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............................................METAMORPHOSES...........................................

....................................... Adèle RIVIERE-DOUESNEL...DNSEP Art...2010..............................................

«La loi absolue de la composition est le rythme... L’art ne se situe

pas en dehors de la vie, il est né d’une impulsion naturelle, sa loi

fondamentale est le rythme - comme dans la nature. Tout est lié

dans un processus dynamique aboutissant à l’harmonie.

L’harmonie n’est pas statique mais dynamique».

Kandinsky

SOMMAIRE

Introduction Page 11

La génèse d’une oeuvre Page 13

Deux «Univers» Page 18

Intérieur ou extérieur Page 22

Dans le blanc du sujet Page 26

Evolution dans le temps Page 34

Où suis-je ? Page 42

Conclusion Page 45

Annexes

English summary Page 48

Bibliographie Page 50

Filmographie Page 52

Sites internet Page 52

Remerciements Page 55

Un artiste pour s’épanouir ainsi qu’enrichir son art se nourrit de son quotidien ainsi

que du monde qui l’entoure. Chez certains artistes, cela se ressent plus ou moins au sein de

leurs œuvres elles-mêmes ; mais ce qui reste vrai est le fait qu’en tant qu’artistes, nous uti-

lisons notre vie, consciemment ou non, afin de créer et de faire évoluer notre travail. Petits

faits de tous les jours ou grands évènements, le moindre détail peut nous toucher. Pour ma

part, c’est ainsi que je travaille. Car bien que je ne considère pas mon art (œuvre) comme une

autobiographie, c’est grâce à ma vie de tous les jours, grâce à mon quotidien, à ma propre per-

sonne, à mon propre ressenti que je créée. C’est par la sculpture, la photographie, le dessin, la

vidéo qui construisent mon travail que je mets en évidence et en relation deux mondes qui se

côtoient, qui habitent l’un à côté de l’autre, qui cohabitent, qui se mêlent, qui s’entremêlent.

D’une part la nature, mais plus précisément la végétation et d’autre part, la ville, le monde

urbain mais surtout l’architecture. Un «monde» qui se construit de lui-même et un autre

construit de toute part, par l’Homme qui fait et qui est le lien. Dans quel monde vivons-nous

? Voilà l’une des questions que je me pose et que nous nous posons tous. Grâce à des œuvres

réalisées à partir de médiums aussi différents que la diversité des paysages existant au sein

du monde urbain et rural, je «dessine» ces deux mondes de façon bien distincte avant d’en

montrer les «défauts» et que l’un ne se trouve pas si éloigné de l’autre tant d’un point de vue

géographique que d’un point de vue esthétique. Je souhaite également mettre en évidence

l’existence de cette limite qui finalement n’est visible que dans nos têtes et que dans une

réalité beaucoup plus concrète et esthétique, celle-ci est ambigüe et pas aussi franche que

certaines cartographies pourraient nous le faire croire. Dans un premier temps, nous verrons

donc quelle est l’importance de mon processus de création, comment il se fait et quelle place

il a dans l’ensemble de la réalisation de mes différentes œuvres. Puis, dans un second temps,

j’énoncerai le thème de mon projet, de quelle manière il s’est imposé à moi ainsi que son

évolution. Enfin dans un troisième temps, nous verrons quelles sont les relations qu’entre-

tiennent ces deux «mondes» ainsi que ma position vis à vis d’eux.

Ci-contre : photographie d’une des sculptures «Cubes»

11

Genèse d’une œuvre

Tout d’abord, mon processus tient une place très importante au sein de mon travail.

En effet, dans un premier temps, je ne cherche pas à créer quelque chose en particulier.

Non. Pour la réalisation de mes différentes œuvres, je procède de façon identique. Mon

cheminement se déroule en plusieurs phases : la première phase est une phase d’observation

: mon regard, mon attention s’accrochent sur des faits, en majorité des faits que l’on peut

qualifier de «banals» qui «ornementent» ma vie. Car bien que mon travail ne soit pas une

autobiographie, il repose tout de même sur des éléments autobiographiques. Je puise toute

mon inspiration de divers éléments et faits qui m’entourent. Si ces «évènements» attirent

mon attention, c’est souvent d’un point de vue esthétique (visuel). Je fais alors appel à ma

perception, à mes sens, à mes émotions. Je laisse donc beaucoup de place à mes propres sen-

timents.

Afin que mes explications soient plus claires, voici quelques exemples pour les il-

lustrer : «Je me trouvais en train de faire quelques dessins à l’encre de Chine lorsqu’en me

lavant les mains, le contact entre ce dernier avec l’eau attira mon attention.» Pourquoi ? Il

n’y a pas d’explication précise cela se fait naturellement . Mais c’est à partir de là que je peux

travailler, expérimenter. C’est à la suite de ce fait «ordinaire», que j’ai décidé, pour ce travail,

de faire de la vidéo. Puis vient la deuxième phase qui est une phase de recherches où je «joue

» avec les matières, les techniques soit que j’apprécie particulièrement, soit que je découvre

et essaie d’appréhender. En effet ,je pense qu’au premier abord il n’est pas nécessaire de

maîtriser complètement les techniques d’un certain medium (dans mon cas cela m’est même

très utile) pour pouvoir l’utiliser. Partir dans l’inconnu est une bonne façon de découvrir les

capacités et les limites du matériau que l’on emploie. Cette deuxième phase consiste égale-

ment à observer le rendu et l’évolution lors desquelles surviennent un ou plusieurs accidents.

Le hasard tient alors une place primordiale.

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Ci-contre : photographie d’une installation de Giuseppe Penone

En effet, lors de ce second temps, ce sont très souvent des accidents, des incidents,

des maladresses, des erreurs, des étourderies, des imprévus… qui arrivent et qui me guident

dans mes expérimentations. Les essais de vidéos (projet énoncé précédemment) reflètent

tout à fait mes propos : après avoir défini le medium que j’allais utiliser, ce sont quelques

incidents tels que : fond de baignoire mouluré, baignoire sèche ou déjà mouillée…qui m’ont

permis, de fil en aiguille, expérimentations après expérimentations de réaliser une série de

trois vidéos au rendu très graphique où le procédé est maîtrisé mais où le rendu visuel laisse

une part importante au hasard : je ne maîtrise pas la manière dont coulent et se mélan-

gent l’eau et l’encre. Chaque détail compte et a un impact sur l’évolution du film. Il en est

de même pour bien d’autres projets tels que la sculpture «Tubes», «Cubes», ou la vidéo

«Tournes» (réalisée avec une caméra fixée à la roue d’une voiture après l’avoir été à un pneu

réchappé, une pédale de vélo, une roue de tracteur…). Les formes aléatoires, de la sculpture

«Tubes », formées à l’une des extrémités ont étaient réalisées à la suite d’un incident (plâtre

trop liquide). J’ai donc ensuite réutilisé ce fait afin qu’il serve mon (projet) sujet. Le proces-

sus est donc toujours (ou quasiment) le même : tout d’abord un fait simple qui retient mon

attention comme : de l’eau qui glisse sur une table en verre lors du nettoyage de celle-ci, un

fissure dans le bitume, des aspérités au niveau d’un mur, de la résine qui se casse en une

multitude de morceaux, une pomme de terre germée… puis un incident que je m’approprie

par la suite tout en laissant un partie incontrôlée.

Cette manière de procéder liée à la «vie», j’entends par «vie» le quotidien, est im-

portante à mes yeux mais il en est de même chez un certain nombre d’artistes. En effet, on

peut observer cette relation à l’intime chez Sophie Calle, par exemple, qui se met en scène

elle-même parfois, qui fait souvent appel à des gestes, des actions, des faits du quotidien.

D’autre part, elle utilise plusieurs médiums, écriture et photos et ce mélange me plaît ; pour

ma part, j’associe des matériaux tels que le plâtre, le bois, le tissu dans une même sculpture,

de même que je travaille également sur plusieurs supports : photographie, sculpture, dessin,

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15

vidéo (….). Penone attache lui aussi une importance au processus de fabrication, il est pour

lui un témoin entre l’artiste et son rapport au temps. Jackson Pollock a également mar-

qué une période de mon travail puisqu’il s’agit (dans son travail comme pour le mien à ce

moment là) de laisser une place importante au geste de l’artiste, le rapport au corps et aux

mouvements de celui-ci ainsi qu’au hasard, car malgré un processus bien précis, le résultat

n’est pas maîtrisé en totalité par l’artiste (je peux nommer également Simon Hantaï). Ces

«petits incidents» comme je les appelle, par la suite sont dominés, disciplinés, contrôlés.

Cet enchaînement d’évènements : un incident, la maîtrise de celui-ci, la réappropriation,

l’interprétation, puis l’évolution et la mise en œuvre (en exergue) se fait ensuite de manière

spontanée ; mais je m’attache également au regard du spectateur. Je m’adresse alors au cœur

et au ressenti plutôt qu’au mental de celui-ci et ce grâce à l’«esthétique». Puis j’y «inclus»

mon sujet : la nature et plus précisément la végétation ainsi que l’architecture et ce étant

à la recherche d’un résultat esthétique «simple», «beau» et qui me satisfasse. De même,

Andy Goldsworthy s’imprègne et utilise des éléments appartenant à son « intime», puisque

comme il le dit lui-même «il n’a jamais aussi bien travaillé que dans le village où il habite

avec des éléments naturels, des paysages qu’il connaît bien»1. Je pense qu’Andy est l’artiste

qui m’a permis de faire le lien entre ma façon de créer et le thème que j’ai voulu en faire se

dégager. En effet, il m’a fait découvrir le Land Art et bien que je ne travaille pas en extérieur

(à la base), cette nature s’est imposée à moi.

1 Riedelsheimer Thomas, Rivers and Tides, (Andy Goldsworthy), Paris : Prod.Compagnie du Phare et balise, docu-

mentaire, 2006

Je me suis souvent demandé dans quel «monde» je vivais. Non pas d’un point de

vue social, ni politique, ni économique…mais d’un point de vue esthétique. J’entends par

«esthétique» le mot dérivé du grec «αἰσθησιs» signifiant la sensation. En effet, la question

est de savoir ce que le «monde» dans lequel je vivais et je vis encore aujourd’hui, me renvoie,

m’apporte en sensations. Afin d’y répondre, il est important pour moi de définir si celui-ci

appartient plus au naturel ou au construit (?). C’est, dans un premier temps, ce passage d’un

paysage rural à un paysage urbain (ou vis versa) qui m’a toujours intriguée. Deux univers

que l’on retrouve, l’un et l’autre, accolés et pourtant sans frontière apparente. Deux univers

qui me sont apparus dans un premier temps bien distincts géographiquement, visuellement…

et pourtant… c’est à travers divers médias, tels que la vidéo, la sculpture, la photo, le dessin…

que je montre ces relations entre la végétation, qui est pour moi l’élément représentatif de

l’un des deux «univers» auxquels je m’intéresse et l’architecture, représentative du second

«univers».

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Ci-contre : en haut sculpture de bois et plâtre - en bas détails de la sculpture «Tubes»

Deux «Univers»

«Vivant et évoluant à la campagne comme à la ville» il était impossible que ces

thèmes ne ressurgissent pas au sein de mon Œuvre. Dans un premier temps, cette nature

est alors pour moi un retour aux sources, sachant bien que rien n’empêche l’avenir, lui, de

se construire. En effet, j’ai donc voulu mettre en «relation» (face à face) ces deux «mondes»

l’un dont on vient et l’autre dans lequel nous vivons (il s’agit ici d’une évolution plutôt gé-

nérale en France). En les confrontant, je me suis aperçue que la distinction que j’en faisais au

premier abord s’est avérée plus compliquée et pas aussi nette que cela : une relation ambiguë.

En effet on peut, lorsque l’on regarde des cartes géographiques, démographiques, historiques,

routières… des siècles précédents, voir des limites nettes entre ville et campagne. Par ailleurs,

nous verrons ultérieurement, que cette différenciation entre «monde rural» et «monde ur-

bain» n’existe, pour ainsi dire, plus.

Ce qui m’intéresse alors est de montrer les différentes relations que peuvent entre-

tenir ces deux «univers» et ce en utilisant les caractéristiques de l’univers végétal et celui

de l’architecture. Mon travail a alors pu évoluer grâce aux différents matériaux utilisés. En

effet, j’ai choisi de travailler avec des matériaux qui pouvaient prendre plusieurs aspects

ainsi que se modeler facilement, tels que le plâtre qui peut à la fois être lisse, doux et brillant

mais également mat, rugueux et accrochant. Ces multiples aspects définissent pour moi les

qualités et les défauts de chacun de ces deux «univers». En effet, dans un premier temps,

j’ai défini la flore avec les mots suivant : onduleux, chaotique, hasard, déambulation, relief,

aspérités, détails, originelle, autogestion, aléatoire, métamorphose… Et d’autre part, l’archi-

tecture avec ceux-ci : constructions, surfaces planes, géométrie, épurée, droite, lisse, mesures

précises, structures, lignes, froide, matériaux fabriqués, action, maîtrise... Lorsque je créée

une sculpture par exemple, c’est cette dualité représentée par ces termes qui ressurgie ;

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Ci-contre : photographie de trous réalisés dans un mur

On peut, dans un même travail, retrouver un côté très géométrique, lisse(…) qui se veut être

maîtrisé mais également un côté beaucoup plus aléatoire (avec ce hasard qui rôde toujours),

aux formes organiques. Cette séparation bien distincte d’un point de vue visuel (puisque

les deux «domaine » font partie d’une même œuvre) est alors représentative du «monde

rural» et du «monde urbain». Par ailleurs, les détails tiennent une place importante, car en

regardant de plus près, nous pouvons nous apercevoir qu’au sein de «l’architecture», il réside

divers défauts tels que des petits trous dans la résine, des fissures dans le plâtre… de même

qu’au sein de la «végétation» qui donne l’aspect d’un désordre alors que nous savons qu’en

réalité ce désordre est très précis.

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Tout n’est pas noir ou blanc. En effet, dans la réalité, la végétation, bien qu’elle soit

naturelle est donc parfaite, a également d’un point de vue esthétique d‘ensemble, des formes

très aléatoires ; de même que l’architecture qui de prime à bord est édifiée selon des règles

strictes, comporte également des «défauts», nous pouvons voir en effet «la végétation s’invi-

ter en ville», comme de la mousse, de l’herbe, qui pousse au milieu de craquelures de bitume,

des matériaux qui travaillent sous l’effet de changements climatiques et qui se métamorpho-

sent (rouille, fissures…). Effectivement, la «nature s’invite en ville» lorsque les phénomènes

naturels, tels que le vent, la pluie, l’humidité, le soleil agissent sur ses composants, mais il

en est de même en «campagne», elle change car elle se voit envahie par la main de l’homme

(l’urbanisation). Mon but étant alors de mettre en avant ces deux «mondes» que l’on peut

croire bien opposés et qui en réalité peuvent être très proches, voici un extrait du résumé des

rapports finaux ORATE qui illustre bien mes propos : «Est-il possible et sensé de faire une

distinction entre zones urbaines et zones rurales en Europe ? Il n’est actuellement pas fort

aisé de plaider en faveur de la traditionnelle distinction entre sphères urbaine et rurale (en

Europe). L’industrialisation naissante avait déjà brouillé l’image classique, facile à appré-

hender, de la ville et de la campagne, ce qu’ont encore renforcé la dérégulation des marchés

immobiliers, l’amélioration des communications et récemment les technologies avancées de

l’information. Toute coupure clairement visible a tout simplement disparu, remplacée par la

rurbanisation, processus dans lequel le cadre physique perd les qualités traditionnellement

associées aux milieux urbain et rural […] L’urbanisation peut recouvrir le changement dé-

mographique, les changements structurels de l’économie et les idées, les images et les com-

portements personnels». Bien que l’économie, la politique, la sociologie… ne m’intéressent

aucunement dans mon projet, cet extrait m’a paru important pour compléter mes dires et

montrer que même d’un point de vue très concret, cette «séparation» n’est pas parfaite.

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Ci-contre : photographie de Jackson Pollock en train de travailler ; ainsi qu’une photographie d’une de ses toiles

Intérieur ou extérieur ?

Malgré mon sujet, il ne m’est arrivé que rarement de faire ou d’exposer une œuvre

en extérieur. Pourtant, cette association entre un élément construit, basé sur des éléments

provenant de la nature : bois, terre, pierre, sable, rocher, etc., mais également sur des produits

manufacturés et la nature (végétation) que je mets en évidence dans mes travaux se retrouve

dans beaucoup d’œuvres d’artistes appartenant au Land Art comme Richard Long, Robert

Smithson, Jan Dibbets, Walter De Maria, Nancy Holt, Robert Morris, Andy Goldswor-

thy… Une partie de leurs travaux étant installée dans la nature (en zone urbaine ou rurale

ou encore en plein désert), ceux-ci sont laissés en proie aux caprices de cette nature. C’est un

peu renoncer à la prétention d’un contrôle absolu sur l’œuvre.

Par ailleurs, mon ambition n’est pas de créer une forme d’art qui échapperait aux

conventions traditionnelles des galeries et musées, mais plutôt d’utiliser les lieux mêmes

pour ce qu’ils sont ainsi que pour ce qu’ils apportent ; tout comme certains artistes du Land

Art, je façonne, érige mon œuvre à partir de ce que je trouve sur le terrain (si ce n’est les

matériaux, ce peut être les conditions climatiques). En effet, la nature est le plus vaste entre-

pôt de matériaux qu’un artiste puisse trouver, mais pour ma part, ce peut être en extérieur

comme en intérieur (lieux publics ou privés, trottoirs, rues, champs, murs, sols, plafonds,

lieux de passage…). J’aime à utiliser des détails qui ne sont pas obligatoirement perçus d’un

seul coup d’œil ou qui tout simplement n’attirent pas du tout l’attention du passant ou spec-

tateur. Ce peut être, par exemple, utiliser des fissures dans le bitume qui sont déjà existantes

et les mettre en avant grâce à un tiers élément. Elles deviennent alors plus visibles tout en

restant très discrètes. Dans certains de mes travaux, j’utilise également les défauts des murs,

des traces de peinture, la structure géométrique des salles… J‘ai donc plus tendance à me

rapprocher de la manière de penser des artistes travaillant in situ tels que Hans Haacke,

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Ci-contre : de haut en bas : photographie de la sculpture «Cubes» - détails de la sculpture «Cubes» - sculpture en plâtre

et branche de bois - détails de sculpture en plâtre avec branche de bois (autre que celle citée précédemment)

Wolfgang Laib, Penone… Je peux également nommer Claire-Jeanne Jézéquel qui m’a fait

découvrir un art simple mais fort aux formes contrastées mais inséparables (murs droits

et panneaux courbes). Cette simplicité, d’un point de vue esthétique, est quelque chose que

l’on peut retrouver au sein de l’Arte Povera comme chez Charles Payan, Giovanni Anselmo,

Calzolari ou encore bien sûr Penone.

Finalement, ce qui m’importe le plus est le lieu et ce qu’il a à m’offrir, mon but

n’étant pas de m’écarter d’un autre endroit, pas non plus de faire de mon travail un art de

l’éphémère. Par ailleurs, il est certain que lorsque l’une de mes œuvres se retrouve en exté-

rieur, elle n’a pas d’autre choix que d’emprunter des supports artificiels pour se fixer dans

le souvenir collectif, j’utilise alors la photographie, le croquis ou la vidéo afin de laisser une

trace. J’amène donc le spectateur à poser un regard sur un élément anodin et difficilement

perceptible au premier abord et qui prend toute son importance par la suite puisqu’il s’agit de

la base de l’œuvre.

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Ci-contre : Photographie de défauts dans du plâtre

Dans le blanc du sujet

En plus du processus de fabrication, je m’applique à ce que toutes mes œuvres aient

une cohérence entre elles. Elles ont toutes un rapport, direct ou indirect, avec la nature et

plus précisément avec la végétation, mais également avec l’architecture. J’entends par là à la

fois un côté naturel, sans retouche, sans intervention de ma part (je laisse le hasard décider),

pure, simple, calme et apaisant et qui révèle une certaine légèreté. Pour cela soit, j’utilise un

élément véritablement naturel, comme une branche, de la mousse, soit en utilisant un maté-

riau qui a des propriétés multiples telles que celles du plâtre ou encore de la résine : capables

de prendre des empreintes, d’être à l’état liquide pendant une certaine durée ce qui permet

des formes aléatoires. A cette «végétation» est associé un élément en lien avec l’architecture

puisque de l’ordre du fabriqué. Un élément conçu par l’homme (par moi ou quelque chose de

préfabriquée) aux mesures qui se veulent être très précises, avec des surfaces planes, lisses…

le plâtre et la résine permettent aussi d’être maîtrisés : formes géométriques précises. De

plus, au-delà de faire naître mes œuvres grâce à ma propre vie, en plus d’utiliser mon envi-

ronnement de tous les jours comme sujet, la part de la matière et du ressenti qu’un spectateur

peut avoir sans même toucher mais seulement en regardant (ou écoutant, ou respirant) des

aspects lisses, rugueux, doux, lourds, légers, fragiles… il y a une notion qui reste primordiale

pour moi et qui se trouve être l’esthétique, le rendu final d’une œuvre. Cette esthétique, cette

envie du «beau» est une notion tout à fait subjective. En effet, lorsque je réalise une œuvre

je ne m’arrête seulement que si j’estime, et c’est là où il ne peut pas y avoir d’objectivité, que

mon travail est beau. Cette réalisation est possible (pour moi) grâce à plusieurs éléments tels

que la simplicité à la fois dans les formes et les couleurs.

Qu’il s’agisse de la «végétation» ou de «l’architecture» (sauf dans un travail), ja-

mais je n’utilise de couleur superficielle (aucun rajout). Tout d’abord, je souhaite que mes

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œuvres restent le plus naturelles possible. D’autre part, il est important que les détails de

cette matière première, brute, soient visibles, je ne veux en aucun cas les cacher, bien au

contraire. Enfin, je suis attirée et ce de manière très spontanée, vers le «clair». J’aime l’idée

que renvoie le blanc. Je laisse «au naturel». On retrouve ce «blanc» par les matériaux tels

que le plâtre, la peinture des murs, le papier ou encore le polystyrène ; il est omniprésent au

sein de mes différentes œuvres. La signification de «blanc» est pour moi la clarté, le silence,

l’innocence, la spiritualité, la pureté, le naturel, le simple, la vie, le retour aux sources. Un

plaisir d’esthétique pur. Cette valeur est d’ailleurs liée à de multiple symboles, en occident

par exemple, elle est associée à la chasteté, à la paix, à la virginité, au mariage, à la sainteté

(ainsi que d’autres cités précédemment).

«Blanc absolu. Blanc par-dessus toute blancheur.

Blanc de l’avènement du blanc. Blanc sans compromis,

par exclusion, par totale éradication du non-blanc.

Blanc fou, exaspéré, criant de blancheur.

Fanatique, furieux, cribleur de rétine.

Blanc électrique atroce, implacable assassin.»

Henri Michaux

Ce blanc,ou plus précisément cette non couleur, est une chose essentielle qui unit

les deux «mondes» et forme un tout au sein de mon art mais également un tout dans la

réalité. Le blanc est un élément que l’on retrouve chez certains artistes tels que Kasimir Ma-

levitch avec son carré blanc sur fond blanc. Pour Malevitch, l’art est un processus amenant

la sensation (c’est-à-dire le rapport de l’artiste au monde) à se concrétiser en œuvre grâce à

un module formateur étranger au support, «l’élément additionnel», qui structure la masse

picturale ou les matériaux. Il dit d’ailleurs que «Le suprématisme c’est la peinture de la

sensation pure, la blancheur infinie, le sentiment de l’absence d’objet. Le carré blanc apparaît

comme l’impulsion vers les fondements de la construction du monde…». De même Oliver

Mérijon utilise le blanc. White Spirits et les Whites sont les titres donnés par leur auteur,

peintre contemporain, à des séries de toiles blanches qui, dans une multitude de rythmes, de

chemins, de lignes, de cassures, de reliefs, de courbes et d’obliques, captent, retiennent ou

renvoient la lumière du blanc. Ou bien encore les peintures de Robert Ryman ; car en effet,

n’a-t’on jamais été plus exigeant avec une «couleur» ? Le blanc ne fait rien comme les autres

: il n’apparaît pas dans la gamme chromatique car il réfléchit la lumière alors que les autres

couleurs la filtrent ; il la disperse par réfraction pour nous émerveiller de toutes les autres

(par un arc-en-ciel). D’ailleurs, le support du papier d’imprimerie en a fait une «non cou-

leur». Pourtant, le blanc est très riche : il peut être brillant ou mat, léger ou saturé, lumineux

ou terne et dans la nature, il est seul à se présenter uni et pur sous la forme de la neige. C’est

précisément cette richesse, sa difficulté particulière, qui a tenté de nombreux artistes. Je peux

également citer l’artiste Tara Donovan, qui conçoit des sculptures à partir de matériaux

ou d’objets du quotidien qu’elle accumule afin d’obtenir des volumes abstraits aux textures

déroutantes, à la fois familières et incongrues, qui peuvent évoquer des nuages, des paysages,

des rochers... L’assemblage d’un nombre impressionnant d’objets identiques procure au spec-

tateur une sensation d’infini. Les formes sont dictées par les matériaux ou, inversement, elles

entrent en contradiction évidente avec eux, provoquant alors un décalage quasi surréaliste.

On peut voir dans les œuvres de Tara Donovan une certaine filiation avec le minimalisme,

dans l’accumulation de matériaux identiques, dans la répétition de motifs, dans le rapport

étroit entre les sculptures et l’espace qu’elles occupent. Son travail est également emprunt de

sensualité, de références au paysage et à la nature. Par exemple, l’artiste a réalisé une œuvre

composée d’une succession de plaques de verre de différentes tailles cassées puis assemblées.

Cette œuvre monumentale, produit l’effet de strates comparables dans la nature à une chaîne

de montagne. Ici, elle n’utilise pas volontairement le blanc mais les objets qu’elle choisit

sont pour la plupart très clairs, opaques voire transparents. Ses œuvres peuvent être faîtes

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de gobelets en plastique, d’assiettes en carton, de films plastiques divers, de pailles, de verre,

d’épingles, de cure-dents, de boutons blancs...

Enfin, en ce qui concerne mon travail, parallèlement à cette simplicité d’un point

de vue de la couleur, c’est-à-dire le naturel des matériaux : le blanc du plâtre, la couleur du

bois, celle de la résine (ex : transparente)… Il a également un choix personnel envers une

simplicité des formes et de la mise en scène. Je peux dire de mon travail qu’il est épuré et

sobre (proche du minimalisme). J’utilise des formes simples telles que le carré, le rectangle

ou des formes déjà toutes pré-faîtes, celles qui se trouvent être les plus compliquées sont

celles qui se sont réalisées de façon aléatoire. De plus, au-delà de ces deux «mondes» j’utilise

également la «frontière invisible» qui semble les séparer (ou plutôt les écarter) et ce en uti-

lisant le trait, la ligne. Cette «ligne» est présente chez un grand nombre d’artistes, peintres,

dessinateurs ou encore sculpteurs (ex : Miro, Simone Meier, Felice Varini…).

Au sein de mes œuvres je ne cherche pas à reproduire un paysage ou encore un

bâtiment en particulier. Mais il est vrai que je mets en évidence des signes, des codes ainsi

que des éléments qui reproduisent les sensations que l’on peut éprouver en présence de végé-

tation et d’édifices architecturaux. Ainsi dans la sculpture «Tubes» on retrouve des formes

qui rappellent très facilement les troncs d’arbres, les tiges de fleurs, les branches, les aspérités

rendues, et ce par le travail du plâtre avec le tissu qui semblent visuellement très proches

des écorces d’arbres. D’autre part, ces «troncs» sont tous de la même dimension et sont

situés à même le sol dans une salle donc en contact direct avec l’architecture. Il se trouve

donc que dans l’ensemble de mon travail j’utilise essentiellement les formes, les textures,

la composition afin de représenter mes pensées. Par ailleurs, si ce n’est pas dans la forme

(visuellement) ce peut être dans le sujet choisi, comme pour la vidéo «Tournes» où l’on peut

voir à la fois de la végétation : pelouse, arbres, plantes, ainsi que du bitume qui est tout à fait

l’un des matériaux représentatif de la ville, du monde urbain, du fabriqué. D’un autre côté,

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ces deux «univers» que je décris de façon bien distincte ne le sont pas complètement. En ef-

fet, ne serait-ce qu’au niveau de cette vidéo nous pouvons observer une véritable confusion,

un amalgame, un enchevêtrement de verdure et d’éléments urbains (panneaux de signali-

sation, goudron, bords de trottoir…). Cette vidéo nous montre bien alors que des éléments

et donc deux domaines et univers bien distincts que nous pouvons voir ordinairement en

milieu urbain ou rural ne le sont pas à une plus grande échelle. En effet cette distinction

ville/campagne qui existait autrefois devient de plus en plus dure à voir.

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Ci-contre : de haute en bas et gauche à droite : -Andy Goldsworthy : sticks framing a lake sculpture.

- Andy Goldsworthy : at SUNY Purchase.

- Andy Goldsworthy : artwork.

- Andy Goldsworthy : artwork.

Ci-dessous : Installation de Tara Donovan

Ci-contre : Tableau d’Olivier Mérijon

Ci-dessous : Installation de Tara Donovan

Ci-contre : Tableau de Piet Mondrian

Ci-contre : Installation de

Tara Donovan

Ci-dessous : Installation de

Tara Donovan

Ci-contre : Tableau de Piet

MondrianCi-dessous : Tableau de Piet

Mondrian

Ci-dessus : Tableau d’Olivier

Mérijon

Evolution visuelle dans le temps

Monde urbain, monde rural ?

Ville, campagne ?

Architecture, végétation ?

Ce qui m’intéresse dans le thème que j’ai choisi, c’est à la fois l’envie de montrer

deux «univers» dans lesquels nous évoluons quotidiennement et qui de ce fait n’attirent

plus notre attention, notre regard. Mettre en évidence des détails du quotidien qui passent

inaperçu, révéler des sensations et solliciter le plus de sens possible chez le spectateur. Je

pense pouvoir qualifier mon art d’art poétique ; en effet j’utilise un ensemble de règles dont

la finalité est de produire la beauté. Être attentif au sensible c’est d’ailleurs, comme nous y

invite Henri Focillon dans sa Vie des formes (1934), étudier les possibilités propres d’un

matériau, comme je peux le faire avec le plâtre, la résine, le bois mais également la lumière,

la verticalité... D’un point de vue esthétique, le temps et l’espace eux-mêmes sont l’étoffe de

l’expérience, comme une langue celle de la pensée.

C’est en m’intéressant dans un premier temps à mon quotidien, au passage d’un

monde rural à un monde urbain plusieurs fois dans la journée, aux multiples différences

esthétiques, que je me suis intéressée à cette frontière qui les séparaient. C’est en effet leurs

propriétés opposées (de ces deux mondes), mises en évidences les unes avec les autres qui

m’ont tout de suite attirées. Ce ne sont ni celles de la végétation, ni celles de l’architecture

à part qui m’ont semblé importantes mais belle et bien les unes en relation avec les autres.

J’utilise pour cela la qualité esthétique de mes œuvres mais mon projet repose également sur

l’évolution de l’organisation du territoire français (voir européen). En effet je veux mettre

en évidence que bien que visuellement très différents l’un de l’autre, ces deux «univers»,

34

entretiennent des relations qui changent au fil du temps et qui aujourd’hui ne sont plus les

mêmes que celles d’autrefois.

La relation millénaire entre ville et campagne, qui associait deux termes nettement

distincts par leurs formes autant que par leurs fonctions, a tendu à se défaire au XX siècle,

dans les pays riches, pour laisser place à un mixte de ces deux termes : la «ville-campagne».

Afin de mieux comprendre les changements qui s’opèrent aujourd’hui il est important

d’énoncer ceux qui se sont déroulés antérieurement. En effet, au cours des siècles précédents

nous avons pu observer le temps long des migrations entre campagnes et villes telle que

l’exode rurale (1800-1970), jusqu’en 1760 les campagnes restent globalement fidèles au modèle

sédentaire, mais après cette date les villageois élargissent leur horizon ; Les migrations sont

plus fréquentes et plus lointaines, favorisées par la mise en place d’une trame routière qui

permet le début du désenclavement de certains espaces ruraux. De la fin du 19ème siècle

jusqu’en 1950 les représentations dominantes insistent sur l’opposition entre la ville et la

campagne qui s’appuie sur le clivage entre la vocation industrielle et tertiaire de la ville,

la «société industrielle» de R. Aron et «l’ordre éternel des champs» de Maspétiol, les cam-

pagnes se caractérisent par le dépeuplement, la lenteur du progrès technique et le maintien

de l’exploitation familiale. La ville est décrite par le changement, les innovations, par une

structure de classe et la recherche du profit alors que la campagne est fidèle aux traditions,

marquée par des structures unitaires, familiales, villageoises du «monde agricole» où prime

le patrimoine et la recherche du statut social. Puis, dès 1970 s’est déclaré un renouveau rural

inégal et fragile : les mouvements migratoires changent provoquant l’étalement urbain et

la constitution d’un tiers espace, l’espace périurbain. Depuis le fin des années soixante, les

changements de perception de la ville et de la campagne influent sur le choix des ménages

avec d’une part «la crise» de la ville, perçue comme un lieu d’oppression, saturée, polluée,

inhumaine, bruyante, congestionnée et, d’autre part, le fait que soit associé aux espaces ru-

raux les valeurs de : traditions, écologie, authenticité, nature, qualité de la vie, convivialité

35

et de solidarité. Cette dichotomique a été renforcée depuis quelques années par ce qu’il est

convenu d’appeler la « crise des banlieues ».

En effet il est difficile d’ignorer que partout en France (ou presque) les villes s’agran-

dissent et ce en suivant une courbe exponentielle. Comme l’explique Jean-Marc Jancovici,

spécialiste des changements climatiques, «les villes s’accroissent par leur périphérie à un

rythme tel qu’il nous reste sans doute moins d’un siècle avant que l’espace foncier ne se

réduit à peau de chagrin»2. C’est là une première facette du problème, nous urbanisons notre

environnement à une vitesse vertigineuse. La part des sols artificialisés ne cesse d’augmenter

! Je ne parle pas ici d’un point de vue écologique, car même si ce problème existe, ce qui m’in-

téresse se place au niveau de la vision. L’esthétique… tout ce que l’un et l’autre de ces deux

«univers» ont à offrir visuellement : la naissance, la construction, les formes, les matières, la

métamorphose, la disparition… Seulement, je vois une deuxième facette à cette artificialisa-

tion du territoire, que mes faibles connaissances en biologie ne me permettent pas d’analyser

en profondeur. Notre territoire ne fait en effet pas simplement que s’urbaniser, l’artificialisa-

tion se fait par parcelles, faisant se côtoyer de très près espaces bétonnés et espaces naturels.

Si bien qu’on assiste à un mitage des espaces naturels. En effet, l’ancienne relation ville/

campagne, qui associait deux termes nettement distincts par leur forme autant que par leur

fonction, s’est défaite au siècle dernier pour laisser place à un habitat d’un genre nouveau. La

fonction agricole n’étant plus exercée que par une fraction minime de la population totale,

des populations au genre de vie urbain ont remplacé dans les campagnes la paysannerie

d’autrefois, tandis que, sous l’effet du desserrement, de l’étalement et de la dissémination

périurbaine, la définition morphologique de la ville devenait de plus en plus floue. Ce phé-

nomène a donné lieu à un foisonnement terminologique allant de la fin des villes à la ville

émergente, en passant par la rurbanisation, l’exurbanisation, la ville-territoire, la ville-pays,

la città diffusa, la campagne urbaine, le périurbain, l’edge city suivie de près par l’edgeless

city, la ville franchisée, etc., dont le sens général est qu’il s’agit d’une dynamique essentiel-

2 Olivier Martinez, « La parcellisation ou le mitage des espaces naturels », in Sciences et Environnement,

http://docsmartinez.free.fr.

36

essentiellement urbaine, mais dans laquelle c’est une forme d’habitat de type rural, riche

en espace et proche de la nature, qui est recherchée. Cette ambivalence explique le choix

du terme «ville-campagne», pour souligner que dans ce phénomène, la ville est vécue sous

les espèces de la campagne. Cet habitat d’un genre nouveau pose de gros problèmes, tant au

plan social qu’à celui des paysages et de l’environnement. Ceux-ci culminent aujourd’hui en

un paradoxe insoutenable : la quête de «nature» (dans les représentations) entraîne la des-

truction de la nature (en termes de biosphère). Il me paraît clair que cette parcellisation des

territoires et l’augmentation de la présence humaine dans les espaces naturels (du fait de la

promiscuité du béton avec la «campagne») ne peut qu’avoir un impact négatif sur la richesse

de la faune et la flore. Mais là, l’avis d’un biologiste me serait bien utile !

37

Ci-dessus : photographie d’Edith Roux, 2007

Ci-contre : de haut en bas :

colonne de gauche : - Carte représentant le développement de la ville de Blanquefort,

située au nord de l’agglomération Bordelaise.

Hélène Grinberg, «L’urbanisation en Europe», in, Illapa,

helenegrinberg.e-monsite.com.

- Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région de Paris.

SDRIF, «Référentiiel et territorial», treparoute.free.fr

- Carte 1 - Variation annuelle de la densité de population 1982-1999.

Représentation du nord-ouest de la France.

Nicole GICQUAUD, Amandine RODRIGUES, Cécile ROR

TAIS, «Cartes régionales», in, En Pays de la Loire, une densification

de la population plus loin des villes, www.insee.fr

colonne de droite : - Schéma du réseau autoroutier au niveau de la ville de Paris et son

agglomération.

«Un réseau étoilé», in, Une autoroute urbaine dans l’agglomération

parisienne, www.histoire.ac- versailles.fr

- Schéma mettant en évidence la répartition et les mouvements au

niveau d’une ville.

Hélène Grinberg, «L’urbanisation en Europe», in, Illapa,

helenegrinberg.e-monsite.com

- Carte 2 - Variation annuelle de la densité de population 1999-2006

Représentation du nord-ouest de la France. Mise en évidence de

l’évolution de l’occupation du territoire.

Nicole GICQUAUD, Amandine RODRIGUES, Cécile ROR

TAIS, «Cartes régionales», in, En Pays de la Loire, une densification

de la population plus loin des villes, www.insee.fr

39

Double page suivante : Capture du film «Tournes»

Où suis-je ?

Ce mitage peut être représenté par la transformation de nos campagnes et villes

en toiles d’araignée. La ville s’étale et empiète sur les espaces naturels encore inoccupés par

l’homme : «L’histoire des banlieues qui dévorent les campagnes»3. La présence de l’homme

de façon diffuse dans tous les espaces naturels m’interroge sur le désir humain d’occuper tout

l’espace. Il existe un véritable étalement urbain, les villes se dissolvent dans les campagnes.

Nous pouvons voir dans les champs de jolis pavillons rurbains alors qu’il faudrait construire

la ville sur la ville (ce ne sont pas les anciens habitants mais les nouveaux arrivants qui

étendent l’aire urbaine dans les espaces naturels avoisinants). Nous construisons la ville à la

campagne !

En effet, bien que mon travail soit orienté vers un certain constat et une mise en

avant des thèmes évoqués précédemment il y a également, en moi, une envie aujourd’hui,

de dénonciation des «mauvais côtés» de la ville (dénonciation indirecte c’est-à-dire juste en

mettant en avant, dans mes travaux, le naturel). Non d’un point de vue écologique, comme

dit précédemment, mais dire que la main de l’homme et que l’évolution de ce dernier est plus

puissante face à celle de la nature. C’est à la suite de la lecture du livre «Tristes Tropiques»4

de Claude Lévi-Strauss que j’ai vu ressurgir en moi cette prise de parti. L’auteur annonce

de manière assez provocante : «Je hais les voyages et les explorateurs»4. Il s’agit en effet,

non de peindre l’exotisme ou l’aventure mais de saisir une réalité humaine et de s’interroger

sur la civilisation. Comme l’analyse Georges Bataille : «la nouveauté du livre s’oppose à un

ressassement, elle répond au besoin de valeurs plus larges, plus poétiques, telles que l’horreur

et la tendresse à l’échelle de l’histoire et de l’univers, nous arrache à la pauvreté de nos rues

et de nos immeubles»4 Cette analyse, face à laquelle nous met Claude Lévi-Strauss, nous

montre les rapports entre l’ancien et le nouveau monde, la place de l’homme dans la nature,

3 Ibid

4 LEVI-STRAUSS Claude, Tristes tropiques, rééd. (2001) Pocket, coll. « Terre humaine », Plon, Paris, 1955, 512 pages.

42

le sens de la civilisation et du progrès. Il nous donne à réfléchir sur ces différentes «parties»

du monde si éloignées l’une de l’autre, inconciliables, où le lecteur doit garder à l’esprit le

fait qu’il a certes changé de lieu, mais aussi de temporalité, puisque le «progrès» ne touche

pas toutes les parties du monde à la même vitesse (ceci est également vrai au sein d’un

même pays). La thématique de mon projet artistique n’est pas la même mais se rapproche en

certains points de celle évoquée dans «Tristes tropiques» ; j’y compare un «monde naturel»

et un «monde construit», à bien moindre échelle, c’est-à-dire l’univers de la campagne où la

végétation domine et l’univers de la ville où là l’architecture est dominante, où l’action de

l’homme et l’homme lui-même se trouve en «surnombre» et ce, en jouant l’un avec l’autre,

montrant que malgré des différences, essentiellement esthétiques, ils se trouvent être insépa-

rables. Je peux donc dire qu’à la lecture de cet ouvrage j’ai tout de suite fait le rapprochement,

à différents niveaux, entre ce que Claude Lévi-Strauss appelle le Nouveau Monde (forêt

Amazonienne et peuples autochtones) et l’Ancien Monde (l’Occident…). De plus on trouve

une véritable critique de la part de l’auteur: «c’est que l’arrogante civilisation occidentale ne

semble amener partout que guerre et désolation, provoquant l’extinction de nombreuses peu-

plades «primitives» et dévastant l’écosystème»5. De ce point de vue, les tropiques paraissent

bien «tristes».

Pour ma part j’ai cette prise de parti. Mais ce qui m’intéresse c’est de remettre à

niveau ces deux «univers». «Voyager», dit Claude Lévi-Strauss, consiste à se confronter à

«notre ordure lancée au visage de l’humanité». Ma vision et que l’un envahit l’autre, l’ar-

chitecture «s’invite en campagne», tout comme les «explorateurs» ont envahis le Nouveau

Monde et l’ont changé à jamais. Mais en ce qui me concerne personnellement la réciproque

est vraie : la végétation «s’invite en ville», par ailleurs à moindre échelle et c’est cela que je

dénonce.

5 Ibid

43

Ci-dessus : Photographie de poudre de plâtre dans les fissures du bitum

Conclusion

J’ai mis, dans une majorité de mes travaux, en évidence la solidité d’une part, faisant

référence ainsi à la ville, l ‘architecture et la fragilité d’autre part, en ce qui concerne la na-

ture; montrant alors que cette dernière est dominée par l’homme et est soumise à différentes

influences mais persiste entre autre en «ville» où elle se fraie un chemin, comme dans les

fissures du bitume. (Chez Anselmo on retrouve cette même confrontation par exemple dans

son œuvre faîte de granite, de fil de fer et de laitue fraîche, deux éléments : l’un dur, solide et

lourd, l’autre fragile léger et sur lequel le temps agit plus rapidement).

Je montre également qu’il existe une réciprocité comme lorsque le plâtre prend la

forme du bois. Qu’il existe une multitude d’interférences et de métamorphoses au sein du

«paysage» qui nous entoure. Ce qui m’intéresse également, ce sont tous les petits détails que

l’on voit apparaître qui mettent en avant tous ces petits «défauts», que ce soit dans l’un ou

dans l’autre monde. Enfin bien que pour moi l’esthétique de mes œuvres tienne une place

importante, l’installation de celle-ci au sein d’une infrastructure tient également une grande

place dans mon travail, puisqu’elle n’est pas que support (par exemple pour les dessins) mais

fait partie entière de l’œuvre (il en est de même lorsque l’œuvre se trouve à l’extérieur).

D’autre par en regardant mon travail on voyage ainsi au cœur du dépouillement,

de l’absence couleur, de la forme inspirée, immaculée présence du blanc, non couleur ou

couleur absolue, reflets de tous les possibles, quête universelle de la lumière et de la pureté.

C’est après, m’être intéressée aux différents endroits dans lesquels j’évolue, après les avoir

distingué que je me suis aperçue qu’aujourd’hui l’un ne vit pas sans l’autre. Jusqu’à ce jour

mes travaux se trouvent être à échelle 1. En effet je mets le spectateur face à son environ-

nement, par ailleurs j’aimerai faire évoluer ce projet non dans le fond mais dans la forme et

ainsi réaliser des œuvres beaucoup plus grandes afin d’accentuer les aspects d’invasion et de

submersion.

45

Page suivante : détails, dessin au crayon sur papier blanc, 1,50x1,50

..................................................Annexes................................................

English summary

To put in contact two worlds which are close, which live next to each other, which

live together, which mingle, which are mixed. On one hand nature and more precisely vege-

tation and on the other hand the city, the urban world and especially architecture. A “world”

which is completely constructed by itself and the other which is built everywhere by Man

who builds and who is the link.

Which Worlds?

The rural world which rests principally on nature. Term that is vast too vast.

Abounding, luxuriant vegetation; unpredictable forms which vary according to a number

of parameters (wind, rain, sun, site…) so uncontrolled accidents (but at the same time so

perfect). Vegetation is autonomous. Man, with capital “m” makes the link because is natural

and constructed. Nature is taken as a model.

The urban world which is so different with its forms, its aesthetics, its attractiveness; and

however, both architecture and nature are so close by their nearness in space. In a great ma-

jority of architecture we can find geometric forms such as the square, the rectangle or many

other shapes lines and right angles, therefore something very controlled, in precise measure-

ments. We are in the presence of two different but close phenomena at the same time.

Impossible separation/Impossible disassociation.

One doesn’t live without the other. We find cities at the same time as countryside.

In reality these are places where there is a majority of vegetation and a majority of buildings.

Moreover in one we can find the and vice versa. We find within cities vegetation such as

grass on sidewalks, public gardens, trees…as well as within the countryside we find (more

and more) building or else controlled vegetation, facilities…There also exists a certain inspi-

ration in one to construct the other. We try to control nature more and more.

48

One the other and the architect draws inspiration tremendously from a number of plants,

natural or organic forms for some buildings (ex: architecture utopian).

A vision on the scale of the man.

In the majority of my works of art there are two materials or a double aesthetic

vision: both “worlds”. I work especially in sculpture but also in photography, in drawings

and video. I want the spectator to be confronted by works of art, that they are imposing. For

example: sculptures where the material is the same for all the work but worked differently,

so it there result gives two different aspects; one element which often happens after an

accident or/and research, a much more unpredictable form: “Tubes” and “Cubes”. “Tubes”:

sculpture in plaster, “”Cubes”: three sculptures two in normal and transparent resin and

the third in plaster. Or it can be an association between two very distinct material, such as

plaster and resin with wood…the one is constructed the other is used as it is (taken in nature,

for example: branch, bark) where I put in contact the influence of Man on nature.

I wish in a majority of my work to highlight solidity thus on the one hand referring

to the city, the architecture and brittleness on the other hand with regard to nature showing

whereas the latter is dominated by the man, am subjected to various influences but persist

amongst other things downtown “” where it spawning time a way, as in the cracks of the

bitumen. I also show that there is a reciprocity as when the plaster takes the shape of wood

(and not the reverse). What also interests me these are all the small details that one sees

appearing which proposes all these small “defects” that it is in one or in the other world.

Finally although for me the esthetics of my works holds an important place, the installation

of this one within an infrastructure also holds a great place in my work since it is not only

support (for example for the drawings) but formed whole part of work. To finish I never use

color but uses clean materials and their characteristics just as they are since for me this one

evokes a “human act very clearly” and thus the industrial side, built, manufactured… that

until now I could put forward various manners.

49

50

Bibliographie

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51

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Ci-contre : détails, dessin au stylo bille bleu sur papier blanc, 1,50x1,50cm

Je remercie l’ensemble du corps enseignant,

les techniciens ainsi que tous ceux

qui m’ont soutenu pour arriver jusqu’ici.

Et quelle aventure !!!!

ESAM Caen la mer...2010

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