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MAURICE BARDCHE
NUREMBERG
OU LA TERRE PROMISE
Lisez
si vous
l'osez
Editions de l'AAARGH
Internet, 2003
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Maurice BARDCHE: Nuremberg ou la Terre Promise
Note de lAaargh :
Ce livre de Maurice Bardche, intitul Nuremberg ou la terre promise, a t publi Paris en 1948 aux ditions Les Sept Couleurs (78, Rue De La Tour, Paris XVIe ), il y a donc bientt un demi-sicle. Il aurait t tir 25.000 exemplaires. Au printemps 1952, Maurice Bardche est condamn, pour ce livre, un an de prison et 50.000 Francs d'amende; le livre est saisi et interdit la vente (ce qui ne nous concerne pas puisque nous ne le vendons pas). L'auteur ne passera que quelques semaines en prison. A la suite de cette affaire, Bardche lance une revue, Dfense de l'Occident, qui a publi des textes de Rassinier et de R. Faurisson. Bardche se range ainsi parmi ceux qui ont permis au rvisionnisme de prendre forme et de s'exprimer. Il a donc jou un rle qui justifie sa prsence dans nos archives. Mais le rvisionnisme provient d'une rflexion sur la ralit et le statut de l'idologie qui prside aux reprsentations de l'histoire; il est totalement autonome et ne doit ses vecteurs ceux qui, droite comme gauche, l'ont publi que la gratitude due des services rendus. Il est intellectuellement indpendant des tendances politiques de ceux qui s'emparent de lui ou de ceux qui le combattent. C'est pourquoi il prospre malgr les interdits drisoires, les censures brouillonnes, les assimilations scandaleuses et les condamnations en chaire.
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Maurice BARDCHE: Nuremberg ou la Terre Promise
EPIGRAPHE
Salomon compta tous les trangers qui taient dans le pays d'Isral et dont le dnombrement avait t fait par David son pre. On en trouva cent cinquante trois mille six cents. Et il en prit soixante-dix mille pour porter les fardeaux, quatre-vingt mille pour tailler les pierres dans la montagne, et trois mille six cents pour surveiller et faire travailler le peuple.
Second Livre des Chroniques, 2, 17-18.
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Maurice BARDCHE: Nuremberg ou la Terre Promise
Je ne prends pas la dfense de l'Allemagne. Je prends la dfense de la vrit. Je ne sais si la vrit existe et mme beaucoup de gens font des raisonnements pour me prouver qu'elle n'existe pas. Mais je sais que le mensonge existe, je sais que la dformation systmatique des faits existe. Nous vivons depuis trois ans sur une falsification de l'histoire. Cette falsification est adroite : elle entrane les imaginations, puis elle s'appuie sur la conspiration des imaginations. On a commenc par dire : voil tout ce que vous avez souffert, puis on dit : souvenez-vous de ce que vous avez souffert. On a mme invent [10] une philosophie de cette falsification. Elle consiste nous expliquer que ce que nous tions rellement n'a aucune importance, mais que seule compte l'image qu'on se faisait de nous. Il parat que cette transposition est la seule ralit. Le groupe Rothschild est ainsi promu l'existence mtaphysique.
Moi, je crois stupidement la vrit. Je crois mme qu'elle finit par triompher de tout et mme de l'image qu'on fait de nous. Le destin prcaire de la falsification invente par la Rsistance nous en a dj apport la preuve. Aujourd'hui le bloc est bris, les couleurs scaillent : ces panneaux publicitaires ne durent que quelques saisons. Mais alors si la propagande des dmocraties a menti pendant trois ans notre sujet, si elle a travesti ce que nous avons fait, devons-nous la croire lorsqu'elle nous parle de lAllemagne ? N'a-t-elle pas falsifi l'histoire de l'occupation comme elle a prsent faussement l'action du gouvernement franais ? L'opinion commence rectifier son jugement sur l'puration. Ne devons-nous pas nous demander si la mme rvision n'est pas faire sur la condamnation qui a t [11] porte par les mmes juges Nuremberg ? N'est-il pas honnte, au moins, n'est-il pas ncessaire de poser cette question ? Si l'action judiciaire qui a frapp des milliers de Franais est une imposture, qu'est-ce qui nous prouve que celle qui a condamn des milliers d'Allemands n'en est pas une ? Avons-nous le droit de nous en dsintresser ?
Supporterons-nous que des milliers d'hommes, en ce temps, souffrent et se rvoltent de notre refus de tmoigner, de notre lchet, de notre fausse commisration ? Ils repoussent cette camisole de force que nous voulons mettre leur voix et leur pass; ils savent que nos journaux mentent, que nos films mentent, que nos crivains mentent, ils le savent et ne l'oublieront pas: laisserons-nous tomber sur nous ce regard de mpris qu'ils nous lancent justement? Toute l'histoire de cette guerre est refaire, nous le savons. Refuserons-nous notre porte la vrit ?
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Nous avons vu ces hommes installs dans nos maisons et dans nos villes; ils ont t nos ennemis et, ce qui est plus cruel, ils ont [12] t les matres chez nous. Cela ne leur enlve pas le droit qu'ont tous les hommes la vrit et la justice, leur droit l'honntet des autres hommes. Ils ont combattu avec courage; ils ont subi ce destin de la guerre qu'ils avaient accept; aujourd'hui, leurs villes sont dtruites, ils habitent dans des trous au milieu des ruines, ils n'ont plus rien, ils vivent comme des mendiants de ce que le vainqueur leur concde, leurs enfants meurent et leurs filles sont le butin de l'tranger, leur dtresse dpasse tout ce qui a pu venir jamais l'imagination des hommes. Leur refuserons-nous le pain et le sel ? Et si ces mendiants dont nous faisons des proscrits n'taient pas d'autres hommes que nous ? Si nos mains n'taient pas plus pures que leurs mains, si nos consciences n'taient pas plus lgres que leurs consciences ? Si nous nous tions tromps ? Si l'on nous avait menti ?
C'est pourtant sur cette sentence sans appel que les vainqueurs nous demandent de fonder le dialogue avec l'Allemagne ou plutt de le refuser. Ils se sont empars de l'pe de Jhovah et ils ont chass l'Allemand [13] des terres humaines. L'croulement de l'Allemagne ne suffisait pas aux vainqueurs. Les Allemands n'taient pas seulement des vaincus, ils n'taient pas des vaincus ordinaires. C'est le Mal qui avait t vaincu en eux : on avait leur apprendre qu'ils taient des Barbares, qu'ils taient les Barbares. Ce qui leur arrivait, le dernier degr de la dtresse, la dsolation comme au jour du dluge, leur pays englouti comme Gomorrhe et eux seuls errants, stupfaits, au milieu des ruines, comme au lendemain de l'croulement du monde, on avait leur apprendre que c'tait bien fait, comme disent les enfants. C'tait une juste punition du ciel. Ils devaient s'asseoir, eux Allemands, sur leurs ruines et se frapper la poitrine. Car ils avaient t des monstres. Et il est juste que les villes des monstres soient dtruites, et aussi les femmes des monstres et leurs petits enfants. Et la radio de tous les peuples du monde, et la presse de tous les peuples du monde, et des millions de voix de tous les horizons du monde, sans exception, sans fausse note, se mirent expliquer l'homme [14] assis sur ses ruines pourquoi il avait t un monstre.
Ce livre est adress ces rprouvs. Car il faut qu'ils sachent que tout le monde n'a pas accept aveuglment le verdict des vainqueurs. Le temps de faire appel viendra quelque jour. Les tribunaux issus de la victoire des armes ne portent que des sentences phmres. L'opportunisme politique et la peur rvoquent dj ces jugements. Notre opinion sur l'Allemagne et sur le rgime national-socialiste est indpendante de ces contingences. Notre seule ambition, en crivant ce livre, a t de pouvoir le relire sans honte dans quinze ans. Quand nous trouverons que l'arme allemande ou le parti national-socialiste ont commis des crimes, naturellement nous les appellerons des crimes. Mais quand nous penserons qu'on les accuse au moyen de sophismes ou de mensonges, nous dnoncerons ces sophismes et ces mensonges. Car tout cela ressemble un peu trop un clairage de thtre : on braque des projecteurs et on n'claire qu'une scne, pendant ce temps-l, tout le reste est dans [15] l'ombre. Il est temps qu'on allume les lustres et qu'on dvisage un peu les spectateurs.
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Remarquons d'abord, en manire de prliminaires, que ce procs qu'on fait l'Allemagne, ou plus exactement au national-socialisme, a une base solide, une base beaucoup plus solide qu'on ne le croit gnralement. Seulement, ce n'est pas celle qu'on proclame. Et les choses, en vrit, sont beaucoup plus dramatiques qu'on ne le dit, le fondement de l'accusation, le mobile de l'accusation est beaucoup plus angoissant pour les vainqueurs.
L'opinion et les procureurs des puissances victorieuses affirment qu'ils se sont rigs en juges parce qu'ils reprsentent la civilisation. C'est l'explication officielle. Mais c'est l aussi le sophisme officiel. Car c'est prendre pour principe et base certaine ce qui est justement en discussion. C'est au terme du procs ouvert entre l'Allemagne et les Allis qu'on pourra dire quel camp reprsentait la civilisation. Mais ce n'est pas au dbut qu'on [16] peut le dire, et surtout ce n'est pas une des parties en cause qui peut le dire. Les Etats-Unis, l'Angleterre et l'U.R.S.S. ont dplac leurs plus savants juristes pour soutenir ce raisonnement de petits enfants : "Il y a quatre ans que notre radio rpte que vous tes des barbares, vous avez t vaincus, donc vous tes des barbares". Car il est clair que M. Shawcross, M. Jackson et M. Rudenko ne disent pas autre chose au pupitre de Nuremberg lorsqu'ils se rclament de l'indignation unanime du monde civilis, indignation que leur propre propagande a provoque, soutenue, conduite, et qui peut tre dirige, leur gr, comme un nuage de sauterelles sur toute forme de vie politique qui leur dplaira. Or, ne nous y mprenons pas, cette indignation prfabrique a t longtemps, et, tout prendre, elle est encore le principal fondement de l'accusation contre le rgime allemand. C'est l'indignation du monde civilis qui impose le procs, c'est encore elle qui en soutient la conduite, finalement c'est elle qui est tout : les juges de Nuremberg ne sont que les secrtaires, les scribes de cette unanimit. On nous met de force des lunettes rouges et [17] on nous invite ensuite dclarer que les choses sont rouges. C'est l un programme d'avenir dont nous n'avons pas fini de dnombrer les mrites philosophiques.
Mais la vrit est toute autre. Le vrai fondement du procs de Nuremberg, celui qu'on n'a jamais os dsigner, je crains bien que ce ne soit la peur : c'est le spectacle des ruines, c'est la panique des vainqueurs. Il faut que les autres aient tort. Il le faut, car si, par hasard, ils n'avaient pas t des monstres, de quel poids ne pseraient pas ces villes dtruites et ces milliers de bombes au phosphore ? C'est l'horreur, c'est le dsespoir des vainqueurs qui est le vrai motif du procs. Ils se sont voil le visage devant ce qu'ils taient forcs de faire et pour se donner du courage, ils ont transform leurs massacres en croisade. Ils ont invent a posteriori un droit au massacre au nom du respect de l'humanit. Etant tueurs, ils se sont promus gendarmes. A partir d'un certain chiffre de morts, nous savons que toute guerre devient obligatoirement une guerre du Droit. La victoire n'est donc complte que si, aprs avoir forc la citadelle, on force [18] aussi les consciences. A ce point de vue, le procs de Nuremberg est un appareil de la guerre moderne qui mrite d'tre dcrit comme un bombardier.
Nous avions dj voulu tenter la mme chose en 1918, mais alors la guerre n'ayant t qu'une opration militaire coteuse, on s'tait content de refiler aux Allemands la carte de l'agression. Personne ne voulait tre responsable des morts. On en chargea les vaincus en obligeant leurs ngociateurs signer que leur pays tait responsable de cette guerre. Cette fois-ci, la guerre tant devenue des deux cts le massacre des innocents, il ne suffisait pas d'obtenir que les vaincus se reconnussent les agresseurs. Pour excuser les
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crimes commis dans la conduite de la guerre, il tait absolument ncessaire d'en dcouvrir de plus graves encore de l'autre ct. Il fallait absolument que les bombardiers anglais et amricains apparussent comme le glaive du Seigneur. Les Allis n'avaient pas le choix. S'ils n'affirmaient pas solennellement, s'ils ne prouvaient par n'importe quel moyen qu'ils avaient t les sauveurs de l'humanit, ils [19] n'taient plus que des assassins. Si, un jour, les hommes cessaient de croire la monstruosit allemande, ne demanderaient-ils pas compte des villes englouties ?
Il y a donc un intrt vident de la propagande britannique et amricaine et, un moindre degr, de la propagande sovitique, soutenir la thse des crimes allemands. On s'en apercevra mieux encore si l'on s'avise que cette thse, en dpit de son intrt publicitaire, ne s'est fixe que tardivement sous sa forme dfinitive.
Au dbut, personne n'y crut. Les radios s'efforaient de justifier l'entre en guerre. L'opinion craignait en effet une hgmonie allemande, mais elle ne croyait pas une monstruosit allemande. "On ne nous refera pas le coup des atrocits allemandes", disaient les officiers des premiers mois de l'occupation. Les bombardements de Coventry et de Londres, premiers bombardements ariens de populations civiles, gtrent cette sagesse. Et un peu plus tard, la guerre sous-marine. Puis l'occupation, les otages, les reprsailles. Et les radios russirent alors le premier degr d'intoxication de l'opinion. [20] Les Allemands taient des monstres parce qu'ils taient des adversaires dloyaux, parce qu'ils ne croyaient qu'en la loi du plus fort. En face d'eux, des nations correctes qui taient toujours battues parce qu'elles se conduisaient en tout avec loyaut. Mais les peuples ne crurent pas que les Allemands taient des monstres, ils reconnurent seulement les thmes de propagande contemporains du Kaiser et de la grosse Bertha.
L'occupation des territoires de l'Est et, en mme temps, la lutte entreprise dans toute l'Europe contre le terrorisme et le sabotage, fournirent d'autres arguments. Les Allemands taient des monstres, parce qu'ils taient partout suivis de leurs tueurs; on monta sur son socle le mythe de la Gestapo : dans toute l'Europe, les armes allemandes installaient la terreur, les nuits taient hantes de bruits de bottes, les prisons taient pleines, et chaque aube des salves claquaient. Le sens de cette guerre devenait clair : des millions d'hommes, d'un bout l'autre du continent, luttaient pour l'affranchissement des nouveaux esclaves, les bombardiers s'appelrent des "Liberator". Ce [21] fut le temps o l'Amrique entra en guerre. Les peuples ne crurent pas encore que les Allemands taient des monstres, mais dj ils acceptrent cette guerre comme une croisade pour la libert. Ce fut le second stade de l'intoxication.
Mais ces images ne correspondaient pas encore au voltage de notre propagande actuelle. La retraite des armes allemandes l'Est permit enfin de lancer le mot. C'tait le moment qu'on attendait : car le reflux allemand laissait des paves. On parla de crimes de guerre et une dclaration du 30 octobre 1943 permit, la satisfaction gnrale, de signaler ces crimes l'opinion et d'en prvoir le chtiment. Cette fois-ci, les Allemands taient bien des monstres, ils coupaient les mains des petits enfants, comme on l'avait toujours affirm. Ce n'tait plus la force, c'tait la barbarie. A partir de ce moment, le monde civilis avait des droits contre eux : car enfin, il y a des consciences dlicates qui n'admettent pas qu'on punisse la dloyaut par des bombardements ariens ni qu'on regarde un rgime autoritaire comme un dlit de droit commun, tandis que [22] tout le
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monde est prt chtier des bourreaux d'enfants, les mettre hors les droits de la guerre. On tenait donc le flagrant dlit. On le diffusa, on l'exploita. Les peuples commencrent penser que les Allemands pouvaient bien tre des monstres, et l'on parvint au troisime stade de l'intoxication, qui consiste oublier ce qu'on fait chaque nuit dans les raids force de penser avec rage ce qui se passe chaque jour dans les prisons.
C'tait la disposition militaire laquelle on souhaitait, depuis le commencement, amener les consciences. C'tait l'tat dans lequel il fallait les maintenir. Il le fallait d'autant plus que, peu aprs cette date, en dcembre 1943, les mthodes de bombardement changrent : au lieu de viser des objectifs militaires, les aviateurs allis reurent l'ordre d'appliquer la tactique du tapis de bombes qui dtruisait des villes entires. Et ces destructions apocalyptiques exigeaient, bien videmment, une monstruosit correspondante. On en sentit si bien la ncessit qu'on mit sur pied, ds cette date, un puissant organisme de dtection des crimes [23] allemands, qui eut pour mission de s'installer sur les talons des premires vagues d'occupation, peu prs comme les formations de police suivaient en Russie l'avance des troupes blindes. Ce rapprochement est suggestif : les Allemands nettoyaient, les Amricains accusaient, chacun allait au plus press. Ces recherches furent, comme on sait, couronnes de succs. On eut la bonne fortune de dcouvrir en janvier 1945 ces camps de concentration dont personne n'avait entendu parler jusqu'alors, et qui devinrent la preuve dont on avait prcisment besoin, le flagrant dlit l'tat pur, le crime contre l'humanit qui justifiait tout. On les photographia, on les filma, on les publia, on les fit connatre par une publicit gigantesque, comme une marque de stylo. La guerre morale tait gagne. La monstruosit allemande tait prouve par ces prcieux documents. Le peuple qui avait invent cela n'avait le droit de se plaindre de rien. Et le silence fut tel, le rideau fut si habilement, si brusquement dvoil, que pas une voix n'osa dire que tout cela tait trop beau pour tre parfaitement vrai.
[24] Ainsi fut affirme la culpabilit allemande, par des raisons fort diverses selon les temps : et l'on remarquera seulement que cette culpabilit s'accrot mesure que les bombardements de civils se multiplient. Ce synchronisme est en lui-mme assez suspect, et il est trop clair que nous ne devons pas agrer sans prcautions les accusations des gouvernements qui ont un besoin si vident d'une monnaie d'change.
Il n'est pas inutile, peut-tre, de faire appel de cet admirable montage technique. Aprs avoir prsent nos plus sincres compliments aux techniciens, juifs pour la plupart, qui ont orchestr ce programme, nous avons l'ambition de voir clair et de nous y reconnatre dans cette pice tiroirs, o les accusations arrivent point nomm comme les coups de thtre du mlodrame.
C'est donc cette tche que nous allons nous attacher. Et, bien sr, ce petit livre ne peut tre qu'une premire pierre. Il contiendra plus d'interrogations que d'affirmations, plus d'analyses que de documents. Mais n'est-ce pas dj quelque chose que de mettre un peu d'ordre dans une matire qu'on a [25] prsent volontairement avec confusion ? Le travail a t si bien fait qu'aujourd'hui personne n'ose plus appeler les choses par leur nom. On a appel monstrueux tout la fois les actes, les hommes, les ides. Toutes les penses sont maintenant frappes de stupeur, elles sont engourdies, inertes, elles ttonnent dans une ouate de mensonges. Et parfois, lorsqu'elles rencontrent des vrits,
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elles s'en cartent avec horreur, car ces vrits sont proscrites. Le premier objet de ces rflexions sera donc une sorte de restauration de l'vidence. Mais ce travail de rectification ne doit pas tre born aux faits. Le tribunal de Nuremberg a jug au nom d'un certain nombre de principes, au nom d'une certaine morale politique. Toutes ces accusations ont un envers. On nous propose un avenir, on le pose en condamnant le pass. C'est dans cet avenir aussi que nous voulons voir clair. Ce sont ces principes que nous voudrions voir en face. Car dj nous entrevoyons que cette thique nouvelle se rfre un univers trange, un univers pareil un univers de malade, un univers lastique que nos regards ne [26] reconnaissent plus : mais un univers qui est celui des autres, prcisment celui que Bernanos pressentait lorsqu'il redoutait le jour o se raliseraient les rves enferms dans la cervelle sournoise d'un petit cireur de bottes ngrode du ghetto de New-York. Nous y sommes. Les consciences sont drogues. On nous a fait le coup de Circ. Nous sommes tous devenus juifs.
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Commenons donc par dcrire ce procs de Nuremberg, au sommet duquel s'lve l'Acropole de cette cit nouvelle. L aboutissent les accusations et l commence le monde futur.
Le secrtariat du Tribunal militaire international a commenc depuis l'an dernier la publication de la stnographie du procs de Nuremberg. Cette publication doit comprendre vingt-quatre volumes in-4d'environ 500 700 pages. L'dition franaise comprend actuellement douze volumes, qui correspondent surtout aux documents de l'accusation. Cette partie du travail nous suffit. [27] Car l'accusation se juge elle-mme par ce qu'elle dit. Il nous parat inutile d'entendre la dfense.
Rappelons d'abord quelques lments d'architecture. Le Tribunal militaire international a t tabli par l'accord de Londres du 8 aot 1945 conclu entre la France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Union des Rpubliques Socialistes Sovitiques. A cet accord tait annex un Statut du tribunal fixant la fois la composition, le fonctionnement, la jurisprudence du tribunal et la liste des actions qui devaient tre considres comme criminelles. On apprenait donc pour la premire fois, par ce statut publi le 8 aot 1945, que certains actes qui n'avaient pas t mentionns jusqu'ici dans les textes de droit international taient considrs comme criminels, et que les accuss auraient rpondre de ces actes comme tels, bien qu'il n'et jamais t crit nulle part auparavant qu'ils fussent criminels. On y apprenait, en outre, que l'immunit qui couvrait les excutants en vertu des ordres reus ne serait pas prise en considration, et que, d'autre part, le tribunal pourrait dclarer que telle ou telle [28] organisation politique traduite devant lui n'tait pas une organisation politique, mais une association de malfaiteurs rassembls pour perptrer un complot ou un crime, et que par suite tous ses membres pouvaient tre traits comme des conspirateurs ou des criminels.
Le procs se droula pendant un an, du mois d'octobre 1945 au mois d'octobre 1946. Le Tribunal tait constitu par trois juges, l'un amricain, le second franais, l'autre russe et prsid par un haut magistrat britannique Lord Justice Lawrence. L'accusation fut soutenue par quatre procureurs gnraux assists de quarante-neuf robins en
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uniforme. Un important secrtariat avait t charg du rassemblement et du classement des documents. Les chefs d'accusation furent au nombre de quatre : de complot (c'est l'action politique du parti national-socialiste depuis son origine qui est assimile un complot), de crime contre la paix (c'est l'accusation d'avoir provoqu la guerre), de crimes de guerre et de crimes contre l'humanit. L'accusation fut soutenue au moyen d'une srie d'exposs du [29] Ministre public, chacun de ces exposs tant appuy par des productions de documents qui ont t publis la suite du procs. Tout le monde sait, puisque la presse l'a longuement expliqu, que ces exposs avaient lieu devant un microphone; ils devaient tre prononcs lentement, chaque phrase tant spare de la suivante par une pause. Des traducteurs traduisaient sur-le-champ. Les accuss, leurs avocats et les membres du Ministre public disposaient d'couteurs qui leur permettaient d'entendre les dbats dans leur langue, en se mettant sur la gamme d'ondes qui correspondait l'mission de leur propre traducteur. Cette virtuosit technique est ce qui a le plus frapp les imaginations. Et pourtant, lorsqu'on y rflchit, ce n'est pas ce qui est le plus surprenant dans ce procs.
Les apparences de la justice furent parfaitement sauvegardes. La dfense avait peu de droits, mais ces droits furent respects. Quelques auxiliaires zls du Ministre public furent rappels l'ordre pour s'tre permis de qualifier prmaturment les actes sur lesquels ils rapportaient. Le tribunal [30] interrompit l'expos du Ministre public franais, en raison de son caractre dloyal et diffus, et refusa d'en entendre la suite. Plusieurs accuss furent acquitts. Enfin les formes furent parfaites, et jamais justice plus discutable ne fut rendue avec plus de correction.
Car cette machinerie moderne, comme on sait, eut pour rsultat de ressusciter la jurisprudence des tribus ngres. Le roi vainqueur s'installe sur son trne et fait appeler ses sorciers : et, en prsence des guerriers assis sur leurs talons, on gorge les chefs vaincus. Nous commenons souponner que tout le reste est de la comdie et le public, aprs dix-huit mois, n'est dj plus dupe de cette mise en scne. On les gorge parce qu'ils ont t vaincus, Les atrocits qu'on leur reproche, tout homme juste ne peut viter de se dire qu'ils peuvent en reprocher d'aussi graves aux commandants des armes allies : les bombes au phosphore valent bien les camps de concentration. Un tribunal amricain qui condamne Gring mort n'a pas plus d'autorit, aux yeux des hommes, qu'un tribunal allemand qui aurait prtendu condamner Roosevelt. Un [31] tribunal qui fabrique la loi aprs s'tre install sur son sige nous ramne aux confins de l'histoire. On n'osait pas juger ainsi au temps de Chilpric. La loi du plus fort est un acte plus loyal. Quand le Gaulois crie Vae victis, au moins il ne se prend pas pour Salomon. Mais ce tribunal a russi tre une assemble de ngres en faux-col : c'est le programme de notre civilisation future. C'est une mascarade, c'est un cauchemar : ils sont habills en juges, ils sont graves, ils sont coiffs de leurs couteurs, ils ont des ttes de patriarches, ils lisent des papiers d'une voix doucereuse en quatre langues la fois, et en ralit ce sont des rois ngres, c'est un dguisement de rois ngres, et dans la salle glace et respectueuse, on peroit en sourdine le tambour de guerre des tribus. Ce sont des ngres trs propres et parfaitement moderniss. Et ils ont obtenu sans le savoir, dans leur navet de ngres, dans leur inconscience de ngres, ce rsultat qu'aucun d'eux, sans doute, n'avait prvu : ils ont rhabilit par leur mauvaise foi ceux-l mme dont la dfense tait presque impossible, et ils ont donn des millions d'Allemands rfugis [32] dans leur dsastre, grandis par leur dfaite et leur condition de vaincus le droit de les mpriser, eux. Gring,
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goguenard, savait bien qu'ils lui donnaient raison en toute chose, puisqu'ils sacrifiaient, avec leur panoplie de juges, la loi du plus fort dont il avait fait sa loi. Et Gring, en riant, regardait Gring dguis en juge juger Gring, dguis en forat.
Au surplus, l'aspect infrieur et extrieur de cette comdie judiciaire n'est pas ce qui nous intresse. Que le jugement des chefs allemands par les chefs amricains ait t une erreur politique, c'est un point dont une grande partie de l'opinion convient aujourd'hui, y compris une partie de la presse amricaine. Mais ce n'est qu'une erreur politique entre beaucoup d'autres. Que le tribunal de Nuremberg ait t, au fond, une forme de justice sommaire, c'est ce qui importe peu. Mais, au contraire, ce qui nous importe bien davantage, ce que nous reprochons bien davantage aux juges de Nuremberg, c'est de ne pas s'tre contents d'tre une justice sommaire : c'est leur prtention d'tre vritablement des juges que nous [33] contestons, c'est ce que leurs dfenseurs dfendent en eux que nous attaquons. Nous allons donc examiner leur prtention d'tre des juges. Nous appelons au tribunal de la vrit non pas des hommes d'Etat amricains commettant l'erreur de condamner l'homme d'Etat allemand qui a sign avec eux l'accord de capitulation, mais la conscience universelle sur son sige. Puisqu'ils disent qu'ils sont la sagesse, nous feindrons, en effet, de les prendre pour des sages; puisqu'ils disent qu'ils sont la loi, nous les accepterons un instant comme lgislateurs : pntrons donc la suite de MM. Shawcross, Justice Jackson et Rudenko dans les jardins du nouveau Droit : ce sont des terres peuples de merveilles.
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Commenons par remarquer qu'il ne nous est pas permis de les ignorer. Le voyage de dcouverte que nous allons faire a quelque chose d'mouvant puisque cet univers ne peut tre nglig. C'est celui dans lequel nous allons vivre. Ce sont les Allemands qui sont les accuss, mais c'est tout le monde et [34] finalement, c'est nous-mmes qui sommes les assujettis : car tout ce que nous ferons contre la jurisprudence de Nuremberg est dsormais un crime et pourra nous tre imput crime. Ce procs a dit la loi des nations, que nul n'est cens ignorer. Huit cent mille Chinois seront peut-tre pendus dans dix ans au nom du statut de Nuremberg, puisque deux cent mille Allemands sont bien dans des camps de concentration en l'honneur du pacte Briand-Kellog dont ils n'ont peut-tre jamais entendu parler.
La premire terrasse sur laquelle s'tendent les nouveaux jardins du Droit est une conception tout fait moderne de la responsabilit. Nous avions cru jusqu'ici que nous n'aurions rpondre que de nos propres actes et c'est sur ce principe que nous avions fond nos humbles religions. Ce principe est aujourd'hui dpass. Pour donner une base stable la morale des nations, on l'a fonde sur la responsabilit collective.
Entendons-nous sur ce point. Les juges de Nuremberg n'ont jamais dit que le peuple allemand tait collectivement responsable des actes du rgime national-socialiste, ils [35] ont mme plusieurs fois assur le contraire. Le peuple allemand est condamn tout entier par l'opinion des peuples civiliss, il fait horreur, mais les juges, eux, affectent la srnit et ne l'accusent pas officiellement en sa totalit. Toutefois, le Droit des peuples est comme l'impt, il lui faut une matire imposable : pour qu'il y ait un jugement, il faut
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d'abord qu'il y ait des coupables, et il est intolrable qu'on ne trouve finalement qu'une hirarchie, laquelle aboutit un seul chef responsable qui vous joue le mauvais tour de se suicider. C'est pourquoi le nouveau Droit dcrit d'abord les ressortissants. Sont coupables tous ceux qui font partie d'une "organisation criminelle".
Rien de plus raisonnable. C'est pourtant ici que commencent les difficults. Car ces notions du nouveau Droit ont toutes quelque chose de vague, elles sont dilatables l'infini. Une organisation criminelle a quelque chose de commun avec un roman policier : c'est la fin seulement que vous connaissez le coupable. Ainsi les cadres du parti national-socialiste constituent une organisation criminelle, mais les cadres du parti [36] communiste, qui leur ressemblent beaucoup, ne constituent pas une organisation criminelle. Les hommes, pourtant, ont dans les deux cas le mme temprament. Ils emploient les mmes mthodes, et dans les deux cas avec le mme fanatisme : ils se proposent galement la mme fin qui est la dictature du parti. Il n'y a donc rien dans leur composition, ou, comme disent les philosophes, dans leur essence, qui distingue ces deux groupements l'un de l'autre. Il n'y a rien dans leur conduite non plus, car l'historien prtend que les responsables du parti communiste ne sont pas plus mnagers de la vie et de la libert humaines que ne le furent les responsables du parti national-socialiste. Aurons-nous l'humiliation de conclure que nous condamnons les uns parce que nous les tenons sous notre botte et que nous ne faisons pas de procs aux autres parce qu'ils peuvent se moquer de nous ? C'est pourtant une hypothse que nous ne pouvons liminer. La juridiction internationale a un ressort limit aux pays faibles ou vaincus. Elle appelle inconvnient chez les peuples forts ce qu'elle appelle crime chez [37] les vaincus. Elle est radicalement diffrente de la juridiction pnale ou civile, en ce sens qu'elle ne peut pas atteindre certains actes et par consquent qu'elle est impuissante tablir une vritable qualification universelle des actes. Cette justice est comme la lumire du jour : elle n'claire jamais que la moiti des terres habites.
Son impuissance est son moindre dfaut. Car il y a de la bonne foi dans l'impuissance. Mais la loi internationale est esclave, en outre, des contingences politiques : il y a des condamnations qu'elle ne veut pas prononcer. Le corps des dirigeants politiques du parti communiste pourrait bien tre condamn sur le papier par un tribunal impuissant faire excuter sa sentence : ce serait moins grave que de voir un tribunal ignorer dlibrment l'assimilation vidente du corps des dirigeants communistes au corps des dirigeants nationaux-socialistes. Il est trop clair ici qu'il n'y a pas et qu'il ne peut pas y avoir une justice pour tous. Ce n'est plus "Selon que vous serez puissant ou misrable", mais : "Selon que vous serez dans l'un ou l'autre camp". On s'aperoit alors que [38] le caractre criminel est transpos de l'essence la finalit, et non pas mme la finalit vritable de l'organisation, sa finalit lointaine, puisque le tribunal est bien loin d'admettre officiellement le caractre progressiste de la dictature stalinienne, mais une finalit prochaine dont le tribunal est seul juge. Les mmes actes ne sont plus criminels par dfinition et en eux-mmes, ils sont ou ne sont pas criminels selon une certaine optique : les dportations qui servent finalement la cause de la dmocratie ne sont pas perues par la juridiction nouvelle comme des actes criminels, tandis que toute dportation est criminelle dans le camp des ennemis de la dmocratie. Ainsi le tribunal voit les actes avec un indice de rfraction, comme des btons qu'on regarde dans leau : sous un angle ils sont droits, sous un autre tortueux.
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Cela nous rend la vie bien difficile, nous autres particuliers. Car il en rsulte que personne n'est jamais bien sr de ne pas faire partie d'une organisation criminelle. Le cordonnier allemand, pre de trois enfants, ancien combattant de Verdun, qui a pris en [39] 1934 une carte du parti nazi, a t accus par le Ministre public de faire partie d'une organisation criminelle. Qu'est-ce que faisait d'autre le commerant franais, pre de trois enfants, ancien combattant de Verdun, qui tait entr au mouvement Croix de Feu ? L'un et l'autre croyaient appuyer une action politique propre assurer le relvement de leur pays. L'un et l'autre ont accompli le mme acte : et pourtant l'vnement a donn chacun de ces actes une valeur diffrente. L'un est un patriote ( condition qu'il ait cout la radio anglaise, bien entendu), mais l'autre est accus par les reprsentants de la conscience universelle.
Ces difficults sont d'une extrme gravit. Le sol se drobe sous nos pas. Nos savants juristes ne s'en rendent peut-tre pas compte, mais ils rallient l une conception tout fait moderne de la justice, celle qui a servi de base en U.R.S.S. aux procs de Moscou. Notre conception de la justice avait t jusqu' prsent romaine et chrtienne : romaine, en ce qu'elle exige que tout acte punissable reoive une qualification invariable qui se rattache l'essence mme de l'acte, o qu'il [40] soit commis et par qui qu'il soit commis; chrtienne en ce que l'intention devait toujours tre prise en considration, soit pour aggraver, soit pour attnuer les circonstances de l'acte qualifi crime. Mais il existe une autre conception de la culpabilit qui peut tre dite marxiste pour plusieurs raisons, laquelle consiste penser que tel acte qui n'tait pas coupable en soi ni par son intention, au moment o il a t commis, peut apparatre lgitimement comme coupable dans une certaine optique postrieure des vnements. Je ne fais pas ici d'assimilation. Les marxistes sont de bonne foi en disant cela, car ils vivent dans une sorte de monde non euclidien o les lignes de l'histoire apparaissent groupes et dformes, ou, comme on voudra, harmonises par la perspective marxiste. Tandis que MM. Shawcross et Justice Jackson, procureurs anglais et amricain, vivent dans un monde euclidien, o tout est sr, o tout est clair, o tout devrait l'tre au moins, et o les faits devraient tre les faits et rien de plus. C'est leur mauvaise foi seule qui nous transporte dans un monde o rien n'est sr. Nos [41] intentions ne comptent plus, nos actes mme ne comptent plus, ce que nous sommes rellement ne compte plus, mais notre propre histoire, et notre propre vie, peut tre dsormais ptrie, tire, souffle, par une sorte de dmiurge politique, par un potier qui lui prtera une forme qu'elle n'a jamais eue. Chacune de nos actions dans le monde qui se prpare est comme une bulle de savon que l'histoire tient au bout de son chalumeau: elle peut lui donner la forme et la coloration qu'elle veut finalement, et le juge s'avance alors et nous dit: "Vous n'tes plus un cordonnier allemand ou un commerant franais comme vous avez cru l'tre, vous tes un monstre, vous avez appartenu une association de malfaiteurs, vous avez particip un complot contre la paix, comme l'indique trs clairement la section premire de mon acte d'accusation."
Que rpondrons-nous aux Allemands s'ils nous disent un jour qu'ils ne voient rien de monstrueux dans le national-socialisme lui-mme, que des excs ont pu tre commis par ce rgime comme il s'en produit dans toutes les guerres et chaque fois qu'un [42] rgime doit confier des lments de police la tche de le protger contre le sabotage, mais que rien de tout cela ne touche l'essence du national-socialisme et qu'ils continuent penser qu'ils ont lutt pour la justice et pour la vrit, pour ce qu'ils regardaient alors et continuent regarder comme la justice et la vrit? Que rpondrons-nous ces hommes
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auxquels nous avons fait une guerre de religion ? Ils ont leurs saints eux aussi, que rpondrons-nous leurs saints ? Quand l'un d'entre eux nous rappellera cette immense moisson de grandeur et de sacrifice que la jeune Allemagne a offerte de toutes ses forces, quand ces milliers d'pis si beaux nous seront prsents, devant la moisson nouvelle, que dirons-nous, nous complices des juges, complices du mensonge? Nous avons jug au nom d'une certaine notion du Progrs humain. Qui nous garantit que cette notion est juste ? Ce n'est qu'une religion comme une autre. Qui nous garantit que cette religion est vraie ? La moiti des hommes nous dit dj qu'elle est fausse, qu'ils sont prts eux aussi mourir comme tmoins d'une autre foi. Qu'est [43] ce qui tait vrai alors ? Est-ce notre religion ou celle des rpubliques socialistes sovitiques ? Et si dj personne ne peut savoir quels sont parmi les juges ceux qui dtenaient la vrit, que vaut cet absolu au nom duquel nous avons rpandu la destruction et le malheur ? Qu'est-ce qui nous prouve que le national-socialisme n'tait pas aussi la vrit ? Qu'est-ce qui nous prouve que nous n'avons pas pris pour l'essentiel des contingences, des accidents invitables de la lutte, comme nous le faisons pour le communisme peut-tre, ou plus simplement, si nous avions menti? Et si le national-socialisme avait t, en ralit, la vrit et le progrs, ou du moins, une forme de la vrit et du progrs ? Si le monde futur ne pouvait se construire que par un choix entre le communisme et le nationalisme autoritaire, si la conception dmocratique n'tait pas viable, si elle tait condamne par lhistoire ? Nous admettons qu'on peut craser des villes pour faire triompher l'essentiel, pour sauver la civilisation : et si le national-socialisme tait lui aussi un de ces chars qui portent les dieux et dont les roues doivent s'il le faut passer sur [44] des milliers de corps ? Les bombes ne prouvent rien contre une ide. Si nous crasons un jour la Russie sovitique, le communisme sera-t-il moins vrai ? Qui peut tre sr que Dieu est dans son camp ? Au fond de ce dbat, il n'y a qu'une glise qui accuse une autre glise. Les mtaphysiques ne se prouvent pas.
Mais ces questions nous entraneraient trop loin. Elles n'ont qu'une raison d'tre cette place, c'est qu'elles nous font comprendre d'une autre manire et une fois de plus que la situation des vainqueurs est dramatique et prcaire, et que l'injustice leur est absolument ncessaire. C'est une autre affaire Dreyfus. Si l'accus est innocent, leur monde bascule sur ses bases. Prenons-y garde en les coutant, et revenons nos mditations judiciaires, c'est--dire ce cordonnier allemand qui s'est trouv tre, sans le savoir, complice d'une association de malfaiteurs la suite de son passage dans un appareil judiciaire qui ressemble beaucoup aux glaces dformantes du muse Grvin.
On constatera, en continuant, que cette nouvelle manire de concevoir la justice fait [45] apparatre un recul du monde chrtien, qui n'tait pas rigoureusement un monde euclidien c'est le monde romain, c'est le droit romain qui est euclidien mais qui nous apportait la possibilit de correction inverse. Dans la conception chrtienne de la justice, l'homme pouvait toujours plaider l'intention. Mme si ses propres actions l'pouvantaient lui-mme : car le phnomne d'optique qui prend tant d'importance dans le Droit nouveau existe dans la ralit. A un dtour que fait l'vnement, nos actions peuvent nous apparatre avec une physionomie que nous ne reconnaissons plus. Les actions trangres qui les entourent colorent leur apparence. Des actes dont nous sommes irresponsables psent par leur proximit sur le secteur de notre propre responsabilit. Ce qui a t nous-mme est alors transform par les jeux de l'ombre et de la lumire et de la distance. Un tranger surgit dans le pass et cet tranger est nous-
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mme. La justice chrtienne tait cet gard un droit de restitution de la personnalit contre le droit romain qui est gomtrique, scientifique, matriel. Elle avait prouv l'existence de [46] cette perspective de l'vnement et elle donnait l'homme le droit de scrier : "Je n'avais pas voulu cela !" Elle avait mme introduit dans la justice un lment psychologique qui permettait d'opposer la matrialit des faits une matrialit psychologique qui souvent les contredit. La justice humaine tait devenue avant tout une recherche des causes. Elle se rapprochait au plus prs de laction : elle se penchait sur les visages. Il suffit de rappeler ces principes pour voir tout ce que nous avons effac d'un coup. Nuremberg ne veut plus voir les visages. Nuremberg ne veut mme pas individualiser les actes : Nuremberg voit des masses, pense par masses et statistiques et livre au bras sculier. On ne juge plus, c'est pass de mode, on monde, on coupe.
Cette transformation de la justice s'est faite avec l'appui des chrtiens eux-mmes, ou du moins de certains d'entre eux, et pour la plus grande gloire de Dieu. Il s'agissait, on s'en souvient peut-tre, de la dfense de la personne humaine. Je ne suis pas sr que ces chrtiens se soient [47] rendus compte que cette rgression du Droit tait une abdication de la pense chrtienne elle-mme, qu'ils effaaient par cette coopration le patient travail d'intgration de la prdication du Christ au droit romain, et qu'ils renforaient au contraire des positions qu'ils n'ont cess de dnoncer. Ces faux mouvements causs par la passion et par la peur ont des consquences plus graves qu'on ne croit d'abord. L'Eglise se constitue aujourd'hui en dfenseur des personnes devant des gouvernements qui n'ont fait qu'appliquer chez eux une rgle dont le jugement de Nuremberg avait proclam l'universalit. Elle retrouve en ceci la continuit de la tradition chrtienne. Mais alors, ne devra-t-elle pas s'lever un jour contre les quivoques, condamner les condamnations collectives partout o elles ont t prononces et non plus seulement en certains pays d'Europe et retirer au nouveau Droit issu de Nuremberg l'adhsion qu'elle semblait d'abord lui avoir donne ? Il faut choisir de parler comme le Christ ou comme M. Franois de Menthon.
Il faut reconnatre cependant que nos [48] juristes ont des remdes tout et mme la vie dangereuse qu'ils nous forcent maintenant mener. A la vrit, ces remdes ne sont pas crits dans le verdict, ils n'ont pas t rvls l'audience; ils ressortent du contexte, de l'esprit de Nuremberg si l'on peut dire, enfin de la manire dont ce jugement a t prsent et comment. Mais notre exgse serait-elle complte si nous ngligions ces conseils qui nous sont prodigus par des voix autorises la sortie de laudience ? Nous avons appris depuis trois ans que les commentaires des chroniqueurs judiciaires n'avaient pas moins d'influence sur le destin des accuss que les articles inscrits dans le Code.
Voyez-vous, disent les scoliastes de nos nouveaux juristes, il y a un moyen bien simple de reconnatre si l'organisation laquelle vous appartenez risque d'tre un jour dclare criminelle. Vous devez essentiellement vous dfier de l'nergie. Si vous subodorez quelque part l'adjectif nationaliste, si l'on vous invite tre les matres chez vous, si l'on vous parle d'unit, de discipline, de force, de grandeur, vous ne pouvez nier qu'il [49] n'y ait l un vocabulaire peu dmocratique, et par consquent vous risquez de voir un jour votre organisation devenir criminelle. Dfiez-vous donc des mauvaises penses, et sachez que ce que nous appelons criminel est toujours jalonn par les mmes intentions.
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[49] Les scoliastes sont ici d'accord avec le verdict. Le Jugement qui figure au premier tome du Procs, constate l'existence d'un "complot ou plan concert contre la paix". Cette dclaration soulve bien des gloses. Mais il est clair, en tous cas, que le complot commence avec l'existence du parti : c'est le parti lui-mme qui est l'instrument du complot, et, en dfinitive, le complot. Cette dcision a des consquences singulires. Elle quivaut, en ralit, l'interdiction de s'associer pour certaines revendications et en acceptant certaines mthodes. C'est bien ce que veut dire le tribunal: vous vous exposiez, dit-il, commettre un jour des crimes contre la paix ou des crimes contre l'humanit, et vous ne pouvez prtendre que vous l'ignoriez puisqu'on vous avait crit Mein Kampf. C'est donc, en dfinitive, sur le programme du parti qu'est porte la [50] condamnation, et par l le jugement constitue pour l'avenir un empitement sur toutes les souverainets nationales. Votre gouvernement est mauvais, disent nos juristes, vous tes libres de le changer : mais vous n'avez le droit de le changer qu'en suivant certaines rgles. Vous pensez que l'organisation du monde n'est pas parfaite : vous pouvez essayer de la modifier, mais il vous est interdit de vous rclamer de certains principes. Or il se trouve que les rgles qu'on nous impose sont celles qui perptuent l'impuissance ou que les principes auxquels on nous interdit de songer sont ceux qui dtruiraient le dsordre.
Cette accusation de complot est une excellente invention. Le monde est dsormais dmocratique perptuit. Il est dmocratique par dcision de justice. Dsormais un prcdent judiciaire pse sur toute espce de renaissance nationale. Et ceci est infiniment grave, car, en ralit, tout parti est par dfinition un complot ou plan concert, puisque tout parti est une association d'hommes qui se proposent de prendre le pouvoir et d'appliquer leur plan qu'ils appellent programme, [51] ou, du moins, la plus grande partie de ce plan. La dcision de Nuremberg consiste donc faire une slection pralable entre les partis. Les uns sont lgitimes et les autres suspects. Les uns sont dans la ligne de l'esprit dmocratique et ils ont le droit en consquence de prendre le pouvoir et d'avoir un plan concert, car on est sr que ce plan concert ne menacera jamais la dmocratie et la paix. Les autres, au contraire, n'ont pas le droit au pouvoir et par consquent il est inutile qu'ils existent : il est entendu qu'ils contiennent en germe toutes sortes de crimes contre la paix et l'humanit. Aprs cela, ce qui est tonnant, c'est que les Amricains ne comprennent pas la politique de M. Gottwald: car M. Gottwald ne fait rien d'autre que d'appliquer dans son pays les sages prcautions suggres par le nouveau Droit, en donnant seulement au mot dmocratique un sens un peu particulier.
Il y a donc dans ce simple nonc un principe d'ingrence. Or, cette ingrence a ceci de particulier qu'elle ne traduit pas, ou du moins ne semble pas traduire une volont identifiable. Ce n'est pas telle grande [52] puissance en particulier ou tel groupe de grandes puissances qui s'oppose la reconstitution des mouvements nationalistes, c'est une entit beaucoup plus vague, c'est une entlchie sans pouvoirs ni bureaux, c'est la conscience de l'humanit. "Nous ne voulons pas revoir cela" dit la conscience de l'humanit. Cela, comme nous le verrons, personne ne sait exactement ce que c'est. Mais cette voix de l'humanit est bien commode. Cette puissance anonyme n'est qu'un principe d'impuissance. Elle n'impose rien, elle ne prtend rien imposer. Qu'un mouvement analogue au national-socialisme se reconstitue demain, il est bien sr que l'O.N.U. n'interviendra pas pour en demander la suppression. Mais la conscience universelle approuvera tout gouvernement qui prononcerait l'interdiction d'un tel parti, ou, pour sa commodit, de tout parti qu'il accuserait de ressembler au national-
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socialisme. Toute rsurrection nationale, toute politique de l'nergie ou simplement de la propret, est ainsi frappe de suspicion. On a donn une entorse aux consciences et maintenant on nous regarde boiter. Qui a fait cela ? Qui a [53] voulu cela ? C'est Personne comme criait le Cyclope. Le super-Etat n'existe pas, mais les vetos du super-Etat existent : ils sont dans le verdict de Nuremberg. Le super-Etat fait le mal qu'il peut faire avant d'tre capable de rendre des services. Le mal qu'il peut faire c'est de nous dsarmer contre tout, contre ses ennemis aussi bien que contre les ntres.
C'est une situation singulire. Nous sommes dsarms et menacs par une ide et rien d'autre qu'une ide. Rien n'est interdit, mais nous sommes prvenus qu'une certaine orientation n'est pas bonne. Nous sommes invits prparer en nous certaines sympathies et installer en nous plusieurs refus dfinitifs. On nous apprend conjuguer des verbes, comme aux enfants : "M. Mandel est un grand patriote, M. Roosevelt est un grand citoyen du monde, M. Jean-Richard Bloch est un grand crivain, M. Benda est un penseur", et inversement : "Je ne serai jamais raciste, j'aimerai bien M. Kriegel-Valrimont, je maudirai ternellement les SS, Charles Maurras et Je Suis Partout." Et ceux dont l'esprit n'est [54] pas susceptible de ces sympathies ou qui rejettent ces refus ? Ceux dont le cur rpond d'autres appels, ceux dont l'esprit ne pense qu' travers d'autres catgories, ceux qui sont faits autrement ? J'ai la mme impression ici qu'en lisant certains textes marxistes : ces gens-l n'ont pas le cerveau fait comme le mien, c'est une autre race. Et ce rapprochement nous met sur la voie. Il y a un monde clos de l'idalisme dmocratique qui est du mme ordre que le monde clos du marxisme. Ce n'est pas tonnant si leurs mthodes arrivent concider, si leur justice finit par tre la mme bien que les mots n'aient pas chez eux le mme sens. C'est aussi une religion. C'est la mme entreprise sur les mes. Quand ils condamnent le nationalisme, ils savent bien ce qu'ils font. C'est le fondement de leur Loi. Ils condamnent votre vrit, ils la dclarent radicalement fausse. Ils condamnent notre sentiment, nos racines mme, notre manire la plus profonde de voir et de sentir. Ils nous expliquent que notre cerveau n'est pas fait comme il faut : nous avons un cerveau de barbares.
[55] Cette mise en garde permanente nous prpare une forme de vie politique que nous ne devons pas ignorer et que d'ailleurs trois ans d'exprience continentale ne nous permettent pas d'ignorer La condamnation du parti national-socialiste va beaucoup plus loin qu'elle n'en a l'air. Elle atteint, en ralit, toutes les formes solides, toutes les formes gologiques de la vie politique. Toute nation, tout parti qui se souviennent du sol, de la tradition, du mtier, de la race sont suspects. Quiconque se rclame du droit du premier occupant et atteste des choses aussi videntes que la proprit de la cit offense une morale universelle qui nie le droit des peuples rdiger leurs lois. Ce n'est pas les Allemands seulement, c'est nous tous qui sommes dpossds. Nul n'a plus le droit de s'asseoir dans son champ et de dire : "Cette terre est moi". Nul n'a plus le droit de se lever dans la cit et de dire : "Nous sommes les anciens, nous avons bti les maisons de cette ville, que celui qui ne veut pas obir aux lois sorte de chez moi". Il est crit maintenant qu'un concile d'tres impalpables a le pouvoir de connatre ce qui se passe dans nos [56] maisons et dans nos villes. Crimes contre lhumanit : cette loi est bonne, celle-ci n'est pas bonne. La civilisation a un droit de veto.
Nous vivions jusqu'ici dans un univers solide dont les gnrations avaient dpos l'une aprs l'autre les stratifications. Tout tait clair : le pre tait le pre, la loi tait la
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loi, l'tranger tait l'tranger. On avait le droit de dire que la loi tait dure, mais elle tait la loi. Aujourd'hui ces bases certaines de la vie politique sont frappes d'anathme. Car ces vrits constituent le programme d'un parti raciste condamn au tribunal de l'humanit. En change, l'tranger nous recommande un univers selon ses rves. Il n'y a plus de frontires, il n'y a plus de cits. D'un bout l'autre du continent, les lois sont les mmes, et aussi les passeports, et aussi les juges, et aussi les monnaies. Une seule police et un seul cerveau : le snateur du Milwaukee inspecte et dcide. Moyennant quoi, le commerce est libre, enfin le commerce est libre. Nous plantons des carottes qui par hasard ne se vendent jamais bien et nous achetons des machines biner qui se trouvent toujours coter trs cher. Et nous [57] sommes libres de protester, libres, infiniment libres, d'crire de voter, de parler en public, pourvu que nous ne prenions jamais des mesures qui puissent changer tout cela. Nous sommes libres de nous agiter et de nous battre dans un univers d'ouate. On ne sait pas trs bien o finit notre libert, o finit notre nationalit, on ne sait pas trs bien o finit ce qui est permis. C'est un univers lastique. On ne sait plus o l'on pose ses pieds, on ne sait mme plus si l'on a des pieds, on se trouve tout lger, comme si l'on avait perdu son corps. Mais pour ceux qui consentent cette simple ablation que d'infinies rcompenses, quelle multitude de pourboires ! Cet univers qu'on fait briller nos yeux est pareil quelque palais d'Atlantide. Il y a partout des verroteries, des colonnes de faux marbre, des inscriptions, des fruits magiques. En entrant dans ce palais vous abdiquez votre pouvoir, en change vous avez le droit de toucher les pommes d'or et de lire les inscriptions. Vous n'tes plus rien, vous ne sentez plus le poids de votre corps, vous avez cess d'tre un homme : vous tes un fidle de la religion de l'Humanit. Au fond du sanctuaire est [58] assis un dieu ngre. Vous avez tous les droits sauf de dire du mal du dieu.
* * * * *
La deuxime section de l'acte d'accusation concerne les "crimes contre la paix".
Comme on le sait, les Nations Unies accusent le gouvernement allemand d'avoir provoqu la guerre mondiale en envahissant le territoire polonais, invasion qui fora la France et l'Angleterre se dclarer en tat de guerre avec l'Allemagne conformment leurs engagements. Elles rendent en outre le gouvernement allemand responsable de l'extension de cette guerre en raison de ses agressions l'gard de pays neutres. L'accusation prtend tablir, de plus, la prmditation au moyen de deux documents confidentiels dcouverts dans les archives allemandes, documents dont il n'y a pas lieu de nier l'authenticit, tant donnes les prcautions qui ont t prises pour leur identification. L'un est connu sous le nom de note Hossbach, l'autre sous le nom de dossier Schmundt.
[59] La note Hossbach est le procs-verbal rdig par l'officier d'ordonnance d'Hitler d'une confrence tenue la chancellerie le 5 novembre 1937, devant les principaux chefs nazis, et qu'on prsente comme le testament politique d'Hitler. C'est un expos, d'ailleurs trs dramatique, de la thorie du Lebensraum et de ses consquences. Hitler y montre l'Allemagne nationale-socialiste voue l'asphyxie et condamne trouver des terres, il dsigne l'Est comme la route de la ncessaire expansion coloniale du
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Reich, et il dmontre que cette expansion ne peut se faire que par une srie de guerres de conqutes auxquelles l'Allemagne se trouve inexorablement contrainte. Nous aurons faire plus loin des commentaires sur cet expos. S'il doit tre interprt comme l'a interprt l'accusation mais les accuss et en particulier Gring contestent cette interprtation, il apporterait la preuve qu'Hitler voyait et acceptait la possibilit de la guerre.
Le dossier Schmundt est le procs-verbal, galement rdig par l'officier d'ordonnance d'Hitler cette date le colonel [60] Schmundt d'une confrence tenue la chancellerie le 23 mai 1939 en prsence des chefs du parti et des responsables de l'tat-major. Cette confrence est constitue essentiellement par un expos d'Hitler qui affirme le caractre invitable d'une guerre avec la Pologne comme premier acte de l'action d'expansion coloniale: en tudiant les consquences de cette guerre, Hitler en prvoit l'extension l'Europe toute entire, et il fait comprendre ses gnraux, par une analyse aussi dramatique que la prcdente, que la guerre qui va s'engager n'est pas une opration locale, mais qu'elle sera vraisemblablement le dbut d'une lutte mort avec l'Angleterre, dont personne ne peut prvoir l'issue. L encore, des rserves et des commentaires s'imposent et la dfense conteste galement la porte du document Schmundt. Sous cette rserve, le dossier Schmundt a le mme sens que la note Hossbach dont il ne prsente au fond qu'une application. Il prouverait de la mme manire qu'Hitler n'ignorait pas les consquences de sa politique et acceptait la possibilit de la guerre europenne, tout en conservant l'espoir qu'il [61] pourrait y chapper. Si ces documents ont t correctement interprts, il est difficile de soutenir que l'Allemagne ne porte aucune part de responsabilit dans la guerre.
L'accusation produit galement un trs grand nombre de confrences d'tat-major, de plans de campagne et des tudes d'oprations dont nous ne pouvons donner ici le dtail, et dans lesquels elle voit galement des preuves de la prmditation. Comme ces documents ont un caractre moins sensationnel que les dossiers Hossbach et Schmundt et que d'autre part, il est souvent difficile de distinguer l'tude thorique d'une hypothse tactique et le plan d'opration qu'on peut prsenter comme un commencement d'action ou une prmditation caractrise, nous pensons qu'il suffit de signaler au lecteur l'existence de ces documents sans les discuter.
Les historiens allemands devront reconnatre, en outre, que les armes allemandes ont pntr les premires en territoire polonais, sans que le gouvernement allemand et laiss aux ngociations entreprises le temps de se dvelopper. Ils ne manqueront pas de [62] mettre en lumire les sanglantes provocations polonaises que l'accusation passe sous silence et de soutenir le caractre fallacieux des ngociations que le cabinet anglais conduisit, semble-t-il, avec l'espoir de les voir chouer; ils diront aussi que le gouvernement polonais s'est efforc d'empcher les ngociations et l'accord. Ce sont l des circonstances capitales qu'aucun jugement sur les responsabilits de la guerre ne devrait omettre et que le tribunal de Nuremberg a certainement tort de ne pas mentionner. Il n'en est pas moins vrai que c'est l'arme allemande qui a tir les premiers coups de canons. Le 1er septembre 1939 un tlgramme pouvait encore tout sauver : ce tlgramme ne pouvait partir que de Berlin.
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Ceci dit, voici o commence la mauvaise foi. D'un ct, on fouille toutes les archives, on sonde les murs, on scrute les conseils, on utilise les confidences : tout est jour, les conversations les plus secrtes des hommes d'Etat allemands sont exposes sur la table des preuves, on n'a mme pas oubli les coutes tlphoniques. De l'autre ct, le silence. On reproche l'tat-major allemand des [63] tudes d'oprations qu'on a retrouves dans ses archives : vous prpariez la guerre, lui dit-on. A qui fera-t-on croire que, pendant le mme temps, les autres tats-majors europens ne faisaient aucun plan, ne se prparaient faire face aucun cas stratgique ? A qui fera-t-on croire que les hommes d'Etat europens ne se concertaient pas ? A qui fera-t-on croire que les tiroirs de Londres et de Paris sont vides et que les prparatifs allemands ont surpris des agneaux qui ne songeaient qu' la paix ? Lorsque la dfense demande au Tribunal dposer des documents analogues sur la politique franaise d'extension de la guerre, sur la politique anglaise d'extension de la guerre, sur les plans de l'tat-major franais, sur les crimes de guerre allis, sur les instructions donnes par l'tat-major anglais aux commandos, sur la guerre de partisans en Russie, on lui rpond que cela n'intresse pas le tribunal et que la question souleve "est absolument hors de propos". Ce ne sont pas les Nations Unies qui sont mises en accusation, leur dit-on. C'est fort juste : mais alors pourquoi appeler histoire ce qui n'est qu'un savant [64] clairage de scne ? L encore, il n'y a que la moiti de la terre qui est claire. C'est en se fondant sur de telles apparences qu'on niait autrefois que la terre ft ronde. L'histoire commence quand on rpartit galement la lumire, quand chacun dpose ses documents sur la table et dit : jugez. En dehors de cela, il n'y a que des oprations de propagande. Est-il honnte d'accepter cette prsentation des faits, tait-il honorable de la mutiler ainsi ? Il est plus juste et finalement plus conforme l'intrt de nos propres pays de dire tout de suite que cette mobilisation des archivistes ne nous en impose pas.
Car cette science de l'clairage ne prvaudra point contre l'vidence. C'est l'Angleterre qui s'est dclare en tat de guerre avec l'Allemagne le 3 septembre 1939, 11 heures du matin. C'est la France qui a fait la mme dclaration 5 heures du soir. L'Angleterre et la France avaient des raisons de droit pour faire cette notification. Mais enfin, il est certain qu'elles l'ont faite. On est mal plac pour rejeter toute responsabilit dans une guerre quand on a fait savoir, le premier, [65] un autre Etat, qu'on se regardait comme en tat de guerre avec lui. Au surplus, il y avait en France et en Angleterre un parti de la guerre. On ne nous le cache pas aujourd'hui. On reproche des hommes d'Etat d'avoir t munichois, c'est--dire d'avoir recherch un arrangement : c'est donc qu'on ne voulait pas d'arrangement, c'est qu'on acceptait, et mme qu'on souhaitait cette guerre. Ceci vaut bien la note Hossbach, il me semble. Enfin, tout le monde sait qu'aprs la dfaite de la Pologne, l'Allemagne chercha entamer des ngociations sur la base du fait accompli. C'tait peut-tre fort immoral, mais c'tait encore un moyen d'viter une guerre europenne. Ces ouvertures ne furent pas acceptes. On tenait cette guerre, on tait bien dcid ne pas la lcher. Ce sont l des vidences un peu trop fortes pour tre discrtement relgues. Malgr la mise en scne de Nuremberg, l'avenir rtablira aisment la vrit : Hitler a accept de risquer une guerre pour une conqute qu'il jugeait vitale, l'Angleterre a dcid de lui imposer la guerre pour prix de cette conqute. Hitler pensait dclencher au [66] maximum une opration militaire locale; l'Angleterre en a fait sortir volontairement une guerre mondiale.
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Un mot encore pour en finir avec l'examen de nos griefs. L'accusation a consacr d'importants exposs aux agressions qui eurent lieu pendant le droulement des oprations. Sur ce point, si l'on se borne constater des faits, la position de l'accusation est trs solide. Ces agressions sont certaines. Mais a-t-on le droit de prsenter, exactement sur le mme plan, exactement comme des actes de la mme gravit, des agressions stratgiques et le dclenchement d'une guerre mondiale ? Il est assurment contraire au droit, la justice, aux traits, de faire surgir quatre heures du matin une division blinde Copenhague ou Oslo, mais est-ce un acte du mme ordre de grandeur, est-ce un acte de la mme essence, que de prendre la responsabilit de mettre le feu lEurope ? Les vrais responsables de la guerre sont indirectement responsables dans la mme mesure des oprations locales offensives que le droulement de la guerre rendait invitables. Si l'Angleterre n'avait pas dclar la guerre, la [67] Norvge n'aurait jamais t occupe. C'est le 3 septembre que Copenhague et Oslo ont commenc trembler.
Et l encore, la rflexion, on ne peut s'empcher d'tre gn par certaines comparaisons. Quand un diplomate anglais intrigue pour obtenir certains accords conomiques ou pour provoquer ou entretenir certaines dispositions politiques, c'est un libre jeu d'influences, ce n'est pas une agression, ce n'est pas une pression, ce n'est rien d'incorrect l'gard de la loi internationale : et pourtant, n'est-ce pas une sorte de balisage de la carte politique, la cration d'une zone d'influence sans intervention militaire ? Et lorsque le mme diplomate ne se contente plus de suggrer, de conseiller, mais provoque brusquement une crise ministrielle qui a pour rsultat le renvoi des ministres germanophiles, c'est toujours le mme jeu libre des influences, cela ne s'appelle pas non plus un acte dingrence : et pourtant n'est-ce pas une installation politique camoufle, analogue ces interventions qu'on reproche maintenant au rgime sovitique ? Et quelle garantie peut-on avoir que cette installation [68] politique ne prparera pas, et ne prcdera pas l'installation militaire ? Il est si facile de se faire appeler au secours. La presse britannique, qui est fort indigne de ces procds quand ils sont le fait des diplomates sovitiques ou allemands, a toujours tendance les trouver fort naturels quand ils sont employs par l'ambassade britannique. Il y a l videmment une lacune de la loi internationale, et une lacune fort difficile combler. Mais alors, il faut en accepter les consquences. Les agressions qu'on reproche l'Allemagne (je mets part l'attaque de la Russie) sont, en ralit, des interventions prventives. L'Angleterre n'a pas fait autre chose en Syrie, par exemple. Il y a, en cas de guerre, une fatalit des zones faibles. Un territoire mal dfendu est une proie : il s'agit d'tre le premier occupant. La correction absolue serait une abstention totale : c'est l'esprit de la loi internationale, mais elle est, en ce domaine, peu prs impossible appliquer. Les mthodes diplomatiques tournent la loi, les mthodes stratgiques l'ignorent. Mais tout cela se vaut finalement. Il n'est pas bon [69] d'tre un neutre stratgiquement intressant.
Ainsi, dans ce domaine o les faits paraissent accabler le gouvernement allemand, on s'aperoit que la ralit ne fut pas si simple. Prsenter les faits sans contexte, c'est une manire de mentir. Il n'existe pas de fait brut, il n'existe pas de document sans circonstances : ignorer systmatiquement ces circonstances, c'est travestir la vrit. Nos mensonges ne seront pas ternels. Demain la nation allemande lvera la voix son tour. Et nous savons dj que le monde sera contraint de tenir compte de cette voix. Elle nous dira que si Hitler a bien attaqu la Pologne, d'autres hommes avec angoisse, attendaient cette attaque, souhaitaient cette attaque, priaient pour qu'elle et lieu. Ces hommes
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s'appelaient Mandel, Churchill, Hore Belisha, Paul Reynaud. L'alliance judo-ractionnaire voulait "sa" guerre, qui tait pour elle une guerre sainte : elle savait que seule une agression caractrise lui permettrait d'entraner l'opinion. Les archivistes allemands n'auront gure de peine nous prouver qu'ils mnagrent [70] froidement les conditions de cette agression. Craignez le jour o l'on crira l'histoire de cette guerre. A ce moment-l apparatra clairement le contexte des agressions locales. Le silence des Allis deviendra leur propre accusation. On verra qu'ils ont omis de dire que leurs manuvres et leurs intrigues ont rendu les interventions invitables. Leur hypocrisie paratra en pleine lumire. Et leur norme machine juridique se retournera contre eux parce qu'on aura reconnu sa malhonntet. Car celui qui verse le poison n'est pas moins coupable que celui qui frappe. Or, les mthodes de Nuremberg sont une belle chose. L'absence de tout document alli permet de nier le poison, et la loi internationale permet de dsigner comme coupable celui qui arrive le premier. C'est la combinaison de deux malhonntets, l'une portant sur l'enqute, l'autre provenant du code. Avec une loi mal faite et des policiers malhonntes, nous savons qu'on peut aller loin. Cette vrit nous a t dmontre pour notre propre compte.
Nous voici donc amens cette premire conclusion que le procs de Nuremberg n'est [71] pas un pur cristal. Le complot national-socialiste aboutissait une Allemagne forte, mais cette Allemagne forte ne conduisait pas ncessairement la guerre; elle demandait le droit de vivre, elle le demandait par des mthodes qui taient irritantes, mais on pouvait causer. L'Allemagne tait en tat permanent de rbellion contre la contrainte internationale, elle n'tait pas en tat permanent de crime contre la paix. Le dclenchement de la guerre est d un concours de circonstances beaucoup plus complexe que ne le dit la version officielle. Tout le monde y a eu sa part. Et tout le monde avait aussi d'excellentes raisons : l'U.R.S.S. de ne penser qu' elle et de vouloir viter un pige, l'Angleterre et la France de donner un coup d'arrt dfinitif, l'Allemagne de vouloir briser une politique d'touffement. Et tout le monde aussi avait des arrire-penses. Ne serait-il pas plus sage d'en faire la confession gnrale ? Personne n'est innocent dans cette affaire, mais il y a des choses qu'on ne tient pas expliquer : c'est bien plus commode d'avoir un criminel.
[72] Notre propagande a donc menti par omission et altration dans la description de la responsabilit de la guerre. Et d'autre part, si l'on remonte des faits aux principes, on s'aperoit que pour asseoir l'accusation nous avons t amens ressusciter un systme qui n'avait jamais pu fonctionner et que les faits ont maintes fois condamn, soutenir contre l'exprience et la nature des choses une thorie chimrique et dangereuse qui nous place dans l'avenir devant d'inextricables difficults. Ce systme a un avantage : il nous permet de nous justifier. Mais pour nous offrir cette satisfaction, nous risquons toutes les consquences mortelles des ides fausses. Car on peut falsifier lhistoire : mais la ralit ne se laisse pas forcer si aisment.
Ce systme est celui de la paix indivisible et de l'irrvocabilit des traits. C'est une espce de conception gologique de la politique. On suppose que le monde politique qui a t en fusion pendant un certain nombre de sicles comme la surface de notre plante a atteint tout d'un coup sa phase de refroidissement. Il l'a atteinte en vertu d'une dcision des diplomates. La masse des [73] nergies est suppose s'tre solidifie; elle s'est solidifie suivant certaines lignes de force dfinitives; cette physionomie immuable du
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monde politique, cette coule de lave dsormais fixe et ternelle est ce qu'on appelle l'armature des traits. Si une faille s'ouvre, si un glissement se produit quelque part, nous devons tous venir au secours car toute la crote terrestre est menace. L'histoire des empires est close. Dsormais il n'y a plus que des quipes volantes de sauveteurs qu'on appelle pour des travaux de terrassement et de consolidation.
Ce solennel arrt de l'histoire tant gnralement proclam au lendemain d'un cataclysme, voici ce que cela donne dans la ralit. Une nation est vaincue dans une guerre, on occupe son territoire, on pille ses usines, on lui rend toute vie impossible, puis on lui dit : signez seulement ce trait, et nous nous en allons, vous tes chez vous, la vie recommence. Cette loquence est persuasive. On finit toujours par trouver un chef de gouvernement qui signe : il se couvre la tte de cendres, il pleure, il jure que sa main est force, il en appelle au tnbreux et sonore [74] avenir, mais il signe : Ds lors, c'est fini. Shylock tient sa livre de chair. Ce trait est sans appel, ce trait est la loi. Vous avez beau implorer, vous avez beau dmontrer que ces chanes vous rendent la vie impossible : c'est en vain. Ce trait est devenu la base dfinitive de vos relations avec la communaut internationale. Il oblige non seulement ceux qui ont d signer, mais leur postrit toute entire. Nul n'a le droit de dire qu'il le rpudie. Quiconque le transgresse commet un crime. Ce crime s'appelle crime contre la paix. Et il n'est pas une seule violation du trait de Versailles qui n'ait t porte au compte des dirigeants allemands sous cette rubrique. L'acte d'accusation s'exprime ainsi : tel jour de telle anne, vous avez accompli tel acte qui tait contraire au trait de Versailles, paragraphe tant.
Solidifies dans leur dfinition irrvocable, enfermes de force dans des poumons d'acier o elles respirent avec peine, les nations vaincues implorent, elles demandent vivre. C'est ici o apparaissent les avantages de la rigidit gologique. On n'est pas inhumain, on les coute : mais on leur fait [75] comprendre que le trait est pour elles un mors. Qu'elles soient sages, qu'elles admettent l'tranger, qu'elles alinent leur indpendance, et ce mors pourra tre desserr. On pourra parler de concessions, peut-tre mme de rvision. Du caf et des oranges en change d'un gouvernement dmocratique : un ngre un bateau de riz, deux ngres deux bateaux de riz, une synagogue tout un convoi. Mais si elles veulent se gouverner leur guise, la loi. Nous ne choisissons pas d'autres documents pour illustrer cette situation que celui-l mme qui est cit par l'accusation, la dramatique confrence du 5 novembre 1937 dcrite dans la note Hossbach. Toutes les dductions d'Hitler ont pour base ce dilemme : ou nous quittons le pouvoir, et alors les nations anglo-saxonnes sont peut-tre prtes envisager des amnagements du trait de Versailles qui permettront l'Allemagne de vivre, mais de vivre tributaire, ou nous restons au pouvoir et alors notre rgime est vou l'chec parce qu'on nous refuse les matires premires, les dbouchs et les territoires qui nous sont indispensables. Ce chantage est [76] parfaitement lgal : c'est cela qu'on aboutit avec le caractre irrvocable des traits.
Cet aboutissement est logique, mais il est insuffisant comme nous l'a prouv l'exprience. Si l'on veut marcher tranquillement sur la Mer de Glace, il faut tre absolument sr qu'aucun travail souterrain ne s'effectue pendant ce temps. Les demi-sujtions rservent des mcomptes. Si nous voulons que le monde soit immobile, il faut contrler cette immobilit. L'application complte et consciente de ce systme aurait d nous entraner contrler l'industrie allemande, l'quipement allemand, la population
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allemande, la nourriture allemande, les lections allemandes et exercer ce contrle au nom des nations solidaires dans l'indivisibilit de la paix. Quand on combat la vie, il faut la combattre jusqu'au bout. Si vous ne voulez pas qu'elle prenne sa revanche, la seule solution est un malthusianisme racial et conomique qu'on peut tout au plus allger par l'migration et lexportation : les nations vaincues fabriqueront pour les autres des marchandises et des esclaves. Et il sera [77] prudent de les surveiller pendant trs longtemps par une occupation larve. Le trait de Versailles nous condamnait maintenir l'Allemagne en esclavage. Il nous imposait et il imposait au monde entier une grance perptuelle que nous n'avons pas exerce. Vingt ans d'exprience politique nous ont prouv avec force qu'il n'y a pas de moyen terme entre la libert totale et la servitude des vaincus.
C'est pourtant ce que le Tribunal international refuse de voir. La logique lui fait peur. Il pose des prmisses parce qu'elles sont indispensables l'accusation, mais ensuite il se voile la face et ne consent pas la conclusion. Il s'entte comme un enfant, il rpond comme un enfant, se rfugie dans le vague, s'abrite derrire les mots. Et tout ce qu'on peut tirer des accusateurs devant cette question si grave est cette phrase tonnante d'inconscience et de purilit : "Il est possible que l'Allemagne de 1920 1930 ait d faire face des problmes dsesprs, problmes qui auraient justifi les mesures les plus audacieuses exception faite de la guerre. Toutes les autres mthodes, persuasion, [78] propagande, concurrence conomique, diplomatie, taient ouvertes une nation lse, mais la guerre d'agression restait proscrite". C'est bien en effet ce que nous avons rpt pendant vingt ans l'Allemagne et lItalie : Entassez-vous, dbrouillez-vous, mais ne venez pas pitiner nos jardins.
Nos juristes de Nuremberg n'ont donc pas avanc d'un pas. Rveillant de son sommeil la vieille doctrine du partage immuable du monde, ils en retrouvent toutes les difficults; et ils n'osent pas aller jusqu'au bout de leur systme. Ils n'osent pas choisir, ils ne peuvent pas choisir. S'ils optent pour la servitude perptuelle des vaincus, pour une servitude avoue, dclare, ils se mettent en contradiction avec toute leur idologie de guerre. S'ils renoncent empcher par la force cette respiration et cette expansion des empires qui a la puissance et le caractre imprescriptible des lois biologiques, ils donnent raison l'Allemagne et ils doivent accepter pour eux la responsabilit de la guerre. Ils se trouvent devant cette vidence : la diplomatie ancienne et probablement tolr le partage de la Pologne ce n'tait [79] pas la premire fois et la guerre mondiale et t vite. L'annexion de l'Ethiopie, la disparition de la Tchcoslovaquie n'taient-elles pas des oprations infiniment moins coteuses pour l'humanit que le dclenchement d'une guerre mondiale ? Ce n'tait pas juste ? Mais l'amputation d'un quart de l'Allemagne au profit de l'imprialisme slave, le transfert effroyable de millions d'tres humains qu'on traite depuis quatre ans comme du btail sont-ils justes ? Les hommes d'Etat d'autrefois savaient qu'on ne doit risquer une guerre gnrale que pour des causes infiniment graves qui mettent en pril l'existence de toutes les nations. Et ils savaient aussi qu'il faut concder quelque chose aux lois imprescriptibles de la vie. Etions-nous exposs un danger mortel par le partage de la Pologne ? Le danger que les hommes d'Etat dmocratiques ont fabriqu de leurs propres mains n'est-il pas infiniment plus grave ? Notre situation n'est-elle pas infiniment plus dramatique ? Qui ne se dit aujourd'hui que l'Europe tait belle au mois d'aot 1939 ? Les vnements ont donn raison Choiseul. Les forces [80] politiques sont des forces naturelles comme l'eau et
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comme le vent : il faut les canaliser par des appareils prcis et puissants, ou il faut naviguer la voile. Si nous ne voulons pas, aprs les guerres, imposer la servitude qui est une des formes de la loi naturelle, il faut accepter l'autre, faire des traits viables et laisser se dvelopper les peuples vigoureux : les inconvnients qui rsultent de leur croissance sont finalement beaucoup moins graves que l'vnement d'une guerre gnrale dont l'issue ne profite qu' ceux qui menacent notre civilisation.
Nos nouveaux juristes, embarrasss entre la libert ou la servitude, se sont alors tablis sur une doctrine intermdiaire dont le pass leur offrait des lments et laquelle ils ont donn une extension majestueuse. Les traits sont irrvocables, la paix est indivisible : mais, nous disent-ils, ne vous inquitez pas de l'apparence de servitude qui dcoule de ces propositions, car elles sont en ralit le fondement d'un univers dmocratique o toutes les nations jouiront de droits gaux et des bienfaits de la libert. Bien sr vous allez tre un tout petit peu [81] esclaves, mais c'est le meilleur moyen pour que vous soyez tous libres.
Pour rallier cette thse ingnieuse, l'accusation fut amene laisser un peu dans l'ombre ce trait de Versailles que ses adversaires dsignaient du vilain mot de diktat et qui sentait en effet la poudre du plus fort. Et elle alla dterrer dans l'arsenal diplomatique un certain nombre de pactes usags qui avaient une physionomie trs pacifique et qui s'accordaient peu prs l'ide d'un libre consentement. En effet, disent nos juristes, ce n'est pas seulement le trait de Versailles que les Allemands ont viol. Ils ont viol aussi des traits qu'ils avaient librement signs, les conventions de La Haye, le pacte de Locarno, le pacte de la Socit des Nations, le pacte Briand-Kellog. Nous ne nous attarderons pas ici aux conventions de La Haye : elles sont imprcises, du moins en ce qui concerne l'agression. Et nous n'avons rien ajouter aux paroles du procureur britannique sir Hartley Shawcross: "Ces premires conventions furent loin de mettre la guerre hors la loi ou de crer une forme obligatoire [82] d'arbitrage. Je ne demanderai certainement pas au tribunal de dclarer qu'un crime quelconque a t commis en violation de ces conventions". Mais le pacte de Locarno, mais le Briand-Kellog, on nous le rpte vingt fois, c'est autre chose. Ce sont des textes sacrs, c'est le tabernacle Et le mme sir Hartley Shawcross dfinit par ces mots leur signification essentielle : le trait de Locarno "constituait une renonciation gnrale la guerre" et le pacte Briand-Kellog en constituait une autre, si grave, si solennelle, qu' partir de cette date "le droit la guerre ne fit plus partie de l'essence de la souverainet". C'est d'ailleurs en application de ce pacte, ajoute sir Hartley Shawcross, que l'Angleterre et la France se sont trouves en guerre. Elles n'ont pas eu dclarer la guerre, elles taient en guerre, car "une violation du pacte l'gard d'un seul signataire constituait une attaque contre tous les autres signataires, et ils taient en droit de la traiter comme telle".
Ces dclarations mritent d'tre examines de prs. On les louera d'abord pour leur subtilit. Elles sont une faon fort lgante de [83] rsoudre le problme de la dclaration de guerre. C'est trs simple : celui qui tire la premier coup de canon se met en tat de guerre avec tout le monde. Les historiens allemands nous demanderont peut-tre pourquoi, de tous les signataires, l'Angleterre et la France ont seules montr ce zle : nous leur rpondrons qu'ils sont de mauvais esprits et des ennemis personnels de sir Hartley Shawcross. Mais ce n'est pas tout. C'est surtout sur le plan politique que ces propositions sont d'une grande beaut et d'une grande fermet de doctrine : "Vous avez
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accept, dit en substance notre lgiste, de faire partie d'un super-Etat, vous avez renonc sur ce point une partie de votre souverainet, vous n'avez plus le droit de vous en ddire, ceci est irrvocable et votre signature peut tre invoque contre vous". II y aurait beaucoup dire l-dessus au point de vue historique. L'Allemagne s'est retire de la S. D. N., elle n'tait plus lie par les travaux et les rsolutions de la S.D.N. Elle a rpudi le pacte de Locarno, renouvel une premire fois en 1934 pour une priode de cinq ans, et non renouvel [84] l'expiration de cette priode : elle n'tait donc plus lie par les engagements de Locarno. Elle n'a pas rpudi le Briand-Kellog, qui d'ailleurs n'admettait aucune clause d'abrogation, mais qui pouvait se croire rellement li par le Briand-Kellog, puisque ce pacte s'tait rvl inapplicable la suite de la guerre dEthiopie ? Cela ne fait rien, dit l'accusation. Ces rvocations, tant unilatrales, n'ont aucune valeur pour nous : l'Allemagne, qui ne fait plus partie de la Socit des Nations, est aussi coupable nos yeux que si elle en faisait partie, le trait de Locarno a pour nous autant de valeur que s'il n'avait jamais t dnonc, et le pacte Briand-Kellog, qui n'a aucune signification lorsqu'il s'agit de l'Ethiopie, oblige imprieusement l'Europe faire la guerre lorsqu'il s'agit de la Pologne. Les pactes internationaux ont quelque chose du caractre sacerdotal : ils consacrent pour l'ternit.
Mais ce n'est pas l'aspect historique de l'affaire qui nous intresse en ce moment. Admettons que le Briand-Kellog soit un trait au mme sens o Versailles est un [85] trait, admettons qu'il ait t pris au srieux par l'opinion et par les puissances, et admettons que ce trait ait t viol par l'Allemagne. Ce qui est important, ce qui est un changement radical, c'est la valeur que prend soudain ce trait parmi tous les autres traits, c'est la soudaine promotion, le changement d'essence qui en fait, non pas un contrat comme les autres, mais une loi, un arrt de Dieu.
C'est ici qu'apparat le systme qui sert de base l'accusation, et en particulier l'unit de ce systme. Dans la premire section de l'Acte d'accusation, le Ministre public affirmait qu'il existe une conscience universelle, une morale internationale qui s'impose tous et que cette morale internationale interdit certaines formes d'action politique. Ici, il affirme que non seulement la morale internationale existe, mais qu'elle a des instruments, des porte-parole accrdits, et un pouvoir lgislatif ayant la mme force coercitive que les pouvoirs lgislatifs nationaux. Vous n'aviez pas le droit de faire la guerre, dit l'accusation, parce que la S.D.N. linterdit : au moyen d'un texte lgislatif au [86] bas duquel se trouve la signature de vos reprsentants. C'est dans cette perspective seulement que le Briand-Kellog cesse d'tre une pure dclaration affirmant que la guerre est une trs vilaine chose, pour devenir un dit interdisant la guerre. Pour que le Briand-Kellog ait cette valeur, il faut admettre que la S.D.N. tait Richelieu : elle interdit la guerre comme il a interdit le duel, et elle fait pendre Ribbentrop comme il faisait couper la tte Montmorency-Boutteville. La S.D.N. tait donc une puissance dont l'Allemagne a viol la constitution. L'Angleterre et la France et non seulement l'Angleterre et la France, mais tous les Etats qui ont reconnu la S.D.N. se trouvent automatiquement en guerre contre elle, comme tous les Etats qui constituent la Confdration amricaine se trouveraient en guerre avec la Californie si la Californie se rvoltait contre le pouvoir fdral.
Ainsi deviennent perceptibles l'unit et la puissance de la morale internationale. La conscience universelle, ou comme on voudra, la morale internationale devient un
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pouvoir : elle interdit le nationalisme autoritaire [87] comme les lois fdrales interdisent la contrebande de l'alcool et elle punit la guerre comme une mutinerie. Cette promotion de la conscience universelle nous permet de pntrer plus avant dans l'esprit de nos nouveaux lgislateurs. Tout se tient chez eux et l