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ACADEMIE DE PARIS
Année 2010
MEMOIRE
pour l’obtention du DES
d’Anesthésie-Réanimation
Coordonnateur : Mr le Professeur Marc SAMAMA
par
BOTREL Benoit
Présenté et soutenu le 19/10/2010
Prévention du saignement per et post opératoire par lesantifibrinolytiques en chirurgie cardiaque de ponta gesaortocoronariens sous circulation extracorporelle c hezles patients sous antiagrégants plaquettaires
Travail effectué sous la direction du Prof. G. Dhon neur.
1
Mémoire de DES anesthésie réanimation :
Titre :
Prévention du saignement per et post opératoire par les antifibrinolytiques en chirurgie
cardiaque de pontages aortocoronariens sous circulation extracorporelle chez les patients
sous antiagrégants plaquettaires
Résumé :
Introduction : Le saignement per et postopératoire est un problème majeur en chirurgie
cardiaque. Il induit une morbimortalité élevée et une consommation importante de produits
sanguins labiles. La réduction du saignement périopératoire est donc une priorité pour
l'anesthésiste puis le réanimateur en charge du patient. Les patients qui bénéficient de ce
type de chirurgie sont le plus souvent sous mono ou bithérapie antiagrégante
plaquettaire ; et leur risque hémorragique est pour de nombreuses études plus élevé. Le
but de cette étude est d'évaluer dans quelle mesure la stratégie d'utilisation des
antifibrinolytiques (acide tranexamique ou aprotinine) permet de réduire le risque
hémorragique et donc les besoins transfusionnels de ces patients.
Présentation de l'étude : Il s'agit d'une étude observationnelle rétrospective portant sur
des patients opérés de chirurgie de revascularisation myocardique par pontages
aortocoronariens entre janvier et juillet 2008, juste avant le retrait de l'aprotinine du
marché, réalisée au Centre Chirurgical Marie Lannelongue. L'ensemble des patients
bénéficiant de ce type de chirurgie et traités préalablement par aspirine ont été inclus dans
2
l'étude. Les patients recevaient ou non en peropératoire un traitement par
antifibrinolytiques (aprotinine ou acide tranexamique). Les caractéristiques des patients,
de l'intervention ainsi que l'évaluation du saignement per et post opératoire ont été
recueillis de manière standardisée. On notait également la durée d'hospitalisation en
réanimation et globale des patients et l'apparition de complications rénales ou
thromboemboliques durant l'hospitalisation. Le critère de jugement principal de l'étude
était le saignement per et postopératoire à H1, H3 et H6.
Résultats principaux : Cent dossiers consécutifs ont été analysés et 93 patients ayant
reçu de l'aspirine dans les 48 heures précédent l'intervention ont été inclus dans cette
études. Trois groupes de patients ont été distingués : groupes 00 (n=39) ne recevant pas
d'antifibrinolytiques, groupe AT (n=38) et groupe AP (n=16) traités respectivement par
acide tranexamique et aprotinine en peropératoire. Les 3 groupes étaient homogènes en
terme d'âge, de FEVG préopératoire, de durée de CEC, de durée d'intervention, de
nombre de ponts réalisés. L'utilisation d'antifibrinolytiques permettait une diminution
significative du saignement per et postopératoire à H1, H3 et H6 (avec p<0,01). Il n'était
cependant pas retrouvé de différence significative du nombre de culots globulaires
transfusé. Les durées d'hospitalisation en réanimation et globale étaient les mêmes entre
les différents groupes. Dans notre étude, l'AP n'a pas montré de supériorité à l'AT pour la
réduction du saignement per et postopératoire. Il n'y avait pas plus de complications
rénales ou thromboemboliques dans les groupes traités par antifibrinolytiques. Aucune
reprise pour hémostase chirurgicale n'a été réalisée chez les patients. Dans le groupe
traité par AT, plusieurs modalités d'administration ont été utilisées. Cette étude ne permet
pas de mettre en évidence une différence d'efficacité sur la réduction du saignement entre
une injection unique et un protocole de multiinjections.
3
Conclusion : Malgré les limites de notre travail, nous avons mis en évidence que les
antifibrinolytiques (acide tranexamique et aprotinine) permettaient une diminution du
saignement per et postopératoire des patients opérés d'une première chirurgie de
pontages coronaires et dont le traitement par aspirine a été poursuivi. Ceci ne se traduisait
toutefois pas, dans notre étude, par une diminution significative du nombre de culots
globulaires transfusé.
On notait une efficacité similaire des deux antifibrinolytiques pour la réduction du
saignement. Il n'a pas été retrouvé d'augmentation des complications rénales ou
thromboemboliques chez les patients traités dans cette étude. L'acide tranexamique, seul
antifibrinolytique encore commercialisé en France, a probablement une place importante
dans la prévention du risque hémorragique en chirurgie cardiaque. Dans ce travail,
l'administration répétée d'AT ne montrait pas de bénéfice par rapport à une injection
unique. La meilleure stratégie d'administration de ce produit reste à définir.
Mots clefs : chirurgie cardiaque, antiagrégants plaquettaires, saignement,
antifibrinolytiques, aprotinine, acide tranexamique, épargne transfusionnelle.
4
SOMMAIRE
Résumé ...…....................................................................................................2
I-Introduction …................................................................................................7
1-Le risque hémorragique en chirurgie cardiaque …..........................7
2-Stratégies d'épargne sanguine …....................................................8
3-Les antiagrégants plaquettaires …..................................................9
4-Les antifibrinolytiques …................................................................10
II-Matériel et méthode …................................................................................15
1-Patients ….....................................................................................15
2-Protocole …...................................................................................16
3-Analyse statistique …....................................................................18
5
III-Résultats …................................................................................................20
1-Caractéristiques générales des patients inclus ….........................20
2-Caractéristiques des populations …..............................................21
3-Saignement per et postopératoire ….............................................22
4-Épargne sanguine ….....................................................................26
5-Séjours en réanimation et à l'hôpital ….........................................27
6-Complications hémorragiques, thromboemboliques et rénales …27
7-Stratégie d'administration de l'acide tranexamique et saignement per
et postopératoire …...........................................................................28
III-Discussion ….............................................................................................29
IV-Conclusion ….............................................................................................33
VI-Bibliographie ….........................................................................................34
VII-Protocole de recueil des données …........................................................39
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I-Introduction
I.1-Le risque hémorragique en chirurgie cardiaque
Le saignement per et postopératoire est un problème majeur en chirurgie cardiaque
coronaire sous circulation extracorporelle. Ainsi le risque de reprise pour saignement
postopératoire et son cortège de complications (majoration de la mortalité, du taux
d'insuffisance rénale nécessitant la dialyse, de la durée de l'hospitalisation ) se situe entre
2 et 5 % selon les différentes études [1, 2, 3]. Récemment, une étude de Stephen D.
Surgenor retrouvait une augmentation de 16% de la mortalité chez les patients exposés à
1 ou 2 culots globulaires en période postopératoire de chirurgie cardiaque [4].
Ce saignement trouve plusieurs explications comme le résume Despotis [5] :
Premièrement l'administration de cristalloïdes dans le « prime » du circuit de circulation
extra-corporelle (CEC) et comme composant de la cardioplégie peut induire une
hémodilution et pourrait contribuer à la décroissance des facteurs de coagulation et des
plaquettes.
Deuxièmement, la CEC entraine une activation excessive du système de coagulation qui
induit une consommation des plaquettes et des facteurs de la coagulation. Cette activation
excessive peut s'expliquer d'une part du fait du contact entre les facteurs XI et XII avec la
surface du circuit de CEC ainsi que par l'activation de la voie extrinsèque de la coagulation
par le traumatisme chirurgical.
Troisièmement, la fibrinolyse excessive qui pourrait être induite par le contact du facteur
XII et de la thrombine avec le circuit de CEC, l'hypothermie et la retransfusion d'activateur
du plasminogène.
7
Quatrièmement, l'héparine qui inhibe la coagulation et la fonction plaquettaire tout comme
l'excès de protamine.
Cinquièmement, le relargage d'élastase par les leucocytes pourrait également affecter le
système d'hémostase.
Ainsi les perturbations hémostatiques induites par la CEC (dysfonction plaquettaire, déficit
des facteurs de la coagulation, inflammation, augmentation de la fibrinolyse) sont
majeures et favorisent très largement le saignement périopératoire. Dans la littérature, on
retrouve d'autres facteurs de risque de saignement : l'âge, le sexe féminin, le surpoids,
l'existence d'une anémie préopératoire, l'utilisation d'antiagrégants plaquettaires, le degré
d'urgence, le protocole d'anticoagulation peropératoire et l'hémodilution sont ainsi
incriminés dans l'augmentation du risque hémorragique [6, 7].
I.2-Stratégies d'épargne sanguine
En mai 2007, la Société des chirurgiens thoraciques et la Société des anesthésiologistes
cardiovasculaires ont publié un article de synthèse accompagné de recommandations
pour la pratique clinique concernant la conservation périopératoire du sang en chirurgie
cardiaque [8]. Ces experts recommandent aux cliniciens d’avoir recours à « toutes les
mesures disponibles de conservation du sang pour les patients chez qui on prévoit un
risque élevé de recevoir des transfusions sanguines avant, pendant ou après
l’intervention ». Pour ce faire, ils préconisent l’utilisation d’agents antifibrinolytiques, le don
préalable de sang autologue, l’administration préopératoire d’ASE (Agents Stimulant
l'Erythropoièse), la préservation des globules durant l’opération et une hémodilution
normovolémique aiguë.
8
I.3-Les antiagrégants plaquettaires
L'acide acétylsalicylique et le clopidogrel constituent des antiplaquettaires qui inhibent la
formation des complexes Iib/IIIa en interférant sur le métabolisme plaquettaire. Leurs
mécanismes d'action sont différents, l'acide acétylsalicylique diminuant la production du
thromboxane A2 par blocage de la cyclooxygénase, le clopidogrel bloquant l'activation des
plaquettes par l'ADP en se combinant à un des récepteur de l'ADP, P2Y12. Cette
complémentarité explique le caractère potentialisateur de l'association des deux
médicaments en thérapeutique. Ces deux molécules présentent un effet irréversible sur
chaque plaquette, ce qui explique que leur action ne disparaît qu'en fonction de la
régénération plaquettaire.
En chirurgie cardiaque, la plupart des patients reçoivent de l'aspirine en prévention
secondaire des accidents coronariens. Dans la littérature, l'impact de la poursuite du
traitement par antiplaquettaires reste controversé ; si dans certaines études elle est
associée à un risque majoré de saignement peropératoire et postopératoire [9, 10, 11] ; en
particulier dans une métaanalyse portant sur des patients opérés d'une première chirurgie
de pontages aortocoronariens [12], d'autres travaux ne semblent pas rapporter de
majoration du risque hémorragique [13].
Par ailleurs, une étude de Dacey retrouve une diminution de la mortalité post opératoire de
45 % chez les patients qui ont reçus de l'aspirine dans les sept jours précédent
l'intervention [14]. Cette étude est bien en accord avec la série de Ferrari qui retrouve une
augmentation des évènements coronariens chez les patients ayant arrêtés leur aspirine un
mois avant la chirurgie [15].
On voit donc bien que le maintien ou non du traitement antiagrégant plaquettaire repose
9
sur la balance bénéfice/risque : risque thromboembolique à l'arrêt (en particulier chez les
patients porteurs d'une endoprothèse coronaire [16]) et risque hémorragique au maintien
du traitement.
Tous ces éléments ont conduit aux recommandations des sociétés américaines de
chirurgie thoracique et d'anesthésie [8] selon lesquelles l'aspirine doit être arrêtée entre 2
et 3 jours avant l'intervention.
Concernant le clopidogrel, il a été démontré par une métaanalyse que sa poursuite dans
les sept jours précédents une chirurgie de pontage aortocoronarien augmentait les
saignements et les transfusions des patients [17], et ce médicament doit donc être
suspendu au moins 7 jours avant l'intervention.
I.4-Les antifibrinolytiques
Les antifibrinolytiques diminuent le saignement par inhibition de la fibrinolyse, mais
également par préservation de la fonction plaquettaire en bloquant les sites de liaison de
la lysine des récepteurs plaquettaires GP1b . L'effet antifibrinolytique est obtenu par le
blocage réversible des sites de la lysine sur les molécules de plasmine.
Les deux molécules les plus utilisées étaient, d'une part, l'acide tranexamique (Exacyl®)
qui est une molécule de synthèse et, d'autre part, l'aprotinine (Trasylol®) d'origine
naturelle ; celles-ci ont un mécanisme d'action différentes.
10
L’aprotinine est une protéine naturelle extraite du poumon de bœuf qui agit comme
inhibiteur non spécifique de la sérine protéase. Cette molécule agit comme un inhibiteur
de certaines enzymes protéolytiques comme la trypsine, la chymotripsyne, la plasmine et
de certains activateurs du plasminogène et de la kallikréine qui jouent un rôle essentiel
dans l'activation du facteur XII c'est à dire dans l'initiation de la coagulation [schéma ci-
dessous ; 18]
L'aprotinine était largement utilisée en chirurgie cardiaque depuis les années quatre vingt
mais aussi en chirurgie hépatique [19] et orthopédique [20].
En chirurgie cardiaque conduite sous circulation extracorporelle (CEC), trois modalités
d’administration ont été proposées :
(a)le protocole des hautes doses comporte l’administration intraveineuse de 2 × 106 UIK
d’aprotinine en 20 – 30 min, suivie d’une perfusion continue de 5 × 105 UIK par heure
associée à l’adjonction de 2 × 106 UIK d’aprotinine au liquide de purge du circuit de CEC ;
11
(b)la division des hautes doses d’aprotinine par deux ;
(c)la seule adjonction de 2.106 UIK d'aprotinine au liquide de purge du circuit de CEC.
Concernant l'acide tranexamique : il se fixe de manière réversible à un résidu lysine du
plasminogène auquel elle reste fixée même après la transformation du plasminogène en
plasmine. La plasmine ayant fixé l'acide tranexamique est inactive et la fibrinolyse est
inhibée [21 ; schéma ci-dessous].
Des concentrations plasmatiques de 10 à 20 µg/mL semblent suffisantes pour obtenir une
réduction de l'effet de l'activateur du plasminogène tissulaire. Dans la littérature, de
nombreux schémas posologiques sont proposés. Les posologies, empiriques, sont
extrêmement variables allant de plusieurs grammes en bolus (cf les travaux de Karski [22]
et de Dowd [23]) à des perfusions continues jusqu'à la fin de la chirurgie ou jusqu'à 12 h
après dans certaines études. Les schémas posologiques les plus usités actuellement
12
comportent un bolus suivi d'une perfusion continue. Une enquête d'observation a
dernièrement mis en évidence plus de 28 schémas d'utilisation de cette molécule dans les
centres français réalisant de la chirurgie cardiaque [24]. Mais la posologie optimale n'a pas
été encore déterminée.
Pour cette molécule également, de nombreuses études ont montrées une efficacité en
chirurgie orthopédique [25], cardiaque [26] et hépatique.
Récemment, de nombreuses études d’observation ainsi qu’une méta-analyse d’études
randomisées contrôlées ont montré que l’aprotinine était associée à un risque accru
d’insuffisance rénale nécessitant l'expuration extrarénale [27, 28] limitant ainsi l'utilisation
de cette molécule à la chirurgie cardiaque à haut risque hémorragique. Par la suite, une
autre étude publiée en 2008 par Fergusson et col. [29 ; schéma ci-dessous] chez des
patients de chirurgie cardiaque retrouvait une augmentation significative de la mortalité
d'origine cardiaque (risque relatif à 2,19) dans le groupe traité par l'aprotinine à 30 jours
conduisant ainsi à l'arrêt de l'utilisation de cette molécule (suspension de l'autorisation de
mise sur le marché par l'Afssaps le premier juillet 2008).
13
Avec le schéma thérapeutique du traitement prophylactique par antifibrinolytiques de
synthèse proposé, la réduction du saignement varie entre 29 % et 54 % selon les études
(en moyenne, ils réduisent la perte sanguine totale de moins de 500 mL en chirurgie
cardiaque ) [14]. Quel que soit l'antifibrinolytique de synthèse utilisé, le résultat est
identique [30]. En revanche, certaines études ont montré une supériorité de l'aprotinine
sur l'acide tranexamique dans la réduction des pertes sanguines [31, 32, 33], en particulier
dans les réinterventions et dans les études de sous groupe chez les patients traités par
anti-aggrégants plaquettaires. Mais il n'y a pas d'évidence quant à la réduction des
besoins transfusionnels. Ceci est primordial, car le résultat primitif attendu dans de telles
études doit être la réduction transfusionnelle.
Un deuxième développement récent a trait à la prise de conscience qu’aucune des
modalités de conservation du sang n’a d’effet démontré sur la réduction de la morbidité et
de la mortalité. Les méta-analyses portant sur des études cliniques randomisées et
contrôlées ont prouvé que, malgré leur efficacité élevée dans la réduction des pertes
sanguines et de la transfusion, les antifibrynolytiques n’améliorent pas le devenir des
patients [34 ; schéma ci-dessous].
14
II-Matériel et méthode
II.1-Patients
L'étude a été conduite au Centre Chirurgical Marie Lannelongue au Plessis Robinson. En
2008, ce centre spécialisé dans la chirurgie cardiothoracique, a réalisé 280 interventions
chirurgicales de pontages coronaires.
Cent dossiers successifs de patients ayant bénéficié d'une chirurgie de pontages
aortocoronaires ont été analysés sur une période s'étendant de janvier 2008 à juillet 2008.
Les critères d'inclusion étaient : tous patients opérés d'une première chirurgie de pontages
aortocoronaires programmée, sous circulation extra corporelle et traités dans les 48
heures précédant l'intervention par aspirine.
Les critères d'exclusion étaient : les patients présentant des troubles de l'hémostase avant
l'intervention, insuffisance hépatique ou rénales sévères, absence d'arrêt d'un traitement
anticoagulant par héparine dans les 12 heures précédent l'intervention, chirurgie réalisée
en urgence, antécédent de sternotomie, patients présentant des contres indications à
l'administration d'antifibrinolytiques ou à la récupération du sang peropératoire (cell-saver).
Le protocole de recueil des données est joint en annexe (page 40).
Groupes de patients :
Les patients inclus ont été répartis en 3 groupes en fonction de la stratégie d'épargne
sanguine par antifibrinolytiques qui avait été mise en place en peropératoire : le groupe 00
n'avait reçu aucun traitement antifibrinolytique ; le groupe AT avait reçu de l'acide
tranexamique (Exacyl®); le groupe AP avait reçu de l'aprotinine (Trasylol®).
15
II.2-Protocole
Au Centre Chirurgical Marie Lannelongue, la stratégie d'épargne sanguine appliquée aux
patients opérés de chirurgie de pontage aortocoronarien consiste en une prise en charge
multimodale :
-En préopératoire le clopidogrel était arrêté sept jours avant l'intervention.
-Maintien de la normothermie par mise en place d'un matelas chauffant et
réchauffement du circuit de CEC afin de limiter la baisse des facteurs de coagulation [35]
et la réduction de l'agrégation plaquettaire [36] liée à l'hypothermie.
-Limitation des apports hydriques peropératoires avec remplissage vasculaire guidé
par la clinique (lever de jambe passif) et la pression veineuse centrale. Le remplissage
vasculaire était réalisé de manière indifférente par colloîdes (voluven®) ou cristalloîde
(sérum salé isotonique).
-Récupération sanguine par cell-saver de façon systématique. Les patients
présentant une contre indication formelle à cette méthode d'épargne sanguine (infection
évolutive, cancer évolutif) étaient exclus.
-Transfusion de culots globulaires pour maintenir un hématocrite supérieur à 25%
en per et postopératoire [37].
-Anticoagulation efficace par héparine avant l'entrée en CEC à une dose de 300 UI/
kg avec objectif d'ACT à 400 secondes ; Le kaolin (Hémocron®) a été utilisé comme
réactif pour la mesure de l'ACT.
-Réalisation de bilans biologiques après l'induction de l'anesthésie et après
antagonisation de l'héparine par la protamine afin de détecter et de prendre en charge
d'éventuels troubles hydroélectrolytiques (acidoses, hypocalcémie) pouvant contribuer à
16
majorer le saignement [25, 38].
-L'antagonisation de l'héparine est réalisée par la protamine à une dose d'une fois
et demi celle de l'héparine initialement injectée (bolus + perfusion continue sur 2 heures)
pour ne pas induire de thrombopathie à la protamine décrite pour un ratio
protamine/héparine supérieur à 2,6.
-Réalisation d'un bilan d'hémostase avec numération sanguine après
antagonisation de l'héparine afin de détecter et de traiter d'éventuels troubles de
l'hémostase.
L'utilisation d'antifibrinolytiques ainsi que les modalités d'administration de ceux-ci sont
laissées à l'appréciation de chaque anesthésiste.
Plusieurs schémas d'administration des antifibrinolytiques ont été relevés :
Concernant l'acide tranexamique : Dose de charge en début d'intervention puis traitement
d'entretien à la seringue électrique jusqu'à la fin de la chirurgie (n=3); Boli répétés (début,
fin d'intervention +/- CEC) (n=20) ; Une seule dose pendant la CEC (n=15).
Concernant l'aprotinine : Tous les patients recevaient leur traitement sous forme d'une
injection intraveineuse lente de 5 × 105 UIK par heure.
La chirurgie était réalisée selon le schéma suivant : Sternotomie, prélèvement des artères
mammaires internes droites et gauches, confection d'une anastomose entre les deux
artères mammaires, cannulation aortique puis atriocave, départ en CEC et recherche d'un
débit théorique à 2,5 l/min/m², protection myocardique par cardioplégie antérograde,
réalisation des pontages (de 1 à 6 ponts chez les patients étudiés), hémostase
chirurgicale, mise en place de drains médiastinaux et pleuraux, fermeture sternale par fils
17
d'acier.
Dans notre série tous les pontages ont été réalisés avec des artères mammaires internes.
En postopératoire en réanimation, les patients étaient traités par héparine et aspirine dés
la sixième heure en l'absence de saignement important.
Le critère de jugement que nous avons définis étaient : principalement le saignement per
et postopératoire et la quantité de culots globulaires transfusés en per et postopératoire.
De façon secondaire, la durée de l'hospitalisation et les complications thromboemboliques
et rénales.
Enfin il nous avait semblé intéressant de comparer si les différentes modalités
d'administration de l'AT avaient un impact sur l'épargne sanguine.
Les données étaient recueillies de manière standardisée (cf protocole de mesure en
annexe)
II.3-Analyse statistique
Le nombre de patients a inclure dans l'étude à été déterminé pour mettre en évidence une
différence de 200 ml de saignement dans les drains à H6 entre les groupes traités ou non
par antifibrinolytiques, avec un écart type à 250 ml, et ce avec un niveau de signification
égal à 0,05 et une puissance de 0,9. Ainsi pour obtenir un tel résultat il était nécessaire
d'inclure au minimum 34 patients par groupe.
L'analyse statistique descriptive des données a été effectuée après intégration des
résultats dans le logiciel Excel® permettant de calculer les moyennes et les écart-types
18
des données paramétriques. Les données ont été analysées à l'aide du logiciel de
traitement « R ». Les tests statistiques utilisés sont : le Chi2 pour les éléments qualitatifs
et le test t de Student pour les éléments quantitatifs. On a considéré p<0,05 comme
significatif.
Pour la dernière partie de l'étude comparant les différentes modalités d'administration de
l'AT, vu les faibles populations des deux groupes (n=15 et n=23), nous avons utilisé le test
non paramétrique de Wilcoxon.
Les moyennes sont données avec leur écart-type comme indice de dispersion. Cet écart-
type est indiqué entre parenthèse après la valeur de la moyenne.
19
III-Résultats
III.1-Caractéristiques générales des patients inclu s
Parmi les cent dossiers consécutifs analysés, sept ont été exclus de l'étude : cinq car les
patients n'étaient pas traités par aspirine ou que l'aspirine avait été arrêté au delà d'une
période de deux jours, un car le patient est décédé dans les six heures suivant la chirurgie
après une reprise pour pose de ballonnet de contre pulsion très hémorragique, un car la
chirurgie a été réalisée à cœur battant.
Au total 93 dossiers de patients ayant reçu de l'aspirine dans les 48 heures précédant la
chirurgie ont été inclus. Il s'agissait de 80 hommes et 13 femmes (sexe ratio 0,16) dont
l'âge était compris entre 40 et 83 ans (moyenne 64,5 (11,0) ans). La fraction d'éjection de
ventricule gauche préopératoire était de 57% (10%) en moyenne (minimum : 35% ;
maximum : 70%). L'indice de masse corporel moyen des patients était de 27 (4) kg/m²
(minimum : 19 kg/m² ; maximum : 38 kg/m²).
La durée moyenne de l'intervention était de 253 (49) minutes, la durée de la CEC de 71
(20) minutes. Le saignement peropératoire (volume rendu par le cell-saver) de 580 (170)
ml. Le volume des saignement à H1, H3 et H6 étaient respectivement de 273 (197), 402
(222) et 522 (264) ml. Les patients inclus recevaient en moyenne 1,42 (1,96) culots
globulaires dans la période périopératoire.
La durée moyenne d'hospitalisation globale de 11,6 (3,7) jours et la durée d'hospitalisation
en réanimation de 2,3 (1,5) jours.
L'utilisation d'un traitement antifibrinolytique avait été entreprise en peropératoire chez 54
patients, soit dans 58% des cas. Une majorité de patients recevaient de l'acide
tranexamique (n=38) tandis que l'aprotinine n'était utilisée que dans 16 cas.
20
Les moyennes des caractéristiques des patients en termes d'âge, de fraction d'éjection du
ventricule gauche (FEVG), d'indice de masse corporel (IMC), de durée de la chirurgie et
de la CEC, de nombres de ponts réalisés et de traitement associé par clopidogrel sont
données dans le tableau suivant :
Groupe 0 (n=39) Groupe AT(n=38) Groupe AP(n=16)Age (années) 67 62 62
FEVG préopératoire(%) 58 57 54IMC (kg/m²) 26,3 27,7 27,5
Durée de CEC (min) 70 77 68Durée de chirurgie (min) 245 260 255
Nombre de ponts 3,5 3,4 3,5Pourcentage de patients
traités par clopigogrel (%)
46 42 50
Tableau 1 : Caractéristiques des patients dans les trois groupes.
III.2-Caractéristiques des populations
On compare les populations de patients traitées ou non par antifibrinolytiques.
Les moyennes des paramètres descriptifs des 2 populations sont résumées dans le
tableau suivant.
21
Groupe 00 (n=39) Groupe AP+AT (n=54) pAge (années) 67 (11) 62 (11) 0,1
FEVG préopératoire(%) 58 (8) 56 (10) 0,5Sex ratio (H/F) 33/6 46/7 0,9
IMC (kg/m²) 26 (4) 28 (5) 0,1Durée de CEC (min) 70 (22) 73 (20) 0,4
Durée de chirurgie (min) 245 (50) 259 (48) 0,2Nombre de ponts 3,5 (1,0) 3,5 (0,9) 0,9
Pourcentage de patients
traités par clopigogrel (%)
46 45 0,9
Tableau 2 : Homogénéité des populations dans les trois groupes étudiés. Moyennes (écart-type).
Il n'y avait donc pas de différence significative concernant les caractéristiques
démographiques ou chirurgicales des patients traités ou non par antifibrinolytiques.
III.3-Saignement per et postopératoire
Le saignement peropératoire a été estimé par la quantité de sang rendu par le cell-saver
après traitement (sang effectivement retransfusé). L'utilisation d'un cell-saver a été
systématiquement mise en œuvre chez tous les patients. Aucun des patients de notre
étude ne présentait de contre indication à cette technique d'épargne sanguine (cancer
évolutif ou infection en cours).
Le saignement postopératoire a été estimé par la quantité de sang dans les drains et les
redons mis en place en peropératoire à trois temps différents : une, trois et six heures
après la chirurgie.
Les résultats ont été ramené au poids de chaque patient (exprimés en ml/kg).
Pour le saignement peropératoire, on retrouvait une diminution significative avec p<0,01
du saignement dans le groupe traité par antifibrinolytiques en comparaison avec le groupe
22
contrôle. De même, il existait une diminution significative du saignement postopératoire
avec p<0,01 à H1, H3 et H6.
A contrario, on ne mettait pas en évidence de différence significative de quantité de
saignement entre les groupes traités par AT ou AP ni en per ni en postopératoire.
Saignement
peropératoire
Groupe AT Groupe AP Groupe 00 p
AT et AP
p
AT+AP et 00En ml 569 (209) 564 (148) 595 (138) 0,51 0,95
En ml/kg 7,36 (2,5) 7,37 (2,6) 7,91 (1,8) 0,99 2,29E-005
Tableau 3 : Saignement moyen peropératoire. Valeurs bruts et rapportées aux poids des patients
dans les différents groupes. Entre parenthèse l'écart type des moyennes.
Graphique 1 : Saignement peropératoire : Représentation de type « Box Plot » représentant la
médiane entourée de l'intervalle premier quartile/troisième quartile.
23
Graphique 3 : Saignement post-opératoire : Représentation de type « Box Plot » représentant la
médiane entourée de l'intervalle premier quartile/troisième quartile.
25
III.4-Épargne sanguine
Le nombre des culots globulaires transfusés à chaque patient inclus dans l'étude durant la
durée de l'hospitalisation a été relevé. Dans le groupe non traité, il existait une
augmentation non significative du nombre de culots globulaires transfusés.
Il n'y avait pas de différence entre le nombre de culots globulaires (CG) transfusés dans
les groupes AT et AP.
CG transfusés Groupe AT Groupe AP Groupe 00 p
AP et AT
p
AT+AT et 00
p
AP et 00CG (unités) 1,25 (1,24) 1,05 (1,41) 1,85 (2,54) 0,61 0,11 0,37
Tableau 6 : Nombre moyen de culots globulaires transfusés dans les 3 groupes. Entre parenthèse
l'écart type des moyennes.
Graphique 4 : Représentation graphique et box plot du nombre de CG transfusés (unités de
culots globulaires).
26
III.5-Séjour en réanimation et à l'hôpital
La durée d'hospitalisation des patients en service de réanimation et la durée
d'hospitalisation globale ont été relevées.
Les résultats des moyennes des journées d'hospitalisation sont donnés dans le tableau
suivant :
Groupe
Durées d'hospitalisation
OO AT AP p
00/AT+AP
p
AT/APRéanimation (jours) 2,6 (1,6) 2,1 (1,3) 1,7 (1,1) 0,1 0,1
Globale (jours) 11,3 (3,2) 11,8 (2,9) 12,0 (6,0)) 0,4 0,9Tableau 7 : Nombre moyen de journées d'hospitalisation (en réanimation et jusqu'à la sortie de
l'hôpital) dans les 3 groupes. Entre parenthèse l'écart type des moyennes.
Il n'y avait pas de différence significative dans les durées d'hospitalisation entre les
patients traités ou non par antifibrinolytiques.
III.6-Complications hémorragiques, thromboembolique s et rénales
Dans notre série de patients, aucune reprise chirurgicale pour hémostase n'a été réalisée.
Par ailleurs, il n'existait pas de complications rénales nécessitant le recours à l'épuration
extrarénale ou de complication thromboembolique, durant l'hospitalisation.
27
III.7-Stratégie d'administration de l'acide tranexa mique et saignement per et
postopératoire
Concernant l'administration de l'acide tranexamique on notait une différence dans la
stratégie d'utilisation du produit en per opératoire. En effet le produit a été administré soit
de façon unique (groupe UN, n=15) soit sous forme de multiinjections (bolus suivi d'une
perfusion continue ou plusieurs boli) (groupe RE, n=23).
Groupe UN (n=15) RE (n=23) Wilcoxon pSaignement peropératoire
(ml/kg)
7,06 (1,95)* 8,71(2,96)* 101 0,32
Saignement H1 (ml/kg) 2,84 (1,57) 2,42 (1,88) 204 0,35Saignement H3 (ml/kg) 4,41 (2,43) 4,10 (2,46) 187 0,68Saignement H6 (ml/kg) 6,03 (2,48) 5,25 (2,84) 193 0,55CG transfusés (unités) 1,23 (1,24) 1,04 (1,51) 166 0,85
Tableau 8 : Représentant le saignement per et post- opératoire dans les deux sous-
groupes de patients traités par acides tranexamique s [moyenne (écart type)]
*Il existe des données manquantes dans ces groupes et donc n=9 dans le groupe UN et 18
dans le groupe RE.
Il n'existait pas de différence significative sur les paramètres étudiés (saignement per et
post-opératoire et nombre de culots globulaires transfusés) entre les deux groupes de
patients recevant l'acide tranexamique.
28
IV-Discussion
Nous avons mis en évidence que les antifibrinolytiques (acide tranexamique et aprotinine)
permettaient une diminution du saignement per et postopératoire des patients opérés
d'une première chirurgie de pontages coronaires et dont le traitement par aspirine a été
poursuivi. Ceci ne se traduisait toutefois pas par une diminution significative du nombre de
culots globulaires transfusé.
Les traitements antiagrégants plaquettaires sont fréquents chez les patients en chirurgie
cardiaque de pontages coronaires pour la prévention secondaire. Si le risque
hémorragique associé à ce type de traitement a été mis en évidence [9], le bénéfice de
maintenir l'aspirine le plus tard possible avant la chirurgie a montré un avantage certain
pour ces patients [14]. A l'hôpital Marie Lannelongue, la stratégie adoptée consiste à
maintenir le traitement par aspirine jusqu'à 48 heures précédent l'intervention. Très peu
d'études se sont penchées sur l'intérêt des traitements antifibrinolytiques dans cette
population spécifique [30].
Notre étude a consisté, en réalisant une analyse rétrospective de dossiers de patients
opérés de chirurgie coronarienne, à rechercher si les antifibrinolytiques alors utilisés en
France (acide tranexamique et aprotinine) en 2008 avaient un intérêt pour réduire le
saignement per et postopératoire et la transfusion de culots globulaires d'une part ; et
d'autre part de rechercher une augmentation éventuelle des complications de type
thromboemboliques ou rénales chez les patients traités [29].
Les deux populations comparées étaient statistiquement identiques en terme d'âge,
29
d'indice de masse corporelle, de fraction d'éjection du ventricule gauche préopératoire, de
co-traitement par clopidogrel avant l'intervention. Il n'y avait pas de différence significative
de la durée de temps opératoire et de temps passé sous circulation extracorporelle. De
même, le même nombre de ponts a été réalisé dans les deux groupes.
Les paramètres analysées de façon rétrospectives étaient pour chaque groupe de patients
: la quantité de perte sanguine en per et en postopératoire (à H1, H3 et H6 de la chirurgie),
le nombre de culots globulaires transfusés et enfin les durées d'hospitalisation en
réanimation et totales (jusqu'à la sortie de l'hôpital).
Les patients de notre étude recevaient en moyenne 1,42 culots globulaires en
périopératoire pour maintenir un hématocrite au dessus de 25% de façon concordante
avec les données de la littérature où les demandes transfusionnelles vont de 0,9 [12] à
2,18 culots globulaires par patient [28] préalablement traités par aspirine.
Nos résultats obtenus sont en faveur de l'utilisation des traitements antifibrinolytiques dans
cette population. En effet, nous avons observé l'efficacité de ces molécules pour réduire
de façon significative les saignements per et postopératoires dans les 6 premières heures.
En moyenne, les traitements antifibrinolytiques diminuaient les volumes de saignement de
30 ml en peropératoire ; de 140 ml, 170 ml et 210 ml respectivement à H1, H3 et H6 en
postopératoire.
Il faut noter que nous avons pu obtenir des résultats significatifs malgré un effectif dans le
groupe aprotinine inférieur à celui que nous avions défini dans l'analyse statistique initiale
pour dimensionner notre étude. Ceci tient au fait que la différence de saignement dans les
drains à H6 était supérieure à celle envisagée dans notre hypothèse initiale qui était de
30
200 ml. En effet, nous avons mis en évidence une différence moyenne de saignement à
H6 de 213 ml entre le groupe 00 et AP (soit respectivement 642 (275) ml versus 429 (205)
ml ; p=0,07).
Cette réduction du saignement périopératoire s'accompagnait d'une tendance à la
diminution du nombre de culots globulaires transfusés (1,85 culots globulaires dans le
groupe 00 contre respectivement 1,05 et 1,25 culots globulaires dans les groupes AP et
AT) même si cette dernière n'était pas significative.
Le deuxième objectif de cette étude était de savoir si l'acide tranexamique était aussi
efficace que l'aprotinine dans cette population à haut risque hémorragique [33] pour
réduire le saignement périopératoire. Nos résultats démontrent que ces deux molécules
sont équivalentes en terme d'épargne sanguine périopératoire.
Toutefois, la portée de notre étude est limitée car elle souffre d’un manque de puissance
sur ce critère secondaire comparatif des deux antifibrynolitiques. Un petit calcul basé sur
la différence que nous avons mis évidence nous montre qu’il était nécessaire d’inclure 3
300 patients pour mettre en évidence une différence significative (p=0,05, 1-β=0,9) du
saignement à H6 entre les patients traités par AT et AP.
Enfin, concernant l'acide tranexamique, actuellement seul antifibrinolytique sur le marché,
il semblait intéressant, même si l'étude initiale n'avait pas cet objectif, de rechercher quel
schéma thérapeutique était le plus efficace [24]. Deux modes d'administration ont été
distingués : une injection unique ou multiinjections (sous forme d'une dose de charge
suivie d'une perfusion continue ou sous forme de boli itératifs). Les résultats de notre
31
étude ne permettent pas de mettre en évidence la supériorité de l'administration répétée
par rapport à la dose unique.
Cette absence de différence significative est probablement induite par le très faible effectif
de patients comparés (n=38) et il serait donc nécessaire d'entreprendre des études de
plus grande ampleur pour connaître le mode d'administration optimal de l'acide
tranexamique.
Notre analyse possède des biais importants. Il s’agit avant tout d’une analyse
rétrospective avec ses limites concernant le mode de sélection des patients puisque le
choix et le protocole d'administration des antifibrinolytiques étaient laissés à la
responsabilité de l'anesthésiste. Même si l'analyse des résultats montre que les trois
groupes semblent uniformes en terme démographique mais également en terme de prise
en charge chirurgicale (mêmes durées d'interventions et de CEC ; même nombre de ponts
réalisés), l’absence de randomisation constitue une limite importante pour l’interprétation
des résultats de notre travail. Le second biais majeur est lié à l’effectif insuffisant dans le
groupe AP. Même si nos résultats globaux sont en faveur de l’utilisation des
antifibrinolytiques dans l’indication opératoire que nous avons étudiée, nous avons perdu
de la puissance en ne pouvant inclure que 16 patients, soit un peu moins de la moitié de
ce que le dimensionnement de l’étude nous imposait.
Enfin, un autre biais plus minime, pourrait être celui de la mesure du saignement. En effet
le volume rendu par le cell-saver pour calculer le saignement peropératoire ne tient pas
compte des éventuelles pertes comme, par exemple, le sang sur les compresses; les
données recueillies dans les drains à H1, H3 et H6 sont rendues avec une approximation
de 10 ml). Ce biais de mesure systématique est présent pour les 3 groupes. De ce fait son
impact pour l’interprétation des nos résultats devrait être plus modeste.
32
V-Conclusion
Notre étude rétrospective démontrait que l'utilisation d'antifibrinolytiques en chirurgie
cardiaque de pontages aortocoronariens chez les patients qui reçoivent un traitement
antiagrégant plaquettaire par aspirine dans les deux jours précédents l'intervention
permettait de réduire le saignement per et postopératoire à H1, H3 et H6. Cette réduction
ne s'accompagnait toutefois pas d'une réduction des besoins transfusionnels significative
chez les patients.
Bien que limitée par des biais méthodologiques importants, cette étude ne mettait pas en
évidence de supériorité de l'aprotinine sur l'acide tranexamique en terme de réduction du
saignement per et postopératoire, ni en terme d'épargne transfusionnelle.
Nous n’avons pas observé au cours de cette étude de complications, en particulier
thromboemboliques ou d'insuffisance rénale, nécessitant de recourir à des séances
d'épuration extrarénales.
Nos résultats démontraient que l'utilisation d'agents antifibrinolytiques ne modifiaient pas
les durées d'hospitalisation en réanimation ou globales des patients.
Le traitement par acide tranexamique, maintenant seul antifibrinolytique disponible en
France, a probablement sa place dans la stratégie d'épargne sanguine chez les patients
traités par aspirine en préopératoire. Il permettrait une réduction significative du
saignement per et postopératoire.
Enfin, notre travail suggère que le mode d'administration de l'acide tranexamique ne
semble pas affecter la quantité de saignement per ou postopératoire.
Cette étude ouvre donc la voie vers la réalisation d'études prospectives randomisées sur
la modalité d'administration optimale de l'acide tranexamique pour réduire le saignement
et les besoins transfusionnels des patients sous antiagrégants plaquettaires.
33
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38
VII-Protocole de recueil des données
Protocole écrit :
Patient n°
Nom, prénom
sexe
age
poids, taille
ASA
FEVG préopératoire
Inclusion /exclusion :
inclusion : aspirine arrétée à J - __ ou continuée ou pas d'aspirine
autre médicament antiagrégant : plavix + / - arrêt a J-
médicament anticoagulant : arrété a J-__
médicament anticoagulant avant chirurgie :___
troubles de l'hémostase préexistant :___
stratégie d'épargne de sang : 1-rien 2-exacyl 3-aprotinine
remarques sur la stratégie (dose, timing) :
Intervention :
type d'intervention : PAC * __
39
durée intervention : ____
durée CEC :__
dose d'héparine reçue (en ui) : _____
ACT avant départ CEC : ____
dose de protamine : ___
ACT postprotamine : ___
Saignement :
peropératoire (cellsaver) : _____
postopératoire drains :
1ère heure :___
3 premières heures :___
cumulés les 6 premières heures :_____
reprise pour saignement
nombres de PSL : per CEC : CG : ____
post CEC : CG :____
PFC:___
UP:___
autres complication postopératoires :
ischémie mésentérique, insuffisance rénale, thrombose veineuse profonde, embolie pulmonaire
médiastinite, épanchement péricardique
Durée d'hospitalisation en réanimation :____
Durée d'hospitalisation globale :___
40
Prévention du saignement per et post opératoire par les antifibrinolytiques en chirurgie cardiaque de pontagesPrévention du saignement per et post opératoire par les antifibrinolytiques en chirurgie cardiaque de pontagesPrévention du saignement per et post opératoire par les antifibrinolytiques en chirurgie cardiaque de pontagesPrévention du saignement per et post opératoire par les antifibrinolytiques en chirurgie cardiaque de pontages
aortocoronariens sous circulation extracorporelle chez les patients sous antiagrégants plaquettaires.aortocoronariens sous circulation extracorporelle chez les patients sous antiagrégants plaquettaires.aortocoronariens sous circulation extracorporelle chez les patients sous antiagrégants plaquettaires.aortocoronariens sous circulation extracorporelle chez les patients sous antiagrégants plaquettaires.
La majorité des patients opérés de chirurgie cardiaque sont traités en préopératoire par antiplaquettaires. Actuellement l'aspirine
est maintenue jusqu'à l'intervention du fait de nombreuses études ayant démontré une diminution de la mortalité périopératoire,
et ce malgré le risque hémorragique associé à ce type de traitement. L'objectif de cette étude est de démontrer le bénéfice des
antifibrinolytiques dans cette population à haut risque hémorragique pour diminuer le saignement dans la période périopératoire.
Dans cette étude rétrospective observationnelle portant sur l'analyse de 100 dossiers de patients opérés de chirurgie coronaire en
2008, nous montrons que l'aprotinine ou l'acide tranexamique permettent tous deux et de façon équivalente de diminuer
significativement le saignement peropératoire (volume rendu par le cell-saver) et postopératoire à H1, H3 et H6. Six heures après
l'intervention l'épargne sanguine est estimée à 210 ml. Il existe une diminution non significative du nombre de culots globulaires
transfusés.
Nous ne mettons pas en évidence de différence d'augmentation des complications thromboemboliques chez les patients traités par
antifibrinolytiques.
L'acide tranexamique utilisé en une injection réalisée en début d'intervention semble aussi efficace que des protocoles de multi-
injections.
L'acide tranexamique, seul antifibrinolytique encore commercialisé en France, a donc une place majeure dans la
prévention du saignement périopératoire.
41