,selon le mot de Nelson Goodman, yield while

    protesting ( cde en rsistant ; Goodman,1968

    : 57).

    Le rle attribu au champ associatif permetde maintenir la mtaphore dans lespace de ladnomination et ainsi de renforcer la thorie dela substitution. En revanche, si lon voit avecMax Black dans lassociation un aspect del application dun prdicat trange unsujet qui par l apparat lui-mme sous un journouveau, alors lassociation des ides requiertle cadre dune nonciation complte. Or lesdeux thories sont, non seulementcomplmentaires, mais rciproques. De mmeque la mtaphore-nonc a pour foyer un

    mot en mutation de sens, le changement desens du mot a pour cadre une nonciationcomplte en tension de sens, pour reprendrele mot de Ricoeur (Ricoeur, 1975

    : 218).

    Conclusion

    Cest Aristote qui a dfini la mtaphorepour toute lhistoire ultrieure de la penseoccidentale, sur la base dune smantique quiprend le motou le nom pour unit de base. Ladifficult consiste rendre compte de laproduction mme de la signification, dontlcart au niveau du mot est seulement leffet

    (Derrida, 1971). Le point de vue smantique necommence se diffrencier que lorsque lamtaphore est replace dans le cadre de la

    phrase et traite comme un cas non plus dednomination dviante mais de prdicationimpertinente. Cette tude vise essentiellement tablir que lindniable subtilit dAristotespuise essentiellement dans un cadrethorique qui mconnat la spcificit de lamtaphore-nonc et se borne confrer leprimat de la mtaphore-mot. Cest un noncentier que constitue la mtaphore, mais

    lattention se concentre sur un mot particulierdont la prsence justifie quon tienne lnoncpour mtaphorique. Si Max Black instaure unefrontire tranche entre la thorie delinteraction et la thorie classique qui est uneconception substitutive, il demeure ncessairede serrer de plus prs linteraction qui se joue

    entre le sens indivis de lnonc et le sensfocalis du mot. Il apparat mme capitaldlaborer une thorie de limagination, thoriequi devra se dmarquer des champs associatifset qui devrait se fonder sur Kant,

    particulirement sur le concept kantien delimagination productive.

    Bibliographie

    BLACK, Max (1962) Models and Metaphors.Ithaca, Cornell University Press.

    COHEN, Jean (1966) Structure du langagepotique, Paris, Flammarion.

    GOODMAN,Nelson(1968)Language of Art. AnApproach to a Theory of Symbols,Indianapolis, Bobbs-Merrill.

    DERRIDA, Jacques (1971) Rhtorique etphilosophie. Potique,Paris, Seuil.

    MCCALL, Marsh (1969) Ancient RhetoricalTheories of Simile and Comparison,Cambridge, Harvard University Press.

    RICOEUR, Paul (1975) La mtaphore vive,Paris, Seuil.

    ULLMAN, Stephen (1951) The Principles ofSemantics, Glasglow, UniversityPublications.

    WITTGENSTEIN, Ludwig (1953) PhilosophicalInvestigations, New York, MacMillan.