memoire thanatomorphose aurelie madelon 2010

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tanatologia en francia

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    Universit Claude Bernard-Lyon 1 Dpartement de Biologie Humaine

    Master HPDS

    Unit denseignement Anthropologie, Ethnologie et Sociologie de la sant

    Anne universitaire 2009-2010

    Mmoire bibliographique prsent par Aurlie MADELON

    Soutenu le 16 septembre 2010

    THANATOMORPHOSE ET RITES FUNERAIRES

    Sous la responsabilit de Monique BOLLON-MOURIER, Ludovic CALLENS et Raoul PERROT

    Laboratoire d'Anthropologie Anatomique et de Palopathologie

    site web : http://anthropologie-et-paleopathologie.univ-lyon1.fr

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    THANATOMORPHOSE ET RITES FUNERAIRES

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    SOMMAIRE

    INTRODUCTION p.4

    1. DESCRIPTION DU PHENOMENE DE THANATOMORPHOSE p.5 1.1. Le refroidissement du cadavre p.5 1.2. La rigidit cadavrique p.5

    1.3. Les lividits cadavriques, ou hypostases p.6 1.4. La putrfaction p.6 1.5. La colonisation du cadavre p.8

    2. LA PEUR DE LA THANATOMORPHOSE, UNE CRAINTE UNIVERSELLE ? p.11

    2.1. Au commencement p.11 2.2. LAntiquit p.11 2.3. LAfrique Noire p.12 2.4. Evolution en Occident p.12

    3. LES TECHNIQUES DEVELOPPEES POUR CONTRLER LA THANATOMORPHOSE ET LEURS SIGNIFICATIONS SYMBOLIQUES p.18 3.1. Les objectifs p.18 3.2. La chair p.18 3.3. Lair p.19 3.4. Les eaux mres p.19 3.5. Retour a la terre maternelle p.20 3.6. Le feu purificateur p.21 3.7. La toilette mortuaire p.26 3.8. Lembaumement p.26

    3.9. La thanatopraxie p.29

    CONCLUSION p.35

    BIBLIOGRAPHIE p.37

    REMERCIEMEMENTS p.42

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    INTRODUCTION Selon EPICURE La mort ne nous concerne en rien puisquelle ne concerne ni les vivants parce quelle nest pas, ni les morts parce que nous ne sommes plus . Et pourtant, la mort a t traite sous tous les angles. Dans lhistoire, les analyses sont passes des mythes la simple dfinition biologique, des diverses philosophies et de la religion lindiffrence et lathisme. Et cest surtout le versant traumatique de la mort, qui touche le plus les individus, qui a t au cur des explorations. Le traumatisme est lorigine de la peur de la mort qui est elle-mme lie la mconnaissance de lvnement. Linconnu est ce qui effraie le plus. LHomme a donc tent de la comprendre.

    Cependant, il est impossible de parler de mort sans aborder le domaine de la thanatomorphose. Elle correspond aux modifications physiques que la mort provoque post-mortem sur les organismes. Elle fait partie des lments qui participent la cration du traumatisme de notre issue ltale. Or le lien na t que peu tudi entre la ralit physique du phnomne et ses implications dans les croyances et les pratiques funraires. Pour ce faire, nous allons tudier les deux versants principaux de la thanatomorphose, savoir le ct biologique et le ct symbolique (principalement dans notre socit et en prenant quelques exemples titre comparatif), pour ensuite identifier les techniques inventes par lHomme en raction au phnomne et aux explications quil lui avait donnes.

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    1. DESCRIPTION DU PHENOMENE DE THANATOMORPHOSE Le thanatomorphose qui est, comme nous lavons dfinie ci-dessus, la dcomposition post-mortem du corps, sopre en 5 tapes principales (internet 1) : 1) Le refroidissement du cadavre 2) La rigidit 3) La lividit 4) La putrfaction 5) Larrive des insectes sur le cadavre Toutes ces tapes ne se succdent pas dans le temps mais sont plus ou moins intriques les unes dans les autres et vont tre dtailles.

    1.1. Le refroidissement du cadavre Le corps commence perdre de sa chaleur ds la 2me heure aprs le dcs. Le visage et les extrmits sont les premiers subir une diminution de temprature, alors que certaines zones vont rester une temprature proche de celle du corps humain vivant un peu plus longtemps (prine, creux axillaires). Par la suite, on va atteindre une homognisation de la temprature corporelle avec la temprature ambiante (vers 15-30h). Ces observations sont en ralit variables en fonction de lge du dfunt (le corps se refroidira plus rapidement sil sagit dun enfant ou dune personne ge), de certaines caractristiques physiques (un corps obse gardera plus longtemps de la chaleur), mais aussi de la faon dont est vtu le corps, la temprature environnante Il faut aussi noter une acidification des viscres contemporaine du changement de temprature.

    1.2. La rigidit cadavrique Encore appele rigor mortis, elle dbute dans un stade prcoce suivant le dcs (en moyenne trois heures aprs et devient complte entre 8 et 12 heures). Elle se manifeste par un enraidissement progressif de lensemble de la musculature caus par les transformations biochimiques irrversibles affectant les fibres musculaires.

    Plus prcisment, elle est due la coagulation de la myosine (qui est une protine qui joue un rle fondamental dans la contraction musculaire en relation troite avec les myofilaments dactine). Cette coagulation est due larrt des pompes ATPasiques (qui synthtisent de lATP, source dnergie de la cellule) au moment du dcs. Cette synthse fait normalement intervenir du calcium qui, du fait de larrt des pompes, va saccumuler dans les cellules musculaires. Le calcium en excs va alors former des ponts entre la myosine et les molcules dactine, les fixant entre elles alors quelles sont normalement mobiles les unes par rapport aux autres pour permettre la contraction musculaire (voir Fig. 1).

    Cette rigidit intresse en premier la nuque (petits muscles) pour stendre dans une dynamique descendante (loi de Nysten) jusquaux membres infrieurs (muscles de plus gros volume), et ainsi toucher toute la musculature. Les membres infrieurs sont en extension, les membres suprieurs en demie-flexion fortement appliqus contre le thorax (cest dailleurs de cette observation que lHomme tira la principale position dans laquelle il inhume encore de nos jours ses dfunts : les bras sur la poitrine, les mains jointes, dans une attitude de prire), la tte en extension et les mchoires serres (Charlier & Durigon, 2007).

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    Ce phnomne reste prpondrant pendant 2 3 jours, et disparat avec lapparition du phnomne dautolyse (destruction des cellules par leurs propres enzymes). Les acides gras oxyds librent de lacide actique qui est un produit volatil, etc. Le commencement de la putrfaction est variable en fonction des circonstances de mort, les soins apports au corps (elle va tre plus prcoce si le corps est immerg (sur ce point les opinions divergent, la formation dadipocire tant plus rapide dans leau, celle-ci ralentirait la putrfaction), va varier avec la composition de la terre si le corps est enseveli, et va (et cest le but) tre nettement retarde si on a recours la thanatopraxie), ou encore lutilisation de certains mdicaments qui peuvent acclrer ou ralentir (antibiotiques) le phnomne.

    Par ailleurs, si le refroidissement corporel se fait trs rapidement (temprature environnante trs faible), le corps va alors prsenter une rigidit dite frigorifique . En temps normal, une rigidit rompue au-del de la 8me heure suivant le dcs ne se reformera pas (cest le principe qui est utilis lors de la thanatopraxie, voir III).

    1.3. Les lividits cadavriques, ou hypostases Ou livor mortis, elles correspondent une coloration rouge violace de la peau, dabord

    lie une congestion passive ( cette phase, les taches sont alors mobiles), puis due une transsudation du sang travers les parois des vaisseaux (qui explique la fixit secondaire des taches aprs 2 5 jours). Elle dbute ds larrt de la circulation sanguine et est due laugmentation de lespace entre les cellules endothliales qui composent la paroi des vaisseaux sanguins. Ces espaces laissent alors passer les globules rouges dans les espaces interstitiels jusque sous la peau.

    Ces lividits apparaissent ds les 20-25 minutes aprs le dcs. Elles se manifestent en premier lieu au niveau du cou, puis stendent (en environ 15 heures, mais selon une vitesse variable) sur le reste du corps. Elles pargnent cependant les points de pression, cest--dire les zones sur lesquelles le cadavre repose, et dventuels liens enserrant le cadavre (corde de strangulation, ce phnomne a donc une importance dans le domaine mdico-lgal) (Charlier & Durigon, 2007). De plus, de nouvelles lividits peuvent apparatre dans les nouvelles zones dclives si le corps est transport (Durigon & Guenanten, 2009). Les lividits disparaissent avec le dbut de la putrfaction.

    1.4. La putrfaction Elle correspond la dcomposition et la liqufaction des tissus organiques sous linfluence

    prpondrante des bactries (surtout intestinales) hberges par lindividu. Ces bactries passent dun rgime symbiotique (se dit de deux espces qui sont intimement lies et dont chacune est ncessaire lautre pour survivre : on parle dailleurs dassociation bnfices rciproques) saprophytique (qui se nourrit de matire organique en dcomposition).

    Par la suite, des myctes (champignons) saprophytes et des bactries minralisantes vont envahir le cadavre, on observe alors des taches vertes (dabord au niveau de la fosse iliaque droite signant la pullulation microbienne au niveau du caecum, puis gauche, pour gagner toute la partie infrieure de labdomen).

    De plus, on remarque que les populations de myctes et de bactries varient en fonction de lavance de la putrfaction ; une population est donc spcifique dun stade du phnomne de putrfaction, et lidentification des populations prsentes lors de lexamen du cadavre peut permettre de dater le dbut de sa dcomposition.

    Plus prcisment, le Dr Bass (2004) spare quatre tapes dans la dcomposition qui sont : la

    priode initiale, la dilatation, le pourrissement et le desschement.

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    1.4.1. La priode initiale Les orbites se vident, et on assiste un tirement de la bouche qui se transforme en un

    (presque) sourire. 1.4.2. La dilatation A la fin de la premire semaine, les bactries se dissminent de proche en proche par voie sanguine et lymphatique, et se multiplient activement en se nourrissant de lestomac et des intestins. Ce mtabolisme bactrien dgage alors des gaz, comme les gaz intestinaux en temps de vie, sauf quici le corps nen est plus dot. A ce phnomne sajoute aussi la formation de gaz lors de lautolyse. Il y a ainsi un gonflement des zones du corps humain contenant le plus de bactries, cest--dire labdomen, mais aussi la bouche et les organes gnitaux. De plus, il ny a plus de muscle, plus de sphincter efficace : les selles sont alors mises hors du corps, pousses par la pression intra-abdominale cre par les gaz (Charlier & Durigon, 2007).

    Cest aussi cette priode que nous assistons la coloration marron-rouge fonc de la peau, et quelle devient transparente, laissant apparatre les vestiges de la vascularisation, appele circulation posthume. Elle est due la pression abdominale qui chasse le sang des gros vaisseaux et du cur vers les veines. Ce mcanisme favorise en mme temps la dissmination des bactries et donc de la putrfaction.

    Cette fin de semaine se solde galement par la fonte du tissu adipeux (on parle dadipocire) sous la peau et lui donne un aspect luisant.

    Le ventre, jusqu maintenant gonfl, va saplatir pour devenir rabougri, et cest ce changement qui marque le passage de ltape 2 ltape 3 (Bass, 2004).

    1.4.3. Le pourrissement Par la suite, un liquide suinte de la peau qui soulve lpiderme. De nombreuses phlyctnes

    apparaissent et la peau des mains et des pieds va se dtacher en de larges lambeaux -cest la mue ou encore le dgantage (Bass, 2004)- et les cheveux, les poils, les ongles sont facilement arrachs. A partir de la deuxime semaine, le corps va commencer se dcharner (dabord le thorax et labdomen, puis les membres qui mettent plus de temps du fait de labsence dorifice humide).

    1.4.4. Le desschement Il est trs variable, fonction de ltat dhydratation ante-mortem, du climat environnant,

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    1.5. La colonisation du cadavre Le cadavre est une rserve de nutriments. Une fois mort, le corps nest plus prserv par le

    systme immunitaire, et les cellules vont alors pouvoir tre manges par les insectes attirs. En effet, quelques minutes aprs la mort, des phnomnes dautolyse dbutent qui sont des

    transformations fermentatives. Les produits de ces ractions dgagent des odeurs spcifiques (pas encore forcment perceptibles par lhomme) et qui attirent les premiers insectes qui vont alors se servir du corps comme nourriture pour eux-mmes et leur progniture. Cette colonisation dbute donc avant mme la putrfaction puis continue en mme temps que celle-ci (Vibert, 1921).

    Lautolyse se poursuit, et on va avoir apparition dodeurs perceptibles et spcifiques dun stade de putrfaction (car les produits des ractions changent, les prcdents substrats tant consomms). M. Roach dcrit lodeur tenace du corps en putrfaction comme mi-chemin entre lodeur du fruit pourri et de la viande pourrie . Les populations dinsectes peuplant alors le corps sont aussi diffrentes (les femelles des diffrentes espces ne sont pas attires par les mmes odeurs). De plus, un afflux encore plus rapide des insectes est not en prsence dun saignement : cest la dcomposition diffrentielle qui peut permettre de prouver une mort par franchissement de la barrire cutane.

    Classiquement, on diffrencie huit escouades, dont seules les trois premires permettent

    une datation prcise (selon Megnin, 1893) (seulement 4 pour un corps inhum (Beauthier, 2008) : 1re = principalement compose de diptres (mouches vertes, bleues), ils colonisent le corps

    ds les premires heures suivant le dcs. Ils peuvent tre ncrophages (manger le cadavre), ncrophiles (manger les ncrophages) ou omnivores (manger le cadavre et les ncrophages). Les principales espces concernes sont les diptres communs tels que les genres Musca, Curtonevra, Calliphora (vicina, vomitaria, domestica (mouche des fentres) ) (Durigon & Guenanten, 2009), Muscina, Phormia (Charlier et Durigon, 2007). On voit aussi des Lucilies qui apparaissent en premier en plein air. Cest galement cette priode que lon peut observer les espces opportunistes telles que les araignes, cloportes,

    2me = elle comporte des sarcophagids (mouche viande ou damier) qui sont attirs par la dcomposition des matires fcales. Ces espces apparaissent au bout dun mois et disparaissent vers le sixime mois. Pour cits quelques espces retrouves, il y a selon Charlier et Durigon (2007) : des Lucilia, Chrysomya, Cynoma, Sarcophaga,

    3me = entre le troisime et le neuvime mois, les dermstes (petits coloptres), attirs par la graisse rance, arrivent sur le cadavre (on peut aussi voir des sylphids et des histrids, (Wyss & Cherix, 2000) et des lpidoptres (Charlier et Durigon, 2007)).

    4me = appele coryntienne, est signe par lapparition de nouvelles espces 10 mois. Des espces telles que des dyptres (Piophilia, Fannia, Hydrotaea,) et des coloptres (Necrobia,) sont vues (Charlier et Durigon, 2007).

    5me = silphienne (appellation due lapparition de lespce Silphidae qui fait partie des coloptres), partir de 2 ans.

    6me = acarienne. 7me = vers environ 2-3 ans, quand il ne reste quasi plus que les os (papillons, dermstes

    diffrents de la 3me escouade,). 8me = > 3 ans, avec lapparition des tnbrions (Tenebrio obscurus, T.molitor), appels familirement vers de farine .

    Larrive et le dveloppement de ces espces dpend, bien videmment, des conditions climatiques (temps de pluie, chaleur,) (Wyss, Engel & Cherix, 2000). De plus, daprs les travaux plus rcents raliss par Wyss et Cherix (2000), cette chronologie nest pas fige dans le marbre, et il est ainsi possible de voir des espces de la 3me escouade tre prsentes lors de la priode correspondant normalement la 1re.

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    Pour rsumer, si on prend la condition dun corps laiss lair libre, on obtient la chronologie suivante (pour des illustrations poignantes, consulter louvrage de B. Bass dont est tire la partie suivante) :

    -1er jour : en quelques minutes, les mouches viande vertes se posent sur le corps et vont pondre. On peut aussi retrouver des gupes et des frelons.

    -2me jour : des amas blancs dans les orifices humides (narines,) sont observables et correspondent des ufs de mouche.

    -3me jour : les ufs closent en des milliers de larves qui ressemblent des grains de riz sur le corps.

    -4me jour : la bouche et le nez se distendent sous laction des larves, le corps enfle sous la pression des gaz produits par la digestion des cellules par les bactries. Dautres mouches viennent pondre leur tour.

    -5me jour : le nez et la bouche sont entirement remplis dasticots qui consomment les tissus organiques de lintrieur. Les yeux se remplissent, eux aussi, dufs et de larves.

    -7me jour : la peau noircit (ce qui peut porter confusion quant lorigine ethnique de la personne).

    -8me jour : les orbites sont vides et se remplissent deau de pluie. -9me jour : en pleine nuit, les asticots fourmillent sur la totalit du corps. Ce jour-ci, les lvres

    commencent tre dtruites et laissent apparatre les dents. -10me jour : en pleine journe, les asticots se protgent des prdateurs potentiels en se

    mettant sous lpiderme (ce qui donne limpression quil y a peu de larves). -11me jour : le visage est presque compltement absorb par les asticots, et une tache grasse

    de couleur sombre imprgne le sol au-dessous du corps et stale alentour : elle est produite par les acides gras volatils provenant de la liqufaction des tissus.

    -12me jour : une mince enveloppe de peau subsiste encore partiellement sur les os. En-dessous de celle-ci, les asticots, aids dans leur action par les ractions chimiques destructrices des tissus organiques, ont consomm la quasi-totalit de ces tissus.

    Cette dcomposition est celle que lon rencontre pour un corps laiss lair libre. Dans des conditions de chaleur et dhumidit importantes, on peut obtenir un vritable squelette en 15 jours ! Cependant, le dveloppement de la faune est moins important si le corps est inhum (moins de possibilits pour les mouches de pondre), expliquant la dure plus importante (huit fois plus longue !) ncessaire la totale dcomposition du corps dans ces conditions. Elle dpend aussi de la profondeur de lenfouissement, de la dure dexposition au soleil avant linhumation De mme, pour un corps immerg, nous allons trouver une faune encore diffrente avec des insectes aquatiques tels que les Trichoptres, qui vont causer de svres dgts au corps expliquant la rapidit de la dcomposition du cadavre dans leau (Bass, 2004). Lors dun sjour dans leau, le corps va dabord subir une saponification puis une incrustation calcaire (qui pourra tre observable en archologie !) lintrieur des tissus, et une accumulation de mollusques la surface du cadavre.

    Ainsi, diverses techniques sont utilises pour valuer tous ces lments, comme par exemple lADD (Accumulated Degray Day) qui calcule la moyenne des tempratures des jours prcdents la dcouverte du corps pour savoir dans quelles conditions il a volu. Un ADD gal 200 peut correspondre 20 jours 10C ou 10 jours 20C, et pour chaque ADD identique, la dcomposition du corps en est au mme stade. Les professionnels utilisent aussi des techniques rcentes mesurant la quantit de dizaines de composants chimiques dans le corps (potassium dans lhumeur vitre (fiable sur une dure trs brve et donc peu utilise de nos jours), cytologie du liquide cphalorachidien, certains paramtres biochimiques sanguins,) et lenvironnement alentour, permettant le recueil dinformations prcises sur le stade de putrfaction dans lequel se trouve le cadavre. Le tableau de Vibert est une autre technique disposition pour estimer lheure du dcs, il tient compte de la temprature du corps, de la prsence ou labsence de rigidit, de la prsence ou

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    labsence de lividits, de la prsence de taches vertes signant la putrfaction (Durigon & Guenanten, 2009).La mise en commun des diffrents lments mesurs, calculs ou observs permet une datation prcise du dbut de la dcomposition du corps et donc de la date du dcs (il faut cependant nuancer cette datation ds la disparition des rigidits cadavriques, la dcomposition du cadavre tant variable, son apparition empche de fixer avec certitude lintervalle post-mortem) (Wyss & Cherix, 2000). De plus, une tude a t mene, prouvant que les larves ingurgitaient, et donc prsentaient dans leur chair, les toxines qui pouvaient tre prsentes dans le sang humain (de mme, lADN du sujet peut tre retrouv dans leurs tissus !). Les larves pourraient alors tre utilises aussi dans le cadre dtudes toxicologiques (Kharbouche, Augsburger, Cherix, Sporkert, Giroud, Wyss, Champod, Mangin, 2008).

    Nous venons daborder la thanatomorphose par son aspect biologique, cependant, il nest pas le seul versant de ce phnomne. Tout un imaginaire sest dvelopp autour de ce processus qui continue rgir les pratiques de nombreuses cultures.

    Fig.1 : Schma dun filament dactine et de myosine mis en relation lors de la contraction musculaire. www.humans.be/physio%20muscle.html

    Myosine

    La myosine saccroche lactine et grce lutilisation de lATP comme source dnergie, permet de faire glisser lactine, microscopique de la contraction musculaire.

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    2. LA PEUR DE LA THANATOMORPHOSE, UNE CRAINTE UNIVERSELLE ?

    Chaque tre vivant est vou une issue tragique de son existence, et lHomme est lanimal qui a le plus retourn le problme (sil en est vraiment un) dans sa tte (philosophie), la le plus entour de mysticit (multiplicit des rites, cultes), sans pour autant trouver une solution. Comme le dmontre M. Voyelle, le dernier passage sest toujours accompagn de lespoir ou de la crainte dun aprs dont les croyances religieuses ou magiques ont donn un sens . Cette vision que lHomme sest fait de la mort, son opinion et son approche du sujet ont cependant t trs changeantes au cours du temps et restent diverses et varies. En effet, la mort na pas toujours fait aussi peur que de nos jours.

    Cependant, tout limaginaire qui cherche claircir lincompris, sans forcment y parvenir (les mythes sont parfois plus obscurs, trop imags, trop remplis de sous-entendus, ils suggrent des significations sans les expliciter ; de mme pour les funrailles) peut rendre le sujet encore plus confus. Or, lhorreur de la dcomposition du corps est lorigine des perturbations funraires, du deuil : quelles diffrences a-t-elle fait natre entre les pratiques en Occident et en Afrique Noire ? Quelle volution a-t-elle engendre en Occident ?

    2.1. Au commencement Ds la prhistoire, lHomme se proccupe de ses morts et a recours des techniques pour

    acclrer la dcomposition du corps (crmation, cannibalisme), lviter (embaumement), ou lloigner (corps transports ailleurs). En effet, les premires spultures apparaissent au Palolithique, on note la naissance de la crmation au Msolithique, lembaumement voit le jour dans lEgypte Ancienne (durant le Moyen Empire) (internet 4), Cependant, par manque de tmoignages, on ne sait gure quelle tait la relle vision de ce corps en dcrpitude cette poque : renvoie de sa propre mort ? Pratiques dveloppes seulement suite la remarque de lodeur drangeante du corps en putrfaction ? Devoir de conservation de lintgrit du corps pour que lme puisse revenir sy installer quelques temps plus tard ?

    2.2. LAntiquit A cette poque, lide selon laquelle la dcomposition du corps correspondrait un stade

    dimpuret et une priode de contagiosit se dveloppe. En latin, funestus (duquel viennent les mots funbre et funrailles ) signifie souill par la prsence du mort . En Grce, la divinit lthifre Eurynomos avait ainsi pour fonction de dvorer la chair des morts et de ne leur laisser que les os afin de limiter ces deux phnomnes nuisibles.

    Les deux notions dimpuret et de contagiosit sont dailleurs celles qui commandent, encore de nos jours, les pratiques funraires de nombreuses ethnies dAfrique Noire.

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    2.3. LAfrique Noire Le stade de dcomposition du corps concorde avec la priode pendant laquelle lme (partie

    de lindividu considre comme immortelle) et le corps (qui nest quphmre), sont toujours rattachs lun lautre. Or la plus grande peur est celle des revenants. Aussi appels morts-vivants , desquels font partie les vampires, ou Larves (dans lAntiquit romaine) (exposition 1), ils sont capables de sattaquer aux vivants, ou de les possder, jusqu ce quils aient obtenu satisfaction (vengeance, apaisement). Ils sont issus dune mauvaise sparation de lme du corps, ce qui empche le double (lme) de senvoler vers le pays des morts, il est insatisfait et cherche donc rparation auprs des vivants qui lui ont caus du tort.

    Afin dviter un tel dsagrment, des offrandes sont faites au mort pour lui permettre de survivre pendant le voyage, la tristesse ressentie vis--vis de la perte dun tre cher doit lui tre montre, des chants et des prires sont scandes pour favoriser lacceptation du dfunt dans le monde des anctres,

    Par ailleurs, dans certaines populations dAfrique Sub-saharienne (comme par exemple Madagascar, (Ducarre, 2006), les Ashanti, Bantous,) les personnes proches du dfunt sont en deuil (du latin dolus = douleur, affliction prouve la suite du dcs de quelquun) et sont, plus ou moins, mis en exil. Cette priode de mise lcart est cependant temporaire. Elle dure, en ralit, le temps de la dcomposition du corps, dure pendant laquelle le corps est considr comme impur, dangereux et contagieux car lme nest pas encore totalement spare du corps et risque de rester jamais dans le monde des vivants si le scission ne se fait pas correctement. Cette pratique a pour but dempcher une personne affaiblie par le chagrin dtre possde par lesprit du dfunt, ou dempcher la mort de sy attaquer, par proximit. A la fin de la priode estime de la putrfaction (environ 1 an), quand il ne reste plus que les ossements, ceux-ci sont considrs comme purs. Lme est alors entirement spare du corps, il ny a plus de risque de contagiosit de la mort ou de possession. Cest seulement ce moment-l qua lieue la leve du deuil. Cette dernire ncessite aussi un bain purificateur (leau comme source de puret).

    Dans les civilisations Sub-sahariennes, le corps en dcomposition est donc vu comme impur

    et source de mort. Alors que dans les populations occidentales, le point de vue relatif la thanatomorphose est nettement diffrent.

    2.4. Evolution en Occident 2.4.1. Le macabre du Moyen-ge (M-A) Au Moyen-ge apparat le thme du macabre suite la Grande Peste de 1348. En effet, cette

    pidmie rend la contemplation du cadavre pourrissant et dessch, encore plus terrifiante car elle apporte un tmoignage visuel invitable de sa propre mort . Ce tmoignage morbide va apporter une flambe dangoisse devant la mort physique et permettre une prise de conscience de mort individuelle vers le XVIIe sicle. En effet, cest partir de cette poque que chaque Homme commence se voir comme une personne unique, cest le dbut de lindividualisation dans notre socit. La mort cesse alors dtre vue seulement comme le lot de tous, elle nest plus familire, elle nest plus accepte comme au dbut de cette poque : elle devient ce que Ph. Aries appelle la mort de soi . Et maintenant que lHomme sest rendu compte de sa singularit, quil a acquis son individualit, sa plus grande peur est de la perdre dans la mort. En effet, comme le fait remarquer L-V. Thomas, le dgot de la dcomposition du corps dveloppe le traumatisme li la mort. Par l-mme, il montre que nous ne sommes pas surs que les animaux, qui privilgient les besoins de lespce ceux de lindividu, discernent bien ce qui est mort de ce qui est vivant, et une partie de lexplication est quils ne sont pas dgots par le corps en putrfaction ( le singe soppose

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    lenlvement du cadavre comme sil sagissait dun sujet vivant, quand le corps se dcompose, le singe en arrache des morceaux p97).

    Le thme du macabre apparat donc suite la grande pidmie de cette poque qui a dcim

    une majeure partie de la population. Les corps taient visibles par tous et montraient la mort sous le visage dun cadavre en dcomposition, laiss labandon, avec tous ses nombreux homologues (tous identiques dans la multitude, ce qui a permis le dveloppement de lindividualisation). Avec le thme du macabre apparaissent les premires reprsentations du corps en dcomposition dans les arts : les transis (Fig. 2 et 3) succdent aux gisants (reprsentants des personnages couchs et endormis, dans une attitude bate ou souriante ; iconographie des morts de lpoque prcdente).

    Fig. 2 : Iconographie tire de la Tentation de saint Antoine de Jan

    MANDYN, XVIIe sicle (tardif), http://wodka.over-blog.com/article-

    2856341-6.html

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    Fig. 3 : Transi de Guillaume d'Harcigny au muse de Laon, 1394, http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Gisant_Guillaume_de_Harcigny_Mus%C3%A9e_de_Laon_2

    80208_1.jpg Nous notons donc, qu cette poque, la dcomposition du corps ne reprsente pas une impuret imaginaire comme pour lafricain, elle nest pas tabou comme elle le sera plus tard, elle est seulement traumatisante parce quelle fait le rapprochement entre la menace de la thanatomorphose et la fragilit de nos ambitions et nos attachements. Ce nest pas la mort en elle-mme qui effraie, mais lchec de la vie humaine laquelle elle renvoie. Cependant, la dcomposition du cadavre reste rattache lide que cet tat vhicule la mort, mme si les explications sont diffrentes, plus images (pour ddramatiser ?) chez lafricain. 2.4.2. La Renaissance et le moribond sain

    A la fin du XVIIe sicle, un mouvement fait opposition celui des transis et reprsente les morts en pleine possession de leurs capacits physiques, beaux, comme pour affirmer sa propre survivance dans lau-del [les masques raliss dans lAntiquit grco-romaine par moulage du visage dans de la cire, aussi appels imago, (exemple du masque de Claudia Victoria, exposition 1), avaient les mmes objectifs]. LHomme refuse de voir ce que la mort ralise sur le corps, il refuse dadmettre la dcomposition de son corps aprs la mort.

    Dun autre ct, cest cette poque que Lonard De Vinci (1452-1519) commence tudier le corps humain. LHomme cherche comprendre ce qui le compose, il nest plus rvuls lide douvrir un cadavre, cest le vritable dbut des dissections.

    Au cours du temps, les funrailles et les cultes du mort en Occident (qui ont pour but de soutenir le dfunt pendant son voyage dans lau-del, de le flatter, dobtenir le Salut pour son me) ont volu. Et ce, souvent en fonction de la reprsentation que lindividu se faisait de la mort, du

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    dfunt et du devenir de celui-ci. Au Moyen-Age, les funrailles sont trs christianises avec : de longues messes qui se rptent dans le temps (au 3me, 30me jour aprs le dcs et tous les ans), la prsence dun prtre au chevet de chaque mourant qui lira les absoutes Il y a un grand convoi qui suit le corps envelopp dans un simple linceul, qui sert cacher ce fameux corps dessch ( partir du XIIIe sicle, mme la tte est recouverte), et linhumation se droule sans solennit. Le deuil est la seule partie dramatique des funrailles. Le deuil se manifeste premirement par un choc lannonce du dcs, puis dune phase aigu qui est rvle par un tat dpressif, sen suit lacceptation, le rtablissement et la cicatrisation, ou une phase chronique si la personne narrive pas raliser les trois tapes prcdentes (on entre alors dans le deuil pathologique) (pour plus de prcisions au sujet du deuil, consulter le mmoire rdig par S. Martins, 2006). A la Renaissance, les pratiques funraires ont peu chang, les derniers instants du moribond se passent galement avec tous les amis, la famille et le prtre autour du lit.

    2.4.3. Lpoque Baroque Suite la Contre-rforme, on assiste des funrailles qui restent sur le mme modle que le

    prcdent mais avec une simplification de loffice des morts et une normalisation des gestes. En revanche, on remarque une amplification des manifestations du chagrin la perte dun tre cher. Il nempche que ces manifestations ont perdu toute spontanit. Les pleurs sont simuls, les gens de lpoque vont mme jusqu engager des pleureuses professionnelles !

    A cette poque, nous observons une priode de rclusion limage de ce qui se passe chez le mlano-africain. La raison ntait pas, ici, de prvenir la contagion de la mort ou la possession, mais elle imposait un loignement de la famille des obsques pour empcher les survivants doublier trop tt le disparu.

    2.4.4. Lumires sur La philosophie des Lumires va dvelopper lide que la proximit des morts drange. Jusqu maintenant, les morts taient enterrs devant la porte de la maison ou dans des cimetires localiss dans la ville, ceux-ci sont alors dplacs lextrieur : cest lexil des morts . En effet, de nouveau, lhorreur et la crainte des corps dcomposs surgissent. Cest bien dans la seconde moiti du XVIIIe sicle que Vicq dAzyr (mdecin) dmontre le pouvoir dinfestation contagieuse des cadavres, et les foyers de gaz toxiques qui se formaient dans les tombes (alors que jusqualors, ces gaz qui schappaient en faisant des bruits de porcs quon gorge taient mis sur le compte du diable ou de la sorcellerie). Il faut alors assainir les cimetires en les dplaant hors des agglomrations et purifier lair par lusage du feu. Ce sicle marque ainsi un tournant dans la vision de la mort et du cadavre. Le corps nest plus effrayant parce quil reflte lchec humain, mais il devient vritablement porteur de mort par tous les germes qui sont prsents.

    A ct de cela, nous assistons une valorisation de la phase dattendrissement au lit du malade et une volution profane des funrailles (diminution du nombre de messes,). Cette volution serait-elle due la prise de conscience de linsalubrit des corps dcomposs qui ncessiterait de rester le moins longtemps possible proximit du cadavre ?

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    2.4.5. La Rvolution franaise Suite ce tournant de lhistoire, le sentiment de la famille est renforc. Lexubrance du deuil est permise et de nouveau spontane. Il existe toujours une priode de rclusion, mais elle est, ici, volontaire et donc non obligatoire. Le dveloppement de ce sentiment familial exacerbe aussi la peur de la mort et donc le refus de celle-ci. En effet, sa propre vie est maintenant partage avec dautres, la peur quune personne laquelle on sest attach dcde, disparaisse, devient difficile imaginer : cest la peur de la mort de toi . Cest dailleurs de cette poque que nous tirons notre culte actuel des morts qui est devenu la seule manifestation religieuse commune aux incroyants et aux croyants de toutes les confessions (Ph. Aries). Elle marque le dbut de la diffusion des faire-part, de la visite annuelle le Jour des morts, la lacisation des obsques, et que le cimetire devient le lieu de culte. Nous notons aussi, cette poque, la gnralisation des tombeaux individuels signant la volont de garder son individualit par-del la mort.

    Ds ce XIXe sicle, le commerce se dveloppe (artisans fabriquant les cercueils) et la crmation apparat, dabord en Angleterre en 1880, puis en France en 1889. Cette technique empche le plerinage (signant la lacisation du culte des morts de cette poque ?) mais peut aussi permettre de garder le dfunt prs de soi (signant lexubrance des liens affectifs entre les individus ?).

    2.4.6. Le XXe sicle Beaucoup de notions dveloppes cette poque servent encore de modle pour la vision

    que nous avons de la mort de nos jours. Au cours de ce sicle, la mort devient taboue, il faut loublier : cest la mort interdite . Cette conception va alors donner lieu tout ce que nous connaissons aujourdhui du droulement des obsques. Le commerce se dveloppe considrablement pour laisser des socits de pompes funbres soccuper de lintgralit des funrailles. La mort devient marchande (Martins, 2006). Il y a une relle destruction des rituels avec, entre autres, la disparition du cortge funbre, lclipse du sacr devient totale pour qui nest pas pratiquant. Le culte des morts est encore prsent bien quamoindris.

    Par ailleurs, nous notons que le mlano-africain est moins effray que loccidental par la mort. En effet, pour le premier, la mort nest quun passage comme un autre, lhomme est amortel . Il y a une notion de mort-renaissance. La dcomposition du corps ne signifie donc pas la mort eschatologique comme elle lest pour lHomme de cette poque et de nos jours. Chez lHomme dAfrique Sub-saharienne, il faut plus que la thanatomorphose pour considrer un dfunt comme dfinitivement mort : il faut aussi quil ny ait plus personne de la famille pour rendre un culte au mort. Cest donc plus lincertitude des pripties qui attendent le dfunt dans le passage vers lancestralit que le cadavre en pourriture qui accapare lesprit du mlano-africain.

    Dun autre ct, la thanatopraxie apparat car le corps en dcomposition na jamais autant dgot (pour qui ny est pas habitu) : la mort devient aseptise . Le mort ne doit plus paratre tre ce quil est, il doit tre prsent comme un vivant en train de dormir. Lide de voir un cadavre montrant tous les signes de la mort nest plus acceptable. Le mort est beau, prsentable, paisible, seulement endormi. Et cet aspect de mort-propre est acceptable car elle peut laisser croire quelle est alors non mortifre.

    La runion familiale au pied du lit du mourant disparat cause de la mdicalisation de la mort.

    En plus de tout cela, le deuil nest plus tolr quen priv : une peine trop visible ninspire pas la piti mais la rpugnance, cest morbide , le deuil nest plus un temps ncessaire et dont la socit impose le respect, il est devenu un tat morbide quil faut abrger, effacer (Aries, 1975). Les individus constituant notre socit esprent oublier leur issue tragique en empchant les gens

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    dexhiber leurs sentiments concernant la mort. Cependant, ce nest pas la meilleure solution car le refoulement de la peine peut aggraver le traumatisme d la perte dun tre cher.

    Ainsi, la dcomposition du corps est effrayante, mais il ny a plus ici aucune notion de sparation corps-me. LHomme moderne naccorde plus de crdit aux mythes et aux rites. Lide reste celle du XVIIIe sicle selon laquelle la proximit dun corps est un manque dhygine.

    2.4.7. Et aujourdhui ? Nous assistons une nouvelle vague dindiffrence surtout dans les milieux intellectuels,

    avec une disparition des cultes de morts, mais qui persiste dans les milieux populaires et les classes moyennes pas trop intellectualises. Selon une enqute du CREDOC (Centre de Recherche pour lEtude et lObservation des Conditions de vie), les personnes ges de 40 69 ans prfrent un crmonial plus intime et psychologique que social (F. Recours).

    La thanatopraxie prend de lampleur. Et alors quavant la toilette funraire avait pour but de fixer limage du dfunt et dgager la beaut des salissures de lagonie, elle doit maintenant donner lapparence dun vivant au dfunt qui nen est plus un. Il faut masquer les apparences de la mort et conserver les allures familires et joyeuses de la vie. Lide de tabou de la mort se retrouve parfaitement dans cette pratique. De plus, le fait que les soins soient raliss par de parfaits trangers, peut tre le signe du refus des proches dadmettre la mort du malade ou bien la peur de toucher de si prs un mort qui pourrait tre contagieux.

    Par ailleurs, de cette ide de tabou dcoule le fait que lon shabitue un cadavre. Autrement dit, comme un thanatopracteur qui touche tous les jours un corps, lhorreur quil a pu ressentir lors de ses premiers soins, sa rpugnance toucher un corps, est alors attnue par la rptition, par lhabitude dtre au contact des morts. De mme, dans le catalogue de lexposition Kperwelten ralise en 2008 Bruxelles (Von Hagens, Whalley, Lantermann, Bauer, Fischer, Tag, Brock, Kriz, 2008), le Dr Wilhelm Kriz dcrit lintrt des visiteurs pour lexposition, et leurs sentiments son gard. Il explique que lhorreur des spectateurs dcroit au fur et mesure quils avancent dans lexposition, c'est--dire que la peur du cadavre en dcomposition, et du tabou jet que le sujet de la mort, sefface au fur et mesure que lon ctoie ces thmes.

    La dcomposition du corps a ainsi toujours t prsente dans la reprsentation que les

    populations se faisaient de la mort et du mort. De mme, bien que les explications son sujet divergent, la thanatomorphose est au centre des proccupations de la plupart des ethnies actuelles. Sujet intemporel et sans limite spatiale, le thanatomorphose se retrouve dans lexplication de nombreux rites funraires, et lHomme a dvelopp des techniques pour essayer de purifier ce cadavre qui terrifie, afin de rendre plus acceptable la vision de la mort.

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    3. LES TECHNIQUES DEVELOPPEES POUR CONTRLER LA THANATOMORPHOSE ET LEURS SIGNIFICATIONS SYMBOLIQUES

    3.1. Les objectifs Linconscient humain na pas manqu de ragir devant cette *+ pourriture, de multiplier

    fantasmes et systmes, attitudes et rites transformant *+ la pourriture en processus de sublimation (Thomas, 1975). Ainsi, lHomme a toujours eu horreur (et donc peur) du cadavre en dcomposition qui symbolise la mort. Il a cherch des moyens de nier cette crainte, de la dplacer, de la contrler en matrisant le processus de thanatomorphose. Pour ce faire, il a invent de multiples techniques au cours du temps mais aussi selon les rgions. Tout se passe comme si la drivation vers lutopie et le rite compensait la duret de lvidence (pourriture et absence) (Thomas, 1975).

    Lhomme a pens plusieurs solutions pour pallier au problme du cadavre en dcomposition : labandon (soleil, carnivores), la conservation (pour retarder la thanatomorphose, avec lensevelissement, retour leau, momification, thanatopraxie,), la destruction (cannibalisme, incinration) (Thomas, 1975).

    Nous allons nous attarder sur certaines dentre elles car elles sont encore fortement pratiques, et nous nen dcrirons que sommairement dautres qui sont peu ralises de nos jours (disparition de la pratique ou limite quelques zones gographiques).

    3.2. La chair Le rituel principal est le cannibalisme auquel beaucoup de significations ont t donnes.

    Celui-ci consiste manger de la chair humaine selon un rituel social auquel sassocie lensemble dun groupe ( diffrencier de lanthropophagie qui na aucune ritualisation) (Staphorst, 2002). Comme le montrent certaines fouilles archologiques (Atapuerca en Espagne, Caune de lArago en France), le cannibalisme tait dj pratiqu au Palolithique. On pense qu cette poque, ctait surtout pour pallier des situations de famine (internet 10). Ce rite tait encore prsent dans lAntiquit Grecque (description par Hrodote des pratiques funraires cannibales de plusieurs peuples tels que les Scythes, les Tharces, les Massagtes) et a perdur dans certaines rgions du monde (chez les Aztques, dans les les Fidji,). On distingue trois types de cannibalisme : lendocannibalisme (consommation dune personne appartenant notre propre groupe), lexocannibalisme (ingestion du corps ou dune partie de celui-ci appartenant un autre groupe que le ntre (ennemi sur les champs de bataille)), et la ncrophagie qui consiste manger les morts.

    Ainsi, lexocannibalisme a pu tre observ dans certaines ethnies comme dans les les Fidji, qui consomment leurs ennemis par dsir de vengeance, ou encore chez les Danis en Nouvelle-Guine qui pratiquent cette coutume pour montrer leurs ennemis quel point ils les mprisent ou pour les horrifier. Il peut aussi servir acqurir la force vitale de ladversaire (Staphorst, 2002).

    Dans lendocannibalisme, on retrouve comme justification des conflits judiciaires, un accs au rang suprme, acquisition des vertus de ses proches, mais aussi, et cest celle-ci qui nous intresse, la lutte contre les mes. En effet, dans certaines ethnies cannibales, manger le corps est la seule manire dliminer lme, qui est toujours considre comme potentiellement mal intentionne, pour empcher que celle-ci ne vienne vagabonder dans le monde des vivants et se venger Une autre utilit de lendocannibalisme, qui est relie celle que nous venons de voir, est la thrapie. En effet, les mes malignes des dfunts sont responsables des maladies. Le cortge des mes et des anctres apparaissent comme les crateurs, les propritaires et les juges des hommes. Certains peuplent pensent ainsi que les Hommes tombent malades parce quils nont pas respect

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    certaines rgles. Pour soigner ces maladies, ils consomment alors des petits bouts de viande humaine qui ont t enterrs pendant un certain temps afin davoir la putrfaction adquate. Ici, nous remarquons donc quil ny pas de peur de cette dcomposition, et que plutt que de symboliser la mort et le manque dhygine, le cadavre dcompos peut mme redonner la sant et donc symboliser la vie (Staphorst, 2002).

    En ce qui concerne l ncrophagie, les amrindiens Guayaki du Paraguay mangeaient leurs propres morts afin de leur donner une spulture : le corps formait ainsi une spulture humaine (internet 10).

    3.3. Lair Pour ce type de funrailles, nous prendrons comme exemple la religion bouddhiste telle

    quelle est pratique par la majorit de la population tibtaine. Le rite funraire le plus pratiqu au Tibet est appel funrailles clestes . Le corps du

    dfunt est dcoup, broy, mlang de la tsampa (farine dorge qui est la base de lalimentation tibtaine), et mis en boulettes par un ragyapa (caste tibtaine spcialise dans ces fonctions). Ces boulettes sont ensuite places au sommet dune colline sacre pour tre dvores par les vautours (animaux considrs comme sacrs au Tibet) (internet 5). Les bouddhistes croient en la rincarnation et considrent que lme quitte le corps ds le dcs. Ainsi, ce rituel a pour but dassurer une bonne sparation corps-me. En effet, lors du dcoupage du corps, la tte est mise part pour tre ensuite crase, la cervelle jaillie, et ils considrent que cest lme qui schappe du crne. De plus, le corps ntant quune enveloppe charnelle pour lme, les tibtains voient dans le don des boulettes aux vautours, un dernier acte de charit. En vrit, ces obsques permettent dliminer le corps avant quil ne se dcompose lorsquil ny a pas dautre moyen, c'est--dire pas de bois pour incinrer, une terre trop gele empchant linhumation (Go n54, 1983) Les tibtains se sont ainsi adapts aux ressources accessibles dans leur rgion, et cest pour cela que les funrailles clestes reprsentent la majeure partie des rites funraires au Tibet.

    En Afrique noire, cette pratique est trs rare et est effectue par volont de refuser une spulture un tre mort dune mauvaise mort (c'est--dire une mort non ordinaire, telle que la noyade, une maladie,).

    3.4. Les eaux fminines Selon L-V Thomas, limmersion est un retour leau fminine. La premire pirogue serait

    dailleurs un cercueil, et le premier navigateur, un mort. De plus, lors du dveloppement du ftus, celui-ci se trouve dans un liquide, le liquide amniotique. Dans le langage populaire on dit aussi perdre les eaux lors de la rupture de la poche amniotique et donc lcoulement du liquide contenu. La vie dbute donc dans leau, de mme que les premires espces existant sur Terre furent aquatiques (Morin, 1970).

    Limmersion est peu pratique de nos jours, mais au temps des longues navigations, les marins morts en chemin taient jets par-dessus bord. Pour certaines cultures (africaine notamment), ceci empcherait de rendre un culte au dfunt, et se solderait donc par une me errante. Mais pour dautres ethnies, cet acte serait considr comme un retour aux eaux-mres permettant ainsi une renaissance.

    Au Tibet, limmersion est pratique dans le Sud (o il y a peu de vautours) ou pour les veufs(ves) sans enfant, les mendiants, les personnes mortes dune maladie, et les enfants. Le corps est dmembr puis jet dans un fleuve. A limage du don du corps aux vautours, donner le corps manger aux poissons est aussi considr comme un dernier acte de charit, les poissons tant considrs comme sacrs eux aussi (internet 5). Pour le pratiquant bouddhiste, le corps est compos

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    des quatre lments eau, feu, terre, air. Une personne mourante signifie labolition du pouvoir de la terre, puis chacun des lments successivement. On aboutit la mort du corps physique. Selon la religion bouddhique, lme (plus prcisment le karma) permet de renatre dans divers lments (animaux, vgtaux, minraux,). Cette nouvelle naissance se passe 49 jours aprs le dcs. Ainsi, les rites de mort sont lis cette reprsentation du corps et de la mort. Ils symbolisent le retour du corps dans lun des quatre lments : les funrailles clestes, retour au vent (qui est dailleurs le symbole du souffle de vie dans certaines religions) ; immersion, retour leau ; inhumation, retour la terre ; et crmation, retour au feu (internet 8 et Go n54). Limmersion permet donc le retour aux eaux mres rendant possible une renaissance, et permettant la disparition du corps avant sa dcomposition.

    De plus, leau est aussi considre comme purificatrice. En effet, en Afrique noire, la fin de

    la priode de deuil, les endeuills doivent forcment passer par un bain purificateur avant de pouvoir tre de nouveau approchs. De mme le rite universel de la toilette mortuaire (voir 3.8.) est ralis grce de leau et permet de purifier le corps. Toujours en Afrique noire, un corps ne peut tre approch avant que la toilette ait t faite.

    3.5. Retour la terre mre Lenterrement est le rite funraire le plus pratiqu de nos jours. Son utilisation a t faite trs

    tt dans lhistoire de lhumanit. Des fouilles retrouvent des vestiges de spultures dates de lhomme de Neandertal. A cette poque, le corps tait plac dans la tombe en position ftale, suggrant la croyance de lpoque, quune fois mort, on renat. En effet la position ftale voque le retour au ventre maternel, et la terre est considre elle-mme comme maternelle (Thomas, 1975). Ce nest pas un hasard si dans la religion chrtienne, la croyance est tu es poussire, tu redeviendras poussire (Ecclsiastes 12/4 ; 7 corinthiens 15/47) (Martine, 2002).Linhumation est donc la suite logique pour les croyants/pratiquants de cette religion. De plus, la terre mre dont est issu lhomme rappelle aussi la spulture de Jsus. Celui-ci a ressuscit partir de cette spulture, la terre marque ainsi le commencement dune nouvelle vie.

    Le retour la terre se fait dailleurs mme travers le cercueil (en effet, celui-ci peut se dcomposer), et chaque lment composant le corps humain retourne la nature (le phosphore, lazote,), ce phnomne permet ainsi la survie de certaines espces, et signifie bien une nouvelle naissance (les composants servant la vie dun autre tre).

    Un autre exemple permettant dillustrer cette ide de terre maternelle est lide en Scandinavie selon laquelle un malade partiellement enseveli peut retrouver de la vigueur. Elle est donc source de sant et de vie.

    En Afrique noire seuls les corps trop impurs (sorciers, lpreux,) ne seront pas ensevelis de

    peur de souiller la terre (Thomas, 1975). A linverse, au Tibet, se sont les personnes mortes dune maladie ou les criminels qui sont ensevelis (internet 5). Les sols souvent gels de cette rgion himalayenne rendent difficile cette pratique qui est alors rserve aux cas risquant de poser problme si les corps taient dvors par les vautours ou les poissons.

    Dans les tombes, on retrouve souvent les objets personnels du dfunt (ce qui montre que

    lon considre toujours le cadavre comme faisant partie de la personne, ide qui est lorigine de linviolabilit des spultures, du respect de la mmoire du disparu,), de la vaisselle et de la nourriture comme se fut retrouv lors de fouilles archologiques dans la rgion lyonnaise (signant le banquet ralis pour loccasion, ou pour donner de quoi se nourrir au dfunt lors de son voyage vers le monde des morts), des flacons parfum (objet de valeur donn comme offrande), des pices de monnaies pour payer le passage dans le monde des morts (le denier de Charon chez les Grco-

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    Romains, retrouv lors des fouilles des ncropoles de la Favorite, de la villa Montel, etc. dans les alentours de Lyon)) (exposition 1), des chaussures (pour faciliter le voyage ainsi que la vie du dfunt dans lau-del ?), des lampes (qui marquent lopposition entre le monde lumineux des vivants et sombre des morts, les lumires peuvent aussi tre utilises pour montrer le chemin lme du dfunt), et diverses autres objets selon les pays et les coutumes (couteau au Japon pour loigner les mauvais esprits,) (internet 5).

    En ce qui concerne le type de tombeau, on est pass des ossuaires communaux au Moyen-

    ge, lindividualisation des tombes au XIXe sicle. Ce changement va bien sur de pair avec le changement de mentalit qui opre alors lpoque, savoir, la prise de conscience de son individualit. On retrouve des tombeaux familiaux dans certaines rgions du monde, comme au Japon (nomm haka ).

    Cependant, ce rite pose un problme. Celui de la place dans les cimetires. La question se

    pose alors de dterrer les morts pour en ensevelir un autre Cest alors quentre en jeu le rite de crmation, qui permet de limiter la taille des restes, avantage prcieux (voir 3.6.).

    3.6. Le feu purificateur

    Dans le langage populaire on emploie souvent le terme d incinration pour parler de la technique utilisant le feu pour acclrer la dcomposition du corps. Cependant, le mot nest pas appropri. Incinrer veut dire rduire en cendres, or la fin de la combustion, il ne reste pas des cendres mais bien des morceaux dos calcins. Ainsi il est plus adquat de parler de crmation (du latin cremare, et qui a aussi donn le verbe cramer en argot actuel) qui dsigne laction de brler. La premire crmation humaine semble avoir t ralise au Nolithique, les premiers vestiges de ce rite ayant t dats de cette poque. Puis la crmation fut utilise pendant lAntiquit. En effet, lensevelissement faisait partie des rites funraires principalement pratiqus, mais lors de la Romanisation (2me sicle aprs J-C), la pratique de la crmation sest dveloppe pour tre de plus en plus utilise. La pratique de ce rituel diminue cependant ds le 4me sicle aprs J-C (exposition). Par la suite, ce savoir-faire revient dans les murs lors du dveloppement de la notion dhygine au XIXme sicle. Les francs-maons sont les premiers vanter les mrites de cette pratique, et les hyginistes soutiennent cette ide selon laquelle la crmation est ncessaire pour viter la pollution de lair et des nappes phratiques. Les premiers fours crmatoires franais voient ainsi le jour en 1889 (Durigon et Guenanten, 2009). La combustion entire dun corps humain ncessite 3 10h une temprature leve (aux environs de 1000C). En revanche, la combustion complte dun corps ne ncessit pas une quantit de bois aussi importante que lon pourrait le croire : un bcher d1m3 suffit ! Lors de la combustion dune dpouille, plusieurs phnomnes sont observs :

    -premirement, les muscles des membres se rtractent. Ceci est d la dshydratation des tissus mous. Les membres infrieurs et suprieurs se replient alors par mouvements saccads, parfois brusques [ noter que ceci est classiquement observ chez les personnes mortes dans un incendie], pouvant faire chuter le corps du bcher, le corps adopte ainsi lattitude du pugiliste . Cette position permet lair de circuler plus facilement autour du corps ralisant un auto-entretien de la combustion.

    -Secondairement, la bote crnienne souvre (elle peut mme parfois exploser) sous la pression de la vapeur deau et du gaz carbonique produits par lalbumine du cerveau (ou bien ces produits peuvent tre expulss par les sutures crniennes non synostoses).

    -Entre-temps, la peau et une partie des tissus musculaires sont dtruits, les graisses fondent. Ces dernires sont de bons agents de combustion et donnent de brves lvations de tempratures ce qui participe, l encore, lauto-entretien de la combustion. Le thorax et labdomen souvrent, les

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    organes remplis deau rsistent naturellement longtemps et ralentissent la combustion. Par la suite, les tissus carboniss deviennent des combustibles et les os dnuds se craquellent et se dforment. Lors de la crmation, diffrentes couleurs sont observes au niveau des os en fonction de la temprature du bcher. Les os sont de faibles conducteurs thermiques et passent de la couleur marron qui correspond un stade de dshydratation atteint vers les 300C, puis au gris-bleu pour un tat carbonis (600C) et atteignent la couleur blanche lorsquils sont calcins, la temprature tant au moins de 940C (Charlier et Durigon, 2009, et Grvin, 2009). Comme nous venons de le voir, la crmation fut dabord prconise par les francs-maons et nest devenue acceptable quen 1963 pour les chrtiens grce aux arguments suivants :

    1. Selon la Bible le feu est utilis pour punir les maudits (bcher des sorcires,) et pourtant, Elis, sur le Mont Carmel demande lEternel le feu pour signal dapprobation. De mme que le jour de la Pentecte, les langues de feu ont servi de symbole au Saint Esprit. Le feu reprsente ainsi Dieu (Miquel).

    2. Toujours dans le livre saint, la formule tu es poussire et la poussire tu retourneras " (Gense 3:19) peut trs bien tre applique ltat du corps aprs la crmation.

    3. Lurne cinraire permet quand mme un culte du dfunt, ce qui est obligatoire dans la religion chrtienne et qui nest donc pas empche avec ce rite. Il ny a donc toujours pas dopposition de ce ct-l employer une telle technique pour traiter le corps du mort.

    4. La crmation ne rend pas la rsurrection impossible. 5. Le feu transforme lhomme du purgatoire en crature de Dieu. De plus, ce moyen est prconiser pour lhygine et limiter lencombrement des cimetires

    (cest principalement par manque de place pour les inhumations que la crmation est le rite le plus rpandu au Japon (internet 5), et quelle est de plus en plus pratique en Autriche ou en Suisse, de nos jours). LEglise avait donc tout intrt autoriser une telle pratique, ne trouvant pas dobstacle un tel traitement du corps dans le livre saint (et mme plutt des arguments en faveur). La crmation est donc autorise par lEglise condition que le choix de ce moyen de traiter le dfunt ne soit pas pour des motifs contraires la foi. De plus elle doit tre prcde de funrailles en prsence du corps et lurne doit recevoir les mmes marques de respect que le cercueil (Thomas, 1975).

    A lpoque romaine, deux types de bcher existaient : un bcher bti mme le sol ou au-dessus dune fosse rectangulaire pour permettre une meilleure circulation de lair et donc une meilleure combustion, et aussi pour pouvoir rcuprer plus facilement le bois et les os calcins (Blaizot, 2009) (Fig. 4, et voir restitution dun bcher p154 du livre de lexposition).

    Cependant, le bcher nest pas la spulture dfinitive. Une partie plus ou moins trie des os est

    prleve, lave, mise dans une urne en plomb, et enfouie dans le sol ou place dans un monument de pierre : on parle alors dossuaire. Comme nous lavons vu dans le rite de linhumation, le corps est brl avec des offrandes telles que de la nourriture, des vases, de la monnaie place sur le visage du dfunt comme en tmoigne les traces retrouves sur les sites de la Favorite ou la Villa des Roses rue Commandant Charcot et dats du 1er sicle aprs J-C. La fosse du bcher (Fig. 5) est ensuite comble, parfois marque par un tas de pierre.

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    Fig. 4 : Bcher sur lequel sont places les offrandes et le corps du dfunt, le banquet funraire est

    reprsent sur la gauche. Exposition Post-Mortem, Rites funraires Lugdunum au muse gallo-romain de Fourvire (L. Callens).

    Fig. 5 : Fosse du bcher aprs crmation. Exposition Post-Mortem, Rites funraires Lugdunum au muse gallo-romain de Fourvire (L. Callens).

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    Ce rite est celui qui se rapproche le plus de notre pratique crmatoire actuelle (voir plus loin). Nous venons de voir que la pratique crmatoire t autorise dans la religion chrtienne, mais ce

    nest pas le cas pour toutes les religions. En effet, ce rite est aussi autoris dans la religion bouddhiste (bien quelle soit rserve certaines castes, voir plus loin) mais il est interdit dans la religion juive, islamique (le corps tant considr comme sacr), chez les africains (o la crmation est surtout utilise pour les lpreux). Pour ces derniers, le feu est considr comme purificateur. A limage de lhygine quil procure selon les hyginistes du XIXme sicle, le feu permet de brler les ordures et est aussi source de vie (chaleur, cuisson) pour les africains. Il permet aussi dviter les lenteurs insipides du retour en poussire, la dcomposition tant acclre, les souvenirs sont diminus. Alors que chez les malgaches, le feu est considr comme bnfique pour faire venir les esprits bienfaisants et chasser les mauvais esprits (Ducarre, 2006). Un cas particulier est noter, celui des Hindous, o la crmation est l, obligatoire (Leroux).

    Nous allons prendre deux autres exemples de religions o la crmation est pratique : chez les

    bouddhistes npalais, et les hindous. Le croyant bouddhiste veut faire partie du grand tout et tre dlivr du cycle des

    rsurrections quasi ternel, c'est--dire disparatre dans les lments : cest la qute du Nirvana. Or seule la crmation permet une bonne sparation corps-me (ou plutt corps-karma) pour que lme aille dans le lieu de jugement. Cette vision est bien trop importante pour les croyants ce qui empche de raliser une crmation pour les animaux, mme pour une question dhygine dans les pays o cette religion est instaure. En ralit, la crmation est surtout utilise pour le traitement du corps des nobles tels que les tulku. Les tulku sont des personnalits religieuses reconnues comme la rincarnation dun matre ou dun lama perdu. Cette tradition a commenc ds le XIIme sicle dans une des coles de la religion bouddhiste (lcole kagyapa) pour ensuite se gnraliser toutes les autres (Miquel). Un exemple de ce rite a t observ par Gilles Grvin (2009) au Npal dans la rgion de Katmandou. Le dfunt est mis en dcubitus dorsal sur le bcher dress sur les bords de la rivire Bagmati passant dans cette zone. Pour viter que les membres ne se replient, les jambes sont soit attaches par des liens, ou soit mises sous de grosses bches. A la fin de la crmation, les restes du corps sont jets dans la rivire.

    Chez les hindous, deux rites un peu diffrents ont pu tre analyss par Gilles Grvin (2009). A Pondichry dans le sud-est de lInde, le dfunt est plac en dcubitus dorsal, les bras croiss dans le dos afin dviter leur rtraction lors de la combustion, et de grosse briques sont poses sur les jambes dans le mme but. De largile liquide est vers sur le corps. Cette couche se solidifiera au cours de laugmentation de temprature du bcher jusqu former une coque solide ralisant une crmation ltouffe du cadavre. Dans ce rite, le crmateur nintervient pas, les os sont retrouvs calcins dans la position anatomique (sans lintervention du crmateur, les os restent en effet leur place). La crmation est alors dite complte. Alors que dans le nord de lInde (Varanasi), le dfunt est plac en dcubitus ventral, les bras l encore coincs sous le corps. Le crmateur intervient pour retourner le corps de temps en temps. La crmation est ici incomplte et le bcher est construit au bord du Gange pour que les restes de la crmation y soit jets. A noter que le bcher est de longueur infrieure celle du corps dans cette rgion. La rtraction rapide des membres (seulement 5 min aprs la monte des flammes) rendant inutile une taille de bcher aussi grande que celle du cadavre.

    De nos jours, selon P. Aris (1975), lincinration est pratique en masse en Angleterre car la

    population considre quelle limine totalement le corps et quon est alors moins tent de le visiter. En effet, lincinration moderne est vue comme un refus de la survie du dfunt aprs la mort. Elle est le moyen le plus radical pour liminer un cadavre, mais elle exclut le culte des cimetires et le plerinage aux tombeaux. Les familles voient dans lincinration un moyen dchapper au culte des

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    morts. Dans ce pays, linterdit de la mort que dcrit Philippe Aris (voir 2.3.6.) est entirement assum dans ce pays.

    En France, la fois nous assumons linterdit de la mort que nous vivons et la fois nous en avons honte. Il y a ainsi coexistence des deux opinions et donc des rites funraires qui en dcoulent : il y a une augmentation du nombre de crmations mais toujours beaucoup dinhumations (bien que celles-ci tendent disparatre face la diminution des pratiques religieuses). En effet, Edgar Morin (1970) pensait que la crmation nempchait pas le culte des morts parce que la diminution de la taille des restes du corps permettait de les garder prs de soi. Mais la lgislation actuelle empche de garder une urne cinraire chez soi. Nous pourrions donc en revenir lide de P. Aris selon laquelle la crmation empche tout culte des morts. Cependant, lurne peut tre place dans un columbarium (do la possibilit de la visiter et de lui rendre hommage) ou bien il est possible de disperser les restes. Ce dernier rite peut tre utilis pour viter quon honore le dfunt limage des cendres des supplicis de Nuremberg jetes dans locan Atlantique pour quon ne puisse pas les honorer, ou limage des cendres de Jeanne dArc jetes dans la Seine afin dviter que des actes de sorcellerie ne voient le jour (Charlier, 2009). A linverse, les cendres peuvent tre disperses dans un lieu prvu cet effet ou dans un lieu qui tait spcial pour le dfunt et qui sera dclar la mairie. Cet endroit restera donc unique pour les survivants et ils pourront toujours venir sy recueillir. Dun autre ct, F. Recours souligne dans son article publi en octobre 2009 quaujourdhui les franais ne ressentent plus le besoin davoir des funrailles solennelles et un lieu de recueillement, le souvenir sentretient par la pense .

    A linverse du Royaume-Uni, aux USA, la population essaie de rompre cet interdit jet sur la mort. Il y a ainsi un refus dvacuer radicalement la mort et donc une rpugnance pour une destruction physique sans rite et dans solennit, do le peu de crmations ralises dans cette rgion du monde.

    La crmation est donc pratique sur une grande partie de la plante. Elle peut tre le reflet dune pratique religieuse ou au contraire de la diminution dune telle pratique. Elle symbolise des lments diffrents en fonction des croyances populaires o elle est pratique. Elle est ainsi praticable pour de nombreuses raisons et est loin de disparatre. Cependant, bien que lHomme veuille se dbarrasser le plus possible du cadavre qui lencombre, il nest pas encore prt accepter la mort et accepter dtre limin pour autant. Ainsi, les survivants ont encore besoin de voir la mort comme un long sommeil, qui sera reprsent par un corps beau voir, lav de toute trace dagonie et de dcomposition. La toilette mortuaire, lembaumement et la thanatopraxie ont ainsi t conues pour assouvir ce souhait.

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    3.7. La toilette mortuaire La toilette mortuaire consiste laver le dfunt dans plusieurs buts : lhygine et la convenance.

    Elle est utilise pour cacher les apparences de la mort et conserver au corps les allures familires et joyeuses de la vie. Selon L-V. Thomas (1975) elle tait avant destine fixer le corps dans limage idale de la mort (attitude du gisant qui attend mains croises), alors quelle serait aujourdhui utilise pour masquer les effets destructeurs de la mort (dformation du visage). Lide de mort aseptise dcrivant notre moyen actuel daccepter la mort revient l encore. Cependant, les proches nont pas la possibilit dtre ct du corps, cette technique nassurant pas assez dhygine pour rendre la proximit du corps sure.

    Dans le domaine de limaginaire, elle permet denlever la salet de la mort afin que le dfunt soit prsentable devant le crateur lors du passage du monde des vivants au monde des trpasss. La toilette est donc, dans certaines ethnies, dans lintrt du dfunt et son destin post-mortem. De mme, dans la religion catholique, la toilette est un dernier hommage rendu au dfunt et permet la sacralisation du corps en prvision de la rsurrection. De plus, en Afrique noire, il est interdit de parler devant un cadavre qui nest pas encore lav.

    La toilette mortuaire est ainsi quasi universelle. Elle est la fois dans lintrt du dfunt (pour quil arrive propre dans lautre monde) et des survivants (qui sont inquiets de la contagion de la mort) (Durigon et Guenanten, 2009).

    Cependant il ne faut pas confondre la toilette mortuaire, qui est gnralement ralise par un agent hospitalier (en prsence ou non dun chirurgien sil est ncessaire de pratiquer une reconstruction, ou par le thanatopracteur), et la toilette religieuse qui est effectue par un religieux.

    Par ailleurs, la toilette mortuaire compose plusieurs rites plus compliqus. En effet, la toilette est une partie importante du rite dembaumement mais aussi du soin thanatopraxique (elle na, ici, aucune signification religieuse). La toilette se fait par des gestes dlicats qui traduisent la sollicitude et lintention de scuriser *+ le cadavre qui est encore une personne (internet 3 ; Savary, 2002). Nous allons, prsent, tudier ces deux techniques.

    3.8. Lembaumement

    Embaumement vient du latin in balsamum qui signifie conserv laide de rsine . En

    effet, daprs de rcentes recherches ralise par Charlier (2009), la momie tait surement plonge dans un bain de baume plutt que badigeonne. Ce bain aurait t appel le lac de feu dans Le livre des morts des Anciens gyptiens. Cette pratique funraire est le principal rite pratiqu par les gyptiens, ne 3000 ans avant J-C, elle leur vient de lobservation de momies naturelles dessches dans le climat sec et chaud du Sahara. Lembaumement sest ensuite rpandu chez les Grecs, les Hbreux, les romains, et mme un peu au Moyen-ge. Cependant, dans ces dernires populations, il est seulement utilis pour les personnes riches alors que durant lEgypte ancienne, tout le monde avait le droit dtre momifi. Mme si les techniques diffraient en fonction du rang social (le rite tant largement simplifi si la personne tait pauvre), et mme les animaux taient embaums ! En effet, pour les gyptiens, lme et le double sont immortels. De plus, ils croient en la mtempsychose, cest- dire que lme se rincarne, pass un certain dlai, dans le corps du dfunt (internet 9). Do limportance de conserver en parfait tat lenveloppe charnelle. Par ailleurs, le double peut dabord se rincarner dans un animal (voire mme dans un corps vgtal) avant de revenir dans son corps humain. Do les nombreuses momifications animales (surtout danimaux sacrs tels que les chats).

    Lembaumement avait ainsi plusieurs raisons dexister : une question dhygine, le fait que les inondations frquentes causes par le Nil ne permettaient pas denterrer les corps, et le ct religieux de la pratique que nous venons daborder (Durigon et Guenanten, 2009). Cette conservation devait donc tre ternelle et donner les apparences de la vie (Aris, 1975) [ limage

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    des crnes de Jericho, crnes surmodels qui rendaient aux anctres une apparence de vivants (Kennel, 2005)]. Ce dernier point pause de nouveau la question de dni de la mort. En effet, donner lapparence au corps dtre encore en vie peut tre vu comme si les survivants refusaient la mort au dfunt, ou sils ne voulaient pas admettre que lun de leurs proches soit dcd (Thomas, 1975).

    En ce qui concerne la technique de cette pratique, le matriel utilis na t que peu dcrit. Hrodote parlait seulement de trois instruments : le fer recourb , la Pierre dEthiopie tranchante et la seringue . Ltude de Janot (1998), apporte de nouveaux lments. Aprs avoir fait des recherches dans des muses, sur des sites de fouilles archologiques et fait raliser un embaumement utilisant le matriel retrouv, il dcrit les ustensiles et leur hypothtique utilisation dans ce savoir-faire. Il rajoute ainsi la liste dHrodote une cuillre de narines, en bois, mise au jour dans la valle des Reines et au muse du Louvre ; des clyptres, des carteurs, pinces piler mis au jour Thermonthis (fouille dune ncropole de taureaux) ; un rasoir, aussi appel ncrotome (couteau en bronze) qui serait lanctre du scalpel ; des crochets dexcrbration. A.P. Leca, cit par Janot (1998), dcrit les squences opratoires de lembaumement :

    1) Eviscration. Elle est souvent considre comme une tape indispensable la momification, et pourtant, elle ne se retrouve que dans 80% des momies (Charlier, 2009)! Elle est ralise grce une incision abdominale au niveau du flanc gauche (de la 11me cte jusqu lpine iliaque antro-suprieure). Les organes abdominaux sont retirs part le rectum et lestomac (parfois les reins) qui sont laisss en place. Une incision au niveau du diaphragme est ensuite ralise, les viscres thoraciques peuvent alors tre ts. Il est prfrable de laisser le cur en place, mais si cela ntait pas possible, lembaumeur retirait le cur, le traitait et le remettait dans le corps, pas forcment sa place anatomique. Les organes extraits du cadavre taient ensuite traits et disposs dans des urnes qui portent le nom de canopes.

    2) Extraction du cerveau. Le fer courb tait introduit dans la fosse nasale gauche, de l, une simple pression tait applique afin de franchir les structures ethmodales. Laccs la bote crnienne tait ainsi obtenu. Les mouvements du praticien sont alors limits. La dure-mre, est facilement extraite laissant un abord la matire crbrale. Ici, une clystre pouvait tre utilise pour injecter un liquide caustique qui dilue et fluidifie le cerveau, facilitant ainsi son extraction. La matire tait alors rcolte laide de la cuillre narines. Pour ce faire, le corps tait donc plac en dcubitus ventral afin que lcoulement se fasse par gravit (Charlier, 2009).

    3) Un premier lavage tait alors ralis. On peut parler de toilette mortuaire. 4) Le corps tait dshydrat. Pour cela, le corps tait plong dans un bain de natron (sesqui

    carbonate de sodium) (aussi utilis comme dtergeant, dentifrice et antiseptique) par les colchytes (personnes en charge de raliser cette tape de lembaumement).

    5) Le corps tait sujet un second lavage. 6) Le crne et les cavits taient combls par du bitume. 7) Lembaumeur traitait les ongles, les yeux et les organes gnitaux externes du dfunt. 8) Ensuite, une onction tait applique sur le corps, et celui-ci tait mass. 9) Lincision abdominale tait referme. De la cire chaude tait coule dans la plaie et

    lorifice referm par une plaque de cire, de cuivre, de bronze, ou dor. A cela tait ajout, ou non, un il-Oudjat (il protecteur dHorus) (Fig.6), et le corps devait forcment comporter, pour conjurer la blessure que les Hommes avaient inflige au corps en passe de devenir un nouvel Osiris, un tmoignage de leur action bnfique. Par l-mme, lintgrit du corps tait alors restitue par une action magique grce lamulette dite deux doigts (constitue dun index et dun majeur accols) (Fig. 7) dispose sur le corps dans ce but.

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    Fig. 6 : il dOudjat.

    Fig.7 : amulette deux doigts . 10) Le corps tait tremp dans un bain de rsine. Ce baume qui a donn son nom ce rite

    funraire, tait constitu de rsine de conifre, de bitume, de cire dabeille et de graisse vgtales afin dassurer une bonne conservation des tissus mous.

    11) Le bandelettage avait alors enfin lieu. Il tait, lui, ralis par les tarichentes. Jonat note cependant lexistence de rejets dembaumement : la momification ne marcherait

    pas tous les coups ! Par ailleurs, daprs ses observations et ses reconstructions, il tire alors plusieurs conclusions : il fallait au moins deux personnes pour raliser un tel soin (un pour tenir les carteurs et un autre pour manipuler le ncrotome). De plus, ces personnes devaient se dplacer pendant les phases de lembaumement. Pour finir, contrairement lhypothse de Durigon et Guenanten (2009), Jonat (1998) et Charlier (2009) valuent la dure de lembaumement 70 jours et non pas 30. Grce cette technique de traitement du corps, la dcomposition du corps neffraie plus puisquelle na plus lieu. LHomme a russi contrler la nature Et ceci peut aider rejoindre lopinion de B. Pascal ne considrons plus un corps comme une charogne infecte car la nature trompeuse le figure de la sorte, mais comme le temple inviolable du Saint Esprit .

    A la suite de lembaumement, diverses techniques de conservation du corps ont t inventes sans grand succs, pour aboutir la thanatopraxie au XIXme sicle. A la diffrence de la momification, la thanatopraxie a pour but une conservation seulement temporaire (internet 9), pour tous.

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    3.9. La thanatopraxie Aussi appele embaumement artriel, la thanatopraxie vient de Thanatos, qui est la

    divinit grecque de la mort, et de praxein, qui signifie manipuler, traiter, excuter une opration manuelle au sens doprer. Il correspond lembaumement moderne (internet 3). A la diffrence que, lors de lutilisation de la thanatopraxie, la conservation du corps est voulue seulement temporaire, pour 6-7 jours dans lattente des funrailles. Mais quels sont les intrts dune telle pratique ? Quelle est lhistoire de cette technique ? Comment est-elle ralise ? Et quels sont les points de vue religieux et juridique de ce soin ?

    3.9.1. Les raisons dexister de la thanatopraxie

    Cette pratique est ralise dans plusieurs buts : 1) Lhygine, afin que la dernire veille du corps par la famille se fasse sans risque sanitaire.

    Cela rassure les vivants, ils sont alors moins effrays par lide de contamination de la mort. Pour cela, la thantopraxie lutte contre la dcomposition du corps, contre le risque infectieux (produits bactricides utiliss, voir plus loin), supprime les odeurs (qui signent habituellement la putrfaction),

    2) Aide au deuil, en donnant au cadavre une image de personne endormie, aidant ainsi les survivants nier la mort. En effet, le corps reprsente ce que notre socit actuelle excre le plus, c'est--dire la mort. Il y a un vritable mpris du corps. Comme lexprime parfaitement clairement (Lemmonier), *La mort+ prend tout son sens dans ce quelle a dinsoutenable et dinacceptable travers ce quelle laisse : le corps mort de ltre aim qui sera bientt vou au pourrissement et la minralisation . Donner une image paisible du dfunt permet de faire durer la dernire relation au mort, cest ce que L-V Thomas (1985) appelle le rite de retenue, et qui marque la phase de rejet de la mort, les proches refuse dadmettre la lourde vrit et nient le dcs. Le cadavre est dit dcadavris, et il est aussi la seule solution pour que la mort devenue esthtise, et aseptise soit acceptable dans la vision de nos socits occidentales actuelles. La thanatopraxie, comme la toilette mortuaire est vcue comme une manifestation oblige des gards dus la personne quon sobstine reconnatre dans le cadavre . Ce soin est donc la fois pour le mort (pour la personne quil reprsente encore) et pour les vivants, pour quils arrivent dpasser la mort. L-V. Thomas (1985) affirmait, dailleurs, que les rites funraires sont bien pour la paix des vivants. Dans le mme but, les romains ralisaient un moulage, masque du dfunt pour garder une image la plus fidle possible (exposition 1 et Fig. 7). De plus, elle aide dculpabiliser les proches qui pensent alors quils ont fait le maximum pour satisfaire et accompagner le dfunt. La thanatopraxie possde ainsi un temps dcoute important des familles. La prsentation du corps aidant la visualisation de la mort, elle devra, au mieux, reflter la personne de son vivant et respecter le choix des familles. Il est donc indispensable de saider de supports photographiques, dinterroger lentourage afin dtre le plus fidle possible limage que renvoyait la personne de son vivant, et limage que les proches veulent avoir delle en guise de dernier souvenir (Leroux,). En plus de tout cela, la thanatopraxie est aussi un remde la malemort comme la nomme L-V. Thomas (1985), elle peut permettre darranger lapparence dun visage dfigur lors dun accident de voiture : la vision culturelle est passe de la bonne mort (mort dans les circonstances considres comme normales, c'est--dire non assassin, non noy) la belle mort.

    3) Mise en attente du corps sil doit tre transport dans les 24-48 heures, comme lors dun rapatriement dun corps dun soldat mort ltranger, etc. (Lemmonier, internet 11).

    On laura bien compris, lembaumement est lanctre de la thanatopraxie. Celui-ci permettait

    une fixation et une conservation tissulaires mais avec linconvnient de dformer et dcolorer les structures biologiques (Sourice, cours DTU thanatopraxie, UFR mdecine Angers), alors quen thanatopraxie, la technique de conservation permet une fixation tissulaire sans entraner de

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    modification morphologique. De plus, dans cette dernire technique, lintgrit du corps est respecte, il ny a pas dviscration.

    Fig. 7 : Masque de Claudia Victoria (internet 12)

    3.9.2. Le dveloppement historique de la thanatopraxie

    Sous la XXIme dynastie, les gyptiens ralisaient une incision au niveau de la face pour y insrer de largile afin de redonner la forme que les proches connaissaient du visage du dfunt. Ce fait est celui qui se rapproche le plus de la faon dont est utilise aujourdhui la thanatopraxie, c'est--dire afin de redonner une image de vivant la personne dcde.

    La thanatopraxie voit rellement le jour pendant la guerre de Scession (1861-1865), les soldats tant loin de leur famille, les corps devaient tre rapatris sans arriver dans un tat dplorable et sans risquer la vie des personnes ralisant le transfert en le maintenant proximit dune source de contagiosit de maladies, dinfections. Cest le Docteur Thomas Holmes qui en fut lorigine. En 1867, le chimiste allemand August Wilhelm Von Hofmann dcouvre les proprits de

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    conservation du formaldhyde. Ce produit sera utilis pour la premire fois par le Docteur Baudrian en 1882 et reste le principal matriel, et la cl du succs de la conservation thanatopraxique de nos jours (internet 11).

    En 1999, environ 200 000 soins thantopraxiques ont t raliss (sur 537 459 dcs), et ce nombre est en constante augmentation. De nos jours, la thanatopraxie est largement plus utilise aux Etats-Unis (80% des dfunts sont traits, malgr la forte reprsentation de la religion orthodoxe, la population dathes et dintellectuels est, elle aussi, trs importante) quen Europe. Dans cette dernire, certains pays ont interdit une telle pratique, tels que la Belgique ou les pays scandinaves, dautres ont impos quelle soit exerce par des mdecins (ce qui limite la faisabilit, comme en Espagne ou en Italie), ce qui baisse le pourcentage de personnes sujettes cette pratique. Il est infrieur 3% sur ce continent alors que, selon certaines sources (European Federation of Funeral Service, en 1998), 40% des corps sont conservs par un soin thanatopraxique. A linverse, aux USA, les dfunts sont largement exposs aux vivants comme le prouvent les funeral home fortement prsentes dans ce pays. Comme nous lavons vu plus haut, la population de ce pays tente de briser

    linterdit jet sur la mort, monter tous une personne dcde, est un des moyens utiliss (Guez-Chailloux, Puymerail et Le Bacle, 2005).

    3.9.3. La technique du soin thanatopraxique

    On laura bien compris, sans microbe ni insecte, il ny a pas de putrfaction. Il est donc utile denlever le sang pour prserver un corps. Le sang, les gaz, les liquides contenus dans les cavits sont alors extraient, des liquides conservateurs sont injects la place et une cosmtique lgre est ensuite ralise.

    Un soin thanatopraxique dure entre une heure et une heure et demie pour un corps sans problme de sant. En revanche, le soin savrera plus long pour un corps accident de la route ncessitant des reconstructions faciales, le comblement des plaies pour viter un coulement du produit inject, On peut alors parler d art restauratif dans ce cas. La thanatopraxie est un mtier et un art qui ncessite dtre systmatique et minutieux. Le soin se droule dans un ordre prcis et toutes les tapes sont indispensables.

    En premier, le thanatopracteur se doit de sassurer de lidentit du dfunt et davoir toutes

    les autorisations ncessaires (autorisation par le maire de la commune, certificat de dcs,) (Durigon et Guenanten, 2009).

    Puis il procde linstallation du matriel dont il aura besoin pour raliser son soin. Il doit

    aussi sassurer quil ny ait pas dorifice de perfusion, de plaie ou descarre. En cas inverse, il devra y remdier. Le thanatopracteur ferme les yeux du dfunt (les couvre-oeil ne sont placs qu la fin du soin, la tension des globes oculaires servant de tmoin de passage pour le liquide de conservation)

    (Guez-Chailloux, Puymerail et Le Bacle, 2005). A ce stade, c'est--dire avant de commencer le soin proprement dit, le thanatopracteur doit absolument vrifier que le dfunt na pas de prothse fonctionnant au moyen dune pile (ou le retirer), comme par exemple un pacemaker. En effet, un tel oubli a dj caus des explosions lors de crmations

    Les articulations sont mobilises afin de lutter contre la rigidit cadavrique, des massages

    peuvent tre pratiqus pour attnuer des cyanoses (la circulation du fluide de conservation tant favorise) (internet 9), et une premire asepsie complte est ralise.

    Aprs avoir ralis tous ces prparatifs, le thanatopracteur pratique une incision au niveau dune des artres carotides (la plupart du temps, mais elle peut aussi tre faite au niveau dune des artres axillaires, brachiales ou fmorales en fonction des possibilits). La partie suprieure de lartre est en premier lieu clampe. Dans la partie infrieure du vaisseau, une canule est introduite.

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    Celle-ci est relie un bidon hermtiquement ferm qui contient le fluide de conservation. Une pression de 0,2 0,6 bar est exerce (internet 9). Le sang est ainsi pouss par le liquide inject et va tre rcupr dans un autre rcipient hermtiquement clos (voir plus loin). Le circuit est ainsi dit ferm. La mme opration est ralise aprs avoir clamp la partie infrieure de lartre et introduit la canule dinjection dans la partie suprieure. Un huit litres de liquide de conservation sont ncessaires (la quantit de produit dpendant de la corpulence du dfunt, de son tat de dshydratation, de certaines pathologies,), et la dure moyenne de cette phase est denviron 20 minutes.

    Le thanatopracteur commence donc injecter une partie (environ trois litres) du fluide de conservation et attend de pouvoir observer ce quil appelle des tmoins de passage du produit. Se sont les turgescences veineuses ou laugmentation de tension au niveau des globes oculaires (do lintrt de ne placer les couvre-il qu la fin du soin, voir plus loin) ou bien encore, la disparition des cyanoses,... Une fois ces tmoins constats, le praticien stoppe linjection et ralise une seconde incision dans la rgion pigastrique. Un tube de ponction est gliss dans lorifice afin dextraire le sang partir de loreillette droite. Cest le dbut de la ponction cardiaque. Une fois que le sang qui est rcupr commence tre mlang au produit de conservation, les deux phases (injection et ponction) sont ralises simultanment.

    Par la suite, et laide du mme tube de ponction, les gaz et les liquides contenus dans les cavits et les organes (digestifs, urinaires,) thoraco-abdominaux sont aspirs (phase aussi appele ponction gnrale). Ici, cest un liquide appel fluide de cavit qui est inocul.

    Nous venons de voir quil existe plusieurs types de liquides ncessaires et qui ont des proprits diffrentes. Le liquide artriel, dit de conservation (qui contient aussi des liquides daccompagnement et de leau) doit tre pntrant, permettre une fixation lente. Il na pas forcment daction bactricide et respecte la coloration des tissus (car il contient un colorant rouge). Ce liquide contient une faible concentration en formol. A linverse, le fluide de cavit est astringent, fixe rapidement les tissus, il a des proprits bactricides, ce qui permet dliminer les bactries des cavits thoracique et abdominale normalement responsables de la putrfaction (voir 1.4.). Cet attribut permet donc dacqurir un corps qui ne reprsente pas de risque sanitaire. En revanche, ce produit dpigmente les tissus. Ces derniers deviennent translucides-verdtres. Le volume ncessaire de ce liquide est denviron un litre. Les caractristiques respectives de ces fluides sont rsumes dans le tableau 1 :

    Fluides Proprits Fluide artriel Fluide de cavit

    Pntration oui astringent

    Fixation lente rapide

    Action bactricide non oui

    Respect de la coloration oui (grce la prsence d'un colorant dans la prparation

    non

    Injection intra-artrielle Dans les cavits

    thoraco-abdomniale